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Titre : Mémoires de la Société des lettres, des sciences, des arts, de l'agriculture et de l'industrie de Saint-Dizier

Auteur : Société des lettres, des sciences, des arts, de l'agriculture et de l'industrie de Saint-Dizier. Auteur du texte

Éditeur : (Saint-Dizier)

Date d'édition : 1912

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34440403k

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34440403k/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 7760

Description : 1912

Description : 1912 (T14)-1913.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Champagne-Ardenne

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5535184m

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-249217

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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MÉMOIRES

DE LA.

SOCIÉTÉ DES LETTRES

des Sciences,

des Arts, de l'Agriculture et de l'Industrie

DR SAINT-DIZIER

TOME XIV

ANNÉES 1912-1913

SAINT-DIZIER

ANDRE BRUILLARD, MAITRE-IMPRIMEUR



SOCIÉTÉ

DES LETTRES, DES SCIENCES, DES ARTS, DE L AGRICULTURE ET DE L'INDUSTRIE

DE SAINT-DIZIER



MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ DES LETTRES

des Sciences, des Arts, de l'Agriculture et de l'Industrie

DE SAINT -DIZIER

TOME XIV

ANNÉES 1912-1913

SAINT-DIZIER

ANDRÉ BRULLIARD, MAITRE-IMPRIMEUR



MÉMOIRES DE LA SOCIETE

On peut se procurer ces volumes au prix de 2 fr. l'un (2.50 par la poste), chez M. Joseph Houdard, bibliothécaire, avenue de la Gare, à St-Dizien

TOME Ier

Charte d'affranchissement de Paint-Dizier.

Notice sur Eclaron, par M. le Vte de Hédouville,

Les Oiseaux de la vallée de la Marne, par M. F. Lescuyer.

Notice sur un ancien cours d'eau à St-Dizier, par M. Cornuel

Analyse des minerais de fer, par M. Barollet.

TOME II

Plantation des Conifères, par M. le Vte de Hédouville.

Une visite au musée de Raye, par M. le Vte de Hédouville.

Utilité de l'oiseau, par M. F. Lescuyer.

La Garde nationale mobilisée de St-Dizier, par M. P. Lescuyer.

Camps et enceintes fortifiés antiques, par MM. E. et H. Royer.

Manomètre à air libre pour la mesure des faibles pressions, par M. Adnet.

Chêne enfoui dans les alluvions de la Biaise, par M. Paulin.

Battage des pieux à l'écluse d'Allichamps, par M. Lagout.

Beurville, Blinfey, et fontaine de Ceffonds au XIIe et XIIIe siècles, par M. E. Royer.

Terrain crétacé inférieur du nord de la Hte-Marne, par M Cornuel.

TOME III Flore de la Haute-Marne, par MM. Aubriot et Daguin.

TOME IV (épuisé)

TOME V Histoire du village de Mussey, par M. Mallet.

TOME VI

Les origines de Saint-Dizier, par M. l'abbé Fourot.

St-Dizier d'après les registres de l'échevinage, par M. P. Guillemin.

TOME VII

Antiquités recueillies en Tunisie, par M. Houdard.

Cirey-le-Château, par M. l'abbé Plot.

La marquise du Châtelet et Voltaire, par M. l'abbé Piot.

L'art ancien et les moulages du Louvre au Musée de St-Dizier, par M. Houdard.

Le Monastère de la Chapelle-aux-Planches. par M. l'abbé Didier.


TOME VIII

Fac-similé de la Charte de Saint-Dizier, par M. l'abbé Jacob.

Traduction de la Charle de Saint-Dizier, par M. l'abbé Fourot.

Le sol et les eaux, par M. le Dr Vesselle.

Naturalisalion des oiseaux et mammifères, par M. l'abbé Euvrard.

Le gui de Noël, par M. Paulin.

Une vieille chanson, par M. Joppé.

L'abbaye Notre-Dame de Boulancourt, par M. l'abbé Didier.

Couvents de Minimes à Bracancourt et Doulevant, par M. l'abbé Didier.

M. l'abbé Geoffroy et le Collège de Puellemontier, par M. l'abbé Didier.

Le Couvent des Annonciades à Bourmont, par M. Parisel.

De la reproduction photographique des objets colorés et des manuscrits

anciens, par M. l'abbé Jacob. Ferrure antique en Haute-Marne, par M. Paulin.

TOME IX

Ier fascicule. — Eclaron pendant la guerre de 1870, par M. le Vte de Hédouville.

Végétation épiphyte des saules têtards, par M. Thomas. 2e fascicule. — Chenilles de Macrolépidoptères français Geometrae (Phalènes),

par M. Frionnet. 3e fascicule. — Etat du clergé constitutionnel de la Hte-Marne, pr M. H. Mettrier. Notice sur la commune de Landricourt, par M. Simonnet. Siège et Monument de 1514, par MM. C. Mettrier et Charmeteau.

TOME X

1er fascicule. — Le château du Grand-Jardin (1546, par M. Emile Humblot. Epitaphes, par M. Charmeteau.

Une verrerie champenoise, 1630-1700 (Rizaucourt), par M. Paul Euvrard. 2e fascicule. — Les premiers états des Lépidoptères français. Rhopalocera (anciens diurnes), par M. C. Frionnet.

TOME XI

La chapelle Sainte-Anne, à Joinville, par M. Emile Humblot. L'église Notre-Dame de St-Dizier, par M. l'archiprêtre Ch. Mettrier. La vallée du Cul-du-Cerf, par M. l'abbé Eug. Humblot.

TOME XII

Les premiers états des Lépidoptères français : Spingidae, Psychidae, Bombyces, Acronyctinae, par M. Ch. Frionnet.

TOME XIII

Rapport sur les travaux à insérer, par M. Adolphe Thiébault.

Les Elections des Echevins à Saint-Dizier, par M. V. Charmeteau.

Notice sur Osne-le-Val et le prieuré du Val d'Osne, par M. l'abbé Hubert Maréchal.

Chartes bragardes, documents pour servir à l'histoire de Saint-Dizier, par

M. G. de la Fournière. Note sur le sondage de Foulain, par M. Ferry-Capitain. Monsieur Victor Parisel, notes biographiques, par M. Louis Bossu. Un aller et retour dans l'Empire ottoman, par M. l'abbé Vuilley.

Catalogue du Musée de Saint-Dizier, 0.50 chez le concierge de la Mairie.


RAPPORT

présenté au nom de la Commission de publication

PAR

M. Adolphe THIÉBAULT

AVOCAT

sur l'Histoire de Jean-Nicolas LALOY



Rapport sur les Travaux à insérer

HISTOIRE

Jean-Nicolas LALOY (1745-1804)

par M. l'Abbé LORAIN

Messieurs,

Notre distingué collègue, M. l'Abbé Lorain, aumônier du. lycée de Chaumont, membre de la Société historique et archéologique de celle ville, curieux de tout ce qui se rapporte à l'histoire locale, auteur de travaux appréciés, était particulièrement désigné pour faire partie du Comité chargé, dès 1904, sur l'initiative du Ministère de l'Instruction publique, de la recherche et de la publication des documents relatifs à « la vie économique de la Révolution française ».

Au cours de ses investigations, en rassemblant les matériaux de son ouvrage sur « les subsistances en céréales dans le district de Chaumont de 1788 à l'an V », qui compte deux volumes in-8 de 860 pages chacun, il rencontra à maintes reprises le nom des deux frères Laloy, qui jouèrent un rôle très considérable en Haute-Marne durant la période révolutionnaire.

L'un et l'autre, originaires de Doulevant-le-Château, vinrent à Chaumont dès leur jeune âge.

L'aîné, Jean-Nicolas, médecin, fut successivement député


aux Etats-Généraux et à la Constituante, maire de Chaumont, commissaire du Directoire près de l'Administration du département, conseiller de préfecture jusqu'à sa mort (25 novembre 1804).

Le plus jeune, Pierre-Antoine, avocat, membre du Conseil du département, est député à l'Assemblée législative, puis à la Convention; il siège ensuite aux Cinq Cents, aux Anciens, au Tribunal ; membre du Conseil des prises sous l'Empire, il est exilé comme régicide sous la Restauration, revient en 1831 à Chaumont, où il meurt presque centenaire en 1846.

C'est de Jean-Nicolas Laloy que s'occupe présentement M. l'abbé Lorain. C'est son histoire, qui, après avoir retenu, Messieurs, votre attention, en plusieurs de nos séances, où les principaux passages vous en furent lus, a retenu celle de votre Commission de publication pour en constituer à elle seule, à "raison de son importance, le tome XIV de nos Mémoires.

Je ne saurais, Messieurs, en quelques lignes trop brèves, résumer un ouvrage de plus de 300 pages. J'essaierai, du moins, de vous donner un aperçu de l'intérêt qu'il offre et de ses qualités essentielles.

Tout ce qui touche à ces temps orageux qui vont du couchant de la Monarchie à la gloire du premier Empire, ne nous laisse indifférents, et c'est avec émotion que nous tournons les feuillets où se trouvent décrites les répercussions de la tourmente dans notre petite province.

Bien que plus d'un siècle se soit écoulé, peut-être sommesnous encore trop près de la Révolution pour la juger avec une sérénité impartiale — « sine ira et studio », disait Tacite, — sans faveur et sans colère, à la lumière des faits, non au feu des passions, si tant est qu'il soit possible de parler froidement d'un drame comme celui-là.

L'histoire est une résurrection, mais pour ressusciter le passé il ne suffit pas de le connaître, il faut l'avoir vu, le voir encore des yeux de l'esprit. On ne saurait croire combien s'exaltent et vibrent, à travers les années, les idées et les sentiments qui guidèrent nos ancêtres aux heures troubles et critiques, lorsque leur évocation est faite à la fois d'imagination, de sensibilité, de précision et de vérité.


-XV

Le chercheur qui aura ainsi remué la cendre des archives, n'en tirera pas que de la poussière, mais il en fera jaillir une étincelle de vie.

M. l'abbé Lorain ne s'est pas contenté d'envisager l'aîné des Laloy dans son rôle politique ou administratif ; il l'a suivi pas à pas dans sa famille, sa jeunesse, son éducation, son foyer, sa cité, ses multiples fonctions, ses travaux et ses oeuvres, ses dernières années et les honneurs posthumes qui lui furent rendus.

Après une introduction consacrée à la famille Laloy, de Doulevant-le-Château, son ouvrage se divise en six parties :

I. — Vie privée de Jean-Nicolas Laloy.

Orphelin de père et de mère à 12 ans, il poursuit ses études chez les Pères Jésuites. Après avoir songé à se faire religieux, il se décide pour la cléricature, entre au grand séminaire de Toul; puis il dirige son activité vers la pharmacie et la médecine.

Marié, il perd son épouse dans les douleurs d'une troisième maternité, et reste avec un seul enfant.

II. — Député aux Etats-Généraux et à la Constituante (1789-1791).

Laloy exerce une influence prépondérante près du Comité de division de la Champagne en départements. Par suite d'une rivalité avec le député de Bar-sur-Aube (Beugnot), Bar-surAube est exclu de la Haute-Marne; on y place Saint-Dizier et Bourmont ; d'où, dit l'un des documents cités, la figure singulière qu'offre notre département : « longue queue très ridicule « sur la carte ; c'est ainsi qu'un intérêt purement local et les « petites passions des hommes ont parfois une grande influence « sur les affaires publiques ».

Chaumont, alors, occupant le centre, est choisi comme chef-lieu.

Notons, en passant, qu'entre Saint-Dizier et Wassy, dans le même district, qui se disputaient le chef-lieu, — et qui avaient, écrit Laloy, « des députés extraordinaires, dont l'activité, très louable sans doute, nous a pris beaucoup de temps » — on proposait de placer le tribunal à Saint-Dizier et le district à Wassy. C'est le contraire qui eut lieu.


III. — Maire de Chaumont (1791-1796).

Dès sa nomination, Laloy est aux prises avec les pires difficultés.

Le pays est en proie à une disette affreuse ; c'est le désordre, l'anarchie, le pillage. Laloy crée un magasin de subsistances, prend les mesures les plus efficaces, l'ait vendre l'argenterie superflue des églises, met en mouvement toutes les réquisitions, assure les approvisionnements, procure de l'ouvrage aux pauvres par des travaux extraordinaires et parvient même à fournir gratuitement du blé aux armées de Kellermann et de Luckner, et la Convention décrète que « le département de la HauteMarne a bien mérité de la Patrie ».

A la suite de l'invasion des Tuileries (20 juin 1792), le Directoire du département avait protesté de sa fidélité au Roi ; certains Jacobins de Langres, qui ne pardonnaient pas à Chaumont sa prépondérance, s'émeuvent et, après la journée du 10 Août, marchent en troupe sur Chaumont. . . mais trop tard : le Directoire venait d'être suspendu ; la bande n'eut qu'à reprendre, penaude, le chemin de son rocher.

Partisan déclaré des idées nouvelles, la justice et la modération régleront cependant les actes de Laloy.

En 1792 et 1793, la solennité du Grand-Pardon est célébrée en grande pompe ; les processions de la Fête-Dieu sont suivies des corps constitués et des milices ; les feux de la Saint-Jean s'allument comme d'usage ; — c'est la liberté du culte pleine et entière, et cela dure jusqu'à l'arrêté des représentants du peuple près de l'armée du Rhin (17 brumaire an III).

Laloy résiste au district qui exige la livraison du mobilier des églises ; il conserve les cloches de Saint-Jean et, aux plus mauvais jours, assure la libre disposition des temples.

Lors de l'exécution de la loi sur les suspects, il rappelle dignement à l'administration départementale que, « sous un « gouvernement républicain, le vrai, le seul moyen de conser« ver la liberté politique est de respecter la liberté individuelle « aussi longtemps qu'elle ne, devient pas dangereuse pour la « société ». Grâce à sa ténacité, la liste des suspects sera supprimée.


IV. — Membre du jury d'instruction publique.

Laloy écrit à la Convention : « Ce n'est pas seulement sur le « marbre et l'airain qu'il faut graver la nouvelle constitution, « mais dans l'âme des jeunes républicains ».

Avec ses collègues, il rappelle à ses concitoyens « que la « servitude et les calamités publiques sont la suite nécessaire « de l'ignorance, et qu'une bonne instruction est la source de « la liberté, de la gloire et de la prospérité des peuples ».

L'enseignement primaire est réorganisé, l'école centrale établie.

V. — Commissaire du Directoire près de l'Administration

l'Administration de la Hte-Marne (1795-1800).

Le trésor public est vide. C'est l'époque des emprunts forcés, des assignats, des mandats territoriaux. Outre les services publics, il' faut entretenir les armées qui, de la Hollande à l'Egypte, combattent pour la République : Laloy assure l'exécution des lois fiscales et la rentrée des impôts.

Les lois contre le clergé sont rigoureuses ; il évite les vexations inutiles et parvient, non sans difficultés, à tempérer la sévérité des prescriptions de l'autorité par la tiédeur de leur application.

VI. — Conseiller de préfecture (1800-1804).

Laloy, dont la santé chancelait, veut l'être pour demeurer à Chaumont, après avoir refusé les préfectures de l'Aube et du Doubs.

On le nomme président du collège électoral de son arrondissement et administrateur de l'hôpital de Chaumont.

Il fonde la Société d'Agriculture, des Sciences et des Arts, dont il est élu président.

Il entreprend la statistique de la Haute-Marne, c'est-à-dire une étude du département sous tous les rapports, physiques, politiques et moraux ; mais la plus grande partie de ses notes a été malheureusement égarée.


-XVIIICependant

-XVIIICependant maladie de langeur dont il souffre s'aggrave, et alors que s'ouvre une ère de gloire pour le pays apaisé et qu'il est convié au sacre de l'Empereur, Laloy, pour qui, déjà, « tout n'est que vanité » en présence de l'heure éternelle, s'éteint doucement et pieusement dans la Religion de ses pères et celle de sa jeunesse, dont il n'avait jamais rougi.

Tels sont, imparfaitement résumés, ces chapitres pleins de faits et d'idées.

En étudiant son personnage, l'auteur a été amené à tracer le tableau de la période révolutionnaire dans notre département.

Celte fidélité de la restitution historique, ce mouvement dans le récit du passé tiennent d'abord à une pleine possession du sujet, à une vue d'ensemble de toutes les parties, à la connaissance parfaite du cadre, changeant comme les passions populaires, dans lequel se déploie l'énergique et prudente activité de Laloy ; puis, à la manière même dont l'auteur a travaillé, aux sources où il a puisé, au choix particulier de ses documents. — Les archives anciennes et modernes du département, les dossiers curieux de la famille Laloy, retrouvés au château de Massilly (Saône-et-Loire), M. Lorain a tout feuilleté, dépouillé : textes, journaux, mémoires, surtout correspondances.

Les lettres, ce « document-type », émaillent le récit ou, en note, appuient ou développent l'assertion. De là une familiarité plus étroite et plus intime de l'historien avec le temps qu'il raconte et les personnages qu'il met en scène. Les papiers jaunis, l'encre pâlie, gardent, comme une fleur fanée son parfum subtil, un peu de l'âme de ceux qui s'y confièrent : ils nous apparaissent non plus comme les êtres lointains et glacés, mais comme des êtres vivants et au moment même où ils ont vécu.

M. l'abbé Lorain ne se perd pas en digressions inutiles. Entraîné par son sujet varié, puisqu'il embrasse non seulement la vie d'un citoyen, mais l'administration d'une ville et d'un département, son style est sobre, juste et vif. Sa narration éclairée des références les plus sûres, n'exagère et ne déforme en rien la réalité. Il ne cherche ni à embellir ni à exalter son personnage : il se contente de laisser parler les faits et d'exposer les gestes.

Jean-Nicolas Laloy suit le torrent qui a emporté un trône,


bouleversé une nation; son civisme est intangible, mais il atténue autant que possible les rigueurs des lois révolutionnaires, et maintient dans la cité l'union, la concorde et la paix.

Les manifestations de la vie publique, les agitations, les secousses perpétuelles de ces temps troublés, paraissent dépeintes par un témoin ou un spectateur. Le choix judicieux des textes contribue encore à donner la notion la plus fidèle de l'état des esprits et des moeurs, des usages, des cérémonies officielles où — pour un instant du moins — sur un mode antique et païen, s'affirmait pourtant l'indestructible croyance à l'Etre suprême et à l'immortalité de l'âme.

Et comme il n'y a pas d'histoire véritable et utile sans philosophie, une réflexion, entre deux faits, indique les causes des événements et démêle les conséquences.

En quittant le livre de M. l'abbé Lorain, on connaît mieux, on comprend mieux non seulement la Révolution elle-même, mais ce pays et le temps qu'elle y dura, le passé qu'elle a détruit et l'ère nouvelle qu'elle y a commencée.

A Jean-Nicolas Laloy, ce traditionnel, attentif pourtant à l'ascension démocratique, mais résolument opposé à l'anarchie, confiant en l'indéfectible vertu de l'ordre et de la discipline, « reconstructeur » — selon la belle expression de de Vogüé, — dans un monde tumultueux, confus et chancelant, de l'âme qui peut seule lui donner l'harmonie et la durée, M. l'abbé Lorain a élevé un monument véritable.

En publiant son ouvrage, notre Société y apportera sa pierre, et rendra hommage au chercheur érudit et consciencieux qui a travaillé à la fois pour sa petite et sa grande patrie, car voici définitifs les traits de ce bon Français, de ce bon patriote, de ce Jean-Nicolas Laloy, dont il a dressé la statue.

A. THIÉBAULT.



HISTOIRE

DE

JEAN-NICOLAS LALOY

( Né à Doulevant-le-Château )

Docteur en Médecine - Maire de Chaumont, etc.

(1745-1804) PAR

M. l'abbé LORAIN

Aumônier du Lycée de Chaumont

Chanoine honoraire de la Cathédrale de Langres

Officier de l'Instruction Publique

Vice-Président de la Société d'Histoire, d'Archéologie

et des Beaux-Arts de Chaumont

Membre de la Société des Lettres de St-Dizier

SAINT-DIZIER

ANDRÉ BRULLIARD, MAITRE-IMPRIMEUR

1913



Jean-Nicolas Laloy

Né le 14 octobre 1745, à Doulevant-le-Château,

département de la Haute-Marne

Député du Bailliage de Chaumont-en-Bassigny

Ce portrait, qui date de l'époque où J.-N. Laloy était député aux Etats-généraux, se trouve avec l'inscription ci-dessus à la Bibliothèque nationale.

Planche 1.

(Voir p. 17).



PREFACE

Pourquoi l'Histoire des frères Laloy, nés tous deux dans la première moitié du XVIIIe siècle, ne paraît-elle qu'au XXe, et quelles raisons ont décidé l'auteur à l'écrire 110 ans après le décès de l'aîné et environ 70 après celui du plus jeune, c'est ce qu'il voudrait dire au lecteur avant d'entrer en matière.

Dans la préface que j'ai mise en tête de mon Histoire du Collège de Chaumont, imprimée en 1909, j'ai raconté à la page 12 que, lors de la création en Haute-Marne d'un Comité chargé de la recherche et de la publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution française, c'est-àdire en 1904, mon nom fut mis en avant sans que je m'en doutasse le moins du monde. Il est vrai que personne à Chaumont n'ignorait que la plus grande partie de mes instants libres se passaient aux archives de la ville ou du département, et que je me plaisais à l'étude de l'histoire locale, particulièrement à celle de la Révolution. Je ne connus toutefois l'existence de ce projet qu'après sa réalisation, et le jour où l'Inspection académique m'annonça officiellement que le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts venait de me nommer membre de ce Comité.

Je ne répondis pas tout d'abord à cette communication, ne devinant pas bien ce que l'on désirait de moi, mais je me rendis à la convocation qui me fut adressée le surlendemain, ainsi qu'à mes collègues, et qui avait pour but d'organiser le fonctionnement dudit comité. Le président nous lut le programme des travaux à entreprendre ; c'est alors que persuadé — pour avoir compulsé précédemment nombre de pièces intéressant l'époque révolutionnaire — qu'il me serait possible de trouver de multiples renseignements sur la disette des subsistances de 1788 à


1797, sur les émeutes qu'elle provoqua et l'application des lois votées pour la combattre par la Convention nationale, je me chargeai de faire, pour le district de Chaumont, une élude sur le commerce des céréales, étude qui était l'un des sujets proposés par la Commission.

Après y avoir travaillé, sans désemparer, l'espace d'environ 4 ans, j'envoyai à la sous-commission permanente, présidée par M. Aulard, une quantité considérable de documents sur la question. Mon travail ayant été approuvé, la Commission en décida l'impression aux frais de l'Etat ; il forme 2 volumes in-8° de plus de 800 pages chacun qui ont paru, le premier en 1912, et le second à Pâques de 1913.

Or, en consultant les nombreuses sources où j'ai puisé les documents qui remplissent ces deux volumes, en parcourant les registres des délibérations du Conseil et du Directoire de la Hte-Marne, ceux du district de Chaumont et de l'administration centrale du département, en étudiant surtout les 2.500 pages in-folio qui contiennent les délibérations du Conseil général de Chaumont, les registres de la Société populaire et de la Société d'Agriculture de cette même ville, les liasses consacrées aux assemblées électorales et d'autres non classées ni cotées qui font partie de la série révolutionnaire, j'ai souvent rencontré le nom des deux frères Laloy, surtout celui de l'aîné, qui fut maire de Chaumont aux mauvais jours de la Révolution, puis occupa jusqu'à sa mort une place de choix dans l'administration du département.

J'ai eu, de la sorte, vingt fois, je devrais plutôt dire cinquante fois, l'occasion de constater et en même temps d'admirer l'énergie de ce magistrat lors des émeutes causées en ville par la disette, sa prudente modération dans l'application des lois contre le clergé et les monuments religieux, sa fermeté inébranlable pour s'opposer aux vexations aussi inutiles qu'humiliantes imposées par les autorités supérieures aux citoyens suspects d'aristocratie ou d'incivisme. De telles qualités, qui étaient alors réputées crimes, lui valurent d'être dénoncé au Comité de Salut public et à la Convention, et il fallut l'envoi d'un représentant du peuple à Chaumont pour rétablir la paix profondément troublée par cette dénonciation.

Je m'enthousiasmai alors pour ce caractère, et je résolus de


— XXV —

le faire connaître à notre jeune génération, amollie et pour ainsi dire sans conviction, d'autant plus que la vie privée de Laloy resta toujours à la hauteur de sa vie publique, et qu'il sut se faire estimer de tous, même de ses ennemis. Bien que partisan déclaré des principes de la Révolution, l'ensemble de sa conduite fut en général si correct, son désintéressement si complet, son dévouement si universel qu'après sa mort, un prêtre éminent put du haut de la chaire chrétienne, et en présence de tous les corps constitués, prononcer son éloge funèbre et payer ainsi la dette de reconnaissance que la religion et la ville entière avaient contractée à son égard.

Mais je dois avouer que la pensée ne m'était point venue de lui consacrer un volume, ni même la moitié d'un volume. Tout au plus avais-je rêvé d'en faire le sujet de quelques articles destinés aux Annales de la Société historique de Chaumont, dont j'étais alors le secrétaire. Désireux de joindre à ces pages le portrait du magistrat auquel elles seraient dédiées, je me mis en rapport avec les membres de sa famille que je ne connaissais nullement et qui, du reste, avaient quitté Chaumont depuis vingt ans; je les priai, dans le cas où ce portrait existerait, de m'accorder la permission d'en prendre une copie. J'ajoutais discrètement que si les descendants du défunt avaient conservé quelques-unes de ses lettres, je serais très heureux de les consulter, convaincu qu'elles pourraient augmenter le nombre des renseignements que je possédais déjà.

Mes avances furent accueillies avec une amabilité parfaite. On me promit non seulement le portrait des deux frères, mais encore la communication de plusieurs dossiers qui, apportés de Chaumont il y a vingt ans, dormaient depuis cette époque dans les greniers du château de Massilly (Saône-et-Loire). En même temps, on m'invitait à venir sur place en prendre connaissance.

Je me rendis plusieurs fois dans cette hospitalière maison, où le petit-fils de Jean-Nicolas Laloy, M. Alfred Guyol-Guillemot, réside en compagnie de sa' belle-fille, Mme veuve Royer, née baronne de Münck. Là, au milieu d'une masse énorme de papiers intéressant la Haute-Marne, je découvris de nombreuses lettres et autres pièces manuscrites conservées ou recueillies par les deux frères, mais surtout par le plus jeune. Après avoir ouvert


les dossiers, parcouru les lettres, dépouillé un certain nombre de liasses, je vis tout de suite la possibilité de composer avec ces documents et ceux que j'avais déjà réunis, non point un ou deux articles, mais un ou deux volumes qui ne manqueraient pas d'intérêt. Ce sont ces deux volumes que je prends la liberté d'annoncer au public.

Le premier qui renfermera, avec la vie privée de Jean-Nicolas Laloy, le récit détaillé des principaux événements qui se sont passés à Chaumont pendant la Révolution et auxquels il prit une part importante, paraîtra en 1913 (1). Le second, qui est presque entièrement composé et racontera, avec l'histoire familiale de Pierre-Antoine Laloy, le rôle politique que ce représentant de la Haute-Marne remplit aux diverses assemblées législatives dont il fit partie à la même époque, ne verra le jour qu'en 1914 ou au plus tard en 1915.

La Société des Lettres de St-Dizier, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, ayant bien voulu me prêter son concours pour l'impression du présent volume, mon devoir est de la remercier, et de ce devoir je m'acquitte très volontiers et avant tout autre.

Je remercie également Mme Roger de l'accueil cordial qu'elle a bien voulu me faire en diverses circonstances, des lettres intimes qu'elle m'a communiquées et dont j'ai tiré le plus grand profit, des portraits de famille qu'elle a consenti à me prêter, en un mot de la confiance qu'elle m'a témoignée en toute occasion. Je n'aurai garde d'oublier le respectable M. Guyot(1)

Guyot(1) ce volume seront omis à dessein un certain nombre d'événements qui se sont passés à Chaumont pendant la Révolution, auxquels Jean-Nicolas Laloy fut plus ou moins étranger, soit parce qu'il n'était pas encore entré dans la vie politique, soit parce qu'alors il siégeait à l'Assemblée Constituante, soit enfin parce qu'il n'y joua qu'un rôle tout à fait secondaire. C'est ainsi qu'il ne sera fait mention ni des troubles causés en ville par la disette de 1788 et 1789 et des ateliers de charité ouverts à cette époque, ni de la contribution patriotique, ni de la caisse de confiance, ni du serment à la constitution civile du clergé, ni de la vente des biens nationaux, ni des fêtes de la fédération et autres.

On trouvera le récit de ces événements, partie dans notre Recueil de documents sur les subsistances en Céréales, partie dans notre Histoire du Collège de Chaumont, partie enfin dans divers articles qui ont paru ou paraîtront dans les Annales de la Société historique de Chaumont, et dans le second volume de cet ouvrage.


— XXVII —

Guillemot, son beau-père, qui, malgré ses 87 ans, a conservé avec la santé du corps une mémoire d'ange et une lucidité d'esprit admirable. Grâce à lui, j'ai pu avoir sur Chaumont et les hommes du temps passé, les détails les plus circonstanciés. Puisse la Providence le garder encore longtemps à l'affection de sa famille et de ses nombreux amis !

J'ai encore un merci à adresser aux deux archivistes de la Haute-Marne qui se sont succédé pendant que je faisais mon travail, MM. Patry et Gautier,' et qui, avec la bienveillance que chacun leur connaît, m'ont gracieusement aidé dans mes recherches ; un merci également aux secrétaires de la mairie de Chaumont, qui m'ont donné toute facilité pour consulter les archives communales.

J'ai dit plus haut que les greniers du château de Massilly renfermaient depuis vingt ans au moins un amas extraordinaire de documents intéressant la Haute-Marne et spécialement la ville de Chaumont. La plus grande partie de ces pièces ont été rassemblées par Pierre-Antoine Laloy, le plus jeune des deux frères, qui s'était jadis proposé d'écrire un histoire du département, et avait employé sa longue existence à en préparer les matériaux.

Je dois prévenir le lecteur que ces documents ne sont plus en Saône-et-Loire. J'ai demandé à Mme Roger de vouloir bien s'en dessaisir en faveur du dépôt des archives de la Hte-Marne, où leur place* était tout indiquée, et, par mon intermédiaire, elle en a fait hommage au Conseil général. Désormais on les trouvera donc à Chaumont, dans la partie de la grande salle réservée au « fonds Laloy ». Le Ministre de l'Instruction publique a chargé M. le Préfet de témoigner en son nom la gratitude de l'Etat à l'intelligente et généreuse donatrice, ce que ce haut magistrat n'a pas manqué de faire.

Le fonds Laloy est, en effet, pour la Haute-Marne et pour les travailleurs qui voudront connaître son passé, d'une importance majeure. Aussi bien M. Gautier, qui venait d'en dépouiller sommairement les liasses, n'hésitait-il pas à dire, dans son rapport du 1er juillet 1911 à M. le Préfet: « Ces collections présentent un intérêt considérable pour l'histoire de ce département, tant par le nombre des documents, qui n'est certainement pas inférieur à 12.000, que par leur origine et leur valeur histori-


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XXVIIIque 7) ». Puis, entrant dans le détail des pièces qu'elles renferment, il en citait qui concernent des communautés religieuses des environs et à peu près 300 localités de ce département et des départements voisins, sans parler des cartons entiers qui regardent Chaumont et ses diverses institutions.

Ces archives seront sous peu complètement classées et promptement connues des chercheurs, dont le nombre augmente chaque jour dans notre pays. Elles leur fourniront une multitude de renseignements qu'ils ne trouveraient pas ailleurs, et qui leur seront d'un grand secours pour les monographies ou autres éludes qu'ils préparent. Je me permets donc, en terminant cette préface, de transmettre à Mme Roger Guyot l'expression de leur respectueuse et vive reconnaissance.

Chaumont, le 15 avril 1913.


BIBLIOGRAPHIE

Annales de la Société d'Histoire, d'Archéologie et des BeauxArts de Chaumont.

Annuaire du département de la Hte-Marne pour l'année 1811.

Archives anciennes de Chaumont : Registres de l'état-civil au XVIIe siècle.

Archives modernes de Chaumont : Registres de l'état-civil depuis 1790.

Registres des délibérations municipales de Chaumont (17901838).

Archives de Doulevant-le-Château : Registres de l'état-civil des XVIIe et XVIIIe siècles.

Registres des délibérations municipales de cette ville au XIXe siècle.

Archives de la Haute-Marne :

Fonds Laloy, recueil de pièces diverses.

Recueil imprimé des actes administratifs de la Préfecture.

Registre des délibérations de la Société d'Agriculture de la Haute-Marne.

Registre des délibérations de la Société populaire dé Chaumont.

Registres des délibérations et arrêtés du Conseil et du Directoire du département de la Hte-Marne.

Registres des délibérations et arrêtés du Conseil et du Directoire du district de Chaumont.

Registres de la correspondance du département et du district avec les autorités supérieures ou inférieures.


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Registres des délibérations et arrêtés de l'Administration

centrale du département de la Hte-Marne. Liasse des pièces concernant l'insurrection de Chaumont

en 1791. Liasse des pièces intéressant les assemblées électorales. Liasses non cotées renfermant divers documents de la série

révolutionnaire. Liusses d'arrêtés imprimés des diverses administrations.

Archives de la famille Laloy, à Massilly (Saone-et-Loire) : Nombreuses lettres des membres de cette famille.

Archives de l'église St-Jean-Baptiste, de Chaumont : Registres de l'Etat religieux depuis la Révolution.

Archives nationales, à Paris : Liasse des autographes, n° 460.

Beugnot (le comte Albert) : Mémoires du comte Beugnot, ancien ministre, 2 vol. in-8, 1866.

Bibliothèque Barotte, à la préfecture de la Haute-Marne :

Gossin, membre du Comité de constitution : Rapport fait à l'Assemblée nationale sur le quatrième département de Champagne, brochure in-8 de 16 pages, imprimée à Chaumont chez Bouchard.

Bibliothèque municipale de Chaumont :

Programme du jury d'instruction de l'Ecole centrale de Chaumont et divers palmarès de cette école, n° 10873 ter. Journal de la Haute-Marne, année 1807 et suivantes.

Fayel : Recherches historiques sur les écoles de la Haute-Marne, 1 vol. in-8°.

Garret, curé de Chaumont :

Oraison funèbre de Jean-Nicolas Laloy.

Hôpital de Chaumont :

Série G. Registre-journal des recettes et dépenses des enfants

trouvés. Série HH. Cote 2. Registres des délibérations de la Commission, de 1790 à

l'an X.


Inventaire des titres dressé par dom Peuchot.

Divers dossiers de l'époque révolutionnaire ; budgets et

comptes ; lettres et rapports des administrateurs, F. 1,

2e et 3e dossiers.

Jolibois (Emile) : Histoire de la ville de Chaumont ; La Haute-Marne ancienne et moderne ; Notice sur P.-A. Laloy, brochure de 20 pages, 1844.

Larousse : Dictionnaire universel, article Laloy.

Lombard, de Langres : Mémoires anecdotiques pour servir à l'Histoire de la Révolution française, 2 vol, in-8°.

Lorain (Charles). Histoire du collège de Chaumont, depuis sa fondation jusqu'à son érection en lycée.

Procès-verbal de l'Assemblée des trois Etats du baillage de Chaumont-en-Bassigny en l'année 1789. 1 vol. in-8°, Chaumont, Bouchard, 1789.



Maison de Jean-Nicolas Laloy

Située rue de la Halle, aujourd'hui rue Laloy

Planche II.

(Voir p. 14).



INTRODUCTION

La famille Laloy, à Doulevant

Parmi les hommes qui, durant la période révolutionnaire, ont joué en Haute-Marne les rôles les plus en vue, il faut placer au premier rang les deux frères Laloy. L'un et l'autre, originaires de DouIevant-le-Château, mais venus à Chaumont dès leur jeune âge, prirent en effet une très grande part aux principaux événements de cette époque troublée.

L'aîné, Jean-Nicolas, qui, à la fin de l'ancien régime, exerçait dans cette ville la profession de médecin, fut successivement député aux Etats-Généraux et à la Constituante, de 1789 à 1791, maire de Chaumont de 1791 à 1796 (1), puis commissaire du Directoire exécutif près de l'Administration centrale du département de 1796 à 1800, enfin conseiller de préfecture jusqu'à sa mort, qui arriva le 4 frimaire an XIII (25 novembre 1804), alors qu'il ne faisait qu'entrer dans sa 60e année.

Le plus jeune, Pierre-Antoine, moins âgé que son frère de 4 ans, appartenait au barreau de Chaumont en 1789, et après avoir rempli durant quelques mois les fonctions de procureursyndic de la commune en 1790, il avait été nommé membre du Conseil du département et en présidait le directoire, quand il fut chargé de représenter la Haute-Marne à l'Assemblée législative. Il siégea ensuite à la Convention, aux Cinq-Cents, aux Anciens, au Tribunat ; plus, tard, il fit partie du conseil des prises maritimes sous l'Empire, fut exilé comme régicide sous

(1) Larousse, dans son grand dictionnaire, dit que Laloy l'aîné, après avoir été député à la Constituante, fut procureur général syndic du département de la Haute-Marne. C'est une erreur, jamais les Laloy, pas plus l'aîné que son frère, n'ont exercé cette fonction.


la Restauration, et revint en 1831 à Chaumont, où il mourut presque centenaire le 5 mars 1846.

Nous nous proposons d'étudier avec quelques détails la vie de ces deux hommes, qui ont laissé dans le souvenir de leurs compatriotes une trace profonde, mais non indélébile, trace qu'il est utile de rappeler à la génération actuelle, si l'on ne veut que le temps, qui emporte tout, la fasse bientôt disparaître. Combien de Chaumontais qui ignorent aujourd'hui l'histoire des deux Laloy, et se demandent pour quel motif leur nom a été donné à une rue de la ville.

Nous parlerons d'abord de l'aîné, ensuite du plus jeune. Grâce aux nombreuses lettres qu'ont bien voulu nous communiquer leurs descendants, nous pourrons publier, à coté de leurs portraits, inconnus du public, puisqu'ils n'ont jamais été reproduits, de précieux renseignements. Nous y joindrons une foule de documents puisés aux archives de Chaumont et à celles du département, qui nous permettront de faire revivre ces deux figures, en mettant sous les yeux de nos contemporains, le récit de faits aussi graves en eux-mêmes qu'intéressants pour la Haute-Marne, surtout pour Chaumont.

Avant de commencer, disons un mot du pays d'origine des Laloy et de leur famille. Dans la vallée de la Blaise et sur le coins de celle rivière, au centre du triangle formé par les villes de Wassy, Bar-sur-Aube et Vignory, s'élève un joli bourg environné de bois, qu'on appelle, depuis plusieurs siècles, Doulevant-le-Château, mais qui. pendant la Révolution, échangea son surnom trop aristocratique pour ce temps contre celui de Doulevant-le-Grand, qu'il avait porté, du reste, dès le principe, et servait à le distinguer de Doulevant-le-Petit, autre localité du voisinage. C'est aujourd'hui un chef-lieu de canton d'environ 550 habitants, qui, fonctionnaires non compris, vivent presque tous de la culture de leurs terres ou du petit commerce qu'ils font dans la région. Jadis, quand l'industrie florissait en cette contrée, quand les forges y étaient en pleine activité, quand les ouvriers accouraient dans ce bourg pour


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travailler dans ses bois et ses usines, enfin quand les familles

comptaient plus d'enfants que de nos jours, la population de Doulevant-le-Château atteignait le chiffre de 1200.

C'est à cette époque, c'est-à-dire à la fin de la première moitié du XVIIIe siècle que naquirent les deux Laloy. Du côté paternel, leurs ancêtres remontaient, dans le pays, à Claude Laloy et Edmonde Hâtot, qui eurent 17 enfants, dont le premier vint au monde en 1668 et le dernier en 1691. Le père et la mère de cette nombreuse famille moururent la même année, au mois d'août 1691 et à cinq jours d'invervalle. Or, leur petit-fils, Jean-Louis Laloy, né le 5 juillet 1708, de Nicolas Laloy et d'Antoinette de Saint-Martin, fut le père des deux personnages qui nous occupent : Jean-Nicolas, qui reçut le jour le 14 octobre 1744, et Pierre-Antoine le 16 janvier 1749. Avant eux, il avait déjà eu de sa femme, Jeanne Peuchot, qu'il avait épousée le 9 juillet 1736, un fils, Hubert Laloy, né le 25 avril 1737, et après eux il en eut encore deux filles, Catherine et MarieJeanne, qui vécurent dans le célibat, sans parler de plusieurs autres enfants qui décédèrent en bas âge. Leur mère mourut en 1753 et leur père en 1757 (1).

Sans être ce qu'on appelle riches des biens de la fortune, les Laloy n'étaient pourtant pas obligés de demander le pain quotidien au travail de chaque jour ; ils possédaient une certaine aisance, produit de quelques petits terrages sis à Doulevant, Mertrud et autres lieux circonvoisins. Jean-Louis, qui exerçait la profession de marchand, jouissait dans tous les environs de l'estime publique. Cette famille, du reste, donnait à l'Eglise, de temps immémorial, les meilleurs de ses membres. C'est ainsi que Jean-Louis avait un frère dans le sacerdoce : Jean, qui mourut curé de Fays, le 23 août 1750, âgé de 50 ans (2), et un autre dans l'état religieux, Antoine, qui, au sortir du séminaire

(1) Voir dans les registres de l'état civil de Doulevant la généologie des Laloy.

(2) Voir les papiers de la famille et le Diocèse de Langres, par l'abbé Roussel, t. II, p. 593.


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de Toul — car Doulevant faisait alors partie de ce diocèse — était entré à la Trappe en 1739 et y mourut en odeur de sainteté, le 4 juin 1742, à l'âge de 35 ans; il y avait passé les trois dernières années de sa vie dans la pratique de toutes les vertus, comme en témoignent les lettres si édifiantes qu'il écrivit à son père et à son frère en 1739 et 1740 (1), et que l'on conservait dans la famille comme de précieuses reliques. Son supérieur, le F. Malachie, qui, avant de le connaître comme profès, l'avait connu et dirigé comme novice, en a fait après sa mort le plus grand éloge (2).

La vocation religieuse ne devait pas s'éteindre avec ces deux prêtres dans la famille Laloy. Nous verrons plus loin que le futur maire de Chaumont, le futur Constituant eut un instant la pensée de se faire chartreux, qu'il entra, comme son oncle, au grand séminaire de Toul et y reçut les premiers ordres, et que son petit-neveu, Hubert Laloy, devint curé de Dommartin-leSaint-Père, où il mourut en 1844, âgé de 53 ans, estimé de tous ceux qui l'avaient connu.

(1) Voir la copie de ces lettres qui existe dans les papiers de la famille.

(2) On lit, en effet, dans une lettre du F. Malachie, en date du 16 novembre 1748, ces belles paroles écrites à l'un des parents du défunt : « Ce bon religieux a mené ici une vie si pure et si sainte que j'ai tout lieu de croire qu'il a trouvé grâce aux yeux de Dieu, et qu'il est présentement au Ciel un puissant intercesseur pour vous et pour nous. Sa vie a été une pratique constante des plus héroïques vertus : une tendre piété, un amour ardent pour la prière, une fidélité exacte à remplir tous ses devoirs, une charité pour tous ses frères qui lui faisait trouver douces les choses tes plus pénibles, quand il s'agissait de leur rendre service ; une pureté angélique, une constance et une ouverture de coeur sans réserve pour ceux que Dieu avaient chargés de sa conduite ; un esprit de mortification et de pénitence qu'il aurait porté bien au-delà de ses bornes, si je n'eusse au soin de modérer sa ferveur... Dieu, qui se plaît à éprouver ses élus dans le fourneau de la tribulation, lui envoya, presque aussitôt après sa profession, une maladie aiguë qui n'a fini qu'avec la vie ; mais cette maladie servit, selon les dessins de sa sagesse infinie, à faire éclater la vertu du frère Antoine par l'admirable patience avec laquelle il la souffrit et qu'il conserva jusqu'à son dernier soupir, qu'il rendit entre mes bras. Ne croyez pas, Monsieur, que cet éloge soit outré. Je ne dis que ce dont j'ai été témoin oculaire, et j'en pourrais dire bien davantage, si je ne craignais d'être trop long... » Papiers de famille.


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Du côté maternel, les deux Laloy descendaient des Peuchot, famille très nombreuse et très ancienne à Doulevant, puisque, d'après les registres de la mairie, il y avait dans ce bourg, en 1600, au moins huit ménages bien distincts qui portaient ce nom. Quelques membres de cette famille sont parfois qualifiés de marchands (1), comme les Laloy, ce qui prouve qu'ils jouissaient à peu près d'une égale fortune et de la même notoriété. Aussi, à diverses reprises, les membres de ces deux familles, qui paraissent avoir été à cette époque les principales du bourg, s'unirent-ils entre eux par les liens du mariage. C'est ainsi que Jean-Louis Laloy épousa, comme nous l'avons déjà dit, MarieJeanne Peuchot le 9 juillet 1736, et que Hubert Peuchot épousa Barbe Laloy le 16 novembre de la même année ; c'est ainsi encore que Claude Laloy prendra pour femme, le 1er octobre 1748, Françoise Peuchot (2).

Les Peuchot, du reste, ne le cédaient en rien aux Laloy sous le rapport des sentiments religieux. Nous rencontrons, en effet, à cette époque, dans le diocèse, plusieurs ecclésiastiques de ce nom, tels que Charles-Hubert Peuchot, né à Doulevant le 8 octobre 1753, qui devint prêtre et professa les belles-lettres au collège de Langres, de 1789 à 1792 ; un autre Peuchot, qui fut vicaire de Laignes et décéda vers 1770 (3) ; enfin le bénédictin Claude-Cyrille Peuchot, qui fut le premier archiviste de la Haute-Marne, et mourut à Doulevant au mois de décembre 1817 (4).

Ajoutons que de temps immémorial les Peuchot dressaient

(1) Voir les actes de l'état civil des 11 février 1699 et 14 octobre 1745.

(2) Voir ces actes aux registres de l'état civil, à la mairie de Doulevant.

(3) Généalogie de la famille Peuchot, dans les papiers des Laloy.

(4) Voir la notice que la Société d'Histoire, d'Archéologie et des Beaux-Arts de Chaumont a consacrée à Claude-Cyrille Peuchot, t. III, p. 199. Depuis la rédaction de cette notice, nous avons trouvé la preuve que Dom Peuchot n'a jamais prêté le serment exigé par la constitution civile du clergé en 1791.


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chaque année, à leurs frais, le jour de la Fête-Dieu, un reposoir devant la maison paternelle. Il existe même un acte par lequel le grand-père et la grand'mère des deux Laloy du côté maternel, Hubert Peuchot et Jeanne Mauperrin, sentant leur fin approcher, l'ont promettre à leurs enfants réunis autour d'eux, d'exécuter ponctuellement leurs dernières volontés (1).

Or, la quatrième de ces volontés spécifiait que, suivant l'exemple qu'ils avaient reçu de leurs ancêtres, leurs enfants continuassent « de faire ériger devant leur domicile un reposoir pour la fête du Saint-Sacrement, comme ils l'avaient toujours ci-devant fait » ; pour cela, tous les bois, linges et autres ornements qu'on employait à cet usage, devaient rester entre les mains de celui de la famille qui posséderait leur maison, « desquels ornements, est-il dit, il ne pourra disposer en quelques mains que ce soit, n'en étant que gardien et dépositaire, et demeurera chargé de faire ledit reposoir aux jours accoutumés ; et afin qu'il n'en puisse divertir aucun, mémoire en sera fait par articles en forme d'inventaire » (2).

Le nom des Laloy et des Peuchot, si commun à Doulevant pendant deux siècles et demi, en a entièrement disparu depuis environ 40 ans, mais si le nom n'existe plus dans ce bourg, la famille y est encore largement représentée (3).

Après ce préambule peut-être un peu long, mais qui semblait nécessaire pour faire connaître au lecteur la position de forlune, l'ancienneté, l'honorabilité et les sentiments religieux des Laloy et des Peuchot, nous allons commencer immédiatement la notice du premier de nos deux héros, comme on disait jadis.

(1) La première de ces volontés était que leurs enfants vécussent dans la crainte et l'amour de Dieu et du prochain ; la seconde, qu'ils réparassent tous les torts dont on pourrait avoir à se plaindre de leur part ; la troisième, qu'ils prissent sur leur héritage la somme nécessaire à l'acquit de cent messes à célébrer pour le repos des âmes de leurs père et mère décédés.

(2) Voir les papiers de la famille où cet acte est conservé en copie.

(3) Témoignage de M. Paul Duchène, maire de Doulevant, et descendant lui-même des Lafoy et des Peuchot.


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CHAPITRE Ier

Vie privée de Jean-Nicolas Laloy

§ I. — Sa naissance et son éducation

Il devient orphelin de père et de mère à 12 ans. — Il est confié à ses tantes de Chaumont. — Ses études chez les R.P. Jésuites. — Il veut d'abord se faire religieux, puis se décide pour la cléricature. — Il entre au grand séminaire de Toul et y reçoit les premiers ordres. — Il va ensuite à Paris étudier la médecine et la pharmacie. — Il s'installe à Chaumont en 1774. — Son dévouement pour les malades et sa générosité. — Sa nombreuse clientèle.

Jean-Nicolas Laloy naquit à Doulevant-le-Château le 14 octobre 1745, du légitime mariage de Jean-Louis Laloy, marchand, et de Jeanne Peuchot (1) et fut le second des cinq enfants issus de cette union, qui arrivèrent à l'âge d'homme. Son père, nous l'avons dit plus haut, appartenait à la petite bourgeoisie de la région, et il pensait vraisemblablement laisser à ses enfants, avec son commerce à continuer, un nom respecté de tous et du bien à faire dans le pays, quand la Providence en décida autrement. Sa femme étant morte le 27 novembre 1753 (2), lui(1)

lui(1) de naissance de Jean-Nicolas Laloy (14 octobre 1745) :

« Jean Nicolas, fils légitime de Jean Louis Laloy, marchand, et de Jeanne Peuchot son épouse, est né le quatorzième jour du mois d'octobre de l'année mil sept cent quarante-cinq, et a été baptisé le lendemain, quinze du mesme mois et mesme année ; il a eu pour parrain mtre Hubert Peuchot le jeune, et pour marraine Marie Jeanne Laloy, qui ont signé avec nous. »

Ont signé au registre : Peuchot, Marie Laloy,

Doré, prêtre et vicaire de Doulevant-le-Chateau. (Voir les registres de l'état civil de Doulevant).

(2) Acte de décès de Jeanne Peuchot (29 novembre 1753) :

« L'an mil sept cent cinquante-trois, le vingt-neuvième jour du mois de novembre, est décédée en cette paroisse de Doulevant Jeanne Peuchot, âgée de quarente neuf ans ou environ, vivante


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même le 14 octobre 1757 (1), Jean-Nicolas se trouva orphelin de père et de mère le jour même où il atteignit l'âge de 12 ans. Du consentement de la famille, son tuteur l'envoya chez les soeurs de son père, par conséquent ses tantes, Catherine et Marie-Jeanne Laloy, qui s'étaient depuis quelque temps fixées à Chaumont et y exerçaient, croyons-nous, un petit commerce de détail dans la rue Saint-Michel, aujourd'hui de Chamarandes. Ces deux personnes, qui resteront toute leur vie célibataires, vont devenir les secondes mères de l'enfant (2) et,

femme de Jean-Louis Laloy, marchand, après avoir été confessée, reçu te Saint-Viatique et le saint-sacrement de l'Extrême onction. Son corps a été inhumé le lendemain dans le cimetière de la dite paroisse avec les cérémonies prescrites par la sainte Eglise, en présence dudit Laloy, son époux, de Hubert Peuchot, son frère, et d'autres pareils et témoins soussignés avec nous ».

Ont signé an registre : II. Peuchot, J. Loppin, Peuchot, Laloy, Doré, curé à Doulevant-le-Château, avec ou sans paraphes.

(Voir les registres de l'état civil de Doulevant).

(1) Acte de décès de Jean-Louis Laloy (14 octobre 1757).

« L'an mil sept cent cinquante sept, le quatorzième jour du mois d'octobre, est décédé en cette paroisse de Doulevant-le-Château, Jean-Louis Laloy,. âgé de quarante sept ans, vivant marchand et mary de deffunte Jeanne Peuchot, n'ayant pu être confessé ni recevoir le Saint-Viatique, ny le sacrement d'extrême onction, pour avoir été surpris de mort subite. Son corps a été inhumé le lendemain dans le cimetière de ladite paroisse, avec les cérémonies prescrites par la sainte église, par moy Nicolas Girard, prêtre-curé dudit Doullevant, en présence de Hubert Laloy, son fils, de MMtres Hubert et Laurent Peuchot et de Nicolas Georges, ses beauxfrères, et d'autres parens et témoins soussignés avec nous. »

Ont signé au registre : H. Peuchot, N. Georges, Peuchot, C. Jeudy, Hubert Laloy, Girard, curé de Doulevant-le-Château.

(Voir les registres de l'état civil de Doulevant).

(2) Catherine, l'aînée, mourut à Chaumont le 19 avril 1783 et fut enterrée au cimetière de Lorrette, l'ancien cimetière de St-Michel venant d'être fermé, et celui de la Croix de Mission n'étant pas encore ouvert. Son acte de décès est signé de Pierre-Antoine Laloy, avocat en parlement, son neveu ; elle avait 81 ans. Sa soeur, Marie-Jeanne, mourut à Chaumont le 23 nivôse an II (12 janvier 1794), et c'est son autre neveu, Jean-Nicolas, devenu maire do cette commune, qui déclara à l'officier public son décès survenu « en son domicile, situé rue des Droits de l'Homme, ci-devant Saint-Micliel ». Elle avait alors 78 ans. (Voir les registres de l'état civil de Chaumont).


comme celui-ci montrait d'heureuses dispositions pour l'étude, elles l'envoyèrent au collège des Pères Jésuites, où son frère viendra bientôt le rejoindre. Ce collège, ainsi que la plupart des établissements dirigés alors par les membres de la Compagnie de Jésus, n'avait pas d'internat (1). Aussi l'enfant, en pension chez ses parentes, suivit-il les cours de la maison en qualité d'externe.

Très bien doué du côté de l'esprit et du coeur, il devint sous tous rapports le modèle de ses condisciples, faisant de rapides progrès dans les lettres, mais surtout dans les sciences, pour lesquelles il avait un goût plus prononcé ; il se distinguait entre tous par la douceur de son caractère et sa tendre piété. Ses éludes achevées, il éprouva le désir de s'engager dans la voie frayée par son oncle de la Trappe, dont il avait si souvent entendu parler au foyer paternel, et d'imiter son' cousin germain, Claude-Cyrille Peuchot, qui était du même âge que lui et se proposait d'entrer chez les Bénédictins : il pensa donc, lui aussi, à se faire moine. Il paraît que son zèle le porta tout d'abord vers un ordre dont la règle est sévère entre toutes, où la pénitence est plus duré qu'ailleurs et l'éloignement du monde plus complet, l'ordre de Saint-Bruno : il voulait être chartreux. Mais on lui fit comprendre que sa santé délicate ne pourrait longtemps supporter les rigueurs de la discipline en usage dans cet institut, et il renonça, bien qu'à contre-coeur, à cette résolution (2).

Il se décida alors pour la cléricature et entra au grand séminaire de Toul. C'est dans cette ville qu'il fit sa Philosophie ; sa famille possède encore le cahier de Logique qui lui servit en cette circonstance et qui renferme les leçons professées à Chaumont quelques années auparavant, par le jésuite Danzas, avant l'expulsion de la Compagnie, c'est-à-dire avant 1762. Ce cahier porte, en effet, le nom de Jean-Nicolas Laloy, celui de la ville de Toul et la date de 1764 (3). Au moment venu et après les

(1) Voir notre Histoire du Collège de Chaumont, p. 70.

(2) Voir plus loin l'oraison funèbre de Jean-Nicolas Laloy.

(3) Voici le titre complet de ce gros cahier : « Cursus philosophicus ex codicibus eruditissimi et reverendissimi patris Danzas, societatis Jesu, in collegio Calvamontano professoris, extractus.

Tomus primus : De Logicâ. Tulli Leucorum, ex libris Joannis Nicolaï Laloy. MDCCLXIV,


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épreuves habituelles, il reçut la tonsure cléricale, peut-être même les ordres mineurs ; toute sa vie il conserva précieusement, et comme un souvenir agréable, les lettres d'ordination qui lui furent délivrées en celte circonstance par l'autorité épiscopale. Un jour même il se glorifiera d'avoir désobéi aux décrets impies qui ordonnaient de les livrer.

Néanmoins la décision qu'il avait prise ne le satisfaisait pas entièrement ; il cherchait toujours sa voie, et après avoir passé plusieurs années au séminaire et longtemps réfléchi sur sa vocation, il quitta tout à coup cette maison, malgré les instances de ses maîtres, qui auraient voulu conserver à l'Eglise un sujet aussi distingué, et rentra dans le monde, avec la ferme intention de se rendre, d'une autre manière, utile à ses concitoyens.

Comme il possédait quelques avances, ses parents lui ayant laissé un héritage d'environ 6 à 7.000 livres (1), il partit pour Paris et, ses dispositions naturelles le portant, comme nous l'avons dit, vers les sciences, il se livra dans la capitale pendant 6 ou 7 ans à l'étude de la médecine et de la pharmacie ; puis revint à Chaumont, sa patrie adoptive, avec les diplômes les plus enviés, et déjà perfectionné dans la pratique d'un art aussi bienfaisant que difficile.

A Paris, où il s'était lié avec plusieurs hommes illustres du temps, Laloy — car, selon l'usage constant de sa famille, nous ne l'appellerons plus de son prénom (2), — avait suivi les cours des professeurs les plus fameux, tels que de Jussieu qui, le 4 août 1774, lui délivra un certificat d'assiduité aux leçons de botanique qu'il donnait au jardin du palais royal (3) : aussi,

(1) Déclaration de Pierre-Antoine Laloy, son frère, qu'on trouvera plus loin.

(2) Lui-même ne faisait précéder sa signature d'aucune initiale, et ses frères ou cousins ne l'appelaient jamais que par son nom de famille, coutume assez fréquente à cette époque pour désigner l'aîné des enfants.

(3) Voici le texte même de ce certificat : Ego infrascriptus doctor medicus Parisiensis, regix scientiarum academiae socius, vices gerens Mtri Guillelmi Lemonnier, doctoris medici Parisiensis, consiliarii medici regis ordinarii primarii, regiae scientiarum academiae socii,


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passait-il à Chaumont pour un homme très savant. Lombard, de Langres, qui fut longtemps son collaborateur au bureau de l'administration du département, a écrit de lui : « Si peu nombreuse que fut la population de Chaumont, quand on aimait à s'instruire, on y trouvait à qui parler. Sans citer plusieurs autres personnes, il y avait là, de mon temps, Laloy l'aîné, frère du conventionnel. Ce Laloy se connaissait en médecine, en botanique, en peinture, en littérature, etc. (1). » Le premier préfet de la Haute-Marne, Ligniville, écrivait de lui en 1801 au ministre de l'Intérieur : C'est un homme « dont les vastes connaissances en économie politique, en administration et en médecine sont vraiment remarquables » (2). Pendant son séjour dans la capitale, il avait eu l'occasion de rencontrer souvent Jean-Jacques Rousseau, et il aimait à rappeler ses relations avec ce philosophe, dont les oeuvres étaient alors dans toutes les mains (3).

A son retour, c'est-à-dire vers la fin de 1774, il s'installe à Chaumont où, pendant trente années, il va se dévouer corps et âme au soulagement des miséreux et des malades. A toute heure du jour et de la nuit, il est prêt à se rendre à leur domicile pour s'efforcer d'adoucir leurs souffrances, en leur prodiguant les soins les plus empressés. Il ne dispose, il est vrai, que d'une modeste fortune ; cependant, il ne se préoccupe jamais de la rétribution de ses services, et se regarde comme assez récompensé s'il a pu calmer une douleur, panser une blessure ou du moins rendre supportables les maux qu'il n'a point guéris (4).

Persuadé que la main droite, selon la parole de l'Evangile, doit ignorer ce que donne la main gauche « il en vint à ne vouloir pas même recevoir des riches ce qui aurait soulagé l'indinecnon

l'indinecnon horto regio Botanices professons, testor Joannem Nicolaum Laloy, Tullensem, meis lectionibus botanicis sedulo adfuisse anno millesimo septingentesimo septuagesimo quarto ; in cujus rei fidem has ei litteras testimoniales dedi Parisiis, die quartà mensis Augusti 1774. A. L. De Jussieu,

d. m. p.

(1) Lombard, de Langres : Mémoires anecdotiques pour servir à l'histoire de la Révolution française, t. I, p. 132.

(2) Voir plus loin.

(3) Jolibois : Notes sur P.-A. Laloy, p. 2.

(4) Voir plus loin son oraison funèbre.


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gence, et tira de ses propres revenus ce que sa charité aimait à répandre (1) ». Il alla encore plus loin, puisqu'au dire d'un de ses contemporains, il distribuait gratuitement des remèdes aux malades nécessiteux et leur remettait en secret des secours pécuniaires ; en cela sa délicatesse et sa discrétion, ajoute-t-il, étaient admirables. Des proscrits eux-mêmes eurent part à ses actes de bienfaisance (2). Aussi, sans craindre un seul démenti des 12 ou 1500 témoins qui l'entendaient, son panégyriste pouvait s'écrier hardiment, le jour de son service funèbre : « Publiez-le, pauvres qui en profitates, et qui devriez faire la partie la plus nombreuse de cette assemblée (3). »

Telle fut chaque jour la vie du docteur Laloy, et, quand la mort l'enleva à ses malades et aux déshérités de ce monde, dont il était la providence, la municipalité ne crut pas pouvoir mieux faire que de graver sur sa tombe, aux applaudissements de la foule, une épithaphe qui porte ces deux vers :

« Habile à soulager les maux des malheureux, Il refusait le prix de ses soins généreux ! » (4).

Mais n'anticipons pas sur les événements. Laloy vient d'arriver à Chaumont, où il a ouvert une pharmacie qui est vite achalandée ; il visite très assidûment les malades près desquels il est souvent appelé : les titres qu'il possède, son séjour de plusieurs années à la capitale, le désir de consulter un maître au courant des nouvelles méthodes, le bruit qui s'est répandu de la gratuité de ses soins lui ayant acquis en peu de temps la faveur du peuple, dans les rangs duquel on comptait alors un si grand nombre d'indigents.

(1) Voir son oraison funèbre.

(2) Voir l'Annuaire de la Haute-Marne pour 1811, p. 257.

(3) Voir son oraison funèbre.

(4) Voir au cimetière cette épithaphe, qui sera donnée plus loin entièrement.


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§ II. — Son mariage et sa nouvelle installation

Vie privée de Jean-Nicolas Laloy (suite). — Il se marie à Chaumont et s'installe rue de la Halle. — Entente cordiale des deux époux.

— Naissance d'un premier enfant. — Naissance d'un second et d'un troisième. — Mort de ce dernier et de sa mère. — Mort de l'aîné de la famille. — Laloy reste veuf, après 6 ans de mariage.

— Il n'a plus qu'une fille âgée de moins de 3 ans.

Deux années se sont passées depuis son installation à Chaumont ; il a 31 ans et comprend que l'heure a sonné pour lui de se créer un foyer. Il épouse donc, en 1777, la fille d'un négociant chaumontais, Marie-Thérèse Bourgin, âgée de 23 ans (1). L'oncle et parrain de cette jeune fille, François Morel, exerçait, lui aussi, l'art de guérir, puisqu'il était chirurgien en ville depuis un demi-siècle (2). Qui sait si la rencontre fortuite de ces deux

(1) Voici l'acte de ce mariage : « Jean-Nicolas Laloy, docteur en médecine, âgé de trente et un ans, fils de deffunt sieur Jean-Louis Laloy, marchand à Doulevant-le-Château, et de deffunte Jeanne Peuchot, de cette paroisse, d'une part ; et demoiselle Marie-Thérèse Bourgin, âgée de vingt-trois ans, fille du sieur Jacques Bourgin, marchand, et demoiselle Edmée Dufourneau, de cette paroisse, d'autre part..., du consentement du père et de la mère de la contractante et de nous soussigné, prêtre bachelier de Sorbonne, curéchanoine de cette paroisse, les fiançailles célébrées immédiatement auparavant par permission spéciale de M. Delanizeule, ont été solennellement conjoints en légitime mariage par M. Morel, prêtrevicaire de Sarcicourt, cousin germain maternel de la contractante, en cette église le quatorze Janvier mil sept cent soixante et dixsept, en présence dudit sieur Jacques Bourgin, père de la contractante, du sieur Jean-Baptiste-Nicolas-Eloy Dussausay, marchand, cousin germain de la contractante, de Mtre Pierre-Antoine Laloy, avocat en parlement exerçant au bailliage de cette ville, frère du contractant, de Mtre Luc-Hubert Peuchot, procureur ès-juridictions royales de cette ville, cousin germain paternel et maternel du contractant, tous de cette paroisse, témoins soussignés avec nous, ledit M. Morel, le contractant et la contractante. » Ont signé : MarieThérèse Bourgin, J.-N. Laloy, Bourgin, Dussausay de M., Fs Morel, Peuchot, Laloy, Morel, vicaire de Sarcicourt, Dussausay, Babouot, curé-chanoine. — (Voir les registres de l'Etat civil de Chaumont, à l'Hôtel de ville.)

(2) François Morel mourut à Chaumont en 1786, à l'âge de 87 ans. (Voir les registres de l'Etat civil.)


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hommes au chevet des malades et leur estime mutuelle n'ont pas été l'occasion de ce mariage ?

Laloy, qui jusque-là demeurait chez ses tantes, s'établit, avec sa jeune femme, rue de la Halle, aujourd'hui rue Laloy, non loin de la place publique, dans une grande et belle maison que Marie-Thérèse Bourgin avait reçue de ses parents, les époux Morel. Cette maison n'a pas changé ; elle conserve encore ses dispositions d'autrefois. On y entre, comme au xvine siècle, par une porte à deux battants ; elle prend ses jours au levant, sur la rue, par deux fenêtres au rez-de-chaussée, trois au premier étage, trois au second, et par deux lucarnes au grenier. Une partie de la cour voisine lui servait de dépendances, et avait une porte de sortie à l'ouest sur le Borderet.

C'est là qu'après son mariage, Laloy transporta son domicile et sa pharmacie. Rarement, dans un ménage, union fut mieux assortie. Les caractères des deux époux se convenaient si bien que jamais le moindre désaccord ne troubla la paix domestique. La bonté et la douceur de l'épouse n'avaient d'égales que la vertu et les prévenances du mari. Tout le monde admirait cette entente parfaite et l'attention délicate que ces deux époux mettaient à penser et à sentir l'un comme l'autre (1).

Le 25 octobre 1777, la naissance d'un premier enfant, d'un fils, mit le comble à leur bonheur. Ils l'appelèrent HubertEdme : Hubert, nom de son oncle et parrain Hubert Laloy, qui était resté à Doulevant et y exerçait, comme ses ancêtres, la profession de marchand ; et Edme, nom de sa grand'mère et marraine, Edmée Dufourneau, qui appartenait à une honorable famille de Chaumont, dont plusieurs membres avaient pris le voile au couvent des Carmélites. Le baptême de l'enfant fut célébré par l'abbé Monnel, vicaire de la paroisse, qui devait être un jour le collègue du père aux Etats généraux et à la Constituante (2).

(1) Voir plus loin l'oraison funèbre de J.-N. Laloy.

(2) Voici cet acte de naissance : « Hubert Edme, né le vingt-cinq octobre 1777, du légitime mariage de Me Jean Nicolas Laloy, docteur en médecine et apothicaire, demeurant en cette ville, et de dame Marie Thérèse Bourgin, a été baptisé le lendemain en cette église par moi soussigné, prêtre vicaire de cette paroisse, et a eu pour parrain le sieur Hubert Laloy, marchand à Doulevant, son


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Deux ans après, le 22 octobre 1779, naquit à Laloy un second enfant, une fille cette fois, Marie-Rosalie, qui continuera la descendance jusqu'à nos jours. Elle eut pour parrain son grandpère maternel, Jacques Bourgin, et pour marraine sa grande tante maternelle, Marie-Jeanne Laloy, qui tous deux habitaient Chaumont. Ce fut encore l'abbé Monnel, qui d'ordinaire desservait Saint-Aignan, et que le père avait eu comme condisciple au collège des Jésuites, qui administra à cette enfant le sacrement de baptême (1)

Le public enviait la paix et la joie de cette famille à qui tout semblait sourire, et aux yeux de laquelle l'avenir apparaissait si brillant ; mais, hélas ! le bonheur complet et durable n'est pas de ce monde. Jean-Nicolas Laloy en fit promptement l'expérience. Le 24 novembre 1782 fut pour lui un jour malheureux entre tous, car ce jour vit en même temps la naissance et la mort d'un troisième enfant, et, ce qui est encore plus désolant, le décès de la mère. La science du docteur et le dévouement de l'époux n'avaient pu sauver ni l'un ni l'autre (2).

oncle paternel, représenté par Pierre Bourgeois, et pour marraine dame Edmée Dufourneau, épouse du sieur Jacques Bourgin, marchand, son ayeule maternelle, représentée par Catherine Bertinet, fille domestique dudit sieur Laloy, les représentants, de cette paroisse. La représentante a déclaré ne savoir signer, de ce interpellée. Le représentant et le père, qui était présent au bâtême, (sic) ont signé. Pierre Bourgeois, J. N. Laloy, Monnel, vicaire.

(1) Voici l'acte de ce baptême : « Marie Rosalie, fille née le vingtdeux octobre 1779 du légitime mariage de M. Jean-Nicolas Laloy, docteur en médecine et marchand apothicaire en cette ville, et de dame Marie-Thérèse Bourgin, a été baptisée le lendemain en cette église par moi soussigné, prêtre vicaire de cette paroisse, et a eu pour parrain le sieur Jacques Bourgin, marchand, son ayeul maternel, et pour maraine demoiselle Marie-Jeanne Laloy, sa grande tante paternelle, tous de cette paroisse, lesquels ont signé avec le père qui était présent au baptême.

Signé : Marie Laloy, J.-N. Laloy, Bourgin, Monnel, vicaire ».

(2) Voici l'acte de ce décès : « Demoiselle Marie-Thérèse Bourgin, épouse de Me Nicolas Laloy, docteur en médecine et apoticaire (sic), âgée de 29 ans, est décédée chrétiennement le 24 novembre 1782, et a été inhumée le lendemain au cimetière de Notre Dame de


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La mère fut enterrée au cimetière de N. D. de Lorette, en présence d'une foule aussi nombreuse qu'attristée, et du Chapitre tout entier, qui avait voulu prendre part à la douleur poignante d'un excellent homme si cruellement frappé ; le nouveau-né fut porté au cimetière de Si-Michel. Ce double deuil ne devait pas encore combler la mesure. En effet, quatre mois après, le 1er avril 1783, Laloy perdait son premier enfant, âgé alors de six ans, qu'il faisait ensevelir près de sa mère au cimetière de Lorette (1).

Détaché du monde et de ses plaisirs par celle série de deuils, Laloy ne chercha pas dans un second mariage une consolation à sa douleur. La mère de sa femme va devenir la sienne, et, comme le dit son panégyriste, « elle recevra durant vingt-deux ans tous les égards de la tendresse filiale. L'enfant qui lui reste fixera son coeur, et les deux familles auront dans cet époux affligé un ami, un conseil, un protecteur. Aussi ne manquerat-on pas d'écrire sur sa tombe :

« Citoyen respectable, époux, ami fidèle, Des pères et des fils Laloy fut le modèle » (2)

Tels sont les principaux faits que nous avons pu recueillir sur la vie privée de Jean-Nicolas Laloy. Il nous faut maintenant aborder sa vie publique qui, en nous intéressant tout spécialement — puisqu'elle sera souvent la vie de Chaumont pendant la Révolution — ne nous édifiera guère moins que sa vie privée.

Lorette par moi soussigné, prêtre bachelier de Sorbonne, curéchanoine de cette paroisse, en présence de MM. du Chapitre, de M. Pierre-Antoine Laloy, avocat au Parlement, exerçant au bailliage de cette ville, son beau-frère, de Me François-Morel, maître en chirurgie, son oncle maternel par alliance, tous deux de cette paroisse, témoins soussignés avec nous.

Laloy, F. Morel, Babouot, curé-chanoine. NOTA. — Un fils né le 24 novembre des précédents, a été, après avoir été baptisé par la matrone, enterré au cimetière de St-Michel ».

(1) On lit, en effet, dans les registres de l'état-civil de Chaumont qu'Hubert-Edme Laloy, âgé de 5 ans, fils de Jean-Nicolas Laloy, est décédé le 1er avril 1783, et a été inhumé le lendemain au cimetière de N. D. de Lorette, en présence de son oncle, Pierre Laloy, avocat, et de François Morel, maître en chirurgie, son grand oncle. Le cimetière de St-Michel était depuis le mois de janvier de cette année fermé à la sépulture des grandes personnes, et celui de la Croix de mission, aujourd'hui de Clamart, n'était pas encore ouvert; il ne le fut, en effet, que le 17 juillet suivant.

(2) Voir plus loin cette épithaphe, qui sera reproduite intégralement.


Jacques-Claude Beugnot

Avocat à Bar-sur-Aube Candidat aux élections des Etats généraux

dans le bailliage de Chaumont

Député de l'Aube, puis de la Haute-Marne

et de la Seine-Inférieure

Ministre, Comte de l'Empire

(1761-1835)

Planche III.

(Voir p. 19,



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CHAPITRE II

Laloy, député aux Etats-Généraux et à la Constituante (1789-1791)

§ I. — Election de Laloy aux Etats-Généraux

Il est délégué par le Tiers-Etat de Chaumont à l'Assemblée du Bailliage. — Part qu'il prend à la rédaction du cahier des doléances. — Il est désigné comme l'un des scrutateurs. — Election des députés. — Morel et Mougeotte passent sans difficulté. — Beugnot et Becquey disputent à Laloy le 3e mandat. — Laloy est nommé, puis Janny. — On élit un suppléant dans la personne de Martin Gombert.

Il semble qu'après ce que nous venons de dire de l'aîné des Laloy, il soit superflu d'ajouter qu'il jouissait à Chaumont d'une grande popularité. Doué d'un caractère très doux quoique très ferme, parvenu à la maturité de l'âge, puisqu'il avait 44 ans, allié à une famille des plus honorables de la ville, sorti des rangs du peuple, muni de tous les diplômes qu'accorde la Faculté, ayant un passé sans tache et les espérances d'avenir que donnent la haute culture de l'esprit en même temps qu'une expérience déjà longue, médecin et pharmacien soignant gratuitement les pauvres et souvent même les riches, consacré par les épreuves du malheur, il devait conquérir rapidement l'estime et la confiance de tous. Ajoutons qu'en un temps où la France se partageait en deux camps — celui qui demandait le maintien de l'absolutisme, et celui qui réclamait d'importantes réformes dans l'administration publique — il avait embrassé ouvertement et ardemment le second, c'est-à dire les idées nouvelles, et cherchait par tous les moyens honnêtes à faire triompher la cause de la démocratie. Dans ces conditions, la faveur de la multitude ne pouvait guère lui faire défaut.

Aussi quand, le 5 mars 1789, le Tiers-Etat de Chaumont eut

2


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à nommer 6 délégués pour porter à l'Assemblée du Bailliage son cahier particulier de doléances, il n'oublia pas de le désigner. La famille Laloy était, d'ailleurs, largement représentée à cette assemblée, puisque le jeune frère de Jean-Nicolas, PierreAntoine, avocat à Chaumont, en faisait également partie, et que son frère aîné, Hubert Laloy, marchand à Doulevant, y avait été aussi envoyé par ses compatriotes (1).

Pour obéir au règlement, et du reste pour faciliter la préparation du cahier général, l'Assemblée, qui s'était réunie à Chaumont le 12 mars, chargea 10 bureaux, composés de chacun 7 commissaires, de relever les désirs exprimés dans les délibérations paroissiales. Les deux Laloy, de Chaumont, siégèrent dans ces bureaux, le médecin dans le 5e et l'avocat dans le 8e. Le 16 mars, le grand Bailli adjoignit trois nouveaux commissaires à chaque bureau, afin d'accélérer le travail, et autorisa les autres membres de l'Assemblée à retourner dans leur domicile pour 8 jours, une semaine paraissant nécessaire à la fusion de tous les cahiers en un seul (2).

Les séances des bureaux du Tiers se tenaient au réfectoire des Capucins, et c'est là que le soir, après dîner, les commissaires, qui dans la journée avaient dépouillé une liasse de cahiers particuliers, se réunissaient pour discuter entre eux et arrêter le texte définitif qui devait être soumis à l'Assemblée plénière. S'il faut en croire les Mémoires de Beugnot, l'un des

(1) Le Tiers-Etat était représenté à Chaumont par MM. Toupot de Réveaux, lieutenant-général de police et lieutenant particulier au bailliage ; Babouot, avocat du Roi ; Dubois, président de l'Election ; Bocquenet, avocat ; Pierre-Antoine Laloy, avocat, et JeanNicolas Laloy, docteur en médecine. On devait, d'après le règlement, nommer un délégué ou député par cent citoyens actifs. (Voir le procès-verbal de ces élections p. 44 et 46).

Hubert Laloy, l'un des deux députés de la paroisse de Doulevantle-Château, avait épousé Reine Dauvé, de Juzennecourt, de laquelle il eut plusieurs enfants, entre autre Anne, mariée à Hubert Jeanson, marchand tanneur à Doulevant ; Françoise, à PierreSimon Godard, propriétaire à Perthes, et Pierre-Jean Nicolas, qui épousa Jeanne Constantin, de Doulevant, le 4 février 1789 ; il sera parlé d'eux plus loin. — Hubert Laloy mourut accidentellement près du pont de Blaise le 12 mars 1791 ; sa femme était décédée à Doulevant en 1776.

(2) Voir le procès-verbal de ces élections, p. 104 et suivantes.


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100 Commissaires désignés, ce texte ne fut pas rédigé sans de violentes discussions (1).

Quoiqu'il en soit, le lundi 23 mars, les délégués des paroisses étant revenus à Chaumont, on leur donna, lecture du cahier général qu'ils approuvèrent sans débat, et qui devait être remis aux députés pour être porté au Roi. L'Assemblée s'occupa ensuite de l'élection de ces députés ; mais il fallut d'abord nommer trois scrutateurs. Cette première opération, qui nous paraît de peu d'importance, en avait pourtant une très grande, parce qu'elle allait révéler la force des divers partis qui, pour la première fois, se trouvaient en présence.

Le premier élu fut Jean-Nicolas Laloy, médecin à Chaumont; le second, Mougeotte de Vignes, procureur du Roi au même lieu ; le troisième, Noël-Claude Janny, ancien avocat au Parlement de Paris, retiré alors à Brienne-le-Château (2). On voit que, dès le premier jour, la faveur populaire se déclarait pour Laloy.

Le 26 et le 27 mars eurent lieu les divers scrutins pour l'élection des députés du Tiers qui, d'après le règlement, devaient être au nombre de quatre. Appelés ville par ville et village par village, les électeurs montèrent au Bureau et déposèrent ostensiblement, entre les mains des scrutateurs, leur bulletin de vote ne portant qu'un seul nom. Les deux premiers élus furent nommés presque à l'unanimité ; ce furent l'agriculteur Morel, de Vesaignes-sous-Lafauche, qui recueillit 909 suffrages sur 931 votants, et le procureur du Roi, Mougeotte de Vignes, qui en obtint 930 sur 942 (3) ; mais la lutte fut beaucoup plus vive pour les autres sièges.

Deux concurrents des plus sérieux se disputèrent le troisième mandat : l'avocat Beugnot, de Bar-sur-Aube, qui, d'avance,

(1) Mémoires de Beugnot, ancien ministre, publiées par son petitfils, T. 1, p. 117-121.

(2) Procès-verbal de l'assemblée des trois Etats du bailliage de Chaumont, p. 113.

(3) Procès-verbal de l'assemblée des trois Etats du bailliage de Chaumont, p. 114 et 115.


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avait pour lui tous les électeurs du Barsuraubois, et l'avocat Becquey, qui venait de Joinville et était appuyé par tous les délégués de cette élection. Ces deux hommes de grande valeur, qui devaient un jour gouverner la France, se partageaient à peu près également les voix de la minorité ; s'ils avaient su s'entendre, ils auraient probablement triomphé. Mais Chaumont les combattait ardemment tous deux, parce qu'ils avaient émis l'idée de séparer, l'un Bar-sur-Aube, l'autre Joinville, du présidial établi depuis plus de deux siècles dans la vieille capitale du Bassigny ; et, comme celte dernière ville, bâtie sur un sol peu fertile et privée de tout commerce à l'extérieur, ne vivait guère que de ses juridictions (1), elle regardait leur suppression ou même leur restriction comme une affaire d'une grande conséquence, puisque d'elle dépendait à ses yeux la vie ou la mort (2).

Bien décidée à ne pas encore mourir, elle résolut d'opposer aux deux candidats qu'elle considérait comme ses implacables ennemis, un concurrent qui fut le champion de ses intérêts et incarnât ses plus légitimes revendications. Elle confia cette délicate et difficile mission au docteur Laloy que Beugnot, dans ses mémoires, appelle dédaigneusement un « médecin-chirur(1)

médecin-chirur(1) était-ce un dicton populaire que « le pavé de Chaumont n'était fait que pour tes avocats ». (Daguin.)

(2) On lit à ce sujet dans les Mémoires de Beugnot, t. I, p. 117 : « La ville de Chaumont, ancien rendez-vous de chasse des comtes de Champagne, est perchée sur un rocher entouré de tous côtés d'un pays stérile. On y avait établi, pour corriger le malheur de cette position, un présidial dont le ressort très étendu embrassait Bar-sur-Aube et Joinville. Chaumont ne vivait que de sa juridiction. Rien ne pouvait attirer sur ce rocher qu'un procès, et le seul commerce qu'on y fit était celui du papier timbré. Aussi grand était le nombre des conseillers, des avocats, des procureurs, des greffiers, des huissiers, des cabaretiers : c'était la ville. Bar-surAube, mieux partagée à tous égards que Chaumont, cherchait depuis longtemps à secouer le joug de sa juridiction, et y était parvenue un instant à la faveur des édits de mai 1788. On savait que Joinville, qui avait la même ambition, allait obtenir le même succès, lorsque les édits furent retirés. Chaumont attachait donc l'intérêt de son existence à ne pas envoyer aux Etats Généraux des députés pris à Bar-sur-Aube et à Joinville, et surtout qui avaient donné des gages au système qui avait compromis son existence. Cette prévoyance de sa part était juste... »


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gien-apothicaire et, de plus, facteur de vins, bon homme au demeurant et qui ne manquait pas de sens, mais de moeurs communes et dénué de toute instruction » (1).

Il semble que la passion aveugle quelque peu cet adversaire d'un jour, et que ce ne soit pas assez pour lui de reconnaître en Laloy de l'honnêteté et du bon sens ; on ne voit pas bien, en effet, qu'un apothicaire, un chirurgien, un docteur en médecine, fut-il de plus facteur de vins, puisse être « dénué de toute instruction », surtout quand on sait que le littérateur et poète Lombard, de Langres, qui le connut de très près et durant plusieurs années, fit après sa mort le plus bel éloge de sa science qu'il qualifie presque d'universelle, comme nous l'avons dit plus haut. La suite de cette notice donnera, du reste, à Beugnot le plus complet démenti (2).

Mais revenons aux élections de 1789. Malgré les efforts de Becquey et de Beugnot, Laloy fut nommé par 491 voix sur

(1) Mémoires de Beugnot publiés par son petit fils, loco citato. Relativement à la qualification de facteur de vins qu'il donne à Laloy, nous n'avons rien découvert qui la légitimât. Il est toutefois vraisemblable que Laloy achetait de temps en temps des vins de liqueur ou cordiaux pour l'usage de ses malades, et que parfois il en faisait venir pour des amis, service que Beugnot veut tourner en ridicule dans le passage cité.

(2) Les mémoires de Beugnot sont inexacts sur plusieurs points. C'est ainsi qu'à la page 120, il dit : « Le premier nommé fut le Procureur du Roi. A ce scrutin, M. Becquey avait encore une bonne partie des voix de Joinville, et moi de celles de Bar-sur-Aube. » Or, cette affirmation est fausse ; le premier élu fut, comme nous l'avons dit, Morel, de Vesaignes, et le second Mougeotte de Vignes, tandis que, d'après Beugnot, l'Assemblée aurait nommé d'abord Mougeotte, puis Laloy, ensuite Morel et enfin Janny, ce qui est contredit par le procès-verbal de l'élection auquel nous renvoyons le lecteur. Inutile, sans doute, d'ajouter que nous laissons à Beugnot la responsabilité des traits plus ou moins spirituels qu'il décoche à M. de Mandat, à l'abbé de Clairvaux, au pauvre Tiersétat « qui attendait dans les cabarets ce qu'on voulait faire de lui », et à ses concurrents, traits qui font ressortir le dépit que l'auteur éprouva de n'avoir pas été nommé à leur place. (T. I, p. 121 à 125.)


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942 volants. La cause de Chaumont avait triomphé dans sa personne, à une faible majorité, il est vrai, puisque celte majorité ne dépassait pas 40 voix, mais enfin c'était la majorité, par conséquent la victoire.

Pour le quatrième siège, les électeurs de Chaumont voulurent donner une compensation à ceux de Bar-sur-Aube el leur offrirent de prendre un député parmi eux, pourvu que ce ne fut pas Beugnot. Après de longues contestations, les voix se rallièrent sur Janny, avocat inscrit au barreau de Paris, mais qui, ainsi que nous l'avons déjà dit, s'était depuis quelque temps retiré à Brienne. Son nom passa avec une majorité de 65 voix, en ayant recueilli 539 sur 948 votants (1).

Comme Morel était absent, retenu à Vesaignes par la maladie et qu'on ignorait s'il accepterait sa nomination, l'assemblée se décida à élire un suppléant. Or, il paraît qu'elle avait eu l'intention de désigner Becquey pour cette fonction, afin de ne pas indisposer les Joinvillois, et qu'on était allé lui offrir cette candidature, mais il était déjà reparti pour son pays. Un ami crut pouvoir répondre en son nom que, selon toute probabilité, il n'accepterait pas une suppléance ; c'est alors qu'on mit en avant, moitié sérieusement, moitié par plaisanterie, la candidature de Martin Gombert, cultivateur demeurant à Mareilles ; c'était un colosse, on n'avait pas à craindre, disait-on, qu'il tombat malade, et que l'agriculture n'eut pas de représentant, il fut élu (2). Quand Morel, dont la santé ébranlée demandait de grands ménagements, donna sa démission le 14 novembre suivant, Gombert se rendit à l'assemblée où il arriva le 23 décembre pour le remplacer (3) et il y resta jusqu'à la dissolution de l'assemblée en 1791.

(1) Voir le procès-verbal des élections, p. 116.

(2) Mémoires de Beugnot, loc. cit.

(3) Jolibois : Histoire de la ville de Chaumont, p. 264, note. Beugnot comptait tellement sur son élection et il éprouva de son échec un tel désappointement qu'il écrit dans ses mémoires, t. I, p. 129 : « A mon arrivée chez mon beau-père (au château de Choiseul), j'eus toute sorte de peine à lui faire croire que je n'étais pas nommé aux Etats généraux ; je lui citais les noms de ceux qui avaient eu l'avantage sur moi, et je n'oubliais pas, comme de raison, M. Gombert-le-Chevaux ; alors il s'emportait, et il prenait


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§ II. — Formation du département

Laloy, député aux Etats généraux et à la Constituante (suite). — Il s'installe d'abord à Versailles, puis à Paris. — Il reste en rapport avec ses électeurs. — Lettre qu'il reçoit des huissiers de Chaumont et réponse qu'il leur fait. — Il prend en main la cause de cette ville. — Son action près du comité de division de la Champagne en départements. — On exclut Bar-sur-Aube de la Hte-Marne, et on y fait entrer St-Dizier et Bourmont. — Chaumont, occupant le centre du nouveau département, en est choisi naturellement pour le chef-lieu. — Jugement d'un contemporain à ce sujet. — Réserves à faire sur ce jugement. — Longs extraits des lettres écrites par Laloy concernant la formation du département.

Laloy — car nous ne parlerons plus guère que de lui — alla d'abord à Versailles où il s'installa, avec ses collègues, rue de Provence, n° 5, lors de l'ouverture des Etats généraux, au mois de mai 1789. Plus tard il fit partie de la députatron qui, après la prise de la Bastille, accompagna le Roi à Paris, alors que celui-ci reçut des mains du maire la cocarde tricolore, signe distinctif des partisans de la Révolution (1). Quand les Etats, transformés en Assemblée Constituante, vinrent, au mois d'octobre, tenir leurs séances à Paris, il ne voulut point se séparer de ses collègues et fixa son domicile dans la capitale, à l'hôtel de Rome, rue de l'Université (2).

la vérité pour l'un de ces contes que ses gendres se donnaient quelquefois la liberté de lui faire. Quand, enfin, il en fut réduit à me croire, toute réflexion faite, il me félicita de n'avoir pas été mis en aussi mauvaise compagnie. »

Plus loin il dit encore, p. 130 : « Je retournai à Bar-sur-Aube ; mes concitoyens m'y firent un bon accueil. On savait que c'était pour la cause du pays que j'avais été battu aux élections, et on me sut gré de ma défaite. Au reste, l'homme qui avait eu l'avantage sur moi était si ridicule qu'on ne se l'expliquait pas ; on se contentait d'en rire... » Vraiment il ne faut pas exagérer ; nous nous permettrons d'ajouter même : qui dit trop ne dit rien.

(1) Jolibois : Histoire de la ville de Chaumont, p. 265.

(2) Il est à remarquer que les deux députés du clergé et les quatre députés du Tiers-Etat habitèrent toujours ensemble à Versailles ou à Paris, excepté Janny qui se tint continuellement à l'écart de ses collègues.


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Quoique absent de corps, il est toujours uni de coeur à ses compatriotes. Du reste, il avait été convenu que le comité permanent établi à Chaumont le 30 juillet 1789 pour veiller à la sécurité de la ville entretiendrait, avec la députation, une active correspondance (1). Aussi, rien de ce qui les intéresse ne le laisse indifférent. Il leur écrit presque toutes les semaines pour les prévenir de ce qui se passe à l'Assemblée. Son bonheur est de leur rendre service et de se faire l'intermédiaire de toutes leurs démarches près des pouvoirs publics.

Citons un seul exemple ; il suffira pour donner une idée de son extrême courtoisie, et de la confiance sans bornes qu'il avait su inspirer à ses électeurs.

Le 8 janvier 1790, les douze huissiers ou sergents royaux de Chaumont, en lui envoyant leur offrande patriotique — qui n'était autre que l'image en argent de St-Louis, leur patron, les confréries ayant été supprimées — pour « la déposer sur l'autel de la patrie », n'hésitent pas à lui dire en toute franchise : « Nous ne vous recommandons pas nos intérêts ; nous sommes bien assurés que vous les stipulerez avec ce zèle qui vous est naturel, et qui vous distingue dans la mission honorable à laquelle vous vous livrez sans distraction (2). ».

Et celui-ci leur répond sur le même ton : « C'est avec bien du plaisir que j'ai reçu la marque de confiance dont vous m'avez honoré, et que je me suis acquitté de la commission agréable que vous avez bien voulu me confier. » Puis il ajoute : « Je vous aurais écrit plus promptement que j'avais rempli vos intentions, si l'on ne m'eut annoncé l'arrivée prochaine de M. Laurent, l'un de vos confrères. Désirant le rendre témoin de la réception de votre offrande patriotique, et profiter de celte occasion pour lui faciliter l'entrée à l'une des séances de l'Assemblée nationale et lui procurer une place honorable et commode, j'ai présumé que vous ne trouveriez pas mauvais que je différasse votre offrande de huit jours. » Il termine par ces mots toujours agréables à entendre : « S'il se présentait quelque

(1) Nous parlerons de ce comité dans la partie de cet ouvrage qui sera consacrée à P.-A. Laloy.

(2) Annales de la Société d'Histoire, d'Archéologie et des BeauxArts de Chaumont, t. I, p. 95.


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occasion de vous être utile à quelque chose pendant le cours de ma mission, je vous prie, Messieurs, de ne point douter de mon empressement à vous servir (1). »

Nous ne connaissons pas le formulaire employé de nos jours par les élus du peuple avec leurs électeurs, mais il nous semble que le style de Laloy est un modèle du genre, car on ne peut vraiment ni mieux penser, ni mieux écrire.

Il n'oublie pas que, s'il est le député du bailliage tout entier, il a été spécialement nommé par la ville de Chaumont; aussi, travai lle-t-il de tout son pouvoir à en soutenir la cause chaque fois que l'occasion s'en présente. On le vit bien, lors de la division de la France en départements. Appelé, par sa qualité de député de la province, à faire partie du comité chargé de cette opération pour la Champagne, il aura à coeur de donner à cette ville, dans la nouvelle circonscription territoriale, une telle place qu'au jour venu, elle sera tout naturellement et presque forcément choisie pour en être le chef-lieu. A cette fin, il s'efforcera de faire exclure de la Hte-Marne Bar-sur-Aube, ville bâtie dans un pays riche et fertile, facile à aborder, puisqu'elle est en plaine, et qui aurait pu disputer avantageusement ce titre à Chaumont, ville pauvre, sans commerce et peu accessible aux étrangers.

Il n'ignorait point, d'ailleurs, que Beugnot avait à Bar la faveur des électeurs ; or Beugnot, nous le savons, était pour lui un concurrent très dangereux, un ennemi qui ne lui pardonnait pas l'échec qu'il avait subi aux dernières élections, et qui s'en vengerait certainement, s'il le pouvait, sur lui et sur Chaumont. Il redoutait donc son adresse et son ambition, aussi importait-il de le rejeter en dehors du. département, ce qui était peut-être le seul et, en tout cas, le plus sûr moyen de s'en débarrasser.

Pour dédommager la Hte-Marne de la perte de Bar, on y fit entrer St-Dizier qu'on alla chercher fort loin, et Bourmont qui fut enlevé au déparlement des Vosges, auquel ce petit bailliage

(1) Annales de la Société d'Histoire, d'Archéologie et des Beaux Arts de Chaumont, t. I, p. 95.


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avait été d'abord attaché. De là la figure singulière qu'offre la Hte-Marne ; au lieu de constituer une espèce de cercle, comme les autres départements, elle « forme une longue queue très ridicule sur la carie », plus ridicule encore avant l'annexion de Bourmont. C'est ainsi qu'un intérêt purement local et les petites passions des hommes ont parfois une grande influence sur les affaires publiques (1).

Des trois villes importantes qui auraient pu prétendre au litre de chef-lieu de notre département, on se trouva pour ainsi dire obligé d'écarter celles de Langres et de St-Dizier, situées à ses deux extrémités, et de désigner Chaumont qui en occupait à peu près le centre. Or, ce résultat, paraît-il, est du en grande partie à l'influence et aux démarches de Laloy (2).

(1) Voir la note manuscrite placée par un contemporain à la fin du rapport imprimé du député Gossin, plaquette qui se trouve à la bibliothèque Barotte, à Chaumont.

(2) Voir le Rapport du député Gossin sur le quatrième département de la Champagne, p. 70. Les députés du bailliage de Langres avaient insisté pour que leur ville fut chef-lieu du département, sinon en tout temps, du moins tous les deux ans, c'est ce qu'on appelait l'alternance ; et, pour ne pas leur enlever tout espoir, l'Assemblée avait laissé aux électeurs le soin d'adopter ou non cette singulière proposition. Mais on savait que cette motion avait trop d'inconvénients pour être jamais acceptée. Aussi Gossin, membre du comité de constitution, chargé de rédiger le rapport concernant le quatrième département de la Champagne, disait-il sans détour : « La distance de Langres à Chaumont étant de huit lieues, rendra très embarrassant et bientôt impraticables les déplacemens et transports occasionnés fréquemment par la mobilité du siège du chef-lieu de département ; et les habitans du district septentrional, le plus riche et le plus peuplé, seraient forcés de parcourir, sans aucun motif, un espace de 24 lieues pour se rendre à Langres.

« Votre comité dont l'opinion est également opposée à cette prétention, ne vous proposerait qu'à regret de laisser, en quelque sorte, toute contestation de ce genre au jugement des départemens, s'il n'était persuadé que l'intérêt commun des administrés la décidera infailliblement d'une manière conforme à ta raison et au bien général. »

L'assemblée électorale, réunie à Chaumont le 8 juin 1790 pour trancher le débat, rejeta, en effet, l'alternance par 293 voix contre 120 sur 414 votants, dont un bulletin nul, décision qui fut approuvée par l'assemblée constituante le 22 juin suivant, et sanctionnée par le Roi le 25. (Arch. de la Haute-Marne, M. assemblées électorales, et L. pièces authentiques.)


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Si nous avons cru devoir reproduire la note manuscrite et non signée qui précède, nous devons ajouter qu'elle appelle cependant d'importantes réserves. En présentant, en effet, l'oeuvre de Laloy dans la division de la province et le choix de Chaumont pour chef-lieu de la Hte-Marne, comme l'oeuvre d'un esprit égoïste qui sacrifie l'intérêt public à l'intérêt privé, elle fausse certainement la vérité. Sans doute, Laloy fut heureux de cette division et de ce choix, qui avaient l'approbation de ses électeurs, mais ce fut surtout parce que ces diverses mesures servaient le bien général. Il suffit de lire avec un peu d'attention sa correspondance pour en être convaincu. Afin que le lecteur puisse juger de cette affaire par lui-même et en connaissance de cause, nous allons lui soumettre les pièces du procès.

Les membres du comité de division s'étant mis, dès le premier jour, d'accord sur ce principe qu'il ne fallait pas déchirer les frontières des provinces, en considération des affaires, des entreprises et même des dettes qui leur étaient particulières, en avaient conclu que la Champagne formerait quatre départements, dont le premier aurait son centre au nord vers Rethel, le second au milieu vers Châlons, le troisième à l'ouest vers Troyes, et le quatrième au sud vers Chaumont. « Cet arrangement me conviendrait assez, dit Laloy dans une de ses lettres au comité permanent, mais il déplairait certainement à Langres. Cependant, avant tout, il faut consulter la commodité des habitans du département ; ce serait à l'avantage local de la position que serait due uniquement cette préférence. Au reste, tout ceci est encore en projet, mais on s'accoutume à voir environ 80 départements, plus ou moins, suivant les localités, chargés chacun de l'administration et de la police de leur territoire, et qui probablement auraient aussi leur cour supérieure de judicature (1), etc. »

Dans une autre lettre, il écrit au même comité : « Je vous ai annoncé par ma dernière, que nos adversaires n'ont pu parvenir jusqu'ici à couper en deux notre département, et que, notre division restant toujours la même, nous occupons toujours le milieu ; qu'ils proposaient, ainsi que la plupart de ceux qui se trouvaient trop éloignés du centre, d'alterner, c'est-à-dire d'éta(1)

d'éta(1) de la Hte-Marne : fonds Laloy.


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blir à chaque nouvelle élection le chef-lieu du département dans les différens chefs-lieux de district qui auraient chez eux les établissemens nécessaires pour recevoir ces assemblées.

« Cette idée que j'ose dire extravagante en elle-même, et qui n'est propre qu'à favoriser l'intérêt particulier des villes et leurs prétentions, a été présentée hier matin par un membre du comité de constitution... Cette proposition mise aux voix, malgré nos réclamations, a passé à une très grande majorité. .. Il est certain que dans quelques années, lorsque le travail des départemens aura meublé leurs archives, il sera déjà fort embarrassant de les faire voyager et, qu'avec quelques années de plus, cela deviendra impossible. Et puis les habitans et électeurs d'un département seront-ils satisfaits d'aller jusqu'à l'extrémité de leur arrondissement sans nécessité, et seulement pour s'accommoder aux prétentions des villes ainsi placées ? C'est ce qui m'avait déterminé à proposer, comme amendement, que pour cette fois seulement, et sans tirer à conséquence, les électeurs se rassembleroient dans le lieu que la lettre de convocation indiqueroit, et qu'avant de se séparer, ils désigneroient celui qui leur paraîtrait le plus convenable pour y établir leurs séances ordinaires, mais celte proposition et beaucoup d'autres furent rejetées par une question préalable sur tous les amendemens... »

En prévenant ses compatriotes de la difficulté qui vient de surgir, Laloy ne veut pourtant pas qu'ils désespèrent du succès : d'abord par les raisons qu'il a détaillées plus haut, ensuite parce que l'article voté porte simplement que les administrations pourront et non devront, et que, par conséquent, chaque département restera libre de fixer, à la première session, la résidence habituelle de ses administrations, enfin parce que Chaumont peut espérer l'érection d'un tribunal supérieur dans son sein. Cette ville, en effet, ne serait pas encore le siège définitif du département, et elle peut offrir un Palais de justice convenable pour installer ce tribunal, tandis que Langres possède déjà un établissement fixe dans son évêché. Il écrit à ce sujet une longue lettre aux officiers municipaux.


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Mais les Chaumontais, qui croyaient déjà leur cause gagnée, paraissent peu sensibles à ces considérations ; aussi, proposent-ils d'envoyer à l'Assemblée nationale une députation chargée de lui présenter une adresse, ainsi que l'argenterie inutile de leur confrérie (1) et de profiter de celte occasion pour demander en faveur de leur pays le titre de chef-lieu du département. Laloy leur répond le jeudi, 26 novembre :

« Voici un moment si intéressant pour notre ville que je me reprocherais de laisser échapper un jour de poste pour vous dire où nous en sommes.. . Je réponds sur le champ à votre lettre que je reçois en rentrant de l'assemblée du soir.

« Le projet que vous avez formé d'envoyer une adresse et l'argenterie inutile de votre confrérie, est sans doute très louable et bien patriotique ; quant à la partie de ce même projet, qui consiste à faire présenter ces objets par une députation envoyée à cet effet, et dans l'intention de solliciter l'établissement du chef-lieu du département, je la crois au moins inutile. Je vous ai déjà exposé avec quelques détails le plan de division de la province en quatre départemens, et, par ce partage le plus convenable d'après l'étendue du territoire, nous nous trouvons au centre du département formé à l'extrémité méridionale. Notre seule raison — mais aussi raison sans réplique —, c'est l'avantage de notre position ; sans cela aucunes considérations n'auraient pu faire placer en notre ville la résidence du corps administratif qui doit être à la portée de tous, avec le plus d'égalité et de commodité possibles. Dans ce plan de division, il faudra que Vitry se contente d'un district, et probablement Rheims, malgré son importance.

« Les prétentions de M. M. de Bar sont entièrement repoussées, et les raisons par lesquelles je les ai combattues ont paru tellement solides que le comité n'a pas cru devoir se prêter à un déchirement aussi déplacé pour satisfaire l'ambition de nos voi(1)

voi(1) semble qu'il s'agisse ici uniquement de la confrérie de St-Yves, la lettre étant adressée à son frère pour être soumise à ses collègues du Barreau.


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sins. Il ne nous reste donc plus d'autres antagonistes que M. M. de Langres, mais leur position à l'extrême frontière est singulièrement désavantageuse. Ils avaient présenté un plan dans lequel ils se trouvaient au centre d'un fort beau département qui nous renfermait, mais ce projet fait au compas, et sans consulter les voisins, ne pourra jamais exister que sur la carte ; ils étaient obligés d'abandonner sans motif une partie de la province depuis Vignory jusqu'à St-Dizier, et forcés de prendre sur la Bourgogne, la Franche-Comté, la Lorraine, et certainement, d'aucun côté, ils ne trouveront ces voisins-là traitables. Au contraire, nous sommes obligés de nous défendre continuellement contre leurs incursions sur nos terres. Je conserve toujours l'espérance fondée en raisons d'établir le chef-lieu à Chaumont, et il me semble que j'ai déjà fait concevoir mon plan de division, et la justice de ma prétention, au très grand nombre des députés de la province.

« Dans cet état de choses, M. M. vos députés viendroient en spectateurs tout au plus et, comme je vous l'observais, ce serait en pure perle qu'ils mettroient en avant toutes sortes de considérations même puissantes, puisque les départemens sont faits pour l'avantage des habitans et non pour celui des villes. . . Je compte demain voir M. M. du Barrais pour les limites de vos frontières. Si Bourmont vouloit s'en détacher pour rentrer dans le Bassigny, nous aurions le moyen de le faire chef-lieu d'un beau et bon district. .. »

Enfin, dans une lettre datée de la veille de Noël, il écrit encore à son frère P.-A. Laloy, avocat à Chaumont : « Je puis dès lors vous annoncer que notre travail concernant la division du royaume s'avance, et que je regarde comme décidé le point important qui nous occupait particulièrement. Nous nous sommes assemblés ce soir à 7 heures, avec les membres du comité de constitution, pour nous départir, et il a été arrêté entre nous, de l'avis de ces commissaires, qu'à la prochaine convocation le département s'assemblerait à Chaumont, et nous avons ajouté que, suivant le décret, les électeurs auraient la faculté d'aller-


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ner, s'ils le jugeoient convenable, pour l'avantage et la commodité des habitans et administrés.

« Deux raisons nous ont rendus très coulants sur cet article. La première vient de la persuasion intime dans laquelle nous sommes tous que les habitans du département n'étant point conduits par l'intérêt particulier de telle ou telle ville, et n'ayant égard qu'à la plus grande commodité des administrés, ne seront jamais tentés de porter leur administration à l'extrémité de leur arrondissement, puisqu'ils seront les maîtres de la placer à portée de tous ; et aucun ne consentira à faire vingt lieues, lorsqu'il sera possible à tous de n'en faire que dix à douze. Et puis, dans quelques années, les livres, les papiers, les archives enfin d'une administration assez étendue et embrassant une grande variété d'objets, deviendront impossibles à déplacer, et, à cet égard encore, le département ne sera pas tenté de faire les frais et de courir les risques de ce déplacement, uniquement pour satisfaire aux prétentions d'une ville voisine. Vous en jugerez mieux encore, lorsque je vous exposerai dans un instant l'étendue à peu près déterminée de notre département.

« Enfin un autre avantage, c'est celui de laisser aux administrés la faculté de placer eux-mêmes le corps administratif. Connaissant mieux que personne leur pays, leurs convenances, ils ne s'y méprendront sûrement pas, ou au moins il n'auront pas le droit de s'en plaindre ; et, à cette première assemblée, il sera très facile de les déterminer à un choix qu'ils auront tout intérêt de faire.

« La seconde raison, c'est que Langres ayant déjà un établissement fixe et inamovible, son évêché, et Chaumont n'ayant encore qu'un établissement mobile et susceptible d'être transféré, nous avons plus d'avantages pour demander le tribunal du département, si le plan du comité est adopté ; et, en tout cas, s'il fallait choisir, je ne doute pas que tout Votre Palais ne donne, avec grande raison, la préférence au tribunal sur la direction du département. Vous concevez bien que ces raisons de préférence ne nous empêcheront pas de courir après les deux objets avec tout l'empressement que doit exciter le désir de procurer cet avantage à votre ville, et dont notre commission nous fait un devoir rigoureux. »


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Laloy donne ensuite une idée de l'étendue du département et de sa division en districts. Pour cela, il indique pourquoi le comité s'est arrêté à cinq districts seulement (1) ; c'est surtout par économie pour les administrés, qui auront moins d'administrateurs à entretenir et par conséquent moins de frais à supporter. Puis il désigne les chefs-lieux de ces districts : Langres, Bourbonne, Chaumont, Joinville, Wassy ou Saint-Dizier, car il n'était pas encore sérieusement question de Bourmont, qui alors devait être attaché au département des Vosges.

Puis, parlant de Wassy et de St-Dizier, il ajoute : « Les prétentions respectives de ces deux villes dans le même district nous ont forcés de laisser le chef-lieu indécis. Comme elles avoient l'un et l'autre des députés extraordinaires dont l'activité, très louable, sans doute, nous a pris beaucoup de temps, je leur ai proposé avant-hier de diviser entre eux le pouvoir à établir, de manière à placer dans l'une le chef-lieu de district, et dans l'autre le tribunal. Cette proposition fut rejetée par les deux parties. Cependant, comme il entre dans les projets de l'Assemblée d'éviter de réunir dans un même lieu tous les pouvoirs. . ., je fis la même proposition à l'assemblée de la province, pendant que ces messieurs plaidoient avec chaleur, et, comme cette voie de conciliation parut très convenable à tous, chacun a demandé ce qui lui paraissait préférable : de sorte qu'il y a lieu de présumer que le tribunal sera à St-Dizier et le district à Wassy (2). »

Si nous rapportons tous ces détails, c'est pour montrer que, dans ce travail de division, l'influence de Laloy fut considérable, je devrais même dire prépondérante, puisque la plupart de ses motions furent acceptées par le comité. Il termine sa lettre en indiquant les limites du district de Chaumont et en disant à son frère : « Je réserve notre Doulevant pour un chef-lieu de canton dans le district de Joinville » (3).

Ce n'est donc pas sans motifs que les Chaumontais ont voué à Laloy une reconnaissance toute spéciale ; il est évident que c'est grâce à son intervention puissante près du comité de divi(1)

divi(1) pouvait, d'après la loi, en établir de trois à neuf.

(2) Ce fut le contraire qui eut lieu : le district fut placé à SaintDizier et le tribunal à Wassy.

(3) Lettre de J.-B. Laloy à son frère, fonds Laloy.


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sion, grâce surtout à son adresse, à sa ténacité, que leur ville a été choisie pour le chef-lieu du département. Les habitants de Doulevant doivent partager à son égard les mêmes sentiments : ils ont la preuve, en effet, que leur compatriote ne les avait point oubliés.

§ III. — Election de Wandelaincourt à l'évêché de la Haute-Marne

Laloy, député aux Etats généraux et à la Constituante (suite). — L'évêque de Langres est déclaré démissionnaire. — Elections pour le remplacer, — Gobel est nommé, puis Wandelaincourt.

— Voyage de ce dernier à Langres. — Il passe par Chaumont.

— Son entrée dans la ville épiscopale. — Sa lettre de remerciements à Laloy. — Opinion de Beugnot sur la députation du bailliage de Chaumont. — Protestation de Jolibois.

On voit, par ce que nous venons de dire sur la formation du département, que Laloy s'intéressait vivement à tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la Haute-Marne. L'application de la nouvelle loi religieuse dans notre pays fut encore peu après l'objet de sa plus grande sollicitude... Connue sous le nom de Constitution civile du clergé, cette loi qu'il avait, du reste, votée, rencontrait à Rome une opposition irréductible ; de plus, elle était mal vue en France d'un nombre considérable de prêtres et même de laïques qui la considéraient, avec raison, comme un empiètement du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel. Le député de Chaumont n'ignorait rien de tout cela, mais à l'exemple de beaucoup d'hommes de son temps, il était peu instruit de ces matières et il espérait qu'à la fin la constitution triompherait de toutes les difficultés qu'elle rencontrait et qu'on n'avait pas prévus. Aussi, l'appuyait-il de toute son autorité.

L'évêque de Langres, Mgr de La Luzerne, ayant refusé le serment qu'elle exigeait, avait été, conformément à ses prescriptions, déclaré démissionnaire, et les électeurs du département étaient convoqués à Chaumont pour le 27 février 1791, afin de pourvoir à son remplacement. Laloy et Monnel proposèrent à


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leur choix la candidature du député Gobel, évêque in partibus de Lydda, qui représentait le district de Porrentruy à l'Assemblée nationale. Cet ecclésiastique fut nommé, et deux délégués se rendirent en toute hâte à la capitale pour le prévenir de son élection ; mais comme il était présenté en même temps dans deux autres départements, le Haut-Rhin et Paris, et avait été élu partout, il opta pour ce dernier siège. Il fallut donc recourir une seconde fois aux électeurs et les inviter à se réunir à Chaumont le dimanche 27 mars (1).

D'accord avec les autres députés de la Haute-Marne, Laloy et Monnel sollicitent cette fois les suffrages de l'assemblée en faveur de Antoine-Hubert Wandelaincourt, curé de Planrupt et ancien principal du collège de Verdun. Au premier tour, Wandelaincourt n'eut pas la majorité requise, et on dut ouvrir un deuxième scrutin qui lui donna 172 suffrages sur 248, c'est-à-dire près de 50 voix de majorité. Il fut donc proclamé élu, et, le jour même, deux messagers se mirent en route pour lui annoncer le résultat du vote et demander son assentiment. Le 29, on apprit qu'il acceptait, et l'assemblée, après avoir désigné douze de ses membres, deux par district, pour le complimenter à son arrivée à Chaumont (2), décida de l'attendre pour chanter le Te Deum qui devait précéder la messe de clôture.

Mais Wandelaincourt préféra partir immédiatement pour Paris afin de s'y faire sacrer, et de pouvoir se rendre au plus tôt dans sa ville épiscopale où il désirait arriver pour les fêtes de Pâques. Il prévint de son intention l'administration du département qui, le 2 avril, ordonna de lever les scellés apposés depuis près de quatre mois, par les soins du district de Langres, sur les portes de la cathédrale, et de préparer cette église à recevoir, à bref délai, l'évêque de la Haute-Marne (3).

(1) Arch. de la Haute-Marne: L. Liasse des réunions électorales.

(2) Arch. de la Haute-Marne: L. Liasse des réunions électorales.

(3) On lit, en effet, dans les registres de cette administration, à la date du 2 avril : « Le Procureur général syndic a dit que le corps électoral ayant élu pour évêque du département Hubert Wandelaincourt, qui a accepté sa nomination et est parti pour Paris à


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Après son sacre qui eut lieu à Paris, le 10 avril 1791, dans l'église de St-Roch par Massieu, évêque de l'Oise, assisté de Delcher, évêque de la Haute-Loire et de Sibille, évêque de l'Aube, Wandelaincourt fit visite anx députés du département et revint directement à Planrupt, où les patriotes langrois l'envoyèrent chercher. Sur sa route, il fut reçu en grande pompe par tous les corps constitués. Trois membres du directoire du département l'accompagnèrent à Langres où il arriva le 18, à 3 heures du soir-; il avait été escorté, chemin faisant, par la gendarmerie et les gardes nationales des localités qu'il avait dû traverser (1).

l'effet d'obtenir sa consécration, ce nouvel évêque avait le projet de se rendre le plus tôt possible à Langres pour son installation, et qu'il croyait que l'administration devait faire disposer l'église cathédrale sur laquelle les scellés sont apposés depuis longtemps ; en conséquence, il a requis qu'il fut délibéré.

« Sur quoi le directoire a arrêté ce qui suit :

« Les scellés apposés sur les portes de l'église cathédrale de Langres, en vertu de la délibération du conseil du département du 8 Décembre 1790, seront incessamment reconnus et levés par les administrateurs du directoire du district de Langres, assistés des officiers municipaux de cette ville...

« Les officiers municipaux de Langres feront faire le plus tôt possible... toutes les dispositions convenables dans l'église cathédrale, dans les sacristies et autres dépendances, et prendront toutes les mesures nécessaires pour faire mettre ladite église en état de recevoir l'évêque du département et son clergé.

« Ils veilleront à confier la garde des linges et ornemens, vases sacrés et autres effets à l'usage du clergé dans ladite église à des personnes sûres, qu'ils chargeront de les soigner et disposer.

« Le directoire du département pourvoira au payement de la dépense que ces dispositions pourront occasionner... »

(Arch. de la Haute-Marne : L. 1 f° 173).

(1) On lit, à la date du 16 avril : « Le directoire, informé qu'Antoine Hubert Wandelaincourt, évêque du département, est au moment d'arriver en cette ville pour se rendre immédiatement dans celle de Langres et faire sa première entrée dans son église cathédrale,

« Arrête, après avoir entendu le Procureur général syndic, que trois de ses membres accompagneront à Langres M. l'Evêque pour assister, comme commissaires du directoire, à la cérémonie de son entrée épiscopale ; à l'effet de quoi il nomme Joseph Marie Denayer, Joseph Arnould Valdruche et Nicolas Ravelet, qui demeurent revêtus de tous pouvoirs nécessaires. Et sera une expédition du présent arrêté remise auxdits commissaires. »

Arch. de la Hte-Marne, L. 1 f° 185. Délibération du 16 avril 1791.


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La troupe de Langres venue à sa rencontre jusqu'à Rolampont se joignit à la garde de ce village et à celle d'Humes pour lui rendre les honneurs dus à son rang ; à la porte de la cité, il fut harangué par le commandant de la milice nationale ; sur le perron de l'Hôtel de ville, par le maire entouré des membres du conseil qui, tous, le suivirent à la cathédrale décorée pour la circonstance, et de là au séminaire où son logement lui avait été préparé (1). Or, cette marche triomphale, comme l'élection du

(1) A leur retour de Langres, les trois commissaires ont rendu compte de leur mission au directoire, le 19 avril. « Ils ont dit que l'Evêque, parti de Chaumont le 18, vers 10 heures du matin, au milieu de la garde nationale de cette ville qui l'a conduit jusqu'à l'extrémité des faubourgs et dont un détachement l'a même suivi au-delà, était arrivé dans sa ville épiscopale à 3 heures après midi. Il a été escorté dans la route par les officiers députés de la garde nationale de Langres, qui l'attendaient ici depuis le 15, et jusqu'au village de Vesaignes par la maréchaussée de Chaumont, qui a été relevée à ce village par celle de Langres. La garde nationale de Vesaignes était sous les armes ; un détachement à pied de 50 hommes de la garde nationale de Langres était venu au-devant de lui au village de Rolampont. Ce détachement s'est réuni au cortège, ainsi que la garde nationale de Rolampont et de Hûmes,

« Arrivé aux portes de Langres, l'Evêque est descendu de sa voiture ; des salves de canons ont annoncé sa présence ; le commandant de la garde nationale est venu le complimenter ; il a fait son entrée à pied au milieu des commissaires du directoire, suivi des gardes nationales et d'une foule nombreuse de citoyens dont les acclamations patriotiques annonçaient la satisfaction. Il est allé à l'Hôtel de ville ; la municipalité, qui y était assemblée, est venue le recevoir au devant du péristyle. Le maire lui a adressé un discours qui exprimait les sentiments de la commune pour le nouveau prélat du département.

« De l'Hôtel de ville il s'est rendu, accompagné des trois commissaires, des officiers municipaux et de la garde nationale, à son église cathédrale. Là, s'étant revêtu des habits pontificaux, il a fait les prières convenables à la circonstance. Un Te Deum a été chanté et la cérémonie s'est terminée par un discours touchant que le prélat a adressé de la chaire de vérité aux fidèles qui remplissaient l'église. Ceux-ci y ont répondu par des applaudissemens universels, par des cris d'allégresse et par cette acclamation populaire qui exprime tout à la fois le sentiment de la vénération et celui de l'attachement.

« L'Evêque a été conduit de l'église cathédrale au logement qui lui était destiné dans l'enceinte du séminaire, et partout il n'a ren-


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27 mars, avait été organisée par le directoire du département, mais sous l'inspiration et avec l'appui de la députation de la Hte-Marne, surtout de Laloy qui, par son frère, jouissait d'une grande influence près de cette administration dont il était le président.

Aussi, le premier acte du nouvel évêque, quand il put disposer d'un instant, fut-il de lui écrire pour le remercier. Nous avons encore cette lettre qui est datée de Langres, le 22 avril 1791 ; nous la citerons tout entière pour montrer que, dans toute cette affaire, le principal rôle a été rempli par le député de Chaumont. La voici : « Monsieur, à peine ai-je été rendu à Planrupt (1) que les habitans de Langres m'ont envoyé chercher. Je me suis rendu à leurs voeux, et je suis dans cette ville depuis quatre jours. J'ai fait les Saintes-Huiles, et j'y ai trouvé beaucoup de patriotes, mais aussi beaucoup de réfractaires. Je n'oublierai jamais ce que je vous dois ; vous m'avez rendu des services infinis, et la manière dont vous vous êtes porté à le faire est encore plus précieuse à mes yeux.

« Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien assurer de toute ma reconnaissance Monsieur Monel (sic) et tous ces messieurs. N'abandonnez pas votre ouvrage ; ce que nous sommes, nous le tenons de vous.

« Je n'ai pu voir Monsieur votre frère en passant par Chaumont, mais j'espère que j'aurai bientôt le loisir de l'aller trouver chez lui. Je ne vous dis rien de particulier. Tout ira, je crois, comme il faut ; mais ce qui retarde la conversion de plusieurs individus, c'est que l'on croit toujours à la Révolution.

contré que des témoignages du contentement et de l'enthousiasme publics. Le directoire déclare qu'il applaudit au zèle religieux et au patriotisme qu'ont montrés en cette occasion la municipalité et la garde nationale de Langres et les gardes nationales de Chaumont, Vesaignes, Rolampont et Humes. Le directoire a témoigné à ses commissaires sa reconnaissance de la manière dont ils ont accompli leur mission. » (Arch. de la Haute-Marne. L, 1 f° 185.)

(1) En revenant de Paris, où il avait été sacré.

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« Je suis, avec la reconnaissance la plus parfaite et beaucoup de respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. « -f Ant. Hubert Wandelaincourt, év. du dép. de la Hte-Marne. « Langres, ce 22 avril 1791 (1). »

(1) Au dos de cette lettre, on lit : « Monsieur, Monsieur Lalois (sic), député à l'Assemblée nationale, Hôtel de Rome, rue de l'Université, à Paris. (Voir les papiers de la famille.) — Antoine-Hubert Wandelaincourt naquit à Rupt-en-Voevre (Meuse) en 1731. Après avoir rempli quelque temps les fonctions de principal au collège de Verdun, il fut promu sous-directeur de l'Ecole militaire de Paris et professeur des enfants du duc de Clermont-Toimorre. Ayant été nommé, en 1790, curé de Planrupt, il vint avec sa mère demeurer en ce village, et amena avec lui sept ou huit enfants dont il faisait l'éducation, et qui appartenaient aux principales familles de France. Doué d'une taille avantageuse, de manières polies, son extérieur agréable et distingué lui gagnait très vite l'affection de ceux qui le connaissaient. Ses paroissiens l'appelaient : notre beau grand curé.

Devenu évêque constitutionnel de la Hte-Marne, il semble avoir été, pendant quelque temps du moins, dans une complète bonne foi, mais à Langres il eut beaucoup à souffrir. Un jour qu'un ecclésiastique assermenté lui adressait les compliments les plus flatteurs, il l'arrêta en disant : « Monsieur, je suis peu sensible aux éloges que vous me donnez, parce que j'ai la douleur de voir beaucoup de bons prêtres s'éloigner de moi ». On sait qu'à la Convention, il fut le seul des députés de la Hte-Marne qui ne vota pas la mort du Roi.

Après la suppression de l'évêché de Langres, il se rétracta et fut nommé, par l'évêque de Dijon, curé de Montbard, petite ville de la Côte-d'Or, où il resta peu de temps, puis il se retira à Belleville, localité proche de son pays natal. En 1818, l'abbé Cazin, de Planrupt, étant mort, l'instituteur de cette commune, un appelé Noël, lui écrivit au nom du maire et des habitants pour lui demander de revenir être leur pasteur, l'administration diocésaine ne leur en donnant plus, par défaut de sujets. Wandelaincourt lui répondit, le 8 mai, qu'il s'offrirait volontiers si ses infirmités n'étaient un obstacle, et ajouta : « Malheureuse Révolution ! Elle m'a séparé d'un bon peuple que j'aimerai toujours. Non : je n'en ai plus retrouvé de pareil ! Excusez-moi, je ne puis plus écrire. Tout à vous ! — Wandelaincourt. »

Quand il envoya cette lettre, il avait 88 ans. Il mourut l'année suivante, laissant plusieurs ouvrages de littérature qui ne sont pas sans mérite.

Nota. Ces détails sont tirés d'une lettre que nous avons sous les yeux, et qui a été écrite le 11 novembre 1882 par M. Onias, curé de Planrupt, à M. Balland, professeur de 4e au Petit séminaire de Langres.


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Cette lettre nous apprend que, malgré son éloignement, Laloy n'était étranger à rien de ce qui se passait dans notre département. Et cependant Beugnot, dont nous avons déjà parlé et qui n'aimait pas la députation du bailliage de Chaumont parce qu'il n'en faisait point partie, n'a pas craint d'écrire ces mots : « Les deux députés de la noblesse siégèrent au côté droit de l'Assemblée, les deux du clergé à gauche avec les quatre députés du Tiers-Etat. Tous passèrent inaperçus dans cette assemblée ; pas un ne" dit un mot ou n'écrivît une ligne, et ils en sortirent un peu plus obscurs qu'ils n'y étaient entrés. » Sans doute, les députés de Chaumont, pas plus Laloy que les autres, ne firent grand bruit à la Constituante, mais une assemblée parlementaire ne se compose pas seulement d'orateurs ou d'écrivains ; sans prendre la plume ou monter à la tribune, on peut rendre d'importants services à son pays. Les travaux des comités ou des bureaux, pour être moins retentissants, ne sont pas moins utiles que les autres, parfois même ils le sont davantage ; et il semble que, sous ce rapport, Jean-Nicolas Laloy ait bien tenu sa place.

Jolibois, très au courant comme historien de ce que fit l'Assemblée nationale, et qui avait longtemps vécu dans l'intimité du frère de Laloy, parle tout autrement que Beugnot : « Sincèrement dévoué, dit-il, aux principes démocratiques, Jean Nicolas prit une part active aux travaux des divers comités de cette célèbre Assemblée (1). » L'opinion de Beugnot étant, comme nous le savons, sujette à caution, nous préférons adopter celle de Jolibois.

Cet auteur, du reste, en prenant connaissance des Mémoires de l'ancien ministre, qui venaient de paraître lorsqu'il écrivait son Histoire de Chaunomt, ne put s'empêcher de protester contre les appréciations pleines d'aigreur que cet écrit renferme « sur tout le monde, spécialement sur les députés élus qu'il traite d'ignorants, de gens incapables, et qui ne durent leur élévation qu'à la cabale chaumontaise. Beugnot, ajoute-t-il, n'excepte pas même le vertueux et savant Laloy..., ce citoyen que tous les partis ont jugé un homme de bien et de mérite, et

(1) Jolibois : La Haute-Marne ancienne et moderne, p. 292. Art. Laloy (Jean-Nicolas).


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dont la mémoire sera toujours en vénération dans la ville de Chaumont ». El comme Beugnot accusait Laloy d'avoir des moeurs communes, il termine ainsi : « Nous préférons les moeurs communes de Laloy, qui est toujours resté fidèle à ses principes, aux moeurs raffinées de beaucoup de nos hommes d'Etat qui n'ont jamais servi que leur ambition » (1). Ce jugement nous paraît juste ; nous n'hésitons pas à le faire nôtre.

(1) Jolibois : Histoire de la Ville de Chaumont, p. 264, note 2.


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CHAPITRE III

Laloy, maire de Chaumont (1791-1796)

§ 1. — La grande émeute de Chaumont en 1791

Laloy est élu maire de cette ville. — Sa proclamation aux habitants. — Il convoque une assemblée générale des citoyens actifs. — Création d'un magasin de subsistances. — Nouvelles émeutes en janvier 1792. — La municipalité refuse une garnison envoyée par le Roi. — Heureuse intervention de la garde nationale. — Félicitations du ministre.

Le 30 septembre 1791, l'Assemblée constituante tenait sa dernière séance, et elle devait être remplacée le lendemain par l'Assemblée législative, dont les députés avaient été nommés précédemment. On sait que les membres de cette première assemblée s'étaient déclarés inéligibles à la seconde, bel exemple de désintéressement que tous les historiens ont pourtant blâmé et qui, du reste, n'a pas eu d'imitateurs. Ne pouvant maintenir dans ses fonctions Jean-Nicolas Laloy, les électeurs jetèrent les yeux sur son jeune frère, Pierre-Antoine, avocat à Chaumont, et le nommèrent à sa place, comme nous le dirons plus loin en parlant de ce dernier (1).

Les deux frères durent donc se rencontrer à Paris le 1er octobre, puis l'aîné revint dans sa patrie adoptive, à Chaumont, où la municipalité avait, depuis trois semaines, perdu son chef. En effet, le commandeur de Lamirault, apprenant que la Constituante venait de supprimer les ordres de chevalerie avait, en signe de protestation, donné sa démission de maire le 17 septembre. Le corps municipal, de son côté, avait décidé, le 20 du même mois, de ne pas lui donner de successeur avant les élections qui étaient proches, puisqu'elles devaient avoir lieu le

(1) Archiv. de la Hte-Marne : L. Liasse des réunions électorales.


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dimanche après la fête de Si-Martin, c'est-à-dire le 13 novembre. En attendant ce jour, les officiers municipaux se chargeraient de l'intérim. Or, le vendredi 4 novembre, ceux-ci rédigèrent l'annonce de ces élections, annonce destinée à être lue par le curé de St-Jean et ses vicaires, le surlendemain, dimanche, au prône de toutes les messes (1).

Mais le soir de ce dimanche, 6 novembre 1791, une grave émeute éclata en ville : voici à quelle occasion. La disette, qui se faisait déjà sentir depuis quelque temps, augmentait de jour en jour, et le marché des céréales — on l'avait constaté la veille — était insuffisamment pourvu ; aussi bien le prix du blé avait-il atteint ce samedi des proportions inquiétantes. Tout-à-coup, le peuple s'imagine que celte disette n'est qu'apparente et que ses ennemis veulent l'affamer; malgré la loi qui proclame la libre circulation des grains, il se mutine, arrête trois voitures chargées de blé, les détourne de leur route et les conduit sur la place, en criant très haut qu'elles ne partiront pas.

La gendarmerie intervient, mais elle est débordée et bientôt se déclare impuissante. On appelle à son aide la garde nationale qui ne se présente pas. La municipalité sort aussitôt de l'Hôtel de ville pour lire à la foule attroupée la proclamation du Roi sur la liberté du commerce, mais cette foule s'y oppose et les officiers municipaux sont obligés de renoncer à leur projet, la garde étant insuffisante (2). Le directoire du département réuni au même Hôtel — qui est le lieu ordinaire de ses séances (3) — se sentant menacé, envoie en toute hâte et dans toutes les directions courriers sur courriers, pour requérir les brigades de Langres, Vignory, Joinville, Montigny, Bourbonne et Bourmont,

(1) Archiv. de Chaumont : Délib. municipales des 17 et 20 sept, et du 4 nov. 1791.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 6 novembre 1791.

(3) Le nouvel Hôtel de ville, construit en 1788 et 1789 sur l'emplacement des halles, avait été achevé en 1790 et la municipalité en avait pris possession le 14 juillet de cette même année (voir la délibération du 5 juillet 1790). Le directoire du département, qui d'abord avait siégé au couvent des Capucins — celui du district occupant une salle du Palais de justice — vint aussi se fixer à cet Hôtel au mois de septembre suivant. Les deux administrations municipale et départementale eurent donc leurs bureaux dans le même édifice, dont chaque extrémité était mise à leur disposition,


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ainsi qu'un détachement de 50 hommes choisis dans la garde nationale de ces villes, afin de lui prêter main-forte et d'en imposer à la multitude égarée.

Loin de sauver la situation déjà bien compromise, cette réquisition, une fois connue, devait porter le mal à son comble. En effet, le bruit s'étant répandu que la cité allait être envahie, les têtes s'échauffent de plus en plus, le tocsin retentit, le peuple surexcité et furieux pénètre de force dans l'Hôtel de ville, s'empare de la poudre et des canons, et disperse les administrateurs qui ne doivent leur salut qu'à la fuite. Il ferme en même temps les portes de la ville ; en sorte que les gendarmes appelés et accourus au premier signal ne peuvent, sauf ceux de Langres et de Vignory, pénétrer dans ses murs. Du haut des remparts, il les insulte, les menace, et se prépare même à tirer sur eux. Quatre jours durant, l'insurrection est triomphante, en sorte que le procureur général syndic du département, M. Sergent, dont les jours avaient été en danger, et qui, poursuivi par les insurgés jusque dans les champs, avait gagné précipitamment Bologne et, de Bologne, s'était retiré à Saint-Dizier, crut devoir avertir par des messagers spéciaux les députés du département,. l'Assemblée souveraine, les ministres et le Roi, de ce qui se passait à Chaumont (1).

Or c'était le dimanche suivant, par conséquent trois jours seulement après la fin de cette regrettable émeute, que devaient avoir lieu les élections pour renouveler le corps municipal tout entier, qui se composait alors d'un maire, d'un procureur syndic, de huit officiers municipaux et de dix-huit notables.

la première occupant l'est et la seconde l'ouest. Quant à celle du district, son installation au Palais du justice ne fut que provisoire, comme celle du département au couvent des Capucins ; s'y trouvant trop à l'étroit, elle vint bientôt s'établir dans un assez vaste immeuble dépendant du couvent des Carmélites et qui lui était attenant : c'est là qu'elle résida jusqu'à sa suppression. Cet hôtel était loué auparavant par les religieuses aux demoiselles de LavalléePimodan ; vendu comme bien national en 1818, il abrite aujourd'hui les magasins de MM. Lorrette, marchands de fer à Chaumont. Dans cette maison eurent lieu, de 1790 à 1795, toutes les ventes des biens nationaux du district de cette ville.

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. Liasse de l'insurrection à Chaumont en 1791.


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On commença par la nomination du maire : au premier tour, aucun candidat n'eut la majorité absolue ; au second, Laloy fut nommé, mais il déclara immédiatement ne pas accepter l'honneur que ses compatriotes lui faisaient, son intention étant de se consacrer désormais et exclusivement à la pratique de la médecine. Toutefois, devant les pressantes instances d'un grand nombre de ses concitoyens qui, connaissant sa prudence, son énergie et la considération dont il jouissait près de la foule, ne voyaient de salut qu'en lui, il revint sur sa décision et accepta le lendemain les fonctions qu'il avait refusées la veille. On procéda ensuite à l'élection du procureur, des officiers municipaux et des notables (1).

Ces opérations ne se firent pas sans de grandes difficultés. D'une part, le nombre des votants était extrêmement faible, et, d'autre part, beaucoup d'élus donnaient aussitôt leur démission, déclinant toute espèce de candidature (2). La situation était, en effet, très délicate et même périlleuse. Il s'agissait de faire reconnaître par tous l'autorité des lois, d'obtenir justice des troubles qui venaient d'éclater et pouvaient se renouveler d'un instant à l'autre ; il s'agissait encore de faire respecter les propriétés de la ville violées chaque jour impunément, et en particulier les bois livrés depuis longtemps au pillage par une populace effrénée, dont gardes, gendarmes et dragons ne pouvaient avoir raison, heureux quand ils n'étaient pas eux-mêmes insultés et frappés par ces bandes puissamment organisées (3).

Enfin le samedi, après de nombreux scrutins, la municipalité se trouvant au complet s'installa et prêta le serment d'usage. Aussitôt, Laloy proposa à ses collègues de partager la commune en deux sections qui auraient leur siège, l'une au Palais de justice et l'autre au collège, et d'inviter les électeurs à s'y réunir le lendemain à dix heures, au sortir de la messe, pour aviser aux moyens de se procurer des subsistances et de couper court à toute appréhension à ce sujet. Le département avait, du reste,

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 14 et 15 novembre 1791.

(2 Arch. de Chaumont : Délib. des 14 et 15 novembre 1791.

(3) En 1789, un détachement de dragons avait été envoyé de Neufchâteau à Chaumont pour y maintenir l'ordre ; il y fut spécialement chargé de la garde des bois journellement dévalisés (Arch. de Chaumont, Délib. du 2 janvier 1790 et autres.)


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invité la municipalité à agir ainsi afin de rassurer sans délai la foule très agitée en ce moment, en lui prouvant qu'on veillait à ce qu'elle ne manquât de rien (1). Le Conseil ayant adopté cette proposition, une proclamation signée du maire et datée de ce même jour, 19 novembre, annonça aux habitants la décision qui venait d'être prise, en même temps qu'elle leur recommandait le rétablissement de l'ordre, l'obéissance aux lois et le respect du aux autorités constituées (2). Le curé fut prié d'avancer la

(1) Voir notre Recueil de documents sur les subsistances en céréales dans le district de Chaumont, t. I, p. 190.

(2) Voici, du reste, cette proclamation : « Citoyens, le premier usage que le corps municipal a cru devoir faire des fonctions que vous lui avez confiées, a été d'assembler le Conseil général de la commune, à l'effet d'aviser aux moyens d'assurer vos subsistances, sans nuire à l'approvisionnement de celles de vos voisins.

« Le Conseil, consulté sur cet objet de première nécessité, a été unanimement d'avis de convoquer l'assemblée générale de la commune, afin de recueillir sur une matière de si haute importance, l'avis de chaque bon citoyen ; d'établir par cette démarche franche et ouverte la confiance du peuple dans ses magistrats ; de rappeler à chacun le respect et l'obéissance dus aux lois ; de prévenir les malheurs qu'un plus long égarement pourrait attirer sur les auteurs des infractions qu'elles ont souffertes ; de ménager aux laborieux chefs de famille un temps précieux et nécessaire à l'éducation de leurs enfans ; enfin d'entretenir l'abondance dans les marchés, en y maintenant l'ordre, la sûreté, la liberté dans les conventions, seul moyen d'y attirer les cultivateurs des environs.

« Mais, nous vous le répétons, tous ces moyens seront inefficaces sans le rétablissement prompt du calme et de l'ordre, sans l'obéissance la plus exacte aux lois, sans le respect pour les autorités constituées et la confiance la plus entière dans les magistrats que le peuple s'est choisis.

« Pour parvenir à ces fins, et d'après le voeu des corps administratifs supérieurs, nous convoquons pour demain dimanche, 20 du présent, l'assemblée générale de la commune qui se réunira en deux sections, l'une au Palais, l'autre au collège, à dix heures du matin, à l'effet d'aviser aux moyens les plus efficaces d'assurer, par des voies convenables et fégales, la subsistance des citoyens, et de faire parvenir au corps municipal le résultat des délibérations de chaque section sur cet important objet.

« Fait et arrêté au Conseil général de la municipalité, à Chaumont, ce 19 novembre 1791.

« Laloy, maire. »

(Arch. de la Haute-Marne : Fonds Laloy, pièce imprimée.)


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messe d'une heure, afin que l'assemblée put terminer ses travaux avant midi (1).

L'avis des électeurs fut aussitôt transmis à la municipalité, qui, séance tenante, prescrivit trois choses : d'abord la création immédiate d'un magasin de subsistance, en vue de subvenir au défaut du marché public, ensuite l'ouverture d'une souscription destinée à recueillir les fonds nécessaires à l'approvisionnement de ce magasin, enfin la rédaction d'un règlement qui déterminerait le mode à adopter pour la distribution des vivres aux indigents (2).

Pendant ce temps, le ministre de la guerre, répondant au cri d'alarme poussé par le Procureur général syndic, qui était toujours à Saint-Dizier, el refusait de rejoindre son poste, avait donné ordre à deux détachements de cavalerie, composés de cent hommes et cent chevaux chacun, en garnison à Gondrecourt et à Nancy, de se rendre en toute hâte à Chaumont, sous les ordres du lieutenant-colonel de Malvoisin (3). A cette nouvelle, la municipalité demande que ces troupes n'entrent pas en ville, où leur présence ne ferait qu'irriter les esprits et où, d'ailleurs, on ne pourrait les loger. Elle refuse même de les laisser cantonner dans les villages les plus proches, pour cette raison que « depuis les troubles occasionnés par l'inquiétude que le peuple avait conçue sur ses subsistances, à la vue du nombre des convois qui depuis quinze jours passaient sous ses murs », le calme n'a pas cessé de régner (4).

Mais ce qui n'était qu'un acte de prudence de la part du maire, fut bientôt regardé par la foule comme un acte de faiblesse dicté par la peur, et bientôt les troubles recommencèrent.

(1) Arch. de Chaumont. Délibération du 19 novembre 1791.

(2) Archives de Chaumont. Délib. du 22 novembre 1791.

(3) Archives de la Haute-Marne. L'insurrection de 1791.

(4) Archives de Chaumont. Délib. du 15 décembre 1791. — Ils furent placés à Juzeunecourt, Blésy, Jonchery, Bologne, Roôcourt, Luzy et Foulain, pour protéger, sur les routes de; Paris, SaintDizier et Langres, la circulation des grains. (Archives de la HauteMarne, liasse de l'Insurrection de 1791).


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En effet, moins de trois semaines après cette délibération, le 3 janvie 1792, deux voitures de grains sont encore arrêtées et conduites sur la place. Au signal convenu, le menu peuple accourt ; des cris retentissent de tous côtés, des menaces sont proférées ; le tocsin, de minute en minute, sonne lugubrement ; on entend partout appeler aux armes : les ouvriers, en groupes, montent des faubourgs, munis, les uns de fusils, les autres de piques ou de bâtons ferrés. Est-ce donc une nouvelle insurrection qui se prépare, et que va-t-il se passer? Le maire, aussi calme au milieu de cette tempête, que s'il eût été assis au chevet d'un malade, requiert les commandants de la gendarmerie et de la garde nationale de convoquer leurs troupes en nombre suffisant, et de fournir aux deux voitures arrêtées une imposante escorte.

Bientôt la garde arrive, composée de 50 à 60 hommes armés, tous choisis avec soin dans les diverses compagnies ; ils sont fermement décidés à obéir à leurs chefs et à prêter assistance aux gendarmes déjà réunis sur la place. C'est alors que le maire, se sentant appuyé, prend la parole et tente de rassurer la foule : « Citoyens, dit-il, il y a sur les greniers de l'Hôtel de ville 1.200 mesures de seigle; elles sont à la disposition de ceux d'entre vous qui ne trouveraient pas sur le marché les grains qui leur manquent, mais il faut absolument que ces voitures partent ». Loin de se calmer, la foule devint encore plus houleuse et plus menaçante ; elle réclame à grands cris l'achat de ces grains et leur transport dans le magasin municipal (I).

Essayer d'intimider Laloy est peine inutile: c'est une barre de fer qui ne plie jamais (2). Voyant que de plus longs discours n'aboutiraient à rien, il ordonne, malgré les hurlements de la multitude, aux voituriers de fouetter leurs chevaux, et à la garde de les accompagner aussi longtemps que tout danger n'aura point disparu. Formée sur deux rangs, la petite troupe

(1) Jolibois. Histoire de la ville de Chaumont, p. 273.

(2) Lombard, de Langres : Mémoires anecdotiques..., t. I, p. 132.— « Comme administrateur, c'était une barre de fer : rien ne l'intimidait. Dans les émeutes causées par la rareté des subsistances, on le voyait seul au milieu du tumulte, entouré de bâtons, d'armes menaçantes, de cris provocateurs, aussi calme que s'il avait été dans sa chambre ; et jamais il ne sortit de là sans avoir fait entendre raison à la multitude...»


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entoure donc le convoi jusqu'à la porte Saint-Michel, mais, qui l'aurait cru ? le peuple, par précaution, l'avait fermée. Laloy, aussitôt prévenu, la fait ouvrir. Mais la foule ne se décourage pas, elle poursuit les voitures jusqu'à Luzy, localité éloignée de huit kilomètres, espérant bien les ramener quand l'escorte sera lassée de protéger le convoi.

Cependant, à l'entrée du village, celte foule s'arrête, fatiguée d'avoir parcouru inutilement et au coeur de l'hiver, deux lieues à pied, et laisse les voituriers continuer leur chemin. C'est alors seulement que la garde revint sur ses pas, apportant de la municipalité de Luzy un certificat qui constatait sa conduite (1). En rentrant en ville, à 8 heures du soir, elle le remit au Conseil, qui était resté en séance jusqu'à ce moment, n'ayant pas voulu se séparer avant d'avoir reçu des nouvelles précises et rassurantes.

Deux jours après cette expédition, le ministre offre encore au maire une garnison ; celui-ci la refuse de nouveau en disant que la garde nationale suffit au maintien de l'ordre (2). Mais, dès le lendemain, 6 janvier, il est obligé de recourir aux mêmes moyens que le 3 pour assurer la circulation des grains (3). Mis au courant de ces événements, le ministre approuva la conduite du maire et envoya de la part du Roi, une lettre de félicitations à la gar le nationale de Chaumont. Cependant, en prévision de l'avenir, on installa en ville une seconde brigade de gendarmerie (4)

Le 14 du même mois, des voitures de seigle sont encore arrêtées par le peuple et déchargées. Comme les charretiers consentent à en recevoir le prix, on le leur verse (5) ; mais, pour éviter ces incidents toujours regrettables, la municipalité décide, le 22, d'établir jour el nuit un poste militaire sur la route de Joinville, el un autre à l'Arquebuse, afin de défendre les convois de grains contre les entreprises de la multilude (6). Grâce à ces

1) Archives de Chaumont. Délibération du 5 janvier 1792.

(2) Archives de Chaumont. Délibération du 5 janvier 1792.

(3) Archives de Chaumont. Délib. du 6 janvier 1792.

(4) Archives de Chaumont. Délib. des 10 février et 2 août 1792.

(5) Archives de Chaumont. Délib. du 14 janvier 1792.

(6) Archives de Chaumont. Délib. des 22 janvier, 27 mai et 5 juin 1792.


Ouverture des Etats généraux de 1789 à Versailles

Planche IV. (Voir p. 23 .



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mesures énergiques, de nouveaux désordres, de nouvelles émeutes ne seront plus guère à craindre ; elles n'empêcheront pas toutefois les marchés d'être insuffisamment pourvus et la population indigente d'avoir peur de la faim : c'est ce que nous allons voir au paragraphe suivant.

§ II. — Disette de 1791 à 1796

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Approvisionnement du magasin des subsistances. — Fourniture de grains à l'armée de Kellermann. — Vente de l'argenterie superflue des églises de Chaumont. — Nombreux achats de blé, seigle et orge. — Causes de la pénurie de grains dans le district. — Réquisitions pour les marchés, les services publics et les armées. — Le département du Doubs demande 6.000 quintaux de grains. — Mission de Laloy à Besançon. — Son voyage à Paris, d'où il ramène le représentant Pépin. — L'Etat prête 150.000 livres au district pour acheter des vivres. — Chaumont vote, à la même fin, un emprunt de 400.000 livres. — Division des familles en 3 et 6 classes.

Les temps sont très durs pour les administrateurs, qui ne savent jamais ce qui se passera le lendemain, car, d'un jour à l'autre, le tumulte peut recommencer. Il leur importe donc de faire comprendre au peuple qu'il a tort de s'alarmer et, pour cela, leur devoir est de remplir les magasins de la ville, mais où trouver l'argent nécessaire ? Le 27 janvier, le Conseil vote à cette fin un emprunt de 30.000 livres, à rembourser par la vente des grains et, en cas d'insuffisance, par une taxe additionnelle aux contributions (1). Le lendemain, escomptant l'autorisation de cet emprunt, il fait acheter 1.000 bichets de blé à Lafertésur-Aube, et ordonne de mêler à ce blé le seigle arrêté les jours précédents (2). Il y a, en effet, urgence, d'amasser de grandes provisions, non seulement pour la population urbaine, qui ne cesse de murmurer, mais encore pour les nombreuses troupes de passage, volontaires ou autres, qui, chaque jour, traversent le pays, et aussi pour subvenir aux besoins pressants de l'armée de Kellermann et de Luckner, qu'on dit être sur le point de manquer de vivres.

(1) Archives de Chaumont. Délibération du 29 janvier 1792.

(2) Archives de Chaumont. Délibération du 28 avril 1792.

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Nous en avons la preuve dans une lettre datée de Chaumont et envoyée par Mme P.-A. Laloy à son mari, à ce moment député à l'Assemblée législative. On y lit, en effet, ce qui suit : « Voilà donc toutes nos espérances détruites : on ne peut plus se faire illusion ; nos ennemis ne trouvent aucune résistance, ils sont à nos portes et on n'entend point parler de nos troupes de ligne. Je dis : à nos portes, car ils n'en sont qu'à 15 lieues. Le maréchal Luckner est passé cette nuit à Joinville ; il a donné ordre de ne pas laisser partir les gardes nationaux avant qu'il ne les demande, parce que les vivres pourraient manquer. Cet ordre est arrivé à propos, car tous nos grenadiers devaient partir aujourd'hui : c'était hier une désolation dans toute la ville. Ils sont au nombre de 400 et personne ne peut s'exempter. Nous avons tous les jours mille hommes qui passent en cette ville, mais ils ne sont point armés. Ton frère est harassé : c'est sur lui seul que roule toute la besogne (1).

La municipalité se préoccupe donc, avant tout de la question des subsistances, non seulement pour les citoyens de Chaumont, mais pour les défenseurs de la patrie. Quand elle ne trouve plus rien à acheter sur les marchés, parce que les vendeurs n'y viennent plus, elle fait appel à la libéralité des habitants qui ont plus que le nécessaire : et ses membres vont de porte en porte demander aux particuliers de la farine ou des grains, qu'on expédie dans des tonneaux à destination de l'armée. Cette mesure, également prise dans d'autres localités, a procuré gratuitement aux troupes de la République les secours dont elles avaient le plus pressant besoin. A cette bonne nouvelle, la Convention déclare que la Haute-Marne a bien mérité de la patrie (2). Heureusement pour ce département, la récolte de

(1) Archives de la famille Laloy, à Massilly.

(2) Archives de la Haute-Marne : Liasse des actes authentiques. Le 14 juillet 1793, la Convention ayant appris que le département de la Haute-Marne « a fourni gratuitement aux armées de Kellermann et de Luckner 30.000 livres de farine, et qu'elle a abandonné à la République 5.000 quintaux de blé dont elle avait grand besoin et étaient destinés à l'armée, qu'il a secouru le mieux qu'il a pu le département de la Marne et a toujours conservé la paix et la tranquillité au milieu des troubles qui ont agité le pays, déclare que ce département a bien mérité de la patrie. »


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1792 fut moins mauvaise que les précédentes, et les blés étrangers, attendus depuis si longtemps, commencèrent à arriver (1). Sans ces diverses ressources, beaucoup de familles eussent souffert de la faim.

Pour prévenir une si fâcheuse extrémité, le Conseil, inspiré par son maire, crut pouvoir recourir aux suprêmes moyens, à ceux qu'on n'a jamais employés qu'aux époques de grande famine. Ayant la surveillance de la Fabrique paroissiale, il fit dresser un inventaire de l'argenterie superflue des églises de Chaumont et en ordonna la vente pour alimenter, avec son produit, le magasin des provisions (2). Il enleva même divers objets d'argent qui n'étaient qu'utiles, et leur en substitua de moins riches qui rendaient le même service (3). Cette vente produisit une somme de 24,000 livres, dont il fallut déduire environ 1.200 livres qu'on dépensa pour remplacer certains meubles, tels que chandeliers d'argent ou autres (4). Ce sacrifice, que l'extrême disette pouvait seule justifier, et qui fit servir à l'avantage du public des trésors que la Révolution eut gaspillés les années suivantes, fut d'un grand secours pour l'alimentation des pauvres, objet des préoccupations quotidiennes de Laloy.

Aux élections qui se firent le 2 décembre 1792 et qui avaient pour objet le renouvellement des membres du Conseil, Laloy fut renommé maire à une très forte majorité, puisqu'il recueillit 279 suffrages sur 291 ; il put donc sans crainte continuer son oeuvre. Convaincu par l'expérience du passé que la faim est une mauvaise conseillère, et qu'à Chaumont surtout les troubles les plus graves sont à redouter si le peuple manque de pain ; il profite des occasions qui se présentent ordinairement à cette époque de l'année pour faire d'amples provisions. En janvier

(1) Archives de Chaumont. Délibérations des 5, 7 septembre et 23 novembre 1792.

(2) Archives de Chaumont. Délibérations des 30 août et 19 novembre 1792.

(3) Archives de Chaumont. Délibération du 17 septembre 1792.

(4) Archives de Chaumont. Délibération du 22 novembre 1792.


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1793, il achète une grande quantité de blé et de seigle sur le marché de Bar-sur-Aube, puis mélange ces deux sortes de grains avant de les distribuer (1), mais ce mélange n'a pas la faveur de la multitude, qui le refuse (2) et qui, mécontente, arrête de nouveau des voitures chargées de blé (3).

Pendant l'été, les greniers se sont vidés ; au mois d'août, le marché est tout à fait désert ; pour l'approvisionner, le maire est obligé de recourir à la loi du 4 mai précédent et d'adresser aux cultivateurs des villages du district des réquisitions directes, mais ceux-ci, la plupart du temps, ne veulent pas s'y soumettre. Les uns déclarent que leur blé n'est pas encore battu, et alors on est obligé de leur envoyer des batteurs à leurs frais (4) ; les autres refusent d'en livrer sans motifs plausibles et il faut installer chez eux les gendarmes de Chaumont, les dragons un instant casernes à Châtteauvillain ou les gardes nationaux envoyés de la ville voisine, qui vivent à leurs dépens et restent dans le pays jusqu'à ce que les récalcitrants se soient exécutés (5). Plus lard, on s'adresse de préférence aux municipalités, qui font elles-mêmes la répartition des contingents demandés.

C'est Laloy qui, avec l'autorisation du district, met en mouvement toutes ces réquisitions ; c'est lui qui dresse la liste des communes chargées d'approvisionner le prochain marché et indique chaque semaine la quantité de grains nécessaire à cet

(1) Archives de Chaumont. Délib. des 14 et 18 janvier 1793.

(2) Archives de Chaumont. Délib. du 25 janvier 1793.

(3) Archives de Chaumont Délib. du 7 mai 1793.

(4) Archives de Chaumont. Délib. du 19 août 1793. La loi du 4 mai, dans son article 9, dit : « Les corps administratifs et municipaux sont également autorisés, chacun clans leur arrondissement, à requérir tous marchands, cultivateurs ou propriétaires de grains ou farines, d'en apporter aux marchés la quantité nécessaire pour les tenir suffisamment approvisionnés. » On lit de plus, dans l'article 10 : « Ils peuvent aussi requérir des ouvriers pour faire battre les grains en gerbes, en cas de refus de la port des fermiers ou propriétaires. »

(5) Archives de Chaumont. Délib. des 13 el 31 octobre 1793.


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approvisionnement ; c'est lui qui suggère les moyens coercitifs à employer pour obtenir le résultat désiré et les mesures qu'il convient de prendre pour attirer les vendeurs sur le marché (1). Ce devoir est en effet l'un des plus graves de sa charge de maire (2). Que d'inquiétudes et de soucis ces réquisitions hebdomadaires ne causent-elles pas à la municipalité de Chaumont et en particulier à son chef, qui en porte toutes les responsabilités ! Aussi, comprenant qu'elle ne suffit plus à une tâche aussi lourde, aggravée encore par les dédails d'une administration qui se complique de jour en jour, elle s'adjoint un comité composé de douze membres titulaires et de six membres suppléants pour s'occuper spécialement de celle affaire (3). Ce comité commence par garantir aux cultivateurs qui amèneront leurs grains sur le marché la liberté la plus complète, puis il leur promet une gratification de 5 sols par bichel ; en même temps il fait acheter par ses agents tous les grains qu'ils trouveront à vendre, et comme ces achats sont insuffisants, il continue de recourir au système des réquisitions.

Le lecteur sera peut-être étonné des difficultés qu'éprouvaient alors les marchés de Chaumont à s'approvisionner, et il se demandera ce que devenaient à cette époque les fruits de la terre. La réponse est facile.

D'abord il faut savoir qu'en dehors de quelques régions tout particulièrement favorisées, mais très peu étendues, l'ensemble

(1) Archives de Chaumont. Délib. des 14 septembre, 13 et 31 octobre 1793 et autres passim.

(2) On lit, en effet, à l'article 3 de la loi du 9 octobre 1793 (18 vendémiaire an II) : « La municipalité du chef-lieu de marché est chargée de veiller à l'approvisionnement constant de son marché »; et, à l'article 4 : » L'administration de district est tenue, sous sa responsabilité, de faire droit sur le champ aux indications de la municipalité du chef-lieu de marché et de faire les réquisitions nécessaires à toutes les communes inscrites sur le tableau du marché, lors même qu'elles seraient situées dans d'autres districts ou départements ».

(3) Archives de Chaumont. Délib. du 23 octobre 1793.


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du district de Chaumont passait, au moment de la Révolution, pour être plutôt pauvre. Si, dans les bonnes années, il pouvait à peu près se suffire, il devait, dès qu'un fléau s'abattait sur la contrée, grêle ou forte gelée, recourir aux districts voisins, notamment à ceux de Langres et de Bourmont, dont le fonds était plus fertile,

Son sol, en effet, couvert en grande partie de forêts ou de buissons, de friches et de coteaux inaccessibles à la charrue, hérissé de montagnes plus ou moins abruptes, insuffisamment amendé et privé très souvent des soins qui l'eussent rendu fécond, était naturellement aride et pierreux, en conséquence peu propre à la culture des céréales. Aussi n'y semait-on du blé qu'en petite quantité et seulement dans les meilleures parcelles. Les récoltes comprenaient surtout du seigle, du conseigle ou méteil, de l'orge et de l'avoine, ces grains n'exigeant ni une terre aussi riche ni autant d'engrais.

Il ne faut pas oublier non plus que le département de la Haute-Marne étant l'un des plus boisés de France, les spéculateurs avaient construit dans le district, qui n'occupait pourtant que la moitié environ de notre arrondissement actuel, 50 établissements métallurgiques. Placés sur ses nombreux cours d'eau, ces établissements, fourneaux, forges, fenderies, martinets, procuraient, soit directement par leur exploitation, soit indirectement par celle des bois qui les alimentaient, par la fabrication du charbon, son charroi, l'extraction des minerais, leur lavage, leur transport, un travail certain et abondant à de nombreux ouvriers qui formaient, avec leurs familles, le quart, sinon le tiers de la population.

Ces établissements contribuaient sans doute à la richesse du pays, mais tous les hommes qu'ils occupaient, l'agriculture en était privée, et cependant elle devait les nourrir, quoiqu'ils ne lui fussent d'aucune utilité.

En effet, ces usines furent bientôt mises en réquisition par la République qui demanda, à l'une des boulets, à l'autre des lames de sabres, à celle-ci des plaques de tôle, à celle-là des bayonnettes, à toutes du fer et de l'acier pour les besoins de l'armée. Ne devant chômer que le décadi, le district dut, par ordre du Comité de salut public, procurer d'avance des vivres pour un mois, à tous les ouvriers qu'elles occupaient, depuis les


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coupeurs de bois jusqu'au maître ou patron, en passant par les charbonniers, les minerons, les charretiers, les forgerons et autres manoeuvres. On ne voulait pas que ces hommes fussent distraits de leurs travaux par les soucis ou les voyages que nécessiterait l'achat de leur nourriture et de celle de leurs familles. Cette obligation du district s'étendait à l'entretien des brigades de gendarmerie, des maîtres de poste, des entrepreneurs de messageries, des fournisseurs des étapes, des aubergistes et, en général, de tous les hommes travaillant pour l'Etat et le bien public. C'était au moyen des réquisitions, et par ce moyen seul, qu'ils étaient approvisionnés de grains et de fourrages. L'administration devait également nourrir les troupes de passage ; les bataillons de volontaires fournis par le département, et qui. restaient à sa charge, soit 5.000 hommes auxquels il dut fournir 5.000 quintaux de grains ; les vétérans de la garnison de Chaumont, les déserteurs étrangers et les prisonniers de guerre cantonnés dans la région, les malades des hôpitaux, les prisonniers civils et autres détenus. Pour être complet, il faudrait ajouter qu'on requit du district de Chaumont 1.000 quintaux de seigle pour le département de la Meurthe et 5.000 pour le district de Luxeuil qui, eux aussi, souffraient de la pénurie, sans parler des contingents pour l'armée dont nous ne voulons dire qu'un mot.

■Il ne faut point ignorer que la proximité de la frontière avait fait placer la Hte-Marne au nombre des huit départements chargés d'approvisionner de grains et de fourrages les deux armées du Rhin et de la Moselle (1). Or, lès représentants du peuple délégués près de ces troupes lui demandèrent 150.000 quintaux de blé, autant de foin et de paille, et 100.000 sacs d'avoine de 12 boisseaux; nous ne mentionnons pas les nombreuses réquisitions envoyées par la commission centrale du commerce et des approvisionnements. Ces quantités étaient d'autant plus difficiles à fournir qu'à l'exception de l'année 1790, dont les récoltes

(1) Ces départements étaient ceux du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Meurthe, des Vosges, de la Haute-Saône, de la Côte-d'Or, de la Haute-Marne et du Mont-terrible.


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avaient été satisfaisantes, toutes les autres depuis 1788 jusqu à 1796 furent des années de disette.

Les agents des subsistances militaires avaient beau envoyer lettres sur lettres, ou venir en poste exposer eux-mêmes le dénuement, les privations, la misère des armées et des villes fortes situées sur la frontière ; l'administration avait beau proclamer son patriotisme en déclarant que, malgré sa pauvreté, le district partagerait son dernier morceau de pain avec les défenseurs de la patrie, il est certaines limites qu'on ne peut franchir, personne n'étant à même de donner ce qu'il n'a pas.

Un jour donc vint, en mai 1794, où les représentants du peuple, Lacoste et Baudot, ayant demandé au département épuisé l'envoi immédiat à l'armée de 58.000 quintaux de froment, toutes les communes protestèrent en disant qu'elles n'avaient plus assez de grains pour se nourrir elles-mêmes jusqu'à la moisson. A cette nouvelle, un agent du comité de commerce appelé Silvy, insiste vivement et menace même les administrateurs du district de Chaumont de les faire arrêter et conduire au tribunal révolutionnaire, s'ils n'emploient les moyens de rigueur qu'il leur indiquera pour se faire obéir. Ordre est alors donné à la gendarmerie et aux vétérans d'arrêter tous les maires et tousles agents des 128 communes du district et de les amener en otage à Chaumont, pour y rester jusqu'à l'entière livraison du contingent qui leur a été assigné.

On les vil arriver par bandes de 20 à 30, comme des troupeaux, conduits par la force armée qui les chassait devant elle, et les interna en ville où des billets de logement leur furent distribués ; ils y passèrent de 8 à 11 jours, obligés d'aller matin et soir inscrire leur nom sur un registre spécial qui existe encore. Cette mesure n'eut d'autre résultat que d'irriter les populations ; les otages furent renvoyés dans leurs familles, et la plupart des communes ne parvinrent, qu'avec beaucoup de temps et de nombreuses privations à livrer ce qui leur avait été demandé.

Les récoltes de 1794 laissèrent, comme celles des années précédentes, beaucoup à désirer. Or, elles n'étaient pas encore achevées que le comité de commerce exigeait déjà du district 8.000 quintaux de seigle destiné à l'armée de la Moselle. L'approvisionnement de tous les marchés devint, pour ces divers


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motifs, extrêmement difficile, surtout celui de Chaumont où la plupart des habitants n'avaient aucune provision. Ne sachant plus où se procurer des grains, Laloy se voit réduit à emprunter 150 quintaux de blé au magasin militaire du district ; trois semaines plus tard, il en tire de nouveau 500 bichets, et huit jours après, 120 quintaux (1). Mais bientôt, le district est blâmé par l'autorité militaire pour avoir consenti à ces prêts, et Laloy mis en demeure de rendre les grains qui lui ont été avancés. Le conseil de la commune déclare que cette restitution est absolument impossible pour l'instant. On ne trouvait, en effet, plus rien dans les campagnes.

Or, c'est dans un moment aussi difficile, aussi critique, dans un moment où le pays, ruiné par les mauvaises récoltes, ne peut plus se suffire à lui-même, ni envoyer aux défenseurs de la patrie les subsistances qu'ils réclament depuis si longtemps, c'est en ce moment que le district de Chaumont est frappé d'une réquisition énorme de 6.000 quintaux de blé pour la commune de Besançon et le district de Pontarlier. La fourniture d'un tel contingent dépasse évidemment les forces du pays ; tout le monde à Chaumont le reconnaît et le crie à qui veut l'entendre, mais les représentants du peuple qui sont à Besançon et ont signé cette lettre, ferment l'oreille à toutes les observations. Déjà, la force armée envoyée par eux, et qui se compose de 30 dragons, est arrivée au chef-lieu sous la conduite de deux commissaires ; elle a mission d'appuyer avec énergie et même d'exécuter militairement les ordres qui lui seront transmis (2).

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 5 nivose, 1er et 9 pluviose an III (25 décembre 1794, 20 et 28 janvier 1795).

(2) Arch. de la Haute-Marne. L.

Dans une lettre de Godinet-le-jeune, administrateur du département, écrite le 3 pluviose de l'an III (22 janvier 1795) au frère du maire de Chaumont qui était à Paris, on lit ce qui suit :

« Je suis arrivé, mon camarade, à moitié gelé le 1er du courant ; je me réjouissais, aussitôt mon arrivée, de boire à ta santé avec ton frère, mais il était parti pour Besançon d'où on l'attend tous les jours pour tâcher de faire lever une réquisition de 15.000 quintaux


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Que feront les administrateurs du district réduits aux abois ? Ils vont trouver le maire de Chaumont, leur suprême refuge, quand ils sont dans l'embarras ; ils le supplient d'aller à Besançon, car lui seul paraît avoir la considération nécessaire pour y être bien accueilli, et de demander aux représentants établis en cette ville la dispense complète de leur réquisition ou, du moins, une réduction considérable du contingent qu'ils ont demandé.

Bien qu'on soit en plein hiver, Laloy n'hésite pas un instant ; il part, et huit jours après, le 4 pluviose an III, 23 janvier 1795, il n'était pas encore de retour. On n'avait même aucune nouvelle de lui. Inquiet sur son sort, le conseil décide que le lendemain, s'il ne revient pas pendant la nuit, un membre de la municipalité ira à sa recherche ; mais il rentra dans la soirée et rendit le lendemain compte de son voyage : il n'avait rien obtenu. Avant même son arrivée, les deux commissaires de Besançon, qui étaient à Chaumont depuis plusieurs jours, avaient déjà reçu, par un courrier spécial, injonction de presser la livraison des grains (1).

Ne sachant plus où donner de la tête, l'administration du district qui, l'année prédédente, avait réclamé la révocation de Laloy pendant que celle du département le dénonçait au Comité de salut public, ainsi que nous le verrons plus loin, cette administration le conjure d'aller solliciter de la Convention ellemême la main-levée que ses envoyés extraordinaires lui ont refusée. Quand il s'agit de rendre un service, Laloy est toujours prêt : il accepte encore cette difficile mission. Il fera donc le voyage de Paris, comme il a fait celui de Besançon, et il demandera, non seulement la décharge des 6.000 quintaux requis du

de subsistances jetée sur le département. Je me fais une fête de le revoir et je désire vivement qu'il réussise, car on crie beaucoup misère pour les, subsistances. Je ne puis encore rien dire à cet égard. Est-ce vraiment disette ? Est-ce malveillance ? Je désire que ce soit seulement malveillance, puisqu'avec des mesures et des précautions on pourrait la vaincre ; mais je crains que la disette n'existe, car nous avions encore ce matin à l'administration deux commissaires de Belfort, demandant s'ils pourraient trouver des grains à acheter dans notre département...»

(Voir cette lettre dans les papiers de la famille.)

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 4 et 6 pluviose an III (23 et 25 janvier 1795).


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district, mais encore des secours en argent, afin de procurer aux ouvriers la nourriture qui leur manque. A cette fin, il se munit d'une délibération du conseil qu'il a, du reste, rédigée, et qui dépeint la misère de la population, dont la moitié au moins se compose de familles pauvres.

« Il s'agit de subvenir, dit cette pièce, aux besoins de plus de 2.500 individus occupés par des fabriques de bonneterie, de droguets et de gants où le travail est peu lucratif, tandis que les denrées alimentaires sont très chères, et d'en nourrir 1.500 autres, moins indigents à la vérité, mais qui cependant ne peuvent faire les frais de leur approvisionnement. Sept à huit mille quintaux de grains sont donc indispensables pour Chaumont, acquisition qui, avec les frais de charrois et autres, nécessitera une dépense d'environ 300.000 livres ». C'était la somme que Laloy devait s'efforcer d'obtenir (1).

Avant de se mettre en route, il avait prévenu son frère et les autres députés du département de la pénurie qu'éprouvaient la commune et le district, et des démarches avaient été commencées par eux en vue de l'envoi d'un représentant du peuple qui constaterait par lui-même, et sur place, la disette presque absolue des subsistances. Or, ces démarches étaient sur le point d'aboutir quand Laloy arriva dans la capitale. Il insista énergiquement dans le même sens, fit valoir la délibération dont il était porteur et put, le 17 pluviose (5 février 1795), annoncer au conseil général de Chaumont la venue très prochaine du citoyen Pépin, commissaire de la Convention (2).

(1) Arch. de Chaumont: Délib. du 6 pluviose an III (25 janvier 1795).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 10 et 17 pluviose an III (19 janvier et 5 février 1795). Extrait du procès-verbal des séances de la Convention, en date du 14 pluviose an III (2 février 1795) : « La Convention nationale, ouï son comité de sureté générale, décrète que le représentant du peuple Pépin se rendra dans le département de la Haute-Marne. Il est investi des mêmes pouvoirs qu'ont les autres représentants du peuples envoyés dans les départements ». Visé par le représentant du peuple, inspecteur aux procès-verbaux : Monnel. (Arch. de la Haute-Marne : L. Liasse des pièces authentiques.)


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Pendant ce temps, la population anxieuse et privée de son chef ne savait quel parti prendre. Un décret venait, en effet, de supprimer la loi du maximum et le régime des réquisitions (1). Désormais, on ne pourrait plus se procurer de grains qu'au moyen de ventes volontaires, et, pour provoquer ces ventes, il était nécessaire d'offrir aux propriétaires de l'argent, et beaucoup d'argent. Or, la ville n'en avait plus, et pourtant on ne pouvait attendre ; il fallait vivre ! Le Conseil ouvre donc une souscription, mais cette souscription ne recueille que 9.930 livres. Il est vrai que le département lui offre, pour approvisionner le prochain marché, une avance de 16.300 livres et que le district consent à lui prêter encore 275 quintaux de blé, mais à la condition de les rendre dans le plus bref délai (2). Il faut songer à l'avenir. On vote alors l'établissement d'une commission de seize membres pour aider la municipalité dans les circonstances présentes, et un emprunt de 200.000 livres. On invite en même temps chaque citoyen à déclarer publiquement la somme qu'il peut et veut donner ou promettre à la municipalité, car le prix des grains vient de monter dans des proportions inouïes. Le blé se vendait alors 24 livres le bichet (3).

C'est au milieu du désarroi causé par ces diverses mesures prises en assemblée générale, mesures décidées la veille et rapportées le lendemain, que Laloy revint de Paris avec le représentant Pépin ; il apportait la nouvelle que la Nation prêtait au district 150.000 livres pour se procurer des vivres. L'administration en alloua moitié à la municipalité de Chaumont qui s'empressa d'acheter du blé, du seigle, de l'orge qu'elle mélangea par tiers,puis des pommes de terre, des pois, des haricots, le tout pour la nourriture des habitants.

De son côté, Pépin ayant constaté par lui-même que les plaintes du district étaient réellement fondées, réduisit de 6.000

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 4 et 11 nivose an III (24 et 31 décembre 1794). Les réquisitions précédemment faites devaient être exécutées, mais on ne pouvait plus en donner de nouvelles, sinon pendant un mois.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 10 et 15 pluviose an III (29 janvier et 3 février 1795).

(3) Arch. de Chaumont : Délib. des 17 au 22 pluviose an III (5 au 10 février 1795).


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à 1.000 quintaux le montant de la réquisition pour Besançon et Pontarlier, et leva entièrement celle du 5e des grains, farinés et légumes secs, dont le Comité de salut public avait frappé les départements chargés d'approvisionner les armées et la commune de Paris. Il permit, en outre, à la municipalité de se servir gratuitement des chariots et chevaux stationnés en ville et destinés aux troupes sous Mayence, pour amener plus vite les provisions indispensables. En même temps, le Conseil dressait trois listes, plus tard il en dressa six sur lesquelles étaient inscrits les habitants dans l'ordre de leurs moyens d'existence, les riches payant le blé au prix de revient et les autres à des prix plus ou moins inférieurs (1).

Pour faire face à d'aussi grosses dépenses, le Conseil « considérant que les citoyens zélés qui avaient souscrit porteraient tout le poids de l'emprunt, tandis que leurs voisins, aussi riches qu'eux mais moins zélés, n'avaient pas souscrit » vota, le 13 prairial (1er juin 1795), un nouvel emprunt de 400.000 livres avec intérêt à 5 du cent, remboursable au plutôt dans trois ans et demanda à la Convention de l'approuver (2). De la sorte, les premiers prêteurs furent déchargés de leur caution. La somme destinée au remboursement devait être produite par le prix de vente des grains, et, en cas d'insuffisance, par un impôt au marc le franc à jeter sur les contribuables. Une nouvelle loi, celle du 30 germinal, venait de donner aux conseils généraux des communes le pouvoir d'établir de tels impôts.

Ainsi se termina cette longue et angoissante affaire des subsistances. La suppression du maximum, la liberté rendue au commerce, la chute définitive du papier-monnaie, et surtout une série de meilleures récoltes devaient ramener insensiblement les marchés à leur état normal. En attendant, que de soucis ne créa pas à la municipalité l'application du règlement qui partageait les familles en six classes, dont l'une payait le même grain beaucoup plus cher que l'autre ! Que de récriminations, d'injures, et même de menaces, n'entendirent pas chaque jour les administrateurs chargés de celte distribution !

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 10 ventose, 20 et 23 germinal an III (28 février, 9 et 12 avril 1795).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 13 prairial an III (ler juin 1795).


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Heureusement Laloy est là, assistant impassible à l'explosion de toutes les colères. Que ce soit en plein hiver ou sous un soleil brûlant, peu lui importe ! Il doit être à son poste ; ce poste, il ne l'abandonnera pas. Est-ce à dire qu'en retour de son dévouement, on lui témoignait beaucoup de reconnaissance ? Assurément non. Comme l'a dit un de ses contemporains (1), il faisait trop de bien autour de lui pour que certaines gens ne lui voulussent pas beaucoup de mal. C'est ainsi que va le monde ; il ne fut vraiment apprécié de tous qu'après sa mort, époque où la municipalité fit graver sur sa tombe ces deux vers :

« Dans des temps orageux, il fit régner la paix, Et sut de la famine arrêter les progrès. » (2)

§ III. — Entreprise de travaux de charité

Laloy maire de Chaumont (suite). — Pour secourir les indigents, il recourt aux travaux de charité. — Ouverture de la porte de Villiers. — Souscriptions reçues à cette fin. — Subventions données par le département et le district. — Déblaiement du cimetière de St-Michel. — Vente de la grosse cloche de cette église. — Percement de la porte de Buxereuilles. — Retard dans l'exécution de ce travail.

Il ne suffit pas de mettre des grains à la portée des ouvriers, il faut encore leur procurer de l'argent pour les acheter, et par conséquent le travail qui leur fournira cet argent. La ville, en effet, n'est pas assez riche pour leur distribuer des vivres gratuitement ; eût-elle plus de ressources que, du reste, elle ne le

(1) Opinion de Lombard, de Langres, ancien administrateur de la Haute-Marne au moment où Laloy était commissaire du directoire exécutif près de cette administration : « A Chaumont, Laloy avait tant rendu de services aux habitants que je l'y ai vu cordialement détesté. Maintenant qu'il ne vit plus, il est à croire que l'estime de tous l'a suivi dans la tombe : il la méritait ». (Mémoires anecdotiques... T. I, p. 132).

(2) Voir l'épitaphe du cimetière que nous donnerons entièrement plus loin.


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ferait pas, car elle sait combien l'oisiveté est dangereuse. Ses administrateurs sont persuadés avec raison que le plus grand service à rendre à des artisans valides et désoeuvrés consistera toujours à leur assurer de l'ouvrage.

Or, tant que dura la Révolution — comme il arrive, d'ailleurs, à toutes les époques troublées — l'industrie et le commerce ne firent que végéter. A ce ralentissement de l'activité générale, on dut suppléer par des travaux entraordinaires qui, pour n'être point indispensables, ne manquaient pourtant pas d'une certaine utilité. Le gouvernement lui-même l'avait compris, puisqu'il ouvrait chaque année, aux frais du trésor public, — de préférence sur les routes et à proximité des villes — des ateliers où les pauvres trouvaient, avec de l'occupation, le moyen de pourvoir à leur subsistance. Mais ces travaux officiels, qui pourtant coûtaient fort cher à l'Etat, ne pouvaient parer à tous les besoins ; aussi les municipalités, soucieuses de l'intérêt du peuple et craignant les agitations que provoque la misère, s'ingéniaient-elles à en découvrir d'autres (1). Le zèle de Laloy lui inspira diverses mesures de ce genre pendant les quatre années qu'il passa à la tête de la cité.

Le 23 mai 1792, c'est-à-dire six mois à peine après sa nomination de maire, on lui propose l'ouverture d'une nouvelle porte dans le mur de la ville du côté de l'ouest, c'est-à-dire à l'extrémité de la rue de Villiers, aujourd'hui de la gare. Cette ouverture, dit la pétition qui lui est soumise, indemnisera la population qui habite cette rue du tort que lui a causé la fermeture de l'église des Capucins. Précédemment, en sortant de l'office, les fidèles achetaient des provisions aux vendeurs de ce quartier, ce qu'ils ont cessé de faire depuis qu'ils ne suivent plus ce chemin. Ne peut-on pas espérer que là création de cette porte, si elle avait lieu, ramènerait dans ces rues désertes le mouvement et, la vie ? (2)

Laloy aperçut tout de suite l'occasion d'établir en ce quartier un atelier de charité et la possibilité d'obtenir du département

(1) Les années précédentes, la ville avait déjà ouvert des travaux de charité en divers endroits de son territoire, par exemple à la ruelle des Mèzes, la côte des Tanneries, etc.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 23 mai 1792.


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une importante subvention en faveur de ses administrés. Il l'appuya donc de toute son énergie, et il le fit si habilement que l'autorisation nécessaire lui fut accordée au bout de quelques jours, le 29 mai (1). Pour faciliter l'exécution de cette entreprise, il organise dans toute la ville une souscription destinée à recueillir les dons volontaires en argent, les promesses de charrois, les engagements des ouvriers qui consentiraient à démolir l'ancien mur, soit gratuitement soit à prix réduits, ainsi qu'à tailler les pierres du nouveau et à travailler aux terrassements. Il charge en même temps un architecte de dresser du tout les plans et devis convenables, pendant qu'il tendra la main aux pouvoirs publics. De l'administration départementale, il reçut pour cet objet une première subvention de 1.000 livres, et plus tard une seconde de 500 livres, prises sur les fonds alloués aux ateliers du district (2). L'oeuvre fut menée rapidement et assura pendant quelque temps le salaire de nombreux indigents.

Au mois de janvier de l'année suivante (1793), Laloy déclare au conseil que, sur ses instances, l'administration du district a accordé à la ville le quart des subsides qui lui ont été alloués sur les fonds de charité, mais il avoue que cette somme sera insuffisante pour parer à toutes les misères. En effet, dit-il, de nombreuses familles ne vivent que de la bonneterie et de la tisseranderie, mais les laines sont rares, les matières premières fort chères, la main d'oeuvre est mal rétribuée, tandis que les denrées alimentaires ont atteint des prix très élevés. Les besoins sont donc considérables, surtout l'hiver, et les ateliers de l'Etat ne s'ouvrent qu'au printemps. Il faut absolument penser à autre chose et considérer plutôt le dénuement actuel des artisans que l'urgence des travaux (3).

En conséquence, il propose de déblayer l'ancien cimetière de St-Michel, fermé depuis 1782, d'en enlever les terres jusqu'au

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 29 mai et 21 juin 1792.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 12 et 26 juin 1792.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 23 janvier 1793,


Reconstitution de l'église de St-Michel

Fondée au XIVe siècle, agrandie au XVe et au XVIe, cette église a été achetée en 1800, par la Ville, puis démolie pour élever sur son emplacement une halle aux grains, à laquelle a succédé, en 1885, le marché couvert d'aujourd'hui.

Planche V.

(Voir p. 65).



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niveau des rues avoisinantes et de les transporter au cimetière de la Croix de Mission, aujourd'hui, de Clamart, où elles serviraient à étouffer les émanations des fosses nouvellement creusées. Ce travail, ajoute-t-il, est tout indiqué pour la saison d'hiver ; on pourrait le payer avec le produit de la vente de la plus grosse et de la plus récente des cloches de cette église, cloche qui ne s'accorde pas avec les autres et que, pour ce motif, on ne sonne presque jamais (1).

Le Conseil approuva cette proposition, comme il avait l'habitude d'approuver tout ce que lui présentait le maire. La double autorisation, et d'entreprendre le travail et de vendre la cloche fut promptement obtenue (2) ; aussi vit-on, du 18 février au 14 mars, une foule d'hommes activement occupés sur les deux cimetières (3). La cloche, qui pesait 3.688 livres, fut vendue 6.269 1. 12 s., somme dont une partie (500 1.) revint à la fabrique pour se libérer de ce qu'elle devait encore sur son achat, et le reste servit à la rétribution des travailleurs (4).

L'année suivante, en 1794, c'est l'ouverture d'une seconde porte, à l'extrémité nord de la rue de Buxereuilles, que Laloy rêve d'entreprendre. Construite en cet endroit de toute ancienneté, cette porte avait été fermée au XVe siècle dans l'intérêt de la défense de la ville, et remplacée par une autre qu'on avait percée au bout de la rue Chaude, aujourd'hui Bouchardon, sur le bord même de la vallée. Or cette dernière était, paraît-il, très difficile à franchir et les voituriers s'en effrayaient d'avance. On pensa donc que le rétablissement de l'ancienne, en même temps qu'il rendrait plus commode de ce côté l'accès de la ville,

(1) Arch. de Chaumont. Délib. du 23 janvier 1793,

(2) Archives de la Haute-Marne. Arrêté du département du 12 février 1793.

(3) Arch. de Chaumont. Délib. des 18 février et 15 mars 1793.

(4) Arch. de Chaumont. Délib. des 21 février, 6 et 22 mars 1793. L'église Saint-Michel, bâtie sur le bord de la rue qui portait son nom et à l'extrémité nord de l'ancien cimetière, fut achetée par la ville en 1802 pour en faire un marché couvert, mais on s'aperçut bientôt que l'édifice avait besoin de si grandes réparations qu'on jugea préférable de le détruire pour élever sur son emplacement et sur celui du cimetière une halle au blé. Cette halle, en 1889, fut convertie en marché couvert, c'est celui qui existe aujourd'hui.


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procurerait du travail, et par là même des ressources aux nécessiteux désoeuvrés (1).

Laloy demande donc l'autorisation nécessaire à cette fin, mais, pour des motifs qui nous échappent et qui semblent être la tension extrême des rapports qui existaient alors entre l'administration du district et celle de la ville, cette autorisation ne fut point accordée pour le moment. Le projet paraît même avoir été abandonné pendant plusieurs années, et, quand il sera repris, Laloy ne sera plus à la tête de la municipalité (2). Il est permis néanmoins de supposer qu'il ne vit pas sa réalisation d'un oeil indifférent, et même qu'il fut heureux de pouvoir donner, comme commissaire du Directoire, un avis favorable à l'exécution d'une oeuvre dont il avait eu l'initiative, alors qu'il était chargé d'administrer la commune.

On lit dans les archives de Chaumont que le 14 thermidor an V (1er août 1797), l'administration municipale demanda aux habitants du quartier si, au lieu de fournir des journées de travail, ils consentiraient à payer en argent le montant du devis, qui s'élevait à 824 livres. La réponse ne fut sans doute pas celle qu'on attendait, car l'affaire traîna encore 18 mois en longueur. Ce ne fut, en effet, que le 18 ventose de l'an VII (8 mars 1799), que la permission d'ouvrir cette porte fut octroyée, à la condition qu'elle aurait les dimensions convenables et que l'ouvrage serait surveillé par l'ingénieur en chef Lebrun.

Commencé par les habitants du quartier, l'entreprise fut achevée par des prisonniers de guerre auxquels on donna une rétribution de 10 sous par jour. La délibération du 14 thermidor an VII (1er août 1799), nous apprend que 31 de ces hommes y travaillèrent 5 jours, et qu'ils reçurent pour leur salaire la somme de 77 fr. 50 centimes (3).

(1) Arch. de Chaumont. Délib. du 12 floréal an II. (1er mai 1794).

(2) Arch. de Chaumont. Délib. du 14 thermidor an V. (1er août 1797).

(3) Voir ces délibérations aux archives communales de Chaumont.


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§ IV. — Incursion des Langrois en 1792

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Emotion causée en France par l'insurrection du 20 juin. — Protestation du directoire de la Hte-Marne. — Il est dénoncé par les habitants de Langres et de Bourbonne. — Suites de la journée du 10 août. — Arrivée des Langrois en armes. — Leur but est de suspendre le directoire du département. — Ils sont en retard. — Laloy les reçoit en amis. — Plaisanteries à ce sujet. — Les Langrois sont blâmés par le ministre. — Leur réponse. — Vente du cuivre des églises de Chaumont pour acheter des canons.

Sous ce titre, nous nous proposons de raconter en détail un événement qui aurait pu avoir des suites bien tragiques et bien regrettables, mais qui, grâce à la prudence et à l'énergie de Laloy, ne dépassa pas les bornes du comique et se termina par de spirituelles plaisanteries. Pour donner au lecteur une intelligence complète de cette affaire, il nous faut en indiquer les causes et par conséquent remonter à quelques mois.

Aussitôt qu'on eut appris à Chaumont l'émeute organisée par les Parisiens le 20 juin 1792, c'est-à-dire l'invasion des Tuileries par la populace en armes, les insultes adressées par elle à Louis XVI, la sommation qu'elle lui avait faite de rappeler ses ministres et de retirer son veto opposé à la loi contre les prêtres insermentés, un grand nombre de citoyens manifestèrent hautement leur indignation et leur dégoût. Les membres du directoire du département, c'est-à-dire les sieurs Carbelot, Brocard, Dubois, Dimey, Malebranche, Mercier, et le sieur Berthot, faisant les fonctions de procureur général syndic depuis la démission de Sergent, envoyèrent au Roi, — suivant en cela l'exemple de beaucoup d'autres administrations —, une protestation des plus fermes qu'ils datèrent du 24 juin. Dans cette pièce, ils traitaient les envahisseurs de « fous furieux conduits par une faction qui chaque jour cherche à dissoudre l'empire par l'anarchie », et déclaraient qu'au « Roi seul appartient le choix et la révocation des ministres, qu'il peut refuser à son gré de sanctionner les décrets, et qu'à cette prérogative est attachée la liberté publique et individuelle, enfin qu'il doit


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persévérer dans ces principes qui sont les leurs et pour lesquels ils sont prêts à verser leur sang ».

Affichée dans toutes les communes de la Haute-Marne, cette adresse provoqua les colères du parti révolutionnaire. La ville de Langres, en particulier, jalouse de celle de Chaumont que les électeurs avaient désignée récemment comme chef-lieu du département, et poussée par un zèle excessif qui ne se démentit point tant que dura la Révolution, dénonça à l'Assemblée législative cette adresse et ceux qui l'avaient signée, comme elle dénoncera plus tard à la Convention les trois corps administratifs siégeant à Chaumont (1).

Dans cette dénonciation, qui fut couverte de 320 signatures, elle reprochait entre autres choses au directoire de n'avoir pas envoyé aux communes toutes les lettres ou instructions de l'Assemblée souveraine, tandis qu'il avait répandu à profusion l'adresse du 24 juin ; elle lui reprochait encore d'avoir blâmé les mesures prises par la ville de Langres pour fournir aux volontaires les moyens de se rendre le plus rapidement possible au camp sous Paris. Bourbonne-les-Bains avait imité Langres et rédigé une accusation analogue.

Loin de s'effrayer de ce mouvement qui se prononçait contre lui, le directoire pressait l'Assemblée de supprimer la société des Jacobins de Paris, promettant de son côté de poursuivre la société populaire de Langres qui lui était affiliée (2).

Cependant, aucune suite n'avait été donnée à ces plaintes, pas plus aux dénonciations des Langrois et des Bourbonnais qu'à celles du directoire, quand on apprit en Haute-Marne les graves événements du 10 août: le massacre des Suisses, l'arrestation du Roi et la suspension de ses pouvoirs. Aussitôt les têtes s'échauffent au sud du département, et les plus ardents patriotes décident d'en venir à un coup de main, de s'emparer de Chaumont par surprise et au besoin par force, de traiter les membres du directoire comme les Parisiens viennent de traiter Louis XVI, par conséquent de les faire prisonniers, d'enlever les registres de leurs délibérations, ainsi que les dossiers des affaires à

(1) Arch. de Chaumont: Délib. du 12 novembre 1793.

(2) Voir l'arrêté du Comité de salut public du 18 août 1792. Archives de Chaumont : pièce imprimée.


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l'étude, dossiers qui ne leur seront rendus qu'à la condition expresse qu'ils se fixeront à Langres, où la Société populaire les surveillera de près.

On prépare donc l'expédition dans le plus grand secret. Rendez-vous est donné aux Jacobins de Bourbonne, de FaylBillot et des environs de Langres pour le 22 août. On doit partir de cette dernière ville la veille, à l'entrée de la nuit, arrêter à Humes tous les voyageurs qui se dirigeront du côté de Chaumont et arriver au chef-lieu du département à la première heure, afin d'en surprendre les habitants. Les choses se passèrent comme elles avaient été prévues et, à l'heure dite, la troupe, forte, d'environ 300 hommes, mais que l'on supposait beaucoup plus nombreuse, s'engagea prudemment sur la route du chef-lieu, soutenue par deux pièces de canon (1).

Il est rare qu'un secret, surtout lorsqu'il est confié à tant de personnes, soit bien gardé ; on en eut vite la preuve. Un chaumontais de passage à Langres, le citoyen Cormier, entendant parler du complot qui se trame, retourne en toute hâte dans son pays, mais prend soin d'éviter le poste installé à Humes ; il voyage toute la nuit et, à son arrivée, avertit le maire de ce qui va se passer. Laloy réfléchit un instant aux moyens de

(1) Si l'on en croit les délibérations du directoire du district de Langres et celles du Conseil général de cette ville, celte expédition se faisait en dehors et même contre le consentement formel de ces corps administratifs. On lit, en effet, dans les registres du district, à la date du 22 août au matin, que les grenadiers de Langres et du Fayl — ils étaient 40 de cette dernière localité — sont partis pour Chaumont « malgré les instances réitérées du Conseil de la commune contre cette démarche, qui pourrait avoir de funestes suites si les citoyens de Chaumont n'ont point été prévenus ». Une lettre de la municipalité de Langres, portée ce jour même au district, constate également « que le Conseil général de la commune a fait tous ses efforts pour empêcher les grenadiers de la garde nationale de se porter à Chaumont, que toutes ses représentations furent impuissantes, et que même les cartouches déposées à l'arsenal de la maison commune ont été enlevées malgré lui ». (Arch. de la Hte-Marne, L. 178, f. 41 et 42).


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mettre la ville à l'abri d'une attaque et, de concert avec les commandants de la garde nationale qu'il a convoqués, il décide que tous les citoyens seront immédiatement appelés sous les armes, et qu'en cas d'agression ils se défendront (1).

Laissons, du reste, Laloy nous raconter lui-même la suite de celte affaire. « Au signal donné, dit-il, on vit accourir de toutes les parties de la ville et de ses dehors un nombre infini de citoyens armés de toutes manières et se rassembler sur la grande place ». Un détachement de la compagnie des grenadiers s'étant avancé à la rencontre de la troupe langroise en dehors de la porte Saint Michel, lui demanda le motif de sa démarche. Les principaux chefs, surpris et hésitants, répondirent qu'ils avaient à parler à la municipalité de Chaumont, avec laquelle ils voulaient s'entendre pour une mesure importante. L'autorisation leur fut alors accordée d'entrer dans la ville que l'on savait prêle à les recevoir. Rendus sur la place publique, ils déclarèrent au maire que leur intention était de proposer au corps municipal d'effectuer, concurremment avec lui, la suspension du directoire du département. Aussitôt Laloy leur lut une proclamation du pouvoir exécutif qui venait de lui parvenir et qui prononçait cette suspension ; il ajouta qu'elle

(1) On lit dans les registres du district que, le 22 août, à 6 h. du matin, en entendant battre la générale, les gardes nationales se sont assemblées, et que les membres du Conseil se sont rendus au lieu de leurs séances. Un membre apprit à ses collègues que la cause du rassemblement de la garde était le bruit répandu en ville que plusieurs citoyens de Langres s'avançaient en armes et avec du canon dans la direction de Chaumont.

« A l'instant le concierge entre et déclare que plusieurs femmes sont dans la cour et demandent si les administrateurs sont réunis. Leur ayant répondu qu'ils étaient en séance, elles ont dit que les Langrois arrivaient en force sur Chaumont, que leurs maris, faisant partie de la garde nationale, étaient allés défendre la ville menacée et qu'il fallait que les administrateurs s'y rendissent aussi.

« Le Conseil déclare qu'il doit rester à son poste, qu'il va prévenir le Conseil du département et lui demander de l'instruire de ce qu'il faut faire. Le Conseil lui repondit que son attitude était correcte et qu'il allait agir de même. Le district arrête donc que, décidé à maintenir de tout son pouvoir la liberté et l'égalité, il restera à son poste et est résolu de plutôt mourir que de l'abandonner ». (Arch. de la Hte-Marne, L. 107, f. 44).


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était d'ailleurs transcrite sur le registre de l'administration, ayant été exécutée le matin même, selon les ordres reçus (1).

Que s'était-il donc passé? Le voici brièvement. Le pouvoir exécutif provisoire, établi à Paris après la journée du dix août, avait pris en considération les griefs articulés par les villes de Langres et de Bourbonne contre le directoire du département ; et, convaincu que ce dernier montrait « trop de condescendance — ce sont ses propres paroles — pour les prétentions despotiques de la cour » ; que, « devant son serment à la nation, à la loi et au Roi, il affectait de ne l'offrir qu'au Roi seul » ; que, « tandis qu'il jurait de répandre son sang pour le maintien de la prérogative royale, il ne disait pas un seul mot en faveur de la liberté du peuple... », il avait suspendu de leurs fonctions les membres qui le composaient, ainsi que le Procureur général syndic du département, et délégué, pour les remplacer, les membres du Conseil qui les suivaient dans l'ordre de l'élection.

Cette mesure prise le 18 août, avait été notifiée à Jean-Nicolas Laloy, maire de Chaumont, par une lettre du ministre de l'intérieur Roland, en date du lendemain 19. Ce dernier lui disait que « son civisme bien connu l'avait fait choisir pour l'exécuter » (2) et il lui donnait tout pouvoir à cet effet. Or, la lettre du ministre venait d'être remise au maire au moment où Cormier lui dénonçait le projet des Langrois. Devinant le motif de leur démarche, Laloy avait convoqué, à cinq heures et demie du matin, les membres du directoire pour les avertir de la suspension qui les frappait, puis il avait rédigé le procès-verbal de cette opération sur le registre même de leurs arrêtés. Voilà, comment il put dire aux chefs de la troupe langroise, quand ils se présentèrent : « Citoyens, vous êtes en retard, ce que vous venez faire est fait, et bien fait. Lisez plutôt ». Et il leur fut loisible de voir de leurs propres yeux que le maire leur disait la vérité.

Les Chaumontais s'aperçurent alors que la marche de nuit avait fatigué un bon nombre de ces soldats d'occasion ; aussi leur offrirent-ils gracieusement de se reposer chez eux, même de partager leur repas, ce que beaucoup acceptèrent. Venus en

(1) Arch. de Chaumont. Délib. du 23 août 1792.

(2) Voir cette pièce imprimée aux archives de Chaumont.


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ennemis, ils s'en retournèrent en amis, apaisés par la cordiale réception qui leur avait été l'aile, en sorte qu'on n'eut point à déplorer, en cette circonstance, la lutte fratricide qui était à craindre quelques heures auparavant (1).

Il n'en est pas moins vrai que l'arrivée imprévue de cette troupe armée, que l'on croyait plus nombreuse et plus forte, et qui passait à tort ou à raison pour se composer des pires révolutionnaires du département, avait jeté la panique dans la ville toute entière. Une lettre écrite le jour même et adressée par la belle-soeur du maire à son mari, P.-A. Laloy, à ce moment député à l'Assemblée législative, va nous en fournir la preuve. Que le lecteur nous permette donc d'en citer un passage. « Nous voilà encore quittes pour cette fois, dit-elle, de la peur que les Langrois ont voulu nous faire dans la nuit de mardi à mercredi. Un homme est venu avertir la municipalité qu'il arrivait 2.000 hommes, tant de Langres que des autres districts, et qu'ils avaient deux pièces de canon avec eux. Sur le champ, M. Laloy fit signifier au directoire la lettre qu'il avait reçue du ministre, et, à 4 heures, il ordonnait de battre la générale pour que les citoyens prissent les armes. Les membres de notre directoire ont demandé des passeports et se sont sauvés, ainsi

(l) Arch. de Chaumont : Délib. du 23 août 1792, et Jolibois : Histoire de Chaumont, p. 275. — La tradition ajoute que le soir venu, comme les Langrois ne se pressaient point de regagner leur pays, on leur fit entendre que la plaisanterie avait assez duré et que, s'ils ne se hâtaient de partir, la patience des Chaumontais pourrait bien se lasser, d'autant qu'ils étaient les plus nombreux et tous armés. Les Langrois le comprirent et se retirèrent lentement ; la plupart ne repartirent même que le lendemain matin. Il paraît que leurs concitoyens, apprenant le résultat de ce voyage, les accueillirent, à leur retour, par des quolibets, et que, longtemps après cette expédition fantaisiste, on disait encore de quelqu'un qui avait fait une sottise : il revient de la campagne de Chaumont ! (Société archéologique de Langres : Bulletin de décembre 4904, et Jolibois : Histoire de Chaumont, p. 276.


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que M. Cottenet, procureur syndic (1). Les Langrois, qui ne savaient pas la suspension, venaient réclamer six têtes, tant du département que du district ; enfin cela s'est terminé par les laisser entrer. Ils étaient cinq cents et, par conséquent, pas assez forts malgré leurs pièces de canon, pour en imposer à tous les citoyens armés.

« Tous les prêtres se sont cachés, et il y en a eu plusieurs qui ont fui par le Donjon ; on les a rattrappés et ramenés, entre autres l'abbé Henry (2). Heureusement qu'il ne leur est rien arrivé de fâcheux. Je t'assure qu'il était plaisant de voir tous nos aristocrates obligés de monter la garde ; aucun ne fut excepté. La ville est très tranquille aujourd'hui ; ils sont tous partis ce matin avec leurs canons ; c'était ce qu'on craignait le plus, car on n'est pas accoutumé dans ce pays à voir de telles armes (3).

« Ton frère a été bien fâché d'être chargé de la commission que le ministre lui a envoyée, parce qu'il trouve la suspension de la dernière injustice et déclare à qui veut l'entendre qu'il n'y a pas un fait qui ait pu mériter une pareille dénonciation...» (4).

Le ministre de l'intérieur, ayant appris la conduite de la garde nationale de Langres, la blâma énergiquement par sa lettre du 11 septembre, qu'il adressa au nouveau directoire,

(1) On lit, en effet, dans une lettre en date du 1er décembre 1792, que les anciens administrateurs « furent obligés de fuir à l'aspect d'un détachement de plus de trois cents hommes de la garde nationale de Langres qui, précédés de deux canons, s'était rendu à Chaumont pour leur faire quitter la place ». (Arch. nat. F. Fac III. Haute-Marne 7, citée par Mettrier dans sa Formation du département de la Hte-Marne, p. 174).

(2) Ce prêtre était originaire de Chaumont et chanoine de la Collégiale.

(3) La frayeur de la population chaumontaise fut telle que la garde nationale de Langres, avec cavalerie et canons, ayant eu l'occasion 15 jours après, c'est-à-dire le 7 septembre 1792, de traverser Chaumont pour se rendre aux armées, les habitants se plaignirent que le directoire leur eut permis de séjourner 24 heures dans leur ville et exigèrent son départ immédiat pour Vignory. (Archives de la Haute-Marne ; L. 14 à la date).

(4) Archives de la famille Laloy, à Massilly.


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l'invitant à en donner connaissance à cette troupe par l'inter médiaire de son district (1).

Cependant le danger que l'on avait couru, et auquel on n'avait échappé pour ainsi dire que par miracle, devait servir de leçon. Aussi, deux jours après, le 24 août, le maire réunit le Conseil et lui dit que « les circonstances des temps, l'incertitude des événements, et en particulier celui du 22 de la part des Langrois, devaient déterminer la population à se procurer des moyens de défense ; qu'il regardait comme une nécessité indispensable l'acquisition d'un certain nombre de canons ; que, quoique la ville n'eut point de fonds, il y avait pourtant un moyen facile d'en faire ; qu'il existait dans l'église paroissiale, et même les succursales, plusieurs vases en cuivre que les temps reculés y avaient placés pour sa décoration ; qu'il y avait, entre autres, dans l'église Saint-Jean, un ouvrage très volumineux qui formait les fonts baptismaux et qui, au rapport des ouvriers, pouvait donner un poids de cinq à six milliers de livres ; qu'il y avait aussi une aigle très massive dans le choeur, une lampe

(1) Le directoire du département lui répondit, le 28 septembre, qu'il venait d'envoyer copie de sa lettre au district de Langres, en le chargeant de la communiquer aux commandants de la garde nationale de cette ville. (Voir lettres des ministres au département et vice versâ, n° 640). A ce sujet, le même district écrit au département, le 6 octobre, que les officiers de l'état-major des bataillons « ont témoigné leur surprise des plaintes portées au Ministre pour des faits qui ont mérité à la garde nationale de Langres la reconnaissance la plus authentique de tous les bons citoyens. Ils nous ont dit que le décret de l'Assemblée nationale, qui a suspendu le directoire du département et qui est arrivé au même instant qu'eux, que le renouvellement des membres de l'administration du département et de celle du district, fait peu de jours après par l'assemblée électorale, ont suffisamment justifié leur démarche. Suivant eux, cette démarche a été nécessitée par le mécontentement et le voeu général ; elle a eu pour but uniquement de prévenir les effets terribles de la juste colère des citoyens trahis, dont la longue patience était à bout. Leur démarche a sauvé le département, comme la journée du 10 août a sauvé la France. Ils nous ont assuré, et nous ont prié de vous faire parvenir en leur nom l'assurance la plus certaine que la garde nationale de Langres sera toujours la plus soumise aux lois... Jusqu'à ce jour ils ont maintenu la tranquillité publique : pas une goutte de sang n'a coulé ; pas une goutte de sang ne coulera... » (Arch. de la Hte-Marne : L. 197 provisoire. Lettres du 6 octobre 1792).


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dans la nef, des chandeliers, plusieurs tables servant d'épita phes, toutes pièces de cuivre; que tous ces objets rassemblés formeraient une masse considérable dont la valeur s'élèverait à un prix très conséquent, et qu'il serait facile de les remplacer décemment et à peu de frais » (1).

Il proposa donc à l'assemblée de faire vendre toutes ces matières plus ou moins précieuses et d'employer le prix à l'achat de machines de guerre. Ayant admis sa manière de voir, le Conseil décida que cette vente aurait lieu prochainement et qu'avec son produit on ferait l'acquisition de plusieurs canons pour la défense de la cité. La ville s'en procura, en effet, par ce moyen quatre, qui ne lui servirent guère, à la vérité, qu'à manifester bruyamment son allégresse aux jours des fêtes civiques, et à former ses jeunes conscrits et ses gardes nationaux au maniement des pièces d'artillerie (2). Elle crut néanmoins qu'avec de telles armes elle n'aurait plus à craindre d'agression de la part de ses turbulents voisins, desquels elle n'essuya, du reste, à l'avenir, d'autre feu que celui de ses dénonciations.

§ V. — Exécution des lois contre le clergé et l'Eglise (1792-1795)

Laloy, maire de Chaumont (suite). — La municipalité est chargée de surveiller les prêtres à la maison de réclusion. — Elle les autorise à dire la messe et leur fournit des ornements. — Laloy est dénoncé à ce sujet. — Les reclus ouvrent une souscription pour armer les volontaires. — Laloy permet aux infirmes d'avoir avec eux un domestique. — Il est encore dénoncé pour ce motif.

— La fête du Grand-Pardon en 1792. — La Fête-Dieu en 1793.

— Conduite de Laloy, lors de la descente des cloches et de l'enlèvement des signes extérieurs du culte. — Il demande la libre disposition des églises de Chaumont. — Il résiste au district qui exige la livraison de leur mobilier. — Le représentant du peuple

peuple quoique jacobin, lui donne gain de cause. — Tous les meubles de Saint-Jean sont, par lui, sauvés de la destruction.

Le maire de Chaumont est un partisan déclaré des idées nouvelles : tout le monde le sait, et rien ne sera capable de l'en

(1) Arch. de Chaumont : Délibération du 24 août 1792.

(2) Arch. dé Chaumont : Délibérations des 25 déc. 1792, 1er, 12, 18 février et 11 mars 1793 et autres passim.


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détacher, ni les exagérations, ni les folies, ni même les crimes de ceux qui prétendent les incarner, mais, de son côté, la justice, la modération, la bonté régleront toujours ses actes. Examinons sa conduite dans l'application de la loi du 26 août 1792, qui prononçait la peine de la déportation à l'étranger ou de l'internement dans une maison de réclusion contre les ecclésiastiques insermentés.

Le 5 septembre, jour où le texte de cette loi lui est officiellement communiqué, le Conseil arrête que, le lendemain, des commissaires iront trouver dans leur domicile tous les prêtres résidant en ville et astreints au serment, et les avertiront qu'ils doivent quitter le département dans la huitaine et le royaume dans la quinzaine si, d'ici là, ils n'ont pas prêté le serment exigé d'eux, ou s'ils l'ont prêté avec restriction, ou enfin si, l'ayant déjà prêté, ils l'ont rétracté et persévèrent dans leur rétractation. Il désigne en même temps l'officier de santé qui sera chargé de constater les infirmités de ceux que ce décret-loi excepte de l'exil (1).

Il devait y avoir, pour recueillir ces derniers, une maison par district, mais l'administration comprit que cette maison serait difficile à trouver et coûteuse à entretenir, elle désigna donc provisoirement à cette fin, pour tout le département, d'abord le couvent des Capucins, puis, dix jours après, celui des Ursulines, la maison des Capucins étant reconnue insuffisante (2). C'est là, en effet, que se rendirent à partir du 2 octobre les ecclésiastiques infirmes, ou âgés de 60 ans et au-dessus. Responsable de leur surveillance, la municipalité la confie à des commissaires pris dans son sein, et ceux-ci s'en acquittent avec une telle délicatesse, un tact si parfait, que les reclus eux-mêmes la remercient par lettre « des égards qu'on leur marque et spécialement de la permission qui leur est accordée de dire la messe dans la chapelle ». Malheureusement pour nous, ajoutent-ils, cette chapelle n'a plus ni vases sacrés, ni ornements, en sorte que la permission devient par le fait illusoire. Laloy leur répond aussitôt (3) qu'il va demander pour eux au district tous les objets nécessaires à l'exercice du culte.

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 5 septembre 1792.

(2) Arch. de la Hte-Marne : L. Arrêté du départ, du 12 sept. 1792.

(3) Arch. de Chaumont : Délibération du 5 octobre 1792.


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A cette nouvelle, les exaltés — car il s'en trouve à Chaumont comme à Langres, quoique en nombre beaucoup moindre — essaient de soulever contre le maire les Amis de la constitution, société populaire qui travaille activement à la propagande des idées révolutionnaires ; mais celui-ci, fort de sa conscience, ne s'en préoccupe nullement. Il sait qu'il ne fait que suivre l'esprit du législateur et il accepte du conseil, avec trois de ses collègues, la mission de surveiller celte maison. Il était dans le vrai ; la preuve lui en fut bientôt donnée, puisque le 13 octobre il recevait du ministre de la police, comme tous les maires, l'ordre de ne pas agir avec une rigueur inutile envers ces hommes que l'administration départementale avait mis sous la protection des lois (1). Mais dans combien de villes agissait-on de la sorte ? Il n'est donc pas étonnant que des prêtres, originaires des départements voisins, soient venus se faire interner à Chaumont, pour être à l'abri des vexations et même des outrages dont on les abreuvait dans leur pays.

Le 12 janvier 1793, les reclus demandent à prêter le serment de liberté et d'égalité, ainsi qu'on Rappelait, imposé par la loi du 14 août 1792 et que la conscience ne condamnait pas, ce serment étant plus politique que religieux ; sans un certificat constatant que les reclus l'avaient prêté, ceux-ci ne pouvaient recevoir leur modique traitement. Aussitôt Laloy leur envoie des commissaires qui, en un seul jour, enregistrent 41 déclarations (2). Toujours reconnaissants de la bienveillance qu'on leur témoigne, ils ouvrent parmi eux une souscription qui recueille 132 livres, et qu'ils envoyent à la municipalité pour l'équipement des volontaires. En même temps, ils lui expriment le regret de ne pouvoir donner davantage, et l'assurent de leur entier dévouement à la patrie. Touché de cette offrande et de cette déclaration de la part d'hommes que les lois frappent si durement, le maire en fait part au conseil qui promet de ne pas oublier leur acte de civisme (3).

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 13 octobre 1792. (2) Arch. de Chaumont : Délib. du 13 janvier 1793. (3) Arch. de Chaumont : Délib. du 8 février 1793.


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En effet, il autorise les ecclésiastiques très infirmes ou très âgés à conserver près d'eux un domestique ou une femme de confiance, à la condition que ceux-ci resteront enfermés et ne communiqueront pas avec le public. Une si grande modération ne pouvait être longtemps supportée ; aussi, après avoir constaté, le 1er thermidor an II (19 juillet 1794), « la facilité accordée aux étrangers de communiquer avec les prêtres détenus », l'agent national près du district rend responsable de ce relâchement général le chef de la municipalité, dont les exemples sous ce rapport sont on ne peut plus pernicieux (1). Et comme Laloy, visé dans un arrêté de cette administration en date du 23 messidor (11 juillet 1794) (2), a protesté publiquement, au temple de l'Eternel, contre ces imputations calomnieuses en lui demandant de dire si elles sont fondées, « s'il est vrai que des particuliers sont allés à la maison des prêtres reclus pour s'y confesser et s'y laisser fanatiser » (3), l'agent du district lui en fait un reproche, comme s'il était défendu de se disculper d'une accusation fausse (4). Toutes ces récriminations sont incapables de l'émouvoir, et cependant on est en pleine terreur, à quelques jours seulement du 9 thermidor (27 juillet 1794), jour de la chute de Robespierre.

Du reste, il faut le reconnaître, la majorité du Conseil n'est point hostile à l'idée religieuse et aux pratiques chrétiennes, depuis si longtemps en usage dans la cité. C'est ainsi qu'en 1792, la solennité du Grand-Pardon eut lieu à Chaumont comme les années précédentes, et, avant de l'annoncer, ce fut Laloy qui, assisté du procureur fabricien, alla, selon la coutume, porter

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. 108 f° 111. Séance du district du 1er therm. an II.

(2) Arch. de la Haute-Marne : L. 108 f° 105. Arrêté du district du 23 messidor an II (11 juillet 1794).

(3 Arch. de Chaumont : Délib. du 29 messidor an II (17 juillet 1794).

(4) Arch. de Chaumont : Délib. des 3 et 4 thermidor an II (21 et 22 juillet 1794).


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la bulle qui l'institua à l'évêque du département pour lui demander l'autorisation de la publier.

Non point qu'il fut alors un paroissien bien fidèle à la pratique de ses devoirs religieux, car, s'il avait conservé pour eux les sentiments du plus profond respect et de la plus sincère estime, extérieurement il était tombé dans une regrettable indifférence ; de sa piété d'écolier et de séminariste, il ne lui restait plus guère que le souvenir. Aussi Mme Laloy écrivait-elle à son mari, à ce moment à Paris : « Ton frère est à Langres porter la bulle du pardon à l'évêque du département ; ce n'est pas qu'il y croie beaucoup, mais le peuple tient à cette fête ». Représentant, en sa qualité de maire de Chaumont, d'une population très fortement attachée aux fêtes plus de trois fois séculaires du pardon général, Laloy voulut faire lui-même toutes les démarches nécessaires pour lui procurer, sous ce rapport, toute satisfaction. Il était, du reste, bien aise de rendre à l'évêque Wandelaincourt lès visites qu'il en avait plusieurs fois reçues lors de la descente officielle de ce prélat à Chaumont. Il revint le jour même avec l'autorisation de publier la bulle et convoqua aussitôt le Conseil pour l'en prévenir.

La municipalité décida de tirer le jour de cette fête, selon l'ancien usage, un feu d'artifice et de dresser pour la procession les reposoirs habituels, même un de plus près de la croix des Capucins, et d'élever, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Hôtel de ville, celui qu'on avait l'habitude d'ériger sur son emplacement (1). En cette circonstance, le Bureau nomma les citoyens chargés de porter les cordons du dais (2), et invita à cette solennité les corps administratifs et judiciaires (3). Il assista, le soir du 10 juin, avec un piquet de la garde nationale, à la publication de la bulle, et commanda une escorte nombreuse, armée de fusils, piques et hallebardes, pour accompagner les deux processions de la Fête-Dieu, et une autre plus nombreuse encore chargée de suivre celle du grand pardon (4).

D'ailleurs à toutes les fêtes civiques, on ne manquait jamais

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 29 mai 1792.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 31 mai 1792.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 5 juin 1792.

(4) Arch. de Chaumont : Délib. des 7 et 12 juin 1792.


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de célébrer une messe ; les drapeaux militaires étaient toujours bénits par le clergé au pied des autels, et l'on célébrait, par piété sans doute, mais aussi pour entretenir le patriotisme, de fréquents services religieux à l'intention des fonctionnaires ou soldats morts pour la patrie (1).

Quand, au mois de septembre 1792, la ville eut enlevé à l'église de St-Michel son argenterie considérée comme inutile et dont le prix était destiné à l'approvisionnement du magasin des subsistances, elle remplaça aussitôt sa belle garniture d'autel, qui était d'argent massif, par des chandeliers de cuivre ; et, le 28 novembre suivant, au vu d'une lettre du curé Babouot exposant la pénurie de linges et d'ornements dont souffraient les églises de St-Jean et de ses succursales, ainsi que l'oratoire des prisonniers, le Conseil envoya, par l'intermédiaire du district et du département, une pétition au ministre pour lui demander une part du mobilier qui provenait des églises supprimées. Dans sa lettre, le curé déclarait que les vieux linges « étaient usés par suite de l'emploi multiplié qu'on en avait fait depuis que les prêtres insermentés s'étaient retirés dans la ville en très grand nombre, en attendant le moment de leur déportation ou de leur réunion » (2).

Le 9 décembre suivant, le maire reconnaît que l'église SaintMichel a besoin d'être mieux décorée ; en conséquence, il propose au Conseil d'acheter d'un particulier qui en a fait l'acquisition pour 330 livres, le bel autel en pierre des Ursulincs, oeuvre de Jean-Baptiste Bonchardon, pour le transporter dans cette église, et il le paie 390 livres (3). Mais le district ayant définitivement désigné, l'année suivante, le couvent de ces religieuses comme maison de réclusion pour les prêtres insermentés (4), et le département ayant approuvé cette disposition le 4 mai, cet autel ne fut pas démoli ; il resta en place pour l'usage de ces

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 5 et 22 fév. 1793, et autres passim.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 28 nov. 1792.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. des 9 et 10 décembre 1792.

(4) L'arrêté exceptait de la réclusion les prêtres insermentés qui se rendaient utiles à la société, soit près des administrations, soit en concourant avec leurs confrères à l'exercice du culte. (Arrêté du département du 22 avril 1793).


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prêtres. Le curé leur prêta même, « avec le consentement du maire de Chaumont », un calice et des ornements, en sorte qu'ils purent, dès lors, célébrer leur messe dans la chapelle de la communauté. Ce calice, pour le dire en passant, ne leur fut retiré que le 26 prairial an II (14 juin 1794), à la suite d'une réclamation du district (1).

Malgré l'effervescence des esprits et le nombre toujours croissant des hommes de désordre, la conduite de la municipalité fut, en 1793, à peu près la même que l'année précédente. En effet, le 26 mai, le Conseil décide qu'il assistera en corps à la procession de la Fête-Dieu, et il charge les citoyens Mugnerot et Deverdun de fournir au clergé tout ce qui lui sera nécessaire pour la dignité de cette cérémonie. Le 28, il requiert les commandants de la garde nationale d'envoyer 200 hommes à cette procession pour y maintenir l'ordre, en même temps qu'il autorise les autres citoyens à se réunir en armes aux lieux accoutumés, prêts à se porter là où il se produirait quelque tumulte (2). Il fait allumer, selon l'usage, un feu de joie devant l'église paroissiale la veille de la St-Jean, et à défaut de la fabrique qui ne peut plus en supporter les frais, il donne lui-même le bois qu'on y devra brûler (3).

Il fallut l'arrêté des Représentants du Peuple près de l'armée du Rhin, en date du 17 brumaire an II (7 novembre 1793), pour que ces manifestations extérieures fussent supprimées ; mais tant que cet arrêté ne sera pas promulgué dans les formes voulues, les cérémonies religieuses se feront comme par le passé (4). Laloy ne toléra aucun obstacle ni aucun trouble à l'exercice du culte, pas plus qu'il ne tolère la moindre entrave à la circulation des grains, et tout le monde se soumettra de gré ou de force à la main énergique qui gouverne la cité.

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. 108. Arrêté du 26 prairial an II (14 juin 1794).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 26 et 28 mai 1793.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 12 juin 1793.

(4) Arch. de Chaumont : Délib. du 8 germinal an II (28 mars 1894).

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Cette énergie apparaît surtout quand il s'agit de défendre, contre la profanation ou la destruction, des objets respectables ou utiles. Donnons quelques exemples.

Un décret de la Convention, en date du 23 juillet 1793, ayant ordonné qu'on ne laissât subsister qu'une cloche dans chaque commune, Laloy, qui voit ce décret de mauvais oeil, essaiera de gagner du temps afin de sauver tout ce qui pourra être sauvé. Il commence par demander au district l'autorisation de conserver les timbres de l'horloge paroissiale et la cloche qui sert à sonner les heures, ce qui lui est d'abord accordé (1), puis refusé (2). Il propose ensuite de remplacer le timbre de l'horloge communale par une cloche de St-Jean ou de St-Michel. On nomme à cette fin des commissaires ; l'affaire traîne en longueur, et quand, le 10 octobre, il apprend qu'un décret postérieur au premier, et en date du 3 août, déclare que la descente des cloches ne sera effectuée qu'au fur et à mesure des besoins, il en profite pour solliciter un répit et les laisser en place (3). Enfin, lorsqu'il est obligé de les descendre (4), il prend de telles dispositions dilatoires que, le courant des idées venant à changer, elles ne seront point livrées.

Si donc l'église de St-Jean a conservé sa belle sonnerie, tandis que les autres églises perdaient toutes leurs cloches, sauf une, c'est à Laloy qu'elle doit ce privilège (5).

Autre preuve de la fermeté du maire de Chaumont. En l'an II, pour obéir aux prescriptions des commissaires de la Convention, il doit faire enlever les signes extérieurs du culte ; il le fera parce qu'il est soumis aux lois de son pays, mais il exigera que toute profanation soit évitée. Pour cela, il ordonne que les deux Christs placés, l'un à la porte Si-Michel, l'autre à

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. 117 f° 95.

(2) Arch. de la Haute-Marne : L. 118 f° 6.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 10 octobre 1793.

(4) Arch. de Chaumont : Délib du 1er nivose an II (21 déc. 1793).

(5) Voir plus loin l'oraison funèbre de J.-N. Laloy.


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la salle des tribunaux, que les croix érigées sur le bord des chemins, soient vendus aux enchères ou portés à St-Jean, que les effigies extérieures des églises soient déposées dans la cour de la maison qui fait face au grand portail et est habitée par le citoyen Hébert, receveur du district. Son intention est de les mettre à l'abri de toute espèce d'injures ; aussi, quand il apprend qu'en violation de ses ordres, un Chaumontais de marque, GodinetGombert, les a défigurées en leur cassant le nez et les oreilles à coups de bâton, il veut absolument que ce scandale soit déféré aux tribunaux (1).

L'Administration a beau presser le maire d'enlever au plutôt ces statues (2), qui, selon lui, offensent les regards des contribuables se rendant chaque jour à la recette du district ; la Société populaire a beau insister pour qu'on leur coupe la tête, en exceptant toutefois celles qu'on pourrait regarder comme oeuvres d'art (3) ; les citoyens Mangot et Dalle, deux connaisseurs chargés d'en faire la visite, ont beau déclarer qu'elles sont sans mesures ni proportions, par conséquent sans valeur, Laloy répond qu'elles ne seront détruites qu'après la punition du coupable (4). Et de fait, malgré les sommations qui lui sont plusieurs fois signifiées par les autorités supérieures, il les conserva encore quatre mois et elles ne furent mises en vente que le 27 germinal an II (16 avril 1794) (5), sur un nouvel arrêté en date du 24 ventôse (14 mars 1794), qu'il laissa plus d'un mois sans exécution, et après que ces statues eurent été, par ses soins, rendues méconnaissables.

(1) Arch. de Chaumont : Délib. des 7, 11 et 24 frimaire an II (27 nov. 1793, 1er et 14 déc. 1793).

(2) Arch. de Chaumont. Délib. du 28 frimaire an II (18 décembre 1793).

(3) Arch. de Chaumont. Délib. du 29 frimaire an II (19 décembre 1793).

(4) Arch. de Chaumont. Délib. du 17 nivôse an II (6 janvier 1794).

(5) Arch. de Chaumont. Délib. du 27 germinal an II (16 avril 1794). Les blocs de pierre furent vendus à des ouvriers pour 24 livres. La dénonciation de Laloy contre Godinet-Gombert ayant été abandonnée par le juge de paix, le maire proteste, devant tout le Conseil, contre ce déni de justice et déclare qu'il va dénoncer le juge prévaricateur à l'accusateur, public. (Délib. du 26 germinal an II — 15 avril 1794).


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Plus lard, quand l'ordre lui fut donné de faire disparaître de l'église Saint-Jean, non plus les statues du dehors qui avaient été enlevées, mais celles qui se trouvaient à l'intérieur de cet édifice, afin de le mettre en état de temple, il chargea un de ses amis, le citoyen Dalle, peintre et professeur de dessin, de les examiner, et celui-ci, probablement d'après son conseil et pour lui être agréable, leur délivra à toutes sans exception un certificat d'oeuvre d'art, ce qui les fit porter au muséum du collège, où elles restèrent jusqu'à la fin de la tourmente révolutionnaire. Le jour où l'on permettra de les replacer dans le lieu saint, le même Dalle déclarera que, s'il les a ainsi baptisées, bien que la plupart fussent sans mérite, c'était pour les sauver de la destruction (1).

Dernier exemple de la prévoyance et de la ténacité de Laloy. Nous sommes au mois de germinal an II (mars 1794) ; les églises de tout le district viennent d'être fermées par arrêté de l'administration. Devinant bien ce qui va se passer, Laloy profite du premier décadi pour proposer aux citoyens réunis au temple de l'Eternel de demander à la Convention « la libre disposition des églises de St-Jean, de St-Michel et du couvent des Capucins, ainsi que du mobilier en bois, fer, linges et étoffes communes qui peuvent s'y trouver ». L'église St-Jean, dit-il, servira de temple à l'Eternel et de lieu de réunion pour les fêtes décadaires ou autres ; celle de St-Michel sera convertie en halle pour les marchés et en magasin à blé ; celle des Capucins abritera la Société populaire et un théâtre où l'on jouera des pièces républicaines et morales. Les bancs de ces divers locaux seront utilisés pour installer commodément les citoyens, soit dans le temple aux fêtes décadaires, soit aux séances du Conseil de la

(1) Ces statues ou tableaux préservés alors furent, d'après Dalle lui-même : saint Sébastien, sainte Anne, la Crèche, le non licet, la Conception, le Sauveur, l'Hérodias tenant la tète de saint Jean, le Christ peint, le Christ sculpté, deux Anges adorateurs, sainte Ursule, saint Augustin, saint Edme et saint-Jean, une Vierge et un Enfant Jésus. (Arch. de Chaumont. Délib. du 17 frimaire an VI — 7 décembre 1797.)


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commune et aux réunions de la Société populaire. Quant aux linges, on les emploiera au service des malades de l'hôpital ou aux décorations du théâtre; enfin le jeu d'orgue servira à accompagner la musique aux fêtes du décadi, et au besoin à la suppléer.

Cette pétition fut unanimement approuvée et signée par les administrations du département et du district, par les membres du Conseil général et de la Société populaire, et aussi par un grand nombre d'autres citoyens (1).

Plusieurs mois se passent sans qu'on ne reçoive de réponse. Dans l'intervalle, le district, pour obéir aux instructions qui lui ont été adressées, prescrit aux municipalités de lui faire parvenir, dans le plus bref délai, ou de vendre aux enchères, les meubles et ornements qui décoraient les églises. Cet arrêté est envoyé à Laloy comme à tous les autres maires, mais il n'en tient aucun compte. Le 5 thermidor an II (23 juillet 1794), le district insiste près de la municipalité de Chaumont et la presse vivement d'exécuter ses ordres dans la décade, c'est-à-dire de « faire enlever des églises St-Jean et St-Michel les tableaux, statues, enseignes religieuses, bancs et autres meubles qui pourraient encore exister dans ces édifices (2) ». Le 13 du même mois, (31 juillet 1794), le département convertit en arrêté ladite délibération ; il y introduit toutefois cette réserve que les bancs de St-Jean resteront dans cette église « jusqu'à ce que la Convention ait statué sur la pétition qui lui a été adressée à ce sujet » (3).

Le 28 thermidor suivant (15 août 1794), après de nouvelles instances du district, le département confirme son arrêté du 13 (4), mais Laloy fait toujours la sourde oreille. Le 4 fructidor (21 août 1794) le district revient à la charge et réclame, dans le délai de 3 jours, la livraison du susdit mobilier (5). Le Conseil,

(1) Arch. de Chaumont. Délib. du 6 fructidor an II (23 août 1794) où cette pétition est mentionnée.

(2) Archives de la Haute-Marne. L. 119, f° 14. Arrêté du 5 thermidor an II (23 juillet 1794).

(3) Archives de la Haute-Marne. L. Arrêté du 13 thermidor an II

— 3 juillet 1794.

(4) Archives de la Haute-Marne. L. Arrêté du 28 thermidor an II

— 15 août 1794.

(5) Archives de la Haute-Marne. L. Arrête du 4 fructidor an II — 21 août 1794.


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énervé de ces réclamations répétées, répond, par sa délibération du 6 (23 août 1794), qu'il livrera ce qu'on lui demande, à l'exception toutefois des meubles qui ont fait l'objet d'une pétition à la Convention, les comités auxquels cette pétition a été renvoyée n'ayant pas encore répondu (1). Or, nous savons que tous les meubles — ou à peu près — des deux principales églises de Chaumont étaient mentionnés dans cette pièce.

Pour gagner du temps, le maire engage alors une longue correspondance avec le district ; il veut avoir des détails précis et discuter la légalité des ordres qui lui ont été transmis. Il demande notamment si le district a l'intention d'enlever la grille du choeur et l'orgue, et il lui fait remarquer que la loi du 13 brumaire (3 novembre 1793) parle bien des églises cathédrales et succursales, mais ne dit pas un mot des églises paroissiales. Il lui rappelle, en outre, que la commune a offert en don patriotique tout le mobilier, les matières d'or et d'argent, les cloches, cuivres, galons, plombs et fers des succursales de St-Michel, de St-Aignan, de N.-D. de Lorrette, de l'Hôpital, de St-Roch, de la chapelle des prisons, et même plusieurs meubles de l'église St-Jean, qui cependant est paroisse ; que les tableaux, statues et autres ornements de ce. genre, dont plusieurs ont été achetés par la commune dans des ventes publiques, sont transportés au muséum ou sur le point de l'être, que les bancs de St-Michel sont sous la tour, dont l'administration a les clefs, et qu'on ne peut disposer du reste, puisqu'il a été demandé à la Convention (2).

Les choses en étaient là quand il apprit, le 11 du même mois (28 août 1794), la prochaine arrivée à Chaumont du Représentant Besson (3). Il retarde aussitôt l'exécution de sa promesse espérant

(4) Archives de Chaumont. Délib. du 6 fructidor an II — 23 août 1794.

(1) Archives do Chaumont. Délib. du 6 fructidor an II —23 août 1794.

(2) Archives de Chaumont. Délib. du 11 fruclidor an II — 28 août 1794.


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obtenir de ce commissaire un sursis qui, en effet, lui fut accordé verbalement, en présence de l'agent national du district. Au bout d'un mois, l'Administration, qui vient d'intenter des poursuites contre quatre municipalités n'ayant pas encore livré le mobilier de leur église, se plaint amèrement de l'obstination de celle de Chaumont, du mauvais exemple qu'elle donne à ses voisines, et décide de la frapper comme les autres ; mais l'agent national s'y oppose, en certifiant avoir entendu lui-même et de ses oreilles, Besson accorder à Laloy tout ce qu'il lui avait demandé. Ne pouvant croire à la parole de son agent, elle le charge d'écrire à ce Représentant pour lui réclamer la communication de l'arrêté qui suspend l'exécution des mesures prises par le département. Laloy, à qui tout cela est rapporté, sourit de ces menaces et, quelques mois après, le 10 pluviôse an III (29 janvier 1795), comme si l'on eut été aux beaux temps de l'Eglise, il faisait lessiver les linges de St-Jean, qui, disait-on, se détérioraient faute de soins (1).

En effet, les mauvais jours étaient passés. Après la chute de Robespierre et la mort des terroristes, on croyait fermement à une détente qui paraissait inévitable. Cette espérance ne fut pas déçue, car un changement considérable va s'opérer bientôt dans la situation de la France. En moins de quatre mois, les idées modérées reprennent le dessus. Dès les premiers jours de brumaire an III (octobre et novembre 1794), « on parle de la prochaine ouverture des maisons de réclusion où sont enfermés les prêtres insermentés, du retour de ceux qui ont été déportés ; on voit dans les boutiques des marchands quantité d'ornements d'église et autres effets propres au culte, que les gens de là campagne achètent pour décorer leurs églises pillées les années précédentes ; on fait des pétitions à la Convention pour le rappel des ecclésiastiques et, dans plusieurs paroisses du district, les habitants privés de curé en remplissent partiellement les fonc(1)

fonc(1) de Chaumont. Délib. du 10 pluviôse an II — 29 janvier 1795.


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tions, chantant les dimanches et jour de fête matines, messe et vêpres avec un grand courage » (1).

Sans doute ce changement n'arrivera pas aussi vite que le croyait et sans doute le désirait l'auteur de la lettre que nous venons de reproduire, mais en prédisant la réouverture des églises et la sortie de prison d'un grand nombre de prêtres, il ne se trompait pas. En effet, le décret du 11 prairial an III (30 mai 1795) proclamera la liberté des cultes, et l'église St-Jean, fermée aux fidèles le 9 germinal an II (29 mars 1794), au milieu du carême, se rouvrira pour eux le 16 prairial an III (4 juin 1795) (2).

En rentrant dans ce temple profané depuis quinze mois par les démonstrations plus ou moins païennes des fêtes civiques et décadaires, les Chaumontais n'auront pas à se préoccuper de sa décoration. Il n'a perdu : ni son autel, ni sa grille du choeur, ni sa chaire, ni son banc d'oeuvre dus, l'un et l'autre, au ciseau de Bouchardon, ni ses orgues, ni ses cloches, ni ses bancs, ni ses linges, ni même ses ornements, auxquels on s'est contenté d'enlever leurs galons d'or et d'argent. Or, la conservation de tous ces meubles est l'oeuvre de Laloy : c'est sa sagesse, sa prévoyance, sa temporisation, son énergie qui ont sauvé ce mobilier de la destruction qui l'attendait.

Seuls les tableaux et les statues font défaut, mais nous savons que tous ont trouvé un refuge assuré au muséum du collège, et que, quand les fêtes décadaires cesseront d'être célébrées dans le même édifice que les fêtes religieuses, c'est-à-dire en l'an VI (1798), ils viendront reprendre la place qu'ils occupaient jadis et que la plupart occupent encore aujourd'hui. Ces statues, ces peintures, nous l'avons dit plus haut (3), avaient été, elles aussi, soustraites à la profanation et à la destruction par les ordres de Laloy.

(1) Archives de Chaumont. Voir la délibération du 21 brumaire an III (11 novembre 1794) qui renferme la copie de cette lettre écrite par un habitant de Châteauvillain, appelé Hastier-Bordet, à un prêtre du nom de Renaut, détenu à Chaumont, pour le renseigner sur ce qu'il a vu les jours précédents, en revenant d'Auxerre, et sur ce qui se passe dans le voisinage de son pays.

(2) Archives do Chaumont. Délib. des 9 germinal an II et 16 prairial an III (29 mars 1794 et 4 juin 1795).

(3) Voir page 84.


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§ VI. — Exécution de la loi des suspects (1193)

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Rédaction de la liste des suspects. — Comment Laloy procède à leur désarmement. — Le département annule les Certificats de civisme donnés par le Conseil. — Les suspects obligés de se présenter chaque jour à la mairie. — Laloy reçoit l'ordre de les arrêter. — Sa réponse, — Scrutins qu'il institue. — Il est blâmé par les deux directoires qui rédigent eux-mêmes d'autres listes. — Protestation du Conseil. — Arrêtés des administrations supérieures. — Réception de la Constitution. — Réponse du Conseil aux arrêtés précédents. — Sommation de les exécuter. — Laloy refuse ; il est dénoncé au Comité de salut public. - Réponse de Laloy à cette dénonciation. — La Convention charge un de ses membres de juger le différend. — Le représentant Rhul rétablit la paix. — La liste des suspects est supprimée.

Arrivons enfin aux lois si oppressives de la liberté individuelle qui, en 1793, instituèrent et rendirent obligatoires les certificats de civisme et celles qui prescrivirent de dresser des listes de suspects, et voyons de quelle manière le maire de Chaumont sut les appliquer. Ici, comme partout ailleurs, plus même qu'ailleurs, il se distingua par sa modération et sa fermeté.

Le 24 février 1793, la municipalité déclare que, des certificats de civisme étant devenus nécessaires à certaines classes de citoyens, elle en accordera à tous ceux qui en seront dignes, ajoutant que, si elle les refuse, elle motivera son refus, bien qu'à s'en rapporter au texte de la loi, elle pourrait ne pas le faire. Elle veut que chacun sache ce qui lui est reproché et, par conséquent, puisse se défendre ou s'amender (1). Rien de plus juste, dira-t-on ; le district n'est pourtant pas de cet avis, puisqu'il annule, le lendemain, cette résolution qui lui paraît trop libérale.

Le 18 mars suivant, elle reconnaît que, pour obéir aux ordres qui lui ont été envoyés, elle doit former une liste des personnes suspectes soumises au désarmement. Mais comment va-t-elle procéder ? Deux jours après, elle rédige une première liste au scrutin secret, sans cependant l'arrêter définitivement. Le lendemain

(1) Arch. de Chaumont. Délib. du 24 février 1793.


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elle revient sur la liste ébauchée la veille. « Il ne faut rien exagérer, dit Laloy, la liste est trop longue ; désarmer tant de inonde produirait en ville un effet déplorable. Il faut recourir à un nouveau scrutin, qui sera individuel et portera sur tous les noms déjà inscrits, ce qui est accepté ».

A la suite de ce scrutin, il ne resta plus sur la liste des pères, mères, femmes et enfants d'émigrés, que 6 personnes ; sur celle des étrangers retirés en ville depuis le 10 août, 14; sur celle des citoyens jugés suspects d'après leur propre conduite, 21 (1). Le 23, deux noms sont déjà rayés de cette dernière liste (2). Le 24, le Conseil nomme les commissions qui auront mission de visiter les suspects et de leur enlever leurs armes. Pour éviter tout éclat, ces commissaires se présenteront seuls et sans escouade, mais, pendant celle opération, on installera au poste une garde suffisante, afin de pouvoir l'appeler en cas de besoin (3).

(1) Arch. de Chaumont. Délib. des 18, 20 et 21 mars 1793.

(2) Arch. de Chaumont. Délib. du 23 mars 1793. — Ces noms sont ceux du citoyen Cottenet, homme de loi, ancien procureur syndic dû district, et du citoyen Forgeot.

(3) Les maisons à visiter étaient : celle du cit. Gombert, laboureur, où demeurait le cit. Liénard ; celle des soeurs Lavallée-Pimodan et de la citoyenne Bézot, au faubourg Notre-Dame ; du cit. Frossard, tailleur, où résidait le citoyen Plesse, ex-génovéfain ; des cit. Thomas et Percheron, hommes de loi, où demeurait le cit. Royer-Fontenay ; des cit. Henry-Arnould Royer, François Démery, des veuves Montangon et Adam Rambécourt ; du cit. Bonneau, pour lui-même et pour les cit. Herbaut père et fils, qui résidaient chez lui ; du cit. Armand, marchand, où demeurait le cit. Gauchier, sa femme et sa fille ; du cit. Pérard, huissier, et Simon, bourrelier, au faubourg St-Michel ; du cit. Péchinet, au faubourg St-Jean, et de Charles Lemayeur ; des cit. Abreveux père, et Jean Driou, marchand, où était logé le métayer du Hourmelin ; du cit. Gombert, prêtre ; du cit. Bocquenet, homme de loi, pour lui et pour le cit. Besancenet, qui y résidait ; des cit. Labbe-Briocourt, Denis-Lafortelle et Pierre Laurent, huissier, pour la femme Bichet, qui y demeurait ; du cit. Girardon père, perruquier ; de Marie Graillet, pour les cit. Chevassu, Collot, Pinelle et la veuve Lallement, qui y résidaient ; du cit. Arsène, prêtre, et Baussancourt, rue Neuve ; enfin du cit. Cayel, où demeurait le cit. Piétrequin. (Archives de Chaumont. Délib. du 24 mars 1793.


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Tout se passa sans le moindre trouble : les armes étaient en évidence ; elles furent livrées sans difficulté, et les perquisitions qu'on opéra dans la suite n'en firent point découvrir d'autres (1).

Le 3 avril, le Conseil reçoit du district, en même temps qu'un décret de la Convention en date du 27 mars, l'ordre de désarmer, le jour même, les personnes déclarées suspectes par ce décret, c'est-à-dire les ci-devant seigneurs ou nobles n'ayant aucun emploi dans la République, et les prêtres autres que les évêques, curés et vicaires, ainsi que leurs agents et domestiques. Aussitôt l'assemblée « considérant que ce désarmement, pour obtenir plein effet, exige les plus grandes précautions », va se concerter avec le district, et ces deux administrations dressent d'un commun accord la liste, tant des personnes visées par le décret que d'autres reconnues suspectes et désignées comme telles à la majorité des voix. Rentrée en séance, elle charge dix commissions, composées chacune de deux membres, de visiter, avec une escouade de quatre gardes nationaux, les maisons suspectes de leur quartier ; et, pour éviter toute interprétation malveillante, elle envoie son secrétaire lire, aux lieux ordinaires des annonces, le texte même de la loi qui prescrit ce désarmement (2).

Cependant, le directoire du département trouve que le maire n'agit pas avec assez de rigueur ; aussi annule-t-il, le 21 de ce mois, tous les certificats de civisme donnés jusqu'à ce jour, par le Conseil, aux fonctionnaires publics, sous prétexte que ces certi-, ficats ont été délivrés trop facilement, et il en exige de nouveaux avant le 20 juin. Le 22, il arrête que tous les suspects seront consignés dans leur municipalité ; qu'ils devront comparaître à la mairie 2 fois par jour, à 10 heures du matin et 7 heures du soir, sous peine d'être incarcérés ; qu'ils ne pourront sortir du territoire de la localité à laquelle ils appartiennent, sans une permission écrite du Conseil, permission qui ne servira qu'une fois et ne sera valable que pour 8 jours au plus ; enfin que leurs noms resteront affichés à la porte de la maison commune (3).

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 24 mars 1793.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 3 avril 1793.

(3) Arch.de la Hte-Marne : Arrêtés des 21 et 22 avril 1793.L.19,f°92.


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Le nombre des personnes qui, en exécution de cet arrêté, se présentèrent à la mairie le 28 au soir, fut si grand que leur affluence empêcha toute délibération (1). Le maire envoya aussitôt des remontrances à ce sujet au département (2) qui autorisa les suspects à ne venir à la mairie qu'une fois le jour, à 10 heures du matin, et lui permit de dispenser les femmes de celte pénible et humiliante corvée (3). Pendant ce temps le Conseil, usant de son droit, accordait sans difficulté, à tous ceux qui les demandaient, des permis d'absence pour 8 jours (4).

Bientôt un grand nombre de suspects sollicitent et obtiennent de lui la radiation de leurs noms ; de son côté, il donne un certificat de civisme à presque tous les pétitionnaires (5). Cette

(1) Arch. de Chaumont : Délib du 28 avril 1793.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 30 avril 1793.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 2 mai 1793.

(4) Arch. de Chaumont : Délib. des 29 avril et jours suivants. C'est ainsi qu'il permet au citoyen Denys de se rendre au Val des Ecoliers, dont celui-ci vient de faire l'acquisition ; à Edme Forgeot, d'aller à Meures où il possède des fermes ; à Charles Lemayeur, de se rendre à Essey où il a une maison de campagne ; à Hercule Desmassues d'aller à Langres, son pays ; à Nicolas Graillet de se rendre à Buxières-les-Villiers pour visiter ses propriétés ; au citoyen Dumont d'aller à Rouvroy, à Hubert Denys à Cerizières, au citoyen Bocquenet à Maizières, Bourbonne et Coiffy où leurs intérêts les appellent; au citoyen Percheron de se rendre à Chamarandes où il possède une exploitation, au citoyen Lamirault au Corgebin, à l'avoué Nicolas Petit à Sexfontaine, à Ambroise Maré de se rendre à Euffigniex, au citoyen Royer à Lamothe, à Laurent Madelaine au Val pour donner des leçons au fils du citoyen Denys ; à la citoyenne Rostaing, ex chanoinesse de Poulangy, de se rendre dans ce village, etc.

(5) C'est ainsi que le Conseil raie de la liste des suspects les noms de Nicolas Petit et du citoyen Petitot, le 18 mai ; de Pierre Madelaine et de J.-B. Percheron, le 19 ; des citoyens Pitosel, Guény, Chappon et Cottenet, le 20 ; des citoyens Josset, pâtissier, Royer, aubergiste, Villeminot, huissier, et J.-B. Simon, dit Massemont, le 21 ; de Jean Gallon, ci-devant instituteur au collège, de Nicolas Perrard, huissier, des trois frères Péchinet, jardiniers, de Joseph Courtier, de J.-B. Guidot, le 22 ; de Jacques Adam, dit Lévigny, et


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conduite, inspirée par un esprit de conciliation et de paix, irrite souverainement l'administration départementale, qui somme la municipalité d'arrêter, en vertu de la loi du 2 juin, toutes les. personnes notoirement suspectes d'aristocratie et d'incivisme, à peine de demeurer responsable des désordres qui pourraient éclater (1). C'est alors que le maire, Laloy, se sentant particulièrement visé, crut devoir répondre à celte administration par les beaux considérants qui suivent et que nous ne ferons qu'analyser pour ne pas être trop long, mais dont nous aurons soin de conserver toutes les pensées et même les principales expressions.

« Considérant que cette loi a été rendue à l'occasion des troubles survenus dans le département de la Lozère, et qu'elle doit être appliquée avec sagesse dans une ville qui a conservé le calme et la tranquillité, au milieu de tous les orages de la Révolution ; que sous un gouvernement républicain, le vrai, le seul moyen de conserver la liberté publique est de respecter la liberté individuelle aussi longtemps qu'elle ne devient pas dangereuse à la société, et que la persuasion a toujours été plus forte, pour enchaîner les citoyens à l'ordre public, que les mesures qui ne font consister la confiance que dans les moyens de contrainte et de terreur.. . ;

« Considérant que ceux-là seuls peuvent être regardés comme notoirement suspects d'aristocratie et d'incivisme, qui ont manifesté le désir de ramener le peuple français sous le joug de la tyrannie ou de la puissance sacerdotale et féodale, soit par une émigration antérieure à la loi du 9 février 1792, soit par des correspondances entretenues avec les émigrés et nos ennemis extérieurs, soit en excitant les citoyens à l'insurrection par leurs écrits ou par leurs discours ;

« Considérant que, dans le nombre de ceux qui sont inscrits sur la liste des gens suspects, il se trouve des hommes qui y ont été placés d'après une simple présomption résultant de leur ci-devant qualité de noble ou seigneur ; que l'on peut en distinguer d'autres qui, entraînés par les préjugés de l'éducation ou

d'Edme Forgeot, le 23 ; de J.-B. Bouchez, le 25 ; de Louis Thomassin, le 5 juin ; de J.-B. Delaporte, le 7 ; du citoyen Graillet, le 8 ; de la citoyenne Messey, ex chanoinesse de Poulangy, le 9 ; du citoyen Madelaine, père, le 11 ; etc. (1) Arch. de Chaumont : Délibération du 14 juin 1793.


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de l'habitude, n'ont pas eu la force de remonter le torrent pour prendre une position nouvelle ; d'autres encore qui, n'ayant que leur intérêt personnel pour guide, ont conçu de vaines alarmes sur leurs propriétés ; qu'il en est, enfin, dont la débile existence manifeste assez leur impuissance de nuire, et qui doivent être plutôt protégés contre la faulx hâtive et tranchante du temps ; que l'ensemble, l'harmonie et la concorde qui régnent parmi les bons citoyens de celte ville, sont un sûr garant de la tranquillité publique. .. ;

« Le Conseil a unanimement arrêté que, pour donner toute la latitude nécessaire à ceux des membres qui peuvent avoir conçu des inquiétudes sur les principes et la conduite de quelques habitans de celle ville, soit qu'ils soient inscrits sur la liste des gens suspects, soit qu'ils en aient été retirés depuis la formation de cette liste, il sera fait un premier scrutin indicatif, et que ceux-là seuls seront assujettis à l'arrestation, qui auront réuni la pluralité absolue des suffrages contre eux dans un second scrutin individuel, qui sera fait sur chacun des noms portés sur les listes indicatives ».

Le résultat de cette manière de procéder fut qu'un seul citoyen (1), désigné au second scrutin par la majorité absolue du Conseil, fut déclaré en état d'arrestation, et requis de se rendre, sous 24 heures, dans la maison de détention des prêtres insermentés, s'il ne voulait pas y être conduit par la gendarmerie. Le Conseil envoya ensuite sa délibération aux corps administratifs pour être soumise à leur approbation, ajoutant qu'il assumait formellement la responsabilité de tous les troubles qui pourraient survenir dans la cité (2).

Loin d'approuver cette délibération qui semble pourtant impeccable, le directoire du département la blâma énergiquement et appela à lui le directoire du district pour délibérer à ce sujet. Dans des séances secrètes qui se tinrent deux ou trois jours de suite, ces deux administrations dressèrent, en dehors

(1) Charles Lemayeur, ancien lieutenant de gendarmerie.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 14 juin 1793.


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de la municipalité, une liste de suspects renfermant trois colonnes, dont la première contenait les noms de 6 individus qui devaient être emprisonnés immédiatement, la seconde ceux de 14 personnes qui étaient mises en arrestation chez elles, enfin la troisième ceux de 35 à ajouter à la liste formée d'un commun accord par la municipalité et le district, en vertu de la loi du 26 mars, et qui devaient se présenter à la mairie chaque jour, à 10 heures. Elles prirent ensuite un arrêté en 9 articles, daté des 24 et 26 juin, indiquant la manière d'exécuter leurs ordres. Ces listes, du reste, ne furent portées sur aucun registre : on se contenta d'en envoyer une copie à la municipalité (1).

Dans sa réponse, qui est du 1er juillet, le Conseil de la commune revient sur sa délibération du 14 juin qui, dit-il, « concilie les précautions que demande le salut de la chose publique avec le respect dû à la liberté individuelle », et déclare qu'il « la maintient, puisqu'il n'est arrivé à la connaissance d'aucun de ses membres que les habitans de cette commune aient entretenu des correspondances avec les ennemis du dehors ou du dedans » ; il ajoute encore une fois que l'assemblée municipale « prend sous sa responsabilité les désordres qui pourraient résulter de sa négligence dans cette importante circonstance » (2).

A cette nouvelle délibération, le district et le département répliquèrent par deux arrêtés, en date des 11 et 12 juillet, portant de 51, total des noms inscrits sur la liste du Conseil, à 81 le nombre des personnes qui devaient figurer dans la troisième colonne de cette liste, par conséquent être désarmées, si elles ne l'étaient déjà, consignées dans l'intérieur de la commune dont elles ne pourraient sortir sans l'autorisation du Conseil, privées du droit de voter à l'élection du surlendemain, 14 juillet, et obligées de se présenter chaque jour, à 10 heures, à la municipalité (3).

Cette liste fut annexée en plusieurs exemplaires à l'arrêté du département, afin qu'une copie en restât plusieurs jours affichée à la porte de la maison commune. Elle ne figure pas dans le

(1) Archives de la famille Laloy : Lettre de J.-N. Laloy au ministre de l'Intérieur.

(2) Arch. de Chaumont: Délib. du 1er juillet 1793.

(3) Arch. de la Haute-Marne : L. 127, f° 160.


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registre des arrêtés, mais on sait qu'elle renfermait des noms rayés par le Conseil, et d'autres sur lesquels, au dire de ce dernier, ne planait aucun soupçon (1).

Les choses en étaient là, quand tout échange de correspondances entre les administrations fut un instant suspendu ; c'est que la fête nationale du 14 juillet approchait, et qu'il s'agissait de la célébrer cette année avec un éclat tout particulier. Les circonstances étaient, en effet, solennelles. La constitution, que la nation attendait depuis si longtemps et avec tant d'impatience, venait enfin d'arriver le 10 à Chaumont, et le peuple assemblé dans ses deux sections était appelé à dire, le 14 au matin, s'il l'acceptait ou non. Or, le vote en sa faveur fut unanime. La joie rayonnait donc sur tous les visages et l'on ne savait de quelle manière la manifester dignement.

Un immense cortège où tous les rangs de la société, tous les sexes, tous les âges étaient confondus, se déroula dans les rues de la ville au son du canon et des tambours, aux accents de la musique et aux crix mille fois répétés de : « Vive la Convention ! Vive la République ! » entourant les autorités constituées, et le maire qui portait sur sa poitrine l'acte constitutionnel. Après s'être arrêté à toutes les portes de la ville pour en entendre la lecture, ce cortège revint sur la place publique où un prêtre, membre de la société populaire, offrit à l'Eternel l'hommage de la reconnaissance de tous, en célébrant la messe sur un tambour, au pied de l'arbre de la Liberté.

La journée se termina par un banquet public dressé sur le Champ de Mars, banquet qui fut suivi d'une illumination générale, de danses et de concerts organisés dans tous les quartiers et qui durèrent la plus grande partie de la nuit.

Le lendemain, quand les derniers lampions furent éteints, quand un morne silence eut succédé aux bruyantes acclamations de la veille, le Conseil résolut d'envoyer à la Convention, en même temps que le district et le département, une adresse

(1) Archives de la famille Laloy : Lettre de J.-N. Laloy au ministre de l'Intérieur ; et Arch. de Chaumont : Délib. du 18 juillet 1793.


Sépulcre de N.-S. Jésus-Christ à St-Jean

Il a été fait en 1479 par Marguerite de Baudricourt, en souvenir de Geoffroy de St-Belin, son mari, tué en 1465 à la bataille do Montlhéry. Ce sépulcre, qui était fermé, a été respecté pendant la Révolution, mais la belle chapelle oui lui servait d'entrée fut entièrement dévastée.

Planche VI.

(Voir p. 116)



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contenant le récit de tout ce qui s'était passé la veille. La rédaction de cette adresse fut confiée à Laloy, qui en donna, lecture à la séance du 16, et la transmit à l'assemblée ; elle avait été signée par les 18 membres présents (1).

Le Conseil s'occupa ensuite dudésaccord survenu entre l'administration de la commune et celles du département et du district. Après avoir pris une connaissance plus approfondie des arrêtés des 11 et 12 juillet, il pria ces deux directoires de les retirer, en considérant que « si l'une des plus importantes fonctions de la municipalité est de combattre et d'étouffer, dès leur naissance, les entreprises des aristocrates et des ennemis de la Révolution.., il est aussi du devoir des magistrats du peuple de veiller à ce qu'il ne soit porté aucune atteinte à la liberté sans une nécessité évidente » (2).

Ces paroles renfermant un refus d'obéir à peine déguisé, la guerre entre les corps constitués devenait inévitable et prochaine : aussi bien elle ne tarda pas à éclater. Le surlendemain, le district et le département répondent au maire que « sur la pétition du Conseil, il n'y a pas lieu à délibérer, et que celui-ci doit exécuter dans les 24 heures, sous peine de destitution de ses membres, les susdits arrêtés, c'est-à-dire procéder au désarmement des personnes suspectes auxquelles il a rendu leurs armes, et de celles qui, n'ayant pas encore été désarmées, sont inscrites sur la liste du 11 juillet (3). Toutefois, le département ne prononça pas le mot de destitution, qui ne figure que dans l'arrêté du district.

Le Conseil ne se regarda point comme battu. A l'unanimité moins deux membres qui, ne voulant prendre part à une délibération « qui paraissait avoir pour but l'inexécution d'un arrêté des administrations supérieures » se retirèrent, il protesta qu'en adoptant les propositions du maire, il avait fait tout ce qui était

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 16 juillet 1793.

(2) Arch. de Chaumont: Délib. du 18 juillet 1793.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 25 juillet 1793.


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en son pouvoir pour maintenir à Chaumont l'ordre et la paix, et dit en terminant que, « si les corps administratifs, ne comptant pour rien sa garantie et sa responsabilité, ses connaissances locales, l'expérience du passé, l'état actuel de la cité, jugeaient, malgré tant de précautions prises, que le Conseil de la commune fut en défaut, la loi du 26 mars leur laissait la faculté de faire procéder eux-mêmes au désarmement des personnes suspectes » (1).

Cette déclaration, envoyée au district pour être transmise au déparlement, ne lui était pas encore parvenue que le Président du directoire, qui venait de recevoir de la société populaire « injonction de faire exécuter dans le jour par le Conseil, sous peine de destitution, les arrêtés relatifs aux suspects », fit venir le maire à son bureau — les deux administrations tenaient leurs séances dans le même immeuble — le 30 juillet, à 8 heures du soir, pour lui demander si l'arrêté du 25 était exécuté. Celui-ci lui ayant fait observer que la réponse à cette question se trouvait dans une délibération prise la veille et qui, en ce moment au district, lui arriverait certainement le lendemain, il l'interrompit brusquement et lui ordonna de répondre à sa question, non point par une délibération, mais par oui ou par non, ce que Laloy refusa de faire, le mot exécuter ayant dans le cas présent deux significations. Le Président ajouta encore que, si le lendemain l'arrêté susdit n'était pas appliqué intégralement, la suspension du maire aurait lieu de droit et le jour même, ainsi que celle de tous les membres du Conseil qui auraient pris part à cette délibération. Le maire prenait la parole pour donner de plus amples explications, quand le Président, qui voulait éviter toute discussion à ce sujet, leva la séance (2).

Cependant, la suspension ne fut point prononcée, mais, devant le refus d'agir formulé par Laloy, deux administrateurs, l'un du département, l'autre du district, se présentèrent le 2 août à la mairie, en disant qu'ils avaient été nommés pour procéder, avec deux membres du Conseil, au désarmement des personnes suspectes. Le maire chargea deux officiers municipaux de les accompagner et de faire ouvrir la porte des maisons

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 29 juillet 1793.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 30 juillet 1793.


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qu'ils devaient visiter, puis il ordonna à la garde nationale de leur faire une escorte armée. Quelles considérations avaient donc pu provoquer une rupture aussi éclatante et aussi complète ? Pour répondre à cette question, il nous faut revenir de quelques jours en arrière.

Le district, à qui a été communiquée tout d'abord la pétition de la société populaire demandant la destitution de la municipalité et des modérantistes qui la dirigent, répond le 29 juillet « qu'il est de notoriété publique que le maire de Chaumont et quelques membres de la municipalité ont toujours montré de la répugnance pour l'observation des lois de sûreté générale, et notamment de celles concernant les personnes suspectes d'aristocratie et d'incivisme, et qu'ils en ont éludé l'effet, autant qu'il a été en leur pouvoir; que les suspects ont, dans tous les temps, trouvé des protecteurs dans les personnes du maire de Chaumont et des citoyens Guênard, Degesne, Gouthières et Mauperrin ; que le maire de Chaumont a toujours entravé les délibérations du Conseil général de la commune, en proposant des principes contraires à la loi, et le plus souvent en se permettant de lui donner une interprétation favorable à son modérantisme ; que, par ses importunités, il a souvent persuadé le Conseil général qu'il ne fallait pas exécuter les décisions des autorités constituées, sous prétexte que la tranquillité publique n'était pas menacée dans celte ville, et que, d'ailleurs, le Conseil général prenant sous sa responsabilité les événements, les corps administratifs n'avaient pas le droit de réformer ses décisions, ni d'ajouter aux mesures prises par l'administration municipale. .. »

Après avoir entendu son procureur syndic, le district fut donc « d'avis qu'il y avait lieu de destituer le citoyen Laloy de ses fonctions de maire de Chaumont. . ., ainsi que les citoyens Guênard et Degesne, officiers municipaux, Gouthières et Mauperrin, notables..., qui seront tenus de cesser toutes fonctions, sous les peines de droit, en cas de désobéissance ; qu'au surplus, le Conseil général devra exécuter dans le jour les arrêtés des direc-


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toires de ce district et du département des 11-12 et 25 juillet, présent mois, et en certifier l'administration sur-le-champ (1) ». Le Département, clans sa séance du 1er août, après avoir annulé toutes les délibérations du Conseil général de la commune, le dénonça, à son tour, au Comité de salut public et au ministre de l'Intérieur, en les priant « de statuer promptement sur la résistance apportée par le Conseil à l'exécution des arrêtés des corps administratifs supérieurs » (2).

Bien qu'il ignore encore tous ces détails, Laloy n'en est pas moins persuadé que l'administration du district ou celle du département, peut-être même toutes les deux, l'ont dénoncé, ainsi que son Conseil, à la Convention ou au pouvoir exécutif, comme protégeant les aristocrates et les suspects. Il écrit donc le 3 août, en son propre nom et au nom du Conseil, à PierreAntoine Laloy, son frère, et à Simon-Edme Monnel, son camarade de collège, tous deux représentants de la Haute-Marne à la Convention, afin de les en prévenir et de « les prier d'interposer leurs bons offices pour obtenir que le Conseil ne soit pas jugé sans être entendu, et qu'il soit envoyé communication des plaintes portées contre lui, se faisant fort d'y répondre victorieusement ».

Cette lettre se terminait par ces mots : « Nous avons cru pouvoir nous adresser à vous pour nous rendre un service qui ne peut blesser votre délicatesse, ni compromettre votre amour pour la justice et votre impartialité. Nous ne demandons pas un mot en notre faveur; nous ne cherchons point d'autre avantage que celui de pouvoir établir une justification complète, assurée et facile. » La pièce est signée des membres du Conseil au nombre de 18. Elle est suivie d'un Post-scriptum. écrit en marge et ainsi conçu : « On nous assure dans le moment que les corps administratifs ont déjà réduit d'eux-mêmes la liste par eux formée » (3).

(1) Arch. de la Haute-Marne. L. 119 f° 200.

(2) Archives de la Haute-Marne. Délib. du déparlement du 1er août 1793.

(3) Arch. de la famille Laloy. Cette lettre, datée de Chaumont le 3 août 1793, est écrite tout entière de la main de Laloy et ne compte pas moins de dix pages in-4°.


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Au reçu de cette mission, les deux députés écrivirent au ministre pour lui demander le texte des dénonciations qui lui avaient été envoyées, et le prier de leur indiquer un jour où ils pourraient « en causer avec lui » (1). Ces dénonciations furent, en effet, soumises au Conseil, pour qu'il eût à y répondre, ce que celui-ci fit le 8 août par de longues explications que les 17 membres présents signèrent (2).

On comprend qu'à la suite d'une polémique aussi violente et des graves accusations portées contre la municipalité par le district et le département, les relations devinrent extrêmement tendues entre les trois corps administratifs. En haut lieu, on ne savait pour qui prendre parti, les intentions de tous paraissant droites et leur bonne foi indiscutable. La réponse du Conseil fut également communiquée au département pour avoir son avis ; le lendemain, Laloy adressa encore une lettre au ministre. Quand ces deux pièces, datées de Chaumont les 17 et 18 du mois d'août, furent arrivées à Paris, celui-ci en donna lecture à la Convention : celle du département réclamait une prompte solution de l'affaire, celle du Conseil demandait à ce qu'il fut entendu contradictoirement devant les représentants du Peuple envoyés dans les départements. Après avoir pris connaissance du tout, l'assemblée souveraine décréta que ceux de ses membres qui passeraient à Chaumont, appelleraient devant eux, en séance publique, les deux corps et seraient chargés de les concilier ou de prononcer sur leurs difficultés, sauf à' lui rendre compte de la décision qu'ils auraient prise, et renvoya ces pièces à son Comité de salut public pour les remettre aux représentants qui traverseraient le département (3).

(1) Arch. de la famille Laloy : Minute de la lettre adressée au ministre.

(2) On trouve cette lettre dans les archives de la famille, à Massilly.

(3) Voici le texte même du décret de la Convention. Le 21 août 1793, la Convention, « après avoir entendu la lecture de deux lettres, datées de Chaumont les 17 et 18 de ce mois, l'une du directoire du département qui demande une prompte solution, l'autre


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Dans l'espoir sans doute que le temps finirait par cicatriser, peut-être même par guérir les plaies d'amour-propre que les corps administratifs de Chaumont s'étaient faites l'un à l'autre, on ne se pressa pas de donner aux plaignants le juge qu'ils désiraient. Ce ne fut, en effet, qu'environ un mois après, le 16 septembre, la Convention se décida à envoyer le citoyen Rhul, représentant du Peuple, en Haute-Marne (1). Il arriva à Chaumont le 24 octobre et, après avoir étudié sur place le désaccord qui durait depuis deux mois entre le Conseil général de la commune et le directoire du département, il convoqua ces administrations dans l'église du collège pour avoir à s'expliquer publiquement devant lui (2).

du Conseil général qui demande à être entendu contradictoirement devant les représentants du peuple envoyés dans les départements..., décrète que ceux de ses membres, qui seront envoyés dans les départemens ou aux armées, seront chargés, lors de leur passage à Chaumont, de prendre connaissance de la cause et de l'état des contestations..., d'appeler devant eux et d'entendre contradictoirement, et dans des séances publiques, ces deux corps administratifs, et de les concilier ou de prononcer sur leurs difficultés, s'ils le croyont convenable, sauf à rendre compte à la Convention de la décision qu'ils auront prononcée ; renvoyé les lettres à son Comité de salut public, cpii sera tenu de les remettre avec les autres pièces aux membres qui seront envoyés dans ce département ». (Arch. de la Hte-Marne. L. Liasse des pièces authentiques.)

(1) Décret de la convention du 16 septembre 1793. « La Convention nationale décrète que le citoyen Rhul se rendra dans les départemens de la Marne et de la Haute-Marne pour surveiller la loi du 23 août et prendre toutes les mesures de salut public. Il est revêtu des pouvoirs donnés aux représentans près des armées. » (Arch. de la Haute-Marne. L. Liasse Pièces authentiques.)

(2) Ces discussions, bien que très vives, ne troublaient pas plus la tranquillité d'esprit de Laloy que de celle de ses amis. Tout le monde, en effet, savait que les deux partis étaient également dévoués à la République, mais ils ne la comprenaient pas de la même manière. Aussi, le matin même de la réunion des deux assemblées, Godinet-le-jeune, membre du département, écrivait-il au frère du maire qui, à ce moment, représentait la Haute-Marne à la Convention :

« Le citoyen Rhull est arrivé avant-hier avec Jeunesse (le courrier). Il y a séance ce soir à l'église du collège ; on y discutera la querelle de la municipalité avec le département. Quel qu'en soit l'événement, nous l'arroserons, en sortant, avec ton frère et Chaloin


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Elles comparurent, en effet, ce jour-là en sa présence, et prirent l'une après l'autre la parole ; d'après le conseil de Rhul, elles signèrent sur son registre, avant de se séparer, l'acte solennel de leur réconciliation. Le représentant du Peuple n'avait blâmé personne (1). C'était habile de sa part; on s'en aperçut le lendemain, quand le comité de surveillance prévint la municipalité que la liste des suspects n'existait plus, tous les noms qu'elle contenait ayant été rayés d'un commun accord par le département et le district. Le maire fit aussitôt avertir les personnes, qui devaient se présenter ce jour à la maison commune, qu'elles étaient à l'avenir dispensées de cette démarche (2). La paix était faite, et cette paix, on la devait encore et surtout à Laloy.

Tel fut, en effet, le résultat de l'opposition prudente, mais tenace, que le maire de Chaumont fit avec une inlassable persévérance aux mesures vexatoires prises par les administrations supérieures. Un jour viendra où les suspects d'alors, dont plusieurs seront devenus les chefs de la cité, déclareront publiquement que la population toute entière doit à cet homme énergique et sage la plus vive gratitude ; et à ce titre, ils élèveront sur sa tombe, aux frais de la ville, un monument funèbre (3), avec cette inscription : « A son ancien maire, la ville de Chaumont reconnaissante. »

et, en même temps, nous mangerons un levreau à la maison. Quel qu'il soit encore, il n'influera en rien sur notre attachement respectif à nos devoirs. De bons républicains doivent tout sacrifier pour le bien général. Je l'ai fait avant et depuis la Révolution ; je le ferai encore et je m'ensevelirai avec la République, ou elle s'ensevelira avec moi. Voilà ma profession de foi et je la maintiendrai...» (Lettre du 5e jour de la lre décade du 2e mois de la 2e année républicaine (26 octobre 1793) dans les archives de la famille Laloy.)

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 26 octobre 1793.

(2) Arch. de Chaumont: Délib. du 27 octobre 1793.

(3) Voir plus loin la délibération municipale du 5 frimaire an XIII.


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§ VII. — Caractères généraux de l'administration de Laloy

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Il veut, avant tout, le maintien de l'ordre matériel. — Il sait contenir les bataillons de volontaires. — Les lois vexatoires et inutiles lui déplaisent. — Son opinion sur le grattage des armoiries seigneuriales. — La démolition de la tour de Haute-Feuille. — Destructions qu'il ne peut empêcher. — L'enlèvement des croix de cimetière et autres. — Passage à Chaumont de la fille de Louis XVI. — Il préside les fêtes nationales et décadaires. — Ses discours sont toujours respectueux envers la religion. — Les décadis. — Ils sont d'abord solennisés avec entrain, puis le peuple s'en lasse. — Le district accuse Laloy de ce ralentissement de l'esprit public. — Laloy se disculpe au temple de l'Eternel. — Riposte de l'agent national près du district. — La société populaire approuve le maire.

Après avoir l'ail ressortir sur certains points particuliers l'action modératrice et bienfaisante du maire de Chaumont, il ne nous semble pas inutile d'ajouter que sur tous les autres, même les plus secondaires, on retrouvait en lui les mêmes qualités.

Responsable de l'ordre matériel, il ne tolère pas qu'il soit jamais troublé, même par des hommes qui, se plaignant de la faim, veulent illégalement se procurer des vivres. Nous l'avons longuement établi plus haut. Il n'accepte pas non plus que, sous couleur de manifester son patriotisme, quelqu'un compromette la tranquillité publique. Aussi quand, au mois d'août 1792, il apprend qu'un grand nombre de volontaires venant de divers départements vont se réunir à Chaumont, il a soin de convoquer une garde nombreuse pour y maintenir la paix (1). Il sait que ces bandes improvisées et sans discipline jettent l'épouvante partout où elles passent, violent le domicile des particuliers, insultent les personnes, dévalisent les propriétés, comme elles l'ont fait à Langres et presque partout ailleurs.

A leur arrivée à Chaumont, elles espèrent continuer sous les yeux de leurs chefs qui, s'ils ne les approuvent pas, du moins les laissent faire, se sentant impuissants à les contenir, leur vie

(I) Arch. de Chaumont: Délib. du 30 août 1792.


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de pillage et de débauche. Formidables par leur nombre, car il en passe un millier par jour, et fiers de leurs excès quotidiens, elles élèvent des prétentions insoutenables et se permettent des menaces à l'égard des pouvoirs constitués. On tremble à leur approche, mais Laloy va au-devant d'elles : « il les entend, il les confond ; aux menaces, il oppose sa personne et les droits de sa place », il parle en maître, et la ville de Chaumont est préservée (1).

Sans doute toutes les lois de la Révolution ne lui sont pas également chères ; s'il en est qu'il approuve complètement et pour lesquelles il est prêt à verser son sang, persuadé qu'elles doivent procurer le bien commun, il en est d'autres qu'il subit, peut-être même qu'il désapprouve dans le for de sa conscience, parce qu'elles lui paraissent inutiles, vexatoires et capables de détruire l'union, la concorde qui doit régner entre les citoyens. Néanmoins, il ne refuse pas de les exécuter, mais on voit qu'il le fait malgré lui, à contre-coeur, car il en atténue la rigueur dans la mesure du possible, et, s'il lui était permis de fermer les yeux sur certaines de leurs violations, il le ferait volontiers. C'est qu'il est un libéral convaincu, impénitent, un libéral non seulement en théorie mais en pratique, un libéral comme il y en avait tant sur les bancs de la Constituante, et comme il en restait si peu sur ceux de la Convention.

Lorsqu'il s'agit d'effacer, en les grattant, les armoiries qui se voyaient en si grand nombre aux murs et aux voûtes des églises du collège, des Ursulines, des Carmélites, il ne peut s'empêcher de protester contre les frais considérables que cette opération ridicule — puisqu'on ne peut supprimer l'histoire - va imposer à la ville déjà ruinée par les achats quotidiens des approvisionnements. Il voudrait que le prix des échafaudages à construire fut, du moins, supporté par le district, observation qui provoque en plein conseil cette réflexion de la part d'un de ses amis : « Oui, on va dépenser aujourd'hui beaucoup d'argent pour

(1) Voir plus loin l'oraison funèbre de J.-N. Laloy.


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détruire des choses qu'on rétablira peut-être demain » (1), réflexion imprudente qui fut taxée d'incivisme.

Ce n'est pas lui qui eut proposé de démolir la tour de HauteFeuille, comme un souvenir importun de la féodalité, mais ne pouvant écarter cette proposition qui fut votée, il prendra de telles mesures que ce projet ne sera jamais réalisé (2). Si l'on inutile les superbes hauts-reliefs qui décoraient la chapelle des Baudricourt, la merveille de l'église paroissiale, pour faire mieux disparaître les fleurs de lys qui en tapissaient les murs ; si l'on abat le petit clocher de St-Jean, sous prétexte qu'il est devenu inutile, les cloches en ayant été descendues et le métal qui le recouvre devant être employé plus utilement ; si l'on enlève tout le plomb qui protège le clocher de St-Michel et le dôme de l'hôpital (3), au risque de compromettre la solidité de des édifices, ce n'est point par son fait. Ce sont des destructions qu'il ne peut empêcher, des commissaires revêtus de pleins pouvoirs étant venus de Paris apporter des ordres et les faire euxmêmes exécuter.

Il est bien certain que, si on ne lui avait pas dénoncé la présence de couronnes et de fleurs de lys sur les boutons d'uniforme de la garde nationale (4), sur la croix du cimetière de N.-D. de Lorrette (5), sur les hampes des drapeaux attachés à la voûte de St-Jean (6), sur les calvaires érigés à proximité des chemins publics (7), il aurait toujours ignoré ces détails ou fait

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 24 janvier 1793.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 19 octobre 1793. — A la séance du 30 brumaire an II, un membre de la société populaire, impatient de voir renverser ce monument féodal, ayant demandé que la municipalité fut invitée à y faire travailler incessamment, on lui répondit qu'elle attendait la saison rigoureuse pour commencer cette démolition qui, pendant l'hiver, procurerait de l'ouvrage et des ressources aux citoyens peu fortunés. Or, l'hiver se passa et le projet ne fut pas exécuté. (Voir le registre de la société populaire.)

(3) Arch. de Chaumont : Délib. des 11 et 13 germinal an II (31 mars et 2 avril 1794). On avait même décidé la démolition de ce dôme dont l'élévation violait sans doute le principe de l'égalité, mais celte sotte délibération, grâce à Laloy, resta lettre morte.

(4) Arch. de Chaumont : Délib. du 24 janvier 1793.

(5) Arch. de Chaumont : Délib. du 19 février 1793.

(6) Arch. de Chaumont : Délib. du 6 mars 1793.

(7) Arch. de Chaumont : Délib. du 5 mai 1793.


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semblant de les ignorer. Si, après avoir mis à l'abri des regards de la foule les effigies religieuses qui se trouvaient à l'extérieur des édifices cultuels, comme l'exigeaient les lois de l'époque, on ne lui avait pas dit qu'il en restait encore d'autres dans la commune (1), qu'il y en avait même à la maison d'arrêt des prisonniers — effigies dangereuses à enlever, à moins que l'on ne soit accompagné d'une force armée suffisante (2) ; — si on ne lui avait pas affirmé, 7 ou 8 mois après la réception des décrets, qu'il existait toujours des tombes surmontées d'une croix, tant sur le cimetière de St-Aignan que devant l'église de ce nom (3), il ne l'aurait probablement jamais su.

Mais ce qu'il sait bien, ce qu'il ne peut ni ne veut ignorer, c'est que les marchés sont insuffisamment pourvus, c'est que les magasins manquent des approvisionnements indispensables, c'est que le peuple va avoir faim, et que son devoir, à lui maire, est de recourir à tous les moyens praticables pour lui procurer des vivres. La question des subsistances, selon l'expression, du temps, était alors la question principale, celle qui primait toutes les autres ; aussi, les soucis quotidiens que Laloy s'imposait pour la résoudre lui faisaient-ils pardonner, même par ses ennemis, sa tiédeur sur des points de moindre importance.

Du reste, la douceur de son caractère, la droiture de ses intentions, l'affabilité de ses manières et sa bienveillance à l'égard de tous, désarmaient les plus exaltés et lui conciliaient l'estime sinon l'affection des autres. Quelques jours avant de quitter la mairie, il eut encore l'occasion de pratiquer toutes ces vertus dans une triste et douloureuse circonstance.

Le 20 décembre 1795, le bruit se répandit en ville que l'orpheline du Temple, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, se rendant en Autriche pour être échangée contre des prisonniers de guerre français, traverserait prochainement l'ancienne capi(1)

capi(1) de Chaumont : Délib. du 28 frimaire an II.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 23 pluviôse an II.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 24 messidor an II.


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tale du Bassigny. Le jour de son passage n'était pas fixé, ce jour pouvant être retardé par la rigueur de la saison et par la délicatesse du tempérament de l'illustre voyageuse. A cette nouvelle, néanmoins, la population tout entière fut saisie d'une vive émotion, et le maire, soit qu'il dut s'absenter ou fut malade, soit pour tout autre motif, chargea deux officiers municipaux, les citoyens Abraham et Picard, (Palier la saluer et de lui offrir aide et protection.

On attendait donc chaque jour l'arrivée de cette infortunée princesse : l'attente ne fut pas longue. Le 23 décembre (2 nivose an IV), dans la matinée, une chaise de poste venant de la direction de Bar-sur-Aube s'avança vers la ville. Après avoir franchi la Suize qui coule au bas de la montagne au sommet de laquelle Chaumont est bâtie, une jeune personne paraissant âgée de seize ans, sortit de la voiture et gravit à pied la côte des Tanneries ; elle n'y remonta qu'à l'approche de la ville, quand elle fut sur le point de passer sous la porte de l'Eau. C'était Marie-Thérèse-Charlotte de France qui, abandonnant sa patrie, allait chercher un refuge sur une terre étrangère. Une seule dame l'accompagnait, et un officier autrichien lui servait d'escorte.

Aussitôt prévenue, la population se pressa sur son passage et se groupa autour de la modeste hôtellerie qui venait de la recevoir. Cette hôtellerie, qui avait donné l'hospitalité à Necker en 1789, comme nous le raconterons au tome second de cet ouvrage, était connue de toute ancienneté et devait l'être encore longtemps sous le nom d'Hôtel de la fleur de Lys, mais depuis trois ans, elle avait dû momentanément renoncer à cette enseigne. Cependant, même à cette époque, le peuple ne la désignait pas autrement (1).

Les deux officiers envoyés par le maire se présentèrent immédiatement et la saluèrent au nom de la municipalité, lui offrant de la conduire à l'Hôtel de ville, qui était tout proche ou, si elle le préférait, de demeurer auprès de sa personne, tant pour

(1) Cette maison a porté depuis le nom d'Hôtel de la Poste, et elle fait actuellement partie de l'Hôtel de France.


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rendre à son rang et à son malheur le seul hommage permis en ces jours mauvais que pour lui servir, au besoin, de sauvegarde. Mais la princesse avait lu, dans le coeur des habitants rassemblés, les sentiments qui les animaient, et elle avait bien vile constaté qu'au milieu de cette foule attendrie et respectueuse, toute protection lui était inutile. Elle remercia donc les deux municipaux et déclara vouloir rester dans la maison où elle était descendue.

Là, Madame Royale, comme on l'avait longtemps appelée, trouva non seulement les égards qu'elle devait attendre de toutes les âmes généreuses, mais encore l'empressement, les soins d'une sensibilité profonde et d'un amour libre, enfin, de s'épancher en pieuses démonstrations. M. et Mme Royer, qui tenaient cet hôtel, lui témoignèrent, en effet, toute leur vénération et conservèrent jusqu'à la mort, avec un culte presque religieux, les objets dont elle s'était servie, persistant à en refuser l'usage à tout autre voyageur.

Le séjour de Marie-Thérèse fut, du reste, de courte durée. Après une heure environ de repos, elle demanda une tasse de lait, prit quelques fruits et regagna bientôt sa voiture, au milieu de la presque totalité des habitants accourus pour la voir, et dont les coeurs ne pouvaient lui offrir alors qu'une douleur silencieuse et des voeux inexprimés.

Or, trente-trois ans plus tard, dans les premiers jours du mois de septembre 1828, la même personne mariée à son cousin, le Duc d'Angoulême, fils de Charles X, et devenue par ce mariage Dauphine de France, traversera de nouveau Chaumont pour se rendre à Bourbonne. Montée dans une calèche à huit chevaux et revenant du château de Cirey, elle descendra à la Préfecture, et, bien qu'elle ait demandé qu'on ne lui fit aucune réception officielle pour ne pas occasionner à la ville des dépenses extraordinaires, elle sera accueillie avec la plus grande joie par tous les Chaumontais qui fêteront sa présence ; elle ira à l' Hôtel de la fleur de lys pour revoir son hôtelière, devenue veuve, octogénaire et ne pouvant marcher qu'appuyée sur les bras de


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ses fils ; elle l'appellera du nom de bonne mère et lui remettra, avec une preuve de sa munificence, trois médailles la représentant ainsi que le Duc, son mari, pour elle et ses enfants. Elle demandera, avant de partir, les citoyens Abraham et Picard afin de les remercier de leur bienveillance, et leur donner un souvenir ; et elle ne quittera la ville qu'après avoir chargé le maire, M. Damboise, de dire à ses concitoyens combien elle est contente d'eux (1). Mais Laloy, qui a commandé les honneurs rendus à cette malheureuse princesse en 1795, sera mort depuis 24 ans ; il ne pourra donc prendre part aux réjouissances de 1828 et assister en témoin à ce retour passager des choses humaines.

Revenons une dernière fois au maire de Chaumont, pour raconter le rôle qu'il a rempli, durant son mariat, dans les fêtes religieuses ou nationales qui eurent lieu à cette époque.

Son titre, ses fonctions l'appellent à la présidence de toutes les solennités civiles ou patriotiques. Or, on sait que le peuple aime les fêtes, qu'elles lui sont même nécessaires pour le distraire un moment de ses travaux quotidiens et lui procurer le repos sans lequel il succomberait bientôt à la tâche, parfois très pénible, qu'il doit remplir. La Révolution ne l'ignore pas : voilà pourquoi, après avoir supprimé les anniversaires chrétiens auxquels la nation était accoutumée, elle en établira d'autres qu'elle esayera de rendre populaires. Laloy, de son côté, fera les plus grands efforts pour leur donner la pompe dont elles sont susceptibles ; c'est, du reste, son devoir.

D'abord il y prend très souvent la parole, mais jamais on ne rencontre sur ses lèvres des propos impies ou simplement offensants pour la religion de ses pères. Même aux époques les plus agitées, il ne se permettra la moindre inconvenance à cet égard (2). Ce n'est pas lui qui, en vue de gagner la confiance des partis avancés, aurait cru pouvoir outrager les croyances ou

(1) Consulter pour tout ce récit une brochure de 40 pages in-8, imprimée à Chaumont, chez Cousot, en 1828, sous ce titre : Quelques heures à Chaumont en septembre 1828.

(2) Voir plus loin son oraison funèbre.


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les pratiques de ceux qui passaient alors pour les ennemis de la République ; ce n'est pas son administration qui eut toléré que, sous prétexte d'honorer la raison, on portât en triomphe une prostituée devenue la déesse du jour, pour ensuite la placer sur les autels. Sans doute, il stigmatisera les abus de l'ancien régime, il fera un pompeux éloge de la liberté, de l'égalité, de la fraternité dont le règne lui apparaît comme l'âge d'or célébré par les poètes, bien que ce règne ait commencé par la tyrannie, le favoritisme et la haine ; aussi, n'hésitera-t-il pas à condamner tous les excès auxquels a donné lieu son avènement.

En novembre 1793, la Convention établit le chômage du décadi ou dixième jour, pour remplacer celui du dimanche qui venait d'être aboli. Le pontife, en cette occasion, était naturellement le premier magistrat de la commune. Dans le principe, la fête fut solennellement célébrée à Chaumont, où la présence des administrateurs du département et du district, celle des membres de la municipalité, de la société populaire (1) et des fonctionnaires de tous ordres lui donnait un certain éclat. Attirés par la curiosité et soutenus par l'exaltation du moment, de nombreux citoyens les accompagnaient, marchant comme eux au son de la musique, des tambours et souvent du canon.

(1) Cette société qui, sous la Constituante, avait porté le nom des amis de la Constitution, et sous la Législative celui des amis de la Liberté, s'appela plus brièvement en 1793 et 1794 Société populaire. Elle se recrutait surtout parmi les citoyens les plus en vue, les fonctionnaires publics, les administrateurs de la commune, du département et du district, et, somme toute, son esprit était assez modéré. Laloy, préoccupé avant tout de pourvoir à l'approvisionnement des marchés et peu soucieux de passer son temps à des discussions oisives ou purement politiques, négligea d'en faire partie jusqu'en prairial an II, et s'il demanda alors à y entrer, ce fut plutôt pour céder à l'opinion générale qui ne s'expliquait pas son abstention, que pour satisfaire son propre désir.

A la vérité, le 6 prairial, le comité de présentation appuya d'un avis favorable sa candidature, mais il ne put s'empêcher de faire remarquer que ce citoyen aurait dû, depuis longtemps, demander son admission. Au moment du premier vote, Laloy recueillit 40 suffrages contre un, mais au second et au troisième — toutes les candidatures étant soumises à trois scrutins successifs, mais séparés par un intervalle de plusieurs jours — il réunit l'unanimité des votants. On était à la veille de la fête de l'Etre suprême que le maire devait présider. (Voir le registre de la société, à la date.)


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Au temple de la Raison, qui fut d'abord la chapelle du collège (1), Laloy lisait les décrets de l'assemblée souveraine et les arrêtés des administrations supérieures reçus dans la décade ; la foule chantait des hymnes à la liberté ; lui-même ou des orateurs par lui désignés prononçaient des discours plus ou moins éloquents contre la royauté ou la superstition, en faveur de la morale, des sciences, des lettres, des arts ; et, le soir venu, la fête se terminait par des jeux et des danses qui avaient lieu en plein air quand le temps se montrait favorable (2), sinon dans le vestibule de la salle des tribunaux et parfois dans le temple lui-même (3).

Quand on commémorait un événement extraordinaire, comme la prise de Toulon, jour où les tambours, la musique, les canons, les volontaires, unissaient leurs voix pour manifester l'allégresse commune (10 nivose an II — 30 décembre 1793) (4) ; comme l'inauguration du temple de la Raison où la gendarmerie, les vétérans, les fonctionnaires, les sans-culottes, la garde nationale, la société populaire, les corps administratifs, le conseil général de la commune, le comité révolutionnaire, les membres des tribunaux faisaient cortège à un groupe de 20 jeunes filles qui, vêtues de blanc et décorées d'écharpes tricolores, por(1)

por(1) avait eu soin d'enlever les armoiries seigneuriales ou royales des voûtes et les tètes d'anges ailés qui décorent la frise de la nef. Quant au grand retable du maître-autel, on l'avait séparé du choeur par une cloison et un voile qui le cachaient tout entier. On avait toutefois conservé les chiffres religieux de Jésus et de Marie.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 30 ventose an II (20 mars 1794), où se trouve rapporté le plan de la fête décadaire que nous donnerons à la fin do ce volume. (Voir le n° 1 clos pièces justificatives).

(3) A la séance du 11 messidor an II, un membre de la société populaire ayant déclaré qu'il trouvait messéant do permettre des danses dans l'enceinte même du temple, demanda que le comité d'instruction publique examinât s'il ne serait pas convenable de suspendre cette pratique. L'affaire lui ayant été renvoyée, le comité décida le 16 messidor qu'il ne voyait aucun inconvénient à son maintien, « la joie pure n'étant pas incompatible avec les moeurs républicaines ». La société arrêta, en conséquence, que l'on continuerait « à se livrer dans le temple à l'exercice de la danse les jours de décadi, conformément au voeu-du comité ». (Voir le registre de la société, p. 121.)

(4) Arch. de Chaumont : Délib. du 10 nivose an II (30 déc. 1793).


Portail du temple de la Raison

C'était l'ancien portail de la chapelle du Collège, construit en 1640, et dont les armoiries avaient été récemment grattées et les statues enlevées, conformément à la loi. En avant de l'escalier, était planté l'arbre de la Fraternité.

Planche VII.

(Voir p. 112).



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taient sur leurs épaules les bustes des grands hommes (30 nivose an II — 19 janvier 1794) (1) ; comme la fête de l'Etre suprême célébrée au champ de la montagne, où, après un long défilé de citoyens qui firent le tour des promenades nouvellement tracées en dehors des murs, Laloy prononça, devant le peuple enthousiasmé, un discours tout imprégné de spiritualisme et dont la foule demanda l'impression à 1.200 exemplaires (20 prairial an II — 8 juin 1794) (2) ; dans ces circonstances et dans d'autres semblables, l'amour de la Patrie, l'attrait du nouveau, la mise en scène, l'originalité des décors, la distribution des secours, les réjouissances annoncées, les récompenses promises, tout contribuait à rendre la solennité vraiment grandiose.

Mais la multitude se lassa vite de ces démonstrations officielles et creuses. Le district le constate lui-même, lorsqu'il regrette, dans son arrêté du 23 messidor an II (11 juillet 1794), « le ralentissement de l'esprit public ». A défaut des autres administrations qui gardent le silence, désireuses de laisser à chacun la liberté, il se croit obligé de jeter un cri d'alarme et d'inviter les citoyens « à ne fêter que les décadis et à ne point porter avec affectation des habits de parure les jours appelés ci-devant dimanches et fêtes » (3). L'administration municipale,

(1) Reg. de la société populaire. Délib. du 28 nivose an II (17 janvier 1794 , et pp. 54 et 56.

(2) Reg. de la société populaire. Délib. du 24 prairial an II (12 juin 1794). - Nous donnerons plus loin, à titre de curiosité, le récit de cette fête aux trois quarts payenne, et le discours prononcé en cette circonstance par le maire Laloy. (Voir à la fin de ce volume le document n° 2 des pièces justificatives).

(3) Arch. de la Haute-Marne. L. 108 f° 104.— Dans cet arrêté, on lit en particulier: « 1. En exécution de la loi du 18 floréal (7 mai 1794), les citoyens célébreront les fêtes des décadis et celles des 14 juillet 1789, 10 août 1792, 20 juin et 31 mai 1793, avec toute la solennité que leurs facultés permettront, sans cependant pouvoir, dans la saison des récoltes, compromettre par une inaction absolue, les subsistances de la République.

« 2. Les membres de toutes les autorités constituées, des sociétés populaires, tous les bons citoyens sont invités à donner l'exemple


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visée dans les considérants de cet arrêté, proteste vivement au temple de l'Eternel par la bouche de Laloy et de GuignardCarlot, ce qui amène Pothier, l'agent national du district, à répliquer le lendemain au sein même du Conseil de cette administration.

« Le maire se plaint, dit-il, de ce que vous accusez mal à propos le ralentissement de l'esprit public ; il a parlé comme si tous les habitans du district, tous ceux de la commune, étaient effectivement à la hauteur des circonstances, comme s'il n'y avait aucun reproche à faire à aucun d'eux. Guignard nous a traités de calomniateurs ; il vous a, par deux fois, porté le défi de prouver la vérité des faits que vous avez énoncés. Chacun de nous a eu la prudence de rester calme au milieu de cet orage, de ne pas répondre à ces étranges provocations, en déshonorant le temple de l'Eternel par une lutte indécente entre des autorités constituées.

« Toutes les dispositions de cet arrêté, j'en conviens, ne sont pas également applicables à la municipalité de Chaumont. Cet arrêté est une mesure générale pour tout votre arrondissement.

« Cependant, où celte municipalité ne pouvait se méconnaître, c'est dans l'opiniâtreté d'un grand nombre de citoyens à fêter les dimanches et à négliger les décadis. Le scandale à cet égard fait l'étonnement de tous les étrangers ; ils s'indignent que, sous les yeux de tant d'autorités constituées, malgré leurs

du travail les jours ci-devant fêtes et dimanches, à ne point affecter ces jours-là de se revêtir de vêtements autres que ceux dont ils se servent dans leurs travaux journaliers, et à veiller à ce que l'intérieur de leur ménage, leurs femmes, leurs enfants, leurs parens, les personnes associées à leurs travaux n'indiquent, par aucune marque extérieure, les jours ci-devant appelés fêtes et dimanches.

« 3. Les agens nationaux des communes sont particulièrement chargés de la police à cet égard, et tenus de dénoncer à l'administration les citoyens et citoyennes qui no se conformeraient pas à l'invitation ci-dessus...

« 4. Les femmes qui négligeraient de se décorer de la cocarde nationale seront dénoncées et punies de huit jours de détention, aux termes de la loi, et même incarcérées jusqu'à la paix, lorsque l'administration aura jugé que l'aristocratie aura déterminé leur conduite à cet égard. Tous les bons citoyens sont invités à dénoncer aux autorités constituées les femmes qu'ils trouveront sans cocarde nationale..., etc.


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efforts et ceux de la société populaire, les fêtes nationales soient si peu respectées, et ils accusent votre activité (1) ».

Dans la correspondance de P.-A. Laloy, frère du maire et alors député à la Convention, nous avons trouvé une longue lettre de son ami Godinet-le-jeune, renfermant d'intéressants détails sur ce conflit élevé quelques jours seulement avant la chute de Robespierre, entre le district et la municipalité de Chaumont. Nous en citerons plusieurs passages.

« Tu connais sans doute, mon cher camarade, l'arrêté du directoire du district de Chaumont du 23 messidor ; il inculpait l'esprit public du district et la municipalité. Ton frère l'était principalement, puisqu'il était commissaire à la surveillance de la maison de réclusion (2).

« Il a fait la publication de cet arrêté au temple de l'Eternel ; son devoir l'y obligeait, mais il a cru nécessaire d'y ajouter quelques réflexions. Il avait été autorisé, par le Conseil général de la commune, à inviter tous les bons citoyens qui auraient des dénonciations à faire contre la municipalité, à la porter au district, et l'agent national Gayard avait été prié de s'y rendre pour connaître les faits sur lesquels devait s'appuyer l'accusation (3).

(1) Arch. de la Haute-Marne. L. 108 f° 111.

(2) Nous avons vu plus haut que le district reprochait à la municipalité de laisser le public communiquer trop facilement avec les prêtres détenus, p. 78.

(3) Le district envoya, le 3 thermidor, l'ordre au Conseil de Chaumont de lui dire si le maire avait été réellement chargé de faire au temple de l'Eternel des réflexions sur un de ses arrêtés, si Guignard-Carlot avait été chargé aussi de lui écrire à ce sujet, si Parisot avait été chargé de laisser entrer une fille Cottenet et le nommé Voillemin dans la maison de réclusion. Le Conseil répondit que le maire s'expliquerait devant l'assemblée populaire et demanderait le motif de toutes ces dénonciations ; (Délib. du 3 thermidor an II — 21 juillet 1794) que Guignard se croyant attaqué s'était défendu, et qu'aucune permission pour entrer dans la maison de réclusion n'avait été donnée que par les commissaires de la municipalité, lesquels ont toujours été pris dans son sein. (Délib. du 4 thermidor an II — 22 juillet 1794.)


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« Ton frère a rempli sa mission, en rendant toutefois hommage au but qui avait déterminé le fond de l'arrêté. Le lire passivement eut été l'approuver, au moins tacitement ; il a donc fait l'invitation arrêtée d'avance ; eh bien, quelques citoyens, qui ne méritent peut-être pas ce nom, ont prétendu que c'était un appel au peuple.

« Quelques jours après, ton frère a proposé à la société populaire l'examen de cet arrêté qui y avait été lu et est déposé dans ses archives ; il lui a fait sentir qu'elle-même était inculpée, puisque au cas d'une décroissance de l'esprit public, son devoir eut été de le raviver ; il l'a donc engagée à se bien examiner et à considérer si, au lieu de l'avoir vu dégénérer, elle ne l'avait pas vu s'accroître.

« Hébert qui, dans une séance précédente, avait annoncé qu'il répondrait et s'était déclaré l'athlète du district, n'est pas venu à la séance. Quelques membres ont parlé en faveur de l'opinion de ton frère ; ils ont été, comme lui, universellement applaudis par les tribunes très nombreuses, malgré les retards que l'on avait affecté d'apporter à la continuation de la discussion. Quelques membres attachés au district ont demandé l'ordre du jour. Lonet, un de ses administrateurs, a parlé beaucoup, mais on ne sait pas encore bien où il a voulu en venir ; il a dit qu'on regardait les membres du district comme des étourdis, des inconséquents, etc., qu'il voyait bien que l'opinion se manifestait contre eux, mais que cela ne diminuerait en rien leur énergie, etc., et il ne s'est point résumé.

« La séance a été tumultueuse ; j'en étais le président ; j'ai fait tout mon possible pour rappeler au silence et au bon ordre la société et les tribunes ; j'y suis parvenu ; et, enfin, décision a été prise presque à l'unanimité — car personne ne s'est levé contre — qu'il serait fait mention au procès-verbal que la société reconnaissait qu'à l'époque de l'arrêté du district, l'esprit public de la masse des citoyens de la commune était à la hauteur de la Révolution. C'était la proposition de ton frère : elle a été adoptée aux grands et répétés applaudissements des tribunes. « Je t'avoue que je ne voudrais pas, pour tout ce que je possède, avoir vu l'opinion publique aussi ouvertement prononcée contre les administrateurs du département (1). Quant à ceux du

(1) L'auteur de la lettre était membre de cette administration.


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district, ils sont sûrement à se repentir de donner trop aveuglement dans ce que leur proposa Pothier, agent national ; il était le rédacteur de l'arrêté ; c'eut été à lui à venir le justifier, mais il ne sait pas ce que c'est que de parler en face. Peut-être que ce petit échec leur fera ouvrir les yeux et les déterminera à examiner de plus près ce qu'il leur présentera à l'avenir... » (1).

Dans celte affaire, comme dans toutes les autres, Laloy veut le maintien de la liberté ; du moment où l'ordre n'est pas troublé, il ne songe ni à approuver, ni à blâmer la conduite de ses administrés. Si quelqu'un est assez osé pour menacer leur indépendance, il se croit obligé de les couvrir de son autorité, dut-il se compromettre' aux yeux des sectaires.

A cette époque, le bruit courut qu'un des représentants de la

(1) La discussion sur ce sujet eut lieu à la séance du 7 thermidor et à celle du 16 du même mois. On lit, en effet, dans le registre des délibérations de la société populaire, qu'à la séance du 7 présidée par Godinet « le maire monte à la tribune, entretient la société et se plaint d'un arrêté pris par le Conseil général du district le 23 messidor dernier, qui inculpe la municipalité ; il analyse toutes les inculpations qui lui ont été faites et y répond pour la justifier. Comme cette justification exige beaucoup de temps, un membre demande l'ajournement à la prochaine séance ; un autre veut, au contraire, qu'elle soit continuée. Ces deux propositions mises aux voix, la première est adoptée et la séance levée à 9 heures moins un quart » (f° 126).

La société se réunit le 9, le 12, le 13 et le 14 suivants, mais la lecture des correspondances fut si longue que la discussion ne put être reprise. Toutefois, à la séance du 14, on convint de commencer par elle à la prochaine réunion qui devait avoir lieu le 16. C'est ce qui eut lieu. A cette séance, Laloy demanda la parole, et, après discussion, l'ordre du jour fut rejeté. On convint « que ceux qui seraient d'avis qu'il fut fait mention au procès-verbal que, depuis le commencement de la Révolution jusqu'à l'époque de l'arrêté du district du 23 messidor dernier, la masse des citoyens de Chaumont a toujours été saine et à la hauteur de la Révolution, devraient se lever.

« Cette proposition ainsi posée a été mise aux voix, et la société l'a arrêtée à l'unanimité » (f° 129).


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Haute-Marne à la Convention allait se retirer, et que le maire de Chaumont serait appelé à le suppléer. En apprenant cette nouvelle à P.-A. Laloy, Godinet ajoutait : « Si cela peut faire plaisir à ton frère, je le désire pour lui, mais il aura bien des maux de quitter Chaumont ; il sera réclamé par toute la commune, et, s'il partait, je t'avoue que je ne sais qui le remplacerait. Nos officiers municipaux ont de bonnes vues et ne veulent que le bien, mais les moyens leur manquent un peu. »

Non : Laloy ne quittera pas Chaumont ; à la vérité, il touche à la fin de son mariat, mais il va échanger les fonctions de premier magistrat de la commune contre celles de premier magistrat du département, c'est-à-dire de commissaire du directoire exécutif près de l'administration centrale de la Haute-Marne. Il n'abandonnera donc pas sa patrie adoptive, et nous allons pouvoir étudier son action sur un autre théâtre, plus vaste même que le premier. Mais, auparavant, montrons ce qu'il a fait pour l'instruction de la jeunesse, pendant les années qu'il passa à la tête des affaires municipales.


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CHAPITRE IV

Laloy, membre du jury d'instruction publique

Etat de l'instruction en 1792. — Adresse de Laloy à la Convention sur ce point. — Lois concernant l'instruction primaire. — Election des membres du jury. — Adresse de ceux-ci à leurs concitoyens. — Son maigre résultat. — Nouvelle adresse des mêmes. — Arrivée du représentant du peuple Dupuis. — Le second jury d'instruction. — Etablissement de l'Ecole centrale. — Programme de cette école rédigé par le jury. — Sa prospérité en HauteMarne. — Causes de son succès.

La Révolution qui, pour répondre aux désirs presque unanimes de la nation, s'était proposée de réformer l'instruction publique, commença par en absorber les revenus et à en détruire les maisons, et, faute de s'arrêter à un plan déterminé, elle ne trouvait rien à mettre à leur place. C'est ainsi qu'en août 1792, elle supprima toutes les congrégations enseignantes, même séculières, et s'empara de leurs biens, et qu'en mars 1793 elle confisqua la dotation de tous les collèges et de toutes les bourses. Il est vrai qu'elle prenait à sa charge la rétribution des maîtres ; mais il est plus facile de voter une dépense que d'y pourvoir. Après avoir versé quelques trimestres, elle suspendit tout paiement, l'argent faisant entièrement défaut. On vit alors les études dépérir de jour en jour, les écoles se vider et les maîtres abandonner leur poste.

Les choses en étaient là quand Laloy écrivait à la Convention, au nom du Conseil général de Chaumont, le 14 juillet 1793: « Ce n'est pas seulement sur le marbre et l'airain qu'il faut graver la nouvelle constitution (1), mais dans l'âme des jeunes

(1) Cette nouvelle constitution venait d'être votée le jour même. (Voir plus haut page 96.)


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républicains ; c'est dans l'instruction mise à la portée de tous, c'est dans les établissemens destinés à l'éducation nationale que nous sollicitons de vous avec empressement, que la généralion qui nous succède développera et fortifiera son attachement aux principes qui sont la base et la raison d'être de la République » (1).

Ainsi donc, ce que réclame avec instance le maire de Chaumont, ainsi que le Conseil dont il est l'organe, c'est une instruction et une éducation nationales. Tel était, du reste, le voeu de tous les hommes éclairés.

Trois mois après, la Convention volait la loi du 7 brumaire an II (28 octobre 1793), qui élevait le traitement des instituteurs à 1.200 liv. et celui des institutrices à 1.000 liv. ; puis, bientôt, revenant sur sa décision, elle le réglait sur le pied de 20 liv. et 15 liv. par élève, en même temps qu'elle instituait un jury d'instruction chargé de réduire le nombre des écoles, d'en fixer le siège et d'approuver les candidats des deux sexes qui voudraient les diriger. Cette loi ne fut pas appliquée, du moins à Chaumont ; une foule d'obstacles s'opposaient à son exécution, et d'autres préoccupations, qui paraissaient plus urgentes, portaient ailleurs les esprits.

Mais quand, au bout d'un an, parut la loi du 27 brumaire an III (17 novembre 1794), qui rétablissait les traitements uniformes de 1.200 1. et 1.000 1., et réduisait le nombre des écoles primaires à une pour mille habitants, soit 48 pour le district tout entier, l'administration ne crut pas pouvoir hésiter plus longtemps. Dans la séance du 15 frimaire an III (5 déc. 1794), le citoyen Pothier, agent national, s'adressa ainsi à ses collègues :

« La loi du 27 brumaire dernier, relative aux écoles primaires, vient de nous parvenir; il importe de vous livrer promptement à son exécution; le salut public vous le commande; le moindre retard serait un nouveau crime envers la génération naissante, depuis si longtemps privée des instructions convenables. Le premier objet dont vous ayez à vous occuper est la nomination des trois personnes qui formeront le jury chargé d'examiner, élire et surveiller les instituteurs et les institutrices. Pour mettre le choix que vous ferez au-dessus de toute critique

(1) Arch. de Chaumont. Délib. du 14 juillet 1793.


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et en obtenir tout le bien que vous devez en attendre, n'arrêtez vos regards que sur les hommes qui réuniront au plus haut degré le civisme, les lumières et l'impartialité. »

Or, quels sont les citoyens remarquables, par leur civisme, leurs lumières et leur impartialité, que va nommer l'administration ? Ce seront d'abord Usunier, de Fresnes-sur-Apance, administrateur du département, puis Laloy, maire de Chaumont, et Hébert, receveur du district. A peine ce jury est-il constitué, qu'il se procure tous les renseignements nécessaires à l'accomplissement de sa mission, et emploie ses séances des 16, 20 et 24 frimaire à déterminer l'emplacement et la circonscription de chacune des écoles à établir. Il fallait, le plus souvent, grouper 3 ou 4 villages, quelquefois plus, autour de la même école, et trouver un local pour installer convenablement les nombreux enfants qui devaient la fréquenter (1).

Le 26 de ce même mois (16 décembre 1794), le jury discute un projet d'adresse à répandre dans tout le pays. Quel en fut le rédacteur ? Nous ne pensons pas nous tromper en affirmant que cette pièce, signée des trois membres du jury, est l'oeuvre de Laloy. C'était lui qu'on chargeait ordinairement de cette tâche, et à juste titre, car il était l'homme le plus instruit de l'Administration, aussi prenait-il habituellement la parole dans toutes les circonstances importantes.

Pour ce motif, nous citerons quelques extraits de cette adresse, qui fut imprimée « en nombre suffisant d'exemplaires, pour être distribués à toutes les municipalités » (2). Celles-ci étaient appelées à lui donner toute la publicité possible.

(1) Autour de l'école de Blaise, par exemple, sont groupées les communes de Champcourt, Daillancourt, Guindrecourt, Marbéville et Mirbel. (Fayet : Recherches historiques sur les écoles de la HauteMarne, p. 104). — Il est bon de dire que la plupart de ces réunions n'eurent lieu que sur le papier, et que les instituteurs de ces villages continuèrent presque tous de diriger leurs écoles avec plus ou moins de régularité.

(2) Délibération du district en date du 28 frimaire an II (18 décembre 1794). Cette adresse, imprimée à Chaumont, chez Cousot, forme 4 pages in-4.


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Elle avait pour titre :

« Les membres composant le jury d'instruction publique dans le district de Chaumont, à leurs concitoyens du même district ».

Après avoir affirmé que « c'est un principe universellement reconnu et une vérité constatée par l'expérience de tous les siècles, que la servitude et les calamités publiques sont la suite nécessaire de l'ignorance, et qu'une bonne instruction, au contraire, est la source de la liberté, de la gloire et de la prospérité des peuples », ils exposent les preuves de celte affirmation qui, par une conséquence logique, démontrent l'importance des fonctions d'instituteur et d'institutrice.

« La nation, disent-ils, va déposer entre leurs mains ses plus précieuses espérances ; c'est à leur patriotisme, à leurs lumières qu'elle va confier l'éducation d'un nouveau peuple français ; c'est sur eux qu'elle se repose du soin de former l'âme, l'esprit et le coeur de ses enfans, de leur inspirer la haine de la tyrannie et l'enthousiasme de la liberté, le mépris pour les distinctions et l'amour de l'égalité.. . d'achever, en un mot, et d'affermir pour toujours la Révolution française ».

Puis, s'adressant aux futurs maîtres de la jeunesse, ils s'écrient : « O vous qui aimez votre patrie ! vous qui désirez la servir utilement, quelle plus glorieuse carrière peut s'ouvrir à votre ambition ? Quelle occasion plus favorable de consacrer au bonheur de votre pays vos talens et le fruit de vos méditations ! Quel titre plus assuré à la reconnaissance publique ! Hâtez-vous d'accourir à la voix de la Patrie qui vous appelle : ce motif suffit pour des Français.

« S'il était cependant encore de ces coeurs apathiques, de ces âmes intéressées pour lesquelles il faut un mobile plus puissant que l'honneur d'être utile à ses concitoyens, nous leur dirons que leurs services ne seront pas gratuits, que la nation généreuse accorde aux instituteurs un salaire abondant pendant la durée de leurs fonctions et leur promet ensuite une retraite qui mettra leur vieillesse à l'abri du besoin ».

Ils terminent en pressant les candidats de se présenter à


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l'examen avant trois semaines, c'est-à-dire avant le 20 nivôse de l'an III (9 janvier 1795). Ils invitent les Conseils généraux des communes à engager les citoyens et citoyennes qu'ils savent propres à ces fonctions à venir devant le jury (1) ; ils les invitent même à lui « indiquer ceux qui, réunissant les talens au civisme, trouveroient dans leur modestie un prétexte pour rester dans l'oubli ».

Il était vraiment impossible d'apporter plus de zèle, de célérité et d'empressement à l'exécution de cette loi. Eh bien ! veut-on savoir quels furent les résultats obtenus par ce chaleureux appel et cette grande publicité ? L'agent national va nous le dire. Dans l'assemblée générale du district tenue le 25 nivose (15 janvier 1795), c'est-à-dire 5 jours après l'expiration du délai fixé par le jury d'instruction, il s'exprime en ces termes : « Vous deviez croire que tous les citoyens et citoyennes, qui désirent la restauration de l'instruction publique et qui, par leurs talens, sont à même de l'opérer, s'empresseroient de se faire inscrire, et que le nombre des concurrents n'eut laissé d'embarras que sur le choix ; cependant je suis instruit qu'il ne s'est encore présenté qu'un très petit nombre de citoyens et, parmi les aspirans, il en est très peu que leurs talens rendent dignes de ces places. La levée de la première réquisition nous a privés d'un grand nombre de jeunes gens qui y seraient infiniment propres ; peutêtre aussi faut-il accuser l'insouciance des municipalités qui ne se sont pas assez attachées à faire sentir les avantages qui résulteront aux citoyens qui seront appelés à ces postes d'honneur. Dans tous les cas, pour ne pas retarder plus longtems l'organisation des écoles primaires, je vous invite à faire à cet égard un nouvel avertissement aux communes ».

(1) Datée du 26 frimaire an III (16 décembre 1794), cette adresse est signée : Usunier, Laloy, Hébert. Les candidats pouvaient se présenter tous les jours, de 1 heure à 3 heures, aux séances du jury, qui se tenaient au bureau des contributions du département ; les hommes les jours impairs, les femmes les jours pairs. Les uns et les autres devaient être munis de deux certificats, l'un de civisme, l'autre de bonne vie et moeurs, délivrés par le Conseil général de la commune et visés par le district.


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Une seconde invitation fut aussitôt rédigée par le district ; elle s'adressait à « tous les citoyens et citoyennes que leurs vertus et leurs talens appellent à l'honorable fonction d'instruire leurs semblables ». Elle les pressait de se présenter, sans délai, aux membres composant le jury d'instruction, en même temps qu'elle priait les municipalités d'employer tous les moyens dont elles disposaient pour les décider à accepter ces fonctions, quelle que soit leur profession actuelle.

Or, cet appel n'eut guère plus de succès que le premier ; néanmoins, l'arrêté qui réduisait le nombre des anciennes écoles d'environ 135 à 48, et, par conséquent, menaçait de déchéance les deux tiers des maîtres déjà en fonction, en décida plusieurs à demander aux examinateurs la direction des nouvelles. Leur nomination était signée des trois membres qui composaient le jury, et elle devait être confirmée par les administrateurs du district.

La Convention trouva-t-elle que les administrateurs des départements n'allaient pas assez vile dans les mesures à prendre pour l'application des lois relatives à l'instruction ; ou crut-elle que, pour l'organisation des écoles centrales, une intervention plus directe du pouvoir exécutif devenait nécessaire ? Toujours est-il que, dès les premiers jours de floréal an III (avril 1795), le représentant du peuple Dupuis, député de Seine-et-Oise et envoyé dans le 3e arrondissement de la République, arrive à Chaumont et y prend plusieurs arrêtés dont nous devons dire quelques mots (1).

Le 8 floréal (27 avril 1795), il institue un nouveau jury d'instruction qui est composé des citoyens Laloy, maire de Chaumont, Lebrun, ingénieur en chef, et Jolly, président du tribunal criminel (2). Pourquoi Dupuis a-t-il remplacé le premier jury

(1) Dupuis était l'un des 5 représentants envoyés par la Convention dans les départements pour assurer l'exécution dos lois relatives à l'instruction publique. La France avait été pour ce motif divisée on 5 arrondissements.

(2) Arch. de la Haute-Marne. L. 29 f° 14.


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et n'a-t-il conservé dans le second qu'un seul de ses membres, Laloy ? Il ne le dit pas : mais nous pouvons supposer que son choix fut fixé par le grand mérite de celui-ci, qu'il met sur le même pied que l'ingénieur en chef et le jurisconsulte le plus distingué de la Haute-Marne, de l'homme qui fut chargé, pendant toute la durée de la Révolution, de présider aux débats de la cour d'assises ou jury criminel.

Par un autre arrêté du même jour, il autorise le département à convoquer, de concert avec l'administration du district, les instituteurs des principales communes dans un même local, sous la surveillance du nouveau jury qui leur partagera les divers objets d'instruction, pour lesquels ils auront le plus d'aptitude.

Dupuis prit encore d'autres décisions concernant la cession des presbytères aux instituteurs et aux institutrices, le traitement de ces derniers, l'établissement de l'Ecole centrale et dé' plusieurs écoles primaires, toutes choses qui sont hors de notre sujet, puisque seul le jury d'instruction, dont Laloy fait partie, nous occupe en ce moment.

Chargé de nommer les professeurs de l'école centrale, le choix de ce jury ne tombera que sur des, hommes d'une véritable valeur, dont quelques-uns étaient même hors de pair, ce qui assurera le succès de l'établissement.

Ce jury eut aussi pour mission de rédiger le programme de cette école, et il le fit d'après un plan si heureusement gradué et si bien combiné, que les élèves, pendant les quatre années que durait l'étude des langues, pouvaient en même temps acquérir des connaissances suffisantes dans les belles-lettres, les sciences physiques et mathématiques, l'histoire et la grammaire générale. Tout en acceptant les louables innovations de la loi, il sut conserver les méthodes consacrées par l'expérience, et trouva le moyen de lier, d'enchaîner les diverses parties de l'enseignement auparavant indépendantes, et pour ainsi dire étrangères les unes aux autres. Grâce à ce programme envoyé clans toutes les communes, revêtu d'ailleurs de l'approbation du ministre et honoré d'une mention insérée au procès-verbal des deux conseils, la création de l'école fut bien accueillie des familles (1).

(1) Voir notre Histoire du Collège de Chaumont, p, 239.


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Les élèves y accoururent de tous les pays environnants, de Langres, de Wassy, de St-Dizier, de Montiérender, de Bar-surAube, de Bourbonne, de Bourmont, de Doulevant, de Joinville et autres lieux. Laloy y plaça ses trois petits neveux : Hubert Laloy, qui devait mourir curé à Dommartin-le-St-Père, Chrysostome et Hubert-Etienne Jeanson, qui tous deux retournèrent à Doulevant (1). Le nombre des élèves dépassa bientôt le chiffre de 100, nombre considérable si l'on se reporte à cette époque troublée où la plupart des écoles étaient à peu près désertes, et si l'on tient compte des préventions que soulevaient contre elles les institutions du nouveau régime, d'où la religion était ordinairement bannie.

Il est vrai que le jury d'instruction s'était efforcé d'aplanir les difficultés prévues de ce côté, en déclarant hautement que l'école prenait pour maxime : « respect sincère pour la religion, pratique fidèle de ses devoirs, tolérance mutuelle fondée sur la charité, comme sur l'obéissance aux lois » (2).

Ainsi organisée, l'école centrale de Chaumont ressemblait beaucoup à un collège de l'ancien régime dirigé, selon la méthode traditionnelle, par des professeurs de l'Université de Paris ou des prêtres de la Doctrine chrétienne. Ce fut la cause de son succès : et cela paraît d'autant plus indiscutable que l'essai, qui avait si bien réussi en Haute-Marne, échoua presque partout ailleurs. La plupart du temps, on n'avait pas découvert, pour le mettre à la tête de ces écoles, un personnel enseignant à la hauteur de sa mission, ni un jury d'instruction assez avisé pour conserver les principes religieux comme base de l'éducation et trouver le moyen d'allier les pratiques anciennes aux changements plus ou moins heureux introduits par la législation nouvelle.

Dire tout cela, c'est faire l'éloge de Laloy et de ses collègues du jury d'instruction, puisque ce sont eux qui en avaient rédigé

(1) Voir les palmarès de cette école.

(2) Programme du jury d'instruction à la Bibliothèque de Chaumont, n° 10.873 ter, p. 28.


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le règlement ; c'est également proclamer la valeur des maîtres qu'ils avaient su choisir.

Le jury chargé d'appliquer la loi du 27 brumaire an III continuera ses fonctions jusqu'en germinal an IV, époque où il sera remplacé par un second qui durera jusqu'à l'an X, et ensuite par un troisième qui ne vivra qu'un an. Nous ne parlerons ni de l'un ni de l'autre, parce que Laloy n'en fit point partie, son temps étant alors absorbé par de plus graves soucis ; il était, en effet, devenu commissaire du directoire exécutif. Ces deux jurys ne s'occupaient, du reste, que de l'enseignement primaire. Mais Laloy restera toujours membre du jury institué près de l'école centrale, école qui s'ouvrit le 18 floréal an V (7 mai 1797). Avec le jurisconsulte Hilaire Jolly et l'ingénieur en chef Lebrun, il semblait être seul capable de diriger l'instruction secondaire et supérieure que l'on donnait dans cet établissement.


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CHAPITRE V

Laloy, commissaire du directoire exécutif près de l'administration centrale de la Hte-Marne (1795-1800).

§ 1er. — Constitution de l'an III

Election des membres de l'administration centrale. — Laloy est nommé commissaire du directoire près de cotte administration. — Rôle qu'il a à remplir. - Ses circulaires aux commissaires près des administrations municipales du canton.

Une nouvelle constitution, celle de l'an III, ainsi appelée parce qu'elle fut votée par la Convention sur la fin de la troisième année républicaine, c'est-à-dire le 22 août 1795 (5 fructidor an III), venait d'être donnée à la France.

Cette constitution, qui avait pour but d'éviter les excès de la démagogie sans pourtant revenir à la royauté, confiait le pouvoir exécutif à un directoire composé de cinq membres, directoire nommé par le pouvoir législatif et renouvelé annuellement par cinquième. Dans chaque département, elle avait institué une administration centrale et, sous ses ordres, des administrations municipales de canton, près desquelles était accrédité un commissaire représentant le directoire dont il servait d'organe officiel. Faire exécuter les lois et les arrêtés administratifs, en poursuivre les violateurs, signaler aux tribunaux les crimes ou délits commis dans l'étendue de sa circonscription territoriale, telle était, en résumé, sa mission, qui n'était autre que celle, sur un champ plus restreint, des Directeurs eux-mêmes (1).

(1) Rappelons en passant que le pouvoir législatif se partageait alors entre deux assemblées électives : le conseil des Cinq-cents, composé de députés âgés d'au moins vingt-cinq ans et qui proposait les lois, et le conseil des Anciens, dont les membres, au nombre


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L'organisation nouvelle ne se fit que lentement. L'assemblée électorale de la Haute-Marne, appelée à nommer l'administration centrale de ce département, se réunit le 24 vendémiaire an IV, à Chaumont, dans la salle de la société populaire. Son choix se porta sur les citoyens Berthot, Hargenvilliers, Brocard, Lombard et Péchiné. Si l'un de ces membres venait à mourir ou à donner sa'démission, les quatre membres restants s'adjoindraient, d'après la Constitution, un homme désigné par eux pour le remplacer jusqu'aux prochaines élections.

Les Directeurs, nous venons de le dire, devaient charger un commissaire de les représenter auprès de cette administration. Or, on attendait de jour en jour cette nomination, les fonctions de commissaire étant remplies provisoirement par l'un des membres élus, quand on apprit au bout de six semaines, c'est-àdire le 9 nivose an IV (30 décembre 1795), que le gouvernement venait de désigner pour ce poste Jean-Nicolas Laloy (1). Celui-ci, toutefois, ne remplit ses nouvelles fonctions que le 25 de ce mois (15 janvier 1796).

Quand la municipalité de Chaumont sut qu'elle allait perdre son chef, elle lui fit les plus vives instances pour qu'il restât à sa tête (2), mais il n'était plus temps. Par l'intermédiaire de son frère, Pierre-Antoine Laloy, membre du conseil des Cinq-cents, les Directeurs avaient fait appel à son dévouement, à son expérience des hommes et des choses, à l'autorité dont il jouissait près de ses compatriotes, et celui-ci, convaincu qu'il pourrait encore rendre d'importants services à ses concitoyens, avait

de deux cent cinquante, devaient avoir au moins quarante ans, être mariés ou veufs, qui les sanctionnait ou les repoussait. Ces conseils étaient élus pour trois ans et renouvelables par tiers chaque année. Les électeurs, qui les nommaient, étaient de deux ordres : les électeurs primaires ou du premier degré qui se composaient de tous les citoyens âgés de plus de vingt ans, qui se réunissaient au cheflieu de chaque canton pour choisir au scrutin secret les électeurs du second degré, lesquels devaient être âgés d'au moins vingt-cinq ans et propriétaires d'un bien équivalant à 150 ou 200 journées de travail.

(1) Arch. de Chaumont : Délibération municipale du 9 nivôse an IV (30 décembre 1795).

(2) Arch. de Chaumont : Délibération municipale du 9 nivose an IV.


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accepté. Ajoutons que le traitement de plus de 5.000 1. qui lui était assuré allait lui permettre, non seulement de pourvoir aux besoins de sa famille, mais encore de distribuer plus abondamment des secours aux malheureux (1). Il promit toutefois à ses collègues de demeurer avec eux jusqu'à la prochaine réorganisation de la municipalité.

Son rôle va devenir tout différent de celui qu'il a exercé jusqu'à ce jour. En maintes circonstances, il s'est montré le modérateur, pour ne pas dire l'adversaire du mouvement révolutionnaire ; désormais, il devra en être le promoteur. Souvent il a tempéré, autant qu'il le pouvait, la rigueur des lois de proscription ; maintenant c'est lui qui sera chargé d'en exiger l'application. Que va être, dans ces cas particulièrement difficiles, son attitude quotidienne ? C'est ce que nous allons rechercher.

I)e même que clans l'élude de son mariat, nous ne nous sommes arrêtés qu'aux faits principaux qui ont caractérisé son administration ; de même, dans ses nouvelles fonctions, nous nous efforcerons de mettre en évidence les principes qui ont réglé sa conduite, sans nous attarder aux détails qui nous entraîneraient à faire l'histoire, non plus de la ville de Chaumont ou du département, mais celle de la France entière, puisque les mesures prises en haut lieu avaient leur répercussion forcée sur toute l'étendue du territoire. Or, il serait impossible d'entreprendre ce travail sans sortir du cadre que nous nous sommes tracé.

Aucun arrêté ne sera pris en Haute-Marne sans que Laloy ne soit entendu, puisque la Constitution l'exige ; mais de quel poids était son avis auprès de ses collègues ? Nous le devinons, sans cependant pouvoir en préciser la mesure : aussi ne devonsnous pas lui attribuer toutes les résolutions votées par les admi(1)

admi(1) qu'il recevait était chaque mois do 444 fr. 50 et celle des administrateurs était do 333 fr. 33. Voir Arch. de la HteMarne : Délib. de l'adm. centrale en date des 23 messidor et 12 thermidor an IV (U et 30 juillet 1796).


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nistrateurs du département. Ces actes officiels ne nous donneraient, du reste, que des indications vagues et peu sûres ; d'où l'obligation pour nous de nous arrêter presque exclusivement aux lettres ou circulaires qu'il envoyait aux commissaires de canton placés sous ses ordres, en vue de leur expliquer le sens des arrêtés qu'il leur transmettait et les moyens à prendre pour en assurer l'exécution.

Malheureusement, le nombre de ces circulaires n'est pas très grand, et moins grand encore le nombre de celles que nous avons recueillies. Nous ne pourrons donc pas donner à ce chapitre tout le développement qui lui conviendrait. Etudions néanmoins avec soin les quelques pièces qui nous restent.

Les auteurs de l'Annuaire de la Haute-Marne pour l'année 1811, c'est-à-dire les chanoines Mathieu et Rieusset, qui avaient vu à l'oeuvre l'aîné des Laloy, et vécu au milieu de ses contemporains, résument en quelques lignes leur appréciation sur son commissariat. « La constitution de l'an III, disent-ils, ayant apporté des changements dans l'ordre administratif, Laloy fut nommé commissaire du directoire près l'administration centrale du déparlement. Cette nouvelle magistrature était délicate. Laloy sut en tempérer la rigueur sans trahir ses devoirs d'homme public » (1). Le chapitre que nous allons écrire confirmera, de point en point, le jugement de ces deux historiens.

§ II. — L'emprunt forcé de 1796 et de 1799

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — Embarras du trésor public. — Emprunt de 600 millions. — Estimation de la fortune des citoyens. — Laloy est envoyé en mission à Paris. — Etablissement d'un jury pour l'examen des réclamations. — Emission de mandats territoriaux. — Proclamation de l'administration centrale du département à leur sujet. — Nombreuses circulaires de Laloy à ses collègues des cantons sur l'urgence et la manière de faire rentrer les impôts.

La première chose sur laquelle l'administration centrale de la Hte-Marne dut porter son attention fut l'emprunt forcé que les conseils venaient de voter. Disons donc un mot de cet emprunt.

(1) Annuaire de la Haute-Marne pour l'année 1811, p. 258.


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Le 14 brumaire an IV (5 novembre 1795), jour où les Directeurs s'installèrent au Luxembourg, l'état financier de la nation était des plus alarmants. En caisse, il n'y avait pas un sol de numéraire, et chaque nuit il fallait imprimer en toute hâte les assignats nécessaires aux services du lendemain. Le nouveau gouvernement demanda aussitôt à la République 3 milliards en papier que les Conseils lui accordèrent et qui, échangés immédiatement en écus, ne produisirent guère que de 20 à 25 millions. Avec cette somme, on devait pourvoir aux besoins les plus urgents et nourrir Paris qui manquait de tout : elle fut dépensée en quelques semaines.

C'est alors que le Directoire, réduit à la détresse et ne sachant comment sortir de son embarras, proposa au Conseil des CinqCents un emprunt de six cents millions en valeur réelle, à payer soit en numéraire, soit en assignats au cours, et réparti sur les classes les plus riches. Cette mesure fut présentée comme un moyen de faire rentrer tout le papier en circulation, et de procurer à l'Etat un surplus d'environ trois cents à quatre cents millions, dont il était impossible de se passer: on l'adopta.

Il fut aussi décidé que les assignats seraient reçus à 100 capitaux pour un, tandis que dans le commerce on en exigeait 150, et que tous ceux qui rentreraient seraient brûlés. On pensait, par ce moyen, faire remonter leur valeur et obtenir de cet emprunt une somme suffisante à la marche des services pendant deux mois.

Sur l'ordre qu'ils reçurent du ministre, les administrateurs de la Haute-Marne ordonnèrent immédiatement aux municipalités de canton de dresser un état de la fortune des habitants les plus aisés de chaque ville et village. Ces opérations se firent en nivose an IV (janvier 1796) (1), mais pas aussi vite qu'on l'eût

(1) La fortune des habitants de Chaumont fut estimée le 20 nivose an IV par les citoyens Abraham, Dalle, Châtelain, Laurent, Mougeotte, Picard et le maire, Laloy, qui l'emplissaient les fonctions d'administrateurs municipaux du canton de Chaumont. On sait que ce canton se composait alors exclusivement de la commune de Chaumont et de celles de Buxereuilles et de Reclancourt, qui en étaient encore séparées. La population de ces trois localités montait à environ 7.000 âmes. Cette estimation est le dernier acte qu'ait fait Laloy en qualité de maire, bien qu'il fut déjà en possession de son


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désiré, en raison de l'extrême urgence : aussi, dut-on plus d'une fois envoyer, aux frais des municipalités en retard, la gendarmerie chercher les tableaux destinés à servir de base à la répartition (1). En attendant le recouvrement de cet emprunt, on émit des espèces de bons du trésor appelés rescriptions, qui devaient être remboursés par les premières recettes.

titre de commissaire. (Arch. de Chaumont : Délib. municipale du 19 nivose an IV — 9 janvier 1796.)

Le cahier qui renferme cette opération a pour titre : « Etat contenant le tiers des citoyens les moins mal-aisés... fourni au département de la Haute-Marne en exécution de sa lettre du 27 frimaire an IV (18 décembre 1795), afin de former le rôle de l'emprunt forcé, conformément à la loi du 19 dudit mois de frimaire » (10 décembre 1795).

Cet état porte les noms de 550 chefs de famille, leur profession, et l'estimation faite par la municipalité du capital qu'ils possèdent, d'après les prix de 1790, puis celle dressée par le jury qui souvent réduit, mais parfois augmente la première. Voici, à titre d'exemple, les dix premiers numéros de la liste, formée ordinairement selon l'ordre décroissant :

1. Le citoyen Tisserand, orfèvre, 600.000 L, somme réduite par le jury à 500.000.

2. Pierre Richard, négociant, 400.000 l., somme réduite par le jury à 150.000.

3. Edme Hébert, négociant, 400.000 l., somme réduite par le jury à 100.000.

4. Godinet-Gombert, propriétaire, 300.000 l., somme réduite par le jury à 65.000.

5. Boudard-Gentil, négociant, 200.000 1., somme réduite par le. jury à 65.000.

6. Collon, négociant, 300.000 L, somme réduite par le jury à 60.000.

7. Adrien Delaporte, négociant, 100.000 1., somme réduite par le jury à 50.000.

8. Louis Fraisse, propriétaire, 100.000 1,, somme réduite par le jury à 70.000.

9. Joseph Boudart, négociant, 100.000 l., somme réduite par le jury à 60.000.

10. Joseph Labbe, propriétaire, 83.000 l., relevée à 100.000.

La fortune du maire J.-N. Laloy et de sa fille est estimée 8.000 l. ; celle de la veuve Bourgin, sa belle-mère, 6.000 ; celle de PierreAntoine Laloy, son frère, alors représentant du peuple aux Cinqcents, 1.650 livres.

(1) Délibération du 25 nivose an IV (15 janvier 1796).


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Quand l'administration centrale eut achevé son travail, le total à percevoir lui parut « si effrayant, si disproportionné aux forces du département et aux facultés individuelles » de chacun qu'elle n'osa le faire connaître au public, dans la crainte d'exciter partout des mouvements insurrectionnels. Elle résolut donc d'avertir auparavant les ministres des révoltes qu'elle redoutait, et de leur demander l'autorisation de prendre les mesures capables de prévenir toute espèce de troubles. A cette fin, elle chargea le commissaire que le directoire exécutif venait de lui donner, d'aller à Paris exposer la malheureuse situation où se trouvait le département, et aussi les difficultés qu'elle rencontrait dans la solution de certaines affaires, notamment dans l'approvisionnement du marché des principales communes (1).

Laloy, qui n'avait encore assisté que deux fois aux séances de l'administration, se mit aussitôt en route pour la capitale, pressé de s'acquitter au plus vite de la mission délicate qui lui avait été confiée. Il fut trois semaines absent et ne reprit ses fonctions que le 12 ventose (2 mars 1796). Dans l'intervalle, le Directoire était allé au-devant de ses désirs, puisque par une lettre datée du 8 pluviose, et qui n'arriva à Chaumont qu'après son départ, le ministre avait autorisé les administrateurs des départements à faire des réductions ou décharges aux contribuables, quand celles-ci leur paraîtraient suffisamment motivées (2).

Pour répartir cet impôt avec plus de justice, on avait établi seize classes dont la première renfermait les estimations variant de 2.000 à 4.000 l. et la seizième celles de 500.000 et au-dessus. Ce rôle parut en même temps qu'une circulaire de l'administration départementale qui se terminait par ces mots : « Que ceux d'entre vous qui pourront se trouver froissés par cette mesure se rappelle qu'elle est commandée par les besoins de la patrie, et cette grande idée adoucira sans doute pour tous les bons citoyens les sacrifices que son salut exige d'eux ».

(I) Délibération du 8 pluviose an IV (28 janvier 1796).

(1) Voir délibération du 1er ventose an IV (20 février 1796).


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Comme on l'avait prévu, des réclamations s'élevèrent de tous côtés et en si grand nombre que l'administration, dont les instants étaient déjà absorbés par d'autres soucis — car il fallait tout faire marcher de front — se vit dans la nécessité de s'adjoindre, pour l'aider dans sa tâche, cinq citoyens choisis dans le personnel des tribunaux (1). Ce jury eut à juger 1.485 demandes ; et, comme aucune décision ne pouvait être prise sans que le commissaire du pouvoir exécutif ou son remplaçant fut entendu, on devine quelle somme de travail eut à fournir Laloy, obligé d'étudier toutes ces causes avant d'émettre son avis. Les motifs sur lesquels s'appuient ces réductions ou décharges sont d'ordinaire : la modicité de fortune du demandeur, le nombre de ses enfants, ses infirmités, sa vieillesse, l'étendue de ses charges, ses pertes subies à la suite de remboursements, les erreurs évidentes ou reconnues par la municipalité du canton (2), etc.

Un nombre important de citoyens profitèrent de cette occasion pour se débarrasser avantageusement de leurs assignats, la nation acceptant ce papier, ainsi que nous l'avons déjà dit, sur le pied de 100 capitaux pour un, au lieu de 150 qui était le cours du commerce. Plusieurs aussi payèrent de la sorte leurs contributions en retard, cas où l'Etat le prenait pour sa valeur nominale. Afin d'obtenir un règlement plus prompt, il avait été décidé qu'on ne recevrait d'assignats que jusqu'au 30 nivose, et que les sommes non acquittées à cette date ne pourraient l'être à l'avenir qu'en monnaie métallique, en matière d'or et d'argent ou en grains. La foule se précipita donc au bureau du percepteur de l'ancien district ; elle fut même si considérable que ce fonctionnaire se déclara dans l'impossibilité de suffire à sa besogne et pria l'administration municipale de bien vouloir lui prêter son concours, ce à quoi, du reste, elle consentit très volontiers.

(1) Voir délibération du 1er ventose an IV. — Les cinq magistrats qu'ils s'adjoignirent furent les citoyens : Raulot, de Wassy, Greslot, de Joinville, Toupot, de Chaumont, Dimey, de Nogent et Henrys, de Bourmont, tous juges au tribunal civil du département.

(2) Voir, aux Archives de la Haute-Marne, le registre de ces réductions et échanges, série L.


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Cet emprunt ne produisit pas tout l'effet qu'on en attendait, car près de deux cents millions, sur six cents, ne rentrèrent pas, et il fallut recourir de nouveau à la planche aux assignats ; avant d'être brisée, elle en fournit encore pour plusieurs milliards, quantité énorme qui les fit déprécier de plus en plus. Trois mois après, en germinal an IV (avril 1796), on vit la nécessité d'inventer un nouveau papier, les mandats territoriaux qui, à la différence des assignats, n'avaient pas comme eux, pour gage, l'ensemble des biens nationaux, mais certains biens déterminés dont les porteurs de mandats pouvaient devenir propriétaires, sans enchères et sur simple procès-verbal, d'après l'estimation de 1790. Laloy, en sa qualité de commissaire du directoire exécutif, envoya dans toutes les communes une proclamation qu'il signa avec ses collègues de l'administration centrale, pour recommander chaleureusement ces papiers qui, avant de paraître, étaient déjà fortement dépréciés, et pour menacer des plus graves peines tous ceux qui les décrieraient.

Elle se terminait ainsi : « Citoyens, qui ne voulez pas plus de Vendée que de boucheries révolutionnaires, et qui désirez de combler le précipice trop longtemps creusé sous vos pas, soutenez le gouvernement ; et, pour le soutenir, songez que le moyen le plus efficace est de vivifier les mandats territoriaux par votre confiance, de les investir de ce crédit salutaire que de vils agioteurs, qui ne s'engraissent que des revers de la patrie, s'efforcent déjà de leur enlever.

« Habitans des campagnes, cultivateurs, manouvriers, vous qui jusqu'alors avez recueilli les fruits de la Révolution, si vous voulez conserver ses précieux avantages, accueillez ce signe monétaire ; que ceux qui vous la présentent reçoivent de vous, en échange, les productions d'un sol fertilisé par vos sueurs. Et vous, habitans des principales communes, marchands, négocians, acceptez de l'agriculteur celte monnaie républicaine, dont le cours une fois facilité ravivera le commerce et ramènera l'abondance.

« Citoyens, nous le répétons : nous assurerons la circulation


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des mandats territoriaux par tous les moyens que la loi met en notre pouvoir. Le salut de la patrie et le vôtre nous font un devoir de les soutenir : nous y serons fidèles.

Signé : Berthot, président ; Lombard, Gombert, Forgeot, Henrion, administrateurs ; Laloy, commissaire du directoire exécutif; Mariotte, secrétaire en chef. » Chaumont, le 28 germinal an IV (17 avril 1796).

Malgré cette belle proclamation et les efforts des administrateurs, le peuple ne voulut voir dans ces nouveaux papiers que d'autres assignats, et ils tombèrent bientôt aussi bas que les premiers.

Après ces essais infructueux, après la banqueroute des deux tiers de la dette nationale, le Directoire toujours aux abois eut encore, en l'an VII, recours à l'emprunt forcé pour se procurer une somme de cent millions. Il fallut refaire les mêmes études qu'en l'an IV, entendre les mêmes plaintes, prendre les mêmes décisions, s'exposer aux mêmes malédictions de la part des contribuables. Combien de soucis ne causèrent pas à Laloy ces opérations difficiles et absorbantes, ainsi d'ailleurs que la rentrée des autres impôts, tant ordinaires qu'extraordinaires. C'était, en effet, l'administration centrale du département qui faisait la répartition des contributions publiques entre les cantons, et les administrations de canton entre les communes, ainsi que les agents des communes, assistés des répartiteurs, entre les habitants de chaque localité.

Comme commissaire du pouvoir exécutif, Laloy intervenait dans toutes ces décisions, émettait et défendait son avis ; de plus, il devait fournir aux administrateurs toutes les pièces nécessaires à éclairer leur religion. De là l'obligation de recourir fréquemment à ses collègues des cantons pour leur demander la liste des contribuables et l'état de leur fortune. Or, ces hommes qui étaient sans expérience, n'ayant jamais rempli de fonctions semblables, et qui du jour au lendemain devenaient par le fait « des agents particuliers des finances », ignoraient presque tout de leur nouvelle mission. Forcé de leur écrire souvent, soit pour les instruire du rôle qu'ils ont à remplir, soit


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pour relever leurs erreurs ou exciter leur zèle, il s'efforce de donner aux uns une haute idée de leur charge, leur déclarant que, sans eux et les états que seuls ils peuvent fournir, il est impossible de faire la répartition des impôts et par conséquent de les recouvrer ; aux autres, il réclame, au nom de leur patriotisme, les tableaux déjà dressés, les pressant de lui signaler les difficultés qu'ils rencontrent, afin qu'il puisse leur indiquer les moyens d'en triompher (1).

Ces humbles fonctionnaires se perdent, en effet, dans le dédale des lois fiscales qu'ils n'ont pas étudiées, aussi bien que dans l'interprétation des décrets si nombreux à celte époque, décrets qu'on applique d'abord avec rigueur et qu'on laisse ensuile sommeiller pour un temps, sauf à revenir plus tard à leur stricte exécution. Aussi Laloy déclare-t-il volontiers que « si, dans le nombre des agens des communes, il en est qui se rendent coupables de négligence, c'est le plus souvent par ignorance des lois qui les concernent ». Il insiste donc pour qu'on fasse imprimer à leur intention une instruction spéciale et détaillée, ce que l'administration décide le 6 germinal an VI (26 mars 1798) (2).

Ecrivant à ses collègues des cantons, il les presse donc de veiller tout particulièrement sur l'administration financière. « Vous savez, leur dit-il un jour, combien la comptabilité des communes en général est en désordre et arriérée... Cet état ne peut subsister plus longtemps... Aussi l'administration centrale, déterminée à porter un oeil sévère sur la gestion de ceux qui ont eu la manutention, soit des deniers communaux, soit de fonds destinés aux dépenses administratives, vient de prendre un arrêté dont les dispositions précises enlèvent à la négligence tout subterfuge et à la faiblesse toute excuse. Je vous recommande spécialement de surveiller l'exécution de cet arrêté, d'employer à cette surveillance tous les moyens que la loi vous indique et que votre zèle pour la chose publique vous suggé(1)

suggé(1) imprimée du 5 nivose an VII (25 décembre 1798).

(2) Arrêté du 6 germinal an VI (26 mars 1798).


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rera ; de m'informer, dans vos comptes décadaires, des mesures que vous aurez prises pour assurer cette exécution et des succès que vous aurez obtenus » (1).

Une autre fois, il leur écrit : « N'oubliez dans aucune circonstance, que vous êtes les défenseurs des intérêts de la République, que vous êtes placés par la Constitution pour requérir et surveiller l'exécution des lois, pour en poursuivre les infracteurs et, dans l'occasion qui se présente, pour provoquer la réparation des torts que la malveillance, la partialité, la faveur ou l'injustice, pourraient faire au trésor public ou aux contribuables... Vous me donnerez connaissance de tous les abus, erreurs ou violations de la loi que vous n'auriez pu empêcher ; j'aurai soin de les mettre sous les yeux de l'administration centrale » (2).

Enfin, continue-t-il quelques mois après : « Vous saisirez cette occasion de presser la rentrée des contributions personnelle, mobilière et somptuaire ; vous représenterez à tous les contribuables par une invitation que vous ferez publier et afficher, si vous le jugez nécessaire, de venir acquitter sans retard leurs contributions ; et lorsque vous aurez déterminé par cette voie les bons citoyens à verser promptement ce qu'ils redoivent, tant sur l'arriéré que sur l'exercice courant, pressez les percepteurs d'employer les moyens de rigueur contre ceux qui ne répondent pas à la voix de la patrie, et qui refusent d'acquitter cette dette sacrée de leurs contributions échues » (3).

S'il insistait avec tant d'ardeur sur les mesures à prendre pour alimenter le trésor national, c'est que les besoins de l'Etat étaient immenses et sa caisse presque toujours vide, les impôts ne rentrant qu'incomplètement et après une ou plusieurs années de retard. Outre les services publics à entretenir, il fallait, en effet, pourvoir aux dépenses des armées qui, en Italie, en Allemagne, en Hollande, en Egypte, combattaient pour la Répu(1)

Répu(1) imprimée du 1er brumaire an VII (22 octobre 1798).

(2) Circulaire imprimée du 5 frimaire an VII (25 novembre 1798).

(3) Circulaire imprimée du 16 floréal an VII (5 mai 1799).


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blique, ou méditaient sur les côtes de France une descente en Angleterre. Or, pour ces entreprises, il fallait beaucoup d'argent. Les armées, du reste, n'étaient pas sans causer bien des soucis aux administrateurs ; c'est que les volontaires ou les réquisitionnaires qui, entraînés par les vieilles troupes, se couvraient de gloire sur les champs de bataille ne pouvaient se décider, quand ils rentraient momentanément dans leurs familles, à regagner leurs régiments. Cette affaire de la désertion à l'intérieur fut, à cette époque, l'une des grandes préoccupations pour ne pas dire des tourments de Laloy. Aussi, trouvons-nous fréquemment sur ce sujet des circulaires signées et envoyées par lui. En vain, avait-il recours aux municipalités presque toujours impuissantes, si elles n'étaient pas complices ; le plus souvent, il n'obtenait le départ des insoumis qu'en les dénonçant aux poursuites de la gendarmerie (1).

§ III. — Exécution des lois contre le olergé

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — La liberté est rendue aux prêtres après le 9 thermidor. — Proclamation de la liberté des cultes. — Journée du 13 vendémiaire et ses suites.

— Retour de la persécution. — Laloy essaie de gagner du temps.

— Lettre du ministre. — Les prêtres rentrent dans la maison de réclusion. — Tiédeur générale dans l'application des lois de 1792 et 1793. — Le canton de Grenant est dénoncé au ministre de la police. — Rapport de Laloy à ce sujet. — Régime imposé aux prêtres reclus. — Lettre du ministre à l'administration du canton de Chaumont, et réponse de celle-ci. — Remplacement de cette administration. — La paix est pour un instant rendue à l'église. — Journée du 18 fructidor. — Les prêtres entrent de nouveau dans la maison de réclusion. — Ils sont peu après renvoyés dans leurs communes et mis sous la surveillance des municipalités.

L'exécution des lois volées en 1795 et 1796 contre les prêtres insermentés va encore créer à Laloy de nombreuses el graves

(1) Circulaires imprimées des 15 ventose an V (5 mars 1797), 23 nivose et 6 floréal an VI (12 janvier et 25 avril 1798), 28 brumaire et 16 floréal an VII (18 novembre 1798 et 5 mai 1799), etc.


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difficultés. Nous connaissons ses principes religieux, sa modération en toutes choses, son horreur pour les vexations inutiles, son énergie pour résister à toute pression qui lui déplaît ; d'autre part, nous n'ignorons pas son respect pour les décisions des assemblées souveraines. Voyons donc comment il saura conT cilier les sentiments personnels qui l'animent avec les devoirs que lui impose son titre de commissaire du directoire exécutif.

On sait qu'après le 9 thermidor (27 juillet 1794), qui fut témoin de la chute de Robespierre, la situation des prêtres réfractaires, comme on les appelait, s'améliora sensiblement (1). Plusieurs de ceux que leur âge ou leurs infirmités avaient exempté de l'exil et qui vivaient enfermés dans les maisons de réclusion furent rendus à la liberté vers la fin de 1794, et un peu plus tard tous les autres. Quant aux déportés, ils ne tardèrent pas à être rappelés par les arrêtés des représentants du peuple en mission dans les départements ou des comités de la Convention, A Chaumont, les anciens chanoines Sirjean, Legros, Henry, Bardel, Delaporte, Regnard, qui, depuis deux ans, s'étaient retirés en Suisse avec d'autres prêtres exilés en même temps qu'eux à la suite d'une dénonciation venue de Langres, obtinrent du représentant Pépin, en germinal et floréal, l'autorisation de rentrer dans leur pays (2). Le même représentant avait déjà fait mettre en liberté durant les mois de pluviose et de ventose, le plus grand nombre des ecclésiastiques détenus aux Ursulines (3).

Le décret du 11 prairial suivant (30 mai 1795), qui proclama la liberté des cultes, donna à la France une sorte de paix religieuse, paix bien incomplète et bien précaire, mais enfin une paix qui fut saluée par tous comme l'aurore d'un temps meilleur. Aussitôt le curé Babouot, qui était assermenté ainsi que

(1) Voir plus haut, p. 87.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 23 germinal et 5 floréal an III (14 et 24 avril 1795).

(3) Arch. de Chaumont : Délib. des 26 brumaire, 28 frimaire, 16 et 27 pluviose, 10 et 14 ventose, 8, 10 et 17 germinal an III (16 nov. et 18 déc. 1794, 4, 15 et 28 fév., 29 et 31 mars, 7 avril 1795).


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ses vicaires (1) demanda, le 16 prairial (4 juin 1795) (2), l'ouverture de l'église Saint-Jean, fermée le 9 germinal an II (29 mars 1794), pour y exercer les cérémonies de son culte. Le 19 prairial (7 juin 1795), les veuves Légarin, Maré, Perrin-Neuilly, Billot et Percheron déclarent à la municipalité que leurs maisons vont désormais servir chaque jour aux assemblées religieuses (3). Bientôt même les deux cultes, celui des prêtres assermentés et celui des anciens chanoines, se pratiqueront simultanément dans l'église paroissiale, celui-là aux premières heures du jour, celui-ci à partir de dix heures du matin. On y tiendra aussi les réunions décadaires. Malheureusement pour tous, cette liberté ne devait pas durer. Voici à quelle occasion elle disparut.

La constitution de l'an III, soumise à l'approbation du peuple, avait été acceptée par lui sans contradiction, mais quand, avant de se séparer, la Convention eut décidé, par son décret du 13 fructidor (30 août 1795), que les deux tiers de ses membres feraient nécessairement partie du corps législatif, des protestations surgirent de tous côtés ; le parti royaliste manifesta très haut son mécontentement. A Paris, sur 48 sections, 46 s'insurgèrent et marchèrent contre l'assemblée, mais elles furent mitraillées le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), par l'artillerie que commandait Bonaparte. Pour se venger de cette émeute, la Convention porta son décret-loi du 3 brumaire (25 octobre 1795), ordonnant d'appliquer, dans les 24 heures, les lois de 1792 et 1793 contre les prêtres insermentés, et de condamner à 2 ans de réclusion les fonctionnaires publics qui seraient convaincus de négligence sur ce point. Elle annula en même temps tous les arrêtés contraires, qu'ils fussent signés ou non des comités de l'assemblée ou de ses représentants en mission (4).

(1) Le curé Babouol, assisté de tous ses vicaires el do l'aumônier de l'hôpital, avait prêté serment on môme temps que les professeurs et directeurs du collège, à la constitution civile du clergé le 16 janvier 1791. (Voir la délibération de ce jour). Les anciens chanoines qui, du reste, n'y étaient pas tenus, ne le prêtèrent pas ; seul, l'un d'eux, Nicolas Cadié, lo fit do lui-môme les années suivantes.

(2) Arch. de Chaumont: Délib. du 16 prairial an III (4 juin 1795).

(3) Arch. de Chaumont: Délib. du 19 prairial (7 juin 1795).

(4) Voir la loi du 3 brumaire au III (25 octobre 1795).


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Le Directoire, qui va succéder à la Convention et est composé de 5 régicides, continuera de marcher dans cette voie et mettra aussitôt ses commissaires des départements en demeure d'agir avec la plus grande rigueur. Lorsque le texte de cette loi arriva à Chaumont, le district qui était sur le point de disparaître — la nouvelle constitution ayant supprimé ce rouage administratif — l'envoya au maire en lui demandant malicieusement quelles mesures il comptait prendre pour en assurer l'exécution, car Laloy était encore à la tête de la municipalité. Celle-ci lui répondit immédiatement que le maire lui communiquerait tout prochainement ses décisions. Or, on savait que cette assemblée venait de tenir sa dernière séance. Laloy attendit encore 5 jours, c'est-à-dire sa dissolution complète et définitive pour faire savoir au département que l'administration du district n'ayant point indiqué de maison destinée à servir de lieu de réclusion aux ecclésiastiques, il surseoirait à toute décision à ce sujet (1). Son but était, comme toujours, de gagner du temps, mais ce prétexte ingénieux ne pouvait être que passager.

Au bout de 4 décades, c'est-à-dire le 1er nivose (21 décembre 1795), l'administration centrale du déparlement lui transmet une lettre du Ministre de l'Intérieur insistant sur l'urgence d'appliquer à la lettre les décrets de la Convention. Le jour même, Laloy répond qu'il va prévenir les prêtres réfractaires demeurant à Chaumont des dispositions qui les concernent et, le lendemain, le docteur Barbolain ayant constaté que 10 d'entre eux, Bernard Jacquinol, François Baudot, Jean Ravier, anciens curés, Pierre Sirjean, Claude Bardel, Louis-Georges Henry, Claude Legros, François - Marie Delaporte, Jean - Baptiste Regnard, anciens chanoines, et Jean Jolly, ancien religieux, étaient atteints d'infirmités qui les dispensaient de l'exil, tous entrèrent dans la maison de réclusion (2). Les jours suivants,

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 16 brumaire an IV (7 novembre 1795).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 1er uivose an IV (21 décembre 1795).


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d'autres vinrent des villages voisins se réunir à eux, et un peu plus tard, de tous les points du département. Après avoir joui de la liberté 9 mois durant, pendant lesquels ils avaient exercé leur culte, soit à l'église paroissiale, soit dans les maisons particulières, tous ces prêtres la perdaient de nouveau en s'enfermant pour la seconde fois au couvent des Ursulines.

Aux ordres sanguinaires lancés par le Directoire, ses commissaires répondirent en diverses régions par des poursuites qui envoyèrent plus de 20 prêtres à la mort. Mais bientôt l'opinion publique se révolta, les Conseils élevèrent des protestations, personne ne voulait plus entendre parler de guillotine. On se contenta donc, presque partout, d'emprisonner les réfractaires ou de les faire traquer, de jour et de nuit, par la gendarmerie et les colonnes mobiles de la garde nationale mises pour la circonstance à sa disposition (1).

En Haute-Marne, on ne comprit pas tout d'abord le motif de ce retour à la persécution : aussi la loi du 3 brumaire resta-t-elle pour un temps inobservée. Chacun cherchait à en éluder ou retarder les effets. Du reste, l'administration du département n'était pas encore complète ; aucun commissaire du pouvoir exécutif ne lui avait été adjoint, et c'était l'un de ses membres qui, provisoirement et comme malgré lui, en remplissait les fonctions. Deux mois s'étaient ainsi écoulés sans que rien ou presque rien n'eut été fait en ce sens. On s'était contenté d'envoyer aux administrations de canton les ordres du ministre, en attendant l'arrivée du fonctionnaire qui devait veiller à leur exécution.

A peine Laloy fut-il nommé qu'il entreprit, comme nous l'avons raconté, le voyage de Paris, restant loin de Chaumont l'espace de 3 semaines (2) pendant lesquels la loi du 3 brumaire demeura forcément en souffrance. L'administration avait bien pris quelques mesures transitoires, mais presque toutes ineffi(1)

ineffi(1) la circulaire imprimée du 25 messidor an IV (13 juillet 1796).

(2) Voir plus haut, p. 134.


Choeur du temple de la Raison

Ancienne chapelle du Collège de Chaumont, dont le retable avait été voilé par une cloison en planches montant jusqu'à la voûte et au devant de laquelle on avait dressé une estrade pour les statues du nouveau culte. A l'entrée de la nef, sous la tribune, était suspendu le niveau de l'Egalité.

Planche VIII.

(Voir p. 102, 234).



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caces. Ses atermoiements successifs irritèrent un certain nombre de patriotes qui les dénoncèrent au ministre de la police, accusant presque cette assemblée de pactiser avec les rebelles. Il est de fait que très peu de prêtres avaient repassé la frontière, et que presque tous étaient restés clans leurs paroisses sur la demande formelle et instante des habitants qui se chargeaient de les nourrir, de les protéger et au besoin de les cacher. Dans maintes localités, les offices se célébraient publiquement, et on les annonçait le plus souvent au son de la cloche communale.

Dans sa lettre du 11 pluviose (31 janvier 1796), le ministre de la police se plaint amèrement de ce désordre et signale en particulier le canton de Grenant comme « un canton où l'esprit public est absolument corrompu, où la révolte contre le gouvernement y paraît ouverte, où la mollesse la plus dangereuse, la plus coupable inertie, distinguent les fonctionnaires de tout rang, où les prêtres réfractaires, déportés d'abord, rentrés ensuite, y secouent impunément les torches du fanatisme (1) ». Laloy venait de quitter Chaumont quand arrivèrent ces plaintes. En son absence, l'administration somma le commissaire de ce canton de faire exécuter la loi dans les 3 jours, et, après avoir prévenu le ministre, attendit le retour de son envoyé (2).

Le ministre trouva celte conduite insuffisante ; il écrivit donc à son commissaire, revenu de Paris, deux lettres en date des 11 et 12 ventose, relativement aux troubles religieux qui avaient éclaté à Grenant et pays voisins. Appelé à faire, sur ce sujet, un rapport à l'administration, Laloy déposa d'abord les dites lettres sur le bureau, puis s'exprima ainsi :

« La première de ces lettres vous apprendra, citoyens, que, malgré toutes les mesures par vous prises pour faire exécuter l'article 10 de la loi du 3 brumaire clans tout le département, et notamment dans le canton de Grenant et autres circonvoisins,

(1) Arch. de la Haute-Marne. L. Délib. de l'administration centrale du 15 pluviose an IV (4 février 1796).

(2) Arch. de la Haute-Marne. L. Délib. de l'administration centrale du 15 pluviose an IV (4 février 1796).

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cependant le nommé Monginot, prêtre déporté, rentré, accusé d'avoir porté les armes contre la République, habite la commune de Grandchamp, protégé par l'agent municipal de celte commune chez lequel il est logé ; qu'à Grenant le nommé Henry, à Saulles le nommé Fresnes, à F relies le nommé Guenièvre, à Rivières-le-Bois un nommé Cornet, à Violot les deux Huin frères, au Pailly le nommé Guéret, à St-Broingt-le-Bois le nommé Millet, à Heuilley-le-Grand le nommé Sauvage, à Piépape le nommé Hudelet, et enfin à Coublanc le nommé Lomprez, profilant de l'ignorance des habitans des campagnes, fanatisent, portent l'inquiétude, la désunion clans les familles, rebaptisent, remarient, exercent solennellement et au son de la cloche leur culte, sans éprouver la plus légère opposition de la part des autorités constituées.

« Le gouvernement, dont la sollicitude est sans cesse excitée par les dénonciations nombreuses qui lui sont adressées par des patriotes de ces cantons, et surtout des environs de Champlitte, sachant que vous êtes informés de ces désordres, impute à votre négligence leur trop longue durée et va jusqu'à vous soupçonner de malveillance.

« Cependant, en parcourant avec attention votre correspondance, j'ai vu que vous n'avez cessé de provoquer dans tout le département l'exécution complète et entière de la loi du 3 brumaire ; que, par vos arrêtés et les lettres de celui de vos membres qui faisait les fonctions de commissaire du directoire exécutif, vous avez constamment stimulé les administrations municipales et les commissaires du pouvoir exécutif près d'elles, particulièrement clans le canton de Grenant et autres environnantes.

« Mais il n'est malheureusement que trop vrai que, malgré vos pressantes sollicitations, la loi est restée sans exécution clans le plus grand nombre des cantons de ce département ; que les autorités constituées vous ont elles-mêmes l'ait parvenir des adresses tendantes à conserver clans leurs communes les prêtres insermentés..., telle celle du 20 nivose présentée par l'administration municipale du canton de Grenant au corps législatif, au directoire exécutif, au ministre de l'Intérieur, et vous ont provoqués en apparence par les adresses particulières des communes de Saulles, Frettes, Mâatz et Coublanc, signées par le


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plus grand nombre des habitans, parmi lesquels nous avons cru reconnaître la signature du président de l'administration municipale, et celle d'un des agens dont on a ensuite effacé la qualité. » Cette administration déclare même que, si elle a observé une partie de la loi, elle « n'a pas mis ni cru devoir mettre dans son exécution une extrême rigueur, attendu qu'on n'a point à se plaindre des prêtres habitant son canton. »

Laloy, qui aurait pu réclamer la poursuite de ces fonctionnaires et leur faire infliger deux ans de prison, se contente de demander la suspension du président et des agents de l'administration de ce canton, l'envoi d'une instruction dans toutes les communes pour rappeler les lois portées contre les prêtres insermentés et les signes extérieurs du culte ; et il menace de déférer aux tribunaux, après informations, les auteurs des faits incriminés (1).

On remarquera que ce réquisitoire donné tout au long dans la délibération du 18 ventose (8 mars 1795) et qui devait être envoyé au ministre, avait surtout pour but de décharger l'administration centrale du département, en prouvant au chef de la police qu'elle avait employé tous les moyens qui dépendaient d'elle pour assurer l'exécution de la loi. Il devait servir également à faire connaître en haut lieu l'opinion du pays, en montrant que les prêtres insermentés étaient accueillis favorablement dans la plupart des communes et par la plus grande partie de la population.

L'administration vota les mesures proposées par le commissaire ; elle fit rédiger une instruction destinée aux agents des cantons et n'intenta aux délinquants aucune poursuite, du moins à notre connaissance.

Les peines, du reste, portées contre les fonctionnaires négligents, étaient trop fortes pour être appliquées, et les coupables trop nombreux pour être punis. Les prêtres supprimèrent les offices publics ; ils se cachèrent ou feignirent de se cacher pour un temps; quelques-uns passèrent la frontière et tous ceux que

(1) Arch. de la Haute-Marne. L. Adm. cent, du Départ. : Délibération du 18 ventose an III (8 mars 1795 .


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l'âge ou les infirmités mettaient à l'abri de la déportation, demandèrent à entrer dans la maison de réclusion où l'on tolérait tous les adoucissements compatibles avec l'obéissance à la loi.

C'est ainsi qu'on permit aux détenus infirmes d'avoir à leur service une personne de confiance ou parente (1), de sortir même de la maison, s'ils étaient atteints de maladie grave (2), on devaient régler un compte de famille (3), ou enfin pour assister un parent sur le point de mourir (4). Ces détenus manquent-ils d'une nourriture suffisante ? Ils n'ont qu'à le dire et on leur on servira abondamment ; réclament-ils du grain pour le faire moudre, parce que le pain qu'on leur fournit est mal préparé ? (5). On leur en distribuera assez pour produire une livre et demie de pain chaque jour, quantité fixée par l'administration supérieure (6).

Les permissions de sortir de la maison sont souvent renouvelées pour deux ou trois décades, parfois pour un temps plus long. Les ecclésiastiques préfèrent se soumettre à ce régime que de s'exposer à de fortes amendes, à la prison ou à l'exil. Aussi, tous ceux de Chaumont qui avaient été frappés par les lois de 1792 et 1793 n'hésitèrent-ils pas un instant à s'enfermer dans cette maison.

En veut-on la preuve? La voici. Quand le ministre demanda à la municipalité, le 12 germinal (ler avril 1796), s'il existait dans son sein quelqu'un de ces prêtres, elle répondit : « Lors de la loi du 3 brumaire an IV (26 octobre 1795), il y avait dans notre canton deux prêtres non sermentés, les nommés Madelaine et Mathieu, qui étaient restés en France, et quelques autres déportés qui y étaient rentrés en vertu d'arrêtés du représentant du peuple Pépin, en mission dans notre département : mais nous

(1) Arch. de Chaumont : Délib. dos 3 niv., 29 pluv., 23 floréal (24 décembre 1794, 8 février 1795 et 12 mai 1796), etc.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 30 pluv., 3 vent., 19 et 29 mess., 9, 14, 22 et 23 thorm. (19 et 22 février, 9 mars, 7 et 17 juillet, et 27 juillet, 1er, 9 et 10 août 1796).

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 11 vend, an V (2 octobre 1796).

(4) Arch. de Chaumont : Délib. du 30 pluv. au IV (19 fév. 1796).

(5) Arch. de Chaumont : Délib. du 16 germ. au IV (5 avril 1796). (6) Arch. de Chaumont : Délib. du 6 floréal an IV (25 avril 1796).


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avons mis à exécution contre eux ladite loi du 3 brumaire, et tous ces particuliers sont actuellement renfermés dans la maison de réclusion près le département, ayant justifié, les uns qu'ils étaient sexagénaires, les autres qu'ils étaient infirmes, au désir de l'article 8 de la loi du 26 août 1792 » (1).

C'est l'administration municipale de Chaumont qui fait cette réponse, car c'est elle qui a la surveillance de la maison de détention. Pauvre administration que le départ de Laloy a décapitée ; elle sait qu'elle ne demeure en fonction qu'à titre provisoire, la nouvelle constitution exigeant son remplacement à bref délai ! Aussi bien ses membres ne viennent pour ainsi dire plus aux réunions. Nous le savons par l'un d'eux, le citoyen Picard. Le 14 floréal an IV (3 mai 1794), il avertit le département « que le canton de Chaumont est à la veille d'être sans administrateurs municipaux ; que, depuis plusieurs mois, deux d'entre eux ont quitté leur poste ; que deux autres n'assistent plus que très rarement aux séances ; que deux autres encore viennent de déclarer qu'ils ne pouvaient plus continuer leurs fonctions ; que notamment l'un d'eux, officier public, a manifesté l'intention de remettre sous trois jours les registres de l'Etat-civil ; qu'enfin il ne reste plus en exercice que deux administrateurs, nombre insuffisant pour délibérer (2) ». On voit dans quel désarroi était tombée, après la démission de son maire, la municipalité de Chaumont.

Plusieurs fois déjà le département, qui connaissait cette situation, avait insisté près du ministre de l'Intérieur pour qu'il réorganisât au plus tôt cette administration, mais toutes ses démarches avaient été sans résultat. Il va en faire de nouvelles et, en attendant, il presse les anciens conseillers de reprendre ou continuer leurs charges : double résolution dont il fait part

(1) Arch. de Chaumont: Délib. du 22 germ. an IV (11 avril 1790).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. des 14 floréal an IV (3 mai 1796), et Arch. de la Haute-Marne. L. adm. centrale : Délib. du même jour.


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au ministre et à la municipalité (I). Avant d'y répondre, l'autorité supérieure devait encore laisser un mois s'écouler. Ce ne fut, en effet, que le 24 messidor (12 juillet 1796) qu'arriva à Chaumont son arrêté du 21, qui nommait cinq membres pour former la nouvelle administration.

Mais revenons à la loi du 3 brumaire (25 octobre 1795). Sous la pression de l'opinion publique et des principes libéraux représentés dans les Conseils, elle fut rapportée au bout de onze mois, en décembre 1796, mais non pas les lois et décrets de proscriptions qui dataient de 1792 et 1793. On avait simplement résolu de ne plus les appliquer, mais ils restaient toujours suspendus, comme une épée de Damoclès, sur la tête du clergé.

Néanmoins, la décision prise par le Directoire fut partout accueillie avec joie. Les prêtres détenus recouvraient leur liberté, les exilés rentraient dans leur patrie, ceux qui s'étaient cachés sortaient de leurs retraites et se montraient au grand jour. Les peuples joyeux les recevaient en triomphe ; les cloches se faisaient entendre à leur arrivée et les offices se célébraient partout avec solennité. La nation se sentait enfin revivre (2).

Ainsi se passèrent les premiers mois de 1797. Les élections qui eurent lieu cette année pour renouveler partiellement les

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 16 floréal an VI. « L'administration .. considérant que, malgré ses instances réitérées auprès du ministre do l'Intérieur, elle n'a pas encore pu obtenir qu'il soit pourvu par le directoire exécutif à l'organisation de l'administration municipale du canton de Chaumont ;

« Considérant qu'il importe que l'ancienne conserve provisoirement ses fonctions. . . sans quoi l'exécution des lois serait compromise ; Arrête, le commissaire du directoire exécutif entendu, qu'elle fera de nouvelles démarches... et invite les citoyens Picard et Regnard à continuer leurs fonctions jusqu'à l'organisation définitive de celle administration ; les citoyens Chatelain et Guignard à renoncer à leur projet ; les citoyens Dalle et Mangot à être plus exacts aux réunions ; les citoyens Abraham et Laurent à reprendre leurs fonctions. . . »

(2) Arch. de la Haute-Marne : L. Administ. cent, du Dép. Délibération du 25 messidor an IV (13 juillet 1796).


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Conseils firent entrer dans leur sein beaucoup d'hommes modérés, même de royalistes, qui s'empressèrent, une fois nommés, de demander la suppression des lois sanguinaires de 1792 et 1793, suppression qui fut votée le 7 fructidor an V (24 août 1797). La paix religieuse semblait donc définitive; malheureusement pour le pays, cette paix ne devait encore être qu'un rêve.

En effet, dix jours après, le Directoire se voyant en minorité dans les Conseils, et craignant l'arrivée au pouvoir du parti royaliste, fit le coup d'Etat du 18 fructidor (4 septembre 1797) contre les libéraux qui avaient voté la loi du 7 de ce mois. Il annula leurs élections, rapporta la loi qui venait d'être votée, ordonnant d'appliquer avec la plus grande rigueur les lois et décrets qu'elle avait supprimés. Quinze jours après être sortis de prison, les prêtres de Chaumont durent donc y rentrer (1), et ils y furent bientôt rejoints par un grand nombre de leurs confrères (2).

Le Directoire, du reste, va se montrer partout intraitable. S'imaginant qu'il est entouré d'ennemis, il frappe en aveugle et de tous côtés. Le 8 vendémiaire an VI (29 septembre 1797), il destitue l'administration centrale de la Haute-Marne, sous prétexte qu'elle n'a pris « aucune mesure efficace pour s'opposer à la rentrée des émigrés ou les faire arrêter, pas plus que contre les prêtres déportés et réfractaires qui affluent dans son ressort », et il nomme 5 nouveaux membres pour la remplacer (3). Le même jour et pour le même motif, il suspend l'administration municipale du canton de Langres, et peu après de nombreux agents communaux soupçonnés d'avoir défendu ou protégé les prêtres insermentés qu'il poursuit avec acharnement (4).

(1) Arch. de Chaumont : Délib. du 4e jour complémentaire de l'an V (20 septembre 1797).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 2 brumaire an VI (23 octobre 1797).

(3) Ces membres étaient : Henrion-Pansey et Valdruche, ex-législateurs ; Godinet-le-jeune, commissaire près de l'administration municipale du canton de Chaumont ; Mulson, commissaire près de celle de Langres, et Vincent, de Bourmont, ex-administrateur. (Arch. de la Haute-Marne : L. Délib. du 17 vend, an VI) (8 oct. 1797;.

(4) Arch. de la Haute-Marne : L. Administ. centrale. Délib. du 11 pluviose an VI (30 janvier 1798), et autres.


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Il n'y a guère que Laloy, pourtant si modéré, qu'on ne songe pas à inquiéter; aucun régime ne met en doute son civisme. Il est bon de dire toutefois que la présence de son frère dans les Conseils du gouvernement ne dut pas lui être inutile.

Trois semaines s'écoulèrent, après lesquelles une innovation fut introduite. Par sa lettre du 3 brumaire (24 octobre 1797), le ministre de la police générale permit de renvoyer dans leurs municipalités les ecclésiastiques reclus, pour y demeurer sous la surveillance des administrations de canton. Ceux qui étaient sujets à la déportation n'y pouvaient exercer aucun culte, même clans les maisons particulières, et obligation leur était imposée d'envoyer chaque mois au département un certificat de médecin constatant qu'ils n'étaient pas encore transportables. Quant aux valides, ils devaient quitter le territoire de la République clans l'espace de 15 jours. C'était, on le voit, la remise en vigueur des lois de 1792. Désobéissaient-ils à cet ordre, ils étaient emprisonnés et envoyés à Cayenne où les attendaient des privations sans nombre et des maladies causées par le climat, qui les conduisaient lentement mais sûrement à la mort.

Le ministre, toutefois, s'opposait à ce qu'on infligeât aux uns et aux autres de mauvais traitements. Telle avait toujours été la pensée de Laloy, et il dut être heureux de transmettre à ses collègues des cantons la lettre qu'il reçut, le 18 nivose an VI (7 janvier 1798), du ministre de la police, Sotin. « Si le salut de la patrie, disait ce ministre, exige des mesures de sévérité à l'égard des prêtres insoumis », en vertu de la loi du 19 fructidor, il ne faut pas user des rigueurs qu'on se permet en certains lieux contre ceux que la loi a cru devoir frapper ». Il menace même de punir sévèrement les commissaires ou les administrateurs qui se rendraient coupables sous ce rapport. Dans la Haute-Marne, on ne connaissait aucun excès de ce genre : aussi le commissaire du département, en adressant cette lettre à ses collègues, n'y ajoute-t-il aucun commentaire (1).

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. Admin. centrale. Circulaire imprimée on date do nivose au VI.


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§ IV. — Lois restrictives de la liberté du culte catholique et imposant l'observation des décadis et fêtes républicaines

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — Restriction de la liberté des cultes. — Les sonneries de cloches. — Circulaires de Laloy à ce sujet. — Confiscation des cloches de Grenant et de Chalindrey. — Ordre de détruire ce qui reste des signes extérieurs du culte. — Sévérité des circulaires et modération des actes. — Arrêté concernant l'observation des décadis. — Nouvelles lois sur les jours de repos. — Institution de nouvelles fêtes républicaines. — Circulaires de Laloy pour les expliquer. — Comment elles sont célébrées à Chaumont.

L'esprit des gouvernements est devenu si mauvais, en 1798, qu'ils s'en prennent non seulement aux prêtres réfractaires, mais encore aux assermentés ; ils leur défendent, en effet, d'annoncer les exercices du culte par le son des cloches (1). Laloy ne profitera pas de celte occasion pour déclarer la guerre à l'église ou tourner en ridicule des usages respectables, mais il essaiera de faire comprendre aux commissaires des cantons que si cette mesure a été prise, elle ne l'a pas été contre la religion, puisqu'à Chaumont, où l'on ne sonne pas les cloches, chacun pratique librement et ostensiblement ses croyances. Cette défense, ajoute-t-il, n'est pas nouvelle ; elle a déjà été portée par les lois des 3 ventose et 22 germinal an IV (22 février et 11 avril 1796), et elle n'a pas d'autre but que de montrer à tous que, les cultes étant égaux et libres, aucun ne doit dominer (2). Ecoutons-le d'ailleurs :

« Dans toutes les grandes communes de ce département, les citoyens exercent paisiblement leur culte ; ils se réunissent à cet effet avec liberté, avec tranquillité, avec décence, sous la protection des lois, sans provocation ni convocation illicite, et cependant ils sont en plus grand nombre que dans vos communes ; ils sont dispersés dans des ateliers, reprennent et quittent leurs travaux à des heures différentes.

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. Admin. centrale. Arrêté du 29 brumaire an VI (19 novembre 1797).

(2) Arch. de la Haute-Marne : L. Admin. centrale. Circulaire imprimée du 15 floréal an VI (4 mai 1798.).


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« Les signes de leur culte, rassemblés dans les édifices destinés à son exercice, ne sont pas exposés à être renversés par la force et au nom des lois, comme des signes de rebellion, ou à devenir l'objet de la dérision ou des insultes des sectateurs d'un culte différent.

« Enfin, dans ces grandes communes, ces citoyens amis de l'ordre adorent Dieu à leur manière, pratiquent le culte qu'ils ont adopté, respectent les lois de leur pays, reçoivent la protection qu'ils ont le droit d'en attendre, et la religion qu'ils professent n'est jamais pour eux la cause ou l'occasion d'une révolte ouverte et habituelle.

« Cet état de désordre, dont vous êtes tous les jours témoins, ne peut ni ne doit être toléré plus longtemps. A l'exemple des autorités locales des grandes communes, veillez au maintien des lois ; déployez, pour en assurer l'exécution, le zèle et l'énergie d'un fonctionnaire républicain ; et, si quelques-uns de vos administrés prétendaient s'excuser sur leur ignorance, rappelez-leur les dispositions de ces lois. . .

« Vous annoncerez à chacun des agens, dit-il encore, qu'ils sont responsables de l'abus qui pourrait être fait des cloches confiées à leur garde... S'il arrivait que les malveillans ne puissent être reconnus et qu'il ne se trouvât clans la commune aucun bon citoyen qui voulut indiquer les auteurs de ces attentats, je déclare que je prendrai les mesures nécessaires pour faire descendre et enlever les cloches devenues une occasion de trouble et de rébellion dans ces communes. »

Il veut donc, à tout prix, que les arrêtés de l'administration soient observés ; aussi, quand il apprend que, malgré sa défense, on continue de sonner la cloche pour les offices à Chalindrey et à Grenant, il requiert l'administration d'en ordonner la descente, aux frais de ces municipalités, par des ouvriers de Chaumont, et leur transport, par des voituriers du même lieu, sous le péristyle de l'Hôtel de ville : ce qui est fait aussitôt (1). Et quand on

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. Admin. centrale. Arrêté du 8 messidor an VI (26 juin 1798).


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lui rapporte que des signes extérieurs du culte — des croix sans doute — sont encore debout, malgré la prohibition bien connue, à La Ville-au-Bois, à Is, à Odival et à Baissey, il provoque un arrêté exigeant leur renversement immédiat aux frais de ces communes, de telle sorte qu'il n'en reste pas trace (1).

Il fait connaître cette décision à tous ses collègues et les invite à lui donner la plus grande publicité. Il faut qu'on sache partout, leur dit-il, que « force restera à la loi ». Partout donc, où l'on « affectera de laisser debout les supports, les futs, colonnes ou piédestaux de ces signes, hors des lieux désignés par l'article 13 de la loi du 7 vendémiaire, requérez l'agent municipal de la faire enlever sur-le-champ et d'en employer les matériaux ou de les vendre au profit de la commune. En cas de refus ou de négligence, dressez-en un procès-verbal que vous me transmettrez dans la décade. Je vous recommande de nouveau de m'envoyer les noms des ministres du culte qui exercent dans les communes où ces infractions se perpétuent avec tant d'obstination. Je vous avais demandé ces renseignements par ma circulaire du 15 floréal : aucun de vous ne me les a fournis » (2).

Dans l'accomplissement de ses fonctions de commissaire, Laloy n'était pas aussi sévère, aussi intransigeant qu'on eût pu le croire à la lecture de ses circulaires. Il est vraisemblable qu'il demandait beaucoup pour obtenir peu, car dans la pratique il est très conciliant. Nous en trouvons la preuve dans la lettre d'un de ses subordonnés, le citoyen Godinet-le-jeune, commissaire du directoire exécutif près l'administration municipale du canton de Chaumont. Fort zélé pour l'observation rigoureuse des lois républicaines, il écrit au frère de Laloy, alors représentant du peuple et président du Conseil des anciens, pour le consulter sur un cas particulier :

« Vous savez, lui dit-il, qu'il existait anciennement, proche

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. Admin. cent. Arrêté du 29 messidor an VI (17 juillet 1798).

(2) Arch. de la Haute-Marne : L. Admin. centrale. Circulaire imprimée.


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notre commune, un hermitage que le fanatisme avait érigé en l'honneur du ci-devant St-Roch ; vous savez encore que les Chaumontais avaient tous les ans l'habitude, d'aller honorer ce ci-devant, et lui rendaient un culte de plusieurs manières. Eh bien, d'après ces connaissances locales, voici ce qui est arrivé. Le 29 thermidor dernier, jour précisément où l'idiotisme ancien des Chaumontais festait le ci-devant St-Roch, il s'est fait dans son ancien oratoire, connu sous le nom de chapelle, un rassemblement ; à la tète de ce rassemblement était un ministre du culte (le prêtre Driou) qui y a dit messe et vêpres.

« Or, j'ai dénoncé la conduite de ce ministre à l'accusateur public ; j'ai prétendu qu'elle était contraire à la loi du 7 vend. an IV relative au culte, et à l'arrêté du directoire exécutif du 14 germinal dernier sur l'exécution du calendrier républicain ; j'aurais dénoncé ce ministre du culte au ministre de la police générale, si le citoyen votre frère, que j'ai coutume de consulter clans les affaires délicates et qui m'a, en quelque sorte, dirigé en celle-ci, ne m'en eut empêché. Quoi qu'il en soit, ma surveillance, mon attachement à la stricte exécution des lois gêne nos prétendus concitoyens, ils me menacent et font tous leurs efforts pour me rendre odieux au gouvernement, en disant que je vexe les patriotes.

« D'après ce détail, j'ai à me reprocher de n'avoir pas informé le ministre de ce rassemblement, de ne lui avoir pas fait connaître l'affectation d'avoir célébré le culte dans cette ci-devant chapelle de saint Roch et d'avoir choisi le jour qu'anciennement on lui rendait un culte, le déplacement du ministre ce jour, tandis que, pendant toute l'année, il n'en a pas approché, la provocation au fanatisme, le rappel à l'ancien calendrier, en un mot la résistance à l'exécution des lois. Ce que je n'ai pas fait, je puis le faire encore, ne fut-ce que pour faire raser celte cidevant chapelle, mais avant de le faire, j'attendrai votre avis.

« Salut et fraternité. Godinet. »

Nous ne connaissons pas la réponse de Pierre-Antoine Laloy, mais il est certain que ce représentant, pas plus que son frère, n'engagea Godinet à dénoncer Driou, puisqu'aucune poursuite ne fut exercée contre ce prêtre, et que l'ancienne chapelle resta encore longtemps debout. Ni l'un ni l'autre des deux frères n'étaient, du reste, vindicatifs. Ils se sont signalés toute leur vie


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par les nombreux services qu'ils ont rendus à leurs compatriotes, et jamais par des persécutions dont ils auraient été la cause.

Son titre de commissaire du pouvoir exécutif n'imposait pas seulement à Laloy l'obligation de réprimer tout exercice extérieur du culte catholique ; il lui faisait encore un devoir de protéger et même de provoquer l'observation des fêtes républicaines. En racontant l'histoire de son mariai, nous avons dit que ces fêtes, après avoir été un instant célébrées à Chaumont, ainsi que les décadis, avec une certaine solennité, étaient bientôt tombés dans le discrédit, et que le district en rejetait la faute sur le maire de cette commune. Le district se trompait, puisqu'après la démission de Laloy, ces jours ne furent pas mieux gardés. Du reste, il en était à peu près de même dans toute la France. Le corps législatif s'émut de cette situation et demanda aux municipalités d'en prescrire le respect.

Celle de Chaumont défendit donc, le 14 frimaire an VI (4 décembre 1797), aux habitants d'exposer ce jour-là aucune marchandise en vente, sauf des comestibles, dans les rues, places et marchés ou étalages faisant saillie sur la voie publique ; aux maçons, charpentiers ou autres ouvriers de travailler au dehors ; elle invita les fonctionnaires à assister à la fête et les membres des administrations supérieures, les instituteurs à y amener leurs élèves et à y prononcer des discours de morale, les ministres des cultes à réserver pour ces jours leurs cérémonies les plus imposantes, les militaires à tirer à la cible, les jeunes gens à se livrer aux divertissements qui leur étaient préparés, aux artistes à donner le soir des représentations (1).

Peine inutile, car huit mois après, cette même municipalité est obligée de reconnaître que jusqu'alors les lois sur les fêtes décadaires n'ont pas le respect qu'elles méritent, et elle ordonne de les célébrer à l'avenir d'une manière plus régulière. Elle veut que, sauf pour les comestibles, aucune marchandise, non seule(1)

seule(1) de Chaumont : Arrêté municipal du 14 frimaire an VI (4 décembre 1797).


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ment ne soit exposée en public, mais même ne puisse être aperçue du dehors pendant le jour tout entier. Le 14 germinal suivant (3 avril 1799), elle va plus loin, elle défend aux maîtres de billards de tenir leurs jeux ouverts pendant la lecture des lois, et aux aubergistes de donner à boire pendant le même temps aux citoyens de la commune.

C'était pour relever la célébration du décadi tombé si bas que des lois spéciales, comme celles du 17 thermidor (4 août 1798), dont nous venons de parler, et celle du 13 fructidor (30 août 1798), avaient été portées. Cette dernière ordonnait à tous les membres des administrations municipales et aux commissaires du pouvoir exécutif de se rassembler ce jour-là au lieu habituel des réunions publiques, d'y célébrer les mariages, d'y faire connaître les naissances et décès survenus clans la décade, d'y lire le bulletin officiel qui ne publierait pas seulement les lois, mais des nouvelles intéressant la République, les actes de bravoure des défenseurs de la patrie et des articles concernant l'agriculture ou le commerce. Elle obligeait les instituteurs et les institutrices à y conduire leurs élèves, mesures qui devaient être appliquées à partir du premier décadi de l'an VII (23 septembre 1798).

En l'annonçant à ses collègues le 30 fructidor de l'an VI (16 septembre 1798), Laloy leur disait : « Vous avez, citoyen commissaire, manifesté souvent vos regrets de n'avoir pas à votre disposition des moyens suifisans de maintenir dans votre arrondissement la célébration du décadi. Les moyens qui vous manquaient, la loi du 13 de ce mois vous les assure aujourd'hui.

« La célébration des mariages au chef-lieu attirera une nombreuse aflluence de spectateurs ; la lecture des lois et des actes de l'autorité civile, entendue par un grand nombre de citoyens, deviendra plus généralement utile ; le bulletin décadaire des affaires générales de la République excitera une louable curiosité et bientôt un véritable intérêt. Il vous est donc facile maintenant de donner à ces institutions républicaines, de l'éclat, de la dignité et surtout de l'utilité, même clans les plus petits cantons ; et, puisque vous le pouvez, vous le devez » (1).

(1) Arch. de la Haute-Marne : L. Circulaire imprimée du commissaire du directoire exécutif on date du 30 fructidor au VI (16 septembre 1798).


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En dehors du décadi qui revenait trois fois le mois, la République avait institué des fêtes spéciales pour rappeler les anniversaires des principaux événements de la Révolution, tels que le 14 juillet, le 10 août, etc. (1). Sous le Directoire, elle chercha, pour varier les cérémonies et donner aux décadis plus d'attraits, à introduire une fêle particulière empruntée au culte des théophilanthropes, fête qui se célébrerait le premier décadi de chaque mois, en l'honneur de la jeunesse (10 germinal — 30 mars), des époux (10 floréal — 29 avril), de la victoire (10 prairial — 29 mai), de l'agriculture (10 messidor :— 28 juin), de la liberté (10 thermidor — 28 juillet), etc.

La première fois que nous voyons Laloy intervenir dans l'exercice de ce culte, c'est à l'occasion de la fête des époux. L'arrêté du 27 germinal an IV (16 avril 1796) ayant ordonné que le 10 floréal suivant (29 avril 1796), on célébrerait cette fête dans toutes les municipalités, les administrateurs des cantons durent rechercher les personnes mariées qui s'étaient distinguées par des actes louables ou qui, chargées de famille, avaient adopté un ou plusieurs orphelins pour inscrire leurs noms sur un tableau d'honneur et leur distribuer des couronnes civiques. Ils durent encore inviter les jeunes époux unis depuis un mois à venir avec leurs épouses vêtues de blanc, parées de fleurs et de rubans tricolores, prendre part au cortège ; donner une place d'honneur aux vieillards qui étaient priés d'amener avec eux leurs enfants et petits-enfants. On les pressait vivement de prononcer des discours en faveur du mariage, de sa dignité et de son influence sur le bonheur des individus et des empires, durant la' cérémonie. Enfin, ordre était donné au commissaire de rendre compte de cette solennité, de la manière dont elle se serait passée, le département se proposant de signaler au ministre les municipalités qui l'auraient omise ou célébrée avec tiédeur, et celles qui se seraient efforcées de la rendre intéressante.

En transmettant à ses collègues des cantons le texte de cet arrêté, Laloy se contenta d'attirer leur intention sur la dernière

(1) Voir plus haut, page 113, note 3.


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phrase, et de requérir la convocation d'une assemblée cantonale pour prendre les mesures nécessaires à l'éclat de celle fête (1). Il en fera de même pour les autres jours consacrés au nouveau culte : nous n'y reviendrons donc pas. Disons seulement quelques mots de leur célébration à Chaumont.

La fête de la jeunesse se fit autour d'un autel élevé à la patrie devant la maison commune ; tous les jeunes gens y furent conviés, ainsi que les fonctionnaires de tous ordres, et il vint des uns et des autres un très grand nombre. On y applaudit un discours en rapport avec la circonstance, puis le cortège se rendit à l'Arquebuse où la jeunesse prit part à divers jeux, tout spécialement à un tir dont le vainqueur, couronné de lauriers, fut ramené en triomphe par la municipalité jusqu'au domicile de ses parents (2).

La fête des époux ne put avoir lieu, ceux qui devaient y prendre part ayant tous refusé de s'y rendre (3). Celle de la victoire se célébra au champ de l'Arquebuse, devant un autel de la patrie surmonté de la statue de la Liberté, et entouré de boucliers portant les noms des villes prises ou des victoires remportées par l'armée d'Italie. Un discours y fut prononcé en présence de la garde nationale, des vétérans et des autorités (4).

Celle de l'Agriculture fut contrariée par le mauvais temps qui dura jusqu'à midi. La pluie était si intense que ni fonctionnaires, ni citoyens, ni agriculteurs, ni gardes nationaux, ni membres de la municipalité ne se présentèrent. Du reste, même sans ce déluge, on n'aurait pu la célébrer convenablement, la plupart des cultivateurs étant absents pour conduire des avoines à Lunéville et à Nancy, et les autres ayant déclaré que, s'il y avait dans la journée une heure de beau, ils en profiteraient pour rentrer leurs foins (5).

(1) Circulaire imprimée relative à la fête des époux.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 7 germinal an IV (27 mars 1796).

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 9 floréal an IV (28 avril 1796).

(4) Arch. de Chaumont : Délib. du 9 prairial an IV (28 mai 1796).

(5) Arch. de Chaumont : Délib. du 10 messid. an IV (28 juin 1796).


Intérieur du temple de la Raison

Ancienne chapelle du Collège dont on voit une partie de la nef et de la tribune, ainsi que les piliers et arcades les séparant du bas-côté nord.

Planche IX.

(Voir p. 102,234;.



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Par contré, la fête de la Liberté se fit très solennellement à 3 heures du soir, le 16 thermidor (28 juillet 1796), en présence de tous les fonctionnaires civils et militaires. Lombard, viceprésident de l'administration départementale, qui y prit la parole, fut très applaudi ; et l'on tira 800 exemplaires de son discours pour les envoyer dans toutes les communes (1).

On avait organisé, pour cette occasion, un défilé solennel de toutes les autorités, précédées des 8 tambours, d'un groupe de musiciens, de jeunes gens tenant chacun à la main une branche de chêne, dé 12 jeunes filles vêtues de blanc et portant une guirlande de fleurs ; tous marchaient entre deux haies de citoyens armés, fournis par la garde nationale et la compagnie des vétérans, etc. Le cortège était fermé par les gendarmes à cheval.

Sorti de la maison commune au bruit du canon, il s'était rendu au jardin de l'Arquebuse où un autel à la patrie avait été dressé. Cet autel était surmonté de la statue de la Liberté foulant aux pieds les emblêmes de la royauté, et protégeant un rouleau de parchemin qui portait cette inscription : Constitution de 1791. Après la musique et le discours, quatre fusiliers renversèrent lesdits emblèmes pendant que les tambours battaient aux champs et que le canon tonnait. Le lendemain à la même heure, le même cortège revint vers la statue voilée cette fois et portant les emblèmes de la tyrannie triumvirale, que le président, après sa harangue, jeta sur un bûcher préparé derrière l'autel et qui furent réduits en cendres aux applaudissements frénétiques de l'assistance, au bruit de la musique, du canon et des tambours.

La fêle nationale instituée pour commémorer le 10 août (23 thermidor an IV) et qui se fit peu après, n'eut pas moins d'éclat. Un discours y fut également prononcé ; les citoyens jurèrent de ne plus jamais reconnaître d'autres maîtres que les lois, les instituteurs firent serment de n'inspirer à leurs élèves que des sentiments républicains, et de leur enseigner le respect pour les vertus, les talents, le courage des héros qui avaient renversé le trône et travaillé à la fondation de la.République (2).

Laissons de côté toutes ces démonstrations extérieures, toutes ces fêtes qui, depuis longtemps, n'intéressent plus que médiocre(1)

médiocre(1) de Chaumont : Délib. du 10 therm. an IV (28 juillet 1796).

(2) Arch. de Chaumont : Délib. du 23 therm. an IV (10 août 1796).

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ment Laloy, bien qu'en sa qualité de représentant du gouvernement, il n'ymanque jamais. Nous avons donné assez de détails sur les événements auxquels il a pris part pour démontrer que, dans sa vie de commissaire du pouvoir exécutif, il a su allier la bonté, qui faisait le fond de son caractère, à la fermeté que lui imposaient ses fonctions. Aussi bien cette sage modération lui concilia-t-elle l'estime de ses supérieurs et celle de ses administrés.

§ V. — Mesures prises pour l'approvisionnement des grandes communes, l'entretien des prisonniers et des orphelins . de la patrie.

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — Mesures qu'il propose pour l'approvisionnement des marchés et la nourriture dos prisonniers. — Il s'intéresse surtout au sort des enfants abandonnés. — Le salaire des nourrices croit avec le prix des denrées et la dépréciation des assignats ou mandats. — Celles-ci refusent bientôt tout papier. — Lettre de Laloy au ministre à ce sujet. — L'Etat envoie un peu de blé, puis suspend tout paiement. — Les nourrices rapportent leurs élèves. — L'hôpital s'endette pour elles de 30.000 francs. — Remboursement de ces dettes sous le Consulat.

Nous avons longuement raconté les démarches sans nombre faites par Laloy, pendant le temps qu'il passa à la mairie de Chaumont, pour procurer des vivres à ses administrés. Ce souci devait être celui de toute sa vie. Après sa nomination de commissaire du directoire exécutif, nous l'avons vu entreprendre le voyage de Paris pour faire part au ministre, entre autres choses, des difficultés que l'administration rencontrait dans l'approvisionnement des marchés. Aussi longtemps que les lois l'avaient permis, elle avait employé à cette fin le système des réquisitions, mais, le plus souvent, ces réquisitions étaient loin de produire tout ce qu'on avait le droit d'attendre d'elles.

La faute, paraît il, en revenait, en partie du moins, au gouvernement, dont les agents parcouraient les campagnes, achetant à haut prix tous les grains disponibles et payant leurs achats en numéraire. Or, les reconnaissances qu'ils délivraient aux cultivateurs, dispensaient ceux-ci de fournir ce qui leur était demandé pour les marchés publics. C'est de cette concurrence


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faite par la nation aux administrateurs, qui avaient déjà tant de peine à suffire aux besoins des indigents, que Laloy se plaint en s'adressant au ministre. Il veut savoir si, en cas d'extrême pénurie, il peut espérer, comme le déclarent les envoyés du gouvernement, une part de ces acquisitions officielles, ou s'il devra recourir à d'autres ressources. Voilà pourquoi il prend la plume en l'an IV.

« La faculté, dit-il au ministre, accordée aux agens chargés de l'achat des grains, de donner aux cultivateurs des reconnaissances de la quantité achetée par eux, rend illusoires toutes les dispositions des décrets et arrêtés du Comité de salut public tendant à assurer l'approvisionnement des marchés.

« En produisant ces reconnaissances, le cultivateur est dispensé d'y apporter une quantité égale à celle qu'il a vendue au gouvernement.

« Le haut prix donné par ces agens (et communément il excède d'un tiers celui que le commerce a établi) leur procure une vente facile et abondante. Le malheureux ne peut atteindre à ce prix ; l'assignat qu'il reçoit pour salaire est partout rejeté, en sorte que la subsistance de l'indigent cesse d'être garantie et la tranquillité publique est compromise.

« Ces agens ont déclaré qu'une partie des grains achetés par eux était destinée à assurer la subsistance des indigens des grandes communes, et à suppléer ainsi au défaut des marchés. II est important de savoir jusqu'à quel point on peut compter sur ces promesses.

« Quels seront en tout cas les moyens de maintenir l'approvisionnement des marchés ou de pourvoir aux besoins d'une nombreuse population indigente, soit en tirant des magasins nationaux la quantité nécessaire, et alors à quelles conditions? soit en avisant aux moyens de réparer le tort fait à ces mêmes indigens par le haut prix que donnent les agens du gouvernement et le privilège dont ils jouissent?

« On déclare que dix mille quintaux suffiraient pour assurer, jusqu'à la moisson, la subsistance des ouvriers pauvres de toutes les grandes communes de ce département et pour maintenir la tranquillité publique » (1).

(1) Voir la minute de cette lettre dans les papiers de la famille.


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Un autre embarras pour l'administration est de pourvoir à l'entretien des prisonniers civils. Ils ne peuvent se procurer eux-mêmes des subsistances ; alors comment les nourrir, comment leur procurer tout ce qui leur est nécessaire. Est-ce par adjudication? Ce moyen est impossible avec des paiements en assignats ou en mandats territoriaux, dont la valeur se modifie chaque jour. Il importe donc de recourir aux paiements en argent ou en nature. Ecoutons, du reste, Laloy s'adressant au Ministre:

« On ne peut faire fournir, par la voie de l'entreprise et de l'adjudication, le pain aux détenus clans les maisons d'arrêt, de justice, et prisons qu'en promettant de payer les entrepreneurs en argent.

« Dans le cas où il ne serait pas possible de traiter à ces conditions, l'administration demande à être autorisée à tirer des magasins nationaux les grains nécessaires à ce service, jusqu'au rétablissement du crédit de la monnaye nationale.

« Elle observe qu'il n'y a aucun fonds pour faire les frais, des chauffage, blanchissage, fourniture de linges, de sel el autres besoins des prisonniers. . . » (1).

Mais ce cjui le préoccupe encore davantage, c'est le sort des orphelins de la patrie, confiés aux hôpitaux de Chaumont, Langres et Saint-Dizier.

Depuis l'édit de 1779, on recevait dans ces hôpitaux les enfants trouvés ou abandonnés, qui furent plus tard appelés enfants ou orphelins de la patrie, mais ceux-ci n'y demeuraient que quelques jours. On les plaçait le plus tôt possible à la campagne, chez des nourrices auxquelles on donnait 8 livres par mois en 1788, et plus tard 9 livres pour les élever (2). Comme ces établissements n'avaient pas de revenus affectés à celle

(1) Voir la minute de cette lettre clans les papiers de la famille.

(2) Archives de l'hôpital de Chaumont, HH 2.


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dépense, ces enfants restaient à la charge du Roi qui, par son intendant, envoyait chaque trimestre, au vu de l'état qui lui était présenté, les fonds nécessaires à cette fin. Ces fonds étaient alors distribués aux intéressées par la supérieure de l'hôpital ou par l'administrateur désigné pour ce service.

Payées d'abord en numéraire, ces indemnités le furent ensuite en assignats, puis en mandats, et comme ces divers papiersmonnaie ne tardèrent pas à baisser de valeur au point de tomber presque à rien, on dut accroître la somme en d'énormes proportions. Les nourrices, d'ailleurs, ne cessaient, vu la cherté des vivres, de demander une augmentation de salaire, et leurs raisons étaient si bonnes qu'il fallait bien les accepter (1). Ainsi, tandis qu'en 1789 la somme versée par trimestre varie de 3.210 à 3.988, en 1790 elle monte de4.224 à 5.312, en 1791 de 5.030 à 5.752, en 1793 de 6.265 à 8.383, en 1795 de 12.365 à 70.415. Ce papier, du reste, n'est d'aucune utilité pour ceux qui le possèdent, car dans le commerce on n'en veut ni pour prix ni pour somme. Nous pourrions citer en preuve ce fait qu'une femme Roux, de Chaumont, qui en avait les mains pleines, ne pouvait pas même se procurer du lait pour les enfants qu'elle élevait. Elle fut obligée d'aller exposer son embarras au citoyen Lombard, membre de l'administration de la Haute-Marne, qui lui remit 9 livres en argent, pour empêcher ceux-ci de mourir de faim (2).

L'indemnité venait pourtant d'être élevée, par arrêté du département, à 100 livres par mois. Mais à quoi bon si la monnaie qu'on distribue n'a plus de valeur? Le premier trimestre de 1796 (nivose an IV) montait à 73.949 livres, le second à 80.000, et un mandat de cette somme avait été adressé au receveur de l'hospice, mais celui-ci le refusa, les nourrices n'acceptant plus aucun papier en paiement de leurs mois (3).

(1) Arch. de Chaumont: Délibération du 8 juillet 1793.

(2) Arch. de l'hôpital de Chaumont : G. s. Registre-journal des recettes et dépenses pour les enfants trouvés.

(3) Arch. de l'hôpital de Chaumont : G. s. Registre-journal des recettes et dépenses pour les enfants trouvés.


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C'est alors que Laloy (1) écrit au ministre pour le prévenir que ces femmes, n'ayant rien reçu depuis six mois, vont incessamment rapporter aux hospices les enfants qui leur ont été confiés. « . . .Jusqu'à ce jour, on n'est parvenu, dit-il, à les leur faire conserver qu'en profitant de leur attachement à ces enfants et en les assurant que le gouvernement prendrait leur sort en considération.

« Or, elles insistent et deviennent plus pressantes ; on ne peut plus placer les enfants qui sont journellement abandonnés, et il a déjà fallu faire un commencement d'établissement pour les recevoir.

« Leurs motifs sont l'indigence de la plus grande partie d'entre elles, mères de familles nombreuses ; la modicité et même l'insuffisance du salaire qui leur est donné et le retard qu'on apporte à le payer. Il résulte en effet de ce mode de paiement qu'à l'époque où il est effectué, l'assignat n'ayant pas conservé la valeur qu'il avait trois mois auparavant, elles ne reçoivent ni le remboursement de leurs avances ni le prix convenu. Enfin, elles sont clans l'impossibilité de se procurer avec des assignats les grains et denrées nécessaires à la subsistance et à l'entretien de ces enfants.

(1) Déjà, le 8 ventose an III, Laloy qui, en qualité de maire, était chargé avec doux officiers municipaux de l'administration de l'hôpital, avait obtenu du représentant du peuple Pépin, en mission clans la Haute-Marne, une augmentation de 6 livres par mois pour les nourrices. Plus tard, le 24 nivose an IV (14 janvier 1796), alors qu'il était déjà commissaire du directoire, mais qu'il n'en exerçait pas encore les fonctions, il avait proposé à ses collègues du Conseil municipal d'écrire au ministre do l'Intérieur pour « solliciter de prompts secours en faveur des enfants de l'Hospice de Chaumont, et procurer à leurs nourrices un traitement tel qu'elles puissent donner leurs soins à ces malheureux abandonnés ». Laloy avait même lu à ce sujet un projet do lettre qui avait été adopté par le Conseil et qu'il avait été chargé d'envoyer. Ce fut pour ainsi dire le dernier acte do son mariât, car à dater du 9 pluviose suivant, il ne reparut plus à la mairie. — Voir les délib. du 8 ventose an III et des 24 nivose et 9 pluviôse an IV (14 et 30 janvier et 20 février 1796).


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« Les moyens que nous proposons à la sagesse du gouvernement pour prévenir cette calamité ou y remédier, sont, d'après nos. connaissances locales, les suivants : payer en numéraire ou en grains le salaire des nourrices, sinon en tout, du moins en partie, jusqu'au rétablissement du crédit de la monnaye nationale ; et faire effectuer ces paiements de mois en mois, et non par trimestre.

« Les raisons ne manquent point pour déterminer à agir de la sorte. C'est d'abord la justice due à ces bonnes citoyennes qui réclament le remboursement de leurs avances et une rétribution proportionnée à leurs services ; c'est ensuite l'économie, car si ces enfants rentrent dans les hospices, quels frais énormes ces établissements devront faire pour les recevoir, les entretenir, les nourrir, et payer les personnes préposées à leur garde ! Il sera alors indispensable de tirer des magasins nationaux une quantité en grains beaucoup plus considérable que celle que nous proposons en ce moment de délivrer aux nourrices. C'est enfin la conservation de ces enfants, que leur entassement dans les hôpitaux ferait périr promptement, tandis que leur dispersion dans la campagne présente tous les avantages désirables pour leur éducation physique et morale.

« Il est d'autant plus urgent de faire droit à leurs réclamations qu'il est à craindre que, lors du paiement prochain du trimestre actuellement en cours, elles ne rapportent tous leurs élèves si ce paiement s'effectue en assignats » (1).

Hélas ! le trésor était à sec. L'hôpital fit des avances et paya en blé les trois derniers trimestres de l'année, puis à son tour il ferma ses greniers devenus vides. Il faut dire pourtant que clans l'intervalle, et pour répondre à la demande de Laloy, le ministre lui avait permis de s'indemniser partiellement en prenant 256 quintaux de grains qui provenaient de la contribution foncière payée en nature aux magasins civils (2). L'Etat ne donna plus rien pendant l'an V, et l'on aborda l'an VI sans espoir d'obtenir quelques secours. Les prévisions de Laloy se

(1) Voir la minute de cette lettre dans les papiers de la famille Laloy.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. municipale du 19 messidor an IV (7 juillet 1796).


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réalisent ; plusieurs familles ramènent leurs élèves. Pour les entretenir, les administrateurs se voient obligés d'emprunter personnellement 900 livres à l'hospice de Joinville.

Cependant, le 11 germinal an VI (31 mars 1798), on apprend que le ministre vient d'envoyer 1200 francs à l'hôpital de Chaumont. Vile, les nourrices accourent pour réclamer ce qui leur est dû, car, depuis 18 mois, elles n'ont reçu que des promesses ; mais on leur apprend bien vile que celle somme n'est pas destinée à solder l'arriéré ; elle ne doit être employée qu'au paiement du trimestre qui s'achève, et encore ce paiement sera bien incomplet, puisque pour se libérer entièrement, il faudrait à l'hôpital 3.000 livres. La commission distribue donc ce qu'elle a reçu ; elle y ajoute tout le numéraire dont elle peut disposer, puis réclame avec instance le remboursement des sommes avancées (1). Réclamation inutile, car, malgré l'appui énergique du commissaire du directoire exécutif et celui de l'administration centrale du département, elle ne peut rien obtenir; et pourtant l'Etat lui doit plus de 30.000 francs

Ce sera seulement en l'an VIII qu'elle recevra du nouveau gouvernement 2.000 fr. pour payer une partie de l'arriéré qui lui est dû (2). Les remboursements se continueront les années suivantes, savoir: en l'an IX, par l'envoi de 38.200 fr. destinés à solder les dettes des années V, VI et VII (3), et en l'an X par le versement entre les mains du payeur général de 153.533 fr., somme avec laquelle furent liquidées toutes les obligations de l'Etat envers les hospices civils du départemental).

(1) Arch. de l'hôpital de Chaumont : Délib. du 11 germinal an VI (31 mars 1798).

(2) Arch. de l'hôpital do Chaumonl : Délib. dos 25 pluviôse et 5 germinal (13 février et 25 mars 1799;.

(3) Arch. de l'hôpital de Chaumont : Délib. du 25 fructidor an IX (12 septembre 1801).

(4) Arch. de l'hôpital de Chaumont : Délib. du 5 vendémiaire an X (27 septembre 1801).


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CHAPITRE VI

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (1800-1804)

g Ier. — Constitution de l'an VIII

Laloy est nommé préfet de l'Aube et du Doubs. — Il refuse ces postes. — Il accepte le titre de conseiller de préfecture. — Il représente le département à la fête du 1er vendémiaire an IX. — Il est nommé président du collège électoral de son arrondissement.

Après le coup d'état du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), une nouvelle constitution fut donnée à la France. Rapportant celle de l'an III, elle prit le nom de l'an VIII. et supprima les administrations de département ainsi que les commissaires du pouvoir exécutif accrédités près d'elles. Ces administrations et ces commissaires devaient toutefois rester en exercice et continuer l'expédition des affaires jusqu'à l'arrivée du magistrat qui, sous le nom de préfet, était appelé à les remplacer.

Les représentants de la Haute-Marne, du moins PierreAntoine Laloy, membre du tribu nat, et Edme Larcher, membre du corps législatif, tous deux de Chaumont, auraient voulu faire placer à la tête du département le citoyen Maret, commissaire du gouvernement près de l'administration centrale de la Côted'Or, et ils étaient allés ensemble, le 18 pluviôse (7 février 1800), voir le ministre à cette fin. Ne l'ayant pas rencontré, ils lui adressèrent, le 28 du même mois, pour lui recommander leur candidat, une lettre qui existe encore aux archives nationales (lj.

(1) Arch. nat. Autographes n° 480.


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Leur démarche ne fut pas couronnée de succès. En effet, le premier consul désigna pour la Haute-Marne un ancien général de division, le comte de Ligniville, issu d'une ancienne maison de Lorraine, alliée aux grandes familles du Bassigny (1).

Ce fut le ministre de l'intérieur, Lucien Bonaparte, qui annonça aux administrateurs du déparlement le choix que le gouvernement venait de faire; et que consacrait un arrêté en date du 23 ventôse an VIII (14 mars 1800). Le ministre ajoutait que le préfet s'installerait le jour de son arrivée, et que ce même jour les anciens administrateurs cesseraient leurs fonctions. Il terminait sa lettre par ces mots flatteurs : « Agréez le témoignage de satisfaction que le gouvernement vous adresse par mon organe (2). »

Quant à Laloy qui, depuis le Consulat, avait échangé son titre de commissaire du directoire exécutif contre celui de commissaire du gouvernement, ses amis et les hauts fonctionnaires de la Hte-Marne eussent désiré le conserver avec le titre de préfet, et ils avaient adressé une demande à cette fin au ministère. Mais on crut peut-être en haut lieu que, dans son pays où il exerçait depuis longtemps les charges les plus importantes, ce magistrat rencontrerait des difficultés particulières, à moins qu'on ait décidé de le réserver pour un poste plus honorable ; toujours est-il que le consul Lebrun le présenta à Bonaparte pour la préfecture de l'Aube et que celui-ci l'agréa. La minute de sa nomination, qui existe encore aux archives nationales, porte la date du 11 ventose an VIII (2 mars 1800) (3).

Mais Laloy, dont la santé commençait à devenir chancelante, ne put se décider à s'éloigner de cette ville de Chaumont qu'il avait adoptée pour sa patrie et qui le regardait comme son

(1) Jolibois : La Haute-Marne ancienne et moderne. Art. Ligniville, p. 334.

(2) Arch. de la Haute-Marne : Dernier registre des arrêtés de l'administration centrale, à la fin. Ce registre n'est pas coté.

(3) Arch. nat. AF IV 8 d. 33. Sur un tableau annexé à cette minute, on lit vis-à-vis lo nom de Laloy : « Laloi, constituant, et depuis constamment administrateur do la Haute-Marne, qui l'aurait désiré pour préfet, connu sous les mêmes rapports dans le département de l'Aube dont il est voisin. » Dans la colonne des décisions, il est inscrit comme désigné.


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insigne bienfaiteur. Il remercia donc le premier consul qui, ne comprenant pas bien le motif de son refus, lui offrit encore la préfecture du Doubs qu'il n'accepta pas davantage. Toutefois il consentit à remplir le rôle plus humble de conseiller de préfecture à Chaumont, rôle auquel l'appela la confiance de Ligniville et qu'il exerça avec son ami Usunier, de Fresnes, ancien administrateur du directoire du département, et le citoyen Bernardin, de Wassy (1).

Il crut qu'en restant au milieu de ses concitoyens, il pourrait encore leur rendre d'éminents services, et cette décision ne contribua pas peu à le faire grandir dans l'estime de tous. Aussi, lorsqu'au mois de septembre de la même année, le gouvernement eut exprimé le désir de voir les. départements envoyer chacun trois citoyens à la fête du 1er vendémiaire, où l'on devait célébrer l'anniversaire de la fondation de la République, souhaitant qu'ils fussent « témoins, comme il le dit lui-même, de l'allé(1)

l'allé(1) sujet de ces diverses nominations, on lit dans une lettre de Godinet-le-jeune à P.-A. Laloy, en date du 4 ventose an VIII (23 février 1800) : « Je t'ai marqué, mon camarade, que si ton frère était préfet ici, je ferais, malgré la modicité du traitement, le sacrifice de mes intérêts pour collaborer avec lui ; que, s'il allait à Troyes, je désirerais y être juge d'appel, quoique nos fonctions aient été très différentes, pour me réunir à lui et à Henrion qui, vraisemblablement, jouera ou doit jouer par son mérite un grand rôle à ce tribunal.

« Mais ton frère est décidé à ne point accepter la préfecture de Troyes ; il ne veut pas sortir de Chaumont, il fait aussi le sacrifice de ses intérêts et parait préférer une place au conseil de préfecture. Nous venons de convenir, en conséquence, que ton frère, Usunier et moi connaissant cette administration, si cela peut entrer dans votre plan, composerions le conseil de préfecture. Je n'écris pas à Larcher, parce que je sais que vous agissez de concert... » C. F. Godinet.

Godinet fut, peu après, nommé juge d'appel à Dijon par l'intermédiaire de P.-A. Laloy, auquel il envoya, en prairial, une lettre de remerciements. (Voir les archives de la famille Laloy). Les fonctions de 3e conseiller de préfecture furent alors données à Bernardin, qui représentait l'arrondissement de Wassy.


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gresse que celle solennité inspire à tout bon français, et de la confiance du public clans la stabilité des institutions du pays », Ligniville comprit qu'il devait choisir trois hommes qui fussent « l'emblème des vertus publiques et privées des habitans de la Haute-Marne ». Ces vertus, il les résume en ces trois lignes : « amour de la liberté — impassibilité dans l'exécution des lois — confiance dans la Révolution et l'acquisition des biens nationaux — aménité et douceur dans les moeurs. »

Or, pour représenter ces vertus aux yeux de tous, pour les incarner, s'il est permis de parler ainsi, il désigna d'abord et avant tout autre Jean-Nicolas Laloy, de Chaumont, puis les citoyens Raulot, de Wassy, et Marquette-Fleury, de Poissons. « Ce choix, ajoute le préfet, a eu l'assentiment des administrés et celui des consuls (1). »

Laloy se rendit donc à Paris avec ses deux collègues pour le 1er vendémiaire. Le gouvernement avait offert de leur payer les frais de ce voyage, mais ni l'un ni l'autre ne voulurent être à charge à la nation ; ils en supportèrent donc eux-mêmes la dépense. Bien accueillis par les consuls, ils revinrent enchantés de leur démarche ; et le ministre de l'intérieur, Lucien Bonaparte, se fit l'interprète des sentiments du gouvernement à leur égard dans une lettre datée du 11 vendémiaire an IX (3 octobre 1800), qui fut communiquée par le préfet à tous les maires, avec l'ordre de la lire publiquement. Elle exprimait les remerciements et la satisfaction des consuls (2).

Le gouvernement lui donna encore, à cette époque, de nouvelles preuves de son estime en le nommant président du collège électoral du premier arrondissement et membre de la commission administrative de l'hôpital de Chaumont, enfin en recourant à son savoir bien connu pour essayer de développer en HauteMarne l'amour des sciences, des arts et spécialement de l'agriculture. Pendant ce temps ses compatriotes, au jour des élections, l'élevaient, au rang de notable national. Parlons d'abord des fonctions qu'il eut à remplir à l'hôpital.

(1) Arch. de la Haute-Marne : Recueil des actes administratifs de la préfecture pendant l'an IX.

(2) Arch. de la Haute-Marne : id.


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§ II. — Laloy, administrateur de l'Hôpital de Chaumont (1800-1804)

Laloy, conseiller de préfecture (suite). — Il est nommé administrateur de l'hôpital. — Notice sur cet établissement : sa fondation, son emplacement, nombre de ses lits, sa direction, ses divers services, ses revenus et charges ; les pertes qu'il dut subir. — Sort des enfants abandonnés à la charge de l'hôpital. — Délibération de la commission administrative à ce sujet.

Après l'installation du préfet en 1800, Laloy, devenu conseiller de préfecture, fut nommé membre de la commission administrative de l'hôpital. Comme maire de Chaumont et commissaire, du directoire exécutif près de l'administration centrale de la Haute-Marne, il avait défendu en toute occasion et de toute son autorité les intérêts des pauvres ; il va leur continuer sa protection en leur consacrant la meilleure part de son coeur et de son temps. Il le fera avec une telle compétence et un tel dévouement qu'après sa mort, ses collègues avoueront l'embarras qu'ils éprouvent de le remplacer (1). Disons donc quelques mots de celte institution charitable, afin de la faire connaître au lecteur, à l'époque surtout où Laloy fut chargé de son administration.

Fondé au XIII 6 siècle par Guillaume de Chaumont, chanoine de Châlons (2) et doté, au cours des âges, par les bourgeois de la première ville, l'hôpital de Chaumont avait d'abord été élevé hors du château, mais à l'intérieur du bourg, sur le chemin de Langres, tout proche de l'église de St-Michel et de la place du

(1) Voir plus loin une lettre de la commission à ce sujet.

(2) Godard : Histoire et tableau de l'église St-Jean-Baptiste de Chaumont, p. 4 note. — Cet hôpital existait dès le commencement du 13e siècle ; en 1235, une charte de Thibaut, comte de Champagne et de Brie, roi de Navarre, affranchit du droit d'amortissement la maison-Dieu, bâtie sur le chemin de Langres, pour les pauvres et les voyageurs. Sur la porte de l'édifice qui existait en la rue St-Michel et ne fut détruit qu'au XVIIIe siècle, on lisait : Maître Guillaume de Chaumont, chantre et chanoine de Chaalons, fit faire l'Hôtel-Dieu de Céans, qui trépassa au mois de novembre 130i. (Id.)


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marché actuel ; il servait presque exclusivement aux habitants de la cité. Ses dimensions étant fort restreintes et, comme ses bâtiments très anciens tombaient de vétusté au XVIIIe siècle, la Ville résolut de le reconstruire à neuf sur un plan et un terrain beaucoup plus vastes. Elle le transporta donc au nord de la ville, en 1750, au faubourg dit de Buxereuilles, et à une distance d'environ 800 pas des fortifications. C'est l'édifice qui existe encore de nos jours et n'a été achevé qu'en 1765. Sa bâtisse, qui a coûté plus de 150.000 livres, était fort belle pour l'époque.

Les salles destinées aux malades contenaient 29 lits clans l'ancienne maison, nombre qui, par économie, fut d'abord réduit à 27 dans la nouvelle, soit 14 pour les hommes et 13 pour les femmes, celles-ci étant généralement moins nombreuses que les hommes. Ces lits, année commune, recevaient de 320 à 330 malades, mais à défaut de malades, cas assez rare clans une ville dont la propreté des rues laissait beaucoup à désirer, surtout à proximité des remparts, on y admettait temporairement les pauvres les plus nécessiteux ou les plus âgés, en vue de raffermir par des soins particuliers leur santé chancelante ou déjà ébranlée (1).

Bientôt on ajouta de nouveaux lits à ceux qui existaient déjà,

(1) Ces détails et les suivants sont tirés du rapport adressé on 1788, par les administrateurs de l'hôpital, à la commission intermédiaire de Champagne à Châlons. (Arch. de l'hôpital de Chaumont.) Parlant do la suppression dos 2 lits, les administrateurs ajoutent : « Si, avec quelques secours du gouvernement, on pouvait les rétablir, on no trouverait que trop de misérables à Chaumont pour les occuper; cotte ville, jouissant du privilège de l'exemption de la taille, est continuellement inondée d'une foule de familles et de ménages indigens qui viennent s'y réfugier, pour se mettre à l'abri de cette imposition, et qui sont tous autant de sujets pour lh'ôpital ».

La plupart de ces lits étaient fondés et les candidats désignés par certaines familles ou corporations. C'est ainsi que 6 étaient à la nomination du Chapitre, 2 à celle de M. de Malvoisin, 2 à celle de M. Berthelier, 1 à celle de M. de Nully, 3 au moins à celle des échevins de Vignory, Clefmont et Andelot. Les malades de la ville et des 3 bourgs dont nous venons de parler étaient soignés gratuitement ; les étrangers, quand on pouvait les recevoir, payaient 16 sols par jour.


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en sorte qu'en tout temps il y en eut au moins 32 (1). Ce chiffre ne fera qu'augmenter ; au mois de brumaire an III, on comptait dans l'établissement 59 malades, ce qui faisait, compris les 9 infirmiers et les 6 personnes de service, 74 bouches à nourrir chaque jour, soit une dépense de 10.000 l. par trimestre (2). En l'an IX, ce nombre atteindra 200, dont les 2 tiers se composeront de militaires français ou étrangers ; le commissaire des guerres, chargé de les loger, enverra, comme l'avait fait le district en l'an III, les matelas, draps et couvertures nécessaires pour installer des lits partout, dans l'appartement de l'aumônier, même sur les planchers, dans les corridors, les greniers (3) ; mais deux malades étaient souvent couchés ensemble.

On recevait aussi à l'hôpital depuis 1779, nous l'avons déjà dit, les enfants abandonnés ou orphelins de la patrie ; toutefois, ils n'y séjournaient pas, étant envoyés aussitôt à la campagne pour y être élevés aux frais du Roi (4). Leur nombre n'était pas moindre de 250.

On y recevait également les soldats de passage qui tombaient malades en route, ceux qui se rendaient à Bourbonne pour y faire une cure ou en revenaient. Or, la commission administrative de l'ôphital nous apprend que 150 à 200.000 hommes, chiffre énorme, traversaient chaque année Chaumont, ville située sur le chemin de la frontière et au point d'intersection de quatre grandes routes, en sorte qu'il n'y avait pas de mois où l'on n'y trouvât des soldats blessés ou indisposés ; et cependant l'hôpital n'était pas militaire, mais civil. On les y accueillait par patriotisme et, en échange des soins qui leur étaient prodigués, l'administration se contentait de la solde à laquelle ils avaient droit. Le nombre de ces soldats égalait souvent celui des autres malades (5). Il le dépassa même et de beaucoup, quand il fallut,

(1) Arch. de l'hôpital : Délib. du 1er septembre 1790.

(2) Arch. de Chaumont : Délib. municipale du 7 brumaire an III (28 octobre 1794).

(3) Arch. de l'hôpital : Délib. des 3 et 25 ventose an IX (22 février et 16 mars 1801).

(4) Arch. de |l'hôpital : Voir le rapport des administrateurs mentionné plus haut et page 102.

(5) Arch. de l'hôpital : Délib. du 24 pluviose an IX (13 fév. 1801).


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au début de l'an VIII, y soigner les prisonniers de guerre et les déserteurs étrangers en dépôt à Chaumont ou dans les environs, soldats que l'on traitait « avec autant d'humanité et d'attention que les défenseurs de la patrie » (1).

Deux officiers de santé ou docteurs en médecine donnaient, moyennant une légère rétribution annuelle, aux hospitalisés, les soins qu'exigeait leur état et se chargeaient à la maison de toutes les opérations chirurgicales. Ils y traitaient les diverses maladies, internes ou externes, aiguës ou chroniques, excepté le scorbut, la gale, la folie, l'épilepsie, les maux contagieux et quelques autres d'ordre spécial qu'on faisait ordinairement soigner à Nancy (2).

Quant aux services intérieurs et généraux de la maison, ils étaient assurés par des religieuses de la Charité, établies à Chaumont en 1672 (3), au nombre de 5 et, à partir de 1736, au nombre de 7. L'une d'elles gouvernait ses compagnes à titre de supérieure, et veillait à l'observation du règlement ainsi qu'aux dépenses journalières de peu d'importance pour lesquelles on lui remettait de temps en temps des fonds dont elle devait rendre compte ; une autre s'occupait exclusivement de la direction, à l'hôpital même, d'une école gratuite pour les filles pauvres de la ville et des faubourgs (4).

Quand, par la loi du 18 août 1792, toutes les colorations religieuses furent supprimées, les soeurs de l'hôpital durent se séculariser. On leur donna huit jours pour changer de costume. Le temps ne leur permettant pas de se procurer économiquement des vêlements laïques, elles se virent obligées d'en acheter

(1) Arch. de l'hôpital : Délib. du 25 pluviose an VIII (14 fév. 1800).

(2) Arch. de l'hôpital : Délib. du 15 février 1791 et F 3 dossier, 1re pièce.

(3) Arch. de l'hôpital : Voir le traité du 12 avril de cotte année.

(4) Arch. de l'hôpital : F. 2e dossier. — Cette école avait été fondée par une pieuse Chaumontaise en 1736 ; elle prospéra tant que l'hôpital fut au centre de la ville, mais elle commença à végéter et bientôt tomba lorsqu'il fut transporté au faubourg de Buxereuilles.


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des neufs et de fort chers, car les étoffes étaient alors montées à un prix excessif, mais la commission leur tint compte de cette dépense extraordinaire et imprévue ; elle leur alloua 50 liv. à Litre d'indemnité, en plus des 72 liv. qu'elle leur remettait chaque année (1).

Le service religieux était rempli par deux chapelains, dont l'un résidait à la maison et donnait aux malades les secours spirituels dont ils avaient besoin, tandis que l'autre, qui demeurait en ville, n'y venait chaque jour que pour y célébrer une messe quotidienne, qui avait été fondée en 1718 par M. Delaistre de Riaucourt, chanoine de la Collégiale, l'un des principaux bienfaiteurs de l'établissement (2).

L'hôpital était administré, en 1792, par un bureau composé du maire, qui était alors J.-N. Laloy, de 2 officiers municipaux, du procureur-syndic de la commune et d'un receveur nommé par la municipalité (3). De tout temps, l'Hôtel de ville avait été chargé de sa direction. Aussi quand, à la fin du XVIIe siècle, les officiers du bailliage et le doyen du Chapitre, interprétant en leur faveur l'édit du mois de novembre 1698, eurent sommé le receveur de la maison de leur soumettre ses comptes, le maire et les échevins s'y étaient opposés, d'où un grand procès qui fut porté devant le Parlement, et à la suite duquel la cour maintint la municipalité dans la possession de son droit d'administrer seule les revenus de l'hospice et défendit aux officiers du bailliage et à tous autres de les y troubler (4).

En sa qualité de maire, Laloy exerça donc les fonctions de président de l'administration de l'hôpital, de 1791 à 1795, c'est-à-dire jusqu'à sa nomination de commissaire du directoire exécutif, et ne manqua jamais, comme nous l'avons déjà raconté (5), de prendre en main la cause des pauvres, des enfants abandonnés et de leurs nourrices.

Survint la loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796), qui

(1) Arch. de l'hôpital : Voir le compte de 1792.

(2) Arch. de l'hôpital : Mémoire de 1786.

(3) Arch. de Chaumont : Délib. du 15 décembre 1792.

(4) Arch. de l'hôpital : Voir les pièces de ce procès qui ne s'est terminé qu'en 1702.

(5) Voir plus haut, page 164.

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plaça les hôpitaux sous la surveillance des assemblées municipales, et l'arrêté du 15 frimaire suivant (5 décembre 1796) qui institua, pour les régir, une commission composée de cinq membres. Naturellement Laloy ne fit point partie de cette commission ; cette charge était incompatible avec la sienne, et c'était lui qui, selon toute vraisemblance, avait indiqué au gouvernement les membres à nommer. Nous avons vu plus haut qu'il se servit de l'influence que lui donnait sa haute position et la confiance dont il jouissait au ministère pour appuyer énergiquement toutes les demandes de cette commission.

Les revenus et charges de l'établissement atteignaient environ 10.000 l. à la veille de la Révolution (1), mais ses ressources vont bientôt diminuer à la suite des mesures prises à cette époque par l'assemblée souveraine, mesures qui jetèrent l'administration dans le plus grand embarras. En effet, à partir de 1793, le trésor public cesse de payer les renies sur l'Etat qui montaient à 5.416 l., et il fallut de nombreuses pétitions et démarches pour obtenir, au bout de 6 ans, la consolidation du tiers de cette somme, soit 1.806 l. Le reste, compris quelques autres bons, ne produisit que 602 l. de capital. De plus, les terres et fermes de la maison, qui jusqu'alors avaient été exemptes d'impôt, furent frappées de contribution, comme celles des particuliers, ce qui surchargea son budget d'une dette d'environ 2.000 l. Ajoutons que ces biens, ayant été quelque temps entre les mains de la nation, les fermiers avaient payé leurs canons en tout ou en partie aux régisseurs des biens natio(1)

natio(1) de l'hôpital : Voir le rapport des administrateurs en 1788. Ce chiffre n'est pas absolument exact ; il doit être un peu majoré puisque le compte de 1787 accuse une recette de 17.176 l, tandis que sa dépense n'atteint que 11.903, d'où un boni de 5.273 l. De même le compte de 1788 s'élève en recettes à 18.638 l. et en dépenses à 14.339, laissant un bénéfice de 4.299. Les recettes de 1789 sont de 14.368 et les dépenses de 11.242, soit un boni de 3.526 1. Le Bureau put donc facilement avancer à la ville, le 3 novembre 1790, une somme de 2.400 1. pour acheter des grains destinés à la subsistance des habitants. (Délib. du 12 janvier 1790.)


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naux et qu'il fut longtemps impossible de rentrer en possession de ces canons, toutes les caisses de l'Etat étant fermées (1). Loin de rendre les sommes qu'il avait reçues plus ou moins régulièrement, celui-ci ne réglait qu'après de longs retards, et même parfois ne réglait pas du tout, les dettes les plus sacrées, telles que les dettes contractées pour l'entretien des enfants de la patrie ou les soins donnés aux militaires de passage.

Ces militaires devinrent si nombreux à l'époque de la Révolution que le Conseil municipal reconnut, le 16 octobre 1792 (2), la nécessité de demander à l'Etat une rétribution supérieure à leur solde de chaque jour, celle-ci étant bien au-dessous de la dépense qu'on faisait pour eux. Le ministre y consentit et fixa lui-même à 20 sols la pension quotidienne, mais la commission aura beau lui envoyer chaque trimestre la liste de ces journées avec les pièces justificatives ; il reconnaîtra la dette, mais la plupart du temps il ne paiera rien ; c'est ainsi qu'il avoue devoir

834 1. pour le trimestre de vendémiaire an V (septembre 1796),

835 1. pour celui de nivose de la même année (décembre 1796) (3), ce qui ne l'empêche pas de suspendre toute espèce de paiement jusqu'au milieu de l'an VII, époque où il se contentera de verser un léger acompte en papier. Aussi, le 25 pluviose an VIII (14 février 1800), la commission constate-t-elle avec douleur l'impossibilité qu'elle éprouve de recouvrer les sommes qui lui sont dues « pour le traitement d'une multitude de soldats qui ont reçu dans l'hospice le soulagement qu'exigeait leur situation » (4).

Si la commission ne peut faire rentrer tout ce qui lui est dû, ce n'est point faute de le réclamer. Elle ne cesse, en effet, de faire entendre ses doléances ; tous les mois elle déplore l'impuissance où elle se trouve de faire marcher les services. Elle crie sa misère à qui veut l'entendre ; à l'assemblée municipale, aux représentants du peuple en mission, à l'administration centrale, au préfet, aux ministres de l'intérieur, de la guerre et des finances. Or, à toutes ces plaintes, elle ne reçoit ordinairement

(1) Arch. de l'Hôpital ; Voir les délibérations à ce sujet.

(2) Arch. de Chaumont: Délib. du 16 octobre 1792.

(3) Arch. de l'Hôpital : Délib. du 15 fructidor an V (1er sept. 1797).

(4) Arch. de l'Hôpital : Délib. du 25 pluviose an VIII (14 fév. 1800).


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pas de réponse, ou, si on daigne lui répondre, ce n'est guère que pour lui faire des promesses, rarement pour lui envoyer quelque argent (1).

Les temps fâcheux que le pays traverse ayant ruiné de nombreuses familles, plusieurs capitaux placés par la commission sur des particuliers furent totalement perdus, mais la perte qui lui fut la plus sensible fut celle du prieuré de Tronchoy, qui la priva d'un revenu annuel de 1.474 1., sans compter un arriéré de près de 18.000 1., sommes dont elle ne put rentrer en possession que longtemps après l'arrêté des consuls du 15 brumaire an IX, qui affecta 4 millions de biens nationaux aux hospices civils pour remplacer leurs immeubles aliénés (2).

La Révolution enleva encore à l'hôpital divers droits utiles, de mince valeur, il est vrai, mais qui néanmoins diminuèrent d'autant le chiffre de ses recettes. Ce fut son droit de langoyage, en vertu duquel il percevait de la communauté des bouchers de Chaumont deux boeufs primitivement payés en nature, mais depuis longtemps estimés 45 liv., et la moitié des langues de toutes les grosses bêtes tuées clans leurs boucheries, redevance évaluée à 12 l. 10 s. en 1689, soit en tout 57 liv. 10 s. qui figurent dans tous les comptes jusqu'en 1791, année où les débiteurs déclarent que, la loi ayant supprimé leur communauté, ils ne sont plus tenus d'en payer les dettes (3).

Ce fut son droit de linceul qui, d'après une coutume immémoriale, lui appartenait pour le service des pauvres. En vertu de cette coutume, l'hôpital s'emparait du drap placé sur le cercueil des défunts qui étaient conduits au cimetière de St-Michel,

(1) Arch. de l'hôpital : Dossiers de l'époque révolutionnaire, passim.

(2) Arch. de l'hôpital : Délib. clos 29 germinal et 24 nivose an X (19 avril et 14 janvier 1802).

(3) Arch. de l'hôpital : HH. 2. — Ce droit appartenait à l'hôpital, comme ayant succédé aux droits de la maladière do Chaumont, en môme temps que le Chapitre : voilà pourquoi il se partageait par moitié d'après un traité passé entre eux en 1775.


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mais non de ceux qu'on enterrait à l'église de St-Jean. Quand, au XVIIIe siècle, les sépultures furent interdites à l'intérieur de la Collégiale, le nombre des fosses creusées au cimetière de St-Michel augmenta considérablement, élevant dans les mêmes proportions le produit de ce casuel (1). Malheureusement, ce droit qu'on transforma en un impôt de 3 l. pour les grands enterrements, 2 l. pour les moyens et 30 sols pour les moindres, se payait difficilement, si difficilement même qu'en 1790 le Bureau se vit obligé de recourir aux voies judiciaires pour le faire rentrer. Du reste, il s'éteignit entièrement en 1794 et années suivantes, quand les convois funèbres furent devenus des cérémonies purement civiles.

L'hôpital jouissait encore du droit de charruage, qui ne permettait pas de labourer les terres de Chaumont, Buxereuilles et Reclancourt sans acquitter une redevance de 2 bichets par 90 journaux, soit environ, disent les mémoires, une pinte de blé par journal. C'était un droit féodal acheté, en 1640, des commissaires royaux, par diverses personnes dont l'une avait cédé sa part à l'hôpital en 1688, soit 2 bichets et un quart de blé (2), ressource qui fut à tout jamais perdue (3).

La maison percevait aussi un droit, assez minime du reste, sur les foires de Vignory, droit qui avait appartenu à la maladrerie de ce bourg et qui était passé à l'hôpital de Chaumont, quand celle-ci lui avait été réunie en 1693. Il disparut comme les autres pendant la Révolution.

L'hôpital aurait pu trouver une certaine compensation à ces dommages dans la suppression de la dime, car cette suppression ne devait pas profiter aux fermiers qui la subissaient, mais aux propriétaires qui pouvaient exiger d'eux; un supplément de canon égal à la valeur de cet impôt. Les décrets étaient formels sur ce point ; mais, soit par la négligence du receveur, soit par

(1) Arch. de l'hôpital : Délib. du 1er sept. 1790 ; et inventaire de D. Peuchot.

(2) Arch. de l'hôpital : Inventaire des titres dressé par D. Peuchot. (3) Arch. de l'hôpital: Délib. du 15 février 1791.


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la mauvaise volonté des débiteurs, soit encore parce qu'une partie des rentes avait été payée à la nation (1), l'Etablissement ne reçut, de ce chef, presque aucune indemnité. La commission le reconnaît au mois de nivose de l'an V (janvier 1797), et, pour en finir avec celte affaire, elle décide d'étudier de près tous les baux, et d'écrire à tous les fermiers, afin d'obtenir aux meilleures conditions, et sans procès, un règlement de compte à ce sujet (2).

Il en fut de même de la taxe d'exploitation à laquelle les fermiers étaient soumis en 1790. La suppression de cette charge ne tourna guère qu'à l'avantage de ceux-ci et très peu à celui de la maison (3).

Ainsi donc l'hôpital, qui a perdu tous ses droits utiles : son droit de langoyage, son droit de linceul, son droit de charruage, son droit sur les foires, l'hôpital qui n'a pas su ou pu profiler de la suppression des dimes et de la taxe d'exploitation, voit en quelques années ses rentes sur la nation réduites de 3.000 L, ses impositions monter de 2.000 L, ses droits sur Tronchoy compromis pour près de 14.000 1., ses avances faites à l'Etat s'élever pour les enfants et les soldats à plus de 30.000 1. (4), sans parler de l'arriéré considérable des rentes publiques et particulières. Telle est la situation financière de cet établissement en l'an VIII (1800), quand Laloy en fut nommé l'un des administrateurs. Elle est si précaire que la commission qui la dirige se demande chaque jour s'il ne faudra pas le lendemain l'abandonner à son triste sort. Heureusement pour lui, le nouveau gouvernement va prendre, d'une main ferme, les rênes jusqu'ici flottantes de l'Etat : il réparera tous les maux, guérira toutes les plaies, et les administrateurs de l'hospice, voyant leur maison redevenir prospère, pourront se féliciter de n'avoir pas, aux jours de l'épreuve, désespéré de la chose publique.

(1) Arch. de l'hôpital : Délib. du 14 septembre 1791.

(2) Arch. do l'hôpital : Lettre des administrateurs en date de ùvose au V (janvier 1797).

(3) Arch. de l'hôpital: Délib. du 14 septembre 1791.

(4) Voir plus haut, page 179.


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On peut juger, d'après les trop longs et sans doute trop minutieux détails que nous venons de donner, et qui sont puisés aux sources les plus sûres, que le gouvernement de l'hôpital était fort compliqué quand Laloy en fut chargé. En effet, aucune ou presque aucune des graves difficultés qui chaque jour avaient surgi sous les pas des administrateurs, n'avait encore reçu de solution satisfaisante et définitive, mais celle qui peut-être les embarrassait le plus en ce moment, était le sort réservé aux enfants abandonnés ou orphelins de la patrie.

Leur éducation intellectuelle et morale était des plus négligées : aussi bien la commission va faire tout ce qui dépendra d'elle pour y apporter un remède efficace.

Cette négligence n'était pas le fait des législateurs : Laloy et ses collègues l'avouent dans un long rapport que nous avons sous les yeux et qu'il ne sera pas sans intérêt de reproduire en partie.

En effet, dès le 28 juin 1793, la Convention avait prescrit à ceux qui se chargeraient de ces enfants, de les envoyer régulièment aux écoles publiques. Elle voulait, de plus, qu'à l'âge de 12 ans, ceux d'entre eux qui auraient du goût et de l'aptitude pour un art ou un métier quelconque, fussent mis en apprentissage, à moins qu'ils ne préférassent s'adonner à l'agriculture. Dans l'un et l'autre cas, le trésor public devait payer les frais de cet apprentissage et de l'entretien de ces enfants durant deux années, frais qui toutefois ne pourraient dépasser 200 livres.

Le 19 août suivant, la même assemblée rappela ces dispositions aux administrateurs, et indiqua, le 3 germinal an II (23 mars 1794), les sommes qui seraient mises pour les exécuter entre les mains du ministre de l'intérieur. Le 26 fructidor suivant (2 septembre 1794), elle vota ces crédits, mais pas une des lois susdites ne fut appliquée, l'argent faisant défaut. Les ressources, en effet, étaient alors si modiques qu'elles ne suffisaient même, pas à nourrir ces enfants et à les vêtir usqu'à 12 ans ; comment aurait-on pu songer à prendre sur elles de quoi leur faire apprendre un métier. Laloy et ses collègues en concluent


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que, si le gouvernement ne verse pas d'avance les mois de ces enfants entre les mains du Préfet, le défaut de moyens et le manque de confiance rendront les efforts de tous absolument inutiles.

Ils racontent ensuite ce qui s'est fait depuis quelques années dans l'arrondissement de Chaumont, et ce qui se fait encore pour ces orphelins, quand ils ne sont pas infirmes. « A l'âge de douze ans, disent-ils, ceux qui s'étaient chargés de leur nourriture et entretien sont prévenus que leurs élèves sont rayés de l'état des enfants à la charge du trésor public ; qu'ils peuvent les garder chez eux et les employer aux travaux de la campagne, ou déclarer qu'ils ne veulent les conserver sans indemnité. Dans ce cas, on en donne avis à la commune, et des cultivateurs ou des ouvriers les prennent à leur charge. Cette méthode renferme les avantages suivants :

« 1° Elle n'est point onéreuse au trésor public; elle conserve ces enfants clans les familles qui les ont élevés et qui, par une longue habitude, se sont attachés à eux. Nous avons la preuve de la force de cette affection dans les soins que ces familles indigentes ont continué de donner à ces enfants, quoique le paiement de leurs avances, pour nourriture et entretien, fut arriéré de trois ans.

« 2° Ces enfants étant tous élevés à la campagne, contractent le goût et l'habitude des travaux ruraux, acquièrent la force de corps et la santé vigoureuse nécessaires pour supporter ces fatigues, tandis qu'ils se façonnent difficilement à la manière de vivre et aux moeurs des villes qui leur sont totalement étrangères.

« 3° Les habitants de ce département étant occupés presque tous à la culture des terres et à celle des vignes, à l'exploitation des bois, à l'extraction ou au lavage des mines, ainsi qu'à la fabrication des fers, ont besoin du secours d'un grand nombre de bras vigoureux et exercés ; or, ces bras sont devenus rares et la main-d'oeuvre a haussé de prix, depuis que les enrôlements volontaires et les levées faites par réquisition et par la conscrip-


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tion ont porté aux armées un grand nombre de jeunes travailleurs. Ces enfants, en restant à la campagne, en augmentent le nombre.

« 4° .. .Les travaux de la campagne étant extrêmement variés dans ce département et dans une grande activité, fournissent à ces enfants des deux sexes des moyens de subsistance bien plus solidement assurés que les occupations d'une fabrique, d'un atelier, dans lequel ils n'apprennent à faire qu'une seule chose, où leur santé s'affaiblit par le défaut d'air ou d'exercice, où ils dépendent des caprices des accidents et des variations que peut éprouver la fortune d'un chef ou d'un entrepreneur d'atelier ou de manufacture...

« 5° Enfin le petit nombre des fabriques et manufactures de bas et droguets, et autres ouvrages de grosse draperie et de bonneterie, en laine et coton, de gants de peau, de coutellerie qui sont répandues dans quelques villes et grosses communes de ce département, suffisent à peine pour fournir à l'entretien des nombreuses familles d'indigents que ces établissements ont attirées dans les lieux où elles forment une population, remarquable par la faible constitution, la mauvaise santé de presque tous les individus qui les composent, en sorte que ces ouvriers ne sont propres à aucun autre genre de travail et sont surtout inhabiles aux occupations de la campagne.

« Les seuls inconvénients que présente l'usage actuellement établi de laisser ces enfants se placer à la campagne, dérivent tous du défaut de fonds qui ne permet pas de s'interposer entre ces enfants et les cultivateurs et gens de métier qui les occupent, et de stipuler les intérêts de ces orphelins ; mais ces inconvénients cesseront de se faire sentir aussitôt que les sommes que le gouvernement se propose d'employer à cet usage seront mises à notre disposition. Alors s'exécuteront sans peine les sages mesures que renferme l'arrêté du 3 pluviose (1). »

Avec les ressources promises, on continuerait de les placer à la campagne, ajoutent les administrateurs, d'abord pour les

(1) Le Préfet venait de leur transmettre cet arrêté du ministre de l'Intérieur, en date du 3 pluviose an IX, qui autorisait l'administration départementale à mettre en apprentissage les enfants abandonnés, dès qu'ils auraient l'âge et les forces nécessaires.


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motifs indiqués plus haut, et ensuite « parce qu'il ne serait pas facile de juger de l'aptitude et du goût de ces enfants pour tel art ou métier, attendu qu'ils ne sont jamais réunis à l'hospice, qu'ils sont tous élevés loin d'eux, et que la plupart, n'ayant jamais eu l'occasion de voir d'autres ouvriers que des maçons, maréchaux, charrons et autres de ce genre, ils n'ont aucune idée des travaux des arts et métiers exercés dans les fabriques et ateliers des villes » (1).

Si nous avons reproduit ici celle lettre, que nous croyons rédigée par Laloy, c'est d'abord pour documenter le lecteur sur le sort, en Haute-Marne, au début du XIXe siècle, des enfants abandonnés, mais surtout pour montrer que cet avis de la commission, dictée par une sage expérience, s'appuyait sur les motifs les plus dignes de considération. N'avons-nous pas le droit de conclure, de tous ces détails, qu'au sortir de la Révolution, la direction de l'hôpital était très compliquée, que ses administrateurs assumaient de lourdes responsabilités matérielles et morales, que notamment celui d'entre eux qui acceptait la charge de veiller à l'éducation de plus de 250 enfants n'était point précisément pourvu d'une sinécure. Si ces hommes dévoués ne recevaient aucun appointement, il faut reconnaître que les soucis ne leur manquaient pas. Or, Laloy conserva jusqu'à sa mort ce titre d'administrateur.

§ III. — Laloy, fondateur de la société d'agriculture, de sciences et d'arts.

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (suite). — Il en impose à tous par ses connaissances. — Il est chargé de fonder une Société fibre d'agriculture. — Le Préfet le met en tête de la liste des membres de cotte Société. — Il en est élu président. — Il en rédige le règlement. — Circulaire qu'il envoie pour la faire connaître. — Nombreux travaux qu'il apporte à ses réunions.

Les consuls, en arrivant au pouvoir, comprirent que la France, depuis trop longtemps troublée par les passions révolu(1)

révolu(1) du 12 ventose an IX (3 mars 1801), signée d'après l'ordre alphabétique : Gondrecourt, Laloy, Laurent, Quinet, Vauthier. (Archives de l'hôpit. de Chaumont.)


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tionnaires, avait besoin de refaire son unité dans la concorde et la paix (1). Ils convoquèrent, à cette oeuvre de restauration, tous les hommes d'intelligence et de bonne volonté, les invitant à réunir leurs efforts afin de promouvoir le bien général. Mais la division dans les esprits était alors si grande que, pour atteindre le but désiré, il fallait d'abord trouver des individus jouissant de l'estime publique et capables de grouper autour d'eux, par la supériorité de leur savoir, tous les mérites et tous les dévouements. Or, en Haute-Marne, il n'y avait guère que Laloy pour remplir toutes ces conditions.

D'une part, il avait la confiance universelle, comme nous l'avons maintes fois prouvé ; d'autre part, il était versé, non seulement dans les connaissances théoriques qui ornent l'intelligence, mais encore dans la science pratique qui rend la vie matérielle plus douce et le travail manuel moins ingrat. Tout le monde le savait, sauf peut-être Beugnot ; aussi, quand le préfet Ligniville voulut établir dans le département une Société libre d'agriculture, de sciences et d'arts, il fit appel avant tout à son concours. Il inscrivit donc son nom en tête de la liste des 22 membres qu'il avait choisis dans les trois arrondissements, et sur laquelle il figurait lui-même avec les deux sous-préfets de Langres et de Wassy, ainsi que le secrétaire général de la Préfecture (2).

(1) Lettre de Ligniville aux maires du département datée du 27 vendémiaire an IX (19 octobre 1800). (Recueil des actes administratifs de la préfecture.)

(2) Voici, du reste, cette liste : Laloy J.-N., conseiller de Préfecture ; Lebrun, ingénieur en chef ; Guillaume, secrétaire général de la Préfecture ; Trémisot, professeur de Physique et de Chimie expérimentales ; Barbolain, médecin et professeur d'Histoire naturelle ; Henryot, professeur du cours gratuit de mathématiques, à Langres, et membre du Conseil général du département ; Berthot, sous-préfet de l'arrondissement de Langres ; Clément-Leblanc, sous-préfet de l'arrondissement de Wassy ; Larcher, membre du corps législatif ; Gombert, de Reclancourt ; Bougueret, de Langres ; Champion, d'Esnouveaux ; Mollerat, maître de forges, à Poissons ; Laloy P.-A., membre du tribunat ; Pierret, ingénieur ordinaire, à Wassy ; Froussard, agent forestier, à Chaumont ; Robert-Oudard, de Saint-Dizier ; Raguet, maire de Bourbonne ; Richard-Foulon, de Langres, membre du Conseil général du déparlement ; Fontenay,


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Il faut croire que le premier rang était vraiment dû à cet homme distingué, car sa nomination fut ratifiée, non seulement par le ministre de l'Intérieur qui approuva la rédaction de la liste, mais encore par l'opinion publique et surtout par les membres de la Société qui, dès leur première séance, c'est-àdire le 15 germinal an IX (5 avril 1801), l'élevèrent au fauteuil de la présidence.

Laloy comprit que sa nomination de devait pas être pour lui un simple litre d'honneur, mais une charge qui lui imposait des devoirs, dont il voulut s'acquitter avec le soin qu'il mettait en toutes choses. Cette Société va désormais absorber une grande partie de son temps. Le 22 germinal (12 avril 1801), il propose à ses collègues la rédaction de leur règlement (1), et le 15 floréal (5 mai 1801), il adresse, en leur nom, à tous les habitants de la Haute-Marne, une lettre pour leur exposer l'utilité de cette institution.

de Lamotte ; Graillet, maire de Chaumont ; Ligniville, préfet du département.

Le préfet laissait à la société le soin d'augmenter le nombre de ses membres titulaires, ainsi que d'établir des membres associés et des membres correspondants, si elle le jugeait convenable. Ellemême devait nommer les uns et les autres. (Arch. de la Hte-Marne : Registre de la Société, p. 4, et circulaires imprimées du préfet.)

(1) Cette Société, une fois complétée, fut composée de 36 membres titulaires, dont le tiers au moins avait son domicile à Chaumont, de 24 membres correspondants résidant dans le département et de 30 membres associés demeurant au dehors.

Elle s'assemblait le 15 de chaque mois, à 9 heures du matin, à la bibliothèque de l'Ecole centrale, et tenait chaque année une séance publique le jour de l'ouverture de la session du Conseil général.

Son bureau se composait d'un président et d'un secrétaire, nommés pour un an seulement ; le président n'était pas immédiatement rééligible, tandis que le secrétaire l'était indéfiniment. Un comité de 4 membres résidant à Chaumont et toujours rééligibles constituait la commission permanente de correspondance. Ses membres, nommés pour deux ans, se renouvelaient par moitié chaque année et se réunissaient le 6e jour de chaque décade. Un trésorier, toujours rééligible, était chargé des recettes de la Société, qui consistaient en une cotisation annuelle de 12 fr. par membre ; les dépenses étaient votées en assemblée générale. (Voir le règlement de la Société publié dans le premier volume de ses mémoires ; et au Registre, p. 10.)


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« S'il n'appartient, dit-il, qu'à l'homme de génie de créer les vastes et brillantes hypothèses, il appartient aux sociétés savantes de rassembler les matériaux destinés à servir de base à ses calculs. L'ancien régime, ajoute-t-il, avait vu se former un grand nombre de ces sociétés ; il en avait favorisé l'établissement et aidé les travaux, mais la Révolution, qui a détruit bien des choses, les a entraînées à la ruine, quoique leur principe fut utile et leur existence sans danger. Aujourd'hui qu'une paix glorieuse, assurant le bonheur et la liberté de tous, va rouvrir les canaux de l'abondance et ranimer le commerce et l'industrie ; aujourd'hui que la protection accordée par le gouvernement aux sciences et aux arts leur promet l'avenir le plus brillant, les bons citoyens vont s'empresser de seconder ses vues bienfaisantes.

« C'est pour répondre à ses intentions plusieurs fois manifestées que le Préfet de la Haute-Marne, autorisé par le ministre de l'Intérieur, vient de fonder une société dont le but est d'améliorer l'agriculture, de perfectionner le commerce, de hâter les progrès des arts et de répandre le goût des sciences dans ce département... »

Puis, entrant dans le détail des travaux de la société, il déclare qu'elle a été surtout instituée pour « établir, par tous les moyens qui seraient en son pouvoir, un meilleur système de culture, pour parvenir au dessèchement des marais et à la restauration des communications vicinales, ouvrir de nouveaux débouchés au commerce, lier plus immédiatement, s'il est possible, notre département au plan général de navigation intérieure, présenter la description exacte et complète de son sol, de ses productions et de son industrie, multiplier et améliorer les races des animaux utiles, encourager les semis et les plantations, recueillir les découvertes importantes, répéter les expériences et propager les méthodes nouvelles, etc.

« Pour atteindre ce but, ajoute-t-il, elle a besoin du concours de toutes les bonnes volontés, et surtout des connaissances pratiques et locales que les citoyens éclairés du département vou-


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dront bien lui communiquer. Elle invite donc, au nom du bien public, tous les citoyens à lui transmettre tout ce qui, clans les arts, les sciences, l'agriculture et le commerce, leur paraîtra mériter quelque attention ; à lui faire part de leurs aperçus, de leurs essais, de leurs conjectures, de l'état de l'agriculture et des arts dans le canton qu'ils habitent, des abus même et des préjugés qu'ils croiront important de corriger ou de détruire ». De la discussion qui suivra ces communications, « il résultera des éclaircissements utiles qui aideront l'homme industrieux à bien diriger ses travaux. C'est ainsi que la Haute-Marne, où l'on ne peut se dissimuler que les sciences et les arts ont été jusqu'à présent peu cultivés, pourra désormais s'élever au niveau des lumières du reste de la France et rivaliser avec les autres départements de richesse et de prospérité » (1)

Il ne se contenta pas de rédiger, de concert avec le citoyen Trémisot, secrétaire de la Société, celte pressante invitation, qui fut répandue à profusion clans les villes et les villages ; à la parole, il joignit l'exemple, et au milieu des préoccupations que lui causaient les soins donnés à un certain nombre de malades choisis et à l'administration du département il trouva moyen de présenter à la Société, chaque année, des travaux particuliers qui attirèrent l'attention. C'est ainsi qu'il détermina, par ses observations, la hauteur de Chaumont au-dessus du niveau de la mer, la température des caves de la ville et des sources qui jaillissent au pied de la montagne sur laquelle elle est bâtie. C'est ainsi qu'il fit des recherches sur les maladies du blé, spécialement sur la carie, qu'il étudia les grains récoltés dans différents pays, les comparant sous le rapport de leur volume et de leurs produits. Il proposa encore des expériences sur les différents moyens de faire du pain avec des farines provenant de blé mouillé et germé. Enfin il consacra ses dernières années au travail de la statistique du département, travail dont il traita

(1) Voir cette lettre dans les arrêtés ot circulaires du Préfet, aux archives de la Haute-Marne.


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quelques parties à fond et dans toute leur étendue, dont d'autres ne furent qu'ébauchées, quelques-unes seulement indiquées, le temps ne lui ayant pas permis d'entrer en plus de détails (1).

§ IV. — Statistique de la Haute-Marne.

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (suite). — Il entreprend la statistique du département. — Correspondance du ministre à ce sujet avec le préfet Ligniville. — Programme proposé par le ministre. — Le Préfet sollicite le concours de Laloy et de la Société d'agriculture — Circulaires du préfet Jerphanion. — L'oeuvre de Laloy reste inachevée. — Jerphanion essaie de la compléter. — Aucune de ces études n'a été imprimée. — Analyse des premières pages du travail de Laloy. — Sa notice sur Chaumont.

La plus importante étude qu'ait composée Laloy, bien qu'elle soit restée incomplète, est sans contredit celle qui eut pour objet la statistique de la Haute-Marne, dont nous venons de parler à la fin du paragraphe précédent. Mais comment fut-il amené à l'entreprendre, c'est ce que nous allons essayer de dire aussi brièvement que possible.

Le 1er prairial de l'an VIII (21 mai 1800), le ministre de l'Intérieur, Lucien Bonaparte, avait adressé à tous les préfets une circulaire pour les inviter à faire connaître au gouvernement la vraie situation de la France au moyen de faits réels et précis, et à lui signaler les hommes les plus distingués par leurs talents, leurs vertus et leurs services. Il avait joint à sa circulaire un certain nombre d'états à remplir chaque mois, pour répondre aux désirs des consuls.

Quelques jours après, il revenait à la charge et demandait en particulier les renseignements les plus exacts sur l'agriculture, l'industrie et le commerce, se proposant de les grouper tous dans un résumé général.

Le 15 messidor suivant (4 juillet 1800), Ligniville lui fait parvenir ses premières notes. L'agriculture, lui dit-il, est en bon état dans le département, l'industrie occupe tous les bras que ne réclame pas le travail des champs ; la mendicité, sans être

(1) Arch. de la Hte-Marne. Rapport du secrétaire de la Société, p. 66 du registre des délibérations.


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alarmante, est cependant trop répandue, et il énumère les moyens auxquels on a recours pour la prévenir ou la combattre. Quant aux citoyens les plus recommandables par leurs talents ou leurs services, il n'en cite que trois : d'abord le citoyen Laloy, de Chaumont, ex-constituant, « dont les vastes connaissances en économie politique, en administration et en médecine, sont vraiment remarquables » ; puis le citoyen Henriot, de Langres, qui, clans des leçons publiques et gratuites, enseigne les mathématiques à la jeunesse ; enfin le citoyen Henrion de Pansey, bien connu du gouvernement, puisque celui-ci vient de l'appeler au Tribunal de cassation.

Le 28 vendémiaire an IX (20 octobre 1800), le ministre insiste sur lès détails que doivent renfermer les lettres des préfets et il les résume ainsi : ces lettres doivent faire connaître la France à ceux qui la gouvernent. Puis, développant sa pensée, il ajoute : « En nommant des préfets, les consuls ont cru que leur premier soin serait d'étudier leur département sous tous les rapports, physiques, politiques et moraux ; qu'ils voudraient savoir son étendue, sa population, ses diverses productions, la nature de son sol et la culture qu'on lui donne, ses routes, ses rivières, ses bois, son commerce, ses fabriques, et le nombre d'hommes qu'elles occupent, le caractère de ses habitants et leurs moeurs, ainsi que leurs opinions, le degré de leur attachement au gouvernement, leurs idées religieuses et la quotité des impôts qu'ils supportent, etc. ».

Si chaque préfet, conclut-il, recueillait exactement ces notions et les transmettait fidèlement au Ministre, on pourrait, dans un délai très court, former de la France le tableau le plus complet qu'on ail encore eu (1).

Le 8 frimaire suivant (29 novembre 1800), le nouveau ministre, Chaptal, revient sur les recommandations de son prédécesseur, et réclame en outre l'état des naissances, mariages et décès ; le 23 nivose (13 janvier 1801), il demande le nombre des carrières de porphyre, granit, marbre statuaire, plâtre et albâtre que renferme le pays (2). Le Préfet lui envoie de longs renseignements en brumaire, frimaire, nivose et pluviose sur la

(1) Voir cette lettre aux archives de la Hte-Marne.

(2) Voir ces deux lettres aux archives de la Hte-Marne.


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topographie, la population, les impôts et surtout les rivières du département.

Le ministre n'est pas encore satisfait : il veut de l'ordre dans les réponses qui lui sont adressées et un mémoire détaillé à l'appui des états qu'on lui envoie. « Ce travail, dit-il, est considérable et exige des soins ; vous ne pouvez seul le rendre complet. Vous vous adresserez donc aux hommes les plus éclairés de votre département, à ceux qui, par leur position, sont le plus à portée de bien voir et qui, par leur attachement à la patrie, sont les plus disposés à communiquer le résultat de leurs observations » (1).

Sans attendre les recommandations de Chaptal, Ligniville avait, dès le premier jour, fait appel aux lumières de son Conseiller de préfecture, qui centralisait tous les renseignements et préparait les réponses destinées au ministère. Laloy s'était chargé des observations météorologiques. Après la fondation de la Société d'agriculture, Ligniville lui demanda son concours par une lettre qui fut sans doute inspirée, sinon composée par son président (2).

Sur ces entrefaites, Ligniville, qui venait d'être élu député de la Haute-Marne, fut remplacé par M. de Jerphanion le 23 germinal an X (13 avril 1802); Le Ministre écrivit bientôt à ce nouveau fonctionnaire pour lui réclamer la statistique de son département. Or ce travail, que Laloy voulait complet, était loin d'être achevé. Jerphanion, qui était auteur d'une étude de ce genre (3), résolut de l'aider par tous les moyens dont il pou(1)

pou(1) cette lettre, datée de germinal an IX, mais qui n'a été envoyée qu'en prairial. (Arch. de la Hte-Marne).

(2) Lettre du 4 fructidor an IX (22 août 1801). (Arch. de la HauteMarne).

(3) Lettre de Jerphanion à P.-A. Laloy datée du 21 brumaire an XI (12 novembre 1802), dans laquelle, après l'avoir félicité de sa nomination au Conseil des prises, il lui parle de la statistique qu'il a faite, lui en envoie plusieurs exemplaires, dont un pour le citoyen Ballois, rédacteur des Annales statistiques, afin que cet écrivain en parle puisqu'il a parlé d'autres. Il ajoute : « Le citoyen Laloy, votre frère, s'occupe de la statistique de ce département ; il traite l'objet en homme instruit et consommé, et il me tardera de présenter son travail au gouvernement ». (Voir cette lettre aux archives de la famille Laloy).

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vait disposer. Non seulement il lui fournit les documents que possédaient ses bureaux, mais il adressa aux sous-préfets et maires du département deux circulaires, l'une en date du 11 brumaire an XI (2 novembre 1802) et l'autre du 1er germinal suivant (22 mars 1803), qui prescrivaient dans toutes les localités de la Hte-Marne la rédaction d'un Mémorial où seraient consignés tous les renseignements qu'on pourrait trouver sur le nom, l'origine, la situation topographique de chaque commune ; sur les fermes, écarts, forges, moulins et autres usines qui en dépendaient ; sur les rivières ou ruisseaux qui arrosaient son sol ; sur sa population, l'étendue de son territoire, ses productions, son industrie, son commerce ; sur le caractère, les moeurs et usages des habitants ; sur les hommes célèbres qui y avaient vécu, les faits mémorables ou événements historiques qui s'y étaient passés ; sur les cultures habituelles du pays, le prix des denrées de première nécessité et celui de la journée de travail en hiver et en été ; sur les mines, charbons, eaux minérales, tourbières qui pouvaient s'y trouver, enfin sur les végétaux et les animaux qui y croissaient ou qu'on y élevait, etc. (1)

Ce Mémorial, que le Conseil municipal était appelé, sinon à composer, du moins à approuver lors de sa prochaine session, devait être transmis dans l'espace d'un mois à la Préfecture.

On comprend que toutes ces monographies eussent été d'un grand secours à Laloy si elles avaient été faites et bien faites, mais la plupart des communes ne semblent pas avoir répondu à l'appel du Préfet, ou elles n'envoyèrent que des notices fort incomplètes et tout à fait superficielles dont plusieurs se rencontrent encore aux archives du département. Laloy, d'ailleurs, va bientôt tomber malade et mourir, en sorte que son oeuvre restera inachevée.

Le lecteur désire peut-être savoir ce qu'est devenu ce travail de statistique qui remplit les dernières années de Laloy : nous le lui dirons brièvement.

(1) Voir ces circulaires imprimées au Recueil des Actes administratifs. (Archives de la Haute-Marne).


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Le 15 pluviose an XIII (4 février 1805), c'est-à-dire moins de trois mois après la mort de Laloy, le ministre, de Champagny, écrivit au préfet Jerphanion pour lui demander des nouvelles de la statistique de la Haute-Marne. Le frère du défunt, qui se trouvait encore à Chaumont, reçut communication de cette lettre et promit au chef du département de lui porter sous peu les notes qu'il aurait pu réunir et que l'auteur avait classées d'après un plan spécial et non d'après celui du Ministre, n'ayant pas cru devoir l'adopter (1).

Au bout de quelques semaines, en effet, le Préfet entrait en possession du manuscrit de Laloy ; mais, après l'avoir parcouru, il jugea bon d'y introduire des modifications et d'en changer le plan.

C'est du reste ce que M. de Jerphanion va dire lui-même au Ministre dans sa lettre du 11 juin 1806. « A mon arrivée dans cette administration en l'an X, je trouvai feu M. Laloy, conseiller de Préfecture et membre de la Société d'agriculture, saisi de tous les documents qui pouvaient servir à la confection de l'ouvrage ; et, comme cet estimable citoyen possédait les moyens de remplir convenablement cette tâche, je m'étais borné à le seconder de tous ceux qui étaient en mon pouvoir, en lui procurant, soit dans mes bureaux, soit dans ma correspondance, les facilités dont il avait besoin.

« Cependant, à l'époque de la mort de M. Laloy, arrivée en frimaire an XIII (novembre 1804), son entreprise était bien loin d'être achevée, la multiplicité de ses occupations l'en ayant sans doute empêché. Son plan, qui ne manquait pas de justesse, n'était ni aussi vaste ni aussi régulier que celui qui me parvint depuis par votre ordre, dans le prospectus du sieur Testu. J'ai donc été dans le cas, non seulement de refondre en partie le travail rédigé par M. Laloy, mais encore de faire les articles qu'il n'avait pas traités ou ceux qu'il n'avait qu'ébauchés. Pour y parvenir, j'ai fait de nouveaux appels aux personnes qui, par leurs lumières ou leur position pouvaient me fournir d'utiles renseignements, et, depuis près de 18 mois, je me suis adonné sans réserve à cet objet... » (2).

(1) Voir cette lettre aux archives de la Haute-Marne.

(2) Voir cette lettre, qui se trouve en minute, aux archives de la Haute-Marne.


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Le travail de M. de Jerphanion, pas plus que celui de M. Laloy n'a été imprimé, et on ignore ce qu'ils sont l'un et l'autre devenus. Des recherches opérées au ministère, en 1818, sur la demande de M. de St-Genest, préfet de la Haute-Marne, ont été en grande partie infructueuses puisqu'on n'a retrouvé que le chapitre premier, qui traitait de la topographie et était couvert de ratures, oeuvre sans doute de M. de Jerphanion. (1)

Quand MM. Peuchet et Chanlaire voulurent publier, en 1811, leur description topographique et statistique du département de la Haute-Marne, description qui compte 48 pages in-4° à deux colonnes, ils demandèrent au frère de Laloy, alors juge au Conseil impérial des prises, et en obtinrent des renseignements dont la plupart étaient tirés du mémoire dressé par le défunt. Ils le déclarent eux-mêmes dans la préface de cet ouvrage (2).

Pour permettre au lecteur d'apprécier l'étude statistique de J.-N. Laloy sur le département, étude égarée, comme nous venons de le dire, nous analyserons brièvement les 75 pages qu'il a écrites de sa propre main et furent la première minute de son travail. Nous les avons découvertes dans les archives de sa famille. (3)

Après avoir indiqué les limites et l'étendue de la Hte-Marne, il dit un mot des premiers peuples qui ont habité ce pays, puis il décrit les rouages des diverses administrations qui l'ont successivement régi sous l'ancien régime, la constitution de 1790, celle de l'an III et enfin celle de l'an VIII qui leur a succédé. Il étudie ensuite la composition de son sol, ses montagnes et ses vallées, ses rivières, étangs, sources minérales ; sa température, le nombre et le partage de sa population, les hommes qui, ayant vécu sur son territoire, ont transmis leur nom à la postérité.

Il rédige une courte notice sur chacune des principales villes du département, en commençant par les plus peuplées; donne un tableau de l'instruction publique à ses différents degrés ;

(1) Voir deux lettres à ce sujet aux archives de la Hte-Marne.

(2) Voir la préface de ce travail.

(3) Voir le fonds Laloy aux archives de la Hte-Marne.


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mentionne spécialement l'Ecole centrale, sa riche bibliothèque, son jardin botanique, son musée, sans oublier les cours publics d'agriculture et d'accouchement. Il énumère en détail les hospices et établissements de bienfaisance qui s'y trouvent, les secours et soins donnés aux orphelins de la patrie ; les prisons et maisons d'arrêt, tout en regrettant leur imperfection.

Abordant ensuite les moyens de communication, il divise les routes en 4 catégories et s'étend spécialement sur les chemins vicinaux, sur les canaux déjà existants et ceux qu'il conviendrait de creuser.

Sous le titre de production du sol, il cite les animaux domestiques ou sauvages qu'on rencontre dans le département, les poissons et les oiseaux qui y vivent, les arbres fruitiers ou autres qu'on y cultive ou y croissent spontanément ; il classe ensuite les minéraux du pays, pierres, plâtre, charbons de terre, tourbe, mines de fer, de plomb, de zinc, pyrites, etc.

Le chapitre de l'agriculture lui fournit l'occasion de distinguer les diverses terres de la région, d'indiquer les labours qu'on leur donne habituellement, les engrais qui leur conviennent, les plantes et fourrages qu'on y récolte pour la nourriture de l'homme et des animaux domestiques ; enfin il mentionne les soins nécessaires aux semences, les maladies auxquelles elles sont exposées, ainsi que les remèdes à leur appliquer.

A l'appui de son travail, il avait préparé 21 tableaux de format in-folio, composés de 19 colonnes donnant pour chaque commune du département le nombre des hommes mariés ou veufs, celui des femmes mariées ou veuves, des garçons et des filles de tout âge, celui des défenseurs de la patrie vivants ou morts, formant l'ensemble de la population ; il y avait joint le nombre des bestiaux de toute espèce qu'il prenait le soin de détailler. Une dernière colonne servait à inscrire les observations.

Afin de donner une idée de sa manière et de la précision de ses renseignements, nous allons reproduire la notice qu'il a donnée sur Chaumont. « Chaumont, chef-lieu de la Haute-Marne et la seconde ville


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clans l'ordre de la population, renferme, suivant le dernier recensement, 6.121 habitants. Elle est située au centre du département, sur une colline au pied de laquelle coulent à l'Est la Marne et à l'Ouest la Suize, par 48°6' de latitude et 2°48' de longitude orientale de Paris.

« Ce n'était anciennement qu'un bourg protégé par un château, dont les comtes de Champagne firent ensuite un plus grand établissement, après la réunion de la province au domaine de la couronne. Celte ville reçut d'importants accroissements ; elle devint le chef-lieu d'un des bailliages les plus anciens et les plus étendus du royaume, ayant sa coutume particulière, un présidial, une élection, un grenier à sel, une maîtrise des Eaux et forêts, dont la juridiction s'étendait jusqu'aux limites du bailliage.

« Placée sur la frontière des provinces de Lorraine et des deux Bourgognes, sur la route de Paris à Basle, et celle de Lille à Dijon, Lyon et Besançon, qui se réunissent à l'entrée de cette ville, Chaumont avait été fortifiée avec soin par Louis XII, François Ier, Henri II et Henri IV ; mais, depuis l'annexion de ces provinces à la France, ses fortifications devenues inutiles ont été négligées. Il n'en reste plus que quelques bastions remarquables par la solidité de leur construction et le bon choix des matériaux dont ils sont revêtus. Cette ville, quoique peu étendue, est bien bâtie ; ses rues principales sont convenablement aérées ; elle est environnée de promenades agréables ; l'air y est pur.

« Les édifices les plus considérables sont : la grande église, dont le choeur est un beau vaisseau gothique ; les salles du palais de justice ; l'ancien collège, vaste et beau bâtiment occupé aujourd'hui par les professeurs et le pensionnat de l'Ecole centrale ; le portail de son église, quoique chargé d'ornements que le goût rejette en grande partie, mérite néanmoins quelques regards des connaisseurs. La maison commune, nouvellement élevée sur la place publique, en fait le principal ornement.

« Le commerce de Chaumont consiste dans le produit de sa fabrique de bonneterie, de bas de laine tricotés à l'aiguille, de droguets eu fil et laine et de gants de peau. Ces deux objets d'industrie occupent journellement plus de 2.500 personnes de tout âge et de tout sexe, dans' la ville et les environs. Il consiste


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encore en une belle blanchisserie de cire dont le produit en cire blanche, en cierges et bougies, s'exporte dans l'intérieur de la République et à l'étranger, et dans plusieurs bonnes fabriques de chandelles. Cette ville renfermait autrefois une manufacture de draps recherchés pour leur qualité, mais elle est tombée depuis plusieurs années... »

Le résumé donné plus haut et le passage que nous venons de reproduire nous font suffisamment connaître le genre adopté par Laloy dans sa statistique, et regretter que son travail n'ait pu être achevé et publié (1).

§ V. — Observations météorologiques et autres

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (suite). — Il note chaque jour les modifications de l'atmosphère. — Il mesure avec le baromètre la hauteur de Chaumont et des eaux de la Marne. — Avec le thermomètre, il détermine la température des sources et celle des caves les plus profondes de la ville. — Ses observations sur les effets de la vaccine. — Etudes sur une tourbière, sur les terrains qui conviennent aux diverses espèces d'arbres, sur des minéraux envoyés à la Société d'agriculture. — On demande pour lui la croix de la Légion d'honneur.

Les travaux de longue haleine, que nous venons d'analyser, ne suffisaient point à épuiser l'activité de Laloy. Pendant trois années consécutives, et même au cours de sa dernière maladie, il notera chaque jour avec une minutieuse exactitude les moindres modifications de la température ou de l'atmosphère sur des tables qui lui serviront à rédiger d'intéressants mémoires. Ces tables, qui existent encore, nous ont été communiquées, et nous avons pu constater par nous-même qu'à partir du deuxième trimestre de l'an X jusqu'au premier brumaire de l'an XIII, c'est-àdire pendant 31 mois, il n'a pas manqué un seul jour d'indiquer le matin, à midi et le soir, les degrés marqués par le baromètre ou le thermomètre, la direction des vents et l'état du ciel (2).

(1 a 2) Voir le manuscrit de Laloy aux Archives de la Hte-Marne: fonds Laloy.


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Tous les trois mois, il envoyait au ministre de l'Intérieur le résumé de ses observations, c'est-à-dire pour chaque mois la plus grande et la plus petite hauteur du baromètre et du thermomètre, le nombre des jours de pluie ou de grand vent, de neige ou d'orage, de gelée, de grêle ou de brouillard, de temps couvert ou de ciel pur; il indiquait le vent qui avait dominé, le nombre de jours où il avait soufflé de la même direction, enfin les maladies qui avaient régné dans le pays (1), etc.

Si ces observations demandaient beaucoup d'attention et de persévérance, elles n'exigeaient toutefois aucun déplacement, mais il en fit beaucoup d'autres qui nécessitèrent de fréquentes descentes clans la campagne, en tout cas des allées et des venues toujours pénibles à son âge et à sa mauvaise santé. Nous voulons parler des études qu'il entreprit au moyen du baromètre et du thermomètre, sur la montagne ou clans la plaine. Ecoutons-le, du reste, nous raconter les premières.

« Le 4 nivose an X (25 décembre 1801), à 6 heures du soir, le baromètre de l'Ecole centrale étant à 27° 5 lignes, je l'ai descendu dans ma cave la plus profonde et il s'est élevé à 27° 5 3/4. Je l'ai de suite monté jusqu'au faux grenier et il a marqué 27° 4 3/4. Remis immédiatement à sa place ordinaire, il est revenu à 27° 5. Le baromètre de la Société, placé dans l'appartement à côté de lui, n'avait point varié pendant la durée de l'expérience.

« A la cave, la cuvette du baromètre était à peu près à un pied au-dessus du sol ; au faux grenier, elle était à peu près à 2 pieds au-dessus du plancher ; la différence de la hauteur du lieu où la cuvette était placée à la cave et celle où elle l'était au grenier est de 62 à 63 pieds, et cette différence a occasionné celle d'une ligne et une fraction peu considérable clans l'élévation du mercure (2). »

Cette base et la comparaison des mouvements du baromètre relevés chaque jour à Chaumont pendant six mois, et à Paris

(1) Voir le manuscrit de Laloy aux Archives de la Haute-Marne : fonds Laloy.

(2) Rapport manuscrit de Laloy, conservé au fonds Laloy.


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pendant le même temps (1), lui permettent de calculer la hauteur de Chaumont au-dessus du niveau de l'Océan, hauteur qu'il fixe par approximation à 379 mètres, à prendre du parquet de la grande salle de l'Hôtel de ville où étaient placés les instruments.

Par les mêmes procédés, il trouve que les moyennes eaux de la Marne sont, sous le pont de la Maladière, à 304 mètres au-dessus de ce même niveau, et que les basses eaux prises au même endroit, sont à 74 mètres 60 au-dessous de la colline sur laquelle la ville est bâtie (2).

Il déclare en terminant son rapport que, si la précision de ses calculs n'est pas absolument rigoureuse, elle est « au moins approximative », et il ajoute : « Je vais, du reste, continuer mes recherches pendant une année entière ; je comparerai les observations faites ici avec celles que publient les citoyens Cotte et Bonnard, et nous verrons si ces nouvelles observations confirment l'exactitude de nos calculs, ou nous amènent à redresser les erreurs dans lesquelles nous aurons pu tomber. »

Nous n'avons trouvé dans ses notes aucune indication prouvant qu'il ait modifié plus tard ou maintenu ses premières constatations. Nous devons reconnaître qu'il s'est trompé de quelques mètres en estimant la hauteur de Chaumont au-dessus du niveau de la mer, à 379 mètres, puisqu'il est démontré aujourd'hui que cette hauteur, prise du parquet de la grande salle de l'Hôtel de

(1) Il aurait voulu faire cette comparaison avec les mouvements d'un baromètre placé sur le bord de la mer, mais n'ayant trouvé aucun correspondant pour entreprendre cette étude, il s'est contenté des observations relevées chaque jour à Paris et publiées à la fin du mois par les citoyens Cotte et Bonnard. Après avoir dressé une moyenne de l'élévation du mercure pendant les six premiers mois de l'an X, tant à Chaumont qu'à Paris, il a trouvé chaque mois une différence constante de 11 lignes 11/40 à 11 lignes 17/20, soit entre 11 et 12 lignes.

L'élévation du lieu où les citoyens susdits faisaient leurs observations étant, selon eux, de 60 toises au-dessus du niveau de l'Océan et de 40 toises au-dessus des basses eaux de la Seine, au pont des Tuileries, c'est de ces données qu'il part pour opérer ses calculs.

(2) L'administration des Ponts et Chaussées vient de nous faire savoir que la cote du pont de la Maladière est de 260 m. 50.


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ville est à peu près de 322 mètres et demi. Il n'en est pas moins étonnant qu'avec les moyens rudimentaires dont il disposait, Laloy, placé si loin de l'Océan, soit arrivé seul et par ses calculs à une approximation aussi grande (1).

L'erreur de 57 mètres clans laquelle il est tombé au début de ses recherches, peut, du reste, provenir aussi bien des données qu'on lui transmettait de Paris que de ses propres observations. Il n'y aurait même rien de surprenant qu'on dut l'attribuer aux unes et aux autres.

Autres expériences au moyen du thermomètre. « Le 20 ventose an X (11 mars 1802), à 4 heures du soir, dit Laloy, le thermomètre, plongé dans la source jaillissante du puits de Bonnevaux, qui était alors à plein bord, s'est élevé à 8 degrés ; à la même heure, un autre thermomètre placé à l'air libre, à l'aspect du nord, suspendu à une branche située à une toise de distance du bassin et à un mètre au-dessus du sol, s'est soutenu à 7 degrés. Le même thermomètre, porté à environ 8 toises de la source et à 3 toises au-dessus de son niveau, suspendu à une branche située au nord et à un mètre au-dessus du sol, a baissé à

6 degrés. Mon thermomètre de la ville marquait au nord

7 degrés.

« Le 6 germinal an X (27 mars 1802), à 6 heures du soir, le thermomètre plongé dans la source de Buez est descendu à

8 degrés ; un autre placé à l'air libre, au nord-est, a donné 10 degrés ; celui de ma maison, qui est placé au nord, 9 degrés et demi.

(1) Le point de repère de la gare de Chaumont est élevé de 314 m. 81. En supposant une montée de 2 mètres pour arriver sur la place et de 5 mètres au moins pour atteindre au plancher du 1er étage de l'Hôtel de ville, nous arrivons à 322 m. environ... Au dernier moment, l'administration des Ponts et Chaussées nous apprend que l'altitude à l'angle des rues de Choignes et de Chamarande est de 317 m. 10, sensiblement égale à celle de la place de l'Hôtel de ville, au pied des marches de l'escalier. En y ajoutant 5 mètres au moins pour atteindre le parquet de la grande salle, nous atteignons le chiffre de 322 et demi.


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« Le 2 floréal an X (22 avril 1802), à 6 heures du soir, le thermomètre plongé dans la même source de Buez, a donné 8 degrés, tandis que celui laissé à l'air libre en donnait 7 (1). »

Mais abrégeons, car en reproduisant ces lignes, nous n'avons d'autre but que de montrer le soin que Laloy apportait dans ses recherches ; le 16 nivose an X (6 janvier 1802), en plein hiver, nous le retrouvons à la fontaine de Buez ; le même jour, à la rivière de Suize, entre le pont et cette fontaine. Le 21 nivose (11 janvier 1802), il est au moulin du Val Barisien ; le 23 (13 janvier 1802), sur la Marne, au pont de la Maladière ; le 25 (15 janvier suivant), à la ferme du Nourri. Après avoir plusieurs fois répété cette expérience dans les diverses sources qui s'échappent de la colline de Chaumont et de quelques montagnes voisines, il conclut que toutes ont élevé constamment le mercure du thermomètre à 8 degrés au-dessus de zéro, soit que la température fut au-dessus ou au-dessous de glace (2).

Des expériences faites avec le thermomètre dans diverses caves de la ville lui démontrent qu'à la profondeur de 22 ou 23 pieds au-dessous du sol, la température intérieure ne varie plus, quelle que soit la température extérieure (3).

Laloy, comme le vrai savant, est humble ; malgré les précautions qu'il prend pour éviter toute erreur, il a toujours peur de se tromper. Aussi, après avoir rédigé par écrit le résultat de ses observations sur la température des sources ou des caves de la ville, il demande à retirer son mémoire, de nouvelles recherches lui ayant laissé quelques doutes sur l'exactitude de ses conclusions. Il veut reprendre ses expériences durant l'année tout entière, espérant qu'elles dissiperont ses incertitudes et rendront ses essais plus dignes d'occuper une place dans les actes de la Société (4).

(1) Manuscrit de Laloy aux Archives de la Haute-Marne : fonds Laloy.

(2) Manuscrit de Laloy aux Archives de la Haute-Marne : fonds Laloy.

(3) Manuscrit de Laloy aux Archives de la Haute-Marne : fonds Laloy.

(4) Manuscrit de Laloy aux Archives de la Haute-Marne : fonds Laloy.


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Entre temps il suivait avec son collègue, le docteur Barbolain, les effets de la vaccine que l'on commença à employer à Chaumont pendant l'épidémie de variole qui sévit en l'an IX ; il lisait aux séances tenues pur la Société une communication sur une tourbière que le hasard venait de faire découvrir à Parnot, Fresnoy et Ravennes-Fontaines, et se rendait dans ces trois villages à seule fin de l'examiner sur place ; il rédigeait en partie l'instruction que la Société fît imprimer et répandit dans tout le département, sur la plantation des arbres fruitiers et forestiers, ainsi que sur les soins qui conviennent à leurs différentes espèces. Il étudiait avec Trémisot, professeur de Physique et de Chimie à l'Ecole centrale, la composition de diverses ammonites et pyrites, et d'autres minéraux qui leur avaient été envoyés par les membres correspondants (1).

Malheureusement, il ne put prêter longtemps son concours à cette Société, dont il fut deux fois le président annuel (2) et dont il l'aurait été trois fois, c'est-à-dire chaque année, si le règlement eut permis sa réélection immédiate. Il assista pour la dernière fois aux séances le 2 prairial an XII (22 mai 1804) (3). Le 22 messidor suivant (11 juillet 1804), c'est le préfet Jerphanion qui préside à sa place ; mais en thermidor, en fructidor (août et septembre 1804), de la même année, en vendémiaire, en brumaire de l'année suivante (octobre et novembre 1804), la société ne se réunit pas : elle est comme paralysée par la maladie de son chef. Ce n'est qu'après 5 mois d'interruption, le 6 frimaire an XIII (27 novembre 1804), qu'elle est convoquée de nouveau, et c'est pour déplorer la perte de son président que la mort vient de lui ravir l'avant-veille, et procéder à son remplacement provisoire en attendant la séance publique (4).

(1) Voir le registre de la Société aux Archives de la Haute-Marne et mémoires imprimés, passim.

(2) Voir le registre do la Société. (Arch. de la Hte-Marne.) Délib. du 15 germinal an XII, p. 55.

(3) Voir le registre de la Société. (Arch. de la Hte-Marne.) Délib. du 15 germinal an XII, p. 61.

(4) Voir le registre de la Société. (Arch. de la Hte-Marne.) Délib. du 15 germinal au XII, p. 63.


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La conduite de ses collègues, durant la fin de l'an XIII, démontre mieux que tout ce que nous pourrions dire que JeanNicolas Laloy était vraiment l'âme de cette Société. Du reste, après lui elle ne fit plus que végéter jusqu'au jour où de multiples efforts pour la ranimer ayant été vains, elle succombera en 1813 (1).

C'est sur la fin de l'an XII ou au commencement de l'an XIII que P.-A. Laloy, son frère, qui était alors membre du Conseil des prises maritimes, songea à solliciter pour lui la croix de la Légion d'Honneur. Dans les archives de la famille, nous avons découvert la minute de la lettre qu'il se proposait d'adresser à cette fin au Grand chancelier, mais nous ne pouvons dire si cette pétition a été réellement écrite et envoyée.

On lit dans cette minute que Jean-Nicolas Laloy, docteur en médecine à Chaumont, chef-lieu du département de la HauteMarne, est notable national et membre du Conseil de préfecture ; qu'en 1789 il a été honoré des suffrages de ses concitoyens et nommé commissaire pour la rédaction des cahiers de doléances; qu'il fut élu par l'assemblée du bailliage de Chaumont-enBassigny, comme député aux Etats-Généraux et membre de l'Assemblée constituante, et, à son retour, maire de Chaumont dans des temps difficiles.

« Nommé préfet du département du Doubs, est-il dit, il dut décliner ces fonctions que l'état de sa santé et des raisons de famille ne lui permirent pas d'aller remplir, et accepta seulement le titre de membre du Conseil de préfecture de la HauteMarne.

« Ses services, dans les différents postes qu'il a remplis, lui

(1) Cette première Société d'agriculture de la Haute-Marne disparut en 1813 à l'approche des Alliés. La seconde fut établie par arrêté préfectoral et avec un nouveau règlement en 1817. En 1826, elle s'éteignit pour quelques années. Un nouvel arrêté préfectoral tenta de la ressusciter en 1833, mais ce fut sans succès. Nous ne dirons rien de celle qui existe de nos jours.


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ont mérité l'estime et la confiance du gouvernement, ainsi que celle de ses concitoyens et des administrés du département.

« Il excelle dans les sciences chimiques et botaniques ; sous ce rapport, il est avantageusement connu du directeur de l'Instruction publique et du chancelier du Sénat.

« Il exerce gratuitement encore la médecine dans les moments que ses fonctions publiques lui laissent libres. Il est membre de la Société d'agriculture, de commerce, sciences et arts établie à Chaumont.

« Il compte 16 ans de services publics continus et sans interruption ».

P.-A. Laloy terminait sa lettre en priant le Grand chancelier d'obtenir du Premier Consul, en sa faveur, « une marque d'honneur que la piété filiale lui fait un devoir de solliciter, et que la modestie de son frère lui interdit de demander ».

Si cette lettre fut vraiment adressée au chef du gouvernement, la maladie et la mort de Laloy, qui la suivirent de près, ne lui laissèrent pas le temps d'examiner les désirs qu'elle renfermait, comme nous allons le dire dans le chapitre suivant.


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CHAPITRE VII

Maladie et mort de Laloy

§ I. — Laloy tombe malade — Il est invité au sacre de l'Empereur

Son mal s'aggrave. — Il reçoit les derniers sacrements. — Sa mort ; deuil général. — Délibération du Conseil municipal à ce sujet. — Ses funérailles. — Il est enterré sous la galerie du nouveau cimetière.

Revenons de quelques mois en arrière. Nous sommes en septembre et octobre 1804. Les multiples travaux et les préoccupations quotidiennes qui, depuis plus de 15 ans et demi remplissent la vie de Laloy, l'ont considérablement fatigué. Il est atteint d'une maladie de langueur et d'un amaigrissement progressif, qui menacent de le conduire lentement mais sûrement au tombeau. Devenu habituellement triste, quand on remarquait un sourire sur ses lèvres et un peu de gaieté dans sa conversation (1), on en concluait à un mieux sensible. Six semaines avant sa mort, son entourage se berçait encore de quelque espoir ; mais lui ne se faisait aucune illusion ; connaissant son état, il se savait perdu à bref délai, ce qui ne l'empê(1)

l'empê(1) de Pansey écrivait au frère de Laloy le 14 frimaire an VIII (5 décembre 1804) : « J'ai vu, il y a environ six semaines, votre pauvre frère ; je le trouvai un peu amaigri, mais d'ailleurs assez bien, surtout avec un peu de gaieté. Jugez de mon étonnement .. » (papiers de famille).


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chait pas de rassurer les siens quand il les voyait inquiets à son sujet (1).

Pendant ce temps, la France entière se livrait à la joie. Le Premier Consul, au mois de mai, avait été proclamé empereur par l'immense majorité de la nation, et le pape Pie VII était en route pour le sacrer, cérémonie qui devait avoir lieu en grande pompe le 2 décembre, dans l'antique cathédrale de Paris. Déjà on faisait les préparatifs de celle solennité, et le gouvernement désignait les hauts fonctionnaires qui seraient appelés à y assister. Laloy, qui avait toujours joui de l'estime de ses supérieurs, eut l'honneur d'être de ce nombre. En l'absence du préfet, qui était déjà arrivé dans la capitale, le collègue de Laloy au conseil de préfecture vint lui apporter sur son lit de souffrance la lettre du ministre qui le conviait personnellement à cette fêle. Après l'avoir lue, le malade la lui rendit en prononçant d'une voix émue cette parole du sage, car il se sentait déjà bien près de son éternité : Hélas ' Monsieur, tout n'est que vanité ici-bas, Vanitas vanitatum et omnia vanitas (2). Il songeait déjà à se mettre en route pour un monde meilleur.

Huit jours avant la catastrophe, on s'aperçut qu'il était définitivement condamné. Cependant, les nouvelles qu'on envoyait de tous côtés n'étaient pas encore alarmantes (3). Son frère fut néanmoins mandé de Paris. Prévenu du danger que courait le malade, le curé de la paroisse, M. Garret, vint le visiter et lui exprima les craintes qu'éprouvaient à son égard ses parents et ses amis. Aussitôt le malade demanda à se préparer au grand voyage ; il reçut, en pleine possession de ses facultés, le sacrement de pénitence et déclara se soumettre avec une entière résignation à la volonté divine. C'était le malin ; le mal fit pendant la journée de si rapides progrès que vers le soir, le prêtre fut appelé de nouveau et prié d'apporter au moribond, qui souffrait extrêmement, les derniers secours de la religion.

(1) « Je ne songeais guère ne le plus revoir lorsque je le quittai, car ce respectable homme m'avait rassuré sur son état qu'il connaissait parfaitement. (Lettre du cousin Laloy à sa cousine Rosalie, papiers de famille).

(2) Voir plus loin l'oraison funèbre de Laloy.

(3) Lettre du cousin Jeanson à P.-A. Laloy, en date du 8 frimaire an XIII (29 novembre 1804).


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Quand il se présenta, la chambre était remplie d'amis et de personnes dévouées qui sanglotaient, ainsi que de collègues empressés à procurer quelque soulagement au moribond (1). On essayait tous les remèdes qui paraissaient capables d'adoucir ses souffrances, mais tout était inutile. C'est alors que le prêtre lui rappelant ses sentiments du matin, lui offrit le sacrement des malades. « Oui », répondit-il d'une voix nettement articulée et qui fut entendue de toute la salle. Tout le monde s'agenouilla et il reçut avec foi les saintes onctions. Son frère venait d'arriver de Paris ; il se trouva juste à temps pour assister à son dernier soupir (2) qu'il rendit le lendemain matin, 4 frimaire an XIII (25 novembre 1804) (3).

Quand la nouvelle de cette mort fut connue, toute la ville vint témoigner au frère du défunt et à sa fille inconsolable lès condoléances les plus sincères et les plus émues. La tristesse était peinte sur tous les visages ; on eut dit que chacun portait le deuil d'un parent ou d'un ami, tant on comprenait la grande perte que Chaumont éprouvait en sa personne.

(1) Voir plus loin l'oraison funèbre de Laloy.

(2) « Je ne suis arrivé que pour recevoir son dernier soupir ». (Lettre de P.-A. Laloy au Président du Conseil des Prises maritimes, datée du 16 frimaire an XIII (7 décembre 1804).

(3) Acte de décès de J.-N. Laloy extrait des registres de l'étatcivil de Chaumont. « Du 4 frimaire an XIII. Acte de décès de Jean Nicolas Laloy, décédé ce jourd'hui à dix heures du matin, profession de docteur-médecin, âgé de cinquante-neuf ans, né à Doulevant-le-Château, département de la Haute-Marne, demeurant à Chaumont, fils de défunt Jean Louis Laloy, vivant marchand audit Doulevant, et de défunte Jeanne Peuchot, et veuf de MarieThérèse Bourgin. Sur la déclaration à moi faite par le st Luc Hubert Peuchot, demeurant à Chaumont, profession de directeur de la Poste aux lettres, qui a dit être cousin germain, et par le st Claude Cyrille Peuchot, demeurant à Chaumont, profession de ci-devant bénédictin, qui a dit être le cousin germain du défunt, et ont signé H. Peuchot, C. C. Peuchot. Constaté par moi, JacquesVictor Thyébaut, adjoint au maire de la commune de Chaumont, faisant les fonctions d'officier public de l'état-civil soussigné. — Thyébaut ».

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Le maire de la ville, M. Graillet de Beine, se trouvait à Paris où il s'était rendu depuis plusieurs jours, avec le Préfet, pour assister au sacre de l'Empereur. En son absence, ses adjoints prirent, à la suite de nombreux considérants, dans lesquels ils rendent hommage à la mémoire du défunt et rappellent les services qu'il a rendus à son pays, un arrêté par lequel la ville s'engageait à élever un monument sur sa tombe, et à lui rendre, au cours de ses funérailles, les honneurs civils et militaires. Le Conseil l'approuva à l'unanimité et vota, séance tenante, la somme de 400 fr. pour l'érection du susdit monument. Voici, du reste, cet arrêté et la délibération qui fut prise en cette circonstance ; ces deux pièces confirment de la manière la plus officielle, tout ce que nous avons dit dans cet ouvrage.

DÉLIBÉRATION DU 5 FRIMAIRE AN XIII

(26 NOVEMBRE 1804)

« Le Conseil municipal de la ville de Chaumont, Hte-Marne, assemblé extraordinairement d'après l'autorisation de M. le Conseiller de préfecture, faisant les fonctions de préfet pour absence, et réuni au nombre voulu par les lois ;

« Monsieur le premier adjoint, président le Conseil pour l'absence de M. le maire, a donné lecture d'un arrêté qu'il avait pris avec son collègue et qui est ainsi conçu :

« Du 4 frimaire an XIII. Les adjoints nu maire de la ville de Chaumont, Haute-Marne, en l'absence de M. le maire,

« Considérant que la ville vient de perdre un citoyen recommandable par ses vertus privées et publiques, Monsieur JeanNicolas Laloy, son ancien maire, membre de l'Assemblée constituante, docteur en médecine, Conseiller de préfecture et Président du collège électoral de l'arrondissement;

« Que ce magistrat, qui a été maire de celte ville pendant le tems de l'Assemblée législative et de la Convention, lui a rendu les plus grands services : 1°) en s'occupant très activement de l'approvisionnement des subsistances dans les moments de disette ; 2°) En adoucissant autant que possible la rigueur des


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lois révolutionnaires, et en allégeant le sort des suspects pendant leur détention ; 3°) En maintenant la paix, l'union, la concorde dans cette ville aux temps les plus orageux de la Révolution (1) ; 4°) en s'opposant énergiquement à la spoliation

(1) La ville de Chaumont n'a eu, en effet, à déplorer aucun excès pendant la Révolution, grâce à l'énergie de son maire. Aussi a-t-on sévèrement blâmé Mme de Staël qui, après avoir raconté dans son roman de Delphine, que l'un de ses principaux personnages, Léonce, fait prisonnier par l'armée républicaine, en qualité d'émigré, fut envoyé à Chaumont pour y être jugé, et que Delphine, n'ayant pu attendrir ses juges, s'était décidée à partager le sort de son amant, n'a pas craint d'ajouter : « En traversant la ville, la multitude qui les environnait de toutes parts se permit d'indignes injures contre celui qu'elle croyait criminel parce qu'il était condamné. Léonce, ajoute l'auteur, rougissait et pâlissait tour à tour d'indignation et de fureur. « Dédaigne, lui disait Delphine, ces misérables insultes... » Tome III, p. 382.

Or, rien n'est plus invraisemblable qu'un tel récit. La ville de Chaumont se crut offensée de ce qu'on représentait sa population comme tellement accoutumée, dès le mois de septembre 1792, aux scènes de carnage, qu'un auteur contemporain ait pu y placer cet affreux spectacle. L'un de ses enfants n'a donc pas hésité à lui écrire, le 20 janvier 1806, une lettre de protestation dans laquelle on lit ces mots :

« Si, à cette époque, tant d'autres villes ont été inondées de de sang, il n'en a pas été versé une seule goutte dans l'enceinte de Chaumont, soit en 1792, soit en 1793. En vain, le gouvernement d'alors s'était-il hâté de nous faire passer, comme à tous les chefslieux de département, une guillotine ; elle s'est rouillée pendant plusieurs années, et il n'en a été fait usage que longtemps après la chute de Robespierre, quand, l'ordre commençant à renaître, on n'a plus eu à craindre de confondre l'innocent avec lé coupable. Dans ces temps difficiles, la majorité des habitants de Chaumont était si peu sortie de son caractère habituel de douceur et de bonté qu'il n'est émigré de son sein qu'un petit nombre de personnes, et que c'est au milieu de nous que les citoyens tourmentés dans les villes voisines, venaient chercher la sécurité et le repos... »

L'auteur de cette lettre termine en disant que Mme de Staël, qui accompagnait Necker quand il passa à Chaumont au mois de juillet 1789, rappelé par les voeux de la France entière, et qui avait été témoin de l'ovation faite à son père par les Chaumontais, aurait pu se dispenser de salir la réputation d'une ville qui avait accueilli avec tant d'enthousiasme l'auteur de ses jours.

(Cette lettre a été reproduite par le Journal de la Haute-Marne, le samedi 27 mai 1809).


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et à la destruction des églises et des autres monuments publics ; 5°) En soulageant les familles indigentes de celte ville, et en leur prodiguant gratuitement les secours de son art; 6°) En veillant constamment, depuis même son mariai, aux intérêts de la ville et de ses habitans au détriment des siens propres.

« Considérant également que le sieur Laloy a toujours été un magistrat incorruptible et du désintéressement le plus marqué ; que la municipalité, qui a constamment été témoin de l'affection que lui ont portée les habitans de celle cité pendant sa vie, croit que c'est se rendre à leur voeu en lui érigeant un monument qui rappelle à la postérité que la ville de Chaumont a été à l'abri des secousses révolutionnaires par la vigilance et la prudence que ce magistrat a apportées dans l'exécution des ordres les plus rigoureux ; que dans cette circonstance, vivement pénétrée de la perte irréparable qu'elle vient de faire par la mort de M. Laloy, elle sent une douce jouissance d'être l'organe de ses concitoyens pour honorer la mémoire de cet incorruptible magistrat ;

« Arrêtent : 1°) que pour honorer la mémoire de M. JeanNicolas Laloy, ancien maire de la ville de Chaumont, etc., il sera érigé un monument sur le lieu de sa sépulture ;

« 2°) Que sur ce monument sera gravée celte inscription : A Monsieur Jean-Nicolas Laloy, son ancien maire, la ville de Chaumont reconnaissante.

« 3°) Que le présent arrêté sera soumis à l'approbation du Conseil municipal de cette ville, et ensuite à celle de M. le Préfet de ce département.

« Arrêtent, en outre, que les fonctionnaires publics et tous les ordres seront invités, au nom de la mairie, à assister à ses funérailles, et que les honneurs civils et militaires lui seront rendus.

Le Conseil a été ensuite invité à délibérer sur cet objet.

« Le Conseil, pénétré des mêmes motifs qui ont animé la municipalité à prendre cet arrêté, arrête qu'il l'approuve dans tout son contenu ; qu'il vote une somme de quatre cents francs pour ériger le monument dont il s'agit ; que tous les membres du Conseil assisteront au convoi de M. Jean-Nicolas Laloy, et


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que l'arrêté de la mairie sera soumis à l'approbation de M. le Préfet ».

Ont signé : Forgeot, Girard, Duport, Huguenet, Laurent, Froussard, Gombert, Peuchot, Sabatier, Chaloin, Tisserand, Leclerc, Dumont, et plus tard, Graillet, maire (1).

De magnifiques obsèques lui furent célébrées à l'église de St-Jean en présence du Conseil municipal, des autorités civiles et militaires, des fonctionnaires de toutes les administrations, invités par la municipalité, et d'un nombre infini de citoyens de tout rang accourus pour payer à leur ancien maire et à leur dévoué concitoyen le tribut de la plus vive gratitude.

Au sortir de l'église, le corps du défunt fut conduit avec une pompe inaccoutumée au cimetière de la ville, et enterré à gauche de la porte d'entrée, près du mur de l'ouest, sous la galerie alors couverte et appelée le charnier, qui s'appuyait d'un côté sur le mur d'enceinte du cimetière et de l'autre sur des poteaux en bois de chêne. Cette galerie était réservée, moyennant finance, à la sépulture des principaux habitants, comme on peut le constater par les inscriptions qu'on y lit encore aujourd'hui (2). C'est là que fut déposé le corps de Laloy pour y dormir son dernier sommeil. Il est à présumer que quelques discours furent prononcés sur sa tombe, pourtant l'histoire ne le dit pas. Mais peut-être qu'en l'absence du maire et du préfet, on crut mieux faire de garder le silence : les grandes douleurs sont muettes.

(1) Arch. de Chaumont : Registre des délibérations de l'An XIII, à la date.

(2) Cette galerie avait été construite, dès 1783, dans le nouveau cimetière, à l'imitation de celle qui existait au cimetière de SaintMichel, et faisait le tour de ce champ des morts. Les tombes, placées au niveau du sol, y servaient de dalles, et les inscriptions ou petits monuments étaient élevés le long du mur avec lequel, la plupart du temps, ils ne faisaient qu'un, comme on peut le voir encore de nos jours. Quant à la galerie couverte, elle a disparu depuis plus de 80 ans.


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§ II. — Condoléances adressées à la famille après la mort de Laloy

Maladie et mort de Laloy (suite). — Lettres envoyées par les hauts fonctionnaires de l'Etat, du département et de la ville. — Un service solennel est célébré à St-Jean pour le repos de son âme. — Son oraison funèbre est prononcée par le curé de la ville, sur la demande du Préfet.

A l'occasion de son deuil, la famille de Laloy reçut, des personnes présentes et des absents, les témoignages les plus touchants d'une vive sympathie. Nous avons retrouvé dans les papiers qu'elle possède encore, plusieurs des lettres qui lui furent écrites à celte occasion, durant les jours qui suivirent le décès : elles renferment toutes, sans la moindre restriction, l'éloge le plus complet du défunt. Le lecteur nous permettra d'en citer quelques passages, ne pouvant parler des démonstrations orales que le vent a emportées.

Le 11 nivose an XIII (1er janvier 1805), c'est le conseiller d'Etat, directeur de l'Instruction publique, qui écrit à P.-A. Laloy, frère du défunt : « Je vous prie d'agréer mon compliment de condoléance au sujet de la mort de l'homme de bien qui vient d'être enlevé à la patrie et aux sciences, je veux dire M. Laloy, votre frère. En vous entretenant de ses qualités aimables qui lui faisaient autant d'amis qu'il avait de relations avec ses concitoyens, c'est vous faire sentir une chose qui n'est ignorée de personne et qui m'affectera longtems... Je ne puis comprimer ma douleur. . ., que mes larmes soient ici le témoignage authentique de mon admiration pour ses vertus. .. » (1).

C'est le préfet Jerphanion qui, de Paris, écrit au même, le 9 frimaire an XIII (30 novembre 1804) : « La nouvelle de la mort de votre frère m'afflige cruellement et je partage vos douleurs. Le public perd un homme de bien, et moi un ami. Je vous prie de croire à la sincérité de mes regrets et à l'assurance de mes sentiments affectueux pour vous » (2).

(1) Archiv. de la famille, à Massilly. (2) Archiv. de la famille, à Massilly.


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Ecoutons maintenant le maire de Chaumont, M. Graillet de Beine : « Je vous prie, écrit-il de Paris, le 15 frimaire (6 décembre 1804), d'être bien persuadé de la part que je prends à votre juste douleur. Vous venez de perdre un frère qui vous aimait tendrement, et moi un ami qui me donna toujours de sages conseils que je m'honore de suivre. Sa mémoire me sera toujours chère. J'ai prévenu votre désir en faisant part au ministre de la perte que vous venez d'éprouver ; il me charge de vous témoigner tous ses regrets. »

Nous savons que Laloy était administrateur de l'hospice de Chaumont. Or, que pensent de lui ses collègues? Leur lettre du 28 pluviose an XIII (17 février 1805), adressée à son frère, va nous le dire. « Nous devons vous réitérer l'expression de nos regrets, et vous assurer de nouveau que nous avons vivement senti la perte que nous faisions par le décès de ce digne collègue. Au moment où nous nous occupons du soin de lui donner un successeur, nous voyons combien il est difficile de le remplacer. Si les témoignages d'estime, de considération et d'attachement qui l'ont accompagné au tombeau, ont excité toute votre sensibilité, nous n'avons vu, nous, dans ces manifestations de la douleur publique, qu'un tribut offert par la gratitude à celui dont la vie entière fut employée à faire le bien. »

On trouve l'expression des mêmes sentiments sous la plume des anciens administrateurs de la Haute-Marne, qui longtemps avaient été ses collègues. Usunier, de Fresnes, est leur interprète dans sa lettre du 16 frimaire (7 décembre 1804) : « Je reçois votre lettre du 4, qui m'annonce la mort du meilleur camarade que j'aie jamais eu. Depuis dix jours, je pleure ce malheur. Que n'étais-je à Chaumont pour recueillir avec vous ses derniers soupirs ! Quelle perte pour sa famille, pour ses amis, pour moi en particulier et pour l'humanité ! Elle est irréparable !... Si quelque chose peut me consoler, c'est l'espérance de le revoir dans l'autre vie... »

Quand les hauts fonctionnaires de l'Etat, quand les administrateurs du département et de la ville parlent ainsi de celui qui


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vient de disparaître, quels sentiments ne doivent pas éprouver ses proches parents, pour qui il a toujours été le plus dévoué des bienfaiteurs? Entendons-les donc à leur tour.

C'est son frère, P.-A. Laloy, membre du Conseil des prises maritimes, qui avertit le président de ce Conseil que sa nièce « a eu le malheur de perdre le meilleur des pères ».

C'est son neveu, Laloy, qui, dans sa lettre du 6 frimaire (27 novembre 1804), s'écrie : « Quel deuil, quel chagrin, quelle perle pour toute ma famille !.. Je pers en mon oncle un protecteur et un ami, perte irréparable pour moi et pour mes enfants !. . . »

C'est son cousin, Jeanson, de Doulevant, qui écrit, le 8 frimaire (29 novembre 1804), à P.-A. Laloy : « Vous perdez le plus tendre des frères, et nous, nous perdons celui que nous avons toujours regardé comme un père, et qui, dans les circonstances les plus délicates, nous en a véritablement servi. Mon épouse et moi, nous n'oublierons jamais ce qu'il a fait pour nous ; notre reconnaissance, comme notre douleur, sont sans bornes. Quelle perle affreuse pour notre bonne cousine Rosalie ! Perdre un si bon père à la fleur de l'Age ! Dites-lui combien nous prenons part à sa malheureuse situation... »

Enfin, un autre cousin de Doulevant lui écrit, le 6 nivose (27 décembre 1804) : « Si quelque chose peut alléger le chagrin d'une telle perte, c'est d'entendre les louanges du très honorable défunt dans la bouche même des personnes qui, de son vivant, n'ont pas osé rendre à son rare mérite le tribut d'éloges qui lui était dû... »

Faut-il maintenant évoquer le témoignage des personnes étrangères à la famille et non revêtues d'un caractère officiel ? Nous citerons ces paroles d'Hanin, de Joinville, écrites le 18 frimaire (9 décembre 1804) à P.-A. Laloy. « La mort de Monsieur votre frère nous a sincèrement attristés. Les regrets universels qu'il emporte ne font que confirmer l'attachement général de tous ceux qu'il avait cherché l'occasion d'obliger, et c'était tout le monde... » Citons encore le témoignage de M. Janin, qui


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remplissait de hautes fonctions à l'administration générale des Postes : « Monsieur votre frère, dit-il au même dans sa lettre du 14 frimaire (5 décembre 1804), ne cessera d'exister dans la pensée et l'estime de tous ceux qui l'ont connu. C'est non seulement mon opinion, mais celle de M. Larcher qui sort de chez moi, et son suffrage devient tout à la fois pour le défunt une fleur de l'amitié et son oraison funèbre... »

« Nos regrets, écrit un autre ami, Boucot, sont communs à tous ceux qui l'ont connu. Hé ! pouvait-il avoir un seul ennemi qui ne fut un monstre, car chaque instant de sa vie est marqué d'un service ou d'un bienfait? C'était sa seule ambition.. . »

Nous nous arrêterons ici, pour ne pas répéter toujours les mêmes appréciations et redire les mêmes éloges ; mais constatons, en finissant, que si Laloy fut toute sa vie un homme de coeur, dévoué à sa famille, serviable à l'égard de ses concitoyens, ferme pour défendre les opprimés, pitoyable à l'égard des malheureux, il n'eut pas toujours affaire à des ingrats.

Quand le préfet de la Haute-Marne fut de retour à Chaumont, il voulut qu'environ 40 jours après le décès de Laloy, un service fut célébré en son honneur avec toute la solennité des cérémonies officielles. Ce service fut fixé au 26 nivose an XIII (16 janvier 1805). Il y invita spécialement les autorités civiles, militaires et judiciaires, et en général tous les habitants du chef-lieu ; en même temps qu'il priait le curé de la ville de bien vouloir faire, à la suite des prières liturgiques, l'oraison funèbre du défunt.

M. Garret, ancien jésuite, ancien professeur d'éloquence au grand séminaire de Langres, et qui devait son titre de curé de Chaumont aux démarches faites en sa faveur par M. de Jerphanion, ne pouvait guère refuser. D'autre part, les services rendus à la ville et à la religion par J.-N. Laloy durant les temps les plus critiques de la Révolution, la rectitude de sa vie, sa charité bien


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connue, l'estime dont il jouissait près de ses compatriotes et sa fin chrétienne permettaient de le louer du haut de la chaire de vérité, avec toutefois les réserves nécessaires. M. Garret accepta donc, et au moment voulu il prononça avec l'autorité que lui donnaient son ministère, son âge et son expérience, ainsi que les années d'exil qu'il avait subies pour la foi, les belles pages qui suivent et que nous sommes heureux de pouvoir reproduire.

Oraison funèbre de J.-N. Laloy prononcée, le 16 janvier 1805, par M. Garret, curé de Chaumont, chef-lieu du Département de Haute-Marne :

« Justus autem si morte praeoccupatus fuerit, in refrigerio erit. Sap., IV. V 7.

« Cette juste confiance vous amène en ce saint lieu, autorités civiles, militaires et judiciaires, et vous tous, habitans de cette ville, invités à cette cérémonie par un préfet que ses talents personnels, ses vertus sociales et religieuses nous rendent également cher et respectable. Il gémit sur la perte d'une des lumières de son administration, et il recourt au ciel pour hâter, par les prières de l'Eglise, le bonheur de celui que nous devons tous regretter.

« Jean-Nicolas Laloy, originaire de Doulevant, privé très jeune encore de ses père et mère, trouva dans cette ville les secours de son éducation et donna, au collège des Jésuites, les premières preuves d'un esprit solide et appliqué, de moeurs douces et honnêtes. La religion guida ses premiers goûts et, une complexion délicate ne lui permettant pas d'être admis dans l'ordre de St-Bruno, il désira d'être initié dans le clergé et en parut digne par sa piété et par ses talents.

« D'autres occupations lui étaient destinées : il dirigea ses études vers deux objets précieux à l'humanité, la pharmacie et la science médicale. Il excella dans l'une et l'autre, et depuis 1774 il n'aborda les malades que pour être secourable aux pauvres. Son désintéressement en vint jusqu'à ne vouloir pas même recevoir des riches ce qui aurait soulagé l'indigence ; il tira de ses propres revenus ce que sa charité aimait à répandre.


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Publiez-le, pauvres qui en profitâtes et qui devriez faire la partie la plus nombreuse de cette assemblée. Que vos prières du moins se joignent aux notres !

« Nous, Messieurs, admirons dans le bienfaiteur des pauvres celte égalité d'âme qui fait le bonheur des ménages et des sociétés. Laloy devint époux, et jamais aucun nuage ne troubla cette tranquillité domestique, cette union si rare et cependant si digne des applaudissemens publics, vir et mulier sibi consentientes, disait Salomon, deux époux attentifs à penser, à sentir l'un comme l'autre, consentientes. Jamais rien sur la terre ne mérite mieux d'être ambitionné. Laloy n'éprouve le bonheur qu'un instant. C'est dans les tourmens d'une troisième maternité qu'il voit périr une épouse adorée. Toute sa science ne put la lui conserver. Un choix nouveau n'occupera point ses pensées. La mère de son épouse,' durant 22 ans, recevra tous les égards de la tendresse filiale ; l'enfant qui lui reste fixera son coeur, et les deux familles auront, dans cet époux affligé, un ami, un conseil, un protecteur.

« Il est devenu celui de son propre pays. La France vient d'essuyer une commotion déplorable. Quel pays n'en a pas souffert? Cette région a vu de moindres excès : à qui en fûtes-vous redevables ? Laloy, comme bien d'autres, crut entrevoir une possibilité d'amélioration ; député par vous, il travailla, non pour sa gloire personnelle, ni par des motions incendiaires, mais par zèle et ne croyant opérer que des changements salutaires. L'agitation dominait, il en suivit le torrent ; il oublia que la constitution d'un Etat doit être réglée dans le calme et longtems mûrie. Prévenu en faveur de l'ouvrage auquel il avait concourra, il mit toute sa fermeté à le maintenir : jamais ce ne fut par des injustices.

« Revenu parmi vous, et ne pouvant plus empêcher l'explosion des partis furieux, il mit ses soins à en diminuer les malheurs. Maire de cette ville dans des circonstances aussi épineuses (1791-92-93), vous le vîtes maintenir au milieu de vous un ordre, une tenue alors bien rare en France. Vos premières autorités adoptent des mesures excessives, Laloy s'y oppose, les ramène aux principes, les force à la modération. Peu après une ville voisine, sur qui vous l'aviez emporté, se persuade que vous


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vous ralentissez dans la marche révolutionnaire, une bande furieuse, sans ordres comme sans motifs, se montre avec une apparence hostile. Où s'est formé l'orage, de là viennent les premiers avis, et par la sagesse de ses dispositions, Laloy rompt cette explosion éphémère et renvoie, traités en frères, ceux qui étaient venus en ennemis.

« Dans un autre moment, ç'avait été une crise plus périlleuse encore. Les premiers enrôlemens avaient jeté dans le militaire une insubordination d'autant plus dangereuse que la plupart des chefs y excitoient ou ne pouvoient les réprimer. Des bataillons formidables par leur nombre et fiers des excès commis dans les villes où ils ont passé, arrivent à Chaumont, osent élever des prétentions et se permettent des menaces. Laloy se montre avec sa présence d'esprit ordinaire, il les entend et les confond ; aux menaces il oppose sa personne et les droits de sa place : votre ville est préservée.

« Vous l'avez vu plus digne encore de lui-même et de tous nos éloges, à ce moment cruel où la France anarchique et livrée à l'imprévoyance des gouvernans, se trouva tout-à-coup dévorée pas une disette affreuse. Qu'elle fut réelle ou le fruit du monopole et de la rapacité, elle existoit et le peuple souffroit. Son maire prend les mesures les plus efficaces, et la plupart d'entre vous, Messieurs, le secondèrent par cette souscription généreuse qui calma les craintes des vendeurs et assura une provision précieuse. Pour l'employer, Laloy ne s'en rapporta qu'à lui-même, et vous le vîtes en plein air, durant un hyver rigoureux, s'occuper des journées entières à la distribution des subsistances. Heureusement, il n'avoit pas, comme tant d'autres maires, précipitamment jeté dans le gouffre national l'argenterie des églises ; et celle-là du moins fut appliquée à sa vraie destination, au soulagement de la misère publique. Il avoit appris, durant sa cléricature, que jamais l'Eglise n'hésita de subvenir aux besoins des pauvres, par tous les moyens qu'elle avoit à sa disposition.

« J'ai le droit d'attribuer au même esprit le zèle avec lequel, indigné du vandalisme qui avoit brisé toutes les décorations en sculpture de cet édifice (1), qui avoit ravagé nos chapelles et

(1) L'église de St-Jean-Baptiste de Chaumont.


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leurs ornemens, il parvint à nous conserver l'autel du choeur et la grille qui le décore, un banc d'oeuvre et une chaire digne des noms célèbres qui les construisirent. Nos stalles, les sièges des fidèles, toute trace d'une sonnerie complète auraient disparu sans lui. Voilà ce qui nous rend sa mémoire chère et précieuse.

« Nous devons lui savoir gré de cette prédilection qui l'engagea au refus des places honorables qui l'auroient éloigné de cette ville. Un gouvernement régénéré s'empresse d'accueillir les talens : Laloy s'étoit montré digne de tous les postes, et successivement, deux préfectures intéressantes lui furent offertes. Il vous a préférés, Messieurs, à ce qui pouvoit l'honorer et le produire avec plus d'éclat. Il s'est borné au titre de conseiller dans sa préfecture natale, afin de pouvoir nous prodiguer ses soins, afin de pouvoir continuer aux pauvres des secours en tout genre, afin de vivre avec plus d'intimité auprès d'une famille chère à son coeur, entre des amis que sa droiture sans ostentation lui attachoit invariablement.

« Ne suis-je pas autorisé, Messieurs, à croire que des vertus déjà si précieuses dans l'ordre moral, avoient leur source dans son éducation religieuse, dans une jeunesse pieuse, dans une conduite toujours exacte et régulière. Ce qui vient à l'appui, c'est qu'il n'obéit point à ce moment de délire et de fureur qui exigea la tradition de tous les titres de cléricature, de noblesse, de doctrine et d'emplois judiciaires. Il se flattait et tenait à l'honneur de n'avoir jamais rougi de ses premiers goûts pour notre état, de n'avoir point livré lâchement le titre qu'il en avoit obtenu. Dans les différentes périodes de sa vie, jamais il ne proféra, au sein même de la plus intime amitié, ces propos hardis contre la religion de ses pères, qui tendent à en affaiblir la dignité. Lorsqu'il fut réduit à faire enlever les marques extérieures du culte, il donna pour motif l'obéissance aux lois et la crainte que les objets de la religion ne fussent ou profanés ou mutilés par ceux qu'on invitoit à n'y pas croire. Il ne les méprisoit pas, puisqu'il les concentroit dans nos églises, puisqu'il nous a conservé tout ce qu'il a pu soustraire à la rage impie.

« Rapprochons tout cela, Messieurs, de ses derniers instants où il conserva toujours une présence d'esprit entière. Lorsqu'il reçut les dernières preuves de la confiance du gouvernement, et l'invitation d'assister au sacre impérial, sans dédain, mais déjà


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pénétré de la pensée que tout alloit lui échapper, il répondit à son collègue par ces paroles du sage : « Hélas, Monsieur, tout « n'est que vanité ici bas ». Il s'occupait déjà des années éternelles, et, s'il poussa trop loin la crainte d'alarmer une famille chérie et un frère tendrement aimé, en leur déclarant tout le danger de son étal, du moins il saisit avec empressement mes premières indications sur nos craintes pour lui. Sans autre délai, l'aveu de ses fautes, un désir sincère de les réparer, une résignation entière à la volonté de Dieu, lui en assura le pardon.

« Le soir qui précéda sa mort, au milieu des vives douleurs qui le tourmentoient, entouré d'amis et de collègues empressés à le soulager, lorsque je lui rappelai devant eux les sentimens du matin et que je lui annonçai les derniers secours de l'Eglise, une réponse affirmative et nettement prononcée me donne droit de dire que par là, il réparait une indifférence toujours répréhensible dans les chefs du peuple, une négligence toujours affligeante pour nous ; sans doute aussi que ses amples largesses envers les pauvres auront touché le coeur du Dieu juste et saint : justus autem, si morte praeoccupatus fuerit, in refrigerio erit.

« Entrez dans nos vues, respectables auditeurs ; ne vous bornez pas à une stérile admiration, à des regrets profanes. Ajoutez à ces honneurs que nous adressons à l'objet de notre douleur, ces voeux sincères que prescrit, ces espérances consolantes que donne la religion chrétienne. Vous appartenez tous à l'Eglise. Le malheur des tems a-t-il ébranlé votre foi ? Avez-vous donné un libre cours à des passions perverses, revenez à vos devoirs. Laissez-nous le droit de vous aborder durant les maladies qui vous surviendraient ; intéressez les pauvres par ces dons qui touchent le ciel.

« Soyez, comme celui que nous regrettons, d'une probité exacte, bons fils, vrais époux, parents zélés, amis sincères. Soyez modestes dans vos succès, intègres clans vos conseils, dévoués à la patrie. Comme Laloy, vous obtiendrez les regrets publics ; comme pour lui, l'Eglise s'empressera d'offrir le sacrifice expiatoire et de répéter souvent : sit in pace locus ejus ! que la paix éternelle soit son partage ! Qu'il repose à jamais dans le sein de Dieu ! Requiem aeternam dona ei Domine ! Amen.


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§ III. — Honneurs rendus à la mémoire de Laloy

Maladie et mort de Laloy (suite). — La municipalité de Doulevant fait célébrer pour lui un service religieux. — Son éloge est prononcé à la Société d'agriculture. — Celle-ci charge son secrétaire de rédiger la notice historique du défunt. — Sa fille donne à l'église de St-Jean divers objets lui ayant appartenu. — P.-A. Laloy met ordre aux affaires de son frère. — Mariage de sa fille. — Monument dressé au cimetière par la Ville. — Son épitaphe. — Ses portraits. — La municipalité de Chaumont donne son nom à la rue qu'il a habitée. — Elle place une inscription commémorative sur la façade de sa maison.

A Doulevant, pays natal de Laloy, le maire et le Conseil municipal dont plusieurs membres lui étaient apparentés, désireux de témoigner au défunt la reconnaissance de tous, pour l'attachement qu'il n'avait cessé de donner à celte commune et à ses habitants, firent célébrer pour le repos de son âme, et à leurs frais, un service funèbre qui eut lieu le 13 ventose an XIII (4 mars 1805) (1). Sa fille Rosalie et son frère venus avec elle de Chaumont, assistèrent à cette triste solennité, ainsi que les fonctionnaires publics et toutes les notabilités du canton à la

(1) Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de Doulevant-le-Château. Séance du 15 pluviose an XIII. « Etaient présents MM. Jeanson, maire, Denis Claude Loppin, Jean Nicolas Constantin, Jean Palez, Pierre Cugny, Jean Baptiste Brouillard, Antoine Royer, Claude Loppin, Jean Nicolas George, Hubert Foissy-le-jeune et François Peuchot, membres du Conseil.

« Le sieur François Peuchot a été élu secrétaire.

« Le maire a dit que la mort vient d'enlever le sieur Jean Nicolas Laloy, notre compriote (sic) et membre du Conseil de Préfecture de ce département, qui, pendant sa vie, a rendu à la Commune, et à chacun des habitans, en particulier, les services les plus signalés ; il a observé qu'il était dans le coeur de tous ses concitoyens de décerner à sa mémoire un témoignage public de reconnaissance ; pourquoi il a demandé que le Conseil prit les mesures convenables à sa proposition.

« Sur ce le Conseil, considérant que les témoignages d'attachement que le sieur Laloy n'a cessé de donner à cette commune et aux habitans qui la composent,» lui ont mérité la reconnaissance de


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tête desquelles figurait M. Berthelin-Duchauffour (1), ainsi que la plupart des citoyens de la Commune invités par la municipalité à honorer la mémoire de l'un des meilleurs de leurs compatriotes. Tous exprimèrent en même temps par cette démarche leur sympathie à sa famille universellement estimée.

A Chaumont, la Société d'agriculture qui, en perdant Laloy, avait perdu son président et son fondateur, devait aussi joindre sa voix au concert d'éloges qui sortait de toutes les bouches : c'est ce qu'elle fit par l'organe du professeur Trémisot, son secrétaire. En rendant compte des travaux de l'année, il fut amené à parler de la mort de Laloy, et il en profita pour saluer en lui « un administrateur aussi ferme dans l'exécution qu'il était éclairé dans la délibération, un conciliateur habile à qui plusieurs familles ont dû leur repos et leur bonheur, un médecin aussi zélé pour l'humanité souffrante qu'il était désintéressé à son égard, un savant aussi recommandable par la variété et l'étendue de ses connaissances que par l'affabilité avec laquelle il aimait à les communiquer, un homme enfin aussi grand et aussi exquis dans ses sentiments qu'il était simple et modeste dans ses moeurs et dans ses habitudes » (2).

Pour payer plus complètement à son président décédé sa dette de reconnaissance, la Société chargea, le 2 pluviose an XIII (22 janvier 1805), ce même secrétaire de composer la notice historique de ce magistrat distingué à tant de titres. Mais celui-ci comprenant que, sans des notes précises et détaillées, « le récit ne pourrait être qu'une narration dénuée de fondetous,

fondetous, qu'il sera fait le treize ventose prochain et célébré dans l'église de cette commune, pour le repos de l'âme du sieur Laloy, un service solennel aux frais des membres du Conseil et du maire ; auquel service tous les fonctionnaires publics et citoyens seront invités d'assister, et que le maire demeure autorisé à régler le cérémonial et la dépense de ce service avec Mr le curé. » (Arch. do Doulevant : Registre des délibérations de l'an XIII.)

(1) Arch. de la famille : Lettre de M. Berthelin à Rosalie Laloy.

(2) Arch. de la Haute-Marne : Registre de la société d'Agriculture, p. 68.


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mens ou une déclamation vague et sans couleur », pria le frère du défunt, P.-A. Laloy, qui assistait à la séance, de lui procurer les renseignements indispensables à cette fin, promettant, quand il les posséderait, de donner à cet homme de bien les louanges qui lui étaient dues. Il les demanda de nouveau, ces renseignements, à sa fille Rosalie, lorsqu'elle vint à la séance du 5 germinal suivant (26 mars 1805), apporter à la Société les deux baromètres qui avaient servi aux observations météorologiques de son père (1).

Il est vraisemblable qu'absorbée par d'autres soucis, la famille ne put fournir en temps voulu les pièces qu'on attendait d'elle, et la notice ne parut pas. Puisse cette étude tardive et forcément incomplète la suppléer de quelque manière.

Un mois après, le 4 floréal an XIII (24 avril 1805), le docteur Barbolain qui présidait la séance publique, à laquelle assistaient vingt-quatre de ses collègues et les membres du Conseil général de la Haute-Marne, après avoir longuement exposé les services rendus au département par la Société d'agriculture, termina son discours « en jetant des fleurs sur la tombe de celui qui aurait dû présider à sa place, si la mort ne l'eut enlevé à ses concitoyens » (2).

Vers la même époque, la fille du défunt, Rosalie, offrit à M. Garret, curé de la paroisse, pour le remercier des touchantes paroles qu'il avait prononcées au service funèbre de son père, l'écharpe tricolore qu'il portait dans les cérémonies publiques, lui exprimant le désir qu'elle fut employée au culte divin. Cet ornement, qui avait été plus ou moins profané à la fête de la Raison et aux autres solennités révolutionnaires, fut donc consacré à la religion que ces fêtes étaient destinées à remplacer ; tels les temples construits par les payens en l'honneur de leurs divinités, furent un jour dédiés au culte du vrai Dieu. Plus tard elle donna encore à l'église deux bourses, dont l'une en fil d'or, pour servir à l'embellissement d'un voile du St-Sacrement (3).

(1) Arch. de la Haute-Marne : Registre de la société, séances du 2 pluviose et du 5 germinal (22 janvier et 26 mars 1805), p. 66 du registre.

(2) Séance du 4 floréal au XIII (24 avril 1805), p. 68 du registre.

(3) Voici le texte de la lettre de Rosalie Laloy à M. Garret, curé de Chaumont : « Monsieur, j'ai eu l'honneur de vous offrir, pour

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Pendant 15 ou 16 ans, Jean-Nicolas Laloy avait rempli successivement à Chaumont les fonctions les plus importantes et les plus variées, aussi trouva-t-on à sa mort dans la plus grande confusion une masse énorme de papiers entassés les uns sur les autres. C'étaient d'abord « les titres qui constituaient la fortune assez honnête qu'il laissait à sa fille », puis ceux qui appartenaient aux diverses administrations de la ville et du département, d'autres qui concernaient des intérêts particuliers, d'autres enfin qu'il fallait livrer au feu. Ce triage, qui exigeait autant d'attention que de patience, fut confié à son frère, P.-A. Laloy, qui était arrivé de Paris, comme nous l'avons raconté, juste à temps pour assister à ses derniers moments (1).

Ce travail achevé, il dut songer à l'établissement de sa nièce qui restait orpheline à l'âge de 25 ans. Avant son retour à Paris, il eut le bonheur de la marier à un honorable avoué de Chaumont, Michel-Edme-Nicolas Petit, âgé alors de 36 ans et originaire de Parnot (Haute-Marne) (2). La cérémonie eut lieu le 10 floréal an XIII (30 avril 1805), dans l'église de St-Jean, et fut présidée par Jean-Baptiste Petit, ancien vicaire général du diocèse de Langres, qui donna aux époux la bénédiction nuptiale (3).

l'usage de l'église confiée à vos soins pastoraux, l'écharpe dont feu mon père se décorait dans les cérémonies publiques. J'y joins deux bourses, dont l'une on fil d'or, pour servir à l'ornement de quelque voile.

« Agréez, Monsieur, cette légère offrande comme une preuve de ma reconnaissance et de mon respect.

« Je suis, Monsieur, l'une de vos plus dévouées paroissiennes.

Rosalie. »

(1) Lettre de P.-A. Laloy au président du Conseil des prises, à Paris.

(2) Michel-Edme-Nicolas Petit, après avoir exercé assez longtemps les fonctions d'avocat-avoué à Chaumont, fut nommé juge au tribunal civil de celte même ville, chevalier de la Légion d'honneur et mourut le 14 septembre 1835, à l'âge de 66 ans. Quant à MarieRosalie Laloy, son épouse, elle décéda trois ans après son mari, à Chaumont, le 22 janvier 1838, âgée de 58 ans et trois mois, en son domicile de la rue de La Crête, aujourd'hui Nicolas Mougeot, n° 5.

(3) Registre des actes religieux de l'église St-Jean, à la sacristie, pour 1805.


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C'est par l'unique enfant née de ce mariage que la descendance de Jean-Nicolas Laloy est venue jusqu'à nous (1).

Restait à réaliser le projet de monument voté par le Conseil municipal de Chaumont. Or, s'il est vrai qu'il n'y a pas de plus beau deuil que sur la fosse, comme le dit le proverbe, il est également vrai que ce qu'on ne fait pas pour un défunt tout après ses funérailles risque fort d'être remis de jour en jour, de semaine en semaine et parfois d'années en années. C'est ce qui arriva pour Nicolas Laloy. Son monument ne fut élevé qu'en novembre 1807, c'est-à-dire trois ans après son décès, sur un plan dressé par l'architecte Varin.

P.-A. Laloy qui, depuis le mariage de sa nièce, était retourné à Paris et ne devait revenir à Chaumont qu'en 1831, ayant demandé à son cousin Dom Peuchot, ancien bénédictin, à ce moment archiviste de la Haute-Marne, de lui envoyer quelques

(1) En effet, Michel-Edme-Nicolas Petit a laissé une fille, Zoë Petit, qui épousa le 11 septembre 1825 M. Dominique Guyot-Guillemot, originaire de Dijon, d'abord substitut puis juge d'instruction à Chaumont, plus tard vice-président à Châlon, président à Mâcon. et enfin conseiller à la Cour de Dijon. De ce mariage naquit, le 26 juin 1826, Nicolas-Alfred Guyot-Guillemot, qui remplit les fonctions de substitut à Chaumont, ensuite à Dijon, après quoi il donna sa démission de magistrat pour se retirer à la campagne. Il avait épousé, en 1854, Antoinette-Céline-Marie Petit, fille de NicolasAlexandre Petit, de St-Martin, avoué, et de Cécile-Gabrielle-Laure Floriot, qui mourut accidentellement à l'âge de 25 ans en 1855. Il habite actuellement le château de Massilly, canton de Cluny (Saôneet-Loire). Son fils, Georges, est décédé à Massilly depuis quelques années, et sa belle-fille, la baronne de Münck, demeure avec lui au même château.

L'hôtel qu'habitait à Chaumont M. Petit-Laloy, et son gendre M. Dominique Guyot-Guillemot, est situé rue Nicolas Mougeot, n° 5. Loué d'abord, puis vendu par cette famille à M. Roy pour y installer la Trésorerie générale de la Haute-Marne, il devint le siège de la banque Donnot, puis fut transformé en maison d'éducation pour les jeunes filles. C'est là que s'installa le pensionnat des soeurs de la Providence de Langres en 1890 et en 1903 l'Institution Chaumontaise qui lui a succédé.


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renseignements sur ce travail, celui-ci lui répondit par la lettre suivante, où l'on retrouve la pointe d'originalité qui lui était coutumière et la rude franchise que son biographe nous a fait connaître (1).

« Le monument, dit-il, se sent de la lenteur, comme le vote se sentait de l'enthousiasme. Il consiste en une base d'environ 18 pouces de haut ; au-dessous un marbre noir portant l'inscription (il faut quasi que je me baisse pour la lire), puis non une corniche, mais une tablette carrée qui supporte une urne cinéraire couverte à moitié d'un crêpe, que j'ai voulu qu'on y ajoutât, pour ne pas ressembler à une cruche (hauteur 9). Voilà à peu près la description ; je verrai à l'envoyer le plan.

« Quant à l'inscription, j'en avais broché une ; je l'ai communiquée et on l'a passée à Varin, mais un de ses fils, littérateur, l'a travestie en vers. On me les a soumis ; j'en ai relevé quelques défauts, comme lu verras. Je n'ai pas voulu défendre ma chétive production ; elle est restée de côté, mais combien de gens ont demandé depuis à la voir ! Ils auraient désiré qu'on la substituât à celle gravée » (2).

Si nous comprenons bien la description sommaire que nous venons de reproduire, le monument élevé à Laloy par la Ville de Chaumont n'en imposait, ni par la grandeur de ses dimensions, ni par la richesse ou la variété de ses décors. Il était extrêmement simple et, comme tous les monuments de cette époque, partiellement engagé dans le mur du cimetière. Aujourd'hui, et depuis longtemps déjà, il n'existe plus. On n'en a conservé que l'inscription qui se voit toujours à la même place, mais à une hauteur suffisante pour qu'on ne soit pas obligé, comme du temps de Peuchot, de s'incliner pour la lire.

Elle fait pendant à l'inscription de P.-A. Laloy, son frère, mort seulement en 1840, l'une et l'autre étant séparées par un

(1) Voir l'article publié par la Société historique de Chaumont sur le bénédictin Dom Peuchot en 1908. Tome III, p. 199.

(2) Archives de la famille : Lettre de Dom Peuchot à P.-A. Laloy, en date du 1er décembre 1807.


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monument également engagé, qui occupe le milieu et descend jusqu'au niveau du sol ; ce monument est dédié à la mémoire de M. Petit-Floriot, ancien maire de Chaumont, l'un de ses petitsneveux, mort en 1875. En avant du mur et des trois tables de marbré que ce mur encastre, la famille a érigé, il y a quelque vingt ans, un monument très convenable en forme de tombeau, sur la tablette duquel est couchée une longue et large croix de pierre. Les côtés nord et sud de ce tombeau portent gravés en lettres d'or les noms des parents décédés dépuis un siècle et dont les ossements reposent en ce lieu. Au pied on lit ces mots : Requiescant in pace !

Voici l'inscription de Laloy, telle qu'elle a été définitivement adoptée par la municipalité, après les corrections de Dom Peuchot, et qu'on peut encore voir de nos jours sur la plaque de marbre noir :

A la mémoire

de Jean Nicolas Laloy,

né à Doulevant-le-Château

le 14 octobre 1745,

Médecin, Législateur, Magistrat,

mort le 25 novembre 1804,

La ville de Chaumont sensible et reconnaissante.

Citoyen respectable, époux, ami fidèle, Des pères et des fils Laloy fut le modèle ; Habile à soulager les maux des malheureux, Il refusait le prix de ses soins généreux ; Sage et législateur, il éclaira la France, Magistrat, il força l'anarchie au silence. Dans des temps orageux, il fit régner la paix, Et sut de la famine arrêter les progrès. Ailleurs un rang illustre eut couronné sa gloire, L'amour de son pays remporta la victoire.

La famille, et particulièrement P.-A. Laloy, désirait vivement avoir le portrait du défunt. Il est vrai que Rosalie, sa fille, en possédait un, soit celui qui avait été fait à Paris à l'époque où


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Jean-Nicolas était membre de l'Assemblée constituante, soit plus probablement un autre d'environ trente centimètres qui se trouve au château de Massilly ; mais, d'une part, son oncle ne voulait pas l'en priver, et, d'autre part, il souhaitait un agrandissement, ce qui prouve que le susdit portrait devait être satisfaisant. Le travail fut confié à Jean Dalle, ancien professeur de dessin à l'Ecole centrale de la Haute-Marne, qui, en ce moment, dirigeait ce cours à l'Ecole secondaire de Chaumont. Ce maître ne manquait pas d'habileté, mais, en agrandissant le portrait, il craignait de ne pas en conserver toute la ressemblance, ce à quoi on tenait par-dessus tout.

Il différait donc de jour en jour de se mettre à l'oeuvre. Du reste, il faut bien le dire, s'il acceptait facilement une commande, il trouvait difficilement le temps de l'exécuter : c'est souvent le défaut des artistes. Or, il paraît que c'était celui de Dalle. Aussi, dans sa lettre du 1er décembre 1807 dont nous avons déjà parlé, Dom Peuchot, répondant à Laloy qui lui avait recommandé de s'occuper du portrait, disait-il sans détour, de ce professeur, pourtant l'un de ses amis : « Quant à Dalle, tu te connais en paresseux : ils promettent et puis. . . Je le verrai encore et le harcèlerai. . . »

Peuchot revint, en effet, à la charge et, excité de toutes parts, Dalle résolut de commencer, mais bientôt il rencontra la difficulté qu'il prévoyait. Découragé, il abandonnait alors le travail, mais une nouvelle lettre de Paris venant le stimuler, il le reprenait parfois sans mieux réussir. Nous savons tout cela par Peuchot qui, écrivant à P.-A. Laloy, le 25 avril 1808, pour le tenir au courant de celle affaire, lui disait : « Quant au portrait du pauvre Laloy, j'ai vu Dalle la semaine dernière ; il est arrêté par la difficulté d'en tirer une copie ressemblante. Il en a déjà deux ébauches qu'il m'a montrées, et dont je n'ai pas été plus content que lui. Je le presserai cependant encore, d'après ta lettre » (1).

Dalle reprit ses pinceaux et fit le portrait que nous avons reproduit en tête de ce volume et qui eut l'approbation géné(1)

géné(1) de la famille : Lettre de D. Peuchot à P.-A. Laloy.


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rale ; il mesure un mètre environ de haut, et est, comme le premier, conservé à Massilly.

Le souvenir de Laloy ne devait pas s'éteindre avec lui ; 35 ans après sa mort, le Conseil municipal de Chaumont en fit le sujet d'une de ses délibérations. Ayant décidé, en 1839, de changer les noms d'un certain nombre de rues de la ville, et de remplacer ceux qui étaient démodés ou avaient perdu leur signification, par celui d'hommes dont la mémoire était restée chère à leurs concitoyens, il n'oublia pas celui de Jean-Nicolas Laloy.

On lit, en effet, dans la délibération du 6 mai de cette année : « La rue de la halle, dont le nom ne convient plus depuis que la halle est située dans un autre quartier, prendra le nom de rue Laloy, en mémoire de Jean-Nicolas Laloy, né à Doulevant le 14 octobre 1745, décédé à Chaumont le 25 novembre 1804, médecin, ancien membre de l'Assemblée constituante, maire de Chaumont dans les temps orageux de notre première révolution, et qui, par son zèle dans l'administration municipale et son dévouement au bien public, a laissé une mémoire vénérée et chérie parmi ses concitoyens » (1). C'est depuis cette époque que l'ancienne rue de la halle porte le nom de rue Laloy.

Enfin, en 1865, à la veille de l'Exposition qui allait s'ouvrir à Chaumont, la ville fit placer sur la façade de la maison que Laloy avait habitée pendant 28 ans et dans laquelle il mourut en 1804, une plaque de marbre noir (2), qu'on peut encore apercevoir entre les fenêtres du premier et du second étage, et

(1) Arch. de Chaumont : Reg. des délibérations de 1839.

(2) On lit, en effet, dans la délibération du 1er mai 1865 : « M. le Maire expose que déjà le Conseil, dans le but d'honorer la mémoire des hommes qui ont illustré la ville, a décidé que diverses rues porteraient leurs noms ; qu'il lui paraît convenable de placer des plaques en marbre au devant des maisons où ils ont vécu, et qu'à cet effet il demande un crédit de trois cents francs.

« Le conseil, s'associant à la pensée de M. le Maire, ouvre sur l'exercice courant le crédit de trois cents francs qui lui est demandé.»

M. le Préfet approuva, le 26 mal suivant, la susdite délibération.


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sur laquelle on lirait du milieu de la rue, si cette plaque n'était placée si haut, ou si la dorure des lettres n'avait pus entièrement disparu, l'inscription suivante :

Dans cette maison a habité

Jean-Nicolas Laloy

Médecin

Ancien membre de l'Assemblée constituante

Maire de la ville de Chaumont

De 1792 à la fin de 1794

Il y a dans ces chiffres une petite erreur qu'il convient de relever; il eut fallu dire : maire de la ville de Chaumont, de la fin de 1791 à la fin de 1795, ou au commencement de 1796.

Puisse le souvenir de cet homme de bien ne jamais s'effacer de la mémoire et du coeur de ses compatriotes ! Puissent ses beaux exemples susciter parmi eux de nombreux imitateurs !


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PIÈCES JUSTIFICATIVES

I

Plan des fêtes décadaires arrêté par la Société populaire, de concert avec la municipalité.

« A l'aurore, la fête est annoncée par un coup de canon et des inscriptions portant le mot Décade : on en pose une sur le portique du temple de la Raison, on suspend les autres aux arbres de la Liberté et de la Fraternité (1). Le portique du temple et les inscriptions sont ornés de fleurs fraîchement cueillies, arrangées en guirlandes et festons. Sur deux bannières placées devant le temple sont tracés des vers qui rappellent la majesté de la fête. Des flammes aux trois couleurs sont arborées dans toutes les rues, devant les maisons des citoyens.

« A neuf heures et demie, la Société populaire réunie au lieu de ses séances, sort, le président en tête, accompagné de deux faisceaux, symbole de l'union, et précédé d'une trompette et de la musique des amateurs; les membres de la Société dont l'un porte l'oeil de la vigilance le suivent en double rang sur deux lignes, formant une haie de chaque côté. Douze jeunes filles en costume de fête marchent en groupe entre les haies, les unes portant sur la tête des corbeilles de fleurs qu'elles soutiennent d'une main, et les autres des guirlandes. Le cortège se rend en cet ordre devant la maison commune en chantant des hymnes.

« Arrivé sur la place et près de l'arbre de la Liberté, le cortège s'ouvre et se range en forme elliptique des deux côtés de l'arbre, le président de la Société un peu en avant et les portefaisceaux restant à quelque distance de lui. Les jeunes filles

(1) L'arbre de la liberté était planté devant la maison commune, et celui de la fraternité devant le temple de la Raison ou l'ancienne chapelle du collège.


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quittent leur place et viennent entourer avec grâce l'arbre de la Liberté ; une d'elles s'avance et attache une guirlande à cet arbre chéri, elle se retire et six autres s'avancent à leur tour en jetant des fleurs.

« Un roulement de tambours annonce l'arrivée du Conseil général de la commune ; le maire paraît en tête, portant sur la poitrine le livre de la loi. Le président de la Société s'avance vers lui et dit à haute voix ; Magistrats, vous allez au temple de la Raison ouvrir les tables de la loi ; le peuple vous environne et va vous entendre. Les membres du Conseil entourent l'arbre de la Liberté ; le maire en avant, du côté du peuple, accompagné de deux faisceaux placés à côté de lui, par respect pour la loi, dit : Citoyens, souvenez-vous du serment que vous avez fait de vivre libres ou mourir; tous répondent en choeur: Périsse au pied de cet arbre le monstre qui violera son serment! Vive la Liberté ! A l'instant le président de la Société attache à l'arbre une couronne qu'il place au-dessous de la guirlande.

« Le cortège se rend au temple de la Raison, dans le même ordre, le Conseil général placé au centre. Pendant la marche, les jeunes filles chantent un hymne sur l'amour et l'obéissance dus aux lois, cet hymne se répète en choeur; à chaque strophe on fait une station et le maire dit : Hommes libres, obéissez à la loi, elle est votre ouvrage et fera votre bonheur.

« Arrivé à l'arbre de la Fraternité, le cortège s'ouvre de nouveau et l'on y répète les mêmes cérémonies, à la seule différence que le président de la Société dit : Républicains, souvenez-vous que vous avez juré de ne jamais vous désunir, tous répondent: Périsse au pied de cet arbre celui qui violera son serment ! Vive la Fraternité ! Le cortège se déploie ensuite pour entrer au temple. Au son de la trompette les portes s'ouvrent, la musique entre ; le maire, arrivé sur la dernière marche et placé sous le niveau de l'Egalité, se tourne vers le peuple et dit : Enfants de la nature, que nul de vous ne soit assez audacieux pour s'élever, que nul de vous ne soit assez vil pour s'abaisser ; tous répondent en choeur : Que les esclaves et les orgueilleux soient anéantis ! Vive l'Egalité !

« Le maire, toujours accompagné de deux faisceaux, entre suivi du Conseil. Les jeunes filles viennent ensuite, chantant en choeur un hymne à la Raison qui est répêté par tous. Le prési-


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dent de la Société et celui qui porte le symbole de la Vigilance s'avancent alors suivis des autres membres qui défilent de manière que les derniers passent les premiers. La musique est placée à la grande tribune au-dessus de la porte. Le maire et le Conseil montent sur le planum de la montagne et se placent sur deux rangs de profondeur au-dessous du globe sur lequel est élevée la statue de la Raison. Les jeunes filles se séparent pour se ranger en demi-cercle autour d'eux.

« La Société reste en haie le long des colonnes ; ses douze censeurs se placent sur divers points. Au moment où les jeunes filles chantent la strophe aux grands hommes, elles ornent de fleurs et de guirlandes les bases qui supportent les bustes placés autour de la montagne. Deux colonnes sont élevées de chaque côté : l'une est surmontée d'une urne funéraire, ornée de guirlandes de cyprès avec une inscription, l'autre de la statue de la Liberté tenant des couronnes et des rameaux de chêne ; la première colonne est dédiée aux défenseurs de la patrie morts à leur, poste ; l'autre aux armées, bataillons, départements et communes qui ont bien mérité de la patrie. A l'instant où les jeunes filles chantent les strophes qui y sont analogues, elles vont orner ces colonnes de guirlandes et répandent des fleurs autour. Au milieu du temple s'élève la colonne à l'Eternel. Le président s'en approche et, la tête nue, il récite à haute voix celle prière : Grand Dieu, si désormais la terre est ton autel, etc. La prière finie, il jette de l'encens sur le trépied ardent. En cet instant la trompette annonce la lecture des lois qui est faite par le maire ainsi que celle des faits héroïques ; il proclame ensuite les traits de vertus particuliers aux Chaumontais. Le cortège sort et se rend près de l'arbre de la Liberté en chantant des hymnes.

« A deux heures du soir, les membres de la Société sortent du lieu de leurs séances et se rendent au temple précédés de la musique ; ils s'arrêtent devant l'arbre de la Fraternité, l'entourent, et au signal convenu font retentir l'air du cri : Vive la Fraternité ! Périssent les faux frères! Ils défilent ensuite et se forment en haie des deux côtés des marches. Les portes du temple s'ouvrent, la musique entre, le président monte, s'arrête sous le niveau et fait entendre le cri : Vive l'Egalité, qui est répêté par tous avec cette imprécation : Périssent tous les tyrans ! Les membres de la Société entrent alors en chantant


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l'hymne à la Raison ; après la dernière strophe, un silence subit et profond avertit que l'orateur va monter à la tribune pour y prononcer un discours de morale.

« Après ce discours, les membres de la Société sortent en chantant des hymnes à l'amitié et donnent au peuple le spectacle d'une réunion de frères et d'amis, se tenant les bras enlacés les uns dans les autres et se prodiguant les témoignages de l'affection la plus franche. Si la saison le permet, ils se rendent au champ de la Liberté, précédés de la musique. Ils y entrent en passant sous un portique dans l'architecture duquel est une inscription portant les mots : Liberté, Joie, Vertu.

« Les danses s'ouvrent, les censeurs se répandent partout pour veiller au respect dû aux moeurs et, s'il y est porté atteinte, en faire publiquement leur rapport à la Société. Près du champ de la Liberté est un lieu agréable et frais destiné à l'exercice des enfants de tous les âges ; l'entrée en est décorée d'un drapeau portant cette inscription : L'Espérance de la patrie. Des prix sont suspendus aux arbres pour être distribués à ceux qui les ont mérités soit au palet, soit à la course, à la lutte ou au saut. Un président des jeux est nommé par la Société pour empêcher la confusion et le désordre, et des instituteurs pour faire exécuter ces divers exercices avec adresse. Des officiers municipaux placés en une tribune en sont spectateurs, et couronnent les vainqueurs qui sont ramenés en triomphe à leurs parents. En hiver, les jeux et les danses ont lieu à couvert, dans un local préparé à cet effet (1). Sur un théâtre élevé clans un emplacement convenable (2) il est joué, à la troisième décade de chaque mois, des pièces propres à étendre le progrès de la raison et à élever l'esprit public. »

(1) Ce local fut la grande salle servant d'antichambre aux divers tribunaux, et aussi les nefs du temple.

(2) Ce théâtre fut dressé dans l'ancienne chapelle du couvent des Capucins.


— 237

II

Fête à l'Être suprême et à la Nature, célébrée à Chaumont, chef-lieu du département de la Haute-Marne, le décadi 20 prairial an II (8 Juin 1794).

Au coucher du soleil, le 19 prairial, une décharge d'artillerie annonça la solemnité. du lendemain ; à la même heure, tous les tambours de la garde nationale, un groupe nombreux de musiciens et d'amateurs parcourant toutes les rues de la commune, disposoient tous les citoyens à l'attendrissement, à la joie, à la reconnoissance.

L'airain tonnant trois fois, signala le lever de l'aurore et avertit tous les citoyens de l'ouverture de la fête ; aux premiers rayons du soleil, une musique bruyante et guerrière se fit entendre ; et à l'instant les habitations des citoyens furent parées de guirlandes de fleurs et de verdure, et de flammes aux couleurs nationales.

A sept heures, l'airain tonne de nouveau, les tambours roulent : les femmes en habit de fête ; les jeunes filles vêtues de blanc, les cheveux ornés de fleurs ; les hommes sous les armes, se rendent sur la place de la réunion.

ORDRE DE LA MARCHE

Une brigade de gendarmerie nationale à cheval, un trompette en tête, marchant sur deux rangs, ouvrent la marche.

Huit sapeurs de front.

Les tambours de la garde nationale, précédés du tambourmajor.

La compagnie des vétérans nationaux, formée en bataillon carré..

Un groupe nombreux de musiciens.

Les citoyens sous les armes, disposés en haie, enveloppant le cortège.


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Des ouvriers de l'atelier du salpêtre, deux brancards ornés de branches de chêne, chargés de belles cristallisations de ce sel précieux.

Un groupe nombreux de jeunes enfans des deux sexes, se tenant par la main ; leurs grâces enfantines sont relevées par la blancheur de leurs vêtemens et des guirlandes de fleurs ; leur tête est ornée de quelques fleurs champêtres mêlées à leurs cheveux.

Une troupe élégante d'adolescens des deux sexes se donnant la main ; la fraîcheur de leurs vêtemens blancs, rehaussés des couleurs éclatantes des guirlandes de fleurs, fait toute leur parure.

La jeunesse, groupe brillant composé de garçons et de filles nubiles vêtues de blanc, ornées de guirlandes et de couronnes de fleurs ; les garçons, de feuilles de chêne : la décence et la pudeur semblent avoir pris place au milieu de ce groupe et en régler les mouvemens ! heureux présage du retour des moeurs, l'honneur et le soutien des Républiques.

La vieillesse vénérable portant à la main une branche d'olivier, en écharpe une guirlande de pampres, marchoit sur deux lignes.

Au milieu, deux taureaux ornés de larges bandes tricolores et de guirlandes, traînoient un char de forme antique décoré de festons de feuilles de chêne, portant un piédouche surmonté d'une gerbe de bled et d'une botte fleurie d'herbes des prés : aux deux côtés sont suspendus les instrumens des arts, le compas et l'équerre, la scie et le marteau ; deux enfans assis sur le devant tiennent, l'un un agneau, l'autre un chevreau, à leurs pieds est une toison ; deux vigoureux cultivateurs conduisent les taureaux ; une bergère avec sa houlette ; une moissonneuse, sa faucille à la main ; un bucheron armé de sa hache ; un faucheur portant sa faux; une ménagère tenant une quenouille chargée de chanvre; une mère de famille portant un enfant, environnoient le char : il étoit suivi par un groupe de femmes conduisant de jeunes enfans.

Le conseil général de la commune. Les corps administratifs.


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Le comité révolutionnaire.

Les tribunaux.

A huit heures, le canon donna le signal du départ ; le cortège se met en mouvement, dans le plus grand ordre : des hymnes à l'Eternel, chantées par des groupes et répétées en choeur ; des airs patriotiques exécutés par la musique se succèdent pendant la marche.

En sortant par la porte neuve, le cortège est salué par trois coups de canon, et se développe à l'ombre d'une grande et large allée de jeunes arbres, sous laquelle il fait le tour de la cité ; devant chacune des portes, le peuple est salué par trois décharges d'artillerie.

Une salve générale annonce l'arrivée du cortège au champ de la réunion. Un portique de verdure, orné de deux termes de grandeur colossale, en fermoit l'entrée ; au devant s'élevoit un péristile de verdure, de forme demi-circulaire, décoré par quatre statues de la Liberté, de la Justice, de la Fraternité et de la Sagesse. Les deux termes suspendoient le niveau ; au dessus de leur tête flottoit cette inscription : A L'ETRE SUPRÊME.

Le champ de la réunion offrait un vaste triangle bordé des trois côtés de deux rangs de tilleuls élevés et touffus. Au fond, on appercevoit une montagne, que le zèle des citoyens avoit élevé dans le cours d'une décade ; son aspect rocailleux, les buissons et les plantes qui la couvroient, les rochers tombant en ruine sur ses flancs, portoient l'empreinte des antiques ouvrages de la nature ; la cime étoit ombragée par un chêne touffu orné de guirlandes et d'une longue flamme aux trois couleurs flottante dans le vague des airs ; un énorme rocher détaché de sa masse, écrasoit le fanatisme, le fédéralisme et la superstition.

De chaque côté de la montagne s'élevoient deux colonnes de marbre d'ordre dorique. La première, dédiée aux mânes des défenseurs de la patrie, portoit une urne funéraire et une couronne de lauriers ; sur son fût étoit inscrit : Aux Mânes des Défenseurs de la Patrie. La seconde, élevée aux vertus civiques, étoit surmontée d'une couronne de chêne et d'un rouleau destiné à l'inscription des faits héroïques et des actions civiques ; sur le devant étoit écrit : Aux Vertus civiques. Tel étoit le


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monument dédié à l'Etre suprême, élevé sous la voûte du Ciel par des hommes libres.

L'enfance se place en demi-cercle au pied de la montagne, l'ndolescence l'environne ; la jeunesse installée sur les côtés, s'étend et forme un triangle au milieu duquel se trouvent le char et ceux qui l'entourent ; les vieillards s'allignent à droite et à gauche ; les autorités constituées se rangent sur un plan plus reculé ; la musique occupe un tertre ménagé à la gauche de la montagne ; les tambours se placent à l'opposé ; les vétérans et les citoyens en armes se développent et embrassent, dans une vaste ellipse, la montagne, les monumens et le cortège ; le peuple, commodément placé sous les arbres, jouit de toute la beauté du spectacle ; tout s'ordonne, tout se dispose au chant des hymnes et nu son éclatant des instrumens.

Tout étant en place, un roulement des tambours appelle le silence, les chants cessent. Le maire sort des rangs et monte sur le rocher au pied de la montagne ; il expose aux citoyens l'objet de celte fête simple et sublime, la reconnoissance de tous envers l'Etre suprême qui les créa libres et égaux.

Aussitôt toutes les voix et les bras s'élèvent vers le Ciel ; les mères élèvent leurs enfans ; les citoyens, leurs armes ; les tambours, les trompettes, les instrumens de musique, les décharges de l'artillerie se mêlent nu serment que tous l'ont de vivre libres ou de mourir ; et aux voeux adressés à l'Etre suprême, les échos répètent et portent au loin ces marques éclatantes de la reconnoissance des hommes libres. Pendant ce temps, les productions de la nature, les instrumens des arts sont déposés sur la montagne. La vive émotion qu'excite ce mouvement sublime et touchant, amène le recueillement et le silence. Chacun reprend sa place ; et le cortège se rend, dans le même ordre, nu lieu indiqué pour la lecture des loix. Le reste de la journée est consacré aux danses et aux amusemens de la jeunesse, au champ de la réunion. Un repas civique et une illumination auroient terminé cette belle journée ; mais tout ce qui excède le plus stricte nécessaire étant destiné pour l'armée de la Mozelle, aucun ne s'est permis de détourner la plus légère portion de cette destination sacrée.


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DISCOURS Prononcé par le citoyen Maire, au pied de la Montagne

LE PEUPLE FRANÇAIS RECONNOÎT L'ÊTRE SUPRÊME

ET L'IMMORTALITÉ DE L'AME

Citoyens,

Cette déclaration solemnelle rassurera à jamais le Républicain vertueux, contre les audacieuses clameurs d'une faction impie.

Dans le délire de leur orgueil, ces scélérats ambitieux proclamoient hautement : Il n'y a point de Dieu.

Des prêtres hypocrites, des fanatiques ignorans annonçoient à toute l'europe, que telle étoit la doctrine d'un peuple entier d'athées qui détruisoit leur culte, renversoit leurs autels, envahissoit leurs biens ; et tous ensemble tendoient à corrompre la nation pour la dégrader, à avilir le peuple pour le subjuguer.

Quelle sublime, quelle énergique réponse fait aujourd'hui cette même nation à ces perfides calomniateurs !

Dans ce jour solemnel, à la même heure, au même instant, des millions de bras élevés vers le Ciel par des hommes libres, offrent à l'auteur de la nature le seul hommage digne de lui.

C'est à vous, épouses vertueuses, mères fécondes, laborieux cultivateurs, artisans industrieux qu'il appartient d'honorer dignement l'auteur de la nature ; vrais ministres d'un culte simple et sublime, c'est par vos mains pures que doit lui être présenté le fils que vous avez nourri, les fruits que vous avez cultivés, les productions des arts que vous avez inventés.

Approchez et venez déposer ces témoignages de notre reconnoissance ; placez sur ce tertre élevé, sous les rameaux de ce jeune chêne, vos enfans l'espoir de la patrie, les prémices de vos récoltes, les heureux produits de votre industrie.

16


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Etre suprême, toi qui créas l'homme libre, indépendant, égal à son semblable, lu ne t'offenseras pas de voir au milieu de ces productions de l'industrie humaine, ce sel foudroyant, instrument terrible de destruction ; c'est pour la défense de la liberté que tu créas, que le patriotisme l'a arraché des entrailles de la terre.

Des despotes insolens, des ministres ambitieux, des prêtres fanatiques lèvent contre la nation française un bras menaçant ; des cohortes innombrables d'esclaves corrompus, de courtisans avilis ; des nations entières, dégradées par la longue habitude de l'esclavage, couvrent les terres et les mers qui nous environnent.

Familiarisés avec le crime, leurs perfides émissaires, des traîtres soudoyés par eux sont répandus dans nos armées, nos ports, nos flottes, nos places fortes.

Tous veulent déchirer d'une main impie le livre où nous avons inscrit les droits que tu as donné à tous les hommes, et que ta main puissante a gravés si profondément dans le coeur de chacun d'eux.

Vains efforts ! Tu as donné la liberté à l'homme, avec l'existence ; tu nous a donné la force et le courage ; ta main puissante soutiendra ton ouvrage. Nous conserverons les dons précieux de ta munificence ; et, devant toi, à la face du Ciel, nous jurons tous de vivre libres ou de mourir (1).

(1) Compte rendu de la fête, imprimé à Chaumont.


TABLE DES PLANCHES

Pages

I. — Portrait de Jean-Nicolas Laloy XXII

II. — Maison habitée à Chaumont par Laloy . . . XXXII

III. — Jacques-Claude Beugnot 16

IV. — Ouverture des Etats-Généraux de 1789 ... 48 V. — Reconstitution de l'église de St-Michel ... 64

VI. — Sépulcre de l'église de St-Jean 96

VII. — Portail du Temple de la Raison 112

VIII. — Choeur du Temple de la Raison 144

IX. — Intérieur du Temple de la Raison : nefs, piliers

et arcades du Temple de la Raison ... 160

X. — Lettre autographe de Jean-Nicolas Laloy . 192

XI. — Tombeau des Laloy à Chaumont 208



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TABLE DES MATIERES

Pages

Préface XXIII

Bibliographie XXIX

INTRODUCTION : La famille Laloy à Doulevant-le-Château 1

CHAPITRE PREMIER Vie privée de Jean-Nicolas Laloy

§ I. — Sa naissance et son éducation

Il devient orphelin de père et de mère à 12 ans. — Il est confié à ses tantes de Chaumont. — Ses études chez les R. P. Jésuites. — Il veut d'abord se faire religieux, puis se décide pour la cléricature. — Il entre au grand séminaire de Tout et y reçoit les premiers ordres. — Il va ensuite à Paris étudier la médecine et la pharmacie. Il s'installe à Chaumont en 1774. — Son dévouement pour les malades et sa générosité. — Sa nombreuse clientèle 7

§ II. — Son mariage et sa nouvelle installation

Vie privée de Jean-Nicolas Laloy (suite). — Il se marie à Chaumont et s'installe rue de la Halle. — Entente cordiale des deux époux. — Naissance d'un premier enfant. — Naissance d'un second et d'un troisième. — Mort de ce dernier et de sa mère. — Mort de l'aîné de la famille. — Laloy reste veuf après 6 ans de mariage. — Il n'a plus qu'une fille âgée de moins de 3 ans . . 13


246

CHAPITRE II

Laloy député aux Etats-Généraux et à la Constituante (1789-1791)

§ I. — Election de Laloy aux Etats généraux

Il est délégué par le Tiers-Etat de Chaumont à l'Assemblée du bailliage. — Part qu'il prend à la rédaction du cahier des doléances. — Il est désigné comme l'un des scrutateurs. — Election des députés. — Morel et Mougeotte passent sans difficulté. — Beugnot et Becquey disputent à Laloy le 3e mandat. — Laloy est nommé, puis Janny. — On élit un suppléant dans la personne de Martin Gombert 17

§ II. — Formation du département

Laloy, député aux Etats-Généraux et à la Constituante (suite). — Il s'installe d'abord à Versailles, puis à Paris.

— Il reste en rapport avec ses électeurs. — Lettre qu'il reçoit des huissiers de Chaumont et réponse qu'il leur fait. — Il prend en main la cause de cette ville. — Son action près du Comité de division de la Champagne en départements. — On exclut Bar-sur-Aube de la HauteMarne, et on y fait entrer Saint-Dizier et Bourmont.

— Chaumont, occupant le centre du nouvenu départetement, en est choisi naturellement pour le chef-lieu.

— Jugement d'un contemporain à ce sujet. — Réserves à faire sur ce jugement. — Longs extraits des lettres écrites par Laloy concernant la formation du département .... 23

§ III. — Election de Wandelaincourt à l'évêché de la Haute-Marne.

Laloy, député aux Etats-Généraux et à la Constituante (suite). — L'évêque de Langres est déclaré démissionnaire. — Elections pour le remplacer. — Gobel est


— 247 —

nommé, puis Wandelaincourt. — Voyage de ce dernier à Langres. — Il passe par Chaumont. — Son entrée dans la ville épiscopale. — Sa lettre de remerciements à Laloy. — Opinion de Beugnot sur la députation du bailliage de Chaumont. — Protestation de Jolibois. 33

CHAPITRE III Laloy, maire de Chaumont (1791-1796)

§ I. — La grande émeute de Chaumont en 1791

Tableau de cette émeute. — Laloy est élu maire de Chaumont. — Sa proclamation aux habitants. — Il convoque une assemblée générale des citoyens actifs. — Création d'un magasin de subsistances. — Nouvelles émeutes en janvier 1792. — La municipalité refuse une garnison envoyée par le Roi. — Heureuse intervention de la garde nationale. — Félicitations du ministre . 41

§ II. — Disette de 1791 à 1796

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Approvisionnement du magasin des subsistances. — Fourniture de grains à l'armée de Kellermann. — Vente de l'argenterie superflue des églises de Chaumont. — Nombreux achats de blé, seigle et orge. — Cause de la pénurie de grains dans le district. — Réquisitions pour les marchés, les services publics et les armées. — Le département du Doubs demande 6.000 quintaux de grains. — Mission de Laloy à Besançon. — Son voyage à Paris, d'où il ramène le représentant Pépin. — L'Etat prête 150.000 livres au district pour acheter des vivres. — Chaumont vote, à la même fin, un emprunt de 400.000 livres. — Division des familles en 3 et 6 classes 49

§ III. — Entreprise de travaux de charité

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Pour secourir les indigents, Laloy recourt aux travaux de charité. —


— 248 —

Ouverture de la porte de Villiers. — Souscriptions reçues à celte fin. — Subventions données par le département et le district. — Déblaiement du cimetière de Si-Michel. — Vente de la grosse cloche de cette église. — Percement de la porte de Buxereuilles. — Retard dans l'exécution de ce travail 62

§ IV. — Incursion des Langrois à Chaumont en 1792

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Emotion causée en France par l'insurrection du 20 juin. — Protestation du directoire de la Hte-Marne. — Celui-ci est dénoncé par les habitants de Langres et de Bourbonne. — Les suites de la journée du 10 août. — Arrivée des Langrois en armes. — Leur but est de suspendre le directoire du département. — Ils sont en retard. — Laloy les reçoit en amis. — Plaisanteries à ce sujet. — Les Langrois sont blâmés par le ministre. — Leur réponse. — Vente du cuivre des églises de Chaumont pour acheter des canons 67

§ V. — Exécution des lois contre le clergé et l'Eglise

Laloy, maire de Chaumont (suite). — La municipalité est chargée de surveiller les prêtres à la maison de réclusion. — Elle les autorise à dire la messe et leur fournit des ornements. — Laloy est dénoncé à ce sujet. — Les reclus ouvrent une souscription pour armer les volontaires. — Laloy permet aux infirmes d'avoir avec eux un domestique. — Il est encore dénoncé pour ce motif. — La fête du Grand-Pardon en 1792. — La Fête-Dieu en 1793. — Conduite de Laloy, lors de la descente des cloches et de l'enlèvement des signes extérieurs du culte. — Il demande la libre disposition des églises de Chaumont. — Il résiste au district qui exige la livraison de leur mobilier. — Le représentant du peuple Besson, quoique jacobin, lui donne gain de cause. - Tous les meubles de Saint-Jean sont, par lui, sauvés de la destruction 75


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§ VI. — Exécution de la loi des suspects (1793)

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Rédaction de la liste des suspects. — Comment Laloy procède à leur désarmement. — Le département annule les certificats de civisme donnés par le Conseil. — Les suspects obligés de se présenter chaque jour à la mairie. — Laloy reçoit l'ordre de les arrêter. — Sa réponse. — Scrutins qu'il institue. — Il est blâmé par les deux directoires qui rédigent eux-mêmes d'autres listes. — Protestation du Conseil. — Arrêtés des administrations supérieures. — Réception de la Constitution à Chaumont. — Réponse du Conseil aux arrêtés précédents. — Sommation de les exécuter. — Laloy refuse ; il est dénoncé au Comité de salut public. — Réponse de Laloy à cette dénonciation. — La Convention charge un de ses membres de juger le différend. — Le représentant Rhul rétablit la paix. — La liste des suspects est supprimée. ... 89

§ VII — Caractères généraux de l'administration de Laloy

Laloy, maire de Chaumont (suite). — Il veut, avant tout, le maintien de l'ordre matériel. — Il sait contenir les bataillons de volontaires. — Les lois vexatoires et inutiles lui déplaisent. — Son opinion sur le grattage des armoiries seigneuriales. — La démolition de la tour de Hautefeuille. — Destructions qu'il ne peut empêcher. L'enlèvement des croix de cimetière et autres. — Passage à Chaumont de la fille de Louis XVI. — Il préside les fêtes nationales et décadaires. — Ses discours sont toujours respectueux envers la religion. — Les décadis. — Ils sont d'abord solennisés avec entrain, puis le peuple s'en lasse. — Le district accuse Laloy de ce ralentissement de l'esprit public. — Laloy se disculpe au temple de l'Eternel. — Riposte de l'agent national près du district. — La Société populaire approuve le maire 104


250 —

CHAPITRE IV

Laloy, membre du jury d'instruction publique

Etat de l'instruction en 1792. — Adresse de Laloy à la Convention sur ce point. — Lois concernant l'instruction primaire. — Election des membres du jury. — Adresse envoyée par ceux-ci à leurs concitoyens. — Son maigre résultat. — Nouvelle adresse des mêmes. — Arrivée du représentant du peuple, Dupuis. — Le second jury d'instruction. — Etablissement de l'Ecole centrale. — Programme de cette école rédigé par le jury. — Sa prospérité en Haute-Marne. — Causes de son succès 119

CHAPITRE V

Laloy, commissaire du directoire exécutif près de l'administration centrale de la Hte-Marne (1796-1800)

§ I. — Constitution de l'an III

Election des membres de l'administration centrale. — Laloy est nommé commissaire du directoire près de cette administration. — Rôle qu'il a à remplir. — Ses circulaires aux commissaires près des administrations municipales de canton 128

§ II. — L'emprunt forcé de 1796 et de 1799

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — Embarras du trésor public. — Emprunt de 600 millions. — Estimation de la fortune des citoyens. — Laloy est envoyé en mission à Paris. — Etablissement d'un jury pour l'examen des réclamations. — Emission de mandats territoriaux. — Proclamation de l'administration du département à leur sujet. — Nombreuses


— 251 —

circulaires de Laloy à ses collègues des cantons sur l'urgence et la manière de faire rentrer les impôts. — Dépenses militaires 131

§ III. — Exécution des lois contre le clergé

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — La liberté est rendue aux prêtres après le 9 thermidor. — Proclamation de la liberté des cultes. — Journée du 13 vendémiaire et ses suites. — Retour de la persécution. — Laloy essaie de gagner du temps. — Lettres du ministre. Les prêtres rentrent dans la maison de

réclusion. — Tiédeur générale dans l'application des lois de 1792 et 1793. — Le canton de Grenant est dénoncé au ministre de la police. — Rapport de Laloy à ce sujet. — Régime imposé aux prêtres reclus. — Lettre du ministre à l'administration du canton de Chaumont et réponse de celle-ci. — Remplacement de cette administration. — La paix est pour un instant rendue à l'Eglise. — Journée du 18 fructidor. — Les prêtres entrent de nouveau dans la maison de réclusion.

— Ils sont peu après renvoyés dans leurs communes et

mis sous la surveillance des municipalités .... 140

§ IV. — Lois restrictives de la liberté

du culte catholique et imposant l'observation des décadis

et fêtes républicaines

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — Restriction de la liberté des cultes. — Les sonneries de cloches. — Circulaires de Laloy à ce sujet. — Confiscation des cloches de Grenant et de Chalindrey. — Ordre de détruire ce qui reste des signes extérieurs du culte. — Sévérité des circulaires et modération des actes. — Arrêté concernant l'observation des décadis.

— Nouvelles lois sur les jours de repos. — Institution de nouvelles fêtes républicaines. — Circulaires de Laloy pour les expliquer. — Comment elles sont célébrées à Chaumont 153


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§ V. — Mesures prises pour l'approvisionnement

des grandes communes, l'entretien des prisonniers

et des orphelins de la patrie.

Laloy, commissaire du directoire exécutif (suite). — Mesures qu'il propose pour l'approvisionnement des marchés et la nourriture des prisonniers. — Il s'intéresse surtout au sort des enfants abandonnés. — Le salaire des nourrices croît avec le prix des denrées et la dépréciation des assignats ou mandats. — Celles-ci refusent bientôt tout papier. — Lettre de Laloy au ministre à ce sujet. — L'Etat envoie un peu de blé, puis suspend tout paiement. — Les nourrices rapportent leurs élèves. — L'hôpital s'endette pour elles de 30.000 fr. — Remboursement de ces dettes sous le Consulat .... 162

CHAPITRE VI

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (1800-1804)

§ I. — Constitution de l'an VIII

Laloy est nommé préfet de l'Aube et du Doubs. — Il refuse ces postes. — Il accepte le litre de conseiller de préfecture. — Il représente le département à la fête du 1er vendémiaire an IX. — Il est nommé président du collège électoral de son arrondissement 169

§ II. — Laloy administrateur de l'hôpital de Chaumont

Laloy, conseiller de préfecture (suite). — Il est nommé administrateur de l'hôpital. — Notice sur cet établissement : sa fondation, son emplacement, nombre de ses lits, sa direction, ses divers services, ses revenus et charges, les perles qu'il dut subir. — Sort des enfants abandonnés à la charge de l'hôpital. — Délibération de la commission administrative à ce sujet 173


— 253 -

§ III. — Laloy fondateur de la Société d'agriculture, de sciences et d'arts.

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (suite). — Il en impose à tous par ses connaissances. — Il est chargé de fonder une Société libre d'agriculture. — Le préfet le met en tête de la liste des membres de cette Société. — Il en est élu président et en rédige le règlement. — Circulaire qu'il envoie pour la faire connaître. — Nombreux travaux qu'il apporte à ses réunions .... 186

§ IV. — Statistique de la Haute-Marne

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (suite). — Il entreprend la statistique du département. — Correspondance du ministre à ce sujet avec le préfet Ligniville. — Programme proposé par le ministre. — Le préfet sollicite le concours de Laloy et de la Société d'agriculture. — Circulaires du préfet Jerphanion. — L'oeuvre de Laloy reste inachevée. — M. de Jerphanion essaie de la compléter. — Aucune de ces études n'a été imprimée. — Analyse des premières pages du travail de Laloy. — Sa notice sur Chaumont 191

§ V. — Observations météorologiques et autres

Laloy, conseiller de préfecture à Chaumont (suite). — Il note chaque jour les modifications de l'atmosphère. — Il mesure avec le baromètre la hauteur de Chaumont et des eaux de la Marne. — Avec le thermomètre, il détermine la température des sources et celles des caves les plus profondes de la ville. — Ses observations sur les effets de la vaccine. — Etudes sur une tourbière, sur les terrains qui conviennent aux diverses espèces d'arbres, sur des minéraux envoyés à la Société d'agriculture. — On demande pour lui la croix de la Légion d'honneur 199


254 —

CHAPITRE VII

Maladie et mort de Laloy

§ 1. — Laloy tombe malade. Il est invité au sacre de l'empereur.

Son mal s'aggrave. — Il reçoit les derniers sacrements. — Sa mort : deuil général. — Délibération du Conseil municipal à ce sujet. — Ses funérailles. — Il est enterré sous la galerie du nouveau cimetière 207

§ II. — Condoléances adressées à sa famille après la mort de Laloy.

Maladie et mort de Laloy (suite). — Lettres envoyées par les hauts fonctionnaires de l'Etat, du département et de la ville. — Un service solennel est célébré à St-Jean pour le repos de son âme. — Son oraison funèbre est prononcée par le curé de la ville, sur la demande du préfet 214

§ III. — Honneurs rendus à la mémoire de Laloy

Maladie et mort de Laloy (suite). — La municipalité de Doulevant fait célébrer pour lui un service religieux.

— Son éloge est prononcé à la Société d'agriculture. — Celle-ci charge son secrétaire de rédiger la notice historique du défunt. — Sa fille donne à l'église de St-Jean divers objets lui ayant appartenu. — P.-A. Laloy met ordres aux affaires de son frère. — Mariage de Rosalie Laloy. — Monument dressé au cimetière par la Ville.

— Son épitaphe. — Ses portraits. — La municipalité de Chaumont donne son nom à la rue qu'il a habitée.

— Elle place une inscription commémorative sur la façade de sa maison 223

Pièces justificatives

I. — Plan des fêtes décadaires arrêté par la Société populaire, de concert avec la municipalité 233

II. — Fête à l'Etre suprême et à la Nature, célébrée à

Chaumont le décadi 20 prairial an II (8 juin 1794) . . 237


EXTRAITS

DES

PROCÈS-VERBAUX

DE LA SOCIÉTÉ

des Lettres, des Sciences, des Arts

de l'Agriculture

et de l'Industrie de St-Dizier



Extrait des Procès-verbaux de la Société des Lettres, des Sciences, des Arts, de l'Agriculture et de l'Industrie de Saint-Dizier.

Séance du 11 Janvier 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

La séance s'ouvre à 2 heures 40.

Présents : MM. Emile Humblot, Charmeteau, Gandner, Daval, Dr Chaussinand, Aussenac, Chapron, Duchêne, Frionnet, Rolland, Vuilley, Roussel, Godard, Geoffrin, Jacob

Le procès-verbal de la séance du 14 décembre 1911 est adopté sans observation.

M. le Président présente les excuses de M. le comte de Baillon et de MM. Chrétiennot et Euvrard.

On procède statutairement aux élections inscrites à l'ordre du jour. M. Gaston Roussel, Conservateur du Musée, est élu membre titulaire. En lui présentant ses félicitations, M. le Président le remercie du concours aussi dévoué qu'intelligent qu'il a apporté jusqu'à ce jour à la Société. En toute circonstance, il s'est montré le digne continuateur de l'oeuvre de M. HoudardCasalta, dont il a accepté la lourde succession.

Avant de procéder à l'élection suivante, M. le Président dit que le Bureau a jugé qu'un ancien membre titulaire rentrant dans la Société après l'avoir quittée, avait le droit d'y rentrer au même titre. M. le comte de Baillon a écrit à M. le Président, qu'il partageait cette manière de comprendre l'esprit des Statuts. A l'unanimité, l'assemblée se rallie à cet avis, et M. le chanoine Léon Guillaume, supérieur du Collège libre de Saint-Dizier, est élu membre titulaire. M. le premier Vice-Président l'introduit dans la salle des séances, où il reçoit les félicitations empressées du Bureau et des assistants, heureux de retrouver un collègue distingué, ancien secrétaire, pendant deux années, de la Société qui n'a jamais oublié ni ses mérites ni ses services.

17


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Sont ensuite élus membres associés M. Quillard, industriel à Bayard, et M. Léon Lavoye, propriétaire à Montier-en-Der.

M. le Dr H. Chaussinand est élu deuxième Vice-Président de la Société. « Je suis particulièrement heureux, dit M. le Président à l'assemblée, du choix que vous venez de faire. Il y a longtemps que nous avons apprécié le dévouement de M. le Dr Chaussinand, et nous savons tous que son érudition n'a d'égale que sa modestie. Je profite de cette circonstance pour dire à M. le Dr Chnussinand combien la Société lui est reconnaissante d'avoir acquis le territoire du Châtelet ; elle espère que les fouilles seront continuées et qu'elle sera tenue au courant des trouvailles qui pourront être faites. » M. le Dr Chaussinand s'installe au Bureau et prononce quelques mots de remerciements, qui sont couverts par les applaudissements de toute l'assemblée.

MM. Emile Humblot et Charmeteau présentent M. l'abbé Staedler, professeur au Collège libre de Saint-Dizier, comme membre titulaire, et M. Pierre Chatel, enseigne de vaisseau en congé à Bayard, comme membre associé.

M. Aussenac, au nom de la Commission des Comptes, donne lecture de son rapport qui constate que la comptabilité de la Société a été tenue avec un soin parfait et qu'elle est d'une scrupuleuse exactitude. Il propose des remerciements à l'adresse de l'ancien Trésorier, M. V. Charmeteau, appelé à la dignité de premier Vice-Président, et à l'adresse de son digne successeur, M. E. Gandner. — Les conclusions de ce rapport sont accueillies par les applaudissements de l'assemblée, qui les ratifie de son vote et offre, par son Président, à MM. les Commissaires des Comptes, des remerciements bien mérités.

M. l'abbé Ch. Frionnet présente deux curieux nids de guêpes (Vespa media) trouvés, l'un dans la cour de l'Asile des aliénés, l'autre dans les bois d'Hortes. Une étude détaillée sur ce sujet sera lue dans la prochaine séance.

M. le Président présente les premières bonnes feuilles d' « Une promenade de la Société à Joinville, 1er août 1911 », par M. Ch. Jacquinot. Elles sortent de l'imprimerie Darantière, à Dijon : l'écrin sera digne du joyau. L'assemblée demande qu'il en soit tiré 250 exemplaires ; chaque membre de la Société en recevra


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un gratuitement et pourra, s'il le désire, s'en procurer d'autres par l'intermédiaire de M. le Bibliothécaire.

La parole est à M. l'abbé Henri Godard. Grâce à des concours empressés, la salle est en un clin d'oeil disposée pour une séance de projections, et déjà se dessine sur l'écran, dans des conditions parfaites d'éclairage et d'installation, la carte du pays où le conférencier va nous conduire.

A 37 kilomètres de Batna, dans la province de Constantine, sur la voie romaine qui reliait Lambessa à Mascula, dans un enfoncement du mont Aurès, des fouilles, commencées en 1880, ont mis à jour des ruines qui peuvent se comparer à celles de Pompéi. Ce sont les restes de Timgad, ancienne Thamugadi, d'abord simple poste militaire érigé plus tard en une colonie qui, sur l'ordre de Trajan, bâtit la ville en l'an 100 de l'ère chrétienne. Timgad, qui fut au IVe siècle l'un des centres du donatisme, fut détruite par les Maures au VIe siècle, à l'approche des Bizantins. Les fouilles, dirigées actuellement par M. Ballu, ont donné des résultats merveilleux. Les clichés, d'une exécution parfaite, splendides d'éclairage, de relief et de finesse, que M. Godard a pris sur les lieux en septembre 1911, nous en donnent une idée extrêmement précise. Voici d'abord le pretorium de Lambessa, campement de la 3e légion Augusta ; à 2 kilomètres de là, l'Arc-de-Triomphe de Septime-Sévère ; à 28 kilomètres enfin plus loin, Timgad. Plan général : deux grandes voies dallées qui se coupent à angle droit. Dans un éblouissement de lumière, nous nous promenons émerveillés à travers cette forêt déserte de colonnes et de portiques de marbre. Voici des thermes, une bibliothèque, une basilique chrétienne à trois nefs avec baptistère indépendant ; le forum, l'un des plus complets qu'on connaisse avec sa rostra, l'Arc-de-Triomphe de Trajan, la curie et l'album ; les prisons, les marchés, le théâtre. Nous pénétrons partout, nous voyons tout et la maison romaine nous livre jusqu'à ses secrets les plus intimes.

Par ses applaudissements chaleureux, l'assemblée remercie M. Godard de cette fête des yeux et de l'esprit qu'il vient de lui procurer. Photographe, projectionniste, archéologue et conférencier, il a droit à toutes les félicitations.

MM. Emile Humblot et Jacob le présentent comme membre titulaire.


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En nous donnant l'espérance que cette séance avec projections aura bientôt un pendant, M. le Président lève la séance à 4 heures 1/2.

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière séance :

1° Annales de la Société d'Histoire, etc., de Chaumont, 1911, n° 4. (Les sobriquets dans la commune de Mennouveaux, par Clément Richier ; — Joinville, notes sur le portail de l'église. avec dessin au vernis mou, par M. Emile Humblot ; — Le P. Le Moyne, Chaumontais, avec portrait, par J. Dodin) ;

2° Société académique d'Architecture de Lyon, décembre 1911 ;

3° Bulletin mensuel de la Société archéologique d'Eure-etLoire, année 1911, de janvier à octobre, 5 fascicules ;

4° Séance publique de l'Académie des Sciences, etc., d'Aix, 1911;

5° Bulletin archéologique du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1911, 2e livraison ;

6° Les Marches de l'Est, 15 novembre 1911, n° 8. (Allemands et Polonais ; — les Heures bénédictines, etc.) ;

7° Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, avriljuin 1911, 3e série, tome II. (Bibliographie des Travaux archéologiques du R. P. de la Croix, etc.) ;

8° Travaux de l'Académie nationale de Reims, 1910-1911, tome I. (Le Parler populaire des Canadiens français ; — SaintJérôme et l'invention des lunettes ; — Aspects du vieux Reims ; — Maison romaine à Jonchery-sur-Suippes, etc.).

Séance du 8 Février 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

La séance s'ouvre à 2 heures 40.

Présents : MM. Emile Humblot, Charmeteau, Dr Chaussinand, E. Gandner, Joseph Houdard, Roussel, Guillaume, Vuilley, Frionnet, Euvrard, Rolland, Burgeat, Geoffrin, Thiébault, Jacob,


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Le procès-verbal de la séance du 11 janvier est adopté sans observation.

M. le Président présente les excuses de MM. Capitain-Gény, Ferry-Capitain, Aussenac, Godard, Lavoye.

Il salue M. Burgeat-Bailly, membre de la Chambre de Commerce de la Haute-Marne, qui pour la première fois vient, à titre de membre associé, prendre part aux travaux de la Société et lui apporte le concours précieux de ses connaissances, de son expérience et de son jugement.

Il fait part du décès, survenu ce jour même, de M. Camille de la Fournière, membre fondateur de la Société. « Si notre regretté collègue, continue M. le Président, n'a jamais rien publié dans nos Mémoires, il n'en est pas moins resté l'ami fidèle de la Société et il n'a cessé d'assister à nos réunions que le jour où les infirmités lui ont rendu toute sortie impossible. Avec M. Camille de la Fournière disparaît le chef d'une des plus anciennes et vraiment nobles familles de Saint-Dizier. Nous adressons à ses enfants, et en particulier à notre collègue, M. Georges de la Fournière, nos très sincères et très émues condoléances. »

MM. Emile Humblot et Victor Charmeteau présentent comme membres associés M. Sender, ingénieur, et M. Caillotelle, ancien greffier, à Saint-Dizier.

MM. Roussel et Thiébault présentent comme membre associé M. Paul Durand, à Saint-Dizier.

On procède aux élections inscrites à l'ordre du jour. MM. Henri Godard et G. Staedler sont élus membres titulaires ; M. Pierre Chatel, enseigne de vaisseau, en congé à Bayard, est élu membre associé. Sur la proposition du Bureau, M. O. Jacob, secrétaire de la Société, est élu membre d'honneur.

La parole est à M. l'abbé Charles Frionnet, qui donne lecture d'une note sur Vespa média. Les guêpes sont des sociales d'un an. La communauté comprend trois individus : des femelles, des neutres et des mâles. Les nids sont ou bien cassants, comme chez les frelons ; ou bien souples et élastiques, comme chez la guêpe moyenne. Comme on l'a remarqué dans les spécimens présentés à la Société le 11 janvier, le nid de Vespa média comprend deux parties distinctes : une enveloppe très épaisse, et des gâteaux intérieurs composés de cellules hexagonales. Le nid


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atteint la grosseur de la tête d'un enfant ; il est piriforme et a son ouverture dans le bas, un peu sur le côté. C'est du 15 septembre nu 15 octobre que la colonie, fondée par une mère unique, atteint son maximum de population ; mais bientôt après, c'est le massacre des larves et des inutiles ; les mâles qui ont échappé et les ouvrières périssent de froid ; quelques rares femelles survivent, nu désastre pour fonder de nouvelles colonies au retour des beaux jours. Le conférencier donne quelques détails sur les espèces qu'il a eu occasion d'étudier de plus près : la guêpe frelon, — la Vespa média, — la guêpe sylvestre, assez rare dans nos pays, — la guêpe vulgaire, très commune, avec son nid sans enveloppe, — la guêpe germanique qui fonde des colonies de 20.000 individus et plus.

M. le Président remercie M. Frionnet. La clarté et le pittoresque qu'il donne à ses moindres communications leur communiquent une saveur et un charme reconnus et appréciés de tous. Tous se joignent à M. le Président pour le remercier.

La Société d'Histoire, etc., de Chaumont organise, pour 1912, une excursion archéologique à Blécourt, Donjeux et St-Urbain. Elle invite la Société des Lettres de Saint-Dizier à se joindre à elle. Cette gracieuse invitation est acceptée en principe par l'assemblée qui prie son Président de remercier la Société de Chaumont et de s'entendre avec elle pour régler la date et les conditions de l'excursion.

M. Emile Humblot vient d'achever une étude sur le Mausolée de Claude de Lorraine, chef de la puissante famille des Guises. Il veut bien offrir à la Société ce travail pour lequel il a utilisé un certain nombre de documents inédits. L'assemblée accepte avec empressement et l'inscrit à l'ordre du jour de la séance de mars.

Il reste une soixantaine d'exemplaires de la brochure de M. Charles Jacquinot : « Une Excursion de la Société à Joinville. » Ces exemplaires sont mis à la disposition des amateurs. Le prix en est fixé à 1 fr. 50. Exceptionnellement, et seulement jusqu'à Pâques, les membres de la Société pourront se les procurer au prix réduit de 1 franc. S'adresser à M. E. Gandner, trésorier de la Société, ou à M. Joseph Houdard, bibliothécaire.

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière séance :


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1° Bulletin de la Société d'Histoire naturelle et de Palethnologie de la Haute-Marne, 1911, fascicule II. Extinction des espèces par dégénérescence ; — Notes de Botanique ; — le Rhétien des environs de Bourbonne-les-Bains ; — Note sur quelques Echinides) ;

2° Bulletin archéologique du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1911, 1re livraison ;

3° Répertoire d'Art et d'Archéologie, 1911, 3e trimestre;

4° Bulletin historique du diocèse de Lyon, nos 72 et 73 ;

5° Bulletin mensuel de la Société académique d'Architecture de Lyon, janvier 1911, n° 13;

6° Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de Mâcon, 1911, nos 14 et 15. (Jurassique mâconnais) ;

7° Comptes rendus du Congrès des Sociétés savantes, tenu à Paris en 1910. Section des Sciences ;

8° Recueil des Travaux de la Société libre d'Agriculture de l'Eure, 1910 ;

9° Note sur Lynus (Alosimus) Viridissimus Lucas ; hommage de l'auteur, M. le Dr Cros, de Mascara, à qui la Société offre ses félicitations et ses remerciements.

Séance du 14 Mars 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

La séance s'ouvre à 2 heures 35.

Présents : MM. Emile Humblot, Charmeteau, Dr Chaussinand, Joseph Houdard, Duchesne, Lavoye, Frionnet, Burgeat, Chrétiennot, Euvrard, Guillaume, Staedler, Guyard, Dr Thévenin, Lang, Simonnet, Geoffrin, Chapron, Maréchal, Moussu, Godard, Roussel, Gandner, Vuilley, Thiébault, Aussenac, Jacob.

Le procès-verbal de la séance du 8 février est lu et adopté sans observation.

M. le Président présente les excuses de MM. Capitain-Gény, Dr Forgeot, Eug. Humblot, Maitrier ; il transmet les remercie-


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ments de M. Pierre Chatel, récemment élu membre associé ; il fait part de la mort de M. Léon Baudoin, inspecteur des Postes et Télégraphes, à Juzanvigny, membre correspondant; il salue M. Lavoye, de Montier-en-Der, qui, pour la première fois, vient prendre part aux travaux de la Société dont il est membre associé ; il présente enfin à l'assemblée M. Pierre Gautier, archiviste départemental de la Hte-Marne, qui a bien voulu, avec quelques autres notabilités du dehors, faire à la Société l'honneur d'assister à la séance de ce jour.

M. Pierre Gautier donne quelques détails sur une excursion archéologique à Blécourt, Donjeux et Saint-Urbain, excursion préparée par la Société d'Histoire et d'Archéologie de Chaumont, et à laquelle la Société des Lettres de Saint-Dizier est conviée et a accepté de se joindre.

M. Sender, ingénieur, à Saint-Dizier, et M. Caillotelle, ancien greffier, à Saint-Dizier, sont élus membres associés. Deux nouveaux membres sont présentés, MM. de Montcourt et Georges Collin, lieutenant de génie.

L'ordre du jour appelle une étude de M. Emile Humblot sur le Mausolée de Claude de Lorraine, à Joinville. En un instant la salle est préparée pour une séance de projection, et l'orateur prend la parole.

Le 12 avril 1550, « une demi-heure avant deux heures après minuit », Claude de Lorraine, sénéchal de Champagne, premier duc de Guise, marquis de Mayenne et d'Elbeuf, baron de Joinville, pair et grand-veneur de France, mourait à Joinville, à l'âge de 54 ans. Le 30 juin commencèrent les cérémonies des obsèques. Elles furent d'une magnificence telle, dit un chroniqueur, que l'on ne vit jamais rien de semblable depuis les obsèques de Charlemagne. Elles furent faites en présence du seigneur de Brissac, représentant du roi ; du cardinal de Lorraine ; du cardinal de Givry ; de cinq évoques et d'un concours immense de peuple. Le corps fut déposé dans l'église Saint-Laurent, au château, dans la chapelle des princes, à droite de la grande nef.

Sans larder, Antoinette de Bourbon-Vendôme s'occupa d'ériger, à son mari, un tombeau digne de sa grande mémoire. « Pour cet effet, dit Fornier, elle envoya chercher, dans les trésors de la Nature, le plus précieux et le plus beau de tous les


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marbres ; dans les secrets de l'art, les artistes les plus délicats et les plus doctes de la sculpture. En sorte que, par ses soins curieux, elle lui érigea la merveille de son temps. » Tout nous porte à croire, dit M. Humblot, que c'est au Primatice qu'elle avait vu à l'oeuvre à Fontainebleau, qui d'ailleurs s'était fixé à Troyes, d'où il rayonnait sur toute la région, qu'elle s'adressa, et que ce prestigieux peintre et architecte italien fournit le projet du Mausolée et en eut la direction générale avec Dominique le Florentin. Le Primatice avait alors près de 40 ans. On conserve de lui, au Louvre, un dessin qui dut servir de premier avant-projet pour le tombeau de Claude de Lorraine. C'était le premier monument funéraire dressé par l'artiste ; il l'avait conçu beaucoup plus en peintre qu'en constructeur, mais enfin c'est bien, dans ses grandes lignes, le même monument que quatre autres dessins, de diverses provenances, collectionnés par M. Humblot, permettent de rétablir dans tous ses détails.

Le Primatice s'était adjoint comme sculpteurs deux maîtres fameux, Ligier Richier, qui sculpta le Tombeau de Saint-Mihiel et le Squelette de Bar-le-Duc, et le Florentin Rosso Fiorentino, plus connu sous le nom de Maître Roux. Les travaux furent menés rapidement; dès le 31 janvier 1551, nous voyons Dominique le Florentin recevoir une somme de 40 livres qui lui est due pour la sculpture. On dépensa 23.400 livres pour le salaire des ouvriers et 96.000 livres pour l'achat des matériaux.

Les contemporains parlent avec emphase de ce monument. Malheureusement les descriptions du temps sont très sommaires. A part les deux grandes cariatides, la « Tempérance » et la « Justice », conservées avec un soin jaloux à l'Hôtel de ville, il ne reste à Joinville à peu près rien. De patientes recherches, des rencontres heureuses ont permis à M. Emile Humblot de réunir, depuis quelques années, une collection de dessins et de fragments qui, avec les débris que l'on connaissait déjà, permettent enfin de rétablir le monument dans son intégrité.

Ces dessins et ces fragments sont mis sous les yeux de l'assemblée au moyen de projections d'un fini et d'une clarté irréprochables. M. Humblot les analyse, il en fait la critique artistique. Nous ne pouvons ici que signaler les principaux. Ce sont des dessins de Gaignières, avec plan par terre, du chanoine Paillette, de Dauzats, de Guiot ; des pierres de voûte; les cariatides; des


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Génies ; une tête de mort ailée ; la tête d'Antoinette de Bourbon ; ses mains jointes ; les trois vertus théologales auxquelles est adjointe l'Abondance ; des fragments de bas-reliefs ; la Clémence et la Générosité de Claude de Lorraine; etc.

En 1791, le château de Joinville fut mis en vente par la famille d'Orléans, qui ne voulait plus l'entretenir, sous la condition qu'il serait démoli. Quand, deux ans plus tard, dans une rage de folle destruction, la Révolution s'acharna à faire disparaître tous les vestiges du passé, la besogne était faite à Joinville. Dans la nuit du 18-19 novembre 1793, le Directoire fit ouvrir les caveaux de la chapelle ducale ; on prit les cercueils et les tristes restes qu'ils renfermaient furent jetés dans une fosse commune, dans le cimetière dépendant du château. Cette profanation faillit provoquer une émeute en ville. Le 23 novembre 1838, une cérémonie solennelle de réparation eut lieu à la paroisse Notre-Dame de Joinville ; six cercueils furent descendus de la côte du château et déposés dans le cimetière de la ville, où ils reposent maintenant sous une très modeste dalle.

Pour terminer, M. Humblot fait passer sur l'écran deux vues suggestives : ce qu'est Joinville aujourd'hui ; ce qu'il devait être.

Celle étude magistrale tint trois heures durant l'assemblée sous le charme de la parole facile et élégante, précise et technique du conférencier.

L'art a le don de communiquer la vie à tout ce qu'il louche. Une scène de bas-relief, une main d'orante, un débris informe prenaient, sous l'influx de la voix chaude et colorée de M. Emile Humblot, un relief surprenant ; ils s'animaient, ils palpitaient, ils vibraient de passion. Voici une tête de mort ; elle servait d'agraphe à l'oeil-de-boeuf du Mausolée ; on ne savait ce qu'elle était devenue. Par un hasard prodigieux, M. Emile Humblot l'a retrouvée il y a trois ans, à Lyon, chez des amis. C'est peut-être la pièce la plus curieuse de sa collection. Il l'attribue à Ligier Richier. Le raffinement d'un art consommé lui a donné une intensité d'expression stupéfiante. Les orbites vides, creusés d'un profond sillon, voient, ils fixent, ils fascinent ; la bouche délabrée, toute grande ouverte, avec la mâchoire inférieure légèrement de travers, parle, et ce qu'elle dit fait frissonner jusqu'aux moelles; les ailes palpitent ; on voit le souffle qui infléchit les


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pennes, qui les tord, qui les emporte. Tout frémit de vie dans ce hideux et superbe emblême de la mort.

Des applaudissements éclatent aux dernières paroles de M. Humblot. Le premier Vice-Président se lève et le remercie chaleureusement au nom de l'assemblée. M. Humblot demande qu'une partie de ces remerciements soit renvoyée aux adroits préparateurs à qui il doit les 43 splendides clichés de projection qui illustrent sa conférence : M. l'abbé Henri Godard, qui a largement payé de sa personne comme photographe et projectionniste, et M. Staedler, de Joinville.

Il annonce que M. Tillet, architecte en chef des monuments historiques, a bien voulu accepter de venir prochainement faire à la Société une conférence, avec projections, sur les monuments de la région. Celle bonne nouvelle est accueillie par une nouvelle salve d'applaudissements.

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière séance :

1° Conseil général de la Haute-Marne, procès-verbaux de la séance d'août 1911 ;

2° Bulletin de la Société historique et archéologique de Langres, n° 86, févr. 1912. (Mgr de Durfort-Civrac de Lorge, etc);

3° Annales de la Société d'Agriculture, etc., de la Loire, 4e trimestre 1911 ;

4° Les Marches de l'Est, 15 février 1912 ;

5° Hommages d'auteurs : Joseph-Didier Voilleraut, curé de Montargis et victime de la Révolution, par M. le chanoine Bresson ; — Note sur le Trichodes umbellatarum Ol., par M. le Dr Auguste Cros, de Mascara ;

6° Documents recueillis et offerts par M. le Dr Chompret. (Saint-Dizier, vue et plan par terre, Peeters, 1656) ; — le Massacre de Wassy, reproduction de la gravure de 1562, lith. Rollin, à Bar ; — deux petits paysages de Pernot, gravés par Schraeder : Chaumont et Bourbonne-les-Bains.

Aux trois donateurs, la Société adresse ses meilleurs remerciements.


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Séance du 9 Mai 1912

PRÉSIDENCE DE M. CHARMETEAU. 1er VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ

La séance s'ouvre à 2 heures 35.

Présents : MM. Charmeteau, Dr Chaussinand, Gandner, Roussel, Aussenac, Euvrard, Frionnet, Simonnet, Caillotelle, Quilliard, Sender, Chapron, Geoffrin, Vuilley, Jacob.

M. Charmeteau présente les excuses de M. Emile Humblot et de M. Capitain-Gény. Il salue les deux nouveaux membres présents à la séance, MM. Quilliard et Sender.

Il annonce les candidatures, à titre de membres associés, de M. André Damour, maître de forges à Bayard, présenté par MM. Charmeteau et Quilliard ; de M. Léon Robert, président de l'Union commerciale et industrielle, présenté par MM. Charmeteau et Burgeat ; de M. l'abbé Marchand, professeur de philosophie, au Collège libre de Saint-Dizier.

On procède, en se conformant aux statuts, aux élections inscrites à l'ordre du jour. M. de Montcourt, percepteur à SaintDizier, est élu membre associé ; M. Georges Collin, lieutenant du génie, à Verdun, est élu membre correspondant.

L'ordre du jour appelle une nouvelle communication de MM. Paul et Régis Colson sur le Châtelet. En l'absence des auteurs, M. Frionnet donne lecture de leur manuscrit. On sait que, 2000 ans environ avant notre ère, le bronze fut universellement substitué à la pierre. MM. Colson donnent des raisons fort plausibles pour expliquer la rareté des objets trouvés appartenant incontestablement à cette époque. Vers l'an 900 avant J.-C, le fer fit son apparition. Le minerai abonde dans les environs du Châtelet qui devint un centre d'exploitation important. L'assemblée suit avec intérêt la description de trois planches d'objets préromains trouvés au Châtelet par les auteurs du mémoire. En 1885, ils ont découvert une habitation gauloise souterraine où ils ont recueilli en grande quantité des fragments de vases grossiers en terre, des objets en métal et des monnaies. En août 1911, ils ont exploré une autre excavation qui leur a


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fourni encore quelques objets intéressants. Ils ont également collectionné un certain nombre de rouelles.

La similitude des monnaies recueillies sur les territoires de Boviolles et du Châtelet les amène à fixer un point d'histoire et à fournir une étymologie du nom de Gorze, donné à l'antique oppidum du Châtelet.

On touche ainsi du doigt l'utilité des recherches historiques du genre de celles qu'ont poursuivies, avec tant de patience, MM. Paul et Régis Colson. Par une attention délicate dont la Société leur est reconnaissante, ils avaient préparé un certain nombre d'épreuves photographiques qui ont permis à l'assemblée de mieux juger de la valeur de leurs trouvailles et de suivre plus facilement leur savante communication. La Société leur adresse ses remerciements et ses sincères félicitations.

Sur les indications de M. Euvrard, MM. Gandner et Aussenac ont obtenu de M. Richard, entrepreneur à Saint-Dizier, remise d'un bloc de lignite, incrusté de bisulfure et de sulfure de fer, trouvé dans les carrières de Valcourt. M. Roussel mettra ce curieux échantillon dans les collections du Musée.

Un sarcophage en pierre ayant été découvert à Marnaval, M. Vuilley voudra bien recueillir des renseignements sur l'importance de cette trouvaille.

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière séance :

1° Notes sur l'Evolution du Nemognatha chrysomelina F., sur des Larves inédites et un coléoptère nouveau de la famille des Vésicants et sur l'Hypermétamorphose, offertes par M. le Dr Cros, à Mascara. Remerciements de la Société à son zélé correspondant ;

2° Bulletin mensuel de la Société académique d'architecture de Lyon, mars 1912 ;

3° Répertoire d'Art et d'Archéologie, fasc. 9 ;

4° Les Marches de l'Est, 15 mars et 25 avril 1912. Avec ce dernier numéro commence la 4e année de cette superbe publication qui devient bi-mensuelle ;

5° Mémoires de la Société éduenne, tome XXXIX. (Catalogue des incunables de la bibliothèque d'Autun ; — l'Eglise de Saint-Gervais-sur-Couches ; — Mélanges d'histoire, d'archéologie, de numismatique ; — etc.) ;


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6° Mémoires de l'Académie des Sciences, etc., de Besançon, 1911. (Souvenir du millénaire de Cluny ; — la Nation comtoise à Rome ; — Augustin Nicolas et la question de l'orthographe française au XVIIe siècle ; — etc.) ;

7° Mémoires de la Société savoisienne d'Histoire et d'Archéologie, tome LII. (Les franchises de la communauté d'Aiton ; — Histoire de l'ancienne Chautagne ; — le Château-Prieuré du Bourget-du-Lac ; — etc.) ;

Séance du 13 Juin 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

La séance s'ouvre à 2 heures 40 dans la salle de la rue Lalande, n° 10, mise obligeamment, pour la circonstance, à la disposition de la Société, par M. Chrétiennot, curé-doyen de Saint-Dizier.

Présents: MM. Aussenac, Chapron, Charmeteau, Dr Chaussinand, Chrétiennot, Euvrard, Daval, Gandner, H. Godard, L. Guillaume, L. de Hédouville, J. Houdard, Houdard-Casalta, Em. Humblot, Jacob, H. Maréchal, Roussel, Staedler, général de Torcy, Vuilley, Bruyand, Driout, P. Duchêne, Geoffrin, de Montcourt.

Une centaine de personnes avaient répondu à l'invitation personnelle que leur avait adressée le Bureau et avaient fait aux membres de la Société l'honneur de se joindre à eux. Parmi ces invités on remarquait M. Pierre Gautier, archiviste de la HauteMarne, représentant la Société d'Histoire de Chaumont, et M. d'Arbois de Jubainville, archiviste de la Meuse, représentant la Société des Lettres de Bar-le-Duc. Par leur présence ils affirmaient et resserraient encore l'entente cordiale nouée, huit jours auparavant, entre les deux Sociétés dont ils sont les secrétaires et la Société de Saint-Dizier, dans l'excursion archéologique qui groupa soixante-cinq de leurs adhérents. (Nous devons noter en passant que cette excursion eut un succès triomphal. Il en est


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publié, par les soins des deux Sociétés de Chaumont et de SaintDizier, un compte rendu officiel qui sert de préface à une monographie richement illustrée des lieux visités : Blécourt, Mussey, Saint-Urbain, château de Donjeux.)

M. Tillet, architecte en chef des monuments historiques, accueillant avec une condescendance charmante une invitation de M. Emile Humblot, avait offert de présenter, dans une séance de projections, toute la Hte-Marne monumentale en 110 tableaux. Ce programme paraissait si vaste qu'on pouvait se demander si la séance ne se prolongerait pas outre mesure ou si elle ne se bornerait pas à de vagues généralités. Ces craintes auraient été dissipées dès le premier tableau si le nom et les titres du conférencier n'avaient rassuré d'avance les esprits. En vérité, cet architecte chargé de garder et de défendre nos richesses monumentales les connaît parfaitement ; bien mieux, il les aime et il a le talent de les faire connaître et aimer. M. l'abbé Godard avait bien voulu mettre au service du conférencier ses appareils et son expérience.

Pour conduire méthodiquement son auditoire à travers le riche patrimoine qu'il explorait, M. Tillet suivit l'ordre chronologique. Il groupa les monuments par styles et par écoles ; il les mit en relief en les comparant avec des édifices étrangers construits sous la même inspiration. Pour montrer la filiation des genres et leur évolution, il concentra l'attention sur des parties détachées, mais importantes : la voûte, la pile, l'arcature. Ce procédé est expéditif ; il peut être suffisant, puisque dans les oeuvres de l'art, comme dans celles de la nature, tout est dans tout. Mais il y faut la science d'un homme du métier qui connaisse à fond son affaire, qui d'un coup d'oeil embrasse et l'ensemble et le tout ; seul un maître est capable de faire rentrer le tout dans tout.

La conférence de M. Tillet ne peut se résumer. Elle est inséparable des superbes clichés qu'elle analysait, et l'on ne résume pas une analyse d'une concision extrême. Ce que nous pouvons donner, c'est le catalogue et la classification, d'après M. Tillet, de nos richesses haut-marnaises.

Art Roman. — Epoque carolingienne. Pierre sculptée au fond de la piscine de l'église de Saint-Geosmes.— 1) Ecole


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rhén ne. Les monuments de cette école se trouvent surtout dans le Nord du département. — Eglise de Vignory (XIe siècle), construite en deux périodes ; d'abord la nef avec sa charpente apparente et ses superbes chapiteaux, puis le transept et le choeur. — Des détails du déambulatoire voûté se retrouvent en Alsace (St-Dié, Schlestadt). — Montier-en-Der, un des joyaux de la Haute-Marne. Le narthex a disparu. La nef est du Xe siècle (vers 960-992), le choeur de la fin du XIIe, la voûte en bois du XVIe. Les arcades basses accusent nettement l'influence rhénane. — Droyes, très bel édifice, avec sa charpente apparente et son choeur du XVIe siècle. — L'église de Sommevoire attire l'attention par sa galerie, ses chapiteaux (XIIe siècle) cubiques ou avec volutes, sa corniche avec billettes, ornement très répandu clans l'Est ; — celle de Ceffonds par son clocher franchement rhénan, ses deux étage d'arcatures géminées, ses billettes, qui est à mettre en parallèle avec celui de Coussey. — L'église de Wassy est à classer parmi les plus intéressantes ; la façade est du XIIe siècle, son double transept est une disposition unique dans la région, la nef marque la transition du roman au gothique. — Le clocher de Voillecomte a gardé ses arcatures et sa toiture primitive.

2) Ecole bourguignonne. A celte école appartiennent un grand nombre d'édifices du Sud du département: — l'église de Villars-Saint-Marcellin, avec sa crypte et son portail ; — à Langres, l'église Saint-Didier (XIIe siècle) qui sert actuellement de musée ; — l'église de Clefmont (XIIe siècle) qui est une énigme archéologique ; — le clocher et le portail d'Isômes, adroitement restaurés dans leur style ; — Bourbonne-les-Bains, qu'on peut rapprocher d'Avallon et de Pontaubert, et qui marque la transition du roman au gothique ; — la cathédrale de Langres, édifice de premier ordre, construite à deux époques, 1150 et 1220 ; elle est à rapprocher de celles d'Autun, de Baune, de Cluny ; les colonnes monolithes du choeur, la superbe frise et les chapiteaux du triforium, le déambulatoire sont à remarquer ; la nef est du XIIIe siècle et dénote une époque de transition.

3) Art gothique. Ecole champenoise. Fait son apparition, à la fin du XIIe siècle, dans l'église de Montier-en-Der ; le choeur subit l'influence d'une inspiration toute nouvelle ; on doit


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remarquer le déambulatoire très beau malgré ses tâtonnements, les colonnes isolées spéciales à la Champagne, les clefs de voûte merveilleuses, l'abside qui commence à s'appuyer sur des arcsboutants. — Joinville a conservé de cette époque une façade, malheureusement masquée par une tour sans cachet. — Blécourt possède une église de toute beauté qui date de la seconde moitié du XIIIe siècle ; la nef présente, comme celle de Châlons, des tâtonnements et des remaniements ; les colonnes se multiplient autour des piliers ; le choeur très harmonieux est très élancé ; le transept porte une fort belle tour ; des deux portails latéraux il ne reste que celui du Sud avec une superbe Vierge, malheureusement mutilée ; mais le joyau de cette église est sa Vierge de la fin du XIIIe siècle. — La nef de Saint-Geosmes (XIIIe siècle), très mutilée, mais le choeur est intact. — Presles possède une délicieuse chapelle au milieu des bois ; Celsoy en a une toute semblable (1376-1398).

Le XIVe siècle nous a laissé le portail de Saint-Jean, de Chaumont, qui offre de nombreuses analogies avec celui de St-Urbain, de Troyes; — la belle Vierge du trumeau de Chaumont; — celle d'Heuilley-le-Grand qui porte les premières marques de l'art expressif et réaliste. — L'influence de l'architecture bourguignonne se reconnaît dans les restes du cloître de la cathédrale de Langres et dans la chapelle du transept N. de Montier-en-Der.

Le XVe et le XVIe siècle furent l'âge d'or de l'architecture champenoise. A cette époque appartiennent la chapelle Sainte-Anne (1502), à Joinville (M. Em. Humblot en a publié une artistique monographie dans les Mémoires de la Société de Saint-Dizier) ; — l'église de Poissons avec une très belle poutre de gloire à l'entrée du transept; — l'église de Ceffonds (1511-1528) avec ses fenêtres mouvementées, sa corniche, ses splendides vitraux (l'assemblée peut en admirer sur la toile des reproductions d'une fraîcheur et d'un éclat surprenants, d'après les clichés en couleurs du conférencier) ; — l'église de Puellemontier : son choeur, son transept, ses vitraux ; — le choeur de Louze commence à subir l'influence de la Renaissance. — Une mention aux églises d'Humbécourt, d'Eclaron, de Nully, de Trémilly, et nous arrivons à la collégiale Saint-Jean, de Chaumont. Une partie de ce monument relève encore de l'art gothique. Le portail du transept Nord est Renaissance, tandis que celui du transept Sud

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s'inspire des deux architectures. L'intérieur offre une extraordinaire fusion des deux styles : les pendentifs, le triforium, l'escalier à jour sont d'un pittoresque achevé.

En passant, M. Tillet signale un certain nombre de croix dressées dans les cimetières et sur les chemins à Montlandon, Vignory, Heuilley-le-Grand, Balesmes, Curel, Chaumont, Ceffonds ; — le rétable de Vignory ; — la Piétà de Neuilly-surSuize ; — la Trinité de Saint-Martin de Langres ; — le rétable du Musée de Chaumont.

4) Voici maintenant la Renaissance. Nous devons à celte architecture, qui fut d'un art délicat à ses débuts mais s'alourdit rapidement et devint monotone, le château du Grand-Jardin, à Joinville (1546) ; — le château du Pailly (1563?) ; — un certain nombre de maisons particulières à Langres ; — le portail S. de l'église de Joinville (vers 1580) ; — Enfin la chapelle du Lycée de Chaumont.

Ce magistral recensement de nos richesses monumentales haut-marnaises est terminé. « Ces oeuvres d'art, conclut M. Tillet, nous les voulons intactes, dans leur cadre et dans leur milieu ; elles ne garderont toute leur saveur qu'en conservant leur destination. »

La salle éclate en applaudissements. Elle ratifie par une nouvelle ovation les remerciements chaleureux et les félicitations que M. le Président adresse au savant conférencier. L'assemblée est alors congédiée, mais la Société reste en séance pour expédier les affaires courantes.

Le procès-verbal de la séance du 9 mai est adopté sans observation. M. le Président présente les excuses de M. Ch. Frionnet et les remerciements de M. Georges Collin, capitaine du Génie, nouveau membre associé.

Sur la proposition du Bureau et par acclamation, M. Tillet est élu membre d'honneur.

Les élections inscrites à l'ordre du jour se font au scrutin de liste, l'Assemblée consultée ayant admis ce mode de scrutin. Sont élus membres associés : M. André Damour, maître de forges à Bayard ; M. Léon Robert, président de l'Union commerciale et industrielle, et M. l'abbé Maurice Marchand, professeur de philosophie au Collège de Saint-Dizier.


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MM. Em. Humblot et Charmeteau présentent comme membre titulaire M. Paul Duchêne, maire de Doulevanl-le-Château.

Les mêmes présentent comme membres associés :

M. le prince d'Hénin, comte d'Alsace, sénateur, au château de Bourlémont, Vosges ; M. le prince-duc de Beauffremont, au château de Brienne, Aube ; M. le comte Ducos, secrétaire d'ambassade, 8, place des Batignolles, Paris; M. le baron de Fraville, au château de Condes ; M. l'abbé Maitret, curé de Rachecourt-sur-Marne ; M. Remy-Mallet, industriel, à St-Dizier; M. Marangé, professeur à l'école primaire supérieure de Joinville ; M. Mauclère, propriétaire, à Joinville ; M. Ponsard, propriétaire, à Wassy ; M. Prévot-Rollet, négociant, à Joinville ; M. Ronot, industriel, à Saint-Dizier ; M. Ronot, architecte, à Chaumont ; M. Royer, architecte, à Joinville ; M. Thévignot fils, industriel, à Saint-Dizier.

MM. Charmeteau et Tillet présentent comme membre associé M. Royer, architecte, à Bar-le-Duc.

MM. Guillaume et Jacob présentent comme membre associé M. Ch. Collas, ancien industriel, à Saint-Dizier.

MM. Charmeteau et J. Houdard présentent comme membre associé M. Boulland, ancien vétérinaire, à Saint-Dizier.

MM. Charmeteau et Paul Duchêne présentent comme membre associé M. Duchesne, propriétaire, à Sommevoire.

Parmi les ouvrages reçus depuis la dernière séance, M. le Président signale le Guide pratique d'Hygiène infantile, par M. le Dr Jean Henry, de Joinville. Ce manuel essentiellement pratique mérite de devenir le livre de chevet de toutes les jeunes mères.

Séance du 11 Juillet 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

La séance s'ouvre à 2 heures 40.

Présents: MM. Aussenac, Chapron, Charmeteau, Dr Chaussinand, Euvrard, Frionnet, Gandner, Godard H., Guillaume L.,


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Humblot Emile, Jacob, Rolland, Roussel, Simonnet, Thiébault, Duchêne P., Geoffrin, Marchand, de Montcourt, Robert, Sender.

Le procès-verbal de la séance du 13 juin est adopté sans observation.

M. de Montcourt et M. l'abbé Marchand, nouvellement élus membres associés, offrent leurs remerciements à l'assemblée et l'assurent de leur concours dévoué. M. le Président, à son tour, leur souhaite la bienvenue et leur présente ses félicitations.

Il transmet les excuses de M. l'abbé Chrétiennot.

On procède aux élections inscrites à l'ordre du jour.

Est élu membre titulaire :

M. Paul Duchêne, maire de Doulevant-le-Château.

Sont élus membres associés :

M. le comte d'Alsace, prince d'Hénin, sénateur, au château de Bourlémont, Vosges ; M. le prince-duc de Bauffremont, au château de Brienne, Aube ; M. Boulland, ancien vétérinaire, rue François Ier, à Saint-Dizier; M. Collas Ch., ancien industriel, à Saint-Dizier; M. Duchesne, propriétaire, à Sommevoire ; M. le comte Ducos, secrétaire d'ambassade, 8, place des Batignolles, Paris ; M. le baron de Fraville, au château de Condes, par Chaumont ; M. l'abbé Maitret, curé de Rachecourt-sur-Marne ; M. Remy-Mallet, industriel, avenue de la Gare, à Saint-Dizier ; M. Marangé, professeur à l'Ecole primaire supérieure de Joinville ; M. Mauclère, propriétaire, à Joinville ; M. Ponsard, propriétaire, à Wassy ; M. Prévot-Rollet, négociant, à Joinville ; M. Ronot, industriel, à Saint-Dizier ; M. Ronot, architecte, à Chaumont; M. Royer, architecte, à Joinville; M. Royer Maurice, architecte, à Bar-le-Duc ; M. Thévignot fils, industriel, à Saint-Dizier.

M. le Dr Chaussinand et M. Chapron présentent comme membre associé M. Hourdillat, ancien receveur municipal, à Saint-Dizier.

M. Emile Humblot et M. Charmeteau présentent comme membre associé M. André Robert, industriel, à Saint-Dizier.

Lecture est donnée des rapports de fin d'année. M. le Secrétaire constate que les élections de ce jour portent à 113 le nombre des membres de la Société. C'est un maximum qui n'avait pas


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encore été atteint. Le recensement de 1910 comportait 80 noms ; c'est donc, depuis deux ans, une augmentation de 40 %.

Cette prospérité, la Société la doit d'abord à l'activité de ceux qu'elle a mis à sa tête. Elle la doit aussi à l'expansion de son action extérieure, qui s'est manifestée par un certain nombre d'innovations heureuses : des excursions archéologiques à Joinville (1er août 1911) et à Blécourt, Mussey, Donjeux et SaintUrbain (13 juin 1912) ; des conférences avec projections ; l'admission à ces séances d'invités étrangers à la Société ; etc.

La Société a publié cette année les « Notes humoristiques d'un excursionniste (M. Ch. Jacquinot) sur la promenade archéologique du 1er août 1911 », vrai régal de fin lettré; le Compte rendu de l'excursion du 13 juin 1912, éditée à frais communs par les deux Sociétés de Chaumont et de Saint-Dizier, qui y ont pris part ; et enfin un nouveau volume de Mémoires, le XIIIe de la série, contenant entre autres études la Monographie d'Osnele-Val et du Val-d'Osne, par M. Hubert Maréchal; les Chartes bragardes, recueillies par M. G. de la Fournière ; les élections des échevins à Saint-Dizier, de 1756 à 1764, par M. Charmeteau ; etc.

M. Gaston Roussel, conservateur du Musée, présente l'état des objets achetés ou reçus en don depuis le 13 juillet 1911. On y relève entre autres : deux eaux-fortes de la « Société bourguignonne et champenoise des amis de l'Eau-forte » achetées par la Société des Lettres de Saint-Dizier et qui, dès aujourd'hui, trouvent facilement acquéreur à cent francs ; — une série de pièces de bronze de différents pays, don de M. Vincent, de Bettancourt ; — deux nids de guêpes (Vespa média) offerts l'un par M. Baudot, l'autre par M. Frionnet ; — un cardinal mâle de la Guyane française, don de M. Geoffrin ; etc.

Ainsi donc, la Société continue de veiller à la prospérité du Musée qu'elle a créé de toutes pièces et qu'elle a remis à la Ville, laquelle lui en laisse, par un contrat qui lie les deux parties jusqu'en 1914, l'administration onéreuse. La question ayant été posée si on demanderait cette année à la Ville de rétablir l'indemnité annuelle de 300 fr. qui, accordée pendant 30 ans, a été supprimée en 1911. M. le Président expose que la lettre qu'il a écrite à ce sujet en novembre 1911 à M. le Maire de Saint-


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Dizier est restée sans réponse. La Société estime-t-elle qu'il soit bon de revenir à la charge ? L'assemblée s'en rapporte à la décision du Bureau, qui tranchera cette question au mieux des intérêts et de la dignité de la Société.

Pour achever le travail de restauration dont il s'est chargé l'an dernier, M. Euvrard offre de faire, pendant les vacances, une nouvelle révision de la collection ornithologique du Musée ; il se contentera d'être indemnisé des quelques fournitures qu'il aura à faire. Son offre gracieuse est acceptée avec empressement.

L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 3 heures 1/2.

La session 1911-1912 est clôturée.

Ouvrages et publications reçus depuis la dernière séance :

1° La Navigabilité de l'Oued Sehou, plaquette de 23 pages, par M. le général de Torcy, hommage de l'auteur ;

2° Note sur les diplômes carolingiens des archives de la Haute-Marne, par M. Pierre Gautier, hommage de l'auteur;

3° Comptes rendus du Congrès des Sociétés savantes tenu à Caen en 1911, section des sciences;

4° Les Marches de l'Est, 1912-1913, nos 4 et 5. (L'éveil du sentiment national; — les Troupes noires ; — l'Aéronautique militaire ; etc.) ;

5° Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de Mâcon, avril 1912. (Jurassique mâconnais, fin) ;

6° Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de la Hte-Marne, 1912, fasc. 2. (Source minérale de Serqueux ; — Promenades botaniques ; — Photocollographie des clichés d'Histoire naturelle; etc.) ;

7° Polybiblion, août 1912, partie littéraire. On y lit, p. 186: « Le tome XIII des Mémoires de la Société des Lettres de SaintDizier est l'un des plus intéressants que nous ayons été à même de signaler ici. » Suit l'index analytique des Mémoires insérés. Au sujet de la notice sur Osne-le-Val, par M. Hubert Maréchal, le critique écrit : « Cette notice est en réalité une bonne et importante monographie. Divisée en 20 chapitres, elle comprend en outre un chapitre spécial de statistiques diverses et se termine par 21 pièces justificatives et une table des matières. Une table onomastique eût été utile » ;


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8° Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, tome IX, 4e série, 1911. (Un village mi-barrois, mi-champenois, 1242-1909, Epiez, près Maxey-sur-Vaise, Meuse ; — Monographie de l'église Saint-Etienne, de Bar-leDuc; etc.) ;

9° Travaux de l'Académie nationale de Reims, 1910-1911, 130e volume. (Edifices à Reims du XIIIe au XVIIIe siècle; — Notes générales concernant les cantons de Reims ; — Trois mois à Magdebourg; — l'Egypte vers Philae ; etc.) ;

10° Annales de la Société académique d'architecture de Lyon, 1909-1910, tome XVII.

Séance du 10 Octobre 1912

PRÉSIDENCE DE M. V. CHARMETEAU, VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ

La séance s'ouvre à 2 heures 40.

Présents : MM. Chapron, Charmeteau, Dr Chaussinand, Chrétiennot, Euvrard, Frionnet, Jacob, H. Maréchal, Rolland, Roussel, Dr Thévenin, Thiébault, Ch. Collas, Duchesne, Geoffrin, Lorain, Maîtret, Marchand, Remy-Mallet, Robert, Ronot (SaintDizier).

Le procès-verbal de la séance du 11 juillet est adopté sans observation.

M. le Président transmet les excuses de MM. Em. Humblot, général de Torcy, Capitain-Gény, Paul Duchêne, Sender, Aussenac, et les remerciements des nouveaux membres : M. le prince-duc de Bauffremont ; M. le comte d'Alsace, prince d'Hénin ; M. Ronot (Chaumont) ; M. Marangé. Il salue MM. Collas, Duchesne, Maîtret et Remy-Mallet qui, pour la première fois, viennent prendre part aux travaux de la Société.

Sont élus au scrutin de liste, membres associés, M. Hourdillat, ancien receveur municipal, à Saint-Dizier, et M. André Robert, industriel, à Saint-Dizier.


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Sont inscrits pour les élections prochaines, à titre de membres associés : M. Paul Bailly, propriétaire, à Roches-sur-Rognon, présenté par MM. Em. Humblot et Charmeteau ; — M. l'abbé Guinchant, professeur, à Hoéricourt, présenté par MM. Chrétiennot et Charmeteau ; — M. de Rouvre, au Val-des-Ecoliers, présenté par MM. Em. Humblot et Charmeteau ; — M. d'Arbois de Jubainville, archiviste de la Meuse, présenté par MM. Emile Humblot et Charmeteau ; — M. Perchat, négociant, à Sens, présenté par MM. Humblot et Charmeteau ; — M. Paul Durand, comptable, à Saint-Dizier, présenté par MM. Roussel et Thiébault ; — M. H. Mathieu, fils, docteur en médecine, à Wassy, présenté par MM. Em. Humblot et Gandner ; — M. l'abbé Grancher, curé de Ceffonds, présenté pnr MM. le Dr Thévenin et l'abbé Jacob.

Sont inscrits à titre de membres correspondants : M. PlaucheGillon Joseph, avocat, docteur en droit, à Nancy, présenté par MM. Gabriel Baré et Charmeteau ; — M. Gérardin, capitainetrésorier au 29e régiment d'infanterie, à Autun, présenté par MM. Em. Humblot et Charmeteau ; — M. Bastier Paul, officier de l'Instruction publique, docteur ès-lettres, professeur à l'Université de Posen, à Paris, présenté par MM. Gabriel Baré et Thiébault.

M. Bastier s'est fait précéder de tout un lot de volumes qui sont déposés sur le bureau et qui feront les délices des philosophes et des historiens de la Société. M. le Secrétaire l'en remerciera officiellement.

L'Académie d'Amiens met au concours une oeuvre historique intéressant le Ponthieu ; le concours est doté d'un prix de 600 francs ; les manuscrits devront parvenir au Secrétaire perpétuel avant le 1er novembre 1914.

M. l'abbé Lorain est invité à prendre la parole. Il rappelle qu'il y a 15 mois, le 13 juillet 1911, il a parlé une première fois déjà, devant la Société, de Jean-Nicolas Laloy, de Doulevant. Depuis ce temps ; il a dû laisser de côté l'histoire de ce personnage pour s'occuper de la publication d'un travail considérable sur « Les Subsistances en céréales dans le district de Chaumont, de 1788 à l'an V ». Ce travail, rédigé et publié sur les ordres et aux frais du ministère de l'Instruction publique, est


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en voie d'achèvement. Le 1er tome, un fort volume in-8° de 800 pages, est paru. L'auteur le dépose sur le bureau de la Société ; M. le Président en accepte l'hommage et prie l'érudit donateur et auteur de recevoir les félicitations et les remerciements de la Société. Le tome II, d'égale importance, est sous presse. Cependant, M. Lorain n'a pas perdu de vue les Laloy. D'un voyage dans les environs de Cluny, il a rapporté, d'un château habité par des parents des Laloy, une masse considérable de documents intéressant surtout l'histoire du jeune Laloy.

Pour en revenir à l'aîné, Jean-Nicolas (1745-1804), M. Lorain rappelle qu'il l'a étudié dans sa vie politique sous quatre chefs principaux, et il expose à l'assemblée les gestes principaux de ce personnage : 1°) comme député aux Etats-Généraux et à la Constituante (rôle dans la formation du département, etc.) ; — 2°) comme maire de Chaumont (affaire des subsistances, travaux de charité, exécution des lois révolutionnaires, etc.) ; — 3°) comme commissaire du directoire exécutif à Chaumont (emprunt forcé, application des lois contre le clergé et le culte catholique, etc.) ; — 4°) comme conseiller de préfecture (fondation de la Société d'agriculture de Chaumont, etc.).

Cet exposé oral, clair et précis, vivant et coloré, a vivement intéressé l'assemblée qui souligne de ses applaudissements les félicitations et les remerciements bien mérités que M. le Président présente au conférencier. Chacun s'est rendu compte que ce travail magistral a sa place toute naturelle dans nos Mémoires et qu'il y fera fort bonne figure. La commission de publication en sera prochainement saisie.

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière seance :

1° La mère de Goethe, d'après sa correspondance ;

2° Hebbel, l'homme et l'oeuvre ;

3° L'Esotérisme de Hebbel ;

4° La Nouvelle individualiste en Allemagne.

Ces quatre volumes, d'une haute valeur philosophique et historique, ont été adressés en hommage à la Société par l'auteur, M. Paul Bastier, professeur à l'Université de Posen.

5° Conseil général de la Haute-Marne, session d'avril 1912, procès-verbaux ;


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6° Bulletin de l'Alliance française, n° 129, 15 juillet 1912. (Voir p. 255, deux communications des Comités de Berlin et de Posen où il est question d'une manière fort élogieuse de M. Paul Bastier) ;

7°-14° Bulletins a) de la Société historique et archéologique de Langres, 1er septembre 1912 ; — b) de la Société d'Histoire naturelle de la Haute-Marne, fasc. 3, 1912 ; — c) de la Société d'Agriculture de la Loire, 1912, 2e livraison; — d et e) de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1er et 2e trimestres 1912 ; — f) du diocèse de Lyon, n° 76 ; — g et h) de la Société académique d'architecture de Lyon, nos 19 et 21 ;

15° Répertoire d'Art et d'Archéologie, fasc. 11 ;

16°-18° Les Marches de l'Est, 1911-1912, nos 6, 9, 10;

19° Bulletin de la Société d'Agriculture de l'Eure, 1911 ;

20° Bulletin de la Société archéologique de Sens, 1911 ;

21° et 22° Bulletin archéologique du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1911, 3e livraison, et 1912, 1re livraison.

Séance du 14 Novembre 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

Présents : MM. Aussenac, Chapron, Charmeteau, Dr Chaussinand, Chrétiennot, Daval, Euvrard, Frionnet, Henri Godard, Léon Guillaume, Guyard, Em. Humblot, Jacob, Lang, Maréchal, marquis des Réaulx, Rolland, Roussel, Dr Thévenin, Thiébault, Vuilley, Colas, Geoffrin, Hourdillat, Marchand, de Montcourt, Léon Robert, Maîtret.

Le procès-verbal de la séance du 10 octobre est lu ; M. Charmeteau demande qu'il soit mentionné, qu'en fin de séance, M. Jacob a présenté une série de clichés en couleurs obtenus par le procédé Lumière, paysages et vitraux, qui ont intéressé l'assemblée. Le procès-verbal est adopté.

On procède aux élections inscrites à l'ordre du jour. Sont


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élus membres associés : MM, d'Arbois de Jubainville, archiviste de la Meuse ; Paul Bailly, propriétaire, à Roches-sur-Rognon ; l'abbé Grancher, curé de Ceffonds ; Paul Durand, comptable au Fort-Carré ; l'abbé Guinchant, professeur, à Hoéricourt ; le Dr Mathieu H., à Wassy; Perchat, négociant, à Sens ; de Rouvre, au Val-des-Ecoliers.

Sont élus membres correspondants : MM. Plauche-Gillon Joseph, docteur en droit, avocat, place Carrière, à Nancy ; Gérardin, capitaine-trésorier au 29e régiment d'infanterie, à Autun ; Bastier Paul, officier de l'Instruction publique, docteur ès-lettres, professeur à l'Université de Posen, 13, boulevard Montparnasse, Paris.

M. le Président présente les excuses de MM. Capitain-Gény, Ferry, Duchêne (Doulevant), Eug. Humblot. Il transmet les remerciements des nouveaux membres, MM. Hourdillat et Robert André ; il donne ensuite lecture d'une lettre de M. Peltereau-Villeneuve qui accuse réception du compte rendu de l'excursion du 6 juin; M. le Président profite de cette occasion pour rappeler quel accueil charmant les Sociétaires ont trouvé au magnifique château de M. Peltereau, à Donjeux, et quel souvenir délicieux ils en conservent tous.

MM. Emile Humblot et Charmeteau présentent comme membres associés MM. Ternet, à Joinville ; Léonce Burgeat, à Saint-Dizier ; Haussmann-Hugot, à Saint-Dizier. MM. Emile Humblot et Dr Chaussinand présentent M. Léautey, architecte, à Saint-Dizier ; et MM. Charmeteau et Aussenac, M. Tollitte, notaire, à Saint-Dizier, comme membres associés.

M. Pierre Gautier, archiviste de la Haute-Marne, a la parole pour présenter à la Société l'état de l'instruction publique avant la Révolution dans la région de Joinville et de Saint-Dizier. Il s'agit d'un travail d'érudition pure ; l'auteur s'est contenté de dépouiller les documents qu'il a trouvés dans les archives publiques, surtout dans celles dont il a la garde ; mais de ce simple collationnement méthodique sort une page d'histoire instructive. Le sujet comportait deux questions. La première concerne l'existence d'écoles publiques et primaires dans les campagnes de la Haute-Marne avant le XVIIIe siècle. Obligé de se borner,


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M. Gautier a choisi, à cause de son importance, le doyenné de Joinville, autrefois du diocèse de Châlons, qui comprenait 57 paroisses et auquel ressortissaient les trois villes de Joinville, Saint-Dizier et Wassy.

On a des documents qui remontent au Xe siècle. Ils concernent les écoles dépendant soit des évêchés de Langres ou de Châlons, soit des grandes abbayes comme celle de Montier-en-Der, soit des chapitres comme celui de Joinville, dont une des prébendes canoniales était affectée à l'entretien d'une école publique. Les archives de la Marne surtout possèdent une riche collection de chartes qui établissent que, bien avant le XVIIe siècle, il existait des écoles partout dans notre région, même dans les plus petits villages.

A partir du XVIIe siècle, les documents abondent. Ce sont des actes notariés, des registres paroissiaux, des procès-verbaux relatant les visites canoniques des évêques de Châlons. Ces dernières pièces sont particulièrement instructives. On y apprend qu'en 1626, sur les 57 paroisses du doyenné de Joinville, 30 possédaient une école, 12 n'en possédaient pas ; les registres sont muets sur les 16 autres, mais il est permis d'admettre que ces villages avaient, eux aussi, des écoles dans la même proportion que le reste du doyenné. Ainsi donc, en 1636, près des trois quarts des villages possédaient une école. Il y en avait dans les plus modestes localités, à Curel, qui ne comptait que 60 feux (200 habitants environ), à Attancourt, village de 35 feux (120 habitants).

Les procès-verbaux de 1697 et 1704 procurent des données encore plus complètes. Toutes les paroisses avaient alors un maître d'école ; une seule exception, et il n'est guère possible d'en faire cas, est relevée à Autigny-le-Petit, qui n'avait que 8 feux (moins de 30 habitants) et qui était rattaché à Autignyle-Grand. Celte constatation assez curieuse n'avait pas encore été faite.

La seconde question concerne l'organisation de l'enseignement primaire.

Nomination des maîtres. — Ils étaient désignés par les habitants qui, à l'issue de la messe, ordinairement, se rassemblaient et passaient marché avec le postulant. En cas de concurrence,


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un concours était organisé ; le candidat qui avait la plus belle voix était avantagé (marchés de Robert-Magny, 1765; de Mertrud, 1770, etc.), car l'instituteur était aussi chantre et sonneur de la paroisse. On spécifie qu'il ne se mêlera nullement des affaires de la communauté (Robert-Magny).

Emoluments. — Les marchés que nous possédons nous apprennent que pour 6 à 10 heures de classe par jour, l'instituteur reçoit, à Mertrud, un traitement de 165 livres (600 à 650 francs de notre monnaie) ; il a droit à 5 sols et à un dîner chaque fois qu'un de ses élèves chante sa première épître. A Doulaincourt, le maître jouit d'un traitement de 250 livres et se fait 40 livres de casuel. A Joinville, en 1750, les deux maîtres ont chacun 200 livres. A Saint-Dizier, la fabrique de Lanoue donne 60 livres à son maître d'école ; celle de Notre-Dame alloue 100 livres au sien (1770). A Eurville (1751), le traitement est de 63 livres (250 à 300 francs). A Bienville, pour 20 à 25 écoliers, l'instituteur reçoit 88 livres ; à Voillecomte, 134 livres ; à Fronville, 114 livres; à Mussey, 108 livres. A Ancerville, les deux maîtres ont chacun 200 francs par mois, soit 800 francs pour l'année.

Ces gros traitements sont fournis le plus souvent par des fondations faites par des prêtres (Mussey, 1647 ; Rupt, 1731) ou des laïques ; ailleurs, ils sont pris sur la mense curiale.

Durée de l'année scolaire. — L'école n'est ouverte que 6 mois ou même seulement 3 ou 4 mois par an, car, au retour de la belle saison, les parents reprennent leurs enfants pour les travaux de la campagne. A Autigny (1677), l'école n'est ouverte que pendant l'hiver ; à Louvemont, elle l'est toute l'année ; à Gourzon, d'octobre à Pâques ; à Baudonvilliers, de janvier à Pâques.

Programme des études. — On enseigne à l'école le catéchisme, la lecture, l'écriture et le calcul.

Origine des maîtres. — Un grand nombre sont du pays même où ils enseignent ; souvent, le père transmet sa charge à son fils. Il n'y a pas de limite d'âge : Louis Jacquin dirige l'école de Brousseval (1697) depuis 35 ans ; l'instituteur de Hoéricourt est un vieillard de 70 ans; celui de Flornoy n'a que 17 ans; celui de Rachecourt, 14 ans seulement; l'évêque de Châlons constate


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qu'il est très capable, mais qu'il est aidé, à cause de son âge, par son père. On trouve même, en 1704, à Donjeux, un maître de 14 ans qui est en charge depuis 6 mois.

Fréquentation de l'école. — L'école n'est pas obligatoire et l'assiduité des élèves laisse souvent à désirer. En 1697, les écoliers font grève à Attancourt ; à Baudonvilliers, l'école est vide. En 1731, à Rupt, les parents sont semoncés pour leur négligence à envoyer leurs enfants à l'école.

Où se forment les maîtres ? — C'est le père qui, le plus souvent, transmet sa science avec sa charge à son fils. Quelques instituteurs cependant, un tiers environ en 1704, détiennent une autorisation d'enseigner qui leur a été délivrée par l'archevêque de Paris, ce qui donne à croire qu'ils avaient passé par une sorte d'institution normale dépendant de l'archevêque de Paris.

En 1789, la communauté de Montigny-le-Roi envoie son maître passer 8 jours à Langres, pour s'y former à la méthode suivie dans les écoles de celle ville.

Au traitement fixé par marché s'ajoute fréquemment une redevance de quelques sols à payer par chaque élève ; mais, innombrables sont les récriminations des maîtres, qui se plaignent de ne rien loucher de ce chef. Quand ils renoncent à l'enseignement, l'école n'est pas nécessairement fermée : à Louvemont (1737), à Rupt (1731), à Vallerest et à Rouvroy (même époque), le curé tient l'école et enseigne gratis.

Surveillance de l'école. — Les communautés surveillent de très près leur école. A Trémilly, le seigneur fait défense aux habitants de payer les gages du maître d'école, qui ne donne pas satisfaction, car son écriture est illisible et ses élèves ne savent rien. Ailleurs, le maître incapable ou négligeant, est assigné en justice par la paroisse.

Souvent le bail porte l'approbation du curé et de l'évêque diocésain.

Il existait même, dans le diocèse de Langres, une institution spéciale, le Bureau diocésain, chargée de délivrer l'autorisation aux maîtres préalablement soumis à son examen. Pour éviter à des candidats peu fortunés les frais d'un voyage à Langres, nous voyons des doyens ruraux, délégués par le Bureau, pour délivrer, après examen, l'autorisation sollicitée.


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Dans le diocèse de Châlons également, des dignitaires ecclésiastiques étaient chargés de l'organisation de l'enseignement primaire ; en 1750, c'est le chanoine Lorain qui est directeur général des écoles du diocèse.

Les écoles étaient inspectées par les évêques de Langres et de Châlons, au cours de leurs tournées pastorales. Il nous reste un bon nombre de procès-verbaux de ces visites, portant la signature du vicaire général, délégué de l'évêque pour cette inspection. Un procès-verbal de 1726 nous apprend que l'école de Lanoue, à St-Dizier, compte 6 ou 7 maîtres ; l'évêque demande qu'on en choisisse 2 ou 3, les meilleurs, à l'exclusion des autres. En 1704, l'évêque constate la présence d'un maître « non approuvé par nous » à Bienville.

Le gouvernement central ne se désintéressait pas complètement de ces écoles, laissées à la charge des paroisses et du clergé. Il existe, datée du 16 mai 1667, une ordonnance royale adressée à l'évêque de Châlons, concernant la réglementation des écoles paroissiales.

Ecoles de filles. — A partir du milieu du XVIIIe siècle, on remarque une tendance très marquée chez les évêques de Châlons et de Langres, ainsi que de la part de l'administration centrale, à défendre aux maîtres de recevoir ensemble les enfants des deux sexes. Un arrêt du Conseil (16 mars 1669) ordonne à l'évêque de Châlons d'interdire l'enseignement simultané des garçons et des filles. En fait, les documents ne mentionnent qu'un nombre très restreint d'écoles de filles : à Joinville (couvent des Ursulines, depuis 1697, avec deux maîtresses) ; à Donjeux (1704, mauvaise maîtresse) ; à Saint-Dizier, à Saint-Urbain, à Thonnance-les-Joinville, à Wassy (1734).

Etablissements d'instruction secondaire. — Dès le milieu du XVIe siècle, Joinville possédait un collège dirigé par deux régents, avec 200 livres de revenu. En 1736, nous voyons la ville nommer un régent. L'évêque de Châlons leur donnait l'investiture. Il y avait également un collège à Wassy ; le régent recevait 100 livres de la ville. Chose curieuse, on mentionne, dès le commencement du XVIIIe siècle, un collège établi dans la petite paroisse de Ferrières pour l'enseignement du latin, et aussi du grec, s'il se présente des élèves désireux de l'apprendre.


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Et nos pères faisaient très grand cas de cette étude. En 1558, par exemple, les élèves du collège de Langres et les habitants de la ville faillirent provoquer une émeute parce que le bailli et l'évêque tardaient à remplacer leur professeur de grec, ligueur farouche, qui avait dû se réfugier à Chaumont.

M. Pierre Gautier termine par cet amusant épisode son instructive causerie. M. le Président l'en félicite et l'en remercie, aux applaudissements de l'assemblée ; puis, sur la proposition du Bureau, M. Gautier est élu, par acclamation, membre d'honneur de la Société à raison des services exceptionnels qu'il lui a déjà rendus et qu'il veut bien promettre de lui rendre encore. C'est ainsi qu'il accepte, séance tenante, d'examiner un manuscrit récemment soumis à la Société par M. Daguin sur l'armoriai de Joinville, Saint-Dizier et Wassy.

A l'ordre du jour de la prochaine séance est inscrit le renouvellement quadriennal et intégral du Bureau.

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière séance.

1° Hommages d'auteurs : a) La Maison d'Anneville, par M. Louis Bossu ; b) Catalogue du Musée de Chaumont, par M. le Dr Forgeot ;

2° Compte rendu des fêtes, en l'honneur du cinquantenaire du professeur Giovanni Capellini ;

3° Congrès des Sociétés savantes : a) 50e Congrès tenu à Paris le 5 avril 1912, discours de clôture de MM. Steeg et Lacroix ; b) 51e Congrès qui s'ouvrira à Grenoble le 13 mai 1913, circulaire officielle et programme ;

4° Comité des Travaux historiques et scientifiques, bulletin historique, 1911, nos 3 et 4 ;

5° et 6° Bulletin historique du diocèse de Lyon, septembre 1912, — et Bulletin de la Société académique d'Architecture, octobre 1912 ;

7° et 8° Les Marches de l'Est, 1912-1913, nos 12 et 13;

9° Répertoire d'Art et d'Archéologie, 1912, fasc. 12;

10° Mémoires de l'Académie de Stanislas, 1911-1912. L'éclipse du 17 avril 1912 ; — Lettres inédites de Voltaire ; — Le procès des baronnies, etc.).


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Séance du 12 Décembre 1912

PRÉSIDENCE DE M. EMILE HUMBLOT

Présents : MM. Aussenac, Chapron, Charmeteau, Dr Chaussinand, Chrétiennot, Daval, Paul Duchêne, Euvrard, Frionnet, Gandner, Henri Godard, Léon Guillaume, Houdard-Casalta, Em. Humblot, Jacob, Ed. Lang, Jos. Rolland, Roussel, Staedler. Le procès-verbal de la séance du 14 novembre est adopté sans observation.

M. le Président transmet les remerciements des membres nouveaux : MM. Paul Bastier, d'Arbois de Jubainville, PlaucheGillon, Durand, Guinchamp, et les excuses des membres absents : MM. le général de Torcy, Capitain-Gény, marquis des Réaulx, Simonnet, Joseph Houdard.

On procède au renouvellement quadriennal et intégral du Bureau. Les élections se font au bulletin uninominal secret et par appel nominal.

Sont élus au premier tour de scrutin et à l'unanimité : Président de la Société : M. EM. HUMBLOT ; 1er Vice-Président : M. V. CHARMETEAU ; 2e Vice-Président : M. le Dr CHAUSSINAND ; Secrétaire : M. O. JACOB ; Secrétaire-Adjoint : M. SIMONNET ; Trésorier : M. E. GANDNER ; Bibliothécaire : M. JOSEPH HOUDARD. M. Emile Humblot remercie en quelques mots l'assemblée qui vient ainsi de renouveler le mandat de son Bureau avec une unanimité si flatteuse pour lui.

On constitue la Commission de publication pour le volume XIV des Mémoires. Sont élus par acclamation et s'adjoindront aux deux membres de droit : MM. Léon Guillaume, E. Gandner et Adolphe Thiébault.

Sont élus membres associés : MM. Leonce Burgeat, commer19

commer19


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çant, à Saint-Dizier ; Tollitte, notaire, à Saint-Dizier ; Haussmann-Hugot, à Saint-Dizier, et Ternet, à Joinville.

Sont inscrits pour les élections prochaines, à titre de membres associés : MM. Cochois, greffier au Tribunal civil de Wassy, présenté par MM. Charmeteau et Ponsard ; M. Gaviard, publiciste, présenté par MM. Charmeteau et Jacob ; M. Guillemin, agent commercial aux aciéries de Micheville, présenté par MM. Lang et Charmeteau ; M. Féraud, directeur de la Cie GuëMenaucourt, présenté par MM. Charmeteau et Remy-Mallet ; M. Barson, ingénieur, à Saint-Dizier, présenté par MM. Charmeteau et Gandner ; M. Adam, à Leschères, présenté par MM. Emile Humblot et Gautier.

Est inscrit, à titre de membre correspondant, M. Girot André, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris, 79, rue de Rennes, présenté par MM. Charmeteau et Ponsard.

Est inscrit, à titre de membre titulaire, M. Burgeat-Bailly, présenté par MM. Emile Humblot et Charmeteau.

La parole est donnée à M. E. Gandner, trésorier de la Société, pour présenter le compte de l'année courante et le projet de budget 1913.

Rapport de M. Gandner. — « Avant de vous présenter, Messieurs, les comptes de l'année courante et le projet de budget pour 1913, permettez-nous de profiter de l'occasion que nous avons de nous faire entendre une fois par an pour vous narrer les impressions que vient de nous faire éprouver l'exercice de nos fonctions.

« Tout d'abord, nous vous dirons que la besogne de votre trésorier a été singulièrement accrue cette année par suite de l'influence de M. le Président et du zèle de M. Charmeteau, vice-président, qui se sont manifestés dans le recrutement de nouveaux adhérents de telle façon que le nombre des membres s'est trouvé augmenté de près de 40 dans l'espace de quelques mois.

« En rédigeant les reçus des cotisations de ces nouveaux collègues, nous avions, comme on dit, le sourire et, en percevant le montant des mandats, nous oubliions nos tribulations avec l'administration des Postes.


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« L'avoir de la Société s'augmentait rapidement, si bien que, le 13 novembre, la situation donnait un actif net de 2.615 francs, non compris 19 francs de rente 3 % représentant le versement des membres à vie.

« En face de ce résultat, nous éprouvions, en faisant notre caisse, l'agrément que l'on peut trouver à compter les écus de ses voisins ; cela fait toujours plaisir.

« Dans cette heureuse disposition d'esprit, nous oubliions que la Satisfaction a pour soeur naturelle la Déception. Hélas ! Celle-ci n'était pas loin. Elle nous arrivait, notre compte à peine terminé, sous forme d'une facture au timbre de notre maître-imprimeur, M. Brulliard ; elle s'élevait à la modique somme de 1.791 fr. 35 . .. Nous avions oublié de compter avec notre cher collègue ; cela soit dit sans esprit de critique, mais pour exposer nos impressions personnelles. Il nous fallut plusieurs jours pour nous remettre de celle-ci.

« Le 25 novembre, jour de la Ste-Catherine, nous allions trouver M. Charmeteau pour lui conter notre déconvenue. Nous accueillant avec son amabilité naturelle, notre vice-président nous écouta sans témoigner trop de surprise, peut-être même, nous sembla-t-il, avec une douce ironie. Et comme nous lui disions qu'il ne nous resterait plus que 800 francs et qu'il fallait remonter à l'exercice 1901 pour trouver une pareille situation financière, M. Charmeteau nous dit très gentiment : « — Mais, « mon cher Monsieur Gandner, ce n'est pas tout ! — Comment, « ce n'est pas tout ? — Mais non ; vous avez encore à payer « environ 400 francs pour les frais d'édition du compte rendu « de l'excursion de Blécourt. » C'était le comble ! Quatre ôtés de huit, il reste quatre. C'est clair, et le résultat était édifiant : il ne nous resterait plus que 400 francs.

« Nous nous demandions à quelle époque il faudrait remonter pour trouver pareille pauvreté. Cependant, nous avons eu la mauvaise satisfaction de n'avoir qu'une feuille de notre livret de caisse à tourner pour constater que le compte de 1900 ne se balançait que par un excédent de recettes de 218 francs.

« Poussé par la curiosité, nous avons suivi plus avant la courbe — sinuzoïdale, dirait un mathématicien, — de notre fonds de réserve, et nous avons constaté qu'à l'abcisse de 1908


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cette courbe s'était rapprochée de la ligne des X jusqu'à l'ordonnée de 1 fr. 19, c'est-à-dire qu'à cette époque la Société n'avait pas tout à fait 24 sous en caisse ! Et plus loin, à l'étape de 1880, était inscrit un déficit de 369 fr. 70 !

« Il est humain de trouver un adoucissement à ses peines dans celles des autres ; mais il faut aussi ne pas négliger de reconnaître le mérite d'autrui et, comme l'occasion s'en présente ici, celui qu'ont eu nos prédécesseurs à surmonter toutes les difficultés qu'ils ont rencontrées pour faire prospérer la Société. Qu'il nous soit permis d'adresser à leur mémoire le modeste, mais très sincère hommage de notre reconnaissance.

« L'impression du tome XIII, à 200 exemplaires, nous a été facturée 1.443 fr. 75, soit 7 fr. 20 l'un, et celle des 50 exemplaires aux auteurs 202 fr. 50, soit 4 fr. l'un. Il est à remarquer que la composition de ce volume est en caractères corps 9, alors que précédemment elle n'était qu'en caractères corps 10, et sur une justification moins large, ce qui représente, pour la nouvelle composition, une augmentation de texte d'environ 1/5, et une du prix d'impression de 8 fr. par feuille d'impression de 16 pages, tirée à 200 exemplaires. Le volume en question étant composé de 26 feuilles 1/4, l'augmentation du prix résultant de la composition est de 200 fr. Malgré cela, nous avons réservé le règlement de cette facture à l'approbation de la Commission de publication, à laquelle nous soumettrons tous les renseignements qui nous ont été donnés sur cette question.

« Nous espérons que nos collègues trouveront dans la lecture de ce volume une satisfaction qui les consolera de la dépense.

« Néanmoins nous nous permettons d'appeler l'attention de la Commission sur la nécessité que lui impose l'état de nos finances, de se mettre en garde contre le charme de son rapporteur et de n'user qu'avec circonspection de son « Bon à tirer ». Nous voudrions bien pouvoir dire à ce sujet quelque chose en latin, comme Messieurs du clergé clans leurs sermons, mais notre indigence en cette partie est extrême. Nous essayerons seulement, en priant la Commission de mettre en pratique, autant qu'elle le pourra, les deux axiomes : Multa paucis et Ne quid nimis.

« Nous avons dit que la brochure de l'excursion de Blécourt


— 293 —

avait coûté 400 fr. Le tirage a été de 200 exemplaires pour la Société. Nous trouvons ici l'heureuse occasion de rappeler le succès qu'a eu cette excursion et les remerciements vivement reconnaissants qui ont été exprimés à M. le Président, son promoteur et son organisateur avec M. Charmeteau.

« En en lisant le superbe compte rendu, magnifiquement illustré grâce au concours artistique de M. Emile Humblot et à celui de M. Charmeteau et de M. l'abbé Jacob, tous ceux qui ont eu la bonne fortune d'y participer revivront par le souvenir le charme de cette journée. Et chez les absents cette lecture éveillera certainement, avec des regrets, un vif désir de prendre part à nos excursions futures.

« Nous vous donnons, ci-après, le relevé des comptes pour l'exercice 1912 et le projet de budget pour l'année 1913. Vous remarquerez que nous n'avons prévu aucune dépense concernant le Musée : la municipalité ayant bien voulu nous retirer ce soin par sa mesure gracieuse à l'égard de la Société. »

L'assemblée accueille par des applaudissements ce spirituel rapport. Pour l'exercice 1912, le total des recettes monte à 3.493 fr. 36 ; celui des dépenses, à 781 fr. 90 ; de sorte qu'il reste en caisse à ce jour 2.711 fr. 46. Il faut ajouter 19 fr. de rente 3 % représentant le montant des versements des membres à vie.

Le projet de budget pour 1913 s'équilibre ainsi : Recettes, 1.400 francs, ce qui, joint au reliquat de 1912, forme un total de 4.111 fr. 46; dépenses prévues, 2.520 francs. Il restera 1.591 fr. 46 de disponible pour l'impression du volume XIV des Mémoires.

L'assemblée approuve ce projet de budget. Elle nomme commissaires des comptes, pour la vérification de l'exercice 1912, MM. Aussenac et Roussel, qui sont invités à déposer leurs conclusions à la prochaine séance.

Le rapport de M. Gandner sera soumis à la Commission de publication. Celle-ci sera également saisie d'une lettre de M. l'abbé Lorain présentant un certain nombre de desiderata relatifs à l'impression des Mémoires de la Société, et aussi du rapport de M. P. Gautier sur le manuscrit de M. Daguin.


- 294 —

Publications et ouvrages reçus depuis la dernière séance :

1° Notes entomologiques sur Lydus Algiricus L., Nemognatha Chrysomelina F., et Meloe Majalis L. Hommage de l'auteur, M. le Dr Cros, à Mascara ; la Société lui renouvelle ses remerciements et ses félicitations ;

2° Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de la Hte-Marne, 1912, fasc. 4. (Mycotoxicologie ; — Excursions ; — la Mante religieuse, etc.) ;

3° Mémoires de la Société Historique et Archéologique de Langres, tome IV, n° 2, 1912. (L'Abbaye royale de Belmont);

4° Société académique d'Architecture de Lyon, bulletin mensuel, nov. 1912 ;

5° Annales de la Société d'Agriculture de la Loire, 3e livraison, 1912;

6°-7° Les Marches de l'Est, 1912-1913, nos 14 et 15. (Le lieutenant Treca d'Escaudain ; — le général Fabvier, etc.) ;

8° Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de Semur-en-Auxois, tome XXXVII, 1910-1911. (Fouilles du Mont-Auxois en 1909, 1910, etc.).

FIN DES PROCÈS-VERBAUX


LISTE DES MEMBRES

composant la Société des Lettres, des Sciences,

des Arts, de l'Agriculture et de l'Industrie

de Saint-Dizier

au 20 Juillet 1913

BUREAU DE LA SOCIÉTÉ

Président . . . . . . . MM. E. HUMBLOT.

1er Vice-président .... V. CHARMETEAU.

2e Vice-président Dr CHAUSSINAND.

Secrétaire O. JACOB.

Secrétaire-adjoint .... SIMONNET.

Trésorier ....... E. GANDNER.

Conservateur du Musée ... G. ROUSSEL.

Bibliothécaire J. HOUDARD.

MEMBRES TITULAIRES

MM.

fondateur. CHARDIN, docteur en médecine, à Saint-Dizier.

DANELLE, sénateur, à Louvemont.

HOUDARD-CASALTA, Q, officier du Nichan-Iftikhar, agent

d'assurances, à Saint-Dizier.

ROZET Albin, député, grand-cordon de l'ordre impérial du

Medjidié, commandeur de l'ordre de St-Alexandre de Bulgarie, de l'ordre de Léopold et du Nichan-Iftikhar, à Saint-Dizier.

_ SERVAIS Prosper, curé vice-doyen, à Sommevoire.

_ SIMONNET, propriétaire, à Landricourt (Marne).


— 296 —

1883, 11 oct. MARCELLOT Jacques, maître de forges, à Eurville (membre

à vie).

1885. 12 nov. Le marquis DE PIMODAN, duc romain, à Echenay.

1886. 10 juin HUMBLOT Emile, I., conseiller d'arrondissement maire de Joinville.

1887. 21 juil. JACQUINOT Charles, commandeur du Nichan-Iftikhar et de l'Osmanié, docteur en droit, à Saint-Dizier, et 77, boulevard Saint-Michel, à Paris.

Le comte DE BAILLON (Edgard), à Eclaron.

1887, 13 déc. DAVAL Jules, I., ancien greffier du Tribunal de commerce, à Saint-Dizier (membre à vie).

1888, 8 nov. GUYARD René, président du Tribunal de commerce, à Saint-Dizier.

1892 18 fév. PIOT Juste, curé de Chancenay.

1894. 13 déc. EUVRARD Paul, curé de Humhécourt.

1895, 14 mars LANG Edouard, , président de la Chambre consultative des arts et manufactures de Joinville, directeur général des Forges de Champagne, à Saint-Dizier.

1895, 13 juin Le marquis DES RÉAULX, , conseiller général, à Eurville.

1900, 8 févr. CHARMETEAU Victor, , pharmacien, juge au Tribunal de

Commerce, à Saint-Dizier.

1901, 7 janv DE LAFOURNIÈRE Georges, docteur en droit, à Saint-Dizier.

1902, 13 fév. THOMAS, pharmacien, à Saint-Dizier.

1902, 10 juil. CHAUSSINAND H., docteur en médecine, directeur de l'Asile départemental, à Saint-Dizier.

1903, 12 juil. FRIONNET Charles, professeur au Collège, à Saint-Dizier

(médaille d'argent de la Société).

ROLLAND Joseph, vicaire à Gigny, Saint-Dizier.

THIÉBAULT Adolphe, avocat, à Saint-Dizier.

GANDNER E., chef de section aux Chemins de fer de l'Est, à Saint-Dizier.


— 297 — PESME, docteur en médecine, à Saint-Dizier.

1907, 21 nov. HUMBLOT Eugène, curé d'Orquevaux.

1909. 8 juil. Général DE TORCY, G. O. à Eclaron.

THÉVENIN Joseph, docteur en médecine, médaille de bronze de l'Assistance publique, à Ceffonds.

1910. 12 mai AUSSENAC, chef du Dépôt auxiliaire de la Cie de l'Est, 26,

rue Lalande, à Saint-Dizier.

CHRÉTIENNOT Clément, curé-doyen de Notre-Dame, à SaintDizier.

1910, 9 juin VUILLEY Léon, administrateur de la paroisse de Marnaval, Saint-Dizier.

1910. 8 déc GODARD Henri, professeur au Collège de Saint-Dizier.

DUCHÊNE Paul, maire de Doulevant-le-Château.

1910, 15 déc. ROUSSEL Gaston, conservateur du Musée, à Saint-Dizier.

1911. 11 janv. GUILLAUME Léon, chanoine, supérieur du Collège libre de Saint-Dizier.

1911. 8 juin BURGEAT-BAILLY, à Saint-Dizier.

1912. 8 févr. STAEDLER C, professeur au Collège de Saint-Dizier.

1912. 14 mars SENDER, ingénieur, avenue de la Gare, à Saint-Dizier.

MEMBRES D'HONNEUR

MM.

1880. 22 avril DAGUIN Arthur, I.. du Mérite agricole, du Nichan de Tunis, chevalier des O. coloniaux du Dragon d'Annam, royal du Cambodge, etc., juge de paix de Clichy, 84, rue du Château, Asnières (Seine).

1880, 10 juin FLAMMARION Camille, astronome, 16, rue Cassini, à Paris.

1882 11 mai CAPELLINI Giovanni, O. sénateur italien, doyen de la Faculté des sciences à l'Université de Bologne (Italie).


— 298 —

1882. 11 mai Le R. P. DELATTRE, I., supérieur de Saint-Louis, à Carthage (Tunisie).

1882. 9 nov. DE HÉDOUVILLE Louis, ancien magistrat, à Eclaron.

1882, 12 janv. MARÉCHAL Hubert, curé d'Osne-le-Val (Haute-Marne).

1897. 8 avril JACOB Octavien, professeur au Collège de Saint-Dizier.

1902, 15 mai CHAPRON Charles, cultivateur, à Saint-Dizier.

1909, 10 juin DAGONET Ernest, statuaire, 61, rue de Vaugirard, à Paris.

1912. 13 juin TILLET Jules, architecte en chef des monuments historiques, 76, rue de Miromesnil, à Paris.

1912 14 nov. GAUTIER Pierre, archiviste de la Hte-Marne, à Chaumont.

MEMBRES ASSOCIÉS

MM.

Membre fondateur. CHAMPENOIS Charles, propriétaire, à Chamouilley.

_ GODARD O., ancien maître-imprimeur, à Revigny

(Meuse).

_ VIRY Louis, ancien président du Tribunal de commerce, à

Saint-Dizier.

1881. 6 déc. ROZE Henri, ingénieur, à Haute-Fontaine (Marne).

1884, 14 janv. DANELLE Paul, à Louvemont (associé à vie).

1884. 13 mars GUILLAUME, directeur commercial aux forges de Bussy (Haute-Marne).

1889, 10 janv. VARIN-BERNIER, I., banquier, à Bar-le-Duc.

_ BRUYANT René, propriétaire, aux Bons-Hommes, près

Mathons (Haute-Marne).

_ MOREAU DE LA TOUR Gabriel, commandeur de l'ordre du

Christ de Portugal, archéologue, à La Cabane, par Saucourt (Haute-Marne).

_ LEURIDAN, docteur en médecine, à Saint-Dizier.

1908, 9 janv. COLSON Régis, professeur au Collège de Langres.


— 299 — 1908, 12 mars MAITRIER Paul, curé de Prez-sous-Lafauche.

1908, 9 juillet BRULLIARD André, maître-imprimeur, à Saint-Dizier.

1908. 10 déc. Le baron DE L'HORME, à Bussières-les-Belmont.

1909, 10 juin HOUDARD Joseph, officier du Nichan-Iftikhar, agent d'assurances, à Saint-Dizier.

1909, 9 déc. CAPITAIN-GÉNY, O. conseiller général, maître de forges,

administrateur des Chemins de fer de l'Est, à Bussy (Haute-Marne).

— FERRY-CAPITAIN, maître de forges, à Rupt (Hte-Marne). 1911, 9 mars LORAIN Charles, I. aumônier du Lycée, à Chaumont. 1911, 13 juil. FORGEOT, docteur en médecine, à Chaumont.

1911, 12 oct. DRIOUT Adolphe, industriel, à Saint-Dizier.

— GEOFFRIN Albert, chevalier du Nichan-Anouar de Tadjoura,

à Humbécourt.

1911, 9 nov. Moussu Louis, curé-doyen, à Joinville.

_ HENRY Jean, docteur en médecine, à Joinville.

_ SIMON-GROSDIDIER, O. à St-Dizier.

1912, 11 janv. QUILLIARD, industriel, forges de Bayard (Haute-Marne).

_ LAVOYE Léon, propriétaire, à Montier-en-Der.

1912, 8 févr. CHATEL Pierre, à Bayard.

1912, 14 mars CAILLOTTELLE, ancien greffier, avenue de la Gare, à SaintDizier.

_ DE MONTCOURT, percepteur, à Saint-Dizier.

1912, 13 juin DAMOUR André, maître de forges, ingénieur civil des mines, à Bayard (Haute-Marne).

_ ROBERT Léon, président de l'Union commerciale et industrielle,

industrielle, Saint-Dizier.

_ MARCHAND Maurice, professeur au Collège de St-Dizier.

1912, 11 juil. Le prince-duc DE BAUFFREMONT, grand-croix des ordres des SSts-Maurice et Lazare d'Italie, d'Isabelle la Catholique, d'Espagne, etc., au château de Brienne (Aube).


— 300 —

1912, 11 juil. Le comte D'ALSACE, prince D'HÉNIN, sénateur, au château de Bourlémont (Vosges).

_ BOULLAND, ancien vétérinaire, rue François Ier, à St-Dizier.

_ COLLAS Ch., ancien industriel, rue Emile Giros, St-Dizier.

DUCHESNE, propriétaire, à Sommevoire. _ Le baron DE FRAVILLE, au château de Condes, par Chaumont.

MAÎTRET Eloi, curé de Rachecourt-sur-Marne.

_ REMY-MALLET, industriel, à Saint-Dizier.

_ MARANGÉ, professeur à l'Ecole primaire supérieure de

Joinville.

_ MAUCLÈRE, propriétaire, à Joinville.

_ PONSARD, propriétaire, à Wassy.

_ PRÉVOT-ROLLET, négociant, à Joinville.

_ RONOT Ern., industriel, à Saint-Dizier.

_ ROYER Maurice, architecte, à Bar-le-Duc.

_ ROYER, architecte, à Joinville.

_ THÉVIGNOT fils, industriel, à Saint-Dizier.

1912. 6 oct. HOURDILLAT, ancien receveur municipal, à Saint-Dizier.

_ ROBERT André, industriel, à Saint-Dizier.

1912, 14 nov. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, archiviste de la Meuse, à Barle-Duc.

_ BAILLY Paul, propriétaire, à Roches-sur-Rognon.

_ DURAND Paul, comptable, 6, rue Sancerre, à St-Dizier.

_ GRANCHER, curé de Ceffonds (Haute-Marne).

_ GUINCHANT, professeur, à Hoéricourt (Haute-Marne).

_ MATHIEU H., fils, docteur en médecine, à Wassy.

_ PERCHAT, négociant, à Sens.

_ DE ROUVRE, au Val-des-Ecoliers, par Chaumont.

1912. 12 déc. BURGEAT Léonce, distillateur, av. de la Gare, St-Dizier.


— 301 —

1912. 12 déc. HAUSMANN-HUGOT, rue Ernest Renan, à Saint-Dizier. _ TERNET Henri, industriel, à Joinville.

_ TOLLITTE Paul, notaire, à Saint-Dizier.

1913. 9 janv. ADAM, à Leschères, par Cirey-sur-Blaise.

_ BARSON, ingénieur, route de Bar, à Saint-Dizier.

_ COCHOIS, greffier au Tribunal civil de Wassy.

_ FÉRAUD, directeur de la Cie Gue-Menaucourt, avenue de la

République, à Saint-Dizier.

_ GAVIARD, publiciste, rue Emile Giros, à Saint-Dizier.

_ GUILLEMIN, agent commercial aux aciéries de Micheville-Marnaval,

Micheville-Marnaval, Saint-Dizier.

1913. 13 fév. BILLON, propriétaire, à Joinville.

— DIDEROT, propriétaire, à Montier-en-Der.

— GAIDE Joseph, agent d'assurances, à Saint-Dizier.

— GODARD Albert, greffier de la Justice de paix, à St-Dizier.

— GONTARD, bijoutier, juge au Trib. de Commerce, à St-Dizier.

— GRADLER, curé de Bouzancourt, par Cirey.

— HOSTALIER, industriel, à Saint-Dizier.

— LALLEMAND Ch., O. membre de l'Institut, inspecteur

général des mines, 58, boulevard Emile Augier, Paris.

1913. 13 mars CHAMAGNE, dessinateur, rue des Ecuyers, à Saint-Dizier.

_ CRABOUILLET, chirurgien-dentiste, rue Emile Giros, à

Saint-Dizier.

_ GIRARD, directeur de l'Union économique, à Saint-Dizier.

_ GROSRENAUT, ingénieur, directeur de l'Usine électrique de

Meuse et Marne, rue Michelet, à Saint-Dizier.

_ LARESCHE, dessinateur à la Cie de l'Est, rue du Marché, à

Saint-Dizier.

_ HURINOWICZ, juge au Tribunal de commerce, à Wassy.

_ PETIN, médecin-vétérinaire, av. de la République, St-Dizier.


— 302 —

1913,13 mars POITEL, négociant, quai du Fort-Carré, à Saint-Dizier.

_ VINCENT-VOSGIEN, propriétaire, rue François Ier, St-Dizier.

— LORRAIN, propriétaire, à Chevillon.

1913, 15 mai BAZIN, inspecteur à la Cie de l'Est, à Saint-Dizier.

— BAZIRE, ingénieur, directeur des forges d'Eurville.

_ COLLOMB, directeur de la Société Générale, à Saint-Dizier.

— CUNY, à Eurville.

— DOURY, notaire à Joinville.

GAIDE Henri, rue de Joinville, à Saint-Dizier.

— GILLET Camille, propriétaire, à Joinville.

— GIROS André, ingénieur, directeur des Usines de Marnaval.

Marnaval.

_ PARER, directeur de l'Usine à gaz, à Saint-Dizier.

— THOMAS, ingénieur, directeur de la fabrique de tubes, à

Saint-Dizier.

— TOTELIER fils, à Saint-Dizier.

1913. 17 juil. BOCHOT Gabriel, docteur en médecine, à Sommevoire.

_ CORNIOT L., O. chef d'escadron de cavalerie en retraite,

à Brienne-le-Château (Aube).

DAUTEL Henri, négociant, à Brienne-le-Château.

_ ROYER Charles, I. conservateur du Musée, à Langres.

_ DURAND, pharmacien, avenue de la République, St-Dizier.

— GEORGES Albert, industriel, rue du Président Carnot, à

Saint-Dizier.

— JOUBERT Maurice, négociant, rue de la Gare, à St-Dizier.

— MARTIN, pharmacien, à Wassy.

— AUPROUX, agent général de l'Abeille, à Saint-Dizier. _ BERNARDIN Alexandre, propriétaire, à Wassy.

_ Le capitaine BOURDENET, rue de Bar, à Saint-Dizier.


— 303 —

1913, 17 joli. CHAMPENOIS Emile, av. de la République, à St-Dizier.

_ COROT, rue Emile Giros, à Saint-Dizier.

_ DAUGÉ André, négociant, rue des Ecuyers, à Saint-Dizier.

_ DUPUIS, industriel, à Montier-en-Der.

_ FERRAND, propriétaire, à Eclaron, et 63, av. de la GrandeArmée,

GrandeArmée, Paris.

_ HUMBERT, photographe, avenue de la Gare, à Saint-Dizier.

_ LAURENT, industriel, avenue de la République, St-Dizier.

_ MARLIN, négociant, avenue de la République, à St-Dizier.

_ Le capitaine NIEGER, O. à Eclaron.

_ L'abbé NIVARD, curé de Droyes, par Montier-en-Der.

_ L'abbé PLATTE, curé-doyen de Montier-en-Der.

_ RATINET Louis, entrepreneur, rue du Président Carnot, à

Saint-Dizier.

_ REMY F., négociant, rue Emile Giros, à Saint-Dizier.

_ RICHARD Léon, propriétaire, rue Lalande, à Saint-Dizier.

_ ROBERT, maire de Droyes, par Montier-en-Der.

VAILLANT, juge de paix, à Saint-Dizier.

_ VIRY Bernard, conseiller général, à Allichamps, par Louvemont

Louvemont

MEMBRES CORRESPONDANTS

MM.

fondateur. COMBES Emile, curé-doyen de Chevillon.

1880, 12 juil. JOPPÉ Ed., président de Chambre à la Cour d'appel de Douai, 44, r. de l'Abbaye-des-Prés, Douai (membre à vie).

1884, 8 juillet MALLET, I., avoué honoraire, maire de Pontoise, 11, rue Saint-Jean (Seine-et-Oise).

1887, 21 juil. HOUDARD Léon, à Epernay (Marne).

_ BARÉ Gabriel, avocat, 9, place du Peuple, à Dijon.


- 304 —

THIÉBLEMONT Ferdinand, chanoine honoraire, supérieur de l'Institution Saint-Joseph de Maranville (Hte-Marne).

1900, 11 mars CROS Auguste, docteur en médecine, rue Mogador, à Mascara (Algérie) (Médaille d'argent de la Société).

1910. 12 mai Le général JOPPÉ, O. commandant la 20e division d'infanterie, à Saint-Servan (Ille-el-Vilaine).

1910. 15 déc BOSSU Louis, I. O. grand officier du NichanIftikhar, procureur de la République, 8, rue d'Anjou, à Reims.

1911. 9 nov CHOMPRET, docteur en médecine, président de la Société de Stomatologie de Paris, 182, rue de Rivoli, à Paris.

1912. 9 déc COLLIN Georges, capitaine à l'état-major particulier du génie, licencié en droit, 8, rue Alain Blanchard, à Rouen (Seine-Inférieure).

1912, 14 nov PLAUCHE-GILLON JOS., docteur en droit, avocat, 8, place Carrière, à Nancy.

_ GÉRARDIN, capitaine-trésorier au 29e régt d'infie, à Autun.

BASTIER Paul, I., docteur ès-lettres, professeur à l'Université de Posen, 13, boul. Montparnasse, Paris.

1913. 9 janv. GIROT André, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris, 79, rue de Rennes.

1913. 8 mai BRUNET Victor, 40, avenue de la Mothe-Picquet, à Paris.

_ THOMAS Narcisse, avoué de 1re instance, 6, rue des Lavandières-Ste-Opportune,

Lavandières-Ste-Opportune, Paris.

1913 17 juil. BABELON E., membre de l'Institut, professeur au Collège de France, 30, rue de Verneuil, à Paris.

_ Le duc DE TRÉVISE, 128, faubourg Sainl-Honoré, à Paris.

N.-B. — MM. les Membres de la Société sont instamment priés de vouloir bien faire connaître au Président ou au Secrétaire les modifications survenues ou à survenir dans les adresses, qualités ou distinctions honorifiques mentionnées ci-dessus.


SOCIÉTÉS

avec lesquelles la Société de Saint-Dizier échange ses publications

Aix. — Académie des Sciences, Agriculture, Arts et BellesLettres.

Amiens. — Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts.

Autun. — Société Eduenne.

Bar-le-Duc. — Société des Lettres, Sciences et Arts.

Belfort. — Société Belfortaine d'Emulation.

Besançon. .— Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres.

Chambéry. — Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie.

Châlons-sur-Marne. — Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne.

Charleville (au Vieux-Moulin). — Société d'Histoire naturelle.

Chartres. — Société archéologique d'Eure-et-Loir.

Chaumont. — Société d'Histoire, Archéologie et Beaux-Arts.

Chaumont. — Société d'Histoire naturelle et de Palethnologie de la Haute-Marne.

Dijon. — Académie.

Epinal. — Société d'Emulation des Vosges.

Evreux. — Société libre d'Agriculture, Sciences, Arts et BellesLettres de l'Eure.

Langres. — Société Historique et Archéologique.

20


— 306 —

Lyon. — Société académique d'Architecture.

Mâcon. — Société d'Histoire naturelle.

Marseille. — Académie des Sciences, Lettres et Arts.

Nantes. — Société archéologique.

Niort. — Société de Vulgarisation des Sciences naturelles.

Poitiers. — Société des Antiquaires de l'Ouest.

Reims. — Académie nationale.

Saint-Dié. — Société philomatique vosgienne.

Saint-Etienne. — Société d'Agriculture, Industrie, Sciences, Arts et Belles-Lettres de la Loire.

Saint-Malo. — Société Historique et Archéologique.

Semur-en-Auxois. — Société des Sciences historiques et naturelles.

Sens. — Société archéologique.

Troyes. — Société académique d'Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres de l'Aube.

Vesoul. — Société d'Agriculture, Sciences et Lettres.

Vitry-le-François. — Société des Sciences et Arts.

Société des Sciences naturelles et d'Archéologie de l'Ain.


DÉPOTS PUBLICS

recevant les Mémoires de la Société

Ministère de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts (5 exemplaires).

Saint-Dizier. — Mairie (Dépôt légal, 2 exemplaires). Bibliothèque de la Ville. Bibliothèque de l'Ecole libre de l'ImmaculéeConception.

l'ImmaculéeConception. de l'Ecole du Centre.

Chaumont. . — Bibliothèque Barotte.

Archives départementales.

Langres. . . — Ecole supérieure de Théologie.

Wassy ... — Bibliothèque d'Instruction populaire.

Paris .... — Bibliothèque de la Sorbonne.



PUBLICATIONS PÉRIODIQUES

reçues par la Société contre l'échange de ses propres publications

Bulletin général des Sociétés Académiques de France, 2, rue Vivienne, Paris.

Bulletin Historique du Diocèse de Lyon, 11, place de Fourvières, à Lyon.

Les Marches de l'Est, 84, rue de Vaugirard, Paris (VIe).

Polybiblion, 5, rue Saint-Simon, Paris.

Conseil général de la Haute-Marne, à Chaumont.

Répertoire d'Art et d'Archéologie, 19, rue Spontini, Paris.



TABLE GENERALE

Pages

RAPPORT SUR LES TRAVAUX A INSÉRER, par

M. Adolphe Thiébault XI

HISTOIRE DE JEAN-NICOLAS LALOY, par M. l'abbé

Lorain XXI

PROCÈS-VERBAUX DE LA SOCIÉTÉ, du 11 janvier

au 12 décembre 1912 255

LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ ... 295

LISTE DES SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES . . 305

PUBLICATIONS PÉRIODIQUES reçues par la Société. 307

DÉPÔTS PUBLICS recevant les mémoires de la Société. 309

ANDRÉ BRULLIARD Maitre - Imprimeur, Saint-Dizier.




AVIS

La Société décline toute responsabilité des opinions émises par les auteurs des articles insérés dans ses Mémoires.

Les membres de la Société qui changent de domicile sont priés d'en informer le Secrétaire et d'indiquer leur adresse exactement.

Les Sociétés savantes qui reçoivent les Mémoires de la Société des Lettres de Saint-Dizier sont priées d'envoyer en échange les ouvrages qu'elles font imprimer.

Tout sociétaire qui ne recevrait pas régulièrement les procès-verbaux mensuels des séances ou les publications de la Société est prié d'en informer sans retard le Secrétaire ou le Bibliothécaire.

On peut se procurer tous les volumes des Mémoires de la Société au prix de 2 fr. l'un (2 fr. 50 par la poste), chez M. Joseph Houdard, bibliothécaire de la Société, rue François 1er, à Saint-Dizier.

Les membres qui n'ont pas encore envoyé leur photographie pour l'album de la Société sont priés de l'adresser au secrétaire, avec les indications suivantes : nom, prénoms, date et lieu de naissance, fonctions, grades, ouvrages publiés, etc., et leur signature au dos de la photographie.