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Titre : Bulletin / Société académique du Bas-Rhin pour le progrès des sciences, des lettres, des arts et de la vie économique

Auteur : Société académique du Bas-Rhin. Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Strasbourg)

Date d'édition : 1910-03-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344448687

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344448687/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 16220

Description : 01 mars 1910

Description : 1910/03/01 (T44,FASC2)-1910/04/30.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Alsace

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5605794g

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-260341

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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im Unter-Elsass.

Gegründet 1799.

SOCIÉTÉ DES SCIENCES, AGRICULTURE ET ARTS

DE LA BASSE-ALSACE

FONDÉE EN 1199

MONATSBERICHT

XLIV. BAND 1010

(XXVIII. Band der neuen Abtheilung.)

HEFT Nr. 2 MAERZ — APRIL

BULLETIN MENSUEL

TOME XLIV

1910

(Tome XXVIII de la nouvelle Série.)

FASCICULE N" 2 MARS — AVRIL

Abonnemenlsprelg fur DeniscnUnd : M. 4.80.

Für die übrigen Lander des Weltpostvereins : M. 5.60 = Fr. 7.

Preis einer Separataummer : 60 Pf. = 75 Cent.

prix d'abonnement pour l'Allemagne : M. 4.80.

Pour les autres pays de l'Union postale : M. 5.60 = Fr. 7.

Un numéro séparé: 60 Pf. = 75 cent.

Vereinslokal :

Hôtel - du - C ommerce, Gutenbergplatz 10, Strassburg.

Siège de la Société :

Hôtel-du-Commerce Place Gutenberg 10, Strasbourg.

Bezüglich ,<ler Redaktion, wende man sich an den General-Sekretär,

Herrn TH. HERING, P. Labandstaden. 3; fur Abonnements und Annoncen an

den Schatzmeister, Herrn FRITZ KIEFFER, Thomasplatz, 3.

Pour tout ce qui concerne la rédaction, s'adresser au secrétaire

général, M. TH. HÉRING, quai P. Laband, 3; pour les

. hS abonnements et les annonces, au trésorier, M. FRITZ KIEFFER, place Saint-Thomas, 3.



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Procès-verbaux.

Séance du comité du 4 mars 1910,

5 1/2 heures du soir. Présidence: M. WEIRICH.

Présents: MM. GOLDSCHMIDT, MÛLLER, OTT, HÉRING. Excusés : MM. KÉRN, UNGEMACH.

1° Dépouillement de la correspondance. Décès ALBERT BRION. 2° Vote d'un don de 50 frs. pour les inondés. Souscription ouverte par 11 Société nationale d'horticulture de France. 3° Fixation des prochaines conférences.

Séance publique du 14 mars 1910,

5 1/2 heures du soir.

Présidence : M. WEIRICH.

Présents: De nombreux invités, dames et messieurs, et MM. les membres CLODOT, FRANK GOLDSCHMIDT, HATT, HÜGEL, KOPP, MATHIS, MÛLLER, MÛNCK, OTT, REEB, ZWILLING, HÉRING.

Dans une allocution émotionnante M. le président rappelle le brusque départ d'ALBERT BRION, présent à la dernière séance, deux jours avant sa mort. L'assistance honore par un moment de recueillement la mémoire du défunt.

Conférence de M. le professeur ZWILLING suivie de chaleureux applaudissements Sujet: «L'abbé Grégoire, l'évêqueconstitutionnel et républicain. Un homme de bien; une conscience».

Séance du comité du 21 mars 1910,

5 1/2 heures du soir. Présidence: M. WEIRICH.

Présents : MM. KERN, KOPP, MÛLLER, OTT, REEB, HÉRING. Excusé: M. UNGEMACH. 1° Correspondance. 2» Demande d'admission. 3° Fixation de la prochaine séance et de son ordre du jour.


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Séance ordinaire du 8 avril 1910,

5 1/4 heures du soir.

Présidince : M. WEIRICH.

Présents-. MM. CLODOT, DURR, FRANK, GOLDSCHMIDT, HAENLÉ, KERN, KOPP, MATHIS, GH. MÛLLER, SCHULTZ, ZWILLING, HÉRING.

M le Dr ALB. BRION, présenté par MM. WEIRICH, REEB et MÛLLER, est reçu membre actif à l'unanimité des voix.

M. le président donne lecture d'une revue bibliographique très complète et analyse à fond l'étude sur le «Vin d ins l'alimemation » rie M. Boos, le distingué directeur de la Station oenologique de l'Hérault.

M. CLODOT, chargé du rapport du champ d'essais au Wacken, fait une véritable conférence avec historique de 11 question de l'utilisation des eaux d'égout en général, puis résume les résultats réjouissants obtenus au Wacken.

Séance du comité du 15 avril 1910,

5 1/4 heures du soir. Présidence: M. WEIRICH.

Présents: MM. GOLDSCHMIDT, KOPP, MÛLLER, OTT, REEB, HÉRING.

Excusé: M. UNGEMACH.

1° Correspondance.

2° Circulaire en vue de recruter de nouveaux membres.

3° Prochaines conférences.

Séance extraordinaire du 25 avril 1910,

8 1/4 heures du soir. Présidence: M. WEIRICH.

Présents : De nombreux invités, dames et messieurs, et MM. les membres BRION, CLODOT, DÜRR, FRANK, GOLDSCHMIDT, HAENLÉ, HÛGEL, KERN, KOPP, MATHIS, CH. MÛLLER, OTT, REEB, SCHUHL, HÉRING.

La parole est donnée au conférencier. M. le pasteur GÉROLD fait l'historique complet de l'église Saint-Nicolas et laisse l'auditoire sous le charme de sa parole et sous l'impression profonde de sa savante érudition.

Le secrétaire général, TH. HÉRING.


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Séance du 14 mars 1910.

Allocution du Président.

■ La mort est venue faucher dans nos rangs. Subitement et sans que son approche ait pu être pressentie, elle s'est •dressée devant notre cher collègue, Monsieur Albert Brion, ancien architecte, et douce, mais impérieuse, elle l'a invité à. la suivre. Un pareil ordre ne peut rencontrer de refus, Monsieur Brion, surpris mais prêt, n'a pas eu le temps de se recueillir; il a dû obéir et c'est ainsi que sa famille, saris y. avoir été préparée, a perdu un époux aimant et un.père vénéré, la ville de Strasbourg un de ses meilleurs fils et notre Société un membre fidèle et dévoué. Deux jours avant de nous quitter pour toujours, il a assisté encore à une de nos séances, heureux et avide d'entendre parler de la science que nous aimons tous et fier, avec nous, des progrès qu'elle accomplit. Qui aurait pu croire alors qu'en lui serrant la main, ce serait pour la dernière fois ? Il ne nous sera plus permis de voir au milieu de nous cette figure sympathique et aimable, toujours souriante, cet homme possédant une âme d'élite et un coeur d'or. Aussi la nouvelle de son départ a-t-elle provoqué une douloureuse surprise partout où il était connu. Cette existence si bien remplie, toute de travail, de sacrifice et de dévouement, laisse d'unanimes regrets et le souvenir d'un homme de bien. C'est que notre regretté collègue avait la profonde conviction que la vie ne consiste pas uniquement dans la lutte pour l'existence, mais qu'il y a d'autres luttes plus nobles à soutenir et un but plus idéal à poursuivre et qu'elle ne trouve sa vraie . raison d'être que dans la juste conception du devoir et de l'amour du prochain. Quitter la vie en laissant le souvenir d'une probité sans tache, de services rendus sans recher-


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che de reconnaissance, du devoir accompli en toute simplicité, c'était là toute l'ambition du défunt. Il savait que la vie signifie action, aspirant au progrès matériel et moral de nos semblables et qu'à cette action est intimement liée la responsabilité à laquelle nul ne saurait se soustraire.

Après avoir fait son devoir, après avoir fait le bien et lutté pour la justice et la liberté, après avoir servi et aimé ses semblables, après s'être réjoui des conquêtes de l'intelligence humaine, notre collègue est allé au repos bien mérité; il est entré dans l'inconnu, mystère plein d'espérances et de promesses dans lequel il avait une entière confiance. Son corps nous a été enlevé: sa mémoire restera vivante au milieu de nous.

Monsieur Jacques-Albert Brion, descendant du pasteur Brion de Sesenheim, connu par Goethe, est né le 8 juin 1843 à Goxwiller, où son père était lui-même pasteur. Après avoir fait de brillantes études au gymnase protestant de notre ville, il manifesta le désir de se vouer à l'architecture. Il fit un stage de quelques mois chez M. Perrin, architecte, se rendit ensuite à Colmar et de là à Paris, où il fut admis à l'Ecole des Beaux-Arts. En 1868 il fut admis en loge pour prendre part au concours du prix de Rome.

La même année il revint en Alsace pour s'établir à Mulhouse. Il y resta jusqu'à l'année terrible. La capitulation de la ville de Strasbourg causa à notre regretté collègue une profonde douleur que partageaient du reste avec lui tous ceux qui aiment notre chère Alsace. Dès lors il sentit que sa place était dans les rangs de ceux qui, dans un suprême effort, cherchaient à sauver la patrie de la ruine et du démembrement. Il entra dans le génie et fil le coup de feu comme caporal dans l'armée de Bourbaki. Les rigueurs de l'hiver et les horreurs de la guerre ne lui furent pas épargnées. Il les subit et garda pendant-le reste de sa vie les marques de leur effet. Poursuivi et harcelé par un ennemi


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mieux équipé et mieux dirigé, il partagea le sort de ses compagnons d'armes: Occupé un jour avec vingt hommes à élever des retranchements il fut soudain entouré par l'ennemi et ne dut son salut qu'à la fuite. Il passa en Suisse, où il demeura jusqu'à la conclusion de la paix.

En. 1871, il retourna dans sa chère Alsace, à Strasbourg, où s'était retiré son père après une longue carrière et l'entoura dans sa vieillesse d'une tendre et filiale affection. Il se fixa définitivement dans notre chère ville et y fonda son foyer où n'a cessé de régner une entente et un bonheur parfaits.

C'est alors que commença pour lui une vie de labeur, de dévouement et de féconde activité. De nombreux et importants travaux occupent son intelligence et absorbent son temps. Je cite parmi les plus importants quelques bâtiments de la Faculté de médecine de Strasbourg, l'église de Barenbach et l'église protestante de Plobsheim, qui fut la première église ronde d'Alsace. Ce dernier travail a été particulièrement remarqué et son exécution a eu un certain retentissement dans le domaine de l'art architectural.

Notre collègue n'était pas seulement un grand artiste, il fut aussi un grand ami de la nature. Il aimait la montagne, l'air pur, et aussi longtemps que ses forces le lui permirent, il occupa ses loisirs à parcourir en tous sens les Alpes et nos Vosges, nos chères Vosges, qu'il connaissait si bien et qu'il aimait tant.

Il n'aimait pas la nature pour lui-même; quand un beau site le frappait, de suite la pensée allait à ses amis, il voulait leur faire partager sa joie et son admiration. Excellent photographe il leur offrait les vues qu'il prenait et était heureux de les avoir fait connaître et apprécier.

Mais si M. Brion fut un artiste distingué et un grand ami de la science et de la nature, il fut avant tout un homme d'une grande bonté. Tout son être en était pénétré


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et la mort même n'a pu enlever de son visage la fine expression de douceur et de bienveillance. Une pareille bonté ne pouvait Tester inactive; elle a engendré la générosité et forcément la charité. Notre regretté collègue n'était pas de ceux qui étalent au grand jour le bien qu'ils font. Pareille charité n'a pas de valeur morale. Je ne veux pas insister sur la charité pratiquée par M. Brion: j'ai le devoir d'être aussi discret en la citant, que lui l'a été en la pratiquant. Sa mémoire m'invite au silence et j'obéis. Il m'est permis toutefois de déclarer que bien des coeurs reconnaissants pleurent sa mort et n'oublieront pas tout le bien que lui et sa famille leur ont fait en toute simplicité, en toute discrétion et avec un coeur sincèrement compatissant.

S'il a su faire son devoir comme serviteur et ami de la science, comme citoyen intègre et droit, comme époux et comme père de famille, notre cher collègue a su également et surtout le faire comme homme dont le coeur saignait à la vue des misères humaines et qui, dans la mesure du possible, a cherché à les soulager et à les rendre plus supportables. Qu'il repose en paix!

La Société des Sciences, Agriculture et Arts de la BasseAlsace adresse à sa famille, si durement éprouvée, ses bien sincères condoléances. Que nos regrets unanimes soient pour, elle une faible consolation dans l'affliction!

Je prie l'assemblée de se lever en signe de deuil et, dans un moment de recueillement, d'honorer la mémoire de celui qifi n'est plus.


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L'abbé Grégoire

Un homme de bien; une conscience.

Par le professeur ZWILLING.

En 1788 parut une brochure qui eut un grand retentissement, tant en France qu'au delà des frontières. Elle avait pour titre: Essai sut la régénération physiqne, morale et politique des juifs. L'auteur y retraçait d'une manière saisissante les cruautés exercées contre les juifs, les persécutions sanglantes dont ils avaient été les victimes dans le cours des siècles; il réclamait pour eux des droits égaux à ceux des chrétiens, l'admissibilité aux charges et emplois publics; il indiquait les moyens les plus propres, selon lui, à les ramener à l'agriculture, à les guérir de leur passion pour le lucre, pour le trafic souvent déshonnête; il faisait enfin un appel chaleureux à la tolérance et à la charité.. « Nations « de l'Europe, disait-il entre autres, depuis dix-huit siècles « vous foulez aux pieds les débris du peuple d'Israël. La « main vengeresse de Dieu s'est appesantie sur lui avec une < terrible sévérité; mais vous a-t-il appelés à être ses instruments?... C'est à votre haine que les juifs doivent les « défauts qui vous les font détester; eh bien, qu'ils vous « doivent à l'avenir leurs vertus ! Ne font-ils pas partie, au « même titre que vous, de la grande famille humaine, qui « doit embrasser tous les peuples par les liens de la «charité?... Chrétiens, renoncez à vos antipathies et à vos «.haines, car eux et vous, vous êtes frères, enfants d'un «même père; ouvrez à ces méprisés, à ces parias de la « société des asiles où ils puissent reposer leur tête fatiguée « et sécher leurs larmes; que le juif, à son tour, apprenne à « aimer le chrétien et à lui ouvrir ses bras comme à un ami « et à un concitoyen. »

L'auteur de cette brochure au style un peu ampoulé, mais


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singulièrement généreuse, était un prêtre; il s'appelait Grégoire.

Il est des hommes qu'on n'approche qu'avec respect et sympathie, qui font du bien quand on les contemple dans leur cadre, c'est-à-dire dans le milieu dans lequel ils ont vécu; surtout quand on a le bonheur de les rencontrer aux époques de tourmente politique ou religieuse, où les vrais caractères sont rares, et où les esprits les mieux pondérés ne sont pas exempts de faiblesse ou d'entraînement. Il m'est agréable d'avoir à vous retracer le portrait d'un de ces hommes exceptionnels, d'une de ces âmes d'élite. L'abbé Grégoire est, en effet, une des figures les plus originales et les plus sympathiques de l'histoire politique et religieuse de son temps ; car il fut un homme de caractère et de conviction et un patriote éclairé qui, d'un bout à l'autre de sa longue carrière, souvent orageuse, eut le courage de rester fidèle à ses principes et immuable dans sa foi; qui, comme homme politique et comme prêtre, à l'Assemblée Nationale, à la Convention, puis au Conseil des Cinq-Cents et au-Sénat de l'Empire sut ne jamais perdre de vue sa belle devise: religion, liberté, patrie, humanité.

Henri Grégoire naquit à Vého, petit village des environs de Lunéville, le 4 décembre 1750. Ses parents, de pauvres paysans, semblent avoir veillé à son éducation première avec une tendre sollicitude et lui avoir indiqué de bonne heure des principes d'honneur et de piété.

Avec quelle affection touchante Grégoire s'exprime sur leur compte dans ses Mémoires! « Je rends grâces au ciel «de ce qu'il m'a donné des parents qui, tout en ne possé« dant d'autres trésors que la piété et la vertu, se sont « honnêtement efforcés de m'assurer le meilleur des hérita« ges... Jamais nous ne nous sentions plus heureux qu'en « nous trouvant réunis. Maintenant encore il m'arrive « parfois de me réfugier dans l'isolement, afin de m'entre-


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« tenir avec eux par la pensée. Je me représente leurs « traits vénérables, j'entends le son touchant de leur voix... «Il ne me reste d'eux que leurs tombes; encore sont-elles « à quatre-vingts lieues d'ici. Je ne puis y répandre les lar« mes de reconnaissance que m'arrache le souvenir de leur «inépuisable tendresse; mais j'ai l'espoir de les revoir «bientôt dans un monde meilleur. Quelle douce et conso« lante perspective! Que de fois j'ai goûté en esprit cette « ineffable félicité! »

Se sentant de la vocation pour l'état d'ecclésiastique, le jeune Grégoire entra chez les jésuites de Nancy, où l'histoire devint bientôt son étude favorite. Il y puisa — chose bien rare dans la sphère où il fut élevé — un ardent amour pour la liberté tant religieuse que politique.

Nommé vicaire, puis curé à Embermesnil, il se consacra avec bonheur à la conduite de son troupeau. « Les années « les plus heureuses de ma vie, dira-t-il plus tard, ont «été celles où j'étais simple curé de village... Un pasteur, «.vraiment digne de ce nom est un messager de paix au « milieu de ses paroissiens ; il n'est pas un seul jour, pas un « seul, où il ne fasse quelque bien. »

Cependant, quelque heureux qu'il se sentît dans sa petite paroisse, cette sphère d'activité si restreinte ne pouvait suffire à la longue à son âme ardente. Poussé par un vif désir d'étendre ses connaissances, il s'applique aux lettres, publie en 1773 un éloge de la poésie, couronné par l'Académie de Nancy ; il se met à apprendre .l'anglais et l'allemand ; il entre en correspondance avec une foule de savants; il entreprend enfin des voyages en pays étrangers, afin d'étudier sur les lieux les formes sociales et les institutions politiques des peuples. Un de ces voyages le conduit en Suisse. A Zurich (1776), où il fait un séjour prolongé; il apprend à connaître Lavater, Hirzel, Gessner; et bientôt l'amitié lie ces hommes animés d'un même esprit d'indépendance et


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d'un même amour pour la chose publique. Sur cette terre classique de la liberté, au milieu de cette nature grandiose, il s'enthousiasme pour le gouvernement républicain, que, dès lors, il rêve pour sa patrie.

Il revient à Embermesnil le coeur gonflé de nobles aspirations. Comme il se sent pressé de communiquer aux autres une étincelle au moins de la flamme sacrée qui l'anime! C'est alors qu'il écrit en faveur des juifs son fameux Essai, qui fut couronné par l'académie de Metz. Du premier coup, le modeste curé de village est devenu célèbre; par sa brochure, il s'est acquis le droit de ne pas rester simple spectateur dans la lutte qui va s'ouvrir dans sa patrie en faveur de la liberté.

Nous sommes à la veille de la Révolution. Je ne vous rappellerai pas comment Louis XVI fut amené à convoquer les Etats généraux. La plupart des hommes qui avaient contribué au succès des élections, soit par leurs écrits, soit par leurs actes, avaient été appelés à l'honneur de représenter leurs concitoyens. C'est ainsi que le clergé de Lorraine avait porté ses suffrages sur le curé d'Embermesnil. 1 Ce fut pour lui un beau jour, car l'heure avait sonné où il allait pouvoir se vouer ouvertement, efficacement à l'affranchissement de ce peuple dont, pendant quinze ans, il avait partagé les souffrances.

Avant de vous retracer le rôle joué par l'abbé Grégoire dans le grand mouvement d'émancipation qui va changer la face de la France, permettez-moi, Mesdames et Messieurs, de vous rappeler quelques faits préliminaires.

Louis XVI, comme vous le savez, ouvrait les Etats généraux le 5 mai 1789. Le nombre des députés était de 1.200 environ, dont 600 appartenaient au tiers état, tandis que chacun des deux ordres privilégiés, noblesse et clergé, n'en

1 Le haut clergé lui était hostile à cause de pon libéralisme.


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comptait que la moitié. Il est à peine besoin d'ajouter que les sympathies de Grégoire étaient toutes acquises à celui des trois ordres qui, selon le mot plus spirituel que juste de Sieyès, n'avait « rien été juque-là » et demandait « à devenir. quelque chose» 1.

Avant de commencer leurs délibérations, les trois Ordres avaient à vérifier les pouvoirs de leurs membres. Mais cette vérification, comment se fera-t-elle? En commun ou séparément ? Le vote aura-t-il lieu par tête ou par Ordre ? Telle est la grave question qui se présente dès l'abord; car le roi avait négligé de décider ce point essentiel dans la lettre de convocation des Etats. La noblesse et le clergé demandaient que chaque Ordre votât séparément; tandis que le Tiers, pour ne pas être réduit à l'impuissance, réclamait le vote en commun et par tête. Le ministère fit une tentative de conciliation, mais sans succès. La noblesse maintînt la vérification séparée des pouvoirs; quant au clergé, il était hésitant. Après s'être prononcé d'abord dans le sens de la noblesse, il était revenu le lendemain sur sa décision. Le Tiers alors, sur la proposition de Mirabeau, l'adjura, au nom du Dieu de paix, de se ranger du côté de la raison, de la justice et de la vérité.

Un grand nombre de curés sortis des rangs du peuple, vivant de sa vie et sentant comme lui le poids des abus et des privilèges, auraient voulu répondre à l'appel de ses représentants. Seuls l'intérêt de caste et les menées du haut clergé les retenaient encore. Eh bien, ce fut le curé d'Embermesnil qui les entraîna. « Il ne convient pas, «s'écriait-il, que nous, pasteurs du peuple et sortis de ses « rangs, nous l'abandonnions dans cette heure décisive. Avec « le peuple ! que telle soit notre devise ; et si quelques-uns

«Qu'est-ce que le Tiers état?" pamphlet politique de Sieyès, 1789.


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« de nos collègues refusent de se laisser désabuser, séparons« nous d'eux et allons nous réunir au Tiers. »

Dès le 13 juin, douze de ses collègues avaient suivi son exemple, et le 22 du même mois, deux jours après le Serment du Jeu de Paume, cent quarante-sept autres membres de la majorité du clergé vinrent se joindre à eux. L'Assemblée les accueillit avec allégresse, et, pour donner à Grégoire un témoignage de son approbation, le nomma secrétaire, en même temps que Sicyès, Mounier et Lally-Tollendal.

C'est pour rappeler le rôle joué par Grégoire dans ces journées mémorables, que le peintre Louis David l'a placé sur le premier plan de son esquisse du Serment du Jeu de Panme, donnant l'accolade au chartreux dom Gerle* et au pasteur protestant Rabaud Saint-Etienne.

Le 12 juillet l'Assemblée se crut perdue: entourée do troupes, elle s'attendait à voir d'un moment à l'autre la salle de ses délibérations envahie et les représentants dispersés ou arrêtés par ordre du roi. Grégoire, dans ce moment critique, eut assez de présence d'esprit pour mettre en sûreté les procès-verbaux des séances et pour empêcher la cour de faire enlever de force ces monuments de la liberté naissante 1.

Sept cents députés et une foule de citoyens alarmés encombraient la salle et les galeries. Grégoire prit la parole et dans un discours véhément conjura ses collègues de se souvenir de leur serment. « Apprenons à ce peuple qui nous « entoure que nous sommes inaccessibles à la terreur... Nous

1 C'est lui qui les 13, 14 et 15 juillet, lorsque l'Assemblée, revenue de son effarement, se déclara en permanence, présida la séance de soixante-douze heures pendant laquelle «le peuple de Paris», en réalité, affirme M. Funck-Brentano, «un ramassis de gardes françaises, de déserteurs de toutes armes, de bourgeois exaltés qui croyaient faire oeuvre méritoire en se ruant sur ces murs inoffensifs», s'emparait de la Bastille.


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« sauverons la liberté que le pouvoir menace d'étouffer dans « son berceau, fallût-il pour cela nous ensevelir sous les « débris fumants de cette salle ! Si fractus illabatur orbis, « impavidum ferient ruinae. »

A partir de ce moment les événements se succédèrent rapidement. Pendant que les contre-révolutionnaires s'enfuyaient du royaume, à leur tête le comte d'Artois, le futur Charles X, la Révolution continuait de s'organiser, non seulement à Paris, mais dans la France entière.

Sardou dans sa préface à la « Bastille » de M. FunkBrentano, appelle désastreuses les conséquences du 14 Juillet. Ces seuls mots: «la Bastille est prise! » sont dans la France entière le signal des plus affreux désordres. Il semble que ces vieux murs entraînent dans leur chute toute autorité, tout respect, toute discipline ; et que ce .soit la brèche ouverte à tous les excès. Les paysans, non seulement refusent les redevances, mais s'en vont par bandes ravager, piller, incendier les châteaux, les maisons bourgeoises, et brûler vifs ceux qui s'y laissent prendre; si bien que l'on a pu dire (Malouet): « le 14 Juillet fut le premier éclair de la Terreur. »

L'Assemblée sentit qu'il fallait couper court à ces excès. Ce fut l'oeuvre de la célèbre séance nocturne du 4 août, où, dans « l'intérêt de l'ordre et du bonheur public », les représentants de la noblesse et du clergé firent le sacrifice de leurs privilèges avec une noble émulation de patriotisme et de générosité1.-

Grégoire prit une part active aux délibérations de cette mémorable époque. Démocrate par principe et par tempérament, uniquement préoccupé de l'affranchissement du

1 Le 19 octobre 1789, l'Assemblée nationale se transporte à Paris dans les bâtiments de l'archevêché; puis, en décembre, au manège des Tuileries, rue actuelle de Eivoll.


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peuple et de l'amélioration de son sort, il parla en faveur de la suppression des droits féodaux et de la dîme ; se prononça pour la remise des biens ecclésiastiques à l'Etat, et vota contre le droit d'aînesse et le veto absolu. Enfin, dans les débats animés sur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, il demanda avec instances qu'on inscrivît le nom de Dieu au frontispice de ce fameux manifeste, et qu'on lui donnât une sanction morale, en ajoutant à la déclaration des droits celle des devoirs. « Si l'homme a des « des droits, ne convient-il pas avant fout de parler de celui de qui il les a reçus ? »

L'Assemblée ne lui donna satisfaction que dans une certaine mesure: elle refusa de définir ces devoirs, mais elle reconnut et déclara « en présence et sous les auspices de l'Etre Suprême », que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen avait pour but de rappeler sans cesse à tous les membres du corps électoral social leurs droits et leurs devoirs 1.

Après que la Constituante eut pris la grave résolution de réorganiser l'Eglise de France, les évêques, membres de l'Assemblée, publièrent un Exposé de principes, auquel adhéra dès l'abord le clergé tout entier, et dans lequel ils protestaient contre tout changement qui ne serait pas opéré, par un concile national, et surtout contre l'élection des évêques et des curés par le peuple... On dirait que l'histoire se renouvelle en se répétant, qu'elle est un perpétuel recommencement. N'assistons-nous pas en ce moment au même choc des idées, aux mêmes luttes des partis? C'est que les sociétés ne se transforment pas subitement par la volonté de quelques-uns. Les lois générales de l'évolution humaine

1 II ne tint pas à lui que le suffrage universel ne fût établi en France dès 1789 (Debidour, L'abbé Grégoire).


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sont inéluctables. A les méconnaître, on ne favorise guère le progrès, on le retarde parfois.

Louis XVI, façonné par l'Eglise, était profondément troublé. Il n'osait sanctionner le nouveau décret de l'Assemblée. Le profond changement des usages et de la discipline ecclésiastique, quoique n'attaquant en aucune façon les croyances, lui semblait porter atteinte à la religion. Dans son angoisse, il s'était adressé au pape et lui avait demandé conseil. « Si le roi de France, avait répondu Pie VI, a pu renoncer aux droits de sa couronne, il ne peut, en aucun cas, sacrifier les droits de l'Eglise dont il est le fils aîné. Ce serait hasarder son salut éternel et celui de ses peuples. »

L'Assemblée Nationale, vivement irritée, décréta alors, sans s'arrêter aux protestations passionnées de l'orateur du clergé, l'abbé Maury, que tous les ecclésiastiques en exercice prêteraient le serment civique; que ceux qui s'y refuseraient seraient considérés comme démissionnaires; que tous ceux qui, après avoir prêté le serment, désobéiraient au décret, seraient poursuivis comme rebelles, ainsi que ceux qui prétendraient continuer leurs fonctions sans avoir prêté le serment.

Les conséquences de cette résolution devaient être désastreuses.

Lorsque, dans la séance du 4 janvier 1791, le président de l'Assemblée invita les députés du clergé à jurer fidélité aux nouvelles lois, Grégoire seul se leva. Quoiqu'il n'approuvât pas la décision de la majorité, qui s'était laissé guider par un idéal sans se préoccuper des contingences, il sut faire, par patriotisme, le sacrifice de ses préférences. Pensant qu'on pouvait faire acte de bon citoyen tout en étant bon chrétien, il essaya d'entraîner ses collègues par sa parole et son exemple. « Je donne mon adhésion à la « Constitution, non que je la trouve parfaite, mais parce que « je regarde cette adhésion comme un devoir de patriotisme,


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« propre à porter la paix dans le royaume et à cimenter « l'union entre les pasteurs et les ouailles s 1.

Il devint ainsi le chef du clergé constitutionnel de France 2; mais en même temps l'objet de la haine la plus violente des prêtres non assermentés ou rêfractaires, qui ne lui pardonneront jamais ce qu'ils appellent son apostasie.

L'acte patriotique du curé d'Embermesnil n'eut donc que peu d'imitateurs. Soixante-cinq seulement de ses collègues consentirent à prêter le serment civique; les trois cent trente-cinq autres quittèrent la salle des séances, puis donnèrent leur démission. Ce fut le signal de la scission. La plupart des curés de Paris et 50.000 autres dans le reste du pays, refusèrent le serment, tout en prétendant se maintenir dans leurs fonctions. Ils déclarèrent nuls tous les actes de quiconque oserait prendre leur place, et excommunièrent les prêtres assermentés et les fidèles qui communiqueraient avec eux.

Le pape, de son côté, lança un bref où il déclarait que l'Assemblée nationale avait outrepassé ses pouvoirs, cl que tous ceux qui avaient prêté ou prêteraient le serment étaient schismatiques. La discorde était dès lors dans les familles, dans les paroisses, dans les provinces; les troubles avaient commencé; ils allaient bientôt dégénérer en guerre civile 3.

1 Grégoire juge le gallicanisme, qui a inspiré les Pragmatiques sanctions de Saint-Louis et de Charles Vif, la Déclaration de 1682 ainsi que la Constitution civile du clergé, conforme aux décisions des grands conciles oecuméniques, aux traditions de l'Église primitive et à l'esprit général du droit civil français (Ponget, p. 122).

* Grégoire s'efforce toujours de concilier ses devoirs de réformateur et son amour de l'égalité avec son zèle pour la religion catholique, la ferveur de sa foi ascétique et jenséniste.

3 Grâce à la faiblesse ou à l'indifférence du gouvernement, le clergé réfractaire reprit bientôt toute son influence et ne tarda pas à supplanter le clergé national ou constitutionnel. V. entre autres


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La Constitution civile du clergé avait privé mainte paroisse de son curé, maint diocèse de son évêque. Les circonscriptions du Mans et de Blois offrirent simultanément à Grégoire l'épiscopat constitutionnel. Après quelque hésitation, il opta pour le dernier siège, mais resta à Paris jusqu'à ce que la Constituante eût achevé ses travaux (30 sept. 1791) 1. Il ne prit plus la parole qu'une seule fois, lors de la fuite du malheureux Louis XVI. Combien nous souhaiterions que, dans cette triste circonstance, il se fût tenu à l'écart! Sa haine contre les tyrans (c'est ainsi qu'il appelait les rois) troublait son regard au point qu'il ne voyait pas seulement en Louis XVI un monarque faible, jouet des influences les plus diverses, mais encore un homme foncièrement corrompu et par suite dangereux.

L'Assemblée constituante, vous vous en souvenez, avait commis la lourde faute de décider qu'aucun de ses membres ne pourrait faire partie de celle qui allait lui succéder sous le nom de Législative'. Grégoire qui, dans les dernières années, ne s'était guère occupé que de politique, résolut de se consacrer entièrement à ses fonctions épiscopales 3. Sa profonde piété, qui éclatait dans sa conduite non seulement, mais encore dans ses sermons, d'où la politique toutefois n'était jamais complètement exclue; son inépuisable charité et son large esprit de tolérance lui eurent bientôt gagné tous les coeurs sincères. Aussi quand, en 1792, les électeurs de Loir-et-Cher l'envoyèrent à la Convention, n'est-ce pas au

publications concernant spécialement notre pays: E. Reuss, L'Alsace pendant la Révolution française; A. M. P. Ingold, Grégoire et l'Église constitutionnelle d'Alsace; Paulus, L'Eglise de Strasbourg pendant la Révolution.

1 Elle avait duré 2 ans et 4 mois.

* 1er oct. 1791—21 sept. 1792.

3 Sa première tournée pastorale dura quarante jours, pendant lesquels il prêcha cinquante fois; en 1792, il confirma cinquante mille enfants.

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patriote seulement, mais aussi au prêtre dont la haute moralité et les fermes principes religieux ne s'étaient jamais démentis, qu'ils voulurent donner un témoignage de leur confiance et de leur attachement.

Ses opinions politiques ne s'étaient pas modifiées ni ses haines refroidies. Dès la première séance (21 septembre 1792), après un discours véhément dans lequel il avait appelé la royauté une superfétation, et l'histoire des rois le martyrologe des nations, il demanda que la Convention consacrât l'abolition de la royauté. L'assemblée tout entière se leva et rendit par acclamation le décret suivant: « La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France. » Grégoire avoue que l'excès de joie que lui causa cette décision lui ôta pendant plusieurs jours l'appétit et le sommeil.

Qu'allait-on faire de Louis XVI? La Montagne, afin de jeter un défi sanglant aux rois et rendre toute réconciliation impossible, demandait la mort du monarque déchu. Mais le roi-pouvait-il être mis en jugement? Sa personne n'était-elle pas inviolable?

Les débats sur cette question s'ouvrirent le 13 novembre, et Grégoire y prit une part active. Fidèle à ses principes et convaincu de la culpabilité du roi, il se prononce énergiquement pour sa mise en jugement, « afin, dit-il, de détruire en Europe le préjugé de l'inviolabilité royale » ; mais il repoussa la peine de mort avec non moins d'énergie. « L'in« violabilité du roi est une folie; la loi est au-dessus de tous; « le roi lui est soumis comme le dernier des citoyens... «Louis XVI est coupable, il a conspiré avec l'ennemi, il a « appelé les étrangers à envahir le sol de la France et a « versé le sang de milliers de citoyens... Mais n'est-ce pas as« sez que le coupable ne puisse plus nuire? Qui vous donne le «droit de lui prendre la vie?... La peine de mort est un « reste de barbarie, qui devrait être rayé du code des na-


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« tions. » Louis XVI, malgré les efforts de ses défenseurs, Tronchet, Malesherbes et Desèze, fut condamné à mort le 14 janvier 1793. Grégoire en ce moment était en mission en Savoie et dans le comté de Nice pour y organiser les services publics. Ne pouvant directement prendre part au vote, il écrivit au bureau de l'Assemblée une lettre datée de Chambéry, dans laquelle il déclare Louis XVI coupable, mais repousse la peine de mort en même temps que l'appel au peuple.

Il revint à Paris au mois de mai. Que de changements étaient survenus en son absence! La guerre civile avait éclaté dans les départements de l'Ouest; à la Convention, Girondins et Montagnards se combattaient avec acharnement, et il n'était plus au pouvoir d'aucune éloquence de réconcilier les deux partis. Grégoire, quoique écoeuré, crut de son devoir de demeurer au centre de la lutte et continua d'assister aux séances de l'Assemblée, où il espérait encore rendre service à la cause de la justice et de la liberté. Effectivement, élu président des rapports et membre du comité de l'instruction publique, il devint, avec Lakanal et Daunou, un des collaborateurs les plus actifs de cette section qui dota la France de tant de créations utiles : l'Institut, le Muséum d'histoire naturelle, le Bureau des. longitudes et le Conservatoire des arts et métiers; d'autres rapports eurent pour objet le développement de l'instruction primaire, l'usage exclusif de la langue française dans toutes les parties de la République, la composition de livres élémentaires, l'organisation des bibliothèques publiques, l'établissement de jardins botaniques et de fermes modèles. Il contribua plus que personne à prévenir la destruction des oeuvres d'art, crime que, le premier, il qualifia de vandalisme; il protégea de tout son crédit les hommes de lettres, les artistes, les savants, et leur fit accorder des encouragements pécuniaires. « Parmi les peuples, comme parmi les individus, se


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plaisait-il à dire, le plus industrieux sera toujours le plus libre. » Ses observations sur le travail des femmes, auxquelles il aurait voulu ouvrir le plus de carrières possible, sont encore applicables aujourd'hui. Il éleva de nouveau la voix en faveur des juifs et obtint de l'Assemblée leur introduction dans la vie civile et politique; les protestants lui sont également redevables de leur émancipation 1; enfin, émule de Wilberforce, il fit supprimer la prime accordée jusqu'alors à la traite des nègres et, le 4 février 1794, décréter l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises. Les énergumènes de la Montagne ne lui inspiraient toutefois que du mépris. « Il se trouve dans la Convention deux « ou trois cents individus qu'on ne peut appeler que scé« lérats, parce que la langue française n'a pas d'expres« sion plus forte: oui, il s'y trouve des gens que l'enfer « semble avoir vomis de sa bouche. Et qui sont-ils? des fu« rieux, des enragés et, au fond, des lâches. »

Le moment était arrivé où le « Ecrasez l'infâme » de Voltaire allait devenir une triste réalité. Le christianisme fut aboli et les églises converties en temples de la Raison. « L'entreprise la plus irrationnelle et la plus impolitique, « s'écrie Grégoire à la tribune, est celle qui consiste à vou« loir édifier la république sur l'athéisme, au lieu d'établir « une sainte union entre le christianisme et la démocratie. » Mentionnons tout spécialement la conduite courageuse de l'évêque de Blois dans sa séance du 7 novembre 1793. Les chefs de la Commune amenèrent ce jour-là à la Convention l'archevêque constitutionnel de Paris, Gobel, un Alsacien 2, suivi de ses vicaires et de plusieurs curés de la capitale.

1 La liberté des cultes est à ses yeux le complément de la liberté de conscience et la sauvegarde de toutes les autres libertés... Le gouvernement doit aux diverses religions l'égalité dans la liberté (Gazier).

8 Né à Thann en 1727, guillotiné à Paris en 1794.


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Gobel eut le triste courage de déclarer, en jetant loin de lui ses vêtements épiscopaux, qu'il renonçait à ses fonctions de ministre de la religion catholique, qu'il abjurait le christianisme qui n'était qu'une duperie, que la liberté et la patrie seraient à l'avenir les seuls objets de son culte.

L'enthousiasme fut au comble; le président de la Convention félicita chaudement Gobel, l'embrassa et le coiffa du bonnet rouge. D'autres ecclésiastiques, parmi eux un pasteur protestant, Julien de Toulouse, suivirent ce déplorable exemple. Quelques-uns poussèrent l'infamie jusqu'à déclarer que jusqu'à ce jour ils n'avaient été que des rêveurs et des charlatans, et qu'ils avaient prêché sciemment le mensonge.

Grégoire était absent de l'Assemblée au moment où fut jouée cette triste comédie. Quand il revint, ses collègues se précipitèrent vers lui, le traînèrent à la tribune et le sommèrent d'abjurer son charlatanisme. Il y allait de sa vie. . « Malheureux blasphémateurs, répondit-il avec un noble « courage, jamais je n'ai prêché que ce que dans mon âme « et conscience j'ai cru être la vérité, et je resterai fidèle à « cette vérité aussi longtemps que j'aurai un souffle de vie. «On .me parle de sacrifices à la patrie; j'y suis habitué. «S'agit-il d'attachement à la cause de la liberté ?Mes preu« ves sont faites depuis longtemps. S'agit-il du revenu atta« ché aux fonctions d'évêque ? J'y renonce sans regret. Mais « vous exigez que je vous fasse le sacrifice de ma foi? Vous « n'avez pas le droit de toucher à ce sanctuaire. Catholique « par conviction et par sentiment, prêtre par choix, j'ai été « délégué par le peuple pour être évêque ; mais ce n'est ni « de lui ni de vous que je tiens ma mission. J'ai consenti à « porter le fardeau de l'épiscopat dans le temps où il était «entouré d'épines; on m'a tourmenté pour l'accepter; on « me tourmente aujourd'hui pour me forcer à une abdica« tion qu'on ne m'arrachera jamais. Agissant d'après des « principes sacrés qui me sont chers, et que je vous défie de


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« me ravir, j'ai tâché de faire du bien dans mon diocèse, « et je reste évêque pour en faire encore ; j'invoque la liberté « des cultes. »

L'évêque de Blois ne pratiquait pas, comme vous le voyez, la prudence égoïste, indigne non seulement d'un homme d'Etat, mais d'un homme. Il osait être sincère, et c'était, à cette époque, une qualité qui n'était point banale. Des cris de fureur accueillirent sa courageuse déclaration; ce fut un débordement d'injures et de menaces. Impassible, souriant, Grégoire regagna sa place, rendant grâce à Dieu, dit-il dans ses Mémoires, qui lui avait donné la force de le confesser. Quand il quitta la salle des séances, la populace le suivit en hurlant: « A la lanterne! A la guillotine, le calotin! » Toutefois elle le laissa passer.

A partir de ce jour, désespérant de la liberté, il s'abstint d'assister aux séances de l'Assemblée, mais continua de se montrer en public dans sa soutane violette si odieuse aux Parisiens. Plus d'une âme angoissée, plus d'une conscience timorée vint chercher secours et consolation auprès de lui dans ces jours néfastes. Que de fois ne vit-il pas arriver chez lui, à la faveur des ténèbres, des gens qui, le jour, s'étaient déchaînés contre la religion par peur, par entraînement ou même par vanité.

Ces malheureux, poussés par le remords, venaient lui ouvrir leur coeur et lui confier leurs tourments. « C'est ainsi « que j'ai appris à connaître maint braillard, et que j'ai bap« tisé maint enfant dont le père adressait en public des hom« mages à la Raison. »

La chute de Robespierre avait mis fin au régime de la Terreur. L'élément modéré, composé en majeure partie de survivants de la Gironde et d'anciens amis de Danton, reprit peu à peu le dessus à la Convention. Ce fut alors seulement que Grégoire y reparut, après s'être tenu à l'écart pendant près de neuf mois. Christianiser la Révolution, tel


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était encore le rêve de ce noble coeur, même après les odieux excès dont il venait d'être témoin. Il avait composé un mémoire sur la liberté des cultes, et portait constamment sur lui son manuscrit, épiant une occasion favorable pour le produire. Lorsque, le 21 décembre 1794, s'ouvrit la discussion sur l'abolition du nouveau calendrier, le moment lui sembla propice. Tout ce qu'il y avait de douleurs longtemps contenues, de ressentiments lentement amassés dans son âme ulcérée éclata ce jour-là. « La Convention a com« mis un crime de lèse-religion ; elle a foulé aux pieds les «sentiments les plus sacrés de l'humanité; elle a cultivé la « lâcheté en favorisant l'apostasie! Comment voulez-vous « inculquer au peuple des principes de vertu si vous en ta« rissez la source, qui est la religion?:.. Je ne demande pas « que l'Etat ait une religion, ni qu'il en rétribue les repré« sentants, mais je demande pour tout citoyen français la « liberté de choisir la sienne et de l'exercer sans enfreindre « la loi. »

Ce n'est que le 21 février suivant que la Convention prend le sage parti de suivre le conseil de Grégoire. Elle décrète que nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il s'est choisi. Devançant notre époque, elle fait plus: Elle refuse de salarier ancun culte, cherchant à briser l'alliance de l'Eglise et de l'Etat, et à séparer la société politique de la société religieuse, où ne doit exister aucune contrainte, et où nul ne doit relever que de sa conscience. La tentative était sans doute prématurée. Retombée depuis sous l'ancien joug, la France vient de la renouveler. Sera-t-elle définitive?

Si l'honneur de la victoire d'alors ne revient pas tout entier à l'évêque de Blois, il n'en est pas moins vrai que c'est lui qui l'a préparée et qu'il y a puissamment contribué par ses démarches incessantes et sa courageuse persévérance à réclamer, même dans une lettre pastorale, une


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mesure qu'il regardait comme indispensable au salut de la religion. Amener l'Etat à reconnaître son incompétence en matière de foi, c'était on tout cas rendre à la cause de la liberté un service inappréciable. Il résume pour ainsi dire toute l'activité politico-religieuse de ce prêtre républicain, dont on a pu dire qu'il avait le fanatisme de la tolérance 1.

Est-il besoin d'ajouter que la carrière politique de Grégoire fut toute de désintéressement? • D'une frugalité extrême, sachant se contenter de l'indispensable, il versait naïvement au Trésor public tout ce qu'il pouvait économiser sur son traitement 2. Sans doute on lui souhaiterait parfois plus de sang-froid, moins de passion. Mais comment reprocher le manque de modération à un homme qui avoue lui-même, avec une honnête candeur, qu'il est bien difficile d'être raisonnable dans une assemblée de fous?

La fin de la Convention clôt la première période de la carrière politique de Grégoire. Dans la seconde, où, par la force des circonstances, il ne paraît plus qu'à l'arrière-plan, ses fonctions ecclésiastiques et son activité littéraire l'absorbent davantage, sans l'empêcher de suivre les événements d'un oeil attentif et de rompre çà et là une lance pour la bonne cause. Objet d'horreur pour les royalistes, de moquerie pour les autres, il ne joue qu'un rôle effacé au Conseil des Cinq-Cents.

A l'expiration de son mandat (mai 1798), il ne fut pas réélu, et sa situation devint des plus pénibles 3. Son zèle

1 L'histoire de l'Église constitutionnelle n'est qu'une des phases de la grande lutte qui s'est poursuivie en France, pendant des siècles, entre les deux tendances qui se partagèrent la direction dos esprits et des consciences, le gallicanisme et l'ultramontanisme.

2 Pendant sa mission en Savoie, il dînait chaque soir de deux oranges; puis rapporta au Trésor public une partie de l'indemnité qui lui avait été accordée au départ (Debidour).

3 Ne recevant plus de subvention de ses diocésains, puis abdiquant ses fonctions épiscopales (1803), il vit d'un petit emploi à la Bibliothèque de l'Arsenal.


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pour les intérêts de l'Eglise et son aversion pour la théophilanthropie 1 alors en faveur dans les régions gouvernementales, lui avaient attiré la haine du Directoire qui ne lui épargna pas les tracasseries. Toute sa petite fortune consistait en assignats sans valeur. La plupart de ses amis enfin s'étaient éloignés de lui. « Il est donc vrai, dit-il « avec amertume dans ses Mémoires, que les amis sont « comme les cadrans solaires ; ils ne servent que quand il * fait beau. Heureux celui qui n'apprend à connaître les « hommes que par une longue expérience. Si, dès notre entrée dans la carrière, nous savions ce qu'ils valent, nous «fuirions dans un désert pour leur échapper.»

Sa misère devint telle qu'il dut vendre une partie de sa bibliothèque; et déjà il songeait sérieusement à louer quelques champs afin de cultiver lui-même son pain, lorsqu'il fut nommé membre du Corps législatif, qui l'élut pour son président (1800).

Comme tel, il fut charge de porter la parole au nom de la députation que l'Assemblée nouvellement constituée envoya aux consuls. Il les conjura de rester fidèles à la devise: < Par le peuple et pour le peuple ». Aussi épris d'indépendance qu'à vingt ans, il crut naïvement que l'heure de la délivrance avait enfin sonné, qu'une nouvelle ère de liberté allait s'ouvrir pour la France, tant le premier consul, par ses allures démocratiques, avait réussi à surprendre sa bonne foi. Le rêve fut de courte durée et le réveil bien amer. Il devint dès ce moment l'ennemi acharné de Bonaparte. Au Sénat, où il entra en 1801, il fut de la faible minorité qui n'avait pas encore plié le genou devant l'idole, et ne cessa de protester contre les complaisances de cette assemblée et contre le honteux servilisme qui commençait à

1 Sous le Directoire on appela philanthropes les disciples de Voltaire et de J. J. Rousseau.


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envahir toutes les couches de la société, servilisme que dans son Histoire des sectes religieuses il flétrit sous le nom de monarcholatrie. Il vota contre le consulat à vie, contre le Concordat, contre l'occupation des Etats de l'Eglise, contre la création des contributions indirectes, contre l'organisation dos tribunaux exceptionnels et les prisons d'Etat Deux de ses collègues et lui furent les seuls, en 1804, qui osassent s'opposer, dans la presse et au Sénat, à l'érection du gouvernement impérial ; seul il combattit le rétablissement des titres nobiliaires; seul enfin il eut le courage de se prononcer contre le divorce de l'empereur et de refuser d'assister à son mariage! 1

Etouffant dans cette atmosphère chargée de miasmes serviles, surexcité par l'aiguillon des souvenirs, peut-être aussi par la grandeur du dessein, Grégoire ne rêvait qu'aux moyens de briser le joug impérial. Il avait recruté une vingtaine d'amis politiques, tous décidés à travailler à la chute de Napoléon; il avait même rédigé un acte de déchéance motivée qui, l'occasion se présentant, devait être lancé dans le public.

Hélas! la délivrance vint autrement que son ardent patriotisme ne l'eût souhaité. En 1814, le Sénat prononça la déchéance de Napoléon. Les mêmes hommes qui, quelques mois auparavant, ne savaient assez exalter les bienfaits de l'Empire, protestaient maintenant de leur dévouement à la cause des Bourbons avec un empressement cynique qui valut la pairie à la plupart d'entre eux. Grégoire ne fui pas compris dans la Chambre des Pairs reconstituée en 1814; il ne pouvait y avoir de place pour un démocrate, pour un ex-évêque constitutionnel dans une assemblée uni1

uni1 publia dans cette période de nombreux et savants ouvrages, entre autres: Les Ruines de Port-Royal (1801—1809); un Essai sur l'agriculture au 16e siècle (1804); son Histoire des sectes religieuses (1810), etc.


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quement composée de serviteurs dévoués à la royauté. Quant à la seconde Restauration, elle ne se contenta pas de le délaisser, elle le persécuta. Son nom figurait sur une liste de proscription dressée par les royalistes avant leur rentrée en France avec cette addition: Destiné à la roue. On dut se contenter de le persécuter; on l'exclut brutalement de l'Institut, dont il avait été l'un des fondateurs, puis on lui retira, son seul moyen d'existence, sa pension de sénateur. La gêne du vieillard devint extrême; il se vit forcé non seulement de vendre le reste de sa bibliothèque, mais — et ceci lui fut le plus sensible — de refuser l'aumône aux pauvres auxquels, jusqu'à ce jour, il avait régulièrement distribué une partie de son modeste revenu. Et il avait 65 ans! «Je vou«drais pouvoir dire adieu à l'Europe; malheureusement «je suis dans un âge où il ne m'est plus guère possible de «me créer une nouvelle existence,» écrivait-il à cette époque. «Je veux me patienter encore un peu; car j'ai lieu de croire «que ma délivrance n'est pas trop éloignée, et cette espé«rance me console.»

Ce découragement ne dura pas; mais le séjour de Paris réactionnaire était devenu insupportable à ce républicain de vieille roche. Il se retira à Auteuil, qui alors était loin de Taris, et y vécut les quinze dernières années de sa vie. Fier du passé, humilié du présent, peu confiant dans l'avenir, il retrouva toute sa vigueur dans le calme de la retraite et dans l'étude. Il y acheva des travaux littéraires pour lesquels dès longtemps il avait amassé les matériaux, et un grand nombre d'écrits furent le fruit de ses loisirs 1.

Cependant les empiétements de l'ultramontanisme, les

1 Essai historique sur les libertés de l'Église gallicane (1820); De l'influence du christianisme sur la condition des femmes (1821); Des peines infamantes à infliger aux négriers (1822); Histoire des confesseurs des empereurs, des rois et autres princes (1824); Histoire du mariage des prêtres (18 6), etc.


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excès regrettables de la réaction royaliste dans le Midi et ailleurs commençaient à inquiéter le pays. Il se produisit comme un courant libéral. Les électeurs de l'Isère, désireux de répondre par une manifestation solennelle aux revendications exagérées des ultramontains, et d'assurer un défenseur éprouvé à la cause de la liberté et de la tolérance, se souvinrent de Grégoire et portèrent sur lui leurs suffrages aux élections de 1819. Un cri de fureur retentit dans le camp des royalistes. A les entendre, le trône et l'autel étaient menacés. Exclure à tout prix de la Chambre le sinistre conventionnel, tel devint le mot d'ordre. Les nombreux services rendus par lui à l'Eglise pendant et après la Terreur, les trente-deux mille paroisses réorganisées par lui et quelques collaborateurs dès 1796, on n'eut garde de s'en souvenir. Le vieillard fut abreuvé d'outrages et son nom traîné dans la boue par les journaux soumis à l'influence du pouvoir. On mit tout en oeuvre pour lui arracher son désistement. Mais ni les injures ni les menaces ni les offres les plus brillantes ne purent l'ébranler. «Je suis comme le roc; on peut me briser, mais on ne me plie pas... Les richesses de l'univers entier ne suffiraient pas pour acheter le suffrage d'un honnête homme», répondit-il à ceux qui essayèrent de le gagner à prix d'argent. ■— «La loi de la vertu gravée dans nos coeurs nous défend d'avoir commerce avec un tel homme», osait dire du haut de la tribune J.-L. Laîné, un ancien démocrate des plus exaltés; et pas une voix du parti libéral n'osa s'élever en faveur du respectable vieillard. Comme il refusait de donner sa démission, son élection fut annulée pour vice de forme.

Quant éclata la Révolution de Juillet, Grégoire crut voir à l'horizon la liberté comme un mirage. L'illusion fut courte, la déception cruelle; elle hâta sa fin.

Une dernière épreuve lui était réservée. Fidèle aux convictions de toute sa vie, il demanda les derniers sacrements


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dès que sa mlaadie eut pris un caractère de gravité. Le curé de sa paroisse vint, accompagné d'un jeune abbé qui, transporté de zèle, somma le vieillard — il avait 81 ans •— de ré. tracter le serment que, quarante ans auparavant il avait prêté à la Constitution civile du clergé. Grégoire n'eut garde d'obéir à une telle injonction. Une lettre de l'archevêque de Paris n'eut pas un meilleur succès. « J'ai toujours cru, ré« pondit-il à ce dernier, que la religion du Christ était fa« vorable à la liberté et à toutes les nobles aspirations. « Etrangère en ce monde, elle ne demande que le libre « passage ; elle peut prospérer sous tous les régimes, quoique « la forme du gouvernement ne lui soit pas indifférente. « Pourquoi ne m'eût-il pas été permis de préférer la républi« que ? Monseigneur, deux malfaiteurs furent crucifiés avec « Jésus. L'un d'eux, s'adressant au Sauveur mourant.... vous « savez le reste, Monseigneur ; mais vous semblez avoir ou« blié que Jésus n'a exigé de lui ni rétractation ni pénitence. « La modestie, que vous me recommandez dans votre lettre, « m'a inspiré cette comparaison... J'ai foi en la miséricorde «divine, dussiez-vous me refuser les secours de la religion. »

Les sacrements furent enfin administrés par le confesseur de la reine, l'abbé Guillon, qui, quoique ne partageant en aucune façon les opinions religieuses et politiques de l'ancien conventionnel, comprit que, dans de telles circonstances, l'humanité devait l'emporter sur la discipline.

Grégoire mourut lé 28 mai 1831. L'autorité ecclésiastique ayant refusé la sépulture, les obsèques donnèrent lieu à une manifestation imposante: l'autorité civile fit dire la messe à l'Abbaye-aux-Bois par un prêtre proscrit sous la Restauration; vingt mille personnes suivirent le cercueil. Au sortir de l'Eglise, la jeunesse des écoles détela les chevaux du char funèbre et le traîna jusqu'au cimetière Montparnasse.

Tel fut Grégoire. Il se caractérise lui-même dans son tes-


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tament: « Grâce à Dieu, y est-il dit, je meurs catholique et républicain. J'ai toujours détesté le despotisme et je l'ai combattu de toutes mes forces; je maudis l'inquisition et l'esclavage; j'ai, ma vie durant, témoigné de ma haute vénération pour la religion, la moralité et la liberté. »

Permettez-moi en terminant, de vous remercier, mesdames et messieurs, de la bienveillante attention que vous avez bien voulu me prêter, et de clore cette esquisse, que je me suis efforcé de vous présenter d'une façon tout objective, par une dernière réflexion. Quand le caractère manque chez un homme, toutes les qualités de l'esprit ne compensent pas ce défaut. Or, si l'évêque constitutionnel Grégoire ne compte pas parmi ceux qu'on nomme les héros de l'histoire, si même on peut lui reprocher d'avoir été jusqu'à un certain point un rêveur, mais un rêveur sublime, un idéaliste enthousiaste, il n'en est pas moins vrai qu'il fut non seulement un homme plein d'énergie dans le caractère, d'activité dans l'esprit, de générosité dans les sentiments, mais encore un chrétien sincère et tolérant, qui, disciple fidèle, mais original et indépendant, des grands jansénistes du dix-septième siècle, peut être offert en modèle à notre génération. Apprenons de lui à être à notre tour des hommes et des femmes de conviction; et que sa devise devienne la nuire: Religion, liberté, patrie, humanité.

Ouvrages consultés.

HENRI MARTIN, Histoire de France depuis 1789 jusqu'à nos jours.

BOEHRINGER, Grégoire, ein Lebensbild (conférence).

AUG. POUGET, Les Idées religieuses et réformatrices de l'évêque

constitutionnel Grégoire. GUST. KRÜGER, Heinrich Grégoire, Bischof von Blois (Leipzig,

1838).


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M. A. DEBIDOUR, L'Abbé Grégoire (Nancy, 1881).

GALZIER, Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution (1887).

R. REUSS, L'Alsace pendant la Révolution.

PAULUS, L'Église de Strasbourg pendant la Révolution.

A. M. P. INGOLD, Grégoire et l'Église constitutionnelle d'Alsace

(1894). TAINE, Origines de la France contemporaine. E. QUINET, L'Eglise et la Révolution française.

Séance du 8 avril 1910.

Revue bibliographique.

Par J. WEIRICH.

Le Comité a décidé que je vous mentionnerai de temps en temps les travaux parus dans les différents périodiques qui nous sont envoyés et qui ont particulièrement attiré mon attention. La place et le temps me manquent pour en faire une analyse détaillée, ceux d'entre vous qui s'y intéressent les trouveront dans notre bibliothèque et pourront ainsi en faire plus ample connaissance. Cette citation paraîtra plus d'une fois aride et monotone: c'est là son défaut naturel que vous excuserez en considérant qu'il est de notre devoir de ne pas laisser passer inaperçus les innombrables efforts faits dans les domaines les plus divers de la science au nom de la lumière et de la vérité.

Je commence par les publications qui me sont parvenues depuis ma dernière bibliographie.

Dans « La Semaine Agricole » du 13 et du 20 juin 1909 nous trouvons une longue étude de M. Boos, directeur de la station oenologique de l'Hérault, sur le « vin dans l'alimentation ». Ce travail important, basé sur des données scientifiques, a été présenté au dernier congrès international de


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chimie appliquée de Londres. L'auteur y défend la cause du vin, le vin naturel bien entendu. C'est un aliment, dit-il, mais un aliment susceptible de produire des désordres organiques graves s'il est consommé en trop grande quantité à la fois. Cela est vrai pour tous les aliments; tous peuvent amener, quand on en abuse, des accidents physiologiques. Il faut lutter contre les.abus alcooliques; cela ne veut pas dire qu'il faille condamner le vin qui constitue, à n'en pas douter, un aliment hygiénique qui depuis la plus haute antiquité est considéré comme la boisson par excellence et même, avec le pain, comme la substance la plus précieuse à la portée de l'homme. Tout dans sa composition confirme ce que je viens de dire, jusqu'à la lécithine, son principe le plus utile, que j'y ai découvert. M. Boos indique, comme quantité permise, un gramme d'alcool par kilogramme de poids du corps. Cela fait un peu plus d'un litre de vin par jour pour un adulte. A mon avis cette quantité ne peut pas être rigoureusement fixée. Elle dépend principalement du genre d'activité de l'individu, de ses occupations, de sa constitution, de l'importance de son travail musculaire, de la saison, etc. Le principal est qu'on n'absorbe pas trop d'alcool à la fois et que la consommation journalière d'un litre de vin à 9 degrés d'alcool par exemple, que permettent M. Boos et le docteur Hédon, de Montpellier, à un homme actif, quantité qui me semble trop forte, se fasse en plusieurs fois. De cette façon l'action paralysante de l'alcool est écartée et l'action nutritive et productrice de force se fait sentir.

Cette question de l'alcool demande que je m'y arrête un peu plus longuement. Non pas que je veuille m'y attarder ou répéter tout ce qui a été dit à son sujet. Il faudrait pour cela tout un livre et un livre fort intéressant. Cependant il s'agirait de s'entendre une fois pour toutes sur ce qui est permis au point de vue de l'alcool et sur ce qui est défendu. Le fait que l'abus de l'alcool mène à la ruine morale et physique


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n'est pas une vérité d'aujourd'hui. Elle est connue depuis longtemps déjà et la science n'a plus à en faire la preuve. Si elle continue ses expériences, c'est qu'elle veut amonceler les preuves et donner toujours plus d'ampleur et d'autorité à ses avertissements. Il ne peut échapper à personne que les ravages de l'alcool gagnent de plus en plus en extension et en gravité depuis qu'une certaine science, a mis à la disposition du consommateur, toujours plus exigeant et avec cela, chose curieuse, toujours moins méfiant, des liquides plus nuisibles les uns que les autres.

L'alcoolisme est donc avant tout le résultat de la mauvaise qualité des produits alcooliques que le commerce, peu soucieux de la santé publique, offre aux consommateurs ignorants et crédules.

Si le mouvement abstentionniste a été créé pour lutter contre les effets désastreux de l'alcoolisme, cela est tout naturel et compréhensible* Aux grands maux les grands remèdes. Mais, en déclarant la guerre au mauvais alcool, à tous ces alcools de distillation parfumés et habillés des mille manières connues, pourquoi s'attaquer en même temps aux vins naturels qui, depuis les temps les plus reculés, ont fait la joie et le bonheur de l'homme ? Je sais bien, et il est malheureux d'être forcé de le dire, qu'il fut une époque où les vins en général ont traversé une crise épouvantable et grâce à laquelle le mot naturel n'était pas à prendre au sens strict du mot. L'apparition du phylloxéra fut un désastre tel que les viticulteurs, en présence de la perspective de la ruine, n'ont pas reculé devant la fraude et, poussés par les exigences du commerce affolé et du consommateur intraitable, ont amené par leur faute le discrédit du vin. C'est pourquoi le vin d'alors d'un effet physiologique douteux a été compris par les ennemis de l'alcool parmi les liquides dangereux. Viticulteurs et gouvernements ont bientôt reconnu l'injustice faite aux vins naturels et ont lutté

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avec la dernière énergie, et luttent encore, pour ramener le crédit du vin au niveau qu'il occupait il y a quarante ans. On y réussira en faisant une guerre acharnée à la fraude et en créant des lois sévères et justes pour protéger le vin naturel. Les bons résultats ne se feront pas attendre. En France la réforme fait des progrès et la fraude a considérablement diminué; le commerce et le consommateur reprennent confiance. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne reste plus de progrès à faire. Les législateurs sont en bonne voie et il faut espérer que bientôt la fraude, au moins la fraude ouverte et générale, tolérée jusqu'à un certain point, aura vécu. En Allemagne un mouvement analogue a commencé. Seulement il est à craindre que le législateur, en voulant étouffer la fraude des vins, ce qui est fort juste (pourquoi ne s'attaque-t-il pas avec la même véhémence à la fraude d'autres produits?) étouffe également le commerce des vins, ce qui serait une faute grave. Si donc la guerre a été déclarée par les abstentionnistes aux vins, ce n'est pas sans une certaine raison. Nous constatons heureusement que les errements ont relativement courte vie, surtout quand des intérêts vitaux immédiats sont en jeu. C'est ainsi que les viticulteurs de tous pays, grâce à leur clairvoyance et grâce à la protection de leurs gouvernements, protection souvent encore factice et peu conforme à leurs intérêts, se ressaisissent et arrivent petit à petit, lentement il est vrai, mais ils y arriveront, à comprendre que leur salut, et leur seul salut, est dans la production de vins essentiellement naturels et irréprochables et qu'ils ont intérêt eux-mêmes à combattre la fraude sous toutes ses formes. De cette façon seule ils lutteront avec succès contre le mouvement exagéré de Pabstentionisme. Ils y arriveront sûrement quand ils reconnaîtront et feront reconnaître à leurs gouvernements que la tolérance du sucrage actuelle doit disparaître à son tour et avec elle la méfiance et le discrédit.


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Mais si d'un autre côté nous voulons lutter efficacement contre l'alcoolisme, tout en protégeant le vin naturel, il faut supprimer tout d'abord les produits alcooliques artificiels, tous ces produits de mauvaise qualité et malsains et revenir aux vins naturels et, s'il faut également parler de la bière, aux bières naturelles.

Ce serait là la première étape à parcourir, mais non la seule, car, ne l'oublions pas, l'alcoolisme a existé de tous temps, même à des époques où la fraude n'était guère pratiquée, et les suites de l'alcoolisme se sont présentées chez nos ancêtres tout comme elles se présentent encore aujourd'hui à tous ceux qui sont victimes de l'alcoolisme. Cela me mène à la seconde étape qu'il s'agirait de franchir victorieusement, celle qui part de la qualité de l'alcool pour s'arrêter à la quantité d'alcool absorbée. C'est là un chapitre bien difficile, non pas quand il s'agit d'indiquer la limite de la quantité permise, ce qui est relativement facile, quoiqu'il faille la fixer, comme je l'ai dit plus haut, selon l'individu, son travail, sa constitution et ses occupations; mais quand il s'agit de faire comprendre au buveur robuste et fort, possédant un système nerveux à toute épreuve, qui boit et peut boire des quantités considérables d'alcool, sans qu'au moment même il s'aperçoive de son action nocive, qu'il aura quand même à en subir les conséquences. Là en effet réside le grand danger de l'alcoolisme et là est l'explication de la résistance que rencontrent les arguments de la science et de la raison, car dans ce cas l'alcoolisme peut être provoqué par l'abus des liquides même naturels. Pour peu qu'un individu soit raisonnable, veuille écouter les raisonnements et les instructions de la science et ne consente pas à se suicider lentement, le danger n'est pas si évident. Il reconnaît bien vite jusqu'où il peut aller et quelle quantité il peut boirer II se conformera aux conseils donnés. Il existe encore une autre cause d'alcoolisme et j'y


rends attentif tout particulièrement, parce qu'elle est réelle et évidente: c'est l'alcoolisme par l'habitude. J'ai toujours remarqué que les effets de l'alcoolisme sont moins évidents à la campagne que dans les villes où, par habitude et pour maintes autres raisons, on boit régulièrement et à des heures fixes en dehors des repas. C'est ce retour régulier de l'intoxication par l'alcool, même en quantité d'apparence faible, qui constitue, dans les villes surtout, et en grande partie, le danger et la marche progressive et inquiétante de l'alcoolisme. L'agriculteur absorbé pendant la semaine par ses travaux musculaires variés et nombreux ne fréquente que rarement l'auberge et ne boit qu'aux heures de repas. Le grand air et le mouvement ont vite raison de l'alcool, et quand le dimanche il se permet une quantité d'alcool plus forte, trop forte j'en conviens, il a le temps pendant le reste de la semaine de laisser passer les effets de son intoxication. Le citadin ne leur laisse pas le temps de passer, au contraire, chaque jour il ajoute du poison à celui de la veille, non disparu encore, et par cette absorption périodique et régulière il accumule de telle sorte le poison que, l'âge y aidant, ses effets se présentent toujours plus nettement, toujours plus visiblement jusqu'au moment où il est trop lard de chercher à les annihiler.

Je ne dirai donc pas avec M. Boos et le docteur Hédon qu'il est permis à un adulte de boire par jour et en plusieurs fois un litre de vin à 9° d'alcool; mais je dirai avant tout que chacun fixe de lui-même la quantité de vin ou de bière naturels qu'il peut supporter, sans qu'il ressente le moindre effet immédiat, mais qu'en tous les cas il renonce catégoriquement à dépasser un litre de vin, à 9° par exemple, par jour. J'ajoute encore une fois que cette quantité est trop élevée. Toute quantité qui dépasse cette limite est nuisible et dangereuse. Il vaut donc infiniment mieux de rester au-dessous et, suivant les individus, bien au-dessous de cette


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limite. Si la quantité maxima d'un litre de vin est à la rigueur permise, soit 90 centilitres d'alcool, cela ne veut pas dire qu'il soit.permis par exemple de boire 90 centilitres d'alcool de distillation. Ce serait une grande erreur de le croire. Je n'insiste pas sur ce dernier point, j'en ai déjà parlé à une autre occasion. Cela ne veut pas dire non plus que pour boire 90 centilitres d'alcool on puisse absorber trois litres de bière à 3° d'alcool. Celui qui suivrait un pareil raisonnement, constaterait bien vite qu'on ne peut pas impunément commettre à la longue de pareilles imprudences et imposer un travail aussi anormal au foie et aux reins.

On m'objectera peut-être qu'ils sont légions, ceux qui boivent et qui ont budes quantités d'alcool, de vin ou de bière, bien plus fortes et qui ont atteint un âge très avancé. Je le sais fort bien, mais où sont les règles sans exceptions et quelle est la proportion des vieillards heureux qui ont pu atteindre un âge élevé tout en étant alcooliques?

Mais à cette objection il y a une autre réponse, bien plus importante et bien faite pour nous faire réfléchir, car elle ne vise plus l'individu lui-même, heureux ou frappé par le sort, mais l'humanité entière. En disant cela je ne pense pas aux nombreuses maladies physiques et morales engendrées par l'alcoolisme; mais je pense à la terrible responsabilité qu'encourent ceux qui, étant mariés, se laissent gagner par les horreurs de l'alcoolisme. Il ne va plus de leur personne, ni de leur santé, ni de leur vie, il s'agit de leurs enfants sur lesquels se reportent les fruits de l'alcoolisme. Que les maisons d'aliénés et les prisons se remplissent de ceux qui se sont donnés à l'alcool et que celui-ci a marqués de son doigt d'infamie! Souillés et déshonorés ils récoltent ce qu'ils ont voulu et l'humanité est condamnée à assister à ces ruines, honteuse de ne pas avoir tout fait pour les empêcher. Mais la plus grande partie de ces déchus, de ces condamnés, a des enfants, bien souvent de ces enfants de


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dimanche, comme on les a appelés, procréés sous l'effet de l'alcool, des pauvres enfants, malheureuses créatures, qui portent en naissant les germes du dégradant alcoolisme, de l'immoralité, du crime, de l'abrutissement ou des maladies incurables! Les voyez-vous alors ces pauvres petits êtres, auxquels les soins les plus dévoués et les plus tendres de l'amour maternel ne savent donner de la force et de la vigueur, rester malingres et scrophuleux, chêtifs et d'intelligence médiocre et mener une vie triste et misérable pour arriver, si la mort ne les délivre pas dès leur enfance, à l'âge où les mauvaises passions, l'alcoolisme et le mal, le crime même, s'emparent d'eux et en font des êtres inutiles et nuisibles, à la charge des leurs et de l'humanité!

Il me semble que cette perspective seule, la conscience d'une aussi terrible responsabilité devraient faire réfléchir le buveur et le ramener, par amour pour ses enfants, au niveau des êtres intelligents, conscients de leur devoir et conscients de leur noblesse et de leur dignité! Qu'un homme boive, soit, il est libre. Prévenu, il ne saurait accuser personne, si la misère en est la conséquence. Mais l'humanité, libre elle aussi, n'a-t-elle pas le devoir sacré d'empêcher le buveur de tomber assez bas et d'avoir des enfants qui peuvent devenir pour elle une charge ou une source de dangers ?

Que l'homme donc ne boive pas outre mesure, s'il a ou veut avoir la noble aspiration d'avoir des descendants, d'avoir des enfants auxquels la constitution et la santé permettent de faire entièrement leur devoir vis-à-vis de leurs semblables.

Les enfants d'alcooliques portent les germes des terribles effets de l'alcoolisme, même si leurs parents ne paraissent pas s'en ressentir. Je ne vois pas d'expiation plus épouvantable pour un alcoolique que celle de lui donner la preuve de ses égarements dans ses enfants qui subissent le mal


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qu'ils n'ont pas mérité. Que l'humanité y songe sérieusement. Il y va de son avenir et de son bien-être!

En résumé, si l'humanité veut que son rêve de liberté, d'égalité et de fraternité, rêve qui .illumine son existence et nourrit son idéal, se réalise un jour, il faut qu'elle extirpe l'alcoolisme, son plus cruel et son plus dangereux ennemi. Mais gardons-nous d'exagérer. Il ne s'agit pas de renoncer ou de faire renoncer au vin, le produit naturel que nous aimons tous; il s'agit de renoncer à l'alcool proprement dit, présenté sous les formes les plus engageantes et les plus alléchantes, il faut renoncer à trop boire, à boire régulièrement, il s'agit de rester maître de soi-même et de ne pas se laisser vaincre par l'alcool.

C'est exiger énormément, presque trop; mais l'humanité serait-elle déjà tombée si bas pour ne plus savoir distinguer entre ce qui lui est salutaire et ce qui lui nuit et pour ne plus avoir conscience de son devoir et de sa responsabilité? Je ne le crois pas. C'est pourquoi il faut instruire les masses, non. en leur prêchant l'abstinence, ce qui décidément serait trop demander pour le moment, mais la modération et la raison. Il faut que les hommes soient convaincus que l'alcoolisme engendre la tuberculose, la folie, la misère et la ruine physique et morale; il faut qu'ils sachent que leurs enfants sont condamnés à supporter les suites de leurs excès. Où sont les parents qui, prévenus et convaincus des malheurs qu'entraîne après lui l'alcoolisme, pourraient voir calmes et indifférents et sans épouvante leurs enfants recueillir les maux qu'eux seuls ont mérités? De par quelle loi ont-ils le droit de rendre leurs enfants malheureux et bien souvent infirmes? Il me semble que, si notre ardent désir est de travailler et de lutter pour le bien de l'humanité, il est avant tout de notre devoir le plus impérieux de jeter le cri d'alarme contre l'alcoolisme, le plus grand fléau de l'humanité, puisqu'il est la cause principale de tous les


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maux qui l'accablent. La lutte est engagée; ce ne seront pas les partisans fanitiques de l'abstinence qui remporteront la victoire, ce serait faire injure au bon vin naturel, généreux, nutritif et producteur de forces, au vin que l'humanité boit depuis les temps les plus reculés, comme elle mange du pain et respire de l'air, au vin qui pris en mangeant et à dose modérée exerce une action réconfortante sur l'organisme du travailleur, stimule le système nerveux et atténue la fatigue, au vin qui est un aliment, mais, il est vrai, un aliment dont il faut se méfier et dont on ne doit se servir qu'avec prudence et avec sagesse, car pénétrant dans le sang et se répandant au sein des organes, il produit avec le temps, quand on en abuse, des lésions matérielles et des troubles fonctionnels très graves. Ce seront les partisans de la modération, ceux qui arriveront petit à petit à faire comprendre aux ignorants et aux obstinés, par les écrits et par la parole, que l'alcool, tout en étant un poison, d'une action paralysante, ne nuit pas sous la forme d'un bon vin à notre organisme, à condition qu'il soit pris avec modération. J'ai indiqué la quantité permise; que chacun s'y conforme. Il ne s'agit ici en tous les cas que des adultes. Les parents devraient rigoureusement veiller à ce que leurs enfants ne boivent pas d'alcool, sous n'importe quelle forme, avant l'âge de 16 à 18 ans. Suivons les conseils désintéressés de l'hygiène et de la science; ils sont le résultat de longues et minutieuses recherches auxquelles nous devons accorder notre entière confiance.

Considérons que si la religion prépare les hommes pour la mort et l'éternité, l'hygiène et la science préparent les hommes pour la vie et leur permettent ainsi de penser pendant longtemps au rôle qu'ils doivent jouer ici-bas et à l'éternité qui les attend après la mort! Les débats religieux et politiques ont quelque chose de passionnant. Mais plus passionnantes et plus utiles encore sont la recherche des


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lois et la préparation des moyens qui peuvent tendre à l'organisation de la société telle que les philosophes veulent la concevoir et la comprendre, société qui soit une association d'hommes et non pas un champ clos où se combattent et se heurtent sans cesse des intérêts contraires. Et quel est le terrain sur lequel il est possible de fonder les bases de cette association entre les hommes pour leur bien commun et pour leurs efforts communs? C'est celui où sont supprimées toutes les distinctions arbitraires qui peuvent naître des préjugés et des préventions entre les hommes,' le terrain où l'égalité est complète, puisqu'on n'y parle que de la Vie, de la Santé et de la Mort. C'est sur ce terrain que nous voulons nous mouvoir, reconnaître notre droit à la santé et reconnaître nos devoirs à combattre l'alcoolisme, ce fléau destructeur de la Société qui après s'être attaqué à ceux,qui boivent, continue ses ravages parmi les enfants. Mais lutter contre l'alcoolisme veut dire favoriser la natalité, conserver les nouveau-nés et protéger l'adulte contre les influences générales capables de hâter sa fin. Lutter contre l'alcoolisme, c'est aussi faire reculer la maladie, diminuer la misère et rêver une humanité féconde, forte et prospère. Enfin c'est faire comprendre que le bonheur ne consiste pas à boire, cause de dépenses qu'on pourrait reporter sur des choses plus utiles et plus profitables à notre santé. L'homme serait-il donc destiné à travailler et à peiner pour acheter et hâter sa mort? Souhaitons tous que la lumière se fasse 1

Le « Bon Cultivateur » du 26 juin 1909, p. 209-212, nous donne un travail de M. E. Marre, professeur départemental d'agriculture, sur des expériences d'application d'engrais complémentaires manganèses. Dans une communication précédente je vous ai parlé du manganèse employé comme engrais dans les vignes. L'application de cet engrais remonte à 1898 et M. Pichard signala le premier à l'Académie des


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Sciences leur grande valeur agricole. Notre collègue, M. Reeb, vous en a également entretenu. C'est au Japon que les essais les plus importants ont été entrepris. Les conclusions sont les suivantes:

1. Le manganèse joue un rôle physiologique très important; il favorise et stimule la germination et surtout, les premiers développemnts de la plante.

2. Le manganèse est un engrais complémentaire, c'est-àdire qu'il s'emploie comme addition avec tous les autres en grais, et de la même façon.

3. Il suffit d'employer une proportion extraordinairement petite de métal pour obtenir des résultats appréciables.

•4. Le rendement supplémentaire obtenu par l'emploi du manganèse, comme engrais complémentaire, peut atteindre 40 %.

5. Le bioxyde de manganèse ne produit aucun résultat comme engrais.

6. L'emploi du sulfate ou du chlorure de manganèse comme engrais peut être dangereux, car ces deux sels acidifient le sol, s'ils sont employés en trop forte proportion ou pendant plusieurs années de suite.

7. Le carbonate de manganèse peut, au contraire, être employé sans danger comme engrais complémentaire stimulant.

En France, des essais très encourageants ont été faits en prairies, en pommes de terre et en vignes. Les résultats sont satisfaisants et méritent d'être continués. Il serait intéressant de faire également des essais chez nous.

Je recommande tout particulièrement aux membres de notre Société qui s'occupent des questions archéologiques la lecture du rapport annuel de la « Gesellschaft fur nûtzliche Forschungen zu Trier ». C'est une publication très soignée qui fait grand honneur à M. Kruger auquel elle est confiée.


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Pour en faire une analyse il faudrait entrer dans trop de détails. Il faut donc y renoncer. Lisez ce rapport et vous aurez avec moi la conviction que cette Société fait oeuvre utile, intéressante et fort instructive.

Dans une savante communication faite à l'assemblée générale de la «Schweizerische Naturforschende Gesellschaft tenue à Glarus en 1908 (Verhandlungen der Schweiz. NatUrf. Gesellsch,, 91. Jahresversammlung in Glarus 1908, Band I), le Docteur Greinacher, Professeur à l'Université de Zurich, a parlé des récents progrès faits dans le domaine de la Radioactivité.. Communication condensée, mais qu'il serait difficile de condenser ici davantage encore. Je ne puis qu'en recommander chaudement la lecture à tous ceux qui s'intéressent à cette jeune science, d'un grand avenir. L'étude de la radioactivité nous a permis jusqu'à présent de nous rendre compte de bien des questions d'importance capitale et nous a permis d'étendre et d'approfondir considérablement nos vues sur la structure et le développement de la matière.

Je cite dans « la même publication » le savant compte rendu d'une excursion faite par le professeur Schrôter, de l'Ecole polytechnique de Zurich, avec son collègue le professeur Rikli et quelques-uns de ses élèves aux îles Canaries. Que celui qui aime faire des voyages intéressants, instructifs, sans se déplacer, donc sans aucune peine et sans aucune dépense, lise cette charmante relation de voyage, écrite dans un style alerte, plein d'enthousiasme et d'hu. mour; il ne le regrettera certainement pas. Cette excursion a une portée scientifique de premier ordre. Aucune question géographique, géologique, botanique, zoologique, météorologique n'a été oubliée. Forcément celle de l'Atlantis a préoccupé l'auteur. Le professeur Schrôter termine sa belle communication en souhaitant qu'il soit érigé à Ténériffe, en dehors de la station météorologique organisée à Orotava,


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encore deux autres stations permanentes, une dans la région des nuages et une autre dans l'Alta Vista, ce qui n'exigerait pas de dépenses excessives. Tout le monde scientifique se joint certainement au professeur Schôter et souhaite qu'une association internationale puisse se former et coopérer à de nouvelles conquêtes scientifiques.

Dans le « Bulletin mensuel de la Société Agricole et Horticole de l'arrondissement de Mantes » (No 335, janv. 1909, p. 12) je trouve une communication du docteur Pol Dernade sur « le miel dans les maladies du foie et de l'intestin ». C'est un essai sur l'étude thérapeutique du miel, ou plutôt quelques observations présentées sur ce sujet. Le miel, dit l'auteur, est une ressource thérapeutique dans les affections des voies digestives et spécialement dans certaines formes de gastrite et d'entérite. Il a même, dit-il, la valeur d'une médication de premier ordre. Lisez cette petite communication et essayez vous-mêmes. Le docteur Dordain a, paraît-il, fait l'essai, car le Bulletin de la Société cité (fév. 1909, p. 29) mentionne une communication de sa part sur le «Miel et ses Usages». L'auteur dit que le miel est un microbicide gastrointestinal des plus utiles dans la fièvre typhoïde, dans les gastro-entérites et cholérines à formes variées et insidieuses.

Le Bulletin de la même Société avril 1909, p. 56 parle de 1' « Arrosage des Plantes à l'eau chaude ». Ce procédé n'est pas nouveau, mais il n'est pas superflu de le mentionner, puisqu'il peut rendre de réels services. Toutes les plantes indistinctement supportent l'eau à 50 degrés de chaleur. A cette température l'eau joue le rôle d'un puissant antiseptique et constitue un précieux insecticide pour la destruction du Thrips, des Crotores, des Medinilla, etc. Ce procédé agit surtout sur la constitution chimique du sol, en entraînant les substances solubles. Son emploi est donc d'une application avantageuse et pratique dans la culture des plantes en pots. L'arrosage à eau chaude est spécialement


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recommandé pour assurer la conservation des plantes d'appartement. Il faut toutefois remarquer que chaque arrosage à eau chaude doit être suivi d'un arrosement à l'engrais liquide, ce qui est tout naturel.

Dans « Le Bon Cultivateur », bulletin de la Société Centrale d'Agriculture de Meurthe-et-Moselle du 10 juillet 1909, No 28, p. 226, M. P. Colas, ingénieur-agronome, publie une note sur le «Fumier de ferme et sa fabrication», que je me contente de citer, le recommandant aux intéressés.

Les « Annales des Grossherz. Acker- und Gartenbau-Vereins in Luxemburg», citent dans le No 60, du 28 juillet 1909, quelques résultats obtenus avec les engrais artificiels dans les vignes et qui viennent confirmer ce que notre membre correspondant, M. Paturel de Cluny, nous a déjà dit. Par l'emploi des engrais artificiels la quantité de vin obtenu et sa qualité sont sensiblement augmentées, principalement par l'emploi du sel de potasse. Que les viticulteurs se le notent et essaient à leur tour.

Le « Progrès Agricole de Lot-et-Garonne », dans son numéro 7, de juillet 1909, nous parle d'une découverte que doivent avoir faite MM. Henri et Sodel pour stériliser pratiquement et radicalement le vin et le lait au moyen des rayons ultraviolets, produits par l'immersion dans le liquide d'une lampe électrique en quartz à vapeur de mercure. Les rayons ultraviolets détruisent d'après les auteurs tous les ferments et surtout celui de la tourne. D'après eux le lait est parfaitement stérilisé par ce procédé et conserve toutes ses propriétés essentielles que détruisent le plus souvent l'emploi de la chaleur ou les antiseptiques chimiques.

Dans ce même bulletin on indique que les édifices en béton armé résistent admirablement aux tremblements de terre. La preuve en a été faite à San-Francisco et à Messine. Dans cette dernière ville le réservoir en béton armé de 400 me, alimentant la ville, n'a subi aucune détérioration.


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Qu'on construise donc en béton armé pour se garantir contre les secousses sismiques d'un effet souvent si désastreux!

«Le Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse» (juinjuillet-août 1909), reproduit une conférence faite à la Société Industrielle par M. le docteur E. Rist sur « Quelques aspects de la lutte contre la Tuberculose ». Lisez cette belle et savante conférence sur un sujet à la fois si banal et si grave: vous le ferez avec profit. Quand une fois le public s'intéressera à cette question de la lutte contre la tuberculose, quand il comprendra qu'il s'agit d'une question vitale, il s'en emparera et soutiendra de toutes ses forces ceux qui mettent leur talent, leurs forces et leur existence à la disposition d'une question qui cherche à éloigner de l'humanité un de ses plus terribles maux et à extirper toutes les causes qui le déterminent.

Dans une de nos bibliographies précédentes je vous ai entretenus de l'hélianti comme plante alimentaire et fourragère. De nouveaux essais ont été faits. Les résultats ne sont pas encourageants. L'hélianti est inférieur à son aîné le topinambour, comme rendement et comme beauté du produit. («La Semaine Agricole », 5 sept. 1909, p. 284).

«Le Recueil de Médecine Vétérinaire de l'Ecole d'Alfort» (No 20, oct. 1909, p. 441) contient une communication fort intéressante sur le « Traitement du Tétanos » par les injections intra-veineuses de Tallianine, faites par MM. Girard et Malle, vétérinaires. Il paraît que le terpène ozone a une action salutaire sur l'évolution de la maladie et, en diminuant l'acuité de celle-ci, abaisse le taux de la mortalité dans des régions où l'affection tétanique se termine ordinairement par la perte des sujets atteints. Il est donc à recommander aux vétérinaires de porter leur attention sur la Tallianine.

C'est chaque fois avec un vif plaisir et un intérêt plus vif encore que je parcours le «Bulletin de la Société Scienti-


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fique, Industrielle de Marseille». Quelle abondance de travaux originaux, de faits scientifiques les uns plus intéressants que les autres! Ce bulletin constitue une source vive et instructive pour tous ceux qui sont avides de science. Il fait grand honneur au monde scientifique de cette ville. Parcourez ce bulletin unique de 1908, vous y puiserez mainte connaissance et maints, faits intéressants.

Dans le numéro 102 des «Annalen des Grossherzl. Ackerund Gartenbau - Vereins in Luxemburg», il est question d'une brochure qu'a publiée le distingué professeur Paul Wagner, directeur de la station agricole de Darmstadt, sur des essais de fumure des prés. Cette brochure contient des chiffres très instructifs concernant les rendements et les quantités d'engrais employés.

C'est avec intention que je ne vous parle pas dans cette bibliographie des travaux qui ont été faits dans les derniers temps sur la « Tuberculose bovine », sur « l'emploi de la tuberculine », sur les différentes méthodes employées et sur les résultats obtenus. La question ne date pas d'hier. Longtemps elle est restée stationnaire ; mais il semble qu'elle va entrer dans une nouvelle phase qui promet des succès plus positifs et plus encourageants. Je ne dirai pas davantage, espérant qu'un de nos membres réunira tous ces documents et nous en fera une communication détaillée et plus approfondie.

En vous parlant de la tuberculose je ne puis passer sous silence la noble initiative qu'a prise Mulhouse en créant un dispensaire antituberculeux. Dans le Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse (déc. 1909) figurent deux rapports sur ce dispensaire, le premier de M. A. de Glehn et le second du docteur Mutterer. La tâche n'est pas facile, mais là-bas la bonne volonté, le dévouement et l'amour du prochain sont plus grands qu'elle, aussi les résultats sont-ils assez suffisants pour encourager les promoteurs de cette


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belle oeuvre à persévérer et à se dévouer toujours davantage pour les pauvres malheureux menacés ou atteints de la tuberculose. L'humanité en profite, la science tient sa moisson et, il faut l'espérer, les malades se montreront reconnaissants. Je recommande la lecture de ces beaux rapports, empreints d'un esprit tout entier voué à la bienfaisance et avide de servir et de se sacrifier. Le travail qui se fait à Mulhouse peut servir d'exemple et d'enseignement aux autres villes en général et à notre ville en particulier.

Vous n'ignorez pas que depuis quelque temps l'Académie de Médecine de Paris s'était occupée de la discussion sur la « prophylaxie de la fièvre typhoïde ». Cette discussion a été close par l'adoption d'un certain nombre de conclusions, parmi lesquelles il faut citer les suivantes:

L'Académie considérant la fréquence de la fièvre typhoïde en France insiste, ainsi qu'elle l'a déjà fait à diverses reprises, sur ce fait que la souillure des eaux d'alimentation est la cause prédominante des épidémies.

Dans les milieux ruraux, la pollution des eaux de puits par les infiltrations de purins étant fréquente, la contamination du lait et de certaines boissons en résulte trop souvent. Les règlements sanitaires pris par les maires devront remédier à ces causes d'insalubrité. L'autorité préfectorale a le devoir de veiller à l'exécution des dits règlements. .

L'épandage des matières fécales humaines étant souvent une cause de contamination des eaux, comme de souillure des légumes et des fruits poussant au ras du sol, l'épandage doit être réglementé.

Les médecins et les autorités sanitaires attireront aussi l'attention sur la diffusion possible de la fièvre typhoïde par les mouches, dans les milieux où règne la maladie.

Cette question nous intéresse tout particulièrement, vu que nous étudions la possibilité d'utiliser les eaux d'égoût de notre ville. A mainte reprise déjà j'ai exprimé à ce sujet


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la crainte de la contamination des eaux, le danger des mouches, etc. A notre étude technique et financière devra done s'ajouter également la considération de ces dangers éventuels.

Pour ceux qui veulent avoir une idée de l'importance du marché de la Villetté et de la production et du commerce du fumier à Paris' et dans les environs, je signale deux travaux parus dans le « Bulletin de la Société d'Agriculture et Syndicat Central de l'arrondissement de Melun », numéro 3, 15 mars 1910, le premier page 99 et le second page 108. On comprendra par exemple l'importance que prend le fumier à Paris, quand on considère que le seul département de la Seine exige un approvisionnement d'au moins 2,500,000 tonnes de fumier par an et que la vente des fumiers constitue pour la Compagnie des Omnibus seule un revenu de 800,000 francs par an.

Messieurs, j'arrête ici ma revue bibliographique des derniers mois.. Je ne vous ai cité qu'une bien minime partie des travaux qui nous sont parvenus. Je l'ai fait pour vous montrer que notre bibliothèque contient des trésors qui ne demandent qu'à être répandus largement dans nos milieux pour la plus grande gloire de la science, notre grande maîtresse et notre guide vénéré.

Venez puiser dans notre bibliothèque, prenez connaissance des publications qui nous arrivent de tous les coins de la terre et vous arriverez à la conviction qu'il est impossible d'écrire une bibliographie détaillée et surtout de mentionner tous les travaux qu'on nous envoie.

Je manquerais à ma tâche, si j'omettais de parler d'un livre qu'un de nos fidèles membres associés, M. le docteur Hertzog, nous a adressé. Je veux parler de son travail « sur l'Histoire de l'agriculture en Alsace ». Je ne puis mieux le faire qu'en vous citant textuellement ce que dit notre distin7

distin7


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gué collègue, M. Hueber, de Drusenheim, de ce livre intéressant:

«Ce travail, écrit-il, contient des données très précices sur «l'histoire de l'agriculture en Alsace et son évolution depuis «les temps les plus reculés jusqu'à nos jours.Ce travail, inté«ressant au plus haut degré pour tout agriculteur alsacien, « sera lu certainement avec plaisir par les membres de « notre Société. Il est en outre fort instructif et mériterait « d'être introduit dans le programme des écoles scolaires. «Chaque écolier campagnard devrait le posséder dans son «bagage intellectuel à sa sortie de l'école du village. L'au« teur ne ménage pas non plus les éloges à notre Société «et loue le zèle de plusieurs de ses membres d'avant 1870!» (p. 53, 54, 55).

Je m'arrête après avoir essayé de vous intéresser aux nombreuses publications qui, jour après jour, viennent enrichir notre bibliothèque et, si nous le voulons, nos connaissances! A vous de juger si j'ai réussi.


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L'utilisation agricole des eaux d'égouts de la ville de Strasbourg et les champs d'essais au Wacken en 1909.

Par CHARLES GLODOT, ingénieur municipal.

En prenant aujourd'hui la parole pour vous causer des champs d'essais agricoles, établis au Wacken, au courant de l'été 1909, j'éprouve, avant tout, le besoin de faire mes réserves sur l'aptitude spéciale que suppose cette tâche. Mon dessein n'est pas et ne saurait être, de faire une dissertation en règle sur l'utilisation agricole des eaux d'égouts en général. Je m'efforcerai, en remplissant le rôle de rapporteur, de vous exposer des observations aussi nombreuses et aussi exactes que possible. Cependant le thème serait trop dépourvu d'intérêt, si je ne vous donnais que des dates. C'est pourquoi j'ai cru devoir rappeler ou critiquer quelques faits historiques, — sans déparer un rapport fidèle, et afin de faire mieux comprendre certains détails essentiels.

Il y a vingt ans, le tout-à-1'égout était une des questions qui occupaient fortement l'opinion publique de la ville de Strasbourg. Cette grave solution hygiénique provoqua, au sein de notre Société, des discussions très remarquables qu'on peut relire avec intérêt, dans les annales des années correspondantes.

Dans la séance générale du 14 décembre 1890, M. le docteur Goldschmidt vous entretenait du tout-à-1'égout. En ce moment déjà, on avait compris, qu'il ne suffirait pas de se faire autoriser par une loi, à faire supprimer les fosses d'aisances et, qu'en alléguant. comme motif les nécessités de l'hygiène publique, on ne pourrait se contenter d'exiger l'égout unitaire pour toutes les eaux usées. On prévoyait


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qu'il ne tiendrait pas, qu'à rejeter les eaux d'égouts telles quelles,soit dans 1'111,soit même dans le Rhin, mais qu'il faudrait dépenser d'énormes capitaux pour atteindre le but inéluctable de l'épuration, s'ajoutant à l'assainissement intérieur de la ville.

M. Goldschmidt, en discutant ces questions, était d'avis que cette opération doit être faite, en vue de restituer à l'agriculture les produits fertilisants ou les engrais qu'on en peut retirer.

C'était là un principe, envisagé depuis longtemps par le congrès général d'hygiène de Bruxelles, dans sa session de 1852, propagé en Angleterre dès 1851 par le général Board of Health, confirmé en 1857 par Henry Austin et démontré en 1858, 1861 et 1862 par une commission spéciale du Parlement anglais. Celle-ci recommandait, comme but final de l'assainissement des villes et comme système d'épuration le plus parfait et le plus favorable, l'utilisation agricole complète des eaux et des résidus provenant des égouts. En même temps, la commission énonçait les principes essentiels de ce procédé, après des essais très consciencieux, opérés chez les maraîchers de Fulham, près de Londres, dans les dépendances de lord Essex, à l'Ecole d'agriculture d'Anerley et on d'autres endroits fort bien surveillés.

Dès 1896, le tout-à-l'égout a envahi avec une rapidité remarquable la ville de Strasbourg: un réseau d'égouts, très étendu et très adroitement réparti, règne sur la superficie entière et s'étend déjà au loin dans les faubourgs. Et cependant, ce fleuve nauséabond qui faisait terreur à M. Fastinger, dans sa réponse, donnée au nom de l'Union des propriétaires à M. Goldschmidt, — en séance du 4 mars 1891, — cette fosse unique et gigantesque n'a pas répandu par des milliers de bouches, comme il le craignait, l'infection de l'air des rues et de nos logements. Néanmoins le moment approche où on aura reporté au dehors, un état de choses inadmissi-


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blés, qui empire de jour en jour, et auquel il faudra remédier sérieusement.

On avait prévu et discuté, ainsi que je viens de le dire, les conséquences du tout-à-1'égout, mais on n'avait pas décidé quel devait être le système définitif d'épuration. On n'a rien perdu à être patient. D'abord on a pu étudier, par des exemples puisés dans d'autres grandes agglomérations urbaines, les procédés employés et les résultats obtenus. Ensuite, avant, d'arrêter la convenance .d'une solution qui pouvait amener à gaspiller d'énormes capitaux, il était utile de se persuader, si les eaux du tout-à-l'égout de Strasbourg ont les qualités requises pour soutenir les intérêts agricoles.

Suivant ces principes très raisonnables, notre président, M. Weirich, a reconnu qu'il était maintenant grand temps, de remettre la question à l'ordre du jour. Secondé par une commission spéciale, composée de quelques membres de la Société, il a fait tout son possible pour faire reprendre, en temps voulu, les études et les démarches nécessaires en vue d'une utilisation agricole du sewage de Strasbourg.

Grâce à la collaboration de M. Strohl qui nous a donné un aperçu très intéressant de la canalisation et de l'épuration possible pour la banlieue de Strasbourg, dans ses savantes communications de l'an dernier; grâce aussi à l'initiative énergique de M. Weirich, on a pu aménager quelques champs d'essais. Ces premières cultures devaient nous démontrer, s'il y a lieu d'obtenir, oui ou non, des résultats satisfaisants, avec les eaux qui débouchent en quantités toujours plus considérables, au point final provisoire du « Wacken ».

Vous connaissez les démarches et les pourparlers qui ont eu lieu. Mon devoir ne consiste qu'à vous exposer le côté technique et les résultats obtenus.

Je commencerai par vous démontrer le système appliqué pour la répartition des eaux d'égouts sur ces champs d'essais,


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et il me paraît utile de faire pour cela une petite digression. Un regard en arrière, s'étendant aux systèmes agricoles employés jusqu'à nos jours, vous fera envisager, en quelques instants, pourquoi on a choisi l'arrosage et non pas l'épandage sur le sol, recommandé autrefois par M. Goldschmidt et d'autres personnes compétentes. Ensuite je vous exposerai le choix des cultures, autant ailleurs qu'au Wacken. Enfin je vous donnerai un aperçu des résultats obtenus sur ces champs d'essais. ,

L'utilisation agricole des matières fertilisantes des eaux d'égouts se pratique de différentes manières et produit, suivant l'un ou l'autre procédé, des résultats très différents.

On distingue:

1. L'épandage sni le sol, soit par irrigation superficielle, soit par irrigation souterraine,

2. L'arrosage.

L'épandage sur le sol peut être une utilisation rationnelle, quand le volume d'eau épandue est proportionné à la surface. En ce cas les sels minéraux résultant de la nitrification peuvent être absorbés en très grande partie par les cultures, et les matières organiques en dissolution peuvent être épurées par le sol. Ce procédé n'est plus qu'un système d'épuration incomplète, quand, par une irrigation trop intense,'une partie seulement des sels est absorbée par les plantes, tandis que la majeure partie reste en dissolution et s'en va, non épurée, avec l'eau.

Dans le premier cas, on admet, en général, une moyenne de 200 ha de champs d'épandage par 100,000 habitants, dans le deuxième cas, on peut réduire ces surfaces jusqu'à 20 ha par 100,000 habitants 1; mais ce n'est plus alors

1 Tous mes calculs sont basés sur 100 1. de sewage par personne et par joui-, afin de m'associer aux principes généralement admis dans la littérature.


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qu'une filtration intermittente, dénuée de toute culture, le système américain par excellence.

Je ne m'étendrai pas à tous les avantages et aux multiples inconvénients que présente l'épandage rationnel, proportionné aux surfaces disponibles, le seul procédé qui, de même que l'arrosage, correspond sérieusement aux intérêts agricoles. Pour marquer plus facilement la différence entre l'épandage et l'arrosage, je les comparerai l'un à l'autre.

L'épandage, sous forme d'irrigation superficielle ou souterraine, exige un terrain assez perméable, d'une épaisseur suffisante au-dessus de la nappe d'eau souterraine ou de la couche imperméable sous-jacente, afin que l'eau d'égouttement puisse s'écouler rapidement, soit par un draînage artificiel, soit par la pente naturelle du sous-sol. L'irrigation ne doit se faire que par intermittence, pour laisser au sol la possibilité de s'aérer dans l'intervalle de deux opérations et aux plantes le temps d'absorber les engrais répartis. On fera bien d'imposer les mêmes préceptes à l'arrosage; mais tandis que, pour l'épandage, l'agriculteur sera souvent ennuyé d'être obligé d'irriguer certaines plantes, il pourra, s'il est question d'arrosage, s'en servir plus facilement et plus indépendamment, selon les besoins réels des cultures.

Pour l'épandage, il faut un terrain en pente, nivelé et spécialement ameubli, traversé de billons ou de rigoles qu'il faut sans cesse entretenir et renouveler; l'arrosage n'exige que des conduites souterraines et des tuyaux, ainsi qu'une pression atmosphérique assez élevée. On laisse le terrain tel qu'il était auparavant, et c'est là un des avantages essentiels pour les environs de Strasbourg.

Enfin, ce procédé de l'arrosage exige moins de raclages, moins de hersages ou de labours, pour faire disparaître les dépôts boueux superficiels qui tendent à obstruer les interstices du sol et à empêcher l'infiltration des eaux, puis il permet de donner, à volonté et à' répartition plus égale, la


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quantité nécessaire à une plante, tandis que l'épandage expose à inonder certaines places, pour ne pas atteindre ou du moins apporter, en trop petites quantités, la nourriture réservée à certaines plantes.

Vous saisirez mieux encore la différence entre les deux procédés, si je vous dis qu'un ha de champs d'épandage, pour être ameubli, exige des dépenses énormes. A Berlin, on a dû sacifier 2,200 M. par ha; à Breslau, 3,041 M.; à Fribourgen-Brisgau, 4,000 M. En outre, Berlin dut acheter les champs d'épandage en moyenne à 2,100 M. par ha; Breslau, 1,600 M.; Fribourg, 800 M. Il va de soi que les dépenses correspondantes varient beaucoup, selon les conditions les plus différentes dans lesquelles se trouvent les contrées choisies pour l'épandage, cependant elles sont au moins de 3,000 M. par ha, sans l'acquisition des terrains.

L'installation de l'arrosage reste bien en dessous de celle de l'épandage, et M. Wulsch indique que la mise en exploitation à Eduardsfelde, près Posen, est revenue à 150 M, par ha. Vous voyez que l'arrosage est de beaucoup moins coûteux que l'épandage, il ne comporte que la vingtième partie des frais de l'irrigation, et cependant il ne faut que 3 à 5 fois plus de surface pour l'arrosage de la même quantité d'eau, que pour l'épandage. Encore ce facteur causet-il en faveur de ce procédé. D'autre part, on a obtenu des rapports de location deux à trois fois plus élevés qu'avec des champs d'épandage.

On en revient donc à la constatation, faite déjà en 1852 par le général anglais Board of Health, dans son rapport extrêmement intéressant: (Minutes of Information collected on the Practical Application of Sewer Water and Town Manures to Agricultural Production 1852). « Les difficultés et « les calamités, dit-il, qui sont la suite inévitable de l'épan« dage, telles que les exhalations ou miasmes très incommo« des et très désagréables des grandes surfaces irriguées,


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« peuvent être évitées par un nouveau procédé. Celui-ci - « consiste à conduire les eaux d'égouts, moyennant une pres« sion atmosphérique considérable et par des conduites sou« terrâmes, sur les champs d'arrosage. Ce mode d'utiliser le « sewage, exige des tuyaux que l'on fixe en différentes places « et qui permettent en tout lieu un jet assez fort. Cette insti« tution nouvelle d'un réseau fertilisant offre de grands avari« tages sur la méthode d'irrigation par rigoles, car elle exige « moins de frais d'installation, moins d'eaux d'égouts, les « engrais peuvent être répartis avec moins de pertes et avec « moins de périls pour les habitants du voisinage, le pacage « n'en souffre pas, le choix des cultures est illimité et ne « s'arrête pas aux prairies. »

Si cela ne vous ennuie pas trop, je vous donnerai encore connaissance d'un extrait du rapport final de 1862 de la commission, spécialement élue par le Parlement anglais, pour traiter ces questions: (First and second Report from the Select Comittee on Sewage of Towns, 10 April 1862 and 29 July 1862):

« Il est urgent que ceux qui utilisent des eaux d'égouts, « aient celles-ci tout à fait en leur puissance, afin qu'ils « puissent s'en servir en temps voulu et selon la quantité « nécessaire... Tout sewage servira avec beaucoup plus de « profit, si on le répand au moyen de tuyaux et par jet, « que si on l'épand par rigoles superficielles..., car les plantes « ne tirent profit que des engrais infiltrés dans la circonscrip« tion immédiate des racines... La partie qui s'écoule à la « superficie, est perdue pour les terrains agricoles... »

« M. Westwoor, directeur de l'Ecole d'Anerley, constate, « à la suite de deux essais comparatifs, que le système « d'épandage par irrigation avait eu comme suite, la perte « complète d'au moins 50 % des engrais contenus dans le « sewage. L'eau répandue par l'arrosage, au moyen de « tuyaux et par jet, de sorte que le terrain fut complètement


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« saturé, sortait lentement des canaux évacuateurs, absolu« ment limpide et sans trace de coloration. »

A Anerley, on arrosa avec 1,350 tonnes par acre et par an, soit 3,400 m. c. par ha et par an, — les eaux d'égouts de 90 personnes. L'épandage eut lieu avec une dose six fois plus forte, la quantité moyenne, sur tous les champs d'épandage.

Vous voyez, d'après ces citations, que le procédé d'arrosage n'est pas nouveau. Les Allemands du Nord sont donc mal inspirés, en voulant imputer à l'ingénieur Wulsch l'invention de l'arrosage, et en donnant à cette utilisation du sewage le titre de « système d'Eduardsfelde ». Les mérites de ce technicien consistent en ce qu'il a su donner à l'arrosage une base scientifique, et qu'il a appliqué la théorie avec plus de succès que les Anglais, par suite d'une technique plus avancée et d'un emplacement plus favorable.

Du reste, c'est à Gerson que reviendrait, en premier lieu, le mérite d'avoir appliqué de nouveau les procédés anglais' à Hohenschön hausen, en 1882; tandis qu'on n'opère à Eduardsfelde, près Posen, que depuis 1897. Vous voyez que dans l'étude de l'utilisation agricole des sewages, la science n'a pas subi une évolution bien remarquable depuis 60 ans: ou on l'avait oublié, ou l'on négligeait les résultats de Fulham, d'Anerley et d'autres terrains d'essais, seule la technique a fait des progrès, autant dans la fabrication des tuyaux, que dans la construction des machines élévatoires, à force motrice' quelconque. C'est ce qui permet une application et un développement plus rationnels de l'arrosage, en même temps qu'une réduction considérable des frais d'installation et d'exploitation. On est donc certainement sur le bon chemin, en recommandant le procédé que je me suis efforcé de faire ressortir avantageusement, et c'est pour cela qu'il a été appliqué au Wacken.

Connaissant le mode d'utilisation agricole apparemment


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le plus favorable, il ne restait plus qu'à faire le choix des cultures. Ici encore, il est bon de jeter un regard sur d'autres pays, sur d'autres villes. La littérature nous fournit des renseignements sur l'Angleterre, la France, l'Allemagne et l'Amérique du Nord.

Les Anglais qui peuvent se vanter d'avoir fait les plus vastes expériences, se contentent, en général, d'irriguer les prairies, les plantes rapacées, les betteraves. Ils prétendent avoir constaté, que les prairies fournissent les résultats les plus lucratifs et les plus satisfaisants; mais, disent-ils, on ne peut ni arroser, ni irriguer les prés pendant toute l'année, et surtout en hiver, parce que les racines souffriraient bien plus de la gelée et pourriraient. C'est pourquoi, on joint aux prairies des champs pour les cultures de plantes tubéreuses ou rapacées, parce que leur développement n'exige que quelques mois, que les champs, pendant le reste de l'année, et surtout en hiver, sont en friche et peuvent recevoir d'autant plus grandes quantités d'eaux d'égouts. Ces fruits supportent, même pendant la saison des labours, de plus fortes irrigations que les prairies.

Néanmoins, on a fait des essais avec d'autres cultures, avec plus ou moins de succès. Les saules croissent prodigieusement, mais deviennent cassants, par suite des sels en dissolution dans les eaux d'égouts. Les céréales sont généralement peu recommandées, de même que les pommes de terre, le céleri, les topinambours.

En France, on a suivi les principes anglais, mais on y a ajouté, comme soupape de sûreté, des prairies qui, pendant les pluies ou au fort des cultures, remplissent presque les fonctions de surfaces à filtration intermittente. C'est là, d'après mon avis, un subterfuge très adroit, mais qui parfois peut être exploité en bien mauvais sens!

A Achères, près Paris, ce sont les cultures industrielles qui jouent un rôle prédominant, de même à Reims, grâce


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aux grandes surfaces de terrains concédées à un seul fermier. A Genevilliers, près Paris, l'exploitation dominante est la culture maraîchère, par suite de la proximité de la capitale et le grand morcellement de la propriété.

A Achères, on ne cultive pour ainsi dire que des betteraves, des pommes de terre, des prairies.

A Reims, 50 % de l'assolement comporte des betteraves qui, ainsi que les pommes de terre et les topinambours, sont transformés sur place en alcool, au moyen d'appareils diffuseurs: il y a 25 % de prairies, 10 % de prés-marais; le reste, 15 %, sert à nourrir les bestiaux des fermes construites au milieu des terrains exploités (froment, avoine, seigle, pommes de terre, sarrasin, maïs, osiers...); enfin on y pratique la culture des semences et des graines.

En Amérique, ce sont les prairies, les céréales et des plantations entières de la fameuse « Junglans nigra », dont nous a causé M. Rebmann, il y a deux ans, qui sont en faveur. (Colorado, Montana, Nebraska, Californie...)

En Allemagne aussi, les prairies jouent un grand rôle, dans 21 localités, soit 28 % des villes épurant leur sewage par l'épandage : est la culture exclusive. Dans les 54 autres villes qui irriguent leurs eaux d'égouts, la plupart suivent les principes anglais et français.

A Berlin, on cultive même des arbres fruitiers ; on a vendu en 1905 pour 84,000 M. de fruits provenant des vergers irrigués, et le rapporteur de cette année fait la remarque : « Die Beschaffenheit des gewonncnen Obstes war vorzüglich! » —

A Fribourg, que Dunbar désigne comme installation modèle, un quart des champs d'épandage est occupé par des prairies, un quart sert aux cultures des mars, un quart est réservé aux betteraves, au maïs, etc., un quart aux gros grains ou blés d'hiver.

Enfin, il sera intéressant de savoir ce que l'on cultive


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dans les villes qui arrosent. A Eduarsfelde. on ne cultive pour ainsi dire que des prairies avec leurs saules, bien peu de pommes de terre et de céréales.

A Magdebourg et Osterode, les prairies jouent le plus grand rôle.

D'après les renseignements que je viens de vous fournir, il était tout indiqué de commencer les essais, à Strasbourg, par des prairies. Les conditions étaient favorables. A proxi mité immédiate de la station de dégrossissage au Wacken, on choisit un pré d'environ 65 ares de surface. Cependant, n'ayant pas d'installation permettant une pression atmosphérique assez élevée, on se contenta pour ce genre de culture, de faire de l'épandage, soit de l'irrigation superficielle. Cet essai dévie donc des principes énoncés tout à l'heure. Néanmoins, les résultats furent très satisfaisants. On irri-' gua du 16 au 31 mars 1909 avec environ 1500 m. c. d'eaux d'égouts, préalablement dégrossies par la Roue - à- aubes - tamis 1 (Siebschaufelrad, syst. Geiger, Karlsruhe), c'est-àdire que l'irrigation superficielle fut de 230 mm. d'épaisseur. Une deuxième irrigation, moins intense, eut lieu du 18 au 20 juin, immédiatement après la première coupe, soit 400 m. c. d'eaux d'égouts. L'addition des deux quantités épandues, la répartition journalière et le calcul pour un hectare indiquent que ce pré fut irrigué avec les eaux d'égouts d'environ 80 habitants, ce qui correspondrait aux données idéales de Dunbar. Il faudrait, en ne pas épandant de plus fortes doses, 2500 ha de prairies pour 200,000 habitants. D'après l'usage et les expériences d'autres villes, on

1 Je me suis servi de cette traduction pour Siebschaufelrad, dans une publication française spéciale. Quant à la construction et à l'exploitation de cet appareil, je recommande: «Die Versuchsanlagen für maschinelle Abwasserreinigung in Strassburg» von Stadtbauinspeetor Strohl und Ingénieur Clodot — Gesundhoit, Jabrg. 190.. Nr. 17. Leineweber, Leipzig, 2 éditions.


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aurait pu épandre une dose six fois plus forte, cependant elle correspond à peu près à celle de l'arrosage.

Pour savoir, si on avait irrigué avec plus ou moins de succès, on compara la récolte de 5 ares irrigués avec celle de la même surface d'un pré voisin, non irrigué. Ci-contre un tableau qui indique la valeur de l'essai.

La différence de poids, entre l'herbe fraîche et à l'état sec, est à peu près la même pour les prés irrigués et les prés non irrigués : la réduction d'humidité fut, après la première coupe, de 75%, après la deuxième coupe de 50%.

Vous voyez que les résultats sont très satisfaisants. Ils signalent un rendement supérieur de 378 M. par hectare à celui des prés non irrigués, en admettant le prix modéré de 70 marcs par tonne.

Les autres cultures, pratiquées sur nos champs d'essais, furent exclusivement soumises au procédé de l'arrosage. M. Weirich avait d'abord pensé, qu'on ne devrait faire des essais qu'avec les grosses cultures; mais on dévia, et on préféra faire des études un peu plus étendues. Du reste, la saison très avancée, quand on prit des décisions, ne permettait plus un grand choix.

Le terrain destiné aux essais, comportait une surface totale de six ares et demi. C'était jusqu'alors un pré mauvais et pierreux qui n'avait jamais fourni grand rapport, et qui présente tout au plus 30 à 40 cm d'humus, au-dessus de la couche sous-jacente de gravier. La nappe d'eau souterraine est en moyenne à 1 mètre 80 de profondeur, pendant les grandes crues à 0,50 mètre jusqu'à 1 mètre. Du 20 mai au 1er juin 1909, on enleva le gazon. Du 1er au 4 juin, on répandit comme fumier des résidus provenant des appareils dégrossisseurs de la station du Wacken, amoncelés depuis le mois de novembre 1908, donc passablement fermentes. On en répartit 8,5 m. c, soit une épaisseur moyenne de 15 mm. Le 4 juin, on fit le premier


Tableau comparatif des récoltes des prairies.

Deuxième Troisième Données

Première coupe Calcul

coupe coupe s'etendant du «Stat; Jahrbà

Jahrbà hectare

Elsass-Lothr. 1908

pour les trois

coupes tonnes .

p. récoltes

herbe état sec

fraîche etat ,ec tonnes par kg kg kg kg kg kg hectare

prés non Prés non irrigués 3.6.09) 81,5 20,0 19.8.45,0 19,2 - — — 12,65 3,92 4,75

Prés irrigués 2.6.09 149,0 37,5 18.8.83,0 40,8 23.10.42,0 15,0 27,40 9,33 . préf, 5,50

inondes

I


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labour. Du 6 au 15 juin, un peu trop tard, on sema ou planta les cultures choisies qui étaient les suivantes:

l.Mals, le «grosser amerikanischer weisser Pferdezahn»; 2. Deux sortes de pommes de terre: «Blaue Riesen» et «Kaiser Friedrich». 3. Collet vert. 4. Betteraves à sucre, sélect Villemorin. 5. Betteraves fourragères. 6. Choux de Bruxelles. 7. Choux-raves. 8. Choux blancs et Choux rouges.

Afin d'avoir une base de comparaison exacte, on divisa chacun des champs de telle sorte, que la partie supérieure ne fût pas arrosée et que la partie inférieure formât le vrai champ d'essai.

Les eaux d'égouts, préalablement dégrossies par là roue-àaubes-tamis, furent passées par un filtre de gravier d'un mètre d'épaisseur, avant de servir à l'arrosage.

Je me borne à faire remarquer, qu'on arrosa les 3 1/4 ares inférieurs avec 61,3 m. c. d'eaux d'égouts, soit 1,900 m. c. par ha. Ce chiffre correspond aux eaux usées d'environ 50 personnes, et il comporte environ la moitié des eaux qu'on aurait pu y amener en temps normaux. D'abord les cultures ne durèrent que quatre mois. Puis l'été dernier a été extraordinairement pluvieux. 37 jours de pluies plus ou moins fortes, soit des orages, se suivirent presque sans interruption, du 4 juin au 1er septembre, dans un intervalle de 88 jours. Du 15 juillet au 11 août, on se vit contraint d'interrompre l'arrosage, à cause de ces pluies continuelles, et de crainte de faire pourrir les plantes par suite d'une humidité exagérée. A partir du 1er septembre, on cessa complètement d'arroser, ce que l'on fait en général sur les champs d'épandage, 4 à 6 semaines avant la récolte. J'ai lu avec intérêt, dans les rapports de différentes villes qui ont des champs d'épandage, que la quantité des eaux non épurées, rejetée dans les fleuves en 1909, dépasse de beaucoup celle de toutes les années précédentes. Malgré toutes les dif-


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Acuités énuméréés, la récolte de nos champs d'essais permet une comparaison favorable pour les champs arrosés. Je la fais suivre dans un tableau comparatif.

Mon rapport ne serait pas complet, si je ne vous causais pas de la qualité de la récolte.

Le maïs, ayant été semé trop tard, ne parvint pas à sa complète maturité. Il fut coupé en état.vert, et on en offrit aux cerfs et aux chevreuils de l'Orangerie. Ceux-ci cependant ne mangèrent que le bout des feuilles, le reste leur parut trop dur, on n'avait récolté qu'en octobre, trop tard pour en faire du fourrage vert. D'après la différence de poids entre les deux moitiés du champ, vous pouvez juger d'une hauteur différente. Sur le champ arrosé, les tiges atteignirent en moyenne une hauteur de 2,50 m à 2,75 m, sur l'autre de 2 m à 2,40 m.

Les pommes de terre arrosées étaient mieux formées et plus grosses que les autres; elles se conservèrent aussi longtemps que celles-ci. Les tiges sur les champs arrosés étaient encore en pleine vigueur quand on fit la récolte, le 17 octobre, tandis que sur la partie supérieure non arrosée, elles étaient fanées depuis longtemps.

Les choux de toute espèce n'étaient pas si bien développés sur les champs arrosés; mais on ne peut pas faire de déduction exacte, principalement parce que le terrain était bien ■ plus mauvais que sur la partie supérieure, et que les lapins sauvages y firent beaucoup de dégâts. Du reste, les choux en général donnèrent l'an dernier une récolte énorme, par suite des longues saisons de pluie. Les tiges des choux de Bruxelles avaient presque toutes une hauteur d'un mètre.

Ce sont les betteraves, autant à sucre que fourragères, qui démontrent le plus avantageusement l'influence opportune de l'arrosage. Les plantes arrosées étaient bien plus fraîches et plus lourdes, mais surtout plus gonflées paT l'humidité que les autres. Sur la partie supérieure le feuillage était


Culture

Terrain

Surface ares

Nombre des replants,

Poids de la récolte

Calcul

des récoltes

eu tonnes par ha

«

Rendements Mk. parha

pieds, etc.

prix par 100kg

au

Wacken Mk.

d'après la statistique Mk.

au début

à la

récolte

Maïs ( (ainerikaniseher < blauer Rosszahn) (

arrosé non arrosé

0.45

115 quadruple

111

182

40.4

0.4)

120 quadruple

111

125

27.8

Kaiser-Friedrich- 1

Kartoffeln <

(Pommes do terre) 1

arrosé

0 42

125

125

71

16.9

l0.5

12.5

6.00

1014

750

non arrosé

0.42

125

125

44

0.00

630

Blaue RiescnKartoffeln

RiescnKartoffeln

(Pommes de terre) |

arrosé

0.42 0.42

130

130

08

16 2

12.5

6.00 0.00

972

750

non arrose

130

130

47

11.2

672 1602

Fulterrüben ( Betteraves fourragères

arrosé

0.35

174

173

racines 280 feuilles 14

83.1

21.2

57.2 12 6

25.3

2.00

506

non arrosé

0.35

175

173

racines 200 feuilles 44

2.00

1144

Betteraves à sucre (

Zuckerriibcn |

verb. Villeworin |

arrosé

0.39

182

182

racines 189 feuilles 142

48.6

36.5

28.0

2.40

1166

672

non arrosé

0.39

182

182

racines 93 f, uilles 105

23.9 270

2.40

574

Collet-Vert Carotte fourragère j

arrosé

0.40

racines 60 feuilles 108

racines 38 feuilles 43

15.0 27.0

non arrosé

0.40

9.5 10 8

Kohlrüben Choux-raves |

arrosé

0.15

34

34

40

26.6

10.7

non arrose

0.15

34

34

42

28.0

Choux i blancs et rouges

arrosé

0 3

116

106

83

23.7 38.0

non arrosé

0.35

117

115

126

I


- 125 —

jauni et mort bien avant la récolte, tandis que celui des plantes arrosées était en pleine vigueur.

Je résumerai, en constatant que toutes les cultures arrosées prirent un développement prodigieux quant au volume, à la masse et à la hauteur. Quant à la valeur nutritive des récoltes, comparée au poids, je ne puis malheureusement vous donner des analyses scientifiques d'aucun genre. C'est un des facteurs qui nous échappe. Mais je ne vous cacherai pas d'un autre côté, que l'arrosage avec des eaux d'égouts comporte, d'après nos expériences, un engrais de valeur restreinte et incomplète.

Nous ne sommes pas les premiers à faire cette constatation: il y a longtemps que les agronomes et les chimistes ont documenté cette apparition. Il est intéressant de citer lès résultats obtenus par le docteur Gerlach, à Posen: un mètre cube d'eaux d'égouts contenait au moment de l'arrosage:

0,50 kg d'azote, 0,18 » de kali, 0,22 » d'acide phosphorique. L'azote est donc l'engrais principal, le kali et le phosphore sont contenus en trop petites quantités. C'est pourquoi il serait bon d'ajouter ces deux matières, sous une forme quelconque, si l'on veut arriver à un résultat absolument idéal: pour les plantes à sucre, cette addition est même indispensable.

Les essais dont je viens de vous entretenir vous paraissent peut-être par trop minimes ou disparates, pour devoir en causer si longuement; mais nous nous sommes inspirés des mêmes sentiments que les Anglais dans leurs premières études. La commission du Parlement anglais fait à ce propos la remarque suivante:

« Quand on veut essayer de résoudre la question de l'uti« lisation agricole des eaux d'égouts, il n'est pas nécessaire


— 126 -

« de fournir une masse de preuves pour démontrer que l'on « peut atteindre, par une répartition soigneuse et opportune, « des résultats satisfaisants et avantageux. Un seul essai anf« fit complètement; car ce qui a été fait une fois, pent être « répété à discrétion. »

Je crois avoir mis assez longtemps votre patience à l'épreuve. Il eut été intéressant, après le communiqué des premiers essais, d'étendre la discussion à l'utilisation agricole de tout le sewage de Strasbourg.

Ce sujet a déjà été touché très adroitement. M. Weirich, dans un article aussi compétent qu'ingénieux, paru dans la « Strassburger Post » le 4 juillet 1909 et intitulé « Die städtischen Abwâsser », indiquait certainement une solution très recommandable et digne d'être étudiée. Entre autres, il posait nettement le problème aux techniciens compétents:

J avais songe à repondre à cet appel, mais la discussion de ce problème exige encore de longues études et subira encore mainte évolution. Une foule de questions se présentent:

Où sont les terrains capables de recevoir toutes les eaux d'égouts de Strasbourg, soit le sewage de 200,000 habitants? De quel mode d'épuration faut-il faire précéder l'arrosage? Les eaux usées peuvent-elles être consumées par l'agriculture pendant toute l'année et sans interruption? Ou bien faut-il avoir recours à dos procédés auxiliaires? Pour quelles plantes faut-il se servir de l'arrosage, quelles sont les cultures les plus favorables pour le système d'épandage? Peut-on attendre assez de succès agricoles pour motiver le sacrifice de 2 à 3 millions? Faut-il centraliser ou permettre le morcellement? Quels sont les moyens propres à intéresser nos paysans à une entreprise aussi étendue que nouvelle?


— 127 —

Ainsi s'aligneraient encore bien des questions sérieuses et difficiles à résoudre, sans s'arrêter à la technique qui, vous le savez, ne doute de rien.

Il est à souhaiter que la réponse soit favorable, et que le voeu de notre Société de voir utiliser tous les engrais traversant nos égouts et partant sauver d'une perte par trop déplorable une source intarissable de richesses pour l'agriculture, pourra être réalisé! Nous sommes tous d'accord qu'il ne suffit pas, pour le progrès et le bien-être de l'humanité, de construire des écoles et des usines et de former de puissantes armées, — il faut avant tout des vivres pour l'entretenir! —

Séance du 25 avril 1910.

L'Église Saint-Nicolas de Strasbourg.

Par M. le pasteur TH. OEROLD.

Mesdames, Messieurs,

J'ai été invité par le comité de la Société des Sciences à venir vous parler de l'église Saint-Nicolas, et je me suis volontiers rendu à cette invitation. J'aime mon église et j'ai du plaisir à en parler. Sans doute, comme édifice, elle est de bien modeste apparence, et son histoire n'est pas aussi glorieuse que celle de plusieurs de ses soeurs. Néanmoins, il se rattache bien des souvenirs à ses vieux murs et ses destinées ne sont pas sans présenter quelque intérêt. J'espère vous le faire voir dans le cours de cet entretien. Car ce n'est pas une conférence que je viens vous donner, mais un simple entretien, aussi modeste que la petite église qui en fait le sujet. Et j'ajoute encore que ce que je vous apporte ici n'est pas du nouveau, de l'inédit. Ce que je vais vous dire a été publié par moi, il y a quelques années, dans un volume intitulé « Geschichte der Kirche St. Niklaus in


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Strassburg », et je ne pourrai vous présenter qu'un résumé assez incolore de ce que j'ai raconté là avec de plus amples détails, J'essayerai, du moins, de vous donner un aperçu complet de? destinées de Saint-Nicolas. Cela dit, j'entre dans mon sujet.

Sur l'emplacement actuel de l'église Saint-Nicolas s'élevaient dans les anciens temps, nous dit Schoepflin dans son « Alsatia illustrata », quelques constructions romaines, soit une maison de plaisance appartenant à quelque riche particulier, soit un castel destiné à la défense de la ville. Cette assertion semble corroborée par la découverte d'antiquités romaines et d'un reste de mur romain qu'on a faite au dixhuitième siècle déjà et très récemment encore en creusant le sol dans le voisinage immédiat de notre église. Quoi qu'il en soit, les constructions dont parle Schoepflin semblent avoir disparu lors des invasions des barbares au troisième et au quatrième siècle. Les vastes terrains qui s'étendaient au sud de la ville, sur la rive droite de l'Ill, furent dès lors occupés par des cultivateurs et surtout par des pêcheurs, que la rivière, fort poissonneuse paraît-il, attirait de ce côté.

C'est là, à quelques centaines de pas de l'église SaintThomas, qu'en 1180 le chevalier Walther, l'économe ou dépensier (Spender) de l'évêque Henri de Hasenbourg, fit construire, sur un terrain lui appartenant, une chapelle qu'il consacra à sainte Marie-Madeleine, à saint Maurice, à saint Nicolas et à sainte Cécile. Il la dota en même temps d'un corps de biens dans la marche de Niederhausbergen, afin de pourvoir à l'entretien d'un prêtre.

L'intention du chevalier Walther était-elle simplement, comme on l'a supposé, de faciliter aux habitants de la banlieue, trop éloignés de Saint-Thomas, la fréquentation du culte? Ou bien songeait-il à créer une nouvelle paroisse sous le patronage du chapitre de Saint-Thomas? Toujours


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est-il qu'il stipula que le desservant de la petite église aurait .la faculté d'administrer le .baptême aux enfants et de présider aux enterrements. Mais il lui imposa en même temps l'obligation d'assister régulièrement aux offices du choeur de Saint-Thomas après avoir célébré ceux de sa chapelle. C'était marquer assez clairement que le nouveau lieu de culte était une simple annexe de Saint-Thomas. Le chevalier Walther ordonna d'ailleurs que la nomination du chapelain, qu'il s'était réservée sa vie durant, reviendrait après sa mort au prévôt du chapitre. Il voulut aussi que tous les ans, le jour de sainte Marie-Madeleine, les membres du clergé de . Saint-Thomas se rendissent en procession à la chapelle pour y chanter les premières vêpres et qu'on leur donnât à cette occasion une collation dont les frais se monteraient à 15 sous. L'évêque Henri approuva cette fondation, qui fut faite par-devant les chanoines de Saint-Thomas et de SaintPierre-le-Jeune, et en présence du vidame Burkart, du maréchal Werner de Hunebourg, du burgrave Sifried et du chevalier Rodolphe de Rhinau.

Le nom officiel de la chapelle était celui de sa principale patronne, Sainte-Marie-Magdeleine. Mais la population de ce quartier étant composée en grande partie de bateliers et de pêcheurs, et saint Nicolas étant honoré comme le patron de ces deux métiers, son nom finit par prévaloir au quatorzième siècle sur celui de la sainte.

A cette époque, d'ailleurs, la modeste chapelle du douzième siècle était devenue une église d'une certaine importance. La population de la rive droite de l'Ill s'était accrue à tel point, que, dès 1230, le magistrat avait jugé nécessaire de. reculer le mur de l'enceinte au delà du faubourg, et SaintNicolas se trouva être ainsi l'église paroissiale de ce grand et populeux quartier qui s'étendait depuis l'Ill jusqu'à la rue des Jardins et depuis la tour des Bouchers jusqu'à celle de Saint-Marc.


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Cette augmentation des paroissiens de Saint-Nicolas amena tout naturellement une augmentation de ses revenus. Il faut croire que la libéralité des fidèles était très grande alors. Autrement nous ne comprendrions pas l'accroissement rapide de la fortune de la nouvelle église. Au quatorzième siècle, elle possédait, outre la manse de 31 arpents à Niederhausbergen dont l'avait dotée le fondateur, un bien à Brumath qui rapportait 6 sols, 9 rézeaux de froment, 6 poules et 26 oeufs, un autre à Altdorf comprenant 19 arpents de terre arable, de prés et de bois, à Dambach, un vignoble rapportant 5 mesures de vin, à Strasbourg même, plusieurs immeubles sur lesquels elle touchait une rente plus ou moins considérable, et enfin des terres dans une vingtaine de localités différentes.

Alors le chapitre, ne tenant aucun compte de ce qui avait été stipulé dans l'acte de fondation, renonça à nommer un chapelain spécial pour la chapelle de Saint-Nicolas. Il eu confia la desserte à son propre custode, c'est-à-dire à celui de ses membres qui remplissait les fonctions de curé à SaintThomas. Ce dignitaire ne dédaigna pas de percevoir les revenus de la vicairie, mais il trouva bon d'abandonner l'exercice des fonctions sacerdotales à un vicaire qu'il rétribuait le plus modestement possible. Puis; la prospérité de Saint-Nicolas allant croissant, le chapitre crut voir dans les revenus de la chapelle une source tout indiquée pour améliorer les prébendes de ses chanoines et, en l'an 1314, les propriétés, dîmes, rentes, redevances et oblations de SaintNicolas furent tout simplement incorporées à la trésorerie de Saint-Thomas.

Cette situation prospère ne dura pourtant pas. Les grandes épidémies de 1381 et de 1387, qui décimèrent si cruellement la population de Strasbourg, réduisirent du même coup le nombre des paroissiens de Saint-Nicolas. Il y eut autre chose encore. L'établissement du nouvel hôpital dans le voi-


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sinage de Saint-Nicolas amena l'expropriation d'un certain nombre d'habitants de ce quartier qui allèrent s'établir ailleurs. Plus tard, lors de la guerre avec le duc de Bourgogne, la démolition, par ordre du magistrat, de toutes les habitations qui se trouvaient hors de l'enceinte, entraîna une nouvelle réduction des fidèles de la paroisse. Enfin l'établissement du couvent des Carmes à proximité de notre église eut des conséquences non moins funestes. Les Carmes, on le sait, avaient obtenu en 1247 du pape Innocent IV les mêmes privilèges que les ordres mendiants: ils étaient autorisés à prêcher et à confesser en tout lieu, à enterrer dans leurs cimetières les fidèles qui le désiraient, à recevoir chez eux les paroissiens d'autres églises, à percevoir intégralement les oblations et les droits funéraires, et à ne rien céder aux curés paroissiaux des biens qui leur étaient laissés par testament. Ils profitaient de ces libertés pour attirer à eux les fidèles, qui se laissaient facilement persuader que les indulgences offertes par les moines et l'absolution donnée par eux avaient une valeur particulière et que les morts enterrés dans leur cimetière jouissaient de grâces spéciales.

Toutes les circonstances que nous venons de relater diminuèrent sensiblement les revenus de Saint-Nicolas. Au commencement du seizième siècle, la vicairie ne rapportait plus qu'environ 12 ducats d'or. Le chapitre prit alors une mesure bien extraordinaire. Il supprima la vicairie perpétuelle et décida de ne plus nommer que des vicaires temporaires, et au lieu de leur assigner un traitement fixe, de leur affermer la paroisse pour un certain nombre d'années, c'est-à-dire de leur abandonner les revenus contre une rente qu'ils payeraient à la trésorerie capitulaire. Ce nouvel et singulier arrangement subsista jusqu'au moment où la Réforme fut introduite à Strasbourg. Saint-Nicolas devint alors une des sept paroisses protestantes de la ville et eut un pasteur en titre comme toutes les autres églises de Strasbourg. Mais le


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chapitre ne fut point déchargé de ses obligations envers son ancienne annexe, et le pasteur de Saint-Nicolas, aujourd'hui le plus ancien de ses pasteurs, resta chanoine de SaintThomas.

Si maintenant vous me demandez quel fut l'aspect primitif de la chapelle de Saint-Nicolas ou plutôt de Sainte-MarieMadeleine, je suis obligé d'avouer que je n'en sais absolument rien. Nous no possédons pas la moindre indication à cet égard. Mais nous ne nous tromperons guère en admettant que c'était une construction modeste, en bois. Peut-être avait-elle pourtant un clocher en pierre. On a émis la supposition que le bas de la tour servait de porche et que, conformément au mode de construction usité à cette époque, la nef s'étendait non à l'ouest de la tour, comme maintenant, mais à l'est. Mais c'est là une simple conjecture, qui ne repose sur aucune donnée sûre.

Si nous ne savons rien sur l'aspect primitif de la chapelle, nous ne savons rien non plus sur le moment où elle fut agrandie, ni sur les changements qu'on lui fit subir. Cependant l'existence attestée de plusieurs autels — on en compte jusqu'à 9 au treizième et au quatorzième siècle — nous fait penser qu'à cette époque déjà la construction primitive avait été considérablement agrandie. Le bâtiment.actuel, du moins dans ses parties essentielles, ne date pourtant que de la fin du quatorzième siècle. En 1381, c'est Königshofen qui nous l'apprend, lors de la grande peste qui sévit à Strasbourg et qui décima la population de notre ville, les droits payés pour les funérailles, les legs faits par les mourants, les donations inspirées par la crainte de la mort, les successions tombées en déshérence fournirent d'un coup de si larges ressources, qu'on put songer à démolir plusieurs de nos vieilles églises et à les reconstruire dans de plus vastes proportions. Il en fut ainsi de Saint-Martin et de Saint-Pierre-le-Vieux, il en fut de même de Saint-Nicolas.


— 133 -

De l'ancien édifice, on ne laissa subsister que le choeur. Celui-ci fut démoli à son tour en 1454 et le maître maçon Diebold Mosung le rebâtit sur un nouveau plan. Nous savons aussi que l'église d'alors avait des vitraux peints, où l'on voyait les armoiries des familles qui en avaient fait donation. Des pierres tombales avec des inscriptions et des figures sculptées en relief ou en creux rappelaient la mémoire des familles nobles appartenant à la paroisse ou celle des prêtres qui avaient présidé à son culte. Les murs semblent avoir été couverts de peintures à fresque. On en a retrouvé récemment du côté sud deux qui semblent dater du quinzième siècle et qui représentent l'une la crucifixion, l'autre la résurrection du Christ. Evidemment, il y en avait d'autres.

On sait qu'au seizième siècle Strasbourg entra résolument dans le grand mouvement religieux de l'époque. Les oeuvres de Sébastien Brandt et les prédications de Geiler de Kaisersberg y avaient" préparé le terrain aux idées nouvelles. La bourgeoisie, intelligente et d'humeur libérale, lisait avidement les écrits de Luther et se pressait aux sermons de Mathias Zell et de quelques autres prédicateurs qui n'hésitaient plus à prêcher le pur Evangile. Le magistrat ne faisait rien pour entraver ce mouvement. Au contraire. Le 1er décembre 1523, il publiait une ordonnance enjoignant aux prédicateurs à ne prêcher désormais autre chose que le saint Evangile et la doctrine de Dieu et tout ce qui contribue à augmenter l'amour envers Dieu et le prochain.

De suite, les différentes communautés de la ville demandèrent qu'on leur donnât des prédicateurs prêchant le pur Evangile. L'autorité ecclésiastique s'y refusa. Le magistrat hésitait. Les communautés alors allèrent de l'avant. SainteAurélie donna l'exemple. Les « jardiniers », groupés autour de cette église, signifièrent son congé à leur curé et mirent Martin Bucer à sa place. Saint-Pierre-le-Vieux suivit en nom-


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manl Thiébaut Schwarz, Saint-Pierre-le-Jeune, en appelant Capiton. Puis vint le tour de Saint-Nicolas.

Ce fut un ancien prêtre de la commanderie de Saint-Jean, Sleinlin ou, de son nom latinisé, Latomus, qui y fut le premier pasteur évangélique. Nous ne savons presque rien de cet homme qui resta jusqu'en 1531 à Saint-Nicolas, sinon qu'il signa, avec Capiton, Hédion, Zell et d'autres, une pétition au magistrat pour obtenir l'organisation d'un culte approprié aux nouveaux besoins.

Antoine Firn, qui lui succéda, est une personnalité plus marquante. Il avait d'abord rempli les fonctions sacerdotales à Saint-Etienne et avait été appelé en 1520 à Saint-Thomas, d'où il passa en 1531 à Saint-Nicolas. Ardent défenseur des idées nouvelles, ne reculant devant aucune conséquence des principes qu'il avait reconnus vrais, il apparaît comme un des caractères les mieux trempés de ctte époque tumultueuse. Dès 1523, il avait déclaré, du haut de la chaire, qu'il avait été contraint jusque-là de taire la vérité, mais qu'à l'avenir il ne se laisserait plus brider la langue. Il fut l'un des premiers prêtres qui osât contracter ouvertement mariage, l'un des premiers aussi qui célébrât la messe en allemand et qui, poussé par un zèle iconoclaste, brisât les autels et détruisît les images dans son église.

Il faut encore nommer ici le successeur de Firn, plus célèbre que lui, mais d'une triste célébrité. Jean Marbach, né à Lindau, en Souabe, avait étudié la théologie à Wittenberg sous Mélanchton, mais n'avait pas appris du savant ami de Luther à user de calme et de douceur. Plein de zèle et de talent, mais animé de dispositions étroites et fanatiques, il ne poursuivait qu'un seul but, celui de substituer à l'esprit de largeur et de conciliation, qui jusque-là avait si avantageusement distingué la réforme strasbourgeoise, un luthéranisme strict et étroit, et de remplacer la confession tétrâpolitaine, qui tenait le milieu entre le zwinglianisme et le


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luthéranisme, par la confession d'Augsbourg, qui, selon la pittoresque expression de Calvin, devait être le noeud coulant avec lequel la main de Marbach allait étrangler la paroisse réformée française de Strasbourg. En effet, grâce à la savante stratégie du zélote luthérien, le culte réformé de langue française fut interdit dans notre ville en 1577. Un arrêté du magistrat du 20 février de cette année fit connaître que l'Eglise française était définitivement fermée et qu'il ne serait plus permis aux réfugiés français établis dans la ville de suivre aucun prêche ou de tenir aucun conventicule. Marbach leur fit signifier que s'ils ne voulaient pas se joindre à l'Eglise luthérienne et y trouver la félicité éternelle, ils n'avaient qu'à rester dehors. Paroles dédaigneuses et qui peignent bien le premier chef du luthéranisme à Strasbourg! Marbach, dans ses dernières années, mena aussi une campagne acharnée contre l'excellent recteur Jean Sturm, qu'il accusait de vouloir calviniser le Gymnase protestant que cet illustre pédagogue venait d'organiser.

L'histoire de Saint-Nicolas de la fin du seizième à la fin du dix-huitième siècle ne présente du reste rien de saillant ni sous le rapport des personnes ni sous le rapport des • choses ou des événements extérieurs. Dans la longue liste des pasteurs et des diacres — on appelait ainsi le second et le troisième pasteur d'une église — de Saint-Nicolas durant cette longue période, il n'en est guère qu'un seul dont le nom soit encore prononcé aujourd'hui. C'est Osée Schad ou Schadaeus, qui, sous ce titre latin : « Summum argentoratensium templum » publia la première description détaillée de notre vieille cathédrale. Son « Münsterbüchlein », paru en 1617, est encore recherché aujourd'hui par les amateurs d'alsatiques.

Quant aux événements dignes d'attirer l'attention, je note en passant ce fait, qui a quelque intérêt actuel, qu'en 1661 on célébra à Saint-Nicolas, comme d'ailleurs dans toutes les


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églises de la ville, un service religieux spécial à cause de l'apparition d'une comète. Ce phénomène céleste semble avoir jeté le trouble dans bien des âmes, ce qui ne saurait nous étonner, nous qui voyons l'effet que produit au vingtième siècle sur une foule de gens la réapparition de la comète de Halley. C'est pour conjurer tout danger menaçant, pour apaiser la colère divine, que le conseil des XXI ordonna un prêche spécial dans toutes les églises et fit lire du haut des chaires un mandat qui recommandait au peuple chrétien une observation plus stricte du dimanche.

Un fait plus important, c'est le transfert à Saint-Nicolas, en 1726, du culte français luthérien, qu'il ne faut pas confondre avec le culte français calviniste, qui, comme nous l'avons vu, fut supprimé en 1577. Etabli en 1680 seulement, par décision du magistral, pour répondre à de réels besoins qui s'étaient fait sentir dans une partie de la population, le culte français luthérien avait d'abord été célébré à Saint-Thomas, les jeudis matins. La restauration qu'on fit subir à celte église en 1726 contraignit la communauté française à chercher ailleurs un refuge au moins provisoire. Elle fut très sympathiquement accueillie par les représentants de la paroisse de Saint-Nicolas, et elle se trouva si bien dans cette église, qu'elle ne songea plus à la quitter. Vous savez qu'elle y est encore.

Je note encore ici la sépulture accordée à des seigneurs étrangers et à des officiers français, suédois et allemands qui, décédés à Strasbourg durant la guerre de Trente ans et plus tard, furent enterrés dans l'église Saint-Nicolas.

Voici d'abord, en 1633, Jean-Gérard-Patrik de Trorbach, capitaine dans l'armée du général suédois Horn; puis, dans la même année, Hans Eberhard de Bcinheim, colonel et adjudant-général dans la même armée, et, en 1634, Jean Adam de Layen, lieutenant-colonel d'infanterie et commandant de la place de Schlestadt. Au siècle suivant, en 1717, c'est


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le noble seigneur Auguste-Frédéric de Woesfleht du Holstein, et, en 1718, M. de Monrô, colonel de cavalerie au service du roi de France, lieutenant-colonel au régiment d'Alsace. Plus tard encore, en 1757, MM. Miville et Braun, banquiers dans notre ville, viennent demander que le jeune baron Conrad Louis de Hoppe du Mecklembourg-Schwerin, décédé ici à l'âge de 20 ans, soit enseveli à Saint-Nicolas, et' l'année suivante MM. Oesin'ger et Hummel sollicitent la même faveur peur le baron Charles de Brianda, capitaine de dragons au service du grand-duc de Holstein, décédé à l'âge de 27 ans.

La sépulture dans l'église même était une grande faveur, qui n'était accordée que contre une indemnité. Ces indemnités variaient entre 100 et 300 thalers; elles constituaient une ressource précieuse pour l'église, qui n'avait guère d'autres revenus.

Mais ce n'étaient pas seulement des étrangers de distinction auxquels une pareille faveur "était accordée; les familles nobles de l'Alsace la réclamaient et l'obtenaient également. Lorsque le 13 décembre 1716 Mme Christine-Renée Zorn de Plobsheim fut frappée d'apoplexie au culte du matin de Saint-Nicolas et expira peu après dans la sacristie, son mari demanda, « pour sa consolation », qu'elle fut enterrée dans l'église même et promit de payer une indemnité de 200 thalers. Seulement quand il s'agit de s'exécuter, il se déroba et ce n'est que vingt-cinq ans plus tard que son fils consentit à acquitter cette dette.

Quant à l'édifice même, il ne subit durant cette période qu'un changement important. La tour bâtie en 1454 menaçant ruine, on en reconstruisit en 1585 la partie supérieure. Elle avait été lourde et massive, on la fit maintenant si élancée, si légère, qu'on craignit quand elle fut achevée, qu'elle ne résisterait pas à un fort coup de vent. Le conseil de l'église, redoutant un malheur, chargea, en 1600, un couvreur de Lahr, Nicolas Schwartz, d'en couper la pointe à


138

une certaine hauteur. C'est alors sans doute qu'on donna au clocher la forme qu'il a encore aujourd'hui. En 1607, on restaura aussi l'intérieur de l'église et on établit la galerie du côté du quai. Plus tard, on construisit le petit bâtiment qui servait de sacristie et qui a disparu, il y a quelques années seulement, lors de la dernière restauration de notre église.

Mais nous voici arrivés à la troisième période de l'histoire de Saint-Nicolas qui commence avec la crise révolutionnaire.

Les luttes des partis politiques, la guerre étrangère et la guerre civile avaient d'abord détourné l'attention des questions religieuses en Alsace. Cependant, dès le mois de janvier 1793, le fameux Euloge Schneider dirigeait dans son journal « Argos » les plus violentes attaques contre les ecclésiastiques des deux cultes, leur reprochant de ne rien faire pour répandre la vraie religion et l'amour de la République, comme ce serait leur devoir. « C'est si commode », s'écriait-il, « de n'avoir d'autre occupation que celle de faire le signe de la croix, de dire la messe, de porter des vêtements brodés d'or et de brailler des psaumes latins, sans être obligé de rien penser, de rien sentir et de rien enseigner ». Les pasteurs protestants étaient confondus par lui dans le même anathème.

• Il n'était pourtant pas juste d'accuser tous les pasteurs de n'être pas au niveau des sentiments patriotiques de la nation. En ce moment même, le prédicateur de la paroisse française de Saint-Nicolas, Mathias Engel, composait et faisait chanter par ses ouailles des cantiques comme celui-ci: « Auteur de nos jours, Dieu suprême, — Reçois notre serment civique. — Certains de l'immortalité, — Nous vivrons pour la République, — Nous mourrons pour la Liberté! » Comme inspiration poétique et comme versification, cela était moins que médiocre, mais comme sentiment patriotique, cela ne laissait rien à désirer.


— 139 —

Mais déjà on demandait à nos églises autre chose que de faire chanter des couplets patriotiques. Dès l'année précédente, le Trésor se trouvant vide, on avait eu recours aux réquisitions de tous les métaux susceptibles d'être transformés en monnaie. Les cloches des églises furent visées en premier lieu. En mars 1792, les journaux annonçaient que l'église métropolitaine avait dû sacrifier sur l'autel de la patrie plusieurs de ses treize cloches et que Saint-Thomas aussi avait envoyé à la Monnaie l'une des siennes pesant 15 quintaux, et « les préposés au culte protestant de SaintNicolas » recevaient une lettre qui, en mentionnant le don fait par Messieurs de la fondation Saint-Thomas, ajoutait: « Nous avons lieu d'attendre de vous des preuves non moins certaines des sentiments dont vous êtes pénétrés. >

C'était le commencement de la spoliation. Dès les premiers jours du mois de novembre 1793, une nouvelle lettre du maire Monet invitait les « préposés du culte protestant de Saint-Nicolas « à apporter dans les vingt-quatre heures à la maison commune tous les effets et vases précieux qui se trouvent dans cette église, pour les consacrer aux besoins de l'Etat ». Le conseil presbytéral s'empressa de décider à l'unanimité « qu'on satisferait incontinent à cette réquisition ».

Deux délégués allèrent porter les vases sacrés d'or, de vermeil, d'argent, dons, pour la plupart, des fidèles, à la mairie. Le conseil alla même, non pas sans doute par sentiment patriotique, mais par un autre sentiment assez compréhensible, jusqu'à s'informer si on devait aussi livrer les franges et les galons d'or dont étaient bordés les tapis d'autel, et sur la réponse naturellement affirmative, on se hâta de remettre à l'administration 12 livres 5/8 de galons d'or et d'argent.

Ce notait pas encore assez. Un certain nombre d'objets de peu de valeur, chandeliers, sablier, clochette, écritoire, etc., étaient conservés dans deux armoires dont l'une placée à

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l'église et l'autre dans la demeure du sacristain. Le 4 messidor de l'an II, le juge de paix du quatrième district vint, à la requête de l'agent national, apposer les scellés aux deux armoires, et le 13 thermidor arrivèrent deux commissaires qui emportèrent tout ce que contenaient ces meubles.

Le culte, à ce moment, n'était pas encore interdit; mais le 27 brumaire de l'an II le maire Monet proposait à ses collègues du conseil municipal d'annoncer solennellement aux citoyens qu'à l'avenir le décadi serait le seul jour de repos et de destiner un bâtiment public à la célébration du culte national, et le 2 frimaire la municipalité était invitée à faire clore tous les temples de cette commune, hormis celui consacré à la Raison et de disposer de ces bâtiments pour le service de la République.

Alors tous les édifices religieux de notre ville, la cathédrale exceptée, furent changés en magasins de fourrage, en ateliers militaires, voire en étables. Statues et tableaux, vitraux peints et pierres tombales, inscriptions funéraires et ornements d'église, tout fut enlevé ou détruit.

Saint-Nicolas n'échappa pas à ce sort. Le 5 frimaire de l'an II, l'administrateur des travaux publics exigea que l'église fut mise à sa disposition, pour y parquer le bétail que les nombreuses familles de la campagne qui étaient venues se réfugier à Strasbourg par crainte de l'ennemi, avaient amené avec elles. C'était un troupeau de vaches. Tout le mobilier de l'église, autel, bancs, etc., fut enlevé, pour faire place à ces ruminants. Plus tard, on logea à SaintNicolas les porcs réquisitionnés dans le département. Après cela, on y établit un magasin de chanvre.

Cet état ne dura pas moins de quinze mois. Ce n'est que le 3 ventôse de l'an III (21 février 1795) que la Convention nationale rendit le décret qui autorisait de nouveau la célébration du culte public.

Le dimanche de Pâques 1795 les églises protestantes de


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Strasbourg rouvrirent leurs portes. A Saint-Nicolas le professeur et pasteur Isaac Haffner prononça un magnifique discours sur ce texte : « Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle » (Matth. XVI, 18). « Les temples si longtemps fermés se rouvrent », y disait-il; « les autels renversés se relèvent; il nous est de-nouveau permis de nous appeler chrétiens. La persécution cesse de sévir; la liberté de conscience Tecouvre ses droits éternels et imprescriptibles. 0 Dieu, Teçois les actions de grâce de nos coeurs émus! »

Alors il fallut non seulement réorganiser le culte et reconstituer la paroisse, mais restaurer l'église saccagée, souillée. Tout l'intérieur, le plafond et les murs, les lambris et le plancher, dut être reblanchi, repeint, remis à neuf. La communauté se montra d'ailleurs à la hauteur des circonstances. Une collecte ayant été organisée pour faire face aux dépenses nécessaires, on réunit, malgré la dureté des temps, 1.065 livres en argent monnayé et 12.000 en assignats.

Bientôt après, la loi du 18 germinal de l'an X vint organiser les cultes en France et ramener l'ordre et le calme dans l'Eglise.

L'église Saint-Nicolas qui, durant la longue période qui s'étend de la fin du seizième à la fin du dix-huitième siècle, n'avait joué qu'un rôle très effacé, acquit au dernier siècle une nouvelle importance, grâce aux hommes distingués qui y occupèrent soit la chaire allemande soit la chaire française.

Ce fut d'abord, dans le premier quart du siècle, Isaac Haffner (né à Strasbourg en 1751 et y décédé en 1831), professeur au Séminaire, premier doyen de la faculté de théologie protestante de Strasbourg, inspecteur ecclésiastique, membre du Directoire et du Consistoire général, et, depuis 1780 prédicateur d'abord à la paroisse française et puis à la paroisse allemande de Saint-Nicolas, l'un des hommes les plus éminents dont s'honore l'Eglise protestante d'Alsace.


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Esprit fin et vigoureux à la fois, nourri des chefs-d'oeuvre de l'antiquité et formé à l'école des classiques français et allemands, il contribua puissamment à dépouiller l'éloquence de la chaire de la raideur dogmatique et du mauvais goût, de la phraséologie nuageuse et des banalités sonores qui la déparaient jusque-là. Ses sermons, remarquables par la profondeur de la pensée, la puissance du raisonnement, l'abondance des idées, et par la solidité et l'ampleur de la forme, attirèrent pendant des années un public nombreux et appartenant aux différentes tendances religieuses. Haffner était universellement estimé, non seulement pour sa science et son talent, mais pour son caractère. Il avait, en effet, montré une courageuse fermeté sous la Terreur, où son refus d'abjurer la foi chrétienne lui avait valu un emprisonnement de plusieurs mois, partagé avec son ami Blessig et d'autres collègues dans le ministère. L'influence qu'il exerça à la faculté de théologie et dans les conseils de l'Eglise fut considérable et salutaire.

On peut en dire autant de son successeur, Jean-FTédéric Bruch (1792-1874). Descendant d'une ancienne famille de huguenots français réfugiés dans le Palatinat après la révocation de l'Edit de Nantes, il fut nommé en 1821, après des années passées à Paris, professeur au Séminaire protestant et à la faculté de théologie, devint plus tard inspecteur ecclésiastique et membre du Directoire et du Consistoire supérieur et succéda, en 1832, à Haffner comme prédicateur à SaintNicolas. Grâce à la double autorité de son talent distingué et de son caractère élevé, il occupa une des plus hautes positions dans l'Eglise d'Alsace et présida dans des moments particulièrement difficiles à ses destinées.

Haffner et Bruch avaient groupé, l'un et l'autre, des auditoires nombreux et choisis autour de leur chaire, le pasteur Timothée Colani de l'église française vit affluer à SaintNicolas un public plus nombreux; encore. Né en 1824, à


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Lemé; dans le. département de l'Aisne, il avait fait ses études à Strasbourg et s'était jeté avec passion dans la théologie. Avec Edmond Scherer, il avait fondé, en 1850, la « Revue de théologie et de philosophie chrétienne », qui fut l'organe de ce qu'on a appelé « l'Ecole de Strasbourg » et contribua puissamment au réveil des études religieuses en France. Ecarté pendant -longtemps de toute fonction ■ officielle, il prêcha à .Saint-Pierre-le-Vieux et à Saint-Nicolas des sermons empreints d'une véritable éloquence. Nommé, en 1862, pasteur à l'église française et, peu après, professeur à la faculté de théologie et au Séminaire protestant, il semblait appelé à exercer une influence considérable dans l'Eglise et l'Ecole, quand éclata la guerre. Il quitta Strasbourg après l'annexion, et fut appelé plus tard par Gambetta à la « République Française » dont il resta, jusqu'à sa mort, l'un des principaux collaborateurs.

Le départ de Colani fut une grande perte pour notre ville, la mort d'Albert Schillinger, en 1872, né fut pas une perte moins sensible. Il avait, dans son. court passage dans la chaire de Saint-Nicolas, sut conquérir la sympathie de tous, et il semblait appelé pas sa parole persuasive et son talent d'organisateur à rendre de grands services à la cause du libéralisme religieux.

Ce qui à attiré les foules à Saint-Nicolas et a donné à notre église une importance particulière, ce ne sont pas seulement les prédications de quelques-uns de ses pasteurs, ce sont les nombreuses et intéresantes conférences qui s'y donnent depuis un demi-siècle, les conférences surtout organisées par l'Union protestante libérale d'Alsace-Lorraine, dans lesquelles les orateurs religieux les plus marquants de France, d'Allemagne, de Suisse et de Hollande se sont fait et se font encore entendre.

Mais il est temps de reporter nos regards sur le bâtiment de l'église. De grandes réparations y ont été faites à diffé-


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rentes reprises au siècle dernier. L'une des plus importantes fut celle de 1887. A ce moment, l'intérieur de l'église fut complètement restauré: le plafond et les murs, les lambris et le plancher, les bancs et l'autel furent remis à neuf; à-l'éclairage aux bougies on substitua l'éclairage au gaz et aux fenêtres à vitres blanches des verrières, dues à la libéralité d'une paroissienne de l'église française, Mme Klosè.

Au cours de cette réparation, on a fait dans l'église quelques découvertes qui ne sont pas sans intérêt au point de vue historique et même artistique. En enlevant le vieux plancher do l'oratoire et une partie du plancher de la nef, on a mis à nu une série de pierres tombales plus ou moins bien conservées et qui, encastrées dans les murs de l'oratoire, sont à la fois un ornement et un document historique.

Ces pierres appartiennent à des époques très différentes. La plus ancienne, qui d.'ailleurs avait été déjà trouvée lors do la réparation faite vers 1850. porto la date de 1.360 et montre, au-dessus d'armoiries inconnues, une tête dont on no sait trop si c'est celle d'un homme ou d'une femme. Il a été impossible aussi de découvrir quelle est la personne ou la famille dont ce monument doit perpétuer la mémoire.

Deux autres do ces pierres représentent on creux l'image d'un prêtre. Elles appartiennent à la seconde moitié du quinzième siècle. L'une d'elles porto on latin cette êpitapho: Anno domini MCCCCLXXXI die ascensionis obüt honorabilis dominns ennradus miselbach buius ecclesie perpétrais vicarius. Orate pro eo. (En l'an 1481. le jour de l'Ascension, mourut l'honorable soigneur Conrad Miselbach, vicaire perpétuel do cette église. Priez pour lui!)

Los trois pierres suivantes appartiennent, toutes les trois, à l'époque de la guerre de trente ans. Elles sont dans un état de parfaite conservation. L'une d'elles nous montre l'image d'un officier supérieur en grande tenue avec cette inscription: Anno 1631 den I Maji starb der woledle


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gestreng vest und manhaffte Herr Jan-Gerhard-Patrik von Throrbach under dem hochloblichen Reingraffischen Régiment wolbestelter Rittmeister dessen Sele Gott gnad. C'est l'officier de l'armée de Horn dont il a été question plus haut.

La seconde de ces pierres porte, au milieu, des armoiries parfaitement sculptées avec un passage biblique, et tout autour cette inscription: Me ligt begraben de woledle gestreng Joh. Adam a Leyen Obi. Lient, blieb vor Rheinfelden anno 1634 seines Alters 31 Jahr Got verleih ihm ein frolich Anierstehnng Amen. De ce personnage aussi, que les registres du Conseil qualifient de lieutenant-colonel de l'infanterie et de commandant de Schlestadt, il a été fait mention.

La troisième pierre, enfin, reproduit l'effigie d'un homme de guerre de cette époque et ses armoiries; mais l'inscription est effacée au point qu'on n'y lit plus que ces mots... kreich wohlbestallter Rittmeister. Ce dernier terme fait douter qu'il s'agisse ici du troisième officier que nomme le « protocole de Messieurs du conseil », du colonel Hans Eberhard de Beinheim, qui fut enterré le 4 octobre 1633 à SaintNicolas.

Deux autres pierres sont plus anciennes. L'une porte les armoiries des Twinger et des Gûrtler avec cette inscription: Anno domini MCCCLXXXI jor obiit nesa gürtelerin Johannis Twingers Wittwe. C'était sans doute la fille de Jean Gûrtler, un des bourgeois les plus riches et les plus considérés de la ville, et la veuve de Jean Twinger, qui de 1357 à 1369 fut trois fois Stettmeister de Strasbourg. Sur la seconde pierre, ornée d'une tête de taureau avec un anneau dans le naseau et d'un cou de licorne, on ne lit plus que ces mots: honesta... Barbara nxor.

A côté de ces pierres anciennes, l'oratoire de SaintNicolas renferme quelques monuments modernes: un médaillon d'Albert Schillinger, en marbre blanc, par Grass et,


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dominant tout le reste, le monument élevé en 1832 à la mémoire d'Isaac Haffner par sa paroisse reconnaissante, avec la figure de la religion pleurant son éloquent défenseur et le médaillon du regretté prédicateur d'après Ohmacht et dû au ciseau do Kirstein.

Et puisque nous parlons art et sculpture, il faut dire encore que des nombreux tableaux que Saint-Nicolas semble avoir possédés au dix-septième siècle, il on est resté quelques-uns, mais qui sont plus remarquables par leurs dimensions que par leur valeur artistique. Il y a pourtant à la sacristie, dans de splendides cadres sculptés du seizième siècle, deux peintures au pastel sur drap de velours, représentant, l'une la sainte famille, l'autre l'Ecce-homo, qui ne sont pas sans mérite. On les a attribuées au peintre Bartholomé Dieterlin, qui vécut à Strasbourg au dix-septième siècle; mais comme elles ne portent ni nom ni monogramme, il semble que ce soit là une pure hypothèse.

En 1887, l'église avait été restaurée à l'intérieur, en 1899, elle le fut à l'extérieur. Avant cette époque, la maison d'école de Saint-Nicolas, vous le savez, était adossée à l'église du côté de la tour et cachait le haut pignon de l'est. Mais, en 1899, la ville, pour continuer la rue Saint-Nicolas jusqu'au quai, acheta et fit démolir celte maison. Dès lors, il devint nécessaire do construire sur la nouvelle rue une façade dans un style noble et qui pourtant cadrerait avec le caractère si modeste de la vieille église. Le problème n'était pas facile, il fut résolu, vous savez de quelle manière, par M. E. Salomon.

Et maintenant, Mesdames et Messieurs, pour achever avec vous ce que je pourrais appeler le tour du propriétaire, je vous conduirai d'abord devant notre chaire, qui, avec ses statuettes et ses colonettes si fines, est un spécimen très élégant et peut-être pas assez apprécié de l'art de la renaissance allemande; je vous ferai monter ensuite à nos orgues,


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qui, construites en 1707 par les frères André et Geoffroy Silbermann, et plusieurs fois mal réparées, sont devenues aujourd'hui, après la réfection entreprise il y a trois ans par les facteurs Harpfer et Dalstein sous la direction dudocteur Schweitzer, un des plus beaux instruments de notre ville; je vous inviterai même à grimper dans notre vieux clocher et vous ferai arriver, par un petit escalier obscur et difficile, jusque devant notre cloche, due, elle aussi, à la libéralité de nos pères, qui ne s'est jamais démentie, quand il s'agissait de faire quelque chose pour leur église. Vous y lirez, en effet, d'un côté:

Ans dem Beitrag

der Gemeinde zu St. Nicolai

im Jahr Christi 1802

der Republik 10

Anch

den spaetesten Nachkommen

musse der Schall meines Erzes verkündigen

dass

die Religion nient mehr verfolget

die Freyheit des Gewissens nicht mehr

gekraenket wird

et de l'autre:

Me fecit Matthaeus Edel civis ârg. assistentihns filiis suis Daniele et Lndovico.

(C'est Mathieu Edel, citoyen de Strasbourg, qui me fit, avec l'assistance de ses fils Daniel et Louis.)

Mesdames, Messieurs,

J'ai essayé de vous retracer l'histoire de l'église SaintNicolas, mais en quelques traits rapides seulement. Le temps restreint dont je disposais, ne m'a pas permis d'entrer dans


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tous les détails voulus. J'espère pourtant avoir réussi à vous donner une idée exacte de ce qu'a été notre petite église dans une existence de plus de sept-cents ans. Vous avez pu voir que son rôle n'a pas été sans importance.

Notre président nous disait tout à l'heure que la Société des Sciences avait décidé de faire raconter ici l'histoire de toutes les églises de Strasbourg et de réunir ensuite en un volume ces différents entretiens. C'est là une belle et pieuse pensée, à laquelle on ne peut qu'applaudir. Aujourd'hui où tout change et se transforme autour de nous, où la physionomie de notre vieille cité menace de devenir tout autre, il est plus indiqué que jamais de retenir et de transmettre à la postérité les souvenirs d'autrefois, qui sont en même temps un enseignement utile. Or le passé n'a pas de témoins plus vénérables que nos églises. Dire leur histoire, c'est dire l'histoire des pères, et dire l'histoire des pères, c'est faire oeuvre patriotique.


SOCIÉTÉ D'HORTICULTURE DU DOUBS

Exposition internationale d'Horticulture

A BESANCON du 13 au 16 Août 1910 inclusivement

Avec le concours du Gouvernement de la République, du Conseil général du Doubs et de la Ville de Besançon

L'Exposition sera inaugurée par M. le Président de la République

ART. Ier — La Société d'Horticulture du Doubs ouvrira à Besançon., en 1910, à l'occasion des fêtes données en l'honneur de M. le Président de la République, les 13, 14, 15 et 16 août inclusivement, une Exposition internationale des produits de l'Horticulture, de la Viticulture, de l'Apiculture et des objets d'art ou d'industrie qui s'y rapportent.


INHALT. — SOMMAIRE.

Selle

Procès-verbal de la séance du comité du 4 mars 1910 . 59

Procès-verbal de la séance publique du 14 mars 1910 . . 59

Procès-verbal de la séance du comité du 21 mars 1910 . 59

Procès-verbal de la séance ordinaire du 8 avril 1910 . . 60

Procès-verbal de la séance du comité du 15 avril 1910. . 60

Procès-verbal de la séance extraordinaire du 25 avril 1910 GO

Allocution du président 61

Prof. ZWILLING : L'abbé Grégoire 65

J. WEIRICH : Revue bibliographique 80

CH. CLODOT : L'utilisation agricole des eaux d'égouts de la ville de Strasbourg et les champs d'essais au

Wacken en 1909 109

TH. GÉROLD : Conférence sur l'Église Saint-Nicolas . . 127