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Titre : Musée social : bulletin mensuel

Auteur : Musée social (Paris). Auteur du texte

Éditeur : A. Rousseau (Paris)

Date d'édition : 1901-07

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344379848

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344379848/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : juillet 1901

Description : 1901/07 (N7).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k56065179

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-R-1549

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/02/2011

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Année 1901

N<"7. — Juillet

MUSÉE SOCIAL

Société reconnue d'utilité publique par décret en date du 31 août 1894

PARIS, 5, rue Las-Cases.

LA GREVE DES DOCKERS DE MARSEILLE 1"

INTRODUCTION

Il n'a pas été facile de préciser les causes réelles de la grève qui éclata à Marseille au commencement de cette année 1901 et fit un . tel tort au commerce de notre premier port français, qu'on a pu évaluer à 4S6 navires et 171.399 tonneaux en jauge, la diminution du mouvement de ce port, pendant le seul mois de mars 1901, par rapport au mois de mars de l'année précédente.

Ce n'est pas que la grève survint à l'improviste. Elle était annoncée pour le premier avril, et, si elle éclata quelques semaines plus tôt, on ne peut attribuer cette hâte qu'à la certitude que les grévistes, grisés par leurs précédentes victoires de Fêté, eurent d'obtenir un nouveau succès. Pourquoi attendre, puisqu'il suffisait d'un refus de travail poui? amener les patrons à résipiscence ?.

Le premier avril avait été primitivement la date choisie, parce que le premier avril était l'époque où la journée d'hiver faisait place à la journée, d'été. La journée d'hiver n'est que

(1) Cette étude est due à notre collaborateur, M. Léon de Seilhac.

Bulletin mensuel

de neuf heures, la journée d'été en compte dix. Et les grévistes voulaient égaliser journée d'hiver et journée d'été, en imposant aux patrons la durée uniforme de huit heures.

Parmi les causes de la grève, il en est une qui nous semble capitale et décisive. Les dockers du port de Marseille, qui, jusqu'à la fin de 1900, étaient restés inorganisés, avaient, à cette époque, déclaré une grève, dont on s'accorda à reconnaître le bien fondé (2). Depuis longtemps, les salaires des ouvriers du port étaient restés immuables, pendant que haussait le coût de la vie et que s'élevaient les salaires des autres corporations. Aussi la grève dura-t-elle fort peu de temps, et, si les ouvriers avaient su formuler, dès le premier jour, leurs revendicationSjelle aurait cessé presqu'enmême temps qu'elle eût commencé. Mais les ouvriers avaient déclaré la grève, d'abord, sans motif bien défini, et plusieurs jours s'étaient écoulés avant qu'ils eussent rédigé le cahier de leurs revendications.

(2) JM-. Rostand le reconnaît expressément dans le Journal de Marseille,

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Les patrons avaient donc facilement donné satisfaction à leurs ouvriers, ils avaient réduit leur durée de travail et porté leurs salaires, de 5 à 6 francs. Cet avantage devait se tourner au détriment des ouvriers. Il en est ainsi, chaque fois que les ouvriers ne sont pas organisés : ils rééditent la fable de Bertrand et Raton, et retirent du feu. les marrons... pour d'autres.

Cette augmentation d'un salaire, qui semblait considérable pour des ouvriers non spécialisés — car il est bien des mécaniciens dans le port de Marseille qui ne gagnent pas plus de 6 fr. par jour — fut bientôt connue de tous les petits villages de Toscane. Il faut dire que la nourricerie est une véritable industrie monopolisée à Marseille par les femmes italiennes. Elles appelèrent aussitôt leurs maris, leurs frères, leurs cousins, de leurs villages. Ces braves paysans vinrent par bandes dans notre grand port méditerranéen. Il en arriva plusieurs milliers, dit-on. Et il ne faut pas croire, que ce fussent là de mauvais ouvriers. Robustes, honnêtes, non encore démoralisés par l'alcoolisme et la débauche, qui régnent si lamentablement à Marseille, ils furent souvent choisis, de préférence à d'anciens ouvriers.

La hausse des salaires attira également, sur le port, des paysans de Provence, et des manoeuvres des huileries et des savonneries, qui ne gagnaient que 3 francs par jour, ou bien avaient été congédiés des usines, après la grève du mois d'août.

De telle sorte que, pour quatre mille offres de travail, il se produisit huit mille demandes, et que les ouvriers du port se trouvèrent réduits à chômer pendant la moitié de la semaine. Naguère ils travaillaient cinq ou six jours à cinq francs et recevaient à la fin de la semaine un salaire de 25 à 30 francs. Maintenant ils ne travaillaient plus que trois jours, et leur semaine de paye ne s'élevait plus qu'à 18 francs. Qu'on ajoute à cela que les ouvriers inoccupés n'avaient pour toute distraction que les bars, si nombreux à Marseille; que leurs têtes

s'échauffaient facilement sous l'influence des nombreuses absinthes, que. l'on boit là-bas, dès huit heures du matin, comme apéritifs d'un repas incertain, et l'on comprendra quelle proie facile pouvaient trouver, dans ces ouvriers échauffés et abrutis, les beaux phraseurs de réunions publiques, et tous ceux qui font de la prédication du désordre leur unique métier. Ces beaux parleurs ne manquaient pas. Puisque la grève d'août avait si facilement réussi, pourquoi n'en pas renouveler l'expérience ? Le prolétariat n'a qu'à parler haut pour soumettre à sa loi le patronat orgueilleux, qui ne cède jamais que devant la menace et l'intimidation.

M. Autheman, que d'aucuns présentaient comme le représentant du guésdisme et que l'on avait vu toute une journée avec M. Guesde, quelques jours avant la grève, avait été condamné trois fois, le même jour, à Aix. Ce fut un des apôtres les pins violents de la grève. Un autre, M. Rey, était, disait-on, tailleur de pierre et n'avait pas travaillé quinze jours sur les chantiers. Ce fut le président du Comité.

On assurait d'autre, part que le recensement allait donner un député de plus à Marseille. C'était une bonne occasion pour « faire » une belle grève et gagner les faveurs populaires. On dit même que le maire socialiste de la puissante cité n'était pas insensible à ce raisonnement ambitieux et qu'il se montrait jaloux des lauriers de M. Mireur, nommé en tête de la liste opposée, qui avait su « ranger » la grève du mois d'août.

On mit d'ailleurs, à ce moment, en circulation, les ragots les plus invraisemblables. On alla jusqu'à accuser la Compagnie des Docks d'avoir voulu la grève et de l'avoir attisée, en sous-main, comme si la Compagnie pouvait avoir un intérêt quelconque à faire cesser le travail, dont eiie tire ses bénéfices, comme si elle n'avait pas été assez gravement atteinte par


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la grève précédente de l'été (1). Les Docks, disait-on,qui ont obtenu en octobre l'autorisation ministérielle, valable pour six mois, de majorer leurs tarifs de 10 0/0, voyaient avec peine arriver cette échéance. Une grève seule pouvait leur assurer la continuation de cette majoration, contre laquelle le commerce marseillais et la Chambre de commerce elle-même étaient presque unanimes à protester. À l'origine delà concession, faisait-on remarquer, les procédés mécaniques de manutention étaient rares et la main-d'oeuvre ouvrière chère. Les tarifs, que la Compagnie avait établis et que le gouvernement d'alors avait acceptés, se trouvaient donc basés sur des données, qui depuis s'étaient considérablement modifiées. Le machinisme perfectionné avait rendu la manutention moins coûteuse. Aussi la Compagnie avait-elle souvent accepté des réductions de ses tarifs originels. Mais lorsqu'elle avait, avec l'assentiment du gouvernement, majoré, de 10 0/0, ses tarifs, à la suite de la grève de l'été, c'étaient les tarifs originels qu'elle avait repris et majorés, de telle sorte que la majoration n'avait pas été de 10 0/0, sur les tarifs ordinai- ! rement en usage, mais une majoration, en réalité, beaucoup plus considérable.

On colporta alors tous les potins de chantier et on voulut forcer M. Henri Estier à congédier son beau-frère M. Lob, qui était, chez lui, employé comme contre-maître. Des contre-maîtres de M. Savon étaient également accusés par les ouvriers d'embaucher de nouveaux arrivants italiens, de préférence aux anciens ouvriers italiens, affiliés au syndicat international. On dit que des ouvriers, pour se faire embaucher, n'avaient qu'à lever une main étendue en l'air montrant, par le nombre des doigts, le prix auquel ils acceptaient le travail. Ils abandonnaient ensuite aux contre-maîtres les vingt sous, qui représentaient la différence, entre le

tarif de la fameuse affiche rouge et celui qu'ils touchaient réellement. On dit encore bien des choses ; mais ces commérages étaiëht-ils étonnants dans cette ville, où les paroles se dépensent facilement et ne sonlpas toujours acceptées sérieusement?

La grève se proposait un but : c'était de conquérir la journée de huit heures. Cette journée de huit heures est tout, un programme et c'est sur ce point que portent tous les efforts du parti socialiste.

La grève de Calais avait été déclarée pour la «journée de huit heures », la grève des dockers de Marseille n'eût pas d'autre raison (2).

Il n'est donc pas sans intérêt de rechercher quel est l'esprit de cette réforme.

M. Guesde, dans un article du Petit Sou, l'a parfaitement défini :

La journée de huit heures ne signifie pas la réglementation uniforme de la journée de travail, dans toutes les industries et dans toutes les régions. Cette égalité de la durée du labeur, I établie par la loi, consacrerait l'inégalité la plus flagrante, car, au point de vue de la dépense des forces musculaires, huit heures ne sont pas . équivalentes dans le métier du verrier, du forgeron, du puddleur ou du mineur, et dans celui du tisseur de rubans, et dans d'autres industries de luxe. Entre nations industrielles, cette uniformité n'aurait pas plus de raison d'exister, puisqu'cntre l'ouvrier anglais, par exemple, et l'ouvrier du continent, la différence dans la puissance de production est très considérable.

(i) Les actions de 1 à 800 francs étaient tombées à 400 fr., ses dividendes de 35 francs avaient été abaissés à 18 ou 20 francs.

(2) À Calais, M. Jaurès disait aux grévistes : <i Tenez bon, la France entière a les yeux sur vous ! » M. Salembier se faisait fort à ce moment de conquérir la journée de huit heures. Dans cet effort infructueux, il a ruiné et endetté son syndicat, riche de 160.000 francs.

A Marseille, le citoyen Rey, président de la Commission executive,tient, le même langage ; « La France entière a les yeux sur vous. Vous devez tenir jusqu'au bout. C'est la journée de huit heures qui vous est due, c'est la journée de huit heures que vous devez obtenir. » (Petit Provençal du 29 mars 1901.)


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« Dans l'état d'inégal développement mécanique des diverses industries, la dépense, non seulement de force musculaire, mais de force nerveuse, varie considérablement d'un métier à un autre et, pas plus qu'on ne compare huit heures de jour et huit heures de nuit, on ne met en parallèle huit heures de mine et huit heures de jardinage.

« Ce que les socialistes demandent par cette formule des « huit heures », c'est un maximum d'heures de travail, c'est une loi qui interdira de faire travailler plus de huit heures par jour. « Mais, loin de vouloir astreindre uniformément à ces huit heures les millions d'hommes et de femmes, que leur déshéritage du patrimoine de l'espèce condamne, pour vivre, à la vente quotidienne de leurs bras et de leur cerveau, nous espérons bien, dit M. Guesde, que selon les métiers, ouvriers et ouvrières contraindront leurs employeurs à ne les employer que sept, six et cinq heures, sur les huit légalement autorisées.

« 11 y a, de par le jour terrestre de vingtquatre heures, impossibilité pour le patronat d'imposer aux ouvriers une journée de travail de plus de vingt-quatre heures. Il y aura, de par le jour social de huit heures, impossibilité pour ce même patronat, d'imposer, aux mêmes ouvriers, une journée de plus de huit heures. Mais, dans ce maximum légal de huit heures, il y aura place pour une inégalité d'heures de travail, fondée sur la diversité des industries et l'effort qu'elles exigent. »

Tel est le véritable sens de la journée de huit heures, qui fit le fonds des réclamations des grévistes de Marseille.

I. — Les ouvriers du port de Marseille.

Le port de Marseille comprend :

L'ancien bassin, le bassin de la Joliette, les bassins du Lazaret et d'Arenc, concédés à la Compagnie des Docks, le bassin de la gare maritime,le bassin national, les bassins de radoub,

le bassin du Pharo, où sont les ateliers de construction, l'avant-port sud, en avant du bassin de la Joliette, l'avant-port nord, précédant le bassin national.

L'ancien bassin a constitué, pendant longtemps, tout le port de Marseille. La création des nouveaux bassins ne remonte qu'à 1844. Ils sont protégés contre les mers du large par une jetée de 3 kilomètres et demi.

Le développement total des quais est de 18 kilomètres.

Le long du vieux bassin de la Cannebière, dans lequel sont tassés les navires à voiles, s'élèvent des maisons étroites, bariolées de couleurs vives, qui arborent à toutes leurs fenêtres du linge à demi propre, qui sèche au soleil. Ces maisons logent, à leurs rez-dechaussée, des bars, aux pompeuses enseignes. Plus loin, après avoir dépassé le fort St-Jean, le bassin de la Joliette apparaît avec ses entrepôts voûtés, sous la terrasse de la cathédrale romane, et ses nombreux paquebots, les Uns, aux couleurs claires, qui partent pour l'Extrême-Orient, les autres, aux teintes sombres, qui vont toucher seulement aux rivages algériens. Et devant cette multitude de navires, l'oeil est étonné. Quelle différence avec les grands ports de l'Océan, où les marées violentes ' obligent à renfermer un petit nombre de navires dans un grand nombre de bassins, séparés par des écluses, quelle impression de grandeur ! et quelle force de vie commerciale !

Cette immense étendue du port va jusqu'aux bassins de radoub et pourrait être encore prolongée. Et c'est ici que la différence de Marseille avec Gênes s'accuse : Gênes resserrée entre des montagnes escarpées et la mer, alors que Marseille peut s'étendre à l'infini et que son développement n'est nullement arrêté par la topographie. Et cependant, Gênes se trouve être le principal port de l'Europe centrale sur la Méditerranée, correspondant par le Gothard,à Hambourg, et, à Anvers, sur la mer du Nora.


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Dans une étude, que notre consul général à Gênes, M. de Clercq, a publiée dans le Moniteur officiel du commerce, il compare le mouvement maritime de Gênes avec celui de Marseille, pendant l'année 1900. Cette comparaison est instructive.

En voici les données :

Tonnes de marchandises Nombre embarquées

de Jauge et

navira débarquées

Marseille . 11.074 12.296.254 6.355.S16

Gônes 13.602 9.128.045 5.203.201

Différence au profit de

Marseille. ....... 3.412 2.568.209 1.152.615

Le mouvement de Marseille est donc supérieur à celui de Gênes, de 3,472 navires, 2,568,209 tonneaux de jauge et del,152,615tonnes de marchandises, Il n'y a pas péril immédiat, mais la concurrence de Gênes devient, chaque jour, plus active et plus menaçante. En

1899, l'écart, au profit de Marseille, était de 4,849 bâtiments et de 3,840,851 tonneaux; en

1900, la différence a diminué,au profit de Gênes, de 1,377 navires et de 972,642 tonneaux. Quant au tonnage de marchandises, embarquées et débarquées, si Marseille conserve encore une sérieuse supériorité, il n'en est pas moins vrai que, de 1899 à 1900, elle a vu son trafic maritime diminuer de 97,603 tonnes, alors que celui de Gênes a augmenté de 126,803 tonnes, dont, à l'entrée, 89,800 tonnes de charbon et 18,181 de marchandises diverses, et, à la sortie, 18,822 tonnes.

En 1899, en effet, d'après la statistique municipale précitée, les arrivages de Gênes se chiffraient par 4,359,354 tonnes ; ils montaient en 1900 à 4,467,336 tonnes, dont plus de la moitié, soit 2,456,353 représentent les envois de charbon : le reste comprend des marchandises diverses pour 1,347,656 tonnes, des céréales pour 471,243 tonnes, du vin national et étranger pour 87,821 tonnes, enfin des cotons pour 521,318 balles. L'exportation, d'autre part,

a passé de 717,043 tonnesen 1899 à 735,865 tonnes, et le trafic des arrivages et des sorties a nécessité l'emploi, sur les quais dû port, de: 309,390 wagons.

Déjà M. de Glercq avait signalé dans une précédente étude, l'immobilité presque complète de Marseille, pendant que le mouvement du port de Gênes progressait hâtivement, et il exprimait la crainte que la situation ne se modifiât pas.

« Mes prévisions ont été dépassées, dit-il, puisque nous constatons aujourd'hui un recul dans le trafic de Marseille. Tous ceux qui sont soucieux de l'avenir de notre grand port méditerranéen doivent donc, sans retard et sans relâche, porter leur plus sérieuse attention sur la diminution du trafic, que nous révèle la statistique et sur les moyens d'y remédier. Parmi ceux-ci doit sans doute trouver place, au premier rang, l'étude des mesures à prendre pour éviter le renouvellement des grèves déplorables des ouvriers du port qui ont bouleversé,en 1900 et 1901, les conditions économiques de la vieille cité phocéenne ;■ ensuite devrait venir la réalisation, aussi prompte que possible, des projets concernant le canal de Marseille au Rhône et l'établissement des zones ou ports francs.

« .Ces remèdes, ou tels autres qu'il appartient aux pouvoirs publics intéressés de trouver et de mettre à exécution, il est urgent de les appliquer si nous tenons à ce que Marseille conserve sa primauté si menacée.

« Gênes, en effet, où le désaccord entre le capital et le travail n'a pas encore atteint le degré d'acuité qu'on déplore à Marseille, profite du temps, consacré, chez nous, à des discussions souvent stériles, ou perdu en hésitations et tâtonnements sur les remèdes à appliquer, pour s'avancer chaque jour, silencieusement mais sûrement, dans la voie du progrès.

« Et cette progression est facilitée par l'infé-


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riorité des tarifs de manutention sur ceux du port de Marseille. Il semble donc que les charges qui pèsent déjà sur le grand port français ne doivent pas être dépassées, si l'on ne veut voir le port italien profiter de nouveaux avantages et enregistrer de nouveaux profits... à notre détriment bien entendu. »

Les catégories d'ouvriers débardeurs du port de Marseille sont : Les charbonniers. Les dockers.

Les ouvriers en céréales et en graines oléagineuses.

Lacatégorie la plus curieuse est sans contredit celle des charbonniers.Lorsqu'un père de famille a un fils dont il ne sait que faire, qui est un incorrigible mauvais sujet,paresseux, menteur, il lui dit : « Tu finiras sur l'échafaud ! » Ce suprême argument s'exprime, à Marseille, dans les termes stiivants : « Tu finiras... charbonnier ! » Nul métier n'est en effet plus pénible, et celui de docker est en comparaison une situation privilégiée. Charbonnier ! C'est l'existence perpétuelle au milieu des poussières asphyxiantes et des vapeurs noires du charbon, dans les cales obscures où il faut l'emmagasiner. Et cette corporation, qui ne comprend guère que 1.000 ou 1.200 individus, est composée de la façon la plus bizarre. Comme ces filets qui en aval de la Seine retiennent les objets les plus disparates, que le flot entraîne de Paris, la corporation des charbonniers emmagasine tous les déclassés delà société. Il y a, ^non point par exception, mais en un certain nombre, des curés défroqués, des nobles ruinés, des licenciés en droit, des licenciés èslettres, des fils de famille. On y comptait,

paraît-il, un duc de N Le frère d'un grand

commerçant de Paris a pris le sobriquet de sa ville natale, et Paris chante toute la nuit, lorsqu'il est ivre, ce qui arrive toutes les nuits, et ii empêche ainsi de dormir les voisins du bar, où

il attend le lendemain. A certaines époques, l'idée lui vient de faire une villégiature dans sa famille; après quoi, il revient sur ces quais de Marseille, qu'il ne peut abandonner plus longtemps.

Les dockers anglais ont été classés par M. Festy de la façon la plus ingénieuse. M. Octave Festy, qui est aujourd'hui un des principaux délégués du Ministère du commerce, avait, dans son enquête faite en collaboration avec M. de Rousiers pour le Musée Social, distingué, parmi les dockers : l'homme qui ne se soucie de rien, l'homme qui se soucie de lui-même, Vhomme qui se soucie des attires, ce dernier extrêmement rare, même en pays anglais. Nous pourrions dire que dans nos ports français les dockers, qui ne sesoucientde rien, sont infiniment plus fréquents que les dockers des autres catégories. Et c'est surtout dans les ports, où n'existe aucun groupement sérieux, et dans la classe des travailleurs âgés, réfractaires à toute idée d'association,que se rencontrent ces vieux dockers, buveurs, joueurs, dissipateurs. Toutes les circonstances semblent entraîner le docker danscettevoiedeladémoralisation,touteslescirconstances le poussent à boire: son travail dans la poussière, l'irrégularité de ses salaires, les longs chômages dont il ne sait comment régler l'emploi, les heures passées dans la rue, par tous les temps, à attendre, incertain entre les docks et les bars, un embauchage.

Ces deux premières catégories d'ouvriers sont régies par les tarifs de l'affiche rouge. Les ouvriers,quiles composent, ont six francs par jour, pour neuf heures de travail en hiver et dix heures en été.

Les ouvriers en céréales et en graines oléagineuses travaillent, au contraire, à la tâche. Les déchargeurs de.blé gagnent 17 centimes par 1.000 kilos; ceux de sésame et d'arachides décortiquées : 13 centimes par 100 kilos; d'arachides en coque : 22 centimes par 1.000 kilos ; les déchargeurs d'orge : 22 centimes par î.000 kilos.


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Si l'on prend,comme moyenne,50 tonnes par chantier, on voit qu'un déchargeur de blé peut gagner environ 8 fr. 50 dans sa journée. Ce soiyt les seuls travaux qu'il soit possible de payer à la tâche.

On comprend,en effet,qu'un ouvrier, qui débarque une cargaison de planches d'Odessa, et doit les mettre sur wagon et les empiler, ne peut être payé aux pièces. Il a suivant les cas à opérer deux, trois, ou même quatre manipulations, dont il est impossible d'apprécier la rémunération.

Chacun des entrepreneurs de manutention (i) de la Compagnie des Docks a un procédé différent d'embauchage. Les uns ont des abonnés en petit nombre, qui forment le noyau de leur personnel, d'autres n'ont que des habitués, ou bien ils embauchent, chaque jour, un personnel instable. La maison Savon, par exemple, n'a point d'abonnés.

Lacatégorie la plus nombreuse des dockers — j e parle en temps normal et non dans la périod e troublée qui suivitlà grève du mois d'août 1900, — peut gagner de 1.200 à 1.500 francs. Un abonné gagnerait 1800 francs. La majorité des ouvriers dépensent tout ce qu'ils gagnent.

Le budget d'un ouvrier échappe d'ailleurs complètement à notre examen. Nous donnons un essai de budget, qui a été vu et approuvé par les entrepreneurs de Marseille, mais seulement à titre d'indication. Essai de budget:

Célibataire Marié

Loyer et impôt 100 francs 180 francs

Nourriture 600 » 900 »

Vêtements 80 » 120 »

Médecin et médicaments . . 15 » 25 »

Blanchissage 25 » parlafemme

Menus plaisirs (bar, tabac,

journal, trams, etc.) . . . 350 . » 100 »

Imprévu . 50 » 80 »

Ensemble 1.220 francs 1.405 francs

Ni le célibataire, ni l'ouvrier marié ne font d'économies. La catégorie des ouvriers des quais est presque inconnue à la caisse d'épargne. L'homme marié à un surcroît de dépenses ; mais ce surcroît est compensé par le gain de la femme. Quant aux célibataires, c'est le bar qui reçoit leurs économies, et beaucoup y dépensent plus d'un franc par jour. Nombreux sont les hommes mariés qui imitent cet exemple !

Le dimanche, l'ouvrier dépense de deux à trois francs, en partie de campagne, consommations, café-concert, partie de pêche, jeu de cartes, etc.

Une des impressions les plus tristes que l'on rapporte d'une enquête à Marseille provient du degré qu'y atteint l'alcoolisme (2). Sur le quai, sur le cours Belzunce les bars se succèdent sans interruption ; tous sont remplis de consommateurs. Il faut voir également, le dimanche,les terrasses des grands cafés de la Cannebièreencombrées par des familles entières.On parle de l'envahissement des trottoirs à Paris par les terrasses des cafés. Paris est dépassé par Marseille. J'ai vu, pendant la grève, des terrasses de bars encombrées dès le matin par des compagnies entières de soldats, et vraiment les étrangers, si nombreux, qui traversent Marseille, devaient avoir une piètre idée de notre discipline militaire et des résultats de la propagande de tempérance entreprise dans l'armée. A huit heures du matin, on voit déjà des hommes du peuple s'intoxiquer avec de grands verres d'absinthe. La bouteille est d'ailleurs souvent laissée. à la discrétion du consommateur,

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ne traite pas directement avec les ouvriers de manutention, mais avec cinq entrepreneurs dont les principaux sont MM. Savon et Estier.

(2) Une des caractéristiques de Marseille est encore le goût des jeux de hasard et des loteries. Le cours Belzunce et les quais du vieux bassin font songer à une foire de Neuilly perpétuelle, où camelols et marchands de brioches en loterie font des boniments, d'où l'accent — le fameux accent — n'exclut pas l'humour•. A eôté d'eux, les marchands de' coquillages, à déguster sur place, ouvrent les mollusques et les tendent aux clients, avec une petite bouteille de vinaigre rouge pour l'assaisonnement.


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qui peut se verser plusieurs rasades, pour le ; même prix. i

Les ouvriers employés à la manutention des marchandises ne sont donc pas embauchés di- ' rectementparles armateurs des navires. Jadis ' c'était la corporation des portefaix qui faisait les embauchages ; aujourd'hui la Compagnie des Docks fournit les instruments de manutention et les entrepreneurs de manutention : MM. Savon, Estier, etc., embauchent les ouvriers.

II.— Les portefaix de Marseille.

Jadis l'embauchage des ouvriers se faisait uniquement au moyen de la puissante Corporation desportefaix,aujourd'hui bien déchue de sa splendeur et tombée au rang de simple société de secours mutuels.

Il reste, dans le Midi provençal, de nombreux vestiges de ces anciennes corporations; ainsi les prud'hommes des pêcheurs de la Méditerranée qui datent du roi René ; les portefaix de Marseille, ont également une glorieuse origine.

Ces derniers échappèrent au joug de la corporation civile, aux jurandes et aux maîtrises (1). Il semblait en effet impossible de demander un apprentissage et la confection d'un chefd'oeuvre, à des gens, pour qui toute habileté consistait à avoir les reins solides et à porter la sacque ; néanmoins leur métier exigeait certaines qualités morales, dont la corporation devait se porter garante.

Les statuts des portefaix de la ville d'Aix indiquent nettement que c'est une profession où il doit y avoir fidélité et où il faut être gens de bien, puisque les portefaix font vendre et débiter le blé, et que chacun se repose sur leur fidélité. Aussi la nécessité d'une responsabilité collective avait-elle exigé que personne ne pourrait porter la sacque ni sacs de bled, qu'elle ne

fût enrôlée dans la Confraternité. La corporation de Marseille ne devait pas être moins sévère, dans le choix de ses membres, pour le travail sur les quais, où la marchandise se trouvait livrée à la discrétio?i des ouvriers. Un tribunal., domestique était chargé d'expulser les maraudeurs et de rappeler les membres de la corporation au « sentiment de l'honneur ».

La corporation survécut à la loi de 1791, et elle reprit son existence officielle en 1814. Son existence était d'ailleurs une nécessité. Pendant la période révolutionnaire, on avait vu des maçons, des calfats, des charpentiers, des boulangers et des gens sans aveu s'emparer du travail des portefaix ; tel avait été l'excès de la licence, que ces gens allaient en pleine mer à la rencontre des bâtiments, envahissaient le bord et s'emparaient réellement des navires, en s'arrogeant le droit, non seulement de porter les marchandises aux môles (quais de débarquement) et aux magasins, mais encore de les tirer eux-mêmes du fond des navires, et de rançonner, les capitaines qui n'étaient plus les maîtres de se servir, selon l'usage, de leurs équipages pour opérer le débarquement à quai. Les portefaix, avaient à leur tête des maîtres, dont plusieurs étaient des hommes riches et importants. Ces maîtres avaient fini par être considérés comme les véritables représentants des maisons, pour lesquelles ils travaillaient. A toute heure du jour, le maître portefaix pénétrait dans le comptoir de la maison qui l'occupait. Il savait où trouver les clés du magasin, il les prenait sans prévenir personne, et les gardait chez lui pendant la nuit.

« Telnégociant,disaitM.AntoninRondelet (2), ignore en quel endroit précis se trouvent les plus précieuses cargaisons. Une s'inquiète pas '' de vérifier l'état de la marchandise. Ces détails regardent le maître-portefaix. Ajoutons, 3 pour l'honneur de tous deux, que le premier

(1) Bulletin de la Société internationale des éludespratiques d'économie sociale, séance du 1 mai 1865, rapport de M. Charles de TUbbe.

(2) La Corporation des portefaix. Revue contemporaine, t. 26,p. 652, 680 ; 1862.


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n'a jamais songé à une surveillance,ni le second i à un détournement. » c

Le portefaix de Marseille gagnait, au dire de M. Claudio Jannet, vers l'année 1860, une < moyenne de 1600 à 1800 francs par an. Il vivait ] au jour le jour, et lorsqu'on lui parlait de caisse i d'épargne, il répondait que c'était bon pour les domestiques. Pour lui, il se reposait, pour ses vieux jours, sur ses enfants. Déjà la société lui assurait des secours en cas de maladie et une petite retraite pour la vieillesse. S'il faisait des économies, c'était pour acheter uncabanon, c'est-à dire une de ces modestes cabanes situées au bord de la nier, où les boutiquiers et les ouvriers aisés de Marseille vont passer leur journée du dimanche. Il aimait en outre la spéculation sur les valeurs commerciales, et Dieu sait comme il y réussissait! Les fils de maîtres portefaix vivaient dans une grande camaraderie avec les fils de négociants : ils parlaient entre eux l'idiome local; mais, à ce contact, ils prenaient des habitudes de dépense et de dissipation, peu en rapport avec, la modestie de leur situation.

En 1814, lorsque la ville de Marseille chargea la Compagnie des portefaix du travail des ports, elle leur donna véritablement un monopole, dont ils ne profitèrent d'ailleurs pas longtemps, car les minotiers, dès 1817, commencèrent à se passer des portefaix, auxquels ils reprochaient de partager les sacs de blé en deux et de faire ainsi payer deux fois le prix du tarif.

En 1849, les commerçants, fuyant avec leurs familles l'épidémie cholérique, confièrent à leurs maîtres portefaix la garde de leurs magasins et de leurs propres demeures. Vers 1860, la corporation comptait 2,310 membres, et la caisse de sa société de secours était riche de 458,000 francs. Cette longue période de prospérité ne prit fin qu'en janvier 1864, lors du transfert de l'entrepôt réel dans le domaine de la Compagnie des Docks. Depuis lors, l'influence de la corporation ne fit que décroître. Les portefaix se divisaient en trois catégories

catégories les maîtres (hommes de confiance du commerçant), les portefaix et les auxiliaires.

C'est aux maîtres qu'incombait la surveillance de tous les travaux ; ils les effectuaient sur un pied d'égalité avec les confrères qu'ils avaient choisis, et se partageaient les bénéfices, par parts égales.

Le travail à effectuer était indiqué par le maître portefaix.

Une institution charitable, appelée la muse ou le tour de rôle, avait été fondée pour favoriser l'emploi des faibles et des nouveaux venus. Une liste était dressée, de tous les membres, sans distinction de maîtres et d'ouvriers, et tout maître portefaix était tenu de prendre une partie des portefaix inscrits, pour les employer dans son chantier de blé.

Dans les chantiers aux céréales, le travail était mixte, exécuté, moitié par les portefaix commandés (choisis par le maître portefaix), moitié par les portefaix du tour de rôle.

Les auxiliaires ne formaient qu'une infime exception.

L'administration de la corporation était confiée aux syndics,au Conseil d'administration,au Grand Conseil, à l'assemblée générale et au secrétariat.

Les syndics, autrement dits prieurs, tiraient leur origine des anciens Consuls (Cossols) des confréries méridionales. Ils étaient nommés par l'association et se trouvaient au nombre de six, parmi lesquels le syndic-trésorier.

Le Conseil d'administration (le petit ou l'étroit Conseil), se composait du président, du vice-président, du syndic-trésorier et de cinq syndics adjoints.

Ses attributions consistaient à convoquer le . Grand Conseil, promulguer ses décisions, exercer la police de la Société (1).

(1) Les peines stipulées par le règlement étaient les suivantes :

DEVOIRS FRGFESSïONrïELo.

Contravention aux règlements: maximum 25 francs. Appel maintenu par le Grand Conseil : 25 francs en plus. Détournement de marchandises : exclusion, alors même

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Le Grand Conseil était le pouvoir souverain. Il était composé de soixante membres, élus pour deux ans par le suffrage universel, et se renouvelait chaque année par moitié.

Il était divisé en plusieurs commissions : la commission des deniers,chargée de surveiller la rentrée, des cotisations ; la commission d'auditeurs des comptes; la commission des visiteurs, qui se rendait au domicile des malades et distribuait les secours ; la commission des travaux du blé, des graines oléagineuses ; la commission des travaux de marchandises, dite de LA RAHRE, qui présidait aux travaux de manutention.

Toutes ces fonctions étaient gratuites : seules étaient rémunérées et obligatoires les fonctions du secrétariat.

Le secrétariat comptait un secrétaire, un vice-secrétaire et un employé adjoint. Les deux premiers étaient élus au concours par le Grand Conseil,parmi les portefaix qui avaient au moins cinq ans de service.

que le propriétaire ne poursuivait pas.

Rétention de l'argent destiné à payer des collègues ou à solder l'impôt : 20 francs. En cas de récidive, exclusion facultative.

Refus d'obéissance aux syndics : citation devant le Grand Conseil.

Tentative pour supplanter un collègue auprès d'un capitaine : 25 à 100 francs et abandon du travail.

Oubli d'avertir les syndics, quand on a été admis par ■un commerçant : 5 francs.

Emploi d'ouvriers étrangers à la corporation : 25 à 100 fr. llécidive : 300 francs, ou exclusion par le Grand Conseil.

Faute consistant à se faire aider par un étranger : 2 à 100 francs.

Travail fait avec un membre en retard pour ses amendes : 30 fratics.

RAPPORTS SOCIAUX.

Mangue de respect à l'égard des syndics : 2 à 3 francs.

Menaces et voies de fait, 100 à 300 francs.

Querelles à l'occasion du travail : 25 à 50 francs. Voies de fait : 2 à 50 francs.

Détournement du salaire d'un portefaix : 25 à 100 francs. Récidive, 300 francs, ou exclusion par le Grand Conseil. Manquement aux funérailles d'un confrère :1 franc.

HONNEUR PROFESSIONNEL. Condamnation à une peine infamante : exclusion. Les principaux moyens de coercition consistaient dans la privation uii IOUÏ uS.ïi'îuSGj ia privation oc IOUL secours en cas de maladie, l'affichage du nom des retardataires, enfin l'exclusion de la Société après un an, sauf réintégration après paiement intégral.

Le secrétaire donnait la muse, dite de colonnes, établissait le journal des recettes journalières et faisait le tableau des recettes et des dépenses.

L'employé adjoint se trouvait être le véritable valet de l'association, lï paraissait en uniforme aux processions et aux cérémonies funèbres, portait les convocations, surveillait les travaux, réclamait les paiements en souffrance.

III. — La Compagnie des Docks.

La corporation des portefaix devait disparaître devant la création des Docks de Marseille. Cette création eut pour cause la nécessité de faciliter la manutention des marchandises, soumises à l'entrepôt réel des Douanes.

L'Entrepôt est un magasin où les commerçants sont autorisés à déposer provisoirement les marchandises, soumises à des droits d'entrée, sans acquitter préalablement ces droits. L'entrepôt est réel, ou fictif : réel, quand le dépôt est effectué dans un magasin public ; fictif, quand il est effectué.dans le magasin d'un négociant qui s'appelle entrepositaire.

L'Entrepôt réel est un magasin, dont la porte peut être ouverte par deux clés : l'une reste aux mains du commerçant et lui permet de surveiller sa marchandise ; l'autre est en possession de la Douane, qui peut également surveiller le gage des droits, qui lui sont dus. Ainsi l'entrepôt réel est un terrain neutre, un local, où les marchandises peuvent être interposées, sans acquitter de droits, parce qu'elles vont être réembarquées et réexpédiées sans tarder. Sait-on que certaines marchandises, pour aller de l'Afrique orientale à l'Afrique occidentale, passent par Marseille, au lieu de traverser l'Afrique ? On ne peut cependant compliquer les écritures de la Douane, en faisant payer sur ces marchandises des droits, que demain il faudra rembourser. L'entrepôt réel

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me ; mais on comprend qu'il doit, nécessairement être localisé et délimité.


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Jusqu'en 1863, la ville de Marseille n'avait,en j ce qui concerne l'entrepôt des douanes, qu'une organisation extrêmement primitive. L'arti- j cle 25 de la loi du 8 floréal an IX disposait que } les villes, auxquelles des entrepôts étaient accordés, n'en pourraient jouir qu' «àlachargede ( fournir sur le port des magasins convenables sûrs et réunis en un seul corps de bâtiment » ; mais divers arrêtés et ordonnances dérogèrent, en ce qui concernait Marseille, à la loi générale sur la matière et autorisèrent provisoirement l'emmagasinement des marchandises d'entrepôt dans des locaux séparés.

Il est' facile de se rendre compte, dans ces conditions, des difficultés qu'éprouvait un négociant, pour effectuer l'entrée et la sortie de ses marchandises en magasin. Voulait-il simplement prélever un échantillon de quelques grammes, il devait d'abord se rendre à la Douane pour requérir l'assistance d'un préposé, chargé de l'accompagner dans sa visite, et qui ne devait se retirer qu'après avoir soigneusement cadenassé les portes du magasin. Or il fallait prendre son tour pour obtenir ce préposé,, et, avant qu'il ait réussi à trouver les clés nécessaires, parmi toutes celles qui garnissaient les murs d'une salle spéciale, une demi-journée se trouvait perdue.

Ce procédé n'était pas seulement incommode et coûteux. Parfois, le commerçant s'apercevait que ses marchandises lui avaient été soustraites, par une ouverture pratiquée dans le toit.

L'administration des Douanes, les corps élus et le commerce marseillais réclamaient donc l'installation d'un dock unique sur le modèle des docks de Londres et de Liverpool. Déjà le Havre avait imité l'exemple des Anglais. La transaction dn 10 juin 1854, intervenue entre l'Etat et Marseille, au sujet de la propriété des terrains du Lazaret, fournit au gouvernement une occasion de réaliser ce voeu. Le Dock-Entrepôt

Dock-Entrepôt concédé par un décret 'du 23 octobre 1856 à la ville de Marseille, qui rétrocéda presque immédiatement cette concession à un groupe d'ingénieurs et de capitalistes, dont les plus importants se nommaient Paulin Talabot, A - mand Béhic, Ernest Simons et Rev de Foresta. Ils constituèrent, en 1859, une société, sous la dénomination de Compagnie des Docks et Entrepôts de Marseille. Le siège de la société fut fixé à Paris, 88 rue St-Lazare.

Ils ne s'en tinrent pas là. Le Dock était, dans leur pensée, le complément indispensable de la grande oeuvre qu'ils poursuivaient: le perfectionnement des moyens dé transport, sur terre, par la Compagnie P.-L.-M., et, sur mer, parles Messageries Maritimes. C'est pourquoi ils constituèrent le Dock, de façon qu'il pût répondre à des nécessités non moins impérieuses : la célérité et la commodité du débarquement et de l'embarquement des marchandises.

Par suite, la concession, faite à la société représentée par M. Talabot, comprenait le Dock proprement dit, c'est-à-dire les surfaces de quais à affecter aux manutentions, l'Entrepôt de Douane et un Entrepôt commercial.

L'Entrepôt de douane et l'Entrepôt commercial

commercial Docks ont été constitués en magasin général.

La concession de l'Entrepôt de Douane donnait à la Compagnie le monopole de l'emmagasinement des marchandises d'entrepôt réel et d'entrepôt fictif; mais un premier mécompte se produisit, pour elle, de ce que l'administration ne rendit pas obligatoire le dépôt dans ses magasins, des marchandises d'entrepôt fictif.

VEntrepôt fictif est établi dans des magasins particuliers, dont la Douane n'a pas la clé, mais où elle a libre accès pour reconnaître l'existence des marchandises, qui ne doivent être déplacées qu'avec son autorisation, ou retirées qu'après le paiement des droits. La Douane, qui n'a pas ici le gage des droits sous sa clé et


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sous sa garde continuelle, reçoit, en échange 1 de ces garanties, l'engagement, cautionné de l'entrepositaire,dereprésenterlesmarchandises à toute réquisition et de les réexporter ou de payer les droits, avant le terme fixé.

L'Entrepôt commercial étant facultatif, le privilège donné à la Compagnie se trouvait donc restreint à Y Entrepôt réel. Il est vrai qu'aux débuts de la Compagnie, ce dernier entrepôt reçût 70 0/0 environ des marchandises débarquées à Marseille, soit environ 128.000 tonnes ; mais depuis, les changements apportés à la législation douanière par les traités de commerce de 1860, qui affranchissaient diverses natures de marchandises, dont le commerce était considérable (cotons, graines oléagineuses, laines, etc.), réduisirent à 20.000 tonnes le stock moyen des marchandises soumises au régime de l'Entrepôt réel.

Ce nouvel état de choses enlevait à la Compagnie naissante une des' sources les plus sûres des bénéfices, qu'il lui aurait été utile de réaliser, afin d'amortir les dépenses considérables, dont elle avait assumé la charge, pour l'embellissement de la ville, et qui s'élevèrent à 2 millions, et payer à Marseille la redevance annuelle de 50.000 francs portée au contrat et qui, en 1894, s'éleva à 100.000 francs.

D'autre part, la Compagnie, à ses frais et sans garantie d'intérêt ni subvention de l'Etat, avait creusé les bassins du Lazaret et d'Arenc, construit les quais de ces deux bassins, conquis sur la mer le sol, sur lequel elle a édifié ses hangars et °es magasins, établi leur outillage, (grues hydrauliques et voies ferrées), et construit un ont tournant (1).

Le monopole de la Compagnie ayant été fortement réduit, ainsi que nous l'avons expliqué, la compensation de tant de sacrifices ne consistait que dans le droit de perception des taxes prévues à son cahier des charges, et il faut

'•• (1) Les dépenses faites à ce jour, par là Compagnie, dans la concession, s'élèvent à 34 millions.

remarquer encore, combien cette compensation était réduite, puisqu'elle ne s'appliquait plus qu'aux marchandises soumises au régime de VEntrepôt réel. Aussi la Compagnie s'appliqua-t-elle à rechercher la clientèle, volontaire. Elle mit à la disposition de celle-ci les procédés de manutention les plus perfectionnés et les plus économiques.

La concurrence qu'elle croyait n'avoir pas à redouter, de ce côté, lui vint cependant d'une autorisation, que l'Etat accorda à la Chambre de Commerce d'établir et d'exploiter, sur les môles des bassins situés aunord des Docks, des hangars, des grues et des voies ferrées, qui constituèrent réellement, dans leur ensemble, un nouveau dock. Cette concurrence était d'autant plus sérieuse que la Chambre de Commerce, n'ayant pas eu à contribuer aux frais, dont l'Etat s'était chargé, de creusement de bassins et de construction de quais, pouvait trouver dans la perception de taxes modiques la rémunération des autres frais, relativement faibles, restés à sa charge.

* afLa lutte de la Compagnie contre l'Association des portefaix avait fait l'objet de nombreuses pétitions de ceux-ci auxpouvoirs publics. La Compagnie ne voulut voir dans ces agressions que l'antagonisme des bras et de la machine. . Lesportefaix qui étaient au nombre de 2.400, avant la création de la Compagnie, tombèrent rapidement au chiffre de 250.Ils étaient devenus desimpies entrepreneurs de manutention.

La grande discussion qui s'éleva entre la Compagnie des Docks et la vieille corporation, portait sur ce point : comme entrepôt libre, le Dock avait le droit d'employer ses seuls agents ; mais, comme Entrepôt réel, il avait un caractère public, qui ne lui permettait pas de. fermer la porte aux négociants et aux ouvriers que ceux-ci voulaient employer, pour la manipulation de leurs marchandises.


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D'autre part, on faisait remarquer que, même en concédant aux portefaix l'entrée des Docks, ceux-ci se trouvaient mal à l'aise, sous certains rapports.. L'administration en régie, étant plus rigoureuse et plus exigeante, pour le travail, que l'autorité des négociants libres, ne permettait pas aux portefaix de choisir le genre de travail le plus commode et de laisser à d'autres les ouvrages sales et grossiers. De plus, la Compagnie, chargée de l'entrepôt réel des douanes, devant, d'après les conditions du cahier des charges, faire payer au commerce des prix de manutention très faibles, se trouvait forcée de recourir à des hommes de peine, qui travaillaient à des prix moins élevés que les membres de la société des portefaix.

Les défenseurs des portefaix alléguaient que les portefaix ne demandaient qu'une chose : l'entrée des Docks. En acceptant de devenir Entrepôt réel, le Dock s'était engagé à laisser entrer chez lui toute marchandise destinée à cet entrepôt et tout propriétaire obligé d'aller l'y surveiller et l'y manipuler. En quoi la liberté laissée au commerce de manipuler ses marchandises pouvait-elle compromettre les recettes du Dock? Si les manipulations du Dock étaient plus rapides, plus intelligentes, ou à meilleur marché que celle des portefaix, le commerce n'abandonnerait-il pas ses portefaix pour recourir au dock ?

Les portefaix, répondaient les ennemis de la vieille corporation, sont tenus de travailler à des prix déterminés par avance. C'est donc un minimum de salaire arbitré par la corporation, alors que la Compagnie, du Dock doit pouvoir débattre librement les conditions du tarif, pour le travail à faire dans ses magasins.

Bref, concluaient-ils, le s deux conditions nécessaires à la bonne organisation du travail, la célérité et le bon marché, ne sont pas remplies par la Société des portefaix. Si les conditions offertes par la Compagnie du Bock sont plus avantageuses au public, en vertu de quel

droit imposerait-on à cette compagnie le concours des portefaix?

Comme les anciennes corporations (1), disait M. Dupuit, inspecteur général des ponts et chaussées, celle des portefaix de Marseille n'a qu'un but : maintenir le plus possible ses privilèges et son intérêt particulier, aux dépens de la liberté du travail et de l'intérêt général. C'est ainsi que cette association avait introduit, dans ses statuts, ces conventions léonines, en vertu desquelles, elle s'était arrogé le droit d'exclure les 83 portefaix qui avaient été travailler au Dock. Elle avait même confisqué leur droit d'entrée, ce qui, à 1.000 francs par tête, formait une somme ronde de 83.000 francs (2).

La visite des docks de Marseille est d'autant plus intéressante, que l'ensemble de leurs installations est unique en France. Les docks accaparent près de 45 0/0 du mouvement général du port de. Marseille. Dans une année, sur les 5 millions de tonnes auxquelles s'élèvent l'importation et l'exportation du port de Marseille, 2.200.000 tonnes passent par les établissements de la Compagnie. Pour transporter ce poids de marchandises, il faudrait 440.000 wagons d'une portée de 5 tonnes. Un train semblable aurait un développement de 2.200 kilomètres, c'est-à-dire qu'il commencerait à Paris pour finir à Naples. En temps normal,le Dock contient pour 55 millions de francs de marchandises.

*

3f. if.

L'hôtel de la Direction se trouve sur la place de la Joliette, qui est le centre de la vie commerciale. A côté, s'élève l'immense entrepôt dont la longueur est de 365 mètres. Il a 6 étages de

(1) Voir à ce sujet l'intéressante discussion qui eut lieu à la Société d'Economie sociale de Paris, le 7 mai 1865, et à laquelle prirent part MM, Albert Gigot, Claudio Jannet, de Ribbe, Lecocq de Boisbaudran, C. Lavollée, Vte de Melun (Bulletin de la Société internationale, des éludes pratiques d'économie soeiale).

(2) Le tribunal de Marseille annula ces décisions.


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magasins et une hauteur totale de 25 mètres. L'une des façades donne sur le quai du Lazaret, I l'autre sur la gare même de la Joliette. Il peut contenir jusqu'à 60.000 tonnes de marchandises, il est construit en fer et pierres de taille, et muni de portes étanches qui séparent chaque magasin. Quatre grands réservoirs placés sur les toits permettent d'inonder, en fort peu de temps, les parties, où le feu aurait été signalé. Cet immense emporium, qui renferme 4 cours charretières vitrées, est muni de 8 ascenseurs hydrauliques, de 8 descenderies à contre-poids, pour le service des étages, et de 8 grues hydrauliques pour le service des caves. Il est divisé en quatre parties, dont chacune forme une section, que l'on désigne sous le nom de quart. Le quart du nord est particulièrement affecté au dépôt des marchandises soumises au régime de douane Ait prohibé (tabacs en feuilles et fabriqués, armes), il sert aussi d'annexé à l'entrepôt réel pour les liquides et se trouve, par suite, sous la surveillance de la Douane (1).

Si l'on commence la visite des quais par la traverse de la Joliette, on trouve sur le quainord de ce bassin un vaste hangar de 275 mètres de longueur, affecté au service des Messageries maritimes, locataires depuis plus de 40 ans de la Compagnie des Docks. Sur les terrains de la grande jetée du large, deux hangars, élevés d'un étage,dans lequel desgrues mobiles, circulant sur une passerelle qui longe la construction, déposent les marchandises avec la même facilité que sur le quai. Des glissoires et des trappes permettent ensuite de faire parvenir ces marchandises sur les wagons. Deux vapeurs peuvent à la fois être déchargés avec la plus grande célérité. Cette facilité est précieuse ; car les bas prix actuels des frets ne peuvent être rémunérateurs, que si le temps, passé aux manoeuvres

manoeuvres et de débarquement, est très réduit.

Pour donner une juste idée du succès qu'ont obtenu les Docks sous ce rapport, nous citerons quelques exemples. Le steamer anglais « Lancashire » de la Bibby-Live de Liverpool, arrivé de Bombay avec 63.600 sacs de graines et 11.000 balles de coton, d'un poids total de 5.160 tonnes, exécute son déchargement, dans le court délai de 35 heures de travail effectif. Le débarquement du « Lancashire » s'est donc opéré à raison de 147.000 kilog à l'heure. « L'Asia », de YAnchor-Line, a débarqué, en 28 heures, 51.260 sacs pesant 4.000 tonnes, soit une moyenne de 143 tonnes à l'heure. Le même steamer a reçu, en 14 heures de travail, 1.000 tonnes de marchandises d'exportation.

(1) Tous ces renseignements techniques nous sont fournis par M. de Géi'in,inspecteur de la Compagnie des Docks, secrétaire perpétuel de la Société de statistique de Marseille.

En continuant à longer la grande jetée, et suivant la voie ferrée, on trouve des quais sous hangars, réservés au débarquement et à l'embarquement des marchandises lourdes,à placer ou à prendre directement sur les wagons. Puis on arrivé au magnifique pont tournant d'Arenc qui relie la grande jetée au môle d'Arenc. 11 a coûté plus de 1.300.000 francs et pèse 1300 tonnes. Sa portée est de 96 mètres, et il donne passage en même temps aux trains de chemiîi. de fer et aux camions. Sur le môle d'Arenc, la Compagnie a édifié deux hangars et six groupes de magasins surélevés de deux étages. Chacun de ces groupes est muni, sur la façade visant la mer, d'une plateforme, sur laquelle les marchandises, destinées à être entreposées dans les étages supérieurs, sont déposés par de nombreuses grues hydrauliques, fixes et mobiles, et par des élévateurs, système « Poulsom (2) », qui desservent cette partie du Dock spécialement affecté à la manutention et au dépôt en grenier des Céréales. Une vaste cour vitrée

(vtilgo« les vitrés ») recouvre l'espace compris

[2) sorte de dragues qui prennent, les grains aans la caie. et dont les dockers réclament la suppression.


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entre les trois groupesxles magasins du Nord et du Sud ; cet espace est parcouru dans toute sa longueur (230 mètres) par la voie ferrée. C'est dans cette cour que sont placées sur les wagons les marchandises gardées jusque-là en grenier.

La Compagnie est, en outre, concessionnaire des bassins de radoub de Marseille, dont une forme sèche peut recevoir les navires de 170 mètres ; une seconde, les navires de 103 mètres ; deux autres, les navires de 83 mètres et les deux dernières, les navires de 125 mètres. Deux machineries, l'une de 750, l'autre de 600 chevaux, actionnent sept pompes, qui permettent d'accorer et de mettre à sec, en six heures de temps, six navires à la fois : résultat qu'il est difficile d'obtenir, même dans les ports de l'Océan, où cependant l'assèchement est dû, en grande partie, à la seule intervention de la marée. —- La construction de ces cales sèches n'a pas coûté moins de 8 millions à la Compagnie (1). La Compagnie exploite également, sous le nom de Dock-flottant, une cale de radoub en bois, qui peut recevoir des navires de 60 mètres et qui est munie d'une machine d'épuisement de 20 chevaux. Cette cale sert surtout pour les bateaux à voile ; elle est située dans le Vieux-Port. Le bassin d'Arenc communique directement avec la gare de la Joliette, par un réseau très serré de voies ferrées. Les wagons passent à travers les jambes de huit grandes grues de trois et de cinq tonnes. Là, se trouve la grande section dite « des cheminées », dans laquelle s'opère le débarquement des Compagnies de Navigation qui font des services réguliers (Compagnies Fraissinet, Paquet, Florio Rubattino). Cette section occupe la plus grande partie du môle du Lazaret et se compose d'un long hangar et de douze magasins annexes.

Plus loin, enfin, se trouve la section, où viennent débarquer les magnifiques steamers de la « Peninsular Oriental »,

(1) L. A. Sébilotte, L'exécution des travaux de construction des ports et des bassins de radoub de Marseille.

La surface totale dé la concession est de 211.046 mètres carrés, entièrement conquis sur la mer.

Les voies ferrées présentent un développement de près de 18 kilomètres. La puissance motrice est produite par deux machines de 120 chevaux chacune et une troisième machine supplémentaire de 20 chevaux. La force est portée à pied d'oeuvre par une canalisation de 7 kilomètres et demi.

La Compagnie n'a que des employés, qui sont au nombre de 650 environ, et, en.faveur desquels, a été établie une caisse de retraites. Elle a versé comme première mise une somme de 120,000 francs, et la. caisse est alimentée au moyen d'une retenue de 4 0/0 sur les traitements et une subvention patronale d'égale importance.

Les principaux employés de la Compagnie sont les peseurs, qu'elle recrute avec le plus grand soin, et dont elle fait surveiller les actes par quatre contrôleurs, eux-mêmes surveillés par le chef et le sous-chef peseurs. Le contrôle, qu'ils assurent, s'exerce au. moyen d'épreuves, faites, sous les yeux des négociants, qui peuvent également demander l'assistance des peseursjurés. Mais les peseurs du Dock sont préférés auxpeseurs-jurés, qui ne subissent aucun contrôle et doivent se conformer à un règlement municipal, leur enjoignant de ne peser d'une façon rigoureusement exacte, que si le commerçant consent à payer le plus élevé.de leurs deux tarifs. Le second tarif ne donne droit qu'au pesage pour nolis.

La Compagnie possède, en outre de ses instruments ordinaires de pesage,-cent vingt pèsegrains, dont elle a le monopole, et qu'elle construit elle-même. Ces pèse-grains règlent automatiquement le poids des sacs de céréales. Ils consistent en appareils, suspendus à l'orifice des caisses, où sont emmagasinés les grains, et qui ferment cet orifice dès que le poids de la


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marchandise à ensacher (1) est obtenu. Il ne reste plus alors qu'à décrocher le sac attaché au pèse-grain et à le lier. Ainsi le pesage, et la mise en sac ne nécessitent qu'une seule opération.

IV. — Historique de la grève.

. Le contrat intervenu, le 27 août 1900, entre les entrepreneurs de manutention et les ouvriers des quais et les charbonniers, est connu sous le nom d'« Affiche rouge» (2).

(1) Mettre en sac.

(2) En voici le texte intégral :

Heures de travail. — Durée de la journée : 10 heures en été, 9 heures en hiver. Durée de la demi-journée de la matinée : 5 heures en hiver, 5 heures en été. Durée de la demijournée après midi : 4 heures en hiver, 5 heures en été.

Faculté pour les besoins du service de faire la journée de dix heures ou de neuf heures en continuant le travail de midi à deux heures. Dans cet intervalle, repos d'une demiheure accordé à tour de rôle.

Durée de la nuit : huit heures, de neuf heures du soir à cinq heures du matin. Arrêt de minuit à minuit et demi. La demi-nuit va de neuf heures du soir à minuit. Passé une heure du matin, la nuit entière est due.

Durée du travail du dimanche et des jours fériés légaux, été et hiver, huit heures de travail, savoir : de 7 heures du matin à midi, et de 2 heures à 5 heures s'il y a seulement demi-journée. La demi-journée du matin terminera à 11 heures et demie. Heures supplémentaires. —Celles de jour sont: 1» Celles de midi à 2 heures, lorsqu'il n'y a pas eu continuation compensée à la fin de la journée ;

2° Les heures comprises entre 6 et 8 heures du soir en hiver et de 1 à 8 heures du soir en été. Celles de nuit sont :

1° Les heures de 8 à 11 heures du soir ; 2° De 5 à 1 heures du matin, été comme hiver. Le patron doit déclarer à l'ouvrier qu'il embauche le matin si c'est pour la journée ou seulement pour la demi-journée qu'il est engagé. La demi-journée sera due, quelle que soit l'heure de l'embauchage.

Tarif. — Le prix de la journée de travail est fixé, été et

hiver, à 6 francs. Le prix de la demi-journée, soit du matin,

soit de l'après-midi, été et hiver, est fixé à 3 francs.

Le prix de là nuit de travail est fixé, été et hiver, à 7 fr.

Le prix de la demi-nuit de travail est fixé, été et hiver,

à 3 fr. 50.

■ Le prix de la journée de travail du dimanche et des jours fériés légaux est fixé à 6 francs.

Le prix de la demi-journée de travail du dimanche et des jours fériés légaux est fixé à 3 francs.

Le prix des heures supplémentaires est^fixé, été et hiver, à 80 centimes pour les heures supplémentaires de jour et à 1 franc pour les heures supplémentaires de nuit, pour chaque jour de la semaine, le dimanche et les jours fériés.

Le service d'été va du 1er avril au 30 septembre. Le service d'hiver va du l 61' octobre au 31 mars. La monnaie de billon ne servira que pour les appoints.

Les principales stipulations,qui y sont contenues, concernent les heures de travail (dont la durée est réduite à 10 heures en été et 9 heures en hiver) et le prix de la journée de travail, qui est porté de 5 à 6 francs.

Comme nous l'avons expliqué, le prix de la journée n'a pas grande importance, lorsqu'il n'y a pas permanence de travail. Les revendications des ouvriers du port auraient été plus habiles si elles avaient porté sur la régularité de l'embauchage. Qu'importait la journée de 6 francs, si le salaire hebdomadaire n'était pas augmenté, ou même ne s'en trouvait diminué ! Et c'était ici le cas ! La majoration des salaires provoqua un afflux prodigieux de main-d'oeuvre étrangère à la profession, et un troisième larron survint, qui, sans avoir eu à subir les aléas de la lutte économique, en subtilisa tous les profits.

Une grande gêne envahit donc la corporation des dockers. Ils cherchèrent le moyen d'en sortir. La grève était ce moyen. Mais n'allaiton pas dire qu'ils rompaient délibérément un contrat, encore tout récent, et les entrepreneurs de manutention allaient-ils se soumettre à la signature d'une nouvelle convention, alors que la première était si mal observée par l'une des parties? On chercha des prétextes, et, dans semblable occurrence,les prétextesnemanquent jamais. Les ouvriers dénoncèrent la conduite de trois contre-maîtres, de l'un des acconiers [entrepreneurs dé manutention)^ la Compagnie des Docks, M. Henri Estier. Ces trois contremaîtres, dont le premier était le propre beaufrère de M. Estier, se nommaient MM. Lob, Celi et Saint-Jean. Us étaient accusés d'avoir « tenu des propos outrageants pour la dignité des ouvriers ». Ce n'étaient certes point des chefs du protocole, et peut-être avaient-ils, l'un ou l'autre, employé quelques expressions un peu vives, assez en tisage dans le peuple,


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Ils avaient également, d'après les accusations formulées par les ouvriers « écarté systématiquement les ouvriers étrangers syndiqués, pour donner les places à des ouvriers étrangers non syndiqués, nouveaux venus dans la corporation ». Un contre-maître de la Compagnie des Docks était accusé des mêmes méfaits. Enfin, dernière accusation, les patrons auraient poussé à la création d'un syndicat français ! Ainsi avaient-ils « entravé l'action du syndicat international » dont M. Flaissières, maire de Marseille, était président d'honneur (1).

Le 27 février la grève était déclarée. Les grévistes se rendaient de l'avenue d'Arenc à la Bourse, du travail, traversant là ville en un long cortège, que précédaient des drapeaux français et italiens.

A la Bourse du travail, M. Rey, acclamé président, déclare qu'il faut faire respecter le syndicat et imposer l'emploi des ouvriers syndiqués étrangers. Il faut, déplus, demander la journée de huit heures, au tarif actuel.

Puis M. Bayle, conseiller d'arrondissement, s'écrie : « Votre rôle est tout tracé. Le syndicat international a été insulté par les patrons. Vous devez répondre à cette insulte, par une insulte. Et quelle est celle qui peut toucher le plus rudement vos exploiteurs ?... C'est, ou une augmentation de salaire, ou une diminution des heures de travail. »

M. Âutheman ajoute qu'il faut aller plus loin et supprimer les patrons par l'organisation d'une coopérative ouvrière.

La commission executive de la grève est nommée. Elle est divisée par section (le syndicat était lui-même divisé par section à cause de l'espacement des divers chantiers sur les quais). Quatre membres français et un membre

(1) Les ouvriers accusèrent également les patrons d'avoir violé l'affiche rouge ; mais jamais ces accusations ne furent nettement précisées. Cependant nous donnons à titre d'indication l'affiche par laquelle le Syndicat international exposa les faits <c à la population » :

« Les patrons ont répété qu'ils ne pouvaient accepter aucune réclamation de la part des ouvriers, attendu que le contrat signé en septembre dernier avait été déchiré sans motifs sérieux. A cela nous répondrons que le contrat n'a été violé que par eux-mêmes.

« A ce sujet, nous laissons le commerce et la population juges des faits qui se sont produits et l'on verra par qui le contrat (affiche rouge) a été déchiré. Les patrons s'étaient engagés, par ce contrat même, à payer la journée à 6 francs. | Pourquoi donc les entrepreneurs ont-ils embauché des jeunes gens (contrairement à leurs engagements) à 3 fr, 50 et 4 francs par jour ? Pourquoi ces mêmes entrepreneurs ont-ils fait des abonnés à 30 francs par semaine ? Pourquoi aussi, par la fausse inlerprétation d'un article de ce contrat, y a-t-il eu une entrevue de patrons et d'ouvriers à la Chambre de commerce, ladite entrevue présidée par M. Féraud, président de la Chambre de commerce ?

« 11 avait été entendu primitivement qu'aucun travail ne devait se faire de midi à deux heures, deux heures de repos étant absolument nécessaires pour les ouvriers des ports , vu les heures de départ des paquebots-poste, et pour eux seulement, nous avons bien voulu consentir à travailler en continuation. Cependant comme il était inhumain de laisser des hommes pendant neuf ou dix heures sans manger, une demi-heure de repos était accordée de midi à deux heures pour se restaurer. Mais, comme cette demi-heure était payée, les patrons ont tout fait dans leur égoïsme pour la supprimer. Alors, ils ont essayé de n'accorder qu'une heure pour dîner, d'où violation flagrante et déchirage de l'affiche rouge. La journée en hiver étant de neuf heures, dont cinq heures le matin et quatre heures l'après-midi, immédiatement les patrons faisaient triple ou quadruple personnel, et lorsque la matinée était faite, c'est-à-dire cinq heures de travail, ils mettaient les quatre cinquièmes du personnel de côté.

« Les conditions de travail étaient pires. Le travail dans une cale de navire nécessitait S hommes avant la grève ; après la grève, les patrons n'en mettaient plus que 6 et dans certains cas, particulièrement pour le débarquement des

navires chargés de barriques, ils ont essayé de n'en mettre plus que 4 au « camballage », c'est-à-dire au portage des sacs. Avant la grève, 12 ou 14 hommes étaient employés ; après, les patrons n'en mettaient plus que 10 et ainsi de suite. La journée commençait à sept heures et à deux heu* res ; on la faisait commencer un quart d'heure ou vingt minutes à l'avance et, si l'on refusait, les ouvriers étaient systématiquement renvoyés.

« Nous pourrions ainsi énumérer à l'infini les violations effectuées par le patronat.

« La corporation des ouvriers des ports n'a eu qu'un torts celui, dès la première violation, de ne pas la dénoncer et faire juge la population et le commerce marseillais tout entier.

« Conscients du devoir et des obligations de leurs charges respectives, les bureaux du syndicat international ont reculé jusqu'à la dernière limite par égard au commerce. Mais l'insulte suprême a nécessité la déclaration de la grève. Aujourd'hui, ajoutant l'outrage à l'insulte, les patrons refusent même d'entrer en conférence avec les délégués ouvriers. A la population marseillaise d'apprécier de quel côté se trouvent le droit et la justice. »

n


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étranger sont nommés pour chaque section. Les membres les plus importants — ceux qui vont prendre la direction de la grève — sont MM. Autheman et Rey.

Un inscrit maritime propose, au nom de sa corporation, de se joindre au mouvement. On lui répond que ce serait faire le jeu des armateurs, dont le budget va être lourdement chargé par l'impossibilité de décharger leurs bateaux. « Mais, riposte-t-il, si les inscrits ne se mettent pas en grève, ils seront forcés, de par leur engagement, de faire le travail des ouvriers des quais? » — « Nous vous empêcherons, crie l'assemblée d'une seule voix » (1).

Pendant que la commission executive lance un appel à la population, disant : « Aux provocations adressées par le patronat, vous avez répondu et relevé fièrement le défi (?) »,l'Union syndicale des marins du commerce adresse également un appel aux inscrits maritimes : « Forts de votre droit, dit cet appel, jetterezvous une fois de plus votre gant au visage des directeurs des Compagnies de navigation, en foulant aux pieds leurs conve?itions aussi mensongères que maudites'l... »

Le 28 février les ouvriers dressent la liste de leurs revendications (2) ; M. Autheman en

(1) Petit Provençal, du 28 février 1901.

(2) Cahier des revendications.

ART. 1er.'— La journée, été et hiver, est de ii heures de travail ; la demi-journée est de 4 heures. La journée commence, été comme hiver, de 8 heures du matin à midi et reprend de 2 heures à 6 heures. Les demi-journées sont réglementées de la môme façon.

ART. 2. — Suppression de toutes heures supplémentaires êoil de jour, soit de nuit ; suppression de la continuation de midi à 2 heures ; suppression du travail de nuil.

ART. 3. — Toute journée ou demi-journée sera due intégralement quelle que soit l'heure de l'embauchage ou de la cessation du travail, L'ouvrier embauché ne pourra être changé de chantier. L'ouvrier cessera de travailler par grosse pluie.

ART. 4. — La journée sera payée 6 francs, la demi-journée 3 francs.

AIIT, 5, — Pour les dimanches et jours fériés légaux, les

donne lecture.Parmi ces revendications, il en est plusieurs, qui semblent assez imprévues : la suppression par exemple d'une machine très expéditive nommée poulsom, qui drague

prix deviendront de 10 francs la journée ; 5 francs la demijournée.

A HT. 6. — L'ouvrier devra être avisé verbalement si c'est pour la journée ou la demi-journée qu'il est embauché. L'ouvrier devra être payé immédiatement après son travail sur le chantier. La monnaie de billon ne servira que pour les appoints.

Conditions de travail.

AIIT. 7. — Le débarquement des navires chargés de sacs se fera :

Avec la grue : huit hommes par tintaine simple, un emballeur, un balayeur.

Dix hommes par linlaine double, un emballeur, un balayeur.

Avec le travail : Six hommes par dalle simple, un emballeur, un balayeur.

Huit hommes par dalle double, un emballeur, un balayeur.

Dans le cas où on ferait creuser pour avantager le travail, il est de nécessité absolue d'avoir un homme supplémentaire par main. Suppression des braseurs en chaîne.

ART. 8. — Le débarquement des navires, colis divers, planches et madriers nécessitera neuf hommes par main, sauf le cas de transbordement, où les mains seront composées de douze hommes.

Aivr. 9. — Le débarquement des barriques nécessitera huit hommes pour cela, pour quatre pattes.

Ain. 10. — Le débarquement des caprahs et arachides sera fait au moyen de quatre bennes et de dix-sept hommes.

AIIT. 11, — Le débarquement des céréales, blés, avoines, haricots et autres sera fait par quatre bennes et treize hommes ; lorsque immédiatement la mise en sacs aura lieu, la mise à terre sera faite par quatre bennes et dix-sept hommes.

ART. 12. —LE DÉBARQUEMENT PAR LES MACHINES DITES « POULSOM » EST SUPPRIMÉ.

ART. 13. — Le bâchage des colis ne sera pas fait par les ouvriers employés au débarquement.

ART. 14. — L'embauchage aura lieu 15 minutes avant le commencement du travail.

AUT. 15. — Les embarquements seront faits avec huit hommes par cale, sans distinction d'engins de débarquement. Le camballage à terre nécessitera par tintaine simple quinze hommes, par tintaine double vingt hommes.

ART. 16. — Les jeunes gens seront au même tarif que les ouvriers. Les abonnés payés au-dessous du tarif sont interdits. ART. 17. — Les ouvriers embauchés entreront et sortiront

La tintaine est l'échafaudage sur lequel la grue déverse sa palanquée. Il j a double tintaine, lorsque la grue dessert deux plateformes.

La dalle est le glissoir en bois (ou rigole à plan incliné) sur lequel les grains soutirés de la cale par la drague sont déversés sur le quai.

La main est une équipe. Un navire par quatre mains est un navire qui est vidé par quatre équipes.


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les grains à fond de cale et les déverse sur les t quais. (Depuis longtemps on était déshabitué a de voir les ouvriers réclamer la suppression t d'une machine perfectionnée.) Il en est de c même pour la suppression des heures supplé- s mentaires ; un membre même du syndicat, t M. Ronifacio, ne peut s'empêcher de le faire remarquer. 11 déclare, avec beaucoup de sens, que, lorsqu'il s'agissait de vapeurs postaux partant à une heure du soir, par exemple, et recevant des colis jusqu'à ce moment, il était im- < possible d'arrêter le travail à midi. « Les du- ; vriers, répond le président, M. Rey, n'ont pas à s'occuper des intérêts patronaux. » — « D'ailleurs, dit un autre, si les patrons ne peuvent pas nous concéder ce que nous leur demandons, ils laisseront le travail, et nous le prendrons. » Suprême argument! — Enfin on procède à la nomination de cinq commissions de cinq membres, chargées de surveiller les abords des chantiers et d'empêcher la reprise du travail ; puis les grévistes se rendent à la mairie, pour féliciter M. Flaissières du concours qu'il leur a promis.

M. Flaissières aurait pu en ce moment arrêter cette grève, que tout le monde prévoyait sans issue, et montrer aux ouvriers que, s'ils avaient des réclamations à faire valoir contre la violation de l'affiche rouge par les patrons, ils devaient se contenter de les formuler, laissant ainsi aux trois arbitres qui avaient signé ce contrat le soin de le faire respecter (1). Au lieu de

tenir ce langage, il dit aux ouvriers : « Vous avez jugé qu'il était nécessaire de cesser votre travail pour la défense de vos droits. Je m'incline devant votre décision, bien que ma pensée personnelle vous en eût peut-être inspiré une tout autre. »

Le 29, le syndicat français des ouvriers des Ports et Docks, qu'on avait représenté comme entièrement dévoué aux patrons, apporte son adhésion à la grève, aux applaudissements enthousiastes de l'assemblée de la Rourse du travail.

Pendant toute la durée de la grève, ce malheureux syndicat, dont le secrétaire était M.Sautel,ne sutjamais prendreune résolution. Evoluant constamment, tantôt prenant les allures les plus révolutionnaires, tantôt semblant réprouver la direction donnée au mouvement et les tendances internationalistes de l'autre syndicat, il devint la risée du public marseillais, qui s'amusa de ses voltes rapides et de ses contradictions successives. Ce syndicat avait d'ailleurs peu d'importance : il ne réunissait pas plus de 3 ou 400 adhérents.

Dans cette même réunion, on parle des 10,000 francsvotés en principe parle Conseil général,en faveurdes grévistes.» Nous n'avonspas besoin du secours des bourgeois, » crie un contradicteur. Mais on fait remarquer que c'est,sur la demande même des grévistes, que ce secours a été demandé par M. David, conseiller général. Alors on Vote des félicitations à celui-ci, et on flétrit les conseillers généraux, qui n'ont pas voulu venir en aidé aux grévistes.

En même temps; M. Costa dénonce l'attitude d'un brigadier de policé, dont il signale le matricule, qui s'était permis dé dire à des ouvriers travaillant au Port Vieux, et que venaient solliciter les grévistes, pour qu'ils se joignissent

au son de la cloche.

Poùï les eér'éalés.

Tarifs généraux : Les prix sont portés de 1 fr. "ÏO à 2 francs les 10.000 kilos, soit 30 centimes d'augmentation. Sauf pour les avoines, orges, millets, qui seront de 2 fr. 50 les 10.000 kilos.

Main-d'oeuvre supplémentaire : Trois hommes par voie ferrée ; quatre hommes pour empilage.

Pour les parcelles: Tout vidage, sortie en balles ou coprah, 2 francs les 10.000 kilos. Les metteurs dessus seront payés au même tarif.

ART. 18 (ajouté). — Suppression des millièmes pour les chefs d'équipe, les contre-maîtres et les meneurs de grues .

(1) Ces trois arbitres étaient MM. Féraud, président de la

Chambre de commerce, Flaissières, maire de Marseille, et Schrameck, secrétaire général de la prëfacture des Bouchés i du Rhône, tiers-arbitre.


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à eux: « Continuez: je vous en donne l'autorisation (1). »

Les grévistes se sentaient soutenus par le maire et les députés de Marseille.

« Citoyens, leur disait le député M. Cadenat, votre grève ne ressemble pas aux autres, car vous y avez été poussés par un sentiment de générosité : elle vous honore, et je vous le dis très sincèrement, en mon nom et en celui du groupe socialiste de la Chambre... Opposez votre force à celle du patronat. Vous le tenez aujourd'hui, tordez-lui le cou ! (2). »

M. Flaissières interviewé par le Petit Provençal donnait également son approbation à la grève (3) :

« Il eût été certainement préférable que la question, pendante alors entre les ouvriers et les patrons, se fût. posée dans une autre forme que celle qui a été choisie. Des conférences, par exemple,eussent peut-être donné des résultats satisfaisants. Mais il serait certainement excessif de s'étonner que cette forme diplomatique de procéder ne fût pas toujours possible, dans .les conflits entre le capital et le travail. Les ouvriers ont été jusqu'ici, d'une manière générale, traités de telle sorte par le patronat, qu'ils n'ont pas eu la possibilité de s'initier à la diplomatie, et la cessation du travail, la grève leur apparaît, encore bien naturellement,comme le seul moyen de présenter des revendications et de les faire prévaloir.

« Les réclamations des ouvriers sont-elles justifiées ? Il n'y a aucun doute sur ce point. Elles nie paraissent même, telles qu'elles me sont présentées, témoigner, et d'un grand esprit de modération des ouvriers à l'égard de leurs patrons, et d'un sentiment de solidarité admirable.

« En définitive que réclament les ouvriers ?

(1) Petit Provençal du 2 mars 1901.

(2) Petit Provençal du 3 mars 1901.

(3) Petil Provençal du 3 mars 1901.

Je passe sans m'y arrêter sur la question des contre-maitres, comme étant sans importance. Je ne puis, en effet, admettre un seul instant que les patrons veuillent couvrir leurs contremaîtres, dans l'attitude qu'ils auraient prise, brutale ou malveillante,à l'égard des ouvriers? Que reste-t-il qui ne soit acceptable dans ces revendications ? Les ouvriers réclament la journée de huit heures et la suppression des heures supplémentaires et du travail de nuit. En somme, en hiver, la journée n'est que de neuf heures; en été,elle est de dix heures.Il y aurait donc une diminution moyenne de une heure et . demie de travail par jour (4). Or je dis que les patrons peuvent supporter ce sacrifice et quemême ce sacrifice n'existera pas.

« Les ouvriers, en effet, demandent la suppression du travail supplémentaire et du travail de nuit, qui étaient pour eux une sorte de supplément de profit, puisque ce travail était beaucoup plus payé que le travail normal ou le travail de jour. Si donc les ouvriers, renonçant à ce mode de travail, en perdent le bénéfice, ce sont évidemment les patrons qui ont le bénéfice de ce renoncement (S), les frais d'embarquement et de débarquement diminuent d'autant (6). Et le seul résultat sera que le travail ne diminuant pas d'importance, devant rester égal à lui-même, un plus grand nombre d'ouvriers trouveront à la fois leur pain quodidien. »

Le Syndicat des Entrepreneurs de Manuten(4)

Manuten(4) ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une réduction sur les heures déjà réduites six mois auparavant.

(5) Nous ne savons, et nous n'osons croire, que la pensée de M. le maire de Marseille ait été fidèlement rendue, tant un tel argument paraît étonnant] Comment ? si les ouvriers renoncent à un avantage personnel, ce sont les patrons qui en profiteront ? Où.- a-t-on jamais vu que quelqu'un pouvait profiter d'un travail non effectué 1

(6) Où M. le maire de Marseille a-t-il appris qu'une perte de temps peut être une source de bénéfice pour un navire* où se trouvent de nombreux salariés,ou pour un machinisme qu'il faut amortir rapidement? Les Anglais ont déjà répondu à M.Flaissières par un proverbe,qui pour eux est une devise; « Time is money »,


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tion faisait appel à l'opinion publique. Il affichait un placard, indiquant dans quelles conditions la grève avait été déclarée : « A la Population, « Au Commerce marseillais, « Qu'il nous soit permis au nom de la vérité et pour édifier complètement la population marseillaise, devenir préciser les causes qui ont amené la grève actuelle des ouvriers du Port.

« Après la grève d'août 1900, qui s'est terminée, comme on s'en souvient, par une augmentation de salaire de plus de 20 0/0, en fixant le prix de la journée à 6 francs, il y a eu un afflux de main-d'oeuvre sur les quais.

« Le Syndicat international, qui s'était constitué, à la fin de la grève, avait groupé Français et Italiens. Lorsque le travail s'est raréfié,dans le port, comme cela se produit, chaque année, à cette époque, le Syndicat international a fait des démarches auprès des entrepreneurs, pour que la préférence fût donnée à ses membres, au détriment des ouvriers non-syndiqués. Ceux d'entre les ouvriers du port, qui n'avaient pas pu trouver place, pour un motif ou pour un autre, ou auxquels il n'avait pas convenu d'adhérer au Syndicat international, sont allés à un Syndicat dit « Syndicat des ouvriers français des Ports et Docks », existant depuis 1883 et qui n'est pas, quoi qu'on en dise, de création patronale. Ce Syndicat d'ouvriers exclusivement français a alors, de son côté, demandé que la préférence fût donnée aux éléments qui le composent.

« Chacun des membres de notre Syndicat se trouvait donc très embarrassé, et, pour sortir d'embarras, il a été décidé qu'on garderait la neutralité, en continuant d'embaucher, sans distinction, le personnel habituel des chantiers. La situation était déjà très délicate, puisqu'on ne pouvait contenter tout le monde, lorsque est venue se greffer la question des contremaîtres.

« Voici ce qui s'était passé :

« Le Syndicat international avait essayé une fois, avec un succès relatif, de montrer sa puissance, parla mise à l'index d'un chantier, où travaillait un contre-maître, qui n'était pas à sa convenance. Se sentant menacés, les uns après les autres, ces travailleurs ont alors formé un Syndicat légalement constitué, pour la défense solidaire de leurs situations, et ils ont fait connaître aux autorités, comme à leurs patrons que quiconque toucherait à un de leurs membres, s'en prendrait en réalité, à tout le Syndicat. Or, le Syndicat international des ouvriers des ports a trouvé mauvais que les contre-maitres des ports utilisent à leur profit le principe de l'organisation syndicale !

« Aussi, pour essayer de détruire cette organisation défensive,il a entrepris de faire exclure de la corporation ceux des contre-maîtres et chefs d'équipe, qu'il croit, à tort ou à raison, être influents dans le Syndicat qui leur déplaît. . « La campagne s'est faite,pour cet objet,dans les conditions suivantes :

« Mardi, à 4 heures, M. le préfet faisait appeler deux d'entre nous, patrons des contre-maîtres désignés à la vindicte de tous, par le Syndicat international, et leur indiquait que les ouvriers prétendaient avoir à se plaindre des agissements de ces contre-maîtres.

« Les ouvriers introduits, les faits ont été racontés et certifiés par eux. Mais, contrairement à ce qui a été dit dans les comptes rendus des journaux, les faits cités n'o?itpas été reconnus exacts. Les patrons se sont bornés à déclarer que, s'il était démontré qu'après avoir promis de laisser la balance égale entre les ouvriers des différents syndicats, certains contre-maitres avaient donné la préférence aux ouvriers français, il y avait faute, non pas pour avoir donné la préférence aux ouvriers français, car c'est le droit de tout citoyen français de préférer des nationaux ; mais faute, pour n'avoir pas tenu les engagements qui auraient été pris. « Au cours de l'entrevue avec M. le préfet, les entrepreneurs n'ont pu qu'enregistrer les


déclarations, qui leur étaient faites. Mais, enquête faite, dès le lendemain, par une visite et par une lettre à M. le préfet, ils sont venus apporter le démenti le plus formel aux assertions produites. « Les faits n'ont pas été reconnus exacts » et l'accusation portée contre lesdits contre-maîtres tombait d'elle-même.

« Donc, après vérification de ces nouvelles affirmations, l'incident aurait dû être clos.

« Mais cet incident n'était qu'un prétexte qui, à la suite des explications données, cessait d'exister. Le Syndicat international a donc dû chercher un terrain plus favorable, où il fût certain d'avoir plus facilement l'approbation de la masse des ouvriers. C'est alors qu'il a présenté, en première ligne, des revendications nouvelles, telles que la journée de 8 heures, la suppression des travaux de nuit, l'élévation à 10 francs du prix de la journée du dimanche, etc.

« Les internationaux ont pensé de cette manière, et non sans raison, entraîner la majorité du personnel ouvrier, qui, malheureusement, semble croire qu'il est indéfiniment possible d'augmenter les salaires et de diminuer la durée du travail.

« Voilà les faits, tels qu'ils se sont produits « Nous les avons exposés longuement, pour montrer que nous nous trouvons en présence d'une campagne de parti-pris, préméditée depuis longtemps et que le but véritable, c'est d'abord d'obtenir la journée de huit heures, et surtout la main-misé sur les quais par le Syndicat international, qui, quotidiennement, imposerait ses volontés aux patrons, à tort et à travers, sans compétence, ni justice, sans responsabilité et sans risques.

« Les faits que nous pourrions citer de la tyrannie abominable, que cette collectivité anonyme voudrait exercer, tant sur nos collaborateurs et nos ouvriers, que sur nous-mêmes, seraient de nature à édifier complètement la population marseillaise sur l'avenir,qui lui serait réservé par la nouvelle forme de dictature :

mais cela nous entraînerait trop loin, pour le moment. Nous le ferons, si besoin. Aujourd'hui, il faut nous borner.

« Pour que le public impartial juge, nous terminerons par ces extraits d'un journal local rendant compte de la réunion tenue, le 27 février, à la Rourse du travail :

« 1° Il était logique, rationnel, que le Syndicat prît la défense des ouvriers italiens. Et c'est une des raisons — peut-être la principale, en tous cas la plus haute et celle qu'on doit applaudir — de la grève qui commence ;

« 2°... Le citoyen X... ajoute que les revendications des ouvriers ne se borneront pas à exiger qu'on emploie les ouvriers étrangers, mais à demander la journée de huit heures et le maintien de la journée actuelle, soit 6 francs ;

« 3° Enfin, le citoyen X... rappelle que le bureau a surtout pour mission de veiller aux intérêts du Syndicat, et qjxe-ee que nous voulons, c'est non seulement la journée de huit heures, l'expulsion de certains contre-maîtres qui divisent les ouvriers, mais encore la suppression des patrons. »

«Telle est la situation fidèlement résumée. Nous laissons à d'autres, plus haut placés que nous pour apprécier les conséquences commerciales, pour notre port et pour le pays, de l'agitation nouvelle, le soin d'en tirer les conclusions.

« On jugera s'il est matériellement possible d'accéder constamment aux exigences incessantes d'une minorité turbulente, qui entraîne la majorité de notre brave population ouvrière, insuffisamment éclairée et qui sera, hélas ! la première victime de la détresse économique, créée par d'imprévoyants et coupables agitateurs. »

À cette affiche, les grévistes répondaient par une affiche extrêmement violente :

« Vous nous avez augmentés de 20 0/0 ; la journée des ouvriers des ports est de 6 francs. Qu'avez-vous demandé en échange au commerce marseillais ?... la majoration de 10 0/0 sur tous vos tarifs, c'est-à-dire, au moins qua-


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tre fois l'augmentation, que nous vous avons arrachée. En un mot, une véritable usure.

« Vous nous reprochez la fraternité internationale, vous qui, dans votre rôle infâme, y faisiez appel, pendant les grèves de 1883 et 1889, pour battre en brèche la main-d'oeuvre nationale. Vous parlez de neutralité ? Est-elle possible avec des beaux-frères, des cousins et toute la séquelle qui nous entoure ? — Mensonges, que tout cela ! Mensonge aussi que de nier des faits, prouvés par témoins, devant MM. le préfet des Rouches-du-Rhône et le maire de Marseille, qui les ont reconnus exacts ; vous n'hésitez même pas, par ce fait, à traiter de menteurs le. représentant du gouvernement et le premier -magistrat de notre ville. — Menteurs vousmêmes, qui vous voyant aux abois, insinuez la calomnie ! Vous ajoutez que les camarades X... et Y... engagent leurs camarades à demander la journée de huit heures, ou la suppression totale de tous les patrons. Les camarades font leur devoir, en vous arrachant les gains scandaleux,qui ont permis d'édifier les fortunes colossales de X... et Y..., entrepreneurs de manutention.

«Vous avez de l'or, nous avons de la patience ! Vous êtes étonnés d'avoir à compter avec nous. Il faut vous y soumettre ! Nous- espérons nous débarrasser avant peu des vampires du commerce, de F industrie et du prolétariat ! »

La Commission executive.

Ce même jour (2 mars) M. Quilici essayait de soulever les inscrits maritimes, dont il avait dirigé la grève, l'été précédent.

Vers trois heures, au bar Chrétien, lieu ordinaire de leurs réunions, trois cents inscrits maritimes, sous l'inspiration de.M. Quilici, décidaient de se mettre en grève. Puis, drapeaux en tête, ces nouveaux chômeurs se rendirent sur les quais et manifestèrent devant le Bocognano. Ensuite, ils se transportèrent sur le Languedoc, de la Société Générale des Transports

Maritimes, qui partait pour Alger, etavecdes menaces et des coups, parvinrent à faire descendre trois marins du bord. La police intervenant aussitôt, l'un des agresseurs; le. nommé Guerrier, qui avait proféré des menaces, fut arrêté.

Mais le groupe des grévistes, un moment dispersé, se reconstitua, et, toujours drapeaux en tête, escorté de M. Quilici, il se dirigea vers la traverse de la Joliette pour se rendre sur le Peï-Ho, des Messageries Maritimes, en partance pour le Levant. Le commandant de ce paquebot, informé de leurs intentions, fit couper les amarres pour prendre le large et il reçut ses papiers par une embarcation, qui les lui apporta en mer.

Pendant ce temps, les grévistes avançaient. M. Ronnaud, commissaire central, accompagné de "M. Champion, chef de la Sûreté, et d'un, certain nombre d'agents, se tenait au commencement de la traverse. . .

Dès que les grévistes arrivèrent, M. Ronnaud leur fit signe de rebrousser chemin. Les manifestants s'insurgèrent. On les repoussa. M. Quilici dit alors au commissaire central : « Je vous rends responsable de ce qui peut survenir ! Nous avons le droit de passer ! » M. Ronnaud répliqua : « C'est vous qui êtes responsable de ces nouveaux troubles et de ces violences et je vous arrête 1 M

Et lui mettant la main au collet, M. Ronnaud conduisit au bureau du commissaire de police du XVe arrondissement, M. Quilici, qui fût interrogé et gardé à la disposition du procureur.On l'accusait, au surplus, d'avoir dit aux inscrits maritimes, pour les inciter à cesser tout travail : « Je tiens cinq mille francs à votre disposition, si vous déclarez la grève. » — M. Quilici niait avoir tenu un tel propos, mais il avouait avoir déclaré : « Nous ouvrirons ;. des listes de souscription, et nous aurons vite cette somme, »

Par l'arrestation de M. Quilici, la grève des > inscrits fut enrayée dès son début.


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Le 3 mars, les grévistes lèvent leur séance, dès le début,pour aller faire la police des quais. Le 4, la séance est plus intéressante. M. Rey y dénonce l'attitude louche de M. Quilici « qui est payé pour faire échouer le mouvement gréviste ». M. Autheman informe l'assemblée que les ouvriers des ports de Gênes ont décidé de se refuser à opérer le débarquement des navires, dont l'escale naturelle est Marseille. Le 5, on prend la résolution de faire des quêtes,en faveur delà grève, le maire de Marseille ayant délivré à la commission executive dix permissions à cet effet ; on décide, en outre, de donner des bons de vivres aux grévistes nécessiteux et chargés de famille. M. Rey propose, si les patrons veulent souscrire aux revendications nouvelles des grévistes, de les rassurer, sur la durée de l'accord à conclure,par un véritable contrat, qui engagerait les deux parties pour une ou deux années. M. Rey ne dit pas quels seront les avantages, que les patrons ontretirés de ce nouveau contrat. Ce même jour, les ouvriers charbonniers se mettent en grève à leur tour, sur un programmede revendications presqueidentique à celui des dockers. Leur grève était dirigée par MM. Rougier et Gourdouze.

A ce moment, le président du Syndicat français, M. Sautel, qui avait d'abord réclamé une diminution de 1 heure de travail, c'est-à-dire la journée de 8 heures en hiver et de 9 heures en été, déclarait qu'il se ralliait à la journée unic forme de huit heures au prix de 6 francs. Mais il ne réclamait pas la suppression des heures supplémentaires. Il exigeait une proportionnalité assez forte d'ouvriers français sur les ouvriers étrangers occupés sur le même chantier. Ce n'était pas la fin de ces tergiversations bizarres, qui se produisirent, pendant toute la durée de la grève, dans ce singulier syndicat.

Le commerce marseillais commençait à s'inquiéter.

s'inquiéter. délégations patronales se succédaient à la préfecture. Trois minoteries venaient de fermer leurs portes, d'autres allaient se trouver réduites à la même extrémité. Les marchandises destinées à l'exportation encombraient les magasins.

C'est alors que se répandit le bruit que les Trade-TJnions avaient offert une souscription de 1.000 livres et que la commission de la grève avait répondu par la dépêche suivante, dont nous trouvons le texte dans le Petit Provençal (8 mars 1901 ) : T. Chambers Trade-Unions Londres : Nous remercions appui moral, que vous nous offrez, et en sommes profondément touchés; mais, à raison des conditions particulières de notre grève, il ne nous est pas possible accepter appui financier. — Com?nission executive grève ports Marseille.

Cette dépêche, citée à la tribune de la Chambre,, par M. le ministre du commerce, aux applaudissements de l'extrême, gauche, était entièrement apocryphe. La commission executive ne se fit pas scrupule plus tard d'accepter des subsides de l'étranger. En réalité les grévistes de Marseille reçurent, le 18 mars, des ouvriers des ports d'Allemagne et par l'intermédiaire de la Fédération internationale des dockers dont le siège est à Londres, une somme de 40 livres, soit 1.000 francs, plus tard un chèque de 25 livres 8 shillings et 4 pence, soit 635 francs (d ont 500 francs des dockers anglais et 135 francs des dockers de Norwège).

Les subsides ne provenaient alors que des tenanciers de bars, si nombreux à Marseille et jaloux de plaire à leur meilleure clientèle. Le même fait se produit dans les grèves de cochers, chez les marchands de vin parisiens.

Le 8 mars, une délégation des grévistes se présentait chez M. Augustin Féraud, président de la Chambre de commerce pour le prier d'intervenir dans cette grève, comme il l'avait fait dans la grève précédente. M. Féraud se


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contenta de répondre que, les ouvriers ayant, brusquement etsansraison,brisé la convention, conclue à cette époque entre ouvriers et entrepreneurs, il estimait ne pouvoir s'employer de nouveau, pour amener une convention, qui serait,commelapremière,susceptibled'être aussitôt rompue.Les grévistes répondirent que, cette fois, ils s'engageaient pour une période déterminée, —deux ans par exemple, — précaution qu'on avait oublié de prendre, lors du premier conflit. Sans nul doute, alors, il n'avait pas été question de date, mais M.Flaissières, représentant des ouvriers, avait bien assuré les patrons que, s'ils voulaient consentir un salaire de six francs, la paix serait signée pour longtemps. Les grévistes comptai ent bien que les commerçants, inquiets de la tournure que semblaient prendre les événements, s'interposeraient dans le conflit ettenteraient d'arrêter une lutte meurtrière, dont ils recevaient les contre-coups. Ils déclarèrent, au contraire, dans leurs réunions, que la grève avait été déclarée sans motifs par les ouvriers et qu'ils ne sauraient intervenir. Ils allèrent plus loin, en annonçant leurs in. tentions de fermer les portes des usines, qui n'étaient plus alimentées cle matières premier res et qui ne pouvaient plus exporter leurs produits fabriqués.

Les inscrits maritimes, qui avaient eu la velléité de se mettre également en grève, essayèrent d'obtenir de l'amiral Resson qu'il intervînt auprès des armateurs, comme il était intervenu — si heureusement pour eux ! — lors de la grève précédente. L'amiral Resson se contenta de répondre que la dernière convention avait été écrite, presque sous la dictée des grévistes, et qu'il ne voyait pas l'opportunité d'un nouveau contrat. Si une convention ne pouvait pas durer six mois, c'était la ruine de tous les calculs, sur lesquels sont basées toutes les opérations commerciales.

Les ouvriers des docks en grève réclamaient

à grands cris une entrevue avec les entrepreneurs. Le Préfet, M. Grimanelli, se faisant l'interprète de ce voeu, demanda aux^entrepreneurs d'accepter tout simplement le principe d'une conversation, entre délégués patronaux et délégués ouvriers. Cette conversation n'aurait pas d'autre base de discussion que l'application de la convention du mois d'août 1900. Les entrepreneurs répondirent à cette invite qu'on n'avait porté aucun fait précis, pour constater la violation par eux de la convention ; on s'était contenté de recueillir tous les papotages de chantiers.Dans ces conditions, une conversation ne pouvait pas avoir de raison, et il était plus simple d'exposer par affiche la situation qui résulterait de la fin de la grève. Aucun renvoi, pour faits de grève, ne serait prononcé, aucune représaille ne serait exercée, et, quant aux conditions d'application de la convention de 1900, il serait loisible, après la reprise du travail, cle les discuter et de les préciser.

Le Syndicat français, changeant une fois de plus de tactique, prêchait alors la reprise du travail, et adressait aux dockers l'appel suivant :

« Camarades,

« L'honneur de la France et les intérêts sacrés du port de Marseille doivent passer avant nos intérêts personnels.

« En présence de l'engagement d'honneur pris par les patrons d'appliquer le décret Millerand (1) sur la main-d'oeuvre étrangère et d'étudier ensuite nos justes revendications, NOUS, FRANÇAIS, NOUS AVONS LE TRIOMPHE. QUE DEMANDONS-NOUS DE PLUS ?

« C'est sur les ouvriers français que Marseille compte pour enrayer sa ruine.

« Reprendre le travail n'est pas une lâcheté ; c'est un devoir. La seule lâcheté qui ait été

(1) Proportionnalité de l'élément français sur l'ensemble des ouvriers travaillant sur le même chantier.

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commise, c'est d'avoir abandonné les quais par la peur de l'étranger.

« Pour la France ! Pour Marseille !

« Ouvriers français, ouvrons le chemin et reprenons le travail !

« Du courage, camarades! Tous les vrais Français de Marseille sont avec nous !

« Demain, mardi, rendons-nous tous en masse à nos appels ordinaires, et sachons faire respecter nos droits et notre liberté. »

Ainsi pour le Syndicat français, la question des huit heures ne se posait déjà plus.

Les syndicats patronaux des armateurs et des entrepreneurs adressèrent un nouvel appel au public, pour combattre les accusations d'inobservance des clauses du traité de 1900, dont ils étaient l'objet, de la part du Syndicat international :

A la Population et au Commerce Marseillais,

Le bureau du Syndicat international des ouvriers des ports se plaint, dans l'appel qu'il adresse à la population et au commerce de Marseille, de ce que le contrat, signé en août dernier, par devant M. le maire et M. le président de la. Chambre de commerce, et quia donné complète satisfaction aux demandes des ouvriers, n'ait pas été respecté.

La Commission executive de la grève en demande aujourd'hui la stricte application. '

Placé sur ce terrain, le différend qui divise, depuis 1S jours, les patrons et les ouvriers peut et doit cesser.

Le Syndicat des Armateurs, se joignant au Syndicat des Entrepreneurs, tous deux entendent que les conditions du travail, contenues dans l'affiche rouge; soient loyalement et complètement observées par tous.

Des engagements solennels ont été pris, en août 1900, envers M. le président de la Chambre de commercé et envers M. le maire de

Marseille ; à ces engagements, nul ne saurait se soustraire.

Les Syndicats ci-dessus les renouvellent aujourd'hui, devant la population tout entière.

Ils déclarent que leurs Chambres syndicales veilleront elles-mêmes à leur exécution et ils sont allés en porter l'assurance à leur haut mandataire, représentant le commerce et Pindiistrie de Marseille.

Ils espèrent que tout malentendu étant ainsi devenu impossible, le travail sera promptement repris.

Le président du Syndicat des armateurs, Alfred FRAISSIKET. Le président du Syndicat des entrepreneurs, À. BESSAKD,

« La grève devait donc cesser » disaient les patrons ! Les ouvriers de Marseille songeaient au contraire à faire une grève générale. Aucune entrevue ne semblait possible, puisque les uns et les autres ne pouvaient s'entendre sur l'objet de l'entrevue : la guerre continua donc à coups d'affiches. Le Syndicat des entrepreneurs de manutention crut établir les responsabilités dans l'affiche suivante :

« Le moment est venu où il faut préciser la situation, ses causes, expliquer notre attitude.

« On se souvient des débuts de la grève, du programme de revendications nouvelles, qui l'a suivie (journée de 8 heures, suppression du travail de nuit et des engins métalliques, etc., etc.). On se rappelle notre refus d'entrer en négociations sur ce programme et notre résolution d'exiger le respect des accords d'août 1900 ; puis, tout récemment, les accusations, portées contre nous, d'avoir violé certaines clauses de ce contrat, dont nous demandions précisément le maintien.

« Certes, à ce moment nous aurions pu et nous aurions voulu répondre à ces allégations mensongères ; mais, sous des influences venues dehaut,faisantà l'apaisementle très douloureux


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sacrifice de notre défense, nous avons volontairement laissé de côté les points irritants, soulevés à l'occasion du passé, et nous sommes bornés à prendre, pour l'avenir, de nouveaux et solennels engagements.

« Il a semblé, un moment, que cette attitude allait porter des fruits, lorsque M. le préfet a fait entrevoir à M. le président de la Chambre de commerce l'éventualité d'une discussion avec des représentants autorisés des ouvriers. « Ce jour là, avant-hier, cédant aux pressantes sollicitations du très haut représentant du gouvernement, nous avo?is accepté le principe de l'entrevue et nous nous sommes déclarés prêts à l'avoir en stipulant :

« 1° Qu'il ne serait apporté aucun changement aux accords de 1900 ;

« 2° Que les ouvriers seraient représentés par quinze délégués, choisis par eux parmi les ouvriers français jouissant de leurs droits civils et politiques (1) et faisant partie des habitués des divers chantiers.

« La réponse de la Commission executive de la grève, que chacun a pu lire, est nette ! Elle éclaire le débat !

« La Commission exige un programme plus étendu et notamment la .journée de 8 heures \ C'est l'aveu, enfin catégorique, que la journée de 6 francs seule ne donne plus satisfaction ! C'est la démonstration éclatante que les prétendues violations de l affiche rouge n'étaient qu'un prétexte.

« Nous disons bien un prétexte,car,en réalité, ce qu'on nous demande, ce qu'on veut, c'est, après avoir majoré les salaires de plus de 20 0/0 il y a six mois, d'en porter l'augmentation à 43 0/0, par la déduction de la journée à 8 heures I . , ' . '=.,......'.,,

« Il ne s'agit donc plus seulement de cette question vitale de la sauvegarde de notre autorité,qui nous commande de résister aux procès

(1) Allusion un peu brutale à la situation de certains ouvriers qui dirigeaient lé mouvement.

arbitraires,cause initiale des difficultés présentes (boycottage, mise à l'index, etc.)!

« II y a autre chose. Il y a une.question d'intérêt général : il s'agit de savoir si, en l'état actuel des affaires à Marseille, il est possible d'aggraver encore les charges écrasantes qui pèsent sur la navigation, le commerce et l'industrie de notre port !

« Nous déclarons que c'est impossible !

Toute la discussion,entre patrons etouvriers,' ne portait donc plus que sur ce point : « l'objet de l'entrevue», le principe en étant"accepté par les patrons ; mais ici les difficultés surgirent de toutes parts, les ragots, qui avaient servi de prétexte à la grève, pouvant être difficilement formulés sous une forme précise, et la raison même de la grève, raison que les ouvriers n'osèrent jamais avouer ouvertement,, consistant dans une modification pure et simple de la fameuse affiche rouge, à l'avantage des grévistes. Il n'y avait donc pas d'espoir quel'on pût s'entendre. La grève semblait être sans issue. De cette impasse, on va essayer d'en sortir par la violence. La grève générale va être tentée.

Tentative de grève générale.

Le samedi 16 mars, avait lieu à la Bourse du travail la réunion de tous les syndicats ouvriers de la ville de'Marseille. Quarante-quatre syndicats (sur 8o affichés à, la Bourse) furent représentés. L'objet de la réunion était la grève générale.

Par 43 voix contre 1, la résolution suivante fut votée :

« Une délégation sera adressée au préfet avec le mandat suivant : Réclamer la fin immédiate du conflit actuel (!) et lui indiquer que le chômagese généralisera parmi les corporations ouvrières, si une solution,conforme aux desiderata


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des grévistes, n'est pas intervenue, lundi prochain. ».

On a dit que la crainte, qu'on laisse voir, fait les trois quarts du courage de son adversaire. Ni le préfet de Marseille, ni le commerce de la ville ne parurent émus de cette injonction. Ce calme fit échouer le mouvement révolutionnaire, que le comité parisien de la grève générale avait cependant très habilement préparé.

La grève générale, disait une brochure lancée par milliers d'exemplaires, à Marseille, est de tous les moyens dont dispose la classe ouvrière pour réaliser son émancipation intégrale, le plus pratique et le plus révolutionnaire.

L'obéissance, la résignation, la légalité ont produit dans les rangs ouvriers de trop funestes effets, pour que nous nous attardions à de semblables moyens en vue d'améliorer notre existence.

D'autre part., les temps épiques des barricades sont passés et il serait absurde de continuer les errements du passé, alors que nous avons d'autres moyens de lutte à notre disposition. Car il ne faut pas s'illusionner, il est aujourd'hui presque impossible de combattre la force armée par les mêmes armes dont dispose celle-ci. Les grandes voies faites dans les villes, le progrès des armements et le manque d'armes de la classe ouvrière sont autant de considérations, qui nous font chercher un autre front de combat.

Donc plus de ces luttes, qui eurent leur époque, mais impossibles maintenant, qui consistent à dépaver les rues et à élever des barricades, et qui rendent aux soldats assassins lettres grand service de pouvoir faucher, dans le tas des révoltés et des mécontents, et, par là, opérer la petite saignée,nécessaire pour mater ceux que nos bons bourgeois appellent de fortes têtes. Le moment des dupes et des naïfs est passé 1

Le nouveau « front de combat » doit être la grève générale :

La grève générale consiste à suspendre la production dans toutes les branches du travail, et cela, pendant les quelques jours, qui seront nécessaires pour détruire la valeur d'échange et permettre aux prolétaires de prendre possession de la terre, des mines, des habitations, machines, etc., en un mot, tout ce qui contribue à la production de la richesse.

Jamais les gros sous des travailleurs n'auront raison des millions des affameurs.

Aux menaces des capitalistes, il faut pouvoir répondre par des menaces d'intimidation, qui, mises en pratique, terroriseraient et feraient bien vite capituler les exploiteurs.

Ce qui est difficile en période ordinaire devient d'une logique élémentaire au moment d'une grève générale, car, dans ce cas, toute la classe ouvrière se trouve en état de révolte, contre une forme de société, qui se défendra par tous les moyens possibles.

Si donc les ouvriers veulent leur émancipation, il leur faudra agir révolutionnairement, c'est-à-dire user de la force ; car ce serait le comble de l'incohérence, voulant mettre en commun tous les ^instruments de production, de ne pas s'en emparer immédiatement ; et il serait aussi ridicule, s'attaquant à la propriété individuelle, de ne pas la faire disparaître et de respecter la fameuse liberté du travail, alors que la grève générale est la synthèse de cette liberté du travail, si odieusement méconnue.

Il n'est pas nécessaire que la masse des travailleurs décrète la grève générale.

En effet, les chemins de fer, par exemple, entraîneront, par suite de l'enchaînement économique qui relie les corporations entre elles, nombre de travailleurs. Il en est de même, si les ouvriers du gaz se mettent en grève, les mineurs et bien d'autres corps de métiers fondamentaux.

La grève générale, qui ne doit durer que deux ou trois jours, ne peut être pacifique. Arrière la vieille théorie de la guerre des bras croisés.

L'argent n'ayant plus de valeur, par suite du manque de marchandises, la société se trouvera divisée en deux camps : d'un côté, les satisfaits, exploiteurs et bourgeois, et, de l'autre, les travailleurs, tous affamés, au milieu des instruments de production.

Croit-on que, jusqu'à extinction universelle, les prolétaires resteront, les bras croisés ?

Il est certain que non, et « ventre affamé n'a pas d'oreilles ».

Parlant de l'antagonisme qui mettra en conflit le capital et le travail, et, considérant que la grève générale ne peut s'illusionner jusqu'à un effort aussi colossal, pour ne réaliser que des réformes partielles, le but du mouvement ne peut être que franchement communiste.

Coupant le mal dans sa racine, s'attaquant directement à l'autorité, la grève générale supprime toutes les questions d'à-côté, politiques et autres, qui ne font qu'entraver la marche en avant du prolétariat.

En outre, par le fait qu'elle fait propriété commune tous les moyens de production, elle commence ainsi la mise en partage du communisme.

Le terme de grève générale, ou révolution, n'a d'autre signification que celle-ci : changement subit et violent (fatalement) des bases fondamentales, sur lesquelles sont édifiés les mensonges de notre civilisation conven* tionnelle.

Pour la réalisation de ce plan osé, il faudra d'abord mettre les machines dans l'impossibilité de nuire, ar*


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rêter la circulation des chemins de fer, encourager les 1 soldats à lever la crosse en l'air.

Enfin il se produira des actes individuels qui, pour être exécutés froidement dans l'ombre, n'en seront que plus terribles et achèveront de démoraliser la classe bourgeoise, par suite de la multijilicité de ces actes et de « l'impossibilité matérielle » de les empêcher.

Les Bourses du travail et les Syndicats seront les citadelles, où le prolétariat devra se retrancher, pour tenter ce coup de force.

Si le peuple ouvrier né se rend pas immédiatement à la Bourse du travail, dans ses groupements corporatifs ; si, au sein de ses syndicats, il ne s'approprie pas immédiatement tous les moyens de production, il est vaincu.

Il devra faire siennes toutes les richesses et procéder sans retard à l'expropriation capitaliste.

Et pour cela, ne pas attendre, ni perdre son temps à éventrer ou à piller quelques boutiques, pas plus qu'à discutailler sur la place de l'IIôtel-de-Ville. Chaque travailleur devra aller de suite à son syndicat, afin d'accomplir l'appropriation nécessaire ; le syndicat est le noyau où se rencontreront toutes les énergies, toutes les bonnes volontés.

Si on se connaît, on se serre les coudes, et, par la confiance et l'estime réciproques,on aboutira à une solution.

En agissant ainsi, la Révolution reste sur le terrain économique etll sera impossible aux politiciens d'essayer de centraliser le mouvement, afin de constituer un quatrième, ou cinquième Etat, qui serait tout aussi oppressif que les autres.

La Grève générale n'est pas une Révolution politique. Les forces ouvrières ne serviront plus de tremplin à ces journaleux qui ont tant exploité la classe prolétarienne. D'ailleurs il est probable que les politicailleurs ne se trouveront pas satisfaits d'être ainsi, tenus à l'écart et qu'ils essaieront par des divisions et querelles mesquines de susciter un conflit en réveillant les passions politiques. Comme nous prendrons nos précautions contre nos exploiteurs, pour les mettre dans l'impossibilité de nuire, de même nous agirons, au sein de nos groupements ouvriers,contre tous ceux qui, pour n'importe quelle cause politique, occuperont ou voudront occuper les forces révolutionnaires...

Nous avons assez de tous les Mauvais Bergers !

La situation semblait devenir fort grave. M. Flaissières tenta de s'entremettre, mais sans succès, auprès des patrons ; il réclama alors le concours du gouvernement et formula une demande d'audience, auprès de M. WaldeckRousseau,

WaldeckRousseau, du Conseil. Ce dernier ré-, pondit que le préfet de Marseille avait toutes ses instructions et qu'il n'avait rien à y ajouter. Le maire de Marseille fut" extrêmement froissé de cette réponse.

« Je n'irai pas à Paris, ditril à la délégation venue sans doute pour le consoler de cet outrage, je n'irai pas parce que je ne veux pas aller chez les gens malgré eux. Veuillez croire, citoyens, que, si vous ressentez de ce fait un sentiment douloureux, je le ressens tout comme vous,— Nous vous avons donné notre collaboration la plus entière, dans la revendication de vos droits. Vous savez que c'est malgré nos conseils, que vous vous êtes mis en grève. One fois la grève déclarée, je vous ai défendus. »

Et il dissuadait les grévistes d'employer les moyens violents et de déclarer la grève générale ; il leur conseillait plutôt de constituer une société de coopération, pour se soustraire à la tyrannie patronale :

« Tout le monde gagnerait à ce que vous puissiez travailler pour votre propre compte. Vous, vous pourriez régler dans une mesure équitable la limitation des heures de travail, et, quant au commerce, il partagerait, les sommes énormes et scandaleuses, qui constituent, à l'heure actuelle, le bénéfice des entrepreneurs. Faites un effort, citoyens ! Ne vous paraît-il pas possible d'obtenir du commerce que le travail vous soit directement confié. Présentez-vous auprès des différentes Compagnies de navigation et dites-leur : « Nous voici ! Nous sommes à votre disposition, pour faire votre besogne... » Ge serait là l'origine du fonctionnement d'une immense société coopérative. Je livre l'idée à vos réflexions. »

Ainsi réconfortés, les grévistes allèrent tenir leur réunion quotidienne.

A la Bourse du travail, dit Le Petit Provençal (20 mars 1901), on peut évaluer à 250 le nombre des femmes qui assistent à la réunion. Il s'y trouve des jeunes filles et des mères de famille, toutes animées du même désir, de faire triompher la grève actuelle, par tous les moyens, et de faire sortir de l'impasse, où la résistance odieuse des patrons les ont fourvoyés, leurs pères, leurs frères et leurs maris.

La grève est déclarée par les ouvriers sous


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.prétexte de violation de l'affiche rouge. Les ouvriers demandent à discuter. — Soit, répondent les patrons, mais à condition que l'on ne discutera que sur l'affiche rouge. -— Sur ce, les ouvriers se récusent, ils veulent rompre un contrat, qu'ils ont librement signé, il y a moins desixmois,etnonpas se contenter d'en discuter les termes. Depuis, de nouvelles réclamations ont été formulées. La question de la journée de huit heures se pose avec insistance. —C'est alors aux patrons de se récuser. On ne peut pas signer un nouveau contrat, tous les six mois, et remettre ce contrat en discussion, à peine signé.

Et voilà « l'impasse » où les ouvriers sont acculés et d'où leur amour-propre blessé leur interdit de sortir !

« Tout le monde est contre nous,disait M.Rey, à la séance du 20 mars : le gouvernement, parce qu'il n'a voulu entendre que M. Féraud, et la population, parce qu'elle ne connaît pas suffisamment la question : l'énorme différence de gain entre lés ouvriers et les patrons. Si nous fondons une coopérative et que nous montrons que notre plus grand désir est de reprendre le travail, dans des conditions acceptables, tout le monde sera avec nous. »

Le messager choisi pour ces négociations était toujours le préfet. Les ouvriers ne se trouvaient pas assez grands enfants pour agir par eux-mêmes. Ils faisaient appel à tous les politiciens, tel le citoyen Lévy, adjoint de Marseille, qui déclarait aux ouvriers : « Je ne suis pas venu pour vous prêcher la résignation, mais pour vous dire que vous êtes le nombre, que vous avez le droit pour vous. »

Puisque la résignation n'était pas de circonstance, de l'aveu du citoyen Lévy, les grévistes commencèrent ce jour là à faire des manifestations moins pacifiquesque les jours précédents. Les femmes marchaient en tête de la procession, qui vint se buter, à la place de la Juliette

Juliette contre deux escadrons de gendarmes et de chasseurs. La troupe charge, le drapeau des manifestants, porté par une femme, est enlevé. Des hussards et des gendarmes sont blessés à coups de pierres. Un coup de revolver est tiré par un manifestant, du nom de Salvi. La nouvelle des incidents de la Joliette se répand, comme un feu de poudre, dans la ville, les faits sont grossis, les magasins se ferment, devant les cris de personnes affolées qui crient : « Fermez, fermez, on va piller les magasins », les terrasses des cafés se vident et la Cannebiôre prend, de midi à deux heures/un aspect lugubre.

*

Le délai imparti aux entrepreneurs, par l'Union des Chambres syndicales ouvrières, pour la déclaration de grève générale, arrivait à expiration; les mécaniciens se mirent en grève. Les charretiers essayèrent de les suivre.

« Considérant, disaient les ouvriers des ports, dans leur séance du 21 mars, que la corporation des charretiers est celle qui peut le plus nous aider dans le conflit actuel,il est d'utilité qu'elle cesse le travail dès demain. Nous faisons appel à son syndicat, pour qu'il engage nos camarades de misère à chômer avec nous. ».

Et le Syndicat des charretiers répondait à cet appel et invitait la corporation à se joindre au mouvement de grève générale.

Pour d'autres motifs, les mécaniciens,jaloux des hauts salaires obtenus par les dockers, tentaient également de se soulever, afin d'obtenir le même salaire que les dockers : 6 francs pour tout ouvrier, ayant fini depuis plus de deux ans son apprentissage. Les ouvriers et employés des tramways essayaient aussi de déclarer la grève. Bref la menace de grève générale agitait tous les syndicats,et les réunions se succédaient

(1) La manifestation se dirigea, paraît-il, vers les quais sur l'instigation d'un inconnu et contre l'avis des dirigeants (Discours de M. Rey, Petit Provençal du 22 mars).


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aux réunions, pour essayer de soulever toutes les corporations.

Cet état d'effervescence se répand dans la ville. Le Petit Provençal, journal officiel de la grève, essaie d'abord de nier les pillages de boutiques qui se produisent dans certains quartiers. Et il accuse les journaux qui ont dénoncé les troubles :

« Ce qui est plus grave, dit-il, parce que ceci emprunte un caractère nettement tendancieux, c'est l'information suivante, que le Temps accueille légèrement.

« On assure que, dans le quartier de la Grande Rue et vers la place d'Aix, des magasins ont été pillés. »

« On assure! qui donc? demande le Petit Provençal. 11 nous est impossible de croire que ce soient des confrères marseillais qui se font les échos de ces racontars absurdes. »

Et cependant le lendemain ce journal est forcé de convenir de la réalité des faits, et il les explique ainsi :

« Comme en chaque période de troubles, une tourbe d'individus inavouables, jeunes voyous et nervis, s'est déchaînée sur certains points de la ville et a profité de la panique pour pratiquer quelques cambriolages de boutiques. »

Les nervis de Marseille sont les souteneurs — et ils pullulent dans les rues louches et étroites qui dévalent sur le port. — Marseille avec son afflux de voyageurs de tous les pays et de marins depuis longtemps embarqués, est la cité de la prostitution. Voyageurs et marins ont les goussets gonflés d'or et le portefeuille garni. Le nervi devient rapidement un voleur de profession, toujours à l'affût d'un bon coup à faire. Le « vol au canapé », pratiqué par les filles soumises, est une spécialité de Marseille. Comment s'étonner que ces nervis aient essayé de profiter de ces moments de trouble pour exercer la plus lucrative de leurs ignobles industries. Ils sont l'écume de la population. Il était

naturel que, dans cette effervescence populaire, cette écume débordât?

Et ce sont leurs actes qui ont fait croire à la gravité de cette tentative de grève générale, si vite avortée.

A quoi attribuez-vous cet avortement? demandai-je à, quelqu'un de fort bien renseigné. A deux causes, me répondit-il. D'abord cette grève générale des ouvriers fut déclarée au moment même, où les patrons la déclaraient pour leur compte et fermaient leurs usines, qu'ils ne pouvaient faire fonctionner, par manque de matières premières et de débouchés pour leurs produits.

Ensuite les grévistes n'étaient pas sympathiques, et les ouvriers d'autres métiers étaient quelque peu jaloux de cette situation d'ouvriers non qualifiés et gagnant de forts salaires. Des ouvriers qui, sans apprentissage, gagnent, de but en blanc, six francs par jour n'inspirent pas la pitié. La grève de sympathie, qu'ils réclamaient des autres corporations, n'obtint qu'un médiocre succès.

Parmi les employés dès tramways, il n'y eut pas un dixième du personnel favorable à la grève (1).

Les chefs de la grève protestèrent avec énergie contre les actes de désordre qui nuisaient à, leur cause. Et voici l'ordre du jour qui fut voté :

« Les grévistes, réunis à la Bourse du travail, ayant été mis au courant des faits graves,qui se

(i) Dans tous les dépôts, la masse des employés signa la déclaration suivante :

Les soussignés, tous employés de la Compagnie des tramways protestent énergiquement contre la prétention d'une infime minorité de leurs collègues à vouloir imposer la cessation de travail à la presque unanimité des employés, ils mettent en garde leurs camarades contre les agissements d'un groupe turbulent, dont le but est par trop apparent, et les conséquences d'une grève, que rien ne justifie en ee moment.


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seraient passés dans différents quartiers de la ville, protestent, avec énergie, contre ces actes de vandalisme et de pillage, qui ont été commis par la lie de la population, et non par les grévistes, qui répudient de toutes leurs forces ces faits ;

« Ils regrettent, en outre, que l'on emploie toute la police pour les grèves, au lieu de sauvegarder les propriétés et les gens. »

Le vendredi, 22 mars, fut la journée où éclatèrent les plus graves désordres. Un lieutenant de gendarmerie de la brigade de Salon, reçut en pleine figure un siphon de limonade, qui lui fracassala mâchoire. D'autres gendarmes furent blessés. Des grévistes et de paisibles consommateurs reçurent également des coups.

C'est sur la Gannebière que commença cette journée troublée.

Vers 10 heures 1/2, un certain nombre d'employés de tramways en grève, qui sortaient d'une réunion de la Bourse du travail, se rendent aux principaux embranchements des lignes de tramways, pour entraîner leurs camarades et leur faire réintégrer les dépôts. C'est principalement sur la Gannebière que se fit cette propagande en faveur de la grève. « Ce manège, dit le Petit Provençal, moniteur officiel de la grève, avait occasionné, sur la Gannebière, et surtout au commencement, du cours Belsunce et des allées de Meilhan, un énorme rassemblement. Des curieux s'étaient joints aux grévistes, de sorte que ces points centraux de la ville étaient occupés par quatre ou cinq mille personnes. »

Ce ne furent d'abord que des incidents de minime importance. Un watman, qui veut continuer à travailler, menace la foule de son revolver. Il est pris et roué de coups par les grévistes, qui deviennent plus violents et arrêtent les trams. Un autre watman fait des difficultés, pour rentrer au dépôt ; on l'injurie, et un gréviste

gréviste sur la plateforme, pour se faire entendre de la foule. La police l'arrête. Alors, du Café Glacier, des chaises sont lancées sur les agents, qui dégainent et s'engagent sur le cours Belsunce, avec leur prisonnier. A ce même moment, des grévistes, qui avaient arrêté un tram au bas de la rue d'Aix (qui est le prolongement du cours Belsunce), sont chargés par la gendarmerie et refoulés le long du cours. Un omnibus et une charrette de blé qui se croisent, en ce moment, au milieu .du cours Belsunce, sont immobilisés et la circulation est interrompue. Les grévistes, refoulés par les gendarmes, ne peuvent plus fuir, et les agents, qui arrivent de la Cannebiôre avec leur prisonnier, ne peuvent plus avancer. C'est alors que, de la terrasse de l'Entracte-Bar.un siphon d'eau deseltz est lancé contre le lieutenant de gendarmerie Escarotte,qui tombe et roule sous les pieds des chevaux. Les gendarmes déchargent leurs revolvers en l'air et les hussards chargent,sabré au clair. C'est le signal d'une panique générale. Marseille crut être en révolution. Un gréviste nous disait avec cette emphase qui caractérise l'esprit marseillais : « Ce jour-là si nous avions marché, il n'y avait plus le soir même de patrons à Marseille ; ils étaient tous morts ! »

Toutes les devantures des magasins du Cours et de la Gannebière se ferment instantanément. Des escouades de h ussards et de gendarmes sont envoyées des postes et des casernes. Les gendarmes sont accueillis par des bordées de sifflets.

Pendant les charges et les coups de feu,une brave poissonnière était restée impassible Rêvant sa petite voiture à bras : « Ils ne tireront pas sur moi », disait-elle philosophiquement.

L'après-midi les charges continuèrent sur la Cannebiôre, pendant que. des commerçants massés sous le péristyle du palais de la Bourse criaient : « Vive l'armée ! Vive l'ordre ! »- et même « A bas Fîaissières i »

Et en même temps, une bande de nei'vis, au nombre de cent cinquante, semait la panique


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dans divers quartiers de la ville et pillait les magasins,dont ils abattaient les portes,à coups de pierres et de barres de fer.

Telle fut cette journée d'émeute, qui laissa croire que la grève générale avait éclaté !

Le samedi 23 mars, les corps élus se réunirent à l'Hôtel-de-Ville, sous la présidence de M. Flaissières. MM. Antide Boyer et Gadenat, députés socialistes,n'assistaientpasà cette réunion, retenus à Paris par des affaires ou par la maladie.M. Thierry,député républicain libéral,- avait refusé de s'y rendre.

A cette conférence un coup de théâtre se produisit.

Du ministère du commerce, on téléphona à M. Flaissières que les patrons, dont les représentants, MM. Féraud et Estier, se trouvaient alors à Paris, étaient disposés à accepter l'institution d'un arbitre, qui aurait pour mission d'arbitrer d'abord sur quels points devrait porter la discussion à engager entre délégués des entrepreneurs et délégués des ouvriers.

Les ouvriers n'avaient jamais demandé autre chose. Pendant que les patrons se refusaient à pousser la discussion sur d'autres points que la fameuse affiche rouge, les ouvriers désiraient étendre le champ de la discussion et discuter l'établissement du régime des huit heures de travail.

Celait donc la -victoire ouvrière, la fin de la grève. On comprend avec quel enthousiasme cette nouvelle fut acceptée.

Il n'y avait qu'un malheur : la nouvelle était fausse. On l'avait mal formulée à. Paris, ou mal entendue à Marseille.

« Il devait y avoir un fort mistral, ce jourlà », me disaient les grévistes, goguenards.

Le maire de Marseille répondit immédiatement par la dépêche suivante (1) :

Miller and,ministre Commerce — Au nom des

(1) Petit Provençal du 24 mars.

membres de la Commission executive des ouvriers des ports et quais et des membres de la Commission executive des ouvriers charbonniers, et sous réserve de confirmation par les assemblées générales respectives, il est accepté qu'un arbitre soit • désigné, qui aura pour mandat d'établir et de délimiter le terrain de la discussion, qui aura à intervenir entre patrons et ouvriers. — Flaissières.

Cette dépêche fut-elle réellement envoyée, et dédaigna-t-on d'y répondre? Cène fut qu'au reçu d'une dépêche du préfet des Bouches-duRhône au ministre de l'Intérieur,que M. Millerand envoya un démenti dont voici les termes :

Préfet des Bouches-du-Rhâne, 23 mars, 11 heures 30 soir.

« On me télégraphie votre dépêche à l'Intérieur, où vous me rendez compte d'une visite du maire et des députés. Je n'ai téléphoné à personne aujourd'hui à Marseille. Un de mes attachés a, en effet, téléphoné à midi au secrétaire général de la mairie pour lui DEMANDER S'IL PENSAIT QU'UN ARBITRAGE, PORTANT SUR LA DÉLIMITATION DES QUESTIONS, QUI FERAIENT L'OMET D'UNE CONFÉRENCE CONTRADICTOIRE, SERAIT ACCEPTÉ PAU LES OUVRIERS. RIEN DE PLUS. »

Ainsi, dans le trajet du message téléphonique entre Paris et Marseille,une simple interrogation s'était transformée en affirmation. Merveilleuse influence des climats !

Avant que cette déconvenue ne se fût produite, les grévistes avaient voté à l'unanimité la déclaration suivante :

« A la population marseillaise ! Au prolétariat du monde entier !

« Nous déclarons q^aa,?nalgré l'acceptation de l'arbitrage libre, nous revendiquons la journée de huit heures, préconisée par les partis socialistes internationaux.

Nous sommes,plus que jamais, décidés à arracher au patronat les revendications, que nous avons formulées. »


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Singulier préambule à une conférence de conciliation !

Le découragement commença à gagner les grévistes, et c'est en vain, que le maire'continuait à leur prodiguer ses encouragements. « Votre cause, leur disait-il, c'est la cause générale du prolétariat, qui va à la conquête de ses droits et il est bien évident que cette conquête aura à subir des retards, et même des échecs. » Les différentes corporations ne suivaient pas le mouvement de grève générale. — Les charretiers se montraient récalcitrauts, et leur président d'honneur , M. Agrinier,. menaçait de donner sa démission,pour secouer cette torpeur. Sur les 828 employés, conducteurs et watmen delà Compagnie des tramways,756 protestaient énergiquement contre la grève. Les ouvriers boulangers, qui avaient commencé à suivre le mouvement,s'étaient vus remplacer par des ouvriers militaires. Les ouvriers maçons décidaient de né pas déserter les chantiers.

Le 28 mars, l'Union des Chambres syndicales exposait ainsi les raisons de l'échec de la grève générale :

suivi le mouvement, pouvait être précisé de la façon suivante :

Quatre mille journaliers des ports avaient chômé, pendant quinze jours ; deux mille seulement, pendantla quinzaine suivante.Vingtmille ouvriers avaient quitté le travail, pendant cinq jours [c'étaient 900 mécaniciens et chaudronniers, 6.000 arracheurs d'arachides et fabricants de graisses (presque tous Italiens), 3.500 manipulateurs de graisses (Italiens), 000 minotiers ; des tailleurs et des cordonniers, dont 80 0/0 sont Italiens ; enfin, les menuisiers, les raffineurs de sucre, les pâtissiers, les boulangers, les charretiers, les peintres entraient; dans, ce chiffre global de 20.000 chômeurs, dans la proportion de 40 0/0].

La grève des ouvriers des docks touchait elle-même à sa fin.

Le 1er avril 3.700 ouvriers de cette catégorie travaillaient sur le port. Il est juste d'indiquer cependant que le travail n'avait pas normalement repris et que 70 0/0 de ces ouvriers n'étaient que des dockers d'occasion. Les déchargements s'effectuaient difficilement, surtout pour les navires à citernes de grains.

« Considérant que la Commission executive des ports et docks, après avoir fait appel à la solidarité de toutes les corporations, faillit à son devoir et s'en remet aujourd'hui au soin des politiciens, pour solutionner leur conflit avec leurs patrons ;

« Considérant que la plupart des corporations ne se sont mises en grève que par esprit de solidarité, pour soutenir les revendications des ouvriers des ports et docks ;

« Les délégués des commissions executives des corporations en grève, réunis à la Bourse du travail déclarent, en présence de ce fait, être déliés de leurs engagements. »

La grève, générale avait donc totalement

La fin de la grève des ouvriers des docks.

Le 28 mars, une délégation des ouvriers avait été reçue par M. le Président du Conseil. Cette délégation était composée de MM. Clément Lévy, adjoint au maire, Pierre Roux, vice-président du Conseil général, David, conseiller général, Jourdan, Gérard et Jaur, délégués des ouvriers.

M. Pierre Roux fit d'abord l'exposé de la situation. D'après lui, la grève présentait deux points de vue : Le premier—■ tout économique — résultait de la violation par les patrons de diverses clauses du contrat de 1900. —-Le second point — politique, celui-là—provenaitdu désir, que le haut commerce marseillais ne cachait pas, d'atteindre la municipalité et les élus soéchoué.

soéchoué. nombre des ouvriers, qui avaient I cialistes, et, par-dessus leurs têtes, le gouverne


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ment, au moment où se discutait la loi sur les associations.

L'action du gouvernement, répondit à cette diatribe M. Waldeck-Rousseau, ne pourra s'exercer que, si les grévistes acceptent de restreindre la discussion à l'Affiche rouge. Cette discussion devrait avoir lieu en présence des trois signataires de ce contrat : MM.Flaissières, maire de Marseille, Féraud, président de la Chambre de commerce, et Sckrameck, secrétaire général dos Bouches-du-Rhône, faisant alors fonctions de préfet. Eux seuls étaient qualifiés pour interpréter exactement les clauses qui paraissaient obscures.

Ainsi pourraient ressortir, de cette discussion, les violations de contrat, que dénonçaient les ouvriers.

Les délégués ouvriers parurent fort peu satisfaits de cette solution. «Mais, dit l'un d'eux, c'est précisément ce que nous avons refusé d'accepter. Nous ne pouvons, dans une conférence, nous borner à la discussion de Y affiche rouge, et nous avons à présenter un ensemble de réclamations, qui n'admettent pas de limitation préalable, notamment la journée de huit heures. Nous aurions eu plus d'avantages à accepter l'entrevue il y a dix jours 1 »

Cependant une lueur d'espoir armait aux grévistes, de ce fait que 300 contre-maîtres, chefs d'équipe et manouvriers des chantiers maritimes, s'étaient volontairement joints h leur mouvement et que l'un d'eux, M. Picard, contre-maître aux Docks, avait fait voter par ses pairs la résolution suivante :

« Après avoir entendu les explications des ouvriers grévistes, nous, contre-maitres, chefs d'équipes, pointeurs et manouvriers des corporations des quais et des docks, et des charbonniers, protestons énergiquement et refusons de continuer la manipulation des travaux des quais, avec le personnel embauché actuellement pour faire les travaux ; car ce personnel,

trop jeûne en général, est incapable de faire toute "manipulation, n'ayant jamais travaillé sur les quais. Réunis aujourd'hui en grand nombre, nous refusons de continuer le travail, dans de pareilles conditions, etnous décidons de ne le reprendre que, lorsque les hommes, chargés de ces manipulations, auront satisfaction complète et reviendront sur les chantiers. »

Mais cette résolution si fière ne fut suivie d'aucun effet, et les patrons firent remarquer, sans peine, que la plupart de ces soi-disant contre-maîtres étaient de simples chefs d'équipe, en grève depuis le début, qu'on avait invités à cette figuration, pour relever le courage abattu des ouvriers grévistes.

Le Jeudi-Saint,. 4 avril, le travail qui n'avait réellement jamais été complètement interrompu (car certaines compagnies avaient débarqué des Arabes, pour le travail du porl, ou avaient fait exécuter les déchargements par le personnel des navires), le travail reprenait avec une telle intensité qu'on pouvait considérer la grève comme terminée.

Exactement quatre mille cent ouvriers avaient été embauchés ce jour-là : 600 aux Messageries Maritimes, 203, à la Compagnie Transatlantique ; 250, à la Compagnie Fraissi- ' net ; 40, à la Compagnie Busch ; 180, à la Compagnie Mixte ; 45, chez M. Bonardel ; 190, h la Société Générale ; 80, aux Compagnies Sevillane et Vinuesa ; 65, à la Compagnie Paquet ; 1.265, a la Compagnie des Docks ; 40, à la Compagnie Péninsulaire Havraise ; 600, dans | les môles ; 25, à la Compagnie Nationale ; 75, à la Compagnie des vapeurs du Nord ; 100, aux quais des Anglais. — A bord du MontBlanc, 110 ouvriers procédaient au débarquement de ses marchandises. Tous les contre' maîtres, sauf sept, étaient à leur poste.

Aux Anglais, six vapeurs charbonniers com-


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mençaient à débarquer leur cargaison, à l'aide de leurs équipages et de 60 charbonniers anciens grévistes.

+

Les grévistes comprenaient enfin que les patrons ne se soumettraient pas à d'autres discussions que celle de l'affiche rouge, et ils acceptaient enfin cette discussion par la lettre suivante adressée au Préfet :

Monsieur le Préfet, Les ouvriers des ports, quais et môles actuellement en grève, désireux de mettre un terme à l'état de choses actuel, et, pour dégager leur entière responsabilité, intéressés qu'ils sont, avant tout, au commerce de notre chère cité, dont ils ne veulent pas la ruine ; et, attendu que le commerce de notre ville supporterait les fâcheuses conséquences de la situation actuelle ; désireux, du reste, de montrer leur bonne volonté, consentent à entrer en pourparlers avec les patrons, en présence des trois signataires de l'affiche rouge, dans les conditions et suivant les règles acceptées devant M. le Président du Conseil.

Les ouvriers des ports, quais et môles ont l'honneur de vous prier, Monsieur le Préfet, de vouloir bien porter cette demande à la connaissance de MM. les armateurs et entrepreneurs de manutention, et de leur faire connaître, dans le plus bref délai possible, le lieu et la date où ces débats contradictoires pourront avoir lieu, sur l'interprétation du texte de l'affiche rouge et son exécution. Les ouvriers seront représentés par vingt d'entre eux, Français et jouissant de leurs droits civils, habitués des chantiers,et à raison de deux par chantier.

Comptant, Monsieur le Préfet, que vous voudrez bien prendre notre demande en considération, nous vous prions d'agréer nos salutations respectueuses.

Signé: REY, GÈBABD, et GUIRAMAND.

P. S. — Nous demandons que toute personne devant prendre part à ces débats contradictoires soit française et jouisse de ses droits civils.

Naturellement, les patrons acceptaient immédiatement la proposition, mais ils exigeaient, en même temps, que les charbonniers grévistes concourussent à la discussion. Il leur semblait nécessaire, en effet, que les délégués des ouvriers charbonniers, cosignataires de l'affiche rouge, fussent présents à cette conférence.

Mais les ouvriers charbonniers, craignant un piège, se refusaient à cette discussion et votaient l'ordre du jour suivant :

« Les charbonniers- réunis en Assemblée générale, le 5 avril 1901, à la Bourse du travail ; « Prévoyant qu'en acceptant la discussion de l'application de l'affiche rouge, les patrons ne prennent que l'engagement préalable de ne plus faire de violation au dit contrat ;

« Qu'ils laissent supposer que, par le fait seul de cette discussion, les ouvriers seraient liés pour un temps indéterminé, sans autre avantage ;

« Décident que le résultat de cette discussion ne leur paraissant pas suffisant, ils ne s'y feront pas représenter. »

On ne pouvait avouer plus clairement que la violation de l'affiche rouge n'était qu'un prétexte, et qu'en réalité les grévistes ne réclamaient pas le maintien du contrat, signé six mois plus tôt, mais son abrogation.

La liste des délégués ouvriers était ainsi dressée :

Messageries: Léonetti [duSyndicat français) etNèble.

Compagnie Transatlantique : De Mary et Abel.

Chantier des Parcelles : Grand-Pierre. Chantier Blanc : Sautel [du Syndicat français) .

5° Section : Spiani.

6e, 7° et 8e Sections : Filet et Monturon. Môles. Chantier Savon et Môle A : Pesc et Combes.

Commission executive : Gérard, Bosco et Guiramand.

Céréales : Jourdan, Parodi et Gay. Compagnie Touache : Bezio. Transbordements maritimes : Buttin et Picard.

Un vingt-unième membre devait faire partie de cette délégation : c'était M. Rey, président de la Commission executive.

Le Syndicat français y était représenté par M. Léonetti et M. Sautel qui, tour à tour partisans de la pacification et delà grève, avaient


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cru, ce jour-là, devoir apporter leur concours aux grévistes.

« A la reprise du travail, dit RL Sautel, nous vous communiquerons les noms de ceux des nôtres qui ont été présents sur les chantiers. Vous ferez de même des vôtres ; et les uns et les autres ne pourront plus faire partie d'aucun syndicat. A bas le capital ! A bas le nationalisme»...

Cette déclaration fit dire au président : « Le Syndicat français n'est plus le Syndicat français et il se rallie au Syndicat international. »

Malgré ce ralliement tardif du Syndicat français, la cause était perdue.

Les objections des patrons portèrent sur les trois points suivants (1) :

(1) Voici la lettre par laquelle les entrepreneurs et les armateurs déclarèrent ne pouvoir accepter la discussion avec les délégués ouvriers élus en assemblée générale : Monsieur le Préfet,

Notre syndicat a examiné avec grand soin les communications contenues dans les lettres que vous avez bien voulu lui transmettre hier soir. Il a le regret de constater que les décisions diverses des ouvriers des ports et quais et des ouvriers charbonniers modifient profondément les conditions fixées par le Gouvernement et auxquelles nous avions souscrit sans réserve, montrant ainsi notre sincère désir de mettre un terme à la situation pénible de notre port, en un débat contradictoire désiré.

En premier lieu, nous avons à présenter, Monsieur le Préfet, certaines observations sur quelques-unes des désignations que vous avez bien voulu nous transmettre.

MM. Léonetti, Nèble (Messageries), de Mary, Abel (Transatlantique) ; Filet (6°, 7°, 8») ; Combes (môle A) ; Buttin (Transbordement maritime) sont connus de nous, comme habitués des chantiers indiqués et répondent à la désignation faite.

Nous supposons également que le délégué désigné sous le nom de Grand-Pierre serait M. Cévario (Pierre), chef d'équipe aux Parcelles, et si cela était, M. Cévario peut figurer parmi les délégués.

MM. Sautel et Bézio, par contre, ne peuvent pas, examen fait des feuilles de paye, être considérés comme habitués des chantiers, pour la représentation desquels on les a délégués .

MM. Monturon, Spiâni, Pesc et Matet ne paraissent pas remplir toutes les conditions stipulées, et vous seul, Monsieur le Préfet, avez autorité pour éclaircir ce point.

Nous ne nous expliquons pas la présence, dans la délé* gation, de trois délégués des céréales.

Gomme vous le savez, sans doute, le chantier des céréa1°

céréa1° membres avaient été désignés comme faisant partie delà délégation sous la rubrique « Commission executive » ; alors qu'il était convenu qu'ils seraient nommés seulement par chantiers ;

2° La délégation n'avait pas reçu pleins pouvoirs, pour traiter avec les patrons ;

3° Le refus des ouvriers charbonniers de se faire représenter à la conférence était un obstacle capital à l'entrée en pourparlers ; la cause des charbonniers ne pouvait être disjointe de celle des ouvriers des quais et ports.

Devant ces nouvelles difficultés, la Commission executive s'inquiéta, et elle vota purement et simplement la reprise du travail sans conditions.

Le travail des quais avait d'ailleurs normalement repris et il ne restait plus guère à contiles

contiles nullement régi par l'affiche rouge, puisque tous les hommes qui y travaillent, et en particulier MM. Jourdan, Parodi, Gay, sont payés à forfait aux mille kilos et non pas à la journée.

11 paraît difficile d'admettre l'intervention dans une discussion sur un accord, de tiers qui ne sont pas partie contractante à cet accord.

Enfin, et c'est là l'observation la plus importante que nous ayons à formuler, au sujet de la désignation des délégués, nous voyons quatre délégués (portant a 21 le nombre fixé par convention à 20) intervenir au titre de représentants de la Commission executive de la grève.

Nous vous demandons la permission de répéter ici le texte de la dépêche ministérielle qui a fixé les bases de la réunion que nous avons acceptée.

Elle dit : « Les ouvriers journaliers des quais, ports et môles seraient représentés par vingt d'entre eux, choisis parmi les habitués des chantiers à raison de deux par chantier. » Nous ne pouvons que nous en tenir à ce texte si précis, accepté d'ailleurs formellement par la Commission executive de la grève elle-mÊme, dans sa lettre du 4 avril.

En ce qui concerne les pouvoirs des délégués, on dit que les délégués ouvriers auront les « pouvoirs nécessaires pour discuter et pour préparer par les débats contradictoires un projet d'interprétation de l'affiche rouge, qu'ils devront ensuite faire sanctionner par l'assemblée générale de leur corporation, ainsi qu'il a été procédé du reste en août 1900, lors de l'élaboration de la dite affiche.

La situation est toute différente de ce qu'elle était en août 1900. Il s'agissait alors de conditions de travail et de salaires à déterminer, et il était admissible que la délégation.des ouvriers eût besoin de les soumettre à l'assemblée générale. Aujourd'hui, au contraire, il n'y a aucune modification à apporter aux conditions du travail et aux salai-


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nuer la grève que quelques fidèles et les membres delà Commission executive.

Il est assez curieux de remarquer que c'est juste au moment où les ouvriers et les patrons s'entendent pour l'élection des délégués, qui doivent discuter l'affiche rouge, que les grévistes reprennent le travail. — Dira-t-on que c'est parce que les patrons voulaient leur imposer de choisir des délégués qualifiés, pour chaque chantier, et exigeaient la présence dés charbonniers, pour discuter un contrat, où dockers et charbonniers étaient également intéressés ? Mieux vaut avouer que la discussion de l'affiche rouge n'a jamais été sérieusement désirée par les grévistes. La raison de la grève, le but de la grève, c'était tout simplement la journée de huit heures et il n'en était pas d'autre.

C'est le même refrain partout, et toutes les villes industrielles se disputent l'honneur d'inres,

d'inres, seulement une interprétation identique du texte de l'affiche rouge à arrêter, après débat, en présence des contractants et des signataires de l'accord d'août 1900.

Il est donc indispensable, pour faire oeuvre utile, que les deux parties aient les pouvoirs nécessaires, pour arrêter, d'un commun accord, l'interprétation de ce texte et son exécution. Si cette condition essentielle n'est pas remplie, la réunion devient sans objet.

Relativement à la décision des ouvriers charbonniers, nous devons faire remarquer que la manutention des marchandises, si elle n'est pas accompagnée du charbonnement des navires, n'aura sur la reprise de l'activité maritime de notre port qu'une action insuffisante.

Le gouvernement a fort bien compris l'impossibilité de disjoindre ces deux questions et, quant à nous, nous pouvons d'autant moins les séparer que les ouvriers charbonniers ont bénéficié, en août dernier, de tous les avantages accordés aux ouvriers des quais par les signataires d'un contrat commun.

Dans ces conditions, si les ouvriers n'acceptent pas d'une façon complète et définitive le débat contradictoire ; tel qu'il a été déterminé par M. le président du conseil, il ne nous reste plus qu'à attendre la continuation de la reprise du travail.

Veuillez agréer, M. le Préfet, l'assurance de notre haute Considération.

Le président du Syndicat dés Entrepreneurs de manutention, Signé : BESNADD .

troduire la journée de huit heures dans le travail de ses usines et de ses chantiers.

La fin de la grève des charbonniers.

Les charbonniers avaient toute facilité pour continuer la grève, et, s'ils l'eussent continuée, quelque temps encore, ils obtenaient presque sûrement la journée de huit heures.

Ils étaient fort peu nombreux, —un millier environ, — et les cinq mille dockers, qui allaient reprendre le travail, pouvaient leur permettre,par leurs subsides, de supporter encore quelques jours de chômage.

Si, alors, les charbonniers avaient obtenu gain de cause et imposé à leurs patrons le principe de la journée de huit heures, il n'était pas douteux que cette concession ne se fût rapidement étendue à tous les ouvriers du port. Les dockers de Marseille commirent, dans la circonstance, une faute de tactique en ne soutenant pas ces derniers. Eux-mêmes,d'ailleurs, ne savaient pas exactement quelle conduite tenir. A leurs dernières réunions, auxquelles j'assistai, les orateurs se virent contredits par des gens ivres, appartenant à la corporation, et que la Commission executive se plut à faire passer pour des émissaires des patrons. Sur quelle base était fondée cette accusation? Sur ce que la plupart de ces ivrognes appartenaient au même chantier. Et c'est sur des raisonnements aussi enfantins que furent basées des accusations aussi formelles.

La grève des charbonniers devait bientôt succomber à son tour.

J'ai entendu dans les dernières réunions, les discours les plus saugrenus. Je demande à eu citer un exemple :

« Citoyens, disait l'orateur, si nous avions marché, le jour de l'émeute, nous aurions exterminé tous les patrons.

« Mais aujourd'hui, il est trop tard. Et je dois


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vous déclarer que je rentre travailler dès demain. Si l'un de vous vient me mettre la main au collet, j'en serai ravi ; mais alors je le forcerai lui-même à arrêter tous ceux qui voudraient encore travailler. Il n'y a pas deux façons d'agir : la violence ou la soumission ! »

. Un manifeste fut affiché pour donner les raisons de la défaite :

« Les entrepreneurs de manutention, y étaitil dit, en semant par des manoeuvres malhonnêtes la discorde, dans nos rangs, ont réussi à étouffer la grève des ouvriers charbonniers.

« Nous prouverons qu'après avoir infligé à la population et au commerce marseillais un mois et demi d'angoisse, ils laissent planer encore, sur tous, la menace d'un conflit, à l'état

latent

« Si nous ne faisons pas ici des révélations documentées sur la malhonnêteté de ces entrepreneurs, c'est que nous craignons qu'il en rejaillisse un discrédit sur la réputation de notre chère cité. »

Ainsi, ceux qui passaient, ajuste droit, pour les plus irréductibles des grévistes, cédaient à leur tour.

L'organisation de leur grève avait été fort remarquable. A l'exemple de Montceau, ils organisèrent des soupes populaires, sur lesquelles le Petit Provençal nous renseigne par des détails explicites et pittoresques :

« La rue de Forbin, située au milieu de ce quartier, que Fon a surnommé « le village nègre » parce que, habité presque exclusivement par des ouvriers charbonniers, il présente très vaguement l'aspect, avec ses cabanons et ses indigènes noircis par la houille, de quelque hameau voisin de Tombouctou, la rue de Forbin, disons-nous, ordinairement très déserte, est devenue depuis une semaine environ, à certaines heures de la journée, très mouvementée et très pittoresque.

« Les ouvriers charbonnier s, en grève,ont installé dans un cabanon, portant le numéro 9 de cette rue, une cuisine populaire, où la soupe est distribuée gratuitement, à titre de secours, à tous les grévistes charbonniers qui, sur la présentation de leurs cartes, en font la demande. « Ce sontdesgrévistes eux-mêmes,au nombre de six, qui, sur le choix de la Commission executive,, de charbonniers,ont été transformés en marmitons. Mais ils n'ont pu abandonner la veste noircie par la houille pour le veston blanc et immaculé du gàte-sauce, la Commission de la grève n'ayant pu, à son grand regret, subvenir à ces frais exorbitants. C'est donc en costume de charbonniers, que les six grévistes vaquent aux soins de la cuisine et apprêtent le menu du jour.

« Le matériel, qui comprend une vaste marmite, un fourneau et quelques autres ustensiles indispensables, a été prêté par divers restaurateurs de la Joliette, qui se sont mis aimablement à la disposition des grévistes. Quant au menu du jour, dame ! il n'est guère varié. Il se compose, matin et soir, d'une soupe, et puis... d'une ration de pain. Mais tel qu'il est, il rend encore de. grands services aux grévistes qui, en l'occasion, ne font pas trop la moue... sur la carte.

« Les plats sont passés...aux clients, par une petite fenêtre,percée dans lé cabanon. Ceux qui ont de la famille, les emportent chez eux ; les célibataires s'installent à quelques pas de là et, philosophiquement, l'assiette sur les genoux, prennent leur repas dans la rue. De sorte que de 11 heures à midi, et de 5 à 6 heures, moments de la journée, où se font les distributions de soupes, la rue Forbin a l'air d'un restaurant en plein vent... et d'un restaurant de village nègre.

« Les frais occasionnés par cette soupe populaire étaient prélevés sur les fonds de la grève. Des ouvriers charbonniers faisaient, en outre, tous les matins des tournées, sur le marché, où ils recueillaient une certaine quantité de légu-


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mes, donnés généreusement par les revendeu- < ses. Quelques boulangers des environs faisaient < don de quelques kilos de pain. <

« Le nombre de soupes distribué est considé- s rabie, si l'on considère les faibles moyens dont disposent les grévistes. Chaque jour, entre les repas du mâtin et du soir, 1.200 soupes envi- i ron et 350 kilos de pain, sortent du petit caba- : non et nourrissent près de 600 grévistes indigents. Chaque soupe, d'après un calcul approximatif, revient à 15 centimes environ. Il aurait fallu donner au moins le triple en espèces à chaque gréviste, pour lui permettre de se nourrir. Le restaurant du village nègre a du bon.

a D'autre part, un restaurateur espagnol du grand chemin d'Aix a fait prévenir les ouvriers des quais et docks,qu'il leur servirait gratuitement, à partir d'aujourd'hui, autant de soupes qu'ils le désireraient.

« Les grévistes n'en ont pas encore usé. Mais l'on pouvait voir, dès hier, apposée sur les côtés du restaurant, une grande bande en calicot, sur laquelle se trouvait écrite en gros caractères l'originale enseigne suivante :

ce Gaspard donne la soupe aux grévistes, de 1 heure à 3 heures. Présenter la carte internationale.

« Entrez ! Entrez ! On ne paye pas même en sortant. »

On ne pourrait en dire autant, an sortir de cette malheureuse grève, dont les ouvriers auront à payer les frais onéreux.

La grève et les pouvoirs publics.

Dans la grève du mois d'août, M. Flaissières était maître de la police de la ville. Il avait pris le soin de donner ses instructions au commissaire central, dans la circulaire dont voici le

texte ! '-.'"■ ' Marseille, 25 août 1900.

Monsieur le commissaire central, « Je vous invite à vous bien pénétrer des indications

indications qui auront sans doute pour effet de faire cesser la confusion qui s'est produite dans l'esprit de vos gardiens, et à laquelle seule il faut rapporter les conflits signalés.

« J'entends, Monsieur le commissaire, central,que les ouvriers grévistes soient respectés, dans leur liberté dé demeurer en grève, et, en aucune façon, leur attitude de chômeurs pacifiques ne devra être, delà part de vos gardiens de la paix, l'occasion d'observations ou de réflexions désobligeantes, directes ou indirectes. « Au surplus, Monsieur le commissaire central, il est nécessaire de déterminer exactement ce que l'on doit entendre par « entrave à la liberté du travail », afin que, par ignorance ou dans un excès de zèle intempestif, certains gardiens ne dépassent pas les limites de leurs attributions. Je ne puis admettre, par exemple, que des grévistes qui s'adressent, sans violence, et par voie de conseil et d'exhortation, à des ouvriers au travail, soient considérés comme apportant des entraves à la liberté du travail, et je vous invite à donner des ordres, pour que ces exhortations et ces conseils, s'ils se produisent, ne fassent pas l'objet... d'observations de la part de vos agents. Je vous invite à faire en sorte que ces grévistes soient respectés, dans l'usage de leur liberté de causer librement avec des camarades travaillant.»

Dans la grève de 1901, au contraire, les pouvoirs furent accaparés par le préfet. Et des chefs du mouvement gréviste, comme M.Quilici, purent se montrer étonnés qu'on les molestât, alors qu'ils donnaient des exhortations et des conseils à des ouvriers au travail.

JLe procès Quilici fut d'ailleurs un des épisodes les plus curieux de cette grève. Dans l'incertitude des causes de la grève, préfet et magistrats crurent découvrir, parmi les influences qui l'avaient fait naître, l'influence nationa-. liste. L'action de M. Quilici parut des plus


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suspectes. Quelques jours avant qu'il soulevât les incidents de la Joliette, il avait accompagné, à Alger, M. Max Régis et semblait avoir pris ses instructions, pour soulever les inscrits maritimes.

Dès l'arrestation de M. Quilici, des perquisitions furent ordonnées à son domicile et chez les nationalistes influents de Marseille. On ne trouva rien, et cependant les pouvoirs publics restèrent convaincus que l'ancien conseiller municipal de Marseille n'avait été dans toute cette affaire que l'instrument de meneurs inconnus.

On l'accusa d'être monté à l'assaut du paquebot Le Languedoc. 11 se contenta derépondre qu'il voulait apporter aux ouvriers, qui travaillaient à bord de ce bâtiment, des exhortations et des conseils : chose que légitimait pleinement la circulaire du maire de Marseille.

11 attaqua violemment « le patronat orgueilleux et omnipotent », ne ménagea pas davantage « M. Millerand et son parti de traîtres et de menteurs » et finit en déclarant que « si on le mettait en liberté, il recommencerait à se dévouer pour le prolétariat ».

Ses deux avocats, Mos Hornbostel et Firmin Faure voulurent prouver que M. Quilici avait été jadis l'homme de confiance du ministre actuel du commerce, et qu'il avait subventionné la Petite République. S'il avait levé les bras, au ciel, cela prouvait simplement son exubérance. On lui reprocha de n'être pas lui-même inscrit maritime; mais est-ce que M. Jaurès était un mineur? ou M. Flaissières unouvrier des quais? La vérité, disaient les avocats, c'est que les anciens protecteurs de M. Quilici, ses anciens amis, n'ont pu lui pardonner de les avoir abandonnés et qu'ils ont cherché à se venger.

La conclusion de ces débats fut la condamnation de M. Quilici à trois mois de prison, sans qu'on pût lui reprocher des actes plus coupables qu'à la plupart des autres professionnels de grèves .

Insuccès fatal de la grève.

La grève pouvait-elle avoir unes heureuse issue pour les ouvriers ? A cette question il est facile de répondre immédiatement par la négative.

L'Eclair (1) relatait à ce sujet une curieuse conversation « avec un vieux-Marseillais, qui travaille sur les quais, depuis plus de trente ans».

— Que pensez-vous de la grève ? lui demandait-on.

— Ah! ne m'en parlez pas, répondait-il, ce sont des farceurs qui l'ont organisée. Voyezvous, lorsqu'on a voté la grève^ chaque matin on refusait de 1.000 à 1.200 ouvriers sur les quais, car il n'y avait pas assez de travail pour tous, et c'est d'ailleurs toujours ainsi,depuis de longues années. Il y a trop d'ouvriers des quais, pour cette raison que ceux qui n'ont pas d'ouvrage dans leurs professions (maçons, menuisiers, forgerons, terrassiers), viennent lematin pour trouver du travail ster les quais. De tout temps, il y a eu plus d'ouvriers, que n'en désiraient les patrons. Dans ces conditions comment voulez-vous qu'une grève fût possible ?

En moyenne il y a du travail pour 3.000 ou 4.000 hommes, 5.000 au plus, et il s'en présente tous les jours 6.000.

Evidemment l'opinion de ce «vieux Marseillais» était exagérée, comme tout est exagéré en cet heureux Midi. La grève d'août avait bien réussi, malgré le nombre déjà considérable d'ouvriers en excédent. Là n'était donc pas la vraie cause ; mais il en est une autre, beaucoup plus certaine, indiquée par M. Fraissinet, lors d'une visite à M.Waldeck-Rousseau : c'est que les patrons ayant cédé une première fois

(1) Article de M. Surville de Balzac sur la grève. Ces articles étaient du plus haut intérêt et permettaient à distance de saisir la vraie physionomie de la grève. . •


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moins de six mois auparavant, et ayant cru signer un long bail avec leurs ouvriers, étaient excédés de ces perpétuelles réclamations, que rien ne semblait devoir satisfaire.

« Les ouvriers, disait M. Fraissinet, à la suite d'un incident sans grande gravité, ont prétendu imposer trois sortes de revendications : « Journée de huit heures ; « Suppression des engins perfectionnés pour le débarquement des marchandises (t?iachi?ies Pulsom) ;

« Suppression des heures supplémentaires. « J'ai démontré que la journée de huit heures était inacceptable, car si nous l'accordions aux ouvriers du port, toutes les autres corporations la réclameraient aussitôt, et ce serait la ruine de Marseille (1).

« Quant aux deux autres revendications,il est évident que nous ne pouvons les admettre, et point n'est besoin de longues explications à ce. sujet.

« Reste l'examen de la convention du mois d'août. J'ai exposé au président du Conseil l'attitude des armateurs dans cette question : nous n'y sommes pas directement intéressés, puisque ce sont les entrepreneurs qui traitent avec les ouvriers (2) ; mais nous avons, dès le début des incidents actuels, demandé aux en tre" preneurs — qui d'ailleurs l'ont parfaitement accepté — de consentir aux entrevues que leurs ouvriers demanderaient, soit pour rechercher si ce contrat n'avait pas été partiellement ou accidentellement violé, soitpours'expliquer sur les obscurités que quelques points de la convention pourraient présenter.

(1) 11 est de fait que cette revendication a été formulée par les ouvriers du port, uniquement parce que M. Flaissières avait déjà accordé la journée de huit heures aux ouvriers de la ville. .

(2) On ne s'étonnera pas de voir les armateurs prendre parti pour les entrepreneurs de manutention, dans cette grève, bien que n'étant pas personnellement intéressés, puisqu'ils n'ont pas affaire directement aux ouvriers, mais aux entrepreneurs. C'est qu'ici tout se tient et l'incidence des charges, qui frappent les entrepreneurs,ne manque pas de rejaillir sur les armateurs.

« Donc les entrepreneurs sont prêts à l'examen de l'affiche rouge, mais ils ne sauraient aborder la discussion des autres questions,nouvellement soulevées par les grévistes. Remarquez qu'au mois d'août, après la signature de l'affiche rouge, le maire de Marseille nous remercia de la revision, que nous avions reconnue juste, des conditions du travail dans notre ville, et nous dit que cette charte était désormais inviolable.. »

Les patrons ne voulaient donc pas céder, ils n'avaient d'ailleurs aucune raison de revenir sur un contrat, signé six mois auparavant, et dont le maire leur avait assuré la durée. Ils né consentaient qu'à discuter sur l'application du contrat; mais ici les ouvriers se récusaient. La grève était donc sans issue !

V.— CONCLUSION. Les chances de succès d'une société coopérative.

Pendant la grève, les dockers songèrent, très sérieusement, à fonder une société coopérative, destinée à supprimer l'intermédiaire onéreux des entrepreneurs de manutention, entre les armateurs et les ouvriers. Il fallait, pour cette création, réunir un solide capital de garantie ; un groupe de gros commerçants promettait de s'intéresser à cette tentative et de mettre à la disposition de la société une somme de cent mille francs. Restait la question du matériel nécessaire au débarquement et à l'embarquement des marchandises.

Le matériel ordinaire des quais consiste en grues à terre, fixes ou mobiles, qui. sont la propriété delà Compagnie des Docks ou de la Chambre de commerce, eu mahonnes, qui appartiennent à la Société des embarcations de servitude, en brouettes et en chariots. Tout ce matériel, les entrepreneurs de manutention sont obligés de le prendre en location. La société coopérative se serait donc trouvée,sous ce rapport, dans la même condition que les enI trepreneurs eux-mêmes.


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Mais la société naissante n'allait-elle pas trouver de difficultés dans les traités qui liaient les compagnies de navigation aux entrepreneurs de manutention? A cette objection .on répondit que trois compagnies au moins : la Compagnie Fraissinet, la Compagnie Péninsulaire et Orientale et la Société Caillot et Saint-Pierre étaient libres de fout engagement de ce genre.

« Rien ne les empêche, faisait remarquer le Petit Provençal, de confier à la Coopérative le travail de débarquement et d'embarquement de leurs navires.

« Or l'important, pour les ouvriers, c'est de commencer la réalisation de leur entreprise. Supposons en effet que, sur les chantiers de ces trois Compagnies, le travail reprenne, grâce à la constitution et au fonctionnement de la Coopérative, tandis que les autres chantiers resteraient déserts par suite de l'impossibilité, où se trouveraient les entrepreneurs, d'embaucher des ouvriers. Alors le cas de force majeure ne pourrait plus être invoqué par les Compagnies, qui sont liées avec ces entrepreneurs. Mises alors en demeure de faire opérer l'embarquement ou le débarquement des marchandises par les commerçants intéressés, elles auraient elles-mêmes forcé les entrepreneurs à opérer ces manutentions et à engager des ouvriers pour cela. Et les traités deviendraient légalement caducs, du fait seul que les entrepreneurs seraient obligés de confesser leur impuissance à se procurer la main-d'oeuvre nécessaire pour expédier la besogne, dont ils sont chargés d'assurer l'exécution. »

Une dernière objection se présentait à rencontre de la création d'une société coopérative. Les quais de Marseille n'étaient pas tous libres. Depuis les hangars des Messageries maritimes jusqu'aux Vitrés, les quais sont la propriété de la Compagnie des Docks. Or il est probable que cette puissante Compagnie refuserait l'accès de son domaine aux ouvriers coopérateurs.

A cette objection, il était répondu que, depuis

depuis la rigueur du monopole de la Compagnie avait été atténuée. A cette époque, la Chambre de commerce fut saisie_d'un grave incident, auquel avaient donné lieu les réclamations des portefaix et des ouvriers du port. Afin d'éviter une émeute, le directeur de la Compagnie fut invité à ne pas s'opposer au débarquement, sur les quais des Docks, parles ouvriers du commerce, du navire Britannia. De plus, la Chambre de commerce proposa et obtint la création d'un tarif spécial, dit tarif n° 11, qui donne au commerce la faculté de faire exécuter les travaux de débarquement, d'embarquement et de transbordement, par des ouvriers non agréés par la Compagnie. 11 est vrai que c'est à charge de payer une redevance aux Docks, alors même qu'on n'emploierait aucun engin de manipulation appartenant à la Compagnie.

En admettant que ce tarif fût trop onéreux ; restait une dernière ressource : le rachat du monopole de la Compagnie.

L'article 24 du cahier des charges annexé aux conventions de 1856 indique les conditions de ce rachat.

« A toute époque, après l'expiration des quinze premières années..., le gouvernement aura la faculté de racheter la concession du Dock-Entrepôt. Pour régler le prix du-rachat, on relèvera les produits nets annuels obtenus par le concessionnaire, pendant les sept années qui auront précédé celle où le rachat sera effectué ; on en déduira les produits nets des deux plus faibles années. Ce produit net moyen formera le montant d'une annuité, qui sera due et payée au concessionnaire, pendant chacune des années restant à courir sur la durée de la concession. Dans aucun cas,, le montant de l'annuité ne sera inférieur au produit net de la dernière des sept années prises pour terme de comparaison. »

« En soi,dit M. E. Rostand,dans le Journal de


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Marseille (1), cette idée d'une coopérative ouvrière est l'application de nos doctrines ; mais elle ne saurait être essayée en une heure de désordre, ni imposée par les pouvoirs publics, ni organisée par représailles.

« L'industrie de la manutention est libre comme les autres ; elle est ouverte aux sociétés coopératives, comme aux anonymes ou aux individus. Si les ouvriers veulent l'entreprendre, ils n'ont qu'à offrir des garanties à leurs clients, à se mettre en mesure d'assurer les charges et les risques des accidents, des vols, qui peuvent se produire dans l'embarquement ou le débarquement des colis, à se discipliner sous des chefs. » L'idée d'une coopérative n'était donc pas absolument chimérique. Elle était au contraire extrêmement réalisable, étonne voit pas pourquoi la compagnie des Docks et la Chambre de Commerce auraient hésité à louer leurs engins de manutention à une association d'ouvriers sérieusement organisée, comme elle les louait aux autres entrepreneurs de manutention.

Mais ceux-là même, qui semblaient le plus favorables à cette idée, ajoutaient en forme d'hésitation : « Nous sommes à Marseille, et, à Marseille, la coopération n'est pas prospère. C'est à peine si la coopération de consommation, simple à faire fonctionner, appréciée du peuple, pour lequel elle est un instrument d'épargne et un gage de saine nourriture, répandue dans toutes les grandes cités ouvrières, c'est à peine si elle y peut vivre ! »

* * *

Faut-il ajouter que la profession même des ouvriers du port est un obstacle à la réalisation de l'idée coopérative? Il faut lutter Contre l'apathie, la rudesse, l'indépendance et le penchant très accentué de ces ouvriers à l'ivrognerie : ils sont par suite fort peu aptes à se plier à la discipline, qu'exige le fonctionnement régulier d'associations coopératives.

(1) Journal de Marseille du 28 mars 1901.

Il est vrai que, en ce qui concerne la plupart des coopératives existantes,leur création estdue à l'initiative des employeurs. Telles sont la Coopérative de portefaix, employée par la Chambre de commerce de Nantes, et celle des «Accordarbeiter »,au servicede l'EtatàHambourg. Oubien . les coopératives ouvrières sont devenues, à la longue,de pures sociétés commerciales; les anciennes coopératives de Belgique, par exemple, où les offices de débardeurs, rares et rémunérateurs, se vendent fort cher, et dont le type le plus remarquable est représenté par les Nations d'Anvers. Un autre exemple nous est offert en France, par les brouetliers du Grand Corps du Havre, érigés en coopérative de production aux actions de 4.000 à 5.000 francs, où les actionnaires travailleurs sont rares, et où la seule condition, requise pour l'admission est d'être négociant ou employé susceptible de fournir de la besogne à la Corporation.

A Marseille, comme dans la plupart des ports, l'enrôlement est laissé au libre choix des contremaîtres. Ce mode d'engagement n'est,ni à l'avantage du patron, ni à l'avantage des ouvriers. Un contre-maître ne peut apprécier les qualités des nombreux ouvriers, qu'il embauche au jour le jour; et,dans ces engagements,le favoritisme et le pot-de-vin jouent trop fréquemment leur rôle néfaste. Il semble bien qu'une union, qui se rendrait solidaire des actes de ses membres, offrirait des garanties plus certaines. Les commerçants, ou la Compagnie, serai entdébarrassés, par ce système, des soucis du recrutement et de la surveillance continuelle des travaux, et les membres de l'Union, grâce aux règlements qui régissent leur association, seraient assurés d'une répartition plus équitable du travail. Ils trouveraient également dans l'association le moyen de fermer la porte à ceux, que M. Jules Guesde appelle si pittoresquement « l'armée de réserve du travail», c'est-à-dire qu'ils se protégeraient, contre l'envahissement du métier


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par des bandes de travailleurs, occupés jusque là" aux travaux des champs et qu'attirent les hauts salaires des villes. A Marseille, s'il faut 5.000 ouvriers, il s'en présente 10.000 et cet afflux exagéré d'un peuple de travailleurs rend les chômages nombreux et remplit les cabarets.

Un système d'organisation commerciale du travail a été exposé, avec la plus grande clarté, par M. Yves Guyot.

Les sociétés commerciales du travail n'ont pour but que de placer les produits de l'homme. Elles n'ont pas de capital à trouver (ou ce n'est alors qu'un capital infime par rapport au chiffre d'affaires à entreprendre), pas de matières premières à acheter, pas d'outillage à acquérir, pas de débouchés à chercher. Le capital, l'outillage et les débouchés : tout cela concerne le patron qui n'est pas supprimé par cette combinaison, mais qui n'a plus à se préoccuper des soucis que peuvent lui procurer ses ouvriers, et qui est relégué dans ses fonctions de fournisseur de travail et de vendeur de produits fabriqués.

Une société de ce genre existe déjà et elle existait avant la loi syndicale de 1884, c'est la Société typographique parisienne, qui fournit des équipes d'ouvriers aux journaux parisiens." Sans doute, elle les fournit à des prix supérieurs à ceux des autres typographes;mais cette majoration est justifiée par les garanties de sécurité et d'habileté professionnelle, qu'elle peut assurer. L'équipe, ainsi fournie, exerce un droit de police à l'égard de ses membres, et les individus, qui la composent, auraient honte du mauvais travail effectué par l'un d'eux ; aussi sontils implacables contre l'ivrognerie. Si un typographe est en état d'ivresse, un cri s'élève dans l'atelier : « Messieurs, on vote 1- » et le vote, c'est l'exclusion du coupable.

Une société qui a le gain pour objet, comme c'est le cas pour une société commerciale de

travail, n'envisage pas la question, comme une société de combat, telle que les syndicats. Dans les assemblées générales des sociétés de travail, les actionnaires ne demandent pas à leur directeur et à leur conseil d'administration, s'ils ont engagé et soutenu des batailles contre les employeurs, mais s'ils ont obtenu de beaux dividendes.

Dira-t-on que ces sociétés deviendront trop puissantes et qu'elles élèveront à l'extrême leurs prétentions ? Il suffirait, pour répondre à cette objection, de rappeler le mot si vrai de Quesnay : L'intérêt de l'industriel est d'acheter cher, pour avoir la liberté du choix, et de vendre bon marché, pour écouler rapidement ses produits. Les sociétés commerciales de travail auront intérêt à baisser leurs' prix pour faciliter la vente de leur produit, qui est le travail.

Les avantages d'une semblable combinaison sont les suivants :

1° Achat en gros du travail, substitué à l'achat en détail;

2° Garantie de qualité et de durée, pour un temps déterminé ou une quantité déterminée, permettant à l'industriel d'établir son prix de revient ;

3° Grandes opérations, dégagées de tous les détails accessoires ;

4° Responsabilité effective de la société contractante, pour retards ou malfaçons ;

5° Assurance directe des ouvriers, par la société commerciale du travail;

6° Nul besoin de recourir désormais aux arbitrages d'hommes politiques, puisque les tribunaux ordinaires sont compétents pour examiner l'application de contrats réguliers.

Il existe un système intermédiaire entre l'enrôlement par les contre-maîtres et la coopération ouvrière : c'est le système de l'appel par listes, le « list system »

A Londres, les travailleurs du Comité mixte des Docks [Joint Gommittee), indépendamment


des travailleurs permanents, sont répartis en trois classes, successivement appelées au travail, selon l'ancienneté, les aptitudes et la moralité des ouvriers. Tous les ans, chacun d'eux reçoit un nouveau numéro d'ordre. 11 avance ou il recule sur la liste d'appel, suivant que sa conduite, a été bonne ou mauvaise. Les ouvriers de la deuxième liste ne sont appelés que lorsque tous ceux de la première liste ont obtenu du travail. S'il faut encore 20 ou 30 hommes on prendra les 20 ou 30 premiers numéros delà troisième catégorie. M. 0. Festy calcule que le « Joint Committee « emploie 1.700 travailleurs permanents, 1.800 ouvriers de la classe A et 2.600 de la classe B.

A Hambourg, les ouvriers employés par l'Etat admettent également trois catégories d'auxiliaires, appelées successivement au travail et différemment rémunérées : les hommes qui sont pourvus d'une carte rouge reçoivent 3 marks 30, tandis que les porteurs de cartes bleues et grises ne reçoivent que 3 marks.

Par ce système, que M. O. Festy dans sa remarquable étude sur les dockers, considère comme ne favorisant guère l'élévation du docker (l),mais que cependant il avoue « présenter de sérieux avantages »,les chances d'obtention de travail, pour les ouvriers non-permanents, étant diminuées, les maraudeurs, les gens sans ressource ne s'y présenteront plus en si grand nombre, et chercheront, dans l'apprentissage d'un métier, le remède à leur situation. Il est trop évident que le régime actuel de l'embauchage fait au hasard, au jour le jour, constitue une véritable prime à la fainéantise et à l'ivrognerie.

(1) « Médiocre comme ouvrier, médiocre comme homme,ie litsmen n'a qu'un souci : conserver son breard and butter en se donnant le moins de peine possible. Tout le reste lui est indifférent, T..., qui est très intelligent, mais qui n'est pas toujours modéré dans ses expressions, me dit que les listmen ne sont pas des ouvriers, mais des « domestiques [servants) , et il ajoute que les Compagnies ont toujours cru de leur intérêt de maintenir leurs ouvriers au niveau de la brute » [Le Trade-Unionisme en Angleterre. Bibl. du Musée Social).

Le plus grand fléau des ouvriers des docks est l'irrégularité du travail, provenant de la surabondance de bras. A Londres on compte 22.000 dockers, dont 16.000 sont employés, 6.000 sans ouvrage, et au moins 4.000 ouvriers absolument inutiles sur le marché*

Pour se convaincre de l'influence qu'exerce la régularité du travail sur la condition matérielle de l'ouvrier, fait remarquer M. Gilles de Pélichy, dans son bel ouvrage sur « Le régime du travail dans les principaux ports de mer de l'Europe », il suffit de comparer la situation faite à la majorité des travailleurs, dans les ports, où l'employeur ne procure aucune, stabilité dans le travail, ni les Unions aucune garantie de régularité, avec la condition réservée aux ouvriers, employés d'une façon régulière et aux adhérents des Unions qui assurent cette stabilité. La majorité des dockers de Londres, Rotterdam, Hambourg, Anvers, Ostende, le Havre, Marseille, sont compris dans la première catégorie ; ils vivent au jour le jour, sans savoir s'ils travailleront le lendemain. Aux jours heureux ils feront bombance ; aux jours mauvais ils boiront encore pour se consoler, pour passer le temps et parfois pour mériter les bonnes grâces de. l'embaucheur qui est aubergiste. La deuxième catégorie,celle des ouvriers employés •d'une façon régulière comprend à Londres : les membres det'Uniondes stevedores (arrimeurs), des gabariers-conducteurs d'allèges, des ouvriers d'élite [prefered men), engagés,d'une façon presque permanente,par les eompagnies,en vertu du list syspem ; à Hambourg: les ouvriers stables employés par l'Etat; à Rotterdam : les peseurs et mesureurs-jurés; à Anvers : les bijmannen, ouvriers préférés des « Nations ».

La grosse question qui se pose pour les dockers comme pour les ouvriers de toutes les autres industries,c'estdonclarégularité du travail, la certitude du lendemain. Qu'importe la hausse du salaire quotidien, si la diminution des jour-


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nées de travail en découle? A Marseille, avant 1 la grève du mois d'août 1900, les dockers ont 5 francs par jour, mais ils travaillent cinq ou six jours. Leur gain hebdomadaire est donc de 25 à 30 francs. Leur grève est victorieuse, et ils obtiennent 6 francs par jour ; mais alors de Toscane, aussi bien que des campagnes provençales, des huileries et des savonneries de la ville, afflue une foule de travailleurs que séduit la perspective de ces hauts salaires, Il n'est point besoin d'apprentissage pour la profession, et la corporation est impuissante à se défendre contre cet envahissement. Résultat : les dockers ne travaillent plus que trois jours par semaine. Leur gain quotidien est bien de six francs, mais leur gain hebdomadaire n'est plus que de dixhuit francs. Les anciens ouvriers qui ont fait la grève et qui ont été victorieux ont tiré les marrons du feu pour les autres.

La main-d'oeuvre nouvelle est innombrable. Et l'argent qui est versé dans cette masse semble jeté dans un tonneau des Danaïdes, que rien ne peut remplir. Et les entrepreneurs qui continuent à embaucher, au hasard et au jour le jour, font songer à ces capitalistes, qui dépensent sans compter leur fortune, pour équilibrer leurs dépenses, par crainte de la fatigue que leur occasionnerait l'établissement dJun budget. Us prennent dans la masse des travailleurs qui se présentent, au hasard et au fur et à mesure de leurs besoins. Le système n'est pas compliqué et il évite des efforts d'imagination ; mais ne voient-ils pas qu'il se tourne contre eux et qu'ils ont beau distribuer des salaires élevés, ils n'ont autour d'eux que des esprits mécontents ? Non, personne îr'est satisfait. Les anciens ouvriers gagnent moins qu'auparavant, et les nouA'eaux ne trouvent pas à gagner les semaines de trente francs qu'ils avaient espérées. Les salaires seraient majorés à dix francs, que leur répartition, entre un nombre trois fois plus considérable d'ouvriers qu'il n'est nécessaire pour les besoins du port, soulèverait encore des protestations et des grèves.

A Marseille, la création d'une Coopérative ne ferait pas disparaître la Compagnie des Docks, non plus que la propriété de la Chambre de commerce sur les quais du Nord. Les deuxièmes intermédiaires seuls disparaîtraient ou seraient concurrencés par les ouvriers réunis en société. Il ne semble d'ailleurs pas que la Société des Docks prélève un tribut tellement exorbitant sur le travail du port, que sa disparition soit un réel avantage pour les ouvriers.

Rappelons-nous, dit M. Eugène Rostand dans le Journal de Marseille, que la grande entreprise, qui mit notre port au niveau des ports étrangers, pourvu s dès outillages modernes, qui y a engagé, un capital de 30 millions d'actions et de . 30.000 millions d'obligations, aété privée d'une grande partie du privilège,qui semblait bien être dans l'esprit du législateur lors de l'origine, s'il n'était affirmé par la lettre des contrats. Même en approuvant la solution judiciaire de la revendication qu'elle avait poursuivie, on doit reconnaître l'amoindrissement de force,que cause à la société la concurrence puissante de la Chambre de commerce. D'un côté, une société ayant à rémunérer un capital de 60 millions ; de l'autre, une institution publique, qui couvre ses charges par l'impôt, mode élastique, qu'on peut élargir, si les charges deviennent excessives,et dès lors, exonérées de Vobligation de réaliser des bénéfices.

Comment est-il possible qu'une affaire conduite par des administrateurs de haute'ahonorabilité et de compétence éprouvée, par un directeur de premier mérite et d'expérience consommée, dans un esprit large etcommercial, prélève les bénéfices anormaux, excessifs, dont ou parle ; alors que ses actions ne sont pas même au pair et que ses dividendes représentent à peine 4 0/0 des capitaux engagés ?

A Nantes, la Chambre de commerce semble


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avoir trouvé une solution élégante de la question, solution qui, pour n'être pas absolument satisfaisante et complète, marque un progrès sérieux, dans les conditions d'engagement des dockers.

Au lieu de prendre un très grand nombre de •travailleurs, elle a su grouper un nombre relativement minime d'hommes très sûrs, qui devaient servir de chefs d'équipes, chargés de la surveillance des manoeuvres engagés à lajournée. Avec cette organisation du travaiLil n'existe pas de rapports directs entre les commerçants et les ouvriers à la journée, mais seulement enfre les commerçants et les portefaix de la Corporation de l'Entrepôt, qui sont seuls responsables des ouvriers à la journée, embauchés par eux. .

Evidemment cette manière d'opérer aie grand avantage d'empêcher le favoritisme et de faciliter la sélection des bons ouvriers. Les portefaix deviennent de véritables entrepreneurs, qui ne prélèvent aucune redevance sur le travail des ouvriers subalternes, mais qui sont intéressés à,ce que ce travail soit bienfait. Les ouvriers subalternes n'en restent pas moins

soumis à toutes les incer titu d es d e l'em bau chage et à tous les aléas d'un travail intermittent. Une société coopérative aurait l'immense avantage d'assurer un travail presque régulier à ses adhérents, dût-elle, pour cela,rétablir le tour de rôle, en usage dans la vieille corporation des portefaix de Marseille. Ainsi tous les ouvriers seraient assurés contre les longs chômages. La société aurait évidemment à choisir ses adhérents, de façon à ne pas être obligée d'embaucher des ouvriers paresseux, dont la nonchalance porterait préjudice aux intérêts communs de la société ; mais cette sélection serait facile, les ouvriers se connaissant entre eux et leur intérêt les poussant à se montrer sévères pour les admissions.

Croit-on que la Compagnie des Docks de Marseille ait recours,par plaisir, à des intermédiaires entre elle et les ouvriers qu'elle emploie? Nullement. Elle le fait, pour éviter des complications et parce que les ouvriers ne lui donnent pas des garanties suffisantes par leurs syndicats batailleurs et sans ressources, et où sont admis les ouvriers turbulents et peu laborieux, au même titre que les ouvriers sérieux.


CHRONIQUE DU MUSÉE SOCIAL

SERVICE INDUSTRIEL ET OUVRIER

Les syndicats jaunes.

Il n'est question en ce moment que de syndicats jaunes, et nous venons d'assister à une rapide efflorescence de ces associations professionnelles, souvent créées avec l'assentiment ou la protection des patrons, parfois aussi nées du simple désir d'éviter les longues grèves et de mettre fin à des conflits aussi préjudiciables aux intérêts du patron qu'aux intérêts des ouvriers. Voici une rapide nomenclature des syndicats jaunes de Saône-et-Loire :

Le premier en date est celui des corporations ouvrières des usines du Creusot, fondé le 1er novembre 1899 après la deuxième grève.

La première grève avaitsurpristoutlemonde, et M. Schneider avait cru briser la résistance de ses ouvriers en refusant de reconnaître le syndicat rouge qui groupait les deux tiers de ceux-ci. Le syndicat n'en devint que plus puissant et la grève aboutit à l'arbitrage de M. Waldeck-Rousseau constatant que « l'intermédiaire du syndicat, auquel appartient l'une des parties, peut être utilement employé si toutes deux y consentent ; mais ne peut être imposé ». Cette sentence ne donnait nullement satisfaction au syndicat et il ne l'accepta qu'avec le secret désir de reprendre la lutte au plus tôt. En effet, une nouvelle grève éclatait en mai 1899. Sur l'invitation de M. Schneider, 250 ouvriers seulement rentrèrent dans les ateliers le vendredi 2 juin. On dut les protéger et les nourrir avec

du pain et du saucisson. Comme c'était jour maigre, que ces ouvriers étaient des démocrates chrétiens, la chose fut trouvée plaisante et ils furent dénommés saucissons. Les saucissons furent expulsés des sociétés de secours mutuels. Ils fondèrent alors un syndicat, dont M. Mangematin, peintre à l'usine, fut nommé président. Le gland de leurs insignes était jaune ; ils devinrent les jaunes. Ils furent d'abord traqués et obligés de ne sortir qu'armés. Aujourd'hui, ils sont 5.215, alors que les rouges ne sont plus que 2 ou 300.

Le syndicat jaune de Montceau est également issu d'une grève. Il a été créé par des ouvriers voulant résister à cette épidémie qui a désolé la région de Saône-et-Loire. Ce fut en décembrel899, sous la direction de M. de Gournay qui lui était favorable. Le nouveau directeur, M. Coste, le fut moins, et, sous son administration, les jaunes furent persécutés par les rouges. Mu jaune reste pendant une heure, la jambe prise sous un chariot ; au lieu de le dégager les rouges lui crient des insultes. Un autre, vieillard de 60 ans, est précipité d'une hauteur de 30 marches par une bande de jeunes gens. Au fond des puits, les jaunes trouvent leurs vêtements lacérés ; dans les carrières, leurs gamelles pleines.de terre.Malgré ces persécutions, le syndicat jaune compte, à l'heure I actuelle, 2.300 adhérents.


— 280

Le syndicat j aime de Perrecy-les-Forges date du 17-janvier 1900.

Perrecy est un petit bourg de 2.000. âmes, situé à 15 kilomètres de Montceau. Les forges ont disparu, mais la Compagnie d'Anzin y exploite un petit charbonnage qui occupe 250 ouvriers.

En juin 1899, deux jours après la première déclaration de grève de Montceau, les gens de Perrecy se mettent en grève à leur tour — influence du voisinage ! — Ils réclament une moyenne de 4 fr. 50 par jour. Le directeur,^-ses livres en mains, — leur prouve que la moyenne est de 4 fr. 75 et il ajoute : « Je refuse de vous

diminuer. »Et la grève cesse. La deuxième grève «ut "pour cause la demande, faite par le syndicat rouge, seul existant alors, du renvoi de deux frères. Une trentaine de leurs amis, un bâton à la main, vont reprendre le travail, et la grève cesse de nouveau. La troisième fut plus mouvementée. Le 25 décembre 1899, six ouvriers étaient renvoyés pour outrages au directeur et à l'ingénieur. Le syndicat rouge déclare la grève, mais une vingtaine de mineurs continuent à travailler. D'autres vinrent se joindre à eux et lorsqu'ils furent quarante ils attaquèrent les grévistes qui les molestaient. Ils constituèrent alors leur syndicat,et depuis, il n'existe plus, en dehors d'eux, qu'une cinquantaine de rouges sans organisation. L. SII

SII

SERVICE AGRICOLE

I

Sociétés coopératives de vente des produits agricoles.

La mévente des produits agricoles est une des questions qui, à l'heure actuelle, préoccupent le plus les agriculteurs. La recherche de nouveaux débouchés et la suppression du nombre toujours croissant des intermédiaires sont les meilleurs moyens à employer pour atténuer cette mévente des produits agricoles.

C'est ce que se proposent un certain nombre de sociétés coopératives de production.

L'Union coopérative des jardiniers et maraîchers du Fond-de-Givonne-Sedan a pour but « de mettre en rapports directs les consommateurs et les producteurs afin de se passer des intermédiaires prélevant des commissions qui sont toujours onéreuses pour les deux parties ; et, pour ce faire, la société s'occupe surtout de la vente en commun de la production agricole du Fond-de-Givonne, en se mettant pour cela en rapports avec toutes les sociétés coopératives

coopératives Elle fonctionne en vendant les fruits et légumes récoltés par ses membres. Elle s'occupe aussi « s'il y a lieu et avantage pour les sociétaires, de faire des achats en gros d'engrais, de machines et de toutes choses utiles aux associés ».

L'Union des Syndicats agricoles des Alpes et de Provence vient d'étudier et de rédiger les statuts d'une Société coopérative de production, destinée à la vente des produits agricoles et horticoles (fruits, légumes, fleurs), et s'étendant à toute la région des Alpes et de Provence. Cette sociétéaurait laformed'une société en participation, à capital et personnel variables régie par les lois des 24 juillet 1867 et 1er avril 1893. L'article 2 des statuts détermine ainsi le but de l'association.

« Cette société est formée dans le but philanthropique de faciliter aux consommateurs l'achat, à prix normal, de certains produits agricoles de première nécessité et de faire profiter les producteurs-expéditeurs des bénéfices ré-


2M

sultant de la vente de ces produits dontl'écou- I lement sera favorisé.

<c Des postes de vente seront établis dans les principaux centres de consommation et particulièrement au pavillon n° 6 des Halles centrales de Paris, conformément aux articles 2,3 et S de la loi du.H juin1896.

« Il sera établi aussi, si le besoin s'en fait sentir,' des maisons de commission qui auront la faculté de procéder à la vente à la criée et à l'amiable des produits agricoles.

« La vente des fleurs sera effectuée sur le carreau des Halles ou dans les maisons de commission, en attendant que la société ait pu obtenir l'autorisation de les vendre au poste créé dans le pavillon n° 6 ou dans un autre pavillon spécialement affecté à cette catégorie de produits.

« L'objet de la société s'étend, par voie de conséquence, à la vente de tous les produits agricoles appartenant aux catégories suivantes : i° légumes ; 2° fruits ; 3° fleurs.

« A des prix à déterminer par les cours et l'importance de la production et à des prix rémunérateurs dans la plus grande mesure, pour compte :

« 1° Des producteurs actionnaires ; « 2° De tous les producteurs ou expéditeurs qui dirigeront leurs produits sur les postes de vente de la société. »

Le capital social a été fixé à la somme de deux cent mille francs. En raison des admissions nouvelles,des retraites et des exclusions, le capital pourra varier en plus ou en moins, comme le personnel, mais il ne pourra toutefois être réduit, par la reprise des apports, au,dessons de la somme de deux cent mille francs qui constituera le capital minimum et irréductible de la société.

Ce capital a été divisé en huit mille actions de vingt-cinq francs chacune.

Lorsque la société sera définitivement constituée, les nouveaux actionnaires qui pourront être admis, devront verser, outre le montant

intégral de l'action, une somme égale Ma -pari proportionnelle de chaque action dans la réserve sociale.

Tout actionnaire pourra se retirer de la société en prévenant le Conseil d'administration un mois avant la clôture de l'exercice semestriel ; mais il ne pourra, toutefois, user de ce droit qu'autant que le capital social sera supérieur à deux cent mille francs. L'actionnaire qui se retirera ainsi ne pourra reprendre que le montant des actions qu'il aura effectivement versé, la part afférente à ces actions dans le fonds de réserve demeurant acquise à la société. Lors de l'exclusion d'un sociétaire, la société devra lui rembourser non seulement le montant des actions qu'il aura effectivement versé, mais aussi la part afférente à ces actions dans le fonds de réserve non aliéné et l'intérêt de ces actions depuis le dernier exercice jusqii'au jour du remboursement.

Chaque administrateur, pendant toute la durée de son mandat, devra posséder au moins cinq actions inaliénables et destinées à servir de garantie pour tous les actes de la gestion, même de ceux qui seraient exclusivement personnels à l'un des administrateurs.

La société sera administrée par un conseil dont les pouvoirs sont déterminés par l'article 23 des statuts :

« Le Conseil d'administration a la gestion générale des affaires de la société. Il fait tous les actes qui rentrent dans l'objet social.

« Il passe les traités et marchés de toute nature,aux clauses et conditions qui lui paraîtront le plus avantageuses.

« Il détermine par un règlement intérieur les conditions des rapports de la société avec les associés et avec les tiers.

« Il nomme et révoque les agents, représentants et employés.

« Il fixe les traitements et salaires ainsi que les gratifications.

« Il crée des agences et des dépôts d'emballage partout où il le juge nécessaire.


2S2 —

« Il peut acquérir ou louer tous meubles et t immeubles, les acquérir et les revendre. t

« 11 peut se faire ouvrir tous crédits, confé- i rer toutes hypothèques, tous nantissements et i autres garanties. 1

« Il peut tirer ou accepter toutes traites, sous- 1 crire tous billets à ordre, endosser toutes valeurs, signer les chèques, effectuer tous dépôts : dans ses magasins, retirer tous warrants et les négocier.

« Il peut ouvrir tous crédits. « Il peut accepter tous legs et donations faits à la société.

<i II statue sur la réception des membres nouveaux.

« Il touche toutes les sommes qui sont ou seront dues à la société, donne toutes quittances, consent tous transports et subrogations.

« Il traite et transige sur toutes difficultés, exerce, s'il y a lieu, toutes poursuites, ou défend à celles qui seraient intentées.

« Il consent tout désistement et mainlevée avant et après paiement.

« Il détermine l'emploi des fonds disponibles et des fonds de réserve, effectue tous transferts de rente, effets publics et autres valeurs. « Il arrête les comptes qui doivent être fournis à l'assemblée générale.

« Il propose à ladite assemblée toutes les modifications aux statuts et lui soumet tous projets d'augmentation ou de diminution du capital, de prorogation de la société ou de dissolution anticipée, de fusion avec toutes autres sociétés et d'extension de ses opérations.

« En un mot, il représente la société pour toutes choses, même les actes de disposition, tant à titre onéreux qu'à titre gratuit, sauf les cas réservés à l'assemblée générale, les pouvoirs ci-dessus mentionnés n'étant qu'indicatifs et non limitatifs. Les décisions sont prises à la majorité des membres présents.

« En cas d'égalité de voix, celle du Président est prépondérante. »

Ce Conseil d'administration pourra déléguer

tout ou partie de ses pouvoirs à un ou plusieurs de ses membres, ou même à des tiers, nommer un ou plusieurs directeurs, sous-directeurs, inspecteurs et contrôleurs, même étrangers à la société, dont il déterminera la situation et les fonctions.

Tous les actionnaires pourront participer aux assemblées générales. Les délibérations seront prises à la majorité absolue des voix, mais elles ne seront valables que si le quart au moins du nombre des actionnaires y est représenté, chaque actionnaire n'ayant droit qu'à une seule voix quel que soit le nombre des actions souscrites. Si les assemblées générales ont pour but de modifier les statuts, de proroger ou dissoudre la société, elles devront être composées de la moitié des sociétaires représentant la moitié au moins du capital social.

Enfin, les ressources de la société sont spécifiées à l'article 36, qui est ainsi conçu :

« Les produits de la société sont constitués :

« 1° Par le prélèvement d'une commission à

établir et qui sera réduite le plus possible, sur

le montant des marchandises expédiées par les

producteurs ;

« 2° Par la location des emballages et les réductions obtenues sur le retour de ces mêmes emballages ;

« 3° Par les frais de manutention ; « 4° Par des réductions de taxe des frais de camionnage.

« Ces produits nets, déductions faites des charges, constituent les bénéfices.

« Sur ces bénéfices, il est prélevé annuellement : cinq pouf cent du fonds social pour être payé à titre d'intérêt aux actions.

« Le solde des bénéiiees est ensuite réparti : 1° Cinq pour cent pour la constitution du : fonds de réserve.

i Ce fonds de réserve ne pourra être employé qu'en achat de rentes sur l'Etat, d'obligations du Crédit foncier et des grandes lignes de chemins de fer français, qui devront rester dépot sées à la Banque de France, d'où seule une dé-


253

libération du conseil pourra les faire sortir pour lés aliéner ; ' - i

2° Vingt pour cent au Conseil d'administra- ' tion et de contrôle qui en fera la répartition entre ses membres dans la proportion qu'ils décideront ensemble ;

3° Trente pour cent aux producteurs expéditeurs actionnaires ou non. au prorata de leurs expéditions ;

4° Vingt pour cent aux fonctionnaires ou employés de tous ordres. Cette répartition sera réglée par le Conseil d'administration ;

5° Ce qui restera des bénéfices, après les paiements ci-dessus, sera soumis à l'assemblée générale qui décidera s'il y a lieu de fixer un nouveau dividende aux actions ou un second fonds de réserve, ou enfin d'indiquer l'emploi qu'il y a lieu de faire du solde des bénéfices ».

- ■

Parmi les sociétés coopératives de vente des produits agricoles, nous signalerons aussi la Coopérative agricole de Bailleul, fondée par le Syndicat agricole de Bailleul (Nord).

Cette société a pris la forme de société anonyme à personnel et capital variables. Créée au capital de 40.000 francs, elle a pour but d'acheter et d'écouler les blés récoltés par ses membres et de leur fournir des engrais.

Elle a déjà vendu 50,000 kilos de blé et était récemment en pourparlers pour la vente de 2 wagons de S.000 kilos. Elle possède un moulin pour la mouture des grains et vend la farine ainsi obtenue aux boulangers de la région. Elle a aussi un mélangeur d'engrais complet automatique qui permet d'approprier les mélanges d'engrais aux différents sols et aux cultures de la région. Un moteur à gaz de vingt chevaux actionne un concasseur, un aplatisseur de grains, deux brise-tourteaux et un pulvérisateur de nitrate.

Les statuts de la Coopérative agricole de Bailleul sont ceux d'une société anonyme ordinaire

ordinaire mais les membres du syndicat peuvent seuls en faire partie. Les possesseurs d'actions ont un intérêt fixe de 5 0/0 et le surplus des bénéfices nets est réparti entre les sociétaires, proportionnellement aux achats qu'ils ont faits.

II •

Sucreries agricoles coopératives.

Les sucreries agricoles coopératives sont peu nombreuses en France, car elles nécessitent la constitution de capitaux importants que les cultivateurs, seuls, sont souvent impuissants à réunir.

La Sucrerie agricole coopérative de Wavignies (Oise) a été fondée, en 1895, sous la forme de société anonyme à capital et personnel variables. Son but est défini par l'article 3 de ses statuts :

« Elle a pour objet la fabrication du sucre de betteraves, la vente de tous les produits de cette fabrication, et, généralement, toutes les opérations se rattachant à l'exploitation d'une fabrique de sucre de betterave.

Le capital social était à I'origne de 159.000 fr. et divisé en 212 actions de 750 francs chacune, lia été élevé depuis à 197.250 francs.

Chaque souscripteur s'engage à fournir, annuellement,la récolte d'autant d'hectares de betteraves cultivées par lui qu'il a souscrit d'actions. 11 ne peut dépasser ce chiffre qui est un maximum, mais il peut le réduire d'un dixième.

Toutes les betteraves doivent provenir de graines choisies et fournies par la société. Chaque sociétaire doit déclarer exactement le nombre d'hectares qu'il fournira pendant la campagne, à l'assemblée la plus proebe du mois dé février précédant chaque fabrication.

Le nombre de tonnes de betteraves travaillées depuis le fonctionnement de la sucrerie coopérative et le nombre d'hectares cultivés correspondants sont indiqués par le tableau suia vant:


254 —

Années

Tonnes de betteraves travaillées.

Nombre d'hectares.

1895-913

1897-98

1898-99

1899-1900 . .,

5.737 6.953 6.081 6.314 9.208

212 228 219 332 340

Les rendements en sucre et le produit pécuniaire du degré saccharimétriqué ont été les suivants:

Années

Rendements en

sucre

1" jet raffiné.

Rendements en sucre raffiné.

Produit pécuniaire

du degré saccliai'imétrique.

1895-96

1896-97

1899-1900 ....

7,19 7,12 8,63 8,43 9,84

10,43

9,98

11,99

11,65

11,74

1,89 1,77 2,36 2,21

2,47

Le montant des actions était payable : la moitié, ou 375 francs par action immédiatement ; et l'autre moitié sur appel de fonds voté par l'assemblée générale, la somme réclamée par chaque appel"de fonds ne pouvant être supérieure au cinquième du prix à verser annuellement à chaque sociétaire pour sa fourniture de betteraves,

A défaut de paiement des versements ou en cas de refus par un sociétaire de fournir le nombre d'hectares de betteraves auquel il est tenu par sa souscription, la société se réservait le droit de poursuivre le sociétaire et de faire vendre ses actions.

La société est administrée par un conseil composé de cinq membres pris parmi les associés et nommés par l'assemblée générale, chaque administrateur devant être propriétaire d'au moins cinq actions destinées à la garantie de sa gestion, et par suite inaliénables.

Les attributions de ce Conseil d'administration sont définies par l'article 21 des statuts, ainsi conçu :

« Le Conseil d'administration a les pouA7oirs les plus étendus, pour l'administration et la gestion de la société.

« Il autorise et passe les marchés de toute

nature. Il autorise les achats d'immeubles nécessaires pour les opérations de la société et fait faire toutes constructions.

« 11 règle les approvisionnements et autorise toutes les acquisitions de machines, engins et objets nécessaires à l'exploitation, dont le prix de revient n'atteint pas dix mille francs, exception faite pour les charbons dont il se procure la quantité qu'il juge nécessaire,

« 11 autorise l'achat ou la vente de tous biens meubles et objets mobiliers.

« Il conclut tous les baux et locations activement et passivement.

« II représente la société vis-à-vis de toutes administrations publiques ou particulières, dans toutes circonstances et pour tous règlements quelconques.

« 11 représente la société en justice, exerce toutes actions judiciaires, tant en demandant qu'en défendant, il passe tous traités, transactions, compromis. Il donne toutes mainlevées d'opposition ou d'inscription hypothécaire, ainsi que tous désistements de privilège et action résolutoire, avec ou sans paiement.

« Il autorise tout retrait, transfert et aliénation de fonds, rentes et valeurs appartenant à la société, donne toutes quittances. Il détermine le placement des fonds disponibles et règle l'em, ploi de la réserve.

s « Il arrête les règlements relatifs à l'organisation

l'organisation service et à l'exploitation de l'usine. « 11 nomme ou révoque tous chefs de service, ; détermine leurs attributions, fixe leur traite3 ment, et, s'il y a lieu, le chiffre de leur caui tionnement, il en autorise la restitution, a « Il contracte tous emprunts, se fait ouvrir

tous crédits, consent toutes affectations hypothécaires et autres garanties au nom de la i, société, mais seulement quand l'assemblée générale a reconnu l'utilité de ces emprunts et •s ouvertures de crédit.

a « Il fixe les dépenses générales d'administration, e « Il fixe le prix de la betterave à payer aux


— 255

sociétaires. Ce prix sera établi d'après les mêmes bases, suivant la densité pour tous les sociétaires ; à moins de six degrés, les betteraves sont refusées.

« 11 vend les sucres et autres produits de la fabrication.

« II arrête les comptes qui doivent être soumis à l'assemblée générale. Il fait un rapport sur lesdits comptes et sur la situation des affaires sociales et propose la fixation des dividendes à répartir.

« Il soumet à l'assemblée générale les propositions de modifications ou additions aux statuts, d'augmentation ou de diminution du capital social, ainsi que les questions de prorogation, fusion ou dissolution anticipée de la société.

« Enfin, il gère toutes les affaires et pourvoit à tous les intérêts de la société. Toutes les énonciations qui précèdent, n'ont aucun caractère limitatif, et laissent subsister dans leur entier les dispositions du premier paragraphe du présent article. »

Comme dans toutes les sociétés anonymes, le Conseil d'administration peut déléguer tout oïl partie de ses pouvoirs à un ou plusieurs de ses membres ou personnes étrangères au conseil et à la société, Les fonctions d'administrateur sont gratuites. Cependant, s'il délègue plus spécialement à l'un de ses membres la direction générale de la société, ce membre pourra recevoir une rétribution qui sera fixée par l'assemblée générale.

Pour prendre part à l'Assemblée générale, il faut être titulaire de cinq actions au moins. Les propriétaires d'un nombre d'actions inférieur à cinq peuvent se réunir pour former le nombre nécessaire et se faire représenter par l'un d'eux. L'Assemblée générale n'est régulièrement constituée que si les membres présents représentent au moins la moitié du capital social. Elle discute les comptes, fixe les dividendes et statue sur toutes les propositions faites par le Conseii-d'admmistration.

On a prévu la constitution d'un fonds de réserve pour les dépenses extraordinaires. Le prélèvement fait annuellement, pour cela, ne peut être inférieur au vingtième dés bénéfices nets, ce prélèvement pouvant être suspendu temporairement lorsque la réserve sera égale au quart du capital social.

III

Féculeries agricoles coopératives.

Les sociétés coopératives destinées à l'extraction de la fécule des pommes de terre sont assez rares et il n'en existe guère en France,que deux ou trois, à notre connaissance du moins. La Fêculerie agricole du Val de la Loire, fondée en 1900 par le Syndicat des agriculteurs du Loiret, et qui a son siège établi à Orléans, 17, boulevard Rocheplatte, est aussi une société anonyme à personnel et capital variables. Elle a pour objet « la transformation en fécule ou autres produits, des pommes de terres achetées par la société et le commerce de ces fécules ou autres produits ».

Le capital social est de 150.000 francs. 11 est divisé en 300 actions de 500 francs chacune. Le capital originaire était de 80.000 francs. Il a été augmenté de 50.000 francs à la fin de l'année 1900 et de 20.000 francs au début de l'année 1901. Le quart des actions ou 125 francs était payable lors de la souscription et le surplus au fur et à mesure des besoins de la société, aux époques fixées parle Conseil d'administration. Ce Conseil d'administration est composé de trois membres au moins et cinq au plus, pris parmi les associés et nommés par l'assemblée générale des actionnaires. Les administrateurs doivent être propriétaires d'au moins une action. Ces actions sont inaliénables et destinées à la garantie des actes de gestion.

Les pouvoirs de ce Conseil d'administration sont des plus étendus. Ils sont à peu près identiques à ceux de la Sucrerie coopérative de Wavignies, mais les emprunts faits par le conseil


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sans l'autorisation de l'assemblée générale ne peuvent excéder la somme de 50.000 francs.

L'assemblée générale se compose'de tous les actionnaires propriétaires d'une ou de plusieurs actions. Chaque membre de l'assemblée a autant de voix qu'il possède ou représente d'actions. Les délibérations lie sont valables que si le quart au moins du capital social est représenté.

Il est prélevé un vingtième sur les bénéfices nets annuels,en vue de la formation d'un fonds de réserve dont le maximum est fixé au dixième du capital social.

11 y a lieu de remarquer que cette société n'est pas une véritable société coopérative. Il

faudrait, pour cela, que les possesseurs d'actions soient en même temps des producteurs de pommes de terre ou que, tout au moins, les cultivateurs fournissant des pommes de terre à la société aient une part dans les bénéfices réalisés.

Une tentative du même genre a été faite dans le département de la Sarthe. Un certain nombre de membres du Syndicat agricole de la Flèche ont fait l'acquisition d'une fêculerie industrielle sur le point de déposer son bilan et ont créé une société dont ils espèrent, paraît-il, faire prochainement une véritable société coopérative en réservant une part des bénéfices aux producteurs.

Le Directeur-Gérant : LËOPOLD MABILLEAU.