RECUEIL GÉNÉRAL
DES LOIS ET DES ARRÊTS
IIIe PARTIE
JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE
CONS. D'ÉTAT 4 mars 1887.
DÉPARTEMENT, DÉPARTEMENT DE LA SEINE, PRÉFET (LOGEMENT DU), SERVICES DÉPARTEMENTAUX, HÔTEL DE VILLE, CONSEIL
GÉNÉRAL.
La délibération par laquelle le conseil général de la Seine a décidé qu'il y avait lieu de rechercher un édifice pour loger le préfet et les services départementaux, doit être considérée comme ayant porté sur un objet étranger aux attributions de ce conseil, l'Hôtel de Ville de Paris étant affecté, d'après la législation, aux services départementaux et au logement du préfet (1) (L. 28 pluv. an 8; Arr., 17 vent, an 8, art. 3, et 5 frim, an 11 ; L. 20 avril 1834).
En conséquence, le Président de la République a agi dans la limite de ses pouvoirs en annulant cette délibération (2) (L. 22 juin 1833, art. 14).
(Département de la Seine).
M. le commissaire du gouvernement Le Vavasseur de Précourt a présenté les observations suivantes, qui font suffisamment connaître les faits :
■ Le préfet de la Seine a-t-illégalement le droit d'être logé à l'Hôtel de Ville de Paris? Telle est, dégagée des incidents de procédure qui la compliquent et l'obscurcissent, la véritable question soumise au Conseil d'État. Cette question est à la fois historique et juridique, Pour la résoudre, il est, en effet, nécessaire d'étudier, depuis la loi du 28 pluv. an 8, d'une part, l'histoire de la préfecture de la Seine et de son organisation administrative, d'autre part, l'histoire même de l'Hôtel de Ville de Paris.
« En fait, de 1800 à 1805, le préfet de la Seine a logé dans un hôtel de la place Vendôme, où était installé antérieurement le directoire du département; de 1805 à 1870, il a, eu son logement à l'Hôtel de Ville, et un loyer, qui s'est successivement élevé de 12,000 à 40,000 francs, en 1846, et à 50,000 francs en 1850, a été payé par le département de la Seine à la ville dé Paris. Depuis 1871, la préfecture de la Seine a occupé d'abord le palais du Luxembourg, puis le pavillon de Flore aux Tuileries; il n'y avait là qu'une installation provisoire, et un décret du
26 juin 1883 a définitivement affecté au ministère de l'instruction publique et des beaux-arts (service des musées nationaux) les locaux actuellement occupés par la préfecture de la Seine.
« Les plans de reconstruction du nouvel Hôtel de Ville, dressés par MM. Ballu et de Perlhes et approuvés par le préfet et par le conseil municipal, comprennent expressément les locaux nécessaires à l'installation des services départementaux et au logement du préfet de la Seine : le conseil municipal a voté, le 30 mai 1883, un crédit de 25,000 fr. pour les frais de déménagement, crédit qui ne s'applique qu'aux services municipaux. Le conseil général de la Seine a refusé, à deux reprises, contrairement aux propositions des préfets,' MM. Ferdinand Duval et Hérold, de contribuer aux frais de reconstruction de l'Hôtel de Ville, pour lesquels on lui demandait 2,000,000 fr., et, le 19 nov. 1883, il était saisi par M. Georges Martin d'une proposition affectant au logement du préfet, logement que le département reconnaissait pour être à sa charge, la caserne de la Cité, que devaient quitter la garde républicaine et l'état-major des sapeurs-pompiers. Cette proposition a donné lieu, le 24 et le 25 avril 1884, à une discussion approfondie. La question a été très nettement posée par le rapporteur, M. Cernesson : « Je déclare hautement, a-t-il dit, que la question en jeu n'est pas une simple question de logement, c'est la revendication de la mairie de Paris ». Après avoir rejeté un amendement de M. Stanislas Leven, qui proposait l'inscription d'une prévision de crédit de 100,000 fr. pour le loyer à payer à la ville de Paris, à raison des locaux occupés à l'Hôtel de Ville par les services départementaux, le conseil général a adopté une décision qui, sans désigner aucun local, porte qu'il y a lieu de rechercher un édifice pour loger le préfet de la Seine et les services départementaux, le jour où le pavillon de Flore, actuellement affecté à cet effet, sera rendu par le département à l'État.
« C'est cette délibération qui a été annulée par le décret du 24 juin 1884. Les motifs d'annulation sont au nombre de trois : indivisibilité des deux administrations départementale et municipale, confiées toutes deux au préfet de la Seine ; affectation de l'Hôtel de Ville à la préfecture par un arrêté des consuls du 5 frim. an 11 ; reconnaissance de cette situatisn légale par le conseil municipal en 1872 et 1873, lors de l'adoption des plans du nouvel Hôtel de Ville.
« Le département de la Seine a déféré, pour excès de pouvoirs, ce décret au Conseil d'État, et, par une ironie de procédure, c'est le préfet qui a dû former ce pourvoi, qui s'appuie sur les motifs suivants : Le conseil général était compétent, aux termes des lois des 10 mai 1838 et 18 juill. 1866; l'indivisibilité des services départementaux et municipaux n'existe plus depuis la loi du 20 avril 1834, qui a rendu à la ville de Paris et au département de la Seine des conseils élus, ou, tout au moins, depuis la loi municipale du 24 juill. 1867; l'arrêté consulaire de l'an 11 est une simple mesure d'ordre intérieur, concernant seulement les bureaux de la préfecture; en fait, d'ailleurs, l'affectation a cessé en 1871, et, depuis cette époque, aucun loyer n'a plus été payé par le département à la Ville; enfin, les délibérations du conseil munipal, sur lesquelles ce conseil peut d'ailleurs revenir, ne lient, en aucune façon, le département ; il n'y a plus aucun local affecté à la préfecture, le département doit en rechercher un ; tel est le seul sens de la délibération annulée.
« Avant d'étudier l'historique de la question, nous devons rappeler trois principes incontestables : 1° les préfets ont droit au logement à la charge des départements ; 2° les maires n'ont droit à aucun logement à la charge des communes; 3° les actes d'affectation d'édifices à des services publics ne peuvent être rapportés que par des actes émanant des mêmes autorités.
« Les directoires, institués dans chaque département par la loi du 22 déc. 1789, avaient droit aux locaux nécessaires ponr l'installation de leurs services, mais non pour le logement de leurs membres. Cette installation devait être faite, de préférence, dans les Hôtels de Ville ou palais de justice, aux termes du décret du 16 oct. 1790, et le rapporteur à l'Assemblée constituante, le député Prugnon, avait dit que les installations devaient être des plus modestes, et rappeler la simplicité de Fabricius et non le faste de Périclès. Après la création des préfectures, l'arrêté dos consuls du 17 vent, an 8 mit à la disposition des préfets les maisons et dépendances des anciennes administrations centrales et des commissaires du gouvernement, et indiqua qu'elles serviraient à la demeure des préfets, et à l'établissement du secrétariat général, des bureaux du conseil général et du conseil de préfecture. Les préfets doivent donc, en principe, être logés dans les mêmes édifices où sont installés les bureaux des préfectures; c'est au pouvoir exécutif qu'il appartenait, a cette époque, de prescrire ces affectations. La
(1-2) V. les conclusions de M. le commissaire du gouvernement rapportées ci-dessus. ANNÉE 1889. — Ier cah.