DEUXIÈME SÉRIE. — TOME SEPTIÈME
(LXXXUI» TOME DE LA COLLECTION)
AU SIEGE DE LA SOCIETE
MAISON DITE DE LA REINE BÉRENGÈRE, GRANDE-RUE, 11, AU MANS
IMPRIMERIE MONNOYER 12, PLACE DES JACOBINS, 12. — LE MANS
1927
Les Membres du Bureau ont la douleur de faire part du décès de
M. Robert TRIGER
Président de la Société Historique et Archéologique du Maine,
Vice-président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe,
Inspecteur général honoraire de la Société française d'Archéologie,
Membre non résident du Comité des TraTaux Historiques et Scientifiques,
Associé correspondant de la Société Nationale des Antiquaires de France,
Membre correspondant de l'Académie Royale d'Archéologie de Belgique,
et de nombreuses Sociétés Savantes,
Vice-président du Comité de la Société de Secours aux blessés,
Président d'honneur de la Seciété des Porteurs du Christ du Mans,
Commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand,
Décoré des médailles de la Reconnaissance Française et de la
Reconnaissance Belge (1914-1918).
décédé le 15 Janvier 1927, au Mans, muni des Sacrements de l'Eglise, dans sa 71" année.
Les Convoi et Service ont eu lieu le 18 Janvier, à 10 heures: en l'Eglise Cathédrale Saint-Julien.
4LES
4LES AU MANS
Le corps de notre éminent et très regretté Président a été accompagné par un immense concours de la population mancelle et de ses amis. 1
Tenaient les cordons du poêle :
MM. le marquis de Beauchesne et de Linière, vice-présidents de la Société historique et archéologique du Maine, M. le Dr Delaunay, vice-président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, M. le comte de laTouanne, viceprésident du Comité de la Société de Secours aux blessés, MM. de Lorière et Albert Leroux.
Le cortège était composé de la famille du défunt : M. le Brun, Mm° de Vaublanc, M. et Mmc Georges Lecointre, Mme Adrien de Vaublanc, MM. Jean-Bernard et Adrien de Vaublanc, MIle Christiane Lecointre, M. et Mme René Chotard;
Du Bureau de la Société historique et archéologique du Maine: MM. le chanoine Girard et Xavier Gasnos ;
Du Bureau de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe : MM. Simon et Renard ;
Du Comité de la Croix-Rouge : Colonel Neulat, MUcs de la Hellerie et de Courdoux;
De la Société des Porteurs du Christ: MM. Charles Ducré, président, et son fils, Jules Véron, Eugène le Breton, Auguste Ganot, Alfred Ducré et son fils, Auguste Pichon, Alphonse Mesnard, Auguste Hervé et son fils, Auguste Blin, Louis Launay, Auguste Renard, Emile Roumier, Julien Daunay;
Des Anciens Combattants belges, conduits par M. Jacques Mathieu, président de l'Association amicale ;
Du personnel et des fermiers de M. Triger.
— 5 — Remarqué dans la très nombreuse assistance :
M. Tellier, secrétaire-général de la Préfecture, représentant M. le préfet Marcel Bernard.
M. Arsène Le Feuvre, maire du Mans, accompagné de MM. Foucault et Lulé, adjoints.
MM. les généraux Pageot et Roger.
MM. Lajus, président du Tribunal, Edeline, vice-président, Vetillard, procureur de la République.
Marquis et marquise d'Argence, Augu, notaire, R. P. Amédée, Mme Abot, comte d'Argence, Mme Aligot.
Commandant Bourguignon, chanoine Blin, Mmes Bachelier, Bodin, Blin, général Bûhler, MM. Frédéric Beillard, Bertaut,Baroux, J. Bouvier-Desnos, Boisard, Albert Beillard, Blanc-Plot, MHes Briois, chanoine Boudet, MM. Berthauld, Benderitter, Méry de Bellegarde, le Bihan, L. Bidon, Brichet, marquise de Bauchesne, M 1» 03 <je la Barre de Nanteuil, C. Beslier, M. et Mme le Bailly.
M™ 8 de Courdoux, marquis et marquise des Courtis, MM. Th. Chevalier, A. Commin, inspecteur administratif des chemins de fer, Chaudourne, Castille, ancien maire du Mans, comte et comtesse de Chasteigner, M. et Mme Julien Chappée, abbé Emm. L. Chambois, MM. Carré, Jules Chancel, rédacteur en chef de la Sarthe, Casanova, censeur du Lycée, Conilleau, P. Cordonnier-Détrie, Chilard, vicomte Thibaut de Chasteigner, Mmcs J. Chartier, Chamaillart, de la Charie, Courcoux, Roger Chapron, Gervais Chappée, Mllos Y. et M. L. Chesnel, capitaine du Couëdic de Kergoaler, chanoine Cornuel, M. et M»>e Louis Chappée, M. et Mme le Cornu.
Colonel et Mme Debains, MM. Georges Durand, secrétaire général de l'Automobile Club de l'Ouest, H. Dubignon, Paul Damoiseau, E. Drouin, Dechipre, Dumant, M"e Dreux-Menget, colonel Deneuve, M. et M" 1» Deslandes, Mmcs Doulain, Delaunay, Drouin, MM. chanoine Daumas, curé-archiprctre de la Couture, Freddy Debains, vicomte Doynel de laSausserie,Dubois,A. Damotte, M. et MmeDeIfau.
Comtesse Bernard d'Erceville, MM. André l'EIeu, G. Esnault, Echivard, Mme Erard, M. et Mme Esnault.
M. et Mm» je Faucheux, M. et Mme p. je François, MM. Maurice de Fromont de Bouaille, docteur Feutelais, comte et comtesse de Follin, MH° Béatrix des Francs, abbé de Forceville, chanoine Foin, Mmes Fouchard, Froger.
Lieutenant-Colonel et Mme Gasselin, MM. le général de Gastines, Pierre Gaignard, Xavier Graffin, Aug. Grandin, A. Goutard, Mmes Gazeau, van der Gracht, P. Goussu-Lépine, MM. Guillaume
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de Gayffier, comte de Gastines-Dommaigné, Gresser, docteur et Mm» Gougaud, Mlle Gougaud, capitaine et Mme Guillot, abbé Ch. Girault, comte de Gastines, Mlle Guérin.
Dom Heurtebize, bénédictin de Solesmes, commandant et Mme Haca, le capitaine Harelle, Adrien Henry, J. Hiron, président de la Société des Anciens Elèves de l'Ecole de Dessin, abbé Hubert, curé St-Pavin-des-Champs, docteur et Mme Hardyau, Mmes d'Harembert, Henry, abbé Hitter, chanoine Husset, curé de St-Benoit, M"e de la Haye-Montbault, MM. G. Hébert fils, G. Hubert.
Colonel et M">» Joly de Colombe, Mmc Jeandel de Rozeville, MM. A. Janvier, Jauneau, Joly, Jousse, brancardier de la Croix-Rouge, Jobet, Georges Jolais, chanoine Julienne, curé-doyen de Sillé-le-Guillaume, Mme Maurice Jobet.
MM. Laurain, archiviste départemental de la Mayenne, président de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, Leguy, Georges Leroux, l'Hermine, archiviste départemental de la Sarthe, Lecomte, A. M. Laine, Lebourdais, J. Letessier, Jacques de Linière, Legendre, Albert Lecomte, Langlais, Docteur et Mme Latron, abbé Legoué, curé de Maresché, générale baronne Lagarde, MmeB de Linière, Lehoux, de Lorière, Louvel, abbé Leprout, curé de Douilletle-Joly, MM. Ed. Lebert, abbé Lemarchand, vicaire à Saint-Pavindes-Champs, Leblanc, J. Leroux, G. Levernieux, Lebrun, Lenoir, C. de Launay, M. et Mme paul Latouche.
Comte et Comtesse Meunier du Houssoy, MM. Miriel, directeur de la Banque de France, Marcel Memin, Monziès, conservateur des Musées du Mans, Henri Morançais, Louis Ménage, Ménard, Charles Morancé, Morin, général et Mlle Mortagne, vicomte et vicomtesse de Monhoudou, capitaine et Mme Mahot, M. et M"»e Georges Moulière, commandant et comtesse de Mazenod, chanoine Mulocheau, directeur de l'Ecole libre de N.-D. de Sainte-Croix, docteur et Mme Mascarel, Mlle du Moutier, M. Martin-Fortris, docteur et Mmo Meyer, Mmcs Mordret, Xavier Mordret, commandant et Mme Maréchal, M. Me et Mt'es Maillet, M"° Malouin. MM. Mahieu, marquis de Montesson, Merlan, Mauboussin, Louis de la Mairie, Mùller, marquise de Maillebois, abbé Marçais, M"e de la Messuzière, M"e Louise Mordret, chanoine Marquet, secrétaire particulier de Monseigneur l'Evèque du Mans, M. et Mrao Charles Monnoyer, Mme Mauduit.
MM. Nivert, colonel Nouton, comtesse de Nugent.
M. Joseph Ory.
Générale Pageot, M. Potel, inspecteur des Forêts et Mm« Potel, docteur Plaisant, MM. P. Pottier, Poivet, Pichard.
Mmo Ouinton.
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M. Paul Romet, vice-président de la Société historique et archéologique de l'Orne, Mmo Richard, présidente des Dames françaises, commandant et Mmc Riondel, MM. G. Rialland, F. Rapicault, Ragot, Roncin, Aug. Ricordeau, Roch, Réveillant, M. et Mme le Roy, générale Roger, commandant et Mra° Ricour, Mme Gabriel Rabeau, Mlle Romet.
Baron de Sainte-Preuve, Mmes de Saint-Rémy, vicomtesse de SaintLéger, M. Albert de Saint-Denis, vicomtesse de Saint-Exupéry, M 110 de Saint-Exupéry.
MM. Louis Singher, Louis Savare, représentant la Société des Antiquaires de Normandie, Saudubray, docteur et Mme Sinan.
MM. Paul Torchet-Royer, Tuai, L. Trégard, R.-L. Toutain, L. Thurillet, comtesse de la Touanne, comtesse Maurice de la Touanne, M. et Mme Traxler, Mmes de la Tribonnière, Toutain.
Vicomtesse de Vannoise, vicomte et vicomtesse de la Vingtrie, MM. Paul Verdier, abbé Vérité, vicomte Robert de Vannoise, abbé Violet, Mmes de Vercly, Vérel, A. Vincent, Véron, M. et Mme M. de Verdière, comte de Vautibault.
M. et Mme J. de Wailly de Wandonne.
M. Yokel, inspecteur administratif des chemins de fer, etc., etc.
Une délégation de la Société de Secours mutuels des Sapeurspompiers de la ville du Mans ;
Le Directeur et les professeurs de l'Ecole chrétienne de la rue de Lorraine ;
Les religieuses franciscaines, servantes de Marie;
La clinique Delagenière, représentée par M"e Marthe Blécon, infirmière, et la chère soeur Françoise;
L'imprimerie Blanchet et la rédaction du journal « La Sarthe », représentés par MM. Touchet, Huet et Granger.
La messe a été célébrée par M. le chanoine Vallée, archiprêtrede la Cathédrale. L'absoute a été donnée par Mgr Mignon, protonotaire apostolique, vicaire général, délégué par Mgr i'Evèque du Mans, absent du diocèse.
La maîtrise, dirigée par M. l'abbé Pioger, a chanté l'office.
Le corps a été déposé ensuite dans une chapelle latérale où le public a été appelé à défiler devant le cercueil.
Suivant la volonté exprimée par le défunt, aucun discours n'a été prononcé.
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L'INHUMATION A DOUILLET-LE-JOLY
Un second service funèbre a été célébré le lendemain en l'église de Douillet-le-Joly, à 10 heures, par M. l'abbé Leprout, curé, assisté de MM. le chanoine Didion, curé-doyen de Fresnay, l'abbé Grassin, curé de Montreuil-le-Chétif, l'abbé Martin, curé de Saint-Aubin-de-Locquenay, l'abbé Hacques, curé de Sougé-le-Ganelon, l'abbé Patoureau, curé d'Assé-le-Boisne, et l'abbé Fourmy, vicaire à Mont-Saint-Jean.
Le corps a été amené de la maison mortuaire du défunt à l'église paroissiale, escorté de MM. Suhard, maire de Douilletle-Joly, Henri Tournouër, président delà Société historique et archéologique del'Orne,deLinièreet Legendre, qui tenaient les cordons du poêle, et de tous les enfants de l'école chrétienne.
Le Conseil municipal de Douillet marchait derrière la famille.
Assistaient aux obsèques, en outre du Bureau de la Société et de quelques amis du défunt venus du Mans, et cités plus haut :
M. l'abbé L. Lepron, vicaire de la cathédrale du Mans, MM. Paul Romet, conseiller général de l'Orne, le comte de Viennay, Xavier Rousseau, M" 0 d'Aubigny, MM. Rigaut, Leloup, ancien conseiller général, Bougie, notaire, Chable, chef de la musique municipale de Fresnay, et de très nombreux habitants de Douillet-le-Joly et des communes avoisinantes.
A l'église, M. le chanoine Didion, spécialement délégué par S. G. Mgr l'Evêque du Mans pour présider les obsèques en son nom, fit ressortir en quelqnes paroles émues les leçons qui se dégagent de la vie tout entière de notre regretté Président, de son attachement au devoir, de son dévouement à toutes les grandes causes, de son travail assidu.
Il réclama une prière ardente pour le défunt qui, en refusant éloges, fleurs et couronnes, a prouvé qu'à ses yeux une seule chose comptait après la mort : la prière.
Au cimetière, lorsque les dernières prières de l'Eglise furent prononcées, M. de Linière, vice-président de la Société,
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adressa, du seuil de la chapelle mortuaire, les paroles d'adieu suivantes au maître et à l'ami que l'on devait quitter :
Dans votre grande modestie, cher ami que nous pleurons, vous avez demandé qu'il ne soit pas prononcé de discours à vos obsèques.
Respectueux de vos désirs, je suis sûr de ne pas contrevenir à vos volontés, en venant, dans ce cadre familial et intime, dire au maître éminent, à l'homme estimé de tous, l'adieu respectueux, affectionné et cordial de ceux qui vous accompagnent aujourd'hui, au seuil de votre dernière demeure.
Je ne veux pas louanger ici l'oeuvre considérable que vous avez accomplie pendant un demi-siècle, et dont la Société historique du Maine, au nom de laquelle je parle, a eu la meilleure part.
Je ne veux louanger, ni votre labeur d'historien et d'archéologue, qui assurera au nom de Robert Triger une juste notoriété dans les générations à venir ; — ni votre patriotisme éclairé et vibrant ; — ni votre dévouement à la chose publique; — ni même les grandes qualités de votre coeur.
Je viens vous dire seulement, pour tout ce que vous avez fait, et au nom de tous : Merci.
Pendant ces trois semaines où votre robuste constitution a lutté pied à pied contre la mort, j'ai pu apprécier et admirer la sérénité de votre grande âme, votre énergie indomptable, votre affabilité souriante jusqu'à la fin.
Monseigneur l'Evêque, en venant vous bénir, la veille de votre mort, vous a dit que vous aviez donné à tous le grand exemple de votre vie, qui a été celle d'un travailleur et d'un juste.
Je n'ajouterai rien à cet éloge si complet-..
Au seuil de l'éternité bienheureuse, dans cette belle chapelle édifiée par vous, vous dormirez votre dernier sommeil.
Le grand chrétien que vous êtes aura trouvé, j'en suis sûr, auprès de Dieu, la récompense réservée à ses élus.
Mon cher Maitre, mon cher ami, nous garderons précieusement votre souvenir et vous resterez notre modèle.
Au nom de tous, présents et absents, que vous avez aimés avec votre coeur si généreux, si bon, et qui vous pleurent, je vous dis : à Dieu
L'assistance profondément émue défila devant le corps de M. Robert Triger, qui repose au milieu des siens dans la belle chapelle funéraire qu'il avait fait édifier pour les recevoir.
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ADIEUX A NOTRE PRESIDENT.
M. Robert Triger ayant demandé qu'il ne fut pas prononcé de discours à ses obsèques, le Bureau de la Société n'a pu lui exprimer publiquement les sentiments de reconnaissance et d'affection que la Société historique et archéologique du Maine, éprouve pour le Président éminent et vénéré que nous venons de perdre.
Il les lui adresse aujourd'hui avec l'hommage de sa très profonde gratitude pour l'oeuvre considérable qu'il a accomplie pendant les années de sa présidence.
Cette oeuvre a assuré à notre Société une notoriété dont elle est en droit d'être fière et dont elle restera toujours reconnaissante.
C'est avec une tristesse infinie et une profonde douleur que nous voyons disparaître ce savant qualifié autant que modeste, qui a été pendant trente-cinq ans, l'animateur de notre Société et comptera parmi les meilleurs historiens de notre ville du Mans.
Notre Président avait supporté avec son énergie habituelle et sa bonne grâce toujours souriante, les fêtes écrasantes du Cinquantenaire de la Société et des Noces d'argent de sa présidence, au cours desquelles il avait été l'objet d'une manifestation éclatante d'admiration et de sympathie.
Au cours de son allocution finale, il prononçait cette phrase vraiment prophétique : «... Je ne me dissimule pas que cette « inoubliable séance est pour moi le couronnement d'une carie rière qui fatalement approche de son terme... »
Il donnait en terminant quelques aperçus généraux sur l'avenir et désignait les oeuvres d'actualité destinées à mettre mieux en valeur les richesses artistiques de sa ville natale : ce qu'il présentait comme « une sorte de testament archéologique ».
Ce ne devait être, hélas ! que trop vrai.
A peine venait-il de publier le Numéro du Cinquantenaire et
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le Testament archéologique du Président, qu'au lieu de prendre un repos qu'il avait certes bien gagné, il se sentit terrassé par une maladie implacable autant qu'insoupçonnée.
Une intervention chirurgicale fut tentée de suite, mais trop tardivement pour qu'elle pût le sauver.
Après trois semaines de souffrances courageusement supportées, pendant lesquelles il ne cessa de s'intéresser à la Société qu'il aimait tant, notre cher Président rendit son âme à Dieu.
Parlant à quelqu'un de son entourage, il disait qu'arrivé au terme de sa carrière d'historien et d'écrivain, il pouvait se rendre à lui-même le témoignage de n'avoir jamais écrit une ligne contraire à la vérité, ou qu'il dut regretter.
Celui qui possédait cette haute conscience, ce grand caractère, alliés à une affabilité légendaire, n'est plus.
Il nous avait donné le meilleur de son travail, de sa vive intelligence, de son coeur. Nous garderons de lui un souvenir de pieuse reconnaissance.
C'est avec une indicible douleur que nous adressons, au nom de la Société tout entière, à notre Président, un suprême adieu !...
Mais aussi, fidèles à sa mémoire, nous suivrons la voie qu'il nous a tracée, nous conserverons ses enseignements et apporterons à la prospérité de la Société, avec tous nos efforts, notre bonne volonté entière.
Nous espérons dans le cours de cette année, pouvoir publier la Biographie de M. Robert Triger. Nous en avons confié le soin à une plume autorisée.
L'écrivain distingué, qui nous a promis son précieux concours, saura faire revivre pour les générations à venir et conserver pour la nôtre, Ja physionomie de notre éminent Président, et lui élever en notre nom un monument de piété et de reconnaissance.
LE BUREAU.
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CONDOLEANCES. ELOGES.
La mort de M. Robert Triger n'a pas plongé seulement dans un deuil cruel la Société historique et archéologique du Maine. La disparition de notre éminent Président laisse de profonds regrets dans toutes les sociétés savantes de la région et de la capitale, dont il était, pour beaucoup d'entre elles, membre correspondant.
La Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe nous a fait parvenir, dès le décès, l'expression de ses condoléances confraternelles et de sa sympathie. Elle avait convoqué tous ses membres aux obsèques. M. Ambroise Gentil, son président, en ouvrant la séance le 13 février, a prononcé un éloge ému de M. Robert Triger, premier vice-président de la Société dans laquelle il était entré le 4 juin 1878.
La Société Historique de la Province du Maine a consacré la première page de sa Revue à un élogieux article signé de M. le chanoine Ledru, son président, qui rend hommage à la carrière historique parcourue avec honneur par le regretté défunt. Au nom de son Bureau, il nous adresse de vives condoléances dont nous le remercions bien sincèrement.
La Commission historique et archéologique de la Mayenne était représentée aux obsèques du 18 janvier, au Mans, par M. Ernest Laurain, archiviste départemental, son président, et par quelques membres de cette société, qui nous ont apporté le témoignage de la haute estime dont jouissait notre président, membre correspondant de cette société depuis 1884, auprès de nos confrères mayennais et des regrets qu'il laisse dans leur société, soeur de la nôtre dans le Maine.
La Société historique et archéologique de l'Orne
revendique M. Robert Triger presque comme l'un des siens. Son distingué président, M. Henri Tournoûer, et son vice-
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président, M. Paul Romet, ont assisté aux obsèques au Mans et à l'inhumation à Douillet, renouvelant à notre Société des marques de sympathie confraternelle et de douloureuses condoléances dont nous restons fort reconnaissants.
La Société Dunoise nous fait parvenir, par l'entremise de son Bureau, l'expression de la part très vive que cette Société, voisine de la nôtre, prend à notre deuil, et de la sympathie très ancienne dont notre Président, membre honoraire depuis 1905, jouissait dans leur société, reçue par lui au Mans, il y a un quart de siècle.
La Société française d'Archéologie nous a exprimé par la plume de M. Marcel Aubert, son directeur, ses regrets émus pour la mort de M. Robert Triger, qui avait joué, dit-il, un si grand rôle dans cette Société où il était entré en 1878, dont il était un des doyens et inspecteur général depuis 1900. Son président retenu à Paris par une importante manifestation en son honneur à la Sorbonne, ne pouvait, à son grand regret, assister aux obsèques, non plus que le secrétaire général, M. Raymond Chevallier, ami personnel du défunt.
La Société des Antiquaires de France, dont notre président était membre associé correspondant depuis 1902, se propose de faire paraître dans son Bulletin l'éloge nécrologique de son regretté collègue, et lui consacrera une notice sur sa vie et ses travaux.
A la Société d'Histoire de France, M. Couderc, son président, a lu une excellente étude sur M. Robert Triger, qui était membre de cette Société depuis 1908, et membre non résident du Comité des Travaux historiques et scientifiques.
La Société anglaise Balliol Earthworks Surveg, de Hove (Sussex), nous fait parvenir l'expression de ses vives et profondes condoléances.
On voit que notre regretté Président n'a été oublié nulle part.
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Le Bureau a reçu en outre des condoléances de nombreuses personnalités qui n'ont pu assister aux obsèques et notamment de:
S. G. Mgr Grente, évêque du Mans, qui avait apporté à notre Président une dernière bénédiction, la veille de sa mort. S. G. Mgr de Durfort, évêque de Poitiers. S. G. Mgr Rousseau, évêque du Puy-en-Velay, membre titulaire de notre Société. M. Marcel Bernard, préfet de la Sarthe. M. Camille Jullian, membre de l'Académie française, directeur de la Revue des Etudes anciennes.
M. Maurice d'Ocagne, membre de l'Institut. M. le duc de La Force, membre de l'Académie française. M. Raymond Chevallier, président de la Société historique de Compiègne, secrétaire-général de la Société française d'archéologie.
M. le baron de Béthune, de Louvain.
M. le vice-amiral Dartige du Fournet, ami personnel du défunt.
M. le comte de Bastard d'Estang, ancien président de la Société historique et archéologique du Maine.
M. le comte Celier, fondateur et doyen de notre Société et de nombreux collègues :
MM. le vicomte Menjot d'Elbenne, René du Guerny, colonel Savare, Ernest Fouché, l'abbé Legros, Pallu du Bellay, général baron Lagarde, André Bouton, baron F. d'Auteroche, J. Cosson, Pierre Vérité, Georges Desnos, baron de la Bouillerie, baron Clouët, Albert Lenoble, Pierre Malherbe, Davy de Virville, baron Hennet de Goutel, Maurice Passe, Guy Ramard, baron Raynal de Bâvre, Auguste de la Croix, Maurice Termeau, M™" la vicomtesse de Rudeval, M. et Mme Léon Touchard, M1Ie Marie-Louise Bourdon, Mme Albert Maignan.
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La presse départementale et parisienne a consacré à M. Robert Triger des articles fort élogieux et a fait ressortir le rôle considérable qu'avait joué notre éminent compatriote, non seulement dans le monde savant où il jouissait d'une très grande notoriété, mais dans la vie publique où il était entouré de la sympathie et du respect de tous ses concitoyens, sans distinction d'opinions.
Pendant les années de la grande guerre, il apporta au service des blessés français, des soldats et des réfugiés belges, un dévouement et une activité inlassables.
Il faisait preuve en toute circonstance du patriotisme le plus élevé, toujours au service des plus nobles causes.
« C'était un homme de bien dans toute la force du terme ».
Nous ne pouvons que résumer les éloges qui ont été faits de lui.
Nous remercions les journalistes et les écrivains de talent qui ont apporté à notre Président le témoignage de la reconnaissance publique, notamment les journaux La Sarthe, L'Ouest-Eclair, l'Echo du Maine, le Pays Sarthois, le Journal de Sablé, l'Echo d'Alençon, la Tribune de l'Orne, le Journal des Débats et les feuilles religieuses : la Semaine du fidèle, la Voix de Saint-Julien, le Petit Messager de Sainte-Scholastique,le Bulletin paroissial de Fresnag.
La Société des Porteurs du Christ a fait célébrer à la cathédrale Saint-Julien, une messe de huitaine pour le repos de l'âme de son Président d'honneur, l'historien de la Procession des Rameaux au Mans.
Le Bureau adresse à tous ceux qui lui ont fait parvenir ces témoignages de douloureuses condoléances, et aux Sociétés qui ont honoré le souvenir de son Président, l'expression de sa respectueuse et sincère gratitude.
Lorsque, dans la première moitié du xve siècle, Guillaume Hue, lieutenant du Mans, et Michelle de Chablais, honorables mais simples bourgeois, possédaient, en la paroisse de Vernie au Maine, la très petite terre seigneuriale de Vernie-le-Moutier, ils eussent sans doute été fort surpris s'ils avaient pu entrevoir le splendide avenir réservé à leur modeste « hébergement », comme on disait alors, et à certains de leurs descendants, grâce à une suite d'alliances de plus en plus brillantes. Comment cet hébergement bourgeois du xve siècle s'est-il transformé, avant la fin du xvme siècle, en une des plus belles résidences aristocratiques du Maine, c'est ce que nous nous proposons de rechercher dans les pages qui vont suivre.
Guillaume Hue, que nous avons nommé tout à l'heure, n'était peut-être pas le plus ancien propriétaire de Vernie-le-Moutier ; mais il est celui à partir duquel la suite ininterrompue des possesseurs de cette terre, ancêtres par les femmes des Froullay, comtes de Tessé, peut s'établir avec certitude. Nous savons en effet que ce personnage, qui occupait au Mans une situation relativement assez importante, celle de lieutenant de la ville, était mort avant 1444, puisque c'était cette année-là que la succession de sa veuve fut partagée entre leurs deux gendres, Pierre Morel, bourgeois du Mans, et Jean de Saint Denis, à cause de leurs femmes (1). Nous savons également que par l'effet de ces partages, Vernie-le-Moutier échut à la femme de
(1) Arcli. de la Sartho, E, 221.
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Pierre Morel. Or ceux-ci avaient une fille Isabeau, qui épousa plus tard, en tout cas avant 1477, Me Jean Pérot, seigneur de Pescoux, à Louze, près d'Alençon, et de Monhoudéart, et lui porta en mariage la terre qui nous intéresse (1). De cette union naquit Charles Pérot, seigneur de Pescoux et Vernie-le-Moutier, marié en 1494 avec Marie Prieur, dame de Rouillon près du Mans et de la Motte Bouju (2). Ce fut ce dernier qui, vers 1510, augmenta beaucoup l'importance de sa terre patrimoniale de Vernie-le-Moutier en y joignant par acquisition dans la même paroisse la terre de Vernie-la-Motte (3). A la terre que nous venons de nommer, terre possédée avant 1430 par les de Vernie, puis pendant la seconde moitié du XVe par les Bouille, les le Maçon et les du Bouchet (4), était attachée la seigneurie de paroisse. Cependant de l'union de Charles Pérot et de Marie Prieur étaient issus un fils Christophe et deux filles Françoise et Jeanne. La première avait épousé vers 1520 Etienne de la Ferrière, chef d'une des branches cadettes de l'antique et illustre famille de ce nom, et qui possédait la terre seigneuriale de Tessé à Saint-Fraimbault-sur-Pisse, en Normandie, mais dans la chatellenie d'Ambrières (5) ; la seconde s'unit avec Marin du Bouchet seigneur de Mondragon (6). Quant à Christophe Pérot, bien connu comme grand sénéchal du Maine, il posséda les terres de Pescoux, de Vernie et de Rouillon, et mourut sans alliance, semble-t-il, ou du moins sans postérité en 1565. Sa succession fut alors divisée entre ses deux soeurs et leurs représentants, et c'est ainsi que, tandis que Jeanne Perot portait la terre de Pescoux aux du Bouchet, Jehan de la Ferrière, fils de Françoise, et déjà seigneur de Tessé, y joignait, du chef de sa mère, les deux terres de Vernie et de
(1) Aroh. de la Sarthe, 6, 898.
(2) Arch. de la Sarthe, E. 221.
(3) Voir la Province du Maine 1895, Vernie, par Ernest Dubois.
(4) Voir l'étude sur Vernie déjà citée.
(5) Nous renvoyons, pour plus de détails sur cette alliance, à l'Histoire de la baronnie d'Ambrières que nous venons de donner au Bulletin de la Commission hist. et arch. de la Mayenne, et qui va paraître dans cette Revue pendant le courant de l'année 1927.
(G) Le château de Sourches, par le chanoine Ledru, p. 105.
RKV. HIST. ARCH. DU MAINE 2
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Rouillon, pour lesquelles il fit foy et hommage à François d'Alençon, apanagiste du Maine, en 1576 (1).
Le neveu de Christophe Perot était non seulement issu d'une très ancienne race, mais tenait une place importante dans la noblesse de son temps, car il se qualifiait chevalier de l'ordre du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre.
Il avait épousé en 1549 Françoise de Raveton, fille unique de François de Raveton, seigneur dudit lieu, près Verneuil en Normandie, et de Jeanne d'Anisy. Il continua d'abord à habiter sa terre patrimoniale de Tessé, à laquelle il était d'autant plus attaché qu'il s'était rendu acquéreur en 1581 de la terre et baronie d'Ambrières dont cette terre relevait. Mais en 1586, ayant marié son fils unique, Jehan de la Ferrière, qui se qualifiait baron de Vernie, avec Jehanne d'Estouteville, fille unique et héritière de Jehan d'Estouteville, chevalier de l'Ordre du Roi, seigneur de Villebon, et d'Adrienne de Dailly, il lui abandonna la terre de Tessé et alla désormais fixer sa résidence à Vernie au Haut-Maine. C'est là qu'il se trouvait quant à la fin de 1589 le baron de Vernie, qui commandait alors à Domfront pour le parti de la Ligue, fut surpris et massacré par un groupe de royalistes dans un pourparler. Ainsi finissait pour l'avenir la ligne masculine des de la Ferrière de Tessé, mais il restait au vieux Jehan de la Ferrière, de son union avec Françoise de Raveton, trois filles, dont l'aînée Thomasse avait épousé dès 1567 André de Froullay, seigneur dudit lieu en Couesmes et de Monflaux en Saint-Denis-de-Gastines, qui appartenait à une des plus vieilles familles du Bas-Maine.
Le seigneur de Vernie y testa en 1592, mais ne mourut qu'en 1595, après avoir institué son petit-fils René de Froullay son principal héritier à la charge de porter le nom et les armes de La Ferrière. Celui-ci eut donc Vernie avec la terre de Tessé au Bas-Maine, mais Rouillon passa à sa tante Jeanne de la Ferrière, femme de Jacques de la Hautonnière.
René de Froullay, qui, pour se conformera la volonté de son
(1) Arch. nat., P. 719.
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grand-père maternel, nous apparaît pendant quelques années sous le nom de René de la Ferrière, avait épousé par contrat du 11 juin 1596 Marie d'Escoubleau de Sourdis, fille de François d'Escoubleau de Sourdis, chevalier des ordres du Roi, gouverneur de Chartres au pays Chartrain, et d'Isabeau Babou de la Bourdaisière. Son père lui ayant donné à cette occasion la terre de Froullay, il obtint du roi Henri IV, en septembre suivant, l'érection des terres d'Ambrières, Froullay et Tessé en comté, sous le titre de comté de Tessé. Très en faveur, comme on le voit, auprès de ce Prince, il le suivit l'année suivante en Bretagne dans son expédition contre le duc de Mercoeur, et y porta la Cornette blanche. En 1598, au retour de cette expédition, il fit foy et hommage au comté du Maine pour sa terre de Vernicla-Motte (1), où à l'exemple de son grand-père Jehan delà Ferrière, il avait fixé sa principale résidence. En 1609, il rendit aveu au Roi pour la même terre (2). En 1620, il fit un échange de certains fonds de terre avec M0 Jean Baptiste de Bedin, chanoine prébende de l'Eglise du Mans, prieur de Vernie, demeurant au Mans (3) ; il se qualifiait dans cet acte : « Chevalier de l'ordre du Roi, comte de Tessé, baron de Vernie ». Il mourut dans son château de Vernie, le 27 janvier 1628 (4). De son union avec Marie d'Escoubleau il avait eu six fils, dont René II qui lui succéda comme comte de Tessé et seigneur de Vernie, Charles auteur de la branche de Monflaux, et quatre filles.
René II de Froullay, comte de Tessé, baron de Vernie, etc., habita comme son père le château de Vernie, et en rendit aveu au roi Louis XIII, à cause de son comté du Maine, en 1637 (5).
Il avait été élevé enfant d'honneur du roi Louis XIII. D'abord, mestre de camp de deux régiments de son nom, il reçut, en 1635, une commission de capitaine aux gardes fran(1)
fran(1) nat., Rs, 117.
(2) Ibidem. Il est dit en cette occasion « demeurant en son château de Vernie ».
(3) Arch. de la Sarthe, G. 898.
(4) Voir registres paroissiaux de Couesmes, canton d'Ambrières (Mayenne)- (5) Arch. nat., RB, 117.
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çaises et servait en 1637 dans l'armée de Picardie. Non moins en faveur auprès du roi Louis XIII que l'avait été son père à la cour de Henri IV, il se qualifiait, dès 1630, chevalier de l'Ordre, et fut vers la fin de sa vie lieutenant-général des armées du Roi.
Il avait épousé en 1638, dans la chapelle du château de Malicorne, Magdelaine de Beaumanoir, fille de Henri de Beaumanoir, marquis de Lavardin, et de Marguerite de la Baume, qui lui avait apporté en mariage le château et la terre de Mangé en Verneil-le-Chélif. Ce fut pendant un de ses séjours dans ce château qu'il fut surpris par la mort en août 1659 (1). Il laissait, de son union avec Magdelaine de Beaumanoir, six enfants mineurs, dont deux fils : René III qui devait un jour lui succéder, Philibert-Emmanuel, dont nous aurons plus loin l'occasion de parler, ]et cinq filles dont quatre entrèrent en religion et une seule, Madeleine, se maria ; elle épousa, en 1681, François Gautier, marquis de Chiffreville, en Normandie.
En 1672, Magdelaine de Beaumanoir, toujours tutrice de ses enfants mineurs, rendit aveu au roi Louis XIV pour les terres de Vernie, Mangé, etc. (2).
Cependant, l'aîné de ses enfants, René III de Froullay né en 1648, n'allait pas tarder à avoir sa majorité. C'était lui qui, après une brillante carrière militaire, entrecoupée d'importantes missions diplomatiques, était destiné à devenir un jour maréchal de France. Il épousa, en 1674, Marie-Françoise Auber, fille d'Antoine Auber, baron d'Aulnay-sur-Odon, en Normandie, et fut nommé en 1680, lieutenant-général du roi dans les provinces du Maine, Perche et comté de Laval. En 1680, il rendit aveu au roi Louis XIV pour Vernie-la-Motte (3).
Bien que retenu la plupart du temps loin du Maine par ses fonctions à la Cour de Versailles ou ses occupations militaires ou diplomatiques, René III de Froullay ne dédaignait pas de profiter de toutes les occasions qui se présentaient pour
(1) Voir registres paroissiaux d'Ambrières.
(2) Arch. nat., P. 405'.
(3) Arch. nat., P.
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augmenter l'importance de sa terre de Vernie. Déjà, grâce à l'acquisition de Vernie-la-Motte par un de ses ancêtres Charles Pérot, cette terre comprenait toute l'étendue du territoire de la paroisse de Vernie ; pour lui, il l'augmenta encore du côté de Ségrie par deux très opportuns achats ; c'est ainsi qu'il se rendit acquéreur, en 1684, des fiefs de la Ségussonnière et de Lunay et en 1697, des terres et seigneuries de Clermont et de Monts, le tout dans la paroisse que nous venons de nommer (1).
Mais ce n'est pas tout. En 1701, par un échange daté du 25 mai, René de Froullay obtint du roi Louis XIV la cession à son profit des vicomtes de Beaumont et de Fresnay (2), ce qui faisait désormais du château de Vernie le centre et le chef-lieu d'une des terres seigneuriales les plus considérables du Maine.
Enfin, en 1703, après la mort de son cousin maternel, Henri Emmanuel de Beaumanoir, il se rendit propriétaire du marquisat de Lavardin, dont les terres touchaient au sud celles de Vernie (3).
Telles étaient les très heureuses acquisitions faites à cette époque par le comte de Tessé, et sa principale résidence dans notre province n'était pas indigne, on le voit, d'être celle d'un maréchal de France ni de la situation si flatteuse que le premier écuyer de la duchesse de Bourgogne avait en ces années là à la cour de Versailles.
Le châtelain de Vernie ne faisait, il est vrai, que de rares et courts séjours dans sa terre du Maine, mais du moins ces séjours devaient être égayés par la nombreuse et brillante compagnie de parents et d'amis qu'aidé de sa femme et de ses filles, il ne pouvait manquer d'y accueillir somptueusement ; souvent aussi, comme on le voit dans les registres des délibérations de la ville du Mans, il se montrait heureux d'y recevoir, à chacun de ses séjours, une délégation du corps de ville venue
(1) Voir Arch, nat., P. 319' et 320*.
(2) Arch. de la Sarthe, E. 12.
(3) Voir plus loin, dans une lettre de lui à Pontchartrain, ce qu'il dit de la terre en question, qui, dit-il, « joint totalement les miennes ».
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pour féliciter le lieutenant du Roi dans la province de tout ce qui lui était arrivé d'heureux dans sa vie publique, notamment en 1681, 1692, 1698, 1699, 1703, 1704 et 1710. Hélas! parfois aussi de funèbres cérémonies attristaient le château de Vernie et ses hôtes, témoin cette mélancolique mention que nous lisons en 1702 sur le vieux registre paroissial. « Le 2 novembre 1702 a été amené de Crémone, ville de Lombardie, le corps du marquis Philibert-Emmanuel de Froullay, chevalier de Tessé, lieutenant-général des armées du Roy, gouverneur d'Ath (le dernier qui ait tiré l'épée pour la défense de S. M. le roi de la Grande-Bretagne), lieutenant-général de S. M. britannique en Irlande, décédé à Crémone, le 19 août 1701, et depuis amené dans l'église de Vernie ».
La disparition de ce frère unique du noble châtelain de Vernie avait été très vivement ressentie par lui, comme l'attestent deux lettres qu'il écrivait le 23 et le 24 août 1701, l'une à la duchesse de Bourgogne, l'autre à Pontchartrain. A la première il écrivait : « Je perds un frère unique que j'aimais et qui m'aimait », et au second : « j'ai dans le coeur la douleur vive de la perte de mon frère dont l'idée ne peut s'effacer, et je perds en lui tout ce que le sang, l'amitié et la confiance pourrait cimenter de plus tendre et de plus nécessaire... »
Nous venons de faire allusion à la correspondance du maréchal de Tessé. Grâce à cette correspondance, dont la partie la plus intéressante a été publiée par le comte de Rambuteau en 1888, nous pouvons suivre cet important personnage dans quelques-uns des séjours qu'il a faits à Vernie, notamment en 1704, en 1709 et en 1710. En 1704, il y était arrivé avant le 29 juin, comme nous l'apprend une lettre écrite, ce jour-là, par lui au duc de Bourgogne pour le féliciter du Prince qu'il venait « de donner à la maison royale et à tout le royaume ». Il y était encore le 23 juillet, jour où il écrivait au marquis de Torcy ; il y avait donc passé un mois. Il venait alors du Dauphiné où il s'était trouvé malade pendant plus de sept mois, et c'était évidemment pour achever sa convalescence, qu'il était venu se reposer dans ses terres du Maine. C'est d'ailleurs ce qui ressort
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de plusieurs des lettres adressées par lui pendant ces quelques semaines tant au marquis de Torcy qu'à Pontchartrain, son grand ami. A Torcy, il disait : « ... j'ay reçu tant de témoignages obligeants de vos bontés pendant une ennuyeuse maladie que je ne puis mieux employer les prémices de ma convalescence qu'à vous remercier. Me voici dans le repos et la tranquillité de la vie champêtre. Le malheur de ma maladie me fait au moins présentement, et pour quelque temps, comprendre que l'indépendance et la privation des affaires n'est pas un mal irréparable... »
Quant à sa lettre à Pontchartraiu, il parle de sa santé qui « revient » et il ajoute : « ... l'air champêtre commence à me faire du bien ; je n'ai pas encore le mot pour rire ; cependant mes jambes qui ne marchaient pas m'ont fait danser autour du feu que l'heureux événement », etc. « et j'ai lieu d'espérer que dans cinq ou six semaines je pourrai (être de retour à Paris). »
Dans ces mêmes jours, une lettre écrite par Tessé à Chamillart, nous montre combien la perspective de la vente prochaine de la terre de Lavardin le préoccupait. « ... Il est venu de votre part des gens visiter Lavardin et prendre un état des revenus de cette terre. J'ai toujours ouï dire qu'il faut éviter, si l'on peut, d'être trop voisin d'une rivière, d'un grand chemin, d'un ministre ou de gens qui lui appartiennent. »
« Je ne vous cacherai pas que dans le délabrement de cette maison, dont ma mère était l'héritière si feu M. de Lavardin n'avait pas laissé trois grosses filles, je voudrais bien être en état que cette terre ne sortit point de ma famille ; mais sur cela ie prends la liberté de vous demander deux choses, et je vous en demande une troisième tête à tête, et qui me sera absolument nécessaire, au cas qu'effectivement vous ne songiez point à cette acquisition pour vous ou pour les vôtres, car je vous déclare que, si vous y songiez, je n'y veux point penser... L'une des deux choses, c'est le secret à votre amie, Madame de Noailles, qui est la mienne, et l'autre pareillement le secret à Madame de Chevreuse. L'une et l'autre, que je respecte et honore, et qui vont être le premier mobile de cette vente, me
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tiendraient pour le prix, comme l'on dit, le pied sur la gorge, et me voudraient faire acheter les convenances de cette terre qui joint totalement les miennes,
Quant à Madame de la Chastre et à l'évêque de Rennes, l'un et l'autre m'ont écrit pour m'offrir et me presser d'y songer. Le dernier, qui a passé ici exprès, part pour Paris, et s'en est encore ouvert à moi, et sait ce que je puis, tout cela veut dire qu'à un certain prix j'y songerais de tout mon coeur, mais que, s'il était exorbitant, je n'y pourrais ni devrais aspirer, et encore bien moins, si je trouvais un concurrent tel que vous. Ainsi je vous répète que, ni par droit lignager, ni par aucune sorte de vue, je n'y penserai, si vous y songez... »
Ce séjour du comte de Tessé à Vernie devait se prolonger jusqu'à la fin du mois suivant. Le journal de Dangeau nous apprend en effet que le 28 août « le Maréchal de Tessé fit la révérence au Roi, revenant de prendre l'air du pays du Maine pour se remettre de sa dangereuse maladie ». D'ailleurs, si l'on en croit le célèbre chroniqueur, « les courtisans le trouvèrent fort changé ».
Il nous faut maintenant sauter six années de l'existence du châtelain de Vernie pour l'y retrouver installé. Dans ce long intervalle de temps, il avait perdu sa femme, cette Marie-Françoise Auber d'Aulnay (1) dont il avait vécu presque toujours séparé, bien qu'elle lui eût donné trois fils et quatre filles.
Il convient d'ailleurs de remarquer que, soit par suite des circonstances, soit par suite d'une certaine incompatibilité d'humeur, le comte de Tessé semble avoir très bien pris son parti de cette séparation. Ce qui est certain, c'est que, dans la correspondance, la comtesse de Tessé tient très peu de place. Tessé dit seulement au sujet de celle-ci, dans une lettre à Mme de Maintenon, à l'occasion du mariage de son fils aîné RenéMans de Froullay avec Mlle Bouchu (4 février 1706) : « Quand
(1) Fille d'Antoine Auber, baron d'Aulnay, en Normandie, la Comtesse de Tessé, appartenait à une famille d'assez ancienne noblesse, surtout par sa mère née Villette. Voir d'ailleurs à ce sujet l'excellente étude sur la baronnie et l'Abbaye d'Aulnay-sur-Odon, par G. Le Hardy.
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25je marié, je ne savais pas trop ce que je faisais » et un peu plus loin, dans la même lettre : « Je prends la liberté de mander au Roi que, m'estimant très heureux d'avoir une femme de qualité qui n'a jamais voulu venir à la Cour, n'y ayant point été élevée, je lui promets qu'elle ne jouira jamais de l'honneur d'être assise. » Ce serait pourtant se tromper que de se figurer la femme du maréchal de Tessé comme une de ces femmes dont le rôle est très effacé à cause de l'insignifiance de leur caractère.
Elle paraît, au contraire, avoir eu une solide tête d'affaires, car c'est elle, nous le savons, qui en l'absence de son mari, s'occupait par elle-même de l'administration de leurs biens à tous deux, dans le Maine aussi bien qu'en Normandie. Du reste, si après la mort de son père en 1679, et pendant les dernières années de la vie de sa mère, elle habitait la plupart du temps à Aulnay, il n'en fut plus de même lorsque cette dernière eut disparu. Ainsi en 1697, bien que René de Froullay fut alors retenu en Italie, « pour les ordres et affaires de S. M. près le duc de Savoye », dans la procuration passée à Turin que Tessé envoya de cette ville à sa femme à l'occasion du prochain mariage de leur fille aînée avec le marquis de la Varenne, celle-ci est dite « demeurant ordinairement avec sa mère dans le château de Vernie. »
C'est donc là que la comtesse de Tessé résidait désormais, même pendant les longues absences du maréchal, et elle eut plus d'une fois à y recevoir pour lui les délégués du corps de ville du Mans, mission dont elle semble ne pas s'être trop mal acquittée.
Quoiqu'il en soit, nous sommes forcés d'avouer qu'à en juger par sa correspondance, l'enthousiasme du grand écuyer de la duchesse de Bourgogne pour celle qui aurait dû être la compagne ordinaire de son existence, paraît avoir été très modéré.
Elle mourut à Aulnay le 30 mars 1709, et Dangeau mentionne dans son journal ce triste événement en ces termes : « La maréchale de Tessé est morte dans ses terres en Normandie, elle ne venait jamais à la Cour, et fort rarement à Paris. »
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Quant à René de Froullay dans une lettre que, quelques mois après (17 juillet), il adressait à la princesse des Ursins, il disait simplement pour lui annoncer son veuvage : « ... J'ai été obligé de faire, pendant le dernier voyage de Marly, un petit voyage en Basse Normandie, pour des détails tristes et indispensables, à l'occasion du malheur qui m'est arrivé, et dans des terres de feue ma femme que je ne connaissais point du tout. Certes ce n'était pas avec cette sorte d'indifférence que quelques années auparavant, il avait parlé à Pontchartrain de la mort de son frère Philibert Emmanuel de Froullay, et qu'en 1712 il exprimera à ses correspondants son inconsolable douleur de la mort de la duchesse de Bourgogne.
Mais arrivons-nous à l'automne de 1710 et au second séjour du maréchal de Tessé à Vernie. Nous l'y trouvons le 29 octobre installé avec sa fille, la marquise de Maulevrier, tant bien que mal, et il adressa au marquis de Torcy une lettre qui débute ainsi : « que puis-je faire de mieux au Mans, que de vous parler de Sablé? L'objet aimé, dont nous n'avons jamais joui, réveille les attentions. La vôtre durera longtemps, et c'est la jouissance qui vous en doit faire finir le goût ». Le marquis de Torcy avait en effet acheté au mois de mars précédant le château et la terre de Sablé, et cet événement local intéressait vivement, comme on le sait (y a-t-il lieu de s'en étonner?) le grand propriétaire qu'était Tessé.
Dans la suite de sa lettre à Torcy, René de Froullay nous apprend qu'il était venu de Paris par Alençon, mais au moyen de relais fournis par les chevaux de la poste, selon l'usage d'alors ; toutefois, ce système laissait parfois à désirer, témoin ce qui lui était arrivé. « L'hôtelier d'Alençon m'a prié de vous envoyer un placet dont l'effet est certainement nécessaire, et il est au moins contre la bienséance qu'il n'y ait ni chevaux de poste, ni maître de poste à Alençon. Ce manquement de chevaux est depuis six mois, et ceux qui vous demandent la préférence sont en état d'acheter et d'entretenir des chevaux ». « Au surplus », ajoutait-il, « je n'y prends intérêt que comme à des gens qui m'ont donné un assez mauvais lit en passant ».
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Quant à Vernie, René de Froullay déclarait philosophiquement : « J'ai trouvé ma maison tout comme une maison en décret, et à force de m'assurer que je ne partirais point, mes gens en étaient persuadés ».
La lettre suivante, datée du 5 novembre, est adressée à la duchesse de Bourgogne.
« Je me trouve ici, Madame, comme la meilleure partie des maris voudraient que fussent leurs femmes toute l'année, je suis inaccessible, l'abomination des chemins me rend impraticable, et excepté ma fille (la marquise de la Varenne) et mon grand feu de bois vert, je n'ai encore vu que des gens crottés.
Cependant, Madame, comme vous m'avez fait l'honneur de me permettre de vous faire souvenir de moi et de mon profond respect, je prends la liberté de vous rendre compte de cette saint Hubert qui fut si mouillée, que je songeai pendant toute la chasse que s'il faisait le même temps à Marly, il y aurait là bien plus d'une écorchure.
Nous courûmes à demie lieue de chez moi un gros cerf qui portait vingt deux ; je n'ai pour tout équipage que mon bidet, et un voisin qui ne laisse pas d'avoir cinquante chiens ; nos chasses sont plus longues que les vôtres, notre cerf dura quatre heures, et fut pris dans un étang, mais ce qui vous surprendra, Madame, c'est que je fus à la mort.
Pour des dames, nous n'en avions point, et ce n'est pas l'usage dans cette province, que celles qui montent à cheval y soient, comme la blessure du maréchal de Villars l'a obligé de s'y tenir, pendant la campagne... » (1).
Telle était la vie que le maréchal de Tessé menait alors à Vernie en compagnie de sa fille.
Le 9 novembre, c'est à Pontchartrain qu'écrit le maréchal. , Il se plaint du « dérangement abominable des chemins » qui le
(1) Le maréchal de Villars avait été grièvement blessé au genou l'année précédente à la bataille de Malplaquet; il n'en fit pas moins la campagne de 1710, mais sa blessure, comme il le dit dans ses mémoires, le gênait beaucoup pour se tenir à cheval. Tessé veut dire sans doute qu'il montait à cheval en amozone.
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retient dans son château, d'où il ne peut « sortir ni voir entrer ». « J'entends » disait-il lamentablement, le « rut des cerfs,et n'en puis courir; les sangliers renversent nos guérets, et l'impossibilité d'aller à eux les sauve ». Toutefois, à la fin de sa lettre, il annonce à son correspondant que, dès qu'il aura célébré la fête de Monsieur Saint-Martin (le 11 novembre), il prendra « la difficultueuse route de ses Etats du Bas Maine », c'est-à-dire d'Ambrières, de Froullay et de Tessé.
En effet, sa correspondance nous le montre campé plutôt qu'installé dans ce dernier manoir, du 25 novembre au 5 décembre ; il y écrit trois lettres adressées l'une à Pontchartrain et les deux autres à la duchesse de Bourgogne. A celle-ci, comme d'ailleurs à Pontchartrain, il écrit une lettre assez désemparée : «... J'ai l'honneur de vous écrire d'un lieu dont, si la terre n'était pas plus belle que le château, il serait honteux que votre premier écuyer en portât le nom.
Il y avait, Madame, trente-deux ans (1) que je n'y avais été, et je n'y trouve ni porte, ni fenêtre, ni vitres, hormis dans ma tour où il n'y a qu'une chambre, et où cinq degrés montent... et je trouve mes affaires, comme mon château, c'est-à-dire tort délabrées... ».
Parti enfin de Tessé le 7 décembre, il arriva à Vernie pour y trouver sa fille de Maulevrier dangereusement malade, et, obligé de ne pas la quitter, comme il l'écrivait le 10 décembre à la duchesse de Bourgogne, il crut devoir différer'de quelques jours son retour à Paris, et il y arriva seulement dans les premiers jours de janvier 1711, le même jour, dit-il, que la cour, puis s'installa à Marly. Le 11 du même mois, il annonça son retour à la Princesse des Ursins et lui dit au commencement de sa lettre, « vous aurez vu comme quoi j'ai été près de deux mois dans les boues du Maine, où le mieux que l'on y puisse quasi faire, c'est de se faire oublier... »
(1) Donc en 1678. Nous montrerons en effet dans notre Histoire d'Ambrières, d'après divers documents, que le futur maréchal de Tessé était venu à Tessé cette année-là et s'était montré dans les divers bourgs de sa baronnie où on lui avait élevé des Mais.
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Il s'écoula moins de temps entre le second et le troisième séjour de Tessé à Vernie qu'entre le premier et le second. Cette année là, nous l'y trouvons, d'après sa correspondance, du 15 au 26 octobre 1711. Mais cette fois, ce n'était pas par Alençon qu'il s'était rendu de Paris à Vernie, c'était par le Mans, d'où il avait envoyé une missive à Torcy. Dans cette missive, où il se plaignait comme toujours, de barboter dans les « boues du Maine », il avoue cependant découvrir dans la vie de la campagne une sorte de douceur mélancolique. Ecoutez-le plutôt •' « Je ne sais si c'est vieillesse ou indépendance, mais je me trouve chez moi avec une espèce de joie de raison, qui a sa douceur... »
Le 15 octobre il écrit de Vernie deux lettres, l'une à Pontchartrain et l'autre à la princesse des Ursins ; si la première nous offre peu d'intérêt, il n'en est pas de même de la seconde : « Je suis venu ici faire un tour dans ma vieille maison paternelle, que j'aime quoique crottée; l'ennui qui dévore quasi tous les hommes m'est inconnu, et j'ose dire que je sais par merveille jouir de ce que j'ai, sans espérer même trop fortement ce que je n'ai pas... Si le Roi me met du premier voyage de Marly, je m'y rendrai d'ici, si le hazard ou l'oubli faisaient que je n'en fusse pas, j'y resterais jusqu'au 15 du mois prochain. »
Cependant Dangeau écrit dans son journal à la date du 21 octobre : « Le Roi... a donné la charge de général des galères au maréchal de Tessé. Le courrier de M. de Pontchartrain qui portera la nouvelle à M. de Tessé... lui apprendra en même temps que le Roi le dispensera de venir ici faire son remerciement et qu'il lui conseille de demeurer chez lui le temps qu'il avait résolu d'y demeurer, qui était jusqu'à la saintMartin. Le Roi nous a dit que le maréchal de Tessé ne lui avait demandé ni fait demander cette charge. »
Tessé était donc à Vernie quand il apprit cette bonne nouvelle à laquelle il était loin de s'attendre, et, persuadé qu'il devait ce nouveau bienfait de Louis XIV à Madame de Maintenon, il s'empressa de leur exprimer tous ses plus respectueux remerciements.
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« ...J'apprends », disait-il, « à ma campagne, où j'étais venu passer trois semaines, que le Roi m'a destiné une des principales charges de son état », etc. Le même jour, 23 octobre, il écrivait à Pontchartrain :
« ... Je pars et ce courrier, qui a fait une diligence incroyable, ne me précédera que de quelques jours, je ne saurais assez vous dire ni ma surprise, ni ma joie... » et il lui adressa, à lui aussi, tous ses remerciements.
Le nouveau général des galères, dans sa joie et sa reconnaissance, ne crut donc pas devoir profiter de la permission que lui avait donnée le Roi, de rester encore quelques jours à Vernie, et, abrégeant son séjour à la campagne, il partit aussitôt pour Versailles, où il arriva le 24 au soir, ainsi que nous l'apprend Dangeau. « Ce 24 octobre à Versailles, le maréchal de Tessé arriva ici le soir pour faire son remerciement au Roi; il ne s'est point servi de la permission que le Roi lui avait donnée de demeurer chez lui ».
Ainsi René de Froullay avait quitté Vernie dans un tout autre état d'esprit que celui où il y était arrivé ; cette fois, adieu la joie mélancolique des premiers jours ! le besoin de la vie active et le service du Roi l'avaient repris tout entier ! Il est vrai que cet enthousiasme ne tarda pas à se calmer. Dès l'année suivante, après un séjour à Marseille où il-s'était rendu compte des difficultés de sa charge, il était retourné à sa vie de cour, et, à l'automne, il songea même, ainsi qu'il l'annonce à la Princesse des Ursins dans une lettre datée de Fontainebleau le 18 octobre 1714, à aller au mois de novembre, pendant le séjour de la Cour à Marly, « faire un tour », je cite ses expressions, « dans de vieux châteaux que j'ai au Maine ». Malheureusement sa correspondance publiée ne dépasse pas 1714, et c'est peut-être pourquoi nous n'avons pas d'autre renseignement sur ce voyage.
C'était d'ailleurs le moment où le maréchal de Tessé, plus que jamais désireux d'augmenter l'importance de son château de Vernie, avait obtenu du roi Louis XIV l'érection de la terre de ce nom en comté. Grâce à cette érection que, peu de temps
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avant sa mort, le grand Roi avait accordée à son fidèle courtisan, la baronnie de Vernie, les fiefs, châteaux, domaines et métairies en dépendant, les châtellenies de Clermont, Lemont, la Ségussonnière, la Chouannière, les terres fiefs et seigneuries de Ségrie, Saint-Christophe-du-Jambet, les terres et seigneuries de Beaumont-le-Vicomte et Fresnay avaient été réunies en un seul et même corps de fief, et en titre et dignité de comté sous la dénomination de Froullay, pour relever de S. M. à cause de sa grosse tour du Louvre (1).
Dans les dernières années de sa vie, René de Froullay s'était, comme on sait, retiré dans une maison aux Camaldules, près de Paris, et c'était là qu'il passait la plus grande partie de son temps, sauf en 1717, où il accepta la mission d'accompagner à Paris le Czar Pierre-le-Grand, et en 1723, où il voulut bien se charger d'aller comme ambassadeur à la Cour d'Espagne. Quant à ses terres du Maine, et même à son château de Vernie, il n'y allait en ces années-là que très rarement. Il y était, par exemple, au mois de septembre 1717, puisque le 17 de ce mois-là nous le voyons, avec sa belle-fille la comtesse de Tessé, tenir sur les fonts baptismaux de l'église de Vernie Renée-Marie Guérif (2). De même le 1er octobre 1721, c'est de Vernie, près Le Mans, qu'il date la lettre de félicitations adressée par lui au duc d'Orléans, régent, à l'occasion du mariage de la fille de celui-ci avec le jeune Roi d'Espagne, fils et successeur de Philippe V (3). Toutefois, quand il allait dans le Maine, c'était plutôt au château de Lavardin, chez son fils, qu'il résidait ; c'est là du moins qu'en 1719, le corps de ville du Mans envoya une députation pour le complimenter.
René III de Froullay mourut, le 30 mars 1725 aux Camaldules, à l'âge de 77 ans, mais l'année suivante, le 25 mars, son corps fut rapporté et inhumé dans la chapelle du château de Vernie, ainsi que nous l'apprend le procès-verbal de cette
(1) Arcb. de la Sarthe, E. 219.
(2) Voir les anciens registres paroissiaux de Vernie.
(3) Arch. des affaires étrangères, France (Maine), vol. 1661, f° 1, 2 et suivants.
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funèbre cérémonie qu'on peut lire dans un des registres paroissiaux de la commune de ce nom :
« Le lundi 25 mars 1726 nous Charles Louis de Froullay, par la grâce de Dieu et ordination apostolique, évêque du Mans, conseiller du Roi en tous ses conseils d'Etat et privé, comte de Lyon, avons fait, dans la chapelle du château de Vernie, le transport et la sépulture du corps de très haut et très puissant seigneur Monseigneur René sire de Froullay, comte de Tessé, marquis de Lavardin, baron d'Ambrières et d'Aunay, maréchal de France, grand d'Espagne, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à la cour de Rome et à celle de Savoie, général des galères, premier et grand écuyer de la Reine, chevalier des ordres du Roi et de la Toison d'or, colonel général des dragons de France, gouverneur d'Ypres, lieutenant-général de la province du Maine, décédé en sa maison des Camaldules, près • Paris, le 30 mars 1725, âgé de 77 ans ».
A. DE BEAUCHESNE. (A suivre).
« Au milieu de la vaste plaine qui s'étend depuis la forêt de Perseigne jusqu'au-delà d'Alençon, à 3 kilomètres de cette ville, dans un petit hameau de la paroisse et à un kilomètre du bourg de Saint-Paterne, se trouve une très antique église, paroissiale avant 1240, sous le vocable de saint Gilles, cénobite. Construit avec parcimonie au xte siècle et sur un terrain défectueux, le modeste édifice, transformé en grange depuis 1793, tombait en ruines. Vers 1874, une souscription ouverteparM. l'abbé Besnard, curé de Saint-Paterne, permit de le racheter et de le restaurer convenablement (1) »
Aujourd'hui simple lieu de pèlerinage, Saint-Gilles-de-laPlaine aurait donc été autrefois une véritable paroisse.
Déjà, l'historien d'Alençon, Odolant Desnos, avait émis cette opinion, mais sans l'appuyer d'aucune preuve. « Le re« venu de la cure de Montsor est si faible, nous dit-il (2), que « Geoffroy, évoque du Mans, en réunissant à la paroisse de « Saint-Paterne celle de Saint-Gilles-de-la-Plaine, en 1240, « obligea le curé de Saint-Paterne de faire à celui de Montsor « une rente en blé, orge et avoine d'un demi muid, mesure « d'Alençon. »
Plus tard, dom Piolin se contentera de citer le fait en disant que « Geoffroy réunit l'église de Saint-Gilles-de-la-Plaine à la paroisse de Saint-Paterne (3) »
Un « vidimus » de la charte de Geoffroy de Loudon, évêque
(1) Recherches sur les pèlerinages du diocèse du Mans, 1899, p. 234, par M. le chanoine Laude.
(2) Mém. hist. sur Alençon et ses seigneurs, par Odolant Desnos, Ed. 1858, p. 172. or , ,
(3) Histoire de l'église du Mans, par dom Piolin, t. IV, p. 356.
REV. HIST. AUCH. DU MAINE. 3
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du Mans de 1234 à 1255, notifiant la réunion de l'église de SaintGilles à celle de Saint-Paterne, que nous avons trouvé aux Archives de l'Orne, et qu'on pourra lire comme pièce justificative, nous autorise à partager le sentiment de ces historiens, mais motivé de plusieurs raisons :
1° De cette charte, précieuse en ce qu'elle est inédite, et ne figure pas dans les Actes des Evêques du Mans, publiés par M. Celier, il semble bien résulter, en effet, qu'avant sa réunion à celle de Saint-Paterne, Saint-Gilles était bien une véritable paroisse. « Il n'y a pas, il est vrai (veut bien nous dire M. le Vicomte Menjot d'Elbenne, auquel nous avions eu l'occasion de soumettre cette pièce), une certitude absolue, car il n'y est question que de desservant, presbgler deserviens, et non de recteur ou de curé ; mais on voudra bien remarquer que pour désigner les titulaires des églises de Saint-Paterne et de Montsor, qui pourtant étaient bien curés et pourvus d'une paroisse, on ne se sert également que du mot presbgler. A la rigueur encore, le mot parrochianis pourrait s'entendre de paroissiens de Saint-Paterne qui auraient fréquenté l'église de Saint-Gilles ; mais la vérité est qu'il paraît bien s'agir de deux paroisses distinctes, et que pour Montsor, Saint-Paterne et Saint-Gilles, on semble bien avoir employé le mot églis'e comme synonyme de paroisse, sans s'être jamais servi du mot chapelle. »
2° Cette charte n'est-elle pas assez probante en elle-même? Un document de 1543, sur les revenus de la cure de Montsor, trouvé également aux Archives de l'Orne, viendra projeter une lumière complète sur la question et la trancher définitivement. De ce registre, qui n'a pas été utilisé par l'abbé Antoine, dans son travail sur l'église de Montsor (1), nous allons extraire seulement ce qui a rapport à l'objet qui nous occupe ; et l'on verra que de cette charte de Saint-Geffroy, qui se trouvait encore en 1543 à l'abbaye de Lonlay, il apparaît clairement qu'avant sa réunion à celle de Saint-Pater, l'église de SaintGilles dépendait bien de-la cure du même nom, c'est-à-dire de
(l) Revue du Maine, VI, 163; VII, 99-190. Recherches sur l'église et la paroisse de Saint-Pierre-de-Montsort.
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Saint-Gilles, et que, depuis lors, cette église n'eut plus que le titre de chapelle, qu'elle conserve encore de nos jours.
Qu'on en juge plutôt : « Tiercement, le revenu de la cure de « Montsor consiste en troys aultres dismeryes situées en Sainct « Germain du Corbéys, Hellou et Sainct Pater. La première « dismerye est en Sainct Pater, qui est six charges de blé « métaye, c'est assavoir deux charges de fourment, deux « charges d'orge et deux charges d'avoyene, à prendre lesdicts « six charges sur la dixme de Sainct Gile, comme apparest en o l'union que fist sainct Geftroy, evesque du Mans, lequel unit « ladicte église de Sainct Gile avec ladicte église de Sainct « Pater, et lessa à la cure de Montsor lesdicts six charges de « metaye ; et est la chartre de icelle union en l'abbaye de « Lonlaye, laquelle fut décrétée et faicte par le susdict sainct « Geffroy l'an mil deux cens quarante ; et se désista l'abbé et « couvent de Lonlay du patronayge qu'il avait en ladicte cure « de Sainct Gile pour la trinité de fruictz et revenu d'icelle, et « le cedda à l'abbé et couvent de Sainct Martin de Séez (1), « excepté une chappelle (2), qui est demeurée audict abbé de « Lonlay (3).
3° Une bulle d'Innocent IV, donnée le 3 des Ides d'Avril (11) 1248, semble appuyer notre thèse. Cette bulle confirme, en
(1) L'abbaye de Lonlay, dont l'église devenue paroissiale subsiste encore au bourg de Lonlay, canton de Domfront (Orne), appartenait à l'ordre de Saint Benoît, congi'égation de Saint Maur. Elle était située dans le doyenné de Passais et dépendait du diocèse du Mans. Elle avait été fondée vers 1125 par Guillaume Talvas, comte de Bellesme (frère d'Avesgaud, evesque pu Mans, qui assista à l'inauguration de cette abbaye). Les Archives départementales de l'Orne ont recueilli une partie du chartrier de cette abbaye ; 944 pièces et 21 registres analysés sous les n 0' 462 à 508, Série H, de l'Inventaire sommaire rédigé par feu M. Louis Duval, ancien archiviste déparmental. Le Cartulairc de cette abbaye ne s'y trouve pas. Il n'existe pas non plus à la bibliothèque nationale. {Inventaire des titres, papiers et enseignements concernants la cure d'Alençon, par Pierre Belard, 1720, p. 1, en note.)
(2) L'ancienne église paroissiale, existant encore aujourd'hui sous le nom de Chapelle de Saint-Gilles.
(3) Arch. de l'Orne, Série G, dossier Monsor, Registre en papier petit infolio de 30 feuilles, recouvert en parchemin et non paginé, intitulé (en partie seulement, la moitié du titre étant déchiré) : Papier du revenu des dixmes, prémices, fruictz... de Sainct Pierre de Montsor pour l'an mil einq cens qua-
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effet, toutes les possessions de l'abbaye de Saint-Martin-deSées, et dans le nombre se trouvent énumérées « Ecclesiam sancti Pétri de Montesoro, ecclesiam sancti Germani de Bérus, et enfin, ecclesiam sancti Paterni de Osceio cura omnibus përtinentiis suis... » l'église de Saint-Paterne-d'Osée avec tous les biens qui en dépendent (1).
4° Enfin, de la présence, non loin de cette chapelle, de plusieurs vieux cercueils en pierre, dont deux d'enfants, ne pourrait-on inférer que cette église était paroissiale, et qu'on y enterrait ? A une trentaine de mètres de cette chapelle, auprès d'un puits où ils servent d'abreuvoirs, se trouvent deux cercueils de pierre de hertré, dont l'un d'enfant. A la ferme de Bois-Margot, ancien manoir appartenant autrefois à la famille Menjot de Champfleur encore existante, à 500 mètres de cette chapelle, autre cercueil en pierre de hertré ; un quatrième, d'enfant encore, dans la cour du presbytère de Saint-Paterne ; un cinquième, également d'enfant, à la Crapaudière, près du champ de manoeuvres d'Alençon, et non loin des anciennes Fourches patibulaires d'Alençon (2), enfin, un sixième, aux Coudrais, en Arçonnay, sur la grand'route d'Alençon au Mans, à un kilomètre de la chapelle de Saint-Gilles. Ce dernier, de grande personne, offre cette particularité; un côté, au lieu d'être droit, forme une ligne courbe à son sommet, comme si l'on y avait placé un enfant à côté d'une grande personne.
Tous ces cercueils qu'on croit avoir été extraits de la chapelle de Saint-Gilles, sont sans couvercles, longs, étroits, unis au fond, plus larges à la tête qu'aux pieds, et sans bourrelet pour recevoir la tête.
rante trois, par messire Rounie, presbtre, curé de Montsor, Mr* Rëmy Beaufils étant vicaire dudict lieu. Ignoré de l'abbé Antoine, ce registre, qui nous fait connaître plusieurs curés de Montsor, serait à publier; il contient quelques détails concernant la topographie d'Alençon et des environs.
(1) Gallia Chrisliana dans les Instrumnta à la fin du volume qui regarde la Normandie, page ou col. 170. Cette bulle occupe 3 colonnes in-folio. (Communication du R. P. Edouard d'Alençon.)
(2) Cités dans notre article La troupe comique de Scarron à Arçonnay et aux fourches patibulaires d'Alençon, {Soc. hist. et arch. de l'Orne, t. XXIX, 1910.)
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On en trouve de semblables à Fyé, à Rouessé-Fontaine, à
Saint-Ceneri, etc., et ils pourraient bien être antérieurs même
au xiie siècle. H -M. LEGROS,
curé d'Arçonnay.
PIECE JUSTIFICATIVE
Vidimus DE LA CHARTE DE RÉUNION DE i.'église DE SAINT-GILLESDE-LA-PLAINE A L'ÉGLISE DE SAINT-PATERNE, PAR GEOFFROY DE LOUDON, ÉVÊQUE DU MANS, EN 1240.
A tous ceux qui ces présentes lettres verront, nous notaire cy-soussigné, certifions avoir vu, tenu et lu une lettre en parchemin, sans marge en haut, scellée en queue double de cire verte (1) : desquelles la teneur ensuit mot à mot.
1240. — Universis présentes litteras inspecturis et audituris Gaufridus, Dei gratiâ cenomanensis episcopus, salutem in Domino. Cùm ecclesia sancti iEgidii de Plana adeô fit in redditibus pauper et tenuis, quôd de portionibus et proventibus ejusdem ecclesie non possit presbgter deserviens commode sustentari, et abbas et conventus de Lonlayo ad quos jus patronatûs dicte ecclesie tune temporis pertinebat nobis supplicaverint quod predictam ecclesiam alicui de viciniis nostre diecesis uniremus, nos, veritate diligenter inquisitâ, justis petitionibus dictorum abbatis et conventus annuentes, de bonorum virorum consilio, supradictam ecclesiam sancti iEgidii de Plana ecclesie sancti Paterni, cujus jus patronatûs ad abbatem et conventum sancti Martini sagiensis pertinere dignoscitur, que similiter minime suflîcientes habebat redditus, consideratâ paupertate utruisque ecclesie et loci propinquitate, de consensu et voluntate dictorum patronorum et Odonis tune temporis archidiaconi ejusdem loci cum jure patronatûs duximus uniendum, ita ordinantes quod presbgter sancti Paterni qui pro tempore fuerit, portionem et proventus quos presbyter dicte ecclesie sancti iEgidii de Plana a parrochianis percipiebat, intégré percipiens
(1) ln-prima facie omnis suspectionis carentes apparebant.
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hic, presbgtero ecclesie de Monte Soyo qui pro tempore fuerit, que in redditibus minime erat sufficiens et supradicte ecclesie sancti Paterni vicinus, singulis annis dimidium modium bladi tertionarii ad mensuram d'Allençon, scilicet duo septuaria frumenti, et duo septuaria ordei, et duo septuaria avene ad festum sancti Dyonisii solvere teneatur. Quod ut robur firmitatis obtineat, présentes litteras sigilli nostri munimine duximus roborandum.
Datum mense Januarii, in crastino sancti Juliani, anno Domini millesimo ducentesimo quadragesimo.
1508. — Desquelles lettres vénérable et discrette personne maître Guillaume Judel (1), prestre à présent curé de la cure et bénéfice dudit lieu de Montsor nous a demandé le présent transcript et vidissé que luy avons octroyé pour luy valloir et servir, et à plus grande confirmation fait sceller des sceaux royaux du Mans, dont seusmes notaires, le vingt et neufviesme jour de may l'an mil cinq cent et huit, et signez Pierrier et Lemercier.
1648. — Collation faite sur l'original en papier par moy soussigné, notaire apostolique en l'évêché de Lisieux, instance de noble personne maître Jacques Amiot, prestre, chanoine et chefcier (2) en l'église cathédrale de Lisieux et prieur de SaintGilles-de-la-Plaine (3), diocèse du Mans, pour luy valloir qu'il appartiendra, auquel ledit original a esté rendu après ladite collation faite. Ce vingt et deuxième jour de Janvier mil six cent quarante huit.
Signé : De la Flèche, notaire apostolique.
(Arch. de l'Orne, Série G, Dossier Montsor, 1 double feuillet papier).
(1) Nous l'avons dit plus haut, ce curé de Montsor était inconnu à l'abbé Antoine qui ne l'a pas cité dans ses Recherches sur l'église et la paroisse de Saint-Pierre-de-Monlsor.
(2). On sait que dans certains chapitres, la dignité de chevecier correspondait à celle de trésorier.
(3) Ce Jacques AMIOT ne figure pas comme prieur de Saint-Gilles dans un tableau contenant la liste des dits prieurs, qui se trouve dans la sacristie de cette chapelle.
LA PAROISSE, LE PRIEURE.
Oizé (Auciacus, 777-840; Ogziacus, 1109; Osiacus, 1145; Oziacus, 1156: Oisiacus, xne siècle; Ogsiacus, 1250; Oeseium, 1277; Oezé, 1288; Oessé, 1321; Oésé, 1283, 1380; Oaaizé, 1398 ; Oiseium, 1401 ; Oysé, 1282, 1468; Ogseium, 1282, 1481 ; Oise, 1598 ; Oizé, 1610), actuellement commune et paroisse du canton et du doyenné de Pontvallain, était avant 1789, le cheflieu d'un doyenné de l'archidiaconé de Château-du-Loir comprenant dix-huit paroisses. Il dépendait de l'élection de La Flèche et, au point de vue judiciaire, de la sénéchaussée du Maine, de celle du Château-du-Loir ou de la justice seigneuriale de La Suze, selon la mouvance des lieux.
Oizé est borné au Nord par Cerans-Foulletourte ; à l'Est par Yvré-le Pôlin et Requeil ; au Sud par Mansigné et Saint-Jeande-la-Motte, et à l'Ouest par La Fontaine-Saint-Martin et Cerans- Foulletourte.
Le bourg, bâti dans une belle situation, sur le penchant d'une colline, est arrosé par le Fessard. Sa population est de 265 habitants ; celle de la commune, de 891 habitants en 1841 et de 903 en 1861, a toujours diminué depuis cette époque et est tombée à 709 (recensement de 1921) et 688 (rec. de 1926) (1).
A quelques pas de son territoire, autrefois tout en landes et en bois, mais sur celui de Saint-Jean-de-la-Motte, on remarque dans la lande des Soucis, appelée aussi dans les anciens titres lande de la Motte-Achard, plusieurs peulwans ou
(1) Oizé renfermait, en 1761, 695 habitants, répartis en 154 feux (Archives d'Ihdre-et-Loire, C. 336.)
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pierres debout remarquables : les pierres de Mère et Fille et la pierre potelée.
La plus grande de ces pierres, la Mère, a 4m80 de hauteur sur 3m40 de largeur à la base ; non seulement elle penche de côté, c'est-à-dire vers le Nord-Est, mais aussi en avant, vers le Nord-Ouest, comme si elle menaçait d'une chute prochaine. La plus petite, la Fille, regarde également le Nord-Ouest et se trouve à l'Ouest de la première, à une distance de 7"'80 ; elle mesure 2m20 sur lm60. L'une et l'autre vont en décroissant de largeur, d'une manière irrégulière, de la base au sommet.
La pierre potelée est un parallélogramme de 3 mètres de hauteur sur 2 mètres de largeur, couvert sur sa face méridionale de nombreuses aspérités ou bosses grossièrement arrondies qui lui ont valu son nom. Elle possède en outre une multitude de cavités, dont une seule, placée à l'angle supérieur occidental, la traverse antérieurement. Lorsqu'on frappe cette pierre avec la main, dans ;les parties assez profondes de ses anfractuosités, elle rend un son semblable à celui que donne un vase de terre fêlé.
Deux autres groupes de peulwans, de 7 et de 14 pierres, de hauteur variables (0m40 à 3m33), existaient encore en 1840 au Nord-Ouest et à l'Ouest des pierres de Mère et Fille. Cinq pierres de ce dernier groupe subsistent seulement ; toutes les autres ont disparu depuis cette époque sous le marteau du piqueur de grès.
Nous ne savons rien de la fondation d'Oizé (Auciacus). Le suffixe celtique ac de son nom, fléchi par la désinence latine en acus, nous fait remonter son origine aux premiers temps de l'occupation romaine en Gaule.
La villa d'Oizé devait être déjà importante lorsque les Romains partagèrent le pays des Cénomans en quatorze condita ou régions et la choisirent pour chef-lieu d'une de ces divisions.
(1) Abbé VOISIN, Mémoire sur les divisions territoriales du Maine avant le Xe siècle. Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 1848, p. 146.
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La condita A ucidcensee, bornée par celles du Mans, de Lavardin, de Vaas, de Cré et de Brûlon, était très étendue. Elle se subdivisait elle-même en quatre vicus ou cantons, ceux d'Oizé, de Belin, d'Ecommoy et d'Outillé. Chaque vicus, à son tour, comprenait un nombre plus ou moins grand de villas. Un centenarius ou centurion, investi des trois pouvoirs judiciaires, civil et militaire, était placé à la tête de la condita ; un vicarius ou décurion administrait le vie, et un villicus ou maire la villa (1).
La féodalité, en s'établissant au ix° et au Xe siècles au détriment de l'autorité royale affaiblie et méconnue, modifia ces divisions. L'Oizéais tout entier, organisé en fiefs et arrièrefiefs, tomba aux mains d'un puissant seigneur, celui de Château-du-Loir, qui en transmit la propriété et la suzeraineté à ses successeurs ; ceux-ci en jouirent jusqu'à la Révolution.
Oizé conserva cependant une partie de sa suprématie et de ses prérogatives. Sa villa, érigée en prévôté ou châtellenie, demeura le siège d'un doyenné dont la circonscription, modifiée à différentes époques, comprenait encore 26 paroisses en 1789 : Aubigné, Saint-Biez, Brette, Cerans, Château-l'Hermitage, Coulongé, Ecommoy, La Fontaine-Saint-Martin, SaintGervais-en -Belin, Guécélard, Laigné-en-Belin, Mansigné, Marigné, Saint-Mars-d'Outillé, Mayet, Saint-Ouen-en-Belin, Oizé, Parigné-le-Pôlin, Pontvallain, Requeil, Sarcé, Teloché, Vaas, Verneil et Yvré-le-Pôlin (1).
Partout, dans la région, les Romains ont laissé des traces nombreuses de leur passage : voies romaines se dirigeant vers Tours, Angers et Poitiers, etc ; camp à Mansigné ; ruines de
(1) Noms de quelques-uns de ses doyens : Guérin, 1170 ; Henri de Beaulieu, 1219 ; Guillaume, 1261 ; Jean Caillart, 1438 ; René Baudry, curé de Requeil, 1589-1595; Julien Aloyau, curé de Mayet, 1615; Nicolas Trouillard, curé de Cerans, 1630-1640; Michel Michelet, curé de Cerans, 16611675 ; Drouet, curé de Marigné, 1684 ; Michel Jamin, curé de Parigné-lePôlin, 1694; Charles Fouqueré, curé d'Aubigné, puis de Mayet, 1701-1719; Levacher, curé d'Ecommoy, 172.-1727 ; Charles-René Bouvet, curé de Cerans, 1752-1760 ; Alexandre de Cattay, curé d'Yvré-le-Pôlin, 176.-1790 {Cartul de La Couture. — Reg. paroissiaux de l'état civil de Cerans, Yvréle-Pôlin, Ecommoy, etc.).
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villas dans cette commune et à Laigné-en-Belin, Saint-Gervais-en-Belin, Saint-Ouen-en-Belin, Teloché, Yvré-le-Pôlin, Oizé, La Fontaine-Saint-Martin, etc. ; scories de forges à bras, à Yvré-le-Pôlin, Cerans, La Fontaine-Saint-Martin, SaintJean-de-la-Motte, Ecommoy, etc. ; monnaies des empereurs, à Saint-Gervais-en-Belin, Laigné-en-Belin, Teloché, Outillé, Marigné, Mansigné, La Fontaine-Saint-Martin, etc.
Des substructions importantes et des débris de briques à rebords trouvés dans les jardins et sous les maisons, au Sud et au Sud-Ouest de l'église et du presbytère, nous paraissent indiquer l'emplacement de la villa d'Oizé.
Si l'on en croit une légende, vers le milieu du rv* siècle, saint Hilaire, filleul et disciple de son illustre homonyme de Poitiers, étant venu dans le pays des Cénomans, s'y établit à la prière de saint Liboire et y prêcha la religion chrétienne. Il se fit construire une cellule aux environs de Caderx (Cerans ?) Dans cette retraite, ayant appris que son parrain « avait cessé de vivre, il voulut aller visiter son tombeau ; mais à peine était-il arrivé au bourg d'Auciacus (Oizé), qu'il fut saisi d'une fièvre chaude, à laquelle il succomba peu de jours après. Il mourut aux calendes de juillet. Il fut enterré à Oizé, et le nom de ce village, ajouté au sien, sert constamment à le désigner ». Son corps resta dans ce lieu pendant près de 500 ans. Saint Aldric, déterminé par les miracles qui s'opéraient sur le tombeau du pieux solitaire, ordonna la translation de ses reliques et les déposa, le 23 septembre 841, dans un oratoire bâti au pied de la ville du Mans et qui plus tard en devint une des paroisses, sous le nom de Saint-Hilaire (1).
D'après une tradition constante à Oizé, saint Hilaire fut
(1) Dom PIOLIN, Histoire de l'Eglise du Mans, t. I, p. 73. — Acta Sanctorum, 1er juillet. — — LE CORVAISIER, Histoire des Evesques du Mans p. 296. — A. LEDRU, Répertoire des monuments et objets anciens des départements de la Sarthe et de la Mayenne, p. 217. déclare celte légende « dénuée de toute critique ». L'existence de saint Hilaire d'Oizé « et son curriculum vitoe ne sont appuyés que sur des documents d'une très basse époque, par conséquent sans aucune espèce d'intérêt ».
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inhumé dans la place occupée par la sacristie de l'église actuelle, dont il est d'ailleurs le patron.
M. de Ponton d'Amécourt, dans son étude très remarquable sur les Monnaies mérovingiennes du Cenomanicum, mentionne un triens en or frappé par l'atelier monétaire d'Oizé, et le décrit ainsi :
Face : AVCIACO. Buste diadème à droite. R). LEVBOVALD. Croix grecque ancrée, dans un grenetis dont le noeud d'attache sous la croix est une petite fleur (1).
TRIENS FRAPPE A OIZE
En 787, Mérole, évêque du Mans, et son chapitre accordent à Wilibert, à titre de précaire, l'usufruit des terres de Semur (Senmurus), d'Oizé (Auciacus) et de Fyé (Belfaidus). « Ces deux dernières localités étaient très considérables et possédaient chacune plusieurs exploitations rurales avec des familles de serfs... Elles étaient alors classées au rang des bourgs publics et jouissaient des privilèges que conférait cette qualité. Wilibert s'engage à payer chaque année, à la Saint Martin d'hiver, une rente d'une livre et demie d'argent, ainsi que les dîmes et les nones de tous les revenus de ces différentes fermes. Cet acte est muni des formes de droit ordinaires ; mais il est de plus spécifié dans cette charte que les terres concédées en usufruit à Wilibert ne peuvent lui être retirées avant sa mort. S'il
(1) DE PONTON D'AMÉCOURT, Les Monnaies mérovingiennes du Cenomannicum. Revue hist. et arch. du Maine, t, XI, p. 158.
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négligeait d'acquitter les obligations auxquelles il s'engageait, il devait être puni d'une autre manière que par la révocation de son bénéfice. C'était une clause assez ordinaire dans les précaires (1)».
Louis le Débonnaire confirme à l'Église du Mans, en 840, la possession du bourg d'Oizé (2). Vers le même temps, saint Aldric fonde le monastère de Teloché, dans la condita d'Oizé (3). La qualité de bourg public donnée à Oizé accordait à son église plusieurs privilèges importants. Jusqu'au xe siècle, les habitants de la région furent dans l'obligation de s'y adresser pour y recevoir le baptême ; une loi obligeait en outre tous les chrétiens du canton à y venir célébrer les trois fêtes les plus solennelles de l'année : Pâques, la Pentecôte et Noël (4).
Gervais de Château-du-Loir, évêque du Mans de 1035 à 1055, dont la famille était devenue propriétaire de l'église d'Oise (Ociaco), la céda aux chanoines de sa cathédrale (5). Ceux-ci ne la gardèrent pas longtemps. Les puissants seigneurs de Château-du-Loir en reprirent possession, et l'un d'eux, Héliede La Flèche la donna avec celle de Cerans et toutes leurs dépendances, c'est-à-dire leurs oblations, leurs dîmes et leurs cimetières, pour doter le prieuré qu'il fonda dans ce lieu, en 1109, en faveur de l'abbaye de Vézelay (6). Eremburge, sa fille, ajouta à cette dotation, vers 1112, un bourgeois du Mans nommé Bodin,
(1) Dom PIOLIN, Histoire de l'Eglise du Mans, t. II, p. 59. — BALUZE, Miscellanea, t. III, p. 163. — R. CHARLES et L. FROGER, Gesta domni Aldrici, p. 183.
(2) R. CHARLES et L. FROGER, Gesta domni Aldrici, p. 52.
(3) « Monasterium monachorum in condita Auciacinse in loco quidiciturTali~ piacus, super fluviolum Rodani construxit » (R. CHARLES ET L. FROGER, Gesta domni Aldrici, p. 71).
(4) Dom PIOLIN, Histoire de l'Eglise du Mans, t. II, p. 36-37.
(5) Liber albus capituli, charte 177, p. 97.
(6) VÉZELAY, chez-lieu de canton, arrondissement d'Avallon, département de l'Yonne. — « Dès cette époque, on y constate la présence d'un moine de Vézelay, nommé Lambert... Ce vénérable moine, voulant se rendre à Vézelay à l'époque de la fête de sainte Marie-Madeleine, apprit en passant à Angers que l'église du monastère avait été incendiée ; il s'en revint alors ad cellam suam d'Oizé » (A. LEDRU, Répertoire des monuments et objets anciens des dép. de la Sarthe et de la Mayenne, p. 217, d'après les Chroniques des églises d'Anjou, 1869, p. 119.)
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et quelques années plus tard, de concert avec Foulques d'Anjou, son mari, la dîme des revenus du château de Mayet. Geoffroy, comte d'Anjou, leur fils, confirma ce dernier don aux moines d'Oizé en 1156 (1).
Bernard de Vilclair accorda vers le même temps aux moines de la Couture les dîmes et les prémices de son patrimoine de Vilclair, dans les paroisses de Pilemil et d'Oizé. Après sa mort, Gervais, son frère, les ayant enlevées violemment aux moines, ceux-ci portèrent contre lui une sentence d'interdiction et l'obligèrent à les leur restituer (2).
Au xve siècle, le prieur d'Oizé voulut se soustraire à la juridiction de l'ordinaire. Jean d'Hierray, évoque du Mans, très actif et très soucieux de ses droits, le fit condamner par l'abbé de l'Epau, commissaire et juge délégué du Saint-Siège, à le reconnaître comme supérieur. Guillaume de Malestroit, abbé de Vézelay, aux droits duquel 1 evêque portait ainsi une atteinte très grave, appela de ce jugement en cours de Rome. Une sentence du 10 décembre 1442, rendue par Paul de Sainte-Foy, docteur en droit, aumônier du pape et auditeur du Sacré Palais, maintint les évêques du Mans dans la possession du droit de visiter, corriger, recevoir et exiger procuration sur le prieuré d'Oizé et condamna le prieur à payer à l'avenir le droit de visite et les dépens du procès, taxés à vingt-huit florins d'or et de poids. Les deux archidiacres de Tours et d'Angers et les deux officiaux du diocèse furent commis pour l'exécution de cette sentence (3).
Le prieuré d'Oizé était situé à une soixantaine de mètres à l'Est de l'église paroissiale ; ses bâtiments, du commencement du xn° siècle, existent encore presque en entier. Sa chapelle, remarquable par l'épaisseur de ses murs (1 mètre à lm60) et par une belle fenêtre ogivale murée par le maçon, est convertie en
(1) CAUVIN, Géographie ancienne du diocèse du Mans, p. 2 et 29.
(2) Les Bénédictins de Solesmes, Cartulaire de l'abbaye de la Couture et de Solesmcs, p. 67.
(3) LE CORVAIS'IER, Histoire des Evesques du Mans, p. 720.
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maison d'habitation : elle était placée sous le patronage SainteMarie-Madeleine, avec le titre d'église aux xve et xvie siècles(l).
Il possédait la seigneurie de paroisse et présentait aux deux cures d'Oizé et de Cerans, à la chapelle de Saint-Lazare et aux collèges d'Oizé et de Cerans. Il portait : d'azur à deux jumelles d'or (2).
Ses revenus étaient évalués à 2.000 livres en 1789; ses charges consistaient seulement dans la célébration de la première messe et dans une aumône annuelle de soixante boisseaux de mouture aux pauvres de la paroisse. Tous ses biens furent vendus en 1791 : son domaine fut adjugé à Joseph Faribault, d'Oizé, pour 21.100 livres; un taillis de sept arpents, à René Gouffier et à Joseph Faribault, d'Oizé, pour 1.575 livres ; un autre taillis, de trois arpents, à René Jamin. cultivateur à Oizé, pour 1.200 livres ; le moulin du bourg, à Pierre Bourges, meunier à Mansigné, pour 2.600 livres ; la métairie de la Couffetière, à Joseph Piveron et à René Gouffier, d'Oizé, pour 12.300 livres ; en 1813, deux landes à la Madère (4 hectares 75 ares) et à la Cave (2 hectares 28 ares), à différents particuliers, la première pour 1.275 francs, la seconde pour 1.210 francs (3).
Les prieurs dont les noms nous sont parvenus sont : Gilbert, XII 0 siècle (4) ; Hcrnian, de Château-du-Loire, seconde moitié du XIIe siècle(5); Nicolas Charnoux, 1386; Guillaume de Males(1)
Males(1) du Maurier, dossier de Montaupin. — Archives d'Indre-etLoire, C 593. — Dans la haie d'un champ dit l'Enclos du vieux prieuré et dans celle d'une pièce de terre nommée le Champ du haut du bourg, on rencontre une variété de rosier intéressante, dédiée par M. Desportes au célèbre naturaliste Pierre Belon, né à la Souletière, sur les confins d'Oizé et de Cerans. Le Rosa tomentosa Smith., var. Beloniana Desp., dont la spontanéité ici ne fait aucun doute, est remarquable par ses fleurs semi-doubles, ayant chacune 7 à 12 pétales ; par ses folioles quelquefois assez grandes, la plupart moyennes, à dents simples ou à peu près, et par ses réceptacles et ses pédicelles très hispides (DESPORTES, Flore du Maine, p. 79. — GENTIL, Inventaire général des plantes vasculaircs de la Sarthe, p. 84. — GENTIL, Histoire des Roses indigènes de la Sarthe. Bulletin de la Société d'Agric, Se. et Arts de la Sarthe, t. XXXVI. p. 102.)
(2) Armoriai manuscrit.
(3) Arch. de la Sarthe, Q 9 4/7, 4/9, 4/10, 4/11, 4/13 et 1/64.
(4) DACHEUY, Spicil, t. III, p. 523.
(5) B. DE BROUSSILLON, Cartulairc de l'abbaye de Saint-Aubin d'Angers, t. II, p. 77.
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troit, évèque de Nantes, puis archevêque de Thessalonique, 1462 ; Louis d'Oreille, confesseur du roi, conseiller au Parlement, 1515 ; Robert Tiercelin, 1541 ; Jean Aubert, 1559-1585 ; Jacques Vaultrouillet, 1585 ; Jacques Hurault, sieur de La Boissière, clerc, 1585-1602 ; Pierre Picart, prêtre du diocèse de Sens, 1602 ; Pierre de Marcq, docteur en théologie, 1619-1669 ; Arnoul Tristan de Saint-Amand, docteur en théologie, 1669 ; Louis-François de Vassé, 1669-1708 ; Henri-Hubert de Courtarvel de Pezé, chanoine du Mans, aumônier du roi et abbé des abbayes royales de Saint-Jean-d'Angély et de Beaupré, 17121748 ; Jean-Baptiste-Henry de Languedoue, chanoine prébende de l'église de Nantes, 1749-1785; Jean-François DonatdeMogé de Pramout, vicaire général du diocèse de Viviers, 1785-1786 ; Claude-Madeleine de La Myre-Mory, vicaire général de Carcassonne, évèque du Mans de 1820 à 1828, 1786-1790 (1).
L'ÉGLISE
L'église d'Oizé, dédiée à saint Hilaire, appartient au genre roman. Elle a été restaurée à différentes époques comme l'indiquent ses ouvertures, les unes à plein cintre, les autres semiogivales et la date 1765 inscrite au pignon de la nef. La voûte du choeur, du style Plantagenet, est supportée par des chapiteaux encastrés dans la muraille, et le maître-autel surmonté d'un rétable du xvnr 3 siècle, avec un tableau, la Présentation de la Vierge, en assez mauvais état. A gauche de la nef et formant transept se trouve la chapelle du château ou de la Vierge, remarquable par son rétable en terre cuite (Notre-Dame-duRosaire) et son lambris du xvie siècle, aux chiffres de Jésus et de Marie alternant avec un soleil et un croissant (2). Un autel,
(1) Arch. de la Sarthe, Reg. des insinuations ecclésiastiques du dioc. du Mans, G 338 et suiv.
(2) La chapelle du château, vulgairement appelée la chapelle de SaintNicolas au XVIII» siècle, avait été bâtie par les seigneurs de Montaupin-laCour pour leur servir de sépulture. Pour elle et pour leur banc, placé dans
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celui de la Vierge et de saint Sébastien, sur lequel est déposée une belle statue de la Vierge, en terre cuite, de 1655, était adossé naguère encore au pilier en maçonnerie situé à l'intersection de cette chapelle et de la nef.
Plus bas, en descendant la nef et sur le même côté, on lit cette inscription :
tt bet>at repose le torps oe Ijoeste femme nicolle bongarù g seceùa le 7 >e mars 1601 lûqnell* amnje livrets ire rete ponr tthe célèbre une messe a perpetnitté tons les memebgs <>« la sepmain* ainsi tome il est porte par son testante! passe p»r matljurtn «estten net* rogal. prie} M*n ponr le repos ire son ame, reaniesrat in pact. amen.
Le clocher, à base carrée et à flèche hexagonale peu élevée, couverte en ardoise, renfermait avant la Révolution une chapelle érigée en 1598 par Magdelon Thomas, écuyer, sieur de Beaumont et de Jupilles, pour « s'y retirer privatifvement à tous aultres pendant et durant » la messe « et servir de sépulture et monument à ceulx de sa famille » (1).
Le cimetière entourait autrefois l'église au Sud. On voit encore, d'ailleurs, encastrée dans la muraille, à droite de la
le choeur, ils devaient obéissance au prieur commendataire et payaient chaque année à la fabrique 18 sols en argent et un boisseau de froment pour faire le pain des communiants le jour de Pâques. René-Jean Le Roy de Montaupin fit aveu pour cette chapelle le 9 septembre 1669 et Marie Aubert de Boisguyet, épouse de Louis Le Roy, le 10 mars 1741 (Archives du Maurier). (1) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
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grande porte de l'église, une pierre tombale en grès, du XIII" ou du xive siècle, sur laquelle une pelle est gravée en creux.
FER A HOSTIE DU XIV SIECLE
La fabrique possédait naguère un curieux fer à hostie du xive siècle, dont nous donnons ci-dessus un dessin exécuté en 1890.
HENRY ROQUET.
{A suivre).
Ont été admis dans la Société comme membres titulaires, depuis la dernière liste publiée :
M. le baron de la BOUILLERIE, château de la Bouiljerie, Crosmières (Sarthe) ;
Mme la comtesse BOULAY DE LA MEURTHE, château du Fretay, par Loches (Indre-et-Loire) ;
M. Joseph DULONG DE ROSNAY, château de Frazé (E-et-L.) ;
M. et MmeDuvAL-FLEURY, square La Bruyère, 2, Paris IXe;
Mrae la baronne DE LANDEVOISIN, château des Places, par Daon (Mayenne), et rue du Lùbeck, 25, Paris XVIe ;
M. le vicomte DE LANTIVY DE TRÉDION, >0fc, château des Perrais, Parigné-le-Pôlin (Sarthe) ;
M. E. LÉONARD, îj£, directeur des Postes et Télégraphes de la Mayenne, à Laval (Mayenne) ;
Mme la vicomtesse DE NOAILLES, château de Saint-Aubin-deLocquenay, par Fresnay (Sarthe) ;
M.Louis SAVARE,LesAigremonts,parBeaumont-sur-Sarthe.
M. Maurice TERMEAU, 24, rue d'Assas, Paris VIe ;
Mme la marquise DE TORCY, château de Bois claireau, à Teille, par Ballon (Sarthe).
La Société a eu par contre le regret de voir disparaître quelques-uns de ses membres :
Le baron Sébastien DE LA BOUILLERIE est décédé le 19 août 1926, au château de la Bouillerie, à Crosmières (Sarthe). Membre de la société depuis 1882, secrétaire en 1883, vice-président de 1893 à 1898, il a publié de nombreux travaux dans notre Revue. Nous devons lui conserver un souvenir tout particulier et lui consacrons plus loin une courte Notice.
M. l'abbé Emmanuel-Edouard TOUBLET est décédé le 10 mai 1926, à la maison Saint-Aldric, au Mans, dans sa 78e année. Originaire de Mont-Saint-Jean, il fut curé de Poncé, puis d'Auvers-le-Hamon. Il a écrit de nombreuses notices sur les
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Peintures murales de Poncé, La paroisse et la seigneurerie de Poncé, L'église et la paroisse de Lavaré, Un industriel au xvme siècle, Elie Savatier, La Famille de Courtarvel, Les fiefs de Mont Saint-Jean, etc., d'autres sur Auvers-le-Hamon, et il a laissé en manuscrit une importante histoire de cette paroisse.
L'honneur lui revient de la découverte des fresques de Poncé, des XII° et XIIIe siècles. L'abbé Toublet prit la peine de les dégager lui-même, avec grand soin,[de la peinture à la détrempe qui les avait recouvertes au xvi' siècle.
Cette découverte fut des plus précieuses pour la reconstitution de l'histoire de l'Art en France avant la Renaissance, et donna la preuve de l'existence d'une école de peintres établie sur les bords du Loir.
M. Dominique MALLET, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, ancien officier au 33e mobiles, ancien rédacteur en chef de la Sarthe, qui fut en 1876 l'un des membres fondateurs de la société. Il se consacra ensuite à l'égyptologie
Il a publié en 1873, La Bataille du Mans et Les Prussiens au Mans, ainsi que divers articles dans la Revue.
M. l'abbé Constant-Auguste POTTIER est décédé le 21 décembre 1925 à Congé-sur-Orne, dans sa 76e année, ancien professeur à Pontlevoy, professeur au grand séminaire, curé, puis aumônier de Béthanie à Ecommoy, il était membre de la Société française d'archéologie.
M. le Dr Jean CANDÉ, chevalier de la Légion d'honneur est décédé le 5 décembre 1926, au Lude, dans sa 76a année.
C'était un très ancien membres de notre société dans laquelle il avait été admis en 1888.
Ancien médecin de la marine, il avait obtenu une médaille d'argent au Congrès national des sociétés françaises de géographie (Session de Bordeaux, 1882), et s'était retiré au Lude.
Il s'adonna à l'histoire du château et de la ville du Lude. Il publia de nombreux travaux très consciencieux et documentés sur ['Origine de la ville et du château du Lude, ses seigneurs au temps de la Féodalité, son ancienne forteresse, les documents
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manuscrits conservés aux archives du château, les peintures de l'oratoire, les Daillons, la Motte du Lude et la découverte de sarcophages à Aubigné.
Ces travaux ont été publiés de 1889 à 1925 dans la Revue du Maine, la Province du Maine et les Annales Fléchoises.
C'était un très aimable et érudit collègue, très assidu à nos réunions et aux excursions, qui laisse parmi nous les meilleurs souvenirs et emporte nos vifs regets.
M. le comte Alfred BOULAY DE LA MEURTHE, mort le 13 septembre 1926, âgé de 83 ans, s'était livré tout entier aux études historiques pour lesquelles il était heureusement doué. Il fut l'un des fondateurs de la Société d'histoire diplomatique et de la Société d'histoire contemporaine. Il appartenait à beaucoup de Sociétés savantes, qu'il fut, plus d'une fois,appelé à présider : Société historique et archéologique de la Touraine, à laquelle nous adressons nos très vives condoléances, Société de l'histoire de Paris, etc.
Il a écrit de très nombreux ouvrages historiques et diplomatiques, et en particulier pour l'histoire du Maine, la Notice historique sur la seigneurie d'Aillières (ancienne baronnie de Saosnois). Il était depuis sa fondation membre de notre Société (1).
M. Edmond TABOUET est décédé en 1926. Sa famille, fixée dans l'Allier, prétendait se rattacher à la vieille famille des Tabouët, ou Taboue, du Maine, dont était un célèbre jurisconsulte, originaire de Chantenay, qui vivait au xvie siècle.
R.L.
Le Baron de la Bouillerie.
La Société historique et archéologique du Maine doit un souvenir et un hommage à M. Sébastien-Marie-Gabriel Roullet, baron de la Bouillerie. Il a fait partie du Bureau et il a donné a la Revue des travaux intéressants.
(1) Cf. Pour la liste de ses ouvrages, Polybiblion, t. 104, p. 141.
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Appartenant à une famille où la foi chrétienne, le dévouement au pays, la haute culture intellectuelle sont de tradition, M. de la Bouillerie a porté dignement un nom qui évoque le souvenir de grands serviteurs de la France et de l'Eglise, et il a su accroître le patrimoine d'honneur qu'il avait reçu des siens. S'il n'a pas occupé un poste important dans une de nos administrations publiques, comme son père, inspecteur général des finances, homme éminent et chrétien d'élite, dont la mémoire reste vénérée de tous ceux qui l'ont connu, il a eu une vie très utilement et très intelligemment remplie.
C'est à la Société historique du Maine que Sébastien de la Bouillerie apporta les prémices de son activité d'esprit en faisant paraître dans la Revue des articles soigneusement étudiés et élégamment écrits sur l'histoire des localités de la région qu'il habitait. Il était bien préparé à ce genre de travaux par des brillantes études classiques, son sens historique et un goût littéraire très sûr.
Convaincu de l'intérêt et de l'importance des publications d'histoire locale, il a fourni un précieux concours à la direction de la Société historique du Maine, et, pendant plusieurs années, participé assidûment aux séances du bureau. Il se proposait de publier d'autres monographies sur des sujets qu'il avait déjà choisis.
Ce que nous avons de lui fait regretter qu'il ait été empêché de donner suite à ses projets (1). Mais son temps fut absorbé par des oeuvres considérables. A la Société des agriculteurs de France, il s'occupa de l'enseignement agricole avec autant de zèle que de compétence. Une grande compagnie d'Assurances l'appela à siéger à son conseil et à le présider. Là aussi il eut un rôle important et fit preuve des plus hautes capacités.
Pendant la guerre, ses fils faisaient leur devoir au front, lui, voulut faire le sien en se dévouant au soin des blessés.
(1) Il a publié notamment des monographies do Crosmières et de Bazouges-sur-le-Loir, de la Chapelle-d'Aligné et de Cré-sur-le-Loir, de nombreuses études sur l'imprimerie fléchoise avant la Révolution, le château de la Groirie, à Trangé, le marquis de la Varenne, ami d'Henri IV, la famille Nepveu, les Protestants dans le Maine, etc., etc.
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La mort l'a frappé soudainement au lendemain du jour où il revenait de Lourdes accomplir son service de brancardier. A ses obsèques, à Crosmières, devant toute la population qu'il aimait et dont il était aimé, M. le chanoine Blin, représentant Mgr l'Evêque du Mans, a rappelé en quelques mots touchants et heureusement inspirés, la carrière si belle du bon Français, du grand chrétien et les nobles exemples qu'il a donnés.
Le souvenir de ce gentilhomme accompli, dévoué à tous ses devoirs mérite d'être conservé. Il le sera par la Société historique du Maine qui demeure fière d'avoir été honorée de sa collaboration et de ses sympathies.
CELIER.
La Société historique et archéologique de l'Orne a excursionné dans le Maine du 30 août au 3 septembre 1926. Son quartier général était Sainte-Suzanne. Une centaine de membres y ont pris part, dont le président de la Société historique et archéologique du Maine, M. Robert Triger qui apporta à ces journées, avec son entrain habituel, la plus précieuse des collaborations.
Le 30.—Visite d'Evron et de son église abbatiale. Réception au château du Rocher par la vicomtesse de Couasnon, déjeuner à Mézanger. L'après-midi, visite de Jublains, guidée par M. Laurain, archiviste de la Mayenne, de l'église de Montourtier, du château de Bourgon, au comte Molitor, du château de la Roche-Pichemer, au comte d'Ozouville.
Le 1er.— La matinée à Saulges, visite des grottes. L'église de la Chapelle-Rainsouin, visite du château de Montécler, dont les portes furent largement ouvertes par le marquis et la marquise de Montécler. Conférence par M. Robert Triger sur Sainte-Suzanne, au pied du donjon. Visite du château.
Le 2. — Promenade au château d'Orenge, dans un site merveilleux dominant la vallée de la Mayenne. Visite de l'antique église de Pritz. A Laval, visite de la ville sous la direction de MM. Laurain, Ramard, Alleaume et autres membres de la Commission de la Mayenne.
Le 3.—Solesmes. Messe grégorienne, visite de l'abbaye guidée par Dom Heurtebize. Déjeuner et dislocation.
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Quelques membres terminèrent la journée au château de la Roche-Talbot, où le marquis et la marquise de Beauchesne leur ménagèrent, ainsi qu'à la Commission de la Mayenne, en tournée aussi, l'accueil le plus aimable.
Le 10 février 1927, M. le duc de la Force a été reçu solennellement à l'Académie française, par M. Maurice Donnay, à la place vacante par la mort de M. le comte d'Haussonville.
Notre Société est très Gère de voir l'un de ses membres, devenu notre compatriote par son mariage, entrer dans cette illustre compagnie.
La presse française a rendu hommage au magnifique talent d'historien du nouvel académicien, pour lequel l'éloge de son prédécesseur a fourni l'occasion d'un admirable discours et d'une très belle page de l'histoire de France contemporaine.
M. le marquis de Beauchesne, premier vice-président, a pu assister à cette belle manifestation littéraire et apporter à M. le duc de la Force les respectueuses félicitations de notre Bureau et de la Société historique et archéologique du Maine.
Le compte-rendu de cette solennelle réception académique sera donné dans notre prochaine chronique.
Dans sa séance du 22 janvier 1927, le Conseil municipal du Mans, sur la proposition de M. Le Feuvre, maire, a donné le nom de Robert Triger, à la rue de l'Ancien-Evêché qu'il habitait, et celui de Lionel Royeràla rue Saint-Vincent.
Nous applaudissons à ce geste spontané de reconnaissance à la mémoire de notre éminent et regretté président M. Robert Triger, et nous sommes heureux de voir se perpétuer au Mans, le nom de M. Lionel Royer, peintre manceau de grand talent.
Nous regrettons seulement de voir disparaître le nom très anciennement connu de la « rue Saint-Vincent », et celui également ancien et coloré de la « rue du Porc-Épic ».
LA CURE
La cure, valant 2.000 livres, était à la présentation du prieur. Le curé jouissait de la moitié des dîmes de la paroisse et de la totalité des charnages, par une transaction faite avec M. de La Myre-Mory, prieur d'Oizé, le 16 février 1788 (1). Ces dîmes étaient perçues à la douzième gerbe, par arrêt du présidial du Mans du 21 avril 1634 (2). Jacques-Louis-François Godmer, curé d'Oizé, lés évalue à 1.431 liv. 10 s. en 1789 (3).
Elle comprenait en domaine la closerie de La Gougetière, vendue le 23 février 1791 à Michel Bruneau, d'Oizé, pour 12.500 livres (4), et différentes pièces de terre : celles des Mialées, contenant six journaux, des Fosses-Rouges deux journaux, du Dehors un journal, et du Journal, et un pré d'une
(l)Par celte transaction passée devant MeLherbetteetsonconfrère,notaires à Paris, le curé obtint la concession et jouissance de la moitié de toutes les dîmes, tant grosses que menues, qui se levaient dans l'étendue de la paroisse d'Oizé et la totalité de celles de charnage « à condition de contribuer à l'avenir par égale portion aux réparations du coeur et chansel de l'église d'Oizé, ainsi qu'aux autres charges dont les gros décimateurs sont tenus » (Arch. de la Sarthe, L 461).
(2) Archives de la Sarthe, B 1063.
(3, Archives de la Sarthe, L 348.
(4) Arch. de la Sarthe, Q 4/4. — La Gougetière était affermée à Michel Bruneaa 344 livres et 6 poulardes en 1789 (Arch. de la Sarthe, L 348). REV. HIST. ARCH. DU MAINE. 4
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nommée et demie, le tout loué en 1789, à Louis-Joseph Godmer, pour 100 livres de ferme, un jeune cochon gras aux Rois et quatre poids de chanvre de chacun 16 livres. Jacques-LouisFrariçois Godmer, curé assermenté d'Oizé, les acheta le 16 mars 1791, comme bien national, pour 7.825 livres (1).
La cure possédait, en outre, quelques rentes foncières, léguées à la charge de services religieux: 6 livres 10 s. sur la Morillonnière, donnés en 1556 par Françoise Lebouc, veuve de Calais de Lommais, pour une messe basse chaque jeudi ; 15 livres, léguées par noble Jean Gaultier, sieur de la RocheHuet, le 9 mai 1591, pour une seconde messe tous les dimanches ; 10 livres 10 s., légués par Nicolas Bougard en 1596 pour une messe basse tous les mercredis ; 21 liv. 5 s. sur la terre du Bignon, à Moncé-en Belin, donnés par Barbe de Mondagron le 30 mars 1624 ; 1 liv. 6 s. sur la métairie de Bourdigné, à Cerans, donnés en 1637 par Jacquine Cousin, veuve du sieur de la Morillonnière ; 6 liv. 5 s. sur une maison appelée Bourdigalle, située « près le presbytère » légués en 1645 par Perrinc Le Roy, fille de Nicolas Le Roy ; 3 liv. sur le lieu de la Cave, données par Catherine Breteil en 1665 ; 6 liv. sur le moulin de Rouveau, legs de Charles Le Paige, sieur de la Chesnaye, et Perrine Durand, son épouse; 40 liv. sur la métairie du Barreau, à Mareil-sur-Loir et Créans, léguées par André Lestourmy, ancien curé d'Oizé, en 1719, et Catherine Lestourmy, sa soeur, en 1724, pour l'entretien de la lampe du Saint-Sacrement dans l'église d'Oizé, etc. (2).
La fabrique jouissait d'une maison avec jardin, au bourg, vendue 120 livres comme bien national le 30 nov. 1791, et du pré de la Boîte, d'un demi-arpent, affermé 17 livres en 1774 et adjugé pour 1.225 livres le 11 nivôse an III.
Une pièce de terre en pré et labour (deux nommées), appartenant à la prestimonie de la deuxième messe, fut acquise le
(1) Etude de Pontvallain, minutes Bourge. — Arch. de la Sarthe, Q 4/5.
(2) Arch. de l'Eglise d'Oizé.
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27 juillet 1791, par Pierre Bourges, de Mansigné, pour 1.525 livres (1).
Le grand cimetière, consistant dans un morceau de terre d'environ un quart de journal, situé au haut du bourg et dans lequel était la croix boissée, était affermé pour ses fruits (noix, marrons et châtaignes) 3 liv. 15 s. en 1774.
LES CURES
Les curés connus sont: Pierre, 1378-1380; Jean Durand, 1491-1532 (2) ; Jehan Doulcet 1525 (3) ; Jean Durand, 1563 ; Thomas Nepveu, 1570-1602 ; Pierre Ouvrard, docteur en théologie de la Faculté de Paris, 1602-1613 ; Patrice Veau, maître es arts, 1613; frère Breteil, cordelier, 1619-1641; Jean Laboë, 1644-1646; Ambroise Legras, 1657-1665; René Joubert, 16691673; André Lestourmy, 1673-1717; Louis de Belin, 17171743 (4); Pierre Boivin, 1743-1754; Pierre Fougery, 17541767; Pierre Delaroche, 1767-1773; Louis Godmer, 1773-1783; Jacques-Louis-François Godmer, 1783-1794 (5).
(1) Arch. de la Sarthe, Q 4/12 et 4/17.
(2) Archives du Maurier, à La Fontaine-Saint-Martin. — Mc Jean Durand était propriétaire des lieux du Bordage et de la Clérissière, à Oizé (Archives des Perrais, à Parigné-le-Pôlin).
(3j Archives de la Roche-Mailly, à Requeil, cote 39«, lre liasse.
(4) Simon de Belin, son père, fils de Jean de Belin, procureur du roi aux eaux et forêts du Comté du Maine, et d'Anne Alix, dame de Mouasné, à La Suze, s'était établi à Oizé vers 1675. Il y mourut le 27 juillet 1682, après avoir eu onze enfants de Renée Le Feuvre, son épouse ; Simon, vicaire à Saint-Ouen-en-Belin dès 16911; Renée (1660); Marie-Anne (1662); Adam (1666) ; Renée (1668) ; Gilles, uni à La Suze le 14 juillet 1699 à Marie Belin, fille de Louis Belin, sieur de la Fuye, et de Christine Deschamps (JeanneLouise de Belin, leur fille unique, épousa à Saint-Pierre de Précigné, le 7 février 1736, Guy Riobé, sieur du Perray, président au grenier à sel de Sablé); Gaspard (1672); Louise (1673); Catherine (1674); Marguerite (1676); et Louis, baptisé à Oizé le 21 mars 1681, d'abord vicaire (1707-1717), puis curé de cette paroisse, où il trépassa le 28 décembre 1745.
Renée, Adam, Gaspard et Louise, décédèrent à Oizé, sans avoir contracté d'alliances. (Reg. de l'état civil de La Suze et d'Oizé.)
(5) Arch. de la Mairie d'Oizé. Reg. anciens de l'état-civil. — La paroisse eut aussi presque toujours, aux xvn 8 et xvin 0 siècles, des vicaires chargés de célébrer la deuxième messe, entre autres Jean Ouvrard, 1550 ; Louis de
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Jacques Godmer, après avoir été vicaire de son oncle, lui succéda en 1783. Il fit reconstruire le presbytère tel qu'il est aujourd'hui et refusa d'accorder les prérogatives dues au seigneur de paroisse à Louis Le Roy, sieur de Montaupin, qui les réclamait au détriment du prieur.
Il se présenta le 27 janvier 1791 devant le maire d'Oizé et lui déclara son intention de prêter le serment exigé de tous les ecclésiastiques fonctionnaires publics (décret de l'Assemblée nationale du 27 novembre 1790); Michel Haloppé, son vicaire, Julien Le Landais, ancien vicaire, et Urbain Huard, principal du collège, imitèrent son exemple.
Godmer adopta avec ardeur les idées nouvelles. Impliqué dans la conspiration des Bazinistes, pour avoir dénoncé Garnier de Saintes, parce que celui-ci avait mis en liberté Salmon, maire de Cerans, emprisonné à La Flèche, et s'en étant vanté en présence de Duprat, aubergiste à Foulletourte.de La GardeDumont, chirurgien à Saint-Jean-de-la-Motte, et de RenéJulien Le Blaye, notaire à Oizé, il subit un interrogatoire de la part des gendarmes de Foulletourte le 16 messidor an II (4 juillet 1794).
Garnier de Saintes décerna le même jour un mandat d'arrêt contre lui, pour le conduire « es maison de la ci-devant Visitation au Mans », et par son ordre Chauvin et Ducy, membres du Comité de surveillance de la commune du Mans, se transportèrent au presbytère d'Oizé et y perquisitionnèrent en présence des citoyens Charles Bordier, maire, Joseph Garnier, agent national de la commune, Pierre Blot et Joseph Drouart, membres du Comité local de surveillance. Après avoir fait « une visite exacte et scrupuleuse dans les divers appartements, armoires et commodes », ils ne trouvèrent rien « qui fut contraire aux principes d'un républicain et aux intérests de la République ».
Il se disculpa sans doute, car nous le voyons quelque temps
Belin, 1707-1717 ; Pierre Léon, 1719-1727 ; Pierre Boivin, 1727-1743 ; Urbain Huard, 1759-1783; Jacques Godmer, 1783; Le Boursier, 1784; Jean Le Landais, 1789-1790 ; Haloppé, 1791.
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après de retour à Oizé. Mais ce n'était que pour succomber sous les coups des Chouans, qui ne lui pardonnaient pas ses serments et ses achats de biens nationaux.
Une bande de ces « brigands » envahit le bourg d'Oizé avant l'aube, le 18 frimaire an III (8 décembre 1794), et fit une perquisition dans le presbytère, sans rien y rencontrer. Ils descendaient l'escalier pour repartir, quand l'un d'eux remonta et mit sa main dans le lit, encore tout chaud, du curé. Ils jugèrent qu'il n'était pas loin, et, en effet, ils le saisirent bientôt, caché derrière un tirant, dans son grenier. Ils le traînèrent sur la place et le fusillèrent en face du collège, à cinq heures du matin. On l'enterra le soir même sous le ballet de l'église- Il n'avait que 43 ans. Avant de se retirer, les Chouans brûlèrent les archives de la mairie.
Instruit de ces faits, le représentant du peuple Génissieu, en mission dans les départements de la Sarthe et de l'Orne, écrivit le 26 frimaire suivant (16 décembre 1794) au Directoire du district de La Flèche et l'invita à admettre le citoyen Louis Godmer, frère du malheureux curé d'Oizé, dans la réquisition de 300 hommes, pour le mettre à portée de se venger (1).
Plusieurs prêtres insermentés, courageux, administrèrent la paroisse, visitant les malades et célébrant les baptêmes, de 1794 à 1800 : Jean Rolland, vicaire de Marçon, né à Yvré-lePôlin (août 1794-novembre 1797) ; Mocquereau, curé de Voutré, caché à Parigné-le-Pôlin, chez M. Moreau, menuisier (fév. 1796 et 1798) ; Urbain Le Mercier, vicaire de Saint-Jean-de-la-Motte (janv. 1797-1800) ; Charles Vannier, de Chemiré-le-Gaudin (oct. 1798 et 1799); C.-R. Dugué, curé de Saint-Martin de Sablé, caché à la Foucherie (janv. et déc. 1797) ; Janvier, curé de Boissé (mars 1799 et mai 1800) ; François Jusseaume (18001802) (2).
(1) Arch. de la mairie d'Oizé. — Arch. de la Sarthe. L 277 et 470. — Notes diverses.
(2) Arch. de l'église d'Oizé. Reg. de baptêmes.
— 62 — Après le Concordat furent curés d'Oizé :
1° Jusseaume François, né le 12 janvier 1753, curé d'Oizé 1" août 1802 (1er messidor an XII) à 1823 (1).
2° Choplin François-René, né le 24 juin 1776 à Saint-Corneille, curé d'Oizé (28 août 1823 à 1839) chapelain de Guécelard en 1839 (2).
3° Couillard dit Sacier Honoré, né le 18 août 1808 à Conlie, curé d'Oizé le 9 août 1839, y décédé le 24 octobre 1848 (3).
4° Froger Jacques, né le 29 décembre 1807 à Ma3ret, prêtre le 23 décembre 1837, vicaire à Saint-Denis-d'Orques, fut nommé curé d'Oizé le 31 octobre 1848, puis fut curé de Notre-Dame du Pé le 15 octobre 1869.
5° Leconte Marc-Jean-Auguste, né le 5 avril 1821 à Mamers, prêtre le 1er juin 1844, curé d'Oizé le 24 octobre 1869, y décédé le 3 avril 1878.
6° Fouchard Victor-Louis, né le 26 avril 1843 à SainteSabine, prêtre le 6 juin 1868, curé de Marolette le 10 novembre 1874, curé d'Oizé le 8 juin 1878, y décédé le 29 août 1915.
7° De 1915 à 1919, pendant la guerre, la cure est restée sans titulaire résidant.
8° Hérisson Eugène, né à Gouy (Maine-et-Loire) en 1880, prêtre en 1904, vicaire à Malicorne, puis missionnaire diocésain, nommé curé d'Oizé de 1919 à 1925, d'où il fut transféré à la cure de Roëzé.
9° Guy Isidore, né à Douillet en 1865, prêtre en 1890, curé du Bailleul, est curé d'Oizé depuis 1926.
(1) François Jusseaume, fils de Louis Jusseaume et de [Marie Clottereau son épouse, de la paroisse de Cerans, ordonné prêtre le 11 mars 1780, par Mgr François-Gaspard de Jouffroy-Gonssans.
(2) François-René Choplin, ordonné prêtre le 23 septembre 1809, par Mgr de Pidoll, évêque du Mans, dans l'église de l'Hôpital du Mans.
(3) Couillard dit Sacier, fils de René Couillard dit Sacier et Jeanne Lesève, ordonné prêtre par Mgr Carron, évêque du Mans, le 24 septembre 1831, dans la chapelle des Religieuses de la Visitation Sainte-Marie, au Mans.
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FONDATIONS RELIGIEUSES
Outre son prieuré, la paroisse renfermait avant 1789 plusieurs autres bénéfices ecclésiastiques et fondations religieuses : la chapelle de Saint-Lazare, celle du Saint-Sacrement, un Collège et une maladrerie.
La chapelle de Saint-Lazare, desservie dans celle du prieuré, était à la présentation du prieur (1). Les revenus, estimés à 50 livres en 1789, comprenaient un droit de dîme sur la paroisse de Cerans et deux champs et un pré vendus le 29 janvier 1791 à René-Julien Le Blaye, notaire à Oizé, pour 2.000 livres (2).
La chapelle du Saint-Sacrement ou de la Fosse, desservie à l'autel du Rosaire, avait été fondée le 20 mars 1662 par Françoise de Launay, veuve de noble René Mocquereau, sieur du Noyer, conseiller élu en l'élection du Mans (3). Le prieur, s'il résidait, sinon le curé, et à son défaut le procureur de la fabrique, la présentait et la conférait à un parent du fondateur. Elle jouissait d'une maison avec jardin (deux journaux et demi), au bourg, et d'un petit bordage à la Fosse (quatre journaux), acquis de la Nation le 23 février 1791, par Jean-Louis Bouchet, de La Flèche, pour 5.000 livres. Ces biens étaient affermés en 1789, 140 livres en argent, 6 poulardes, 6 angelots estimés, 20 livres et 12 boisseanx de seigle mesure de Château-du-Loir. Le titu(1)
titu(1) titulaires connus sont : Michel Le Maignen, curé du Breil, 1596 ; Pierre Hevrard, 1610; Nicolas Le Maignen, curé de Meurcé, 1610; Charles Petit, 1676; J.-B. Boivin, 1681-1694; Geoffroy Lorans,... 1698; Mathurin Buisneau, 1698-17.. ; Jean Chouteau, 1728 ; Pierre Léon, 1726 ; Julien Guyet, curé de Cerans, 1756-1777 ; Pierre-Ambroise Houdayer, curé de Cerans, 1777-1790.
(2) Arch. de la Sarthe. Q /4/2.
(3) Un de ses parents, Pierre de Launay, père d'Urbaine, femme d'Urbain Dubin; d'Urbain, mari d'Anne Jamin, né le 3 août 1669, et de Renée, femme de Pierre Le Theule, née le 26 novembre 1671, fut inhumé dans le cimetière d'Oizé le 28 septembre 1676. Urbain de Launay, décéda le 23 novembre 1694 ; son fils Urbain, baptisé à Oizé le 24 juillet 1670, lui succéda dans ses fonctions de sacriste (Mairie d'Oizé. Reg. de l'état civil).
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laire devait une messe basse par semaine et deux grandes messes par an (1),
LE COLLÈGE
Un collège, tenu par un prêtre, existait à Oizé dès le commencement du xvne siècle; ses revenus étaient de 222 livres en 1790, suivant la déclaration de Me Urbain Huard, son titulaire.
Le 13 janvier 1620, par acte attesté de M. Urbain Lefaucheux, notaire royal à Mansigné, Me René Baudry donna à ce collège a une chambre basse à cheminée et four, une chambre haute, grenier dessus et un petit jardin y tenant, le tout au bourg », à la charge par le principal de célébrer chaque année, pour le repos de son âme, une messe chantée avec vigiles, le jour de la commémoration des trépassés. Par testament du 13 mai 1639, Jeanne Pichonneau, femme du sieur Loyer, lui légua « un morceau de terre labourable à semer un boisseau de blé dans le clos de l'Ecole, près le bourg », à la condition d'un service de trois messes chantées avec vigiles dans le mois de novembre.
Mais ce furent surtout Me René Breteil, curé d'Oizé, et demoiselle Jacquine Breteil, sa soeur, qui tinrent à coeur de pourvoir à son existence future. Me René Breteil lui donna d'abord la maison et le jardin du collège, puis le 13 juin 1641, de concert avec sa soeur, le lieu de la Bretonnière, « situé es communautés des paroisses d'Oyzé et de Requeil », pour par le principal « instruire la jeunesse en l'amour et crainte de Dieu,... enseigner les enfans des pauvres de laditte paroisse sans sallaire et... le plain chant », exigeant seulement du principal tous les vendredis « une messe chantée par les écoliers à notte de l'office de la Passion de N.-S. J.-C commençant par Humiliavit semetipsum Dominus, sonnée par quinze coups de cloche ».
(1) Arch. de la Sarthe, 9 4/4. — Titulaires : Pierre Jamin, vicaire à Connerré, 1724; Pierre Coubard, prêtre à Saint-Germain-d'Arcé, 1725-1749; Jean-Baptiste Jamin, curé de Mouliherne, au diocèse d'Angers, 1762-1790.
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Jacquine Breteil ajouta à ces libéralités, le 15 juin 1651, une chambre de maison attenant aux bâtiments du collège, avec cave dessous et une portion de jardin, et le 2 février 1665 une somme de 360 livres, sur laquelle les habitants d'Oizé prélevèrent un peu plus tard 260 livres pour « payer l'indemnité de touttes les fondations dudit coleige ». Les 100 livres restantes étaient placées en 1760 sur les lieux de la Cave appartenant à Pierre Delaroche l'aîné, marchand chaussumier, et à Pierre Le Roy (1).
La Révolution enleva au collège tous ses biens. Le 17 fructidor an II, le collège et son jardin furent adjugés à Jacques Pivron, de Courcelles, pour 7.300 livres ; un tiers de journal de terre au clos de l'Ecole, à François Bordier, d'Oizé, pour 570 livres ; le champ du Fromenteau (deux journaux), à LouisJoseph Godmer, d'Oizé, pour 3.000 livres ; et, le 1er brumaire an III, le bordage de la Bretonnière, à Martin Verdier, d'Oizé, pour 8.825 livres.
Le titulaire jouissait en outre d'une autre maison au bourg, évaluée 18 livres, d'un pré et d'une pièce de terre donnés par Jean Gaultier, pour la célébration de la seconde messe du dimanche dans l'église paroissiale. Pierre Poirier, d'Oizé, acquit cette maison le 17 fructidor an II, pour 1.420 livres (2).
Le prieuré de Fessard, à Yvré-le-Pôlin, et la prestimonie Michelet, à Cerans, possédaient quelques terres dans la paroisse ; la fabrique de Parigné-le-Pôlin, deux journaux de terre au clos de l'Ecole, adjugés le 30 novembre 1791 à Louis Fougerard, sobotier à Oizé, pour 1925 livres (3).
(1) Arch. de l'église d'Oizé.
(2) Arch. de la Sarthe, Q 4/16. — Principaux du collège : Pierre Laboë, 1670-1677 ; Jean-Baptisle Boivin, 1677-1694 ; Pierre Mesnager, 1695-1717 ; Pierre Léon, 1719-1726 ; René Verronnière, 1729-1730 ; Pierre Boivin, 17301743 et 1753-1759 ; L.-M. Papillon. 1744-1750; Michel Maillet, 1750-1753; Tulard, 1753 ; Urbain-François Huard, 1759-1792.
(3) Arch. de la Sarthe, Q 4/12.
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Les religieuses de La Fontaine-Saint-Martin percevaient 2 sols 6 deniers de rente sur le moulin de Boisard, 7 livres 4 sols 6 deniers sur des héritages aux environs de ce moulin, et 7 sols sur une maison à la Pallu ; l'abbaye de Mélinais à Sainte-Colombe, près La Flèche, 45 sols sur le hameau de la Morillonnière ; le couvent des Cordeliers du Mans, 7 boisseaux et demi de seigle et 10 sols en argent sur le lieu de Malforge ; et la fabrique de Requeil, 12 sols sur le pré de Saint-Hilaire, dépendant de la terre de la Barre (1).
LA MALADRERIE
Une maladrerie, qui a laissé son nom à un groupe de maisons bâties sur son emplacement, sur le bord de la route de la Fontainc-Saint-Martin, à sept ou huit cents mètres du bourg était encore estimée valoir 300 livres en 1648. Nous n'en trouvons plus trace après cette date ; cependant elle n'est point portée sur le tableau de réunion des maladreries à l'Ordre de N.-D. du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, et plus tard à des hôpitaux (2).
BIOGRAPHIE
MARIN MERSENNE
Marin Mersenne, un des plus éminents physiciens que la France ait eus, est né à Oizé en 1588, au vieux manoir de Beaumont (3), d'après une tradition qui s'est conservée jusqu'à nos
(1) Archives de la Sarthe, H. 462, 1260, 1508 et 1546. — Archives de la fabrique de Requeil.
(2) Archives de la Sarthe, Pouillé de 1648. — Cauvin, Recherches sur les établissements de charité, p. 71.
(3) Beaumont appartenait à ce moment à Magdelon Thomas, écuyer, sieur de Jupilles, à Yvré-le-Pôlin.
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jours. Nous ignorons quelle était la situation sociale de ses parents.
La famille était honorablement connue à Oizé et ses environs depuis longtemps, et elle y possède encore des représentants. Nous y trouvons notamment en 1550, Marie Mersenne, femme de Me Jehan Guichard, notaire royal à Requeil ; en 1500, Pierre Mersenne, maître couvreur à Oizé ; en 1636, René Mersenne, procureur-syndic de Cerans. Loys Mersenne et Gevrine Denys, sa femme, d'Oizé, échangent des terres avec Magdelon Thomas, seigneur de Beaumont et de Jupilles, à Yvré, le 24 décembre 1591. Le 9 juillet 1602, Marie, femme de Marin Mersenne, meurt de la contagion, à Yvré-le-Pôlin, et Marin Mersenne lui-même le 15 septembre. Le 3 mai 1669, Julienne Mersenne se marie à Oizé, en présence de Marin Mersenne, son père, et de Marin Mersenne, son frère ; Marin et Julienne Mersenne assistent à l'inhumation de leur père, en cette paroisse, le 26 juillet 1676 ; etc. (1).
Né avec un génie heureux, Marin Mersenne fit d'excellentes études au collège du Mans, puis à celui de La Flèche, où il se lia d'une inaltérable amitié avec René Descartes, et enfin en Sorbonne. Il entra ensuite dans l'Ordre des Minimes. Travailleur infatigable et admirablement doué, il se livra à l'étude ardue des mathématiques et fit des découvertes précieuses qui le posèrent comme le plus grand savant de son temps et lui attirèrent la plus haute estime des personnages les plus illustres. Il mourut à Paris le 1er septembre 1648, à l'âge de soixante ans.
FEODALITE
La paroisse relevait de la baronnie de Château-du-Loir. Elle renfermait les fiefs suivants :
(1) Arch. de la Sarthe, G. 346 ; H. 580, 1562, 1565, etc, — Arch. de la Sarthe. Fonds de Broc.— Reg. de l'état civil d'Oizé et d'Yvré-le-Pôlin.
-68LA
-68LA D'OIZÉ
D'après Chéruel, les prévôts, qu'on appelait ailleurs "châtelains, viguiers ou vicomtes, furent des officiers « investis de l'autorité administrative dans certaines contrées, sous la surveillance des baillis et des sénéchaux. On ne tarda pas à leur enlever l'autorité militaire et la gestion financière ; mais ils conservèrent pendant longtemps un droit de juridiction en première instance dans toutes les matières civiles, personnelles, réelles et mixtes entre roturiers, et pour tous les délits qui n'étaient pas réservés aux baillis et aux sénéchaux » (1).
Nous ne savons à quelle époque les comtes du Maine, seigneurs de Château-du-Loir, instituèrent la prévôté ou châtellenie d'Oizé.
Le Cartulaire de Château-du-Loir mentionne les droits de péage (2) perçus dans la châtellenie d'Oizé au xne siècle, sous Geoffroy Plantagenet, Henri II, roi d'Angleterre, et leurs fils, sur toutes les marchandises ou denrées traversant son territoire ou y étant consommées.
La châtellenie d'Oizé, déjà divisée, ne tarda pas à être aliénée tout entière aux plus puissants de ses vassaux.
Le seigneur de la Faigne, à Pontvallain, tenait à foi et hommage lige « la quarte partie par indivis de lapprovosté et coustumerie d'Oaysé, membre deppendant » de la baronnie de Château-du-Loir. A la demande de Guy de Laval, chevalier, seigneur de Loué et de la Faigne, Charles IV, comte du Maine,
(1) A. CHÉRUEL, Diclionn. histor. des institutions, moeurs et coutumes de la France. Paris, Hachette, 1884, p. 1019.
(2) Ces droits, perçus sur les chemins et au passage des rivières, appartenaient primitivement au souverain. Après l'établissement des Barbares dans la Gaule, les comtes, vicomtes et leudes s'emparèrent des péages et en augmentèrent le nombre. La féodalité les multiplia à son tour. Les rois, qui les considérèrent avec raison comme des entraves au développement du commerce, ne parvinrent qu'avec peine à les détruire. Les seigneurs qui percevaient les péages étaient chargés, sous leur responsabilité personnelle, de l'entretien et de la police des routes (A. Chéruel, op. cit., p. 962).
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unit cet hommage, le 18 octobre 1467, « en et soubz ledit hommage lige desdits chastel, chastellenie, terre et seigneurie de la Faigne, sans ce que jamais ou temps avenir luy, les siens, successeurs ou ayant cause soient tenuz ne puissent estre contrains faire », dit-il, « à nous ou aux nostres foy et hommage, particulièrement de ladite quarte partie de ladite prévosté et coustumerie d'Oyzé », et déclare « ledit hommage confiez, comprins et contenu en et soubz ledit hommage de la Faygne » (1). En 1489, Philippe de Germaincourt, écuyer, seigneur de Launay-Brillant, à Saint-Jean-de-la-Motte, des Touches et de Buffes, rend aveu au comte du Maine pour sa terre et seigneurie de Launay-Brillant, avec la quatrième partie de la prévosté d'Oizé (2).
L'autre moitié appartenait au seigneur de Foulletourte, et « pour ce droit » le baron de Château-du-Loir, son suzerain, lui devait « chacun an... au jour du dimanche de mi-caresme une lamproye vive en un bassin rendue au chasteau de Foulletourte » (3).
Jean de Poilly et Juliot Quintin avouent en 1342 différentes terres au seigneur de Château-du-Loir, situées dans la châteltellenie d'Oizé (4).
LE PRIEURE
Ce fief possédait la seigneurie de paroisse et présentait aux deux cures d'Oizé et de Cerans et à la chapelle de Saint-Lazare. Il jouissait des droits seigneuriaux sur toutes les terres de sa dépendance, de haute, moyenne et basse justice, de sceaux à
(1) Archives Nationales, P 1343, fol. 4. (2j Archives Nationales, P. 348 bis, p. 18.
(3) Archives de la Sarthe, Fonds de Broc, Aveux des seigneurs de Foulletourte aux comtes du Maine.
(4) Archives Nationales, P. 344, n" 10, 87.
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contrats, de mesures à blé (5) et à vin, de ban « à vendre vin par l'espace de onze jours entre le jour de l'Ascension et la Penthecoste », d'étalage sur les marchandises et les denrées vendues à la foire du bourg d'Oizé, le jour de la Madeleine, et d'usage et de pacage dans la forêt de Longaunay (1). Il relevait de la baronnie de Château-du-Loir à foi et hommage simple et au divin service, c'est-à-dire à trois messes par semaine, dont une le dimanche.
Outre son domaine : l'église de la Madelaine d'Oizé (sa chapelle), les maisons, granges, four à ban, halles et jardins du prieuré, le moulin du prieuré (moulin du bourg), la métairie de la Caufetière et diverses pièces de terre, sa vassalité comprenait la Morillonnière et le Pré Long, à Oizé, les fiefs de la Diaisrayères et Montafin, à Noyen, de Saint-Nicolas, en la ville du Mans (2), des Buretières, à Voivres, et des biens formant un fief dans chaque paroisse, à Cerans, Yvré-le-Pôlin, Laignéen-Belin, Saint-Ouen-en-Belin, Saint Biez-en-Belin, Ecommoy, Pontvallain et Mansigné.
Les deux tiers des dîmes de la paroisse d'Oizé lui appartenaient, ainsi qu'un droit de dîmes dans celles de Saint-Ouenen-Belin, de Saint-Biez-en-Belin, d'Ecommoy et de Cerans. Ce droit dans cette dernière paroisse était affermé au sieur curé, 140 livres en 1665, et 120 livres, trois poids de chanvre et deux agneaux en 1679 (3).
Une partie de ce fief, comprenant la baillée des Fromenteaux de La Fosse, tenue à 8 deniers de cens, celle de BelleBeurre, tenue à 7 deniers, le pré et le cloteau du moulin à tan, quelques maisons et plusieurs pièces de terre, appartenait aux
(1) Le boisseau de froment mesure d'Oizé, pesait 27 livres en 1783 (Archives de la Sarthe, H. 519).
(2) Il possédait au xn* siècle, droit de passage pour ses porcs et ceux de ses hommes dans la forêt de Douvre (Biblioth. Nat., Latin 9067, fol. 350).
(3) Trente-cinq maisons étaient dans sa mouvance (annuaire de la Sarthe pour 1S33, p. 198.
(4) Archives de'la fabrique de Cerans. — Archives de la Sarthe, B. 1063. — Archives d'Indre-et-Loire, C. 593.
LE PRIEURE D'OIZE (état actuel) DESSIN DE M. P. CORDONNIER-DÉTRIE
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seigneurs de Montaupin la Cour, dès le commencement du xvine siècle (1).
Jaloux de sauvegarder ses privilèges, Jean-Baptiste-Henry de Languedoue, prieur d'Oizé, prit en 1755 la défense des habitants de la paroisse, ses vassaux, obligés par le procureur syndic de Cerans, Me Pillot, de contribuer aux corvées occasionnées par le passage des troupes à Foulletourte.
Celui-ci, très embarrassé, écrivit cette lettre, le 27 mai 1755, à M. de Samson de Lorchère, lieutenant-général au siège présidial au Mans, pour lui demander conseil :
Monsieur,
Voici une affaire des plus particulières qui se trouve au subjet des voitures des trouppes qui ont ordinaire de passer par Foultourte.
Monsieur est sans doute informé que depuis plus de trante ans les trouppes passent par Foultourte et quelles passoyent
avant ce temps par La Suze, mais feu Monsieur de Chamillard
Chamillard alors ministre de l'Etat, fist détourner ce passage de trouppes de La Suze par Foultourte, et en même temps les paroisses de La Fontaine-Saint-Martin et d'Oizé furent nommées par le mesme arrest qu'obtint mondit sieur de Chamillard pour fournir les cheveaux de selles et voittures de charettes pour conduire et les officiers et leurs bagages pour ce qui s'en trouvoit aller du Mans à La Flèche, celles de Parrigné-le-Pollin et d'Yvré-le-Pollin pour ceux qui monteroyent de La Flèche au Mans.
Cet arrest fut alors publié et affiché à Cerans et dans les autres quatre paroisses susdittes, et depuis lesdittes paroisses ont toujours obéi à l'injonction et ordre des sindicts de Cerans envoyez à ceux desdittes paroisses.
Et aujourd'hui le sieur de Languedoue, chanoine de la cathédralle de Nantes, pourveu du prieuré d'Oizé depuis quatre ans
(1) Archives du Maurier, à La Fontaine Saint-Martin.
(2) Michel Chamillart, marquis de La Suze et secrétaire d'Etat de la guerre de 1701 à 1709.
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ou environ, par la résignation de M. l'abbé de Pezé, et par ce prieuré seigneur d'Oizé et mesme présentateur des cures dudit Cerans et d'Oizé, se prétend estre en droit de décharger les habitans dudit Oizé de la contrainte de ces sortes de voitures et m'a écrit en les termes de la copie cy-jointe.
Jamais Monsieur de Pezé n'a prétendu se servir de ce privilège, mais ledit sieur de Languedoue veut en user en disant que des subjets qu'il a de sa seigneurerie d'Oizé dans la paroisse de Saint-Nicolas au Mans jouissent de ce privilège.
Il faut sur cela que M. de Lorchère ait s'il luy plaist, la bonté de me donner ses ordres, s'il [le prieur d'Oizé] en est exempt ou pour mieux dire ses subjets, et dans ce cas, il fault me donner une autre paroisse puisque dans toute celle de La Fontaine il n'y a que cinq mauvais petits harnois et quatre ou cinq cheveaux de selle ou de somme qui ne seroyent pas à beaucoup près en estât de faire les voitures du régiment quand il en passe, ny de quatre ou cinq compagnies pour La Flèche. Il m'est arrivé d'avoir commandé des douze ou quinze chariots dans un jour. Que sa paroisse soit exempte ou non, cela ne m'intéresse en rien, pourveu que d'autres en sa place en demeurent chargées.
Pour ce qui est de la paroisse de Cerans, elle ne peut estre tenue de loger et de voiturer ainssy que je le pense ; il n'est pas si disgrassieux de voiturer que de loger, puisque l'on est payé à voiturer au titre de l'ordonnance, et que l'on n'a rien pour le logement
Je remets au surplus le tout à votre décision, en attendant quoy j'ay celuy l'honneur d'estre avec le plus profond respect et à vos ordres, Monsieur,
Votre, très humble et très obéissant serviteur,
Pillot, notaire royal (1).
(1) Archives de la Sarthe, fonds municipal, n° 112. — La Province du Maine, 1848, p. 47.
REV. HIST. ARCH. DV MAINE. 5
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LE BOUCHET-AUX-CORNEILLES.
Le château du Bouchet-aux-Corneilles, dont les ruines se cachent dans une prairie marécageuse sous le vert tissu de la ronce et du lierre, à trois kilomètres Sud-Est du bourg, était autrefois une forteresse importante, carrée, de 25m de côté, tout entourée de vastes fossés remplis d'eau. Un pont-levis double, à l'Ouest, y donnait accès. Il n'en reste plus aujourd'hui que les murs d'enceinte fort élevés et le donjon, habités par des nuées de corneilles qui justifient toujours son nom, deux moucharabys à son côté Sud et des degrés et des cheminées qui, placées les unes au-dessus des autres, annoncent plusieurs étages.
Ce fut primitivement un oppidum ou refuge, destiné à abriter et à protéger les populations voisines contre les invasions des Normands et des Bretons, au ixe et au xe siècles. La plus grande partie de ses murailles datent du xie et du xiie siècles.
Selon la tradition locale, les Anglais l'assiégèrent pendant la guerre de Cent ans et lui livrèrent inutilement plusieurs assauts, repoussés chaque fois par le seigneur et par de nombreux essaims d'abeilles sorties de leurs ruches installées sur les murailles. Ils ne s'en emparèrent que par la trahison d'une servante qui leur indiqua, à l'aide d'un tablier, un point sans défense, facile à escalader. Les châtelaines, dans leur fuite précipitée, se noyèrent en voulant passer le ruisseau sur une planche, à l'Est du château, à un endroit qui en a gardé depuis le nom de Planches- aux-Dames.
L'habergement du Bouchet, tenu de la baronnie de Châteaudu-Loir à foi et hommage lige et à un cheval de service, a donné son nom à une des plus anciennes familles du Maine (1) ;
(1) La famille DU BOUCHET blasonnait : d'argent à trois annelets de sable, posés % et 1.
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une de ses branches, celle des du Bouchetde la Forterie, ne s'est éteinte qu'à la fin du xvme siècle. Colin du Bouchet en rendit aveux en juin 1342 (1). Le 6 septembre 1354, son fils Jean, jeune homme de 18 ans, obtint rémission d'un meurtre commis sur la personne du porcher de « la ville d'Oesé » (2).
Guyon, aliàs Geoffroy, du Bouschet (3), écuyer, seigneur du Bouschet-aux-Corneilles, son fils ou son petit fils, échangea le 14 août 1389, avec Guyon de la Chevrière, écuyer, seigneur de La Chevrière, une pièce de pré « nommée vulgairement les prez du Curaus », contenant douze quartiers, sise paroisse d'Estriché, au diocèse d'Angers, « ou fié aud. Chevrière », contre « le fieage de Passelais », tenu de Passau, et « le fieage de Maiet nomé anxiennement le fié de La Chevrière, tenu icelui fieage de Maiet tant des seigneurs du chappitre de Sainct Martin de Tours comme d'autres seigneurs, avecques toutes et chacun » leurs appartenances et dépendances (4).
Guyon du Bouchet reçut « au Bouschet », de 1383 à 1405, de nombreux aveux de la part de ses vassaux : Martin Bardoul, le 28 octobre 1388, et Jehan Remont, le 9 mars 1396, lui firent hommage pour chacun la tierce partie de « lestre et appartenances de la Hamelinière » (5) ; Guillaume Chastain l'aîné, le 4 février 1392 (v. st.), pour son fief de Montaupin-Jacquette ; Macé Bodin, écuyer, seigneur de la Bodinière, le 12 juin 1401, pour son fief de l'Ortieuse ; Guillaume Pynot, le 4 août 1401,
(1) Arcli. nation., P. 344'. — Deux membres de sa famille, qualifiés seigneurs de la Roche-Bouschet, à Verneil-le-Cliétif, font aveu au seigneur de Château-du-Loir, l'un, Jean du Bouschet, en 1342, pour les fiefs que tenaient de lui Robien de Hauterive et plusieurs autres vassaux, et l'autre, Guérin du Bouschet, écuyer, en 1416, pour sa terre de Lu Roche-Bouschet (Archives Nationales, p. 344', n" 1159). Trois autres, Etienne, Eremborc et Raoul « de Boschet » sont, vers 1239, vassaux de la chatellenie d'Oizé; à la même date, Josbert et Guillaume Boschet possèdent un droit de panage dans la forêt de Douvre pour leurs propres porcs (Bibl. Nat., latin 9067, fol. 310, 322 v et 350).
(2) Archives nationales, JJ n° 350, fol. 239.
(3) Différentes pièces, toutes très authentiques, lui donnent l'un ou l'autre de ces prénoms, de 1392 à 1406 fArch. nation., P. 3441 cote 1170. — Archives du Maurier, dossier Montaupin).
(4) Archives de la Roche-Mailly, cote 39e, 1" liasse.
(5) Archives de la Roche-Mailly, cote 39e, l^ liasse.
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pour ses choses de la Greneslière, aliàs la Pierrerie ; Jehan Le Bouc, le 9 décembre suivant, pour son fief de la Morillonnière, et Jehan Huet, pour son « ostel de la Fousse » ; les héritiers de Philippe Mayre, en 1403, pour le fief de « Burbures » (Belbèurre) ; Perrine des Vignes, veuve de Jehan Huet, le 9 décembre 1405, pour son fief de Montaupin-Jacquette ; etc. (1). Luimême, à son tour, rend hommage au baron de Château-duLoir, le 12 janvier 1406 (v. st.), pour sa terre de La Gravelle, à Yvré-le-Pôlin, et le 6 mars 1416 (v. st.), pour sa terre du Bouchet-aux-Corneilles. (2).
Geoffroy du Bouschet, écuyer, seigneur du Bouchet, son fils, ne nous est guère connu. Il donna en 1457 une rente de 2 sols 6 deniers tournois à l'église de Requeil (3). Il épousa Ysabeau de Thévalles et en eut cinq enfants : 1° Jean du Bouschet, écuyer, seigneur du Bouchet, qui suit ; 2° Briand, mort avant le 24 juin 1484 ; Guyonne, veuve de Bremond des Bordes, écuyer, en 1484 ; 4° Aliette, unie par contrat du 13 janvier 1458 à Jacques de La Chevrière, écuyer, seigneur de la Roche-deVaux, déjà décédée en 1484, et 5" Marguerite du Bouchet, qui trépassa sans avoir contracté d'alliance entre 1480 et 1486. Jacques Huet, fils de Jean Huet et de Perrine des Vignes, lui avoua Montaupin-Jacquette le 15 octobre 1458 (4). Il dut mourir peu de temps après.
Le 14 septembre 1475, Jean du Bouschet, seigneur du Bouchet et de Montaupin-la-Cour, constitua ses « bien amez Colin Morençais, ...Gueretin, Guillaume Guerelin, Jehan Regreys, Jehan Hardy, Gervaise du Pas, Jehan Maillard, Jehan..., messire Guyon de La Rivière, pbre, maistre Charles Pasquier »,
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin. — Nous prions M. Raoul de Linière de bien vouloir agréer ici l'expression de notre plus vive reconnaissance, pour sa bienveillante communication des titres de son chartiier relatifs au Bouchet-aux-Gorneilles et à Montaupin.
(2) Archives nationales, p. 3453. — Archives de la Sarthe, fonds municipal, n° 25, fol. ho et 47 v°.
(3) Archives de l'église de Requeil, compte de 1514.
(4) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
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ses « procureurs généraulx et messaigiers espéciaulx et chacun deulz pour le tout... » (1).
Jacques Huet, seigneur de la Roche et de Montaupin-Jacquette, et fils de Jehan Huet et de Perrine des Vignes, refusa en 1479 de lui payer une redevance d'une mine de froment et d'une mine d'orge mesure de Foulletourte, assise sur le fief de Montaupin-Jacquette depuis longtemps, reconnue par lui-même en 1458 et par ses prédécesseurs dès le xive siècle. Le droit n'était pas de son côté : aussi une sentence de « Jehan Buet et Jehan Maillet, arbitres arbitrateurs et aimables compositeurs», rendue le 15 mai 1499, le condamna à payer les termes échus de cette rente et à l'acquitter fidèlement à l'avenir (2).
Messire Jean du Bouschet était dans une situation très embarrassée. Le 1er août 1480 il vendit la plus grande partie de ses terres, du consentement de « damoiselle Marguarite du Bouschet », sa soeur, à « Michelle, veusve de feu Jehan Régnier, et a maistre Symon Chapperon et Andrée, sa femme, a Laurens Aubry et Jehanne, sa femme, demeurans au Mans, et a Yvon More et Guillemine, sa femme, demeurans a Pontvallain, et a leurs hers et ayans causes, lesd. maistre Symon, Jehanne et Guillemine, enfans de lad. veusve » : la métairie « de lostel de la Fontaine », les lieux de la Guileberdière, de La Dreurie, de l'Essard, de la Gravelle et le moulin dudit lieu du Bouchet, « avecques tous et chacuns les moutaux qui y sont sucgectz et mesmes les prés, terres et aultres chouses qui en sont et dépendent » ; le fief et seigneurie de Passait, « avecques les sucgectz, cens, rentes, debvoirs, droictz, proffictz, revenus et esmolumens et antres chouses qui en sont et despendent » ; « les boys, landes et pastures dud. lieu du Bouschet et qui sont du costé et devers iceluy lieu, a prandre jusques au grand chemin tendant de Belles Bures a lestang de Courcelles » ; et « la moitié par indivis de la prée, buissons etaulnois, sis près led. lieu du Bouschet, près le ruisseau du Gué de Nocher ».
(1) Archives de l'église de Requeil. Original parch., servant de couverture au compte de 1511.
(2) Archives de Maurier, dossier de Montaupin. Pièces parch. et papier.
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Cette vendition était faite à réméré pour neuf ans, moyennant la somme de six cens dix écus, que les acquéreurs payèrent comptant, savoir : « cinq cens escuz d'or du coing du roy... vallant la pièce trente deux solz ung denier tournois », et le reste en monnaie blanche ayant cours. De plus, ceux-ci étaient tenus de faire à la seigneurie du Bouchet, pour les choses cédées, « deux deniers tournois de franc devoir requérable sans foy, sans loy, sans admende et sans aultres quelconques redevances..., fors toutefois led. lieu de la Gravelle et led. fief de Passau », qu'ils davaient relever eux-mêmes du suzerain de ces terres.
Comme « les lieux de Lostel et de la Guileberdière » et le moulin du Bouchet étaient alors saisis, à la requête de Guyonne du Bouschet, veuve de feu Bremond des Bordes, « soeur germaine dud. vendeur, pour le principal et arreraige de certaine rente ou aultre chose quelle demande, et aussi que » le lieu de la Dreurie se trouvait aux mains de Jehan Belin, deMansigné, qui le tenait et possédait par procès, Jean du Bouschet baille aux acheteurs, en compensation du lieu de la Dreurie celui de Montaupin-la-Cour, « ainsi qu'il se poursuit et comporte, tant en fief que en domaine et chacunes ses apartenances, et mesmes les boys et Vignaulx, avecques les lieux de la Clericière et de la Foucherie » (1).
Jean du Bouschet mourut peu de temps après cette vente, ainsi que Briand du Bouschet, son frère, laissant Guyonne du Bouschet, veuve de Bremond des Bordes, leur soeur, pour « héritière principale ». Celle-ci, résolue à faire valoir ses droits, intenta un procès à « maistre Symon Chapperon, Yvon More, Laurent Aubery et Michelle, veufve de feu Jehan Régnier », et constitua pour ses procureurs, Jacques des Bordes, écuyer, son fils aîné, et Jacques de La Chevrière, écuyer, seigneur de la Roche-de-Vaux, son beau-frère (2). D'un commun
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin, Pièce papier.
(2) Jacques de la Chevrière était à ce moment veuf et tuteur de ses enfants : 1° Jehan; 2° Perrine, qui épousa plus tard Jacques d'Aubigné et lui apporta Montaupin-la-Cour; 3" Adenelte; et 4e Jehanne de la Chevrière.
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accord, les parties transigèrent le 24 juin 1484, en la Cour du Mans, en présence de frère Jehan Dugué, prêtre, prieur de Nauvay, et de Macé Couperie. Guyonne du Bouschet rentrait en possession des choses aliénées par son frère le 1er août 1480, en remboursant « ausd. achateurs leurs hers ou ayans cause lad. somme de six cens dix escus dor, avecques les cousts et mises raisonnables », dans le délai fixé (1).
Elle ne les conserva pas longtemps. Jacques des Bordes, écuyer, demeurant en la ville de Lunel, au pays de Languedoc, son fils et son procureur, vendit en son nom, le 13 septembre 1486, à Jacques de La Chevrière, seigneur de la Rochede-Vaux, tous ses droits sur les terres du Bouschet et de Montaupin pour le prix de 2.211 livres 10 sols tournois (2). Jacques de La Chevrière échangea, à Me Symon Chapperon, le 14 février 1487 (v. st.) « Lessart, la métairie de la Gilleberdière et aultres lieux et choses héritaulx que led. Chapperon » a acquis « de feu noble homme Jehan du Bouschet, escuyer, pour la somme de six cens dix escuz », contre « le lieu, fief et domaine, tant rentes que debvoirs, avec ses appartenances et deppendances de Montaupin (la Cour)...,plus les lieux et métairies de le Cléricière et de la Foucherie..., une partye de landes contenant dix-huyt journaux... et les boys et terres des Vignaulx(3) ». Un ou deux mois après il remboursa les 610 écus et annula ainsi cet accord. Le Bouchet-aux-Corneilles est toujours resté uni depuis cette époque à la terre de la Roche-de-Vaux. Jacques de La Chevrière en fit aveu avec celle-ci à son suzerain, en 1489; Jean I de La Chevrière, écuyer, en 1525, Jean III de La Chevrière en 1603, et Marguerite de La Chevrière, veuve de Jean-Baptiste-Louis de Beaumanoir, en 1659 (4).
Jacques de La Chevrière donna à la fabrique de Requeil, par
Les de la Chevrière étaient seigneurs de la Roche-de-Vaux dès le xm«siècle. Voir ma monographie : Requeil, dans Les Annales flêchoises, t. IV, p. 191 et suiv.
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin. Original papier.
(2) Archives de la Roche-Mailly, cote 39e, 1" liasse.
(3) Archives du Maurier, dossier de Montaupin. Pièce pap.
(4) Noms féodaux. — Archives de la Roche-Mailly, cote 39°, lre liasse.
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acte du 24 juin 1497, les « ventes et indemnités » de la terre des Noirottes, « à la charge'd'en paier un denier de cens », et « une mine de bled seigle mesure d'Oyzé, vallant six boisseaux », à prendre annuellement le jour de l'Angevine, « sur deux morceaux de terre sis aux Claires en la dite paroisse de Requeil, contenant deux journaux ». Messire Jehan I de La Chevrière, écuyer, seigneur de la Roche-de-Vaux et du Bouchet, son fils, ajouta à ces dons, le 29 octobre 1533, deux septiers de blé seigle mesure de Château-du-Loir, et les assigna « sur les lieux de la Dreustière, à la charge par le procureur de payer à M. le curé ou ses prostrés 60 sols pour le service de trois grandes messes le mardi des festes de Pasques » pour le repos
de son âme et de celle de Jacquine de Sarcé, son épouse (1).
Jean Ier de La Chevrière fit d'assez nombreuses acquisitions, entre autres : le 19 février 1501 (v. st.), une charge de froment mesure de Château-du-Loir, de rente, sur deux pièces de terre situées au lieu de la Hamelinière, à Saint-Jean-de-la-Motte, pour le prix de 24 livres ; le 7 mars 1511 (v. st.), 6 sols tournois de rente sur une pièce de vigne de quatre boisselées, à Chàlonnes, en Anjou; le 3 mai 1530, le fief de Loysonnière et ses dépendances sis près le bourg de Requeil, appartenant à Pierre Branlard, pour le prix de 100 sols tournois et un septier de blé seigle valant 66 sols 8 deniers tournois, payé comptant (2).
René de La Chevrière, écuyer, seigneur du Bouchet, aux Corneilles et de la Roche-de-Vaux, son fils, nous est connu seulement par le retrait lignager de la moitié par indivis du lieu, domaine et appartenances del'Aumosne, à Mansigné, qu'il effectua le 19 avril 1546, comme tuteur naturel de Jean de La Chevrière, son fils aîné, mineur d'ans, sur « honorable homme maistre René Le Corvaisier, licentiéèsloix seigneur duPlessis », à Mansigné, à qui il l'avait vendu « en son privé nom », pour 200 livres (3).
(1) Archives de l'Eglise de Requeil. Inventaires des litres et papiers de 1615 et 1691.
(2) Archives de la Roche-Mailly, cote 39e, l'e liasse.
(3) Archives de la Roche-Mailly,
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Il épousa, par contrat du 18 octobre 1537, damoiselle Françoise de Launay, fille de noble homme Jean de Launay et soeur de Pierre de Launay, écuyer. Tous deux vivaient encore le 25 mai 1551 (1).
Jean II de la Chevrière, écuyer, seigneur du Bouchet et de la Roche de Vaux, son fils, était encore mineur et sous la tutuelle de son père le 29 avril 1546 (2). Il assista en 1558 à la reddition du compte de la veuve de Guillaume Mersenne, procureur de la fabrique de Requeil, en compagnie d'Adam Alexandre, seigneur de Chantelou, de Me Michel de Vesins, vicaire, de MeGervais Coupperye, seigneur de la Gouesterye, etc. (3). Il épousa le 21 septembre 1563 Urbaine de Champlais, fille de Pierre de Champlais, seigneur du Plessis-Foucquet et de la Masserie, et de Charlotte de la Houdinière (4). II en eut deux fils et une fille : 1" Jean III de La Chevrière, écuyer, seigneur de La Roche-de-Vaux, qui mourut le 16 juillet 1611, peu de temps après ses fiançailles avec une des filles du seigneur de la Faigne (5) ; 2° Jacques de La Chevrière, écuyer, que nous trouvons présent à la reddition des comptes de la fabrique de Requeil et qualifié, le 19 août 1599, de sieur du Bouchet et en 1610 de seigneur de La Roche-de-Vaux (6); 3° Marguerite de La Chevrière, femme de Louis de Champlais, chevalier, seigneur baron de Courcelles.
Nous ignorons la date de sa mort. Le 2 juillet 1595, il avait acquis de ses soeurs, Ambroyse de La Chevrière, femme de noble homme René de La Thibaudière, écuyer, seigneur de Broussin, en la paroisse de Billon, enTouraine; et Anne de La Chevrière, demeurant au lieu de la Grifferie, à Luché, « telle part et portion qu'il leur peult... apartenir... de la succession
(1) Archives de la Roche-Mailly, même cote. — René de La Chevrière, qualifié de seigneur de l'Essart, avait été témoin, le 28 août 1525, du bail d'un pré à Saint-Biez-en-Belin, donné par les religieux de Chàteau-l'Hermitage (Archives de la Sarthe, H 520).
(2) Archives de la Roche-Mailly.
(3) Archives de l'église de Requeil. Compte de 1558.
(4)Bibl. Nat., Cabinet des titres, carrés d'Hozier, t. 166, n" 331, 332.
(5) Revue hist. et arch. du Maine, t. XXIV, p. 22.
(6) Archives de la fabrique de Requeil, comptes de 1599 et de 1610.
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mort et trespas de deffuncte damoyselle Barbe deLaChevrière... es seigneuries de la Roche de Vaulx et du Bouschet aulx CorCorneilles », pour le prix et somme de deux écus40 sols faisant 8 livres, payé comptant (1).
Jean IV de La Chevrière, écuyer, son parent et son successeur, épousa, longtemps avant 1620, Anne de Juston (2). Le 8 avril 1621, Anne de Violleau, veuve de Marc de Roigné, écuyer, sieur de la Rochette, lui céda le fief, lieu et domaine de Ruisseau, à Requeil, pour 1800 livres tournois (3). De concert avec Anne de Juston, sa femme, Marguerite de La Chevrière, sa fille, et Jean-Baptiste-Louis de Beaumanoir, chevalier de l'ordre du Roi, seigneur baron de Lavardin et d'Antoigné, sénéchal du Maine, son gendre, il emprunta le 30 juillet 1635 la somme de 2.700 livres à Philippe du Goutil, veuve noble Jean Lair, receveur des tailles en l'élection du Mans (4).
Marguerite de La Chevrière, sa fille et son unique héritière, s'unit : 1° en 1622, à Louis de Champlais, seigneur de Courcelles ; 2° avant 1647, à Jean-Baptiste-Louis de Beaumanoir, chevalier, seigneur baron de Lavardin et d'Antoigné, dont elle devint veuve le 5 août 1652. Elle vendit le Bouchet et la Roche-de-Vaux, le 16 décembre 1668, à François de La Rivière (5), conseiller au parlement de Metz, seigneur de la Groirie, à Trangé, qui se les vit saisir dès l'année suivante par jugement
(1) Archives de la Roche-Mailly, cote 39°, 3' liasse.
(2) Les armes de la famille de La Chevrière [de gueules au lion de sinopic, couronné, armé et lompassé d'or) figurent dans l'église de Requeil sur une pierre tumulaire et sur un tableau, de 1632, représentant le Rosaire, où elles sont accolées à celles d'Anne de juston [d'argent à la bande de gueules accompagnée d'une étoile de sable en chef).
(3) Archives de la Roche-Mailly, cote 39" 9e liasses. Le lieu de fief de Ruisseau, tenu de la baronnie de Château-du-Loir à foi et hommage simple, était échu à Anne de Violleau de la succession d'Antoine Violleau, son grand-père, par représentation de défunt Jean Violleau, son père, et de Cécile Violleau, sa soeur (Ibid).
(4) Abbé G. ESNAULT, Inventaire des minutes anciennes des notaires du Mans, 1.1, p. 261.
(5) François de LA RiviiRE était fils de François de La Rivière, écuyer, seigneur de la Groirie et de Marie du Monceau ; il avait pour armes : d'azur à cinq hures de saumon d'argent posées en sautoir (Potier de Courcy, p. 885). Il mourut à la Roche-de-Vaux, le 4 mai 1683, à l'âge de 60 ans.
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du lieutenant général de la sénéchaussée du Maine au siège de Château-du-Loir, pour une créance de 1.200 livres due à Alexandre Laisné, bourgeois de Paris, et les racheta pour la somme de 60.000 livres. La terre du Bouchet consistait alors « en un vieil bâtiment à pont-levis, entouré d'eau, en ladite mestairie du Bouchet, en un grande prée située paroisses de Recueil et d'Oizé, en la"mestairie de la Fontaine-du-Bouchet, celle de la Gilberdière et la closerie de la Verrerie, situées dites paroisses » (1).
L'aveu rendu au roi par François de La Rivière, le 16 septembre 1670, nous donne sa composition entière. La seigneurie du Bouchet comprenait en domaine, outre son « fort et chasteau » l'étang de Carême-prenant, transformé en prairie, avec un moulin à blé, lors détruit, sur sa chaussée; les bois et landes de Panloup, contenant cent vingt arpents ; les métairies de la Guilberdière, de la Fontaine du Bouchet, de la Dreurie, de l'Aumosne et de la Moratière, douze quartiers de vigne au clos des Chaumeures, et « une pièce de landes en pasture nommée les landes des pierres de Mère et Fille » contenant environ quinze cents arpents. Les détenteurs du lieu de la Servinière lui devaient foi et hommage et simple et 20 deniers de service au jour et fête des Trépassés ; ceux du lieu de la Chaumeure, près la Brunerie, f. et h. s. et 12 d. de service ; ceux du lieu de la Hameinière, f. et h. s. 4 s. et 14 boisseaux de froment de service; ceux du lieu de la Perrière, f. et h. s. et 6 s. 8 d. de service ; noble Charles Guibert, conseiller du roi, grenetier au grenier à sel de La Flèche, pour les terres de la Brunerie, f. et h. s. 2 s. de service ; M" du Bouchet, écuyer, sieur de la Forterie, pour sa métairie de l'Essart, f. et h. s. simple et 12 d. de service; les héritiers de Sébastien de Broc, seigneur de Foulletourte et des Perrais, pour le lieu appelé la Mestairie, f. et h. s. et 12 d. de service ; le seigneur de Brouassin, « comme seigneur de La Motte-Achart et de Brouassin », foi et hommages impie et 6 d. de service pour la moitié de son étang de Noyers et de son fief
(1) Archives de La Roche-de-Vaux. Orig. parch.
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et seigneurie d'autour, etc. Différents lieux lui payaient des rentes censives : la Richefannière, 10 d. et 15 boisseaux de froment le jour de l'Angevine ; le Petit-Cassé, alias la Ligeonnière, 23 s. 6 d. et 2 poules ; le moulin de Sucher, 12 d., 2 poules et 9 septiers de blé ; les Bois, proche les Gourdinières, 16 d. ; la Paumerie, à Oizé, 1 d., un porc d'un an abourné à 27 s., 4 poules et 3 septiers et demi de seigle ; la Bunotterie, appartenant à Charles Le Paige, 40 s. ; l'Oiselière, 8 s., 12 boisseaux de froment et 12 boisseaux de seigle ; Beauvais, 18 s. 6 d., 15 bois? seaux un quart de seigle et 20 boisseaux d'avoine ; Pillemin, 19 s. et 3 poules, et 17 s. de rente « pour le droict... de serrer des littières » dans les landes de Mère et de Fille » ; le Motte, appartenant à Me Jean Sassier, 15 s. et 6 boisseaux de seigle ; les Gourdinières, à Requeil, 12 d. de cens ; les Vieilles-Varennes, à Saint-Jean-de-la-Motte, 4 s. 5 d. et 1 chapon ; le PetitBellebure, appartenant aux « hoirs Adam Lefèvre, sieur de la Chapinière », 7 d. ; les maisons et terres de la Passerie, proche le bourg de Requeil, 15 s. et 1 poule; le prieur de Fessard, 2 d.pour ses prés proche le-Perray et pour son fief delà Besnardière ; les détenteurs des lieux et appartenances de la Bretonnière, « es communautés de Requeil et d'Oyzé », 18 d. et 6 boisseaux de seigle; le sieur de la Gruellerie, 2 d. pour « son estang et lande de Biou, pour ses pastures de la Viannière et pour 20 s. 6 d. et 2 poules de rente que les détempteurs des Vieilles-Varennes luy sont tenus faire chacuns ans » (1).
De son mariage avec Louise-Madeleine de Lomblon des Essarts, François de La Rivière eut, entre autres enfants : 1° Michel-Léonor de La Rivière, chevalier, seigneur du Bouchet, La Roche-de-Vaux, la Groirie et Marcé, baptisé à Requeil, le 12 octobre 1681. Il devint capitaine au régiment du Roi et chevalier de Saint-Louis et mourut en 1719, sans laisser d'enfants de son union avec Anne-Françoise de Couterne, dont il était veuf en 1707. Son corps fut inhumé dans l'église de
(1) Archives nationales, p. 3583.
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Tuffé (1) et son coeur dans celle de Requeil, ou l'on voit encore une dalle funéraire à ses armes; 2' Louise-Madeleine-JosèpheMarie de La Rivière, dame de Corbuon, à Villaines-sous-Lucé, qui épousa le 21 mai 1704, dans l'église de Trangé, Joseph de Mailly, marquis d'Haucourt. « Par le décès de Michel-Léonor de La Rivière, les terres de la famille (la Roche-de-Vaux, le Bouchet-aux-Corneilles, etc.) passèrent entre les mains de Louise-Madeleine-Josèphe-Marie (2), et après elle, en celles de son fils, Joseph-Augustin de Mailly, marquis d'Haucourt, maréchal de France, condamné à mort et exécuté à Arras, le 23 mars 1794 ; puis de son petit-fils, Adrien-Joseph-AugustinAmalric de Mailly, marquis d'Haucourt et de Nesle, prince' d'Orange, pair de France, aide de camp des ducs de Berry et de Bordeaux, lieutenant-colonel et officier de la Légion d'honneur.
A la mort de celui-ci, en 1878, le Bouchet échut en partage à Mme Arnoldine-Marie Pauline de Mailly, chanoinesse de Sainte-Anne de Bavière, sa fille, qui le vendit en 1896 à des spéculateurs ; sa contenance était alors de 302 hectares.
Son seigneur jouissait des droits féodaux ordinaires, de haute, moyenne et basse justice, démesure à blé et à vin pour ses hommes et sujets, et de chasse à toutes sortes de gibier, même à grosses bêtes, dans toute l'étendue de ses terres (3).
(1) Registres paroissiaux de Tuffé.
(2) Abbé Amb. LEDRU, Histoire de la Maison de Mailly, t. I, p. 506 et suiv. —Armes de la maison de Mailly : d'or à trois maillets de sinopleposés 2 et 1 ; supports : deux lions; cimier: un cerf issant d'une couronne fleurdelisée; devise : hogne qui vonra.
(3) Archives nationales, p. 358'.
HENRY ROQUET.
{A suivre).
Il est toujours- digne d'intérêt pour un archéologue de découvrir quelque nouveau document sur un sujet ou une étude dont il a, peut-être trop orgueilleusement et jalousement, fait son fief.
En établissant, à l'intention des membres de la Société historique et archéologique du Maine, une liste de nos artistes et artisans manceaux, et en particulier de nos maîtres-serruriers, j'ai pu mettre la main sur un « traité et devis » de construction de balustrade en fer forgé pour l'Abbaye de Saint-Vincent.
J'en livre, ici, le texte aux curieux et amoureux de notre vieille Abbaye, car le document lui-même dans sa concision, dans sa sécheresse d'acte notarié, est beaucoup plus éloquent que tous les discours et considérations d'un auteur.
« Du treiziesme jour de Juillet mil six cent quatre vingt quatorze avant midy.
Par devant nous Nicolas Bainville, notaire royal au Mans y demeurant et résidant, furent présents en leurs personnes establis et submis les Révérends pères Religieux Abbé et Couvent de l'Abbaye de Saint-Vincent en la personne de Révérend père dom Pierre Bienvenu, prestre religieux et Célérier du lad. abbaye^ demeurant, et Guillaume Bellanger, maître serrurier demeurant au Mans paroisse de Saint-Nicolas d'autre part, lesquelles partyes ont fait entre eux le Traitté et Devis qui suit, c'est que led. Bellanger a prorais et s'est obligé, mesme par corps, de faire et construire une balustrade à l'escallier du Bastiment lait de neuf à lad. Abbaye de Saint-Vincent, y faire des
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panneaux dont à chacque il y aura deux balustres garnis suivant le dessain qui a esté fait par led. Bellanger, la frisse portant tous ses liens à cordon avec la barre d'apuy festoné avec les pommes sur les pillastres, le tout conformément au dessain, de faire en outre la barre d'anbas qui manque dans led. dessain, de faire par led. Bellanger lad. balustrade bien et duement et de la rendre faite et parfaite et posée dans un an du premier décembre prochain et de fournir de tout le fer et autre chose qui sera nécessaire et que les voluttes et rolleaux auront du moins quatre lignes d'épaisseur, led. traitté fait en outre pour et moyennant la somme de neuf cents livres qui sera payée par lesd. pères de Saint-Vincent aud. Bellanger, scavoir cent cinquante livres en commençant lad. besongne, trois cents livres à moitié de la besongne et le supflus lorsque lad. besongne sera faite et parfaite et posée, et en outre s'il avait à faire de quelque argent luy en sera donné, outre luy sera donné une pippe de vin et deux busses par gratiffication du présent traitté, au moyen aussy que led. Bellanger s'oblige de faire un panneau conforme aud dessain et lorsqu'il sera parachevé le fera veoir auxd. Pères de Saint-Vincent pour le réformer au cas qu'il se trouvasse quelque deffault, et lequel dessain est resté entre leurs mains après avoir esté signé et paraphé par lesd. parlyes et de nous notaire ne varietur, et led. Bellanger se contente d'un modelle qu'il a entre les mains dont advis que dessus ainsy voulu stipullé et accepté par lesd. partyes après lecture nous les y avons de leur consentement fait et passé en lad. abbaye de Saint-Vincent, présents M. René Poirier bourgeois et Noël Bellouïn serrurier demeurant au dit Mans tesmoins ce convoqués et appeliez. »
Or « l'escallier du bastiment fait de neuf » en 1694 est celui du bâtiment méridional de l'Abbaye, bâtiment seul construit alors (1) et prêt à recevoir cette oeuvre qui devait être impor(1)
impor(1) TRICER. — L'Abbaye de Saint-Vincent du Mans, tirage à part, 1924, p. 28.
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tante pour nécessiter dix huit mois de travailjjet être payée 900 livres.
L'escalier dont il est ici question, est l'escalier de la Trinité qui aujourd'hui ne possède comme rampe que de simples et rigides barres de fer sans style. Il est donc permis de se de-, mander si la « balustrade à festons, voluttes et rolleaux avec pommes sur les pillastres », exécutée d'après ses propres dessins par notre sieur Guillaume Bellanger, n'a pas été enlevée et transportée ailleurs ; à moins que la rampe actuelle posée provisoirement ne soit devenue définitive en ce lieu par la résiliation du « traité ou devis », soit bien plutôt par la disparition de notre Maître-Serrurier, mort peut-être avant d'avoir rendu sa balustrade « faite et parfaite » .
Guillaume Bellanger, maître-serrurier au Mans, paroisse Saint-Nicolas, après avoir exécuté en 1692 la grille du choeur de l'église de la Mission pour 300 livres (1), fut appelé aussi en 1694 à travailler pour notre chère et grande Abbaye de SaintVincent.
PAUL CORDONNIER-DÉTRIE.
(1) Abbé G. R. ESNAULT, et J. L. DENIS ; Dictionnaire des Artistes et Artisans manecaux, t. I, p. 36.
L'Assemblée générale statutaire a eu lieu le 7 avril, à 14 heures, au Siège de la Société, 17, Grande-Rue. Le matin même à 8 h. 1/2 une messe avait été célébrée en l'église Cathédrale pour le repos de l'âme de M. Robert Triger.
Un très grand nombre de ses membres avait répondu à l'appel du Bureau. La salle était trop petite pour l'assistance particulièrement choisie venue pour entendre l'éloge de notre regretté Président M. Robert Triger, qui, pendant trente années, n'avait pas manqué une seule fois de présider les Séances de la Société historique et archéologique du Maine.
En ouvrant la séance, et avant d'occuper le fauteuil présidentiel, M. de Linière, l'un des vice-présidents, a prononcé l'allocution suivante.
MESDAMES, MESSIEURS,
Devant cette place désespérément vide, votre pensée doit, comme la mienne, s'élever tout d'abord vers celui qui, si longtemps a présidé vos séances et qui, pendant trente années, a dirigé notre Société, avec l'autorité, la maîtrise, mais aussi avec le charme et la bonhomie qui faisaient de Robert Triger un président parfait et complet.
Nous avons voulu, ce matin, renouveler un acte de pieuse reconnaissance en faisant célébrer une messe pour le repos de l'âme de notre regretté Président.
REV. HIST. ARGH. DU MAINE •>
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Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, d'y être venus nombreux et d'avoir ainsi, en répondant à notre appel, apporté à notre Bureau un précieux témoignage de sympathie.
Votre présence ici en est une nouvelle preuve, et, dans le désarroi que nous a causé une mort si inattendue, elle nous est un singulier encouragement.
Il m'en coûte beaucoup, je vous assure, je ne dirai pas de prendre la place, ce serait une vaine prétention, mais d'occuper celle que la force brutale des événements a rendue vacante. Je n'en serai aujourd'hui que le détenteur inhabile et provisoire.
Il revenait à M. le marquis de Beauchesne, vice-président de la Société depuis 32 ans, de s'y asseoir, et il se proposait de le faire. Un grave et malencontreux accident le retient à Paris dans la plus complète immobilité. Il m'a chargé de vous présenter ses excuses et ses regrets.
Toutes ces raisons me valent le redoutable honneur de présider l'Assemblée générale de 1927, et pour cela je réclame de vous, Mesdames et Messieurs, votre indulgence et votre bien veillante sympathie.
L'année, qui vient de s'écouler, a été pour nous glorieuse et cruelle. Elle a vu s'accomplir les fêtes très solennelles du cinquantenaire de la Société, celles encore plus brillantes et émouvantes des noces d'argent de la présidence de Robert Triger, elle a vu aussi dans ses derniers jours, partir pour une clinique, en proie à une émotion bien justifiée, celui qui, quelques mois auparavant, avait été l'objet des ovations et des acclamations les plus enthousiastes.
La chapelle funéraire de Douillet était bien près du Capitole !
Et le 15 janvier dernier, après trois semaines de souffrances courageusement supportées, votre Président a rendu son âme à Dieu.
Ce fut dans la ville du Mans un deuil général, et la nombreuse assistance qui accompagnait sa dépouille mortelle à cette Cathédrale qu'il aimait tant, a témoigné par son recueillement, encore mieux que n'auraient pu le faire les discours
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qu'il a refusés, la grande douleur qu'elle éprouvait de la perte de notre éminent concitoyen, de ce savant distingué, de ce bon Français.
Je ne vous ferai pas aujourd'hui le panégyrique de celui qui n'est plus. Ce panégyrique a été fait le 1er juillet 1926, par des notabilités du monde savant qui s'appellent Marcel Aubert, d'Occagne et Tournoûer.
Que pourrait-on dire après eux?
Aujourd'hui, dans l'intimité de cette réunion quasi-familiale, je ne veux lui rendre qu'un hommage déférent et discret.
Nous avons cherché, plutôt, à fixer pour l'avenir, dans une biographie bien étudiée, sa physionomie et son caractère, sa vie tout entière.
Le soin en a été confié au distingué président de la Société historique de l'Orne, écrivain de talent, en même temps que grand ami de notre cher défunt, j'ai nommé M. Henri Tournoûer, qui a bien voulu accepter cette très honorable mission. Je l'en remercie d'avance.
Il y a cinq ans, presque jour pour jour, dans cette même salle, j'avais l'honorable privilège de faire à M. Robert Triger plus alerte que jamais, la remise du beau portrait dû au pinceau délicat de notre collègue, M. Charles Morancé, et que vous pouvez admirer à cette place.
Notre cher président disait, en nous remerciant, qu'une telle apothéose comportait un enseignement philosophique et qu'elle ne pouvait se comprendre que comme le couronnement d'une carrière désormais à son déclin, ce qui ne devait pas l'empêcher de continuer à travailler jusqu'au dernier jour pour cette ville du Mans et ce pays du Maine qui lui étaient si chers.
S'il entrevoyait déjà sa fin, il a littéralement accompli cette promesse et il a pu mettre au jour les principaux travaux qu'il se proposait de publier.
Le 1er juillet dernier, à la salle des Concerts de la ville, en développant son « Testament archéologique, » il parlait encore du couronnement de sa carrière qui approchait fatalement de
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son terme
Et cependant la mort l'a surpris.
S'il a pu terminer les oeuvres maîtresses de sa vie d'historien du Maine, il n'a pas eu le temps de prendre lui-même, avant de mourir, les dispositions qu'il souhaitait d'arrêter, sur les archives et les documents si précieux pour l'histoire de notre province qu'il avait réunis.
Mais en instituant pour sa légataire une de ses parentes, Mme Adrien de Vaublanc, il savait que cette jeune femme, douée d'un grand coeur et de sentiments très délicats, saurait disposer comme il l'aurait fait lui-même, des riches archives réunies par lui dans ce cabinet de la rue de l'Ancien-Evêché, qui fut le cadre où il vécut ses dernières années et où chacun de nous reçut toujours de lui un accueil si gracieux.
Cette dame "a bien voulu interpréter la pensée et le désir du défunt, en confiant à notre Société les nombreux dossiers d'archives, de documents et de collections (plus de 550) qu'elle nous a permis d'inventorier dans cette si belle bibliothèque (1).
Je suis heureux de la saluer ici et de lui exprimer en votre nom à tous notre respectueuse reconnaissance et notre sincère gratitude.
Nous conserverons avec soin ce dépôt magnifique, ce fonds Robert Triger, ouvert à tous les travailleurs de la Société.
Et ainsi, Mesdames et Messieurs, nous garderons pieusement avec le portrait de notre éminent président, le fruit de cinquante années de son labeur incessant.
Nous conserverons aussi les précieux enseignements qu'il nous a donnés pour la vie et la prospérité de notre Société.
Nous chercherons à la maintenir aussi prospère.
L'Assemblée manifesta à plusieurs reprises, par ses applaudissements, combien elle restait attachée et reconnaissante à la mémoire de l'éminent Président qui avait été si longtemps
(1) M. Robert Triger a désigné dans son testament, M. Raoul de Linière vice-président de la Société, et son ami, pour son exécuteur testamentaire.
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l'animateur de la Société, et lui avait consacré toute son activité et son grand talent.
Elle témoigne de sa vive gratitude pour le geste généreux de M™ Adrien de Vaublanc, sa parente, fidèle exécutrice de ses volontés.
En acceptant ce dépôt confié à sa garde, notre Société s'engage à veiller soigneusement sur le fond précieux qui réunira la plus grande partie du travail immense d'un des meilleurs historiens du Maine et de la ville du Mans.
M. de Linière fait connaître les noms des membres de la Société qui n'ont pu assister à l'Assemblée générale et se sont excusés ; il cite notamment M. le comte Celier, doyen des fondateurs de la Société et M. le comte de Bastard, ancien président, qui n'ont cessé de témoigner, dans les circonstances récentes, de tout l'intérêt qu'ils portent à sa vitalité et à sa prospérité.
M. de Lorière, secrétaire général, donne lecture d'un très intéressant rapport sur la situation de la Société.
Nous regrettons de ne pouvoir le reproduire in-exlenso.
Ce rapport fort précis et élégamment présenté, évoqua les diverses manifestations de la vie de la Société en 1926 : conférence, excursion, publications et aussi les fêtes.inoubliables du Cinquantenaire de la Société, ainsi que de la célébration des vingt-cinq années de présidence de M. Robert Triger.
Il souligna avec beaucoup d'à-propos les flatteuses sympathies témoignées à notre Société comme à son Président, par les notabilités du monde savant.
M. de Lorière termina la lecture de ce rapport si complet par cet éloquent et vibrant appel à la bonne volonté de tous les Sociétaires :
« La Société est veuve, mais cette personne morale
n'entend nullement mourir.
M. Triger était son chef, mais vous en êtes l'âme : nous sommes affligés, mais nullement découragés.
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En dépit donc de ce deuil, nous nous sentons pleins de vie, d'espérance et d'ambition. Nous nous confions en vous tous, qui nous aiderez à maintenir notre réputation et à continuer nos traditions.
Déjà les bonnes volontés s'offrent nombreuses pour continuer l'oeuvre des Esnault, Piolin, Hucher, de Bastard et Triger.
La Société historique et archéologique, après avoir déposé ses vêtements noirs, paraîtra aussi vigoureuse, aussi jeune, aussi brillante. Sous la direction d'un nouveau chef, elle continuera sa carrière si bien commencée. Le premier chapitre de son histoire est terminé; le deuxième, qui commence, ne le cédera en rien à ses devanciers ». (Applaudissements.)
M. Albert Leroux, trésorier, donne lecture de la situation financière et des comptes de l'exercice 1926. Il résulte de ces comptes que les recettes se sont élevées à 8.856 fr. 65, les dépenses, à 9.848 fr. 70.
L'excédent des dépenses s'est monté à 991 fr. 45. Le bilan de la Société au 31 décembre 1926 accuse un actif de 11.289 fr. 30.
Les comptes sont approuvés et le Président remercie vivement le parfait trésorier qu'est M. Albert Leroux, de la précision qu'il apporte dans ses délicates fonctions.
Les fêtes du Cinquantenaire n'ont grevé la caisse que d'une somme de 1.658 fr., malgré tout l'éclat qui fut apporté à cette solennelle journée.
Après le bel effort fait par un si grand nombre de nos sociétaires pour offrir à notre Président un artistique témoignage de sympathie et de reconnaissance, le Comité avait décidé de consacrer le souvenir du Cinquantenaire en souscrivant pour une somme importante, à l'artistique publication de M. P. Cordonnier-Détrie, sur le château de Courcelles-au Maine, et d'offrir ce beau volume, dernier souvenir d'un château, disparu en 1926, aux membres de la Société qui en feraient la demande.
Cette souscription sera payée sur le budget de 1927. Ce souvenir du Cinquantenaire fera honneur à notre Société, comme il fait honneur au talent bien connu de notre collègue.
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M. de Linière constate que la Société n'a réussi à publier, en 1926, un volume de 344 pages, que grâce à la générosité de M. Robert Triger, qui a contribué pour un tiers à la dépense de ce volume.
En 1927, nos publications seront forcément moins importantes, d'autant plus que les frais d'impression augmentent sans cesse.
Dans ces conditions, le Comité est amené à demander pour l'avenir une légère augmentation de la cotisation, restée la même qu'avant la guerre.
Il propose de porter, à partir de 1928, le prix de la cotisation à 20 fr. et de la maintenir à 15 fr. pour les membres du clergé.
Cette proposition ne rencontre aucune objection.
L'ordre du jour portait : « Elections complémentaires du Comité », le président déclare tout d'abord que, par déférence pour la mémoire du regretté Président, le Bureau a décidé de ne pas demander à l'Assemble générale de procéder à l'élection d'un nouveau président, jusqu'au renouvellement statutaire et complet du Comité en 1929, et de laisser ainsi cette place vacante.
Il invite seulement à remplacer dans le Comité M. du Guerny, qui par suite de son éloignement de la Sarthe, et M. Cordonnier-Détrie, qui pour des raisons personnelles, ont donné leur démission de membres du Comité.
Tout en regrettant leur détermination, il espère que nos distingués collègues nous apporteront, comme auparavant, le précieux concours de leur érudition et de leur talent.
L'Assemblée approuve ces propositions et désigne pour remplacer les deux membres du Comité démissionnaires : M. André l'Eleu,membre du Barreau du Mans,et M.Georges Leroux, ancien élève de l'Ecole Polytechnique.
M. de Linière, avant de lever la séance, souhaite la bienvenue aux nouveaux membres qui ont sollicité leur admission et assistent à cette Réunion, notamment: Mme la comtesse d'Elva.
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et Mme Torcher-Royer, fille de M. Lionel-Royer, le grand artiste originaire du Maine, qui manifesta toujours d'une si grande sympathie pour la Société historique et archéologique du Maine, et le lui témoigna par des dons très généreux et appréciés.
Le Président annonce qu'une Excursion sera organisée à la fin de Juin dans la Charnie, à Sainte-Suzanne et dans ses environs.
Conférence sur la marquise de Créqui, par M. André l'Eleu, membre titulaire.
L'Assemblée générale a été suivie d'une très intéressante causerie de M. André l'Eleu, sur Caroline de Froullay, marquise de Créqui.
Le conférencier, si apprécié, a charmé son auditoire pendant une heure qui a paru trop courte, en faisant revivre devant lui, la société raffinée et la vie intellectuelle du dernier demi-siècle de l'ancien régime, société qui sert de cadre à l'héroïne très peu connue, ou plutôt défigurée par de soit-disants Mémoires qui sont complètement apocryphes.
Dans un siècle de philosophie hautaine et desséchante, et au milieu d'une aristocratie trop souvent frivole, Mme de Créqui, avec sa parfaite intégrité morale, apparaît comme une belle et noble figure.
Nous serons heureux de publier, dans une prochaine livraison, cette étincelante étude sur une compatriote de grande race, dont le charme éclaira d'une dernière lueur les vieux noms de Froullay et de Créqui, qui devaient bientôt s'éteindre.
Le Secrétaire : Le Vice-président :
X. GASNOS. R. DE LINIÈRE.
Dom MARTÈNE. — La Vie des Justes, publiée par Dom Heurtebize. 3 vol. in 8°. Paris. A. Picard, 1924-1926. (Archives de la France monastique, vol. XXVII, XXVIII ,et XXX.)
Dom Martène, mort à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés le 20 juin 1739 à l'âge de 85 ans, est bien connu par ses nombreux ouvrages, parmi lesquels un Commentaire de la Règle de saint Benoît, plusieurs volumes sur les anciens rites de l'église, etc. De ce religieux on a pu dire: « Il joignit à une profonde érudition une piété exemplaire et conserva jusqu'à la fin de sa vie la même assiduité au travail et la même exactitude aux exercices de régularité. » Très attaché à son ordre, il ne crut pas déroger en recherchant et recueillant, d'après un désir plusieurs fois exprimé par les supérieurs, tout ce qui se rapportait aux religieux bénédictins de la Congrégation de SaintMaur les plus renommés par la sainteté de leur vie.
Ce travail, demeuré manuscrit, vient d'être publié par le R. P. dom Heurtebize au cours des années 1924, 1925 et 1926, en trois volumes faisant partie de la collection des Archives de la France monastique.
Le Maine avec ses sept monastères de la Congrégation de Saint-Maur est honorablemant représenté dans ce recueil de 266 notices.
Parmi les religieux nés dans notre province, nous rencontrons tout d'abord dom Thomas Baudry, d'Evron, d'une famille qui donna à l'Eglise une religieuse calvairienne, et le
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célèbre liturgiste, dom Michel Baudry, «grand-prieurde Maillezais, homme savant et de probité, et assez connu par ses commentaires sur le cérémonial des Evêques, le plus versé de son temps dans les Cérémonies et qui aimait sa Congrégation autant et plus que s'il avait porté notre habit », nous dit dom Martène.
Dom Antonin Potier naquit à Château-du-Loir ; après avoir été prieur de la Trinité de Vendôme et abbé de Chezal-Benoît, il introduisit la réforme à Marmoutier et mourut dans ce monastère le 8 septembre 1638.
Saint-Calais donna à la Congrégation de Saint-Maur dom François Aubert qui, de 1660 à 1679, année de sa mort, ne cessa d'être appelé au gouvernement des monastères, et dom Germain Cousin qui fit profession à Saint-Melaine de Rennes le 13 septembre 1649, fut employé dans les plus hautes charges, et vint mourir à Saint-Vincent du Mans le 20 mai 1708.
Dom Julien Nermand, de la Pallue, fut supérieur dans plusieurs monastères, « vécut au milieu de Paris, comme dans un désert uniquement appliquéà son devoir », et mourut à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, le 2 octobre 1688.
Les notes nous feront connaître aussi d'autres religieux comme dom Julien Garnier, né à Connerré, qui publia les oeuvres de saint Basile, « une des meilleures éditions des Pères qui soient sorties de la Congrégation ». Nous y rencontrerons aussi, mais à un titre tout autre, dom Faron de Chalus, du Bourgneuf-la-Forêt, qui ne cessa de susciter des troubles dans la Congrégation, en dehors de laquelle il mourut en 1653 ; et dom Gabriel Gerberon, de Saint-Calais, ardent défenseur des doctrines jansénistes, mort après une vie très mouvementée à l'abbaye de Saint-Denis, le 29 mars 1711.
Les abbés de Saint-Vincent sont représentés dans ces notices par Dom Ignace Philibert, qui s'employa à la rédaction des Constitutions des religieuses de Notre-Dame-d'Etival-enCharnie et introduisit la réforme à l'abbaye de Saint-Calais ; dom Bède de Fiesques qui fit fondre « les cloches qui sont excellentes et donnent un accord fort agréable » ; dom Anselme
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des Rousseaux, dom Joachim le Comtat et dom Louis Trochon.
Ce dernier était né à Château-Gontier et mourut assistant du R. P. Général en 1701. Il avait été prieur de Saint-Pierre de la Couture de 1681 à 1684. Dans ce dernier monastère furent également prieurs dom Jacques Hérissé et dom François Duvivier, et à Saint-Pierre de Solesmes dom Antoine Touchard, nommé par les chapitres généraux de 1702 et 1705.
Des notices sont également consacrées à dom Alexandre Duval qui débuta dans la supériorité en étant prieur de SaintCalais, à dom Alexandre Thévin, prieur de Tuffé, qui avait ardemment désiré la vie érémitique, et à dom Bruno Vallès, prieur d'Evron de 1645 à 1651.
C'est dans cette dernière abbaye que mourut le frère Jean Brocard, habile ouvrier, auquel on doit l'orgue de SaintDenis, qui, nous dit dom Martène, passe pour le plus beau du royaume.
Toutes ces notices nous font pénétrer dans la vie intime de l'époque la plus glorieuse de la Congrégation de Saint-Maur qui compta parmi ses membres un grand nombre de religieux issus de notre province. P. L.
Notre confrère M. Paul CORDONNIER-DÉTRIE, vient de publier le Château de Courcelles-au-Maine, Notes et Croquis, illustré de 50 dessins ou vignettes (chez l'auteur, à Buffard, à Guécélard).
Nous avons précédemment salué son apparition qui a été favorisée par une souscription de la Société.
Ce travail, annonce l'auteur, sera suivi d'un second volume qui, à côté de nouveaux dessins de l'extérieur du château et des dessins d'intérieur (boiseries et peintures), contiendra de longs aveux et de vieux inventaires, complétant l'Histoire de Courcelles en situant dans la pensée du lecteur la prodigieuse étendue du domaine de Courcelles, la formidable masse de constructions du château et les merveilleuses richesses des ameublements et décorations intérieures.
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Le commandant DE MAZENOD, membre titulaire delà Société, vient de faire paraître « L'Appel de la Race », Paris. Edition de la vraie France, 1926, in-16 de 250 pages.
Ce livre vient après deux ouvrages de guerre, couronnés par l'Académie française, et est le début dans le roman d'un auteur qui nous permet, une fois de plus, d'apprécier le style coloré et les descriptions si exactes du pays des Hauts-de-Meuse, où cet officier a tenu garnison avant 1914, et où il a vécu de dures années de guerre.
Nous souhaitons au romancier, dont les sentiments patriotiques sont si vibrants, le même succès qu'à l'historien militaire dont les livres ont été si goûtés du public.
Notre distingué collègue, M. le duc DE DOUDEATJVILLE, vient de publier un livre « Une politique française au XIXe siècle », consacré à son père, à son grand-père, à son arrière grand-père, histoire de trois générations de La Rochefoucauld, qui furent profondément attachés à la Monarchie, à ses principes et aux grandes choses morales dans lesquelles ils voyaient la grandeur de leur pays.
L'auteur se défend très modestement d'avoir visé à nous donner une philosophie de l'histoire de la Révolution et de ses conséquences. C'est cependant ce à quoi il a réussi, aidé en cela par l'expérience des événements plus contemporains, qui dérivent d'une toute autre époque et de principes complètement opposés.
LA RECEPTION DE M. LE DUC DE LA FORCE A L'ACADÉMIE FRANÇAISE
Nous avons tenu à honneur, le 10 février dernier, comme représentant à Paris la Société historique et archéologique du Maine, d'assister à la réception à l'Académie française de M. le duc de la Force, que des liens si étroits rattachent, comme on le sait, à notre province.
Nous avons déjà eu plusieurs fois le plaisir d'entendre, sous la coupole de l'Institut, les discours où de nouveaux académiciens expriment leurs remerciements à l'illustre Compagnie, et faisaient, à cette occasion, l'éloge de leurs prédécesseurs. Mais depuis longtemps, selon nous, et c'est aussi l'avis des grands journaux de la capitale, un meilleur et plus intéressant discours académique n'avait captivé notre attention depuis le début jusqu'à la fin.
Et j'ajoute que, pour nous autres manceaux, cette prestigieuse séance a eu un intérêt tout particulier. D'abord l'éloge du prédécesseur de M. le duc de la Force ne pouvait nous être indifférent.
Sans doute le comte d'Haussonville était absolument étranger au Maine. Mais n'est-ce pas lui qui, dans son plus important ouvrage historique, La duchesse de Bourgogne, a mis dans un relief des plus saillants, une de nos principales gloires provinciales? N'est-ce pas lui qui, dans cet ouvrage bien connu et si attrayant, a consacré presque tout un chapitre à venger le maréchal de Tessé des injustes dédains de Saint-Simon, et a montré, qu'à défaut du génie militaire, il avait su en plusieurs
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occasions déployer une bravoure incontestable, et surtout qu'il avait été, dans les différentes missions qui lui avaient été confiées, un diplomate consommé ; et tout cela sans parler de ses brillantes qualités épistolaires qui rendent sa correspondance, déjà en partie publiée, si agréable à lire.
Ainsi c'était pour nous un véritable régal d'entendre donner de justes louanges à l'académicien dont le principal livre mérite de trouver sa place dans toutes les bibliothèques, tant soit peu complètes, des châteaux de notre province.
Quant à M. le duc de la Force, dont l'admission à l'Académie française, si bien gagnée par ses différents ouvrages, Lauzun, Le Grand Conti, Le Maréchal de la Force, a été en outre justifié par un beau discours, nous ne saurions oublier qu'il est des nôtres par son mariage.
Je n'apprends d'ailleurs rien de nouveau aux lecteurs de cette revue, en leur disant que, sans la triste fatalité qui nous a enlevé l'an dernier à notre société son sympathique beau-père, sans ce cruel deuil, c'est lui qui devait, il nous l'avait du moins promis, nous faire l'honneur de présider notre belle séance, organisée pour la célébration du Cinquantenaire de notre Société. Nous prenons donc aujourd'hui d'autant plus de part au triomphe littéraire du nouvel académicien.
Hélas ! quand, après la belle fête académique du 10 février, j'ai quitté l'Institut, perdu au milieu de la foule qui en parlait, et où plus d'une fois j'ai entendu ces mots: «Quelle belle séance! » je me disais, non sans un certain sentiment de mélancolie : pourquoi faut-il qu'une mort imprévue ait empêché d'y assister deux des témoins qui y auraient trouvé le plus de joie et de satisfaction, le vicomte de Noailles si digne par ses goûts et ses travaux d'avoir pour gendre un académicien, et notre regretté président Robert Triger, qui n'eut sans doute pas hésité à venir à Paris offrir de vive voix à la fin de la séance, ses sincères et affectueuses félicitations à notre très distingué collègue de la Société historique et archéologique du Maine, à son noble et fidèle ami le châtelain de Saint-Aubin.
A. DE BEAUCHESNE.
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MEMBRES NOUVEAUX
Ont été admis comme membres fondateurs depuis la dernière liste publiée :
M. le Lieutenant-Colonel Gasselin, membre titulaire depuis 1886;
Mm 0 Adrien de Vaublanc, 2, rue Bruyère, Le Mans, et aux Talvasières, Le Mans.
Ont été admis comme membres titulaires :
MM. Rémy Bidon, notaire, boulevard de Saumur, à Angers (Maine-et-Loire) ;
Jacques Boudet, négociant, 26, place de l'Eperon, Le Mans ;
Maurice Boudet, négociant, 32, rue du Bourg-Belé, Le Mans ;
Comte René Bouriat, château des Arches, Yvré-1'Evêque (Sarthe) ;
Breux, 16, rue Saint-Bertrand, Le Mans ;
Mme la comtesse O. d'Elva, château de Coulans (Sarthe);
MM. le chanoine Husset, curé de Saint-Benoît, ruelle SaintBenoît, Le Mans ;
L'abbé Léon Lepron, vicaire à la Cathédrale, place SaintMichel, Le Mans ;
Le Lieutenant-Colonel Olivier, O. ^, 45, rue Pierre-Belon, Le Mans ;
Rigaut, château de Douillet, par Fresnay-sur-Sarthe (Sarthe) ;
MMmes de Saint-Pierre, 86, rue de Flore, Le Mans ;
De la Serre, 12, avenue Léon-Bollée, Le Mans ;
MM. Taillard, chef de Division, préfecture de la Sarthe, Le Mans ;
Terquem, libraire, l,rue Scribe, Paris, IX;
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Mme Torchet, née Lionel-Royer, 5, avenue de Villars, Paris-VII;
MM. Toublanc, château de Vernie, par Segrie (Sarthe) ; Le vicomte delà Vingtrie, château delà Groirie, par Le Mans.
Le Bureau a adressé ses respectueuses félicitations, au nom de la Société, au R. P. Dom Mocquereau, bénédictin de Solesmes, à l'occasion de ses cinquante ans de vie religieuse, fêtés le 19 avril dernier.
Ce vénérable religieux dont la famille appartient au Maine, est, avec Dom Pottier, le restaurateur du chant Grégorien ; il est le directeur de la Paléographie musicale.
Sa patience, sa science et sa ténacité ont pu faire oeuvre utile et glorieuse pour notre pays, et ont jeté un grand lustre sur l'ordre bénédictin et particulièrement sur l'abbaye de Solesmes.
Le Bureau a également adressé ses sincères félicitations à M. le vicomte Menjot d'Elbenne, un des premiers membres de la Société, pour sa nomination dans la Légion d'honneur, distinction que lui ont value les longs et signalés services rendus à sa commune et à son canton.
La Société historique et archéologique du Maine a le regret de voir disparaître S. G. Mgr MÉLISSON, archevêque de Viminaccio, ancien évêque de Blois, assistant au trône pontifical, comte romain.
Né à Parigné-l'Evêque (Sarthe), le 21 septembre 1842, il avait été curé de Notre-Dame-du-Pré, au Mans, puis archiprêtre de la Cathédrale. Il fut sacré évêque de Blois en 1907, atteint par la maladie, il vint se retirer en 1925, au Mans, où il est décédé le 6 juin dans sa 85e année.
Ce vénérable prélat avait témoigné en toutes circonstances un bienveillant intérêt à notre Société, dont il faisait partie depuis 1899. Sa mémoire y restera grandement honorée.
DE LA
Avant sa mort, M. Robert Triger avait arrêté dans ses grandes lignes le programme de l'excursion de 1927. Son choix s'était porté sur une région du Bas-Maine riche en monuments et en sites pittoresques : la Charnie.
La Charnie n'est pas, à vrai dire, une région bien définie. C'est un « pays du Maine, sans délimitation géographique bien déterminée, qui n'appartient à aucune circonscription ecclésiastique, féodale ou administrative et dont Sainte-Suzanne était la capitale aux temps celtiques » (1). Plusieurs régions de notre Maine ont ainsi des frontières et des origines assez imprécises.
Le Comité s'était fait un devoir de respecter le choix de son regretté Président et, après quelques modifications imposées par les circonstances, avait arrêté le programme suivant :
Le matin : visite de la ville et du château de Sainte-Suzanne, et de l'Abbaye Bénédictine d'Evron (aujourd'hui église paroissiale et communauté).
Le soir : visite du château de la Roche-Pichemer, de l'église de la Chapelle-Rainsouin et du château de Montécler.
L'excursion devait donc se dérouler entièrement sur le territoire de la Mayenne.
(1) Discours de M. de Linière à Evron.
REV. HIST. ARCII. DU MAINE. 7
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Elle eut lieu le 23 juin 1927. Parfaitement organisée et dirigée par M. de Linière, Vice-Président de la Société, elle obtint un vif succès.
Jamais l'assistance n'avait été aussi nombreuse. On compta près de cent-quarante personnes. Ainsi cette année, comme les années précédentes, le nombre des Membres de l'excursion a cru d'une façon sensible, prouvant l'heureux et régulier développement de la Société et aussi sa vitalité (1).
Presque tous les monuments visités ayant déjà été décrits dans ce bulletin ou dans des ouvrages bien connus des Membres de la Société, comme le « Sainte-Suzanne » de M. Robert Triger, nous ne reviendrons que très rapidement sur leur description, nous bornant, la plupart du temps, à reproduire ou résumer les exposés des divers conférenciers. Nous nous attacherons plutôt à donner un compte rendu aussi exact que possible des différents événements de la journée.
(1) Voici les noms des familles ou personnes ayant assisté à l'excursion :
MM. les abbés de la Croix et Sergent ; comtesse d'Angély-Sérillac ; marquis d'Argence ; comte d'Argence ; Mm° Jean Bachelier ; M. et Mm" H. Bâtard ; M. F. Beillard ; baronne de Belabre ; MM. J. Bidon, M. Boudet, Boyer ; M"" Bouvier-Desnos, Courcoux, Chartier; MM. Ghoplin, P. Gordonnier-Détrie ; M 11» de Courdoux; colonel Debains, MM. Demas, Denis du Paty, Dumant, Edeline, l'Eleu, d'Estais ; Mme* Fouchard, Fougeron ; MM. François, Gasnos, comte et comtesse de Gastines-Dommaigné ; H™ 1 Gazeau, Girard ; MUe Guérin ; MM. Goutard, X. Graffin, capitaine et M»" Guillot ; Mlle de la Hellerie ; Mmel Lebrun, Lecomte, Louvel ; M"cs Langevin ; MM. Laigneau. Lajus, Lambert du Chesnay, Leblanc, M. et M 11" le Motheux du Plessis ; MM. A. Leroux, G. Leroux, G. Leroux, Letourneux, Levernieux, de Linière, Max de Linière, M. et M" 10 J. de Linière, M. Mm° et Mlle de Lorière, marquise de Mascureau, M™" Mauduit ; vicomte de Monboudou, MM. Monnoyer, Morançais, M. Neau ; M"'e la générale Pageot, M 11" Pageot ; M. Mme et M"' Potel, M. Quinton ; M" 10 Riallant, vicomtesse de Rudeval ; MM. Réveillant, Rigault, commandant et M™ Riondel, M. et M 11" Roncin ; M™° de Saint-Remy ; comtesse de la Touanne ; MM. Taillard, Toublanc, Traxler, MMm,« de Vaublanc, de Vauguiou, M™' Verel, M. Vaidie.
A ces noms nous avons le grand plaisir d'ajouter les noms de deux invités de la Société, qui lurent en même temps deux précieux collaborateurs au cours de la journée : M. l'abbé Geuneau, vicaire de N.-D. à Evron, membre de la Société; M. Laurain, archiviste départemental et Président delà Commission Historique et Archéologique de la Mayenne. Mmc et M 1! 0" Laurain; honoraient également l'excursion de leur présence.
M. Tournouër, Président de la Société historique et archéologique de l'Orne, et Mm° Tournouër eurent l'amabilité de venir rejoindre les Membres de l'excursion à Evron, et de passer quelques instants avec eux.
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SAINTE-SUZANNE
Le rendez-vous était donné à Sainte-Suzanne, place de la Mairie. A 9 heures, la visite commença par le tour des remparts de la ville. Les membres de l'excursion, dont le nombre augmentait sans cesse, admirèrent d'abord le magnifique panorama qui s'étend : vers le Nord-est et l'Est, par delà le ravin de l'Erve, sur Evron, Montaigu, les Coëvrons, la forêt de Sillé, les bois de la Charnie; vers le Sud, sur les plaines de l'Anjou ; vers l'Est, sur la vallée de la Mayenne.
La ville de Sainte-Suzanne est construite sur une sorte de promontoire naturel, rattaché seulement à la terre ferme du côté du Nord ; un ravin profond, dans lequel coule l'Erve, lui assure une forte protection. On raconte qu'autrefois des vignobles très épais, situés sur les flancs escarpés du promontoire, formaient autour d'elle une barrière infranchissable ; antiques réseaux de défense, qui avaient du moins le mérite d'être utiles dans la paix comme dans la guerre ! Grâce à sa position naturelle, Sainte-Suzanne a joui, jusqu'à l'apparition de l'artillerie, de la réputation justifiée de ville imprenable.
Après l'apparition de l'artillerie, les solides remparts de la ville purent être battus efficacement du haut du « tertre Ganne », dont la masse imposante s'élève, de l'autre côté de l'Erve, face au promontoire sur lequel est bâti Sainte-Suzanne. A partir de ce moment, la ville perdit une partie de son intérêt, au point de vue militaire, tout en demeurant cependant une sérieuse place forte.
En faisant le tour des remparts, les Membres de l'excursion purent remarquer, face au « Tertre Ganne », la « Porte de fer » par laquelle se faisaient les sorties de la garnison. Près d'elle se trouve une fausse porte, sensiblement plus grande, sous la voûte de laquelle s'abritaient sans doute les guetteurs de la ville. Ce dispositif, qui avait encore l'intérêt d'égarer les coups de l'ennemi, n'est pas particulier à Sainte-Suzanne. On le
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retrouve sur d'autres remparts et notamment sur ceux d'Avignon.
Après être passés devant le « nouveau » château, construit en 1608 par Fouquet de la Varenne, et devant l'emplacement de l'ancien « mur vitrifié », les membres de la Société péné. trèrent dans la ville par la « Porte Murée » et, suivant la rue de la Belle-Etoile, atteignirent la deuxième enceinte, celle qui protégeait directement le château. Là, face au Donjon, remontant à Guillaume le Conquérant, dont subsiste encore la partie inférieure, ils s'arrêtèrent quelques instants pour entendre une série d'explications sur la ville et le château de Sainte-Suzanne.
M. de Linière, vice-président de la Société, prenant le premier la parole, donna l'histoire et la description des fortifications:
Le Chàleau, dit-il, a été bâti au xie siècle par les vicomtes de Beaumont, à l'époque de la Constitution du régime féodal.
On ne connaît rien de précis sur sa construction ; son rôle commença en 1083.
Il a été placé à la pointe du promontoire au-dessus des escarpements les plus abrupts.
Le donjon fut placé en arrière du rebord des crêtes, au centre du front de la ville, de façon à renforcer ce front et à dominer l'enclos du château et la ville elle-même.
L'enceinte spéciale de la ville s'étendait à l'ouest et servait à protéger l'agglomération.
La forme de l'enceinte est un triangle ayant 200 mètres de longueur à la base et les côtés 250 mètres.
Ce tracé offre beaucoup d'analogie avec celui des châteaux de Falaise et de Domfront.
A l'origine, Sainte-Suzanne était un château-fort laissant
en dehors de son enceinte le modeste bourg de Saint-Jean-de Hautefeuille.
Le donjon remplaçait peut-être un premier château ou des retranchements plus élémentaires du x* siècle.
Dans leur état actuel les fortifications appartiennent à tous les temps du xie au xvne siècle.
Le donjon remonte à Guillaume le Conquérant ; certaines parties de l'enceinte ont été refaites à neuf sous Henri IV par Fouquet de la Varenne, qui ajouta de nouveaux contreforts, releva les parapets, et remania certaines tours.
De la place Ambroise-de Loré, on fait face au front Ouest de la ville ; à droite les murs subsistent avec trois tours ron-
SAINTE-SUZANNE ET SES ENVIRONS
Croquis archéologique de Robert Triçer.
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des et deux courtines. La tour d'angle est la plus grande. Elles ont toutes perdu leur parapet.
A gauche, les tours ont disparu, ainsi que le fossé. C'est la seule partie de l'enceinte qui ait été démolie. Il n'y avait pas d'entrée de la ville de ce côté, avant 1820.
On entrait au front Nord-Est par la porte du Guichet ou porte du Pont,qui était défendue par un ouvrage avancé; sorte de bastion avec un pont-levis. Il est à remarquer que cette porte était établie suivant les règles de la fortification ancienne, de manière à contraindre les assaillants à défiler, avant d'atteindre l'entrée, sous les coups des défenseurs, et à leur présenter le flanc droit, que le bouclier ne protège pas.
On acheva de démolir cette porte vers 1786.
De l'avant-corps de la porte du guichet, une petite poterne permet de poursuivre l'exploration du front Est en suivant le ravissant sentier qui fait le tour de la ville au pied des remparts.
De ce côté, la ville est défendue par l'escarpement de la vallée et n'a pas besoin d'être défendue par de nombreux flanquements, ni par des fossés. Plus loin, quelques flanquements dont un grand bastion carré, avec embrasure pour l'artillerie et qui correspondait aux écuries du château. Puis, vers la pointe du promontoire la Porte de fer qui fait face au Tertre Ganne.
De l'autre côté de la pointe du promontoire se déroule le
front Sud, moins long que le côté Nord, sur lequel se détachent trois énormes contreforts, et se dresse, avant la tour d'angle, le nouveau château construit en 1608 par Fouquet de la Varenne.
Cet édifice produit grand effet avec sa hauteur si imposante et ses grandes fenêtres à meneaux.
La tour d'angle couvre la jonction de l'enceinte du château avec les murs de ville.
A partir de ce point, jusqu'à la Porte murée, les remparts rajeunis et remaniés n'offrent plus d'intérêt que le fameux pan de mur vitrifié, qui contribue à la célébrité de Sainte-Suzanne.
Près de la Porte murée, qui a été démolie vers 1786, il y avait un ouvrage avancé comme à la porte du guichet, et une dernière tour carrée transformée en maison d'habitation.
Après vient le front Ouest dont nous avons parlé plus haut et dans lequel a été ouverte la rue Neuve aboutissant à la porte du château.
Une nouvelle ligne de fortifications, que nous appellerons le front de ville, couvrait le château du côté de la ville et formait la base du triangle qu'occupait, à la pointe du rocher, l'enclos particulier du château.
Le donjon semble s'appuyer sur cette ligne, mais ne se confond pas avec le rempart, qui forme le chemin du donjon. La
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porte du château est au pied du donjon, et, avant la Révolution, deux ponts-levis y accédaient.
Ce donjon, de forme carrée, est un spécimen fort intéressant des grandes constructions militaires de la seconde moitié du xic siècle, Sa masse énorme dessine un carré long de 20 mètres sur 15 mètres, à l'extérieur, et avait une élévation primitive évaluée à 120 pieds, dominant la ville et le réduit du château.
Aujourd'hui sa hauteur est diminuée de plus de moitié et n'est plus que de 15 mètres. Ses murs ont 3 mètres d'épaisseur à la base.
Le rez-de-chaussée servait de magasins et de prison et n'avait pas de communication avec la cour, il était éclairé par six meurtrières étroites ; on pénétrait dans cette salle basse, non voûtée, par une ouverture pratiquée dans le plancher.
Le premier étage était voûté et largement éclairé par de grandes baies intérieures cintrées en roussard, sans moulures, ni ornements. Il communiquait avec la cour par un escalier de bois, mobile, qu'on pouvait supprimer en cas de danger; cet étage servait d'habitation.
L'étage supérieur, moins élevé, renfermait aussi des logements.
Le donjon était le réduit suprême de la défense et le refuge en temps de guerre.
Bien que délabré et découronné, ce donjon de SainteSuzanne évoque toujours une impression de force et de grandeur. On reconnaît encore dans cette ruine, « le sombre et gigantesque donjon féodal se dressant sur la montagne comme le spectre de la guerre ; le dominateur souverain des cabanes ramassées à ses pieds. » Il demeure l'un des plus importants spécimens de l'architecture militaire dans le Maine à l'époque féodale.
M. de Linière termina son exposé en donnant quelques explications sur l'ancien « mur vitrifié ».
On voyait autrefois dans ses remparts, près de la Porte murée, un pan de mur vitrifié qu'on peut évaluer primitivement à 20 mètres.
En 1863, il n'en restait qu'un bloc de 3 mètres de long sur 1 mètre de hauteur et 2 mètres d'épaisseur. Il était formé d'une agglomération de pierres de grès de petit volume et déformes irrégulières, liées entre elles par une pâte vitreuse, tantôt noire, tantôt grise ou blanchâtre, le plus souvent d'un vert bouteille foncé.
Depuis 1878, il n'en reste plus sur place. Le propriétaire l'a fait enlever par morceaux pour éviter les dégradations causées par les visiteurs.
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On a émis diverses hypothèses pour expliquer la présence de ce bloc à cette place. On peut croire que l'opération de vitrification a été faite de propos délibéré, et non accidentellement, par un procédé de vitrification systématique, de manière à consolider la maçonnerie et à en faire une masse compacte soit au moyen d'un coup de feu violent et de foyers intérieurs, soit par l'emploi du feu grégeois ou par l'addition de soude et de potasse en guise de fondant.
M. de Linière présenta ensuite le deuxième conférencier: M. Laurain, président de la Commission Historique et Archéologique de la Mayenne, et lui exprima tout le plaisir qu'avaient les membres de la Société du Maine de le voir au milieu d'eux. Il le remercia également du précieux concours qu'il avait apporté aux organisateurs de l'excursion, en acceptant d'être leur guide, le matin à Sainte-Suzanne, le soir à la Chapelle-Rainsouin.
M. Laurain fit l'historique de Sainte-Suzanne en ces termes :
Vous savez comment les Manceaux s'étaient en 1069 révoltés contre Guillaume le Bâtard et son fils Robert, absents du Maine ; ils supportèrent mal la domination de Geoffroy de Mayenne qui les y avait aidés et qui les accablait d'impôts. Le roi d'Angleterre profita de l'occasion qui s'offrait. Maître assuré du pays qu'il venait de conquérir, il offrit une solde à tous les hommes de race anglaise qui voudraient le suivre. Des gens sans feu ni lieu s'enrôlèrent sous sa bannière. Dès leur entrée dans le Maine, ils se livrèrent avec une sorte de frénésie à tous les genres de dévastation, coupant les arbres, arrachant les vignes, brûlant les hameaux. Les places fortes tombèrent les unes après les autres, et en premier lieu Fresnay et Beaumont, dont le seigneur, Hubert, vicomte du Maine, se soumit assez rapidement, puis Sillé. La ville du Mans se rendit à la première menace, en 1073.
La paix dura 9 ou 10 ans. C'est peut-être durant cette accalmie que le vicomte Hubert fit construire le château de SainteSuzanne, resserrant ainsi la longue ligne de défenses qui allait de Sablé à Bourg-le-Roi en passant par Evron, Thorigné, Courtaliéru, Sillé, Fresnay et Beaumont.
Mais les Manceaux se révoltèrent contre Guillaume et, sous la direction d'Hubert, tinrent en échec à Sainte-Suzanne les troupes du roi d'Angleterre, commandées par Alain le Roux, comte des Bretons.
PLANCHE I.
SAINTE-SUZANNE (vue prise de l'Est)
Dessin de M. Paul Cordonnier-Dèlrie
PLANCHA u.
SAINTE-SUZANNE. — Le do
njon, vue inli'i'ieui'e.
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Ensuite, la ville connut trois siècles de paix. Mais au début du xve siècle, sa tranquillité fut à nouveau troublée. Ambroise de Loré, le héros de la défense nationale dans le Maine et le futur compagnon de la Bonne Lorraine était alors capitaine de Sainte-Suzanne. Les Anglais, inquiets des hauts faits d'armes de ce vaillant soldat, firent investir la place par l'armée de Salisbury. La formidable artillerie des assaillants vint à bout des murailles de la ville et Sainte-Suzanne dût capituler.
La garnison eût la vie sauve et Loré rentra aussitôt en campagne. Après quelques coups heureux, il dût, par suite d'une fausse manoeuvre d'un capitaine de Lohéac qui mit le feu aux logis de l'armée, battre en retraite (1431).
Ce n'est que huit ans plus tard qu'ils pourront se rendre maîtres de la ville, par surprise. Un anglais qui y a pris femme, Jean Ferremen,et fut fait prisonnier par Jean de Bueil, livrera la place pour payer sa rançon.
Un soir que le commandant anglais, Mathieu Gough sera absent et Jean Ferremen de garde aux remparts, Bueil viendra s'embusquer avec ses troupes au pied des murailles ; Ferremen entonnera une chanson convenue ; aussitôt les échelles seront dressées et, l'escalade faite, les soldats se répandront dans la ville d'où les Anglais se sauveront en chemise.
Jean de Bueil se trouva si bien à Sainte-Suzanne, dont il reçut le commandement comme lieutenant du duc d'Alençon, qu'il ne voulut pas rendre la ville à ce dernier, à qui elle appartenait par héritage et il fit exactement comme les Anglais, en pillant et détroussant le pays jusqu'à Laval et Château-Gontier. Les choses ne rentrèrent dans l'ordre qu'en 1447, époque où la duchesse d'Alençon recevait à Sainte-Suzanne l'hommage de ses sujets.
Le pays avait été ruiné. La paix du moins, qui permit de le restaurer, n'y fut plus troublée qu'après la mort tragique d'Henri III à Saint-Cloud.
Au temps de la Ligue, Sainte-Suzanne demeura fidèle au Roi malgré la défection de nombreuses villes voisines. Cela lui valut d'être assiégée en 1589 par Urbain de Laval, gouverneur du Maine et de l'Anjou pour l'Union, et en 1592 par Mercoeur, le vainqueur de la bataille de Craon. Mais elle tint tête aux assaillants.
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Avec Henri IV la paix revint et Sainte-Suzanne vécut dans le calme jusqu'à la Révolution. Sa vie fut celle d'une petite ville de province attachée à ses habitudes et quelque peu hostile aux innovations de l'époque.
La constitution civile du clergé, sous la Révolution, la bouleversa à nouveau.
Dès le mois de février 1792 des troubles sérieux se manifestèrent coup sur coup autour de la ville, puis, le'2 avril, ce fut l'émeute qui envahit Evron et marque la première offensive des catholiques.
Dès lors le malaise s'accentue, et le désordre. Et peu à peu, Sainte-Suzanne penche vers la démagogie, et le tribunal tourne au jacobinisme. Une insurrection éclate bientôt dans le canton de Brûlon, provoquée par les persécutions religieuses, les réquisitions d'hommes et les succès de la Vendée, dont la marche à travers la Mayenne cause un émoi considérable. 1200 hommes sont concentrés dans la ville ; Thirion envoie des secours du Mans ; Humbert y nomme commandant de la place un ancien entreposeur de Loué, le citoyen Farias ; mais le départ des Vendéens pour Granville permet de licencier ce corps d'armée dont il n'y avait rien à espérer.
Sainte-Suzanne garde cependant un bataillon qu'on dépêche au Mans quand les Vendéens s'y présentent et qui n'y fait rien.
Et pendant toute la Révolution, Sainte-Suzanne qui sert de refuge aux républicains du plat pays, tremble aux menaces des chouans qui l'entourent, à la suite de Tercier et dont la victime la plus populaire fut une jeune fille de dix-neuf ans, Perrine Dugué.
De républicaine qu'elle était à cette époque, la ville devint fidèle à l'empereur. Elle accueillit la Restauration avec une certaine mauvaise grâce.
En 1832 sa tranquillité fut encore troublée par une courte alerte. La cherté des grains provoqua une insurrection, puis la Chouannerie reprit. Sainte-Suzanne se prépara à la résistance, mais les soldats du 31e de ligne intervinrent et eurent tôt fait de rétablir l'ordre.
Sainte-Suzanne joua pour la dernière fois un rôle militaire en 1870. Le 17e Corps qui, très démoralisé, s'était réfugié à l'abri de ses remparts et avait reçu mission de s'y appuyer,
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l'évacua dans un moment de découragement. Les Allemands pénétrèrent dans la place qu'ils occupèrent jusqu'au 1er février 1871.
Et après leur départ, ce fut à nouveau le calme dans cette petite ville si pittoresque et si glorieuse dont M. Laurain, en terminant son discours, se plût à vanter le patriotisme et la fidélité aux souvenirs du passé.
M. de Lorière, secrétaire général de la Société du Maine, succéda à M. Laurain. Du haut du délicieux perron Louis XIII qui donne accès au château de Fouquet de la Varenne, il résume l'histoire de divers propriétaires de Sainte-Suzanne :
La Châtellenie de Sainte-Suzanne, qualifiée Baronnie depuis une date fort ancienne et indéterminée, était mouvante du Comté de Beaumont, dont les seigneurs, comme vous le savez, étaient vicomtes du Comté du Maine. Sainte-Suzanne n'avait primitivement qu'une étendue de juridiction assez restreinte, et n'acquit que graduellement une importance territoriale capable de soutenir la comparaison avec ses voisines, Laval et Mayenne. Au début, nous la trouvons entre les mains d'une famille de Sainte-Suzanne, dont l'héritière l'apporta en dot à un seigneur de Beaumont. Raoul I de Beaumont, vers l'an 1000, prend le titre de vicomte de Sainte-Suzanne, confondant, semble-t-il, son titre des biens patrimoniaux : il paraît avoir possédé Sainte-Suzanne, du chef de sa mère, peut- être Lucie de Sainte-Suzanne. Il eut pour fils Raoul II, époux d'Emmeline de Montreveau, et pour petit-fils Hubert de Beaumont, le célèbre défenseur du château contre Guillaume le Conquérant.
Puis il donna la liste — que malheureusement nous ne pouvons reproduire ici — des divers propriétaires du château jusqu'au règne de Charles VIII. Ce roi restitua à René d'Alençon les biens que son père Louis XI avait confisqués à Jean II d'Alençon, père de René, et parmi lesquels se trouvait SainteSuzanne.
René mourut en 1492 laissant de Marguerite de Lorraine, sa femme, celle qui fut la sainte Clarisse, récemment élevée sur les autels, un fils Charles, pendant la minorité duquel elle administra ses biens, et fut ainsi, quelques années, châtelaine
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de Sainte-Suzanne. Devenu majeur, Charles d'Alençon, baron de Sainte-Suzanne, rend lui-même aveu à Louis XII, et soutint de grands et retentissants procès, dont l'intérêt, nul pour nous, ne consiste plus que dans la connaissance plus complète qu'ils nous donnent des gens et des moeurs de cette époque. Charles disparut en 1525, sans héritiers de son mariage avec Marguerite d'Angoulême. Ce fut sa soeur Françoise, mariée à Charles de Bourbon-Vendôme, à qui échut toute la succession. Françoise obtint l'érection en duché de la Vicomte de Beaumont, dont faisait partie depuis si longtemps la baronnie de SainteSuzanne. Antoine de Bourbon, son fils, hérita en 1550, de ses parents : il avait épousé Jeanne d'Albret, et avait un fils, qui devait être Henri IV.
Henri IV était un fort galant homme, mais en plus il était doué d'un sens très avisé du réel. Aussi, bien avant de monter sur le trône, il ne tarda guère à s'apercevoir que sa maison (de Sainte-Suzanne) était chargée de « grandes et excessives doiltes ». Lui, dont le pourpoint était troué au coude, pour payer sans doute les réparations du pourpoint et de la maison, obtint en 1574, de Henri III, l'autorisation de vendre les bois et forêts de la Charnie, Longé et Montaigu, situés dans la Baronnie, et ausssi les terres vacques, vaines et incultes de ce même domaine. 20 ans, après il se décide de tout A'endre : vente à Honoré de Sourches, vente à Claude de Bouille : enfin, à la Reine, elle-même, Marguerite de Valois, en 1594, engagement de ce qui reste pour 18.000 écus. Mais la Reine ne tarda pas à revendre le tout à Guillaume Fouquet de la Varenne, favori du Roi, le 25 septembre 1604 pour 150.000 francs. Cette somme, évidemment exagérée pour l'époque devait servir à écarter lès propositions de retrait féodal ; Fouquet d'ailleurs exigea des conditions telles que le Roi perdait tous ses droits de rachat, et que le nouvel acquéreur demeurait sûr de n'avoir plus rien à craindre pour la tranquille jouissance de son acquisition. Ces aliénations restaient sous la suzeraineté de la couronne de France. Le nouveau seigneur de Sainte-Suzanne dans les années qui suivirent, acheta tout ce qui pouvait arrondir ou agrémenter sa terre, moulins, étangs, droits de carrière, de prospection, de pêche, taillis, bois, etc. Voici, à cette époque, la description de l'habitation telle qu'elle était ; indépendamment du donjon, bien entendu. D'après un inventaire : « ... proche laquelle ceinture de murailles et ledit donjon, était une petite maison et une cour appelée la court Marye, et ung petit appenti au long d'icelle et cle ladite ceinture de murailles, dans laquelle dite petite maison demouraient Etienne Deslandes et Marie Arthuis, sa femme, en qualité de concierges, et ledit petit appenti servant de cuisine et boulangerie ».
C'était peu de choses, aussi en 1608, Guillaume Fouquet
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de la Varenne, fit-il construire le corps de logis que vous voyez, pour venir l'habiter avec sa famille.
Voici la description du bâtiment d'habitation : « Un grand
corps de logis et château, contenant 90 pieds de longueur et 3 étages de hauteur ; sous lesquels sont les caves, offices, cuisines, galeries, le tout voûté, et les dits 3 étages, composés de 3 grandes salles et autant de grandes chambres les unes sur les autres, accompagnées d'un cabinet chacune : icelles salles et chambres séparées par un grand escalier brisé de 5 pieds de large, dont les marches sont de pierres de taille, lequel conduit à toutes les dites chambres..., plus un perron, avec 2 degrez aux 2 costés, couvert en dosmes pour entrer audit chasteau ; lequel ensemble toutes les dites cheminées, croisées, escalier, lucarnes, sont faites et parementées en tuffeau, avec ornements et architectures, et tout le dit chasteau couvert d'ardoises ».
La baronnie de Sainte-Suzanne passa successivement à René et Claude Fouquet de la Varenne, fils et petit-fils de Guillaume, puis elle échut en ligne collatérale à René-Brandelis de Champagne et à son neveu. René-Brandelis eut deux filles, dont l'une, mariée à César-Gabriel de Choiseul, hérita ne 1764 de Sainte-Suzanne. A la Révolution, le domaine fut classé bien national.
Rappelons toutefois que la suzeraineté de la baronnie fut, depuis Henri IV et jusqu'à la Révolution, malgré l'aliénation de la partie utile, conservée directement par la Couronne.
Le château, dit en terminant M. de Lorière, fut racheté dans les premières années du xix" siècle par le duc de Choiseul-Praslin, pour 20.000 francs, puis revendu au prince de Beauveau qui le céda, en 1820, au baron de Damas pour 10.000 francs. Il passa ensuite dans la famille de Lespinasse, et enfin, en 1865, dans celle de Vaulogé.
Après l'exposé de M. de Lorière, les membres de la Société, visitèrent rapidement dans le « nouveau château » : l'ancienne cuisine ; la salle des gardes ; les combles, assez intéressants, en raison de la belle vue que l'on découvre et de leur impor-
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tante et curieuse charpente (1). Puis ils regagnèrent la place de Sainte-Suzanne où les vingt-cinq automobiles particulières et les trois autos-cars mobilisés pour leur transport s'étaient peu à peu rassemblés. Et ce fut en direction d'Evron, le premier départ de ce groupe imposant de voitures.
EVRON
Au viie siècle, lit-on dans l'ouvrage de M. l'abbé Ceuneau,
« l'Abbaye Bénédictine de N.-D. d'Evron », un pèlerin de
Jérusalem, rapportant une relique du lait de la Très Sainte Vierge, s'arrêta à Aurion pour prendre son repos. Il suspendit alors son trésor à une épine qui croissait près d'une fontaine et s'endormit profondément. Pendant son sommeil, l'arbuste grandit si bien, que le pèlerin, à son réveil, ne put reprendre sa relique. C'est en vain qu'il essaye de grimper à l'arbre sourcilleux ou d'en fendre le bois, tout est inutile. Saint Hadouin, évêque du Mans, qui visitait la région, est informé du prodige. Il accourt de sa villa du Rochard, et voici que pendant sa prière l'aubépine s'abaisse et dépose entre ses mains la précieuse relique.
Depuis longtemps déjà le saint évêque rêvait de fonder un monastère dans ce coin du Vieux-Maine. Il juge que NotreDame veut être honorée en ces lieux, aussi appelle-t-il les moines de Diergé et les aide-t-il à construire église et monastère qu'il dote largement et dont il augmentera encore les biens par son testament célèbre.
Le Monastère de Saint-Hadouin, longtemps paisible, fut détruit au ix° siècle par l'invasion Normande. Au xc siècle, Raoul, vicomte du Mans le reconstruisit. Mais c'est à partir du xie siècle surtout que commença la création des bâtiments et oeuvres d'art que l'on admire aujourd'hui. Ce fut d'abord une église assez grandiose, avec ses basses nefs et sa tour hourdée qui subsistent encore. Puis, au xne siècle, la chapelle SaintCrespin ; enfin au xiuc le choeur splendide, aux sept chapelles absidiales, le transept et les nefs ogivales. Les siècles suivants
(1) La visite du château de Sainte-Suzanne fut grandement facilitée par l'amabilité du propriétaire actuel, M. le prince de Carini, notre confrère, et par le locataire, M. de Corta, auxquels la Société adresse ses bien sincères remerciements.
PLANCHE III.
EVRON. — L'ancienne église abbatiale. Dessin de M. J. Le Page, d'après celui de M. Théodore Coudrais, d'Evron, fait vers 18'AO.
PLANCHE IV.
EVRON. — Ancien porche (prison) de l'abbaye Dessin de M. /. Le Page, d'après celui de M. Théodore Coudrais, d'Evron, vers 18'tO.
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virent l'enrichissement de l'Eglise : admirables sculptures de l'Ecole des Bénédictins d'Evron (xive et xve siècles), capables de rivaliser avec les chefs d'oeuvre de Chartres, d'Amiens ou de Reims ; grandes orgues (xvie et xviie siècles); grilles du choeur (xvme siècle), timbrées du « Pax » bénédictin ; admirables objets d'art, conservés soit dans l'Eglise elle-même soit dans le « Trésor ».
Le xvme vit aussi une transformation considérable : la construction du grandiose Monastère actuel, oeuvre d'un architecte des Palais Royaux et du maître maçon d'Evreux, JacquesLaurent Bayeux.
Pendant la Révolution, malgré une pétition du Conseil général de la Commune « pénétré de reconnaissance pour les services essentiels que les Religieux Bénédictins ont rendus de tous temps à la ville d'Evron », les Moines furent chassés (16 mars 1791). Le fléau passa, mais eux ne devaient plus revenir dans le Monastère, ni dans ce pays d'Evron dont ils avaient été pendant près de douze siècles « la sauvegarde et la providence éclairée ».
Heureusement les bâtiments échappèrent à la destruction. Ils furent classés par l'Étal en 1840. L'admirable église Abbatiale fut entretenue par les curés successifs d'Evron, tandis que les soeurs de la Charité de N.-D. d'Evron conservaient avec le plus grand soin le Monastère du xvme siècle, remis à leur ordre en 1803.
En l'absence de M. le chanoine Gascoin, curé-doyen, retenu par les devoirs de sa charge, les membres de la Société turent reçus par M. l'abbé Ceuneau, vicaire de N.-D. d'Evron, luimême membre de la Société. Celui-ci les accueillit fort aimablement et en quelques paroles leur souhaita la bienvenue. Puis il leur donna quelques renseignements sur l'histoire de l'abbaye Bénédictine d'Evron. Nous ne pouvons malheureusement en reproduire ici le détail, mais nos lecteurs pourront se reporter à l'ouvrage précité de M. l'abbé Ceuneau, dont nous nous sommes inspirés au début de ce chapitre et aussi au tome XLIV (1903) de la Revue historique et archéologique du
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Maine, où ils trouveront une monographie technique très détaillée, due à M. Eugène Lefèvre-Portalis.
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Suivant alors le conférencier, les Membres de la Société parcoururent ensuite l'église d'Evron, admirable monument que dépare malheureusement la couche de badigeon trop
EVRON. — La confession auriculaire.
Dessin de M. Paul Cordonnier-Détrie.
chère aux rénovateurs du XVIII 6 siècle ! De nombreux chefsd'oeuvre retinrent leur attention : les groupes curieux de « l'Adoration des Mages » et de « la Confession » qui ornent les piliers du haut de la nef ; les magnifiques chapiteaux ouvragés du choeur ; le maître autel en marbre bleu turquin, orné de
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guirlandes et d'arabesques en bronze doré et ciselé d'un merveilleux travail, son admirable bas-relief en marbre blanc représentant « l'Ensevelissement du Christ », ses six chandeliers en bronze, très artistiques aussi ; enfin le lourd lutrin en cuivre fondu.
Dans la sacristie, M. le curé de N.-D. d'Evron et son vicaire avaient fait exposer les merveilles du Trésor de l'Église : le fameux « Reliquaire du Saint Lait » en argent doré, datant du xvi° siècle ; une statuette en argent du commencement de la Renaissance, représentant la Vierge ; un ostensoir en vermeil du XVIII 0 siècle ; les statues d'Anges en cuivre fondu destinées à la décoration du Maître-autel et quantité de bustes reliquaires, de statues et d'objets précieux.
Avant de faire une dernière fois le tour du choeur, les Membres de la Société visitèrent la Chapelle Saint-Crespin, construite au xme siècle, où l'on remarque de curieuses peintures murales. Le portail de cette chapelle possède une décoration très originale.
Mais la visite à N.-D. d'Evron avait été longue... Pour s'être trop intéressés aux explications de M. l'abbé Ceuneau, les membres de la Société durent se borner à jeter un coup d'oeil sur l'extérieur des bâtiments de la Communauté. Il fallut notamment renoncer à aller jusqu'aux belles charmilles dont les Religieuses sont légitimement fières.
Les visiteurs ne purent donc que se promener quelques instants dans les jardins, aménagés à la Le Nôtre, d'où ils contemplèrent l'admirable façade intérieure du Monastère (xvme siècle), longue de 60 m., bordée d'une large terrasse surplombant les jardins. Il serait injuste de ne pas mentionner qu'ils remarquèrent aussi — mais ceci était l'imprévu du programme — les patientes décorations réalisées par les Soeurs, sur le sol de la Terrasse, à l'occasion de la Procession toute récente du SaintSacrement.
Mais l'heure du déjeuner était sonnée depuis longtemps. Les travaux de la matinée avaient aiguisé les appétits, et les admirateurs les plus ardents durent abandonner l'un après l'autre
REV. HIST. ARCH. DU MAINE. 8
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le Monastère. Quelques gouttes d'eau survenant à ce moment achevèrent d'ailleurs de décider les retardataires
LE DEJEUNER
Le déjeuner fût servi dans deux salles de l'Hôtel Pannetier. Il fut comme toujours très animé et la pluie qui survint ne réussit à créer qu'une inquiétude passagère. Cette pluie cessa avec le déjeuner et l'excursion demeura favorisée, dans la soirée comme dans la matinée, par un temps très agréable.
Des toasts furent prononcés : au rez-de-chaussée par MM. de Linière et Laurain ; au premier étage par M. l'Eleu, membre du Comité.
M. de Linière excusa les absents : M. le marquis de Beauchesne, vice-président de la Société, en convalescence dans le Midi, M. le comte Celier, M. Maurice Passe, l'historien d'Evron, retenu à Paris par un accident, le général Pageot, le colonel Joly de Colombe, tous deux en manoeuvres de cadres. Il salua respectueusement les dames « courageuses et intrépides » comme Mme la comtesse d'Angély, Mmcs Lecomte, de Vauguion, Gazeau, qui n'avaient pas craint d'affronter les fatigues de l'excursion, et aussi M. l'abbé de la Croix, que les Membres de la Société pourraient presque considérer comme leur aumônier... Il remercia : M. Laurain de son concours si précieux et de la marque de sympathie qu'il donnait àla Société en se faisant accompagner de Mrao et M1,0s Laurain ; M. le chanoine Gascoin, curé doyen d'Evron, et M. l'abbé Ceuneau, auxquels la Société doit la visite de l'Abbaye et du Trésor ; le baron et la baronne Clouét et M. et Mmo Bâtard, membres très fidèles des Sociétés de la Mayenne et de la Sarthc. Et avant de lever son verre en l'honneur de ses confrères de la Mayenne et de la Société du Maine, il adressa d'aimables remerciements à ses collaborateurs du Comité, et notamment à M. Albert Leroux, le très dévoué trésorier et l'organisateur de la partie nidlériellc de l'excursion, et à M. l'Eleu qui, au même moment charmait l'auditoire du 1er étage par sa parole brillante et lui
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faisait entrevoir, dans une anticipation hardie, les merveilles des excursions futures en dehors, non plus cette fois des frontières de la Sarthe, mais de celles de la France !...
M. Laurain rendit un hommage ému à la mémoire de M. Robert Triger. Il rappela les liens d'amitié qui l'unissaient personnellement au regretté Président de la Société du Maine, et félicita les Membres présents de leur empressement à réaliser un des derniers désirs exprimés par le défunt : la visite de la région d'Evron. Très aimablement il souhaita la bienvenue à ses confrères du Maine et émit le voeu que chacun remportât de l'excursion un agréable souvenir.
A 14 h. 30, — avec un léger retard sur l'horaire — le déjeuner prit fin. M. de Linière « sonna » le rappel des membres de la Société et la longue file des automobiles s'ébranla en direction du château de la Roche-Pichemer.
LA ROCHE-PICHEMER
La Roche-Pichemer, a Saint-Ouen-des-Vallons,mt autrefois, sinon un château-fort, du moins un château capable d'une sérieuse résistance grâce aux protections que lui assurent sa position au-dessus de la rivière des deux Evailles, ses murs et ses fossés. Il a été partiellement reconstruit, ou tout au moins transformé au xvic siècle par Louis du Plessis ; celui-ci, aidé sans doute par des artistes italiens, substitua aux petites fenêtres du moyen âge de larges baies à meneaux, et donna de l'éclairage aux combles en faisant ouvrir de riches lucarnes de granit. C'est donc sous l'aspect d'un château du moyen âge, aux lignes sobres et nobles, mais éclairé et égayé par les embellissements et les aménagements de la Renaissance que la Roche Pichemer se présente aujourd'hui.
A leur arrivée, les membres de la Société furent reçus par M. le comte et Mme la comtesse d'Ozouville, propriétaires du châ - teau, et par leur fils. Après avoir fait les présentations, M. de Linière exprima les sincères et respectueuses condoléances de la Société pour le deuil qui venait d'atteindre la famille d'Ozou-
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ville ; puis il rappela le souvenir du père du propriétaire actuel de la Roche-Pichemer, ancien membre associé de la Société, dont les vieux Manceaux connaissaient bien la fine silhouette d'officier de marine ; les visiteurs devaient d'ailleurs trouver dans le château, plusieurs des souvenirs des campagnes en Chine de ce vaillant officier, qui se distingua particulièrement au combat du Peï-Ho.
M. de Linière rendit également hommage à la mémoire de M. William d'Ozouville-Trémigon, aïeul du propriétaire actuel du château, qui fut un historien très érudit et très distingué, mêlé à la controverse sur l'apostolicité des Gaules.
Après avoir donné rapidement l'historique du château, il évoqua le souvenir de la légendaire Dame rouge de la RochePichemer, Catherine-sans-Pitié, que la tradition populaire dit avoir été condamnée pour ses méfaits à exécuter des courses nocturnes sur un char de feu.
Il présenta ensuite les excuses de M. le comte de Montesson, qui, à son grand regret n'avait pu accompagner les membres de la Société dans ce château auquel l'attachent si vivemeut des souvenirs de famille. Ce fut en effet un comte Charles de Montesson qui, en 1645, acheta la Roche-Pichemer où résidait un descendant de Louis du Plessis : le marquis de Jarzé, exilé dans ce domaine par Mazarin. On retrouve d'ailleurs dans certaines salles, l'écusson des Montesson, propriétaires du château pendant près d'un siècle.
Enfin, M. de Linière adressa ses remerciements à M. et Mme d'Ozouville pour leur bon accueil ; et, en leur demandant de vouloir bien diriger eux-mêmes la visite du château, il les félicita du soin et du goût avec lesquels leur famille, depuis trois générations, restaure et entretient la belle demeure des Jarzé et des Montesson.
M. d'Ozouville remercia M. de Linière et souhaita très aimablement la bienvenue à ses hôtes. Puis, prenant la direction du groupe, il fit commencer la visite du château.
Un coup d'oeil fut d'abord jeté sur l'ensemble des bâtiments. Du bout de la charmille qui surplombe la rivière des Deux
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Evailles, on a une fort jolie vue sur le château et sur ses dépendances. En même temps, on se rend mieux compte delà valeur de la Roche-Pichemer en tant que position fortifiée ; les enjolivements de la Renaissance, sans rien perdre de leur valeur décorative, s'imposent moins aux regards et la masse des constructions du moyen âge, dominant la rivière, se dégage très nettement.
A l'intérieur du château, des membres de la Société visitèrent divers appartements richement décorés de peintures dues — au dire de spécialistes — à des artistes italiens venus en France avec les Médicis. Ces peintures, très supérieures à nombre de travaux de la même époque, sont, avec de très belles cheminées, les caractéristiques de la Roche-Pichemer.
Au premier étage, dans la grande salle servant de bibliothèque, se trouve la plus curieuse de ces cheminées. Entièrement construite en granit sculpté, cette oeuvre d'art monumentale, qui a 4 mètres 50 de hauteur, porte des cabochons de marbre noir et rose incrustés dans son granit. Son fronton est décoré d'un très bel écusson mutilé et d'un panneau portant les initiales G D M (Guy de Montesson) et C D C (Charlotte de Châtillon).
Les chambres qui font suite à la bibliothèque sont décorées de belles peintures et de tentures anciennes. On voit, dans une grande chambre voûtée, de magnifiques boiseries avec guirlandes de fruits et de fleurs du début de l'époque de Louis Xlll.
La salle à manger, située au rez-de-chaussée, est décorée, dans sa partie Nord, de très belles peintures anciennes; les autres peintures de la salle sont reconstituées. La voûte porte trois tableaux marouflés, encadrés de riches rinceaux et de vases décoratifs. On remarque encore dans cette belle pièce une cheminée monumentale en marbre rouge, surmontée de toiles attribuées à un peintre espagnol.
Tout près de la salle à manger est la chambre dite de la « Dame Rouge ». D'admirables peintures, parfaitement conservées, couvrent les murs de celte pièce.
Le grand salon, actuellement en réparation, ne put être
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visité. L'heure prévue pour le départ était d'ailleurs passée depuis longtemps. Avec regret les Membres de la Société quittèrent le château, emportant le meilleur souvenir de l'intéressante visite qu'ils venaient de faire et du bon accueil reçu.
LA CHAPELLE-RAINSOUIN
En raison de l'heure avancée, les Membres de la Société durent abréger leur visite à la Chapelle-Rainsouin.
A leur arrivée, ils trouvèrent M. le Curé, qui les avait très aimablement attendus. M. Laurain présenta le monument en ces termes :
L'histoire delà Chapelle-Rainsouin a été écrite avec quelque détail par un de vos anciens confrères, Moulard, et a été publiée dans la Revue historique du Maine en 1889-1890, C'est là que nous avons puisé les courts renseignements qui vont suivre, en y apportant quelques corrections à l'aide du Dictionnaire historique de la Mayenne, qu'il faut toujours consulter en dernière analyse.
Sans nous arrêter à l'étymologie fantaisiste de Cauvin, empruntée, disons-le à son excuse, aux titres du moyen âge, d'après laquelle la Chapelle-Rainsouin devrait son nom aux grenouilles sans nombre qui chantaient autrefois sur son territoire (ranoe sonantes), constatons que la paroisse est mentionnée dès le début du xne siècle. L'église en était alors confirmée à l'abbaye d'Evron, par l'évêque Hildebert.
Elle était dédiée à saint Sixte et ne comprenait, jusqu'à la fin du xvfi siècle qu'une nef romane, dont une petite fenêtre est conservée au midi, et un choeur, plus étroit, reconstruit peutêtre tel qu'on le voit aujourd'hui avec sa forme carrée et sa fenêtre gothique. Sur le mur très épais qui sépare la nef du choeur, un pignon était surmonté d'une arcade-pignon qui servait de clocher ; c'était là une disposition exceptionnelle, car ce petit édicule se plaçait ordinairement sur le pignon occidental, comme on le voyait encore à Jublains avant 1878.
Le vaisseau primitif fut profondément modifié entre 1480 et 1525. D'abord, une grande chapelle, fut, du côté nord, accolée moitié au choeur et moitié à la nef, sur quoi elle s'ouvrait par trois arcades dont les éléments sont curieusement ouvragés et dont un pilier, avec ses moulurations en torsade, mérite d'être remarqué. Cette chapelle est éclairée par deux grandes fenêtres, l'une en arc brisé au levant, l'autre en plein cintre au nord, toutes deux avec rosace et ornements de style flamboyant. Un vitrail du xvie siècle, représentant la Nativité, y est conservé.
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Au-dessous de la fenêtre du levant, un joli autel à baldaquin avec son retable dont les pilastres et les clochetons s'infléchissent gracieusement suivant la courbe du baldaquin : il n'y a pas d'autre ouvrage du même genre dans la Mayenne. Dans celte chapelle était le caveau seigneurial sur lequel étaient posées les deux pierres tombales, dressées maintenant contre le mur occidental, dont nous parlerons tout à l'heure.
C'est en 1821 que le curé Livet, voulant augmenter les revenus de la fabrique, fit placer des bancs dans cette chapelle, dite de Sainte-Barbe, pour permettre aux hommes qui, de temps immémorial assistaient debout aux offices, de s'asseoir commodément ; pour cela, il fit enlever les deux pierres tombales qui étaient supportées par des lions au milieu de cette chapelle, défigurée, si je puis dire, par cet arrangement malheureux.
En face, mais n'empiétant pas sur la nef, la chapelle de droite ouvre sur le choeur par une large arcade en plein cintre. Construite à peu près dans le même temps que la précédente et également par les soins des seigneurs de La Chapelle, dont les armoiries sont sculptées sur la clef de voûte, elle fut dédiée à saint Julien de Brioude, martyr, dont la statue fut déposée en 1787, quand de cette chapelle on fit la sacristie, à l'entrée de la chapelle du Sépulcre. L'autel en bois qui l'orne actuellement, est une oeuvre intéressante du xvne siècle.
Quand l'église eut été remaniée de la sorte, et que le pignon occidental eut été repris et ajouré d'une grande fenêtre en arc brisé, il fallut refaire la charpente. Le seigneur du lieu, Olivier de La Chapelle, marchanda l'ouvrage, le 6 mars 1506, avec un charpentier de Vaigcs, nommé Bodin, à raison de 20 s. par couple de chevrons. Il fit élever en outre, par le même ouvrier, pour 30 livres, un clocher de charpenterie avec plate-forme, surmonté de flèche de 50 pieds.
Olivier de La Chapelle mourut un an après, le 23 janvier 1507. Sa veuve Arthuse de Melun. qui avait déjà fait, dans les travaux précédents, montre d'une grande initiative, continua l'embellissement de la petite église, en entreprenant au côté nord du choeur, la construction de la chapelle du Sépulcre. C'est un petit édifice mesurant environ 3 mètres 50 de côté, voûté sur arcs d'ogive, éclairé par une petite fenêtre, dont il n'y aurait pas lieu déparier autrement, s'il ne renfermaitune oeuvre de sculpture unique dans le département.
Cette oeuvre, dont M. Laurain fit la description, est le « Tombeau de Notre Seigneur ». Si le corps du Christ est médiocrement exécuté, du moins les costumes du groupe sontils d'une variété et d'une richesse admirables.
Le conférencier donna ensuite quelques explications sur le
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maître autel, construit en 1702 par François Trouillard, architecte à Château-Gontier. L'autel offert par cinq donateurs porte une inscription « Sol oriens in alto » accompagnée d'un soleil d'or en face duquel sont les armes de France. M. l'abbé Angot a voulu voir en ce symbole l'hommage excessif assurément des donateurs au Roi Soleil, le soleil figurant Dieu et l'écusson le Roi.
LA CHAPELLE-RAINSOUIN.
• Mise au Tombeau (partie droite). Dessin de M. Paul Cordonnier-Délrie.
Après avoir déploré l'affreux badigeonnage que l'église reçut, comme tant d'autres, au xvme siècle, M. Laurain poursuivit :
Il fallut la grande restauration entreprise au xixe siècle par M. Louis Garnier pour faire de cet édifice le monument simple, mais élégant, que vous visitez aujourd'hui. La flèche d'Olivier de La Chapelle a été remplacée par une belle tour et une flèche plus élégante encore qui s'applique à la cotière nord. Les lambris ont été refaits, mais les tirants et les filières ont été conservés avec leurs sculptures caractéristiques de l'époque où Arthuse de Melun entreprenait en somme la reconstruction de
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la plus grande partie de l'église et l'on a mis à jour des restes de litres que l'on a soigneusement ravivés ou reconstitués.
L'héraldiste peutici faire ample moisson, La Révolution,
qui ne s'est pas montrée ici trop barbare, a cependant détruit plus d'un blason qu'il eût été heureux de recueillir. Comme je vous l'ai dit en commençant, dans la chapelle de gauche se trouvaient posées horizontalement sur des lions, les deux pierres tombales qui sont appliquées maintenant contre la muraille. De ces lions, qui étaient décorés des armoiries de
LA CHAPELLE-RAINSOUIN.
Mise au Tombeau (pai-tie gauebe). Dessin de M. Paul Cordonnîer-Dètrie.
ceux qui dormaient sous ces pierres leur dernier sommeil, on n'a gardé que deux exemplaires, l'un aux armes de La Chapelle, de gueules à la croix d'or ; l'autre aux armes d'Arthuse de Melun, d'azur à 7 besantsd'or chargé d'un lion issant de gueules.
Ces mêmes armes étaient au centre de la bordure de cuivre qui entourait les deux pierres de liais.
Ces deux dalles sont, exception faite de celle qui provient de l'ancienne abbaye de Clermont et qui est au musée de Laval, ce que l'art du tombier a produit de mieux dans le BasMaine. Les bronzes où étaient gravées les inscriptions ont été malheureusement arrachés, mais l'on sait que la première en
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date est celle d'Olivier de La Chapelle, dont la figure et les mains étaient en incrustations de marbre.
La veuve d'Olivier de La Chapelle fut l'inspiratrice de
toutes les oeuvres d'art qu'on admire dans cette petite église.
Elle avait eu cinq enfants d'Olivier de La Chapelle, quatre filles et un garçon, nommé Julien. Celui-ci était mort dès 1521. C'est en souvenir de ce fils unique qu'elle fit sculpter une statue de saint Julien de Brioude. La statue est fort belle. Le saint tient à la main un bouclier orné des armoiries de La Chapelle, sur le bord duquel, outre une invocation, se lit en relief un nom : G. Duval. C'est le nom de l'artiste et par un rapprochement ingénieux de l'abbé Angot, nous connaissons ainsi celui qui fit les deux pierres tombales et peut-être aussi le Sépulcre.
Sur les }ierres tombales en effet, une maxime est gravée autour de 1 . tête du défunt : en lettres romaines, ce qui est remarquable pour l'époque, sur la pierre d'Olivier de La Chapelle; en lettres gothiques, sur la pierre' d'Arthuse de Melun. C'est la sentence qu'affectionnait un sculpteur de notre ville, Gervais Duval : « in sola misericordia Dei mei spero salvari. »
Des tombes de cette facture; dit en terminant M. Laurain, il en existe encore un certain nombre en Anjou et dans le Maine. Vous en possédez une, si je ne me trompe, au musée archéologique du Mans. Et voilà qui prouve encore, mieux que n'importe quoi, les relations constantes et amicales de nos demi-provinces.
Une rapide visite delà Chapelle et du Saint Sépulchre suivit le discours de M. Laurain. Puis les visiteurs durent regagner leurs voitures pour la dernière étape de la journée : celle du château de Montécler.
MONTÉCLER
Ce nom évoquait, il y un quart de siècle, un château en fort mauvais état. Aujourd'hui il désigne un édifice magnifiquement restauré, et redevenu un des joyaux du Bas-Maine.
Cette heureuse résurrection est l'oeuvre du propriétaire, M. le marquis de Montécler, qui s'est efforcé de rendre à la demeure de ses aïeux, son ancienne splendeur et sa vie. Bel exemple d'attachement au sol et aux traditions de la famille dont M. de Linière et M. l'Eleu devaient tour à tour le féliciter au nom de la Société.
Le château de Montécler se compose d'un grand corps de
PLANCHE V.
LA ROCHE-PICHEMER. — Cour du château.
(Cliché de M. Mouchcl).
Cheminée de la bibliothèque du château de la Roche-Pichemer.
(Ciiché de la Société historique de VOrne).
PLANCHE VI.
\ ue ancienne du chàleau de Montécler
(Archives de .Montécler)
\ ni' prise dans les fossés du chàleau de Montécler. ICVKOX. — Porte de la chapelle Saint-Crespin
fin du xn'; siècle. (Clichés de M. Gérard de Banville)
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Jogis en pierre calcaire bleue, pourvu de portes et fenêtres à meneaux, en granit, et d'une série de bâtiments en retour d'équerre comprenant : vers le Nord, une tour carrée et un pavillon à toituies cintrées superposées; vers le Sud une aile importante en bordure de la cour d'honneur ; dans cette aile se trouve la chapelle. L'ensemble des constructions est du xvne siècle, à l'exception de la tour carrée et du pavillon du Nord qui proviennent de l'ancien manoir du xv* siècle.
On pénètre dans la cour d'honneur par un pont-levis pratiqué dans un donjon du xvic siècle ; celui-ci affecte la forme d'une tour carrée supportant une toiture arrondie ; une lanterne, surmontée du lion de Montécler, le couronne. J-n face de soi on a le corps de logis principal ; à gauche l'aile contenant la chapelle, à droite une tour isolée, baignant dans les douves qui sur trois côtés entourent le château.
Les visiteurs furent reçus dans la grande salle du rez-dechaussée par M. le marquis et Mme la marquise de Montécler, entourés de leurs enfants. M. de Linière fit les présentations. Il tint à rappeler que M. le marquis de Montécler était membre de la Société depuis vingt-six ans et que par deux fois — en 1906 et en 1924 — il avait honoré les excursions de sa présence.
Parlant ensuite du récent mariage, auquel il lui avait été donné d'assister, de M" 0 de Montécler avec le vicomte de Kermoysan, de la foule des amis accourus pour la cérémonie, des réjouissances populaires, M. de Linière fit cette remarque à laquelle la restauration de Montécler donnait une valeur toute particulière, que cette foule sympathique célébrait, en même temps que l'union des deux jeunes époux, l'alliance plus de cinq fois séculaire de la famille de Montécler avec le pays.
Faisant enfin allusion à la dernière visite de M. Robert Triger au château de Montécler lors de l'excursion de la Société historique de l'Orne, il dit combien ce maître estimé, qui éprouva en ce lieu une de ses dernières jouissances artistiques, aurait été heureux de revenir en cette demeure et de faire aux membres de sa chère Société du Maine l'historique de la famille des Montécler.
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Permettez-moi, ajouta M. de Linière, de le suppléer et d'évoquer les souvenirs qui sont la gloire de cette maison.
C'est au mois de janvier 1616, que le roi Louis XIII, pour reconnaître les services d'Urbain de Montécler, chevalier de Saint-Michel, plus tard maître de camp, érigea la châtellenie de Launay-Péan, en titre, dignité et prééminence de marquisat, sous le nom de Montécler.
L'ancien manoir de Launay datait du xve siècle. C'était une ancienne forteresse qui avait été construite par les Cibel établis à Châtres, avant 1370 — voilà 557 ans.
Il passa par alliance dans la famille Nepveu, dont l'héritière Renée Nepveu, dame de Launay-Péan, épousa en 1568, à Châtres, Louis de Montécler, sieur de Courcelles, en Houssay.
Les Montécler, d'ancienne chevalerie, étaient fixés, depuis 1293, en Anjou, ramenés des Croisades par un comte d'Anjou.
Ils s'implantèrent dans le Maine en 1425 par l'acquisition que fit Jean de Montécler de l'important château de Bourgon, en Montourtier, reconstruit par ses descendants, intéressant spécimen de transition des styles gothique et renaissance.
Ce Jean de Montécler, chevalier, commandait une compagnie d'angevins et combattit aux côtés de Jeanne d'Arc, avec le duc d'Alençon, vicomte de Sainte-Suzanne, que la Pucelle appelait son « gentil duc ».
Accouru à la défense d'Orléans, il dirigeait comme canonnier les coups d'une grosse couleuvrine qui étaient un objet d'effroi pour les Anglais assiégeants.
Il continua de guerroyer contre eux et notamment à SainteSuzanne.
Les Montécler s'allièrent de suite aux premières familles du Maine aux Jonchères, Laval-Boisdauphin, Rieux, Nepveu.
Louis, descendant du seigneur de Bourgon, et devenu par son mariage propriétaire de Launay-Péan, résolut d'élever une demeure plus en rapport avec son rang et sa haute situation dans le Maine.
Portant l'épée comme tous ses ancêtres, il tint garnison au Mans, après avoir guerroyé à La Rochelle, en Poitou, il devint gouvernenr de la ville et du comté de Laval, et reçut le collier de Saint-Michel.
C'est lui qui commença vers 1585 le beau château que nous voyons encore. Il négligea les travaux purement artistiques, témoin des troubles qui agitaient le royaume et mêlé aux luttes de la Ligue, il songea à assurer la défense du nouveau manoir. Ne gardant que peu de choses de l'ancienne forteresse, il éleva des tours, conserva et agrandit les anciens fossés et organisa de grandes salles destinées à recevoir une garnison.
C'était la vieille existence féodale qui allait renaître avec la nouvelle levée de boucliers de l'armée protestante.
Le château fut achevé vers 1610, par son fils Urbain. Marié
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à Françoise de Froullay, « personnage de grand mérite et éminent en vertus », pour qui fut érigé le marquisat de Montécler, comme nous l'avons dit plus haut.
Je ne puis malheureusement citer tous ceux de sa descendance, qui se distinguèrent dans les armées du roi, sur tous les champs de bataille de l'Europe, et même du Canada.
C'est à l'un d'eux que le cardinal de Richelieu accorda en récompense une petite pièce d'artillerie qui fut enlevée de Montécler en 1791 par les administrateurs du district.
Un autre, chevalier de Malte, fut colonel d'un régiment de cavalerie qui porta son nom : les dragons de Montécler ; d'autres furent maîtres de camp.
Le droit exercé depuis longtemps de commander à des hommes d'armes et le souvenir des dragons de Montécler s'attachent à cette salle des gardes, située au-dessus des écuries : des inscriptions sur les murs témoignent de leur séjour.
Dans ce pays de légendes, on raconte que des bruits étranges semblent sortir de la profondeur des bois. Les habitants croient entendre dans la nuit des froissements d'épée, le bruissement des armures, le galop furieux des chevaux. On dit que les guerriers reviennent. C'est la grande chevauchée des dragons de Montécler ! Mais cette évocation n'a rien de sinistre. Cette grande chevauchée ici n'a jamais été meurtrière, sauf peutêtre pour les coeurs des villageoises que visaient les beaux cavaliers.
L'heureux temps de la guerre en dentelle ne reviendra plus.
La Révolution frappa assez cruellement le château qui fut mis sous séquestre et abandonné. Les bois environnants servirent de refuge aux Chouans et furent le théâtre de nombreux combats.
Mme de Montécler, emprisonnée sous la Terreur, obtint en raison de son grand âge de rentrer dans sa maison dévastée « sous la garde de deux vrais Sans-Culottes » qui étaient relevés fous les décadis !
Ce beau domaine heureusement a échappé aux outrages du temps et des hommes.
Il se présente aujourd'hui encore avec son aspect imposant, son pavillon d'entrée du xvic siècle, son pont-levis, ses tours, ses belles fenêtres, sa cour d'honneur régulière, bordée de constructions importantes et ses avenues séculaires.
Il a pour encadrement une forêt spacieuse et bien percée.
Il justifie la fière devise, toute de grandeur, de la vieille et noble maison qui lui a donné son nom : « Magnus inter pares ».
M. le marquis de Montécler eut l'amabilité de diriger luimême la visite du château.
Après avoir adressé à ses hôtes quelques mots de bienve-
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nue, il leur présenta le salon dans lequel ils se trouvaient réunis. Cette grande salle, longue de 15 mètres est ornée de cinq panneaux de tapisseries, dites tapisseries de Paris, et d'une belle cheminée monumentale en granit sculpté et doré. Au-dessus des portes, on remarque quatre tableaux représentant Louis XIV, Marie-Thérèse, M"c de la Vallière et et iMrac de Montespan.
M. le marquis de Montécler conduisit ensuite ses hôtes dans la cour du Nord, d'où l'on a vue sur le pavillon de LaunayPéan et sur la tour, ainsi que sur le corps de logis principal. Puis il leur fit visiter les appartements du premier étage.
On accède à ceux-ci par un bel escalier monumental en granit, dont chaque marche est constituée par une seule pierre. A droite se trouve un petit salon où l'on remarque une grande cheminée en granit, semblable à celles que l'on peut admirer dans d'autres pièces du château, mais plus richement et plus gracieusement décorée ; le plafond, à solives apparentes, est entièrement décoré de peintures anciennes. A gauche s'ouvrent, sur une grande galerie, une série de chambres ornées de beaux portraits de famille et fort bien meublées. On remarque sur des embrasures de fenêtres de belles peintures représentant des personnages allégoriques ; des plafonds à poutre et à solives sont eux aussi couverts de riches peintures. Une des chambres est revêtue de lambris sur lesquels se trouvent peints des comédiens des xvne siècles, imités de Callot, et possède, couvrant un de ses panneaux, une grande tapisserie de 4m50 de longueur représentant une verdure.
Revenus au rez-de-chaussée, les visiteurs furent conduits dans les pièces situées à gauche du vestibule d'entrée: d'abord la salle à manger, ornée comme le petit salon, d'une très belle cheminée monumentale en granit décoré et aussi de deux tableaux de Desportes (1540) représentant des chiens de chasse ; puis la chambre du pavillon de Launay-Péan. Dans cette belle pièce on remarque un grand lit de pied à baldaquin, des bandeaux de fenêtres et quelques fauteuils recouverts de tapisseries de l'époque ; les quatre portes sont surmontées de tableaux représentant les quatre éléments.
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La visite se termina par un goûter aimablement offert par M. le marquis et M" 10 la marquise de Montécler, très gracieument secondés par Mmc la vicomtesse de Montécler, née Chavagnac, et par M"" 5 la vicomtesse de Kermoysan.
M. l'Eleu voulut bien interpréter les sentiments de l'assistance en adressant aux châtelains des remerciements très vifs pour cette généreuse et sympathique réception et aussi en les félicitant de l'oeuvre admirable accomplie par eux à Montécler. Alors que tant d'autres désertent les campagnes et laissent tomber en ruines d'admirables oeuvres d'art, les propriétaires de Montécler ont tenu à ce que leur château demeure et continue à remplir dans la contrée son rôle séculaire, s
Les membres de la Société prirent alors congé de leurs hôtes. Toutefois, en traversant à nouveau la belle cour d'honneur, ils visitèrent la chapelle du château, que M. le marquis de Montécler avait fait restaurer en tout premier lieu.
Il était près de sept heures. Une à une les automobiles regagnèrent la Sarthe, empruntant presque toutes la route d'arrivée par Sainte-Suzanne et les bois de la Charnie.
Nous ne saurions terminer ce compte-rendu (1) sans dire combien fut sensible aux fidèles de l'excursion, l'absence de M. Robert Triger. Pour la première fois manquait celui qui, depuis tant d'années, était l'âme de ces manifestations. Et les
(1) Il nous est très agréable de remercier ici : M. J. Le Page, un de nos meilleurs artistes manceaux, qui a bien voulu extraire d'un très bel album ancien, su propriété, des vues très intéressantes de l'église et des bâtiments de l'ancienne abbaye d'Evron et de son ancion porche dessinés vers 1840 par un évronnais, M. Théodore Coudrais ; M. Cordonnier-Détrie, notre dévoué confrère, qui, avec son amabilité et son talent ordinaires, nous a donné de très jolis dessins de Sainte-Suzanne, d'Evron et de la ChapelleRainsouin ; la Société historique et archéologique de l'Orne qui nous a fait bénéficier de très jolis clichés photographiques exécutés par quelques-uns de ses membres, à la Roche-Pichemer et à Montécler.
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Membres anciens avaient peine à croire qu'ils lie verraient plus, parmi eux, ce Maître plein de science et d'entrain.
Les orateurs entendus au cours de la journée n'ont pas manqué de rendre hommage au regretté Président. Qu'il nous soit permis de dire que les Membres de l'excursion n'ont pas non plus failli à ce devoir. Par leur nombre, par leur empressement, ils ont apporté à la mémoire de M. Robert Triger l'hommage auquel ce bon artisan aurait été le plus sensible : celui de la prospérité de son oeuvre.
Georges LEROUX.
II
René-Mans de Froullay succéda donc, en 1725, à son père le Maréchal de Tessé en qualité de seigneur de Vernie ; quant à la terre de Lavardin, elle avait été attribuée à son frère cadet François-René (1).
Comme tous ceux de sa famille, René-Mans avait embrassé de bonne heure la carrière des armes (2). Il avait été d'abord colonel du régiment de la Reine ; en 1702, il avait suivi son père en Italie et avait pris part à ses côtés à la défense de Mantoue contre les Impériaux ; il s'était trouvé ainsi à la sortie du 22 mai où il avait été blessé. Après la levée du siège, il avait été envoyé par Vendôme à Versailles, pour rendre compte à Louis XIV du blocus, et, à cette occasion, le roi lui avait fait un accueil des plus bienveillants (3); il lui donna, du reste, l'année suivante, le régiment de Sault-Infanterie. Fait brigadier,
(1) François-René de Froullay, commandant de l'Ordre royal de SaintJean de Jérusalem, dit de Malte, fut colonel du régiment de Champagne, puis brigadier des armées du Roi. Il décéda le 28 février 1734, au château de Lavardin, et fut inhumé le lendemain dans l'église de Mézières, comme le relatent les registres paroissiaux.
(2) Tout ce que nous disons dans cet article des services militaires des différents membres de la maison de Tessé-Froullay qui y figurent est emprunté à la généalogie de cette famille dans le Dictionnaire de La Chesnaye des Bois.
(3) Voir les Mémoires de Dangeau, année 1702.
REV. HIST. ARCH. DU MAINE. 9
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René-Mans de Froullay, en l'année 1707, avait contribué sous son père, à la défense de Toulon, et, après la levée du siège, avait été envoyé en porter la nouvelle au Roi qui l'avait accueilli avec les mêmes témoignages de bienveillance qu'en 1702 (1), et n'avait pas tardé à le nommer maréchal de camp.
Il était depuis 1718 lieutenant-général des armées et, cette même année, avait remplacé son père comme lieutenant-général au gouvernement des pays du Maine, Perche et Laval (2).
Bien qu'il ne fut pas né courtisan comme son père, il n'en avait pas moins une certaine situation à la cour. Dès 1724, sur la démission du maréchal de Tessé, il était devenu premier écuyer de l'infante, Reine d'Espagne, puis en 1725, après la mort de celle-ci, c'est auprès de la Reine de France, Marie Leczinska, qu'il avait été appelé à remplir cette charge (3). Il était d'ailleurs, depuis 1706, grand d'Espagne, par suite de la renonciation de son père à cette dignité en sa faveur (4), enfin il allait être promu chevalier des ordres du Roi en 1728 (5).
Le château de Vernie était, est-il besoin de le. dire, la principale résidence de René-Mans de Froullay quand, pendant la belle saison, il venait faire dans le Maine quelque séjour plus ou moins prolongé. Aussi, est-ce là qu'en 1728 nous voyons le corps de ville du Mans envoyer une délégation pour le complimenter à l'occasion de sa promotion comme chevalier des ordres. C'est là encore, qu'en 1729,1730 et 1732, de semblables délégations lui furent encore envoyées (6).
Il avait pour femme, Marie Bouchu, qu'il avait épousée le 13 avril 1706. Celle-ci était la fille unique d'Etienne-Jean Bouchu, marquis de Lessart, conseiller d'Etat, et de Elisabeth Rouillé de Meslay (7). Si nous en croyons une lettre assez
(1) Voir Mémoires de Dangeau.
(2) Voir La Chesnaye des Bois.
(3) Voir La Chesnaye des Bois.
(4) Voir Mémoires de Dangeau.
(5) Voir La Chesnaye des Bois.
(6) Voir extraits des délibérations de l'hôtel de ville du Mans, publiés par Cauvin.
(7) La Chesnaye des Bois ; voir aussi correspondance du Maréchal do Tessc.
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curieuse -écrite à Madame de Maintenon en février 1706, au sujet de cette union, par le maréchal de Tessé, c'était un de ces mariages où l'intérêt et l'ambition avaient plus de part que le coeur et la passion (1). Mais la jeune marquise de Tessé, à défaut de beauté, n'était pas, comme sa belle-mère, femme à fuir la cour et les honneurs. Dangeau nous apprend qu'auSsitôt après son mariage (20 avril 1706), elle s'était fait présenter au Roi par la duchesse du Lude, et qu'elle avait pris, au souper royal, possession du tabouret auquel lui donnait droit sa qualité de femme d'un grand d'Espagne.
Elle mourut à Paris dès le 9 décembre 1733, âgée seulement de quarante-huit ans. Elle avait donné à son mari six enfants, dont trois fils qui embrassèrent tous la carrière des armes : René-Mans, Elisabeth-René et René-François (2).
Elisabeth-René mourut très jeune. Né à Paris, le 15 août 1711, il s'était fait recevoir dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem et se faisait appeler le chevalier de Tessé. En 1634, il servait comme lieutenant de vaisseau quand une grave maladie l'obligea de venir se faire soigner au château de Vernie. Ce fut là qu'il mourut la même année, âgé de 24 ans, dans les bras de son père (3).
En 1735, une députation fut envoyée à Vernie par le corps de ville du Mans pour féliciter René-Mans de Froullay du mariage de son fils aîné qui venait d'épouser Marie-Charlotte de Béthune, fille de Paul-François, duc de Béthune-Charost, pair de France, capitaine des gardes du corps et lieutenantgénéral des armées du Roi, et de Julie-Christine-Régina-Georgine d'Entraigues (4).
René-Mans, deuxième du nom, marquis de Tessé, avait débuté quelques années auparavant, dans la carrière des armes,
(1) « Je dois beaucoup, et ma famille a besoin de bien... » « Quand même mon fils serait amoureux, chose que je ne puis croire... »
(2) Elle avait donné en outre à son mari trois filles, dont deux moururent en bas-àge ou sans alliance, mais dont la dernière était destinée à devenir la M'" de Chavagnac.
(3) Voir La Chesnaye des Bois.
(4) Voir La Chesnaye des Bois
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comme colonel d'un régiment d'infanterie de son nom, puis il avait été nommé en 1734, colonel du régiment de la ReineInfanterie. En 1735, à l'occasion de son mariage, son père s'était démis en sa faveur de la dignité de grand d'Espagne, ainsi que de la charge de premier écuyer de la Reine (1).
Il lui avait d'ailleurs cédé en avancement d'hoirie le marquisat de Lavardin, dont il venait d'hériter de son frère mort sans enfant (2). C'est ce qui nous explique comment, en 1738, nous voyons René-Mans II « Sire de Froullay, marquis de Tessé, de Lavardin et autres lieux, grand d'Espagne, colonel du régiment de la Reine-Infanterie et premier écuyer de la Reine », faire « foy et hommage au Roi pour raison du marquisat de Lavardin relevant de S. M. à cause de son château du Mans » (3).
L'année suivante, les registres paroissiaux de Mézières-sousLavardin nous font apparaître le marquis de Tessé et sa femme parrain et marraine de la grosse cloche de l'église de cette paroisse. Le fils du comte de Tessé se qualifie en cette circonstance : « marquis de Tessé et de Lavardin, seigneur de cette paroisse ». En 1740, le marquis de Tessé, fut fait brigadier des armées du Roi. En 1742, il prit part avec sa brigade à la campagne de Bohême, et il se trouvait au mois d'août à la bataille de Prague où il mourut le 3 août de ses blessures. Il laissait de son union avec Charlotte de Béthune deux fils en bas-âge : René-Mans III et Armand-Elisabeth qui furent placés sous la tutelle de leur mère.
Fort attristé par la mort de son fils aîné et principal héritier, et se préoccupant de ce qui se passerait après lui, René-Mans de Froullay fit le 10 janvier 1743, à Versailles, son testament dont notre regretté président Robert Triger, dans son excellente étude sur l'hôtel de Tessé au Mans nous a donné une assez complète analyse. Nous nous dispenserons donc de reproduire ici ce très intéressant document, en faisant seulement
(1) La Chesnaye des Bois.
(2) Voir la note (1) de la page 1.
(3) Arch. nat., p. 4262.
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remarquer que le testateur avait chargé Mre Alexandre-Paul Louis-François de Samson, chevalier, seigneur de Lorchère, lieutenant général en la Sénéchaussée du Mans, d'être son exécuteur testamentaire, et nommait comme son légataire universel l'aîné de ses petits-fils, fils du marquis de Tessé « mort à Prague au service du Roy ».
Vers cette même époque, pour conserver à son petit-fils la charge de grand écuyer de la Reine, le comte de Tessé s'était vu obligé de reprendre l'exercice de son ancienne charge, ce que, nous explique le duc de Luynes dans ses Mémoires, il ne faisait qu'à regret. Bien différent de son père, comme nous l'avons dit plus haut, il détestait la vie de Cour. « Il aimait » dit encore le duc de Luynes « sa liberté et en usoit, même tout le plus souvent qu'il lui étoit possible. Il demeuroit assez longtemps tous les ans dans le pays de Maine et faisoit sentir, même à la Reine, que le temps de ces séjours à la Cour étoit pour lui un grand sacrifice. Il étoit dans une grande piété et ne faisoit nulle dépense dans ce pays-ci. Il jouissait d'un revenu considérable et on prétend qu'on lui a trouvé cent mille francs d'argent comptant après sa mort » (1).
Il est donc à croire que c'est lui qui fit faire au château de Vernie, où il passa les dernières années de sa vie, les agrandissements et les embellissements qui avaient fait avant la fin du XVIII* siècle de cette résidence seigneuriale une des plus somptueuses du Maine.
Le comte de Tessé avait un neveu, François-Philibert de Briqueville, chevalier de Saint-Louis et lieutenant-colonel du régiment d'Escars, fils de Jean-François de Briqueville, comte de la Luzerne, qui était alors gouverneur des ville et château de la Flèche, et de feue dame Françoise-Philiberte-Damienne de Froullay, pour laquelle il paraît avoir eu une affection particulière. Ce qui est certain, c'est que le mariage de celui-ci avec Mlle Marguerite-Alexandrine Savary, fille aînée de feu Camille Savary, chevalier, marquis de Fresne, et de dame Marie-Made(1)
Marie-Made(1) du duc de Luynes.
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leine Cholet, de la paroisse du Crucifix du Mans, fut célébré le 31 janvier 1746 dans la chapelle du château de Vernie, et que René-Mans de Froullay y fut le principal assistant (1).
Il était dit que l'infortuné châtelain de Vernie survivrait non seulement à sa femme, mais à ses trois fils.
Quelques mois après le mariage dont nous venons de parler^ il eut la douleur de perdre le seul fils qui lui restait, René François. Ce dernier, qui se qualifiait seigneur du Plantis, écuyer, et chevalier de Malte, avait été capitaine de dragons dans le régiment Dauphin, et il était devenu en 1740 colonel du régiment d'infanterie du Vermandois. Envoyé en 1746 avec son régiment en Italie, il se trouvait à la bataille de Plaisance (16 juin) et il y eut la jambe emportée d'un boulet de canon. Il mourut de sa blessure quelques jours après.
René-François de Froullay avait fait, paraît-il, ses deux petits neveux, fils de son frère aîné, ses légataires universels, le premier pour la propriété et le second pour l'usufruit (2).
René-Mans I de Froullay n'avait plus alors que quelques mois à vivre. « Le comte de Tessé » nous dit une sorte de notice funéraire qui devait être plus tard inscrite sur son tombeau à la suite de son épitaphe (3), « le comte de Tessé, déjà faible et languissant, ne put survivre plus longtemps à des pertes si douloureuses. Caché dans sa province, il déposa aux pieds de la Croix ses gémissements et ses larmes, et mourut avec les espérances de la foi le 22 septembre 1746, dans la 65e année de son âge. Il avait ordonné dans son testament que ses cendres fussent réunies dans son tombeau à celles de son père, de son oncle, de son frère et de ses fils ».
Ce ne fut toutefois que l'année suivante, le 27 novembre, qu'eut lieu dans la chapelle du château de Vernie le transport
(1) Registres paroissiaux de Vernie.
(2) Voir La Chesnaye des Bois.'
(3) Cette épitaphe en marbre qui provenait évidemment de Vernie, se trouvait il y a quelques années dans le jardin du presbytère de Fresnay, où M. le chanoine Didion, curé de cette paroisse, l'avait découverte, non sans la signaler à M. Robert Triger.
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et sépulture du corps de « très haut et très puissant seigneur Monseigneur René-Mans, sire de Froullay, comte de Tessé, baron d'Ambrières, vicomte de Beaumont, Fresnay et Vernie, lieutenant-général des armées de S. M., et des provinces du Maine, Perche et comté de Laval, premier et grand écuyer de la Reine, décédé dans la 65e année de son âge, le 21 septembre 1746, en son hôtel au Mans, paroisse de Saint-Vincent ». Le vicaire de Saint-Vincent avait apporté le corps dans l'église paroissiale de Vernie pour y rester en dépôt. « La dite cérémonie fut faite par M. Denis Baudron, chanoine, en présence de Marcel Saincton, doyen de Sillé, Charles Champion, curé de Neuvillalais, Nicolas Savage, curé prieur de Vernie, François-Jean Rousseau, curé d'Aigné », etc. (1).
Conformément au testament du défunt, c'était son petit-fils René-Mans, troisième du nom, qui, en qualité de légataire universel de son grand-père, était désormais seigneur propriétaire de Vernie. Toutefois, comme il était mineur, car il n'avait que dix ans, il était alors, ainsi que son frère cadet, placé sous la tutelle de sa mère, Marie-Charlotte de Béthune-Charost, qui, dès les derniers jours de septembre, d'accord avec l'exécuteur testamentaire, Mre Samson de Lorchère, et représentée par Jacques Chaplain, officier de la Reine, demeurant au château de Lavardin-Tucé, fit procéder devant Nicolas Herpin et Nicolas Chasseray, notaires royaux au Maine, demeurant au Mans, à l'inventaire estimatif des meubles et effets relaissés par RenéMans I de Froullay, tant en son hôtel au Mans que dans ses châteaux de Vernie et la Celle en la Milesse (1).
Cet inventaire, fait par Joseph Danot pour le sieur Chaplain Jacques Chevreuil pour le sieur de Lorchère, et le sieur Rousseau, expert spécial pour l'argenterie, tous trois appréciateurs, eut lieu à partir du 28 septembre à l'hôtel Tessé, et à partir du 10 octobre au château de Vernie. Là, en présence du sieur Chaplain et de Me Pierre Auger, avocat en parlement, bailly et
(1) Registres paroissiaux de Vernie.
(2) Le document en question, capital pour l'histoire de Vernie, fait partie des Archives des Morets, au Mans, fonds Brièrc.
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juge du marquis de Lavardin à Conlie, procureur du sieur de Lorchère empêché, Nicolas Chasseray, aidé de GabrielJacques Fouré, notaire à Vernie, présida aux opérations.
Ces cinq personnages avaient été reçus par Mc Jean-Claude Gueudon, prêtre, chapelain de la chapelle du château de Vernie, agent de feu monseigneur comte de Tessé, demeurant au château de Vernie. On voit par l'inventaire, qu'il occupait plusieurs appartements dans la partie du château située le plus à gauche, par laquelle on commença.
Ce jour là et les jours suivants, en pénétrant par la cuisine, on visita successivement les différentes pièces situées tant au rez-de-chaussée qu'aux étages supérieurs, dont se composait l'intérieur du château. On parcourut ainsi, sans parler des vestibules, offices, cabinets, garde-robes et appartements réservés à l'intendant et gens de service, le salon à manger, l'antichambre, la salle de la petite chapelle, la petite chapelle, le salon du Pape, le grand salon, la chambre des maîtresses des Rois, la chambre de la Reine, la chambre de Madame la Maréchale, un second salon à manger, la chambre qu'occupait feu Monseigneur le comte de Tessé, la chambre du Roi, la chambre d'Henri IV, la salle du billard, la chambre de Madame la douairière, la chambre de Froulay, la chambre des Roches, la chambre de Richelieu, la chambre de Téligny, la chambre de Louvois, la chambre d'Endymion, la chambre de Cheverny, la chambre du duc de Bournonville, la chambre de Madame de Montespan, la chambre du Trésor, la gallerie, la salle du Roman comique, la chambre à côté de la salle, enfin la bibliothèque (1). Comme on le voit, il fallait, pour contenir autant de chambres, que le château de Vernie fût une des habitations seigneuriales les plus importantes du Maine (2). Son mobilier,
(1) Tous ces noms de chambres sont évidemment des noms de fantaisie donnés lors de la reconstitution ou augmentation du château,- dans le premier quart du siècle, par René-Mans I.
(2) Voir ce que nous dirons plus loin du procès-verbal dressé au point de vue de la longueur et de la largeur du château, ainsi que de la distribution des pièces, par l'expert délégué par le gouvernement révolutionnaire à la fin du xviiie siècle, avant de procéder à la vente nationale.
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d'après notre inventaire, était d'ailleurs des plus somptueux, nous craindrions, en reproduisant dans son entier ce précieux procès-verbal, d'excéder les bornes de notre étude et de fatiguer l'attention de nos lecteurs, car il contient au moins cent vingt pages d'une petite écriture très serrée.
Nous allons toutefois essayer de donner ici une idée du riche mobilier de Vernie au xvin" siècle, en citant ce qui nous a paru, comme meubles proprement dits, ou argenterie, ce qu'il y avait de plus intéressant, puis nous signalerons les tableaux ou portraits dignes d'attirer l'attention de ceux qui liront ces lignes, ainsi que dans la bibliothèque, les ouvrages vraiment remarquables pour le temps, enfin nous dirons quelques mots des documents ayant un réel intérêt historique ou féodal, conservés dans les archives.
Occupons-nous d'abord du mobilier. Ce mobilier, à en juger par la description des experts et surtout par leurs évaluations, était fort riche. La plupart des chambres dont nous avons donné les noms étaient pourvues de très beaux lits, tous estimés, avec leur contenu, au moins mille livres; il y en avait surtout un, dans la chambre de la Reine, que les experts n'avaient pas cru devoir estimer à une somme moindre que celle de quatre mille livres.Voici d'ailleurs, comment ils le décrivaient : « Item un chalict à colonnes de bois de noyer garni de fond d'une paillasse de toille à carreaux, deux matelats de toille à carreau et futeine à poil rempli de laine et crin, une couette et un traversin de coutil, rempli déplume d'oie et une mante de laine blanche de Ségovie, une couverture de taffetas d'Angleterre flambé, doublée de toille de coton piquée et fourrée de coton, un couvrepied de taffetas couleur de rose, brodé en argent et doublé d'une serge de soye verte picqué et foncé de coton, une courtepointe, trois soubassements, six rideaux, trois grandes pantes, chantournées, l'impérialle en petites pentes, le tout à bandes de velours et de broderie d'or et argent, doublé d'un satin vert et orné d'une petite frange et nielle d'or, une housse de serge d'aumale cramoisie, le dossier orné de velours vert, le tout estimé avec ses tringles de fer à 4000 livres. » Tel était ce
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magnifique lit qui, dans le mobilier du château en était sans doute l'objet le plus remarquable.
Dans le grand salon, on remarquait encore un très beau dais ainsi décrit dans l'inventaire : « Item un dais de velours cramoisy sur lequel sont les armes de la maison (de Froullay) brodées en or et argent, et orné de franges d'or et de galons d'or fin ». Ce dais était estimé 1200 livres. Sans avoir paru être d'une aussi grande valeur aux experts, nous devons mentionner, dans la salle de la petite chapelle, une table triangle à jouer l'hombre, de bois de fouteau (hêtre) à trois pilliers et à pieds de biche, couverts d'un tapis vert; et dans le grand salon : deux tables, dont l'une à jouer, à pieds de biche ». Les pieds de biche sont en effet très caractéristiques ; on sait qu'ils étaient très à la mode à cette époque.
Avant de nous occuper de l'argenterie, des tapisseries et des tableaux, arrêtons-nous d'une façon moins fugitive à la chambre qu'occupait en son vivant René-Mans I de Froullay, et qui mérite pour cette raison que nous lui consacrions une description aussi complète qu'un rapport d'expert peut le faire. On y voyait d'abord, suspendu aux murs, « un tableau représentant la cérémonie de l'ordre de la Toison d'or conférée à Monseigneur le maréchal de Tessé en 1725... » On y trouvait ensuite « une petite armoire de bois de placage à quatre fenêtres et deux tiroirs fermant de clefs ». On l'ouvrit, et on y découvrit « en différents sacs la somme de 1480 livres en espèce au cours de ce jour, et celle de 500 livres 6 sols 3 deniers, dans un autre sac, avec une étiquette sur laquelle était écrit : argent des pauvres. Led. sac trouvé dans un des tiroirs.... ». Comme on le voit le comte de Tessé n'était pas moins charitable que pieux.
Mais continuons l'inventaire du mobilier de sa chambre. « Item un fauteuil en confessionnal de bois de noyer à la capucine, couvert en maroquin noir avec son carreau aussi de maroquin ; item six fauteuils de bois de fouteau à la capucine, garnis de sangle et crin, couverts de leurs housses de tapisserie à petit point, brodés d'un gallon. Item une duchesse de bois de fouteau tourné, garnie de sengle et crin, couverte de mocquette
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à fleurs avec son carreau pareil ; item une table de nuit de bois de noyer. Item une commode à placage de bois... à quatre tiroirs garnis de serrure et clef; item un miroir à bordure de glace ornée de placages de cuivre de 27 poulces de haut sur 21 poulces de large ; item un tableau de 4 pieds de haut, sur 3 pieds 1/2, représentant des anges et autres figures ; item six portières de pluche de velours armoriées aux armes et trophées de la famille de Tessé ; item un petit tableau en taille douce représentant le cardinal de Fleury ; item une pendule à boite de placage d'écaillé et cuivre avec son piédestal; item un petit tableau sur marbre blanc représentant la Sainte Famille ; item un chalet à colonnes de bois de chesne sur pieds dorés, une couverture de taffetas d'Angleterre rayé, un couvrepied de taffetas de Florence couleur de rose, doublé de taffetas des Indes à fleurs, le tout piqué et fourré de coton, une courtepointe, dossier, plafond chantourné et doublure des rideaux et cantonnière, le tout de satin rayé, encadré de bandes de velours noir, orné de franges de soie, les rideaux et cantonnières, grandes pantes et soubassemens, pantes de points d'Angleterre en velours noir, la housse de serge d'Aumalle cramoisie, le tout estimé à la somme de 258 ■//■.
« Item un tapis de Turquie.
« Item une cassolette, à odeur de cuivre rouge.
« Item une pièce de tapisserie d'Angleterre, de 3 aulnes de haut sur 5 1/2 de long, représentant l'histoire de Gaston de Foix. »
Voilà quel était, l'ameublement de la chambre du défunt comte de Tessé. Pénétrons à présent, à la suite des experts, dans la garde-robe de la même chambre et ouvrons avec eux, les tiroirs de la commode de bois de chêne qu'on y aperçut tout d'abord. Il en sortît successivement :
« Trois chapeaux dont deux à bords d'or fin et l'autre à bord d'argent, un ceinturon de drap jaune orné de petites tresses d'argent et une bayonnette à poignée d'ébène ornée de crinière, une redingotte de pluche grise sur laquelle était un Saint-Esprit en plaqué ;
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« Une autre redingotte de pluche écarlate sur laquelle est appliqué un Saint-Esprit brodé d'argent ;
« Une mante de laine de Ségovie blanche ».
Dans une autre armoire se trouvaient les objets suivants : « une robe de chambre de taffetas couleur de rose avec son caluchon ;
« Une autre robe de chambre de damas à fleurs d'or ;
« Une autre robe de chambre avec son caluchon de toile de coton peinte ;
« Une autre robe de chambre de toille de coton peinte ;
« Six culottes debasin;
« Trois vestes aussi de basin ;
« Deux bonnets de velours, dont un noir et l'autre couleur feu, bordés en or ;
« Une veste puce, culotte de drogue noire, la veste galonnée d'or et doublée de taffetas bleu, une veste et une culotte de drap olive, la veste bordée d'argent et boutonnière pareille doublée de serge de soie blanche, une autre veste et une culotte de drap gris olive, la veste bordée d'un petit galon d'argent dentelé, doublée d'une serge de la même couleur ;
« Trois vestes et deux culottes d'écarlate dont une des vestes est à la Bavaroise, doublée d'une petite tresse ; une autre veste de pluche ;
« Un surtout de bouracan jaune doublé de camelot rouge, garni de brandebourgs à frange d'or et son Sain-tEsprit, un habit de drap jaune avec son Saint-Esprit doublé de toille rouge garni de brandebourgs d'or, un autre habit de drap jaune avec son Saint-Esprit, doublé de voille rouge garni de brandebourgs d'argent;
« Vingt-cinq chemises fines garnies de baptistes unies ;
« Dix-sept chemises de toille de brin garnies de grosse baptiste ;
« Seize tours de col de mousseline, quatorze mouchoirs de toille de coton ;
« Treize coiffes de bonnet de toille de lin garnies de baptiste ; « Onze autres de toille de lin aussi garnies de mousseline ;
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« Deux peignoirs et douze linges de garde-robbe et quatre linges à barbe;
« Six paires de bas de fil blanc et quatre autres paires de fil gris, deux paires de bas de peau, et neuf paires de chaussettes à pied ;
« Trois camisoles de basin dont une faite à l'aiguille, trois taies d'oreillers, un bonnet de coton, un bonnet de laine, dix bonnets de basin, trois bonnets de toille brodés, un plat à barbe de bois de la Cheine, huit paires de bas de laine ;
« Une bouilloire de fer blanc, une seringue d'étain, une paire de guestres, deux paires de pantouffles, deux paires de vergettes, sept paires de soulliers ».
Voilà ce qu'on avait trouvé dans les deux armoires de la garde-robe attenante à la chambre de René-Mans I de Froullay, et cette énumération, souvent descriptive des différents objets \ de toilette servant à habiller un grand seigneur dans la pre!
pre! moitié du xvme siècle, ne manque pas, n'est-il pas vrai !
d'intérêt et valait la peine d'être transcrite in-extenso malgré sa longueur.
Nous arrivons maintenant à la partie du mobilier concernant l'argenterie, les tapisseries et les tableaux.
L'argenterie se trouvait naturellement dans le « Salon à manger ». Elle se composait des objets suivants :
« Un grand plat rond à oreilles ; un grand plat rond uny, quatre plats ronds grands et à oreilles ; quatre plats ronds unis ; deux plats longs grands ; une cuiller à potage ; quatre cuillers à ragoût ; vingt cuillers et vingt fourchettes de table ; dix manches de couteaux d'argent ; vingt-quatre assiettes ; une soupière ; deux cuisinières ; deux salières et un porte-huillier avec ses deuxbouchons, quatre compotiers,unecaffetière,unethéière, six cuillers à café, une soucoupe, un sucrier, huit flambeaux, un porte-mouchette et l'éteignoir; une sonnette, un bougeoir, deux autres flambeaux, chacun à deux branches, deux autres flambeaux à la mozaïque, le tout d'argent pesant 201 marcs 7 onces, estimés l'un dans l'autre par le sieur Rousseau (expert spécial)
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à raison de 48 livres de marc, la somme de neuf mille six cent quatre-vingt-dix livres ».
En outre de cette argenterie servant aux repas, il y avait aussi à Vernie, toujours dans le « Salon à manger », mais renfermée dans une malle, une argenterie spéciale pour la chapelle, consistant dans « une lampe, six grands chandeliers, une croix, six corbeilles à fleurs, deux chopinettes et le bassin à laver, un calice et la patenne, le tout aussi d'argent pesant 22 marcs 5 onces 4 gros, suivant le rapport dudit sieur Rousseau, pour laquelle argenterie » on ne jugea pas à propos de fixer une estimation.
Voilà pour l'argenterie ; quant aux tapisseries mentionnées par l'inventaire, elles sont très nombreuses ; il y en a dans la plupart des pièces. Nous nous contenterons donc de signaler ici celles qui par leurs sujets ont un véritable intérêt artistique, de ce nombre étaient, dans la chambre de la Reine, « trois portières de tapisserie de petit point armoriées aux armes et trophées de la maison (de Froullay) estimées 60//-, » et « sept pièces de tapisserie de Flandre, armoriées aux armes de la maison de Froulay, de Lavardin et autres familles unies » estimées 300 -H- ; dans la chambre du Roi, « cinq morceaux de tapisserie faisant la suite de l'histoire de Gaston de Foix » estimés 310 # ; dans la chambre de Henri IV, «■ trois morceaux de tapisserie faisant la suite de l'histoire de Gaston de Foix » estimés 200 #.
Mais la partie la plus intéressante pour nous de l'inventaire de 1746 est sans contredit celle qui regarde les tableaux ; ils sont très nombreux et beaucoup d'entre eux méritent d'attirer toute notre attention. C'est d'abord dans le « Salon à manger » neuf tableaux représentant, le premier une cuisinière tenant un choux à la main, le second, très grand, le commandeur de Tessé (1).
(1) Il s'agit sans doute de François-René, le frère cadet de René-Mans I, mort, nous l'avons dit, à Lavardin en 1734. Il était en effet commandeur de l'ordre royal de Saint Jean de Jérusalem.
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C'est ensuite dans l'antichambre douze tableaux des familles de Tessé et de Lavardin. Mais c'est surtout la salle de la petite chapelle qui était remarquable à cet égard : on y trouva douze tableaux représentant les Empereurs romains, Henry IV, le cardinal de Mazarin, le connétable de Montmorency, le Roi de Suède, etc. ; tous ces tableaux faisaient corps avec la boiserie et en remplissaient les vides. Dans la petite chapelle on remarquait un tableau représentant la Sainte Vierge avec des anges qui l'environnaient. La chambre de Madame la Maréchale n'était pas moins pourvue de tableaux que la salle de la petite chapelle : on y voyait « un petit tableau sur cuivre représentant un homme à son bureau comptant de l'argent, un tableau représentant une nudité (sic), un autre tableau qui est le plan de Toulon, un autre tableau représentant Madame la maréchale de Tessé, un autre tableau peint en encre de Chine représentant la ville de Marseille et les galères sur le port de la ville ».
Dans le salon à manger, on remarquait tout d'abord un tableau représentant le pape Clément XI qui voisinait avec deux autres tableaux où étaient peints un paysan et un cardinal. Nous avons vu, en décrivant la chambre qu'avait occupée le feu comte de Tessé, qu'elle était ornée par un tableau reprétant la cérémonie de la Toison d'or conférée au maréchal de Tessé en 1725 et d'autres tableaux. Dans la chambre d'Henri IV, se voyait un tableau représentant un satyre. Dans la salle du billard, deux grands tableaux représentaient le famille royale de Louis XIV. Le garde-meuble contenait un portrait du prince Ragotski en miniature, et la chambre de Madame la douairière : deux petits tableaux représentant l'un un cordonnier, l'autre une fileuse. Dans la chambre de Bacchus, on voyait deux petits tableaux représentant un paysan et une paysanne ; enfin dans la chambre à côté de la Salle du Roman comique il y avait un tableau représentant un paysage. Plusieurs de ces tableaux ou portraits font aujourd'hui partie du Musée du Mans, entre autres celui du Maréchal de Tessé recevant de Philippe V l'ordre de la Toison d'or (1).
(1) Voir l'Hôtel de Tessé au Mans, par Robert Triger.
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Ce fut le 15 octobre dans l'après-midi que l'on procéda à l'inventaire de la bibliothèque située au premier étage, à côté de la salle du Roman comique. Me Jean Pichon, libraire au Mans, avait été requis pour estimer les livres qui étaient renfermés dans une des armoires. Cette collection d'ouvrages imprimés était, nous assure Robert Triger, plus importante que celle de l'hôtel Tessé qui ne comprenait que 250 volumes environ, évalués 475 livres,. Il s'en faut d'ailleurs que tous eussent une réelle valeur, ou du moins un véritable intérêt.
La littérature et l'histoire romaine étaient représentées par l'Enéïde travestie de Scarron, les Métamorphoses d'Ovide et les oeuvres de Tacite. Presque tous les chefs-d'oeuvre de la littérature de l'époque de Louis XIV se trouvaient dans cette bibliothèque : les tragédies de Corneille et de Racine, les comédies de Molière, les Fables de La Fontaine, les Aventures de Télémaque de Fénélon; le Roman comique de Scarron, la Manière d'étudier et d'enseigner les Belles-Lettres de Rollin. Les littératures étrangères étaient représentées par le Don Quichotte de Cervantes et les oeuvres de Pétrarque et de Guichardin. Les mémoires et l'histoire de France ne s'en trouvaient pas non plus absents ; on y trouvait les mémoires de Brantôme et de Sully, l'Histoire de France de Mezeray, et presque toutes les publications historiques de l'abbé de Vertot. On remarquait aussi parmi ces livres un ouvrage assez rare, le Livre des cérémonies de Louis XV à son sacre et à son mariage, qui fut estimé 30 livres. Les livres sur le jardinage et la culture des arbres, assez nombreux dans la bibliothèque de Vernie, semblent prouver que René-Mans I de Froullay avait dû s'occuper beaucoup de la plantation et de l'entretien des beaux jardins que l'on signalera à la fin du XVIII 0 siècle dans les dépendances du château. Enfin, après ce qui a été dit de la grande piété du dernier comte de Tessé on ne s'étonnera pas de trouver parmi les livres à sa portée une Semaine sainte et une Année chrétienne en 13 vol. Le 17 octobre on continue l'inventaire de la Bibliothèque et on ouvrit une grande armoire où étaient spécialement conservés quatorze recueils d'une grande importance historique. C'étaient
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les lettres et ordres adressés au Maréchal de Tessé par Louis XIV et ses Ministres pendant la campagne de 1686 en Flandre, les lettres écrites par lui en 1694 au Roi et à ses Ministres, ses lettres et mémoires concernant les affaires d'Italie et ses rapports avec le duc de Savoie en 1687 et dans les années suivantes, enfin des mémoires relatifs aux autres campagnes et ambassades du père de René-Mans I, ainsi qu'à son séjour à Marseille comme général des galères. On trouvera du reste de plus amples détails sur toutes ces lettres, papiers et mémoires, du Maréchal dans Y Hôtel de Tessé, par Robert Triger, auquel nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur.
Pour ce qui est des archives domaniales et féodales de la terre de Vernie et de ses dépendances dans le Haut-Maine, elles étaient conservées dans la chambre située à côté de la Salle du Roman comique, où on procéda à leur examen et triage.
Ce jour là, 17 octobre, et le lendemain, on énuméra les titres qui se rapportaient surtout à la régie et aux baux, qui n'ont pour nous qu'un intérêt très secondaire et sont beaucoup moins instructifs que ceux de l'immense fonds Tessé conservé aux archives départementales. Mais où ceux-ci, dont il n'est pas question dans l'inventaire de 1746, pouvaient-ils alors se trouver? Peut-être au château de Lavardin devenu le cheflieu du Marquisat de Vernie-le-Froullay.
(A suivre).
A. DE BEAUCHESNE.
La Société savante Balliol Earthworks Survey, de Hove (Sussex), a mis à exécution son programme d'études dans le Maine, qui comprenait :
1° Des levées géométriques du Mont-Barbet, au Mans ;
2° L'étude des monuments laissés par Robert de Bellême dans le Saosnois, sur la frontière mancelle (châteaux à motte).
Une délégation de cette Société, dirigée par M. John Pelham Maitland, et composée de MM. Robert Gurd, W. J. Jacobs, W. g. Tilling, Frank Burtt, est arrivée au Mans le 25 juin au soir; elle en est repartie le 29 juin.
Pendant ces quatre journées de travail, les membres de la B. E. S. sont restés en contact avec ceux de la Société historique et archéologique du Maine.
Reçus à la gare du Mans, par M. de Linière, vice-président de la Société, ils ont été accompagnés dans leur visite de la ville et dans leur excursion dans le Saosnois, par quelques membres de la Société.
Ils ont été reçus officiellement le 28 juin à 16 heures, au siège de la Société, Grande-Rue, par le Bureau et un groupe de nos membres.
M. de Linière leur souhaita la bienvenue et rappela le souvenir des ducs de Normandie qui gouvernèrent le Maine au xi° siècle et s'emparèrent, avec le secours de quelques manceaux, à la suite d'une expédition célèbre, du beau et riche pays de la Grande-Bretagne. Il évoqua, le souvenir également cher aux Anglais et aux Manceaux, de Bérengère de Navarre, reine de la Grande-Bretagne et comtesse douairière du Maine, sur la tombe de laquelle notre Société veille pieusement.
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Puis il admira avec nos hôtes le génie d'un Guillaume le Conquérant et d'un Robert de Bellême, qui surent établir au Mans, à Ballon et dans le Saosnois, des fortifications extrêmement solides pour leur époque. Si ces ouvrages avaient pour but de refréner la turbulence et l'impatience des manceaux, ils témoignaient aussi de la vaillance et de la valeur des guerriers de notre province, si jalouse de son indépendance.
M. de Linière, en félicitant la délégation anglaise et particulièrement son jeune et savant directeur, de son érudition technique sur la fortification du moyen âge, cita les travaux publiés sur cette matière par d'anciens membres de la Société : MM. de Lestang, Eugène Hucher, Robert Charles, Gabriel Flcury, et tout dernièrement encore par notre regretté président Robert Triger.
Il remercia nos collègues britanniques d'être venus dans le Mainepour honorer le souvenir de nos ancêtres, signaler et ainsi sauvegarder les travaux si importants qu'ils y ont exécutés et qui subsistent encore.
Notre vice-président après avoir rappelé le nom de plusieurs Anglais qui ont été ou sont encore membres honoraires de la Société, MM. Knight, Percy Goddard Stone et John Bilson, demanda à l'honorable directeur général de la Balliol Earthworks Survey d'accepter le même titre dans les rangs de la Société historique du Maine.
M. J. Pelham Maitland répondit à ce discours de bienvenue en remerciant les membres de la Société de leur aimable accueil, et en exprimant sa satisfaction d'avoir pu admirer les richesses archéologiques du Mans et de la région.
Il se propose de faire le plan très complet et très exact du Mont-Barbet, qui sera un grand succès pour leurs études.
II a fait avec ses collègues, des relevés fort intéressants du Mont-Barbet au Mans et des châteaux à motte de Peray, de Saint-Santin, à Bellême et de la Motte-Gautier à Chemilly.
Enfin le directeur de la B. E. S. se déclare fort sensible au titre de membre honoraire de la Société, qui vient de lui être
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décerné. II signa, ainsi que ses collègues, le registre de nos délibérations, où le procès-verbal de leur venue au Mans a été reporté.
Un goûter intime suivit cette réception pendant laquelle des conversations très cordiales furent échangées, tant en anglais qu'en français.
En attendant que nous recevions les résultats scientifiques des travaux de la B. E. S. dans notre région, et particulièrement le plan très précis du Mont-Barbet, M. Pelham Maitland nous a fait parvenir en même temps que son portrait, un exemplaire du plan du Château-à-Motte du comte Guy de Ponthieu à Beaurain (Pas-de-Calais), plan qui fournit une preuve très solide de l'antiquité de la tapisserie dite de la reine Mathilde, à Bayeux. Beaurain se trouve être le soubassement du château fort qui correspond jusqu'au moindre détail, à celui que l'on voit sur cette tapisserie.
Il a adressé en outre à la Société trente photographies excellentes de vues du Mont-Barbet, de l'emplacement de la Turris Regia, place du Château, au Mans, des restes de la Tour nord de la cathédrale du Mans, de vues des parties romanes à l'intérieur de la Couture, du château de Ballon, de l'église et de la vieille Motte de Peray, de l'ancien château de Bellême et de la chapelle Saint-Sautin (anciennement N.-D. du Vieux-Château, xc siècle), de la Motte-Gautier, près Chemilly.
Au nom de la Société, nous lui envoyons l'expression de notre sincère reconnaissance.
Nous espérons que ce voyage de nos collègues anglais sera fructueux pour l'histoire des fortifications militaires du Maine au xie siècle, et qu'il apportera un sérieux appoint aux travaux historiques et archéologiques de nos devanciers. R. L.
Ont été admis comme membres titulaires :
M. Emile OGER, greffier du tribunal civil, 5, rue PaulBeldent, Le Mans.
M. Jean BACHELIER, 25, rue du Bourg-d'Anguy, Le Mans.
M. Jean DE BAUDREUIL, château de la Cour de Broc, par Le Lude.
M. Georges BOUJU, étudiant en droit, à Malicorne.
Mme Louis LEMAI, 36, rue des Plantes, Le Mans.
M. André DESCLÉS, avocat, 28, rue de Paris, Le Mans.
A été admis comme membre honoraire :
M. John PELHAM MAITLAND, ingénieur, directeur général de la Bailliol Earthworks Survey, Lestrem House,Hove (Sussex), Angleterre.
M. AMBROISE GENTIL
Le 13 juillet est décédé au Mans, M. Ambroise Gentil, président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, âgé de 85 ans.
Erudit très obligeant et botaniste fort réputé, le vénérable défunt dirigeait depuis quarante-sept années, la Société doyenne des Sociétés savantes de la Sarthe. Il en avait conservé toutes les traditions et avait fait de la façon la plus méthodique le classement de ses riches archives et de sa belle bibliothèque. Il a publié dans ses Bulletins de nombreux travaux qui font ressortir la réelle valeur de son érudition.
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On peut dire qu'il avait consacré à cette Société les meilleures années de son existence et il lui a donné une vitalité considérable.
Il en dirigeait les travaux avec autorité et présida jusqu'à la fin les séances mensuelles, avec une constante régularité et une rare bonhomie, non exempte de finesse.
Notre Société qui a entretenu toujours avec la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe et avec M. Gentil, son président, les rapports les plus cordiaux et les plus courtois, adresse à nos confrères, l'expression de ses sincères regrets.
Etant elle-même dans le deuil de son Président, elle ressent toute l'étendue de la perte que cette Société vient d'éprouver et elle exprime à Madame de Saint-Pierre, notre collègue, sa fille, ses respectueuses condoléances. R. L.
La Société vient de recevoir de M. le comte de Bastard d'Estang, ancien président, une belle épreuve photographique de son portrait, qu'elle a été très heureuse de placer dans la salle de ses séances, auprès de ceux de ses anciens Présidents.
Ce portrait porte l'inscription suivante :
Le comte de Bastard d'Estang,
Secrétaire général de la Préfecture de Seine-et-Oise, 1875.
Sous-préfet de Dieppe, 1877.
Maire de la commune d'Avoise (Sarthe), 1878-1919.
Président de la Société historique et archéologique du Maine, 1893-1898.
Le Bureau exprime à M. le comte de Bastard d'Estang, qui a répondu si gracieusement à son désir, sa vive et respectueuse reconnaissance. Il sera heureux de présenter ce portrait à l'Assemblée générale de 1928, et, comme il l'espère, en présence même de son ancien et distingué Président.
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Sarcophage de Luché.
L'église de Luché, incendiée par la foudre le 28 juin 1921, vient d'être relevée de ses ruines. Le clocher, notamment, a repris son ancienne importance; la flèche en a même été légèrement surélevée.
Par contre, la nef a été diminuée de deux travées, par mesure d'économie et l'aspect intérieur de l'église se trouve passablement modifié. Le choeur a été classé monument historique.
Dans le cours des travaux, on a découvert sous l'ancien dallage, un sarcophage très ancien et bien conservé. Le couvercle a été malheureusement cassé en deux morceaux par le fait des ouvriers.
Le couvercle est décoré d'ornements de formes géométriques assez frustes. Il ne révèle aucun signe religieux et on peut l'attribuer à l'époque gallo-romaine.
Il serait à souhaiter que ce sarcophage fut recueilli par le musée archéologique du Mans, et il a été signalé à la Commission du Musée, à fin de sa conservation.
Le nouveau Musée et le parc de Tessé.
Le 14 juillet dernier ont été inaugurés le nouveau Musée de la ville du Mans et le parc de Tessé.
Ce musée, qui semble devoir abriter d'une façon définitive les collections d'art et scientifiques de notre ville, a été installé dans l'hôtel qui servait de demeure aux derniers évêques concordataires du Mans, construit lui-même sur l'emplacement de l'ancien hôtel des Comtes de Tessé.
Le très beau parc qui l'encadre a été presque complètement dessiné sur de nouveaux plans et se trouve réuni, à la suite d'importants terrassements, au jardin et aux allées des Jacobins. On accède au musée par un cours ombragé d'un bel effet.
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L'hôtel et le parc de Tessé avaient été vendus le 6 juillet 1810 par le comte et la comtesse de Tessé au préfet baron Auvray, stipulant pour les départements de la Sarthe et de la Mayenne, dans l'intention de seconder les vues des habitants de ces deux départements, pour l'établissement d'un séminaire diocésain. Ce fut plus tard un évêché qui y fut construit.
On ne peut s'empêcher de constater que l'affectation actuelle n'est pas celle que les vendeurs avaient stipulée (1).
L'aménagement intérieur de l'ancienne demeure épiscopale n'a pas été modifié. La disposition des tableaux, par écoles et par époques, a été heureusement faite. Quelques très beaux meubles anciens ornent ces salons.
Par un retour singulier des choses humaines, quelques portraits et tableaux provenant de la famille des Froullay, comtes de Tessé, sont revenus à l'emplacement qu'ils ont pu occuper autrefois, ainsi que le beau meuble en bois de rose, don de la Reine Marie-Antoinette, provenant de l'ancien évêché (2).
Ce ne sont que des épaves de l'ancienne splendeur du mobilier du maréchal de Tessé, qui a été décrit par l'inventaire de 1746 (3), après son décès, et dont la plus grande partie a été dispersée ou détruite par la révolution.
(1) L'acte de vente imposait aussi au préfet l'obligation de faire célébrer chaque année une messe et un service solennels pour M. et M" de Tessé. Cette clause n'est plus observée. (R. Triger, L'Ancien Hôtel de Tessé.)
(2) Ce meuble, à usage de bureau-bibliothèque, avait été donné par la reine à la comtesse de la Myre-Mory, sa dame d'honneur, et légué ensuite à la mense épiscopale, par Mgr de la Myre-Mory, évêque du Mans.
(3) Archives des Morets. Le Mans, Fonds Brière.
MESDAMES, MESSIEURS,
Une grosse dame au visage empâté, au nez perdu dans les joues, aux yeux bovins, voilà, si j'en crois son inscription même, le portrait de Victoire de Froullay, marquise de Créqui, tel qu'il figure en tête de ses Souvenirs en dix volumes, publiés en 1834 et depuis abondamment réédités. Ajoutons que la marquise dont s'agit raconte être née entre 1699 et 1701, avoir perdu son frère en 1713, avoir goûté avec le marquis son époux trente ans de bonheur sans mélange ; enfin que son esprit est tel, au cours des dix volumes publiés sous sa signature, que d'avoir dû faire répéter à toute l'Europe qui Fa lue : « Quelle commère! » et: « Quelle peste! ». Or, tout cela est faux : RenéeCaroline, et non pas Victoire de Froullay, est née le 19 octobre 1714, soit quinze ans plus tard que ne le disent les Souvenirs ; Charles de Froullay, son frère unique, n'est pas mort en 1713, pour la raison majeure qu'il n'est venu au monde qu'en 1722. Louis de Créqui, son époux, est mort au bout de quatre ans, et non point trente, de vie conjugale ; et quant à son aspeet physique et à sa tournure morale, nous verrons tout à l'heure
REV. HIST. ARCH. DU MAINE. 10
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ce qu'il en est. Bref, il ne se nie plus depuis longtemps que les prétendus souvenirs sont apocryphes : un certain Cousin, dit comte de Courval, fils d'un patron de barque breton, puis domestique de grande maison, les a fabriqués de toutes pièces. Louons Dieu, d'ailleurs, qu'il en soit ainsi, quand dès les premières lignes nous lisons cette phrase mortifiante : « Ayant été conduite entre sept et neuf ans, de Montflaux où j'avais passé ma première enfance, chez ma tante à l'abbaye normande de Montivilliers, je m'y trouvai d'abord un peu dépaysée, parce que je n'entendais et ne parlais que le patois manceau. » Dirait-on pas, à entendre ce faquin et ce Bas-Breton, que dans les châteaux du Maine on usât couramment, à la fin du règne de Louis XVI, du langage iroquois !
Hâtons nous d'abandonner, après l'avoir démasquée, cetteVictoire frelatée pour Caroline : au premier accueil que nous fait celle-ci, nous sommes obligés de marquer une déception. La première qualité d'une héroïne est d'être jolie ou du moins agréable ; or, même à travers cette innocente tromperie qu'est le recul des âges, impossible de s'y méprendre avec Caroline de Froullay : petite, si petite, que pour que son exiguité passe inaperçue, elle est réduite à l'artifice de hauts talons ; grosse; en revanche (pour une fois, Courchamp a raison); et son panégyriste est réduit à écrire : « Elle n'est pas grande, mais sa taille est ronde » ; un nez, enfin, que le même texte euphémique qualifie d' « un peu grand, mais bien fait », mais dont un autre brutal écrit tout uniment que c'était « un nez de perroquet très prononcé ». Enfin, pour comble d'infortune, le seul portrait où nous puissions juger d'elle est une gravure exécutée d'après un moulage mortuaire, à quatre-vingt-neuf ans, qui la montre en blouse monacale, un grand voile encadrant la tête, les orbites creuses et le visage émacié (1). Impossible, après toutes ces épreuves, de conserver une illusion ; où sont les aimables images où vous aviez bien voulu vous plaire à ma sollicitation jusqu'ici ?
(1) Voir à ce sujet la note qui suit cette conférence.
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Si du physique nous passons au moral, c'est une autre surprise : rien de grand, certes, comme la vertu, et ce n'est point ici, parmi cet auditoire qui me fournit tant d'occasions de l'admirer, que j'aurai la fâcheuse idée d'en médire. Mais, que l'on me permette l'expression brutale, en littérature, elle ne fait pas recette. Elle est une, comme la vérité, c'est-à-dire que comme elle, elle s'exprime en peu de mots, sinon d'un seul qui est bientôt dit. Qu'y a-t-il au contraire de prenant, même et surtout, dirai-je, pour les plus honnêtes dames, que les péripéties d'une héroïne qui, sous le coup d'instincts fâcheux ou d'aventures périlleuses, nous donne longuement l'émotion de la voir prête à succomber et la curiosité de voir comment on succombe, avant d'arriver intégralement et opportunément au port d'une sécurité bienheureuse ? De MmB du Deffand à la maréchale de Luxembourg, le xvme siècle nous en offre bien des exemples aussi édifiants qu'agréables. Or, faisons-en de suite notre deuil avec la marquise de Créqui : « ni tempérament ni roman », écrit d'elle Sainte-Beuve. Et il ajoute : « Mme de Créqui ne peut apparaître que vieille. C'est sous cette forme qu'elle a toute sa valeur et son originalité. » Ajoutez qu'à défaut d'une vie passionnelle quelconque, sa vie n'a connu aucune espèce d'incident qui puisse donner matière à un développement pittoresque. Elle est née, elle a vécu, et elle est morte, longuement, calmement, et modestement. Alors, qu'est-ce qui fait qu'on se souvient d'elle, et que cent vingtcinq ans après sa mort, un érudit, M. Paul Tisseau,vient de lui consacrer pieusement un livre qui est l'occasion de cette causerie ? Deux choses : la qualité de son esprit, et celle de quelques-uns de ses amis. Voyons donc, si vous le voulez bien, en une série de croquis, d'abord comment elle se présente dans son époque, ensuite, quelques-uns des cercles où elle se complut.
Elle est née, comme nous l'avons dit tout à l'heure, aux derniers jours du Grand Roi, au château familial de Montflaux, sur les confins du Maine et de la Bretagne, dans cette région montueuse, granitique, et boisée qui sent déjà le pays celte, et où
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Balzac, trente ans après sa mort, a placé les principaux épisode de ses Chouans. Le château où elle naquit s'y voit encore, lourd ensemble de constructions en briques, composé d'un principal corps de logis, flanqué de deux pavillons d'angle, et que surmonte un toit trapu. Alentour, des douves, des bois, des bois partout. Depuis le xive siècle Montflaux, érigé pour elle en comté, abritait la famille seigneuriale des Froullay, dont le nom sonne trop haut dans l'histoire du Maine pour qu'il soit besoin d'insister davantage. Au début du xvn 6 siècle, elle s'y divisa en deux branches, dont l'aînée, celle des Tessé, est devenue illustre à la Cour avec le maréchal de ce nom. Les cadets, continuant le nom patronymique, demeuraient fidèles à Montflaux où on les voit se perpétuer plus modestement dans la noblesse provinciale. Le grand-père et le père de Caroline furent, en même temps qu'officiers, lieutenants de roi pour la province du Maine et comté de Laval ; mais son oncle, Charles-Louis, appartient de plus près au Mans par l'évêché qu'il en exerça pendant les deuxième et troisième quarts du xvmc siècle.
Tous ces Froullay sont de caractère difficile ; le père passe pour autoritaire, l'évêque, pour hautain et irritable, et tous ces traits marquent le caractère de l'enfant. Au surplus, elle est élevée dans la solitude à la campagne, par une grand'mère maternelle qui lui donne une forte culture littéraire, mais l'habitue à se complaire dans la tour d'ivoire de son esprit. A vingttrois ans, on la marie : nous ne savons rien du marquis de Créqui, lieutenant-général des armées du roi, qui meurt, d'ailleurs, dès 1741, laissant sa femme avec un fils à élever et une fortune ébranlée. Pour refaire celle-ci, elle se retire quelques années dans un couvent parisien. Rassurons-nous d'ailleurs sur sa prétendue ruine : nous la voyons plus tard à la tête d'une maison d'une dizaine de domestiques, et quand elle mourra, au lendemain des grandes secousses révolutionnaires, elle laissera une fortune évaluée à 900.000 livres. Nous n'aurons donc pas à trembler pour sa subsistance.
C'est au moment où elle sort du couvent de la Doctrine Chrétienne, à trente-quatre ans, en 1748, que vont commencer la vie
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indépendante et le rôle social de Mmo de Créqui. Avec quelque vigilance qu'elle s'y applique, l'éducation de son fils ne l'absorbe pas tout entière, elle aspire à exercer ailleurs son activité et son esprit ; de quel côté va-t-elle se tourner ? Née pour la Cour et faite pour y briller, elle ne veut pas s'y contraindre : « Aucune femme, dit-on d'elle, n'a le maintien plus noble, le propos plus poli, et ne fait la révérence de meilleure grâce ; au jugement le plus exquis, elle joint une vivacité de pénétration et une promptitude d'expression extraordinaires » ; mais : « personne n'a jamais mis un taux plus philosophique aux honneurs et à l'éclat de la réputation. » C'est à dire que les succès de salon ne l'intéressent pas, et qu'elle s'en tient à la vie simple. Si peu qu'elle fréquente ses pairs, d'ailleurs, elle se trouve blessée dans sa distinction d'esprit des atteintes de leur jalousie : « Le monde est si jaloux et si sot, écrit-elle dès 1752, qu'il ne faut être étonné de rien. Plus je vis, et plus je l'éprouve, et la gent féminine est encore plus atteinte de ce mal qu'aucune autre. Vous voyez bien que j'en parle avec dépit, et c'est pour me plaindre à vous de ne pouvoir trouver de femme avec laquelle je puisse me lier six mois sans apercevoir son acharnement, moi qui n'ai jamais eu de prétention et qui ne désire que l'oubli. » Dédaigneuse et lassée, elle laisse donc se mener en dehors d'elle le tapage de la vie mondaine : « Le temps d'être dans le monde n'est jamais venu pour moi » écrira-telle dans sa vieillesse. En revanche, lettrée, et curieuse de lecture, le désir lui vient de connaître les littérateurs ; c'est à eux qu'elle ouvre le salon de l'hôtel où elle s'installe, au coin de la rue des Saints-Pères et du quai des Quatre-Nations. Elle le fait, d'ailleurs, avec la modestie qui est dans son caractère, se contentant d'entrebâiller ses portes, et sans tenir métier de patronne d'hôtel de lettres comme Mme Geoffrin. Mais d'Alembert, Marmontel, Saurin, l'abbé Trublet fréquentent chez elle, Rousseau y entre par la petite porte, Voltaire la connaît et l'apprécie, Dans ce milieu nouveau, l'étendue de ses connaissances, la vigueur de son esprit, la facilité de sa conversation, la mettent en lumière ; elle compose d'ailleurs elle
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même, s'exerce tour à tour avec une facilité égale à des maximes, des chansons, des portraits ; et puis, tout cet éclat passe à son tour, et comme tout à l'heure les salons, elle déserte les bibliothèques. Ce ne sont plus des littérateurs, mais deux ou trois amis soigneusement élus, le duc de Penthièvre, la duchesse de Chaulnes, la comtesse de Tessé sa cousine, qu'elle reçoit dans l'intimité. Deux raisons à ce nouveau revirement : la religion, d'abord, car elle a toujours été pieuse ; en vieillissant sa piété se fait plus rigoureuse, et les audaces des philosophes la scandalisent. « C'est Pascal, s'écrie Voltaire en entreprenant son évolution, qui nous a fait ce larcin là » Et puis, comme tout à l'heure les gens du monde, les gens de lettres l'ont déçue. « J'ai eu une destinée singulière, écrit-elle vers soixante-dix ans ; j'ai voulu être lettrée, et les lettrés m'ont paru ignorants ; femme du monde, et outre la bêtise des gens du monde, ils ne savent pas vivre. Enfin, je ne trouve pas qu'on puisse subsister avec les hommes habituellement. » Bref, c'est une série d'échecs, de déceptions et d'amertumes que cette longue vie monotone, et l'impression générale qui ressort de sa tristesse continue est celle d'une allée de cimetière.
Pourquoi tous ces renoncements et ce néant ? c'est que pour accepter sans trop grimacer d'amertume la vie, il faut de l'illusion, et que l'implacable lucidité de son esprit ne la lui permet pas. « Aucun ridicule, et pas même la plus petite affectation des gens qui l'environnent, ne lui échappent. Elle pénètre les âmes, elle les devine », écrit, comme elle n'a pas encore quarante ans, un portrait qui voudrait être laudatif. Et trente ans après, une autre plume d'ami : « Les nouveaux systèmes, les engagements publics ne fixent son attention que par le ridicule qu'ils lui présentent ». « Elle est pourvue d'une faculté d'observation qui doit avoir été redoutable aux gens ridicules ainsi qu'aux malhonnêtes gens, écrit de son côté l'abbé Delille cinq ans plus tard, et c'est ainsi que je m'explique sa sévérité malicieuse. » Ainsi le même mot revient partout, la vanité de toutes les prétentions lui saute aux yeux et c'est comme une caricature immense que l'humanité lui apparaît. Telle est la tare
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d'un esprit exact, et qui, quelque souffrance qu'il en retire, se plaît si bien dans son exactitude qu'il s'exerce à l'augmenter : son délassement favori est de définir des synonymes, parce que cela oblige à la précision, et quand elle lit, c'est, comme elle le dit, « moralistement », c'est-à-dire en extrayant des maximes.
Au surplus, est-ce encore cette lucidité qui en est la cause, ou bien est-ce le coeur qui est insuffisant ? l'élément affectif semble faire presque complètement défaut chez elle. L'enthousiasme lui inspire une répulsion instinctive, à la fois comme une vulgarité et une duperie. Sa religion même, dont nous parlions tout à l'heure, participe de son calme glacé : « Vous êtes dévote sans extase », lui écrit Rousseau, et Sainte-Beuve résumera son jugement en écrivant que « son éternité sans rayons n'est qu'une espèce de repoussoir et d'assommoir dont elle écrase tout. » Du moins, dans des heures intimes, sa raison impassible n'a-t-elle pas un instant fléchi sous l'appel du sang, voire des sens ? Hélas ! impossible encore de l'espérer. « A cet assemblage aussi singulier que brillant de qualités différentes de l'esprit, écrit encore le contemporain louangeur de sa quarantaine, Mme de Créqui aurait uni toutes celles du coeur si elle eût été capable de tendresse, mais elle en nie jusqu'à la réalité. Elle croit que les anciens et les modernes se sont donné le mot pour établir dans le monde la chimère de l'amour... Indulgente, facile, compatissante, attentive, généreuse, son fils, ses parents, ses amis, ses domestiques, trouvent le plus galant homme et l'ami le plus sûr dans la femme la plus aimable. Heureux qui en pourrait plus dire de son coeur! ». Comme Chamfort de Fontenelle, on pourrait dire, en épiant en vain les battements de son sein : « C'est encore de la cervelle qu'elle a là ! »
C'est, sans doute, l'effet chez ce petit être d'une santé précaire qui la tourmentera toute sa vie, lui interdisant, semble-til, toute la puissance de chair et la chaleur de vie de l'humanité commune, la laissant en proie à une âme aiguë « et qui l'use », dit Rousseau. C'est aussi, poussée à l'extrême, la manifestation de la société affinée et élégante, mais épuisée, où elle
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vit, race énervée par une vie de salons abusive, et à qui il faudra les flots de sang de la Révolution pour lui refaire une sensibilité. Et pour que la disgrâce de Mme de Créqui soie complète, le peu d'affection que la précarité de sa nature lui permette va encore se retourner contre elle : ces lacunes d'humanité dont elle souffre, et qu'ignore le premier laquais venu, elle les retrouve plus marquées encore chez le seul être sur lequel se soient un peu ouverts ses bras, c'est-à-dire son fils : abondamment doté par elle à son entrée dans la vie pour assurer sa carrière militaire, Charles-Marie de Créqui se révèle à son tour comme un homme d'esprit, mais caustique et redouté, et dont la sécheresse native se retourne contre sa mère ; après avoir épousé pour sa dot et pour l'influence de sa famille une jeune fille affligée de deux cautères et d'une bosse, il se brouille bientôt avec elle, et cesse du même coup tous rapports avec sa mère. Et dans les lettres de celle ci, les mots affreux abondent: « Mon fils est àVersailles sans y rien faire ! le deuil de tout ceci est fait, je n'ai réussi à rien, et il m'en coûté jeunesse, santé, fortune, présent, avenir..., mais Dieu permet tout pour nous détacher de tout... ». « On vient de me dire que mon fils était député (aux Etats Généraux) ; je n'ai pas eu une fois de ses nouvelles; je vois cela, je ne le sens plus. » Enfin, l'année d'après, à son intendant : « Je vous félicite de bien placer vos enfants ; c'est un grand bonheur, et un plus grand de n'en pas avoir. »
Arrêtons-nous, le désert est complet ; il est temps d'en fuir la bise glacée, et de revenir, au moins en intermède, vers des régions plus modérées où nous pourrons exercer des facultés plus humbles, peut-être, mais plus humaines. Nous en trouverons l'avantage en nous retournant vers quelques amis, et aussi vers un proche parent de Mme de Créqui.
Au baptême de Mlle de Froullay, avait signé à l'acte, avec sa grand'mère maternelle et son père, le frère de celui-ci, « haut et puissant seigneur Louis de Froullay, chevalier'non profès de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem ». Cet oncle, dont on voit
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l'ombre se pencher sur son premier jour, accompagne plus de la moitié de la vie de Mrae de Créqui, et dans cette réserve pénible où on la voit se tenir au regard de tout ce qui est sentiment affectif, il est à peu près le seul à l'égard duquel on lui voit manifester de l'abandon ! « Elle a aimé son fils et son oncle », pourrait se borner à dire son épitaphe ; mais celui-ci, tout au moins, le lui a bien rendu.
Quelle attachante figure que celle de ce Louis de Froullay, et comme, avec un peu plus d'éléments, on serait heureux de s'y arrêter ! Puisqu'aussi bien il est aussi Manceau que sa nièce, accordons-nous en sa faveur un peu d'école buissônnière : né en 1692, parmi de nombreux frères et soeurs, il est dès sa naissance, avec beaucoup d'eux et pour assurer la grandeur de l'aîné, voué à l'Eglise ; et le voilà chevalier de Malte, mais sans avoir prononcé de voeux. Il gagnera tour à tour dans l'Ordre les grades de commandeur et de bailli, et c'est sous ce nom définitif de « bailli de Froullay » qu'il est connu dans l'histoire. Ce grotesque Courchamp, qui ne recule devant rien, raconte comment, ayant arraché de la ceinture du Grand Maître les clefs du Saint-Sépulcre qui y sont toujours attachées, il dut s'enfuir de Malte sous peine de décapitation. Cette fable absurde n'a même pas l'excuse d'un prétexte. Mais à défaut de cette voie de fait, que de jolis gestes nous lui voyons accomplir !
Jeune, sensible, et d'ailleurs libre de voeux, ne l'oubliez pas.il commence par perdre un peu la tête dans le tourbillon de la Régence qui débute à ses vingt-trois ans. Mais là, il rencontre un ami avec qui il restera intimement lié, et surlequel il faut nous attarder aussi, d'abord à cause du roman qu'il évoque, ensuite, parce que son image va être indissolublement liée à celle de Louis de Froullay, et, par suite, à celle de Mme de Créqui : c'est le chevalier d'Aydie, lui aussi cadet de famille, chevalier de Malte, et non profès ; Froullay et d'Aydie, tous deux loyaux et enthousiastes, deviennent aux yeux du monde un modèle d'amis qu'on cite, et aussi, — c'est Voltaire qui parle, — « les deux
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plus vertueux hommes du royaume », « les deux chevaliers sans peur et sans reproche », « de vrais Bayards ».
Vers 1722, aux alentours de trente ans, d'Aydie devient le héros d'un roman qui va marquer dans son siècle et auquel après deux cents ans on se reporte encore avec ravissement. Vingt ans auparavant, une toute petite Circassienne avait été enlevée par les Turcs de ses montagnes natales, et vendue quelques sequins à l'ambassadeur de France à Constantinople qui l'avait ramenée à Paris. Le mystère de sa naissance, l'étrangeté de ses manières, sa grâce, sa beauté, étendirent bientôt autour d'elle un cercle d'admiration. Avec elle, c'est l'exotisme qui prend pied dans la société française, et Aïssé (vous l'avez déjà nommée), c'est une petite soeur d'Aziyadé. Le Régent, qui ne connaît pas d'obstacle, la trouve à son gré, mais elle le repousse rudement. En revanche, quand d'Aydie et elle se trouvent en présence, de suite, comme dit Saint-Simon, « leurs sublimes s'amalgament », et c'est, dans la débauche de la Régence, entre ce chevalier de Malte et cette princesse orientale, la plus délicieuse et la plus fraîche idylle, Le chevalier est fou d'Aïssé. « Vous n'avez pas, lui écrit-il, à la tête, un cheveu qui ne m'inspire plus de goût et de sentiment que toutes les femmes du monde ensemble », et quand, fruit de leur faiblesse, naît secrètement une petite fille, il éprouve la même ardeur : « Je ne puis exprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour, tout ce que la vivacité d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et dit ».
Qu'est-ce que l'Ordre de Malte pèse en face d'une passion pareille ? Ce chevalier sans reproche veut épouser la femme qu'il aime et reconnaître leur fille. Mais Aïssé, modeste, s'y refuse: en face de ce gentilhomme authentique, cette princesse lointaine n'est qu'une petite esclave, et leur union scandaliserait le monde, et elle coûterait à son amant sa profession, ses bénéfices, sa fortune. C'est à Froullay, qui la transmettra à d'Aydie, qu'elle exprime sa volonté : « Je suis trop son amie, dit-elle, pour le souffrir. » Obstination devant laquelle le chevalier s'incline. Et maintenant, Aïssé, ce n'est plus l'aînée d'Aziyadé,
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c'est la cadette de Bérénice, — et cet assemblage de classique et de romanesque sous les traits d'une jolie fille exotique fait un mélange savoureux auquel nous nous plaisons à voir uni le Manceau Froullay.
Et maintenant, à son tour, parlons de lui : c'est en 1727 qu'Aïssé en a fait l'interprète de son sacrifice; deux ans après, le voici à son tour en posture de sacrifié, dans deux lettres à d'Aydie publiées vers 1874, qui sont à peu près tout ce que nous avons de lui, et qui nous font regretter, combien, de n'en pas avoir davantage. D'abord, c'est le décor le plus romanesque : depuis quelques mois, l'Ordre l'a fait capitaine général des Galères, et il est à son bord sur sa galère « réale », en premier lieu à Malte, où son navire vient d'être « spalmé » (c'est-à-dire enduit de brai), ensuite devant l'île Lampedouse, arrivant de la côte de Barbarie. « Il y a vingt-quatre jours que nous sommes sans glace, sans fruits, sans herbes, sans légumes ; nous avons même été quelques jours avec un peu d'eau et assez mauvaise. Nous sommes vingt-cinq sur ma galère, et avec toutes les autres incommodités, notre réviditeur est gravement malade ; il occupe lui seul la chambre d'en-bas, et nous couchons tous dans le plan de poupe. Souvenez-vous que nous sommes à la côte d'Afrique, et dans la canicule. Nous avons donné chasse à deux ou trois petits bâtiments turcs qui se sont jetés à la côte, moyennant quoi nous n'avons rien pris.,, ma santé est meilleure qu'elle n'a jamais été. Vous ne me croyiez pas si corsaire, n'est-ce pas, mon cher Monsu ! » Voilà le paysage : comme cela nous change du Maine !
Et voici, dans ce cadre, ce qu'il écrit : plus que la mer et les Turcs, les vicissitudes parisiennes, des revers de fortune, surtout un amour malheureux, l'ont éprouvé. Bien qu'il aie trentecinq ans à peine, au choc de ces tourments, il sent l'âge qui monte, il se laisse aller à fléchir dans le sein de son ami : « Je ne vous parlerai plus de l'envie que j'ai de vous voir, parce qu'assurément je tomberais dans le cas de vous en parler trop vivement et trop tendrement. Nous touchons à un âge ou l'on est moins distrait par les plaisirs vifs, où les mouvements aux-
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quels nous engage l'ambition deviennent inutiles, où enfin les occupations douces, honnêtes, et tranquilles remplacent l'ivresse aimable et les folies de la jeunesse. Rien ne nous séparera plus, nous jouirons des douceurs inestimables de l'amitié dans le sein d'une philosophie sage et facile. Elle ne m'a, Dieu merci, pas manqué dans le moment de ma vie où j'en ai eu le plus besoin. »
A quoi fait-il allusion? 11 parle de son « esprit abattu », de son « âme inquiète », de son « coeur déchiré ». Il vit pourtant au milieu des fêtes : « Il y a ici une jeunesse aimable qui se rassemble volontiers chez leur général » (c'est-à-dire chez luimême). Et faut-il ajouter ceci : « Au reste, mon ami, sur le fait de la bagatelle, je suis dans un état tel que quelquefois la tête m'en tourne. Je n'ai jamais eu tant de besoins; les choses faciles ne me plaisent ni ne me conviennent, les difficiles entraînent des soins et des engagements désagréables. C'est une chose incommode d'avoir chez soi une garde de soixantedix hommes, cinquante valets dans sa maison, et dix qui vous suivent d'obligation quand vous sortez ; et puis, dans un petit pays, on sait tout ce que vous faites, on répète tout ce que vous dites et encore serait-on trop heureux si on s'en tenait là ».
Mais voici l'élégie : la lettre nous apprend qu'il avait en France une maîtresse, dont l'éditeur a malheureusement supprimé le nom, et voici ce qu'il nous en dit : « Ou vous ne connaissez pas l'amour, mon cher ami, ou vous ne connaissez pas l'impression qu'il fait sur mon coeur, si vous croyez que ce soit pour moi un coup de foudre que l'infidélité de ma maîtresse. Lorsque j'avais des désirs bien violents, bien ardents, bien jeunes pour une femme, si elle m'abandonnait pour un autre, si elle coquetait avec un autre, c'était pour moi un supplice insupportable. Ce n'est plus cela aujourd'hui. Mes cheveux blancs m'avertissent qu'il est temps de renoncer à ce bien si précieux. Un jeune homme beau, bien fait, aimable, doit avoir la préférence sur moi. Jugez de ce que je dois prétendre lorsque je suis à cinq cents lieues, absent pour deux ans. Je
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n'ai pas l'injustice de m'en plaindre. Je conserverai toujours beaucoup d'amitié pour elle, elle ne me refusera dans aucun temps son estime, et quelque jour, elle pourra y joindre un sentiment doux, tendre, et plein de confiance. C'est par là, je crois, que doivent finir les honnêtes gens ».
Il le dit, et il le croit; mais quinze jours plus tard, voici la seconde lettre, celle de Lampedouse, et voici ce qu'il écrit de son plan de poupe, parmi les vingt-cinq qui se serrent sous la canicule : « Mon âme et mon coeur ne sont pas si bien que mon corps. Vos dernières nouvelles m'affligent essentiellement. Je ne saurais prendre mon parti. Ce matin, nos trompettes et nos hautbois ont joué un air qu'ils savent que j'aime, et je l'aime parce que c'est elle qui me l'a appris. Je me suis senti dans ce moment déchirer le coeur ».
Le joli spectacle ! sur la galère de Malte, dans l'azur de la Méditerranée, et sous le soleil barbaresque, les trompettes et les hautbois sonnant, par une matinée lointaine, un air classique, doux, et cérémonieux, venu tout droit de Versailles, pour tromper la nostalgie de leur jeune général, — et toute la passion qui s'effare, à cette évocation soudaine, dans le coeur de l'exilé... Et d'entendre dans une seconde de chimère l'écho de cette musique, cela ne valait-il pas la peine d'affronter la longue, la douloureuse aridité de Madame de Créqui?
Et maintenant, quittons l'escadre, laissons cette marine prestigieuse sur une dernière lettre d'un Turc converti, le capitaine Khalil, qui dans un flot d'éloquence orientale « frotte son visage et ses yeux dans la poussière des pieds de Son Excellence de haute réputation, du très haut, très magnifique et très débonnaire Seigneur de Froullay, amiral de Malte ». — Laissons le bailli à la carrière qu'affranchi des douces erreurs, il suivra désormais avec exactitude : en 1741 ambassadeur de la Religion à Versailles, où le duc de Luynes nous le montre apportant des oranges de Malte à la reine Marie Leczinska; ministre plénipotentiaire pour la paix en 1747, enfin chargé d'une mission diplomatique près le roi de Prusse en 1753; et soulignons en passant le geste surprenant par lequel
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ce haut dignitaire catholique intervient en 1733 pour sauver du bûcher les Lettres Philosophiques de Voltaire : — on ne saurait être plus largemeut tolérant. — Au cours de cette trentaine d'années occupées qui lui restent à vivre, nous continuons à le suivre, lui et un peu aussi Mme de Créqui, dans la correspondance de d'Aydie. Comme le paysage a changé pour celui-ci! Une maladie de poitrine a emporté Aïssé, convertie et repentante, en 1733. « Rien n'approchait la douleur du chevalier devant cette agonie ». Retirant du couvent sa fille qui est tout ce qui lui reste de sa maîtresse, il est allé s'ensevelir avec elle chez ses frères et soeurs, dans les campagnes périgourdines ; et de là, de longues années, il correspond avec son ami de jeunesse, tantôt à Paris, tantôt à Versailles, tantôt aussi à Ernée au Bas-Maine, et aussi parfois avec sa nièce Caroline qu'il a connue par le bailli. Celle-ci, quoique bien jeune, l'effarouche un peu. « J'admire, écrit-il à Froullay, l'ordre, la raison et la conduite dont elle est remplie », et un jour où la marquise lui a fait part d'une chanson qu'elle venait de composer : « C'est un mérite bien rare dans les personnes d'une conduite aussi austère que la sienne de savoir chanter sur un ton si doux les charmes et la beauté de celles qui ne les imitent pas, et je les révère doublement de mêler de la gaieté et un peu d'indulgence philosophique à la pratique de toutes les vertus. Elle tient cela de vous, mon bailli ».
Mais lui? O fragilité ! Lisez cela, qu'il écrit de sa campagne en 1736, trois ans à peine après la mort d'Aïssé : « Je m'empâte dans l'oisiveté, je ne vois, je n'entends que des choses douces et tendres, je caresse depuis le matin jusqu'au soir des gens que j'aime, et j'en suis à mon tour caressé. Je chasse, je me promène, je lis, je rêve, ou je fais la conversation quand et comment il me plaît, ma volonté n'est jamais contrariée, nul objet n'aigrit ma bile ». Pis encore, toutes ces lettres, qui pendant vingt-cinq ans partent vers Paris ou le Maine, sont pleines de satisfactions égoïstes (« me bien porter, c'est là le but de toute ma philosophie »), de soucis culinaires, je dirai presque de recettes. Il souffle de tout ce Périgord, à travers les
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paniers qui partent constamment à l'adresse du bailli et de sa nièce, un pénétrant arôme de truffes, de dindes, et de pâtés.
Mais comme de cet enlisement sensuel, toujours aimable, d'ailleurs, et sans bassesse, sous la plume de l'indulgent épicurien, « paresseux comme un vieux âne » écrit-il lui même, « attaqué par la goutte qui lui donne tous ses grades dans le vénérable collège des vieux », mais toujours excellent ami, — comme, par contraste, ressort le haut portrait de Froullay : « Je n'oserai plus vous baiser que comme une relique », écrit d'Aydie en admirant son activité. « Que je vous plains et que je vous admire, mon cher bailli, quand je pense au courage avec lequel vous vous consacrez à soutenir les intérêts de notre ordre. Malgré la connaissance que j'ai de votre aptitude, je ne puis m'empêcher d'être effrayé de la vie que vous menez et d'avoir toujours envie de crier que vous devriez songer à donner des bornes moins étendues à votre zèle ou à votre travail ». Et encore : « C'est à vous, mon cher bailli, qu'est due toute la louange que mérite la constance de notre amitié, c'est à votre douceur, à votre patience, à l'indulgence et à la charité que vous conservez, tout dévot que vous êtes, pour un profond pyrrhonien. Voilà qui me convertirait si des moyens humains pouvaient me convertir. Que je suis malheureux, à soixante ans, sans passions, sans penchants pour le désordre, d'être si endurci, si inaccessible aux lumières de la foi ! Pour ne pas me rendre tout à fait indigne des grâces que vous demandez à Dieu pour moi, j'aurai du moins ce mérite auprès de lui que je ne cesserai jamais de vous aimer de tout mon coeur, et de vous regarder comme le modèle le plus parfait que j'aie jamais connu, et celui auquel je désirerais le plus de ressembler. »
« Notre cher chevalier d'Aydie est mort en Périgord », écrit Mme de Créqui en janvier 1761. « Son frère manda cet événement à mon oncle sans nulle préparation. Mon oncle, écrasé, me « fila » notre malheur une demi-heure, et s'enferma. Lundi, la fièvre lui prit, avec trois frissons en vingt-quatre heures et tous les accidents. Jugez de mon état. Enfin une sueur effroyable a éteint la fièvre sans secours, mais il a eu cette nuit un peu
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d'agitation. Je suis comme un aveugle qui n'a plus de bâton ».
Ainsi, jusqu'au bout, Oreste et Pylade ne se démentent point, et la force de leur amitié est si grande que d'entraîner presque la calme nièce d'Oreste à son tour. Oreste, d'ailleurs, ne survécut guère ; après quelques années d'infirmités, il mourut à son tour le 26 août 1766, rendant à Dieu l'une des plus belles âmes d'honnête homme qu'il aie jamais créées.
Ce couple Froullay-d'Aydie, que le médaillon d'Aïssé domine, c'est le sourire de la vie de Mme de Créqui ; aussi m'a-t-il entraîné à des développements dont je rougis, et qui restreignent fort ce qui me reste à dire. Je ne puis pourtant passer sous silence ce qui est dans notre littérature le grand titre de gloire delà marquise, sa liaison avec Jean-Jacques Rousseau.
Presque exactement contemporains, rapprochés d'ailleurs par de communes attaches avec Venise, où le père de Mme de Créqui avait été ambassadeur et où Rousseau fut secrétaire de son successeur, le hasard voulut que Mmc de Créqui passât du monde à la littérature au moment précis où Rousseau publiait avec l'éclat qu'on sait ses premiers ouvrages. Sans doute, il y avait de lui à elle des discordances graves : cette grande dame, malgré tous ses efforts pour lui plaire, demeurera toujours suspecte au plébéien ombrageux ; et pour elle, l'exactitude sèche de son esprit s'incommode de cette emphase romantique que le Genevois apporte avec lui. Elle le juge fou, mais elle ajoute : « Sa folie ne m'en détache point ». Sur bien des points, en effet, ils sympathisent ; et en même temps que dans cette femme réfléchie, sérieuse, et lettrée, Rousseau discerne une tout autre valeur que dans la bande des caillettes qui lui font la cour, ils communient l'un et l'autre en deux endroits essentiels : le haut souci de la vie morale, et aussi la misanthropie. Nés sur des degrés si divers de l'échelle sociale, l'un et l'autre sont également des solitaires graves, que la frivolité et les vices du monde dégoûtent ; et de l'un à l'autre, ils s'en répètent éperdument la critique. Voilà le tuf des vingt-sept lettres conservées
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pour l'immortalité de la marquise dans la Correspondance Générale de Rousseau, et qui nous permettent de suivre leurs relations pendant la période qui va de 1752 à 1771.
Parisien au début comme elle, il acceptait de manger à sa table, à condition qu'il y fût seul, copiait pour elle de la musique, et dès ce temps lui communiquait avant l'impression ses ouvrages, confiant dans sa critique avisée. Plus tard, quand il est retiré à Montmorency, ces échanges intellectuels continuent ; un faux pas, pourtant, compromet un instant cette liaison, et il nous atteint en plein estomac : « Je vous envoie, écrit en 1759 Mme de Créqui, quatre poulardes du Mans ; j'ai appris que vous étiez enrhumé et je crois que c'est un régime fort sain que celui que je vous propose. » Ainsi, d'Aydie, dans ce même temps, ne cesse d'envoyer des dindes; mais Rousseau n'est pas d'Aydie : il s'insurge devant ces produits de l'élevage de Montflaux : « En vérité, Madame, s'il ne fallait pas vous remercier de votre souvenir, je crois que je ne vous remercierais point de vos poulardes. Que pourrais-je faire de quatre poulardes ? J'ai commencé par en donner deux à des gens dont je ne me soucie guère. Cela m'a fait penser combien il y a de différence entre un présent et un témoignage d'amitié. A présent que les poulardes sont mangées, tout ce que je puis faire de mieux, c'est de les oublier ; n'en parlons donc plus; voilà ce qu'on gagne à me faire des présents. »
Devant cette verte réprimande, la marquise penaude s'excuse : « Ces pauvres bêtes venaient du Mans, et ont quelque réputation à cause de leur patrie. Je voulais savoir de vos nouvelles, et je les envoyais chemin faisant ; mais comme vous le dites fort bien, quand on les a mangées, le meilleur est de ne s'en point souvenir. Je ne me mets pas dans ce cas, car mon estomac ne s'accommode pas de choses si solides, et toujours des entrailles prêtes à s'enflammer ; à force d'huile, je les ai calmées cette fois-ci, mais pour combien de temps ? »
Une futilité d'office avait failli les séparer, de grandes pensées les réunirent. Il refusait ses poulardes, mais préparant son Emile, lui demandait ses idées sur l'éducation. « Vous êtes
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mère, Madame, et philosophe, quoique dévote; vous avez élevé un fils ; si vous vouliez jeter sur le papier, à vos moments perdus, quelques réflexions sur cette matière et me les communiquer, vous seriez bien payée de votre peine si elles m'aidaient à faire un ouvrage utile. » Elle obéissait, et ses réflexions étaient telles que de déterminer sans doute la théorie essentielle de l'Emile sur l'intérêt qu'il y a pour les parents à s'effacer en laissant l'enfant faire ses écoles lui-même ; elles ame« naient en tout cas Rousseau à écrire la suite de son illustre ouvrage en peignant Emile marié.
Il lui envoyait les pages à peine imprimées de YHéloïse, et la prude s'en émouvait : « Vous me manderez si je puis lire votre roman, ou quels chapitres, car je ne me suis permis que la préface et une lettre au hasard, où il est question d'une joue qui est vraiment brûlante ; or, je vous dis que je ne me permettrai point ces passe-temps, malgré mon âge et ma caducité. » (A quarante-sept ans!). Mais, sur les encouragements du philosophe, elle passait outre, et la mort de Julie lui fendait le coeur : « Elle me paraît mourir en sainte après avoir assez mal employé sa première jeunesse* » (En effet!). Devant cet applaudissement, les poulardes étaient enfin digérées : « Fùssiez-vous au bout du royaume, écrivait Rousseau, j'irais de mon pied faire un pèlerinage auprès de vous ». Puis l'Emile paraissait à son tour, et devant sa discipline, le coeur de la marquise bondissait : « Vos quatre volumes sur l'éducation sont propres à me donner des regrets tout le reste de ma vie, car j'y trouverai bien des omissions volontaires de mes devoirs... je n'ai pas nourri mon fils, et je l'ai emmailloté. » Et malgré que sa piété croissante s'alarmât des audaces du philosophe, que le péché originel les séparât, et que la profession de foi du Vicaire Savoyard ne fût pas du tout son fait à elle, ce ravissement des parties les plus hautes et les plus respectables de son intelligence était tel que d'inspirer à cette grande dame circonspecte la plus incroyable des familiarités : « Je renouvelle de ma main le serment d'une amitié tendre et constante, à l'épreuve de l'absence et du temps, même de la mort,
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car si je vous perdais, j'aimerais mieux ma douleur qu'un autre ami. Ayez donc soin de Jean-Jacques à cause de moi, et j'aurai soin de Caroline à cause de vous. » Et dans une autre lettre : « Adieu, Jean-Jacques, croyez que Caroline est la meilleure, la plus zélée, la.plus fidèle de vos amies ».— Caroline! il faut tout le respect que nous portons à l'austérité de cet entraînement intellectuel pour épargner notre sourire à l'élan qui précipite vers la robe arménienne du solitaire cette petite grosse dame au nez de perroquet.
Tout cela devait d'ailleurs périr misérablement quelques années après sous les coups de la folie croissante de Rousseau, et la dernière lettre qu'il lui écrivit, sept ans avant de mourir, en 1771, porte en quatre lignes un message de rupture. Encore un cercueil qui se ferme, une belle histoire finie ; et dans la hâte où nous sommes, cette liaison disparate ne nous arrêterait pas davantage si elle ne nous fournissait l'occasion d'une remarque bien pénible à notre amour-propre provincial.
Ce qui nous rattache à ces Froullay, c'est Montflaux ; or, Montflaux, ils y sont bien nés les uns et les autres, mais ils en vivent loin, et si le bailli y revient de temps à autre, nous n'y avons pas encore trouvé Caroline. L'y voici par hasard en 1764 ; écoutez ce qu'elle en écrit à Rousseau : « Je suis venue dans ce vieux château de mes pères qui ont eu la bonté de me le laisser. C'est une grande halle où on périt de froid et d'incommodité, mais c'est mon air natal et mon uhique bien, chargé à cartouches par ces vilains domaines, rentes et impositions royales. Avec tout cela, on y vit, et on y a la tête plus tranquille qu'à Paris. Les habitants ne sont ni logés, ni nourris, ni vêtus, et lorsqu'ils sont debout, ils sont plus gais que nos sybarites. Les gentillâtres y sont pitoyables, et leurs femmes itou ; cela arrive pour me faire la révérence à six heures du matin, boit mon vin en attendant mon apparition, dîne ensuite comme si de rien n'était, et puis s'en va. Les gros bourgeois sont plus de mise, mais cela est flétri par une soif de l'or odieuse. Ils sont tous assez riches, mais ils ne font guère plus de dépense que le peuple, et ils achètent et amassent. Cela fait des gens très
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faciles, car, quelque petit que soit mon état, je sais bien qu'ils y sont toujours bien par comparaison. En gros, ce peuple veut être tranquille et trouve l'avarice un calmant. Ils sont patients et prudents au suprême degré, pesant tout, ne risquant rien, et ne connaissant ni sentiment, ni sensation agréable. Vous jugez bien que je viens faire des affaires dans ce pays, et qu'il y faut bien séjourner quelquefois dans ma position. C'était autrefois avec chagrin ; présentement, je ne m'afflige plus que des choses qui ont rapport à mon coeur... »
Noblesse rurale et bourgeoisie, sans compter le peuple, le tableau est-il complet? et connaissez-vous insolence plus cinglante, plus profond mépris, que cette peinture de l'ivrognerie et de la bassesse des uns, de l'avarice des autres, de la sottise en masse de toute cette société de campagne, que du bout de son éventail,elle désigne dédaigneusement du mot de « cela »? Cent ans après que Molière les a notés, c'est encore Pourceaugnac, la comtesse d'Escarbagnas, Georges Dandin, et, pas beaucoup plus vile qu'eux, la plèbe qui les entoure ; et il est visible que si chrétienne soit-elle, la grande dame n'admet pas qu'il y ait entre elle et eux le moindre lien d'espèce. Je sais bien que chez la noblesse de cour d'alors, ce mépris de la province est constant ; nous l'avons noté naguère chez Lassay, et il faut entendre de son côté le maréchal de Tessé à Vernie (voyez le si intéressant article de notre collègue M. le Marquis de Beauchesne dans le dernier numéro de la Revue), parler des « boues du Maine » ; mais tout de même, il faut bien se tenir pour ne pas être tenté d'user de la réciproque envers cette renchérie qui ne peut plus nous répondre, et pour ne pas, suivant la formule fameuse, « l'insulter parce qu'elle n'est plus ».
Au moment où Rousseau la quitte, Mm: de Créqui a cinquante sept ans derrière elle, et trente-deux encore à mener, suivant son expression, « sa vie cahotée dans tous les temps, résignée à la volonté suprême ». Sa santé précaire, sa brouille avec son fils, son isolement, sa misanthropie, sont pour elle
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des maux de tous les instants. Le dernier allégement de cette souffrance, auquel nous consacrerons encore quelques minutes avant de voir son dernier déclin, c'est sa liaison avec Sénacde Meilhan.
C'est encore une surprise et un paradoxe : les trois noms que cette longue existence nous aura permis de mettre en face de celui de cette dévote scrupuleuse, d'Aydie, Rousseau, Sénac, sont ceux d'un épicurien, d'un hérétique, et d'un esprit fort ; et alors que la sincérité de sa conviction est inattaquable, ce contraste témoigne du moins de sa tolérance : on sent que le bailli est passé par là.
Vous n'attendez pas de moi qu'à l'heure où nous sommes, je vous décrive Sénac par le menu ; campons-en la silhouette en vingt mots : fils d'un médecin de Louis XV, de dix-huit ans plus jeune que Mmede Créqui, laid, mais avec des yeux d'aigle, homme d'esprit, mais paresseux et débauché, il a fait une rapide carrière dans la haute administration, tour à tour maître des requêtes, intendant à La Rochelle et Valenciennes, aspirant ministre des Finances et rival secret de Necker, pour, dans la force de l'âge, être arrêté net par des haines puissantes et par son aimable manque d'énergie. Ce « raté » supérieur s'est consolé de sa demi disgrâce en composant trois ou quatre ouvrages où il passe au crible de son expérience pessimiste les moeurs et les institutions de son siècle, et par surcroît l'humanité tout entière. Il n'y a point à s'étonner que le produit qui est sorti de cette épreuve ne soie pas bien consolant ni bien joli. Il abonde en maximes ; en voulez-vous quelques-unes ? « La vie est une étoffe dont la broderie fait tout le prix. » — « Rien n'a jamais fait effet sur moi comme vrai, mais seulement comme bien trouvé. » — « Les plaisirs sont la seule ressource de l'homme ardent et passionné dont l'ambition est contrariée. » — « Il faut avant tout se garantir de la misère, tout autre malheur doit peu affecter un homme jeune et bien portant, mais le besoin, la dépendance, et le mépris des autres empoisonnent la vie. » — En face de ce scepticisme élégant et corrosif, à la Pétrone, il est étrange, on le répète, de trouver l'atten-
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tion complaisante d'une mère de l'Eglise. Ici encore, pourtant, on devine le terrain sur lequel ils s'assemblèrent : d'abord, dans sa solitude, elle s'ennuyait, et quelque discipline qu'elle s'imposât, elle finissait par éprouver comme elle le lui écrit, «le besoin d'être entendue ». — Ensuite, en écoutant Sénac, elle reconnut en lui une lucidité pareille des passions, avec une pareille lassitude de l'humanité qui les éprouve. « Vous êtes destiné, Monsieur, lui écrivait-elle au début de leur liaison, à mener une vie douloureuse, vous voyez le jeu des machines, et alors, plus de bonheur. » — A qui pensait-elle, sinon à ellemême, en parlant ainsi ? La différence entre eux, a noté finement Sainte-Beuve, c'est qu'elle était désabusée et détachée, comme une sainte, tandis que son désabusement à lui, ne l'empêchait pas de désirer et de poursuivre, quitte à se juger méprisable. Voilà comment ces deux grands ennuyés connurent pendant dix ans une liaison d'esprits qui, dans l'inégalité de leurs, âges fait nécessairement songer à celle d'HoraceWalpole avec Mmo du Deffand (une femme qui a trompé la lacune de sa maternité, comme Mrae de Créqui), liaison que consacre une centaine de courts billets, et qui prend fin par l'émigration de Sénac en 1791. Il devait mourir, misérable et toujours sceptique, à Vienne en 1803.
Et maintenant, avec les phrases sonores du discours de Necker aux États-Généraux, que Mme de Créqui trouve trop long, voici la Révolution qui s'ouvre, les événements qui se précipitent, et la créature humaine connaît des souffrances plus élémentaires et plus rudes qu'à s'agiter à vide dans son cerveau. La Terreur arrête à deux heures du matin chez elle « ce petit brin de femme » que les commissaires menacent d'emporter dans une hotte jusqu'à la prison. Transportée dans la maison d'arrêt de la rue de Sèvres, où elle peut du moins goûter quelque douceur grâce à l'or qu'elle a pris la précaution de cacher dans ses poches, Thermidor la délivre après cinq mois de réclusion, mais elle a laissé derrière elle bien des amis ; de plus en plus, elle est seule, et elle a quatre-vingts ans, ses
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propriétés et ses revenus du Maine sont loin, et la route qui y conduit mal sûre. Les lettres à son intendant que M. Tisseau a retrouvées sur place dans les archives notariales, sonnent comme une suite de glas : « Les larmes vous feront grand bien. Pour moi, depuis le massacre de sept de mes amis aux Carmes, je n'en ai-pas répandu une. Je ne vois pas une âme, et c'est un miracle que ma tête se soutienne. Mais Dieu me donne du courage, et j'en dois l'emploi. » — « Nous sommes ici dans la plus effroyable famine. Si vous pouviez me faire passer un sac de farine, fût-ce du sarrasin, même en grain, pour ne pas mourir de faim !» — « Avec l'argent, on ne trouve plus rien, et la tête me fend de mon trop court nécessaire. » — « Plions le dos sous la Providence et espérons en la miséricorde de Dieu. »
Et aussi, parmi ces plaintes de pauvre animal misérable, d'autres, d'une origine plus noble et qui nous surprennent : « Je ne jouis point du bénéfice de mon âge qui est l'insensibilité. Je me trouve une sensibilité de vingt ans, et plus elle est active, plus la réflexion l'aggrave. Je ne puis vous en dire plus. »
Cette affirmation de sensibilité aiguë chez une femme dont tous ceux qui l'ont connue se sont accordés à dire la raison égale et austère, l'amère mais froide sérénité? Que faut-il en croire, et quel est ce mystère ? Mais, à soixante-quatorze ans, retrouvant, après un demi-siècle, la fille d'Aydie, ne lui avaitelle pas écrit : « Les besoins du coeur sont les premiers de tous pour les âmes délicates, et combien sont-ils peu satisfaits ! C'est l'écueil de la sagesse.. , la femme la plus sage est souvent celle qui n'a point trouvé son vainqueur. »
Est-ce une simple courtoisie indulgente pour la mémoire d'Aïssé? Est-ce un aveu irrésistible que cette phrase échappée au soir de sa longue vie à celle qu'on eût pu appeler avec justice la femme la plus sage de son siècle?... S'il en est ainsi, comme tout ce que nous avons cru savoir, tout ce que nous avons dit d'elle, se transforme ! A rebours de ce qu'on en a toujours pensé, ne faudrait-il pas croire que, loin d'être insensible, elle
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souffrit toute sa vie d'un coeur éperdu de tendresse, mais qui ne rencontra personne qu'elle pût aimer ? — La question restera posée. « Nous mourons tous inconnus », c'est la courte phrase qu'on eût pu inscrire sur la tombe qui se referma en 1803 sur sa pauvre petite forme glacée.
Au sein des bois de son coin de province, que hantent toujours les sabotiers, parmi ces collines natales où elle ne chercha jamais que les moyens de sa subsistance sans y sentir jamais une patrie, les cloches qui portent ses prénoms, continuent à sonner aux églises, qu'en dota jadis sa munificence, de Saint-Denis-de-Gastine et de Larchamps. Si nous passons par là et que nous les entendions, songeons à elle. Mais, — et j'invoque ici tout bas l'intercession indulgente du bailli, — sera-ce un sacrilège, si, à ces notes de bronze épandues dans l'air du Maine, notre imagination évoque, en harmonique, un son de trompette et de hautbois ?
André L'ELEU. NOTE
Nous avions indiqué au cours de cette conférence que la seule image connue de Mme de Créqui consistait dans une gravure exécutée d'après un moulage mortuaire à quatre-vingt-neuf ans ; ainsi l'écrivait M. Tisseau lui-même à la page 192 de son livre, en frontispice duquel il reproduisait d'ailleurs cet unique document iconographique. Quant au buste exécuté d'après ce même moulage, c'est en vain, disait-il, qu'il l'avait recherché ; et la disparition en paraissait d'autant plus déplorable qu'il s'agissait d'un ouvrage de Houdon.
Or, voici que ce buste s'est retrouvé, et il était tout près de nous : comme M. Tisseau l'a révélé dans les Nouvelles Littéraires du 2 avril 1927, il s'abrite au Musée du Mans dans les collections duquel il figure sous le numéro 483. D'où lui vient-il? n'est-ce point du Manceau Percheron, le descendant de l'homme d'affaires de la marquise à Montflaux, par qui nous connaissions déjà son existence ? M. Monziès, l'aimable conservateur du Musée,
BUSTE DE M«™ DE CREOUI
l'Ail HOUPON
d'après un moulage mortuaire
MUSÉE DU MANS
M">e DU CRÉQUI
PEINTE PAU TOCOUÉ
Collection de M. Etienne DAUUKÉE
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à qui j'ai posé la question, n'a pu me répondre, faute de pièces, Seul le catalogue confirme que nous avons bien ici les traits de Mme de Créqui. L'identification en est d'ailleurs certaine par la comparaison avec la gravure : c'est le môme voile mortuaire enveloppant la tête, le même rictus tragique, le même nez proéminent, bref l'ensemble des mêmes traits, sous la seule réserve qu'à côté du masque, la gravure n'est plus qu'une ébauche grimaçante en face d'un chef-d'oeuvre douloureux: noblesse des traits du modèle ou maîtrise de l'artiste, la beauté persiste quoiqu'il s'agisse d'un simple plâtre, affligé pour comble de disgrâce d'une couche néfaste de vernis noir. Nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de leur présenter ici la reproduction de cette oeuvre insigne, d'ailleurs inédite, qui, conservée dans nos collections municipales, fait un peu plus nôtre encore la châtelaine de Montflaux.
Mais notre bonheur ne s'étend-il pas davantage ? et à côté de M"" de Créqui sur son lit de mort, ne posséderions nous pas aujourd'hui d'elle une effigie juvénile ? Les collections du château de Montflaux ayant été dispersées en 1925, un érùdit que nous tenons à remercier ici pour sa parfaite obligeance, M. Etienne Daubrée, secrétaire de la Société Archéologique de Fougères, y a acheté, parmi maintes autres images des Froullay et des Créqui, un portrait que, grâce à lui, il nous est permis de reproduire ici à son tour, et qui lui avait été représenté lors de son acquisition comme figurant, lui aussi, la marquise. Sur un fond de parc à grands arbres, il s'agit d'une toute jeune femme, à l'expression presque enfantine. La chevelure est poudrée, la robe bleue à grands plis déborde de toutes parts un corsage jaune et strict, sorte de cuirasse, qu'enveloppe une abondante guirlande de fleurs des champs. Sa main droite élève sur la pointe du doigt un canari, dont sa main gauche ouvre la cage. lit, sans que la toile porte de date, tout dans la facture, le décor, la toilette, indique les alentours de cette année 1737 où Mlle de Froullay devint marquise de Créqui. — Le peintre serait d'ailleurs Tocqué, s'il faut en croire une inscription peinte à même la toile : et le portrait de Montflaux rappelle en effet d'une manière frappante ce portrait de Mme Doyen à Carnavalet qui marque la première manière de ce gendre de Nattier, né en 1696, mort en 1772.
Convient-il d'affirmer que ce soit là une précieuse, une
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unique révélation des traits presque virginaux encore de Caroline de Froullay ? Certains l'ont nié pour deux ou trois raisons : Mmo de Créqui a toujours été connue pour son horreur des peintres. — Si ce portrait avait été le sien, il n'aurait pas échappé aux collectionneurs attachés à sa mémoire, — La double inscription de la toile et du cartouche qui orne le cadre porte d'ailleurs : « Madame la Comtesse de Créqui » ; or, Caroline de Froullay porta dès son mariage letitre de marquise. — Avouerons-nous qu'aucun de ces arguments ne nous persuade ? L'aversion du portraitiste est un trait de moeurs misanthropique qui n'a pu naître qu'avec la personnalité et qu'on ne peut guère supposer chez une toute jeune femme ; il n'est collectionneur si perspicace qui n'ait dû compter avec le hasard; enfin, nous fait remarquer un héraldiste qui est en même temps un chartiste, le mari de Caroline de Froullay portait, lors de son mariage, le titre, non de marquis de Créqui, mais de marquis d'Hémont; qu'il aie continué à porter ensemble, avec un autre titre, le nom plus fameux de sa maison, c'est un usage irrégulier dont on a maint exemple. — Un seul argument eût été péremptoire : retrouver dans la généalogie des Créqui quelque autre comtesse qui par son âge, son époque, et ses relations avec Montflaux, eût pu se rapprocher du portrait. A défaut de cette précision, quel argument nous procure le rapprochement de la toile et du buste ! Si l'on en excepte le nez, flou sur le portrait, proéminent dans le plâtre, et si l'on tient compte de l'émaciation des traits après une longue vieillesse que le collapsus mortuaire a suivie, n'est-ce point tout le même visage ? : le « front ouvert » dont parle le livre de M. Tisseau dès sa première page, les sourcils longs et minces, les yeux petits et écartés, les pommettes saillantes, les joues frappées de fossettes profondes, la bouche grande et presque sans lèvres, 'le menton rond et recourbé ? Mis en présence des reproductions des deux oeuvres, un graveur fameux du Mans, qui, par profession, sait regarder, n'a pas hésité. Faut-il vraiment nous rebeller davantage contre notre plaisir ?
A. L'E.
III
Nous avons vu que René-Mans, IIIe du nom, petit-fils mineur de René-Mans I, lui avait succédé à la fin de 1746, sous la tutelle de sa mère, Charlotte de Béthune Charost, veuve de René-Mans II.
Aussi celle-ci s'empressa-t-elle en 1747 de faire hommage des deux terres de Vernie et de Lavardin au roi Louis XV au regard de son comté du Maine « au nom et comme tutrice et garde noble de ses deux fils, l'un âgé de six ans et l'autre de quatre » (1). La marquise de Tessé demeurait à Paris au vieux Louvre, paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois (2). Elle jouissait à la Cour d'une situation des plus brillantes ; elle avait été nommée en 1744 une des dames du Palais de l'Infante d'Espagne, future dauphine de France, et, après la mort de cette princesse, elle devait passer en la même qualité au service de la Dauphine, mère de Louis XVI (3).
Quant au jeune comte de Tessé, malgré son extrême jeunesse, il n'en avait pas moins, dès le mois de décembre 1746, prêté serment entre les mains du Roi pour la charge de lieutenantCi)
lieutenantCi) nat.,p. 811.
(2) Voir aux Arch de la Seigneurie de Torcé, un acte par lequel celle-ci réclama comme dame d'Ambrières au seigneur de Torcé l'obéissance féodale de son fiel de Millères.
^3) Voir la Chesnaye des Bois.
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général du pays du Maine, et entre celles de la Reine pour la charge de premier écuyer dont M. de Béthune son grand père maternel, avait désormais la charge (1).
En 1753 il n'avait donc encore que dix-sept ans. C'est pourtant lui qui, le 10 mai de cette année-là, reçut, au regard de sa terre d'Ambrières, au Bas-Maine, l'aveu de Guy-Michel Billard de Lorière pour la terre et seigneurie de Vilfeu. Dans ce document, il est qualifié : « Sire de Froullay, comte de Tessé, marquis de Lavardin, baron d'Ambrières et de Vernie, grand d'Espagne de la première classe, lieutenant général en ses provinces du Maine, Perche et comté de Laval, premier et grand écuyer de la Reine, colonel au régiment des grenadiers de France » (2).
Deux ans après, en 1755, âgé par conséquent de dix-neuf ans seulement, il épousait Adrienne-Catherine fille du maréchal duc de Noailles et de Catherine-Françoise de Cossé-Brissac (3). La jeune comtesse de Tessé était paraît-il, une des personnes les plus remarquables de la cour et même de son temps pour la supériorité de son esprit. Dufort de Cheverny la cite plusieurs fois dans ses mémoires comme une des plus jolies femmes qu'il eût rencontrées soit chez sa mère à lui, qui attirait chez elle la meilleure compagnie, telle que « le Marquis et la Marquise de Tessé, » et, soit aux dîners de la Reine, de Mesdames, du Dauphin et de la Dauphine (4).
C'est le 28 juillet 1764 que René-Mans de Tessé qui était, comme nous l'avons dit, lieutenant général de la province du Maine, fit pour la première fois, en cette qualité, son entrée au Mans.
Voici comment Louis Maulny, conseiller au présidial, a raconté dans ses mémoires, cet événement local.
« Le 28 juillet, M. le comte de Tessé arriva sur les dix heures du soir pour faire son entrée au Mans en qualité de lieutenant
(1) Voir Gazette de France et Mémoires du duc de Luyues. ('2) Arch. de la Seigneurie de Torcé.
(3) La Chesnaye des Bois.
(4) Voir Mémoires de Dufort de Cheverny, tome I, passim.
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pour le Roy de la province du Maine ; Messieurs de l'Hôtel de ville firent tirer les boîtes dès le soir.
« Le lendemain, à 7 heures du matin, à midi et à 7 heures du soir, ils en firent faire différentes décharges.
« Mgr l'Evêque donna son mandement à tous les Curés et Communautés de la ville pour faire sonner les cloches le 29 depuis onze heures jusqu'à midi. Messieurs les officiers de police rendirent leurs ordonnances pour obliger les habitans de mettre du feu aux fenêtres depuis 8 heures du soir jusqu'à 10 heures.
« Toutes les Compagnies, tant ecclésiastiques que laïques, même les avocats, consuls et procureurs de l'élection, furent en corps le complimenter
« ...Les habitans, ... s'empressèrent... d'aller lui rendre leurs hommages...
« M. le Comte de Tessé (y) fut fort sensible.
« Pendant huit jours (qu'il) séjourna au Mans, il a eu table de vingt-cinq couverts où les députés du Chapitre, la noblesse, le présidial, partie de l'Hôtel de ville, Messieurs les Curés, les Supérieurs de maisons ont été invités à manger. Tous les écoliers, l'épée à la main, ont aussi été le complimenter.
« Ces fêtes ont été splendides et magnifiques. Au moment de son départ pour Vernie, où M. le Comte est allé passer quelques jours, Messieurs de l'Hôtel de ville ont fait tirer les boîtes, 80 jeunes gens, montés à cheval, bien équipés, l'ont accompagné jusqu'à la Milesse, et sont revenus au Mans, chacun une branche de laurier à la main... »
Comme on le voit, après ces fêtes données au Mans en son honneur, René-Mans III de Froullay était allé faire un petit séjour à Vernie ; mais il en était revenu dans la capitale du Maine dès le 18 août.
« Le 18 août au matin », dit en effet Maulny, le Père Rhétoricien et ses acteurs viendront lui présenter des thèses à l'hôtel de Tessé, où il sera de retour de Vernie.
Dans l'après-midi ils reviendront l'y prendre à la tête d'une compagnie de quarante écoliers, l'épée nue à la main.
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« L'exercice commença (au collège, dans la grande salle des actes) par un discours dans lequel le père rhétoricien sut, paraît-il, exprimer avec goût tous les traits, tant de l'esprit que du coeur, qui pouvaient composer l'éloge du comte. Les élèves représentèrent ensuite une tragédie d'Achille, qui lui était dédiée, et qui fut suivie d'une chanson et d'un dialogue à sa louange. La fête terminée, M. le Comte de Tessé fut reconduit dans le même ordre à son hôtel. Le lundi 20 août, il y eût une seconde représentation, après laquelle se fit la distribution des prix. »
On a vu que René-Mans de Tessé, à l'exemple de son père et de ses ancêtres, suivait le métier des armes.
Il y-avait débuté dès 1752 comme colonel dans les grenadiers de France ; trois ans après, en 1755, il avait été nommé mestre-de-camp du régiment Royal-Cravates. Plus tard il devint successivement maréchal-de-camp, puis lieutenant général (1).
Il fut promu chevalier des ordres du roi en 1776. Bien que le château de Vernie fût dès lors, comme nous le verrons plus loin, d'après la description de 1797, un des plus beaux châteaux du Maine, comme tous les grands seigneurs de la fin du xvme siècle, il n'habitait guère sa campagne, et il avait pour principal domicile son hôtel à Paris, situé rue de Varennes, paroisse Saint-Sulpice (2).
Toutefois, si sa terre du Maine n'était pas sa résidence ordinaire, il était loin de s'en désintéresser. Nous n'en voulons pour preuve que le magnifique plan du château et de la terre de Vernie qu'il avait fait dresser avant 1773 par Jean-Baptiste Le Bail, « notaire royal et commissaire du terrier du marquisat de Lavardin ». Ce plan conservé aujourd'hui aux archives natio(1)
natio(1) avait été nommé maréchal de camp avant l'année 1771 et lieutenant-général en 1780. Son frère cadet Armand-Elisabeth, dit le comte de Froullay, chevalier de Malte, après avoir été capitaine dans Royal Cravates, avait acheté en 1761 le guidon des gendarmes de la Reine et était mort à 25 ans, sans alliance, en 1763.
(2) Arch. delà Sarthc, B. 1949.
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nales (1), nous marque l'emplacement des différents bâtiments, cours et jardins qui composaient dans la seconde moitié du XVIII 8 siècle, la splendide habitation seigneuriale qui nous intéresse, ainsi que celui des bois et métairies qui en formaient la dépendance domaniale. Pour comprendre ce plan, nous avons la légende très bien faite et très complète qui l'accompagne.
Nous avons aussi, pour nous renseigner sur l'aspect que pouvait présenter à cette époque, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, le château en question, et sur la brillante existence qu'y menaient, pendant leurs trop courts séjours dans leur résidence du Maine, René-Mans de Froullay et sa femme, certains passages d'un curieux manuscrit rédigé dans les premières années de la Restauration par un ancien maire de Vernie, témoin oculaire dans sa jeunesse de ce qu'il a transmis à la postérité (2).
« Ce que nous ne devons pas oublier, c'est que Vernie possède un grand château transformé en village, à la suite de nos tumultes révolutionnaires, qui appartenait à feu Monsieur le Comte de Tessé Froullay, successeur d'une des plus honorables (sic) familles de ce département. Ce dernier possédait la charge de premier écuyer de la Reine.
Il venait fort rarement à Vernie. Cependant il y a fait deux ou trois voyages depuis 1781 jusqu'à la Révolution. Il ne venait pas seul ; son épouse bienfaisante était, elle aussi, accompagnée de bonne compagnie pendant toute la durée de leur séjour dans le pays, qui toujours, était dans la belle saison. Son château n'était qu'un séjour de fêtes et de réjouissances, et tout le pays ne perdait rien de leur présence. Quant à la décoration de la maison, tout y brillait : un mobilier rare se faisait admirer par
(1) M. Toublanc, propriétaire actuel du château et notre confrère, a copié autrefois ce plan aux archives nationales et il a bien voulu nous en envoyer un croquis, aimable communication dont nous ne saurions trop le remercier.
(2) Ce manuscrit signé Plard, est conservé aux archives de la mairie de Vernie, et c'est encore à l'extrême obligeance de M. Toublanc, qui nous l'avait signalé, que nous devons d'avoir pu nous en procurer une copie.
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ses richesses et par son goût ancien aussi bien que moderne. Des tapisseries de haute lisse y représentaient des hauts faits de l'histoire, et des tableaux de hauteur d'homme y rappelaient aux curieux les prédécesseurs du Comte de Tessé, et les rois de France. Dans chaque appartement on voyait les changements du goût et la nouveauté. L'oeil était ébloui de voir tant de magnificences, l'étranger se faisait un devoir de venir de bien loin pour voir le château, ses belles écuries, ses immenses jardins. Si toutes les constructions étaient magnifiques et superbes, les jardins de toute beauté, l'on admirait aussi dans les dehors la grandeur du propriétaire, car, pour y arriver, c'étaient de tous côtés de belles et vastes avenues dans lesquelles étaient plantés des cyprès, des ormeaux et des hêtres qui semblaient vouloir percer les nues, tant ils étaient hauts... Mais de ces allées il ne reste plus que quelques vestiges... »
Certes, cette description faite par le vieux maire de Vernie, d'après les souvenirs de sa jeunesse, concorde bien, en ce qui regardait le château, avec l'inventaire de 1746, et en ce qui en concernait les dehors, avec le plan de 1773. Mais dans le manuscrit que nous venons de reproduire en partie, un autre passage mérite encore notre attention, c'est celui où nous est dépeinte la bonté du comte de Tessé pour tous ceux qui dépendaient de lui.
« Dans cette maison, rien ne manquait; tout y était rangé par ordre. Les personnes qui avaient le bonheur d'y être placées étaient heureuses, les fermiers de la maison ne payaient point trop cher de leur ferme. Il voulait, ce bon maître, que tout le monde fût bien sous sa sujétion. Le manoeuvre se sentait aussi de ses largesses, tout était bien à Vernie sous son règne. Le pauvre invalide était secouru à domicile, le pauvre solide trouvait toujours à la maison de quoi nourrir sa famille dans le temps d'hiver où la saison ne permettait pas de pouvoir travailler.
Dans toutes les communes auxquelles M. de Tessé était seigneur, il y faisait donner des subsistances en pain, en fruits, en argent, en habits. »
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Et l'auteur du manuscrit, le survivant de l'ancien régime ajoute :
« C'est ce que je puis attester pour l'avoir vu moi-même. Voilà ce que cette commune était avant la Révolution...»
Est-il étonnant que, dans ces conditions, le châtelain de Vernie fût devenu si populaire et qu'il fût tout désigné d'avance pour jouer un rôle important dans les grands événements qui se préparaient alors ?
Aussi en 1787 fit-il partie de l'assemblée provinciale du Maine (1), et en 1789, lors de la convocation des Etats généraux, il fut élu député de la noblesse pour sa province. Parent assez proche du célèbre général La Fayette, qui avait épousé une nièce de la comtesse de Tessé, il n'avait pas attendu la Révolution pour afficher les idées les plus libérales.
Les constituants, ses anciens collègues, attesteront plus tard qu'arrivé aux Etats-généraux avec une réputation de patriotisme, il n'hésita point à énoncer hautement ses principes en faveur de la Révolution, alors qu'il y avait encore quelque péril à les proclamer (2).
Ils disaient même que sa maison à Versailles était devenue dès 1789 le rendez-vous de l'opposition, et que lui et ses amis étaient signalés à la cour comme les chefs du parti populaire.
On lui rendra enfin ce témoignage quand, après la Révolution, il se fera radier de la liste des émigrés : « René-Mans Froullay-Tessé suivit dans toutes les discussions et opérations de l'assemblée (constituante), la ligne que son civisme notoirement reconnu devait lui tracer ; il se joignit à cette fameuse minorité de la noblesse qui, par sa réunion avec le peuple, hâta la destruction des ordres et prépara l'anéantissement complet des classes privilégiées.
Il prêta à l'assemblée le 4 février 1790 le serment de fidélité et d'attachement aux principes de liberté et d'égalité ; la prestation de son serment est consignée dans les procès verbaux de
(1) Voir « les Assemblées provinciales » par Léon de Lavergne.
(2) Tout ce qui précède et qui suit sur le rôle politique de Tessé pendant la Révolution, est extrait d'un dossier qui se trouve aux archives nationales; voir sur ce dossier lu note (1) de la page suivante.
IlEV. HIST. ARCH. DU MAI-NE. 12
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l'assemblée. Ce même serment civique fut encore prêté par lui à son district lors de son départ pour la Suisse... Il n'a signé dans aucun temps aucunes des protestations contraires à la liberté ; il s'est montré le courageux ami des mesures qui ont tendu à l'établissement de l'égalité et à l'abolition des privilèges héréditaires. Son patriotisme est tellement notoire que, lorsqu'il fut menacé d'être inscrit sur la liste des émigrés, tous les députés ses collègues, réclamèrent contre cette iniquité (1).
Ainsi, d'après le témoignage de ses anciens collègues de la Constituante, quand ils parlaient de lui sous le Consulat, le comte de Tessé avait fait partie aux Etats-généraux de ce groupe de grands seigneurs très libéraux, qu'avaient enthousiasmés les premiers actes de la Révolution.
Mais celle-ci, avec cette logique impitoyable et cette ingratitude inséparables des grands mouvements populaires, ne devait pas tarder à se retourner contre ses partisans de la première heure, sans les distinguer de ceux qui l'avaient dès lors combattue, et Tessé, comme tant d'autres aristocrates dans son cas, comme La Fayette lui-même, en fit à son tour, la cruelle expérience, car, sans avoir pris part à l'émigration, il se verra traiter comme s'il avait émigré.
Il est vrai que les apparences, à défaut des intentions, étaient alors contre le grand seigneur ultra libéral. Voici ce qui lui était arrivé. Dans le cours de l'année 1789, son assiduité aux séances de l'assemblée nationale pendant les chaleurs de l'été, lui avaient causé beaucoup de fatigue, et sa santé en fut très altérée. Il était sujet, paraît-il à des humeurs dartreuses. Une éruption qu'il éprouva au mois de novembre, rentra subitement et se jeta sur la poitrine : les accidents reparurent à quatre époques différentes dans l'hiver suivant par suite du froid et de l'humidité auxquels il s'était exposé en se rendant aux séances de l'assemblée.
(l)Arch. nat. F 7, 3604, émigration, Sarthe, dossier relatif à la demande en radiation faite sous le consulat, par René-Mans de Froullay-Tessé. Pétition présentée au ministre de la police générale le 29 ventôse, an VIII, par le chargé de pouvoir Besnier.
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Au printemps de 1790 cet état de santé était devenu tellement alarmant qu'on arriva à craindre pour ses jours. Son médecin lui conseilla alors les eaux et les bains de Bagnères-de-Luchon dans les Pyrénées. Il se crut donc obligé au mois de mai 1790 de donner sa démission de député à l'assemblée nationale, pour être plus libre d'aller faire cette cure à loisir, démission qui fut régulièrement acceptée. Mais, sur ces entrefaites, il apprit que sa femme la comtesse de Tessé, qui se trouvait en Suisse, y était tombée dangereusement malade. Il ajourna aussitôt son voyage à Bagnères-de-Luchon pour faire celui de Suisse. Il profita d'ailleurs de son séjour dans ce pays, pour voir le célèbre médecin Tissot qu'il désirait depuis longtemps consulter, et celui-ci lui fit prendre les bains de Louèche dans le HautValais. Mais ces bains ne lui ayant point réussi, et le retour en France lui étant devenu impossible par suite de son état de santé, il s'adressa successivement, mais toujours sans succès, à plusieurs autres médecins Suisses. Enfin le hasard lui fit rencontrer David Herrenschand, sieur de la Rive, docteur en médecine de la faculté de Halle en Saxe, Banneret de Morat, canton de Berne et Fribourg, lequel découvrit la véritable cause de sa maladie et lui fit éprouver un soulagement incontestable, grâce à des remèdes entièrement opposés à ceux qu'il avait pris jusque là. Dans ces conditions, le comte de Tessé, placé, comme il était, dans le voisinage du médecin qui avait sa confiance, et ayant d'ailleurs le plus grand besoin de repos, pouvait-il vraiment rentrer en France ? Il était atteint d'une toux fréquente, et, sous le coup de quelqu'émotion, la toux devenait violente, au point de durer plusieurs heures. De plus, chaque changement de saison influant de la façon la plus marquée sur son état de santé, il était très important que son nouveau médecin pût observer l'effet de ses remèdes jusqu'à l'hiver suivant et que, durant cette rigoureuse saison il suivît les rechutes.
C'est alors (on était au 10 août 1790) que René-Mans de Froullay, pour régulariser sa situation en France, adressa à « Messieurs du département et de la municipalité de Paris » une requête où, après leur avoir exposé tout ce qui précède, et fait
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observer qu'il était « dans le cas des exceptions prévues par le décret, qui concerne les personnes absentes du royaume », il espérait qu'ils auraient égard à sa triste situation présente, et voudraient bien lui accorder un congé pour une année. On ne pouvait, ajoutait-il, « soupçonner les intentions de celui qui a doublé sa contribution patriotique aujourd'hui entièrement acquittée ». N'avait-il pas « prêté le serment civique le 4 février 1790 dans l'assemblée nationale ? ». Il l'avait même prêté à son district avant son départ (pour la Suisse), et il s'empressait d'ailleurs de le renouveler. Enfin, disait Tessé en terminant sa requête, il ne doutait pas que « ceux qui le connaissent » puissent douter de son zèle pour le bonheur public », et il invoquait avec confiance « le témoignage de Messieurs de sa députation sur les sentiments qui l'animaient ».
Cette requête était datée de Loffenberg, près de Morat, où le comte et la comtesse de Tessé avaient alors leur résidence (1).
René-Mans de Froullay ne quitta donc pas le territoire helvétique, se croyant en règle. Mais en France, les événements se précipitaient, et au commencement d'août 1791 il apprit son inscription sur la liste des émigrés, et qu'il allait être de ce fait soumis à la triple imposition.
Dans cette pressante conjoncture, il fit aussitôt présenter à l'assemblée nationale un mémoire qu'il eut soin de faire appuyer par ses anciens collègues de la députation du Maine : Bailly de Fresnay, Livré, Le Pelletier de Feumusson, Enjubault de la Roche, Maupetit, Delalande, Chenon de Beaumont, Gournay, Ménard de la Groye, de Hercé, Pélisson de Gennes, Choiseul Praslin fils, et de Murât.
Est-il besoin de dire que tous s'empressèrent de réclamer contre l'iniquité qui leur était signalée, non sans rendre hommage au patriotisme de celui qui en était la victime, et de confirmer la vérité des motifs qui avaient déterminé l'année précé(1)
précé(1) nat., F 7, 5604. dossier déjà cité, requête adressée par René de Froullay-Tessé, le 10 août 1790, à l'Assemblée Constituante et appuyée par les anciens collègues de la députation du Maine, ainsi que par un certificat du docteur Herrenschand, sieur de la Rive, de la ville de Morat.
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dente ce dernier à donner sa démission de député ? Tessé avait d'ailleurs eu la précaution de se faire délivrer par son médecin Suisse, le sieur de la Rive, un certificat attestant son état de santé toujours très précaire, certificat légalisé par l'avoyer et conseil de la ville de Morat (1).
Mais, hélas ! notre exilé volontaire n'était pas au bout de ses tribulations. Quant, à la fin de la même année, l'assemblée constituante eut fait place à l'assemblée législative, celle-ci ne tarda pas à être entraînée à prendre des mesures sévères contre l'émigration. C'est ainsi que le 9 février 1792 parut un décret qui plaçait les biens des émigrés sous séquestre. Il y avait, il est vrai, une exception pour diverses catégories de personnes, entre autres pour les Français qui s'étaient établis en pays étrangers avant le 1er juillet 1789, et ceux qui s'étaient absentées avec passeports ou pour cause de maladie. Or ce dernier cas n'était-il pas celui de René-Mans de Froullay? Toutefois, loin de s'abandonner à une dangereuse sécurité, celui-ci prit toutes les précautions que la circonstance pouvait lui suggérer.
Il réclama d'abord du conseil de la ville de Morat un certificat constatant qu'il avait habité sans interruption depuis dixhuit mois son domaine de Loffenberg, situé à un quart de lieue de cette ville, puis, quelques jours après, il se fit donner par un médecin, le sieur de la Rive, un autre certificat, duement légalisé, duquel il résultait qu'il n'était pas en état de risquer son voyage, et que son état de santé exigeait qu'il continuât à suivre un traitement que l'affaiblissement de sa constitution rendait excessivement délicat.
Une fois en possession de ces deux certificats, Tessé les envoya au sieur Berthereau (2), régisseur de ses biens du HautMaine, le chargeant de comparaître, en son nom et comme
(1) Arch. nat. F 7 5604, dossier déjà cité.
(2) M" Anthoine-François Berthereau, avocat au Parlement, qui depuis l'année 1764, comme nous l'apprend Robert Triger dans son Hôtel de Tessé, y résidait comme receveur général des terres possédées dans le Maine par le comte de Tessé.
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fondé de sa procuration, devant le Directoire du district du Mans, et d'y réclamer la mainlevée des poursuites qui auraient pu ou qui pourraient être faites par la suite contre les fermiers de ses domaines et biens, attendu qu'il n'était pas sujet aux dispositions du décret du 9 février 1792. Il avait joint d'ailleurs à cette requête des copies de tous les certificats qu'il s'était déjà fait délivrer les années précédentes tendant à prouver qu'il ne devait pas être considéré comme un émigré.
Heureusement le directoire du Mans se montra aussi favorable que possible à la requête qui lui était soumise par l'ancien député à la Constituante, et, « considérant que de toutes ces pièces résultait la preuve la plus certaine que le sieur de Tessé n'avait quitté le royaume que pour aller faire usage des eaux minérales de Louèche, et que cette preuve dérivait particulièrement de sa démission motivée par son état de santé et donnée à une époque à laquelle il n'était pas possible de prévoir, ni les émigrations qui ont eu lieu depuis, ni le décret qu'elles ont provoqué, » le directoire estimait « que les biens et domaines du sieur de Tessé devaient être déclarés non sujets à la disposition du décret en question », et que par conséquent mainlevée devait en être faite. Cette décision était signée de Hourdel, Morin, Chevreau, Legras, Fauchet président, et Gaugaiu greffier.
Ainsi le Directoire du district du Mans ne se montrait pas défavorable à la demande de l'ex-comte de Tessé. Toutefois, avant de statuer définitivement sur son cas, il écrivit au ministre de l'intérieur, le célèbre Roland, pour lui exposer ce dont il s'agissait et lui demander son avis. Nous ignorons quelle fut la réponse de ce dernier, mais nous savons que l'assemblée législative nomma une commission à cet effet, et qu'un rapport très favorable de celle-ci allait être présenté lorsque les événements arrêteront cette mesure de justice (1).
Ces événements sont bien connus. Ce fut d'abord la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes, la journée du 10 août,
(1) Arch. nat. F 7. 3664, dossier déjà cité.
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les massacres de septembre, le remplacement de l'Assemblée législative par la Convention, enfin la proclamation de la République, et l'arrivée des Montagnards au pouvoir.
Dès lors les anciens constituants, même les plus réputés pour leur libéralisme comme Tessé, n'avaient plus rien à espé. rer d'un régime qui s'appuyait sur la violence populaire et à qui étaient suspects tous les honnêtes gens, quelques gages qu'ils eussent donnés à la Révolution lors de ses débuts.
Trop heureux, le châtelain de Vernie de se trouver alors à l'étranger ! S'il eût été en France sous la Terreur, ce n'est pas seulement ses biens qu'il eût eu à disputer aux agents de la Convention, c'était sa liberté et peut être sa tête. Ce qui est certain, c'est que, comme tous les biens ayant appartenu à des émigrés, le château et la terre dont nous venons de faire l'histoire, ne tardèrent pas à être placés sous le "séquestre (1). Il en fut de même des immenses archives provenant de la féodalité des terres de Vernie et de Lavardin qui furent saisis et entassés dans les dépôts publics. Elles furent du moins ainsi préservées de la destruction, puisqu'elles font aujourd'hui partie des archives départementales de la Sarthe, où elles constituent un fonds des plus riches. Quant au château et à la terre dont il s'agit, après avoir été pendant plusieurs années sous le séquestre, ils furent enfin vendus nationalement dans le courant de l'an VI.
L'an Ven effet, le 16 brumaire, une loi du Directoire avaitprescril que les propriétés saisies parla nation comme biens d'émigrés et placées sous le séquestre seraient vendues après estimation préalable. C'est en vertu de cette loi que le 12 ventôse de l'an VI, Louis-Charles François Chauvet, notaire à Lombron, et Julien Baudoux, de Beaumont, avaient été chargés par l'administration du département de la Sarthe d'aller, en qualité d'experts, estimer « le ci-devant château deVernie,parc, forêt, bois et environs en dépendant, non encore vendus, provenant de l'émigré Froulai-Tessé. ;; Ils s'étaient donc transpor(1)
transpor(1) dans le cours de l'année 1793.
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tés, au commencement de germinal suivant, au ci-devant château où ils avaient trouvé le citoyen Louis Dufour, commissaire du Directoire exécutif près l'administration du canton de Beaumont, en présence duquel ils avaient procédé à l'estimation qu'on leur avait confiée, non sans se faire accompagner du « citoyen Marc Daupley, cy-devant concierge de Vernie. » Le procès-verbal de leur expertise, conservé actuellement aux archives du département de la Sarthe (9 13/2), est des plus intéressants pour nous, car c'est à notre connaissance, avec le plan de 1773, un des seuls documents pouvant aujourd'hui permettre à notre imagination de se représenter, avec quelque précision, l'aspect que pouvait présenter à la fin du xvme siècle, le château dont nous venons de faire l'histoire (1).
D'après ce procès-verbal, le château de Vernie, composé d'un principal corps de logis terminé à son extrémité Est par un pavillon ou aile, n'avait pas moins de 154 pieds (54 mètres) de long sur 58 pieds (12 mètres) de large, et sa hauteur était en proportion de sa longueur, puisqu'elle .avait, au-dessus du rez-de-chaussée, comme nous allons le montrer, plusieurs étages.
L'intérieur, par le nombre et la dimension de ses pièces, était assurément digne de l'extérieur.
Au rez-de-chaussée, le pavillon comprenant d'abord une grande salle de compagnie éclairée par trois croisées et une porte vitrée à verre de Bohême, ladite salle boisée, parquetée et plafonnée ; puis deux chambres (dont l'une plus grande que l'autre) à cheminées de marbre, parquetées et plafonnées, éclairées elles aussi par des croisées à verres de Bohême avec jalousies. L'une de ces deux chambres (la moins grande) avait, comme la grande salle, une porte vitrée.
Le reste du corps de logis qui faisait suite au pavillon et avait 54 pieds de large, de dehors en dehors, se composait,
(1) Nous ne saurions trop exprimer notre gratitude à M. L'Hermite, archiviste de la Sarthe, à qui nous devons la découverte dans ses archives de ce précieux document et son envoi aux archives nationales où nous avons pu en faire prendre une copie authentique.
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en suivant l'ordre du procès-verbal, d'une salle à cheminée de marbre (éclairée de) deux croisées à petits verres, et jalousies, parquetée et plafonnée, d'une grande salle à manger, à cheminée de marbre, carrelée en carreaux de terre-cuite (avec) deux croisées à verre de 13 pouces sur un pied ; d'un appartement à cheminée de marbre servant jadis d'antichambre, plafonné, carrelé en carreaux de terre cuite ; (à) deux croisées à verres de 13 pouces sur un pied ; d'un vestibule, en haut duquel est un escalier en pierre et rampe de fer, une fontaine en marbre, porte vitrée en partie ; un passage pour exploiter l'office, en lequel passage est uu escalier pour exploiter les caves ; sur la derrière un cabinet de toilette à cheminée de marbre, trois armoires en placard, une demie croisée à verre de Bohême, lequel est parqueté et plafonné ; ensuite un petit cabinet où se trouve un escalier dérobé pour exploiter le premier en le passage pour les chambres cy-après ; une porte à petits verres et jalousies donnant sur le parc ; cabinet et garde-robe, en lequel cabinet une demie croisée en verre de Bohême et jalousies, entresol dessus ; ensuite une chambre à coucher à cheminée de marbre, parquetée, boisée et plafonnée, croisées à petits verres et jalousie sur le parc ; antichambre ayant croisée et jalousie ; grande chambre à coucher, à cheminée de marbre, parquetée et plafonnée, ayant une armoire en placard, croisée et jalousie sur le parc, caves voûtées sous tout ledit corps.
Sous la galerie cy-après, un cabinet parqueté, boisé, plafonné, ayant une croisée et jalousie; un autre cabinet aussi plafonné, carrelé de carreaux de terre cuite, demie croisée à verres de 5 pouces donnant sur le parterre ; au bout du passage un petit corridor, (avec) une porte ouvrant sur le parterre, une chambre à cheminée de marbre boisée, carrelée en carreaux de terre cuite ; (avec) petites croisées à verres de 6 pouces donnant sur la terrasse ; une cuisine à cheminée, fours, pottagers, garde-manger ; à côté et sous la terrasse une lavandière ; sur le garde-manger trois petites chambres en entresols, office à cheminée au rez-de-chaussée ; chambre froide ensuite et une petite laiterie ».
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Voilà pour le rez-de-chaussée. « Au premier étage dudit principal corps de bâtiment », on visite successivement « un pallier, vestibule ayant deux croisées à verre d'un pied ; « un corridor, à gauche duquel » était « une antichambre à cheminée de marbre, boisée et plafonnée, croisée à verre d'un pied sur le devant » ; ensuite « une chambre à coucher à cheminée de marbre, boisée et plafonnée, une croisée à verre de 13 pouces sur un pied, cabinet à côté aussi boisé et plafonné, ayant une croisée sur le devant, garde robe donnant sur le corridor. Ensuite une autre garde robe et cabinet, croisée, chambre à coucher à cheminée de marbre, ayant deux croisées sur le devant, à verre d'un pied. Sur la droite dudit corridor était une garde robe et cabinet ayant une croisée à verre d'un pied ; une chambre à coucher ensuite à cheminée de marbre, en laquelle chambre était une armoire en placard, une croisée et jalousies (avec) deux croisées donnant sur le derrière ; une autre antichambre en laquelle était un placard, croisée et jalousie, une chambre à coucher ensuite à cheminée de marbre, croisée et jalousie en laquelle chambre était une alcôve.
On trouva ensuite un pallier pour exploiter le deuxième étage, puis une chambre froide avec un cabinet de toilette, et un entresol comprenant deux cabinets. On arriva alors, toujours au premier étage, au pavillon formant aile, là on trouve un garde meuble ayant trois croisées de face et une sur le côté, ensuite une chambre à cheminée de marbre ayant deux croisées et jalousies sur le derrière, une autre chambre à cheminée de marbre ayant deux croisées et jalousies, dont une sur le côté, et une sur le derrière.
Remarquons, d'après le procès-verbal, qu'il y avait au premier un balcon qui régnait sur la salle à manger et antichambre d'à côté.
Un escalier à rampe de fer conduisait au second étage, et, au haut de cet escalier, était un corridor ayant croisée à chaque bout ; à droite et à gauche du corridor s'ouvraient douze chambres à cheminée de marbre, ayant chacun leur cabinet et garde robe, carrelés en carreaux de terre cuite, le tout plafonné.
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Du second étage on monta aux greniers au moyen d'un escalier à rampe de fer. Dans ces greniers se trouvait une horloge.
On redescendit ensuite au premier étage, et, au-dessus des cuisines et offices, on vit s'étendre une galerie parquetée de 200 pieds de long, g compris un appartement nommé le Roman comique, ladite galerie éclairée de treize croisées, et à la suite dudit roman comique et dans le même pavillon, le procès-verbal mentionne une chambre à cheminée ayant croisée et balcon, ainsi que celle du roman comique, cabinet de toilette, cabinet en long, à côté un autre cabinet de toilette, trois chambres froides, près ledit roman comique, une chambre à cheminée, une chambre froide, et au-dessus un entresol.
C'est ainsi que nous retrouvons en l'an VI les nombreux appartements et chambres dont l'inventaire de 1746 nous avait fait voir les riches mobiliers ; mais à l'époque où nous sommes arrivés, tous les meubles, argenterie, tapisseries et tableaux avaient disparu à la suite du Séquestre de 1793, vendus au profit de la nation, ou transportés au Musée du Mans ; toutes ces pièces vides devaient présenter un spectacle des plus mélancoliques quand on songeait à leur brillant passé.
Outre le grand corps de logis en forme d'équerre dont nous venons de parcourir les différents étages, il y avait un autre pavillon, servant de logement au régisseur ; ce pavillon avait deux étages, et comprenait à chacun de ceux-ci plusieurs salles ou chambres.
Cependant, — c'est toujours le procès verbal qui nous l'apprend, — au devant du principal corps de logis, s'étendaient une terrasse pavée en pavés d'échantillon de grès et une cour pavée de même, en laquelle était un appartement servant jadis de chapelle, prises dans les fossés qui entouraient partie dudit principal corps de logis et cour, à l'entrée de laquelle était une grille de 26 pieds de large sur 12 de haut.
Nous arrivons maintenant à la description des communs qui étaient situés au Sud-Est du château, attenant au pavillon du régisseur. C'était d'abord un corps de bâtiment de 130 pieds de long et de 25 pieds de large, comprenant une écurie garnie de
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râteliers et d'auges. C'était ensuite, au bout de ce bâtiment, un pavillon avec chambres, etc., sans doute destiné au logement des hommes d'écurie. C'était encore, perpendiculairement au bâtiment des écuries, un corps de bâtiment de 24 pieds de large et de 192 pieds de long, comprenant un pressoir, quatre écuries, deux remises et une grange, au milieu duquel corps de bâtiment s'ouvrait l'entrée de ladite basse-cour, dont le portail avait été enlevé pour clore le bourg de Conlie, lorsque les Chouans dominaient le pays.
Au bout de ce bâtiment on voyait un pavillon nommé le Tournebride, où logeait le fermier (36 pieds de long sur 30 de large). A côté de ce pavillon, dans le mur du jardin, il y avait un bâtiment comprenant une écurie et toits à porcs à côté. Dans un autre corps de bâtiment attenant à la fuye, et long de 24 pieds, se trouvait un cellier, et au-dessus, une chambre à cheminée où se tenaient jadis les audiences du tribunal, et, près de là, il y avait une boutique de maréchal. La fuye à pigeons renfermait au rez-de-chaussée une serre, que surmontait un appartement servant à l'archiviste. A côté de la fuye se voyait une petite cour où était la prison. Près de là, un pavillon était l'ancien logement de l'archiviste. Le procès-verbal mentionne encore dans la basse-cour quelques autres bâtiments servant à différents usages, mais sans intérêt pour nous. Il convient d'ailleurs de marquer qu'il y avait une petite grille pour entrer en la chapelle dont nous avons parlé tout à l'heure et une grille de fer pour entrer en lesdits fossés.
On vit ensuite et on visita le parterre et le jardin potager plantés d'arbres en espaliers et en buissons, contenant ensemble environ sept journaux. Au milieu du parterre était un bassin, et dans le jardin deux puits ou puisards pour arroser, avec, au bas, une petite serre.
On vit et visita pareillement le jardin anglais où l'on passait par dessus les fossés au moyen d'un pont tournant, ledit jardin planté d'arbres et arbrisseaux étrangers, deux ormeaux et quatorze marronniers d'Inde... Les portes de ce jardin anglais avaient été pareillement enlevées pour clore le bourg de Conlie...
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Le procès-verbal n'oublie pas la maison du garde touchant aux murs du grand jardin... Tous ces bâtiments, jardin, cour, vergers et prés, furent estimés par les experts à la somme de 2740 fr. de revenu annuel.
On visita ensuite les dépendances domaniales du château de Vernie qui étaient le lieu de Rubelier, un petit lieu situé aux Landes, une portion de taillis nommée Grillemont, le tout dans la paroisse de Vernie, et l'on arriva au parc entouré de fossés, contenant environ 75 arpens dont environ les deux tiers en fûtayes de chênes et châtaigniers, pins, sapins, fouteaux, trembles, marronniers d'Inde et autres bois, partie de laquelle futaye dépérissait par vieillesse, partie était d'âge d'être abattue et partie était de belle venue de différents âges ; l'autre tiers ou environ dudit parc était en taillis, dont environ 12 arpens étaient alors en abats et vendus devant l'administration de Beaumont. Au centre de la futaye, les experts reconnurent qu'il avait été marqué pour le service de la République 230 pieds de chêne à marine.
Le procès verbal s'occupe ensuite de l'avenue ou allée qui conduisant au bourg de Vernie, était en face du cy devant château, et contenait environ 8 arpens, plantée des deux côtés de deux rangées d'ormeaux, sapins, ifs ; de l'allée de la Grouas, d'une demi-lune existant à un certain point de ces allées, de l'allée qui part du Tournebride, plantée d'ormeaux et de marronniers d'Inde, des bois de Malvent, du lieu de Lintre, situé près le bourg de Vernie, etc. Dans cette même partie du procès verbal, il est fait allusion à la vente faite antérieurement des lieux de la Grouas et des Bussons.
Comme on le voit par ce document aussi précis qu'important, Pesche n'exagérait pas en parlant dans son Dictionnaire bien connu du magnifique château de Vernie, accompagné et décoré de beaux jardins, d'un grand bois bien percé d'avenues, etc.
Ce fut évidemment peu de temps après cette estimation qu'eut lieu la vente nationale. Ce qui est certain, c'est que le 19 mai 1798 les citoyens Vettangre, Peltier et Lechesne se
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présentèrent devant l'agent municipal de la commune de Vernie et lui déclarèrent avoir acheté le château, les bois du château et une partie des bois de Moulevent.
D'autre part Pierre Blavette, Pierre Jean, ancien gendarme à Paris, Lamarre du département des Vosges et ancien vivandier avaient acheté les communs. Quant aux 150 hectares environ qui formaient le parc, ils furent divisés en une infinité de petits lots rachetés plus tard en partie par les acquéreurs des bâtiments (1).
A. de BEAUCHESNE.
(1) Renseignements dus à l'extrêmî obligeance de M. Toublanc.
(A suivre).
MONTAUPIN-LA-COUR
Montaupin-la-Cour, tenu de la châtellenie de Foulletourte à foi et hommage simple et à 7 s. 6 deniers tournois de service, appartenait dès le xiv" siècle aux du Bouschet, seigneurs du Bouchet-aux-Corneilles.
Jean et Girard de Montaupin sont mentionnés dans le Cartulaire de Château-du-Loir comme vassaux, vers 1239, de la châtellenie d'Oizé (1).
Jacques de La Chevrière, écuyer, seigneur de la Roche-deVaux, l'acquit le 13 septembre 1486 de Guyonne du Bouschet, veuve de Brémond des Bordes, sa belle-soeur (2). Sa fille Perrine l'apporta en dot, le 4 août 1488, à Jacques d'Aubigné (3), quatrième fils de Jean II d'Aubigné, seigneur de la Perrière, et d'Yolande du Cloître (4).
Jacques d'Aubigné en fit aveu au seigneur de Foulletourte en 1489, 1496, 1502 et 1505, et Perrine de la Chevrière en 1514 (5) : il était décédé à cette dernière date, laissant deux
(1) Bibl. Nat., Latin 9067, fol. 322 v°.
(2) Amb. LEDRU, Histoire de la Maison de Mailly, t. I, p. 505.
(3) Sa famille tirait son nom de la terre d'Aubigné, en Anjou. Elle portait : de gueules au. lion d'hermines, couronné, armé et îampassé d'or (La Chesnaye-Desbois).
(4) LA. CIIESNAYE-DESBOIS, Dictionnaire, t. I, p. 497.
(5) Archives de la Sarthe. Ghartrier des Perrais, Inventaire des titres de la vicomte de Foulletourte, 1110.
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fils, René et Jean d'Aubigné, qui portèrent tous deux le titre de seigneurs de Montaupin.
René d'Aubigné, chevalier, seigneur de Montaupin, épousa Jeanne de Cochefillet de Vauvineux et eut plusieurs enfants, dont leur mère, remariée à François du Bouchet, écuyer, seigneur de la Brière, à Yvré-le-Pôlin, était la tutrice en 1528 et 1531, et Jean de La Chevrière, seigneur de la Roche de-Vaux, le curateur : 1° Françoise, morte sans alliance ; 2° Guyonne, unie à un nommé Padoys ; 3° et Jacquine, conjointe en 1538 à Antoine Boucyron, fils aîné de François Boucyron, écuyer, seigneur de Baudour, à Ligron (1). La Chesnaye-Desbois lui donne encore une autre fille, Marie, alliée à Hélie du Doët, seigneur de la Mairie, au Perche, et deux enfants naturels, Guyon et Catherine (2).
Antoine Boucyron rendit aveu pour Montaupin le 9 février 1539 (v. st.) (3). Le 19 avril 1540, Andrée de Brée, dame douairière de la terre et seigneurie de Foulletourte, le quitta, moyennant la somme de 70 livres, du droit de rachat qu'elle possédait sur la terre de Montaupin. Il mourut entre 1551 et 1555, sans laisser de postérité. Le 26 août 1555, Jacquine d'Aubigné vendit à Me Jehan Jaunay, notaire royal à Ligron, la moitié par indivis de la métairie de Montaupin, contenant en tout 50 journaux de terre labourable et 16 hommées de pré « non compris les boys taillis », pour le prix de 380 livres tournois, avec faculté de réméré « dedens un an », et le 15 mai suivant, à Julien Regnoul, couturier au lieu de la Bretonnière, à Ligron, neuf journaux de terre à la Clérissière, moyennant 160 livres et à la charge d'en payer deux deniers de rente à la seigneurie de Montaupin. Elle trépassa en 1559. Le 17 octobre de cette année, René du Bouschet, écuyer, son frère maternel, renonça à sa succession, la trouvant « par trop onéreuse » (4).
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
(2) LA CHESKAYE-DESBOIS, Dictionn., t. I, p. 497.
(3) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire des titres de la vicomte de Foulletourte, 1110.
(4) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
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Jean d'Aubigné, écuyer, seigneur de Montaupin, fit hommage pour ce fief le 9 septembre 1539 (1). Il demeurait en 1559 au lieu de la Moratière, à Mansigné. Le 10 août 1560, il vendit ce lieu à Me Jehan Gaultier pour 3.000 livres tournois. Il mourut à cette époque, laissant à Olive Bousseron, son épouse, trois filles : Françoise, qui s'unit en 1565 à Jean Le Roy, écuyer, sieur de la Carrière, à La Cropte, et Jacqueline et Guyonne d'Aubigné, qui trépassèrent sans avoir contracté mariage (2).
Cité à comparaître aux plaids de la seigneurie de Foulletourte, Jean Le Roy (3) s'avoue vassal d'André de Beauvau le 19 juin 1574(4). Le 24 décembre 1591, «il fut présent à un échange de biens entre « Magdelon Thomas, escuyer, seigneur de Jupilles et de Beaumont », et « honneste Loys Mersenne et Gevrine Denis, sa femme », d'Oizé. Le 11 juin 1593, il vendit au même Magdelon Thomas et à sa femme, Suzanne Le Devin, différentes pièces de terre à Oizé et particulièrement celle appelée « le doux de la Justice », de la contenance d'un journal » (5). Françoise d'Aubigné' lui donna quatre enfants : 1° Pierre, écuyer, sieur de Montaupin et de la Carrière, qui suit ; 2° Jean, écuyer, sieur de la Carrière, de la Houssaye, de Monfoulon et des Rochettes,et mari en 1605 d'Esther Gaultier, fille de François Gaultier, écuyer, sieur d'Aussigné. Il fit hommage à son frère aîné du lieu de la Foucherie, où il demeurait le 4 juillet 1608 et résida ensuite, de 1610 à 1614 « au lieu de la Marionnière, près le bourg de Saint-Sauveur-de-Flée », et de 1621 à 1633 aux Rochettes, paroisse d'Aviré. Tuteur et garde noble de ses enfants, de 1617 à 1630, il l'est également
(1) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire des titres de la vicomte de Foulletourte, 1110.
(2) Archives du Maurier, dossier Montaupin. —- LA CHESNAYE-DESBOIS, Dictionn., t. I, p. 497.
(3) Armes des Le Roy de Montaupin : d'argent à trois chevrons de sable, une fasce de gueules brochant sur le tout (Amb. LEDRU, Histoire de la Maison de Broc, p. 244).
(4) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire des titresde la vicomte de Foulletourte, 1110.
(5) Amb. LEDRU, Histoire de la Maison de Broc, p. 244. — Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
REV. HIST. ARCH. DU MAINE. 13
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de son neveu Pierre en 1633; 3° Renée, femme en 1611 de François de Hodon, écuyer, sieur des Buchetières ; 4" et Julien Le Roy, sieur de la Foucherie, marié à Suzanne de Guerguebec et décédé à Oizé, le 11 octobre 1605. Sa veuve est « garde noble de son fils », Charles Le Roy, écuyer, seigneur d'Assé, en 1611(1).
Pierre Ier Le Roy avoua Montaupin le 10 avril 1593 et le 10 mars 1611. Sa femme, Barbe de Mondragon, dame du Bignon et du Verger, à Moncé-en-Belin, déjà veuve en 1618, convola en secondes noces avec Cyprien Le Vayer, écuyer, sieur de Bourgjolly. Trois enfants naquirent de sa première union : Pierre II, décédé entre 1633 et 1644, Louis et Charles Le Roy (2).
Louis Ier Le Roy, écuyer, seigneur de Montaupin, prit pour femme Marie de Bellanger. Il en eut plusieurs enfants pour lesquels leur tuteur fit foi et hommage le 6 mars 1656 (3). Le 27 juin 1653, en son nom et comme tuteur et garde-noble des enfants issus de lui et de feu son épouse, il vendit, pour 9.900 livres, à noble Me Pierre Trouiilard, sieur de Monchenou, conseiller au siège présidial du Mans, et à Marie Le Clerc, sa femme, « les lieux et métairies du Bignon et du Verger, avec les fiefs et seigneuries en dépendant, et le fief des Mollans, vassaux, subjects, cens, rentes, charges et debvoirs, situés à Moncé-en-Belin, appartenant audit Le Roy, vendeur par adjudication après licitation entre feu Jehan de Mondragon, chevalier, sieur de Hires, et Marie Aubert, sa femme, Urban de Bellanger, sieur des Bizerais, Charles de Bellanger, écuyer, sieur de Lucé, René de Guillot, écuyer, sieur deLaunay-Frémillonnière, fils et unique héritier de feu René de Guillot, écuyer, sieur de Launay-Frémillonnière, et de Marguerite de Bellanger, tous héritiers de défunte damoiselle Barbe de Mondragon,
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
(2) Archives de la Sarthe. Chartrier, des Perrais, Inventaire des titres de la vicomte de Foulletourte, 1110.
(3) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire des titres de la vicomte de Foulletourte, 1700.
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par représentation de défunte damoiselle Marguerite de Mondragon, leur ayeule ; et encore Marie Le Vayer, veuve de Nicolas de Pitard, écuyer, sieur du Chesne, et Françoise de Lespervier, veuve en dernières noces de feu Jehan de Hodon, écuyer, sieur de la Gruellerie » (1).
René-Jean Le Roy, écuyer, seigneur de Montaupin, son fils, le seul que nous connaissons, épousa le 12 janvier 1665, dans l'église de Broc, Louise de Broc, fille de Jacques de Broc, chevalier, baron de Saint-Mars-la-Pile, seigneur de Broc, et de Marguerite de Bourdeille (2). Il reçut le 19 janvier 1686, au nom de sa femme, et « des enfants de défunt Armand de Broc,
Sceau de René Le Roy et de Louise de Broc.
seigneur d'Echemiré, en attendant le règlement définitif de la succession de Sébastien de Broc, seigneur de Foulletourte et des Perrais, « la maison », domaine et appartenances et dépendances de Beaumont, à Oizé, et le moulin de MocqueSouris », échus audit Armand de Broc dans un partage précédent (3). Il était lieutenant au régiment de Lyonnais en 1689 (4). Louise de Broc mourut le 15 juin 1706 et fut inhumée dans l'église d'Oizé le 28 du même mois ; son mari la suivit dans la
(1) Abbé G. ESNAULT, Inventaire des minutes anciennes des notaires du Mans, t. I, p. 303.
(2) Registres de l'état civil de Broc (Maine-et-Loire).
(3) Abbé A. LEDRU, Hist. de la Maison de Broc, p. 245.
(4) Annuaire de la Sarthe, 1843, p. 130.
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tombe le 20 novembre 1721. Sept enfants naquirent de leur union : 1° Marie, 2° René-Pierre ; 3° Catherine-Àmbroise, inhumée à La Fontaine-Saint Martin le 25 novembre 1715, à l'âge de 45 ans ; 4° Louise, baptisée le 8 décembre 1671 et ensevelie dans l'église du couvent de La Fontaine-Saint-Martin le 11 juillet 1738; 5°X...,né le 26 mars 1674 ; 6° Renée, née le 22 octobre 1675, qui épousa le 28 janvier 1711, dans l'église d'Oizé, Magdelon Thimoléon de Savonnières, chevalier, seigneur d'Entre-Deux-Bois et de Courdenet, à Vaas, fils de Jean-Guillaume de Savonnières et de Marie de La Haye ; 7° et Louis, baptisé le 27 mai 1681 (1). Trois seulement survécurent à leur père : Renée, Louise et Louis, chevalier, seigneur de Montaupin et de Beaumont ; les deux derniers « cédèrent, le 25 septembre 1722, à Michel, comte de Broc, la part qu'ils avaient droit de prendre dans les terres des Perrais et de Foulletourte » (2). Louis II Le Roy s'unit à Marie-Madeleine Aubert de Boisguiet, fille de Mc René Aubert, sieur de Boisguiet, avocat au parlement, seigneur d'Yvré-le-Pôlin, et de Marie Le Peletier de Feumusson, et suivit la carrière des armes; il était en 1725 et 1732 commandant d'artillerie à La Rochelle et chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, et en 1751, année de sa mort, lieutenant commandant la même arme au département de Valenciennes.Sa veuve vendit le 15 juillet 1754 à Marin Rottier de Madrelle, conseiller secrétaire du roi, demeurant au Mans, la terre, fief et seigneurie d'Yvré-le-Pôlin, consistant dans la maison de la Cour d'Yvré, dans la métairie de la Renouillère, lui appartenant de la succession de René Aubert de Boisguiet, son père, plus le bordage de La Fosse, relevant de la dite terre, qu'elle avait acquis (3). Elle fut enterrée dans l'église d'Oizé le 29 avril 1761 (4). Elle avait eu deux enfants, Louis-Auguste, qui continua la famille, et Marie, religieuse au prieuré de La Fontaine Saint-Martin, dont elle fut sous(1)
sous(1) de l'état civil d'Oizé et de La Fontaine-Saint-Martin.
(2) Abbé A. LEDRU, Uisl. de la Maison de Broc, p. 245.
(3) Abbé G. ESNAULT, Invent, des minutes anc. des not. du Mans, t. V, p. 44.
(4) Registres de l'état civil d'Oizé.
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prieure en 1778, et où elle trépassa le 3 mars 1782 -, à l'âge de 64 ans (1).
Le 14 février 1752, Louis-Auguste Le Roy, chevalier de Saint-Louis, seigneur de Montaupin, Beaumont, la Place, Yvréle-Pôlin, commissaire extraordinaire d'artillerie au Port-Louis, s'unit à l'âge de 27 ans et demi, dans l'église de Savigné-l'Evêque, à Marie-Thérèse de Moloré, fille de Gabriel-René de Moloré, seigneur de Villaines, président de l'élection du Mans, et d'Anne-Renée de Belleriant (2). Tombé veuf de bonne heure et ayant perdu Anne-Louise-Thérèse Le Roy, sa fille unique, née au Mans, paroisse de Saint-Benoît le 11 septembre 1753, il se remaria le 3 mai 1768, étant alors chef de brigade du corps d'artillerie au régiment de Strasbourg, à Louise-Marguerite de Montesson, veuve de Jean-Armand, chevalier, marquis de Raffetanges, et fille de Louis-Pierre Joseph de Montesson, chevalier, seigneur de Douillet, et de Marguerite-Renée Le Silleur. Il décéda le 3 juin 1788, et sa femme le 28 février 1772, après lui avoir donné deux filles : Louise-Armande, baptisée à Oizé le 18 septembre 1769, qui s'allia en premières noces, le lor mai 1788, à Pierre-Etienne, comte de Lhermitte, seigneur du Mesnil-Guyon, La Mazure, La Cheverie, Champhays, chevalier de Saint-Louis et capitaine au régiment de La Fère, et en secondes noces, avant 1801, à Henri Le Moine ; et AugustineLouise-Madeleine, née au Mans, paroisse de Saint-Nicolas le 21 février 1772, qui épousa à Oizé, le 5 juillet 1791, Jean-François-Marie d'Alexandre, officier au régiment de Chartres-Infanterie, fils d'Antoine d'Alexandre, chevalier, et d'Amable Philibé (3). Un accident la rendit veuve le 24 avril 1805 (4).
Par acte du 19 juillet 1791, devant René-Julien Le Blaye et Julien Dioré, notaires à Oizé et à Sougé-le-Ganelon, MM. et Mmcs de Lhermitte et d'Alexandre se "partagèrent la succes(1)
succes(1) de l'état civil de La Fontaine-Saint-Martin.
(2) Registres de l'état civil de Savigné-l'Evêque.
(3) Registres de l'état-civil de Saint-Benoît et de Saint-Nicolas du Mans, et d'Oizé.
(4) NEPVEU DE LA MANOUILLÈRE, Mémoires, t. II, p. 426.
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sion de Louis-Augustin Le Roy de Montaupin et de LouiseMarguerite de Montesson. M. et Mme de Lhermite en reçurent les deux tiers pour leur part : le lieu et domaine de Montaupin, les bordages de la Teisserie, de Verreille, et de la Place, les métairies Grassin, de la Roche et de Beaumont, les closeries de la Clérissière et de la Foucherie, les moulins de Mocque-Souris et de Boisard, et quatre-vingts à cent journaux de sapinières ou bois taillis à la Verrie, le tout estimé 109.733 livres 5 s., et situé paroisses d'Oizé et de Requeil. M. et Mme d'Alexandre eurent l'autre tiers dans leur lot, c'est-à-dire les métairies de la Bussonnière et de la Petite-Chapelle, à Sougé-le-Ganelon, deux maisons rue du Puits-de Quatre-Roues, au Mans, 550 livres de rente au capital de 11.000 livres, et 400 livres aussi de rente au capital de 10.000 livres, au total 62.242 livres (1).
M. de Lhermite commanda en second l'artillerie de l'armée des côtes de Cherbourg sous Wimpffen et devint un des principaux chefs de la chouannerie dans la Sarthe. Il fut tué à SaintDenis-d'Orques, après la pacification, en avril 1795, dans une rencontre avec les Bleus (2).
En 1827, M. Ambroise de La Porte, maire d'Oizé de 1830 à 1866 et agriculteur très distingué, acquit Montaupin des héritiers du chevalier Louis-François d'Arlanges. A sa mort, en 1866, la propriété en passa ensuite à M. Ambroise de La Porte, son fils aîné, puis par ventes successives, en 1880, à M. Vrament, entrepreneur en bâtiments à Paris, et en 1897 à des spéculateurs.
MONTAUP1N-JAGQUETTE, aliàs JACQUETTE
Ce fief relevait primitivement des Bouchet-aux-Corneilles et lui devait foi et hommage simple, un cheval de service « à muance de homme et de seigneur, abourné à 25 sols tournois » et chacun an, le-jour de la Toussaint, une mine de fro(1)
fro(1) de la Sarthe, E. 331.
(2) CHARDON, Les Vendéens dans la Sarthe, t. III, p. 490. — Renouard, Essais hislor., t. II, p. 284.
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ment et une mine d'orge, mesure de Foulletourte. Jacques de la Chevrière, seigneur de la Roche-de-Vaux et du Bouchet, pour avantager Jacques d'Aubigné, son gendre, en transporta la féodalité directe au seigneur de Montaupin-la-Cour, le 21 septembre 1491 (1). Sa vassalité consistait, à la fin du XVIII 0 siècle, dans les baillées de la Teisserie et du Bordage, tenues à foi et hommage simple, la première à 24 boisseaux de seigle mesure de Château-du-Loir, pesant 25 livres, et à 8 s. 4 d. de service ; et la seconde à 4 s. de service ; et dans les bordages de la Fosse, obligés seulement à l'obéissance (2).
Jacquette Dugué en était dame à la fin du xive siècle, et Guillaume Chastaing, son successeur, en rendit aveu le 4 février 1392 (v- st.) à Guyon du Bouschet, seigneur dn Bouchet-auxCorneilles et de Montaupin (3). Marguerite Chastaing, sa fille, épousa Guy des Vignes, dont naquit Perrine des Vignes, qui porta Montaupin-Jacquette à son mari Jean Huet (i).
Perrine des Vignes, veuve, fit hommage pour MontaupinJacquette le 9 décembre 1454. Jacques Huet, son fils, praticien, puis conseiller en cour laye, renouvela cet acte le 15 octobre 1458. En 1479, il refusa d'acquitter les deux mines de froment et d'orge assises sur son fief, et Jean du Bouschet, son suzerain, entama contre lui une procédure qui dura vingt ans. Le 15 mai 1499, une sentence arbitrale de <> Jehan Buet et Jehan Maillet, arbitres arbitrateurs et aimables compositeurs », réduisit à néant ses prétentions et le contraignit à payer régulièrement désormais ladite rente foncière (5).
Le 30 juin 1574, « honorable homme et saige maistre Claude Daguyer, licentié es loiz, seigneur de Vareilles, grenetier de Vendosme, et honorable femme Marguerite de Garencé, son espouse », demeurant à Vendôme, vendent à « honorable homme maistre Jehan Gaultier, seigneur de la Moratière,
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
(2) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
(3) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
(4) Archives des Perrais et du Maurier.
(5) Archives du Maurier, dossier Montaupin
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demeurant à Mauves, pays du Perche », et à sa femme, Jehanne Louveau : 1° « le lieu mestairie fief et seigneurie de
Montaupin Jacquette, escheu audit Daguyer vendeur de
la succession de deffunct maistre Jehan Daguyer son père », héritier « de deffunct maistre Gervaise Huet son oncle maternel, le tout teneu a foy et hommaige simple du seigneur
de Montaupin La Cour a 12 den. tournois de service, et 21 den. et 11 den. de rente inféodée, au jour des trépassez, 6 boisseaulx de bled fourment et 6 boisseaulz d'orge mesure de Foulletourte aussy de rente inféodée au jour de Notre-Dame dicte angevine » ; 2° « le lieu et mestairie de la Roche », à Oizé. Le marché est conclu « pour et moyennant le prix et somme de six mil huict cens livres tournoys et la somme de cinq cens quatre vingtz trois livres six sols huict deniers tournoys de rente foncière annuelle et perpétuelle, que le dict acquéreur a promis et sera tenu paier par chacun an ausdictz vendeurs au jour et feste de Toussainctz rendu en ceste ville de Vendosme » (1).
Charles Guibert, qui en était seigneur en 1633, le céda le 8 janvier 1641 à Sébastien de Broc, seigneur de Foulletourte et et des Perrais. Quelques années plus tard Pierre III de Broc, chevalier de l'ordre du roi, comte de Broc, seigneur de Lisardière, de Mondan, héritier en partie de Sébastien de Broc, le vendit, le 24 mars 1666, pour 3.000 livres, à François Duval, sieur du Mesnil, bourgeois du Mans, demeurant paroisse de la Couture. Michel-Armand de Broc, marquis de Broc, seigneur de Foulletourte et des Perrais en était possesseur vers la moitié du xvme siècle (2).
LA FOUCHERIE
« Noble Julien Le Roy, sieur de la Foucherie, de la maison de Montaupin », décéda le 11 octobre 1605 « et fut inhumé en
(1) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais. Pièce papier.
(2) Abbé A. LEDRU, Hist. de la Maison de Broc, p. 249. — Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais. _ Archives du Cogner, E. 452, 20» pièce.
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l'église d'Oizé avec son père », trépassé avant lui (1). Suzanne de Guerguebec ou Querquebec, sa veuve, était garde noble de Charles Le Roy, écuyer, son fils, en 1611, et propriétaire de la métairie de la Fosse, à Yvré-le-Pôlin, en 1617 (2).
LA HARDONNIÈRE
Jacques Huet, sieur de la Roche, en était seigneur en 1491, et Louis-Auguste Le Roy de Montaupin en 1749 (3).
BEAUMONT
Le château de Beaumont, aujourd'hui disparu, était bâti au-dessus du bourg d'Oizé, dans une très belle situation, d'où la vue embrassait un vaste horizon au Sud et à l'Est. Il était, dit-on, très important On rencontrait quatre puits dans son enceinte, dont un seul subsiste, remarquable par sa grande profondeur et son diamètre de 2 mètres et demi à l'ouverture et de 6 à 7 mètres à la base. « Les bois et taillis », d'une contenance de 45 journaux, relevaient à foi et hommage simple et 9 s. de service de la seigneurie de Passau, à Mansigné (4).
Beaumont donna son nom à une ancienne famille qui le posséda jusqu'à la fin du xve siècle. Le 31 janvier 1450, Jean de Beaumont, avoue au seigneur de Foulletourte son fief de la Grande-Couture de Cerans. Le 16 juillet 1481, « Laurens de Courbefosse et Jehanne de Beaumont, sa femme » s'accordent avec « maistre Pierre Thomas et Marie de Beaumont, sa femme », au sujet de cent sols tournois de rente assis sur les bois de la Place, à Oizé. Un membre de cette famille, « vénérable et discret maistre Michel de Beaumont, maistre es ars, bachelier en décret et curé des églises paroissiales d'Ancinnes
(3) Reg. de l'état civil d'Yvré-le-Pôlin.
(4) Archives de la Sarthe, H. 549.
(5) Archives du Maurier, dossier Montaupin. (1) Archives nationales, P. 3532, n* 38.
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ou diocèse du Mans, et de Saint-Clément en la ville de Tours », vend le 11 mars 1484 (v. s.) à « honorable homme maistre Jehan de Beaumont », son frère, « procureur au Chastelet de Paris « tous les droits qui lui sont échus par la mort de feu « Jehan Gobert », leur neveu (1). A la même époque vivait aussi Guyonne de Beaumont, femme de Jacques du Bouschet, seigneur de la Forterie (2).
Me Jehan de Beaumont et Jacqueline Barat, son épouse, possédaient à la fin du xve siècle le lieu, domaine et fief de Jupilles, à Yvré-le-Pôlin. A leur mort, leurs enfants en aliénèrent chacun leur part à Me Nycolle Thomas et à Ysabeau Leballeur, sa femme. Me Nycole de Beaumont, procureur au Châtelet de Paris, l'aîné, en céda la moitié par indivis, pour la somme de 600 livres tournois (4 mai 1513), et chacun des autres le septième par indivis de l'autre moitié : Christofle Marceau, bourgeois de Paris, mari de Madeleine de Beaumont; Pierre de Beaumont, puîné ; Claude de Beaumont, religieux en l'abbaye du Moustier-Neuf,à Poitiers; Me Mathurin Bouhyer, procureur en la cour de Parlement, mari de Jehanne de Beaumont ; M" Pierre Leconte, procureur au Châtelet de Paris, époux de Perrette de Beaumont; Me Guillaume Doron, procureur au Châtelet de Paris, mari de Jacqueline de Beaumont ; et M8 Thomas Letays, avocat en la cour de Parlement (15131518) (3).
Beaumont appartenait en 1534 à « maistre Franczois Thomas », fils aîné et principal héritier de « deffunct maistre Nicole Thomas », neveu de Raoul Thomas et de Renée Thomas, épouse de « maistre Guillaume Chesnay ; en 1546, à Lézin Thomas, seigneur de Jupilles, à Yvré-le-Pôlin, un des calvinistes les plus violents en 1562 ; en 1590, à Magdelon Thomas, écuyer,
(1) Abbé A. LEDRU, Hist. de la Maison de Broc, p. 191. — Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
(2) « Guyonne de BEAUMONT portait : de gueules à une aigle éployée d'or accompagnée de quatre pointes de flèches placées aux quatre cantons. Ces armes étaient autrefois représentées sur le grand autel de l'église de Parigné-le-Pôlin » (Abbé A. Ledru, Hist. de la Maison de Broc, p. 186;.
(3) Archives de la Sarthe, H. 580, fol. 44-47.
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sieur de Jupilles, à qui ses deux soeurs, « damoyselle Françoise Thomas, veufve de feu honorable homme Mc Pierre Gaudin, vivant sieur de la Pommerye, advocat à Château du Loir », et « damoyselle Helaine Thomas », de concert avec Yves de Sanson, écuyer, sieur de la Bourne, son mari, « demeurans au lieu de la Bourne, parroisse de La Fontaine-Sainct-Martin », vendirent le 24 mars et le 5 avril 1591, tous leurs droits sur le domaine de Beaumont, à Oizé, provenant des successions de leurs « deffuncts père et mère » et de « deffunct Jehan Thomas », leur frère, pour le prix de 666 éçus 2 livres à payer à chacune d'elles (1).
Le 17 février 1598, « Jacques Hurault, sieur de la Boissière, prieur de la Magdelayne d'Oise », permet « au sieur de Beaumont, Magdelon Thomas, escuier, sieur dudit lieu et de Jupilles r, de faire ouverture en 1' « église d'Oizé à main gauche
de la dicte église, au-dessous de la tour au clocher pour y
faire accomoder, construire et bastir une chapelle, pour luy, damoiselle Suzanne Le Devin, sa femme, enfans et successeurs et domestiques, et s'y retirer privatifment à tous aultres pendant et durant le service ordinaire qui se fera en icelle, et pour servir de sépulture et monument à ceulx de sa famille (2) ». Magdelon Thomas, qualifié en 1605 de « ung des cent gentilshommes de la mayson et couronne de France », était mort avant le 9 juin 1623, « époque à laquelle Louis d'Alexandre, écuyer, sieur de Chantelou, à Requeil, mari de sa fille, offrit foi et hommage au prieuré de Sainte-Anne de Fessard, à Yvré-le-Pôlin, membre dépendant du prieuré de Châteaul'Hermitage » (3). Magdelon Thomas, son fils et héritier principal, épousa : 1° par contrat du 10 janvier 1623, Marie de Vassé, fille d'Hanibal de Vassé, écuyer, sieur de Saint-Georges, et
(1) Abbé A. LEDRU, Hist. de la Maison de Broc, p. 191. — Archives de la Sarthe. Ghartrier des Perrais.
(2) Abbc A. LEDRU. — Histoire de la Maison de Broc, p. 192. — Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais. Original parchemin, avec sceau de Jacques Hurault : une croix accompagnée de quatre quintefeuilles.
(3) Abbé A. LEDRU, Hist. de la Maison de Broc, p. 192.
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d'Anne deTroyes (1); 2° Gillette de Cadieu.qui lui donna Jacques Thomas, baptisé le 28 novembre 1635 à Savigné-l'Evêque ; Emery Thomas, baptisé dans la chapelle du château de Touvoie le 7 août 1644 ; et Marguerite Thomas, unie le 4 février 1672, dans l'église de Savigné-l'Evêque, à Jacques Lecamus, sieur des Landes, de la paroisse de Beaufay (2).
Beaumont passa par acquêt, le 1er juillet 1624, à Sébastien de Broc, seigneur des Perrais, vicomte de Foulletourte, chevalier de l'ordre du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre (3), et après son décès (13 novembre 1662), par partage entre ses héritiers, en 1663, à Armand de Broc, chevalier, seigneur d'Echemiré, dont les enfants le cédèrent avec le moulin de Mocque-Souris, le 19 janvier 1686, à René Le Roy, écuyer, seigneur de Montaupin, et à Louise de Broc, son épouse, à « la charge de payer aux créanciers des sieur et damoiselle d'Echemiré vendeurs 375 livres de rente annuelle et perpétuelle,
amortissable à la somme de 7.500 livres » (4). La famille Le
Roy de Montaupin l'a conservé au nombre de ses possessions jusqu'au commencement du siècle dernier. Le 19 juillet 1791, il échut en partage à Louise-Armande Le Roy, fille aînée de Louis-Auguste Le Roy, seigneur de Montaupin, et femme de Pierre-Etienne de Lhermitte.
LA TEISSERIE
Le seigneur de Montaupin-Jacquette bailla la Teisserie en 1383 à Guillaume Chataing pour la tenir de lui à foi et hommage simple et en payer 2 septiers (24 boisseaux) de seigle mesure de Château-du-Loir, pesant 25 livres, et 8 s. 8 d. de service.
Ce fief, divisé en plusieurs métairies dès le xvie siècle, appar(1)
appar(1) de M. Brière. Pièce papier.
(2) Registres de l'état civil de Savigné-l'Evêque.
(3) Archives du Cogner, E.452, 20e pièce.
(i| Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, — Archives du Cogner, E. 455.
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tenait en 1591 à Jacques Huet ; en 1598, à Jean Carreau ; en 1610, à Louis Trouvé, sieur de la Teisserie, demeurant au Mans ; en 1634, à Anne Faircoq, veuve Jean Carreau ; en 1635, à Marguerite et à Catherine Trouvé, héritières de Louis Trouvé ; en 1731, à Louis Le Roy, seigneur de Montaupin-la-Cour, et à Simon de la Roche ; en 1751, à Louis-Auguste Le Roy, seigneur de Montaupin-la-Cour, et en 1791 à sa fille LouiseArmande Le Roy, épouse du comte de Lhermitte (1).
LA PLACE
La Place relevait en partie de la seigneurie de Passau, à Mansigné, et lui devait foi et hommage simple et 3 s. de service.
Le 13 septembre 1575, Guillaume Pavyn, mari de Renée Charbonnier, sieur de Chassay, demeurant en la paroisse de Saint-Pater de Touraine, en son nom et « soy faisant fort de Jehan Boullenger, mary de Marie Charbonnier, demeurant en la ville de Tours, lesdictes femmes héritières chascune pour une cinquiesme partye de defunct Me René Charbonnier et de de Renée La Belle, leur père et mère », vend le lieu et métairie de la Place, à Oizé, à Me Simon Le Tourneur, avocat au siège présidial du Mans, et à Renée Foureau, son épouse (2).
A cette famille Charbonnier appartenait probablement demoiselle Marie de Charbonnier, fille de Louis-François de Charbonnier, sieur de Beauséjour, et de feue Marie Dupuy, qui épouse le 5 mars 1696, à Oizé, où elle habite avec son père, Charles Savigny, sieur de Thorigny, fils de Pierre Savigny, officier de Monsieur, et de Marie Malescot (3).
La Place appartenait en 1609 à Jacques Ellizant, mari de Madeleine Letourneurs (4) ; en 1631, par achat, à Sébastien de Broc, seigneur de Foulletourte et des Perrais; et, en 1751, à Louis-Auguste Le Roy de Montaupin, qui en transmit la propriété à Mme de Lhermitte, sa fille.
(1) Archives de, la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire du fief de Montaupin-Jacquelte, 1770. — Notes diverses.
(2) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
(3) Registres de l'état civil d'Oizé.
(4) Archives nationales, P. 3582, n° 38.
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BELLE-BEURRE
Belle-Beurre (Burbures, 1403 ; Belles-Bures, 1480) devait foi et hommage simple à la seigneurie du Bouchet-aux-Corneilles et 12 deniers tournois de service.
Ses possesseurs connus sont : les héritiers de Philippe Mayre, en 1403 ; Magdelon-Thimoléon de Savonnières, du chef de Renée Le Roy, son épouse, en 1736 ; Magdelon-FrançoisThimoléon de Savonnières, chevalier, seigneur d'Entre-DeuxBois et de la Cour-Denet, qui le cède en 1771 à Louis-Auguste Le Roy de Montaupin (1).
LA ROCHE, aliàs LA ROCHE-HUET
Le fief de la Roche relevant pour la plus grande partie à foi et hommage simple du prieur d'Oizé et à 3 s. de service et 20 deniers de cens au dimanche d'après la Madeleine ; une autre partie était tenue à foi et hommage simple du seigneur des Perrais ou du Plessis de Moire, et à 12 deniers de service au jour des Trépassés ; et une autre du seigneur de la GrandeCouture, à franc devoir seulement.
La Roche, qu'il ne faut pas confondre avec le fief du même nom à Parigné-le-Pôlin, possédé de 1474 à 1489 par René Lepeltier, et de 1517 au commencement du xvme siècle par la famille des Escotaiz, seigneur de la Chevalerie, appartenait en 1490 à Jacques Huet, seigneur de Montaupin-Jacquette ; en 1514 et 1543, à Gervais Huet, puis à Jean Daguyer, son neveu, père de Claude Daguyer, seigneur de Vareilles, qui la vendit le 30 juin 1574 à « maistre Jehan Gaultier, seigneur de la Moratière, demeurant à Mauves, et à Jehanne Louveau, son épouse ». Son successeur, Jehan Gaultier, sieur de la Pierrière, conseiller et avocat du roi aux requêtes de l'hôtel, mari d'Eli(1)
d'Eli(1) du Maurier, dossier Montaupin.
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sabeth Bauldry, aliéna le 19 février 1594 plusieurs maisons avec terres, situées à Oizé, à Magdelon Thomas, sieur de Jupilles et de Beaumont. Saisie sur Michel Gaultier et Françoise Bodineau, sa femme, la Roche fut adjugée à Magdelon Thomas, le 24 avril 1600 (1). Michel Gaultier s'en intitulait cependant encore seigneur en 1613(2). Adam Le Febvre, sieur de la Juppillière et gendre de feu René Poussin, y demeurait en 1646 (3). Les seigneurs de Foulletourte et des Perrais en devinrent ensuite propriétaires, puis ceux de Montaupin-la-Cour au XVIII 6 siècle (4).
LA FOSSE
La Fosse, divisée en plusieurs bordages au xvie siècle, devait seulement obéissance au seigneur de Montaupin-Jacquette. Thomas Vaquier bailla la métairie de la Fosse à Gervais Brossard, le 7 janvier 1456, pour 5 septiers de seigle, 9 boisseaux d'avoine mesure d'Oizé, 32 s. 6 d. en argent et un porc de deux ans. Le 6 juin 1514, Me Gervais Huet, sieur de la Roche, opère le retrait féodal « d'un journeau de terre dans son fief de la Fosse » sur Me Jean Durand, prêtre, curé d'Oizé (5).
LA BARRE
La Barre appartenait en 1559 à Guillaume Gaultier, qui donne aux Cordeliers du Mans, par devant Me René Belon, notaire à Oizé, 4 livres de rente sur une maison sise rue SaintVincent, au Mans ; en 1597 et en 1610, à M0 Jehan Cesneau (6), mari de Françoise Gaultier; en 1614, à Jehan Cesneau, son
(1) Archives des Perrais et du Maurier.
(2) Registres de l'état civil de Saint-Jean-de-la-MoUe.
(3) Archives de la Sarthe, H. 577.
(4) Archives des Perrais. — Archives du Cogner, E. 455, pièces 11-15.
(5) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire des titres du fief de Montaupin-Jacquette, 1770.
(6) Armes : d'argent à trois mûres de gueules.
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fils ; en 163. à Gervais Cesneau, son petit-fils, dont la fille, Anne Cesneau, épousa Jacques Lair, conseiller du roi, receveur général des finances de la généralité de Tours en 1665 ; en 1640 et 1646, à René Le Roy et à Barbe Le Chat, sa femme, père et mère d'Adrien Le Roy, demeurant à Spay, uni par contrat du 22 janvier 1695 à Marie-Marthe Biardeau ; de 1659 à 1703, à René Le Cornu, bailli du comté de La Suze, fils de René Le Cornu, sieur de la Jeunaisière, à Cerans, et de Marie Le Beichu, et mari de Renée Belin, d'où Renée Le Cornu, femme de Guy d'Andigné, sieur de Marcé, Elisabeth Le Cornu et Claude Le Cornu, prêtre, curé de Chemiré le-Gaudin et doyen rural de Vallon. Elisabeth Le Cornu épousa en 1700, André Le Paige (1), sieur des Touches, fils de Charles Le Paige, bourgeois de La Flèche, et de Marie Liberge, et en eut AndréRené Le Paige, né à La Suze le 14 avril 1701, curé de Chemiré-le-Gaudin par résignation de son oncle Claude Le Cornu en mai 1730, chanoine de l'Eglise du Mans et auteur du Dictionnaire topographique et historique du Maine, qui décéda le 2 juillet 1781 ; et Charles-Christophe Le Paige, né en 1702, marié par contrat du 19 janvier 1733, à Marguerite-Henriette Soriz, fille d'Henri Soriz, sieur des Touches, commissaire provincial d'artillerie, et de Marguerite Gendrot, demeurant à Flacé.
Charles-Christophe Le Paige, seigneur des Touches et de la Barre, mourut en 1752 à Saint-Mâlo, où il était officier
(1) Charles Le Paige, sieur de la Chesnaye et avocat au présidial du Mans en 1648, avait eu de son mariage avec Perrine Durand : Charles II, Anne et Marie, unie avant 1670 à François Le Joyant, avocat au Mans : leur fille Perrine Le Joyant, épousa par contrat du 20 janvier 1701 Charles de Courtoux, écuyer, de la paroisse de Saint-Nicolas du Mans, et fut mère de Pierre de Courtoux, écuyer, garde du corps du roi en 1730. Charles II Le Paige, seigneur des Touches et de La Chesnaye, fermier du prieuré d'Oizé, où il demeurait en 1670, prit pour femme, en 1667, Marie Liberge, qui lui donna : Charles III, curé de Saint-Quentin-lès-La Flèche en 1723 ; André, sieur des Touches, mari d'Elisabeth Le Cornu ; Thomas, sieur de Pirmil, curé de Juigné, et Joseph, prêtre à Juigné, baptisés à Oizé le 6~mai 1672 ; Marie-Anne, baptisée à Oizé le 11 novembre 1673, et LouisPaul, sieur de la Maison-Neuve, baptisé aussi dans cette paroisse, le 18 novembre 1677 (Registres de l'état civil d'Oizé. — Arch. de la Sarthe, G. 374. — Arch. de la fabr. de Cerans).
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d'invalides, laissant quatre enfants, qui furent émancipés l'année suivante: Charles-Henri-André, Renée-Marie, Henriette-Charlotte, et Marguerite-Franço.ise-Claude Le Paige, femme, en 1767, de Charles-Louis de la Porte, seigneur de Loiselière, fils de Thomas-René de La Porte, écuyer, seigneur de Sainte-Jamme, et de Françoise de Blanchardon.
Charles-Henri-André Le Paige, seigneur des Touches, de La Barre et de Montertreau, devint président au grenier à sel de La Flèche et s'allia en 1770, à Louise Rottier, fille de" Pierre Rottier, conseiller du roi, receveur des aides, et de Marie Barbot : de son union avec Rose de La Porte, CharlesFrançois Le Paige, leur fils, décédé le 11 octobre 1844, naquirent M"es Joséphine et Rose-Amélie Le Paige, mortes toutes deux au château de Montertreau, la première le 29 décembre 1860 et la seconde le 21 mars 1874 (1).
LORTIEUZE
Ce fief, dont les terres touchaient au presbytère d'Oizé, relevait de la seigneurie de Montaupin-la-Cour à foi et hommage simple et à 26 deniers de service au jour de la fête aux morts.
Il appartenait au xive siècle à Macé Debus, qui le céda à Jehan des Chesnays, chevalier ; en 1401, à Macé Bodin, écuyer, seigneur de la Bodinière, héritier de ce dernier ; et en 1646, à Jehan Dugué, époux de Marie Trouillard, demeurant à La Suze.
Louis-Auguste Le Roy le réunit le 24 mai 1748, à celui de
(1) Archives de la Sarthe, H 1543, B 704 et 1208. — Archives des églises de Cerans et de Requeil. — Registres de l'état civil de Moncé-en-Belin. — Abbé Esnault, Inventaire des minutes anciennes des notaires du Mans, t. I, p. 281 ; t. IV, p. 28, t. V, p. 20, 46. — Abbé Esnault, Mémoires dcNepveu de LaManouillère, t. II, p. 21. —Les Le Paige paraissent originaires de Bretagne ; ils vinrent s'établir au Maine vers le xv* siècle : dès 1423 on voit Guyon Le Paige, écuyer, demeurant à Oizé. Ils blasonnaient: d'argent h l'aigle impériale de sable, becquée et armée de gueules (M. Le Joyant.)
REV. HIST. ARCH. DU MAINE. 14
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Montaupin-la-Cour, par retrait féodal sur Pierre de La Roche, qui l'avait acquis des héritiers de Me Charles Le Paige, prêtre, ancien curé de Saint-Quentin en Anjou (1).
ROUVEAU
Le fief de Rouveau relevait à foi et hommage simple de la châtellenie de Foulletourte et lui devait 10 den. de service au jour des trépassés. Sa mouvance comprenait en censive les baillées des Soulettières, tenue à 8 d.; de la Termelière, à 3 d.; du Bois-Denis, à 7 s. ; de Rouveau, à 1 s. 6 d. ; du pré de la Morillonnière, à 2 d.; et du pré de la Pauverdière, à 1 d.
Différents aveux en sont rendus : en 1448, par Jean des Chesnais ; en 1457 et en 1468, par Macé Bodin, sieur de la Bodinière ; en 150'J,, par Guillaume Trouillard ; en 1510, par Pierre Trouillard ; en 1513, par Jehan Dugué ; en 1522 et 1539, par Pierre Brouillier ; en 1557, par Claude Brouillier ; en 1587, par François Le Verrier; en 1631, par Marin Le Verrier; en 1634, par Michel Michelet, curé de Cerans (1637-1675) et prieur du prieuré de Parigné-le-Pôlin ; en 1731, par Ambroise et Anne Jamin (2).
Le 14 janvier 1692, Me Nicolas Métivier, prieur de Parignéle-Pôlin, bailla à Ambroise Degoulet et à Anne Mauboussin, sa femme, Rouveau et ses dépendances, « maisons, granges, issues, jardins, terres labourables, pastis, praz, marais, estang, fief, sujets vassaux, cens et rentes féodales », qu'il avait hérité avec feu Ma Michel Métivier, son frère, de Me Michel Michelet, curé de Cerans, leur grand-oncle, pour la somme de 56 livres 15 sols, « six gelinottes grasses et trois boisseaux raiz de marons choisis, mesure de Foultourte », ou un capital de « mil livres » une fois payé. Me Nicolas Métivier décéda au bourg de Cerans le 16 décembre 1724.
(1) Archives du Maurier, dossier Montaupin.
(2) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais, Inventaire des titres du vicomte de Foulletourte, 1770.
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En inventoriant ses meubles et effets, Me Joseph du Pont, notaire royal à Foulletourte, trouva dans sa maison, le 23 décembre suivant, « 360 écus et demi de quatre livres pièce, valant ensemble 1.442 livres, 350 écus et demi de cinq livres pièce, 230 écus un quart de quatre livres huit sols six deniers pièce, 107 pièces et demi de dix-sept sols chacune, 9 louis d'or à l'écu de France simples, valants quinze livres dix-sept sols six deniers pièce, un louis d'or à l'as valant vingt-trois livres trois sols, 3 louis d'or au soleil valant dix-neuf livres six sols pièce, 17 louis d'or à la croix double, compris 2 demi-louis et 2 vieils louis d'or aux quatre L, ce qui fait le nombre de 19 louis, valants chacun la mesme somme de quinze livres dix-sept sols six deniers » ; en liards et autre monnaie, quarante-quatre livres neuf sols (1).
Michel-Armand des Broc, vicomte de Foulletourte et seigneur des Perrais, acquit le fief de Rouveau le 19 février 1767, des héritiers Michel-Ambroise Jamin, pour la somme de 324 livres (2)#
LA MORILLONNIERE
Ce fief possédait justice foncière et relevait à foi et hommage simple de la Gravelle, à Yvré-le-Pôlin, qui le reportait au prieuré de Fessard. Une petite partie cependant était vassale de l'abbaye de Mélinais, à Sainte-Colombe, près La Flèche. Il était chargé de rentes nombreuses : 6 livres au prieur de Solesmes, 6 livres 10 s. au prieur d'Oizé, 3 boisseaux de froment et 4 s. au prieur de Fessard, 4 s. au châtelain de Foulletourte, 45 s. à l'abbé de Mélinais, 8 den. au seigneur de la Grande-Couture, à Cerans, 55 s. à la frairie de Saint-Michel du Mans, à raison du pré de la Fuye, à Moncé-en-Belin.
Estienne Morillon figure en 1406, pour la Morillonnière, dans l'aveu rendu par Guyon duBouschet, écuyer, seigneur du Bous(1)
Bous(1) de la fabrique de Cerans.
(2) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
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chet et de la Gravelle, à Louis, roi de Jérusalem et de Sicile, comte du Maine et baron du Château-du-Loir.
Andrée Deshayes, veuve de Jacques Le Bouc, en rend aveu en 1505 et en 1520 (1).
En 1513, les religieux, abbé et couvent de Mélinais baillent à Calais de Lommoys ou de Lhoumoye, paroissien du Crucifix de Saint-Julien du Mans, seigneur de la Morillonnière, à cause de Françoise Le Bouc (2), sa femme, divers héritages sis à Oizé et dîme qu'ils avaient droit de percevoir « sur 68 journaux dépendant partye dudict lieu de la Morillonnière, partye des lieux de Chastigné, la Durandière, Grand-Libois et Juppilles », pour en payer 45 s, de rente, faire la foi et hommage simple à muance d'abbé et de sujet et payer le rachat abonné à 10 s. Cette dîme était évaluée en 1606 à 18 boisseaux de blé mesure du prieuré d'Oizé.
Calais de Lhoumoye en était encore seigneur en 1548. Françoise Le Bouc, sa veuve, mourut le 9 février 1564. Après eux, la Morillonnière appartint à Nicolas Le Bouc, sieur de la Fuye, avocat au présidial du Mans, son neveu, qui décéda en 1601 (3) ; en 16.., à M. Jean Brébion, élu à Bellême; en 1644, à Me Guillaume Trouillart, sieur des Touches, avocat au présidial du Mans, mari d'Elisabeth Brebion, fille et héritière dudit Me Jean Brebion; de 1651 à 1690, à sa veuve ; en 1700, à Renée Trouillart sa fille ; en 1745, à Pierre-Louis Trouillart, chevalier de l'ordre militaire de Saint-Louis, fils de Pierre Trouillard, conseiller au présidial du Mans, et de Françoise Le Roux, mort avant 1710, et petit-fils de Guillaume Trouillart ; en 1767, à René Négrier, sieur de la Crochardière et du Bignon, fils de Nicolas-René Négrier, sieur de la Crochardière, et de SuzanneFrançoise Trouillard, soeur de Pierre-Louis Trouillart et de
(1) Archives de la Sarthe, H. 580, fol. 2 v° et 12 v".
(2) Françoise Le Bouc était fille de Jacques Le Bouc et d'Andrée Deshayes (Arch. de la Sarthe, H. 580). Calais de Loumoye avait acquis le lieu de Chastigné, à Oizé, en 1505 (Id.).
(3) Renée Le Tourneur, sa femme, épousa en secondes noces Jacques de La Croix, avocat du roi en la sénéchaussée du Maine ; elle était veuve de nouveau en 1614.
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Louis Trouillart ; en 1791, à René-Anselme Négrier de la Crochardière.
Renée Trouillart, soeur de Pierre Trouillart et de Françoise Trouillart dont la succession fut partagée le 20 août 1706, dicta son testament le lendemain de cette date à Mc Louis Hodebourg, notaire au Mans. Elle déclare vouloir ,être enterrée en l'église paroissiale de la Couture, « près du lieu où ont esté inhumés les corps de ses ancestres », et demande une messe haute à diacre, sous-diacre et chapiers, avec vigiles à neuf leçons, pour chacun des jours dans la huitaine qui suivra son décès, et cent messes basses aux Capucins, cent aux Minimes et cinquante aux Cordeliers, qui seront payées huit sols. Elle fonde à perpétuité en l'église de la Couture une messe basse avec le psaume Miserere, à la fin, le jour anniversaire de sa mort. Elle donne à Anne des Forges, 20 livres de rente viagère et lègue au curé de la Couture et à ses successeurs trois contrats de constitution formant 70 livres de rente à la charge d'acquitter ladite fondation et de distribuer le reste aux pauvres les plus nécessiteux; elle donne également aux pauvres de ladite paroisse tous les meubles, argenterie, argent et provisions qu'elle laissera à sa mort dans la maison où elle demeure. Elle fait remise de leurs fermes à son fermier de la métairie de la Morillonnière, à Oizé, et à celui des Etangs, à Pontlieue, et nomme pour exécuteur testamentaire Antoine Bondonnet, sieur de Parence, avocat du roi au siège présidial du Mans, à qui elle donne « six cueillers et six fourchettes d'argent des plus belles de celles qu'elle relaissera ». Elle mourut au Mans le 22 mai 1710(1).
LAMBERDIÈRE, LA GERVIÈRE ET LORGEARDIÊRE
Mc Nicolas Le Bouc, sieur de la Morillonnière, décédé en
1601, était seigneur « de quatre féages tenus de la chastellenie
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(1) Archives de la Sarthe, II. 455, 462, 576 et 580. — Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.— Abbé Esnault, Inventaire des minutes anc. des not. du Mans, t. VI, p. 153-159.
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de Foulletourte à foy et hommage simple et à 4 s. de service : Lamberdière, la Gervière, Lorgeardière et les Champs-Allex, les trois premiers situés en la parroisse d'Oysé et le quatriesme en la parroisse de Cerans ». Ils étaient « sans domaine et ainsy appelles à cause des pièces de terre » qui les formaient. Les trois premiers dépendaient de la Morillonnière et les titres les désignent aussi sous les noms de la Huberdière, la Hervière et Lorgeardière.
Jean Le Bouc en fit aveu en 1457; Andrée, veuve Jacques Le Bouc, en 1505 et 1517 ; Nicolas Le Bouc, en 1522; Françoise Le Bouc, veuve Calais de Lhoumoye, en 1561 ; Nicolas Le Bouc, son neveu, en 1576 ; et Pierre Trouillart, en 1747 (1).
Renée Le Tourneux, veuve en secondes noces de M" Nicolas Le Bouc, vendit à Sébastien de Broc, seigneur de Foulletourte et des Perrais, le 21 janvier 1641, la métairie de Chastigné, le moulin de Mocquesouritz et le bordage de la Porcherie, à Oizé (2).
LA BEHARDIERE ET LA FOSSE-COURICHER
La Behardière, aliàs Biardière, et la Fosse-Couricher relevaient à foi et hommage simple de la baronnie de Brouassin, à Mansigné, et sous le devoir de 8 s. 3 den. de service. Me PierreCharles Rivière en était seigneur en 1728; Me Médard Rivière, sieur de Chanteloup, en 1732; et M0 Médard Rivière, son fils, aussi sieur de Chanteloup, en 1781.
LA BRETONNIÈRE
La Bretonnière, sise « es communautés de Requeil et d'Oizé », était tenue du Bouchet-aux-Corneilles, à 18 d. de cens et à 6 boisseaux de seigle à l'Angevine. Un des bordages appartenait
(1) Archives de la Sarthe. Chartrier des Perrais.
(2) Archives du Cogner, E 452, 20» pièce.
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en 1622 à la veuve Pierre Boiret et en 1627 à Julien Boiret, sieur de la Bretonnière, qui le donna en 1669 aux religieuses de La Fontaine-Saint-Martin, à condition d'être logé, nourri, chauffé, éclairé, blanchi et médicamenté à leur prieuré pour le reste de ses jours. Ce bordage était loué eu 1764 à René Guérin pour 80 livres en argent, 18 livres de beurre, 6 poulets, 6 poulardes et deux boisseaux de marrons par an ; en 1780, à Félix Renault, pour 120 livres et les mêmes faisances.
Le 28 avril 1671, Perrine Boiret épousa dans l'église d'Oizé Louis de La Vaupiere, en présence de Jean Rolland, écuyer, sieur de Chars, et de Louis Pommier, maître chirurgien à Oizé (1).
LE PETIT-MOIRÉ
Le Petit-Moiré relevait à foi et hommage simple du GrandMoiré, à Yvré-le-Pôlin, et à 5 deniers de service au jour de la fête aux morts. Il appartenait en 1513 aux « hoirs feu Jacques Huet» (2).
PRIEURÉ DE FESSARD
Le prieuré de Fessard, à Yvré-le-Pôlin, étendait aussi sa mouvance sur la paroisse d'Oizé.
HENRY ROQUET.
(1) Arch. nal., p. 358'. — Archives de la Sarthe, H. 1522. — Registres de l'ét. civ. d'Oizé.
(2) Archives de la Sarthe, H. 579.
Il eut été fort intéressant, comme le désirait l'auteur de ce travail, de donner en Appendice le détail des Droits de péage perçus en la Châtellenie d'Oizé, au xiie siècle, sous Geoffroy Plantagenet, sous Henri II et ses fils, ainsi que la liste des chevaliers et vassaux de cette châtellenie, vers 1239. On eut pu y joindre la liste des jurés sous Guillaume des Roches, vers 1222. L'obligation de nous limiter nous a empêché de le faire, à notre regret. Mais on pourra retrouver ces précieux renseignements dans le Cartulaire de Château-du-Loir, publié par M. Eugène Vallée, en 1905, pages 59, 99 et 129. (N. D. L. R.).
La Société vient de perdre trois de ses membres : M. Marcel Laigneau, directeur de la Société Générale ; M. Marcel Laîné, ancien notaire; M. Léon Touchard, administrateur du Petit Parisien, Commandeur de la Légion d'honneur.
C'est avec un vif regret que nous voyons disparaître ces trois confrères, qui manifestaient en toutes circonstances leur sympathie à notre Société et s'intéressaient à ses travaux.
CENTENAIRE DE LA FONDATION de la Société de Médecine du Mans
Le 23 octobre, la Société de Médecine du Mans a célébré le Centenaire de sa fondation.
Une séance solennelle a réuni, en plus des membres de cette Société et de leurs familles, les Sociétés savantes, ainsi que les notabilités civiles, militaires et médicales de la ville et du département.
Après une allocution de M. le Dr Delagénière, président d'honneur, M. le Dr Paul Delaunay, président de la Société de Médecine, a donné un très intéressant rapport: Cent ans d'Histoire de la Société de Médecine du Mans.
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C'est en l'année 1827 que « les médecins des hospices de la ville du Mans, éprouvant le besoin de rendre les rapports entre eux plus fréquents et plus intimes, animés du désir d'accroître leurs lumières parla communication réciproque de leurs observations, de leurs réflexions, de leurs lectures, voulant donner aux hommes, qui leur confient la conservation de leur existence, un nouveau gage de l'intention où ils [étaient] de répondre à cette confiance en la méritant de plus en plus, s'avisèrent de reconstituer une Société Médicale ».
Ainsi renaissait l'ancienne tradition qui reliait le corps des hôpitaux au Collège des Médecins du Mans, constitué dès la fin du xvne siècle.
Le Dr Mallet, doyen des médecins de l'Hôtel-Dieu, et son collègue Liberge, survivants de ce collège, Platon Vallée, Lepelletier de la Sarthe, « orateur grandiloquent, auteur abondant, chirurgien en chef des hospices », Janin, Ambroise Mordret, ancien médecin militaire « dont les glorieux états de services se comptaient d'Austerlitz à Waterloo », et Jacques Rousset, chirurgien, tous, à l'exception de ce dernier, médecins des hospices du Mans, furent les initiateurs de cette Société créée le 27 avril 1827, dont les racines plongeaient très loin, et par delà la Révolution, dans notre vieux sol manceau.
L'éloquent historien qu'est le Dr Delaunay fit revivre, avec son talent et son humour habituels, les diverses phases de la vie centenaire de cette savante Compagnie, son intervention active et dévouée pendant la guerre de 1870-1871, alors que les hôpitaux du Mans regorgeaient de varioleux et de blessés, sa générosité à l'occasion des sinistres.
Puis il souligna le rôle glorieux pendant la Grande Guerre de la Société, qui, en plus de l'organisation des hôpitaux de la ville et du département, servit de trait d'union entre les médecins militaires mobilisés et les médecins civils maintenus surplace. Ce fut la plus belle page de son activité scientifique.
Enfin le savant président, après avoir rendu hommage à la Méthode d'observation sociale pratiquée au xixe siècle par de simples médecins de campagne sarthois, désigne à notre recon-
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naissance l'Ecole pastorienne, qui, après avoir dévoilé l'ennemi qu'est l'infiniment petit, a fourni,par l'expérience du laboratoire, les moyens de vaincre le microbe et de lutter contre les infections.
Dans sa péroraison, l'auteur de cet intéressant rapport put affirmer, aux applaudissements de tous, qu'au sein de la Société de médecine du Mans, les praticiens manceaux, soucieux de leurs devoirs envers la Cité, ont constamment veillé aux progrès de la santé et de l'hygiène publique, et qu'on a bien le droit de rendre à un siècle d'efforts le laconique hommage de la devise antique : Ob cives servatos.
Nul n'était mieux qualifié pour présider en cette année centenaire la Société de médecine du Mans que le Dr Paul Delaunay, qui avait déjà publié, en 1913, l'Histoire de la Société de médecine du Mans et des Sociétés médicales de la Sarthe, et est l'auteur de très nombreuses publications et oeuvres historiques qui sont remarquables non seulement par leur valeur historique, mais aussi par la pureté et l'agrément de leur forme.
Nous ajouterons que la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, dans sa séance du 11 décembre dernier, a élu à l'unanimité, pour son président, M. le Dr Delaunay, en remplacement de M. Ambroise Gentil.
Nous nous empressons d'adresser à cette occasion nos meilleures félicitations à notre éminent confrère. Nous sommes assuré d'être dans la circonstance l'interprète de toute la Société, certaine de retrouver chez M. le Dr Delaunay les mêmes sentiments de bonne confraternité que chez son regretté prédécesseur.
R. DE LINIÈRE.
Voulant honorer la mémoire de ceux de nos compatriotes qui, au xvne siècle, contribuèrent largement à l'établissement de la France au Canada, une délégation canadienne vint, le lundi 19 septembre, à la Flèche, rendre à leur ancienne patrie fléchoise un hommage reconnaissant.
Cette réception eut lieu dans la grande salle de l'ancien prieuré, dit château des Carmes, actuellement en cours de reconstruction.
La délégation canadienne était composée de M. Victor Morin, membre de l'Académie canadienne, président, assisté de S. H. le Dr Valmont Martin, maire de Québec, et de plusieurs de ses compatriotes.
Elle fut reçue par M. le Dr Buquin, maire de la Flèche, le sous-préfet, le commandant du Prytanée, M. le Dr Famechon, vice-président de la Commission de l'hôpital, et d'autres notabilités de la ville.
Le maire de la Flèche leur souhaita la bienvenue et rappela le souvenir de ceux « qui partirent, il y a près de trois siècles, au mépris de tous les dangers, quittant ce pays souriant, tranquille, de vie facile, pour courir la grande aventure par delà les mers et porter là-bas un peu de l'âme française ».
Les Canadiens visitèrent ce qui reste de la chapelle des Carmes, où Jérôme Le Royer de la Dauversière, véritable promoteur de la fondation de la ville de Montréal, avait coutume de faire ses dévotions et où, certain jour de l'année 1630, il reçut de Dieu l'invitation « d'instituer un nouvel Ordre d'hospitalières qui honoreraient saint Joseph, et d'établir dans l'ile de
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Montréal un Hôtel-Dieu, qui fut desservi par les filles de cet Institut, pour le soulagement et l'instruction des malades, tant français que sauvages ».
Cet éminent fiéchois créa dans ce but à la Flèche un hôpital où il fonda l'ordre des hospitalières de Saint Joseph.
L'Hôtel-Dieu actuel n'est pas celui-là même qu'édifia cet homme vraiment extraordinaire ; mais il a pris la place d'une maison de l'ordre de la Visitation fondée par un contemporain de M. de la Dauversière, et depuis 1794 a remplacé le vieil hôpital reconnu insuffisant. Les mêmes religieuses hospitalières, soeurs de celles de Montréal et de plusieurs grandes villes du Canada, y conservent dans la chapelle le coeur de leur pieux fondateur.
M. le Dr Famechon fit un éloquent historique de cette fondation et fit visiter la vieille maison aux cloîtres artistement décorés, et l'antique pharmacie, où l'on conserve les curieux vases et récipients du xvne siècle.
Enfin une plaque commémorative futsolennellement inaugurée rue de l'Hôtel-de-Ville, sur la maison portant le n° 31.
Cette plaque porte l'inscription :
Ici vécut
JÉRÔME LE ROYER DE LA DAUVERSIÈRE
1597-1659
Receveur des Tailles
Fondateur de l'Institut
des Soeurs Hospitalières de Saint Joseph, 1638
Promoteur
de la Fondation de Montréal, 1642
M. le Dr Buquin, maire, ancien vice-président de la Société d'Histoire, lettres, sciences et arts de la Flèche, prononça à cette occasion un discours fort documenté et intéressant sur M. de la Dauversière, et le départ des premières recrues pour le Ca-
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nada, tous gens de la Flèche et des environs. Il fit valoir le but humanitaire de cette fondation qui assure à notre compatriote la reconnaissance des Canadiens, reconnaissance dont la venue à la Flèche de la délégation était le vivant témoignage.
Une visite du Prytanée militaire, au Monument aux Morts, un banquet, une causerie de M. Victor Morin dans la salle des fêtes de l'Hôtel-de-Ville terminèrent cette journée.
Le président de la délégation canadienne évoqua devant un public nombreux et sympathique, les grands souvenirs de l'origine du Canada français, la foi et le courage des premiers colons, la lente et persévérente action, dont les Fléchois furent les meilleurs pionniers, et qui apporta là-bas la civilisation française. Après trois siècles, et malgré qu'ils soient de loyaux sujets de l'Angleterre, quiontsu respecter leur religion, leurs coutumes et leur langue, les Canadiens ont gardé leurs coeurs à la vieille France.
R.L.
La Société est heureuse d'offrir ses compliments à quelquesuns de ses membres qui ont été l'objet de flatteuses distinctions, notamment à : M. le comte Georges Meunier du Houssay et M. Gustave Singher, qui ont été décorés de la plaque de Commandeur de Saint-Grégoire-le-Grand, M. William Lapierre, nommé chevalier du même ordre, Mma la comtesse Yolande de Breuil, à laquelle S. S. a accordé la Croix Pro Ecclesia et Pontifice, et M. Henri Tournoûer, président de la Société historique et archéologique de l'Orne, nommé chevalier de l'Ordre norvégien de Saint-Olaf.
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BIBLIOGRAPHIE
Le R. P. Dom B. Heurtebize vient de dresser la Table des matières contenues dans les volumes LXI à LXXVI (1907-1919) de la Revue historique et archéologique du Maine, publiée par notre Société (1).
Ce sont les troisièmes Tables de notre Bulletin que notre érudit confrère a fait paraître.
Cet important travail indispensable aux travailleurs, a été conduit avec la science et le talent que l'on pouvait attendre d'un bénédictin de Solesmes.
Nous remercions le R. P. Dom Heurtebize, notre si dévoué secrétaire honoraire, d'avoir mis au jour ce précieux instrument de travail qui termine le cycle de la première série de nos Bulletins.
(1) Cette table est mise en vente au prix de 5 francs.
Mort de^M. ROBERT, TRIGER 3
Les obsèques 4
L'inhumation 8
Adieux à notre Président io
Condoléances, Eloges 12
Le Château de Vernie et les comtes de Tessé, par le marquis de
BEAUCHESNE 16, 137, 187
Saint-Gilles-de-Ia-Plaine, suppression de la paroisse en 1240, par
l'abbé H. M. LEGROS 33
Oizé : la paroisse, le prieuré, etc., par M. H. ROQUET. . 3g, 57, 207 Chronique: Nouveaux membres; Nécrologie: baron Sébastien de la Bouillerie; abbé Emmanuel-Edouard Toublet; M.Dominique Mallet; abbé Constant-Auguste Pottier; DrJean Candé; comte Alfred Boulay de la Meurthe ; M. Edmond Tabouet; Excursion de la Société historique et archéologique de l'Orne; M. le duc de la Force académicien ; rue Robert-Triger et rue
Lionel-Royer 5i
Une oeuvre de Guillaume Bellanger à l'Abbaye Saint-Vincent du
Mans, par M. P. CORDONNIER-DÉTRIE 86
Assemblée générale du 7 avril 1926 8g
Bibliographie 97
Chronique: Réception de M. le duc de la Force à l'Académie
française; nouveaux membres; Jubilé monastique de Dom
Mocquereau ; nomination dans la Légion d'honneur de M. le
vicomte Menjot d'Elbenne; nécrologie: Mgr. Mélisson . . . 101
Excursion de la Société historique et archéologique du Maine
dans la Charnie par M. Georges LEROUX ....'.... io5 Excursion dans le Maine de la Balliol Earthworks Survey . . i54 Chronique: Nouveaux membres, nécrologie: M. Ambroise Gentil président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe; don du portrait de M. le comte de Bastard d'Estang, ancien président; sarcophage de Luché ; le nouveau musée
et le parc de Tessé i57
La marquise de Créqui, par M. L'ELEU 161
Chronique: Nécrologie : M. Marcel Laigneau, M. Marcel Laîné, M. Léon Touchard ; Centenaire de la fondation de la Société de Médecine du Mans ; les Canadiens français à la Flèche; distinctions honorifiques; bibliographie 232
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PLANCHES ET GRAVURES.
Triens frappé à Oizé /|3
L'église d'Oizé 48
Fer à hostie du xiv° siècle 5o
Le Prieuré d'Oizé, état actuel 71
Fac similé de signatures 88
Sainte-Suzanne et ses maisons, (plan) 109
Sainte-Suzanne, vue prise de l'Est 112
Sainte-Suzanne, le donjon, vue intérieure u3
Evron, l'ancienne église abbatiale. 118
Evron, ancien porche de rAbba}"e (prison) 119
Evron, la confession auriculaire 120
La Chapelle-Rainsouin, Mise au Tombeau (partie droite). . . 128
La Chapelle-Hainsouin, Mise au Tombeau (partie gauche). . 129
La Roche-Pichemer, cour du château i3o
— la cheminée de la Bibliothèque du château. i3o
Montécler, vue ancienne du château I3I
— vue prise dans les fossés du château i3i
Evron, porte de la chapelle Saint-Crespin (fin du xn° siècle). . I3I
La marquise de Créqui i84-i85
Sceau de René Le Roy et de Louise de Broc 2o3
NOMS D'AUTEURS
A. de BEAUCHESNE, 16, 101, 137,
187
A. CELIER 53
P. CORDONNIER-DÉTRIE . . 86
A. L'ELEU 161
E. LAURAIN. ... 112, 126
Abbé H. M. LEGROS ... 33 Georges LEROUX .... io5 R. de LINIÈRE, g, 5i, 8g, 106, i32, i54, 224 Ed. de LORIÈRE. ... n5 H. ROQUET . . . 39, 57, 207
Autour des inscriptions de Glozel, par René DUSSAUD, membre de l'Institut. Librairie Armand Colin. Paris, 1927.
(Don de l'auteur).
La Vente des Biens du Chapitre-Calhédral de Saint-Julien du Mans, par l'abbé Ch. GIRAULT. Imprimerie Goupil. Laval, 1927.
(Don de l'auteur).
Le gérant.
CM. MONNOYEIV