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Titre : Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais

Auteur : Société archéologique et historique de l'Orléanais. Auteur du texte

Éditeur : Gatineau libraire (Orléans)

Éditeur : Dumoulin libraire (Paris)

Date d'édition : 1936

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328132413

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328132413/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1936

Description : 1936 (T37).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5553292f

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-278668

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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MÉMOIRES

DE LA SOCIETE

ARCHÉOLOGIQUE ET HISTORIQUE

DE L'ORLÉANAIS

TOME TRENTE-SEPTIÈME

ORLÉANS 1936



LES

VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS

(CIVITAS AURELIANORUM)

INTRODUCTION

Avant d'aborder l'étude des voies antiques de l'Orléanais, il est indispensable d'indiquer avec précision ce que j'entends par Orléanais.

L'Orléanais est pris dans le sens de l'expression latine civitas Aurelianorum. Ses limites sont celles du diocèse d'Orléans avant la Révolution 1. On sait, en effet, que les grandes divisions ecclésiastiques ont été calquées sur les circonscriptions administratives de l'Empire romain 2. La civitas Aurelianorum est elle-même un démembrement de la civitas Carnutum, démembrement qui date de la fin du IIIe siècle ou de la première moitié du IVe 3.

1. Voir Auguste Longnon, Atlas historique de la France depuis César jusqu'à nos jours, 2e livraison. Paris, 1888, p. 111. — Voir aussi A. Longnon, Fouillés de la province de Sens. Paris, 1904, p. XLI de l'Introduction : « Le diocèse d'Orléans représente la civitas Aurelianorum de l'époque romaine, et son territoire ne paraît avoir subi au cours des siècles que de légères modifications. »

2. " Le principe de la corrélation des divisions ecclésiastiques avec les circonscriptions civiles, exprimé dans les prescriptions de plusieurs conciles de l'époque romaine, est un fait des plus importants pour l'étude de la géographie historique ; il donna aux diocèses ecclésiastiques la circonscription des civilates » (A. Longnon, Atlas historique, 1re livraison. Paris, 1884, p. III).

3. Le premier évêque d'Orléans est Diclopitus (346) ; voir L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, 2e édit., t. II. Paris, 1910, p. 459460 ; voir aussi R. Merlet, Les comtes de Chartres, de Châteaudun et de Blois aux IXe et Xe siècles (Chartres, 1900).


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La nouvelle civitas eut pour capitale Cenabum, Caenabum, Cenavum ou Genabum (Orléans), ville dont là première mention se trouve au livre VII du Bellum gallicum de César 1. En 52 avant l'ère chrétienne, Cenabum était déjà très important : place forte (oppidum) de la civitas Carnutum, que les Gaulois regardaient à juste titre comme le milieu de leur pays, c'est dans ses environs qu'était l'ombilic sacré, le locus consecratus, où se tenaient annuellement les assises druidiques, amenant à date fixe une foule de pèlerins et de plaideurs 2.

C'était aussi, comme aujourd'hui encore — le mot du géographe grec Strabon, qui vivait au Ier siècle de notre ère, est toujours exact, K^vaSov 10 TÔ'IV Kapvoïkwv èMtépiov — le grand marché de la région, surtout le marché à blé de la Beauce ; bien avant la conquête, des citoyens romains s'y étaient établis et y faisaient le commerce. Son pont sur la Loire était alors, comme il l'a été jusqu'à la création du chemin de fer du Centre (aujourd'hui ligne de Paris à Toulouse), le principal passage des populations et des marchandises du Nord et du Midi 3.

La civitas Aurelianorum était limitée à l'est par le lit étroit, mais profond, de la Rimarde, affluent de l'Essonne, et la forêt d'Orléans 4, au sud-est par une ligne de marécages,

1. Voir notamment, pour les variantes de Cenabum, l'édition du Bellum gallicum, par H. Meusel (Berlin, 1894), et Altceltischer Sprachschatz, par Alfred Holder, t. I (Leipzig, 1896).

2. Voir Bellum gallicum, 1. VI, chap. XIII. — J'ai émis, en 1920, l'hypothèse que l'omphalos gaulois devait être placé dans la région de SaintBenoît-sur-Loire : voir mon mémoire Le temple du dieu gaulois « Rudiobus » à « Cassiciate » : identification de cette localité (extrait du Bulletin de la Section de géographie du Comité des travaux historiques, 1920. Paris, 1921). C. Jullian adopte cette hypothèse dans son Histoire de la Gaule, t. VI, 1920, p. 411, note 1, et dans son volume De la Gaule à la France : nos origines historiques (Paris, 1922), p. 97, note 1, et p. 84, 96, 98, 100, 229, 230. — Cf. ma note sur Les origines de Saint-Benoît-sur-Loire d'après deux guides récents (Bulletins de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXI, année 1931, p. 486).

3. Voir mon étude : A propos d'une variante des Commentaires de César : de l'emplacement du pont gaulois de « Cenabum » (extrait des Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIX, 1920-1922. Orléans, 1923).

4. Du côté de la forêt d'Orléans, la limite était à Ingrannes (Loiret), paroisse de l'ancien diocèse d'Orléans. On sait que ce nom est l'équivalent gaulois du latin fines (limite).


LES VOIES ANTIQUES DE L ORLÉANAIS 7

d'étangs (dont l'immense « Étang du Puits ») et de bois 1, par la Grande-Sauldre 2, affluent du Cher, par la forêt de Bruadan 3, puis à nouveau par la Sauldre, au sud par le Cher, affluent de la Loire, au sud-ouest par la forêt de Bourré et le bois de Choussy*, le bois de Saint-Lomer 6, le bois de Cheverny 6, la forêt de Boulogne 7, à l'ouest par la forêt de Marchenoir 8, au nord-ouest et au nord par quelques rares boqueteaux beaucerons et des plis de terrains à peine perceptibles sur nos cartes.

Les civitates limitrophes étaient, au nord et à l'est, la civi1.

civi1. remarquera sur le territoire de la commune de Saint-Florent (Loiret), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, le lieu dit Pierrefitte, qui rappelle sans doute la borne-frontière. — Coulions (Loiret), ancienne paroisse du diocèse de Bourges, me paraît rappeler la borne (columna) qui indiquait sur son territoire la limite de la civitas Biturigum et de la civitas Aurelianorum. Coulions, autrefois Colom (vers 1100, Cartulaire du prieuré de Saint-Gondon, par Marchegay, 1879, p. 45-47), proviendrait régulièrement du locatif Columnae.

2. Sur la Sauldre, Pierrefitte (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, rappelle la borne-frontière (Pelra Ficla).

3. En vieux français : forest de Briodan, acte du 19 novembre 1466 (arch. dép. du Loiret, G, chapitre Saint-Vrain de Jargeau).

4. Choussy (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans. — Bourré (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse de Tours.

5. Ainsi nommé parce qu'il appartenait à l'abbaye de Saint-Lomer de Blois.

6. Avant d'atteindre le bois de Cheverny, la limite est marquée par Feings (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse de Chartres (Fines). Près de Fougères (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse de Chartres, la carte de Cassini (XVIIIe siècle) indique un lieu dit La Maison de Fins, qui rappelle aussi la frontière. Cheverny (aujourd'hui comm. de CourCheverny, Loir-et-Cher) était une paroisse du diocèse de Chartres. Sur son territoire; au sud-est, se trouve le lieu dit Ingrandes (cf. Ingrannes), à la limite de la civitas Carnutum et de la civitas Aurelianorum.

7. Sur le territoire de la comm. de Chambord (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse de Chartres.

8. Au sud-est de Marchenoir (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse de Chartres, sur le territoire de la comm. de Concriers (Loir-et-Cher), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, se trouve le lieu dit Fins. — Saint-Péravy-la-Colombe (Loiret), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, doit son nom (Columna) à la colonne, ou borne indicatrice de la frontière de la civitas Aurelianorum et de la civitas Carnutum. Voir mon étude sur Le « Columnae vicus » et l' « ager Columnensis » à l'époque mérovingienne, 1918 (extrait des Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t.XVIII). Au nord de Saint-Péravy, Terminiers (Eure-et-Loir), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, est à la limite (terminus) de la civitas Aurelianorum et de la civitas Carnutum. Terminiers, en français du moyen âge Termenier, provient évidemment du latin vulgaire terminarium.


8 JACQUES SOYER

tas Senonum, capitale Agedincum (Sens), et la civitas Autessiodurum (Auxerre), démembrement de la vaste civitas Aeduorum ou Haeduorum, capitale Bibracte (le Mont-Beuvray), puis Augustodunum (Autun) 1; au sud-est et au sud, la civitas Bilurigum, capitale A varicum (Bourges) ; au sudouest, la civitas Turonum, capitale Caesarodunum (Tours) ; à l'ouest et au nord-ouest, la civitas Carnutum, capitale Autricum (Chartres) 2.

Et maintenant, il me reste à dire un mot de la méthode que j'ai suivie pour reconstituer, aussi exactement que possible, l'ancien réseau routier de l'Orléanais. J'ai utilisé d'abord les itinéraires de l'Empire romain ; savoir : l' Itinéraire d'Antonin (fin du 111e siècle) et la Table de Peutinger (milieu du IVe siècle) 3. J'ai utilisé aussi la Cosmographie de l'Anonyme de Ravenne ou le Ravennate, qui vivait vers la fin du VIIe siècle, mais qui a puisé la plus grande partie de sa nomenclature topographique dans des documents de l'époque impériale 4.

En plus de ces textes de l'Antiquité, très incomplets, où les noms de lieux et les chiffres des distances ont été souvent estropiés par les scribes, j'ai noté avec soin les parties de voies romaines qui ont été découvertes par les archéologues de la région et dont la structure, toute particulière et bien connue 5, ne permet pas de les confondre avec les chemins des époques postérieures.

1. La civitas Autissiodurum paraît avoir été créée, comme la civitas Aurelianorum, vers la fin du IIIe siècle (A. Longnon, Atlas historique, p. 4).

2. Voir A. Longnon, Atlas historique de la France, planche n° II : « La Gaule sous la domination romaine vers l'an 400 de notre ère. »

3. Sur ces dates, voir A. Longnon, Allas historique, p. 13. — On trouvera une excellente reproduction de la Table de Peutinger, en ce qui concerne la Gaule, dans la Revue des Etudes anciennes, t. XIV, 1912.

4. Sur ce géographe, Voir Auguste Molinier, Les sources de l'histoire de France, t. 1 (Paris, 1901), p. 6 ; voir aussi Ernest Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, t. IV (Paris, 1893), ch. VIII (les ch. VIII et IX de ce tome sont l'oeuvre de Longnon). Je me suis servi de l'édition Pinder et Parthey, Ravennatis anonymi cosmographie (Berlin, 1860), p. 234-235. Voir aussi le texte publié par les Bénédictins, Historiens de France, t. I, p. 120.

5. Il est à remarquer que les constatations des archéologues locaux ont


LES VOIES ANTIQUES DE L 'ORLEANAIS 9

J'ai aussi relevé sur les cartes et plans anciens et modernes toutes les dénominations locales des voies antiques, qui, très souvent, servent de limites paroissiales (avant 1790), de limites communales actuelles et aussi, surtout en Sologne, de chaussées d'étangs 1.

Voici les dénominations que l'on rencontre dans notre région : « chemin de César », « chemin de Jules César 2 », « chemin des Romains », « chemin perré », « chemin pavé », « chemin ferré » ; « chaussée » (calciata, sous-entendu via, littéralement : chemin dont les pavés sont liés par de la chaux) 3, « grande chaussée », « chemin chaussé », « vieux chemin », « chemin blanc » (à cause de la blancheur des pavés), « chemin du roi ».

Les chartes latines désignent les grandes voies antiques sous les noms de strata (ellipse de l'expression classique : via strata lapide, route pavée), strata publica, via publica, via romana, via candida é.

fait justice de l'opinion toute-puissante parmi les érudits du XVIIe siècle, suivant laquelle la description que Vitruve a laissée du mode de construction des voies antiques est applicable à tous les chemins romains (voir Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, t. IV, p. 222). — Nous verrons qu'en Sologne, où la pierre est très rare, la voie d'Orléans à Bourges n'était pavée que dans les agglomérations importantes. Dans cette région argileuse et sablonneuse, il est très difficile de suivre te tracé des voies romaines..

1. Parce que des voies romaines passent en Sologne sur des chaussées de nombreux étangs, certains érudits en ont conclu à la haute antiquité de ces étangs. Le raisonnement est faux ; c'est tout le contraire qui est la vérité. Il faut dire qu'au moyen âge On s'est souvent servi des voies antiques comme chaussées d'étang.

2. Bien remarquer que ces dénominations : chemin de César, chemin de Jules César, camp de César, étang de César (en Sologne), etc., ne sont pas anciennes. Ce sont des inventions d'érudits du moyen âge ou de la Renaissance qui s'intéressaient à l'histoire de la conquête de la Gaule. Le mot César est un simple calque du latin Caesar ; c'est un mot de formation savante et livresque ; la forme populaire de ce nom n'existe pas (voir, à ce sujet, Louis Havet, Camp de César, dans Revue des Éludes anciennes, année 1920, p. 118-120).

3. Comme le mot chaussée n'a pas cessé d'être employé, il ne constitue pas, à lui seul, une preuve d'antiquité pour les voies et les localités auxquelles il s'applique aujourd'hui.

4. Je n'ai pas trouvé l'expression via candida dans les chartes orléanaises, mais je la note dans des chartes sancerroises du XIIe siècle (voir mon Recueil des actes des souverains conservés dans les archives du Cher :


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Ces expressions sont bien connues ; en voici d'autres qui le sont moins, ou qui même ne le sont pas du tout : « chemin de Barbary » (c'est-à-dire : chemin par lequel sont venus les Barbares) 1 ; « chemin Rémi », « grand chemin remi » (caminus romeius, ou romeus, ou romevus), c'est-à-dire non pas voie romaine, mais route de pèlerinage ; romeius, ou romeus, ou romevus désignant en latin médiéval, un pèlerin quelconque (originairement, celui qui avait fait le pèlerinage de Rome, aux tombeaux des apôtres) ; « chemin Remi » est l'équivalent Orléanais de « chemin Roumieu » ou « Romieu » du midi de la France 2 ; « chemin (ou chaussée) de saint Mathurin », ainsi nommé parce qu'il conduisait au fameux pèlerinage de Saint-Mathurin de Larchant (Seine-etMarne) ; « chemin des vaches », « chemin des boeufs », « chemin des cochons », ainsi nommés parce que, lorsqu'elles furent abandonnées par les véhicules dans le cours des âges, ces voies antiques servirent, jusqu'au début du XIXe siècle, aux marchands à mener vers les grandes villes, et surtout vers Paris, leurs troupeaux de bestiaux avec plus de rapidité et moins de danger que sur les routes modernes très fréquentées.

J'ai aussi noté très minutieusement les toponymes rappelant des grandes routes (« L'Estrée, Latrée, Les Trays », de strata; « La Chaussée », « Le. Chaussé »), des carrefours (« carrouge », « carouge », « cas-rouge », de quadruvium; « carroi », de quadrivium) 3, des ponts (pons en latin, briva

abbaye de Saint-Satur-sous-Sancerre (Bourges, 1903), n°s VII et XIV (extrait des Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre, XXVIe vol.).

1. Aug. Longnon signale, dans son Dictionnaire topographique du déparlement de la Marne (Paris, 1891), le « chemin de la Barbarie », près de Reims, appelé via juxta montes Remorum quae vocatur Barbaria par Hincmar, vers 850, et aussi, par le même auteur, via quae usque hodie, propter Barbarorum per eam iter, Barbarica nuncupatur, vers 860.

2. L'expression chemin roumieu = chemin des pèlerins est notée par E. Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, t. IV, p. 234. — Le bas latin rometum, indiqué par Du Gange (Glossaire), aboutit régulièrement à remei, puis à remi. Cet adjectif a, bien entendu, été pris de bonne heure pour le nom propre Remi ou Remy. — Du Gange note aussi les expressions : ad stratam publicam sew caminum romeum (1272), caminus romevus sancti Jacobi.

3. Les mots carrouge et carroi, ayant été constamment employés en vieux français au sens de « carrefour », ne constituent pas à eux seuls une


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en gaulois), des gués (vadum en latin, ritum en gaulois) 1, des champs de foire (magus en gaulois), des marchés, couverts (basilica en latin), des camps de légions (castra), des colonies agricoles et militaires de barbares à la solde de l'Empire (Marcomania [cantonnement de Marcomans], en français Marmagne ou Marmogne ; Sarmatia [cantonnement de Sarmates] = Sermaises; Brittania [cantonnement de Bretons] = Bretagne, etc.) ; les toponymes rappelant l'emplacement d'hôtels-Dieu, de léproseries ou maladreries, toujours situés au moyen âge sur les voies les plus importantes 2 (l'Hôtel-Dieu, l'Aumône, la Maladrerie ou Maladerie, SaintLadre, Vl'opiteau ou l'Hopitau) ; enfin, les toponymes rappelant des bornes (columnae) 3 indiquant les distances en milles romains (1,481 mètres) ou en lieues gauloises (2,221m50). Columna a abouti en français de notre région à colombe ou coulombe et le locatif Columnae (littéralement : « à la borne »), à Colom ou Coulon. Quelquefois, c'est le chiffre de la borne qui a donné son nom à la localité (ex. : La Carte, de quarta [columna] = la borne 4). Rappelons que le mot columna peut aussi désigner une borne-frontière de civitas ou de pagus.

Dans cette étude, je ne parlerai, bien entendu, que des viae publicae, ou viae militares, les seules qui fussent « construites ». Je laisse de côté les viae terrenae, simples chemins de terre, qui devaient être en nombre infini comme nos chemins, ruraux actuels. « C'est la construction », comme le remarque très justement Camille Jullian, « qui fait l'originalité véritable de la route romaine », route qui est généralement rectiligne 4.

preuve de l'antiquité des voies. Quadruvium (avec un i consonne) aboutit régulièrement à carrouge (l'orthographe officielle Cas-Rouge est absurde, il est à peine besoin de le dire) ; quadrivium, avec l'accent sur le premier i qui est bref, aboutit à carroi ou carroy.

1. Les ponts antiques, dans notre région, sont très rares ; les rivières (comme la Loire, d'ailleurs) étaient généralement passées à gué ou au moyen d'un bac. Les archéologues locaux ont tendance à voir partout des ponts romains. — Il y avait des gués pavés.

2. E. Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, t. IV, p. 236.

3. Sidoine Apollinaire (Carm. 24) parle d'une grande route militaire marquée par les bornes aux noms impériaux : Velustis columnis nomen Caesareum viret.

4. Voir Maurice Besnier, Enquête sur les routes de la Gaule romaine, dans


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La plupart des voies que je vais suivre sont certainement d'origine gauloise. « Les marches des légionnaires promptes et décidées », a très bien dit encore C. Jullian en parlant de la conquête de la Gaule, « l'absence d'incertitude touchant les routes qu'ils ont à prendre ne s'expliqueraient pas si celles-ci n'avaient, été suffisamment larges et nettoyées et d'un sol résistant 1. » Ces voies sont reconnaissables, on le verra, aux noms des localités celtiques et préceltiques qui les jalonnent, si je puis m'exprimer ainsi.

Mon travail se divisera en deux parties : la première traitera des voies antiques sortant d'Orléans ; la deuxième des voies antiques orléanaises ne passant pas par Orléans.

Revue des Éludes latines. Paris, 1929, p. 6. — Le principe de la ligne droite fut adopté en France au XVIIIe siècle. On lit, dans un arrêt du 26 mai 1705 : « Sa Majesté ordonne que les ouvrages de pavé, qui se feront de nouveau par ses ordres, et les anciens, qui seront relevés, seront conduits au plus grand alignement droit que faire se pourra... » (cité par Edmond Chaix, La roule, dans Revue des Deux Mondes, 1er août 1933, p. 597).

1. Histoire de la Gaule, t. II, 2e édition. Paris, 1909, p. 229. Remarque analogue dans G. Dottin, Manuel... de l'antiquité celtique, 2e édition. Paris, 1915, p. 221. — On sait que les Gaulois furent d'excellents charrons : Rome a emprunté de bonne heure à la Gaule les noms d'une foule de véhicules : carrus, carruca, rarpenlum, essedum, petorritum, reda, etc. On ne conçoit pas l'existence de ces véhicules sans l'existence de routes. Au témoignage même de César (Bellum Gallicum, VI, 17), les Gaulois avaient un dieu qui présidait aux routes : dux viarum atque itinerum. Ailleurs, César nous montre les Gaulois venant cum mullis carris magnisque impedimenlis, ut fert Gallica consuetudo (De bello civili, liv. I, t. II de l'édition de César par Dübner. Paris, 1867, p. 41) ; à comparer avec ce passage du Bellum Gallicum, VIII, 14 : Magna enim multitudo carrorum etiam expeditos sequi Gallos consuevit. — On connaît la boutade d'Ernest Desjardins : « Dans l'état présent de nos informations, retrouver les chemins gaulois est, à nos yeux, une pure chimère ; on peut cependant continuer à les chercher ; c'est peut-être inutile, mais c'est assurément très sain » (op. cit., t. IV, p. 163). En dépit de l'opinion du savant géographe, on peut affirmer que la philologie celtique et l'archéologie permettent de reconnaître le tracé des voies gauloises, tracé que les ingénieurs romains ou gallo-romains ont généralement suivi : ainsi le nom de Chabris (Carobrivae = les ponts du Cher) indique bien qu'avant la conquête la voie d'Orléans à Limoges passait à cet endroit sur le Cher, comme y passèrent plus tard la voie romaine et la voie française. — Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici qu'une vitesse de cinquante-cinq à soixante kilomètres par jour était celle de la poste romaine ; c'était encore la vitesse moyenne de )a poste carolingienne (voir F. Lot, dans Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LXXXII, année 1921, p. 307).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 13

BIBLIOGRAPHIE

Il n'a été publié jusqu'à ce jour aucune étude d'ensemble sur les voies antiques de l'Orléanais ; mais cinq érudits ont déjà tenté de dresser la carte des voies antiques passant par Orléans ; ce sont, dans l'ordre chronologique :

1° D'ANVILLE, Eclaircissemens géographiques sur l'ancienne Gaule. Paris, 1741 [carte, p. 165].

2° JOLLOIS, Mémoire sur les antiquités du département du Loiret. Paris et Orléans, 1836. [Planche n° I, Carte générale des voies romaines aboutissant à Orléans ; l'explication de cette planche est aux pages 155-160].

3° BOUCHER DE MOLANDON, Nouvelles études sur l'inscription romaine récemment trouvée à Mesves (département de la Nièvre) : conséquences de cette découverte pour la détermination géographique de « Genabum » (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais. t. XI, 1868 ; avec Carte des voies romaines aboutissant à « Genabum », dans l'Atlas joint à ce tome XI, planche IV).

4° LONGNON (Auguste), Atlas historique de la France depuis César jusqu'à nos jours, 1re livraison. Paris, 1884. [Planche n° II, Gaule sous la domination romaine (vers l'an 400 de notre ère)].

5° GUERRIER, « Genabum » : nouvelle étude d'après les anciennes controverses et les travaux les plus récents (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXV, 1894, avec Carte des voies romaines aboutissant à Orléans, p. 4501, et une Note additionnelle à la fin du volume).

Toutes ces cartes sont inexactes et incomplètes, comme je le montrerai dans le présent travail. .

Pour mon enquête, j'ai toujours eu sous les yeux non seulement les cartes de Cassini, du Service géographique de l'armée (dite carte d'état-major), du ministère de l'Intérieur (dite carte du Service vicinal), mais encore celles qui suivent, beaucoup moins connues, et qui m'ont été fort utiles dans bien des cas :

1. Une liste (incomplète) de ces voies a été aussi donnée par Nouel de Buzonnière dans le Répertoire archéologique du département du Loiret, arrondissement d'Orléans, publié par la Société archéologique et historique de l'Orléanais (Orléans, 1877), p. 4-5.


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SANSON D'ABBEVILLE, géographe ordinaire du roi : « Carte du diocèse de l'évesché d'Orléans ». Paris, 1653 (arch. dép. du Loiret, album des cartes et plans, V, 4).

DELISLE (Guillaume), premier géographe du roi, membre de l'Académie royale des sciences : « Carte de la Beauce, du Gâtinois, de la Sologne et pays voisins compris dans la Généralité d'Orléans ». Paris, 1718 [avec les routes] (arch. du Loiret, ibid., 7).

JAILLOT (H.), géographe ordinaire du roi : « Carte de la Généralité d'Orléans, divisée en ses élections ». Paris, 1719 [avec les routes] (arch. du Loiret, ibid., 8).

JAILLOT (B.), géographe du roi : « Carte du gouvernement général d'Orléans ». Paris, 1721 [avec les routes] (arch. du Loiret, ibid., 9) 1.

ANONYME, « Carte itinéraire de la Généralité d'Orléans » [manuscrite], 1767 (arch. du Loiret, ibid., 11).

CARTÉRON, ingénieur-géomètre en chef du Cadastre : « Carte du département du Loiret ». Orléans, 1837 ; nouvelle édition, 1844 [avec les routes anciennes et modernes] (arch. du Loiret, ibid., 16)..

1. L'almanach intitulé : Etat présent de la ville d'Orléans et ses dépendances (Orléans, chez Charles Jacob, 1743), indique (p. 21 de la 2e partie) les « routes d'Orléans aux principales villes de la Généralité et à quelques autres villes du royaume ».


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORELEANAIS.

+ + + + + + + : LIMITÉS DE LA « CIVITAS AURELIANORUM ».



PREMIÈRE PARTIE VOIES SORTANT D'ORLÉANS

1. — LA VOIE D'ORLÉANS A SENS (Agedincum).

Puisque, à la fin de l'Empire, Sens (Agedincum), chef-lieu de la civitas Senonum, était devenu métropole de la provincia Lugdunensis quarta ou Serionia 1, dont dépendait la civitas Aurelianorum, c'est par la route conduisant de Cenabum à Agedincum que je commencerai cette étude, car cette voie était incontestablement de premier ordre, tant au point de vue stratégique qu'au point de vue politique, administratif et commercial.

Cette voie, qui est indiquée sur la Table de Peutinger, sort d'Orléans par la porte orientale, appelée au moyen âge « Porte-Bourgogne » (porta Burgundiae) 2, et se confond, jusqu'à la hauteur de l'ancienne abbaye de Saint-Loup, avec la voie d'Orléans à Autun. Là, elle bifurque, remonte vers le nord-est et se confond avec la route d'Orléans à Pithiviers, jusqu'au lieu dit Coquille, après être passée à l'Ormedu-Martroi, sur le territoire de la commune de Saint-Jeande-Braye 3, puis, sous le vocable de « route des Barres », se dirige sur le Pont-de-Boigny 4, passe au hameau des

1. Auguste Longnon, Allas historique de la France, p. 14 et 16.

2. G. Vignat, Carlulaire du chapitre de Saint-Avit d'Orléans (Orléans, 1886), p. 143. — Le tracé de cette voie sur la Carte des points du département du Loiret sur lesquels ont été trouvés des restes de constructions celtiques ou gallo-romaines, dressée par Mantellier (Allas du tome IX des Mém. de

la Soc. arch. de l'Orléanais, 1866), est quelque peu. fantaisiste. L'autre route indiquée sur la même carte et allant de Sens à Orléans par Triguères, Montbouy, Sury-aux-Bois et Ingrannes est imaginaire : son tracé est.dû à D'Anville, op. cit., p. 189-190.

3. Cant. d'Orléans Nord-Est. — Sur le mot martroi, qui rappelle l'existence d'un très ancien cimetière, voir mon Étude sur l'origine des toponymes « martroi » et « martres » (extrait de la Revue des Études anciennes, t. XXVII, 1925).

4. Comm. de Boigny-sur-Bionne, cant. d'Orléans Nord-Est.


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Épouesses, ensuite, sous le nom d' « ancienne voie romaine » que lui donne encore la carte d'état-major (tirage de 1885), au hameau des Barres, où il y avait au moyen âge une maladrerie 1, sert de limite à la commune de Vennecy 2, sous le nom de « chemin blanc 3 », se confond avec la route d'Orléans à Traînou 4, passe un peu au sud-est du bourg de Traînou, sous le nom de « chemin de Saint-Mathurin », ou d' « ancienne voie romaine », puis au hameau de Puiseaux, sous le nom de « chemin pavé » ou de « chemin de César 5 », traverse à l'extrémité occidentale de la forêt d'Orléans le climat dit Les Vagues, passe, sur le territoire de la commune de Sullyla Chapelle 6, au nord du bourg, à l'Orme-Tivet, sous le nom de « chemin pavé », et arrive à Ingrannes 7, dernière localité de la civitas Aurelianorum.

Après Ingrannes, on entrait dans la civitas Senonum, : la route va se perdre actuellement dans la partie la plus étroite, à cet endroit, de la forêt, mais, entre Ingrannes et SainteRadegonde (ferme de la commune de Chambon-la-Forêt) 8, la différence de végétation la fait nettement reconnaître sous bois 9.

Tout près de la voie, au nord, entre le hameau de Philiponnet et la Petite-Cour-Dieu, on a trouvé les vestiges d'un

1. Avec chapelle consacrée à Notre-Dame (voir R. de Maulde, Étude sur la condition forestière de l'Orléanais au moyen âge et à la Renaissance. Orléans, 1881 ; acte de 1342, p. 520).

2. Cant. de Neuville-aux-Bois.

3. Ce chemin sert un instant de limite aux communes de Traînou et de Vennecy.

4. Comm. du cant. de Neuville-aux-Bois.

5. Ce chemin était, en effet, pavé dans tout son parcours et l'est encore particulièrement dans la forêt d'Orléans. Au dire de Champion, dans sa Notice sur Traînou, la voie romaine bifurquait au hameau de Puiseaux et un embranchement se dirigeait vers Loury en traversant le hameau de La Motte-Moreau (Bull de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. VII, 18781882, p. 337) ; autrement dit, la voie de Sens à Orléans se rattachait, à la hauteur de Loury, à la voie d'Orléans à Pithiviers, que j'étudie plus loin.

6. Cant. de Neuville-aux-Bois. — L'Orme-Tivet, et non L'Orme-Livet (graphie de la carte d'état-major), comm. de Sully-Ia-Chapelie.

7. Comm. du cant. de Neuville-aux-Bois.

8. Cant. de Beaune-la-Rolande.

9. Voir le très important article de J. de Saint-Venant, Voie romaine dans la forêt d'Orléans (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. IX, 1887-1890, p. 370, avec plan).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 17

camp romain, chargé de surveiller la route et sans doute la frontière.

C'est, en effet, à Ingrannes même que je n'hésite pas à placer la station de Fines de la Table de Peutinger. Dans cette question, la philologie nous vient en aide : le nom d'Ingrannes (écrit aussi Ingrande aux XVIIe et XVIIIe siècles), comme ses variantes Aigurande, Eygurande, etc., selon les régions, provient du celtique Igoranda. Randa a le même sens, ou peu s'en faut, que le latin fines et se rattache étymologiquement à l'irlandais rand, rann, au breton rann, « partie », à l'allemand rand, au catalan randa, « bord ». Quant au premier terme du mot, sa signification n'est pas encore exactement connue.

Julien Havet et Auguste Longnon ont été des premiers à montrer que toutes les localités de ce nom se trouvaient à la limite de deux diocèses, de deux « cités » romaines ou de deux peuples gaulois 1.

Sous l'Empire, on donna à la plupart de ces localités frontières le nom officiel de Fines, mais, chose curieuse, le nom celtique se perpétua dans le parler populaire, tandis que sa traduction latine disparut généralement. C'est ainsi que la station de Fines, qui marquait la limite entre les Pictavi (Poitevins) et les Turones (Tourangeaux), est aujourd'hui Ingrande (Vienne), et que la station de Fines, qui marquait la frontière entre les Andegavi (Angevins) et les Turones, est aujourd'hui Ingrandes (Indre-et-Loire).

Ingrannes était du diocèse d'Orléans, tandis qu'à l'est la paroisse voisine, Chambon-la-Forêt, était du diocèse de Seps. Il est. hors de doute qu'à l'époque gauloise, c'est là qu'était la limite entre les Senones et les Carnutes, limite d'ailleurs naturelle, formée par le « rain 2 » oriental de la vaste forêt d'Orléans. Après la conquête et le démembre1.

démembre1. les références, voir mon mémoire sur « Aquis Segeste » de la Table de Peutinger : son véritable emplacement, son véritable nom (extrait du Bulletin de la section de géographie du Comité des travaux historiques, année 1917. Paris, 1919, p. 16 et 17 du tirage à part ; avec tracé partiel de la voie d'Orléans à Sens).

2. Rain, en vieux français, lisière d'un bois, frontière. Ce mot est encore usité au sens de lisière d'un bois en Blésois et en Orléanais.

MEM. XXXVII. 2


18 JACQUES SOYER

ment de la civitas Carnutum, cette frontière de l'est ne subit aucune modification.

La Table de Peutinger indique de Fines à Cenabum XV leugae, 15 lieues gauloises 1, c'est-à-dire 33 kilom. 322. Or, en réalité, on compte d'Ingrannes à Orléans 26 kilom. 800. Il y a là une erreur de copiste facile à rectifier : il faut lire XII au lieu de XV, déformation facilement explicable en paléographie : le scribe a tracé non verticalement les chiffres romains II, en sorte que les bases des deux I ont fini par se rencontrer et donner naissance à un V. XII leugae = 26 kil, 658.

Il est.hors de mon sujet de suivre cette voie jusqu'à Sens. Au reste, je l'ai décrite entièrement en 1917 dans le Bulletin de géographie du Comité des Travaux historiques et scientifiques 2. Je me bornerai à dire que la route, qui se dirigeait jusqu'ici vers le nord-est, fait à Nancray 3 un coude très prononcé vers l'est et va dès lors presqu'en ligne droite jusqu'à Sens sous les noms de « chemin de César », « chemin de Jules César », ou « grand chemin de César », « chemin chaussé », « chemin perré », « haut chemin », « ancien chemin des Romains », « grand chemin de Sens à Orléans 4 », en passant,par Batilly-en-Gâtinais, Sceaux-du-Gâtinais, bourg près duquel (exactement au Préau) se trouvait un lieu de pèlerinage gallo-romain très important 6, indiqué sur la Table de Peutinger sous le vocable d'Aquis Segeste, qu'il faut rectifier en Aquis Segetae (Segeta était une divinité gauloise de la santé). Le théâtre qu'on y a découvert pouvait contenir de 13,000 à 14,000 spectateurs.

Au delà de Sceaux, la voie sert de limite méridionale à la commune de Château-Landon (Seine-et-Marne), franchit le

1. La lieue gauloise (leuga ou leuca) = 2,221m50; le mille romain = 1,481 mètres.

2. « Aquis Segeste » de la Table de Peutinger : son véritable emplacement, son véritable nom (avec une carte), mémoire déjà cité.

3. Nancray, cant. de Beaune-la-Rolande ; Batilly-en-Gâtinais, cant. de Beaune-la-Rolande ; Sceaux-du-Gâtinais, cant. de Ferrières (Loiret).

4. L'expression « grand chemain de Sens à Orléans » se trouve dans un acte de 1668 (arch. dép. du Loiret, E, famille Juillien, de Nargis).

5. Il y avait au Préau (ou Le Pré-haut) une source sacrée.


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Loing à Dordives (Loiret) 1 et se dirigé par Bransles 2 et Saint-Valérien sur Sens (Yonne) 3.

Si, du côté d'Orléans, elle a pris un instant lé nom de "chemin de Saint-Mathurin 4 », il ne faut pas s'en étonner, car c'est par cette voie que les Orléanais allaient jadis au fameux pèlerinage de Saint-Mathurin à Larchant (Seine-etMarne) ; il leur était facile de trouver à la hauteur de Sceauxdu-Gâtinais ou de Château-Landon des chemins conduisant au lieu sacré.

La route que je viens d'étudier partiellement fut celle, ou à peu près, que suivit César en 52 avant l'ère chrétienne, se dirigeant de Sens chez les Carnutês pour s'emparer de Cenabum et passer de là chez les Bituriges (Berrichons) 5.

C'est aussi la grande voie des invasions barbares dans l'Orléanais, car elle n'est, en réalité, qu'un fragment de la route qui, partant de Trèves en Germanie, passait à Metz, Châlons-sur-Marne, Troyes et Sens 6.

C'est cette voie que suivit Attila en 451 pour venir assiéger Orléans ; c'est ce chemin que, moins heureux que Jules César, il dut rebrousser précipitamment pour battre en retraite dans la direction de Troyes et faire anéantir par les

1. Cant. de Ferrières-en-Gâtinais;

2. Comm. de Seine-et-Marne.

3. On trouvera, dans le mémoire sur Les voies romaines qui traversent le département de l' Yonne, par Quantin et Boucheron (Bull, de la Soc. des. sc. hist. et nat. de l'Yonne, année 1864), deux profils de cette route à Villeroy

Villeroy à Fouchères, près de Saint-Valérien (planche IX). La description de la route est sans valeur pour le Loiret.

4. Un plan des archives du Loiret, XVIIe siècle (album VII, n° 37 bis), indique le « chemin de Saint-Mathurin » passant par Saint-Loup, SaintJean-de-Braye, Vaumimbert, la commànderie de Boigny, Les Barres, Taillebot, Sully-la-Chapelle, Ingrarme, Baignault (un peu au sud de Chambon), Nancray. Dès cette époque, il n'était plus possible d'aller à Sens par la voie romaine, en partie détruite, et dont un fragment en 1648 est désigné sous le nom de « grand chemin d'Orléans à Ingrande » (arch.

du Loiret, album VIII, n° 3). En 1755, on la nomme « chaussée de Boigny »,

"route d'Orléans dans la Forêt » (arch. du Loiret, C 349).

5. Voir mon mémoire Identification de " Vellaunodunum, oppidum Senonum » (extrait du Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques, année 1921. Paris, 1923).

6. C'est ce qu'a très bien remarqué M. F. Lot, La grande invasion normande

normande 856-862 (dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. LIX, 1908, p. 59, note 1).


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troupes d'Aétius près de cette ville, dans les plaines champenoises, sa formidable armée de Huns 1.

Il est à noter qu'à cette route d'Orléans à Sens se joignait près de Chambon (localité de la civitas Senonum, je l'ai déjà dit) une autre route qui, par Chilleurs-aux-Bois, aboutissait

aboutissait la voie d'Orléans à Pithiviers, dont je parlerai plus loin.

Un fragment de cette route de Chambon à Chilleurs-auxBois porte près de Courcy-aux-Loges 2 le très curieux nom de « chemin de Barbary 3 », qui rappelle le « chemin de la Barbarie », voie romaine près de Reims, dont Hincmar, vers

(Même échelle pour les croquis suivants.)

1. Voir mon mémoire cité plus haut, Identification de « Vellaunodunum, oppidum Senonum », p. 13 du tirage à part (avec tracé partiel de la voie romaine de Sens à Orléans).

2. Comm. du cant. de Pithiviers.

3. Je n'ai trouvé mention de ce chemin que sur le plan cadastral.


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 21

860, nous a expliqué l'origine : via.quae usque hodie, propter barharorum per eam iter, barbarica nuncupatur.

Le nombre considérable de. trésors de monnaies romaines trouvés dans la région de Courcy et de Chilleurs 1 prouve que les Barbares ont dû souvent suivre ce chemin, qui leur permettait sans doute d'éviter les embûches de la forêt d'Orléans en la contournant par le nord.

2. — LA VOIE D'ORLÉANS A PITHIVIERS (Petuarü), FRAGMENT DE LA VOIE PRÉROMAINE D'ORLÉANS A REIMS (DUrocortorum) ; AVEC EMRRANCHEMENTS, A PARTIR DE PITHIVIERS, 1° SUR MELUN (Metlodunum), 2° SUR ÉTAMPES (Stampae).

Cette route, certainement préromaine, n'est pas indiquée par les itinéraires romains. On sait par César qu'au moment de la conquête de la Gaule les Carnutes, peuple de la Celtique, étaient les « clients » ou vassaux des Remi, peuple de la Belgique 2. Pour quelle raison? Nous l'ignorons complètement. Toujours est-il que les devoirs de vassalité que les Carnutes étaient tenus de rendre à leurs lointains et puissants patrons impliquaient des relations politiques, administratives et économiques constantes.

La voie qui conduisait de Cenabum à Durocortorum, capitale des Remi (Reims), est facile a reconnaître, dans le département du Loiret, tout au moins. Elle sortait d'Orléans par la porte orientale appelée au moyen âge « Porte-Bourgogne », se confondait jusqu'à Saint-Loup avec la route d'Orléans à Autun, remontait vers le nord-est, en empruntant la voie d'Orléans à Sens jusqu'au lieu dit Coquille, pas1.

pas1. les nombreuses découvertes de monnaies romaines faites à Courcy-aux-Loges et à Chilleurs-aux-Bois, voir notamment Dr Garsonnin, Découverte d'un trésor romain à Courcy (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XVII, 1914-1916, p. 184) ; voir aussi dans les mêmes Bulletins, t. I, 1848-1853, p. 138 ; t. VII, 1878-1882, p. 285 et 534 ; t. XI,

1895-1897, p. 330 et 332 ; t. XV, 1908-1910, p. 423 ; t. XVIII, 1917-1919, p. 164 et 182 ; t. XX, 1923-1927, p. 413.

2. Bellum Gallicum, VI, 4 : Eodem Carnutes legatos obsidesque mittunt, usi deprecatoribus Remis, quorum erant in clientela.


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sait à Vominbert (ou mieux Vaumimbert), laissait Boignysur-Bionne et Vennecy sur sa droite et Marigny-les-Usages sur sa gauche 1, franchissait le Pont-de-Segry (comm. de Boigny), passait près de Loury au lieu dit « Le Grand-Chemin », longeait le ruisseau de l'Esse, traversait une petite partie de la forêt d'Orléans, atteignait Chilleurs-aux-Bois (Caliodurum 2, localité celtique), où elle se rattachait par le « chemin de Barbary » à la voie d'Orléans à Sens. Puis, laissant Santeau et Mareau-aux-Bois à quelque distance sur sa droite 3, elle atteignait Pithiviers (anciennement Peviers ou Piviers ; en latin, Petuarii, puis Petveris ou Pitveris, Petverense castrum, localité celtique, devenue chef-lieu d'une vicaria du pagus Aurelianensis sous la monarchie franque, la vicaria Petuarensis) 4. Là. elle croisait la voie de Sens au Mans.

Après avoir franchi l'Essonne 5, elle passait à Bondaroy 6. Peu après Bondaroy, un vallon profond indiquait la limite de la civitas Aurelianorum. On entrait dans la civitas Senonum à Estouy 7, et l'on arrivait à Aulnay-la-Rivière et à

1. La route sert de limite aux communes de Vennecy (cant. de Neuvilleaux-Bois) et de Marigny (cant. d'Orléans Nord-Est).

2. Sur les formes anciennes du nom de Chilleurs, voir mes Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du Loiret, 1re partie (Orléans, 1933, p. 18 ; extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXII).

3. La voie sert de limite aux communes de Mareau-aux-Bois (cant. de Pithiviers) et d'Attray (cant. d'Outarville).

4. Pithiviers, ch.-l. de cant., arr. d'Orléans, naguère ch.-l. d'arr. — In pago Aurelianensi, in vicaria Peluarensi, 1025 (dans Hubert, Antiquitéz de Saint-Aignan d'Orléans, preuves, p. 141). — La forme Petveris ou Pitveris est un datif-ablatif-locatif pluriel, qui a fini par être employé à tous les cas. Aclum Pitveris Castro, dans une charte originale de 1027 (arch. du Loiret, H 13, abbaye de Saint-Euverte d'Orléans).

5. Ce n'est que depuis le milieu du XIXe siècle que la rivière qui passe à Pithiviers s'appelle l'OEuf ; auparavant, c'était l'Essonne. Voir, à ce sujet, J. Devaux, Introduction à l'histoire du Pilhivrais (dans Annales de la Soc. hist. et arch. du Gâtinais, t. XXIII. Fontainebleau, 1905, p. 7, note 1).

6. La Carte du département du Loiret, par Cartéron (1837 et 1844), indique cette route sous le nom de « chemin des vaches » entre Pithiviers et Burcy (Seine-et-Marne).

7. Estouy est situé entre deux vallons, qui ont été pris tour à tour pour limite des deux civitales. On les distingue très bien sur la carte de Cassini. Ce qui explique qu'Estouy a été d'abord paroisse du diocèse d'Orléans, puis du diocèse de Sens.


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Briarres-sur-Essonne 1 (Brivodurum, localité celtique) en suivant la rive gauche de la rivière. Là on croisait la voie de Sens à Chartres 2, on franchissait le pont (briva en gaulois) et, par Burcy, Nemours 3 (Nemausus, localité celtique), Montereau-faut-Yonne (Condate, localité celtique), au confluent de la Seine et de l'Yonne, et la falaise de l'Ile-de-France, on atteignait Durocortorum.

A la sortie de Briarres, la voie antique qui conduisait à Nemours est actuellement encore très recohhaissable sur le terrain 4; la carte d'état-major l'indique et l'appelle « chemin des boeufs » ; elle sert de limite aux communes d'Orville et de Puiseaux.

Remarquons qu'avant d'atteindre Pithiviers elle était protégée sur sa gauche par un cantonnement de Goths à la solde de l'Empire, cantonnement" qui a donné son nom au hameau de Gourvilliers (*Gothorum Villaris), commune de Pithiviers-le-Vieil, et, un peu avant d'arriver à Briarres-sur1.

Briarres-sur1. les antiquités de Briarres-sur-Essonne, voir L. Dumuys, Le cimetière franc de Briarres-sur-Essonne (dans Congrès archéologique de France tenu à Orléans. Paris et Caen, 1894,p. .177) ; autre article du même auteur, sous le même titre, dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXVII, 1898, p. 89, et. aussi, du même auteur, Le cimetière mérovingien de Briarres-sur-Essonne (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIV, 1905-1907, p. 409).

2. Cette voie très, importante, dont je n'ai pas à m'occuper spécialement, puisqu'elle est en dehors dû territoire de la civitas Aurelianorum, se confondait, d'abord avec la route de Sens à Orléans jusqu'à Dordives ; puis elle se dirigeait sur Château-Landon, Puiseaux, Briarres-sur-Essonne,

Viévy, Sermaises (Sarmatia), dont le nom rappelle un cantonnement de Sarmates protégeant ladite voie, encore nommée « chemin des boeufs », « chemin de Chartres », « chaussée de Saint-Mathurin » (parce que les pèlerins dé la" région de Chartres venaient au pèlerinage de Saint-Mathurin de Larchant), et indiquée comme « voie romaine » sur la carte d'état-major. Elle passait ensuite à Juine (comm. d'Autruy-sur-Juine, Loiret), où elle croisait la voie d'Orléans ,à Paris, puis un peu au sud d'Angerville

(Seine-et-Oise), et de là, presque en ligne droite, se dirigeait sur Chartres. Tout près de Chartres, elle était surveillée sur la droite par deux colonies militaires et agricoles de Saxons et de Francs : Senneville (*Saxonum villa) et Francourville (*Francorum villa).

3. Nemours et Montereau sont en Seine-et-Marne. Le nom de Nemours est Nemausus en 840-843 (Cartulaire de Sainte-Croix d'Orléans, par J. Thillier et E. Jarry. Paris, 1906, p. 65).

4. Je l'ai parcourue partiellement au printemps de 1919.



LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 25

préromàine se dirigeait sur Melun 1 (Metlosedum, Metlodunum, puis Melodunum, localité celtique), chef-lieu du pagus Melodunensis, subdivision administrative de la civitas Senonum, atelier monétaire mérovingien, en passant par Malesherbes (Loiret) et Arbonne (Seine-et-Marne). Ces deux localités faisaient partie de cette civitas Senonum.

Une autre route, partant aussi de Pithiviers, se dirigeait en droite ligne sur Étampes (Stampae, localité celtique ou préçeltique), aussi atelier monétaire mérovingien, chef-lieu du pagus Stampensis de la civitas Senonum, en passant par Senives (comm. de Pithiviers ; Sine Aquis 2, dans la civitas Aurelianorum) et par Sermaises-du-Loiret (Sarmatia 3, dans la civitas Senonum, colonie agricole et : militaire de Sarmates), où elle croisait la voie de Sens à Chartres. A Étampes, qu'elle atteignait par le faubourg Saint-Pierre, près d'un lieu dit Bretagne4, elle retrouvait la voie d'Orléans à Paris.

3. — LA VOIE D'ORLÉANS A PARIS (Lutecia).

Cette.route, tracée sur l'Itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger, sortait d'Orléans par la porte Parisie (Porta

donville. — Sur cette voie très ancienne, voir quelques observations judicieuses de. J. Devaux, Introduction à l'histoire du Pithivrais, déjà citée, p. 9. La route, entre Orléans et Pithiviers, a été complètement refaite dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Delisle, sur sa carte déjà citée (1718), indique un fragment entre Orléans et Loury et un autre fragment entre. Nemours et Montereau-faut-Yonne.

1. Cette route est indiquée par A. Hugues, Les roules de Seine-et-Marne avant 1789 (avec une carte). Melun, 1897, p. 25 (ouvrage peu sûr; n'indique pas ses sources), et par Alb. Mélaye, Carte des voies romaines dans les départements de Seine-et-Marne, Oise et départements limitrophes (Bull, de la Soc. litt. et hist. de la Brie, 1900-1905 (n'indique pas non plus ses sources) ; cette carte est reproduite par M. Albert Grenier, Manuel d'archéologie gallo-romaine ; 2e partie, t. I : L'archéologie du sol, les routes (Paris, 1934), p. 417.

2. Sine Aquis, 1080 (Prou, Actes de Philippe I. Paris, 1908, p. 256, note 2). Les formes françaises anciennes, conformes à la phonétique, étaient Seneves et Seneuves.

3. Sur Sermaises, autrefois Sermaise-en-Beausse, voir mon étude : Le domaine de Sermaises-en-Beauce et ses dépendances à la fin du Xe siècle (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XX, 1923-1927, p. 474).

4. Bretagne (*Brittania), qui rappelle un cantonnement d'auxiliaires bretons surveillant ladite route, est indiquée sur la carte de Cassini et sur la carte d'état-major (à gauche de la voie).


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Parisiaca) 1, longeait le mur septentrional de la cité en passant près d'un antique cimetière chrétien appelé au moyen âge le Martroi-aux-Corps ou le Martroi-Sainte-Croix 2. Elle se confondait ensuite avec la rue actuelle du FaubourgSaint-Vincent et rencontrait, sur sa gauche, à peu près où cette rue est coupée par le chemin de fer de Vierzon, un cimetière païen, dans lequel fut découverte en 1846 la célèbre inscription de Cenabum 3; puis elle atteignait, non loin d'une source consacrée à la déesse gauloise Acionna 4; la CroixFleury, laissait Fleury-les-Aubrais 6 un peu sur la droite, traversait la forêt d'Orléans, puis le ruisseau du Nant ou Nan 6, passait aux Bordes-Latrée, hameau de la commune de Villereau, qui doit la deuxième partie de son vocable à ladite route (strata = estrée, êtrée, atrée), laissait Bazochesles-Gallerandes un peu sur la gauche, c'est-à-dire à l'ouest, et croisait à cet endroit la voie de Sens au Mans. Le nom de Bazoches (Basilicae), c'est-à-dire « halles » ou « marchés couverts », rappelle, à n'en pas douter, un très important champ de foire situé presque à la frontière des Aureliani, des Carnutes et des Senones 7.

1. Porta Parisiaca, 990, dans une charte d'Hugues Capet (Cartulaire de Sainte-Croix d'Orléans, p. 84) ; porte Parisie d'Orliens, 1388 (archives de l'Hôtel-Dieu d'Orléans, B 53). L'Hôtel-Dieu d'Orléans était situé près de cette porte.

2. Voir J. Soyer, Étude sur l'origine des toponymes « martroi » et « martres » (extrait de la Revue des Études anciennes, t. XXVII, 1925, p. 2, 3 et 11).

3. L'inscription, du Ier siècle de notre ère, fut découverte à 2 mètres de profondeur (voir la notice de Du Faur de Pibrac dans Bull, de la Soc. arch. de l'Orléanais, t. IV, 1862-1867, p. 235 ; avec une planche reproduisant l'inscription) ; autre reproduction dans l'Atlas du tome IX des Mémoires de la même Société.

4. Aujourd'hui fontaine de l'Ëtuvée (comm. d'Orléans, section des Hauts de Saint-Marc au plan cadastral). C'est le point le plus élevé des environs d'Orléans. On lira le texte de l'inscription, trouvée dans cette fontaine, notamment dans Holder, op. cit., au mot Acionna. L'inscription est conservée au Musée historique d'Orléans.

5. Apud banlivam versus Floriacum, 1239 (Cariulaire de Sainte-Croix d'Orléans, p. 349).

6. Sur cette rivière, voir ma note : A propos des noms de cours d'eau provenant des mots gaulois « nantos » et « onna » (dans Bull de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XX, 1923-1927, p. 383).

7. Voir ma note sur Les « Basilicae » de la « civitas Carnutum » et de la « civitas Aurelianorum » (dans Revue des Etudes anciennes, t. XXIII, 1921) ; 2e édition dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIX,


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 27

Puis, elle passait à Acquebouille (Escoboliae), localité celtique, ancienne paroisse, aujourd'hui hameau de la commune de Faronville 1. Un peu au nord de cette localité était la limite de la civitas Aurelianorum. On entrait dans la civitas Senonum en passant près d'Autruy-sur-Juine (Octroviaçus) 2, où elle croisait (exactement à Juine) 3 la voie de Sens à Chartres.

Une fois la Juine franchie (fluvius Joina) 4, on arrivait à Saclas (Salioclita), station indiquée, sur l'Itinéraire d'Antonin 5. De là par Étampes (Stampae), chef-lieu du pagus Stampensis (l'Étampois), subdivision administrative de la civitas Senonum, atelier monétaire mérovingien, et par Chastres (Castra, aujourd'hui Arpajon), chef-lieu du pagus Castrensis, subdivision administrative de la civitas Parisiorum, et aussi atelier monétaire mérovingien 6, on atteignait Lutécia, capitale de la civitas Parisiorum. La voie romaine a été récemment retrouvée rue Saint-Jacques à 1 mètre ou 1m50 de profondeur 7.

p. 188. — On trouve sur l'Itinéraire d Antonin une station africaine, appelée Ad Basilicam; il est évident qu'ici basilica désigne non pas un édifice chrétien, mais une basilique civile, un lieu couvert servant de bourse, d'entrepôt ou de marché.

1, Villa quae Escoboliae dicitur, 1142 (dans G. Vignat, Cartulaire du chapitre de Saint-Avit d'Orléans, p. 66). — Faronville, cant. d'Outarville (Loiretj. Il y avait au XIIIe siècle une léproserie sur « le chemin chaussé », à Acquebouille : quemdam bordellum leprosorum, qui erat super cheminum chausatum, 1245 (Teulet, Layettes du trésor des chartes. Paris, 1863-1875, n°3338, p. 563).

2. A. Longnon, Pouillés de la province de Sens, p. 42 : Octroviacum (vers 1350).

3. Juine, passage de rivière, ainsi nommé, comme il arrive constamment à l'époque romaine, par la rivière que là route traversait à cet endroit,

4. Villam noncupanle Sarclilas, super fluvium Joina, in pago Slampinse, acte de 635, cité par Holder, op. cit., au mot Salioclita.

5. La distance de Salioclita à Cenabum est de 23 millia (51 kilom. 111) et celle de Lutecia à Salioclita est de 2,4 millia (53 kilom. 334).

6. A égale distance d'Étampes et d'Arpajdn, on notera sur la route le lieu dit Bonne (indiqué sur la carte de Cassini), nom caractéristique qui prouve qu'il y avait là une borne ; en vieux français bonne, du latin mérovingien bodina, mot d'origine celtique (voir Dottin, La langue gauloise. Paris, 1920, p. 235). — Sur les vestiges de cette route, à Étampes, voir Lancelot, Dissertation sur Genabum, 1729 (Mém. Acad. des inscriptions, t.VII, p. 460).

7, Voir Dr Capitan, La dernière réfection en dalles de grès de la voie ro-


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Au XVIIe siècle, cette route était appelée « la Chaussée 1 » ou « vieux chemin à aller d'Orléans à Paris ».

Elle sert de limite, dans notre département, aux communes de Cercottes et de Chanteau, de Chevilly et de SaintLyé-la-Forêt, de Villereau et de Bougy-lez-Neuville, d'Aschères-le-Marché et de Neuville-aux-Bois, d'Aschères-leMarché et de Bazoches-les-Gallerandes, de Bazoches-lesGallerandes et d'Izy, d'Allainville et de Léouville, d'Allainville et de Charmont, de Pannecières et d'Autruy-sur-Juine

Encore bien conservée dans presque tout le département, très droite, c'est aujourd'hui le chemin de grande communication n° 97 ; la carte d'état-major la signale comme " voie romaine ». On y a trouvé, vers 1840, une borne milliaire, assez grossière, au nom de l'empereur Aurélien, datée de l'an 2752.

On remarque qu'aucune localité importante ne se trouvait et ne se trouve encore sur cette route, dans les limites du Loiret tout au, moins ; aussi fut-elle presque complètement abandonnée dès le XIIIe siècle. La route de Paris passa dès lors plus à l'ouest (comme aujourd'hui) par Cercottes, Chevilly, Artenay, Toury, Angerville, Étampes 3.

inaine de Lutèce à Genabum dans sa traversée de Paris (Comptes-rendus de l'Académie des inscriptions, 1921).

1. Arch. dép. du Loiret, cartes et plans, album VII, n° 29 (année 1648) et n° 19 (année 1694) ; carte de Delisle, 1718, déjà citée : « vieu chemin ».

2. Elle a été publiée très inexactement par l'abbé Desnoyers, Catalogue du Musée historique de la ville d'Orléans (Orléans, 1882), p. 242 ; un meilleur texte s'en trouve dans Musée d'Orléans explication des tableaux, dessins, sculptures, antiquités et curiosités qui y sont exposés (Orléans, 1851), p. 192. Le voici : imperatori Gaio Lucio Domitio Aureliano, pio, felici, invicto Caesari, Auguslo, pontifici maximo, patri patriae, tribunilia polestate [functus] VII, consuli III, Germanico maximo, Gothico maximo, Parthico maximo, Dacico maximo, Carpico maximo I M (= mille passuum). Cette borne était donc la première posée sur la voie à partir d'Orléans. On sait que le mille romain = 1,481m50. Aurélien était consul pour la troisième fois en 275. — D'après Duchalais, Recherches historiques sur la ville et le canton de Baugenci (Orléans, 1845 ; extrait de l'Annuaire de Beaugenci, p. 30), cette borne aurait été découverte aux environs de Saclas, sur la voie ancienne, lors de la construction du chemin de fer.

3. Voir F. Lot, Itinéraires du XIIIe siècle : de Lyon à Orléans et à Paris (dans Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques, année 1920. Paris, 1922, p. 217). L'itinéraire d'Orléans-Paris mentionne les stations suivantes : Orlins, Artenai, Touri, Estampes, Chastres, Paris. L'abbé de Saint-Denis, Suger, constatait déjà, entre 1144 et 1149, que le


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 29

Il est utile de noter ici que la voie antique a été partiellebourg

partiellebourg Toury, dont il avait été prévôt, était à mi-chemin d'OrléansEtampes, in media strata. A tous les voyageurs, Toury, dit-il, fournit la


30 JACQUES SOYER

ment découverte à Orléans en 1853, en pratiquant une tranchée dans le jardin du grand séminaire (actuellement lycée Jeanne-d'Arc, ancienne abbaye, puis collégiale de SaintAvy), au chevet de la crypte de l'église, à 3m15 au-dessous du sol du jardin et à 1m50 au-dessous du sol de la rue de Hurepoix (aujourd'hui rue du Bourdon-Blanc) 1.

La Table de Peutinger indique, comme distance entre Cenabum et Lutecia, 47 lieues gauloises, c'est - à - dire 104 kilom. 4442.

4 et 5. — LES DEUX VOIES D'ORLÉANS A CHARTRES (Autricum)

Ces deux voies ne sont pas mentionnées par les Itinéraires romains.

La première, qui, dans l'Antiquité, sortait d'Orléans par la porte Parisie, sise au nord, et, au moyen âge, par la porte Bernier ou Bannier (porta Bernerii) 3, sise au nord-ouest, passait par la rue de la Bretonnerie, où elle a été retrouvée partiellement à 3 mètres environ au-dessous du sol actuel, près de la rue Croix-de-Malte et de la rue des Huguenots 4 ; puis par la rue du Faubourg-Bannier (où se trouvait une léproserie, dite « l'hôtel Saint-Ladre ») 5, Notre-Dame-desAydes, La Montjoie, L'Allemagne, qui rappelle (*Alamanourriture

(*Alamanourriture offre le repos à ceux qui sont fatigués (voir Marc Bloch, L'Ile-de-France et les pays autour de Paris. Paris, 1916, p. 75-76). L'importance prise au point de vue agricole et commercial par les localités beauceronnes d'Artenay (Loiret), de Toury (Eure-et-Loir), d'Angerville (Seine-et-Oise), explique facilement l'abandon de la voie antique, pourtant plus courte.

1. Note de Clouet, architecte du département, dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. I, 1848-1853, p. 350-351.

2. Au XIIIe siècle, par la nouvelle route (Orléans, Artenay, Toury), on comptait d'Orléans à Paris XXXII miliaria (voir F. Lot, op. cit.).

3. Apud portam Bernerii, 1229 (E. Jarry, Notes et documents sur la maladrerie d'Orléans : hôtel Saint-Ladre, dans Mém.. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXXV, 1920, p. 231).

4. Léon Dumuys, Fouilles des rues de la Bretonnerie et des Huguenots. Orléans, 1882, p. 10 (extrait des Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XVIII).

5. C'est pourquoi la route est appelée parfois calceala Sancti Lazari, 1245 (E. Jarry, ibidem, p. 233-234).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 31

nia)'un cantonnement d'Alamans surveillant la route, Cercottes, Langenerie, laissait Chevilly sur la gauche et Andeglou (localité celtique) sur la droite; atteignait La Croix-Briquet, où elle a été reconnue en 18671, franchissait le ruisseau du Nant ou du Nan, laissait Creuzy et Auvilliers à gauche. Elle sert encore de limite aux communes de Creuzy et d'Artenay. La voie, après avoir dépassé Villeneuve, sert de limite aux communes d'Artenay (Loiret) et de Poupry (Enre-et-Loir).

Laissant Dambron et Santilly sur la droite, elle arrivait à Allaines (qui doit son nom à un cantonnement d'Alains) 2, où elle croisait la voie de Blois à Paris, celle de Sens au Mans et celle du Mans à Paris (par Châteaudun), laquelle se confondait, à partir d'Allaines, avec celle de Blois à Paris. Un peu au delà d'Allaines, on entrait dans la civitas Carnutum et on arrivait à Chartres (Autricum), capitale de cette civitas, par Allonnes (localité celtique) 3.

Dans la région d'Allonnes, au dire du jurisconsulte Dumoulin, il existait encore au XVIe siècle, sur cette.route, des bornes milliaires 4. Le célèbre archéologue Caylus nous ap1.

ap1. de Torquat, Notice historique et archéologique sur la baronnie de Chevilly, dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XI (1868), p. 372-377, avec, dans l'Atlas du même t. XI, planche XI, les plan et coupe d'un tronçon de la voie romaine pris au hameau de la Croix-Briquet. Cette voie, dit l'abbé de Torquat, était tellement fréquentée que les roues des chars.et les pieds des chevaux avaient tracé de profonds sillons à sa surface, de manière à la rendre presque impraticable. Cf. Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XI (1868-1873), p. 310-314.

2. Les Alains étaient établis dans la civitas Aurelianorum (exactement dans la Beaucé orléanaise) depuis 442, au témoignage de Prosper Tiro,

qui vivait au milieu du Ve. siècle : Alani, quibus terrae Galliae Ulterioris cum incolis dividendae a patricio Aetio traditae fuerant, resistentes armis subigunt et, expulsis dominis terrae, possessiones vi adipiscuntur (Chronique, dans Dom Bouquet, t. I, p. 639) ; cf. Jordanès, qui vivait au milieu du VIe siècle, dans son Historia, à la date de 451 (invasion d'Attila) : Alanorum partem trans flumen Ligeris considentem... (Dom Bouquet, t. II, p. 26). 3. Entre Allaines et Allonnes, il y avait, sur la droite de la voie, un cantonnement de Sarmates, dont je ne saurais préciser l'emplacement. Un hameau détruit de la paroisse de Moûtiers-en-Beauce portait, en effet, le nom de Sermerolles, de l'accusatif pluriel *Sarmaliolas, devenu Sermésoles, puis Sermeroles par rhotacisme.

4. Dumoulin, Commentaire sur la Coutume de Paris, dans Omnia opera. Paris, 1681, t. I, p. 50 : aniiquissima castellania Allonae in Belsia ad vetus


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prend qu'il en restait trois en 1761 : elles avaient 4 pieds et demi de circonférence, 5 de hauteur hors de terre, plus 2 en terre; elles étaient placées à 1,200 toises, c'est-à-dire à une lieue gauloise l'une de l'autre, et ne portaient aucune inscription 1. Cette voie est encore appelée « chemin de César 2 » ou « ancienne voie romaine ».

Une deuxième route, en droite ligne, et qui devait être à l'origine une route stratégique, conduisait à Chartres par Saran, après être passée à Notre-Dame-des-Aydes et avoir franchi le ruisseau de la Retrève. Au delà de Saran (localité celtique), elle laisse Gidy et Marmogne (Marcomania), cantonnement de Marcomans 3, à gauche, Cuny et Huneau à droite, traverse le Nant, passe à La Provenchère, laisse Domecy à droite et Trogny à gauche, passe aux GrandesBordes (comm. de Sougy), laisse Sougy à gauche, passe au

iter ab Aureliis Carnolum, ad quatuor leucas Carnotum, ubi lapides a tempore Romanorum milliaria distinguentes erecti visuntur. Voir aussi Lancelot, Dissertation sur « Genabum », 1729 (Mém. Acad. des inscriptions, t. VII, p. 463).

1. Comte de Caylus, Recueil d'antiquités, t. IV, p. 378, et planche CXIV ; cette planche a été reproduite par M. Albert Grenier, Manuel d'archéologie gallo-romaine ; 2e partie, t. I : L'archéologie du sol, les routes (Paris, 1934), p. 181.

2. Sur ce « chemin de César », voir la carte de Delisle (1718) aux arch. dép. du Loiret, album V des cartes et plans, n° 7 ; voir aussi arch. dép. du Loiret, C 349, années 1764-1766 : suppression d'une partie du « chemin de Gézar », comprise entre La Croix-Briquet et Villeneuve, au-dessus d'Artenay ; « ce chemin s'embranche sur la gauche de la grande chaussée d'Orléans à Paris, à La Croix-Briquet, passe à Villeneuve, à Allaine, Ymonville et Allonnes et arrive à Chartres par le Séminaire ". Voir aussi D'Anville, Éclaircissemens géographiques sur l'ancienne Gaule (1741), p. 171 ; carte itinéraire [manuscrite] de la Généralité d'Orléans, 1767 (arch. dép. du Loiret, album V des cartes et plans, n° 11) ; Polluche, Essais historiques sur Orléans [annotés par Beauvais de Préau] (Orléans, 1778), p. 35 ; Carte de l'ancien pays et comté de Dunois, par L. Clément, dans l'Histoire sommaire du Dunois, par l'abbé Bordas (ouvrage posthume), t. II (Châteaudun, 1884) ; E. Chénon, Les voies romaines du Berry, avec une carie (Paris, 1922), p. 37. — Le tracé de cette voie me semble indiquer que, dans le principe, elle n'était pas destinée à relier Chartres et Orléans. Si, en effet, on la prolongeait en ligne droite, à partir d'Allaines, vers le sudest, elle rejoindrait la voie romaine d'Orléans-Autun un peu au nordouest de Saint-Benoît-sur-Loire.

3. En vérité, le camp était destiné à surveiller deux routes, car il était placé à égale distance de la route d'Orléans à Chartres et de la route d'Orléans à Châteaudun, dont je parlerai plus loin.


4. ET 5. — LES DEUX VOIES D'ORLÉANS A CHARTRES.


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lieu dit Les Petites-Échelles, en laissant sur la gauche Terminiers (nom qui indique une borne frontière) 1, et coupe la voie antique de Blois à Paris. Elle entrait par Loigny (Eureet-Loir) dans la civitas Carnutum et atteignait Chartres après être passée à La Maladrerie ou Maladerie d'Orgères (ancienne léproserie), où elle coupait la voie de Châteaudun à Paris, puis près de Feins-en-Dunois (à la limite du Dunois et du pays chartrain), où elle croisait la voie de Sens au Mans, et enfin un peu à l'ouest de Voves (localité celtique), exactement à l'Hôpiteau.

Dans le département du Loiret, cette route sert de limite aux communes de Cercottes et de Saran, aux communes de Gidy et de Cercottes, aux communes de Huêtre et de Gidy, aux communes de Sougy et de Huêtre.

Elle est appelée « chemin de César » en 1718 par Delisle, premier géographe du roi 2 ; on la nomme encore « ancien chemin de Chartres à Orléans » ou « grand chemin de Chartres à Orléans 3 ».

De Chartres, elle se dirigeait sur Rouen : le tracé en est connu par les itinéraires antiques ; je n'ai pas à m'en occuper ; on le trouvera indiqué sur la carte de la Gaule romaine dressée par Auguste Longnon 4, qui a ignoré l'existence des deux voies d'Orléans à Chartres que je viens de décrire.

1. Terminiers, paroisse du diocèse d'Orléans, était à la limite de ce diocèse et de celui de Chartres, donc à la frontière de la civitas Carnutum et de la civitas Aurelianorum. Cette localité est appelée Termenier en 1260 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 409).

2. Arch. dép. du Loiret, carte n° 7 de l'album V; et aussi par d'Anville, op. cit., carte, p. 165.

3. Voir Carte du Service géographique de l'armée ; voir aussi la Carte du Dunois, par L. Clément (1884), déjà citée, et arch. dép. du Loiret, C 368. Dans les documents du moyen âge, elle est désignée par via magna de Carnoto Aurelianis; via de Carnoto ; magna via de Carnoto Aurelianis. Le texte suivant ne laisse aucun doute sur l'identité de cette route : Omnes terrae existentes supra viam magnam de Carnoto Aurelianis, tenentes as Bordes de Sougi (G. Vignat, Cartulaire de Saint-Avit d'Orléans, p. 144145). — En l'année 1250, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, utilisa cette route pour se rendre en Orléanais : le 6 des nones de mars (= 2 mars), il était à Chartres, le 5 à la Maladrerie d'Orgères (apud Leprosariam de Orgeriis), le 4 à Orléans, le 3 à Saint-Benoît-sur-Loire (voir Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. IX, année 1866, p. 164).

4. Allas historique de la France, pl. II.


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6. — LA VOIE D'ORLÉANS A CHATEAUDUN (Dunum).

Cette route, non mentionnée sur les itinéraires romains, sortait d'Orléans par la porte occidentale de la ville, la porte Dunoise (porta Dunensis), traversait le Burgus Dunensis (quartier actuel de la paroisse Saint-Paul), ainsi appelé parce qu'il était sur la voie conduisant à Châteaudun 1, passait à La Chaussée ou La Grande-Chaussée, ancien fief de la banlieue (à l'entrée actuelle de la rue du FaubourgSaint-Jean), qui devait son nom à la voie antique (Calciata) 2, laissait Saint-Jean-de-la-Ruelle sur sa droite et Ingré (Unigradus, localité celtique) 3 sur sa gauche, passait au Muid (comm. d'Ingré), chef-lieu de la vicaria Modiacensis, subdivision administrative du pagus Aurelianensis sous la monarchie franque, traversait Villeneuve-d'Ingré, Charmoy, Gourville, Le Bourgneuf (comm. d'Ormes), Les Barres, Saint-Péravy-la-Colombe (Sanctus Petrus ad vicum Columnae). C'est sur le territoire de cette dernière localité qu'était la borne (Columna = Coulombe), indicatrice de la limite de la civitas Aurelianorum et de la civitas Carnutum 4.

A Saint-Péravy, cette route croisait celle de Blois à Paris, qui traversait la Beauee (Belsa) 5 en ligne droite.

1. Le Bourg-Dunois est cité pour la première fois, à ma connaissance, dans une charte du roi Robert le Pieux en faveur de l'abbaye de SaintMesmin, 1022 (publiée par Dom Bouquet,. Historiens de France, t. X, p. 605) ; une charte d'Oury (Odolricus), évêque d'Orléans (vers 1030), nous apprend que l'église Saint-Paul était sise dans le Bourg-Dunois : écclesia Beali Pauli apostoli in Burgo Dunensi, juxta civitatem Aurelianis (Gallia christiana, preuves, t. VIII, p. 493).

2. Voir aux arch. dép. du Loiret le plan n° 28 de l'album VIII : grand chemin de Châteaudun à Orléans (avec le fief de la Grande-Chaussée, en bordure de la route, près de la porte Saint-Jean, XVIIIe siècle). .

3. Quemdam fiscum nostrum vocabulo Unigradum, qui est in pago Aurelianensi, in vicaria Modiacensi (Guérard, Carlulaire de Saint-Père de Chartres, t. II. Paris, 1840, p. 455, acte de 947).

4. Saint-Péravy-la-Colombe est appelé Columna vicus dans Grégoire de Tours (VIe siècle) et Columnae vicus dans une charte de 651 ; voir mon étude déjà citée sur Le « Columnae vicus » et l' « ager Columnensis » à l'époque mérovingienne (1918).

5. Le nom de la Beauce (Belsa) apparaît pour la première fois dans les


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On arrivait à Châteaudun (Dunum) sur la rivière du Loir (Ledus ou Lidus), chef-lieu du pagus Dunensis (le Dunois), subdivision administrative de la civitas Carnutum, et atelier monétaire mérovingien, en passant par Renneville (Rainerii

Villa) et en laissant un peu à gauche le bourg de Tournoisis (Turnesiacus, domaine rural gallo-romain). Peu après Villampuy (Eure-et-Loir), exactement à La Bourdinière, la route croisait celle de Blois à Chartres, dite « Voie de Jules

oeuvres de Fortunat (fin du VIe siècle) ; voir mon étude L'origine du nom de la Beauce, dans la Géographie, mai-juin 1927.


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 37

César », ou « chemin des Moines », ou « ancien chemin de Chartres à Blois ».

Au XVIIe siècle, la route de Châteaudun était appelée « grand chemin à aller d'Orléans à Chasteaudun 1 ». On là nomme encore parfois « ancien chemin du Mans à Orléans 2 », parce que de Châteaudun elle conduisait au Mans en passant par Vibraye (Vicus Brigiae) 3, localité située à un point où la voie antique traversait la' Braye (Brigia), affluent du Loir, et où elle est connue sous le vocable de « chemin de César».

On remarquera, sur le territoire de la commune d'Ormes (Loiret), le hameau de Gourville, dont le nom rappelle une colonie militaire et agricole de Goths (* Gothorum Villa) ; on remarquera aussi la position de Marmogne (Marcomania)4, située à peu près à égale distance de la voie de Châteaudun et de la voie de Chartres, cantonnement de Marcomans chargés évidemment de garder les deux routes à la fin de l'Empire.

7 et 8. — LES DEUX VOIES D'ORLÉANS, AU MANS ( Vindinum) : LA PREMIÈRE, PAR VENDÔME (Vindocinum) ; LA SECONDE PAR FRÉTEVAL (Fracta Vallis).

Deux voies, non mentionnées sur les itinéraires romains, conduisaient au Mans (Vindinum) 6, capitale de la civitas Cenomannorum.

La première se dirigeait en droite ligne sur Vendôme

1. Arch. dép. du Loiret, album IX, plan n° 14 (année 1652).

2. Voir la Carte du Dunois, dans Bordas, op. cit., t. II.

3. Voir A. Longnon, Les noms de lieu de la France. Paris, 1920-1929, p. 124.

4. Marmogne, ferme, comm. de Gidy, cant. d'Artenay (Loiret).

5. Longnon (Allas, p. 27) donne au Mans le nom de Suindinum, qui est une cacographie. J'adopte, avec Holder, op. cit., et L. Beszard, Etude sur l'origine des noms de lieux habités du Maine (Paris, 1910), p. 11, la forme

Vindinuum, Oùsvfiivov dans Ptolémée (II° siècle). D'Orléans à Ouindinon, il y a, d'après le géographe grec, 135 kilomètres ; il y en a 138 par la route actuelle d'Orléans au Mans (voir André Berthelot, La carte de la Gaule par Ptolémée, dans Revue des Études anciennes, 1934, p. 51).


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(Vindocinum, localité celtique) 1, chef-lieu du pagus Vindocinensis (le Vendômois), subdivision administrative de la civitas Carnutum, et atelier monétaire mérovingien. Elle sortait d'Orléans par le faubourg Madeleine, passait près de Marmagne (Marcomania), cantonnement de Marcomans qui surveillaient à la fois cette route et celle d'Orléans à Blois, puis à Pailly (Pataliacus, domaine rural gallo-romain), au lieu dit : « le Grand-Chemin », à Chaingy (Cambiacus, aussi domaine rural gallo-romain), à Huisseau-sur-Mauves (Oscellum, localité celtique), chef-lieu de la vicaria Oscellensis 2, subdivision administrative du pagus Aurelianensis sous la monarchie franque. A cet endroit, au nord-ouest du bourg, elle était protégée par un camp, qui a laissé son nom au hameau de La Châtre (Castra). Elle atteignait ensuite Baccon (localité celtique), où elle croisait la voie de Blois à Paris, Poisioux (Puteoli), où elle croisait la voie de Meungsur-Loire à Châteaudun, dite « chemin de César » ou « chaussée romaine », Poisly, où elle sortait de la civitas Aurelianorum pour entrer dans la civitas Carnutum, dont la limite était formée par la forêt de Marchenoir. De Marchenoir (autrefois Marchaisnoir, en latin médiéval Lacus niger) 3, qui fut au moyen âge une très importante place forte, elle atteignait Vendôme en passant près de l'amphithéâtre qui

1. Le pagus Vindocinensis est mentionné par Fortunat, Vila sancli Germani ; Vendôme ( Vindocinum) par Grégoire de Tours, Historia Francorum, et sur des monnaies mérovingiennes sous la forme Vindocino (cas oblique).

2. Sur la vicaria Oscellensis, voir mon étude : Identification des noms de lieu « Camedollus » et « Oscellum », mentionnés dans la charte d'Agius, évêque d'Orléans (janvier 854), dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIV, 1905-1907, p. 584-585. — Voir aussi la Gallia chrisliana, t. VIII, col. 296 des instrumenta, charte de Robert le Pieux, 1028 : in lerritorio Aurelianensi, in vicaria scilicet Oscilensi, in villa quae vulgo dicitur Oisellus, ecclesiam cum altare in honore sancli Pétri apostoli dicatam... Il s'agit, à n'en pas douter, d'Huisseau-sur-Mauves, dont l'église paroissiale est dédiée à saint Pierre. — Dans un acte de 1253, il est question d'une pièce de terre en la paroisse de Chaingy, juxta viam que ducil de Ussello Aurelianis (Cartul. de Notre-Dame de Voisins, par J. Doinel. Orléans, 1887, p. 39) ; c'est la voie d'Orléans-Vendôme.

3. Il y avait une léproserie ou maladrerie à Marchenoir : Leprosaria de Lacu Nigro, unita leprosarie Aurelianensi, lit-on dans un pouillé du diocèse de Chartres, fin du XVe siècle (A. Longnon, Pouillés de la province de Sens, p. 204).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 39

a donné son nom (Arenae) à la localité d'Areines 1, après avoir croisé un peu au sud d'Oucques (Loir-et-Cher) la voie de Chartres à Blois.

De Vendôme, elle se dirigeait sur Le Mans en passant par le Gué-du-Loir ( Vadum Lidi) 2, Savigny-sur-Braye (Loiret-Cher) et Saint-Calais, dans la Sarthe (Sanctus Karilefus, primitivement Matovallum) 3, sur la rivière d'Anille (Anisola), affluent de la Braye.

C'est par cette route, tracée sur la carte de Delisle (1718) 4, que les Orléanais allèrent au Mans jusqu'à la construction,

1. Areines (Loir-et-Cher) devait être un lieu de pèlerinage gallo-romain : on y a découvert un théâtre pouvant contenir de 3 à 4,000 spectateurs : la base seule de ce théâtre était en pierre ; les gradins étaient en bois. Il est probable que ce théâtre pouvait être converti en amphithéâtre. Nombre d'édifices de ce genre étaient en bois, et il n'en reste rien, bien entendu.

2. Le Gué-du-Loir, comm. de Mazangé (Loir-et-Cher) : Vadum Lididans les documents carolingiens (Longnon, Atlas, p. 206). Le Gué-duLoir était à la limite de la civitas Carnutum et de la civitas Cenomannorum.

3. L'identification de Matovallum avec Saint-Calais (Sarthe) ne fait aucun doute pour moi. On trouve Matovallo (cas oblique) sur les monnaies mérovingiennes (voir Ad. Blanchet, Manuel de numismatique française. Paris, 1912, t. I, p. 296). On trouve aussi dans un document mérovingien : de fisco nostro Maddvallo super flumine Anisola, et Matvalis (et non Matualis) à l'époque carolingienne dans L'Astronome. Maddvallo, Matvalis, peu importe la désinence, sont des formes secondaires de Matovallum (avec un o bref, qui a disparu de bonne heure dans la prononciation). Voir Holder au mot Matovallo. Les identifications avec Bonneveau (Loiret-Cher; A. Longnon, Allas) et avec Laval (Mayenne; Dom Bouquet, Historiens de France) sont à rejeter. A rejeter aussi l'identification avec Mauvelle (proposée par M. Levillain, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. LXXXII, année 1921, p. 67-68), pour cette raison que le nom de Mauvelle n'a aucun rapport avec Matovallum pu Matvalis : Mauvelle, domaine de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy, est appelé dans les chartes latines Màlvariae (Malvaria signifie « endroit où les mauves abondent »). Mauvelle et Ouzouer-le-Marché étaient situés dans le pagus Aurelianensis (et non pas dans le Blésois, comme l'affirme M. Levillain). Au reste, L'Astronome.; nous apprend que Matvalis était dans le Maine (pagus Cenomannicus) et que Lothaire a Cabillono (Chalon-sur-Saône) iter suscepit ad Augustodunum, indeque Aurelianam urbem pervenit, deinde in pagum Cenomannicum, in villam cujus vocabulum est Malualis (lire : Matvalis) pervenit (Vita Hludotvici Pü imperatoris, dans Dom Bouquet, t. VI, p. 116).

4. Arch. dép. du Loiret, album V des cartes et plans, n° 7 : Carte de la Beauce, du Gâtinais, de la Sologne et pays voisins, compris dans la Généralité d'Orléans, 1718. — L'Etat présent de la ville d'Orléans [année 1743] donne toutes les stations de la route d'Orléans-Vendôme-Le Mans et fait remarquer que Vendôme est à 12 lieues d'Orléans et à 12 lieues du Mans (p. 23, 2e partie).


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en 1779, de la route actuelle (par Ormes, Coulmiers, Charsonville, Ouzouer-le-Marché et Fréteval) 1.

Une deuxième route, la plus courte pour atteindre Le Mans, se détachait de la précédente à Marchenoir, se dirigeait par le nord-ouest en passant à Viévy-le-Rayé (Vetus Vicus Raherii, en latin médiéval) 2, traversait le Loir à Fréteval (Fracia Vallis) 3, formidable forteresse au moyen âge, et atteignait Vindinum par Danzé 4, Sargé et Saint-Calais. Elle est indiquée sur la carte de Cassini et porte encore dans le Vendômois le vocable de « chemin de César 5 ». C'est elle, très probablement, qu'en août 834 suivit Lothaire, révolté contre Louis le Pieux, son père. Parti de Chalon-sur-Saône, il passa par Autun, s'en alla droit à Orléans et de là dans le Maine (pagus Cenomanicus), où il s'avança jusqu'à Matvalis (forme carolingienne de Matovallum, aujourd'hui SaintCalais) pour rejoindre des troupes par lui enrôlées en Bretagne. Louis le Pieux se mit à sa poursuite, avec son fils Louis le Germanique, en passant par Langres, Troyes, Chartres et Châteaudun, c'est-à-dire en opérant une manoeuvre débordante par le nord, pour venir camper pendant quatre jours, et sans coup férir, près de l'armée de Lothaire, qui battit en retraite, pourchassé par son père. On sait que

1. Le Conseil d'État en ordonna la construction par arrêt du 7 juin 1779 (arch. du Loiret, C 178).

2. Rayé, qu'il faudrait écrire correctement « Rayer » (Raharius, Raherius), est un nom d'homme germanique mentionné fréquemment dans les chartes de la région. — A Viévy-le-Rayé, la voie croisait celle de Blois à Chartres, dite « chemin de Jules César » ou « chaussée des Moines ».

3. Il y avait une maladrerie à Fréteval : Leprosaria de Fraçta Valle, pouillé du diocèse de Chartres, fin du XVe siècle (dans Longnon, Pouillés de la province de Sens, p. 204).

4. On a trouvé à Danzé, en 1848, un magnifique trésor de bijoux et de monnaies romaines, dont les plus récentes étaient de Postumus ; ce qui prouve que ce trésor fut enfoui au moment de la grande invasion de 276 (voir Bull de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. I, 1848-1853, p. 17).

5. Voir Congrès archéologique de France à Vendôme, 1872 (Paris, 1873), p. 97 (communication de Launay ; cf. p. 91, 94). Les archéologues de la région, Launay, de Salies, L. Merlet, Florance, ignorent tous l'existence de la,voie d'Orléans au Mans par Huisseau et Vendôme. Merlet (Dictionnaire topo graphique d'Eure-et-Loir) parle d'une voie du Mans à Orléans par Meung et la Loire, voie qui se séparait de celle, du Mans à Paris « vers La Fontenelle et passait par Cloyes et La Ferté-Villeneuil ». Voilà une singulière direction pour une voie antique.


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 41.

les deux adversaires se dirigèrent ensuite vers la Loire, du

côté de Blois, et que c'est près de cette ville, exactement à Chouzy-sur-Cisse, que Lothaire, ne se sentant pas en forces — car, sur ces entrefaites, l'armée de Pépin d'Aquitaine

fi


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s'était jointe à Louis le Pieux — finit par implorer le pardon paternel, qui lui fut accordé 1.

C'est aussi près de la même route et de la forêt de Fréteval, en Vendômois, que, le 3 juillet 1194, Philippe-Auguste fut honteusement battu par Richard Coeur-de-Lion, roi d'Angleterre, et, comme tel, possesseur de l'Anjou et du Maine. Lé roi de France y perdit, comme on sait, son trésor, ses bagages, son sceau et ses archives 2.

9 et 10. — LES DEUX VOIES D'ORLÉANS A TOURS ( Caesarodunum).

Pour aller d'Orléans à Tours (Caesarodunum) 3, capitale de la civitas Turonum, il y avait deux routes d'inégale importance, l'une sur la rive droite de la Loire, l'autre sur la rive gauche.

Celle de la rive droite était la plus mal commode, parce que Tours était situé sur la rive gauche et n'avait pas de pont à l'époque romaine 4. La voie (strata publica, au moyen âge) quittait Orléans par le faubourg Madeleine 5, passait

1. Voir Annales de Saint-Berlin, année 834 (édit. Waitz. Hanovre, 1883), p. 9; voir aussi Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux (édit. Ph. Lauer. Paris, 1926), p. 22-23.

2. Voir E. Lavisse, Histoire de France, t. III, 1re partie (par. A. Luchaire), p. 115.

3. E. Desjardins, op. cit., sur sa carte de Peutinger (t. IV, pl. X), a inscrit par étourderie Tours sous le nom de Caesaromagus et Beauvais sous celui de Caesarodunum ; c'est l'inverse qui est la vérité.

4. Ni César ni Grégoire de Tours ne mentionnent de pont sur la Loire dans la capitale des Turones (voir C. Jullian, Histoire de la Gaule, t. VI, 1920, p. 408, note 4 ; L. Lhuillier, La voie romaine d'Orléans à Tours, dans Bull. arch. du Comité des travaux historiques, 1928-1929. Paris, 1932, p. 513 et suiv., avec croquis inexact ; cf. même Bulletin, 1927. Paris, 1928, p. 127-129). Ce dernier auteur nie formellement l'existence d'une voie romaine d'Orléans à Tours par la rive droite de la Loire, sous prétexte que le pont de Tours n'a été construit que vers 1030 ; voilà un singulier argument : s'il n'y avait pas de pont, il y avait certainement un bac, puisqu'il fallait franchir le fleuve pour gagner la voie de Tours à Angers et celle de Tours au Mans.

5. Strata publica dans une charte de Philippe-Auguste en faveur du prieuré de Saint-Laurent-des-Orgerils dans la banlieue d'Orléans (année 1181 ; Recueil des actes de Philippe-Auguste, par Delaborde, t. I. Paris,


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 43

non loin de l'église de Saint-Laurent-des-Orgerils, où l'on a trouvé des vestiges d'un cimetière gallo-romain, puis près de Marmogne (Marcomania) 1, cantonnement de Marcomans qui surveillait à la fois, je l'ai déjà dit,la route de Vendôme et la route de Tours, ensuite à La Chapelle-Saint-Mesmin, Saint-Ay, Meung- sur -Loire (Magdunum, localité celtique) 2, où se greffaient la voie de Meung à Châteaudun et celle de Meung à Vendôme, et où elle franchissait la Mauve (Malva), à Baule, à Beaugency (Balgentiacus, domaine rural gallo-romain) 3, à Tavers 4, à Lestiou (*Lestoialum, localité celtique) 5, laissait Avaray un peu sur la droite, où elle est encore connue sous le nom de « chemin du roi 6 », passait

1916, p. 59), et antérieurement dans une charte de Louis VI (1119), publiée par A. Luchaire, Louis VI le Gros, annales de sa vie et de son règne. Paris, 1890, p. 335.

1. Marcomania, 990 (Cartulaire de Sainte-Croix d'Orléans, p. 82, et p. XCVII). — Marmogne est sur le territoire des communes de La ChapelleSaint-Mesmin et de Saint-Jean-de-la-Ruelle.

2. Sur les formes les plus anciennes du nom de Meung, voir mes Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret, 1re partie (extrait du Bull, de la Soc. àrch. et hist. de l'Orléanais, t. XXII, 1933, p. 12). — Il y avait une léproserie à Meung. La voie antique est appelée via publica quae est ante domum leprosorum dans une bulle d'Alexandre III, 1175 (voir mon Recueil des actes des souverains conservés dans les archives du Loiret, VI : Chapitre Saint-Liphard de Meung; extrait du Bibliographe moderne, 1930-1931, p. 17). — Charles le Chauve était à Meung le 11 septembre 859 et à Orléans le 13 septembre de la même année ; il était encore à Meung le 10 mai 862 (voir F. Lot, La grande invasion normande, dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. LIX, 1908, p. 40, 50, 58).

3. Il y avait un Hôtel-Dieu et une maladrerie à Beaugency. — Un document de 1470 relatif à cette localité mentionne « le pavé à aller à Blois » (arch. du Loiret, A 63, fol. 305).

4. A Tavers, la voie antique est connue sous le nom de « chemin de César » (abbé Patron, Recherches historiques sur l'Orléanais, t. I. Orléans, 1870, p. 286).

5. Certains érudits Orléanais et blésois ont donné pour étymologie de Lestiou *Stratiolum. Ce. mot n'a jamais existé et ne saurait, du reste, aboutir en français à Lestiou, dont le nom véritable était Lestolium, 1232 (Cartulaire de Notre-Dame de Voisins, p. 105). Lestolium est une forme secondaire de Lestoialum.

6. Sur ce « chemin du roi », voir ma note dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XVII, 1914-1916, p. 26-27. Voir aussi la Carte de la Loire, dressée par le Service des ponts et chaussées. « Chemin du roi » ou « chemin royal » est une expression qui désignait au moyen âge tous les grands chemins (E. Desjardins, op. cit., t. IV, p. 225).


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entre Thuys (anciennement Theue) 1 et Courbouzon 2, puis à Herbilly 3, où se trouvait la limite de la civitas Aurelianorum et de la civitas Carnutum. Ensuite, elle laissait Mer sur sa droite, passait à Suèvres (*Sodobriga, puis Sodobria, localité celtique) 4, où il y avait un sanctuaire d'Apollon, et qui devint sous la monarchie franque le chef-lieu d'une vicaria du pagus Blesensis, à Saint-Denis-sur-Loire (Voginantus, localité celtique) 5, à La Chaussée-Saint-Victor, bourg

1. Thuys, ou Thuy, en vieux français Theue, Thuie, Thuye, Thuis, aujourd'hui écart de la comm de Courbouzon, cant. de Mer (Loir-etCher). Le nom latin est Theva ou Theua dans le Cartulaire de Notre-Dame de Beaugency, publié par G. Vignat. Orléans, 1887, p. 179 : pro insulis de Theva (l'éditeur n'a pas su identifier ce toponyme). La paroisse de SaintPhalier de Theue ou Thuys, qui ne figure sur aucun pouillé du diocèse d'Orléans, a été détruite par les inondations de la Loire ; elle est mentionnée dans des documents authentiques de 1456 (arch. dép. du Loiret, A 63, fol. 305), 1654, 1655, 1663, 1681-1685 (arch. dép. de Loir-et-Cher, registres paroissiaux d'Avaray, de Courbouzon et de Thuis). Les gens du pays prononcent encore Theue. Au temps de l'érudit Orléanais Daniel Polluche (mort en 1768), l'église Saint-Phalier de Thuis n'était plus qu'une annexe de Courbouzon (voir, à la bibliothèque de la ville d'Orléans, son Recueil pour servir à l'histoire ecclésiastique de l'Orléanais, t. I, ms. 434, ancien 553, p. 242-243). Sur le marché très important qui s'y tenait encore au XVIIIe siècle, le dimanche précédant la Saint-Jean, voir J.-N. Pellieux, Essais historiques sur la ville de Beaugency et ses environs, 2° partie (Beaugency, an IX), p. 468. C'était, sans aucun doute, un ancien marché-frontière.

2. A noter près de Courbouzon, un peu au nord du « chemin du roi », le lieu dit L'Aumône, au sens d'Hôtel-Dieu. — Charles le Chauve était à Courbouzon et à Meung le 10 mai 862 (F. Lot, op. cit., p. 58).

3. Herbilly, aujourd'hui uni à la commune de Courbouzon, était la dernière paroisse occidentale du diocèse d'Orléans. Il y avait à Herbilly, au moyen âge, une maladrerie.

4. Pseudoforus etiam quae et Sodobria dicitur, 919, charte de Charles le Simple, dans Historiens des Gaules et de la France, t. IX, p. 542-543. On trouve aussi Sadobria en 938 (Lauer, Recueil des actes de Louis IV, p. 28). Sur Suèvres et son temple d'Apollon, voir A. Duchalais, Recherches sur les antiquités gauloises et gallo-romaines de la ville de Suèvres (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. I, 1851, p. 209). Dans Sodobria, contrairement à l'opinion des érudits Orléanais et blésois, le second terme bria n'a aucun rapport avec le gaulois briva = pont. L'i de briva est long, donc accentué, et se maintient en français ; témoins : Salerae brivas = les ponts de la Sauldre, Salebries, auj. Salbris ; Carobrivas — les ponts du Cher, Chabries, auj. Chabris. Sodobria est la forme secondaire de *Sodobriga (briga en gaulois = château, forteresse). Dans briga, l'i, étant bref, a disparu et l'accent s'est porté sur la voyelle précédente ; d'où, en vieux français, Sueuvre ou Suèvre (l's final moderne est parasite).

5. Voginantus est mentionné dans une charte de 895, au nom de War-


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 45

qui doit son nom à la voie antique; et, par le hameau de Montigny (Montiniacus) 1, atteignait Blois (Blesum castrum) 2, chef-lieu du pagus Blesensis (le Blésois), subdivision administrative de la civitas Carnutum. De Blois, la route continuait à suivre la Loire par le faubourg du Foix (Fiscus) 3, Chouzy (Calciacus) 4, sur la Cisse (Ciza), passait à Monteaux, à droite de Veuves (Loir-etCher) 5 (Vidua vicus, localité celtique où l'on frappa monnegaudus,

monnegaudus, de Blois, publiée par Bernier, Histoire de Blois, 1682, p. I-III des preuves : ecclesia Sancti Dionysii in villa Voginanto (et non pas Voginato, comme ont lu à tort les Bénédictins ; Historiens de France, t. VIII, p. 317).

1. Montigny, hameau de la comm. de Blois : Montiniacus, dans une charte de mai 1202 (arch. dép. de Loir-et-Cher, H, Saint-Lazare de Blois).

2. Blois est appelé Bleso castro ou castello sur les monnaies mérovingiennes. Sur les plus anciennes formes du nom de Blois et sur les plus anciens documents mentionnant le pagus Blesensis, voir J. Soyer, Etude sur la communauté des habitants de Blois jusqu'au commencement du XVIe siècle (Paris, 1894, p. 5-9).

3. Sur ce quartier du Fiscus, mentionné en 924-925, voir l'ouvrage cité à la note précédente, p. 10-11.

4. Calciacus et non pas Calviacus. Cette localité est mentionnée par Nithard, dans l'Histoire des fils de Louis le Pieux, édit. Lauer, p. 22-23.

M. Lauer a fort heureusement rectifié la leçon Calviacus en Calciacus. On trouve, d'ailleurs, la forme correcte Calciacus dans la Noiitia de Villa Novilliaco (Dom Bouquet, t. VI, p. 216). C'est à Chouzy, près de Blois, non loin de la Loire, que campèrent en août 834 l'armée de l'empereur Louis le Pieux et celle de son fils révolté Lothaire : supraque fluvium, juxta villam quae Calciacus dicitur, castra ponunt. Un autre historien, L'Astronome, précise, d'ailleurs, l'emplacement des troupes : usquequo perventum est ad fluvium Ligeris, propter caslrum Blesense, quo Ciza fluvius Ligeri confluit. Or, une des embouchures de la Cisse est, en effet, à Chouzy (voir Pertz, Monumenia Germaniae historica, scriptorum ; t. II : Vita Hludowici imperaloris ; cf. le texte des Annales Berliniani, édition Waitz, p. 9 : domnus imperaior juxta Blisum castellum una cum filio suo Hludowico [Louis le Germanique, son allié] pervenit illicque castra metaius est). — Chouzy est aussi nommé dans le récit de la translation à Marmoutier des

., reliques de saint Gorgon (IXe siècle) : en 846 ou 847, Renaud, abbé de Marmoutier. rapportant de Rome les reliques de ce saint, s'arrêta entre Orléans et Tours ad Calciacum (et non pas Calviacum ou Calniacum), villam Sancli Martini Majoris Monasterii, après avoir franchi la Loire (il

suivait la route de la rive gauche). Chouzy était, en effet, un prieuré de Marmoutier (voir Mabillon, Acta Sanctorum ordinis sancti Benedicti, saec. IV, t. I, p. 595. Paris, 1677, et les Bollandistes, Acla Sanctorum, t. II, 11 mars, p. 56-57).

5. Veuves, Vidua vico sur les monnaies mérovingiennes (A. Blanchet, Manuel de numismatique française ; t. I : Monnaies frappées en Gaule.

Paris, 1912, p. 330).


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naie sous les mérovingiens), et atteignait Cangey (Indre-etLoire 1, à la limite de la civitas Carnutum et de la civitas Turonum.

Ensuite, on arrivait à Tours par Limeray 2, où l'on frappa aussi monnaie sous les Mérovingiens, Nazelles (Navicellae), Vernou.(Vernavus, localité celtique) 3 et Marmoutier (Majus Monasterium).

Cette route de la rive droite est mentionnée par l'Anonyme de Ravenne, qui indique entre Aurelianis et Turonis deux localités : Blesis ou Blezis (Blois), et, certainement par erreur, Bodonias, mauvaise graphie pour Medonia, qui est aujourd'hui Mosnes (Indre-et-Loire), sur la rive gauche du fleuve, à la limite de la civitas Carnutum et de la civitas Turonum, et dont je parlerai plus loin 4.

La voie était encore pavée, partiellement du moins, au moyen âge, comme l'indiquent l'expression déjà citée de strata publica et celle que je trouve dans un acte orléanais de 1470 : « le pavé à aller à Blois 5 ». La grande route actuelle qui l'a remplacée (d'Orléans à Tours par Meung, Beaugency, Blois, Chouzy, Veuves) n'a été construite que sous le règne de Louis XV.

Ce n'était pas là, à l'époque romaine, la route principale pour aller à Tours. Celle-ci passait sur la rive gauche de la

1. Cangey était (avec Fleuray, auj. uni à Cangey) la paroisse la plus occidentale du diocèse de Chartres. Il y a sur le territoire de cette commune un menhir qui pourrait bien être la borne primitive du territoire des Carnutes et de celui des Turones. — Il y avait une maladrerie à Cangey.

2. Limariaco (A. Blanchet, op. cit., p. 292). Il y avait un hôpital à Limeray.

3. Vernaus ; datif-ablatif Vernao, dans Grégoire de Tours, Historia Francorum (édition Omont), p. 460. Il y avait une maladrerie à Vernou. Longnon (Atlas, p. 207) estropie Vernaus (pour Vernavus) en Vernadus. Des vestiges de cette route ont été retrouvés à Nazelles et à Vernou. Voir Mabille, Notice sur les divisions territoriales de la Touraine (dans Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 5e série, t. IV, 1863, p. 405 et 413).

4. Ravennatis anonymi Cosmographia, édition Pinder et Parthey (Berlin, 1860), p. 234-235 ; cf. Historiens de France, t. I, p. 120. — Voir aussi Desjardins, op. cit., t. IV, pl. XIII, et p. 204.

5. Arch. dép. du Loiret, A 63, fol. 305. — Cette route est indiquée en 1718 par Delisle sur sa carte de la Beauee, du Gâtinais et de la Sologne (arch. dép. du Loiret, album V, n° 7).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 47

Loire par le pont d'Orléans, déjà mentionné par César 1, la rue Guignegault, laissait Micy (Miciacus, domaine rural gallo-romain) 2 un peu sur la droite, franchissait le Loiret, puis le pont de l'Archet 3, traversait Saint-Hilaire-SaintMesmin 4 aux lieux dits La Maladrie et Le Grand-Chemin, passait à gauche du bourg de Mareau-aux-Prés (Maroialum 5, localité celtique), arrivait à Azaines (ad Arenas) 6 et à Saint-André-lez-Cléry (Ucellum. ou Usselum, localité celtique) 7, où elle était protégée par un cantonnement de Bre1.

Bre1. ce pont, voir J. Soyer, A propos d'une variante des Commentaires de César : de l'emplacement du pont gaulois de « Cenabum » (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIX, 1920-1922).

2. Micy, aujourd'hui L'Abbaye, en souvenir de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy. La route est très bien indiquée dans le récit de la translation des reliques de saint Gorgon dans l'abbaye de Marmoutier, en 846 :

Igitur appropinquantes moenibus civitatis Aurelianensis , peragrantibus

(variante : peragentibus)'interea nobis praefata moenia in medio foro qui omni sabbalo in média [via] publica agitur... Inde vero pervenientes ad locum ubi post etiam tentoria fiximus, in prato videlicel Sancli Maximini e

latere ipsius monasterii, ibique duabus nos persistentes noctibus, (Acta

Sanctorum ordinis sancti Benedicti, saec. IV, t. I, p. 594-595. Paris, 1677 ; même texte dans les Bollandistes, Acta Sanctorum, t. II (11 mars), p, 56-57),

3. Sur la rivière de ce nom (anciennement : le Bouillon). Sur l'Origine gallo-romaine du pont de l'Archet, voir H. Sainjon, dans Mémoires de la Soc, d'agriculture, sciences... d'Orléans, 1876, p. 38, avec une planche.

4. Sur la léproserie de Saint-Hilaire, voir abbé Rocher, Notice historique sur la maladrerie des Châtelliers de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. IX, 1866), — De Saint-Hilaire, une voie bifurquait pour se diriger sur Olivet (autrefois : Saint-Martin-surLoiret), en suivant la rive gauche du Loiret. C'est le chemin que suivirent, pour éviter les garnisons anglaises, Jeanne d'Arc et son armée venant de Blois par la rive gauche de la Loire, en 1429. La route de Saint-HilaireSaint-Mesmin à Olivet est à l'abri des inondations de la Loire et du Loiret.

5. Mareau-aux-Prés, Marogilum, 990 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 80) ; c'est la forme secondaire de Maroialum.

6. Azaines, Azaine ou Azenne est appelé Ad Arenas (locus qui dicitur) dans une charte fausse de Louis le Pieux et de Lothaire en faveur de l'abbaye de Saint-Mesmin (836 ; arch. dép. du Loiret, H, abbaye de Saint-¬ Mesmin). Il devait y avoir là un amphithéâtre, près d'une source sacrée, la fontaine de Saint-André.

7. Juxta terminum Clariacense vel Ucello vico, 651 (Recueil des chartes de l'abbaye Saint-Renoît, par Prou et Vidier. Paris, 1907, t. I, p. 6, Vel en latin mérovingien est synonyme de et. La forme primitive d'Ucellum doit être Uxello-, comme dans Uxellodunum = la haute forteresse. — Des vestiges du blocage de la chaussée romaine ont été reconnus entre Cléry et Lailly, par H. Sainjon, ingénieur en chef des ponts et chaussées (voir son


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tons, Brittani (d'où : La Bretagne), et peut-être aussi par un cantonnement de Sarmates, comme semble l'indiquer le nom d'une localité disparue, Sermoiseaux (diminutif de Sermaise, Sarmatia) 1. Elle passait ensuite à droite de Cléry (Clariacus, domaine rural gallo-romain), franchissait le ruisseau de l'Ardoux, laissait Dry (Draviacus 2, domaine rural gallo-romain) à droite, passait au lieu dit Le Chemin-Remi, sur la commune de Lailly-en-Val (Lalliacus, domaine rural gallo-romain) 3, et aux Trois-Cheminées, traversait SaintLaurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), puis Nouan-sur-Loire (*Noviomagus, localité celtique : « le nouveau marché » ; il s'agit d'un marché-frontière) 4. On entrait alors dans la civitas Carnutum. La voie traversait Muides 5, Saint-Dyé-surLoire 6, Montlivault 7, Saint-Claude-de-Diray, L'Aumône,

étude déjà citée, p. 4) ; voir aussi L. Jarry, Histoire de Cléry, p. 5. Il y avait à Cléry une maladrerie.

1. Sermoiseaux et Araines (auj. Azaines) sont mentionnés dans un acte de 1410 publié par Louis Jarry, Histoire de Cléry. Orléans, 1899, p. 345.

2. Sancta Maria Draviacensis, 990 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 80).

3. Lalliacus, 990 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 81). — Lhuillier, op. cit., p. 517, qui ne connaît pas la région, fait passer la voie antique à Fains ou Fins (comm. de Beaugency), à la limite de la commune de Lailly, et marque à cet endroit la frontière de la civitas Carnutum et de la civitas Aurelianorum; ce qui est absolument faux. Les formes anciennes de Fins (Fains in Valle, en 1237 et 1309, dans le Cartulaire de Notre-Dame de Beaugency) ne permettent pas d'affirmer que ce toponyme est l'aboutissant de Fines. Même si cette étymologie était exacte, il ne s'agirait certainement pas d'une limite de cité.

4. Noviomagus = le nouveau champ de foire ou marché. Pour les formes anciennes du nom de Nouan, en français du XIIIe siècle Noem ou Noyen, voir mes Recherches sur les noms propres géographiques d'origine celtique dans l'Orléanais, p. 18 (extrait du Bulletin de géographie du Comité des travaux historiques, 1912). L'érudit Orléanais D. Polluche nous apprend (op. cit., p. 248) qu'on a trouvé de son temps (XVIIIe siècle), dans la paroisse de Nouan-sur-Loire, au milieu des vignes, des fondations antiques, des sarcophages de pierre et des monnaies des empereurs Claude, Néron, Vespasien, Nerva et Alexandre-Sévère.

5. De Muida, 1259 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 406). — A noter, entre Nouan et Muides, le lieu dit La Bonne, forme ancienne et très correcte de borne (latin mérovingien bodina, d'origine gauloise).

6. Il y avait une maladrerie à Saint-Dyé.

7. Le corps de Jean de Ganay, chancelier de France sous Louis XII, transporté de Blois à Paris en 1512, s'arrêta à Montlivault (Des Méloizes, Compte des obsèques de J. de Ganay (extrait des Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre, 21e vol., 1897, p. 10).


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Vineuil (*Vinoialum, localité celtique) 1, Les Ponts-Chartrains (anciennement : Le Pont-Chastré, pons Castratus) 2 et Vienne-lez-Blois (Vienna ou Vigenna, localité celtique ou préceltique), aujourd'hui faubourg de Blois 3. De là, elle atteignait Tours par les Ponts-Saint-Michel 4, sur le Cosson, Madon, L'Aumône, Candé (*Condate, localité celtique), au confluent du Beuvron et de la Loire, La Motte-Mindray 5, Chaumont-sur-Loire (Calvus Mons) 6, Mosnes (Indre-etLoire, Medonia ou Medonna, localité celtique, à la frontière de la civitas Carnutum et de la civitas Turonum) 7, Amboise

1. In agello quodam patris Benedicti, Vinoilo dicto, XIe siècle (Les miracles de saint Benoît, édit. de Certain. Paris, 1858, p. 291).

2. Sur le Pont Chastré (Pons castratus — pont coupé par des terre-pleins), voir Cartulaire de la ville de Blois, par J. Soyer, G. Trouillard et J. de Croy. Blois, 1907, p. 183, note 3. L'appellation Pontes Camolenses a été imaginée par Louis de La Saussaye ; on ne la trouve dans aucun document antérieur au XIXe siècle.

3. Sur les diverses appellations de Vienne-lez-Blois au moyen âge et les références, voir aussi Cartul. de la ville de Blois, p. 185, note 3. Ajouter Blesis castro, in vico Vianae super Ligeris ripam, avant 1070 (B. Guérard, Cartul. de Saint-Père de Chartres, t. I, p. 124) ; de Vienna, 1202 (arch. dép. de Loir-et-Cher, H, Saint-Lazare de Blois) ; de Viana juxta Blesis, 1238 (Cartul. du Lieu Notre-Dame-lès-Romorantin, par l'abbé E. Plat. Romorantin, 1892, p. 65).

4. Inter Pontem Sancti Michaelis et exclusam de Cathaliis (auj. Chailles), 1202 (arch. de Loir-et-Cher, H, Saint-Lazare de Blois); subtus Pontem Sancti Michaelis, ad longum riparie Cossonni, 1450 (ibid., G, paroisse Saint-Martin de Blois).

5. La Motte-Mindray, entre Candé et Chaumont-sur-Loire. C'est à Maindray, près du pont du Beuvron, Mindraio, prope pontem Bevronis, que Philippe Ier confia, en 1091, Bertrade, femme du comte d'Anjou, à ses chevaliers et la fit conduire à Orléans (Marchegày et Salmon, Chroniques des comtes d'Anjou. Paris, 1856, t. I, p. 143).

6. Chaumont-sur-Loire est Calvus Mons dans toutes les chartes authentiques, et non pas Calviacus, comme le croit Lhuillier, op. cit., p. 518, qui ignore complètement les règles les plus élémentaires de la philologie romane. J'ai déjà dit que Calviacus (lire : Calciacus) était Chouzy-sur-Cisse, rive droite de la Loire.

7. Mosnes était paroisse du diocèse de Chartres (civitas Carnutum). Cette localité est appelée Medonia en 919 (Historiens de France, t. IX, p. 542-543), Medonna en 938 (diplôme de Louis IV confirmant les biens de l'abbaye des chanoines de Saint-Martin de Tours, publié par Ph. Lauer, Recueil des actes de Louis IV. Paris, 1914, p. 28). L'identification est certaine au point de vue phonétique ; d'ailleurs, l'église, dédiée à saint Martin, était à la présentation d'un dignitaire du chapitre de Saint-Martin de Tours : quant à l'identification avec Monnaie (Indre-et-Loire), admise sous forme dubitative par M. Lauer, elle est insoutenable. Monnaie s'apMÉM.

s'apMÉM. 4


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(Ambacia, localité celtique, chef-lieu d'une vicaria du pagus Turonicus et atelier monétaire mérovingien) 1, Montlouis (Mons Laudiacus, aussi chef-lieu d'une vicaria du même pagus) 2, où la voie d'Avaricum à Caesarodunum se confondait avec elle, La Ville-aux-Dames, où elle était protégée par un cantonnement de Bretons (La Bretagne) et où le hameau de La Carte rappelle la 4e borne milliaire à partir de Tours (Quarta, sous-entendue columna). On entrait dans la capitale des Turones par la porta Aurelianensis 3.

Cette route fut, principalement au moyen âge, très fréquentée par les pèlerins des pays du Nord et de l'Est allant en Espagne au fameux pèlerinage de Saint-Jacques-deCompostelle par Tours, Poitiers, Bordeaux. On l'appelait en Touraine via publica 4, en Orléanais via romana (ultra Ligerim) 5, « chemin Remi », « grand chemin Remy 6 » (synopelait

(synopelait à l'époque carolingienne. — Mosnes est mentionné par l'Anonyme de Ravenne sous la forme altérée Bodonias, très heureusement rectifiée en Modonia par E. Desjardins, op. cit., t. IV, p. 204. — L'identification avec Madon (Loir-et-Cher), proposée par Lhuillier, op. cit., p. 517, est inadmissible au point de vue philologique : la dentale intervocalique aurait disparu.

1. Ambacia vicus, dans Grégoire de Tours. Sur la vicaria d'Amboise, voir Longnon, Allas, p. 164.

2. Mons Laudiacus, dans Grégoire de Tours. Sur la vicaria de Montlouis, voir Longnon, Atlas, p. 190.

3. Cette porte est mentionnée dans un diplôme de Charles le Simple, 919 : a porta Aurelianensi usque ad arenas (Historiens de France, t. IX, p. 542-543). — De Montlouis à Tours, la route, située dans le val de la Loire, était établie sur une levée (agger).

4. Via publica en 910 (voir Mabille, Notice sur les divisions territoriales de la Touraine, dans Bibliothèque de l'École des chartes, 5e série, t. IV, 1863, p. 418).

5. Ultra Ligerim..., juxta viam Romanam, 1204 (Cartul. de Notre-Dame de Beaugency, par G. Vignat, p. XXV et 110-111 du t. XVI des Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, 1887).

6. Un acte de 1520 désigne une maison sise à Saint-Laurent-des-Eaux, sur « le chemin Remi » (Le Clerc de Douy, Dictionnaire des droits féodaux du duché d'Orléans, manuscrit du XVIIIe siècle, aux arch. dép. du Loiret). — Cf. Pellieux, op. cit., p. 316 ; Duchalais, op. cit., p. 5 ; L. Jarry, op. cit., p. 5. — D'après le Nouveau voyage de France (Paris, 1724), la route de Paris à Saint-Jean-de-Luz suivait encore cette voie romaine depuis Orléans jusqu'à Vienne, faubourg, de Blois. Là, elle passait la Loire sur le pont de Blois, suivait la rive droite du fleuve jusqu'en face Amboise, repassait la Loire pour gagner cette ville et se dirigeait non pas sur Tours, mais sur Bléré, Loches, Poitiers, Saintes, Bordeaux, Mont-de-Marsan, etc.


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nyme, comme je l'ai dit dans mon Introduction, de l'expression méridionale « chemin Romieu » = chemin des pèlerins), « le grand chemin », la « grande route d'Espagne », la « grande route de Paris à Bordeaux ».

Elle est tracée sur la Table de Peutinger avec la distance exacte de 51 lieues gauloises (113 kilom. 334) entre Cenabum et Caesarodunum, mais sans indication de stations intermédiaires, en sorte que l'on ne sait pas précisément si on a affaire à la voie de la rive gauche. Il est cependant très probable que, s'il se fût agi de la route de la rive droite, la Table de Peutinger eût mentionné, comme l'a fait le Ravennate,


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la ville de Blois, qui est une station à égale distance d'Orléans et de Tours.

Quoi qu'il en soit, E. Desjardins et A. Longnon ont eu le tort de tracer sur la rive droite de la Loire la grande voie romaine d'Orléans à Tours. Ils ont fait commettre la même erreur à Camille Jullian et à bien d'autres historiens et archéologues 1.

11. — LA VOIE D'ORLÉANS A LIMOGES (Augustoritum),

AVEC EMBRANCHEMENT SUR POITIERS (Limonum).

Cette route, non mentionnée sur les itinéraires romains, franchissait la Loire et se séparait aussitôt de la route d'Orléans à Tours, se confondait avec la rue [du faubourg] SaintMarceau, franchissait ensuite le Loiret (Ligericinus) sur le pont d'Olivet (pons Oliveti au moyen âge) 2, passait près de l'Hôtel-Dieu de Noras, puis à Ardon (*Aredunum. ou Ardunum, localité celtique) 3, franchissait le Cosson à la hauteur du Lude, qu'elle laissait à droite, passait au lieu dit Les

1. Voir le tracé de cette route dans Desjardins, op. cit., t. IV, p. 76 et 202 ; dans Longnon, Allas, pl. II. Voir aussi C. Jullian, Histoire de la Gaule, t. VI, p. 408-410 (lire Manteaux au lieu de Monceaux et Aureliani au lieu d'Aurelianum ; jamais Orléans ne s'est appelé Aurelianum). — M. R. Dion, dans sa thèse de doctorat Le Val de Loire (Tours, 1934, p. 329), a très bien montré pour quelles raisons d'ordre géologique la grande voie antique d'Orléans à Tours avait été construite sur la rive gauche de la Loire : la circulation sur le flanc du coteau nord du Val est particulièrement malaisée, à cause des ravins multiples qui descendent vers le fleuve. Cela est tellement vrai que les ingénieurs des ponts et chaussées ont, au XVIIIe siècle, établi la partie de la route actuelle de la rive droite, entre Blois et Tours, dans le lit même du fleuve sur les digues de protection contre les inondations, digues appelées turcies ou levées.

2. Ligericinus, Ligerulus, Ligeritus. — La forme la plus ancienne est Ligericinus (sous la graphie barbare Legericino pour Ligericinum) dans la chronique de Marius d'Avenches, mort en 593 : inter Légère et Legericino : voir Holder, op. cit., à ce mot. — Prope pontem Oliveti, 1238 (arch. de l'Hôtel-Dieu d'Orléans, B 33).

3. Sur l'étymologie d'Ardon, voir mes Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret. Orléans, 1933, p. 3 (extrait des Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXII, année 1932).


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Trays (anciennement L'Estrée = strata = la route pavée) 1, tout près d'un vieux sanctuaire consacré à Notre-Damedes-Trays, traversait la Canne au lieu dit Le Pont-de-1'Estrée, passait à Yvoy-le-Marron (Ivedium ou Ivegium, localité celtique) 2, à Villebourgeon, au Châtellier et à Neungsur-Beuvron (Noviodunum, puis Noedunum, localité celtique) 3, au confluent du Beuvron et de la Tharonne, où elle croisait la voie de Blois à Bourges (par Salbris), avec em1.

em1. ou L'Estrées était un fief relevant de la seigneurie de La Ferté ; ce domaine se trouve à la limite des communes de La Ferté, de Ligny-le-Ribault et d'Yvoy-le-Marron.

2. Localité où l'on a frappé des monnaies mérovingiennes avec la légende Ivedio vico ou Ivegio vico. On attribue généralement ces monnaies, à tort à mon avis, à Yvoy-le-Pré (Cher), qui n'était pas situé sur une grande voie antique (voir Holder, op. cit.). Le nom latin médiéval d'Yvoyle-Marron est Yvaium : ... viae ducenti de Yvaio apud Murum (Cartul. du Lieu Notre-Dame-lès-Romorantin, p. 115). Un grand chemin, mentionné dans un acte de 1219, allait d'Yvoy à Vouzon (sur la voie d'Orléans à Bourges; Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. XVI). — La voie antéromaine d'Orléans à Limoges, passant par Ardon et Neung-sur-Beuvron, est citée dans le Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIV, 19051907, p. 197.

3. Noedunum (variante : Noodunum) dans un diplôme de Robert le Pieux, 991, publié par Dom Bouquet, Historiens de France, t. X, p. 573. — Sur la question de Noviodunum = Neung-sur-Beuvron, voir J. Soyer, Étude critique sur le nom et l'emplacement de deux « oppida » celtiques mentionnés par César dans les « Commentarii de Bello Gallico » (dans Bull, de géographie du Comité des travaux historiques, 1904 ; 2e édition dans Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre, 28e vol., 1905) ; J. Soyer, Recherches sur les noms propres géographiques d'origine celtique dans l'Orléanais, op. cit. (1912), p. 11 du tirage à part ; J. Soyer, «Noviodunum » des Bituriges (dans Revue des Etudes anciennes, 1925, p. 133-134) ; L. Bellessort, « Noviodunum Biturigum » : à propos d'un livre récent (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXI, année 1928, p. 101) ; J. Soyer, Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret, 1er article, p. 14, note 1 du tirage à part, L'oppidum. formidable de Neung-surBeuvron était à la limite de la civitas Carnutum et de la civitas Biturigum. Voir le plan de l'enceinte dans J. de Saint-Venant, La vieille Sologne militaire et ses fortifications (dans Bull, de la Soc. arch. du Vendômois, 1891, p. 228). Ce plan est meilleur que celui qui a été dressé par l'abbé de Torquat, Vallum de Neung-sur-Beuvron (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. IX, 1866, p. 508, et Atlas du même tome). — Un érudit Orléanais du XVIIIe siècle, D. Polluche, donne (sans aucune preuve, bien entendu) à Neung le nom de Nundinae Caesaris et affirme que « l'église est bâtie sur un ancien fort des Romains qui servait à conserver les munitions dé l'armée » (manuscrits de la bibliothèque municipale d'Orléans, nos 553-554, p. 202).


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branchement sur Sancerre (à partir de Neung). Elle passait ensuite à Avignon (sur la rivière du Néant), à Azaine, à Millançay (où, encore au XVIIIe siècle, elle était appelée le chemin perrë) 1, à Lanthenay et à Romorantin (Rivus Morantini) 2, autrefois Rumoréntin, Remorentain, au confluent de la Sauldre (Salera) et du Morantin. Laissant ensuite sur sa droite le lieu dit Marmagne (comm. de Pruniers), qui rappelle, comme je l'ai déjà dit, un cantonnement de Marcomans, elle atteignait Pruniers, où elle franchissait la Sauldre, limite extrême de la civitas Aurelianorum. Elle entrait dans la civitas Biturigum par Gièvres (Gabrae), où elle croisait la voie de Tours à Bourges, atteignait le Cher (Carus ou Caris), affluent de la Loire. Elle franchissait cette rivière à Chabris (*Carobrivae = les ponts du Cher, localité celtique) 3, vicus important (rive gauche) de la civitas Biturigum, qui fut, sous les Carolingiens, le chef-lieu de la vicaria Carbriacensis, subdivision administrative du pagus Bituricus, et parvenait à Limoges (Augustoritum), capitale de la civitas Lemovicum, en passant par Argenton (Argentomagus, localité celtique), vicus de la civitas Biturigum 4.

Je ne suivrai pas plus loin cette route ; je me bornerai à dire qu'elle allait aux Pyrénées en passant par Périgueux (Vesunna), Agen (Aginnum), Saint-Bertrand-de-Comminges

1. Voir J. de Saint-Venant, op. cit., p. 219-221 (avec plan). J. de SaintVenant cite le témoignage de Caylus, qui écrivait en 1761.

2. Ecclesia de Rivo Morentini, 1151 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. en et 51). Cette ville doit son nom, comme beaucoup d'autres relais de poste, à un passage de rivière. Le nom de la rivière est écrit à tort le Rantin sur la carte du ministère de l'Intérieur.

3. Chabris (Indre). Sur les formes les plus anciennes et sur l'origine de ce nom (Carbrias, en latin mérovingien), voir ma note intitulée : Identification des noms propres géographiques « Caliace », « Asinarias » et « Malva » mentionnés dans la charte de Leodebodus, abbé de Saint-Aignan d'Orléans (651), dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXI, 1928, p. 7475. — Sur la vicaria Carbriacensis, in pago Biturico, voir Cartul. de SainteCroix d'Orléans, acte de 996, p. 79.

4. De Chabris à Limoges, elle a été très bien décrite par E. Chénon, op. cit., p. 58-59. —Vers le XVIIe siècle, la voie antique fut détournée à partir de Romorantin pour prendre une direction plus à l'ouest, en passant par Villefranche-sur-Cher (Loir-et-Cher) et Vatan (Indre) ; voir la carte de Delisle (1718), déjà citée.


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(Lugdunum Convenarum) et de là à Bagnères-de-Luchon (Aquae Ilixonis), au pied de la Maladetta 1.

A Chabris, elle bifurquait : une branche se dirigeait vers le sud-ouest et conduisait à Poitiers (Limonum), capitale de la civitas Pictavorum, par Estrée-Saint-Genou (Strata), Le Blanc (Oblincum, localité celtique) et Ingrandes (Igoranda, localité celtique), à la limite de la civitas Biturigum et de la civitas Pictavorum.

Au moyen âge, la direction de cette route fut légèrement modifiée entre Orléans et Neung pour des raisons d'ordre économique sans doute (elle ne desservait que de minuscules localités). On la fit passer par l'importante seigneurie de La Ferté-Nabert (Firmitas Nerberti), aujourd'hui La FertéSaint-Aubin, par Chaumont-sur-Tharonne (autrefois Chaumont-en-Sologne) et La Ferté-Avrain (aujourd'hui La Ferté-Beauharnais), un peu à l'est de Neung-sur-Beuvron 2, tandis qu'à l'ouest une autre route, qualifiée dès le XIe siècle de via publica, gagnait Saint-Aignan-sur-Cher (autrefois Saint-Aignan-en-Berry) en passant par Le Beaulin (Mons Belleni) 3, Jouy-le-Potier (Gaudiacus), Ligny-le-Ribault (Latiniacus, puis Litiniacus), Bracieux et Contres.

Il est à noter que la voie romaine de Limoges, qui, dans le Loiret, sert de limite aux communes de Jouy-le-Potier et de La Ferté-Saint-Aubin, a été retrouvée en 1902 dans la rue Saint-Marceau à Orléans, à une profondeur de 2m45 au-dessous du sol actuel. On a découvert, en même temps, l'embranchement qui reliait la grande route du Midi à la voie d'Orléans à Tours par la rive gauche de la Loire 4. Cette

1. La voie depuis Argentomagus jusqu'à Lugdunum Convenarum est tracée sur l'Itinéraire d'Antonin. Voir aussi A. Longnon, Atlas, planche II.

2. Sur ce tracé, voir Delisle, carte déjà citée (1718). Les archéologues de Loir-et-Cher, L. de La Saussaye, Florance, ont donné de la voie d'Orléans à Poitiers un tracé fantaisiste.

3. Voir sur cette via publica mon mémoire Identification du domaine " Mons Belleni » donné par Charles le Chauve à l'abbaye de Saint-Mesmin (extrait du Bull, philologique et historique du Comité des travaux historiques, 1922-1923 (Paris, 1925). — Sur ce chemin de Saint-Aignan, voir aussi arch. du Loiret, C 188.

4. Voir Léon Dumuys, Note sur des découvertes archéologiques faites dans


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surélévation de la chaussée actuelle de près de 2m50 survenue

survenue cours des siècles ne présente rien d'anormal ; elle a

le faubourg Saint-Marceau d'Orléans au cours des années 1882-1902 (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIII, 1902-1904, p. 139, et note additionnelle, p. 413).


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été constatée souvent ailleurs 1. Ajoutons que cette voie, faute de matériaux, était presque partout en Sologne construite en sable, comme, d'ailleurs, la voie d'Orléans à Bourges, que je vais décrire immédiatement.

12. — LA VOIE D'ORLÉANS A BOURGES (Avaricum).

Comme la précédente, cette voie, que n'indique aucun itinéraire romain, sortait d'Orléans par le Châtelet, franchissait le pont sur la Loire, se dirigeait sur Saint-Jean-leBlanc et Saint-Cyr-en-Val, passait à Marcilly-en-Villette (Marcelliacus), où l'on a frappé monnaie sous les Mérovingiens 2, à Menestreau-en-Villette, à Vouzon (Vosonnum, localité celtique) 3, où l'on a aussi frappé des monnaies mérovingiennes et où le pavage antique a été retrouvé un peu au-dessous du sol actuel ; ensuite, à Pierrefitte-sur-Sauldre (Petraficta) 4, autre atelier monétaire mérovingien, après avoir traversé le Beuvron au Gué-de-Lange, près du lieu dit La Maladrerie, où elle est très visible à cause de son exhaussement en terrain marécageux, et l'immense « Plaine des Césars ».

1. La plupart des archéologues qui se sont occupés de cette voie romaine l'appellent « route d'Orléans à Poitiers » ; ils la font passer par La Ferté-Saint-Aubin et Chaumont-sur-Tharonne (voir notamment Jollois, Mémoire sur les antiquités du département du Loiret, avec carte, 1836 ; L. de La Saussaye, Mémoires sur les antiquités de la Sologne blésoise, 1844, p. 18 ; A. Chauvigné, Géographie historique, descriptive et économique de la Sologne. Tours 1907 ; E.-C. Florance, Les origines antiques de Blois, avec carte des voies gauloises en Loir-et-Cher, 1927, p. 32; E. Chenon, Les voies romaines du Berry, avec carte, 1922). — Le tracé par La Ferté-SaintAubin et Chaumont-sur-Tharonne ne date, je le répète, que du moyen âge.

2. Marcilly-en-Villette (Loiret). — M. Prou (Catalogue des monnaies mérovingiennes de la Bibliothèque nationale. Paris, 1892, p, 150) identifie la localité de Marciliac(o), inscrite sur des triens de style Orléanais, à Marcilly-en-Gault (Loir-et-Cher) ; or, ce Marcilly faisait partie non pas de la civitas Aurelianorum, mais de la civitas Biturigum.

3. Vosonno vico, légende des monnaies mérovingiennes. L'identification à Vouzon (Loir-et-Cher) est certaine. Voir M. Prou, op. cit., p. 155.

4. Pierrefitte-sur-Sauldre (Loir-et-Cher) : Petra ficta (Prou, op. cit., p.. 151). — Actum apud Petram fictam, acte original de 1202, aux arch. dép. du Loiret, publié dans le Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 220. — Petraficta, 1278 (arch. dép. du Loiret, G, chapitre de Jargeau).


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Cette localité de Pierrefitte doit son nom à une pierre fichée (petra ficta, forme vulgaire de fixa, provenant du verbe figere = enfoncer) servant de borne-frontière. Au delà de la Grande-Sauldre (Salera), on entrait dans la civitas Biturigum et l'on atteignait Bourges (Avaricum), capitale de cette civitas, en passant à Souesmes 1 (Soema, localité celtique), où la voie antique est encore très reconnaissable, à La Chaussée, puis près de Neuvy-sur-Barangeon (Noms Vicus), où elle était protégée (à gauche) par un cantonnement de Bretons (*Brittania, d'où Bretaigne) 2, et enfin à Allogny, où elle était surveillée (à droite) par un cantonnement de Germains ( * Germania, d'où Germagne ) 3. Au XVe siècle, cette voie, dont le tracé avait été légèrement modifié (on la faisait passer alors par Olivet, Cormes et La Ferté-Saint-Aubin, et non plus par Saint-Cyr-en-Val et Marcilly-en-Villette) 4, était connue sous le nom de « grand chemin de Bourges » ou « grand chemin ferré de Bourges ».

1. Holder, op. cit., d'après Prou, attribue à Souesmes les monnaies mérovingiennes avec la légende Sesemo vico, identification impossible au point de vue phonétique. Le nom de Souesmes est parrochia de Soema dans un acte original de 1278 (arch. dép. du Loiret, G, chapitre de Jargeau). — Le nom de Bourdaloue (comm. de Souesmes, Loir-et-Cher), entre Pierrefitte et Souesmes, ne peut pas rappeler une borne indiquant une lieue gauloise, comme le croit L. de La Saussaye, qui, pour les besoins de sa cause, a inventé le toponyme latin Borda leucae = la maison de la lieue ; mais Borda leucae aurait abouti en français à « Bordelieue », et non pas à Bourdaloue. — Il existe au sud de Pierrefitte, au delà de la Sauldre, un lieu dit Neumars, qui pourrait provenir d'un locatif pluriel Novis marcis = aux nouvelles limites (marca, en latin vulgaire, signifie limite, frontière, mot d'origine germanique). De nombreuses tombelles semblent, à cet endroit, avoir été des tumuli de frontière.

2. Bretagne ou Bretaigne, domaine, comm. de Neuvy-sur-Barangeon (Cher), au nord-est du bourg. — Novus Vicus en 856 (Dict. top. du Cher, par H. Boyer et R. Latouche. Paris, 1926). Au XVIe siècle, la voie passait dans le bourg même de Neuvy (voir acte de 1559-1560, dans Inventaire des arch. du Cher, t. IV, 1908, série E, p. 201).

3. Germagne, village, comm. d'Allogny, au nord-ouest du bourg. — Ce poste protégeait à la fois la route d'Orléans à Bourges et la route de Blois à Bourges par Neung-sur-Beuvron et Salbris.

4. L. de La Saussaye, Mémoire sur la voie gallo-romaine d'Orléans à Bourges (1867), fait à tort passer la voie romaine par Saint-Aubin. — Sur la route d'Orléans à Bourges au XVIe siècle, voir P. de Félice, Un étudiant bâlois à Orléans en 1599 (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XVII, 1880, p. 330).


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Nous savons par Rabelais que son entretien laissait fort à désirer et qu'elle était au XVIe siècle presque impraticable 1.

C'était cependant, à cette époque, comme encore au XVIIe siècle, la route suivie par les nombreux étudiants français et étrangers qui fréquentaient les Universités de Bourges et d'Orléans. Je note encore l'expression « grand chemin de Bourges à Orléans » dans un acte de 1625 2 et « chemin qui va de Bourges à Orléans » dans un document concernant la seigneurie de Souesmes en 16513.

Cette voie, qui conduisait à Bourges en ligne droite et n'était pavée que dans la traversée des localités les plus importantes 4, est depuis le XVIIIe siècle complètement abandonnée 5 ; il n'y a plus dès lors de chemin direct pour aller

1. Voir J. Soyer, Topographie rabelaisienne (Berry et Orléanais) (extrait de la Revue des Études rabelaisiennes, t. VII, 1909, p. 9).

2. Arch. dép. du Loiret, D 257 (acte du 15 février 1625) ; il s'agit du bourg d'Allogny. Cf. un plan de 1649 (arch. du Loiret, album VI, n° 9), concernant Farges, paroisse de Marcilly-en-Villette.

3. Arch. du Loiret, 1 F 185 (collection Herluison).

4. On sait que la pierre manque en Sologne et que la plupart des constructions sont en brique, en bois et en torchis.

5. Un plan des arch. dép. du Loiret, V, n° 16, indique l' « ancien chemin d'Orléans à Bourges par Menestreau » (1844). Un autre document des arch. dép. du Loiret (C 190), daté de 1776, mentionne l'ancienne route d'Orléans à Bourges par Pierrefitte. La carte du département du Loiret par Cartéron (1844) indique encore l'ancien chemin de Bourges par SaintJean-le-Blanc, Saint-Cyr-en-Val et Menestreau. — La voie d'Orléans à Bourges a été décrite par d'Anville, op. cit., qui la fait passer à tort par La Ferté-Saint-Aubin et Salbris ; — par Jollois, Mémoire sur les antiquités du département du Loiret, 1836 (avec une carte), qui la fait passer à tort à Olivet, Cormes, La Ferté-Saint-Aubin et La Motte-Beuvron ; — par L. de La Saussaye, Mémoires sur les antiquités de la Sologne blésoise, 1844, p. 18-19, et Mémoire sur la voie gallo-romaine d'Orléans à Bourges, avec une carte (dans Mémoires lus à la Sorbonne en 1866, p. 107), qui la fait aussi passer à tort à La Ferté-Saint-Aubin ; — par G. Vallois, Le camp de Haute-Brune et la voie romaine de Bourges à Orléans (dans Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre, t. VI, 1878, p. 46) et Les voies romaines d'Avaricum (Ibid., t. XIX, 1892-1893, p. 62) ; — par D. Mater, Les voies romaines du département du Cher, avec une carte (dans Société française d'archéologie, Congrès de Bourges en 1898. Paris et Caen, 1900, p. 173) ; —. par A. Chauvigné, Géographie historique, descriptive et économique de la Sologne. Tours, 1907 (avec une carte), qui la fait aussi à tort passer à La Ferté ; — par E. Chenon, Les voies romaines du Berry (avec une carte), 1922, p. 37-41, qui la fait aussi passer par La Ferté (chose étrange, Chenon ignore qu'Orléans a été la capitale de la civitas Aurelianorum et nous


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d'Orléans dans la capitale du Berry. La carte de Delisle (1718) fait passer la route de Bourges par La Ferté-SaintAubin,

Ferté-SaintAubin, Motte-Beuvron, Nouan-le-Fuzelier, Salbris, Nançay, Neuvy-sur-Barangeon et Allogny.

apprend que Chartres a joué un rôle important dans l'histoire de la Gaule indépendante ; or, César ne mentionne même pas Autricum; pour le proconsul, le principal oppidum des Carnutes est Orléans, Cenabum ou Genabum) ; — par Florance, Les origines antiques de Blois, 1927, carte, p. 32 (tracé fantaisiste ; il donne à Pierrefitte-sur-Sauldre le nom de Noviodunum !).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 61

13 et 14..— LES DEUX VOIES D'ORLÉANS A SANCERRE (Gortona ou Cortona).

La voie d'Orléans à Sancerre (Cortona, Gortona, castrum Gordona, Gordonae castrum, Gordonicum castrum) 1 n'est pas mentionnée par les itinéraires romains. Au temps de César, Gortona était la capitale des Boii ou Boji, peuple vassal des Haedui et établi entre celui-ci et les Bituriges, près des Carnutes et des Senones 2. Rattaché sous l'Empire à la civitas Biturigum, ce puissant oppidum devint sous la monarchie franque le chef-lieu d'une vicaria, la vicaria Cortonensis, subdivision administrative du pagus Bituricus 3.

Cette voie devait être très ancienne, comme toutes les ■routes longeant les grands fleuves; c'était la jumelle de la voie d'Orléans à Autun qui suivait la rive droite de la Loire, et dont je vais parler plus loin.

Elle franchissait le fleuve sur le pont, passait à Saint1.

Saint1. identifiant, comme je l'ai fait en 1904, Noviodunum avec Neungsur-Beuvron, en rejetant la leçon Gorgobina et en adoptant la variante Gortona (qui était encore le nom de Sancerre dans lé haut moyen âge), la marche de César et celle de Vercingétorix s'expliquent parfaitement ; tout devient clair et limpide dans le récit des Commentaires. Mes identifications ont été admises par A. Vacher, Le Berry (1908), et E. Chenon, Les origines de Sancerre (dans Mém.. de la Soc. des Antiquaires du Centre, 40e vol., 1921). Voir mon Etude critique sur le nom et l'emplacement de deux « oppida » celtiques mentionnés par César dans les « Commentarii de Bello Gallico » (dans Bulletin de géographie du Comité des travaux historiques, 1904 ; 2e édition dans Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre, 28e vol., 1905) et mon article : A propos de l'origine du nom de Sancerre (dans Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre, 32e vol., 1910).

2. Pline l'Ancien (mort en 79) s'exprime ainsi en parlant des Boii qui habitaient la Gaule lyonnaise : intus autem Aedui foederati, Carnuteni foederati, Boi, Senones (voir ce texte dans Holder, op. cit., au mot Boii). On peut conclure de ce texte, à mon avis, que la civitas Boiorum existait encore de son temps.

3. La vicaria Cortonica est mentionnée dans un acte de 957, inséré dans le Cartul. de l'abbaye de Saint-Sulpice-lez-Bourges (arch. dép. du Cher, série H). Il est très important de remarquer que le Sancerrois n'a jamais suivi les coutumes du Berry. — Je ne sais pourquoi Longnon, sur sa carte de la Gaule romaine, désigne Sancerre sous la forme incorrecte de Gurdonis castrum, alors que les formes Gordona et Cortona se trouvent dans de nombreux documents.


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Jean-le-Blanc, laissait sur sa gauche Saint-Denis-en-Val (Brueriae) 1 et Chandoux (Camedollus, localité celtique) 2, traversait Crevant (*Craventum, localité celtique) 3 et Sandillon 4. Là, elle était protégée, à la fin de l'Empire, par un cantonnement de Marcomans, soldats germains à la solde des Romains, qui ont laissé leur nom à la ferme de Marmogne ou Marmagne (Marcomania) 5. De Sandillon, elle se dirigeait sur Jargeau (*Garrigoialum, localité celtique) 6. De Jargeau, elle remontait à La Quoeuvre (Scobrium, localité celtique) 7. Là encore, entre cette localité et la Loire, était établi un autre cantonnement de Marcomans, qui a laissé son nom au domaine de Marmagne ou Marmin (comm. d'Ouvrouerles-Champs) 8 et surveillait non seulement la route, mais

1. Et in prospectu Aurelianis, potestatem Bruerias, quae dicitur Ad Sanctum Dionisium, cum ecclesia in ipsius martyris honore dicata (charte fausse de Louis le Pieux et de Lothaire en faveur de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy, datée d'Aix-la-Chapelle, 836 ; écrite en réalité au XIe siècle ; arch. dép. du Loiret, H, Saint-Mesmin).

2. Camedollus, 854 : voir mon étude : Identification des noms de lieu « Camedollus » et « Orcellum », mentionnés dans la charte d'Agius, èvêque d'Orléans, janvier 854 (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIV, 1905-1907, p. 584).

3. Craventum (forme restituée) signifie « endroit pierreux ».

4. Sandillon, cant. de Jargeau. — La route passait à Chartres, comm. de Sandillon, qui semble être une cacographie de Chastre. Ce nom rappellerait un camp romain (castra).

5. Ultra fluvium Ligeris... Marcomaniam, dans une charte de 1002 (voir J. Soyer, Les possessions de l'abbaye de Saint-Pierre-le-Puellier d'Orléans dans l'Orléanais et le Dunois sous le règne de Robert le Pieux, dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXI, 1930, p. 283). Le contexte prouve bien qu'il s'agit de Marmogne, comm. de Sandillon. Le cantonnement était établi entre la route basse d'Orléans à Sancerre (celle que j'étudie en ce moment) et la route haute (dont je vais parler dans un instant), qui, longeant le coteau septentrional de la Sologne, n'était jamais coupée par les inondations de la Loire. Il pouvait facilement surveiller les deux voies.

6. Garrigoialum signifie « la Chênaie ». Jargeau, comme Sandillon, est établi sur une butte insubmersible du Val de Loire.

7. Sur La Quoeuvre, ancienne commune unie à Férolles, et dont le nom primitif se terminait certainement en briga (château fort), voir mes Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret, 1er article (dans Bull, de la Soc. arch. et hisl. de l'Orléanais, t. XXII, 1932. Orléans, 1933).

8. Ouvrouer-les-Champs, cant. de Jargeau. — Marmin, pour « Marmain », provient régulièrement du génitif-datif-locatif Marcomaniae, littéralement « au cantonnement des Marcomans ». Marmin est la graphie


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 63

aussi et surtout l'important passage de la Loire que fut Jargeau. Ensuite, on atteignait Tigy (Tetgiacus) 1, Nemois (Nemesus, localité celtique) 2, puis Neuvy-en-Sullias (Novus Vicus) 3 et Bouteilles (Butticulae) 4, qui devait probablement son vocable « les Bouteilles » à une enseigne de taverne. C'est là qu'était probablement le bac conduisant sur la rive droite de la Loire dans le Val d'Or (Vallis Aurea) 5, la région sacro-sainte de Fleury (Floriacus) 6, aujourd'hui SaintBenoît-sur-Loire.

De Bouteilles, après avoir franchi le Bédable ou Becdable (fluviolus vulgari dictas vocabulo Obla) 7, on allait directement à Sully-sur-Loire (Sauliaeus ou Soliacus), autre passage important du fleuve, où l'on frappa des monnaies mérovingiennes 8 ; puis, la Sange (Sangia fluviolus) 9 franchie-,

de la carte d'état-major ; Marmagne, celle de la carte du Service de la Loire (1849).

1. In pago Aurelianensi, villa quae Tetgiacus dicitur, 1160 (Dom Bouquet, t. XII, p. 5 : Ex historiae francicae fragmento).

2. Villam Nemesum, cum aqua, terris, pratis et omnibus sibi pertinentibus, 836 (charte de Louis le Pieux et de Lothaire en faveur de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy ; déjà citée, c'est un faux du XIe siècle) ; le lieu de Nemois, paroisse de Tigy, 1612 (arch. dép. du Loiret, G, fabrique de Tigy). Dans Nemesus, il y a la racine nem, indiquant un lieu sacré ; cf. Nemetum = temple, lieu consacré.

3. Novus Vicus, charte de Charles le Simple en faveur de l'abbaye de Saint-Benoît, 900 ; sur les plus anciennes formes de Neuvy, voir mon mémoire : Le temple du dieu gaulois Rudiobus à « Cassiciale » : identification de cette localité (dans Bull, de la Section de géographie du Comité des travaux historiques, 1920. Paris, 1921, p. 6 du tirage à part).

4. In Floriacensis coenobii vicinio, Butticulas videlicet vico, XIe siècle (Les miracles de saint Benoît, édit. de Certain, 1. VI, p. 218).

5. Priscis temporibus... Vallis nominabatur Aurea (Aimoin, Xe siècle, dans Les miracles de saint Benoît, p. 126).

6. Sur la région sacro-sainte de Fleury ou Saint-Benoît-sur-Loire, voir plus loin le chapitre relatif à la voie d'Orléans à Autun.

7. Les miracles de saint Benoît, 1. I, p. 52.

8. Sauliaco. L'attribution à Sully-sur-Loire des monnaies portant la légende Sauliaco est de M. Prou (Holder, op. cit.). Je constate que tous lès documents manuscrits du haut moyen âge désignent cette localité par Soliacus et non pas Sauliaeus : a Soliaco castro (Miracles..., VI, p. 231) ; Soliacense castrum (Miracles..., II, p. 107). — Il est à remarquer que les monnaies mérovingiennes avec la légende Soliaco vico, Suliacu[m] v[icum], Sauliaco vico, portent le nom du monnayeur Alebododus, Aleodus ou Aleudus, Alododus, Aliudus.

9. Super fluviolum Sangiam (Miracles..., VI, p. 231).


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on arrivait à Saint-Aignan-le-Jaillard et à Lion-en-Sullias (*Lugdunum ou *Laudunum, localité celtique) 1, au lieu dit « Le Grand-Chemin » et au pied de l'énorme tumulus, « La Motte de Lion », qui marquait l'antique frontière entre les Carnutes et les Bituriges, au temps de la Gaule indépendante, et entre la civitas Aurelianorum et la civitas Biturigum, à la fin de l'Empire; La route conduisait à Sancerre par La Maladrerie et Saint-Gondon (Nobiliacus) 2, où l'on traversait la Quiaulne (Conia) 3, Poilly-lez-Gien (Pauliacus), où l'on franchissait la Notre-Heure (Nostrusa) 4, puis l'Ocre 5, La Maladrie (comm. de Saint-Brisson), Châtillonsur-Loire (Castellio) 6, Beaulieu-sur-Loire (Bellus Locus) 7 et Léré (Liradus) 8.

Sur le territoire de Beaulieu était situé un très important établissement métallurgique gallo-romain, dont on a retrouvé des vestiges considérables à Gannes (près d'Assay, à 4 kilom. nord-ouest de Beaulieu) et au Puits-d'Havenat, et dont on exploitait encore les scories peu avant la guerre de 1914-19189.

1. Sur le nom primitif de Lion-en-Sullias, voir mes Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret, lre partie, p. 7 et 8 du tirage à part.

2. Cellam [Sancti Gundulphi] secus fluvium Legerim in pago Bilurico, quae dicitur Nobiliacus, 866 (Cartul. du prieuré de Saint-Gondon-surLoire, par P. Marchegay, p. 10).

3. In capile Coniae, peu après 1111 (Ibid., p. 53).

4. Et in pago Bituricensi, infra castrum Sancti Gundulfi, habet curtem Pauliacum, cum ecclesia et aqua Nostrusa, 836 (charte fausse de Louis le Pieux et Lothaire en faveur de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy ; déjà citée. Le faux est du XIe siècle). — Nostrusa aboutit à Nostreuse, puis à Nostreure par rhotacisme. La graphie officielle du nom de cette rivière est ridicule.

5. Un peu à droite de la route entre Saint-Gondon et Poilly se trouve Nouan, localité celtique : * Noviomagus, « le nouveau champ de foire ». Ce devait être un marché-frontière (voir mes Recherches sur l'origine... dés noms de lieux du Loiret, 1re partie, 1933, p. 24).

6. A Castellione, nostra possessions, XIe siècle (Les miracles de saint Benoît, 1. V, p. 198).

7. De Bello Loco, 1200 (arch. dép. du Cher, chapitre Saint-Etienne de Bourges : paroisse de Beaulieu-sur-Loire).

8. Liradus, 938 (Ph. Lauer, Recueil des actes de Louis IV, roi de France. Paris, 1914, p. 28).

9. Gannes, Assay, Le Puits d'Havenat sont sur le territoire de la comm. de Beaulieu-sur-Loire, cant. de Châtillon-sur-Loire (Loiret). Les archéo-


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 65

Comme cette voie entre Orléans et Tigy passait continuellement dans le Val de Loire et était par conséquent coupée assez fréquemment par les inondations du fleuve, une autre route plus sûre longeait dans cette partie le flanc septentrional du coteau de la Sologne (Secalonia) 1 et passait par SaintCyr-en-Val, Vildé, où elle était appelée au moyen âge Calceata Villa Dei 2, Le Bruel (Broialum, localité celtique) 3, L'Aumône, laissait un peu sur sa gauche Soûlas (Solasum) 4, où l'on a frappé des monnaies mérovingiennes, et Le Martroy (comm. de Ferolles-La Quoeuvre), cimetière gallo-romain 6, traversait le bourg celtique, et peut-être préceltique, de Vienne-en-Val (jadis Vienne-en-Sologne, Vienna vicus), où l'on a aussi frappé des monnaies mérovingiennes 6, et

logues locaux ont pris cette usine pour une ville disparue ! Voir Léon Dumuys, Les fours à réduction du Puits d'Havenat (Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XI, 1895-1897, p. 517). Cf. Bull, de la même Société, t. XV (1908-1910), p. 433, et t. XVI (1911-1913), p. 90 ; voir aussi A. Chollet, Vestiges gallo-romains du canton de Châtillon-sur-Loire (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXVIII, 1902, p. 609).

1. In Secalonia, donation de Leodebodus, abbé de Saint-Aignan-lezOrléans, année 651, publiée par M. Prou et A. Vidier, Recueil des chartes de l'abbaye de Sainl-Benoît-sur-Loire, t. I. Paris, 1907, p. 6 ; c'est la plus ancienne mention que je connaisse de la Sologne ; — in Segalonia, fin du Xe siècle (Aimoin, dans Les miracles de saint Benoît, 1. Il, p. 109).

2. Apud calceatam de Villa Dei, 1245 (arch. dép. du Loiret, D 371, fol. 173 v°) ; au lieu que l'en appelle Villedé, sur la rivière de Loire, 1334 (ibid., fol. 173 v°). Vildé était un ancien domaine des Hospitaliers de SaintJean-de-Jérusalem (voir mon article intitulé : Souvenirs de la Terre sainte et de l'Orient latin dans les noms de lieux du déparlement du Loiret, paru dans la Géographie, mai-juin 1929).

3. Le Bruel, domaine, comm. de Marcilly-en-Villette, cant. de La Ferté-Saint-Aubin. Ultra fluvium Ligeris..., Brolium, 1002, charte de Robert le Pieux (voir J. Soyer, Les possessions de l'abbaye de Saint-Pierrele-Puellier d'Orléans..., déjà cité, 1931).

4. Solaso, sur des monnaies ; identifié à Soulas, comm. de Sandillon, par M. Prou, Catalogue des monnaies mérovingiennes de la Bibliothèque nationale.

5. Sur ce cimetière antique, voir L. Dumuys, Découvertes faites à Férolles (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIII, 1902-1904, p. 79-80 et 214). De Tigy à Sandillon, il y avait dans le Val de Loire un très ancien « raccourci » appelé « le chemin vert » sur le plan cadastral de Férolles, qui passait au sommet de la butte insubmersible du Martroy (voir R. Dion, Le Val de Loire. Tours, 1934, p. 300-301). — Sur l'étymologie du mot martroy, voir mon Étude sur l'origine des toponymes « martroi » et « martres » (dans Revue des Études anciennes, 1925).

6. Avec la légende Vienna vico (Holder, op. cit., au mot Vienna). — Vienna, 938 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 39).

MÉM. XXXVII. 5


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atteignait Tigy 1 pour prendre ensuite la direction que je viens d'indiquer.

Une voie beaucoup plus courte, mais éloignée du fleuve et certainement moins agréable, allait presque en ligne droite de Vienne-en-Val à Sancerre, en passant par le GuéRobert, où elle franchissait le ruisseau du Bourillon, affluent du Cosson, Vannes-sur-Cosson (autrefois Vannes-en-Sologne ; Venna, localité celtique) 2, Isdes, Cerdon-du-Loiret (localité celtique, dont le nom était terminé en dunum), où elle abandonnait (à la limite de la comm. de Coulions) la civitas Aurelianorum pour entrer dans la civitas Biturigum 3 et atteindre Sancerre par Argent-sur-Sauldre (atelier monétaire mérovingien), Concressault 4, Le Grand-Chemin, Barlieu (atelier monétaire mérovingien) et Vailly-sur-Sauldre. C'était la « chaussée de Brunehaut 5 ».

1. Un peu au sud de Tigy (cant. de Jargeau) se trouve Balême, anciennement Belesme, qui rappelle un sanctuaire de Belisama, la Minerve gauloise.

2. In Secalonia... curtem Vennensem, cum ecclesia (1022, charte de Robert le Pieux confirmant les biens de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy-lez-Orléans, arch. du Loiret, H).

3. C'est l'immense étang du Puits, à environ 6 kilom. de Cerdon (Loiret) et d'Argent-sur-Sauldre (Cher), qui était la limite de l'Orléanais et du Berry, comme il est aujourd'hui la limite du Loiret et du Cher. La moitié de l'étang dépend de la comm. de Cerdon, l'autre moitié de la comm. d'Argent. Coulions, dont la forme primitive est Colom, rappelle sans doute la borne-frontière située sur son territoire (columnae = à la borne).

4. On remarquera l'importance stratégique de Concressault (Cucurciaudum), puissante forteresse médiévale, sise sur la rive gauche de la GrandeSauldre, et que Philippe-Auguste réussit à acquérir, grâce à un très habile « pariage » conclu avec le seigneur du lieu. J'ai publié le traité dans Les actes des souverains conservés dans les archives du Cher... : abbaye de Fontmorigny. Bourges, 1905, p. 93-94 (extrait des Mém. de la Soc. des Antiquaires du Centre).

5. Voir E. Chenon, Les voies romaines du Berry, p. 103. Chenon a tort d'identifier castrum Gordonis (sic) avec Saint-Satur. Sur la « chaussée de Brunehaut », et aussi sur la « chaussée de César » ou « chemin de JacquesCoeur », qui reliait Gortona ou Gordona à Avaricum (Bourges), voir le plan de Sancerre annexé à l'étude d'Hippolyte Boyer sur Les origines de Sancerre (extrait des Mém. de la Soc. hist. du Cher. Bourges, 1882). Ces chaussées aboutissaient à la Loire, un peu au-dessous du port de Saint-Thibaud, sous le nom de « chemin de la Reine-Blanche » ; la voie pavée se continuait dans le lit du fleuve et rejoignait sur la rive gauche la grande route d'Orléans-Autun-Ly on et la Méditerranée. — Un des continuateurs du PseudoFrédégaire nous montre Pépin, dans un épisode de sa lutte contre l'Aquitaine, franchissant la Loire ad castrum quod vocatur Gordinis (lire Gordo-


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 67

C'est certainement une de ces deux voies que suivit en

463 le maître de la milice Aegidius, qui, à la mort de l'empenis;

l'empenis; Bouquet, t. V, p. 7). Le géographe du roi, Delisle, sur sa carte de 1718 (arch. dép. du Loiret, albums des cartes et plans, V, n° 7), fait


68 JACQUES SOYER

reur Majorien (461), avait en Gaule prit le titre d'Augustus. Après avoir infligé une sanglante défaite aux Visigoths, alliés de l'Empire, et tué Frédéric, frère de leur roi Théodoric II, dans une bataille livrée près d'Orléans, entre la Loire et le Loiret, il se dirigea avec une puissante armée sur Sancerre, dans l'intention de piller cette place forte. C'est alors qu'un prêtre du pays, Romulus (saint Romble), aurait intercédé auprès du vainqueur pour qu'il fît preuve dé clémence envers les habitants de la ville 1.

15. — LA VOIE D'ORLÉANS A AUTUN (Augustodunum).

Cette route, indiquée par l'Itinéraire d'Antonin, la Table de Peutinger et le Ravennate, sortait d'Orléans par la PorteBourgogne 2, passait non loin de l'église dédiée à saint Victor de Marseille (à gauche), du cimetière gallo-romain de Saintpasser

Saintpasser route d'Orléans-Sancerre à Saint-Cyr-en-Val, Le Breuil (sic), Gué-Gaillard, Vienne, Tigy, Neuvy, Bouteilles, Sully, Saint-Aignan-leJaillard, Lion, Saint-Gondon, Poilly, Châtillon, Beaulieu, Léré. — Sur la carte itinéraire de la Généralité d'Orléans en 1767 (ibid., album V, n° 11), cette route ne va pas au delà de Gien (faubourg du Berry, rive gauche) et passe par Jargeau, La Queuvre, Tigy, Neuvy, Saint-Aignan-Ie-Jaillard, Lion-en-Sullias, Saint-Gondon et Poilly.

1. Pugna facta est inter Egidio et Gothos inter Légère et Legericino, juxta Aurilianis, ibique interfectus est Fridericus rex Gothorum (Chronique de Marius d'Avenches, mort en 593, dans Du Chesne, Historiae Francorum scriptores coaetanei, t. I. Paris, 1636, p. 211. L'éditeur a rectifié la graphie barbare du texte) ; voir aussi, dans Dom Bouquet, t. I, p. 821-822, un extrait d'un ancien Bréviaire de l'abbaye de Saint-Satur-sous-Sancerre : « tunc Egregius (lire : Aegidius), nomine temporis illius rex, cum magna exercitus sui multitudine populaturus castellum Gordonas de urbe Aurelianis advenit », et un extrait de la prose de saint Romble :

« Hic Romulus regem Egidium Gorgonicis (lire : Gordonicis) rogal esse pium. »

Idace (mort peu après 468), dans sa Chronique, donne à Aegidius le titre de cornes ulriusque militiae (voir Dom Bouquet, t. I, p. 622) et qualifie exactement Frédéric de frère du roi Théodoric.

2. La chaussée romaine a été retrouvée en 1898 à l'entrée de la rue Coquille, à 2 mètres environ au-dessous du pavage actuel de la rue Bourgogne. « Cette chaussée, qui ne put être explorée dans toute sa largeur, était formée d'une couche de cailloux de Loire et de moellons excessivement résistante, mesurant un mètre d'épaisseur » (Léon Dumuys, Les fouilles de la rue Coquille, dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXVIII, 1902, p. 29).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 69

Aignan (à droite), du cimetière gallo-romain de Saint-Euverte (à gauche), de l'église paroissiale de Notre-Dame-duChemin (à droite), des arènes (à droite), passait ensuite à Saint-Loup (où bifurquait la voie d'Orléans à Sens), à Bionne, laissait Chécy un peu sur la droite, traversait la rivière du Cens à Pont-aux-Moines (primitivement Pons Ossantiae) 1, se dirigeait sur Saint-Denis-de-1'Hôtel, Châteauneuf-sur-Loire, Saint-Aignan-des-Gués (en face de SaintBenoit-sur-Loire), Bray (localité celtique), Ouzouer-surLoire (Oratorium super Ligerim), Beauche ou Biauche (localité celtique, Belca, mentionnée sur l'Itinéraire d'Antonin et là Table de Peutinger) 2. C'est entre Belca (comm. de Dampierre-en-Burly) et Arculla (Arcole, comm. de Nevoy, localité mentionnée par le Ravennate) 3 qu'était la limite

1. Voir mon étude sur Le nom primitif de la rivière orléanaise du Cens (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XX, 1923-1927, p. 466). — A Pont-aux-Moines, près de l'écluse du canal d'Orléans, la voie romaine a été, comme à Orléans, retrouvée à 2 mètres de profondeur (renseignement dû à M. de La Martinière, 1933).

2. Jollois, Mémoire sur les antiquités du département du Loiret, ayant identifié à tort Bonnée (Bonodium) avec Belca, presque tous les érudits ont été victimes de cette erreur et ont fait passer la voie romaine à Bonnée, alors que cette voie ne s'est jamais éloignée du coteau de la rive droite de la Loire. Mais je ne nie pas l'existence d'une route antique secondaire passant dans le Val par Bonnée et Saint-Benoît-sur-Loire (Floriacus), dont le « vieux chemin » doit indiquer l'emplacement. D'Anville, op. cit., plaçait Belca à Bouzy ! D'après là Table de Peutinger, la distance entre Belca et Cenabum est de 22 lieues gauloises = 48 kilom. 889. La distance entre Beauche (continuation même du nom de Belca) et Orléans est, en effet, de 50 kilom. environ. — La région de Saint-Benoît était le milieu géométrique de la Gaule indépendante ; c'est là qu'était probablement l'ombilic, le fameux locus consecratus dont parle César (voir mon étude sur Le temple du dieu gaulois Rudiobus a « Cassiciate » : identification de cette localité ; extrait du Bulletin de la Section de géographie du Comité des travaux historiques, 1930. Paris, 1931). La région devait être encore sacro-sainte à l'époque romaine : témoins l'amphithéâtre de Bonnée, le théâtre de Bouzy, le temple de Rudiobus à Neuvy-en-Sullias, trois lieux de pèlerinages ou trois sanctuaires dans un espace très restreint autour de la future abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Le temple de Rudiobus a dû être incendié, non pas par les Barbares, mais par des chrétiens, disciples de saint Martin (mort en 397). Il est à remarquer que presque toutes les églises des alentours de Saint-Benoît sont dédiées à saint Martin (Bonnée, Bouzy, Guilly, Les Bordes, Saint-Martin d'Abhat, Ouzouer-sur-Loire, Sigloy, Tigy, Vienne-en-Val).

3. J'ai identifié cette localité en 1916 ; voir mon mémoire : Identification de la localité gallo-romaine d' « Arculla », mentionnée par le géographe


70 JACQUES SOYER

de la civitas Aurelianorum et de la civitas Autessiodurum, démembrement de la civitas Haeduorum. La voie passait ensuite un peu au nord de Gien (localité celtique, Giomus à l'époque mérovingienne, primitivement *Devomagus ou *Divomagus) 1, puis à Briare (localité celtique et atelier monétaire mérovingien), Brivodurum, ou Brivodorum (mentionnée par l'Itinéraire d'Antonin, la Table de Peutinger et, sous la forme corrompue Heliodorum, par le Ravennate) 2, Bonny-sur-Loire 3, Mesves-sur-Loire (Massava) 4, Nevers (Nevirnum), Decize (Decetia) et arrivait à Autun (Augustodunum), capitale de la civitas Haeduorum. D'Autun, on pouvait aller directement à Lyon (Lugdunum) et de là à Marseille (Massilia) en suivant la vallée du Rhône.

Cette route, dont l'importance n'a pas besoin d'être démontrée, mettait Orléans en relations avec Rome et toute l'Italie ; c'est par elle que pénétrèrent dans notre région la civilisation romaine et le christianisme. Elle était appelée « grand chemin Remi » aux XVIe et XVIIe siècles 5. Elle est

anonyme de Ravenne, VIIe siècle (dans Bulletin de la Section de géographie du Comité des travaux historiques. Paris, 1916, p. 29), avec une carte.

1. Voir mon étude sur L'origine du nom de Gien (extrait des Annales de la Soc. hist. et arch. du Gâtinais, t. XL, 1931). — Au nord du hameau de Gien-le-Vieil, la voie est connue sous le nom de « chemin perré ou de Jules César ».

2. Voir la carte dans E. Desjardins, op. cit., t. IV, p. 202. — Mantellier fait à tort passer la route au nord de Briare.

3. Il y avait au moyen âge un Hôtel-Dieu à Bonny. — Entre Briare et Bonny, la voie était protégée au nord par un camp dont le nom (castra) s'est perpétué dans celui du château de La Châtre (comm. de Briare).

4. Sur Massava ou Masava (Mesves ou Mêves, Nièvre), voir Boucher de Molandon, Nouvelles études sur l'inscription romaine récemment trouvée à Mesves... (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XI, 1868, p. 236), et Allas.

5. « Cinquante minées de terre, tenans au grand chemin remi d'une part, d'autre à la Forest du roy » (1502) ; « item quatre étangs, touts de suite, situez en la paroisse de Bouzi, le premier dit le grand Étang de Saint Agnan, joignant d'un bout au grand chemin remi, par où l'on va d'Orléans à Gien, qui passé sur la chaussée dudit étang » (1680). Ces deux citations sont empruntées au Dictionnaire des droits féodaux du duché d'Orléans, par Le Clerc de Douy, XVIIIe siècle, manuscrit de la bibliothèque des arch. dép. du Loiret. — La voie de Lyon à Orléans et à Paris figure sur un itinéraire du XIIIe siècle, publié par F. Lot, Itinéraires du XIIIe siècle, dans Bull, philologique et hist. du Comité des travaux historiques, année 1920. Paris 1922, p. 217. Sont indiquées les localités suivantes : Decize,


15. — LA VOIE D'ORLÉANS A AUTUN.


72 JACQUES SOYER

encore nommée « chemin perré », « chemin pierre », « chemin pierret » (sic), « chemin de Jules César », « chemin Remy » (à Beauche).

A Briare se dirigeait, du sud au nord, une voie antique reliant la Loire à la Seine par La Bussière, Nogent-sur-Vernisson (localité celtique, *Noviomagus), Mormant-sur-Vernisson (localité celtique), Montargis, Le Grand-Villon (Vellaudunum ou Vellaunodunum, localité celtique, comm. de Girolles), Préfontaines, Château-Landon (Castrum ou Castellum Nantonis) et Nemours (Nemausus, localité celtique) 1.

16. — LA VOIE D'ORLÉANS A AUXERRE (Autessiodurum).

La voie qui reliait Orléans à la capitale de la civitas Autessiodurum, limitrophe de la civitas Aurelianorum, n'est pas indiquée sur les itinéraires romains. Elle se confondait avec la précédente (voie n° 15) jusqu'un peu plus loin que Châteauneuf-sur-Loire (Castrum novum super Ligerim), à la hauteur de Saint-Aignan-des-Gués. Là, laissant sur sa gauche le Grand-Étang et l'étang des Planches, à 500 mètres desquels se trouvait le théâtre romain de Mesnil-Bretonneux (comm. de Bouzy) 2, lieu de pèlerinage à l'orée mériNevers,

mériNevers, Charité-sur-Loire, Pouilly, Bonny-sur-Loire (avec cette mention : hic potestis capere iter ad eundum Parisius), Gien, Saint-Benoît, Jargeau (c'est-à-dire Saint-Denis-de-Jargeau, auj. Saint-Denis-de-l'Hôtel), Orléans (avec cette mention : De Lugduno usque Aurelianis sunt LXa et X VIeim miliaria). — Cette voie est aussi indiquée sur la Carte de la Beauce, du Gâtinois..., par G. Delisle (1718).

1. Cette voie est indiquée sur la Carte de la Beauce, du Gâtinois..., par G. Delisle (1718) ; sur la Carte de la Généralité d'Orléans, par H. Jaillot (1719); sur la Carte du gouvernement général d'Orléans, par B. Jaillot (1721). Au temps de Cassini (voir sa carte), elle avait perdu toute importance entre Montargis et Nemours. — C'était une route très fréquentée au XVI° siècle; voir E. Thoison, Charles IX en voyage dans le Gâtinais (dans Annales de la Soc. hist. et arch. du Gâtinais, t. VII, 1889, p. 196). — Noviomagus est une forme primitive restituée d'après la forme médiévale Noemium, fournie par un pouillé du diocèse de Sens (1350) ; Nogent-surVernisson s'appelait Noyen jusqu'au XIXe siècle. — Nemausus désigne Nemours à l'époque carolingienne (voir Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 65).

2. Voir Gaston Vignat, Découverte d'un théâtre romain à Bouzy (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXIII, 1892, p. 271, avec


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 73

dionale de la forêt d'Orléans, elle se dirigeait vers le nord-est, passait un peu au sud de Vieilles-Maisons, dans la civitas Senonum, puis à Lorris (Lorriacus), importante localité du pagus Wastinensis,. subdivision administrative de cette civitas, à Ballegent (comm. de La Cour-Marigny), à La Sablonnière (comm. de Varennes), à La Chaîne (comm. de Varennes), à La Mi-Voie (Media via, à mi-chemin d'Orléans à Auxerre), à Nogent-sur-Vernisson, où elle croisait la route de Briare à Nemours, et atteignait Montbouy, où elle franchissait le Loing 1.

On sait que Montbouy était un lieu de pèlerinage galloromain très important : il existe encore sur le territoire de cette commune (à Chenevières) un amphithéâtre très bien conservé qui pouvait contenir 3 à 4,000 spectateurs 2.

planches). Ce théâtre pouvait contenir de 5 à 600 spectateurs ; il est à 4 kilom. du bourg de Bouzy (Bulziacus). Cette localité se trouvait dans la civitas Aurelianorum, à la limite de la civitas Senonum. — Mesnil-Bretonneux (*Mansionile Brillanorum) rappelle une colonie militaire et agricole de Bretons (Brittani et non pas Britanni) chargés, à la fin de l'Empire, de surveiller la bifurcation de la voie d'Orléans-Autun (à 1,600 mètres) et de la voie d'Orléans-Auxerre.

1. P. Le Roy a décrit partiellement et inexactement cette route sans se douter qu'il s'agissait de la voie directe d'Orléans à Auxerre (voir ses Notes sur la topographie du Gastinois aux époques celtique et gallo-romaine (dans Annales de la Soc. hist. et arch. du Gâtinais, t. I, 1883, p. 50-51). Cette étude de Le Roy doit être utilisée avec la plus grande prudence, parce qu'elle a été écrite sous l'influence d'idées préconçues : le tracé des routes est souvent fantaisiste ; beaucoup de noms propres géographiques latins sont de l'invention de l'auteur ; les étymologies de noms de lieux et de rivières sont généralement ridicules. — L'existence d'une route directe entre Orléans et Auxerre a été niée par Quantin et Boucheron, Mémoire sur les voies romaines qui traversent le département de l' Yonne, déjà cité (Bull, de la Soc. des sc. hist. et natur. de l' Yonne, année 1864). Les auteurs s'expriment ainsi (p. 8) : « Toute la partie ouest du département [de l'Yonne] est dépourvue de routes romaines ; ce pays boisé et marécageux était complètement impraticable il y a trente ans ; qu'était-ce donc il y a quinze siècles? » Je remarque, cependant, dans cette partie ouest, un bon nombre de localités dont les noms sont d'origine gauloise ou romaine. Ces localités étaient évidemment reliées par des chemins. Au reste, Quantin et. Boucheron ont ignoré l'existence, pourtant indiscutable, des voies de Sens à Chartres et de Sens au Mans. — On sait qu'il était de règle de relier les chefs-lieux de civitates limitrophes par des routes aussi rectilignes que le permettait la nature du sol.

2. E. Pillon, Excursion à Montbouy (dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. III, 1859-1861, p. 9).


74 JACQUES SOYER

De Montbouy, la voie se continuait vers Auxerre en passant très probablement à Saint-Maurice-sur-Aveyron, importante forteresse du moyen âge, et à Ponnessant, ou mieux Pommessant (*Pons Maxentii 1, comm. de Saint-Martin-surOuanne, Yonne). L'Ouanne franchie, on entrait dans la civitas Autissiodurum 2.

Cette route entre Lorris et Nogent-sur-Vernisson est dite vulgairement « chemin des Bourguignons » ou « chemin du Sel », parce qu'on y transportait en Bourgogne le sel provenant du Croisic et du Bourg-de-Batz, que des bateaux amenaient par la Loire jusqu'au port de Châteauneuf.

Un arrêt du Parlement de Paris de l'année 1260 en désigne un fragment sous le nom de « grand chemin de Lorris à Châteauneuf », magnum cheminum qui vadit de Lorriaco usque ad-Castrum novum 3.

En résumé, les itinéraires de l'époque romaine nous font connaître six voies seulement partant d'Orléans.

En s'aidant des découvertes archéologiques, des documents du moyen âge, des cartes et plans anciens et modernes, de la philologie et spécialement de la toponymie, on arrive à en retrouver seize.

On constate que la capitale de la civitas Aurelianorum était une magnifique étoile de routes ; ce qui explique toute l'importance politique, militaire, commerciale et intellec1.

intellec1. lit Pons Maxentius (sic) dans des actes de 884 et 886 (Dom Bouquet, t. IX, p. 353 et 435).

2. L'ancien chemin d'Auxerre à Orléans, indiqué par Max. Quantin dans le Dictionnaire topographique de l' Yonne (Paris, 1862, p. 33), et passant par Perrigny, Fleury, Laduz, Senan, Sepaux et Villefranche (Yonne), est tout à fait invraisemblable.

3. Olim, I, 127, d'après R. de Maulde, Condition forestière de l'Orléanais, p. 239. — La voie romaine d'Orléans à Auxerre par la Mi-Voie et Nogentsur-Vernisson a dû être abandonnée de bonne heure. Dans les temps modernes, on allait d'Auxerre à Orléans en prenant une route beaucoup plus longue, par Ouanne, Saint-Sauveur-en-Puisaye, Saint-Fargeau (Yonne) et Briare (Loiret), où l'on rejoignait la voie longeant la rive droite de la Loire (route romaine d'Autun-Orléans). C'était le trajet des voitures publiques au début du XIXe siècle (d'après M. de Guerchy, Les industries disparues ou transformées. Auxerre, 1934 ; extrait du Bull, de la Soc. des sc. hist. et nat. de l' Yonne, année 1933, p. 26).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 75

tuelle de cette ville, en relations directes avec la Germanie,

l'Armorique, les Pyrénées et l'Espagne, enfin avec Lyon, Marseille et l'Italie.

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76 JACQUES SOYER

A ces voies de communication, il faudrait ajouter — mais je n'ai pas à m'en occuper ici — celle qui fut pendant longtemps une des plus fréquentées, la Loire, « le fleuve bleu du blond Carnute », chanté par Tibulle :

Carnuti et flavi caerula lympha Liger 1.

Remarquons bien que Genabum était situé au milieu de son cours 2, au sommet de la plus grande courbe du fleuve et au point le plus rapproché de la Seine. Il n'y a pas de doute que le trafic de son port devait être, à l'époque impériale, aussi intense qu'il l'a été, non seulement au moyen âge, mais encore dans les temps modernes, jusqu'à la création des chemins de fer 3.

1. Élégie 8 du livre I. — Tibulle, mort (comme Virgile) en l'an 19 avant notre ère, avait fait en l'an 27 la campagne d'Aquitaine. A cette époque, le territoire de la vaste civitas Carnutum était traversé par la Loire sur une étendue de plus de 100 kilomètres, depuis Dampierre-en-Burly, cant. d'Ouzouer-sur-Loire (Loiret), jusqu'à Mosnes, cant. d'Amboise (Indre-etLoire).

2. Remarque déjà faite par le géographe grec Strabon, qui vivait au Ier siècle de notre ère. Le milieu de la Loire est exactement à l'embouchure du Loiret, un peu en aval d'Orléans.

3. On sait qu'Orléans a été, depuis le moyen âge jusqu'au XVIIIe siècle, le siège social de la puissante «communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire et des fleuves descendant en icelle ».


DEUXIÈME PARTIE

VOIES TRAVERSANT L'ORLÉANAIS SANS PASSER PAR ORLÉANS

a. — LA VOIE DE SENS AU MANS.

La voie de Sens au Mans (Vindinum), capitale de la civitas Cenomannorum, entrait dans la civitas Aurelianorum à Yèvre-le-Châtel (castrum Everae) 1, où l'on frappa des monnaies mérovingiennes, après avoir franchi le ruisseau-frontière appelé la Rimarde ; passait à Pithiviers, chef-lieu de la vicaria Petuarensis, ou Petvarensis, subdivision administrative du pagus Aurelianensis, sous la monarchie franque, où elle croisait la voie d'Orléans à Melun, ensuite à Grigneville, puis un peu au nord de Bazoches-les-Gallerandes 2, après avoir croisé la route d'Orléans à Paris, ensuite à Teillay-leGaudin, Toury, Janville (autrefois : Yenville), Allâmes, où elle croisait la route d'Orléans à Chartres, la route de Blois à Paris et la route de Châteaudun à Paris. Au delà, d'Allâmes, elle entrait dans la civitas Carnutum et se dirigeait sur Le Mans par Feins (localité située à la limite, fines, du pagus Dunensis et du pagus Carnotenus), Neuvy-en1.

Neuvy-en1. Castro Everae...; in potestatem ipsorum vocabulo Everam, .993 (arch. dép. du Loiret, charte originale d'Hugues Capet, publiée par M. Prou et A. Vidier, Recueil des chartes de l'abbaye de Saint-Benoît-surLoire, t. I. Paris, 1900-1907, p. 184). — Les monnaies portant les légendes Evera ou Evira vico sont généralement attribuées à Esvres (Indre-etLoire), identification inadmissible, car le nom de cette localité est Evena dans Grégoire de Tours.

2. Ou plus exactement au nord de Chaussy (Loiret, cant. d'Outarville), où l'abbé de Torquat l'a retrouvée sans pouvoir l'identifier : « Elle était construite », dit-il, « avec de petites pierres recouvertes de dalles et pouvait avoir 4 mètres de largeur. Je serais porté à croire que cette voie, qui se dirige sur Toury, était une voie romaine reliant la route de Blois [à Paris] et celle de Genabum à Paris » (Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. I, 1848-1853, p. 102-103).


7S JACQUES SOYER

Dunois, Alluyes, Brou 1 et Authon-du-Perche (*Augustodunum).

Entre Janville et Pithiviers, elle était appelée au moyen âge la « voie Peuhveranche » (c'êst-à-dire route de Pithiviers = *Via Petvaranica) 2. Aujourd'hui, on la désigne en Orléanais sous le nom de « chemin des vaches », « chemin de Janville à Pithiviers » ; en Dunois, sous le nom de « chemin de Brou à Allâmes » ou d' « ancienne voie romaine de Sens au Mans 3 ».

De Sens à Yèvre-le-Châtel, je ne connais pas exactement le tracé de cette voie. Je suppose qu'elle devait se confondre avec la voie de Sens à Orléans jusqu'à Dordives et passer ensuite à Château-Landon, Beaumont-en-Gâtinais, Givraines, Saint-Lazare et Souville (aujourd'hui hameau de la comm. de Yèvre-le-Châtel, mais autrefois paroisse du diocèse de Sens et, par conséquent, localité de la civitas Senonum).

Il y avait certainement une route directe entre Yèvre-leChâtel et Château-Landon, deux castra ou castella très importants au moyen âge, qui ont dû succéder à des oppida. En tout cas, il faut bien remarquer la situation d'Yèvre-leChâtel, place forte formidable à la frontière de la civitas Carnutum., puis de la civitas Aurelianorum.

1. Authon (Eure-et-Loir, Loiret, Loir-et-Cher, Seine-et-Oise) est le doublet d'Autun (Saône-et-Loire) = Augustodunum (voir mes Recherches sur l'origine... des noms de lieux du Loiret, op. cit., 1er article, p. 12).

2. Ou terrouer d'Yenville, feront sur la voie Peuhveranche, acte de novembre 1402 (arch. hospitalières d'Orléans, Hôtel-Dieu, B 23).

3. Sur la voie de Sens au Mans, on lira quelques lignes dans Yèvre-leChâtel : histoire d'un château royal, par J. Devaux et P. Martellière (Annales de la Soc. hist. et arch. du Gâtinais, t. XXXVIII, 1926, p. 159). Comme cette voie, à Allâmes, bifurquait sur Chartres, elle est quelquefois nommée dans la région de Pithiviers « chemin chartrain » : je trouve l'expression « chemin de Pithiviers à Yenville, appelé chemin chartrain », dans un acte de 1597 (arch. du Loiret, famille Chambault, série E). — La Carte du département du Loiret, par Cartéron (1837 et 1844), l'indique sous le nom de « chemin des vaches ». Au moyen âge, la voie romaine paraît-avoir été abandonnée et remplacée par une route parallèle, plus au sud, et passant par Pithiviers-le-Vieil, Châtillon-le-Roi, le bourg de Bazoches-les-Gallerandes et Chaussy ; c'est la route actuelle. — Ni la voie de Sens au Mans, ni celle de Sens à Chartres n'ont été connues de Quantin et Boucheron, Mémoire sur les voies romaines qui traversent le département de l'Yonne, op. cil.


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a. — LA VOIE DE SENS AU MANS.


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b. — LA VOIE DU MANS A PARIS.

La voie du Mans à Paris, que je viens de citer incidemment, passait par Vibraye et Châteaudun. Elle entrait dans

la civitas Aurelianorum après avoir croisé la route d'Orléans à Chartres au lieu dit La Maladrerie 1, laissait un peu sur sa droite la localité orléanaise. de Tillay-le-Péneux 2 et arrivait

1. La Maladrerie d'Orgères. — Le « chemin du Mans à Paris » a été indiqué par L. Merlet, dans son Dictionnaire topographique du département d'Eure-et-Loir (Paris, 1861).

2. Sur Tillay-le-Péneux (Eure-et-Loir), cant. d'Orgères, voir mon


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 81

à Allâmes 1, où elle se confondait avec la voie de Blois à Paris, dont je vais bientôt parler.

Cette route du Mans à Paris est encore appelée, entre Châteaudun et Allâmes, « chemin de César » ou « chemin de Châteaudun à Allâmes 2 ».

Avant d'entrer dans la civitas Aurelianorum, elle était passée un peu au nord de Bazoches-en-Dunois (Basilica), marché de la civitas Carnutum 3, non loin de la frontière de la civitas Aurelianorum.

c. — LA VOIE DE MEUNG-SUR-LOIRE A CHÂTEAUDUN.

Une voie antique reliait les deux localités incontestablement celtiques de Meung-sur-Loire (Magdunum, en vieux français Meun), chef-lieu d'une vicaria du pagus Aurelianensis sous la monarchie franque, et de Châteaudun (Dunum), chef-lieu du pagus Dunensis, subdivision de la civitas Carnutum.

Appelée aujourd'hui « chemin de César », ou « chaussée romaine », ou « chemin chaussé », elle passait au Chaussé, ferme 4 qui tire son nom de la route pavée, puis au Bardon (*Barodunum, localité celtique), croisait la route de Blois à Paris un peu au-dessous de Thorigny 5, puis celle d'Orléans à Vendôme, et atteignait Ouzouer-le-Marché 6. Après Ouzouer, qui était, comme son nom l'indique (Oratorium Fori), un sanctuaire et un marché-frontière, elle entrait dans la civiétude

civiétude Un nom de lieu orléanais rappelant les invasions des Normands : " Tigletus Paganorum » (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XX, année 1924).

1. En Eure-et-Loir, ancienne paroisse du diocèse d'Orléans.

2. Voir la Carte du Dunois, par L. Clément, déjà citée.

3. Voir mon étude sur. Les « basilicae » de la « civitas Carnutum » et de la « civitas Aurelianorum » (dans Revue des Études anciennes, t. XXIII, 1921, p. 219, et dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIX, 19201922, p. 188).

4. Le Chaussé, comm. du Bardon, cant. de Meung-sur-Loire (Loiret).

5. Thorigny, comm. de Baccon, cant. de Meung-sur-Loire.

6. Ouzouer-le-Marché (Loir-et-Cher), ch.-1. de cant. — En vérité, la voie passait un peu à l'ouest d'Ouzouer.

MÉM. XXXVII. 6


82 JACQUES SOYER

tas Carnutum. et, par Tripleville 1 et Verdes 2 (Verda, localité celtique), atteignait Châteaudun.

1. Tripleville (Loir-et-Cher).

2. A Verdes (Loir-et-Cher), cant. d'Ouzouer-le-Marché, on croisait la « voie de Jules César » ou « grand chemin de Chartres à Blois ». Sur les vestiges romains très importants trouvés à Verdes, voir notamment A. du Faur de Pibrac, Mémoire sur les ruines gallo-romaines de Verdes (dans Mém. Soc. d'agriculture, sciences, belles-lettres et arts d'Orléans, t. III,


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 83

Il est à noter qu'à la hauteur du Bardon, sur la gauche de la voie, se trouvait un camp romain (castra), dont le nom s'est perpétué dans le toponyme Châtres (comm. de Cravant) : ce camp surveillait non seulement cette route, mais celle de Blois à Paris et celle de Meung à Vendôme, dont il sera question ultérieurement 1. Cette voie de Meung à Châteaudun sert de limite dans le département du Loiret aux communes de Baccon et de Cravant.

d. — LA VOIE DE MEUNG-SUR-LOIRE A VENDÔME.

Ces deux localités celtiques étaient reliées par une route passant au lieu dit Bourgogne 2 (Burgundia), qui indique un cantonnement de Burgundes à la solde de l'Empire romain, puis entre Cravant (Craventum, localité celtique) 3 et Villorceau, un peu au nord de Villechaumont, ensuite un peu au sud de Cernay (Sarnacus), et atteignait Briou (*Broialum, localité celtique) en longeant le hameau de Prenay (Prunetum, comm. de Josnes, Loir-et-Cher). Au delà de Briou, elle pénétrait dans la civitas Carnutum. Les arbres de la fo1857,

fo1857, 5-38, avec planches) ; voir aussi Bordas, Histoire sommaire du Dunois, déjà citée, t. II, p. 192. Longnon, Allas, a inscrit Verdes sur sa carte de la Gaule romaine. Certains archéologues prétendent que cette localité a été dans l'antiquité une ville considérable ; opinion absurde. Ce devait être tout simplement un pèlerinage très fréquenté à l'époque galloromaine, à cause d'un étang très vaste, le plus considérable du Dunois : il s'agit d'un étang divinisé. Cf. le lac de Soings, aussi en Loir-et-Cher.

1. Sur les vestiges de ce chemin « d'une largeur de 18 pieds environ » et sur les objets gallo-romains trouvés sur ses bords à La Chapelle, Vilsery, Ourcières et Le Coudray, voir l'article assez obscur de Vergnaud-Romagnesi, Mémoire sur des médailles romaines, divers objets antiques... trouvés près du chemin de Meung à Charsonville (dans Annales de la Soc. royale des sciences, belles-lettres et arts d'Orléans, t. XIII, 1833, p. 49). L'auteur se trompe absolument en qualifiant cette voie de « chemin de Meung à Charsonville ». — Elle est appelée en 1656 « chemin à aller de Chasteaudun à Meung » (arch. dép. du Loiret, plan n° 1 de l'album VIII).

2. Je trouve ce nom Bourgogne, en 1773, dans des dossiers relatifs au chemin de Vendôme à Meung-sur-Loire (arch. dép. du Loiret, C 193 et C 352). Aujourd'hui, on écrit Les Bourgognes.

3. Sur les découvertes gallo-romaines faites sur le territoire de Cravant, non loin de la voie romaine de Meung à Vendôme, voir Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. II, 1854-1858, p. 436.


84 JACQUES SOYER

rêt de Marchenoir croissent actuellement sur une grande partie de cette route ; c'est là seulement qu'il en reste des traces 1.

Dans le département du Loiret, elle sert de limite aux communes de Messas et du Bardon.

Quand Meung, vers la fin du Xe siècle, eut perdu son importance administrative et commerciale (il avait été, je le rappelle, chef-lieu d'une vicaria du pagus Aurelianensis sous les Carolingiens), ce fut Beaugency (Balgentiacus), ancien domaine rural gallo-romain, sis sur la Loire en aval,

1. « A très peu de distance d'Autry [comm. de Briou], on découvre dans la forêt de Marchenoir des vestiges d'un château appelé Châtillon : il était situé sur une ancienne route de Meung à Vendôme, et dont on ne voit plus de traces que dans la forêt » (J.-N. Pellieux, Essais historiques sur laville de Beaugency et ses environs. Beaugency, an VII, p. 463).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 85

qui supplanta le vieux marché gaulois et qui devint sous les Carolingiens un puissant castrum 1.

Beaugency eut dès lors sa route conduisant directement au chef-lieu du Vendômois. Un quartier, situé sur celle-ci, portait le nom de vicus Vindocinensis : ce fut plus tard le faubourg de la Porte-Vendômoise 2.

e. — LA VOIE DE BLOIS A PARIS A TRAVERS LA BEAUCE.

La voie de Blois (Blesum), chef-lieu du pagus Blesensis (le Blésois) 3, important castrum de la civitas Carnutum à la fin de l'Empire et sous les Mérovingiens qui y frappèrent monnaie, traversait la Beauce (Belsa) 4 presque en ligne droite ; elle n'est pas indiquée sur les itinéraires romains. C'était un très appréciable « raccourci » (compendium, disaient les Romains), puisqu'il évitait le passage par Orléans situé au sommet d'un triangle dont la base était la ligne Blois-Paris.

Cette voie, encore très visible en de nombreux endroits, entrait dans la civitas Aurelianorum à Seris 6, passait un peu à droite de Cernay (Sarnacus) 6, puis traversait Cravant (localité celtique), où elle rencontrait la route de Meung-sur-Loire-Vendôme, croisait ensuite la route de

1. Voir-A. Duchalais, Recherches historiques sur Baugenci, dans Annuaire de Beaugency, 1845, p. 191-194. — On a frappé monnaie à Beaugency sous les Carolingiens.

2. Voir Pellieux, op. cit., p. 293. — Beaugency eut de même sa route conduisant directement à Châteaudun (arch. du Loiret, collection de cartes et plans, VIII, n° 1).

3. Blois, ch.-1. du département de Loir-et-Cher. Sur le nom de Blois et le pagus Blesensis aux époques mérovingienne et carolingienne, voir mon Étude sur la communauté des habitants de Blois jusqu'au commencement du XVIe siècle. Paris, 1894, p. 5-9 ; voir aussi ma note sur Une monnaie d'or mérovingienne frappée à Blois, dans Revue numismatique, 1912, p. 429.

4. Sur le nom primitif de la Beauce, voir mon étude : L'origine du nom de la Beauce (extrait de La géographie, revue mensuelle, 1927. Paris, 1927).

5. Seris (Loir-et-Cher), cant. de Marchenoir.

6. Sur Cernay, comm. de Cravant, cant. de Beaugency (Loiret), voir mon mémoire : Identifications de noms de lieux (extrait du Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1914. Paris, 1915).


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Meung-sur-Loire-Châteaudun et arrivait à Baccon (localité celtique) 1. A la hauteur d'Épieds-en-Beauce 2, qu'elle laissait sur sa gauche, elle était gardée par un cantonnement de Vandales (en vieux français Vandres ou Vendres), dont le nom s'est perpétué dans Villevandreux ou Villevendreux (* Villa Vandalorum) 3. Puis elle atteignait Saint-Péravy-la-Colombe 4 (Columna, ou Columnae vicus), où elle croisait la route d'Orléans à Châteaudun. Elle passait ensuite à peu près à égale distance de Patay (Papitacus) 5 et de Coinces 6, sur le territoire de cette dernière commune, et rencontrait non loin de Terminiers 7 (dont le nom, Termenier en vieux français, indique la frontière de la civitas Carnutum et de la civitas Aurelianorum) la route d'Orléans à Chartres, et par Lumeau (*Limoialum, localité celtique) 8, un peu à gauche, Baigneaux, un peu à droite 9, et Bazocheslès-Hautes 10 (Basilicae), marché-frontière, un peu à gauche, se dirigeait sur Allines 11 (cantonnement d'Alains à la solde de l'Empire), où elle croisait la deuxième route d'Orléans à Chartres et la route de Sens au Mans.

1. Baccon (Loiret), cant. de Meung-sur-Loire.

2. Épieds-en-Beauce (Loiret), cant. de Meung-sur-Loire.

3. Villevandreux,. Villevendreux, Villevoindreux, comm. d'Épieds-enBeauce. — Le génitif pluriel Vandalorum aboutit en français à Vandreur et à Vandreux, par amuïssement de l'r final.

4. Saint-Péravy-la-Colombe (Loiret), cant. de Patay.

5. Sur ce nom Papitacus, que je suis le premier à avoir identifié avec Patay, voir mon étude : Les possessions de l'abbaye de Saint-Pierre-lePuellier d'Orléans dans l'Orléanais et le Dunois sous le règne de Robert le Pieux (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXI, 1931), p. 5.

6. Coinces (Loiret), cant. de Patay.

7. Terminiers (Eure-et-Loir).

8. Lumeau (Eure-et-Loir).

9. Baigneaux (Eure-et-Loir).

10. Bazoches-les-Hautes (Eure-et-Loir), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans. Sur le sens du mot basilica, voir ma note sur Les « Basilicae » de la « civitas Carnutum » et de la « civitas Aurelianorum » (extrait de la Revue des Études anciennes, t. XXIII, 1921, et dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XIX, 1920-1922, p. 188). — Sur Bazoches-lesHautes, ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, et la route de Blois à Paris, voir aussi Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. I, 1848-1853, p. 102.

11. Allaines (Eure-et-Loir).


e. — LA VOIE DE BLOIS A PARIS.


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Après Allâmes, elle ne tardait pas à abandonner la civitas Aurelianorum pour entrer dans la civitas Carnutum, et de là dans la civitas Senonum et la civitas Parisiorum, en passant par Neuvy-en-Beauce (Novus Vicus), Mérouville (où elle croisait la voie de Sens à Chartres), Authon-la-Plaine (*Augustodunum), Dourdan (Dortincum, localité celtique), Limours (Lemausus, localité celtique), où elle atteignait le « chemin de Chartres à Paris », qui rejoignait la voie d'Orléans-Paris un peu au sud d'Antony (Antoniacus), et en face d'un cantonnement de Suèves, chargé de surveiller la bifurcation et qui a laissé son nom à Wissous (Seine-et-Oise) = vicus Suevorum 1.

Cette voie, fort large, très fréquentée au moyen âge et qui a joué un rôle important dans les opérations militaires de la guerre de Cent ans avant et après la victoire de Patay 2, est encore mentionnée sur les cartes et plans du commencement du XIXe siècle : elle porte le nom de « grand chemin de Blois à Paris », « grand chemin de Blois », « grand chemin des boeufs », « chemin des cochons ». Actuellement, elle sert de limite, dans le département du Loiret, aux communes de Coinces et de Rouvray-Sainte-Croix, aux communes de Rouvray et de Sougy, et aussi aux communes de Saint-Sigismond et de Gémigny.

1. Voir la carte de Cassini, où cette route est très nettement tracée. — Dourdan (Dordincum au Xe siècle, forme adoucie de Dortincum) était, dans le pagus Stampensis, subdivision de la civitas Senonum ; Limours et Antony étaient dans le pagus Castrensis, subdivision de la civitas Parisiorum. J'emprunte l'étymologie de Wissous à A. Longnon, Les noms delieu de la France, p. 135.

2. Voir mon étude sur La bataille de Patay (samedi 18 juin 1429) (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, 1913, p. 5, note 1). — Voir aussi A. Duchalais, Recherches sur les antiquités gauloises et galloromaines de la ville de Suèvres (dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. I, 1851, p. 221). L'auteur fait remarquer que, encore de son temps, « le chemin des boeufs » était très fréquenté par les marchands de bestiaux, qui, de Blois, allaient à Paris, parce qu'il leur épargnait six lieues en évitant Orléans. En 1643, cette voie est appelée grand chemin à aller de Bloys à Paris (arch. dép. du Loiret, plan n° 13 de l'album IX) ; en 1844, sur la Carte du département du Loiret, dressée par Cartéron, ingénieur-géomètre en chef du cadastre, grand chemin des boeufs ou de Blois.


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f. — LA VOIE DE TOURS A BOURGES.

Cette voie, qui suivait la rive droite du Cher, est tracée sur la Table de Peutinger 1. Elle n'entrait dans la civitas Aurelianorum qu'à Thésée (Tasciaca) 2, localité indiquée sur cet itinéraire romain, atelier monétaire sous les Mérovingiens 3, et qui paraît avoir été sous les Carolingiens le cheflieu de la vicaria super fluvium Carum, subdivision administrative du pagus Aurelianensis 4. Avant Thésée, la route se trouvait sur le territoire de la civitas Turonum; après Thésée, elle passait à Noyers et à Châtillon-sur-Cher (Castellio) 5 ; puis, franchissant la Sauldre et pénétrant dans la civitas Biturigum, à Gièvres (Gabrae 6, localité aussi mentionnée sur ladite Table), où elle croisait la voie d'Orléans à Limoges, elle atteignait Avaricum, capitale des Bituriges, par Menne1:

Menne1: voie a été décrite par Louis de La Saussaye, Mémoires sur les antiquités de la Sologne blésoise, 1re livraison, seule parue. Paris et Blois, 1844, avec planches, p. 11-13. Le titre de cet ouvrage est inexact ; car aucune des localités sises sur cette route n'appartient à la Sologne blésoise.

2. La Table de Peutinger indique comme stations de cette voie Avaricum, XXIIII, Gabris, XXIIII, Tasciaca, Caesarodunum. « Ces données numériques », dit E. Chenon, Les voies romaines du Berry, avec une carte (Paris, 1922), p. 17-18, « sont certainement inexactes : de Thésée à Gièvres, il n'y a que 31 kilom. = 14 lieues gauloises, et de Gièvres à Bourges, à vol d'oiseau, il y a plus de 60 kilom. =27 lieues gauloises ; avec les détours forcés de la route, il faut compter au moins 29 lieues. Il est donc probable que les chiffres de la carte de Peutinger doivent être ainsi rectifiés : Avaricum, XXVIIII, Gabris, XIIII. Tasciaca. Caesarodunum. » Ces rectifications me paraissent excellentes et s'expliquent facilement (omission d'un V; répétition d'un X, par inadvertance du copiste). — L'on voit encore à Thésée un monument énigmatique, de construction romaine, qui me paraît avoir été un immense entrepôt d'un marché situé à la frontière, de la civitas Turonum, de la civitas Carnutum, de la civitas Aurelianorum et de la civitas Biturigum. — Sur ce monument, voir Dr Lesueur, Le monument des Maselles à Thésée (Loir-et-Cher). Paris, 1927, et mon compte-rendu de cette étude dans Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XX, 1923-1927, p. 422.

3. Voir Maurice Prou, Les monnaies mérovingiennes, op. cit.

4. A. Longnon, Atlas historique de la France, texte. Paris, 1907, p. 111.

5. Thésée, Noyers et Châtillon-sur-Cher (Loir-et-Cher), cant. de SaintAignan-sur-Cher.

6. Gièvres (Loir-et-Cher), cant. de Selles-sur-Cher.


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tou-sur-Cher 1, Châtres (Castra, emplacement d'un camp romain) 2, Thénioux (*Tannoialum, localité celtique) 3, Vierzon, où l'on frappa des monnaies mérovingiennes 4, et qui fut chef-lieu d'une vicaria du pagus Bituricus sous la monarchie franque, Mehun-sur-Yèvre (Magdunum, localité celtique) 5 et en passant près de Marmagne (*Marcomania, cantonnement de Marcomans) 8.

Il est à remarquer que, sur le territoire biturige, au sud de Châtres, se trouve la localité de Maray (Maciacus), dépendance du chapitre cathédral de Sainte-Croix d'Orléans au moins dès le IXe siècle 7, marché-frontière très fréquenté au moyen âge et encore de nos jours par les Berrichons, les Orléanais et les Tourangeaux 8.

1. Mennetou-sur-Cher (Loir-et-Cher), ch.-1. de cant.

2. Châtres (Loir-et-Cher), cant. de Mennetou-sur-Cher, appelé Castris (datif-ablatif pluriel) dans un acte de 1168-1188, Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 523.

3. Thénioux (Cher), cant. de Vierzon. .

4. Ces monnaies portent Virisione (au cas oblique) : voir A. Blanchet et A. Dieudonné, Manuel de numismatique française, t. I, Paris, 1912, p. 332. — Sur la carte annexée à sa Géographie historique, descriptive et économique de la Sologne (Tours, 1907), ouvrage rempli de grossières erreurs, Auguste Chauvigné donne à Vierzon le nom de Viridarium ; or, en français, Viridarium a abouti à vergier, aujourd'hui verger. — Sur Vierzon, ch.-1. de vicaria, voir A. Longnon, Allas, p. 208 ; il place à tort Vierzon dans l'Indre.

5. Mehun-sur-Yèvre (Cher), ch.-l. de cant.

6. Marmagne (Cher), cant. de Mehun-sur-Yèvre; avec son hameau de Marmignolle.

7. Maray (Loir-et-Cher), cant. de Mennetou-sur-Cher. —Voir Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans (t. XXX des Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, année 1906, p. 69, 80, 121, 126). Maciacum aboutit régulièrement à Mazay (cf. Luciliacum = Luzillé), puis à Maray par rhotacisme.

8. Sur cette foire, voir l'article de R. Crozet, La foire de Maray (dans Mém. de la Soc. des sciences et lettres de Loir-et-Cher, 28e vol., 1930. Blois, 1931), et surtout la brochure du Dr Georges Martin, La Sologne en 1850 (Paris, s. d. [1901]), p. 15 ; brochure que M. Crozet n'a malheureusement pas connue. Aujourd'hui, les Orléanais ne sont plus représentés à cette foire que par des habitants de la région de Romorantin, les Berrichons par des habitants de la région de Vierzon et Graçay, les Tourangeaux par des habitants de la région de Montrichard (ancienne paroisse du diocèse

de Tours).


f. — LA VOIE DE TOURS A BOURGES.


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g. — LA VOIE DE BLOIS A GIÈVRES (Gabrae).

Cette route partait de Vienne (Vienna ou Vigenna, localité celtique), aujourd'hui faubourg de Blois, sur la rive gauche de la Loire, franchissait les Ponts-Saint-Michel 1 sur le Cosson, croisait la voie d'Orléans à Tours, traversait la forêt de Russy, arrivait à Clénord (localité celtique), où il y avait un gué, ritum en gaulois (comme l'indique la finale de son nom : o-ritum) 2, sur le Beuvron, passait à Cour-Cheverny (Cabriniacus, chef-lieu d'une condita, subdivision administrative du pagus Blesensis sous la monarchie franque), se séparait à cet endroit de la route de Blois à Romorantin, dont je vais parler dans un instant. Puis, abandonnant la civitas Carnutum 3 et entrant dans la civitas Aurelianorum, elle passait dans le bourg celtique de Soings (*Sogiomagus ; en latin du XIIe siècle, Soemum; en latin du XIIIe siècle, Soemium; en français du même siècle, Soiem, Soen, Souen) 4, à

1. « Le pont Saint-Michel », dont il reste encore quelques vestiges, est indiqué sur la Carte itinéraire de la Généralité d'Orléans (1767), déjà citée.

2. Cf. comme formation Chambord, Camboritum = le gué courbe, sur le Cosson. Voir mon étude sur L'étymologie du nom de Chambord (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, 1 921).

3. Feings (Fines), au nord-ouest de Soings, était la dernière localité de la civitas Carnutum. Ce fut jusqu'au règne de Louis XIV une paroisse du diocèse de Chartres.

4. Sur les formes latines et françaises les plus anciennes du nom de Soings (avec indication des sources), voir mes Recherches sur les noms propres d'origine celtique dans l'Orléanais (1912), déjà citées, p. 19 du tirage à part. Ces formes, auxquelles il faut ajouter ecclesia de Soemo, 1144 (bulle de Luce II en faveur de l'abbaye de Pontlevoy, dans Gallia chrisliana, t. VIII, col. 424 des preuves), exigent un vocable primitif composé de deux termes, dont le dernier est certainement magus. La restitution *Sogiomagos est due à l'éminent celtiste M. J. Vendryès, membre de l'Institut, professeur à la Sorbonne ; on la trouvera dans son compterendu de mon mémoire sur L'origine du nom de la ville de Gien (Revue celtique, 48e vol., année 1931, p. 434-436). — Les documents du XIIIe siècle mentionnent une voie de Soings à Mur-de-Sologne (via de Muro ducens apud Soemium), une voie de Soings à Saint-Aignan-sur-Cher (via de Soemio ad Sanctum Anianum in Biturico), une voie de Soings à Romorantin (via de Soemio versus Remorentinum), une voie de Soings à Rougeou (via ducens de Rogello ad Soemium) ; d'après le Cartul. du Lieu-Notre-Dame, p. 107, 110, 111. — La voie de Blois à Gièvres était appelée au même siècle « voie blésoise » (via Blesensis) ; même Cartul., p. 111.


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 93

la fois champ de foire (magus) et lieu de pèlerinage très important

important cause de son lac sacré 1 ; ensuite, à Gy, traversait 1. Depuis le commencement du XIXe siècle, de très nombreux objets


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la Sauldre au lieu dit La Chapelle, arrivait dans la civitas Biturigum à Gièvres (Gabris, sur la Table de Peutinger), où elle rencontrait la grande voie d'Orléans à Limoges et celle de Tours à Bourges 1.

Cette route permettait aux Blésois (Blesenses), aux Dunois (Dunenses) et aux Vendômois (Vindocinenses) d'atteindre rapidement le Bas-Berry et le Limousin par Chabris, Levroux et Argenton, et aussi le Poitou par Chabris, EstréeSaint-Genou (Strata) et Le Blanc 2. Elle n'est pas indiquée sur les itinéraires romains 3.

h. — LA VOIE DE BLOIS A BOURGES PAR ROMORANTIN.

Cette voie, en droite ligne, était la même que la précédente jusqu'à Cour-Cheverny. Ensuite, elle se dirigeait sur Ingrandes ou Ingrande (*Igoranda = la frontière) 4, où elle abandonnait la civitas Carnutum pour entrer dans la civitas Aurelianorum. Elle atteignait Romorantin en passant à

gallo-romains ont été trouvés sur le territoire de Soings (voir L. de La Saussaye, qui voyait dans Soings « la ville (sic) la plus considérable de la Sologne blésoise (sic) », Mémoires sur les antiquités de la Sologne blésoise, 1er fasc, 1844, p. 13 ; A. Badaire, Médailles romaines trouvées à Soings, dans Mém. de la Soc. des sciences et lettres de Loir-et-Cher, t. X, 1884) ; la plupart sont aujourd'hui conservés au Musée de Blois, quelques-uns au Musée historique d'Orléans. On y a trouvé aussi des monnaies gauloises en or et en cuivre (voir L. de La Saussaye, dans Revue numismatique, t. I, 1836, p. 76, et 1837, p. 241 ; cf. A. Blanchet, Traité des monnaies gauloises, 2e partie. Paris, 1905, p. 572). — Soings a été, jusqu'à la Révolution, paroisse du diocèse d'Orléans, archidiaconé de Sologne. — A. Longnon, Allas historique de la France (1907), a indiqué Soings sur sa carte de la Gaule romaine (planche II). — Il existe au nord du lac de Soings un lieu dit Le Châtelier (bas latin : castellare), qui indique l'emplacement d'une fortification, d'un camp.

1. Voir E. Chenon, op. cit., p. 61 et 92-93, qui donné sans preuve à Soings le nom de Soinus vicus.

2. Voir la carte dans l'ouvrage d'E. Chenon, précédemment cité.

3. Sur leurs cartes, remplies d'erreurs, Chauvigné, op. cit., et C. Florance, op. cit., ont indiqué une voie antique de Blois à Gièvres par Cellettes, sur le Beuvron, Soings et Gy. Cellettes n'a certainement pas été un passage de rivière important ; je lui préfère de beaucoup Clénord, qui, la finale de son nom le prouve, a dû être le principal gué du Beuvron, au moins dès l'époque gauloise.

4. Ingrande est au sud-est de Cheverny.


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 95

Mur-de-Sologne et près du lieu dit La Châtre, qui rappelle un camp romain (castra) 1 surveillant cette voie.

A Romorantin, elle croisait la grande voie d'Orléans à Limoges, que j'ai étudiée plus haut, franchissait la frontière de la civitas Biturigum (rive gauche de la Sauldre) et arrivait

à Vierzon 2, où elle retrouvait la voie de Tours à Bourges.

i. —LA VOIE DE BLOIS A BOURGES PAR NEUNG-SUR-BEUVRON ET SALBRIS, ET DE BLOIS A SANCERRE PAR NEUNGSUR-BEUVRON ET NOUAN-LE-FUZELIER.

Cette voie 3 partait aussi de Vienne, faubourg de Blois,

1. A droite de la route en allant vers Romorantin.

2. Le chemin de Romorantin à Vierzon est tracé sur la carte de Cassini.

3. Elle a été décrite assez exactement par L. de La Saussaye dans ses


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franchissait les Ponts-Chartrains (anciennement : le PontChastré, Pons castratus) 1 et la rivière du Cosson, passait à Vineuil (localité celtique), au lieu dit Le Pavé, à La Barre, à Mont-près-Chambord, à La Borne, au Pont-d'Arian, sur le Beuvron, à Bracieux (un peu au sud du bourg), à Neuvysur-Beuvron, où elle gagnait la rive droite de cette rivière et où elle sortait de la civitas Carnutum pour entrer dans la civitas Aurelianorum 2, au Gué-de-Boisseresse sur la Boiselle, au sud du domaine de Courbanton (comm. de Montrieux, Loir-et-Cher), où l'on a trouvé d'importants vestiges romains et francs 3, et elle arrivait à Neung-sur-Beuvron (Noviodunum, puis Noedunum, localité celtique), formidable place forte située au confluent de la Tharonne et du Beuvron, où elle croisait la voie d'Orléans à Limoges étudiée plus haut 4.

De Neung, elle passait près du Grand-Villiers, puis près de Marmagne (ferme, comm. de Saint-Viâtre) 6, qui doit son nom à un cantonnement de Marcomans (*Marcomannia ou Marcomania), chargés de surveiller ladite route et aussi la frontière : car, au delà des Mânis 6 (comm. de Saint-Viâtre), on entrait dans la civitas Biturigum.. La voie franchissait ensuite la Sauldre à Salbris (anciennement Salebries : *Salerae Brivae = les Ponts de la Sauldre, localité celtique) et

Mémoires sur les antiquités de la Sologne blésoise, 1844, op. cit., p. 13-15, sous le titre de « voie conduisant du pays chartrain dans le Berri ».

1. Le Pont Châtré est indiqué sur la Carte itinéraire de la Généralité d'Orléans (1767), déjà citée.

2. Neuvy-sur-Beuvron (Loir-et-Cher) fut paroisse du diocèse d'Orléans jusqu'à la Révolution.

3. Sur les trouvailles de Courbanton, voir E. Besnard, Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. VIII, 1883-1886, p. 284, et surtout, du même auteur, Les antiquités de Courbanton, dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XX, 1885, p. 87, avec Allas, planche I, donnant le tracé de la voie de Blois à Bourges.

4. Sur Neung-sur-Beuvron, voir plus haut la description de la voie d'Orléans à Limoges (n° 11).

5. Marmagne (à 5 kilom. environ du bourg de Saint-Viâtre, Loir-etCher) fut, au moyen âge, un fief relevant du comte de Blois. — Sur l'enceinte de Marmagne, voir J. de Saint-Venant, La vieille Sologne militaire..., op. cit., p. 306.

6. La voie existe encore : elle sert de limite aux communes de SaintViâtre, de-Marcilly-en-Gault et de La Ferté-Imbault (Loir-et-Cher).


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atteignait la capitale du Berry par Saint-Laurent-sur-Barangeon et Saint-Doulchard. Elle subsiste encore entre ces deux communes du département du Cher 1.

De Neung-sur-Beuvron, un embranchement se dirigeait sur Sancerre (Gortona, puis Gordona ou Gordonae Castrum), en passant par La Ferté-Beauharnais, Courmesme (comm. de Saint-Viâtre), près des tombelles de La Gravette et des tombelles de Nouan 3, puis à Nouan-le-Fuzelier (*Noviomagus, localité celtique), qui était un marché-frontière 3.

A partir de Nouan, le tracé de la voie est hypothétique 4. Comme il était impossible de gagner Sancerre en ligne droite à cause des hauteurs et des forêts situées à l'ouest de cette ville, je suppose qu'elle devait se diriger vers le nord-est pour atteindre (après avoir croisé la route d'Orléans à Bourges dans la « plaine des Césars » et près de l' « étang des Césars ») la Grande-Sauldre à Brinon, dernière localité de la civitas Aurelianorum 5, atelier monétaire sous les Mérovingiens, et. suivre la courbe de cette rivière en remontant sa vallée et en passant par Clémont (dans là civitas Biturigum), aussi atelier monétaire mérovingien, et Argent 6, où elle se confondait avec la voie de Genabum à Gordona.

1. La partie comprise entre Salbris (Loir-et-Cher) et Bourges a été décrite très exactement par E. Chenon, Les voies romaines du Berry, p. 52-54.

2. Courmesme et La Gravette sont indiqués sur la carte d'état-major. — Entre La Ferté-Beauharnais (autrefois : La Ferté:Avrain) et Nouan-leFuzelier, la voie est encore appelée « vieux chemin de Blois », « chemin romain », « chemin de César ».

3. Nouan-le-Fuzelier (Loir-et-Cher) était dans la civitas Aurelianorum; la commune est limitée au sud par Salbris, qui était dans la civitas Biturigum. La forme française la plus ancienne, Noem, 1202 (charte originale des arch. du Loiret, publiée dans le Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 219), provient régulièrement de Noviomagum. Il y avait autrefois d'importantes foires à Nouan.

4. La Saussaye la faisait hypothétiquement aboutir à Pierrefitte-surSauldre, où elle retrouvait la voie d'Orléans à Bourges. Jollois imite La Saussaye, mais prolonge la route jusqu'à la Loire en face de Cosne (Nièvre), en la faisant passer par Aubigny-sur-Nère (Cher) et Vailly-sur-Sauldre (Cher) : il ne donne aucune explication sur ce tracé.

5. Brinon-sur-Sauldre (Cher), ancienne paroisse du diocèse d'Orléans, était du ressort du bailliage de Blois.

6. J'ai déjà dit, en étudiant les voies d'Orléans à Sancerre, qu'Argentsur-Sauldre avait été aussi atelier monétaire sous les Mérovingiens. Les monnaies frappées à Argent portent Argento ; à Clémont, Climone ; à Brinon, Briennone.

MÉM. XXXVII. . 7


98 JACQUES SOYER

On remarquera l'importance stratégique des forteresses

de Blois et de Sancerre, placées chacune aux extrémités de


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 99

la corde de l'arc formé par la Loire, et dont le sommet est Orléans 1.

j. — LA VOIE DE MEUNG-SUR-LOIRE A BOURGES.

La voie de Meung-sur-Loire à Bourges franchissait la Loire au moyen d'un bac ou d'un pont de bateaux, traversait la Sologne à l'emplacement d'un chemin dont le nom, « chemin de la Fringale 2 », prouve que le pays était pauvre et les hôtelleries et tavernes plutôt rares et mal approvisionnées.

Elle passait près de Dry (Draviacus 3, domaine rural gallo-romain), croisait ensuite la grande voie d'Orléans à Tours, se dirigeait sur Vilnouan ou Villenouan (Villa Lubencii) 4, Pully, La Fringale, Ligny-le-Ribault (Latiniacus, puis Litiniacus 5, domaine rural gallo-romain) et atteignait, à Yvoy-le-Marron (localité celtique où l'on frappa monnaie

1. Ce qui explique la puissance des comtes de Blois pendant la période où ils possédèrent Sancerre (XIe siècle et première moitié du XIIe).

2. Voir A. Duchalais, Recherches historiques sur Baugenci, déjà cité, p. 191. — Cette voie a été partiellement décrite par L. de La Saussaye, Mémoires sur les antiquités de la Sologne blésoise, op. cit., p. 15 ; partout où l'a vue La Saussaye, elle était entièrement en sable ; sur le territoire de la commune de Saint-Viâtre (Loir-et-Cher), elle a 12 mètres de largeur. — La voie romaine de Beaugency à Bourges, qui serait une variante de celle de Meung à Bourges, n'a jamais existé que dans l'imagination de certains archéologues. L'importance de Beaugency (Balgentiacus, domaine rural gallo-romain) ne date que de l'époque carolingienne ; Duchalais, qui était né à Beaugency, mais qui n'était pas aveuglé par le patriotisme local, l'a fort bien reconnu.

3. Draviacus, 990 (Cartul. de Sainte-Croix d'Orléans, p. 80).

4. Villa Lubencii et Luentii villa (= Vilnouan, comm. de Lailly-en-Val, cant. de Beaugency, Loiret) dans un acte de vente de 908, dont l'original est conservé aux arch. du Loiret, H, prieuré de Notre-Dame-de-BonneNouvelle d'Orléans) ; un des côtés de la terre vendue in loco qui dicitur Luentii villa est borné par la via publica. — On trouve la forme latine Villaloen (1251) dans le Cartul. de Notre-Dame de Voisins, p. 177-178. Villelouan a abouti par dissimilation à Villenouan. La graphie correcte serait « Villelouent » (cf. Maxentium = Maixent) ; elle a été influencée par le nom d'une localité orléanaise, Nouan [-sur-Loire], qui n'est pas très éloignée de Lailly.

5. Latiniacus, variante Litiniacus, dans une charte de Robert le Pieux 1022, dont l'original est perdu, mais dont il reste de nombreuses copies anciennes aux arch. du Loiret, H, abbaye de Saint-Mesmin.


100 JACQUES SOYER

sous les Mérovingiens) 1, la voie d'Orléans à Limoges. Elle gagnait ensuite Chaumont-sur-Tharonne (autrefois Chaumont-en-Sologne, Calvus Mons) 2, Courmême (comm. de

Saint-Viâtre), où elle coupait le « vieux chemin de Blois » [à Sancerre] et où elle est connue sous le nom de « chemin ferré », traversait la chaussée de l'étang de l'Artrée 3 (caco1.

(caco1. Yvoy-le-Marron, voir plus haut la description de la voie d'Orléans à Limoges (n° 11).

2. Calvus Mons, 1232 (Cartul. de Notre-Dame de Voisins, p. 51).

3. L'étang de l'Artrée et le « chemin ferré » sont indiqués sur le plan ca-


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 101

graphie pour l'Atrée, forme orléanaise d'estrée = strata) et arrivait à Salbris par la croix de Bel-Air.

De Salbris, elle se dirigeait sur Bourges par la voie précédemment étudiée.

Cette route permettait aux habitants de la région de Châteaudun (Dunenses) et aux habitants de la région de Meung (Magdunenses) d'atteindre, beaucoup plus rapidement que par Orléans ou par Blois, non seulement la capitale de la civitas Biturigum, mais encore le Bas-Berry et le Limousin, puisqu'ils trouvaient à Yvoy-le-Marron (Loir-et-Cher) la voie d'Orléans à Limoges par Neung-sur-Beuvron (Loir-etCher) et Chabris (Indre).

k. — LA VOIE DE LORRIS A SULLY-SUR-LOIRE.

Cette voie, mentionnée sous le nom de strata publica quae a Lorriaco Soliacum ducit dans une charte du roi Louis VII le Jeune datée de 11541, traversait la forêt d'Orléans qui séparait la civitas Senonum de la civitas Aurelianorum.

Lorris, sur la voie d'Orléans à Auxerre, était une localité du pagus Wastinensis 2 (le Gâtinais), subdivision administrative de cette civitas Senonum. La route arrivait dans la civitas Aurelianorum par Les Bordes (autrefois « SaintMartin-des-Ars », Sanctus Martinus de Arcubus) 3, où elle croisait la voie d'Orléans à Autun 4, passait à Bonnée (Bonodastral

(Bonodastral Saint-Viâtre. — La voie antique sert de limite aux communes de Saint-Viâtre et de Nouan-le-Fuzelier.

1. Maurice Prou, Les coutumes de Lorris et leur propagation aux XIIe et XIIIe siècles (Paris, 1884 ; extrait de la Nouvelle Revue historique de droit français et étranger), p. 8, n° 1 ; acte cité aussi dans R. de Maulde, Condition forestière de l'Orléanais, p. 239, note 4, et publié par Prou et Vidier, Recueil des chartes de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, t. I, p. 379.

2. M. Prou, op. cit., p. 7, après avoir affirmé avec raison que Lorris était dans le Gâtinais, cite un document où Lauriacum est mentionné comme étant situé dans le pagus Aurelianensis. Mais ce Lauriacum, ou mieux Lauriacus, n'est pas Lorris ; c'est Loury, antique paroisse du diocèse d'Orléans.

3. A. Longnon, Fouillés de la province de Sens, compte de 1369-1370, p. 333.

4. Des Bordes partait une voie rectiligne, de 5 mètres de largeur envi-


102 JACQUES SOYER

dium, localité celtique, à l'est de Saint-Benoît-sur-Loire), lieu de pèlerinage gallo-romain, avec source sacrée et amron,

amron, bien conservée entre les Bordes et Bouzy-la-Forêt et connue sous le nom de « chemin des boeufs ». Elle passait par Bellegarde-du-Loiret (voir R. Dion, Le Val de Loire, p. 303-304). C'était un « raccourci » permettant aux habitants de la région de Gien et de Saint-Benoît-sur-Loire d'atteindre Paris ou Melun par Pithiviers, sans passer par Orléans. C'est fort probablement la route que suivit Jeanne d'Arc, en avril 1430, pour aller de Sully-sur-Loire à Melun (voir J. Devaux, Un épisode de la vie de Jeanne d'Arc : de Sully à Melun par Pithiviers, dans l'Écho de Pithiviers, 2 février 1929).


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 103

phithéâtre 1, Saint-Père-sur-Loire 2, et atteignait Sully (Soliacus, Soliacense castrum), sur la rive gauche du fleuve, au moyen d'un bac ou d'un pont de bateaux 3. Sully, je l'ai dit plus haut, était situé sur une des routes d'Orléans à Sancerre (celle qui longeait la Loire).

La voie de Lorris à Sully faisait communiquer le Gâtinais avec la partie orientale de l'Orléanais et le nord du Berry 4. C'est à ce passage de la Loire que la seigneurie de Sully, qui le commandait, doit son importance au moyen âge.

Nota. — Tous les noms de lieux latins cités dans ce travail sans indication des sources sont empruntés à l'Atlas historique de la France, d'Auguste Longnon (p. 25-32, 61-66, 162-210), ou à mes Recherches sur l'origine et la formation des noms de lieux du département du Loiret, en cours de publication dans les Bulletins de la Société archéologique et historique de l'Orléanais depuis 1932. Les formes restituées sont précédées d'un astérisque.

1. Sur Bonnée et son amphithéâtre, aujourd'hui disparu, voir mon étude sur Le Temple du dieu gaulois Rudiobus à Cassiciate : identification de cette localité (extrait du Bulletin de la Section de géographie du Comité des travaux historiques, 1920. Paris, 1921), p. 13, note 2, et p. 16, note 2.

2. Il y avait à Saint-Père-sur-Loire, alias Saint-Père-lez-Sully, ou plus exactement au hameau de Saint-Thibault, une léproserie ou maladrerie.

3. Le mot latin désignant un bac, ponto, est d'origine gauloise. — Il n'y a aucune preuve de l'existence d'un pont romain à Sully, en dépit des affirmations de certains archéologues Orléanais. — Les ponts sur les fleuves étaient très rares en Gaule, et j'ai fait remarquer plus haut qu'une grande ville comme Tours, capitale de la civitas Turonum, n'a eu un pont qu'au XIe siècle. Les ponts de Blois, Beaugency, Meung, Jargeau, Sully ne sont pas antérieurs au moyen âge.

4. De Sully-sur-Loire, on pouvait : 1° se rendre rapidement à Sancerre par Coulon (auj. : Coulions), localité de la civitas Biturigum (à la frontière de la civitas Aurelianorum), et Concressault, où l'on retrouvait la voie d'Orléans à Sancerre en ligne droite ; 2° se rendre à Bourges par Maltaverne (comm.. de Cerdon-du-Loiret) et Aubigny-sur-Nère (Cher). Voir la carte de Delisle (1718), déjà citée.


CONCLUSION

L'étude détaillée des voies antiques de la civitas Aurelianorum m'a conduit aux constatations suivantes :

1° Orléans était relié directement aux capitales des civitates limitrophes : Sens, Chartres, Tours, Bourges, Auxerre.

2° Orléans était aussi relié directement à certaines capitales de civitates non limitrophes : Paris, Le Mans, Limoges, Autun. Il faut bien remarquer que la civitas Aurelianorum n'était séparée de la civitas Parisiorum que par la civitas Senonum; de la civitas Cenomannorum que par la civitas Carnutum; de la civitas Lemovicum que par la civitas Biturigum; de la civitas Haeduorum que par la civitas Autessiodurum.

3° Orléans était, de même, relié directement aux chefslieux des pagi limitrophes : Melun, chef-lieu du pagus Melodunensis; Étampes, chef-lieu du pagus Stampensis ; Châteaudun, chef-lieu du pagus Dunensis ; Vendôme, chef-lieu du pagus Vindocinensis ; Blois, chef-lieu du pagus Blesensis.

4° Les chefs-lieux des vicariae, subdivisions administratives du pagus Aurelianensis sous la monarchie franque, étaient tous (à l'exception d'un seul) aussi desservis par de grandes voies : Pithiviers, chef-lieu de la vicaria Petuarensis ou Petvarensis ; Le Muid, chef-lieu de la vicaria Modiacensis; Huisseau-sur-Mauves, chef-lieu de la vicaria Oscellensis; Meung-sur-Loire, chef-lieu de la vicaria Magdunensis ; Thésée, chef-lieu probable de la vicaria super Carum. Il n'y a que Lion-en-Beauce (cant. d'Artenay, arr. d'Orléans), cheflieu de la vicaria Lodonensis, qui échappe à la règle ; encore faut-il noter que cette localité est à égale distance, ou peu s'en faut, de la voie d'Orléans à Paris et de la voie d'Orléans à Chartres (par Allaines).

Sont aussi sur de grandes voies : Amboise (Ambacia) et Montlouis (Mons Laudiacus), chefs-lieux de vicariae du pagus Turonicus (la Touraine) ; Cheverny (Cabriniacus),


LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS 105

chef-lieu d'une condita (quasi-synonyme de vicaria) du pagus Blesensis (le Blésois) ; Suèvres (Sodobria), chef-lieu d'une vicaria du même pagus; Chabris (Carobrivae), Vierzon (Virisio) et Sancerre (Cortona ou Gortona, ou Gordona), chefslieux de vicariae du pagus Bituricus (le Berry).

5° Toutes les colonies agricoles et militaires de barbares au service de l'Empire dans la civitas Aurelianorum (Alains, Alamans, Bretons, Burgondes, Goths, Marcomans, Sarmates, Vandales) sont de même situées sur les grandes voies romaines ou non loin de ces voies : Allaines, L'Allemagne, Bretagne, Villers-Bretonneux, Bourgogne, Gourville, Gourvilliers, Marmagne, Marmogne, Marmin, Sermoiseaux, Villevandreux:

Si l'on sort de la civitas Aurelianorum, on remarque la même situation pour Francorville dans la civitas Senonum, Francourville (Francorum villa) et Senneville (Saxonum villa) dans la civitas Carnutum, non loin de la route de Sens à Chartres; pour Wissous (vicus Suevorum) dans la civitas Parisiorum, près de la route d'Orléans à Paris; pour Bretagne (civitas Senonum), sur la route de Pithiviers à Étampes ; pour La Bretagne (civitas Turonum), sur la route d'Orléans à Tours; pour Bretaigne (civitas Biturigum), sur la route d'Orléans à Bourges ; pour Marmagne et Marmignolle (civitas Biturigum), près de la route de Tours à Bourges ; pour Sermaises-du-Loiret (civitas Senonum), au croisement de la route de Sens à Chartres et de celle de Pithiviers à Étampes ; pour Sermaises (civitas Carnutum), près de la voie de Blois à Châteaudun ; pour Sermerolles (civitas Carnutum), près de la voie d'Orléans à Chartres ; pour Villefrancoeur (civitas Carnutum), sur la voie de Blois à Vendôme ; pour Germagne (Germania) dans la civitas Biturigum, près des voies d'Orléans à Bourges et de Blois à Bourges (par Salbris).

Il est donc certain que ces cantonnements avaient pour principale mission la surveillance de ces voies.

6° J'ai observé — et je crois bien que cette observation très importante n'a pas été faite avant moi — que les localités orléanaises où l'on a frappé monnaie sous les Mérovingiens étaient toutes, sans exception, situées sur des voies


106 JACQUES SOYER

romaines : Marcilly-en-Villette (Marciliaco), Vouzon (Vosonno vico), Pierrefitte-sur-Sauldre (Petraficta), sur la voie d'Orléans à Bourges ; Soulas (Solaso vico), Vienne-en-Val (Vienna vico), Sully-sur-Loire (Sauliaco ou Soliaco), sur la voie d'Orléans à Sancerre ; Yvoy-le-Marron (Ivedio ou Ivegio vico), sur la voie d'Orléans à Limoges ; Yèvre-le-Châtel (Evera ou Evira vico), sur la voie de Sens au Mans ; Thésée (Thaisacas, faute de graveur pour Thasiacas), sur la voie de Tours à Bourges ; Brinon-sur-Sauldre (Briennone), sur la voie de Blois à Sancerre.

En dehors de la civitas Aurelianorum, je trouve Étampes (Stampas) dans la civitas Senonum et Châtres, aujourd'hui Arpajon (Castra vico), dans la civitas Parisiorum, sur la voie d'Orléans à Paris; Vendôme (Vindocino), dans la civitas Carnutum, Saint-Calais (Matovallo), dans la civitas Cenomannorum, sur la route d'Orléans au Mans ; Blois (Bleso Castro ou castello), dans la civitas Carnutum, Veuves (Vidua vico), dans la même civitas, Limeray (Limariaco ou Lemariaco), dans la civitas Turonum, sur la route d'Orléans à Tours (rive droite de la Loire) ; Amboise (Ambacia vico), dans la civitas Turonum, sur la route d'Orléans à Tours (rive gauche de la Loire) ; Argent-sur-Sauldre (Argento), Barlieu (Bareloco), dans la civitas Biturigum, sur la route d'Orléans à Sancerre; Briare (Briodro), dans la civitas Autessiodurum, sur la route d'Orléans à Autun ; Vierzon (Virisione ou Virisone vico), dans la civitas Biturigum, sur la route de Tours à Bourges ; et Clémont (Climone vico), dans la même civitas, sur la route de Blois à Sancerre.

Si ces curieuses constatations, que j'ai faites dans un espace compris entre Orléans et Sens, Orléans et Paris, Orléans et Chartres, Orléans et Le Mans, Orléans et Tours, Orléans et Bourges, Orléans et Auxerre, peuvent être généralisées (je n'ai pas poussé plus loin mes investigations : c'était hors de mon sujet), elles fourniront, il me semble, de nouveaux et précieux jalons pour dresser la carte des voies antiques de notre pays.


TABLE DES MATIÈRES

Pages

INTRODUCTION 5

BIBLIOGRAPHIE 13

Carte des voies antiques de la civitas Aurelianorum. ... 14

PREMIÈRE PARTIE VOIES SORTANT D'ORLÉANS

1. — La voie d'Orléans à Sens (Agedincum), avec croquis. 15

2. — La voie d'Orléans à Pithiviers (Petuarii), fragment d'une voie préromaine d'Orléans à Reims (Durocortorum), avec embranchements à partir de Pithiviers : 1° sur Melun (Metlodunum ou Melodunum), 2° sur Étampes (Stampae), avec croquis ; 21

3.—La voie d'Orléans à Paris (Lutecia), avec croquis. . . 25

4 et 5. — Les deux voies d'Orléans à Chartres (Autricum), avec croquis . . 30

6. — La voie d'Orléans à Châteaudun (Dunum), avec croquis 35

7 et 8. — Les deux voies d'Orléans au Mans (Vindinum) : la première par Vendôme (Vindocinum) ; la deuxième par Fréteval (Fracta Vallis), avec croquis 37

9 et 10. — Les deux voies d'Orléans à Tours (Caesarodunum), avec croquis 42

11. — La voie d'Orléans à Limoges (Augustoritum), avec embranchement sur Poitiers (Limonum), avec croquis. . 52

12. — La voie d'Orléans à Bourges (Avaricum), avec croquis. 57

13 et 14. — Les deux voies d'Orléans à Sancerre (Gortona ou Cortona), avec croquis. 61


108 J. SOYER. LES VOIES ANTIQUES DE L'ORLÉANAIS

Pages

15. — La voie d'Orléans à Autun (Augustodunum), avec croquis 68

16. — La voie d'Orléans à Auxerre (Autessiodurum), avec croquis 72

DEUXIÈME PARTIE

VOIES TRAVERSANT L'ORLÉANAIS SANS PASSER PAR ORLÉANS

a. — La voie de Sens au Mans, avec croquis 77

b.—La voie du Mans à Paris, avec croquis 80

c. — La voie de Meung-sur-Loire (Magdunum) à Châteaudun, avec croquis 81

d. — La voie de Meung-sur-Loire à Vendôme, avec croquis. 83

e. — La voie de Blois (Blesum castrum) à Paris à travers la Beauce, avec croquis 85

f. — La voie de Tours à Bourges, avec croquis 89

g. — La voie de Blois à Gièvres ( Gabrae), avec croquis... 92

h. — La voie de Blois à Bourges par Romorantin, avec croquis 94

i. — La voie de Blois à Bourges par Neung-sur-Beuvron (Noviodunum) et Salbris (Salerae Brivae), et de Blois à Sancerre par Neung-sur-Beuvron et Nouan-le-Fuzelier, avec croquis 95

j. — La voie de Meung-sur-Loire à Bourges, avec croquis. . 99

k. — La voie de Lorris (Lorriacus) à Sully-sur-Loire (Soliacus), avec croquis 101

CONCLUSION 104


NOTES SUR LE CULTE DE JEANNE D'ARC

LE MONUMENT DE LA PUCELLE

SUR LE PONT D'ORLÉANS

ORIGINES — SYMBOLISME — INFLUENCE

M. Eugène Jarry, dans une remarquable étude 1, a fourni, pour ainsi dire, l'état civil du monument élevé à Jeanne d'Arc sur le pont d'Orléans. Aignan II de Saint-Mesmin en ordonna l'érection par son testament du 10 avril 1498, qui n'a pu être découvert. Elle fut réalisée par ses héritiers et les procureurs du pont pour la ville de 1502 à 1508 environ. Comment se présentait-il dans son état primitif.

LE MONUMENT DU DÉBUT DU XVIe SIÈCLE

La chronique de Paul-Émile dit de lui, en 1539 : « Aurelianenses Puellae statuam posuere 2. »

Pontus Heuterus, historien belge,, donne quelques précisions 3. Il avait vu le monument en 1560 4.

1. L'érection du monument de Jeanne d'Arc sur le pont d'Orléans, in-8°, 16 p., avec pl. ; extrait des Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, t. XXXIII.

2. Paul-Emile, chroniqueur pensionné des rois Charles VII et Louis XII, mourut en 1529. Dix ans plus tard paraissait, par les soins de Zavarizzi, son De rébus gestis Francorum libri X. Je le cite d'après Hordal, Heroinae nobilissimae Iohannae Darc... historia... Pontis-Mussi, apud Melchiorem Bernardum, MDCXII, p. 114. Le passage en question se trouve dans le livre X.

3. Dans son Rerum Burgundicarum libri sex, paru à Anvers en 1583, mais achevé de composer beaucoup plus tôt ; réédité à la Haye en 1639 : 1. IV, p. 253, de l'édit. de 1639.

4. Quicherat, Procès, IV, p. 448, dit que Pontus Heuterus vit le monu-


110 J. DE LA MARTINIÈRE

Vidi ego meis oculis, in ponte Aureliano trans Ligerim aedificato, erectam hujus Puellae aeneam imaginem, coma décore per dorsum fluente, utroque genu coram aeneo cruciflxi Christi simulacro nixam, cum inscriptione positam fuisse hoc tempore, opéra sumptuque virginum ac matronarum Aurelianensium, in memoriam liberatae ab ea urbis Anglorum obsidione.

Nous trouvons l'indication du monument dans une toile qui date du milieu du XVIe siècle environ 1. Malgré la très petite échelle qui lui est donnée, on distingue nettement les importants soubassements qui reposent sur la culée, les « angereaux », et montent tout le long de la pile de la seconde arche du pont, à partir de la ville, sur main gauche. On voit aussi, au centre du monument, un crucifix avec, à ses pieds, la Vierge, debout ; à senestre, la Pucelle, à genoux, reconnaissable par le pennon qu'elle tient ; à dextre, un autre personnage, évidemment le roi, dont la statue fut réemployée dans le monument de 1570.

Le fougueux polémiste Louis d'Orléans, né en 1542, avait une vingtaine d'années quand le monument fut en partie détruit. Il écrivait en 1612, assagi par ses vieux jours : « S. P. Q. Aurelianensis, matronaeque et virgines Aurel... poni curaverunt 2. »

A l'aide d'un marché passé par la ville en 1570 3 pour rétablir le monument démoli par les protestants en 1562, nous pensons qu'on peut conclure.

Le monument édifié au début du XVIe siècle comportait le Christ en croix ; à ses pieds, la Vierge debout, comme sur la belle miniature accompagnant les oeuvres de Charles d'Orléans dans un manuscrit écrit entre 1500 et 1502 4 ; à dextre,

ment « lors d'un voyage qu'il fit en France pour perfectionner son instruction, en 1560 ».

1. Pour plus amples précisions sur ce tableau, conservé au Musée Jeanned'Arc, à Orléans, cf. notre travail : Trois bannières de la ville d'Orléans.

2. Charles du Lys, Recueil de plusieurs inscriptions pour les statues du roy Charles VII et de la Pucelle d'Orléans... Paris, Edme Martin, 1613.

3. Ce marché a été publié pour la première fois exactement, mais incomplètement, par M. Eugène Jarry, l. c., p. 8, n. 2, d'après le ms. 515 de la Bibliothèque d'Orléans. — Cf. aussi, pour les dates, Quicherat, Procès, V, p. 223.

4. British Muséum, ms. royal 16 Fij, fol. 89. Pierre Champion, interpré-


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 111

la statue du roi orant 1 ; à senestre, celle de la Pucelle, aussi à genoux, ses cheveux longs tombant sur les épaules, noués ou non par un ruban 2, un pennon à la main 3 ; tous deux en armes, l'épée au côté, leur heaume près d'eux1; sans doute une inscription mentionnant, entre autres, des femmes et des jeunes filles orléanàises ; le blason royal 5 et, vis-à-vis, celui de Jeanne. Ajoutons « ung pellican, trois doux, ung chappeau d'espine au dessus de la croix, une aultre lance de aultre cousté de la croix et une éponge 6 ».

Pontus Heuterus mentionne seulement les femmes orléanaises à propos de l'inscription qui, si elle exista, comme cela paraît vraisemblable, visait certainement aussi les exécuteurs testamentaires d'Aignan de Saint-Mesmin et la ville. Nous serions tentés de croire que le jeune voyageur belge, ayant seulement retenu ce qui l'a surtout frappé dans le monument, à l'exclusion du reste : le bronze et les cheveux flottants de la Pucelle, a aussi seulement noté ce qui l'a frappé particulièrement dans l'inscription, à l'exclusion du reste : « virginum ac matronarum Aurelianensium. » Peut-être ces mots s'appliquaient-ils seulement aux filles et femmes des héritiers d'Aignan de Saint-Mesmin, désignés ainsi, dans le goût du temps, à côté d'autres. Il va sans dire que nous n'attachons pas plus d'importance qu'elle ne le mérite à cette suggestion.

tant le contexte, intitule cette miniature, qu'il publie : « La Vierge intercède auprès du Christ pour les fautes des Français. » Vie de Charles d'Orléans. Paris, 1911, in-8°, p. 208, pl. V.

1. Elle fut réemployée presque telle quelle dans le monument postérieur. Marché de 1570, loc. cit.

2. Sur ce point, il semble qu'on ne puisse rien affirmer.

3. « Reffaire de neuff une lance avec le guidon tournant au bout. » Marché de 1570, loc. cit.

4. « Reffaire... son armet avec ung panache, une espée et des espérons », à une des statues, ce qui suppose les mêmes pièces à l'autre. D'ailleurs, la statue du roi, conservée, était en armes.

5. « Reffaire une couronne qui se met dessus ses armoiries. » Marché de 1570, loc. cit.

6. Id., Ibid. — M. l'abbé Dubois a déjà établi le rapprochement entre le texte de Pontus Heuterus, le tableau du Musée Jeanne-d'Arc et le texte de Louis d'Orléans dans un petit opuscule aujourd'hui fort rare : Notice historique sur Jeanne d'Arc et sur les monuments érigés à Orléans en son honneur. Orléans, Jacob [1824 ou 1825], in-8°, 18 p., p. 6.


112 J. DE LA MARTINIÈRE

Lors des « premiers troubles », en 15621, les protestants abattirent en grande partie le monument, comme nous l'avons déjà indiqué, firent disparaître l'inscription que, sans doute, il portait.

L'ANOBLISSEMENT DES SAINT-MESMIN

Le marché passé le 1er août 1502 pour l'érection du monument s'exprime ainsi au sujet d'Aignan II de Saint-Mesmin, promoteur du monument : « En son vivant, escuier, seigneur de Brueil et de la Queuvre 2. » Cependant, il mentionne ses fils : " Nobles hommes maistre Aignan de Saint Mesmin, esleu d'Orléans, et Estienne de Saint-Mesmin 3. » Il y a contradiction entre le titre d'écuyer, qui s'applique seulement à un membre de la noblesse, les qualificatifs de « noble homme » et de « maistre , qui s'appliquent à des représentants de la bourgeoisie.

Les lettres d'anoblissement accordées par Charles VII, en décembre 1460, à Aignan Ier de Saint-Mesmin, confirmées par autres lettres de Louis XI de 1462 et 1464, transcrites par Castanet 4, nous paraissant suspectes, la protestation dont ce généalogiste les fait suivre attira notre attention. Il reproche à Le Maire d'avoir, dans ses Antiquités, édition in-folio, qualifié de marchand bourgeois Aignan II de SaintMesmin. « On connaît, affirme-t-il, par ce trait, et la fausseté des mémoires que le Maire a suivis, et le mistère qu'il a voulu couvrir par une telle altération 6. »

En réalité, dans les éditions in-folio de Le Maire que nous

1. Nous adoptons ici, contrairement au doute émis par certains (Collin, Le pont des Tourelles à Orléans, dans Mém. de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXVI, 1895, p. 358) et à l'affirmation d'autres (Jarry, loc. cit., p. 2, 4,- donne la date de 1567), l'affirmation de Trippault ou de son éditeur orléanais, Hotot, dans l' « Advertissement au lecteur » qui termine, en 1576, la première édition du Journal du siège, sous ce titre : Histoire et discours auvray du siège... « Du temps de premiers troubles », dit l'auteur de l'Advertissement qui en a été le témoin où en a connu des témoins.

2. Jarry, loc. cit., p. 10-11.

3. Id., Ibid., p. 10.

4. Bibliothèque d'Orléans, ms. 605, fol. 96 et suiv.

5. Id., Ibid., fol. 97.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 113

avons pu consulter, nous avons lu que cet historien fait remonter les Saint-Mesmin à un sénateur romain dont le portrait se serait trouvé aux Cordeliers d'Orléans, qu'il ne qualifie pas Aignan II de bourgeois et qu'il donne comme support, au blason de la famille, deux pucelles 1.

Quant au chanoine Hubert, il mentionne brièvement les lettres d'anoblissement 2. Seulement, il n'attribue le titre d'écuyer ni à Aignan Ier, soi-disant bénéficiaire des lettres de noblesse, ni à Aignan II, mais seulement à Aignan III. Il prend soin de noter qu'Aignan II « exerça la marchandise jusqu'en 14498 ».

Nous nous sommes alors reportés à quatre minutes du notaire Courtin 4. Le contrat de mariage d'Agnès de SaintMesmin avec Pierre Leclerc, conseiller en la cour, du 9 novembre 1480, présente la forme habituelle : le futur époux nommé en premier, puis la future épouse, fille de « noble homme » Aignan de Saint-Mesmin. Il en va de même dans le contrat de mariage de Jeanne de Saint-Mesmin avec Guiot de Mareau, du 8 avril 1483. Mais un troisième contrat de mariage, du 5 mai 1492, embouchant la trompette, débute ainsi : « Aignan de Saint-Mesmin, escuier, seigneur du Brueil et de la Cueuvre, maistres d'ostel de Monseigneur, d'une part », et mentionne une ascendance : « Ledit Aignan de Saint-Mesmin, fils de feu Aignan de Saint-Mesmin, escuyer, seigneur du Mesnil le Franc et de la Claye. » Enfin, le 2 août 1502, lendemain du jour où est passé le marché pour le monument, les fils d'Aignan II comparaissent sous cette forme : « Noble homme Aignan de Saint-Mesmin, esleu d'Orléans, Estienne de Saint-Mesmin, son frère. »

Dès lors, il paraît radicalement impossible d'accepter comme authentiques les lettres de Charles VII accordant la noblesse à Aignan Ier de Saint-Mesmin en 1460 ; les lettres

1. Histoire et antiquitez de la ville et duché d'Orléans..., 2° édit. Orléans, 1648, in-fol., 3e partie de la seconde pagination intitulée : Recueil de plusieurs nobles et illustres maisons et familles du duché et ville d'Orléans, p. 82-85.

2. Bibliothèque d'Orléans, ms. 610, fol. 175 r°.

3. Id., Ibid.

4. Conservées aux archives du Loiret.

MÉM. XXXVII. 8


114 J. DE LA MARTINIÈRE

confirmatives de Louis XI datées de 1462 et 1464. Le titre d'écuyer pris par Aignan II l'a été à la suite de sa nomination comme maître d'hôtel du duc ; c'est cette nomination qui l'a conduit à attribuer le même titre à son père Aignan Ier. Quelques lustres encore et le bailli Groslot se donnera, lui aussi, des ancêtres 1.

Nous ne voulons pas, cependant, dénier à la famille de Saint-Mesmin ni sa grande ancienneté, ni les services qu'elle a rendus à la ville d'Orléans. Éloy d'Amerval, se moquant des nobles de fraîche date, vers le temps où Aignan II arborait pour la première fois le titre d'écuyer, ne prétendait peut-être pas viser les Saint-Mesmin en écrivant 2 :

Et sont venuz de povre gent Les plusieurs, et de bien bas lieu. On les congnoist trop, de par Dieu. L'un est sailly de vacherie, L'autre sorty de porcherie 3.

A l'anoblissement des Saint-Mesmin se rattache la question des fausses lettres d'anoblissement soi-disant accordées pour services rendus au moment du siège. Elle mérite une étude particulière.

LE MONUMENT RÉTABLI EN 1570

Catherine de Médicis prit possession du duché d'Orléans en 1569. Dès 1570, la ville passait un marché avec le fondeur Hector Lescot, dit Jacquinot, pour relever le monument 4. Comment se présentait celui-ci, après.sa restauration?

En tête de l'Heroinae nobilissimae historia de Jean Hordal, en 1612, se trouve un frontispice de Léonard Gaultier

1. E. Jarry, Une supercherie généalogique : le bailli Jérôme Groslot se donne des ancêtres ; extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, 1915.

2. Andreas C. Ott, loc. cit., p. 37.

3. On sait qu'une branche des Saint-Mesmin pratiquait le métier de boucher. Il serait curieux de vérifier si une autre branche ne posséda pas la terre de Porcheresse.

4. Cf. ci-dessus, p. 110.


PEINTURE DE QUESNEL



LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 115

qui prétend le reproduire en partie 1. Le peintre Quesnel en a fait l'objet d'une peinture sur bois ne manquant certes ni d'intérêt, ni de valeur, et qui appartient aujourd'hui à Mme Jarry. Charles du Lys fit exécuter à Léonard Gaultier, en 1613, une nouvelle gravure, par quoi s'ouvre son Recueil d'inscriptions 2. Certainement aucune de ces trois oeuvres ne nous donne l'idée exacte de ce qu'était le monument.

L'abbé Dubois affirmait, au début du XIXe siècle : « Hordal a écrit en 1612, et la statue qui était alors sur le pont est celle qui a subsisté jusqu'à la Révolution et que j'ai vue pendant longtemps, pendant vingt ans. Celle qu'on voit dans la France métallique est aussi la même... Mais ces deux gravures sont infidèles 3. » Quant à Quesnel, il a évidemment visé d'abord à produire une peinture de genre, et on n'imagine pas des pièces de bronze sous la forme qu'il nous présente. La gravure de 1613 doit être exacte dans ses lignes générales, bien qu'elle interprète ou ajoute, comme on peut le constater par une comparaison attentive des trois représentations signalées avec le marché de réfection de 1570.

A la fin de celui-ci, la ville exprime ainsi la volonté qui l'anime : « Et générallement de faire tout ce qu'il conviendra à accommoder et asseoir ladicte Pucelle et en pareille fasson qu'elle souloit estre. » D'où l'on peut tirer deux conclusions. Dès avant 1570, on donnait au monument le nom de monument de la Pucelle. Ce qui va être dit du monument de 1570 explique, pour une bonne part, le monument antérieur.

Le premier éditeur du Journal du siège, en 1576, parle évidemment d'après un témoin des événements de 1562 quand il assure : « Du temps de nos premiers troubles, lors-que quelques soldats insolens et insensez se ruèrent de rage sur la statue honorable de ceste chaste Amazone, Jeanne la Pucelle, qu'ils abbatirent de dessus son pilier,... et la brisèrent furieusement 4. » C'est ce que confirme le marché

1. Cf. ci-dessus, p. 109, n. 1.

2. Cf. ci-dessus, p. 110, n. 3.

3. Bibliothèque d'Orléans, ms. 595, fol. 57 v°.

4. « Advertissent au lecteur » qui termine l'Histoire et discours au vray


116 J. DE LA MARTINIÈRE

de 1570 : « Fault reffondre tout le corps de ladicte Pucelle, réservé les jambes, bratz et mains 1. » Il n'est pas impossible qu'Hector Lescot, dans ce travail, se soit inspiré de la tête de Jeanne telle que la reproduisait la bannière.

Il semble difficile de croire que la Vierge ne fut pas, elle aussi, brisée par les protestants, au moins en partie. Sur ce point, les termes du marché de 1570 peuvent donner lieu, peut-être, à interprétation 2. Nous admettons cependant, jusqu'à preuve du contraire, que la. Vierge fut refondue, au moins en grande partie. Elle devint ce qu'on appelait alors « Notre-Dame de Pitié », tenant dans ses bras le corps supplicié de son fils.

En tout cas, le corps du Christ, crucifié dans le monument primitif, fut réemployé dans le nouveau, comme le prouve ce passage du marché : « Plus reffondre un bratz au crucifix et mettre une grande pièce à l'estommac ; faire une encolletture au col et plusieurs aultres pièces qu'il convient faire et ressoulder 3. » La modification apportée au bras semble bien avoir eu pour but de pouvoir placer le Christ entre les bras de la Vierge ; celle au cou, de donner une inclinaison différente à la tête rejetée en arrière au lieu de tomber en avant.

La rigidité du corps placé primitivement sur la croix devait produire un effet peu esthétique. L'attitude de la Vierge de Pitié portant le corps de son fils ne correspond sans doute en rien à la réalité que l'artiste avait sous les yeux. Les gravures du XVIIIe et du XIXe siècle 4 doivent, sur ce point, nous en rapprocher davantage.

Derrière la Vierge fut élevée une croix en bronze 5.

Le réemploi de la statue royale du premier monument, après de légères réparations, ne fait pas de doute 6. Son ardu

ardu publié par Léon Trippault chez Hotot, libraire à Orléans, en 1576.

1. Jarry, loc. cit., p. 8.

2. « Il convient reffondre et ressoulder les effigies de Notre-Dame de Pitié et de la Pucelle. » Id., Ibid.

3. Id., Ibid. Le bras droit n'avait pas besoin d'être retouché et pouvait demeurer perpendiculaire au tronc, comme sur le crucifix.

4. Cf. ci-après : Le monument de 1771.

5. « Reffaire de neuf... une croix... » Marché de 1570, loc. cit.

6. « Et encores repiécer plusieurs coups de harquebuzes qui sont au corps et à la teste du roy estant encores sur lesdietz ponts. » Id., Ibid.


Pourtrait & representation au vray du fimula cre qui est élevé fur le pont d'Orléans.

GRAVURE DE LÉONARD GAULTIER, 1613



LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 117

mure et celle de Jeanne devaient, évidemment, être semblables. D'autre part, les armures gravées par Léonard Gaultier en 1613, différentes de celles gravées par lui en 4612, peuvent être datées dans leur ensemble du XVIe siècle. De lignes simples et sans reliefs, elles se montrent très propres, par conséquent, à la fonte. On peut donc se demander si Léonard Gaultier n'a pas reproduit assez fidèlement ses modèles.

Sauf cependant sur un point, les heaumes. On les voit partout posés au pied des statues et ils devaient l'être. Mais quand l'artiste nous les montre, en 1613, sous l'aspect de pièces héraldiques, tarés de front, avec de multiples barres très en relief, Gaultier s'est évidemment plié aux exigences nobiliaires de Charles du Lys. Plus simples et plus vrais, certainement, sont les heaumes de Quesnel et de la gravure de 1612, tarés de profil, et sans barres ni grilles.

Peiresc permet de préciser un détail. Le guidon de Jeanne formait girouette au bout d'une lance. Sa face, visible dans la gravure, montre les armes de la ville ; sur l'autre face étaient aussi gravées les mêmes armes, mais fascées en surcharge d'un pont au milieu duquel s'élevait une croix 1. Telles étaient les armoiries adoptées par les proviseurs du pont, la croix sur le pont rappelant non pas le monument de la Pucelle, mais la Belle-Croix, beaucoup plus ancienne.

Graveur de portraits réputés, Gaultier dut rendre fidèlement la physionomie royale, comme nous l'expliquerons plus loin.

M. Jarry l'a déjà fait remarquer : « Sans doute, Léonard Gaultier, travaillant au début du XVIIe siècle, apporta dans la reproduction » du soubassement « un peu de la sécheresse décorative de son époque, et même des interprétations certainement erronées 2. Il n'en est que plus frappant de trouver sous son burin un ensemble de décorations caractéristiques de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle 3. » On peut ajou1.

ajou1. de Carpentras, ms. 1779, fol. 361 v°.

2. « Par exemple le tailloir à volutes qui amortit les chapiteaux des pilastres. »

3. Jarry, loc. cit., p. 9.


118 J. DE LA MARTINIÈRE

ter que des modifications durent être apportées au soubassement primitif. Quant aux trois « tables d'attente », suivant l'expression de du Lys 1, elles existaient certainement sur le monument rétabli en 1570, prêtes à recevoir des inscriptions.

De même le blason du roi : le marché de 1570 prévoit la réfection d'une « couronne qui se met dessus ses armoiries 2 ». Sans doute aussi celles de Jeanne, interprétées par Quesnel aussi bien que par Léonard Gaultier, dans ses deux gravures.

Les armes de la ville paraissaient-elles, de nouveau, sur le socle, entre celles du roi et de Jeanne? Il est permis d'en douter. Voici le passage d'une lettre de Charles du Lys, du 30 juin 1613, annonçant à Peiresc l'envoi de la gravure que venait d'établir pour lui Léonard Gaultier 3 :

En attendant l'imprimerie, vous recevrez l'empreinte et la figure des images qui sont sur le pont d'Orléans, avec les trois tables d'attente qui sont au dessoubz, que j'ay fait graver en taille douce, pour y adjouster [l'image] des armes que m'avez, par vostre bienveillance, ordonnées et disposées, pour en [avoir] vostre dernière main et censure, s'il vous plaist, comme j'y trouve à redire en la figure des lions qui semble plutôt des léopards, et autres petites curiosités qui me feront attendre vostre bon et favorable advis pour les réformer avant que m'en servir.

Ces phrases alambiquées demandent quelques explications. La lettre date du moment où le flirt entre Peiresc et Charles du Lys bat son plein. Grâce à l'intervention de l'avocat général à la Cour des Aidés, un sérieux procès s'est terminé au Grand Conseil au profit de la famille de Fabri 4. L'un des correspondants entend témoigner sa reconnaissance ; l'autre ne demande qu'à profiter du savoir et du talent du grand érudit. Du Lys n'a pas hésité à prier Peiresc de lui fournir le dessin des armoiries qu'il s'attribue et que le roi

1. Dans son Recueil d'inscriptions, loc. cit..

2. Loc. cit.

3. Cf. ci-après, n. 4.

4. La correspondance échangée entre le père de Peiresc, Peiresc et Charles du Lys en fait foi.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 119

vient de lui confirmer par lettres patentes 1. Sa lettre dénonce, semble-t-il, son intention : faire ajouter ce dessin sur la planche où Léonard Gaultier vient, à sa demande, de représenter le monument du pont, et qu'il destine à paraître en frontispice del' « imprimerie » du Recueil formé par lui. Par bonheur, un tel projet ne fut pas réalisé, mais il oblige à se demander si les armoiries de la ville, que ne donne pas Quesnel, ne se sont pas substituées, sur la gravure, à celles de Charles du Lys. Mais la devise :

Francorum regni médium cor et aurea sedes ;

les lis à longue tige au milieu desquels s'enroule le ruban qui la porte et qui forme, avec lui, un si gracieux encadrement, sont postérieurs au monument de 1570. La « table d'attente » qui les surmonte coupe légèrement deux des feuilles de lis, ce qui laisse supposer un dessin réajusté.

Au surplus, on retrouve la devise identique, à l'exception d'un seul mot, dans la Parthénope du poète Orléanais Germain Audebert 2 :

Tarn beata loci genio coeloque salubri Ingentis regni médium cor et aurea sedes.

Le volume d'Audebert parut en 1585, longtemps après l'érection du monument. C'est là, pensons-nous, que soit Charles du Lys, soit plutôt Peiresc, son grand fournisseur du moment 3, alla chercher le vers et, après avoir remplacé avantageusement ingentis par Francorum, en fit une devise qu'il entremêla de lis pour entourer les armes de la ville dans la gravure de Léonard Gaultier 4.

1. Bibliothèque de Carpentras, ms. 1779, fol. 339 et suiv. 2.Germani Audeberti Aurel., Parthénope. Parisiis, apud Jacobum du Puys..., MDLXXXV, in-4°, 47 p. Bibliothèque d'Orléans, H 536, p. 44.

3. Peiresc a fourni à du Lys un grand nombre de pièces parues dans le Recueil et qu'il demande à ses amis.

4. Vergnaud-Romagnési rapporte, dans deux brochures différentes (Notes curieuses... sur les... fêtes de Jeanne d'Arc. Orléans, Herluison, 1862, p. 11-12, et Mémoires... sur les... monuments élevés à la mémoire de Jeanne d'Arc; extrait de la Société d'Émulation des Vosges, t. XI, 1861, p. 12),


120 J. DE LA MARTINIÈRE

Les précisions que nous venons de donner, les hypothèses que nous avons émises permettent, en se reportant au dessin de 1613, de constater, avec son exactitude dans les grandes lignes, le ;peu de confiance qu'on doit avoir en la réalité de certains de ses détails. Il en est un auquel nous attachons, cependant, une réelle importance : la figure du roi.

LA STATUE DE LOUIS XII

Aignan de Saint-Mesmin, c'est probable, a voulu donner au monument un caractère symbolique qu'on peut essayer de rechercher. En tout cas, se souvenant des services rendus par son père durant le siège, mais aussi très fier de son titre de maître d'hôtel de Louis d'Orléans qui lui permettait de se dire écuyer, comment ne pas croire qu'il ait entendu rappeler le souvenir du duc, son maître 1. Nous doutons encore moins que ses héritiers et les procureurs du pont aient fait exécuter une statue du roi Louis XII représentative soit du roi Charles VII, soit du duc d'Orléans, comme nous l'expliquerons tout à l'heure.

A la même époque, en effet, plusieurs villes s'enorgueillirent de fixer les traits du monarque régnant. Tours et Lyon lui offraient, en 1500, une médaille à son image 2. Orléans, la ville dont il avait porté le nom, devait se distinguer à son tour. Tout près de là, à Notre-Dame de Cléry, se trouvait déjà la première statue d'un roi orant fondue en bronze, celle

les renseignements que lui aurait fournis un serrurier chargé de démonter le monument en 1792. Il n'y a pas lieu d'en tenir compte, car Vergnaud, qui connaissait le marché de 1570, peut les avoir imaginés de toutes pièces. Ne va-t-il pas jusqu'à faire dire au serrurier : « Dans quelques parties on voyait une L, et dans d'autres un D, en vieilles lettres carrées », tandis qu'il ajoute entre parenthèses (gothiques probablement). Son but est clair : rappeler les initiales des fondeurs Duisy et Lescot. On sait qu'il fabriqua un faux tendant à démontrer que Duisy avait travaillé au monument primitif (cf. Jarry, loc. cit., p. 4-7).

1. Il mourut avant l'accession de Louis XII au trône.

2. La première oeuvre célèbre de Michel Colombe et de Jean Chapillon ; la seconde burinée par Nicolas Leclerc, Jean de Saint-Priest et Jean Lepère. Lieutenant-colonel Maumené et comte Louis d'Harcourt, Iconographie des rois de France, première partie. Paris, 1928, in-8°, p. 97.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 121

de son cousin Louis XI 1. Alors qu'il était duc d'Orléans, en 1495 ou 1496, peu avant qu'Aignan de Saint-Mesmin ne rédigeât son testament, sa bonne ville avait dressé une « image de Saint-Michel » au faîte de la maison commune, coulée par le fondeur Jacquet Le Roux 2. Louis XII eut donc, lui aussi, à Orléans, sa statue de bronze, bien en vue, sur le pont, et dans la pose où l'avaient déjà représenté, par ailleurs, au moins une peinture sur bois et les enluminures de deux livres d'heures 3.

Du moins le pensons-nous, après avoir étudié, de près, la gravure de 1613, oeuvre de Léonard Gaultier 4. Il ne faut pas l'oublier, cet artiste, qui se spécialisa dans la taille-douce, reproduisit de nombreux portraits et, en particulier, des portraits de souverains 5, savait fixer une physionomie. La figure du roi, telle qu'il nous la montre sur le monument du pont, porte les caractéristiques de celle de Louis XII. Nous ne parlons pas seulement des « cheveux tombant en nappe plate sur la nuque, et couvrant l'oreille », qui peuvent avoir été portés par d'autres. « Nous le voyons » encore, sur la gravure originale, « avec ses rides d'amaigrissement au cou et sous le menton, fatigué et vieilli » ; son « menton fortement accusé », son « nez mince », auquel manque, à vrai dire, la « courbe concave » 6, supprimée d'ailleurs, dans d'autres portraits, comme trop inesthétique, et difficile à retrouver sur une gravure de si petites dimensions 7.

Qu'il y ait là un portrait, et un portrait de Louis XII, Léonard Gaultier nous en fournit lui-même un autre témoignage.

1. Louis Jarry, Histoire de Cléry. Orléans, 1919, in-8°, p. 171, et Eugène Jarry, loc. cit., p. 7, n. 5.

2. Eugène Jarry, L'ancien hôtel de ville d'Orléans. Orléans, 1919, p. 13 ; extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XVII, et L'érection du monument de Jeanne d'Arc, loc. cit., p. 16.

3. Maumené et d'Harcourt, loc. cit., pl. 103-2, 104-3, et p. 103, n° 102.

4. En tête du Recueil des inscriptions, loc. cit., édit. de 1613 et de 1628.

5. Bénézit, Dictionnaire critique et commentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs... Paris, 1913, t. II.

6. Ces termes sont empruntés à l'ouvrage de MM. Maumené et d'Harcourt, loc. cit., p. 97-98.

7. E. Jarry, L'érection du monument de Jeanne d'Arc, loc. cit., p. 13, a déjà écrit : « L'on ne peut, en voyant le profil du roi, s'empêcher de penser à l'effigie de Louis XII, dont les monnaies nous ont gardé le souvenir. »


122 J. DE LA MARTINIÈRE

Un an avant la gravure commandée par du Lys, en 1612, l'artiste en avait exécuté une autre pour Hordal. Alors que, manifestement, le reste du monument est composé « de chic », on y retrouve ces mêmes traits si caractéristiques de la figure du roi 1.

Nous n'hésitons donc pas à avancer, jusqu'à preuve du contraire, qu'Orléans a voulu placer sur son pont la statue de son ancien duc, de son roi, lui adresser ainsi un hommage plus complet, plus magnifique même que Tours et que Lyon. Si le monument subsistait encore, sans doute le citerait-on comme un des bons portraits de Louis XII 2.

LE MONUMENT DE 1772-1792

La croix de bronze du monument de 1570, abattue par un orage en 1739, fut remplacée sans retard par une croix de bois peinte 3.

Mais, peu d'années après, en 1745, l'arche sur laquelle se trouvait le monument menaçait ruine. On dut l'étayer, enlever les statues de bronze du monument, les reléguer dans les réserves de l'Hôtel-de-Ville, rue Sainte-Catherine 4. « Par ordre de MM. les officiers municipaux, et par les soins d'un citoyen dont les talens sont fort connus 5 », Desfriches, elles servirent à élever un nouveau monument, au début de

1. Elle sert de frontispice à l'Heroïnae nobilissimae historia.

2. On sait qu'un résumé du procès de réhabilitation fut rédigé à Orléans pour le compte du roi Louis XII. Il a été publié en partie sous le titre d'Abréviateur du procès par Quicherat, IV, p. 254 et suiv. — Dans notre précédent travail sur Trois bannières de la cille d'Orléans, nous avons déjà publié un autre portrait inédit de Louis XII, alors qu'il n'était encore que duc d'Orléans.

3. Collin, loc. cit., p. 625, d'après Hospice Saint-Antoine et pont d'Orléans, ms. de 1310 à 1810. Archives de l'Hôpital, actuellement aux archives départementales.

4. Id., Ibid.,p. 626, 633.

5. Tels sont les termes des Étrennes orléanaises de 1774, qui font précéder la description du monument d'une histoire sommaire du siège de 1429. Lottin, Recherches historiques sur la fille d'Orléans (Orléans, 1838, t. II, p. 324), date de juin 1771 la restauration du monument. Il doit s'agir là de décisions prises ou du début des travaux. Maix ceux-ci, comme en font foi les Etrennes et les gravures sur bois, ne furent pas achevés avant le début de 1772.


LE MONUMENT DE 1772



LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 123

1772 1, sur la petite place formée par l'intersection des rues Royale et de la Vieille-Poterie.

Les Étrennes orléanaises de 1774, Polluche 2, Moithey 3? Beauvais de Préau 4 sont d'accord sur la description qu'ils nous en donnent. Suivant l'expression de ce dernier : « Les dessins du piédestal de la grille simple et élégante qui l'entourent sont de M. Soyer, ingénieur des turcies et levées, et l'ensemble... dû à M. Desfriches. » Le socle en pierre mesurait 9 pieds au carré. A la disposition ancienne des quatre pièces de bronze dont « chaque membre forme un jet séparé 5 », diverses modifications avaient été apportées. Sous les genoux de Charles VII et de Jeanne se trouvaient des coussins ; un serpent mordant une pomme entourait le pied de la croix ; une seule lance avait été placée en travers du monument, les heaumes de profil; la couronne d'épines reposait sur un coussin derrière la statue du roi ; au pied de la croix, du côté de la rue Royale, se voyait l'écu de France non couronné ; du côté de la rue de la Vieille-Poterie, « un pélican qui paroit nourrir ses petits de son sang ; ils sont enfermés dans un nid ou panier et étaient autrefois 6 » au haut de la croix. Il fallait tenir compte de ce que le monument se trouvait accessible sur toutes ses faces ; on établit donc une base en plomb « réunissant toutes les figures » et formant calvaire. Deux plaques de marbre noir s'encastraient dans le piédestal face aux rues Royale et de la Vieille1.

Vieille1. délibérations et les comptes de la ville, auxquels se sont référés plusieurs historiens, ne nous ont fourni, dans leur état actuel, aucun renseignement, à l'exception cependant de cette mention d'un « registre des ordonnances et mandements de 1768 à 1790 » : « Donné au sr Poislou, le jeune, entrepreneur, un mandement de 4,977 1. 22 s. 2 d., au bas.d'un état de dépense faitte pour l'élévation du Monument de la Pucelle, la nouvelle bannière, et l'érection du monument de M. Pothier dans les galleries du grand cimetière », 14 novembre 1772. Archives de la ville, CC 848, fol. 30 r°. — La date du début de 1772 est donnée par les Etrennes orléanaises et confirmée par les images sur bois, dont nous parlerons plus loin.

2. Polluche, Description de la ville et des environs d'Orléans. Orléans, 1736, in-16, p. 61.

3. Moithey, Recherches historiques sur la ville d'Orléans. Paris, 1775, in-4°, avec plan, p. 13.

4. Beauvais de Préau, Essais historiques sur Orléans. Orléans, 1778, in-8°.

5. Moithey, loc. cit., répété par d'autres.

6. Beauvais de Préau, loc. cit.


124 J. DE LA MARTINIÈRE

Poterie. Elles portaient des inscriptions en lettre d'or, la première surmontée des armes de la ville, en français, et donnant le nom du maire et de tous les officiers municipaux ; la seconde en latin. Elles ont été souvent transcrites. Mais on les attribue généralement au maire, Jacques du Coudray, alors qu'elles paraissent bien l'oeuvre de M. Colas de la Guyenne, chanoine de Saint-Aignan 1.

Un détail doit être retenu plus spécialement : le ruban qui, à la hauteur de la nuque, nouait les cheveux de Jeanne flottant sur ses épaules. Il devait se trouver, pensons-nous, sur la statue primitive, analogue à l'image de la bannière. Il ne faut pas ajouter foi, sur ce point, aux gravures de Léonard Gaultier, mais plutôt au tableau de Quesnel.

Trois représentations du monument de 1772 établies avant sa destruction nous sont connues. La première est une gravure sur bois de Sevestre-Leblond, qui tint boutique à Orléans de 1771 à 1788. Elle est établie en grande partie de chic. Sur le piédestal, on lit : Monument de la / Pucelle d'Orléans | Rétabli en l'année | 1772. La seconde, très analogue, est attribuée, à tort ou à raison, au même éditeur 2.

Sans beaucoup plus d'exactitude dans le détail, Garneray 3 dessina une gravure au burin pour le t. II des Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin 4, qui parut en 1791. Sauf quelques lignes d'introduction, toute la notice de Millin accompagnant cette gravure copie la description donnée par Beauvais de Préau 5.

Les autres gravures du monument se sont inspirées de celle de Garneray et sont postérieures à sa destruction 6.

1. Aufrère-Duvernay, loc. cit., p. 20.

2. Bois de 0m25 X 0m355 et 0m29 x 0m345. Tous deux sont décrits et le premier publié dans Auguste Martin, L'imagerie orléanaise. Paris, éditions Duchartre et Van Buggenhoudt, [1928], in-4°, nos 13 et 14, p. 33 et 34.

3. Sans doute Jean-Baptiste-Michel Garneray, graveur au burin, né à Paris en 1748, mort en 1804, élève de Chenu.

4. Paris, 1790 - an VII, 5 in-fol. L'ouvrage fut réédité. Il semble qu'en l'an XI on se contenta de modifier les deux pages du titre de l'édition primitive.

5. Cf. ci-dessus, p. 123, n. 4.

6. Vergnaud-Romagnési ne craint pas de signaler : « Un dessin fort exact de Garneray père, fait en 1787, et un autre, sur plus grande échelle,


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 125

Celle-ci fut demandée par une pétition des « citoyens composant la section primaire de Saint-Victor d'Orléans ». Dès le 18 août 1792 ou même avant, ils réclamaient la suppression de tous les signes de féodalité et désignèrent spécialement, le 23 août, « le monument de Charles VII qui insulte à la liberté du peuple françois, et qui n'est propre qu'à irriter les hommes qui ont trop longtemps gémi sous la servitude des rois », demandant qu'on fabriquât deux ou trois pièces de canon avec le bronze en provenant 1. Le Conseil général de la commune, consulté par le directoire du district, protesta aussitôt (23 août) « que le monument de la Pucelle, loin de pouvoir être regardé comme un signe de la féodalité, insultant à-la liberté du peuple françois, n'annonçoit, au contraire, qu'un acte de reconnaissance envers, l'Être suprême et un témoignage glorieux de la valeur de nos ancêtres, qui ont délivré la nation françoise du joug que les Anglois vouloient leur imposer 2 ».

Mais, dès le lendemain, 24 août, le Conseil du district, pressé par les nécessités politiques du moment, « considérant que, quoique le monument dont il s'agit ne puisse être regardé comme un signe de féodalité, cependant sa conservation, étant peu importante pour le progrès des arts, estime que la demande des citoyens pétitionnaires peut être accueillie dans le cas où l'exécution présenterait, en effet, un moyen possible d'augmenter notre artillerie ; en conséquence, le Conseil est d'avis qu'il soit nommé un artiste qui sera chargé d'examiner le monument à l'effet de constater si la matière qui le compose est susceptible d'être convertie en canons,

de M. Diot, fait en 1790 » (Mémoires sur les monuments élevés en l'honneur de Jeanne d'Arc. Paris, 1844, p. 6-7). En réalité, le premier, comme nous venons de le montrer, est de 1790 ou de 1791 ; le second de 1817 seulement.

1. 18 août. Registre d'ordre du secrétariat du district d'Orléans, 3e division, L 77, n° 737, fol. 185. — 20 août. Délibération du Conseil du district, L 754, p. 56 et suiv. — 21 août. Délibération du Conseil général du département, L 32, fol. 90. — Nous n'avons pu retrouver le texte original de la pétition, mais elle est reproduite par Lottin, Recherches historiques sur la ville d'Orléans. Orléans, 1838, t. III, p. 340-341.

2. Registre de délibérations du Conseil général de la commune, aux archives du Loiret, non coté.


126 J. DE LA MARTINIÈRE

combien il pourra provenir de pièces d'un calibre déterminé, et à quelle somme monteront les frais de cette entreprise ; que, sur le rapport qui sera rédigé, la municipalité doit être consultée pour savoir si les fonds de la commune peuvent subvenir à cette dépense 1 ».

Le 28 août, le Conseil général du département, « considérant que le monument... ne représente pas les services de l'héroïne dont il est destiné à perpétuer le souvenir ; considérant que les citoyens de la ville d'Orléans ne peuvent retrouver, dans ce monument, aucun signe, aucun caractère qui puissent leur rappeler la haine que leurs aïeux portoient aux tirans, a arrêté que le monument de Charles VII... ainsi que les inscriptions existant sur les deux faces de son piédestal seront, à la diligence du procureur dé la commune, enlevés sur le champ et déposés dans un lieu sûr pour être examinés par un artiste nommé par la municipalité, sur le rapport duquel il sera statué pour la conservation et l'emploi du métal à qui il appartiendra 2 ».

Le Conseil général de la commune dut se résigner, le même jour, et d'autant plus vite que les commissaires nationaux Léonard Bourdon et Dubail venaient se présenter pour lui demander l'enregistrement de leurs pouvoirs extraordinaires, qu'on annonçait l'arrivée des « citoyens de Paris... envoyés par le pouvoir exécutif pour partager avec les citoyens d'Orléans la fatigue occasionnée par le service de la garde de la maison de justice établie près de la Haute-Cour nationale 3 ».

Officiellement, le même jour, le monument se trouvait « supprimé 4 », « détruit 6 ». Il demeurait encore quelques chances de le sauver, car, en fait, « les bronzes » furent seulement « placés en lieu sûr 6 ».

Cependant, les événements se précipitaient, la royauté disparaissait, et, le 21 septembre, dans sa séance du soir, « le

1. Procès-verbal des séances du Conseil du district, L 704, p. 64-65.

2. Délibérations du Conseil général du déparlement, L. 32, fol. 114.

3. Délibérations du Conseil général de la commune, loc. cit.

4. Id., Ibid.

5. Procès-verbaux des séances du Conseil du district, L. 704, p. 71-72.

6. Id., Ibid.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 127

Conseil général de la commune, considérant que la loi du 14 août 1792 ordonne la conversion en bouches à feu de tous les monuments et inscriptions en bronze, arrêta, à l'unanimité, que les figures en bronze formant le monument de la Pucelle seroient employées à la fabrication des canons, et que, pour en conserver la mémoire, un de ces canons porteroit le nom de Jeanne-Darc, surnommée la Pucelle d'Orléans 1 ». « Par arrêté du 20 juillet 1793, les grilles qui entouraient le piédestal du monument de la ci-devant Pucelle furent converties en piques 2. »

Telles furent les principales péripéties qui amenèrent la destruction du monument érigé pour la première fois au début du XVIe siècle. A l'exception de ce terme : « la cidevant Pucelle », plutôt bizarre et qui mérite de passer à la postérité, tous les textes que nous venons de citer fournissent un témoignage du respect et de l'amour de la population orléanaise pour Jeanne, des efforts certainement courageux de ses représentants, étant donné les circonstances, pour sauver le monument de la ruine, efforts dont seule la Terreur put venir à bout.

LA PRIÈRE DU ROI OU LA RECONNAISSANCE DU DUC

Le premier, à notre connaissance, qui ait prononcé explicitement le nom de Charles VII à propos de la statue royale du monument est un Normand. Il a existé en Normandie, dès une époque ancienne, des historiographes de Jeanne, en raison de son supplice à Rouen et aussi des nombreuses familles normandes qui prétendaient à sa parenté. Un archidiacre de Bayeux, Jean Masson, en tête de l'Histoire mémorable de la vie de Jeanne d'Arc, s'adressant à Messieurs les maire, échevins et bourgeois d'Orléans, leur dit, en 1612 : « Vos prédécesseurs ont fait dresser sur le pont de votre ville les statues en bronze desdits roy Charles et Jeanne 3. »

1. Il ne nous a pas été possible de retrouver le texte original publié par Lottin, loc. cit., p. 416-417. Le poids du bronze se serait élevé à 1,700 livres.

2. Aufrère-Duvernay, loc. cit., p. 21.

3. [Jean Masson, archidiacre de l'église de Bayeux.] Histoire mémorable


128 J. DE LA MARTINIÈRE

Cependant, c'est Charles du Lys qui, l'année suivante, en 1613, fournit, pour la première fois, une explication détaillée des origines du monument, dans l'Avis au lecteur de son Recueil d'inscriptions 1, en ces termes :

Le Roy Charles septiesme, sur la fin de ses victoires, se voyant en paix, fit mettre une grande Croix sur le pont d'Orléans, nue, sans Crucifix, et, au pied d'icelle, l'image de la Vierge Marie assise, qui tient nostre Seigneur mort entre ses bras : d'un costé de la Croix est la statue dudiet sieur Roy, armé et à genoux, et de l'autre costé de ladicte Croix est aussi la statue de la Pucelle pareillement armée et à genoux, ainsi seuls posez esgallement.

On trouve dans les histoires que ladicte Pucelle, arrivant vers le Roy, pour luy faire cognoistre qu'elle venoit par inspiration de Dieu, luy dict un secret que Dieu luy avoit révélé, sçavoir est que, le jour de Toussaints précédent, ledit sieur Roy en son Oratoire, seul, avoit prié Dieu que, s'il estoit légitime successeur de la Couronne, il luy pleut la luy conserver, sinon qu'il luy donnast consolation, etc., et qu'il pria par mesme moyen la Vierge Marie d'intercéder envers Dieu pour luy sur le mesme suject ; ce qu'elle flst, et impétra que ce fust aussi par le ministère de ladicte Pucelle, dont le Roy fut fort encouragé et affectionné à ladicte Pucelle.

En mémoire de quoy, se voyant victorieux, et de tout en repos, sur la fin de son règne, après avoir employé le Pape pour faire revoir le procès de ladicte Pucelle et purger sa mémoire par une sentence glorieuse donnée et exécutée à Rouen, Sa Majesté fist aussi mettre ces images et statues sur le pont d'Orléans, en un mesme temps, pour monstrer qu'eux deux seuls avoient sceu ce secret et l'avoient exécuté par l'intercession de la Vierge qu'ils en remercient ainsi ensemblement : ce fut environ l'an 1458.

Essayons de démêler, si possible, dans les dires de Charles du Lys, ce qui peut être de tradition et ce qu'il imagina luimême.

La tradition de la Vierge priée par Charles VII et intervenant au même moment près de Jeanne paraît bien transposée du Mirouer des femmes vertueuses. Une édition du Mirouer,

de la vie de Janne d' Arc... Paris, Pierre Chevalier, 1612, petit in-8°, 15 f, et 144 p. B. N., Lb 26 26.

1. Voir ci-dessus, p. 110, n. 2.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 129

né contenant que l'histoire de la Pucelle, parut en 1610, et Charles du Lys en eut sans doute connaissance.

Le Mirouer copie mot pour mot la vie de Jeanne dans les Grandes Chroniques de Bretagne, écrites par Alain Bouchard à la requête d'Anne de Bretagne 1. Vallet de Viriville, qui a signalé cette filiation 2, ne fait pas ressortir comment Alain Bouchard, Breton de l'entourage de la reine, a recueilli là une tradition de la cour royale, attestée telle par ailleurs, sous des formes quelque peu différentes, par Pierre Sala, pannetier d'un des fils d'Anne de Bretagne et de Charles VIII, puis maître d'hôtel de Louis XII 3, et par l' Abréviateur du procès, qui écrivit « par le commandement " de Louis XII et de l'amiral de Graville 4. Valerandus Varanius a suivi, dans son poème 5, basé en majeure partie sur des données historiques, un thème qui diffère légèrement de celui d'Alain Bouchard et présente plus d'analogies avec celui du Mistère du siège 6.

L' Abréviateur du procès nous fait remonter vers l'an 1500 7, le Mistère du siège sensiblement au delà, de même que Pierre Sala.

La tradition de cour rapportée par ces auteurs se retrouve encore dans la Chronique de la Pucelle, qui paraît bien l'oeuvre de Jean Jouvenel des Ursins.

Jouvenel remplissait des fonctions officielles à Poitiers au moment de la venue de Jeanne et fut chargé de diriger l'en1.

l'en1. le Mirouer, cf. Molinier, Sources de l'histoire de France, IV, 4508. Lanéry d'Arc a signalé l'édition de 1610 dans son Livre d'or.

2. Vallet de Viriville, Notes bibliographiques sur le Mirouer des femmes vertueuses, dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. XVI, 1855, p. 551-566.

3. Quicherat, Procès, IV, p. 277 et suiv. Les services que nous venons de rappeler sont incontestables : mais il est moins sûr qu'il ait tenu son récit, comme il le prétend, d'un chambellan de Charles VII. — Cf. aussi Molinier, loc. cit., IV, 4509.

4. Id., Procès, IV, p. 254 et suiv. — Molinier, loc. cit., IV, p. 315. — Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque d'Orléans sous le n° 518.

5. Quicherat, Procès, V, p. 83 et suiv. — Molinier, loc. cit., IV, 4746, 4507 (p. 315).

6. Loc, cit., p. 264-272, 351-352, 406-412.

7. Nous avons dit plus haut (p. 110, n. 4) comment la miniature d'un manuscrit des poésies de Charles d'Orléans, écrit entre 1500 et 1502, représente la Vierge intercédant pour la France près du Christ en croix.

MÉM. XXXVII. 9


130 J. DE LA MARTINIÈRE

quête du procès de réhabilitation 1. Son récit présente des rapprochements avec la déposition de Frère Paquerel, mais renferme des précisions que ne donne pas le procès. Ceux-ci peuvent avoir pour source les notes prises par Jouvenel, au moment de la déposition, de détails enregistrés au procès ; cependant, ils paraissent plutôt provenir d'une tradition de la cour, sinon d'un récit 2 recueilli au moment même des faits.

On trouve peut-être encore trace de la prière du roi dans la lettre d'un chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, écrite peu après l'arrivée de Jeanne à la cour royale 3.

Il n'apparaît pas impossible qu'un Orléanais cultivé, ayant des accointances avec la cour, tel qu'Aignan de Saint-Mesmin, ait pensé perpétuer, conformément à une tradition établie, le lien existant entre la prière du roi et la mission donnée à la Pucelle. Cette idée semble clairement exprimée sous la Ligue, entre autres, par le guidon de la Pucelle, dont il sera question plus loin. Les explications de Charles du Lys sur les intentions des fondateurs contiennent donc, peut-être, une part de vérité. Néanmoins, le doute reste permis : nous dirons pourquoi tout à l'heure.

Quant à la date de 1458 donnée pour la première fois par Charles du Lys, celui-ci dut s'inspirer de la ballade inscrite sur la grosse cloche du beffroi, qu'il a publiée 4. La ballade donne 1458 comme année de la fonte et paraît indiquer qu'à cette date les États s'étaient réunis à Orléans. Ceux-ci expliquaient la présence du roi et le souvenir donné par lui à l'in1.

l'in1. Planchenault, La Chronique de la Pucelle, dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. XCIII, janvier-juin 1932, entre autres p. 73. — Quicherat, Procès, IV, p. 208-209.

2. Lieutenant-colonel Maumené et comte Louis d'Harcourt, loc. cit., pl. 103-2, reproduisent l'enluminure d'un feuillet de livre d'heures daté de 1498 environ. Louis XII, agenouillé, est assisté par saint Michel et accompagné par saint Charlemagne, saint Louis et saint Denis. La Chronique de la Pucelle fait dire à Jeanne que Charlemagne et saint Louis prient pour Charles VII.

3. Quicherat, Procès, V, p. 99. Siméon Luce la signale en même temps qu'il rappelle la nomination du dauphin comme chanoine de Notre-Damedu-Puy en mai 1420. Loc. cit., p. 316.

4. Recueil d'inscriptions, loc. cit.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 131

tervention de la Pucelle dans la ville où s'était manifestée sa mission.

Plusieurs des collaborateurs du Recueil de Charles du Lys n'admirent pas l'affirmation que le monument avait été élevé par Charles VII et en rapportèrent le mérite aux Orléanais 1. Louis d'Orléans fit même intervenir les femmes orléanaises, comme Pontus Heuterus 2.

Le grand et bon Peiresc, lui, par reconnaissance, souscrivit à tout ce que proposait Charles du Lys, qui venait de faire gagner un procès de conséquence à sa famille. Mais des doutes le tourmentèrent et il chercha quelques précisions. Elles durent le navrer. « Sur le pont, il y a une Notre-Dame de Pitié au pied de la croix, entre deux figures à genoulx du Roy barbu et de la Pucelle, ayants des chausses à la Polacque, faicts (sic) à plaisir depuis que les anciennes furent abattues durant les troubles 3. » Comment, dès lors, faire remonter au milieu du XVe siècle les statues du monument !

Néanmoins, le succès du Recueil de Charles du Lys dans les milieux les plus divers devait accréditer la croyance à une statue de Charles VII érigée en 1458. On la trouve exprimée par tous les historiens Orléanais depuis lors.

M. Eugène Jarry, nous l'avons déjà dit, put fort heureusement fixer, en 1911, la date réelle du monument. Malheureusement, le testament d'Aignan de Saint-Mesmin, du 10 avril 1498, dans lequel, vraisemblablement, se trouvaient des précisions sur la forme à donner à ce monument , demeure introuvable. Il n'est donc pas absolument certain que le testateur ait voulu rappeler le roi Charles VII.

On peut concevoir qu'Aignan, soucieux à la fois de marquer sa reconnaissance à son duc et de rappeler le souvenir

1. Charles de la Saussaye, doyen du chapitre Sainte-Croix ; Rigaud, ami de l'historien de Thou ; Louis d'Orléans.

2. Cf. ci-dessus, p. 109-110.

3. Bibliothèque de Carpentras, ms. 1779, fol. 361 v°. Peiresc note aussi : « On porte encores aux processions des habillements faicts exprez depuis peu, en mémoire de ceux de la Pucelle ; mais, de ceux-cy, il ne se peult rien apprendre. » — Le « roy barbu » peut s'expliquer soit par une confusion avec celui du guidon dont il sera question plus loin, soit, ce qui nous semble moins vraisemblable, par la réfection de la tête de la statue postérieurement aux gravures de Léonard Gaultier.


132 J. DE LA MARTINIÈRE

du siège où son père s'était distingué, ait voulu représenter le duc remerciant la Vierge de la délivrance de sa bonne ville, comme sur la bannière, et, vis-à-vis de lui, l'instrument de cette délivrance, Jeanne.

Le monument du pont aurait alors figuré non plus la prière du roi, mais l'action de grâces du duc à la Vierge et au Christ.

LES JETONS DE LA VILLE

Il convient de dire un mot rapide sur les jetons de la ville d'Orléans.

Le premier qu'on connaisse date de 1572, année où l'on remercia Dieu du danger dont il aurait préservé le roi. Il est frappé « pour la maison commune ». On y voit, au revers, le monument du pont assez fidèlement reproduit. Aussi bien l'ordre de le réparer avait été l'un des premiers actes de la municipalité organisée sur de nouvelles bases 1. La légende est une partie du verset de la bannière qui, comme je l'ai déjà dit, résume tous les autres :

A Domino factum est istud.

On le grava encore, en 1578, sur le piédestal de la BelleCroix 2, tout près du monument du pont. Le verset établit ainsi un lien entre les divers monuments de Jeanne d'Arc à Orléans avant la. Révolution.

En 1585 apparaît, sur le droit du jeton, derrière une femme personnifiant Orléans, le panorama de la ville. D'où vient l'idée de ce panorama? Faut-il la croire entièrement indépendante du tableau que nous avons décrit dans un pré1.

pré1. premier maire, Jean Brachet, fut nommé par arrêt des 8 et 16 mars 1569 (Le Maire, édit. de 1645, p. 441). Catherine de Médicis venait d'être nommée usufruitière du duché d'Orléans, le 7 mars 1569. On sait que le marché pour la réparation du monument date du 9 octobre 1570 (Quicherat, Procès, V, p. 224). Claude Sain, sieur de la Belle-Croix, successeur de Jean Brachet, était maire en 1572.

2. A. Collin, Le pont des Tourelles à Orléans, dans Mémoires de la Soc. arch. et hist. de l'Orléanais, t. XXVI, p. 551, montre comment, sur ce point, Le Maire et Symphorien Guyon, qui ont vu l'inscription, se trouvent d'accord. Le Maire, p. 447 de l'édit. in-4°, donne des précisions sur la date, 22 mars, et le nom du fondeur, Jean Buret.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 133

cèdent travail et du panorama de la bannière du milieu du XVIe siècle 1? Il est à croire que non.

Dans ce jeton frappé « pour la maison de ville », le Christ en croix se substitue à la Vierge de Pitié, ce qui pose un problème que certaines données permettent de résoudre avec une quasi-certitude.

LE GUIDON DE LA PUCELLE

A la procession du 8 mai se portait, depuis 1494, à côté de la bannière de la ville, l'étendard de la ville, auquel on donna ensuite le nom d'enseigne, puis celui de guidon de la Pucelle. M. de Certain exprimait le regret qu'on ne possédât aucune description, pensant qu'elle pourrait donner, peut-être, quelques indications sur l'étendard de Jeanne 2. Il ne connaissait pas la description relevée par Peiresc en 1623 3.

Il y a encores un guidon rouge, semé de fleurs de lis d'or et de caillous d'argent, mais elle est faicte depuis peu, et par des gens ignorants, d'autant qu'ils ont peinct le roy Charles VII barbu et couronné de laurier, avec sa cotte semée de fleurs de lis et le collier de Saint Michel, estant à genoulx devant la croix, et de l'autre costée la Pucelle à genoulx, fresée, les cheveux pendants, revestue d'une cotte d'armes rouge doublée de jaune, semée de caillous d'Orléans, avec un IHS sur la manche, tenant une lance comme les modernes, au bout de laquelle il y a un guidon avec le mesme IHS, et les heaulmes et gantelletz devant la croix.

Le roy dict : Confidens dimicabo.

La Pucelle dict : Tibi certa spes.

Aux branches de la croix est escript : Per me salus.

De l'autre part y a deux petits anges qui substiennent d'une main un escripteau disant :

Virgo fui, Francis divino numine missa Fortia quae fido pectore corda gero.

1. Nous devons exprimer tous nos remerciements à M. Eugène Deschamps, qui nous a communiqué sa riche collection de jetons et le catalogue des Jetons et méreaux de la collection Feuardent. Paris, 1907, t. II ; ainsi qu'à M. Houzé, auquel nous devons le relevé d'un certain nombre de jetons de la ville. C'est ce relevé qui nous a donné l'indication de deux jetons de 1585, l'un au type ancien, avec la date au droit ; l'autre au type nouveau, avec la date au revers, du côté du monument.

2. Loc. cit.

3. Bibliothèque de Carpentras, ms. 1779, fol. 361 re.


134 J. DE LA MARTINIERE

Et de l'autre main un grand caillou d'Orléans vuidé et remply d'une grande fleur de lis d'or 1.

On pourrait supposer ce guidon de l'invention de Charles du Lys si le crucifix ne se trouvait pas dès 1585 sur le jetonde la ville 2. Dès lors, il est impossible de douter que les monogrammes du guidon furent inspirés par la dévotion chère à saint Bernardin de Sienne, remise en honneur à Orléans du fait du savant Père Hylaret, cordelier 3. Le monogramme de la manche n'est pas une fantaisie : Bernardin, lui aussi, le portait sur la manche de son vêtement 4.

Au moment de la Ligue, le Père Maurice Hylaret révolu1.

révolu1. façon de représenter les armes d'Orléans se retrouve ailleurs.

2. Le jeton de 1585 m'a été signalé par M. Houzé. Un jeton de l'ancien type est, lui-aussi, daté de la même année. Dans l'ancien type, la date se trouve au droit ; dans le nouveau, au revers, sous le monument.

3. L'étude parue le plus récemment sur le Père Hylaret est celle du P. Antoine de Sérent, Nostre Maistre frère Maurice Hilaret, cordelier ligueur d'Orléans, dans Études franciscaines, t. XV, 1906, p. 422-442. Elle utilise surtout [Jean Landré, médecin du duc de Mayenne], Anniversaria oratio Mauricii Hylareti, Engolismensis, doctoris theologi celeberrimi, ordinis S. Francisci, vitam et mores alque etiam quemdam in haereticos et schismaticos excursum continens. S. 1., 1595, in-8°, 103 p. — Cf. aussi A. Dupré, Serinons du Père Maurice Hylaret, cordelier, prêches à Orléans, dans Bull, de la Soc. arch. de l'Orléanais, t. XI, 1896, p. 220-235. — Sur sa confrérie, il faut lire Le Maire, Histoire et antiquités d'Orléans, au chapitre de la Ligue, p. 351. — Le Maire parle du tombeau qui lui fut élevé au milieu de l'église des Cordeliers, avec une statue de cuivre. Il donna lieu à une brochure in-8° de 84 p., publiée chez S. Hotot, à Orléans, en 1592, sous le titre de : Tombeau du Vénérable Père en Dieu Maurice Hylaret. — La science du prédicateur nous est attestée par l'édition d'une partie de ses sermons et aussi par Jean du Douet, qui, dans son Formalilatum Doctoris subtilis Scoti... monolessera... Parisiis, J. Poupy, 1580, in-8°, 286 p., le signale comme le second des théologiens dont il a utilisé les oeuvres et la doctrine. — Cette bibliographie nous a été fournie en grande partie par notre confrère M. Henri Lemaître, archiviste-paléographe, directeur de la Revue d'histoire franciscaine, et aussi par notre confrère M. J. Soyer. — Sa lutte contre le protestantisme se manifeste dans Deux traitez ou opuscules, l'un par forme de remonstrance, De non conveniendo cum haereticis ; l'autre par forme de conseil et advis, De non ineundo cum muliere haeretica a viro catholico conjugio... Orléans, O. Boynard, 1587, in-8°, épître limin. et 175 p. D 22010 à la Bibliothèque nationale.

4. Comme le prouve, entre autres, ce passage d'un manuscrit du XVe siècle cité par le P. Salvatare Tosti, Di alcuni codici délia prediche di S. Bernardino..., dans Archivum Franciscanum historicum, t. XII, 1919, p. 190 : « Frate Bernardino... cacciô fuori une tavoletta di circa a uno braccio per ongni verso e inn essa fighurata el nome di Jhesù... »


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 135

tionna la ville par sa confrérie du Saint nom de Jésus, dite aussi du Cordon de saint François. Elle eut un succès considérable. Plusieurs membres de la municipalité en firent partie. Son but n'était pas seulement religieux, mais aussi politique. L'influence du Père Hylaret, prédicateur de la ville depuis 1572, était telle que ses obsèques, en 1592, revêtirent l'aspect d'un deuil public. L'évêque, tous les ordres religieux de la ville y assistèrent.

Comment s'étonner qu'un pareil homme ait profité de la popularité qu'avait, à Orléans, la fête du 8 mai, pour propager la dévotion et servir la cause dont il s'était fait l'apôtre. On peut, d'ailleurs, supposer, sans invraisemblance, que l'idée lui en fut donnée par l'ancienne bannière où il retrouvait le monogramme cher à son ordre, sinon même par une tradition persistante. Le dessin qu'il fit parvenir à Thevet d'un portrait de la Pucelle « tel qu'il estoit au trésor de ville » avant 15841 pourrait bien n'être que la transposition de la figure de la bannière 2. Le Frère Hylaret était arrivé à Orléans dès 1572, peu après la restauration du monument ; il avait vu, cette même année, la ville faire frapper un jeton à la ressemblance du monument, avec une légende empruntée à la bannière 3; la ville ordonner, en 1576, l'impression du Journal du siège*; la ville encore faire graver, en 1578, l'inscription de la Belle-Croix 5 dont il fut peut-être l'inspirateur, sinon le rédacteur, car on le reconnaissait comme « un des sçavans hommes aux langues » de son « aage »6 ; il se trouvait en relations étroites d'estime et d'amitié avec le premier maire d'Orléans, Jean Brachet, à qui ses goûts avaient fait réunir une bibliothèque considérable.

La comparaison entre les temps troublés de la Ligue et

1. Thevet, Pourtraicts et vies des hommes illustres. Paris, 1584, in-fol., fol. 280 v°.

2. Thevet a pris certaines libertés dans la reproduction du portrait transmis. Il indique, par exemple, qu'il a revêtu la Pucelle d'un " corps de cuirasse » conservé au château d'Anet.

3. Cf. ci-dessus.

4. Quicherat, Procès, IV, p. 94.

5. Cf. ci-dessus.

6. Thevet, loc. cit.


136

J. DE LA MARTINIERE

ceux où la France se trouvait envahie par les Anglais était facile à établir. Le guidon témoigne comment Jeanne d'Arc fut considérée, sous la Ligue, comme ayant remporté la victoire du pur nationalisme contre les ennemis du royaume à l'aide du monogramme du nom de Jhesus ; comme pouvant aider à remporter de nouvelles victoires sur les protestants, grâce à cette dévotion franciscaine. C'est au même moment que Pierre Crespet, célestin de Paris, lui aussi ardent ligueur, écrivait, parlant de Jeanne : « Je m'assure qu'elle assistera en la vie et en la mort ceux qui l'honorent et qui désirent être assurés de ses intercessions 1. »

Un peu plus tard, et pour répondre, peut-être, à cette tendance, on montrera aussi Henri IV chassant les Espagnols avec l'aide de sa noblesse, comme, jadis Charles VII avait chassé les Anglais avec l'aide de sa noblesse et celle de la Pucelle 2.

Le frère Hylaret figura donc, sur le guidon, la Pucelle venant au secours d'un roi « barbu » par l'intermédiaire du nom de Jhesus. Il n'ignorait pas que ce nom signifiait sauveur et rappelait la rédemption par la croix. Ce seul fait suffirait à expliquer la substitution du Christ en croix sur la bannière et, par suite, sur le jeton, à la Vierge de Pitié du monument. Mais on peut croire, en outre, que le Frère Hylaret, curieux, évidemment, de tout ce qui concernait les « troubles », eut connaissance, soit par des écrits, soit de la bouche même de ceux qui l'avaient connue, du « crucifix » du monument primitif.

1. Le jardin de plaisir et de récréation spirituelle. La première édition daterait de 1587 d'après E. de Bouteiller et G. de Braux, La famille de Jeanne d'Arc. Paris, 1878, in-8°, p. 64-65. Elle ne se trouve pas à la Bibliothèque nationale. Nous citons Crespet d'après une lettre de Hordal à Charles du Lys publiée dans le même volume, p. 22.

2. L'histoire mémorable des grans troubles de ce royaume soubs le roy Charles VII, contenant la grande désolation en laquelle il le trouva à son advènement à la couronne par l'usurpation des Angloys, ses merveilleux faicts d'armes et de la pluspart de sa noblesse, ensemble de la Pucelle Jeanne, par le moyen desquels lesdicts Angloys furent chassez, et cedit royaume rendu paisible... histoire presque conforme aux derniers troubles de ce temps pratiquez de longue main par l'Espagnol, à l'usurpation de cedit royaume, et duquel ilz s'en vont du tout déchassez par la prouesse et valeur de nostre roy Henri IIII, l'assistance de sa mesme noblesse et de tous les bons François. Édition du Héraut Berry, datée de Nevers, 1594, et parue sous le nom d'Alain Chartier.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 137.

Les paroles mises dans la bouche du Christ, du roi et de Jeanne pourraient bien représenter la synthèse des paroles enflammées du prédicateur appuyées sur de vieilles traditions : Charles VII, le roi légitime, assurant sa victoire grâce à l'intervention de Jeanne d'Arc, aidée par le Christ et le monogramme de Jhesus.

Le guidon fit suite à l'étendard ; mais l'étendard ne donnait aucune figuration de Jeanne. On le trouve en 14941. Comme son nom l'indique, aucune dévotion n'inspirait sa décoration. Il s'opposait à la bannière et figurait la personnalité civile de la cité. Dès 1430, l'étendard et la bannière suivirent les « compagnons » d'Orléans qui se rendaient au siège de la Charité 2. Il faut donc se représenter l'étendard possédant, comme le guidon décrit par Peiresc, un champ de gueules chargé de fleurs de lis et de caillous, alias de coeurs de lis, peut-être avec les armes de la ville dans un écu. On s'expliquerait difficilement comment Jeanne, s'y trouvant figurée de façon ou d'autre depuis la fin du XVe siècle, il ne prit le nom de guidon de la Pucelle qu'au XVIIe siècle. Alors ce nom se trouvait, on vient de le voir, amplement justifié.

La ville fit faire, en 1659, un nouveau « guidon de la Pucelle », comme nous l'apprennent ces articles de comptes :

A François Barbier, artillier, la somme de trois livres tournois pour la lance qu'il a fournie du nouveau guidon de la Pucelle. — A Nicolas Humbry, marchand, la somme de vingt sept livres dix solz pour avoir fourny de cinq aulnes de taffetas bleu pour faire le nouveau guidon de la Pucelle. — A Mathurin Pasquier, passementier, la somme de trois livres dix huit solz pour fournitures par luy faictes de frange qui a servy au nouveau guidon de la Pucelle. — A Langlois, brodeur, la somme de quatre livres tournois pour avoir par luy faict et retaillé le nouveau guidon de la Pucelle et fourny de soye. — A Gilles Rathouin, maître peintre, la somme de soixante livres tournois pour avoir luy peint le nouveau guidon de la Pucelle 3.

1. Bibliothèque d'Orléans, ms. de l'abbé Dubois, 594, fol. 237 v°. Je n'ai pu retrouver le document original aux archives de la ville.

2. Quicherat, Procès, V, p. 270. — Archives de la ville aux archives du Loiret, CC 550.

3. Les textes ont été publiés, entre autres, par P. Mantellier, Le siège et la délivrance d'Orléans. Orléans, 1855, in-8°, p. 123. Je n'ai retrouvé, aux


138 J. DE LA MARTINIÈRE

On remarquera l'expression répétée de « nouveau guidon de la Pucelle ». Elle s'explique parce que Jeanne, nous l'avons vu, figurait sur le guidon précédent et continua de. figurer sur le nouveau guidon. La somme élevée donnée au peintre marque l'importance du travail demandé. Le champ rouge d'Orléans disparaît pour faire place au champ bleu de France, sans doute en raison de la donation en apanage du duché d'Orléans à Gaston, frère de Louis XIII.

LE PROJET DE RECONSTRUCTION DU MONUMENT

(1824)

En 1824 fut prêchée à Orléans une grande mission terminée par la plantation de la croix qu'on voit encore sous le porche de la cathédrale 1. Les prédicateurs pensèrent qu'on pourrait ajouter à cette croix les statues en bronze qui caractérisaient le monument de la Pucelle, fondues de nouveau grâce aux aumônes des « dames et demoiselles Orléanaises ». Une notice en ce sens, accompagnée d'une lithographie 2, fut publiée par le savant abbé Dubois, qui rédigea l'inscription suivante :

Les dames et demoiselles d'Orléans avaient érigé, en 1458, un monument pour témoigner à la fois leur reconnaissance envers Dieu et envers Jeanne d'Arc, et leur attachement inviolable à la personne de leur roi ; l'hérésie l'a détruit en partie en 1562. Il avait été réparé en 1570 ; l'impiété l'a tout-à-fait renversé en 1793. Les dames et demoiselles d'Orléans l'ont de nouveau rétabli en 1824, M. le comte de Rocheplatte étant maire3...

L'abbé Dubois devait être, pensons-nous, le véritable iniarchives

iniarchives la ville, que le mandat de paiement à Gilles Rathouin et sa quittance, tous deux du 15 mai 1660 (CC 803).

1. Sur la mission, Lottin, loc. cit., donne des détails curieux et quelque peu persifleurs. La croix avait d'abord été placée à l'extérieur, cloître Sainte-Croix.

2. Cf. ci-dessus, p. 111, n. 6. Vergnaud-Romagnési se l'attribue : « Dans la lithographie que nous avons imprimée pour lui en tête de sa notice " (Mémoires et documents curieux inédits..., loc. cit., p. 10, n. 1). Il n'y a là rien d'impossible. On connaît plusieurs lithographies de Vergnaud.

3. Bibliothèque d'Orléans, ms. 594, fol. 287 y».


MONUMENT CHRÉTIEN ET FRANÇAIS DE JEANNE D'ARC,

DONT LA RESTAURATION EST PROJETEE PAR LES HABITANS ET SPÉCIALEMENT PAR LES DAMES

ET LES DEMOISELLES D'ORLEANS.

Tel était le nonument primitif, érigé en 1456, par les Dames et les Demoiselles d'Orléans. Charles VII et Jeanne d'Arc y sont

représentés à genoux, devant N. D. des Sept douleurs. — C'est à Marie au pied de la Croix que la France, dans tous les

t n i«.i, Louis XIII iàitsi »'<1.*.il,t,-.lr-l., i.ïMhvtdif de Louis XIV ■■! lttir1in«i.-rii«>n royaume. En 1814 , aux premières vèptes de la fête de la Cumpassion. , Paris

la France furent sauvés.

J. t,.-.,),,! J„ f*i,1f«*,rt, St M,tH,L, qui •prMU, à Jeanne d'Arc et lui donna sa mission. _ En 1429 (8 mai), jour de la fête de l'archange Saint »W . ,wi,..„i,«, de la Ville d' Orléans - l „ 1890 (29 septembre), jour de la fête de St MICHEL, puissance de Monseigneur le Duc de Bordeaux, que le

LlTHOGHAPHIE D'ENGELMANN



LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 139

tiateur de l'idée d'un nouveau monument de la Pucelle. C'est, peut-être, avec ses encouragements qu'avait paru, en 1817, une grande gravure in-folio de C.-F. Diot 1 dédiée au maire, comte de Rocheplatte, et accompagnée d'une longue notice explicative, représentant le monument de 1771-1772. Sa brochure se termine ainsi :

Monseigneur l'évêque d'Orléans... a réclamé, auprès de son Excellence le Ministre de la guerre, le métal du monument de la Pucelle qui se trouve dans les arsenaux de Sa Majesté. Les Dames et les Demoiselles d'Orléans ont présenté à son Excellence une semblable requête. Nous espérons que sous un Roi ami de la justice et protecteur de la Religion, elle sera favorablement écoutée, et que bientôt on verra reparaître à Orléans un monument en bronze qui honorera la Religion, et qui apprendra à tous les Français quelle gloire est réservée à ceux qui se sacrifient pour leur patrie et leur légitime souverain.

Une grande image en couleurs, à la façon des images d'Epinal, fut vendue au profit du monument, accompagnée de réflexions aussi politiques que religieuses 2. On les retrouve sur une lithographie que l'abbé Dubois fit tirer avec grandes marges 3, assez différente de celle de sa notice, et vendre aussi au profit du monument.

Le projet ne put réussir, mais ne fut pas abandonné, semble-t-il. En 1845, le Conseil municipal d'Orléans décida l'érection d'un nouveau monument à Jeanne d'Arc 4. Cette même année, M. l'abbé Dubois aurait fait exécuter une lithographie différant par quelques détails de la précédente 5.

1. Dessinée par C.-F. Diot, gravée par L.-J. Allais. — La feuille jointe et souvent collée derrière est intitulée : « Description de l'ancien monument élevé en mémoire de Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans, détruit en 1793. »

2. Orléans, impr. de Jacob, lith. de G. Engelmann. Cette image est reproduite dans l'ouvrage de Marius Sepet, L'histoire de Jeanne d'Arc... Paris, Marty, 1907, gr. in-4°, pl. 85.

3. Le Musée Jeanne-d'Arc en possède plusieurs exemplaires. Lith. Engelmann, impr. Jacob.

4. Aufrère-Duvernay, Notice historique et critique sur les monumens érigés à Orléans en l'honneur de Jeanne d'Arc. Paris et Orléans, 1855, in-8°, p. 25.

5. C'est du moins ce qu'assure Vergnaud-Romagnési en 1861. Mémoires et documents curieux, loc, cit., p. 10, n. 1.


140 J. DE LA MARTINIÈRE

Peut-être faut-il l'identifier avec celle reproduite dans la Jeanne d'Arc illustrée de Wallon 1.

Mgr Dupanloup n'avait pas encore perdu tout espoir de retrouver le canon de la Pucelle fondu avec le bronze du monument. Sur sa demande, des recherches furent faites par ordre du ministre de la Guerre dans les arsenaux, en 1874 et 1875 2. Elles demeurèrent sans résultat.

CONCLUSION

Aignan de Saint-Mesmin, qui porta le titre d'écuyer seulement à la fin du XVe siècle, prit l'initiative de faire élever un monument sur le pont d'Orléans. Ce monument, réalisé seulement au début du XVIe siècle, avec l'aide de la ville, comportait au centre un crucifix, au pied duquel se tenait la Vierge debout, accosté des statues orantes du roi et de la Pucelle, le tout en bronze, sur un piédestal de pierre avec, peut-être, une inscription.

Détruit en grande partie par les protestants en 1562, il fut rétabli en 1570. La statue primitive du roi était conservée, le crucifix remplacé par une croix, la Vierge debout par une Vierge de Pitié. La gravure de Léonard Gaultier de 1613 donne les grandes lignes de cette restitution. Parmi les détails d'ornementation figurant sur la gravure et que ne comportait pas le monument, l'idée de la devise et de la couronne de lis encadrant les armes de la ville doit être attribuée à Charles du Lys, aidé, sans doute, de Peiresc. Quant aux physionomies du roi et de Jeanne, le portraitiste qu'était Léonard Gaultier les a fidèlement rendues, ce qui conduit à reconnaître dans la statue royale, et jusqu'à preuve du contraire, celle de Louis XII.

Il est possible que le symbolisme du monument s'explique par la tradition de la prière de Charles VII, qui se confond avec celle, du secret, tradition transmise dans la famille royale. Il est possible qu'Aignan de Saint-Mesmin, exprimant sa volonté avant l'accession de Louis XII au trône, ait

1. Paris, 1876, in-4°, p. 374.

2. Collin, loc. cit., p. 635.


LE MONUMENT DE LA PUCELLE A ORLÉANS 141

voulu seulement représenter le duc d'Orléans, son maître, en face de Jeanne, comme dans la bannière du XVe siècle, et traduire ainsi la reconnaissance du duc pour la délivrance de sa bonne ville, La première explication, admise au moins dès la fin du XVIe siècle, comme le montre le guidon de la Pucelle, fut explicitement exposée pour la première fois par Charles du Lys en 1613.

Le monument, réparé en 1570, fut presque aussitôt reproduit sur les jetons frappés « pour la maison commune ». Il le fut, de nouveau, sur le guidon de la ville, sous l'influence du cordelier Hylaret. Mais on y rétablit le crucifix à la place de la croix, on y vit un roi barbu substitué au roi imberbe, et ce dans un but d'action politique et religieuse. Pareille substitution du crucifix à la croix se fit dans les jetons frappés « pour la maison de ville ».

Les figures placées sur le guidon lui firent donner le nom de guidon de la Pucelle. Il remplaçait l'étendard de la ville, aux couleurs et aux pièces de ses armes, témoignant sa personnalité civile, très distinct de la bannière, d'origine religieuse.

Enlevé du pont en 1745, rétabli en 1772 à l'angle de la rue Royale et de la rue de la Vieille-Poterie au début de 1772, le monument de la Pucelle fut détruit en 1792 pour fabriquer des canons. On essaya de le reconstituer à l'occasion de la mission de 1824.

La bannière de la ville depuis 1430, son guidon dit guidon de la Pucelle depuis la Ligue, ses jetons, le monument de la Pucelle sur son pont, et aussi la Belle-Croix, ne font qu'un par la reconnaissance envers Dieu exprimée à l'aide d'un verset de psaume déjà cité par Gerson en 1429, à propos de la délivrance d'Orléans : « A Domino factum est istud », et aussi dans une espérance invincible en l'intercession de Jeanne formulée par le cordelier-ligueur Maurice Hylaret, qui lui fait dire au Christ : « Tibi certa spes. »

J. DE LA MARTINIÈRE. .


LA FEMME SANS NOM

ENCORE ET DU NOUVEAU SUR LA FAUSSE MARQUISE DE DOUHAULT

PRÉLIMINAIRE EXPLICATIF

Dans une note déjà ancienne 1, nous avons analysé une série d'articles que M. G. Lenôtre avait publiés sous le titre de « La Femme sans nom », au Monde illustré (juin 1919), et qu'il a réunis depuis en un petit volume de la collection Énigmes et drames judiciaires 2.

Il s'agit d'un épisode de la société orléanaise de la fin du XVIIIe siècle, qui a fait jadis la matière de plusieurs écrits et d'études critiques, dont les moins anciennes sont de l'aimable historien Jules Loiseleur 3 et de Jules Doinel 4, alors archiviste du Loiret.

Pour l'intelligence de ce qui va suivre, il faut exposer brièvement la trame de la mystérieuse affaire, où est mise en question la mort ou la survie d'une femme appartenant à la haute aristocratie française, dans les dernières années de l'Ancien Régime, Mme la marquise de Douhault.

D'après l'acte de sépulture que nous transcrivons en appendice, et dont la fausseté n'a jamais été démontrée,

1. Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, 1920, t. XIX, p. 30, 94.

2. Paris, 1922 (Perrin).

3. Loiseleur, d'après un livre de Victor Perceval, La marquise de Douhault. Paris (Dentu), 1872, in-12, a donné au journal le Temps une série d'articles que le Journal du Loiret a reproduits dans ses numéros du 25 au 28 septembre 1872.

4. Républicain Orléanais, 14 novembre et 12 décembre 1887, 19 janvier, 13 février, 12 mars, 16 avril, 14 mai 1888.


LA FEMME SANS NOM 143

cette femme est morte à Orléans le 19 janvier 1788 et le surlendemain, après des obsèques solennelles célébrées en l'église Saint-Michel, elle fut inhumée au grand cimetière de la Porte-Saint-Vincent. Un neveu de son mari défunt, André-Jérôme Égrot, seigneur du Lude, et deux de ses proches , parents, Claude-Philippe de Lavergne, baron de Loury, seigneur de la Roncière, chez lequel elle était décédée, Armand-Jacques-François Guyon, comte de Guercheville, lui ont rendu les derniers devoirs et ont signé l'acte mortuaire 1.

La mort l'ayant surprise hors de son domicile et chez des parents, les officiers de la justice locale, le lieutenant général du bailliage et l'avocat du roi 2, se sont fait représenter le cadavre par les serviteurs de la défunte. Ceux-ci leur ont attesté que c'était le corps de la marquise de Douhault.

Elle était née, le 7 octobre 1741, à Champignelles, qui est aujourd'hui une commune de l'arrondissement de Joigny, canton de Bléneau (Yonne). Son père, Louis-René de Rogres de Luzignan, marquis de Champignelles, né en 1715, avait épousé, en 1737, Jeanne Le Febvre de Laubrière, dont le père mourut évêque de Soissons. Ils eurent six enfants : trois fils, deux moururent en minorité et l'autre fut LouisArmand, comte de Champignelles, et trois filles, l'une morte en bas âge, l'autre qui fut depuis prieure des Dominicaines de Montargis ; la troisième, Marie-Adélaïde, épousa, en 1764, Louis-Joseph, marquis de Douhault, union qui fut loin d'être heureuse, car le mari, en proie à des crises d'épilepsie, fut frappé d'aliénation mentale dès 1766 et mourut le 21 mars 1787. Son beau-père, le marquis de Champignelles, lieutenant général des armées, était mort en 1784 ; mais sa

1. Égrot du Lude, fils d'un frère utérin du marquis de Douhault, la mère de celui-ci, née Laisné de Sainte-Marie, ayant épousé en premières noces Jérôme Égrot du Lude, mort en 1709. — Mme de la Roncière, née Adélaïde Guyon, et Armand-François Guyon de Guercheville, cousins germains de la défunte (voir, en appendice, les généalogies des familles).

2. Le lieutenant général était Henry-Gabriel Curault, seigneur de Malmusse ; l'avocat du Roi, Jean-Louis Henry, né à Orléans en 1751, mort à Briare en 1841, occupait cette charge dès 1775 ; appelé depuis Henry de Longuève, fut député aux États-Généraux, aux Cinq-Cents et sous la Restauration.


144 ALEXANDRE POMMIER

femme, retirée à la maison des Incurables, à Paris, vivait encore lorsqu'à la fin de 1787 sa fille, la marquise de Douhault, qui, depuis vingt ans, vivait solitaire en Bas-Berry, dans le château du Chazelet 1, appartenant à son mari, se mit en route vers Paris dans l'intention de revoir sa famille et aussi de régler avec son frère et sa mère leurs comptes de famille. Elle s'arrêta à Orléans, où elle arriva la veille des Rois (5 janvier) de 1788. Elle y comptait des amis et les proches parents dont on lit les signatures sur son acte de sépulture. Son neveu d'alliance, Égrot du Lude, ne pouvant lui offrir l'hospitalité, elle la prit chez les La Roncière, dont la maison 2 voisinait, rue de la Bretonnerie, avec l'Intendance — la Maison du Roi — dont les hauts bâtiments en brique rouge, cerclés de cordons de pierre blanche, du style du début du XVIIe siècle, subsistent dans leur intégrité. La société orléanaise lui fit fête, ses parents la retinrent durant une quinzaine de jours et elle se disposait à partir, le 16 janvier, vers Montargis, où elle s'arrêterait pour revoir sa soeur, la prieure dominicaine, quand la veille elle fut soudainement frappée d'une congestion, à laquelle elle succomba le 19, sans avoir repris connaissance. Tous les soins lui avaient été donnés, les meilleurs médecins de la ville, Loyré et Lambron, l'apothicaire Prozet, appelés à son chevet ; on remarque en particulier le docteur Dominique Latour 3, qui débutait à cette époque comme médecin à Neuville-auxBois et, déjà apprécié, fut appelé en consultation.

Or, à quelque temps de là, entre en scène une femme, qui, durant les années 1789 à fin 1791, vit à Paris d'expédients

1. La paroisse de Chazelet, canton de Saint-Benoît-du-Sault, département de l'Indre.

2. On pourrait identifier la demeure de La Roncière avec le ,n° 22 actuel de la rue de la Bretonnerie, qui a une issue sur la rue des Anglaises. L'aventurière, qui a séjourné à Orléans, a raconté que, pour son départ prétendu le 19 janvier, on la fit sortir dans cette rue, où l'attendait un cabriolet.

3. Dominique Latour, né à Ancizan, vallée d'Aure (Hautes-Pyrénées), en 1749, mort en 1828. Voir, à son sujet, une note dans le Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais, t. XXI, p. 452. En appendice, le certificat de ce médecin sur les circonstances de la maladie et de la mort de Mme de Douhault.


LA FEMME SANS NOM 145

et de tromperies ; elle prend divers noms et, entre autres, celui d'Anne-Louise-Adélaïde de Champignelles, veuve de « Messire Pierre-André, marquis de Grainville, sous-gouvernante de Madame Royale ». C'est la même femme qui, en octobre 1789, est sortie de l'hôpital de la Salpêtrière, où, par ordre du Roi du 26 décembre 1785, elle était entrée le 3 janvier 1786 et écrouée sous les noms d'Anne Buiret, âgée de vingt-huit ans, femme de Jean Bourdin ; les faits qui seront ci-après relatés permettent de l'affirmer.

A l'automne de 1791, elle se rend à Champignelles, où, après s'être présentée comme marquise de Mérinville, elle déclare résolument qu'elle est la marquise de Douhault, dont on a faussement annoncé la mort, et elle forme contre le comte de Champignelles, son prétendu frère, une demande en réintégrande de tous ses droits, noms et qualités et en restitution de tous les biens dont il s'est indûment emparé.

Le tribunal du district de Saint-Fargeau, de création récente, saisi de l'affaire, l'en débouta par son jugement du 26 mai 1792. Durant de longues années, la réclamante maintiendra sa prétention et, malgré les invraisemblances qui sautent aux yeux des plus crédules, cette femme, sans instruction et grossière de langage, saura intéresser à sa cause les maîtres du barreau, dont quelques-uns illustres, Deséze, Chauveau-Lagarde, susciter des amitiés fidèles, des désintéressements qui ne l'abandonneront qu'à sa mort, et, par leur assistance, elle soutiendra avec persistance la suite d'actions judiciaires qui seront ci-après étudiées.

M. Lenôtre, dans son récit captivant, s'est approprié, sous certaines réserves, les récits de la soi-disant Mme de Douhault sur son départ d'Orléans au matin du samedi 19 janvier 1788, à l'heure même où, passée pour morte, on préparait ses obsèques, et sur son incarcération à la Salpêtrière huit jours après. Il ne discute ni ne résout la question de son identité et termine son petit livre au début de la Restauration, dans une complète incertitude sur les circonstances et la date de la fin de l'aventurière. « La marquise de Douhault, écrit-il, disparut sans qu'on puisse indiquer, de

MÉM. XXXVII. 10


146 ALEXANDRE POMMIER

façon même approximative, la date de son décès. On a fixé sa mort à 1817, mais les archives de l'état civil ne contiennent pour cette époque, ni pour les années suivantes, aucun acte qui semble se rapporter à sa personnalité. On rencontre bien, à la date du 17 février 1832, la mention du décès d'une femme Anne Biret, âgée de quatre-vingt-un ans, qui pourrait être l'intrigante dont les turbulentes aventures ont été mêlées à ce récit. De la veuve de Douhault, nous n'avons trouvé nulle trace. »

MORT DE L'INTRIGANTE ; CONTESTATION JUDICIAIRE SUR LA RÉDACTION DE SON ACTE DE DÉCÈS

Nous avions perdu de vue cette question et son mystère, lorsque récemment notre confrère M. l'archiviste du Loiret, avec son habituelle obligeance, nous signala son rapport imprimé sur le Service des archives du Loiret en 1932, où il note le don fait par les archives de l'Aude à ces dernières du « dossier de la marquise de Douhault, née en 1741, dite la Femme sans nom (1791-1832), composé de trente pièces, dont six estampes, qui y avait été apporté par Jules Doinel, ancien archiviste du Loiret, lors de sa nomination en la même qualité à Carcassonne ».

Ce dossier, dont feu Doinel n'a pas indiqué la provenance, renferme tous les documents, enquêtes, jugements, arrêts et procédures relatifs à la lutte judiciaire soutenue par la fausse marquise à partir de 1791 contre son prétendu frère le comte de Champignelles ; mais, hâtons-nous de l'annoncer, il nous donne une pièce capitale qui est l'extrait mortuaire de l'acharnée réclamante, accompagné du bulletin d'état civil qui servit à son inhumation, ainsi que des pièces de la procédure suivie devant le tribunal de la Seine après sa mort, sur la contestation à laquelle donna lieu la rédaction de l'acte de décès. La défunte avait, de son vivant, affronté toutes les juridictions en faveur de ses invraisemblables prétentions ; ses amis, ses défenseurs officieux plaidèrent encore pour elle après son trépas, defuncta adhuc loquitur.


LA FEMME SANS NOM 147

Voici les termes de cet acte, dont M. Lenôtre n'a pas suffisamment pesé les termes :

« Ville de Paris. — Mairie du IIe arrondissement.

« Du samedi 18 février 1832, midi, acte de décès d'une dame dite née de Champignelles (Yonne), le 7 octobre 1741, ayant porté les noms de Anne Birette (sic), femme Bourdin, Blainville et de Mérinville, décédée hier à dix heures du matin, en son domicile rue Neuve-Saint-Augustin, n° 20.

« Acte dressé sur la déclaration de : M. Gabriel Baudron, propriétaire, rue des Vieux-Augustins, 41 ; M. AntoineJoseph Blondeau, rentier, faubourg Saint-Denis, 22, tous deux amis de la défunte. »

Le Bulletin administratif qui leur a été remis aux fins du service funèbre et de l'enterrement est libellé ainsi :

« N° 2050. Reçu des mains de M. Baudron la somme de vingt francs pour les motifs exprimés ci-contre en marge (comme suit) :

« Date du décès : 17 février 1832.

« Nom de la décédée : dite femme Bourdin, née le 7 octobre 1741.

« Demeure : rue Neuve-Saint-Augustin, n°.20.

« Droit d'inhumation : 20 francs.

« Paris, le 18 février 1832.

« Le chef des bureaux de là mairie, « (Signature.) »

Cette défunte est incontestablement la personne qui est « réputée la Femme sans nom » ; néanmoins, l'officier de l'état civil lui attribue les date et lieu de naissance de la vraie Mme de Douhault, en même temps que, par un singulier amalgame, il la désigne comme s'étant dite Anne Birette, femme Bourdin, laquelle, d'après la date de naissance qu'il lui attribue, mourrait à l'âge de quatre-vingt-dix ans et quatre mois. On verra plus loin que, si elle était réellement la femme Bourdin, son nom de famille serait Anne Buiret, née à Paris le 11 octobre 1756, par conséquent âgée, en février 1832, de soixante-seize ans et quatre mois, soit quinze ans de moins, différence appréciable.


148 ALEXANDRE POMMIER

Les énonciations insérées dans les deux actes reproduits ci-dessus n'ont pas vraisemblablement été fournies par les témoins déclarants ; aussi peut-on être étonné que, plus de vingt-cinq ans après les débats judiciaires sur les réclamations et plaintes de la prétendue marquise et le bruit public qu'ils ont causé, ces noms de Buiret et de Bourdin reparaissent sur la tête de la morte. Il faut en conclure qu'à tort ou à raison une notoriété s'est établie sur sa personnalité, et pareille tradition est remarquable dans ce grand Paris, où les habitants d'un quartier, voire même d'une maison, ne se connaissent pas entre eux. Il est vrai que le théâtre s'était emparé de l'affaire; on y joua un mélodrame, intitulé : La Fausse Marquise 1, et notre dossier revenu de Carcassonne contient une curieuse gravure en couleurs, qui représente un acteur nommé Talon dans un des rôles de la pièce.

Mais, dès le 20 février, avant l'enterrement, l'officier de l'état civil se voyait, par ministère d'huissier, sommé par trois personnes, qui se disent amis de la défunte, d'avoir à rectifier la rédaction de son acte.

Ce sont les sieurs Gabriel Baudron et Antoine-Joseph Blondeau, cités plus haut comme ayant déclaré le décès ; ce dernier se désigne comme « frère d'une demoiselle Blondeau qui, depuis trente ans, d'abord à Orléans, ensuite à Paris, à Bourges et encore à Paris, s'est dévouée à soigner une dame que les tribunaux ont délaissée sans nom ».

La troisième, enfin, est Pierre Delorme, ancien avocat à la Cour de Poitiers, demeurant rue Saint-Pierre-Montmartre, qui déclare « être domicilié à Paris depuis vingt-huit ans pour la défense toujours persévérante de la dame délaissée sans nom ».

« Ils protestent contre les termes de la déclaration de décès que l'officier de l'état civil a transcrite et que Baudron

1. Le mémoire en cassation de la réclamante (Paris, 1807 (Baudoin), p. 57) allègue que cette pièce fut jouée deux fois à Orléans, dans la nouvelle salle de spectacle qui était l'ancienne église Saint-Michel, là où avaient été faites les funérailles de la marquise de Douhault (Bibl. municipale d'Orléans, H. 5280).


LA FEMME SANS NOM 149

et Blondeau viennent de signer sur le registre avec une confiance aveugle, et dans laquelle il est écrit, par erreur, que la défunte a pris divers noms, notamment celui de Anne Buirette, femme Bourdin, sous lequel nom a été délivrée la quittance de la somme payée pour les droits municipaux et ils en demandent la rectification, conformément à un projet que Delorme a consigné sur une note. »

L'officier de l'état civil ayant répondu que la déclaration enregistrée ne pouvait être rectifiée qu'en vertu d'un jugement, Delorme, sans désemparer, saisit la justice par voie d'une requête motivée, où il expose que, depuis le mois de prairial an XIII (mai-juin 1805), il s'est dévoué à la cause d'une dame dont le procès était dévolu à la troisième chambre de la Cour d'appel, laquelle, à la date du 23 prairial an XIII (12 juin 1805), a rendu un arrêt défendant à la réclamante de continuer à porter les noms de Adélaïde-Marie RogresLusignàn de Champignelles, veuve de Douhault.

« Considérant, dit l'arrêt, que, quoique la réclamante ne soit pas la veuve de Douhault, il n'appartient pas à là Cour de juger qui elle est véritablement et de quelle famille elle sort, la renvoie pour la vindicte publique devant la Cour de justice criminelle de l'Yonne 1. »

Mais « jamais, affirme Delorme, la réclamante n'y a été traduite et, depuis cet arrêt, convaincu de son identité avec la veuve de Douhault, il n'a cessé de lui assurer les moyens d'une subsistance honnête et de poursuivre la révision de son procès.

« A présent retenu chez lui par là maladie, il avait soumis à la mairie un projet de déclaration qui ne fut pas admis et qui était ainsi conçu : « Le 17 février 1832, huit heures du « matin, est décédée, rue Neuve-Saint-Augustin, n° 20, une « dame que les deux témoins ont déclaré avoir été délaissée « sans nom par arrêt de la Cour de Paris du 23 prairial « an XIII, lui faisant défense dé porter le nom de Champi« gnelles de Douhault. »

Avant de faire connaître la décision du tribunal de la

1. Archives du Loiret, E, familles. La marquise de Douhault.


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Seine, étudions ce personnage de Delorme qui intervient avec tant de zèle dans cette protestation.

Une note manuscrite anonyme, qui se trouve au dossier revenu de Carcassonne, nous renseigne sur ses origines fort honorables.

Pierre Delorme était né à Poitiers, le 24 mai 1766 ; son aïeul, Pierre Delorme, avocat et greffier au siège présidial de cette ville, était né, en 1681, à Artenay, près d'Orléans 1. Il s'était marié à Poitiers, en 1720, à Catherine Petit, fille d'un procureur attaché à ce présidial ; il y mourut en 1727, laissant deux enfants :

1° Pierre Delorme, né à Poitiers en 1721, mort à Paris en 1775, où il exerçait une charge de commissaire-priseur ; il ne laissait pas d'enfant de son mariage avec Marie Dangereux, fille d'un échevin de Pontoise.

2° Michel Delorme, né à Poitiers en 1722, qui fut avocat au siège présidial de cette ville, où il mourut en 1783 ; ayant été marié, en 1763, avec Julie Deschamps, fille d'un procureur du même présidial, laquelle mourut à Poitiers en 1807. De cette union, deux enfants étaient nés :

A) Une fille, Marie Delorme, née en 1764; mariée, en 1783, à un avocat au présidial, nommé Duval.

B) Un fils, Pierre Delorme, qui est le futur chevalier servant de notre héroïne.

Ce troisième Pierre Delorme, né à Poitiers, le 24 mai 1766, mourut à Paris, en sa demeure rue Saint-Pierre-Montmartre, le 16 avril 1832, deux mois après sa cliente.

Il s'était marié à Poitiers, le 30 janvier 1796, avec MarieAnne Guignard, fille d'un docteur régent de la Faculté de droit de cette ville ; elle mourut sans enfants, en 1841 ; il était avocat à la Cour d'appel de Poitiers, quand eut lieu à Bourges le procès criminel en faux suscité par la plainte de l'aventurière.

Comment et par suite de quelles influences cet homme, qui était marié et appartenait, comme sa famille, à la bonne

1. Des recherches faites dans les archives de la commune d'Artenay sur cette famille Delorme n'ont donné aucun résultat.


LA FEMME SANS NOM 151

bourgeoisie du Poitou, a-t-il subitement quitté sa profession et sa résidence pour se mettre au service d'une femme d'un passé déplorable et comment ce dévouement, qui paraît désintéressé, a-t-il persisté jusqu'aux limites de sa vie? En l'absence d'indices révélateurs, tenter une psychologie de ce personnage serait téméraire. Les diverses enquêtes suivies à Argentan et à Bourges montrent qu'il y fut étranger aux menées de l'aventurière. Nous ne voyons son nom qu'au bas d'une consultation en faveur de sa cliente, rédigée, en 1808, de concert avec Devaux, avocat à Bourges, et tendant à obtenir du pouvoir une loi de revision des arrêts civils.

Une lithographie, datée du 7 septembre 1830, le représente debout en robe d'avocat, auprès d'une femme âgée assise dans un fauteuil auprès d'un cercueil ; dans le fond de la scène apparaît le dôme de la Salpêtrière.

En tête de l'estampe, on lit : « Secours à deux blessés. » Au bas, cette légende :

« Non dans un cercueil, dans cette prison, la nuit du

20 janvier 1788, fut enfermée la marquise de Douhaut, née le 7 octobre 1741. Malgré d'immenses malheurs, elle est âgée de 89 ans toujours elle réclame son nom. Revendication d'état imprescriptible. Justice, justice, enfin. »

M. Lenôtre a rapporté ou bâti sur Pierre Delorme une légende romancée 1, sans référence précise, et qui a le tort grave de jeter une ombre sur la mémoire de la défunte marquise de Douhault ; nous la résumons :

" Delorme, jeune étudiant de manières distinguées, dont le père était l'un des vassaux du seigneur de Chazelet, avait été l'un des assidus du château, où il aurait été favorisé d'une étourderie de la jeune femme coquette, et cette légèreté n'aurait pas été étrangère à des actes violents que son mari jaloux aurait commis sur sa personne.

« Plus tard, n'ayant pas perdu le souvenir de la jeune

1: Lenôtre, La Femme sans nom, p. 20, 245 à 247.


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marquise, il apprit qu'une femme, prétendant être Mme de Douhault, qu'il croyait morte depuis seize ans, plaidait devant la Cour criminelle de Bourges.

« Il s'y rendit par curiosité, vit dans l'assistance la plaignante, en laquelle, naturellement, il ne reconnut pas, de prime abord, la marquise, qu'il avait vue jeune au Chazelet ; mais la grande quantité de villageois de Champignelles et de Chazelet, qui la reconnaissaient pour leur ancienne maîtresse, l'impressionna tellement qu'il lui fit demander un entretien sans témoin.

« A l'issue de sa visite, qui dura plusieurs heures, Delorme sortit transfiguré, pâle, haletant, jurant solennellement que la femme avec laquelle il vient de causer longuement est Marie de Champignelles de Lusignan, marquise de Douhault, et qu'il consacrera désormais toute sa vie, toutes ses forces, toutes ses ressources à la rétablir dans ses droits... »

M. Lenôtre raconte même que Delorme aurait retrouvé Anne Buiret et aurait fait constater officiellement l'existence de cette femme dépravée, de façon à ce que jamais on ne puisse salir la noble marquise d'un insultant rapprochement avec cette misérable.

Ces récits d'imagination sont fort plaisants et nous nous demandons à quelle source cet historien les a puisés, alors qu'un simple rapprochement de dates suffira à leur ôter toute vraisemblance.

En effet, lorsque Delorme vint au monde en 1766, Mme de Douhault avait vingt-cinq ans, et cette même année son mari, pour cause de démence, fut conduit à l'asile de Charenton, où il mourut en 1787. Si Delorme a pu la connaître, la remarquer, en éprouver une impression, elle avait sûrement franchi le cap de la quarantaine et ce serait dans les quelques années qui ont précédé sa mort inopinée.

La question de l'illumination soudaine de l'avocat reste néanmoins entière. Était-il naïf, prompt à devenir la dupe d'une habile intrigante? Anne Buiret possédait tous les dons propres à jouer ce rôle. Il est permis de le supposer.

Jugement du 24 mars 1832. — Donc, le tribunal, saisi de l'incident soulevé par Delorme, statua en ces termes, sous


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la présidence de M. Debelleyme, qui fut une illustration de la magistrature de ce temps, et dont les décisions font encore autorité.

« Attendu qu'en l'espèce les témoins ayant déclaré que la personne décédée était la même qui avait réclamé le nom, l'état et les biens de la veuve marquise de Douhault et à laquelle s'appliquait l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris du 23 prairial an XIII, l'officier de l'état civil aurait dû s'assurer de l'état civil de la personne décédée, prendre connaissance de cet arrêt,

« et attendu qu'il en résultait qu'il avait été fait défense à la femme dont s'agit de porter les noms d'Adélaïde-Marie ou de Marie-Adélaïde Rogres Lusignan de Champignelles, veuve de Louis-Joseph de Douhault,

« qu'elle avait été laissée sans nom, que ses noms étaient inconnus, mais que, d'après les déclarations faites dans les instructions judiciaires, différents noms lui avaient été attribués, qu'ainsi il y avait lieu de constater l'identité de la personne décédée avec celle qui avait été l'objet de cet arrêt et autant que possible le nom de cette même personne, en recueillant tous les noms qui lui avaient été attribués ;

« Attendu que l'acte de décès, dressé le 18 février, ne satisfait pas pleinement à ce que dessus,

« Ordonne.la rectification dudit acte de décès, ordonne en conséquence que la défunte y sera désignée de la façon suivante :

« Une dame délaissée sans nom par arrêt de la Cour de « Paris du 23 prairial an XIII, défense lui ayant été faite « par ledit arrêt de porter les noms d'Adélaïde-Marie ou « Marie-Adélaïde de Rogres de Lusignan de Champignelles, « veuve de Louis-Joseph de Douhault, qui ne lui appar« tiennent pas, laquelle dame, d'après les déclarations faites « dans les instructions judiciaires par elle contestées, aurait « aussi porté les noms d'Anne Buiret, femme Bourdin, de « Blainville et de Mérinville. »

Ce jugement clôt la série des décisions judiciaires prononcées sur les procédures de l'intrigante ; il serait surprenant qu'elle se rouvrît. L'affaire a d'ailleurs pris place depuis


154 ALEXANDRE POMMIER

longtemps dans la galerie des énigmes historiques, que la curiosité des érudits ou la fantaisie des romanciers réveille de loin. Elle offre un intérêt particulier pour la société orléanaise, où les descendants des témoins de la mort de la vraie marquise de Douhault sont nos contemporains et par tradition de famille en gardent le souvenir ; mais elle a surtout un caractère spécial en ce sens que, si les arrêts de la Justice ont statué que l'acte de sépulture du 21 janvier 1788 n'est pas entaché de faux et ont justement défendu à la réclamante de prendre et porter les noms, état et qualités de Adélaïde-Marie de Champignelles, ils n'ont pas résolu la question de savoir qui était la réclamante et de quelle famille elle sortait, profonde différence avec d'autres querelles du même genre où les tribunaux, tout en démasquant l'imposture, ont mis son vrai nom sur la face de l'imposteur. L'examen des procédures permettra de déceler les raisons juridiques de cette lacune ; c'est le but principal de cette étude.

Pour l'instant, la défunte du 17 février 1832 est « la femme délaissée sans nom » ; c'est un individu qui, au regard de la société, est juridiquement dépourvu de personnalité, fait anormal et exorbitant ! Comment s'est créée cette situation?

EXAMEN CRITIQUE

DES PROCÉDURES DE L'AVENTURIÈRE

ET DES JUGEMENTS ET ARRÊTS

I. — JUGEMENT DE SAINT-FARGEAU

Le jugement de Saint-Fargeau, rappelé ci-dessus, mérite un examen tout particulier ; les juges qui l'ont rendu dans un temps rapproché de la mort de la marquise de Douhault ont reçu les dires d'un grand nombre de personnes qui avaient personnellement connu la défunte ; ils ont pu, à la lueur de leurs témoignages, reconstituer sa physionomie physique, morale et intellectuelle et la comparer avec les


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traits et l'aspect de la réclamante qui comparaissait devant eux. . .

HISTOIRE D'ANNE BUIRET 1

Pour comprendre comment ce tribunal de district, récemment créé, a été saisi de cette affaire, il. faut remonter à une vingtaine d'années et introduire sur la scène l'audacieuse femme qui se dira Mme de Douhault, comédienne mal choisie pour jouer ce rôle difficile, car, au physique, elle est trop jeune de quinze ans et n'a aucun des traits de la noble femme dont elle usurpe la personnalité.

Anne Buiret, c'est le nom de l'aventurière, était née à Paris, le 11 octobre 1756, sur la paroisse Saint-Étienne-du-Mont, où elle fut baptisée comme fille légitime de Jean-Baptiste Buiret, menuisier, et de Marie-Madeleine Broquet, son épouse. Elle y eut pour parrain son aïeul maternel, Pierre Broquet, conducteur de travaux, et pour marraine une femme Contat, fruitière-orangère. Telle est l'origine de cette femme connue sous divers noms : Broquet, celui de son grand-père, qui l'a élevée ; Bourdin, nom de son mari ; ensuite sous des titres grandioses, dont le dernier dans lequel elle se retranchera jusqu'à sa mort sera Mme de Champignelles, veuve du marquis de Douhault.

Elle perdit sa mère à l'âge de trois ou quatre ans, alors que son père avait disparu de la maison conjugale, de sorte que, dès sa tendre enfance, elle resta à la charge de son grand-père Broquet, qui, n'ayant pas d'ouvrage à Paris, en alla chercher en province. M. de Champignelles, commandeur de l'ordre de Malte et oncle paternel de Mme de Douhault, qui avait des travaux à faire à son château du Saulce, près d'Auxerre, chargea ce Pierre Broquet d'en être le conducteur ; il emmena de Paris sa femme et sa petite-fille et

1, L'histoire d'Anne Buiret est empruntée aux pièces de procédure et, en particulier, à un récit manuscrit intitulé : Nottes sur la soi-disant dame Douhault, recueillies par Antoine Hubert, dans son voyage en Bourgogne. Il n'est pas daté, mais son texte montre que ces notes ont été recueillies en vue du procès criminel en faux soutenu à Bourges en l'an XII (voir archives du Cher, U 3.6, liasse 19).


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s'installa à la commanderie 1, où la jeune Buiret apprit ce nom de Champignelles qu'elle devait plus tard s'arroger en se donnant pour la nièce du commandeur.

Le séjour de Broquet à la commanderie d'Auxerre eut lieu vers 1776 ; les travaux finis, il vint demeurer à Sens et fut chargé par l'archevêque, le cardinal de Luynes, d'autres travaux à Brienon-sur-Armance. On le représente comme honnête homme et ouvrier apprécié. Malheureusement, sa petite-fille se signalait partout par son inconduite ; dès son jeune âge, elle avait manifesté des dispositions précoces pour duper ; elle tirait les cartes pour faire retrouver les objets perdus ou volés. Son grand-père, pour s'en débarrasser, songea à la marier ; un prétendant, mal avisé, nommé Jean Bourdin 2, ouvrier tourneur, qui l'avait connue à Sens en 1774, la demanda et l'obtint sans peine. Le mariage eut lieu en février 1776 ; elle avait vingt ans ; l'acte de célébration note que la mère est morte et le père absent depuis quinze ans. La nouvelle mariée, loin de s'assagir, comme Broquet l'espérait, fut vite rassasiée de sa vie monotone en ménage et du travail de rempaillage de chaises auquel son mari l'employait. Elle ne tarda pas à faire une première fugue à Courtenay, à la poursuite d'un galant ; revenue au domicile conjugal, elle s'enfuit de nouveau à la fin de 1777, mais cette fois pour de bon, avec un individu qu'elle avait eu l'astuce de présenter à son aveugle mari comme étant son père, Jean-Baptiste Buiret, retrouvé après quinze ans d'ab1.

d'ab1. château du Saulce, situé commune d'Escolives, sur les bords de l'Yonne, appartenait à la commanderie de Malte d'Auxerre, dont ArmandClaude-Jacques de Rogres de Lusignan de Champignelles, capitaine aux gardes-françaises, fut le titulaire de 1756 à 1771. Son successeur, le chevalier de Croquembourg, lui en conserva la jouissance pour six ans, moyennant un loyer annuel de 1,500 livres. Il était oncle paternel et parrain de Mme de Douhault. L'ordre de Malte possédait dans l'Yonne des biens considérables, répartis en commanderies, qui lui provenaient de l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, lequel les tenait des Templiers, après la suppression de cet ordre en 1314 (archives de l'Yonne, série H, supplément, p. VIII). Dans l'acte de baptême de Mme de Douhault, Je parrain y est qualifié chevalier profès de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, commandeur d'Abville.

2. Les premières procédures l'appellent quelquefois Baudin, par erreur ; son nom est Bourdin, incontestablement.


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sence. Elle s'établit à Paris, où son mari tente en vain de la ramener dans le droit chemin. Plus tard, le malheureux frémissait au souvenir d'une certaine promenade sur le bord de la Seine, où sa femme et son. amant l'avaient entraîné. Il avait cru remarquer de leur part certaines manoeuvres pour le jeter à l'eau. Bourdin y échappa par la fuite et ne songea plus à reprendre l'infidèle qui déjà auparavant avait menacé de l'étrangler. Le souvenir de ces aventures le terrifia toujours ; on en verra plus loin les conséquences au cours des enquêtes judiciaires. Ces faits se passaient vers 1778. Anne Buiret se lance alors dans la fréquentation des gens mal famés et vit de débauches et d'expédients malhonnêtes. Sa conduite suspecte avait attiré l'attention de la police et suscité des enquêtes à Sens et partout où elle avait passé, quand, après ces préludes, elle accomplit un exploit d'une audace effrénée, qui lui valut d'être incarcérée, en vertu d'un ordre du Roi, le 3 janvier 1786, à l'Hôpital général de la Salpêtrière.

Voici le fait : en 1785, un bruit, fondé ou non, s'était répandu dans Paris que la reine Marie-Antoinette, à l'occasion de la naissance de son second fils 1, soulagerait la classe indigente en retirant du mont-de-piété les objets engagés pour les rendre gratuitement aux intéressés. Notre héroïne imagina de se présenter à ceux-ci comme mandataire de la souveraine, se fit remettre les reconnaissances, dégagea les objets et se les appropria. Une circonstance fortuite l'avait servie : Mme Victoire, tante de Louis XVI, avait une femme de chambre qui se nommait Bourdin. Anne Buiret, qui l'avait appris par ses intrigues dans le monde de la Cour, prit une voiture avec des gens qu'elle avait revêtus d'une livrée et, dans cet équipage, opéra ses manoeuvres, comme une suivante de la princesse.

La police, informée de ces pratiques injurieuses pour la Reine, en découvrit sans peine l'auteur et en même temps sut que cette femme était prévenue de beaucoup d'autres

1. Cet enfant, dénommé à sa naissance duc de Normandie, devint le . Dauphin à la mort de son frère aîné en juin 1789. C'est le futur Louis XVII qui serait mort au Temple en 1795.


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escroqueries. Pour l'en punir, un ordre du Roi, contresigné du ministre Breteuil, ordonna son arrestation, qui fut opérée à Versailles, où elle avait encore eu l'effronterie de se montrer 1.

Retenons cette date du 3 janvier 1786; elle domine le débat.

Interrogée sur les méfaits qui lui étaient imputés, Anne Buiret fut renvoyée dans le quartier de Correction, d'où, probablement, elle ne serait pas sortie avant longtemps, si la Révolution ne lui en avait ouvert les portes. C'est le 16 octobre 1789 qu'un décret général de la Constituante la libéra dans une fournée de prisonniers du même acabit.

Anne Buiret, rendue ainsi à la liberté, reprit sa course aux expédients pour vivre sans travailler aux dépens d'autrui. Le trait qui domine dans ses tromperies est de se parer de titres nobiliaires et de faire montre de hautes relations dont elle éblouit la naïveté de certaines gens. Comme entrée de jeu, elle va se loger à l'hôtel Saint-Joseph, rue Montmartre, où elle est inscrite sous le nom de marquise de Grainville, d'Auxerre, demeurant au château de Belombre ; elle prend la qualité de sous-gouvernante de Madame Royale et s'y constitue une maison avec les domestiques de l'hôtel ; le petit garçon de l'hôtelier, Thomas, lui sert de jaquet 2 et, dans ses déplacements à Versailles, elle se fait accompagner de ce personnel. La fraude fut vite éventée et elle quitta l'hôtel le 16 février 1790, en devant de l'argent au maître et à ses employés, ainsi qu'aux carrossiers dont elle avait emprunté les voitures. Elle recommença dans un autre garni, et toujours sans payer sa dépense ; elle inventa, par la suite, un autre stratagème plus compliqué, qui lui procura quelques subsides ; se souvenant du nom de Champignelles dont elle entendait parler jadis à Sens, chez le grand-père Broquet, elle s'annonce comme cherchant des administrateurs capables pour deux terres qu'elle possède en Champagne. Deux agents d'affaires, alléchés par les avantages

1. Voir, à ce sujet, l'appendice VII, lettre des administrateurs de police. 2. C'est le terme dont se sert le rapport de police pour désigner l'emploi de chasseur de café ou d'hôtel.


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qu'elle promet, se présentent, sans s'informer de la situation de ces biens ; l'un, nommé Fleury, soi-disant avocat, sera l'intendant de son domaine de Champignelles ; l'autre, nommé Paris, commis au secrétariat de l'Assemblée nationale, régira sa terre de Belombre ; mais, avant tout, l'escroc leur réclame des avances comme cautionnement. Paris, moins méfiant que l'autre, finit par lui remettre l'acceptation d'une lettre de change de 150 livres tirée sur lui par Fleury, et alors seulement elle consent à aller chez le notaire Silly signer deux pouvoirs, le 10 février 1790 ; elle y prend les noms et qualités d'Anne-Louise de Champignelles, marquise de Grainville, sous-gouvernante de Madame Royale, demeurant au Vieux-Louvre. On remarquera que la femme Bourdin n'est pas encore fixée sur les prénoms de MarieAdélaïde de Champignelles, la défunte marquise de Douhault, et par habitude elle donne à la prétendue Grainville son prénom d'Anne.

Les traites de Fleury lui permirent de payer quelques dettes criardes ; mais, enfin, Paris eut des doutes et trop tard se décida à prendre des renseignements. Plusieurs personnages consultés à ce sujet, l'évêque d'Auxerre, un député de la noblesse de cette ville, lui apprirent que la personne qui se nommait Anne-Louise de Champignelles et s'intitulait marquise de Grainville leur était inconnue et que, du reste, ces noms leur semblaient suspects. Quant aux terres, situées près de Sens et non en Champagne, celle de Champignelles appartenait au comte de ce nom, l'autre à M. de Belombre. Il s'ensuivait que Paris avait été dupé par un escroc ; il porta plainte au tribunal de police municipale qui la condamna, le 24 février 1790, sous le nom de femme Bourdin, s'étant dite la marquise de Grainville, à être détenue pendant un mois à la prison de La Force, « comme convaincue de suppositions de noms, de qualités et de domicile tendantes à abuser le public 1 », sentence bénigne qui ne la corrigea pas, car, sortie de cette prison, elle reprend sa vie

1. Voir ce jugement à la suite de celui de Saint-Fargeau, dans Recueil d'affaires diverses. Bibl. municipale d'Orléans, B. 2058 (appendice VIII).


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d'intrigues à Paris, change souvent de domicile, se fait passer pour une dame attachée à Mme Elisabeth. La police la trouve logée, le 3 juin 1791, chez le suisse de l'hôtel de Vintimille, qui, sur son registre, l'inscrit « Louise-Adélaïde de Champignelles, 35 ans, veuve de Gourdain de Saint-Moutier, capitaine de dragons ». On remarquera que c'est l'âge d'Anne Buiret.

Nous ne voulons pas écrire la relation complète de ses aventures qui, au début du XIXe siècle, ont suscité plusieurs ouvrages en sens divers. Qu'il nous suffise d'observer que l'aventurière, par toutes ces manigances, s'achemine vers son coup d'éclat, persuader la survie de Mme de Douhault ; mais, pour l'instant, elle tâtonne au hasard, cependant que son projet est bien né dans son esprit et s'y développe. Dès la fin de 1790, elle avait écrit au curé de Champignelles une lettre informe où elle lui demande « son estrai de baptême de 1757, son estrai de mariage de 1770 » et « l'estrai mortuere de Mme de Champignelles, qui est sa mère, décédée au château de Champignelles ». Ces dates sont erronées, mais la démarche montre qu'elle connaissait la mort de cette dernière, qui, en réalité, était décédée à Paris quelques mois auparavant.

Le curé ne répondit pas et il ne semble pas qu'il ait prévenu la famille de Champignelles, mais Anne Buiret s'était renseignée autre part et, à la fin de septembre 1791, elle entreprend le voyage de Champignelles, où elle va mettre en train sa campagne. Elle s'embarque donc dans le coche d'Auxerre, accompagnée d'une suivante qui fera figure de femme de chambre. Dans l'auberge d'Auxerre où elle descend, elle s'annonce comme veuve Demoutier de Mérinville, née Champignelles, dame pour accompagner Mme Elisabeth. Elle tente d'entrer en relations avec l'abbesse du couvent de Saint-Julien, qui est une dame de Jaucourt; fausse manoeuvre, parce que celle-ci connaît intimement la famille de Champignelles, démasque immédiatement l'intrigante et l'éconduit rudement. Elle se remet en route et s'arrête à Saint-Fargeau, où elle ose se présenter au président Le Pel-


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letier 1, sous le titre de marquise de Mérinville, parente de M. de Champignelles. Elle lui raconte que sa chaise s'est brisée et lui demande de lui prêter une voiture et des chevaux. Le Pelletier, quoique surpris des allures de cette soidisant marquise, consent ingénument à lui prêter son cabriolet et son postillon ; elle loue donc des chevaux et, dans cet équipage, arrive la nuit au bourg de Champignelles. Elle se fait conduire au château et demande le concierge, qui se nomme Saint-Loup ; elle lui raconte qu'elle est Mme Dumoutier de' Mérinville, cousine germaine de son maître, et demande l'hospitalité au château. Saint-Loup répond qu'il connaît assez la famille de Champignelles pour savoir qu'il n'a pas de cousine de ce nom et que, d'ailleurs, il ne peut recevoir personne sans ordre.

Elle se fait alors conduire dans un cabaret, où elle se désigne comme Mme de Mérinville. Cette arrivée dans la voiture de Le Pelletier, dont le postillon est connu, fait sensation et attire les curieux. L'aventurière met à profit la simplicité des uns, les passions des autres pour rassembler des renseignements propres à soutenir son rôle et subitement elle annonce qu'elle est la marquise de Douhault qu'on croyait morte et que l'impitoyable Saint-Loup a refusé d'admettre dans la maison paternelle ; habilement, elle fait insinuer dans le public sa ressemblance physique avec la prétendue défunte, des libations copieuses adroitement distribuées aux curieux lui procurent les sympathies générales, où, pour une bonne part, entre le sentiment de réparer une injustice. Anne Buiret a répandu le bruit que sa famille, pour s'emparer de son bien, l'a fait enfermer à Pierre-Ancize 2, d'où la Révolution l'a libérée. Dans la masse de la population, beaucoup de gens, en leur foi intime, s'insurgent contre cette impudence, mais n'osent l'exprimer, car « reconnaître la marquise est devenu une affaire de parti ».

1. Michel Le Pelletier, marquis de Saint-Fargeau (1760-1793), président à mortier au Parlement de Paris, élu à la Convention, vota la mort du Roi. Un ancien garde du corps, nommé Paris, en représaille de son vote, le tua d'un coup d'épée le 20 janvier 1793, dans un café du Palais-Royal.

2. Pierre-Ancize était une forteresse servant de prison d'État, située sur la Saône, près de Lyon. Elle a été démolie.

MÉM. XXXVII. 11


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En temps normal, une démarche quelconque auprès de l'autorité locale aurait suffi à calmer l'effervescence populaire et l'intrigante aurait été arrêtée. Aussi nous avons peine à comprendre, avec les moyens modernes d'information si rapides dont les polices disposent, qu'une femme illettrée, grossière de langage, telle que l'ont dépeinte les enquêtes ultérieures, ait osé poursuivre cette machination sans avoir rencontré la moindre contradiction, mais il faut se rappeler que cette effronterie se commet en la dernière année de la monarchie, les castes sociales sont en lutte, les esprits troublés, la noblesse émigré, le comte de Champignelles est absent, probablement déjà en route pour l'étranger.

L'intrigante, réclamant le nom, l'état et le titre de marquise de Douhault, devrait rencontrer la défaveur des masses populaires, et c'est le contraire qui se produit, en raison de leur hostilité pour les nobles et même les bourgeois, derniers détenteurs de l'autorité. Ceux-ci, n'ayant plus la faveur de l'opinion, n'oseront ou ne pourront dénoncer l'imposture. Bien mieux, Anne a su gagner la municipalité à sa cause et elle lui présente une pétition tendante à ce qu'il lui soit permis de faire entendre en témoignage toutes personnes qui, volontairement, viendront déclarer qu'elles la reconnaissent. Le maire y consent et, par un abus de pouvoir que seuls peuvent expliquer les passions et le désordre de ce temps, il signe au bas de la requête présentée par la prétendue Adélaïde-Marie de Rogres, veuve de feu sieur de Douhault, une ordonnance qui, au mépris des ordonnances encore en vigueur, autorise cette enquête 1, à l'effet « d'entendre la reconnaissance que feront de ladite dame de Rogres, veuve de Douhault, généralement toutes les personnes qui peuvent l'avoir connue ».

1. Ce genre d'enquête, bien que le mot n'y soit pas énoncé, ressemblait à l'enquête par turbe, proscrite par l'ordonnance civile de 1667 et qui consistait dans la consultation de la foule des habitants sur un point de droit. Chaque turbe, composée de dix habitants, était comptée pour une voix, et il en fallait au moins deux pour établir un fait. Cette pratique n'était guère probante et donnait lieu à des erreurs.


LA FEMME SANS NOM 163

Il y est procédé, le 23 octobre 1791, devant trois officiers municipaux ; quatre-vingt-quatorze habitants du village se présentent et à l'unanimité déclarent la reconnaître pour la marquise de Douhault. Le procès-verbal, régulièrement dressé par le greffier de la commune, relate leurs brèves déclarations; aucune objection ne leur est opposée; les membres de la famille de Champignelles, intéressés à les discuter, n'ont pas été appelés à cette parodie d'enquête, où, parmi les témoins les plus affirmatifs, on remarque avec surprise Rémi Thierry et Bernard Rameau, hommes âgés, serviteurs du château depuis plus de trente ans.

D'après notre dossier 1, l'aventurière est soutenue dans sa campagne par un nommé Jean Retard, secrétaire de la mairie, qui, plus tard, changera d'opinion à son égard ; mais, pour l'instant, après cette escarmouche, elle est rentrée à Paris où elle loge, sous le nom de Mme de Mérainville, dans un garni grande rue du Bac, n° 104, et ce particulier lui écrit, le 2 novembre 1791 : « Saint-Loup remue tout et fait jouer toutes sortes de stratagèmes pour dépersuader le peuple que vous êtes Mad. de Duhaut (sic). Il a beau faire ; le pauvre Rameau, la première victime qu'il veut immoler à sa vengeance, il l'a chassé de son service et le menace de le mettre dehors de la maison qu'il occupe. »

On voit qu'à cette époque, des créanciers la poursuivent : un sieur Blanquet, demeurant à Saint-Quentin, tire sur elle une lettre de change de trois mille livres, « valeur en nos mains », signée Blanquet et Cie, et acceptée « veuve de Duhaut », mais des secours d'argent lui arrivent de Champignelles, où une collecte faite dans la population a recueilli une somme respectable que Retard lui apporte à Paris.

Le 5 novembre, obstinée dans sa campagne, elle passe, devant le notaire Pezet de Corval, à Paris, sous les noms de Louise-Adélaïde 2 de Rogres, veuve de feu sieur Douhault,

1. D'une façon générale, pour l'ensemble du récit, nous nous y référons. Archives du Loiret, E, familles.

2. Anne Buiret ne connaissait pas exactement les prénoms de la femme dont elle usurpait l'état ; elle prend ceux d'Anne, de Louise, d'Adélaïde, alors que Mme de Douhault, on l'a vu, était prénommée Adélaïde-Marie. De même, elle déforme le nom de Champignelles en Champinelle ou Cham-


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demeurant à Paris, rue du Petit-Bourbon, hôtel de Monsieur, paroisse Saint-Sulpice, une procuration constituant pour son procureur général et spécial, François-Albert Le Gendre, homme de loi, rue Saint-Jacques-le-Majeur, à Paris, lui donnant pouvoir de former en son nom toute demande, soit par la voie civile, soit par la voie criminelle, « en réintégrande de tous les biens qui peuvent appartenir à la dame constituante ».

Enfin, le 9 janvier 1792, elle assigne devant le tribunal du district de Saint-Fargeau, dont dépendait la paroisse de Champignelles 1, son prétendu frère, « Armand-Louis RogresLusignan, maréchal des camps et armées du Roi ». Dans l'exploit introductif du procès, elle prend les noms de dame Adélaïde-Marie de Rogres, veuve du sieur Louis-Joseph Douhault, en cette qualité héritière pour moitié du feu sieur Louis-René de Rogres et de dame Henriette Lefèvre, ses père et mère, demeurant ordinairement à Paris, rue du Petit-Bourbon, paroisse de Saint-Sulpice ; elle y demande la restitution de tous les biens dont s'est emparé son frère et lui réclame une indemnité de 500,000 livres pour « tenir lieu de la jouissance dont il l'a privée ».

Champignelles n'était pas présent, mais ses intérêts étaient soutenus par un mandataire qui, par une requête du 31 janvier, demanda au tribunal « l'autorisation de faire interroger la réclamante sur faits et articles pertinents à la demande », procédure permise par l'ordonnance de 1667 2, mais périlleuse, car, si l'intrigante, à force de renseignements recueillis dans la contrée, satisfaisait aux questions du magistrat, elle pouvait, en une certaine mesure 3, accréditer sa

pingelle. L'extrait baptistaire qu'elle se procura la renseigna pour l'assignation.

1. Avant la Révolution, les paroisses de Saint-Fargeau et de Champignelles ressortissaient aux bailliage et siège présidial de Montargis.

2. Ordonnance sur la procédure civile de 1667, article 1er du titre X (Bibl. municipale, B. 1493).

3. « La décision d'un procès peut ne pas dépendre de ce que la partie interrogée répondra, mais celui qui fait interroger peut tirer à son profit quelques preuves ou présomptions des aveux de l'adversaire ou des contradictions dans lesquelles il tombera » (Pothier, Obligations, partie 4,


LA FEMME SANS NOM 165

prétention. Celle-ci semblait tellement fabuleuse que les conseils de l'absent ne crurent qu'au succès et, en effet, la fausse marquise, par ses réponses, justifia pleinement que non seulement elle n'était pas Mme de Douhault, mais qu'elle était cette Anne Buiret dont nous avons narré les aventures.

Le président du tribunal, Toussaint-Thomas Thierriat, procéda lui-même, le 7 février, à cet interrogatoire ; cent dix questions avaient été signifiées à la réclamante ; quelques extraits de ses réponses édifieront sur la valeur de la demande.

Enquise de son nom, dit s'appeler Adélaïde-Marie de Rogres de Champignelles, âgée de cinquante et un ans, demeurant actuellement à Champignelles, où elle est née.

A l'aide de l'extrait baptistaire, les indications de noms et d'âge sont exactes pour Mme de Douhault, mais personnellement elle n'avait que trente-cinq ans et quatre mois.

Enquise (questions 38 à 41) de l'époque de son entrée à la Salpêtrière et des raisons pour lesquelles elle y a été enfermée, répond « qu'elle y est entrée le 3 janvier 1786, qu'elle y portait le nom de Blainville et qu'elle ne savait pourquoi elle avait été arrêtée à Fontainebleau, à l'hôtel de Luynes, et y avait été conduite, mais que, s'étant informée à la supérieure de la maison, elle lui aurait répondu qu'elle y était en vertu d'une petite lettre de cachet qui portait peine pour insolence, qu'elle ne pouvait supposer que le sieur de Champignelles, son frère, y eût participé, qu'elle croyait que c'était pour avoir dit de mauvaises raisons au baron de Breteuil, à raison de l'affaire du prince Louis » (le cardinal de Rohan, du procès du collier).

Ces réponses suffiraient à démontrer que la prétenduemarquise n'était autre que Anne Buiret, femme de Jean Bourdin ; il est évident que si elle a été enfermée au cours des années 1786, 1787, 1788 et 1789, elle" ne peut pas être Mme de Douhault, qui, en ces temps, demeurait à Chazelet, administrait ses biens, signait des baux et actes notariés,

chap. 3). Le jurisconsulte romain (Digeste) conclut en termes concis, dans le même sens : ut confitendo vel mentiendo se oneret.


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notamment, en 1787, la clôture de l'inventaire après décès de son mari, survenu en cette année.

Les gens qui l'inspiraient le sentirent et, sur leurs conseils intéressés — elle leur promettait dé partager avec eux les fermes qu'elle récupérerait — elle démentit sa réponse à la question 38 et prétendit que sa mémoire l'avait trahie ; c'est en janvier 1788 qu'elle avait été emmenée à la Salpêtrière, où elle fut écrouée sous le nom de Blainville.

Quel esprit impartial pourra admettre qu'elle se soit trompée de deux ans sur un fait aussi grave que celui de son arrestation ?

Moreau du Fourneau, commissaire du Roi auprès du tribunal, s'était informé au ministère de la Justice « au sujet d'une femme nommée Anne Buiret, femme Bourdin, et qui prenait actuellement le nom de Douhault ».

Les administrateurs de police de Paris 1 lui firent connaître que « l'ordre en vertu duquel cette femme a été conduite à la Salpêtrière, le 3 janvier 1786, est émané directement des bureaux de M. de Breteuil 2 et a été exécuté à Versailles par un officier de la prévôté, nommé Tergat ; mais il paraît, d'après plusieurs pièces, et notamment d'après un interrogatoire qu'elle a subi à la Salpêtrière, le 24 janvier 1786, qu'elle était prévenue d'un grand nombre d'escroqueries, qu'elle prenait faussement la qualité de femme de chambre de la Reine..., qu'à la faveur de cette qualité elle s'était présentée comme la chargée de retirer du mont-depiété des nantissements dont elle a tiré profit... ; pour ces faits, le tribunal de police l'a condamnée, au mois de février 1790, à un mois de détention à l'hôtel de la Force ».

D'autre part, la soeur de Sainte-Marthe, officière (supérieure) de la maison de Force (Salpêtrière), et le sieur Champion, préposé au Département de police, certifiaient 3 que

1. Pièce justificative n° 1 du jugement de Saint-Fargeau. Bibl. municipale d'Orléans, B. 2058. Pièces diverses. Voir appendice VII.

2. Louis-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil, fut, de 1783 à 1788, ministre de la maison du Roi et des lettres de cachet.

3. Un rapport du 29 novembre 1791 de cet inspecteur de police rapporte les. agissements anciens de la fille Buiret ; on le trouve aux archives du Cher, liasse 36, U 20 (voir appendices).


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« Anne Buiret, âgée de 28 ans, de Paris, paroisse de SaintÉtienne-du-Mont, femme de Jean Bourdin, y est entrée par ordre du Roi, du 26 décembre 1785, pour être détenue jusqu'à nouvel ordre, ayant été amenée par le sieur Tergat le 3 janvier 1786, sortie le 16 octobre 1789, d'après l'arrêté de l'Assemblée nationale » (voir appendice VI).

Le président lui demanda donc (110e question) si elle n'est pas la femme Bourdin et non pas Mlle de Champignelles, son nom de femme Bourdin étant constaté par le jugement de police du 24 février 1790, et « elle nia avoir jamais porté ce nom, protestant qu'elle est réellement Mlle de Champignelles, veuve du sieur de Douhault. Elle ajouta qu'elle a consenti à se laisser enfermer sous ce nom pour éviter que ses parents ne sussent sa condamnation et profiter du nom ».

Elle signe son interrogatoire : « Adélaïde Derogres de Champignelles, veuve d'Huaut. »

Le comte de Champignelles, ou son conseil, opposa à cette prétention une fin de non-recevoir, « résultant du décès de la véritable Mme de Douhault, sa soeur, légalement constaté par acte mortuaire du 21 janvier 1788, décès d'autant moins équivoque qu'il est arrivé dans sa famille, que plusieurs de ses parents et amis ont assisté à son convoi et ont signé l'acte contre lequel on ne pourrait admettre de preuve sans blesser toutes les lois et tous les principes ».

Et, quant au fond du procès, il concluait « que, d'après l'interrogatoire des 7-8 février, non seulement la partie adverse n'est point Mad. de Douhault, mais encore que son vrai nom est Anne Buirette, veuve Bourdin (sic), et demandait contre elle une condamnation en dix mille livres d'indemnité ».

Jugement du 26 mai 1792 du tribunal du district de SaintFargeau. — A la date du 26 mai 1792, le tribunal de SaintFargeau, conformément aux conclusions de Champignelles et à celles du plaidoyer substantiel du ministère public, rendit un jugement, dont il est nécessaire de relater les principaux considérants et le dispositif :

« D'une part, la femme se prétendant veuve Douhaut n'a


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aucune des notions qu'aurait la dame de ce nom et elle n'a pas répondu aux questions les plus simples ou n'a formulé que des mensonges d'une évidence frappante.

« D'autre part, il est prouvé :

« 1° Par l'interrogatoire subi par la partie de Pautrat 1 (la réclamante) les 7-8 février dernier ;

« 2° Par une lettre des administrateurs du Département de police de Paris ;

« 3° Par un certificat de la supérieure de la Salpêtrière, que cette femme a été, pour cause d'escroqueries, renfermée à la Salpêtrière depuis le 3 janvier 1786 jusqu'au 16 octobre 1789, sous le nom de Anne Buiret, femme Bourdin.

« Il est également prouvé, de la manière la plus authentique, que, tandis que la partie de Pautrat subissait ainsi la peine due à ses crimes, la feue dame de Douhaut vivait à Chazelet ; ce fait est établi par l'expédition en forme et dûment légalisée d'un bail fait par elle en mai 1786 du revenu de ses terres et encore mieux par l'expédition en forme et dûment légalisée d'un inventaire qu'elle fit le 25 mai 1787, après la mort du sieur Douhault, son mari, et dont elle a, pendant quinze jours, signé toutes les vacations en même temps que ses parents.

« Par conséquent, il est impossible qu'il y ait identité entre la réclamante et la feue dame dont elle voudrait usurper le nom, puisqu'elles existaient toutes les deux en même temps et à la fois en des lieux si éloignés et si différents.

« Considérant encore que le décès de la feue dame de Douhaut est prouvé par le certificat dûment légalisé des médecins et chirurgiens qui l'ont traitée pendant cinq jours de suite et par l'acte mortuaire le plus authentique signé de tous ses parents ;

1. Pautrat était le nom du conseil, procureur (avoué) ou avocat de la fille Buiret. D'après un ancien usage, les juges désignaient la partie plaidante du nom de son porte-parole en justice. — Plus tard, en appel devant la Cour de Paris, l'aventurière y a pour avocat Huart du Parc ; l'arrêt confirmatif du jugement de Saint-Fargeau la désigne « la partie de Huart Duparc ». Cet usage produit ce résultat bizarre et fâcheux dans cette affaire que le nom d'Anne Buiret n'apparaît en aucune des décisions judiciaires rendues sur ses poursuites.


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« Que du moment qu'il est prouvé que la partie de Pautrat faisait ainsi un autre individu que la dame de Douhault, tous les faits qui pourraient concerner la défunte lui sont absolument étrangers, que dès lors elle n'est pas fondée à demander que le sieur de Rogres ait à répondre ce qu'il put avoir fait de relatif à la dame sa soeur, puisque, quels que puissent être ces faits, ils ne sauraient être d'aucune considération relativement à un étranger.

« Le tribunal, sans s'arrêter aux faits signifiés par la demanderesse, sur lesquels elle demande à faire interroger Rogres de Lusignan, lesquels sont déclarés non pertinents et inadmissibles, comme ne pouvant la concerner,

« La déclare non recevable en sa demande à fin de réintégrande en des noms, droits et qualités qui ne lui ont jamais appartenu, lui fait défense de prendre à l'avenir les noms et qualités d'Adélaïde-Marie de Rogres, veuve de Douhault, et, pour l'avoir fait faussement sans droit, la condamne en cinq mille livres de dommages-intérêts applicables aux pauvres de Champignelles. »

Vindicte publique. — « Sur les conclusions du procureur du Roi,

« Attendu l'évidence de la supposition de nom commise par la partie de Pautrat, ordonne qu'en vertu de l'article 36 du titre second de la loi du 20 juillet 1791, relative au maintien de l'ordre public, ladite partie sera tenue de venir répondre devant nous sur les faits et inculpations dont elle est prévenue et qu'à cet effet mandat d'amener soit décerné contre elle. »

Cette sentence, solide en apparence, suscite, en l'étudiant au point de vue juridique, plusieurs critiques et sera plus tard durement appréciée par le procureur général à la Cour de cassation, comme une scandaleuse violation de la loi 1.

Le tribunal de Saint-Fargeau était justement convaincu que la soi-disant marquise était Anne Buiret, mal famée

1. On verra plus loin l'arrêt rendu en 1807 par la Cour de cassation sur le pourvoi de la réclamante. Merlin a reproduit son plaidoyer dans son Répertoire de jurisprudence, t. II, p. 331, 4° édition, 1812 ; p. 708, 5e édition, 1827.


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dans ce pays sénonais. Il se contenta d'appuyer sa décision sur le certificat de la supérieure de la Salpêtrière, sans s'apercevoir qu'il résolvait la question par la question.

En effet, quel était l'objet du procès? C'était de savoir à qui s'appliquait ce certificat ou, en d'autres termes, si la réclamante et Anne Buiret ne formaient qu'un seul individu. Cette dernière le niant formellement, il fallait lui prouver qu'elle était la particulière internée à la Salpêtrière du 3 janvier 1786 au 16 octobre 1789, auquel cas elle ne pouvait être celle qui prétendait n'y avoir été incarcérée qu'en janvier 1788, après sa prétendue arrestation à Fontainebleau.

Une autre erreur du jugement, consécutive à la précédente, fut de déclarer impertinents et inadmissibles les faits sur lesquels elle demandait que Champignelles fût interrogé. Ici la demanderesse demandait à prouver qu'elle était sa soeur, le refus du tribunal impliquait par pétition de principe qu'il préjugeait son identité avec Anne Buiret. Il est vrai, on l'a vu ci-dessus, qu'en réponse à la 38e question de son interrogatoire personnel elle avait déclaré être entrée le 3 janvier 1786 à la Salpêtrière, aveu fâcheux pour sa cause, mais elle l'attribuait à une méprise de sa mémoire et, en définitive, pour dévoiler la personnalité véritable de cette plaideuse, il eût suffi de la présenter à la supérieure et aux surveillantes, qu'en l'an VIII elle saura retrouver pour essayer de les gagner à sa cause, comme on le verra plus loin.

Enfin, comment ce tribunal, dans l'information de cette affaire, qui pourtant a été conduite avec soin et fermeté, n'a-t-il pas ordonné la vérification au cimetière d'Orléans du contenu de la tombe où avait eu lieu l'inhumation du 21 janvier 1788. Cette sépulture subsistait certainement en son intégrité ; les médecins Latour, Loyré, Lambron, l'apothicaire Prozet et autres personnes qui avaient soigné la malade, et dont les noms considérés devaient exclure tout soupçon de supercherie, vivaient encore et, par leurs constatations après exhumation, pouvaient clore le débat.

Ces lacunes prolongeront l'équivoque, dont l'aventurière ou ses conseils sauront user et qui, plus tard, se compliquera.


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Le tribunal de Saint-Fargeau, attendu l'évidence de la supposition de noms, avait ordonné que la femme coupable lui serait amenée pour répondre de faits dont elle était prévenue, mais elle sut se dérober au mandat d'arrestation dont elle était menacée. D'ailleurs, la population du pays se serait certainement opposée à son exécution, car sa cause se confondait avec celle de la Révolution.

L'appel qu'elle fit du jugement en suspendit les effets ; Champignelles avait été inscrit sur la liste des émigrés, ses biens séquestrés et remis aux mains de la Nation ; désormais, l'aventurière se trouve avoir changé d'adversaire, qui, à présent, est l'agent du Domaine national. Les années de la Révolution se prêtaient mal à la poursuite d'un procès où elle réclame sa réadmission dans une famille noble ; mais on sait que son activité ne se refroidit pas.

Une loi du 2 septembre 1792 ordonnait la saisie et la vente des biens des émigrés ; en vertu de ce décret, les administrateurs du district de Saint-Fargeau, réunis en conseil général, arrêtent, le 25 septembre, que Saint-Loup, gardien des effets du sieur Rogres, placés sous séquestre par des arrêts des 21 juin et 21 juillet du Directoire du département 1, sera tenu d'apporter, dans les vingt-quatre heures, toute l'argenterie qui a été inventoriée dans sa maison, et le procureur syndic « croit devoir fixer l'attention du conseil sur les suites d'une affaire qui, après avoir trop longtemps troublé la tranquillité publique du district, est devenue d'un intérêt capital pour la Nation... Une femme se prétendant être la dame veuve de Douhault, soeur du sieur Rogres, avait intenté contre lui une action à fin de restitution de ses prétendus droits... Déclarée non recevable dans sa demande par un jugement du 26 mai 1792, elle avait interjeté appel et, par l'effet des exclusions, cette affaire était actuellement pendante au tribunal de Cosne... ; il est possible que, dans les circonstances actuelles, le sieur Rogres néglige de se

1. Pour ce qui concerne la saisie des biens de Champignelles et les arrêtés du district, voir archives de l'Yonne, L 840 (registre), et page 372 de l'inventaire sommaire de l'Yonne.


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défendre, mais la Nation a le plus grand intérêt à empêcher une femme, qui peut n'être qu'une aventurière, à envahir des biens affectés à l'indemnité des frais de la guerre.

« En conséquence, le conseil charge le procureur syndic d'intervenir au tribunal de Cosne sur l'appel du jugement pour l'intérêt de la Nation et conclure à sa confirmation. »

Le 15 décembre, le conseil général confirme sa précédente décision de repousser les prétentions de la soi-disant veuve Douhault.

Le 19 avril 1793 1, le procureur syndic expose au conseil général « que, par arrêté du 23 février, la vente des meubles de Rogres, émigré de Champignelles, est fixée au dimanche 21 avril... Or, il a reçu le matin une opposition à cette vente de la part d'une femme se disant veuve Douhault, soeur de Rogres et copartageante dans les meubles et dont l'état est en litige au tribunal de Cosne.

« Il en a sollicité la décision et ne l'a pas encore pu obtenir, mais rien ne devait arrêter l'ordre public et cette vente ne préjudicierait en rien l'intérêt des parties ».

Il est délibéré « qu'il sera passé outre à l'opposition et que la vente se fera ».

D'après l'organisation judiciaire de 1790, l'appel aurait dû être porté au tribunal de Cosne, mais il avait été supprimé et la cause fut dévolue à celui de Nevers, où, d'après un libelle du temps 2, la réclamante aurait retrouvé comme adversaire Moreau du Fourneau, qui, défendant à présent les droits de la République, combattit ses prétentions avec la solide dialectique qu'il avait montrée à Saint-Fargeau et de nouveau il lui opposa l'acte mortuaire de la vraie Mme de Douhault, mais Anne Buiret avait su recruter dans certains milieux révolutionnaires d'ardents défenseurs. Au dire du même libelle, elle se targuait de posséder de par son père la terre de Rogres près Jérusalem, elle promettait ses fermes pour prix des services, pure escroquerie, car la maison de Champignelles était peu fortunée, la totalité des biens de

1. Arch. de l'Yonne, loc. cit., registre L 840, cote 118 verso.

2. Bibl. municipale d'Orléans, H. 5279, imprimé, in-12.


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l'émigré était confisquée et, en outre, la fortune de sa défunte soeur était purement, mobilière.

Le 9 fructidor an IV (27 août 1796), Anne Buiret (es fausses qualités de veuve Douhault) signifia à son adversaire que l'acte mortuaire produit par le Commissaire national était le produit d'un faux, combiné entre l'émigré et les citoyens Lavergne, Guyon, dit Guercheville, et Égrot, dit du Lude, pour lui enlever son nom, son état et ses biens, que ce faux est un crime prévu par le code pénal, dont la poursuite n'appartient pas au tribunal civil, d'après les dispositions de l'article 536 de la loi du 3 brumaire an IV (26 novembre 1795)1;

Un premier jugement ordonna la mise en cause des trois signataires de l'acte mortuaire.

Ils ne se dérobèrent pas à l'enquête et vinrent témoigner des circonstances de la maladie et de la mort de leur parente, Mme de Douhault, ainsi que de leur présence à ses obsèques. Ils firent remarquer, Lavergne de la Roncière et Guyon de Guercheville, ses cousins germains, qu'ils n'avaient aucun intérêt à sa disparition. Quant à Égrot du Lude, elle le libérait du service d'une modeste rente viagère de 2,500 livres, dont il était tenu comme neveu et héritier du marquis de Douhault, à raison du douaire de sa veuve.

Est-il vraisemblable, peut-on concevoir, que pour un si médiocre avantage il ait osé machiner un pareil forfait avec l'assistance de deux hommes qui n'en tireraient aucun profit?

Jugement de Nevers. — Le tribunal civil de Nevers, comme juge d'appel, se prononça, le 19 nivôse an V (9 janvier 1797), et, conformément aux articulations de l'appelante, il ordonna qu'il serait sursis à son appel « jusqu'à ce qu'il ait été prononcé par les juges qui doivent en connaître sur le crime imputé et sur les auteurs et complices ».

1. Code des délits et peines du 3 brumaire an IV, article 536. Si la partie ' qui a argué de faux la pièce soutient que celui qui l'a produite est l'auteur du faux, l'accusation est poursuivie criminellement dans les formes ci-dessus prescrites et conformément à l'article 8, il est sursis au jugement du procès civil jusques après le jugement de l'accusation de faux.


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A cette fin, un délai de deux mois lui était accordé pour justifier de ses diligences, sinon, ce délai passé, il serait fait droit sur l'appel 1.

Ce jugement avait pour effet de transformer Anne Buiret en accusatrice, non seulement de M. de Champignelles, mais aussi de trois personnes étrangères au procès qu'elle soutenait, en réalité contre la République, pour s'emparer des biens de l'émigré. Cette même femme, convaincue, par le jugement de Saint-Fargeau, de supposition frauduleuse de noms, condamnée de ce chef à cinq mille livres d'indemnité et faisant l'objet d'un mandat d'amener pour répondre à cette accusation, se trouvait ainsi amenée à rendre plainte contre quatre honorables citoyens.

Les trois parents de la défunte dame de Douhault auraient-ils pu prévoir que leur signature au bas de l'acte mortuaire les amènerait devant une cour de justice criminelle à se disculper d'un crime de supposition de cadavre? Et c'est ce qui va se produire.

L'aventurière présenta donc sa plainte d'abord aux juges d'Argenton (9 ventôse an V, 24 février 1797), dont dépendait Chazelet, l'ancienne demeure de Mme de Douhault, mais ils la renvoyèrent pour incompétence à se pourvoir à Orléans (25 ventôse an V), où s'était commis le prétendu délit.

1. Il n'est pas inutile de signaler que les juges de Saint-Fargeau en 1792, comme ceux de Nevers en l'an V (1797), ont statué selon les règles de l'ancienne législation, l'ordonnance civile de 1667, que l'article 8 du Code des délits et peines du 3 brumaire an IV (1795) a reproduites : l'action en réclamation d'un état prétendu supprimé pouvait, comme toute autre action en réparation du dommage causé par un délit, concourir devant les mêmes juges avec l'action criminelle, et lorsque les deux actions étaient portées en même temps devant des juges différents, l'action criminelle tenait l'action civile en suspens et celle-ci ne pouvait être jugée qu'après la décision définitive de celle-là.

Le code civil de 1803, en ses articles 326 et 327, a renversé ce système pour la réclamation d'état :

" Les tribunaux civils sont seuls compétents sur ce genre d'actions et l'action criminelle contre un délit de suppression d'état ne pourra commencer qu'après le jugement définitif sur la question d'état. »


LA FEMME SANS NOM 175

II. — TRÊVE DE CINQ ANS

Ici plusieurs, années se passent sans qu'elle paraisse s'agiter; mais elle n'abandonne pas ses visées; nous la retrouvons en 1802 à Orléans ; un acte administratif du 27 vendémiaire an XI (30 septembre 1802) relate que sous les noms « d'Adélaïde Rogres Luzignan Champignel, veuve LouisJoseph de Douhault », elle a fixé son domicile 34, rue des Hôtelleries, son dernier domicile étant à Cosne, et elle signe « veuve de Douhault ».

Quelques mois auparavant, en pluviôse an X (janvier 1802), elle avait adressé une plainte au magistrat de sûreté d'Orléans, qui conclut, le 1er ventôse (20 février 1802), au rejet et la transmit au directeur du jury de l'arrondissement.

Le magistrat 1, par son ordonnance du 7 germinal (29 mars 1802), renvoya la réclamante à se pourvoir devant les juges compétents et par des motifs assez discutables :

« Que la réclamation de la citoyenne, se disant Marie Rogres de Luzignan de Champignelles, ne présente, quant à présent, qu'une prétention civile, qu'au fond la plainte rendue par la soi-disant veuve de Douhault ne représente qu'un intérêt personnel auquel l'ordre public ne peut avoir part; en outre, qu'en cette affaire, il n'y a pas de faux matériel qui puisse exciter la vigilance du ministère public. »

Singulière incompréhension ! Quels juges, en effet, pouvaient être plus compétents que le tribunal criminel du lieu, Forum delicti, où, au dire de la plaignante, s'était effectuée la prétendue supposition de mort de la marquise de Douhault?

En présence des termes de cette ordonnance, on doit supposer que le magistrat, en la rédigeant, n'a connu ni le jugement de Saint-Fargeau ni l'avant faire droit de Nevers.

1. La loi du 24 ventôse an VIII (mars 1800) a créé pour le département du Loiret un tribunal criminel siégeant à Orléans avec l'assistance du jury. — En l'an X (1801-1802), il était composé du président Lebeuf, juge au tribunal d'appel d'Orléans, avec deux assesseurs, Fougeron et Pelle. Le commissaire du gouvernement Rousseau, dont le substitut Darotte porte le titre et exerce d'après ladite loi les fonctions de Magistrat de sûreté pour l'ordre public.


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D'autre part, on doit se demander si les parents de la défunte, demeurant à Orléans, ont été prévenus de cette nouvelle campagne de l'adversaire : La Roncière, Égrot du Lude, Guercheville avaient été mis en cause à Nevers, mais cinq années s'étaient écoulées depuis et leur inaction, vraisemblablement involontaire, aura permis à celle-ci de circonvenir les juges.

L'aventurière ne s'arrêta pas et elle se pourvut auprès du tribunal suprême, non pas en cassation de l'ordonnance du directeur du jury d'Orléans, mais en règlement de juge, ce que rien ne justifiait, aucun conflit de juridiction ne s'élevant entre le jugement de Nevers et cette ordonnance.

III. RÈGLEMENT DE JUGE

Le tribunal de cassation, insuffisamment instruit, c'est ce que nous devons présumer, s'arrêta principalement à ce motif introduit par la plaideuse, qu'elle ne pouvait être repoussée à la fois par les tribunaux civils et par les tribunaux criminels et par un arrêt du 29 thermidor an X (17 août 1802), déclara nulle et non avenue l'ordonnance rendue à Orléans et ordonna que les pièces du procès, notamment le jugement de Nevers, ainsi que la plainte déposée à Argenton, seraient renvoyées au directeur du jury de l'arrondissement de Bourges, comme point central et plus rapproché des témoins qui seront entendus, pour procéder dans les formes prescrites par les lois à l'instruction du crime de faux dont la demanderesse a porté plainte.

Mais, entre temps, la famille de la défunte donnait, enfin, signe d'activité ; car, le 20 messidor an XI (10 juillet 1803), André-Jérôme Égrot du Lude, demeurant à Orléans, rue de la Bretonnerie, n° 37, et Claude-Philippe Lavergne-La Roncière, même ville, rue du Bourdon-Blanc, n° 3, constituent François Guyon de Guercheville comme procureur général pour rendre plainte au procureur général du tribunal spécial du Cher contre la femme se disant Adélaïde-Marie de Rogres, veuve Douhault 1.

1. Minutes de Cabart, notaire à Orléans.


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Le 23 du même mois, Armand-Louis Rogres-Lusignan de Champignelles, rentré d'émigration, demeurant à Paris, rue Mazarin, n° 1612, nomme aux mêmes fins le même mandataire 1. Les deux actes notariés comportent un examen minutieux de l'affaire avec un bilan précis de la fortune de la feue marquise, qui était médiocre. D'un côté, elle n'avait rien à prétendre dans la succession de son père et tout son bien avait, consisté en une somme de 49,000 livres touchée sur sa dot promise de 80,000 livres, plus un préciput de 8,000 livres et un deuil de 1,200 livres à prendre sur la succession de son mari, laquelle lui devait aussi comme douaire une rente viagère de 5,000 livres.

Les parents consorts avaient formé opposition au dernier arrêt, qui, malgré leurs efforts 2, fut confirmé le 5 prairial an XI (26 mai 1803) 3.

Toutes les pièces du procès sont transmises au commissaire du gouvernement à Bourges et Anne Buiret, toujours sous le faux nom de Mme de Douhault, lui déposé, le 28 thermidor suivant, une plainte additionnelle contre son prétendu frère Champignelles, l'accusant d'être au moins aussi coupable que les trois signataires de l'acte de sépulture du 21 janvier 1788, contre lequel elle s'inscrit en faux et elle le dénonce comme auteur ou complice de ce faux.

Lois de répression des crimes. — Or, à cette époque, le gouvernement du Consulat venait d'obtenir du Corps législatif deux lois de répression nécessitées par l'état d'insécurité qui régnait en plusieurs régions de la France 4.

Une première loi du 18 pluviôse an IX (7 février 1801) décidait qu'il serait établi, dans les départements où le gouvernement le jugerait nécessaire, un tribunal spécial pour la

1. Minutes Jallabert, notaire à Paris.

2. Voir Bibl. municipale d'Orléans, B. 2058, Recueil d'affaires diverses, le mémoire pour Champignelles et consorts.

3. La section des requêtes, qui a statué sur cet incident, était présidée par le jurisconsulte Muraire (futur beau-pere de Decazes, qui fut le ministre favori de Louis XVIII). Parmi les juges assesseurs, Brillat-Savarin, plus connu dans les annales de la gastronomie.

4. Voir, sur cette question, Marcel Marion, Le brigandage pendant la Révolution. Paris, Pion, 1934.

MÉM. XXXVII. 12


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poursuite des crimes de brigandage, assassinats et autres méfaits de violence.

Ce tribunal devait être composé du président et de deux juges du tribunal criminel, de trois militaires ayant au moins le grade de capitaine et de deux citoyens ayant les qualités requises pour être juges.

Il jugera sans appel ni pourvoi en cassation, sauf pour incompétence, mais au préalable il jugera en chaque poursuite sa compétence et son jugement sera transmis au tribunal de cassation, lequel statuera toute affaire cessante.

La seconde loi, du 23 floréal an X (21 avril 1802), décide que la connaissance de tous crimes de fausse monnaie, de faux en écritures publiques ou privées ou d'usage de ces faux appartiendra à un tribunal spécial composé du président et de deux juges du tribunal criminel du département, du président et de deux juges du tribunal civil du district.

Ce tribunal procédera conformément aux dispositions de la loi précédente et ordonnera toutes les vérifications qui pourront éclairer sa décision 1.

IV. — PROCÈS CRIMINEL DE BOURGES

Champignelles et ses cousins, par l'impudence et l'audace de notre aventurière, eurent la disgrâce de se voir ainsi traduits devant la cour de justice criminelle spéciale, séant à Bourges, pour se disculper de crimes de faux imaginaires.

Le procureur général était François Baucheton 2, ancien membre de la Convention nationale ; il ne put que saisir cette Cour, qui était présidée par l'un des juges du tribunal

1. Le Consulat n'usa d'abord de ces lois de défense que dans trente-six départements, dont celui du Cher.

2. Baucheton, né et mort à Massay (Cher), 1749-1838, élu député du Tiers aux États-Généraux de 1789 par le bailliage de Bourges, puis, en septembre 1792, par le Cher. Dans le procès du Roi, vota la détention et le bannissement à la paix. Élu en l'an IV aux Cinq-Cents, ensuite accusateur public au tribunal criminel du Cher, puis, en l'an IX, procureur général à la Cour de justice spéciale. En 1811, avocat général à la Cour impériale de Bourges, puis conseiller, adhère à la Restauration ; retraité en 1823.


LA FEMME SANS NOM 179

criminel, Louis Augier, remplaçant le président titulaire, légitimement empêché. Un juge, nommé Dubois, fut commis pour l'instruction de ce procès.

Il la commença le 16 brumaire an XII (9 novembre 1803) et y employa près d'une année, au cours de laquelle une foule de personnes de toutes conditions furent appelées en témoignage, cependant que les honorables accusés avaient le désagrément d'être l'objet de mandats d'amener (20 nivôse an XII).

Les débats publics s'ouvrirent le 20 vendémiaire an XIII (20 octobre 1804) ; mais, avant d'en relater les résultats, il faut encore revenir en arrière sur certains exploits de notre héroïne.

On avait, en effet, appris que, durant son séjour à Nevers, elle avait commis de menus larcins dans les auberges où elle prenait son gîte. Traduite devant le jury, le 15 vendémiaire an VIII, elle en profita pour se recommander du nom de veuve de Douhault, née Adélaïde-Marie Rogres de LusignanChampignelles 1, et ne nia point avoir pris les objets disparus ; sur son affirmation qu'elle avait l'intention de les restituer, elle fut acquittée.

Revenue à Paris, elle s'y trouvait en l'an VIII ; le besoin d'argent n'avait pas cessé de la tourmenter ; or, l'avènement de Bonaparte (19 brumaire an VIII) avait singulièrement mis en relief son épouse, Joséphine, veuve d'Alexandre de Beauharnais.

Suivant son habitude de se targuer de hautes relations, elle imagina de se dire cousine et amie de Mme Bonaparte, dont « l'influence, assurait-elle, lui avait permis de recouvrer une avance de 50,000 écus sur une créance de plus d'un million que lui devait l'État ». Par ces allégations, elle réussit à escroquer une somme de 6,500 francs à un crédule personnage, nommé Favellas, qui, trop tard, s'aperçut de ses mensonges.

1. Le conseil de Champignelles réserva expressément de se pourvoir pour faire supprimer les noms de Marié-Adélaïde Rogres-Lusignan-Champignelles, sous lesquels ce jugement fut rendu, et faire substituer les noms de la réclamante.


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C'est à cette machination que doit se référer une correspondance entre Joséphine et Régnier, conseiller d'État, qu'on trouve au dossier criminel de Bourges 1.

Joséphine lui écrit :

« Je vous prie, citoyen ministre; d'accueillir favorablement la citoyenne Douhault-Champignelles, qui vous inspirera de l'intérêt par les malheurs qu'elle a éprouvés et dont elle est victime. Son mémoire vous a été renvoyé.

« Veuillez, citoyen ministre, vous en faire faire le rapport le plus promptement possible, vous m'obligerez beaucoup, je prends le plus vif intérêt à l'affaire de la veuve Douhault. »

La lettre est signée « Lapagerie Bonaparte », d'une écriture différente de celle du corps. De plus, elle est datée « 14 vendémiaire », sans millésime, et le jour de la décade a été rayé.

Est-elle de la main de Joséphine? Une comparaison avec des autographes sûrs, seule, en déciderait. Joséphine était bonne et secourable ; il n'est pas invraisemblable' que l'intrigante ait réussi à l'approcher et à lui suggérer d'intervenir en sa faveur pour obtenir une indemnité sur les biens nationalisés de son prétendu frère.

Régnier répond, le 9 ventôse an VIII, par une lettre privée et, le 18, par une lettre officielle à en tête administratif qui révèle sa qualité de ministre des Domaines nationaux, pour l'assurer de son bon vouloir dès qu'il sera remis de sa maladie 2.

Joséphine dut insister, car, le 10 floréal, Régnier, par une lettre privée, lui écrit : « Madame, je m'occuperai sans aucun retard de la pétition de Mme de Douhault, et je serai très flatté en cette occasion, comme en toute autre, de vous témoigner ma respectueuse déférence. »

La date du 14 vendémiaire soulève encore un doute, car le pouvoir consulaire de Bonaparte ne date que de brumaire an VIII et les réponses sont de cette année.

1. Archives du Cher, loc. cit.

2. L'écriture des deux lettres de Régnier est identique.


LA FEMME SANS NOM 181

Quoi qu'il en soit, on se demande comment ces lettres sont-elles parvenues en mains de justice?

L'aventurière fit mieux encore ; son imprudent aveu d'être entrée à la Salpêtrière le 3 janvier 1786 pesait dans sa mémoire et elle songeait que s'il était ardu de le supprimer, elle pourrait au moins tenter d'en atténuer les conséquences, en apportant la preuve d'un fait contredisant sa déclaration. Elle imagina donc le stratagème suivant, édifié avec une merveilleuse audace :

On sait par les mémoires du temps le faste des parades militaires où le Premier Consul passait en revue devant les Tuileries ses glorieuses demi-brigades d'Italie et d'Egypte 1.

Or, l'intrigante voudrait prouver que la Salpêtrière ne l'a hébergée qu'à partir de janvier 1788, date correspondante à la fable de son enlèvement d'Orléans. Elle se souvient de deux surveillantes, les femmes Pitout et Langlois, qu'elle y a connues, elle s'y fait conduire, parée et en toilette, en voiture, et demande ces soeurs, qui y occupent toujours leur emploi ; elle leur raconte que la femme du Premier Consul, sa parente et son amie, l'a chargée de la distribution de ses charités - c'est une nouvelle édition du dégagement pour Marie-Antoinette des reconnaissances du mont-de-piété — et leur offre de les présenter à Mme Bonaparte ; elle leur remettra la part de libéralités qu'elle destine à leur hôpital.

Le lendemain était un jour de grande revue ; une voiture vient les prendre à la Salpêtrière et les conduit aux Tuileries, où Anne Buiret les attend et les introduit dans un appartement du bas, d'où elles admirent le spectacle de la parade militaire. On comprend que Joséphine ne paraisse pas ; mais tout est prévu ; une femme, qui est de connivence dans cette comédie, intervient pour excuser Mme Bonaparte, indisposée, qui les recevra un autre jour.

Après la revue, la Blainville, les deux femmes ne la connaissent que sous ce nom, les invite à dîner dans un luxueux

1. Une belle gravure en couleurs (an X) de Levacher, d'après un tableau de Boilly, a popularisé la « Revue du quintidi », avec le portrait de Bonaparte par Duplessis-Bertaux.


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restaurant, où elles achèvent de « perdre la tête ». Après le repas, elle les mène chez le notaire Oudinot, qui, sur ses instructions, avait préparé un acte qu'elles signent de confiance ; dans cet acte, qui est du 5 floréal an VIII, « elles attestent pour vérité connaître parfaitement la citoyenne Adélaïde-Marie Rogres de Lusignan de Champignelles, veuve de Louis-Joseph de Douhault, entrée à la Salpêtrière en janvier 1788, que, depuis son entrée jusqu'en juillet 1789 qu'elle en est sortie, elle n'a été désignée que sous le nom de Blainville, au lieu des noms précédents, ainsi qu'il était à la connaissance d'elles comparantes, auxquelles ladite dame Douhault s'est constamment fait connaître dès son entrée en ladite maison ».

Les deux femmes, appelées plus tard en l'an XII devant les juges de Bourges, raconteront les circonstances dans lesquelles leur confiance et leur signature avaient été surprises et démentiront formellement les énonciations de l'acte notarié, en déclarant que le véritable nom de la femme détenue en correction à la Salpêtrière ne leur avait jamais été révélé.

Avec elles, nombre de personnes et des plus recommandables ayant connu dans l'intimité Mme de Douhault, notamment la prieure des Dominicaines de Montargis, Henriette-Françoise de Champignelles, soeur de la défunte, nièrent l'identité de la réclamante avec la marquise.

Un monsieur de Scévole donne à ce sujet un témoignage particulièrement probant dans une lettre qu'il écrit d'Argenton, le 1er fructidor an XI (19 août 1803), au juge instructeur à Bourges et qui mérite d'être reproduite :

« Il m'est impossible de me rendre à Bourges pour dire ce que je pense sur le compte de l'aventurière qui ose prendre les noms et qualités de feu la véritable dame de Douhault, que j'ai beaucoup vue et connue, ayant été la voir à Chazelet et elle étant venue à ma maison de campagne de Villebuxière... Enfin, lors du précédent voyage que l'aventurière, qui veut remplacer Mme de Douhault, fit en la ville d'Argenton, accompagnée de plusieurs personnes qui disaient la connaître et la favorisaient, je fus la voir à l'hôtel de la Promenade, où elle était logée ; un homme lui dit : « Voici


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« M. de Scévole qui vient vous voir » ; je prends place auprès d'elle et lui demande le nom de ma maison de campagne qu'on voyait des fenêtres du château de Chazelet ; elle ne se le rappelait pas.

« Nous avons eu, à raison de droits seigneuriaux, divers procès que j'ai gagnés.

« Elle ne savait rien ; je lui dis : « J'ai deux lettres de « Mme de Douhault ; l'orthographe et la ponctuation sont à « un point de perfection rare chez la plupart des femmes, « elle m'y parle de mes procès ; si vous êtes Mme de Douhault, « comment avez-vous pu oublier tout cela... »

Et pourtant il y eut de nombreux témoins, plus de cent, qui attestèrent son identité ; c'étaient, pour la plupart, des journaliers laboureurs, ouvriers de ferme, anciens domestiques, qui n'avaient connu que passagèrement la dame de Douhault, et leurs témoignages, quelquefois contradictoires, ne pouvaient former un ensemble digne de foi ; deux, toutefois, méritent une mention spéciale.

D'abord, celui de Jean Bourdin, le mari d'Anne Buiret ; on devine que sa rencontre à la barre avec elle était attendue avec une anxieuse curiosité. Bourdin ne la reconnut pas pour sa première femme 1. Leur séparation datait, il est vrai, d'une vingtaine d'années; mais était-il sincère? On peut en douter, car la peur que sa femme lui avait inspirée dans une entrevue relatée plus haut et aussi l'appréhension d'être obligé de la reprendre ont pu lui dicter sa prudente réponse, laquelle, d'ailleurs, n'impliquait pas reconnaissance de Mme de Douhault.

Pour l'autre personnage affirmatif de l'identité, Sylvain Pépin, qui, originaire d'Argenton, y exerçait depuis 1783 les fonctions de juge civil et criminel et dut voir souvent la marquise jusqu'à son départ en 1788, la chose est étonnante ! Il déclare donc croire que la plaignante est Mme de Douhault,

1. Un certain Pierre Saffroy, qui tenait pour la non-identité, observe (note du dossier) qu'il serait nécessaire d'obtenir du juge la permission de faire paraître la prétendue dame de Douhault sans la, perruque, qui lui ôte quelques marques caractéristiques, qui cache ses cheveux noirs, couvre ses sourcils.


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témoignage impressionnant sorti de la bouche d'un magistrat de profession qui, par la grâce des événements, est alors juge au tribunal d'appel de Bourges 1, où se juge ce procès criminel.

Par contre, le docteur Auclerc Descôtes 2, qui, comme médecin, avait pendant dix-sept ans soigné la marquise, affirma qu'elle n'était pas l'ancienne dame de Chazelet, dont la complexion maladive réclamait souvent son assistance.

Les accusés, dans les interrogatoires qu'ils avaient subis du juge instructeur, avaient déclaré :

A) Claude-Philippe de Lavergne de la Roncière, qu'il a beaucoup connu Mme de Douhault, cousine germaine de sa femme, qui, en 1774, 1779 et 1785, avait passé « des six semaines » chez lui à la ville et à la campagne. Elle y vint encore au mois de janvier 1788, où elle fut environ quinze jours ; elle se porta bien pendant dix jours, elle tomba malade et mourut le 18 ou le 19 dudit mois de janvier. Il la vit tous les jours de sa maladie et même expirante. Il n'avait jamais entendu parler que son épouse ait donné à Mme de Douhault une prise de tabac qui lui ait occasionné une maladie telle qu'elle l'a conduite au tombeau.

Il proteste qu'en faisant sa déclaration du décès de cette dame il n'avait commis aucun faux, le décès étant bien constant, arrivé sous les yeux et en présence de tous les gens de sa maison, qu'il était, lui, sans intérêt aucun, soit dans la succession de cette dame, soit dans celle de son mari 3.

1. Sylvain Pépin, né à Argenton (Indre) en 1746, mort en cette ville en 1819, était, en 1783, juge civil et criminel de Chazelet, Anzeret et SaintSylvain. En 1791, devint président syndic du district d'Argenton, puis fut élu, en septembre 1792, député de l'Indre à la Convention, où, dans le procès du Roi, il vota pour la réclusion. Ensuite, député aux Cinq-Cents. Les débats de Bourges montrent qu'après l'an VIII il était juge au tribunal d'appel de cette ville.

2. Jean-Baptiste Auclerc des Cottes, né et mort à Argenton (1737-1826). Procureur du Roi au grenier à sel de cette localité et médecin, fut élu, en 1789, député du Tiers aux États-Généraux par le bailliage de Bourges. En 1791, rentra dans la vie privée.

3. En appendice, on trouvera les généalogies des familles dont les noms apparaissent au cours de ce travail. Nous les devons à l'obligeance de notre érudit confrère M. Henry de Denainvilliers.


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B) Armand-Jacques-François Guyon de Guercheville, cousin germain de Mme de Douhault.

Il la connaissait beaucoup et l'avait vue plusieurs fois à La Roncière, chez M. de Lavergne. Il la vit pour la dernière fois à Orléans, en 1788, chez M. de la Roncière, où elle est restée pendant quinze jours ; elle y a joui d'une assez bonne santé dix jours, pendant lesquels il la voyait tous les jours ; il la vit le premier jour où la maladie se manifesta ; depuis il la voyait plusieurs fois par jour. Il dînait chez M. de la Roncière avec le docteur Latour, le jour où elle mourut. Vers les quatre à cinq heures du soir, il entra avec ce médecin dans la chambre de la malade, ce dernier la tourna et la frotta au point de la mutiler, il lui ouvrit les yeux et la laissa en disant que c'était une femme morte. Il a la certitude la plus entière de la mort de cette dame et la déclaration qu'il a faite de son décès est véritable, n'ayant aucun intérêt à commettre le faux qui lui est injustement imputé.

C) André-Jérôme Égrot du Lude a connu Mme de Douhault depuis son mariage avec son oncle. Il la vit en 1788, le 5 janvier, où elle arriva à Orléans, où elle tomba malade le 15 et mourut le 19. Pendant sa maladie, il la vit presque tous les jours, celui où elle mourut il entra dans son appartement sur les dix à onze heures du soir et la trouva à toute extrémité, et il a signé son acte de décès, parce qu'il avait la plus parfaite connaissance de sa mort.

D) Armand-Louis Rogres de Lusignan de Champignelles, frère de Mme de Douhault, était à Versailles à faire son service au mois de janvier 1788, lorsqu'il reçut une lettre d'Orléans qui lui annonçait sa mort, ce qui l'affligea d'autant plus qu'il avait pour elle un sincère attachement. A Dieu ne plaise qu'il ait eu jamais l'idée d'obtenir un ordre pour la faire enfermer, sa soeur étant une femme douce qu'il aimait de tout son coeur, qu'il aurait été d'autant plus difficile de l'obtenir qu'il fallait alors le consentement de toute la famille et que, quand bien même encore il aurait été obtenu une lettre de cachet, la famille n'aurait pas souffert que sa soeur fût placée à la Salpêtrière. La publicité et la notoriété de sa mort, ainsi que la loyauté de ceux qui ont signé son acte mortuaire ne permettent pas d'en douter.


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Les déclarations des accusés, identiques en substance et dans les détails, prêtées sans détour ni réticence, formaient un bloc sans fissure qui en révélait la véracité. Leur défenseur se borna à exposer l'absurdité de l'accusation, le fait du décès de Mme de Douhault à Orléans étant établi par des preuves légales et incontestables, indépendamment de l'acte mortuaire argué de faux et il démontra que l'accusatrice était précisément ANNE BUIRET, femme de Jean Bourdin, tourneur à Sens, connue par sa vie dépravée et ses escroqueries, la même qui fut enfermée à la Salpêtrière, le 3 janvier 1786, la même qui fut condamnée, le 24 février 1790, à faire un mois de prison à la Force, la même qui, après avoir pris les faux noms et qualités de Blainville, de Grainville, de Demoustier de Mérinville, de sous-gouvernante de Madame Royale, de dame pour accompagner Mme Elisabeth, a pris le nom de Champignelles, nom qu'elle usurpe depuis quinze ans et dont elle sait à peine l'orthographe.

L'organe du ministère public, après avoir résumé que, tant à l'instruction qu'aux débats publics, plus de cent témoins se prononçaient pour l'identité de la réclamante avec la marquise de Douhault, contre quarante, mais de meilleur aloi, qui la repoussaient, conclut en définitive « qu'elle ne fut jamais Mme de Douhault et qu'il existe entre elle et cette respectable dame la différence, grande, immense qui est entre le crime et la vertu », mais il avoua « qu'il lui était impossible, d'après les divergences des témoignages, de se convaincre que la plaignante fut Anne Buiret, femme de Jean Bourdin, qui la méconnaît ».

La Cour de justice, présidée par Louis Augier, rendit, après huit jours de débats, le 28 vendémiaire an XIII (20 octobre 1804), un arrêt, dont il est intéressant de connaître les principales dispositions.

Elle avait à statuer sur la question de savoir « si l'acte mortuaire de la veuve de Douhault, inscrit sur le registre de la paroisse Saint-Michel d'Orléans, le 21 janvier 1788, était faux, si les accusés étaient les auteurs ou complices de ce faux et si la plaignante était fondée à leur demander des dommages-intérêts ».


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L'arrêt, précédé d'un exposé des faits et gestes de notre aventurière, déclara « que les faits articulés par elle à l'appui de ses plaintes en faux étaient invraisemblables et qu'aucun d'eux n'était prouvé, qu'au contraire il est établi au procès qu'ils sont faux et calomnieux.

« Que, notamment, l'intervalle de temps qui s'est écoulé depuis la sortie de la plaignante de la Salpêtrière jusqu'à son apparition à Champignelles, sans qu'elle se soit rapprochée de sa mère et de ses autres parents et amis, sans qu'elle se soit présentée pour recueillir la succession de sa mère, décédée en 1790, et sans qu'on sache ce qu'elle est devenue, si ce n'est qu'elle a souvent changé de nom, alors que, dans l'interrogatoire, elle a attesté s'être toujours appelée Champignelles, veuve Douhault, suffirait seul à ôter toute créance à ses allégations.

« Qu'ainsi il n'existe rien au procès qui porte la moindre atteinte à la véracité de l'acte mortuaire du 21 janvier 1788.

« En conséquence, la Cour de justice criminelle spéciale dit « que cet acte n'est entaché d'aucun faux, acquitte les « quatre accusés de l'accusation portée contre eux, ordonne « qu'ils seront réintégrés dans leur entière liberté, déboute « la plaignante de sa demande de dommages-intérêts », la condamne par corps au paiement des frais tant envers la République qu'envers les accusés 1. »

L'auteur anonyme d'une histoire de ce procès criminel 2 observe sagement, au sujet de cet arrêt, « qu'il était à désirer pour ceux-ci et pour la société que l'intrigante subît la juste condamnation que ses crimes ont méritée », mais la Cour a pensé qu'elle n'avait pas le droit de la prononcer pour deux raisons :

1° Parce qu'elle n'était juge que par attribution, à l'effet de statuer seulement sur le crime de faux dont la connaissance lui était renvoyée par l'arrêt de cassation.

1. L'état des frais taxés le 28 brumaire an XIII par Haslay, juge, s'élève au total de 20,446 francs, que la demanderesse, partie civile, a été condamnée à rembourser à l'État — cette somme afférente aux indemnités avancées aux témoins.

2. Bibl. municipale d'Orléans, H. 5279, page 234.


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2° Parce qu'un autre tribunal était saisi de l'action civile et qu'il avait déjà prononcé la condamnation de cette femme par le jugement du 26 mai 1792, jugement qui la déclare coupable de supposition de noms, lui fait défense de prendre celui de Champignelles, veuve de Douhault, et la met en état de mandat d'amener.

Il fallait donc suivre sur l'appel interjeté de ce jugement, en obtenir la confirmation et livrer Anne Buiret aux juges naturels qui sont déjà saisis du droit de la juger.

On se souvient que cet appel s'était trouvé dévolu au tribunal civil de Nevers qui, par jugement du 19 nivôse an V (8 janvier 1797), avait sursis à le juger, « tant que le crime de faux articulé par la soi-disant Mme de Douhault ne sera pas vérifié ou détruit par un juge légal (tribunal criminel) ».

L'arrêt de Bourges rendait donc son action à la justice civile, mais, par le nouvel ordre judiciaire de l'an VIII, l'appel était déféré à la Cour d'appel de Paris. Champignelles y fit assigner l'intrigante dès le 7 brumaire an XIII (30 octobre 1804) ; il avait un intérêt évident à reprendre l'instance et à obtenir un arrêt confirmatif qui, rejetant toutes les prétentions d'Anne Buiret, la renverrait pour supposition de noms aux juges criminels, lesquels, vraisemblablement, établiraient sa véritable identité.

Malheureusement, Champignelles mourut peu de temps après ; sa fille et son unique héritière reprit le procès pour son compte personnel (8 ventôse an XIII, 28 février 1805).

V. — ARRÊT RENDU PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS

La Cour d'appel de Paris rendit son arrêt le 23 prairial an XIII (12 juin 1805), hâtivement, peut-on dire. Avec un ensemble de considérations très développées 1, elle confirmait pleinement le jugement de Saint-Fargeau.

1. Le texte de cet arrêt, trop étendu pour figurer dans ce travail, se trouve reproduit intégralement dans le dossier de la Fausse marquise, aux archives du Loiret, série E, familles.


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L'un des motifs attire l'attention, celui où les juges d'appel déclarent :

« Que, quoique la réclamante ne soit pas la veuve de Douhault, il n'appartient pas à la Cour de juger qui elle est véritablement, ni de quelle famille elle sort, que ce doit être à la Cour de justice criminelle, établie dans le département de l'Yonne depuis le jugement du 26 mai 1792, à prononcer sur cet objet, en statuant, à la diligence du procureur général près cette Cour, sur la vindicte publique, relative à la supposition de nom et d'état. »

La Cour ordonnait, en outre, que « les noms et qualités pris par l'appelante en tous actes quelconques y seront rayés et biffés », que « son arrêt et le jugement de Saint-Fargeau seront imprimés à mille exemplaires, dont trois cents seront affichés dans les villes de Paris, Cosne, Nevers, Bourges et Orléans ».

Et au surplus la condamnait à 60 francs d'amende envers la République.

Sur le chef de la vindicte publique, elle prescrivait que les expéditions du jugement de Saint-Fargeau, de l'arrêt de Bourges et de son propre arrêt seraient adressées au procureur général de la Cour de justice de l'Yonne.

On peut, sur cette sentence, réitérer les critiques que le premier jugement a provoquées, puisque, par des arguments similaires, elle lui accorde son plein effet. On pourra encore noter la pétition de principes sur l'identité de la réclamante avec la personne entrée à la Salpêtrière le 3 janvier 1786, et s'étonner derechef de l'insuffisance de l'instruction qui l'a précédée.

En voici un exemple remarquable : le procureur général à la Cour de cassation, dans son plaidoyer du 29 avril 1807 sur le pourvoi de la réclamante contre cet arrêt de Paris, nous apprend que, près d'un an après, elle a produit un extrait du registre de la Salpêtrière délivré, le 29 avril 1806, par l'agent de surveillance de cet hôpital, aux termes duquel il n'y est entré, le 3 janvier 1786, que deux personnes, un enfant malade, Catherine Botel, âgée de sept ans, qui y est morte le 1er mai suivant, et une nommée Anne Buiret, âgée


190 ALEXANDRE POMMIER

de vingt-huit ans, femme de Jean Bourdin. On verra plus loin l'importance de ce document ; il était donc facile d'opérer sur les registres de la Salpêtrière et de la Préfecture de police des recherches précises sur le séjour de cette femme dans l'hôpital ; on pouvait surtout, sans frais de déplacement, la mettre en présence des dirigeants et surveillants de cet asile et ainsi lui démontrer son imposture. Ces mesures d'instruction auraient notamment mis en lumière plus vive les différences d'âge et de nature qui séparaient la plaignante de la feue marquise de Douhault, la première, en 1805, n'ayant pas cinquante ans, femme forte et robuste 1; la seconde, de complexion délicate 2, d'après le portrait que ses parents ont fait d'elle, aurait eu à cette époque soixantequatre ans.

Mais ne peut-on pas tout simplement présumer que les juges de Saint-Fargeau, en 1792, comme ceux de Paris, en 1805, furent si convaincus de la grossière impudence de l'aventurière qu'ils n'apportèrent pas à la démasquer toute la rigueur que l'affaire exigeait ; l'avenir le démontrera.

D'autre part, si le commissaire du gouvernement au tribunal criminel du chef-lieu de l'Yonne a été saisi des pièces du procès, comme le prescrivait l'arrêt de Paris, il n'apparaît pas qu'il ait exercé des poursuites contre la réclamante. A quelle cause attribuer cette inaction du ministre de la vindicte publique, à qui l'arrêt dénonçait des crimes de faux? Il ne nous a pas été jusqu'à présent permis de la découvrir. Le département de l'Yonne ne figure pas sur la liste des cours de justice criminelle spéciales créées en vertu de la loi du 28 pluviôse an IX (7 février 1801) ; en l'an XIII, on en compte en tout trente-six ; mais, dans chaque département fonctionnait un tribunal criminel ordinaire siégeant avec l'assistance du jury et, si l'aventurière y avait été déférée

1. Jean Retard, greffier de la municipalité de Champignelles en 1791, qui l'a soutenue au début, la représente comme ne boitant pas, montant à cheval et buvant ferme (dossier de Bourges).

2. Une note manuscrite anonyme du même dossier, raconte que, depuis l'âge de trois ans jusqu'à sept ou huit ans, elle était nouée, ne pouvant pas marcher, ne parlant que par bégaiements.


LA FEMME SANS NOM 191

sous l'accusation de suppositions de noms et de qualités pris dans des actes publics et privés, une instruction régulière aurait sûrement dévoilé son origine.

VI. — POURVOI EN CASSATION

La prétendue dame de Douhault attaqua l'arrêt de Paris par la voie de cassation et l'affaire fut portée, le 29 avril 1807, à l'audience de la section des requêtes.

Nous connaissons l'ampleur de la discussion juridique, que soutinrent à son sujet deux éminents jurisconsultes, le rapporteur Henrion de Pensay 1 et le procureur général Merlin 2, ce dernier ayant intégralement reproduit son discours dans son Répertoire de jurisprudence, au mot chose jugée.

Tous deux conclurent au rejet du pourvoi et la Cour de cassation suivit leur avis dans un arrêt du 30 avril 1807.

Or, Merlin, dans l'examen des moyens présentés par la demanderesse, avait admis « qu'elle pouvait très bien n'être pas Anne Buiret et qu'en rapprochant cette preuve du fait que celle-ci et Catherine Botel sont les seules personnes qui soient entrées à la Salpêtrière le 3 janvier 1786, on demeure convaincu QU'IL Y A ERREUR DANS LA 38e RÉPONSE à l'interrogatoire du juge de Saint-Fargeau ».

Plaidoyer de Merlin de Douai. — Et il concluait ainsi ; nous le citons textuellement : « Si la Cour d'appel de Paris avait mal jugé, si elle avait érronément dépouillé la demanderesse de son état légitime, ce qu'il nous est expressément défendu d'examiner, ce ne. serait du moins pas à elle qu'il faudrait imputer cette erreur, dans laquelle elle aurait été irrésistiblement entraînée par l'arrêt de la Cour spéciale du Cher, du 28 vendémiaire an XIII, qui n'a été ni pu être

1. Henrion de Pansay (1742-1829), auteur de nombreux ouvrages d'Histoire des institutions juridiques, fut, après 1814, président de la Cour de cassation.

2. Merlin de Douai (1754-1838), conventionnel régicide, exilé en 1815, auteur de nombreux ouvrages de jurisprudence, a participé à la rédaction du Code civil.


192 ALEXANDRE POMMIER

attaquée par recours en cassation et qui couvre d'un voile, pour nous impénétrable, tous les faits, toutes les preuves dont la demanderesse se prévaut aujourd'hui.

« Que si de ces faits et de ces preuves il sort des traits de lumière capables de balancer les faits et les preuves qu'on lui a opposés devant les tribunaux qui l'ont condamnée, ces traits de lumière peuvent bien frapper les yeux de l'homme, mais ne peuvent arriver à ceux du magistrat. Il n'appartiendrait qu'à l'autorité souveraine de déroger en faveur de la demanderesse à la loi qui, en vous instituant sous la qualité de Cour de cassation, vous a par cela seul refusé celle de Cour de revision. »

Merlin laissait ainsi présumer qu'il avait une certaine créance de la non-identité de cette femme avec Anne Buire et de la bonté de sa cause ; c'est l'impression qu'ont ressentie de son langage tous ceux qui ont étudié cette célèbre affaire ; mais, s'il avait cette opinion, il nous sera permis de dire qu'il l'appuyait sur des bases bien fragiles, telles, pour exemple, que la méconnaissance de la réclamante par Jean Bourdin.

On s'étonne également qu'il ne se soit pas préoccupé de la preuve de l'incarcération qu'elle soutenait avoir subie à la Salpêtrière, en janvier 1788, sous un nom supposé. Une vérification des registres d'entrée aurait démontré ou son mensonge ou sa véracité, et à cette condition seule le procureur général aurait pu se prononcer sur le mérite de la demande.

Nous avions précédemment noté que la plaideuse avait eu recours à ce moyen d'investigation et s'était fait délivrer, le 29 avril 1806, par l'agent de la Salpêtrière, un certificat établissant que, le 3 janvier 1786, deux personnes seulement étaient entrées dans cette maison, un enfant et une femme nommée Anne Buiret.

On observera qu'à cette date, postérieure de près d'une année à l'arrêt de Paris qui est de juin 1805, certains témoignages qu'elle avait gardés dans sa mémoire, du procès de Bourges, lui permettaient de nier toute identité avec cette Anne Buiret.


LA FEMME SANS NOM 193

VII. — CONCLUSION

En dernière analyse, nous constatons que toutes les décisions judiciaires provoquées par la soi-disant dame de Douhault l'ont déboutée de ses prétentions.

N'ayant pas voulu confesser qu'elle est Anne Buiret, l'exfemme de Jean Bourdin, l'aventurière reste juridiquement « la Femme sans nom », ainsi que l'a décidé le tribunal de la Seine par jugement du 24 mars 1832, qui, soumis à la chose jugée, a ordonné la rectification de l'acte de décès dressé le jour de sa mort, le 18 février précédent, et ordonné que la défunte y sera inscrite : « une dame délaissée sans nom par arrêt de la Cour de Paris du 23 prairial an XIII ».

L'illustre Desèze, dans son Mémoire à consulter pour Mme de Douhault 1 », du 7 janvier 1808, conclut que seule une revision légale du procès, autorisée par le pouvoir souverain, rendrait justice et il compare la réclamante à une personne qui aurait passé toute sa vie dans une île déserte et n'en serait sortie que pour réclamer le nom de la veuve Douhault. « C'est un individu qui non seulement n'a pas d'état, mais ne peut s'en attribuer aucun, qui ne peut souscrire aucun acte, n'a ni parents ni alliés et n'appartient à aucune famille. »

Cette situation était extraordinaire, exorbitante, mais à quelles causes l'attribuer?

Tout d'abord aux manoeuvres insidieuses de la plaideuse, que la justice, faute d'investigations probantes, ne sut pas déjouer.

Les magistrats, persuadés que ses contradictions démontraient suffisamment son imposture, ne se sont attachés qu'à la confronter avec des centaines de témoins et à faire examiner ses écritures, négligeant ainsi des moyens d'instruction plus susceptibles d'engendrer une conviction que ni le témoignage humain, fragile et imprécis, ni la comparaison

1. On le trouve dans un volume intitulé : Requête à l'Empereur et Roi, du 23 mars 1809. Paris, Delamarche, in-12.

MÉM. XXXVII. 13


194 ALEXANDRE POMMIER

souvent fallacieuse des écritures ne produisent généralement pas.

La Cour d'appel de Paris s'était maintenue, selon la règle ultra petita nil judicare, dans les limites de l'action en réintégrande jugée en 1792 à Saint-Fargeau et réitérée devant elle.

On peut penser qu'elle a exagéré quelque peu le respect de cette loi de procédure, quand elle déclare « qu'il ne lui appartient pas de juger qui est la prétendue dame de Douhault, ni de quelle famille elle sort », cependant qu'elle prescrit de la traduire pour supposition de noms et d'état devant une cour criminelle.

Ce scrupule, joint à l'inaction de la vindicte publique à Auxerre, suffirait à expliquer que l'aventurière soit demeurée, au regard de la chose jugée, la femme déclarée sans nom, mais la critique historique, usant des documents, rapports de police, jugements, certificats administratifs étudiés au cours de ce travail, n'hésite pas à reconnaître et identifier Anne Buiret, femme de Jean Bourdin, dans l'instigatrice de cette campagne d'impostures et de tromperies qu'elle a menée de 1785 à sa mort.

C'est la ferme conclusion de la présente étude.

Alexandre POMMIER.

APPENDICES

I. — BILLET D'INVITATION

AUX OBSÈQUES DE Mme LA MARQUISE DE DOUHAULT 1

Messieurs et Dames, Vous êtes priés, de la part de la famille de haute et puissante dame Adélaïde-Marie Derogres de Luzignan de Champignelles, veuve de haut et puissant seigneur Louis-Joseph, marquis de Douhault, chevalier, seigneur de Chamousseau, Chazelet, Luzeray, Saint-Civeran, Chassingt, Grimond et autres lieux, chevalier

1. Archives du Cher, liasse 36 U 19.


LA FEMME SANS NOM 195

de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien capitaine au régiment Royal-Normandie cavalerie, aux convoi, service et enterrement de ladite dame, marquise de Douhault, qui se feront lundi 21 janvier. 1788, à 10 heures du matin, en la paroisse de Saint-Michel, sur laquelle elle est décédée, et son corps sera inhumé au cimetière de la Porte-Saint-Vincent.

Vous vous y trouverez s'il vous plaît et prierez Dieu pour le repos de son âme.

Requiescat in pace.

De l'imprimerie de Couret de Villeneuve.

II. —ACTE DE SÉPULTURE

DE LA MARQUISE DE DOUHAULT 1

L'an 1778 et le lundi 21e jour du mois de janvier a été, par nous, curé soussigné, inhumé, au grand cimetière de la PorteSaint-Vincent, le corps de haute et puissante dame AdélaydeMarie Rogres de Lusignan de Champignelles, décédée sur cette paroisse, samedi dix-neuf du courant, munie de sacrement de l'Extrême-Onction, veuve de haut et puissant seigneur LouisJoseph, marquis de Douhault, chevalier, seigneur de Chamousseau, Chazelet, Luzeray, Herveran, Chassenat et autres lieux, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien capitaine au régiment Royal-Normandie cavalerie, âgée d'environ quarante-cinq ans.

La sépulture a été faite en présence de Messire Claude-Philippe de la Vergne, baron de Loury, seigneur de la Roncière, le Bourg-Neuf, Saligny et autres lieux, cousin de la morte, de Messire Armand-Jacques-François Guyon, chevalier, comte de Guercheville, officier au régiment des Gardes-Françaises, cousin de la morte, et Messire André-Jérôme Égrot, écuyer, seigneur du Lude, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, officier des Mousquetaires de la 1re compagnie, neveu du mari de la morte, qui ont signé avec nous, avec d'autres parents et amis.

(Ont signé :) DE CASABONE, curé, ÉGROT DU LUDE, DELAVERGNE, GUERCHEVILLE, D'HALLOT.

1. Archives communales de la mairie d'Orléans, registres de la paroisse Saint-Michel.


196 ALEXANDRE POMMIER

III. — GÉNÉALOGIE DE LA FAMILLE DE CHAMPIGNELLES

Armes : gironné d'argent et de gueule de douze pièces.

Louis-Charles de Rogres de Lusignan, marquis de Champignelles, premier maître d'hôtel du duc de Berry ; épouse, en 1702, Catherine-Louise-Marie de Brisay, née en 1682, fille de JacquesRené, marquis de Denonville, gouverneur de la Nouvelle-France et du Canada, mort en 1710, qui avait épousé, en 1668, Catherine Courtin, fille de Germain Courtin, seigneur de Tanqueux, conseiller d'État, et de Catherine Laffemas, dont :

I. Marie de Rogres, née Champignelles, en 1704; morte, en 1778, à Montlivault (Loir-et-Cher) ; épouse, en 1725, ArmandJacques Guyon, seigneur de Diziers, né à Courbouzon, en 1695 ; mort à Diziers, en 1770, dont :

1° Jacques-Madeleine Guyon; épouse, en 1761, Mlle de Nollent, dont :

Armand de Guercheville, qui, en 1783, épouse Mlle Laisné de Saint-Péravy.

2° Éléonore-Cécile Guyon, lieutenant de vaisseau, qui épouse, en 1809, Mlle Lemaire de Montlivault.

3° Adélaïde-Lucie Guyon, qui épouse Claude-Philippe de Lavergne, seigneur de la Roncière, baron de Loury.

II. Louis-René, marquis de Champignelles, né en 1705, mort en 1784, lieutenant général en 1759; épouse, en 1737, Jeanne Lefebvre de Laubrière (morte en avril 1790), fille de Charles de Laubrière (qui mourut évêque de Soissons) et de Anne de Blair.

N. B. — Cet évêque de Soissons était le frère de Louise Lefebvre de Laubrière, mariée, le 18 novembre 1717, à CharlesFrançois d'Arsac, marquis de Ternay, capitaine de grenadiers au régiment de Châteaubriant, mort en 1732.

Leur père, François Lefebvre, chevalier, seigneur de Laubrière, mourut doyen des conseillers du parlement de Rennes.

Dont :

1° Louis-Armand, maréchal de camp, marquis de Champignelles (mort à Paris, le 23 janvier 1805), qui, en 1770, épouse Mlle de Jaucourt, dont :

Louise-Charlotte-Adélaïde de Champignelles, née en 1775, morte le 30 octobre 1830, sans alliance.

2° Marie-Adélaïde de Champignelles, née en 1741, morte à


LA FEMME SANS NOM 197

Orléans, le 19 janvier 1788, avait épousé, en 1764, le marquis de Douhault, veuf d'une demoiselle de Samary, mort le 21 mars 1787.

3° Henriette-Françoise, prieure des Dominicaines à Montargis.

III. Claude-Jacques de Rogres de Lusignan, chevalier, profès de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, d'abord commandeur d'Abbeville ; en 1756, commandeur d'Auxerre.

IV. GÉNÉALOGIE

DE LA FAMILLE ÉGROT DU LUDE

Jérôme Égrot du Lude, mort en 1709; épouse, en 1702, Mlle Laisné de Sainte-Marie.

Mme du Lude, veuve, se remarie, le 13 septembre 1717, à Louis de Douhault, dont :

Louis-Joseph de Douhault, qui, en 1764, épouse Marie-Adélaïde de Champignelles.

De son premier mariage, Mme du Lude eut Jérôme-Jean Égrot du Lude, qui épouse, en 1730, Mlle de Beausse de la Touche, dont :

André-Jérôme Égrot du Lude, né en 1732, mort en 1810, trésorier de France à Orléans, qui épouse, en 1767, Mlle de Goillons de l'Espère, morte en 1782, dont :

Anne-Thérèse Égrot du Lude, morte en 1838, qui épouse, le 26 mai 1787, Louis-Joseph, marquis d'Hallot.

D'après ces notes généalogiques, que nous devons à notre confrère Henry de Denainvilliers, descendant direct de AndréJérôme Égrot du Lude, ce dernier était le fils du frère utérin du marquis de Douhault.

V. — LETTRE DU DOCTEUR LATOUR,

MÉDECIN D'ORLÉANS,

A M. DE GUERCHEVILLE, EN DATE DU 15 FLORÉAL AN XI

Monsieur,

Je ne peux répondre à votre lettre du 12 courant, qu'en répétant ce que j'ai dit à tout le monde ; c'est que le fait de la mort de Mme Douhault m'est parfaitement connu, puisque je l'ai vue la veille et le jour de son décès. En effet, appelé à Orléans pour donner des conseils à M. de Morogues, atteint de la phthisie pulmonaire, je reçus chez ce dernier l'invitation, de la part de M. de

MÉM. XXXVII. 13*


198 ALEXANDRE POMMIER

Lavergne, pour visiter chez lui une de ses parentes et conférer sur la maladie avec M. Loire, son médecin. Ce fut vers les huit heures du soir qu'eut lieu la consultation. La malade était dans la léthargie ; elle était dans un appartement au rez-de-chaussée de la maison. Les vésicatoires lui avaient été appliqués. Comme il était impossible de lui faire prendre aucun remède, vu la difficulté de la déglutition, nous convînmes de borner le traitement à répéter les lavements très irritants qui avaient déjà été conseillés. Le lendemain, je reçus une nouvelle invitation pour dîner chez M. de Lavergne ; je vis la malade dans un état de stupeur plus considérable encore. Je me souviens très bien, Monsieur, qu'après dîner et sortant de table avec vous, nous descendîmes ensemble chez ladite malade que je vis alors presque expirante ; ses yeux renversés, sa respiration râleuse, son teint vergené, le pouls presque nul et tout l'ensemble des accidents me la firent juger, devant vous, absolument sans ressource. Dans le fait, elle mourut quelques heures après. Plusieurs convives vinrent avec nous la visiter dans son agonie ; je me souviens que M. de Douy était du nombre.

M. Lambron, chirurgien, et M. Prozet, pharmacien, qui la voyaient avec M. Loire, peuvent attester qu'ils n'ont cessé de lui donner des soins durant toute sa maladie.

Quant à moi, Monsieur, je serai toujours prêt, partout où il sera besoin, de rendre hommage à la vérité.

LATOUR, médecin.

Orléans, le 15 floréal an XI.

VI. — CERTIFICAT DE L'HÔPITAL DE LA SALPÊTRIÈRE

Anne Buiret, âgée de 28 ans, de Paris, paroisse de SaintÉtienne-du-Mont, femme de Jean Bourdin, entrée par ordre du Roi, le 26 décembre 1785, pour être détenue jusqu'à nouvel ordre, le 3 janvier 1786 ; sortie le 16 octobre 1789.

Signé : Soeur DE SAINTE-MARTHE, officière de la maison de Force, et CHAMPION, préposé au Département de police, d'après l'arrêté de l'Assemblée nationale.


LA FEMME SANS NOM 199

VII. — COPIE DE LA LETTRE ÉCRITE

AU MINISTRE DE LA JUSTICE

PAR MM. LES ADMINISTRATEURS DU DÉPARTEMENT DE POLICE

(1792)

M. le Maire, Messieurs, nous a envoyé avec la lettre que vous lui avez écrite celle que vous a écrit M. le Commissaire du Roi, près le tribunal de Saint-Fargeau, au sujet de la nommée Anne Buiret, femme Bourdin, prenant actuellement le nom de Douhaut. L'ordre en vertu duquel cette femme a été conduite à la Salpêtrière, le 3 janvier 1786, est émané directement des bureaux de M. de Breteuil et a été exécuté à Versailles par un officier de la Prévôté de l'Hôtel (le sieur Tergat) ; mais il paraît, d'après plusieurs pièces, composant un dossier, qui existe à la police, et notamment d'après un interrogatoire qu'elle a subi à la Salpêtrière, le 24 janvier 1786, qu'elle était prévenue d'un grand nombre d'escroqueries, qu'elle prenait faussement la qualité de femme de chambre de la Reine, qu'à la faveur de cette qualité elle s'était annoncée la chargée par la Reine de retirer du mont-de-piété des nantissements, dont elle a disposé à son profit ; que son vrai nom était Baudin, qu'elle a changé en celui de Bourdin, parce qu'il y avait une femme de chambre de la Reine de ce nom. Nous avons demandé au greffier du tribunal de police l'expédition du jugement du mois de février 1790, qui l'a condamnée à un mois de détention à la Force ; aussitôt qu'il nous sera parvenu, nous l'adresserons à M. le Commissaire du Roi, avec les détails que nous avons l'honneur de vous donner.

VIII. — EXTRAIT DES REGISTRES DU GREFFE DU TRIBUNAL DE POLICE MUNICIPALE DE PARIS

Du mercredi 24 février 1790.

Le tribunal ordonne que ladite femme Baudin (sic), soi-disant marquise de Grainville, étant convaincue de supposition de noms, de qualité et domicile, supposition qui tendait à abuser le public, serait, sous bonne et sûre garde, conduite à l'Hôtel de la Force, pour y être détenue pendant un mois.

Délivré par nous, greffier du tribunal. Signé : BOYENVAL.

Enregistré le 12 janvier 1792. Signé : HATON.


200 ALEXANDRE POMMIER

IX. — QUESTION TRENTE-HUIT DE L'INTERROGATOIRE SUR FAITS ET ARTICLES 1

Enquise de l'époque à laquelle elle est entrée à la Salpêtrière? A dit y être entrée le 3 janvier 1786.

Enquise du nom qu'elle portait lorsqu'elle fut mise à la prison de la Force? A dit qu'elle s'appelait Mme de Grainville.

Enquête. — L'an 1790, le 19 février, sur la plainte du sieur Paris, contre ladite marquise de Grainville, contenant que, sous le nom de sous-gouvernante de Madame Royale, cette femme lui avait passé une procuration devant M. Silly, notaire, pour régir les terres de Champignelles et de Belombre, et que, pour prix de cette régie, elle avait exigé de lui plusieurs lettres de change et pourquoi il nous supplie, attendu qu'elle est en hôtel garni, de l'envoyer chercher, ainsi que deux femmes qui sont à sa suite, dont l'une paraît partager son industrie.

Ladite Grainville, mandée, est convenue de ces faits. A elle observée qu'on allait écrire aux Thuileries pour s'informer de la vérité de son titre, a dit qu'on ne le fit pas, et cependant il a été écrit et la réponse a été que la dame de Grainville n'est pas sousgouvernante, que même elle n'est connue aux Thuileries que défavorablement.

Est aussi comparue Marie Valtents, fille majeure, demeurant chez ladite Grainville, en qualité de première femme de chambre, laquelle a déclaré qu'il lui est dû ses gages et de l'argent prêté.

A elle demandé si ladite dame s'est toujours qualifiée de sousgouvernante de Madame Royale? A répondu qu'oui, qu'elle l'a conduite dans sa voiture, disant qu'elle allait faire son service, qu'elle est descendue de voiture et l'a renvoyée.

Fait au Comité du district de Saint-Eustache.

X. — BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES DU MÉMOIRE Bibliothèque municipale d'Orléans.

Cotes H. 644. Un volume in-4° relié veau plein rouge, doré sur tranchés, filets or.

1. D'après des pièces justificatives du jugement de Saint-Fargeau (Bibl. municipale, B. 2058, Recueil de pièces diverses).


LA FEMME SANS NOM 201

Au dos : « Requête en revision à Sa Majesté LouisPhilippe Ier par la marquise Champignelles de Douhault. »

Sur le plat, en lettres d'or : « A Sa Majesté Louis Philippe Premier, Roi chéri des Français, 1831. »

Première partie : l'intérieur imprimé (répétition du titre du dos) pour la marquise Champignelles de Douhault et pour l'un de ses défenseurs, Pierre Delorme, avocat à la Cour royale de Poitiers, 40 pages, avec une lithographie de masse.

Deuxième partie : A) Plaidoyer de Saint-Fargeau. Réquisitoire de Bourges et réfutation.

B) Mémoire en cassation pour Mme de Douhault. H. 5278. Réquisitoire de M. le Procureur général impérial et arrêt définitif au procès en faux d'entre la soi-disant dame de Douhault, accusatrice, sans titre ni date, 224 p. in-12. H. 5279. La fausse marquise de Douhault, anonyme, in-12. Paris, 1804-an XIII, Giguet et Michaud (mémoire publié

après l'arrêt de Bourges, avant celui de Paris), 136 p. H. 5280. Mémoire en cassation pour Mme de Douhault aux magistrats de la Cour de cassation, par Huart Duparc, avocat, 219 p., avec pièces justificatives, 170 p., 4 gravures, 3 tableaux. Paris, 1807, Baudouin. B. 2058. Recueil d'affaires diverses, portefeuille in-4°, où se trouvent :

A) Mémoire et consultation pour Armand Rogres, par Cournot, Siméon, Poirier, Bonnet, Bellart, avocats, 76 p. in-12. Paris, 12 nivôse an XL

B) Consultation pour les citoyens de Champignelles et autres par Bellart, Guien, Berryer, Bonnet, avocats, 24 p., 1er prairial an XI.

C) Jugement du tribunal de Saint-Fargeau et pièces justificatives.

D) La soi-disant Mme de Douhault opposée à ellemême. Réponse au Mémoire qu'elle vient de répandre contre MM. Champignelles, Rogres.

En marge : Tribunal de cassation, rapport indiqué à mardi 4 prairial an XI.

Ouvrages et écrits divers. Merlin. Répertoire de jurisprudence, 1812, t. II.


202 A. POMMIER. — LA FEMME SANS NOM

Victor Perceval. La marquise de Douhault. Paris, Dentu, 1872, un vol. in-12.

Journal le Temps, 12, 13, 14 septembre 1872, articles de Jules Loiseleur sur le livre précédent. Ces articles ont été reproduits par le Journal du Loiret, dans ses numéros du 25 au 28 septembre 1872.

Journal le Républicain orléanais : une série d'articles de Jules Doinel, espacés du 14 novembre 1887 au 14 mai 1888.

G. Lenôtre. La Femme sans nom. Paris, Perrin, 1922, in-12.

Documents d'archives.

Loiret, E, familles : La marquise de Douhault.

Yonne, L 840 : Un registre.

Cher, 36 U, liasses 19 et 20 : Procès criminel de Bourges.


TABLE DES MATIÈRES

Pages

PRÉLIMINAIRE 142

Mort de la pseudo Mme de Douhault et jugement du tribunal de la Seine en 1832 146

Examen critique des procédures de l'aventurière et des jugements et arrêts 154

Jugement de Saint-Fargeau 154

Histoire d'Anne Buiret 155

Trêve de cinq ans 175

Règlement de juges . 176

Procès criminel de Bourges ..: 178

Arrêt de la Cour d'appel de Paris 188

Pourvoi en cassation ; 191

Conclusion . 193

APPENDICES :

I. Billet d'invitation aux obsèques de la marquise de

Douhault 194

II. Acte de sépulture de la même 195

III. Généalogie de la famille de Champignelles ..... 196

IV. Généalogie de la famille Égrot du Lude 197

V. Lettre du docteur Latour 197

VI. Certificat de l'hôpital de la Salpêtrière 198

VII. Lettre au ministre de la Justice 199

VIII. Extrait des registres du greffe du tribunal municipal. 199

IX. Enquête du 19 février 1790 200

X. Bibliographie 200

Table des matières 203