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Titre : L'Enseignement libre : bulletin de la Ligue de la liberté d'enseignement

Auteur : Ligue de la liberté d'enseignement (France). Auteur du texte

Éditeur : [s.n.] (Paris)

Date d'édition : 1905-05-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327672904

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327672904/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 1910

Description : 01 mai 1905

Description : 1905/05/01 (A1,N5)-1905/05/31.

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55711602

Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-R-22144

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 06/02/2011

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L'Enseignement Libre

Bulletin de la Ligue de la Liberté d'Enseignement

• 2« ANNÉE — N° 5. Mai 1905.

Les Ecoles ménagères

L'actualité de l'enseignement ménager, acclimaté en France, .pendant ces dernières années, est reconnu à l'unanimité par toutes les personnes soucieuses du relèvement moral de notre pays. Déjà, ,par les très remarquables articles dûs à la plume compétente de M. de Witt-Guizot, les lecteurs de L'Enseignement libre ont assiste ses débuts, et pris connaissance de ses progrès ; ils ont pu trouver un intérêt capital à constater l'effort parti de tous les coins de la France pour gagner du terrain sur une question qui paraissait assoupie jusqu'à ce jour et nous croyons qu'ils nous'sauront gré de les faire entrer aujourd'hui plus avant dans le sujet en étudiant avec «eux le but, le programme, et l'organisation de l'école ménagère, ■centre d'action de l'enseignement ménager.

« La première constatation dont on est frappé », nous dit M. Cheysson abordant le même sujet dans l'Economiste français, « c'est celle de l'esprit élevé dans lequel est conçu et donné cet • enseignement. Ce qui importe et ce qu'on se propose avant tout, •c'est de préparer la femme à remplir ses devoirs de mère et d'épouse, •en les lui faisant aimer, en lui en révélant la grandeur et la beauté.

« Ainsi entendu, cet enseignement s'adresse sans cesse à la réflexion, donne les motifs de tous les actes et de tous les gestes : en un mot, il guide la pratique par le raisonnement ».

L'appellation de l'école ménagère implique l'idée d'un enseignement quelconque, tandis que l'adjectif qui la suit laisse soupçonner des actes purement matériels; ce serait une erreur d'oublier la première pour s'attacher exclusivement à la seconde. Le but réel •qu'il s'agit d'atteindre, c'est de former de futures femmes de ménage


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vraiment dignes de ce nom, aux fonctions importantes qui découlent de la vie de famille. Les travaux matériels ne sont pas les seuls qui doivent occuper une femme chez elle, elle a l'obligation de songer à plus d'une question pour rendre son intérieur habitable, sain, réconfortant, réjouissant.

C'est un devoir pour elle, non seulement de veiller à l'entretien des siens, mais de les maintenir au foyer, de leur rendre la vie si agréable qu'ils ne veuillent pas s'en éloigner, ou qu'ils aient au moins hâte d'y revenir lorsque les exigences de la vie les appellent au dehors. Voilà l'explication de ce que nous appelons une femme de ménage 1 vraiment digne de ce nom. Pour exercer son influence, l'Ecole ménagère ne doit jamais un instant perdre de vue son but moral. C'est par son organisation qu'elle l'atteindra, par l'esprit méthodique qui se dégagera de son programme, par la manière dont celui-ci sera, non seulement développé, mais compris. Ceux qui ne connaissent l'enseignement ménager que de nom, peuvent difficilement se faire une idée des moyens trouvés dans l'école même pour façonner le coeur, l'esprit, l'âme des élèves.

L'oeuvre peut être adaptée en vue d'une idée spéciale sans qu'il y ait lieu de diminuer l'ampleur morale réclamée par le programme. Ici on s'attachera plutôt à la formation des femmes d'ouvriers^ là on se préoccupera davantage de la question professionnelle, ailleurs on cherchera à remédier à la crise domestique qui éloigne de plus en plus la perle de nos rêves ou encore on songera aux travaux des champs et l'on instruira les femmes aussi bien pour la ferme que pour le foyer. Partout le but reste le même : l'action par la réflexion et la réflexion pour comprendre la mission morale propre à chacune, ainsi que le rôle à jouer dans la société.

Un nombre — presque inquiétant ! — d'âmes pourtant bien intentionnées, déclare que l'école ménagère n'a pas besoin d'être autre chose qu'une question de cuisine. En un pays aussi éveillé que le nôtre, arrêter net l'essor des facultés féminines pour les contenir de force au-dessus d'un fourneau, ne laisse pas que de nous sembler étrange. Il serait à souhaiter, pour rester dans la note de l'oeuvre, qu'elles veuillent accepter la combinaison d'une partie intelligente étroitement liée à celle qui fonctionnera sous la cheminée et nous pensons qu'elles l'adopteraient volontiers s'il leur était donné de constater, comme nous, l'intérêt croissant trouvé dans l'enseignement ménager par les enfants, quand on les oblige à penser avant d'agir. Toutes n'y mettent pas le même coeur, il est vrai ; mais ne serait-ce déjà pas un heureux résultat si l'on arrivait à façonner convenablement en vue de leur future mission d'épouses


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et de mères trois élèves sur dix? Ce n'est pas être exigeant que d'accepter une telle moyenne ; elle peut nous contenter au début parce que l'oeuvre est nouvelle et qu'il y a toute une mentalité à faire pour lui permettre d'entrer de plainpied dans-nos moeurs.

Pour assurer la marche régulière d'une école ménagère il est utile de débuter par la formation d'un comité local, c'est-à-dire composé de membres appartenant aux lieux mêmes habités par les jeunes filles qui la fréquenteront. La raison de ce point important se trouve dans la nécessité sociale d'établir un lien entre classes diverses. Ce groupe de Dames choisies, qui formera le comité et fournira le local, le matériel, les fonds de roulement nécessaires à l'installation de l'oeuvre, aura de plus la charge de pourvoir au recrutement de l'école. Les familles des jeunes élèves ainsi protégées seront visitées par les membres de ce comité, Un nouveau point de contact s'établira par ce moyen : ainsi plus d'un conseil utile trouvera sa place au foyer de l'ouvrier sans éveiller de méfiance .

Le premier devoir d'un comité local sera de bien savoir ce qu'il veut et de préciser nettement le résultat final à offrir aux élèves. Une école ménagère destinée principalement à former des femmes d'ouvriers ne pourrait se transformer à la longue en école de bonnes à tout faire sans patauger piteusement. Il est préférable de reculer la date de l'ouverture plutôt que de débuter d'une manière vague avec l'espoir de trouver la lumière en cours d'exécution du programme. Etablir un parallèle entre ce que le programme peut donner et les exigences de la localité s'impose. Parmi celles-ci nous indiquerons en premier lieu : les ressources de local et de matériel dont on peut disposer ; puis le caractère, la nature, les habitudes propres au lieu lui-même ; coutumes et tendances se reflètent trop chez les enfants pour qu'on n'en-tienne pas compte.

Malheureusement le plus souvent, l'examen préalable des comités locaux se borne à enregistrer soigneusement les desiderata émis par les parents dès que l'ouverture d'une école ménagère est portée à leur connaissance. Or leur demander de comprendre l'ensemble des ressources que leurs enfants peuvent en retirer est chose aussi compliquée qu'inutile, on s'expose à faire fausse route en écoutant leurs désirs.

Les ressources financières nécessaires à l'organisation d'une école ménagère peuvent varier à l'infini, mais nous ne saurions trop recommander de leur conserver une note modeste. Un comité aura toujours avantage à incliner les élèves d'une école vers l'économie, quelle que soit leur situation. Quel résultat pourrait donner la vue de locaux luxueux, l'emploi de matériel perfectionné auprès de


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jeunes filles obligées, le soir, de regagner leur pauvre abri peut-être mansardé, où quelques rares objets vieux et ébréchés constitueront tout leur matériel de maison ? N'est-ce pas leur faire cruellement sentir leur misère et surtout, chose plus douloureuse encore, les empêcher de l'accepter?

La préoccupation d'un comité local doit être de ne rien heurter dans les moeurs du lieu où l'oeuvre sera installée par ses soins. Que le fond reste le même, c'est le résultat acquis par le programme, mais que la forme, c'est-à-dire les détails, soit invariablement moulée sur les tendances locales, c'est à ce résultat qu'il' doit tendre,

Comtesse DE DIESBACH..


L'Ecole et l'Education familiale

Les associations scolaires de pères de famille se multiplient sur tous les points du territoire et les amis de l'enseignement libre s'accordent à reconnaître que c'est là la vraie formule, celle qui a le' plus d'avenir parce qu'elle est la plus naturelle et la mieux fondée en raison (i). Elle le sera surtout si le rôle des membres des associations ne se borne pas à une simple administration financière ou à une élaboration d'un programme, mais si, par cette formule on parvient à assurer une plus complète collaboration de la famille et de l'école. Donner les raisons et les modes de cette collaboration, c'est ce que nous voudrions tenter aujourd'hui.

Dans l'oeuvre de l'éducation de l'enfant, l'école est seulement l'auxïliairè, la suppléante de la famille et quand bien même elle ne l'entendrait pas ainsi, la réalité se chargerait de le lui rappeler. Les jours de congé sont nombreux,en effet, où l'écolier ne voit pas son maître et il n'est pas jusqu'aux jours de classe où l'enfant ne soit 16 heures sur 24 au sein de la famille. Les leçons qu'il y trouve sont plus instructives, plus spontanées,plus vivantes que les leçons didactiques de l'instituteur. Les sanctions qu'ont les parents à leur disposition sont plus nombreuses et plus immédiatement efficaces. Cela ne suffirait-il pas pour que l'école et la famille cherchent à combiner leur influence?

Remarquez bien que disant cela, nous avons supposé que les parents ne contrarient pas l'action de l'école. Or, il s'agit là d'une supposition purement gratuite, car, dans la pratique, il s'en faut de beaucoup que les efforts soient convergents ou seulement parallèles. Le' plus souvent l'enfant se trouve dans la situation d'un char que plusieurs chevaux tireraient en sens divers. Comment pourrait-il progresser puisque les influences multiples auxquelles il est soumis se neutralisent réciproquement!

Regardons autour de nous et comptons le nombre des enfants mal élevés. Il est à craindre qu'ils ne soient la majorité, ce qui ne veut aucunement dire que les parents n'aiment pas leurs enfants, mais qu'ils pourraient et devraient les aimer mieux. Ne nous en étonnons pas outre mesure. Il faut au menuisier et au cordonnier un apprentissage préalable '; pourquoi ne faudrait-il pas également une préparation au métier de père ou de mère le plus difficile de tous, puisqu'il a pour objet de

(1) Guide social de l'Action populaire, 1905.


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former l'intelligence, la volonté, le coeur de l'enfant! On commence de tous côtés à le comprendre et l'exemple de Mgr Egger, évêque de Saint-Gall, qui publiait récemment deux ouvrages remarquables sur le Père chrétien et la Mère chrétienne est significatif à cet égard.

Il n'en est pas moins vrai qu'il faudra peut-être attendre longtemps avant que la science pédagogique ait pénétré dans les familles, et tant que celles-ci en seront encore à improviser une pédagogie — et quelle pédagogie ! — l'effort laborieusement entrepris par l'école risquera d'être annihilé par celui de la maison.

Ajoutons enfin cette dernière considération, qui n'est pas la moins importante, que l'école doit se garder soigneusement de séparer l'éducation et l'instruction. Or, l'éducation est chose absolument individuelle. Elle doit essentiellement se modeler sur le tempérament, les aptitudes de l'enfant. C'est dire que tel procédé, appliqué à un élève ne devra pas être appliqué à tel autre, et que pour chacun il y aura une mise au point difficile à faire, faute chez le maître, quelquefois d'une formation appropriée mais, le plus souvent d'une connaissance suffisante de l'enfant.

Il faut donc approuver pleinement les observations que soumettait récemment M. Chabot au Congrès d'hygiène scolaire et de pédagogie physiologique de Paris :

« Que les professeurs soient mieux renseignés — et ils ne peuvent l'être pour chaque enfant que par les parents — ils mesureront et répartiront mieux le travail ; ils seront aussi mieux défendus contre les supercheries. Que les parents sachent mieux et comprennent ce que la classe demande — et ils ne peuvent le savoir que par le professeur — au lieu d'aider l'enfant à le tromper, ils l'obligeront à suivre la bonne méthode et à gagner du temps. Il y a donc là une éducation des familles, une information des professeurs à organiser. Si on y réussit, on obtiendra beaucoup pour l'hygiène, même avec dés programmes et un emploi du temps déraisonnables. Si on ne le fait pas, on ne sera assuré de rien, même avec d'excellents programmes et instructions. » Et M. Chabot terminait par ces voeux, qui nous rapprochent singulièrement des Associations scolaires :

« Que l'on élargisse, étende à toute école l'institution d'un conseil où seront admis de droit plusieurs représentants des parents.

2° Que les professeurs et parents se renseignent réciproquement et régulièrement par un usage mieux compris et plus volontiers pratiqué du carnet de correspondance.

3° Que pour épargner à tous les dérangements inutiles ou indiscrets et des pertes de temps, les professeurs aient, dans une salle même de l'école, comme les administrateurs et le médecin, leurs jours et heures d'audience ».


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En 1902, le Directeur de l'Ecole Turgot, à Paris, prit une initiative qui répondait aux voeux formulés par M. Chabot. A la suite d'une conférence à laquelle avaient assisté 314 familles (320 avaient été invitées), on remit aux parents un questionnaire dont nous tenons à reproduire ici un extrait :

« L'enfant jouit-il d'une bonne santé? A-t-il contracté quelque maladie qui ait eu des conséquences funestes pour la vue, l'ouïe, les poumons, le coeur, etc.?

L'enfant est-il confiant, craintif, sensible ou taciturne ? A-t-il bon coeur" ou est-il égoïste ?

Quelles sont ses inclinations dominantes, ses goûts et ses sentiments caractéristiques* ?

Aime-t-il l'ordre, la propreté, la vérité, la justice ?

A-t-il de la volonté ?

N'a-t-il pas déjà contracté quelques mauvaises habitudes qu'il serait facile de corriger ?

. Quels voeux les parents ont-ils à formuler concernant l'éducation morale de leur fils" ?

Pour quelle carrière montre-t-il des aptitudes ? »

Dans certaines écoles d'Allemagne, de telles questions, qu'on appelle Elternfragen (questions aux parents), sont posées avant même l'entrée de l'enfant en classe afin que les renseignements fournis puissent, dès ce moment, servir de guides aux maîtres sur les connaissances que possèdent déjà les bambins, connaissances qui diffèrent d'élève à élève. Voici, d'après l'excellente revue belge ^.Education familiale (1) quelques-unes de ces questions, se rapportant au développement physique, aux images et conceptions présentes au cerveau, à la sensibilité, à la volonté :

I. — L'enfant a-t-il appris à marcher, à parler tôt ou tard ? — Quelles maladies a-t-il eues ? — Qu'a-t-il éprouvé à la suite de ces maladies (par exemple : vue, ouïe, diction défectueuse) ? — Est-il arriéré ? — A-t-il) des défauts physiques ? — Dort-il régulièrement et combien de temps ? —• Aime-t-il à dormir longtemps ? — Mange-t-il de tout ou est-il difficile à table' ?

II. — Sait-il distinguer les couleurs ? — Fait-il une différence entre gauche et droite ? — Quels livres d'images a-t-il feuilletés ? —-De quels jouets s'occupe-t-il de préférence ? — A-t-il une bonne mémoire ? — Quitte-t il souvent la rue qu'il habite?— Va-t-il se promener souvent ? — Pose-t-il des questions ? — Aime-t-il à apprendre ? — A-t-il déjà quitté la ville ? — A-t-il assisté à un événement extraordinaire ? (par exemple un décès, un incendie, etc.) ?

(1) Numéro d'avril 1905, p. ai7.


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III. — Est-il de nature gaie ou maussade ? — Est-il tolérant ou espiègle ? — Est-il généreux ou avare ? -— A-t-il pitié des animaux ou prend-il plaisir à les taquiner ? — Se met-il facilement en colère ou est-il calme ? — Aime-t-il à donner des baisers ? — Trouve-t-il plaisir à avoir de beaux habits ? — Aime-t-il les friandises ? — Est-il indifférent ? — Pleure-t-il facilement ? — Dit-il toujours la vérité ? — L'avez-vous jamais surpris en flagrant délit d'indélicatesse ? —• Le cas est-il resté isolé ou s'est-il répété ? — Obéit-il immédiatement ou l'ordre doit-il être répété ? — Pâlit-il ou rougit-ilj quand on lui fait une observation ? -*- Est-il peureux ? — Est-il poli ? — Aime-t-il à être seul ou cherche-t-il la compagnie d'autres enfants ?

IV. — De quoi s'occupé-t-il de préférence à la maison ? — Est-il gauche ? Aime-t-il la vivacité ou s'occupe-t-il longtemps d'une même chose ? — A-t-il de l'ordre et de la propreté en ce qui concerne ses jouets et ses habits ? — Range-t-il de lui-même ses jouets ? — Quelles sont ses idées d'avenir ?

Les réponses à de tels questionnaires permettraient aux maîtres l'établissement de fiches, résultant ainsi d'un échange de vues réciproques en vue d'exercer une action plus profonde et puis suivie. L'Allemagne nous offre encore à cet égard de remarquables modèles. Voici, par exemple, d'après le D* Robert Dinet (i), les indications que contiennent les fiches d'un gymnase de Munich.

ï. — Qualités et défauts de l'enfant.

L'esprit :

A. Intelligence (étendue et vivacité), jugement, mémoire, don d'imitation ;

B. Sentimentalité j

C. Fantaisie, imagination (dons d'artiste). 2° Le corps :

A. Hérédité de l'enfant ; y a-t-il des fous dans la famille ?

B. Maladies de l'enfant et leurs suites ;

C. Défauts et qualités physiques : myope, presbyte, dur d'oreille, bègue, parle du nez, anémique, neurasthénique, etc. ;

D. Adresse au gymnase, dans les sports, etc.

3° Usage que fait Venfant de ses qualités et de ses défauts:

A. Négligé, intermittent dans toutes ses facultés ou dans une seule chose. Son application vient-elle de l'amour du travail, du sentiment du,devoir, de l'intérêt pour l'étude, de la crainte des punitions, de l'affection pour le maître, de l'amour-propre, de la jalousie ?

B. Préférences pour certains exercices.

IL — Influence qui se sont exercées ou s'exercent sur l'enfant. A. Rapports entre l'école et les parents de l'enfant. Son domicile est-il loin de l'école ? Ses parents ;

(ï) D' DINET. Physiologie et Pathologie de l'Education.


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B. Education donnée par les parents, bonne ou mauvaise ? L'enfant est-il gâté ? Prend-il part à des fêtes ou à des bals ? Est-il

durement traité (coups, etc.) ?

Sent-on, dans la façon dont il est élevé, l'absence d'une direction masculine ?

C. Malheurs dans la famille (maladies ou mort des parents).

III. — Effet des punitions.

IV. — Jugement général sur l'enfant.

C'est grâce a de tels renseignements que lès maîtres pourront, non seulement agir d'accord avec les parents, mais attacher plus fortement ceux<;i à l'école, qu'ils aimeront à considérer comme une maison amie, comme un prolongement du foyer.

Ils le sentiront d'autant mieux que l'instituteur ne négligera rien pour multiplier ses rapports avec eux. Près de Dax, deux instituteurs de communes rurales ont eu récemment l'ingénieuse idée de créer pour les familles le Journal de l'Ecole. Ce sont quelques feuillets autographiés qui contiennent des conseils sur l'instruction et l'éducation des enfants, des renseignements relatifs aux oeuvres post-scolaires, l'histoire des écoles de la commune, etc. Ailleurs, les parents sont groupéi en Cercles, ayant leurs réunions périodiques. Voici, par exemple, les statuts du Cercle Dacquois, adoptés avec quelques variantes dans plus de 40 autres Cercles des Landes et des Basses-Pyrénées.

« Les pères, mères et amis de l'école, réunis à l'école normale de DaX, pour entendre causer de l'éducation morale des enfants par les parents,

I. — Prennent la résolution de développer chez leurs enfants, jeunes et grands, les quatre vertus fondamentales et sociales suivantes :

L'amour et l'habitude du travail. 20 L'amour et la pratique de la justice et de la vérité. 30 La bonté agissante ou la solidarité. 4° La tempérance sous toutes ses formes. Par les quatre moyens rationnels suivants : Les bonnes habitudes chez le nourrisson. 20 L'obéissance chez le jeune enfant.

30 La volonté personnelle guidée par l'idée de justice chez l'adolescent.

4° Le bon exemple.

II. — Décident de tenir au moins une fois l'an, sous le nom ce Cercle Dacquois des Parents éducateurs et Amis de l'Ecole, des réunions où ils échangeront leurs vues sur l'éducation des enfants par les parents.

III. — S'engagent à préparer, renforcer et continuer l'éducaàon morale donnée par l'école, à soutenir par leur concours effectif les oeuvres auxiliaires de l'école (cantines et vestiaires scolaires, mutuali-


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tés scolaires, fêtes de parents et adolescents, petites amicales, bibliothèques, placement des jeunes gens, etc.) ; veulent en un mot procurer à leurs enfants un milieu familial et social qui les soutienne dans leur vie de travail, de tempérance, de justice, de bonté.

IV. — Les membres adhérents versent dans la Caisse du Cercle o fr. 25 contre remise du Petit Livre des Parents éducateurs.

V. — Estimant qu'une des manières les plus charmantes de payer la dette de tout homme envers ses semblables est de leur distribuer de bons outils de pensée et d'action.

Les membres actifs versent un franc par an, les membres honoraires, cinq francs par an, pour distribuer quatre ou vingt exemplaires du Petit Livre des Parents éducateurs à leurs amis et connaissances, ou aux jeunes époux le jour de leur mariage, ou aux parents le jour de la naissance de leur premier enfant ».

Est-il besoin de le dire ? Chacune des Associations scolaires de pères de famille pourrait constituer entre ses membres un Cercle d'éducation 'familiale ou tout au moins, dans ses réunions périodiques, aborder les problèmes multiples qui concernent l'éducation. Il importe seulement que ces problèmes ne soient pas traités de façon didactique : « Il ne faut pas de définitions, dit à ce sujet un spécialiste) pas de subdivisions scientifiques, pas de rebutantes abstractions. D'ailleurs, savoir répéter par coeur l'explication de quelque encyclopédie-relative à la nature de la mémoire ; savoir disserter au sujet de la nuance qui existe entre le souvenir et la réminiscence ; connaître les diverses subdivisions de la mémoire admises par l'un ou réfutées par l'autre, — tout cela ne donnerait aucune solution pratique à la question de savoir quand, à partir de quand, jusqu'à quel âge et en quelle mesure, il y a lieu de favoriser la faculté qui nous occupe et si les exercices mnémotechniques à haute pression fortifient ou affaiblissent l'intelligence (1). » Voici d'ailleurs, pris au hasard, le canevas d'une conférence, faite par le fondateur du Cercle Dacquois, sur l'Education de l'obéissance.

I. — On doit éviter les mauvaises manières de commander, par exemple :

Les paroles inutiles : Il faudra bien que tu obéisses. — Il y a une heure que je te dis. — Veux-tu bien obéir ? »

20 Les menaces vaines et effrayantes : « Attends t je vais venir 1 Je ferai venir les gendarmes. — Ne reviens plus devant moi, si tu n'as pas de meilleures notes. »

30 Les supplications lâches : « Tiens, cette bille de chocolat, et va donc. — Tu n'auras pas la belle robe, tu sais ! »

(1) Pol ANRI : Comment enseigner l'art de l'éducation dans les écoles ménagères* dans les autres établissements d'instruction et dans les réunions de parents.


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4° Les ruses : « Allez chez le voisin, vous y trouverez des camarades » (quand on sait qu'ils n'y sont pas).

II. — On doit éviter les mauvaises punitions :

Les coups, au moins à partir de trois ou quatre ans. . 2° Les privations des choses nécessaires : récréations, pain aux repas, etc.

3" Les injures : *Tu es une menteuse. Un méchant. Un gourmand. »

4° Les reproches immérités : « Tu n'as pas été polie, hein ? » (alors que l'on sait que l'enfant l'a été). « Tu es une paresseuse » (quand on sait que ce n'est pas vrai).

5° Les reproches décourageants : « Tu seras toujours un maladroit. »

5° Les railleries cruelles : « C'est que notre garçon est le premier de sa classe. »

7° Les humiliations devant les étrangers: « Elle est toujours punie — Nous ne pouvons pas en venir à bout. »

III. — Il faut habituer à l'obéissance dis la première année.

Pour empêcher les actes mauvais, prendre un ton sévère, avoir recours aux paroles et aux gestes répétés.

2° Pour faire accomplir des actes nécessaires, prendre un ton encourageant.

3° Ne pas laisser l'enfant commander par des pleurs : lui procurer le nécessaire, le consoler s'il a un réel chagrin, mais ne jamais céder à des larmes calculées.

IV. ■— Il faut savoir commander :

N'ordonner que le possible : ne pas condamner les enfants à une immobilité et à un silence continus.

2°. N'ordonner que l'indispensable : on laisse l'enfant continuer s'il fait bien ou s'il ne fait pas de mal.

3° Donner peu d'ordres à la fois, pour ne pas l'énerver, pour ne pas rendre l'obéissance difficile.

4° Commander en peu de mots : juste le nécessaire pour que l'on comprenne.

V. —• On doit exiger ce qui a été ordonné : Une obéissance immédiate.

2° Une obéissance entière. 3° S'il a oublié, rappeler l'ordre amicalement. 4° A la seconde récidive, contraindre par la, force. 5° Ne pas se laisser désarmer par le rire, ni par la boutade, ni par les larmes, ni par la peur « qu'il vous en veuille. »

VI. — Pour rendre l'obéissance facile :

On doit inspirer le respect, mélangé de crainte, d'affection et de confiance.


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VIL — Pour récompenser l'obéissance :

On évitera d'exciter de mauvais sentiments : « Tiens ce bonbon. Je t'achèterai un beau ruban bleu. —■ Tu vaux mieux que ton frère. 2° On attendra que la récompense soit désirée et méritée. ' 3° On la rendra réconfortante : sourire, éloge, baiser ému selon la grandeur de l'effort.

VIII. — Avant de punir les fautes, on doit les prévenir :

.. En disant nettement ce que nous voulons ; que l'enfant ne puisse jamais dire : « Je ne savais pas. »

2° En faisant appel à sa volonté : « Tu vas avoir un accès de colère, surveille-toi. »

IX. — On ne doit pas punir :

Pour des malheurs involontaires : . cruche cassée, chute, accident, etc., ou pour une faute accidentelle qui ne se renouvelle pas.

2° Quand il y a repentir sincère ; quand l'enfant dit : « Je ne le ferai plus. »

X. — Pour être efficaces, les punitions doivent être : Fort rares (voir les n°" VIII et IX).

2° Très simples : regard sévère, un « vous » au lieu de « tu », un « c'est mal », une privation d'honneur (ne pas manger à table), surtout une privation d'affection (baiser refusé).

3° Données au bon moment, celui où l'enfant est revenu au calme,' où les parents eux-mêmes sont calmes.

4° Données sur un ton contristé.

5° Différentes selon les caractères (peu de reproches aux sensibles, de rudes et rares secousses aux indifférents, une vigilance constante avec les étourneaux).

XL — Pour amener l'enfant à vouloir obéir :

On lui donne les raisons des ordres, en faisant appel à son esprit de justice.

Tous ces moyens n'ont leur plein effet qu'avec Vaccord du père et de la mère en matière d'éducation (ï).

On ne saurait exagérer le succès qu'obtiennent les causeries de ce genre. Que de fois, écrit un professeur d'école normale, les parents Vont-ils pas dit aux conférenciers :

« Mais voilà des choses que l'on devrait nous enseigner ! Comment se fait-il que Von n'y ait pas songé jusqu'ici ? Oh l que vous avez donné des notions utiles ! Vos paroles ont résonné profondément dans notre coeur, parce que les sentiments correspondants y existaient déjà. Vous nous avez révélés à nous-mêmes...-»

Voilà pour la profondeur de l'impression produite. Il y a eu aussi

(ï) D'après le Manuel du Conférencier des Parents éducateurs, brochure intéressante, mais sur les tendances de laquelle nous sommes obligé de faire les plus •xpresses réserves.


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des résultats pédagogiques immédiats. Après une conférence sur l'éducation morale des enfants par les parents, « un père a ces'sé de battre son enfant ; un autre de dire devant lui des paroles grossières ; une mère s'est promis de ne plus accabler sa fille de reproches immérités. Un père et une mère se sont concertés pour ne plus se contrarier l'un l'autre dans leur conduite envers leurs enfants. Un père ne pouvait se ; faire obéir de sa fillette, âgée de 2 ans : « Voyons, se dit-il, si je réussirai par le moyen indiqué dans la conférence qui nous a été faite ■dimanche dernier. » Il essaya, réussit" et, charmé, conta le fait à ses voisins (1).

Ne nous étonnons pas si, dans ces conditions, les Cercles d'éducation familiale se multiplient rapidement. Dans le Sud-Ouest, il en existe déjà plusieurs centaines, et chaque jour naissent de nouveaux groupements. Gardons-nous de nous laisser distancer et ne redoutons pas que les sujets relatifs à l'éducation familiale soient vite épuisés. Une telle •crainte ne serait pas fondée. Nous avons eu la bonne fortune de tenir en main les comptes rendus des séances de plusieurs cercles comptant déjà deux ou trois années d'existence. Voici, pris au hasard quelques .sujets d'entretien : • ■ .

Ce que c'est que l'éducation. Pourquoi les parents doivent toujours s'entendre. Les premiers instants de la vie. Le milieu, la couchette, la layette. L'allaitement et le sevrage. La dentition et ses troubles. Education physiologique du nôuveau-né. Les premières habitudes de l'enfant : comment prévenir les mauvaises, comment former les bonnes. L'éducation du premier langage. Rôle du plaisir et de la douleur dans l'éducation et dans la vie. La peur. La colère. Le besoin d'émotion et la curiosité. L'amour-propre et ses dérivations. Comment cultiver l'amour filial et l'amour fraternel. Les amitiés de l'enfant'. La bonté. L'enfant menteur. L'éducation esthétique dans les familles. Le sentiment religieux : sa culture et son rôle dans l'éducation. Comment lutter contre J'égoi'sme. Comment réfréner la raillerie et l'esprit de contradiction. L'autorité et la liberté dans l'éducation. L'art de se faire obéir. Récompenses et punitions. L'étOurderie : ses causes et ses remèdes. L'irrésolution : ses causes et ses remèdes. L'inconstance : ses causes et ses remèdes. L'obstination : ses causes et ses remèdes. Pourquoi l'enfant répugne à l'abstraction? Nécessité et moyens de l'y habituer. Comment cultiver le raisonnement. L'éducation de la mémoire. Comment prévenir et corriger les. associations d'idées nuisibles. L'imagination et sa culture. La paresse : ses causes et ses remèdes. Lé rôle de là mèredansl'éducation intellectuelle de ses enfants. Quels jouets donner à nos enfants. Quelles lectures donner à nos enfants. L'adolescence. Rôle de la mère dans l'éducation domestiqué de la jeune fille.

1(1) L'Education familiale, mai 1904.

«


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La liste est loin d'être complète et chacun de nos lecteurs ne manquera pas, en y réfléchissant un peu, d'en relever les nombreuses lacunes. Elle n'en atteste pas moins qu'en tenant une réunion par mois un groupement d'éducation familiale ne manquera pas de sujets d'entretiens. Ajoutons d'ailleurs que les membres d'un tel groupement se renouvellent petit à petit, et qu'il est indispensable de recommencer au bout de quelques années, le.cycle parcouru. La matière sera toujours abondante, et le seul danger est que les conférenciers, même pédagogues de profession, ne soient effrayés par les difficultés de la tâche. Qu'ils méditent, qu'ils observent, qu'ils se remémorent leurs propres souvenirs de jeunesse et surtout qu'ils fassent passer dans leurs causeries tout leur coeur : ils ne manqueront pas de rencontrer celui des parents. Ceux-ci ne demandent de leur côté qu'à parler, à communiquer leurs impressions personnelles, "leurs expériences heureuses ou non et de la sorte s'établit entre maîtres et parents la plus féconde des collaborations. Ajoutons qu'on pourra s'aider d'excellents ouvrages,, parus sur ces questions. Notons-en pour terminer, quelques-uns relevés dans la bibliothèque d'un cercle parisien :

PAUL ANRI : Comment enseigner l'art de Véducation dans les écoles ménagères, dans les autres établissements d'instruction et dans les réunions de parents. (Plantijn, à Gand.)

BIDART : Le Livre des Parents éducateurs. (Rotival).

JEAN CHARRUAU : Aux Mères. Causeries sur l'éducation (Douniôl).

G. COMPAYRÉ : L'Evolution intellectuelle et morale de l'enfant (Hachette).

EDMOND DEMOLINS : Comment élever et établir nos enfants (Firmin-Didot).

DUPANLOUP : L'Enfant (Douniol).

FÉNELON : De l'éducation des filles.

MAURICE DE FLEURY : Le Corps et l'Ame de l'enfant (A. Colin).

ABBÉ FONSSAGRIVES : Conseils aux parents et aux maîtres sur l'éducation de la pureté (Poussielgue).

Louis FRANK : L'Education domestique des jeunes filles (Larousse).

ABBÉ GUOEERT : La Formation de la volonté (Bloud). — Les Qualités de l'éducateur (Bloud).

R. P. LABERTHONNIÈRE : Théorie de l'éducation (Bloud).

MARTIN : L'Education du caractère (Hachette).

AUGUSTA MOLL-WEISS : Les Mères de demain. L'Education de la jeune fille d'après sa physiologie (Vigot).

FERNAND NICOLAI : Les Enfants mal élevés (Perrin).

BERNARD PEREZ : Les Trois premières années de Venfant (Alcan).

— L'Enfant de trois à sept ans (Alcan).

— L'Education intellectuelle dès le berceau (Alcan).


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BERNARD PEREZ : L'Education morale dès le berceau (Alcan).

— Le Caractère de l'enfant à l'homme (Alcan).

— L'Art et la Poésie chez l'enfant (Alcan).

Dr G. PETIT : Pour nos enfants. Conseils d'hygiène physique et morale (Sté d'Editions scientifiques ). PREYER -.L'Ame de l'enfant (Alcan). F. QUEYRAT : L'Imagination et ses vivacités chez l'enfant (Alcan).

— L'Abstraction et son rôle dans l'éducation intellectuelle

intellectuelle

— Les Caractères et Véducation morale (Alcan).

— La Logique chez Venfant et sa culture (Alcan). -— Les Jeux des enfants (Alcan).

ABBÉ SIMON : Comment il faut élever les enfants (Picard-Balon).

P. F. THOMAS : L'Education des sentiments (Alcan).

Signalons enfin, parmi les périodiques, deux revues que mentionne et recommande Max Turmann , l'une belge : l'Education familiale (ï) ; lîautre française : le Bulletin de l'Union familiale (2).

Pas plus que les sujets à traiter, les matériaux ne font donc défaut ; mettons-nous hardiment à l'oeuvré. Elle vaut la peine que chacun des membres de l'enseignement libre y consacre le meilleur de ses efforts. « Il ne s'agit certes pas, écrivait récemment M. Ch. Dontaine pour les maîtres de la Belgique, de délaisser ces oeuvres que le zèle éclairé de nos instituteurs a su rendre- si florissantes. Au contraire, il s'agit de leur donner un regain de vitalité. C'est pourquoi nous disons aux membres du personnel enseignant : Le moment est' venu d'associer plus ■étroitement, plus directement l'action de la famille à celle de l'école. Les parents doivent vous aider dans votre tâche en collaborant activement à la grande oeuvre de l'éducation. Us le peuvent, et ils le voudront si vous le voulez. Allez à eux sans intermédiaires ; les occasions ne font pas défaut. Entretenez-les, dans un langage simple, dégagé de toute prétention scientifique ou littéraire, venant du coeur et allant au coeur, des intérêts matériels et moraux de leurs enfants. Lorsque vous les aurez pénétrés de l'importance des grandes vertus qui font le bonheur en ce monde, votre tâche quotidienne sera singulièrement facilitée. Vous aurez acquis l'estime respectueuse des enfants, des pères et des mères. Vous aurez fait de votre école un foyer d'éducation qui échauffera les coeurs et vivifiera les âmes jusque dans les plus modestes demeures. Vous verrez sans effort fleurir les oeuvres que vous avez si justement à coeur, et vous éprouverez la' douce satisfaction réservée à ceux -qui savent se sacrifier pour le bonheur d'autrui (3). »

(1) 44, rue Rubcns, a Bruxelles (6 francs par an).

(») 1, passage Etienne-Dclaunay (171, rue de Charonne), Paris, (a fr. par an).

(5) L'Education familiale, février 1904, pp. 63 et 64.


Cljropique de l'anarchie universitaire

M. Hervé devant la Cl?ai»bre

Lei5maii905 la Chambre des députés s'est occupée de M. Hervé ;: nous reproduisons ci-dessous, d'après l'Officiel, le compte-rendu des débats qui ont eu lieu à ce sujet.

La Chambre s'est déclarée satisfaite des « paroles » de M. Rouvier. Quant à nous, nous demandons des actes. Le manuel de M. Hervé est mis dans les bibliothèques pédagogiques des écoles : nous l'avons prouvé. Les doctrines de M. Hervé sont enseignées à la laïque : nous l'avons prouvé. Si M. Rouvier juge que c'est l'a « préface de la destruction nationale », qu'attend-il pour sévir contre les instituteurs internationalistes? Tant qu'il ne l'aura pas fait, il sera le complice de cette oeuvre de destruction nationale qui s'accomplit tous les jours.

M. LE PRÉSIDENT. J'ai reçu une nouvelle demande d'interpellation, signée de M. Lasies et ainsi conçue :

« Je demande à interpeller le Gouvernement pour lui demander de supprimer dans les écoles de l'Etat les livres de M. Hervé. »

Quel jour le Gouvernement se propose-t-il pour la discussion de cette interpellation ?

M. BIENVENU MARTIN, ministre de l'instruction publique, des beauxarts et des cultes. Le Gouvernement demande l'inscription à la suite des autres interpellations.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Lasies.

M.' LASIES. J'aurais très volontiers accepté la remise de mon interpellation à une date précise, mais je ne puis accepter son renvoi à la suite des autres. Elle doit être discutée; il faut que le Gouvernement se prononce sur la question que je viens apporter à la tribune.

Je demande à la Chambre, pour démontrer l'urgence de mon interpellation, la permission de lui lire un simple document; il est peut-être un peu long, mais sa lecture intégrale est nécessaire; il faut que la Chambre et le pays en connaissent toute la teneur.


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En déposant cette interpellation, messieurs, ne croyez pas que je viens demander des représailles contre l'auteur de l'article que je vais lire; je suis partisan de la liberté de la presse et, suivant l'expression bien connue, je dis que la liberté de la presse sera toujours comme la lance d'Achille, guérissant elle-même les blessures qu'elle fait.

Mais, Messieurs, les doctrines prêchées par M. Hervé ne pouvaient être dangereuses que si, par hasard, elle étaient couvertes par l'approbation du Gouvernement. C'est tout ce que je, veux savoir: oui ou non, le Gouvernement approuve-t-il les doctrines résumées dans l'article que je demande à la Chambre la permission de lui lire ?

M. LE PRÉSIDENT. N'est-ce pas le fond de l'interpellation que vous abordez, monsieur Lasies ?

M. GAYRAUD. C'est un argument en faveur de la discussion immédiate.

M. LASIES. C'est le seul argument que je donnerai, mais il est' nécessaire que je le donne.

M. EDOUARD VAILLANT. Voulez-vous me permettre un mot, monsieur Lasies ?

M. LASIES. Volontiers.

M. EDOUARD VAILLANT. Je vous demande de vouloir bien réserver la lecture que vous avez l'intention de faire pour la discussion de l'interpellation, car, actuellement, on ne pourra vous répondre.

M. LASIES. Si je demande à lire le document que j'ai entre les mains, c'est précisément parce que j'ai la certitude qu'après l'avoir entendu en entier la Chambre n'acceptera pas la proposition du Gouvernement tendant à renvoyer l'interpellation à la suite des autres. J'ai la ferme conviction qu'elle voudra donner immédiatement une sanction. M. Vaillant pourra donc défendre les doctrines que j'attaque.

M. LE PRÉSIDENT. Je fais d'ailleurs observer que plusieurs orateurs peuvent être entendus sur la fixation de la date; rien dans le règlement ne s'y oppose. M. Vaillant pourra donc avoir la parole, s'il le désire.

M. LASIES. Voici l'article de M. Hervé.

M. SALIS. NOUS le connaissons.

M. LASIES. Tout le monde ne le connaît pas, et en tous cas nous n'avons pas encore l'appréciation officielle; c'est justement cette appréciation que nous voudrions connaître.

« Mon malheur est grand !

« Après avoir scandalisé les feuilles nationalistes par mon discours au meeting d'unité socialiste du Tivoli-Vaux-Hall, voici que j'ai choqué par surcroît le patriotisme du citoyen Gérault-Richard.

« Il ne peut pas croire que j'ai pu dire, en parlant des socialistes de l'Yonne : « Sans nous préoccuper de savoir quel serait l'agresseur, nous répondrions à l'appel aux armes par la grève générale des réservistes. »


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« De prime d'abord, écrit l'ancien directeur du Chambard, je mettrais ma main au feu que le sens et le texte de ces paroles ont été travestis, car elles contredisent formellement et le sentiment et la doctrine socialistes. »

M. GABRIEL DEVILLE. Très bien!

M. LASIES. « Si l'orateur du meeting d'unité avait réellement tenu les propos, que la presse nationaliste lui prête, il n'aurait obéi qu'à une préoccupation très forte de pacifisme, à moins d'un puffisme grossier et d'un cabotinage écoeurant !... »

M. GABRIEL DEVILLE. Très bien!

M. LASIES. « Puffisme grossier ! Cabotinage écoeurant !

« Us sont terribles, ces révolutionnaires, quand ils ont trouvé un bon fromage pour abriter leur foi socialiste qui tombe et leur ardeur révolutionnaire qui s'éteint/

« Je serais pourtant désolé que Gérault mît sa main au feu, car mes paroles n'ont nullement été travesties, comme il le croit; je les ai bel et bien prononcées, et d'autres encore qui auraient indigné son patriotisme.

« Qu'est-ce que j'ai dit?

« J'ai dit ceci, en substance :

« Je me réjouis de l'unité réalisée, parce que j'espère que maintenant nous allons pouvoir nous atteler à une besogne dont la fédération -socialiste de l'Yonne s'est fait une spécialité et qui nous apparaît plus urgente que jamais, au lendemain du jour où les frasques diplomatiques de Delcassé et de Guillaume nous ont • donné l'impression que les appétits coloniaux des diverses classes dirigeantes pourraient bien un jour, si nous n'y prenions garde, déchaîner une grande guerre européenne où nous nous trouverions mêlés. »

M. MESLBER. Très bien !

M. LASIES. « En présence de ces redoutables éventualités, les socialistes de France, comme les socialistes d'AHemagne d'ailleurs, ont montré jusqu'ici une timidité qui n'est pas sans danger.

« Certes, ils ont combattu énergiquement le nationalisme et le militarisme, et ils se sont proclamés hautement pacifistes et internationalistes.

« Mais, soit parce qu'ils sont mal dégagés des préjugés reçus à l'école, soit qu'ils craignent d'effaroucher le troupeau électoral... »

Troupeau électoral! C'est singulier comme on a le respect du suffrage universel dans le parti de M. Hervé.

« ...ils ont eu soin de crier, les uns comme les autres, leur patriotisme sur les toits.

« Bebel et Jaurès ont tenu le même langage.

« Us sont internationalistes, mais patriotes.


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« Nous autres des sans-patrie! Allons donc! nous sommes plus patriotes que vous ! C'est nous qui sommes les seuls bons patriotes !

« Bebel comme Jaurès parlent de l'honneur national avec la même émotion, une émotion à arracher des larmes aux crocodiles du nationalisme. » (Rires sur divers bancs.)

Il n'y a pas à rire, messieurs. Tout cela est à l'honneur de MM. Jaurès et Gérault-Richard et je ne puis que les féliciter d'avoir mérité les critiques acerbes de M. Hervé. (Très bien/ Très bienl)

« Us réprouvent toute guerre de conquêtes, mais qu'on vienne attaquer leur patrie et l'on verra si les socialistes allemands ou les socialistes français ne se lèveront pas comme un seul homme pour la défendre.

« Voilà ce que Bebel en Allemagne, Jaurès en France.crient à tous les échos.

« Je dis qu'un tel langage est dangereux.

« C'est très beau de dire qu'on défendra sa patrie en cas d'agression, mais au moment où éclate un conflit il est à peu près impossible de savoir qui est l'agresseur, non seulement parce que d'ordinaire les torts sont réciproques, mais parce que souvent ce n'est pas celui qui déclare la guerre qui est le plus coupable.

« En 1870, c'est le gouvernement français qui a déclaré la guerre, mais, en bonne justice, le gouvernement allemand ne mérite-t-il pas tout autant la qualité d'agresseur?

« Dans la guerre anglo-boer,' ce sont les Boers qui ont déclaré la guerre, mais peut-on dire qu'ils aient été véritablement les agresseurs ?

« Dans la guerre russo-japonaise actuelle, les Japonais ont commencé les hostilités, les provocations directes ne venaient-elles pas de Russie?

« Dans la prochaine guerre franco-japonaise, quand les Japonais chasseront les capitalistes et les soldats français de l'Indo-Chine, M. Delcassé et le gouvernement français n'auront-ils pas cherché affaire au Japon en accordant déloyalement à la -flotte russe l'hospitalité des ports français ?

« Si jamais un conflit éclate entre la France et l'Allemagne, laissez faire la presse capitaliste des deux pays, elle saura brouiller les cartes si bien que la grande masse du public français sera persuadée que l'agression véritable est venue de l'Allemagne, tandis qu'on démontrera au public allemand que c'est le peuple français qui a tous les torts.

« Aussi, lorsque les chefs socialistes français ou allemands déclarent que leur parti défendra la patrie en cas d'agression, ils parlent pour ne rien dire, ou plutôt, ce qu'ils disent revient à dire qu'on marchera en tous les cas.

« Eh bien ! dans l'Yonne, et sans doute aussi ailleurs, nous avons une autre conception de l'internationalisme.


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« Nous sommes des internationalistes, mais des internationalistes antipatriotes.

« Nous n'avons à aucun degré l'amour de la patrie, et nous ne savons pas ce que c'est que l'honneur national. Les patries actuelles ne sont pas pour nous des mères, mais des marâtres, d'ignobles mégères que nous détestons.

~<f Pour nous, à l'exception des patries russe et turque, dont le régime de barbarie, d'ailleurs en voie de disparition, serait inapplicable aujourd'hui aux populations plus instruites et plus civilisées des autres pays européens, toutes les patries se valent.

« L'étiquette républicaine abrite en France la même exploitation d<3 l'homme par l'homme, la même organisation sociale que l'étiquette impériale en Allemagne ou l'étiquette royale en Angleterre ou en Italie.

« Le patriotisme, en masquant l'antagonisme des classes au sein de

chaque nation, en faisant croire aux parias de chaque patrie qu'ils ont

les mêmes intérêts que les capitalistes qui les tondent, est le plus

• grand obstacle à la diffusion du socialisme fondé sur le principe de la

lutte des classes, «tf à. la révolution sociale.

« La supériorité politique du régime français actuel sur le régime impérial allemand est si mince, à cause de la similitude d'organisation économique et sociale des deux pays qu'il nous est parfaitement indifférent d'être Français ou Allemands. (Exclamations au centre et à droite.)

« En tous cas, nous sommes bien décidés, dans l'Yonne, à répondre à un ordre de mobilisation par la grève générale des réservistes d'abord, par l'insurrection ensuite.

« S'il faut risquer notre vie nous la risquerons pour essayer de faire la révolution sociale, les guerres civiles étant les seules guerres où les peuples aient quelque chose à gagner.

« Mais pour la défense des patries actuelles, nous ne donnerons ni une goutte de notre sang, ni un centimètre carré de notre peau.

« Voilà avec quel esprit, avec quelles espérances notre fédération arrive à l'unité.

« Au sein du parti unifié, nous travaillerons à propager cette conception de l'internationalisme antipatriotique, et nous espérons bien que nous réussirons à secouer nos camarades socialistes allemands qui, eux aussi, ont besoin qu'on leur apprenne à prendre les taureaux' par les cornes.

« Evidemment, une pareille conception dérange les petites combinaisons électorales : elle n'est faite pour plaire ni à ceux qui sont députés, ni à ceux qui ont envie de le devenir.

« Gérault-Richard est libre de croire que cette conception de l'internationalisme n'est pas celle du parti.

« Je lui accorde que jusqu'ici elle n'a pas été celle des états-majors


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parlementaires du parti et qu'elle n'est pas non plus celle des électeurs radicaux qui en beaucoup de circonscriptions font élire des candidats socialistes.

« Mais, après l'avoir fait acclamer non seulement dans 400 communes rurales de l'Yonne, mais à Saint-Etienne, à Nevers, à Amiens, à Lyon, et même à Nancy, par de nombreux auditoires socialistes, je lui garantis que cet internationalisme antipatriotique est bien la conception de la grande masse des militants de notre parti unifié qui — d'ailleurs notre déclaration d'unité le proclame — n'est pas un parti de réforme, mais un parti de révolution sociale. »

Je demande au Gouvernement s'il est admissible que les ouvrages d'un homme qui a écrit cet article soient répandus dans les écoles de l'Etat. Je demande au Gouvernement, puisque M. Hervé a, comme vous le voyez, le couragCvde son opinion, d'avoir le courage de la sienne, et de nous dire s'il approuve ou s'il condamne de pareilles doctrines et si elles ont place dans les écoles. (Applaudissements à droite et au centre.)

M. ARCHDEACON. Que pensent de cela les ministres élus dans l'Yonne avec 30 p. 100 de voix de partisans de M. Hervé ? (Bruit.)

M. EDOUARD VAILLANT. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le président du Conseil.

M. MAURICE ROUVIER, président du conseil, ministre des finances. Ce n'est pas sans une infinie tristesse que je viens répondre à l'étrange question qui a terminé les observations de M. Lasies. Je ne peux pas croire qu'il la pose sérieusement au Gouvernement qui est sur ces bancs. Je me demande même quel intérêt l'honorable M. Lasies —- si active que soit son opposition, si énergiques que soient les paroles de réprobation qu'il puise dans ces sentiments patriotiques contre une telle prose, — peut trouver à l'apporter à cette tribune, à moins que, comme les Spartiates, il ne veuille faire naître la réprobation publique par le spectacle que donne l'ilote. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

M. LASIES. Parfaitement.

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. Quant à nous, messieurs — et je ne serai contredit par aucun des membres du Gouvernement — nous sommes des républicains élevés à l'école d'hommes d'Etat, qui n'ont jamais séparé l'ardeur de leur foi démocratique du culte sacré de la patrie (Applaudissements au centre et à gauche) et c'est vraiment nous faire outrage que de venir nous demander quel sentiment peuvent nous inspirer de tels écrits. Est-il nécessaire de dire que nous les réprouvons? Est-il nécessaire d'ajouter que nous avons la conviction que la France entière les réprouve et que ceux-là mêmes qu'on voudrait entraîner dans cette propagande meurtrière pour la patrie, préface de la destruction


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de toute organisation nationale (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs) ceux-là mêmes y sauront rester sourds et si, ce qu'à Dieu ne plaise! jamais la France avait besoin d'appeler ses cohortes, ce n'est pas par la grève des réservistes que ce pays répondrait, mais bien par le souffle enflammé qui, il y a cent ans, souleva nos pères pour la défense de la patrie. (Vifs applaudissements sur les même* bancs.)

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Vaillant.

M. EDOUARD VAILLANT. Je ne suis pas étonné que M. le président du Conseil et M. Lasies soient d'accord. Pour mon compte, je ne suis pas d'accord avec eux.

M. GEORGES BERTHOULAT. VOUS l'êtes avec M. Hervé.

M. EDOUARD VAILLANT. Je me souviens qu'à propos des menaces que nous avons vu poindre dès le commencement, ^ju'un gouvernement imprudent ou coupable engageât la France dans les complications de la guerre d'Extrême-Orient, j'ai dit, comme l'a dit M. Hervé, que nous ferions appel à la grève générale et à l'insurrection plutôt que de laisser... (Vives protestations au centre et à droite. — Cris: A Vordre!)

M. LE PRÉSIDENT. Monsieur Vaillant, vous ne pouvez pas tenir un pareil langage à la tribune. Nous sommes tous ici les représentants du peuple et les serviteurs des lois; il n'est pas possible de tolérer qu'un représentant du peuple fasse appel à l'insurrection. (Vifs applaudissements au centre, à droite et à gauche. — Interruptions à l'extrême gauche.)

Oui, messieurs, pas plus que je n'ai toléré que d'un autre côté de la Chambre des paroles fussent prononcées contre la République, qui est le gouvernement du pays, je ne puis tolérer qu'un de nos collègues fasse appel à l'insurrection contre la loi et contre le pays. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. LE MARQUIS DE DION. C'est l'appel à l'insurrection devant l'ennemi; c'est beaucoup plus grave.

M. ARCHDEACON. C'est la vraie doctrine socialiste !

M. EDOUARD VAILLANT. Je rappelle un fait et je continue ma phrase: ...plutôt que de laisser le Gouvernement engager le pays dans une guerre odieuse et qui deviendrait funeste non seulement à la République, mais au prolétariat, à ses revendications, à son émancipation. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. BORGNET. A l'ordre !

M. EDOUARD VAILLANT. J'ajoute, au point de vue qui nous occupe, que je n'admets pas qu'on puisse trancher par une interpellation immédiate la question relative aux livres de M. Hervé, alors que ces livres n'ont pas été examinés. On nous mettrait ainsi dans l'impossibilité de les défendre texte en main.


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Je demande donc que l'interpellation soit renvoyée à la suite des autres. Nous pourrons alors, non seulement sur la question antimilitariste qui a été soulevée, mais sur toutes celles qui concernent les livres' du citoyen Hervé, discuter et répondre. (Applaudissements sur divers bancs à l'extrême gauche.)

M. LASIES. Quand j'ai posé une question au Gouvernement pour lui demander ce qu'il pensait des doctrines exposées par M. Hervé, j'étais bien sûr d'avance — ai-je besoin de le dire ? — de la réponse qui me serait faite. ■ ■ .

A gauche. Pourquoi, alors, avez-vous déposé une demande d'interpellation ?

M. LASIES. Cette réponse, il était nécessaire qu'elle fût faite; et vous l'avez faite, monsieur le président du conseil, en des termes éloquents qui seront demain un soulagement pour la conscience du pays. Devant les déclarations si belles que vous venez de faire, je me déclare satisfait et je retire ma demande d'interpellation. (Applaudissements à droite.)

M. AYNARD. Peu nous importe un détestable article de journal révolutionnaire de plus ou de moins; l'intérêt de la demande d'interpellation de M. Lasies existe en ce que M. Hervé est le directeur d'une revue pédagogique à laquelle des milliers d'instituteurs sont abonnés. (Très bien! Très bien!)

M. LE PRÉSIDENT. L'interpellation est retirée. L'incident est clos.

Le inouveinent syndical universitaire

La grève des gardiens de la paix de Lyon a montré aux esprits les moins clairvoyants quelles conséquences inévitables entraînait la formation de syndicats de fonctionnaires.

Cette Revue a été la première à signaler l'importance du mouvement syndicaliste dans l'enseignement public ; elle a démontré comment il était l'auxiliaire indispensable de ceux qui s'efforcent de faire de la « laïque »une école d'anarchie et d'antipatriotisme. Tant que la question n'aura pas été formellement posée devant le Parlement et l'opinion, nous continuerons à accumuler les documents sur ce phénomène inouï de désorganisation sociale.

Et à ce propos, on ne peut formuler une accusation sans être accusé de falsifier les textes et de les « tronquer », d'en dénaturer l'esprit. Nous allons donc citer sans en retrancher un mot un article paru dans une Revue qui se vante de compter 14.000 abonnés parmi les instituteurs publics. Nos lecteurs seront juges de l'état d'esprit qu'il leur révèle.


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Les lignes suivantes ont paru dans la Revue de l'Enseignement primaire du 14 mai 1905 :

Où nous et) son>n?cs

Le mouvement syndical prend une extension vraiment satisfaisante. En dépit des tracas, des avertissements, des conseils prudents, des menaces même, les instituteurs évoluent de plus en plus dans le mouvement syndicaliste.

Le Congrès des Conseillers départementaux a montré l'importance du mouvement de révolte des éducateurs français devant l'inertie administrative. Il en était venu de tous les cours de France, de ces élus des instituteurs et des institutrices, avec la conviction que l'Administration ne s'opposerait pas à leur réunion à l'école Turgot; car enfin, pensaientils, une salle que l'on accorde aux électeurs pour une réunion publique, ne saurait être refusée à des délégués d'instituteurs venus à Paris pour y traiter les intérêts de l'Ecole. Erreur. L'Administration, en une lettre sèche et brève, refusait de reconnaître l'entente des Conseillers départementaux, et interdisait l'entrée d'un établissement scolaire aux défenseurs naturels de l'Ecole et de ses maîtres. Il ne restait plus qu'une chose à faire. Puisque les chefs hiérarchiques voulaient nous ignorer, il n'y avait plus qu'à se présenter devant ceux qui nous appellent dans leurs groupements et qui sont loin, eux, de vouloir nous ignorer. Les Congressistes allèrent à la Bourse du Travail, où la Commission administrative les accueillit avec enthousiasme, si bien que l'ordre du jour suivant fut voté à l'unanimité :

Les délégués aux Conseils départementaux, réunis à la Bourse du Travail, regrettent que l'autorisation de délibérer à l'Ecole Turgot, sur l'es questions intéressant l'enseignement laïque, ne leur ait pas été donnée. Ils remercient la Bourse du Travail de les avoir reçus et votent une allocation pour la Caisse de solidarité ouvrière.

Murgier, en qualité de président du Congrès, souligna l'importance de là manifestation de solidarité du prolétariat primaire avec le prolétariat ouvrier; il montra, avec beaucoup de force, que nous étions libres de nos discussions, et que c'était une prétention arbitraire de l'Administration supérieure que de vouloir exiger l'apposition de son visa sur l'ordre du jour de nos délibérations; enfin, il fit ressortir nettement que l'Entente des Conseillers départementaux de France aurait désormais une action syndicale, par la raison même que l'Administration refusait de nous reconnaître en tant que collectivité agissante.

L'après-midi, la discussion du programme d'action fut aussi très intéressante. Elle révéla chez les Congressistes un état d'esprit qui dénote une éducation nettement syndicale; les instituteurs sont loin des timides


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résolutions qu'ils adoptaient dans le premier Congrès corporatif de Paris, en 1900; je sais qu'à Marseille déjà, les attaques contre les programmes avaient été vives et quelques « sous-préfets pédagogiques » avaient été malmenés; mais « l'action directe » principe syndical, n'avait même pas été discutée. Au Congrès de 1905, les Conseillers départementaux furent plus énergiques. L'article 9 du règlement de l'Entente disait:

« Les adhérents s'engagent à donner leur démission collective dans le « cas où elle serait décidée par le comité administratif de l'Entente, en « vue d'obtenir la reconnaissance des justes et nécessaires attributions « des Conseillers départementaux. »

Cet article fut discuté assez longuement; il s'agissait surtout d'établir que l'action directe n'aurait lieu que si l'administration se mettait nettement en travers d'une réforme justifiée; si, par exemple, le ministre refusait le retrait de la fameuse circulaire du 4 juin 1903ou si, cette circulaire retirée, le préfet posait la question préalable dès que les C. D. déposaient au bureau du président un voeu touchant les intérêts de l'école ou les intérêts des maîtres. Cette action contre la routine administrative est nouvelle; l'empressement avec lequel elle a été votée, à une énorme majorité, montre que les instituteurs sont très décidés à se défendre avec énergie contre l'arbitraire administratif. Nous nous félicitons, pour notre part, que cette tactique toujours défendue à la Revue ait reçu une aussi grande approbation. Comme Goyard le faisait remarquer au Congrès, les conseillers prud'hommes ont obtenu satisfaction dans les réformes qu'ils sollicitaient du Parlement en usant de cette tactique; il n'y a pas de raison pour que les instituteurs ne réusissent pas de la même façon, en employant les même moyens.

D'ailleurs, le camarade Beausolèil, membre de la commission administrative de la Bourse parisienne, ne nous a pas caché tout le contentement des syndicats ouvriers à voir l'évolution du prolétariat primaire; ses paroles furent longuement applaudies, surtout, lorsque faisant allusion à l'alliance des intellectuels et des manuels, il déclara se mettre à la disposition des Amicales de province ou de Paris pour traiter la question des syndicats d'instituteurs. Quoi qu'en pensent les timorés et les craintifs, les syndicats ouvriers ne nous jalousent nullement; ils souhaitent ardemment au contraire que nous nous émancipions avec eux et par eux.

Ce n'est pas seulement à Paris que la Bourse fait ainsi appel aux instituteurs. Je trouve dans le Bulletin de l'Union pédagogique du Rhône un excellent discours de Bonafé, président du syndicat des sténographes; les instituteurs de ce département étudient très méthodiquement la transformation de leur Amicale en syndicat; ils font appel aux syndiqués et leur demandent de les éclairer sur la question; ce sera


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donc après mûre réflexion qu'ils se décideront. Parlant de l'objection de la grève générale que l'on oppose à notre action, M. Bonafé a dit : « Une déclaration de grève générale n'engagerait en aucune façon les « instituteurs. Cette forme d'action directe est un idéal lointain que « les ouvriers ne semblent pas pressés de réaliser. Les expériences tentées « ne sont pas encourageantes.

« D'ailleurs, si la grève générale était déclarée, les instituteurs, en « restant à leur poste, rendraient service aux ouvriers, puisqu'ils sur- ' « veilleraient les enfants qu'on ne saurait, dans de telles circonstances, « laisser à la rue. »>

Et M. Bonafé, concluait aux applaudissements des auditeurs, en disant que les amicales agiraient sagement en rendant possibles, par la transformation de leurs statuts, leur assimilation aux syndicats et leur participation à la Confédération générale du travail.

C'est dans le Bulletin du Syndicat des Instituteurs et des Institutrices des Pyrênées-Orientales (mars 1905) que je trouve l'installation de ce nouveau syndicat à la Bourse du Travail de Perpignan. Notons que la transformation de l'Amicale s'est faite après un référendum très sérieux et que c'est après une discussion assez longue que le projet des statuts du Syndicat fusionnant toutes les sociétés a été adopté.

C'est dans L'Instituteur Républicain du Nord-Est que les instituteurs ardennais sont invités à user de la capacité syndicale. Dans un excellent article de fond du numéro d'avril 1905, la question de la transformation de l'Amicale est étudiée; il y est démontré que « cette transformation est possible, légale et désirable ».

Dans un article de ce même numéro, l'alliance des instituteurs et des ouvriers est vivement sollicitée: « Jusqu'ici, nous avons suivi en simple « curieux les phases de la lutte du prolétariat et du capitalisme. Nous <c ne savions pas que nos intérêts étaient engagés dans cette lutte. Nous « lisions les journaux bien pensants. Nous nous moquions, en compa« gnie des gros bonnets du pays des « utopies, des rêves chimériques « et irréalisables ». Nous nous réjouissions de savoir ces grévistes, ces « bandits, matés par les soldats, leurs fils cependant... Nous avons de « grands torts vis-à-vis du prolétariat ouvrier, mais enfin l'instituteur « s'éveille à la vie sociale... Soyons reconnaissants envers le prolétariat, « car, en travaillant pour lui, l'ouvrier a travaillé pour nous. La victoire « sur l'égoïsme bourgeois nous profitera comme à toutes les fractions « du prolétariat... Allons à nos frères, prenons rang dans la grande « armée du prolétariat ! Luttons, combattons en commun pour hâter « l'avènement d'une ère d'universel bonheur. »

C'est dans le Bulletin de l'Amicale des Deux-Sèvres (Avril 1905) que je trouve aussi la discussion du syndicat. Au Conseil d'administration du 13 avril, la question fut posée et renvoyée à une commission d'études;


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déjà Borit, dans un bel article fait un historique du mouvement syndical universitaire et montre les avantages pratiques et moraux que retirerait l'Amicale des Deux-Sèvres en devenant syndicat. Enfin, dans ce même bulletin paraît un projet de résolution, que le camarade Imbourgt soumet à l'Assemblée générale de l'Amicale; ce projet résume en 17 paragraphes les raisons pour lesquelles l'auteur demande la transformation syndicale; la discussion en sera fort intéressante; nul doute que la question ne se trouve résolue prochainement.

Dans les Côtes-du-Nord, le camarade Boscher a déposé au comité d'organisation le texte des statuts et le programme du Syndicat des Instituteurs des Côtes-du-Nord. La question est posée maintenant et Boscher a confiance que le syndicat breton sera chose sûre bientôt.

Dans le Morbihan, la section de l'Emancipation s'est transformée en syndicat morbihannais.

Dans les Bouches-du-Rhône, à propos du banquet de l'Union pédagogique, Bain, secrétaire du syndicat du Var, fait remarquer que les idées syndicalistes ont été acceptées par les Marseillais et que les discours concluant à la transformation nouvelle des Amicales ont été vivement applaudis.

Dans la Corrèze et dans la Drame, le mouvement se dessine aussi.

Bref, un peu partout l'idée s'affirme. Quand le Syndicat du Var s'est constitué, cela a paru d'une audace inouïe; aujourd'hui, un grand nombre d'instituteurs pensent comme nos camarades du Var; ils répondent avec empressement à l'invitation si franche et si cordiale de la Fédération des Bourses. « Bientôt toutes les Amicales,' se syndicalisant, « iront dans les Bourses du Travail cimenter l'alliance conclue dans « les Universités populaires. »


Cl>roi)ique Judiciaire

Epcore les Garderies

Nous avons relaté dans notre numéro de janvier dernier (page 41) deux arrêts de la Cour de Cassation, l'un du 3 décembre, l'autre du 23 décembre 1904, l'un et l'autre décidant que, s'il appartient au maire, en vertu de l'article 97 de la loi du 5 avril 1884 de prévenir, par des précautions convenables, les maladies épidémiques ou contagieuses, ou de prescrire les mesures nécessaires pour que l'école ne devienne pas un foyer d'insalubrité, aucun texte de loi ne lui permet d'interdire l'affectation donnée à une propriété privée par l'établissement d'une garderie d'enfants, qu'il ne saurait donc, sans excès de pouvoir ordonner la fermeture d'une garderie ou même d'une école par mesure de salubrité publique. Il doit se borner à prescrire de faire cesser la cause : l'insalubrité.

Il s'ensuit qu'un arrêté municipal ordonnant la fermeture d'une garderie, ou même ordonnant .telles ou telles réparations spécifiées, étant illégal, n'est nullement obligatoire et que les personnes visées par cet arrêté n'ont qu'à se laisser dresser procès-verbal et citer en simple police où le Juge de Paix sera dans la nécessité de les acquitter.

C'est ce qui vient d'avoir lieu notamment dans la commune de Chaillé-les-Marais (Vendée) par un jugement du 13 mars 1905.

L'arrêté du maire de Chaillé visait l'installation prétendue défectueuse au point de vue de l'hygiène de la garderie établie dans ce bourg, alléguant que la santé des enfants en pouvait souffrir, ce qui du reste, était, en fait absolument inexact. Il ordonnait la fermeture immédiate.

Poursuivie en simple police pour contravention à cette ordonnance, Mlle Rondeau, gardienne de l'établissement, s'est vue acquitter par un jugement dont les motifs sont entièrement conformes aux arrêts de la jBour de Cassation.

, Les garderies échappent donc aux pouvoirs généraux de police des maires ; ceux-ci ne peuvent pas davantage interdire les garderies en vertu de leurs pouvoirs spéciaux de police en matière d'hygiène et de salubrité. (Arrêts de Cassation des 3 et 23 décembre 1904.)


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Mais les garderies ne peuvent-elles pas du moins être assimilées aux crèches et soumises à la même réglementation ? Et par suite, n'est-ce pas au préfet qu'il appartient d'accorder l'autorisation d'installer une garderie comme d'ouvrir une crèche? (Le décret du 2 mai 1897 exigeant en effet une autorisation pour l'ouverture d'une crèche).

Cette opinion n'a pas prévalu devant le Conseil d'Etat au contentieux, dans l'espèce ci-après :

Le maire de Lançon (Bouches-du-Rhône) avait pris, à la date du 4 janvier 1904, un arrêté ainsi conçu: « Les garderies fonctionnant sous la direction d'un comité libre, dans des locaux non autorisés, sont formellement- interdites dans tout le territoire de la commune de Lançon pendant l'année 1904. »

Cet arrêté a été déféré au Conseil d'Etat pour excès de pouvoir par MM. Giraud et Séné, membres du comité qui avait installé une garderie dans la commune.

Le ministre de l'Intérieur (de qui relèvent les garderies et les crèches), dans ses observations, concluait à l'annulation de l'arrêté du maire par le motif que cet arrêté était entaché d'usurpation de pouvoirs. Il soutenait en effet, que les garderies devaient être assimilées aux crèches et, par analogie, devaient être régies par les mêmes textes. Or, d'après le décret du 2 mai 1897, c'est au préfet qu'il appartient d'accorder l'autorisation d'ouvrir les crèches ; le maire de Lançon, en prenant son arrêté, avait donc empiété sur les attributions du préfet.

Le commissaire du Gouvernement, M. Saint-Paul, à conclu le 27 janvier 1905, à l'annulation de l'arrêté attaqué, mais pour des motifs autres que ceux invoqués par le ministre de l'Intérieur. ,

« Il y a un point, dit-il, sur lequel nous sommes d'accord avec le Ministre de l'Intérieur, c'est que l'arrêté du maire de Lançon doit être annulé pour excès de pouvoir.

Mais où nous différons d'avis avec le Ministre, c'est sur les motifs de l'annulation. Si, en effet, les garderies étaient de véritables crèches, il n'y aurait pas de difficulté, rempiètement de pouvoirs serait manifeste, mais il n'en est pas ainsi. Les crèches ne reçoivent pas d'enfants audessus de trois ans, les garderies reçoivent des enfants qui dépassent cet âge et qui ont même plus de six ans. Il est assez difficile de donner tine définition exacte des garderies, mais on peut procéder par élimination. Les garderies ne sont pas des crèches, on vient de le démontrer; d'autre part, les garderies ne sont pas des écoles maternelles puisqu'il n'y est donne aucune sorte d'enseignement. Au surplus, les écoles maternelles ont été réglementées par la législation scolaire. Dans ces conditions,, il est très contestable que le préfet, usant des droits qui lui ont été reconnus par le décret du 2 mai 1897, puisse réglementer les garderies, et par conséquent nous ne pouvons pas dire que le maire de Lançon a commis un empiétement sur les pouvoirs du préfet, puisque le projet, nous le


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répétons, n'a pas le -pouvoir de réglementation à l'égard des garderies.

Dans l'état actuel de notre législation, il n'est pas possible d'admettre l'intervention préventive du maire pour réglementer les garderies, par conséquent le maire de Lançon a commis un excès de pouvoir en prenant l'arrêté attaqué. Toutefois, il conviendra,, dans la décision à intervenir, de réserver les pouvoirs que le Ministre tient des dispositions générales de la loi municipale. Si les conditions d'installation de la garderie sont défectueuses, l'autorité municipale n'est pas désarmée: elle peut prendre les mesures nécessaires pour faire cesser l'insalubrité des locaux, mais ce qui lui est interdit, c'est de réglementer la matière à titre préventif; or, c'est ce qu'a fait le maire de Lançon. Il n'a pas empiété sur les pouvoirs du préfet : il a statué en dehors du cercle de ses attributions ; dès lors son arrêté est entaché d'excès de pouvoir.

Par ces motifs, nous concluons à l'annulation de l'arrêté attaqué. »

Cette thèse a obtenu l'adhésion du Conseil d'Etat. Son arrêt du 5 février IQ05 est ainsi conçu :

« Vu la requête formée par les sieurs Giraud et Séné (Lançon, Bouchesdu-Rhône), tendant à ce qu'il plaise au Conseil d'annuler, pour excès de pouvoir, un arrêté du maire de Lançon,' en date du 4 janvier 1904, interdisant sur le territoire de la commune pour 1904 les garderies fonctionnant sous la direction d'un Comité libre dans des locaux non. autorisés ; ce faire par les motifs que la garderie ouverte par le soin du Comité des écoles libres n'est pas un établissement d'enseignement primaire; que son ouverture n'était assujettie à aucune formalité légale; que le maire pouvait intervenir si ces locaux étaient reconnus insalubres, mais qu'il n'avait pas à donner d'autorisation préalable;

Vu les observations du Ministre de l'Intérieur, en réponse à la communication qui lui a été donnée de la requête, tendant à ce qu'il soit fait ■droit aux conclusions de ;la requête, par les motifs que les garderies doivent être assimilées aux crèches et que celles-ci, d'après le décret du 2 mai 1897, sont placées sous l'autorité exclusive des préfets, auxquels seuls il appartient d'autoriser leur ouverture et de prononcer leur fermeture ;

...Considérant qu'en l'absence d'une disposition législative ou réglementaire sur les garderies, il n'appartenait pas au maire de Lançon, en vertu de ses pouvoirs généraux de police, d'interdire les garderies fonctionnant sur le territoire de la commune dans des locaux non autorisés,

Décide : l'arrêté du maire de Lançon est annulé. »

Les garderies échappent donc à la réglementation des crèches et, pas |plus que les maires, les préfets ne peuvent prendre quant à l'ouverture des garderies, des mesures préventives.

Certains préfets (en Vendée notamment, arrêté du 6 décembre 1904) ■ont cru pouvoir exiger pour l'ouverture d'une garderie une déclaration ;au maire et à l'approbation préfectorale. Le nombre des enfants, les noms des auxiliaires doivent être indiqués, et le préfet se réserve le droit de


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fixer ne varietur, le maximum des enfants que doit recevoir la garderie. Le retrait de l'autorisation peut avoir lieu pour refus de se conformer à diverses prescriptions, d'hygiène ou autres. Toute personne désignée par le préfet peut visiter les locaux et le maire est autorisé à faire fermer les garderies pour cause d'installation défectueuse.

De telles dispositions sont absolument illégales et doivent être considérées par les intéressés comme dépourvues de toute sanction et inexistantes.

Si, de tout ce qui précède, il résulte que les garderies ne sont pas des crèches et ne peuvent leur être assimilées, c'est, bien entendu, à la condition que les directeurs et directrices de ces établissements n'admettent que des enfants âgés de plus de trois ans, puisque, d'après le décret du 2 mai 1897, c'est jusqu'à cet âge que les enfants peuvent être reçus dans les crèches.

C'est là une recommandation que nous avons toujours faite. (Voyez notamment l'Enseignement libre, tome Ier, p. 20.)

Un établissement qui reçoit en garde des enfants âgés de moins de trois ans accomplit l'oeuvre pour laquelle les crèches ont été instituées et court, dès lors, la chance d'être soumis aux dispositions qui les régissent.

Un arrêt récent de la Cour de Cassation (p.4 mars 1905, affaire Siraudeau) vient d'être rendu en ce sens.

« Attendu que, par arrêté en date du ier février 1904, le préfet du Loiret, visant le décret du 2 mai 1897 concernant l'établissement et l'inspection des crèches, a prescrit la fermeture d'une garderie dans laquelle la dame Siraudeau reçoit des enfants de deux à six ans ; que cette décision est basée sur ce fait que, contrairement aux dispositions de l'art. 2 du décret précité, ladite garderie a été ouverte sans autorisation ;

Attendu que l'art. ier du décret du 2 mai 1897 pris dans l'intérêt de la salubrité publique et dont l'objet rentre, par suite, dans les matières que les lois des 16-24 août 1791 et du 5 avril 1884 confient à la vigilance de l'autorité administrative, est conçu" comme suit : <c La crèche a pour objet de garder et de soigner les enfants en bas âgfe pendant les heures de travail de leur mère. Les enfants y reçoivent, jusqu'à ce qu'ils puissent entrer à l'école maternelle, ou jusqu'à ce qu'ils aient accompli leur troir sième année, les soins hygiéniques et moraux qu'exige leur âge » ; qu'il résulte de ce texte que tout établissement qui reçoit en garde des enfants âgés de moins de trois ans révolus accomplit l'oeuvre pour laquelle les crèches ont été instituées et est, dès lors, soumis aux dispositions qui les régissent; que cette circonstance que des enfants d'un âge' plus avancé y sont aussi reçus ne saurait les soustraire à l'exécution des mesures édictées en.vue de protéger la santé des enfants en bas âge; qu'il n'existe d'exception que pour les écoles maternelles où l'âge d'admission est fixé à deux ans par l'art. ior du décret du icr janvier 1887;


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Attendu qu'il n'a pas été contesté devant le tribunal de simple police que la dame Siraudeau reçoit dans sa garderie les enfants à partir de l'âge de deux ans; que, dans ces conditions, cette garderie ne pouvait être ouverte sans l'autorisation du préfet, prescrite par l'art. 2 du décret du 2 mai 1897; qu'il suit de là que l'arrêté du icr février 1904 a été pris légalement, et qu'en prononçant une condamnation pour l'infraction à cet arrêté commise par la prévenue, le juge de police, loin de violer l'art. 471 § 15 C. pén., en a fait au contraire une exacte application;

Par ces motifs, rejette... »

Des réunions électorales à l'Ecole publique

Un arrêté fort intéressant vient d'être rendu, en cette matière, par le Conseil d'Etat (séance du 31 mars 1905). Il décide que s'il appartient au préfet d'accorder accidentellement et dans des conditions exceptionnelles le droit de disposer des locaux scolaires pour assurer un service public, il ne puise dans aucune disposition de loi oui de règlement le droit d'en concéder l'usage pour un objet étranger à ces services, et notamment d'autoriser la tenue d'une réunion électorale dans une école publique, en dehors d'un accord avec le maire, représentant la commune propriétaire des locaux scolaires.

Le -préfet n'a pas le droit de concéder la jouissance de l'école, sans accord avec le maire.

Voici dans quelles circonstances ces solutions sont intervenues :

Par décision en date du 27 avril 1904, le préfet de la Charente a autorisé la tenue d'une réunion électorale clans le préau de l'école publique de Saint-Ausone, à Angoulême. Le maire d'Angoulême a déféré cette décision au Conseil d'Etat et en a demandé l'annulation pour excès de pouvoir.

Il a soutenu, à l'appui de sa requête, que la loi interdit d'affecter les locaux scolaires à un usage étranger à leur destination, sauf pour assurer un service public ; que, d'ailleurs, la décision préfectorale portait atteinte aux droits de la municipalité, qui avait refusé son autorisation.

Consultés sur le mérite du recours, les ministres de l'instruction publique et de l'intérieur se prononcèrent dans le sens du rejet, par ce motif que le préfet n'aurait donné l'autorisation critiquée qu'en vertu des pouvoirs à lui conférés par le règlement sur les établissements de l'enseignement primaire du 18 janvier 1887, conformément aux dispositions de l'article 16 de la loi du 30 octobre 1886 ; qu'en outre une réunion électorale présente un caractère véritable d'intérêt public.


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Le Conseil d'Etat a rendu un arrêt en sens contraire et a décidé qu'il y avait lieu d'annuler la décision du préfet de la Charente.

« Le Conseil d'Etat,

« Sur le rapport de la première sous-section du Contentieux; -« Considérant que, s'il appartient au préfet d'accorder, accidentellement et dans des conditions exceptionnelles, le droit de disposer des locaux scolaires pour assurer un service public, aucune disposition de loi, ni de règlement ne lui permet d'en concéder l'usage pour un objet étranger à ces" services et en dehors d'un accord avec l'autorité municipale représentant la commune propriétaire des locaux ; qu'ainsi, en autorisant, malgré le refus du maire d'Angoulême, la tenue d'une réunion électorale dans une école publique de cette ville, le préfet de la Charente a excédé ses pouvoirs ;

« Décide :

<( Art. Ier. — La décision susvisée du préfet de la Charente, en dafe dû 27 avril 1904, est annulée. »

Circulaire

relative aux locations consenties par les liquidateurs à des congréganistes sécularisés.

La circulaire suivante a été adressée le 10 janvier dernier par le Ministre de la Justice à tous les parquets de France. On y trouvera la preuve de l'émotion que soulèvent en. haut lieu les multiples réoutures d'écoles libres.-

Monsieur le Procureur général, mon intention a été appelée sur les inconvénients que présentent certaines locations consenties par les liquidateurs des biens des congrégations dissoutes.

Il m'a été signalé, notamment, que plusieurs de ces administrateurs donnent parfois à bail, sans garantie suffisante, à des membres du clergé ou à d'anciens congréganistes se disant sécularisés ou laïcisés, les immeubles où sont établies des écoles congréganistes, à l'égard desquelles, des arrêtés de fermeture ont été pris. Ces congréganistes,soit qu'ils aient traité directement avec le liquidateur, soit qu'ils aient été substitués à l'ecclésiastique bénéficiaire du bail ou appelés par lui, s'empressent de faire une déclaration d'ouverture d'école'que l'autorité administrative ne peut qu'enregistrer.

Il suit de là qu'au mépris de l'arrêté de fermeture, l'école est ouverte de nouveau et fonctionne dans les mêmes conditions qu'auparavant.

Quelques liquidateurs, il est vrai, ont pris soin d'insérer dans le bail une classe stipulant la résiliation de plein droit pour les cas où des membres des congrégations dissoutes seraient appelées à donner l'enseignement dans l'immeuble.


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Mais cette clause, qui a pour objet d'empêcher une fraude que les liquidateurs avaient le devoir de prévoir, demeure sans effet lorsque les membres des congrégations dissoutes qui donnent l'enseignement sont ou se prétendent sécularisés.

Cependant, les inconvénients qui résultent de la réouverture des écoles dans les conditions sus-indiquées sont manifestes, puisque cette réouverture a*, en définitive, pour effet d'aboutir à une sorte de continuation indirecte de l'oeuvre de la Congrégation.

Il importe que ces pratiques cessent, et il m'a paru que le meilleur, moyen d'y parvenir serait que les liquidateurs ne consentissent, autant que possible, la location des immeubles à usage d'établissement d'enseignement qu'aux 'municipalités elles-mêmefs, pour l'installation d'écoles communales.

Dans le cas, toutefois, où la location à un particulier serait seule possible, il conviendrait que le liquidateur insérât, dans le bail une clause aux termes de laquelle le preneur s'engagerait, sous peine de résiliation de plein droit, à ne pas ouvrir ou laisser ouvrir d'école dans l'immeuble loué.

Je vous prie de bien vouloir donner des instructions en ce sens aux liquidateurs nommés par les tribunaux de votre ressort.

Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, VALLE.


Cljroijique des Livres

R. LAVOLLÉE : L'Etat, le père et l'enfant. — ï vol. in-8, chez PLON.

« Ce n'est ni un livre de polémique, ni une oeuvre politique... On a voulu étudier en lui-même le vaste et passionnant problème de la liberté d'enseignement, abstraction faite des incidents qui le compliquent et le dénaturent... La cause de la liberté d'enseignement est de celles qui peuvent réunir pour leur défense tous les hommes de bonne foi et de bonne volonté, croyants ou incroyants, pourvu qu'ils aient au coeur, avec le respect des droits d'autrui, un sincère esprit de tolérance et de patriotisme. »

Le livre est divisé en deux parties : la première est l'histoire de la liberté d'enseignement à travers le monde; dans la seconde, intitulée: Principes et Solutions, M. Lavollée examine les théories actuelles sur le rôle de l'Etat, le droit de l'enfant et celui du père.

La liberté du père de famille, généralement méconnue par les Grecs, dégénère chez.les Romains en un despotisme sans bornes. Dans l'ancienne France, pendant tout le Moyen âge, c'est l'Eglise qui se charge de pourvoir au service de l'instruction ; en fait, sinon en droit, elle est investie d'un véritable privilège. Puis, peu à peu, la royauté, à mesure qu'elle devient plus forte, tend à diriger l'éducation et exerce son pouvoir sur l'enseignement comme sur toutes choses.

En des pages saisissantes, l'auteur retrace l'oeuvre de la Révolution, qui « a voulu faire de grandes choses par' ses lois et qui a fait de grandes ruines par ses actes ».

La liberté de l'Enseignement est proclamée, mais cette liberté n'est qu'éphémère ; elle disparaît totalement pendant la durée du régime impérial. Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, l'opinion se déclare de plus en plus en faveur de la liberté d'enseignement et la Constitution de 1848 la proclame solennellement dans son article 9: « L'enseignement est libre ; la liberté d'enseignemnt s'exerce sous les conditions de capacité et de moralité déterminées par les lois et sous la surveillance de l'Etat. Cette surveillance s'étend à tous les établissements d'éducation et d'enseignement sans aucune exception ».

La troisième République étend la liberté d'enseignement à l'enseignement supérieur et la loi du 12 juillet 1875 marque l'apogée de la liberté d'enseignement en France. — On sait depuis lors quelles réactions violentes se sont produites — réactions inaugurées par Jules Ferry, dont le fameux article 7 retirait le droit d'enseigner à tout membre d'une congre-


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gation religieuse non autorisée. L'article 7 ne fut pas voté, mais ce fut la dernière victoire de la liberté d'enseignement.

Dans la deuxième partie de ce remarquable ouvrage, M. Lavollée s'applique à indiquer quelles solutions conformes à la raison, à nos traditions nationales, aux intérêts de tous, peuvent être apportées à cette angoissante question de l'Enseignement.

« Le droit de l'enfant est, sans doute, en matière d'éducation, le plus sacré de tous et, le plus souvent, il se confondra avec celui du père: il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, ils peuvent, en quelque manière, se limiter l'un l'autre et il est non moins certain que l'Etat a, lui aussi, dans- ce domaine, des droits correspondant à des devoirs impérieux et dont on ne saurait faire abstraction... C'est donc seulement dans la conciliation de ces droits distincts, dans la combinaison harmonieuse de l'intérêt public avec les intérêts privés que l'on doit chercher et que l'on peut espérer une solution satisfaisante. »

Souhaitons qu'un tel livre, d'une inspiration élevée en même temps que d'un style toujours mesuré, soit lu et médité de tous ceux qui ont quelque tâche à accomplir dans l'oeuvre d'apaisement et de réconciliation nationale.

P. REKAUDIK : Mémoires d'un petit homme. — 1 vol., chez Pi.ox : 3 fr. 50.

Voilà un bon petit livre que nous voudrions voir entre les mains de tous ceux qui ont charge d'âmes et qui s'occupent du grave problème de l'éducation.

Dans cette confession d'un homme de notre temps, écrite d'un style alerte et bien vivant, le héros du livre, Pierre Merviller, a voulu nous montrer quels enseignements il a tirés du contact des êtres et des choses, quelles leçons il a puisées dans l'expérience indirecte des dures lois de l'existence moderne.

La question sociale, pense-t-il, est avant tout une question morale et c'est d'abord la bonté qu'il faut mettre à la base des relations humaines.

Si M. Renaudin a voulu nous montrer de quelle puissance peut être l'influence de la mère dans l'éducation de l'enfant, il y a pleinement réussi. On ne saurait en effet trop répéter quelle bonté et quelle noblesse d'âme l'éducation maternelle donne à l'enfant et les Mémoires d'un petit homme abondent en pensées fortes, d'une inspiration hautement chrétienne.

« Au fond, riches ainsi que pauvres, chacun ici-bas a ses luttes, comme aussi ses raisons de vivre. Ce qui importe, c'est de ne pas sombrer. La vraie lutte est une lutte morale, et la misère matérielle n'est mauvaise que parce qu'elle multiplie autour du pauvre la tentation, en même temps qu'elle risque d'obscurcir sa claire vue du devoir, de diminuer, son ressort moral, de faire en un mot que sa volonté soit moins forte que les circonstances. Parfois, au contraire, elle exerce et aguerrit cette volonté, elle lui donne une trempe fière et admirable: et combien de riches à la vie trop facile et amollissante ont besoin alors de l'aumône des pauvres ! »

Nos lecteurs goûteront comme nous tout ce que renferme de souriante bonté et de sage philosophie ce livre écrit par un ami de l'enfance.


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X'EBUALY : Principes de la liquidation des biens des Congrégations dissoutes par la loi du 7 juillet 1904. — ï vol. in-8, chez X. RONDELET. : 3 fr. 50.

Ainsi que l'indique le titre de l'ouvrage, ce n'est pas une étude complète de la loi du 7 juillet 1904 qu'a voulu faire l'éminent avocat de Clermont-Ferrand, M. L'Ebraly, mais seulement un commentaire des articles de cette loi relatifs à la liquidation des biens. C'est assurément 4a partie capitale de la loi de 1904 et c'était aussi la. plus délicate à traiter.

En quelques chapitres très clairs, M. L'Ebraly nous a donné l'économie de cette loi : elle ne s'applique qu'à la liquidation des congrégations autorisées, elle laisse également de côté les congrégations mixtes. Cette question importante des congrégations mixtes y est très longuement développée, ainsi que tout ce qui a trait à la nomination et aux pouvoirs du liquidateur.

Un chapitre est consacré aux actions en revendications et examine les divers cas qui peuvent se présenter et les actions en reprise que peuvent exercer les héritiers contre les communes ou contre le liquidateur. On ■sait que le décret portant règlement d'administration publique du 2 janvier 1905 a singulièrement aggravé la loi de 1904 en autorisant les liquidateurs à vendre non seulement les immeubles et les biens appartenant aux établissements congréganistes fermés, mais aussi ceux qui sont détenus par eux. Cette disposition a déjà fait couler beaucoup d'encre; M. L'Ebraly tente de donner de ce texte une explication nouvelle qui :malheureuserhent ne paraît point être acceptée jusqu'à présent par les Tribunaux.

Un appendice, comprenant les divers textes des lois, décrets et circulaires de 1901 à 1904, complète avantageusement cet ouvrage et en fait un .manuel indispensable pour les avocats et les congréganistes.

Dans une nouvelle édition —• que nous souhaitons prochaine — l'étude •du règlement d'administration publique gagnera à être faite en même otemps que celle du texte de la loi, article par article et sur certains points, motamment en ce qui concerne la compétence du tribunal en matière «d'action en revendication, la jurisprudence récente apportera quelques ^solutions nouvelles.

Th. JORAN : Université et Enseignement libre ou deux systèmes d'éducation. — 1 vol. in-12, chez BLOUD : 3 fr. 50

« On trouvera dans ce livre, dit l'auteur, l'écho des inquiétudes que. la ipolitique parlementaire, les mesures administratives et les. provocations de la presse avancée ont semées dans les consciences libérales. A côté du tableau de l'Université telle qu'elle est, nous avons placé le tableau de l'Université libre, telle que, selon nous, elle devra être, quand enfin, elle pourra respirer. »

.. M. Joran doit être félicité d'avoir ainsi réuni en un volume les articles que lui inspirèrent pendant ces deux dernières années les réformes multiples apportées à notre enseignement secondaire et supérieur.

Ancien professeur de l'Université, aujourd'hui chef d'une institution


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libre, M. Joran est mieux renseigné que personne sur les ressources et les besoins de l'enseignement, officiel et libre ; nul mieux que lui ne pouvait nous expliquer ce qu'est l'Université d'aujourd'hui et ce qu'elle devrait être. Toutes ces questions, d'une brûlante actualité, sont traitées par lui avec franchise et conviction toujours — souvent avec humour oif. éloquence. >

Le stage scolaire, le socialisme, la politique dans l'Université, la quésr tion des vacances, la suppression dui Concours général, le nouveau; régime scolaire, le krach des Universités, seront lus et appréciés de tous ceux qu'occupent le grave problème de l'éducation nationale.

M. Joran examine, en terminant, quel est l'avenir de l'enseignement libre. Sa confiance est entière — comme la nôtre — et il croit cet avenir très vaste si l'enseignement privé sait se distinguer de l'Université pair une plus parfaite adaptation aux milieux. Il cite, à l'appui de cette idée, l'opinion autorisée d'un maître, d'un universitaire indépendant et vraiment libéral, M. Emile Gebhart. Pour poursuivre cette voie nouvelle^ l'enseignement libre compte déjà un « outillage ».

Déjà le Syndicat de renseignement libre a rendu de nombreux services pour ce qui est de la composition du personnel. « Il faut y ajouter les bureaux et le bulletin de la Ligue de la Liberté d'Enseignement qui est le centre des informations, des conseils, des encouragements, une sorte de Ministère de l'Enseignement libre, un ministère libre lui-même de toute influence politique, religieuse, confessionnelle, une extraordinaire nouveauté. »

JOËL DE LYRIS : Le goût en littérature. — ï vol. in-18, chez AUBANËL: 3 fr.

Cet ouvrage, déclare l'auteur, dans une intéressante introduction, a été spécialement écrit en vue de rendre accessible à tout le monde et plus particulièrement aux femmes et aux jeunes filles lai culture du goût littéraire.

M. J. de Lyris nous montre que, bien loin d'être l'apanage exclusif des littérateurs de profession, le goût est à la portée de tous et rencontre une application continuelle dans la vie pratique de chaque jour. Il analyse les divers éléments littéraires auxquels s'applique le goût: composition, imagination, style, choix des mots, et il établit, avec règles à l'appui, quelles sont les règles générales du goût littéraire.

Toutes ces questions sont examinées par l'auteur sous un jour tdut nouveau, et traitées sous des aspects pratiques, généralement négligés dans tous les traités de littérature.

Ajoutons que ce volume est le premier d'une collection nouvelle: la Bibliothèque Aubanel frères.

Tout ce que nous publierons, écrivent les auteurs de cette tentative originale, aura pour but ce résultat final: la plus-value humaine. Notre but est de créer des guides sûrs, pratiques, pour l'étude, l'esthétique, les progrès et les perfectionnements de la personnalité.

Nous ne doutons pas du succès avec lequel le public accueillera cette entreprise nouvelle.


Cl?rci)ique législative

Projet dé Loi sur l'Eosei^nenjerçt Secondaire Privé

Rapport de M. Bartljeu

(suite)

- Les deux premiers diplômes ne peuvent être obtenus que par les élèves de l'enseignement public, en vue desquels ils ont été créés. Une circulaire de Jules Ferry, en date du 27 juillet 1883, à laquelle la pratique n'a apporté aucune dérogation, est absolument formelle: « Seules, les élèves qui suivent les cours des établissements publics peuvent être admises aux examens dont il s'agit. Les dispositions de l'article 8 de la loi du 21 décembre 1880, des articles 1 et 2 de l'arrêté du 28 juillet 1882 concernanlt le certificat d'études, et de l'article ier de l'arrêté de la même date relatif au. diplôme de fin d'études, ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet; elles établissent nettement que le législateur et, après lui, le Conseil supérieur de l'instruction publique ont voulu conférer aux lycées et collèges universitaires un privilège exclusif ».

- Le certificat d'aptitude a surtout pour but l'examen de l'agrégation, dont, à défaut de l'une des licences es sciences où es lettres, il est une condition 1 d'admission (arrêté du 5 janvier 1884). Est-il accessible à tous les candidats quelle que soit leur origine ? L'article 1" de l'arrêté du 7 janvier 1884 qui l'inlstitue ne fait pas de distinction. Mais M. le ministre de l'Instruction publique n'a pas hésité à déclarer devant la Commission que le concours pour le certificat d'aptitude à l'enseignement secondaire des jeunes filles n'est ouvert, en fait, qu'aux élèves de l'enseignement public. Sans doute, M. le directeur de l'enseignement secondaire, consulté à cet égard, a pu alléguer quelques exceptions, mais elles sont, de son propre aveu, beaucoup trop rares pour infirmer la portée de la règle générale.

Or, le certificat d'aptitude paraît être précisément le diplôme que la loi projetée exige, à défaut de la licence, de la directrice d'un établissement secondaire libre. Et une objection vient tout de suite à l'esprit. La licence est un titre très rare dans l'enseignement libre et le certificat d'aptitude est un diplôme dont l'obtention est interdite aux membres .de cet enseignement. N'est-ce pas exiger d'eux, par conséquent, pour l'ouverture d'un établissement privé, des conditions qu'ils ne peuvent pas remplir et leur retirer en fait la liberté que l'on proclame en principe ?

L'objection serait décisive si le projet de la loi exigeait, en effet, et sans le modifier, le certificat d'aptitude tel qu'il fonctionne actuellement.


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Mais il n'en est rien. L'article 2 prévoit, en termes formels, un exameit public dont les conditions seront déterminées en Conseil supérieur de l'Instruction publique. Il s'agit donc, sinon d'un diplôme tout à fait nouveau, du moins d'un ancien 1 diplôme profondément modifié, puisque, selon les déclarations formelles de M. le ministre de l'Instruction publique, il sera désormais ouvert à tous. Cette constatation' et cette promesse doivent rassurer les inquiétudes dont M. Groussau s'est fait l'interprète devant votre Commission. Elles n'auront plus aucune raison d'être si les dispositions transitoires tiennent compte de cette situation exceptionnelle. On ne saurait en effet exiger immédiatement la production d'un diplôme dont les conditions mêmes d'existence et d'obtention doivent faire l'objet d'une réglementation ultérieure. La disposition nouvelle que votre Commission vous propose, d'accord avec le gouvernement, d'ajouter aux mesures transitoires, résout cette difficulté. Elle facilite pour les directrices ou candidates à la direction — en dehors de celles qui, ayant plus de .trois ans de direction et plus de quarante ans d'âge, sont ips& facto maintenues en exercice — le droit et la possibilité de se mettre en règle en' prenant part au premier concours qui sera ouvert, dans lés conditions du nouveau règlement projeté, pour l'obtention du diplôme d'enseignement secondaire des jeunes filles. Tous les droits sont ainsi justement sauvegardés.

Il faut d'ailleurs observer ici qu'on ne saurait apprécier dès maintedant les conséquences de la loi et sa répercussion en ce qui concerne l'enseignement secondaire libre des jeunes filles. A la demande de rerisetgnements que je lui ai adressée au nom de la Commission, le ministre de l'Instruction publique a répondu par la note suivante:

« L'enseignement secondaire privé pour les jeunes filles n'existant pas légalement, les institutions ou pensionnats qui donnent cet enseignement sont obligés, pour fonctionner, de faire une déclaration d'ouverture comme établissements primaires. II m'est donc impossible d'en connaître le nombre, pas plus que le chiffre des élèves. Ces établissements ont toujours été, en effet, compris jusqu'ici dans la statistique de l'enseignement primaire. »

Ces déclarations sont de celles auxquelles il ne faut rien ajouter: elles renferment en elles-mêmes une force de démonstration véritablement décisive.

§ 2. — Du certificat d'aptitude aux fouettons de directeur.

L'article 2 du projet voté par le Sénat exige de toute personne qui* veut ouvrir un établissement privé d'enseignement secondaire (§ e) « un certificat d'aptitude aux fonctions de directeur ou de directrice défivré dans des conditions qui seront déterminées par un règlement d'administration publique après avis du Conseil supérieur de l'Instruction publique. » C'est ce qu'on appelle communément le certificat d'aptitude pédagogique, non seulement par abréviation et pour la commodité du langage,, mais encore dans l'intention de préciser, par une dénomination plus exacte, le caractère et le but du certificat exigé.

L'a question est délicate. Elle a longtemps retenu l'examen de votre


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Commission, qui, ayant une première fois repoussé le certificat d'apti-tude, l'a rétabli après l'audition et sur la demande pressante de M. le ministre de l'Instruction publique. M. Chaumié n'a pas dissimulé qu'il •constituait à ses yeux un des éléments essentiels et une des conditions -nécessaires de la nouvelle organisation de l'enseignement secondaire privé. Ses raisons ont convaincu la majorité de la Commission, mais il faut s'attendre à une vive résistance, devant la Chambre elle-même, de la part des adversaires du certificat d'aptitude pédagogique. Ils ne se -déterminent pas toUs par les mêmes raisons, et l'hostilité de M. Ferdinand Buisson procède, à coup sûr, d'autres sentiments que ceux qui -inspirent M. Grousseau. Mais l'opposition commune de tous ces adversaires n'en est pas moins redoutable. Sa force s'accroît du concours involontaire que, guidés par des -sentiments différents, ils s'apportent les tins aux autres. Leurs objections méritent donc un examen sérieux, dans lequel la Chambre trouvera les éléments d'une décision favorable — la -Commission et le rapporteur l'espèrent — au maintien d'un certificat dont le Sénat n'a inscrit la condition dans la loi qu'après une discussion réflé-chie et complète.

L'institution du certificat d'aptitude pédagogique, il faut le dire tout -de suite, n'est pas une idée nouvelle. Elle remonte, au contraire, assez haut dans l'histoire de l'enseignement secondaire privé puisqu'elle figure -dans le premier projet de loi qui ait eu pour objet de substituer le régime de la libre concurrence au monopole universitaire. Le projet de loi fut •déposé le ier février 1836 sur le bureau de la Chambre des députés, par "M. Guizot, ministre, de l'Instruction publique: « Le principe de la liberté appliqué à l'enseignement, disait l'exposé des motifs, est une des -conséquences promises par la Charte. Nous voulons dans leur plénitude et "leur sincérité les conséquences raisonnables de notre résolution. » Cette déclaration de principe n'empêche pas M. Guizot d'exiger comme je l'ai déjà -dit des diplômes sérieux de celui qui voulait ouvrir un établissement secondaire. Mais les titres ne lui paraissaient pas du moins pour le directeur, une garantie suffisante. Il imposait (art. 4, 5 et 6) à celui qui voulait ^devenir soit chef d'institution, soit maître de pension, un examen devant tune Commission spéciale formée au chef-lieu de chaque Académie. Cette Commission délivrait un brevet de capacité. C'était, sous un autre nom, le certificat d'aptitude pédagogique, dont on voit qu'il est juste d'attribuer à Guizot l'idée première et la paternité.

Le projet que Cousin avait élaboré en 1840 contenait une disposition semblable, mais il fut renversé avant de pouvoir le déposer.

Elle figurait en termes formels dans le projet déposé par Villemain en 1841 (art. 6 et 8) et aussi dans celui de 1844 (art. 5, 6 et 7). Ils exigeaient l'un et l'autre, outre les diplômes universitaires et un certificat de moralité, l'obtention d'un brevet délivré sur un examen « dont la «natière et les formes seront déterminées par un règlement arrêté au ■Conseil royal de l'Instruction publique.. »

C'est d'ailleurs Villemain qui a, le premier, exposé les raisons en vertu •desquelles l'Etat doit imposer à tout directeur d'un établissement privé


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d'enseignement secondaire un certificat d'aptitude pédagogique, indépendant et différent des grades universitaires. Ces raisons n'ont rien perdu de leur force.

« Nous n'admettons pas que l'exercice de la liberté d'enseignement doive avoir lieu de plein droit, à part toute justification de savoir et de moralité!

« Il est certain que l'obtention d'un grade n'est pas,, même sous le rapport intellectuel, un témoignage assez complet des qualités et des connaissances nécessaires pour une direction d'éducation et d'enseignement. Ces observations conduisent à chercher la garantie plus décisive d'une épreuve publique sur l'objet même de la profession à laquelle on aspire. Cette épreuve ne sera pas la revision du baccalauréat ou de la licence,; elle doit constater une aptitude plus générale, telle qu'elle résulte de l'ensemble des principes, des qualités de l'esprit et de l'instruction acquise. Le brevet, demandé et obtenu sans désignation de lieu, sans projet connu d'établissement, ne saurait "être qu'impartialement délivré ; et ne fût-ce qu'au point de vue de la dignité d'une profession telle que l'enseignement, il importe que les hommes qui aspirent à élever la jeunesse ne justifient pas seulement d'un grade nécessaire à ceux mêmes qui étudient encore, mais qu'ils aient honorablement soutenu une épreuve spéciale et relative à la mission même qu'ils veulent remplir. »

Ainsi, selon Villemain, le certificat d'aptitude, qU'on appelait en 1841 le brevet de capacité, devait porter « sur l'objet même de la profession à laquelle on aspire ». Il devait consister dans une « épreuve spéciale et relative à là mission même que l'on veut remplir. » C'était un certificat. professionnel constatant l'aptitude pédagogique.

Le duc de Broglie s'attachait, à son tour, à lui donner ce caractère dans le rapport remarquable et impartial qu'il déposait, au nom de la Commission, sur le bureau de la Chambre des pairs. Quoique ces déclarations aient été souvent citées et qu'elles figurent dans l'exposé des motifs du projet déposé par le gouvernement, elles sont trop catégoriques et trop décisives pour ne pas trouver ici leur place.

...« Lorsqu'un homme qui, dans sa première jeunesse, à l'issue de ses humanités, a successivement obtenu les diplômes de bachelier es lettres, de bachelier es sciences, de licencié es lettres, se décide dix ans, vingt ans après cette époque, à embrasser la profession d'instituteur, il y .a lieu de constater s'il a continué, durant ce laps de temps, à cultiver les lettres et ies sciences, s'il sait encore à quarante ans ce qu'il savait à vingt ans, si le cours des années et la diversité des préoccupations ne l'ont point rendu, peu à peu, étranger aux études de son jeune âge;

(( Sous ce premier point de vue, un nouvel examen est indispensable ; il l'est également sous un autre rapport.

« Pour diriger convenablement un établissement d'éducation quelconque, il ne suffit pas de posséder à un certain degré la connaissance des choses que l'on se propose d'enseigner ; il faut avoir étudié sérieusement les principes généraux de l'éducation, les méthodes approuvées, les ouvrages qui font autorité en cette matière. Il faut posséder les qualités


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de l'esprit qui rendent propre à exercer sur la jeunesse un salutaire ascendant; il faut être soi-même un homme bien élevé.

« La production d'un diplôme de bachelier ou même de licencié ne garantissant ni la possession de ces connaissances spéciales, ni celle des qualités nécessaires, il faut à la société une garantie de plus, une garantie qui résulte d'un examen ad hoc, et qui soit constatée par l'admission au brevet spécial de capacité.

« Supprimez cette seconde garantie, la première devient illusoire ; vous renoncez à protéger les familles contre les folles protestations de l'esprit de système, contre les promesses et le mensonge des charlatans... »

Ces considérations, à la fois si modérées et si judicieuses, déterminèrent le vote de la Chambre des pairs, qui, par 89 voix contre 51, approuva le projet de loi et le vota sans modifications.

Mais le brevet de capacité, auquel Cousin avait tenu à adhérer par une déclaration qui résumait l'argumentation du duc de Broglie, rencontra à la Chambre des députés un redoutable adversaire dans la personne du rapporteur lui-même. Thiers réussit à convaincre la Commission et il reçut mandat de substituer l'obligation d'un stage à la production d'un certificat de capacité.

C'était, selon lui,Te point le plus délicat de la loi: « Car, suivant la solution de cette question, on pourrait dire que la liberté d'enseignement n'a pas été véritablement accordée, et que, sous prétexte de constater la capacité, on a établi indirectement l'autorisation présente. » Et encore : « Nous ne dissimulerons pas que votre Commission, tout en voulant constituer fortement le droit de l'Etat, tenait cependant à faire tomber cette objection que la loi actuelle n'était pas sincère, que la renonciation à l'autorisation préalable n'était qu'une feinte et qu'on l'abandonnait d'un côté pour la rétablir de l'autre. »

Ces deux phrases, où s'exprime la même pensée, donnent, du premier coup, sa forme définitive à l'objection la plus sérieuse qu'on ait formulée et qu'on formule encore, du moins dans cet ordre d'idées, contre le certificat d'aptitude pédagogique. Mais si ses adversaires invoquent ainsi justement en leur faveur l'autorité de Thiers, ils ne donnent pas toujours à son opinion sa portée véritable. Entre le duc de Broglie et lui, la divergence tenait moins à une question de fond qu'à « une difficulté dans la nature de la preuve ». Son rapport ne signalait pas avec une moindre force que celui de la Chambre des pairs le danger de n'exiger que des grades, sans aucune autre garantie de capacité, des candidats à l'ouverture des établissements privés d'enseignement secondaire. « Quand il s'agit de la jeunesse, de l'instruire, de l'élever, de former son esprit et son coeur, qui osera dire qu'on a pu trop exiger? Quelqu'un pourra-t-il se plaindre qu'on lui ait imposé de valoir beaucoup, de valoir trop, avant de lui livrer ce que les familles, ce que l'Etat ont de plus cher ? » Pénétré de cette nécessité, le rapporteur exigeait — en dehors des grades, qui consistaient ou dans la réunion de deux baccalauréats, ou dans le cumul d'une licence et d'un baccalauréat — un stage de trois ans, soit comme professeur, soit comme surveillant dans un établissement public d'enseignement ou dans une institution particulière de plein, exercice.


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Ainsi, pour résumer toute cette longue et laborieuse période la monarchie de Juillet, on peut dire que le certificat d'aptitude pédagogique x eu pour parrains illustres Guizot, Villemain, le duc de Broglie et Victor" Cousin, tandis qu'il n'a connu que Thiers comme adversaire dans le parti libéral. Encore celui-ci lui substituait-il un stage afin d'établir — condition qu'il déclarait nécessaire — « la vocation et l'expérience pratique de l'enseignement ».

Il ne faut pas être surpris que la loi du 15 mars 1850 ait préféré à la' garantie efficace du brevet de capacité tel que l'avaient établi trois des projets ministériels antérieurs, la garantie illusoire d'un stage. On ne peut même pas alléguer qu'elle ait sur ce point adopté le système de Thiers, puisqu'elle a renoncé aux grades que celui-ci exigeait. « Pour être chef de pension, disait-il, on sera bachelier deux fois, dans les lettres et dans' les sciences; pour être chef d'institution, on sera licencié es lettresd'abord, et, en outre, bachelier es sciences... Il faudrait connaître ces distinctions de la carrière scientifique et littéraire pour comprendre à" quel point ce sont là des garanties d'un savoir spécial et acquis avec" intention de se vouer à l'enseignement...» Toutes ces conditions, édictées pour <( écarter les hommes sans vocation », ont disparu de la loi de 1850. Jules Ferry en a donné le motif: « Les auteurs de la loi du 15 mars 185c paraissent être préoccupés beaucoup plus d'organiser contre l'enseignement de l'Etat une concurrence à outrance que d'entourer dé garanties sérieuses, dans l'intérêt de la société et des familles, l'exercice de \a,i liberté d'enseignement. »

Aussi le projet sur l'enseignement secondaire privé qu'il déposait le. 11 décembre 1880 exigeait-il, délivré par un jury spécial, un certificat, d'aptitude pédagogique parmi les conditions imposées aux directeurs desétablissements libres. ,

« Nous regardons, disait-il, le brevet de capacité comme nécessaire; Il établit seul un rapport direct entre la personne et la profession. Le grade peut appartenir à tout le monde ; il ne faut, pour l'obtenir, qu'avoir fait des études passables; le brevet atteste qu'on a étudié pour enseigner,, qu'on est un homme spécial; que le titre auquel on prétend, on y prétend pour soi-même ; qu'on n'entre pas dans la carrière de l'enseignement, faute de mieux, après avoir essayé de tous les métiers, par esprit de lucre ou d'aventure. »

Ce projet ne fut pas discuté, mais Paul Bert, qui le reprit, en le modifiant légèrement, le 9 décembre 1881, en qualité de ministre de l'Instruction publique, y maintint la condition du certificat d'aptitude pédagogique.

La Commission chargée d'examiner les deux projets en confia le rapport à M. Compayré, qui ne manqua pas de s'expliquer sur ce point particulier. Ce fut en 1882, comme il en avait été en 1844, et comme il en sera» peut-être en 1904, l'une des difficultés de la question.

M. Compayré reprenait, en les mettant au point des progrès de lascience pédagogique, les arguments fournis dans les discussions antérieures. Les raisons de décider n'ont pas varié depuis que Villemain. les invoquait pour la première fois en 1841. Faut-il s'étonner qu'elles.


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reparaissent toujours, au fond toujours les mêmes, et ne pouvant espérer, en dehors de leur force propre, d'autre attrait que celui du talent et de l'autorité qui les invoquent ?

M. Compayré s'exprimait ainsi:

<c Pour être admis à l'honneur d'administrer une maison d'éducation, il ne saurait suffire de témoigner par la production d'un modeste diplôme de bachelier qu'on n'est pas un illettré, qu'on a fait, il y a plus ou moins longtemps, des études passables. Il faut encore prouver qu'on possède ces aptitudes professionnelles, ces qualités pédagogiques, cette dignité et cette autorité morales dont un examen purement scientifique ou littéraire n'est en aucune façon le gage, et qu'une société vraiment soucieuse des intérêts de l'enseignement est en droit d'attendre de tous ceux qui assument la responsabilité de diriger l'éducation de la jeunesse. De là la nécessité d'un examen nouveau qui portera sur les méthodes d'en* seignement, sur les lois et les principes de l'éducation, sur les conditions d'hygiène que comporte un collège bien tenu, enfin sur toutes les connaissances spéciales que requiert l'administration scolaire, en même temps qu'il mettra en lumière les qualités personnelles du futur chef d'institution. L'Etat s'assurera ainsi qu'il a affaire non à des spéculateurs, à des industriels, et, comme il est arrivé trop souvent, à des prête-noms, mais à des directeurs effectifs, véritablement dignes de la haute fonction qu'ils recherchent. »

La discussion du projet de loi sur l'enseignement secondaire libre ' se poursuivit, au cours de deux délibérations entre le 22 mai et le n juillet 1882. L'institution du certificat d'aptitude pédagogique fut le peint culminant de ces deux grands débats. Il rencontra ses habituels adversaires dans le parti catholique, dont M. Freppef et M. de Mun furent les éloquents interprètes. M. de Mun ne prononça pas ricins de tiois discours pour le combattre. Sa thèse et celle de ses amis c.n.'tistait à dénoncer dans cette exigence arbitraire 1 le rétablissement indirect de Vautorisation préalable et la négation pure et simple de la liberté d'enseignement. L© parti catholique trouva, cette fois dans le parti républicain, des auxiliaires, qui, malgré leur conception différente de la liberté, n'admettaient pas qu'on lui portât une atteinte, selon eux déguisée et dangereuse. Ce furent M. Maze et M. Joseph Fabre, M. de Lanessan et M. Madier de Montjau. M. de Lanessan n'hésitait pas à voir un « piège » dans le certificat d'aptitude pédagogique, et M. Madier de Montjau un <c lacet » destiné à resserrer et à détruire la liberté. D'ailleurs, ces adversaires républicains ne s'accordaient pas entre eux. Tandis que M. Lanessan paraissait préconiser la liberté absolue, M. Maze demandait un stage, comme la loi de 1850, et M. Madier de Montjau proposait l'interdiction au clergé d'enseigner.

Jules Ferry résista avec vaillance à cette coalition. Il résumait ainsi le caractère qu'il entendait donner au certificat d'aptitude pédagogique. « Je vous demande seulement quel inconvénient vous trouvez à dire à celui qui prétend diriger un établissement d'enseignement secondaire : Vous allez avoir entre les mains un établissement, un corps de professeurs ; pour diriger un corps de professeurs, la première condition c'est


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de savoir enseigner. Vous allez être un éducateur; pour être un éducateur, la première condition, c'est de pouvoir exercer sur le personnel, enfantin ou enseignant, l'autorité que donne un savoir acquis et prouvé. Vous allez donc en faire une leçon devant le jury. »

La loi déterminait la composition de ce jury. Il comprenait sept membres : le recteur, président ; 2° deux professeurs de Facultés, un inspecteur d'Académie, nommés tous les ans par le ministre de l'Instruction publique; 30 deux chefs d'institution de l'enseignement secondaire libre, élus tous les ans par leurs collègues ; 40 un conseiller général, élu tous les ans par ses collègues et appartenant au Conseil général du département où était situé le chef-lieu d'Académie.

L'examen devait être public. Le programme et les conditions en seraient fixés par un décret, après avis du Conseil supérieur de l'Instruction publique. Mais la loi elle-même contenait à cet égard une précision importante, due à l'initiative de Paul Bert. L'article ier disposait, en effet : « L'examen portera exclusivement sur l'histoire des doctrines pédagogiques et sur la législation de l'enseignement. »

C'est dans ces conditions que le certificat d'aptitude pédagogique fut adopté. Il réunit: dans la première délibération, le 25 mai 1882, 289 voix contre 169; dans la seconde lecture, le 11 juillet 1882, 305 voix contre 158. Je relève, parmi ceux qui votèrent en sa faveur, appartenant à toutes les nuances de l'opinion républicaine, les noms de MM. Paul Bert, Carnot, Casimir-Périer, Fallières, Félix Faure, Gambetta, Goblet, de Marcère, Méline, Renault-Morlière, Spuller et Waldeck-Rousseàu.

Le Sénat, malgré le rapport favorable de M. Ferrouillat, ne discuta pas le projet de loi voté par la Chambre.

Cet historique, dont la Chambre voudra excuser la longueur en raison de l'importance exceptionnelle de la question et des difficultés qu'elle soulève, établit que, dans la longue série des projets sur l'enseignement secondaire libre déposés par les divers ministres dé l'Instruction publique depuis 1841, seuls ceux de Salvandy en 1847 et de Falloux en 1849 n'ont pas subordonné le droit d'ouvrir un établissement privé à la production d'un certificat d'aptitude pédagogique.

Cette constatation n'est-elle pas déjà une démonstration?

Quand on peut invoquer en faveur d'une institution l'autorité successive de Guizot, Villemain, de Broglie, Victor Cousin, Jules Ferry et Paul Bert, pour ne parler que des morts et des hommes particulièrement compétents en matière d'éducation, on prouve qu'elle n'est pas le résultat d'un caprice, d'une fantaisie arbitraire et passagère, mais qu'elle répond à la nature même des choses, dont elle est la conséquence et l'expression.

Les citations que j'ai empruntées aux uns et aux autres s'accordent dans ce point commun que, avant d'ouvrir une maison d'enseignement, celui qui veut en prendre la direction et en assumer la responsabilité doit établir son aptitude à diriger et à enseigner. Personne, ou à peu près, il'ose plus contester le droit pour l'Etat d'exiger de lui des grades même assez élevés. Mais les grades, s'ils constatent le savoir, l'érudition, les connaissances particulières et la culture générale, n'ont qu'un


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rapport indirect avec les qualités qu'exigent la direction, l'administration et la surveillance d'un établissement d'instruction. Us peuvent suffire pour donner le droit d'enseigner clans une classe particulière, des matières spéciales, mais il serait dangereux de leur prêter une vertu qu'ils n'ont pas et d'en espérer des effets auxquels ils sont impropres. On l'a rarement mieux établi que dans les lignes suivantes: « Les grades représentent assez fidèlement ce qu'on est en droit d'attendre du professorat, mais non ce qu'il importe d'exiger des chefs d'établissement ou des préposés à la surveillance ; dans les derniers cas, non seulement les grades élevés, celui de licencié es lettres, où le double diplôme de bachelier es sciences, ne nous semblent pas l'élément unique d'appréciation, mais ils ne nous paraissent pas même l'élément principal. Ils n'attestent que l'étendue et la variété des connaissances et non la vocation. Le- savoir ne suppose pas nécessairement la rectitude de l'esprit, la fermeté, la discrétion, le sens pratique essentiel à quiconque veut élever et diriger la jeunesse. » Ces lignes sont de M. de Falloux lui-même. On se demande — ou plutôt on sait trop — pourquoi il ne leur a pas donné leur conséquence logique en exigeant, comme ses prédécesseurs, pour les chefs d'institution le certificat spécial dont il démontre si fortement la nécessité.

L'exposé des motifs du projet déposé par M. Chaumié consacre au certificat d'aptitude deux brefs paragraphes. Le premier réproduit le passage célèbre du rapport du duc de Broglie, auquel Jules Ferry avait déjà fait de larges ' emprunts : ce sont les raisons de principe. Le second, relatif à des faits trop fréquemment établis, s'exprime ainsi: « Ces exigences auront, en outre, le mérite de rendre impossible l'interposition" de ces directeurs fictifs derrière lesquels se sont tant de fois abritées et pourraient encore s'abriter des entreprises d'industrie scolaire ou des associations en révolte contre la loi. »

C'est M. de Lamarzelle qui a combattu'devant le Sénat, dans la séance du 24 novembre 1903, le certificat d'aptitude, ou plutôt il a reproché au texte de la loi, muet sur le programme de l'examen et sur la composition du jury, d'ouvrir la porte à l'arbitraire et de faire de l'exigence du certificat une sorte d'autorisation déguisée.

Ces craintes n'ont pas été partagées par le Sénat, qui, au cours de la même séance, a adopté par 226 voix contre 43 le paragraphe relatif au certificat d'aptitude pédagogique. Il y a lieu de relever dans cette majorité considérable les noms de trois anciens ministres de l'Instruction publique, et non des moindres; MM. Berthelot, Charles Dupuy et Pomcaré.

Au cours de la seconde délibération, pourtant si étendue et si 'complète, que le Sénat a consacrée à la loi sur l'enseignement secondaire^ libre, aucune voix ne s'est élevée contre le certificat pédagogique. Ce silence, rapproché de la majorité de 183 voix qu'il avait obtenue en première lecture, n'cst-il pas la preuve moins de la lassitude de ses adversaires que des progrès acquis et des adhésions recueillies par cette condition nécessaire auprès des esprits indépendants ? Il faut ajouter que les effets désastreux de la loi du 15 mars 1850 dans l'enseignement secondaire et les abus de toutes sortes dont elle a facilité le développement ont ouvert


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des yeux qui s'obstinaient jusque-là à ne pas voir le danger. L'expérience et les statistiques ont convaincu ceux que les raisons de principe avaient laissés indifférents. Il a fallu se rendre à l'évidence des faits. La loi Falloux, en n'exigeant du directeur d'un établissement privé que le simple diplôme de bachelier, a favorisé une sorte d'industrialisme pédagogique — le mot est de M. Compayré — qui n]a rien de commun avec l'instruction méthodique et rationnelle de la jeunesse. Elle a aussi facilité des manoeuvres qui, par l'interposition de prête-noms complaisants, ont permis la violation de la loi et rendu stériles les mesures de défense prises par la société civile contre des adversaires toujours plus prompts à se dissimuler qu'à désarmer.

Ce n'est pas le moment de renoncer à des exigences nécessaires, et l'heure serait mal choisie pour diminuer les garanties que, sans porter atteinte à la liberté d'enseignement, l'Etat laïque peut imposer à l'enseignement libre. On constate partout les efforts de subtilité auxquels s'ingénient les Congrégations, légalement incapables d'enseigner, pour récupérer sous toutes les formes le droit dont les Chambres républicaines, fidèles aux traditions de la Révolution, les ont justement et peut-être trop tardivement privées. La suppression du certificat d'aptitude pédagogique n'aurait d'autre effet que de préparer leur reconstitution sous la sauvegarde de directeurs fictifs, complaisants et incapables, placés à la tête des établissements pour couvrir de leur seul titre de licenciés des entreprises scolaires faites au mépris et en violation de loi. Quand un candidat se propose d'ouvrir une maison d'enseignement secondaire, est-ce vraiment une garantie inutile, ou une exigence arbitraire, que de le soumettre à une épreuve publique pour déterminer s'il a l'aptitude, la vocation, la connaissance générale et le sens pratique des règles de l'éducation, ou s'il n'est, dissimulant mal son rôle, qu'un comparse ignorant ou qu'un trop ingénieux complice, dont Je nom, le titre et l'acceptation serviront d'autres desseins, inavoués parce qu'ils sont légalement inavouables ?

Ces raisons ont déterminé votre Commission, qu'un premier débat avait divisée par parts égales, à adopter, après l'audition du ministre de l'Instruction publique, le certificat d'aptitude. Cette décision avait provoqué deux sortes d'objections.

D'une part, M. Ferdinand Buisson redoutait de conférer aux établissements libres une supériorité qui les recommanderait au choix et aux préférences des familles par l'obtention privilégiée d'un titre ou d'une garantie, décernée par un jury d'Etat, tandis que les directeurs des établissements de l'Etat, dispensés d'en subir l'exigence, seraient privés du droit d'en revendiquer le bénéfice. D'autre part, M. Grousseau et aussi, quoique à un moindre degré, M. Buisson lui-même craignaient que le certificat d'aptitude ne dissimulât mal un retour indirect, et plus ou moins volontaire, au régime de l'autorisation préalable.

L'objection de M. Ferdinand Buisson n'est pas, il faut le reconnaître, dépourvue de tout fondement. Elle avait déjà été présentée, sous une autre forme, en 1882. On reprochait au projet de Jules Ferry d'imposer aux directeurs de l'enseignement libre des conditions que l'Etat n'imposait pas aux directeurs de l'enseignement public. C'est-à-dire qu'on dénon-


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çait une inégalité arbitraire et une entrave dans cette même mesure où M: Buisson ' redoute une supériorité et un titre de plus. Mais la comparaison, quoique procédant d'un sentiment différent, aboutissait en fait à la même constatation et servait de point de départ à une objection dont le rapporteur, M. Compayré, ne dissimulait pas la force: « Notre voeu, disait-il, c'est que le plus tôt possible l'Etat impose aux directeurs de ses propres établissements un brevet d'aptitude pédagogique analogue à celui que nous vous demandons d'imposer dès aujourd'hui aux directeurs de l'enseignement libre... S'il avait été possible d'introduire dans le projet qui vous est soumis un article qui aurait dit qu'à partir de la promulgation de la présente loi le certificat d'aptitude pédagogique serait imposé aux principaux des collèges et aux proviseurs des lycées comme aux professeurs d'établissements libres, nous l'aurions fait.

« Mais dans une loi qui ne vise que l'enseignement secondaire privé, nous nie pouvions pas intercaler un article relatif à l'enseignement secondaire public. Nous avons fait la seule chose qui fût possible; nous avons, pour répondre au sentiment d'égalité qui anime tous nos collègues, émis formellement le voeu que le gouvernement, à bref délai, soumît ses directeurs a des épreuves de capacité et d'aptitude pédagogi•

pédagogi• qu'il fît pour ses proviseurs ce qu'il a déjà fait pour ses instituteurs. »

M. le ministre de l'Instruction publique a fait devant la Commission des déclarations analogues: « Il est indispensable, a-t-il dit, de connaître, pour bien enseigner, la morale, nos institutions, l'histoire de l'éducation, notre organisation sociale, l'hygiène scolaire, etc. Pour l'enseignement public, que ce projet ne concerne pas, c'est notre préoccupation dominante. Déjà, nous avons dans ce but réformé l'Ecole normale. L'enseignement de la pédagogie est en voie de réalisation pour tout nouveau chef d'établissement. » Votre Commission a enregistré, pour en prendre acte, cette réponse et ces promesses de M. le ministre de l'Instruction publique. Elles lui ont paru de nature à donner satisfaction à ce qu'il y a de légitime dans les observations de M. Ferdinand Buisson (ï).

L'objection de M. Groussau, confondant le certificat d'aptitude pédagogique avec un retour déguisé à l'autorisation préalable, est, je l'ai déjà dit, traditionnelle. Comme il est sinon impossible, du moins très difficile, d'inscrire dans la loi la composition du jury et le programme d'examen, qui appartiennent plutôt au règlement d'administration publique, on ne peut répondre à cette objection que par des assurances formelles et sincères de loyauté et d'impartialité. Le certificat d'aptitude pédagogique constitue d'ailleurs une épreuve publique, et cette publicité suffirait à le distinguer de l'autorisation préalable, qui se donne ou se refuse, sans contrôle, sans garantie et sans recours0 dans le cabinet d'un ministre.

• La Commission ne peut que s'associer à cet égard aux sentiments et aux intentions manifestés, soit à la tribune du Sénat, soit devant elle, par l'honorable M. Chaumié. Ses paroles sont à citer: « Il y a, a-t-il dit, une théorie générale, une idée supérieure d'après laquelle celui qui pré(i)

pré(i) peut consulter avec profit, ;'< ce point de vue particulier deux dépositions recueillies par la Commission d'enquête sur renseignement secondaire : M. Morlet, n, 344. M. Jules Gautier, id., 637.


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tend diriger une maison d'éducation ne doit pas seulement démontre» qu'il possède le grade, c'est-à-dire le savoir, mais encore qu'il est un éducateur. Celui qui m'apportera un grade de licencié ne me prouvera pas par cela seul, qu'il ait la première notion de la science de l'éducation. « Or, je veux savoir si celui qui aspire à la direction d'une école connaît la législation sur l'enseignement, s'il sait quelles sont les règles d'hygiène et de salubrité imposées pour la construction des écoles, et puisque je veux que son enseignement ne soit pas contraire à la Constitution, à la morale et aux lois, il doit démontrer qu'il les connaît et les respecte. »

Puis, après une protestation indignée contre ceux qui accusent le projet de reconstituer, d'une manière déloyale et hypocrite, le régime de l'autorisation préalable, le ministre de l'Instruction publique ajoute: «Je veux agir franchement ; je veux que ceux qui désirent enseigner montrent ce qu'ils savent par la production de leurs grades. Je veux que ceux qui désireront éduquer, élever, montrent qu'ils ont le sentiment de l'éducation, de la pédagogie, de la morale, de ce qui fait l'âme de l'enfant.

» Je veux avoir cette justification, je le dis en toute franchise et en toute netteté. Maïs je ne veux pas aller au delà et cacher derrière ce certificat quelque chose contre quoi toutes les âmes loyales auraient le droit de s'élever. »

Nul n'était plus autorisé, on en conviendra, que l'auteur du projet pour donner, et à ses intentions personnelles et aux dispositions de la loi, leur véritable caractère. Son langage, qui avait déjà dissipé devant le Sénat toutes les préventions, a pleinement éclairé et rassuré la majorité de votre Commission de l'enseignement. Il ne serait digne ni d'elle ni de vous de ruser, selon le mot de M. Poincaré, avec la liberté et d'en proclamer théoriquement le principe pour en confisquer pratiquement le bénéfice. C'est surtout dans des questions de cette nature que donner et retenir ne vaut. L'accord qui a réuni la majorité de votre Commission a eu pour point de départ le rejet de l'autorisation préalable. Il importe peu que les uns s'y soient opposés par principe et par conviction profonde, les autres par tactique et par esprit de transaction si tous ont entendu avec une loyauté égale donner la liberté comme base au projet soumis à votre approbation.

Le Conseil supérieur de l'Instruction publique, dont la composition si heureusement variée assure la haute impartialité, que personne ne met en doute, s'inspirera de l'esprit même du projet de loi pour préparer le règlement dont on lui confie le soin. Qu'il s'agisse de la composition du jury ou de la rédaction du programme, il ne devra pas et ne pourra pas perdre de vue les déclarations si formelles et si catégoriques qui 'ont été exprimées à tant de reprises. Elles se résument toutes dans unet formule très heureuse et tout à fait définitive de Jules Ferry: « Il s'agit de constituer une épreuve qui ait un rapport direct, une corrélation intime, une connexité absolue avec la fonction d'éducateur; de là notre certificat d'aptitude pédagogique. » Cette définition est, en même temps une délimitation : il faut s'y tenir.


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II

L'article 2, parmi les conditions imposées au directeur d'un établissement secondaire, exige « la déclaration qu'il n'appartient pas à une congrégation ». Le projet primitif disait: « non autorisée ». La suppression de ces deux mots a fait l'objet devant le Sénat d'un vif débat et elle a constitué l'un des éléments de la transaction entre le Gouvernement et la Commission. Aujourd'hui, la question ne se pose plus. La loi du 7 juillet 1904 a interdit l'enseignement à toutes les congrégations. Il en résulte que la déclaration de non affiliation à une congrégation doit être absolue. Il n'est pas nécessaire d'en justifier l'exigence: elle est la conséquence et la sanction même de la loi. Thiers s'en expliquait ainsi en 1844: « Les lois ont prononcé, elles ont exclu certaines congrégations ; il faut obéir à leur commandement. On peut ne pas poursuivre les individus, ne .pas rechercher s'ils sont assembles sur le territoire, de façon à faire supposer qu'ils existent en congrégation, mais on a bien le droit de les arrêter quand ils se présentent pour exercer certaines fonctions ; on a bien le droit de leur demander ce qu'ils sont, s'ils appartiennent à des ordres religieux défendus par nos lois, et, dans ce cas, de leur interdire les fonctions qu'ils voulaient exercer. C'est assurément la moindre des exigences. »

Cette exigence et la précaution dont elle est l'expression se présentent sous une autre forme, également légitime, dans le même article 2. Le candidat à la direction, parmi les pièces et justifications relatives à ses collaborateurs que la loi lui impose, doit produire « une déclaration écrite et signée de chacun d'eux portant qu'ils n'appartiennent pas à une congrégation ».

M. Cazeneuve a développé devant la Commission un amendement modifiant les termes et la portée de la déclaration imposée par l'article 2 au directeur d'un établissement secondaire, soit en ce qui le concerne, soit en ce qui concerne les professeurs employés dans l'établissement. Les mots: « qu'il n'appartient pas à une congrégation » auraient été remplacés par ceux-ci : « qu'il n'a pas appartenu à une congrégation dissoute par application de la loi de 1901 ». Tandis que l'application de la loi de 1901 a entraîné la dissolution de la congrégation, mais réservé les droits individuels des congrégations sincèrement sécularisées, M. Cazeneuve aurait voulu frapper tous ces congréganistes d'une incapacité d'enseigner absolue, inéluctable et irréparable. Toutes les sécularisations faites en exécution de là loi de 1901 auraient été, du moins au point de vue du droit d'enseigner, tenues pour fausses en vertu d'une présomption juris et de jure contre laquelle aucune circonstance de fait ou de droit n'aurait pu prévaloir.

M. le Président du Conseil a renouvelé avec force, devant la Commission, contre l'amendement de M. de Cazeneuve, les déclarations qu'il faisait à la tribune du Sénat le 21 juin 1901 comme président de la Commission chargée d'examiner le.projet de loi de M. Waldeck-Rousseau sur les associations. Après avoir repoussé l'idée « de faire peser une flétrissure de quelque nature qu'elle soit sur une personne quelle qu'elle soit


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pour un fait transitoire de sa vie » M. Combes ajoutait: « Nous admettons absolument que les membres d'une congrégation non autorisée qui a été dissoute recouvrent leur capacité d'enseigner s'ils cessent réellement d'appartenir à la congrégation. Ils ont à cet égard les droits de tous les citoyens. »

Votre Commission de l'enseignement avait, à l'occasion de l'interdiction de l'enseignement congréganiste, adopté cette doctrine, sur laquelle le rapport de M. Buisson s'exprime ainsi: « La congrégation une fois dissoute, ses biens liquidés, son personnel dispersé, ses établissements fermés, que reste-t-il ? Des personnes qui sont rendues à la vie civile ou, comme on disait en 1792, versées dans la société et qui y entrent avec la plénitude des droits du citoyen ». C'est la condamnation de l'amendement de M. de Cazeneuve. Votre Commission est restée fidèle à elle-même en le repoussant.

L'honorable M. Buisson a exposé devant la Commission un amendement ayant pour objet d'étendre la nécessité de la double déclaration ayant plutôt pour objet des formalités à remplir, l'examen de cet amendement trouvera mieux sa place dans l'article 5 qui crée des incapacités et des incompatibilités à la fois pour les fonctions de direction, d'administration et de surveillance.

• L'article 15 contient les sanctions pénales ayant pour objet d'assurer l'exécution des dispositions de l'article 2 relatives à la déclaration d'ouverture. Il n'appelle aucune observation.

L'article 3 autorise et réglemente les subventions, directes ou indirectes, que l'Etat, les départements et les communes peuvent allouer aux établissements privés d'enseignement secondaire. Il n'a soulevé, ni dans le principe, ni dans les détails, aucune objection devant votre Commission, qui vous propose l'adoption pure et simple du texte voté par le Sénat.

Il en est de même de l'article 4 qui interdit « à tout établissement

d'enseignement secondaire de prendre le nom de lycée ou de collège ».

Cette interdiction, nécessaire pour éviter une confusion fâcheuse et trop

souvent voulue avec les établissements publics, résultait déjà, soit de

1 l'article 71 de la loi de 1850, soit du décret du 25 février 1860.

CHAPITRE DEUXIÈME

Des incapacités et incompatibilités dans les diverses fonctions de l'enseignement secondaire.

(Article 5.)

L'article 5, tel qu'il a été voté par le Sénat, contient deux paragraphes distincts: ■ .

Le premier concerne les incapacités proprement dites, visant des individus judiciairement déchus de tout ou partie de leurs droits ou interdits par l'un des conseils de l'Instruction publique, et privés ainsi de l'autorité morale nécessaire pour enseigner la jeunesse. Cette énumération, empruntée d'ailleurs aux projets et aux lois antérieurs, ne peut souffrir de difficulté et ne comporte aucune observation particulière.


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Le second paragraphe vise des situations tout à fait différentes et crée plutôt une incompatibilité qu'une incapacité. Cette incompatibilité est celle dont Thiers disait dans son rapport, où elle affectait d'ailleurs une portée moins générale, qu'elle tient à « l'indépendance morale, religieuse et civile » de ceux qui veulent diriger un établissement d'enseignement secondaire ou y enseigner. Ce paragraphe de l'article 5 est ainsi conçu: « Il est interdit à tous individus appartenant à une congrégation de diriger un établissement d'instruction ou d'y être employés dans les fonctions d'administration, d'enseignement ou de surveillance. »

Cette disposition n'a plus sa raison d'être depuis que la loi du 7 juillet 1904, postérieure au vote du Sénat, a prononcé une incompatibilité générale et absolue entre le droit d'être occupé à un titre quelconque .dans un établissement d'instruction et le fait d'appartenir à une Congrégation. En réalité, le Sénat avait fait une application anticipée et spéciale dé la loi de principe à laquelle il a donné, quelques mois plus tard, une adhésion si éclatante. Aujourd'hui la loi générale rend inutile la disposition particulière.

L'article 5 n'appellerait pas d'autre observation si, comme je l'ai dit, il n'y avait lieu de discuter à son occasion l'amendement par lequel M. Buisson a proposé à votre Commission d'étendre l'interdiction d'enseigner, du moins dans les établissements secondaires, à tous ceux qui sont revêtus d'un caractère ecclésiastique impliquant l'autorité sacerdotale. La, Commission a rejeté cet amendement. Mais son importance intrinsèque, les débats auxquels il a donné lieu, les observations du Gouvernement dont il a été l'occasion et sa reprise annoncée devant la Chambre, font à votre rapporteur un devoir de lui consacrer tous les développements nécessaires. Faut-il ajouter que l'autorité de son auteur.suffirait à justifier une discussion sérieuse et impartialement approfondie?

La question si grave et si délicate de l'interdiction d'enseigner aux ministres des cultes ne se pose pas pour la première fois. Il n'est pas sans intérêt de l'étudier au point de vue de certains principes, dont elle est, selon qu'on la rejette ou qu'on l'adopte, l'expression ou la négation.

La Convention fut saisie le 12 décembre 1792 par son Comité d'Instruction publique d'un projet de décret sur les écoles primaires (i). L'article 13 du titre V était ainsi conçu: « Les ministres d'un culte quelconque ne pourront être admis aux fonctions de l'enseignement public, dans aucun degré, qu'en renonçant à toutes les fonctions de leur ministère. » Ducos justifiait ainsi cette disposition: « Un orateur a paru affligé de voir les prêtres (comme tels) exclus du plan d'enseignement public proposé par le Comité. Je ne ferai point à la Convention nationale l'injure de justifier cette séparation entre l'enseignement de la morale, qui est la même pour tous les hommes, et celui des religions, qui varient au gré des pieuses fantaisies de l'imagination. La première condition de l'instruction publique est de n'enseigner que des vérités. Voilà l'arrêt d'exclusion des prêtres. »

(1) Ces renseignements sont empruntés, pour la période relative a la Convention, h l'excellent Dictionnaire de pédagogie, publié sous la direction de M. F. Buisson. Première partie, t. Ier, Convention, p. 530 et suiv.


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L'argument de Ducos, souvent reproduit, est absolu dans ses termes, mais le projet de décret et l'article 13 du titre V ne visaient incontestablemet que l'enseignement public. Lanthenas, rauporteur du Comité, avait pris pour base de son travail l'admirable rapport de Condorcet, favorable à la liberté de l'enseignement, et lui-même relevait les « instructions particulières » qu'il proposait aux écoles primaires publiques. On ne peut donc invoquer ce projet de décret que comme un précédent — curieux et décisif dans cette mesure — à la loi du 16 jviin 1881 sur l'enseignement primaire.

On ne peut en dire autant d'un décret voté par la Convention le 9 brumaire an II (26 octobre 1793), sur la proposition de Romme, et qui contenait un article 12 ainsi conçu : <c Aucun ci-devant noble, aucun ecclésiastique et ministre d'un culte quelconque ne peut, etc., être instituteur national. » Ce décret et d'autres créaient, en effet, un enseignement exslusivement national et donné exclusivement par des instituteurs publics. C'était l'organisation du monopole de l'enseignement primaire et les prêtres étaient exclus de son application.

Mais ces décrets n'eurent qu'une existence éphémère. La Convention les rapporta en votant, pour les remplacer, le 29 frimaire an II (19 décembre J793)i un décret général et célèbre sur l'organisation de l'instruction publique. La discussion s'était établie entre deux plans. L'un présenté par Romme, membre du Comité de l'instruction publique, sur les bases du monopole ; l'autre par Bouquief; sur les bases de la liberté, au nom de la Commission spéciale instituée par le Comité du Salut public. L'article premier du décret du 29 frimaire an II en résume la tendance et les dispositions. « L'enseignement est libre. »

M. J. Guillaume, dont la compétence et l'autorité pour toute cette période ne connaissent pas de rivales, apprécie ainsi, dans un passage curieux à citer, les circonstances qui déterminèrent le choix de la Convention. (( Si l'on veut se rendre compte de la raison véritable qui a fait substituer le projet Bouquier au projet Romme, il faut, croyons-nous, le chercher dans l'article 12 du décret du 7 brumaire. Cet article disait: « Aucun ci-devant noble, aucun ecclésiastique et ministre d'un culte quel« conque ne peut être élu instituteur national. Or, il faut se rappeler ce qu'en brumaire avait eu lieu le mouvement populaire contre le culte,mou« vement auquel la Convention parut d'abord donner son assentiment; « mais que, bientôt, Robespierre avait protesté, que la majorité des jaco« bins avait applaudi à sa profession de foi déiste et que dès les premiers « jours de frimaire un manifeste du Comité du Salut public, approuvé « par la Convention, avait condamné « les extravagances du philoso« phisme » et proclamé « le respect de la liberté de tous les cultes ». En <( brumaire donc, le Comité d'instruction publique, excluant les ecclésias« tiques de l'enseignement, traduisait bien le sentiment alors dominant; <( mais en frimaire les choses avaient changé, le Gouvernement s'était « déclaré le protecteur des cultes, et le plan Bouquier ne fut pas autre (( chose qu'une transaction tacite conclue entre le parti jacobin et le clergé


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« catholique. La liberté de l'enseignement, c'était le droit laissé aux « prêtres d'exercer les fonctions d'instituteur... (ï). »

Depuis le décret du 29 frimaire an II jusqu'à la discussion du projet de Jules Ferry sur l'enseignement supérieur, il ne s'est pas produit, du moins à ma connaissance, dans les Assemblées parlementaires, de projet de loi ou d'amendement ayant pour but d'interdire aux ministres des cultes le droit d'enseigner. Mais l'idée pour ne pas se traduire sous cette forme, n'en a pas moins continué à être parfois exprimée. J'en peux citer un curieux exemple. A l'occasion du projet de loi déposé par Villemain, en 1841, le Constitutionnel dénonçait dans les prêtres « des demi-citoyens, qui n'ont pas d'enfants » et qui ont « l'incroyable prétention de se faire entrepreneurs de littérature et de grammaire ». Et le Temps était plus catégorique contre l'influence du clergé en matière d'enseignement. « Pour empêcher ce résultat, et je crois très fermement que c'est pour le Gouvernement un droit et un devoir de s'y opposer, le moyen le voici : déclarer par une loi l'incompatibilité des fonctions de prêtre avec celles de professeur ou de directeur d'un établissement d'instruction... Ne heurterait-on pas toutes les idées de justice, de liberté, d'indépendance ? N'est-ce pas une sorte de loi des suspects prononcée contre le clergé ? Eh, mon Dieu, non ! nous rentrons dans le droit commun. On trouverait, avec raison, mauvais qu'un juge, qu'un employé des finances, qu'un officier, fussent en même temps professeurs ou répétiteurs dans les collèges ou même dans des maisons particulières ; par quelle faveur spéciale l'ecclésiastique est-il seul excepté de la règle générale? » (2) Cette raison est celle qu'invoquait Ducos sous la Convention constituant le principal de l'argumentation exposée par les partisans de l'interdiction.

La thèse fut développée, avec son éloquence fougueuse et enflammée, par M. Madier de Montjau dans la séance du 5 juillet 1879. On discutait le projet de loi sur l'enseignement supérieur dont le célèbre article 7 interdisait l'enseignement à tous les degrés aux membres des congrégations non autorisées. M. Madier de Montjau proposait d'étendre l'interdiction aux congrégations autorisées et aux membres du clergé régulier. Cette disposition vigoureusement combattue par Jules Ferry, fut repoussée.

M. Madier de Montjau procédait d'une inspiration trop sincère et trop forte pour se laisser décourager par cet échec. Il interpréta la défaveur qui avait frappé son amendement plutôt comme une nécessité de tactique que comme un refus de principe et, quelques années plus tard, à l'occasion du projet de loi sur l'enseignement secondaire privé, il revint vaillamment à la charge. De nouveau, clans la séance du 10 juillet 1882, il soutint une disposition additionnelle ainsi conçue : « Nul n'est admis à diriger un établissement d'enseignement secondaire ni à y donner l'enseignement s'il appartient au clergé séculier ou à une congrégation religieuse, ou s'il n'a cessé d'en faire partie depuis deux ans au moins... ».

(1) Dictionnaire de pédagogie, loc. cit., p. 553-554.

(2) Ces citations sont empruntées à la remarquable Histoire de la liberté d'enseignement, par Grimaud, p. 277-278.


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Le fond de l'amendement est le même, malgré quelques détails, que celui dont M. F. Buisson a saisi votre Commission.

M. Madier de Montjau rencontra de nouveau devant lui comme adversaire Jules Ferry, qui avait repris des mains de Paul Bert le portefeuille de l'Instruction publique. La Chambre, appelée à se prononcer, donna raison à Jules Ferry et repoussa, par 352 voix contre 103, l'amendement de M. Madier de Montjau. Quelques-uns des membres les plus autorisés du parti radical, parmi lesquels on peut citer MM. Clemenceau, Compayré, Goblet, de Lanessan, Lockroy, Camille Pelletan, Sarrien, se trouvaient dans la majorité ralliée par le Ministre de l'Instruction publique.

Il résulte de cet exposé que l'interdiction faite aux ministres des cultes de diriger un établissement d'instruction ou d'y enseigner a figuré dans un décret de la Convention entre le 26 octobre et le 19 décembre 1793. Ces deux mois sont la seule période d'existence légale qu'elle ait connua. Les Chambres républicaines élues depuis le 16 mai l'ont repoussée à deux reprises.

Ces précédents ont leur prix, mais il ne faut pourtant pas en exagérer l'importance. M. F. Buisson serait, en effet, fondé à répliquer que l'interdiction absolue faite aux congrégations d'enseigner, quoique rejetée aussi deux fois dans les mêmes circonstances, n'en est pas moins devenue une loi de la République. Il faut donc examiner la question en ellemême.

Une première observation est nécessaire. M. Buisson propose de fermer l'enseignement — direction, professorat ou surveillance — à toute personne" «• revêtue de tout caractère ecclésiastique impliquant l'autorité sacerdotale » On peut faire à cette définition un reproche. Elle se préoccupe plutôt de déterminer dans une formule concise les raisons théoriques de l'interdiction qu'elle ne précise la portée pratique de l'interdiction ellemême. La première formule soumise par M. Buisson à la Commission était plus claire. Elle avait pour but d'exclure de l'enseignement les « ministres des cultes reconnus par l'Etat ». La conséquence de l'amendement de M. Buisson est ainsi très nette et nul ne peut s'y méprendre. Tandis que M. Madier de Montjau appliquait l'interdiction au « clergé séculier ». M. Buisson la prononce contre tous les ministres de tous les cultes reconnus par l'Etat. Là-dessus ses déclarations, provoquées par le rapporteur et consignées au procès-verbal, ont été absolument formelles. Si l'amendement était voté, les pasteurs protestants et les rabbins seraient, au même titre que les prêtres catholiques, frappés par l'interdiction qu'il édicté.

On comprend que les partisans du monopole appuient cette interdiction. Sans doute elle ne réalise pas leur idéal, mais elle diminue le nombre des établissements privés, elle supprime même les plus redoutables, et ainsi elle contribue en fait à préparer' le triomphe définitif de l'Etat et sa souveraineté absolue en matière d'enseignement. M. Buisson ne procède pas de ce point de départ. Il n'est pas pour le monopole et il ne lui apparaît pas comme « indispensable que l'Etat seul distribue


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tout l'enseignement de haut en bas ». Comment donc l'interdiction d'enseigner faite aux ministres des cultes se justifie-t-elle à ses yeux ?

« L'enfant, pour devenir homme et surtout pour devenir citoyen d'un pays libre, a besoin d'une instruction et d'une éducation qu'il appartient à l'Etat, dans une société civilisée, de lui garantir au cas où la famille n'y pourvoirait pas:

« Pour remplir ce devoir de tutelle et de contrôle, il faut que l'Etat soit investi de certains pouvoirs, notamment :

« ... 3° Qu'il puisse garantir aux enfants qui ne sont pas confiés aux établissements de l'Etat la même protection qu'aux autres, qu'il puisse veiller, par conséquent, à ce qu'ils ne soient pas placés, même avec le consentement des parents, dans des conditions qui rendraient manifestement impossible leur développement normal, en tant qu'homme et que citoyen. »(i)

Et encore. « Un jour est venu où l'Etat, prenant conscience de sa responsabilité, a fait de l'enseignement un service public comme il en faisait un autre de l'assistance. C'est là que nous en sommes. Et maintenant que ce devoir est reconnu l'Etat ne peut plus s'y soustraire. S'il i n'est pas indispensable que lui seul distribue tout l'enseignement de haut en bas, il est nécessaire que nul enseignement ne se donne à son insu et hors de sa surveillance. De toutes les formes de cette surveillance, la première qu'il ait à exercer, c'est de s'assurer que nulle part on ne mettra des enfants, même avec le consentement de-leurs parents, dans des conditions de milieu, d'entourage, d'influences exclusives qui les condamnent d'avance à n'entendre jamais qu'une opinion, à ne voir jamais qu'une face des choses et à porter toute la vie l'empreinte d'une éducation qui les a soustraits au contact du monde. » (2).

Je ne conteste pas dans son principe général, et malgré les réserves qu'appelleraient peut-être à mes yeux certaines expressions, la thèse posée par M. F. Buisson. La conséquence qui s'en dégage est l'interdiction d'enseigner pour les. congrégatons religieuses. On sait avec quelle élévation de pensée et quelle force d'argumentation M. Buisson a justifié cette conséquence dans son remarquable rapport du 11 février 1904. Après M. Waldeck-Rousseau il a démontré d'une façon irrésistible que les trois voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance détruisent tout ce qu'il y a d'essentiel dans la personnalité humaine. Ceux qui l'ont totalement abdiquée en eux ne peuvent prétendre au droit de la développer chez les autres. « Une corporation d'assujettissement ne peut être érigée en corporation d'enseignement. »

Ce raisonnement ne s'applique pas, du moins dans toute son étendue, au. clergé séculier. Ce clergé ne prononce que le voeu de continence (3),

(1) Coopération des idées. 1" janvier 1903, p. 215-216. Extraits d'une conférence contradictoire avec M. Denys Cochin.

(2) Discours prononcé le 19 septembre 1903, a Lyon, au XXII" Congrès de la Ligue de l'enseignement.

(3) M. F. Buisson a cité dans son rapport l'admirable page dans laquelle Taine a mis en lumière le régime d'assujettissement qui résulte de la vie conventuelle. On


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il ne vit pas en dehors du siècle, et si l'on peut dire qu'il dépend d'un pouvoir étranger, ses relations avec ce pouvoir sont réglées, précisées, restreintes, par un acte contractuel, où l'Etat national s'est réservé les droits, les garanties et les sanctions qui sont nécessaires à sa souveraineté et à son indépendance.

On ne peut donc établir entre les congrégations et- le clergé séculier une confusion qui, leur appliquant le même raisonnement, aurait pour effet logique et inéluctable de les soumettre aux mêmes mesures et aux mêmes interdictions.

M. Buisson redoute, il est vrai, qu'exclues comme congrégations du droit d'enseigner, certaines corporations ne trouvent dans leur retour au clergé séculier un moyen de se reconstituer, de tourner la loi et de reconquérir par un simple changement de costume le droit d'enseigner, que la loi a voulu formellement leur retirer. « Les établissements, a-t-il dit, seront dirigés par un laïque et tout le personnel des prêtres enseignants continuera d'exercer son prestige sur les enfants. »

Cette objection n'avait pas été sans émouvoir votre Commission. M. le Président du Conseil y a répondu en disant que les lois du Ier juillet 1901 et du 4 décembre 1902 permettent, par les sanctions qu'elles édictent de parer à ce péril. On se trouverait dans ce cas en présence de fausses sécularisations, d'autant plus saisissables et légalement répréhensibles qu'elles se produiraient sous la forme de la reconstitution presque intégrale de l'ancien établissement. Or, M. le Président du Conseil affirme qu'il n'existe pas un seul établissement d'anciens congréganistes desservi par les mêmes congréganistes sécularisés. La violation de la loi serait trop certaine, trop flagrante, et le danger que prévoit M. Buisson cesse d'avoir le caractère redoutable qu'il lui attribue, par suite de l'obligation où se trouvent les anciens congréganistes de se séparer, de se disperser, de se disséminer.

Il suffit d'ailleurs de renvoyer M. Buisson aux passages mêmes de son

me permettra d'en rapprocher celle où le même écrivain note, par des traits qui ne sont pas moins expressifs, la différence entre les deux clergés.

« Si correct que soit un prêtre séculier, il vit encore dans le siècle. Il a, comme un laïque, son logis et son foyer, à la campagne son presbytère et son jardin, à la ville son appartement, dans tous les cas son intérieur et son ménage, une servante ou une gouvernante, qui est parfois sa mère ou sa soeur ; bref, un enclos propre et réservé où, contre les envahissements de sa vie ecclésiastique et publique, sa vie domestique et privée se maintient à part, analogue à celle d'un fonctionnaire laïque qui serait célibataire et rangé... Il dispose de tout son argent, sans consulter personne ; hors de ses heures de service, toutes ses heures sont à lui... Par todtes ces pensées mondaines, le monde le tient ; il y est trop engagé pour s'en dégager tout à fait.

« ...Si le chrétien veut se procurer l'alibi et habiter dans l'au-delà, il lui faut un autre régime, un abri contre deux tentations, c'est-à-dire l'abdication de deux libertés dangereuses, l'une qui est le pouvoir par lequel, étant propriétaire, il dispose à son gré des choses qui lui appartiennent ; l'autre qui est le pouvoir par lequel, étant maître de ses actes, il dispose à son gré de ses occupations quotidiennes... »

(Les Origines de la France contemporaine. — Le Régime moderne, III, 126-127.)


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rapport sur l'enseignement congréganiste, dans lesquels il s'est efforcé de démontrer que l'interdiction serait véritablement efficace, qu'il n'y aurait pas à redouter l'excès des fausses sécularisations et que les sanctions de la loi — qu'on pourrait à la rigueur augmenter — sont suffisantes pour en prévenir ou en réprimer l'abus (pages 29 à 33).

Cette objection de M. Buisson, même si elle était fondée, se réduirait au surplus à constater l'insuffisance transitoire de la législation qui interdit l'enseignement congréganiste et elle ne devrait provoquer que des mesures transitoires. Elle ne justifierait pas, du moins sous cette forme, l'incompatibilité de principe proposée entre le droit d'enseigner et la qualité de ministre d'un culte : je redis à dessein d'un culte quelconque pour donner à l'amendement de M. Buisson son véritable caractère et toute sa portée. Il faut donc en venir aux raisons plus générales qu'invoque M. Buisson. Elles sont de deux sortes et peuvent se préciser ainsi :

Le ministre du culte est un fonctionnaire dont les engagements ont été reconnus par la loi et qui jouit d'un certain privilège. L'Etat lui confère des attributions spéciales, une autorité « sui generis », une autorité officielle ;

2° Le Ministre du Culte renonce au droit de libre examen, de libre discussion. Il est soumis à l'autoritarisme absolu en matière morale et religieuse. Comme professeur il ne peut enseigner le contraire de ce qu'il

pense comme prêtre

« Le culte et l'enseignement supposent deux personnels distincts. Entre ces deux ordres de fonctions il y a une incompatibilité que le législateur devra consacrer... Il est contradictoire que le même .homme se présente tour à tour comme le représentant attitré d'une religion révélée, c'est-àdire investi d'un mandat d'ordre spirituel qui 'lui confère une autorité d'origine surnaturelle, puis comme professeur, penseur et savant qui ne' reconnaît que l'autorité de la raison et se charge d'instruire la jeunesse en conséquence. On ne se dédouble pas ainsi. L'état d'esprit du prêtre et celui du professeur, si l'un et l'autre sont imbus et bien pénétrés de leur mandat, s'excluent. Il faut choisir : ou être l'homme du Sillabus, ou être l'homme de la Déclaration des Droits... L'impossibilité est surtout flagrante si l'Etat reconnaît officiellement le caractère sacerdotal et feint ensuite, non moins (officiellement, de ne plus le remarquer chez le même homme quand il lui plaît de reprendre la figure de simple citoyen..» F.. Buisson. —• (Le droit d'enseigner. Revue politique et parlementaire, 10'juin 1903, p. 462.)

M. le Président du Conseil a répondu à la première des raisons exposées par M. Buisson en faisant observer qu'on ne peut cumuler la qualité de ministre d'un culte rétribué par l'Etat et celle de professeur dans un établissement d'enseignement secondaire. Quant le fait s'est produit, l'administration des cultes a mis le prêtre en demeure d'opter et il lui a suffi d'invoquer et d'interpréter le Concordat pour obtenir satisfaction. Cette jurisprudence est ancienne. Une circulaire de M. Martin-Feuillée, relative aux petits séminaires et sur laquelle j'aurai à revenir, débute ainsi :


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« Les ecclésiastiques peuvent, comme tous les autres citoyens français, créer, en se conformant aux lois et règlements scolaires, autant d'écoles secondaires que bon leur semble. Le Gouvernement n'admet pas cepndant que les professeurs de ces établissements puissent cumuler ces emplois avec des fonctions dans le service paroissial, tout leur temps étant dû par les prêtres salariés sur le budget des cultes au titre dont ils ont charge. Aussi, lorsque.des cas de cette sorte de cumul sont signalés à l'administration des cultes, les ecclésiastiques dont il s'agit sont-ils immédiatement appelés à opter. » (Circulaire du 22 mai 1883.)

La seconde raison invoquée par M. Buisson avait déjà trouvé en 1879 et en 1882 une expression éloquente dans le discours de M. Madier de Montjau qui établissait, lui aussi, une incompatibilité absolue et radicale entre les croyances révélées, la foi, le dogme et le libre examen, qui doit être la condition essentielle du droit d'enseigner. Jules Ferry répondit à cette objection avec une telle force et une telle autorité qu'il y a tout profit à lui laisser la parole.

«... Si vous frappez le clergé séculier pour ses doctrines, pour sa foi, pour son dogme, pourquoi laisser les laïques qui professent la même foi et qui suivent le même dogme, libres d'enseigner?... (6 juillet 1879.)

« Vous dites qu'on en a le droit, parce que le clergé est un corps de fonctionnaires 1 Mais, Messieurs, est-ce que les prêtres qui enseignent dans les maisons d'éducation sont vos fonctionnaires ? Est-ce que dans ce clergé vous avez des prêtres émargeant au budget ? Est-ce que ce sont les curés ou les vicaires de village qui constituent le personnel des maisons d'éducation ?

« L'argument est sans valeur... Ce n'est pas parce qu'ils sont fonctionnaires que vous voulez leur ôter le droit d'enseigner, c'est parce qu'ils professent des doctrines qui vous inquiètent. Mais prenez garde 1 Ce n'est pas en mettant le clergé hors la loi — pour me servir d'une de vos expressions — que vous aurez raison de ses doctrines, et quand vous serez débarrassés, comme vous dites, des ecclésiastiques qui enseignent la logique, vous serez conduits à vous débarrasser aussi des laïques catholiques qui enseignent à côté'd'eux... (n juillet 1882.)

«... Au dehors, cet amendement est un épouvantail: on l'exploitera, on l'exploite déjà contre vous ; au dedans, dans le Parlement, c'est un embarras, c'est un obstacle. Et si la loi que je défends, et dont la majorité désire le succès autant que moi, devait se briser contre quelque écueil, cet écueil, entendez-le bien, Messieurs, les auteurs de l'amendement l'auraient élevé de leurs propres mains. » (6 juillet 1879.)

Si je dois à la vérité de déclarer que la majorité de la Commission n'a pas entendu, en repoussant l'amendement de M. F. Buisson, s'approprier toutes les considérations que j'ai développées contre lui, je suis assuré de ne trahir ni ses sentiments ni ses intentions en affirmant qu'elle a du moins redouté de voir la loi sur l'enseignement secondaire se briser « contre cet écueil ». L'abrogation de la loi Falloux, promise au suffrage universel, s'impose comme une nécessité impérieuse de la politique républicaine. Le projet de loi confère à l'Etat des droits précis et lui assure des


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garanties réelles dont il serait imprudent de compromettre le bénéfice par des exigences sur lesquelles la majorité des deux Chambres parviendrait difficilement à se mettre d'accord. Il n'est personne, dans cette majorité, qui ne considère comme scandaleux et dangereux les privilèges accordés par la loi de 1850 à l'enseignement clérical. Il n'est personne qui n'appelle de ses voeux et ne soit prêt à sanctionnner de ses votes un régime où l'Etat rencontrera les moyens de contrôle, les droits de surveillance, les garanties de capacité, les sanctions pénales et civiles, dont il est ■ aujourd'hui complètement dépourvu. Si la loi projetée ne répond pas à tous les désirs, et s'il est loisible aux esprits absolus d'en critiquer les détails et d'en dénoncer l'imperfection, elle constitue néanmoins un progrès considérable dont s'accommode la moyenne de l'opinion républicaine. Faut-il renoncer à ce progrès parce qu'il ne satisfait pas toutes les exigences et ne réalise pas toutes les conceptions ? Certes, la haute loyauté de M. Buisson répugne à la politique de surenchère et son amendement s'inspire de la conviction la plus désintéressée et la plus respectable. Mais si cet amendement compromet le sort de la loi, les intentions compteront peu et même ne compteront plus, rapprochées des résultats. Votre Commission n'a pas voulu se résigner à la perspective d'un semblable avortement.

Une considération d'un autre ordre a contribué d'ailleurs, et pour une large part, au rejet de l'amendement de M. Buisson. Elle a été invoquée devant la Commission par M. le Président du Conseil qui, déjà, l'avait développée à la tribune du Sénat dans la séance du 12 novembre 1903. M. Girard avait proposé d'exiger de tout candidat à la direction d'un établissement secondaire la déclaration « qu'il n'avait point prononcé des voeux d'obéissance ou de célibat ». C'était sous une forme indirecte, interdire la direction de ces établissements — et sans doute, par une disposition ultérieure, l'enseignement, —non seulement aux congrégations, mais aux membres du clergé séculier.. M. le Président du Conseil, dans l'importante déclaration lue au nom du Gouvernement, promit de déposer un projet de loi interdisant l'enseignement aux congrégations. Puis il ajouta: « Quant aux membres des clergés, il nous a paru opportun et logique de réserver la décision à prendre en cette matière, jusqu'à ce que le Parlement ait statué sur la question de la séparation des Eglises et de l'Etat. Chacun sent, en effet, que la question particulière, soulevée par l'amendement de M. Girard, ne peut être envisagée à part de la question plus générale et plus haute des rapports à établir entre la Société civile et les Sociétés religieuses.

<( Une Commission de la Chambre des Députés étudie activement cette dernière question. Elle a poussé son travail assez loin pour qu'on ait le droit de s'attendre à ce que la question vienne en délibération dans le cours de. la session ordinaire de l'année prochaine. Loin d'éluder la discussion, le Gouvernement aura à coeur de montrer qu'il est très désireux d'en finir avec une situation indécise et confuse, qui ne peut guère se prolonger beaucoup sans dommage pour la tranquillité morale du pays. De la solution qui interviendra à cette époque sur la question de la séparation dépend à nos yeux la solution à donner à la partie de l'amendement Girard qui regarde les membres des divers clergés ».


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Ces raisons, qui avaient convaincu le Sénat,' et déterminé M. Girard lui-même à retirer son amendement, ont exercé la même action sur votre Commission. Certains de ses membres se sont associés, dans une pensée d'ajournement, et tout en réservant le fond, au vote qui a entraîné le rejet de l'amendement de M. Buisson. Des événements et des incidents sur lesquels il n'y a pas lieu d'insister ici, auront sans doute pour effet de hâter devant la Chambre la discussion des projets de loi relatifs aux rapports des Eglises et de l'Etat. Il n'est pas difficile de se rendre compte, comme l'a déclaré M. Combes successivement devant le Sénat et devant votre Commission, que la solution de cet important problème aura son effet direct sur les droits du clergé en matière d'enseignement, selon que la situation des Ministres des divers cultes sera réglée dans un sens ou dans l'autre. M. Buisson l'a méconnu moins que personne. Le projet rédigé par M. Briand contient (art. 2, § 3) une disposition significative: « La République ne reconnaît aucun ministre du culte ». Cette disposition, si elle était votée, aurait pour effet, de l'aveu de M. Buisson (1), de rendre aux ministres des cultes une liberté complète, qui comprendrait, pour eux comme pour tous les citoyens, le droit d'enseigner dans les conditions de la loi commune. Sans rechercher si cet aveu loyal ne détruit pas sur le fond même une partie de l'argumentation de M. Buisson, il suffit de le retenir pour justifier au moins l'ajournement de sa proposition. Votre rapporteur, interprète des sentiments de la Commission, aurait pu s'en tenir à cette considération si la Commission elle-même, dans un sentiment de libéralisme dont il la remercie, ne l'avait autorisé à consacrer à la question un examen plus approfondi et digne de son importance.

CHAPITRE TROISIÈME

Des grades et des diplômes exigés des professeurs de l'enseignement

secondaire.

(Articles 8, 9 et 11.)

La loi du 15 mars 1850, qui impose au directeur d'un établissement libre d'enseignement secondaire le simple titre de bachelier, n'exige des professeurs aucune garantie, aucun grade, aucun diplôme, M. Dubois disait en 1836, à l'occasion du projet déposé par M. Guizot:

« Le Ministre de l'Instruction publique n'a pas le droit, à lui seul, de créer des professeurs d'histoire, des professeurs de philosophie, des professeurs de sciences ; il faut des épreuves publiques, il faut des concours ; il ne nomme que les hommes qui ont fait leurs preuves. Et voilà au contraire un particulier revêtu, il est vrai, d'un brevet de capacité, qui, à lui seul, a le droit de créer des professeurs de tous genres, de tous les degrés 1

(1) « Le Concordat supprimé, ...ces citoyens (les prêtres) rentreront dans le droit commun : comme rien ne les distinguera plus, s'ils remplissent les conditions qu'imposera la loi pour enseigner, il n'y.a aucune raison de les en exclure ». (Revue du Clergé français. Réponse de M. Buisson, 19 octobre 1903, p. 43».)


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Pouvez-vous laisser toutes les chances ouvertes à l'ignorance, à la spéculation et peut-être à des entreprises plus dangereuses encore ? »

Ces observations frappèrent M. Guizot, qui accepta de modifier son projet de loi dans le sens indiqué par M. Dubois. Thiers, en 1849, dans les séances de la Commission instituée par M. de Falloux, subit une influence contraire et céda aux sollicitations de Dupanloup qui, après avoir demandé un minimum de grades, finit par obtenir qu'aucun grade ne fût exigé.

Jules Ferry démontrait avec force en 1886, dans l'exposé des motifs de son projet de loi, les dangers et les résultats de cette abdication invraisemblable.

• « Ce qu'il est urgent d'exiger immédiatement, si l'on veut préserver les études d'une décadence irrémédiable, ce sont les grades, diplômes et certificats qui, de l'aveu de tous, constituent un minimum d'aptitude professionnelle. Quand dans les établissements de l'Etat le moindre surveillant doit justifier d'un diplôme, quand nous allons exiger un brevet de capacité même des simples adjoints des écoles primaires, est-il admissible que, dans les établissements privés, au contraire, dix, vingt maîtres, sous ladirection d'un bachelier unique, puissent donner l'enseignement le plus élevé sans avoir jamais pris aucun grade et sans posséder peut-être aucune instruction spéciale ? Faut-il s'étonner que dans ces conditions ces maîtres deviennent non plus les collaborateurs du chef d'établissement, pour une oeuvre essentiellement morale, mais de simples salariés, les agents sans titre ni responsabilité d'un entrepreneur de baccalauréat, placés dans sa dépendance d'une façon d'autant plus étroite qu'aucune : condition d'aptitude ne vient limiter son choix ?

« Aussi, on est en droit de se demander, après trente années d'expérience, si la décadence évidente des études classiques n'a pas pour cause principale cette concurrence purement industrielle, instituée contre les établissements sérieux et respectables par ceux qui substituent les procédés au savoir, la préparation hâtive et superficielle à l'enseignement règu- ' lier et approfondi, et si la loi de 1850 n'est pas jugée par ses résultats. »

L'enquête sur l'enseignement secondaire, dirigée avec une si grande autorité par notre éminent collègue M. Ribot, a confirmé, en 1899, les conclusions auxquelles Jules Ferry aboutissait en 1886.

Sur 5.438 directeurs et professeurs employés dans l'enseignement secondaire libre, on comptait: 27 docteurs, 15 agrégés, 753 licenciés, 1.425 bacheliers, 79 brevetés secondaires et 713 brevetés primaires. Cela donne un ensemble de 3.012 gradés. Le chiffre, au premier abord, paraît relativement important et peut faire illusion, — une illusion qu'on s'emploie souvent à créer — à ceux qui n'en décomposent' pas les éléments. Mais il prend sa valeur réelle si l'on réfléchit: que 2.426 professeurs, soit près de la moitié, n'ont aucune espèce de grade ; 20 que 795 seulement, c'est-à-dire environ le septième, possèdent un titre supérieur à celui de bachelier auquel tendent les élèves eux-mêmes.

Mais les dépositions recueillies à l'enquête ont démontré des faits autrement .significatifs. On sait que la loi du 16 juin 1881 oblige tous les


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instituteurs publics ou libres à être pourvus du brevet de capacité. Cette exigence a rendu un grand nombre d'établissements et de professeurs impropres à l'enseignement primaire. Qu'à cela ne tienne. La loi du 15 mars 1850 a ouvert aux maîtres un refuge. Légalement incapables de donner l'enseignement primaire, ils sont légalement capables de donner l'enseignement secondaire. Qui ne peut pas le moins peut le plus. Les établissements se sont transformés. M. Hue. dans son étude si vivante et si documentée sur la Loi Falloux, a emprunté à l'enquête un certain nombre d'exemples de cette transformation, qu'une simple déclaration a suffi à rendre possible. Je ne puis mieux faire que de les citer à mon tour.

<( Académie d'Aix (département des Alpes-Maritimes). — L'inspecteur écrit:

<( L'institution Saint-Louis, de Nice, n'est qu'une école primaire con« gréganiste qui a pu être érigée en école secondaire par le seul fait que « son directeur, pourvu d'un brevet élémentaire, a été remplacé par un « nouveau directeur possédant le certificat d'aptitude à l'enseignement « spécial. Du même coup, grâce à l'incohérence de nos lois scolaires, « l'établissement peut employer des maîtres dépourvus de tout diplôme. »

« Académie de Rennes (département de la Loire-Inférieure). — L'inspecteur écrit:

<( Un seul établissement appartient à des congrégations: le pensionnat <( Saint-Joseph, à Nantes.

« Cet établissement appartient à la Congrégation des Frères de Ja Doc« trine chrétienne.

« Jusqu'au mois d'août 1894, il était classé dans l'enseignement primaire « comme école primaire supérieure privée ; mais alors il s'est transformé « en établissement' secondaire d'enseignement moderne, transformation « purement nominale, car rien autre n'a été changé. »

« Académie de Poitiers (département de la Vendée). ■— L'inspecteur écrit:

<( Le seul changement, mais celui-ci de grande importance, que nous u ayons à relever dans la marche de l'enseignement privé pendant la « même période, s'est produit en 1895, par suite de la transformation du « pensionnat primaire de Saint-Gabriel en institution secondaire. Grâce à « une simple déclaration du directeur, cette maison, qui n'avait été jus« que-là qu'une école primaire élémentaire, prit rang parmi les établisse« ments secondaires et vint rompre en faveur de l'enseignement privé (( l'équilibre qui avait existé jusque-là entre ce dernier et l'enseignement « public. Il a suffi d'une seule condition pour opérer cette soudaine transie mutation ; c'est que le nouveau directeur fût bachelier, conformément à « la loi du 15 mars 1850. Le reste du personnel est demeuré le même. Il « est muni des mêmes titres, à savoir le brevet élémentaire. Il peut, en « vertu de la même loi, n'en posséder aucun. »

(à suivre)

Le Gérant : R. GERVAIS^.

Paris, Imp A. Quelquejeu, rue Gerbert, 10