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Titre : Frédéric-Auguste devant Napoléon : d'après des documents inédits / comte Marc Le Bègue de Germiny

Auteur : Germiny, Marc Le Bègue de (1860-19..). Auteur du texte

Éditeur : aux bureaux de la Revue (Paris)

Date d'édition : 1905

Sujet : France (1804-1814, Empire)

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34029938p

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (78 p.) ; in-8

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Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k56001639

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LB44-1740

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 03/08/2009

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COMTE MARC LE BÈGUE DE GERMINY

FHÉWÉRIC-iUJGUSTE

DEVANT NAPOLÉON

D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

(Kxtrait de la lievue des questions historiques. — 1900)

P A R 1 S

AUX UUHKAUX 1)K LA 11KVUK

5, KUK SAIN1-S1MOX, Ô

1005



COMTE MARC LE BÈGUE DE GERMINY

FRÉDÉRIC-AUGUSTE

DEVANT NAPOLÉON

D'A-MtÉS DES DOCUMENTS INÉDITS

(Extrait de la Revue des questions historiques. — 1905)

PARIS

AUX BUREAUX DE LA REVUE

5, BUE SAINT-SIMON, 5 1905



FRÈDÉRIMWME DEVANT NAPOLEON

D'APRÈS DKS DOCUMENTS INÉDITS

Sur Napoléon et sa fulgurante épopée, les livres abondent. Et cependant, en dépit de publications innombrables, il manque, semble-t-il, certains chapitres à l'histoire impériale, ou, du moins, plusieurs pages nous en apparaissent-elles iacomplèles. En particulier, pour ce qui concerne la Confédération du Rhin, dont la courte histoire est si intimement liée à celle du grand Empereur, nous sommes, en France, d'une invraisemblable pauvreté do documents. L'ombre géante do l'omnipotent « Protecteur > voile à jamais les insignifiantes ligures des rois de Bavière et de Wurtemberg, aussi effacées que celles des minus* cules souverains de Lippe, do Lubeck, de Heuss ou de Schwarzbourg. Estompés seulement, les traits du roi de Saxe, FrédéricAuguste, qui, pour payer sa couronne, gravitera pendant sept ans dans l'orbite du soleil impérial.

Que, dans toutes les circonstances et à toutes les époques de sa vie, Frédéric-Auguste 1er ait montré une ferme résolution de rendre son peuple heureux; qu'envisagé au point de vue de ses rapports de souverain à sujet, ce simple électeur de Saxe, devenu roi par la volonté de Napoléon, ait mérité de ses compatriotes le beau nom de « juste, » c'est un fait généralement admis. Mais n'importerai t-il pas à notre histoire de suivre le monarque saxon dans son rôle iïallié de la France, et spécialement d'examiner comme il convient son attitude à l'égard des armes impériales, au cours de l'année 1813 ?.... En un mot, durant celle époque fertile en événements qui commence par Iéna pour finir à Leipzig, Frédéric-Auguste se monlra-t-il constamment notre allié fidèle et loyal ?

Mais, à notre sens, celte étude ne serait pas complète, si nous


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-4la brusquement à celte date inoubliable du 18 octobre 1813. La coalition est dissoute; viclorieux, les coalisés foulent à leur tour les terres françaises et triomphent enfin. Quel langage tiendra alors Frédéric-Auguste ? A quelles démarches va-t-il se livrer près des ouverains do l'Europe ?.... L'examen de plusieurs documents, privés pour la plupart, pourra nous guider pour apprécier impartialement l'attitude de FrédéricAuguste devant Napoléon i.

1.

Uno grande parlio de ses troupes faites prisonnières à Ulm, l'autre anéantie dans les plaines glacées de la Moravie, François Il humilié, sans royaume comme sans armée, venait d'implorer la pitié du vainqueur et d'en subir les dures conditions. Le vieil empire créé par Charlemagne, ce colossal édifice qui, pendant dix siècles, avait résisté à de mulliples atteintes, faisaitenlendromaintenanldescraquemenlsprécurseursel semblait chanceler sur sa base. Le triomphe d'Austorlilz effaçait le désastre deTrafalgar et, frappéau coeur, l'adversaire implacable de Napoléon, Pitt, succombait à sa haine et descendait dans la tombe. Au milieu des changements nombreux apportés dans l'équilibre européen par le traité de Presbourg, une ère nouvelle se levait pour un pays qui, depuis quelque cinquante ans, avait fait peu parler de lui. Heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire ! La Saxe allait expérimenter à ses dépens la justesse do ce dicton.

Si la Saxe avait occupé autrefois le premier rang dans l'empire germanique, son ') ;i lif avait brusquement cessé un demi-siècle auparavant. Tout a lél ut de la guerre de Sept ans, Auguste III avait vu perpétrer dans son électoral la plus abominable violation du droit des gens. Le roi de Prusse avait brutalement envahi le pays, pillé les caisses publiques et incorporé de force les effectifs saxons sous le drapeau des Hohenzollern. Les successeurs d'Augusle 111 avaient eu à coeur le relèvement

1 Loin de non' : pensée de faire fi des documents officiels! Mais nous estimons que l'Aude seule des documents de cette sorte ne suffit pas toujours à se former une idée juste de certains détails de l'histoire. A notre sens, des rapports émanant d'hommes politiques en fonctions manquent souvent d'indépendance.


de la Saxe, et des qu'il eut saisi les renés du gouvernement, le 15 septembre 1768, Frédéric-Auguste, prince de moeurs simples et de sentiments humanitaires, s'était appliqué à tenir soigneusement son électoral en dehors des agitations extérieures, et à y continuer paisiblement son oeuvrede régénération. Même, durant les événements qui, depuis 179a, bouleversaient l'Europe entière, à peine avait-il élé question do la Saxo. Imbu de traditions, l'électeur Frédéric-Auguste avait la Révolution française en horreur; mais, pour éviter la guerre, il était disposé à toutes les concessions; aussi le système de ce prince timide n'avait-il, jusque-là, tendu qu'à s'effacer et se faire oublier. Forcé, comme membre de l'Empire, de fournir un contingent contre les armées do la République, ses troupes avaient honorablement contribué au siège de Mayence. C'était peut-être là la seule participation effeclivo de l'électeur do Saxe à la conflagration générale. Après le succèsde Welzlar, il s'élait empressé de signer, le 27 juillet 1790, un armistice avec Jourdan, puis, le 30 novembre de la même année, un traité de neutralité. En dépit de ses préférences personnelles et des cruelles mortifications que les victoires répétées de Bonaparle infligeaient à l'âme allemande de Frédéric-Auguste, cette neutralité devait durer dix ans.

Grâce à l'excellence do son administration, le prince-électeur était du rosle adoré des Saxons, et il pouvait commander aux sentit^ .i populaires. Aussi bien,l'effacement delà Saxe êlail-il singulièrement favorisé par la politique prussienne à laquelle, par habitude comme par intérêt, et bien plus encore par crainte, s'inféodait de plus en plus Frédéric-Auguste. Son enfance avait élé bercée par le récit des monstrueux abus de la force commis en Saxe par Frédéric 11 après la capitulation de Pirna. Aujourd'hui, presque sexagénaire, l'électeur se souvenait.... Oh ! non i ■ qu'il méditât de venger un jour les insultes faites à la Saxe par Hohenzollern ! Frédéric-Auguste était doué d'un esprit trop calme et trop pondéré pour s'illusionner au point de rêver une revanche impossible. Toutes ses sympathies allaient aux Habsbourg, auxquels le rallachaienl des liens de famille et de religion. Pour l'électeur, le monarque qui régnailàVienne incarnait le Saint-Empire et ses dix siècles de puissance. Mais le chef de la Confédération germanique s'inquiétail-il des affronts particuliers endurés par la Saxe ? Bien n'était moins sûr que l'appui de


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l'égoïste Autriche, amoindrie du reste sous les coups du grand Frédéric. Et seule contre la Prusse, que pouvait la Saxe ?.... Au risque de laisser appeler l'électoral une province prussienne, autant valait-il donc se résoudre à subir la tutelle de Berlin.

Depuis longtemps le roi de Prusse, affectant une admiration sans bornes pour le génie de Bonaparte, s'était retiré de la coalition; mais les exigences et les empiétements successifs du conquérant allaient modifier radicalement l'altitude du cabinet de Berlin et entraîner la Prusse au premier rang de nos ennemis. L'assassinat froidement prémédité du duc d'Enghien a déjà tendu les relations de Frédéric-Guillaume avec le gouvernement français, quand viennent les remaniements territoriaux en Allemagne. La Prusse signe, le 3 novembre 1805, un traité secret d'alliance avec la Russie. Austerlilz retarde révolution définitive du monarque prussien, mais, peu après, les violations de territoire, l'institution des conseils de guerre, la question du Hanovre, et surtout la création de la Confédération du Rhin, nouveau coup porté à la féodale conslilulion germanique, mettent en effervescence tous les pays de race allemande, et le roi Frédéric-Guillaume, obéissant aux voeux nationaux, va épouser avec enthousiasme le système belliqueux de la coalition.

La connaissance qu'on a des sentiments intimes de l'électeur do Saxe permet d'affirmer qu'il dut êlre frappé de stupeur par le meurtre du dernier rejeton des Condés, bien qu'il y restât en apparence indifférent. Lors du recez, il proteste faiblement, t pour la forme *, » contre l'incorporation d'Erfurl à l'empire français. L'invasion du Hanovre l'attriste, mais il obéit aux injonctions de Napoléon. C'est l'inertie systématique, l'effacement voulu. El celle longue immobilité d'un peuple va cependant avoir une fin. Entre le royaume voisin de Prusse, dont il est pour ainsi dire le vassal, et le puissant empire d'oulre-Rhin, il faudra que l'Électeur choisisse. Pauvre prince t quel parti Prendre? ou plutôt, quelle détermination subir?... Pour la Sîwe, l'heure des vicissitudes a sonné. Plus de neutralité, officielle ou non. Jetée dans les équipées guerrières, entraînée dans la mêlée, vers quel avenir court-elie, guidée au hasard des aven» lures par un prince créé pour la paix, prince excellent, mais que

1 Sentit de Pitsach a Talleyrand. Archiva particulières dé Vautour,


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son caractère irrésolu et ses sentiments d'un autre âge font si dissemblable de ce moderne César qui fait et défait les rois et ose porter à la face du monde une main sacrilège sur l'antique constitution de l'Allemagne ?

Il serait trop long d'énumérer ici les démarches et les influences respectivement mises en jeu par les cabinets de Berlin eldq Paris, pour diriger le choix de Frédéric-Auguste. Nous l'avons dit; depuis plus de quarante ans, le gouvernement saxon obéissait en fait à la Prusse. Mais, si Napoléon, loul auréolé de ses victoires, eût voulu parler en maître à l'humble Saxe, qui eût osé protester ? Eût-on même été étonné do l'entendre dicter sa conduite à l'Électeur?.... Aussi, ce sur quoi une plume française doit insister, c'est la longanimité déployée parle souverain français dans ces circonstances si menaçantes pour le repos de la Saxe. Trop souvent, au cours de son étonnante carrière, l'invincible capitaine avait montré ses exigences; il devait dans l'avenir dépasser si fréquemment la mesure, qu'il faut d'autant plus lui tenir compte de sa conduite loyale et généreuse envers un prince qui, sans doute, va se dresser devant lui en ennemi.

La correspondance de Talleyrand avec Duranl de Mareuil t, ainsi qu'avec Sentît de Pilsach ?, témoigne en effet de la modération de Napoléon 3. Si, en dehors des rapports officiels, on consulte des documents particuliers, par exemple le récit laissé par le lieutenant général de Gersdorf * de la période précédant immédiatement la foudroyante campagne de 1806, on y entendra Marcolini & disant à Gersdorf dans le courant de septembre de celle année : < Il (Napoléon) ne nous a pas encore mis en demeure de nous prononcer. » Et son interlocuteur de répondre : t Oui, il nous laisse libres. Que la Providence décide • ! »

A défaut de Providence, le prince de Hohenlohe apparaissait à celle heure à Dresde et notifiait péremptoirement à Frédéric1

Frédéric1 de France a Dresde. • » Ministre do Saxo à Paris. Dévint premier ministre de Frédéric-Auguste.

1 Voir aux archives du ministère des affaires étrangères.

« Lieutenant général de cavalerie. Aide de camp général de Frédéric-Auguste. Chef d'état-major général de l'armée saxonne en 1813.

1 Comte Marcolini. Gentilhomme italien résidant a la cour do FrédéricAuguste, dont il fut l'ami te plus intime.

* Notes du lieutenant général de Gersdorf. Souvenir* inédite du chevalier de Cutsy.


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Auguste l'arrivée prochaine des troupes prussiennes. C'était mettre l'Electeur dans la terrible situation où s'était trouvé, cinquante ans auparavant, son aïeul Auguslo III. Réduit à celle cruelle alternative: de résister fièrement, pour l'honneur saxon, puis de succomber, en livrant à une ruine certaine son pays, à la restauration duquel il avait consacré lanl d'années; ou d'acquiescer aux cyniques injonctions de la Prusse, en épousant les chances de sa querelle sur l'issue de laquelle il n'avait cependant aucun doute ', Frédéric-Auguste, la mort dans l'âme, cédait enfin aux intrigues de Berlin, et le généralissime saxon, le lieutenant-général de Zeschwilz, recevait l'ordre de conformer les mouvements de son armée à ceux des généraux prussiens. Muni de ses passeports, notre ministre quittait alors la capitale de la Saxe.

Durant de Mareuil élait, quand il le voulait, un diplomate sagace et avisé, mais c'était aussi un insupportable vaniteux. Nommé au posle de Dresde sous le Consulat, gouvernement qui n'avait pas prévu pour ses chargés d'affaires la dénomination d' < Excellence >, Durant de Mareuil s'était montré froissé de ce que, en conformité de la rigide étiquette de la cour saxonne, le représentant de la France, dénué de ce litre d' c Excellence, > marchait, dans les réceptions du palais électoral, après les ministres des Étais monarchiques. Pendant de longs mois, il avait accablé Talleyrand de rapports puérils et de pressantes réclamations à ce sujet, faisant constater une fois de plus l'envie immodérée des vains honneurs et l'étrange amour des titres plus ou moins surannés, que ne manquent jamais de faire éclore les régimes soi-disant égalilaires et démocratiques. Durant de Mareuil avait toujours gardé rancune à Frédéric-Auguste de ses déboires de préséance. Autant d'affronts sanglants. Aujourd'hui qu'il parlait, enfin pourvu du titre tant convoité, il cul la faiblesse déplorable de cédera un mouvement de colère loul à fait indigne du caractère dont il élait revêtu. « Votre maître, dit-il I au lieutenant général do Gersdorf, est un valet prussien. Un seul de nos bataillons lui fera voir bientôt qui, d'un Russe, d'un

1 • Le roi (Frédéric Auguste) était un admirateur du génie militaire de Napoléon. Quand les troupes prussiennes défilèrent en Saxe, il me dit plusieurs fois : Napoléon n'en fera qu'une bouchée. • Notes du lieutenant général de Gersdorf. Souverin inédits du chevalier deCutsy.


11.

C'est dans les derniers jours de septembre que Napoléon, étant à Maycnce, avait reçu 1'ullimatum du cabinet prussien : retrait immédiat des troupes françaises de l'autre côté du Rhin, promesse formelle de ne susciter aucun obstacle à la formation de la Confédération du Nord. Une réponse catégorique élait demandée, haulainemenl exigée pour le 8 oclobre. A la tôle Ju parti de la guerre, on remarquait la belle et jeune reine Louise de Prusse. Elle avait su communiquer à son époux son exaltation belliqueuse. Mais cela suffit-il pour expliquer l'aberration de > Frédéric-Guillaume, jusqu'ici monarque prudent et réfléchi ? Ou bien, le prestige du grand Frédéric abusait-il à ce point son.petit-fils, qu'il eût la folie d'imposer ses conditions à l'invincible capitaine qui, dans une récente campagne, venait de conquérir, en se jouant, un empire défendu par 300,000 baïonnettes?.... Cruel allai t être, pour le monarque prussien, le retour à la réalité l

Napoléon en personne passait le Rhin, le 1er oclobre. Le 8, date fixée par Frédéric-Guillaume pour la réponse à son ultimatum, l'armée française franchissait la Saale et remportait à Schleisl

1 Ibidem,

1 La question des préséances devait jouer un grand rôle dans la vie de M. Durant de Mareuil.

A Hrfurt, il eut des démêlés pour le même objet avec deux ambassadeurs. Étant ministre de France & Napies, il eut, a l'occasion des visites officielles du premier de l'an, un duel retentissant avec son collègue de Russie, le prince Dolgorouki. Celte rencontre sensationnelle eut lieu à Pouzzolcs, le 2 janvier 1812. Les anr issadeurs n'étaient assistés chacun que d'un seul témoin : M. de Benkendorf pour le prince Dolgorouki, le général Kxelmans pour Durant de Mareuil. Les témoins ayant décidé de se battre en même temps que ies personnages qu'ils assistaient, les quatre épées furent en même temps tirées du fourreau. Par un hasard singulier, tes quatre combattants furent blessés. Souvenirs inédits du ctevalier de Cvtsy.

- 0Autrichien,

0Autrichien, Prussien ou d'un Français, doit passer le premier. • Justement indigné dans son loyalisme, Gersdorf sut répondre comme il convenait aux étranges propos de Durant de Mareuil. t Eh ! Monsieur, s'écria-t-il, toute votre année réussira-t-elle à nous faire proclamer la supériorité des vertus de Votre Excellence sur {'excellence des vertus de mon mailre • ?.... » De la part d'un Saxon s'adrcssanl à un Français, ce jeu de mots de noire langue n'était pas déjà si mal 2.


- 10une

10une victoire. Le lendemain, nouveau succès à Géra, où tombait le prince Louis de Prusse, pendant que Frédéric-Guillaume lançait un manifeste à l'Europe. Moins do cinq jours après, Napoléon écrivait à léna et Auerstoedl une note de sa façon.... En celte journée doublement désastreuse, disparaissait le prestige du grand Frédéric, loul ce renom militaire dont les Prussiens étaient si fiers. N'ayant pu se faire tuer à AuersUedl, Frédéric-Guillaume, en proie à un sombre désespoir, voyant consommer la ruine de son pays, abandonnait sa capitale au vainqueur, et se relirait en hàle sur l'Oder avec les débris do son armée. A Prcnslow, Hohenlohe se rendait bientôt prisonnier, cl Blûcher capitulait aussi à Ralzkau. Des 250,000 soldais prussiens qu'allait-il rester?

Au milieu des événements qui se précipitaient, décidant des destinées de la Prusse, que devenait le sage Frédéric-Auguste, entrainé de force dans une lutte qu'il désapprouvait? Aussi malheureux que le monarque prussien, l'Électeur songeait avec amertume aux déplorables conséquences de celle guerre fatale. Quelques semaines avaient-elles donc suffi pour effacer quarante années de prospérité?.... A léna, ses troupes s'étaient comportées avec une valeur qui avait fait l'admiration des généraux français, et même celle de Napoléon i. Honorable, mais insuffisante consolation !.... Victorieuse, la Grande Armée inondait la Saxe. De l'insatiable conquérant qui diclail ses lois aux plus puissants monarques, que n'avail-il pas à redouter, lui si petit?.... Ce fut précisément celle médiocrité qui le sauva. Contre toute attente, le vainqueur lui tendait en effet une main secourable.

Avant la campagne, Napoléon, nous l'avons vu, avail mis une certaine coquetterie à laisser la Saxe libre de sa conduite, sans souci de loule influence française. D'un monarque qui, selon la juste expression d'un illustre écrivain, < faisait la politique avec ses passions 2, » celte altitude magnanime avail lieu de surprendre. D'aulanl plus qu'aucune affection réciproque ne semblait porter l'un vers l'autre le conquérant français et l'Électeur

* Lorsque Gersdorf, aide de camp de l'Électeur, fut présenté à Napoléon, peu de temps après téna, les premiers mots do l'empereur furent ceux-ci : « Etiezvous à la Sennecke (position défendue d léna par les brigades saxonnes)? Vos soldats sont des braves. » Idem.

* Thiers, Histoire du Consulat et de VEmpire,


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allemand. Fière du passé d'un Empire dont elle avait été l'âme, à la gloire duquel elle avait largement contribué, la Saxe avait dû tressaillir de douleur et d'indignation, lors du renversement sacrilège d'une institution dix fois séculaire. Quant à FrédéricAuguste, lui si attaché aux choses de l'ancien régime, lui parent et allié des Bourbons proscrits, s'il admirait dans le grand capitaine le génie de la guerre, il constatait avec inquiétude ses empiétements successifs,et n'éprouvait que de la répulsion pour la politique absorbante du souverain sorti de celle Révolution, dont il redoutait une influence néfaste pour son peuple. Malgré que l'Électeur n'eût point à se louer de François I*' ', nul plus que lui n'avait été sensible à la suppression de la charge de chef du Saint-Empire, dignité héréditaire dans la maison des Habsbourg. Mais, si la sympathie apparaissait de prime abord difficile, sinon impossible, entre Napoléon et Frédéric-Auguste, l'intérêt ne commandait-il pas au premier de se ménager l'appui de la Saxe? Pour Napoléon, la Confédération qu'il avail édifiée sur les débris delà constitution germanique n'était pas viable sans l'adhésion de l'éleclorat. De même que l'alliance avec le Wurtemberg et la Bavière le mettait à portée de Vienne, le libre passage à travers la campagne saxonne le rapprocherait singulièrement d'une Pologne opprimée, attendant, frémissante, la venue des aigles libératrices. Peut-être l'incorporation du contingent saxon dans les armées napoléoniennes n'élait-elle pas non plus à dédaigner?

En dehors de ces avantages directs et, pour ainsi dire, palpables, Napoléon escomptait aussi le puissant effet moral que ne manquerait pas de produire sur les peuples allemands l'accession à son système de Frédéric-Auguste, ce souverain si profondément imbu des Iradilions germaniques. Cependant, en dépit des nombreux motifs qui lui faisaient désirer ardemment l'alliance de l'Électeur, l'empereur des Français n'avait point contrecarré les sentiments saxons; il avait évité loulo pression et stupéfié, dans ces circonstances, ses ennemis eux-mêmes 2 !

» A la suite de l'établissement de la Confédération du Rhin (12 juillet 1806), François 11 avait renoncé a la dignité d'empereur d'Allemagne et avait pris le nom de François I", comme empereur d'Autriche.

1 Le comte de Modène, émigré français, servant en qualité d'aide de camp près du grand-duc Nicolas (devenu plus tard empereur de Russie), aimait


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Aujourd'hui, de nouveau vainqueur, Napoléon n'allait-il pas se larguer de la raison du plu? fort? H avait humilié l'Autriche, achevait l'écrasement de la Prusse, et annonçait qu'il allait durement châtier l'Électeur de Hesse-Cassel pour sa conduite équivoque. Or, voici que le triomphateur d'Auslerlilz et d'Iéna, s'adressanl à Frédéric-Auguste, ennemi vaincu, lui manifestait, au lieu de courroux, une clémence inusitée, lui faisait tenir d'amicales propositions l El la bonne parole était portée à l'Électeur malheureux, non parle dédale compliqué des chancelleries, mais directement, par ses propres sujets t....

Au lendemain d'Iéna, Napoléon avail harangué les officiers saxons prisonniers. Il leur avait tenu des propos inattendus, s'exlasianl sur une valeur en considération de laquelle il leur rendait la liberté. Puis, dans de nouveaux entretiens avec les principaux officiers de Frédéric-Auguste, il avail rappelé les affronts dont, depuis moins de cinquante années, les monarques prussiens avaient abreuvé leur pays, et s'était apitoyé sur les injustes vicissitudes de l'Électeur, contre lequel, non seulement il n'éprouvait aucun ressentiment, mais dont, au contraire, il lui serait agréable de gagner l'amitié. Il avail flatté leur amourpropre nalional en montrant le rôle enviable dévolu à la Saxe. Qui sait si, un jour prochain, leur pays ne devait point prendre la place d'une Prusse détestée, abaissée désormais ?.... Ces adroites paroles avaient trouvé le coeur des officiers saxons, déjà bien disposés à l'égard d'un grand capilaine dont la gloire éclipsai t celle de Frédéric II. Les préceptes surannés du monarque tant vanté venaient de conduire l'armée prussienne à sa perle. Ce n'était pas pour déplaire aux officiers de l'Électeur, et les jeunes, comme les Funck, les Gablenz, les Gersdorf cl les . Thielman, débordaient d'enthousiasme, et brûlaient d'appren' dre la guerre moderne à la suilo de l'invincible conquérant. De plus, les populations avaient fort souffert des brutales réquisitions du Prussien Hohenlohe. Aussi, quand, abimé dans le chagrin de la défaite et la crainte de la colère napoléonienne, l'Électeur vil arriver dans celle capitale qu'il s'apprêtait à fuir ses officiers exallant la générosité du vainqueur, il se décida,

à rappeler le propos entendu à cet'..} époque à la cour de Saint-Pétersbourg : i On a changé Bnonaparte. C'est un agneau t » Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.


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malgré son caractère timoré et irrésolu, à orienter sa politique dans un sons nouveau. En acceplanl les avances de Napoléon, l'Électeur croyait sincèrement se conformer aux sentiments de la presque unanimité des Saxons. Il senlait qu'il ne devait plus écouter les conseils perfides des Loss et des Einsiedel, ces partisans d'une politique prussienne à outrance; et, le 11 décem-^ bre, à Posen, il accédait à la Confédération du Rhin, et signait avec Talleyrand un traité d'alliance. Entrer en arrangement avec un ennemi n'eût été pour la Saxe qu'un simple incident, qu'un fait banal dans la vie d'un peuple ; mais voir ce pays, essence même de l'Allemagne, le légendaire cl ferme pilier de l'antique conslilulion germanique, sceller sa réconciliation avec la France de Napoléon par une union intime, c'était plus qu'une évolution ordinaire, c'était une rupture avec son passé, un tour-v nanl de son histoire. Quelques années plus lard, les puissances coalisées devaient cruellement punir l'Électeur de ce qu'elles f appelèrent une trahison.

Ainsi le c Protecteur ■ de la Confédération rhénane venait de voir l'Électeur de Saxe entrer dans son système, sans violence, sans pression de sa part. Sa conduite sage et clémente portait ses fruits. Napoléon remportait là une de ses plus belles victoires '.

III.

Le rameau d'olivier que Frédéric-Auguste s'était décidé à saisir élait, il faut le dire, entouré de quelques épines. Comme les Électeurs de Bavière el de Wurtemberg, lui aussi élait fait roi, de par la volonté de Napoléon. Celle dignité, qui semblait devoir ajouter à son aulorité de souverain, eûl pu flatter tout autre que Frédéric-Auguste. Prince dénué d'ambition personnelle, il trouvait amer de payèrson nouveau litre par l'occupation étrangère do son pays, vingt-cinq millions d'indemnité el le concours immédiat d'au moins six mille soldais. Encore, s'il n'eût pas

1 En apprenant la mort de Napoléon, le marquis de Bonnay (confident de Louis XVIII. Pair de France sous la Restauration. Précéda Chateaubriand à l'ambassade de Berlin) mo dit : ■ Quel génie de la guerre que cet homme I Mais quelles erreurs en politique t.... L'Espagne! La Pologne! La Russie!.... Cependant, il est juste de l'admirer dans sa conduite vis-à-vis de la Saxe du premier jour. » Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.


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été brusqué pour l'exécution de ces engagements I Mais le représentant que Talleyrand venait de désigner pour la Saxe ne connaissait pas la modération. M. de Moustier était un de ces trop nombreux agents du gouvernement impérial qui croyaient flatter le maître en dépassant la mesure.

Nommé à la légation de Dresde, où il avait été déjà attaché en qualité de secrétaire, le nouveau ministre de Napoléon s'était fait connaître jusqu'ici par son ambition, son zèle, et aussi par une morgue el une humeur cassante qu'il apportait même dans ses rapports de famille '. Si Talleyrand pensait être agréable à Frédéric-Auguste et lui faire oublier le légendaire Durant de Mareuil en accréditant à sa cour un représentant de la vieille aristocratie française, il comptait aussi sur le dévouement de Mt de Moustier aux instructions impériales. Le prince de Bénévent, si perspicace d'ordinaire, s'était celle fois abusé sur la valeur pratique de son agent. Non pas que notre chargé d'affaires manquât de qualités professionnelles. Mais on eût dit que M. de Moustier n'appliquait ses capacités qu'à mécontenter nos nouveaux amis. Se rappelant la colère qu'avait montrée l'Empereur quelques mois auparavant, lors des agissements du royaliste français d'Anlraigues, Moustier pourchassait odieusement tous les émigrés, même ceux qui vivaient dans l'entourage du roi de Saxe. Aucune considération ne le retenait. On le vil faire brutalement sortir du nouveau royaume son propre père, ce vénérable marquis de Moustier qui avail brillamment occupé le dernier poste d'ambassadeur du malheureux Louis XVI à la cour de Berlin 2. Soulenu dans son zèle intempestif par le comte de Bose 3, un fanaliquo admirateur de Napoléon, noire chargé d'affaires, sans prendre en considéralion les maux de la récente guerre, pressait le Trésor de verser les millions demandés par son maiIre, accusait l'administration saxonne de sympathies prussien1

prussien1 de Moustier avail épousé la fille de M. de La for est, ancien ministre de France à Berlin. Sa belle-mère, lui proposant de regarder sa maison comme la sienne propre cl d'y amener ses amis, en reçut cette réponse impertinente : • Madame, mes amis'sont d'une catégorie de gens à no pas aller ainsi chei tout le monde. — Eh quoi I Monsieur, avec do pareils sentiments, comment so fait-il que vous ayez recherché la main de ma fille ? — Madame, en épousant M 1" de Laforesl, je lui ai donné le baptême d'un autre nom. » — Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.

1 Soiiveriirs inédits du chevalier de Cussy.

1 Successeur du comte de Loss aux fondions de premier ministre de Saxe.


-'15nes,

-'15nes, plaignait de ce que la population ne témoignât point un enthousiasme délirant pour la France, et ne criât point plus fréquemment : Vive VEmperextr * 111 déclarait ouvertement que Frédéric-Auguste ne mériterait pas les bénéfices de la nouvelle alliance tant que les Iroupes saxonnes ne contribueraient pas effectivement à l'écrasement définitif de la Prusse 2.

Les bataillons saxons avaient déjà rejoint le maréchal Lefebvre sous les murs de Danlzig; d'autres étaient partis à destination de l'armée dé Jérôme en Silésie. Frédéric-Auguste avait reçu avec reconnaissance les bienfaits d'un vainqueur généreux, mais son âme loyale répugnait au spectacle de ses propres troupes se tournant contre son allié de la veille 3. Le pacifique monarque éprouvait de terribles soucis. Pour le bonheur de son peuple, il avait toujours ardemment souhaité la paix ; or, ses troupes combattaient les armées russes el prussiennes. Il s'était sincèrement réconcilié avec nous ; et cependant, avec l'inconsidéré Moustier, n'était-ce point encore la guerre à coups d'épingle?.... Celle-ci ne devait se terminer qu'avec le changement du ministre de France.

Le secrétaire d'Étal et confident de Napoléon, Maret, venait de faire preuve d'un jugement plus sûr que celui de Talleyrand, en trouvant l'homme qu'il fallait pour le poste si important de Dresde. M. de Bourgoing arrivait en Saxe, précédé d'une réputation justifiée de sagacité el d'affabilité. Appartenant à la société de l'ancien régime, notre nouveau ministre avait commencé sous Choiseul sa longue carrière de diplomate. La Révolution l'avait rendu inactif pendant plusieurs années; il avait repris du service sous le Consulat, puis, victime d'une intrigue, il s'était vu, en 1803, rejeté brutalement dans la retraite. En vain Talleyrand el Maret étaient-ils intervenus en sa faveur, de même que plus tard l'impératrice Joséphine. Le maître avait la rancune

1 Souvenirs inédits du chevalier de Cussy,

1 Idem.

» « Le résultat malheureux de la bataille d'Iéna laissa la Saxe dégarnie de troupes, sans appui, à la merci du vainqueur. Pour obtenir la réintégration dans la possession de ses Étals, le roi dut souscrire à la Confédération prescrite parie vainqueur el fournir un conlingent pour la guerre d'alors, quelques efforts que fil son ministre pour décliner celte dernière obligation qui répugnait à la délicatesse de Sa Majesté. • Exposé dé la marche politique du roi de Saxe.


- 16lenace,

16lenace, Bourgoing n'était rentré en grâce qu'à la fin de 1806, quelques jours après le combat de Golymin où s'était particulièrement distingué son fils aîné <. Chez ce vieux diplomate, la bienveillance n'excluait pas la fermeté, el son (acl parfait el le charme de ses manières, s'a joutant à son expérience consommée, venaient au secours de l'accomplissement de devoirs parfois pénibles. Les sympathies de Frédéric-Auguslo devaient aller de suite à noire nouveau ministre, son contemporain, qui unissait le passé au régime impérial, el dont l'exquise distinction faisait oublier, pour le plus grand bien de tous, les ridicules de Durant de Mareuil et de Moustier.

Bourgoing arrivait dans un moment où son savoir-faire allait être apprécié. Les troupes saxonnes envoyées de Goérlilz au secours de Jérôme, qui guerroyait en Silésie, avec les contingents s bavarois et wurlembergeois, venaient, sans combattre, de déposer les armes devanl les Prussiens. A la honte de ce fait se joignait la cruelle obligation de remplacer sur l'heure ces peu glorieux bataillons. Si Moustier eût élé encore noire représentant à Dresde, nul doute qu'il ne se fût laissé aller à prononcer des paroles insultantes pour Frédéric-Auguste el ses sujets, déjà mortifiés par celle défaillance. Son successeur savail, au contraire, approprier ses discours aux circonstances, el Bourgoing manoeuvra de telle sorte que le roi de Saxe, lors du départ des nouveaux renforts de Silésie, lança une proclamation faisant connaître que l'honneur national venait d'être entaché, et que le monarque punirait selon toutes les rigueurs militaires ceux qui manqueraient à leur devoir devanl l'ennemi. Jusqu'ici, on avail vu un Frédéric-Auguste honnête, bienveillant et timoré; aujourd'hui, il se révélait énergique, presque martial!.... Mais, dans son entourage, ce n'était point un mystère, qu'en dictant ces nobles paroles qui semblaient émaner de sa propre initiative, le roi de Saxe ne faisait que répéter littéralement les propos que venait de lui tenir l'habile minisire de Napoléon 2.

Au resle, que l'altitude de Frédéric Auguste en celle occasion lui ail élé inspirée par son amour-propre national, ou que le souverain saxon ait fidèlement suivi les conseils de Bourgoing,

1 Souvenirs intimes du baron de Bourgoing.

1 Notes du lieutenant général de Gablenz, aide de camp du roi de Saxe. Souvenirs inédits du chevalier dé Cussy.


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ses dignes paroles devaient avoir leur récompense. Bientôt, on apprenait que les régiments saxons se distinguaient au siège de Danlzig ; les bataillons de Silésie montraient une endurance el une valeur qui faisaient oublier la défaillance passée du régiment de Niesemuschel. Quant aux cuirassiers saxons, ils allaient, à côté des escadrons de la Houssaye, contribuer brillamment au triomphe de Friedland.

Pendant que Bourgoing acquérait de justes droits à la reconnaissance de Napoléon, effaçant les maladresses de son prédécesseur, apaisant les multiples susceptibilités saxonnes et resserrant les liens d'amitié entre les nouveaux alliés, les événements de la guerre se déroulaient sur des théâtres divers. La campagne de Pologne ne nous donnait pas des succès incontestables comme ceux de la campagne de Prusse. Les combats de Czarnovo, de Pultusk el de Golymin n'avaient élé que de sanglantes rencontres; Eylau qu'une boucherie inutile. Après cinquante et un jours de tranchée ouverte, Danlzig s'élail rendu au maréchal Lefebvre (26 mars) ; Mortier terminait ses opérations dans la Poméranieen signant un armistice avec le roi de Suède ; en Silésie, Vandamme, après la prise de Schweidnilz, faisait capituler Neiss (1er juin) ; Colberg élait investi par le général Loison. De tout son royaume, il ne restait plus à Frédéric-Guillaume que les deux villes de Koenigsberg et de Memel. L'Autriche offrait depuis longtemps sa médiation ; on l'accepta. Quelques négociations eurent lieu el ne purent aboutir devant les prétentions de l'Angleterre et de la Russie. Pour amener une paix sincère, il fallait à Napoléon une victoire décisive. Ce fut à Friedland qu'il la remporta, le 14 juin, jour anniversaire de Marengo. Alors le conquérant se demanda s'il allait franchir le Niémen, s'enfoncer dans l'empire moscovite.... Les armées alliées étaient décimées et démoralisées. Lui, au contraire, pouvait ., contempler avec orgueil 200,000 soldais exaltés par le triomphe.... Il hésitait, quand des ouvertures de paix vinrent le tirer d'embarras. Le 24 juin, le descendant des Romanov et le fils de Loelizia avaient une entrevue mémorable sur le Niémen, devanl Tilsill. Quelques jourauaprèg, la paix était définitivement

signée. S&W't;^v

/.v* .-■■•• f.,\


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IV.

Le traité de Tilsilt démembrait la Prusse et la faisait descendre au rang de puissance secondaire. Ce n'était pas le seul Étal sacrifié parla politique de Napoléon.

Trois fois démembrée par d'iniques partages, la Pologne, qui fut si longtemps l'avant-garde de la chrétienté et de la civilisalion, avait été définitivement rayée de la carte de l'Europe, le 24 oclobre 1795. Dès lors, les enfants du noble royaume des Jagelions et des Sobieski avaient mis tout leur espoir dans les armes de la France, el les légions polonaises avaient vaillamment fait la guerre à nos côtés en Italie, en Allemagne et sur la Vislule. L'écrasement de la Prusse et les derniers revers d'Alexandre venaient d'augmenter la joie des patriotes polonais. Mais Napoléon, lout sensible qu'il fùl à l'attachement de ce malheureux peuple, et lout en ayant le désir sincère de récompenser son dévouement, désirait garder des ménagements vis-à-vis de son nouvel ami, le Isar. H élait sûr de la fidélité de la Pologne, tandis qu'il lui fallait payer l'alliance moscovite, si nécessaire dans sa lutte contre l'Angleterre. Car Napoléon ne s'abusait pas sur l'amitié forcée de monarques vaincus, el sans doule se rappelait-il les paroles de Mm 0 de Staël, lui disant deux années auparavant : « Sire, les anciennes cours aiment la France nouI velle, à peu près comme les vieilles femmes aiment les jeunes '. » Paroles prophétiques, que le soldat couronné dut souvent méditer au cours de sa carrière! Du dernier traité était donc sorti, non une Pologne reconstituée el indépendante, mais le pâle grand-duché de Varsovie^ faible étincelle de nationalité jaillie des cendres d'une antique el glorieuse nation. La Russie pouvait se montrer satisfaite. Quant aux Polonais, ils n'élaienl jpas découragés. Leurs espérances subsistaient entières, el certes, la pensée ne leur serait pas venue d'en vouloir à Napoléon, qu'ils considéraient comme le sauveur. Ils ne se demandaient pas si les exigences de la politique el les susceptibilités de diverses puissances devaient empêcher à jamais la renaissance de leur pairie. Pour eux, le nouveau grand-duché, s'il n'était

1 Souvenirs intimes du baron de Bourgoing,


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pas la Pologne réédifiée, en élait du moins l'image, la pierre d'altenlo. Il semblait même que la nomination de Frédéric-Auguste comme grand-duc de Varsovie comblât les voeux des patriotes. La chaîne du passé n'était-elle p.is renouée? A leur tète, ne voyaient-ils pas un souverain de l'illustre maison de Saxe, héritier des rois de Pologne?....

Flattés des bénéfices el des honneurs que leur apportait le récent traité, Frédéric-Auguste el son peuple désiraient recevoir avec éclat le triomphateur, et, le 10 juillet, Napoléon était entré à Dresde au milieu de l'enthousiasme général. En allant à la rencontre de cet homme extraordinaire, qu'il n'avait jamais vu el qu'il attendait avec un extrême intérêt, le roi de Saxe avail bien senti quelque craintif frisson. Lui, si pacifique, faible monarque, quelle impression ferail-il sur le belliqueux et puissant empereur?.... Dès les premiers mois du terrible conquérant, il élail rassuré. El, quand les deux souverains mirent pied à terre devanl le château royal, Frédéric-Auguste élait déjà séduit. Son illustre visiteur lui avail manifesté un abandon el des prévenances inattendus.

Si Napoléon s'était montré sous un tel jour, ce n'était pas qu'il voulût uniquement rendre hommage aux vertus de son hôte. Il avait tenu à gagner le coeur du grand-duc de Varsovie, pour lo préparer au rôle qu'il lui avait dévolu. Or, ce rôle présentait certains côtés difficiles. Quelque confiance que le faiseur de rois eût dans l'expérience el la sagesse de Frédéric-Auguste, son autoritarisme ne pouvait admettre la pensée d'une Pologne gouvernée en dehors de son contrôle. 11 lui fallait un agent adroit el sûr, pour orienter selon ses vues l'administration du nouvel Élat et rappeler, au besoin, à Frédéric-Auguste que, comme roi de Saxo et grand-duc de Varsovie, il élait doublement lié au système du « Protecteur »> de la Confédération du Rhin. Avanl son entrée dans la capitale saxonne, le choix de Napoléon élait fait. Bourgoing sérail le fidèle el sage mentor attacné aux pas de Frédéric-Augusle. Les quelques jours que Napoléon passa au château royal ne furent donc pas consacrés qu'au repos cl au seul plaisir de la société de son allié. H eut avec Bourgoing de longues conférences, au cours desquelles il détailla à son minisire les instructions que lui suggérail la position délicalo où son immixtion dans les affaires polonaises le


-20plaçait

-20plaçait de plusieurs puissances. « Soyez prévenant, amical, aussi affectueux que possible avec les Polonais, disait-il au vieux diplomate. Je veux qu'ils voient en vous le représentant d'un homme qui les aime, veut leur bonheur ; mais n'exaltez pas trop leur imagination. Je compte sur leur dévouement. Je ferai pour eux ce que je pourrai quand il sera temps, mais, en attendant, calmez-les plutôt que de les exciter *. » Ce temps ne devait jamais venir.

Son illustre allié lui avait instamment recommandé un voyage prochain à Varsovie, et cependant, bien qu'il eût a coeur de ne pas mécontenter Napoléon, Frédéric-Auguste saisissait les moindres prétextes pour différer son départ. Tout on aimant et estimant pour de multiples motifs le malheureux peuple polonais, le grand-duc pressentait en effet que le caractère fougueux , et versatile de ses nouveaux sujets ne s'accommoderait pas longtemps de sa réserve habituelle et de sa froideur d'Allemand. Enfin, 3u mois de novembre, il lui fallut se mettre en route. Dès son arrivéo à Posen, il était l'objet d'ovations enthousiastes et, le 21, il faisait une entrée solennelle à Varsovie, au bruit des acclamations populaires et au milieu des démonstrations les plus sympathiques. Au palais de la Blacha, magnifique demeure du prince Poniatowski, chez le maréchal Davoust ainsi que chez le ministre de Fiance, se succédèrent, en l'honneur du grand-duc, de brillantes fêle» où rivalisèrent de luxe et d'élégance les héros présents et futurs de la vaillante aristocratie polonaise, tels que les Chlopicki, les Dombrowski, les Gulakowski, les Kilzki 2 et les Polocki, et aussi les femmes les plus belles, comme les Lubomirska, les Sobanska, les Sulkowska et les trois soeurs Grudzienska, dont l'aînée était appelée à une si haute destinée 3.

Pendant que se déroulaient toutes ces fêtes éblouissantes, pendant que la magnifique année de Poniatowski arborait avec enthousiasme la cocarde blanche, insigne do l'ancienne monarchie polonaise, et que les cris de Vivat Kr6l M retentissaient dans les solennités publiques el au milieu des revues passées

1 Souvenirs intimes du baron de Bourgoing.

1 Louis Kilzki, aide de camp de Poniatowski, puis général de cavalerie. Tué à la bataille d'Oslrolenka, en 1831.

1 Jeanne Grudzienska épousa, le 2i mai 1820, le grand-duc Constantin, héritier de la couronne de Russie, et fut créée princesse de Lowicz.

* Vive le roi !


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dans ces plaines de Wola, tant de fois témoins d'élections tumultueuses, un seul homme peut-être en Pologne ne partageait pas l'allégresse générale, c'était le grand-duo de Varsovie luimôme. Par égard pour la Prusse, Frédéric-Auguste avait déjà, en 1792, refusé la couronne que le prince Czartoriski lui offrait pour lui et ses successeurs. Quinze ans après, le roi de Saxe était encore le prince de moeurs simples, inaccessible à tout sontimonl d'ambition et de vanité. Son caractère était toujours le même. Seules, les circonstances avaient changé. Aujourd'hui, ce n'était plus un membre de la diète polonaise qui le suppliait d'accepter le sceptre des Jagellons ; c'était un puissant monarque qui lui imposait une obligation. Un allié, ce souverain lui disant : « Prends celte couronne! » Mais quel allié!.... De plus, il faut le dire, de quelque côté que se tournât le paisible Frédéric-Auguste, il n'entendait que chants d'allégresse, que paroles louangeuses à l'adresse d'un généreux vainqueur. Aurait-il eu. la pensée de se dérober à l'invitation de Napoléon qu'il eût dû la repousser bientôt. Dans son entourage immédiat, son fidèle Marcolini et le comte de Bose, depuis longtemps fervents partisans de l'alliance française, ne tarissaient pas sur le compte de Napoléon. Selon eux, les désirs du grand homme devaient être des ordres pour Frédéric-Auguste *. Et le beau-frère de l'empereur d'Autriche, le prince Antoine de Saxe lui-même, était gagné à notre cause. Lors du séjour du vainqueur de Friedland à Dresde, il avait subi l'ascendant de ce conquérant, habile, quand il le voulait, dans l'art de flatter et de séduire 2. L'amour-propro du peuple saxon, déjà touché par l'élévation de l'Électeur au rang de roi, était exalté par la nouvelle dignité dont venait d'être revêtu son souverain. Quant aux Polonais, devenus sujets de Frédéric-Auguste, nous avons vu avec quelle joie ils acceptaient le monarque donné par Napoit'on. Coeurs saxons et coeurs polonais vibraient alors à l'unisson dans un même sentiment dé reconnaissance pour l'empereur des Français. Peut-être était-ce là le seul point de commun entre ces deux peuples si dissem1

dissem1 Ils (Marcolini et le comte de Bose) ne parlaient que de Napoléon, disaient que la reconnaissance commandait au roi d'aller au-devant de ses désirs. • Notes Gersdorf. Souvenirs inédits du chevalier dé Cussy.

* Le grand allié!.,,. Le généreux vainqueur! Ainsi s'exprimait le

prince Antoine pour désigner l'empereur des Français. Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.


22blables,

22blables, devaient nous montrer leur attachement de façon bien différente.... Qu'il nous soit permis, à co propos, de tracer, dès maintenant, en quelques lignes, un rapido parallèle des preuves do reconnaissance respectivement données à la Franco de Napoléon par chacune do ces nations.

Depuis des années, les bouillants Polonais vivaient dans le camp français, donnant pour nous sans compter tout leur sang généreux. Les légions de Dombrowsky s'étaient déjà illustrée» sur nos divers champs de bataille. Golymin, Dantzig, Friedland, avaient été témoins des exploits des Polonais. Dans les journées de Médina del Rio-Seco et de Somo-Sierra, on devait voir les fameux lanciers rouges consacrer leur bravoure légendaire. Puis, pendant la campagne contre l'Autriche, ce sera l'intrépide Poniatowski luttant et poursuivant l'armée quatre fois supérieure en nombre de l'archiduc Ferdinand. Plus lard, les bataillons polonais prendront une part active et glorieuse à la campagne de Russie, d'où leur artillerie ramènera toutes ses bouches à feu. En Saxe, à Wachau, ils défendront victorieusement le passage de la Pleiss. Après la mémorable bataille de Leipzig, ils couvriront la retraite de l'armée française, dont ils se verront, hélas ! séparés par la fatale explosion du pont de Lindenau. Alors, plutôt que de se rendre, leur digne et valeureux chef, Poniatowski, maréchal de la veille, se noiera dans l'Elster, écrivant ainsi, dans une héroïque apothéose, la dernière page de l'alliance francopolonaise.... Tout autre est l'histoire du concours donné à Napoléon parles armes saxonnes. Si le maréchal Lefebvre avait pu se louer, sous les muru uc Dantzig, des troupes deFrédôric-Au. guslo, nous savons qu'en Silôsie tout un régiment s'était rendu faux Prussiens. Au cours de la célèbre campagne du Danube, le contingent saxon de Bernadolle se signalera surtout par la fatale méprise de Haasdorf. En Russie, à Kobrym, le général Klengel mettra bas les armes devant Tormazof. En 1813, un des chefs les plus en vue de l'armée saxonne, Thielman, oubliera les bienfaits de Napoléon et ternira ses glorieux souvenirs de Griess-Hûbel et de la Moskowa.pour négocier avec les Prussiens la trahison de l'armée de Frédéric-Auguste. En effet, bientôt l'on verra, à Dennewitz, le major de Bunau passer à l'ennemi avec un bataillon. Et enfin, ce sera, au sombre jour de Leipzig, la non/ teuse défection de tout le contingent !.... Du chevaleresque Po-


-23niatowski

-23niatowski traître Thielman, voilà la différence entre le dévouomenldes Polonaiset la fidélité saxonne !....Maisn'antlcipons pas sur les événements.

Accueil chaleuroux et vivais enthousiastes dos Polonais no pouvaient fairo oublier au sage mais craintif Frédéric-Auguste les difficultés do sa tâche. Son court séjour à Varsovie venait de lui montrer à nu la délresso financière de l'État. L'entretien de l'armée nationale et des troupes de Davoust avait vidé le trésor du grand-duché. Comment restaurer les finances et ramener la prospérité dans un pays ruiné par les dernières guerres, où l'on ne voyait plus trace de commerce ni d'industrie ? L'intègre et simple Frédéric-Auguste n'avait pas los goûts fastueux de ses aïeux Auguste 11 et Auguste III. Il abandonna sa liste civile de grand-duc, réduisit au strict nécessaire les dépenses des divers services. S'il put ainsi combler quelques trous, le résultat de cette générosité fut, à un autre point de vue, bien inattendu. Il mécontenta les Polonais, déçus d'avoir à leur tôle un monarque I do goûts aussi bourgeois. Rentré perplexe à Dresde, après un séjour de cinq semaines en Pologne, le grand-duc songea à s'adresser à Napoléon. Lui seul pourrait le tirer d'embarras.

En ce moment le conquérant avait d'autres soucis que les finances polonaises. Profitant du lamentable spectacle donné par la cour d'Espagne, il avait résolu d'accaparer la couronne de Charles IV. Le 20 mars, Murât faisait son entrée à Madrid, puis Napoléon, que la fatalité enfonçait dans l'aventure qui devait le conduire à sa perte, se transportait en personne à Bayonno. Ce fut là que vinrent le trouver les doléances du grand-duc, et aussi ses félicitations sur l'attitude prise par l'Empereur dans les affaires d'Espagne. De la part d'un monarque éclairé comme Frédéric-Auguste, ces compliments déplacés ont lieu de surprendra, et l'histoire doit apprécier comme il convient la conduite du roi de Saxe en celte circonstance où, à la face du inonde, un souverain va abuser de son omnipotence pour consommer une véritable iniquité. Les désordres cyniques do l'indigne reine d'Espagne répugnaient aux moeurs pures de FrédéricAuguste, et naguère il avait repoussé avec horreur la demande faite par le prince des Asturies pour obtenir la main de sa fille. Ces motifs d'ordre moral ne suffisent pas pour excuser l'attitude du monarque saxon. Déjà on l'a entendu répéter complaisam-


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ment les propos de Napolôon, parler avec tristesse de ■ cette dynastie des Bourbons d'Espagne, avilie et indigne de régner t. » Dans son admiration sans bornes pour le « grand allié, > il va aller plus loin, Appréciant la lettre écrite le 16 avril par Napoléon à Ferdinand, il osera dire à Bourgoing slupéfait : « Cette lettre mérite tout entière d'ôlre gravée en lettres d'or 2 !.,. > Dans un rapport qu'il fit rédigera Berlin en juillet 1814, pour exposer aux souverains de Russie, de Prusse et d'Autriche sa conduite politique de 1806 à 1814, Frédéric-Auguste appuiera fréquemment, et non sans finesse, sur l'obligation t de céder à la force dans un temps où la condescendance envers la puissance prépondérante était devenue une maxime à peu près générale 3. > En dépit de cette condescendance quasi obligatoire, il nous semble que les éloges décernés alors à Napoléon font tache sur le caractère d'un roi auquel do zélés biographes ont donné le surnom de « Juste. »

Napoléon fut-il sensible aux compliments de Frédéric-Auguste ? Il serait puéril d'avancer qu'ils le décidèrent à la consommation d'une iniquité déjà résolue; mais peut-être celte fumée d'encens venue de Dresde l'encouragea-l-elledans une voie fatale. La pureté de vie, le désintéressement et l'intégrité de Frédéric-Auguste avaient, en effet, profondément impressionné le conquérant et, de son séjour à la cour saxonne, il avait conservé une haute idée des vertus de son allié, pour lequel il professait la plus grande estime. Les 5 et 10 mai de celte année 1808, Charles IV et son fils renonçaient à la couronne d'Espagne en faveur de l'empereur des Français. En même temps, ce dernier, voulant sans doute récompenser de laudalives approbations, et guidé aussi par un désir sincère de satisfaire le grand-duc de Varsovie en venant au secours des finances de la Pologr**, faisait signer par Senfft de Pilsach et Champagny la convention de Bayonne.

V.

Ce serait sortir du cadre de celle étude que d'essayer d'approfondir tous les froissements elles malentendus plus ou moins

1 Notes Gersdorf. Souvenirs inédits du chevalier de Cussy. » Bourgoing au ministre des affaires étrangères, mai 1808. 1 Exposé de la marche politique du roi de Saxe.


-25voulus

-25voulus résultèrent de la Convention de Bayonne, Mais celte affaire compliquée constitue une page trop importante de l'histoire de .'ophémèro duché de Varsovie, pour qu'il ne soit pas indispensable delà présenter sous son vrai jour t, et aussi u'en examiner les conséquences principales.

Par un acte signé à Dresde, le 22 juillet 1807, le gouvernement français s'était résorvé les créances de la Prusse à la charge du duché do Varsovie. La convention dite « de Bayonne, > du 10 mai 1808, rétrocédait ces créances à Frédéric-Auguste contre une somme aversionnelle de 20 millions. Le désir de soulager le duché avait engagé le grand-duc à ratifier un arrangement dovant mettre ses sujets à l'abri de la rigueur avec laquelle les agents de Napoléon auraient probablement exigé les créances qui en étaient l'objet. Le cabinet de Berlin avait antérieurement reconnu le principe que toutes ses propriétés dans le duché, à l'exception des biens-fonds et des capitaux appartenant à des particuliers ou à des établissements prussiens, passeraient au conquérant. L'article 3 d'un acte signé à Paris le 8 septembre 1808 par le prince Guillaume de Prusse confirma expressément ce principe s. Lors de la convention de Bayonne, on croyait généralement que la plus grande partie des fonds de la Banque de Berlin el de la Société maritime appartenaient au gouvernement prussien et avaient été administrés pour son compte, et le comte Daru, ayant porté sur ses étals, intitulés Créances prussiennes sur le duché de Varsovie, les capitaux des particuliers reconnus après l'examen des livres de la Banque comme prête-noms, les agents français avaient mis ces fonds dans la liste des créances cédées. En les frappant de séquestre, le grand-duc de Varsovie agissait donc selon son droit strict de cessionnaire. Frédcrio-Auguslè obéit à de louables sentiments d'équité on autorisant cependant le Conseil d'État à recevoir les protestations des particuliers, el à donner mainlevée toutes les fois qu'ils auraient justifié de leurs litres. 11 prescrivit également de satisfaire aux réclamations de la Caisse générale des veuves

1 La plupart des détails qui suivent sur la convention de Bayonne sont tirés de VExposé de la marche politique du roi do Saxe.

* « Les créances de Sa .Majesté prussienne h la charge des sujets varsoviens avaient été cédées dans le traité dcTilsilt, sans réserve ni exception » (art. 3 de la convention du 8 septembre 1808).


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et do divers autres établissements publics, cl usa enfin des plus grands ménagements possibles à l'égard des débiteurs, malgré l'embarras exlrômo où se trouvaient les caisses du duché pour effectuer les paiements dus à la France. Bien qu'il fût créancier du trésor public pour dos avances considérables, et notamment pour l'abandon de sa liste civile, Frédéric-Auguste ne cessait do venir à son secours, Il ne s'apercevait que Irop que la convonlion de Bayonne avait été pour son administration une opération ^financière déplorable, el il pressentait maintenant qu'à d'autres ■ points de vue, celle affaire entraînait de pénibles conséquences. De prime abord, la convention du 10 mai lh08 avait peut-èlre semblé avantageuse à Frédéric-Auguste. C'était une somme de 20 millions à verser contre une valeur de 47 millions i. Le grand-duc do Varsovie comptait sans la jalousie d'un État voisin. Amoindrie par un impitoyable vainqueur, délaissée par l'Europe, la Prusse aigrie rongeait sa honle et, ne pouvant s'atlaquor à celui qui commandait au monde, elle n'attendait que l'occasion de se venger sur un adversaire moins redoutable, sur cette Saxe si longtemps sa vassale, dont elle n'avait pu voir sans dépit l'élévation progressive à ses dépens. La clause de la convention de Bayonne relative aux particuliers el aux établissements prussiens lui fournissait un facile prétexte pour contrecarrer l'administration d'un prince aveu lequel ses relations étaient déjà si tendues. Le vaincu d'iéna, non seulement refusa l'extradition des obligations sur les créances de Bayonne, mais prétendit forcer encore par lettes patentes les débiteurs polonais à payer les capitaux, non pas au trésor varsovien, maisà la Banque de Berlin, sous menace de saisir leurs propriétés en Prusse, dans le cas où ils n'obtempéreraient pas à celle sommalion. Ce séquestre ayant élé exécuté et étendu depuis sur toutes les propriétés polonaises situées dans les Étals de Frédéric-Guillaume, sans distinction, le gouvernement du grand-duché se trouva dans le cas d'user de représailles el fit émaner à cet effet , le décret du 6 janvier 1809. Plus tard, la convention du 10 septembre 1810 eut pour effet immédiat la lovée réciproque du séquestre. Le roi de Saxe profita de celle occasion pour nouer des négociations au sujet d'un arrangement définitif des différends

> 43 millions de créances, plus 4 millions d'intérêts courus.


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élevés sur l'affaire do Bayonne. Mais il ôlail inévitable, suivant les rapports subsistant enlre le duché ol la France, de communiquer à Paris, avant de rien conclure, les stipulations dont on était à peu près convenu. Or, oulré do la politique tortueuse de la Prusse en toute celte affaire, Napoléon ne devait pas approuver ces stipulations. Néanmoins, los négociations no furent pas abandonnées. Elles se traînèrent péniblement, sans beaucoup d'espoir do réussite au regard du grand-duc, qui comprenait enfin que le cabinet do Berlin était depuis longtemps résolu à éterniser la querelle. Celle-ci en était au même point, lorsque les relations entre les deux cours furent officiellement rompues à la suite de la déclaration de guerre de la Prusse, en 1813.

Retour de Bayonne, les représentants de la Pologne, encore sous le coup do l'émotion produite par les conférences avec le grand empereur, avaient espéré que Frédéric-Auguste les suivrait sans retard à Varsovie. Dans leur enthousiasme pour Napoléon, il semblait aux Polonais que l'ami de leur idole dût être investi de son omnipotence et apaiser par sa seule présence tous les maux de l'Étal. Les sympathies de Frédéric-Auguste allaient, nous l'avons dit, à ses sujets du grand-duché, mais plusieurs motifs devaient s'opposer au départ immédiat du prince. Il se voyait à peine de retour en son château royal, et le quitter de nouveau prenait à ses yeux les proportions d'un événement. Les fougueux Polonais oubliaient-ils donc qu'avant d'être grand-1 duc de Varsovie il était roi de Saxe ? Dix fois le baron do Serra * avait écrit à Marcolini : t II faut décider le roi à venir. Les patriotes s'impatientent 2. > Frédéric-Auguste, trop fidèle à ses habitudes de lenteur, temporisait, redoutant la turbulence polonaise et découragé d'avance par les difficultés que sa sagacité lui faisait deviner entre les lignes ambiguës de celle convention de Bayonne, octroyée par l'arbitre du monde comme une panacée infaillible. De fait, maintenant Frédéric-Auguste était obligé de différer son voyage de Varsovie. Ainsi que tous les princes de la Confédération du Rhin, il lui fallait se transporter à Erfurl, où venait de s'ouvrir ce célèbre congrès dans lequel les empe1

empe1 baron de Serra venait d'être nommé résident de France a Varsovie, en remplacement de M. Vincent. * Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.


- 28reurs

28reurs el Napoléon échangèrent en do légendaires paroles d'expansives assurances d'amitié qui devaient être de si courlo durée.

Ce fut seulement dans les premiers jours de novembre que le grand-duc entra de nouveau à Varsovie. 11 n'y reçut pas l'accueil enthousiaste de l'année précédente. La patience des Polonais avait été mise à une trop rude épreuve. Administrateur d'un Étal ruiné, devant un peuple dont il devinait maintenant la méfiance à son égard, gêné plutôt qu'aidé par Davousl ot Serra qui, par leurs tracasseries respectives, ne perdaient pas I une occasion de lui montrer qu'il no devait être en Pologne qu'un préfet de Napoléon, Frédôric-Augusle fit, il faut le dire à sa louange, preuve d'une bonne volonté méritoire. 11 inaugura la Dièle avec une grande pompe. Selon les traditions, il prononça le discours d'ouverture en langue polonaise qu'il maniait avec aisance; mais, tandis que le primat do Pologne, le cardinalarchevêque de Gnesne, paraissait couvert de la pourpre romaine, on remarqua que le grand-duc avait négligé de revêtir le costume national. Frédéric-Auguste présida plusieurs ééances du conseil d'État, ne se laissa rebuter par aucun détail de l'administration. Hélas! la détresse financière du pays était depuis longtemps trop complète pour qu'avec les moyens insuffisants dont il disposait, le grand-duc pût susciter quelque espoir do relèvement, Ces efforts infructueux, au lieu de forcer la reconnaissance des Polonais envers Frédéric-Auguste, accroissaient leur rancune. Trompés dans leur attente, ils tenaient aujourd'hui comme responsable de leur ruine celui que naguère ils acclamaient joyeusement. Pour mener ce peuple passionné, il eût fallu être un Maurice de Saxe doublé d'un Colbert. Or, on le sait, l'honnèle 'et paisible Frédéric-Auguste n'avait rien du héros, son oncle, el, sans être un incapable, il ne possédait pas non plus les qualités d'administrateur du célèbre homme d'État. Il se rendait à l'évidence. Pacifiquement, le relèvement de la Pologne était impossible; et, les événements justifiant sa présence à Dresde, il s'empressa de retourner en Saxe, où il trouverait des sujets moins turbulents et sachant mieux apprécier le caractère pondéré de leur prince.

Un simple détail donnera une idée de la désaffection des Polonais pour le grand-duc. Pendant ce deuxième séjour de


-20Fnkléric-Auguste

-20Fnkléric-Auguste Varsovie, le peuple et l'armée ne criaient plus : « Vive notre roi ! Vive Napoléon ! • mais seulement : « Vive Napoléon t ! i Et ces cris de : « Vivo Napoléon l » redoublaient lorsque arrivaient d'heureux bulletins d'Espagne. Alors, c'était du déliro parmi la jeunesse varsovienno, el les épouses ' el les soeurs des intrépides soldats polonais tressaillaient d'un noble orgueil 2. Les fréquentes demandes d'augmentation des effectifs de l'armée do Poniatowski ou du contingent guerroyant dans la péninsule étaient, pour ce peuple chevaleresque, autant d'occasions de prouver son absolu dévouement aux armes françaises. Parfois l'on pouvait aussi entendre les fiers Polonais, faisant allusion à la dispense qu'avait obtenuo Frédéric-Auguste d'envoyer des troupes en Espagne, « parler avec tristesse du roi de Saxe et de ses compatriotes déshonorés 3. > Le cri de : t Vive Napoléon ! » caractérisait bien le dernier espoir des patriotes. Pour eux, le nom du grand empereur d'Occidenl représentait la Pologne restaurée, et surtout il signifiait la guerre. Or, de la guerre dont Napoléon incarnait le génie, les puis-, sances complices du vieux péché de partage ne pouvaient sortir que diminuées. A défaut du salut, ce serait toujours une consolation. El, de plus en plus, la Pologne frémissait d'une belliqueuse impatience; car, cette guerro tant souhaitée, elle la voyait venir, tout près, cerlaine, inévitable.

VI.

La nouvelle do ce qui s'était passé à Bayonne avait profondément ému la cour d'Autriche. L'abdication des Bourbons d'Espagne n'était-elle pas en effet un signe avant-coureur de la prochaine déchéance des Habsbourg? Dès ce moment, poussé secrètement par le cabinet de Berlin el enhardi par la neutralité probï'ul' d Alexandre, François 1er rêva de tirer l'ôpôo contre l'insatiable Csar qui ne se montrait aux rois que pour les forcer à se proclamer satisfaits au milieu de leurs ruines. Napoléon était alors à l'apogée de sa puissance. Mais, de son pouvoir, il avait tellement abusé, ses bulletins de victoire avaient si sou•

sou• inédits du chevalier de Cussy. 1 Souvenirs intimes du baron de Bourgoing. 8 Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.


-90vent

-90vent aux peuples divers de délivrance et de liberté, que ces peuples, à leur tour, avaient senti s'éveillor en eux un sentiment inconnu jusqu'ici, le sentiment national; et que, considérant le conquérant qui bouleversait lours coutumes el leur imposait les lois françaises, ce soldat couronné, ce fils do la Révolution leur apparaissait comme un détestable tyran.

Dans les multiples États allemands, le contre-coup des événements d'Espagne se faisait sentir, et, malgré sa fidélité apparente à la cause napoléonienne, la Saxe elle-même accusait des symplômes inquiétants. Nous l'avons vu plus haut, roiel peuple saxon s'étaient, comme il convenait, montrés satisfaits des avantages que leur concédait le (railé de Tilsilt. Mais il s'en fallait qu'il y eût unanimité dans la reconnaissance des sujets do Frédéric-Auguste. Aux Saxons qui parlaionl du « généreux vainqueur, » du « cher et grand allié, » d'autres Saxons répondaient par les mois < d'ami encombrant'. > L'immixtion du protecteur dans tous les rouages de l'administration, les réformes accomplies brusquement par des agents trop zélés, la rigoureuse application du blocus continental, les faveurs accordées aux catholiques dans ce pays foncièrement luthérien avaient indisposé une notable partie de la population. Si l'arméo saxonne voyait son preslige s'accroître aux victoires françaises, la noblesse pleurait ses privilèges amoindris, le clergé protestant était chof que de la liberté confessionnelle étendue aux catholiques, et les philosophes el les penseurs qui naguère avaient applaudi aux idées venues d'une France nouvelle ne cachaient pas maintenant leur antipathie pour des étrangers leur apportant, en guise de liberté, une pesante domination. Comme dans les autres pays allemands, poussée par un vague désir de délivrance, un tardif sentiment de nationalité, la majorité des Saxons avait vu avec joie s'éclore et prospérer l'association du Tugendbund, Pour courir en Espagne, les troupes françaises avaionl laissé dégarnies les forteresses du royaume; Napoléon était lui-même occupé dans la péninsule; en dépit des protestations d'Erfurl, les chancelleries savaient ce qu'il fallait penser de l'alliance francorusse. En ces circonstances favorables aux menées de l'Autriche, quelle allait être l'altitude du paisible Frédéric-Augusle?

* Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.


. Disons-le tout de suite el bien haut, la conduite du monarque saxon fut, au long de celle période critique, celle d'un allié loyal el sincère. 11 convient même d'ajouter que, comme nous le verrons, ses manifestations d'amitié dépasseront parfois la mesure.

Depuis le Iraité do Poson, la reconnaissance de Frédéric-Auguste pour Napoléon a pris la forme d'un véritable culte. Il ne peut croire à une erreur du conquérant, pas plus dans ses vues politiques que dans ses conceptions militaires. Lors des événements de Bayonne, il a, à l'indignation des cours européennes, approuvé une brulale déchéance, voulue et préparée. Tous les projets, tous les actes de son idole lui semblent légitimes. Quelques années plus lard, quand, dans un plaidoyer pro domo, il dira aux souverains coalisés : « Le roi (de Saxe) ne s'est poinl dissimulé que le but pour lequel Napoléon l'obligeait de prodiguer les ressources de son pays était forl étranger à son véritable intérêt ', » Frédéric-Auguste aura oublié les propos tenus dans les mois précédant la campagne de 1809. < Votre beau-frère est mal conseillé, a-l-il dit au prince Antoine, l'empereur des Français ne veut que l'intérêt général 2. > Et c'est encore à la môme époque que Gablenzel Gersdorf l'entendront s'écrier : « Ce que fait notre allié est bien. Us (les partisans de l'Autriche) sont les ennemis de la Saxe el de l'Allemagne 3, »

Il serait étrange de noire part de médire des témoignages de dévouement donnés alors à notre cause par Frédéric-Auguste. Cependant, un homme impartial, qu'il soit Allemand ou Français, ne peut-il s'étonner d'une exagération confinant à la servilité? Qu'elle est loin, celle réserve observée par le roi de Saxe au début de l'alliance! Aujourd'hui, il ne semble plus vivre que pour prévenir les désirs du conquérant, el tous ses actes dénotent un francophilisme stupéfiant. Le ministre prussien Slein, un des fondateurs du Tugendbund, est étroitement surveillé par la police impériale; aussitôt Frédéric-Auguste met sous séquestre ses propriétés de Saxe.... Napoléon fait l'honneur à Mrae de Staël de la traiter en ennemie personnelle. Fouchô l'a fait sortir de France. L'auteur de Corinne a quitté sa retraite de Coppet ; elle voyage en Allemagne, s'arrête à Weimar, puis à

1 Exposé de la marche politique du roi de Saxe. » Souvenirs inédits du chevalier de Cussy. » Ibid.


-32Dresde,

-32Dresde, de littérature, aucunement de politique. El, pour être agréable au maître, Frédéric-Auguste s'empresse de l'expulser de ses Étals. Traquée de ville en ville, la célèbre proscrite gagnera Vienne, refuge préféré des ennemis de Napoléon, où elle sera le point de mire de toutes les curiosités et trouvera un accueil d'autant plus flatteur qu'elle est perséculéo parle vindicatif empereur *.... C'est encore à celle époque que Frédéric-Auguste accentue la disgrâce d'un de ses plus anciens serviteurs. Après léna, le vainqueur lui avait imposé la démission du comte de Loss qui, pendant vingt-neuf années, avait élé premier minisire de la Saxe. Depuis, le vieil homme d'État expiait durement sa politique prussienne. Il vivait relire et isolé, mis au ban de la cour de Dresde, rejeté par celui qui, simple électeur de Saxe, l'avait si longtemps traité en ami. Ce n'est pas assez. Frédéric-Auguste notifie à son trésor la suppression de la pension du comte de Loss.

Le c grand allié » souhaitait mieux que des disgrâces et des expulsions particulières. Participer à ses haines personnelles, cela louche agréablement ses fibres intimes, sensibles,à la flatterie, mais Napoléon, on le sait, ne se nourrit pas de sentiments. Ce qu'il lui faut, ce sont des soldats. Bourgoing rappelle au monarque saxon les clauses du traité de Posen. Sous couleur de manoeuvres d'instruction, l'Autriche masse ses troupes aux frontières et s'apprête, eu dépit des assurances pacifiques de Melternich, à entrer en campagne sous le premier prétexte. Pendant que Français et Polonais guerroient en Espagne, ne conviendrait-il pas que la Saxe armât ses forteresses, montrât des preuves palpables de l'alliance?.... Frédéric-Auguste est perplexe. Aux portes de Dresde el en Lusace, il a sur pied

1 Quand elle arriva dans la capitale autrichienne, où elle devait passer l'hiver do 1809. MDe do Stafil, mariée secrètement à M. de Rocca, était dans un état de grossesse assez avancé, qu'elle faisait passer pour de l'hydropisie, ce dont personne n'était dupe. Il revint au marquis de Bonnay que Mm* de Stacl avait dit : « En voyant le marquis de Bonnay, j'ai cru voir le spectre de l'ancien régime. » Le spirituel marquis se vengea de ce propos par le quatrain suivant qui fit le tour des salons de Vienne et prouva irrévocablement à la célèbre femme le peu de créance accordée à la maladie dont elle se disait souffrante :

Par ses écrits, par son génie,

Elle appartient à l'immortalité,

Et, jusqu'à son hydropisie,

Rien n'est perdu pour la postérité.

(Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.)


14,000 hommes, mais il se méfie justement de la qualité des troupes commandées par des généraux hors d'âge, se complaisant dans une inaction et une routine qu'encourage Cerrini, l'incapable ministre de la guerre. Le représentant de Napoléon est vraiment un homme habile, lia prévu les hésitations elles doléances de Frédéric-Auguste. Dans l'entourage de ce dernier, les officiers saxons les plus en vue, les Gablenz, les Gersdorf, les Funck, les Thielman préconisent hautement une réorganisation de l'armée el l'instruction militaire à la française, font des voeux pour l'intervention éclairée d'un maréchal d'empire. Et Bourgoing feint de se faire arracher par le paisible prince la promesse d'implorer du < grand allié » le concours d'un de ses lieutenants. On pense que l'assentiment de Napoléon ne pouvait tarder, el l'on voyait bientôt arriver à Dresde, acclamé par la jeunesse militaire, l'un des plus illustres compagnons d'armes du conquérant,- Bernadolle, investi de laj mission do former et de diriger l'armée saxonne. Dans les États de Frédéric-Auguste, f le conlrêle et la mainmise de Napoléon sont maintenant absolus. L'Autriche peut jeter bas le masque el pousser son cri de guerre; son ennemi est prêt à parer les coups et aussi à les rendre.

VII.

Quelques jours avant le début des hostilités, le çomle Zichy, ministre d'Autriche à Dresde, intriguait à la cour de Saxe. Adroitement, il faisait parvenir au roi une sorte d'ultimatum, savant mélange d'assurances bienveillantes et de menaces. Napoléon n'esl-ilpas l'oppresseur des peuples germaniques ei, partant, de la Saxe? Les Saxons ont déjà manifesté leurs sentiments allemands et n'obéissent qu'à contre-coeur au despote. .Que Frédéric-Auguste renonce au système napoléonien! qu'il revienne à ses alliances naturelles! L'jnslant esl propice.... S'il refuse d'écouter la voix de sa conscience et de conformer sa conduiteaux préférences de son peuple, il commettra un acte monstrueux d'ingratitude envers l'Allemagne ; puis ce sera l'invasion d'* son royaume. La fuite même ne fera pas échapper FrédéricAuguste à la juste colère des libérateurs de l'Allemagne <....

' Souvenirs inédits du chevalier de Cuksy,


- &4 -

François 1er est soutenu en effet par l'opinion publique. Il s'est flatté de l'appui de la Prusse el de la Russie et se croit désigné par la Providence comme le. champion vainqueur, le sauveur des peuples germaniques. Napoléon lui eût-il alors rendu ses provinces de l'Italie et sa couronne élective, que l'empereur d'Autriche n'eût pas renoncé à tirer l'épée. Mais aucune pression n'influencera le roi de Saxe. Que les Allemands lui fassent reproche de sa docilité, de sa servilité vis-à-vis de Napoléon ; soit I II entend être fidèle allié jusqu'au bout. Déjà il a repoussé les ouvertures faites au prince Antoine; il ne répondra même pas aux nouvelles suggestions de François Ier.

Le 0 avril, l'archiduc Charles adressait au prince de Neuchatel une lettre dénonçant les hostilités et, quelques jours après, les armées autrichiennes franchissaient l'Inn et Flsar. L'heure viendra bientôt pour Frédéric-Auguste d'abandonner Dresde pour fuir à Leipzig el de là à Francfort. Est-ce par peur? Non. En dépil de sa timidité, le roi do Saxe en est incapable. Si, devant l'invasion, la famille royale quille une capitale dépourvue du moyens sérieux de défense, c'est pour éviter le déplorable effet moral que sa capture produirait sur un peuple doutant peut-être de la sincérité de l'ullachemenl de son monarque à la cause française. L'exode de Frédéric-Auguste marque au contraire la dale de l'abandon de sa politique ondoyante. Jusqu'ici le roi de Saxe n'avait paru inféodé à noire cause que par contrainte. Aujourd'hui il a rompu avec ses scrupules et ses hésitations el il nous donne, de la loyauté de ses engagements, uno garantie d'autant plus méritoire que ses sujets sont, pris dans l'ensemble, mal disposés à notro égard. Que l'on suppose Frédéric-Auguste accueillant les propositions du comte Zlchy, fermant simplement les yeux sur les agissements de Brunswick el du major Schill, puis recevant à Dresde les généraux autrichiens, sa conduite semblera conforme au sentiment populaire et il rentrera facilement on grâce près des cours de l'Europe. Vis-à-vis de Napoléon vainqueur, il lui sera uisô d'expliquer, ou, loul nu moins, d'atténuer par les nécessités du moment une attitude équivoque sans doute, mais pas plus répréhensible, après tout, que celle d'autres alliés, en ces temps agités oit l'on voit les traités les plus solennels et les plus solides en apparence no pas durer plus longtemps que de simples armistices.


-85Non,

-85Non, de loul cela. Et le monarque saxon saisit cette occasion pour nous prouver sa fidélité. 11 rappelle à son peuple l'alliance conolue avec Napoléon, invite ses généraux à sévir contre lès déserteurs, à s'opposer aux défections et à combattre bravement les armées de l'Autriche, aussi bien que les bandés de parlisans qui, conduites par Schill el Brunswick, inondent déjà la Saxe.

Frédéric-Auguste quittera donc sans hésitation Dresde menacée de l'invasion; ayant du moins la consolation de voir le major Schill échouer piteusement, toul comme Brunswick, qui battra précipitamment en retraite, poursuivi l'épée dans les reins par Tliiolman, ce futur traître dont te nom est alors synonyme de fidélité à la cause napoléonienne. Quelques mois plus lard, le prince de Ligne pourra dire au marquis de Bonnay : c Comme vous, j'avais cru à la duplicité du roi de Saxe. Je m'étais trompé. A la veille de la campagne, il a passé le Hubicon. Napoléon doit lui avoir de la gratitude >. » De 1809 à 1813, ce seront en effet, onlro le moderne Charlemagne et le paisible Frédéric-Auguste, quatre années d'une alliance vraiment loyale, el peut-être est-ce en reconnaissance de celle période, âge d'or de l'union franco-saxonne, que, de son rocher de Sainte-Hélène, le vaincu de Waterloo, oubliant l'évolution de 1813 pour ne se souvenir que de la pureté des intenlions de son allié, dictera sur Frédéric-Auguste les élogieuses paroles suivantes : t C'est le plus honnête homme qui ail tenu un sceptre *. »

Los brusques attaques ths armées autrichiennes avaient tout d'abord élé couronnées de succès. Précédé pard'adroiles proclamations, le général Am Ende entrait à Dresde sans coup férir et, signe non équivoque de la fermentation des idées saxonnes, y était reçu aux acclamations de la population. Sans les exactions commises par les bandes de Brunswick, la Saxe entière fût alors tombée au pouvoir des Autrichiens. Sur le Hhin, Berthier compromettait nos armes par un faux mouvement. Du côté du grand-duché do Varsovie, les Moscovites qui, pour leur compte personnel, avaient tranquillement tait la conquête de la Finlande el parachevaient celle de la Valachie, regardaient en

» Souvenirs inédits du chevalier de Cutsy. • » Mémorial de Sainte-Hélène, t. VI.


spectateurs l'agression autrichienne; Sans doute leur répUgnail-il de secourir les Polonais détestés. El les 8,000 soldats de Dombrowski et de Poniatowski reculaient, malgré leur courage, devant les 40,000 hommes de l'archiduc Ferdinand.

Le but de cette élude n'est point de suivre pas à pas de savantes manoeuvres maintes fois décriles par les plumes les plus, autorisées; aussi nous pcrinetlra-t-on de franchir l'espace de plusieurs mois pour nous transporter au jour de la rentrée définitive de Frédéric-Auguste à Dresde. Après avoir été prise cl reprise, la capitale saxonne voyait son souverain réintégrer enfin le palais royal, abandonné depuis le début de la guerre. Trois mois auparavant, les sujets de Frédéric-Auguste avaient accueilli chaleureusement les Autrichiens; aujourd'hui, ils poussaient avec conviclion d'unanimes vivats sur le passage du monarque qui venait de prouver hautement sa fidélité à la cause fran* çaisc. Ce n'était pas que les sentiments du peuple eussent changé. Les Saxons gardaient toujours un coeur hostile au César humiliant la race germanique, mais leur amour pour leur roi ne souffrait nullement de divergences politiques qui, en d'autres pays, eussent suffi dès le premier jour à détrôner le souverain. Le loyalisme des Saxons se révélait une fois de plus, cl, comme on le verra, il devait rosier inébranlable. En dépit des occasions les plus favorables de révolte contre les Français : prosélytisme du Tugendbund, détresse financière, désastres de la guerre de Russie, trahisons successives de nos alliés, tâtonnements de Frédéric-Auguste en 1813, il était écrit que l'affection de ce peuple allemand el luthérien pour un roi catholique et inféodé à la forlune napoléonienne ne subirait aucune atteinte. Une occasion célèbre entre toutes montra un désaccord certain cnlre les affections du souverain et les désirs populaires ; ce fut la défection de Leipzig. Frédéric-Auguste s'y opposa de toutes ses forces. Et cependant ce fait tristement historique n'altéra nullement la pureté de ces sentiments modèles de fidélité dynastique. A co propos, il semble que, sans trop empiéter sur les événements futurs, ce soit ici le lieu de noter uno des causes déterminantes de l'abandon définitif des aigles françaises par l'armée saxonne. C'est au mois de mars 1809 que Bornadotte, nommé généra-


-37lissime

-37lissime l'armée saxonne < sur là demande i > de FrédéricAuguste, avait pris, à Dresde, possession de son commandement. A défaut de grandes batailles gagnées, le prince de PonteCorvo montrait derrière lut une carrière remarquable à plus d'un litre. A l'armée de Sambre-et-Môuse, ainsi qu'à celle de l'Ouest, il s'était incontestablement distingué. Mayence, Fleurus, Juliers, Gradlsca, lui constituaient de glorieuses étapes. Après le traité de Campo-Formio, envoyé comme ambassadeur à Vienne, l'ancien sergent du Royal-Marine y avait déployé de réelles qualités diplomatiques. Chez le ministre de la guerre de l'an VU, on avait pu admirer des capacités peu communes d'organisateur. El malgré tout, ce n'est pas à son seul passé de militaire et do négocialeurque Bernadolle avait dû d'être compris dans la première promotion des maréchaux d'empire. Napoléon qui, toute sa vie, afficha volontiers le principe de s'affranchir, dans les affaires d'Élat, do l'influence des femmes, s'était montré, à cette occasion, en contradiction flagrante avec lui-même. Car, à l'entendre, ce fut en considération de l'épouse de Bernadolle qu'il fit co dernier maréchal et prince 2. Sans doute avait-il été agréable au puissant empereur de se venger ainsi dos dédains passés de Désirée Clary pour le petit lieutenant Honaparte. Sans vouloir aucunement critiquer les mérites personnels de Bernadolle, la boutade de Napoléon semblerait justifiée parce fait qu'aucune sympathie no le portait vers celui qui, après avoir rofusédoconcourir au renversement du Directoire, avait comploté contre lui sous le Consulat. Plus tard, les dissentiments n'avaient fait que s'accentuer. Ce qui avait perdu Moreau, c'était l'influence néfaste de M1,fl llulol; de même, l'incommensurable jalousie de Bernadollo élail excitée parcelle do sa femme. Dans celle Grande Armée, dont ses magnifiques régiments amenés du Hanovre avaient constitué le 1M corps, le prince do Ponle-Corvo osait s'intituler orgueilleusement « le héros d'Austerlilz >, cl bientôt on put l'entendre se plaindre à tout venant de l'ingratitude de l'empereur, jaloux, disait-il, de ses succès de Schleist el de Halle 3. A

• Expressions mômes du rapport do Bourgoing. « Mémorhl de Sainte-Hélène, t. V. 1 Notes Gersdorf. Souvenirs inUits du chevalier de Cussy. D'après le général Qourgaud, la conduite de Bernadolle à léna ne fut pas conforme à celle dont se targue te maréchal. Dans une lettre adressée en


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•son arrivée en Saxe, Bernadolle s'était vu splendidemen accueilli par un corps d'officiers enthousiastes dos gloires impériales. Le maréchal avait fort à faire pour régénérer l'armée de Frédéric-Auguste, et peut-être Napoléon avait-il envisagé sans déplaisir les difficultés presque insurmontables, selon lui, auxquelles devait se heurter son lieutenant. Mais l'admira lion professée à Dresde el dans les milieux militaires pour l'invincible empereur avait produit des miracles et déjoué elle-même do •malins calculs. Dans le nouveau généralissime de l'armée saxonne, on avait retrouvé l'ex-ambassadeur. Vis-à-vis d'officiers inexpérimentés, mais pleins de bonne volonté, lo rude guerrier avait usé et abusé des éloges, et, devant la cour, le farouche jacobin d'anlan s'était plié à d'adroites flatteries. Si bien qu'au début do la campagne de 1809, Bernadolle était l'idole des troupes saxonnes, au regard desquelles il incarnait la glorieuse épopée, tout autant que Napoléon lui-même. - Or, lo prince de Ponte-Corvo, à la tôle des 20,000 Saxons formant le 9* corps do la Grande Armée, s'élail mis en marche et avait longé les frontières de la Bohème occidentale. Des mouvements ultérieurs le font entrer en ligne à la gauche de nolro •front, sous les ordres immédiats de l'empereur. Le 4 juillet, pendant la nuit, le contingent saxon, posté à Haasdorf, en arrière do Wagram, commet une déplorable méprise. Il reçoit à coups do fusil les soldats du prince Eugène ballant en retraite de son côlé t. Le 8, Bernadolle atlaque trop lard Wagram. Le 6 enfin, à Gross-Aspern, les Saxons sont culbutés par l'archiduc Charles, et évacuent l'importante position d'Aderklau. Qu'on juge de la colère impériale, quand, le lendemain de celle victoire si chèrement achetée, lo prince de Pon.e-Corvo, faisant allusion à la destination directement donnée la cille par l'empereur à la division du général Dupas el . la t ivalerio saxonne, ose diro à Napoléon en personne : « Un ac.o de déloyauté ou do

mais 1823 au général saxon de Gersdorf, il écrira t «.... A la bataille d'Iéna, il (Bernadolle) refuse, sous les plus futiles prétextes, de soutenir le corps du maréchal Davoust attaqué par les trois quarts de l'armée prussienne. Il cause ainsi la mort de cinq à six mille Français cl compromet le succès de la journée.... • Mémorial de Sainte-Hélène. Appendice.

< Le corps du prince Eugène fui décimé dans celle fatale méprise. Quant aux Saxons, ils perdirent eux-mêmes cinq à six cents hommes, dont une quarantaine d'officiers, parmi lesquels le général de ilartlsch.


m

trahison a failli me faire perdre hier le fruit de trente années de bons services. C'est au courage de mes intrépides Saxons, à l'héroïsme de leurs chefs, que je suis redevable de vous avoir conservé le terrain où nous sommes.... » Et, deux jours après, le 0 juillet, estimant que les troupes saxonnes sont, dans le bulletin impérial, injustement privées de leur part de gloire, Bernadotte en consigne les tilres dans un rapport détaillé à Frédéric-Auguste, el, contre l'usage reçu, lance de son bivouac d'Enzensdorfune proclamation spéciale au 0e corps, dans laquelle il le qualifie de « colonne de granit I.. . >

Nous tenons à le répéter : nous n'entreprenons point ici d'apprécier la conduite des troupes qui avaient été confiées au maréchal, pas plus que le bien eu le mal fondé des véhémentes protestations de Bernadolle. Contentons-nous de dire que l'empereur saisit cette occasion d'accorder un congé au prince de Ponle-Corvo. Celui-ci ne s'en dissimule pas la signification. 11 pari, le coeur ulcéré, laissant ses Saxons désolés et bientôt aigris par la disgrâce d'un chef sans reproche, selon eux. Dès ce moment, si l'armée de Frédéric-Auguste considère toujours Napoléon comme le dieu de la guerre, elle se laisse volontiers gagner par les agissements du Tugendbund qui, jusque-là, n'avaient pénétré que dans la population civile ; son dévouement à la cause française subit un rude coup, el, pelit à petit, on le verra s'affaiblir el disparaître, tandis qu'a grandi, par contre, son affection pour Bernadolle, l'impeccable chef dont le souvenir vivace sera évoqué dans les coeurs saxens, enlouré d'une auréole de persécuté, presque de martyr. A'nsi que le dira le lieutenant général de Gersdorf t « Napoléon est toujours pour les Saxons le grand homme de la guerre ; ils sont prèls à manoeuvrer sous son commandement. Maïs les Français ne leur semblent plus des amis véritables, Bernadolle est tout pour les Saxons. Quel est le soldat qui ne se ferait lucr pour lui 1 ? > Un des hommes les plus spirituels de ce temps, le prince de Ligne, exprimera la même idée lorsque, sous couleur de consoler l'ar•

l'ar• inédits du général de Cussv,

Il est évident que lorsquo le général de 'Gersdorf dit « les Saxons, • il veut parler des troupes et non de l'ensemble du peuple saxon qui, comme on te sait, ne témoignait plus depuis longtemps un grand enthousiasme pour la cause française.


-40chiduc

-40chiduc de sa défaile, il lui liendrace propos : < Vôtre empereur el Napoléon ont perdu : l'un, sa capitale; l'autre, l'affection de tout un peuple >.... > Aux petites causes les grands effets. Dernadotte envoyé en congé après Wagram. La genèse de la défection de Leipzig lient dans ces quelques mois.

VIII.

Le traité de Vienne, sans satisfaire lo coeur de Frédéric-Auguste, flattait son amour-propre de souverain. Si son royaume de Saxe n'élail dolé que do quelques enclaves de la Lusace, son grand-duché de Varsovie était en effet augmenté de la Qalicie. El cependant, jamais plus qu'à ce moment Frédéric-Auguste n'éprouva l'amertume de la lutte livrée on son âme, entre ses affections saxonnes el le penchant qu'il tenait de ses aïeux pour la chevaleresque Pologne. A peser les récompenses personnelles, il ne semblait pas que l'armée de Bernadolle eût à se plaindre ; mais, à considérer les maigres acquisitions de territoire de su chère Saxe en regard du notable arrondissement du grandduché, le coeur do Frédéric-Auguste saignait. Malgré tout, il est permis de croire que cet intègre monarque dut mesurer impartialement la différence des services rendus jusqu'ici à la cause française par chacun, des deux peuples qu'il gouvernail.

Selon leur glorieuse coutume, les Polonais s'étaient particulièrement distingués au cours de la campagne. Les succès do l'archiduc Ferdinand dans lo grand-duché de Varsovie n'avaient été qu'éphémères, el, sans se laisser décourager par l'altiludo de nos alliés russes, refusant, au mépris de formels engagements, de les secourir, les vaillants soldais s'étaient bientôt ressaisis. Le 8 mai, Poniatowski avait battu les Autrichiens à Qora ; le 13, il les écrasailà Sandomir, pendanlque, de son côté, Dombrowski repoussait l'ennemi sur la basse Vislule. A la fin de ce mois, l'armée polonaise était à Brody, sur les confins de la Volhynie. La paix triomphale était venue. Dombrowski restait toujours le général Dombrowski;.Ponialo\vskt recevait do l'empereur lo /grand cordon de la Légion d'honneur et un sabre d'une richesse merveilleuse; la reine de Naplos, Caroline, annonçait qu'elle al1

al1 inédits du chevalier de Cussy.


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lait broder pour le héros un schako de uhlan, mais plusieurs années devaient s'écouler avant que ce dernier et illustre rejeton d'une famille royale reçût le bâton de maréchal de l'Empire. Dans les rangs saxons, on voyait au contraire les Funck et les Thielman recevoir de l'avancement, an considération de services d'ailleurs réels ; el tout au long d'ordres du jour dictés par lui, Frédéric-Auguste félicitait ses troupes < d'avoir illustré la pairie ot montré leurs qualités guerrières t. »

L'Autriche abaissée, une Prusse annihilée, une Russie déçue par nos succès, ce spectacle était fait pour plaire aux Polonais. La Galicie restituée, ils croyaient plus que jamais à la reconstitution de leur anlique royaume, entrevoyaient avec confiance et orgueil la dernière pierre de l'édifice national, grande oeuvre do réparation à laquelle, selon eux, s'était consacré Napoléon. Quant à l'armée saxonne, grisée par les compliments du prince de Ponle-Corvo cl les récompenses libéralement distribuées par son roi, elle se sentait sincèrement éprise du renom militaire des aigles victorieuses. Ah ! quand à leur tète réapparaîtrait Bernadolle!.... Devant les manifestations de son entourage avide de gloire, l'homme pacifique qu'était Frédéric-Auguste dut parfois être bien étonné. Aux yeux de tous, no le comptait-on pas pour le plus fidèle ami du dieu de la guerre?.... Noyé dans les rayons de l'éblouissante épopée, il vivait des rêves assurément inattendus. El Frédéric-Auguste allait s'avancer, monter à la suilo du grand allié, plus haut encore dans celle voie jonchée de lauriers, voie resplendissante, si peu faite pour lui.

A peine lo Iralté de Vienne signé, Frédéric-Auguste était prossenti sur le désir de Napoléon de lo voir bientôt à Paris. Après son récent cl pénible exode, rien ne pouvait en ce moment être moins agréable au monarque saxon qu'un long voyage, fût-ce un voyage dans la capitale impériale; cl Bourgoing, comme Pilsach, eurent alors à faire preuve de toute leur habileté do diplomates. L'ancien Électeur n'avait rien à refuser à celui qui, l'associant à son étonnante fortune, l'avait fait roi et le comblait a toutes occasions. A rehaussement des paisibles Saxons, Frédéric-Auguste se décidait donc à quitter ses douces cl familiales habitudes du palais royal et, dans les derniers jours du mois de

1 Notes Gersdorf. Souvenirs inédits du chevalier de Cussy. >


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novembre, il mettait pied à terre devant les Tuileries. Pour un monarque aussi peu curieux t, et d'humeur aussi casanière que Frédéric-Auguste, ce fait de se transportera une telle distance de Dresde devait sembler presque extraordinaire, et, comme le doge génois débarqué à Versailles du temps de Louis XIV, il eût pu s'écrier en toute sincérité : c Ce qu'il y a do plus étonnant, c'esl de m'y voir «. •

On raconte que le grand maître des cérémonies de l'empereur, le comte Louis-Philippe de Ségur, étant, à celle même époque, arrivé on relard au levor de Napoléon, co dernier l'avait vertement réprimandé ; mais lo coupable s'en était tiré avec infiniment d'esprit : « Sire, avait-il répondu, aujourd'hui on n'est pas maiIre de circuler dans les rues. Je viens d'avoir le malheur do donner dans un embarras de rois dont je n'ai pu sortir plus tôt. Voilà la cause de ma négligence I » En effet, l'on pouvait voir alors à Paris tous les princes de la Confédération du Rhin et un nombre considérable de rois, tels que ceux de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg, de Weslphalle, de Hollande et de Naplos.

Frédéric-Auguste avait-il été mandé à Ports pour y grossir lo cortège do souverains gravilant autour du maître? Ou bien Napoléon avait-il voulu mettre à profit ses relations de profonde amitié avec le roi de Saxe, pour l'entretenir on particulier de divorce el de nouveau mariage, projets à la réalisation desquels convergeaient depuis longtemps toutes ses pensées?.... A noire cioyanco, ni archives ni chancelleries ne possèdent la preuve do démarches officielles faites par le cabinet impérial pour remplacer Joséphine par la fille du roi de Saxe. Mais, d'après les témoignages des contemporains, on peut déduire que Napoléon avait réellement songé à élover au rang d'impératrice des Français la modeste el vertueuse princesse Auguste. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Las Cases fait vaguement allusion aux conseils de Louis Bonaparte, de Clarkeel du cardinal Fosch dans ce sens. Un notable personnage, dont il a été plusieurs fois

1 Dans ses souvenirs inédits (souvenirs auxquels nous faisons de fréquents emprunts au cours de celle étude), lo chevalier de Cussy, qui fut secrétaire d'ambassade a Dresde à la Un du règne de Frédéric-Auguste, noto comme une chose étrange mais certaine, que ce roi, bien que protégeant les arts, n'avait jamais mis les pieds dans aucun des musées de sa capitale t

» Mémorial de Sainte-Hélène, t. V.


-13queslion

-13queslion ces pages, le marquis de Bonnay, rapportera quelques années plus lard la déconvenue ressentie par l'entourage de François 1er, quand Narbonne, pour vaincre les hésitalionsde l'empereur d'Autriche, fit négligemment remarquer que lo désir de son niai'tro était surtout d'avoir postérité, ot t qu'à défaut d'une épouse d'une race aussi illustre que celle des Habsbourg, il pourrait bien avoir des enfants légitimes avec uno personne saine et bien constituée comme la princesse Auguste *. > Étant minisire de Franco à Dresde sous Charles X, le comte de ttumlgny 2 entendait souvent le prince Antoine do Saxe, parlant de sa nièce Auguste, dire avec emphase : « Le roi (de Saxe) aurait pu choisir pour elle entre deux trônes d'impératrice 3. > Étrange caprice de la destinée I La simple et douco princesse Auguste, qui mourut vieille fille, a val télé en effet officiellement demandée en mariage par l'empereur d'Autriche on 1808 ; mais Napoléon s'était formellement opposé à celle union *. Et c'était ce même François 1er qui, deux ans après, donnait sa propre fille à l'empereur des Français l

Pendant son séjour à Paris, Frédéric-Auguste avait été comblé d'égards el do prévenances parle vainqueur de l'Europe. Aussi son admiration el sa reconnaissance atteignaient-elles aujourd'hui leur apogée. Si bizarre que cela puisse paraître, il élait même heureux pour la sérénité de l'aUtance franco-saxonne que le projet de mariage de Napoléon avec la princesse Auguslo fût plus ou moins resté secret. Catégoriquement pressenti sur uno pareille union, lo roi do Saxe ne se fût pas laissé griser par l'orgueil. Certes, il n'cûl point été influencé par les propos ridicules tenus, dit-on, par l'impératrice douairière de Russie &,

» Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.

1 Gendre du maréchal Mortier. 11 devint pair de France.

* Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.

* « J'at perdu, disait Napoléon a Sainte-Hélène, les destinées de celte pauvre bonne princesse Auguste, et J'ai en bien tort. Revenant de Tilsltt, je reçus à Marienvcrder un chambellan du roi de Saxe qui me remit une lettre de son maître. Il m'écrivait : « Je viens de recevoir une Ictlro do l'empereur d'Autriche qui mo demande ma fille en mariage. Je vous envoie cette lettre pour que vous me disiez la réponse que je dois faire. » A mon arrivée a DreBde, je condamnai ce mariage et l'empêchai. J'ai cù grand tort. Je craignais que l'empereur d'Autriche ne m'enlevât le roi de Saxe, mais au contraire, c'est la princesse Auguste qui m'eût amené l'empereur François, el Je ne serais pas Ici..., » Mémorial de Sainte-Hélène, t. II.

1 Lors du projet de mariage de l'empereur avec une princesse ru&se, ta


•-44mais

•-44mais si rigide catholique, n'aurail-il pas en cette occurrence suscité aux chancelleries des difficultés imprévues?....

Quoi qu'il en soit, la raison d'État avait prévalu. Une fille de l'antique cl hautaine maison de Habsbourg élait appelée à perpétuer la descendance du soldat heureux. Frédéric-Auguste fut un des premiers à se féliciter de celle union, dont la consommation, en lui faisant entrevoir une paix durable, ôtait de son esprit toute crainte de lutte entre son dévouement à Napoléon et ses convictions religieuses.

Douce quiétude chère au coeur du paisible monarque t Pourquoi devait-elle sitôt s'enfuir el disparaître?.... A peine Frédéric-Auguste était-il do retour à Dresde qu'il voyait aux cieux de la Saxe et de la Pologne des nuages menaçants s'amonceler et s'épaissir.

IX.

Lors du séjour de Frédéric-Auguste à Paris, le puissant empereur des Français el lo modeste souverain saxon n'avaient pas, on le présume, parlé seulement du grand événement dont s'entretenait l'Europe entière, le prochain mariage do Napoléon. Devant l'insistance de Frédéric-Auguste pour la possession tant convoitée d'Erfurl et ses doléances sur la déplorable situation financière du grand-duché, lo cabinet dés Tuileries jouait l'étonnetncnl. Les territoires saxons n'avaient-ils pas élé arrondis, cl n'existait-il pas une convention do Bayonne? L'allié do Napoléon était vraiment difficile à satisfaire.... El déjà Champagny, prenant l'avantage, faisait pressentir à Pilsach * les légitimes desiderata du mailre, en retour des bénéfices obtenus. Une augmentation des effectifs saxons s'impose. Quanl au blocus continental, Frédéric-Auguste ne doit point en oublier les prescriptions.

La période de paix désirée el enfin venue n'apportait pas lo repos au monarque saxon. 11 élait écrit, qu'une vie errante, vie

veuve de Paul t«, des plus passionnées contre Napoléon et livrée à toutes les absurdités et aux contes ridicules répandus sur sa personne, s'était, parait-il, écriée : « Comment marierats-jo ma dite à un homme qui ne peut être le mari de personne? Un autre homme viendra donc dans le Ut de ma fllle si l'on veut en avoir des enfants t.... Elle n'est pas faite pour cela. » Mémorial de Sainte-Hélène, t. IV.

1 SenfTt de Pilsach avait succédé comme ministre des affaires étrangères de Saxe au vieux comte de Bose, décédé en 1809.


^ 45 - peu en rapport avec son caractère, serait désormais son lot. Dans le courant de 1810, encore çouvertdela poussière de son voyage de France, Frédéric-Auguste emmenait en Pologne la famille royale à peine remise des émotions de la guerre. Il avait à coeur de prouver sa fidélité à Napoléon. Poniatowski était parti pour, Paris, chargé des félicitations de la cour saxonne pour le pro- , chain mariage de l'empereur. Ainsi que nous l'avons dit plus ' haut, aucune arrière-pensée de regret ne se dissimulait sous ces ' compliments officiels. Par les égards et les prévenances que lui avait à maintes reprises témoignés Napoléon, Frédéric-Auguste se trouvait suffisamment payé de son dévouement. Une alliance plus intime avec le vainqueur de l'Europe eût accru peut-être son prestige, mais, dans sa sagacité, il no l'eut pas envisagée sans crainte. Comme lo prince de Ligne, il était de ceux qui pensaient i qu'un pareil gendre ne serait pas commode * ».

Maintenant que Gersdorf, l'un des chefs les plus justement estimés et aussi les plus enthousiastes de notre cause,.avait virtuellement pris en mains la direction des affaires militaires do la Saxe, Frédéric-Auguste s'acheminait donc vers Cracovie. En dehors do la satisfaction procurée à sa conscience par Tac» complissement de ses devoirs de souverain — et le roi de Saxe n'était pas homme à y faillir, — qu'espôrait-îl de ce nouveau voyage en Pologne? Compatissant sincèrement aux longs malheurs de ce pays, à une détresse financière lui apparaissant insurmontable, en dépit des encouragements et des semi-promesses du grand allié, il est probable que Frédéric-Auguste, à défaut de résultats pratiques, escomptait tout au moins des acclamations consolantes, des vivais empressés. Une cruelle déception l'attendait.

Dans l'esprit de Napoléon, aux bouillants Polonais il fallait un monarque réservé comme Frédéric-Auguste. Condition nécessaire d'une difficile administration, la pondération cependant ne suffisait pas. Du haut en bas de l'échelle sociale, Ie3 Polonais, ayant déjà h reprocher au gouvernement russe sa duplicité pendant la récente campagne, étaient on outre révoltés par les confiscations dont nombre d'entre eux étalent frappés par lo cabinet do SaintPétersbourg, qui ne prenait plus la peine de cacher son hostilité

Souvenirs inédits du chevalier de Cutty.


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à la cause française * ; et s'ils avaient souhaité la venue de Frédéric-Auguste, c'était dans l'espoir de lui faire partager leurs alarmes et leurs griefs. Or, qui trouvaient-ils pour écouler leurs doléances indignées? Un monarque dont le caractère ne tendait qu'à pousser la conciliation à l'extrême, ou des conseillers, bien intentionnés mais prudents, comme Boùrgoing et Pilsàch, encourageant Frédéric-Auguste à modérer l'effervescence de la nation. Au lieu de répondre à l'enthousiasme belliqueux des Polonais, le grand-duc ne songeait qu'à remédier a la détresse de ses sujets, s'appliquait à chercher une issue possible dans le dédale de là convention de Dayonne, celte mesure déplorable. Loin de s'aplanir, les difficultés d'une fausse situation qui durait depuis deux ans s'accentuaient. Malgré tout, Frédéric-Auguste s"e raidissait contre la fatalité, voulant croire au salut. A Napoléon tout n'élail-il pas possible?.... Mais le conquérant pensait avoir assez fait pour la Pologne. Et bientôt vint l'instant où le grand-duc, ce souverain si désireux d'adoucir les maux de ses sujets et qui eût tant souhaité la réalisation de leurs espérances, passa aux yeux des patriotes pour un monarque non seulement indifférent à leur sort, mais hostile aux voeux nationaux. Digue à tous égards des sympathies des fiers et turbulents Polonais, Frédéric-Auguste se trouvait, par un cruel malentendu, définitivement rejeté do leurs coeurs.

Mécontentement et exaltation des Polonais, conduite équivoque d'Alexandre, mauvais vouloir do la Prusse, envenimant à plaisir les disputes sorties de la fatale convention de Dayonne, c'en était assez pour faire sentira Frédéric-Auguste que la paix n'était pas durable, et il dut se dire alors que, pris entre ses attaches allemandes et ses affections napoléoniennes, les dures épreuves allaient redoubler. Rentré à Dresde, le sagace ttourgolng venait de laisser tomber devant Gersdorf quelques graves paroles : « l'out craque ; cela sent la poudre *. »

Brillant de l'éclat de ses victoires, ébloui par un mariage trompeur, Napoléon n'entendait pas désarmer devant l'indomptable résistance de l'Angleterre. Le tt août de cette année 1810, le décret de ïrianon aggravait les rigueurs du blocus conlinon*

1 Des lo début do Tannée 1810, un ordre du tsar rappelle en Russie tous les Polonais y possédant, sous peine de confiscation do leurs biens. * Souvenirs inédits du chevalier de Cutsy,


tal. Frédéric-Auguste acceptait depuis longtemps l'infaillibilité de son illustre allié, et, dans son entourage, il approuvait un système dont le but était de réduire une orgueilleuse nation, mais, confiant dans l'affection du grand homme, il avait jusqu'ici réussi à soustraire ses sujets à des mesures dont l'application serait la ruine du pays. C'est ainsi que, en son inconscientégoïsme de roi modèle, raisonnait Frédéric-Auguste. Or, Napoléon ne l'entendait pas ainsi. Ami ou ennemi. Pas de milieu. Ses alliés n'étaient pas des neutres. Ils devaient sacrifier leurs intérêts particuliers au but général. Dans le nord de l'Allemagne, le maréchal Davousl lo fit bien voir, en procédant à des perquisitions ridiculement minutieuses et en faisant brûler sans hésiter toutes les marchandises d'origine suspecte.

De pareilles mesures, qui frappaient à mort un pays industriel comme la Saxe, étaient — le croirait-on?— prescrites par le ministre Pilsach lui-même '. Jusqu'à ce jour, les pacifiques populations saxonnes s'étaient montrées, devant les menées des sociétés patriotiques de l'Allemagne, hésitantes, réfraclaires même. Aujourd'hui elles leur devenaient favorables. Le TU* gendbund pouvait se réjouir.

Napoléon venait de réunir la Hollande à l'empire. Bientôt il annexait le grand-duché d'Oldenbourg, puis les villes hanséatiques. Où s'arrêterait-il ?.... De toute une Allemagne en proie à une profonde détresse financière et commerciale, montait une fermentation à laquelle le conquérant restait sourd ; car le fidèle Uourgoing lui-même tombait parfois dans ce travers si répandu chez les agents de l'empereur, voire les plus surs : tenir cachées les nouvelles désagréables. Quant à Frédéric-Auguste, il n'avait besoin de personne pour voir l'abîme se creuser de plus en plus, et pour constater que rien que la force ne maintenait dans le parti de la France tous ces pays conquis ou annexés. Pourquoi donc, dira-Ion, le roi de Saxe n'averlissait-il pas son allié?.... Les ambitions orgueilleuses de Napoléon'semblaient avoir atteint le faite.... Peut-être eùt-il écoulé celle voix amie.... Le,silence de Frédéric-Augusle s'explique. 11 avait déjà imploré l'appui de l'empereur pour les finances du royaume et du grand*

1 Les marchandises coloniales et autres, provenant du commerce

anglais, seront mises sous séquestre... » Pilsach a Talleyrand, octobre 1810.


.-48duché.

.-48duché. venir en aide à ses sujets, il avait largement puisé dans ses caisses personnelles, avait abandonné aux universités saxonnes la jouissance de ses revenus de l'ordre leutonique '. Dovanl le déficit effroyable et toujours grandissant, tout cela,ce n'étaient que quelques gouttes d'eau dans la mer. Et FrédéricAuguste constatait tristement l'impopularité s'allachanl en Saxe au nom de Napoléon, la misère croissante et le malaiso général de ses peuples, dont la ruine ne profitait qu'aux bailleurs de fonds à gros intérêts, c'est-à-dire aux seuls juifs. Comment mettre fin à une situation qui fatalement s'aggravait chaque jour?,... Alors, en face du despotisme de Napoléon, FrédéricAuguste considérait la louche altitude de la Hussio, Cette puissance massait ses troupes sur les frontières de la Pologne, et, en toute sincérité, de même que François 1er en 1809, aujourd'hui Alexandre lui semblait un agresseur dont les coupables procédés méritaient, selon lui, la colère de l'invincible empereur. * N'est-il pas étrange de noter qu'au printemps de 1811, la guerre, h non seulement apparaissait inévitable à l'honnête et paisible Frédéric-Auguste, mais que celle guerre, il la considérait comme le juste châtiment encouru par le isar ; et c'était aussi l'unique moyen de sortir de l'impasse où lui, roi de Saxe et grand-duc de Varsovie, était engagé?.... Sur ce seul point, ses sentiments étaient conformes à ceux des Polonais.

Les Saxons reprochaient amèrement à leur roi de favoriser à leur détriment les sujets du grand-duché. C'était Ponialowski qui avait été complimenter Napoléon à l'occasion de son mariage; c'était encore un Polonais, le comle Zamoïski,que Frédéric-Auguste avait député à Paris lors de la naissance du ltoi de ' Home. Poursuivi par la jalousie do ses chers Saxons, le monarque attristé parlait de nouveau pour Varsovie, dans l'ultime espoir d'y réchauffer son ardeur guerrière. L'indifférence qui lui fut témoignée dans ce voyage lui fut d'autant plus cruelle qu'il n'avait plus pour le consoler le sage Oourgoing, mort dans l'été

> • Les biens de Tordre leutonique en Saxe étant dévolus au roi de Saxe en vertu de l'article 12 du traité de Vienne, Sa Majesté n'en a pas moins laissé la jouissance au commandeur et les a réunis depuis, non a son domaine, mais à la dotation des Universités saxonnes, sauf la somme arrêtée dans un arrangement postérieur pour servir d'indemnité aux chovaliers investis de l'expectative. » Exposé de la marche politique du roi de Saxe.


-49de

-49de année. Le vieux diplomate avait été remplacé par le baron de Serra, Génois d'origine, qui, tout habile qu'il fût, manquait du tact parfait caractérisant son prédécesseur *.

Pendant qu'en Saxe les sociétés patriotiques recrutaient des adhérents de plus en plus nombreux, tout était à la guerre. L'actif Gersdorf n'omettait aucun détail et continuait une nouvelle réorganisation de l'armée, tenue en haleine par dos chefs jeunes et dévoués à notre cause. Heynier venait d'arriver à Dresde prendre le commandement du contingent. Du côté delà Pologne, Poniatowski procédait sans peine à des augmentations d'effectifs, et le général français Haxo veillait à la mise en état des forteresses,

On nous en voudrait de nous appesantir sur les mille incidents militaires et diplomatiques qui précédèrent la désastreuse campagne de Russie; mais, ce qu'il importe do constater en celte élude, c'est qu'au début de 1812, les caractères des personnages qui nous occupent sont renversés. Frédéric-Auguste voit arriver la guerre, sinon volontiers, du moins comme un mal nécessaire, ainsi que le patient considère l'opérateur qui va n lo soulager. Napoléon, au contraire, tergiverse, hésite. Ce près- \ sentiment, que les immensités de l'empire moscovite lui seront fatales, lo hante. Déjà, en 1807, après le triomphe do Friedland, il n'a pas osé franchir le Niémen Le puissant empereur continue ses négociations avec Alexandre, lui propose l'abandon de l'Orienl. Il indemnisera le grand-duc d'Oldenbourg par Erfurt et^ de notables arrondissements Peut-être même ira-l-il jusqu'àsacrifier la Pologne !.... Devant le dénouement attendu et inévitable, Napoléon lo conquérant recule, recule toujours....

Cependant, muni de ses instructions secrètes, lo perspicace Nafbonne tentait une démarche suprême, essayait de tirer au clair la politique du tsar. Attente angoissante et insupportable pour celui qui, jusqu'ici,.avait parlé en maitre t,,„ El brusquement, le 9 mai, après avoir fait signer par le Sénat le décret de mobilisation dos gardes nationales, Napoléon décida le départ de la cour pour Dresde. Là, il serait plus à portée des événements.

1 a M. de Serra succéda au baron de Bourgoing, mais il ne le remplaça pas complètement. M. de Bourgoing était irremplaçable. » Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.

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-50A.

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Napoléon avait quitté Paris, emmenant l'impératrice, sa maison militaire et sa maison civile. H avait résolu de manifester sa puissance aux yeux du monde, en déployant dans la capitale saxonne une grando magnificence.

H existe plusieurs documents concernant le séjour des souverains français à Dresde. Les plus curieux sont certainement des notes journalières et anonymes, semblant émaner de fonctionnaires saxons à l'adresse de Duroc ». Hien mieux quo ces rapports ne peut donner une idée du prestige napoléonien à celle époque.

Frédéric-Auguste avait envoyé d'avance à Plauen, pour y recevoir ses illustres hôtes, le baron do Friesen * et lo général do Gersdorf. Le samedi 16 mai, lo roi et la reine de Saxe, qui s'étaient rendus la voille à Freyberg* arrivèrent à Dresde avec l'empereur et l'impératrice, <• après onze heures du soir, tandis qu'on fil une décharge d'artillerie de cent coups de canon et au son de toutes les cloches, en passant par une haie formée d'une garde française qui se trouvait à Dresde, de la garnison d'ici et des gardes nationales, depuis la barrière de Freyberg jusqu'au château 3 .... > Le dimanche 17, c vers le midi, on chanta dans toutes les églises de la capitale, pour l'heureuse arrivée do Sa Majesté impériale et royale, le Te Deum, pendant la décharge de trois fois douze, ainsi que do cent coups de canon, et une triple décharge de mousquelerie dos gardes grenadières..,. A quatre heures et demie, S. M. l'Empereur des Français daigna faire une visite chez S. M. la reine, puis chez l'épouse du prince Antoine, et chez S. A. H. la princesse Elisabeth 4.... » Les monarques autrichiens sont arrivés à Dresde le lendemain de l'entrée (riomphaledu couple impérial. Napoléon est ici le mailro. Chaque jour, « il y a lever chez S. M. l'empereur de France s. »

> Bibliothèque nationale. Papiers de l'Empereur et fonds fr. 3599. La Nouvelle Revue rétrospective de juillet 1000 a publé une partie do ces curieux rapports.

1 Grand chambellan du roi do Saxe.

* Bibliothèque nationale, Rapport cité plus haut.

•/Mtf.

» ïbid.


-61Fêtes

-61Fêtes galas se succèdent sans interruption. Les fonctionnaires saxons notent avec admiration, le 20 : c A quatre heures, S. M. l'empereur de France sortit en voiture avec S. M. la reine de Wcstphalio, et daigna honorer la ci-devant vigne de Findtaler <.... > Le 28, toute la cour s'est rendue à Morilzbourg pour une partie de chasse. Les souverains de France, d'Autriche et do Saxo sont montés à cheval, escortés par lo grand-duc de Wurlzbourg ol les autres princes, c On y a couru et tué deux sangliers *. »

Ce séjour de Napoléon à Drosde fut, sans contredit, l'époque de sa plus haute puissance. Selon les expressions de Las Cases, il y parut « lo roi dos rois. » On n'avait d'yeux que pour lui, et il en était à être obligé de témoigner qu'il fallait qu'on s'occupât de l'empereur d'Autriche, son beau-père. C'était Napoléon qui fixait l'étiquette et donnait le Ion. « Son luxe et sa magnificence iïurenl lo faire paraître unroid'Asio 3. • Parfois, « il faisait passer François devant lui, et celui-ci en était dans le ravissement *. »

Quelles réflexions doit inspirer le récit de ces égards de gendre à beau-père, que le soldat parvenu daigne témoigner à l'ancien potentat du Saint-Empire, au chef de l'antique et fière mai-# son de Habsbourg !.... Grandeur et décadence !.... Le jour est proche où Napoléon, lui aussi, pourra méditer sur les vicissitudes humaines !

Oui, Dresde, à celte époque mémorable, avec son faste splendide et ses hôtes illustres, offre un des spectacles les plus étonnants que nous présente l'histoire. L'esprit finit par s'habituer à la présenee do l'empereur d'une Autriche vaincue, accouru pour saluer bien bas son vainqueur. Après loul, n'esl-il pas là en famille?.... Mais que dire du roi de Prusse, assistant à ces fêles données en l'honneur do ce'i qui, depuis Iôna, l'accabla sans merci? Il est arrivé le 20, et occupe dans le Taschenberg les appartements du prince Maximilien. Le lendemain, « à onze heures, accompagné du princo royal de Prusse, il'ai sa visite chez Sa Majesté l'empereur de Franco 5. » Dépouillé par un im«

im«

* Ibid.

* Mémorial de Sainte-Hélène, t. II.

* Ibid., t. II.

1 Bibliothlque nationale. Rapport cité plus haut.


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pitoyable conquérant, le malheureux Frédéric-Guillaumo n'en était plus à une humiliation près, et, pour sauver les débris de sa couronne, il avait eu le triste courage do venir se presser, avec respect, dans co cortège de rois. Dures nécessités!....Mais le roi de Prusse n'avait oublié ni l'abaissement de sa patrie ni la mort de la reine Louise. Comme un cantique de consolation, il entendait des notes discordantes percer, monter du milieu de cesfôleséblouissantes.C'élaientlos acclamations donllesaluailla population saxonne. Et refoulant ses larmes de honlo et de douleur, Frédéric-Guillaume se disait que bientôt luirait le jour de la vengeance.

Narbonne était parti pour Wilna, le 24 avril? Lo 28 mai, il rapportait à Napoléon les paroles mêmes d'Alexandre : « Le sort d'un empiro long et large comme le mien ne dépend point d'uno bataille ; ce n'est qu'au fond do la Sibérie que je signerai une paix ignominieuse. » Le lendemain, à trois heures et demie du matin, accompagné du prince de Neuchalel, l'Empereur parlait pour l'armée. Le sort en était jeté. 11 se lançait dans l'inconnu....

Six mois après, Napoléon passait de nouveau à Dresde, qu'il traversait incognito et en hâte. Quel contraste entre cette halte furtive de quelques heures et le séjour du printemps précédent! Alors, c'était l'accueil triomphal, les représentations grandioses, le concours empressé et les adulations des princes. Maintenant, c'était, en celle nuit lugubre du 14 décembre, l'arrivée inattendue et mystérieuse, puis le départ précipité, presque la fuite.

Accablé sous lo poids d'un désastre sans exemple, et sous le coup des fâcheuses nouvelles reçues de Paris ', Napoléon avait, en effet, remis, le 5 décembre, le commandement de l'armée à Mural. Jugeant sa présence nécessaire dans la capitale *, il s'était résolu à franchir, coûte que coûte, en pays ennemi, la distance qui le séparait du Niémen, ce fleuve fatal dont le passage avait marqué pour lui l'heure des catastrophes.

« Conspiration de Malet, 2 octobre 1812.

* « Rn voyant l'Empereur quitter l'armée, le général Delaborde me dit avec son bon sens ordinaire : «lia raison ; il n'a plus rien à faire ici. C'est en France que son devoir l'appelle sans larder. 11 a comme empereur, à Paris, dix fois plus de valeur qu'au milieu de nous, près d'une armée marchant en désordre. > Souvenirs intimes du baron de Bourgoing.


Il faudrait lire en entier la relation du comte polonais Dunin Wonsowicz », pour so rendre compte des périls de cette chevauchée dramatique, quo l'on serait tenté de qualifier do romanesquo, si elle n'empruntait tant do grandeur à la qualité dos porsonnages.

A Ozmiana, en so jetant dans son traîneau, Napoléon avait dit aux lanciers polonais formant son escorle : « Je compte sur vous tous, Marchons ! Observez bien à droilo et àgauchedela route. » Puis il avait ajouté : « Dans lo cas d'un danger certain, tuez-moi plutôt que de me laisser prendre. » Et les braves Polonais de s'écrier : < Nous nous laisserons plutôt hacher que de souffrir qu'on vous approche 2. » Celte nuit-là, lo thermomètre descendit jusqu'à 28 degrés Héaumur au-dessous de zéro. A quelques î lieues d'Ozmiana, le nombre des cavaliers d'escorto était réduit à cinquante; au point du jour, quand on atteignit la poslo de Hownople, les Polonais n'étaient plus que trente-six 3 !... Mais ne nous attardons pas sur les péripélies do celte course audacieuse, accomplie dans une saison et sous une latitude où les nuils durent dix-sept heures, où, souvent privé de touleescorte, le traîneau de l'Empereur glissait, isolé, petit point changeant, invisible, perdu dans l'étendue blanche et sans limites.

On arriva ainsi à Dresde, le 14, à deux heures du matin, rue de Pirna, chez le baron de Serra. Voyageant incognito, l'Empereur recommanda de ne pas répandre la nouvelle *. Le comte Wonsowicz fut envoyé sur-le-champ au palais du roi. A une heure aussi avancée de la nuit, il'fut très difficile à l'envoyé impérial de pénétrer au château. Wonsowicz réussit cependant à se faire introduire jusque dans la chambre à coucher de Frédéric-Auguste, qui, réveillé en sursaut, contempla d'abord avec surprise et un peu de méfiance cet inconnu qui s'annonçait de la part de Napoléon. Les hésitations du monarque saxon ne furent pas de longue durée. Frédéric-Auguste écoulait l'aide de camp impérial, et déjà son coeur compatissant était ému au ré1

ré1 des plus intelligents et dévoués officiers d'ordonnance de l'Empereur le comte Wonsowicz, a écrit sous le titre de jfamientnicki (Souvenirs) une P relation fidèle de ces événements. V

* Souvenirs du corn le Wonsowicz.

» Ibid.

4 La plupart de ces détails sont relatés dans les Souvenirs intimes du baron de Bourgoing.


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cil du désastre de nos aigles. Il se lova à la hàto et partit pour la ruo de Pirna dans une chaiso à porteurs de louage.

Le roi de Saxo so levant brusquement au milieu de la nuit, à la requête d'un inconnu, et disparaissant en chaise do louage, sans dire à quiconque où il allait, c'était une étrange équipée propre à jeter le Irouble dans l'antique résidence électorale, soumise à l'étiquette la plusmélhodiquo, au calme le plus uniforme. La reine est effrayée au point d'en avoir une attaque do nerfs. On s'envisage avec effroi, les bruits les plus sinistres so répandent. L'inquiétude diminue lorsqu'on apprend quo l'inconnu a été accompagné par un lieutenant des gardes de Frédéric-Auguste. Mais, dans l'intimité du roi, on n'est complètement rassuré que lorsque les porteurs do la chaise rentrent avec l'ordre do fairo préparer une voilure de la cour pour ramener au palais lo monarque vénéré.

L'entrevue des deux souverains avait été très affectueuse.. Racontant à son fidèle allié les principaux événements de la malheureuso expédition, Napoléon ne dissimula aucune faute do celle entreprise, mais montra uno ferme coufianeodansl'avonir. Bientôt il reviendrait avec une armée formidable. .. L'empereur se mit à table et soupa en présence du roi de Saxo. Dès huit heures du matin, il so remettait en roule.

Eh quoi! ce fugitif qui avait avec peine échappé à la mort et à la captivité, cet homme qu'il venait do voir en cachette, c'était le puissant souverain q,ui, quelques mois auparavant, avait honoré do sa présence une capitale encombrée do rois guettant un regard et une approbation de l'hôte redouté.... Au contraste do celte récente apothéose et de l'effondrement soudain, Frédéric-Auguste était frappé de stupeur. La fortune abandonnaitelle donc le capitaine de génie?.... C'est ici qu'il faut rendre hommage à la fidélité du monarque saxon. 11 n'ignorait pas l'effervescence de l'Allemagne entière subissant frémissante le joug do fer du conquérant; depuis longtemps, il se rendait compte qu'aux premiers désastres la révolte éclaterait, terrible. Or, les récits de Wonsowicz et sa conversation avec l'empereur l'avaient édifié sur les horreurs de la lamentable retraite. 11 comprenait toute l'étendue de la catastrophe ; déjà il entrevoyait le dénouement. Tous les monarques qui, tour à tour, avaient plus ou moins trahi la cause napoléonienne, en voulaient à Frédéric-Au-


-55guste,

-55guste, seul prince allemand dont la loyauté, comme allié do la Franco, avait été innllérablo. Frappé d'ostracisme, le roi do Saxo se savait en butte au mauvais vouloir dos cabinets européens. Qu'il divulguât l'incognito do Napoléon et le fit arrêter, c'était, sans beaucoup se compromettre, rentrer en grâce près des cours. Mais la pensée de nuire à celui qui l'avait toujours traité en ami no vint pas à l'esprit de l'honnête Frédéric-Auguste Il garda son secret et ne prononça pas lo mol qui oui pu cloro l'épopée impériale, t 0 mon roi ! s'écriera à ce sujet l'élôgiaque Gersdorf, tu es le fidèle des fidèles ' ! >

Pourquoi, hélas ! ne pouvons-nous fermer ces pages sur ces paroles justement élogieuses?....

XI.

11 semblerait superflu et pidsque naïf de dire que la campagne de Russie portait une rude atteinte au prestige napoléonien, si nous ne devions noter ici les conséquences particulières qui allaient en résulter pour l'alliance franco-saxonne.

Lors du court passage de Napoléon à Leipzig, le 15 décembre 1812, le consul de France, M. Théremin, avait ainsi exprimé à l'empereur le nouvel état d'esprit de l'armée saxonne : « J'ai vu tout récemment à Leipzig des lettres d'officiers du contingent saxon qui a fait avec nous la campagne de Russie. Ces officiers racontent qu'ils ont perdu leurs bagages personnels, et ils en concluent naturellement, avec beaucoup de mauvaise humeur, que tout est perdu 2. > Cette déclaration de M. Théremin avait d'autant plus de valeur qu'il était l'agent de l'empereur dans une ville ayant eu moins à souffrir que les autres du poids de la guerre. Napoléon, poussé par un pressentiment instinctif, avait en effet, depuis longtemps, affecté de prendre sous sa protection spéciale les habitants de celle cité industrieuse et lettrée, principal centre de la librairie et du journalisme 3 ; il connaissait

• Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.

* Souvenirs intimes du baron de Bourgoing.

3 Parmi les mesures ou décrets étrangers & la politique et a la guerre que Napoléon data de Moscou, on remarque un ordre adressé le 33 septembre 1812 aux autorités compétentes, pour que l'exemption qu'il avait accordée deux ans auparavant à la ville de Leipzig, relativement au logement obligatoire des troupes de passage, fût scrupuleusement maintenue.


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l'influence que ses écrivains exerçaient sur l'esprit public de l'AUemagno, n'ignorait pas les sentiments de la célèbre université de Leipzig, foyer de ces nombreux érudits qu'il accusait de s'occuper beaucoup plus de politique que de métaphysique, de philologie ou do philosophie, ennemis secrets ou déclarés qu'il désignait fréquemment par lo mot idéologues.

De la simple phrase de M. Théremin, Napoléon pouvait déduire l'état d'àme des officiers saxons. Jusqu'ici admirateurs du génie de l'empereur, ceux-ci se trouvaient désabusés par les récents désastres. 11 n'était donc pas invincible, ce capitaine pour lequel lant d'entre eux avaient péri dans les neiges do la Russie ou sur les champs do bataille de la Moskowa et de'Biala! lia gloire de nos armes avait pâli; elle allait s'effacer peut-être. Pourquoi s'obslineraionl-ils, eux Allemands, à combattre et mourir sous les aigles françaises, pour le plus grand profit de Napoléon, au mépris des intérêts et des sentiments do leurs frères germains?.... Déjà beaucoup d'officiers de Frédéric-Auguste lisaient et commentaient avec passion les libelles gallophobes du Prussien Massenbach. On voyait les plus connus d'entre leurs chefs, comme les Thielman el les Langenau, coqueter avec nos pires ennemis et manifester à tout propos celte mauvaise humeur dont avait parlé le consul do Leipzig. Le malheur avait subitement changé à notre égard les dispositions du contingent saxon. Los tendances s'accentuaient rapidement ; elles devenaient inquiétantes, tournaient à l'hostilité. Si nos auxiliaires n'étaient pas encoro mûrs pour la trahison, du moins ils ne demandaient qu'une occasion de se dérober à ce joug napoléonien, naguère porté avec lant d'enthousiasme.

La politique française do Frédéric-Auguste aurail-elle résisté à révolution des sentiments de l'armée saxonne? On peut croire que l'honnèlo el loyal souverain, s'il eût senti derrière lui l'appui des cabinets prussien et autrichien, eût pu, confiant dans l'inaltérable affection de ses sujets, s'opposer longtemps à une orientation nouvelle. Mais aujourd'hui, l'ancien électeur n'en était plus à.deviner la volte-face imminente du roi de Prusse. La défection du général Yorck était significative *. D'un autre

* Bien qu'en celte étude nous n'ayons point à examiner l'état d'àme du rot de Prusse, il n'est pas inutile de faire remarquer que Frédéric-Guillaume ne


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côté, la puissance sur laquelle Frédéric-Auguste comptait tout particulièrement pour le maintien de l'alliance française allait précisément l'influencer dans un sens inattendu.

Travaillée par les idées germaniques qui devaient aboutir au mouvement national de cette année 1813, l'Autriche accusait, depuis l'issue malheureuse do la guerre do Russie, des dispositions incertaines, chancelantes et contradictoires : de la part de l'immense majorité des sujets de l'empereur François, un fonds incontestable do mauvais vouloir ; dans le coeur du monarque autrichien, un sentiment flottant entre l'intérêt que devait lui inspirer le sort de Marie-Louise el l'avenir du Roi de Rome, el d'implacables ressentiments. A Vienne, centre du réseau des intrigues européennes, un parti nombreux s'est formé, hostile à la France el menaçant Melternich d'une chute prochaine s'il ne se jette dans ses bras. M de Stadion est tout prêt à relever le portefeuille. Des ce moment, l'ambitieux ministre a adopté une politique à double fin qui doit lo maintenir aux affaires, quelle que soit l'issue des événements. Si le cabinet de Vienne demeure fidèle à la Franco et que celle-ci sorte victorieuse d'une lutte nouvelle, de grands avantages pourront lui être accordés par Napoléon. Que l'Autriche, au contraire, passe dans les rangs de la coalition, la parlie ne sera plus égale; la France sera probablement écrasée et François I" verra son pays reconquérir ses provinces perdues. De quel côté penchera 1l'astucieux Mellernich?.... Il prolongera, traînera les pourparlers, attendant l'occasion favorable pour se déclarer, ouvertement du moins, car, de fait, l'hostilité des Autrichiens est connue, et il faut être naïf comme Otto ou aveugle comme Serra pour se laisser prendre aux belles paroles de Melternich el ne pas dénoncer à Napoléon les menées d'un cabinet qui, sous le prétexte d'armer à notre profit, met toutes ses troupes sur le pied de guerre. Posée en. médiatrice, l'Autriche montre donc uno politique toute française par les apparences, mais toute russe et anglaise par le fond. Pendant que Melternich dit à Otto : « Lo rétablissement de la paix est le voeu le plus cher de mon pays, » Schwarzenberg,

pardonna jamais, dans le fond du coeur, au général Yorck l'exemple de défection donné au monde par les troupes prussiennes, le 30 décembre 1812. Le général Torck ne fut créé feld-maréchal qu'honorairement, en passant à la retraite.


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après une entrevueavec le conseiller russe d'Anslett, abandonne lu Pologne el se replie sur la Galicio.

Plus franche que l'Autriche, la Prusse vient de so démasquer. Lo 21 février, le prince de Hardenborg a signé avec la Russie un traité offensif, ot, le 20 mars, Frédéric-Guillaume invite ses sujets à se soulever contre la France, ce qui fait dire à Napoléon, plus perspicace que ses agents : < J'aime mieux un ennemi déclaré qu'un ami toujours prêt à m'abandonner. >

Un des principaux espoirs caressés par Melternich était de détacher Frédéric-Auguste de l'alliance française. A la poursuite doco but, ce n'était pas lant l'appoint de quelques milliers de soldats qu'il avait en vue que le considérablo appui moral que, selon lui, donnerait à la cause de l'Allemagne la défection de l'ancien électeur de Saxe, le plus important souverain de la Confédération du Rhin, cette oeuvre napoléonienne qu'il s'agissait de désagréger. Le ministre autrichien avait la parlie belle. Pour favoriser ses intrigues, Melternich avait en effet pour lui toute la population et l'armée de ce royaume créé par Napoléon. El près de Frédéric-Auguste, qui voyait on pour maintenir le pays dans la voie si fidèlement suivie jusqu'alors?.... Lo prince Antoine, séduit par les avances réitérées de l'Autriche, avait, sans esprit do retour, ainsi que Marcolini lui-même, oublié ses enthousiasmes napoléoniens. Quant au premier minisire, Sentît de Pilsach, lui si longtemps dévoué à notre cause, il était aigri par les mesures maladroites de Davoust < et accusait un revirement certain contre les Français. En comptant FrédéricAuguste, il n'y avait plus, au dire de Gersdorf, que quatre Saxons favorables à noire alliance ?. Si, PU moins, nous avions eu à Dresde, pour conlre-balancer l'influence autrichienne, un agent hors de pair ! Mais Bourgoing,« l'irremplaçable Bourgoing, »> était, on le sait, mort depuis longtemps, el le baron de Serra n'était pas de taille à lo faire oublior. Par ailleurs, le ministre de Frédéric-Auguste à Vienne, le général de Watzdorf, accueilli

i Davoust faisait décacheter à la poste la correspondance des principaux fonctionnaires saxons. Le 10 mars, sous le prétexte de faciliter la défense de Dresde, il n'hésite pas a faire sauter deux arches du pont monumental dont les Saxons étaient si fiers.

1 • 21 mars.... Tous sont contre lui (Napoléon). Mon bon roi, Gabtenz, Zeschau et moi, voilà maintenant ses seuls amis I • Notes Gersdorf. Souvenirs inédits du chewlier de Cussy.


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avec distinction el adroitement circonvenu par Melternich, renchérissait sur les avantages d'une neutralité devant amener celle paix du monde rêvée par son honnête souverain,

Lors de celle lente évolution qu'accomplissait la politique de la Saxe et dont Serra était peut-être le seul personnage à ne pas s'apercevoir, il ne faut pas voir dans l'âme do FrédéricAuguste une idéo, si vague qu'elle fût, de défection. Le roi saxon n'entend même pas être désagréable à Napoléon. Bien plus, il désire el croit sincèrement lui rendre service, car, ce qu'il espère, c'est amener, par la force des choses, son allié à accepter la médiation de l'Autriche. Frédéric-Auguste ne s'est livré à aucune démarche hostile à la France. Devanl les progrès des armées russes, il a quitté Dresde pour Plauen et repoussé les conseils insidieux du général Benkendorf. Les Russes el les Prussiens envahissent la Saxe, il s'enfuit à Ratisbonne. C'est alors quo les habitants de Dresde, voyant Reynier évacuer leur ville, ont poursuivi les Français de cris de mort el acclamé l'entrée des Prussiens. Prise de l'enthousiasme national, l'armée saxonne frémit dans l'attente de la délivrance germanique; déjà ses rangs se sont ouverts pour laisser passer les transfuges; les chefs ne guettent qu'un signe, qu'un encouragement de leur roi, pour faire cause commune avec les coalisés. Ce signe, Frédéric-Auguste no lo fait pas. A ce moment, il révèle même une énergie insoupçonnée en prescrivant à ses généraux de n'obéir qu'à ses ordres personnels. S'il a refusé à Durulle, puis à Ney, sa cavalerie, il décline aussi les proposilious de la Prusse (16 avril). Il veut prouver à la face de lous sa neutralité et, de celte résolution, il a informé Napoléon lui-même.

Ceci n'est pas pour satisfaire son allié. La fable des os de Cadmus a renouvelé ses merveilles; le grand capitaine a frappé du pied la terre de France el près de 600,000 hommes ont élé debout en quelques mois Mais d'autres milliers de soldais doivent se joindre aux siens. Que fait donc le contingent saxon?.... El l'armée de Ponialowski?.... Celle-ci, qui avait élé séparée du 7e corps après le combat de Kalisch, reslail dans les environs de Cracovie sous la protection apparente de l'Autriche, à la suite de l'armistice conclu enlre celle puissance el la Russie. Les troupes polonaises ne semblent pas près de rejoindre nos aigles, car le perfide Melternich traîne en longueur les dé-


- 60marchos

60marchos à ce sujel avec Frédéric-Auguste. A ce déboire va s'en ajouter un autre plus pénible encoro au grand empereur. L'armée française manquo de chevaux et la magnifique cavalerie saxonne est le point do mire des ardents désirs de Napoléon. Frédéric-Auguste l'a refusée aux généraux français; à lui on lu donnera. L'empereur n'esl pas accoutumé à voir repousser ses demandes, et profonde est sa stupéfaction quand il reçoit l'aide de camp do son allié, porteur d'une lettre déclinatoire. A lui, Napoléon, Frédôric-Auguslo oso notifier un refus catégorique 1 Quoi! tout est-il changé à ce point?.... C'est là, suivant le lémoignago de l'impérial intéressé lui-même, le seul grief sérieux dont il fasse reproche au roi de Saxe au cours do celle année mémorable •.

Enfin Melternich a lieu de triompher. Frédéric-Auguste s'est décidé à accueillir les propositions de l'Autriche. Le 19 avril, emmenant avec lui sa cavalerie, il informe Napoléon de sa résolution de se rendre à Prague, appuie sur les considérations qui doivent engager l'empereur lui-môme à se prêter aux instances de l'Aulricho pour ramener la paix. Il envoie en même temps à son ministre à Vienne l'ordre de terminer par la signature les négociations entamées avec celte cour et quitte Ratisbonno le 20, pour se rendre par Linz à Prague, où l'empereur François lui a offert un asile pour lui, sa famille et ses troupes. La déclaration de Serra, que cette détermination l'oblige d'interrompre ses fondions, a aussi peu d'effet que les instances renouvelées de Napoléon contenues dans une lettre que le général Flahaul remet au roi i!e Saxe à Linz *.

Jusqu'ici, en dépit de la politique équivoque de la Saxe à celle époque, rien ne nous choque particulièrement dans l'attitude de Frédéric-Auguste. Même dans ce nouvel exode à Prague, il est dans son rôle : persister dans une ligno de conduite qui parait seule pouvoir s'accorder avec ses sentiments et les intérêts de son peuple. Tout prouve sa loyauté. Il n'a agi que par amour de sa-patrie; il n'a pas rompu avec son allié, n'a pas traité avec les coalisés, mais a seulement accédé au système de neutralité

1 Le refus de sa cavalerie au printemps, voilà la seule peine que m'ait

causée votre roi t » Napoléon à Gersdorsf, 27 août 1813. Notes Gersdorf. Souvenirs inédits du chevalier de Cussy.

* Exposé de la marche politique du roi de Saxe.


1 SenfTt de Pilsach à Serra, 19 avril 1813. Archives de l'auteur. 1 Exposé de la marche politique du roi de Saxe.

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préconisé par l'Autriche. Dans cette manoeuvre, il est victime de l'erreur du général do Walzdorf, trompé par un perfide collègue. La veille du dépari de Ralisbonne, le 19 avril, Senfft de Pilsach a en effet écrit à Serra : « ....Le roi ne saurait se refuser à l'espoir de voir approuver par son auguste allié une marche qui a pour but un objet d'inlérôl commun, celui do contenir, en lovant, par la proximité du séjour de Sa Majesté, tous les doutes sur sos véritables inlentions, l'essor dangoreux que los esprits menacent de prendre en Saxe et d'empêcher ainsi la propagation do ce vertige qui serait si fort à craindre par ses suites dans lo nord de l'Allemagne. Le roi désire el espère vous voir bientôt à Prague et voir justifier, par votre témoignage sur l'événement, la convenance de ses mesures et le succès de la marche qu'il croit devoir suivre '. » Quant à Walzdorf, il a signé à Vienne avec Melternich un concert portant en substance « que tous les moyens à la disposition du roi seraient employés, d'accord avec l'Aut.'iche, pour l'appui de la médiation qu'elle avait offerte; quo Sa Majesté consentirait à la cession du duché de Varsovie, si ce poinl devenait- une condition indispensable de la paix et que, dans co même cas, l'Autriche s'obligeait à faire obtenir au roi une indemnité convenable en territoire, d'après ce que permettraient les circonstances 2. »

Sans doute, il esl pénible de constater la désinvolture avec laquelle l'honnête Frédéric-Auguste sacrifie d'avance le pays sur lequel ses aïeux el lui ont régné. Mais il était écrit que la pauvre Pologne servirait d'enjeu à toutes les intrigues el à toutes les compromissions et qu'elle serait toujours la grande crucifiée des nations. Moins d'un an auparavant, lorsque le sénateur Wibiecky, chargé par la diète de Varsovie d'exprimer les voeux de ses concitoyens, a dit à Napoléon : * Sire, dites que la Pologne existe, et votre décret sera pour le monde l'équivalent de la réalité, » le conquérant, au lieu do répondre les trois mots attendus : « La Pologne exista, » s'est dérobé dans un long discours rempli de témoignages de sympathie et do vagues promesses, verbiage insignifiant dont la seule phrase catégorique est une déclaration déconcertante pourles patriotes


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polonais : c J'ai garanti à la cour de Vienne l'intégrité de ses domaines. » Comme on le voit, dans cet abandon éventuel de la Pologiiu, Frédéric-Auguste ne fail que sutvre un illustre exemple.... Connaissant la réelle affection du roi de Saxe pour ses sujets polonais, le sacrifice de la cession du duché de Varsovie, porté à la cause de la paix, doit suffire à prouver le dévouement de Frédéric-Auguste pour ce but sacré el la pureté de ses intentions. Nous n'allons pas toutefois jusqu'à dire avec ce monarque : « Celle conduite était la seule assortie aux circonstances *. >

Arrivé à Prague lo 27 avril, Frédéric-Augusle s'empresse d'expédier à Vienne le général Langenau pour concerter avec le minisire de l'empereur François les mesures militaires conformes au système commun qu'on va suivre, et il renouvelle en même temps au gouverneur de Torgau l'ordre donné à Rails-* bonne do n'ouvrir celte placo à aucune troupo étrangère, sans exception. Le 3 mai, il reçut une lettre du duc de Weimar l'avertissant du passage de Napoléon par cette capitale, ainsi que des dispositions marquées par l'Empereur à son égard. Le duc disail rendre les propres paroles du souverain français, conformément à la demande expresse de ce dernier. « Je voux que lo roi de Saxe se déclare; je saurai alors ce que j'aurai à faire; mais, s'il osl contre moi, il perdra tout ce qu'il a *. > Le baron de Serra était à Prague depuis le 6 mai. Sous prétexte d'être chargé d'une lettre de son maître, il obtint do Frédéric-Auguste une audience dans laquelle, lui exposant toul le danger de sa position vis-à-vis de la France, il lui réitéra la demande do l'Empereur de lui expédier sans délai lout ce qu'il avait de troupes avec lui. Ce que ce ministre avait dit au roi de Saxo dans la matinée, il lo répéta dans une noto remise l'après-midi, et il y joignit l'avis « qu'à moins d'une prompte accession à la de* mande de Napoléon, il se trouverait dans l'obligation do remettre uno nouvelle noie rô«»tgéo dans des termes plus péremploires 3. » Rien de lout ceia n'influençait Frédéric-Augusle. Il attendait, en effet, depuis plusieurs jours, un envoyé autrichien qui devait lui fournir certaines explications complémentaires sur les mesures militaires prises par sa cour, ainsi que sur lo

» Exposé de la marche politique du roi de Saxe. » Ibid, » Ibid,


- 63résultat

63résultat négociations entamées entre le cabinet de Vienne et les puissances coalisées. On conçoit que le relard de l'agent de Melternich devait singulièrement embarrasser le roi de Saxe dans un moment aussi critique.

Ce ne fut que le 7 mai qu'on apprit à Prague lo résultat de la bataille de Lulzen par le comte de Hohenlhal, qui avait été auprès de Napoléon en dépulalion de la ville de Leipzig, et envers iequel l'empereur s'était expliqué en des termes qui laissaient lout appréhender pour les Saxons el leur souverain. Le virulent discours de Napoléon était bientôt confirmé par un rapport officiel de la commission executive de Dresde. Ce gouvernement provisoire s'était présenté au vainqueur à son arrivée dans la capitale, el on sul que Napoléon s'était surtout montré irrité du refus du gouverneur de Torgau d'ouvrir la place aux troupes françaises, d'autant plus quo le général saxon avail élé jusqu'à parler, à celte occasion, d'une alliance intime avec la cour d'Autriche. S'il fallait encore d'autres preuves delà colère de l'empereur, voici qu'arrivaient à Prague le comte Georges d'Ëinsiedel et lo colonel de Monlesquiou, chargés d'annoncer à FrédéricAugusle que Napoléon était à Dresde, et qu'il proposait au roi de Saxe l'alternative péremploire : ou de relourner dans sa capitale, de remettre aux Français la place de Torgau avec loutes les troupes saxonnes, el de satisfaire à ses obligations comme membre de la Confédéralion du Rhin, ou de voir traiter ses États comme conquis par la France, On accordait à Frédéric-Auguste deuon heures seulement pour une réponse catégorique <.,.. Dans quels affres devait se débattre le pauvre roi do Saxe 1,,.. La plus grande partie de son pays so Irouvail à hnnerci du vainqueur et exposé à toutes los violences que pouvait lui suggérer son ressentiment. Les armées alliées ayant abandonné l'Elbe, il était à prévoir quo Napoléon étendrait sous peu ses opéralions sur lout le royaume, A peine restait-il une lueur d'espérance de pouvoir utiliser ses ressources pour la cause delà paix. D'ailleurs, Frédéric-Auguste ne pouvait alléguer envers Napoléon son arrangement avec la cour d'Autriche, sans le consentement de celle-ci ni sons la compromettre mal à propos, tondis qu'en cédant aux sommations du souverain français, il conservait ses

1 Exposé de la marche politique du roi de Saxe.


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États et ménageait au cabinet de Vienne le loisir et la spontanéité indispensable pour aboutir au but rêvé.,.. Enfin, le sort d'un peuple chéri dépendait peut-être pour longtemps do la décision de ce moment.. .

Lo 9 mai, se produisait un nouveau et subit revirement de la politique de Frédôric-Auguslo. Devant les notes comminatoires de Napoléon, il retournait à l'alliance française abandonnée le

10 avril. Étant donnée la haute idée qu'on avait de la droiture du caractère du roi de Saxe, ces évolutions successives à des dates aussi rapprochées sont faites pour déconcerter. Cependant, ne nous montrons pas plus sévères que les contemporains, acteurs ou spectateurs, et non des moindres, do ces événement. Alors que, dans son entourage, Melternich commentait aigrement la nouvelle détermination de Frédéric-Auguste, il enlondail le prince de Ligne s'écrier hautement * que lout autre, à la place du roi do Saxe, n'eût pu faire autrement '. » Lo conseiller d'État saxon Auguslus Wendt, dans le rapport qu'il présenta au congrès de Vienne, pour plaider près des souverains coalisés la cause do son maître, s'exprima ainsi sur le retour inattendu de Frédéric-Auguste à l'alliance napoléonienne : « Tout homme impartial qui se rappelle les sensations douloureuses que lo résultat do lu bataille dcGoerschcn 2 fit naître parmi les esprits les plus courageux cl les plus dévoués à la grande cause de la coalition, jugera avec indulgence le parti que prit le roi de se rendre à Dresde, après avoir informé do sa résolution l'empereur d'Autriche, lo seul monarquo avec lequel le roi eût un engagement.

11 n'appartient qu'aux grandes puissances do persévérer, dans des circonstances pareilles, dans leurs conceptions el do tenir ferme aux principes qu'elles ont embrassés, fût-ce môme dans In perspective do sacrifices certains et pénibles, puisqu'elles conservent, avec ce qui leur roslo do pouvoir, l'espoir consolant de réparer leurs perles dans dos conjonctures plus favorables. Pour un Étal comme lu Saxo, la question so réduisait, dans les circonstances d'alors, à la triste alternative do lu conservation ou do la perle do son existence politique 3. » Quant au personnage qui, sans contredit, devait être le plus sensible h ces ava'

ava' inédits du chevalier de Cussy.

» Nom donné par les Allemands a la bataille de LutKcn.

1 Exposé de la marche politique du roi de Saxe.


- 65tars,

65tars, lui-même, s'il en voulait aux Saxons, et notamment aux habitants de Dresde, en raison de leurs bruyantes et cyniques manifestations gallophobes au cours de la présente campagne, il ne tint pas rigueur à Frédéric-Auguste. Lorsque le souverain français, couvert de ses lauriers de Lulzen, est rentré à Dresde le 8 mai, il a déjà oublié sa colère contre celui qu'il nomme toujours un allié fidèle. Le conquérant qui a lancé le violent ultimatum du 7 mai est-il bien le même que celui qui, le lendemain, pardonne aux Dresdois en leur disant : t Bénissez votre roi, il est votre sauveur t. »

Napoléon, si exigeant d'habitude el si entier dans ses jugements, réfléchissait-il aux vicissitudes humaines? Averti par les désastres de Russie, pressentant peut-être de nouvelles catastrophes, ouvrait-il son coeur à la pensée consolante de se ménager pour l'avenir un défenseur, si faible fût-il?.... Des défenseurs ?..., Certes, Napoléon n'avait qu'à prendre au hasard parmi tous ceux qu'il avait, semble-t-il, attachés à sa cause par los liens de la reconnaissance. Mais la reconnaissance était-elle de ce monde?.... Parfois le soldat couronné devait amèrement songer à Bernadolte, l'ancien sergent qui, de maréchal d'empire devenu prince royal do Suède, se révélait son plus mortel ennemi. Sans doute, pensait-il plus tristement encore à quelqu'un qui le louchait do plus près, à Murât, qui, comblé d'honneurs, avait lâchement abandonné les aigles françaises en péril, pour sauver sa royaulé au milieu du grand naufrage redouté 21..., Ces avant-goûts des défaillances et des pires trahisons ne sontils pas suffisants pour faire comprendre combien le conquérant, enfin désabusé, se considérait sincèrement heureux de se retrouver aux côtés do Frédéric-Auguste, ce prince qu'il avait depuis longtemps appris à estimer, el auquel il lui était agréable de témoigner hautement son amitié?,.,. S'il est, en effet, une chose digne de remarque, c'est de constater qu'en dehors des

* Histoire de Napoléon, T. V. Maurin.

1 Le 5 décembre 1812, a Smorgonl, Napoléon avatt laissé te commandement de l'armée à Mural. Mats celui-ci avait honteusement quitté nos aigles pour regagner ton royaume de Naples. C'est a ce propos que l'empereur écrivit à la reine Caroline : • Votre mari est un fort brave homme sur le champ de bataille, mais il est plus faible qu'une femme ou qu'un moine quand il ne volt pas l'ennemi. Il n'a aucun courage moral. » On ne pouvait apprécier plus justement Murât.

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appréciations inconsidérées de sa fameuse lettre du 7 mai, Napoléon, soit dans le cours de sa carrière d'empereur, soit dans le Iriste isolement de Sainte-Hélène, n'a jamais porté sur Frédéric-Augusle que les jugements les plus laudalifs.

Rentré à Dresde le 12 mai, le paisible roi de Saxo ne comptait plus ses exodes. De celto crise, la plus aiguë de son règne, il sortait sans être diminué dans l'amour de ses sujets si éminemment loyalistes. Au reste, en ces graves circonstances, qu'avaitil fait, sinon c céder à la force dans un temps où la condescendance envers la puissance prépondérante était devenue une maxime à peu près générale * ? » Et cependant, en dépit de la mansuétude témoignée par Napoléon, el malgré celle t raison du plus fort » et les louches dessous de la politique dans lesquels avail élé entraîné l'honnête Frédéric-Augusle, il sera, selon nous, au regard d'un Français, toujours pénible pour la mémoire du premier roi de Saxe de rapprocher ses altitudes si différentes à ces deux dates du 19 avril et du 0 mai 1813,

XII.

Le retour de la Saxo à l'alliance française avait eu, entre autres conséquences, celle de déterminer la retraite do Senfftde Pilsach qui, après avoir été un dos plus ardents champions du système de Napoléon, en était devenu, sous la pression de l'opinion saxonne, l'ennemi déclaré. Il était remplacé par le comte Dellev d'EInstcdel.

La victoire de Raulzen (20 mai) n'avait pu reconquérir le coeur des soldats saxons définitivement acquis à la grande cause germanique. Servie par les dures nécessilés de la guerre el les maladroites rigueurs des généraux de Napoléon, la propagande du Tugcndbund el les agissements de Slein avaient aujourd'hui accompli leur oeuvre. De nombreuses el inquiétantes démissions d'officiers so produisaient. On voyait deux des chefs les plus en vue, les généraux Thielman el Langenau, sortir avec éclat des rangs saxons pour aller servir, lo premier en Prusse, le second sous les drapeaux du tzar,

L'armée quo Frédéric-Auguste allait maintenir difficilement

1 Expoié de la marche politique du roi de Saxe,


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sous les aigles françaises pendant quelques mois encore nous donnait, à la date du 25 mai, un appoint réel de 13,000 hommes, défalcation faite des non-voleurs t.

Il ne nous appartient pas d'examiner en celle élude certains événements, tels que l'armistice de Pleswilz et le congrès de Prague, événements auxquels Frédéric-Auguste ne prit aucune part. Franchissons l'espace de trois mois, el nous retrouverons à Dresde Napoléon et le roi de Saxe, ayant devant eux 700,000 hommes auxquels ils n'ont à opposer que la moitié, mais compensant, il est vrai, l'infériorité numérique de leurs troupes par leur position avantageuse, tenant l'échiquier stratégique compris entre l'Elbe el l'Oder. A celle place même, nous avons donné, d'après le journal du lieutenant général de Gersdorf, quelques aperçus particuliers sur la bataille do Dresde 2. Nous ne nous y arrèlerons donc qu'en passant, dans le seul but de renseigner le lecteur sur l'état d'âme des officiers saxons à cette époque.

» Extrait de l'effectif des troupes saxonnes à la date du 23 mai 1813, signé par le lieutenant général de Gersdorf, chef de l'état-major général de l'armée saxonne. Archives particulières de l'auteur.

S État-major . 8 \

Génie ... 06 J

Artillerie. . 651 \ 8,614

Infanterie . 5,425 \

Cavalerie. . 2,431 /

i État-major » 0 \

Génie ... 91 ( . «-«

Artillerie. . 772 ( *,V 38

Infanterie . 4,080 /

( Artillerie. . 11)

C. Troupes en garnison a Dresde | Infanterie . 775 { 886

( Cavalerie. . 100 )

D. Troupes détachée» a Schmiedcfeld . . . | cJ^Jî; | ^j 57

K. Dépôts de cavalerie 485

[ fttat-major . 4 \

F. Troupes sous les ordres du général de V Artillerie. , 151 J

Gablenz (y compris les malades qui sont c Infanterie , 476 \ 1,157

en arrière). F Cavalerie. . 314 \

\ Ambulances. 182 /

G. En garnison à Glogau el Danztg .... Artillerie, . £80 280

Total général 16,437

* La bataille de Dresde, Bévue des questions historiques, numéro d'octobre 1001.


-08Ala

-08Ala du 20 août, Gersdorf écrit : c ....Le roi de Naples * loua mon zèle ; mais avec quel senliment pénible ne remplissais-jo pas en cette circonstance ce que je regardais comme mon devoir?.... Là, en face, étaient mes amis, mes camarades, qui se sont séparés de moi. Ici, combien me considèrent comme un mercenaire el me maudissent t Sois ferme, resle conséquent ; cela seul peut lo conduire au bul : voilà ma doctrine.... 0 mon bon roi i jamais tu ne pourras me.'récompenser pour ces heures de pénibles réflexions i Ce que je fais n'esl rien ; c'est mon devoir; mais ce que je souffre, ce que je dois supporter 2| » Pauvre Gersdorf t combien l'on comprend ses lamentations l.„. Le zélé chef d'êtat-major de l'armée saxonne sera, ha Ions-nous de le dire, fidèle jusqu'au boul à Napoléon ; mais comme il doit lui ètro péniblo de sentir celle arméo ronger son frein à nos côtés, et comme on s'explique ses perplexités croissantes, son embarras, son malaise, a certaines questions posées coup sur coup par (l'emperour des Fiançais i t 11 y a, lui dit Napoléon, deux généraux saxons dans les rangs ennemis : Thiolman et Langenau. Que pensez-vous d'eux?.... Peuvent-ils èlre utiles à l'ennemi?.... Croyez-vous qu'ils se montrent très actifs?..,. Ce serait mal de leur pari, car ils combattent en ce moment contre leur pairie, » Et Gersdorf de répondre loyalement : < Leur sort et leurs convictions les ayant placés dans les rangs ennemis, ils rempliront leurs devoirs actuels aussi bien qu'ils les eussent remplis s'ils fussent restés ici 3. > Lo lendemain 27, Gersdorf noie t qu'un officier d'ordonnance de l'Empereur vint annoncer au roi (de Saxe) que l'aile gauche do l'ennemi étuil culbulée et que les cuirassiers saxons s'étaient couverts de gloire *. » Justo éloge ou simple flatterie, Gersdorf peut écrire ceci avec orgueil, car c'ost la dernière fois que les troupes do Frédéric-Auguste mériteront dans les rangs français une pareille mention.

Après la bataille de Dresde, quelqu'un complimentait Napoléon sur un si grand succès, t Co n'est rien, observa-l-il, Vandamme esl sur les derrières de l'ennemi, C'est là que vont èlre les

1 Revenu a des Idées plus saines, Mural étatt enfin accouru d'Italie pour mettre son épée au service des aigles françaises.

1 La bataille de Dresde, Hevue des questions historiques, numéro d'octobre 1001,

» Ibid,

» Ibid,


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gronds résultats i. » Hélas! l'étoile pâlissait. Vandamme qui, selon l'expression de l'Empereur, dovait t ramasser l'épôe du vaincu, > allait êlre battu, et aussi les autres lieutenants de Napoléon. Chaque jour serait marqué pour nos armes par quel* que fatalité.

La magnifique victoire de Dresde devait, en effet, rester stérile. Dès ce moment, Napoléon no comptera plus quo des échecs, des désastres souvent. Partout où il ne sera pas, ses lieutenants deviendront mous, gauches et maladroits. < Us avaient été gorgés do trop de considération, de Irop d'honneurs, de trop de richesses ; ils avaient bu à la coupe des jouissances, et désormais ils ne demandaient que du repos ?. » La Katzbach, Kulm, Gross-Ueeren, Dennevilz, sont des défaites irréparables. Le prestige des Français est détruit, leur moral attaqué; la valeur numérique reprend ses droits et lout s'a» mine vers une catastrophe. Liées entre elles désormais, les masses ennemies gagnent constamment du lerrain et forment un deint*cercle qui se resserre sans cesse autour des Français acculés sur l'Elbe. Le falal armistice de Pleswilz portait ses fruits. Les Russes avaient reçu l'armée attendue, les Prussiens s'étaient doublés, les subsides anglais étaient arrivés el l'armée suédoise avait rejoint,

Nos aigles so mouvaient dans une atmosphère do trahison. Secouée déjà nnr le venl des défections» la Confédération du Hhin allait perdre ses principaux el derniers soutiens. La West* phalie, qui, du reste, n'avail jamais marché avec nous qu'à contre-coeur, venait de s'insurger et de chasser l'incopoble Jérôme. Le Wurtemberg et la Bavière devaient suivre le mouvement, puis enfin ce serait la Saxo elle-même. Les 20 et 27 août, à la bataille de Dresde, le contingent de Frédéric-Auguste avait pu voir en face de lui bien dos transfuges do la cause française. Celaient les Saxons Thiclman cl Langenau, le Suisse Jominl, notre compatriote Moreau. N'ayant plus pour les retenir de coeur sous nos drapeaux le prestige do la victoire, les soldais do Frédéric-Augusle frémissaient, guettant l'occasion de passer à l'ennemi. A Dennevilz, le 4 septembre, prudemment encadrés dans les troupes de Ney, les Saxons ne peuvent répondre comme

» Notes sur Napoléon par M. de Moatvéran. » Mémorial de Sainte-Hélène. T. VI,


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ils voudraient aux pressantes objurgations de Thielman, mais ils se débandent et donnent la victoire à Bernadolte '.

Napoléon passe tout le mois de septembre en marches et contremarches continuelles, évoluant autour de Dresde dans un cercle fatal, s'épuisant en combats multipliés où les avantages sont sans résultats, où les échecs sont définitifs, tandis que, victorieuse ou battue, la grande armée do la coalition se renforce chaque jour en bataillons et en matériel. L'Empereur conçoit alors un projet digne de son génie. Laissant une forte garnison à Dresde et trois corps pour garder la roule de Leipzig, il marchera sur Berlin, balaiera la Silésie et portera la conquête, la dévastation et la ruine dans les capitales des rois coalisés, qui déjà se croient maîtres de nos positions *. Mois la trahison subite de la Bavière vient ruiner les espérances impériales. Alors Napoléon, changeant de nouveau sa tactique, fait résolument face à la France, passe l'Elbe et s'avance contrôles alliés, comptant arriver assez tôt à Leipzig pour percer la ligno ennemie et franchir l'Etaler. Le lb octobre, il esta Leipzig, ne disposant que de 140,000 hommes contre 860,000. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'enlrer dans uno des grandes capitales de l'Europe après la bataille; une retraite honorable, voilà tout le bénéfice qu'il pourra retirer d'une victoire inespérée I

La journée du 16 s'est terminée d'une manière brillante pour nos armes. Ce n'est que le 18 que recommence celle lullo gigantesque. Pour contro-balancer le nouvel appoint apporté aux coalisés par l'armée suédoise, Napoléon n'a à complet* que sur les divisions saxonnes do Iteynier, postées à Heudnitz. Or, la veille môme, la majorité des officiers de Frédéric-Auguste a discuté sur l'arrivée de Hernndolte, « celle victime de Napoléon \ » et proposé d'enthousiasme de se réunir à leur ancien chef de Wagram. Une dernière pudeur les retient encoro *.... Mais le prince royal de Suède a franchi le Parlha et s'avance contre Iteynier. C'est le moment si longtemps allendu par le contingent saxon. Triste moment I car il marque la trahison la plus infâme que l'histoire ait à enregistrer. Dix mille Saxons, emmenant qua*

qua* bataillon saxon, ovec le major de Bunau, passe a, l'ennemi. » IliMoire de Napoléon* T. V. Maurln.

» Notes du général de Gnblenz. Souvtnlrt inédite du chevalier de Cuwj, Notes du comte Holzendorf,


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ranle canons, quittent nos rangs, joignent les Suédois, et, se \ retournant, liront sur les soldats aux côtés desquels ils marchaient tout à l'heure, et les foudroient de leur artillerie. C'est ainsi que les troupes saxonnes se séparaient de compagnons d'armes de sept années 1....

Les historiens allemands auront beau essayer de justifier l'abandon des Saxons par des considérations de nationalité et de patriotisme, ergoter sur les sentiments poussant irrésistiblement les soldats de Frédéric-Auguste dans les bras de leurs frères germains ; ils ne pourront effacer la honte que celle défection emprunte à sa forme particulièrement odieuse. Oui,\ quoi qu'ils fassent, ce sera toujours un dur souvenir pour Je premier âge du patriotisme d'oulre-Hhin, que la traîtrise évoquéo par la bataille des nations. Car l'acte des Saxons fut bel et bien contraire à l'honneur militaire et mérite rigoureusement le nom de félonie. Nous en prendrons pour preuves, non les assert lions indignées des Français, non les appréciations sévères d'écrivains d'une nationalité neutre, mais seulement les témoignages des contemporains saxons eux-mêmes.

A tout seigneur, loul honneur. Voici comment le conseiller d'État Augustus Wendl s'exprime quelques mois après, au sujet do cel événement : • Le 18 oclobre, pendant la bataille, un officier vint rapporter au roi que la plus grande paille de la cavalerie saxonne, attachée au corps du général Iteynier, avait passé à l'ennemi, et que l'infanterie paraissait résolue à suivre cet exemple, si elle ne recevait pas l'ordre de se séparer des Français. Le roi répondit par un ordro écrit : Que ses troupes ne pouvaient mieux prouver leur attachement à sa personne qu*en remplissant strictement leur devoir, et gue, du reste, il plaçait uni confiance entière dans leur fidélité, Hlen n'aurait pu engager le roi à dissoudre autrement que d'une manière franche et ouverte les liens politiques qui rattachaient encore à Napoléon. Le roi apprit peu d'heures après, par le général de Zeschau, que ses régiments d'infanterie avec toute l'artillerie avalent passé dans les rangs des alliés, à l'exception près de sept cents hommes, que leur chef avait réussi à ramener à Leipzig, où ils furent réunis aux grenadiers do la garde du roM. » Au reste,

1 Exposé dt ta marché politiqu* du roi dé Saxe,


-72nous

-72nous une trop haute idée de la loyauté de FrédéricAuguste pour supposer qu'en quelques années ses sentiments sur l'honneur militaire eussent radicalement changé.... Et, ne nous rappelons-nous point qu'après le traité de Posen, son âme répugnait au spectacle de ses propres troupes se tournant contre ses alliés de la veille?..., Or, le 18 octobre, à Heudnilz, les Saxons onl accompli un acte autrement monstrueux....

Du monarque saxon, passons à ses officiers généraux. Il est notoire que, le 17 oclobre, le lieutenant général de Zeschau s'était élevé avec force contre la proposition de défection, en la qualifiant d' « attentatoire à l'honneur militaire *. » Comment dut-il donc juger ses troupes le lendemain, lorsqu'il les vit, en pleine bataille, faire volte-face dans nos propres rangs et mitrailler cyniquement les soldats do Durulle?.... Quant au lieutenant général de Gersdorf, dont nous empruntons fréquemment le témoignage ou cours de ces pages, o'esl toujours avec une véritable douleur qu'il parlera do la dôfeclion saxonne *. Voici maintenant une lettre écrite en 18*22. Le lieutenant général de Gablenz y rappelle avec éloge, au comte de la Ferronnays, la conduite de l'escadron saxon qui refusa de participera la célèbre traîtrise. Le général de FrédéricAuguste proclame cette troupe fidèle à son devoir militaire et réclame pour les officiers qui existent encore la croix d'honneur 3.

» Notes du comte Holzendorf. Souvenir* inédit» du chevalier de Cussy.

* « .... Combien do fois al-Je entendu le lieutenant général de tiersdorf déplorer, pour l'honneur de la Saxe et les conséquences de toute nature qui en sont résultées, la défection do l'armée saxonne sur le champ de bataille de Leipzig I » Souvenirs inédit» du chevalier dé Cuwj.

» »... Après la bataille de Leipzig, unescadrondelagardeculrasslèro saxonne suivait l'empereurNapoléonJusqu'àAUrandstadtenThurlnge, cl fa allachédts la fin de la bataille à la personne de ce monarque, faisant partie de son escorte. L'empereur étant arrivé à Allrandstadt, et ne voulant pas séparer cette troupe fidèle à son devoir militaire de ses camarades qui furent déjà dans le pouvoir do l'ennemi, ne tarda pas à la congédier et à parler aux officiers dans les termes les plus flatteurs. H demanda lui-même leurs noms et ordonna de les noter. De ces officiers existent encore trois, savoir s le capitaine Hckardt, le lieutenant Pllzetlo lieutenant comte Holzendorf... Gomme Sa Majesté le rot ne s'empêche pas de reconnaître tous les services rendus à la France, Je crois bien pouvoir nommer ces officiers qui, Jusqu'au dernier moment, remplissaient le» devoirs de l'alliance militaire qui, pendant sept années de campagne, avaient attaché la Saxe au destin de la France t et J'ose proposer que Sa Majesté daignât accorder au capitaine tickardt et au lieutenant comte Holzendorf la croix de chevalier, et au lieutenant PII*, en ce temps-là déjà membre de la Légion d'honneur, la croix d'officier.... *

Lieutenant général de Gablenz au comte de la Ferronnays, 25 mars 1829. Archives particulières de l'auteur.


~73Si

~73Si réfléchit que cet écrit d'un général saxon, bien en cour et jouissant do l'estime de ses compatriotes, est une lettre officielle rédigée neuf ans après la défection de Leipzig, du vivant de Frédéric-Auguste, et adressée à un ministre de Louis XVIII, un Bourbon, parent du roi de Saxe et vieil ennemi de Y * usurpateur > ; si l'on veut considérer qu'à un certain point de vue, le roi do France doit sembler disposé à atténuer la vilenie d'un acte qui peut avoir hâté son avènement au trône, on est amené à conclure •— n'en déplaise aux Allemands — que la félonie des Saxons sur le champ de bataille de Leipzig a été frappée d'une réprobation unanime par les hommes de cette époque.

Dans la nuit du 18 au 19,- Napoléon fit prévenir le roi de Saxe, par le duc de Bassano, qu'il avait pris la résolution de se relirer sur Erfurt, et il lui fit demander en même temps s'il préférait suivre son quartier général ou rester à Leipzig. FrédéricAuguste déclara sans hésiter qu'il optait pour ce dernier parti et qu'il se remettrait à lo générosité des coalisés t. Le malin, à la première heure, Napoléon venait en personne prendre congé du roi de Saxe. Douloureuse entrevue s'il en fut!.... Le conquérant, maintenant abandonné par la fortune, allait-il exhaler des plaintes inutiles ol reprocher amèrement à Frédéric-Auguste la honteuse conduite de ses troupes, l'une des causes do la catastrophe?.... Mais le malheur avait adouci ce coeur jusqu'ici fermé à la compassion. Sur le bord de l'abîme où il se sentait glisser, Napoléon avait, en effet, pitié du faible prince qu'il venait d'en-i traîner à sa perte, el, loin d'articuler quelque grief, il lui propo-i sait do l'emmener avec lui, pour le soustraire à la colère possible de l'ennemi. Frédéric-Augusle maintint le refus qu'il avait déjà exprimé au duc de Bassano. Sa place en ce moment était, pensait-il, en Saxe et non en France 2. Pourquoi, au reste, prolonger un entretien pénible?.... Napoléon el celui qu'il avail fait roi n'avaient plus rien à se dire. Et ces alliés de sept années se séparèrent pour ne plus se revoir.... Une heure ne s'était pas écoulée, qu'une formidable explosion retentissait. C'était le

1 Exposé de la marche politique du roi de Saxe.

* Certains historiens avancent qu'au contraire» dans la matinée du 10 octobre, Frédéric-Auguste avait l'intention de suivre le quartier général de Napoléon, et que ce dernier, ne voulant pas y consentir, fut obligé, pour faire renoncera son généreux projet le roi de Saxe, de le délier de ses engagements. Nous n'avons trouvé nulle part la preuve de cette allégation.


- 74gi

74gi pont de Lindenau qui sautait prématurément, coupant la retraite à 15,000 Français et consommant la catastrophe de Leipzig. Peu après, les flots de l'Etaler charriaient ie cadavre de Ponialowski. Le fier descendant des rois de Pologne terminait en paladin une vie qui n'avait été qu'une longue épopée. En se refermant sur lui, le fleuve allemand devenait aussi le tombeau des espérances d'une nation sacrifiée.

Isolé désormais, Frédéric-Auguste dul alors être en proie à de cruelles angoisses. De quelque côté qu'il envisageât les événements, sa position était affreuse. Comme dernier allié du vaincu, qui, durant dix ans, avait fait trembler la vieille Europe, le monarque saxon se savait désigné à la vindicte des coalisés, el il ne devait avoir qu'un bien faible espoir en leur magnanimité. Implorerait-il les triomphateurs?... La défection de la veille ne plaiderait-elle paâ en sa faveur?.... Mais l'âme loyale du malheureux roi ne pouvait s'arrêter longtemps à )a pensée du bénéfice qu'il pourrait retirer de colle fléltissure, el s'il songeait à la trahison, ce n'était que pour la réprouver. Hélas I il allait boire jusqu'à la lie le calice d'amertume... Entré dans Leipzig à la tète des premières colonnes, Bernadolle, l'ancien maréchal d'empire, aujourd'hui prince royal de Suède el traître à sa patrie, se présentait bienlôt devant Frédéric-Auguste pour l'assurer de ses sentiments d'amitié. Pendant une conversation que l'on peut supposer pénible, retentissaient les cris d'allégresse des habitants annonçant l'arrivée des souverains de Prusse et de Russie. Bernadolle se levait aussitôt pour aller saluer les monarques alliés, el le pauvre roi de Saxe de descendre à la suile de l'ex-jacobin t....

Cependant, Frédéric-Auguste ne devait point encore se trouver face à face avec les souverains vainqueurs. Ceux-ci n'avaient fait que traverser la ville sans s'arrêter. Il envoya sans délai ses aides de camp chez les monarques pour leur demander une entrevue. De Frédéric-Guillaume, il ne reçut aucune réponse. Quant à l'empereur de Russie, il lui fit tenir « qu'il aurait de ses nouvelles, » el, ces quelques mots inquiétants furent expliqués l'après-midi par une visite du conseiller privé d'Alexandre, le baron d'Anstett» Ce dernier annonçait à Frédéric-Auguste, de la part du tzar, « que son maître déclarait le roi de Saxe son prisonnier cl qu'une entrevue ne pouvait être que désagréable


-75 -

pour les deux parties. > Le 21 au soir, le tzar invita FrédéricAuguste à quitter Leipzig el à se rendre avec sa famille dans les États du roi de Prusse, où l'un des aides de camp impériaux el le baron d'Anslelt l'accompagneraient t. S'il eût eu jusqu'alors quelque illusion sur la générosité des coalisés, le malheureux Frédéric-Auguste devait maintenant être fixé. Il serait la victime expiatoire.

Obligé de se mettre en route le 23 octobre, le dernier allié de Napoléon arrivait en prisonnier à Berlin le 26, sous la garde du baron d'Anstett.

XIII.

Il faut se montrer, à bon droit, sévère pour la dure conduite tenue par les coalisés envers le roi de Saxe en détresse. Ces souverains victorieux qui abusent de la faiblesse de FrédéricAuguste, pour le charger de lous les péchés d'Israël et le décla-' rer « traître à la patrie allemande, » n'ont-ils, en effet, rien à se reprocher?.... Qu'on les prenne un à un! Ne les a-t-on pas tous vus, à différentes époques, s'allier à Napoléon, alors que la condescendance — pour ne pas dire la servilité — envers l'empire français, puissance triomphante, était devenue chose usuelle?.... Érigés aujourd'hui en justiciers, ils ne sont pas sincères. Ce qu'ils imputent à Frédéric-Auguste, ce crime qu'ils lui feront payer cher, c'est précisément d'avoir suivi une politique moins instable el plus loyale que la leur. Il faul un responsable. Le souverain de ce pays qu'ils envahissent, roi créé par Napoléon, dernier allié de la France si longtemps invincible, n'est-il pas tout désigné?....

Cependant, tout en s'apitoyant sur le Iriste sorl de FrédéricAuguste au lendemain de Leipzig, on s'étonne de certaines démarches du royal prisonnier. A défaut du brillant courage du champ de bataille, le paisible monarque avait maintes fois prouvé son courage moral. Pourquoi donc, au départ de Berlin de son gendarme d'occasion, le baron d'Anslelt, lui remet-il, pour les souverains alliés, une note implorant la faveur d'entrer dans la coalition?.... Et, deux mois après, esl-il vraiment de sa

' Toutes ces démarches sont relatées dans VExposé de la marché politique du rot dé Saxe.


- 76dignité

76dignité demander à l'empereur de Itussie la permission pour le prince Frédéric, son neveu, de faire campagne contre la France?.... Mais, où l'élonnement devient de la stupéfaction, c'est quand on le voit, quelques semaines plus lard, offrir au tzar de retnettro aux coalisés la forteresse de Koenigstein, puis lo supplier de faire parvenir au ministre de Saxo à Paris l'ordre de suspendre ses fondions !.... El enfin, lorsque la nouvelle de la prise de Paris arrive à Berlin, Frédéric-Auguste a la navrante inconscience de féliciter par écrit les monarques alliés I.... On ne pourrait croire à des actes pareils, s'ils n'étaient relatés dans des documents irréfutables t. Pour qualifier de telles défaillances, il vient à l'esprit un mol qui n'a rien de commun avec fierté» Alors que son pays envahi esl sous la férule d'un gouvernement provisoire étranger, et que, selon l'expression même du confident de Frédéric-Auguste, t ce gouvernement se livre à des mesures inconvenantes et attentatoires à sa dignité 2, » n'eût-il pas été plus décent do s'abstenir de démarches aussi humiliantes?

Au reste, ce qui caractérise Frédéric-Auguste dans la deuxième moitié de son règne, c'est une contradiction déconcertante entre ses sentiments el ses actes. Personnellement, il est d'une droiture incontestable, el sa politique se manifeste souvent par de louches manoeuvres. Sans doute, il est beau pour un monarque de ne connaître d'autre désir que le bonheur de ses sujets, mais il ne foui cependant pas, dans ce but louable, abdiquer toute dignité. Les étranges démarches auxquelles nous venons de voir le premier roi de Saxe se livrer abaissent singulièrement son caractère. El combien plus lourde encore pour sa mémoire sera son attitude à la fin de son long règne, lorsque, sur la simple injonction de la Prusse, il fera procéder à l'inconcevable extradition du Français Victor Cousin, puis que, deux années après, pour plaire celle fois au Izar, on le verra expulser bi- lialement de ses États le héros polonais Kniasewicz!.... FrédéricAuguste voulait sans doute se faire pardonner par ses puissants voisins ses anciennes relations avec la France et la Pologne. L'épopéo napoléonienne, le duché do Varsovie, lo culte pour le

1 Exposé dé ta marche politique du roi de Saxe, * Ibld.


-77conquérant,

-77conquérant, bienfaiteur, tout cela était loin 1.... En regard des cinquante-huit ans que comptait alors son règne, qu'avait duré l'alliance franco-saxonne? Sept années à peine.... Oui, sept années seulement, mais quelles années!.... Quand FrédéricAuguste s'interrogeait, il devait trouver qu'en ces sept années il avait vécu plus que pendant toutes les autres.

Malgré tout, l'impartiale histoire n'a pas trop tenu rigueur au monarque saxon de ses défaillances. Peut-elle être pour lui beaucoup plus sévère que Napoléon? El celui-ci, au temps de sa puissance, aussi bien que dans son triste exil, n'a-t-il pas toujours désigné Frédéric-Auguste comme le plus fidèle des alliés, et comme un prince loyal el digne de tous les respecta?.... En résumé, devant Napoléon, le premier roi de Saxe a bénéficié de la comparaison avec les autres alliés du conquérant. Celui-ci, si peu accessible cependant aux considérations sentimentales, resta toujours frappé de la pureté des inlentions du souverain saxon cl il était profondément louché de l'affection el de la confiance témoignées par cet admirateur de son génie. Quand son étoile pâlissait, Napoléon avait vu autour de lui tant de lâchetés cl de trahisons, qu'il pouvait bien oublier les faiblesses d'un roi de Saxe livré à ses propres moyens.

Quant aux sujets de Frédéric-Auguste, on dépit des événements, ils avaient constamment prouvé leur attachement à leur prince, et l'époquo troublée do l'alliance franco-saxonne ne pouvait faire oublier à ce peuple industrieux el commerçant les longues périodes de prospérité du règno de Frédéric-Auguste.

La mode est aux centenaires. Quand, le 11 décembre 1006, les Saxons célébreront celui de l'érection de l'ancien électoral en royaume, on les entendra pousser d'enthousiasme les hochl traditionnels à l'adresse de l'empereur allemand, le presligieux souverain de celle Prusse qui naguère fit tant souffrir leur pays. Et qui, parmi eux, osera rappeler que le royaume de Saxe fut édifié par des mains françaises, el que, si ce royaume subsista après le congrès do Vienne, c'est encore à l'intervention d'un souverain français qu'il lo doit?


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PRINCIPAUX OUVRAGES ET DOCUMENTS CONSULTÉS

Souvenirs inédits du chevalier de Cussy (Archives de l'auteur). Exposé de la marche politique du roi de Saxe (Archives de l'auteur). Souvenirs intimes du baron de Bourgoing. Mémorial de Sainte-Hélène,

Notes attribuées à des fonctionnaires saxons sur le séjour de la cour impériale à Dresde, i8i2 (Bibliothèque nationale). Souvenirs (Pamientnicki) du comte Dunin Wonsowics. Lettres de Bassano à Serra (Archives do l'auteur). Lettres de Gablenz au comte de la Ferronnays (Archives de l'auteur). Lettres de Senfft de Pilsach à Serra (ArchivegileJCauleur). Un allié de Napoléon, par Bonnefons. /^Y'»Q' A/^X Histoire de Napoléon, par Maurin. /\

BESANÇON. — IMPRIMERIE IACQUIN.



Document* minquinti (pigsi, eshtsrt...) NPZ 43-120-13