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Titre : Mémoires de la Société historique, littéraire et scientifique du Cher

Auteur : Société historique, littéraire, artistique et scientifique du département du Cher. Auteur du texte

Éditeur : J. David (Bourges)

Éditeur : Just-Bernard (Paris)

Éditeur : Dumoulin ()

Date d'édition : 1890

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328133672

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328133672/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

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Description : 1890

Description : 1890 (SER4,VOL7 (DOUBLE))-1891.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5546593j

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-902

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MEMOIRES

DE LA

LITTÉRAIRE

ARTISTIQUE ET SCIENTIFIQUE

DU CHER

( 1890-1891)

4E SÉRIE — 7E VOLUME

-BOURGES

RENAUD, LIBRAIRE JUST-BERNARD, LIBRAIRE

PARIS

LECHEVALIER, LIBRAIRE, 13, QUAI DES AUGUSTINS

1891-



MEMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ HISTORIQUE

LITTÉRAIRE, ARTISTIQUE ET SCIENTIFIQUE

DU CHER


La Société laisse à chacun de ses Membres la responsabilité des Travaux publiés avec signature.


MEMOIRES

DE LA

LITTÉRAIRE

ARTISTIQUE ET SCIENTIFIQUE

BU CHER

(1890-1891 )

4E SÉRIE — 6E VOLUME

BOURGES

RENAUD. LIBRAIRE JUST-BERNARD, LIBRAIRE

PARIS LECHEVALIER, LIBRAIRE, 13, QUAI DES AUGUSTINS

1891



RÈGLEMENT

DE

LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE

LITTÉRAIRE, ARTISTIQUE ET SCIENTIFIQUE

DU CHER

§ 1. — But et Organisation de la Société.

1. — La Société historique du Cher, spécialement instituée dans l'origine pour étudier les monuments historiques du département, traitera en outre, à l'avenir, de toutes matières littéraires, artistiques et scientifiques ; mais elle s'interdit toute discussion politique.

Elle s'intitule, en conséquence, Société historique, littéraire, artistique et scientifique du Cher.

2. — La Société se compose de membres titulaires, de membres honoraires, d'associés et de membres correspondants.

Nul ne peut être membre correspondant s'il a son ^domicile ou sa résidence habituelle à Bourges.

3. — Les membres honoraires, associés et correspondants peuvent assister aux séances. Ils ont voix délibérative, sauf en matière d'élection.


VI REGLEMENT

4. — Les membres titulaires paient une cotisation annuelle de dix francs et les membres associés une cotisation de cinq francs. Ne peuvent profiter de cette réduction que les personnes attachées à un titre quelconque à l'enseignement primaire, sauf la réserve inscrite à l'article 18 ci-après. Le refus de la cotisation pourra être considéré, par le Bureau, comme une démission.

5. — Les membres des Sociétés savantes nationales et étrangères pourront, avec l'autorisation du président, assister aux séances.

Il en sera de même de toutes personnes étrangères à la Société qui voudraient faire des communications ou lire un mémoire; toutefois, ces mémoires ou communications devront être préalablement soumis au président.

6. — Toute présentation d'un membre nouveau, titulaire, honoraire, associé ou correspondant, sera faite par écrit et signée de deux membres titulaires.

Elle sera portée à l'ordre du jour de la séance suivante et avis en sera donné dans la lettre de convocation.

Dans cette dernière séance, il sera statué, au scrutin secret, les trois quarts des voix des membres présents étant nécessaires pour l'admission.

§ 2. — Composition et Attributions du Bureau.

7. — M. le Préfet du Cher et M. le Maire de Bourges sont présidents d'honneur de la Société.

La Société peut conférer le titre de président ou vice - président honoraire. Ce titre est par lui-même purement honorifique.

8. — La Société est' administrée [par un Bureau composé d'un président, de deux vice-présidents, d'un trésorier, d'un secrétaire général, d'un archiviste-bibliothécaire et de deux secrétaires-adjoints.

9. — La Société renouvelle chaque année son Bureau à


DE LA SOCIETE HISTORIQUE DU CHER VII

la séance de décembre, intégralement ou partiellement, comme il est expliqué ci-après :

Le secrétaire général, l'archiviste - bibliothécaire et le Trésorier sont nommés pour trois ans, sous réserve d'un remplacement au cas où l'un ou plusieurs de ceux-ci seraient élus à l'une des autres fonctions du Bureau. Les vice-présidents ne sont élus que pour deux ans, de sorte que, chaque année, sortira le plus ancien ; ils ne pourront ensuite être réélus qu'un an au moins après l'expiration de leurs fonctions.

Les membres sont nommés au scrutin secret et à la majorité absolue des membres présents.

Les membres du Bureau sont indéfiniment rééligibles, sous la réserve indiquée ci-dessus en ce qui concerne les vice-présidents.

Un double extrait du procès-verbal de l'élection sera adressé, l'un à M. le Préfet et l'autre à M. le Maire.

10. — Le président, ou, à son défaut, l'un des vice-présidents, par ordre d'âge, dirige les travaux de la Société ; il a la police des séances et ordonnance tous les mémoires de dépenses qui doivent être payées par le trésorier.

11. — Le trésorier est seul chargé de la recette des fonds de la Société et en demeure dépositaire. Il acquitte tous les mémoires ordonnancés par le président.

Chaque année, en décembre, avant qu'il soit procédé au renouvellement des membres du Bureau, il présente le compte de l'année courante et le budget, préparé par le Bureau, de l'année suivante.

12. — Nulle dépense ne pourra être faite, en dehors des ' crédits ouverts au budget, si elle n'a été décidée par la

Société.

Cette décision, dans le cas où le Bureau serait unanime à reconnaître l'urgence du vote, pourra être prise à la simple majorité des membres présents à la séance où elle sera proposée ; mais, sauf en cas d'urgence, elle ne pourra être prise par la majorité qu'autant que cette majorité


VIII REGLEMENT

représenterait au moins le quart des voix des membres titulaires.

13. — Le secrétaire est chargé de la correspondance générale, de la rédaction du rapport annuel et du soin des convocations ; l'archiviste-bibliothécaire est chargé de la garde des livres et archives et des objets appartenant à la Société.

Les secrétaires-adjoints remplacent au besoin les secrétaires et sont plus spécialement chargés, sous sa direction, de la rédaction des procès-verbaux des séances, qui, après leur adoption, sont incrits sur un registre spécial et publiés annuellement, en tout ou partie, avec les travaux de la Société.

14. — Le Bureau prépare et soumet chaque année, à la Société, un rapport où sont exposés les travaux et les besoins de la Société, pour ce rapport être transmis ensuite par le président à M. le Préfet et à M. le Maire.

§ 3. — Travaux de la Société.

15. — La Société tient ses séances ordinaires le premier vendredi de chaque mois, sauf durant les mois de septembre et octobre. Des séances extraordinaires peuvent avoir lieu chaque fois qu'elles sont jugées nécessaires par la Société, ou, en cas d'urgence, par le président.

16. — La Société entend, dans ses séances, les communications de ses membres et la lecture des correspondances, rapports et mémoires qui lui seront présentés. Elle fixe, sur l'initiative de son président, l'ordre des communications, des lectures, et en général de tous ses travaux.

Elle prend, hors des cas expressément prévus, toutes décisions à la simple majorité des assistants. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Les votes auront lieu au scrutin secret si un membre le réclame.


DE LA. SOCIÉTÉ HISTORIQUE DU CHER IX

17. — Elle publie, sous le titre de Mémoires, les meilleurs travaux que lui fournissent ses différents membres. En conséquence, ces travaux, au fur et à mesure qu'ils lui sont communiqués en vue de cette publication, sont remis par le secrétaire à un Comité chargé de préparer un choix, qu'il soumet ultérieurement à la sanction de la Société. Ce Comité de publication se compose des membres du Bureau et de trois membres titulaires élus chaque année en même temps que le Bureau, dans la même forme et indéfiniment rééligibles.

La Société peut publier encore, quand et comme elle le juge utile, tous autres documents et travaux, mais la dépense, que ces publications non prévues entraînent, est votée conformément à l'article 12.

18. — Deux exemplaires de toutes ces publications seront adressés à chacun de MM. les Ministres de l'Intérieur et de l'Instruction publique. Il sera également adressé un exemplaire à M. le Préfet, à M. le Maire de Bourges, à chaque membre du Conseil général et à chacun des membres honoraires, associés et titulaires de la Société.

Les membres correspondants recevront, s'ils en font la demande, toutes publications à prix réduit et moyennant un-abonnement fixe de cinq francs par année.

Deux exemplaires des publications seront enfin déposés, l'un aux Archives du département, l'autre à la Bibliothèque publique de Bourges.

19. — Les objets, de quelque nature qu'ils soient, qui proviendront des fouilles exécutées par la Société, lui appartiendront exclusivement et seront confiés à la surveillance de l'archiviste, sauf à leur donner ultérieurement une destination.

20. —"En cas de dissolution de la Société, ou toutes les fois qu'elle le jugera convenable, par décision prise en la forme prévue par l'article 12, les objets qui lui appartiendront seront répartis, suivant leur nature, entre le Musée


X REGLEMENT DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DU CHER

de Bourges, les Archives du département, les Archives communales et la Bibliothèque de la Ville.

21. — Il pourra être apporté des modifications au présent Règlement sur la proposition du Bureau ou de six membres titulaires. La discussion n'aura lieu à ce sujet que dans une séance ultérieure, après avis donné dans la lettre de convocation. Les résolutions ne seront prises valablement qu'autant .que la double condition prévue en l'article 9 serait remplie.

Adopté par la Société dans sa séance du 17 avril 1891.

Pour copie conforme : Le Président, H. BOYER.

Autorisé conformément à notre arrêté en date de ce jour. Bourges, le 12 juin 1891.

Le Préfet du Cher,

GASTON CARLE.


LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES

DE LA

SOCIETE HISTORIQUE, LITTERAIRE, ARTISTIQUE ET SCIENTIFIQUE DU CHER

Présidents d'honneur':

MM. le PRÉFET DU CHER $$ (o. i.). le MAIRE DE BOURGES.

Bureau de la Société :

MM. H. BOYER (O. I.), archiviste du département du Cher, Président.

MATER, avocat près la Cour d'appel de Bourges, Vice-Président.

SIMONNET, conseiller à la Cour d'appel de Bourges, Vice-Président.

LE GRAND (o. i.J, agent voyer en chef du département du Cher, à Bourges, Secrétaire en chef.

MALLAY, inspecteur des chemins vicinaux, à Bourges, Secrétaire-Adjoint. - RHODIER, ancien greffier, à Bourges, SecrétaireAdjoint.

A. MORNET, banquier, à Bourges, Trésorier.


XII LISTE GENERALE

Comité de publication :

MM. JENY (o. A.), conseiller à la Cour d'appel de Bourges. LEPRINCE (O. A.), pharmacien à Bourges. SAUVAGEOT (o. A.), directeur de l'École normale de Bourges.

Membres honoraires :

MM. AUBINEAU (O. A.), conseiller honoraire à la Cour d'appel de Bourges.

DE CHENEVIÈRES (Philippe), ancien directeur des Beaux-Arts, à Paris, 64, boulevard Saint-Michel.

DE MAUSSABRÉ (le vicomte Ferdinand), au château de Puy-Barbeau. par Sainte-Sévère (Indre).

MEUNIER, ancien sous-préfet, à Varie, près Bourges.

OUDOT, ancien juge de paix, à Varzy.

DE RAYNAL ^, ancien procureur général à la Cour de cassation, au Vernay, commune de Saint-Eloide-Gy.

DE LAUGARDIÈRE (Charles), ancien conseiller à la Cour d'appel de Bourges.

VOISIN (l'abbé), curé de Douadic (Indre).

Membres titulaires :

MM. ACHET (Prosper), avocat près la Cour d'appel de Bourges, à Parassy (Cher).

ALLIOT, conseiller à la Cour d'appel de Bourges.

ANCILLON, avocat près la Cour d'appel, ancien bâtonnier, à Bourges.


DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ XIII

MM. BABILLOT, docteur-médecin, à Bourges.

BARON (O. A.), professeur de rhétorique au Lycée de

Bourges. BERNARD, dessinateur à la Direction d'artillerie de

Bourges. BEAUBOIS .(o. A.), agent voyer cantonal à Mehun-surYèvre.

Mehun-surYèvre. ^, ingénieur, chef du service de la construction

des chemins de fer économiques, 1, avenue Malakoff,

Malakoff, BOYER (O. I.), archiviste du département du Cher, à

Bourges. BRISSON (H.), député de la Seine, 9, rue Mazagran,

Paris. BUREAU, conservateur des hypothèques, à Glamecy. BUSSIÈRE, architecte, à Bourges. BUTHAUD (Amédée), propriétaire, rue Fernault, à

Bourges. CLÉMENT-GRANDCOUR, notaire, à Romorantin (Loir-etCher). COUPAS (o. A.), professeur à l'Ecole normale de

Bourges. .DUBOIS (Michel), conseiller à la Cour d'appel de

Bourges. EVESQUE, vérificateur des poids et mesures, à

Bourges. FAUCONNEAU, docteur-médecin, à Bourges. . FAUCONNEAU, pharmacien, à Bourges. FOUCHARD, professeur de physique au Lycée de

Bourges. GAUCHERY, architecte, à Vierzon. GOSSET, avocat à la Cour de cassation, 52, rue de

Lille, à Paris. JENY (o. A.), conseiller à la Cour d'appel de Bourges.


XIV LISTE GÉNÉRALE

MM. LABROSSE, greffier du Tribunal de commerce de Bourges. LARCHEVÊQUE, propriétaire, au Tabaloup, près Vierzon

Vierzon LEBRUN (Simon), propriétaire, ancien député du Cher, à Grandchamp, cne de Croisy, par Ourouër (Cher). LECACHEUX, ingénieur civil, à Bourges. LE GRAND (o. i.), agent voyer en chef, à Bourges. LELIÈVRE, notaire, à Bourges. LEPRINCE (O. A.), pharmacien, à Bourges. LOURIOU (O. A.), professeur à l'Ecole normale de

Bourges. MALLAY, inspecteur des chemins vicinaux, à Bourges. MARÉCHAL (O. I.), inspecteur primaire, à Bourges. MATER (Daniel), avocat, président de la Commission

du Musée, à Bourges MAURICE (O. A.) , ingénieur des chemins de fer économiques, à Bourges. MIÉDAN, notaire, à Bourges. MORLON, conseiller à la Cour d'appel de Bourges. MORNET (Albert), banquier, à Bourges. MORNET (Marcel) (o. A.), pharmacien, à Bourges. NARCY (O.A.), économe, à l'Ecole normale de Bourges. PASCAULT (O. A.), architecte du département, à Bourges. PÉNEAU (O. A.), ancien pharmacien, à Bourges. PLANCHON, négociant en bronzes d'art et horlogerie,

67, galerie Montpensier, Palais-Royal, Paris. POÈTE, bibliothécaire, à Bourges. RATIER (o. I.), ancien bibliothécaire de la ville de

Bourges. RHODIER, ancien greffier du Tribunal civil de Bourges. ROBIN, pharmacien, à Bourges. ROLLET (Louis), propriétaire, à La Châtelette, cne de Bruère-Allichamps, par La Celle-Bruère (Cher).


DES MEMBRES DE LA SOCIETE XV

MM. SAUVAGEOT (O. A'.), directeur de l'Ecole normale de

Bourges.. SIMONNET, conseiller à la Cour d'appel de.Bourges. SIRE, imprimeur, à Bourges. SOUCHON, architecte, à Bourges. TAUSSERAT, au château de Ghevilly, par Méreau (Cher). THOMAS, avoué, à Bourges. TRIPAULT, libraire, à Bourges. TURPIN (O. A.) , chef de division à la Préfecture du

Cher.

Membres correspondants dans le département

du Cher :

MM. BONNET, avoué, à Sancerre.

CHAROT, instituteur, à Primelles. DE GUINAUMOND, à Sens-Beaujeu. GUILLARD, architecte, à Sancerre. LENORMAND DU GOUDRAY, notaire, à Nérondes. MAILLET, instituteur retraité, à Savigny-en-Seplaine. MALFUSON (O. I.), avoué, à Sancerre. MAYET, instituteur retraité, à Sens-Beaujeu. MOURIE', secrétaire de la Mairie, à St-Florent (Cher). PAQUET (Georges), instituteur, à Civray. PORCHERON, juge de paix, à Sancerre. -

Membres correspondants hors du département du Cher :

.MM. BEAUDOIN, capitaine en retraite, à Vitry-sur-Seine (Seine). BERTRAND, géomètre-expert, vice-président de la Société d'émulation de l'Allier, 10, cours de Bercy, à Moulins.


XVI LISTE GENERALE

MM. BONNIN, ancien secrétaire de la Mairie de Sancerre,

à Épernon (Eure-et-Loir). BORGET (H.), propriétaire, à Soukaras (Algérie). BOULÉ, juge de paix, à Saint-Germain-en-Laye. BOYER (Henri) (o. A.), attaché au Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, 16, rue Clapeyron,

Clapeyron, DE BUSSEROLLES (l'abbé), aumônier du Vésinet (Seineet-Oise).

(Seineet-Oise). (Emile), architecte, à Paris, rueVentadour, 6. DE CHAMPEAUX (A.), bibliothécaire de l'Union centrale

des Beaux-Arts, à Paris, rue de Verneuil, 31. DE CLAMECY, ancien secrétaire général de la Préfecture

du Loiret. COUGNY, ancien conseiller général du Cher, à Paris,

rue Demours, 39. COUGNY (Gaston), publiciste, rue Demours, 39, Paris. DAMOURETTE (l'abbé), à Châteauroux. DUCHAUSSOY (o. A.), professeur de sciences physiques

et naturelles au Lycée d'Amiens (Somme). GAUGUET (Élie), éditeur, à Paris, rue de Seine, 31. GILLEBERT D'HERCOURT, docteur-médecin, à Paris,

boulevard Magenta. 37. GUITTON (Stéphane), à Châtillon (Indre). GUITTON (Paul), à Bordeaux. HABERT, greffier, à La Charité-sur-Loire. HÉRAULT (H.), sous-inspecteur du chemin de fer,

à Oran (Algérie). HÉRAULT (L.), inspecteur principal du chemin de fer,

à Philippeville (Algérie). HUBERT, archiviste, à Châteauroux. JALOUSTRE (Élie), percepteur de Gerzat, en résidence

à Clermont (Puy-de-Dôme). LECAT (o. A.), professeur au Lycée de Nancy.


DES MEMBRES DE LA SOCIETE XVII

MM. LECONTE, député de l'Indre, à Issoudun. LEHANNEUR, professeur, à La Rochelle. MARCHÉ, juge d'instruction au Tribunal civil de Périgueux. MARTIN, avoué près du Tribunal du Blanc. MÉALIN, proviseur, à Nancy (Meurthe-et-Moselle). MEUNIER, ancien avoué, à Nevers. PÉRATHON (Cyprien), président de la Chambre des

arts et manufactures, à Aubusson. PÉROT (Francis), 4, rue Sainte-Catherine, à Moulins

(Allier). PIFFAULT, propriétaire, à Varzy (Nièvre). PLÂTRIER, directeur de l'École normale de Rouen. QUÉROY, directeur du Musée, à Moulins (Allier). RÉGNAULT, architecte, à Varzy (Nièvre). -RICHARD-DESAIX (Ulric), aux Minimes, Issoudun

(Indre). SALONE, professeur d'histoire au Lycée d'Orléans, le docteur VERMEIL, à Paris, rue Jouffroy, 84. ZÉVORT (Edgard), recteur de l'Académie de Caen. -



LISTE

DES

SOCIÉTÉS SAVANTES & DES ÉTABLISSEMENTS SCIENTIFIQUES

AVEC LESQUELS

la Société historique du Cher est en relations d'échanges de publications

Paris. Le Comité des travaux historiques et

des Sociétés savantes près le Ministère de l'Instruction publique.

Les Archives nationales.

La Société des antiquaires de France.

La Société philotechnique.

La Société française d'archéologie (M. Jules de.Laurière, secrétaire général, 15, rue des Saints-Pères, à Paris.)

La Société de géographie.

La Société historique (cercle SaintSimon), 215, boulevard St-Germain.

La Société philomatique, 7, rue des Grands-Àugustins, Paris.

Le Musée d'ethnographie du palais du Trocadéro.

Le Musée Guimet (M. L. de Milloué, conservateur du -Musée, directeur des Annales, 30, avenue du Trocadéro, Paris.


XX LISTE DES SOCIETES SAVANTES

Aisne. La Société académique de Laon.

La Société archéologique, historique et

scientifique de Soissons. La Société historique et archéologique de Château-Thierry. Allier. La Société d'émulation de l'Allier, à

Moulins. La Direction de la Revue scientifique du Bourbonnais et du Centre delà France. Alpes (Hautes-). La Société d'études des Hautes-Alpes,

à Gap. Alpes-Maritimes. La Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes, à Nice. Aube. La Société académique d'agriculture,

des sciences, arts et belles-lettres de l'Aube, à Troyes. Aveyron. La Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, à Rodez. Bouches-du-Rh. L'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Marseille. Calvados. La Société des antiquaires de Normandie, à Caen. La Société d'agriculture, des sciences et arts de Falaise. Charente-Inférre. La Société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, à Saintes. La Société linnéenne de la CharenteInférieure, à Saint-Jean-d'Angély. Cher. Les Archives départementales.

La Bibliothèque municipale de Bourges. La Bibliothèque du Lycée de Bourges. La Société des antiquaires du Centre, à Bourges.


LISTE DES SOCIETES SAVANTES XXI

Gorrèze. La Société des lettres, sciences et arts de la Gorrèze, à Tulle. La Société historique et littéraire du Bas-Limousin, à Tulle. Côte-d'Or. La Société d'histoire, d'archéologie et de littérature de Beaune.- Creuse. La Société des sciences naturelles et

historiques de la Creuse, à Guéret. Doubs. La Société d'émulation de Montbéliard.

Montbéliard. Le Comité du Bulletin d'histoire ecclésiastique

ecclésiastique d'archéologie religieuse des diocèses de Valence, Digne, Gap, Grenoble et Viviers, à Romans. Eure-et-Loir. La Société archéologique d'Eure-etLoir, à Chartres. Finistère. La Société académique de Brest, Gard. - L'Académie du Gard, à Nîmes. Garonne (Haute-). La Société archéologique du Midi de la France, à Toulouse. Gironde. La Commission des ' Monuments historiques de la Gironde, à Bordeaux. L'Académie ethnographique de la Gironde. Hérault. La Société archéologique de Béziers. _ Indre-et-Loire. La Société archéologique de la Touraine, à Tours. Loire (Haute-). La Société agricole et scientifique de la

Haute-Loire, au Puy. Loire-Inférieure. La Société académique de Nantes.

Loiret. La Société archéologique de l'Orléanais,

à Orléans. Maine-et-Loire. La Société académique de Maine-etLoire, à Angers.


XXII LISTE DES SOCIETES SAVANTES

Manche. La Société nationale et académique de Cherbourg. Marne (Haute-). La Société historique et archéologique de Langres. Nièvre. La Société nivernaise, à Nevers.

La Société académique du Nivernais, à Nevers. Nord. La Commission historique du département

département Nord, à Lille. La Société d'émulation de Cambrai. Oise. Le Comité archéologique de Senlis.

Pyrénées (Basses-) La Société des sciences, lettres et arts

de Pau. Pyrénées-Orient. La Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, à Perpignan. Rhône. La Société littéraire et archéologique de

Lyon. Saône (Haute-). La Commission archéologique de la

Haute-Saône, à Vesoul. Saône-et-Loire. L'Académie de Mâcon.

La Société archéologique de Chalon-surSaône. La Société éduenne, à Autun. Sarthe. La Société historique et archéologique

du Maine, au Mans. Seine-et-Oise. La Commission des antiquités et des arts du département de Seine-et-Oise, à Versailles. Seine-Inférieure. La Commission des antiquités de la Seine-Inférieure, à Rouen. L'Académie des sciences de Rouen. La Société des sciences agricoles et horticoles du Havre.


LISTE DES SOCIETES SAVANTES XXIII

Somme. La Société des antiquaires de Picardie, à Amiens. La Société d'émulation d'Abbeville. Tarn-et-Garonne. La Société historique et archéologique de Tarn-et-Garonne, à Montauban. Var. La Société académique du Var, Toulon.

Vienne, La Société des antiquaires de l'Ouest, à Poitiers. Vienne (Haute-). La Société historique et archéologique du Limousin, à Limoges. Yonne. La Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne, à Auxerre. La Société archéologique de Sens. Algérie. La Société archéologique de Constantine.

Constantine. La Société d'histoire naturelle de

Colmar. États-Unis. Smithsonian institution, à Washington. d'Amérique. Société historique de l'État de Kansas, à Topeka, État de Kansas. American philosophical Society, à Philadelphie. ..Belgique. Institut archéologique liégois, à Liège. Société historique, archéologique et littéraire de la ville d'Ypres et de l'ancienne West-Flandre, à Ypres. Luxembourg. Institut archéologique du Luxembourg, à Ârlon.



MÉMOIRES INÉDITS

POUR SERVIR A

L'HISTOIRE DE LA VILLE ET DES SEIGNEURS

DE

LINIÈRES-EN-BERRI

LIVRE TROISIÈME

(Suite)

La première série de cette publication a paru dans le volume des Mémoires de la Société historique de 1890.



GILLES LE DUC

(1692)

J. B. DUPRE

(1786)

MÉMOIRES INÉDITS

POUR SERVIR A

L'HISTOIRE DE LA VILLE & DES SEIGNEURS

DE

LINIÈRES-EN-BERRI

PUBLIÉS

avec une Introduction, des Notes et des Commentaires

PAR LUCIEN JENY

« Minières me lient, c'est mou plaisir, » CATHERINE D'AMBOISE.

DEUXIÈME SÉRIE



DE LA VILLE ET DES SEIGNEURS DE LINIÈRES-EN-BERRI 5

ANTOINE DE BRICHANTEAU-BEAUVAIS-NANGIS

Antoine de Brichanteau-Beauvais-Nangis épousa Mademoiselle Antoinette de la Rochefoucault, fille du seigneur de Barbezieux, en 1578. Le père de cette demoiselle lui donna la terre de Linières en mariage, ainsi qu'on le voit par son contrat passé par devant Mathurin Sevant et Pierre Rossignol, notaires au Châtelet de Paris. On peut voir dans le Dictionnaire de Moreri ce que l'auteur dit de la maison de Brichanteau, originaire de la Beauce, près Monthléry (1).

Un des premiers soins de M. de Brichanteau, après qu'il fut seigneur de Linières, fut de faire réparer les églises qui avoient été détruites, pour quoi il fit arrêter entre ses mains les rentes que la seigneurie devoit au prieur-de St-Blaise, et il le fit condamner par Adam, évêque dé Mende (2), faisant la visite en cette ville pour l'archevêque de Bourges, le 22 avril 1595, à faire les réparations de son église, et à y employer six vingt écus sur son revenu de trois années, outre les arrérages des bleds retenus par le seigneur de Linières, enfin à y faire dire des messes et donner les aumônes accoutumées.

(1) Il faut sans doute lire : originaire de la Beauce et d'une localité voisine de Monthléry. Le bourg de Monthléry ne se trouve pas en Beauce, mais il est situé à peu de distance des limites de l'Orléanais, qui comprenait l'ancienne Beauce. Moreri (Paris, édit. Coignard, 1725, in-4°) dit d'ailleurs simplement que cette famille était originaire d'une terre dite Brichantel ou Brichanteau, en Beauce, mais je n'ai point lu qu'il parlât de Monthléry.

(2) La compétence de l'évêque de Mende s'explique par cette circonstance qu'à cette époque cet évêque était un des suffragants du siège de Bourges. (RAYNAL, Hst. du Berry, tom. I, notions préliminaires, pag. XXXII.)

2


6 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

Antoine de Brichanteau-Beauvais-Nangis commença vers 1600 à demeurer plus ordinairement à Linières et à s'occuper du bien de ses terres, comme on le voit par une transaction qu'il fit avec René de la Châtre, écuyer, seigneur du Plaix, par laquelle il ne donna que trois familles serves au sieur du Plaix, au lieu de plusieurs autres qu'il avoit auparavant, et ses droits de pêche furent aussi réglés. M. de Brichanteau entreprit aussi vers ce tems de faire dresser le Terrier (1) de la seigneurie de Lignières, à laquelle fin il obtint des lettres patentes du roi Henri IV, datées du 7 sep(1)

sep(1) sur ce Terrier, don de M. Porcheron, ancien notaire à Linières, aux Archives départementales du Cher, la partie finale de la note 2, pag. 223 (lre série des Mémoires). Les premiers feuillets de ce Terrier sont détruits, et les 358 qui subsistent n'ont pas été cotés par les notaires rédacteurs. Bien que Gilles-le-Duc parle aussi de Jérôme Duchesne, c'est Jean Paviot qui paraît avoir exclusivement ou presque exclusivement instrumenté, avec un membre de la famille Decerfs, si ancienne dans la région, et dont le nom se retrouve plus d'une fois dans ces Mémoires. On rencontre aussi dans ce Terrier les noms et signatures de presque tous les bourgeois appelés par Antoine de Brichanteau à délibérer sur l'institution d'un maître d'école (voir quelques pages plus loin) et spécialement des Pelletier, des Cauchais, des Duguet, des Martinat, des Jobert, des Champégnol, des Delachaume, et on y voit figurer nombre d'autres personnes dont il a été ou dont il sera encore question dans cette histoire, les Simonnet, les Guillot, les Lejau, les Aucouturier, les Soumard, les de Segry, etc. Plusieurs de ces noms sont encore couramment portés dans le pays. Ce Terrier de 1603 est sommairement analysé au tome second de l'Inventaire des Archives du Cher, pag. 124. Sa rédaction a eu pour objet principal de constater et de préciser les droits de suite sur certaines terres, les dîmes et terrages sur certaines autres, les usages des hameaux et lieux-dits, les états de bourgeoisie ou de servage total ou partiel de nombre de personnes ou de familles, ainsi que de confirmer telle ou telle franchise, de réserver tel ou tel privilège seigneurial, etc. D'autres terriers complémentaires furent encore dressés en 1633, en 1635, etc, et il en avait déjà été établi auparavant, par exemple en 1553 (v. pag. 309, note 1 (lre série des Mémoires).


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tembre 1601, qui furent mises à exécution par Jean -Paviot et par Jérôme Duchesne, notaires à Issoudun.

Edme de Betoulat, seigneur de la Perrière à cause de Jeanne de la Chapelle, son épouse, et l'un des sept gentilshommes du roi, rendit foi et hommage à Antoine de Brichanteau et à dame Antoinette de la Rochefoucault, seigneur et dame de Linières, le 23 septembre 1602. :

Pendant que ce seigneur s'occupoit des intérêts de sa terre, il ne négligeoit pas ceux de sa ville de Linières et de ses habitans, car aïant eu quelque connoissance de Mémoires qui parloient de deniers communs et d'octroi dans la ville de Linières (vers 1532), qui n'avoient point été levés depuis par négligence où à cause des guerres civiles, il assista de son crédit ses habitans qui présentèrent requêtes au conseil pour renouvellement de ces deniers communs qui se lèvent sur le vin vendu en détail dans la ville, les fauxbourgs et l'étendue de la terre de Linières, pour être emploies aux réparations des murailles, ponts et chaussées de la ville, et autres nécessités publiques. Il fallut de fortes sollicitations parce qu'on ne rapportait aucunes lettres des rois précédens. On disoit néanmoins qu'elles avoient été perdues par le malheur des tems. On représentoit seulement un acte passé par devant le lieutenant de Linières, qui faisoit mention d'une lettre patente du roi Charles, contenant en détail tous les droits des habitans, et on rapportoit un compte-rendu dont la rente montoit à six vingt écus. L'affaire fut si bien sollicitée que le roi Henri IV octroïa des lettres patentes le 10 septembre 1605, par lesquelles il confirma les privilèges des habitans pour six années. Ils furent continués pour six autres années par le roi Louis XIII le 11 février 1612.


8 MÉMOIRES INEDITS POUR SERVIR A L' HISTOIRE

Le seigneur de Brichanteau s'occupa ensuite de l'instruction de la jeunesse. Comme il n'y avoit point de maître d'école dans la ville, ni de fonds pour l'entretenir, il ordonna à son procureur fiscal de poursuivre les habitans pour les obliger à trouver un fonds suffisant pour l'entretien d'un maître (1).

Il y avoit alors une aumône assez considérable fondée par les seigneurs de Linières et par les habitans, qui donnoient un certain nombre de mesures de bled et une certaine quantité de vin tous les ans, pour distribuer aux pauvres, le jour de l'Ascension. Mais le mauvais usage avoit rendu cette aumône presqu'inutile en la rendant trop générale, car tout le monde y recevoit deux liards, et un quart d'un pain de douze deniers, et un quarteron de vin (qui est environ un demi-septier) qu'on buvoit sur le champ, comme on fait encore à Saint-Biaise le jour de Saint-Firmin. Alors Me Mathurin Marchand, gouverneur, fit assembler les habitans par devant Me Jacques Pelletier, lieutenant, pour délibérer sur le changement de cette aumône en salaire d'un maître d'école. Voici les noms de ceux qui furent alors présens: Edme Decerfs; Christophe Martinat; Pierre Duguet; François Jacquemet; Jean Jobert ; Cauchais Jean ; Robin Jean ; Baudon François ; Meslé Martin; Thévenet; Jacques Laumônier; Jean Delaehaulme; Vincent Robert; François Amourette; Jean Mabilleau; René Champègnol, qui donnèrent pouvoir à leur gouverneur de travailler à convertir l'aumône dont nous avons parlé en collège. M. de Bricban(1)

Bricban(1) organisation scolaire fut sans doute encore bien limitée, bien restreinte, mais, pour une ville en définitive aussi peu importante que Linières, cette création et surtout le mode de procéder pour arriver à ce résultat, n'en sont pas moins à remarquer, eu égard à l'époque où se placent ces faits.


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teau signala requête, qui fut présentée à Mgr l'archevêque de Bourges, André Frémiot, qui octroïa cette requête. On fixa douze livres cinq sols au chapitre pour faire les services accoutumés pour les fondateurs de l'aumône appelée l'aumône de la Blée ou de la Blie (1). Depuis longtemps, les seigneurs de Linières prétendoient que ses habitans étoient comme serfs, qu'ils dévoient chacun vingt-quatre mesures d'avoine, et douze deniers par feu, quand ils étoient logés dans leur maison, et" la moitié quand ils étoient par loyer. Les habitans, au contraire, soutenoient qu'ils n'étoient point sujets à ces prétendues redevances, qu'ils avoient été affranchis (2) par Guillaume, seigneur de Linières, et par Jeanne, sa femme, dès l'an 1268, qui leur avoient cédé les droits de chasse, pêche et usage aux bois de Linières et Prévières et celui de pacage dans l'isle du château. Le seigneur répondoit à cela qu'il ne leur disputoit pas leurs autres droits, excepté les redevances. Il y eut-pour cela procès aux requêtes du palais, commencé par M. de Barbezieux. Le seigneur et les habitans firent néanmoins une transaction par laquelle le seigneur remettoit aux habitans les redevances en avoine et autres, à condition que les propriétaires de maisons payeroient tous les ans douze sols et les autres six, le seigneur confirmant le privilège des habitans pour la chasse et la pêche, outre la rivière d'Arnon, vers Touchay et Châteauneuf (les garennes et chasses à conils (8) réservées, et les bêtes fauves et noires), confirmant aussi leurs' droits de pêche tant dans les rivières vieilles et autres qu'en écluses, les dites rivières depuis la planche de la Re(1)

Re(1) pag. 285 (1re série des Mémoires).

(2) V. pag. 261 (lre série des Mémoires).

(3) Terme ancien, synonyme de lapins.


10 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

cille jusqu'à la planche Sourdant qui est au-dessous du Moutet (les dites chasses et pêches réglées selon les ordonnances du roi). Le seigneur confirmoit de plus les dits habitans dans leurs droits de pacage et d'usage de l'Aujonnière (1) qui sont depuis la queue de Villiers, appelée la Corne de St-Thibaut, suivant le ruisseau de la dite Corne jusqu'à l'abreuvoir aux Biches, retournant vers la chapelle St-Thibaut jusqu'à l'étang de la Chelouse et jusqu'au bois du sieur du Plessis. Le seigneur confirma encore les privilèges d'iceux habitans de pouvoir aquérir héritages et biens de leurs hommes et femmes serfs de la dite terre et baronnie de Linières, le tout sans préjudicier par les dits seigneurs et dames aux autres droits et devoirs de rente que les dits habitans ou aucuns d'eux leur peuvent devoir, et aussi sans que la présente composition (2) puisse s'étendre aux habitans du bourg de St-Hilaire, et du village du Puyvieil, etc. Cette transaction fut passée au château de Linières le 11 mars 1610.

Au mois de juillet de la même année, M. de Brichanteau donna pouvoir à son chapitre d'avoir un sergent reçu en justice pour les affaires seulement du chapitre ; Madame de Meaux continua ce privilège en 1643. M. de Brichanteau contribua sans doute de son crédit à l'union de la ville avec les faux-bourgs, qui eut lieu dans son teins, union qui étoit très nécessaire pour lors, et qui le devint encore davantage dans la suite ; les lettres patentes en sont du dernier jour de juin de l'an 1611.

(1) Aujon pour ajonc ou jonc fluvial (Glossaire du Centre, du comte Jaubert). A Asnières-lès-Bourges existent également des espèces de mares qu'on appelle ou qu'on appelait autrefois la grande et la petite Aujonnière. (Annuaire Santique, Bourges, 1863, pag. 2.)

(2) Pour transaction, du latin componere.


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Ce fut vers ce tems-là (sans que l'on sache précisément ni le mois ni l'année), que Philippes de Brichanteau, second fils d'Antoine (et qui fut depuis seigneur de Linières), sachant que le seigneur de la Rocheagué s'étoit emparé de la ville et du château du Blanc en Berri, pour quelques droits qu'il y prétendoit contre le seigneur de Beauvais-Nangis à qui il appartenoit, prit trente ou quarante habitans de Linières, et s'en alla assiéger Te château du Blanc. Philippes de Brichanteau l'escalada, et ayant trouvé le seigneur de la Rocheagué qui se mit en défense, le seigneur de Linières le perça si furieusement d'un coup de son épée, que celle-ci se cassa contre la muraille. Un des gens du sieur de la Rocheagué vint pour donner un coup de hallebarde au seigneur de Linières, mais il fut prévenu par un nommé Prâlpn, son valet de chambre, et ainsi l'on demeura maître de la place ; les seigneurs de Brichanteau en ont toujours joui depuis paisiblement. Le fils de ce même Prâlon est présentement écuyer de la reine de Pologne et-colonel du régiment du prince Alexandre,fils du roi,et sa fille est mariée dans cette ville.

Vers ce tems-là, il y avoit une guerre en France, guerre civile appelée des Guerridons ou la guerre des princes qui assiégèrent la ville de Soissons, où étoit Philippes de Linières, lieutenant de M. le duc du-Maine, et pendant ce siège, le 20 juillet et les jours suivants de Fan 1614, il y eut une nombreuse assemblée de princes et de grands seigneurs de leur parti à Linières. On y vit MM. les princes de Condé, de Nevers, de Courtenay, de Sully-Rosny, et plusieurs autres gentilshommes qui forrnoient un nombre de plus de 500 personnes avec leur suite. Ils tinrent des conférences' ensemble pendant trois jours pour savoir s'ils feroient la paix ou la guerre. Pendant ce tems là, il vint de la


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part du roi et de la reine-mère des députés pour proposer la paix, qui fut conclue à Loudun peu de tems après. H y a encore ici (1) des personnes qui se souviennent d'avoir vu cette assemblée.

Je ne trouve pas le tems de la mort d'Antoine, mais ce fut depuis 1615 jusqu'en 1617, car, en l'an 1615, il reçut encore la foi et hommage de René de la Châtre, seigneur de Breuillebaut, pour les fiefs qui relevoient de lui. On ne trouve plus rien de lui si ce n'est qu'en 1627 on apporta son coeur de Nangis à Linières. Ce coeur fut déposé dans le caveau qui est sous le choeur de l'église collégiale.

Antoine de Brichanteau a vécu sous trois rois, savoir Henri III, qui lui donna le cordon de l'ordre du Saint-Esprit, institué le premier jour de l'an 1579; Henri IV, qui régna de 1589 jusqu'en 1610, et Louis XIII. Trois doyens gouvernèrent l'église de Linières, Triphon Macard, Louis Gohorry, et Michel Gohorry, son frère ; Jean des Forges étoit bailli, Jacques Pelletier lieutenant, auquel succéda Edme Decerfs. Jean Simonnet étoit procureur fiscal : il eut pour successeur Louis Guillot, qui exerça jusqu'en 1589.

Vers le tems dont nous parlons, Jean de la Châtre, Maréchal de France (2) et gouverneur de Berri, suivoit le parti de la Ligue contre le roi. Il se saisit de toutes les places fortes et de toutes les villes du Berri, qu'il rendit généreusement au roi lorsqu'il l'eut reconnu pour son légitime souverain. II s'étoit saisi du Châtelet dès l'an 1585. Le château de l'Isle fut pris par le moyen d'un pétard qui fut attaché à la porte par le

(i) Ne perdons pas de vue que Gilles-le-Duc a composé ses Mémoires de 1680 à 1692, en comprenant dans cette période la durée de ses recherches préparatoires.

(2) Inhumé dans la cathédrale de Bourges.


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nommé Jean Tixier le 18 janvier 1590. Le château de Rezé fut pris le mercredi au soir 14 juin 1589. Chârost fut forcé et pris d'assaut le 3 octobre 1589. M. de la Châtre rendit toutes ces places lorsqu'il remit au roi Bourges et Orléans en 1594.

Mais, d'un autre côté, le sieur de Gamaches tenoit dans le Berri contre la religion catholique et surprit Issoudun qui lui fut livré par trahison le 14 juillet 1588, mais il ne le garda guères. Dans le même tems il assiégea l'abbaïe de la Prée qu'il pilla, mais ce siège lui coûta cher, car il fut blessé d'un coup de lance. Il perdit plusieurs soldats et, entre autres, un de ses amis, M. le baron de Neuvy, seigneur de Bannegon, qui y fut tué, huit mois après avoir épousé Mlle de Linières, fille de M. Charles de la Rochefoucault et de Françoise Chabot, soeur aînée (1) de Mme de Beauvais-Nangis. .

Après avoir rétabli l'église de Linières qui avoit été brûlée par les huguenots, on fondit le 11 janvier 1588 deux cloches, l'une appelée Saint-Paul et l'autre SaintJean, qui furent ensuite bénites par Messire Triphon Macard, doyen. Cette même année, le seigneur de l'Aubespine, baron de Châteauneuf, fit bâtir une église pour les chanoines du lieu, au lieu de celle qui étoit dans son château. Cette église nouvelle fut consacrée par un évêque appelé Semblozei (2), député de l'archevêque de Bourges.

En 1592, les halles furent bâties telles qu'on les voit aujourd'hui au lieu de celles qui y étoient, petites et

(1) Ou plutôt soeur cadette, si l'on en croit le début de la page 323 (lre série des Mémoires).

(2) Sans doute un des suffragants du siège de Bourges, comme Adam, évêque de Mende (pag. 5, note 2.)


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basses (1). On fit prendre à cet effet du bois partout où on en trouvoit, et comme on en prit dans le bois d'un nommé Barnabe Biard, de Chatoulles, il voulut s'en plaindre à M. de Brichanteau, contre qui il s'emporta avec insolence, mais ce seigneur lui répliqua par un soufflet qui lui fit sauter deux dents. Toutefois ce soufflet, tout violent qu'il étoit, ne lui fit pas tant d'affaires que celui qu'il donna un jour à M. d'Epernon en présence du roi, dit-on, car il lui fit perdre la charge d'amiral de France qu'il avoit méritée d'ailleurs par ses belles actions, et qu'il ne garda que vingtquatre heures.

Sur la fin de ce siècle, les tailles étoient fort considérables. La ville (sans les faux-bourgs, qui ne lui étoient pas encore unis en 1596), payoit 413 écus, quoi qu'il n'y eût que 121 habitans (taillables ?), mais, au commencement du siècle suivant, il paroit qu'elles furent diminuées. On commença aussi à travailler aux ouvrages publics. On répara la ville, par ordre du roi, en 1610, aux dépens de ceux qui avoient des maisons. De plus, M. de Rosnay ayant été élevé à la charge de sur-intendant des financss, avec celle de grand-voyer, et connoissant Linières pour y être venu (dont il aimoit d'ailleurs le seigneur), il destina un fonds pour faire des ponts et chaussées, qui étoient extrêmement nécessaires pour aborder dans la ville. En effet, la rivière d'Arnon, qui y passe par cinq ou six canaux, grossit tellement quelquefois et en si peu de tems qu'il étoit impossible d'y passer plusieurs fois dans l'année (2). Il n'y avoit alors que quelques

(1) L'emplacement de ces halles est toujours le même, mais elles ont naturellement subi diverses restaurations depuis 1S92.

(2) Traduisez : à plusieurs époques de l'année, ou : après de fortes pluies, etc.


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restes de ponts, et quelques vieilles arcades de distance en distance. Les habitans, étoient obligés d'y entretenir quelques planches que l'eau entraînoit fort souvent, et le fermier y tenoit un petit bateau pour les passans; les boeufs et les chevaux y passoient à la nage, non sans danger d'y périr. Les habitans, par le crédit de leur seigneur, obtinrent de M. de Rosnay une somme pour réparer les ponts. On fit-marché avec le nommé Brabiebois, entrepreneur de Bourges, qui avoit entrepris ceux de Saint-Amànd ou d'Orval. Il les devoit faire de seize pieds de large de dehors en dehors pour la somme de 11,500 livres, mais comme on reconnut que deux charrettes n'y pourroient pas passer de front, on lui donna encore 1,500 francs pour ajouter deux pieds de largeur, de sorte que ces ponts ont coûté 13,000 livres, sans y comprendre la levée depuis le pont de la Chatte jusqu'au fauxbourg au de là de l'eau (l). On commença à y travailler le mercredi 10 novembre 1610 et, le jour de Saint-Pierre 1612, on commença le pont de la tannerie de Saujet, où Me Mathurin Marchand, procureur fiscal, mit la première pierre. Le pont de la Chatte fut achevé vers la fin de l'an 1613. Ils furent refaits depuis, en 1682 et en 1683. Les fossés de la ville furent curés dans les années 1614 et 1615. Le seigneur obligeoit ses corvéables appelés arbaniers (2) à y venir travailler et il les faisoit commander par Jacques Houzel, son maître d'hôtel, et ils étoient nourris par les bourgeois dont quelques-uns en nourrissoient jusqu'à vingt et trente par semaine, ce qui devint une charge considérable

(i) On appelle encore aujourd'hui ce faubourg le faubourg des Ponts, du nom que lui donne Gilles-le-Duc quelques pages plus loin.

(2) V. pag. 30Î, note 1 (lre série des Mémoires).


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pour les habitans. On fit en même tems des ponts neufs et des portes aux entrées de la ville. On fit aussi une levée proche les jardins qui forment maintenant la cour du doyenné pour faciliter le chemin à l'église : il n'y avoit auparavant que quelques mauvaises planches qui étoient souvent entraînées par l'inondation. On refit en même tems la clôture du cimetière. Les habitans s'occupèrent en même tems de faire faire des orgues dans leur église. On chargea M0 Mathurin Marchand, procureur fiscal, de la conduite de cet ouvrage. Ces orgues furent achevées en 1616 par le sieur Senaux, de Bourges (1). Depuis, elles furent gâtées par un nommé Maussage et pillées ensuite par des personnes que je ne nomme point. Il y en avoit avant le ravage des huguenots, puisqu'il est stipulé dans quelques fondations qu'on chantera sur l'orgue, et qu'il est parlé dans les comptes du Chapitre de la pension de l'organiste.

PHILIPPES DE BRICHANTEAU.

Philippes de Brichanteau avoit épousé en 1613 Claude (2) de Meaux, fille unique de Claude de Meaux, écuyer, seigneur de Bois-Boudran et Boyers, et de dame Catherine d'Elbène, nièce de Guillaume de Meaux, chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem et grand prieur de France. Par le contrat de mariage,

(1) Sans doute Guillaume Senault, désigné par Raynal (Eist. du Berry, tom. III, pag. 252), comme ayant concouru aux travaux de la cathédrale.

(2) On sait que cette appellation a été parfois donnée à des femmes, notamment à une reine de France, épouse de François Ier.


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Antoine de Brichanteau donnoit à Philippes la terre de Linières, dont celui-ci ne prit pourtant possession que le dernier janvier 1617.

M. de Linières, dans le commencement de son mariage, se trouva engagé dans le parti des Princes en qualité de lieutenant de M. le duc de Mayenne (1). Il fut chargé d'une députation vers le roi, qui lui fit reproche de porter les armes contre lui. Il fut sensible à ce reproche et, depuis, il prit le parti du roi, qui lui donna une compagnie de chevau-légers avec laquelle il rendit de grands services au roi, jusqu'à ce qu'en 1627 il fut pourvu de la charge de capitaine des suisses de la garde de Monsieur le duc d'Orléans, frère unique du roi.

M. de Brichanteau termina vers ce tems-là un procès entrepris par M. de Beauvais contre René de la Châtre, écuyer, seigneur de Breuillebaut, au sujet d'un titre funèbre que le seigneur de Breuillebaut avoit fait mettre à l'église St-Martin-de-Thevé; il fut accordé que cette inscription demeureroit sans être effacée, mais qu'on ne pourroit jamais la renouveler pour quelque sujet que ce fût.

On trouve, vers 1688, un affranchissement des seigneurs de Linières en faveur dés enfants de M. Pierre Mérigot et de Catherine Soumard, sa femme, moyennant lat somme de six cents livres.

M. de Brichanteau fit ensuite faire marché tant sur les deniers communs que sur les amendes de justice pour faire le pavé du fauxbourg de Pitié, raccommoder celui des Ponts (2) et celui de la porte de la Châtre

(1) L'un des chefs de la Ligue. - (2) V. pag. 15, note 1. Tous ces endroits ont conservé leurs noms dans l'appellation courante.


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jusqu'au puits qui est présentement au-dessus des religieuses, et depuis St-Sébastien jusqu'au Maupas, - et pour raccommoder la levée du Maupas. Il fit aussi lambrisser la salle de l'Auditoire, à laquelle il fit construire deux croisées. Madame de Linières, vers ce même tems, fonda plusieurs objets au chapitre, qu'elle augmenta encore en 1646, lorsque la chapelle de StFrançois fut bâtie.

En l'année 1628, la peste étoit à Bourges, à Issoudun, à la Châtre, à St-Amand; on faisoit garde à Linières, et aux foires d'aoust et de St-Michel on ferma les pertes de la ville, et on alla tenir les foires auprès de la levée du Maupas, ainsi que toute l'année suivante 1629. Les habitans, par reconnoissance de ce qu'ils avoient été préservés de ce terrible fléau, firent voeu d'aller à Notre-Dame-de-Liesse avant l'année 1630 et d'y envoyer un présent d'au moins 50 livres. On amassa dans la ville pour parfaire ce présent, et on donna cent francs sur les deniers communs pour le voyage (1). Madame de Brichanteau, qui étoit pour lors à Paris avec son mari, fit faire à ses dépens un tableau d'argent de deux pieds et demi en quarré, représentant la ville et le château de Linières, avec les portraits de Monsieur et de Madame, et elle en fit présent à l'église de N.-Dame-de-Liesse; il avoit coûté 50 écus (2).

La confrérie du Rosaire fut aussi établie dans l'église

(1) La minute authentique du procès-verbal de désignation des habitants délégués pour ce voyage existait encore, au temps où M. Porcheron était notaire à Linières, dans les archives de son étude (ancienne étude Baudon, v. note 2, pag. 223 et 224 (1re série des Mémoires).

(2) Un voeu du même genre avait été fait, également à NotreDame de Liesse, par les habitants de Bourges, avec offrande d'une vue de la ville en argent massif, qui avait coûté 1,050 livres. (RAYNAL, Eist. du Berry, tom. IV, pag. 280.)


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de Linières à l'instigation de M. Groguet, alors chanoine et principal du Collège. La requête fut présentée à Mgr l'archevêque de Bourges, Roland Hébert, qui mit sa permission au bas. L'érection en fut faite par le père Garsonnet, doyen de la Faculté de théologie et prieur des Jacobins de Bourges, le 9 avril 1630, dans

- la chapelle de Sainte-Barbe.

Le 20 mars 1635, on fit marché avec le nommé Génin, entrepreneur de Saint-Amand, pour la somme de 4,000 livres, pour faire le portail de la porte de Bourges, avec son pont-levis, abattre les vieilles tours, construire UÛ dôme à l'église, y mettre un timbre pesant au moins 200, faire le lambris de l'église, bâtir le pont de pierre qui est vis-à-vis du château, et raccommoder les autres ponts, chaussées et abreuvoirs.

Il y avoit alors de grands différens entre le seigneur et les habitans au sujet des deniers communs. Le seigneur vouloit qu'ils fussent employés à leur destination, et les habitans vouloient s'en servir à leur fantaisie, comme ils font encore; ils valoient, dans ce tems-là, "environ 1500 livres. Monsieur de Linières fit venir un trésorier de France, appelé Louis Lavocat,

* qui ôta la direction des deniers d'octroi aux échevins, fit défense de payer en d'autres mains que celles de Jean Clément., fauconnier de Monsieur, fit faire un bail nouveau des deniers et ordonna qu'on fît trois portails avec autant de ponts-levis aux trois portes de la ville. Les habitans se pourvurent à la Cour des Aides et accusèrent leur seigneur de vouloir se fortifier dans sa ville, ce dont M. de Brichanteau se défendit bien. Néanmoins ce qu'avoit fait le sieur Lavocat fut cassé, et défense fut faite aux fermiers de payer en d'autres

mains qu'en celles des échevins. Ce qui est à remar-


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quer, c'est qu'on ne voit plus aucun reste des deniers communs.

Lors de la construction du dôme de l'église, deux couvreurs étant au-dessus pour achever de le couvrir, la veille de Noël, tombèrent du faîte sur les tombes qui sont encore vis-à-vis la porte de la chapelle de Saint-Jean, sans se tuer ni l'un ni l'autre et l'un d'eux étoit debout dès le lendemain.

Madame de Brichanteau désiroit beaucoup avoir des enfans. Elle fit pour cela beaucoup de prières à la SainteVierge et à saint François de Paule. Enfin, après vingtdeux ans de mariage, elle devint grosse et accoucha, le 3 août 1636, d'une fille qui fut nommée par deux pauvres de la ville Françoise-Marie. Ses parens la reçurent comme un présent du ciel et relevèrent avec beaucoup de soin, mais lorsqu'elle eut atteint l'âge de quinze ans et demi, comme les plus grands seigneurs la recherchoient déjà en mariage, elle mourut à Paris et fut inhumée le 6 mars 1652 dans l'église du Temple.

La charge de colonel des suisses de la garde de Monsieur, duc d'Orléans, dont M, de Brichanteau étoit honoré, pensa lui être bien pernicieuse, car dans la révolte de Monsieur (1), contre le roi (2), M. de Brichanteau suivit le duc d'Orléans et se trouvant en Languedoc avec lui, il fut pris à la bataille de Castelnaudary (3) et conduit à Toulouse, ainsi que M. Montmorency. Il demeura longtemps prisonnier et peu s'en fallut qu'il ne subît le même sort (4), mais ses amis aïant représenté qu'il avoit été comme obligé de suivre

(1) Gaston d'Orléans.

(2) Louis XIII.

(3) 1632.

(4) On sait que le maréchal de Montmorency fut décapité.


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son maître, il en fut quitte pour perdre son bagage et sa compagnie de chevau-légers qu'il avoit gardée jusqu'alors. Il avoit un laquais nommé Merlin qu'on mit à la torture pour lui faire déclarer le secret de son maître, mais il ne dit jamais rien qui pût lui préjudicier.

Vers le même tems, M. le prince de Condé aïant fait ériger Châteauroux en duché-pairie et ayant gagné son procès contre les officiers d'Issoudun pour le dénombrement qu'il faisoit des terres relevant du duché de Châteauroux, s'appliqua à rechercher les droits de son duché et trouvant que le seigneur de Linières n'avoit pas rendu foi et hommage pour les fiefs et terres en relevant, fit saisir les fiefs de Bois-Coutau, de Bois-Coudray, de Bois-Trevi et de Bois-Roux. M. de Linières n'obtint main-levée de la saisie que par la foi et hommage qu'il rendit le 20 novembre 1637 (1).

L'année suivante fut des plus funestes à' la ville de Linières, qui fut affligée de la peste depuis le mois de juillet 1638 jusqu'au commencement de décembre. On attribua ce fléau à une sorte d'imprécation que tout le monde et même les enfans avoient continuellement à la bouche. La contagion étoit à Bourges, à Châteauneuf, à,la Châtre, et en quelques paroisses voisines, et quoi qu'on eût fait défense, par ordre de M. et de Mme de Brichanteau, de retirer en cette ville aucuns venant des lieux soupçonnés, on ne laissa pas de rece(1)

rece(1) son tour, Philippes de Brichanteau se faisait rendre aveu et dénombrement par ses vassaux, et c'est ainsi qu'on trouve, aux Archives du Cher (série E, 864), un aveu et dénombrement de la seigneurie du Coudray, fourni par Pierre Péaron audit Philippes de Brichanteau, baron de Linières, puis un acte de foi et hommage contenant dénombrement rendu par les administrateurs de l'hôpital de La Châtre pour les dîmes de La Châtre et des Couraux, avec présentation d'homme vivant et mourant.


22 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

voir un nommé La Coffure, chez qui la peste avoit été et qui avoit perdu quelques-uns de ses domestiques dans un village de la paroisse de St-Baudel. Il vint donc demeurer au grand fauxbourg, dans la maison d'Alain, où demeure à présent le nommé Aublanc, et il n'y fut pas plus tôt que son fils et son valet en furent frappés. En même tems un fils de M. Jean Cormenier, qui demeuroit dans la métairie au-dessus du fauxbourg avec son père, pour avoir visité La Coffure, mourut, et fut enterré derrière le four de la dite métairie. Le mal s'étendit de maison en maison et, en peu de jours, il mourut de douze à quinze personnes dans les environs, ce qui causa une telle épouvante qu'en moins de deux jours la moitié des habitans désertèrent la ville, et s'en allèrent les uns à l'Isle, les autres à Touchay, les autres ailleurs, partout où ils avoient des maisons de campagne. On bâtit des huttes pour les pestiférés dans le pré du Maupas, et dans celui de FAnge-Blanc, et en beaucoup d'autres lieux. On rendoit pendant ce temslà la justice à Touchay, où s'étoit retiré le bailli; le procureur fiscal étoit à Puyvieil.

Comme c'est dans l'adversité qu'on a recours à Dieu particulièrement, on fit deux voeux solennels pour détourner le fléau de la colère divine. L'un fut fait le dernier jour de juillet, devant la porte de l'église de la Celle, entre les mains de Messires Vincent Lejau, qualifié vicaire de la Celle, et Simon Le Gleneux, chanoine, qui s'y étoit retiré. Les habitans, au nombre de vingt, qui signèrent le voeu, s'obligèrent d'aller en procession à N.-D. de Vaudouan (1), d'y porter un

(1) Vaudouan ou Vaudevant, lieu de pèlerinage dans l'Indre. Il y existe un sanctuaire bâti, d'après la tradition, à l'occasion de certains faits miraculeux. On a conté à l'auteur de ces Notes que, sous la Terreur, un ou plusieurs individus ayant renversé la statue de la


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cierge, et de faire faire une bougie de six fils (?), de la . longueur de l'enceinte de la ville, du château et des fauxbourgs, laquelle seroitmise sur un rouleau proche l'autel de St-Roch, pour l'allumer à toutes les messes qui s'y célébreroient. La mesure de cette enceinte fut prise le jour de la St-Sébastien suivant (1), l'an 1639, pendant que la glace portoit partout, à commencer à Notre-Dame-de-Pitié, faisant le tour des fossés de StBlaise et du fauxbourg du Chenil, revenir devant la porte de Bourges, prendre le tour du château et des tanneries (qui étoient alors où est maintenant le jardin), jusqu'aux dernières maisons du fauxbourg, et de, là retourner au lieu de N.-D. de Pitié. Ce tour contient 1190 toises et demie.

L'autre voeu fut fait par le sieur Groguet (2) et d'autres habitans qui étoient demeurés dans la ville. Le doyen y étoit demeuré comme un bon pasteur pour exposer sa vie pour ses brebis et leur administrer les sacremens dans l'extrême nécessité. Il fit une procession générale avec le St-Sàcrement autour de la ville, après laquelle il fit planter une croix fort haute que •j'ai encore vue hors la porte de la Châtre et y fit attacher un tableau avec une image de St-Christophe audessous duquel étoit écrit le voeu qu'il faisoit de bâtir une chapelle en ce lieu-là en l'honneur de N.-D. de Liesse et de Consolation, ce dont il avoit eu, disoit-il, inspiration dans sa jeunesse. Ce voeu fut fait le lendemain de celui de la Celle, que le sieur doyen n'approuva pas.

Vierge et tenté de la couler à fond dans une fontaine voisine, cette statue aurait surnagé malgré tous les moyens employés et serait sortie intacte de tous les outrages ?

(1) 20 janvier.

(2) Déjà nommé et qualifié au début de la pag. 19.


24 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

Les dépenses qu'on fut obligé de faire pour soulager les pestiférés furent considérables, et sont des monumens de la charité de M. et de Mme de Brichanteau. On fit marché avec Pierre Bijotal, apothicaire dans cette ville, à 360 livres pour trois mois, et à son apprenti à une pistole par mois, pour traiter les pestiférés. Mais Mme de Linières, qui s'étoit retirée au château de Meillant, ne sachant pas cette convention, envoya un chirurgien nommé Mansau, à qui elle avoit promis 300 livres. On promit à Guillaume Rigaut, pour servir de prévôt de santé, 45 livres ; à Etienne Amiot, pour porter les vivres aux malades, 10 livres par mois ; à Andrée Bastard, pour les visiter et les servir, 15 livres par mois ; au nommé Guillebaut, pour faire les fosses et aider à enterrer les morts, 12 livres par mois ; au valet de Mansau, pour porter les corps, 50 livres par deux mois ; à François Dubois, pour le bois des parcs, et permettre qu'on s'en servît pour brûler et faire des huttes pour les malades, 100 livres; aux Parnajons pour souffrir un autre lieu de santé à l'Ange-Blanc, on leur promit 300 livres. On fit ensuite un catalogue des pauvres qui n'avoient pas de moyens pour se soulager. Le nombre se trouva de 48 familles dans la ville, et de 20 autres dans les huttes, à qui on fournissoit tout ce qui leur étoit nécessaire. M. et Mme de Linières se distinguèrent alors par des aumônes considérables. Enfin la peste cessa vers la fin d'octobre, et on commença dès le 10 novembre à rétablir les foires et marchés dans la ville, mais j'ignore comment les habitans pouvoient subsister, car les tailles (qui ne sont aujourd'hui qu'à 700 livres) étoient cette année-là à 5,860.

On dit que M. de Linières ne craignoit point la peste et qu'il avoit coutume de dire qu'il n'y avoit que les gueux qui en mouroient. Cependant il se retira à Paris


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dans son hôtel, au Temple, ou plutôt à l'hôtel du grand prieur de France, son oncle, où son épouse l'alla trouver quelque temps après. Il y mourut d'une fièvre quarte par les remèdes trop violens et trop fréquens qu'on lui donna pour la- lui faire passer. Ce fut un mercredi, 2 mars 1639. Il étoit âgé de 52 ans. Il voulut rendre à son père les marques d'attachement qu'il en avoit reçues. Il ordonna que son corps fût porté à Linières et son coeur à Nangis, où étoit le corps de son père. Ainsi son corps fut apporté de Paris à Linières, et le chapitre, accompagné des curés des paroisses de la terre, de toute la noblesse du canton, et d'une grande fouie de peuple, alla le recevoir aux confins de la terre, du côté de Mareuil, et le conduisit processionnellement dans l'église collégiale. Il y fut inhumé le 16 mars dans le caveau qui est sous le choeur de cette église, où il repose dans un cercueil de plomb auprès du coeur de son père. Son épouse, qui donna toutes les marques de regret possibles à la perte de son époux, fit présent au chapitre, à cette occasion, d'un ornement de velours noir avec des orfrois (l) de salin blanc, enrichi de ses armes en broderie. Il consiste dans un grand drap de corps, la chasuble, les deux tuniques, et un-parement d'autel. Elle fit faire une épitaphe très bien exécutée, gravée sur des tables de marbre, en lettres d'or.

Cette "vertueuse dame avoit déjà fondé aux Minimes de Bomiers une messe qu'on devoit dire tous les ans pour mademoiselle sa fille, au jour de sa naissance. Elle avoit donné pour cela 100 écus d'or,-valant 500 livres. Elle résolut, sur la fin de ses jours, de faire une autre action de piété.-Ce fut de reconstruire la cha(1)

cha(1) ouvragés.


26 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

pelle du St-Sauveur, détruite par les huguenots. Il n'en restoit que des ruines dont on avoit fait un jardin pour des fleurs. Elle fit marché avec un Michel Roy, sculpteur de Bourges, pour la somme de 4,000 livres. Elle devoit mettre tous les matériaux sur place et il devoit rendre la chapelle parfaite le jour de la Toussaint suivant. Le marché est du 18 janvier. Cette chapelle nouvelle fut bénite le 4 mars 1646 par le sieur doyen, qui en avoit reçu la commission, et dédiée à St-François-de-Paule, comme le témoigne une inscription qu'on'lit dans la dite chapelle. Elle peut passer pour une des plus belles de la province (1). Son rétable en pierre de taille est un assez beau morceau d'architecture. Cependant Madame de Brichanteau aïant fait venir deux habiles architectes, dont un étoit de Valence, pour visiter et recevoir l'ouvrage, ils trouvèrent plusieurs défauts de proportion qui sont, en effet, très sensibles. Le tableau du rétable est assez beau. Il y en a un semblable à l'église de St-François-de-Paule, au Plessis-les-Tours. Il représente saint François offrant à la Sainte-Vierge, qui tient l'Enfant Jésus, MIIe de Brichanteau peinte à l'âge de sept ans en habit de minime. Mais le peintre lui a donné mal à propos un carreau (2). M. de la Vrillière, archevêque de Bourges, faisant la visite de cette église l'an 1684, remarqua que la figure de la petite fille avoit la gorge nue ; il ordonna qu'on ôtât le tableau ; mais Mme Colbert, étant venue depuis en cette ville, écrivit à M. l'Archevêque, qui se contenta

(1) Cette vaste chapelle est toujours dédiée à saint François et on y remarque encore la plupart des particularités décrites par Gillesle-Duc, avec des inscriptions murales, des pierres tombales, etc. On y voyait aussi autrefois, paraît-il, un tableau de la Nativité.

(2) Il s'agit sans doute du coussin carré pour se mettre à genoux, comme on le voit dans les tableaux et sur les vitraux du temps.


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qu'on donnât à l'enfant un mouchoir sur le cou, et l'interdit de la chapelle fut levé.

Il y a aussi dans cette chapelle un mausolée sur lequel sont représentées les figures de M. et de Mme de Linières. Le mari est en habit de guerre et la dame habillée à la mode du temps. Mme d'Elbène, mère de Mme de Linières, vivoit encore lorsque la chapelle fut bénite, mais elle mourut le 19 avril 1646, dans le château de Linières. Elle est la première qui ait été déposée dans le caveau qui est devant l'autel. Au-dessus des degrés de la dite chapelle, à l'extrémité de la pierre qui en fait l'entrée, on voit une plaque d'ardoise sur laquelle on lit cette inscription qui donne à connaître les qualités de son mari :

Ci-gît haute et puissante dame Catherine d'Elbène, veuve de haut et très puissant seigneur messire Claude de Meaux, seigneur de Bois-Boudran, Boyers et Coûts, conseiller du roi en ses conseils, gouverneur de la ville et du château de Montereau-en-Brie, les dits de Meaux et d'Elbène père et mère de haute et puissante dame Claude de Meaux, dame de Linières, leur fille unique, la dite dame d'Elbène décédée dans le château de cette ville de Linières, le 19 avril 1646, âgée de quatre-vingts ans.

Cependant le sieur Groguet, doïen, s'occupa, vers le même tems, avec le secours de Mme de Meaux et des habitans, des moyens de construire la chapelle de N.-D. de Liesse, où sont maintenant les religieuses Ursulines, pour satisfaire à son voeu. Il acheta, pour cet effet, une maison ruinée (1) qu'il fit accommoder

(1) Cette maison appartient aujourd'hui à Mme Plassat. On y a encore retrouvé, dans ces dernières années,'une des sonnettes en usage pour la célébration de la messe. La sacristie se trouvait où est le cellier actuel de cette habitation. Le couvent des Ursulines était plus spécialement dans le bâtiment contigu, propriété de M. Porcheron, ancien notaire à Linières. Il y existe des traces d'un souterrain, qui pouvait servir d'asile aux religieuses en cas de troubles.


28 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

de manière qu'elle pût servir de chapelle et, dès le 12 avril 1639, il présenta requête à MM. les GrandsVicaires (le siège vacant), aux fins que la place et le bâtiment fussent visités. MM. Labbe et Perrot députèrent le sieur Aussard, qui y vint et dressa procèsverbal, en présence des habitans, le 2 juillet 1639, après quoi la dite chapelle fut dédiée et consacrée, un dimanche 7 août de la même année, par Mgr Philberl de Brichanteau, évêque et duc de Laon, frère du défunt seigneur de Linières, qui demeuroit pour lors au château de Meillant, et y a été même inhumé dans une chapelle de l'église où il ne reste plus aucune marque de sa sépulture. La cérémonie de la consécration fut magnifique, et depuis ce tems-là même le sieur Groguet avoit grand soin de la renouveler tous les ans. Il y avoit fait unir (1) des indulgences, et il convoquoit les curés et confesseurs de plus de six lieues aux environs, et assembloit des musiciens de Bourges, d'Issoudun, de Vatan, de Levroux, de Neuvy et de Dun-le-Roi, tellement qu'ils se trouvoient quelquefois plus de 50 ; il s'y rassembloit une foule immense de peuple. La chapelle étoit fort petite dans le

En ouvrant un corridor, on a découvert dans ce bâtiment, presque à fleur de sol, au milieu de débris, sous un petit carrelage, une tête en pierre que possède encore l'auteur de ces Notes. Cette sculpture, très grossière, paraît remonter bien au-delà du XVIIe siècle et se rapporter à d'autres constructions ou édifices fort antérieurs aux maisons actuelles. Elle a 0m10 de longueur, du sommet des cheveux au bas du menton, et de 0m 8 à 0m 9 de largeur d'une oreille à l'autre. Les yeux n'y sont figurés que par deux perforations rondes, avec un léger rebord circulaire, et la bouche que par une sorte de fente ou d'entaille, sans traces de lèvres. Le nez est fruste et trèsaplati. Il y a des vestiges d'une barbe en collier. La chevelure descend, par devant, presque sur les paupières, sous forme de petites boucles saillantes et tombant droit. (1) Attacher des indulgences, dirait-on aujourd'hui.


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commencement, mais le sieur Groguet ayant acquis depuis les maisons attenantes, il la fit augmenter, et elle l'a encore été depuis, de mon temps. II fit faire des fondations qui lui ont causé bien du trouble avec son chapitre. Il y établit des religieuses à qui il donna tout ce qu'il possédoit.

Vers le tems dont nous parlons, Mme de Meaux fit quelques fondations à la chapelle de St-François qu'elle orna de plusieurs beaux ornements. Elle fonda les fêtes de St-François-de-Paule et de St-Françoisd'Assises, un service pour Mme d'Elbène, sa mère, et la fête de St-Guillaume, avec un De Profundis pour Guillaume de Meaux, grand prieur de France. Ce fut elle qui remit à la baronnie de Linières le droit de la foire de Pâques, qui avoit toujours appartenu aux habitans, comme il paroit par une transaction de 1610. Cette foire avoit été engagée vers ce tems-là (1610) au nommé Samuel Jupille pour acquitter la ville envers Philbert Cormenier d'une part, et de 600 livres de principal de rente constituée par la même ville au seigneur de la Perrière, pour donner aux seigneur et dame de Beauvais, comme il est dit dans la transaction; Madame de Meaux la retira depuis du nommé Jupille et la réunit à son domaine, dont elle n'a pas été séparée depuis.

Elle gagna un procès au parlement contre M. le prince de Condé (1) au sujet de la mortaille des nommés Secours et Algret. Ce procès, qui enrichit une famille de cette ville, en a appauvri bien d'autres, car on dit que ce fut par ressentiment que M. le

(1) Pris en sa qualité de baron du Chàtelet. Ce procès fit l'objet de plusieurs décisions de justice, et finalement d'un arrêt du 1er septembre 1643, reproduit aux Coutumes locales de La Thaumassière, pag. 197.


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prince de Condé envoya la compagnie d'ordonnance de M. le duc d'Enghien, son fils, en garnison à Linières, pour y vivre à discrétion. On racontoit aussi que le sieur Cormenier, fermier du Châtelet, appartenant à M. le prince, irrité contre les habitans de ce qu'ils l'avoient mis à la taille, ou pour d'autres raisons, avoit été se plaindre d'eux et leur avoit attiré ce traitement. Quoi qu'il en soit, cette compagnie arriva à Linières le 22 décembre 1646 et y resta jusqu'au 25 janvier 1647. Les officiers obligèrent la ville à leur donner cinq mille francs qu'on emprunta du sieur Audoux, receveur des tailles de Châteauroux et de la Châtre, et, depuis, six cents livres, qu'on emprunta de M. Vincent Soumard. Moyennant ces sommes, les officiers promettoient de fournir la nourriture à leur compagnie, et de n'exiger des habitans que les meubles et ustensiles, mais ils ne tinrent pas parole, car les soldats vivoient à discrétion chez leurs hôtes, et leur faisoient toutes sortes de mauvais. traitements. Ils s'assembloient tantôt chez les uns, tantôt chez les autres, au nombre de 12 à 15, et ils obligeoient les habitants chez qui ils alloient à leur fournir bonne chère, puis leur demandoient des habits, des chapeaux, des bottes, etc. Ceux qui ne vouloient ou ne pouvoient pas faire cette dépense, on leur brûloit leurs meubles et on découvroit leurs maisons. Celles des sieurs Douté et Cormenier, qu'on accusoit de les avoir fait venir, furent aussi découvertes. Les sieurs du Plaix, du Plessis et de la Perrière voulurent bien s'obliger avec (1) les habitans pour les dettes que ceux-ci étoient obligés de contracter, sans omettre M. de Taillis-Vert, capitaine du château.

(1) Cautionner ou souscrire conjointement les obligations dont il est reparlé un peu plus loin.


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Il pensa arriver bien du désordre entre la noblesse des environs et les officiers de la compagnie. Comme les gentilshommes du canton prioient ceux-ci d'empêcher leurs soldats de maltraiter les habitans, des prières on en vint aux menaces et aux injures, particulièrement contre le sieur Dumasi, commandant. Il y eut même rendez-vous donné : les gentilshommes s'y trouvèrent en bon ordre et bien résolus de s'y battre, mais les autres ne jugèrent pas à propos de s'y rendre. La compagnie resta à Linières bien plus longtemps qu'ils ne croyoient eux-mêmes, car M. le Prince étant mort le 28 décembre 1646 (1), cet accident empêcha qu'on pût avoir accès dans la maison du prince pour demander le délogement des gens de guerre. Ils s'en allèrent enfin et passèrent par Saint-Chartier et Cluis, où ils firent bien du désordre, mais la Providence attendoit le sieur Dumasi, auteur de tous ces maux, à l'abbaïe des Pierres (2). Etant allé pour la piller, il y fut tué d'un coup de mousquet dans la tête, dont il tomba en criant : « Ah ! par sang Dieu I » je suis mort ! » On dit que celui qui a tiré le coup est encore vivant ; il s'appelle Bucas, prieur, curé de Sidiailles, qui n'étoit encore que- novice dans cette abbaïe. L'argent qui avoit été emprunté fut rendu avant l'année 1650, et on retira les obligations. .

Dans ce même tems, Mademoiselle de Brichanteau ayant atteint l'âge de douze ans. Madame de-Meaux

(1) Faisons remarquer, avant que ne se termine le récit de cet épisode, qu'il s'agit de Henri II de Bourbon, né le 1er septembre 1588, marié en 1609 à Charlotte de Montmorency, prince dur et sans mérite, qui ne doit pas être confondu avec le grand Condé, dont Bossuet a prononcé l'Oraison funèbre. "

(2) Abbaye de N.-D.-des-Pierres (de l'Ordre de Citeaux), dont on voit encore des pans de murs et des restes de caveaux sur le territoire de la commune de Sidiailles.


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crut devoir aller s'établir à Paris, pour lui donner l'éducation convenable à une personne de sa qualité. Elle partit donc de Linières au mois de mai de l'an 1649, où elle n'est plus revenue, quoiqu'elle ne soit morte que trente cinq ans après, mais elle s'occupoit néanmoins de ses habitans, qu'elle affectionnoit trèsparticulièrement, comme il est aisé de le voir par grand nombre de lettres que j'ai entre mes mains. Ce fut le 6 mars 1652 qu'elle perdit sa fille. Aussitôt après sa mort, MM. de Nangis et de la Roche-Aymon et de Guerchy, devenus héritiers, envoïèrent le sieur de Beauregard, fondé de procuration, pour affermer la terre de Linières. Les fermiers furent François Salet, Vincent Soumard et Mathurin Coulant, qui n'en jouirent qu'un an. Ils y gagnèrent beaucoup, parce qu'il mourut beaucoup de serfs dont ils eurent les mortailles, et qu'ils péchèrent les étangs et notamment celui de Villiers qui ne l'avoit pas été depuis longtems, tellement que l'on disoit que les brochets vivoient de corps morts, et qu'on avoit trouvé des ossements humains dans leurs ventres. Les héritiers de Mademoiselle de Brichanteau convinrent ensemble de vendre la terre, et la vendirent en effet le 11 juin 1653 à M. Jérôme de Nouveau, comme nous le dirons après.

Madame de Meaux passa le reste de ses jours à son château de Bois-Boudran, en Brie, où elle vivoit d'une manière très-édifiante, et d'où elle faisoit du bien à beaucoup de personnes de Linières. Elle recevoit chez elle toutes sortes de malades qu'elle nourrissoit et faisoit traiter jusqu'à l'entière guérison ; elle avoit chez elle une femme qui n'avoit d'autre occupation que de donner l'aumône. J'eus occasion de la voir à l'âge de 86 ans, un mois avant qu'elle mourût : elle


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avoit autant d'esprit et de mémoire que dans sa jeu-, nesse ; elle se souvenoit parfaitement de tout ce qui s'étoit passé à Linières de son tems, et elle entretenoit un ordre admirable dans sa maison, mais enfin elle mourut le 6 avril 1684, sans qu'elle parût malade. Elle se fit donner l'extrême onction étant debout. Elle avoit ordonné sa sépulture dans la chapelle de N.-D. de Lorette, au Temple, à Paris, mais elle changea de volonté, et voulut être inhumée dans sa paroisse de Fontenailles, près Nangis-en-Brie, où elle a fondé une vicairie et une aumône pour les pauvres de la paroisse. Dans un voyage que je fis à Paris dans le tems dont nous parlons, je vis trois dames de Linières^ toutes trois extrêmement vertueuses, Madame de Meaux, douairière de Linières, Madame la princesse Palatine et Madame Colbert.

Pendant la domination de M. et de Mme de Brichanteau, il s'est passé beaucoup de choses dont nous allons parler. Louis XIII et Louis XIV ont régné sur la France ; MM. Frémiot, Roland Hébert et Pierre d'Hardivilliers ont été archevêques de Bourges ; Pierre Descortys et François Groguet ont été doyens de Linières. Claude Dorsanne étoit lieutenant général à Issoudun;. en 1618, il eut pour successeur René, son fils. Jean Prévôt étoit bailli de Linières, Mathurin Marchand lieutenant, Louis Douté procureur fiscal.

Le 12 avril 1615 il y eut une réduction des charges du Chapitre par Adam, évêque de Mende (1), commissaire de l'archevêque de Bourges. Il y en eut une autre en 1619 par les PP.- Jean Gérard et Bertrand Bernet, jésuites, visiteurs de ce diocèse, commis par M. l'Archevêque. Enfin il y en eut encore une le

(1) V. pag. S, note 2.


34 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

20 nov. 1632 et un règlement fait par Mgr Roland Hébert, qui sert aujourd'hui de règle au Chapitre.

L'an 1621 on fit un bail avec Edme de Cerfs pour faire la levée des ponts avec les deux arcades, depuis le pont de la Chatte jusqu'au faubourg au delà de l'eau pour la somme de 500 livres. L'année suivante, 1622, fut fait un autre bail au dit sieur de Cerfs pour le pavé depuis la porte de la Châtre jusqu'à la séparation de la paroisse, y compris la couverture de l'église, et on lui donna pour ce 700 livres. En 1626 on continua le pavé jusques vers la fin du faubourg et on fit la levée du Maupas pour le prix de 1,110 livres. Tous ces ouvrages furent achevés vers la fin de l'année 1628. On bâtit la même année le pont de bois qui est à la porte de l'église. Dans ce même tems les deniers communs étoient à 1,540 francs par an.

Le deux décembre 1621 furent fondues les cloches : on acheta 400 livres de métal à 11 sols quatre deniers la livre. On fit une cloche appelée Saint-Jean pesant 391 livres, une autre appelée Saint-Claude pesant six ou sept cents livres, et enfin une troisième, qui ne pesoit que 54 livres, appelée le Painperdu. Le service pour les confrères du Saint-Sacrement fut fondé l'an 1634, et je trouve que les autels furent consacrés par Mgr Roland Hébert dans la visite de 1626. Il mit dans tous des reliques de saint Symphorien, que le sieur Gilbert Jommeau, chanoine, avoit eues de la chapelle de Bois-Labbé. Ce fut dans ce voyage que M. l'Archevêque connut le sieur Groguet, depuis doyen, qui prit possession d'une prébende. On lui donna le collège, qui valoit plus de 140 livres, outre 50 livres payées par la ville Il gouverna le collège jusqu'à ce qu'il fût doyen, le lendemain de Saint-Pierre de l'an 1631. Il est le 1er de nomination laïque. Ses prédécesseurs


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avoient toujours été nommés par les abbés du BourgDieu, ou s'étoient pourvus en cour de Rome, mais les abbaïes du Bourg-Dieu et de Saint-Gildas ayant été données à M. le prince de Condé par le Pape, du consentement du roi, pour en faire le duché de Châteauroux, M. l'Archevêque de Bourges présenta à M. le Prince le sieur. Groguet, qui fut nommé.

L'année 1631 le bled fut extrêmement cher : si j'en crois un Mémoire du tems, il se trouvoit à l'aumône de Saint-Hilaire jusqu'à quatre mille quatre cents personnes, et à celle des Serfs, qui se fait le vendredi des quatre tems de carême, il s'en trouva 3,001 au château de Linières.

Nous avons dit plus haut (1) qu'on ne sait par qui la chapelle de Saint-Nicolas a été bâtie, si ce n'est par un nommé Amourette, ce qui n'est que tradition. Cette chapelle s'étant trouvée toute découverte et prête à tomber, en 1637, le procureur fiscal et le gouverneur Jean Clément firent assigner M. Louis Douté et Madeleine Paviot, sa femme, Edme Jobert, tuteur de ses enfans et de défunte Jeanne Paviot, à qui on pensoit que la chapelle appartenoit, à renoncer aux droits qu'ils y prétendoient ou à l'entretenir, à quoi ils Turent condamnés par sentence du 27 avril, dont ils appelèrent, mais ils l'ont réparée depuis et se l'attribuent sans autre titre que cette sentence, et toute la famille du sieur Douté y a été inhumée et, de notre tems, M. Gilbert Douté, sieur d'Aigues-Mortes, ci-devant bailli de Linières, y a fait faire un balustre, un petit retable, et un tableau qu'il fit faire à Paris en 1687.

Le 24 septembre 1640 il y eut une inondation considérable, tellement que pendant 24 heures on ne put

(1) Pag. 327 (lre série des Mémoires).


36 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

approcher de l'église. Les eaux étoient si grandes sous la halle et jusqu'aux Trois-Rois, qu'on ne pouvoit y aller qu'en bateau, et toute la ville étoit inondée, excepté deux ou trois maisons vers le carroir Blanc. Comme l'eau avoit trois pieds de haut dans l'église, elle bouleversa tout le pavé qui fut réparé par les soins de M. Jacques Pelletier; il a duré jusqu'en 1676, qu'il en fut encore réparé par M. Edme Pelletier, premier procureur fabricien depuis le rétablissement de la fabrique.

La terre de Lisle, qui avoit été engagée à plusieurs personnes, même à des bourgeois de Linières, étoit tombée entre les mains d'un nommé le général Milet, qui l'avoit achetée de René de Varye (1), écuyer, sieur de Lisle et de damoiselle de Grailly, sa femme. Ensuite Philippe de Varye y étoit rentré et en avoit joui longtemps, puis, après lui, le sieur de la Brosse; mais, en 1642, Antoine de Villeneuve, marquis de Trans, mari de dame Gabrielle Dumas de Castellane, s'en remit en possession, et cette terre est demeurée entre les mains de la dite dame jusqu'à sa mort, qu'elle la donna ou vendit à Henri de Mousnier, écuyer, seigneur de Melan (sic) (2), qui en jouit à présent.

Nous sommes arrivés à un événement bien funeste pour le Berri et le Bourbonnois, je veux dire la Guerre des Princes, dont le théâtre fut au château de MontRond, près Saint-Amand (3). Je rapporterai ce que j'en ai pu apprendre par des témoins oculaires, me restreignant à ce qui regarde la ville de Linières.

(4) Sans doute un des descendants de Guillaume de Varye, l'un des facteurs de Jacques Coeur.

(2) Peut-être doit-on lire Meulan (aujourd'hui département de Seine-et-Oise) ?

(3) V. RAYNAL, Hist. du Berry, table alphabétique, au mot Mont-Rond.


DE LA VILLE ET DES SEIGNEURS DE LINIÈRES-EN-BERRI 37

Henri de Bourbon, premier prince du sang, ayant acquis presque toute la province du Berri, dont il étoit gouverneur et où il demeuroit souvent, y ayant fait élever M. le duc d'Enghien, son fils, acquit de M. le duc de Sully le château de Mont-Rond et la ville de Saint-Amand sur les confins du Berri et du Bourbonnois, à cinq lieues de cette ville (1). Ayant trouvé que la situation étoit avantageuse pour rendre ce château fort, il y fit si bien travailler qu'il devint en peu de tems un des mieux fortifiés du royaume. M. le Prince son fils, mécontent de la Cour, ayant pris les armes, eut intention d'abord de se retirer dans le Berri où tout tenoit pour lui, mais le roi et la reine l'y ayant bientôt suivi, et s'étant emparés de Bourges, M. le Prince vint à Mont-Rond, qu'il crut bien" capable, après l'avoir visité, d'arrêter une armée, mais non pas (d'offrir?) une retraite assez sûre pour lui. C'est pourquoi il s'en alla à Bordeaux, laissant à MontRond une forte garnison bien pourvue de toutes sortes de munitions de guerre et de bouche, sous le commandement de M. de Persan et de M. de Bussy (2), son lieutenant, qui commencèrent d'abord à mettre tout le païs à contribution. Ils demandèrent le 15 septembre à la ville de Linières 3,000 livres pour deux quartiers de tailles qui furent réduits néanmoins à 600 livres en considération de Madame de Linières, dont il étoit parent, et qui lui écrivit une lettre dont le sieur Jacquemet étoit porteur. Vers le commencement de l'année 1651, les habitans fournirent, par ordre de M. le Prince, à trois compagnies du régiment de M. de Conti, pendant quatre jours, 1,692 pains, 846 livres

(1) C'est-à-dire de Linières,

(2) Le fameux Bussy-Rabutin, cousin de Mme de Sévigné.


38 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

de viande, 600 livres de foin, 480 mesures d'avoine. Dans la même année, on fournit aussi à dix compagnies du régiment de Clauleuf 1,600 pains, 896 livres de viande, 22 quintaux de foin, 440 mesures d'avoine et 796 pintes de vin.

Le 21 septembre 1651, le feu prit à Issoudun, sur les six heures du soir, sans qu'on sût comment, et brûla six cent trente maisons. L'incendie cessa par un miracle, car le sieur curé de Saint-Cyr étant entré dans la maison du sieur Chardin, maître particulier des Eaux-et-Forêts, avec le Saint-Sacrement, et l'ayant posé sur une table, la maison fut conservée, quoique toutes celles d'alentour fussent consumées par le feu. (Cet incendie cessa par un autre moyen naturel, comme on peut bien le croire) (1). Les habitans, qui crurent que c'étoient des gens du Mont-Rond qui avoient mis le feu, et qu'ils vouloient par là les surprendre, fermèrent les portes et coururent aux armes, tellement que ceux des faux-bourgs ne purent les secourir. Le roi et la reine, étant venus à Bourges vers le 21 octobre suivant, passèrent par Issoudun pour voir les restes de ce funeste embrasement, et la reine disoit à son fils que la ville n'avoit été traitée ainsi que parce qu'elle lui avoit été fidèle, et avoit refusé de suivre le parti de M. le Prince, ce qui valut à la ville d'Issoudun une grande' réputation de fidélité et des exemptions honorables. Il n'est pourtant pas certain que le feu ait été mis par les gens de M. le Prince.

Pendant que le roi étoit à Bourges, Mme de Linières, toujours occupée du bien de ses habitans, leur conseilla d'aller trouver Mlle de Guerchy, sa nièce,

(1) On pourrait appliquer à cette réflexion incidente la remarque contenue un peu plus loin, à la note i de la page 46.


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fille d'honneur de la reine, Mgr le Garde des Sceaux et M. de Palluau, gouverneur de Berri, et leur donna des lettres pour les prier d'obtenir une sauve garde du roi pour Linières, laquelle il accorda en ces termes :

Le roi voulant conserver (1) de tout logement et courses de ses gens de guerre la ville de Linières et ses dépendances appartenant-à Mme de Linières, en considération de sa qualité et des services du sieur de Linières, son mari, Sa Majesté défend très-expressément à tous chefs et officiers commandant et conduisant ses gens de guerre, tant de cheval que de pied, français et étrangers, de loger, ni souffrir qu'il soit logé aucun d'eux dans la dite ville si ce n'est par ordre et département de Sa Majesté, ou de ses lieutenants généraux, ni d'icelle prendre, enlever et fourrager aucunes choses, à peine aux dits chefs et officiers d'en répondre en leur propre et privé nom, d'autant que Sa Majesté a pris et prend la dite dame de Linières, sa ville, ses appartenances et dépendances et tout ce qui lui appartient, en sa protection et sauve garde spéciale par la présente ^signée de sa main, par laquelle elle mande et ordonne à tout prévôt des maréchaux (2), ou autres juges sur ce requis, de se saisir des contrevenans et coupables, et d'en faire une si sévère punition qu'elle serve d'exemple aux autres, permettant Sa Majesté à la dite dame de Linières de faire mettre et apposer aux principales avenues de la ville, et aux endroits où bon lui semblera, ses armoiries, panneaux et bâtons royaux, à ce qu'aucun n'en prétende cause d'ignorance. Fait à Bourges, le 22 octobre 1651, et plus bas : de Loménie.

Cette sauve garde fut exposée en plusieurs endroits, mais les troubles étoient si grands qu'elle n'empêcha

(1) Pour préserver.

(2) Les prévôts des maréchaux avaient notamment pour compétence de juger les gens de guerre, soit dans une marche, soit dans les lieux d'étape ou de séjour. Ils prenaient aussi le titre d'Ecuyers conseillers du roi. Ils exerçaient une de ces juridictions qu'on désignait sous le terme caractéristique de justice bottée.


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pas plusieurs compagnies de passer à Linières. On fut obligé même d'y recevoir un corps d'armée composé de six à huit mille hommes, avec du canon, et conduit par le sieur de Castelnau. Cette armée, en marchant, s'étendoit à plus de dix lieues de large, depuis Issoudun jusqu'à Culant. Ils logèrent aussi à Saint-Hilaire et à Saint-Christophe et, de là, à la Châtre et aux environs. Ils pilloient et ravageoient tout, partout où ils passoient ; les paysans, qui en souffrirent beaucoup, se sont souvenus longtemps des Gastelnaux, comme ils disoient, et quand ils vouloient assigner leur âge, ils disoient : « Je suis du tems des Gastelnaux, » j'avais tant d'années quand ils sont passés. » Ce fut (1) un samedi et un dimanche 11 et 12 novembre 1651, pendant que le siège étoit devant Mont-Rond, et cinq à six jours avant qu'on n'assiégeât le Châtelet (2).

Ce fut dans la nuit du dimanche au lundi 16 octobre 1651 que Saint-Amand fut investi par les gens du roi, et que l'on commença les approches du MontRond. Saint-Amand n'étoit pas capable de soutenir le siège ; c'est pourquoi le sieur de Persan, quelque tems auparavant, avoit donné avis aux habitans de se retirer avec leurs effets dans le château, ce que quelques uns firent, mais d'autres serrèrent leurs meubles aux Carmes et aux religieuses qui étoient pour lors à Saint-Amand, et qui ont été, depuis, transportés à Bourges. Le sieur de Persan, en ayant eu avis et prévoyant bien que l'armée du roi les pilîeroit, il crut devoir les prévenir. Il ordonna, pour cet effet, une procession générale qui devoit partir des Carmes pour

(1) Lisez : « Ce passage de troupes eut lieu un samedi », etc.

(2) Le Châtelet fut assiégé le 25 novembre (RAYNAL, Eist. du Berry, tom. IV, pag. 349.)


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aller aux Capucins. Les soldats de Mont-Rond établis pour garder la ville entrèrent pendant la procession dans le couvent des Carmes et des religieuses et enlevèrent tout, jusqu'aux ciboires, dit-on. Ce butin fut estimé cent mille francs, et, au retour, il (1) fit commandement aux bourgeois de sortir dans deux heures, sous peine d'être tous passés au fil de l'épée. Ceux qui s'étoient réfugiés dans le château furent mis hors, sans rien emporter, et les troupes du roi s'étant approchées, les 17 et 18 octobre, ceux de Mont-Rond achevèrent de piller ce qui étoit resté, de peur que les assiégeans, qui avoient déjà pris le faux-bourg du côté des vignes, n'y trouvassent encore quelque chose à piller (2).

Tous les habitans abandonnèrent leur ville et se retirèrent où ils purent ; la plus grande partie et les principales familles se réfugièrent à Linières, ou parce qu'ils y avoient des parents, ou parce qu'en payant les impôts on y étoit en sûreté. Il falloit qu'il y eût une grande quantité de pauvres habitans réfugiés en cette ville, puisque, depuis le 5 novembre 1651 jusqu'à la reddition de Mont-Rond, le 10 septembre 1652, on enterra dans l'église et dans le cimetière de Linières plus de 200 personnes sans maladies contagieuses. Outre la-guerre, la famine étoit encore dans le pays : il mourut une quantité de personnes considérable de côté et d'autre dans les villages des environs, qu'on enterra auprès des croix pour s'éviter la peine de les porter dans les cimetières.

(1) Le sieur de Persan.

(2) Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que ceci se passait n plein milieu du grand siècle, et qu'ainsi la barbarie des moeurs,

au moins dans les provinces et durant ces guerres civiles, était encore plus profonde qu'on ne le croit généralement ?


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Le siège ne fut pas plutôt mis au château de MontRond, et les retranchements en sûreté, que M. de Palluau, appelé autrement Philippe de Clérembault, depuis maréchal de France, qui commandoit en chef l'armée royale, crut devoir s'assurer de tous les petits châteaux des environs, qui tenoient pour M. le Prince et qui lui appartenoient effectivement. Ce fut pour cela qu'il prit avec lui un corps considérable de troupes et quelques pièces de canon, et qu'il vint mettre le siège devant le Châtelet, où M. de Bar commandoit. Les sieurs de Cluis, du Brouet, les chevaliers d'Agay et de Rodes, avoient chacun une compagnie de gens d'armes au service de M. le Prince, avec laquelle ils tenoient la campagne. Ils se retiroient quelquefois au Châtelet, à Cul an, ou en d'autres lieux. Ils s'étoient même rendus maîtres du château de Lisle, où ils mirent le feu le 13 juillet 1650. La moitié en fut réduite en cendres, comme on le voit encore aujourd'hui. M. de Bar étant au Châtelet y épousa la fille du sieur Cormenier, riche bourgeois de Linières, et pour lors fermier du Châtelet.

La nuit du vendredi venant au samedi 25 novembre 1651, le siège fut mis devant le Châtelet, et M. de Palluau, qui y commandoit en personne, manda aux habitans de Linières d'apporter au camp 500 pains de chacun une livre, ce qui fut exécuté promptement, car dès le lendemain, le convoi partit, escorté de trente habitans. On les remercia et on leur en demanda encore autant pour le mardi suivant, avec six boisseaux de farine de froment et un poinçon de vin pour mieux employer la voiture, ce qui fut encore rendu avec pareille escorte à la Croix-Blanche, près le Châtelet, où étoit le quartier du roi, c'est-à-dire le logement du commandant, d'où l'on voyait tirer le canon


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qui étoit braqué près le pont Boussard et appointé contre le château. Le château du Châtelet fut rendu au roi le 1er décembre, après cinq jours de siège, par les sieurs de Bar, d'Ainay et de Cluis, qui en sortirent par composition avec armes, chevaux et bagages, mais les soldats furent dépouillés par le sieur de Palluau, qui s'en alla coucher avec ses troupes à Loye (1), pour se rendre à Saint-Amand et serrer Mont-Rond de plus près. Les assiégés, en effet, voyant qu'ils n'étoient pas pressés, avoient fait une sortie la même semaine, et avoient mis le feu aux faux-bourgs de Saint-Amand, où les assiégeans s'étoient retranchés. Les habitans de Linières n'en furent pas quittes après le siège du Châtelet, car il fallut envoyer au camp, devant MontRond, des pics, des tranches (2) et d'autres instrumens avec quantité de pionniers et des contributions en denrées et en argent. Le sieur de Beîlefontaine, commis pour lever les contributions, vint avec des cavaliers pour les exiger à Linières. Sa compagnie dépensa à l'Écu cent une livres dix sols.

Toutes ces contributions n'empêehoient pas que les soldats du camp n'allassent en partie dans la campagne pour piller et enlever les bestiaux. Cependant ils n'entroient point dans la ville de Linières parce qu'on avoit coupé les ponts à vingt ou trente pas de la porte de la ville par l'ordre de M. le comte de Saint-Aignan, commandant pour le roi à Bourges, pour leur couper le passage et empêcher ceux qui auroient voulu aller secourir Mont-Rond de sortir.-Cependant on faisoit bonne garde dans la ville, mais les païsans des enviCi)

enviCi) d'environ 900 habitants, aujourd'hui canton de Saulzais-le-Potier. (2) Sortes de bêches. (Comp. notamm. Ordonn. 13 février 1543.1


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rons, se voyant ruinés par les courses fréquentes des soldats, s'aguerrirent tellement qu'au lieu qu'ils abandonnoient (1) leurs maisons et se retiroient dans les bois lorsqu'ils entendoient parler d'un soldat, ils alloient ensuite les chercher, les détournoient dans les bois et les poignardoient sans rémission. Ils en jetèrent beaucoup dans l'étang de Villiers, ce qui faisoit dire ensuite qu'on avoit trouvé des brochets qui avoient des os de jambes d'hommes dans les guignes (2).

Un parti de douze ou quinze soldats ayant été surpris par la nuit à Rezé s'étoient retirés dans une grange à Chanceaux (3). Plusieurs paysans de Touchay et des environs, l'ayant su, allèrent les surprendre, leur lièrent les mains derrière le dos et, les ayant conduits dans un bois, les y égorgèrent tous. On dit qu'ils obligèrent un d'entre eux à les égorger, lui promettant la vie, et qu'ils le tuèrent ensuite comme les autres. Cette circonstance n'est pas si certaine que l'action en elle-même, dont j'ai connu (4) jusqu'à dix personnes complices de cette cruelle exécution.

Il se passa, dans la même paroisse de Rezé, une autre action qui n'eut pas des suites moins funestes. Un parti de cinq ou six soldats vint faire le canton de Parcy pour enlever ce qu'ils pouvoient, mais les paysans, qui commençoient à s'aguerrir, les en empêchèrent sans trop d'efforts. Ils envoyèrent sonner le tocsin. Ils se mirent en état de les charger. Les

(1) S. E. dans les premiers temps, avant de s'être aguerris.

(2) Vieux terme désignant les ouïes ou branchies. (Littré.)

(3) a Lieu dit » des environs. Un Gilbert de Chanceaux a été bailli de Bourges au XIIIe siècle.

(4) Rappelons que cest toujours Gilles-le-Duc, copié par J. B, Dupré, qui parle. Nous ne sommes point encore arrivés aux mémoires personnels de J. B, Dupré.


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soldats se retirèrent sans rien emporter, mais jurèrent qu'ils se vengeroient qu'on eût sonné le tocsin sur eux. Ils revinrent en plus grand nombre dans le même canton où ils pillèrent, brûlèrent et forcèrent tout ce qu'ils rencontrèrent sans qu'il se trouvât assez de monde et, comme si cet endroit avoit dû être le théâtre de la guerre, un autre grand parti étant revenu au même endroit, s'étendit encore plus loin pour voler et piller. M. de Palluau avoit, sur les plaintes qu'on lui avoit faites, défendu aux soldats de sortir des tranchées et- avoit permis de faire mainbasse sur ceux qui seroient trouvés à voler.

Les-habitans de Rezé, Saint-Hilaire et Touchay, se voyant ainsi enlever leurs bestiaux, eurent recours à un gentilhomme de Rezé, nommé M. de l'Etang (1), qui demeuroit dans le bourg. Il se mit à' la tête de tous ceux qui s'assemblèrent pour recouvrer leurs .bestiaux. M. de l'Etang s'avança pour parler à celui qui conduisoit le parti et voulut composer avec lui pour retirer les bestiaux moyennant une somme d'argent. Les soldats répondirent que la composition étoit au bout de leurs fusils. On leur dit que s'ils ne se rendoient, on alloit les charger. Ils se mirent aussitôt en peloton et en posture de tirer, mais il y avoit quelques paysans de Touchay qui savoient charmer les armes à feu, et qui charmèrent si bien les armes des soldats qu'ils ne purent tirer un seul coup. (Ce

(1) Raynal (tom. IV, pag. 330) reproduit la plupart de ces récits comme les tenant de la tradition (?) mais c'est là un mot un peu vague pour des détails aussi précis, remontant à une date relativement aussi ancienne, et tout porte à croire qu'il'a puisé, en réalité, plusieurs de ces épisodes dans les Mémoires ci-dessus (v. 1re série, pag. 223, note 2, et pag. 321, note 1), bien qu'il n'ait pas jugé nécessaire de les citer à nouveau chaque fois qu'il s'en est inspiré.


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passage est cité, quoiqu'absurde (1) : le nombre des paysans, leur dextérité à tirer, étant en grande partie chasseurs, et la prompte attaque qu'ils firent aux soldats est la seule raison pourquoi il n'en fut pas tué, comme l'histoire le rapporte.) Les paysans, de leur côté, tirèrent sur eux, en tuèrent dix ou douze et en blessèrent autant. Ces mêmes paysans assommoient ceux qui vouloient se sauver partout où ils les trouvoient, si bien qu'il n'en resta presqu'aucun pour en porter la nouvelle au camp, et M. de Clérembault ne fit autre chose que d'envoyer demander les fusils, qu'on lui renvoya. Le lieu où le combat se donna s'appeloit la Chaume de Parcy et depuis ce tems on la nomme la Chaume aux Chiens parce que, dit-on, les chiens y allèrent manger les corps morts qu'on ne se donna pas la peine d'enterrer, n'ayant fait que jeter du bois et un peu de terre dessus, ce qui n'empêcha pas les chiens de les découvrir et de les traîner partout. Ce qui s'est fait en cet endroit s'est bien fait ailleurs. On croit qu'il en périt plus de mille aux environs de Linières. Enfin, après onze mois de siège et dix-huit mois de blocus, le château de Mont-Rond fut rendu par composition ; la garnison en sortit, et on fit sauter les fortifications et par là Linières et ses environs furent délivrés de voisins bien incommodes.

(1) Cette réflexion est entre parenthèses dans notre manuscrit: elle est, ou de J.-B. Dupré copiant Gilles-le-Duc, ou d'un copiste plus récent et plus sceptique qui l'a intercalée incidemment de son propre chef dans le texte qu'il transcrivait.


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LIVRE QUATRIÈME

JÉRÔME DE NOUVEAU

Jérôme de Nouveau, conseiller et secrétaire du roi, grand-maître des courriers et surintendant général des postes et relais de France, seigneur de Fromont (1), avoit épousé dame Catherine de Girard de l'Epinay, soeur de Madame la maréchale de Castelnau, de laquelle il n'eut point d'enfans. Il acheta la terre de Linières, le 11 de juin 1653, de M. le marquis de Nangis, de M. le baron de Lury, de MM. de la RocheAymon et de Guerchy, héritiers de Mlle Marie-Fran- " çoise de Brichanteau, fille unique de Philippes de Brichanteau, seigneur de Linières, pour la somme de trois cent soixante mille francs. Cette vente fut faite à la charge et des droits et devoirs seigneuriaux et féodaux, censives et autres redevances foncières et anciennes, et à la réserve de la jouissance que la dame épouse de M. de Brichanteau devoit avoir du château pendant sa vie pour son habitation, et de la somme de cinquante-quatre mille livres de rente annuelle constituée par le dit seigneur de Linières à la dite dame Claude de Meaux, son épouse, par leur contrat de mariage et jusqu'au décès de la dite dame.

En conséquence de cette acquisition, M. et Mme de Nouveau, accompagnés de M. et de Mme de Castelnau, firent leur entrée à Linières le 27 du mois de juin 1653.

(1) ' Sans doute Fromont, aujourd'hui arrondissement de Fontainebleau.


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Les habitans de la ville et des paroisses de la terre, au nombre de plus de 500, tant à pied qu'à cheval, armés comme ils purent, conduits par M. de TaillisVert, allèrent au-devant d'eux jusqu'aux confins de la terre, vers Mareuil, où l'on mena un poinçon de vin pour donner à boire à ceux qui voulurent. Les dits seigneurs et dames furent conduits par cette milice jusques dans la ville, dont on avoit garni les rues de rameaux, et à la porte, du côté d'Issoudun, on avoit fait couler une fontaine de vin.-Ils descendirent à l'église, où on chanta un Te Deum en musique de la composition du sieur Peron, chanoine et maître de musique de Linières. Ils furent conduits de là à leur château avec le plus de pompe et de magnificence que l'on put. M. du Plaix étoit allé au-devant des seigneurs pour convenir ou s'offrir de recevoir Madame, comme sa charge de Maréchal de la terre le porte, mais on le remercia, et on lui donna acte de sa présentation, et on se contenta de son offre, en le confirmant, toutefois, dans ses droits et privilèges, comme ont fait les deux dames qui ont fait depuis leur entrée (1).

Ils ne furent pas plutôt arrivés qu'ils prirent la résolution de se bâtir un logement à la moderne, mais ils craignirent de détruire le château qui avoit beauCi)

beauCi) une tradition assez originale, le seigneur du Plaix était tenu d'aller ainsi au devant de son nouveau suzerain les jambes couvertes d'un simple caleçon, ou d'un vêtement d'un genre approchant, et de danser la pantalonnade en signe de réjouissance. Le manuscrit de M. de Barrai porte que ce seigneur était, en pareil cas, habillé avec un justaucorps, un pantalon, et coiffé d'un bonnet de velours, mais ne fait allusion à aucune espèce de danse. Le sieur du Plaix était également obligé, paraît-il, de fournir les couverts pour le premier repas des nouveaux seigneurs et de faire fonctions, vis-à-vis d'eux, de maître d'hôtel (le manuscrit de Gilles-le-Duc dit, en effet, recevoir Madame, ce qui confirmerait, sur ce point, cette


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coup d'apparence, quoique d'une architecture gothique. ' Cependant ils ne pouvoient le mettre à la moderne sans le ruiner de fond en comble. Ce fut néanmoins le parti qu'ils prirent. M. de Nouveau fit venir de Paris un architecte appelé Levau et le nommé Roy, sculpteur et entrepreneur de Bourges. Ceux-ci lui donnèrent le, plan d'un édifice à-la moderne, qu'ils lui conseillèrent de bâtir au lieu qu'on nomme à présent la Glacière, à cause de celle qu'il y fit bâtir depuis. La vue en est fort belle et s'étend sur la ville et sur les prairies voisines. II forma encore un autre projet, qui étoit de construire une maison de chasse au-delà de Saint-Thibaut, entre les étangs de Villiers et de la Chelouze, mais ce dessein fut encore abandonné. On en revint au projet de travailler sur l'ancien château, mais, pour ce voyage, on se contenta d'en parler, et de donner les ordres pour amasser les matériaux qu'on commença à charrier dès le mois d'octobre de la même année 1653. Vers ce même tems, M. et Mme de Nouveau s'en retournèrent à Paris passer l'hiver, où étant ils achetèrent les meubles que Mme de Meaux avoit laissés dans le château. Il n'y avoit rien de considérable qu'une tapisserie de haute lice (1) pour la grande salle, que M. et Mme de Nouveau

tradition) et, comme on avait omis de spécifier en quelle matière devait être ces couverts, on assure que ce seigneur du Plais:, né malin, les fournissait en bois. On ajoute que ce sont Mmes de Jonsac et de Lordat, dont il sera parlé plus loin, qui ont définitivement aboli ces usages, et spécialement la- pantalonnade, comme peu décente à exécuter dans le costume dont il s'agit, vis-à-vis du sexe auquel elles appartenaient. J'ai relaté cette tradition dans l'Intermédiaire des chercheurs et curieux (année 1889, pag.435), sous le titre: " Curieux droits féodaux ». (Paris, rue Cujas, 13, édit. Noblet.)

(1) On sait que la tapisserie de haute lice était celle qui se fabriquait quand le fond sur lequel les ouvriers travaillaient était tendu de haut en bas, et la tapisserie de basse lice celle à fond horizontal.


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emportèrent à Paris. Il falloit qu'elle fût belle, car ils étoient difficiles en ameublemens. Le reste des meubles dont on faisoit cas à Linières servoit à peine à leurs valets. Il y avoit cependant une autre vieille tapisserie de haute lice, aux armes d'Amboise, qui avoit été faite exprès pour le lieu, car il y avoit quantité de cartouches chargées de cette inscription : « Linières " me tient, c'est mon plaisir. » Elle avoit été faite apparemment par les soins de Catherine d'Amboise. Ce qu'il y avoit de meubles coûta six mille francs.

Pendant le séjour de M. et de Mme de Nouveau à Paris, on fit publier le décret de la terre de Linières au Châtelet de Paris, et partout où besoin étoit, et les dits seigneur et dame, à leur retour à Linières, qui fut au mois de mai 1654, réglèrent toutes les oppositions qui avoient été formées, sans qu'il fut besoin à ceux qui les avoient signifiées de faire aucun frais (1). Les bourgeois et habitans de Linières avoient formé leur opposition pour être conservés dans leurs droits et privilèges, conformément à la transaction faite entre les dits habitans et défunt messire Antoine de Brichanteau, seigneur de Beauvais-Nangis et de Linières, passée devant de Luthe le 11 mars 1610, laquelle ayant été exhibée à M. de Nouveau, il donna ordre à son procureur de recevoir et consentir la dite

(1) Notons, en passant, et à ce propos, que les Archives du Cher, série E, 864, terre de Linières, contiennent une procuration donnée par Jean de La Châtre, écuyer, sieur du Plaix, à Louis Prieur, procureur au Châtelet de Paris, pour s'opposer à la vente par décret de la terre de Linières, Rezé et Thevé, saisie à la requête de Vincent Nollet, chevalier et secrétaire du Roi et de ses finances, sur Jérôme de Nouveau, Cette procédure est de septembre 1653. Elle est utile à consulter à raison des énumérations de possessions, de lieux-dits ou de personnes, ou enfin de droits seigneuriaux de toute nature, qu'elle contient.


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opposition par acte passé au château de Linières, présence de Jean de la Châtre, écuyer, sieur du Plaix, et de Claude Betoulat, sieur de la Perrière, le 9 mai 1654.

Messieurs du Chapitre avoient aussi formé leur opposition au décret pour être conservés dans les droits, rentes et redevances qui leur sont dues sur les seigneuries de Linières et Thevé, et dans les honneurs, dixmes et terrages qui leur appartiennent, comme aussi pour conserver les droits et rentes dues au collége de la ville, et M. et Mme de Nouveau en acceptèrent la déclaration et donnèrent ordre à leur procureur de les consentir par acte passé le 7 mai 1654.

Il y avoit un procès commencé depuis longtems entre les seigneurs de Linières et les habitans de Rezé au sujet du droit d'avenage consistant en douze boisseaux d'avoine, une poule, et le droit de guet que les seigneurs prétendoient leur être dû par chaque chef de famille. Il y avoit en effet des transactions qui les y condamnoient, mais ils s'en étoient fait relever en chancellerie. Ayant été avertis du décret, ils s'y opposèrent pour conserver leurs prétentions et privilèges. Ils s'adressèrent donc à M. et à Mme de Nouveau, les priant de les traiter favorablement. Ils consentirent une transaction le 6 mai 1654, par laquelle ils reconnaissoient que la terre et châtellenie de Rezé est un lieu de franchise et que tous les habitans sont francsbourgeois à la charge de payer par chef de famille douze sols et une poule par an et trois sols pour le guet. Les habitans, de leur côté, reconnurent que le seigneur et la dame de Rezé ont droit de péage sur les bestiaux qui seront passés par la terre de Linières, tant par les marchands forains que par les habitans, en cas que les bestiaux ne séjournent pas plus de huit jours dans leurs maisons. Ils ont aussi reconnu le droit


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de rivière et de chasse au dit seigneur, et non à d'autres, et que le moulin est banal, à condition que le meunier ira chercher leur bled et le reconduira en leurs maisons, avec d'autres droits exprimés dans la dite transaction, se réservant encore le dit seigneur la suite de ses gens serfs sur la dite châtellenie de Rezé.

Madame Claude de Meaux, craignant qu'il n'y eût beaucoup de droits perdus à l'occasion de cette vente de la terre, faute aux intéressés de savoir qu'il fallût s'opposer, ou de l'avoir fait, fit un mémoire de toutes les oppositions qui dévoient être faites, principalement pour les charges dues aux églises de la terre, comme pour les curés de Saint-Hilaire, de Touchay et de Saint-Christophe. C'est ce que j'ai appris de Madame de Meaux bien des fois que je l'ai vue, un mois avant sa mort.

En même tems que M. de Nouveau s'occupoit des moyens de conserveries droits de sa terre, il ne laissoit pas que de se divertir à la chasse avec tous les gentilshommes du canton. Il avoit trente coureurs dans son écurie et la meute des petits chiens du roi, dont il avoit acheté la charge de capitaine. Ayant envoyé ses coureurs le jour de la Pentecôte reconnoître et détourner les bêtes fauves dans Malvèvre, il partit le lundi, après la messe, accompagné de beaucoup de seigneurs qu'il avoit toujours à sa suite parce qu'il faisoit bonne chère. Ils coururent toute la journée le cerf avec cent chiens et le forcèrent. Ils revinrent fort tard et bien las. On remit les chevaux à l'écurie, où par la négligence d'un palefrenier qui s'endormit et laissa tomber la chandelle dans la paille, le feu prit, et l'écurie, qui n'avoit point d'issue, fut tellement remplie de fumée que les chevaux furent étouffés. Quand


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on s'en aperçut et qu'on alla rompre la porte, il y en avoit vingt-deux morts, qu'on estimoit plus de six mille francs, et avec eux une haquenée pie (1) dont se servoit Madame et qu'elle estimoit seule plus que tous les autres ensemble. Cet accident arriva le 5 mai 1654.

Nous avons dit plus haut que M. de Nouveau se proposoit de rebâtir son château de Linières à la moderne. Il n'abandonna pas ce projet, et l'exécuta au contraire, mais avant de parler de la reconstruction du nouveau, il sera bon de faire une description de l'ancien, telle que je puis le comprendre d'après les Mémoires que j'ai lus et le récit des personnes qui l'avoient vu, entre autres de M. Cheron, autrefois Official de Bourges et maintenant de Paris, qui disoit que l'ancien château, excepté qu'il n'étoit pas couvert d'ardoises, avoit beaucoup plus d'apparence que le nouveau, ce que plusieurs autres personnes m'ont aussi assuré.

L'enceinte du château étoit entourée de larges et profonds fossés. Au-devant de la principale entrée étoit un pont-levis et un portail flanqué de deux tournelles massives, et au-dessus, un pavillon en saillie avec des créneaux. Dans la première cour, à main droite, étoit une haute tour, de même hauteur que l'église, qu'on appeloit la Tour du Guet, d'où on alloit autrefois dans les voûtes de l'église par un pont qu'on jetoit apparemment de la tour; on aperçoit encore les vestiges de la porte par laquelle on entroit dans l'église; elle est au-dessus du choeur. À cette tour commençoient de belles écuries, séparées en quatre parties, toutes bien voûtées, avec doubles greniers au-dessus. Tout le bâtiment étoit orné de beaux fénétrages et lucarnes, avec architecture et sculpture

(1) Blanche et noire.


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d'hommes et d'animaux, de feuillages, avec armes et devises à l'antique. A main gauche étoient des bâti— mens pour les portiers et gens de basse-cour, une grosse tour dont on faisoit la prison, et une grande grange avec d'autres bâtimens commodes.

Après cette première cour on trouvoit un autre grand fossé avec un beau portail à pont-levis flanqué de tours, et un peu au-dessus, à main droite, étoit un gros colombier. Etant entré dans la cour du château ou donjon, on voyoit en face une grosse tour ovale, de soixante pieds de long et de quarante-cinq de large, haute de soixante pieds, toute bâtie de cartellages ; elle avoit comme une séparation au milieu, où étoit l'escalier, et chaque côté de la tour avoit quatre chambres les unes au-dessus des autres. Les murailles avoient sept pieds d'épaisseur en base et six en haut. Il y avoit aussi un grand corps de logis avec plusieurs toumelles et pavillons, où il y avoit on bas une grande et magnifique salle extrêmement élevée, avec grands fénétrages comme ceux d'une église, deux chambres au-dessus et, de côté et d'autre, quantité de chambres et appartemens beaux et commodes, auprès desquels étoient les offices et les cuisines. Du côté droit, en entrant, il y avoit encore un petit corps de logis qui ne le cédoit point au reste des appartemens, mais tout cela étoit d'architecture gothique.

D'abord M. de Nouveau ne pensa qu'à faire un gros pavillon à la moderne à la place de cette grosse tour, seulement pour se loger, et il vouloit laisser le reste des bâtimens pour ses domestiques, ne se proposant de dépenser que vingt mille écus. Dans ce dessein il fit marché avec maître François Levau, architecte ordinaire des bâtimens du Roi et de Son Altesse Royale Mademoiselle, demeurant à Paris, le 9 mai 1654, pour


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détruire la grosse tour, et faire à la place un corps de logis en se servant des anciens matériaux et le seigneur devoit fournir sûr place ceux qui seroient nécessaires au surplus, moyennant la somme de cinquante mille livres payables à proportion du travail, qui devoit être achevé à-la Toussaint de l'année 1656. Ce premier marché étoit pour faire le grand corps de logis depuis l'escalier vers le... (1), de la manière qu'il est aujourd'hui, et on réservoit l'ancienne grande salle qu'on devoit élever et couvrir comme le corps de logis. Il paroit que cette grande salle étoit où sont à présent la chapelle et la galerie, qui ne lui cède probablement guères en grandeur. Il y eut un différent entre le seigneur et l'architecte sur une des clauses du marché que voici :

Et fournira le dît entrepreneur toutes peines généralement quelconques, pour accomplir la perfection des dits ouvrages de maçonnerie, charpenterie et couverture, et non autre chose, sauf qu'il fournira toute la latte et contrelatte, et (tout le) clou de latte, et ardoise, tant pour le logis neuf que pour l'ancien, qui serait nécessaire à la dite couverture, et toutes les autres matières et matériaux généralement quelconques lui seront par le dit seigneur fournis sur les lieux avec tous les bois de sciage, etc.

L'entrepreneur avoit fait mettre dans sa grosse un d devant ardoise, pour dire (tout le) clou de latte et d'ardoise, ne voulant par là être obligé qu'à fournir les clous d'ardoise et le seigneur, au contraire, prétendoit que l'entrepreneur devoit fournir l'ardoise. Le différent étoit considérable pour une lettre, mais en recourant à la minute, il ne se trouva point de d, ce qui le termina.

Depuis ce tems-là on ne cessa de travailler à la construction du nouveau bâtiment, et en juillet 1656, le

(1) Ici, le copiste a passé un mot, apparemment demeuré illisible pour lui dans le manuscrit plus ancien.


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grand corps de logis étoit couvert, et les portes et fenêtres posées, mais on changea de dessein pour la grande salle : on avoit voulu l'épargner, mais elle fut condamnée à être détruite, aussi bien que la grosse tour. On commença à bâtir à sa place la chapelle et ensuite la galerie avec les offices dessous, qui furent à leur perfection en 1656, et en 1660 on bâtit ces deux gros pavillons qui flanquent la porte d'entrée.

Ce fut vers 1657 que M. de Nouveau fit aussi marché pour remplir les anciens fossés et en construire de nouveaux, avec le nommé Larivière, fontainier, demeurant à Paris, pour la somme de dix-huit mille francs. Je crois pourtant qu'ils ne furent pas sitôt achevés, car ils ne purent l'être qu'après que le château eût été entièrement bâti. On dit qu'ils ne le cèdent en beauté qu'à ceux du château de Richelieu : encore ceux-ci sont-ils moins larges que ceux de Linières, qui ont jusques à quatorze toises de largeur (1). Après que le bâtiment fut entièrement achevé, on lui trouva un défaut considérable, qui est que le milieu par devant n'est pas le milieu par derrière, ce qui est choquant quand on entre dans le vestibule. Ce défaut choqua tellement M. de Castelnau, beau-frère de M. de Nouveau, quand il vint voir le château pour la première fois, qu'il vouloit tuer l'entrepreneur, et il n'osa paroitre devant lui pendant qu'il fut à Linières, mais il fut bientôt hors de crainte, car, peu de temps après, ce seigneur étant parti de Linières, reçut un coup de mousquet à Dunkerque dont il mourut, et le roi, pour le récompenser, lui envoya le bâton de maréchal au lit de la mort.

(1) Ajoutons que ceux de Linières sont revêtus en maçonnerie, avec un cordon de pierres de taille.


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Les canaux qui sont autour du parterre, et principalement celui qui conduit la rivière au moulin, furent dressés en l'état où ils sont aujourd'hui pendant l'année 1657. On aplanit le terrain du parterre et du jardin potager, et pour en prendre les compartimens, M. de Nouveau fit venir de Paris M. Le Nôtre, ingénieur des jardins du roi, mais ce projet n'a point été exécuté (1). Tout ce qu'on planta, cette année 1663, gela presqu'entièrement, et on n'a rien rétabli depuis, si bien que le parterre est devenu un pré avec le tems, si ce n'est qu'il reste encore beaucoup d'arbres fruitiers de bonne espèce qu'on y avoit fait planter. On espéroit faire un grand parc qui devoit prendre depuis le jardin le long du grand chemin jusqu'au moulin de l'Ecorse, et la muraille du jardin en est un commencement. M. de Nouveau avoit commencé à acheter plusieurs pièces de terre appartenant à différens particuliers, et ce qu'il ne pouvoit payer, comme des rentes foncières et des deniers de cens, il les transporta sur d'autres héritages, et se chargea de les payer, comme il fit la rente et le cens qui étoient dus au chapitre sur des héritages situés au même lieu, et qu'il transporta sur le pré des Ouchettes (2), qu'il venoit d'acquérir.

Madame de Nouveau, dans une maladie qu'elle fit, fit voeu d'aller en pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette, en Italie. Après sa guérison, trouvant une grande dif—

(1) Le manuscrit de M. de Bairal énonce toutefois, je ne sais sur quel fondement (pag. 40), que Le Nôtre aurait effectivement tracé des jardins dont, d'ailleurs, dit M. de Barral, il ne reste plus aujourd'hui de vestiges.

(2) Les expressions : ouche, ouchette, dans le langage du Centre, désignent une pièce de terre, un champ, auquel se rattache une certaine idée de culture et de fertilité. (Bas. lat. olcher, du celtique olca, d'après saint Grégoire de Tours (V Ie siècle).


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ficulté à exécuter son voeu, elle le fit commuer. On estima la dépense qu'elle auroit faite à huit mille francs, et elle fut chargée d'en faire une fondation dans quelque église dédiée à la Sainte-Vierge. M. et Mme de Nouveau eurent besoin d'une grande fermeté pour résister aux sollicitations de plusieurs moines qui désiroient tous que la fondation se fît chez eux, mais ils préférèrent le chapitre de Linières, dont ils sont fondateurs et collateurs. Par la fondation, ils chargèrent les chanoines de célébrer trois messes solennelles chaque semaine, une le lundi, du Saint-Esprit pendant sa vie et de Requiem après sa mort, une le jeudi, du Saint-Sacrement, avec un salut le soir du premier jeudi de chaque mois, avec la bénédiction du SaintSacrement, et une autre messe, de la Vierge, avec un salut et les litanies, tous les samedis. Il assigna peur cela sur sa terre de Linières quatre cents livres de rentes ou huit mille francs une fois payés : c'est tout ce qui est resté de la succession de ce seigneur.

M. de Nouveau s'étoit vu un des plus riches seigneurs du royaume. On dit qu'il ne le cédoit point au roi même pour la richesse de son argenterie et la délicatesse de sa table. Il avoit un nombreux domestique et, sur la fin de sa vie, il avoit presque tout perdu. Le roi retira d'abord ses postes et relais dont il étoit surintendant, et s'en remit en possession, sans dédommagement qu'une petite somme qu'on lui paya par an jusqu'à sa mort. Il avoit des rentes sur la Maison de Ville de Paris qui furent réduites. Je crois qu'on lui ôta encore la charge de Capitaine des petits chiens : enfin il se trouva presqu'entièrement dépouillé. Il pensoit à vendre sa terre de Fromont et tous ses meubles précieux, qu'il estimoit un million, et après avoir payé ses dettes, il espéroit qu'il lui resterait encore


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quatre-vingt mille livres de rente qu'il se proposoit de venir dépenser à Linières, mais la mort le prévint le 24 août 1665. Il mourut d'un abcès occasionné par une chute de cheval. Comme il vouloit l'essayer devant sa maison, à la place Royale, il en fut renversé et contracta la maladie qui le fit mourir. Il fut inhumé dans l'église des Minismes de la place Royale.

La nouvelle de cette funeste mort causa bien du déplaisir aux habitans de sa terre de Linières, à qui il avoit fait beaucoup de bien, et qu'il avoit gouvernés avec beaucoup d'équité depuis 1653 jusqu'en 1665, l'espace de douze ans. Il étoit bon, familier et charitable, s'appliquant à faire rendre justice à chacun. Comme il avoit beaucoup de crédit, il fit décharger ses vassaux d'une partie des tailles et gabelles.

Aussitôt après sa mort, Madame de Nouveau envoya ordre de donner des plus précieux meubles du château à des personnes qui vinrent de la part de Madame la Maréchale de Castelnau, sa soeur (1), qui les enlevèrent. Le reste fut ensuite vendu par M. et Mme de Matha (2), (soeur de M. de Nouveau), qui avoient fait porter héritier un enfant sous bénéfice d'inventaire, car ils ne vouloient pas se dire héritiers purs et simples à cause des dettes. Il y avoit encore une autre soeur appelée Mme de Montrollier (3), qui ne parut point.

On établit à Paris un syndicat de direction de la succession, à la tête duquel étoit M. le Comte d'Avaux,

(1) Les mots : « sa soeur » se rapportent à Madame et non à M. de Nouveau. V. pag. 47.

(2) Cette famille de Matha devait être des environs de Saint-Jeand'Angély, aujourd'hui Charente-Inférieure.

(3) Ou plutôt peut-être de Montrollet, aujourd'hui arrondissement de Confolens (Charente).


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mais les frais énormes de justice, la dilapidation des effets les plus précieux par les personnes intéressées à la succession, et le nombre excessif des créanciers (qui contenoient trente rôles imprimés) firent qu'on ne put satisfaire à tout.

Au tems de la domination de M. de Nouveau à Linières, MMgrs de Lévis-Ventadour et de Montpesat de Carbon, ont été patriarches-archevêques de Bourges, M. François Groguet, doyen de Linières, Pierre Biet, lieutenanf-général à Bourges, Claude Dorsanne à Issoudun, François Toudre, bailli de Linières ; plusieurs personnes gouvernèrent les affaires du château : un nommé Dupuis de Castelnau, un autre appelé Debois Martin, un M. de Beaulieu, et enfin un M. de Marbeuf, sieur de Mamau, écuyer, qui fut reçu capitaine du château en 1660 et qui n'en partit qu'après l'acquisition faite par Madame la Princesse Palatine.

Ce qui s'est passé de plus remarquable dans le tems dont nous parlons a été l'établissement des religieuses Ursulines. M. Groguet, ayant bâti dans le fauxbourg de Linières, une chapelle en l'honneur de Notre-Dame de Liesse, dès l'an 1639, comme nous l'avons dit, (1), eut dévotion d'y placer des religieuses pour l'instruction des filles. Il offrit aux religieuses de la Visitation de la Châtre, dont il étoit supérieur, de venir s'y éta(1)

éta(1) 27. À l'occasion de ce renvoi, nous devons dire qu'en énonçant, à la note de cette pag. 27, qu'il existe des traces d'un souterrain dans l'ancien bâtiment des Ursulines, nous avons été induit en erreur. De renseignements tout récents à nous parvenus, il résulte qu'ayant présumé qu'il pouvait y avoir, à un certain endroit, sous un carrelage, un caveau funéraire ou toute autre excavation, on a fait creuser à cette place, mais sans y découvrir quoi que ce soit. A deux mètres environ de profondeur, le terrassier employé à ce travail a même commencé à trouver l'eau, ce qui témoigne qu'il devait être impossible d'établir un souterrain dans un sol de cette nature.


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blir, mais soit qu'elles ne voulussent pas se charger de l'instruction, ce qui n'est pas de leur Institut, ou par quelqu'autre motif, elles le refusèrent. Il tourna ses vues d'un autre côté, et après en avoir conféré avec M. et Mme de Nouveau et avoir ménagé leur consentement, dont il avoit besoin pour cet établissement, il fit venir des religieuses Ursulines de Loches en Touraine et les fonda dans la dite chapelle, leur donnant tout ce qu'il possédoit en fonds et meubles avec certaines conditions pour la subsistance de ses parens pendant leur vie. L'acte de donation et fondation est du 26 juin 1664. Le seigneur avoit donné son consentement le 22 septembre 1663. Le chapitre fit difficulté de donner le sien, mais enfin il fit une transaction par laquelle on donna au dit chapitre six livres de rente annuelle, pour le droit de patronage, les oblations et autres prétentions que le chapitre pouvoit avoir sur la dite chapelle. Les habitans y donnèrent aussi leur consentement. Tous ces actes furent confirmés, et les religieuses établies par MM. les grands vicaires de Bourges, le siège vacant, et M. et Mme de Nouveau obtinrent l'agrément du roi par lettres patentes du mois de juillet 1664. Mgr de Montpesat, qui remplit peu de tems après le siége de Bourges, prétendit que cet établissement étoit illégitime parce qu'il avoit été fait pendant

Des mêmes renseignements à nous adressés tout nouvellement, il ressort également que ce ne serait point sous la Terreur, mais au temps des guerres de religion, qu'on aurait, d'après la légende, vainement tenté de couler au fond de l'eau une ancienne statue de N.-D. de Vaudouan (pag. 22). Sous la Terreur, cette antique statue, qui était en bois (ce qui expliquerait tout naturellement, entre parenthèses, qu'elle ait surnagé lors des précédentes profanations), aurait, au contraire, été détruite par certains iconoclastes de l'époque, qui auraient pris le parti de la brûler pour arriver à la faire disparaître.


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la vacance du siége, et refusa des lettres de confirmation.

Cependant M. Groguet, se voyant dépouillé de tout ce qu'il possédoit, ne tarda pas à se repentir de ce qu'il avoit fait. Il auroit bien voulu pouvoir révoquer sa donation pour établir, dit-on, un collège, mais Madame de Nouveau l'en empêcha. Il vint bientôt après à mourir et les choses restèrent en leur état. Enfin, après plusieurs sollicitations, l'archevêque de Bourges donna ses lettres de confirmation le 21 mars 1667. Les religieuses se logèrent comme elles purent dans quelques vieux bâtimens joignans la chapelle et qu'elles accommodèrent de leur mieux, jusqu'à ce que M. de la Vrillière, à présent archevêque de Bourges, leur eût fait construire le beau bâtiment qui subsiste aujourd'hui. Il se servit pour cela de son architecte ordinaire, appelé Jacques Bullet (1), qui a donné les dessins du Séminaire de Bourges, de l'Archevêché et du château de Turly. Les dessins du père au sujet du bâtiment des religieuses furent exécutés par le fils. La première supérieure fut la mère Louise Pallu ; la communauté est aujourd'hui composée de trente-cinq religieuses. Le bâtiment a coûté vingt-cinq mille francs ; les religieuses ont, de plus, entouré leur enclos de bonnes murailles, et payé six mille francs pour l'amortissement de leurs premiers fonds. Tout cela a été le fruit de leur travail et de leur économie.

(1) Pierre, et non Jacques Bullet, a attaché son nom, à Paris, à la Porte Saint-Martin, à l'église Saint-Thomas-d'Aquin et au quai Pelletier. — Qui se doute aujourd'hui, à Linières, de ces rapprochements et coïncidences ?


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MADAME LA PRINCESSE PALATINE

Anne de Gonzague de Clèves, fille de (1) Charles, due de Nevers, de Rethelois, de Mayenne, souverain de Charleville, et, depuis, duc de Mantoue et de Monferrat, soeur de la princesse Louise-Marie, reine de Pologne, veuve de haut et puissant seigneur et prince Edouard de Bavière, prince palatin du Rhin, acheta la terre de Linières des directeurs de la succession de M. de Nouveau, le 9 août 1668. Quoique cette terre ait toujours été possédée par de grands seigneurs, on peut dire néanmoins qu'ils ne peuvent être comparés aucunement avec cette sérénissime princesse, une des plus illustres, non seulement de la France, mais encore de toute l'Europe. Outre qu'elle tiroit son origine des Empereurs de Constantinople Paléologues, elle étoit fille d'un des plus puissané, des plus riches et des plus vertueux princes de son tems. Le père du Prince Palatin, son époux, étoit roi de Bohême (2), ses deux beaux-frères, Ladislas et Casimir (3), rois de Pologne, sa tante reine d'Angleterre, sa marraine reine de France et sa nièce impératrice. Si cette princesse étoit si considérable par son origine et ses alliances, elle ne l'étoit pas moins par son génie, car c'étoit elle qui traitoit les affaires d'Etat et qui gouvernoît l'esprit du roi et de la reine-mère Anne d'Autriche, sa marraine, étant surintendante (4) de sa maison pendant la

(1) Et de Catherine de Lorraine.

(2) C'était l'Electeur Frédéric V.

(3) Jean-Casimir.

(4) Ces mots : « étant surintendante » se rapportent naturellement à la Princesse Palatine elle-même.


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minorité du roi. Elle a eu encore beaucoup de part aux affaires d'Allemagne, tant auprès de son beau-frère, l'Électeur Palatin, qu'auprès de son gendre, le duc de Brunswick.

Cette auguste princesse, après avoir eu tant de parens élevés à la royauté, pensa bien elle-même y monter, mais bien peu de personnes en ont connaissance avec moi (1). Casimir, roi de Pologne, qui, après la mort de Ladislas, son frère (2), fut élu par les intrigues de la reine, l'épousa par dispenses quoiqu'elle fût veuve de son frère. Pendant qu'elle vécut, son gouvernement fut toujours florissant et ses armes victorieuses, mais, après le décès de la reine, son épouse, il abdiqua la couronne, malgré les prières des palatins et des grands du royaume (3). Il se retira en

(1) Aucun des grands recueils biographiques ou autres que nous avons pu parcourir (Bouillet, Larousse, Michaud, etc.) ne mentionne, en effet, ce qui va suivre, bien que plusieurs fassent allusion à d'autres projets de mariage non réalisés par Anne de Gonzague. Il en résulte que, comme l'avance Gilles-le-Duc, non sans quelque fierté de s'être trouvé dans-la confidence, bien peu de personnes ont dû être au courant de cet épisode de l'existence de cette princesse et de son rattachement à sa conversion aux idées religieuses. Nous n'y avons pas non plus trouvé d'allusion dans les Histoires générales de France que nous avons été à même de consulter. Enfin, les prétendus Mémoires de la princesse Palatine, par Senac de Meilhan, ne comprenant, d'ailleurs, que la première partie de la vie d'Aune de Gonzague, n'en parlent pas non plus, du moins dans l'édition de Paris-Londres, 1786.

(2) 1648.

(3) 17 septembre 1668. — Plusieurs sénateurs, dit-on, versèrent des larmes. On offrit à Casimir tout le repos possible, et on ne lui demandait que de conserver la couronne ; on lui prodigua les assurances du plus entier dévouement. Mais le roi remercia de l'intérêt qu'on lui témoignait et persista dans sa résolution. On lui rendit, pour la dernière fois, les honneurs dus au rang qu'il quittait, etc. (V. notamm. Hist. de Pologne, de Marlès, Tours, 1860, chap. III, pag. 74 et suiv.)


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France et les Polonois élurent le roi Michel (1) dont ils ne furent pas contents (2). Ce prince, n'ayant régné que peu de tems, Casimir fut sollicité de reprendre la couronne. Les mesures en étoient prises secrètement et il vouloit épouser Madame la Princesse Palatine, sa belle-soeur (3), et il en avoit obtenu dispense du pape. Je le sais d'un nommé Bernard, son valet de chambre (4), qui avoit été à Rome pour cela et à qui sa maîtresse fit donner pour récompense une charge de valet de chambre chez Monsieur. Pour célébrer le mariage sans éclat, le roi de Pologne prit prétexté de venir aux eaux de Bourbon et Madame la princesse vint eu cette ville, dans son château, où le roi de Pologne devoit venir l'épouser, et je garde encore des bougies qui étoient destinées pour servir en cette occasion, mais le roi de Pologne tomba malade à Nevers et y mourut le 16 décembre 1672 (5). Il fut mis en dépôt dans l'église des Jésuites de Nevers avec beaucoup de cérémonies jusqu'à ce que les palatins de Pologne vinssent chercher son corps pour l'inhumer dans la sépulture de leurs rois (6), et son coeur

(1 ) Michel Koribut Wisniowiecki.

(2) Casimir lui-même, en apprenant l'avénement de son successeur, ne put retenir cette exclamation : « Quoi ! ils ont élu ce pauvre » homme! »

(3) La femme défunte de Ladislas, puis de Casimir, était une princesse de Gonzague et de Néris, soeur de la princesse Palatine.

(4) Valet de chambre, non de Casimir, mais de la princesse, comme l'indiquent un peu plus bas les mots : a sa maîtresse ». Le style de Gilles-le-Duc prête assez fréquemment à ces équivoques, que dissipe d'ailleurs presque toujours la lecture des lignes qui suivent.

(5) Il avait alors 63 ans ; la princesse Palatine en avait environ 36 à cette même époque. Elle a vécu jusqu'à 68 ans.

(6) A Cracovie.


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fut porté à Saint-Germain-des-Prés dont il étoit abbé (1).

Cette mort inopinée du roi de Pologne fit faire à la princesse de sérieuses réflexions sur la vanité des choses présentes. Un songe qu'elle eut aussi vers ce temps là (et dont les circonstances sont racontées dans son Oraison funèbre par M. l'évêque de Meaux (2), lui fit une telle impression qu'elle commença dès lors à se retirer du monde et à penser à son salut. Elle vint pourtant encore une fois à Linières depuis ce tems là. Une autre personne qui écriroit ceci et qui sçauroit aussi bien que moi le dessein de son voyage le pourroit

(1) Louis XIV avait donné à Casimir, non-seulement cette abbaye de Saint-Germain-des-Prés, de Paris, mais encore celle de SaintMartin, de Nevers. — Jean-Casimir a laissé dans l'histoire le souvenir d'un monarque à la fois doux et brave, affable, éclairé : il lui manquait plutôt l'esprit de direction et d'application aux affaires, mais on conçoit qu'il ait laissé des regrets dans son ancien royaume, après sa noble et digne abdication, et il n'est pas invraisemblable qu'en suite de la mort du roi Michel, il ait été sollicité de reprendre la couronne.

(2) Bossuet ne relate, comme origine de la conversion de la Princesse Palatine, que ce songe, raconté par elle à M. de Rancé, le célèbre abbé de la Trappe (vision et colloque avec un aveugle-né, dans une cabane, au milieu d'une forêt), mais avec combien plus d'intérêt historique et de connaissance de l'esprit particulièrement intrigant de cette princesse, le vieux doyen de Linières n'y ajoute-t-il pas le dépit d'une royauté manquée ? Rien ne vaut, à un certain âge, une dernière déception pour nous ramener à la pensée de l'infini, en nous rappelant brutalement l'insuffisance du monde actuel. L'évêque de Meaux, qu'il ait connu ou non l'histoire du projet de mariage brisé par une mort inopinée, est resté, pour expliquer le retour de la Princesse Palatine à la religion, dans la version du songe providentiel et d'une intervention de la grâce, et il en a lire tout le parti que devait en tirer sa haute éloquence, mais le motif, plus humain, de Gilles-le-Duc, motif qu'aucun commentateur de Bossuet, à notre connaissance, n'a dû mettre en lumière, n'éclaire-t-il pas curieusement ce point de la biographie d'Anne de Gonzague de Clèves?


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dire, mais, quant à moi, je me contenteroi de dire (1) qu'elle vint ici sur la fin de septembre 1676. Elle m'avoit envoyé ici la même année pour faire du bien aux pauvres et aux églises de sa terre. Elle fit distribuer mille livres aux pauvres et donna au chapitre les ornemens de brocart à fond d'argent dont on se sert aux grandes fêtes. Elle les avoit fait faire aux gens de sa suite, qu'elle occupoit à ces pieux ouvrages (2). Elle en envoya pareillement à toutes les paroisses de cette terre. Elle mourut au mois de juillet 1684. Quoiqu'elle ne fût plus alors dame de Linières, le Chapitre ne laissa pas de faire un service solennel auquel assistèrent la justice, les échevins et le peuple, en reconnoissance de ce qu'elle les avoit aimés et protégés tout le tems qu'ils avoient eu l'honneur de lui appartenir.

La domination de celte illustre dame à Linières a duré depuis le 6 août 1668 jusqu'au 2 septembre 1683, pendant lequel tems elle n'a cessé de donner des marques de sa bienveillance aux habitans de cette terre. Entre autres charités qu'elle faisoit à l'exemple de ses ancêtres, elle maria tous les ans une pauvre fille à qui elle donnoit cent dix francs (3). De son tems, M. de Montpesat étoit archevêque de Bourges,

(1) Cette réserve s'explique apparemment par quelque secret de confession ou d'honneur que la princesse avait demandé à notre historien de Linières de ne point trahir.

(2) « Les mains, industrieusement occupées, s'exerçaient dans des » ouvrages dont la piété avait donné le dessin : c'étaient ou des » habits pour les pauvres, ou des ornements pour les autels. » (Oraison funèbre.)

(3) Bossuet rappelle également ces traditions de bienfaisance : « Le » duc, son père, avait fondé dans ses terres de quoi marier, tous les

» ans, soixante filles la princesse, sa fille, en mariait aussi tous

» les ans, ce qu'elle pouvait.... »


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M. le prince de Marsillac étoit gouverneur de Berri, M. Biet lieutenant-général à Bourges, M. René Dorsanne lieutenant-général à Issoudun, Maître Gilbert Douté (1), bailli de Linières, Maître Pierre Guillot, procureur fiscal, et moi qui écris ceci (2), doyen de Linières. Je pris possession le dernier jour de l'année 1675, et succédai ainsi à M. Blaise. Ce fut M. l'abbé Duval, dans l'étendue de l'abbaïe duquel j'étois auparavant curé, qui me présenta à Madame la Princesse Palatine et qui fut ainsi cause que je passai à cette place que j'occupe encore aujourd'hui. J'oubliois de dire que, quelque tems avant que je vinsse ici, Mgr le prince de Condé défunt, étant venu en Berri pour établir le Chapitre du Bourg-Dieu, passa par Linières et logea au château, pour visiter cette terre, et en donner avis (3) à Madame la princesse, espérant qu'elle pourroit tomber un jour à Monsieur le duc, son fils, gendre de Madame la princesse (4), qui auroit réuni plusieurs grandes terres depuis Moulins jusqu'au Blanc, mais la chose n'a pas réussi comme ils le pensoient, car Madame la princesse la vendit quelque tems avant sa mort (5) à M. Colbert, comme nous Talions dire dans l'article suivant.

(1) Déjà nommé, pag. 35, à propos de la chapelle de SaintNicolas.

(2) Lisez : Moi, Gilles-le-Duc. — V., pag. 229 (1re série des Memoires) la liste par ordre chronologique de ces doyens du chapitre.

(3) C'est-à-dire donner son avis, son appréciation sur sa valeur. (4) Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enghien. Nous avons vu, pag.

63, qu'un autre gendre de la princesse fut Jean-Frédéric, duc de Brunswick et de Hanovre. (5) Elle mourut en 1684.


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MONSIEUR & MADAME COLBERT

M. Colbert, à qui son génie a fait donner le surnom de grand, chevalier, marquis de Châteauneuf-surCher, baron de Sceaux, conseiller du roi, secrétaire d'Etat, contrôleur- général des finances, intendant des bâtiments du roi et des manufactures de France, acquit la terre de Linières, le 2 septembre 1683, de Madame la Princesse Palatine, pour la somme de trois cent dix mille francs. Il est à remarquer que cette princesse l'avoit achetée quatre cent cinquante mille livres, et il est difficile de' comprendre comment elle avoit pu perdre sur une terre seule 140,000 livres (1).

Les habitans de cette terre, apprenant que M. Colbert en étoit seigneur, conçurent beaucoup d'espérance de sa protection, d'autant qu'ils savoient qu'il avoit fait beaucoup de bien, à Châteauneuf depuis qu'il en étoit seigneur, et notamment (2) qu'il avoit fait diminuer les tailles des deux tiers. Il avoit fait faire la levée et les ponts de Châteauneuf, et comme il

(1) Observons, à notre tour, que M. de Nouveau l'avait achetée seulement 360,000 francs (pag. 47). Il est vrai qu'il y avait fait, depuis lors, de notables améliorations et reconstructions. Peut-être, malgré la plus-value résultant de ces travaux, le syndical de direction de la succession de M. de Nouveau avait-il spéculé quelque peu sur le rang et sur la fortune de la sérénissime Princesse Palatine pour lui céder cette terre un peu au-dessus de sa valeur réelle et acquise, de sorte qu'Anne de Gonzague devait nécessairement se trouver en perte en la revendant à un calculateur comme le contrôleur général des finances Colbert, qui se connaissait en terres et en bâtiments.

(2) Le mot notamment était nécessaire ici, car Colbert se créa encore à Châteauneuf plus d'un autre titre à la reconnaissance du pays. On peut lire un résumé de ces titres dans l'Essai de bibliographie berruyère de M. Rollet, aux Mémoires de la Société historique du Cher, année 1886, pag. 202.

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vouloit rendre service au pays, il avoit dessein d'y faire passer la route de Toulouse et d'y établir la poste. C'étoit pour cela qu'il avoit fait paver le chemin depuis La Châtre jusqu'à Bourges. Gomme on se repaissoit de grandes espérances, on apprit sa mort, qui arriva deux jours après son acquisition. Il reçut le même jour l'extrême-onction et mourut le surlendemain des douleurs d'une colique néphrétique. Il fut inhumé, avec la qualité de baron de Linières, dans l'église de Saint-Eustache, sa paroisse, où on lui a élevé un fort beau mausolée.

Madame Colbert, qui s'appeloit Marie Charron, voyant l'estime que son mari avoit conçue pour cette terre, et les desseins qu'il avoit formés à son sujet, crut devoir la prendre dans son partage, et prit aussitôt la résolution de l'aller visiter, comme elle me l'assura lorsque j'eus l'honneur de la saluer au mois de février 1684. Elle vint ici, en effet, sur la fin d'août de la même année. Elle y fut reçue, avec tous les honneurs dus à sa qualité, par le clergé et les autres ordres de la ville. Elle y resta environ trois semaines, ayant avec elle une jeune personne appelée Mlle de Chevreuse, depuis mariée à M. le prince de Tingry, qui s'appelle aujourd'hui M. le duc de Montmorency, fils de M. le Maréchal de Luxembourg, général de l'armée de Flandre. Elle trouvoit de jour en jour son château plus agréable. Elle étoit très contente des ameublemens et des honneurs qu'on lui faisoit. Pendant son séjour à Linières, elle fit faire le service anniversaire de son mari, qu'on fit avec le plus de solennité possible.

Dans le même tems, elle accorda très obligeamment au Chapitre un titre d'affranchissement pour une pièce de terre appelée le Genêt-Martin, auprès de la


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forêt de Rossine (1), qu'on vouloit assujettir à payer le terrage, quoiqu'il y eût plus de six vingts ans qu'on ne l'avoit payé. Elle fit aussi accord avec le Chapitre pour le droit de bourgeoisie de la paroisse de Verneuil, qui étoit disputé, ainsi que pour celui de la première foire de mai, et donna en échange une rente de douze livres par jm (2).

Pendant que Mme Colbert étoit à Linières, Mgr Phelippeaux de la Vrillière y vint faire sa visite. Il logea dans le château. Il lui prit envie d'établir un petit séminaire pour y établir des jeunes gens, suivant l'esprit du Concile de Trente. Il fit venir pour cela deux directeurs de Paris, fit la dépense des meubles pour cet établissement, choisit des enfants au nombre de vingt, dont il y avoit huit ou neuf de cette ville, et loua une maison où il les logea tous. Il revint le jour de Saint-Martin pour y faire commencer les exercices, mais ce séminaire ne subsista que deux ans, pendant lesquels il y avoit jusqu'à trente ecclésiastiques à l'office les dimanches et fêtes. M. l'Archevêque les transféra à La Châtre, où ils restèrent aussi deux ans, puis les en retira pour les attirer à Bourges.

(1) Aujourd'hui encore, il existe, dans la contrée, une brande dite de Bassine, où se voient des genêts (comme ceux qui durent donner leur nom à la terre affranchie), des bruyères, etc.

(2) Ce titre d'affranchissement du Genêt-Martin et l'acte de transaction dont il est ensuite parlé ne paraissent pas se trouver aux Archives du Cher, mais on y possède, en revanche, comme document se rapportant à cette période (série E, 864), une sentence des requêtes du Palais, du 17 janvier 1685, confirniative des droits dus à la terre du Plaix et rendue au profit de Claude de La Châtre, sieur du Plaix, s'opposant à la vente par décret de la terre et baronnie de Linières, saisie sur Marie. Charron, veuve de Jean-Baptiste Colbert, marquis de Châteauneuf. On voit que Gilles-le-Due ne fait point allusion à cette procédure de saisie, qui paraît n'avoir pas eu de suite, probablement à raison de quelque arrangement intervenu,


72 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

Durant son premier voyage, Madame Colbert s'étoit tellement plu à Linières, qu'elle se proposoit d'y revenir après l'hiver passé. En effet, l'année 1685, elle donna des ordres pour de nouveaux meubles, ayant résolu de partir le lendemain de Quasimodo, mais elle tomba malade le samedi précédent, dans son hôtel, à Paris. Elle s'aperçut aussitôt qu'elle mourroit de cette maladie. Elle manda son confesseur et son conseil, et fit son testament par lequel elle donnoit sa terre de Linières à son fils (1), appelé M. le comte de Sceaux, à condition néanmoins que si M. le Marquis de Seignelay, son fils aîné, la vouloit, il pourroit la prendre mais en donnant à son frère 350,000 livres en autres terres. Elle fit un autre legs pieux fort considérable et fort utile : elle donna un fonds pour nourrir et entretenir six jeunes écoliers dans un séminaire, qui se deslineroient au sacerdoce, pour les instruire depuis la philosophie. Elle légua cent écus pour chacun d'eux au denier vingt-quatre, et donna la nomination de cinq de ces jeunes gens à l'aîné de la maison Colbert, et le sixième à la nomination de la communauté qui se chargeroit de l'exécution du legs. M. l'archevêque de Bourges se chargea du fonds, et en amortit des rentes que son clergé devoit, au denier quinze ou seize. Cette fondation a été, depuis, réduite à trois places seulement, qu'on appelle Golbertines.

Ce legs m'en rappelle un autre que M. Colbert avoit aussi fait par son testament, par lequel il ordonnoil de constituer une rente de mille livres par an, pour marier vingt pauvres filles des terres de Château-neuf et de Linières. Il est vrai que cette fondation a été

(1) Charles Colbert. On sait que le grand Colbert eut jusqu'à neuf enfants.


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assez mal exécutée jusqu'à présent, mais on peut espérer de la justice de ses héritiers qu'elle le sera mieux par la suite (1). Madame Colbert, après avoir possédé cette terre environ deux ans, mourut le jour même qu'elle devoit partir de Paris pour s'y rendre. Elle avoit fait présent au Chapitre, dans son premier voyage, d'un soleil d'argent, d'un encensoir et de deux belles chasubles. ,

MONSIEUR DE SEIGNELAY

On fut quelque tems après la mort de Madame Colbert sans savoir à qui appartiendrait cette terre, car quoiqu'elle l'eût donnée à M. le Comte de Sceaux, comme nous l'avons remarqué, M. le Marquis de Seignelay, ministre et secrétaire d'État, fils aîné de

(1) L'historique des vicissitudes de cette fondation Colbert a fait l'objet de plusieurs rapports administratifs et de quelques opuscules. On peut consulter notamment, sur ce sujet, de M. le comte Paul de Choulot, une brochure d'une quinzaine de pages, intitulée : « Une » disposition du testament de Colbert » (Bourges, édit. Pigelet, 1869) et de M. A. Boulé, une autre de douze pages (Bourges, imp. Véret, 1874) portant comme titre : « Testament de Colbert » et figurant également dans les Mémoires de la Société Historique du Cher, année 1874, pag. 37. En définitive, on pourrait dire, pour résumer la question, que le legs a été assez bien exécuté à Châteauneuf, à part quelques lacunes et modifications d'affectation, mais qu'il est resté sans exécution à Linières. Ajoutons toutefois, pour ne rien exagérer en ce qui concerne ce dernier point, qu'en faisant reconstruire entièrement, en 1861, le bel hospice de la ville, en renouvelant tout son mobilier, etc., M. le vicomte Eugène de Bourbon-Busset, auquel nous consacrerons plus loin une ou deux notes, a peutêtre entendu réparer, dans une certaine mesure, par cet autre acte de bienfaisance, quoique dans un ordre d'idées assez différent, la tiédeur des successeurs de Colbert à se conformer, pour Linières, aux dernières volontés du grand ministre.


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M. Jean-Baptiste Colbert, avoit droit de la reprendre en donnant l'équivalent, ce qu'il fit, et il donna en échange à M. le Comte de Sceaux, son frère, la terre d'Hérouville, auprès de Caen, en Normandie. Le chevalier Colbert, grand Bailli de Malte, ayant été tué à Valcourt à la tête du régiment de Champagne, le roi donna son régiment à M. le Comte de Sceaux, son frère, qui fut aussi tué à la campagne suivante, et, par cette mort, M. de Seignelay, comme aîné, redevint maître de la terre d'Hérouville par la coutume de Normandie.

Monsieur le marquis de Seignelay avoit épousé en premières noces la plus riche héritière de l'Auvergne, de la maison d'Aligre, dont il n'eut point d'enfans, et en secondes noces, il épousa Catherine Thérèse de Matignon, marquise de Louvois, d'une des premières maisons de Normandie. Il en eut plusieurs enfans, savoir : Marie-J.-B. Colbert, Marquis de Seignelay, maître de la garde-robe du roi, père de Mme la duchesse de Montmorency ; Paul-Edouard Colbert, comte de Creully, depuis duc d'Estouteville, mort sans postérité ; Louis-Henri Colbert, chevalier non profès de l'Ordre de Malle, connu sous le nom de Chevalier de Seignelay, et Charles-Eléonor, Comte de Seignelay, père de M. le marquis de Seignelay, aujourd'hui vivant, et de Mesdames de Jonsac et de Lordat, qui ont eu, depuis, la terre de Linières, et Théodore-Alexandre Colbert, Comte de Duretal, décédé sans postérité.

M. le marquis de Seignelay, ministre de la marine, ayant la faveur du roi, tomba malade à la fleur de son âge (1), d'une maladie de langueur, dont il mourut à

(1) A 39 ans. « Quelle jeunesse! quelle fortune! Quel établisse» ment ! Il nous semble que c'est la splendeur qui est morte » écrivait, au sujet de ce deuil, Mme de Sévigné.


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Versailles, le 3 novembre 1690 (1), non sans soupçons de poison. Il fut inhumé dans l'église Saint-Eustache, à Paris, à côté de son père. Il avoit ordonné, par son testament, de distribuer des sommes considérables aux pauvres de ses terres (2). On envoya dans celle-ci mille écus à distribuer, dont l'emploi fut commis à M. le Bailli et à moi, pour toutes les paroisses de la terre. On en fit la distribution vers le tems de Pâques 1692, que le blé commença à être cher, car le seigle, qui valoit auparavant huit ou dix sols, monta jusqu'à quatre francs. On attribua cette calamité aux grandes pluies qui tombèrent cette année-là. Les chemins devinrent tellement impraticables que le messager d'Aurillac fut obligé de décharger dix-sept fois, depuis la Châtre jusqu'à Château-neuf, Non seulement les bleds, mais les foins et les vins, furent perdus; les pâtureaux mêmes furent gâtés, ce qui causa la mortalité des bestiaux, jusqu'au point de craindre d'en perdre l'espèce. Les maladies sont devenues communes à la suite de ces accidens, tellement qu'il est mort le quart du monde en ce païs. Cependant les taxes étoient exorbitantes, à cause

(1) Ce fut à lui que Boileau adressa son épître IXe, sur la Sotte louange, commençant par ces vers :

Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur, Seignelay, c'est en vain qu'un ridicule auteur Prêt à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange, Croit te prendre aux filets d'une sotte louauge : Aussitôt ton esprit, prompt à se révolter, S'échappe et rompt le piége où l'on veut l'arrêter.

Et non seulement Boileau dédiait une épître au fils de Colbert, mais encore Racine lui lisait et lui paraphrasait les Psaumes à son lit de maladie. (GUIZOT, Hist. de France à mes petits enfants, tom. IV, pag. 493.)

(2) « Il avait beaucoup dépensé, mais il laissait encore, à sa mort, plus de 400,000 livres de rente. » (GUIZOT, Hist. de France à mes petits-enfants, tom. IV, pag. 375.)


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de la guerre, car, outre le logement des gens de guerre, qui a coûté beaucoup à cette ville, on paye cette année (1) les taxes des arts et métiers, on fait payer vingt écus sur les enseignes et dix écus sur les bouchons. Il y en eut une (2) l'année dernière pour les usages, deux pour les censives et le franc-aleu, et les deniers de cens qu'on appelle la taxe des cheminées, qui monte à quatorze cents livres.

CHARLES-ELÉONOR COLBERT DE SEIGNELAY

Charles-Eléonor Colbert de Seignelay, fils de JeanBaptiste Colbert, marquis de Seignelay, ministre de la marine, et de Thérèse de Matignon, naquit à Paris, sur la fin du dernier siècle. Ses parens le destinoient à l'état ecclésiastique. Il avoit fait ses études en conséquence, mais, tous ses frères étant morts sans postérité, on l'engagea à se marier. Il épousa en premières noces Anne de La Tour-et-Taxis, comtesse de Valsassine, vers l'an 1715. Il eut d'elle deux enfans, dont l'un mourut en bas-âge et l'autre naquit au mois de mars 1719. C'étoit Elisabeth Gabrielle Pauline, depuis Madame la Comtesse de Jonsac. En 1718, M. de Seignelay conduisit son épouse à Linières. Elle y fit son entrée le premier juin. On alla au devant d'elle jusqu'à Rossine, où on avoit préparé des rafraîchissements pour la troupe. A la tête de l'infanterie étoit

(1) Gilles-le-Duc parle maintenant au présent, parce que c'est précisément en 1692 qu'il écrit et que finissent, par des doléances sur l'élévation des impôts, ses curieux Mémoires, continués, après lui, par J. B. Dupré. (V. pag. 226, 1re série des Mémoires, la préface de J. B. Dupré.)

(2) S. e. une taxe.


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M. Souard de Beaulieu, et M. de Biottière (1) commandoit la cavalerie. Gomme le régiment de Royal Roussillon étoit pour lors en partie en quartier à Linières, M. le chevalier de Louvois, Colonel du régiment, qui étoit venu quelque tems auparavant à Linières, se mit à la tête de la Compagnie-Colonel, et alla au devant de Madame de Seignelay avec les trompettes et les cymbales. Les instrumens pour l'infanterie étoient quatre tambours, des hautbois et des musettes. Il y avoit des gens armés de toutes les paroisses de la terre. On avoit préparé un tapis et un oreiller (2) à la porte de la Châtre. Le chapitre avec le corps de la justice s'y rendirent processionnellement et Madame de Seignelay s'étant mise à genoux sur l'oreiller préparé, M. le doyen lui fit adorer la croix, ce qu'elle fit avec beaucoup de dévotion, après quoi elle fut complimentée par le chef du Chapitre et la justice. On entonna ensuite le Te Deum, et on la conduisit ainsi jusqu'à l'église, de là à son château, où les instruments jouèrent divers airs fort agréables.

Madame de Seignelay, après avoir passé la belle saison à Linières et donné l'exemple de l'affabilité envers tout le monde et de la générosité envers les pauvres, retourna à Paris, où elle mourut le printems suivant.

Quelques années après, M. de Seignelay épousa en secondes noces Renée Gontaut de Biron, dont il eut cinq enfans. Trois moururent en bas-âge et les deux autres sont M. le marquis de Seignelay et Madame la comtesse de Lordat. Il vécut aussi dans une grande union avec sa seconde femme. Il la conduisit aussi

(1) V. pag. 328 (1re série des Mémoires).

(2) Ou plutôt un coussin, un carreau, pour nous servir de l'expression employée pag. 26 ci-dessus.


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plusieurs fois à Linières, où il donna lui-même l'exemple de toutes les vertus chrétiennes. Il paroît qu'il aimoit beaucoup l'étude et particulièrement la science ecclésiastique.

Il ne servit point le roi à l'exemple de ses frères, peut-être parce que, voyant le cardinal de Fleury (qui étoit entièrement opposé à la maison Colbert) élevé au ministère, il désespéra de pouvoir avancer. Comme il étoit à Linières, ce cardinal lui fit un affront bien singulier. M. de Seignelay ayant un peu dérangé ses affaires par trop de magnificence, songea à vendre cette fameuse bibliothèque dont il avoit hérité de son grand-père. Le prince Eugène avoit voulu l'acheter, mais le roi jugea à propos de la retenir. M. le Comte de Seignelay s'étoit réservé plusieurs ouvrages, entre autres quelques manuscrits et avoit donné au roi le catalogue de ceux qu'il avoit vendus. Cependant quelqu'un ayant dit au Cardinal que M. de Seignelay retenoit plusieurs manuscrits de la bibliothèque qu'il avoit vendue au roi, ce prélat envoya enfoncer la porte du cabinet de M. de Seignelay pendant qu'il étoit à Linières. Celui-ci revint bientôt à Paris pour se justifier, mais j'ignore si le Cardinal convint de ses torts (1).

Madame de Jonsac, de qui j'ai appris ce que je viens de rapporter, racontoit encore un trait qui servira à

(1) Notons, en passant, qu'en dehors des livres, le château renfermait aussi quelques oeuvres d'art, dont certaines n'y furent, du reste, apportées que postérieurement à l'époque à laquelle se place en ce moment l'auteur du manuscrit. Ainsi on y remarquait les portraits de Louis XIV, des cardinaux de Richelieu et de Mazarin, du Régent, de Louis XV, de Sobieski, de plusieurs membres de la famille de Colbert, et un tableau précieux représentant Hippomene et Attalante. Il s'y trouvait aussi un beau buste en marbre de Colbert, donné par la république de Venise. (Manuscrit de M. de Barral.)


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peindre le caractère de Monsieur son père. Elle dit qu'étant un jour dans son cabinet, elle y entra (c'étoit dans les premières années de son mariage). Elle aperçut les ouvrages de Montaigne et, comme elle connoissoit l'auteur de réputation, elle les demanda pour les lire. Monsieur son père lui répondit qu'à la vérité Montaigne étoit un auteur de réputation, mais que ses ouvrages étoient également contre la religion et les moeurs, que si elle vouloit les lire, il les lui donnerait, mais qu'elle s'exposeroit par là à la tentation et qu'elle ne savoit pas jusques à quel point Dieu permettrait qu'elle y succombât.

M. de Seignelay fit paraître sa piété par différons dons qu'il fit aux églises. En 1711, il donna au chapitre de Linières un ornement de damas rouge et blanc ; en 1714, un calice, des burettes et une cuvette d'argent ; en 1718, un encensoir et une navette (1) d'argent, et, en 1720, un ornement composé de chasuble, dalmatique et tunique, de quatre chappes, d'une écharpe, d'un parement d'autel et d'un dais à porter le Saint-Sacrement, tous ces ornemens d'un drap d'or très-précieux.

En 1721, il donna encore des reliques de saint Prisque (?) (2) et de ses compagnons, martyrs, tirées

(1) On sait que la navette est le petit vase de métal où l'on met l'encens qu'on brûle dans les encensoirs. '

(2) Il est à supposer qu'il s'agit de saint Prix, évêque de Clermont, massacré avec un abbé nommé Amarin et un acolyte nommé Elide, en 674, par suite d'une vengeance, mais alors ces reliques n'auraient eu que dix siècles environ et non douze, comme il est dit plus bas, d'ailleurs dans des termes plutôt approximatifs que rigoureusement mathématiques. On n'ignore pas, au surplus, que la dévotion des fidèles tendait plutôt à exagérer quelque peu l'antiquité des reliques, comme pour en augmenter encore le caractère vénérable.


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de l'église de Saints-en-Puisaye, diocèse d'Àuxerre, dont André Colbert, évêque de cette ville, avoit fait présent à Marie Charron, veuve de J.-B. Colbert, contrôleur des finances. Le procès-verbal de l'évêque assure qu'elles étoient conservées dans cette église depuis environ douze siècles, comme il apprit, dit-il, « par les procès-verbaux et autres monumens trouvés » par nous et nos prédécesseurs ». Vers le même tems, M. de Seignelay fit aussi présent d'une parcelle des reliques de saint Jean-Baptiste, donnée en 1687 à M. Colbert, maître de la garde-robe du roi, pour être mise en sa chapelle de Sceaux. M. Colbert l'avoit eue de Madame la duchesse de Picquigny qui, elle-même, l'avoit eue des chanoines du dit lieu, en Picardie. Le procès-verbal dit que les chanoines avoient eu celte précieuse relique d'un d'entre eux, qui l'avoit apportée de Constantinople, en 1206. Le savant M. du Gange (1), qui a fait un Traité Historique de la Découverte du Chef de saint Jean-Baptiste (2) en faveur d'Amiens, sa patrie (3), raconte ainsi ce fait, d'après des écrits authentiques. Il dit que Galon de Sarton, chanoine de Picquigny, s'étant trouvé à la prise de Constantinople, en 1204, par l'armée des Croisés, récitoit ses vêpres seul, un jour de la Nativité de la Sainte-Vierge, dans une église de cette fameuse ville. En s'y promenant après la récitation de son office, il aperçut une petite fenêtre dans la base d'un pilier, bouchée avec du foin et des pierres, sans inor(1)

inor(1) même que l'auteur du Glossaire, cité quelquefois dans ces Notes.

(2) Paris, édit. 1665, pet. in-4°, Ouvrage curieux et devenu trèsrare.

(3) C'est-à-dire pour revendiquer en faveur de. ... etc., la possession de cette relique, que plusieurs villes disputaient à sa cité natale,


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tier. Il y revint le lendemain et prit son tems pour examiner plus à loisir ce qu'il trouveroit dans cette masure. Il rencontra deux bassins d'argent avec leurs étuis. Dans ce moment, la peur le saisit, il n'osa rien emporter chez lui, mais il cacha toutes ces richesses dans un autre endroit, où il retourna le matin du troisième jour. Alors il reconnut que c'étoient deux chefs de saints. Au bas d'un des reliquaires, il y avoit écrit : « Agios Georgios », et au bas de l'autre : « Agios Joannes » prodomos (1) ». Galon de Sarton, ravi de posséder ces précieuses reliques, ne s'occupa plus que de la pensée de retourner dans son pays. Les deux bassins qu'il avoit trouvés étoient lourds et embarrassans. Il les rompit pour les vendre, avec le voeu d'en appliquer le prix en oeuvres pies, quand le tems le lui permettroit. Il fut fidèle à sa promesse. Il garda deux autres bassins plus faciles à porter, qui servoient de châsses aux deux chefs et, vers la fin de septembre 1205, il s'embarqua pour Venise, où il arriva heureusement après un mois de navigation. Le voyageur ne courut pas plus de risques en Lombardie, mais il en essuya aux frontières de France, près SaintRambert, dans la Bresse, et d'Ambronay, dans le Bugey (2). Lui et un autre voyageur eurent à se défendre contre deux bandes de voleurs avec qui ils en furent quittes néanmoins pour de l'argent. Galon de Sarton avoit un oncle appelé Pierre de Sarton, chanoine d'Amiens. En sa faveur il fit présent du chef de saint Jean à l'église cathédrale de cette ville. Tout le clergé et l'évêque de cette ville, vêtu pontificalement, marchèrent en procession hors des murs pour

(1) Précurseur.

(2) On sait que le Bugey était un ancien petit pays qui forme aujourd'hui les arrondissements de Belley et de Nantua,


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recevoir la sainte relique. Elle fut placée dans la cathédrale où on la conserve encore, révérée des provinces les plus éloignées. Ce ne sont proprement que les os de la face, depuis le haut du front jusqu'à la mâchoire supérieure. Le haut de la tête est suppléé par une calotte de vermeil qui représente en émail saint Jean tenant une croix de la main gauche et montrant de la droite une petite image de NotreSeigneur, avec des caractères grecs qui forment les mots : « O Agios Prodomos ».

Il est aisé de voir par ce récit que Galon de Sarton aura laissé à son chapitre quelque parcelle de la relique de saint Jean et que c'est celle-là même en toutou en partie qui, ayant été conservée longtemps à Picquigny, a été donnée ensuite à Madame la duchesse de Picquigny, qui en a fait présent à M. Colbert, dont le neveu en a gratifié l'église de Linières, qui la possède actuellement.

M. de Seignelay la fit enchâsser dans un magnifique reliquaire, dont il fit aussi présent au Chapitre. Les chanoines, touchés de la bienfaisance de ce pieux seigneur envers leur église, présentèrent requête à M. le cardinal de Gesvres (1) afin de célébrer la fête de saint Charles, son patron, avec l'office de chantre, ce qui leur fut accordé.

M. de Seignelay mourut à Paris, en 1740, dans de grands sentimens de piété. Il avoit pour habitude de réciter chaque jour le bréviaire de Paris. Il portoit à son bras, dessous ses habits, un bracelet d'or dans lequel étoit enchâssé un morceau de la vraie croix que la reine, épouse de Louis XIV, avoit donné au grand Colbert. Cette précieuse relique avoit passé

(1) Alors archevêque de Bourges.


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par succession jusqu'à M. de Seignelay, mais elle fut volée à sa mort et n'a point passé à ses héritiers. Il fut enterré à Saint-Eustache, dans le tombeau de sa famille.

JEAN-BAPTISTE-AFTOINE COLBERT.

Jean-Baptiste-Antoine Colbert, marquis de Seignelay, colonel du régiment de Champagne et ensuite maréchal des camps et armées du roi, posséda la terre de Linières après la mort de son père (1).

ÉLISABETH-PAULINE-GABRIELLE COLBERT DE SEIGNELAY.

Élisabeth-Pauline-Gabrielle Colbert de Seignelay, fille de Charles-ÉIéonor Colbert, comte de Seignelay, baron de Linières, lieutenant général pour le roi de la province de Berri, et d'Anne de La Tour-et-Taxis, comtesse de Valsassine, naquit, à Paris, le 13 février 1719. Elle perdit sa mère peu de tems après sa naissance et fut élevée auprès de son père, qui prit un soin particulier de son éducation. Mais celui-ci s'étant marié en secondes noces avec Mlle Renée Gontaut de Biron, elle fut mise au couvent de Maubuisson (2), dont sa

(1) Le laconisme du passage consacré à ce seigneur fait présumer qu'il n'habita pas ou presque pas Linières, soit qu'il fût aux armées ou pour toute autre cause.

(2) Maubuisson est aujourd'hui un hameau dépendant de la commune de Saint-Ouen-l'Aumône (Seine-et-Oise). Il y avait autrefois en cet endroit une abbaye où fut enterrée notamment Gabrielle d'Estrées, puis il s'y établit un couvent de filles de l'ordre de Citeaux.


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tante, soeur de M. Colbert, évêque de Montpellier, étoit pour lors abbesse. Elle passa depuis à celui de Chaillot (1), où elle resta jusques à son mariage.

Elle épousa, en 1736, M. le comte de Jonsac, d'une ancienne famille de Saintonge. Ses parens la firent séparer de biens d'avec lui peu de tems après son mariage. Il la quitta quelque tems après pour aller à la guerre. Durant son absence, elle se lia d'amitié avec plusieurs dames de piété, telles que Mesdames de Tilliers et de Rochechouart, dont elle parloit quelquefois avec admiration. Les premières années de son mariage se passèrent dans une détresse peu ordinaire aux personnes de son rang. Elle en parloit souvent avec plaisir, parce qu'elle avoit une estime singulière de la pauvreté et du désintéressement. Pendant tout ce tems, comme l'état de ses affaires et son inclination particulière la tenoient éloignée du monde, elle se livra entièrement aux exercices de piété, sous la conduite d'un excellent prêtre dont j'ai lu beaucoup de lettres qui lui étoient adressées. Elle parla toute sa vie des grâces que Dieu lui avoit faites alors, et dont elle avoit, disoit-elle, si peu profité, que rien ne lui faisoit craindre davantage pour son salut. Son mari, étant revenu de la guerre, la conduisit à sa petite ville de Jonsac, auprès de Saintes, dont il étoit sei(1)

sei(1) là qu'en 1710 était morte Mlle de la Vallière, et là que le grand Colbert, arrière-grand-père de notre Elisabeth-PaulineGabrielle Colbert de Seignelay, était précisément venu un jour rechercher complaisamment Mlle de la Vallière, de la part du roi, pour la ramener temporairement à Versailles. La jeune pensionnaire de Chaillot, dont s'occupe en ce moment notre manuscrit, connaissait-elle alors ce trait de la vie de son bisaïeul ? En tous cas, ces continuels rapprochements qu'offrent les choses humaines ne sont pas l'un des moindres attraits de l'histoire.


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gneur. Elle y donna l'exemple de toutes les vertus chrétiennes, comme elle fit depuis à Linières.

Quelques années après, M. le président Hénault, oncle de M. de Jonsac, et connu par son « Abrégé chronologique de l'Histoire de France (1), étant devenu infirme à cause de son grand âge, M. de Jonsac engagea son épouse à demeurer avec lui pendant son absence. Elle lui'rendit tous les services dont elle étoit capable jusqu'à sa mort, qui arriva en 1770. Elle donna pour lors une preuve de son désintéressement en refusant une somme de cinquante mille livres que M. le président Hénault vouloit lui laisser par reconnoissance. Elle racontoit elle-même que rien n'étoit plus contraire à son inclination et à sa santé que la vie qu'elle étoit obligée de mener dans cette maison. Car, outre la compagnie d'un vieillard infirme et excessivement sourd qu'elle ne quittoit presque pas, elle étoit obligée de recevoir les plus beaux esprits de Paris depuis le matin jusqu'à dîner, et, depuis ce tems, les ministres et les ambassadeurs des cours étrangères, dont les visites duroient souvent jusques à deux heures après minuit. Outre l'ennui inséparable de visites si fré(1)

fré(1) faut relire, dans les récits littéraires et mondains du XVIIIe siècle, quel esprit charmant, quel caractère aimable, quel homme de bonne compagnie fut le président Hénault, pour se représenter combien Mme de Jonsac dut gagner intellectuellement dans son commerce et dans celui de ses amis. Président de la première chambre des enquêtes au Parlement de Paris, à la fois membre de l'Académie Française et de l'Académie des Inscriptions, surintendant de la maison de la reine, il eut les relations les plus agréables et les plus variées de son temps. Qu'il soit permis à l'auteur de ces Notes de rappeler qu'il a eu occasion de faire allusion au séjour de Mme de Jonsac chez son oncle, dans une étude littéraire et de morale sociale sur la Simplicité, en parlant de la simplicité exquise et gracieuse de quelques vraies grandes dames du temps passé. (Bourges, imp. Sire, 1886, pag. 20 et suiv.)


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quentes et si multipliées, elle trouvait à peine le tems nécessaire pour ses exercices de piété. Je crois néanmoins que la conversation de tant d'habiles gens n'avoit pas peu contribué à perfectionner son jugement sur les ouvrages d'esprit et à lui donner cette connoissance du monde que l'on admiroit en elle, quand on l'avoit un peu fréquentée.

Après la mort de M. le président Hénault, elle revint habiter avec son mari. Quelque tems après, elle recouvra une somme de deux cent mille livres que lui devoit son mari, et le partage des biens de son grandpère et de son oncle ayant été fait, elle devint dame de Linières par indivis avec Madame de Lordat, sa soeur (1). Son premier sentiment, après le rétablissement de sa fortune, fut la crainte d'en abuser pour se perdre. Dans ce moment elle demanda à Dieu, le visage prosterné contre terre, la grâce de ne s'y point attacher, et de ne pas perdre de vue la récompense éternelle. Sa charité pour les pauvres devint alors plus éclatante. Elle employa une partie considérable de son revenu à faire apprendre des métiers, à payer des pensions à de pauvres malades, et à faire d'autres bonnes actions, jusque là que ne se trouvant pas assez ensuite pour fournir à l'entretien de sa maison, elle auroit désiré pouvoir vivre dans une communauté pour dépenser moins et donner davantage.

Cependant Madame de Jonsac, étant devenue en 1779 dame de Linières, du moins en partie, crut qu'elle avoit des obligations à remplir par rapport à cette petite ville, dont elle avoit entendu parler d'une manière tout-à-fait désavantageuse. Elle conservoit tou(1)

tou(1) deux dames n'étaient que soeurs consanguines, Mme de Jonsac étant fille d'Anne de la Tour-et-Taxis, et Mme de Lordat fille de Renée Gontaut de Biron. (V. pag. 76-77.)


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jours une sorte d'attachement pour cet endroit où elle étoit venue plusieurs fois pendant son enfance. Elle s'y rendit donc en 1780 avec son mari et y fit son entrée avec les cérémonies ordinaires en pareil cas, mais elle n'y resta que fort peu de tems à cause d'une fièvre maligne qu'elle garda environ trois semaines.

Elle y revint pour la dernière fois au mois de septembre de l'année 1784. J'avois été nommé doyen du Chapitre depuis peu de mois ; j'alloi la saluer en cette qualité, et, dès la première entrevue, je conçus d'elle l'idée que j'en ai toujours eue, c'est-à-dire d'une personne d'un mérite distingué, et d'une prudence consommée.

Pendant son séjour à Lignières, elle s'appliqua à empêcher le mal et à procurer le bien de tout son pouvoir. Elle craignoit surtout qu'on ne commît des injustices sous son nom, ajoutant que Dieu lui en demanderoit compte un jour. Elle y vivoit elle-même d'une manière exemplaire, assistant tous les jours ré-' gulièrement à la messe du Chapitre, faisant la prière de ses domestiques, les instruisant de vive voix, et s'informant particulièrement des malheureux à qui elle faisoit tenir des secours de toute espèce. Elle affectionnoit singulièrement les pauvres de l'hôpital, où elle se rendoit de tems en tems et se mêloit même de l'administration de cette maison.

Elle passa l'hiver de 1784 dans l'exercice de ces bonnes oeuvres. Sa santé s'y soutint parfaitement, quoique très faible en apparence et qu'elle fut en usage (comme elle le disoit), depuis sept ou huit ans, d'avoir une fluxion de poitrine tous les hivers. Elle passa le carême sans user de viande ; elle se contentait de prendre tous les matins une boisson chaude qui lui étoit indispensable, et ne faisoit ensuite qu'un


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repas dans la journée. Elle assista à tous les offices de la Semaine-Sainte avec beaucoup d'édification, et le jour de Pâques de cette année, après avoir assisté à Matines à cinq heures du matin, quoiqu'il fît très-froid ce jour-là, elle entendit ensuite la grand'messe à laquelle elle offrit elle-même le pain bénit, et communia.

Le séjour de Madame de Jonsac à Linières lui étoit très agréable, en ce qu'elle y étoit éloignée du monde et qu'elle pouvoit, disoit-elle, penser plus facilement à l'éternité. Cependant elle écrivoit à Madame la comtesse de Lordat, sa soeur, à Paris, l'état où elle se trouvoit, l'engageant à venir passer quelque tems avec elle. Son intention, à ce qu'elle racontoit elle-même, étoit que, comme elle ne pouvoit se promettre de vivre longtems, Madame sa soeur conçût pour ce lieu-ci le même attachement qu'elle avoit elle-même, et que celle-ci conduisant Mademoiselle de Lordat, sa petite fille, cette jeune personne s'y attachât à leur exemple.

Madame de Lordat, voyant l'empressement de Madame sa soeur pour l'attirer auprès d'elle, prit la résolution de s'y rendre au mois de juin. Elle y arriva effectivement le deux de ce mois (jour de la petite Fête-Dieu cette année-là), avec Mademoiselle de Lordat, sa petite fille, pour lors âgée de six ans et quelques mois. On ne peut exprimer la satisfaction qu'éprouvèrent ces deux dignes soeurs en se voyant ainsi réunies. Elles avoient toujours vécu dans la plus grande intimité, et leur union venoit moins des liens du sang que de ce qu'elles avoient toutes deux les mêmes principes et la même façon de penser.

On s'applaudissoit ici de posséder deux personnes aussi respectables, dont tous les jours étoient marqués par de nouveaux bienfaits, et dont le bon exemple in-


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fluait sur quantité de personnes. Leur domestique étoit très bien réglé et elles avoient une attention particulière que les personnes qui leur étoient attachées ne fréquentassent ni les cabarets ni aucune maison suspecte.

Les deux soeurs passèrent ainsi l'été et l'automne de 1785, donnant à leurs vassaux l'exemple de la piété la plus éclairée, de l'union la plus intime et de la charité la plus entière envers les pauvres. Elles se proposoient de venir passer tous les ans quelques mois à leur terre, mais les choses dévoient tourner bien autrement.

Madame de Jonsac, qui avoit paru jusque-là bien portante, tomba malade tout-à-coup le 26 octobre. Sa maladie, qui étoit une fluxion de poitrine, parut très grave dès le commencement, tellement que le troisième jour on désespéra qu'elle allât jusques au cinquième. Cependant, le quatrième, cette maladie disparut presqu'entièrement pour faire place à une autre, qui n'étoit pas moins dangereuse : c'étoit la dyssenterie. Elle souffroit toutes les incommodités de cette cruelle indisposition avec une patience et une résignation admirables.

On crut alors que la faiblesse de son tempérament ne pourroit résister à tant de maux réunis. Effectivement, sur les derniers jours de novembre, elle parut dans le plus grand danger, et elle reçut les sacremens de l'Eglise dans les sentimens de la plus grande piété. Le souvenir de ce que Dieu avoit fait pour elle pendant sa vie et de ce qu'il faisoit encore dans ce dernier moment la toucha jusques aux larmes. Elle conserva toute sa présence d'esprit pendant sa maladie. Elle ne pouvoit pas tenir la conversation longtems, mais ce qu'elle disoit le plus souvent étoit marqué au coin d'un


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jugement exquis. Personne ne connoissoit mieux qu'elle l'esprit et la fin de la religion ; aussi en avoit-elle fait son étude dès l'enfance. Comme elle exigeoit de moi, dans les circonstances où elle se trouvoit alors, que je vinsse l'entretenir tous les jours, elle me dit un jour qu'elle demandoit à Dieu avec d'instantes prières la conversion de son mari, mais qu'apparemment elle ne méritoit pas l'obtenir, et qu'elle adoroit les jugemens de Dieu à ce sujet, ajoutant d'un air extrêmement touché : « Puisqu'il faut jeter toutes ses inquiétudes » dans le sein de Dieu, il faut donc y jeter aussi » celle-là. »

Ce fut dans ces circonstances qu'elle fit son testament, dans lequel elle donna aux pauvres de l'hôpital une dernière preuve de son attachement en leur léguant une somme de douze mille francs, devant produire six cents livres de rente perpétuelle. Elle légua aussi au chapitre de Linières une garniture de chandeliers avec un christ, des plus beaux qu'on pourroit trouver, argenté.

Cependant la maladie de Madame de Jonsac augmenta tellement qu'on crut qu'elle ne verroit pas la fête de Noël. Elle paroissoit entièrement épuisée par les souffrances. Elle étoit d'une maigreur extraordinaire. M. le marquis de Seignelay, M. de Tilliers et Madame d'Aubery, neveu et nièce de Madame de Jonsac, vinrent alors de Paris pour la visiter. Comme ils avoient amené avec eux son médecin de Paris, la première chose qu'elle lui demanda fut de s'intéresser pour un jeune enfant de l'hôpital qui avoit la pierre, afin de lui obtenir une place dans un hospice de Paris. Elle dépensa une somme considérable pour l'y envoyer et, quand elle en parloit, elle disoit : « La Providence » ne m'a peut-être envoyée dans ce lieu-ci que pour la


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» guérison de cet enfant; j'aurois donc été bien mal» heureuse de ne pas la lui procurer. »

Comme elle étoit persuadée qu'elle mourroit de la maladie dont elle étoit attaquée, elle me pria d'annoncer au prône qu'elle demandoit pardon à la paroisse du scandale qu'elle avoit pu donner en ne faisant pas le bien qu'elle étoit obligée de faire, ou en faisant le mal qu'elle n'auroit pas dû faire.

Néanmoins, sa maladie traînant en longueur, on commençoit à concevoir quelque espérance de sa guérison, vers le commencement de l'année 1786, lorsqu'elle parut menacée d'hydropisie. Cette nouvelle maladie lui causa encore bien du tourment. Cependant elle en paraissoit guérie, et sa santé commençoit à se rétablir au commencement du mois de mars. Elle entendit même la messe dans sa chapelle le 13 de ce mois sans indisposition. Comme on s'étoit affligé de sa maladie, pendant laquelle on avoit fait à Dieu des prières pendant neuf jours pour demander sa conservation, on se réjouit de sa convalescence au sujet de laquelle on remercia Dieu par une messe solennelle. Tous les corps de la ville allèrent la complimenter et Madame de Lordat, sa soeur, lui donna ce jour-là, qui étoit un mercredi 15 du même mois, une petite fête dont nous parlerons à son article.

Tout le monde se flattoit de posséder ces deux, dignes personnes encore plusieurs années, lorsque Madame de Lordat, sa soeur, étant tombée malade de la maladie dont elle est morte, Madame de Jonsac ne put résister à l'empressement qu'elle avoit de la voir. Elle traversa, pour l'aller trouver, le vestibule et la salle à manger et, étant restée avec elle environ deux heures dans le salon, qui étoit apparemment plus froid


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que sa chambre, elle y contracta une fluxion de poitrine, sa maladie ordinaire.

C'étoit un jeudi, 23 mars, à minuit. Elle fut surprise par une fièvre violente qui la fit beaucoup souffrir jusqu'au lever du soleil. Alors elle tomba dans un assoupissement total, ayant même perdu l'usage de la parole. Elle passa ainsi la journée du 24, dans laquelle, ayant été saignée, elle parut un peu moins assoupie. Tout ce qu'elle pouvoit faire étoit de demander des nouvelles de sa soeur, dont la maladie alloit aussi en augmentant.

Le samedi, jour de l'Annonciation, elle me parut dans un étal désespéré. Je fis mon possible pour la confesser : elle ne répondoit que par signes aux interrogations que je lui faisois. Cependant je lui fis une petite lecture à la fin de laquelle elle répondit : « Ainsi soit-il ». Dans ce même moment, comme je lui demandois, si Dieu lui faisoit la grâce de la recevoir dans son royaume éternel, si elle ne prieroit pas Dieu pour moi, ne pouvant s'exprimer autrement, elle joignit les mains et leva les yeux au ciel d'une manière qui me toucha extrêmement. Enfin, le mardi 28 du même mois, elle tomba agonisante sur les sept heures du soir et mourut sans faire d'autres efforts que deux ou trois soupirs qu'elle poussa dans son dernier moment. Ainsi mourut, à l'âge de soixante-sept ans, cette pieuse dame, laissant à tous ceux qui l'avoient connue un regret mortel de la perte qu'ils venoient de faire.

Elle étoit d'une taille ordinaire, extrêmement maigre, ayant le teint brun et la vue basse. Elle avoit beaucoup de dignité dans les manières et dans le maintien. Elle s'exprimoit avec beaucoup de facilité, appuyant un peu sur ses paroles avec un accent qui


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lui étoit particulier. Sa parure étoit simple et n'avoit pas la moindre apparence de vanité. Loin de soupçonner qu'elle eût de l'esprit et des connoissances, elle paroissoit se défier continuellement de ce qu'elle disoit. Elle avoit une crainte extrême de choquer personne. Elle étoit naturellement un peu prompte, ce qui lui donnoit quelquefois bien des regrets. Elle étoit prête à faire satisfaction à quiconque elle auroit offensé. Elle jugeoit parfaitement ceux qui la fréquentôient et avoit bien de la peine à donner sa confiance. Elle avoit passé sa vie à se faire une violence continuelle, ce qui lui avoit procuré une prudence admirable dans ses paroles et dans ses actions. Elle disoit très volontiers du bien de ceux qu'elle connoissoitet difficilement du mal.

Elle laissoit facilement parler les autres, mais ses réponses apprenoient bientôt qu'il falloit s'observer en parlant devant elle. Elle aimoit beaucoup s'entretenir de l'Ecriture-Sainte qu'elle savoit très bien. Elle avoit aussi fait une étude de l'histoire de France (1). Elle avoit une connoissanee très étendue des livres de piété. Elle avoit retenu une infinité de belles maximes qu'elle citoit dans l'occasion et, quand on en

(1) Ce devait être un de ses principaux sujets d'entretien dans l'entourage du président Hénault, dont l'Abrégé chronologique de l'Histoire de France avait eu un succès prodigieux et avait été traduit dans plusieurs langues, même en chinois, assurent ses biographes. Il est vrai que le président Hénault était devenu fort sourd dans la dernière période de sa vie. Il avait perte pendant quelque temps l'habit de l'Oratoire, mais avait ensuite vécu, au moins jusqu'à la cinquantaine, d'une vie toute de joie et de plaisir. Ensuite il avait déclaré qu'il se faisait studieux et dévot. Il avait fait alors une confession générale. Il disait à ce sujet : « On n'est jamais si riche » que quand on. déménage. » La pieuse influence de sa nièce n'avait pu que le maintenir dans ces sentiments jusqu'à sa mort.


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paroissoit surpris, elle répondoit qu'à la vérité Dieu lui avoit éclairé l'esprit, mais qu'il y avoit encore loin de l'esprit au coeur, qu'il en falloit faire la règle de sa conduite, sans quoi on étoit plus coupable que les autres.

Sa piété étoit très éclairée et parfaitement éloignée de toute espèce de superstition. Elle apporta une grande préparation pour s'approcher des sacremens de pénitence et d'eucharistie. Elle ne parloit qu'avec horreur des incrédules de nos jours et je crois qu'elle s'étoit particulièrement appliquée à connoître les preuves de la religion, car elle savoit les réponses à un grand nombre d'objections. Elle avoit assez souvent à la bouche cette belle parole : « Que nous avons » plus besoin des pauvres que les pauvres n'ont besoin de » nous. »

MARGUERITE-LOUISE COLBERT DE SEIGNELAY.

Marguerite-Louise Colbert de Seignelay, fille de Charles-Éléonor Colbert, comte de Seignelay, baron de Linières, lieutenant général pour le roi de la province du Berri, et de dame Renée de Gontaut de Biron, naquit à Paris, vers 1738, et passa plusieurs années au couvent des Filles de Sainte-Marie, où elle reçut une éducation également solide et chrétienne, dont elle se ressentit toute sa vie. Elle entra de bonne heure dans le monde, sous la conduite de Madame sa mère, personne très-vertueuse, car elle avoit perdu son père dès l'âge de neuf ans.

Elle épousa, en 1757, M. le comte Marie-Joseph de


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Lordat, d'une ancienne famille de Languedoc (1), qui joignoit aux qualités du coeur et de l'esprit une conduite irréprochable. Jamais on ne vit un mariage plus uni; les deux époux conservoient l'un pour l'autre un attachement également tendre et inviolable. M. de Lordat étoit Inspecteur de la Gendarmerie de France et estimé de Louis XV : personne ne doutoit qu'il ne s'avançât promptement.

Mais la Providence en avoit décidé autrement. Dans une des campagnes de Hanovre, comme il se transportait dans une chaise de poste d'un lieu à un autre, à cause d'une indisposition qui lui étoit survenue, le conducteur le fit verser. Il ne sentit aucun mal surle-champ, mais il avoit eu la moelle allongée et meurtrie. Il en contracta une maladie également longue et cruelle qui dura environ trois ans. On ne sauroit exprimer ce que son épouse eut à souffrir durant le cours de cette terrible maladie, et les soins qu'elle prit de lui.

M. de Lordat parut désespéré au commencement de la troisième année de son indisposition. Il paroit qu'il s'occupoit beaucoup, dans cette cruelle situation, de la pensée de Dieu et de la religion. Comme on lui parla un jour d'un seigneur de la cour qui avoit refusé les sacremens à l'heure de la mort, cette nouvelle parut lui faire beaucoup de peine et, comme il avoit déjà perdu la parole depuis longtems par un effet de la maladie, il fit signe qu'on lui apportât de l'encre et du papier. Dès qu'on les lui eût apportés, il se mit à écrire une dissertation sur l'existence de Dieu, sur la nécessité d'une religion révélée et sur la vérité de

(1) Consult. Généalogie de la maison de Lordat, au pays de Foix et en Languedoc, publ. par Laîné, 1847, in-8°.


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la religion chrétienne. Il remit ce petit écrit entre les mains de son épouse qui l'a conservé jusqu'à la mort. Il contenoit environ six pages d'une écriture très fine : ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'il le composa sans presque s'arrêter.

Sa maladie augmentant de jour en jour, il se disposa à recevoir les sacremens de l'Église. Il écrivit pour cela la confession de toute sa vie et, quand il l'eut terminée, il ne fit pas difficulté de la confier à son épouse (1), ajoutant que, comme elle le connoissoit sans doute mieux qu'il ne se connoissoit lui-même, elle eut à lui dire s'il n'avoit rien omis.

Enfin il mourut en 1765, à Paris, laissant son épouse inconsolable de la perte qu'elle venoit de faire. Elle avoit eu de son mariage avec lui quatre enfans, dont deux étoient morts en bas-âge, et deux autres fils lui restaient. Elle s'appliqua à les élever avec toutes sortes de soins. Elle les avoit continuellement auprès d'elle pour les éloigner du mal et les porter au bien par ses paroles et par ses exemples.

Mais, comme un malheur en attire souvent un autre, le plus jeune des fils de Madame de Lordat, pour lors âgé de dix-huit ans, jeune homme de la plus grande espérance, tomba malade, et mourut malgré tous les soins de la médecine. Son médecin ayant jugé à propos de lui faire quelques questions, il lui répondit de manière à lui persuader qu'il avoit vécu jusqu'alors dans une fort grande innocence.

Mme de Lordat fut extrêmement sensible, comme on peut croire, à cette perte, qui ne faisoit que rouvrir

(1) Quelque opinion que l'on professe sur les questions religieuses, on ne peut s'empêcher d'être frappé du contraste de ces touchants détails, en plein Paris, en 1765, avec les moeurs scandaleuses de la Cour et de la plupart des grands seigneurs.


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une plaie qui n'était pas encore fermée entièrement. Mais Dieu lui préparoit encore une épreuve qui devoit rendre les autres encore plus sensibles. Elle maria l'aîné de ses fils, en 1778, à une jeune personne trèsvertueuse de la maison de Tilly. Ce jeune homme, ayant quitté son épouse quelques mois après son mariage, pour se rendre aux Etats de Languedoc dont il étoit baron,' tomba malade de la petite vérole à Montpellier, et mourut à sa terre de Bram, où il s'étoit fait transporter, laissant son épouse enceinte de Mademoiselle de Lordat, aujourd'hui dame de Linières (1). Cette mort mit le comble à la désolation de Madame de Lordat.

Elle parut alors renoncer presque entièrement au monde. Elle se borna à fréquenter, avec Madame sa soeur, quelques personnes respectables par leur piété, telles que Madame la princesse de Bouillon, Madame de Marsan et Madame Duroure, sa cousine germaine. Elle s'occupoit alors de la santé et de l'éducation de Mademoiselle de Lordat, sa petite-fille, qui paroissoit toujours sur le point de lui échapper, car elle eut

(1) Cette demoiselle de Lordat (Joséphine) épousa le vicomte LouisPaul de Bourbon-Busset, et ce fut ainsi que cette branche de la famille de Bourbon devînt propriétaire de la terre de Linières, qu'elle possède encore, et prit le titre de Bourbon-Linières. — De ce mariage de Mlle Joséphine de Lordat avec le vicomte Louis-Paul de Bourbon-Busset, naquit à Vésigneux, en 1799, le vicomte Eugène de Bourbon-Busset, qui, lui, fut marié deux fois : de son premier mariage avec demoiselle Ida-Albertine-Charlotte de Calonne de Courtebourne (décédée à Paris le 12 septembre 1828), il eut, entre autres enfants, M. le comte Henry de Bourbon-Linières, lequel a épousé Mlle Adrienne de Mailly et se trouve encore être actuellement propriétaire du château de Linières, par suite de la mort de son père, survenue à-Linières le 24 novembre 1863. Il a été publié une Notice nécrologique sur le vicomte Eugène de Bourbon-Busset de Linières (Bourges, E. Pigelet, 1863, in-4° de 8 pages), « uni par les liens du » sang », dit cet opuscule (pag. 3), « à l'antique famille des Bourbons. »


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dans ce même tems plusieurs maladies dont elle pensa mourir.

Ce fut vers ce même tems que le souvenir de ce qu'elle avoit perdu étant continuellement présent à son esprit, elle fit faire un tableau dans lequel son mari étoit représenté dans un nuage embrassant ses deux fils et les attirant à lui : deux petits génies tenoient ouvert le livre du destin. Elle-même était dans l'attitude d'une personne plongée dans la plus grande tristesse, sa petite-fille au berceau lui tendant les bras, et le précepteur de ses enfans assis auprès d'un tombeau. Elle étoit extrêmement attachée à ce tableau, dont elle-même avoit donné l'idée.

Au mois de juillet 1779, le partage des biens de la maison Colbert ayant été fait, elle devint dame de Linières par indivis avec Madame de Jonsac, sa soeur. Celle-ci s'y étant rendue peu de tems après leur partage, elle lui en parla comme d'un endroit digne de leurs soins et de leur attachement. Madame de Jonsac y ayant fait un second voyage au mois de septembre 1784, elle écrivit le printems suivant à Madame sa soeur pour l'engager à y venir passer une partie de la belle saison.

Madame de Lordat, voyant le rétablissement de la santé de Mademoiselle sa petite-fille, et le désir que Madame sa soeur témoignoit de l'avoir auprès d'elle, partit de Paris avec sa petite-fille, et se rendit à Linières le 2 juin (1), jour de la petite Fête-Dieu. Monsieur et Madame de Jonsac allèrent au-devant d'elle jusques à Châteauneuf. La milice bourgeoise alla la recevoir jusques aux confins de la terre et l'accompagna jusqu'à l'entrée de la ville où le clergé l'attendoit avec

(1) 1788.


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le dais. Elle fut alors complimentée par le chef du chapitre et par la justice. On la conduisit ensuite jusqu'à l'église où elle adora le Saint-Sacrement. De là on l'accompagna jusqu'à son château qui était illuminé. La vue de cette illumination sur le soir, le peuple qui remplissoit les deux cours du château, la milice bourgeoise avec les drapeaux et les instrumens, l'appareil imposant du clergé en habit de cérémonie, la vue de cette dame qui étoit sous le dais avec sa petite-fille (1), sur qui tout le monde avoit les yeux, tout cela, joint à la réputation de ces deux dignes soeurs, formoit un des plus beaux spectacles et des plus intéressans que j'aie vus. Les deux dames se rendirent ensuite dans leur parterre où on avoit préparé un feu de joie auquel elles mirent le feu. Là, ne pouvant mieux exprimer la satisfaction qu'elles avoient

(1) On raconte que ces honneurs se perpétuèrent encore pendant de longues années après la Révolution au profit de la famille de Bourbon. Ainsi, le clergé venait, paraît-il, au-devant de M. le vicomte Eugène de Bourbon-Busset (père du propriétaire actuel du château) avec le dais. Les cloches sonnaient à toute volée. Un groupe de jeunes gens, revêtus d'un uniforme militaire, escortait ce dais, etc. On peut, d'ailleurs, ajouter, dans le même ordre d'idées, qu'après la mort de M. le vicomte Eugène de Bourbon-Busset, son corps resta exposé deux jours dans une chapelle ardente. La compagnie des sapeurspompiers mit des gardes d'honneur qui se relevèrent jour et nuit aux deux portes extérieures du château et à l'entrée de la chapelle. Il y eut une oraison funèbre prononcée par le premier vicaire général du diocèse et on publia la Notice nécrologique par nous citée déjà page 96 (1er série des Mémoires), note 1. Le défunt avait été aide-decamp du duc d'Angoulême pendant la guerre d'Espagne (1823). A Linières, il avait, en 1849, fondé et doté un établissement de Frères des Ecoles chrétiennes et fait reconstruire l'hospice en 1861, comme nous avons déjà eu occasion de l'indiquer, page 72, note 1. Son fils, le châtelain d'aujourd'hui, est l'auteur d'une Histoire de Jeanne d'Arc, que nous connaissons seulement par ouï-dire. Cette famille porte d'azur aux trois fleurs de lys d'or, comme l'ancienne maison royale de Bourbon.


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de se voir rassemblées, elles s'embrassèrent l'une et l'autre avec les marques du plus sincère attachement qui n'a fini qu'avec leur vie.

Ces deux respectables personnes, ainsi rassemblées, selon leur désir, pour ne plus se quitter, commencèrent à s'occuper de l'administration de leur terre, et des moyens de remplir les obligations que Dieu leur avoit imposées, disoient-elles, par rapport à ce lieu-ci. Madame de Lordat se proposoit d'établir à Linières un prix de vertu, mais quelques circonstances l'ayant obligé d'en différer l'établissement, la mort qui survint l'en empêcha. Après les exercices de piété, tels que l'audition de la messe et la récitation de l'office du diocèse de Paris en françois, leur occupation étoit de travailler pour les pauvres, à qui elles faisoient des jupes et des bas en tricot. Outre ces occupations générales, Madame de Lordat en avoit une particulière qui étoit l'éducation de Mademoiselle sa petite-fille. Elle s'appliquoit uniquement à lui inspirer la crainte de Dieu, et lui apprenoit déjà à partager son tems entre l'étude, le travail des mains et les récréations honnêtes. Elle lui donnoit une grande horreur du mensonge, de l'orgueil et de la méchanceté. Elle lui faisoit réciter chaque jour une leçon du catéchisme de Montpellier, ouvrage de son grand oncle (1), et tous les dimanches, l'épître et l'évangile du jour.

On peut dire que cette jeune personne profitoit bien des soins qu'on prenoit de son éducation, car elle donnoit déjà, à l'âge de six ans et quelques mois, des marques d'une piété sincère et d'une modestie charmante. Elle répondoit d'une manière surprenante à

(1) M. Colbert, évêque de Montpellier (pag. 83).


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toutes les questions qu'on lui faisoit sur la religion. On lui parloit souvent de l'amour qu'on doit avoir pour les pauvres, et je l'ai vu donner plusieurs louis de l'argent qu'elle avoit en particulier.

Sur la fin de l'automne de la même année (1), Madame de Lordat pensoit retourner à Paris, où plusieurs affaires la rappeloient, mais l'éloignement qu'elle avoit pour la capitale, et le désir de rester avec Madame sa soeur l'emportèrent. Elle résolut de passer l'hiver à Linières. Sur la fin d'octobre, Madame sa soeur étant tombée malade, elle lui rendit tous les services dont elle fut capable. Elle ne quittoit point sa chambre de tout le jour, y restant même une partie de la nuit, sans craindre de contracter sa maladie. Elle exigeoit même qu'on vînt tous les jours à quatre heures du matin lui en donner des nouvelles. Il est impossible d'exprimer ce qu'elle eut à souffrir de peines et de chagrins, pendant l'espace de près de cinq mois que dura sa maladie. Elle avoit une attention particulière à ne lui rien faire paroître, lorsqu'elle étoit en sa présence, car elle paroissoit alors la satisfaction peinte sur le visage, comme si elle avoit conçu la meilleure espérance. On eût dit qu'elle avoit fait le sacrifice de sa santé et de sa vie pour se livrer au soulagement de Madame sa soeur, et peutêtre la maladie dont elle est morte en a-t-elle été une suite.

Cependant Madame de Jonsac, sur la fin de février (2), ayant paru hors de danger, Madame sa soeur se livra à toute la joie d'une convalescence si

(1) 1785.

(2) Nous voici maintenant en 1786. Ces Mémoires touchant à leur fin, il n'est pas inutile d'en préciser les dernières citations de dates.


102 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

peu attendue. Elle en parloit continuellement et elle sembloit oublier une indisposition, dont elle sentoit quelquefois des attaques, pour ne faire attention qu'à la santé de sa soeur. Le quinze mars ayant été choisi pour remercier Dieu d'une telle faveur, elle voulut lui donner une petite fête, qu'elle savoit bien devoir être de son goût.

Elle fit préparer à dîner, sans qu'elle le sût, dans une des chambres du château, pour douze pauvres femmes qu'elle choisit. À l'heure de midi, elle entra avec sa petite-fille dans la chambre de sa soeur. Celleci ayant aperçu un tablier blanc qu'elles avoient chacune devant elle, s'empressa de leur en demander la raison. Madame de Lordat répondit que c'étoit pour servir à table douze pauvres femmes qu'elle avoit rassemblées pour lui faire honneur. Elle les servit effectivement pendant tout le repas avec toutes les marques de la plus grande bonté et, à la fin, elle leur fit distribuer par sa petite-fille à chacune un écu et trois aunes d'une fort belle toile.

Tout le monde s'attendoit encore à posséder plusieurs années ces deux dignes personnes lorsque Madame de Lordat, qui se plaignoit depuis longtems d'une difficulté de respirer, fut obligée de garder la chambre. Ce fut un mardi 21 mars que sa maladie parut sérieuse. Le lendemain, Madame sa soeur se transporta chez elle et contracta la maladie dont elle est morte.

Les deux soeurs étoient alors chacune dans son lit, ayant une inquiétude mortelle l'une de l'autre. Toutes deux étoient atteintes de maladie mortelle. Madame de Lordat fut obligée de quitter son lit, où elle ne pouvoit plus rester, pour se mettre dans un fauteuil, où elle demeura douze jours el douze nuits,


DE LA VILLE ET DES SEIGNEURS DE LINIÈRES-EN-BERRI 103

sans pouvoir prendre de sommeil, quoiqu'elle eût une envie mortelle de dormir. On ne peut exprimer combien elle eut à souffrir pendant tout ce tems. Cependant Madame de Jonsac étant morte le mardi 28 au soir, encore qu'on eût eu la précaution de ne point faire sonner, elle crut lire sur les visages qu'elle n'étoit plus. Comme on la vit dans cette inquiétude mortelle, je fus chargé de lui apprendre la triste nouvelle le vendredi suivant, au matin. Dès qu'elle l'eût apprise, elle leva les mains au ciel, et dit : « Ce n'est » pas ma soeur qui est malheureuse, c'est moi ; vous l'avez » connue, Monsieur, priez Dieu qu'il me fasse la grâce de » marcher sur ses traces. » En même tems elle parut plongée dans la plus grande tristesse.

Son mal alloit toujours en augmentant, et le lendemain samedi, comme elle ne pouvoit plus, disoit-elle, respirer dans sa chambre, qui étoit fort petite, elle passa dans le salon qui étoit proche. Elle y avoit fait préparer un lit, espérant pouvoir s'y coucher, mais on ne l'y eut pas plutôt placée, qu'elle pensa étouffer, et elle fit en même tems un effort des plus violens pour se jeter en bas. Elle fut obligée de reprendre son fauteuil. Elle passa ainsi la journée et la nuit suivante dans des douleurs inconcevables, faisant ouvrir de tems en tems les fenêtres du salon pour avoir plus d'air. Quand elle vouloit prendre un peu de soulagement, deux filles de chambre la soutenoient pardessous les bras, et, s'appuyant sur l'une d'elles, elle tâchoit de s'endormir, mais aussitôt elle s'éveilloit en sursaut, encore plus fatiguée qu'auparavant.

Le lendemain, jour de la Passion, elle me parut dans un état désespéré. Elle paroissoit accablée" par l'excès du mal. Son visage paroissoit plein de sang et sa vue égarée. Cependant elle avoit une connoissance par-


104 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

faite : elle me parla de se confesser. Je revins sur le soir à cet effet, et après qu'elle se fût confessée avec les plus grands sentimens de componction, elle me tendit un livre de prières qu'elle avoit à côté d'elle, me priant de lui lire l'action de grâces, qu'elle entendit avec beaucoup de piété.

Ayant fait entrer ensuite la compagnie, elle fit approcher d'elle sa petite-fille pour la caresser. C'étoit pour la dernière fois. Sur le soir, elle prit un peu de sommeil et tout le monde crut qu'elle s'en trouveroit bien, mais sur les onze heures de nuit, le sommeil qu'elle prenoit ayant paru extraordinaire, on vint me chercher. Elle étoit alors debout, soutenue par deux personnes qui lui frappoient dans les mains, pour l'empêcher de dormir. Elle reçut l'extrême-onction, ne proférant plus que quelques paroles qui n'avoient pas de suite, et elle s'endormit ainsi du sommeil de la mort. Son visage changea alors entièrement, et il revint dans son état naturel, avec cet air de bonté et d'affabilité qu'elle avoit ordinairement.

Cette mort mit le comble à la désolation de ceux qui avoient connu ces deux dignes personnes. Le lendemain, lorsqu'on eut sû la nouvelle dans la ville, on n'entendit que des plaintes de ceux qui déploroient la perte qu'on venoit de faire. Chacun se répandoit en éloges de ces deux respectables personnes, et on regardoit l'accident comme une calamité publique. M. le marquis de Seignelay, qui avoit appris la maladie de ses deux soeurs à Paris, arriva sur ces entrefaites ; il n'eut pas la consolation de voir ni l'une ni l'autre. Il repartit le lendemain, emmenant avec lui Mademoiselle de Lordat, sa nièce, qui sentit dès lors toute la perte qu'elle venoit de faire. Madame de Lordat mourut ainsi à l'âge de quarante-


DE LA VILLE ET DES SEIGNEURS DE LINIÈRES-EN-BERRI 105

sept ans et quelques mois (1). Elle étoit d'une taille un peu au-dessous de l'ordinaire, ayant beaucoup d'embonpoint, les manières nobles et prévenantes. Sa parure étoit celle d'une personne de son rang, sans avoir rien d'affecté. Elle s'exprimoit avec beaucoup de facilité et l'accent de sa voix étoit très agréable, ce qui faisoit qu'elle lisoit parfaitement bien. Elle étoit d'un caractère extrêmement affable, aimant à parler à tout le monde, naturellement généreuse et bienfaisante. Elle avoit un fonds de gaieté qui l'aidoit à supporter ses malheurs, d'ailleurs d'une modestie singulière dans ses paroles et dans ses actions.

Elle parloit avec beaucoup de respect de la religion, dont elle remplissoit les devoirs avec beaucoup d'exactitude. Elle portoit au cou une petite croix d'or, dans laquelle il y avoit un morceau de la vraie croix. On ne sauroit dire combien elle étoit attachée à cette sainte relique, et combien elle craignoit de la perdre.

Son intention, comme je n'en puis douter, avoit toujours été de faire un présent à l'église de Linières, à l'exemple de Madame sa soeur, mais la mort qui survint l'ayant même empêchée de faire son testament, comme elle le désiroit, fut la cause de la non exécution de sa bonne intention (2). Elle avoit seulement donné à

(1) Le 3 avril 1786.

(3) Ce passage devait être une invite délicate, pour les héritiers, à faire quelque cadeau pieux au nom de la défunte. Les éloges dont l'habile doyen comble Mmes de Jonsac et de Lordat, et même Mlle de Lordat qui, à sis ans et quelques mois, était déjà un petit prodige (v. notamm. pag. 100), témoignent d'ailleurs visiblement, si mérités que nous les supposions dans une large mesure, que cette dernière partie des Mémoires a dû être écrite pour être offerte en hommage ou tout au moins communiquée en lecture à la famille, plutôt que


106 MÉMOIRES INÉDITS POUR SERVIR A L'HISTOIRE

l'église, pendant son séjour à Linières, un parement d'autel d'une dentelle qui lui avoit servi de lange pendant son enfance.

Madame de Lordat n'étoit jamais allée au spectacle, quelques sollicitations qu'on lui eût faites pour cela. Elle racontoit elle-même que s'étant trouvée un jour chez une de nos princesses, dont l'appartement avoit une porte pour entrer au spectacle, elle fut vivement sollicitée de s'y rendre avec la compagnie, ce qu'elle refusa constamment. Elle avouoit qu'elle avoit été tentée de voir seulement les décorations de la porte d'entrée, mais que, regardant cette démarche comme un danger auquel elle s'exposoit, elle y avoit résisté.

J'ai ouï, à son sujet, un autre trait qui ne lui fait pas moins d'honneur. Dans une de ses terres de Normandie, elle avoit à sa nomination une cure de deux mille écus. Celle-ci étant venue à vaquer, plusieurs

dans un intérêt purement historique. Jamais, du reste, Gilles-le-Duc ni J. B. Dupré n'omettent de mentionner ce que chaque dame ou ce que chaque seigneur a laissé, en mourant, à l'Eglise ou au Chapitre, mais, cette dernière fois, la Révolution n'a-t-elle pas éclaté et 1793 n'a-t-il pas dispersé ce vieux Chapitre avant que la sollicitation voilée de son doyen ait pu être écoutée par le château ? Puisque nous venons de faire allusion à la Révolution, rappelons, en terminant ces Notes, que, durant la période révolutionnaire, Mlle de Lordat était encore toute enfant. Elle devait avoir de dis à onze ans en 1789 (v. pag. 88 et 100). Nous n'avons pas la date de son mariage, mais son premier enfant ne vint au monde qu'en 1799 (pag. 97, note 1). Il dut résulter de cette situation que la terre de Linières ne put se trouver atteinte par le décret de la Convention qui frappait les biens des émigrés. Aussi, bien que nous n'ayons pas, à cet égard, de renseignements précis, semble-t-il que ni le château ni ses possesseurs ne subirent bien directement ni bien vivement le contre-coup des événements. En l'absence de documents écrits, nous ne donnons pas, toutefois, ces indications comme l'expression d'une certitude absolue, mais seulement comme le résultat du rapprochement des dates et de quelques témoignages un peu vagues d'anciens habitants du pays.


DE LA VILLE ET DES SEIGNEURS DE LINIÈRES-EN-BERRI 107

personnes la lui demandèrent, mais comme elle savoitquelle charge on s'impose en nommant à des bénéfices, elle s'adressa au curé de Paris qu'on lui dit être le plus homme de bien, et elle lui demanda un ecclésiastique de son choix, à qui elle donna le bénéfice qui étoit à sa nomination.

FIN



ERRATA

Pages 14-15. — Au lieu de : M. de Rosnay, lisez : M. de Rosny. — Il s'agit évidemment de Sully, qui était marquis de Rosny, surintendant des finances, grand-voyer de France, etc.

Page 22. — La note 1 de cette page est l'objet d'une rectification partielle page 61.

Page 27 in fine. — La note 1 de cette page est l'objet d'une rectification partielle page 60, note 1, en ce qui concerne les traces de" souterrain.

Page 68, note 4. — Au lieu de : Nous avons vu page 63, lisez : Nous avons vu page 64.

Page 97. — Madame du Roure se doit lire en deux mots.

Page 99, note 4. — Au lieu de : La Notice nécrologique par nous citée déjà page 96 (1re série des Mémoires), lisez : page 97 (2e série) ; et plus bas, au lieu de : page 72, lisez : page 73.

Page 400, note 1. — Au lieu de : M. Colbert, évêque de Montpellier (page 83), lisez : (page 84).



NOTICES

BIOGRAPHIQUES & BIBLIOGRAPHIQUES

POUR

Histoire de la Botanique en Berry

Par M. ANT. LE GRAND



NOTICES BIOGRAPHIQUES

ET BIBLIOGRAPHIQUES

POUR

L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE

EN BERRY

Il n'est pas téméraire d'avancer que la Flore de Boreau a été, après celle de de Candolle, la première bonne Flore régionale qu'elle a été un modèle et qu'elle a ouvert une. véritable aurore aux études botaniques. C'est surtout aux recherches faites chez nous que revient le principal honneur de cette importante publication, dont le Berry peut être, à juste, titre, considéré comme étant pour ainsi dire le berceau. Elle devait en effet, tout d'abord, être limitée au Berry et au Nivernais, provinces alors de beau-' coup les mieux explorées de la région centrale. Il m'a paru intéressant de chercher les tracés et de suivre les pas de ces ouvriers de la première heure (je ne parlerai que de ceux qui ne sont plus, dont les recherches et les travaux appartiennent à la critique). Quelques-uns méritent, sans doute; à peine une mention fugitive, mais d'autres doivent être tirés de l'oubli et échapper à l'indifférence de leurs continuateurs.


114 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

Abbé BEAUJOUIN, né à Saint-Ambroix le 22 août 1803, a desservi la paroisse d'Argy, dans l'Indre ; puis celles d'Allogny et de Saint-Ambroix, où il est décédé en 1876 ; a découvert la Fritillaire en 1848 à Saint-Genou (Indre) et le Polygonum Bistorta à Allogny en 1846 ; a laissé une petite collection de plantes, d'où j'ai extrait les précédentes et un manuscrit assez considérable, mais dépourvu de tout intérêt.

BLANDIN (ANTOINE-THÉODORE), né à Aubigny le 5 octobre 1797, mort le 13 juillet 1881. Elève de l'abbé Blondeau, avec qui il étudia la botanique avec succès; il hérita de celui-ci d'un manuscrit fort intéressant dont il sera parlé plus loin. Blandin avait surtout exploré la Sologne ; le musée de Bourges possède de lui le Polystichum Thelypteris. Le docteur Blandin, qui s'est distingué naguère dans les sciences médicales, était frère du précédent.

Abbé BLONDEAU (PIERRE), né en 1765 à Mehun, où il mourut le 26 avril 1841; a été curé de Plou de 1824 jusqu'en 1835. Il a laissé la réputation d'un savant et d'un érudit, fut professeur de philosophie au collège de Bourges et rédigea un traité sur Platon, dont un prospectus fut seul publié. Comme botaniste, il a joui d'une réputation qui s'est continuée jusqu'à ce jour et que pourraient justifier les travaux manuscrits qu'il a laissés. Il est regrettable que sa tournure d'esprit ait rendu impossibles tous rapports avec ses savants contemporains, avec les célèbres auteurs d'importants travaux, qui auraient mis en lumière les mérites incontestables du chercheur berruyer. Mais, d'un naturel bizarre et peu communicatif, Blondeau n'a jamais répondu que par des refus aux de-


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 115.

mandes de l'illustre de Gandolle, comme à celles du savant auteur de la Flore du Centre (1). Si cependant ceux-ci eussent profité des découvertes de Blondeau, certainement fort intéressantes, ce dernier, lui aussi, eût retiré un profit sérieux de telles relations; elles lui auraient permis d'étendre ses connaissances et de rectifier ou d'éviter les erreurs nombreuses, au milieu desquelles tout travailleur isolé peut si facilement s'égarer. Je ne vois son nom que dans le Flora gallica, publié en 1828 par Loiseleur-Deslongehamps, à côté du Spiroea hypericifolia.

Les manuscrits de Fabbé Blondeau ont été pieusement conservés par Théodore Blandin, son élève et son ami, en même temps que son digne collaborateur ; ils m'ont été obligeamment communiqués par M. Blandin fils, qui a eu la généreuse pensée de les offrir à la Bibliothèque de la Ville. Il est donc possible enfin d'apprécier l'oeuvre de ce botaniste zélé et instruit. Mais, je dois le dire tout d'abord, l'intérêt du manuscrit eût été bien supérieur s'il avait été appuyé de preuves, c'est-à-dire d'échantillons. En l'absence de ceux-ci, l'interprétation du texte, l'appréciation des faits laissera souvent place à l'incertitude et à la critique. L'examen de ces travaux permet de constater, chez leur auteur, un amour profond de la science qui a fait le charme de toute sa vie, un zèle qui ne s'est jamais démenti et une connaissance des végétaux certainement très remarquable pour celte époque. S'il avait consenti à communiquer ses

(1) Les erreurs de détermination sont très nombreuses chez lui par suite de l'isolement et du mystère qu'il faisait de ses découvertes, mais si les plantes existent avec de bonnes annotations, un botaniste exercé en pourrait tirer bon parti. (Lettre de Boreau à Ripart du 29 juillet 1874.)


116 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

découvertes à l'illustre de Candolle, les plus remarquables de celles-ci eussent vu le jour 25 ans au moins avant l'apparition de la Flore de Boreau. En effet, presque toutes les spécialités de nos environs, les raretés des bois et des pelouses de nos localités classiques de La chapelle-Saint-Ursin, Morthomiers, Saint-Florent, Plou, Fontmoreau, étaient pour Blondeau de vieilles connaissances, lorsque Boreau les publia bien après, en les attribuant à des explorateurs subséquents. C'est le moment d'appliquer l'équitable formule suum cuique et de reconnaître que l'abbé Blondeau, le premier, a découvert ces riches stations et en a signalé les remarquables productions, telles que : Ononis striata, Hyssopus officinalis, Artemisia camphoratas Arenaria controversa (sous le nom de ciliata vel multicaulis), Anihyllis montana, Spiroea crenata, Galium glaucum, Inula montana, Linum alpinum (nunc Leonii), le rare Chrysanthemum graminifolium, trouvé le 13 mai 1819, « carrière de La » Chapelle avec Blandin Théodore, Baudoin et le frère » de Théodore », Stipa pennata, Centaurea montana, au bois de Morthomiers, le 11 juin 1819 ; Isopyrum thalictroides, dans le parc de Castelnau, en 1830 ; on remarque, non sans étonnement, qu'il avait bien déterminé le rarissime Stachys heraclea sous le n° 1596 du manuscrit, qu'un scrupule lui fit biffer ensuite ; à plusieurs reprises, il restitue à tort le nom d'alpina à cette belle plante du Champ-Chétif de Fontmoreau, que les botanistes de Bourges y vont encore récolter avec un si vif plaisir ; dès longtemps il connaissait cette belle Euphraise qu'il nomme lutea et que Boreau, reconnaissant avec raison pour une espèce nouvelle, a appelée chrysantha. Sa plus remarquable découverte est peut-être cet Achillea, qu'il nomme fréquemment


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY, 117

odorata, et qui n'est autre que l'A. nobilis que l'on peut recueillir encore çà et là, parfois en abondance, dans la forêt de Fontmoreau, etc., etc. J'abrège à regret les citations ; elles prouveraient avec quel succès l'abbé Blondeau avait scruté nos environs et avec quel discernement il avait étudié bon nombre d'espèces alors peu connues. Les cryptogames lui étaient aussi familières que les phanérogames ; elles occupent une place importante dans ses travaux.

Ces éloges mérités ne" sauraient cependant empêcher la constatation des lacunes et des erreurs : elles sont assez nombreuses. Blondeau a relaté un certain nombre d'espèces qui, non-seulement sont étrangères à notre région, mais dont la présence peut

même y être jugée impossible ou extrêmement douteuse. Il est inutile de s'attendre à rencontrer ycopodium selag, Equisetum sylvaticum, Tofieldia palustris,

Calamagrostis sylvatica, Onopordon ïllyricum, Inula germanica, Serapias cordigera, Circoea alpina, Linum maritimum, Orobus vernus, Phyteuma Charmelii, Sibthorpia europoea, Catananclie coerulea, Rubus saxatilis, Clypeola Jonthlaspi, Achillea tomentosa, etc., etc. D'autres espèces sont indiquées à tort par suite de déterminations évidemment erronées, comme Lepidium ruderale ( = graminifolium), Spergula nodosa, Asperula tinctoria(=cynanchica forma), Cynoglossum montanum (=pictum), Melica ciliata (1), Centaurea pullata (2). Quelques-unes enfin ont pu disparaître par suite des changements profonds apportés aux conditions topographiques, dessèchements de marais, etc.; comme l' Equiselum

(1) Indiqué à tort comme commun en divers lieux.

(2) Il y a ici une erreur singulière. Blondeau dit quelque part : " Centaurea alba, pullata, involucrata, decumbens, amara, serotina, sont une seule et même espèce. »


118 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

hyemale, qui aurait été trouvé au Palud de SaintGermain le 29 juin 1824, le Carex hordeistichos au marais de Voyselle, etc.

Le manuscrit en question se compose de deux parties distinctes, la Flore proprement dite, avec descriptions des sujets et le Journal d'herborisations. La première, rédigée de 1822 à 1834, ne comprend pas moins de dix-neuf cahiers de cryptogames et autant de phanérogames (le douzième de ces derniers manque). Chaque cahier est accompagné d'une table alphabétique des espèces, précaution nécessaire pour pouvoir s'y retrouver, car le rédacteur semble avoir exécuté son travail descriptif au fur et à mesure que se présentaient les objets : c'est, pour ainsi dire, un aide-mémoire sans ordre ni méthode, avec de fréquentes répétitions et doubles emplois. Les cahiers d'herborisations, au nombre de dix-sept, ont été écrits, le premier de 1803 à 1807 (avec quelques notes postérieures), les autres de 1824 à 1834. Ces derniers ne relatent que des excursions dont Plou est le centre, d'où des répétitions constantes et à la fin sans intérêt. Ses inscriptions sont souvent accompagnées de notes personnelles d'un caractère plus ou moins intime ou professionnel ; elles rappellent ordinairement les noms de ses compagnons de promenade, tels que ceux de Prosper Camus, Ferdinand Bourdin, de Vierzon, Soyer Alexis, Loiseau fils, étudiant en pharmacie, Subert, Fabre, Barré, Augier, inspecteur des contributions; etc. Quant au périmètre de ses investigations, il a été borné en général à la région comprise entre Bourges et l'Arnon du côté de Poisieux et de Chârost. Son journal; sans doute incomplet, puisqu'il présente une large lacune de 1807 à 1824, contient le récit de deux courses à


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 119

La Celle-Bruère et d'un voyage à Culan à petites journées. Quant au nombre d'espèces, il était loin d'atteindre ce que nous connaissons aujourd'hui dans le Cher.

En résumé, la lecture des manuscrits de l'abbé Blondeau laisse l'impression d'un esprit consciencieux et d'un amateur instruit, rempli de zèle et ayant bien connu la végétation de la circonscription limitée qu'il a bien explorée. Le docteur Ripart lui a dédié le Rubus Blondoei et le Rosa Blondoeana.

BOREAU (ALEXANDRE), mort en 1875, à l'âge de 72 ans. bien connu par les trois éditions de la Flore du Centre de la France et dont l'éloge n'est plus à faire, a poussé des excursions jusque dans le Cher (1). C'est à lui que l'on doit les premières explorations faites dans l'Indre, où il avait parcouru les environs du Blanc, ainsi qu'une partie de la Brenne, et découvert notamment le rarissime Alisma pamassifolium.

Boreau était directeur du Jardin botanique d'Angers, professeur à l'École secondaire de médecine de cette ville, officier d'Académie. Notre région lui doit un article spécial : « Progrès de la botanique en Berry » (Compte-rendu de la Soc. du Berry, année 1863-64).

Il est honorable pour notre province d'avoir été l'objet des investigations de ce savant; aussi me semble-t-il intéressant de reproduire quelques extraits de ses lettres (2) se rapportant spécialement à notre

(1) Je possède un exemplaire de Quercus microbalanos, recueilli par Boreau et Deséglise, à Morthomiers, le 30 août 1852.

(2) Les anciens documents, dont il est ici question, m'ont été obligeamment communiqués par M. le docteur Pineau, aujourd'hui le doyen des botanistes du Berry.


120 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

région ; voici, par exemple, un itinéraire qui n'a pas perdu de son attrait :

ANGERS, DÉCEMBRE 1843 Je n'ai visité" le midi

du département de l'Indre qu'au mois d'août et je crois avoir épuisé les localités que j'ai vues pour cette saison, mais que de choses ne doit-il pas y avoir en plantes vernales ! Les environs du Blanc seraient bien curieux à visiter en mai; je crois que la Brenne voudrait l'être de préférence en juin, pour les joncs et les carex qui doivent s'y trouver en grand nombre. Quoi qu'il en soit, si, partant de Châteauroux ou de Lothiers, où sont de vastes étangs que j'ai négligés, vous suiviez la Brenne entière jusqu'à Tournon, vous auriez un vaste champ d'observations dans les marais, les étangs, les ruisseaux et même les bois et les parties sèches du pays ; j'ai vu, du côté de Mézières, le calcaire crétacé percer en quelques points, tandis qu'ailleurs il y a des mamelons de calcaire oolithique : le plateau où est le château du Bouchet en est formé et offre quelques plantes propres à ce terrain. De Tournon, je vous conseillerais de suivre la route jusqu'au Blanc ; en explorant le coteau qui la borde, vous trouveriez sur votre passage les magnifiques rochers de onlgombault ; dans un amphithéâtre de ces rochers, où la température s'élève d'une manière prodigieuse, il y aurait de belles herborisations à faire au printemps, mais personne ne s'en est encore occupé ; il conviendrait d'en visiter les moindres anfractuosités. Il serait bon de suivre ce même' coteau jusqu'au delà du Blanc. Après ces brûlantes expéditions, passez la Creuse au Blanc et redescendez-la en explorant le côté gauche, vous trouverez du côté de Saint-Aigny d'autres rochers exposés au nord, qui vous payeront amplement de vos peines : la Scolopendre y étale ses touffes lustrées, le Mahaleb, le Buis nain, l'Euphorbe d'Irlande, le Convallaria maialis, l'Asperula odorata et bien d'autres, que je n'ai pas vues, vous fourniront des découvertes que l'on ne fait pas souvent dans le département de l'Indre.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 121

Au bas de Saint-Aigny, dans une fontaine, j'ai vu un Potamot qui doit être le fluitàns, il n'était pas en fleurs.. La garenne du Blanc, quoique dévastée, offre encore de bonnes choses. De là, il conviendrait de passer par Belâbre' pour gagner Saint-Benoît : vous trouverez dans ce trajet l'étage inférieur de l'oolithe que l'Indre n'a pas ailleurs. Mais Saint-Benoît doit être un centre d'explorations, cinq ou six terrains différents s'y rencontrent ; ce sont là les petites Alpes du département de l'Indre, et si vous remontez . vers le sud-ouest, jusqu'aux sources du ruisseau qui passe à Saint-Benoît, vous trouverez un plateau porphyritique... »

LE BLANC, 27 AVRIL 1844 Je tenais beaucoup à

voir au printemps les magnifiques rochers situés entre Fontgombault et Le Blanc ; mais, soit que la sécheresse du printemps ait été trop forte, soit que ces rochers ne répondent pas à l'idée que leur aspect inspire naturellement, je n'y ai rien trouvé de bien spécial. J'ai été plus heureux sur la rive opposée de la Creuse ; les vallons de SaintAigny sont bien intéressants, mais je les ai parcourus un ' peu trop rapidement peut-être, en société de MM. de la Tremblais et Mallard. J'y ai constaté quelques bonnes plantes ; parmi des tapis d'Allium ursinum se trouvait la belle Dentaria pinnata déjà défleurie, plus loin l'Isopyrum et l'Aspérule odorante commençant à fleurir

Je ne quitterai pas le nom de Boreau, sans rendre hommage à son grand talent et aux importants services que ses travaux ont rendus. Sa première édition, publiée en 1840, était, on peut le dire, un monument ; on y constate une saine critique et l'application des bonnes méthodes ; Fauteur s'y est inspiré des meilleurs modèles (bien rares, alors). Quant à là vulgarisation d'un pareil livre, elle était inévitable avec une clef dichotomique offrant de semblables facilités : on trouve, en effet, les noms cherchés par les moyens lés plus simples et les plus variés, partant


122 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

presque immanquables. Ainsi, un commençant arrivera au nom de la Prêle, qu'il considère cette plante comme une cryptogame ou bien comme une phanérogame ; l'élève trouvera le nom du Coquelicot (à sépales caducs), qu'il considère la fleur comme pourvue ou comme dépourvue de sépales. Les auteurs, par la suite, n'ont pas imité ces procédés qui, s'ils simplifient singulièrement le travail des débutants, s'éloignent par trop de la note scientifique et égarent l'esprit. Il est fâcheux que ce savant et consciencieux auteur n'ait pas suivi, dans les éditions ultérieures, la même ligne de conduite. Et si la seconde édition (1849) n'est pas beaucoup supérieure à la première, tant il est vrai qu'il était arrivé du premier jet près de la perfection, combien la troisième (1857) est, sous bien des rapports, inférieure aux autres ! Noyée dans le gâchis des petites espèces, dont, vers la fin de sa carrière, il avouait lui-même ne plus pouvoir sortir, qu'aurait pu être une édition subséquente, annoncée du reste probablement à tort? (1).

Voici quelques extraits de la correspondance de Boreau avec le docteur Ripart, qui semble donner crédit à cette hypothèse et qui, d'autre part, indiquent une hésitation remarquable :

26 JUILLET 1867 J'espère reprendre toutes ces notes

(1) On peut reprocher à Boreau une trop grande facilité à grossir l'inventaire de sa circonscription, dont l'intérêt ne pouvait qu'être diminué par des additions de mauvais aloi (défaut, du reste, trop fréquent chez les auteurs). Que vient faire, par exemple, dans une Flore du Centre de la France, l'indication, sans commentaires, d'espèces comme celles-ci, présentées au même titre que les plantes indigènes : Clematis viticella (qui se rencontre accidentellement dans le Cher comme ailleurs), Rosa lutea (que j'ai, en effet, constaté dans les faubourgs de Châteauroux), Ficus carica (coteau de l'Yèvre, à Berry); les curieux pourront aller rechercher si les trois rudes hivers, traversés depuis 1870, ont influé sur l'existence et sur la persistance de celui-ci, etc., etc.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 123

éparses pour perfectionner la Flore du Centre, je n'en donnerai pas d'autre édition ; mais je voudrais la rajeunir par un supplément résumant tout ce que j'ai acquis de faits nouveaux depuis dix ans. Le genre Rubus serait traité à neuf par M. Genevier qui, à l'aide de mon herbier, travaille la monographie des Rubus du bassin de la Loire. Seulement, j'hésite à me mettre à cette besogne, a cause des immenses difficultés qu'elle présente. J'espérais la communication des types Jordaniens, mais le grand réformateur, absorbé par ses-publications, m'ajourne sans cesse et je reste toujours dans l'incertitude : je suis trop avancé dans la notanique progressive (ou peut-être trop compromis), pour rétrograder ; mais je ne veux parler que de ce qui est suffisamment clair à mes yeux, et, comme les points obscurs se multiplient à mesure qu'on pénètre plus avant, vous comprendrez facilement mes hésitations.

4 FÉVRIER 1870.. C'est cette sorte de paresse qui m'a empêché jusqu'ici de rédiger les documents nombreux que j'ai réunis en vue d'un supplément à la Flore du Centre, Ils sont dispersés (mais classés) dans 250 volumes d'herbier.. .

5 MARS 1870... M. Jordan a décrit une foule de formes nouvelles que je ne connais pas. Il est possible que quelques-unes de vos plantes s'y rapportent, par exemple les Vincetoxicum, mais je ne puis me reconnaître avec le seul secours de ses descriptions.

6 JUILLET 1874... J'en veux un peu à ce genre maudit (Rubus) qui m'arrête dans la rédaction d'une 4° édition que l'on me réclame partout; comment intercaler un volume entier dans un autre volume?... Le reste de mon travail est presque complet ; mais je suis empêtré dans ces Ronces, sans savoir comment j'en pourrai sortir.

12 FÉVRIER 1875... Je continue toujours à recueillir les notes pour la 4e édition de la Flore, mais aurai-je le courage de la publier, si ma santé ne s'améliore pas ? C'est un


124 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

grand embarras que de se trouver en présence des genres litigieux aujourd'hui. Les Rubus, à eux seuls, prendraient presque un volume ! A tout cas, je tiendrai toujours mon manuscrit en état.

BOURDALOUE (JEAN-JOSEPH), naquit à Bourges le 1er mars 1768 ; il est mort dans la même ville le 31 juillet 1825. Il fut nommé professeur de 4e au collège de Bourges le 2 octobre 1792, puis, en 1804, directeur de l'école secondaire de Châteauroux et enfin principal du collège. Mais, ses opinions libérales l'ayant mis en suspicion auprès du Recteur, celui-ci le fit revenir au collège de Bourges où il occupa la chaire de physique.

J'ai eu connaissance d'une lettre de Sigaud-Lafond faisant de ce professeur les plus grands éloges et d'où j'extrais le passage suivant : « Notre district le choi» sit comme un des meilleurs sujets à envoier aux » écoles normales ; il y alla et suivant le conseil que » je lui avais donné, il se livra particulièrement à » l'étude de l'histoire naturelle sous MM. d'Àubenton » et Geoffroi. Il en a si bien profité que, nommé pro» fesseur de cette science, dans notre école centrale, » il s'y est toujours distingué... »

Il est regrettable que nous ne devions qu'à la tradition de connaître ses succès en histoire naturelle et particulièrement en botanique (1).

Abbé CALLIER, curé de Blet, où il est mort en 1856, à l'âge de 45 ans. Le nom de cet amateur de botanique a été tiré de l'oubli par Boreau, qui lui a dû quelques

(1) Je dois quelques-uns de ces renseignements au petit-fils du savant professeur, actuellement Receveur principal des Postes à Châteauroux.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 125

indications, dont la plus importante est le Polypodium Robertianum, trouvé à St-Gaultier.

CHARLOT, amateur peu connu, que l'on croit né à St-Aignan (Loir-et-Cher), où il aurait exercé la pharmacie; on lui doit, selon Boreau, la découverte du Gentiana cruciata à Lye, près de Valençay.

CLISSON (LÉON), né à Parthenay (Deux-Sèvres), le 20 octobre 1820 ; a herborisé de 1845 à 1849 dans son département natal, où on lui doit la connaissance du Cyclamen neapolitanum ; puis à Loches et à Bourgueil, de 1849 à 1853 ; il fit, en 1851 (1), la première découverte du rare Milium scabrum dans la seconde de ces. localités. Puis il explora les environs de Vierzon, où il était directeur de l'école communale, de 1853 à 1874; depuis lors, il habita Bourges, jusqu'à l'époque de sa mort, survenue le 12 août 1876. Le docteur Ripart lui a dédié le Peziza Clissoni. Clisson a laissé une collection assez nombreuse, mais bien en désordre, que j'ai compulsée néanmoins avec intérêt. Ses excellents services dans l'enseignement lui avaient valu les palmes d'officier d'académie.

DELÀSTRE (C.-J.-L.), mort à Poitiers en 1859; auteur d'une Flore de la Vienne, publiée en 1842 et encore estimée ; a herborisé dans le nord du Cher (probablement lorsqu'il était sous-préfet de Gieu), si l'on s'en rapporte aux indications de Boreau, qui a signalé sous sou nom Carex fulva et loevigata à la verrerie d'Aubigny : j'y ai retrouvé ce dernier. On peut lire une no(1)

no(1) note sur le Milium scabrum, Bull. Soc, industr. d'Angers, XXIIIe année.

10


126 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

tice nécrologique sur Delastre dans le Bull, de la Soc. bot. de France, tom. VI, pag. 383.

DÉSÉGLISE (ALFRED), mort à Genève le 13 décembre 1883, à l'âge de 60 ans, était né à Bourges et habita longtemps sa propriété de Graire, dans la commune de Berry : on ignore les motifs qui, après la guerre, le décidèrent à s'expatrier. Il a exploré le département du Cher, au moins en partie, pendant 25 ans environ et a dû faire des récoltes copieuses et variées, malheureusement perdues pour nous, son herbier ayant été vendu après sa mort (les roses sont au British Muséum). Déséglise s'était fait connaître surtout par des travaux étendus sur les roses ; il appartient à l'école des multiplicateurs à outrance, créant, presque sans discussion, des espèces sur les plus infimes différences. Mais, en poussant à l'extrême les divisions spécifiques, il a préparé la voie à une synthèse réfléchie, qui exige plus de talent et de perspicacité que le procédé de division indéfini des types. Les écrits de Déséglise, surtout les premiers, sont empreints de la passion qui animait alors les disciples de la nouvelle école et qui se traduisait par un verbiage assez vide mais alors à la mode (1). Quoi qu'il en soit, les écrits de Déséglise sur les Roses tiendront toujours une place très importante dans les connaissances acquises sur les formes variées de ce groupe difficile. Voici' les principaux travaux publiés par ce botaniste :

Essai monographique sur 105 espèces de Rosiers appartenant à la Flore de France 1861. (Mém. Soc, acad. de Maine-et-Loire.)

(1) Voir notamment la préface de l'Essai monographique sur cent cinq espèces de rosiers.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 127

Notes extraites d'un Catalogue inédit des plantes phanérogames du département du Cher, 1863. (Mém. Soc. acad. de Maine-et-Loire.)

Ce mémoire est assez peu connu pour que l'on puisse indiquer au moins la liste des espèces qui y sont passées en revue : Ranunculus Godroni Gren.; Delphinium Ajacis L.; Nymphoea permixta Bor.; Papaver strigosum Boenn.; Fumari Boroei Jord.; Fumaria Bastardi Bor.; Barbarea; Capsella rubella Reut.; Capsella gracilis Gren.; Reseda Phyteuma L.; Viola biturigensis Bor.; Viola lancifolia Thor.; Viola Provostii Bor.; V. subtilis et meniita Jord.; Drosera rotundifolia ramosa ; D. intermedia ramosa : Arenaria leptoclados G.; A. serpyllifolia L.; A. sphoerocarpa Ten.; Hypericum lineolatum Jord.; Vicia torulosa et Forsteri Jord.; V. Bobartii Forst.; Lathyrus latifolius L.; Orobus tenuifolius R.; Sedum confertum Bor. et elegans Le).; Foeniculum officinale All; Selinum carvifolia L. ; Valeriana officinalis L.; Achillea nobilis L.; Gnaphalium uliginosum L. et pilulare K.; Centaurea microptilon Godr.; Campanula subpyrenaico. Timb.; Hypopitys glàbra D C ; Cuscuta epilinum W.; Linaria vulgaris, Peloria; Mentha balsamea W.; Galeopsis latifolia Hoffm.; et angustifolia Ehrh.; Betonica serotina Host.; Plantago intermedia Gilib.; Eriophora H et L.; et Coronopus var. latifolia DC; Polycjiemum verrucosum Lang.: Polygonum denudatum Desv.; Euphorbia Deseglisei Bor.; Narcissus radiiflorus K.; Sparganium minimum Fr.; Lu\ula maxima DC; Agropyrum pungens R. S. et campestre G. G.; soit environ 55 espèces ou variétés. On peut s'étonner que Déséglise n'ait pu ajouter, pour notre département, un contingent plus nombreux d'espèces remarquables.

Description de quelques espèces nouvelles du genre Rosa. 1864 (Billotia).

Révision de la section Tomentosa du genre Rosa, 1866. (Mém. Soc. acad. de Maine-et-Loire.)


128 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

Notes extraites de l'Enumération dès Rosiers de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique, 1874.

Descriptions et observations sur plusieurs Rosiers de la Flore française. (Soc. roy. de bot. de Belgique.)

Catalogue raisonné ou Enumération méthodique des espèces du genre Rosier pour l'Europe, l'Asie et l'Afrique, spécialement les Rosiers de la France et de l'Angleterre. 1877. (Bull. Soc. roy. de bot. de Belgique.) — Cet ouvrage important est dédié à Boreau et au docteur Ripart.

Descriptions de quelques plantes rares et critiques de France et de Suisse. Broch. in-8°, 12 pages, 1878.

Florula Genevensis advena (sans date).

Supplément à la Florule exotique de Genève, 1881. (Bull. Soc. d'Etudes scient, de Paris.)

Notes et observations sur quelques plantes de France et de Suisse, 1877 (Feuille des jeunes naturalistes.)

Id. n° 2. (Bull. d'Etudes scientifiques de Paris), 1878. Id. n° 3. (Bull. d'Etudes scient. d'Angers). 1880.

Observations sur les Thymi Opiziani, 1882. (Bull. Soc. d'Etudes scientif. d'Angers.)

Descriptions de nouvelles Menthes en collaboration avec M. Théoph. Durand, 1879. (Bull. Soc. roy. de bot. de Belgique.)

Sur quelques Menthes (rotundifolia, tomentosa), 1880. Angers.

Menthoe Opizianse, 1881. Lyon. — IIe mémoire, Lyon, 1882.

Menthse Opizianas. Observations sur 51 types authentiques d'Opiz, 1882. (Bull. d'Etudes scient. d'Angers.)

Description de plusieurs Rosiers de la Flore française, fascicule II, 1882. Lyon.

Recherches sur l'habitat, en France, du Rosa cinnamomea, 1883. (Soc. d'Etudes scient. d'Angers.)


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 129

Déséglise a publié, en outre, une collection de Roses en nature ou Herbarium, Rosarum ; il n'a collaboré qu'à la 3e édition de la Flore du Centre (1).

DESVAUX (ETIENNE-EMILE), 1830-1854, natif de Vendôme, est cité par Boreau pour avoir découvert VAllium oomplanatum à Argent. Une note biographique sur ce jeune et savant botaniste, mort prématurément après avoir donné les plus grandes espérances, est insérée dans la Flore de *Loir-et-Cher de M. Franche!, pag. XXIII.

FAUCHIER (PROSPER). Esprit cultivé, artiste, poète, a laissé le souvenir d'un homme de bien ; né à La Châtre en 1806; exerça la pharmacie dans sa ville natale, puis successivement à Nérondes, à Reuilly, à Issoudun, où il mourut en 1877. Aimant avec passion les sciences naturelles, il se lia avec Jules Néraud, initia quelques amateurs et notamment M. Rouet, fut en relations avec le comte Jaubert et avec Boreau, fournit à ce dernier quelques matériaux intéressants et notamment le Botrychium Lunaria qui, depuis, n'a pas été revu en Berry. Il fut, en 1855, nommé membre de la Société botanique de France.

FÉE (ANTOINE-LAURENT-APOLLINAIRE), botaniste des plus distingués, est né à Ardentes le 7 novembre 1789. D'abord pharmacien, puis professeur d'histoire naturelle médicale à la Faculté de médecine de Strasbourg et membre de l'Académie de médecine, il quitta après 1871 cette ville, qui avait été la résidence de presque

(1) Cette liste des travaux de Déséglise est certainement incomplète; je serai reconnaissant à ceux de mes collègues qui voudront bien me donner les moyens de la compléter.


130 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

toute sa vie et vint se retirer à Paris. Ses collègues de la Société botanique de France lui déférèrent aussitôt la présidence. Il est mort dans cette ville le 21 mai 1874. Fée a produit des travaux extrêmement nombreux et variés, scientifiques et littéraires ; ses productions les plus importantes concernent les fougères et les lichens. Bien que ses travaux, dont le catalogue ne renferme pas moins de cent numéros, ne concernent en rien notre région, le nom de Fée a une place trop élevée dans la science pour que le Berry ne revendique hautement l'honneur de lui avoir donné le jour. Une notice sur sa vie et ses oeuvres lui a été consacrée dans le Bulletin de la Société botanique de France, tom. XXI, pag. 173.

GENEVIER (GASTON), pharmacien à Moitagnesur-Sèvre (Vendée), puis à Nantes, mort le 11 juillet 1880, s'est livré spécialement à l'étude des Rubus du bassin de la Loire, dont il a publié, en 1869, une monographie contenant 200 espèces; une seconde édition, où ce nombre est porté à 302, a paru en 1880. Ces études offrent un intérêt particulier pour le Berry, parce qu'elles renferment toutes les espèces du Cher et notamment les nombreuses formes découvertes et décrites par le docteur Ripart. Malheureusement, l'étude de ces formes si critiques ne sera abordable que lorsqu'un classificateur autorisé aura discuté et fixé la valeur relative des caractères et établi un groupement rationnel de ces prétendues espèces. Genevier a publié, dans le Bulletin de la Société botanique de France, tom. XXVI, 1879, une notice biographique sur le docteur Ripart, d'ailleurs très insignifiante. Sa collection de Rubus est actuellement à l'Université de Cambridge.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 131

GERMAIN DE SAINT-PIERRE, mort en 1882, l'un des auteurs si connus et si appréciés de la Flore des environs de Paris, publiée en collaboration avec le docteur Cosson, a également sa place marquée dans notre littérature botanique. La Société botanique de France ayant tenu, en 1870, une session extraordinaire à Givry, chez le comte Jaubert, M. Germain, qui devait être, à un intervalle si rapproché, le biographe de ce bienfaiteur de la botanique, se chargea du « Rapport sur les herborisations faites au domaine de Givry du 17 au 20 juin 1870 » (Bull.de la Soc. bot. de France, tom. XVII, pag. cxxn) ; puis, avec le concours de M. E. Duvergier de Hauranne, donna, une liste des plantes croissant aux environs d'Herry(Bull. Soc. bot., tom. XVII, pag. 268). On lui doit aussi une note sur l'Anacharis lsinastrum du Cher (Bull. Soc. bot., tom. XVII, pag. LXXIX).

GESSNER (CONRAD), né à Zurich en 1516, mort en 1565, séjourna quelque temps à Bourges, où il donna pour vivre des leçons de grec et de latin, probablement vers 1534. (HOEFER, Hist. de la Botanique, pag. 129, Paris 1872.)

Comte JAUBERT (FRÂNÇOIS-HIPPOLYTE), né le 27 octobre 1798, mort le 5 décembre 1874 ; membre de l'Académie des Sciences, l'un des fondateurs de la Société botanique de France, dont il fut président en 1866; a apporté un concours extrêmement actif à la publication de la Flore du Centre qui, du reste, porte sa dédicace ; a exploré au point de vue botanique une partie du Berry, principalement la vallée de la Loire et fourni un appoint important à l'auteur de cette Flore. L'Euphrasia Jaubertiana, espèce quasi spéciale


132 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

au centre de la France, lui a été dédiée. Au mois de juillet 1870, la Société botanique de France tint une session extraordinaire dans le Morvan et au domaine de Givry, où le comte Jaubert reçut avec sa cordialité habituelle les voyageurs venus de tous les points de la France. Il a peu écrit sur la végétation de notre pays ; on doit cependant rappeler :

Note sur le Farsetia clypèata (Bull. Soc. bot., tom. IV, pag. 899).

Sur la Végétation du Centre de la France (Bull. Soc. bot., tom. VI, pag. 534).

Consulter : GERMAIN DE SAINT-PIERRE, Vie et Travaux de M. le Comte Jaubert; Bull. Soc. bot., tom. XXII, pag. 10 ; ainsi que la préface de la Flore du Centre, de BOREAU.

DE JOUFFROY (HERMAN) (1), originaire de FrancheComté, mort jeune (vers 25 ans) en février 1857; après s'être déjà, cependant, fait un nom dans la science ; il avait fourni à Boreau bon nombre d'espèces rares de la Brenne, surtout des environs de Clion : son herbier fait actuellement partie des collections de M. Paillot, pharmacien à Besançon.

LEBAS (P.-E.), a donné une liste de plantes dépourvue d'intérêt, dans un ouvrage intitulé : Essai sur l'hygiène des habitants de Bourges, présenté à l'Ecole de médecine de Paris, le 29 nivôse an II (Paris, an XI — 1803), voir chapitre VIII, pag. 33-44 : Végétaux qui croissent aux environs de Bourges. — « Je ne m'étais » d'abord proposé, dit l'auteur, que l'indication de

(1) Consulter : Discours prononcé au service funèbre de M. le vicomte Herman de Jouffroy, par l'abbé Henri PERREYVE, le 28 février 1889.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 133

» ceux qui peuvent être employés en médecine ; mais » le citoyen Bourdaloue, professeur d'histoire natu» relie, ayant bien voulu me communiquer le tableau » des plantes que ses herborisations lui ont fait obser» ver, j'ai cru ne pouvoir mieux, faire que d'en rap» porter ici la nomenclature. Je les ai indiquées dans » l'ordre de leur floraison... » Suit une simple liste de noms français d'où le botaniste n'a absolument rien à tirer d'intéressant.

LEMAITRE (RENÉ), né à Vierzon 1768 ; mort le 4 mars 1854 ; a été l'objet d'une notice insérée dans les Mémoires de la Société historique du Cher (1888), que de nouveaux et intéressants documents me permettent de compléter aujourd'hui. Une copie authentique d'un manuscrit intitulé : « Voyages et campagnes de » M. Lemaître (René), racontées et écrites par lui» même » m'a été obligeamment communiquée par un membre de sa famille.

Voici les principales étapes de ce soldat, qui s'est fait et instruit lui-même et qui, après avoir honorablement parcouru sa carrière, a cultivé, non sans profit pour ses contemporains, l'étude de la Flore vierzonnaise.

Parti de Vierzon à l'âge de 18 ans, après avoir achevé son apprentissage de menuisier, il se rend à Paris d'où, peu après, il gagne Londres. L'amour du pays menacé par l'étranger le ramène en France et il prend du service dans le bataillon du Cher; caporal le 6 février 1792 et sergent-major le 14 octobre 1793, il fait la campagne du Rhin dans le corps de Hoche ; sous-lieutenant le 30 décembre 1794, il continue les campagnes du Rhin et d'Allemagne et passe lieutenant le 28 septembre 1796. Il est fait prisonnier le 25 mars


134 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

1799 à Aach, avec dix hommes chargés de la défense d'un passage ; puis il assiste à la bataille de Zurich. Nommé capitaine le 27 septembre 1799, il part peu après pour l'armée d'Italie. Le 13 mai 1800 il se distingue au Monte-Creto, où il reçoit un coup de baïonnette et est fait prisonnier en même temps que le général Soult. Echangé le 27 septembre, il rejoint à Milan.

Il revient à Vierzon en octobre 1802, après 15 ans d'absence, puis passe dans le Midi, au 2e de ligne, les années 1803 et 1804. Le 22 mars 1805, il s'embarque à Toulon sur le Swiftsure, vaisseau de 74 canons enlevé aux Anglais l'année précédente, navigue dans les mers du Nouveau-Monde, puis revient assister au combat du Cap Finistère; le 21 octobre 1805, il est fait prisonnier au combat de Trafalgar, après s'être distingué comme toujours par son ardeur, son intrépidité ; il y reçut, dans l'épaule gauche, une balle qui ne fut, paraît-il, jamais extraite et fut emmené en Angleterre sur le Bellérophon.

Prisonnier jusqu'au mois de mai 1810, il est, à son retour, dirigé sur l'Italie ; décoré de la Légion d'honneur le 18 juin 1812 et enfin admis à la retraite le 8 juillet 1814.

Tel est le résumé, que j'abrège à regret, des rudes campagnes du capitaine Lemaître, qui rappellent une fois de plus l'héroïsme de ces humbles et modestes soldats de la République et de l'Empire.

Il consacra ensuite, ainsi que je l'ai dit ailleurs, à des études historiques et botaniques, le repos forcé, mais si bien mérité, que lui procurait une retraite anticipée (il avait 45 ans), mais probablement rendue nécessaire par les fatigues et l'affaiblissement de santé qui avait dû en être la conséquence.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 135

J'ai parlé déjà de ses recherches et de sa Flore vierzonnaise. Il me reste à annoncer un fait important, la découverte de son herbier. Cette petite collection retrouvée au Musée de Bourges, est réunie dans quatre grosses liasses; tous les échantillons, récoltés en général de 1824 à 1846, sont collés à plat sur des feuilles simples. Ce qui donne un réel intérêt à cette collection, c'est le caractère d'authenticité des provenances ; on se préoccupait rarement encore à cette époque de conserver et de préciser les notes relatives à l'origine des objets. Et si l'auteur a eu le tort de ne pas attacher assez d'importance aux dons de ses correspondants, dont il n'a ni conservé ni transcrit les étiquettes, on constate qu'au contraire, en ce qui concerne ses propres récoltes dans le Cher, il a été extrêmement scrupuleux : les lieux et les dates sont indiqués avec le plus grand soin et, chose remarquable, s'accordent absolument, même pour les espèces rares ou trouvées une seule fois, avec les données du manuscrit (1). C'est même cette corrélation, jointe à la similitude d'écriture, qui m'a mis sur la piste, car les feuillets de l'herbier ne portent ni nom, ni signature. Beaucoup de plantes sont endommagées et devront être mises au rebut ; mais beaucoup d'autres offrent un véritable intérêt et trouveront, après un nettoyage convenable, une place très honorable dans l'herbier du Berry.

J'ajouterai que les espèces données à Lemaître sont en assez petit nombre et portent les noms de Denarp, Herpin, Saul, Boreau et même Déséglise; comme les étiquettes originales ont été supprimées et que la

(1) Outre le manuscrit original déposé aux archives de la mairie de Vierzon, il en existe un duplicata soigné et relié, donné en 1852 par l'auteur au Musée de Bourges.


136 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

transcription des origines, sauf le nom du donateur, a été omise, ces plantes ne présentent pas le moindre intérêt.

Voici, à titre d'exemples, le relevé de quelques indications de l'herbier, accompagnées de certaines observations :

Lycopodium inundalum. — Août 1836, sur le coteau ouest du Verdin.

Carex binervis. —■ 26 mai 1842. — Pré marécageux entre Verdeau et Aubussay. (Cette détermination est erronée, l'échantillon représente le G. distans.)

Campanula persicifolia. — Juin 1829. — Taillis de Bois-Marteau.

Barckausia setosa. — Septembre 1837. — Bois d'Yèvre. (Ce qui prouve que la naturalisation de cette espèce en Berry est d'ancienne date).

OEnanthe pimpinelloides. — Les Crêles.(Dénomination erronée; il s'agit de l'OE. Lachenalii.)

Cardamine parviflora. — Juin 1836. — Bois d'Yèvre (où cette espèce n'a jamais été retrouvée).

Trifolium strictum. — 16 juin. — Colline S. du BoisMarteau.

Omithopus ebracteatus. — Juin 1841. — Bords des haies, très rare (sic), etc., etc.

LEMONNIER (LOUIS-GUILLAUME), 1717-1799, premier médecin de Louis XVI, adjoint en 1739, par l'Académie des sciences, à une Commission chargée de déterminer la méridienne, a observé dans le Berry un certain nombre de plantes « dont l'énumération fut reproduite » plus tard dans le Dictionnaire des Plantes et Arbres » de Buchoz (1770) ». Voici, selon Boreau (Progrès de la botanique en Berry), les principales espèces dont il s'agit : Asphodelus albus, Méry-ès-Bois. — Atropa Bella-


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 137

dona, le Randonay. — Sorbus aria et torminalis, bois d'ivoy.— Potentilla Vaillantii, bois de Bruère.— Gentiana cruciata, bois de Plaimpied. — Geranium lucidum, carrières de Bourges (n'a pas été retrouvé). — Elodes palustris, forêt de Vierzon. — smunda regalis, forêt d'Allogny. — Phyteuma spicatum, forêt d'Allogny et Randonay. — Phyteuma orbiculare, forêt d'Allogny et Randonay. — Lobelia urens, Randonay.— Sambucus racemosa, bois d'Ivoy. — Spiroea obovata, bois de Bruère. Ces plantes et d'autres se retrouveront probablement dans l'herbier de Lamarck, aujourd'hui au Muséum.

MACARIO, docteur en médecine de la Faculté de Paris, ex-député au Parlement Sarde, auteur d'une Topographie médicale du canton de Sancergues (Bourges, 1850) : le § VI (pag. 16-26) a la prétention de donner la flore médicale de la région. Cette énumération, parsemée de grossières erreurs, ne présente pas plus de renseignements utiles que celle de Lebas, ci-dessus rappelée pour mémoire.

MORISON (ROBERT), né à Aberdeen (Ecosse) en 1620, fut, parmi les anciens, un botaniste d'une réelle valeur ; attaché au jardin de Blois, alors célèbre, et dont il publia le recensement (Hortus regius Blesensis), au moins en collaboration, il parcourut l'Orléanais et ne pouvait dès lors moins faire que de pénétrer en Berry. Aussi Boreau lui attribue-t-il la découverte du Laserpitium asperum à Sancerre « ad vinearum margines ». (1)

(1) Note ajoutée pendant l'impression.

M. le docteur Bonnet, préparateur au Muséum, vient de retrouver, à la Bibliothèque nationale, un manuscrit fort intéressant attribué à la collaboration de Morison avec Brunyer, Nicolas Marchant et autres,


138 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

Docteur DE NARP, professeur d'histoire naturelle au collège de Bourges (de 1814 à 1830 ?), se retira à Paris, où il mourut ; il paraît avoir peu contribué au progrès de nos connaissances botaniques, quoi qu'en ait dit Boreau. On trouve son nom plusieurs fois cité dans la Flore de Vierzon, de Lemaître. M. le docteur Pineau m'a rapporté avoir personnellement connu le docteur de Narp, chez lequel il était en pension vers 1830, et avoir fait chez lui connaissance de Saul.

NÉRAUD (JULES) (1), né à La Châtre (Indre) le 19 vendémiaire an IV, mort en 1855 ; d'une ancienne famille que l'on croit originaire du Midi, mais qu'on trouve, dès le XVIe siècle, établie en Berry, et dont les descendants ont occupé des positions honorables soit dans le clergé, soit dans la magistrature. Il fit ses études au collège de Vendôme et les acheva à Paris.

et qui renferme l'indication inattendue de plusieurs plantes du Berry. M. Bonnet a donné à l'Association Française pour l'avancement des sciences, congrès tenu à Limoges en 1890, une analyse et un commentaire du dit manuscrit intitulé : « Index plantarum augustissimi principis, Régis patrui, Aurelianensium duci jussu et largitione in Gallia conquisitarum ab anno 1648 ad 1656. " J'y ai relevé les espèces suivantes :

Allium pallens, à Sancerre.

Ononis striata « in dorso monte dicti Larme du Loup »,

Helianthemum canum, à Dun-le-Roy.

Sarothamnus purgans a ad ripam Ligeris inter pagum SaintThibault et urbem dictam La Charité ».

Micropus erectus, à Sancerre.

Ces quatre dernières espèces se retrouvent aux mêmes lieux ; a première seule y est inconnue actuellement.

(1) La plus grande partie de ces renseignements m'ont été très obligeamment communiqués par M. Périgois, petit gendre de Jules Néraud, sur la demande et par l'entiemise de M. Simonnet, conseiller a la Cour d'appel et vice-président de la Société historique du Cher. — Consulter Laségue, Musée bot. de B. Delessert, 1843.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 139

D'esprit aventureux et indépendant, il s'embarqua pour l'île Bourbon, où il sut se faire apprécier comme professeur et comme savant. C'est là que commencèrent ses investigations botaniques, qu'il poursuivit à l'île de France et à Madagascar. Malheureusement, une partie de ses collections fut perdue dans le voyage de l'Uranie ; une autre collection importante fait partie de l'herbier Delessert. Un genre de plantes, Neraudia, de la famille des Urticées, lui a été dédiée par Gaudichaud.

Néraud revint en France en 1818, rappelé par sa famille, et continua à se livrer avec zèle à ses études de prédilection. Il a publié la Botanique de l'Enfance, éditée par G. Bridel, à Lausanne, en 1847. Le manuscrit a servi plus lard à une nouvelle édition, publiée par Hetzel, en 1866, sous le nouveau litre de Botanique de ma fille, laquelle ne contient point la préface de G. Sand qui était en tête de la première édition.

L'auteur avait composé ce livre pour enseigner à sa fille, encore enfant, les premiers éléments de botanique ; il l'avait complété par un herbier qui n'est plus dans la famille.

Il a fourni à Boreau quelques documents sur le bassin supérieur de l'Indre et ainsi a bien mérité de la Flore du Centre.

PÉRARD (ALEXANDRE), né à Airaines (Pas-de-Calais) le 12 juin 1834, mort le 15 juin 1887 ; licencié èssciences naturelles et professeur au lycée de Montluçon, a publié un catalogue soigné des plantes de cet arrondissement (Bull. Soc. bot., tom. XXXIV) ; il avait entrepris une Flore du Bourbonnais, comprenant dans sa circonscription la partie méridionale du département du Cher et a publié, en 1884 et 1885, deux


140 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

fascicules de matériaux pour cette Flore. On lui doit la découverte de l'Epipactis microphylla à Orval. Une intéressante notice biographique sur Pérard a été publiée par M. Moriot dans la Revue scientifique du Bourbonnais, 1888, pag. 265.

REY (BERNARD), né à Saint-Arnaud le 8 juin 1813, mort, même ville, le 1er mars 1889 ; a exploré avec le docteur Pineau, son ami, de nombreuses localités du Berry; a parcouru en outre l'Auvergne et les Pyrénées en herborisant. M. Rey m'a montré, il y a peu d'années, son herbier peu volumineux, mais qui m'a paru soigné : il est à désirer qu'il enrichisse une de nos collections publiques. Les résultats de ses recherches dans le Cher et l'Indre sont consignées dans la première édition de la Flore de Boreau.

Docteur RIPART (JEAN-BAPTISTE-JOSEPH-MARIESOLANGE-EUGÈNE), né à Bessines (Haute-Vienne), mort à Bourges le 17 octobre 1878, à l'âge de 64 ans; semble avoir cultivé d'abord l'art musical et ne s'être livré que tardivement, d'une façon tout à fait spéciale, à la botanique (1). Il a exploré avec soin les environs de Bourges, sans étendre ses explorations dans les parties éloignées de sa résidence (2). Mais il a minutieusement recherché les plantes phanérogames et cryptogames croissant à sa portée. Il est, du reste,

(1) Cependant il avait suivi, avec assez d'assiduité, les herborisations durant ses études médicales. Je possède un Carex depauperata ainsi étiqueté : Paris, forêt de Saint-Germain, 1836. Ipse legi. In herbor. cum Prof. adr. de Jussieu, liane speciem primus ipse detexi.

(2) Le docteur Ripart était depuis longtemps atteint du mal qui devait l'emporter ; c'est probablement le traitement qu'il s'imposait, qui l'obligeait, me disait-il, à ne jamais découcher ; de là le cercle trop restreint de ses excursions et sa connaissance imparfaite de notre département.


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 141

universellement connu par ses études des genres Rubus et Rosa, chez lesquels il a poussé aussi loin que possible la subdivision des formes ; peu de botanistes certainement ont connu ces deux genres aussi bien que lui. On trouvera, dans, les travaux de Déséglise et de Genevier, les nombreuses descriptions d'espèces dont il est l'auteur.

L'un des savants les plus compétents dans la connaissance des Roses, M. Crépin, directeur du Jardin botanique de Bruxelles, ayant fait une étude spéciale de l'herbier Ripart, a publié à son sujet d'intéressantes observations dont l'indication trouve ici naturellement place.

Cette collection, heureusement acquise par l'Etat belge, renferme environ 300 espèces, représentées par" de nombreux spécimens et réparties dans mille feuilles environ d'herbier. Elle est accompagnée d'un catalogue systématique et de tableaux analytiques manuscrits.

M. Crépin apprécie, ainsi qu'il suit, le travail du Rhodologue de Bourges (1) :

« Une confiance absolue dans la façon de considérer l'espèce, lui ferma souvent les yeux sur les rapports d'affinité et l'analyse méticuleuse de certains caractères très secondaires l'entraîna à des subdivisions spécifiques tout-à-fait artificielles. Les espèces véritables sont presque toutes démembrées à l'excès et leurs membres souvent éloignés les uns des autres dans'des sections différentes (2). Il y a eu chez lui une sorte

(1) Classification des Roses européennes, par le docteur Ripart. (Soc. roy. de bot. de Belgique, 1890.)

(2) Il serait facile de démontrer que l'on peut appliquer la même critique à presque tous les monographes qui ont suivi la même, voie, Genevier, Déséglise, lete.

il


142 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

d'aberration, provoquée par l'importance excessive qu'il accordait aux caractères tirés du revêtement pileux ou glanduleux des organes... Si les espèces créées par ce spécialiste se voient descendre au rang de simples .synonymes, le nom de Ripart n'en restera pas moins cité fort honorablement parmi les botanistes qui ont largement concouru à la connaissance des Roses. »

Ripart avait des connaissances sérieuses et profondes, mais il a peu écrit; on a de lui :

Recherches sur l'organisation du genre Inomeria (Annales des sciences naturelles, 5e série, tom. VII).

Observations sur le Mougeotia genuflexa (Annales des sciences naturelles, 5e série, tom. IX).

Sur le Pellia calycina (Bull. Soc. bot. de France, tom. XV ; 1868).

Notice sur quelques espèces rares ou nouvelles de la Flore cryptogamique du Centre de la France. (Bull. Soc. bot. de France, tom. XXIII, 1876.)

Description d'une nouvelle Pézize (Peziza Clissoni). (Bull. Soc. bot. de France, tom. XXIII, 1876.)

Encalypta trachymitra Rip. (Revue bryologique de Husnot, 1877, n° 4.)

Le docteur Ripart s'était occupé, au point de vue médical, de la Fontaine-de-Fer de Bourges et avait adressé à l'Académie de médecine un mémoire rédigé en collaboration avec M. Paul Soupiron, pharmacien ; ce mémoire fut l'objet d'un rapport favorable de l'Académie (29 septembre 1846). Il a été reproduit et publié en 1852, sous le titre de : « Notice sur la Fontaine de Saint-Firmin ou Fontaine-de-Fer. »

Enfin, il avait entrepris une Flore cryptogamique du Centre de la France : toutes les Muscinées étaient rédigées et prêtes pour l'impression ; le manuscrit


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 143

forme un volume de 389 pages (écrites sur le recto) et la rédaction des Hyménomycèles était commencée. Cette publication, surtout celle relative aux champignons, eût été extrêmement utile, accompagnée, comme elle devait l'être, de tableaux dichotomiques. Malheureusement, les matériaux et les collaborateurs lui faisaient défaut; pour les Mousses, par exemple, il était réduit aux recherches de Grognot (Saône-etLoire), Pérard (Allier), Lamy (Vienne), Le Grand (Cher, Loire) ; ce sont les seules sources où il a puisé : c'est trop peu. N'ayant, d'autre part, herborisé qu'aux environs de Bourges, de nombreuses espèces et localités lui sont restées inconnues. D'ailleurs, son travail descriptif est très soigné. J'espère en faire connaître ultérieurement les parties essentielles.

Ripart a laissé un herbier dont l'importance est due surtout aux groupes qu'il avait spécialement étudiés et colligés, car le nombre de ses phanérogames n'atteignait pas 6,000, y compris les dits groupes aux nombreuses formes critiques. Cette collection se trouve aujourd'hui dispersée. Ainsi que je l'ai dit, les Roses font partie du musée de l'Etat, à Bruxelles ; les Rubus ont été acquis par M. l'abbé Boulay, les autres phanérogames par M. l'abbé Marçais. Les cryptogames, très importantes, ont été acquises par M. l'abbé Hy, sauf les Muscinées par M. des Méloizes et les Lichens par M.. Victor Claudel, de Dossel (Vosges).

ROUET (CLAUDE), conducteur des ponts et chaussées à La Châtre, où il exerça presque constamment ses fonctions ; né à Châteauroux le 6 juin 1809, mort au Magny le 13 février 1888; s'est occupé avec zèle de botanique, a dirigé presque jusqu'à son dernier moment, les herborisations des élèves du collège : son


144 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

herbier est conservé par son fils, pharmacien à La Châtre. (Consulter Chastaingt, Cat. des plantes vasculaires des env. de La Châtre, pag. 3 ; 1882.)

DE LA ROCHE (Marquis), de Saulzais-le-Potier, est cité dans la Flore de l'Allier, de Migout, pour les Rumexpalustris et maritimus trouvés dans cette localité ; il est l'auteur d'une note de quatre pages intitulée : « La Flore de l'Allier comparée à celles des départe» ments limitrophes, assises scientifiques du Bour» bonnais, Moulins, 1867, »

G. SAND. — Passionnée pour les champs et la nature, la grande romancière du Berry a touché à bien des sciences, et celle des plantes ne lui a pas été tout à fait étrangère : c'est à ce titre que l'on doit ici une mention au grand écrivain. Elle n'a pas dédaigné de s'occuper de notre aimable science, qui, à diverses reprises, a fait l'objet de ses attrayantes causeries, par exemple dans : Promenades autour d'un village, dans sa Lettre à Tourangin, et, plus spécialement, dans: « Lettres d'un voyageur à propos de botanique. » (Revue des Deux-Mondes, 1868.)

Voici une sentence qui sera goûtée par les botanophiles : « ... L'herbier est encore autre chose, c'est un » reliquaire. Pas un individu qui ne soit un souvenir » doux et pur. »

G. Sand avait, en effet, cultivé cette science assez sérieusement pour s'y intéresser, avec assez de goût et de persévérance pour en arriver à colliger ses souvenirs. Les réflexions qui suivent en sont la preuve : « ... Je vous disais que l'herbier est un cimetière ; » hélas ! le mien est rempli de plantes cueillies par » des mains amies que la mort a depuis longtemps


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 145"

» glacées. Voici les graminées que mon vieux précep" teur Deschartres prépara et classa ici, il y a » soixante-quinze ans, pour mon père, qui avait été » son élève ; je les ai pieusement gardées, et, si j'ai » rectifié le classement un peu suranné de mon pro» fesseur, j'ai respecté les étiquettes jaunies qui » gardent fidèlement son écriture... J'ai trouvé dans » un volume de l'abbé de Saint-Pierre, qui a été » longtemps dans les mains de J.-J. Rousseau, une » Saponaire ocymoïde qui m'a bien l'air d'avoir été mise » là par lui. De nombreux sujets me viennent de mon » cher malgache, Jules Néraud, dont le livre élémen» taire et charmant, Botanique de ma fille, a été réédité » avec luxe par Hetzel, après avoir dormi longtemps » chez l'éditeur de Lausanne. » Je m'arrête..., me bornant à évoquer le sentiment de la grande artiste et à rappeler qu'elle a cultivé notre science comme passe-temps aimable d'une intelligence supérieure. J'ajouterai, enfin, qu'elle a écrit la préface d'un petit travail humoristique, la Flore Vichyssoise, de Pascal Jourdan (1872), flore fantaisiste, d'un intérêt et d'une utilité très contestables !

SAUL (CASIMIR), né à Montpellier, le 15 août 1801, mort à Nevers, le 18 mai 1850. Une page élogieuse, à juste titre, a été consacrée, dans la Flore du Centre, tom. I, pag.-33 (3e édition, 1857), à la mémoire de ce chercheur, dont la collaboration à l'oeuvre primordiale de Boreau a été certainement l'une des plus efficaces. La première édition de cette Flore (1840) lui a dû, en effet, une masse énorme de documents recueillis surtout dans le Cher, qu'il parcourut pendant deux années. Je rappelle que l'herbier du Musée de Bourges a été formé par Saul, et que j'ai donné, dans une


146 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

Notice précédente, un aperçu sur cette collection (1). Son herbier est conservé au séminaire de Pignelin, près Nevers.

SUBERT (CLAUDE), né à Sancoins, mort à Bourges, à l'âge de 77 ans, le 29 septembre 1843, a certainement cultivé la botanique avec un zèle, qui eût dû lui mériter une place plus honorable dans la science. J'ai eu occasion déjà d'apprécier ses travaux, ou, plus exactement, sa manière de travailler. Correspondant de Boreau, celui-ci n'a cru devoir accepter qu'avec réserve ses indications, qui, d'abord accueillies dans la 1re édition de la Flore du Centre, ont ensuite été rayées dans les éditions suivantes. Une lettre du botaniste angevin à notre zélé confrère le docteur Pineau, qui me l'a obligeamment communiquée, ne fait que confirmer mon opinion. Voici ce que le consciencieux auteur de la Flore du Centre écrivait d'Angers le 6 juillet 1844: « ... Dans deux ou trois ans peut-être, » l'édition de la Flore sera épuisée, et, alors, je me » déciderai à la renouveler ; j'aurai tant de bonnes » choses à y ajouter, que je ferai disparaître sans » crainte quelques indications hasardées, notamment » celles qui viennent de M. Subert..., qui m'a trompé » sans s'en apercevoir lui-même, me présentant des » plantes de Montpellier avec des localités de Bourges ; » je pense que le Prunella hyssopifolia est du nombre.» C'est en m'appuyant sur la similitude de quelques indications de la Flore du Centre, reproduites dans l'herbier du Lycée de Bourges, que j'ai cru pouvoir attribuer celui-ci à Subert ; de nombreuses aberrations avaient fortifié mes soupçons.

(1) Mémoires de la Société historique du Cher (1888).


POUR L'HISTOIRE DE LA BOTANIQUE EN BERRY 147

Une circonstance fortuite m'a permis de confirmer cette hypothèse. Ayant su que le docteur Ripart avait acquis les restes de l'herbier du pharmacien-botaniste, j'ai retrouvé, en compulsant les collections du docteur, des étiquettes identiques aux suscriptions des plantes du Lycée. Dès lors plus de doute, celles-ci proviennent bien de Subert. Je possède moi-même, comme venant de ce dernier, plusieurs espèces d'une origine très contestable, comme Dianthus deltoïdes, de Contremoret; Eryophorum vaginatum, de La Chapelled'Angillon, et Actoea spicata, de la forêt de Noirlac.

En somme, si le pharmacien Subert a multiplié et étendu ses explorations dans notre département, leurs résultats ont peu profité à la science, par suite de la façon peu consciencieuse dont il utilisait ses matériaux d'études.

TILLIER (CLAUDE), docteur en médecine, professeur à la Faculté de Bourges, dans la première moitié du XVIe siècle., a été l'objet d'une de mes Notices précédentes (Mém. de la Soc. histor. du Cher, 1888). Je n'ai rien à y ajouter quant à présent; je me borne à rappeler que la bibliothèque de la Ville conserve un herbier et un manuscrit composés par cet ancien botaniste.

TOURANGIN (GUSTAVE) (1815-1872) : ce n'est également que pour ordre que j'inscris ici ce nom sympathique ; j'ai, dans la même Notice, rappelé les services qu'il a rendus à notre Flore du Berry; et notre collègue, M. Albert Mornet, avait, bien auparavant, adressé à sa mémoire un tribut d'éloges et de regrets justement mérités.


148 NOTICES BIOGRAPHIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES

DE LA TRAMBLAIS...... ancien sous-préfet du Blanc ;

animé de l'amour du pays qu'il habitait, s'est occupé de tout ce qui intéressait celui-ci. Il a publié un Catalogue des plantes de l'Indre, compilé de la 2° édition de la Flore du Centre (Soc. du Berry, 1863-1864), qui, ainsi que je l'ai fait remarquer déjà, renferme des erreurs, des omissions et peu de faits originaux. M, de la Tramblais est l'auteur de communications nombreuses et variées, publiées par la Société du Berry, de 1853 à 1866, et qui dénotent une activité intellectuelle soutenue ; on lui doit en outre les Esquisses pittoresque de l'Indre, bel ouvrage orné de nombreuses illustrations (1854), dont une seconde édition a paru en 1882.

Tels sont les aperçus qu'il m'a été possible de réunir sur la vie, les excursions, les découvertes de chacun, et dont quelques-uns demandent à être complétés. A côté de nombreux documents inédits, j'ai rapporté, comme on l'a vu, des faits déjà connus que j'ai résumés, dans le but de présenter au lecteur un tableau, aussi précis que possible, des études et des recherches botaniques dont notre intéressante province a été l'objet.

A. LE GRAND.


RELEVÉS NUMÉRIQUES

DE QUELQUES

Flores locales ou régionales

DE FRANCE PAR M. ANT. LE GRAND

(Extrait du BULL. Soc. BOT. DE FRANCE, séance du 24 avril 1891.)



RELEVÉS NUMÉRIQUES

DE

QUELQUES FLORES LOCALES OU RÉGIONALES

DE FRANCE

Il est quelquefois intéressant de se renseigner sur le degré d'importance des Flores locales et d'établir des comparaisons. Comme la plupart des statistiques, celle-ci est assez ingrate et peu aisée, les auteurs comprenant en effet diversement l'espèce. A cette difficulté principale s'ajoutent celles qui résultent du mode de rédaction; les uns comprennent les plantes cultivées ou adventices, sans les distinguer par un indice spécial ; d'autres, sans les distinguer non plus, introduisent des espèces prises en dehors des limites assignées à leurs travaux. Trop souvent l'intention de grossir l'inventaire est manifeste et se traduit, ainsi qu'on le verra, par des additions injustifiables. D'une façon générale, j'ai retranché les plantes critiques, les espèces cultivées (Hordeum, Secale, etc.), celles très évidemment adventices ou très évidemment hybrides (Verbascum, Salix, etc.), et enfin les Characées. Ces réserves faites, on reconnaîtra combien un semblable travail est délicat. Aussi ne le présenté-je qu'à titre de document, le dénombrement pouvant facilement différer suivant le jugement de celui qui l'entreprend.


252 RELEVÉS NUMÉRIQUES DE QUELQUES FLORES

A cet égard, mes appréciations sont à peu près dans le sens de nos Flores locales récentes les plus soignées, les plus raisonnées (celles de MM. Loret, Bonnet, Godron, Franchet, Héribaud, etc.) : j'ai dès lors, comme je l'ai dit d'abord, fait table rase de ces multitudes de formes, dont certains Catalogues sont encombrés avec d'autant plus de facilité, que les auteurs de ces recueils, n'ayant point à les décrire, les connaissent mal et ne les rapportent qu'en jurant, trop souvent à tort, « in verba magistri », le maître lui-même étant trop souvent, en pareille matière, sujet à caution.

Les recensements qui suivent ne comprennent donc que les Phanérogames et les Cryptogames vasculaires.

1° Flores départementales ou locales.

PAS-DE-CALAIS (Cat. de Masclef, 1886) .. 1049

EURE-ET-LOIR (Botanique d'Eure-et-Loir, par Lefèvre,

Lefèvre, 1004

AUBE (Cat. de Briard, 1881) 1150

LOIRET (Cat. de Jullien-Crosnier, 1890; 1315

Ce nombre dépasse probablement encore la quantité réelle, bien que l'auteur accuse 1720 espèces. L'étude d'un pareil travail est difficile et demande beaucoup d'attention. Que viennent faire, dans un Catalogue du Loiret, des plantes comme celles-ci : Erigeron alpinus, Verbascum sinuatum, Psamma arenaria, Fumaria spicata, etc. ?

LOIR-ET-CHER (Flore de Franchet, 1885) 1270

CHER (Flore du Berry, Le Grand, 1887, avec additions dues aux découvertes récentes) 1310

ALLIER (Flore de Migout, 2e édit., 1890) 1335

Ce travail renferme, sans aucune distinction typographique, de nombreuses espèces étran-


LOCALES OU RÉGIONALES 153

gères à ce département, qui ont dû être éliminées. Le Cher seul en a fourni 20, avec des localités prises jusque sur les confins de l'Indre. Quand on entre dans cette voie, on s'expose à faire des choix peu rationnels, comme il me serait facile de le démontrer.

INDRE-ET-LOIRE (Cat. de Delaunay, 1873) 1275

MAINE-ET-LOIRE (Cat. de Boreau, 1859) 1428

C'est à ce nombre au plus que l'on peut réduire les 1.800 espèces énumérées.

LOIRE-INFÉRIEURE (Flore de Lloyd, 4e édit., 1886). 1307

TIENNE (Cat. de Poirault, 1875-1883) 1346

CREUSE (Cat. de Cessac, 1862, et de G. Martin,

1885) 950

CORRÈZE (Cat. de Rupin, 1884) 1295

Ce Cataloge énumère 1517 espèces : on est surpris d'y trouver un nombre considérable d'espèces (environ 80) tout à fait étrangères au département ; il renferme aussi trop d'indications incertaines et consignées parfois sur de simples souvenirs.

PUY-DE-DÔME (Flore d'Auvergne du frère Héribaud,

1883) 1488

TARN (Florule de Martrin-Donos, 1864) 1480

J'ai dû éliminer une foule d'espèces critiques ou adventices, etc.

AVETRON (Cat. de Bras, 1877) 1830

Nombre qui sera, par la suite, notablement augmenté : ce département apparaîtra sans doute comme l'un des plus riches. Mais il faut avouer que ce travail laisse trop à désirer ; il renferme 2,040 espèces, et j'ai cru pouvoir en retrancher environ 1/10e ; que dire d'indications de la nature de celles-ci, trop souvent répétées : « Thalictrumfoetidum, plante des hauts som» mets qui n'appartient probablement pas à


154 RELEVÉS NUMÉRIQUES DE QUELQUES FLORES

» notre Flore. — Anémone silvestris, bois » montueux, indication sans doute erronée, » etc., etc. »

GARD (Flore de Pouzolz, 1862) 2210

J'ai retranché les espèces indiquées par Gouan, non retrouvées et non retrouvables à ce qu'il semble.

HÉRAULT (Flore de Loret, 2e édit., 1886) 2065

ALPES-MARITIMES (Flore d'Ardoinô, 1867)....... 2450

Il y a probablement des réductions à faire, provenant notamment d'espèces étrangères aux limites géographiques de ce département.

CORSE (Cat. de Marsilly, 1872; augmenté des découvertes ultérieures. — Cf. Bull. Soc. bot. de Fr., t.XXXVII, pag. 17) 1725

ARRONDISSEMENT DE ROMORANTIN (Cat. de E. Martin, 1875) 1120

Travail extrêmement soigné et consciencieux que Ton peut citer comme modèle.

ARRONDISSEMENT DE MONTBRISON (Extrait de la Statist. bot. du Forez de Le Grand, 1873, avec additions) 1255

J'aurais désiré donner le relevé de la Flore des Pyrénées-Orientales, de Companyo, mais je m'en dispense, cet ouvrage ne pouvant inspirer aucune confiance.

2° Flores régionales.

ENVIRONS DE PARIS (Flore de Bonnet, 1883), 95 kilomètres de rayon autour de Paris 1330

NORMANDIE (Flore de Brébisson, 5e édit., par Morière, 1879) ; cinq départements 1485

LORRAINE (Flore de Godron, 2e édit., 1857) ; trois départements 1490


LOCALES OU RÉGIONALES 155

Flore Jurassique de Grenier, 1865 ; deux déparlements 1590

AUVERGNE (Flore Héribaud, 1883) ; deux départements 1594

Ces quelques aperçus, qui pourront être facilement complétés sur d'autres Flores, me permettent d'engager les auteurs de travaux analogues à :

1° Adopter une seule série de numéros du commencement à la fin (suivant l'exemple de la Flore française de de Candolle, de celles de Boreau, Franchet, etc.) ;

2° Noter par des signes spéciaux les plantes cultivées, adventices, hybrides ;

3° Mettre rigoureusement en harmonie le texte et le titre, c'est-à-dire, ne point introduire dans l'ouvrage des espèces non constatées dans la région définie, sauf à indiquer en note ou avec une typographie différente celles sur lesquelles on veut appeler l'attention.

L'application de ces deux derniers préceptes, notamment, permet au lecteur d'embrasser sûrement et rapidement le tableau de la Flore spontanée, l'un des points essentiels pour le botaniste.

Observation omise dans le texte primitif

Il n'a pas été tenu compte, dans les relevés ci-dessus, de quelques documents postérieurs à la publication des ouvrages mentionnés, sauf les cas spécialement indiqués.



COMPTE-RENDU

DES

PRINCIPALES HERBORISATIONS

AUX ENVIRONS DE BOURGES EN 1890

PAR M. NARCY

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COMPTE-RENDU

DES

PRINCIPALES HERBORISATIONS

FAITES

AUX ENVIRONS DE BOURGES

EN 1890

Par M. NARCY

Excursion botanique à Saint-Florent et à La Chapelle-Saint-Ursin.

Le 15 mai 1890, nous faisions une excursion botanique à Saint-Florent. M. Le Grand, avec sa bienveillance habituelle, avait bien voulu la diriger.

Partis de Bourges à 10 h. 1/4, nous descendons à Saint-Florent à 11 heures et nous nous dirigeons immédiatement vers les bois où M. Le Grand espère récolter en fleurs la Coronilla Emerus, trouvée plu-= sieurs fois depuis une quinzaine d'années dans le lieu même où Boreau l'avait indiquée, entre Morthomiers et Villeneuve.

Chemin faisant nous recueillons nombre de plantes intéressantes ou rares : c'est d'abord Ranunculus nemorosus D. C. (Sylvaticus G. G.), dont les beaux échan-


160 EXCURSIONS BOTANIQUES

tillons nous tentent, ainsi que ceux de l'Euphorbia amygdaloïdes.

Nous récoltons ensuite Neottia nidus-avis, dont les racines fibreuses sont entrelacées comme les pailles d'un nid d'oiseau ; cette plante ne contenant pas de chlorophylle n'est jamais verte.

En suivant une des nombreuses allées qui sillonnent ces bois, nous trouvons successivement: Alyssum calycinum, Cerastium brachypetalum, Orchis simia, Globularia vulgaris, sur les coteaux découverts; puis, chose assez remarquable pour être notée, trois espèces rares de Carex mélangées l'une à l'autre : le Carex Halleriana ou gynobasis, récolté déjà dans une précédente promenade à Turly, le Carex montana et le Carex humilis ; cette dernière espèce se dissimule parmi les feuilles plus grandes de graminées ou d'autres Carex, et il faut marcher sur les genoux et les mains pour la découvrir.

Un peu plus loin nous trouvons Helianthemum canum, Ophrys aranifera, Ophrys muscifera ou myodes, Ophrys arachnites et Limodorum abortivum, une des plus belles orchidées de nos pays.

Sans être aussi abondant que dans les bois de Soye, le Lithospermum purpuro-coerulum se rencontre çà et là dans les taillis et accompagne l'Orobus tuberosus et l'Orobus niger.

Nous approchons du dolmen de Villeneuve situé au milieu du bois des Touches ; une moitié au moins de la pierre supérieure a dû être brisée par accident et les morceaux employés à des constructions, mais le gros fragment qui reste est bien conservé sur les pierres enfoncées verticalement et destinées à le soutenir ; sur ce monument nous prenons, comme souvenir, l'Arabis sagittata et l'Asplenium ou Capillaire noire.


EXCURSIONS BOTANIQUES 161

Le chef cantonnier qui nous sert de guide nous conduit ensuite dans le bois de la Chaume-auxLièvres, où se trouve la Coronille, et sur le chemin nous récoltons : Hippocrepis comosa qui, de loin, ressemble, à s'y méprendre, au Lotus comiculatus et Coronilla minima; dans un champ de blé, Myagrum perfoliatum, Erysimum orientale, aucalis daucoïdes, Neslia paniculata; en rentrant dans le bois, Orchis mascula, Orchis purpurea, Cytisus supinus, Aquilegia vulgaris, Aceras anthropophora, Trinia vulgaris, Polygala calcarea et un seul échantillon desséché d'une plante rare pour le Cher, l'Orobanche Teucrii.

Le bois devient plus touffu en allant sur Villeneuve; sur les lieux où nous cherchons en vain Coronilla Emerus, nous trouvons : Meliltis melissophyllum, qui commence seulement à fleurir, le Polygonatum vulgare, beaucoup plus rare que le multiflorum ou Grand sceau de Salomon, Cephalanthera ensifolia, Géranium sanguineum, le plus beau de ceux qui croissent dans nos pays, très abondant entre Lissay et Trouy, l'Astragalus glycyphyllos, Mercurialis perennis èt Rubia peregrina.

Pour revenir dans les marais de Morthomiers, nous traversons le bois du Palais et visitons les ruines dites de la Tour-du-Beau, qui forment actuellement un vaste rectangle divisé en plusieurs parties par des murailles perpendiculaires aux plus grands côtés ; de distance en distance, des ruines de murailles irculaires s'élèvent encore à plusieurs mètres au-dessus du sol et doivent marquer l'emplacement des tourelles dont était flanqué le monument. Il paraît que l'histoire de cette tour est peu connue; pourtant, ce qui reste aujourd'hui permet de supposer qu'elle a dû avoir une certaine importance, et des recherches sur


162 EXCURSIONS BOTANIQUES

ce point pourraient amener des découvertes intéressantes.

Dans les grandes allées, nous trouvons ensuite : elica uniflora, Luzula mulliflora, Luzula Forsteri, Ruscus aculeatus, et dans une partie de bois nouvellement coupé, l'Euphorbia angulata, distinct du dulcis par ses racines bulbeuses à chapelet et ses tiges plus grêles. Boreau ne l'indique pas dans le Cher, mais M. Le Grand l'a trouvée à Mareuil et s'étonne que Tourangin ne l'ait jamais indiquée dans son propre pays, car elle se trouve sur la commune de SaintFlorent. La Spiroea hypevicifolia forme comme une nappe blanche dans une coupe d'une année, voisine de la partie précédente, et la Spiroea filipendula développe ses premières feuilles.

Entre le bois que nous quittons bientôt et dans lequel nous rencontrons, de distance en distance, des gazons de Polytricum formosum, et la voie romaine d'Argenton à Bourges, nous trouvons la Spergula pentandra, l'Ajuga Genevensis, et sur le talus de la voie : Ranunculus gramineus; cette dernière espèce, très rare dans le bassin de la Loire, n'avait encore été trouvée sur Saint-Florent que par Tourangin.

En suivant la voie romaine, nous retrouvons abondamment: l'Ophrys aranifera, le Cephalanthera ensifolia, l'Anthyllis montana, l' Anémone pulsatilla, l'Helianthemum pulverulentum, l' Helianthemum canum et quelques pieds non fleuris de l' Helianthemum Fumana, puis, sur la commune de Morthomiers, le Koeleria valesiaca, l' Arenaria controversa et l'Euphorbia Gerardiana.

Le temps manquant, nous ne pouvons nous rendre à la station du Stipa pennata, qui ne doit pas être bien loin, puisque nous en voyons un bouquet entre les mains d'un berger.


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Après avoir traversé la ligne du chemin de fer, nous arrivons dans les pacages où nous devons trouver le rare Viola pumila; cette violette n'est pas près de disparaître, car en certains endroits, elle recouvre entièrement le sol ; un peu plus loin, dans un large fossé creusé pour assainir le terrain, nous récoltons le Nasturtium usperum ; puis, au milieu de touffes de violettes, l'Ophioglossum vulgatum qui n'avait pas encore été signalé dans cette localité.

En remontant le coteau en vue des maisons du Vernillet, en partie recouvert par l'Artemisia camphorata non fleuri, nous faisons une ample moisson de Leucanthemum graminifolium et nous nous dirigeons vers la station de La Chapelle-Saint-Ursin, assez fatigués par cette longue course à travers bois et par les premières chaleurs de mai, les boîtes bien garnies et reconnaissants envers M. Le Grand de l'excursion agréable et très fructueuse que nous devons à sa connaissance approfondie des diverses localités que nous avons parcourues.

Excursion botanique à la forêt de MenetouSalon (25 mai 1890).

M. Le Grand dirigeait l'herborisation et était accompagné de MM. Alliot, Mornet, Michel et Narcy.

Cette excursion, que nous devions faire huit jours auparavant et qui avait été remise à cause du mauvais temps, s'est effectuée dans les meilleures conditions. Pourtant, la belle saison°s'annonce mal ; depuis le commencement de mai, la pluie, est tombée presque sans


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discontinuer ; c'est à peine si le thermomètre accuse 12° de chaleur et déjà plusieurs orages accompagnés de grêle se sont produits dans les environs de Bourges. Le ciel s'étant éclairci le 24 mai et la température un peu relevée, nous sommes partis le 25 par le train de 10 h. 15 m. pour descendre à Menetou à 10 h. 49 m.

A partir d'Asnières, le pays devient accidenté; des deux côtés de la voie on aperçoit des vallons dont la luxuriante végétation contraste avec la monotonie des plaines de Bourges; c'est du reste ce que l'on constate en quittant la ville, quelle que soit la direction suivie.

Nous quittons la gare de Menetou par un soleil splendide et nous nous dirigeons en hâte vers la forêt. La présence du Lappa major, vulgairement Bardane, avec ses énormes feuilles cordiformes et ses grosses têtes florales dont les pointes recourbées s'attachent aux habits des passants et aux toisons des animaux, nous annonce le voisinage des habitations; c'est cette plante que les Bomains appelaient personala, parce que, avant l'invention du masque scénique, les comédiens se servaient de ses larges feuilles pour se couvrir le visage.

La racine de la Bardane est grosse, rameuse et contient de la fécule ; en Ecosse, on la mange cuite, comme la racine des salsifis. Au point de vue médical, la Bardane est sudorifique, dépurative et employée dans les maladies cutanées, vertus qui lui ont valu le nom peu distingué d'Herbe aux teigneux.

Nous passons au pied du château et nous pénétrons dans la forêt, à gauche de la grande route ; à peine avons-nous fait quelques mètres que nous trouvons abondamment l'Allium ursinum, en fleurs et en fruits, l'Asperula odorata, avec ses petits faisceaux pédoncules et terminaux de fleurs blanches devenant odorantes


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seulement après la dessication, le Milium effusum, belle graminée que l'on rencontre surtout dans les bois couverts et montueux, les Veronica Teucrium et Chamoedrys, plantes assez communes, et la Veronica montana qui l'est beaucoup moins. Boreau ne l'indique dans le Cher qu'à Germigny, Vierzon et Allogny. M. Le Grand l'a trouvée depuis dans les forêts de Saint-Palais et de Cleffy, et il nous fait remarquer que c'est la première fois qu'on la rencontre à Menetou, ajoutant même, eu égard à sa station fort restreinte, que si elle vient à disparaître, les botanistes qui, dans quelque vingt ans, passeront dans cette localité sans la retrouver, pourront bien nous croire peu consciencieux.

Un peu plus loin , de beaux échantillons de Ranunculus sylvaticus en fleurs et de Ranunculus auricomus en fruits se mêlent aux Melica uniflora, Poa nemoralis, Carex sylvatica, Sanicula europea, Luzula pilosa, Euphorbia amygdaloides.

Plus avant encore, nous trouvons quelques pieds de Phyteuma coeruleum, forme remarquable à fleurs bleues du spicatum, et Polygonatum multiflorum, qu'il ne faut pas confondre avec le vulgare dont les fleurs sont moins nombreuses et plus grandes, puis l'Oxalis acetosella en abondance; la floraison de cette dernière plante a dû être empêchée par une cause quelconque, la trop grande humidité peut-être, car nous avons de la peine à récolter quelques-échantillons fructifies.

Sur lés bords d'une allée ombragée, nous nous arrêtons devant quelques beaux pieds de tilleul, que l'on trouve rarement dans le Centre.

Notre aimable guide désirant nous faire récolter la grande Luzule, Luzula maxima, plante rare des bois montueux et siliceux, nous fait prendre, dans la direction du Grand-Etang, un petit sentier où il l'a décou-


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verte depuis peu ; nous la reconnaissons bientôt à ses larges feuilles radicales, à sa panicule corymbiforme développée et portée par une tige de 6 à 8 décimètres. Après en avoir pris suffisamment, car c'est le seul endroit de la forêt où elle se trouve, nous continuons notre marche, tout en constatant la présence du Muguet de mai, Contallaria maïalis, qui jouissait autrefois d'une haute réputation, surtout en Allemagne, où son eau distillée, appelée Eau d'or, passait pour réparer l'épuisement des forces. Comme nous ne croyons pas devoir récolter de plantes remarquables avant d'arriver à l'étang, c'est de ce côté que nous dirigeons nos pas ; chemin faisant, nous trouvons cependant le Polytricum formosum en bon état, le Luzula mulliflora et sa variété congesta à fleurs très rapprochées, ressemblant presque à un capitule, le Carex pilulifera, le Polygala depressa, le Festuca tenuifolia, le Pteris aquilina, vulgairement aquiline ou fougère commune.

Avant de sortir de la forêt, nous trouvons encore Viola riviniana, Euphorbia dulcis, Pthamnus frangula, vulgairement Bourdaine, aulne noir. Les Nerpruns sont en général purgatifs; on emploie surtout le Rhamnus catharticus, avec lequel on prépare un sirop très connu ; dans quelques contrées, les paysans se purgent avec 20 ou 30 baies de nerprun. Ces arbrisseaux fournissent à la teinture, par leur écorce une couleur jaune, et par leurs baies le vert de vessie.

La présence du Pedicularis sylvatica nous annonce l'approche des marais ; bientôt, en effet, nous arrivons en vue du Grand-Etang, et nous pouvons récolter Stellaria graminea, Orchis laxiflora, Cirsium anglicum, Genista anglica, Carex vesicaria, panicea et stellulata, Elodes palustris, qui ne fleurira que dans un mois, et plus près des bords, les Salix repens et aurita, assez


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communs dans la Sologne, plus rare dans les autres régions.

Il faut marcher dans l'eau pour récolter les Eriophorum ou Linaigrettes, facilement reconnaissables à leurs épillets en forme de houppes blanches et soyeuses ; malheureusement, c'est l'espèce commune, l'Eriophorum angustifolium, qui s'offre à nos regards. Les poils blancs qui constituent les épillets ont été employés à faire des matelas ; on a essayé aussi, mais également sans succès, de les filer, d'en faire des chapeaux. Cette plante est donc plutôt nuisible qu'utile ; on la détruit, comme les joncs et les autres cypéracées des lieux aquatiques, par l'assainissement du terrain et par l'emploi des amendements. D'ailleurs, en raison de sa végétation luxuriante dans les marais et dans, les étangs, elle contribue par ellemême au dessèchement, à la production du terreau et de la tourbe.

Au milieu des Sphagnum commencent à s'élever les tiges du Drosera rotundifolia; les gouttelettes visqueuses sécrétées par les poils font paraître la plante comme couverte de rosée et sont étincelantes au soleil, d'où ses noms de Drosera, ou couvert de rosée, et de Rossolis, ou rosée du soleil. Cette petite plante herbacée, vivace, à feuilles toutes radicales, appliquées à terre et disposées en rosettes, portant sur la surface et sur les bords de longs poils rouges et glanduleux, à tige florifère de 8 à 10 centimètres, est assez répandue, au milieu des mousses et des sphaignes, dans les marécages tourbeux des terrains siliceux de presque toute la France ; elle fleurit en juillet et en août. Le Rossolis est une de nos plantes indigènes les plus intéressantes, par les phénomènes remarquables qu'elle présente ; les poils de la feuille et le


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limbe lui-même jouissent d'une irritabilité extrême. Qu'un petit insecte vienne s'y poser, il est d'abord retenu par l'humeur visqueuse sécrétée par les poils, puis l'on voit ceux-ci s'incliner en divers sens et s'entre-croiser au-dessus du petit animal, de manière à l'entourer et à le retenir prisonnier ; de son côté, le limbe se reploie et emprisonne l'insecte encore plus étroitement. Au dire de Darwin et de plusieurs autres observateurs consciencieux, le liquide visqueux sécrété par les poils aurait la propriété de dissoudre, de digérer, pour ainsi dire, l'animal fixé sur la feuille, et une fois réduit en cet état, l'insecte serait absorbé par la plante, qui s'en nourrirait. Le Rossolis serait donc une plante Carnivore, ou, mieux, insectivore. Mais, de nombreux botanistes lui refusent cette prérogative ; selon ces derniers, l'insecte n'est nullement digéré et absorbé par la feuille, mais simplement décomposé et altéré par l'apparition d'un nombre considérable de microbes.

L'étang est, du côté du bois, rempli de hautes herbes, parmi lesquelles on distingue l'Iris pseudoacorus, le Scirpus sylvaticus, l'Equisetum limosum, un Typha, qui est probablement le Latifolia. On aperçoit aussi de petites feuilles ovales surnageantes au milieu desquelles se dressent des fleurs blanches, que nous supposons être l'Alisma natans ; l'eau est trop profonde pour s'en assurer, et M. Mornet, qui y plonge le bras pour se procurer des échantillons complets de Carex ampullacea, non signalé dans cette localité, le retire au bout de quelques secondes recouvert de plusieurs sangsues, qui cherchent à se fixer.

M. Le Grand avait d'abord l'intention de nous conduire à la station de l' Arnica montana, située à 1 kilomètre environ, mais il est déjà tard, et nous devons


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reprendre le train de 4 heures ; l'Arnica, d'ailleurs, n'est pas encore en fleurs, et nous nous contentons de descendre dans un pré qui reçoit l'eau de l'étang et dans lequel nous remarquons Orchis latifolia, Carex pallescens, Stellaria uliginosa, Valeriana dioïca et Nardus stricla.

Notre retour s'effectue par les belles allées ombreuses de la forêt, où nous retrouvons les mêmes plantes communes qu'au départ. On peut cependant noter, en passant, le Rosa tomentosa, l'Orobus tuberosus, le Veronica offlcinalis, espèce assez voisine des trois espèces déjà récoltées, le Lamium Galeobdolon ou Galeobdolon luteum, le Sedum Telephium ou herbe à la coupure, dont nous prenons quelques tiges pour planter dans nos jardins, le Neottia nidus-avis et, le long de la route, l'Arenaria trinervia, plante assez commune des lieux frais et couverts, mais qui aime les terres légères et ne se rencontre pas autour de Bourges.

Les haies qui entourent les jardins de Menetou sont remplies d'une aroïdée très commune dans les vallons ombragés, l' Arum maculatum ou Gouet, appelé vulgairement Pied-de-veau. Cette plante contient une très grande quantité de fécule qui peut servir à l'-alimentation, après que la torréfaction en a détruit le principe délétère. Le Berry en possède une autre espèce bien plus rare et commune dans l'Ouest, l'Arum italicum, qui acquiert de plus grandes proportions et est cité par les physiologistes comme ayant servi à Lainarck, en 1791, pour constater le développement considérable de calorique qui se produit dans les fleurs au moment de la fécondation.

En résumé, cette excursion, favorisée par un beau temps, a été très fructueuse; j'ai cité les noms de


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64 plantes rares ou intéressantes. Je termine en constatant, une fois de plus, qu'une promenade botanique, même de courte durée, comme celle du 25 mai, procure toujours des distractions intelligentes et saines à ceux qui ont le goût de l'observation, de la recherche scientifique, surtout s'ils ont le rare bonheur d'avoir un guide aussi compétent et aussi bienveillant que l'auteur de la Flore du Berry.

CH. NARCY.


L'ANCIEN

A BOURGES

Par M. HIPte BOYER



L'ANCIEN COMPAGONNAGE

A BOURGES (1)

Quand le terme de l'apprentissage était arrivé et que l'apprenti avait satisfait au contrat passé entre le maître et lui, il avait à accomplir un nouveau stage avant d'arriver à la maîtrise, si jamais il devait y parvenir, ce stage était celui du compagnonnage.

Le compagnon était l'ouvrier enrégimenté dans une corporation spéciale, qui lui permettait de compter sur le secours et la protection des compagnons du même métier. Quant à ceux des autres métiers, s'ils n'étaient pas hostiles, il n'y avait pas pour lui, en tout cas, à compter sur eux.

Là où le compagnonnage était bien organisé, on ne passait d'apprenti compagnon qu'à la suite d'épreuves, dont la principale était un séjour dans un et, souvent, plusieurs chefs-lieux de provinces, renommées pour l'excellence de leur industrie. L'ouvrier se transportait de ville en ville à tour de rôle, et s'y installait chez les maîtres, où il se perfectionnait tout en gagnant sa vie par son travail. C'était ce qu'on appelait faire son tour de France. Du reste, une fois reçu compagnon, il n'en continuait pas moins son tour, si c'était nécessaire, mais, alors, il était couvert par la protection du compagnonnage qui manquait à l'apprenti.

(1) Chapitre d'une Histoire des corporations d'arts et métiers de la ville de Bourges.

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Il y avait donc, pour ce dernier, une période intermédiaire à traverser, période souvent douloureuse. Écoutons parler à ce sujet un de nos auteurs contemporains, qui a le mieux connu les misères de l'ancien ouvrier :

« Si faire son tour de France n'est rien aujourd'hui pour l'ouvrier que les chemins de fer transportent tout à coup frais et dispos dans les villes où le travail abonde, c'était pour lui jadis une bien grosse affaire ; il fallait avoir bon pied, bon oeil, l'âme chevillée au corps, être un héros pour l'entreprendre, et tout cela ne suffisait point encore pour la mener à bonne fin, il fallait avoir aussi beaucoup de bonheur, et celui qui revenait bien portant un jour au milieu des siens pouvait se vanter d'en avoir vu de dures !

» Aller, apprenti, la canne à la main et la besace au dos, quémander de bourg en bourgade de l'ouvrage et n'en obtenir que de loin en loin et très peu, dormir le plus souvent à la belle étoile et se remettre en route, le ventre creux, sans être sûr de trouver, au bout de cette nouvelle étape, un gîte et du pain, être parfois dévalisé de ses outils par les voleurs de grands chemins ou roué de coups par les ouvriers des corps d'état ennemis, se voir ballotté de la prison, où l'on couche faute de papiers, à l'hôpital où l'on va faute d'argent, errer sans le sou par des contrées inconnues, s'abattre, écrasé de fatigue et dévoré de sommeil, au bord d'un champ ou dans le fond d'un fossé, se remettre en marche après un réconfort inattendu pour braver de nouveau les soleils de plomb ou le gel, ou la pluie, être mal vu des gens et mordu par les chiens, les uns et les autres haïssant les haillons et ceux qui en sont vêtus, enfin, misérable des misérables, subir tous les supplices et porter une croix plus lourde que


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la croix légendaire du Nazaréen, à ce métier-là, qui durait des années, sur cent, quatre-vingt-dix-neuf tombaient pour ne plus se relever et mouraient, désespérés, loin du pays natal, sans même, hélas ! avoir été reçus compagnons. » (1).

Mais, enfin, après tant d'épreuves, assombries peutêtre un peu par le pinceau du peintre, après avoir témoigné de ses aptitudes, l'ouvrier demandait à être reçu dans le compagnonnage, et les compagnons l'admettaient comme confrère, après l'avoir baptisé d'un surnom, qui remplaçait désormais, pour ceux du métier, celui sous lequel il avait été jusque-là connu. Examinons quelle situation lui était faite à partir de ce jour.

Il faut distinguer ici entre les époques. On se tromperait étrangement, en effet, en supposant que le régime du compagnonnage au XIIIe siècle était le même qui réglait la condition de l'ouvrier au XVIIIe. — Ce qui distingue nettement les temps à cet égard, c'est que, à l'origine, par le fait d'une grossièreté commune et de la pauvreté de l'homme de métier en général, une sorte d'égalité règne entre le maître et le compagnon ou varlet, car, alors, on confond l'un et l'autre. Plus tard, avec l'agrandissement de la richesse publique et la culture croissante des esprits, un écart entre eux se produira, qui ira toujours grandissant, jusqu'à ce que les associés des premiers âges forment deux classes souvent hostiles l'une à l'autre.

(1) L. CLADEL, Montauban-Tu-ne-le-sauras-pas. — Quelle que puisse être l'autorité de cette quasi biographie d'un travailleur, constatons que la nature même du talent du conteur le porte à l'exagération par excès de coloris, et que, d'ailleurs, la vie du peuple ouvrier dans les provinces du Midi s'est toujours réglée d'après des moeurs un peu différentes de celles des communautés ouvrières du Centre et du Nord.


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Le caractère primitif du compagnonnage, qui devait tellement se modifier par la suite, se peint dans le nom même que prend cet associé du maître. De qui est-il plutôt le compagnon à ce moment ? Est-ce de son patron ou des autres ouvriers? Au moins autant de l'un que des autres ; et, si l'on veut peindre la situation que cela lui crée vis-à-vis du maître, il semble qu'on puisse la comparer à celle qui existe actuellement pour le tâcheron et les ouvriers qu'il associe à son entreprise.

Ainsi, ce dont il faut bien se pénétrer, c'est que, au Moyen-Age, il n'existait pas encore, à proprement parler, de distinction sociale entre le maître et le compagnon d'un même métier, c'était comme deux degrés d'une situation, le compagnon étant un perpétuel aspirant à la maîtrise, car, dans l'armée du travail, le soldat ne se trouvait pas fatalement exclu des grades comme le militaire. A ces époques anciennes, tous sont confrères, sont protégés par la même bannière et prient le même saint. La prospérité ou le désastre les atteignent également; ils se réjouissent ou se désolent ensemble de l'état général du corps dont ils sont tous membres. En un mot, leurs intérêts sont communs. Ce fut le temps qui amena cette transformation des classes laborieuses, et cette séparation, toujours plus grande, entre maître et compagnon, le premier s'étudiant de plus en plus à fermer au second l'accès de sa communauté.

Les commencements du compagnonnage sont inconnus, comme presque tous les commencements. Lui aussi a ses fables originelles, dont nous n'avons pas à nous préoccuper. Son origine doit être plus récente qu'on ne l'a supposé, en raison même de la cause à laquelle nous sommes porté à l'attribuer. On


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pourrait croire, en effet, qu'il aura été aidé, et même provoqué dans sa genèse par la franc-maçonnerie, qui avait dû le précéder, et qui ne fut apparemment que sa première manifestation, limitée au corps des ouvriers de bâtisse. Sans doute il se plaît à prolonger ses commencements dans un lointain fabuleux, en le dérobant sous le mythe et le symbole, en quoi il ressemble à toutes les sociétés secrètes. Mais on n'est pas tenu de croire à cette mythologie.

Par le fait, le compagnonnage n'aura guère songé à naître que le jour où l'ouvrier a eu conscience qu'il était quelque chose. En quelque pays qu'il soit né, il fut certainement le résultat de la constitution des métiers en corporation, et il a dû reconnaître pour cause immédiate, l'éloignement, qui dut finir par se faire, grâce à cette organisation, entre maître et compagnon.

Tant que l'organisme de la primitive confrérie resta dans sa simplicité originelle, il n'y avait pas assez de différence entre le patron et l'ouvrier pour que celui-ci songeât à faire bande à part, à élever corporation contre corporation : cette idée ne lui put venir que quand son intérêt, mis en éveil, lui indiqua qu'il devait se grouper, pour sa sécurité, contre le monopole de la maîtrise (1).

Le compagnon payait ses droits de confrérie comme le maître; seulement, tandis que celui-ci faisait en une fois le versement de l'année complète, l'autre

(1) Notons que ce qu'on pourrait appeler l'aristocratie des métiers paraît n'avoir pas voulu appartenir à cette organisation du compagnonnage ou en être sorti de bonne heure. Ce fut le cas des professions d'apothicaire, imprimeur, relieur, drapier, orfèvre, horloger, fourreur, perruquier et parfumeur. (MONTEIL, Hist. des Français des divers états, XVIIIe siècle, 35e décade )


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payait par semaines, attendu qu'il n'était souvent que de passage.

Très anciennement, et pendant longtemps, il eut sa part dans le maniement des intérêts communs. Je ne parle pas de nos bouchers, chez lesquels, au XIVe siècle, pour l'admission d'un nouveau maître, on ne demandait pas seulement le consentement des maîtres, mais aussi celui des compagnons, parce que le régime de la boucherie était un peu à part des autres professions ; mais nous retrouvons des dispositions analogues dans le très ancien statut des foulons et pareurs ou tondeurs, où le compagnon ou varlet apparaît compris dans la franchise du métier comme associé du maître, non seulement pour le travail, mais aussi pour toutes les opérations de la communauté. Ils perçoivent en commun les droits sur les apprentis, le compagnon a voix délibérative parmi les maîtres, et le consentement de tous les deux est exigé en certains cas. Enfin, tous assistent ensemble à la reddition des comptes du receveur de la corporation.

Mais, quand les ouvriers eurent vu les maîtres s'organiser en jurandes, pour la sauvegarde de leurs propres intérêts, sans se préoccuper des compagnons, ceux-ci durent songer à en faire autant de leur côté. Et comment expliquer mieux leurs asociations sous des bannières diverses, ces nombreux devoirs en face des communautés des maîtres, sinon par le besoin d'opposer une organisation de défense à une organisation contre laquelle ils pouvaient avoir à lutter ?

Il y a cependant à tenir compte de ce fait, que ce nom de compagnon se rencontre déjà au XIIIe siècle (1) ;

(1) On trouve des compagnons cordonniers désignés dans le rôle de la taille imposé sur les habitants de Paris en 1292 (Paris sous


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et l'on peut se demander si le sens qu'il avait alors resta depuis le même, si, en un mot, et comme je l'ai déjà exprimé, l'ouvrier ainsi qualifié doit être considéré par là comme le sociétaire du patron, ou, plutôt, comme il le sera plus tard, l'affilié à la franc-maçonnerie du compagnonnage.

Il est donc permis de penser que cette organisation des valets des métiers en corporations, vivant sous une règle aux formes symboliques, aurait pu être contemporaine d'origine de celles des maîtrises jurées. Assurément, c'est bien l'âge de création de tous ces organismes d'une société, qui s'édifie en se hiérarchisant : universités pour les savants, communes pour la bourgeoisie, bazoche pour le palais. Cette organisation du travail prolétaire rentrerait donc logiquement dans le système alors généralement en faveur.

Tout cela, d'ailleurs, et il n'y a pas lieu de s'en étonner, se modelait sur l'idéal chevaleresque, le plus haut qu'on pût concevoir alors, quand il ne s'agissait pas de l'Eglise. On a quelquefois remarqué l'analogie qui existe entre les cérémonies accompagnant la réception d'un chevalier et celles par lesquelles on procédait à la conférence des grades universitaires (1). Sous la robe comme sous l'armure, le premier degré était celui de bachelier. Cela peut aider à faire comprendre comment, dans certains métiers, ainsi que nous le verrons, le compagnonnage confère à l'initié le titre de chevalier (2).

Philippe le Bel, 1837) et son éditeur, M. H. Geraud, se demande si, déjà, cette espèce de franc-maçonnerie du compagnonnage existait.

(1) Maurice RAYNAUD, Les Médecins au temps de Molière, ch. v, pag. 236.

(2) Les compagnons teinturiers de Bourges étaient dits chevaliers; en revanche, les maîtres-jurés fourbisseurs se disaient bacheliers.


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On saisit par là ce qu'il y a de normal dans cette constitution du compagnonnage à ces époques, et l'on peut comprendre comment l'organisation des métiers en jurandes, favorisée par saint Louis, ne fit qu'y aider. En protégeant la création de la bourgeoisie, pour s'appuyer sur elle, la royauté s'intéressait naturellement au patron, qui formait l'élément principal de celte classe. L'ouvrier, resté dans l'ombre, dut se faire compagnon pour être quelque chose dans la société.

Mais, si le compagnon se vit écarté, oublié plutôt par le maître bourgeois, il lui restait au moins la perspective d'être maître à son tour, car, dans cette armée du travail, l'avancement par étape jusqu'à la maîtrise était de droit, au moins en principe. La maîtrise, en somme, comme on l'a dit, consistait plutôt en une supériorité hiérarchique qu'en une distinction sociale, puisqu'elle restait accessible au compagnon, au moins jusqu'au jour où il lui fut interdit d'aspirer à la maîtrise au profit des fils de maître. En sorte qu'on pouvait le considérer comme un postulant perpétuel à ce dernier degré de la hiérarchie corporative (1). Bien plus, on pouvait voir, et l'on vit souvent, le maître redevenir compagnon. Il n'est rien de stable en ce monde, et tel maître sans travail pouvait se trouver porté, un jour, à ambitionner la situation de l'ouvrier. Nous verrons que l'ancien statut de 1466, des foulons et pareurs (art. 6), est peu charitable pour qui déchoit de la sorte. Plus tard, le statut des

(1) Il y avait, au moins dans là draperie, des maîtres-compagnons. Nous en avons parlé au chapitre de la Confrérie, à propos des douze apôtres. Qu'étaient-ils ? nous l'ignorons; peut-être des espèces de contre-maîtres, peut-être indiquent-ils aussi une organisation communautaire des compagnons près de celle des maîtres, comme nous savons qu'il en a existé à une certaine époque.


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corroyeurs, daté de 1615, contiendra, en prévision d'une pareille éventualité, une prescription bien sentie (art. 31) ; et celui des chapeliers, de 1632 (art. 34), tiendra à garantir au maître, que la pauvreté réduisait à la condition de compagnon, le maintien des droits et privilèges de la maîtrise.

N'oublions pas, de plus, que, considéré par le maître comme inférieur en tant que citoyen, le compagnon, l'ouvrier conservait toujours, dans une certaine mesure, son privilège d'égalité comme chrétien, puisqu'il ne cessait pas de faire partie de la même confrérie, d'être protégé par le même patronage céleste, même après avoir érigé une confrérie rivale de celle des maîtres.

J'ai dit, qu'anciennement, le compagnon était indifféremment désigné sous la qualification de valet. Cela n'impliquerait pas absolument contradiction avec le caractère que nous avons spécifié comme étant celui résultant de la position réciproque du maître et du compagnon aux premiers temps. Il faut s'entendre sur la valeur du mot valet, qui fut loin d'être toujours la même. Au XIIIe siècle, le mot varlet est synonyme d'écuyer dans l'ordre de la noblesse. Il a pour origine le mot vassalus, qui est du même ordre. En descendant de l'aristocratie au monde marchand, il n'a pas d'abord eu non plus le sens défavorable qu'il acquit avec le temps. La véritable acception du nom de varlet-écuyer serait proprement celle de commensal, et je serais porté à croire que c'est à ce titre qu'il a passé au domestique. Le marchand l'a donné au compagnon. Au XIIIe siècle, les compagnons étaient encore pour les maîtres des confrères, dans toute l'acception du mot. Ils étaient admis aux réunions de la communauté où ils avaient voix délibératives, et étaient même


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choisis comme jurés. C'est que l'organisation du compagnonnage n'existait pas encore. Comme témoignage de cette condition, pour ainsi dire égalitaire entre maître et compagnon, on peut signaler ce fait entr'autres, que, dans la foulonnerie parisienne, les quatre prud'hommes ou chefs du métier, étaient choisis par moitié parmi les maîtres et moitié parmi les valets ; les uns et les autres votant ensemble pour nommer, les maîtres, les valets, et les valets, les maîtres (1).

Très souvent, le compagnon était le commensal du maître, qui le logeait parfois. Cela établissait un lien entre patron et ouvrier. L'art. 28 du statut de nos bourreliers, daté de 1613, et l'art. 29 de celui des corroyeurs, daté de 1615, obligent les compagnons à demeurer chez le maître qui les aura embauchés ; toutefois, à cette époque, ce n'était pas une obligation habituelle ; autrement, on s'expliquerait moins que les rapports de maître à compagnon eussent été, vers le même temps, ce qu'indique le statut des tailleurs de 1600, qui croit devoir imposer « aux serviteurs et compagnons du mestier servant chez les maistres de leur porter honneur et révérance et travailler fidellement ».

En somme, au xvie siècle, le valet semble n'être plus le vrai compagnon, mais seulement l'aide salarié qui n'a pas fait d'apprentissage (2).

(1) V. le Livre des Métiers, d'Et. BOILEAU, lit. LIII.

(2) Il ne faut pas non plus confondre ce titre de valet, synonyme de compagnon, avec la même qualification donnée au dernier reçu des maîtres d'une confrérie, chargé d'en faire le service jusqu'à ce qu'une nouvelle nomination l'en déchargeât. On voit souvent ces deux termes de valet et compagnon pris, semble-t-il, l'un pour l'autre ; ce qui les distinguait pourtant c'est que le premier n'avait pas, comme le deuxième, prêté le serment du métier et qu'il n'était


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L'ancienne expression de valet, dans les métiers, se trouverait ensuite représentée par le mot, plus moderne, d'alloué. On nommait ainsi une sorte d'intermédiaire entre l'apprenti et le compagnon régulièrement reçu. Il y avait, d'ailleurs, plusieurs sortes d'alloués, car, si par abus on nommait parfois ainsi l'apprenti lui-même, ce qu'on désignait le plus souvent par là, c'était, soit le compagnon embauché pour un temps déterminé, soit celui qui s'engageait chez un maître pour y devenir compagnon, sans aspirer Jamais à la maîtrise. Sous ce nom, il passait" donc en réalité par l'apprentissage pour rester dans le compagnonnage.

Toutefois, il y avait une troisième désignation, qui finit par être plus généralement adoptée pour exprimer la situation de l'aide en service chez le maître, ce fut celle de garçon.

Si nous devions nous en rapporter à la définition de Savary, dans son Dictionnaire du Commerce, les garçons auraient été, dans le monde purement commercial, ce que les compagnons étaient dans le monde de la fabrique. Il assimile ce nom à celui de commis, et il note ce fait, qu'on appelait de son temps maîtres garçons des maîtres reçus qui restaient commis. On disait généralement garçon de magasin. Mais il faut bien comprendre que la signification du mot a varié avec les époques. Ainsi, les garçons cordonniers de Bourges, au XVIe siècle, ne sont pas reçus maîtres, et

pas propre à travailler dans la profession du maître. C'est le cas visé par le statut des chandeliers de Rouen de 1360, quand il soumet à l'amende ceux des maîtres qui feraient, si peu que ce fût, travailler de leur métier les varlets non assermentés et les chambrières qu'ils pourraient avoir. (Ouen LACROIX, Hist, des anc. corporations d'arts et métiers à Rouen, pag. 389.)


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ils sont dans une situation inférieure aux compagnons, puisque leur salaire n'atteint que la moitié du taux du leur. La même différence s'opéra, avec le temps, entre les termes garçon de boutique et commis de magasin. A un autre point de vue, le garçon devait être un ouvrier de qualité inférieure, chargé du plus gros de la besogne, étant resté incapable d'un travail achevé, sans doute à la suite d'un apprentissage insuffisant, et qui n'avait aucune idée d'aspirer jamais à la maîtrise.

Il convient d'ajouter, au surplus, que tous les métiers étaient loin d'avoir suivi la même marche dans cette substitution des noms propres à désigner l'ouvrier et ses auxiliaires. Ainsi, pour ce qui est de ce terme de garçon, tandis qu'un compagnon cordonnier eût été blessé d'être qualifié garçon, on disait très bien un garçon boucher, et, même, un garçon chirurgien.

En somme, à l'origine, compagnon, garçon et même valet, sont des mots qui, successivement, ont désigné une seule et même chose, l'associé au travail du maître et moyennant salaire. Mais, avec le progrès des moeurs, la délicatesse toujours plus grande de la vie et des habitudes, même dans le monde des travailleurs, ce fut d'abord l'acception du mot valet, emprunté pourtant au langage noble, qui tendit à s'abaisser, sans doute en raison de l'idée de servilité domestique qui s'y rattache. Mais, comme la vie était encore simple, on demeura le compagnon ou l'associé du maître, ce qui se maintenait dans les idées égalitaires de la primitive confrérie.

Enfin, le terme de garçon, qui ressemblait beaucoup à celui de valet, quant à l'idée qu'ils impliquaient, employé d'abord presque à l'instar de celui de compagnon, il dut perdre faveur à mesure que le compa-


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gnonnage s'organisa, si bien qu'il finit par ne plus représenter que l'ouvrier sorti d'apprentissage et ne faisant pas partie de l'association compagnonne.

Il y a donc réellement et au fond, dans la situation du compagnon, à ces anciennes époques, quelque chose de la domesticité ; et cela est si vrai que, dans les statuts d'alors, le mot dont on se sert pour exprimer l'emploi du compagnon chez le maître, ce n'est pas travailler, mais servir. C'est que, alors, la domesticité n'est pas celle de nos jours. Le domestique, comme son nom l'indique, est un membre de la domus, de la maison, prise dans le sens de famille, comme aux temps antiques. Du maître au compagnon, il y a comme un souvenir de l'état ancien du patron au client dans la société romaine.

Cependant, il y a lieu de tenir compte d'une exception, qui apparaît comme une anomalie dans le milieu où il se produit, je veux parler de notre compagnon teinturier, qualifié « chevalier » au XVe siècle. Le statut de la teinturerie de Bourges, à cette époque, est le seul qui signale, à ma connaissance, chez les compagnons, celte autre tendance à imiter l'organisation des grandes corporations industrielles et commerciales, en empruntant au moins un nom à la plus importante de toutes, à la confrérie des Merciers, à ce qu'on nommera plus tard le Corps de la Marchandise ou des Marchands. En effet, une des parlicularilés de cette remarquable association, qui a tenu une grande place dans l'histoire de notre commerce national, c'est que ses membres prenaient le titre de chevaliers (1). Cette chevalerie commerciale se piquait

(1) Je me contente de rappeler ici que cette institution à Bourges s'intitulait : a Corps des Chevaliers de la Table ronde ».


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de noblesse comme la chevalerie féodale, à l'imitation évidemment de la noblesse marchande péninsulaire ; c'est, avec son droit d'accession à l'échevinage, c'està-dire à l'administration de la cité, la plus haute manifestation de l'importance acquise, lors de la Renaissance, par le monde commercial.

Or, ce titre de chevalier, dont nos gros commerçants étaient alors si fiers, nous le voyons officiellement porté par les valets ou compagnons de la teinture de Bourges, car c'est ainsi qu'on les désigne dans les statuts du métier, au temps de Louis XI, chose d'autant plus remarquable que les maîtres n'y apparaissent pas comme pourvus du même avantage ; en sorte qu'on ne peut pas même attribuer cette ambitieuse dénomination à une conservation exceptionnelle, dans la teinturerie, de l'ancienne égalité entre maître et compagnon.

Certainement, si on laisse de côté la franc-maçonnerie, avec laquelle le compagnonnage me semble avoir une analogie peut-être plus apparente que réelle, c'est à la grande association du Corps des Merciers que celle des Compagnons du Devoir ressemble le plus. L'une présente en bas ce qu'offre l'autre à un niveau supérieur, l'association sur une vaste échelle pour la lutte dans le champ clos de la vie.

Chacune d'elles, il est vrai, procède suivant des lois qui lui sont propres, mais cela tient aux rangs différents qu'elles tiennent dans le monde. La Société des Merciers s'étend en dehors des limites de la patrie, sur tous les marchés de l'Europe ; celle du Compagnonnage ne sort pas des frontières du pays, mais, dans son genre, elle a brisé aussi les vieilles entraves qu'opposaient au libre-échange du travail les bornes limitatives de chaque province, en étendant son action


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sur toute la région que comprend le tour, et cette région, ce n'est rien moins que la France. L'une et l'autre représentent le côté saillant de la civilisation moderne, qui est l'expansion ; à ce point de vue, le compagnonnage n'a pas d'analogie dans l'antiquité.

On comprend facilement que les statuts des métiers, arrêtés par les municipalités ou par les communautés, se soient préoccupés sérieusement de la question du compagnonnage, d'autant plus sérieusement que les communautés se rapprochent davantage de notre temps et avec des sentiments qui se modifient suivant les époques.

Les préoccupations se porteront généralement sur la durée de l'état de compagnon pour l'ouvrier, sur son mode « d'accueillage » chez le patron, même sur certains détails de police intérieure, comme les heures des repas et leur durée, ainsi que celle de la journée de travail.

Généralement, la durée du compagnonnage n'est pas fixée dans les statuts des métiers comme celle de l'apprentissage, cependant le temps vint où l'on crut sentir la nécessité d'arrêter ce détail important, et plus d'un règlement fixa le minimum des années que le compagnon devait employer à travailler dans l'atelier du maître, avant de pouvoir aspirer lui-même à la maîtrise. C'était souvent la même durée que celle de l'apprentissage, mais en général elle variait beaucoup. La plus commune était de deux années. On rencontre cette durée dans les statuts des tailleurs de 1574, des cordiers de 1624, des maréchaux de 1631 et des menuisiers de 1613, où elle est bornée à six mois pour les gendres de maîtres. Les statuts des vitriers de 1618, des boulangers de 1623, des


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serruriers de 1738 se contentent d'une année, ceux des poëliers de 1666, de six mois seulement, tandis que les pâtissiers, en 1619, exigent au moins dix-huit mois, les fourbisseurs en 1572 et les orfèvres en 1506, six années. Au surplus, il semble que le principe à cet égard ait été, pour le plus grand nombre des cas, celui qu'on trouve inscrit à l'article 20 du statut des chapeliers de 1633, que nul ne pouvait recevoir «la maîtrise sans avoir travaillé dans la ville, comme compagnon au moins un an et un jour, ce qui le constituait habitué de la ville. D'ailleurs, à mesure qu'on s'est rapproché de nos temps, il y a eu généralement tendance à restreindre la durée de cette période, sauf dans les professions qui exigeaient une perfection de travail et usaient de matières de grande valeur, comme dans l'orfèvrerie. D'ordinaire, les compagnons allaient s'accueillir aux boutiques des maîtres ; par une exception, particulière à la profession, le vieux statut de la foulonnerie, renouvelé en 1466, exige qu'ils se « louent » dehors, à un endroit spécial. Les maîtres devaient aller les y embaucher et, s'ils les acceptaient lorsqu'ils se présentaient chez eux, ils étaient passibles d'amende, à moins que l'engagement contracté fût moindre d'une année, mais généralement le compagnon s'embauchait au mois, et il lui était sévèrement défendu de rompre le marché avant l'expiration du mois, sous peine d'emprisonnement.

Je citerai encore, comme spécialement favorables aux compagnons, les articles 12 et 13 du même statut des foulons, qui consacrent les heures de repos et le pain de faveur que l'ouvrier doit avoir chaque jour. Il est vrai que les compagnons avaient mis la main à la confection desdits statuts. Il est vrai éga-


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lement que l'article 15 leur interdit de prendre leur déjeuner et leur goûter hors de chez le maître, qui doit « envoyer quérir ce qui sera nécessaire aus dits varlets pour leur sustentacion es dits deux repas. »

Quant à la durée de la journée, elle était d'ordinaire, surtout aux temps primitifs, limitée entre le lever et le coucher du soleil. Beaucoup de métiers prohibaient le travail à la lumière. Le statut des tisserands en toile de 1452 (art. 4) et celui de la bonneterie de 1484 (art. 29), fixe la durée du travail, pour les ouvriers en chambre, de 5 heures du matin à 8 heures du soir. Les vigiles des grandes fêtes, ainsi que le samedi, comme encore aujourd'hui en Angleterre, il devait cesser à 4 heures du soir. Si la première de ces mesures était commandée par raison d'humanité et de souci pour l'excellence du travail, la deuxième était purement de dévotion. Il fallait pouvoir se préparer, dès la veille des fêtes et des dimanches, de manière à n'avoir rien à faire ces jours-là.

Rarement, — et c'est une remarque à faire, — le souci, dans les statuts, se porte sur le compagnon pour lui-même et autrement que dans le but de lui imposer des restrictions. Je ne pourrais peut-être citer que l'article 11 du statut des orfèvres, daté de 1517, qui leur assure un secours de passage dans le besoin, ce qui était d'habitude l'affaire des sociétés de compagnonnage.

On ne rencontre pas d'habitude, dans les minutes des notaires, des contrats d'embauchage pour le compagnon comme pour l'apprenti. Ces conventions étaient verbales, mais, quelle qu'en fui la durée, elles devaient être rigoureusement tenues de part et d'autre. Si les divers statuts ne précisent rien contre le maître expulsant un ouvrier avant le temps convenu,

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ce-n'est pas à dire qu'il fût interdit à l'expulsé d'en appeler au tribunal d'arbitrage de la communauté sinon même à celui du compagnonnage, qui eût pu mettre l'atelier du maître en interdit, ce qui arrivait quelquefois. En tout cas, les statuts ont bien soin de prescrire des pénalités contre le compagnon quittant son atelier sans motif et contre le maître qui le prendra sans s'être assuré de la régularité de sa sortie de chez un confrère de la ville.

Si donc la législation des métiers s'intéressait au compagnon, ce n'était pas dans le sens des préoccupations que comporte notre époque actuelle. Il ne s'y agit pas d'assurer par des mesures prudemment économiques le sort du salarié, d'organiser en sa faveur une assistance prévoyante, qui le dérobe plus tard à la' mendicité, de le faire participer aux bénéfices que l'association assure aux maîtres. La législation coutumière, qui règle les communautés d'artisans, a surtout en vue de prendre des précautions envers ces auxiliaires; que rien d'ailleurs n'y garantit contre l'exploitation de celui qui les emploie. Si les statuts des métiers s'occupent du compagnon, c'est surtout pour lui imposer des obligations, au prix desquelles, seulement, il pourra faire partie de la communauté. Encore un temps viendra-t-il bientôt où ces liens de fraternité se relâcheront, les obligations seules demeurant, si même elles ne s'aggravent pas.

Ainsi on se préoccupera bien de le cantonner dans une corporation, mais c'est pour l'y lier strictement à des observances, plus ou moins étroites, qui témoignent de la méfiance qu'on a de lui, car ce qu'on a en vue c'est moins de le protéger que de garantir l'intérêt public contre ses malfaçons. Peut-être faut-


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il, pourtant, reconnaître que ce parti pris tint sans doute moins au mépris pour le compagnon, qui, après tout, pouvait être un futur maître, et à la crainte qu'on pouvait concevoir de lui, comme de tous les misérables, mal conseillés par la misère même, qu'au principe égoïste du laisser-faire pour les membres d'une société, chargés, la plupart du temps, de se

protéger eux-mêmes. Etat de choses, qui eut précisément pour résultat, dans le passé, de provoquer les associations de toute sorte. Pourvu qu'il obéit aux injonctions de l'Église, qui le surveillait comme fidèle, et que, comme manant, il n'eût pas trop souvent maille à partir avec le guet, l'ouvrier pouvait vivre et

mourir comme il l'entendait. La société ne se préoccupait de lui que médiocrement. Il était du vulgum pecus, chargé de fournir au maintien de la population et de l'alimenter. On n'eût guère compris qu'il en pût et dût être autrement. Ce sera l'honneur de notre siècle d'avoir conçu à cet égard de plus humaines préoccupations et d'avoir fait son étude de ces misères, pour essayer d'en découvrir la loi et le remède.

On opposera sans doute que le caractère outré des mesures auxquelles nous faisons allusion est le fait des siècles les plus rapprochés de nous, alors que l'écart était arrivé à ses proportions les plus grandes entre la classe des patrons et celle des ouvriers. Il n'en demeurera pas moins établi que, presque toujours, et, naturellement, plutôt dans les époques de troubles, l'autorité a dû exercer sur l'ouvrier une surveillance plus diligente, en raison de la grossièreté de ses moeurs et des entraînements auxquels sa situation pouvait le pousser.

C'est que, il faut bien le dire, c'était une turbulente population que celle des compagnons. On était tou-


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jours sûr de les rencontrer dans les émeutes et les troubles de la cité. Aussi, mainte ordonnance de notre police d'autrefois enjoint-elle soigneusement aux maîtres des métiers, qui ont chez eux des compagnons et serviteurs de leur métier, de venir déposer leurs noms et surnoms, au greffe de l'Hôtel-de-Ville, afin qu'on sache où les prendre au besoin.

C'est surtout à partir du gouvernement autoritaire de François Ier que ces préoccupations se manifestent; et, notamment, nous voyons, par le règlement d'août 1540 sur la draperie et la teinturerie de Bourges, ce prédécesseur de Louis XIV interdire sévèrement aux ouvriers de ces professions toutes assemblées et confréries. Mais, déjà, les statuts de bonneterie, réformés en 1533, avaient défendu aux compagnons de « monopoller » et de s'assembler sans autorisation du bailli.

On comprend facilement qu'au XVIe siècle, le grand mouvement des idées suscité par la Réforme et les guerres civiles, qu'il occasionna, ait jeté dans tout le populaire un ferment de désordre, que chaque jour provoquait à nouveau. Parmi les professions qui fournissaient le plus d'éléments aux troubles, il faut citer surtout les tailleurs d'habits ; aussi, à l'article 10 de leurs statuts de 1622, est-il soigneusement spécifié que les garçons et apprentis dudit métier ne pourront porter d'armes « épées, poignards, longs bois ou autres armes ostensibles et deffensibles, tant de jour que de nuit, à peine de prison et d'esmande ».

En réalité, il a fallu arriver au xixe siècle pour que cette turbulence et cette brutalité de moeurs s'amendassent dans la classe ouvrière et qu'ils cessassent, la nuit tombée, de troubler les rues du vacarme de


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leurs querelles et de leurs luttes. Cette brutalité, avant de s'amender avec le temps, se faisait sentir partout, et il avait fallu jadis que la loi intervint pour obliger les éléments mal policés de la société à vivre ensemble sans trop se dévorer entre eux. On n'a qu'à consulter, par exemple, l'article 20 des statuts des foulons et tondeurs de 1466 pour avoir une idée de l'aménité de ces moeurs. Il y est dit que « nuls maîtres ne varlets en leurs assemblées et congrégations ne doivent faire noise, débat, ne division, ne injurier, ne frapper en quelque manière que ce soit l'un l'autre ; ne aussi jurer et blasphémer le nom de Dieu, la mort, le sang, la passion de Dieu », sous peine de l'amende.

Quant à la question de moralité, en ce qui les concerne, il est juste de reconnaître qu'elle est également toute à l'avantage de notre temps, et il y a telle des mesures comminatoires, si fréquemment renouvelées contre l'ouvrier d'autrefois, qui témoigne d'une défiance outrageante au sujet de la valeur morale et du peu d'honnêteté des classes populaires à ces époques. Témoin le statut des tisserands en toiles de 1452, qui, par son article 30, condamne à l'amende l'ouvrier qui va, sans son maître ou sa maîtresse, reporter l'ouvrage fait à la pratique.

L'article 4 des statuts des orfèvres de 1506 stipule que nul maître ne devra employer un compagnon qui aurait emprunté de l'argent à un autre maître, avant qu'il le lui eût restitué, ou l'eût désintéressé autrement. Ainsi les statuts les plus anciens témoignent à cet endroit des préoccupations, qui, aujourd'hui, nous paraîtraient peut-être exagérées, sur la moralité exigée des compagnons et des apprentis. Ce que les prescriptions minutieuses en ce genre peuvent offrir


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d'extraordinaire s'explique à la fois par la grossièreté des moeurs populaires d'alors autant que par les habitudes d'un régime législatif, dont la caractéristique se manifeste au plus haut degré dans la loi de l'Église, et qui, tenant peu de compte du libre arbitre du citoyen, qu'elle traite toujours en mineur, prétend régler la conduite de sa vie intime aussi bien que celle de sa vie publique. En un mot, le caractère de cette législation coutumière est surtout familial.

Dans la question de l'embauchage des compagnons, presque tous les statuts ont reproduit des prescriptions sur la nécessité de n'accueillir l'ouvrier qu'après enquête préalable sur son passé, c'était une précaution nécessitée par le peu de probité de la plupart de ceux qui se présentaient, et qui, pour gagner davantage, s'engageaient au mois, en se faisant avancer par le maître le prix de leur engagement, puis, au bout de quelques jours, quittaient l'atelier, pour aller dans un autre présenter les mêmes conditions.

Aussi punissait-on sévèrement celui qui enlevait le compagnon d'un atelier. Dans le projet de statut, soumis en 1527 par les tondeurs de drap à l'approbation de la ville, ils avaient inséré que, dans le cas où des compagnons en débauchaient d'autres de leur travail, ils étaient, pour la première fois, passibles d'amende et de prison. A la deuxième fois, ils encouraient la peine de l'interdiction de travailler de leur état pendant un an. Enfin, à la troisième fois, il leur était interdit de jamais plus l'exercer à l'avenir. De plus, à chaque reprise, ils devaient « payer l'intérêt des maîtres tondeurs et des marchands ». C'est-à-dire, si j'interprète bien, le prix du tort qu'ils avaient éprouvé par suite de leurs agissements.


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Il faut bien reconnaître que si la coutume du Tour offrait des avantages au compagnon au point de vue de l'instruction, et s'il se présentait ainsi comme un utile complément de l'apprentissage, d'un autre côté, il lui donnait, par des déplacements continuels, l'habitude de rouler et de vagabonder. En acquérant le bien, il apprenait le mal. Les mauvaises relations se multipliaient avec les mauvaises habitudes; et il se formait, toujours plus nombreuse, une population ouvrière flottante, douée d'instincts dangereux, prête, au besoin, à tous les excès, une réserve pour le désordre, qui, par sa mobilité, échappait à toute action publique. Ce fut pour parer, autant que possible, à ce danger que la police, à la fin du dernier siècle, créa le livret.

Du reste, le compagnonnage, créé comme arme et moyen de défense contre l'égoïsme du maître, s'est montré tout autant et plus grossièrement injuste que la communauté a pu le faire, puisqu'il reposait sur un exclusivisme plus brutal encore. L'expression de Hobles, disant que l'homme est un loup pour l'homme, y trouve son application justifiée. Le caractère propre à tous les groupes de l'ancienne société a été partout l'hostilité contre l'étranger. En matière commerciale et industrielle, le forain c'est alors l'ennemi parce que c'est le rival ; et c'est chez le compagnon que cela se manifeste de la façon la plus ostensible et la plus violente.

Dès le xve siècle, par un sentiment de fraternité évangélique, qui luttait singulièrement, à ces époques, avec l'égoïsme grossier des populations, les règlements se préoccupent de la concurrence que l'ouvrier du dehors pouvait faire aux compagnons de la ville, en ne lui permettant de venir y travailler que sous cer-


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taines conditions. Pour concilier les intérêts des uns avec les droits de l'humanité, le compagnon étranger pouvait travailler chez les maîtres pendant quinze jours sans autorisation, mais, si le maître qui l'employait le détenait davantage, il était passible d'amende (1).

Le dit compagnon voulait-il continuer à travailler dans la ville, il lui fallait faire un chef-d'oeuvre, suivant la confection duquel il était admis ou refusé. En cas d'infériorité de travail, il ne pouvait être employé que comme apprenti (2). Mais, plus tard au moins sinon dès lors, il arriva plus d'une fois que les compagnons se coalisaient pour interdire complètement cette concurrence de l'étranger.

Ces coalitions de compagnons, pour ce motif ou pour tout autre, se renouvelaient à chaque instant. J'aurai, dans le cours de ce travail, à en citer plus d'un exemple, je me contente de rapporter ici la plainte que faisait à la mairie, en 1617, le chapelier Charité, et dans laquelle il déclarait ne pouvoir trouver de compagnons, parce que ceux de la ville s'entendaient pour chasser tous ceux qui se présentaient (3).

Ainsi déjà existait la coalition contre la concurren ce,

(1) Statuts de la bonneterie de 1484, articles 33 et 34.

(2) Ibid., ibid. Il faut pourtant se pénétrer de cette idée que le principe originel de ces exclusions a été un principe de sauvegarde et de tutelle du métier. Charité bien ordonnée, dit-on, commence par soi-même, et, avant de donner à vivre aux autres on croyait devoir assurer l'existence du travailleur indigène. En fixant, par exemple, que le compagnon teinturier ne devra pas travailler plus de quinze jours avec un étranger, l'article 12 du vieux statut des teinturiers en draps ajoute : « et pour faulte de ceux de la franchise qui chôment ». L'article suivant prouve suffisamment qu'on n'entend pas proscrire la charité du métier envers l'étranger.

(3) Archives de l'Hôtel-de-Ville, Juridiction de l'Hôtel, 1. FF, 2.


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on pourrait même dire la grève organisée pour la réussite des prétentions de l'ouvrier en plus d'un genre. La grève, en effet, n'est pas propre aux temps où nous vivons ; il y a quatre siècles déjà que, sous le nom de monopole, elle s'attirait les rigueurs du pouvoir. M. Levasseur (1) nous apprend notamment que, à cette époque, l'échevinage d'Amiens crut devoir prendre des mesures contre la conspiration des ouvriers de plusieurs métiers, comme drapiers et tanneurs, qui s'entendaient pour la hausse des salaires. On régla le nombre des réunions permises, et l'on interdit la formation d'une bourse commune, d'une caisse de la grève.

La question du salaire n'était pas la seule qui préoccupât l'ouvrier, celle de l'embauchage était peut-être plus importante encore ; nous en avons parlé au point de vue de la concurrence étrangère, mais ce n'était pas le seul sous lequel il puisse être examiné, avant de savoir à quel prix le compagnon traiterait avec le maître en dehors de la concurrence du forain, il s'agissait de savoir s'il y avait du travail en ville. Telle circonstance, outre les mortes saisons, une révolte, une guerre, une épidémie, venait souvent arrêter le travail et supprimer toute occupation dans le pays. Le maître était forcé de rester, mais le compagnon, que rien ne retenait, roulait, faisant son tour, jusqu'à ce qu'il trouvât de l'ouvrage, s'il en trouvait. Ces étapes du tour de France, qu'il parcourait ainsi, n'étaient pas choisies au hasard, l'institution du compagnonnage, par ses prévisions pour l'ouvrier dans l'embarras, avait précisément eu pour but de lui signaler les lieux où il pourrait y avoir de la besogne,

(1) LEVASSEUR, Hist. des classes ouvrières, tom. I, pag. 497.


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en lui facilitant les moyens de s'y rendre. Pas plus que la grève, on le voit, la bourse du travail n'est venue au monde de nos jours.

Par supplément, l'association compagnonne avait à son service une arme puissante contre les maîtres dont les agissements lui déplaisaient, en alimentant la grève par l'interdit jeté sur les villes où celle-ci prenait naissance.

Au siècle dernier, le compagnonnage était devenu une puissance, comme il arrive fatalement aux associations secrètes dans un monde voué au privilège. Un document bien curieux, cité par M. Levasseur (1), est explicite' à cet égard. Il signale ce fait que lès compagnons « ont entre eux une juridiction, élisent des officiers, un prévôt, un lieutenant, un greffier et un sergent ; ont des correspondances par les villes, et un mot du guet par lequel ils se reconnaissent et qu'ils tiennent secret. » Voilà ce contre quoi il fallait lutter.

Un des derniers, sinon le dernier monument policier que motivèrent les intransigeances brutales des compagnons, et qui résume assez bien l'esprit et les conditions de cette législation, fut l'arrêt porté contre eux par le Parlement, en date du 12 novembre 1778, et qui, s'élevant contre les coteries arbitraires, en lesquelles se divisait le compagnonnage, et les conséquences injustes et dangereuses qui en étaient la suite, défendait aux artisans, compagnons et gens de métier, «de s'associer, de s'assembler, ni de faire entre eux aucunes conventions contraires à l'ordre public ; de s'attrouper, ni de porter cannes, bâtons et autres armes ; aux taverniers, cabaretiers et limona(1)

limona(1) Hist, des classes ouvrières. Pièce justificative, B., tom. I, pag. 504.


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diers, de recevoir chez eux lesdits,compagnons audessus du nombre de quatre, et de favoriser les pratiques du prétendu devoir des dits compagnons (1) ».

Si nous exceptons les mesures générales de ce genre prises, en divers temps, contre l'organisation du compagnonnage, il est rare qu'on rencontre de ces monuments policiers, intéressant spécialement un métier, et qui sont comme les statuts du compagnonnage de ce même métier, analogues aux statuts délivrés, d'autre part, aux maîtres, nous sommes assez heureux cependant pour pouvoir citer le statut de nos compagnons cordonniers, établi sous la forme d'ordonnance à une époque qui m'est inconnue, mais renouvelé le 26 février 1583, sous le règne du dernier des Valois; il m'a paru qu'il méritait d'être reproduit :

« Premièrement, que les compagnons dudict mestier veullent introduire d'empescher les survenans en la dicte ville de prandre besongne en icelle que par les mains des compagnons qui sont habituez, de sorte que lesdicts serviteurs et compagnons survenans sont contraincts de payer bienvenue et faire bancquets ausdits compagnons habituez pour les embaulcher, tellement que les maistres ne pourroient en ce faisant avoir dés compagnons,, serviteurs et garsons synon autrement qu'il plairoict ausdicts compagnons habituez.

» Il est inhibé et deffendu à tous compagnons, serviteurs et garsons dudict mestier de s'entremectre de loger ou embaulcher les survenans et d'exiger et prandre d'iceulx aulcune bienvenue, argent et bancquets, et lesquels survenans s'embaulcheront d'eulx mesmes, si bon leur semble, chez les maistres cordonniers, sur peine ausdicts compagnons habituez qui

(1) D'après l'imprimé chez P. G. Simon. Collection des édits et arrêts. Paris, 1778, in-4°.


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contreviendront à la présante ordonnance d'amende arbitraire et de prison. —Inhibant aussy aux maistres de prandre et recepvoir aulcun compagnon, serviteur ou garson par les mains desdicts compagnons habituez, et de n'en prandre aulcun sortant de la boutique d'ung aultre maistre, qui ne soict deuement certuré par ledict maistre d'avecq lequel ledict compagnon sera sorty qu'il s'en soict allé par la licence, congé et consentement de sondict maistre sur peine de deulx escuz d'amende.

» Aussi pour obvier à la desbauche, monopolle des dicts serviteurs qui se louent au mois, et néanmoings rompent leur service quant il leur plaist, il est inhibé ausdicts serviteurs de rompre leur service durant le temps par lequel ils se seront acueilliz, ains seront contraincts par prison de parachever leurdict service et aux dépens, dommaiges et inthérests de leurs maistres.

» Et, oultre, est inhibé ausdicts compagnons, serviteurs et garsons de prendre plus hault pris des ouvrages qu'ils feront en Iadicte ville que le taulx et pris cy davant ordonnez et qu'ils ont acoustumé d'avoir, qui est douze deniers pour la façon des soulliers comungs, quinze deniers pour les soulliers à esguillettes, dix-huict deniers pour les pantoufles et mulles comungs, deux sols pour les soulliers liégez, deux sols six deniers pour les soulliers à clicq et aultant pour les pantoufles à la vénitienne, quatre sols de la paire de bottes de touttes façons, ung sol pour les escarpins à esguillettes, huict deniers pour les escarpins comungs : le tout sur peine ausdicts compagnons, serviteurs et garsons dudict mestier, tant enfans de maistres, enfans de la ville que estrangers, d'amende arbitraire et de prison, et oultre de n'estre receuz à


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l'advenir en l'estat de maistres cordonniers jurez en ladicte ville, en cas qu'il se trouve qu'il aye contrevenu à la dicte ordonnance.

» Et leur est aussy deffendu de contraindre les ungs les anltres à s'aller conduire quant ils s'en vont de la ville, ny mesmes de s'entrenuiter ou appel pour cest effect sur peine de prison, leur deffendant aussy sur les dictes peines de faire aulcun monopolle, ny de s'assembler plus de trois ou quatre ensemble.

» Et est mandé aux sergens de la dicte ville de prendre et hapréhender les dicts compagnons et serviteurs, et les constituer prisonniers quant ils les trouveront contrevenant à la dicte ordonnance (1). »

On voit comment le maître, aussi bien que l'autorité, inspirée par lui, avaient été amenés à prendre leurs précautions contre les auxiliaires révoltés. Mais le sentiment de révolte chez ces derniers ne faisait que croître avec le temps. Il est probable que la tendance des compagnons à se grouper en corporations rivales(1)

rivales(1) de l'Hôtel-de-Ville, rég. des délibérations de 15801594, BB, 11. — Comme complément de cette ordonnance, nous emprunterons à celle du 29 février 1598 (rég. de 1592-1598, BB, 12.) les renseignements suivants sur les prix de façons : souliers de vache à doubles semelles, la paire, 2 sous tournois « pour point E ; ibid., à simples semelles, 18 deniers ; souliers de veau maroquin et cordouan à doubles semelles, 2 s. 16 deniers ; ibid., à simples semelles, 12 deniers; pantoufles ou mulles, 2 s. 20 deniers. (A cet article est ajouté » et sera led. point prins et mesuré à raison du poulce du Roy.) Les bottes de cuir de vache taille n° 1, 2 écus soleil; les moyennes, un écu et demi sol. La paire de bottes de cordouan, un écu et un tiers, L'ordonnance ajoute : " Les savatiers ne pourront prendre pour carreleure de chascune paire de soulliers oultre 10 deniers pour point, et pour couldre semelles chascune paire ne pourra prandre que 12 deniers. »

Le mardi 6 décembre 1605, les maîtres cordonniers se réunissent aux Cordeliers et décident :

1° Que les prix de façon de chaussures payés aux compagnons seront établis d'après le tarif suivant :


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de celles des maîtres, dut prendre une forme plus précise lors de l'envahissement des habitudes italiennes dans l'industrie nationale, et, notamment, dans l'industrie drapière, c'est-à-dire au xve siècle, alors que l'organisation industrielle des compagnies florentines servit de modèle à celles de France. A cette époque, les teinturiers semblent avoir marché à la tête. De là sans doute la chevalerie du compagnon dans ce métier.

A mesure que l'autorité centrale tendit à absorber de plus en plus l'autonomie de la corporation, de manière à mettre le maître dans sa main, un mouvement en' sens opposé dut se dessiner parmi les compagnons. Jusque-là, ils avaient, plus ou moins, vécu d'une vie commune avec le maître. Les rapports entre eux n'étaient pas seulement ceux de supérieur à inférieur, il y avait aussi entre l'un et l'autre, — de moins en moins, il est vrai, — association réelle, les deux conLes

conLes à double semelle, grands ou petits, la paire, 15 d.

Les mulles et pantoufles, la paire, 18 d.

Les souliers liégés, 20 d.

Les souliers à clicq, 2 s.

Les escarpins, la paire, 10 d.

Lés bottes de toute espèce, la paire, 4 s.

Le collet de cuir, 2 s. 6 d.

2° Que les dits maîtres ne pourront faire d'avance aux compagnons au-delà de 15 s. et de moitié à leurs garçons.

3° Que les compagnons ne pourront embaucher que des compagnons, les garçons s'embauchant eux-mêmes.

4° Que les compagnons ne pourront expulser un compagnon étranger de la ville qu'après qu'ils lui auront cherché inutilement de l'ouvrage chez tous les maîtres et ce, sous peine d'être eux-mêmes mis dans l'impossibilité de travailler dans aucun atelier de la ville.

5° Tout maître contrevenant à ces conventions sera passible d'une amende de 3 s. pour la boîte commune et de 4 livres de cire pour je luminaire de la confrérie.

(Arch. dép. du Cher, minutes T. Bernardon, 1. 1605. E, 1416.)


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courant, en somme, à un but commun. Mais cette association, pour ainsi dire familiale, des premiers temps, après s'être de plus en plus relâchée, tendit à se rompre. Le compagnon prit pour rôle celui d'un simple gagiste, sortit de la communauté et se fit une vie à part. C'est une des faces de la constitution de la bourgeoisie dans la société. Son absorption par la royauté n'en fut que plus facile, puisqu'il n'y avait plus à compter avec cet arrière-train de la portion plébéienne du métier, qui se faisait de plus en plus étrangère aux intérêts communs.

Dans le Midi surtout, pays de vieille organisation, la tendance séparative était plus forte, les compagnons en vinrent à avoir leurs confréries organisées à l'instar de celles des maîtres, avec leur saint, leurs messes et leurs fêtes patronales, auxquelles les maîtres demeuraient complètement étrangers (1). Là aussi s'élisaient les chefs et dignitaires du corps, qui avait sa caisse commune et son budget.

Il se passa, au XVe siècle, dans le métier de la boulangerie, a Toulouse, un fait qui nous permet de comprendre comment ont pu s'organiser les corporations des compagnons. Voici comment le raconte l'annaliste des corps de métiers toulousains : « Le 26 mai 1494, les compagnons parcossiers (boulangers) établirent, avec l'agrément des maîtres, une corporation placée sous la direction et le patronage de ces derniers. A sa tête se trouvaient trois bayles (chefs). Ils avaient les clefs de la caisse, qui restait confiée à la garde des maîtres ; ceux-ci contribuaient de leurs dons à la

(1) Ainsi, tandis que les maîtres brodeurs de Toulouse avaient pour patronne la Chandeleur, les compagnons avaient choisi saint Clair. (A. DOBOURG, Coup d'oeil historique sur les corporations de Toulouse, Mém. de la Soc. archéol. du Midi, tom. XIV, pag. 72.)


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prospérité de la communauté des compagnons, qui étaient tenus d'accompagner leurs convois, etc. » (1).

N'est-ce pas ainsi qu'ont dû commencer les scissions de maîtres à compagnons, par l'érection, d'un commun accord, de communautés compagnonnes, dont, plus tard, les intérêts auraient fini par devenir hostiles à celles des maîtres, comme cela eut lieu d'ailleurs à Toulouse ?

Cependant, à vrai dire, jamais la scission ne fut complète entre maître et compagnon, au moins en apparence, car, si les premiers avaient fini par devenir complètement les propriétaires, si l'on peut ainsi dire, de la communauté, d'où le compagnon avait fini par être à peu près expulsé, il restait membre de la confrérie, l'église étant un asile commun pour tous, où tous devaient, quand même, se retrouver. Sans doute, cela n'empêchait pas les compagnons de se choisir des saints à eux, en concurrence avec celui de la confrérie générale, toutefois, la réunion sous un patronage commun avec les maîtres n'en persistait pas moins. Mais qu'était-ce, surtout dans les derniers temps, que cette réunion passagère en des cérémonies banales, où les mêmes intérêts ne venaient plus rapprocher, comme jadis, tous les confrères !

De quelque époque que date le compagnonnage, il n'est pas douteux que les désordres politiques et les misères que la France traversa aux XVIe et XVe siècles, n'aient été pour beaucoup dans la situation que l'ouvrier se fit vis-à-vis des maîtres dans ces luttes entre le roi et la féodalité, entre l'Anglais et le Français, entre le Nord et le Midi, où les métiers prenaient part, comme représentant une classe de la société,

(1) A. DUBOURG, op. cit., pag. 53.


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qui entendait jouer son rôle dans les affaires générales, en préludant ainsi à la grande révolution finale, qui devait mettre la bourgeoisie sur le pinacle. Il n'est pas que l'ouvrier n'ait senti alors quelque chose du même sentiment s'agiter en lui, ne fût-ce que par esprit d'imitation?

Les lutteurs politiques usent de la conjuration comme procédé : le moyen fut adopté par les ouvriers; de compagnons ils devinrent conjurés, c'est-à-dire que les précautions prises par eux contre des maîtres, dont ils tendaient toujours à se séparer davantage, devinrent, en se compliquant, d'autant plus secrètes. On peut donc admettre que ce fut dans cette période et à la faveur de ce mystère, que l'organisation du compagnonnage prit son caractère définitif de Société vivant de sa vie propre, avec le double but d'être, ainsi que la corporation des maîtres, une sorte de compagnie d'assurance mutuelle, et de fournir, en même temps, aux confrères, les moyens de lutter plus avantageusement contre le despotisme, toujours plus pesant, du patron.

Si ce que nous venons de dire est l'expression de la réalité, ce serait au XIVe siècle qu'il faudrait faire remonter la véritable origine du compagnonnage, tout en tenant compte de ce fait, que les racines de ce groupement peuvent plonger plus avant dans le passé.

On a signalé, comme ayant dû servir de type à sa formation, la plus célèbre des associations d'artisans, celle des maçons, qui, sous le titre de franc-maçonnerie, devait avoir de si remarquables destinées, en tant que le compagnonnage maçonnique ordinaire soit autre chose qu'un voile trompeur, emprunté plus tard par les groupes socio-politiques pour cacher leur véritable nature et le but où ils tendaient.

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Sans nous préoccuper plus qu'il ne convient de la franc-maçonnerie, tenons-nous en ici au compagnonnage maçonnique, auquel des causes multiples semblent avoir valu l'honneur de servir de modèle aux autres compagnonnages. Ce serait à son organisation, semi-laïque, semi-religieuse, que les compagnons des divers métiers auraient emprunté leurs pratiques mystérieuses, leurs formules et leurs cérémonies presque ecclésiastiques.

La date où les maçons se sont organisés sous cette forme est rapportée au XVe siècle. Comme nous l'avons dit, l'origine du compagnonnage doit être antérieure au moins d'un siècle ; mais il est possible que son organisation, jusque là élémentaire, grâce à l'émulation suscitée par le succès des maçons en Europe, tendît alors à se modeler sur la leur, en leur empruntant des pratiques, faites pour frapper les imaginations simples et crédules, en un siècle surtout où la tourmente des événements surexcitait les esprits. Ce serait donc alors que le compagnonnage aurait dressé ces statuts formalistes, si fidèlement observés dans la suite par tous les corps d'état, comme un mot d'ordre transmis de bouche en bouche, sans avoir peut-être été jamais écrits.

On a plus d'une fois décrit les cérémonies bizarres et mystérieuses des réceptions de compagnons, qui semblent une parodie de celles de l'Église, sinon même de mystères descendus de plus loin ; les noms symboliques donnés à tous les objets servant à la réception, et qui, tous, avaient, plus ou moins, tenu leur place dans la fondation du culte chré tien, surtout la croix, le pain, le sel, rappelant la Passion, la Pentecôte et le Baptême ; les cérémonies et les formules, tantôt sérieuses, tantôt burlesques (car, dans les esprits


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grossiers, le grotesque se mêle volontiers au grave et au dramatique), parmi lesquelles le récipiendaire, j'allais dire l'initié, devait passer pour se voir déclaré digne d'être reçu. On a souvent parlé de ce cérémonial sans le connaître bien complètement, d'autant que les rites s'en modifiaient suivant les différentes corporations. Nous n'y insisterons guère, parce que les annales de nos métiers ne nous en ont transmis le souvenir que pour l'un d'eux, le métier de teinturier, dans le statut que ceux-ci reçurent de Louis XI.

C'est la seule fois où, par exception, nous apparaissent ces coutumes symboliques, parmi lesquelles se trouvent mentionnés, pour la réception du compagnon, la formalité,' bien connue, du serment prêté sur le pain et le vin, souvenir de la Pâque, le sel, souvenir du sel de la terre, dont parle l'Évangile, ou de celui dont on frotte les lèvres de l'enfant sur les fonts baptismaux, et la croix, emblème de la Passion. Ces emprunts aux mystères d'un culte, qui tenait une si grande place dans l'esprit des populations au Moyen-Age, étaient des symboles de la foi du temps naïvement respectés. Plus tard, quand les idées se seront transformées et que, le compagnonnage devenant fermé, il sera un sujet de scandale pour ceux qui ne sont pas admis à participer au secret, et l'Église, la première, maudira, comme hérétiques et monstrueuses, des pratiques qu'elle autorisait autrefois.

Mais c'est surtout chez nos vieux teinturiers que se trouve peut-être rappelé de la manière la plus frappante le côté tout politique du rôle joué par les communes ouvrières. On y voit des chevaliers (c'est le titre que prend le compagnon), prêtant un serment mystique, qu'on croirait emprunté à l'affiliation dans


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l'ordre du Temple, et par lequel le récipiendaire s'engage, non pas seulement à remplir les conditions qui peuvent concerner le métier, mais surtout à ne pas manquer à ses devoirs de sujet et de citoyen, en portant les armes contre son souverain légitime, non plus que contre la cité.

N'y a-t-il pas là comme un écho des révoltes sanglantes des ghildes flamandes contre leurs comtes et leurs évoques et de la part prise par les communautés ouvrières, en France, aux troubles politiques qui avaient désolé le royaume ? Et pourtant il ne faut pas oublier que nous ne connaissons le fait que nous signalons que par un titre consacré par l'initiative des maîtres, puisque c'est le statut de leur communauté. C'est ce qui prête à ce détail un caractère tout particulier.

S'il est permis de juger de l'ancien compagnonnage par ce que nous en savons de nos jours, il était pourvu d'une organisation plus complexe et plus étendue que celles des corporations de maîtres. Cela peut s'expliquer parce qu'il était autant un moyen de lutte que de secours, et que, à l'instar de la franc-maçonnerie, il s'étendait sur toute la France, en attendant qu'il en franchît les frontières. Prenons, par exemple, celle de ces associations dont la constitution est la plus parfaite, car elles sont loin d'être toutes pareilles; nous la voyons présidée par un premier compagnon, dont le grade est électif. Sous la direction de ce dignitaire, qui a pour assesseurs et lieutenants le secrétaire et les anciens de l'ordre, et, même, le routeur, dont le rôle correspond à peu près à ce qu'était le valet des anciennes corporations, s'étagent plusieurs ordres ou classes de compagnons suivant le degré de leur initiation, depuis le compagnon fini jusqu'au simple aspi-


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rant ou novice. L'association a son budget et ses assemblées, présidées par le premier compagnon, et où l'on délibère sur l'accueil à faire aux arrivants du tour, à leur embauchage, à la levée et au maniement des fonds de la caisse commune. C'est naturellement dans ces assemblées que se discutent les questions du salaire, des rapports avec les patrons et que se préparent les grèves. Le centre des réunions est dans l'auberge de la Mère, qui accueille les nouveaux arrivés, les héberge et les crédite, avec l'autorisation du chef de l'association. Tout cela, évidemment, existait autrefois comme aujourd'hui.

Il y a eu, dans la formation du compagnonnage, un facteur dont il faut tenir compte, je veux parler des habitudes mêmes du compagnon, qui, autant pour se perfectionner dans son métier que pour trouver à vivre, menait la vie errante du tour de France, différent en cela du maître, qui, bourgeois de sa ville, y ayant, la plupart du temps, pignon sur rue, y naissant et y mourant, ne voyageait pas toujours, assuré qu'il était par sa qualité de fils de maître de trouver un établissement sans aller au loin, puisque, au besoin, la maison paternelle lui garantissait toujours le travail dans les conditions les plus favorables et la presque certitude d'une situation dans un prochain avenir.

Dans ce roulement de l'ouvrier de province en province, il lui fallait l'assurance d'une protection, qu'il devait rencontrer à son arrivée dans chaque ville : de là cette organisation en une vaste franc-maçonnerie, où la maison de la Mère tenait lieu de loge, et qui faisait du monde ouvrier comme une famille à part, comme une armée enrégimentée sous les enseignes des différents devoirs, que le temps finit par rendre souvent ennemis les uns des autres ; car l'hérésie est


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dans la nature humaine, puisque c'est une des conditions de la vie.

A quelle époque se fixa le réseau des villes du tour de France? Je l'ignore, mais je pense que cette époque date seulement des derniers siècles. Je base cette supposition sur ce fait que Bourges n'était pas comprise parmi ces villes ; ce qui n'eût pas manqué d'arriver, je crois, si cet ordre eût été établi dans la période de sa prospérité, c'est-à-dire, au plus tard, au XVIe siècle.

Malheureusement, il n'est pas d'institution qui ne se corrompe avec le temps. De bonne heure, les cérémonies pour la réception d'un nouveau frère dans le compagnonnage, même son entrée dans une ville, et l'accueil généreux qui lui était fait par ceux du même devoir, devinrent des causes de désordre sous forme de fêtes. On donnait à ces réceptions le nom de bienvenues. La bienvenue était toujours une occasion de dépenses forcées et de droits imposés sur le nouvel arrivant. Pris en lui-même, le droit de bienvenue se justifiait parce qu'il représentait le prix d'un service rendu ; mais le monopole appelle le monopole, l'abus provoque l'abus, les compagnons se vengeaient de ce qu'ils considéraient comme des vexations des maîtres, par des vexations sur ceux d'entre eux qui se trouvaient à portée de les subir. C'était, par exemple, les compagnons cordonniers, comme nous l'avons vu, s'arrogeant le droit d'embaucher eux-mêmes les nouveaux arrivants, forcés d'accepter leur intermédiaire obligé, s'ils ne voulaient éprouver les effets de leur brutalité. Cela se payait en une bienvenue qui se dissipait en banquets et en grossières orgies. En vain l'administration tenta d'abolir cet usage ; n'y pouvant parvenir, la mairie prit le parti de tarifer cette impo-


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sition irrégulière ; c'était, d'ailleurs, la consacrer en même temps.

Cette tarification remonte haut, puisqu'on la trouve déjà dans le statut de la draperie de Bourges de 1443, dont l'article 5 fixe le droit de bienvenue des compagnons à 5 sous. Dans le statut des cardeurs de 1595, l'article 9 établit ce droit sur le pied de 6 sous 3 deniers, pourvu que l'ouvrier restât plus d'une semaine dans l'atelier. Et l'article 29 du statut de la chapellerie de 1632, porta ce chiffre à plus de 8 sous, en rendant le maître respousable du paiement de la somme, dont il pouvait retenir le montant sur le salaire de l'ouvrier.

Cette régularisation de la taxe arbitraire des bienvenues rentre dans l'ensemble des mesures de police intérieure, que nécessita, de bonne heure, la difficulté croissante des rapports entre ouvriers et patrons. Une des principales garanties données au maître était celle qui le prémunissait contre l'abandon brusque de son salarié. Il y avait d'autant plus d'intérêt pour lui a être garanti de ce côté, qu'une mesure complémentaire venait très fréquemment défendre l'emploi de plus d'un compagnon à la fois dans un même atelier. La première des deux mesures tendait à ce que le travail de cet atelier ne fût pas livré au caprice de l'ouvrier, l'autre avait pour but d'empêcher que, par l'accumulation des ouvriers en un même lieu, quelques maîtres n'accaparassent toute la besogne d'un pays. Ainsi, tandis que le maître qui entretenait deux compagnons devait en céder un au confrère qui en manquait (1), il était interdit à tout compagnon de

(1) Art. 11 du statut des tonneliers de 1693, art. 19 de celui des parcheminiers de 1711 et ordonnance municipale du 7 octobre 1617 sur la chapellerie, dans le registre des statuts.


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quitter sou maître sans le congé de celui-ci ; cela remplaçait la formalité du livret moderne (1). De plus, pour prévenir l'inconvénient d'une séparation trop brusque entre maître et compagnons, les règlements fixaient, d'ordinaire, un délai après le congé donné. C'était l'analogue des huit jours de nos domestiques. Ces délais variaient de métier à métier (2). Quelques détails sur ce point compléteront ce que

(1) Cette obligation pour le compagnon de justifier d'un congé de sortie plonge ses racines dans les règles de notre primitive organisation sociale. L'analogue s'en retrouve dans les plus anciens monuments du droit féodal ; par exemple, dans la loi en vertu de laquelle si un vassal renonçait à son seigneur, nul autre ne pouvait le recevoir en vasselage sans que le premier lui en eût accordé le congé, et sans que le vassal eût justifié du motif de son abandon et donné au nouveau seigneur tous renseignements sur ses antécédents. (PERTZ, Capitul., LL, I, 41 et 70.)

(2) Dans la boulangerie, si le compagnon quitte le maître pour un autre sans son agrément, il y a 3 livres d'amende pour le roi contre lui et contre le maître qui l'a accepté, plus 20 sous d'amende pour la ville, le dit maître étant responsable du tout. (Statuts de 1633, art. 10.) En général, le maître ne doit prendre un compagnon sortant de chez un confrère qu'après s'être assuré en quels ternies il le quitte. (Statut des bourreliers de 1603, art. 29.) Chez les selliers, s'ils se sont séparés fâchés, il faut qu'il se soit écoulé depuis lors un intervalle de 15 jours pendant lequel l'ouvrier doit s'absenter. (Statut dés selliers de 1619, art. 11.) Dans l'ordonnance de 1591, réglant la chapellerie, il faut deux mois d'absence. Chez les tonneliers, il doit s'écouler trois mois. (Statuts de 1693, art. 11, et des menuisiers de 1612, art. 2.) Dans le statut des corroyeurs de 1615 (art. 29) le manque de parole de la part du compagnon l'expose à la prison et à l'expulsion de la ville, indépendamment de la perte de l'argent par lui gagné chez le maître abandonné. Les statuts deviennent toujours de plus en plus sévères sur ce point, ce qui indique une dépravation croissante dans le monde du compagnonnage. Complétons ces renseignements par un détail : il y a dans le statut des orfèvres de 1517 un art. 4 qui n'a pas d'analogue dans ceux des autres métiers, dont il complète en ce sens les prescriptions, c'est pour le cas déjà signalé, où le compagnon se trouverait débiteur du maître par suite d'emprunt.


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nous avons dit plus haut en parlant de la préoccupation qu'occasionnait chez les maîtres l'habitude, probablement trop répandue parmi les ouvriers, de ne pas tenir leurs engagements d'embauchage. La législation des métiers était impitoyable contre le compagnon abandonnant son patron sans congé pour aller travailler chez un autre. Elle exagérait, au besoin, les précautions à prendre contre ce danger. Un règlement du mois d'août 1591, imposé par la mairie aux compagnons chapeliers, et qui a été inséré dans le registre des statuts, précise qu'un intervalle de deux mois devra s'écouler entre la date à laquelle tout compagnon quittera un atelier et celle où il entrera dans un autre, intervalle pendant lequel il devra quitter la ville; et, par l'article 21 du statut des maçons de 1738, trois mois d'absence de la ville, ou toute cessation de travail dans ses murs pendant le même temps, dispensait le compagnon de fournir au patron chez lequel il demandait à rentrer un certificat de son dernier maître.

Quant au maître coupable d'avoir embauché un compagnon fugitif de l'atelier d'un, confrère, et avec lequel il serait de connivence, ou seulement de l'avoir accueilli sans s'être informé de son passé, il était passible d'amende (1).

Il était donc bien enjoint aux maîtres dans la plupart des statuts de ne pas se débaucher les compagnons entre eux. On ne permettait pas non plus à ceux-ci de rester oisifs, il fallait qu'ils travaillassent chez un maître ou qu'ils quittassent la ville. (Voir le statut des tailleurs.) C'est surtout après l'organisation sévère des manufactures par Colbert que la police ne

(1) Art. 16 du statut des parcheminiers de 1711.


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cesse de les pourchasser dans leurs flâneries, soit qu'ils se réfugient dans le cabaret pour y faire la débauche, soit qu'ils se retirent sur les remparts de la ville pour y jouer au brelan, ou bien dans les jeux de boules (1).

Il était formellement interdit à l'ouvrier d'avoir sa clientèle à lui et de travailler en dehors de l'atelier. (Statuts des maréchaux de 1631, art. 21 et 25, et des parcheminiers de 1711, art. 17.) Quand il était autorisé à travailler en chambre, ce n'était jamais que pour les maîtres et non pour les bourgeois de la ville (Statuts de la bonneterie, art. 11 et 12), et encore devait-il travailler seul, sans prendre d'apprenti, ni se faire aider par d'autres compagnons. (Ibid., art. 13.) Du reste, dans ce cas, ils étaient soumis aux visites des jurés comme les maîtres. (Ibid., art. 14.) Cette rigueur explique comment les Pères Jésuites, ayant résolu, en 1616, de faire faire les travaux de menuiserie de leur collège par un compagnon menuisier à leur discrétion, ils ne purent le faire qu'après s'être mis en garde contre les poursuites de la communauté des maîtres menuisiers en obtenant l'autorisation de la mairie. Assurément nul autre qu'eux ne l'eût obtenue (2).

Cette interdiction du travail de l'ouvrier chez le bourgeois s'explique ; étant donné l'esprit du temps, elle avait surtout pour but de réserver aux maîtres le bénéfice qu'ils pouvaient faire sur son travail, en même temps qu'il était ainsi plus facile de le surveiller. Mais il y avait aussi, bien que plus rarement, le souci d'empêcher par ce moyen que le bourgeois

(1) V. l'art. 40 des statuts de la draperie de 1666.

(2) Sentence du 13 février dans le registre des causes de l'Hôtelde-Ville pour 1616, FF, 11.


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ne se livrât à une fabrication clandestine. C'est une prévision qui perce dans l'article 17 du statut des parcheminiers de 1711.

Je ne puis voir dans les dissensions qui, durant la première moitié du XVIIe siècle, agitèrent certaines communautés (celle des tailleurs notamment) qu'une recrudescence du sentiment d'indépendance des compagnons vis-à-vis des maîtres que la Ligue avait dû animer. Ce dut être à cette époque que se consolidèrent définitivement les statuts du compagnonnage, en prenant leur forme dernière, et c'est aussi dans les règlements postérieurs que se rencontrent, de plus en plus multipliées, les précautions du genre de celles que nous venons d'énumérer, prises plus ou moins arbitrairement contre l'élément ouvrier.

Le système des grandes fabriques, qui est né dans le courant du XVIIe siècle, a complété la séparation entre le maître et le compagnon, le patron et l'ouvrier. Autrefois, le nombre des compagnons dans un même atelier était toujours très restreint ; ils y travaillaient sous les yeux du maître et dans sa compagnie, maintenant, dans ces vastes usines, fonctionne toute une population laborieuse, individuellement inconnue du Directeur, qui n'a de rapports avec eux que par les intermédiaires. On ne trouve plus rien des relations familiales du passé, qui rapprochaient le maître du compagnon, sinon à titre de vague reflet, dans la vie de l'artisan pauvre, et qui ne peut guère entretenir qu'un compagnon dans son atelier. Aussi la vraie famille de l'ouvrier, en dehors de la famille naturelle, surtout de l'ouvrier célibataire, c'est la société du Compagnonnage. Mais le Compagnonnage, c'était trop souvent l'organisation pour la grève, et, chez cette population ouvrière, la grève n'était pas toujours


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provoquée par la nécessité de défendre un droit méconnu, par une misère qui s'aigrit et cherche une amélioration dans la lutte; c'était aussi la force du nombre mise au service des abus et des mauvaises passions, à la satisfaction d'appétits plus ou moins justifiables.

Ce qui tendait à aggraver, en l'augmentant, la séparation du patron et de l'ouvrier, c'est que l'industrie, grandissant avec le temps, enrichissait le patron dans des proportions toujours plus fortes, sans que la fortune de l'ouvrier suivît la même marche ; il restait toujours le salarié vivant au jour le jour. De là, les premiers germes de ces âpres jalousies de classes, qui ont atteint de nos jours leur période aiguë, cette haine de l'ouvrier pour le bourgeois, en attendant les revendications, qui seront le lot de l'avenir. De là aussi les précautions policières contre le compagnon, et la création plus récente du livret, qui donnera peut-être, plus tard, l'idée du casier judiciaire. En même temps, on ne cessait d'avoir l'oeil sur les Sociétés du Compagnonnage où s'alimentait l'esprit de révolte.

Cependant le XVIIIe siècle nous met en présence d'une remarquable anomalie. Sans doute il faut tenir compte de ce fait que, si ce siècle fut par excellence le siècle du travail intellectuel et du réveil de l'esprit, surtout dans la classe bourgeoise, par une douloureuse compensation, il fut le plus triste de tous pour l'ouvrier. Les règles restrictives de la jurande étaient devenues plus étroites et plus dures que jamais. L'égoïsme jaloux du chef d'industrie, aidé par la tendance plus despotique du pouvoir, éloignait de plus en plus de la maîtrise tout autre que le fils du maître. Le compagnon, quelle que fût son intelligence et son


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habileté, avait toujours plus de peine à franchir le dernier degré qui le séparait de l'établissement définitif.

Le progrès lui-même encourageait ce mouvement, puisque la multiplication des machines industrielles rendait le bras de l'ouvrier moins nécessaire, en même temps que l'amélioration économique, amenée par la suppression des douanes intérieures, obtenait souvent ce résultat imprévu de ruiner le commerce et l'industrie dans une province, au moment où il l'enrichissait dans une autre, en permettant aux contrées mieux outillées, et naturellement plus favorisées, d'écraser sous une désastreuse concurrence les régions mal préparées pour la lutte. Or cette misère atteignait d'abord et surtout le mercenaire.

Dans ces conditions, la suppression des communautés d'arts et métiers par Turgot fut, comme on peut le comprendre, accueillie avec faveur par tous les déshérités dans l'organisme des jurandes. Tous ceux qui aspiraient à vivre en travaillant, et qui auparavant n'avaient pas eu moyen d'acquérir un métier, se mirent à besogner pour le public, même sur le pavé, s'ils ne pouvaient ouvrir boutique. Turgot parti et son oeuvre abolie, le pli était pris. On rétablit bien les anciennes communautés, mais le difficile fut de faire entendre raison à ceux qui, dans ce court intervalle de liberté, avaient pris l'habitude de travailler sans demander permission aux syndics et jurés d'une communauté. Aussi bien, quoiqu'on en eût, tout en rétablissant les anciennes maîtrises et les corporations fermées, il avait fallu tenir compte un peu de l'esprit du temps ; l'édit d'avril 1777 contenait, — au moins pour certaines professions, maçons, fondeurs, etc., — des concessions qui empiétaient sur le privilège


218 L'ANCIEN COMPAGNONNAGE

exclusif des communautés intéressées, notamment dans son article 23.

L'édit paru, il fut difficile de faire remonter le courant aux nouvelles habitudes prises, et d'empêcher, par exemple, les habitants d'employer les ouvriers qui s'offraient à eux pour travailler. Sur les plaintes des communautés réformées, le lieutenant général de police chercha à couper court au mal par une ordonnance sur la matière, qui me paraît bonne à reproduire, dans ses principales parties :

Ordonnance de police sur la Maîtrise et le Compagnonnage.

(1779)

« Nous avons fait défenses à tous compagnons

et ouvriers domiciliés de cette ville et fauxbourgs de Bourges, qui ne seroient pas reçus maîtres ou agrégés dans les nouvelles communautés créées et établies en cette ville de Bourges par l'édit d'avril 1777, de travailler de leurs métiers et professions en cette ville et fauxbourgs de Bourges autrement que sous l'auspice et consentement des maistres reçus et agrégés dans lesdites nouvelles communautés. Faisons pareillement défenses à tous maçons, couvreurs, charpentiers, cordonniers, émouleurs, chaudronniers et autres ouvriers parcourant les provinces d'exercer leurs professions et métiers en cette ville et fauxbourgs de Bourges plus de six jours par chacune année, sçavoir trois jours en passant pour aller dans une autre ville ou province, et trois jours en retournant chez eux. Le tout à peine de 50 livres d'amende pour chaque contravention ; et défaire (?) de leurs outils et ustanciles, qui demeureront confisqués en vertu des présentes au profit de la nouvelle communauté que la contravention se trouvera concerner


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Fait et donné en notre Hôtel par nous Gabriel Gaultier, conseiller du Roy, lieutenant général de police de la ville, fauxbourgs et septaine de Bourges, le 9 de septembre 1779. » (1)

Édicter de pareilles conceptions après que les édits révolutionnaires de Turgot avaient jeté leurs rayons dans l'esprit du prolétaire, c'était manifestement témoigner qu'on n'avait pas le sens des nécessités de l'époque.

On aurait pu croire que la Révolution, qui brisait définitivement le vieux cadre des corporations et qui faisait participer le moindre plébéien aux droits politiques, aurait pour conséquence la disparition du compagnonnage et de sa vieille organisation. Il n'en fut rien. Cette nouvelle réforme, qui était, en partie, l'oeuvre de la franc-maçonnerie bourgeoise, devait respecter la franc-maçonnerie populaire. D'ailleurs, l'ouvrier était encore trop grossier pour apprécier le mouvement qui s'opérait à ce point de vue et quitter de lui-même une organisation, qu'on n'aurait su par quoi remplacer. N'oublions pas que la révolution qui s'opérait fut tout d'abord plus politique que sociale, et c'est par une évolution purement sociale que le compagnonnage pouvait et devait se transformer. Dans cet effroyable duel entre la bourgeoisie et la noblesse, qui a rempli presque toute la fin du siècle dernier, le peuple ne joua qu'un rôle de comparse, et il ne pouvait guère être que cela. Ce n'était pas alors que l'ouvrier était capable d'agiter les questions sociales sur lesquelles le siècle suivant a vu s'exercer son action, mais on pouvait déjà prévoir que cela viendrait.

(1) Arch, du Cher, fonds de la Lieutenance de police, 1. B, 2510.


220 L'ANCIEN COMPAGNONNAGE

Les problèmes d'économie sociale, à peu près négligés dans la période désordonnée de la République, sauf par un petit groupe de chefs sans soldats, et restés lettre-morte pour les masses populaires bien plus encore sous le régime brutal du militarisme impérial, allaient se réveiller à la faveur de la paix sous la monarchie restaurée, en descendant comme un ferment dans les couches profondes et inertes du peuple. Or, c'est une loi de la société, comme de l'histoire naturelle, que les formes ne persistent pas éternellement et que, une fois disparues, elles ne revoient pas le jour. Les modes de groupements, d'après lesquels se constituent les organismes vivants, varient sans cesse, en disparaissant pour faire place à d'autres, quand ils ont parcouru le cycle qui leur était assigné, sans quoi ils ne trouveraient plus leur place dans un monde voué à un mouvement d'évolution constante. La vie des corporations industrielles, en suivant son cours, avait, à partir d'un certain moment, amené la dissociation des éléments qui les composaient. Dans cette séparation, qu'on peut comparer à celle des liquides différents, se mettant en équilibre d'après leurs densités respectives, le compagnon avait été amené à se distinguer toujours de plus en plus du maître, au point que, en se différenciant, les intérêts avaient fini par devenir tout à fait opposés. Si le compagnonnage, avec sa constitution propre, avait survécu au cataclysme révolutionnaire, qui avait fait disparaître maintes formes de l'ancienne société, la vie particulière qui l'animait jadis s'en retirait, et l'ouvrier actuel, héritier de l'ancien compagnon, vivait d'une vie, pour ainsi dire, amorphe, et comparable, en un certain sens, à celle qui avait précédé le grand mouvement d'organisation des XIIe et


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XIIIe siècles. Aujourd'hui, un mouvement, tendant à une réorganisation de cette classe sur des bases nouvelles, et qui se manifeste de plus en plus, a revêtu, dans l'ensemble des questions qui préoccupent notre époque, une importance toujours grandissante. Il n'y a pas lieu de prendre en considération la conception des esprits attardés, qui songent à faire revenir le prolétaire à l'esprit des vieilles corporations. Sans doute l'histoire se reprend, se refait constamment ; mais ce n'est jamais sous des formes identiques. La conception, devenue gothique, du compagnonnage d'autrefois, sans être absolument abandonnée, est bien dépassée : elle s'allie à une aspiration vers un autre genre de groupement. La forme de la nouvelle association paraît devoir être le syndicat, faisant entrer dans sa formule, prise, au sens le plus large, la réunion ou, tout au moins, l'accord du capital et du travail. En tout cas, ce qu'on peut dire, c'est que, l'ancien moule corporatif étant irrémédiablement brisé, elle ne consentira vraisemblablement pas à y rentrer.

BOURGES, IMPRIMERIE H. SIRE



TABLE DES MATIERES

PAGES

Règlement de la Société v

Liste générale des Membres XI.

Liste des Sociétés correspondantes XIX

Mémoires inédits pour servir à l'Histoire de la ville et des seigneurs de Linières-en-Berri, par GILLES-LE-DUC et J.-B. DUPRÉ (deuxième série), publiés par M. Lucien JENY 1

Notices biographiques et bibliographiques pour l'histoire de la Botanique en Berry. par M. Ant, LE GRAND 111

Relevés numériques de quelques Flores locales ou

régionales de France, par M. Ant. LE GRAND. 149

Compte-Rendu des principales Herborisations aux

environs de Bourges en 1890, par M. NARCY. 157

L'ancien Compagnonnage à Bourges, par M. Hippte

BOYER 171