BULLETIN
DE LA
Société des Sciences Historiques et Naturelles
DE L'YONNE
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BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DES SCIENCES
HISTORIQUES ET NATURELLES DE L'YONNE
Année 1922
76e Volume. — (6e DE-LA 5e SÉRIE)
AUXERRE SECRÉTARIAT DE LA SOCIÉTÉ
M DCCCCXXIII
BULLETIN
DE LA
SOCIETE DES SCIENCES
HISTORIQUES ET NATURELLES DE L'YONNE
Année 1922
I SCIENCES HISTORIQUES
HISTOIRE de BLENEAU
par M. DE VATHAIRE DE GUERCHY
I
Une notice sur l'histoire de Bléneau a déjà été publiée par M. Déy, dans l'Annuaire de l'Yonne pour 1848, et il lui a consacré un article dans l'Histoire de Saint-Fargeau. Mais, depuis cette époque, les recherches d'histoire locale ont pris un grand développement, les archives publiques et particulières ont été inventoriées en grande partie, et nombre de documents mis au jour. Nous pouvons donc essayer de compléter les travaux déjà, publiés, et de donner un tableau plus exact du passé de cette petite ville.
Bien que, dans le site de Bléneau, aucun trait particulier ne semblât le prédestiner à devenir une localité importante, sa position topographique indique bien qu'un centre d'habitations devait s'y établir de bonne heure. Bléneau se trouve, en effet, sur le chemin direct de la vallée de l'Yonne à celle de la Loire, d'Auxerre à Gien, et il était naturel qu'une halte, et par suite un village, se créât au point de passage du Loing. Dans un autre sens,
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ce village constituait une étape entre Saint-Fargeau et Châtillonsur-Loing, étant placé à mi-chemin entre ces deux petites villes.
Néanmoins, cet établissement semble n'avoir eu lieu qu'à une date assez tardive. Les hommes de la préhistoire n'ont guère fait qu'y passer, sans laisser trace d'un séjour véritable. On n'a en effet trouvé, aux Bruneaux et dans les champs des environs, que quelques haches en silex taillé ou poli, vestiges de chasseurs plutôt que d'habitants (1).
Les Gaulois furent les premiers qui s'établirent à Bléneau, dont le nom doit remonter jusqu'à eux. On a beaucoup épilogué sur ce nom et son étymologie qui n'a pu encore être élucidée. Il est facile de dire qu'elle vient du celtique, ce qui n'avance guère la solution; toujours est-il que la forme la plus ancienne paraît être Blanogilum, et par contraction Blanoilum devenu plus tard Blanolium, par suite, probablement, d'une mauvaise prononciation.
Nous trouvons, en effet, Blanoilus, aux VIe et VIIe siècles (2), Blanolium en 1210 (3), Blanellum en 1147 (4), et Blenellum vers 1220 (5), d'où est venue la forme française Blenel en 1317, et par suite Bléneau.
Aucun vestige n'a été conservé de cette période, mais l'occupation de la Gaule par les Romains devait donner plus d'importance à Bléneau, en améliorant les voies de communication. Il y a quelques années, M. Beaujard a reconnu l'existence d'une voie romaine qui traversait cette localité en reliant Auxerre à Orléans (6). Se détachant de la voie d'Auxerre à Bourges, elle gagnait la vallée du Loing et la suivait par Saint-Sauveur, SaintFargeau, Saint-Privé, Bléneau et Rogny. Elle n'est plus visible aujourd'hui, qu'auprès de Saint-Privé et surtout de la ferme de la Mothe où elle est remplacée par un chemin abandonné qui longe la rivière. Le seul reste de l'époque gallo-romaine est un cimetière découvert par M. Déy, en 1832, sur le chemin des ChaumesBlanches, à 400 mètres environ de la ville. Il renfermait de nombreuses tombes en pierre calcaire, orientées au levant, sans inscription ni presque aucun mobilier funéraire. Il y avait donc
(1) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, 1877, p. 209.
(2) Statuts de saint Aunaire et de saint Tétrice.
(3) QUANTIN. Recueil de pièces du XIIIe siècle, p. 42.
(4) QUANTIN. Carlulaire de l'Yonne, I, p. 420.
(5) Recueil des Historiens de la France, XXIII, p. 661, 663, 664.
(6) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, 1904, p. LVIII.
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déjà, à Bléneau, une nombreuse population. La nature de ces tombes, provenant de Thury ou de Courson, prouve que les communications étaient encore assurées par la voie romaine.
Il nous faut franchir plusieurs siècles, troublés par les invasions des Barbares, ponr trouver mention de Bléneau, devenu paroisse du diocèse d'Auxerre. En effet, un des plus anciens et des plus précieux documents de l'histoire de ce diocèse, les statuts donnés à son Eglise par saint Aunaire, évêque d'Auxerre de 572 à 603, mentionnent Blanoilus, entre Gien et d'autres paroisses de Puisaye de situation assez incertaine, mais qui peuvent se rapporter aux environs de Saint-Fargeau et de Saint-Sauveur. Dès cette époque, Bléneau était donc un centre assez important, car il est ainsi désigné : « Blanoilus cum appendiciis suis », c'est-à-dire avec ses dépendances, ce qui n'est pas dit pour toutes les paroisses. Un siècle plus tard, il paraît de même dans les statuts de saint Tétrice, évêque d'Auxerre de 691 à 706.
II
ÉPOQUE FÉODALE
Bléneau, qui avait fait partie du Pagus d'Auxerre, fut naturellement compris dans le diocèse, qui avait les mêmes limites. Bien que sur la frontière du comté du Gâtinais, il devait dépendre du comté d'Auxerre sous les Carolingiens et jusque vers l'an mil. A cette époque éclata la guerre dite de la succession de Bourgogne qui devait amener un remaniement complet de tout le pays, et dont la conclusion marque dans nos contrées l'organisation définitive de la Féodalité, en 1015. L'ancien comté d'Auxerre fut très réduit, surtout sur là rive gauche de l'Yonne, et la Puisaye partagée en grands fiefs. Bléneau, qui devint une châtellenie, fut rattaché au comté du Gâtinais ou de Montargis, dont SaintFargeau fut un des principaux fiefs. Désormais, toutes les relations de la vallée du Loing seront de ce côté. C'est probablement de cette époque que date l'enceinte fortifiée qui entourait Bléneau, enceinte polygonale flanquée de huit ou dix tours, englobant le château et l'église, et percée de trois portes dont M. Déy a donné le plan dans son Histoire de Saint-Fargeau.
Quels furent les premiers seigneurs de Bléneau? Aucun document ne nous l'apprend. Selon la coutume du temps, ils devaient porter le nom de leur seigneurie. Nous en trouverons bien, au XIIIe siècle, qui s'appelaient « de Blenello », mais ils semblent
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n'avoir été que de petits seigneurs ne possédant que des fiefs, secondaires et non la châtellehie. Peut-être étaient-ils des cadets de famille, la branche aînée étant dès lors éteinte.
Nous devons, en effet, nous résigner à n'avoir aucun renseignement sur ce sujet pendant les XIe et XIIe siècles. Il est même probablequ'à la fin de ce dernier siècle, et pour une raison quelconque, la châtellenie de Bléneau n'avait plus de titulaire spécial, car en 1210, c'était le seigneur de Saint-Fargeau qui la possédait. Celui-ci, qui était alors Hier, baron de Toucy, l'avait donnée en fief à Robert de Courtenay, seigneur de Champignelles, qui l'avait luimême inféodé au comte de Sancerre. Il en résultait une superposition de vassalités qui nous étonne, mais paraissait naturelle aux hommes des temps féodaux, et d'ailleurs est formellement constatée par une charte du roi Philippe-Auguste de mai 1210 (1).
Maison de Sancerre
Le comte de Sancerre était Guillaume Ier qui avait épousé en secondes noces Eustachie de Courtenay, soeur de Pierre, comte d'Auxerre, et de Robert de Courtenay. Il était donc attiré vers la Puisaye par cette alliance et surtout par sa parenté avec le comte de Champagne. De son grand-père Thibaut-le-Grand, il avait Hérité des seigneuries de Saint-Brisson, en Berry, et de la FertéLoupière, près de Joigny. Selon une habitude dont nous avons trouvé des exemples chez d'autres grands seigneurs du moyen âge, il avait dû chercher à acquérir des domaines pouvant lui servir d'étapes entre ses diverses possessions. C'est ainsi qu'il s'était fait inféoder par son beau-père Robert de Courtenay la seigneurie de Bléneau et celle de Malicorne, près de Charny.
Guillaume de Sancerre, qui avait accompagné en Orient son beau-frère Pierre de Courtenay, nommé empereur de Constantin nople, mourut en 1219 dans la prison où tous deux avaient été traîtreusement jetés par Théodore Commène, empereur de Théssalonique.
Dans un compte rendu au roi par le bailli de Sens, Etienne d'Auvilliers, probablement vers 1217 (2), on trouve une liste des vassaux du comté de Montargis ou dû Gâtinais qui appartenait au roi. Robert de Courtenay y figure parmi les vassaux relevant
1) QUANTIN. Recueil de pièces de XIIIe siècle, p. 42. (2) Recueil des Historiens de France, XXIII, p. 661, 663, 663.
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de Saint-Fargeau pour Bléneau et Malicorne. Il n'y est pas question du comte de Sancerre, qui n'était pas un vassal direct.
On y mentionne aussi un chevalier nommé. Guillaume de Bléneau, « Willelmus de Blenello », comme possédant un fief appelé Mici, et situé entre Bléneau et Villeneuve-les-Genêts. C'était peutêtre un de ces cadets de famille dont nous avons parlé plus haut.
Le comte Guillaume de Sancerre n'avait eu d'enfants que de son premier mariage avec Marie de Charenton : Louis, qui lui succéda comme comte de Sancerre, et Etienne, sire de SaintBrisson.
Louis, qui mourut en 1268, avait épousé Jeanne ou Mahaut de Courtenay (1), fille de Robert de Courtenay, premier seigneur de Champignelles, que nous avons déjà vu comme seigneur de Bléneau. Ils eurent deux fils et une fille, disent les généalogistes. Nous pensons qu'ils durent avoir une autre fille qui aurait épouséun baron de Saint-Verain et lui aurait apporté la seigneurie de Bléneau. Ce qui rend probable pour nous cette hypothèse c'est que Philippe de Saint-Verain, le premier seigneur de Bléneau connu, était aussi seigneur de Malicorne, qui avait appartenu à Robert de Courtenay. Il serait donc naturel que la fille de celui-ci l'ait transmis à son fils. On a si peu de renseignements sur les comtes de Sancerre que nous sommes obligés de nous en tenir à cette hypothèse, rendue d'ailleurs vraisemblable par les nombreuses alliances qu'eurent ces deux maisons.
III
COUTUME DE LORRIS
Avant de continuer la suite des seigneurs de Bléneau, nous devons nous arrêter sur un sujet très important : la condition des habitants aux XIIe et XIIIe siècles, d'autant plus que leur condition était partagée par les populations de presque toute la Puisaye à la même époque.
La Puisaye, qu'on a souvent considérée comme un type de pays, arriéré, perdu dans ses bois et les boues de ses mauvais chemins, était au contraire, au moyen âge, une contrée favorisée par rapport à plusieurs de celles qui l'entouraient, bien qu'elles fussent plus riches et mieux cultivées. Le servage et la mainmorte en.
(1) DE MAS-LATRIE. Trésor de chronologie, p. 1649.
10 HISTOIRE DE BLÉNEAU 6
avaient en effet disparu dès la seconde moitié du XIIe siècle, tandis que non seulement en Nivernais, mais dans l'Auxerrois et la vallée d'Aillant, ils ont persisté, en bien des endroits, jusqu'au XIVe et même au XVe siècles. On a recueilli depuis longtemps les actes d'affranchissement et ceux qui se rapportent à la mainmorte; malgré nos recherches et les nombreux documents originaux que nous avons compulsés, nous n'en connaissons pas sur ce sujet qui concernent toute la partie nord-ouest de la Puisaye, celle qui fut régie plus tard par la coutume de Lorris-Montargis.
C'est en effet à la première coutume, ou plutôt à la charte de franchise de Lorris, comme l'a définie M. Prou (1), et à sa rapide extension, qu'il faut attribuer cette amélioration précoce dans la condition de nos ancêtres. On sait que cette charte, accordée en 1155 par le roi Louis VI le Gros aux habitants de Lorris en Gâtinais, consacrait leurs droits à la liberté personnelle, à la faculté de posséder sûrement et de transmettre leurs héritages, et enfin à une bonne administration de la justice. Bien qu'elle ne leur conférât pas de droits politiques, qu'elle ne fût pas une charte de commune, elle leur apportait ainsi un ensemble de privilèges qui étaient encore fort rares au milieu du XIIe siècle. Aussi se répanditelle, rapidement dans le domaine royal et particulièrement dans le Gâtinais, les rois, et par suite les seigneurs leurs voisins, y ayant trouvé un puissant moyen d'accroître la population et par conséquent la valeur de leurs domaines.
Comme le dit M. Prou (2), « les deux grandes maisons de Courtenay et de Sancerre, si élroitement unies par des liens nombreux de parenté et par le voisinage de leurs domaines, employèrent leurs efforts communs à répandre sur leurs terres les franchises de Lorris. Sancerre en obtint l'octroi, probablement en 1199, du comte Etienne Ier, qui l'avait déjà accordée à Saint-Brisson et à la Ferté-Loupière.
« La maison de Courtenay ne contribua pas moins à la diffusion de cette coutume. D'ailleurs, les terres que Pierre de France, fils de Louis le Gros, tenait de sa femme Elisabeth de Courtenay, comprises pour la plus grande partie dans le Gâtinais, confinaient au domaine royal. Il devait donc user des mêmes, procédés de gouvernement que son frère Louis VII La royauté avait amélioré la situation des classes agricoles dans la région centrale. Les villes
(1) PROU. Les coutumes de Lorris, p. 68. (2) PROU. Les coutumes de Lorris, p. 88, 96.
7 HISTOIRE DE BLÉNEAU 11
royales, dotées de franchises, n'auraient pas manqué d'absorber la populatipn des domaines de Pierre de Courtenay et de ses descendants, sans la précaution qu'ils eurent de retenir leurs hommes dans leur dépendance par l'octroi des mêmes franchises ».
Montargis fut la première Ville qui reçut de Pierre les coutumes
de Lorris en 1170. Pierre, son fils aîné, devenu comte d'Auxerre et de Nevers par son mariage, donna en 1188, à ses hommes
d'Auxerre, une charte inspire de celles-ci sur certains points. Robert, son frère, qui fut le chef de la maison de Courtenay, les
accorda à ses possessions du Berry.
En résumé, on voit que, dès le commencement du XIIIe siècle, les affranchissements connus sont très nombreux dans tout le
Gâtinais et la partie de la Puisaye qui y confine, et depuis cette époque on n'y trouva plus trace de mainmorte, ce qui prouve que,
grâce à d'autres affranchissements perdus aujourd'hui, elle avait dès lors disparu de cette contrée. Au contraire, en Auxerrois, les affranchissements ne commencent que dans les premières années du XIIIe siècle et y sont encore assez rares. Saint-Sauveur ne reçut le sien qu'en 1204. Ils ne deviennent fréquents que vers le milieu
de ce siècle, et se poursuivent jusqu'au XVe siècle. On trouvait encore des serfs à Toucy en 1326 (1), à Tannerre en 1328 (2), et à
Mézilles à la même époque, c'est-à-dire dans des endroits très rapprochés de l'aire de diffusion des coutumes de Lorris. Pour Bléneau, pas plus que pour Saint-Fargeau et les villages
avoisinants, nous ne trouvons trace d'affranchissement ni de mainmorte. Nous n'en conclurons pas que celle-ci n'y avait
jamais existé, ce qui serait une exception trop extraordinaire (3), mais qu'elle avait disparu à la fin du XIIe siècle, époque sur jaquelle nous avons très peu de documents, C'est donc au comte Guillaume de Sancerre qu'on pourrait faire honneur de cette disposition libérale, à moins qu'elle ne soit due à un de ses prédécesseurs inconnus.
Il ne paraît pas probable qu'on puisse l'attribuer aux SaintVerain, qui ne semblent pas avoir été aussi bien disposés à l'égard des affranchissements et n'ont accordé celui du chef-lieu de leur baronnie qu'en 1259.
(1) Archives nationales, J J 75, vol. 282.
(2) Bibliothèque nationale, pièces originales de Courtenay, p. 282.
(3) C'était pourtant l'impression de M. Déy (Histoire de Saint-Fargeau, p. 30), mais on ne possédait pas alors tous les documents qui combattent cette hypothèse.
12 HISTOIRE DE BLÉNEAU 8
On objectera peut-être qu'un ou même plusieurs actes peuvent avoir été perdus, mais par une heureuse coïncidence les archives de la maison de Courtenay, qui posséda Bléneau depuis 1328, ont été bien mieux conservées que celles de la plupart des grandes maisons féodales. Les pièces les plus anciennes et les plus importantes avaient été imprimées au XVIIe siècle, dans l'histoire de cette maison par du Bouchet, et leurs originaux, joints à beaucoup d'autres actes, remplissent 17 volumes au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale. Nous les avons tous dépouillés, et ils nous seront très utiles pour la suite de ce travail, mais dans aucun nous n'avons trouvé d'allusion à l'existence du servage dans la région qui nous intéresse.
Nous pouvons donc répéter que, grâce à l'influence bienfaisante de la coutume de Lorris, la mainmorte avait, dès le commencement du XIIIe siècle, disparu non seulement du Gâtinais, mais de la plus grande partie de la Puisaye, sauf le territoire des cantons. actuels de Saint-Amand et de Saint-Sauveur, et la majorité de celui de Toucy.
D'ailleurs, et nous tenons à le faire remarquer avant de terminer cette longue digression, ce territoire affranchi par la coutume de Lorris est le même qui fut soumis à la coutume de Lorris-Montargis. Il n'importe pas moins de les distinguer l'une de l'autre : la première, charte de franchise accordée par le roi ou les seigneurs à un grand nombre de localités, même dans d'autres provinces ; la seconde, rédigée à la fin du XVe siècle, mais en vigueur bien antérieurement, était un ensemble d'usages juridiques régisssant un territoire nettement défini. Grâce à l'influence de la première, le droit du Gâtinais, auquel celle-ci se référait pour les cas non prévus, se répandit sur les régions où un grand nombre de villages avaient reçu les privilèges de Lorris; de là lenom de coutume de Lorris (1). Il faut d'ailleurs ajouter qu'elle ne reconnaissait pas le servage, tandis que les coutumes voisines, telles que celles d'Auxerre ou du Nivernais, l'admettaient expressément.
(1) PROU, p. 70.
9 HISTOTRE DE BLÉNEAU 13
IV MAISON DE SAINT-VERAIN
Depuis l'origine de la Féodalité les barons de Saint-Verain comptaient parmi les plus puissants seigneurs de l'évêché d'Auxerre dont ils tenaient en fief leur châtellenie, aujourd'hui simple commune du canton de Saint-Amand, dans la Nièvre. Le premier seigneur de Bléneau de cette maison, Philippe, était un cadet de famille sur lequel nous avons peu de renseignements. Par du Bouchet (1), nous savons qu'il était seigneur de Bléneau en 1286 et le resta jusqu'à sa mort. Il possédait aussi la seigneurie de Malicorne (2). Il paraît avoir joui d'une assez grande autorité morale parmi ses contemporains et avoir été au si énergique que conciliateur, car si en 1308 il est cité comme un des arbitres entre Jean de Bar, seigneur de Puisaye, et Jean de CourtenayChampignelles, dans un différend au sujet de la châtellenie de Champignelles (3), en 1310 et 1312 il était un des deux commissaires envoyés par le roi pour réformer les excès qui se commettaient en Auvergne(4). Dans un acte de juillet 1314, il prend la qualité de chevalier de notre seigneur le roi de France, ce qui signifie que le roi l'avait retenu pour l'accompagner dans ses. chevauchées et expéditions. Il mourut entre 1314 et 1316, et avait épousé avant 1286 Jeanne, fille de Guillaume de Rigny-le-Ferron, qui lui apporta cette importante seigneurie située en Champagne. Elle lui donna trois fils et deux filles.
Jean, l'aîné, était seigneur de Bléneau en 1316 et 1355, d'après du Bouchet et les pièces originales se trouvant au cabinet des titres de la Bibliothèque nationale, mais cette seigneurie n'était pas complète, ainsi que nous le verrons plus loin en parlant de son neveu Jean de Courtenay.
Les actes qui nous restent de lui sont relatifs à des donations à l'abbaye de Roches en Nivernais, et surtout à la part qu'il prit aux guerres de son temps. En effet, il servait en 1339 en Picardie, pendant les premiers débuts de la guerre de Cent ans. Le 25 septembre de cette année il était à Compiègne, avec quatre écuyers
(1) Histoire de la maison de Courtenay, preuves, p. 109.
(2) Archives de l'Yonne, H 1502.
(3) Bibliothèque nationale, manuscrits de Clairambault, 787, p. 377.
(4) BOUTARIC. Actes du Parlement antérieurs à 1328, n° 4125.
14 HISTOIRE DE BLÉNEAU 10
en sa compagnie. Le 11 octobre, il était à Saint-Quentin, avec huit écuyers (1).
En 1317, if n'était qualifié que « noble damoiseau »; dans les deux actes de 1339, il est dit écuyer, mais au cours de l'année suivante il fut armé chevalier. C'est en cette qualité, en effet, qu'il donne quittance, le 21 septembre 1340, pour les gages de sa compagnie. Tous ces actes étaient scellés d'un sceau portant ses armes : d'argent au chef de gueules, chargé d'un lambel de cinq pendants. Le lambel était une brisure spéciale à la branche de Bléneau.
Jean de Saint-Verain mourut entre 1355 et 1360.
Il avait épousé en premières noces une fille d'Eustache III de Conflans, Avoué de Thérouanne, et en second mariage Alix La Bouteillère, ainsi nommée parce qu'elle appartenait à la' célèbre maison des Bouteillers de Senlis, qui mourut avant 1355. Comme il avait une grande dévotion envers l'abbaye de Roches, il y fit inhumer sa seconde femme et fit une fondation pour que sa tombe y fût également édifiée (2).
Jean n'eut d'enfant d'aucune de ses deux femmes.
Ses deux frères, Simon et Hugues, ne paraissent pas non plus avoir laissé de postérité.
Sa soeur aînée Jeanne, dame de Régny-le-Ferron, épousa Jean de Plancy.
C'est la seconde, Marguerite, qui porta Bléneau à Jean de Courtenay.
V
MAISON DE COURTENAY
Peu de grandes familles féodales ont eu des vicissitudes plus, étonnantes que celles de la maison de Courtenay qui, issue de la. race royale, après avoir fourni un empereur de Constantinople et divers personnages éminents, tomba, en moins de trois cents ans, au rang des gentilshommes campagnards, et finit presque obscurément au XVIIIe siècle, comme pour annoncer la fin de l'ancien régime qu'elle paraissait représenter. MM. Déy et Challe (3) ont déjà exposé en détails tous ces événements, sur lesquels nous ne reviendrons pas, nous bornant à ce qui concerne Bléneau.
(1) Bibliothèque nationale, Clairambault, titres scellés, vol. 109 et 111.
(2) Archives de la Nièvre, fonds de l'àbbayé de Roches.
(3) La Puisaye et le Gâtinais dans l'Yonne, bulletin de 1872.
11 HISTOIRE DE BLÉNEAU 15.
On sait que le roi Louis le Gros avait eu plusieurs fils, dont le roi Louis VII et Pierre, qui épousa l'héritière de l'importante châtellenie de Courtenay dont il prit, suivant l'usage, le nom et les armes : d'or à trois tourteaux de gueules.
Il eut pour fils Pierre, comte de Nevers et Auxerre et empereur de Constantinople, et Robert, seigneur de Champignelles, que nous, avons déjà vu. Le petit-fils de celui-ci, Jean, eut de Jeanne de Sancerre Jean qui épousa, vers 1328, Marguerite de Saint-Verain. Par son père, il était seigneur de Champignelles et, par sa mère, de Saint-Brisson. Il mourut le 14 décembre 1334. Sa veuve, qui vécut jusqu'en 1360, fit, le 26 septembre 1335, aveu et dénombrement au comte de Bar, seigneur de Saint-Fargeau, pour là châtellenie de Bléneau dont elle évalue le revenue à 200 livres parisis (1), Ils avaient deux fils, Jean et Pierre.
L'aîné, Jean, servit dans l'armée royale contre les Anglais, entre autres à la bataille de Poitiers, et fut un des vingt seigneurs, donnés en otages par le roi Jean au roi d'Angleterre pour sûreté du traité de Calais, en 1360. Il prit part également à la conquête de la Guyenne, avec du Guesclin, en 1371. Le 5 novembre 1350, Jean de Courtenay rendit aveu et dénombrement à la comtesse de Bar, dame de Saint-Fargeau, pour la châtellenie de Bléneau, comme l'avait déjà fait sa mère, mais cet acte présente une particularité curieuse. Nous avons vu que Jean de Saint-Verain, aîné de cette branche, prenait la qualité de seigneur de Bléneau dès. 1316, mais sa soeur Marguerite rend aveu de cette terre en 1335, au nom de ses enfants, et dans celui de 1350 Jean de Courtenay, son fils, dit : « J'avoue tenir de Madame la comtesse de Bar, pour cause de sa terre de Puisaie, ce que mon oncle Monsieur Jean de Saint-Verain, sire de Bléneau, tient de moi en fief, c'est à savoir le chastel de Bléneau et les arrières fiefs qui en sont tenus », c'està-dire toute la châtellenie.
A une époque comprise entre 1320 et 1335, Jean de Saint-Verain, qui avait d'autres domaines en Nivernais, avait donc; pour une cause que nous ignorons, abandonné la seigneurie de Bléneau à sa soeur, et plus tard le fils aîné de celle-ci, devenu majeur, avait sous-inféodé à son oncle cette même seigneurie. Le fait est bizarre, mais incontestable, et paraissait moins extraordinaire aux hommes du moyen âge. Il s'explique d'ailleurs pour Jean de Courtenay qui avait d'autres seigneuries au moins aussi importantes, et
(1) Du BOUCHET. Histoire de la maison de Courtenay, pr. p. 107.
16 HISTOIRE DE BLÉNEAU 12
prenait ordinairement le titre de seigneur de Saint Brisson. Pour adapter le cas à nos habitudes modernes, Jean de Saint-Verain était dans la situation d'un individu qui, ayant vendu sa propriété, la reprendait ensuite en location.
D'après cet aveu de 1350(1), la châtellenie de Bléneau se composait du château entouré de deux enceintes de fossés, entre lesquels se trouvaient les dépendances et les jardins; de la ville, entourée également de murs et de fossés; des halles, moulin, pressoir, et des droits seigneuriaux.
C'étaient les cens, lés corvées, les rentes dues par la ville tous les trois ans, et un droit nommé attelages, les tailles, les coutumes, terme générique qui s'appliquait à divers droits. Le domaine personnel du seigneur comprenait les bois, un étang, la rivière qui traversait le territoire, et la grange ou métairie de Breteau. Il avait droit de haute justice, et seize arrière-fiefs relevaient de la châtellenie. Le tout était estimé 300 livres de rentes.
En 1368, Jean de Courtenay avait épousé Marguerite de Thianges, d'une ancienne famille du Nivernais, mais il n'en eut pas d'enfant, et mourut en juin 1392, laissant ses domaines à son frère Pierre.
VI
GUERRE DE CENT ANS
Ce brave seigneur, qui avait combattu les Anglais dans plusieurs parties de la France, put cependant les voir envahir et ravager la Puisaye. A la suite de la bataille de Poitiers, en 1356, le centre de la France fut bientôt sillonné de toutes parts par des Compagnies d'aventuriers anglais ou bretons, faisant souvent la guerre pour leur propre compte, et qui occupèrent bientôt une partie de la Puisaye. Le plus fameux était l'Anglais Robert Knolles qui, en 1358, s'empara de Châtillon-sur-Loing, puis du château-fort de Malicorne, et put s'y maintenir assez longtemps et prendre Auxerre en 1359. L'armée du roi de France vint heureusement délivrer le pays et chasser ces aventuriers. Mais, peu après, le roi d'Angleterre Edouard III, revenant avec une armée considérable, parcourait la Champagne et une partie de la Bourgogne. Il revint au printemps 1360 par l'Avallonnais et la Puisaye, passant l'Yonne
(1) DU BOUCHET. Preuves, p. 110.
13 HISTOIRE DE BLÉNEAU 17
4 Coulanges et se dirigeant vers Paris par le Gâtinais. « Edouard mena son ost par le comté d'Aussoire, si ramchonna le pays, et en eut tant de finance que on ne le pourrait nombrer, puis s'en tira par devers Montargis », dit un chroniqueur (1). Il s'avança lui-même jusqu'en Douziais, peut-être pour éviter les bois de la Puisaye, qui ont toujours effrayé les envahisseurs, et à la fin de mars alla rejoindre le gros de son armée à Montargis. Il est donc difficile de croire que Bléneau ait pu échapper aux ravages des ennemis qui, s'ils n'ont pas pris la ville et le château, ont dû au moins parcourir son territoire.
Le danger était d'autant plus grand que la seigneurie de Puisaye, dont faisait partie Saint-Fargeau, avait été constituée en douaire à Yolande de Flandres, veuve du comte Henri de Bar, qui s'était remariée à Philippe d'Evreux, frère du trop célèbre Charles le Mauvais, roi de Navarre et allié des Anglais. Heureusement, le régent Charles avait pris les mesures nécessaires pour empêcher tout danger de ce côté.
Mais les alliés de la cause royale étaient parfois aussi dangereux que ses ennemis déclarés. Ainsi, Arnaud de Cervole, dit l'Archiprêtre, fameux chef de compagnies, qui guerroyait le plus souvent pour son propre compte, avait intrigué auprès de la comtesse de Nevers qui l'avait chargé de la défense du Nivernais, et s'était même fait nommer lieutenant du roi en cette province. Il abusa de ces fonctions à tel point qu'en décembre 1359 le roi fut contraint de révoquer ses pouvoirs. Mécontent, l'archiprêtre s'empressa d'occuper diverses places au nord du Nivernais, telles que les châteaux de Cosne, Dammarie-en-Puisaye et Bléneau. Et, dit une sentence rendue par le roi « es païs dessus nommez avoit faict et perpétré plusieurs crimes et maléfices, et semblablement tenoit ledit messire Arnaut les fors de Dame-Marie et de Bléneau, tellement que lesdiz païs de Nivèrnois et de Douziais estoient forment grevez et domagiez, et qui pis esloit, yceuls fors tenoit, occupoit par force, violence et contre raison » (2). L'Archiprêtre prétendait ne les avoir occupés que comme gage de sommes importantes à lui dues pour la défense du Nivernais.
Sur ces entrefaites, à la suite des traités de Brétigny et de Calais, le roi Jean put rentrer en France et chercha de suite à rétablir l'ordre dans son royaume en le débarrassant des aventuriers qui le pillaient. En février 1361, il sanctionna un compromis intervenu
(1) Chronique de Jehan le Bel, II, p. 306.
(2) CHÉREST. L'Archiprêtre, p. 80, 385.
18 HISTOIRE DE BLÉNEAU 14
entre l'Archiprêtre et le comte de Nevers : Arnaud de Cervoles'engagea à évacuer tout le Nivernais et le Donziais, et à rendre les châteaux dont il s'était emparé à leurs propriétaires, sauf ceux de Dammarie et de Bléneau, qui seront remis au comte de Tancarville, représentant du roi, celui-ci manifestant l'intention de les transporter au comte de Nevers, « si comme pour certaines, causes le li avons accordé et promis ». En échange, le roi accordera des lettres de rémission à l'Archiprêtre et à ses gens, et lui donnera seize mille royaux ou florins d'or. En effet, par un accord du 18 juin 1361 (1), le comte de Tancarville reconnaît avoirreçu lesdits châteaux livrés par Cervole, et le comte de Nevers déclare qu'ils lui ont été remis.
Voici donc le château de Bléneau aux mains du comte de Nevers. Pour quelles raisons est-ce lui qui en devient possesseur et pour quelles raisons n'est-il pas rendu à son seigneur légitime, Jean de Courtenay? (Jean de Saint-Verain était mort avant 1360). Nous n'avons pu le découvrir. Peut-être Jean de Courtenay qui, comme nous l'avons vu, paraissait se désintéresser de Bléneau, l'avait-il engagé au comte de Nevers. Pourtant, ce qui semblerait prouver qu'il fit des réclamations et chercha à rentrer en possession de son bien, c'est que M. Chérest cite, d'après Baluze, un acte du roi Jean, daté du 3 juillet 1361, par lequel le roi déclare que si les seigneurs de Dammarie et de Bléneau veulent reprendre leurs châteaux, ils devront avant tout verser douze mille royaux d'or. Malheureusement, cette pièce est perdue aujourd'hui. Il va sans dire que tous ces changements et la domination de l'Archiprêtre avaient dû être très fâcheux et onéreux pour les habitants de Bléneau.
VII
MAISON DE COURTENAY-BLÉNEAU
Nous venons de dire que Jean de Courtenay paraissait se désintéresser de Bléneau. En effet, il résidait de préférence à SaintBrisson ou à Champignelles. Jusqu'en 1360, il avait inféodé Bléneau à son oncle Jean de Saint-Verain. Ensuite, ayant recouvré son château après les événements que nous venons de raconter, il paraît l'avoir abandonné à son frère Pierre qui prend le titre de seigneur de Bléneau et en exerce les fonctions dès.
(1) CHÉREST. L'Archiprêtre, p. 390.
15 HISTOIRE DE BLÉNEAU 19
1368 (1). Mais Jean aurait voulu que cette seigneurie relevât de son château de Champignelles, au lieu qu'elle avait toujours relevé de Saint-Fargeau. Aussi, par un accord passé le 18 septembre 1388 entre Robert, duc de Bar, seigneur de Saint-Fargeau, et les deux frères de Courtenay, et relaté par du Bouchet, il fut convenu que Pierre de Courtenay jouirait de Bléneau et resterait A'assal immédiat de son frère Jean durant la vie de celui-ci, qui serait lui-même vassal du duc de Bar, Bléneau devant, par la suite, rester toujours arrière fief de Saint-Fargeau.
En 1392, Pierre devint, par la mort de son frère, seigneur de Champignelles et Saint-Brisson, et chef de la maison de Courtenay. Il avait servi dans les guerres contre les Anglais et assistait, avec Charles VI, à la bataille de Rosebecque, en 1382. L'année suivante, il fit montre à Orléans d'une compagnie de neuf écuyers, presque tous originaires de Puisaye, pour accompagner le roi en Flandres. Le 8 juillet 1394, il rendit aveu au comte de Bar pour Bléneau, et énumère dans cette pièce les droits féodaux dépendants de la châtellenie, et les propriétés particulières du seigneur, consistant en prés dans la vallée de Bléneau, la rivière de Loing sur une lieue de longueur, une grange ou ferme de cent arpents, un étang de trente arpents, trois cents arpents de bois et diverses terres données à cens, enfin les arrières fiefs; le tout est estimé 123 livres tournois de rente.
Pierre de Courtenay mourut à Champignelles, le 22 mars 1395, après avoir fait un testament rapporté par du Bouchet, et où il règle ses obsèques et fait des legs aux églises de Bléneau et du voisinage.
De sa femme, Agnès de Melun, il avait eu plusieurs enfants dont le second, Jean II, eut en partage Bléneau, mais sut accroître par la suite ses domaines. A l'époque où il devenait seigneur de la terre que sa mère avait administrée jusque là, en 1415, la France était de nouveau en proie aux invasions et aux guerres civiles. C'est, en effet, l'année de la bataille d'Azincourt, à la suite de laquelle le roi d'Angleterre devint maître de la plus grande partie de la France du Nord.
Le pauvre roi Charles VI étant entièrement aux mains du duc de Bourgogne, le duc d'Orléans et le parti Armagnac levèrent des armées et la France se trouva divisée entre ces deux partis.
Jean de Courtenay, qui avait été longtemps sous la tutelle de
(1) Bibliothèque nationale, pièces originales, vol. 893, 894.
20 HISTOIRE DE BLÉNEAU 16
Blanchet Braque, conseiller du roi, seigneur de de Châtillon-surLoing et Saint-Maurice-sur-Aveyron, qui était attaché au parti Bourguignon, dut suivre les mêmes opinions. Ils étaient environnés par les Armagnacs qui occupaient Gien, Montargis et Château-Renard, domaines du duc d'Orléans, un des chefs de ce parti. D'un autre côté, Saint-Fargeau et Toucy appartenaient au duc de Bar, attaché également aux Armagnacs. Aussi, dès 1412, l'armée royale, commandée par le bailly d'Auxerre et le grand maître de l'artillerie, attaque Saint-Fargeau qui fut pris au mois d'avril, et, d'après la Chronique du Religieux de Saint-Denis (1), les garnisons des places appartenant à Blanchet Braque, et probablement celle de Bléneau, surent repousser les Armagnacs durant toute cette année et les empêcher de s'avancer du côté d'Auxerre.
En août 1412 eut lieu, à Auxerre, une réunion des chefs des deux partis qui se réconcilièrent, mais si notre pays y gagna quelques années de tranquillité, celle-ci ne fut pas de longue durée. A la suite de l'assassinat de Jean sans Peur à Montereau, en 1419, et de l'alliance du roi et du parti Bourguignon avec les Anglais, la guerre reprit avec plus d'acharnement que jamais. Le dauphin, retiré à Bourges, s'avança avec une armée sur la Loire, s'empara, en mai 1422, de Châtillon-sur-Loing,. Bléneau, SaintSauveur et Saint-Amand. Toute la Puisaye était donc en son pouvoir, le cardinal de Bar, seigneur de Saint-Fargeau et Toucy, ayant engagé ses domaines à Georges de la Trémouille, le conseiller le plus influent de ce prince. A cette nouvelle, le roi d'Angleterre réunit à Troyes une armée qui, ayant fait sa jonction avec celle de Bourgogne, marcha sur Cosne, assiégé par le dauphin. Celui-ci, ne se sentant pas en force, se retira en Berry, abandonnant ses conquêtes. Les Bourguignons les occupèrent malgré les incursions fréquentes des partisans du dauphin, et en 1423, à la suite de la bataille de Cravant, le maréchal de Chastellux vint s'emparer de Saint-Fargeau.
C'est au milieu de cette confusion des partis et de cette désolation de toute la France que parut le salut, personnifié par Jeanne d'Arc. On sait que, partant de Vaucouleurs pour Chinon, où se trouvait alors Charles VII, elle traversa la Champagne et parvint à Auxerre où elle entendit la messe le dimanche matin, 27 février 1429.
(1) Tome IV, p. 615, 619.
17 HISTOIRE DE BLÉNEAU 21
De là elle devait traverser la Puisaye pour aller passer la Loire à Gien, et ce trajet était moins dangereux que celui qu'elle avait déjà parcouru, presque tout le pays étant dès lors aux mains des partisans de Charles VII Néanmoins, la rapidité et le secret étaient les conditions indispensables pour la réussite de ce voyage, ce qui explique le manque de données précises sur l'itinéraire suivi. La Pucelle et son escorte durent donc passer par Toucy et Mézilles, et coucher, ou au moins prendre du repos, soit à Mézilles, soit à Saint-Privé, le 27 au soir, ce qui partageait ainsi la distance entre Auxerre et Gien en deux étapes, assez longues dans un pays comme la Puisaye, surtout à cette époque. Le 28, elle continua sa route par Bléneau ou Champoulet ou Ouzouer, pour arriver à Gien où elle entrait dans le domaine royal.
Nous ne croyons pas que Jeanne d'Arc soit revenue à Bléneau dans le cours de ses campagnes; au moins s'en est-elle rapprochée en conduisant le roi se faire sacrer à Reims.
Après la levée du siège d'Orléans, Charles VII et Jeanne se dirigèrent vers Gien où ils étaient le 24 juin; Jeanne, toujous pressée d'accomplir sa mission, repartit la première le 27. Le roi la suivait le 29, avec une armée d'environ douze mille hommes, prenant d'abord la direction de Montargis, pour éviter la garnison bourguignonne de Châtillon-sur-Loing, mais ensuite il marcha vers l'est et enfin sur Auxerre.
Dans le désordre de cette époque si troublée, il est difficile de dire si Bléneau était à ce moment au pouvoir des ennemis du roi ou de ses partisans, et quand ceux-ci purent y rentrer. Faute de documents précis, nous ne pouvons indiquer le rôle joué par Jean de Courtenay-Bléneau dans les guerres de son temps; du Bouchet lui-même, le panégyriste attitré de cette famille, ne trouve rien à dire sur ses services militaires. Il parait avoir été beaucoup plus préoccupé de l'accroissement de sa fortune et de la réunion de nouveaux domaines à sa seigneurie principale. C'est ce qu'il fit en acquérant successivement celles de Tannerre, Villars, la FertéLoupière, Chevillon, et surtout en 1451 il exerça son droit de retrait lignager pour reprendre la terre de Champignelles que son neveu avait vendue à Jacques Coeur.
Il avait épousé, en 1424, Catherine de l'Hôpital, à laquelle il survécut, n'étant mort qu'en 1460. Par son testament il avait ordonné qu'on fît peindre dans le choeur de l'église de Bléneau son effigie où il serait représenté armé de toutes pièces, sur son cheval de guerre, dont le caparaçon serait orné de trois écussons aux armes de Courtenay parties de celles de Melun, de Saint-
22 HISTOIRE DE BLÉNEAU 18
Verain et de Sancerre, armes de sa mère, de son aïeule et de sa bisaïeule. Cette peinture, restaurée en 1511 par son petit-fils, existe encore et a d'ailleurs été gravée dans l'ouvrage de du Bouchet (1).
De Catherine de l'Hôpital Jean II de Courtenay avait eu quatre fils et trois filles. Son second fils, Pierre, fonda la branche de la Ferté-Loupière et Chevillon que nous verrons plus tard succéder à celle de Bléneau.
L'aîné, Jean III, avait épousé, en 1457, Marguerite de Boucard, d'une famille du Berry, qui lui apporta en dot les seigneuries du Coudray, de Blandy et de Fontaine-l'Hermite, qui vinrent accroître la terre de Bléneau, à lui attribuée avec Champignelles, comme au chef de la maison.
Il mourut assez jeune, en 1480, n'ayant rien accompli de remarquable, mais ayant pu, grâce à la paix enfin rétablie dans le royaume, développer la prospérité de ses terres.
Nous avons retrouvé parmi les manuscrits de la Bibliothèque Nationale (2) un curieux sceau de la châtellenie de Bléneau à cette époque, appendu à un acte de 1462. Il représente un homme d'armes debout, armé de toutes pièces à la mode du XVe siècle, les pieds posés sur un lion couché, et tenant un écusson dans chaquemain; celui de droite est aux armes de Courtenay et celui de gauche porte les armes de Saint-Verain.
Les seigneuries de Bléneau, Champignelles et Villars passèrent donc à Jean IV de Courtenay, fils du précédent. Il servait dans l'armée royale en 1484, pendant la révolte du duc d'Orléans. En 1493, il obtint la fondation, à Bléneau, de quatre foires par an, celles qui existent encore les 25 janvier, 6 mai, 31 juillet et 18 octobre (3).
En général les banalités, monopoles établis au profit du seigueur, étaient de création très ancienne et les communautés d'habitants cherchaient à les racheter si le seigneur avait besoin d'argent. Au contraire, par un acte du 23 février 1497, conclu entre Jean de Courtenay et les habitants de Bléneau, ceux-ci reconnurent la banalité du moulin de la ville, appartenant au seigneur, qui leur céda le droit de pêche dans la rivière et divers usages.
Jean de Courtenay épousa d'abord Catherine de Boulainvil(1)
Boulainvil(1) a encore été restaurée récemment.
(2) Cabinet des Titres. Pièces originales de Courtenay, p. 539.
(3) Cabinet des Titres. Pièces originales de Courtenay- n° 3392.
19 HISTOIRE DE BLÉNEAU 23
liers, qui mourut sans postérité, et ensuite, en 1495, Madeleine de Bar, d'une ancienne famille du Berry. En 1510 il fit son testament dans lequel il fait de nombreuses recommandations et fondations pour ses funérailles, et déclare qu'il veut être enterré en l'église de Bléneau, devant le crucifix, à l'entrée du choeur, et on y fit placer un bénitier en fer. Il ordonne aussi de faire réparer l'effigie de son grand-père peinte dans cette église, comme nous l'avons vu plus haut, et de faire peindre au-dessus ses armes et celles de ses deux femmes.
Il mourut le 7 janvier 1511, laissant de Madeleine de Bar cinq enfants dont l'aîné lui succéda.
François de Courtenay parut destiné à restaurer la fortune de son antique maison, bien déchue déjà depuis plusieurs générations, car, ainsi qu'on l'a souvent fait remarquer, quoiqu'issue en ligne directe et incontestée de la maison royale de France, elle était tombée dans les conditions des simples gentilshommes campagnards.
En effet, après avoir été élevé à la Cour, comme enfant d'honneur de Louis XII, il fit ses premières armes à 18 ans, à la bataille de Marignan. en 1515, et y fut armé chevalier. En 1527 il épousa Marguerite de la Barre, la plus riche héritière de son temps, fille de Jean de la Barre, comte d'Etampes, prévôt de Paris. Grâce à la fortune de sa femme, François de Courtenay put obtenir bientôt un poste important. Le 30 mai 1528, le roi François Ier le nommait bailly, capitaine et gouverneur d'Auxerre. Mais les lettres patentes portant que cette nomination était la récompense des sommes prêtées au roi pour ses affaires, le Parlement refusa de les enregistrer et décida même d'adresser des remontrances au roi « des inconvénients qui peuvent survenir par l'achat de tels offices ». Ces scrupules, qui honorent la conscience des magistrats et montrent leur indépendance, furent inutiles : le roi exprima sa volonté d'une manière formelle, et le Parlement admit le seigneur de Bléneau à prêter serment, mais en faisant inscrire sur ses registres que c'était « sur l'ordre du seigneur roi, réitéré « plusieurs fois, tant par lettres que par messagers ».
A cette époque de la Renaissance, où les vieux usages du Moyen-Age disparaissaient et où commençait une conception plus moderne de la vie sociale, on sentit le besoin de rédiger d'une façon définitive les anciennes coutumes judiciaires. François de Courtenay fut convoqué à la rédaction de la coutume de Montargis en 1531 ; ses fonctions de bailly d'Auxerre l'attirant vers cette ville il prétendait que, tout en suivant la coutume de
24 HISTOIRE DE BLÉNEAU 20
Montargis la châtellenie de Bléneau était du ressort du bailliaged'Auxerre. Mais les officiers du bailliage de Montargis maintinrent qu'elle était du ressort de ce bailliage dans lequel elle était enclavée de toutes parts, et en effet elle est restée jusqu'en 1789 du ressort de la coutume de Montargis. François le reconnut luimême en 1561, lors de la rédaction de la coutume d'Auxerre.
Ce seigneur, qui était devenu panetier de la reine Eléonore, femme de François Ier, paraît avoir été aussi en faveur sous Henri II qui le nomma gouverneur de ses enfants. En outre, il était, en 1557, seigneur usufruitier des terres de Mailly-le-Châ— teau, Mailly-la-Ville et Coulanges-sur-Yonne, qui appartenaient au roi (1).
C'est probablement lui qui, grâce à cette belle situation de fortune, aura fait reconstruire le vieux château de Bléneau, et sur le même plan d'un quadrilatère entouré de fossés pleins d'eau, alimentés par la rivière, avec une tour à chaque angle. Ce château a d'ailleurs presque entièrement disparu, ainsi que les fortifications de la ville (2), et est remplacé par une habitation moderne; une porte fortifiée subsiste seule.
François de Courtenay mourut vers 1565. De son premier mariage il n'avait eu que deux filles, mais il se remaria en 1547 à Hélène de Quinquet, fille de Guillaume de Quinquet, seigneur de la Vieille-Ferté, et d'Esmée de Courtenay, de la branche de la Ferté-Loupière. Elle lui donna ptusieurs enfants dont l'aîné, Gaspard, succéda à son père comme seigneur de Bléneau.
VIII
GUERRES DE RELIGION
La première moitié du XVIe siècle fut pour la France une ère depaix et de prospérité dont nous voyons encore aujourd'hui la preuve dans les nombreux et riches monuments de la Renaissance. Mais cette période fut interrompue par l'explosion des guerres de religion que signala, dans notre pays, la prise d'Auxerre par les Huguenots, en 1567. La guerre civile s'était généralisée depuis cette époque, « les gens de la nouvelle opinion »
(1) Collection de Chastellux, n° 1381. Bull. Soc. Se. de l'Yonne, 1904,
(2) Elles furent détruites en 1790. V. plus loin.
21 HISTOIRE DE BLÉNEAU 25.
comme on disait alors, ayant des partisans un peu partout ; cependant Bléneau paraît être resté tranquille pendant assez longtemps.
Cet heureux état était-il dû aux relations de bon voisinage et même de parenté existant entre les Courtenay de Bléneau et l'Amiral de Coligny, seigneur de Châtillon-sur-Loing, qui était la terreur de tous les catholiques des environs, ou à l'influence du duc de Montpensier, comte de Saint-Fargeau et suzerain de Bléneau, qui était respecté, même parmi les Huguenots? Toujours, est-il qu'on ne signale aucun acte de désordre dans cette région et que dans un état des églises du diocèse d'Auxerre abandonnées ou occupées par les Huguenots vers 1570 (1), celle de Bléneau ne figure pas, non plus que la plupart de celles des environs de Saint-Fargeau.
Les Courtenay de Bléneau paraissent être toujours restés catholiques, et leur exemple aura été suivi par la majorité des habitants de leur seigneurie.
Ce privilège ne devait pas durer : après la bataille d'Arnay-leDuc, 26 juin 1570, où Coligny avait battu l'armée royale commandée par le maréchal de Cossé, l'armée huguenote, commandée par l'Amiral et où se trouvaient le roi de Navarre et le prince de Condé, s'avança en Nivernais, et dans les premiers jours de juillet campait autour d'Entrains. De là les princes allèrent à Saint-Amand, puis à Neuvy, évitant Saint-Fargeau, et dirigeant leur avant-garde vers Châtillon-sur-Loing par Bléneau (2). Cependant des négociations se poursuivaient, qui devaient aboutir le mois suivant à la paix de Saint-Germain, et l'on convint en attendant d'un armistice pendant lequel l'armée des princes pourrait s'étendre jusque dans la vallée d'Aillant. En écrivant à ce sujet aux princes le maréchal de Cossé stipule que « ne seront empeschez les habitants des villes et plat pays de « recueillir et serrer leurs fruictz... et afin que l'armée desdits « princes ait commodité de vivre, d'aultant que le pays a esté « mangé à cause du passaige des armées », il promet que les villes leur fourniront des vivres (3). Heureusement la paix vint bientôt permettre aux armées de se retirer, et aux habitants des campagnes de réparer leurs pertes et de goûter encore un peu de tranquillité jusqu'à une nouvelle alerte.
(1) CHALLE. Guerre du Calvinisme, I. p. 405.
(2) CHALLE. Guerre du Calvinisme, p. 278. LEBEUF, Prise d'Auxerre, p. 195,
(3) Bibliothèque Nationale. Man. français, 15.552, p. 150.
26 HISTOIRE DE BLÉNEAU 22
Elle se présenta en 1576 : une armée de Huguenots, commandée par le prince de Condé et soutenue par des reîtres allemands que conduisait le duc Jean Casimir de Bavière, s'était avancée jusque dans le centre de la France et remontait vers Paris par la vallée de la Loire. Le 11 avril elle était à Dammarie et se dirigea de là sur Châtillon et Château-Renard,, mais paraît avoir laissé Bléneau de côté. Cette expédition fut terminée par la paix signée à Etigny, près de Sens, le 6 mai.
Gaspard de Courtenay avait donc succédé encore très jeune à son père, et ce fut peut-être sa jeunesse qui l'empêcha de prendre part aux guerres civiles de ce temps. Cependant il s'occupa de remettre sa fortune en bon état, et en 1573 il fit dresser le terrier de sa seigneurerie de Bléneau, dont une copie, malheureusement •incomplète, existe aux archives de l'Yonne (1).
Bléneau allait avoir à souffrir de calamités plus graves qu'il n'en avait subi depuis longtemps, et les suites s'en feront sentir pendant de longues années. Les Huguenots avaient déjà appelé plusieurs fois à leur aide leurs coreligionnaires, les réformés d'Allemagne. A la lin de l'été de 1587, une armée de 20.000 Suisses et Allemands, commandée par le baron de Dohna, à laquelle se joignirent des huguenots français avec le duc de Bouillon et d'autres qu'amenait du Languedoc François de Châtillon, fils de Coligny, entra en Champagne, se dirigeant sur la Loire. Ces troupes, composées en grandes parties de bandes de reîtres indisciplinés et pillards, passèrent par Tonnerre et franchirent l'Yonne à Mailly, mais depuis ce moment elles étaient suivies et pour ainsi dire flanquées par deux petites armées royales commandées par les ducs de Guise et de Mayenne, qui les forçaient de hâter leur marche. Néanmoins les reîtres trouvèrent le temps de prendre d'assaut la petite ville fortifiée de Perreuse, d'assiéger et de prendre Saint-Sauveur et de détruire le monastère de Moutiers. Ils se dirigèrent de là sur la Loire qu'ils espéraient passer à gué près de Bonny, mais le roi Henri III, à la tête d'une armée, en occupait les rives du côté du Berry, et avait fait obstruer les gués, paraissant décidé à une résistance très sérieuse.
L'armée des Huguenots fut donc forcée de descendre le long de la rive droite du fleuve, évitant la Puisaye dont les bois et les mauvais chemins ont toujours effrayé les armées d'invasions, et
(3) Voir appendice, p. 97.
23 HISTOIRE DE BLÉNEAU 27
les domaines du duc de Montpensier qui avait obtenu des sauvegardes pour eux.
Nous avons un récit détaillé de ce qui se passa alors à Bléneau dans l'Ephéméride de la Huguerie, secrétaire du baron de Dohna, chef de cette armée, qui en raconte la campagne au jour le jour (1) :
« Le vendredi 23 octobre, dit la Huguerie, nous partismes de
« Neuvy pour venir à Bléneau, qui nous avait esté baillé pour
« quartier, où nous arrivâmes de bonne heure, y ayant esté
« devant le sieur de Levenstein (2), auquel on avait refuzé la
« porte, pour quoy le baron de Dohna s'advança vers la porte
« pour scavoir ce que disoit le sieur de Bléneau (3) qui parla à « luy de dessus la muraille; et, quelques remontrances et pro«
pro« qu'il luy feit de garder sa maison, demeura néantmoins « opiniatrement résolu de garder son bourg, à ce poussé par « aucuns François, qui l'asseuroyent que nous en irions ailleurs « à l'entour, ce que nous ne pouvions seurement faire à cause de « M. de Guise qui estoit à deux lieues de nous, nous suivant de « logis en autre...
« Sur quoy ledit sieur baron fut contrainct, pour la réputation « de ses trouppes, de se résouldre à avoir la raison d'un tel refus, « comme on avait faict à Saint-Sauveur, estant bien marri d'estre « logé dans les bourgs fermés et forcé à ceste occasion de faire « ses logis à la baye ès environ de ladite ville, la faisant investir « par le régiment des lansquenets qui se logea dans les vignes, « dépeschant vers le sieur de Couvrelles pour faire venir l'artil«
l'artil« et vers M. de Bouillon...
« Le samedy 24 octobre nous séjournasmes dans les hameaux
« devant Bléneau. attendant l'artillerie. Les lansquenets avoyent
« déjà la nuit bruslé une porte. Le sieur de Bléneau et les habi«
habi« commencèrent à s'étonner, et ayant practiqué avec MM. de
« Bouillon et de Chastillon par le sieur de Mareuil Béthune pour
« nous faire contenter de quelques submissions affin de ne passer
« oultre, fut à cest effect envoyé vers nous le sieur de Beauvoir (4), « à quoy nous entendismes d'autant plus volontiers que ledit « sieur de Couvrelles escrivait ne nous pouvoir amener l'artillerie
(1) Ephéméride de Michel de la Huguerie, publiée par la Société de l'Histoire de France, p. 325 et suivantes. Voir aussi CHALLE, Guerre de la Ligue, II, p. 53.
(2) Capitaine de reîtres.
(3) Gaspard de Courtenay.
(4) François de Beauvoir la Nocle, capitaine huguenot.
28 HISTOIRE DE BLÉNEAU 24
« si tost. C'estoit par les menées des Français, qui nous vouloyent « empescher de forcer ceste bicoque, laquelle ne pouvions forcer » sans grande perte d'hommes, y ayans de bons arquebusiers « dedans ; pour quoy enfin nous tombasmes d'accord sur les « articles signez de part et d'autre, et selom le premier allasmes «. loger la nuict dans ladite ville de Bléneau, en laquelle, contre « les conventions, ledit sieur baron ne peut empescher qu'on ne « feist quelque insolen e. Je fus logé par prière chez un honeste « homme pour luy conserver sa maison et les affaires du sieur de « Bléneau... Il y eust alarme la nuict au cartier de Champcevrais, « des gens de M. de. Guise qui emmenèrent quelques chevaux « d'un régiment qui faisait mauvaise garde.
« Le dimanche 25 octobre, après avoir eu les quatre otages « pour les quatre mille escus de Bléneau, nous en partismes assez « tard, ne pouvant faire desloger les reîtres ny lansquenets, pour « venir à Chastillon... »
On voit donc, malgré le style embrouillé et moitié allemand de la Huguerie, comment se passa la prise de Bléneau. M. de Levenstein, quartier-maître des reîtres, est envoyé en avant pour établir leurs logis, mais les habitants de la petite ville, confiants en leur courage et la force de leurs murailles, refusent de le laisser entrer, comme avaient fait ceux de Saint-Sauveur. Comme pour SaintSauveur, les reîtres irrités veulent se venger de cette résistance, d'autant plus qu'ils escomptent déjà les profits du pillage. Leur chef, le baron de Dohna, veut tenter d'obtenir une capitulation et sachant que la ville a un seigneur influent, allié des Coligny, s'avança pour parlementer avec lui. Mais M. de Courtenay, sachant qu'il a des moyens de résister sérieusement, refuse d'ouvrir les portes.
— Laissez-nous entrer, dit l'Allemand, je ferai respecter votre personne et vos biens personnels.
— Non, répond le brave seigneur, vous ne serez pas maître de vos gens; et d'ailleurs je dois défendre les habitants de ma ville qui ont confiance en moi.
— Si vous résistez nous détruirons tout.
— Nous pouvons vous tenir tête, nous avons de bons arquebusiers et les armées royales sont près d'ici qui vont venir à notre secours.
L'Allemand, furieux et humilié d'être arrêté devant « cette bicoque », décide de la prendre d'assaut, la fait investir par les lansquenets de son infanterie, et en attendant l'arrivée de l'artil-.
25 HISTOIRE DE BLÉNEAU 29
lerie, est forcé de camper dans les champs, à l'abri des haies, non sans piller les hameaux des environs.
Cependant, à la faveur de la nuit, les lansquenets mettent le feu à une des portes de la ville. M. de Courtenay et les habitants, très inquiets, envoient des parlementaires auprès des chefs protestants français, pensant que des compatriotes seront plus humains que des Allemands, et offrent une capitulation pour éviter une ruine totale. Heureusement pour eux, l'artillerie ennemie ne pouvait arriver à temps, et les Allemands, craignant de perdre beaucoup de monde dans l'assaut, se donnèrent les apparences de la générosité... moyennant finances. Ils accordèrent en effet aux habitants de Bléneau que, si ceux-ci voulaient les recevoir dans leur ville, leur fournir des vivres et payer la somme •considérable pour l'époque de quatre mille écus, ils n'useraient pas de violence. Néanmoins, les Allemands étant déjà aussi fourbes que pillards ; à peine furent-ils entrés dans la ville qu'ils y ■causèrent des ravages que la Huguerie, qui oubliait sa patrie pour ceux qui le payaient, appelle avec euphémisme « quelques insolences ».
Enfin le troisième jour les Huguenots se décidèrent à partir. Les quatre mille écus n'ayant pu encore être réunis, ils emmenaient en otages quatre bourgeois de Bléneau et prirent la direction de Montargis par la vallée du Loing et Châtillon. Mais leur ■conduite à Bléneau ne leur porta pas bonheur : pendant qu'ils s'y « amusaient ». ainsi que le leur reprochèrent leurs alliés, le duc de Guise se rapprochait sur leur flanc et après une première alerte à Champcevrais les surprenait, le soir du 26 octobre, à Vimory, près de Montargis, où il leur infligea une sérieuse défaite. Le baron de Dohna y perdit une grande partie de ses bagages, et trois des otages de Bléneau purent s'échapper, par la faute du prévôt qui devait les garder, dit la Huguerie. Nous ne savons pas si les quatre mille écus furent jamais payés.
Par suite d'une confusion, Lebeuf croyait que les Huguenots, venus de Perreuse, étaient allés directement à Bléneau, puis étaient revenus assiéger Saint-Sauveur avant dé repartir par le Gâtinais. La Huguerie rétablit leur véritable itinéraire qui est d'ailleurs plus rationnel.
L'armée des Huguenots, prise de panique, se reforma très péniblement et se dirigea vers la Beauce où elle fut complètement défaite par le duc de Guise, le 24 novembre, à Auneau, près de Chartres. Ses débris, ralliés à grand' peine, firent une retraite désastreuse à travers l'Orléanais, mais sans repasser à Bléneau ;
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le 29 novembre ils furent encore attaqués, près de Bonny, par des détachements de l'armée royale qui les harcelait.
Revenons à Bléneau : cette pauvre petite ville dut avoir beaucoup de mal à se remettre du désastre, bien qu'il n'eût pas été aussi grand qu'on aurait pu le craindre, et dont nous n'avons, d'ailleurs que des relations incomplètes. C'est probablement de cette époque que date la ruine des anciens remparts, car nous avons vu que les lansquenets avaient commencé à les détruire. La population avait également beaucoup souffert et fut longtemps à s'en relever. On doit probablement rapporter à cette époque une cachette de monnaies qui furent découvertes en 1849 (1) à Bléneau ; elle comprenait 80 pièces d'argent du XVIe siècles, enveloppées dans un linge, et dont les deux tiers étaient de Genève ou des cantons suisses.
Depuis cette époque nous avons des renseignements assez détaillés sur la composition de la population de Bléneau : les registres paroissiaux, dont la tenue était prescrite depuis 1539, remontent pour notre petite ville à 1584, et bien que pour les premières années ils ne mentionnent que les baptêmes on peut y suivre l'histoire de la plupart des familles.
Cependant les discussions intérieures de l'Etat ne faisaient que s'accroître et Henri III se décida à convoquer les Etats généraux à Blois pour le mois d'octobre 1588 : Gaspard de Courtenay y figure comme délégué de la noblesse du bailliage d'Auxerre. On sait que les troubles ne firent que redoubler depuis lors, si bien que la ville de Gien s'étanf déclarée pour la Ligue et refusant de reconnaître l'autorité du roi, celui-ci, par un édit rendu à Tours le 22 juin 1589, transféra à Bléneau le bailliage de Gien. Mais ce ne fut là qu'un changement passager, car peu d'années après. Henri IV sut restaurer un ordre de choses régulier.
IX
Gaspard de Courtenay avait épousé, en 1571, Edmée du Chesnay, fille de Jean du Chesnay, seigneur de Neuvy-sur-Loire, les. Barres et Longueron, et de Claude de Rochechouart de SaintAmand. Elle, lui apporta la seigneurie de Neuvy et mourut en 1604, laissant deux fils : François, dit le baron de Neuvy, tué en 1602, en Hongrie, où il était allé combattre les Turcs dans une
(1) Bulletin Société des Sciences, 1849, p. 275.
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armée française commandée par le duc de Mercoeur, et Esme, seigneur de Bléneau après son père. Celui-ci s'était remarié en 1605 avec Louise d'Orléans de Rère. Après la mort de Gaspard; 5 janvier 1609 (1), c'est celle-ci qui, selon le voeu de son mari, fit élever à lui et à sa première femme un magnifique mausolée dont on voit encore les restes dans le choeur de l'église, de Bléneau et sur lequel, ils étaient représentés revêtus de manteaux fleurdelysés, comme des princes de sang royal. Leurs corps, avaient été inhumés dans un caveau; sous le choeur de l'église, qui fut violé en 1793.
C'est en effet à cette époque que commencent les interminables: réclamations des Courtenay à l'effet d'être reconnus comme faisant partie de la maison royale de France. Dans les siècles précédents les membres de cette famille avaient paru oublier leur illustre origine, au moins n'en faisaient-ils jamais mention dans les chartes ni dans les inscriptions de leurs, tombeaux; Mais à la fin du XVIe siècle leurs prétentions se réveillèrent et s'affirmèrent de plus en plus. Peut-être l'exemple de la branche de Rourbon, appelée au trône malgré la grande distance qui les séparait des, Valois (Henri IV n'était cousin d'Henri III qu'au 24e degré) vintil encourager leurs espérances. En 1603 ils présentèrent au roi une requête tendant à faire reconnaître leurs droits, et depuis lors prirent le titre d'illustres princes de sang royal (auparavant ils ne prenaient que celui de noble seigneur comme les autres. gentilshommes), écartelèrent leurs armes des fleurs de lys de France, en y ajoutant une bordure dentée et les surmontèrent de couronnes princières. Gaspard, comme le chef de la maison, en donna l'exemple dans le tombeau qu'il fit élever à Bléneau. M. Challe a raconté dans son travail sur la Puisaye et le Gâtinais (2) la longue et triste histoire de ces infructueuses tentatives, auxquelles les gouvernements successifs ne purent opposer que le mutisme car la filiation qu'invoquaient les Courtenay était incontestable.
Esme de Courtenay, fils de Gaspard, continua les réclamations, de son père, d'autant plus qu'il fut l'objet de poursuites judiciaires.
(1) D'après un manuscrit de la Bibliothèque Nationale (fonds français : 5037), il aurait été « mis à trépas par la malicieuse sorcellerie d'un misérable sorcier de son métier cordonnier, qui fut depuis brûlé vif, appréhendé par la justice, divine ».
(2) Bulletin Société des Sciences, 1872. p, 122
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Un jour de l'année 1608, qu'il se trouvait dans son château de Neuvy avec sa femme, Catherine du Sart, qu'il avait épousée en 1600, un seigneur du voisinage, le baron de la Rivière Champlemy, s'y étant introduit pour séduire Mme de Courtenay, fut tué par le mari. Celui-ci, poursuivi par les parents de la victime, demanda à être jugé par le Parlement et les pairs, en sa qualité de prince du sang. Ce privilège lui ayant été refusé, il se résolut à sortir de France, ce qu'il fit en mai 1610. Quelques jours après survint l'assassinat d'Henri IV. M. de Courtenay crut alors pouvoir revenir et obtenir justice, d'autant plus qu'il avait l'appui du prince de Condé, exilé comme lui. Mais ses efforts et ceux de sa famille ne purent rien obtenir du Parlement. Voyant qu'on leur refusait justice, Jean de Courtenay, seigneur des Salles, oncle d'Esme, et un de ses cousins, Jean, seigneur de Franville, résolurent d'émigrer en Angleterre où ils furent bien accueillis par le roi Jacques Ier.
Les Courtenay ne se découragèrent pas, d'autant plus qu'ils étaient soutenus par les princes révoltés contre la régente, Marie de Médicis. En 1616, le prince de Condé promet « que dans le « traité qu'il va conclure avec le roi, il s'efforcera que droit soit « fait à Messieurs de Courtenay sur la recognaissance de leur « maison, qualité et origine ». Le traité fut en effet signé peu après à Loudun, mais les princes, satisfaits d'avoir obtenu les objets de leurs requêtes particulières, oublièrent une fois de plus les Courtenay (1).
La situation économique de Bléneau et de ses environs avait été améliorée au début du XVIIe siècle par la construction du canal de Briare. C'est en 1606 que commencèrent les travaux du premier canal à écluses qui fut établi en France. Henri IV s'intéressait vivement à cette entreprise patronnée par son ministre Sully qui avait de grandes propriétés dans la région et s'était allié, par son mariage, à la maison de Courtenay. Les travaux, interrompus en 1610, par la mort du roi, furent repris en 1638 et, en 1642, le canal achevé réunissait la Loire à la Seine par l'intermédiaire du Loing. Bien qu'il ne traversât pas le territoire de Bléneau, il eut naturellement une grande influence sur tous les
(1) C'est probablement à cette occasion que les Courtenay prirent pour devise ces mots, gravés sur le magnifique tombeau que ceux de la branche de Chevillon se firent élever en 1617 à l'abbaye de Fontaine Jean : Sed tu, Domine, usquequo. Mais, vous, seigneur, jusques à quand (nous ferez-vous attendre justice?).
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environs au point de vue économique, surtout quand le volume des eaux eut été augmenté par la Rigole de Saint-Privé qui amène les eaux du Loing au-point de partage du cariai en dessus de Rogny. Il y a dans les archives de cette dernière commune une note du XVIIIe siècle qui dit : « Il y a sept écluses au canal qui mériteraient d'être regardées comme une des sept merveilles du monde ». Outre le trafic important de marchandises qui s'est toujours fait par le canal, il existait aussi un transport de voyageurs par le coche d'eau, analogue au célèbre coche d'Auxerre, qui, s'il n'offrait pas une grande rapidité, présentait néanmoins plus de sécurité que les mauvais chemins de la Puisaye, surtout avant la construction des grandes routes et l'organisation régulière des diligences.
Les habitants de Bléneau, qui avaient réparé à grand' peine les ruines causées par les Huguenots en 1587, eurent encore à subir une nouvelle alerte et à redouter le passage des armées, toujours à craindre à cette époque où elles étaient fort peu disciplinées. Après la mort d'Henri IV le pouvoir était tombé aux mains d'un Toi mineur et d'une régente, Marie de Médicis; qui se laissait dominer par ses favoris. Aussi les princes de sang, mécontents d'être écartés du gouvernement, prirent les armes en 1615 pour soutenir leurs prétentions. Le prince de Condé, chef des rebelles, après avoir tenté de surprendre Sens, se dirigeait sur Joigny et ensuite sur la Loire, au-delà de laquelle les Protestants se rassemblaient dans l'intention de se joindre à eux. Mais l'armée royale, commandée par le maréchal de Boisdauphin, occupa Joigny, ce qui rejeta le prince de Condé sur la Puisaye. Le 24 octobre il était à Charny et le 26 à Saint-Sauveur; le 27 il occupait Bonny et les environs pendant que le maréchal, qui avait passé par Châtillon-sur-Loing, était à Ouzouer-sur-Trézée. Les princes, se sentant suivis de près, se dérobèrent en passant la Loire à Neuvy, et peu de temps après la paix vint rétablir la tranquillité. Bléneau, un instant pris entre deux feux, pouvait encore se réjouir.
D'autres calamités vinrent les frapper quelques années après comme nous l'apprend une lettre de Mme de Courtenay (1). Comme il arrivait trop souvent à cette époque, les habitants de Bléneau étaient en retard pour rendre compte des deniers de leur communauté ; le procureur général de la Chambre des Comptes les avait fait assigner à cet effet. La dame de Bléneau intervint alors,
(1) Bibliothèque Nationale. Pièces originales de Courtenay, n° 1379.
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demandant des ménagements pour ces pauvres gens « qui depuis. quatre ans avaient été affligés de grêle, famine et maladie ».
Pendant tout le Moyen Age Bléneau, comme tout l'Auxerrois, dépendait, au point de vue judiciaire, du bailliage de Sens. Lors, de l'acquisition du comté d'Auxerre par Charles V, en 1371, un bailliage particulier fut établi à Auxerre dont le ressort devait s'étendre sur tout le territoire compris entre les rivières de Loire et d'Yonne, c'est-à-dire toute la Puisaye (1). Il en fut ainsi jusqu'en 1638, époque de la création du présidial de Montargis. auquel on attribua Bléneau, Saint-Fargeau et la plus grande partie de la Puisaye qui, comme nous l'avons vu déjà, suivait la* coutume de Montargis.
Pour la répartition et la perception des impôts le territoire était divisé en élections, groupées plus tard en généralités. Blénean dépendit toujours de l'élection de Gien qui était elle-même comprise dans la généralité d'Orléans. Dans la première moitié du XVIIe siècle, le gouvernement, qui cherchait à assurer de plus en plus la centralisation, plaça à la tête de chaque généralité unintendant, avec les pouvoirs les plus étendus, car il était qualifiéintendant de justice, police et finance, c'est-à-dire qu'il dirigeait: toutes les branches de l'administration.
Une autre circonscription, d'un ordre spécial, était le grenier à sel, créé pour approvisionner les villages des environs et juger les délits commis dans le débit ou le transport du sel. Bléneau dépendait du grenier de Saint-Fargeau.
Esme de Courtenay mourut en 1833, ne laissant qu'un fils, Gaspard II, qui lui succéda dans la seigneurie de Bléneau. Comme il était cousin du cardinal de Richelieu, il rechercha son appui et passa presque toute sa vie à la cour, mais sans pouvoir obtenir la reconnaissance du rang princier auquel il prétendait..
X
BATAILLE DE BLÉNEAU
Malgré le gouvernement énergique et prévoyant de Richelieu. la période des guerres civiles n'était pas encore terminée. Sous, son successeur Mazarin, qui avait la main moins ferme, les factions relevèrent la tête, et la minorité de Louis .XIV leur offrit
(1) Bulletin Société des Sciences, 1909. p. 14.
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une occasion propice pour attaquer le pouvoir et tâcher de s'en emparer. Il en résulta la Fronde qui commença à Paris, et après diverses vicissitudes fut virtuellement terminée par la rencontre des deux armées près de Bléneau.
Les circonstances en sont assez connues pour que nous n'ayons pas besoin d'en refaire le récit détaillé, mais quelques travaux récemment publiés ont éclairé divers points de la bataille ou de ses conséquences immédiates, et nous devons les faire connaître (1). Nous prendrons pour guide le duc d'Aumale, qui dans quelques pages claires et animées de sa grande expérience militaire, a élucidé ce combat assez confus dans les relations du temps.
Dans les premiers jours d'avril 1652, l'armée royale, commandée par le maréchal de Turenne, et qui escortait le jeune foi et la reine-mère Anne d'Autriche, suivait la rive gauche de la Loire, cherchant à traverser ce fleuve, dont la rive droite était occupée par l'armée des princes. Mlle de Montpensier qui, en véritable amazone, s'était jetée dans Orléans, avait fait fermer les portes de cette ville au roi. Turenne alla donc passer la Loire à Gien, le 4 avril, et y laissant les souverains, s'établit à Briare avec une partie de ses troupes, pendant qu'il envoyait le maréchal d'Hocquincourt à Bléneau, M. de Navailles restant avec quatre régiments à Ouzouer, sur le canal de Briare. Quelques jours auparavant, M. Thomas Marie, maire d'Auxerre, et fidèle royaliste, était venu jusqu'à Sully pour s'enquérir des intentions du roi, et celuici lui avait ordonné de retourner à Auxerre et de faire mettre cette ville en état de défense pour le recevoir dans sa marche sur Paris (2)..
L'armée royale ne comptait qu'environ 5.000 hommes et 4.000 chevaux, et le maréchal d'Hocquincourt, qui malheureusement était trop indépendant de Turenne, avait dispersé ses troupes dans des cantonnements écartés de Bléneau, les dragons allemands à Rogny, pour garder le passage du canal, et le reste de la cavalerie aux environs. Cependant le prince de Condé, le vainqueur de Rocroi, et fils de celui qui avait traversé notre pays en 1615, était à Bordeaux avec ses troupes quand, lès quittant toutà-coup, il accourt à franc étrier avec huit compagnons seulement, rejoint l'armée des princes, en prend le commandement et la
(1) Comte DE COSNAC. Le combat de Bléneau, 1885. — Duc D'AUMALE. His toire des princes de Condé, VI, p. 123. — DE RUBERCY. La dague et l'épée, 1890.
(2) CHARDON. Histoire d'Auxerre, II, p. 206.
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Conduit à Montargis, le 5 avril, coupant ainsi au roi le chemin de Paris. Apprenant la situation de l'armée royale et la dispersion de ses forces, il se hâta d'en profiter, d'autant plus que les siennes étaient plus nombreuses, se montant à 7.000 fantassins et 5.000 cavaliers. Avec cette rapidité de décision et cette impétuosité qui étaient les caractéristiques de son génie, il part sur le champ à la tête d'une colonne légère, arrive le 6 au soir à Rogny, culbute les dragons, se jette sur les autres cantonnements du maréchal d'Hocquincourt. Sur les sept où se trouvait la cavalerie, quatre sont attaqués et incendiés, les trois autres sont abandonnés sans combat. L'infanterie se reforme derrière les murailles de Bléneau ou se répand dans les environs à la suite des cavaliers débandés qui prenaient la direction d'Auxerre (1). Le maréchal d'Hocquincourt. ralliant quelques escadrons, essaie de faire tête et s'avance dans la direction de Breteau où le prince vient de surprendre ses bagages ; un choc se produit, le duc de Nemours est blessé et le maréchal, chargé par Condé, voit ses troupes mises en fuite.
Turenne, qui était venu dans la journée du 6 inspecter Bléneau et avait blâmé la dispersion des troupes du maréchal d'Hocquincourt, était à peine rentré à Briare quand il apprend l'attaque foudroyante de Condé. II part en hâte avec quelques troupes, mais en faisant prévenir celles qui étaient à Ouzouer de venir le rejoindre en un point qu'il avait remarqué, au milieu des Gâtines, sur ce chemin de Briare à Bléneau qu'il venait de parcourir le jour précédent. En y arrivant, la lueur des incendies allumés de tous côtés, les décharges de mousqueterie et les coups de canon de deux pièces légères que Condé avait réussi à amener, lui révèlent toute la gravité de la situation « Monsieur le Prince est arrivé ! » s'écria-t-il, et, comme il le dit dans ses Mémoires « Jamais il ne s'est présenté à l'imagination d'un homme tant de choses affreuses qu'il s'en présenta alors à la mienne ».
Mais il fallait prendre un parti sans tarder, et le maréchal, aussi prudent que courageux, sentait l'énorme responsabilité qui pesait sur lui, chargé de défendre le roi de France. Aussi l'entendait-on se dire à lui-même : « Il faut vaincre ou périr ici », Enfin arrivent les renforts attendus, amenés par Navailles, et Turenne se voit à la tête de 4.000 hommes, avec huit pièces de canon. Bien
(1) Des fuyards allemands refluèrent jusqu'à Treigny où ils commirent des désordres les jours suivants (Registres paroissiaux).
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que son adversaire en ait plus du double, il n'hésite pas à l'attendre de pied ferme et dispose ses troupes en avant d'un défilé formé à droite par un bois (le bois de Dreux), à gauche par les étangs des Plaindresses et des Gilons (aujourd'hui desséchés) et que traverse le chemin de Briare, à environ une lieue et demie au sud-ouest de Bléneau. La cavalerie est rangée en avant du défilé et l'on peut croire que le bois est garni d'infanterie. Les autres troupes restent en arrière.
Condé, qui avait rassemblé les escadrons épars autour de Bléneau, reformant son armée, mais perdant peut-être un temps précieux qui lui eût permis de devancer Turenne, est averti de l'approche de celui-ci et marche à sa rencontre. Il franchit le ruisseau de la Trézée, et apercevant aux premières heures du jour la petite armée ennemie rangée en bataille dans une position assez désavantageuse : « Si M. de Turenne reste là je vais le tailler en pièces, « mais il se gardera bien d'y demeurer ».
En effet, le bois se dégarnit, la cavalerie qui s'abritait derrière une chaussée en avant du défilé le repasse tranquillement et va rejoindre le gros des troupes resté en terrain découvert. Le défilé est libre, M. le Prince y lance ses six escadrons d'avant-garde, commandés par Tavannes, l'infanterie les suit et Condé lui-même l'accompagne pour surveiller son déploiement, mais il est à peine commencé que la cavalerie royale s'avance en deux groupes convergeants vers le défilé et Turenne démasque son artillerie, placée sur une éminence, près du lieu dit Châteaulandon. Les troupes du prince, pressées de deux côtés par la cavalerie ennemie et foudroyées par l'artillerie qui enfile le défilé, se précipitent pour le repasser, s'y entassant en désordre. « Le canon fit grand effet », dit Turenne dans ses Mémoires. Condé, qui s'est laissé prendre à la feinte de son adversaire, perd plus de 250 hommes en quelques minutes, dont le baron de Mare, maréchal de camp dans les troupes de Gaston d'Orléans ; il reforme son armée, attendant un mouvement de Turenne, mais celui-ci reste immobile et menaçant, d'autant plus qu'il est renforcé par des régiments que le duc de Bouillon amène de Gien et par la cavalerie que d'Hocquincourt a fini par rallier.
Après l'échange de quelques canonnades, plus nourries du côté de Turenne, celui-ci se retira tranquillement. Condé restant plus longtemps sur le champ de bataille, comme s'il en était le maître, finit par l'imiter et se dirigea sur Châtillon-sur-Loing, enmenant le butin fait sur le maréchal d'Hocquincourt.
Laissant ses troupes autour de Briare, Turenne se rendit à Gien
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où l'alarme avait été chaude quand on apprit le désastre du maréchal la nuit précédente. On songeait déjà à ramener le roi et la cour à Bourges, aussi le vainqueur fut-il reçu avec des manifestations d'enthousiasme, et la reine-mère put lui dire avec justesse : « Vous venez de replacer la couronne sur la tête de mon fils. »
On comprend en effet facilement quelle eût été la gravité d'une victoire de Condé, le roi prisonnier des princes, la Fronde triomphante, l'oeuvre de Richelieu détruite par un retour de quarante ans en arrière, et la France livrée plus que jamais au désordre. C'est là ce qui, outre le génie des deux généraux en présence, fait l'importance de la bataille de Bléneau où les effectifs des armées nous paraissent aujourd'hui ridicules. Mais, comme le dit M. le duc d'Aumale, « la gravité des événements de guerre ne « se mesure pas au nombre des combattants ».
Le dénouement ayant paru indécis sur le moment, chacun des deux partis s'attribua la victoire (1), exagérant les pertes de l'adversaire et dissimulant les siennes; mais, tandis que Condé se hâtait d'aller réchauffer le zèle de ses partisans à Paris, le roi et la cour reprenaient tranquillement leur itinéraire prévu.
Ils passèrent près de Bléneau le 16 avril et l'on fit une reconstitution du combat pour en donner l'explication au jeune roi « mais avec plus d'avantage pour le maréchal d'Hocquincourt » dit une relation du temps (2). Le roi alla coucher à Saint-Fargeau et le lendemain à Auxerre. Son arrivée était préparée dans cette ville par le maire, Thomas Marie, qui, en revenant de Gien, avait déployé beaucoup d'activité pour rallier les fuyards du corps d'Hocquincourt, au nombre de plus de 1.500 et les avait rassemblés à Auxerre qu'il fit mettre en état de défense, tout en veillant à ce que l'armée des princes ne pût se ravitailler dans les environs de cette ville. La récompense lui en fut bientôt accordée : le 10 juin suivant le roi le nommait conseiller d'Etat et l'anoblissait le 11 décembre 1660 (1). Dans la suite il acquit la baronnie d'Avigneau et ses descendants furent jusqu'à la Révolution grands baillis d'épée à Auxerre.
(1) Pièces sur la bataille de Bléneau. Bulletin Société des Sciences, 1854, p. 38.
(2) Pièces sur la bataille de Bléneau. Bulletin Société des Sciences, 1854, p. 47. (3) Cte DE COSNAC. Le combat de Bléneau, p. 31.
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XI DERNIERS TEMPS DE LA MAISON DE COURTENAY
La bataille de Bléneau fut heureusement la dernière action de guerre qui eut lieu dans notre pays où, depuis", là vie s'écoula tranquillement.
Gaspard de Courtenay, n'ayant pas d'enfants de Madeleine de Durfort de Civrac, qu'il avait épousée en 1633, songea à prendre des dispositions pour que la terre de Bléneau ne sortit pas de sa famille, dans laquelle, elle était depuis si longtemps, En conséquence, le 1er avril 1653, il fit donation de la châtellenie de Bléneau, « l'un des plus anciens biens qui soit resté des amples possessions de ses ancêtres », à Louis de Courtenay, seigneur de Chevillon, son cousin, à la charge de la transmettre à son fils et de la conserver à ceux de ses noms et armes, et de payer ses dettes jusqu'à concurrence de 80.000 livres. C'était là une clause très onéreuse car, ainsi que nous le verrons, la terre de Bléneau dut être saisie une quinzaine d'années plus tard. D'ailleurs l'acte, de donation porte que « le prix raisonnable de ladite terre peut se monter « à ladite somme, dans l'état où elle est à présent » (1), ce qui diminue singulièrement la valeur du cadeau fait par Gaspard de Courtenay à son cousin.
Gaspard de Courtenay mourut en 1655. Quelques jours auparavant il usa de son autorité de chef de famille pour réconcilier son cousin et héritier avec un de ses frères, par une lettre que nous tenons à citer, comme preuve de ses sentiments et dé la haute opinion qu'il avait de sa maison.
« Nous, Gaspard de Courtenay, du sang royal de France, estant «au lict malade, voulant témoigner le soing que nous prenons « de l'honneur de nostre maison, prions Monsieur Robert de « Courtenay (2), notre cousin, de se souvenir combien il est « obligé de tesmoigner ses soing et affection à fon frère et neveux « qui sont de son sang et de sa famille, et de changer des senti« ments si contraires à l'honneur et à la bien scéance qu'il a « tesmoigné en sa dernière maladie en d'autres par lesquelz il se « monstre digne de sa naissance et de la maison de France dont
(1) Du SOUCHET. Preuves, p. 227.
(2) Abbé des Echarlis, frère de Louis de Courtenay, seigneur de Chevillon.
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« il est sorty, en faisant le bien à quoy il est obligé à des per«
per« qui luy sont si proches. Et le prions de recevoir en
« bonne part la prière que nous luy en faisons comme l'aisné de»
de» maison. Luy souhaitons toute prospérité. En foy de quoy
« nous avons signé la présente. Faict à Bléneau, le 27 janvier
« 1655 » (1).
(Signature autographe de Gaspard de Courtenay).
Louis de Courtenay-Chevillon, en devenant seigneur de Bléneau, n'acquérait qu'une propriété précaire. En effet, les créanciers d'Edme et Gaspard de Courtenay poursuivaient la vente de cette terre et finirent par l'obtenir en 1664. Si, comme le remarque M. Dey, les habitants de la petite ville étaient inquiets à la pensée que leur seigneurie allait passer en d'autres mains et qu'ils n'auraient plus affaire à une famille avec laquelle ils avaient eu de bons rapports depuis des siècles, ils durent être rassurés en apprenant, le 11 septembre 1664, que c'était Louis de Courtenay qui était l'adjudicataire de la plus grande partie des domaines de sa famille. Il vendit de suite Chevillon et vint se fixer à Bléneau, pour exécuter les volontés de son cousin.
Il semblait dès lorsque celles-ci seraient entièrement exécutées et l'avenir de la maison de Courtenay-Bléneau assuré.
Louis avait en effet épousé, en 1638, Lucrèce Chrétienne de Hailay, fille de Philippe de Harlay, comte de Césy, près Joigny, et en avait eu trois fils : Louis-Charles, qui lui succéda, CharlesRoger, abbé des Escharlis et de Saint-Pierre d'Auxerre, et JeanArmand, chevalier de Malte.
Mme de Courtenay avait été une des familières de Mlle de Montpensier à sa petite cour de Saint-Fargeau, qui fut si brillante de 1653 à 1660. « J'avais trouvé près de Saint-Fargeau, dit cette princesse dans ses Mémoires, une de mes anciennes connaissances, Mme de Courtenay-Chevillou ; elle venait souvent chez moi. C'est une femme qui a de l'esprit ; elle a été nourrie fille d'honneur de la duchesse de Savoie ; elle sait la cour, le monde; et est d'agréableconversation ; elle était un mois de suite à Saint-Fargeau et j'étais fort aise de la voir ». Plus loin Mademoiselle racontait un voyage ; « Je passai à Chevillon chez Mme de Courtenay qui m'y reçut fort magnifiquement; rien n'est plus propre que sa maison, ni plus, ajuste ; elle a tout à fait l'air de celle d'une dame de grande qualité et qui a été nourrie à la cour ».
(1) Bibliothèque Nationale. Pièces originales de Courtenay, 1652.
37 HISTOIRE DE BLÉNEAU 41
Cet esprit et ces belles qualités dé Mme de Courtenay ne semblent malheureusement pas s'être transmis à ses enfants- S'ils étaient persuadés de l'antiquité et de la noblesse de leur maison, ils ne surent jamais le moyen d'en augmenter l'illustration et restèrent toujours dans une médiocrité intellectuelle dont rien ne les fit sortir. En 1661, l'annonce d'une entente entre le roi et la maison de Lorraine qui aurait pu être appelée éventuellement à succéder à la maison de Bourbon, renouvela leurs craintes et leurs protestations. Ils ouvrirent leurs chartriers au savant généalogiste du Bouchet, qui s'en servit pour publier l'Histoire Généalogique de la Maison de Courtenay, ouvrage considérable, appuyé sur des documents très probants et dont nous nous sommes beaucoup servis, pour le présent travail. Louis XIV permit qu'il lui fût dédié et présenté, et parut s'y intéresser, mais ne donna, pas plus que ses. prédécesseurs, de suite aux réclamations de ceux qu'il ne pouvait cependant renier pour ses cousins.
Saint-Simon a raconté, avec son style inimitable, comment le cardinal Mazarin, au moment de la paix des Pyrénées, en 1669, s'était intéressé à Louis-Charles, l'héritier des Courtenay-Bléneau, et l'avait emmené avec lui pour essayer de l'initier aux affaires, politiques et d'en faire un personnage auquel il pourrait assurer un rang assez élevé pour lui faire épouser une de ses nièces.
Mais Courtenay ne sut ni profiter de l'occasion inespérée, ni montrer quelques dispositions encourageantes pour son protecteur, et celui-ci l'abandonna.
Après la mort de son père, arrivée en 1672, Louis-Charles ne cessa, comme dit Saint-Simon, « de suivre la cour sans jamais avoir été de rien » et de consumer ainsi sa fortune (1) en démarches et réclamations inutiles, II mourut en 1723, ayant épousé en 1669 Marie de Lameth, d'une famille picarde, dont il eut deux fils et une fille. L'aîné fut tué en 1691, au siège de Mons, et Louis XIV eut l'attention d'aller en personne porter ses condoléances au père, ce qui fut fort, remarqué. Louis-Charles s'était remarié, en 1688, à une riche veuve, Hélène de Besançon, veuve d'un président au Grand Conseil, et, selon le récit de Saint-Simon, le régent, duc d'Orléans, rétablit sa fortune en lui faisant faire de fructueuses opérations lors du système de Law.
Son fils, Charles-Roger, eut une existence assez effacée. Saint(1)
Saint(1) 1711 il avait affermé ses terres et seigneuries de Bléneau, le Coudray et les Salles pour 9 ans, moyennant 2.800 livres par an.
42 HISTOIRE DE BLÉNEAU 38
Simon le qualifie crûment de « très pauvre homme et fort obscur ». Il avait épousé Marie-Claude de Vertus d'Avaugour, d'une branche bâtarde de la maison de Bretagne, veuve d'un Portugais, et dont il n'eut point d'enfants. Sans que rien pût faire prévoir une aussi triste fin, on le trouva, le matin du 7 mai 1730, tué dans son lit de deux coups de pistolet. On étouffa autant qu'on put cette mort dont on ne put connaître la cause, et la maison de Courtenay ne fut plus représentée désormais que par la soeur du défunt, Hélène, mariée en 1712 au prince de Bauffremont, marquis de Listenois, dont les descendants ajoutèrent à leur nom celui de Courtenay. Dans divers mémoires judiciaires elle avait pris la qualité de princesse de sang royal, comme ses ancêtres le faisaient depuis plus d'un siècle. Néanmoins, par une mesquinerie indigne d'un gouvernement vis-à-vis d'une femme, ces pièces furent déférées plusieurs années après au Parlement qui, par arrêt du 7 février 1737, ordonna la radiation de ce titre assez inoffensif en vérité. Elle résida très peu à Bléneau et vendit cette seigneurie en 1771 à François-Noël Haudry.
Ainsi disparut l'antique maison de Courtenay qui avait possédé Bléneau pendant plus de quatre siècles et, quoique sortie légitimement de la maison royale, s'éteignit presque misérablement. Il faut cependant rendre cette justice aux Courtenay qu'ils ont toujours été bons pour les habitants de leurs seigneuries, à la différence de certaines races féodales où les violences et même les crimes semblaient héréditaires. Nous avons signalé en son temps l'heureuse influence qu'ils exercèrent sur les affranchissements de la mainmorte dans leurs domaines. Depuis on ne trouve nulle part trace de poursuites criminelles exercées contre eux ou de ces lettres de rémission que tant de gens, même de condition assez humble, obtenaient pour des actes plus ou moins délictueux. Au contraire, les testaments des Courtenay, dont beaucoup sont conservés dans l'ouvrage de du Bouchet, à côté de l'étalage d'une vanité commune en leur temps et dans leur condition, attestent leur bienfaisance par des fondations religieuses et de très nombreux legs aux pauvres ou aux hôpitaux et maladreries de la contrée. Cette pieuse tradition ne fut pas oubliée par la dernière des Courtenay, et, par son testament de 1762, Mme de Bauffremont faisait des legs aux pauvres de Bléneau (1) en même temps qu'elle ordonnait que son coeur fût déposé après sa mort dans l'abbaye de Fontaine Jean, auprès du tombeau de ses ancêtres.
(1) Bibliothèque Nationale. Pièces originales, 3,232.
39 HISTOIRE DE BLÉNEAU 43
XII
BLÉNEAU A LA FIN DE L'ANCIEN RÉGIME
Une note inscrite par un curé sur le registre paroissial de 1670
nous donne des renseignements intéressants sur les récoltes et les prix des denrées à cette époque. « Les années 1670 et 1671 ont esté
abondantes en bleds et vins. L'année 1670, il y eut quantité de bled et vin, et la suivante, qui ne fut pas moindre pourtant, les bleds n'estoient pas si beaux, au subject que l'hivert fut fort doux
et humide, n'ayant pas gelé une seule fois, sinon au commencement du printemps, qu'il y eu après des pluyes de deux ou trois
jours une gellée qui fit beaucpup de tort aux vignes. Le bled, l'année 1671, ne vallait que 5 sots (le boisseau), l'aveine 3 sols ou
3 sols 6 deniers, le vin aux cabarets 2 sols, 3 sols dans les vignobles; dans les maisons bourgeoises, 6 deniers la pinte. » En comparant ces prix avec ceux que nous donnons ailleurs, on peut
constater une grande différence qui tenait aux conditions de la température variant, avec les années, mais surtout aux difficultés de la circulation. Dans les années d'abondance, la plupart des grains ne pouvant être exportés qu'à grand'peine à cause du manque de routes et des barrières douanières entre les provinces, les prix tombaient très bas. Mais, s'il survenait une récolte déficitaire, comme on avait grand peine à s'approvisionner, le coût de la vie s'élevait subitement beaucoup. On voit donc combien il est
difficile de généraliser quand on étudie les conditions de la vie sous l'ancien régime.
Dans cette note on remarque la mention des vignes, assez nombreuses à Bléneau à cette époque, et dont nous avons d'autres exemples. Il ne faudrait pas croire que la température fût plus élevée alors, mais comme le transport des vins étrangers était très difficile, on se contentait de celui qu'on pouvait récolter.
Les premières années du XVIIIe siècle furent attristées par des fléaux terribles. L'hiver de 1709 avait été si rigoureux que presque tous les blés furent gelés, ainsi que les vignes, les noyers et beaucpup d'arbres ; ce qui, avec la difficulté des communications, causa une famine et une mortalité épouvantables. L'année 1710 fut également très dure ; nos anciens registres d'état civil en four-nissent les preuves.
M. Déy a retrouvé un placard affiché alors à Paris par les soins
44 HISTOIRE DE BLÉNEAU 40
d'un comité d'assistance publique, où, pour solliciter des secours, on disait (1) :
« De Bléneau, dès le mois de mars, on mandait que les habi« tants étaient si languissants qu'on n'en pouvait raisonnablement « attendre que la mort; que sept malades étaient morts de faim. « dans une même maison en huit jours ; que les femmes voyaient « mourir leurs enfants à la mamelle, sans avoir ni pain ni lait à. « leur donner. »
Et voici comment le registre de l'état civil résume la situation pour les douze mois écoulés du 1er juin 1709 au 31 mai 1710 :
Naissances 32
Décès de personnes connues 152
Décès d'étrangers à la localité, morts par 164
les chemins ou dans les granges 12
Excédent des décès sur les naissances. 132
Dès la fin du XVIIe siècle se manifeste un changement dans la population qui s'accentue au siècle suivant : c'est la diminution et la transformation de la noblesse. En même temps que les Courtenay quittent Bléneau pour se rapprocher de la cour, les anciennes familles de petite noblesse, telles que les d'Assigny, de Giverlay, de Bongars, si nombreuses autrefois, disparaissent, soit par extinction, soit par suite de la vente de leurs propriétés. Elles sont remplacées par des familles bourgeoises, pourvues de charges de magistrature à Gien ou à Montargis, comme les Guérignon, les Le Boys, etc., qui achètent les seigneuries et s'élèvent ainsi à la noblesse, car celle-ci se renouvelait incessamment et de tout temps la roue de la fortune a tourné.
Des documents conservés aux archives de la commune nous apprennent comment s'administrait notre petite ville au XVIIIe siècle. En 1768, la communauté des habitants, réunie dans l'église, élisait Louis-Loup Bourgoin, fermier de la seigneurie de Bléneau, comme échevin ; Jean Trouvain comme sergent de ville, aux appointements de 12 livres par an. Quelques années après Jean-Baptiste Lefebvre est nommé premier échevin et GermainCosme Brégault second échevin.
La communauté adresse à' l'intendant d'Orléans une requêter
(1) Histoire de Saint-Fargeau, p. 231.
41 HISTOIRE DE BLÉNEAU 45.
lui demandant l'autorisation de disposer des murs et portes de la ville qui sont en ruines.
Suivant la tendance générale alors et le système de vénalité des charges, Louis Bourgoin finit par obtenir des lettres du roi le nommant à vie conseiller du roi et premier échevin de la ville de Bléneau.
En 1768, on y comptait 161 feux et le produit des tailles se montait à 2.160 livres (1).
A la veille de la Révolution, le seigneur de Bléneau était J.-B. Rougier de la Bergerie, qui avait succédé à son beau-père, M. Haudry. Né en 1753, à Bonneuil (Indre), il s'occupa de bonne heure d'agriculture et écrivit plusieurs ouvrages d'agronomie : Les Géorgiques françaises, Essai sur l'organisation et la classification des travaux publics, Essai sur le commerce et la paix dans leurs rapports avec l'agriculture (2). ■
Il était membre du Comité d'agriculture.
Dès le début de la Révolution, il montra desidées libérales et nous verrons qu'il joua un rôle actif dans le département.
XIII
PRÉLIMINAIRES DE LA RÉVOLUTION
Dès les premières années du règne de Louis XVI, les demandes de réformes dans l'administration et le gouvernement étaient générales. Necker créa dans ce but des assemblées provinciales, à l'imitation des Etats qui existaient déjà dans certaines provinces, et pour servir de contrepoids au pouvoir excessif des intendants. Par cette organisation, généralisée en 1787, chaque généralité eut une assemblée provinciale et les élections (qui subsistaient comme juridictions financières) étaient, au point de vue administratif, réunies ordinairement deux à deux pour former un département.
Ainsi dans l'Orléanais, par un règlement du 1er juin 1787, fut formé le département de Gien-Montargis, divisé en plusieurs arrondissements; Saint-Fargeau était le chef-lieu de l'un d'eux, dont dépendait Bléneau (3).
(1) Archives du Loiret.
(2) LEBEUF. IV, p. 443.
(3) Bulletin Société des Sciences de l'Yonne, 1909, p. 27. — FROMONT. Essai sur l'administration de l'assemblée provinciale de la généralité d'Orléans, p. 33.
46 HISTOIRE DE BLÉNEAU 42;
Enfin, dans toutes les communautés d'habitants qui ne possédaient pas encore un corps d'officiers municipaux (et c'était le cas de l'immense majorité) étaient établies des assemblées municipales, c imposées de trois, quatre ou neuf membres, selon la population. Auparavant, l'administration des intérêts communs, de la paroisse était exercée, comme nous en avons vu des exemples, par l'assemblée générale des habitants, présidée par le syndic ou échevin de la paroisse, qui faisait exécuter ses décisions. Depuis 1787, tous les pouvoirs furent remis à l'assemblée municipale composée du seigneur ou de son représentant, du curé et de membres nommés pour un an par l'assemblée paroissiale dont faisaient partie tous les habitants payant plus de 10 livres d'imposition foncière. Il faut avouer que l'inexpérience ou l'ignorancede beaucoup de membres de ces assemblées rendit difficile la tâche d'organiser une nouvelle administration.
Bléneau comptant plus de 200 feux avait donc 9 officiers municipaux, outre le seigneur et le curé.
Telle fut l'organisation administrative jusqu'en 1790, époque de l'établissement des circonscriptions actuelles. Le président de l'assemblée départementale de Montargis et Gien était le comte de Saint-Brisson et les quatre députés de l'arrondissement de Saint-Fargeau étaient, en 1788, le chantre du chapitre de Toucy pour le clergé, le chevalier de Guerchy pour la noblesse et MM. Horriat et Cotelle pour le Tiers-Etat.
Bien des questions devaient être réglées par la nouvelle administration : une des plus importantes était celle des routes, encore très incomplètes et défectueuses, et dont la nécessité se faisait sentir de plus en plus. En 1787, la route d'Orléans en Bourgogne par Gien, Briare et Saint-Fargeau n'était construite qu'à moitié; celle de Montargis à Saint-Fargeau par Bléneau était à peine ébauchée et les frais de construction estimés en moyenne 10 livres, la toise courante (1). Ces travaux furent continués et, pendant l'hiver de 1788, des ateliers de charité furent établis sur catte dernière route (2).
Mais des préoccupations plus graves agitaient dès lors la France entière. La convocation des Etats Généraux, réclamée depuis longtemps, était enfin décidée, et les élections des députés des trois ordres devaient avoir lieu dans les premiers mois de l'année
(1) FROMONT. P. 397, 403.
(2) Archives de l'Yonne, L 325.
43 HISTOIRE DE BLÉNEAU 47
Pour le Tiers-Etat, une assemblée devait se réunir dans chaque paroisse, sous la présidence du juge du lieu, à laquelle avaient droit d'assister tous les habitants âgés de 25 ans, domiciliés et compris au rôle des contributions. Elle devait rédiger un cahierde plaintes et doléances et nommer des députés pour le porter à l'assemblée générale du bailliage.
Bléneau ayant plus de 300 feux nomma quatre députés: MM. Rougier de la Bergerie (le seigneur qui n'était pas noble), Etienne Convert, François Jolivet et Antoine Lesire, qui allèrent porter leur cahier à l'assemblée de Montargis. Celle-ci choisit pour son député aux Etats Généraux Jacques-François Le Boys des Guays, lieutenant général au bailliage de Montargis et originaire de Bléneau, où il possédait le fief des Guays et où il se retira plus tard.
Le cahier des doléances de Bléneau ne nous a malheureusement pas été conservé, mais on peut juger de son esprit par ceux des paroisses voisines du bailliage d'Auxerre qui ont été publiés par M. Demay (1). Après avoir proclamé leur attachement séculaire pour la monarchie et leur amour pour le roi Louis XVI, ils réclament des réformes de tout genre : simplification de la justice, principalement des justices seigneuriales, diminution de certains impôts vexatoires, comme les aides, la gabelle et la dîme dont la perception offrait de grands abus ; surtout l'égalité dans la répartition des charges publiques, égalité territoriale par la suppression des privilèges dont jouissaient certaines provinces ou certaines circonscriptions, et encore plus égalité personnelle par l'assujettissement aux mêmes impôts de toutes les classes, noblesse, clergé et Tiers-Etat. Avec l'abolition des droits féodaux et sauf quelques variantes, tels étaient les voeux unanimes de nos populations, auxquels les Etats Généraux, transformés en Assemblée constituante, donnèrent d'ailleurs satisfaction dès l'année 1789.
A la fin de cette année, la division de toute la France en départements était décidée et des projets étaient de suite formés pour la réaliser, ce qui amenait de vives compétitions. Auxerre en avait un la désignant comme chef-lieu d'un département qui allait à l'ouest jusqu'au delà de Bléneau, tandis que Montargis en présentait un autre qui le laissait à la tête de son ancien, bailliage encore agrandi. Finalement, le 26 février 1790, la défi-.
(1) Bulletin Société des Sciences, 1885-1888.
48 HISTOIRE DE BLÉNEAU 44
mitation générale fut décrétée et le département de l'Yonne constitué tel qu'il est resté depuis.
Il fallait ensuite en fixer les subdivisions, c'est-à-dire, les districts et au-dessous les cantons. Bléneau fit désormais partie du district de Saint-Fargeau et fut le chef-lieu d'un canton composé de Champcevrais, Rogny, Saint-Eusoge et Saint-Privé. M. Rougier de la Bergerie, maire de Bléneau, fut nommé, le 5 mai, président de l'administration du district.
Auparavant, l'Assemblée constituante avait déterminé l'organisation des municipalités, ce qui était plus facile, car les nouvelles communes conservaient les circonscriptions des paroisses. La loi du 14 décembre 1789 forma, des membres du corps municipal tel qu'il existait déjà et d'un certain nombre de notables, le conseil général de la commune, présidé par un maire, qui représentait l'assemblée des habitants par laqualle il était élu. Les citoyens actifs, et par ce nom on entendait les hommes âgés de 25 ans qui payaient une contribution équivalente à la valeur de trois journées de travail, jouissaient seuls des droits politiques et communaux.
La Convention appela à faire partie des assemblées primaires tous les citoyens âgés de 21 ans, mais ces assemblées disparurent sous le Directoire.
Le premier maire fut le sieur Lesire.
C'est également à cette époque que remonte l'institution des juges de paix qui remplaçaient les juges seigneuriaux. Celui du canton de Bléneau fut pendant plusieurs années Olivier Mercier.
Immédiatement les nouvelles organisations s'y établirent comme dans toute la France, à commencer par la garde nationale. Le 14 juillet 1790, la garde nationale de Bléneau en armes porte à l'autel de la Patrie le buste de Louis XVI avec cette inscription : « Souviens-toi de ton serment » ; puis, après le Domine salvum fac gentum, legem et regem, elle se rend dans les prés et fait le siège simulé de la Bastille (1).
Tant que la Constituante s'occupait de réglementations administratives ou de réformes réclamées par la grande majorité de la nation, elle n'éprouvait guère d'opposition, bien que des intérêts particuliers fussent lésés. Mais, sur les conseils de théoriciens abstraits et passionnés, elle voulut aussi régler les matières religieuses et suscita, en votant la constitution civile du clergé, des
(1) Bulletin Société des Sciences, 1909, p. 35, 36, 43.
45 HISTOIRE DE BLÉNEAU 49
troubles très graves dans les consciences. La répercussion n'en fut pas immédiate en Puisaye, car, en février 1791, tous les ecclésiastiques du district de Saint-Fargeau, y compris le curé de Bléneau, M. Ganne, et son vicaire, avaient prêté le serment ordonné par cette constitution (1), mais nous verrons bientôt que lorsqu'ils se rendirent mieux compte des conséquences de leur acte et de leur responsabilité, ils revinrent sur leur adhésion, au risque d'encourir des persécutions longues et mêmes cruelles.
Pour le moment, l'administration du district avait à s'occuper de grands travaux d'utilité publique : l'entretien de la route de Bléneau à Gien, pour laquelle il était prévu 1.500 livres au budget de 1791. La reconstruction d'un pont sur le Loing à Bléneau fut beaucoup plus coûteuse (2). Projeté sous l'ancien régime, il n'avait pu être exécuté, l'administration de celte époque ne s'y étant pas prêtée. Quand les habitants de Bléneau furent libérés de la tutelle de l'intendant, ils l'entre prirent avec leurs seules ressources et la menèrent à bien à la fin de 1790. Aussi M. de la Bergerie pouvait-il dire, avec le style emphatique de l'époque, dans un écrit sur « l'organisation et la classification des travaux publics », publié en 1792 :
« En 1790, époque où il n'y avait plus d'intendant et où les « corps administratifs n'étaient pas organisés, les citoyens de « Bléneau conçurent le projet de faire faire eux-mêmes ce pont ; « une assemblée générale fut convoquée ; on y destina 2.000 livres « qui étaient dans la bourse commune. Cette somme ne suffisait « pas; elle fut destinée principalement à la main-d'oeuvre; tous « les laboureurs offrirent de conduire gratis les matériaux ; les « fournisseurs de chaux et ciment donnèrent ces matériaux au « prix coûtant ; tous les citoyens ayant des voitures les fournirent « gratis ; les citoyens manouvriers donnèrent chacun cinq à six « journées pour les déblais. Tous les dimanches et fêtes, après « l'office, hommes, femmes, enfants, sans distinction, les maires « et officiers municipaux à la tête, démolissaient des portes et « crénaux de la féodalité et conduisaient les matériaux néces« saires pour la semaine. En deux mois, nous avons bâti un pont « à trois arches ; nous n'avons déboursé qu'environ 5.000 livres. « Si l'administration des ponts et chaussées s'en fût mêlée, nous « ne l'aurions pas eu de dix ans ; il eût coûté plus de 20.000 livres.
(1) Bulletin Société des Sciences, 1912, p. 192.
(2) DÉY. Histoire de Saint-Fargeau, p. 343.
50 HISTOIRE DE BLÉNEAU 46
« Par décret de l'Assemblée constituante, il s'appelle le pont de « la Liberté. »
Les habitants de Bléneau pouvaient d'autant plus être fiers decette entreprise qu'elle était entièrement leur oeuvre, l'administration départementale ayant déclaré qu'elle ne pouvait leur accorder de secours.
Comme on l'a vu, ce fut donc à cette époque qu'on détruisit les vieux murs d'enceinte de notre petite ville qui l'avaient protégée contre les Anglais et les Huguenots.
Sous l'ancien régime, les impôts directs étaient perçus par un collecteur, élu entre eux par les habitants de la paroisse. Celui qui avait été nommé à Bléneau en 1787, le sieur Moussy, s'était enfui avec sa caisse, contenant 1.434 livres, et la vente de ses biens, n'ayant produit que 560 livres, les habitants de Bléneau, responsables du collecteur qu'ils avaient nommé, durent verser en 1782 874 livres au receveur des finances (1).
Cependant l'Assemblée constituante, ayant terminé ses travaux, fut remplacée en 1791 par l'Assemblée législative, qui se réunit le 1er octobre. Le département de l'Yonne y comptait neuf députés, et le neuvième fut M. Rougier de la Bergerie (2) qui, comme ses collègues, resta attaché aux principes de la monarchie constitutionnelle.
XIV
LA RÉVOLUTION A BLÉNEAU
La guerre ayant été déclaré par la France à l'empereur d'Allemagne, le gouvernement, pour accroître les effectifs de l'armée, décréta la levée de troupes auxiliaires, devenues célèbres sous le nom de volontaires de 1792. Dans le canton de Bléneau, le commissaire chargé de cette levée fut nommé le 11 août; c'était M. Le Boys des Guays, ancien député à la Constituante (3). Le canton devait fournir quatre volontaires ; dans une seconderéquisition, faite à la fin de ce mois, on lui en demanda sept, plus un cavalier (4). Mais la coalition contre la France devenant
(1) Procès-verbaux de l'administration départementale, IV, p. 63.
(2) Annuaire de l'Yonne, 1855, p. 305.
(3) Archives de l'Yonne, L 839.
(4) DE BONTIN. Les Volontaires nationaux dans l'Yonne, passim.
47 HISTOIRE DE BLÉNEAU 51
chaque jour plus puissante, la Convention se vit obligée de décréter, en février 1793, une levée de 300.000 hommes pris dans les gardes nationaux célibataires ; l'appel fut entendu, malgré les incidents rapportés plus loin, et, le 8 avril, 26 hommes, formant le contingent des cantons de Saint-Fargeau et Bléneau, partaient pour Auxerre, devant être dirigés sur l'armée de Metz.
Cette levée n'ayant concerné que l'infanterie, une nouvelle loi du 3 juin décida l'appel de cavaliers et de canpnniers : le canton de Bléneau dut fournir 5 cavaliers et un canonnier ; pour les désigner, on emploie le tirage au sort, comme pour la levée précédente; Au canton de Bléneau, les frères Gandrille, de Rogny, donnent un exemple peu commun de patriotisme :deux d'entre eux s'offrent à remplacer deux laboureurs et le troisième s'enrôle volontairement en excédent du contingent. Ils partent au mois de septembre pour Troyes.
Entre temps, on avait demandé aussi des volontaires pour la guerre de Vendée. Le 2 juillet, les administrateurs du district de Saint-Fargeau procèdent à la répartition du contingent demandé qui est de deux hommes pour la commune de Bléneau. Le citoyen Epoigny est nommé commissaire pour assurer le recrutement dans le canton.
Mais il ne suffisait pas de lever des hommes, il fallait aussi assurer leur subsistance, chose difficile à celte époque si troublée. Il fallut en venir à la réquisition: en 1794, on réquisitionna des boeufs, puis des cochons, et le 12 septembre le canton de Bléneau dut fournir 35 cochons, dont 10 pour le chef-lieu.
Les munitions n'étaient pas oubliées; on avait établi dans presque toutes les communes des ateliers pour la préparation du salpêtre; le 5 juin 1794, l'administration du district faisait inspecter celui de Bléneau.
Pendant que la France luttait ainsi contre l'Europe coalisée, le gouvernement du pays avait été transformé : le 21 septembre 1792, la République avait remplacé la royauté. Ce changement ne paraît pas avoir produit de suite une grande impression dans nos campagnes : les populations rurales, avides avant tout de tranquillité et dociles à l'impulsion qu'elles recevaient des grands centres, faisaient confiance au nouveau régime, espérant en obtenir ce qu'elles avaient demandé à l'ancien, des réformes utiles et la sécurité pour leurs travaux. Mais au bout de quelque temps, les luttes politiques qui divisaient la Convention amenèrent de grands désordres dans la conduite des affaires et deux
52 HISTOIRE DE BLÉNEAU 48
sujets surtout causèrent des révoltes dans le peuple : la difficulté des subsistances et les entraves à l'exercice de la religion.
Mais auparavant était survenue une autre cause de troubles qui agita plusieurs localités avoisinantes et fut également l'occasion du soulèvement de la Vendée. Comme nous l'avons vu, à Bléneau des volontaires s'étaient présentés pour la levée de 1792 ; celle-ci n'ayant pas fourni assez d'hommes, la Convention, forcée de faire de la réquisition un moyen légal, décréta, le 20 février 1793 une levée de 300.000 hommes. Le 11 mars, l'administration du district de Saint-Fargeau fait la répartition des 413 hommes qu'il doit fournir et désigne Régnier pour commissaire chargé de surveiller le recrutement dans le canton de Bléneau.
Les populations avaient accepté facilement les demandes de volontaires, mais l'obligation leur parut trop lourde, comme si elles avaient deviné que cette innovation allait devenir définitive, même pour leurs petits-enfants. Aussi quand, le 18 mars, commencèrent les opérations du recrutement, une émeute éclata à Bléneau. Nous en connaissons les détails par une délibération de l'administration du district de Saint-Fargeau, en date du 19 mars (1).
« Vu le procès-verbal des officiers municipaux et commandant de la garde nationale de Bléneau, exposant que les nommés Prisot frères, Robin frères et Le Rat, habitants de Bléneau, se sont portés à une insurrection d'autant plus coupable qu'ils ont marqué l'intention de renverser l'arbre de la Liberté, menacé d'incendier la ville, malgré l'autorité municipale, et maltraité ses membres, les renvoie devant le juge de paix du canton. »
Cette délibération ayant été communiquée à l'assemblée départementale, elle l'approuva dans sa séance du 21 mars (2) :
« Vu le procès-verbal.... constatant les désordres commis le 18 mars dans l'assemblée des citoyens réunis en exécution de la loi du 20 février sur le recrutement par six citoyens de ladite commune, approuve les mesures prises par le district de SaintFargeau, qui a dénoncé les auteurs de ces troubles au juge de paix, et arrête que le district demeure chargé de prendre les mesures les plus promptes pour l'exécution de la loi. »
(1) Archives de l'Yonne, L 840.
(2) Archives de l'Yonne, L 48.
49 HISTOIRE DE BLÉNEAU 53
Comme l'a justement dit M. Porée (1), parmi les questions qui, dans l'Yonne, préoccupèrent les administrations pendant la Révolution, aucune ne fut plus difficile, plus impérieuse et parfois plus angoissante que celle des subsistances. Dans une grande partie du département et surtout en Puisaye, pays de bois et d'élevage, la culture des céréales ne suffisait pas à la consommation. Il fallait donc faire venir les grains d'une autre région, par exemple du Gâtinais, où le mauvais état des chemins rendait les communications très lentes et difficiles.
En 1789, la rigueur de l'hiver causa un embarras momentané, mais les difficultés ne commencèrent qu'à la suite de la mauvaise récolte de 1792. Les villes cherchant à s'approvisionner dans les campagnes soulevèrent des réclamations; le peuple, toujours crédule en pareille circonstance, accueillit et répandit des bruits d'accaparement, et comme le prix du blé atteignait, au printemps de 1793, presque le triple de ce qu'il était avant 1789, des troubles éclatèrent dans plusieurs endroits.
Pour remédier à cette situation inquiétante, la Convention vota, le 4 mai, la fameuse loi du maximum ; dans chaque district on réunirait les prix des grains sur les marchés pendant les quatre premiers mois de l'année, le prix moyen dévenait le maximum; toute vente au-delà de ce prix entraînait la confiscation des grains et une très forte amende. Des pénalités si sévères auraient amené la désertion des marchés si elles n'avaient été complétées par un ensemble de mesures destinées à assurer les approvisionnements : déclaration par les propriétaires de leurs ressources en grains, vérification par les municipalités qui pouvaient réquisitionner les grains et, en cas de refus, perquisitionner dans les greniers. L'effet naturel de cette réglementation excessive fut de causer de nombreux mécontentements et des dissensions entre les circonscriptions voisines qui cherchaient chacune à se réserver les grains et ne voulaient pas les céder aux autres du même les réquisitionnaient au delà de leurs limites. On fut ainsi obligé d'interdire aux municipalités de Rogny et de Champcevrais d'obéir aux injonctions du district de Montargis. Et cependani l'entr'aide patriotique devenait plus nécessaire que jamais, car la récolte de 1793 fut très mauvaise : à Saint-Fargeau, elle donnait à peine de quoi faire les semailles. L'approvisionnement fut très
(2) Procès-verbaux de l'administration départementale. V, introduction, passim.
54 HISTOIRE DE BLÉNEAU 50
difficile et dans bien des endroits les perquisitions firent décou vrir du grain caché.
En juillet 1794, un citoyen de Bléneau était dénoncé pour avoir refusé, sur la réquisition de la municipalité, d'aller décharger des blés à Rogny.
Par arrêté du 23 décembre, le Directoire départemental mettait en réquisition les cantons de Bléneau, Champignelles et Treigny pour l'approvisionnement du marché de Saint-Fargeau. Il invitait le district, en cas de refus, « à employer la force armée et à sévir contre les malveillants et les égoïstes qui refuseraient de venir au secours de leurs frères. »
La récolte de 1794 ne fut guère meilleure ; aussi les réquisitions continuèrent et amenèrent des troubles.
Par suite de l'interdiction du culte catholique votée le 10 novembre 1793, l'église de Bléneau avait été fermée et les grains destinés à l'approvisionnement du marché de Saint-Fargeau y étaient déposés. Le 11 brumaire an III (1er novembre 1794), des voitures étaient requises pour les transporter, mais quand elles arrivérent, un attroupement considérable se forma, te peuple empêcha de charger les grains et plusieurs citoyens en emportèrent pour leur compte. D'après une délibération dressée le jour même par le Conseil général (1), la municipalité prétend n'avoir reconnu que lés citoyens Douru, Reignot et Denis Sadier qui mesurait le grain à tous les citoyens de la commune, et, vu l'impossibilité de faire le chargement, on dut renvoyer les voitures.
Il faut d'ailleurs reconnaître que, dans cette circonstance comme dans plusieurs autres, les officiers municipaux de Bléneau ne paraissent pas avoir montré beaucoup d'énergie et d'empressement à faire exécuter les ordres de l'administration supérieure, par crainte de s'aliéner leurs concitoyens. Ils se bornèrent à transmettre leur procès-verbal à l'administration du district qui, plus éloignée des faits et plus indépendante, déclare en termes plus énergiques :
« Considérant que la municipalité de Bléneau ne paraît avoir « fait aucun effort pour empêcher le peuple de se porter à une « action contraire au bon ordre, puisqu'elle avait le droit de faire « arrêter les perturbateurs et qu'elle ne l'a pas fait, improuve la « conduite de la municipalité et décide que les pièces seront « adressées au comité révolutionnaire de cette commune pour,
(1) Archives de l'Yonne, L. 843.
51 HISTOIRE DE BLÉNEAU 55
« par commissaires, informer sur les lieux contre Douru, Reignot « et Sadier, et appliquer aux coupables la peine de suspicion « prononcée contre ceux qui se refusent aux réquisitions ou « entravent la circulation des grains. »
Il paraît que la municipalité de Bléneau, ainsi rappelée à ses devoirs, se hâta d'arranger l'affaire, car le 18 brumaire le District reçoit un rapport du citoyen Chenon, commissaire de ladite municipalité, constatant que le transport des 42 quintaux 43 livres de grain que la commune avait été requise de fournir pour l'approvisionnement du marché de Saint-Fargeau s'est effectué avec tranquillité.
Toutes ces réglementations et surtout le maximum n'avaient donc fait que porter le trouble et la peur dans les campagnes, et susciter des vexations de toute sorte. La Convention le comprit enfin. Par un décret du 24 décembre 1794, elle supprima toutes les entraves au commerce des grains, les réquisitions, les visites domiciliaires et le maximum. Les Districts furent seulement autorisés à faire des réquisitions pour l'approvisionnement de leurs marchés pendant quelques mois.
C'est à l'oceasion d'une mesure de ce genre qu'eut lieu une dernière émeute à Bléneau. Le 26 germinal an III (15 avril 1795), le district de Saint-Fargeau reçoit un procès-verbal du Conseil général de Bléneau constatant que « la veille, le citoyen Marie, « commissaire aux subsistances du district d'Auxerre, s'est trans« porté dans ladite commune avec deux voituriers venant « d'Auxerre, pour y conduire le reste du contingent de cette « commune dans la réquisition faite sur ce district en faveur de « celui d'Auxerre, et s'était transporté avec les officiers munici« paux au lieu où ledit grain était déposé, il s'est trouvé un « attroupement de citoyens et citoyennes au nombre de 50 ou 60, » à la tête duquel était le citoyen Louret, notaire à Bléneau, qui
« tenait un sac sous le bras, ainsi que les autres qui se sont for« mellement opposés à l'enlèvement du grain, disant qu'ils n'en « avaient point chez eux, et malgré les observations tant des
« membres du Conseil général que du citoyen Marie l'attroupe« ment s'est grossi et a persévéré dans son opposition à l'enlève« ment dudit grain, en faisant beaucoup de menaces, ce qui a « forcé les membres du Conseil général et le citoyen Marie à se « retirer. »
Le district arrête que pour dénonciation copie dudit procès-
56 HISTOIRE DE BLÉNEAU 52
verbal sera adressée à l'accusateur public qui est invité à poursuivre l'auteur de ce rassemblement (1).
Les pièces de cette affaire ayant été envoyées à l'administration départementale, celle-ci adressa un blâme à la municipalité de Bléneau, et décida que l'administration du district remplacerait, sous sa responsabilité, dans les cinq jours, la quantité de grains, qui avait été distraite (2).
Pendant que se déroulaient toutes ces scènes de désordre, la Convention avait voté une nouvelle constitution, connue sous le nom de constitution de 93, et qui ne fut pas appliquée par suitedes changements qui se produisirent l'année suivante dans le gouvernement. Elle avait cependant été proposée à l'acceptation des.. assemblées primaires.
Les électeurs de Bléneau ne pouvaient avoir l'idée de rejeterune constitution décrétée par la toute puissante assemblée, aussi Pierre Lechapt fut député pour porter à Paris, le 14 juillet 1793, l'acceptation qu'ils avaient votée (3). Mais quand on remarqueque 100 voix seulement l'avaient approuvée, on trouve que c'était bien peu pour une population de plus de 1.000 habitants, surtout, quand on sait que tout citoyen qui payait un impôt direct, si minime fût-il, était citoyen actif et électeur.
Ces assemblées primaires furent réglementées par un arrêté du 31 mars 1794; les électeurs de Bléneau et Saint-Privé devaient se réunir dans la première de ces communes, et former une assemblée de 572 votants (4), pour nommer trois électeurs qui, au cheflieu du district, éliraient un député.
En dehors de l'administration régulière, la Convention, quiavait érigé la suspicion et la délation en moyens de gouvernement, créa, au commencement de 1793, un Comité de surveillance dans chaque commune. Il était chargé de surveiller et de dénoncer toutes les personnes suspectes d'incivisme, comme on disait alors, et ce terme élastique pouvait s'appliquer à toute personne qui déplaisait aux comités. Heureusement ceux-ci furent abolis, dans les premiers mois de 1795, quand la Terreur eut entièrement disparue.
Il nous faut maintenant revenir en arrière pour exposer des troubles d'un autre genre qui agitèrent notre pays bien plus.
(1) L, 843.
(2) Procès-verbaux, VII, p. 300.
(3) PORÉE. Sources de l'Histoire de l'Yonne aux Archives nationales, I, p. 56
(4) Procès-verbaux du département, VI, p. 322.
53 HISTOIRE DE BLÉNEAU 57
longtemps que la crise des subsistances, car si l'on peut arriver d'une façon relativement prompte à calmer des désordres matériels, il est beaucoup plus difficile d'imposer silence aux consciences surexcitées par la persécution.
Les populations de nos campagnes étaient traditionnellement attachées à leur religion et à leurs prêtres. Ceux-ci, en Puisaye, firent peu d'opposition aux premiers actes de la révolution. M. Ganne, curé de Bléneau, prêta serment à la Constitution civile, du clergé, comme la plupart de ses confrères, et tant que les cérémonies du culte purent être célébrées librement, il n'y eut pas de désordres. Il fut néanmoins déporté comme suspect à l'île de Ré en 1792 et ne put rentrer qu'après un an d'absence.
En janvier 1794 une dénonciation, dont nous ignorons la cause, fut adressée par le comité de surveillance de Bléneau à celui d'Auxerre, qui la renvoya au comité du district de Saint-Fargeau pour une information.
Celui-ci envoya deux de ses membres à Bléneau pour faire une enquête qui fnt infructueuse « en ce que, dit le procès-verbal, le comité de Bléneau est composé de membres vendus au curé, sauf deux » (1). Avant de prendre une décision, le comité de SaintFargeau résolut donc d'attendre l'arrivée annoncée du représentant Maure qui ne vint qu'en avril pour réorganiser les comités.
On peut en conclure qu'il n'existait pas à Bléneau d'hostilité véritable contre le curé, et que les dénonciateurs s'étaient rétractés quand ils avaient vu que l'opinion publique leur était hostile.
Ce qui le prouve, c'est que le 11 février suivant, le curé de Breteau, commune voisine de Bléneau, mais située dans le Loiret, vint « accompagné de beaucoup de citoyens» s'adresser à l'agent national de Bléneau, et lui exposa que les églises étant fermées dans leur département, il lui demandait à célébrer le culte dans celle de Bléneau «qui est tranquille ». L'agent lui en refusa l'autorisation craignant d'exciter des troubles par ce rassemblement de population étrangère à la localité, et en référa au district.. Celui-ci l'approuva et arrêta « que les municipalités seront invi« tées à surveiller ce réveil du fanatisme et à dénoncer les. « ministres du culte qui permettraient à ceux d'autres communes. « de célébrer des cérémonies dans leurs temples » (2).
1. Archives de l'Yonne., L 1132
2. Archives de l'Yonne, L 841.
58 « HISTOIRE DE BLÉNEAU 54
Cependant les mesures de persécution contre la religion catholique se multipliaient, les églises de Lavau, Saint-Martin-desChamps et Ronchères étaient fermées en mars, et la plupart des curés de Puisaye déposaient leurs lettres de prêtrise pour éviter d'être emprisonnés comme suspects. M. Louis-Gabriel Ganne, curé de Bléneau, se résolut le 26 ventôse à cet acte pénible.
Peu après l'église dut être fermée, et comme nous l'avons vu en novembre 1794, elle servait d'entrepôt pour les grains réquisitionnés. Mais les populations ne pouvaient se résigner à être privées des cérémonies religieuses. Aussi le 3 frimaire an III (23 novembre 1794) éclatèrent des émeutes à Bléneau et surtout à Saint-Martin-des-Champs, où une foule nombreuse envahit l'église et assista aux offices; mais quand le comité révolutionnaire de Saint-Fargeau vint y faire une enquête, il fut impossible de savoir quels étaient les promoteurs du mouvement (1). Entre temps le caveau où reposaient les corps des seigneurs avait été violé, les statues des saints décapitées et les vases sacrés envoyés à Saint-Fargeau ainsi qu'une cloche, sur la réquisition de guerre du district.
Un peu plus tard, en nivôse, de nombreux prisonniers autrichiens ayant été envoyés à Saint-Fargeau, le district en affecta six à Bléneau (2) où ils furent logés dans le presbytère, bien que, d'après la loi alors en vigueur, les presbytères désaffectés dussent servir à loger les instituteurs.
Toutes ces mesures mécontentaient les populations, qui ne craignaient pas de manifester leurs sentiments. Le 2 floréal an III (21 avril 1795) le district de Saint-Fargeau reçut une plainte du citoyen Jean-François Le Bois des Guays, juge au tribunal de ce district (3). Il y expose que sa vie n'est pas en sûreté, son domicile à Bléneau a été violé et envahi par des citoyens, le sommant de faire réparer l'église, demandant qu'on mît les prisonniers de guerre hors du presbytère où ils veulent loger leur pasteur sans délais. Ensuite ils ont sonné messe et vêpres. Il ajoute que Ganne, ci-devant curé de Bléneau, n'est pas étranger à ces mouvements, les rassemblements n'ayant eu lieu que depuis son retour. Le nommé Millot était à la tête des manifestants, qui reprochaient à Le Bois d'avoir assuré l'exécution des lois des 13 brumaire, 23 nivôse et 18 floréal an II comme agent national du district.
1. Archives de l'Yonne, L 1132.
(2) PORÉE. Les Prisonniers de Guerre dans l'Yonne, p. 30.
(3) Archives de l'Yonne, L 843. — Procès-verbaux, VII, p. 302.
55 HISTOIRE DE BLÉNEAU 59
Ces lois ou décrets de la Convention confisquaient au profit de la nation les biens des Fabriques et ceux affectés à des fondations pieuses, et restreignaient l'exercice du culte catholique.
Les administrateurs du district, « considérant que les per«
per« qui composaient ce rassemblement sont les mêmes qui
« ont pillé les magasins de la réquisition pour Auxerre, sont
« d'avis que le département ordonne comme mesure de sûreté
« l'arrestation de Ganne, Lauré, Le Fèvre, Chotiard, Gauthier et
« Millot, comme auteurs des mouvements contre-révolution«
contre-révolution« de Bléneau; qu'on requère pour l'exécution une force « armée de 20 gendarmes ; et que la maison d'arrêt de ce dis« trict n'étant pas assez sûre, ils soient transférés dans celle « d'Auxerre ».
Immédiatement un courrier fut dépêché à Auxerre, portant l'arrêté du district à l'administration départementale qui, dans sa délibération du 4 floréal, au lieu de prendre une décision, « considérant que le représentant du peuple Maillie est en ce
« moment à Auxerre, et que les faits en question lui ont été sou« mis par le district de Saint-Fargeau, arrête qu'elle s'en rapporte « aux mesures que le représentant va prendre dans sa sagesse « pour rendre la tranquillité à une partie du département qui « paraît agitée ».
Nous n'avons pu savoir quelles mesures prit Mailhe, mais, en lisant ces documents, on a l'impression que les diverses administrations étaient alors assez embarrassées pour accomplir leurs fonctions. Ne voulant pas contrevenir ouvertement aux lois encore en vigueur, et se rendant compte cependant que le règne
de la Terreur était terminé et que l'opinion publique appelait le calme et la fin des persécutions, chacune d'elles Cherchait à rejeter la responsabilité sur une autre. Les municipalités surtout,
qui sont souvent accusées de négligence, se trouvaient prises
entre la crainte de leurs électeurs et celles des administrations supérieures.
Bien que les tendances modérées fussent dès lors dominantes, les restrictions apportées à l'exercice du culte demeuraient
encore en vigueur, mais les catholiques cherchaient à rétablir, même de force, tout ce qui avait été supprimé. Le 23 messidor an III (11 juillet 1795) le citoyen.Péron, chargé de la garde du magasin de fers, cloches et autres objets appartenante la nation dans le district de Saint-Fargeau, déclare que deux cloches et trois bénétiers de fonte en ont été enlevés; il a appris que des habitants de Bléneau s'étaient emparés d'une des cloches et ceux
60 HISTOIRE DE BLÉNEAU 56.
de Saint-Fargeau de l'autre et d'un bénitier. L'administration départementale arrête que le district de Saint-Fargeau emploiera les mesures qui sont à sa disposition pour prendre des renseignements (1).
Mais si les habitants de Bléneau avaient pu reconquérir unecloche, ils n'étaient pas libres de s'en servir comme ils voulaient.. En avril 1795, le district ordonnait des mesures de sûreté contre ceux qui se permettaient de sonner les cloches; lé 5 juin 1796, l'administration départementale correspond à ce sujet avec la municipalité de Saint-Fargeau. Le 3 prairial précédent un rassemblement de citoyens s'est présenté devant celle-ci, demandant la permission de sonner les cloches ; le fanatisme, dit-on, se réveille à Bléneau et à Saint-Privé. Selon la réponse du département « la loi ne permet le son des cloches que pour les objets. « d'utilité publique; c'est aux administrations municipales de « déterminer la réalité de cette utilité, en veillant à ce qu'elles ne« soient jamais sonnées à des heures que les sectateurs d'un culte « choisissent pour s'assembler » (2).
Le 13 frimaire an V (3 décembre 1796), le commissaire du directoire de Saint-Fargeau dénonce le canton de Bléneau comme conservant les cloches et faisant sonner l'angélus et le catéchisme (3).
Dans toutes ces circonstances, Saint-Fargeau surveillait Bléneau, qu'on trouvait trop attaché aux anciennes traditions. La municipalité de Saint-Fargeau, se mêlant en somme de ce qui ne la regardait pas, adressait à l'administration centrale du département une plainte portant qu'à Bléneau et à Saint-Privé les lois étaient violées, les patriotes vexés et les autorités constituées peu respectées. Le département répond le 17 prairial an IV (5 juin 1796) en demandant l'envoi des procès-verbaux constatant qu'effectivement « les patriotes sont en danger et ont été frappés » (4).
Nous n'avons pu trouver existence de procès-verbaux de ce genre ni savoir si ces dénonciations étaient fondées.
Parmi les mesures prises par la révolution contre l'ancien régime ou ses partisans, une de celles qui dans bien des endroits, donnèrent lieu à plus de troubles et dont les conséquences se firent sentir le plus longtemps, parce qu'elle était d'ordre éco(1)
éco(1) de l'Yonne, L 68.
(1) Archives de l'Yonne, L 209.
(2) Abbé BONNEAU : Notes sur l'Histoire du Clergé de l'Yonne, p. 95.
(3) Archives de l'Yonne, L 209.
57 HISTOIRE DE BLÉNEAU 61
Comique encore plus que politique, était la vente des biens nationaux.
A Bléneau elle eut peu d'importance, les biens ecclésiastiques y étant relativement peu nombreux, et les possesseurs des anciennes seigneuries n'ayant généralement pas émigré. Les biens du prieuré de Saint-Cartaut et ceux de la Fabrique de l'Eglise furent vendus en 1791. M. Robert, conseiller au parlement de Paris, et seigneur de Prie auprès de Champcevrais, ayant émigré, les propriétés qu'il avait sur Bléneau furent mises en vente en juin 1794 et septembre 1796 (1). La constitution des propriétés ne fut donc pas changée par ces quelques ventes, et Bléneau est restée un pays de grandes propriétés, régime naturel dans une région de bois et d'élevage.
Selon la Constitution de l'an III, votée le 22 août 1795, les circonscriptions administratives étaient simplifiées par la suppression des districts. Celui de Saint-Fargeau cessa ses fonctions le 7 novembre 1795 et le canton de Bléneau releva dès lors directement de l'administration départementale.
Les tendances modérées ettolérantes d'une partie du Directoire et des Conseils amenèrent une réaction au profit des derniers terroristes par le coup d'Etat du 18 fructidor an V, qui se fit sentir de suite dans les départements. Les élections municipales qui venaient d'avoir lieu furent annulées par suite d'une loi du 5 fructidor, et l'administration centrale maintint provisoirement en fonctions les administrations en exercice avant les élections à Saint-Fargeau et à Bléneau (2). C'était alors M. Mercier qui était président de la municipalité du canton de Bléneau, Jolivet était agent municipal et Couvert adjoint pour la commune de Bléneau; Chenou, commissaire du Directoire exécutif.
Pour distraire le peuple de toutes ces préoccupations d'ordres divers et lui persuader qu'il devait être heureux, le Directoire, continuant les traditions de la Convention, attachait une grande importance aux fêtes publiques. Une occasion très légitime de réjouissances patriotiques se produisit à la fin de 1797. La paix de Campo-Formio, signée le 15 octobre, avec l'Autriche, mettait fin. à de longues guerres et couronnait la brillante campagne du général Bonaparte en Italie. Le gouvernement ordonna donc la célébration de la Fête de la Paix continentale. Elle eut lieu à Bléneau le 19 janvier 1798, et selon le procès-verbal rédigé dans
(1) Annuaire de l'Yonne, 1893, p. 246.
(2) Archives de l'Yonne, L 66.
62 HISTOIRE DE BLÉNEAU 58:
le style emphatique de l'époque (1), au pied de l'arbre de la Liberté on a donné lecture du discours du président de l'administration centrale, la République, le Directoire et le général en chef de l'année d'Italie ont été acclamés. On a ensuite procédé à l'embrasement d'un feu de joie, autour duquel on a chanté des chansons analogues à la cérémonie. Tout s'est passé dans le plus grand ordre et chacun a donné à l'envi des témoignages de gaieté et de patriotisme.
Il était nécessaire en effet de réveiller l'esprit patriotique, bien assoupi depuis les premières années de la Révolution, comme nous le voyons par les procès-verbaux d'élections qui nous ont été conservés (2). Les assemblées primaires, comprenant tous les « citoyens actifs » (3) se réunissaient par canton : celle du canton de Bléneau, qui comprenait 572 électeurs en 1794, en comptait 605 en 1798. Elle se réunit le 31 mars de cette année sous la présidence du citoyen Le Boys des Guays pour élire l'administration municipale, mais 116 votants seulement y prirent part.
Olivier Mercier fut nommé président de cette administration du canton, Jean-Louis Germain, juge de paix, et Le Boys des Gays, Chenou et Tronquet, électeurs. Ceux-ci, nommés à raison d'un par 200 citoyens ayant droit de voter, étaient chargés euxmêmes d'élire les représentants aux conseils des Cinq-Cents et des Anciens par un suffrage à deux degrés. Le 20 avril suivant, les citoyens Mercier, président, Janot, agent municipal et les adjoints désignés pour chaque commune (Châteignier pour Bléneau) se constituèrent en assemblée municipale, et prêtèrent serment de haine à la royauté et à l'anarchie.
Le 21 mars 1799, sur 608 citoyens ayant droit de voter, 58 seulement prirent part à l'assemblée, où furent nommés électeursOlivier Mercier, Le Mègre et Janot.
L'année précédente, les officiers municipaux de Bléneau avaient été encore changés, mais dans un sens qui ne s'accordait pas avec les idées en faveur près le gouvernement. En effet, le 18 vendémiaire an VII (8 octobre 1798) l'administration départementale, apprenant que les citoyens Antoine Lesire, agent municipal et Jean Germain, adjoint de la commune de Bléneau, « sont entrés. « le 1er fructidor précédent dans l'église dudit lieu à la tête d'un
(1) Archives de l'Yonne, L 238.
(2) Archives de l'Yonne, L 967.
(3) Citoyens âgés de plus de 25 ans et payant une contribution active égale à: 3 jours de travail.
59 HISTOIRE DE BLÉNEAU 63.
« détachement de la garde nationale, accompagnés d'autres fonc« tionnaires publics et de nombre de citoyens, et y ont fait chan« ter une messe par le ministre du culte catholique, décide que l'agent et l'adjoint sont provisoirement suspendus de leurs fonctions en attendant la décision du Directoire exécutif (1). C'est probablement à la suite de cette dénonciation que M. Ganne, curé de Bléneau, qui avait repris ses fonctions depuis plusieurs années, fut condamné à la déportation le 4 novembre 1798 et resta interné à l'île de Ré du 26 décembre au 23 juillet 1800 (2).
Mais les rigueurs administratives contre les municipalités jugées trop modérées ne devaient pas s'arrêter là. Le 25 fructidor an VII (Il septembre 1799), l'administration centrale du département, « informée que les citoyens Antoine Lesire, agent de Blé« neau, Jean Germain, son adjoint, Noyer, adjoint de Rogny, « Tronquet, adjoint de Champcevrais, Régnier, adjoint, et Renau« don, agent de Saint-Privé, loin de propager les principes répu« blicains, s'efforcent de les anéantir, en tolérant l'inexécution
« des lois, qu'ils sont attachés aux anciens préjugés religieux
« arrête :
« Les citoyens susdits sont provisoirement suspendus de leurs « fonctions. Considérant en outre que l'administration cantonale « de Bléneau ne se trouverait plus représentée que par les « citoyens Mercier, président, Horry, agent de Rogny, et Pel« letier, adjoint de Saint-Privé, arrête : Il sera formé une com« mission temporaire dans le canton de Bléneau, pour y exercer « conjointement avec lesdits citoyens Mercier et autres les fonc« tions municipales. Cette commission sera composée pour « Bléneau des citoyens Cosme Brégaud, officier de santé, comme « agent, et Jean Vignelle, comme adjoint. » (3)
Par suite, un arrêté du Directoire, du 26 vendémiaire suivant (18 octobre 1799) destitua définitivement les citoyens Lesire, Germain, et autres de leurs fonctions « pour avoir toléré l'inexé« cution des lois et donné eux-mêmes l'exemple de la violation « de celles relatives aux institutions républicaines » (4). Le Directoire nommait pour les remplacer ceux qui avaient déjà été désignés par l'administration départementale.
(1) Archives de l'Yonne, L 75.
(2) Abbé BONNEAU : Noies sur l'Histoire du Clergé de l'Yonne, p. 94.
(3) Archives de l'Yonne, L 77.
(4) Archives de l'Yonne, L 967.
134 HISTOIRE DE BLÉNEAU 60
Le mouvement qui détachait les esprits du régime républicain aux points de vue politique et religieux se manifestait encore d'une autre façon. La longueur des guerres se déroulant dans des pays de plus en plus éloignés et par suite le peu d'intérêt qu'elles présentaient pour des populations essentiellement sédentaires, avaient amené une grande diminution de l'esprit patriotique et guerrier de 1792. Le nombre des déserteurs s'accroissait sans cesse. Ils se réfugiaient des environs dans la Puisaye, pays couvert de bois et d'un accès très difficile à cette époque, où ils trouvaient de sûres retraites. Travaillant dans les fermes et l'hiver dans les bois, ils étaient bien accueillis par les habitants; aujourd'hui encore on désigne certaines familles dont les noms sont étrangers au pays, comme descendant de déserteurs qui s'y étaient réfugiés sous la Révolution ou l'Empire.
En 1799 ils étaient si nombreux dans le canton de SaintFargeau qu'on dut y envoyer une colonne mobile de 12 gendarmes, commandée par le citoyen Certaut, qui fut dirigée sur Bléneau en 1800 (1). Ces dépenses s'élevèrent à la somme de 807 francs qui fut payée par 15 déserteurs ou complices pour le canton de Bléneau.
XV
XIXe SIÈCLE
C'est à la fin de l'année 1799 que se place la clôture de la Révolution en même temps que la République était virtuellement supprimée. Le coup d'état du 18 brumaire (10 novembre) amena l'établissement du Consulat, et bientôt après une nouvelle organisation administrative. Les départements furent, par une loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) divisés en arrondissements plus étendus que ne l'avaient été les districts, et dès lors Bléneau fit partie de l'arrondissement de Joigny.
Une loi du 8 pluviôse an IX (28 janvier 1801) réorganisa les cantons, et depuis cette époque le nôtre comprit Bléneau, Champcevrais, Champignelles, Louesme, Rogny, Saint-Privé, Tannerre et Villeneuve-les-Genêts.
A la tête de chaque département fut placé un préfet : nous pouvons remarquer que ce fut Bléneau qui fournit le premier
(1) Archives de l'Yonne, L 77, 528.
131 HISTOIRE DE BLÉNEAU 65
préfet de l'Yonne : M. Rougier de la Sergerie. Après avoir été député à la Législative, il s'était retiré dans l'ancien château des Courtenay, se livrant aux études d'économie politique et d'agronomie qui lui avaient déjà fait un nom avant 1789, et qui le firent nommer en 1799 correspondant de l'Académie des Sciences dans la section d'économie rurale (1). Nommé préfet de l'Yonne au début de l'année 1800, il fut installé officiellement le 22 mars (2) et prononça à cette occasion un long discours dans le style emphatique de l'époque.
Il s'y plaint avec véhémence de la renaissance de l'enseignement religieux dans les écoles, et du discrédit qui pèse sur les instituteurs fidèles aux lois et aux institutions républicaines. Il recommandait ouvertement aux fonctionnaires de né faire travailler que les artisans républicains et de faire assister leurs épouses aux fêtes républicaines (3).
Si M. de la Bergerie était un savant agronome et un administrateur avisé, on voit par ce langage qu'il n'avait pas beaucoup de prévoyance en politique et ne devinait pas dans quel sens le vent allait souffler. Il ne pensait pas que l'année suivante serait signé le Concordat qu'il fît exécuter avec autant de zèle qu'il mit à servir l'Empereur jusqu'en 1813, date à laquelle il fut remplacé , par M. de Fermont. Ses fonctions lui avaient valu le titre de Baron de l'Empire.
L'ancienne administration départementale disparaissant fut remplacée par le Conseil général ; celui de l'Yonne était composé de vingt membres nommés par le gouvernement. Tous les cantons n'étaient donc pas représentés ; ce ne fut seulement à partir de 1833, quand Je Conseil général devint électif, que le canton de Bléneau eut un représentant particulier.
En même temps que les départements, les communes étaient réorganisées et administrées désormais par un Conseil municipal sous la présidence d'un maire. Le premier maire de Bléneau fut M. Gaudé, nommé en 1800.
Après les épreuves de toute sorte causées par la Révolution, le calme se rétablit rapidement dans nos contrées dès que l'organisation gouvernementale et administrative fut devenue stable. On en trouve immédiatement la preuve dans le mouvement de la
(1) LEBEUF, IV, p. 443.
(2) Annuaire de l'Yonne, 1896, p. 147, 156. — MONCEAUX : La Révolution dans l'Yonne, p. 629, 638
(3) Jacques RÉGNIER : Les Préfets du Consulat et de l'Empire, p. 31.
66 HISTOIRE DE BLÉNEAU 62
population. En 1790 elle était de 1006 habitants, en 1801 elle en compte 1054, en 1806 c'est 1084, et elle ne cesse de s'élever jusqu'à doubler en 1855, époque où elle atteint son maximum, comme on pourra le voir dans le tableau que nous donnons plus loin.
M. de la Bergerie, qui était resté attaché aux opinions de l'Empire, fut nommé le 30 mars 1815, préfet de la Nièvre, par Napoléon, à son retour de l'île d'Elbe, mais il ne conserva pas ses fonctions après les Cent-Jours.
Il se retira alors à Bléneau et continua ses études agronomiques; il publia ainsi une Histoire de l'agriculture française et un traité sur les Forêts de la France.
Il mourut le 13 septembre 1836, à Paris. Auparavant il avait vendu la terre de Bléneau à M. Lemaigre, dont le petit-neveu, M. Dethou, lui succéda et fut le père d'Alexandre Dethou, maire et conseiller général de Bléneau, et longtemps député de l'arrondissement de Joigny (1). Mais ce sont là des souvenirs trop récents et touchant à des questions politiques encore trop discutées pour que nous nous y arrêtions.
Recherchons plutôt quelles modifications économiques se sont produites dans l'état du pays. Après la Révolution on avait repris la construction des routes, mais ce ne fut qu'à partir de 1833 qu'elle prit un développement sérieux. La grande route de SaintFargeau à Montargis et plus tard celle d'Auxerre à Briare, traversant de part en part le territoire de Bléneau, l'ouvrirent largement aux relations du dehors et entraînèrent l'établissement des. nombreuses petites routes qui remplacent aujourd'hui les affreux chemins caractéristiques de la Puisaye d'autrefois. En même temps la pratique du marnage, puis celle du drainage, transformaient les champs dont le rendement s'améliorait dans des proportions inespérées. Longtemps on projeta la construction d'un chemin de fer qui devait compléter ces transformations; enfin l'ouverture de la ligne d'Auxerre à Gien, en 1884, vint donner satisfaction aux voeux de tout le pays. Récemment la création d'une ligne d'autobus de Toucy à Bléneau par Mézilles, puis celle d'une autre ligne allant à Châtillon-sur-Loing, ont complété le réseau des communications et assuré la prospérité de notre petite ville.
Mais ne nous laissons pas éblouir par ces progrès matériels au point d'oublier nos devanciers, et encore moins de les mépriser
1. Annuaire de l'Yonne, 1897, p. 165.
63 HISTOIRE DE BLÉNEAU 67
Les hommes des siècles passés, dont nous avons raconté l'histoire, et dont les moeurs nous semblent parfois si grossières, avaient des coeurs vaillants et sensibles aux nobles affections. Vivant d'une vie plus concentrée dans leur petit coin dé terre, ils n'en étaient que plus attachés aux sentiments de famille, à l'amour de leur petite patrie qu'ils savaient défendre contre les invasions des ennemis. C'est à leur patient labeur que nous devons les fondements de notre prospérité : sachons leur garder notre reconnaissance. Aussi, dirons-nous aux habitants de Bléneau, respectons tous les souvenirs de nos ancêtres; ne les laissons pas périr, surtout ne les détruisons pas sous prétexte qu'ils nous paraissent trop démodés. Les progrès dont nous sommes si fiers paraîtront tout aussi démodés à nos petits-fils.
XVI.
ÉGLISE
Au sud de l'église se trouve un puits correspondant peut-être à une de ces fontaines pour lesquelles les Gaulois avaient un culte, et qui furent plus tard sanctifiées par la construction d'églises, comme à Alligny et à Argenou (1). Nous ne donnons cette hypothèse que pour ce qu'elle vaut.
Le premier document que nous ayons sur la paroisse de Bléneau se trouve dans les statuts de saint Aunaire. Cet évêque, qui occupa le siège d'Auxerre de 572 à 603, établit en effet que les paroisses de son diocèse feraient chaque mois à tour de rôle des prières particulières, et le vingt et unième jour est attribué à Blanoilum cum appendiciis. Ces dépendances de Bléneau indiquées ici doivent être des chapelles établies aux environs, qui devinrent plus tard des paroisses, telles que Breteau ou Saint-Privé.
Un siècle plus tard, saint Tétrice, évêque d'Auxerre de 691 à 706, confirma ces mêmes statuts, et la quatrième semaine de juillet, y est affectée à Bléneau, sans autre mention.
La paroisse, et par suite l'église, existaient donc au plus tard dès le commencement du VIe siècle, mais l'église primitive, probablement petite et n'ayant pas de voûte en pierre, a totalement disparu. L'église actuelle date de la fin du XIIe siècle et est dès lors une des plus anciennes manifestations du style ogival dans
(1) Communes de la Nièvre, arrondissement de Cosne.
68 HISTOIRE DE BLÉNEAU 64
notre pays. La découverte qu'on y a faite d'assez nombreux sarcophages en pierre blanche semble indiquer qu'elle occupe l'emplacement d'une première église. Construite en entier d'un seul jet, elle dut entraîner des frais considérables pour l'époque, car la pauvreté du sol environnant en matériaux de construction obligeait à aller les chercher jusqu'à Moutiers ou Saint-Sauveur. Les murs sont en effet entièrement construits en grès ferrugineux.
La façade nous présente un portail assez simple, composé de trois arcs de forme ogivale, ornés de rosaces et de moulures, et reposant sur autant de colonnes dont les chapiteaux sont décorés de feuilles d'eau. Le tympan est nu et la porte en plein cintre sans ornement. Ce portail est adossé au mur de façade et non pris dans son épaisseur, ce qui lui eût donné plus de profondeur. Il est surmonté de deux baies jumelles en plein cintre et d'un oculus. A gauche, un petit porche du style Renaissance, donnant entrée dans le bas côté.
A l'intérieur, l'église a trois nefs : sa longueur est de 35 mètres, la largeur est de 14 m. 90 et la hauteur de la nef principale de 14 mètres. Les nefs latérales se prolongeaient jusqu'à l'abside sans l'entourer. Le système d'arcature est ogival, mais les baies sont en plein cintre. La voûte de la nef a été refaite en 1877 et en briques creuses au-dessous de l'ancienne voûte en bois. Les nervures en croisées d'ogive qui la supportent reposent sur des consoles ornementées dans la nef et les bas-côtés. Les murs de la nef sont portés par des piles carrées sans chapiteaux, caractère qui parait propre à cette église, et indique le gothique primitif; un grand caveau, qui servait autrefois de sépulture aux seigneurs, se trouve sous le choeur; il a été profané en 1793 par la recherche du salpêtre, et les tombes détruites. Lors de la restauration de l'église il a été comblé et le. sanctuaire, qui avait été surhaussé, ramené à son niveau actuel. La dernière travée du collatéral gauche a été retranchée pour former la chapelle seigneuriale qui communique avec le choeur par une arcade en plein cintre surbaissé, surmonté d'une inscription : Fidei vis nescia solvi.
L'autre côté du choeur était occupé autrefois par le superbe tombeau élevé à Gaspard de Courtenay par sa seconde femme, vers 1610. De ce monument, surmonté autrefois de deux statues agenouillées, qui est reproduit dans le grand ouvrage de du Bouchet, il ne reste plus que les deux inscriptions suivantes encastrées dans la muraille :
65 HISTOIRE DE BLÉNEAU 69
A droite : Cy git Madame Emmée du Chesnay, en son vivant femme et espouse du très hault et très illustre seigneur du sang royal de France, Monsieur Gaspard de Courtenay, seigneur de Bléneau, Villard, Lermitte et la Motte Messire Raoulx, laquelle décéda le Xe jour de mai mil VIe III. Priez Dieu pour elle !
A gauche: Cy gist très hault et très illustre prince Mgr Gaspard de Courtenay, seigneur de Bléneau, Villard, Lhermitte et la Motte Mre Raoulx, lequel est décédé le Ve jour de janvier mil VIe VIII.
Priez Dieu pour lui !
et entre les deux cette autre inscription, démentie, hélas ! par la suite des faits :
Superent exempla nepotes
Sur le mur en face, à côté de l'ancienne chapelle seigneuriale, est peint, dans un encadrement du xve siècle, un cavalier de grandeur naturelle, armé de toutes pièces. La housse de. son cheval est ornée de trois écussons aux armes de Courtenay, parties de celles de Melun, de Saint-Verain et de Sancerre. C'est l'effigie de Jean II de Courtenay, telle qu'il l'avait ordonné par son testament en 1460, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Cette peinture fut restaurée en 1511 par son petit-fils Jean IV et l'a été encore récemment. On a rétabli dans l'église une grande vasque en bronze, ornée de moulures et d'écussons aux armes de France qui doit avoir servi de fonts baptismaux.
Le clocher, situé à droite du choeur, était autrefois plus élevé et la partie supérieure était ornée de colonnettes dont la base subsiste seule depuis qu'en 1680 la foudre a détruit la flèche. Il fut reconstruit tel qu'il est en 1690 (1) Il abrita deux cloches nommées Agathe et Cécile ; celle-ci fut bénie en 1789.
(1) Archives de l'Yonne. G 2427.
70 HISTOIRE DE BLÉNEAU 66
CHAPELLES
Outre l'église, il existait autrefois plusieurs chapelles dans la paroisse, sans parler de celle dû château.
Au milieu de l'ancien cimetière, remplacé en 1855 par une place publique, s'élevait la chapelle Saint-Roch, où l'on faisait quelquefois des inhumations.
Celle de Notre-Dame-de-Liesse, dont le bâtiment appartient à l'Hôtel-Dieu, se trouvait dans la partie inférieure de la ville et existe encore dans une maison particulière. On y faisait aussi des inhumations jusqu'au XVIIIe siècle. On peut voir dans l'église un ex-voto qui en provient, et commémore le souvenir de sa fondation. C'est un groupe en bois, d'un mètre de haut, de facture assez primitive, et paraissant dater de la Renaissance, représentant trois chevaliers enfermés dans une tour et au dehors une femme leur présentant une image de la Sainte-Vierge et de l'enfant Jésus. M. Dey a raconté la légende de Notre-Dame-de-Liesse (1), qui se retrouve plus ou moins altérée dans d'assez nombreuses chapelles élevées sous ce même vocable dans plusieurs provinces de France. Aussi ne pouvons-nous certifier l'exactitude de celle de Bléneau. Cette chapelle existait encore en 1680 et on y disait la messe.
La chapelle de Notre-Dame-de-Saint-Posant était située dans la cour du château du Coudray. D'après la tradition, Saint-Posen ou Posant, curé de Châtillon-sur-Loire, vint se retirer à cet endroit pour y vivre en ermite, et y mourut. Il est honoré comme saint dans le diocèse d'Orléans. Cette chapelle avait probablement été ruinée pendant les guerres de religion, car en 1619 Jean de Courtenay, seigneur des Salles et du Coudray, obtint de l'évêque d'Auxerre la permission de la faire reconstruire (2), mais au siècle suivant elle tombait encore en ruines. Elle était desservie par un chapelain spécial, à la présentation du seigneur du Coudray. C'est ainsi qu'en 1694 Louis-Charles de Courtenay présentait à l'évêché Nicolas Lemagne pour ce bénéfice (3). En 1658, Madeleine de Courtenay, dame du Coudray, avait présenté à ce bénéfice Ambroise Burey, curé de Bléneau, mais en 1681 LouisCharles, héritier de Madeleine, jugea qu'il y avait là incompatibilité et abus et présenta à sa place M. Antoine Charpentier.
(1) Annuaire de l'Yonne. 1848, p. 27.
(2) LEBEUF. II, p. 210.
(3) Archives de l'Yonne. G. 1653.
67 HISTOIRE DE BLÉNEAU 71
Au lieu dit les Chapelles, dans une propriété appartenant aujourd'hui à l'hospice, s'élevait la chapelle Saint-Cartaut. En c 1394, Pierre de Courtenay, seigneur de Bléneau, lui laissa par testament la somme de cinq sous tournois (1). Elle constituait un prieuré dont dépendaient plusieurs pièces de terre. En 1773, le prieur, Pierre Ducrot, chanoine d'Auxerre, les affermait pour 60 livres (2); ces terres furent vendues comme biens nationaux en 1791.
Enfin, la chapelle Saint-Lazare, qui devait dépendre de l'ancienne maladrerie.
Il y avait, dans l'église de Bléneau, diverses anciennes fondations pieuses. Par exemple, le jeudi, le curé devait célébrer une messe du Saint-Sacrement pour les paroissiens, et cette coutume étant tombée en désuétude, une sentence de l'évêché d'Auxerre, rendue le 20 septembre 1499, condamna le curé à" remplir exactement cette obligation.
Comme dans plusieurs paraisses des environs existait à Bléneau l'usage de la Boîte des Trépassés; les. offrandes en pain et en vin, faites chaque dimanche, étaient vendues après la messe, par les soins d'un procureur spécial qui en conservait le produit dans un coffre ad hoc (d'où le nom de boîte) et l'employait à faire dire des messes pour les défunts de la paroisse. Les comptes de la Boîte des Trépassés pour le commencement du XVIIIe siècle sont conservés aux archives départementales(3), ainsi que ceux de la fabrique de l'église depuis 1652.
Ceux-ci comprennent d'abord les recettes : prix des inhumations et services, rentes, produit des terres appartenant à l'église, puis les dépenses : cire et huile pour le luminaire, ornements, honoraires du prédicateur du carême, ordinairement un capucin, irais des processions qu'on faisait à certaines époques à SaintEusage, à Saint-Privé, à Champignelles ou au prieuré de PlainMarchais, près de Lavau.
Malheureusement ces comptes, tenus par les procureurs de la fabrique, n'étaient pas rendus tous les ans à époque fixe, comme aujourd'hui, mais seulement quand l'évêque envoyait un délégué pour les recevoir. Quelquefois les procureurs étaient morts et
(2) Du BOUCHET. Preuves, p. 128.
(3) Archives de l'Yonne. H 1649.
(4) G 1653.
72 HISTOIRE DE BLÉNEAU 68
leurs héritiers avaient peine à retrouver des comptes datant de plusieurs années.
Ainsi en 1674 l'évêque d'Auxerre délégua Messire Edme Sévin, curé de Toucy, comme commissaire chargé de recevoir les comptes de la fabrique de Bléneau depuis 1660.
Depuis cette époque les comptes se succèdent régulièrement, portant presque toujours les mêmes mentions. En 1690 le prince de Courtenay donne le bois nécessaire à la réparation du clocher incendié par la foudre. En 1701, la fabrique paye Socourt, recteur des écoles, « pour avoir enseigné six pauvres enfants orphelins, suivant le testament de feu M. Dubé qui a légué trois quartiers de pré au pré du Marlin ».
Le compte de 1782 porte cette mention : « à Jacques, pour avoir sonné du cor de voix pendant deux ans, 20 livres ». La recette totale de ce compte, pour deux ans, se monte à 2.940 livres.
L'église avait un certain nombre de terres qui lui appartenaient en vertu de donations et surtout de legs. Plusieurs testaments en sa faveur sont également aux archives de l'Yonne (1). Celui de Jehanne l'Oublieuse (2), du 24 juin 1444, porte un legs de six bichetées de terre en la censive de la Motte. Nous avons déjà mentionné les nombreuses fondations des Courtenay. Le 22 septembre 1562, Jeanne Dupommier veut qu'au service qu'elle demande il soit donné 2 sols 6 deniers au maître d'école et lègue 30 sols tournois « à la réparation de l'église », en même temps, qu'un demi-quartier de pré au Coudray. Nous donnons aux pièces justificatives ce curieux testament qui montre l'importance que nos ancêtres attachaient aux cérémonies religieuses, surtout pour les enterrements.
En novembre 1644, testament léguant un demi-arpent de vigne à la Cailloterie, paroisse de Bléneau.
Le 21 avril 1711 Marie Le Bois, veuve de Jean Lecourt, lègue à l'église la moitié de la métairie des Branchereaux et le moulin des Bazins.
D'après un mémoire rédigé en 1680 par le curé, son revenu personnel se composait de 800 livres de dîmes et casuel.
Nous donnons en appendice la liste des curés dont nous avons, pu retrouver les noms.
(1) G 2426.
(2) Faiseuse d'oubliés, friandise très goûtée au Moyen-Age.
69 HISTOIRE DE BLÉNEAU 73
MALADRERIE
Pour soigner la lèpre, cette maladie si répandue dans l'antiquité et au Moyen-Age, on avait établi des maladreries ou léproseries dans tous les bourgs de quelque importance, Celle de Bléneau (1) existait en 1395 et probablement depuis une époque bien antérieure: Si la disparition graduelle de la lèpre rendit plus tard cette institution presque inutile, elle n'en continua pas moins d'exister, possédant des biens et une administration particulière, jusqu'à sa réunion avec l'Hôtel-Dieu.
HOTEL-DIEU
Cet établissement est également très ancien et fut, en 1395, le bénéficiaire d'un legs de Pierre II de Courtenay (2).
En 1648, Edme Dubé, docteur en médecine à Montargis, lui légua un revenu de 24 boisseaux de blé et 70 sols en argent d'une part et 8 boisseaux de blé et une rente foncière de 3 livres 6 sols ; avec le grain on devait faire des pains pour les pauvres ; l'argent était destiné à la célébration d'un service annuel à l'autel SaintPaul dans l'église de Bléneau (3). Nous possédons quelques comptes de l'hôpital. En 1683, Gallois Perrault, administrateur, rendit des comptes depuis 1679 (4). On y relève le prix des grains, achetés pour être distribués aux pauvres. En 1680 le boisseau de blé valait 14 sous et le prix du seigle était le même. Les bourrées, ou fagots coûtaient 6 deniers la pièce. En 1679 on avait payé 12 livres pour la pension d'un enfant trouvé.
Par un édit de 1672, Louis XIV avait attribué à l'ordre hospitalier de Saint-Lazare et du Mont-Carmel les revenus des hôpitaux et maladreries, à charge d'y exercer l'hospitalité. Les revenus de l'Hôtel-Dieu de Bléneau ayant été saisis à la requête de cet ordre». Edme Leboys, qui était administrateur, en demanda main-levée, car cet établissement ne rentrait pas dans la catégorie dé ceux qui avaient été attribués à l'ordre de Saint-Lazare et, par un arrêt du 1er août 1676, la Chambre royale de Paris fit droit à sa réclamation ; ce ne fut cependant qu'en 1696 que ce procès fut com(1)
com(1) de l'Yonne. G 1673.
(2) Inventaire des Archives de l'Yonne. IV p. CXXVIII.
(3) Bulletin Société des Sciences. 1901, p. 302. — Archives de l'Yonne. H. 2358.
(4) G 2427.
74 HISTOIRE DE BLÉNEAU 70
plètement terminé. En effet, les revenus de la maladrerie de Bléneau, estimés en 1696 à 27 livres, étaient restés en la possession des Hospitaliers de Saint-Lazare et mis à leur commanderie de Clamecy. A la suite d'une enquête faite par l'évêque d'Auxerre, un arrêt du Conseil de 1696 ordonna leur réunion à l'Hôtel-Dieu de Bléneau pour être employés à la nourriture et à l'entretien des pauvres (1).
Les comptes des recettes et dépense : depuis 1660 existent encore en grande partie aux archives communales et à celles du département. En 1680, la rente léguée par le sieur Dubé, de Montargis, ayant été remboursée, les administrateurs, du consentement des notables de la ville, décident qu'il sera pris sur ce. capital de quoi faire faire un lit pour coucher les pauvres, « n'y ayant de présent « qu'un méchant petit lit fort mal garny ». On achètera aussi un coffre pour mettre le linge, et le reste du capital sera replacé en rente foncière.
En 1740, à la suite d'un long procès entre les habitants et le curé de Bléneau, le présidial de Montargis décida que le coffre où étaient déposés les titres de l'hôpital et qui fermait à deux clefs, dont l'une aux mains du curé et l'autre aux mains du fabricien, aurait à l'avenir une troisième clef qui serait réservée à l'administration de l'hôpital.
Les biens de' cet établissement se composaient surtout de prés d'une maison, rue Haute, achetée 267 livres, et de 17 arpents de terre qui étaient affermés 68 livres en 1761. A cette époque, l'administration de ces propriétés se fait d'une manière plus régulière que par le passé; le receveur-administrateur de l'HôtelDieu était nommé pour trois ans par l'assemblée des habitants. Le compte de 1768-1770 se solde par 1946 livres 11 sols 6 deniers de recette, et 1898 livres 17 sols de dépenses, ce qui donne un revenu annuel de 656 livres (2).
Les malades, qui n'étaient qu'on nombre de deux en 1771 (3), étaient soignés par une femme à laquelle on donnait 30 sols par semaine, sous la direction du sieur Brigault, l'un des chirurgiens de la ville auquel le service médical avait été confié par adjudication au rabais, à la charge de ne pouvoir administrer aucune médecine ni remède sans que le curé en eût connaissance. Peu de
(1) Inventaire des Archives de l'Yonne, IV. Préface, p. CXIII. — Id., G 1673. (2) Annuaire de 1862, p. 159. (3) Inventaires, IV, p. CXXVIII.
71 HISTOIRE DE BLÉNEAU 75
après, l'autre chirurgien, nommé Leroy, étant mort, sa veuve continua à remplir les fonctions de son mari : elle administrait
des « tisanes diurétiques, des pilules hydragogues » et passait la pierre infernale. Elle avait même formé un élève, Etienne Guillemineau, qu'elle fît agréer, le 28 août 1774, comme chirurgien de l'Hôtel-Dieu (1).
XVII
ÉCOLES
Bien que les documents sur l'instruction publique soient rares, nous savons cependant qu'elle était organisée à Bléneau dès le XVIe siècle. Par son testament du 22 septembre 1562, Jeanne Dupommier lègue 2 sols 6 deniers au maître d'école chaque fois qu'il assistera aux services religieux qu'elle fonde, et à « ses escolliers et disciples » à chacun 3 deniers à la même occasion.
Les anciens registres d'état civil mentionnent Messire Edme Gravereau comme régent des écoles en 1590. Son successeur, Pierre Assadé, y prend, en 1600, le titre de précepteur des enfants
de la ville de Bléneau. Un mémoire adressé par le curé à l'évêque
d'Auxerre, en 1679, dit que le maître d'école est fort soigneux et
de bon exemple.
En 1691 Jean Socourt. recteur des écoles depuis 1670, était en même temps administrateur des revenus de la chapelle NotreDame-de-Liesse,
NotreDame-de-Liesse, il fut enseveli le 25 décembre 1708. Dès le
milieu de ce siècle les signatures sont assez nombreuses dans les registres paroissiaux.
Nous trouvons ensuite le sieur Le Blanc, petit-fils de Socourt, qui, outre ses fonctions habituelles, exécutait une fondation faite
par une personne charitable, la dame Lecourt, qui avait laissé une somme dont le revenu servait à payer l'instruction d'enfants pauvres. A ce titre Le Blanc reçut 60 livres par an des administrateurs de l'Hôtel-Dieu pour avoir instruit six pauvres pendant
cinq ans. Nous citons avec plaisir cette manifestation si ingénieuse de charité éclairée qui prouve que nos ancêtres étaient loin de se désintéresser de l'instruction du peuple. M. Beaulois était maître d'école en 1734.
Dans les délibérations de la communauté des habitants figure, vers 1770, une pièce qui nous renseigne exactement sur la condi(1)
condi(1) communales.
76 HISTOIRE DE BLÉNEAU 72
tion du maître d'école à la fin de l'ancien régime. C'est un traité entre les habitants et le sieur Edme Loiseau, qui sera chargé pour six ans des fonctions de recteur des écoles, chantre à l'église et secrétaire-greffier de l'Assemblée des habitants. Comme gages il aura 5 sols par mois pour les enfants commençant, 10 sols pour ceux qui apprendront à écrire et l'arithmétique et 15 sols pour ceux qui liront « dans les contrats », c'est-à-dire dans les actes manuscrits. Il lui sera en outre payé par les fabriciens. 30 livres par an pour ses gages de chantre, 5 sols pour un petit enterrement, 10 sols pour un grand, 10 sols pour chaque service et 6 sols par mariage. La communauté lui donnera 20 livres par an pour ses fonctions de secrétaire-greffier.
Loiseau fut remplacé par Antoine Rameau, qui était encore en exercice en 1789 et remplissait toujours la fondation de la dame Lecourt (1).
En 1791, le sieur Follereau, recteur des écoles de Bléneau, se plaint que la Municipalité n'exécute pas le traité fait avec lui le 11 juillet 1790. Le directoire de l'administration départementale, à qui il s'était adressé, arrête que la Municipalité est tenue de remplir les conditions du traité, sauf audit Follereau, dans le cas où elle refuserait, à se pourvoir contre elle par les voies de droit (2). En effet, le tribunal de Saint-Fargeau lui donna raison, et le Directoire ordonna, le 21 juin 1792, que Follereau serait payé de ses appointements conformément au traité.
XVIII
POPULATION
Il est naturellement très difficile de se rendre compte de l'état de la population dans les premiers siècles de notre histoire ; pourtant, si l'on se souvient du cimetière gallo-romain découvert par M. Dey, près de Bléneau, et renfermant de nombreuses tombes, on se convaincra que la population devait être déjà assez importante en cet endroit. De même, la création d'une paroisse au VIe siècle comporte une agglomération de plusieurs centaines d'habitants.
En l'absence de documents précis, les dimensions de l'église,
(1) Archives communales.
(2) Procès-verbaux de l'administration départementale. III p. 241 — IV p. 252.
73 HISTOIRE DE BLÉNEAU 77
construite à la fin du XIIe siècle, indiquent pour la paroisse une population totale d'au moins un millier d'habitants. On sait que pendant le XIIIe siècle et la première-moitié du XIVe, la population s'accroissait rapidement. La guerre de cent ans arrêta ce mouvement et amena même, à plusieurs reprises, une dépopulation plus forte encore dans le Gâtinais qu'en Puisaye. Néanmoins on voit par les documents qui nous ont été conservés, particulièrement les aveux et dénombrements de la seigneurie de Bléneau, que la plupart des hameaux existant aujourd'hui étaient déjà connus au Moyen-Age.
A la fin du XVIe siècle, l'établissement des registres de l'état civil •commença à nous donner des renseignements plus exacts, sinon sur le chiffre total, au moins sur les mouvements de la population. Ainsi, en 1595 il y a 90 naissances, mais l'année suivante on n'en compte plus que 71 et en 1597 c'est 64, tandis qu'il y a 30 décès et 9 mariages (1). Ces chiffres correspondent à une population d'au moins 1.000 à 1.200 habitants. Il est probable que la prise de Bléneau par les reitres, en 1587, devait avoir amené une profonde perturbation.
En 1671, les naissances descendent à 63 et diminuent encore dans les années suivantes. On a attribué cette réduction à la révocation de l'édit de Nantes, en 1685, qui aurait amené l'exil d'un grand nombre dé protestants dans les environs de Châtillon-surLoing. En cette année 1685, le rapport adressé par le curé de Bléneau à l'évêque d'Auxerre sur la situation de sa paroisse déclare 800 âmes (2).
Ce chiffre dut augmenter pendant le siècle suivant, mais l'accroissement de la population ne pouvait avoir son effet normal par suite des épidémies, assez fréquentes alors, et de la grande mortalité sur les jeunes enfants, conséquences de la mauvaise hygiène générale. En 1768, on compte 161 feux, ce qui correspond à 850 habitants environ, mais ce chiffre paraît un peu faible étant donné pour une statistique administrative et financière; il a dû être réduit intentionnellement, car le Dictionnaire d'Expilly (1762) donne 264 feux, ce qui correspond à 1200 âmes.
En 1790, la population totale de Bléneau est de 1.006 habitants, sur lesquels on ne compte que 124 citoyens actifs, c'est-à-dire des électeurs, suivant le langage du temps (3).
(1) Annuaire. 1862, p. 145. (2) Archives de l'Yonne. G 1653. (1) Procès-verbaux de l'administration départementale. I p. 372.
78 HISTOIRE DE BLÉNEAU 74
Voici les chiffres officiels de la population depuis cette époque;
1801 1.054
1806 1.084
1808 1.025
1820 1.213
1831 1.278
1836 1.293
1841 1.313
1846 1.581
1851 1.709
1856 1.770
1861 1.892
1866 2.058
1872 2.010
1876 2.018
1881 2.111
1885 2.143
1890 2.140
1895 2.084
1898 1.994
1904 2.009
1921..... 1.676
De ce tablean on peut tirer les remarques suivantes :
Bléneau a doublé sa population de 1800 à 1866. Pendant la même période, le canton entier offre une augmentation égale ; en 1801 il était classé au 35e rang dans le département, en 1866 il s'élève au 21e. C'est le canton qui a fait le plus de progrès sous ce rapport (1).
Les causes en sont d'abord d'ordre général : grand développement des voies de communications, amélioration de l'hygiène qui résulte elle-même des améliorations dans la culture et d'une meilleure nourriture pour les habitants de la campagne.
Dans les recherches faites par le Dr Duché pour établir la durée de la vie moyenne dans les cantons de l'Yonne (2), nous trouvons une confirmation de ces remarques. Bléneau occupa le dernier rang sous le rapport de la durée moyenne de la vie pendant la première moitié du XIXe siècle, mais cette durée, qui n'était que de 23 ans et 3 mois pour la période de 1801 à 1828, s'éleva à 29 ans et 10 mois pour celle de 1821 à 1851. Il y avait donc eu progrès, mais progrès lent. Les causes de cette mauvaise condition sont les mêmes que nous avons déjà signalées : aisance moins répandue, hygiène défectueuse, surtout pour les enfants ; en résumé, comme le dit M. Duché, « lutte de l'homme avec le sol plus pénible que dans les pays plus riches où la vitalité est plus développée ».
En effet, dans la plupart des communes du canton, en dehors, de la vallée du Loing, le terrain, naturellement froid et humide,
(1) Annuaire. 1879, p. 139.
(2) Annuaire. 1862, p. 174.
75 HISTOIRE DE BLÉNEAU 79
est resté longtemps de faible rapport, jusqu'à la vulgarisation de la marne et du drainage, c'est-à-dire jusqu'au second tiers du siècle dernier.
MOULINS
L'industrie n'a jamais été largement représentée dans le pays de Bléneau où les moulins sont les seules usines connues.
Il était naturel que le cours du Loing amenât de bonne heure leur établissement. Cependant la plus ancienne mention que nous en trouvions ne remonte qu'à 1361. A cette date, Pierre de Courtenay, seigneur de Bléneau, et Pierre, son frère, voulant récompenser les services de Pierre de Morsaut, lui donnent une propriété rapportant 10 livres de revenu, représentée par « le molin « de Rousseaul, avecques tous ses prez et appartenances, séant en « la paroisse de Bléneau sur la rivière de Louen, assez près des « molins Boucaul et de Gaubin » (1).
Le seigneur avait à Bléneau un moulin dont le revenu, payable en nature, est estimé, en 1394, un muid de blé par tiers froment, seigle et mouture, ce qui nous renseigne sur la proportion des céréales cultivées alors (2).
Par une dérogation à la coutume générale au Moyen-Age, ce moulin n'était pas banal, c'est-à-dire que les habitants de là seigneurie étaient libres de faire moudre leurs grains à d'autres moulins que celui du seigneur. C'est seulement en 1497, qu'en échange de quelques usages et d'un droit de pêche, les habitants de Bléneau reconnurent le droit de banalité au profit du moulin seigneurial. Ce moulin et celui de l'Epalu ayant été adjugés aux propriétaires du canal de Briare, en 1666, ceux-ci, plus de cent ans après, tenièrent d'exploiter à leur profit cette banalité qui n'avait jamais été exercée rigoureusement jusque là. Malgré la résistance des habitants, un arrêt du Parlement, du 24 février 1778, les condamna à subir ce droit vexatoire que douze ans après la Révolution vint abolir (3).
Tous les moulins dont nous avons parlé jusqu'ici servaient à moudre les grains, mais on employait aussi le même moteur pour d'autres usages, par exemple à moudre les écorces. pour les tanneries. En 1394, le seigneur de Bléneau mentionne dans son
(1) Do BOUCHET. Preuves, p. 112,
(2) Du BOUCHET. Preuves, p. 129.
(3) Archives communales. Annuaire, 1848, p. 13, 31.
80 HISTOIRE DE BLÉNEAU 76
dénombrement un moulin ou « bouthoer à escorce » qui lui rapportait 60 sols tournois par an. Ce genre d'industrie est d'ailleurs encore connu en Puisaye, mais d'autres moulins n'y sont plus en usage : c'étaient les Foulons. En 1396, un moulin et « bouthoer à dras », situé près de Bléneau et appelé les moulins Havez, appartenait par moitié à Thévenin Bille et au seigneur d'Arrablay, constituant un arrière fiel de la châtellenie de Bléneau. Le même moulin existait encore un siècle plus tard, consacré au même usage (1).
JUSTICE
Au Moyen-Age la justice était rendue, dans la châtellenie de Bléneau, par un bailli assisté de son lieutenant, tous deux nommés par le seigneur, ainsi que le notaire et lés procureurs et sergens.
Pour les appels des jugements du bailli et pour les causes de grande importance, on s'adressait au bailli royal. Bléneau fut pendant longtemps du bailliage de Sens et de la prévôté de Villeneuve-le-Roi. Lors de l'acquisition du comté d'Auxerre par Charles V, en 1371, le roi établit dans cette ville un bailliage auquel devaient ressortir toutes les seigneuries situées entre les rivières de Loire et de l'Yonne, ce qui était le cas de Bléneau.
Enfin, lors de la création du présidial de Montargis, en 1638, la justice de Bléneau lui fut attribuée ainsi que celles d'une grande partie de la Puisaye, et tel fut l'état des choses jusqu'en 1790.
D'ailleurs, comme nous l'avons déjà remarqué, Bléneau a toujours été régi par la coutume de Lorris-Montargis.
Voici les noms des baillis de Bléneau que nous avons pu retrouver (2) :
1417. — Guillaume La Miche.
1483 à 1497. — Laurent Buynàrd, bailly et garde du scel. 1517-1535. — Pierre le Hongre, écuyer, bailly et garde du scel. 1536. — Philbert Odry prend le titre de lieutenant général au bailliage. Bailly en 1543 et 1544.
1548. — Dominique Guichard, juge de la châtellenie.
1556-1562. — Guillaume Odry, bailly.
1563. — Pierre d'Anjou, lieutenant du bailli.
(1) Pièces originales de Courtenay : 402, 406, 504.
(2) Archives de l'Yonne. G 2425. — Du BOUCHET.
77 HISTOIRE DE BLÉNEAU 81
1573. — Guillaume Sery, bailly et garde du scel.
1603. — Nicolas Designy, prévôt et juge de la prévôté.
1648-1651, — Baptiste Chaussoc, bailly et juge ordinaire.
16 . — François Asselineau, lieutenant au bailliage, mort en 1652.
16 . — Guillaume Semance, mort en 1668.
1658. — Jean Asselineau, lieutenant.
1668. — Privé Semance, lieutenant.
16 . — Edme Le Boys, mort en 1685.
1669-1670. — Pierre Martin, bailly, élu de l'élection de Gien.
1674-1678. — Jacques Asselineau, lieutenant au bailliage.
1685. — François Messant, bailli et juge de la châtellenie de Bléneau.
1694. — Edme Le Boys, bailly et juge, mort le 2 septembre 1706. '
1700-1715. — Louis Asselineau, lieutenant au bailliage.
1717-17 . — Jean Deschamps, bailly de Bléneau, le Coudray et les Salles.
1793-1798. — Olivier Mercier, juge de paix.
FIEFS DE LA CHATELLENIE DE BLÉNEAU
Lors de la constitution du régime féodal, c'est-à-dire au commencement du XIe siècle, le territoire de chaque grande seigneurie fut partagé en fiefs. Ceux-ci répondaient souvent à des domaines existant de temps immémorial, d'autres fois c'étaient des terres plus ou moins incultes qui furent mises en valeur, mais tous étaient tenus du seigneur à des conditions analogues : service militaire, redevances en argent ou en nature, obligation de se soumettre à la justice du seigneur et de lui rendre foi et hommage, suivi d'un aveu et dénombrement à des dates déterminées. Les possesseurs de ces fiefs devenaient de petits seigneurs chacun dans sa terre, dont il concédait ensuite des parcelles, soit à titre d'arrière-fiefs, si elles étaient assez importantes, soit à titre de censives à des cultivateurs roturiers qui lui payaient un cens annuel en argent (ordinairement 6 deniers par arpent dans nos pays) et des redevances en nature assez nombreuses.
La châtellenie de Bléneau était divisée en un assez grand nombre de fiefs ; nous en connaissons plus de 40, dont quelques-uns fort peu étendus et que nous allons énumérer. Plusieurs ont dû changer de nom dans la suite des temps, d'autant plus qu'autrefois ils n'étaient souvent désignés que par les noms de leurs possesseurs.
82 HISTOIRE DE BLÉNEAU 78.
La Bastière (Champcevrais)
On l'appelait aussi le fief de Prie, du nom de ses possesseurs.. En effet, dans un aveu de 1394 (du Bouchet) il est désigné comme appartenant à Jean de Prie, chevalier. C'était un fief ayant haute justice, dont le revenu était alors évalué à 30 livres tournois, L'année suivante le seigneur était Perronet de Prie.
Blandy (Saint-Martin-des-Champs)
C'était une ancienne paroisse réunie au XIIIe siècle à SaintMartin. En 1402, Jean de Boucard en était seigneur ; après lui Blandy appartint à Lancelot de Boucard dont la fille Marguerite épousa, par contrat du 12 août 1467 (1), Jean de Courtenay, fils de Jean, seigneur de Bléneau, et de Catherine de l'Hospital, et ce fut une des seigneuries qu'elle reçut en dot.
Masure Bordin (Bléneau)
Le 7 iuillet 1396, Etienne Bordin (Jean Bordin la possédait en 1350), bourgeois de Bléneau, rendait aveu et dénombrement au seigneur dudit lieu pour des masures à Bléneau (2) qui ont probablement changé de nom depuis.
Bournonville (Bléneau)
Cette petite seigneurie, nommée aussi Boulenville, appartenait, en 1350, à Jean d'Andezart, et en 1394 et 1395 au seigneur d'Arrablay, Evrard de Thianges, et valait 20 livres tournois de revenu..
Bourron (Champignelles)
Fief dont le manoir est depuis longtemps ruiné et dont le seigneur de Bléneau et celui de Grandchamp se disputaient la mouvance en 1.500. Une enquête de cette époque nous fait connaître plusieurs faits curieux (3). Charles Boquet, laboureur à Champignelles, déclare que 7 ou 8 ans auparavant il prit à Bourron « de la marne pour fumer ses terres » avec la permission de Marguerite de Boucard, veuve de Jean de Courtenay, et qu'ensuite il y charria du fer pour M. de Grandchamp, L'usage de la marne était donc connu, en Puisaye, à la fin du XVe siècle, ce qui paraît assez naturel, car à Champignelles le sous-sol est formé par la
(1) Du BOUCHET. Preuves, p. 174.
(2) DE COURTENAY. Pièces originales, 407.
(3) DE COURTENAY. Pièces originales, 407.
79 HISTOIRE DE BLÉNEAU 83
craie marneuse. A la même époque on fabriquait encore du fer avec les minerais du pays. Antérieurement il avait existé une famille de Bourron. Jean et Guillaume de Bourron, chevaliers tous les deux, avaient, en 1350, des fiefs relevant de Bléneau.
La Bretauche (Bléneau)
Fief avec un manoir en ruines.
En 1394, Jean Brunet, prêtre, tenait un fief rapportant 20 sols parisis sur lequel nous n'avons que cette mention donnée par du Bouchet.
Masures de la Chasserelle (Bléneau)
Il y avait sur les bords de la Chasserelle, petit affluent de droite du Loing, trois masures ou petits domaines qui appartenaient, en 1368, à Odin de Lenfernat. En 1442, Guillaume et Etienne d'Assigny frères, reconnaissaient qu'ils les possédaient, mais que les vignes étaient alors « en désert ». A vrai dire, c'étaient plutôt là des tenures roturières que des fiefs.
La Chaussonnière
Ce fief, qui s'appelait aussi le lieu des Presles ou la masure Bourgeois, est mentionné par du Bouchet, en 1350, sous le nom de masure à la Bourgeoise. Peut-être pourrait-on l'identifier avec le hameau actuel des Presliers.
La Coldargenture (Bléneau)
Ce nom bizarre au premier abord rappelle à celui qui a fréquenté les vieux manuscrits une des plus anciennes familles féodales de la Puisaye: En effet, Simon Col d'Argent était, vers 1220, nommé parmi les vassaux du roi relevant de Montargis. Eudes de Col d'Argent, chevalier, fut convoqué en avril 1272 avec les vassaux de la prévôté de Gien à l'armée royale (1). Pierre Col d'Argent était bailli royal de Coulanges-la-Vineuse en 1365, et le dernier connu de cette famille, Jean Col d'Argent, fut abbé de Saint-Marien d'Auxerre, de 1364 à 1401.
Le 24 juillet 1399, Jean Gallebrun, demeurant à Rogny, avoua tenir de la dame de Bléneau le lieu de la Coldargenture et ses dépendances comprenant 22 arpents de terre et 18 arpents de bois, tenant au chemin de Bléneau à Châtillon-sur-Loing, aux terres de la Gaufrerie et au ruisseau du Beaune, le tout valant. environ 40 sols tournois de revenu (2).
(1) Recueil des Historiens de France. XXIII, p. 664, 744.
(2) Du BOUCHET. Preuves, p. 149.
84 HISTOIRE DE BLÉNEAU 80
Masure Cordeau
Le 6 août 1399, Guillaume d'Assigny, que nous retrouverons plus loin comme possesseur d'autres fiefs près de Bléneau, reconnaissait tenir de la veuve de Pierre de Courtenay la masure Cordeau, relevant de Bléneau, tenant au chemin sortant de cette ville par la porte de Saint-Fargeau et allant à Villeneuve-lesGenêts (1). Même observation que pour les autres masures.
Le Coudray (Bléneau)
C'était une localité très ancienne, appelée autrefois Coldrium ou Coldrotum et située sur la rive gauche du Loing. Il s'y trouvait un fief relevant directement de Saint-Fargeau, qui appartint pendant longtemps à la maison de Courtenay. Un autre mouvait de Bléneau mais était de la prévôté d'Ouzouer-sur-Trézée. En 1394, il appartenait à Bureau de la Rivière, écuyer, et valait dix livres tournois de revenu. Au XVIIe siècle, un fils naturel de Gaspard de Courtenay-Bléneau portait le titre de seigneur du Coudray. Les petits fiefs de la Rebpnnetière, la Chaumerie et le Pertuis ou la Boutaudière, mentionnés plus hant, relevaient du Coudray, en la prévôté d'Ouzouer.
La forêt Renaud
Par le partage fait le 11 décembre 1529 entre François de Courtenay. seigneur de Bléneau, et ses frères Philippe et Edme, ceuxci eurent dans leur part la terre de la forêt Renaud avec le fourneau à fondre le fer établi sur l'étang neuf, à condition de tenir le tout en foy et hommage de la châtellenie de Bléneau, car on faisait encore à cette époque, et même depuis, des érections de nouveaux fiefs quand une seigneurie était démembrée.
La Fresnollière
D'après un état du comté de Saint-Fargeau en 1733 (2). ce fief, dont nous ignorons la situation exacte, avait appartenu à Pierre
Simon.
La Dîme des Gentilshommes
C'est ainsi que le même état désigne un fief qui avait appartenu à Regnaud Le Gras. Peut-être pourrait-on l'identifier avec une Dîme de blé « dit la disme feu Guillaume Col d'Argent, lez la
(1) DE COURTENAY. Pièces originales, 413.
(2) Archives nationales. P. 125, pièce 4.
81 HISTOIRE DE BLÉNEAU 85
Chapponière, tenant au chemin de Bléneau à Châtillon-surLoing », pour laquelle Jean Renart, bourgeois de Joigny, rendit aveu au seigneur de Bléneau en 1449 (1). En 1789 elle appartenait à la famille Le Boys, qui ayant été dépossédée par la suppression des droits féodaux, réclama une indemnité au département (2).
Les Guays
La famille Le Boys, à laquelle avaient déjà appartenu plusieurs magistrats de Bléneau, acquit ce fief au XVIIIe siècle; Jacques Le Boys la posséda d'abord, ensuite Jacques-François, lieutenant particulier à Montargis, mort en 1781. Puis Jacques-François Le Boys, lieutenant général au bailliage de Montargis en 1788, qui fut député par le Tiers-Etat de ce bailliage aux Etats Généraux de 1789.
La Longue Haye
En 1394, ce fief appartenait à Odin de la Caille, et son revenu
était estimé cent sols tournois. Il échut plus tard à Etienne de la
Caille, puis à Guillaume Hamard. Un autre fief au même lieu
appartenait à Jean de Bourron, écuyer, et rapportait 60 sols
tournois.
La Jarriere
Le 28 juillet 1459, Jean de Serin, écuyer, dont la famille était originaire des environs d'Auxerre, reconnut tenir du seigneur de Bléneau la masure de la Jarriere, tenant au chemin de Bléneau à Châtillon-sur-Loing (3).
Fiefs d'Etienne Jarry
En 1394 et 1395, Etienne Jarry était vassal de Bléneau pour deux fiefs rapportant l'un cent sols, l'autre dix sols tournois. Il était probablement de la famille qui a donné son nom à la Mothe-Jarry.
Fief de Lenfernat
Ce nom lui vient d'une ancienne famille, très répandue dans l'Auxerrois, et fut quelquefois déformé en Lenfornot. D'après un acte du 8 juin 1385 (4), Regnaut Le Gras ayant acquis de Jehannot Guiot et de Marron, sa femme, « la terre appelée vulgaire(1)
vulgaire(1) COURTENAY. Pièces originales, 458.
(2) Procès-verbaux de l'administration départementale. V. p. 42.
(3) DE COURTENAY. Pièces originales, 621.
(4) DE COURTENAY. Pièces originales, 392.
86 HISTOIRE DE BLÉNEAU 82
« ment la terre de Lanfornot » moyennant 18 francs d'or, Pierre de Cpurtenay, seigneur de Bléneau, de qui elle relevait en fief, la racheta en exerçant un droit de retroit féodal et la donna à Guillaume d'Assigny, écuyer, « pour les grans courtoisie et amiables « services qu'il nous a faiz et fait encore de jour en jour ». En 1394, selon du Bouchet, Guillaume d'Assigny possédait encore ce fief.
Marchemarais
Nicolas Tappereau rendit aveu au seigneur de Bléneau pour ce fief en 1502 et 1542.
La Marinière (Bléneau)
Bien qu'il relevât de Bléneau, ce fief était situé en la prévôté d'Ouzpuer-sur-Trézée. Il appartenait, en 1394, à Pierre ou Perrin de la Caille, écuyer. En 1653, Jean d'Aucomte, avocat au Parlement, en devint seigneur par suite d'un décret d'adjudication. Il a donné son nom à la famille Grangier de la Marinière, sortie de la bourgeoisie de Saint-Fargeau et répandue en Nivernais et en Berry. Au XVIIIe siècle il était passé aux mains du chapitre de Saint-Fargeau, ainsi que la masure Bourgeois.
Fief de Pierre du Martroy
Selon du Bouchet, Jean de Martroy était, en 1350, un des vassaux de Bléneau. En 1394 et 1398, Pierre du Martroy, écuyer, tenait en fief 28 arpents de terre, près de Boulenville, rapportant
20 sols tournois.
Le Moulin Gaulmin
L'état de 1733 mentionne ce fief comme ayant appartenu à Louis Bazin.
La Naquerie ou la Nacrie (Bléneau)
En 1395, Guillaume Chotard en était seigneur et le revenu s'élevait à cent sols tournois. En 1449, c'était Jean Renart, bourgeois de Joigny. qui avouait aussi tenir « une Disme dit le Disme « feu Guillaume Col d'Argent, sur l'osche du Bouthouer lez la « Chapponière, tenant au chemin de Bléneau à Châtillon-sur« Loing » (1). Plus tard, la Naquerie appartint à Jean de Villiers, et en 1616 M. de Beaurains, maître des comptes à Paris, en rendait hommage à Edme de Courtenay. En 1750, Edme de Raucourt, seigneur de la Naquerie, était parrain d'une cloche à Bléneau.
(1) DE COURTENAY. Pièces originales, 458.
83 HISTOIRE DE BLÉNEAU 87
Moulins Havez
Le 30 juin 1396, Thévenin Bille le jeune reconnaissait tenir la moitié du moulin et boutoir à draps dit les moulins Havez, près de Bléneau, par indivis avec M. d'Arrablay. II eut pour héritier Jean Landry, dit Sautellet, habitant Bléneau, qui reconnut tenir le même fief en 1457 (1).
La Paillardiêre (Breteau)
Ce fief, situé en la prévôté d'Ouzouer et composé d'une maison avec 15 arpents de terre et 2 arpents de bois, tenait au ruisseau de Breteau et au chemin de Châtillon-sur-Loing. En 1394 et 1396 il était tenu par Jehannette Bellin qui en rendit un aveu rapporté par du Bouchet.
Masures Painchaut et Penier
Ces deux masures, qui paraissent avoir été toujours réunies, appartenaient, en 1368, à Odin de Lenfernat, écuyer, en 1391 à Guillaume d'Assigny, et en 1441 à Guillaume et Etienne d'Assigny frères (2).
Le pré Martin
Il est mentionné, dans l'état de 1733, comme ayant appartenu à Jean Villetier.
La Quillonnerie ou la Quignollerie (Bléneau).
On y remarque encore, dit M. Déy, les ruines d'un ancien château entouré de fossés, et l'on croit qu'il a été détruit lors de la bataille de Bléneau, C'était un fief relevant du Bois, en la paroisse d'Ecrignelles, et un arrière-fief de Gien, En 1533, il appartenait à Jean d'Assigny, seigneur de la Motte-Jarry. Noël Galouet, lieutenant de la justice de Gien, en était seigneur en
1750.
La Reboursère (Bléneau)
Fief situé en la prévôté d'Ouzouer et appartenant, en 1394, à Macé Judas, en 1395 à Regnaut Le Gras. On peut l'identifier sans doute avec la Rebonnetière qui, ainsi que la Chaumerie et le Perthuis ou la Boutaudière, est mentionné, dans l'état de 1733, comme ayant appartenu à M. Pierre Guybert et relevant du Coudray, en plein fief et en arrière-fief de Bléneau.
(1) DE COURTENAY. Pièces originales, 405, 504. (2) DE COURTENAY. Pièces originales, 385, 398, 452.
88 HISTOIRE DE BLÉNEAU 84
Rentes à Bléneau
Le 27 juillet 1371, « Roiger Tardif, escuier, demeurant à Broce ronde » rendit aveu au seigneur de Bléneau, à cause de son château dudit lieu, pour des rentes et tailles à Bléneau (1).
Fiefs de Guillaume Richard
En 1394, Guillaume Richard l'aîné tenait un fief ayant appartenu à Guillaume Col d'Argent et rapportant dix sols tournois ; Guillaume Richard le jeune en avait un valant 40 sols tournois. de rente.
Maison de Guillaume Rousseau
En 1372, Jeanne, veuve Boldin de Bléneau, rendit aveu pour la maison de Guillaume Rousseau. En 1394, Etienne Rousseau avait un fief valant 12 livres tournois de rente.
La Simoniêre
En 1394, il appartenait à Hector de Boville, écuyer, et valait 26. livres tournois de rente. Plus tard, il fut acquis par les seigneura de Bléneau : en 1529; en effet, il est compris dans le partage des biens de Jean de Courtenay. François, son fils aîné, seigneur de Bléneau, en abandonna l'usufruit à son frère Philippe de Courtenay, chanoine d'Auxerre et curé de Saint-Privé. Au siècle suivant, Gaspard de Courtenay échangea cette seigneurie contre celle du Cpudray (2).
La Tribaulderie (Bléneau)
Fief situé en la prévôté d'Ouzouer, qui appartenait, en 1394, à Etienne Bordin et était estimé 20 sols tournois de rente.
Les Veugnats
Les frères Claverger en avaient été possesseurs, d'après l'état de 1733.
FIEFS DÉPENDANT D'AUTRES SEIGNEURIES
Outre les fiefs relevant directement de Bléneau, il y en avait, sur le territoire de cette paroisse, qui relevaient d'autres seigneuries, principalement de Saint-Fargeau, et que nous allons énumérer :
(1) DE COURTENAY. Pièces originales, 345.
(2) DE COURTENAY. Pièces originales, 1851. — Du BOUCHET. Preuves, p. 130, 184.
85 HISTOIRE DEBLÉNEAU 89
La Cormerie
Après avoir appartenu, an XVIe siècle, à la branche des Courtenay du Chêne Saint-Eusage, il passa à Charles de Loron, baron de Limanton, qui avait épousé Claude de Courtenay. Leur fille Marie épousa, en 1643, Pierre de Bar dont le fils Henri vendit, en 1677, ses seigneuries de Puisaye à Jean Guyot, avocat à Paris. Fief relevant de Saint-Fargeau, la Cormerie appartenait, en 1733, à Nicolas Guyot du Chesne, conseiller et secrétaire du roi, après. lui à Jean-Noël Arnaud, son petit-fils, seigneur du Chesne, le Pré et la Cormerie, qui en fit hommage, le 13 septembre 1754 (1) et la possédait encore en 1768. En 1789, le seigneur de la Cormerie était Noël-Arnaud du Chesne, lieutenant des maréchaux de France, à Angoulême.
Le Coudray
C'était une seigneurie assez importante, relevant de Saint-Fargeau, avec un manoir auprès duquel s'élevait la chapelle de NotreDame-de-Saint-Posant. Elle avait droit de haute, moyenne et basse justice ; le domaine du seigneur comprenait une métairies, deux étangs et deux moulins à blé (2). Depuis le XVe siècle elle appartenait aux Courtenay, seigneurs de Bléneau; après la mort de François de Courteney, elle tomba dans les mains de Jean, seigneur des Salles, son fils, et quand celui-ci se fut retiré en Angleterre, en 1618, elle appartint à sa fille, Madeleine de Courtenay, qui avait épousé Adrien de Gentils, seigneur du Boulay. Par son testament du 20 février 1668, elle laissa cette seigneurie à son cousin, Louis-Charles de Courtenay-Chevillon qui, comme nous l'avons vu, devint plus tard seigneur de Bléneau « pour soutenir sa naissance », ainsi que la métairie de la Maison-Haute, paroisse de Saint-Privé (3). Le Coudray resta aux mains des Courtenay tant qu'ils possédèrent Bléneau.
L'Etang-Neuf
Fief situé sur le ruisseau du Beaune et qui était réuni dans les derniers siècles à la seigneurse de Bléneau. Il relevait aussi de Saint-Fargeau.
La Gaufrerie
C'était encore un fief de Saint-Fargeau dout le nom rappelle une ancienne famille féodale, Les Le Gaufre étaient au XIIIe siè(1)
siè(1) Histoire de Saint-Fargeau, p. 284.
(2) DE COURTENAY. Pièces originales, 1389, 1602.
(3) DE COURTENAY. Pièces originales, 2006.
90 HISTOIRE DE BLÉNEAU 86
cle des vassaux de Châtillon-sur-Loing et s'étaient répandus dans les environs, car ils ont aussi donné leur nom à un hameau de la commune de Rogny. Avant 1733, la Gaufrerie appartint à Jacques Charrier.
La Grunge-Rouge
Voici encore un fief de Saint-Fargeau, uni pendant plusieurs siècles à la seigneurie de Bléneau. En effet, après avoir appartenu à Lancelot de Boucard, elle passa à sa fille Marguerite qui épousa, en 1457, Jean de Courtenay, seigneur de Bléneau, puis au fils de celui-ci et à son petit-fils François de Courtenay, qui en rendit hommage au seigneur de Saint-Fargeau en 1514 et vers 1530, selon du Bouchet. En 1733 il était encore au seigneur de Bléneau.
Les Salles
Fief relevant de Saint-Fargeau qui devait appartenir au XVIe siècle à la maison de Courtenay car Jean, troisième fils de François de Courtenay-Bléneau et d'Hélène de Quinquet, la possédait à la fin de ce siècle et en 1613. Il passa ensuite à sa soeur Madeleine qui épousa Jacques de Lenfernat, baron de Toigny. Leur fille, Anne de Lenfernat, dame des Salles, épousa Pierre de Chenu qui rendit hommage pour les Salles, en 1615, à la duchesse de Montpensier. Ils avaient pour fils Louis de Chenu, seigneur des Salles, qui vendit cette seigneurie, vers 1640, à Gaspard de Courtenay-Bléneau.
La Motte-Jarry
Par un de ces enchevêtrements bizarres assez fréquents sous le régime féodal, cette seigneurie, bien que située dans la paroisse et assez près de Bléneau, relevait du Bois-le-Fernoy, fief du comté de Gien en la prévôté d'Ouzouer, qui doit être représenté aujourd'hui par le château du Bois, commune d'Ecrignelles.
Grâce à la communication qui nous a été aimablement faite des archives de la Motte-Jarry, nous pouvons donner la suite de ses seigneurs depuis la fin du XVe siècle. Le premier qui soit connu est Bernard de Migé, cité en 1461 comme seigneur de La Motte et mari de Denise de Vignolles ; il mourut vers 1470 ; sa Veuve affermait encore les dîmes qui en dépendaient en 1484 et soutint un procès contre le curé de Bléneau, en 1496, à ce sujet.
Toutes les dîmes n'étaient pas en effet perçues par le clergé, un certain nombre d'entre elles appartenaient à des seigneurs qui les levaient dans l'étendue de leurs fiefs, et il s'en suivait souvent des procès avec les curés des paroisses.
Ce fut ce qui arriva donc en 1496 entre le curé de Bléneau, qui
87 HISTOIRE DE BLÉNEAU 91
réclamait ces dîmes comme étant comprises dans les limites de sa paroisse et d'autre part Denise de Vignolles et le, neveu de son mari, Guillaume d'Assigny, qui ayant épousé Guillernette de Migé, avait hérité de droits sur la Motte (1). Une transaction termina ce procès en abandonnant la moitié des dîmes au curé de Bléneau. et en 1497 Guillaume d'Assigny et sa tante affermèrent la moitié qui leur restait moyennant 8 setiers et demi de froment, même quantité de seigle et 2 setiers d'avoine, mesure d'Ouzouer. Guillaume d'Assigny appartenait à une très ancienne famille, largement répandue dans tout l'Auxerrois jusqu'à la Révolution. Il paraît avoir épousé en secondes noces, avant 1492, Jeanne de la Caille, et tous deux étaient morts avant 1519 (2).
Leur fils, Pierre d'Assigny, devint alors seigneur de la MotteJarry, mais en 1531 le nouveau curé de Bléneau l'assigna encore devant le prévôt d'Ouzouer en réclamant les mêmes dîmes « de grain et de vin ». Le procès donna lieu à une enquête qui nous indique le territoire sur lequel on les levait, depuis le chemin de Bléneau à Châtillon-sur-Loire, jusqu'à celui de Gien à Saint-Fargeau et à la paroisse de Saint-Privé, mais nous ne savons pas quelle en fut la conclusion ni à quel taux se percevaient ces dîmes. Dans le Gâtinais, c'était ordinairement au 21e.
Pierre d'Assigny avait épousé, en 1506, Jeanne de la Grange d'Arquian. Il vivait encore en 1545 et eut pour fils François d'Assigny, seigneur de la Motte-Jarry et du Plessis-Naullet en 1546 et 1572, qui épousa en 1563 Antoinette Le Cueur, dame de Nailly et des Guyous, qui appartenait à une famille de Mézilles attachée aux seigneurs de Saint-Fargeau depuis plusieurs générations. Sa succession donna lieu à diverses transactions desquelles il résulta que, sans que nous en ayons l'explication, la Motte passa au cousin de François, Odet d'Assigny, seigneur du Verger, près d'Ecrignelles. Il épousa Françoise de Rivière et mourut avant 1591. Leur fils, Jacques d'Assigny, était encore seigneur de la Motte-Jarry et du Verger en 1618 ; il eut pour fils Claude, qui de Marie de Rivière eut Jacques d'Assigny, seigneur de la MotteJarry et la Guignolerie en 1631. Mais le 4 novembre 1653, les terres de la Motte et la Marinière furent, adjugées par décret à Jean Aucomte, avocat au Parlement, habitant Châtillon-sur-Loing, probablement à la suite du procès entre Jacques d'Assigny et
(1) DE COURTENAY. Pièces originales, 3392.
(2) QUESVERS et STEIN. Inscriptions de l'ancien diocèse de Sens. III p. 383.
92 HISTOIRE DE BLÉNEAU 88
Catherine d'Assigny, dame du Verger et veuve de Charles duPérou.
Le nouveau seigneur ne fut pas plus heureux que ses prédécesseurs et dut subir également les vicissitudes de la procédure. Le 31 août 1680, par suite d'un décret, la Cour des Aides de Paris, adjugeait la Motte-Jarry à Messire Thomas Guérignon, président en l'Election et au Grenier à sel de Gien, qui appartenait à une famille de magistrature répandue dans la région. Il avait épouséFrançoise Leblanc et leur fils André Joseph, président et lieutenant criminel en l'élection de Gien en 1710, puis président au présidial de Montargis en 1750, lui succéda. Il eut lui-même pourfils Nicolas-Joseph, dont la fille, Eléonore Guérignon, épousa M. Pelée de Varennes, d'une ancienne famille de Sens. Leur fils, ingénieur des ponts et chaussées, vendit, le 28 août 1829, la MotteJarry au général baron Mergez qui l'habita pendant une quinzaine d'années. Après avoir été pendant quelque temps aux mains, de M. Maillet du Boulay, originaire de Rouen, la Motte fut acquise, en 1853, par M. Adolphe Houette, président de la Chambre de Commerce de Paris, dont le gendre, ancien inspecteur général des finances, a récemment agrandi et modernisé le vieux manoir des. d'Assigny et des Guérignon.
CURÉS DE BLÉNEAU
Vers 1460. — Hugues Le Beau.
1492-1496. — Guillaume Pinemolle.
1530-1534. — Jean Le Roy, chanoine et chantre de la cathédrale d'Auxerre.
1584. — Anchenault.
1600-1603. — Jacques Cadiou.
1649; — Jacques Lanier.
1653-1686. — Ambroise Buray de la Perrée, du diocèse deTours.
1691. — Charles Piochard, mort à Bléneau le 13 mars 1697.
1697-1722. — J.-B. Bouvets de Lozier.
1722-175 . — Théodore-Emmanuel Millot, archiprêtre de Puisaye en 1750,
1756-1786. — J.-B. Pautrat.
1787. — Gabriel Ganne, mort à Bléneau le 1er avril 1808.
1809-1826. — Pierre Dominique Briard.
1826. — Meurion, mort en 1862.
1862. — Henrion.
89 HISTOIRE DE BLÉNEAU 93
1863-1872. - Thomas.
1872. - Kune.
1895. — Bougault, mort à Bléneau en 1911.
1911. — Rousset.
VICAIRES DE BLÉNEAU
1590. — Cormain.
1601-1603. — Françoys.
1602. — G. Ramyer.
1648. — Hucheloup.
1651. — Prévost.
1554-1668. — Socourt.
1668-1678. — Antoine Charpentier, chapelain de Saint-Posant, mort à Bléneau, le 24 janvier 1691.
1674. — Edme Roux.
1681. - Durand.
1691-1696. — Pierre Gaudry.
1697. — Pierre Vilu, prieur des Augustins de Saint-Fargeau, mort à Bléneau le 20 septembre 1699.
1700. — Joseph Macé, Augustin.
1702. — Bernard Baret.
1707. — Fr. Regnard, Augustin.
1713. — Henri Fournier, Augustin,
1787-1791. — Careau, prieur de Boutissaint.
MAIRES DE BLÉNEAU
1651. — Jean Camelin ; en 1.652 il prend le titre d'échevin. 1672. — Charles Le Court.
1768-1782. — Louis Loup Bourgoin, premier échevin. 178 . — J.-B. Lefebvre, premier échevin.
1789. — Rongier de la Bergerie, maire.
1790. — Couvert, premier membre de la Municipalité. 1790. — Lesire, président de l'administration municipale. 1792. — Lefebvre, président de l'administration municipale. 1797-1799. — Mercier, président de l'administration municipale.
1798. — Janot, agent municipal.
1799. — Antoine Lesire, Cosme Brégand, agents municipaux. 1800-1804. — Gaudé, maire.
1804-1808. — Genet François. 1808-1815..— Chenou J.-B. 1815-1830. — Dethou-Couvert.
94 HISTOIRE DE BLÉNEAU 90
1830. — Martinon Le Boys. 1837-1847. — Tenain. 1848. — Dethou. 1850. — Bazin. 1854. — Tenain. 1855-1863. — Couvert. 1864. — Houette. 1869. — Châtaignier. 1871. — Breuillé. 1874. — Faffe. 1876. — Devilaine. 1884. — Dethou, député. 1888. — Goude. 1892. — Loup. 1912. — Géant. 1922. — Grossier.
CONSEILLERS GÉNÉRAUX DU CANTON DE BLÉNEAU
Jusqu'en 1835 il n'y eut pas de conseiller spécial pour le canton de Bléneau, sauf M. Tourniol de la Rode, maire de Tannerre, nommé par ordonnance royale du 21 août 1820.
Election du 15 novembre 1833 : Roussel, maire de Charny, conseiller général pour Bléneau et Charny. Réélu en 1839.
Elections du 22 novembre 1840 : Bourgoin Dugas, de Mézilles. conseiller général pour Bléneau et Saint-Fargeau.
Elections de novembre 1845 : comte de Lestrade, maire de Lavau. ancien préfet, pour Bléneau et Saint-Fargeau.
20 août 1848 : à partir de cette époque, Bléneau a un conseiller spécial, Marie, représentant du peuple, membre du gouvernement provisoire.
1er août 1852 : Chérest, avocat à Auxerre.
15 juin 1861 : Dupont Delporte.
11 mai 1870 : Duguyot, vétérinaire à Champignelles, réélu en 1886 et 1898.
1910 : Rigolet, dentiste à Auxerre, réélu en 1922.
91 HISTOIRE DE BLÉNEAU 95.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
Testament de Jeanne Dupommier, 22 septembre 1562 (1)
A tous ceulx qui ces présentes lectres verront Guillaume Odry, licencies en loix, bailli de Bléneau et garde du scel aux contraux de la chastellenie du dict lieu, salut. Scavoir faisons que, par devant Jehan le sire notaire et tabellion, juré de la dicte chastellenie, fut présenté en sa personne Jehanne Dupommier, femme de François Bottemye, marchant, demeurant en ceste ville de Blénean, auctorisé suffisament du dict François Bottemye, son mary, adce présent, qui la auctorisé quand adce. Laquelle estant seyne d'entendement, vovllant pourvoir au salui et remède de son ame avant qu'elle soit prévenue de mort, a faict et ordonné son testament et ordonnance de dernière volonté, selon et en la forme et manière qui s'en suict.
Premièrement. Elle recommande son ame à Dieu son créateur, le Père, le Filz et le Sainct Esperit, la vraie trinité du paradis et la glorieuse Vierge Marie, à Monsieur Sainct Michel ange, à Monsieur sainct Jehan son parrain, à Monsieur sainct Loup son patron, à Madame Saincte-Barbe et généralement à toute la court céleste de Paradis. Item. Elle veut en premier lieu que ses deibtes soyent paiées et ses fortfaicts amendez et denement corrigés où il y en aura et s'en trouvera. Item. Veult incontinent qu'elle aura rendue son ame à Dieu que son corps soit venu guérir en procession cheulx elle en sa maison paq Monsieur le curé ou vicaire du dict Bléneau, avec la croix et l'eau, beniste et gens désglize qui vouldront assister, et pour ce donner à chacun homme désglize qui assisteront et accompagneront son dict corps à porter en terre revestuz chacun de leur...., là somme de douze deniers tournois. Item. Elle ordonne estre ensepleturé et inhumé dans' le cimetière du dict Bléneau auprès de ses parens et amis trespassez. Item. Elle ordonne et veult estre dict chanté et célébré eh lesglize Monsieur sainct Loup de Bléneau par Monsieur le curé ou ses vicaires du dict lieu, pour le remède et salut de son ame et de ses parens et amis trespassez, quastre trezennes de messes à quatre services, dont à chacun service y aura troiz grandes messes à hottes avec vigille, le tout à solempnité et offerte de pain et vin aux dictes grandes messes. Item. Elle veut qu'il soit payé deux solz six deniers tournois au mestre descolle qui assistera aux dicts services; à chacun des dicts services, les dits deuz sols dix deniers tournois et à ses escholiers et discipples qui. assisteront au dict service à chacun trois deniers tournois à chacun service. Item. Elle veult et ordonne estre dit et chanté en ladicte esglize de Bléneau, ung trentin
(1) Archives, G 2426.
96 HISTOIRE DE BLÉNEAU 92
après son décès accomencer le jour de son obiit, par une grande messe et vigille et a continuer jusques à trente jour. Lequel trenten se parachevera par une autre grande messe et vigile, à chascune des dictes messes tant grande que petite sera offert pain et vin. Item. Elle donne à la réparation de lesglize, Monsieur Sainct Loup de Bléneau, la somme de trente solz tournois, à la boiste des trespassez de la dicte esglize dix sols tournois et aux boistes nostre dame Sainct Biaise et sainct Sébastien, à chacune cinq sols tournois le tout pour une fois payer. Plus elle donne à la réparation et fabrices des esglizes Sainct Privé, Champseuvrais, Saincte Ezouges (1), Bretheau et Sainct Roch des Boys, à chascune des dictes esglizes cinq solz tournois, et aux boistes et questes des trespassez des dictes esglizes à chascune douze deniers tournois. Item. Elle donne en oultre à la fabrice de lesglize du dict Bléneau, la moictiée de ung quartier de prés que le dict Bottemye, son mary, à acquis durant et constant leur mariage assiz sur la prairie du dict Bléneau au dessoubs du Couldroy ; l'aultre moitié du dict quartier le dict François Bottemye son mary à ce jourdhuy donné et légué à la dicte esglize, par son testament et ordonnance de dernière volonté, qu'il a faicte ce jourdhuy passer par devant le dict juré, sauf touttefois et réservé du dict quartier de pré la huitième partie qui appartient à la dicte esglize, a prendre et partir le dict pré en plus grande pièce, tenant à Monsieur Daultry, à Estienne Haurry, musnier et consors, et d'aultres à la rivière, à la charge que les procureurs à la réparation de la dicte esglize seront tenuz faire dire et chanter en la dicte esglize, à tel et semblable jour qu'elle décédera, par chascun an un anniversaire d'une grande messe et vigile, et offrir pain et vin à la dicte grande messe. Item. Elle veult et ordonne qu'il soict faict une donne au deux ou au troisième service de ung poinsson de vin et d'une myne de blé, qui sera distribuée aux pauvres pour l'honneur de Dieu. Item. Elle donne et lègue par Ieg testamentaire à François Edme (en blanc) lès Bouneaux, enfans myneurs de Edmon Bouneau, et de feue Jehanne Lesire, niepce de la dicte testatrice, scavoir est la moiptié de la maison tant hault que bas, ou elle et le dict Bottemye son mary demeurent à présent, assize en ceste ville de Bléneau, tenante au bout de la Halle d'une part, et de deux aultre par à Charlotte Dupommier sa soeur, et d'autre à la ruelle par où on va de la dicte Halle à la rue D'enhault, avec son droit du chereneau qui lui appartient, près du cimetière du dict Bléneau, partant avec la dicte Charlotte Dupommier sa soeur, tenant aux Grenauz et a mestre Pierre Dubé. Item. Elle a donné et légué à Edmon, Philiher et Jehan les Fornyers, ses nepveux, enfants myneurs d'ans de feux Jehan Fornier et Jacquette Dupommier, sa soeur à eux trois enfants, huits escus sol, et encore à chacun d'eux une aulne de drap gris pour les abiller, le tout pour une fois payer. Item. À Colas et Mathurin
(1) Saint-Eusoge.
93 HISTOIRE DE BLÉNEAU 97
Dupommier aussi ses nepveux enfans myneurs de feux Guillaume Dupommier et Marguerite Bertellot, leur père et mère, elle donne pour une fois payer a eux six escus sols. Plus elle donné à Edmée Jardin sa niepce, femme de Jehan Féret, la somme de deux escus sol. A tous ses filleux et fillele non marieez, à chascun deux elle donne un teston, a Collas Dupommier son frère elle donne trois escus sol, à la dicte Edmée Bonneau, fille du dict Edmon Bonneau, et à la dicte Jehanne Lesire elle donne deux primes, et aux aultres enfans du dict Edmon Bonneau et de la dicte défunte sa femme, elle donne un drap de lict : aux deux filles myneurs de feu Sébastien Horry, de Sainct Privé, elle donne à chascune un teston; à Regnaulde, à présent sa chambrière, elle donne un aultre teston. A Mathurine, fille de Marcault Bonneau, elle baille ung drap de lit. Item, elle donne aux deux enfans de Gauldron de Saincte Ezougés à chacun un teston. Item, elle eslit ses exécuteurs le dict François Bottemye son mary et Edmon Bonneau, drapier de ceste ville de Bléneau, ad ce présens et acceptan.... Ce fut faict et passé ez présence de discrétte personne messire Yves Ledroit, prestre et maistre Pierre Dubé, licencié en loix, procureur et praticien au dict Bléneau, tesmoings ad ce appelés, le ving-deuxième Jour du mois de septembre, l'an mil cinq cent soixante et deux.
Signé : LESIRE.
Les testaments portant des fondations pieuses comme le précédent n'étaient pas rares à Bléneau, ainsi que le prouve le passage suivant relevé dans les comptes de la fabrique pour 1700 et 1705 (1) :
Dépenses : quatre livres dix sols pour trois boisseaux (2) de blé convertis en michotte, pour faire la Cène le jeudi saint, donnés à treize petits pauvres, suivant qu'il est porté par le testament de feu Me Jacques Asselineau, vivant lieutenant en ce bailliage.
TERRIER DE BLÉNEAU
Le terrier était autrefois un registre sur lequel un seigneur faisait consigner ses droits sur les habitants et les terres de sa seigneurie : cens, rentes, corvées et autres prestations. Chaque habitant venait déclarer, par devant un commissaire à terrier, ■quelles étaient les terres ou maisons dont il jouissait, et quelles redevances il devait payer de ce chef. On sait que le cens était le prix du louage de la terre, mais à la différence des fermages
(1) Archives de l'Yonne : G 2427.
(2) Le boisseau de grains de Bléneau était assez fort, car 18 boisseaux de cette mesure valaient 22 boisseaux, mesure d'Ouzouer (mêmes comptes).
7
98 HISTOIRE DE BLÉNEAU 94
actuels il avait été fixé une fois pour toutes, lors des concessions primitives faites au moment de l'établissement des seigneuries ou dans les siècles suivants, et, par suite de la diminution du pouvoir de l'argent, il n'avait plus, au XVIIIe siècle, qu'une valeur dérisoire. Il était resté néanmoins le signe du droit de propriété du seigneur sur les terres cultivées par les paysans. Ordinairement il s'y ajoutait des redevances en nature, comme le terrage, payable en volailles, ou les corvées. Le taux des concessions à cens, faites aux XIe et XIIe siècle, paraît avoir été de 6 deniers par arpent ; c'était celui que fixait la coutume de Lorris répandue, comme nous l'avons vu, dans tout le Gâtinais.
Lors de l'abolition du régime féodal qui, supprimant le cens et les autres droits analogues, accordait la pleine propriété de la terre aux paysans, jusque là simples censitaires, ceux-ci s'empressèrent naturellement de s'assurer de la destruction des terriers qui constituaient la preuve de ces anciens droits. Aussi furent-ils presque partout brûlés publiquement dans des feux de joie et lors des fêtes nationales.
Nous possédons heureusement un ancien terrier de Bléneau, rédigé le 20 mai 1573, à la requête de Gaspard de Courtenay et conservé aux archives de l'Yonne (1). Bien qu'il soit incomplet de la fin, il donne des indications de détail intéressantes sur les. droits de la seigneurie et l'état des propriétés et des cultures.
En voici le début à titre d'exemple :
Guillaume Sery, bailli de Bléneau et garde du scel dudit lieu, faisons savoir à tous ceux qui verront ces présentes lettres que par devant Jehan Le Sire, notaire audit lieu.... Reconnaissance par Marie Gonneau, veuve de Jehan Horry, serrurier, qu'elle tient à cens une" maison et aisances où pend pour enseigne l'image sainte Barbe, assise en cette ville de Bléneau sur la grande rue, au rang de dessous près la porte de Chastillon, tenant à la veuve Jehan Guinebut, à Pierre Chambon, Pasquier Vermisseau et aux jardins de Jehan Saulvagert, à Denis Thenin et François et Antoine Narau, et à l'aisance allant des. dits bâtiments à la fontaine Saint-Loup, moyennant deux sols six deniers tournois, payables au jour saint Jehan-Baptiste, jour de la recepte de Bléneau. Autre reconnaissance par Michelle Montargis, veuve de Loup Vernusseau et en secondes noces de feu Edmon Bonneau, pour une maison aiant chauffouer et cheminée avec jardins sur la grande rue dudit Bléneau, près les molins Bannaulx de mon— dict seigneur de Courtenay, tenant à la veuue Neuffon et à l'aisance(1)
l'aisance(1) 95. Copie faite au XVIIIe siècle.
95 HISTOIRE DE BLÉNEAU 99
descendant dé la rue d'en hault aux Molins Bannaux, plus un quartier de terre planté en vigne au lieu de la Cormerie en ceste paroisse, tenant par le bas au pré de l'Aulpépine et par le haut au chemin allant de Saint-Martin au Coldray, moyennant douze deniers tournois de cens pour ladite maison et appartenances au jour saint JehanBaptiste, et vingt sols tournois de cens et rentes et Un chappon de terraige au jour de Noël pour ledict quartier de vigne,
GÉNÉALOGIE DE LA MAISON DE COURTENAY
BRANCHE DE BLÉNEAU
100 HISTOIRE DE BLÉNEAU 96
Esme, seigneur de Bléneau et Neuvy,
épouse Catherine du Sart
Gaspard II, seigneur de Bléneau et Neuvy,
épouse Madeleine de Durfort
descendant au 4e degré de Pierre, seigneur de la Ferté
Louis, seigneur de Chevillon, hérite de Bléneau,
épouse Lucrèce-Chrétienne de Harlay
Louis Charles, seigneur de Bléneau,
épouse Marie de Lameth
Charles Roger, seigneur de Bléneau + 1730
épouse Marie-Claire de Bretagne d'Avaugour
Hélène épouse Louis-Bénigne, marquis de Bauffremont
ABMOIRIES
De Sancerre : d'azur à une bande d'argent, accompagnée de deux doubles cotices potencées et contre-potencées d'or.
De Saint-Verain-Bléneau : d'argent au chef de gueules chargé d'un lambel d'or ; le lambel est la brisure de la branche de Bléneau.
De Courtenay : d'argent à trois tourteaux de gueules.
OUVRAGES CONSULTÉS
Du BOUCHET. Histoire généalogique de la maison de Courtenay.— Inventaire des Archives de l'Yonne.
MOLARD, SCHMIDT et PORÉE. Procès-verbaux de l'administration départementale de l'Yonne : VII volumes.
Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne.
Annales de la Société historique du Gâtinais.
Annuaire de l'Yonne, 1848 : Notice sur Bléneau, par M. DÉY.
DÉY. Histoire de Saint-Fargeau.
Duc D'AUMALE. Histoire des princes de Condé.
CHALLE. La Puisage et le Gâtinais dans l'Yonne, 1872.
MONCEAUX. La Révolution dans l'Yonne.
Bibliothèque Nationale. — Cabinet des titres : pièces originales de Courtenay, vol. 891 à 908.
U. FROMONT. Essai sur l'administration de l'Assemblée provinciale de l'Orléanais, 1907.
TABLE DES CHAPITRES
Pages
I. — Origines 1
II. — Epoque féodale 3
III. — Coutume de Lorris 5
IV. — Maison de Saint-Verain 9
V. — Maison de Courtenay , ..;... 10
VI. — Guerre de Cent Ans 12
VII. — Maison de Courtenay-Bléneau 14
VIII. — Guerre dé religion.. 20
IX. - Commencement du XVIIe siècle ............. 26
X. — Bataille de Bléneau ... 30
XI. — Derniers temps de la maison de Courtenay 35
XII. — Bléneau à la fin de l'ancien régime .... 39
XIII. — Préliminaires de la Révolution 41
XIV. — La Révolution à Bléneau. 46
XV. — XIXe siècle. ..... 60
XVI. — Eglise et Hôtel-Dieu . 63
XVII. — Ecoles.. ... .... 71
XVIII. — Population 72
XIX. — Moulins ....... 75
XX. — Justice 76
XXI. — Fiefs de la châtellenie de Bléneau 77
XXII. — Fiefs relevant d'autres châtellenies, 84
Curés de Bléneau 88
Maires de Bléneau 89
Conseillers généraux du canton de Bléneau 90
Pièces justificatives .. 91
Terrier de Bléneau 93
Généalogie de la maison de Courtenay 95
Bibliographie 96
LA PAROISSE DE CHABLIS
ET
SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES
Par l'Abbé G. BONNEAU Vicaire Général
AVANT-PROPOS
Dans l'Annuaire de 1839, M. Quantin publiait, sur Chablis, une courte notice, qui est comme un résumé de l'histoire civile et religieuse de cette petite ville. Cette étude est des mieux documentées, et par conséquent nous est précieuse.
En 1852, paraissait chez Ch. Duchemin, à Sens, l'Histoire de Chablis. C'était l'oeuvre d'un jeune homme. Il le dit lui-même : « J'étais encore enfant quand ce projet a germé dans mon cerveau; j'ai résolu de le mettre à exécution au sortir du collège ». L'auteur, M. Jules Duband, était né à Chablis le 14 août 1832.
Dans ce livre, l'imagination a vraiment trop de part, les déclamations sont trop fréquentes et déplacées, les erreurs ne manquent pas. Celle-ci n'est qu'une distraction : il parle de la statue équestre de saint Martin populaire, partageant son manteau avec Satan (!) caché sous les haillons d'un pauvre mendiant. C'est Jésus-Christ qu'il fallait dire. M. Duband avait confondu, oubliant la leçon de son curé, l'érudit M. Thomas, que d'ailleurs il vénérait. Je me hâte d'ajouter que cette histoire offre cependant de belles pages ; on y trouve des renseignements intéressants, de précieux documents y sont consignés; elle n'est pas sans mérite.
On peut dire néanmoins que l'histoire de Chablis et de sa Collégiale est à faire. Les documents abondent. Les Archives de l'Yonne possèdent 52 registres ou liasses concernant la Collégiale ou la Prévôté. Paris, Tours, Langres et Dijon fourniraient un appoint. Je souhaite qu'un jour elle soit écrite. Pour moi, je crois être agréable à mes collègues et à mes anciens paroissiens, en publiant un modeste opuscule sur la paroisse.
104 LA PAROISSE DE CHABLIS 2
CHAPITRE I
LA PAROISSE SAINT-PIERRE
Chablis était, avant 1789, de la province de l'Ile-de-France. Il y avait une prévôté royale établie par Charles V, en 1367, et une prévôté seigneuriale dépendant du grand prévôt de Chablis, dignitaire de l'abbaye de Saint-Martin-de-Tours. Les deux prévôts fonctionnaient alternativement et leurs sentences ressortissaient au bailliage de Villeneuve-le-Roi (1).
Le Chapitre avait ses armoiries qui sont « parti à dextre d'azur, semé de fleurs de lys d'or, et à senestre de gueules au saint Martin passant, et coupant son manteau et le donnant à un pauvre nud, d'argent ». Ces armoiries furent confirmées au Chapitre par brevet du 26 novembre 1696.
La ville avait d'autres armes. Elles étaient «d'azur aux fleurs delys d'or sans nombre avec câble entassé d'or mis en face. Les habitans de Chablies disent que cet escusson et blason parlant son rébus de Picardie, leur a esté donné par le Roy et Empereur Charlemagne leur fondateur ». On prétendait que le nom de Chablis venait du câble qui, à cet endroit, servait à passer la rivière.
La cure faisait partie du diocèse de Langres et du doyenné de Tonnerre. Elle était à la collation du Prévôt du Chapitre deSaint-Martin de Chablis. Au XVIIIe siècle le Chapitre abandonna à l'évêque de Langres ce droit de nomination (2).
L'ÉGLISE SAINT-PIERRE ET L'ÉGLISE DU ROSAIRE
L'église Saint-Pierre qui était, jusqu'en 1793, l'église paroissiale, fut construite au XIIe siècle. Le choeur et le sanctuaireavaient été réédifiés au XVIe siècle. L'axe de cette partie déviait sensiblement par rapport à celui de la nef. La longueur totale de l'édifice était de 121 pieds, et sa largeur de 48. « Le choeur et le sanctuaire avaient 55 pieds de longueur (réduit sur un côté à cause du biais) et 20 pieds et demi de largeur. Le sanctuaire avait 17 pieds et le choeur 29 sur le côté le plus court. Le chef du.
(1) QUANTIN. Dict. topog., p. 25.
(2) ROUSSEL (abbé). Le diocèse de Langres, t. III, p. 208.
3 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 105.
choeur formait polygone, L'inclinaison du choeur, par rapport à la nef formait, par sa ligne extérieure, un angle de cent un degrés » (Description de 1772) (1). Il ne faut voir dans cette inclinaison aucun symbolisme; elle provenait uniquement du choix d'une nouvelle orientation, lorsqu'on entreprit la reconstruction.
Le clocher se trouvait, jusqu'en 1725, au point de jonction des deux parties. Sa chute, en 1726, endommagea gravement le choeur. La construction du nouveau clocher, sur le portail, commencée en 1732, ne fut terminée qu'en 1748. Pendant ce temps, le choeur menaçait ruine, une restauration s'imposait. Mais qui eh ferait les frais? Il y avait contestation. L'entretien du pavé et du mobilier incombait à la fabrique, les réparations du choeur et du cancel étaient à la charge des seigneurs décimateurs, celles de la nef et du cimetière s'imposaient aux habitants. Le clocher, qui avait été la cause de tout le mal, portait-il sur les éléments à la charge des seigneurs ou sur les parties que devaient entretenir les habitants ? Là était le noeud de la question. C'était à qui n'endosserait pas la responsabilité. La discussion menaçant de s'éterniser, l'évêque, duc de Langres, Mgr Gilbert de Montmorin de Saint-Hérem, prit le bon moyen pour y mettre fin. Par une ordonnance du 19 janvier 1753, il menaça d'interdire l'église « à moins que dans six mois les réparations nécessaires n'y soient faites ». Dès le 3 juillet suivant, une convention, était signée, en vue de ces réparations, entre Jacques Grillot, seigneur de Montigny, fondé de pouvoirs de MM. du Chapitre, et Jean-Jacques Hilairrin de Lagrange, intendant des affaires de Messire Bénigne d'Hérieourt, conseiller au Parlement, seigneur, grand prévôt de Chablis, d'une part; et Christophe et Joseph Farcy, entrepreneurs à Yrouerre, d'autre part, pour l'exécution des travaux de restauration (2).
Cette partie de l'église, c'est-à-dire le choeur et le sanctuaire, et une travée de la nef, devaient disparaître, moins de cinquante ans plus tard, à la Révolution. J'ai la satisfaction de pouvoir en donner un plan, d'après un document conservé aux archives de l'Yonne (3). Je dirai plus loin comment la ténacité des habitants, du faubourg sauva les trois travées qui subsistent.
Le monument, tel qu'il est aujourd'hui, est encore très apprécié des archéologues, parce qu'il offre un type bien caractérisé de
(1) Archives de l'Yonne. G 2304.
(2) Archives de l'Yonne. G 2310.
(3) Id. G 2304.
106 LA PAROISSE DE CHABLIS 4
l'architecture ogivale primordiale. Les voûtes sont soutenues par quatre piliers flanqués chacun de huit colonnes engagées. La base de ces colonnes est formée d'un tore aplati, séparé d'un plus petit par une gorge; elle est reliée par une patte au piédestal carré. Les chapiteaux sont d'une belle facture. Un cordon règne dans toute la nef, en suivant le contour des grandes arcades. A l'extérieur, modillons, dont plusieurs sont sculptés.
Quatre grandes statues en pierre sont conservées : une Vierge portant l'Enfant Jésus, un saint Pierre déplorant sa faute, un saint Paul, un Moïse portant les tables de la loi. Elles sont du XVIe siècle, et les trois premières ne manquent pas de valeur.
Au sud de Saint-Pierre s'élevait l'église Notre-Dame, qu'on appelait aussi Sainte-Marie-de-Charlemagne, parce que, disaient les anciens, elle avait été fondée par le grand empereur.: Cette affirmation tient de la légende. Néanmoins, la petite église, qui devint l'église du Rosaire, était fort ancienne: elle avait 84 pieds de long sur 24 de large. De Saint-Pierre, on y accédait par un passage, qui s'ouvrait à la première travée et qui était long de 36 pieds. Elle fut démolie à la Révolution.
LES CURÉS
1287. — Léonard de Lenticulo, chanoine d'Anagni, est désigné, pour régir l'église de Chablis, par Pendolphe de Savelli, neveu du pape Urbain IV (1), prévôt de Chablis (2)
1328. — Benoit (3).
1393. — Eudes Goubaud, signe un accord avec le Chapitre au sujet des oblations, dont le tiers appartiendra à Saint-Martin.
1528-1560. — Frère Jacques Both, religieux angustin. Il eut pour vicaire Cyr Buvetier, qui fut curé d'Asnières-en-Montagne.
1560-1563. — Nicolas Aubert. — Vicaires : Jean Picq et Jean Foullot. Celui-ci, né à Chablis, fut prêtre en 1532, chanoine de Chablis et curé évincé, en 1563.
1563. — Pierre Mouton, bachelier en droit canonique, résigna la même année. Il fut curé d'Argenteuil près Paris (4).
(1) Jacques Pantaléon, dit Courtpalais, né à Troyes et fils d'un cordonnier de cette ville, fut élu pape en 1261 et prit le nom d'Urbain IV. Il mourut en 4264.
(2) Archives de l'Yonne. G 2299.
(3) Id. G 2296.
(4) ROUSSEL (abbé). Le diocèse de Langres.
4) SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 107
1563. — Germain Martin.
Au mois de février 1568, les Huguenots, après avoir pillé Pontigny, arrivèrent sous les murs de Chablis. Les remparts du Faubourg Saint-Pierre ne purent contenir l'effort des assaillants, qui saccagèrent et incendièrent cette partie de la ville: Le quartier Saint-Martin, mieux fortifié, soutint le siège pendant trois jours, après lesquels « la ville de Chablis fut prinse par les hérétiques, qui tuèrent plusieurs chanoines, saccagèrent leur église, ravirent et emportèrent d'icelle tous les joyaux, et entre autres une belle châsse d'argent dans laquelle estaient les reliques de saint Espain, avec un beau vase d'argent dans lequel estait le chef de saint Espain...d'autant que la ville fut surprinse, de sorte que ceulx qui lors estaient dedans n'eurent moyen de pouvoir saulver et cacher aulcune chose (1). Ils brûlèrent les livres et les titres du Chapitre et se retirèrent après trois jours, non sans avoir rançonné la ville. Les faubourgs avaient particulièrement souffert; un grand nombre de maisons avaient été détruites « sans aucuns vestiges ». C'est a cette époque, sans doute, que la population se porta vers l'église-Saint-Martin.
1570-1573. — Adrien Marchois, ex-curé de Commissey, chanoine de Chablis.
1573. — Germain Besourt, né à Chablis vers 1520, bachelier en droit, ex-curé de Fléys.
1587. — Pierre Mouton, nommé, pour la deuxième fois, curé de Chablis, résigne en 1587.
1587. — Jacques de la Saulsaye, licencié en droit. 1616. — Claude Morizot, chanoine de Chablis. 1618-1631. — Laurent Jan. En 1627, on lit à la suite de sa signature : « curatùs sui IX° et oetatis suoe XXXVII°, presbyteratûs autem XI° », la 9e année de son ministère, la 37e de son âge et la 11e de sa prêtrise.
1632-1653. — Toussaint Riffault.
1653-1686. — Claude Quartier, bachelier en droit canon. A partir de 1663, il ajoutait à sa signature : « seul curé de Chablis ». C'était sans doute une protestation contre des prétentions et ingérences injustifiables. Il résigna en 1686, fut chapelain du Chapitre et ■mourut le 23 janvier 1700.
Son épitaphe, conservée à l'église Saint-Martin, fait l'éloge de son zèle, de sa piété et de sa charité. Entre autres libéralités qu'on
(1) Archives de l'Yonne. G 2300.
108 LA PAROISSE DE CHABLIS 6
y énumère, il y a une fondation d'un caractère spécial. Il donnaità la fabrique de l'église Saint-Pierre, deux cent quarante-neuf livres de rente pour l'entretien d'un prédicateur d'Avent et de Carême. Je parlerai plus loin de l'exécution de cette fondation (1).
Sous son ministère, le 22 octobre 1672, Messire Louis-MarieArmand de Simiane de Gordes, évêque de Langres, avait donné le sacrement de confirmation dans l'église paroissiale de Chablis.
1686-1705. — Etienne Delagoutte, né à Auxerre, sur la paroisse Saint-Regnobert, le 15 mars 1559, d'Etienne Delagoutte et de Marie Marie. Il était docteur en théologie. Le 13 mai 1705, il devint chanoine d'Auxerre, par permutation avec Edme Chrétien. Décédé le 24 novembre 1728, il fut inhumé dans la chapelle Saint-Sébastien de la Cathédrale d'Auxerre.
1705-1721. — Edme Chrétien, né à Auxerre, sur la paroisse Saint-Eusèbe, le 10 mai 1681, fils d'Edme Chrétien et de Edmée Robinet, chanoine d'Auxerre le 29 septembre 1703; il devint curé de Chablis, par permutation avec le précédent. Plus tard, curé de Saint-Pierre-en-Chàteau, à Auxerre, il fut nommé théologal le 23 février 1731. Décédé le 14 avril 1741, son corps fut déposé dans le caveau de la chapelle Saint-Sébastien de la cathédrale.
En 1717, les Filles-de-Ia-Croix avaient obtenu des lettres patentes pour leur établissement à Chablis. Cette communauté avait été fondée par Marie Soufflet, pour enseigner gratuitement les filles de la paroisse (2).
1721-1731. — François Larget, gradué, né à Savigny, en 1695, devint curé de Junay de 1731 à 1745, puis curé de Frettes.
1731-1763. — François Maldan, né à Tonnerre, prêtre en 1719, fut d'abord vicaire de Chablis jusqu'en 1723. Curé de Junay de 1724 à 1731, il permuta avec le précédent. Il mourut le 10 mai 1763 et fut inhumé « en présence de Pierre Hélie, E. Becker, P. Bavoil, choristes ; Viochot, curé de Maligny, Gardet, prêtre, Mutel, doyen de Tonnerre, Beau, Convers et Thérin, chanoines.
En 1744, il avait été nommé curé de Laignes, mais il opta pour Chablis, où il eut aussi le titre de chanoine.
C'est M. Maldan qui fit élever le clocher de Saint-Pierre.
1763-1764. — Louis-Nicolas Robert, qui était curé de Blaise-leChàteau. Sans doute il préféra rester curé de Blaise, car, dès 1763,
(1) Voir le texte de cette épitaphe dans mon opuscule : La Collégiale SaintMartin.
(2) Archives de l'Yonne. G 2297.
(3) Id. G 2308.
7 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 109
deux vicaires, Berthier et Nicolas Hudelet signaient les actes en qualité de desservants. Ce dernier resta vicaire jusqu'en 1769.
1764-1796. — Joseph-Alexandre Auban, gradué, lié à Orange. En 1770, il abandonna les revenus de sa cure pour 500 livres de portion congrue. Au cours de la Révolution, il s'était retiré à Auxerre, où il mourut (V. au ch. 11).
François Melin, vicaire de 1778 à 1782, était devenu curé de Fyé et chanoine de Chablis. Dans les premières années de la Révolution, il exerça de nouveau le ministère paroissial à SaintPierre. Il signa le dernier acte aux registres de catholicité, le 1er novembre 1792.
Parmi les vicaires, je veux encore signaler les suivants : au XVIIe siècle, Feuillebois, Mignard, Michel de la Porte, frère Jean Jaulois, Hugot, qui devint curé de Chemilly-sur-Serein en 1683, Dechaulnes, curé de Fyé en 1683, Hélye, frère Tonnerre, de Rozière et Lenoir, qui fut chapelain de Courgis. Au XVIIIe siècle, Claude Taupin, qui devint curé de Fyé, chanoine de Chablis et aumônier de l'hôpital, de Saint-Mars, frère Dieudonné Gérard, frère Georges de Béthune et Arduin, qui devint curé de Percey.
PRÉDICATEURS DE L'AVENT ET DU CARÊME
Claude Quartier, qui mourut chanoine de Saint-Martin en 1700, avait légué à la fabrique de l'église Saint-Pierre, dont il avait été curé, une rente de deux cent quarante-neuf livres pour l'entretien d'un prédicateur d'Avent et de Carême. Vers 1760, la fondation était réduite à 120 livres. Sur cette somme « on donne au prédicateur pour la rétribution de la station de l'Avent 40 livres et pour celle de la station du Caresme 60 livres ; le surplus est employé au payement du loyer de la chambre qu'il occupe et du bois et de la chandelle qui lui sont nécessaires pendant ce tems ». Les documents nous révèlent les noms de quelques-uns des prédicateurs. C'est d'abord le frère Thomas de Villeneuve de Notre - Dame - des - Sept - Douleurs, prestre religieux Augustin déchaussé, qui prêcha le Carême de 1687 (1). Puis le frère Hennequin, récollet, est autorisé à prêcher la station de l'Avent (2). En 1738, le R. P. Charles d'Irlande, capucin, prêche l'Avent à SaintMartin (3). En 1761, nous trouvons le frère Ignace, de Dijon, capu(1)
capu(1) cath. 12 février.
(2) Archives de l'Yonne. G 2326.
(3) Id. G 2338.
110 LA PAROISSE DE CHABLIS 8
cin de la maison de Semur. Le Carême de 1762 est prêché par le frère Caron, capucin(1), et l'Avent de 1770 par le R. P. Petitjean, prêtre de l'ordre des Carmes du couvent de Semur (2). Au 19 décembre 1771, on trouve cette mention : « Nicolas-René Ganault de la Rochevidé, prestre licencié en théologie, prieur commandataire du prieuré simple de Saint-Nicolas-de-Riou, ordre de SaintAugustin, diocèse d'Angers, chanoine de l'insigne église de SaintPierre de Tonnerre, prédicateur nommé par Mgr l'évêque duc de Langres, pour prescher l'Avent dans la ville et paroisse de Chablis (3). Le frère Jean-François, capucin prêche l'Avent en 1780.
Les stations étaient bien suivies et entretenaient dans la population une foi éclairée, vive et agissante. Un jour vint où, à l'occasion de ces prédications, le vent de la discorde souffla. Ce ne fut là, d'ailleurs, et il n'y faut pas voir autre chose, qu'un épisode de la rivalité entre la ville et le faubourg. Le curé, soutenu par l'évêque de Langres et par les fabriciens, tenait pour Saint Pierre. MM. de la ville, appuyés par le maire et les échevins, tenaient pour Saint-Martin.
En 1738, le 29 novembre, sur requête de deux fabriciens de Saint-Pierre le R. P. Charles d'Irlande, capucin de Bar-sur-Aube, était autorisé par Messieurs du Chapitre à prêcher l'Avent dans la chaire de l'église Saint-Martin. Mais on avait soin d'ajouter : « sans que cela puisse tirer à conséquence » (4).
La chute du clocher avait sérieusement endommagé le choeur de l'église Saint-Pierre ; le clocher actuel était en construction, il fallait bien se réfugier ailleurs. Mais on y prit goût, on continua, et le curé eut mille peines à ramener les prédications à SaintPierre. La lutte devint aiguë en 1770. Elle est racontée dans un long document que je veux résumer :
« Les Maire, Echevins, notables et habitans de la ville deChablis se plaignent de ce que M. Auban, curé de lad. ville, en l'année 1767, plus de deux ans après sa prise de possession, a, de son autorité privée, jugé à propos d'intervertir l'ordre établi de toute ancienneté pour les prédications de l'Avent et du Carême qui se faisaient dans l'église collégiale Saint-Martin de Chablys à des heures fixes et de faire prêcher contre le voeu et la commo(1)
commo(1) cath.
(2) Archives de l'Yonne.
(3) Reg. cath.
(4) Archives de l'Yonne. G 2333.
9 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 111
dite publique les dimanches et fêtes à la paroisse, tantôt au milieu de la grande messe, tantôt après les vespres, et les jours ouvrables dans la chapelle des Dames de la Providence, petite communauté établie en lad. ville.
« Leurs justes plaintes sont fondées : 1° sur l'usage et la tradition ; 2° sur l'intention du fondateur ; 3° sur l'éloignement de la paroisse et le peu d'emplacement de la chapelle de la Providence et enfin sur l'incommodité et le désavantage qui résultent de ce changement pour les prédicateurs ».
L'auteur du mémoire développe longuement ces arguments que je résume :
1° L'usage de prêcher à la collégiale, antérieur même à la fondation des prédicateurs, est prouvé par les actes « depuis 1680, jus'ques et y compris le tems de l'Avent 1766 ».
2° La volonté du fondateur, M. l'abbé Quartier, ressort de ce codicille : « quand à la fondation de 249 livres 2 sous par moy cy dessus faitte à la fabrique de lad. paroisse pour être employée à l'entretien du prédicateur pendant l'Avent et le Caresme de chaque année, je l'ay faitte et fait à la condition que pour donner le temps aux sieur curé et fabriciens et aux bons paroissiens qui assistent à la grande messe paroissialle de prendre leur réfection, on ne commencera point à la sonner les jours de fêtes et de dimanches qu'après midy pour la commencer au plus tôt à midy et demy et que pendant les jours de fêtes de saint André, de saint Jean et de saint Etienne on preschera à la même heure que les dimanches, et non le matin afin que MM. du chapitre puissent plus commodément dire leur messe et faire leur office, et afin que celui de la paroisse ne se fasse plus à l'avenir pendant la prédication, et qu'ainsy MM. les curé, fabriciens et bons paroissiens y puissent assister ».
L'auteur du mémoire fait remarquer que la prédication ne pouvait gêner la messe et l'office des chanoines que si elle avait lieu à Saint-Martin. Il ajoute que l'ancien usage était de prêcher à 1 heure 1/2 et qu'on retarde même jusqu'à 2 heures, ce qui paraissait entrer dans les vues du fondateur, qui veut assurer « le tems de prendre la réfection ».
3° Pour la prédication des jours ouvrables, la chapelle de la Providence, dit-il, est trop étroite, elle ne peut contenir que cent cinquante personnes, on y est entassé, sans distinction de classes, sur des bancs mal commodes, et il y a là de gros inconvénients,
112 LA PAROISSE DE CHABLIS 10
sur lesquels il insiste. Quand le sermon finit, il est nuit fermée, car on ne peut commencer qu'après la rentrée des ouvriers et... le chemin est mauvais et peu sûr... ; « les honnêtes gens se trouvent confondus parmi la populace, d'où en dérivent nombre d'autres (inconvénients) que la politesse et la dessence ne permettent pas de détailler et qu'accompagnent toujours le peut de. soin, la malpropreté et la misère ».
Les partisans de Saint-Martin ajoutent que l'église Saint-Pierre est trop éloignée, le chemin difficile, qu'on n'entend pas la sonnerie, si ce n'est quand le vent est du sud; que des pays circonvoisins on vient plus facilement à Saint-Martin.
4° Le prédicateur, à Saint-Pierre, ne sait où se retirer. A SaintMartin, M. le chantre (1), « dont la maison est joignante à l'église » le reçoit chez lui.
Quand ils prêchaient à Saint-Martin, les prédicateurs « ont toujours eu leur couvert mis chez le marguillier d'honneur ou le premier marguillier, avantage dont ils ne profitaient pas souvent, attendu que tous les honnestes gens s'empressaient à les invitter et particulièrement MM. les chanoines de la collégialle » Depuis qu'on a changé l'usage, ils se nourissent le plus souvent à leurs frais. « Tous les inconvénients cy dessus détaillés dégouttent et rebuttent les prédicateurs, en sorte que, par la suite, il sera difficile de faire accepter cette station bien loin de trouver quelqu'un qui la demande ».
Après ce plaidoyer en faveur de Saint-Martin, l'auteur du mémoire rappelle les démarches faites précédemment. Au mois d'octobre 1768, les notables avaient envoyé un délégué auprès de Mgr de Langres, qui était aux environs de Chablis. Ils demandaient que les prédications fussent faites à Saint-Martin « à l'exception des deux sermons qui avaient coutume de se prescher à la paroisse le mercredy dès Cendres et le premier vendredi de mars ». Le 22 novembre, Mgr l'évêque répondait : « J'ai examiné, Monsieur, les clauses et les conditions relatives au sermon fondé à Chablis, comme je vous l'avais promis. Bien loin qu'elles m'ayent paru opposées à ce que j'ay réglé l'année dernière, savoir que les sermons se feraient les dimanches et fêtes à la paroisse et les jours ouvriers à la collégiale, l'esprit et la lettre du testament m'y ont paru extrêmement conformes. Je vous prie donc, Mon(1)
Mon(1) ou premier dignitaire du chapitre de Chablis à cette époque.
11 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 113
sieur, de dire à Messieurs de ville que je ne vois rien à changer quant à présent à ce qui a été fait l'année dernière ».
Etonnement des notables qui disent n'avoir pas connaissance de cette décision. M. le curé lui-même, écrivaient-ils, devait l'ignorer, puisqu'il faisait prêcher les jours ouvriers à la Providence et non à la collégiale. D'ailleurs il n'y avait pas eu « d'ordonnance lue au prône de la messe paroissialle » et si Mgr avait ainsi répondu, c'est qu'il n'avait pas voulu donner à M. le curé « la mortiffication de le blâmer et de détruire entièrement sa volonté ». On ergotait.
La station de l'Avent 1768, et celles du Carême et de l'Avent 1769 furent prêchées à Saint-Pierre et à la Providence.
Le parti adverse ne se tint pas pour battu. Le 9 février 1770, on demanda aux maire et échevins de prendre une consultation d'avocats sur les moyens à prendre pour rétablir l'ancien ordre de choses et, peu après, ceux-ci décidèrent que « selon les conclusions du procureur du Roy, à la requête des officiers, municipaux, aux poursuites et dilligences du sindic receveur, il serait fait opposition entre les mains du marguillier comptable à ce qu'il n'eut à fournir aucun logement, bois ny chandelle, ny payer aucune rétribution aux prédicateurs jusqu'à ce qu'il soit autrement ordonné.
Notification de cette oppositon fut faite à Mgr l'évêque de Langres, Gilbert de Montmorin de Saint-Hérem, qui, pour toute réponse, supprima le prédicateur pour le Carême de 1770. Ce prélat mourut le 19 mai de cette même année.
Sa disparition ranima les espérances de Messieurs de ville. « La mort inattendue du prélat, l'espoir de trouver justice dans l'équité et le zèle de son successeur (Mgr César-Guillaume de la Luzerne), l'occurence du jubilé, ont déterminé les maire, échevins et nottables de lad. ville, de suspendre l'effet de lad. opposition pour l'Avent de 1770 ». Les prédications se firent d'ailleurs en grande partie à la Gollégiale « par l'entremise, les soins et le zèle du R.P. Petitjean, prêtre de l'ordre des Carmes, du couvent de Semur, envoyé pour prescher cette station ».
Voici sur quelles bases l'accord s'était fait : sur le désir du P. Petitjean et sans doute leconseil du nouvel évêque, M. le curé avait tout d'abord accepté que le Père « prescherait à SaintMartin, à l'exception du premier dimanche de l'Avent, du jour de la Conception et du jour de Noël ». Les maire et échevins transmettent cette proposition à MM. du Chapitre qui ne donnent pas leur assentiment. Le R. P. Petitjean, avec son esprit de concilia8
concilia8
114 LA PAROISSE DE CHABLIS 12.
tion, veut arranger l'affaire ; il paiera de sa personne. Il offre de « prescher ces trois jours, le matin à la paroisse et l'après-midi à la collégialle ». M. le curé consent, MM. du Chapitre acceptent et la convention s'exécute « jusqu'au jour de Noël exclusivement, à la satisfaction de tous »
Mais la veille de Noël, coup de théâtre : M. le curé fait défense au R. Père « de prêcher le lendemain à la collégialle». Le P. Petitjean objecte la parole donnée; il cherche à faire entendre qu'il ne peut, à la veille de la fête, revenir sur sa promesse. Tout est inutile. Le curé tient bon et lui fait « signiffier par huissier au domicile où il était logé... qu'il s'opposait à ce que ledit R. P.. Petitjean preschât ny enseignât la parole de Dieu, qui était sa mission, le lendemain, jour de Noël, en d'autre église dud. Chablis qu'en la paroisse, que lui curé avait annoncé le sermon environ sur les 2 heures après midy entre les vespres et les compiles... aux peines de droit et sous toutes réserves et protestations nécessaires ». Le mémoire ajoute : « un acte pareil et un procédé aussy singulier mériteraient d'être enseveli dans un oubli éternel, mais il est malheureusement consigné dans des registres qui ne prendront fin qu'avec le tems ».
Résultat : « Le P. Petitjean s'étant trouvé indisposé le jour deNoël, il n'y eut point de sermon ny à la paroisse ny à la collégiale ». L'auteur du rapport ajoute, ne croyant guère à cette maladie survenue à point, que « sans l'opposition de M. le curé, le R. P. aurait bien prêché à la collégiale à une heure et demie, et, après les vespres, à Saint-Pierre ».
Et l'auteur de conclure : « Les habitans pénétrés de la plus vive reconnaissance envers ce missionnaire qui avait fait tout son possible et était pour ainsy dire parvenu à rétablir l'ancien usage, la concorde et l'harmonie qui doivent toujours subsister entre le pasteur et les ouailles lui en ont, ainsi que MM. du Chapitre, marqué toutte gratitude par tout ce qui était en leur pouvoir et particulièrement par leur assiduité à aller entendre la parolle de Dieu qu'il annonçait. Il n'y a paru de mécontent que M. le curé, au grand scandale du peuple et de la religion ».
Signé : Boucher, maire, Feuillebois et Coquille, échevins (1).
Cet incident fut regrettable sans doute; mais, comme je l'ai dit, il en faut voir la cause dans les sentiments et les désirs du peuple.
(1) Archives de l'Yonne, G 2304.
13 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 115
qui tenait à son église Saint-Pierre et s'y trouvait ehez lui. Il sut le manifester hautement, j'allais dire violemment, aux premières années de la Révolution et sous le premier Empire. M. Auban avait voulu favoriser ses bons paroissiens du faubourg et soutenir leurs justes revendications.
LES CLOCHES
Dans un rapport daté de 1726, on lit ceci : « La paroisse de toute la ville de Chablis est sous l'invocation de Saint-Pierre. Les habitants sont très attachés à la paroisse, et il n'y a presque pas de femme qui n'y ait son saint particulier qu'elle a soin d'orner et de doter, ce qui fait autant de rétributions particulières à M. le curé. Comme la ville est entourée de montagnes, le bruit du tonnerre s'y fait souvent entendre ; les habitanis, suivant l'ancienne erreur, s'imaginent qu'à force de sonner les cloches ils détournent l'orage, au lieu que, suivant la physique moderne, le son violent, fendant l'air, occasionne la chute du tonnerre. Et, en effet, l'on ne doit sonner alors qu'autant qu'il faut pour avertir les peuples de se mettre en prières... On a donc voulu, à Chablis, enchérir sur toutes les campagnes voisines pour la grosseur de leurs cloches qu'ils sonnent à la moindre apparence de tempête. Ils en ont pour 30 milliers pesant et une seule pèse 15 milliers (1). Le clocher menace ruine. Les habitants, qui se disent pauvres, désiraient vendre leur grosse cloche pour les frais de l'abat total du clocher et pour la construction d'un nouveau moins élevé que l'ancien, mais ils aiment trop leurs cloches pour s'y résoudre (2). »
Ce clocher s'élevait sur la travée qui précédait le choeur. Il s'écroula en 1726. M. Maldan commença la construction du clocher actuel, sur le portail, en 1732 ; il fut terminé en 1748. Deux cloches y furent montées le 7 novembre et la plus grosse le 8 (3). Quelques années plus tard, en 1764, la seconde, étant cassée, fut refondue par les sieurs Paul-Antoine Brocard et Nicolas Depoisson, fondeurs à Breuvannes, en Lorraine, Jean-Edme-Charles Chapotin étant maire, Pierre Barbette, premier. échevin, Pierre(1)
Pierre(1) dans ma notice sur la Collégiale Saint-Martin les procès-verbaux de bénédiction de trois cloches pour Saint-Pierre en 1660 et 1670.
(2) Archives de l'Yonne. G 2306.
(3) Registre de catholicité, 15 novembre 1748.
116 LA PAROISSE DE CHABLIS 14
Espain Cousin, Claude Droin et Edme Pargat, échevins, et JeanLouis Feuillebois, premier marguillier d'honneur (1). Elle fut bénite par le nouveau curé, M. Auban.
« L'an mil sept cent soixante-quatre, le quinze novembre, par nous, curé de la paroisse Saint-Pierre de Chablis, a été bénite la seconde cloche et nommée Gabriel-Catherine par messire PierreGabriel-Xavier de Virieux de Beauvoir, marquis de Faverge, seigneur de Pallud, Rameaux et engagiste de Chablis, représenté par messire Pierre Letors, écuyer, conseiller du Roy, prévôt du siège de la Prévôté royale de Chablis, et par Mme Catherine de Guyon, épouse de Messire Edme de Boucher, comte de Milly, seigneur, de Roffée et de plusieurs autres lieux, en présence de Messire Edme de Boucher de Milly et autres soussignés avec nous.
Signé : Letors, Guyon de Milly, Edme de Boucher de Milly, Jean de Boucher de Milly, J. Chapotin, maire, Feuillebois, fabricien, Poullain, Boucher, P. Ramilly, Hudelet, vicaire de Chablis, Auban, curé.
Si Chablis avait la prétention « d'enchérir sur les campagnes voisines », ces paroisses voisines étaient prises aussi d'une belle émulation : Chichée, Milly et Poinclry eurent leurs trois cloches. Chichée prit les devants: « Cejourd'huy trentième jour du mois d'avril mil sept cent soixante a été bénite la troisième cloche de l'église Saint-Martin de Chichée sous l'invocation et nom de sainte Catherine, par nous Jacques-Joseph Allier, curé audit Chichée, qui nous a été présentée, par Me Edme-Louis Bordât, avocat en Parlement, prévôt de la prévôté royale de Chablis et de la prévôté royale dudit Chichée parein et dame Catherine Mîllon, mareine, et épouse du sieur Joseph Feuillebois, officier du Roy à Chablis. »
Bientôt ce fut le tour de Milly :
« L'an 1766, le treize avril a été bénie une cloche sous l'invocation de saint Edme et de sainte Elizabeth, lesquels nous ont été assignés par Messire Edme de Boucher, haut et puissant seigneur et comte de Milly présent, et par très-haute et très-puissante Dame Madame la comtesse de Bâcle, Dame de Moulins et autres lieux, chanoinesse de l'insigne Chapitre collégiale et séculière de Sàint-Goëry à Epinal, aussi présente.
(1) Ch. POREE. Epigraphie campanaire. Bull. Soc. des Sc, année 1916, p. 357.
15 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 117
Signé: Le Bâcle, chanoinesse d'Epinal, Edme de Boucher de Milly.
« Le même jour a été bénie une autre cloche sous l'invocation dé sainte Catherine, saint Edme et saint Pierre lesquels nous ont été assigné par messire Pierre de Boucher, haut et puissant seigneur, comte de Carizey chevalier de l'ordre Royal militaire de Saint-Louis, ancien capitaine commandant du régiment Mestre de L..., général de la cavalerie, présent et par dame Madame Catherine de Guyon, haute, et puissante dame comtesse de Milly, aussi présente.
Signé : Guyon de Milly, Pierre Boucher de Carizey, Denys, chevalier de Vary, Marie Campenon vicomte de Pimelles, David Edme, chantre en dignité de l'église roialle et collégiale de Chably, Berthier, curé de Poinchy et Milly.
« Le 19 novembre 1781, une moyenne cloche fut bénite et nommée Jeanne-Félicité, par M. l'abbé de Saluces, vicaire général du diocèse de Meaux et Mme la marquise de Saluées, dame de Milly, représentés par Louis Roblot et Catherine Bernard leurs domestiques » (1),
Poinchy ne voulut pas rester en dessous des pays voisins. Le 27 avril 1780, on y bénissait trois cloches, qui ont disparu bien vite, après avoir eu d'illustres parrains et marraines.
La première a été appelée Gabrielle : parrain, haut et puissant seigneur messire Jean-Baptiste-Paulin d'Aguesseau, doyen du conseil, prévost, maître des cérémonies des Ordres du Roi, seigneur de Poinchy et autres lieux; marraine, haute et puissante dame Gabrielle de la Vieuville, sa femme.
La seconde, Anne; parrain, haut et puissant seigneur messire Henri-Cardin-Jean-Baptiste d'Aguesseau de Fresnes, avocat général au Parlement de Paris ; marraine, haute et puissante dame Marie-Catherine de Lamoignon, sa femme.
La troisième,. Angélique: parrain, haut et puissant seigneur messire Jean-Baptiste Rochard, chevalier, seigneur de Saron, conseiller du Roi en tous ses conseils, président du Parlement de Paris; marraine, haute et puissante dame Angélique d'Aguesseau, sa femme (2).
Chemilly-sur-Serein a la bonne fortune de posséder encore son
(1) Registre de catholicité.
(2) D'après l'inventaire des Archives de l'Yonne, t. I, série E supplém., p. 29.
118 LA PAROISSE DE CHABLIS 16
ancienne cloche qui fut bénite, en 1779, par Claude Forgeot, curé de Poilly. Elle eut pour parrain messire Edme Lecourt, chevalier seigneur de Béru, Poilly. et autres lieux, ancien lieutenant-colonel d'infanterie, chevalier de l'Ordre royal et militaire de SaintLouis, et pour marraine Denise-Marie-Jacques de Palluau, son épouse. (Inscription de la cloche) (1).
Je reviens au rapport de 1726, que j'ai cité. On y a lu cette phrase : « L'on ne doit sonner alors qu'autant qu'il faut pour avertir les peuples de se mettre en prières ». C'est bien la pensée de l'Eglise. En faisant sonner, en temps d'orage, elle veut engager les fidèles à élever leurs mains suppliantes vers le ciel, avec la confiance que donne la foi. Le quatrième concile de Milan dit positivement que les chrétiens, en entendant sonner la cloche, doivent « implorer la miséricorde divine par de ferventes prières. » (4e conc. de Milan : De oratione). L'Eglise, dans sa liturgie, ne dit pas autre chose: « Bénissez, ô mon Dieu, cette cloche, et que, dès qu'elle sonnera, s'éloignent bien loin les coups de la foudre, les calamités des tempêtes, les désastres. des vents impétueux... O Dieu Tout-puissant et éternel, répandez votre bénédiction sur cette cloche, et faites que ses sons harmonieux, excitant la ferveur et la confiance des fidèles, mettent en fuite les fracas de la grêle, les coups de la foudre... » Ainsi s'exprime le Pontifical dans les prières de la bénédiction des cloches.
De là est venu l'usage de faire parler la cloche elle-même, dans les inscriptions qu'on y lit. Ecoutez Savinienne, le fameux bourdon de Sens :
Obseure nubis tonitru ventos que repello
Je mets en fuite, de la nuée obscure le tonnerre et les vents.
Aussi bien l'Eglise n'a jamais prétendu apaiser les perturbations de l'air, par une cause purement physique, mais opposer à la violence de la foudre une force toute surnaturelle.
Dans le même rapport du XVIIIe siècle, on lit cette phrase : « Suivant la physique moderne, le son violent fendant l'air occasionne la chute du tonnerre ». C'est là une erreur.. Le savant Arago, à cette question : « Est-il utile ou dangereux de sonner les cloches en temps d'orage ? » répond : « Il n'est pas prouvé que le son des cloches rende les coups de tonnerre plus imminents et
(1) Ch. PORÉE. Op. cit., p. 290.
17 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 119
plus dangereux. S'il y a danger, il vient de la hauteur habituelle des tours et des flèches pyramidales » (1).
De fait, on ne sonne plus guère les cloches en temps d'orage et les clochers n'en sont ni plus ni moins épargnés par la foudre.
LES CONFRÉRIES
Pour entretenir la piété et maintenir les habitudes chrétiennes les curés et aussi les religieux, au cours de leurs missions, avaient à coeur d'établir des confréries.
A Saint-Pierre on en comptait douze au moment où la Révolution vint tout supprimer. Un inventaire de 1790 en donne la nomenclature: Le Saint-Nom de Jésus, Notre-Dame de Liesse, Saint-Jean, Sainte-Anne, Saint-François, Saint-Hubert, SaintVincent, Saint-Edme, Sainte-Catherine, Saint-Crépin, Saint-Claude (à l'autel Saint-Vincent) et Saint-Nicolas. Dans un autre document, j'ai trouvé la mention d'une confrérie de SaintBoniface.
On peut les ranger en trois catégories : les confréries de dévotion, de patronage et de corporations.
CONFRÉRIES DE DÉVOTION
Saint-Nom de Jésus. — Saint Bernard a exalté, dans des pages admirables, la puissance et la douceur de ce nom béni. Au XVe siècle, saint Bernardin de Sienne établit et propagea l'usagé de représenter, entouré dé rayons, le monogramme du Christ I H S. Dès les premières années du XVIe siècle, l'ordre de SaintFrançois reçut le privilège de célébrer une fête spéciale en l'honneur du très Saint-Nom de Jésus. Au comméncernent du XVIIIe siècle cette fête fut étendue à l'Eglise universelle. Cette dévotion devint très populaire dans nos régions.
A la façade d'une maison, qui porte la date de 1577 (rue des Moulins) on peut voir le monogramme du Christ IH S et celui du Saint-Nom de Marie M A avec, au-dessous, les initiales E H.
Notre-Dame de Liesse. — Le sanctuaire de Notre-Dame de liesse, érigé au XIIe siècle, au diocèse de Laon (aujourd'hui de
(1) Revue de l'Art chrétien, 1.1, p. 553.
120 LA PAROISSE DE CHABLIS 18
Soissons) devint un lieu de pèlerinage très célèbre. On y accourrait de toutes les régions de la France et dès pays voisins. Jeanned'Arc y alla avec le « gentil Dauphin » pour remercier Mairie des succès obtenus. On y vit nos rois Louis VII, Louis XI; François Ier et Louis XIII. Louis XIV y. alla quatre fois. Les peuples, à l'exemple des rois, avaient grande confiance en Notre-Dame de Liesse. Cinquante mille pélerins s'y rendaient chaque année.
Parmi les ex-voto qui, au XVIIIe siècle, attestaient, dans ce sanctuaire vénéré, les nombreuses grâces obtenues, on en signalait un qui provenait de Chablis (1).
Saint-Jean-Baptiste. — La fête de Saint-Jean-Baptiste se célèbrele 24 juin. Ce jour, qui était la grande date du milieu de l'année pour les affaires civiles, est resté le jour des feux de joie. Au' soir du 23, on les voit s'allumer sur les collines ou à la porte des, bourgades. A Chablis, on est fidèle à cette tradition, avec cette particularité que les feux sont allumés en pleine rue, et dans tout quartier, où il y a des habitants nouvellement installés. C'est un souhait de bienvenue qui donne lieu à des réunions où volontiers coule le Chablis et où règnent la plus franche gaieté et lameilleure fraternité. Elles paraissent menaçantes et dangereuses, ces flammes qui crépitent à proximité des maisons et s'élèvent à la hauteur des toits ; mais le dicton populaire n'a encore subi: aucun démenti : « Jamais feu de la Saint-Jean n'a mis le feu »
Saint-Claude. — Saint Claude, archevêque de Besançon, se fit religieux et mourut en 699. Il était invoqué contre les sorciers.. Son culte était très répandu et son nom donné à beaucoup d'enfants dans nos contrées. Fête le 6 juin. L'abbaye, où était conservé son corps, donna naissance à la ville de Saint-Claude.
Cette confrérie avait son siège à l'autel Saint-Vincent.
Saint-Hubert. — Saint Hubert d'Aquitaine, évêque de Maëstricht et de Liège, mort en 727. Fête le 3 novembre. Une messe haute avait été fondée en son honneur dans l'église Saint-Pierre,
Saint-Boniface. — Saint Boniface, archevêque de Mayence, martyrisé en 754. Ce fut lui qui sacra Pépin le Bref à Soissons en 752. Fête le 5 juin.
Saint-François. — Saint François d'Assise, fondateur des Frères mineurs, mourut en 1226. Fête le 4 octobre. Les fils de saint
(1) DROCHON. Les pèlerinages français à la Sainte Vierge, p. 75.
19 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES: 121
François, Cordeliers, Récollets et surtout Capucins, furent souvent appelés à prêcber l'Avent et le Carême à Chablis. Ils ne pouvaient manquer d'y établir une confrérie en son honneur. Au baptême, un grand nombre d'enfants recevaient ce nom.
Saint-Edme. — Saint Edme, ou Edmond, archevêque de Cantorbéry, réfugié à Pontigny, pour échapper à la persécution. Il mourut en 1240, alors qu'il regagnait l'Angleterre. Son corps fut ramené à Pontigny, où il repose dans une châsse, au-dessus de l'autel. Son nom est toujours en vénération et son culte très vivant dans notre région, qu'il favorisa de sa protection et de ses miracles. « On venait de très loin apporter à son autel les enfants mort-nés, en faveur desquels de pauvres mères sollicitaient l'étincelle de vie suffisante pour leur procurer le baptême » (1).
J'ai donné, ailleurs, la relation d'un miracle de cette sorte obtenu, à Chablis, par l'intercession de saint Epain. Un' pieux chanoine, plein de confiance en saint Epain, avait arrêté les parents désolés, qui se dirigeaient vers Pontigny, les assurant qu'ils pouvaient obtenir, auprès des reliques de ce saint, vénérées dans la collégiale de Saint-Martin, la résurrection momentanée qu'ils sollicitaient. Leur foi eut la récompense qu'elle méritait et l'enfant reçut le baptême. Ce miracle eut lieu le 20 avril 1670. Il est certifié par une pièce notariée (2).
CONFRÉRIES DE PATRONAGE
Je désigne ainsi les confréries de Saint-Nicolas et de SainteCatherine.
Saint Nicolas, évêque de Myre. Le martyrologe d'Auxerre dit que son nom est célèbre dans tout l'univers et qu'il n'est pas un lieu qui n'ait obtenu par lui des grâces. On le représente ayant à ses pieds, dans une cuve, des enfants qu'il vient de ressusciter. C'est la raison qui l'a fait choisir comme patron des enfants et jeunes gens. Il mourut vers l'an 406. Sa fête est fixée au 6 décembre.
Sainte Catherine, l'habile dialecticienne d'Alexandrie, qui confondait les philosophes païens, a été donnée comme patronne et
(1) P. CORNAT. Hist. de Ligny-le-Châtel; p. 60.
(2) Voir la Collégiale Saint-Martin, p. 47.
122 LA PAROISSE DE CHABLIS 20
comme modèle aux jeunes filles. Sa fête est encore célébrée solennellement par les pieuses chablisiennes qui viennent en grand nombre, au 25 novembre, assister à la messe et demander à l'illustre vierge martyre la grâce d'imiter ses vertus.
Les statues de saint Nicolas et de sainte Catherine sont encore conservées à l'église Saint-Pierre.
CONFRERIES DE CORPORATIONS
Saint Vincent, diacre, martyrisé en Espagne en l'an 304. Il est patron des commissionnaires en vins, courtiers, vignerons, tonne liers, cercliers, marchands de vin.
Dom Guéranger trouve la raison de ce patronage en ce que, par ses fonctions de diacre, il était appelé à verser dans le calice le vin qui allait être consacré.
La confrérie Saint-Vincent subsiste encore et la fête se célèbre, à l'église Saint-Martin, le 22 janvier, avec grande solennité et avec l'éclat d'une fête patronale, car toute la population s'y associe..Les confrères s'y rendent, musique en tête, escortant une pyramide de brioches, délicieusement enrubannées, qui sont ■bénites et, à la messe, distribuées aux membres et bienfaiteurs de la confrérie.
Le même cortège se rend, le lendemain, à l'église Saint-Pierre où l'on célèbre un service pour les défunts de la confrérie. Et les confrères ne. quittent pas la vieille église sans avoir donné une joyeuse aubade à saint Vincent.
Une autre coutume s'est conservée : celle de déposer, avant les dernières cérémonies de la sépulture, le cercueil des confrères défunts, devant la statue de saint Vincent, pendant qu'on chante
le trait: « Qui Lazarum. O Dieu, qui avez ressuscité Lazare
donnez-leur le repos et le lieu de la miséricorde. Vous qui viendrez juger les vivants et les morts... ». Ce n'est jamais sans émotion que j'ai conduit ainsi, comme pour un dernier adieu à saint Vincent, la dépouille mortelle des bons vignerons de Chablis, et demandé pour eux, comme je le demande encore en écrivant cette page, la résurrection glorieuse et une place aux côtés de leur illustre patron.
En 1857, les membres de la confrérie avaient fait une souscription pour fonder la fête de Saint-Vincent et le service du lendemain. Cette souscription produisit cinq cent trente francs, qui furent remis à la Fabrique. La. fondation fut approuvée par
21 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 123
décret du 11 décembre 1858. Elle a disparu dans le naufrage des fondations. Mais si les frais de la cérémonie ne sont plus couverts par une rente sur l'Etat, elle n'en a pas moins été maintenue par le clergé, qui voit toujours avec joie et avec fierté lés confrères de saint Vincent se réunir en grand nombre pour fêter leur saint patron et prier pour leurs morts, dans cette église Saint-Pierre, à l'ombre de laquelle ils dorment leur dernier sommeil en attendant le jour de la résurrection.
Sainte Anne.— Patronne des menuisiers, ébénistes et tourneurs. La fête' se célèbre le 26 juillet.
Saint Crépin. — Saint Crépin, qui était venu dé Rome dans le
Soissonnais, y prêcha la parole de Dieu. Pour se procurer des
moyens d'existence, il se fit cordonnier. Il fut martyrisé à Soissons,
vers 285. Patron des cordonniers, tanneurs, mégissiers, corroyeurs
et tisserands. Fête le 25 octobre. Il y avait des tanneries à Chablis.
CONFRÉRIES DE LA PETITE ÉGLISE
Confrérie du Rosaire. — Cette confrérie ayant son siège dans la petite église, lui donna son nom.
Saint Eloi. — Saint Eloi qui, dès son jeune âge, avait travaillé
chez un orfèvre de Limoges, fut appelé à la cour du roi Glotaire II,
qui, un jour, le chargea de lui faire un trône enrichi de pierres précieuses. Il travailla aussi pour le roi Dagobert et fit des
•châsses pour les saints.
Non moins estimable pour ses, vertus et sa charité pour les pauvres, que remarquable par son habileté et son intelligence des affaires, il fut nommé à l'évêché de Noyon. Il mourut en 659. Fête le 1er décembre.
Patron des orfèvres, serruriers, maréchaux, taillandiers, bourreliers, charrons, laboureurs et aussi des ferblantiers qui se disaient orfèvres en mi-fin.
La statue de saint Eloi est toujours en honneur à Saint-Pierre.
Saint Sébastien. — Saint Sébastien, le martyr percé de flèches (en l'an 288), dont on retrouve l'image dans un grand nombre de nos églises, est invoqué dans les épidémies. Fête le 20 janvier.
On honorait aussi, dans l'église du Rosaire, les statues de saint Luc, évangéliste, et de saint Vorles. Ce dernier était curé de Marcenay, près de. Châtillon-sur-Seine, alors, comme Chablis, du diocèse de Langres. Il mourut en 591.
124 LA PAROISSE DE CHABLIS 22
En 1015, la châsse qui renfermait le corps de ce saint fut portée au concile d'Héry, convoqué par le roi Robert-le-Pieux. Oninvoque saint Vorles contre la sécheresse.
Ces confréries étaient en honneur, et volontiers les bons chrétiens faisaient des libéralités en leur faveur. Je veux en donner un exemple que je tire du testament de Christophe Girault, commissionnaire en vins, insigne bienfaiteur de la paroisse. Parce testament en date du 7 janvier .1700, il léguait « 20 livres à la confrérie du Saint-Nom-de-Jésus, 20 livres à celle de SaintVincent, 10 livres à celle de Saint-Claude, 10 livres à celle deSaint-Edme et une somme plus importante à celle de; SaintHubert ».
Cette dernière disposition est ainsi libellée : « Item je veut que l'on donne à la confrairie de Saint-Hubert, érigée à Saint-Pierre ma paroisse, la somme de (60 livres) qui sera délivrée aus fabriciens de ma paroisse pour faire dire une grande messe tous les ans ledit jour de Saint-Hubert à perpétuité affin que tous les confraires puisse asister et tous autres qui auront dévotion, et laquelle messe se célébrera entre sept et huit heures et qui sera sonnée avec la grosse cloche, laquelle somme pour une fois payée, et en outre sera dit à l'issut de lad. grande messe un libéra avec la collecte pour moy et ma femme » (1).
M. Christophe Girault mourut le 14 octobre 1701. Il y eut « le même jour la Réception du corps d'hon. h. Christophle Girault, commissionnaire de vins décédé cejourd'huy après avoir reçu tous ses sacrements dans sa maladie. A été reconduit à SaintMartin pour y estre inhumé conformément à son testament. Signé : A. Letors, Camelin, D. Haldal, Delagoutte curé de Chablis ».
J'ai tenu à signaler le legs de M. Girault, en faveur de la. confrérie de Saint-Hubert, parce que cette fondation survécut à la révolution. C'est là, sans doute, un fait assez rare. Voici par suite de quelles circonstances : En 1740, M. Robinet de Pontagny, exécutant cette fondation, versa à la confrérie une somme de 135 livres, représentant 60 livres de capital et 75 livres d'arrérages M. Maldan, curé, Jean Dubois, Charpentier, et Hubert Daudier, tailleur d'habits, confrères de Saint-Hubert, employèrent 100^ livres à l'acquisition de deux pièces de terre (acte du 22 mai 1740,. Me Péplin, notaire). Ces pièces de terre, louées par bail emphytéo
(1) Voir pièces justificatives, p. 64.
23 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 125
tique du 6 janvier 1747, ne furent pas mises en vente à la Révolution. N'étant pas aliénées lors de la reconstitution des fabriques paroissiales, elles firent retour à la paroisse, et la fondation fut sauvée. Les terres, qui étaient situées sur le finage de La ChapelleVaupelteigne, ayant été vendues en 1858, le capital fut placé en rentes sur l'Etat, le 26 janvier 1859. La messe fut chantée jusqu'en 1906, époque à laquelle l'Etat confisqua les titres qui garantissaient l'exécution de cette fondation.
Auxregistres de catholicité, on pourrait relever les signatures d'un bon nombre de chanoines de Chablis et de curés de la région. En dehors de celles-là, il en est que je veux mentionner :
Capucins : f. Jean Leclerc (1650), f. Martin (1711), f. François Lamy (1711), f. Joseph François, d'Arras (4 juin 1731), f. Thomas (6 décembre 1731, P. Bonaventure, de Reims (1739), P. Ange, de Péronne (1751), f. Joseph, de Bapaume (1755); cordeliers : f. Bernard (25 mai 1663), f. Dangée (1760); jésuite: p. Riddoch (28 avril 1734); dominicain: f. P. Joly (1714). Quelques-uns avaient sans doute été appelés à prêcher à Chablis.
Jean Pussel, clerc (1668), le même, diacre-chanoine de SainteEugénie de Varzv, parrain le 6 août 1671; Nicolas Gérard, chapelain de l'hôpital général d'Autun (1706); Hubert Letors, ancien chanoine d'Auxerre (1707); Gaspard de Ruaudès, aumônier de Son altesse Mgr le duc d'Orléans, chanoine de Chablis (1707); Garnier, curé de Flogny, et Timothée Regnard, curé de Dannemoine (1708); Jean-Baptiste Foynat, chapelain de Courgis (1719 et 1735); Groard, curé de Nitry (1719); Messire Antoine Mouton, docteur en théologie, prévost et chanoine de Saint-Pierre de Tonnerre, et Charles Bordes, archidiacre de Tonnerre, curé de Notre-Dame (1733); Tassin, curé de Saint-Florentin; Noël Carteron, curé de Mélisey (1739); Ferrand, curé de Migennes (1759); Joseph Perrin, curé de Dyé (1762); Chapotin, chanoine d'Auxerre (1765); Bonamour, curé de Joux (1769); Molard, curé d'Ourlon (1770); f. Adrien-Jean Decamps, de l'Hermitage(1775); dans un document de 1753, le même paraît avec le titre d'officier dans le régiment de Flandre, infanterie (1).
(1) Archives de l'Yonne. G 2333.
126 LA PAROISSE DE CHABLIS 24
INSCRIPTION
(Eglise Saint-Pierre)
« Ci-gist le corps de honnorable homme Nicolas Henry marchand bourgeois de Chablys lequel a décédé le 30 mars 1670, à l'âge de 78 ans, lequel a fondé à perpétuité l'office de SaintNicolas le 6e de décembre, lequel consiste en Vêpres la veille,. Laudes et Matines avec Grand Messe et Vêpres le jour, et honnorable Nicolas Henry, aussi marchand bourgeois dudit Chablys,. fils dudit défunt et honneste femme Jeanne Quartier sa femme ont fondé à perpétuité, aussi dans cette église pareil office que dessus le 9e de may, fête de la translation ainsi qu'il est plus.
amplement spécifié par le contract passe devant notaire audit
Chablys avec les curés et fabriciens de cette paroisse ».
(Les fondations mentionnées dans cette inscription ont été exécutées par MM, Royer, Duplessis et Le Vasseur, comme on peut le voir au tableau publié à la fin de cette notice).
CHAPITRE II
LA PAROISSE PENDANT LA RÉVOLUTION — SON TRANSFERT A SAINTMARTIN
En parcourant les documents de l'histoire locale, j'ai pu noter, avec une certaine satisfaction, que l'administration chablisienne ne semble pas avoir été des plus empressées, ni des plus ardentes, à exécuter les lois antireligieuses.
C'est ainsi que le 15 brumaire II, Maure, représentant du peuple se plaint de l'inexécution des lois relatives aux cloches.. Le 15 pluviôse de la même année, l'auteur d'un rapport, tout en affirmant que, à Chablis, « le catholicisme se pratique plutôt parl'effet de l'habitude que par fanatisme », constate que l'esprit religieux se maintient plus que dans les communes voisines. Et le 11 germinal III, on y signale une réaction catholique (1). Le 20 nivôse IV, l'administration cantonale, répondant à une question, disait : « L'esprit général n'est ni bien bon, ni bien mauvais. On y tient beaucoup aux cérémonies religieuses » (2). Le 7 fri(1)
fri(1) municipale. L 782.
(2) L 975.
25 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 127
maire VI, l'administrateur départemental signale Chablis parmi les quatre cantons qui ne se sont pas conformés à la loi du 19 fructidor V, et n'ont pas communiqué la liste des prêtres autorisés à rester sur le territoire et l'attestation de leurs serments. Le Département invite à exécuter, toutes autres affaires cessantes, une mesure aussi importante. Il y a d'ailleurs une sanction: le gendarme, porteur de l'ordre, restera chez le président de l'administration tant que la loi n'aura pas été exécutée.
Aussi le fameux commissaire de Chablis, Crochot, pouvait, des l'an IV, écrire dans un réquisitoire : « Il n'est peut-être pas de canton où l'insouciance soit plus grande. Les ennemis de la République veillent, et souvent les fonctionnaires publics s'endorment » (1). Et les sociétés révolutionnaires locales, qui souvent stimulaient en vain le zèle de l'administration, en furent réduites à exécuter elles-mêmes les mesures édictées contre le culte catholique.
La Révolution fit néanmoins son oeuvre, à Chablis comme ailleurs, contre les prêtres, les monuments religieux et les oeuvres, catholiques.
Le 23 janvier 1791, à l'issue de la messe paroissiale de Saint-, Pierre, le serment à la constitution civile du clergé fut prêté par Auban Joseph-Alexandre, curé de Chablis, Richard Marcel et Durné, vicaires, Fonrnier Edme-Nicolas, ex-chanoiné de SaintMartin, et Melin François, aussi ex-chanoine de Chablis, y demeurant, et curé de Fyé et Fontenay.
Dès le 4 juin 1791, Richard, né à Latrecey (Haute-Marne), le 6 avril 1760, rétracte son serment par une lettre très énergique, où nous lisons : « ...J'étais persuadé alors, et l'Assemblée nationale avait déclaré elle-même que son intention n'était point de porter atteinte à l'authorité spirituelle de l'Eglise. Mais aujourd'hui je m'aperçois que ma Religion a été trompée. Par un serment antérieur à celui-là, serment et plus sacré et plus solennel, je me suis, engagé à obéir à l'Eglise. Aucune puissance humaine ne peut briser ces premiers liens.,. ». Après avoir énuméré les maux qui en résulteront pour lui-même, il déclare que, placé dans l'alternative inévitable ou de renoncer aux espérances de la terre ou de perdre les droits à celles du ciel, il ne peut balancer. Il prend pour guide l'Eglise qui a parlé par l'organe de son chef. Il rétractedonc son serment, prie les officiers municipaux d'en faire men(1)
men(1) 976.
128 LA PAROISSE DE CHABLIS 26
tion sur leur registre et les avertit qu'il a instruit le directoire du département et celui du district de sa rétractation.
Quelques jours plus tard, le 13 juin, Durné rétracte un serment que sa conscience réprouve et qu'il a eu la faiblesse de prêter. « Je ne puis, dit-il, sans blesser ma conscience, approuver tant de changements, de réformes et de nouveautés introduites dans l'Eglise, sans le concours de la puissance spirituelle. Je me décide, d'après la décision de l'Eglise, qui vient de prononcer par l'organe de son chef visible... et c'est d'après le voeu du corps des évêques de France, que j'ai enfin pris mes dernières résolutions... Je n'écoute que le cri de ma conscience et la voix de l'Eglise... ».
Aussitôt, le Département ordonne à Richard et à Durné de cesser leurs fonctions. Ils sont accusés de se réunir au château de Béru, avec d'autres prêtres réfractaires. Des meneurs prétendent qu'il y en a une quantité, et ils complotent de les assassiner et de démolir le château (Dép. 26 juin 1791).
Richard avait en vain sollicité l'autorisation d'exercer le culte dans l'Eglise des Ursulines de Chablis (Dép. 7 juillet 1792). En l'an II, il est ministre du culte à Aigremont. Peu après, il obtient un passeport; il est considéré comme déporté volontaire et inscrit, le 1er vendémiaire III, sur la listé générale des émigrés ».
Deux ans plus tard, il profite d'une accalmie pour reparaître. « Considérant qu'au règne de l'anarchie a succédé celui de la raison, des principes et des lois », il demande à l'administration municipale de Chablis un certificat pour rentrer dans les droits de citoyen français et dans la possession, de la liberté qu'il a perdue depuis plus de quatre ans. Il fait observer d'ailleurs, qu'étant, en 1791, principal du collège et non salarié par l'Etat, il n'était pas tenu au serment à la Constitution civile (Lettre du 20 brumaire V, 10 nov. 1796). La persécution ayant repris avec une nouvelle violence, le 3 vendémiaire VI, Richard obtient, pour se rendre en Suisse, un diplôme de déporté. Mais il se contente de se cacher, et le 25 brumaire VI (15 novembre 1797) on le signale comme devant être chez le citoyen Pérille, avocat à Auxerre. Une perquisition faite le 27 chez Pérille, à Maillot, commune de Chevannes, ne donne aucun résultât, et on lance, contre le réfractaire, un mandat d'arrêt (1). Le 16 floréal VIII, Richard est à Tonnerre et, se réclamant de son titre de grammairien, il demande au préfet d'être rayé de la liste des déportés.
(1) L 74.
27 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 129
Devenu curé doyen de Noyers, M. Marcel Richard y est mort le 18 janvier 1831.
Que devenaient, pendant ce temps, les autres prêtres résidant à ■Chablis? MM. Auban, curé, Fournier, ci-devant chanoine, et Melin, curé de Fyé, avaient prêté les différents serments imposés au clergé. Aussi jouissaient-il d'une tranquilité relative, qui fut parfois troubiée par des perquisitions et la mise en réclusion dans leur propre maison (11 avril 1793).
Cette même année, M. Auban pouvait continuer à dire la messe, et la faisait annoncer par le tambour. Le 8 septembre 1793, il fit encore la procession de la Nativité de la sainte Vierge, de SaintPierre à Saint-Martin.
Mais, en l'an III, il est détenu à Auxerre. Il expose alors qu'il s'est montré dans tous les temps avec le civisme le plus pur, puisqu'il a été choisi pour président dans toutes les assemblées primaires, officier municipal, notable, électeur, et il demande un certificat de civisme. Il sollicite l'autorisation de se retirer à Orange, dans sa famille (1). Mais on le laisse revenir à Chablis, où il prête, le 15 prairial III, le serment de soumission aux lois et fait la déclaration requise pour exercer le culte dans la paroisse. Le 20 brumaire IV, il prête le serment de « souveraineté du peuplé ». Malgré cette obéissance aux lois, l'administration municipale l'invite, le 3 ventôse VI, à céder le presbytère à la gendarmerie. Il ne quitta définitivement Chablis qu'en l'an VII. Retiré à Auxerre, comme pensionnaire ecclésiastique, il y mourut le 1er brumaire XII (octobre 1803), au n° 5 de la rue Franklin. Il avait 74 ans.
Edme-Nicolas Fournier, né le 26 mai 1724, prêtre en 1750, fut d'abord curé de Merrey (Aube), puis chanoine de Chablis de 1755 à 1791. Il prêta les serments requis, et le 20 juin 1793 on lui alloua une pension de 333 livres (2).
François Melin, né à Rennepont (Haute-Marne), le 30 mai 1754, prêtre en 1778, vicaire de Chablis de 1778 à 1782, fut chanoine de Saint-Martin de 1783 à 1791. Il devint alors curé de Fyé et Fontenay, résidant à Chablis. Le 15 brumaire IV, il prêtait à Fyé le serment de souveraineté du peuple. Le même jour, tous les citoyens et citoyennes de cette commune se présentèrent avec Melin devant le maire et déclarèrent qu'ils voulaient exercer leur
(1) L 703. (2) L 95.
130 LA PAROISSE DE CHABLIS 28
culte dans l'église. Le 16 du même mois, semblable déclaration fut faite à Fontenay par les habitants et ce même prêtre.
Ayant passé quelques années sans être trop inquiété, Melin était à Chablis en 1800. Ayant reçu alors, de l'autorité ecclésiastique légitime, des pouvoirs réguliers, il fit, de 1800 à 1803, un grand nombre de baptêmes, et réhabilita beaucoup de mariages, ramenant ainsi la paix dans, les consciences et. dans les familles. Il s'attacha à cette paroisse de Chablis, qu'il n'avait pas quittée depuis son ordination, et y remplit les fonctions de vicaire jusqu'à sa mort, le 6 février 1823.
En 1791 et 1792, un ancien religieux de Pontigny, assermenté,. François-Nicolas Robert, né à Molay (Haute-Marne) en 1757, exerça le culte à Chablis, comme vicaire constitutionnel. Plus tard, il résida à Maligny et fut desservant de Villy. Condamné à la déportation, le 14 brumaire VII, il fut enfermé à la citadelle de Ré, le 6 nivôse de la même année. Libéré le 16 pluviôse VIII, il fut envoyé en résidence à Jaulges (1). Il devint curé de Pontigny, où il mourut en 1821.
LA SOCIÉTÉ POPULAIRE
Une Société s'était formée, sous le nom de Société populaire, qui se donna pour mission de stimuler le zèle de l'assemblée municipale soupçonnée de tiédeur et de faiblesse.
A en juger par ses statuts, on aurait pu la croire animée des intentions les plus pures et les plus droites. On y lit ceci : « Se pénétrer des principes de la Constitution et les faire connaître aupeuple, lui expliquer la loi, lui faciliter la connaissance des nouvelles, s'occuper des intérêts publics, dévoiler les erreurs, propager les lumières, dénoncer les abus, c'est le but de cette Société ». Le programme n'était pas pour effaroucher; on ouvrait largement les portes; des prêtres s'y enrôlèrent, entre autres les ministres du culte Fournier et Thérin, ci-devant chanoines, et Philippot, curé de Poinchy. Bientôt ils s'y sentirent mal à l'aise.
Il faut juger l'arbre à ses fruits : ils furent mauvais. On le verra par la simple énumération que je veux faire de ses principaux, actes.
Les séances se tenaient dans la chapelle de la ci-devant Providence. Dès la première réunion, le 7 avril 1793, le président
(1) Archives de l'Yonne. P. R.
29 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 131
engage ses collègues « à surveiller les citoyens dont la conduite pourrait être snspectée d'incivisme ».
Le 5 mai, aux cris de joie de l'assemblée, on brise, en séance, une plaque de cuivre, couverte d'armoiries, apportée de l'église Saint-Martin. C'étaient sans doute les armes du chapitre, où l'on voyait un champ semé de fleurs de lys et Saint-Martin partageant son manteau.
22 brumaire II. — On démolira le clocher qui surmonte la salle des séances.
29 brumaire. — On invite le citoyen Poulain à placer le buste de Marat « à la place du ci-devant Saint-Jacques qui est au coin de sa maison ».
Le 12 frimaire. — Discours du citoyen Maure. « Il a prouvé que le législateur Jésus; le premier des vrais sans-culottes; le premier qui a prêché la sainte égalité, a aussi le premier reproché aux prêtres leur horrible fanatisme, leur mauvaise: conduite et leur cupidité insatiable, et cite, entre autres, preuves de leur peu d'amour pour le peuple, la parabole du samaritain »: Faire juger les prêtres catholiques d'après ce que N. S. disait des prêtres juifs qui l'ont fait crucifier, était-ce là « propager les lumières et éclairer le peuple ?»
Les 26 et 30 nivôse, les 2 et le 3 pluviôse, la Société, par deux de ses membres, fait des instances réitérées auprès de la municipalité pour l'inviter à faire disparaître les signes extérieurs du culte (1)
10 pluviôse. — Déclaration portant que la Société « entend exercer le culte de la Raison, tous les décadis, dans le temple appartenant à l'a commune; ci-devant appelé Saint-Martin ». Elle invite la municipalité à notifier au curé qu'au cas ou le décadi tombe un dimanche, il ait à faire ses offices le matin « afin que le culte de la Raison ait lieu l'après-midi ».
La municipalité n'avait pas obéi aux injonctions de la Société populaire au sujet de l'enlèvement des croix et statues des saints. Mais voici que des étrangers viennent soulever les passions et allumer le fanatisme antireligieux des sociétaires. Le 24 pluviôse, un nommé Pertrand, députe de la commission des subsistances de la République, vient à Chablis, accompagné de Félix Mouton. Au cours d'une diatribe passionnée, « il s'étonne que les signes extérieurs du culte existent encore...» Il n'en fallut pas davantage pour exciter la rage des; auditeurs. Enthousiastes; ils applau(1)
applau(1) 348:
132 LA PAROISSE DE CHABLIS 30
dissent ce discours et, sans plus tarder, ils courent renverser euxmêmes les croix et briser les statues.
On ne pouvait s'arrêter en si beau chemin.
Le 27 pluviôse, la Société invite la municipalité à interdire aux prêtres d'accompagner les défunts à leur sépulture.
Le 15 ventôse, on demande que le canton soit purgé des prêtres qui y résident et « que ces êtres vils soient privés d'entrer daus le temple de la Raison ».
Le 18, on enlève les signes du culte du temple de la Raison.
On avait expulsé Dieu de sa maison, chassé les prêtres, aboli le culte ; il ne restait plus qu'à installer une déesse dans le temple : c'est ce que fit la Société populaire. Elle se chargea du choix et, le 20 ventôse, décida de la nommer au scrutin. Le 23, 25 voix sur 28 se portaient sur une pauvre jeune fille, Agathe Leblanc de Sombreval, qui fut nommée Déhesse de la Liberté. Elle avait, dixneuf ans. Le 25, elle se présente et déclare qu'elle est satisfaite de pouvoir être utile à la Société et qu'elle fera son possible pour répondre à ses intentions. Des applaudissements accueillent cette déclaration.
La Déhesse devait paraître aux cérémonies de la décade, accompagnée de douze citoyennes, et s'avancer en public sur son char. Dans le temple on avait établi un gradin pour la Déesse et pour les jeunes citoyennes qui l'escortaient. Et ce gradin, avec sa décoration, devait être un monument, car Martin Dudomaine et son compagnon avaient consacré 6 journées 1/2, bien payées, à l'édifier.
La Déesse de la Liberté parut le 30 ventôse et le 30 germinal de l'an II. L'un des quatre commissaires désignés pour surveiller la marche du cortège, rendant compte de son mandat, déclarait qu'il était très satisfait de la conduite des citoyens et citoyennes qui assistaient à la cérémonie. Le culte de la déesse n'en fut pas moins très éphémère et tomba sous le ridicule. Il semble bien d'ailleurs que Mlle de Sombreval ne s'y était prêtée que sous l'empire de la crainte.
Cependant les catholiques ne s'endormaient pas, et le jour même où on les défiait en mettant sur l'autel la déesse de la Liberté, ils faisaient une pétition pour le rétablissement du culte. Emoi de la Société qui en recherche les auteurs (25 ventôse an II). Et aussitôt les dénonciations recommencent. Le citoyen Ravier, notaire, membre de la Société, est inculpé de tiédeur. Il démissionne. Le 28 du même mois, on invite le comité de surveillance qui se réunissait aussi à la Providence, à informer sur
31 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 133
l'incivisme et le fanatisme de Ravier dont la tête paraissait bien menacée.
Le 30, on dénonce la persistance du fanatisme à Beine, Courgis et Chichée « où les maîtres d'école chantent messe et vêpres ».
Le 5 germinal, dénonciation d'actes de fanatisme à Collan, et le 8, enquête sur les menées cléricales. Le 16, la Société se plaint de ce que les églises sont encore ouvertes à Poinchy, Beine et Chichée.
Le 2 floréal, oh signale la célébration du culte à Courgis, dans une maison particulière et, ô horreur, à Vézannes l'église est ouverte et, des communes environnantes on amène les enfants à baptiser.
Le 12 floréal, la Société populaire triomphe, elle tient séance au temple de la Raison. Maure y assiste, y fait entendre un discours pour encourager les sociétaires à dénoncer les abus.
Mais la roche tarpéïenne est près du Capitole. Les sociétaires tombent dans la tiédeur, peut-être dans l'écoeurement, Les séances sont désertes. Le 9 frimaire III, on gémit sur « le ralentissement » de la vie de la Société ; on constate avec effroi le réveil du fanatisme à Chablis, on pleure sur la décadence des fêtes décadaires. Quelques jours plus tard, la Société était supprimée. Elle avait vécu du 7 août 1793 au 24 frimaire III (décembre 1794), un peu plus d'un an. Surveiller, dénoncer, tracasser et persécuter les bons citoyens, dénicher les saints, briser les croix, ce fut à peu près toute sa vie (1).
L'ÉGLISE SAINT-MARTIN DEVIENT L'ÉGLISE PAROISSIALE
Le 5 janvier 1792, il y avait eu des troubles à Chablis, à l'occasion du recollement des vases sacrés et des ornements de la Collégiale. « Une grande partie dés habitants », dit le procès-verbal, avait accueilli par des huées la publication de l'arrêté qui l'ordonnait. Le Directoire chargeait le juge de paix d'informer contre les auteurs de troublés, et, le 7 janvier, il envoyait une brigade de gendarmes nationaux pour que force restât à la loi. Le Directoire rappelait, en outre, que le juge de paix avait le droit de requérir gardes nationales et troupes de ligne qui se trouvaient dans l'étendue de douze milles, ainsi que la garde nationale du canton et des cantons du district, pour assurer « la suite des opérations
(1) L 1140.
134 LA PAROISSE DE CHABLIS 32
des commissaires ». L'inventaire eut lieu et, le 28 janvier, le Directoire accordait 60 livres d'indemnité aux gendarmes qui avaient séjourné à Chablis. Les termes du rapport officiel indi quent combien cette mesure allait contre le sentiment populaire.
La lutte allait être autrement longue entre les habitants du faubourg et l'administration au sujet du transfert de la paroisse à Saint-Martinet du projet de suppression de l'église Saint-Pierre et de sa belle cloche. Cette lutte devait durer 14 ans.
Le 3 mai 1790, le Conseil général de la ville de Chablis avait pris une délibération tendant à ce que la collégiale de SaintMartin fût érigée en paroisse et desservie par un curé et deux vicaires. Il demandait que l'ancienne église paroissiale de SaintPierre, située au faubourg de ce nom, fût néanmoins maintenue avec un curé et trois vicaires. En émettant ce voeu, le conseil s'inspirait des besoins religieux de la ville qui comptait une population catholique agglomérée de 2.551 habitants. C'était aussi un moyen de donner satisfaction à la ville elle-même sans s'aliéner le faubourg.
Mais déjà l'Assemblée Nationale était à la veille de voter la loi sur la constitution civile du clergé. Cette constitution décrétée le 12 juillet 1790 fut acceptée et promulguée par le roi le 24 août. A l'article 15 du 1er titre,elle disait: « Dans toutes les villes et bourgs qui ne comprennent pas plus de 6.000 âmes, il n'y aura qu'une seule paroisse ». Le Conseil général de Chablis, dans sa séance du 5 avril 1791, renouvelle sa demande d'érection en paroisse de l'ancienne collégiale ; mais, malgré la loi, il insistait sur la nécessité de conserver la paroisse Saint-Pierre (1), et pendant plus d'un an la question du transfert resta en suspens. Le 22 septembre 1792, le District donnait un avis favorable à Saint-Martin ; mais, à Chablis, chacun des deux groupes de la population tenait ferme pour son église; l'administration locale était perplexe.
Pourtant, il fallait en finir. Le 20 février 1793, le District soulève de nouveau la question, et quelques jours après le Directoire prenait la délibération suivante : « Le Directoire, considérant que la situation centrale de l'église Saint-Martin lui mérite la préférence sur celle de Saint-Pierre, que si la majorité du Conseil général a voté la conservation de l'église paroissiale de SaintPierre, c'était dans l'espoir que celle de Saint-Martin serait aussi conservée comme oratoire, que cet espoir est vain, attendu qu'aux
(1) Ch. PORÉE. Procès-verbaux du dép., t. I, p. 334.
33 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 135
termes de la loi du 28 août 1790, la population de Chablis ne lui adonne qu'une paroisse sans oratoire, que l'administration pourrait statuer dès à présent sur la translation, mais que, désirant conserver aux magistrats du peuple cette habitude de confiance dont la loi les a investis, lorsqu'elle a substitué les conseils généraux des communes aux assemblées des habitants, pour exprimer leurs voeux dans toutes les circonstances qui les intéressent, arrête, avant de faire droit, que le Conseil général de la commune se réunira dans le plus court délai et exprimera son voeu d'une manière positive sûr la translation proposée... et qu'il se défendra des mouvements de quelques habitants qui, en votant, n'ont considéré que leur aisance particulière et lui ont sacrifié l'intérêt général qui doit seul guider les autorités constituées, que ce voeu sera exprimé, non par un acte d'assemblée des habitants, mais par une délibération expresse du Conseil général qui les représente » (1).
Il fallait donc opter positivement entre Saint-Pierre et SaintMartin. Les deux partis se retrouvèrent en présence et sollicitèrent l'un et l'autre l'intervention et l'appui du citoyen Maure, député. Mais la majorité du Conseil général suivit M. Rathier, qui tenait pour Saint-Martin. On mit en avant qu'une somme de 20.000 francs serait nécessaire pour restaurer d'église SaintPierre et que, de plus, cette église se trouvait en dehors de la ville.
Ce voeu répondait d'ailleurs aux vues du Directoire qui, dès le 5 mars suivant, donnait ainsi son assentiment « vu de voeu du Conseil général de Chablis tendant à la translation de la paroisse dans l'église Saint-Martin, considérant que ladite église occupe une situation plus centrale que celle de Saint-Pierre, que cette dernière estt « matérielle, solide, mais enfoncée de 8 à 9 pieds, humide et fraîche, que celle de Saint-Martin est presque aussi solide, mais qu'elle est plus claire, plus élevée, plus aérée, et d'une forme architecturale plus élégante, est d'avis : 1° que l'église Saint-Martin soit déclarée église paroissiale; 2e que l'église de Saint-Pierre supprimée, puisque la population de Chablis n'autorise point l'existence de deux paroisses, soit vendue et démolie, si l'adjudicataire ne préfère en disposer autrement ; 3° qu'enfin la chapelle du Rosaire soit vendue avec obligation à l'adjudicataire de la démolir, l'emplacement de ladite chapelle devant servir d'agrandissement du cimetière » (2).
(1) Procès-verbaux de l'assemblée dép., t. V, p. 206.
(2) Id., p. 215.
136 LA PAROISSE DE CHABLIS 34
La cause de Saint-Martin était gagnée.
Le 17 septembre 1793, la Convention rendait le décret de translation : « La Convention Nationale, après avoir ouï son comité de Division, sur la demande du Conseil général de la commune de Chablis approuvée par le département de l'Yonne, décide qu'elleaccorde à cette commune l'église Saint-Martin placée presque au centre de cette ville, et que l'église Saint-Pierre, située à l'extrémité d'un de ses faubourgs, sera fermée dans la huitaine de la publication du présent décret pour être ensuite vendue commebien national ; décrète en outre que la chapelle appelée du Rozaire, qui est dans le cimetière public dudit Chablis, sera également vendue comme bien national à la charge par l'acquéreur de la démolir pour aggrandir d'autant le cimetière qui sera conservé ».
La publication de ce décret fut le signal d'une lutte inspirée non par des sentiments ou des haines politiques, mais par l'attachement des habitants du faubourg à leur église, et par cette rivalité dont j'ai déjà parlé à l'occasion des prédications de l'Avent et du Carême. Cette lutte, commencée en pleine Révolution, se poursuivit sous l'Empire et même contre l'autorité ecclésiastique.
Le 28 septembre 1793, Laurent Hélie et Mathieu Garinet, tous deux officiers municipaux, accompagnés de Pichon, sergent de ville, et d'Isaac Monjardet, tambour, se rendirent sur la place du Tilleul. A peine la lecture du décret est-elle commencée qu'elle est interrompue par des clameurs. On apostrophe les agents ; les citoyens François Masse et Claude Bachelier montrent le poing aux officiers municipaux; on proteste par des cris et des railleries contre « ce drôle de décret qui n'est pas imprimé ».
Cependant les représentants de la loi étaient entrés chez le citoyen Auban, curé de la paroisse, pour lui faire part du décret et l'inviter à s'y conformer, ce qu'il promit d'ailleurs sans trop de difficulté.
Mais les femmes avaient eu le temps d'accourir. Elles accueillent les officiers municipaux par des huées, les invectivent « par les propos les plus inciviques », dit le procès-verbal. La femme Pierre Feuillebois leur adresse « les injures les plus grossières » la foule s'écrie « qu'ils mériteraient d'être brûlés». Ce début n'était rien moins que rassurant. Aussi, lorsqu'il fallut non plus seulement publier le décret mais le mettre à exécution en faisant « l'enlèvement des effets de l'église Saint-Pierre pour être placés dans celle de Saint-Martin, » l'administration dut mobiliser la.
35 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 137
force armée. Il fallait d'ailleurs se hâter, car, dès le 29 septembre, les mécontents s'étaient mis à emporter chez eux le mobilier et surtout « les petits saints et les crucifix » qu'ils voulaient conserver pour leur église.
Le 2 octobre, le commandant de la garde nationale est invité à faire mettre sur pied, à 2 heures précises de relevée, 20 hommes, armés, pour accompagner les officiers municipaux qui doivent procéder au déménagement. En conséquence, Claude Foulley, capitaine des grenadiers, Louis Beau, capitaine de la compagnie du centre, Pierre Poullain, lieutenant des grenadiers, Il fusilliers. de la garde nationale et Germain Pichon, sergent de ville, se réunissent à la maison commune pour soutenir, dans leur expédition, Jean Buffault, Laurent Hélie, Mathieu Garinet, officiers municipaux, Nicolas Tambuté et Nicolas Gaudon, notables.
A 3 heures, ils se mettent en marche. Mais arrivés près du puits, vis-à-vis la rue des Argentiers, ils trouvent la grande route absolument barrée par des hommes, des femmes et des filles. Ils. le constatent avec étonnement et sont encore plus surpris de les entendre « les invectiver de la manière la plus attroce et la plus scandaleuse, sans aucune considération ny respect pour les officiers municipaux et les notables, quoique en fonctions et décorés de leurs écharpes ».
Les passions étaient surexcitées, on pouvait craindre les plus. graves excès. Edme Pinson s'écriait : « Laissez faire les femmes, elles sont capables de les tuer ». Vers l'église Saint-Pierre, les. hommes se montrent disposés à se faire écraser, plutôt que de laisser approcher les officiers municipaux. Un manifestant leur crie : « Je me f... de ma vie comme de celle d'un poulet, vous ne passerez pas ». On traite les représentants de la loi de scélérats, de voleurs d'église et, finalement, on les accable d'une grêle de pierres. La force armée juge prudent de ne pas faire feu et se retire. Le peuple du faubourg se précipite alors par la petite rue Saint-Pierre et, sur la place du Tilleul, fait subir de nouvelles avanies aux municipaux qui « protégés par les gens d'armes », rentrent à la maison commune sans avoir pu accomplir leur mission.
Les manifestants ne s'en tiennent pas là. Ils se portent, dans la rue de Chichée, vers la demeure du citoyen Auban, curé de la paroisse, qui s'était montré favorable au changement d'église. Ils lancent des pierres dans ses fenêtres et profèrent des injures et des menaces. La citoyenne Marie Hugot, domestique du curé, est
138 LA PAROISSE DE CHABLIS 36
grièvement blessée au front. Les désordres durent ainsi jusqu'à 8 heures du soir.
Mais force devait rester à la loi. Le 8 octobre, deux commissaires, envoyés par le Directoire, arrivent à Chablis, à l'effet de concilier les esprits et de procéder à la fermeture de l'église SaintPierre. Dès le lendemain, les officiers municipaux requéraient le commandant de la garde nationale de mettre sur pied, pour le 10 octobre, 8 heures du matin, 30 hommes « pour accompagner le citoyen procureur-syndic du district et la municipalité à l'église Saint-Pierre où on ira en procession, avec toute la pompe due au lieu et aux choses saintes, afin d'en retirer les objets à la Vénération du peuple et les transporter en celle de Saint-Martin, désignée comme paroisse ». Le récolement fut fait sans nouvel incident par le citoyen Rathier, qui, par contre, réclama et obtint la cessation des poursuites contre les personnes compromises dans t'échauffourée du 2 octobre et qui avaient été dénoncées à l'accusateur public.
N'est-il pas curieux cet épisode où l'on voit, à Chablis, dans cette terrible année 1793, le peuple prêt à tout pour défendre son église, et les exécuteurs de la loi obligés d'affirmer leur respect pour les choses saintes? Et ces sentiments sont pris sur le vif et consignés dans un rapport officiel émanant de l'administration elle-même.
Les habitants du faubourg n'avaient pu, par la violence, faire aboutir leurs revendications. Plus tard, ils essayèrent d'arriver au même but en invoquant les lois nouvelles.
La Convention, dans son décret du 3 ventôse III, déclare que « conformément à la Déclaration des droits de l'homme, l'exercice d'aucun culte ne peut être troublé ». Les partisans de la paroisse Saint-Pierre se hâtent de saisir cette occasion, et envoient au District d'Auxerre une pétition signée de plus de 120 citoyens. Ils demandent à exercer le culte catholique dans l'église SaintPierre, « située au milieu de la sépulture et paroisse antique ». Ils espèrent que cette situation empêchera qu'on ne la vende : autrement, ils en feront eux-mêmes l'acquisition. « Une créature humaine, disent-ils, vivante sans culte ressemble à un animal. Nous désirons être catholiques et républicains et nous pouvons être l'un et l'autre ». Mais le District, « considérant que cette même loi déclare que la République ne fournit aucun local pour le culte, dit qu'il n'y a pas lieu de délibérer (29 ventôse et 1er germinal III, mars 1795).
Le 11 prairial III (30 mai), une nouvelle loi est votée par la
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Convention. Le 1er article est ainsi conçu : « Les citoyens des
communes et sections de communes... auront provisoirement le libre usage des édifices non aliénés... et dont elles étaient en possession au 1er jour de l'an II ». Ce pouvait être le salut, car l'église Saint-Pierre n'était pas vendue. Aussi l'espoir renaît au faubourg. On pétitionne sans retard, car la réponse à la pétition est du
21 prairial. Hélas ! c'était encore une fin de non recevoir. « Le décret qui ordonnait la vente de Saint-Pierre était du 17 septembre 1793, répondait-on ; la commune ne possédait donc plus cet édifice au premier jour de l'an II (21 septembre) ». Si le décret de vente eut été rendu cinq jours plus tard, peut-être aurions-nous encore en entier cet antique sanctuaire.
Le 15 thermidor IV, nouvelle tentative des Chablisiens. Ils demandent la conservation des ci-devant églises de Saint-Pierre et de Saint-Martin, pour la tenue des assemblées primaires. Malgré foutes ces tentatives faites pour gagner du temps, l'église Saint-Pierre fut vendue et le choeur et le sanctuaire démolis. En même temps commençait à disparaître la petite église du Rosaire, dont la destruction fut achevée en 1804.
Après le rétablissement du culte, la lutte reprit non moins ardente. En l'an VIII, le 2 prairial, la partie subsistante de l'église Saint-Pierre avait été cédée, par le premier acquéreur, aux citoyens Claude Feuillebois, gendre Pierre; Nicolas Droin, gendre Labosse; Laurent Feuillebois, gendre Dauvissat; Pierre Billault, gendre Colombat ; Pierre Mottot, gendre Chargrasse ; Pierre Billault, gendre Dauvissat; Charles Pinson, gendre Sylvestre; Nicolas Droin, gendre Mottot; Denis Ramilly, Nicolas Léauté;
J.-B. Tesson, gendre Picq; .Jean Daudier, gendre Colombat; Claude Droin, gendre Boisseau; Edme Chenot, gendre Colombat; Claude Lagoutte, gendre Pinon ; Louis-Victor Feuillebois et Edme Bègue, gendre Mottot. Tout d'abord les habitants du faubourg s'y réunirent sans autorisation et y exercèrent le culte sans prêtre, ce que le préfet interdit le 23 floréal XI (mai 1803) comme indécent et immoral. Les tenants de Saint-Pierre répondirent par une pétition, que le maire appuya dans le but de rétablir la paix et la concorde, et demanda l'autorisation d'ouvrir
cette église comme oratoire. Monseigneur de la Tour du Pin Montauban, archevêque-évêque de Troyes, Sens et Auxerre, par une ordonnance du 15 août 1803, et le préfet, par un arrêté du 18 août, autorisaient enfin le culte dans l'église Saint-Pierre, quoiqu'elle fût propriété particulière. Le curé était autorisé à y
dire la messe les dimanches et fêtes d'obligation et à y faire les
140 LA PAROISSE DE CHABLIS 38.
enterrements, si les habitants le désiraient. Toutefois, pour que cette église ne fût pas considérée comme paroissiale, on n'y devait ni bénir l'eau, ni offrir le pain bénit, ni célébrer les baptêmes et les mariages.
Pour le moment, le faubourg avait gain de cause. Mais il y eut des abus, et la paix ne dura que quelques mois. Des rassemblements se faisaient illégalement dans Saint-Pierre. Le curé,. M. Dinet, s'en plaignit et, le 17 janvier 1804, il renvoya les clés au maire qui enjoignit aux propriétaires de l'église de n'y souffrir aucune réunion.
Le 1er pluviose XII (22 janvier 1804), deux habitants du faubourg sont députés auprès de Monseigneur l'Archevêque et lui demandent un prêtre, offrant de lui faire un traitement convenable. Mais cette fois l'évêque reste sourd à leur requête et, parlettre des 27 janvier et 20 février 1804, il maintient l'interdiction. Malgré cela, les réunions continuent. Le maire fait venir lès principaux acquéreurs de l'église, leur montre ce qu'il y a d'indécent dans ce culte exercé « par un individu pris au hazard parmi des. citoyens sans caractère et sans autorisation », et leur fait défense de favoriser les réunions. Les propriétaires refusent de signer le procès-verbal de cette injonction (19 floréal XII). En dépit des. réclamations de l'archevêque, et des menaces du préfet, les. citoyens de Saint-Pierre tiennent bon et la situation s'aggrave encore.
En septembre 1804, les parents d'un défunt, nommé EdmeCharlot, refusent de laisser porter son corps à Saint Martin. Le curé Antoine Dinet se retire, et l'inhumation religieuse, avec prières, se fait sans le concours du prêtre. On tenait toujours, pour l'église SaintPierre.
La lutte ne fut pas moins vive pour la conservation de là grosse cloche. Mais, ici, il me faut revenir un peu en arrière.
Au début de la Révolution, l'administration locale avait été invitée à envoyer à Auxerre les cloches de la ville, sauf une. On réclamait, de préférence, les cloches de Saint-Pierre, qui étaient fort appréciées par les agents nationaux, à cause de leur poids.
Au commencement de l'an II, le conseil général de la commune s'adresse au district et demande à conserver la grosse cloche, pour convoquer les citoyens aux assemblées, les appeler à leurs travaux, célébrer les fêtes en l'honneur du triomphe de la liberté et de l'établissement de la République, et avertir les communes voisines en cas d'incendie. Il offrait la seconde cloche, qui était paillée. Le 10 frimaire II, le District rejette cette demande.
39 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 141
Battu devant le district, le Conseil s'adresse au Département, le 13 frimaire II. Il expose les raisons déjà données, et propose de faire placer ladite cloche sur les tourelles de la porté Noël. On
élèverait une sorte de beffroi en bois assis sur les deux tours; la
dépense ne dépasserait pas 6.000 livres. Ce bizarre projet n'est pas
adopté; mais, constatant le mécontentement populaire et la résistance qui se manifeste malgré de nouvelles injonctions, l'administration cède et, le 22 nivôse II, autorise la ville à n'envoyer que
la seconde cloche.
De nouvelles lois réduisent la cloche, au silence. Le 15 germinal IV, les citoyens du faubourg demandent que l'on sonne le matin avant l'aurore, à l'heure des repas et le soir, selon la coutume. La cloche se fait entendre pendant quelque temps, puis se.
tait jusqu'en l'an IX. Le 21 pluviôse de cette année (février 1901), le maire obtient, pour Chablis, la liberté de sonner la cloche de
Saint-Pierre. La ténacité du Conseil général, de Chablis l'avait sauvée. Mais elle allait courir de nouveaux périls.
La question de la conservation de l'église Saint-Pierre, comme lieu consacré au culte, agitait encore les esprits en 1805. M. Breton, ancien chanoine d'Auxerre, avait succédé à M. Dinet. Désireux de ramener la paix dans la paroisse, il voulut entrer en
pourparlers avec les propriétaires; mais ceux-ci refusèrent l'arrangement proposé. Aussi, le 10 mars 1807, le maire suppliait-il le préfet de mettre fin à cette situation scandaleuse. Le 30 novembre
suivant, le préfet prenait un arrêté par lequel il ordonnait de
descendre la cloche et d'achever dans la quinzaine la démolition
de l'église, faute de quoi la démolition serait faite aux frais de l'adjudicataire à la diligence du maire. La partie semblait
perdue pour les habitants du faubourg : ils étaient à la veille de la gagner.
Le 21 décembre, tout était prêt pour la descente de la cloche; des bourrées avaient été entassées pour la recevoir. Mais les
acquéreurs de l'église et « les sectateurs fanatiques de la ci-devant paroisse » veillent : ils volent une partie des bourrées et brûlent le reste. Puis ils ferment et barricadent les portes de l'église et du
•clocher. Par surprise, le 22, la cloche tombe saine et sauve sur de nouveaux fagots et va être transportée dans la cour de l'hospice pour, de là, partir à Auxerre. Mais le faubourg s'est réveillé. Pendant que le maire et ses ouvriers sont allés se reposer, on rentre la cloche dans l'église, dont on emporte les clefs, et on monte la
garde. De là, menaces du nouveau maire, M. Rampont (1er février 1808), colère du préfet qui offre la force armée pour assurer l'exé-
142 LA PAROISSE DE CHABLIS 40
cution de son arrêté et les fonds nécessaires pour la démolition de l'église (28 février). Puis, tout à coup, revirement complet et sur toute la ligne; on a réfléchi que le désir du faubourg était après tout, bien légitime, et on décide la conservation de l'église. Les propriétaires en font, le 18 avril, abandon gratuit à la commune, à la condition qu'elle servira au culte.
Dès lors, le maire oublie ses menaces et déclare que tout le monde désire, au cimetière, une chapelle sépulcrale; le préfet autorise la commune à accepter la donation et à ouvrir l'église au culte, et le curé promet d'y venir dire la messe de temps en temps. M. Darret, vicaire général de Troyes, le siège vacant, par ordonnance du. 7 février 1809, reconnaît l'église Saint-Pierre comme chapelle sépulcrale. On y pourra dire la messe le jour de la FêteDieu et y faire les prières des inhumations de ceux qui décéderont dans le voisinage et qui n'auront pas demandé, par eux ou par leur famille, d'être présentés à l'église paroissiale de SaintMartin. Et la cloche, que d'abord un maire avait réclamée « comme un talisman pour les habitants de la commune », reprit sa place et son rôle religieux, et par ses notes puissantes et graves appela de nouveau aux offices les habitants du faubourg et même ceux de la ville.
Tel fut le résultat de cette lutte de quelques gens du peuple, d'abord contre les commissaires de la République, et ensuite, sous l'Empire, contre les officiers municipaux, maire, préfet, curé, évêque. Sans doute, le culte qu'ils prétendaient y exercer était illégal, irrégulier, souvent bizarre et parfois ridicule. On constituait là une sorte de petite église condamnable. Mais n'oublions, pas que, grâce à leur entêtement, nous possédons aujourd'hui la partie la plus ancienne et la plus belle de l'église Saint-Pierre, et sa belle et puissante cloche (1). Nous pouvons dire de leurs violences : Félix culpa, heureuse faute (2).
Les confréries des corporations ont conservé, dans cette église, les statues de leurs patrons : saint Vincent, saint Nicolas, saint Eloi et sainte Catherine. Outre les enterrements du faubourg, on y fait l'office des morts au 2 novembre, on y chante la messe au lendemain de la fête patronale de saint Pierre, et on y célèbre un service, le 23 janvier, pour les membres défunts de la confrérie de(1)
de(1) la suite d'un accident survenu à cette cloche, elle a été refondue en; 1830. Voir mon opuscule sur la Collégiale Saint-Martin, p. 36.
(2) Archives locales et procès-verbaux des assemblées du district et du département.
41 SES MAISONS. RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 143
Saint-Vincent. Pieuses coutumes par lesquelles les vivants, s'unissent plus intimement, dans les joies et dans les peines, à leurs chers défunts qui, à l'ombre de l'église Saint-Pierre, dorment leur dernier sommeil, en attendant la résurrection bienheureuse.
CHAPITRE III
LA PAROISSE SAINT-MARTIN
Le Concordat avait été conclu le 15 juillet 1801 entre Pie VII et Bonaparte. M. de Noé, évêque de Troyes, Sens et Auxerre, nomma à la cure de Chablis M. Bourgoin, originaire de Troyes, qui, malgré les instances de l'a population, différa son arrivée. Il entretint pendant six mois une correspondance plutôt pénible avec le maire, et se fit installer, sans doute par procuration, le 18 vendémiaire XI (octobre 1802) (1) et finalement démissionna.
1803-1805. — Antoine Dinet, gradué, né à Germainvillers, prêtre en 1762, vicaire de Pargues (1765-1778), puis curé de Bagneux, avait été déporté. Nommé à la cure de Chablis en 1803, il mourut le 23 novembre 1805, âgé de 68 ans. Il a laissé son calice à l'église Saint-Martin. (Ce calice à été doré et garni d'une fausse coupe, en 1863).
Le 28 septembre 1803, Mgr de la Tour du Pin Montauban fit un baptême à Chablis et fut parrain du baptisé.
1806-1826. — Etienne Breton, né à Bar-sur-Seine en 1750, prêtre en 1774, bachelier en théologie- Il fut vicaire à Mussy-l'Evêque, puis chanoine d'Auxerre, le 27 janvier 1789; Assermenté. Muni de pouvoirs réguliers, il exerça le culte à Pourrain et y fut maintenu après le Concordat. M. Breton, nommé à la cure de Chablis en 1806, y mourut le 10 février 1826. On conserve dans la famille Droin-Chenot une relation manuscrite très édifiante de ses. oeuvres, de sa dernière maladie et de ses funérailles. Son épitaphe redit, en un beau style, ses vertus et les regrets de ses paroissiens (2) :
(1) Reg. paroissial. Note de M. Melin.
(2) Contre toute justice, on a fait disparaître cette pierre tombale qui, dressée, contre le mur de façade de l'église Saint-Pierre, avait été jusque vers 1907, respectée et religieusement conservée.
144 LA PAROISSE DE CHABLIS 42
Hic jacet D
Stephanus Breton
hujus ecclesise rector
Antea Autissiodorensis canonicus
Studiosa juventus
Lugete tenerrinum patrem
Lugete pauperes
Hilarem et largum datorem
Lugete oves
Optimum paslorem
Omnibus omnia factum
Ut omnes faceret salvos
Obiit
10 februarii 1826
AEtatis 76
Hunc lapidem moesta posuit familia
. . . . solatia luctûs Exigua ingentis .......
Requiescat in pace.
Ci-gît M. Etienne Breton, curé de cette église, auparavant chanoine d'Auxerre. Jeunesse studieuse, pleurez un père plein de tendresse; pleurez, pauvres, celui qui donnait joyeusement et largement; pleurez, brebis, le meilleur des pasteurs qui se faisait tout à tous, pour vous sauver tous. Il mourut le 10 février 1826, âgé de 76 ans. Sa famille attristée lui a élevé ce monument, faible consolation d'un grand deuil. Qu'il repose en paix !
M. Breton eut pour vicaires Cormenin (1823-24), et Darme (1824-26), qui devint curé d'Arcy.
1826-1829. — Henry. Il venait de Nogent et fut plus tard curé de Bleigny-le-Carreau.
Vicaires : Joseph Mathieu (1826-27), plus tard curé de Saint-Cyr puis de Cry, où il mourut en 1875. — Nicolas-Germain Plait (182830), mourut curé d'Appoigny en 1866.
1829-1831. — Alphonse Fleury de Champrignac. Vicaire : Perret (1830-32). — Le 1er février 1829, décès d'un M. Drouin, professeur au grand séminaire. Sa tombe a disparu, en même temps que celle de M. Breton.
1831-1838. — J.-B. Vaillant.
1838-1868. — Nicolas Thomas, né à Sens, le 9 mars 1801. Il fut d'abord curé de Maligny. Homme de grande intelligence et d'un zèle ardent, il entreprit et mena à bonne fin la restauration complète de l'église Saint-Martin.
43 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 145
On lui doit une magnifique croix de procession et un remarquable bénitier en cuivre où on lit ce distique :
+ Non tantum digitis benedicta hoec hoereàt unda Abiuat et mentes flex... judicis irarn.
A là cure baptismale, il fit graver ce texte bien choisi :
+ Euntes docete omnes gentes baptisantes eos in nomme Patris et Filii et Spiritas Sancti. + Qui crediderit et baptisatus fuerit hie salvus crit.
Les inscriptions de l'autel sont également inspirées par la piété la plus éclairée. Au-dessus de la porte du tabernacle : Hic est filius meus dilectus. Chacun des quatre anges tient un phylactère sur lequel on lit une partie de ce texte : Sedenti in Trono et Agno — benedictio et honor — et gloria et potestas — in soecula soeculorum. Les anges qui sont au devant de l'autel : Quando sederis cum principe — diligenter attende quai appositqsunt. L'ange, symbole de saint Mathieu, le lion, de saint Marc, le boeuf, de saint Luc, et l'aigle, de saint Jean, présentent les premiers mots de chacun des quatre évangiles. Les bas-reliefs représentent : N. S; et les disciples d'Emmaùs, la réception, à Chablis, des reliques de saint Martin et la guérison d'un boiteux par saint Bernard, à Chablis. A l'un des bouts, saint Pierre et saint Paul, à l'autre saint Loup, en souvenir de l'oratoire primitif qui lui était dédié, et saint Nicolas et, agenouillé, M. Thomas priant son patron. L'oeuvre avait été bien conçue ; l'exécution n'en est pas merveilleuse. M. Thomas fut nommé, en 1869, chanoine titulaire de la Métropole et mourut, à Sens, le 4 janvier 1873.
Il eut pour vicaires : Lucien Boucays (1838-42), qui devint curé de Beines — Symphorien-J.-B. Pothin (1842-50), fut curé de La Chapelle-Vaupelteigne, puis de Lichères-près-Chablis. Retiré à Chitry, il y mourut en 1894. — Picq (1850-51), puis curé de Champlay. — J.-M. Raveneàu (1851-53), fut curé d'Etais et mourut doyen de Montréal en 1885. — Zephirin Guillé (1866-69), curé de Saint-Agnan, puis de Villethierry, mourut à Lignorelles, son pays natal, le 22 septembre 1920.
1869-1896. — Pierre-Célestin Duban, né le 11 janvier 1819 à Saint-Agnan (Nièvre). Après avoir été vicaire de Saint-Bris, puis de Tonnerre, curé de Collemiers, Egriselles-le-Boeage et de SaintValérien, il fut nommé, le 1er mai 1869, à la cure de Chablis, où il mourut le 2 juin 1896. Les principales choses dont il dota son
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146 LA PAROISSE DE CHABLIS 44
église sont : la grille de communion en fer forgé (oeuvre d'un serrurier du pays), la chaire et les grandes orgues.
1896-1912. — Gustave-Ernest Bonneau, né le 21 mars 1855 à Coulanges-sur-Yonne. D'abord vicaire à la cathédrale d'Aùxerre, il fut ensuite doyen de Ligny-le-Châtel et nommé à la cure de' Chablis en avril 1896. Il a la satisfaction de dédier cet opuscule àses anciens paroissiens.
Principaux travaux effectués: la restauration et l'ameublement de la sacristie, la réfection du grand escalier et de la porte du grand portail, et l'armature en fer forgé qui soutient les grandes orgues. Dans cette période aussi fut érigé l'autel dédié à saint Joseph, autel orné de peintures sur marbre, sorties des ateliers de Vermonnet. Tous ces travaux furent exécutés d'après les dessins et sous la direction de M. le chanoine Giraud, alors curé d'Etaules, aujourd'hui vicaire général.
Le vitrail de saint Martin et saint Bernard a été exécuté sous le contrôle des Beaux-Arts, dans les ateliers Steinhel et Bpnnot,. Pour les détails de l'ornementation, on s'est inspiré des vitraux, de la cathédrale d'Auxerre.
Le maître-autel, érigé par M. Thomas, n'avait pas été consacrée Il le fut le 9 juin 1897, par Sa Grandeur Mgr Ardin, archevêque de Sens, assisté de M. Appert, vicaire général, et de M. Barillon, chanoine de la Métropole, et secrétaire général, et avec le concours de M. Tirot, doyen de Ligny-le-Châtel, Françon, curé de Maligny, Dauphin, aumônier du pénitencier et de l'asile d'Aùxerrc, Ferrand, curé de Beines, Leclerc, curé de Saint-Cyr, Balitrand, curé de Poinchy, Reynès, curé de Lichères, Rétif, curé de Chichée, Bercier, curé de Courgis, Richard, curé de Lignorelles. Lethorre, curé de Varennes, Prégermain, curé de Poilly-surSerein, Bayard, curé de Nitry, et Carré, curé de Villiers-SaintBenoît.
Depuis 1912, la paroisse de Chablis a pour curé M. l'abbé Armand Messager, né à Saint-Florentin, le 23 mai 1866. Vicaire d'abord de Villeneuve-sur-Yonne, puis de Saint-Eusèbe d'Aùxerre, il fut curé de Saint-Aubin-Châteauneuf et ensuite de Chitry. Dès son arrivée à Chablis, il s'appliqua à enrichir le mobilier et l'ornementation de l'autel. Il a érigé un autel en l'honneur de Jeanne-d'Arc.
INDULGENCES. — Le 4 mars 1290, le pape Nicolas IV accorde une indulgence d'un an et 40 jours à ceux qui visiteront l'église de Saint-Martin de Chablis, le jour de la fête de saint Martin
45 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 147
(11 novembre), et de saint Epain (25 octobre), dont le corps repose dans cette église et pendant l'octave de ces fêtes (1).
Louis II, cardinal de Bar, administrateur perpétuel de l'église de Langres (1400) accorde une indulgence de 40 jours à tous ceux qui, s'étant confessés et ayant communié, visiteront l'église de saint Martin le jour de la fête de saint Epain, qui est Celui de son martyre.
Le 18 novembre 1509, après la cérémonie de la consécration de l'église, au nom de Jean d'Amboise, évêqûe de Langres, Jean de Genève, évêque d'Hébron, son délégué et suffragant, prélat consécrateur, accorde une indulgence de 40 jours à ceux qui visiteront l'église de saint Martin le jour de la fête de saint Epain et le jour de la fête de la Translation de ses reliques dont il fixe la commémoration au 8 des ides de mars (8 mars) et le jour de la commémoration de la Dédicace, au 5 des ides de juillet (11 juillet) (2). ■
Au jour de la consécration de l'autel majeur, 9 juin 1896, Mgr Etienne Ardin, archevêque de Sens, évêque d'Auxerre, accorde une indulgence de 50 jours à ceux qui, le 9 juin, viendront prier dans l'église Saint-Martin.
CONFRÉRIES. — Saint-Scapulaire. — Cette confrérie existait déjà vers 1830.
Saint-Coeur ou Coeur immaculé de Marie. — M. Thomas fit de la chapelle Saint-Joseph (près de la sacristie) la. chapelle de la Sainte-Vierge qui auparavant avait son autel dans le déambulatoire, au fond de l'église.
La confrérie du Saint-Coeur-de-Marie, agrégée à l'ârchiconfrérie de N. D. des Victoires, fut érigée dans cette chapelle par M. Thomas, en vertu de lettres de Mgr Mellon-Joly, en date du 15 mai 1841.
Rosaire. — En vertu d'une permission de Mgr Etienne Ardin, en date du 4 février 1898, et de lettres du Maître général dès Dominicains, du 11 février, la confrérie du Rosaire, fût érigée dans l'église Saint-Martin, le 20 février, par le R. P. Clair, des frères prêcheurs de la résidence de Flavigny. C'était faire revivre une des anciennes et plus précieuses traditions de la paroisse.
(1) LANGLOIS : Regesta de Nicolas IV, n° 2351.
(2) Archives de l'Yonne. G 2336).
148 LA PAROISSE DE CHABLIS 46
CROIX. — Une seule croix subsiste sur le territoire de Chablis. Croix en fer forgé, érigée sur l'ancienne route de Courgis. Elle porte cette inscription :
Cette croix a été érigée
le 23 août 1870
par Mr. Duché père
en l'honneur de sainte Agathe
Patronne de son épouse
LES RELIQUES. — Saint Epain. — Au IVe siècle, sainte Maure, « femme d'une illustre naissance parmi les Goths » ayant entendu parler de la sainteté de Martin, l'apôtre des Gaules, quitta sa patrie et vint dans la ville de Tours avec ses neuf fils, parmi lesquels Epain fut un des plus illustres. Instruits et baptisés par saint Martin, ils furent attirés dans un guet-apens par des sicaires envoyés du roi très impie des Goths. Résistant aux menaces comme aux promesses, ils persistèrent dans l'affirmation de leur foi et furent massacrés. Epain, fatigué d'une route pénible, s'était assis sur le bord du puits de Treillé. C'est là qu'il fut surpris et qu'il cueillit la palme du martyre.
Les reliques de saint Epain furent données à la collégiale de Chablis à une époque très reculée, probablement à l'occasion de la réversion du corps de saint Martin à Tours. Au jour de la consécration de l'église, le 18 novembre 1509, elles furent déposées dans une châsse nouvelle et plus précieuse. Mais en 1569 l'église fut pillée par les Huguenots et le chef de saint Epain disparut. A part quelques ossements placés dans des reliquaires, ce qui reste de. ce précieux dépôt est renfermé dans une belle ehâsse en bois doré, ornée de huit statuettes (XVIIe siècle). Dans un reliquaire en verre on avait placé un petit os du bras ou de la main. Sur le support en bois noir on lisait : Saint Epain, 1663 ». Il y avait, à l'intérieur, cette indication : « hoc est brachium Sancti Spani martyris, unius ex Patronis ecclesioe collegiatoe Sancti Martini de Chableys, translatum de antiqua capsa lignea quoe est super maius altare, die 14 octobris anno 1663 ». C'était la veille de la fête du saint. En 1903, il a fallu renfermer cette relique dans un nouveau tube de verre. Un bras d'argent, où elle était primitivement déposée, fut pris à la Révolution.
C'est à tort que, dans une notice imprimée à Tours, en 1833, on prétend que les reliques de saint Epain ont été données à cette époque à l'église du village qui porte son nom, au diocèse de Tours.
47 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 149
Plusieurs miracles furent attribués aux reliques de saint Epain. J'ai donné une relation notariée de l'un d'eux, dans une notice sur la Collégiale Saint-Martin. Aussi saint Epain jouissait-il d'une grande vénération à Chablis. Souvent on donnait aux enfants le nom d'Epain ou d'Epaine qu'on prononçait Epine. J'ai trouvé encore, dans les actes postérieurs à la Révolution : Pierre-Epain Colombat, baptisé le 15 juin 1806, et Marie-Epaine Guener, le 12 février 1809. Il y avait, à Chablis, la tour, le puits et la rue saint Epain.
Un reliquaire-châsse en bronze doré contient : une relique de saint Epain, une de saint Firmin, premier évêque d'Amiens et, dans un médaillon, une relique de saint Martin.
La relique de saint Firmin est dans l'église de Chablis depuis le XVIIe siècle. Un acte du 1er août 1671 relate un don de reliques, entr'autres celle de « saint Firmin, evesque d'Amiens (par) dom Estienne hiacinte Marcault, religieux bénédictin, prieur de SaintGeorges-de-Garembé, en Nivernais, et sacristin de Saint-Sydroynelès-Joigny, cy devant religieux mausionnaire du prieuré de N. D. de Joigny et natif de ceste ville de Chablis, où il est de présent ». A la suite est mentionné le don d'une « image d'argent représentant la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette, ladite chapelle portée par deux anges d'argent et au-dessns de ladite chapelle est une image de la très Sainte-Vierge assize sur icelle portant son fils, le tout d'argent pesans de six à sept marcs et porté sur un pied d'estal ou soubassement de bois d'ébenne ».
Par acte du 10 août 1671, le même religieux « fonde à perpétuité, dans l'église collégiale de Saint-Martin, de Chablis, les prières des quarante heures pendant les trois jours de carnaval... moyennant la somme de trois cens livres (qui lui ont été remises par honorable homme Estienne Marcault, marchant, demeurant aud. Chablys, son frère), et il donne « à lad. église un reliquuire d'argent de la somme de vingt-cinq écus ou plus pour dans iceluy estre mis et enchâssé des saintes reliques du glorieux saint Epain martyr et autres et de plus un louys d'or pour... obtenir de Notre Saint-Père le Pape une bulle d'indulgence plénière... pour.., les quarante heures.:. » (1).
Dans un autre reliquaire-châsse est renfermé un médaillon contenant une relique de Saint-Vincent-de-Paul. Authentique de Jean Conty, supérieur général de la Mission (1744). Visa de
(1) Minutes de l'étude de Me Gérard, notaire à Chablis.
150 LA PAROISSE DE CHABLIS 48
Mgr Gilbert de Montmorin, évêque de Langres. Procès-verbaux de M. Maldan, curé (1745) et de M. Thomas (1864).
Un reliquaire, forme ostensoir, contient une relique de saint Pierre, envoyée de Rome le 6 décembre 1842. Inscription : ex ossibus, cruce et altari ligneo Sancti Petri. Authentique de 1842. Visa de Mgr Mellon-Joly, du 15 mai 1863.
La reconnaissance de toutes ces reliques a été faite, en 1897, par M. le chanoine Mémain, gardien des reliques, assisté de M. le chanoine Chartraire, secrétaire de l'archevêché, en présence de M. l'abbé Bonneau, doyen, et de M. Chauvin aîné, notable de la paroisse.
Depuis cette époque, une précieuse relique de saint Bernard, renfermée dans un gracieux reliquaire, est venue enrichir ce trésor. Elle a été donnée par un enfant de Chablis, M. l'abbé Millon, curé de Champignelles, qui la tenait de M. le chanoine Thomas, son ancien curé et premier maître.
CONSEIL DE FABRIQUE (1803-1907)
L'article 76 de la loi du 18 germinal X (8 avril 1802), ordonnait le rétablissement des fabriques paroissiales. En vertu de cette loi, Mgr de la Tour du Pin-Montauban, archevêque-évêque de Troyes, Sens et Auxerre, par une ordonnance du 26 frimaire XII, nomma fabriciens : Jacques Grillot, Feuillebois, juge de paix, Pacifique Albanelet Edme Garinet, comptable. Le conseil choisit comme secrétaire, en dehors de ses membres, M. Poullain, notaire.
Un décret du 7 thermidore XI établissait une fabrique extérieure, composée de trois membres, pour administrer les biens restitués aux fabriques. Je n'ai trouvé que le nom d'un seul de ces marguilliers, M. Letors, qui en était le trésorier.
Vers 1804, Louis Gois, gendre Picq, avait été nommé receveur des revenus de la fabrique. Le 18 mars 1806, il fut remplacé par J.-B. Lebeau, huissier.
Jusqu'au décret de 1809, les fabriciens qui succédèrent aux premiers, furent : MM. Picq-Boisseau, Thibault-Gautherin, PicqMolard, Gresse, directeur des droits réunis, Joseph Foulley, adjoint, Bonnet, tonnelier.
Le 12 mars 1809, on avait nommé un cinquième fabricien, J.-B. Tessontissier, qui devait s'occuper spécialement de l'église Saint-Pierre. La dernière nomination fut celle de M. Simon Chauvelot, le 26 décembre 1809.
49 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 151
Quelques jours après paraissait le décret du 30 décembre 1809, qui réorganisait sur d'autres bases les fabriques des églises. Trois membres étaient nommés par l'évêque et deux par le préfet. Par ordonnance du 8 novembre 1810, Mgr de Boulogne nomme PierreEdme-Alexandre de Cheron, J.-B. Bonnet et Simon Chauvelot. Le préfet nomme, par arrêté du 1er janvier 1811, Joseph Barbette, et, par arrêté du 1er mars, Edme Folliot.
M. de Cheron fut le premier président, du conseil. En 1815, nommé chevalier de Saint-Louis et maire de Chablis, il dut être remplacé comme conseiller de la fabrique dont il devenait membre de droit.
Fabriciens (1809-1885): Pacifique Albanel, Hoppenot-Folliot, Nodiot, Thivet, Nicolas Garinet, Sautumier, Pierre Droin, Louis Hélie, Foulley, boulanger, Ch. Monnet, Gautherin-Rathier, PierreVictor Poullain, notaire, Jean Jollois, contrôleur royal, Chanvin, maître de pension, Cottaint, notaire, Gois, huissier, Pierre-Frédéric de Gislain-de Chéron, L. Viault, Feuillebois-Monin, Gallereux, Guignard, Plain, maître de pension, docteur Philippe, Louis Cunault, Thétion, Pierre-François Jolliet, Louis-Nicolas Gallard, J.-B. Monjardet, Pierre-Armand de Cheron, Léonard Payaton, Cyrille Hanet, juge de paix, Constantin Dédron, Guérin de Vaux, Long-Depaquit.
En 1885, à la suite de difficultés au sujet de l'organiste, le conseil démissionna en bloc. Il fallut le reconstituer. Par décision de Mgr Bernadou, du 27 novembre 1885, furent nommés Pierre Loumeau, Pierre Jeanniault et Raymond Guilhon. Un arrêté préfectoral du 4 décembre nommait Hector Cailly, adjoint au maire, et Alexandre Barrière.
Autres fabriciens (1885-1906) : MM. Henri Gérard, notaire, Jean Giroir, Charles Pic-Ferrand, Joseph Boullotte, instituteur honoraire, Benjamin Long-Depaquit et Ernest Chanvin. Lors d'une modification apportée dans le fonctionnement des fabriques, en 1893, M. Jules Viault, pris en dehors du conseil, voulut bien, pendant quelques années, remplir gracieusement les fonctions de receveur-trésorier.
Le maire assistait ordinairement aux séances : MM. Gautherin (1854), Gounot (1856-1864 et 1867-1868), Chanvin, adjoint (1865), Foulley, adjoint (1869 et 1871), David-Gallereux (1869-1870), Beaujean (1872-1874), Mollevaux (1875-1877), Folliot, président du Conseil géneral. (1881-1904), docteur Gautherin (1905), Goulley (1906).
La loi du 9 décembre 1905 supprimait les fabriques, leur accor-
152 LA PAROISSE DE CHABLIS 50
dant un an d'agonie. A Chablis, le conseil tint sa dernière séance le 9 décembre 1906, l'abbé Bonneau étant doyen, M. LongDepaquit, président, M. Ernest Chanvin, trésorier, M. Gérard, secrétaire, MM. Pic-Ferrand et Cailly, membres du conseil.
Le concordat, qui avait réglé, pendant plus de cent ans, lès rapports de l'Eglise et de l'Etat, était supprimé; les biens des. fabriques étaient confisqués, les fondations spoliées. Qui oserait dire que la France en est plus heureuse et plus riche ?
Des fondations qui existaient, plusieurs sont absolument supprimées; je tiens à les indiquer pour en conserver le souvenir :
Messe haute de Saint-Hubert, par M. Christophe-Girault (1700). Cette fondation avait survécu à la Révolution.
Messe haute de Sainte-Croix, par dame Philiberte Bridat, soeurSainte-Croix (1809) (1).
Messe basse du 21 novembre, par Thomas Therriat (1809).
Service Wébert du 15 novembre, par dame Marie-GenevièveRenard, veuve Wébert (1829).
Messe basse, à la chapelle de la Sainte-Vierge, par dame Marie Gravelle, veuve de Pierre Poulain (1851).
Messe basse Tesson-Droin, par Marguerite Droin, veuve dePierre-Zacbarie Tesson (1855).
Fondation, par la confrérie de Saint-Vincent, de la grand'messe de Saint-Vincent à Saint-Martin, et d'un service le lendemain de la fête, à l'église Saint-Pierre (1857).
Service Goulley-Lanier (7 décembre), par Marie-Lanier, veuve d'Ambroise Goulley (1857).
Service Collet, par dame Elisabeth-Julie Hugot, veuve dePierre-Hippolyte Collet (1870).
Quatre messes basses, par Mlle Anna-Henriette-Laurent (1899).
CHAPITRE IV
LES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES DE CHABLIS
Prieuré Saint-Cosme
Ce prieuré était situé près de l'église Saint-Pierre. « Dédié à saint Cosme et saint Damien, était habité par des chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Augustin. On ignore en quel temps et par
(1) Voir chapitre : Les Providentiennes ou Filles de la Croix.
51 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 153:
qui il fut fondé. Il était à la collation du prieur de Saint-Cosme lès-Tours, en Touraine; il était encore conventuel en 1693, sous, l'autorité d'un prieur Claustral » (1).
Liste des prieurs
Regnaud, en 1328 (2); Guillaume Lemogne, en 1560 où il meurt; Charles Leroux, religieux augustin, 1560, évincé; Henri Piset, religieux augustin, 1560...; Pierre Foulle, en 1569, où il résigne; Jean de Fayot, chanoine de Vézelay, au diocèse d'Autun, 1569-1572; Grégoire Dumont, moine de Cluny, 1572...; Guillaume Delarocquey du diocèse de Saint-Flour, de 1574 à 1579 où il résigne; Philippe Ruigière, de 1579 à 1588 où il meurt. Jean Grillot, clerc, en 1588, évincé; Bon Manteau, 1588...; Piochot, 1655; Joachim de la Chétardie, en 1666 où il résigne étant sous-diacre; Julien de Tanvarin, licencié, prêtre du diocèse de Léon, de 1666 à 1668 où il résigne; Antoine Sanguin, prêtre du diocèse de Paris, de 1.668 à 1684 où il résigne (3); Henri Dubois, prêtre, bachelier en théologie, du diocèse de Paris, de 1684 à 1693 où il meurt, étant aussi chanoine de Chablis; René Thomas, prêtre chanoine régulier, né à Chablis, 1693...; Antoine Thévenot, clerc du diocèse de Paris, 1695... (il fut aussi chanoine de Chablis); Etienne Durey, 1698 où il résigne; Denis Coqueley, 1698..., probablement le même que DenisGeneviève Coqueley, chanoine de Chablis; Alexis Flament, prêtre, en 1721 où il résigne, chanoine prémontré, comme les suivants, jusqu'à la Révolution; Joseph Patas, du diocèse de Tours, 1721...; Siméon Carnot, 1727-1739 où il résigne; Jean Delapierre, 1739 à 1741, puis curé de Neuvelle-les-This au diocèse de Reims ; Reynaud Boucaut, ex-curé de Neuvelle, 1741 à 1762 où il résigne; François de Maugre, né au diocèse de Reims, prieur de 1762 à 1780 où il resigne au suivant, son frère, religieux du même ordre; il mourut à Chablis le 10 octobre de l'année suivante, comme l'indique l'acte de sépulture reproduit plus loin ; Jean de Maugréai), curé de Gentilly, près Paris, prieur de 1780 à 1787 où il résigne; le 25. février 1792, le Directoire lui alloua une somme del 1.000 livres sur
(1) ROUSSEL (abbé). Diocèse de Langres.
(2) Archives de l'Yonne. G 2296.
(3) Voir ma notice sur la Collégiale Saint-Martin, p. 25. — Un Antoine Sanguin était grand prévôt de Chablis en 1678.
(4) Dans l'Inventaire des archives, t. I, supplément E, p. 25, on le désigne sous le nom de Jean de Manyde, curé de Suitilly, et son frère sous le nom de François de Manyde. Ce sont erreurs de copistes à signaler.
154 LA PAROISSE DE CHABLIS 52
l'avoir de l'ex-prieuré. Nicolas Lecuyt, 1787 à 1791; il était en même temps curé de Courtery, près Melun, où il avait été nommé en 1777.
Lorsque, en 1790, le commissaire du gouvernement se présenta à Saint-Côme, pour procéder à l'inventaire, M. Lecuyt était absent. Il n'y avait d'ailleurs plus de religieux. Le représentant du prieur déclara que celui-ci avait acheté le peu qu'il y avait dans la maison de son prédécesseur, qui était un prêtre séculièr. Les meubles qui lui appartenaient lui furent restitués, par arrêté du ■Directoire du 3 mai 1791. D'autres meubles et les vases sacrés furent confiés à la garde du sieur Claude Desboeufs, qui reçut pour cela une allocation de 15 livres, le 5 avril 1792 (1).
L'église, convertie en maison particulière et remise, subsiste encore. On y peut admirer de très beaux chapiteaux du XIIe siècle.
Un tableau de saint Côme et saint Damien, qui a été donné, en 1907, à l'église Saint-Martin, provenait de la chapelle, récemment fermée, de l'Hôtel-Dieu. Peut-être est-ce une relique du prieuré de Saint-Côme.
ACTE DE SÉPULTURE DE FRANÇOIS DEMEAUGRE
« Messire François Demeaugre, procureur général de l'ordre des
Prémontrés, ancien prieur de Saint-Cosme de Chablis, décédé
d'avant-hier, âgé de soixante et neuf ans, après avoir reçû les
sacrements de pénitence et d'extrême onction, a été inhumé par
Moi Jean-Charles Rogier, prieur de Saint-Cire, du consentement
du sieur Auban, curé de Chablis, le douze octobre mil sept cent
quatre vingt un, en présence de Messire Jean Demeaugre, curé de
Gentilly et prieur de Saint-Cosme de Chablis, son frère; de Messire
Nicolas Chanlatte, abbé régulier de l'abbaye de Pontigny; de
Messire Jean Camus, curé de Chichée, et de plusieurs autres dont
quelques-uns ont signé avec nous; de Messire François-Claude
Bouché, ancien maire de la ville de Chablis; de Messire André
Bouché de Courson, chevalier militaire de l'ordre Royal de
Saint-Louis, qui ont signé avec nous.
« Signé : Nicolas Chanlatte, abbé de Pontigny; de Meaugre, curé de Gentilly et prieur de Chablis; Meulan, coadjuteur de Marcilly;
(2) Procès-verbaux du Directoire, t. II, p. 340, IV, pp. 118 et 148.
53 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 155
f. Royer, prieur curé de Pontigny; Expert; f. Valet; Auban, prieur curé; Melin, vicaire; Camus, curé de Chichée; Boucher; Boucher de Courson; Rogier, Aug. Rég. prieur de Saint-Cyr »
Le Petit-Pontigny
L'abbaye de Pontigny, fondée en 1114, fut dès lors dotée de biens à Chablis. En 1128, elle y possédait des vignes, des terres, une grange et des maisons (1) et avant la fin de ce même siècle, en 1191, les moines de Pontigny payaient au chapitre de saint Martin 10 muids devin, pour 36 arpents de vignes (2). De l'une de ces vignes, reçue en don d'Anséric de Montréal et de Sibylle, son épouse (1186) on dit : « le vin en étant blanc et de conserve sera employé à la célébration de la messe » (3).
Pour administrer leurs biens de Chablis, où ils avaient d'ailleurs
d'ailleurs cellier et un pressoir, ils envoyèrent sur place quelques
religieux qui formèrent une communauté appelée le Petit-Pontigny.
Petit-Pontigny. maison, située au faubourg Saint-Pierre, dans la rue de
Chichée, eut grandement à souffrir au passage des Huguenots. En
février 1568, ils vinrent fondre sur le monastère de Pontigny. Les
religieux avaient eu soin de mettre en sûreté, a Saint-Florentin,
les reliques du monastère. « Quant à leurs personnes, le parti
qu'ils prirent fut celui de se retirer, avec leurs meilleurs effets,
dans la ville de Chablis. Ils y avaient une maison considérable
dans le faubourg qui était fortifié ; mais ils n'y furent guère plus
en sûreté pour cela. Chablis ayant été pris au bout de trois jours
de siège qu'il soutint, les Huguenots mirent le feu au faubourg et
toute la maison et le pressoir de Pontigny furent enveloppés dans
le même incendie (4) et détruits sans aucuns vestiges » (5). En
réalité, les murs du faubourg Saint-Pierre, peu solides, ne purent
résister, et le faubourg fut incendié avant même que la ville fût
tombée au pouvoir des Huguenots.
Les maisons du Petit-Pontigny furent rebâties en 1619. La principale existe encore. Elle est de belle apparence et est actuellement la propriété de la famille du général Gras, qui y mourut le 14 avril 1901.
(1) Archives de l'Yonne. G 2296.
(2) Id. G 2299.
(3) Id. H 1457.
(4) Enquête du 22 novembre 1574, citée par Lebeuf. Prise d'Auxerre, p. 272.
(5) Archives de l'Yonne. H 1458.
156 LA PAROISSE DE CHABLIS 54
Au moment où les prodigalités de Dom Chanlatte, abbé de Pontigny, compromirent la situation financière de l'abbaye, on vendit une partie des meubles et de la vaisselle de la maison de Chablis (1). Ce qui restait ne tarda pas à subir le même sort. « Le 25 janvier 1791, sur la requête des maire et officiers municipaux de Chablis, le Directoire, considérant que la maison le Petit-Pontigny n'est plus occupée, arrête que le District d'Aùxerre est invité à faire procéder le plus tôt possible à la vente du mobilier, et que, pour accélérer ladite vente, il pourra déléguer la municipalité de Chablis ».. Cette délégation fut donnée le 4 février 1791 (2).
L'ermitage de Sainte-Vaubourg
Dans un repli des célèbres coteaux de Chablis, entre le climat des Clos et les vignes de Vaudésir, Moutonne et Valmure, auprès d'une source aux eaux limpides et bienfaisantes, s'élevait, au XVIIe siècle, une maison très modeste, avec une petite chapelle. C'était l'ermitage de sainte Vaubourg.
Sainte Valburge ou Vaubourg, vierge et abbesse du monastère de Heidenheim (Allemagne), mourut le 25 février 779. Sa fête se célébrait le 1er mai. On l'invoquait contre les maux d'yeux. Ses reliques, apportées en Bourgogne, y opérèrent des miracles si éclatants qu'on lui dédia un grand nombre d'oratoires et d'églises. dans notre contrée (Martyrol. Autissiod. 25 février).
Si l'on en croit l'auteur de l'Histoire de Chablis, la fondation de cet ermitage remonterait au XIIe siècle et, à ce moment, on possédait, à Chablis, des reliques de sainte Vaubourg. Quoi qu'il en soit, au XVIIe siècle les ermites jouissaient d'un jardin et d'une petite vigne attenante à la maison. Ils vivaient du produit de la propriété et de quelques aumônes.
Sur cet ermitage je n'ai que de rares détails puisés dans les actes de catholicité et aux archives de l'Yonne.
Vers 1660, ermites, frère François Oudin et frère Allain.
7 janvier 1668, inhumation du frère Jean Maréchal.
7 avril 1681, inhumation du frère Jean Petit, en présence du frère Joseph Dupré, ermite, son compagnon.
26 novembre 1699. inhumation de frère Joseph.
Au XVIIIe siècle, il y eut sans doute encore quelques ermites,..
(1) HENRY (abbé). Histoire de l'abbaye de Pontigny.
(2) Procès-verbaux du Directoire, t. II, p. 170 et Archives de l'Yonne. L 752..
35 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 157
mais le plus souvent la maison fut occupée par des gardiens. Il y eut des désordres et, en 1785, l'ermitage fut supprimé par Mgr l'évêque de Langres, ainsi que tous ceux du diocèse (1).
J'ai relevé aux registres de catholicité deux bénédictions de cloche pour la chapelle : l'une, le 13 novembre 1672 et l'autre le 13 juin 1717 (2).
La fontaine de Sainte-Vaubourg, dont les eaux sont réputées les meilleures de la contrée, et aussi le climat de Valmure, perpétuent le souvenir de cet ermitage disparu.
Le nom de Vaubourg était porté autrefois par beaucoup de femmes de Chablis. Depuis 1800, je ne l'ai trouvé que trois fois aux actes de baptême: Christine-Claudine-Valbourg Simonnet (31 juillet 1803), Magdeleine-Vaubourg François (31 mars 1808), et Hortense-Valburge Jeanniot (15 février 1811).
LES PROVIDENCIENNES OU FILLES DE LA CROIX
Les Ursulines
A l'époque où sainte Angèle de Mérici organisait les premières réunions de dames qui se vouaient à l'éducation chrétienne des jeunes filles, on vit, dans un grand nombre de villes de France, des personnes pieuses s'unir dans ce but et fonder dés écoles.
Dès le commencement du XVIIIe siècle, ce généreux mouvement se produisit â Chablis et amena la fondation d'une école gratuite pour les filles et d'un orphelinat. L'évêque de Langres, Mgr François-Louis de Clermont-Tonnerre approuva cette fondation par certificats de février 1709 et du 10 août 1717. Dans l'intervalle, les maire et échevins avaient donné, le 4 février 1714, un avis favorable. Aussi, le 7 septembre 1717, Louis XIV, par lettres patentes enregistrées au Parlement, le 5 février 1718, confirma « l'éstablissement, sous le titre de l'école de Charité, de la maison dès Filles de la Croix, en ladite ville de Chablis, sous la conduite et direction de Mgr l'évêque-duc de Langres, lesquelles se chargeront d'instruire gratuitement les jeunes filles des éléments de la religion et des mystères de la foy, de les former aux bonnes moeurs et de leur apprendre à lire, écrire et travailler, et à condition d'élever les orphelines. Pourront les dites filles recevoir chez elles,
(1) Archives de l'Yonne, G 2428).
(2) Voir mon étude sur « la Collégiale Saint-Martin », p. 46.
158 LA PAROISSE DE CHABLIS 56
avec pension, les filles d'honnestes familles qui désirent s'y retirer et pour y faire des retraites spirituelles »
Instruction gratuite pour les enfants, refuge pour les orphelines, maison de famille, retraites spirituelles pour les personnes, pieuses, c'était précieux à tout point de vue. Aussi la maison fut en faveur et bientôt les dons arrivèrent à ces filles qui s'étaient consacrées à cette belle oeuvre.
Dès 1719, il y a une donation de terres par Mme André. Puis, c'est la propriété de la maison qu'elles habitent qui leur est assurée. Par acte du 13 décembre 1721, damoiselle Marie Soufflot leur fait donation entre vifs et irrévocable de « la maison à plusieurs travées et chapelle, jardin, cour et enclos dans lesquels ladite communauté et ladite damoiselle font leurs demeures... laquelle maison en plus grande partie ainsy que ladite chapelle et dépendances ont esté faites et construites aux frais et dépens de ladite damoiselle Soufflot, sur une place qui provient de ses acquests »,
A l'époque où" fut faite cette donation, les religieuses étaient Barbe Chrestien, supérieure, Anna Boisseau, Michelle Grasset et Geneviève-Madeleine Boyne. Leurs noms méritent d'être consignés.
La bienfaitrice entendait que l'oeuvre de l'école gratuite subsistât ; aussi elle y insiste : « et arrivant que ladite communauté vint à manquer de sujets, ladite maison, héritages et autres cidessus ne pourront servir et estre emploiez à autre usage qu'au soutien et continuation de ladite communauté des écoles de charité sous le titre de Filles de la Croix, à quoi ladite damoiselle les. a destiné et donné à perpétuitté, et si à l'avenir ladite communauté manquait entièrement de sujets pour continuer lesdites. écoles, il sera choisy des personnes d'une autre communauté pour faire l'instruction gratuite desdites écoles conformément aux règlements et constitutions de ladite communauté des Filles de la Croix de Chablis, lesquelles personnes seront renvoyées lorsqu'il; se trouvera des sujets qui feront profession dans ladite maison et communauté ».
La donatrice fait, de plus, obligation aux religieuses de recevoirune fille de chacun de ses frères et soeur, s'il s'en trouve qui veuillent entrer dans leur congrégation.
Avec la maison, Marie Soufflot donnait des terres et des vignes. situées à Chablis, Irancy, Vincelottes, Méré et Saint-Cyr, à charge de réciter pour elle, après sa mort, à perpétuité, un De profundiset l'oraison Quaesumus Domine et Fidelium.
Les fondations continuaient d'ailleurs. Le 18 décembre 1722,.
57 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 159
Pierre Mottot et Marguerite Foulley sa femme, donnaient une maison située cour Briffault, à la charge « d'une amande honorable les jeudys à l'issue de la messe; le premier jeudy de chaque mois, la messe sera suivie d'un De profanais, et, après l'amande honorable, on donnera la bénédiction du Saint-Sacrement ». Par acte de 1723, donation d'un abbé Prozelle à charge de trois messes. Donation de M. Leclerc Declozeau, par testament du 3 août 1727. Autre donation en 1742, dame Françoise de Bézenac étant « supérieure des Dames relligieuses de la communauté des. Filles séculières des Escholles charitables de Chablis ».. La maison, d'ailleurs, s'agrandissait, car, en 1735, dame Angélique Chevalier, agissant comme supérieure de la communauté, faisait acquisition d'une masure sise au quartier Saint-Pierre (1).
Mais déjà les épreuves arrivaient. Le 19 septembre 1729, on avait enterré damoiselle Michelle Grasset, âgée de 27 ans. Dix ans plus tard, damoiselle Marie Soufflot était inhumée dans l'église Saint-Martin.
« Cejourd'huy trois octobre mil sept cent trente neuf a été inhumée dans cette église (Saint-Martin), damoiselle Marie Soufflot, fondatrice des Filles de la Croix de cette ville, âgée de cinquante-quatre ans, en présence de MM. André Petit, Jean Petit, Jean Chapotin, ses frères et beau-frère, M. Antoine Camelin, chanoine honoraire de cette église, de M. Théodore Regnard, prévost royal et de Me André Camelin, avocat, et de plusieurs parents et amis.
« Signé : Petit, J. Chapotin, J. Petit, Regnard, Camelin, avocat, et Michaut, chantre et chanoine » (2).
Bientôt aussi les sujets se firent rares dans la petite communauté, et pour se conformer à la volonté exprimée par Mme Soufflot, il fallut faire appel à une autre congrégation.
En 1654, les Ursulines de Châtillon-sur-Seine avaient fondé une maison à Mussy-sur-Seine. C'est de là que vinrent, vers le milieu du XVIIIe siècle, les nouvelles maîtresses des écoles de charité de Chablis. La supérieure était, en 1768, soeur Gombault de SainteUrsule, qui est citée, dans une donation, ainsi que soeur AnneMarguerite Moreau.
(1) Archives de l'Yonne. H 2184. C'est par erreur que, dans l'Inventaire des. Archives, on place cette acquisition par dame Chevallier en 1695. La pièce de 1695 n'est qu'un document d'origine de propriété, antérieur à la fondation de. la communauté. (2) Archives de l'Yonne. G. 2333.
160 LA PAROISSE DE CHABLIS 58
A Chablis, on continuait â les désigner sous le nom de Filles de la Croix ou de Providenciennes, comme on le voit dans plusieurs documents, entr'autres celui-ci :
« Le 4 février 1773, sépulture de messire Foynat, prêtre, cidevant de la Société de Jésus, inhumé dans la chapelle des Filles de la Providence, âgé de 94 ans, en présence de François-Claude Boucher, ancien maire de cette ville, et de Boucher de Gourson, chevalier de Saint-Louis, sous-brigadier des gardes du Roi, et Pierre-Alexandre de Cheron, ancien conseiller du Roi et procureur en la prévôté royale de Chablis » (1).
La dernière supérieure des Ursulines fut dame François Aubert de Saint-Bernard qui, en cette qualité, signa, de 1773 à 1789. plusieurs baux conservés aux archives- de l'Yonne. Mais la communauté allait bientôt disparaître.
Le 6 mai 1790, commença contre elle l'exécution des lois, par l'inventaire fait « en la communauté des Dames Urselines Providentielles (sic) tenant continuellement et depuis leur établissement en ce lieu qui remonte à mil sept cent quinze, pour les biens faits d'une demoiselle Soufflot, principale fondatrice, les Ecolles chrétiennes gratuitement.
« Ce jourd'huy six may mil sept cent quatre-vingt-dix, deux heures de relevée, en laquelle communauté nous avons trouvé :
« 1° Soeur Saint-Bernard (Aubert), religieuse, professe de la maison conventuelle des Dames Ursulines de Mussy-l'Evêque et affiliée à ladite communauté où elle demeure depuis environ vingt-deux ou vingt-trois ans, laquelle nous a dit être âgée de cinquante et un ans ou environ et qu'elle occupe la place de supérieure de cette communauté depuis dix-huit ans ;
« 2° Philiberte Bridât de Sainte-Croix, religieuse, professe de Mussy.., affiliée à la communauté de cette ville où elle démeure depuis dix-huit ans, laquelle nous a dit être âgée de 44 ans ou environ et qu'elle occupe la place de sacristine en la chapelle de ladite Providence aussi depuis dix-huit ans.
« 3° Marie Michaut, soeur Saint-Bazille, professe de Mussy...., affiliée à la communauté de cette ville, où elle demeure depuis huit ans, laquelle nous a dit être âgée de 30 ans et qu'elle est dépo sitaire de ladite communauté.
(1) Inventaire I., p. 25.
59 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 161
« 4° Marie-Anne Feuillebois, soeur Sainte-Colombe, professe de Mussy..., affiliée à cette communauté où elle demeure depuis trois ans, laquelle nous a dit être âgée de 23 ans.
« Que lesdites dames sont toutes occupées aux différentes classes pour l'instruction de la jeunesse, suivant leur institution, qu'elles y employent tout leur tems, qu'à l'égard dès peines et soins de la maison, elles sont obligées de les confier à une soeur converse nommée Marie Barat, de la paroisse de Coussegré, proche Tonnerre, âgée de trente ans, qui n'a encore fait aucuns voeux et à une servante domestique pour l'extérieur, appelée Sébastienne Vinot, natif de Chablis, âgée de 26 ans...
« Et nous ont lesdites dames déclaré que leur intention est de rester dans leur communauté et d'y coutinuer sous le bon plaisir de Nos Seigneurs de l'Assemblée Nationale, l'instruction de la jeunesse aux Ecolles chrétiennes qui s'y trouvent et sont l'objet de leur fondation, ce que nous savons être le voeu général des habitants de cette ville et païs circonvoisins qui considèrent cet établissement comme très utile et avantageux pour l'éducation des jeunes personnes du sexe que lesdites dames enseignent gratuitement aux termes de leur institution et qui sont journellement au nombre de plus de deux cents, et en ce que la chapelle et ladite communauté se trouvent placées entre là ville et le faubourg et à leur portée pour y entendre la messe qui se dit tous les jours. Et ont... signé ».
Suit l'énumération des meubles et des biens appartenant à la ■communauté.
Un autre document donne une idée de l'état financier de la maison. Du 1er octobre au 1er janvier 1791, les recettes s'étaient élevées à 1059 livres 19 sols 6 deniers, et les dépenses à 1676 livres 9 sols (1).
La communauté continua encore à recevoir des sujets. En 1792, je trouve, en plus de celles nommées plus haut, soeur Marie-Anne Ragot de Saint-Louis, âgée de 44 ans, et Anne Merle, soeur converse, âgée de 32 ans.
Le 7 juillet 1792, le Directoire rejette la requête des Ursulines demandant à être autorisées à faire desservir leur église et faire acquitter les fondations qui y sont attachées, par le sieur Richard,
(1) Procès-verbaux, t. V, p. 182.
11
162 LA PAROISSE DE CHABLIS 60
principal du collège et ci-devant desservant de la communauté (1) Richard avait rétracté son serment.
Mais, par contre, en cette même année, au mois de décembre, les habitants signent une pétition tendant au maintien de l'école gratuite tenue par les Ursulines et fondée par la C. Soufflot (2). Et la municipalité ayant attesté que ces religieuses étaient nécessaires à Chablis et qu'elles donnaient en effet l'instruction à deux cents enfants, elles purent continuer leur oeuvre. Françoise Aubert et Marie-Anne Feuillebois tenaient encore les écoles en l'an VI (3). En cette année, le 18 brumaire, on faisait injonction à la directrice de l'école des filles de Chablis de se séparer de ses adjointes, ci-devant religieuses (4).
Le 31 janvier 1793, la pension des ci-devant Ursulines avait été fixée comme suit par le Directoire : Françoise Aubert et Philiberte Bridât, chacune 600 livres; Marie Michaut et Marie-An ne Feuillebois, chacune 500 livres; Anne Merle, 333 livres, 6 sols, 8 deniers.
Pendant ce temps, que devenait le bâtiment des Providenciennes? La Société populaire se réunit dans la chapelle, où d'ailleurs siégeait aussi, vers la fin de 1793, le Comité de surveillance. Le 15 ventôse II, le Conseil général de la commune était autorisé à y tenir ses séances. Le 30 brumaire IV, même autorisation à l'administration municipale. Finalement, le 3 vendémiaire VI, on installa, dans l'ancienne Providence, la gendarmerie qui y est encore. La propriété en a été dévolue à l'hospice. Mais le jardin, qui avait une valeur de 5.000 francs, avait été vendu 1.600 francs. La chapelle, qui a été conservée, fait partie de la propriété voisine (5).
Dès 1805, deux anciennes Ursulines de Mussy-l'Evêque, soeur Goublot de Sainte-Victoire, originaire de Chablis, et soeurMichaut de Saint-Basile, ci-devant Ursuline de Chablis, avaient réuni quelques anciennes religieuses fidèles à leur vocation et rétabli, à Troyes, sous la sollicitude et protection de Mgr de la
(1) Procès-verbaux du Directoire, t. V. p. 2. (2) Procès-verbaux. L 599.
(3) Françoise Aubert fut inhumée à Chablis le 20 février 1805 et Marie-Anne Feuillebois le 23 mai 1814. Le 30 octobre 1814, on inhumait aussi à Chablis demoiselle Marie-Anne Barbette de Samte-Marcelline, dite également religieusede l'instruction chrétienne. Elle était fille de Jacques Barbette et de Vaubourg, Goublot.
(4) Administration communale, L 975.
(5) Archives de l'Yonne. L 22, 58, 975 et 976.
61 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 163
Tour du Pin-Montauban, la congrégation des Ursulines hospitalières soeurs de l'instruction chrétienne.
Parmi ces religieuses il s'en trouvait une autre de la maison de Chablis, soeur Philiberte Bridat de Sainte-Croix. Elle fut une de celles qui vinrent, en 1808, à Ligny-le-Châtel et y ouvrirent des classes qui subsistèrent jusqu'en 1896 avec les Ursulines et ensuite jusqu'en 1903 avec les soeurs de la Providence.
En 1816, soeur Goublot de Sainte-Victoire, supérieure générale des Ursulines de Troyes et soeur Michaut de Saint-Basile, assistante, écrivirent au prétet de l'Yonne pour demander la restitution de leur maison de Chablis. Cette requête demeura sans résultat.
Maladrerie Saint-Sébastien
Il y avait, à Chablis, une maladrerie située au bas des Clos, à l'endroit où la route de Ligny vient joindre celle de Tonnerre. On n'en sait pas l'histoire. Elle existait déjà en 1350, car le 3 mars de cette année fut fait un « mandement du Parlement au bailli de Sens pour requérir le seigneur de Chablis de donner licence aux habitants d'icelle ville s'assembler et faire une taille de 100 livres tournois à cueillir sur eux pour employer aux frais du procès qu'ils avaient touchant l'institution d'un maître de la léproserie dudit lieu (1). 12 décembre 1483, procès entre Guillaume de Partenay, écuyer, appelant des requêtes du palais, et Jean Pinot, administrateur de la maladrerie (2). Cette maladrerie figure au Grand Prieuré de Bourgogne, commanderie de Chablis, pour une somme de 480 livres. En 1648, l'établissement avait 800 livres de revenu (3). La chapelle était dédiée à saint Sébastien,
Le 15 avril 1695, un arrêt du conseil du Roy ordonna la réunion de la maladrerie de Chablis à l'Hôtel-Dieu et décida que les services acquittés dans la chapelle Saint-Sébastien seraient célébrés dans celle de l'Hôtel-Dieu (4). Néanmoins, en 1697, il y avait encore un chapelain, Dominique Maldat, chanoine de Chablis, qui disait la messe une fois par semaine et faisait l'office le jour de saint Sébastien. La réunion ne fut rendue définitive, par lettres patentes du Roy, qu'en mars 1698..
(1) Xia 13, fol. 20.
(2) Xia 4.825, fol. 26.
(3) Bibliothèque d'Auxerre, manuscrit 128.
(4) Archives nationales. V 1166. Voy. MOLARD. Inventaire des Archives de: l' Yonne, t. IV. p. CXLIV.
164 LA PAROISSE DE CHABLIS 62
Le 10 septembre 1704, Mgr François de Clermont-Tonnerre interdisait la chapelle qui menaçait ruine. Elle se composait de trois travées voûtées en ogives et était d'un beau style.
L'hospice de Chablis conserve, sur cette maladrerie, des documents intéressants.
Seul, le faubourg de la Maladièré perpétue le souvenir de cette maison hospitalière destinée à recevoir les malades qu'il fallait isoler. Ici encore, nos ancêtres avaient su faire des installations que, de nouveau aujourd'hui, on juge souvent indispensables.
Hôtel-Dieu
A quelle époque remonte la fondation de l'Hôtel-Dieu de Chablis ? je ne saurais le dire. Peut-être les archives de la maison le révèleraient-elles. Je laisse à d'autres le soin de les fouiller et de faire l'histoire de cette maison, qui fut fondée par les habitants (1). En 1648, le revenu était de 1.500 livres (2).
La chapelle est du XIIIe ou XIVe siècle, mais a été remaniée au XVIe. La voûte est du XVIIe ; à la clef, on lit autour d'un écusson : LAVTEL-DIEV, 1632. Elle est dédiée à saint Jean-Baptiste. Fermée pendant la Révolution, elle fut rendue au culte le 11 décembre 1807. en vertu d'une autorisation de la commission administrative et fermée de nouveau, le 12 décembre 1906, par la volonté du maire.
La cloche a été bénite le 9 mai 1829 par M. Henry, curé de la paroisse. Le parrain fut M. de Cheron, maire de Chablis et la marraine Mme veuve Regnard.
Il y avait un chapelain spécial. Aux archives de la HauteMarne, on a relevé cette mention : « 18 mai 1732, nomination et réception du sieur Taupin (chanoine de Saint-Martin) pour chapelain de l'hôpital de Chablis, lequel demeure chargé : 1° d'acquitter à la décharge dudit hôpital chaque année 120 messes de fondations anciennes et 24 messes nouvellement fondées, outre les offices des dimanches et fêtes ; 2° de faire exhortation aux soeurs et aux pauvres en les visitant et de leur administrer les secours spirituels tant par la confession que par les derniers sacrements et les inhumer gratuitement ; le tout sous rétribution de 150 livres par an et une maison près dudit hôpital pour son logement, à charge par ledit sieur Taupin d'y faire les répara(1)
répara(1) des Archives de l'Yonne, t. IV. p. CLI.
(2) Bibliothèque d'Auxerre, manuscrit 128.
63 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 165
lions; 3° le sieur Taupin a fait don audit hôpital d'un bien foncier de la valeur de 600 livres moyennant 28 messes qu'il a fondées ». D'autres fondations sont venues s'ajouter. La Révolution les supprima. Six messes avaient été fondées au cours du XIXe siècle ; elles furent, à leur tour, supprimées en 1907.
Au XVIe siècle, c'était le prévôt qui nommait les administrateurs. Des soeurs hospitalières étaient attachées au service de l'Hôtel-Dieu. J'ai relevé les noms suivants : Marguerite Hamelin (1717), Marguerite-Suzanne Bourguignon-Dumont de Séignelay (1746), Dominique Bruslard (1766), Louise Bruslard de Diausey, bailliage d'Arnay-le-Duc, au diocèse d'Autun (1769). Celle-ci fut inhumée à Chablis, le 11 janvier 1807, âgée de 63 ans.
En 1816, Mme Bérillié, qui avait le titre de soeur directrice, fut remplacée par Françoise Augeard, mais bientôt le service laissa à désirer. M, Breton étant curé de Chablis, l'administration de l'hospice décida de remplacer les laïques par des religieuses et fit appel à la communauté des soeurs de la Présentation de Tours. Deux religieuses arrivèrent le 2 avril 1824. Le 22 janvier 1827, une troisième religieuse fut appelée pour tenir une école dans les bâtiments qui dépendent de l'hospice. Cette école, qui avait pris une grande extension, fut supprimée en 1883. Trois religieuses restèrent à l'hôpital pour s'occuper exclusivement des malades. Vers 1900, en exécution d'une fondation faite par Mme Coissieu et M. et Mme Molleveaux, une quatrième soeur fut appelée pour visiter et soigner les malades à domicile, ce qu'elle fit pendant de trop courtes années avec un dévouement au-dessus de tout éloge, et, comme le disait des soeurs de l'époque l'auteur de l'Histoire de Chablis, « ne demandant jamais qu'une bénédiction ».
La mère Misaël étant morte le 29 janvier 1907, l'administration de l'hospice décida la laïcisation. Le 15 avril suivant, les religieuses quittaient cette maison et reprenaient le, chemin de Tours, emportant les regrets de la grande majorité de la population.
Cependant là mère Zéphirine, dont le nom reste en vénération à Chablis, avait fondé, non loin de l'hospice, une école libre, où elle fut remplacée en 1900 par une soeur non moins appréciée, mère Maria Martina. Cette école fut fermée le 9 avril 1903, et le 9 mai suivant elles quittaient la maison où un grand nombre d'enfants recevaient une éducation chrétienne.
Le souvenir de ces religieuses, on me permettra bien de l'affirmer, restera longtemps gravé dans le coeur des Chablisiens. A
166 LA PAROISSE DE CHABLIS 64
l'école comme à l'hospice, elles ont passé en faisant le bien. Elles le faisaient sans bruit, n'ayant d'autre ambition que d'être bénies de Dieu et des hommes.
TESTAMENT DE CHRISTOPHE GIRAULT (1700)
Au nom du père et du fils et du saint Esprit. Amen.
Cejourd'huy sixiesme janvier mil sept cent, moy Cristofle Girault, courtier de vins à Chablis, estant en ma maison sain de corps et d'esprit et ne voulant pas estre surpris de la mort sans avoir faict la disposition de mes dernières vollontées, j'ay faict le présent testament.
Premièrement après avoir recommandé mon âme à la sainte Trinité par les mérittes infinis de Jésus-Christ, nostre seigneur, et par l'intersession de la Sainte Vierge, de saint Cristofle mon bon pastron, de saint Pierre apostre, de saint Martin saint Espain, de mon bon ange et de tous les saints et saintes du Paradis, je déclare que je suis dans la communion de sainte Eglise catholique appostolique et romaine hors laquelle il ni a point de salut.
Je veus et désire que mon corps soit enterré au lieu ou ma femme le sera au cas que Dieu dispose delle auparavant moy, et au cas que Dieu dispose de moy le premier, elle me fera enterrer ou bon lui semblera.
Item je veux que l'on fasse un annuel à saint Martin de ce lieu, à la commodité de MM. les channoines qui sera d'imne messe tous les jours ou comme le jugeront lesdits sieurs et le tout aussitos mon déceds, et lesquels sieurs chanoines et chappitre je prie d'accepter, et pour lequel annuel je veus et antand qu'il leur soit donné la somme de deux cent livres.
Item je veus que aussitos que mon anime sera sortie de mon corps que mes exécuteurs testamentaires fasse dire incessament deux cent messes basses pour la gloire de Dieu et le salut de mon amme. Je choisy pour les dire les prestres que jugeront à propos mes exécuteurs.
Item je veus que l'on donne à Saint-Pierre ma paroisse la somme de cent livres à condition que les fabriciens me feront dire par M. le curé un libera avec la collecte tous les dimanches de la première année de ma mort après les vespres.
Item je veus que l'on donne aux confrairies de la petite esglise du Rosaire de Saint-Pierre ma paroisse la somme de cinquante livres pour une fois payée qui seront donnée par esgalle portion aux dictes confrairies.
Item je veus que Ion donne à la confrairie du Nom de Jésus qui est à Saint-Pierre ma paroisse la somme de vingt livres pour une fois payée.
65 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 167
Item je veus que l'on donne à la confrairie de Saint-Vincent la somme de vingt livres pour une fois payée.
Item je veus que l'on donne à la confrairie de Saint-Claude érigée en ma paroisse la somme de dix livres pour une fois payée.
Item je veus que l'on donne à la confrairie de Saint-Edme la somme de dix livres pour une fois payée.
Item je veus que l'on donne à l'ermitage de Sainte-Vaubourg de Chablis la somme de dix livres.
Item je veus que l'on donne à la paroisse d'Argenteule la somme de vingt livres pour une fois payée.
Item je veus que l'on donne à la confrairie de Saint-Hubert érigée
à Saint-Pierre ma paroisse la somme de (1) qui sera délivrée aux
fabriciens de ma paroisse pour faire dire une grande messe tous les ans ledit jour de Saint-Hubert, à perpétuité affin que tous les contraires puisse asiter et tous autres qui auront dévotion, et laquelle messe se célèbrera entre sept et huit heures et qui sera sonnée avec la grosse cloche, laquelle somme pour une fois payée, et en outre sera dit à l'issut de ladite grande messe un libéra avec la collecte pour moy et ma femme.
Item je veus que on donne à l'église Saint-Martin de ce lieu la somme de deux cent livres pour estre anploié à achepter des ornements, sans charge, pour une fois payée.
Item je veut que l'on fasse dire douze servises à l'ordinaire où ils se célébreront, dont six à Saint-Pierre ma paroisse et six à SaintMartin de ce lieu, outre les servises de quarantaine et bout de l'an qui se célébreront esgallement à Saint-Pierre et Saint-Martin.
Item je veut que l'on distribue aus pauvres à chascun desdits servises la somme de six livres.
Item je veut que on habille une fois seullement de boige treze pauvres de huict à neuf ans.
Item je veut que l'on donne à treze pauvres tant vielliars que femme ves-ve qui seront le plus chargé d'anfants la somme de trois livres chascun pour une fois payée.
Item je veus et antand que tous mes habits et mon manteau et linge servant à mon usage soit vendus pour faire prier Dieu pour moy.
Item je suplie Jacque Magdelainne Quartier ma femme d'estre ■conjointement avec MM. Haldat, chanoine de l'esglisse collégialle de Saint-Martin de ce lieu, et honorable homme Edme Petit, commissionnaire de vins demeurant à Chablis, exécutrisse du presant testamant. Je les prie de l'exécuter ensemblemant ponctuellement et exactement, et à cette fin je veus que du jour de mon déceds que tous mes biens meubles et immeubles soit saisy au cas qu'il ne se trouvé pas suffisamant d'argant, et mestne vendu jusque à l'antière exécution, et
(1) 60 livres. (V. p. 00).
168 LA PAROISSE DE CHABLIS 66
mesme d'apposer le sellé affin de prandre plus de cognaissance pour faire les contraintes nécessaire, affin que tout s'exécute conformément audit testamant, et après avoir lut et relut ledit testamant à ma femme présante que j'ay priée d'agréer l'exécution comme ses messieurs, et le tout suivant que je fait à celuy de ma femme que j'ay signé et authorisé en tout ce qu'il se consiste et que j'aprouve encorprésantemant non nobstant le don mutuel, et le tout de nostre consantemant, et au cas que ma femme adjoute quelleques choses à son testamant ou que j'ajoutte au mien elle l'approuve et moy aussy,. et cela sans qu'il soit besoing d'autre signature que celle que j'ay faicte et qu'elle a faict présantemant. Fait le sept janvier mil sept cent.
Signé : GIRAULT, M. QUARTIER, HALDAT.
(Déposé aux minutes de Jean Leclerc, notaire royal, le 14 octobre 1701.)
(De l'étude de Me Gérard, notaire à Chablis.)
TABLEAU
des fondations de l'église paroissiale SAINT-PIERRE de la ville de CHABLIS,. en exécution de l'arrest du Parlement du 5 mai 1781 et des délibérations des bureaux ordinaires et extraordinaires de fabrique des 2 septembre 1786 et 30 avril 1787.
Marguilliers en exercice
MM. Jean-Baptiste-François-Antoine Devilleroy, Thomas Therriat et Nicolas Guinée père.
Le dimanche dans l'octave du Saint-Sacrement, messe haute après, matines fondée par le nommé Mathieu par acte reçu Michelot, notaire, le 11 juin 1621.
Le jour de la Trinité, grand'messe après matines, fondée par la veuve Jean Cousin, par acte reçu Gauchon, notaire à Chablis, le 17 mai 1633, et libéra après la messe.
Le jour de Pâques, messe haute après matines, fondée par Catherine Pinson, par acte passé devant Millon, notaire à Chablis, le 12 janvier 1642.
La deuxième férie de la Pentecôte, matines, grand'messe et libéra, fondés par Etienne Pâton, Edme Regnault et les héritiers Epain Letors, par acte reçu ledit Millon, notaire, le 25 mai 1643.
Messe basse, fondée pour chaque mois de l'année, par Edme Blanche, suivant le contract reçu Camelin, notaire à Chablis, le 14 avril 1677.
Le mercredi de chaque semaine, messe basse au grand autel, fondée par sieur Joseph Henry, avec procession, service dans l'octave de
67 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 169
saint Joseph, par acte passé devant Picq, notaire à Chichée, le 6 mars 1677.
Les jours de Pâques, Pentecôte, Saint-Pierre, fête patronalle, la Toussaint et Noël, saluts avec exposition du Saint-Sacrement, auxquels les cérémonies seront comme pendant l'octave du Saint-Sacrement fondés par Marie Bavoil, par acte reçu Regnard, notaire à Chablis, le 22 avril 1746.
Et par même acte, laditte Bavoil, cinq messes basses et liberfi qui doivent se dire le lendemain desdits saluts ou jours suivants, ainsi que la grand'messe après matines le jour de la fête et une messe basse le jour de Saint-Jean-Baptiste, avec De Profundis.
Le lundy de Pâques, procession au grand cimetière et ensuite une messe.
JANVIER
Le 1er, messe et libéra fondés par les ancêtres de Pierre François, vigneron à Chablis.
Le 6, messe haute et libéra après matines.
Le 20, messe fondée à l'autel du saint nom de Jésus, par ClaudeDenis Motot, par acte, reçu Descourtives, notaire à Chablis, le 10 juillet 1634.
Le 22, messe haute fondée par Jean Foulley, par acte reçu ledit Millon, notaire, le 6 mai 1649.
Le 25, messe haute de saint Paul, fondée par Pierre Picq, par acte reçu Servin, notaire, 1er mai 1619.
FÉVRIER
Le 14, service à trois grand'messes, fondé par M. Claude Chamon, prévôt de Chablis, ainsi que le répons Félix namque es, etc., qui doit se chanter après les vêpres des quatre principalles fêtes de l'année par acte reçu Leclerc, notaire à Chablis.
Le 22, messe haute de saint Pierre et libéra, fondés par Pierre Boyer, par sentence de la prévôté de Chablis, le 23 juin 1676.
MARS
Le 3, l'Ange gardien, matines, grand'messe, vêpres et compiles fondés par M. Quartier, curé de Chablis, par acte reçu ledit Leclerc, le 20 décembre 1700.
Le premier vendredy dudit mois, procession au grand cimetière et ensuite grand'messe du Saint-Sacrement.
MAI
Le 1er, saint Jacques. Matines, grand'messe, vêpres et compiles, fondés par les héritiers Edme Bouillier et Piochot, par acte reçu Quartier, notaire à Chablis, le 11 mai 1631.
170 LA PAROISSE DE CHABLIS 68
Le 3, messe de sainte Croix, fondée par Edme Viégeot, de Fyé, par acte reçu ledit Millon, notaire, le 30 juin 1688.
Le 6, saint Jean-Porte-Latine. Messe, vigiles et libéra, fondés par Pierre Dauvissat, de Milly, par acte reçu Foynat, notaire, le 25 avril 1637.
Le 9, saint Nicolas. Matines, grand'messe et vêpres, fondés par Jean Royer, Epain Duplessis et M; Le Vasseur.
Le 14, saint Boniface. Matines, grand'messe, vêpres, compiles, fondés par... (sans doute Lambert, comme ensuite).
Le 15, matines, grand'messe des morts avec libéra, fondés par mondit sieur Lambert, par acte reçu Camelin, notaire à Chablis, le 21 octobre 1741.
Le 23, saint Didier. Matines, grand'messe, vêpres, compiles et libéra.
JUIN
Le 30, messe de Requiem.
JUILLET
Le 28, messe de sainte Anne, fondée par les héritiers d'Edme Couprot, par acte passé devant Mignerot, commis du notaire, le 11 mai 1633.
Le 29, service à trois grand'messes avec libéra, fondés par Jean Duplessis fils Honoré, suivant le contract reçu Millon, notaire, le 23 mars 1650.
AOUT
Le 1er, messe haute de saint Pierre avec libéra, fondés par Sylvain Feuillebois, par acte reçu ledit Servin, notaire, le 1er mai 1619.
Le 3, deux messes de saint Etienne, fondées par Etienne Foulley, de Fléys (?), suivant le contract de vente reçu ledit Servin, notaire, le 17 avril 1624.
Le jour de Notre-Dame des Anges, service fondé par Claude Robin et Magdelaine Salomon, par acte reçu ledit Millon, notaire, le 1er juillet 1640.
Le 17, messe haute de saint Mammès, patron du diocèse (1).
Le 24, messe haute de saint Barthélémy, fondée par François Lejeune, par contract reçu Foynat, notaire à Chablis, le 4 février 1638.
Le jour de saint Louis, matines, grand'messe et libéra, fondés par Claude Roudou, par acte du 2 février 1652, passé devant ledit Millon, notaire.
OCTOBRE
Le 28, messe des saints Simon et Jude, fondée par la veuve Etienne Cousin, par acte reçu ledit Millon, le 28 novembre 1664.
(1) Diocèse de Langres: dont Chablis faisait partie.
69 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 171
Le dernier dimanche dudit mois, procession générale en actions de grâces à l'issue des vêpres, fondée par les héritiers Paul Motot, par acte reçu ledit Camelin, notaire, et sentence de la prévôté de Chablis, juillet 1676.
NOVEMBRE
Le 1er, messe haute après matines.
Le 12, vigiles, messe haute et libéra, fondés par Etienne Camelin, par contract en forme de testament reçu ledit Millon, notaire, le 25 avril 1650.
Dans l'octave de saint Edme, messe fondée par Epain Pinon et Denis Cotier, par acte reçu Camelin, notaire, le 21 mars 1677.
Le 21, la Présentation de Notre-Dame, messe fondée par la veuve Mignard et les héritiers d'Edme Pâton, par acte reçu Millon, notaire, le 2 novembre 1643.
Le 23, messe de Requiem, fondée par Etienne Chamon, par contract reçu ledit Mignerot, notaire, le 26 février 1634.
Le 25, matines, grand'messe de sainte Catherine et libera.
DÉCEMBRE
Le 6, saint Nicolas. Matines, grand'messe, vêpres, complies, fondés par Jean Roger, Epain Duplessis et M. Le Vasseur.
Le même jour, messe fondée par les héritiers Edme Couprot, par acte reçu ledit Mignerot le 11 mai 1633. Le 25, messe haute du point du jour, fondée par la veuve-Mignard et les héritiers de Edme Pâton, par acte dudit Millon, le 2 novembre 1643.
Le 26, matines des Morts, procession au grand cimetière et ensuite une messe basse.
Le 27, messe de saint Jean, fondée par Jean Foullé, par acte dudit Millon, notaire, le 16 mai 1646. La Passion, qui se dit tous les dimanches avant la grand'messe, a
été fondée par Grillot procureur ledit Foynat, notaire entre
les marguilliers et Jacques Grillot, procureur par transaction
passée devant Camelin, le 24 may...
('Archives paroissiales).
INSCRIPTIONS
Dans une notice que j'ai publiée sur la Collégiale Saint-Martin, j'ai donné les inscriptions relevées dans cette église. Je veux en signaler ici quelques autres.
Deux pierres encastrées dans le mur d'une maison moderne (maison Raveneau) portent les inscriptions suivantes :
172 LA PAROISSE DE CHABLIS 70
PIERRE - CHAVSSON - AGE DE
CIN - ANS - A - MIS - ICY - LA
PREMIERE - PIERRE - LE - 10 - MAY
1583
PHLPPES - CHA AGE - DE
QVINZE - MOI..... ICY - LA
PREMIERE - CHEVILLE - LE - 23
NOV 1583
Dans la cour de la maison de Mme Jules Viault :
DE PEV ASSEZ
Satius est mori guam indecore vivere
Deux inscriptions de Fontenay-près-Chablis :
Détruite par les eaux le 18 juin 1818
Reconstruite par la munificence de L.L. A.A. R.R.
Madame la duchesse d'Angoulême et de M. le duc de Berry
Noble sang des Bourbons, ô Princes vertueux
Vivez, régnez à jamais sur la France
Que l'on vous doit d'amour et de reconnaissance
Le règne des Bourbons est un bienfait des ciéux.
Reconstruite par la bienfaisance des princes et la sollicitude deM. le préfet de Gasville.
Ministre d'un bon Roi, son zèle charitable Du sort des malheureux adoucit les rigueurs. Il fit le bien, et toujours équitable, De ses administrés il sut gagner les coeurs.
174 LA PAROISSE DE CHABLIS 72.
PLAN DE L'EGLISE PAROISSIALLE DE SAINT-PIERRE DE CHABLIS
tant du choeur sanctuaire que sacristge au derrier que bas costés ou collatéraux de chacque costé du dit choeur, sacristye à costé du sanctuaire et la première travée de la nef où estait autrefois la tour du cloché avec un bonnet de voûte des bas costé de chacque costé de la dite nef avec leurs pilliers buttants. extérieurs.
La lettre A sacristye au chef de l'église derrier le retable du maître autel. La lettre B sanctuaire où est le maître autel avec le retable du dit maître autel. Le dit sanctuaire élevé de trois marches de plus que le choeur. La lettre C
73 SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIÈRES 175
choeur où il y a une marche pour y monter de la nef et le pourtour dudit choeur entouré des des deux costé et à l'entrée de vingt quatre hautes stalles et vingt basses stalles qui forment le pourtour du dit choeur au devant et de chaque costé des pilliers marqué D qui portent les grandes voûtes du dit choeur et les basses voûtes collatéralles de chaque costé; La lettre E sacristye à costé du sanctuaire voûtée plus bas que les collatéraux. La lettre F chapelle SaintNicolas et voûte collatéralle à costé du choeur costé de l'évangille. La lettre G bancs d'oeuvres de la fabricque et au surplus des bancs des paroissiens, dans. la dite chapelle l'on y enterre et il y a plusieurs inscriptions sur tombes, les voûtes de cette collatéralle plus basses que celle du choeur d'environ dix sept pieds, deux grands vistreaux costé du Nord éclaire ladite collatéralle, un autre grand vistreau costé du levant partye bouché par la couverture de la sacristye au-dessus de l'autel de la dite chapelle Saint-Nicolas. La lettre H deux pilliers buttans extérieurs avec passage entre les dits pilliers buttant et le mur de la dite collatéralle. La lettre J chapelle Saint-Jean et voûte collatéralle à costé du choeur coté de l'épistre garnie de bancs des paroissiens dans, ladite chapelle Ion y enterre. Il y a plusieurs inscriptions gravée sur tombes. Les voûtes de cette collatéralle plus basses d'environ dix sept pieds que celle du choeur, deux vistreaux au midy et un au levant au dessus de l'autel de la dite chapelle Saint-Jean qui éclaire cette collatéralle. La lettre K quatre pilliers buttants extérieurs qui buttent les murs et voûtes de cette collatérale ou bas costé. La lettre L aré doubleau qui fait le passage de la collatéralle du costé de la nef à la collatéralle du costé du choeur costé du midy, et la lettre M celle du costé du septentrion. La lettre N collatéralle de la première travée a costé de la nef côté du septentrion où est la porte d'entrée. La lettre 0 première travée de la nef où estait autrefoys la tour du cloché joignant l'entrée et au devant du choeur. La lettre P collatérale à costé de la nef costé du septentrion (sic) (1) première travée. Les cinq vistreaux du sanctuaire sont marqués de X et la porte de la sacristye marqué / au sanctuaire. Les 4 sont les six vistreaux des collatéraux de chacque costé du choeur (2).
(1) Il fallait Ici : « Côté du midi.
(2) Archives de l'Yonne. G 2304.
176 LA PAROISSE DE CHARLIS 74
Elévation du mur du pignon qui sépare le choeur d'avec la nef et les collatéraux du choeur avec ceux de la dite nef sur la ligne a D 3 E du plan par terre cy joint costé de la nef. Les 3 F arcs doubleaux ouvert pour la facilité de communiquer des collatéraux du choeur ou chapelles Saint-Jean et SaintNicolas. L g arc doubleau de l'entrée de la nef au choeur où est une pièce de bois qui porte la Croix et le Christ, h passage dessus les voûtes des susdits collatéraux ; les lignes ponctuées de cette figure marquent les trois bonnet de voûte de la première travée de la nef marqué au plan par terre cyjoint N O P (1).
(1) Archives de l'Yonne. G 2304.
75
SES MAISONS RELIGIEUSES ET HOSPITALIERES
177
Elévation sur la ligne Q et R du plan par terre cy joint.
La lettre S passage entre les pilliers extérieurs et le mur de la collatéralle Les lettres T murs des collatéraux ou bas costé du choeur. Les lettres V pillisrs qui portent les grandes voûtes du choeur et les voûtes des bas costé ou collatéraux des chapelles Saint-Jean et Saint-Nicolas marqué F J. Les lettres X figures des charpente dessus les voûtes du bas costé de chacque costé du choeur. La lettre Y figure de la charpente sur les voûtes du choeur. Les lettres Z vistreaux du choeur au droit des bas costé au dessus des voûtes des dits bas costé ou collatéraux du dit choeur dont les deux costé du midy bouché avec planche sans ferrures ny vistres et les deux costé du septentrion bouché en mur. Les un et les autre ce trouvent au dessous de la charpente et couverture des bas costé où collatéraux de chacque costé du choeur. Les lettres & quatres petits vistreaux en oeuil de boeuf au dessus de la dite charpente et couverture des bas costé cy dessus remply de vistres qui donnent sur le choeur. gt arcs bouttants des grandes voûtes du choeur, a grandes voûtes du choeur, 6 basses voûtes des collatéraux de chaque costé du choeur. Les 4 sont les vistreaux des susdits collatéraux (1).
(1) Archives de l'Yonne. G 2304.
12
SAVATIER=LAROCHE
ENFANT, ÉCOLIER, ÉTUDIANT EN DROIT
AVOUÉ, PUIS AVOCAT A. AUXERRE
CONSEILLER MUNICIPAL ET D'ARRONDISSEMENT
Par M. CESTRE
I
Savatier-Laroche, dans son livre : Profils auxerrois, commence le profil de son compatriote et collègue Th. Robert à l'Assemblée législative de 1849 par ces lignes :
« Que nos individualités pèsent peu dans les balances du « temps! Comme la mort, cette infatigable faucheuse, a vite « raison de nos calculs, de nos vanités, de nos oeuvres ! Se sou« vient-on aujourd'hui du pauvre Th. Robert, qui a obtenu deux « fois l'inestimable honneur d'être envoyé par le département de « l'Yonne à l'Assemblée nationale? Sait-on qu'il a succombé à la « peine, brisé par l'écroulement de ses espérances ? »
De même que Savatier-Laroche a voulu sauver de l'oubli le fier républicain, son compagnon de luttes pour rétablissement de la République, de même nous voudrions rappeler au souvenir des Auxerrois Savatier-Laroche, que nous estimons être un de ses fils qui lui font honneur.
Pierre-François Savatier-Laroche, avocat, est né à Auxerre, rue Haute-Perrière, le cinquième jour de brumaire an XIII (27 octobre 1804), d'Etienne Savatier-Laroche, propriétaire, et de Charlotte Marlof, sa mère.
Il était le dernier de neuf enfants, dont vécurent seulement deux filles et lui-même, d'une santé chétive. Il fut élevé par sa mère qui le nourrit de son lait et le confia tout particulièrement aux soins de sa soeur Joséphine, devenue plus tard Mme Colleret,. de onze ans plus âgée que lui, et qu'il considéra toujours, dit-il, comme « son bon ange ».
Etienne Savatier-Laroche passait pour un agriculteur
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consommé, joignant la théorie à la pratique. Il ne travaillait pas de ses mains, mais faisait travailler sous ses yeux et sur une large échelle. La maison était sévèrement organisée; on se levait matin, on se couchait de bonne heure, la besogne des maîtres et des domestiques prévue pour le lendemain et réglée, chacun ayant sa tâche à fournir et nul n'y manquant. Tel fut le spectacle que l'enfant eut sous les yeux et l'exemple qu'il reçut de cette famille patriarcale, aussi économe que laborieuse et, par l'ordre, arrivée à l'aisance.
Etienne Savatier-Laroche jouissait de la considération des habitants d'Auxerre, qui l'envoyèrent les représenter à la grande fête de la Fédération, au Champ-de-Mars. 11 en revint ébloui par ce grandiose spectacle de fraternité, et il aimait à en parler « avec une véritable éloquence », écrit son fils.
Ne peut-on pas hasarder l'opinion que, sur les lèvres de son père, Savatier-Laroche, dès l'enfance, apprit à vénérer les principes de 1789, dont il fut toute sa vie le partisan et l'ardent et enthousiaste champion ?
L'aisance, si honnêtement acquise, permettait à Etienne Savatier-Laroche d'être ambitieux pour son fils. Il voulut que celui-ci reçût une instruction aussi développée que possible pour; faire figure dans la vie. Heureusement la ville d'Aùxerre avait un vieux et célèbre collège où se donnait l'instruction secondaire classique avec succès, sous la direction d'un principal, dont le nom n'est pas encore oublié, Dom Laporte, que tous les élèves vénéraient, parce qu'il les aimait, et à qui ils rendaient en estime et profond respect les soins vigilants dont il les entourait. Quand Dom Laporte finit à Auxerre sa longue carrière universitaire, tous s'unirent pour lui élever au cimetière une tombe simple, comme il la désirait, mais où est encastré son buste que l'on voit encore aujourd'hui. Savatier-Laroche avait dans son cabinet de travail une lithographie de ce buste, que possède encore maintenant son petit-fils, M. Esmelin. Avec Dom Laporte collaborait une élite de professeurs dont nous n'avons pu retrouver les noms. Quoi qu'il en soit de cette lacune regrettable; SavatierLaroche fit à notre collège de fortes et solides études, comme l'attestent dans ses discours et dans ses ouvrages les nombreuses citations d'auteurs anciens qui viennent naturellement sur ses lèvres et sous sa plume.
Le collège, à l'époque, n'avait pas encore de professeur de philosophie. Savatier-Laroche dut donc aller à Paris, au collège, aujourd'hui lycée Henri IV. Il y eut pour professeur un homme
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excellent, l'honorable M. Mauger, « qui représenta longtemps le canton de Coulanges-sur-Yonne au Conseil général de l'Yonne ».
« J'étais son compatriote et, à ce titre, plus qu'un élève », a dit Savatier-Laroche dans ses Profils auxerrois (1). Après sa philosophie, complément de ses fortes études, Savatier-Laroche fit à Paris son droit, qu'il étudia jusqu'à ce qu'il obtint le grade de licencié. Pendant la durée de ces études et, encore plus tard, pendant un stage qu'il lit dans, une étude d'avoué, pour joindre à la théorie la pratique, le jeune étudiant, que ses camarades et ses amis, reconnaissant la supériorité de son intelligence, avaient élu président d'une association bien connue au Palais de Justice, la première conférence Mole, fut en outre introduit, grâce à M. M.auger, dit-il, dans plusieurs hautes et honorables familles, dans les salons desquelles il put se former aux bonnes manières et « s'initier à la vie active et quelque peu fiévreuse de Paris ». Dans ces salons, les idées libérales — c'était sous-la Restauration — étaient cependant en honneur, aussi bien que les goûts littéraires les plus purs et les plus raffinés. Il n'est pas indifférent, dans la biographie de Savatier-Laroche, de citer les noms des hommes qui s'y rencontraient, « venus, dit-il, de tous les points de l'horizon et se pressant amicalement les mains ».
C'étaient Benjamin Constant, Garnier, Pages l'aîné, RoyerCollard, M. de Ravignan, alors avocat à la Cour de Paris, plus tard une des illustrations de la chaire chrétienne, Ch. Nodier, Andrieux, l'auteur du Meunier Sans-Souci, Villemain, etc., etc. Dans ces salons se rencontraient aussi des femmes, vieilles ou jeunes, élégantes et respectables, toutes charmantes causeuses.
Mais le moment vint où Savatier-Laroche dut quitter ces relations, si agréables et si utiles pour la formation de son esprit, non sans regret sans doute. Mais la destinée et ses goûts et le désir d'alléger les sacrifices que faisait pour lui sa famille le rappelaient à Auxerre, dans son milieu natal. Il y acheta une étude d'avoué, la plus modeste par la clientèle, d'un certain MartinLatour, rue Neuve. Mais « il sut, dit M. Mérat-Beugnon dans le « discours prononcé sur sa tombe, par la science profonde qu'il « avait du droit et de la procédure, et par la netteté de sa parole
(1) M. Mauger devint plus tard inspecteur de l'Université. Peut-être était-il un ancien élève du collège d'Auxerre, auquel il légua sa bibliothèque et son buste en marbre blanc qui orne encore actuellement le cabinet du principal.
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« dans les plaidoiries devant le tribunal civil et plus particulière« ment devant la juridiction consulaire, prendre bien vite l'un « des meilleurs rangs parmi ses confrères. »
Il exerça cette profession jusqu'à ce qu'il cédât son étude à Me Mocquot (1) et se fit inscrire au barreau auxerrois comme avocat. Dans l'intervalle, il s'était marié, en 1832, avec Mlle Boudin, d'une famille parisienne, originaire de l'Yonne, de Mailly-laVille.
Avant d'entrer dans le détail des actes politiques de SavatierLaroche et de le suivre, autant que possible, pas à pas dans sa carrière publique, nous croyons utile d'exposer le plan que nous suivrons.
Nous dirons d'abord ce qu'il fit et ce qu'il fut au Conseil municipal, où il entra en 1837 pour y rester jusqu'en 1849, puis au Conseil d'arrondissement, puis au Conseil général de l'Yonne, enfin à l'Assemblée législative.
Malheureusement aux différentes époques où Savatier-Laroche remplit ces fonctions, la publicité des séances des conseils municipaux, d'arrondissement et généraux n'existait pas ou était soumise à des restrictions.
Il sera donc difficile de donner un tableau véridique de la conduite qu'il y tint.
La faute doit donc en être attribuée moins aux recherches de l'historien qu'au régime d'obscurantisme que traversa alors notre pays.
Le 3 mars 1844, il se passa à Auxerre et dans le département de l'Yonne un événement qui décida peut-être de l'attitude à laquelle se résolut Savatier-Laroche.
Il se fonda à Auxerre un journal libéral intitulé d'abord l'Union, puis plus tard l'Union républicaine, sur l'initiative d'un homme nommé Eude Dugaillon, polémiste vigoureux et, à ses heures, nous dirons presque, sinon poète, du moins versificateur de talent. Dugaillon était sans fortune; il fit appel, pour fonder sa feuille, à des actionnaires dans le département. Il put commencer sa publication avec une liste de 98 noms.
Nous en citerons un certain nombre dont l'histoire locale doit conserver les noms, car il leur fallut, à l'époque, un certain courage civique pour prêter leur nom et leur appui à une feuille de résistance à l'opinion monarchique.
(1) En avril 1844.
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Arrault fils, membre du Conseil général de l'Yonne, qui l'élisait secrétaire à chaque séance; Bert, électeur, c'est-à-dire payant 200 francs d'impôts, membre du Conseil municipal d'Aùxerre, le père de Paul Bert ; Bigault, avoué à Auxerre, électeur ; Bertrand, propriétaire à Aillant ; Bonnet, propriétaire à Chablis, électeur » Cormenin, député de l'arrondissement de Joigny (c'est l'auteur des pamphlets fameux qu'il signait Timon) ; Colleret, maire d'Appoigny, beau-frère de Savatier-Laroche ; Dalbanne, électeur, membre du Conseil municipal d'Auxerre ; Droin, docteur médecin à Auxerre, membre du Conseil municipal, libéral jusqu'à appeler de ses voeux la République, père du docteur Droin, qui n'a, pas dégénéré de lui ; Depaquit, propriétaire à Chablis ; Fenet de Cerisiers, avocat à Paris, électeur ; Guichard Victor, membre du Conseil d'arrondissement de Sens ; Guichard Ulysse, propriétaire à Sens, électeur ; Jacquillat, propriétaire à Tonnerre, électeur; Larabit, député de l'arrondissement d'Auxerre; La voilée Désiré, Lavollée Paul, tous deux membres du Conseil d'arrondissement de Joigny; Lavollée, avocat à Toucy; Lavollée, ancien notaire à Charny, électeur ; Laguérie (de), électeur, membre du Conseil municipal d'Auxerre, ancien officier supérieur ; Lechin, notaire, conseiller municipal d'Auxerre ; Lacour, propriétaire à Saint-Fargeau, électeur ; Monteix aîné, conseiller municipal d'Auxerre ; Martin, avoué honoraire, conseiller municipal d'Auxerre, prédécesseur de Savatier-Laroche ; Mauger, horloger à Auxerre, neveu du professeur ; Piétresson-Saint-Aubin, propriétaire à Saint-Sauveur, écrira avec talent dans l'Union; Robert, électeur, conseiller municipal d'Auxerre ; Rampont, docteur médecin à Chablis, électeur ; Savatier-Laroche, conseiller municipal et d'arrondissement d'Auxerre ; Sigault, docteur médecin à Champs, électeur ; Uzanne aîné, négociant, conseiller municipal d'Auxerre.
Le lecteur ne sera pas surpris que l'Union rencontra, sur la route qu'elle voulait suivre, de nombreux obstacles. C'était un grand succès d'avoir pu grouper une centaine d'actionnaires, dont plusieurs électeurs ; mais quand il s'agit de trouver un imprimeur, tous ceux d'Auxerre, et même du département, se dérobèrent. On eût dit que tous obéissaient à une volonté supérieure, celle du préfet, à n'en pas douter, ou à la crainte que le brevet administratif, nécessaire à la profession alors, leur fût retiré.
« Dans cet état de choses, dit Dugaillon dans son prospectus, il « nous a fallu recourir au patriotisme de M. Caron, imprimeur à
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« Troyes. » Il fallait donc que chaque numéro du journal, paraissant deux fois par semaine, fût envoyé par la poste, laquelle souvent ne mettait aucune bonne volonté à être exacte.
La sorte de persécution administrative dont l'Union fut victime ne se borna pas là. Dans son numéro du 1er août 1844, lé rédacteur en chef disait : « Nous voilà maintenant astreints à « fixer à Troyes, lieu d'impression du journal, le domicile de « notre gérant et le siège de la Société commerciale qui, selon la « lettre de M. le préfet, ne sauraient être séparés, et cela dans un « délai de huit jours. »
La courageuse petite feuille indépendante dura néanmoins et ne faillit pas à la mission qu'elle s'était donnée d'éclairer les, citoyens sur les abus de toute sorte, sur les progrès à accomplir administrativement, politiquement et moralement, bref dé préparer pour son compte dans l'Yonne la révolution qui devait renverser le trône quatre ans plus tard.
Savatier-Laroche fut certainement l'inspirateur et l'appui de Dugaillon (1). Pourtant, pour des raisons qui noug échappent, dans les années 1844 et 1845, il semble qu'il n'écrivit pas dans la feuille dont le programme était pourtant si bien en harmonie avec ses idées et ses convictions.
Nous avons dépouillé avec soin tous les numéros de l'Union que nous avons pu nous procurer. Dans maints articles, il nous. a semblé reconnaître le style, la vigueur de pensée de SavatierLaroche, mais aucun de ces articles, tranchant sur les autres, ne porte sa signature. Ce n'est donc qu'une simple conjecturé que nous avançons.
Nous savons qu'il fut élu conseiller municipal en 1837 et conseiller d'arrondissement environ vers cette date également, double dignité dont nous le voyons investi dans la liste des actionnaires de l'Union.
Non seulement, comme nous l'avons déjà dit, la publicité des, séances de ces assemblées n'existait pas, ou il n'était fait mention d'elles dans la presse que fort rarement, mais jamais les noms des membres qui faisaient des propositions ou des contre-propositions n'étaient cités et leurs actes seuls n'étaient dans les procèsverbaux que très succinctement exposés.
Voici pourtant, trouvée dans l'Union, la mention de trois, séances du Conseil municipal d'Aùxerre.
(1) C'était justement le moment où, son étude vendue, il devenait avocat et plus libre de son temps.
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Séance du 14 juillet 1844
Le Conseil a ouvert un crédit spécial destiné à célébrer le 14e anniversaire des journées de Juillet. La commission était composée de MM. Gallois, Monteix, Bonnard, Bert, SavatierLaroche, rapporteur :
« Nous vous proposons d'ouvrir un crédit pour célébrer l'anni« versaire des journées de Juillet. II a semblé à votre commission « qu'il était utile de réveiller au sein des populations, trop faci« lement oublieuses, des souvenirs d'héroïsme et de liberté.
« Les institutions que nous avons conquises pendant cette « révolution de trois jours ne sont pas parfaites, sans doute, mais « elles s'amélioreront en se développant. La génération qui nous « pousse recueillera cet héritage avec joie et on peut affirmer « qu'il ne périra pas dans ses mains.
« Les idées, comme le temps, n'ont point de point d'arrêt, et le « progrès est la loi nécessaire de l'humasité. 1830 a proclamé « hautement cette vérité en brisant un trône et en jetant dans « l'exil toute une dynastie qui s'appuyait sur le passé.
« Réunissons-nous donc, Messieurs, dans un vote commun et « prouvons à tous que, si nous sommes ennemis du désordre et « de l'anarchie, nous ne sommes pas injustes envers les hommes. « qui, au prix de leur sang, ont agrandi et consolidé les libertés « publiques »
Et le journaliste ajoute : « Les motifs consignés dans le rapport sont trop conformes à nos sentiments pour que nous négligions. de leur donner dans nos colonnes la publicité qu'ils méritent. »
L'Union du 23 juillet 1844 rapporte une autre séance du même Conseil, tenue le 19 juillet. Le Conseil, « convaincu de l'insuffi« sance du crédit primitivement ouvert et se rappelant les nobles « paroles de M. Laroche, s'est empressé de voter une nouvelle « somme de 200 francs, jugée nécessaire pour couvrir les dépenses. « qu'occasionnera la célébration des trois glorieuses ».
L'Union relate encore une séance du même Conseil du 8 septembre 1844, « décidant que le Conseil se pourvoira auprès de « l'autorité compétente contre un arrêté du préfet qui, contraire« ment au voeu exprimé par le Conseil, maintient le déplacement « de certains marchés effectué par le maire ». Savatier-Larocheest chargé de formuler le pourvoi au nom de la ville.
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Voici enfin une dernière information du journal sur une séance du Conseil municipal du 19 août 1844 :
« Le Conseil demande l'érection du collège de la ville en « collège royal, se fondant sur une décision ministérielle qui « avait arrêté qu'il y aurait un de ces collèges par département » et qu'il était équitable que cet établissement fût à Auxerre ; le « Conseil, d'ailleurs, s'engageait à faire les frais nécessités par « cette transformation. »
Savatier-Laroche fut conseiller municipal de 1837 jusqu'en
mai 1849, où il fut élu représentant du peuple. Les registres des procès-verbaux consignent qu'il était fort assidu aux séances; pendant ce long espace de temps, il est rarement porté absent. Ses connaissances juridiques et son intelligence devaient le rendre bien précieux à cette assemblée, qui traita dans cette période des questions importantes pour Auxerre : la recherche des eaux à Sainte-Marguerite, au haut de la colline Saint-Siméon, aux Chesnez et surtout à Vallan, à la fontaine Naudin, à laquelle elle s'arrêta d'ailleurs, mais avait d'année en année le regret de voir retarder les travaux d'adduction par l'absence de confection de plans pratiques et surtout par des formalités administratives ; telle en outre la question d'éclairage au gaz; enfin l'érection du collège municipal en collège royal et plus tard en lycée départemental, question que ne résolut jamais l'administration de l'instruction publique, hésitante entre les compétitions de Sens et d'Auxerre.
Aucun document n'existe aux archives des séances du Conseil d'arrondissement.
En 1848, Savatier-Laroche fut élu conseiller général, II ne manqua pas de donner la publicité aux séances de cette importante assemblée.
Je résume d'un mot cette partie de l'oeuvre de SavatierLaroche.
Nous avons, dans un fascicule de notre travail, traité de Savatier-Laroche journaliste.
Tous ses articles, plus de trente dans l'Union, depuis le 18 avril 1848 jusqu'à la fin de sa carrière politique, sont écrits dans le style le plus clair, le plus pur ; il y préconise et soutient l'idée républicaine et souhaite surtout le progrès social, c'est-à-dire l'avènement et la participation au pouvoir de la classe populaire et, pour elle, par de sages lois, une amélioration matérielle qu'elle réclame et que la République doit tenir à honneur de lui pro-
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curer. Dans cet espace de temps, Savatier-Laroche est mis en face de graves événements, compromettants pour la solidité du régime qu'il défend : telle l'invasion par la foule de l'Assemblée constituante au 15 mai ; telles les trois funestes journées de juin ; telles l'élection à l'Assemblée de Bonaparte dans l'Yonne et ailleurs ; tel le choix fait de lui comme président de la République. Savatier-Laroche s'élève alors à la plus haute éloquence d'un langage indigné et à la plus haute sagesse dans les conseils que lui suggèrent les faits.
II
RÔLE DE SAVATIER-LAROCHE AU CONSEIL GÉNÉRAL DANS TROIS SESSIONS : (1)
1° extraordinaire (octobre 1848);
2° ordinaire (décembre 1848-janvier 184-9) ;
3° ordinaire (25 août 1851) (2).
Dans cette session extraordinaire d'octobre 1848, il s'agissait, pour le département, de voter, d'après une loi, des centimes additionnels, de manière à produire, dans l'ensemble de la France, une somme de 6 millions, dans le but de subvenir aux besoins des classes pauvres pendant l'hiver. 3 millions en devaient être partagés par parties égales entre tous les départements et les 3 autres millions seraient délivrés par parties inégales à titre de prime et subvention, et proportionnellement, aux départements qui auraient voté l'impôt extraordinaire.
Savatier-Laroche, avant de rendre compte de la séance, remarque d'abord que le suffrage universel a élu au Conseil
(1) En 1848, Savatier-Laroche fut élu au Conseil général avec 11 de ses coreligionnaires politiques. Dès lors, il rend compte des séances auxquelles il assiste dans l'Union Républicaine. Ce sont ces comptes rendus que nous présentons ici, après les avoir résumés en m'efforçant de n'en pas trahir ni la vigueur des Idées ni la correction du style.
(2) Manquent les nos de l'Union Républicaine de l'année 1850:
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général autant de marquis, de comtes, de barons que dans les plus beaux jours de la monarchie. Pourtant il ne veut pas; désespérer qu'ils se rallieront tous à la République. De fait, le marquis, de Tanlay, le baron de Chastellux, portés au bénéfice de l'âge, le premier à la présidence, le second à la fonction de secrétaire provisoire, ont été remplacés par MM. Bertrand et Arrault; deux roturiers. Il remarque encore que le préfet Boulage n'a pas dit un mot à l'éloge de la République, dont il tient pourtant sa magistrature,
Le Conseil vote conformément au désir du gouvernement.
Savatier-Laroche le blâme, juge cet impôt inique : un département pauvre, qui peut à peine payer sa dette à l'Etat, peut-il s'imposer extraordinairement et être pour cela mis à l'index ?
C'est la loi, dira-t-on, et le Conseil ne pouvait la modifier. Sans doute, mais il pouvait s'abstenir et, par là, montrer au gouvernement qu'il a commis une lourde faute.
Cette mesure, outre qu'elle est impolitique est, de plus, insuffisante.
481 communes composent le département de l'Yonne. Défalquez; de la somme à distribuer ce qui reviendra aux agents-voyérs, aux_ conducteurs de travaux, à toute la hiérarchie administrative, et qu'on veuille nous dire ce qui restera de la part afférente à la classe nécessiteuse? Ajoutez les difficultés, les injustices peut-être de la répartition. Aux plus habiles la meilleure part.
Cette loi est au petit pied et, sur une moindre échelle, la réorganisation des ateliers nationaux.'
Avec ce vote, le Conseil en a émis d'autres, de sages et nécessaires : ainsi, de larges coupures ont été faites dans son règlement suranné; la publicité des séances a été décrétée, ainsi que l'agrandissement et l'accession au public de la salle des délibérations, et ces votes à une forte majorité qui l'honore.
Session ordinaire de décembre 1848, jusqu'à janvier 1849
Dans un premier article, Savatier-Laroche annonce d'abord qu'au bureau provisoire avaient été élevés au bénéfice de! l'âge à la présidence, M. Bernard (d'Héry), et au secrétariat M. Coquille.
Au vote définitif, pour la présidence, M. Marie l'emporta sur M. Guichard, après deux tours de scrutin et au bénéfice de l'âge Comme secrétaires furent élus MM. Bertrand et Arrault; comme vice-secrétaire, M. Frémy.
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M. Marie ,alors ministre de la Justice, fut aussitôt appelé à Paris car une interpellation de Cavaignac.
Puis, dans le reste de l'article, Savatier-Laroche semble oublier le Conseil et se laisse aller à traiter de la situation politique générale.
L'élection de Bonaparte — il venait d'être élu le 10 décembre à la Présidence de la République — ne l'effraie pas; elle n'est pas une désaffection du suffrage universel à la République, elle est une protestation contre le gouvernement, qui manque de fermeté.
Il a choisi, pour cette protestation, le neveu du grand empereur, héritier d'un grand nom, et proscrit, calomnié. Mais la République est debout; ni noblesse, ni clergé, n'ont regagné d'influence. La République n'est donc pas finie; elle croît, elle grandit, partout les peuples y adhèrent, les rois tremblent sur leurs trônes.
Dans un second article du 27 décembre 1848, Savatier-Laroche corrobore et fortifie le précédent : la révolution ne doit pas être seulement politique, mais sociale. Elle doit améliorer la situation précaire de la classe populaire, jusqu'ici déshéritée.
La composition du Conseil général, qui renferme dans son sein toutes les notabilités gouvernementales, compte de jeunes et robustes intelligences, qui paraissent devoir s'élever sans regret à la hauteur des questions sociales.
Et Savatier-Laroche d'esquisser quelques profils de ses collègues; les voici :
« Un homme qui nous a apparu doué d'une volonté ferme, d'un jugement sain et rapide, qui travaille avec une rare facilité, c'est M. Lassalle-Louvois. Nous ne savons s'il est né peuple, mais sa fibre est démocratique.
« MM. de Chastellux et Foacier, tout jeunes hommes, ont l'esprit bien fait et le coeur ardent. Partis peut-être d'un point différent, ils tendent l'un et l'autre vers un même but : l'indépendance du citoyen, l'affranchissement de la pensée.
.« M. Raudot, élu d'Avallon, travailleur infatigable, discuteur habile, passionné, sous une apparence calme; il est radical dans ses propositions comme dans ses votes; il maudit le temps passé, paraît peu favorable au présent. Avec une conviction sincère, il appelle de ses voeux un régime condamné par dix révolutions et aussi par la droite raison.
« M. Challe. Pourquoi faut-il que cet enfant du prolétariat ait
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sacrifié à tous les dieux ? Quand nous entendons sa parole toujours élégante, son argumentation habile et logique, nous songeons, avec amertume que son drapeau n'est pas le nôtre.
« M. Frémy a eu le malheur de servir le régime déchu. Esprit: exact, méthodique, parole grave, il se fait écouter; il sait beaucoupet il sait bien.
« M. Arrault, secrétaire du Conseil à perpétuité, nous le craignons pour lui. Esprit net, travailleur intrépide, il connaît les. traditions et les expose avec lucidité. Nous voudrions qu'il put prendre une part plus active aux discussions. Qu'il rompe avec le passé, avec ces vieilleries qui ont fait leur temps, et il sera un démocrate; entre lui et nous, il n'y a que l'épaisseur d'un cheveu.
« M. Bertrand, vice-président, poli, affable, intelligent. Nous ne savons pas son origine; il n'a fait qu'effleurer les questions politiques et sociales. Il nous semble qu'il a toujours habilement: dirigé le vaisseau qui portait sa fortune. Libre de tous les soucis pour son compte, il doit traiter d'utopie tout ce qui est innovation. Bienveillant, d'ailleurs, juste, il mérite la confiance que lui a donnée le Conseil.
« M. Coquille a la franchise de ses opinions. Rédacteur, avec Veuillot, au journal l'Univers religieux, il a profondément étudié le mécanisme gouvernemental, les besoins et les aspirations de lasociété nouvelle. Ce n'est pas une intelligence médiocre, c'est un système fait homme. « Vous faites une lâcheté », s'écria-t-il, quand le Conseil émit le voeu que l'on exécutât les lois sur les Congrégations religieuses non autorisées. Cette phrase le peint tout entier. Séparés de lui par le XVIIIe siècle, nous rendons justice à la sincérité de ses convictions. »
Du président du Conseil général, Marie, Savatier-Laroche rappelle comment il n'a été élu qu'après trois tours de scrutin et au bénéfice de l'âge, puis il ajoute : « M. Marie est un de ces hommes.. que les révolutions enlèvent du milieu qui leur convient. Avocat, honorable et justement honoré, son éloquence, sa véhémence dans le rôle d'opposant à la Chambre, sous Louis-Philippe, l'avaient désigné au gouvernement provisoire de la République, comme devant être plus qu'un collègue, un guide, qui, croyaientils, avait étudié le système social, sondé ses plaies et créé dans son intelligence un monde nouveau. Illusion ! Marie n'avait pas. les qualités d'un homme d'Etat. Et il avait accepté d'être ministre de la Justicel On a objecté : homme de pouvoir, il a perdu ses, illusions. Soit. Mais, alors, on rentre dans la vie privée et on
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laisse à d'autres plus habiles le soin de diriger l'Etat. Comment a-t-il pu s'asseoir, lui, vieux républicain, à côté de ces royalistes implacables dont le règne commence ?
« M. Larabit est d'un caractère souple et bienveillant, mais il. travaille peu; sa parole saccadée et difficile doit le tenir à l'écart des discussions publiques. Ce qui paraît sans cesse le préoccuper, c'est le soin de son élection.
« M. Guichard, nature honnête, mais timide, indécise; parle avec élégance, mais sa pensée est molle et diffuse. Il veut le bien, il veut la République et ses conséquences, mais de moins honnêtes violeront son idole et il ne se sentira frappé que lorsque la blessure aura donné la mort.
« M. Flandin, avocat-général à Paris; homme utile dans les commissions et au Conseil; parfois trop disert; accepte la République comme un fait accompli; il a une circonspection qui honore la magistrature, mais que la politique condamne ».
Savatier-Laroche termine cet article en exprimant un double désir; le premier, que les Conseils généraux dont les élus sont sans cesse en contact presque quotidien avec les électeurs, avertissent des besoins et des aspirations de ceux-ci le gouvernement qui peut s'égarer sur les mouvements de l'opinion; en second lieu, il met en garde les conseillers généraux contre une tendance funeste : trop souvent ils expriment des voeux personnels qu'ils prennent volontiers pour ceux de leurs électeurs. Bourgeois par l'éducation et par la fortune, ils ne s'occupent que médiocrement des classes qui souffrent, des prolétaires; ils se cramponnent au vieil édifice qui croule et ne veulent pas voir qu'on ne construit rien avec des ruines.
Dans le numéro de l'Union du 3 janvier, Savatier-Laroche annonce avec regret qu'il cesse la galerie de profils qu'il avait commencée. Il a appris que certains de ses collègues en ont été froissés. Il se contentera donc du compte rendu des délibérations du Conseil.
La loi nouvelle a consacré la publicité des séances ; nous avons demandé, dit-il, que le nom des orateurs fût inséré au procèsverbal. Le Conseil en a seulement exprimé le voeu. L'Assemblée Nationale y pourvoira.
M. Guichard soumet au Conseil un projet d'adresse au gouvernement relatif à la.Constitution qu'il veut stable et intangible. Après une vive discussion, le projet est repoussé. Mais il indique
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qu'aux yeux de tous la Constitution est l'ancre du salut, et qu'en dehors de cette loi fondamentale il n'y a qu'anarchie.
A propos de cette discussion, Savatier-Laroche rappelle que, lorsqu'il a écrit pour la première fois le mot réaction, il y eut un cri d'indignation. Chacun, disait-on, veut la République. Pourtant, les royalistes assiègent aujourd'hui le pouvoir, pour le ruiner par la base. Qui n'avoue, aujourd'hui, que la République est menacée?
Préoccupé de cette menace, le Conseil a émis le voeu que, dans le cas où l'Assemblée Nationale ne pourrait plus, sous le coup de la violence, comme au 15 mai, délibérer, les Conseils généraux eussent le. droit de se réunir spontanément. Ce voeu a une extrême importance. Il indique que, la République étant le gouvernement régulier, elle ne peut être livrée à la merci des factieux et subir un nouveau 18 brumaire.
L'Etat demandait à intervenir d'une manière active dans une double question : les irrigations et les bois communaux. SavatierLaroche pense que ce serait peser sur les intérêts privés et que le communisme se cache sous cette tutelle officieuse. Le Conseil, sans se prononcer d'une manière absolue, a reconnu que l'action de l'Etat pourrait, dans une certaine mesure, être utile; qu'il fallait attendre que la loi fût formulée.
Des ouvriers avaient présenté une demande, à savoir qu'il y eût fractionnement des adjudications publiques. Elle a été repoussée. Et Savatier-Laroche ajoute : « Ces malheureux ouvriers subissent sur leur salaire une double retenue : 1° le rabais de l'Etat ou du •département; 2° celui arbitré par l'entrepreneur et qui n'est pas le moins lourd ?.
Dans le compte rendu du 6 janvier, Savatier-Laroche débute par le portrait du préfet Boulage, dont on appréciera la mordante ironie :
« C'est un préfet selon le coeur de Louis-Philippe, fonctionnaire des pieds à la tête; il porte sur sa poitrine le ruban rouge que Cavaignac prodiguait à ses créatures soi-disant républicaines. M. Boulage en est une excellente, dont la placidité résiste à toutes les variations gouvernementales. Par le temps qui court, ce n'est pas un mince cadeau de la Providence.
« II a supporté avec un stoïcisme digne de Sparte l'arrivée au Conseil général de quelques factieux altérés de sang et de vengeance, comme nul ne l'ignore. Mais vous avez d'autres devoirs,
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M. le Préfet. Vous n'avez pas reçu le baptême révolutionnaire ; vous n'avez pas voulu voir dans la Révolution de Février l'idée sociale qui point, grandit et se développe, et que nulle puissance ne condamnera à la stérilité. Vous êtes républicain, votre fonction l'atteste, et toutes les blessures faites à la République vous laissent froid et indifférent. Ainsi, les employés de la Préfecture demandent une organisation intérieure, qui les mette à l'abri des caprices administratifs et leur assure un avancement régulier. Le Conseil général a appuyé cette demande; mais M. Boulage n'a encore rien fait pour la réaliser. »
Le département alloue 1.000 francs à l'éditeur de l'Annuaire de l'Yonne, M. Perriquet. Savatier-Laroche ne blâme pas cette libéralité, mais il voudrait de cet ouvrage une double réforme : un prix de vente moindre et un plan autrement conçu. Il est abusif de subventionner une oeuvre que les riches seuls peuvent acheter. Ce qu'il est utile de faire, c'est un livre à bon marché, à la portée de toutes les intelligences, renfermant des traités usuels de morale, d'agriculture, de commerce; des notions des droits et devoirs du citoyen; des faits historiques inspirant l'amour du pays.
M. Girard des Cailleux, directeur de l'asile des aliénés, est un habile médecin et un fin diplomate. Il veut dépenser dans un établissement modèle 1.500.000 francs; mais il s'est bien gardé de dévoiler ce projet gigantesque; le Conseil général l'aurait envoyé à Charenton. Mais M. Girard est un séducteur et, quand on a mis les pieds chez lui, on est sous le charme d'un établissement irréprochablement tenu; on perd la saine notion des choses.
Toutefois, les démocrates du Conseil ne se laisseront pas abuser. Ils conviennent qu'il faut donner aux aliénés les soins qui leur sont nécessaires, mais non dans un établissement fastueux, monumental; vu la pénurie financière actuelle, d'autres misères non moins intéressantes réclament la sollicitude du pays, et ils diront au docteur : « Halte-là ! vos exigences ont déjà coûté trop cher ».
Dans l'article du 10 janvier 1849, voici encore M. Girard des Cailleux, présenté non plus seulement comme diplomate mais encore comme ambitieux peu scrupuleux.
La, ville d'Auxerre possède une fontaine dite de SainteMarguerite, qui jadis alimentait une léproserie eh haut de la montagne Saint-Siméon. Pour avoir des eaux abondantes,
13
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M. Girard fit exécuter quelques travaux, puis parlementa avec la ville, endormit les administrateurs, et, un beau matin, se mit en possession de la fontaine. Jusqu'ici, rien de grave; les travaux du département ont payé les eaux qui coulent à la porte d'Auxerre et: alimenteront dans quelques mois la gendarmerie et l'école normale. La ville en profitera.
Mais nous voudrions plus et que, les établissements départementaux satisfaits, l'excédent fût attribué au quartier de la rue de Paris, et qu'il fût permis de nous servir des travaux exécutés par le département pour dériver d'autres eaux dont la ville est propriétaire. M. Girard, quoique absent, pèse sur le Conseil, qui décide pourtant que notre double prétention, bien modeste, doit être accueilli.
Le département, d'autre part, est sollicité d'abandonner a l'hospice une petite cour dépendant de l'école normale. Mais l'hospice devra-t-il encore construire les murs de séparation? Il s'agit des pauvres; sur les instances de la commission, du préfet lui-même, le Conseil écoute la voix de l'humanité.
Ensuite, il s'agit du lycée national à créer dans chaque département. Auxerre le revendique (1), étant le centre géographique et administratif du département. Sens, malgré sa position à l'extrémité nord de l'Yonne, se déclare rivale d'Auxerre. Le Conseil général évince Sens et, comme la question de l'érection du collège d'Auxerre en collège royal n'est pas encore résolue, il décide de participer aux frais de l'érection, ce qu'il n'avait pas fait jusqu'ici.
Auxerre est encore menacé de perdre un transit dont il jouit depuis un temps immémorial. La station du chemin de fer à. Laroche, sur la rive droite de l'Yonne, l'en déshérite. Le Conseil demande que cette gare soit uniquement réduite aux strictesnécessités du service et que, prochainement, la rive gauche soit munie d'un vaste embarcadère.
Dans l'article du 15 janvier, Savatier-Laroche, rapporteur d'une commission, expose que le Conseil général, vivement indigné de l'iniquité de la loi de l'impôt sur les boissons, et. de l'exercicedeux fois par an subi par l'habitant, émet le voeu que la loi soit refaite et l'exercice supprimé. Et il ajoute : « Puisse la Consti(1)
Consti(1) notre Histoire du Collège.
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tuante prendre notre voeu en considération! Le Trésor, dit-on, est aux abois. Réformons radicalement notre système d'impôt ».
Suivit un sérieux débat sur le sort des enfants trouvés. Le Conseil a demandé deux choses : 1° que l'Etat prît à sa charge ces malheureux enfants; 2° que l'administration s'inspirât des saintes doctrines de l'Evangile. La suppression des tours a paru une doctrine économique, mais immiséricordieuse; la surveillance pour l'admission des enfants touche de près à l'espionnage. Donc, voeu pour que les tours soient maintenus et que l'on mette à l'essai, dans les Arrondissements, des dépôts où les enfants seront inscrits après constatation. La discussion a révélé d'horribles détails, notamment, que la vie moyenne, qui est de 36 ans en général, est de 3 ans 1/2 pour les enfants trouvés.
Enfin, voici, à la date du 17 janvier, un dernier article de Savatier-Laroche.
Il répète ce qu'il a déjà exprimé, à savoir qu'en général l'esprit du Conseil général est bon et progressif.
Par malheur, ajoute-t-il, derrière les affaires sont les hommes. Beaucoup hésitent à trancher une question à laquelle se rattachent des intérêts individuels. On craint de se créer des inimitiés, on transige avec sa conscience.
C'est une illusion de croire que la vie publique est un sentier fleuri. La carrière des honneurs ne devrait appeler que des hommes à convictions inébranlables.
Heureusement, le Conseil général de l'Yonne renferme dans son sein un élément démocratique qui lui donnera la vie. Fenet, Morin, Beaumier, Grenet, Grécy aîné, Lelorain, etc, etc., pensent, avec raison, que le mandat de 9 ans, attribué au Conseil par la loi actuelle, est trop long et ne permet pas assez souvent aux électeurs de juger leurs élus. Ils lutteront pour amoindrir cette durée et obtiendront gain de cause.
Session extraordinaire de 1849
Savatier-Laroche a été élu représentant de l'Yonne. A la suite d'une lettre adressée de Paris, le 30 août 1849, au rédacteur de l'Union, il écrit enpost-scriptum
« La politique et des travaux sérieux me retiendront à Paris.
196 SAVATIER-LAROCHE 18
pendant les vacances de l'Assemblée. J'aurai le regret de ne point assister au Conseil général. On parle de voeux téméraires, de propositions insensées. Je n'y crois pas. Dieu protège la France ! ».
Nous ne savons à quels voeux, sans doute attentatoires à la sécurité de la République, ni à quelles subversives propositions il est fait allusion ; mais une chose est certaine, c'est que le départetement de l'Yonne va subir, en cette année 1849, dans son budget, une diminution de 70.000 francs dans la répartition du fonds commun aux départements, résultant de l'imposition de 7 centimes au principal des contributions foncières personnelle et mobilière. Le fait paraît devoir être attribué à la négligence du préfet, qui n'a pas envoyé assez tôt ses propositions au ministre de l'Intérieur, alors M. Dufaure. C'est ce que le ministre prétend, en annonçant que cette faute est commune à cinq autres préfets. Il est vrai de dire que Boulage essaie de se disculper aux yeux des conseillers dans des explications, mais assez embrouillées.
Quoi qu'il en soit, c'était une grosse perte pour le budget du département.
Or, c'est ce moment que ce singulier préfet, qui mériterait d'être qualifié d'inconscient, choisit pour solliciter du Conseil une allocation, afin d'établir à l'hôtel de la préfecture une salle de billard. Apparemment qu'il a des loisirs et qu'il voudrait s'exercer ; à faire des carambolages.
M. Guichard s'éleva avec véhémence contre cette dépense inopportune, presque immorale, en face de la disette du budget. :
Il se trouva 16 conseillers pour soutenir M. Guichard; 11 osèrent pourtant se ranger à l'avis du préfet (1). Le journal signale leurs noms aux cantons qui les ont élus et exprime l'espoir que leurs électeurs les rendront aux douceurs de la vie privée.
Y eut-il d'autres affaires à l'ordre du jour de la session? Le journal ne le signale pas.
Nous avons déjà dit que nous manquent les numéros du journal l'Union de l'année 1850.
Peut-être est-ce dans une session de cette année-là que. fut votée par le Conseil, à la demande de Girard des Cailleux, appuyé par un nouveau et habile préfet, M. Haussmann, une somme de 400.000 francs. On emporta le vote en s'y prenant très adroitement.
(1) 3 se sont abstenus.
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L'on voulait construire, affirma-t-on, deux nouveaux pavillons, mais qui seraient affectés à des aliénés riches qui paieraient une grosse redevance, si bien qu'au bout de quelques années cette redevance suffirait à couvrir les frais de l'établissement tout entier, que le département n'aurait plus à intervenir, que son budget, pour cet asile, s'en trouverait supprimé.
Sessions de 1851
Première séance, 24 août? Le journal publie d'abord le rapport de Savatier-Laroche pour l'abolition de l'inique loi sur les boissons ; sur l'exercice, deux fois par an, chez l'habitant, par les agents du fisc; sur l'atténuation, sinon la suppression, des octrois, rapport pris en considération par le Conseil, à la session de 1849.
Puis suit le compte-rendu de la première séance de 1851. Il s'agit de la construction d'une prison cellulaire départementale à Auxerre, en face de l'asile des aliénés.
Savatier-Laroche demande l'ajournement : l'emprisonnement cellulaire continu, qui a été le rêve des philanthropes d'autrefois, est déjà condamné : il conduit à l'idiotisme.
Le citoyen Larabit conclut, comme rapporteur, à l'adoption du projet, en demandant le système mixte, entre le régime cellulaire et la vie en commun des prisonniers.
M. Flandin attaque le système mixte et se prononce pour le régime cellulaire de jour et de nuit. Il faut que la prison soit un châtiment.
Le citoyen Fenet a visité la prison actuelle; elle laisse à désirer, mais les prisonniers y sont mille fois mieux qu'ils ne seront dans la nouvelle Mazas. Le régime cellulaire est inhumain.
Le citoyen Challe appelle de ses voeux la nouvelle prison. Dans l'actuelle, la surveillance est impossible.
M. Laroche combat de nouveau avec énergie le régime cellulaire. Ce n'est plus une question de police mais d'humanité. C'est une insulte à la Providence qui a fait l'homme sociable. Mazas soulève la répulsion publique, comme autrefois la Bastille. Le gouvernement condamne à ce supplice des journalistes, des écrivains; ce n'est plus de la justice, c'est de la vengeance.
Le préfet proteste de ses égards pour les détenus politiques. Il insiste pour l'adoption du projet.
M. Guichard le repousse en se plaçant au point de vue financier. Il faudra de nouveaux centimes additionnels.
198 SAVATIER-LAROCHE 20
La discussion close, la question du régime cellulaire continu est repoussée et le système mixte de la commission est adopté.
Séance du soir
Le citoyen Challe félicite le Conseil des mesures arrêtées l'an dernier à propos des enfants trouvés. Il y a progrès et au point de vue humanitaire et au point de vue financier.
M. Guichard dit que c'est une faute d'envoyer ces enfants; à 12 ans, en Algérie où le climat est souvent funeste, même à des hommes faits.
Savatier-Laroche se joint à lui. Une loi interviendra prochainement pour régler le sort de ces petits malheureux.
Séance du matin
25 août. — Le rapporteur, M. Fenet, conclut à la création d'un dépôt de mendicité.
Vives répliques des citoyens Flandin et Raudot : on dilapide: les deniers publics par des projets mal conçus et mal étudiés, mal élaborés.
Guichard appelle cela des déclamations. La mendicité dans nos campagnes est une plaie qu'il faut guérir dans l'intérêt d'une charité bien entendue. Un dépôt serait un soulagement pour les populations, un asile pour les misères véritables et quelquefois imméritées.
Le projet est adopté à une forte majorité.
Le président ayant demandé si, suivant la loi, quelques membres ont des observations à présenter sur l'administration du préfet, le citoyen Laroche demande la parole et se plaint avec vivacité de la pression illégitime exercée sur la presse par l'administration : l'Union, organe de la démocratie républicaine, est sans cesse traquée et poursuivie, à tort, puisque sur sept poursuites à elle intentées, il est intervenu sept acquittements,
Il accuse encore le préfet d'avoir pesé sur le mouvement tendant à réviser la Constitution, car les agents inférieurs ont fait du zèle pour plaire à leur chef; la magistrature même — fait inouï jusqu'ici — est descendue de son siège pour: se jeter dans l'arêne des passions.
Fait des plus graves encore, le sieur Challand, commissaire de police à Joigny, a joué, à Saint-Florentin, le rôle d'agent provocateur ; le fait est indéniable, car aucune poursuite n'a été dirigée
21 SAVATIER-LAROCHE 199
ni contre les citoyens, ni contre les journaux qui ont dénoncé les faits. Comment se fait-il que ce magistrat est encore debout ?
Enfin l'orateur signale l'arrestation arbitraire du sieur Naudin, honnête commerçant d'Escamps, jeté en prison par le même Challand, lorsque son individualité était parfaitement notoire, ainsi que son honnêteté.
Le préfet répond, quant à la presse, que ce n'est pas lui qui ordonne les poursuites.
Il n'a pas pesé sur le mouvement revisioniste et il met au défi qui que ce soit de montrer ordre ou circulaire signés de lui.
Quant au sieur Challand, chargé d'une simple mission d'ordre, il a, par sa tenue et sa physionomie, provoqué quelques confidences de la part de certains habitants, mais ces propos ont reçu une extrême exagération.
Le préfet ignore l'arrestation de Naudin.
Séance du 25 août (soir)
D'après la loi, les Conseils généraux doivent être renouvelés par tiers et par tirage au sort.
L'Assemblée nationale et le Pouvoir exécutif avaient, de complicité, décrété de les proroger.
Savatier-Laroche ne manqua pas de s'élever contre cette prorogation illégale, car l'Assemblée et le pouvoir exécutif se sont substitués, dit-il, à la souveraineté du peuple.
— Alors, refusez de siéger, s'écrie le citoyen Frémy;
— Vous seriez trop heureux si les républicains du Conseil obéissaient à votre suggestion perfide.
Le citoyen Challe veut appuyer le citoyen Frémy et continuer la discussion. Le Conseil, consulté, décide de passer à l'ordre du jour.
Alors est constitué le bureau définitif. Le citoyen Bertrand remplace le marquis de Tanlay, président d'âge. Le citoyen Rétif est élu vice-président contre 12 voix au citoyen Fenet..
Le citoyen Arrault étant absent, sont élus secrétaire le citoyen Foacier, vice-secrétaire le citoyen Chateaubourg.
Après les remerciements du nouveau bureau, le préfet lit son rapport administratif.
Savatier-Laroche demande la parole contre certaines assertions. Guichard l'appuie. Le citoyen Frémy s'y oppose en vertu de l'article 15 du règlement.
Le préfet demande que les rapports écrits remis au secrétaire
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soient imprimés. Savatier-Laroche s'y oppose, disant qu'incessamment des prolétaires seront élus conseillers généraux ; beaucoup d'entre eux pourront ne pas être assez lettrés pour se livrerà des travaux de rédaction, quoique remarquables par leur intelligence et leurs spécialités. Son avis n'est pas adopté.
Séance du 22 août 1851
On y répartit les membres du Conseil dans les différentes! commissions. Le président lit une proposition dont les auteurs sont les citoyens Louvois, Bernard, d'Héry, et Challe; elle invité le Conseil à émettre un voeu favorable à la révision de la Constitution.
Guichard et Uzanne ont demandé la question préalable; la prise en considération est votée par 19 voix contre 11 abstentions, et la même majorité décide que la proposition sera renvoyée à une commission spéciale et non' à la commission des vues d'utilité publique, et, au scrutin secret, on en nomme membres les citoyens Rabé, Decourtive, de Chastellux, Châteaubourg et Rétif rapporteur.
Les républicains du Conseil se sont abstenus. Savatier-Laroche
était absent et excusé pour un motif grave.
Séance du 27 août
Mais il est présent le 27. Il lit le texte de la proposition :
« Le Conseil, s'associant au vote émis par la majorité de l'Assemblée nationale, exprime le voeu que la Constitution soit révisée. »
« Le rapporteur Rétif n'a pas donné de raisons, de bonnes: raisons, s'écrie Savatier-Laroche, après le discours du préfet; il est clair que les 86 préfets des 86 départements ont reçu mission': de pousser à l'agitation révisionniste. Agitation, instabilité, mobilité, a dit le préfet. Qui donc jette des doutes sur la stabilité de l'administration ? Qui donc répand l'agitation ? Les républicains. sont muets. Vous n'avez pas le droit d'agiter pareille question, vous êtes une assemblée prorogée, vous êtes des mandataires sans mandants.
« Vous dites dans votre proposition que la prorogation a été votée par l'Assemblée nationale; oui, mais par une majorité insuffisante; ce n'a pas été la majorité constitutionnelle.
« Vous avez renvoyé votre proposition à une commission! spé-
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ciale et non, comme c'est de tradition, à celle des vues d'utilité publique. Celle-ci renferme cinq républicains contre deux royalistes. Oui, cinq républicains : Uzanne, Lacave, Le Lorain, Marie, Savatier-Laroche. N'étaient-ils pas aussi capables de l'examiner en matière politique que les citoyens Rabé, Decourtive, Châteaubourg? Vous avez eu peur que le rapport fût contraire à la révision et vous vouliez absolument la faire adopter, comme l'a fait le citoyen Rétif.
« Vous voulez, par la révision, une élection et partout vous prorogez: gardes nationales, conseils municipaux, conseils généraux et d'arrondissement ; est ce logique ?
« Eh ! bien, je vais vous faire une profession de foi. Nous aussi,
républicains, nous voulons la révision ; mais rapportez la loi du
31 mai qui a supprimé 3 millions d'électeurs ; donnez la liberté à
toute la presse, aussi bien aux journaux qui défendent la République
République ceux qui n'ont qu'un but : la détruire.
« Vos magistrats condamnent les premiers, protègent les. seconds. Est-ce là donner au peuple le spectacle d'une impartiale justice?
« Il y avait à Auxerre deux clubs ou plutôt deux cercles: celui des ouvriers a été fermé: cercle de démagogues aux yeux du préfet; le cercle bourgeois est toujours ouvert: c'est celui de la bonne République, celle du préfet.
« Restituez-nous tous nos droits et nous demanderons avec vous la révision.
« Par cette révision, que désirez-vous obtenir ? le bonapartisme? Mais il y en a de plusieurs sortes : le consulat décennal, le consulat à vie. L'orléanisme ? là aussi diversité : la régence, le prince de Joinville, le duc de Nemours. La légitimité? Berryer vent le roi sans appel au peuple; Montalembert, le roi, serviteur de l'Eglise, du pape.
« Vous, qui êtes-vous, avec qui êtes-vous? Rendez-nous tous, nos droits, dans toute leur plénitude. Nous serons avec vous, nous garderons la Constitution ou nous l'améliorerons ; elle est perfectible ; mais aujourd'hui la Constitution reste debout, c'est notre palladium à tous, e'est lé salut du pays. »
Après ce beau discours de Savatier-Laroche, bien des fois interrompu, mais toujours repris et continué et avec calme et sangfroid, prennent la parole : le préfet, pour se défendre; Challe pour soutenir la proposition de la commission ; Guichard, pour corroborer le beau plaidoyer de Savatier-Laroche; Raudot de
202 SAVATIER-LAROCHE ! 24
même, car pour lui les principes de la Constitution sont la base de la sécurité dans les sociétés.
Alors le citoyen Larabit, aussi franchement que mal opportunément, s'écrie: «Le but de la révision, c'est la rééligibilité illégale du président de la République! » Les cris, les vociférations. de : la clôture ! là clôture ! eurent peine à le faire taire.
20 voix votèrent la révision contre les 12 voix républicaines.
SAVATIER-LAROCHE A L'ASSEMRLÉE LÉGISLATIVE
Savatier-Laroche a été élu représentant du peuple du département de l'Yonne le 13 mai 1849.
Nous lisons dans un pamphlet royaliste de l'époque, écrit par trois publicistes (Garnier frères, 1849), les lignes suivantes sur notre compatriote :
« Avocat. 30.183 suffrages (Yonne). Rue Marbeuf, 13.
« Avant février, presque républicain ; depuis, montagnard, et « aujourd'hui socialiste : voilà ce qui s'appelle marcher ou plutôt « courir. Le département de l'Yonne cherche en vain, tous les « matins, dans les journaux de Paris s'il n'y aurait pas quelque « discours de son célèbre représentant ; mais M. Savatier-Laroche « n'a pas encore daigné monter à la tribune.'»
La passion fausse le jugement; le mot « célèbre représentant », que le pamphlétaire a voulu ironique et cruel, en est une preuve. La suite de cette étude démontrera que, si Savatier-Laroche n'a pas atteint la célébrité, il ne mérite pas d'être flagellé de ce mot avec ironie. S'il ne fut pas un orateur, l'égal des Lamartine, des Victor Hugo, des Jules Favre, ses collègues à la Législative, il a plusieurs fois pris la parole à. la tribune et savait, par la; documentation sérieuse sur le sujet qu'il traitait, la correction, lachaleur de sa parole, la clarté de sa pensée, retenir l'attention de son auditoire.
Le pamphlet qualifie Savatier-Laroche de socialiste. Qui, il était républicain montagnard (c'était de ce nom que l'on désignait l'extrême gauche de l'Assemblée), républicain socialiste, non du lendemain, mais de la veille et de toujours, pouvons-nous dire. Il a, dans ses ouvrages, défini ce qu'il entendait par socialisme. C'était pour lui la doctrine d'élever par l'instruction obli-
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gatoire et gratuite, par de sages lois sur le travail, les masses ignorantes et souffrantes, masses ignorantes dont la Révolution avait fait subitement des citoyens, masses souffrantes trop souvent à cause de la misère engendrée dans les familles d'ordinaire nombreuses par de fréquents chômages de l'industrie. « Cette « interruption du travail, dit-il, qui n'est imputable à personne
« et qui subit les fluctuations de l'offre et de la demande, devrait « être prévue et réglée par la législation. Socialisme ! n'est-ce « pas? Eh! quoi? Ne doit-on pas accepter la civilisation telle « qu'elle est, avec ses bénéfices et ses charges ? Faut-il, à cause du
« mot, reculer devant l'idée ? » (Une Semaine, page 96).
Voilà le socialisme de Savatier-Laroche.
Quant à l'insinuation méchante que les électeurs du « célèbre représentant » se plaignent qu'il ne monte pas à la tribune, elle semble en quelque mesure justifiée. Savatier-Laroche avait le malheur d'être malade de la moelle épinière, ce qui lui rendait les mouvements pénibles et difficiles. Il avait même fallu, dans la salle des séances où il avait sa place à gauche, à côté de Lamartine et de Victor Hugo, lui ménager dans le couloir, hors des gradins, un fauteuil, afin qu'il pût accéder à la tribune sans être une gêne pour ses collègues.
De fait, après son élection, en mai, Savatier-Laroche est porté absent à nombre de scrutins pour la validation des pouvoirs, même de ceux des représentants de l'Yonne, qui eut lieu le 6 juin, à laquelle il avait, un intérêt pressant. Le motif de cette absence est certainement une crise aiguë de l'affection dont il souffrait.
A partir de juillet, il assiste à toutes les séances et il vote à tous les scrutins, d'ailleurs en toute connaissance de cause et sans servilité à l'opinion de son parti, fidèle seulement à ses convictions bien arrêtées.
Il intervient pour la première fois à la tribune pour proposer une loi sur l'abolition de la peine de mort, dans la séance du 8 octobre 1849 (1).
Voici quelle était la proposition de loi de Savatier-Laroche :
« La peine de mort est abolie ; dans tous les cas où elle est
(1) Pour mettre sous les yeux de nos lecteurs le tableau fidèle des séances où notre compatriote est en scène, nous serons obligés, tout en abrégeant et en
résumant, d'être plus long que nous ne le voudrions. Nos lecteurs, soucieux de mieux apprécier le citoyen représentant Savatier-Laroche, auront recours à
l'original même, au Moniteur universel des années 1848, 50 et 51;
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aujourd'hui prononcée, il sera fait application du degré de peine immédiatement inférieure. »
L'orateur s'attend à deux catégories d'adversaires : 1° ceux qui croient la peine de mort légitime ; 2° ceux qui, faisant abstraction des théories, la regardent comme efficace et nécessaire et la maintiennent au nom des intérêts et de la sécurité de la; sociétés
« S'il est bon de faire les affaires du pays, dit l'orateur, et de s'occuper de ses besoins de tous les jours, l'Assemblée comprendra qu'il est bon aussi d'agiter dans son enceinte ce qu'il y a deplus élevé dans la philosophie et la religion, car les paroles qui tombent de cette tribune ont un tel retentissement que même. non immédiatement fécondes, elles renferment un germe qui se développe, grandit et porte tôt ou tard ses fruits dans toute l'Europe civilisée.
« Les adversaires de la première catégorie sont les plus dangereux. Oui, la société, comme les individus qui la composent, a ledroit de donner la mort, comme l'a l'individu attaqué là nuit surun grand chemin, défendant sa propre vie, obéissant à l'instinct irrésistible de la conservation; c'est lorsque, par exemple, le gouvernement qu'elle a délégué pour la représenter est menacé dans son existence.
« Mais si, fonctionnant régulièrement sous la sauvegarde de ses lois, elle fait traduire un criminel devant ses assises, le condamne à mort, puis un, deux, six mois plus tard dresse froidement l'échafaud sur une place publique, investit d'un mandât souverain un homme, le bourreau, pour faire tomber la tête d'un autrehomme, pareille doctrine ne peut être admise, c'est une doctrine de sang et elle doit être repoussée (1).
« Maintenant je ne crois pas, avec mes adversaires; de laseconde catégorie, continue l'orateur, à l'efficacité de la peine de mort. De tout temps les hommes ont été gouvernés par leurs passions; loin de moi donc de vouloir désarmer la société. Mais. est-il vrai que la peine de mort ait jamais diminué lé nombre des crimes? Non; ce sont les passions: haine, jalousie, vengeance, qui arment le plus souvent les mains coupables. Pense-t-on qu'un homme, sous l'instinct furieux de ses passions, calcule sûr le genre de peine qui lui sera appliqué ? La seule passion de la cupidité peut raisonner sur la possibilité d'échapper à la répression..
(1) Savatier-Laroche, dans Une Semaine, traite vigoureusement je même; sujet.
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Quant aux autres passions, plus elles rencontrent d'obstacles, plus elles se surexcitent et se révoltent.
« En 1848, le gouvernement provisoire a fait une grande, une mainte chose, il a aboli la peine de mort en matière politique, ce dont nous nous félicitons tous, car les flots révolutionnaires sont changeants.
« Ne pensez-vous pas que, si une grande assemblée comme la nôtre proclamait l'inviolabilité de la vie humaine, l'Europe n'admirerait pas et ne suivrait pas un si noble exemple ? N'est-ce pas à la grande nation française à prendre cette initiative d'abolir cette loi barbare qui nous apprend à verser le sang?
« Mais, dira-t-on, tel innocent tombera sous le feu des assassins ; dans les prisons on calcule les degrés de gravité de l'échelle des peines pour aller jusqu'à la maison centrale, au bagne, mais non pour éviter la peine de mort. Tout cela, mauvaises raisons. Il y a un principe supérieur: le principe philosophique, humanitaire, religieux. Je voudrais que la vie de l'homme fût tellement respectable et sacrée que l'on n'y portât jamais atteinte. Je voudrais — et ce voeu se réalisera un jour — que la guerre, cette peine de mort organisée, ne fût plus une nécessité sociale.
« Hier, on nous annonçait que nos héroïques soldats ont remporté une glorieuse victoire. N'avez-vous pas été péniblement affectés par le fait que 7 ou 800 Arabes se sont fait massacrer jusqu'au dernier ? Je rougis de notre civilisation qui s'impose par de telles victoires.
« Un homme, il y a 6.000 ans, a versé le premier sang humuin, c'est Caïn. Eh ! bien, aujourd'hui, en 1849, ce nom est encore une injure. »
La proposition du représentant de l'Yonne passionna la Chambre, comme le démontre le nombre de ses collègues qui prirent la parole pour l'appuyer ou la réfuter ; pour la réfuter, Casablanca, le rapporteur, Cardon de Montigny, le citoyen Lacaze, qui fit pourtant un bel éloge de Savatier-Laroche. Parlèrent, pour l'appuyer, le fameux montagnard Lagrange, ému, lui aussi, comme Lacaze, puis le pasteur protestant Coquerel. La proposition du représentant de l'Yonne ne. fut pas prise en considération (1).
Pour entendre de nouveau Savatier-Laroche à la tribune, il faut nous transporter au 21 décembre 1849. Il s'agissait d'un
(1) Voir Une Semaine, pages 225 et 226.
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traité par lequel la Banque de France prêtait à l'Etat 73 millions à 4 %, sans que celui-ci imposât de conditions : la Banque obtenait même d'être autorisée à émettre une somme de billets équivalente. Elle émettrait ces billets et, une fois émis, les donnerait à. l'Etat.
Savatier-Laroche se plaint d'abord que l'Assemblée soit mise par le gouvernement dans la nécessité de voter d'urgence des. projets qui demanderaient de plus mûres réflexions. Il qualifie ce traité de singulier, pour ne pas dire étrange, car il est fatal au. crédit de là Banque, ruineux pour l'Etat ; fatal au crédit de la Banque, qu'il affranchit de la plus grave obligation de ses statuts;, ruineux pour l'Etat, qui paiera à la Banque 4 millions d'intérêts, pendant la durée du traité, tandis que la Banque n'aura qu'une charge insignifiante : le coût du papier des billets et de leur tirage. Les 73 millions une fois émis, elle les prêtera à l'Etat qui paiera les intérêts stipulés. Qui bénéficiera ? Les actionnaires de la Banque, et l'Etat sera dupe. Telle fut en raccourci la thèse, de Savatier-Laroche.
A se reporter au Moniteur, on voit combien était grande la souplesse d'esprit du représentant de l'Yonne, laquelle lui permettait de traiter avec la même clarté des sujets aussi différents, que le sujet financier du 21 décembre et le sujet philosophiquedu 8 octobre. '
Savatier-Laroche termina son long discours en émettant un, voeu : qu'il fût créé une banque analogue à la Banque de France, qui, de même que celle-ci émet des billets grandement utiles aux capitalistes et au grand commerce, émettrait des coupures de 50, 25, 20 francs, sorte de crédit foncier qui rendrait de grands, services à l'agriculture, à la petite industrie et au petit commerce.
Savatier-Laroche ne perdait jamais de vue sa conviction que la République doit être démocratique, penser aux humbles, créer pour eux des institutions propres à leur rendre la vie plus facile et plus heureuse et de contribuer ainsi à la paix sociale.
Au mois de janvier 1850, le 25, l'Assemblée législative se remit: à la discussion et à l'élaboration de la loi sur la liberté de l'enseignement à tous les degrés, que la Constitution avait promise.
C'est la loi si connue sous le nom de « loi Falloux «, du nom du ministre de l'instruction publique appelé aux affaires par le prince-président, au lendemain de son élection du 10 décembre1849.
Le comte de Falloux, légitimiste et catholique, avait conçu le
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plan de sa loi pour détruire en France l'enseignement laïque universitaire et lui substituer l'enseignement religieux. Dès que son projet parut, il n'y eut qu'un cri dans le parti républicain pour en accuser l'audace et la partialité. Il y eut un commencement de discussion, puis le comte de Falloux tomba malade; il eut, il est vrai, un successeur, M. de Parieu, qui réussit merveilleusement à s'approprier l'esprit de son prédécesseur et fut appuyé par Montalembert, par Thiers, rallié à cette opinion.
Le représentant de l'Yonne ne pouvait manquer d'intervenir à propos d'un projet de loi qui touchait de si près aux intérêts vitaux de la nation et que réprouvait tout son parti.
II saisit l'occasion d'intervenir lors de la présentation d'un amendement à la loi par un représentant de la Corrèze, du nom de Bourzat, amendement dont le sens était d'interdire l'enseignement à tous les degrés aux congrégations religieuses non reconnues par l'Etat, et spécialement aux Jésuites.
Après que Bourzat eût développé son amendement avec chaleur et eût terminé par une attaque à fond de train contre les Jésuites, Savatier-Laroche prit la parole pour un long, habile et éloquent discours, que la droite tenta à maintes reprises d'interrompre, avec une sorte de frénésie.
Il avait signé, dit l'orateur, l'amendement Bourzat; mais il y faisait des réserves. Comme Bourzat, il répudiait l'enseignement par les congrégations et admettait celui du clergé séculier avec, toutefois, un contrôle rigoureux. Le clergé fait partie du siècle, il est instruit, il vit au grand jour, mais les congrégations non autorisées, de qui relèvent-elles ? La plupart, de l'étranger, et leurs actes sont incontrôlables. L'enseignement du clergé instruit pourra avoir quelque valeur, mais qui répondra du degré de développement intellectuel des moines, la plupart non français? En face de ces deux puissants concurrents, au bout de deux ans l'Université sera détruite.
Voilà le mal ; voici le remède, d'après notre représentant : c'est une liberté complète, absolue, n'ayant d'autre limite que le droit et la liberté d'autrui, et il n'entend pas, par ce mot de liberté, seulement celle de l'enseignement, mais le libre exercice de toutes les libertés publiques. Sous ce régime, il n'y aura rien à craindre, parce que la lumière se fera partout, avec la liberté d'enseignement, la liberté de la presse, le droit de réunion, d'association.
« Si l'amendement est accepté, la loi sera votée et l'amendement posera une barrière inutile. S'il est repoussé, un grand
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principe sera consacré : la liberté d'association. Il s'agit aujourd'hui de. la liberté d'association religieuse ; demain, il s'agira de toutes les associations, et, armé de votre décision, nous viendrons vous sommer de faire pour tout le monde ce que vous aurez fait pour les congrégations religieuses. »
Savatier-Laroche conclut : « Permettez l'enseignement aux congrégations reconnues par l'Etat, mais aux autres, interdiséz-le Vous aurez fait une chose, il est vrai, restrictive de la liberté, mais tant que vous n'aurez pas décrété la liberté dans sa plénitude complète, cette restriction est nécessaire et c'est dans ces conditions et sous ces réserves que je me rallie à l'amendement Bourrât. »
La partie capitale du discours de Savatier-Laroche, c'est la certitude qu'il exprime, la confiance qu'il a à savoir que, dans un Etat libre, il y a nécessité que toutes lés libertés existent simultanément, se soutenant, se vivifiant les unes les autres,; formant ce faisceau de dards liés ensemble du fabuliste, faisceau solide, indestructible tant qu'ils sont unis, et facilement rompus dès qu'ils sont déliés.
On peut remarquer aussi ici l'adresse, la finesse avec laquelle l'orateur, malgré les interruptions, ne se laisse pas détourner de son but.
Les réserves qu'il formule en terminant sur l'enseignement permis aux congrégations autorisées par l'Etat ne sont-elles pas l'expression du bon sens même? La loi réactionnaire fut pourtant votée le 15 mars 1850.
On nous dira : Vous exagérez les mérites de Savatier-Laroche; aucune des lois pour lesquelles il combat ne sont adoptées. Hélas ! il a cela de commun avec tant d'autres orateurs que l'histoire a consacrés grands : tels Jules Favre, Victor Hugo, Lamartine, Crémieux, Arago, etc. C'est le cas de reprendre pour eux et pour Savatier-Laroche le vers fameux :
Victrix causa Dits plaçait, sed victa Catoni
Après le vote de la loi Falloux vint à l'ordre du jour de l'Assemblée un projet de loi sur la déportation, déposé par le gouvernement.
La panique, qui avait incité l'Assemblée à sévir contre les insurgés vaincus des journées de juin, n'était pas encore apaisée. Or ce fut un véritable déchaînement de fureur contre l'article VI du projet ministériel portant : « La présente loi n'est applicable qu'aux crimes commis postérieurement à sa promulgation. »
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Déchaînement n'est pas assez dire ; ce fut, de la part de la majorité, une sorte de ruée folle non seulement contre la non-rétroactivité demandée par le gouvernement, mais pour l'aggravation de la peine par l'adjonction de ces mots : dans une enceinte fortifiée et interdiction pour je condamné de faire venir auprès de lui sa femme et ses enfants, cruauté accrue d'immoralité.
Savatier-Laroche prononça en cette circonstance un de ses plus beaux discours :
« Quand il s'agit d'une loi de procédure, qu'elle soit rétroactive, c'est de peu d'importance ; mais quand il s'agit de régler le sort d'un condamné, ce n'est pas une loi de procédure, mais une loi entière, complète. »
Et Savatier-Laroche de féliciter le ministre de l'article VI de sa loi:
« Les représentants sont des législateurs, leur devoir est de sauvegarder les principes d'humanité, de justice éternelle...
« Des. condamnés ont aujourd'hui une position acquise, on veut la changer. Encore si c'était pour radoucir, mais on l'aggrave. Aucune législation ne présente de telles anomalies, de telles forfaitures. On s'inspire d'un sentiment de vengeance. Mais ceux qui les ont condamnés à la déportation ou à la Transportation ont-ils voulu prononcer contre ces malheureux la captivité dans une forteresse, l'exil dans fies îles, à 4.500 lieues, dont le climat plus ou moins meurtrier est si différent de celui de la France ?
« On croit atténuer la gravité de l'acte en décidant que la sentence sera prononcée par les magistrats. L'Assemblée a le droit et le devoir de faire la loi, elle doit la faire et souverainement et clairement, de façon qu'il n'y ait aucune incertitude. Elle ne doit abandonner à personne le droit de statuer sur le sort des citoyens, elle ne reculera pas devant sa mission. »
Pour une fois, Savatier-Laroche eut gain de cause : la rétroactivité fut repoussée.
Nous savons déjà ce que pense Savatier-Laroche de l'administration financière de la République. Nous l'ayons vu prendre sévèrement à partie les agissements du ministre des finances avec la Banque de France. Sou intervention dans la discussion du budget de 1851 va achever de nous édifier sur la doctrine du représentant de l'Yonne concernant l'organisation financière d'une république démocratique.
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« La France, dit-il, est dans une crise financière; elle a atteint le maximum de l'impôt, elle donne son dernier écu
« Mais parmi les impôts, il en est des plus fructueux qui disparaîtront, tel l'impôt sur les boissons déjà discuté, tel l'impôt: foncier qui grève la propriété et met l'agriculture aux abois, tell'impôt des portes et fenêtres mal réparti. Donc l'impôt augmente,: les recettes diminueront ; conséquence : la banqueroute.
« L'impôt est mal assis, mal réparti. Il faut sauver l'agriculture, source de la richesse du pays. Par l'impôt, propriétaires et consommateurs sont dans une position misérable.
« On a abusé de l'emprunt, d'où une dette écrasante, Cette constitution du crédit permet à des gens d'avoir 10,20, 30, 50.000 livres de rente sans payer pour cet énorme revenu un sou d'impôt, tandis que 25 millions de cultivateurs, moyennant un labeur de 365 jours par an, touchent 4 à 500 francs de rentes, en paient par l'impôt la huitième, la cinquième partie et quelquefois le quart.
« Il faudrait un moyen de ramener tous les Français sous le niveau de l'impôt.
« Il ne faut pas se laisser arrêter par les difficultés qu'il y a à; changer les habitudes ; c'est de toute nécessité, car sous la République, nous avons des moeurs monarchiques. Il faut mettre les moeurs en harmonie avec le régime nouveau.
Savatier-Laroche arrive au budget de la guerre, sur lequel il; propose une réduction de 100 millions : « Notre armée est tropnombreuse, laquelle depuis trente ans nous coûte 6 milliards. Que l'on défalque de cette réduction la moitié seulement par année et qu'on l'affecte à améliorer l'agriculture, nos grandes et nos petites voies de communication, nos canaux, nos chemins defer, en quel état de prospérité serait le pays ! Au lieu d'une diminution d'effectif, le gouvernement demande pour chaque cantpnune brigade de gendarmerie, augmentation de dépenses, donc accroissement de la dette.
« C'est pour avoir eu une grosse armée que l'on a entrepris la longue guerre d'Afrique qui a coûté 80 à 100.000 hommes et de 80 à 100 millions de francs.
« Une armée nombreuse est un danger permanent pour une république et, dans les périodes d'ébullition, elle est le point de mire des espérances des ambitieux. Déjà des avances, des promesses coupables ont été faites à nos soldats ; il faut que notre-; organisation militaire soit changée. Aucune puissance euro—
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péenne n'est actuellement en état de provoquer la France, il faudrait une coalition de nations impossible, vu l'état social de chacune d'elles. »
La réduction proposée ne fut pas votée, quoique SavatierLaroche eût consenti à la diminution de moitié.
On reconnaît dans ce résumé des opinions dé Savatier-Laroche sur l'assiette de l'impôt dans une démocratie les mêmes opinions qui sont encore agitées à l'heure présente : suppression de la taxe sur les boissons et sur la série des impôts indirects; sur les portes et fenêtres ; sur l'atténuation, sinon la totale suppression de l'impôt sur la terre ; enfin l'établissement si juste de l'impôt sur le revenu. Les idées sur la réduction de l'armée doivent aux circonstances présentes de n'être pas à pratiquer. Mais l'opinion sur le danger qu'une armée fait courir à une république est en quelque sorte prophétique : le coup d'Etat de décembre, perpétré à moins de six mois d'intervalle, lui donne ce caractère.
Au mois de mai, à l'approche du renouveau, comme si la saison adoucissait ses moeurs, la Législative délibéra et émit un vote favorable au projet de loi du général de Grammont sur la protection des animaux.
Savatier-Laroche vota contre. « Qu'appelle-t-on mauvais traitements? dit-il. Qui les définira? des gens plus ou moins intelligents. Qu'appelle-t-on animaux utiles ? Sera-ce cruauté de crever les yeux d'un animal pour le servir engraissé sur la table d'un riche ? d'hypertrophier un organe pour le même usage ? »
Cette attitude de Savatier-Laroche étonne, quand on réfléchit qu'il était l'ami de Lamartine, de Victor Hugo, dont il avait certainement lu et admiré les beaux vers du premier sur le Chien de Jocelyn, du second sur le Crapaud ; il est en contradiction avec lui-même quand on sait ce qu'il a écrit sur les qualités morales et la mort émouvante de son bon et vieux chien Rustaud, à qui il n'est pas loin de prêter une âme.
Savatier-Laroche avait présenté un projet de loi dont voici le texte : « Le ministre auquel aura été renvoyé une pétition devra, dans les trois mois du jour du renvoi, rendre compte à l'Assemblée nationale du résultat de son examen. »
Rien de plus simple, dit notre compatriote, de plus modeste, de moins agressif que cette proposition, qui n'a pourtant pas trouvé grâce devant la commission.
C'est une proposition sauvegardant deux droits précieux: d'une part le droit libéral, sérieux de pétition, d'autre part la dignité des décisions de l'Assemblée.
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Le droit de pétition, c'est le droit de plainte, de supplique, le droit de celui qui n'a pas d'autre moyen de faire légalement entendre sa voix.
Quant à l'Assemblée, lorsqu'elle a discuté une pétition et l'a jugée digne d'une recommandation au ministre spécial et qu'elle lui arrive dans cet état, n'est-il pas rationel que celui-ci lui rende compte de son examen? Ce n'est pas le mettre en demeure de prendre une décision, mais seulement de venir dire : la pétition est admissible ou inadmissible pour telle ou telle raison.
La proposition de loi devrait être accueillie pour deux motifs. La commission dit : l'Assemblée a le droit d'interpellation. Qui, mais ce droit est illusoire: il ne peut être exercé que tous les trois mois, au moment où il ne peut plus être exercé utilement pour la pétition. Puis le projet n'a rien d'offensif pour quelque opinion que ce soit. Il demande que le droit de pétition soit une liberté utile et dont tous profitent. Si le ministre ne veut pas prendre la supplique au sérieux, il viendra en dire les motifs ; l'Assemblée appréciera et, pour les pétitionnaires comme pour elle, la dignité, le droit seront sauvegardés;
La proposition ne fut pas prise en considération.
Quand vint la séance de clôture du budget de 1851, SavatierLaroche vint exposer franchement pourquoi il refusait confiance au ministère.
« J'ai prédit, dit-il, 1848, non pas la date, mais les faits. Le gouvernement de 1830, né d'un orage, devait être emporté par un orage. Il semblait avoir toutes les chances de stabilité; il a été emporté quand il n'y avait aucun point noir à l'horizon; il devait tomber parce qu'il n'avait pas le droit pour soutien, le droit dont se rient volontiers les sceptiques, mais qui est vivace et éternel comme la conscience du genre humain.
« On ne se pénètre pas assez dans l'Assemblée d'une grande vérité, c'est que la Révolution de 1789 suit encore aujourd'hui son cours. Depuis lors, il n'est pas possible de concilier la monarchie et la liberté.
« Témoin les faits : Louis XVIII crut nécessaire d'accorder la charte de 1814, le droit divin abdiquait ainsi en face de la révolution ; le jour d'une abdication solennelle et définitive ne tarda pas à venir sous son successeur Charles X. Le milieu n'existe pas entre le despotisme et la liberté absolue, c'est-à-dire l'application vraie, loyale de la souveraineté du peuple.
« Ces prémisses posées, on peut demander au gouvernement :
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que voulez-vous ? quel but poursuivez-vous ? quel est votre drapeau? Est-ce à l'Empire que vous tendez ? L'Empire sans l'empereur est un vaisseau sans boussole, le monde sans Dieu. Est-ce à la restauration de la monarchie de Juillet? Elle a fait son temps. (Interruptions. Le président doit protéger l'orateur). Voulezvous courir à de nouveaux périls pour la France et rétablir la légitimité ? Ce serait ouvrir un abîme sans fond.
« Alors vous entendez donc servir le régime républicain ; autrement vous trahiriez le gouvernement légal du pays:
« Vous prétendez vouloir gouverner la République républicainement, mais vous avez fait l'expédition de Rome. Vous avez fait adopter une loi contre les associations, les réunions, c'ést-à-dire étouffé dans son germe l'idée républicaine: une loi encore qui mutile le suffrage universel. Bref vous avez tout fait contre la République et rien pour elle. Rien d'étonnant que le pays s'agite. Vous manquez de sincérité et de loyauté. Si le gouvernement ne sert pas la République, que sert-il donc ? C'est quelque chose qui n'a de nom dans aucune langue politique. »
Tout commentaire de cette éloquente apostrdphééh affaiblirait là forcé et l'énergie.
A la séance du 30 janvier 1851, il y eut à l'Assemblée là discussion du projet de résolution de la commission chargée de présenter le résumé de l'enquête sur la question concernant le travail agricole et industriel.
La commission propose de déposer les pièces de l'enquête aux archives du ministère de l'agriculture et du commerce, c'est-àdire « aux catacombes », comme le crie un membre de la gauche.
Nadaud, représentant de la Creuse, ouvrier maçon, siégeant à la Montagne, s'oppose avec énergie à l'étouffement systématique proposé pour le résultat dé cette enquête, ouvrière.
Dans son indignation contre ce procédé, Nadaud s'étant écrié : « La réaction insulte les travailleurs depuis trois ans », et un membre de la droite ayant dit : « On demande qui insulte les travailleurs? «Savatier-Laroche appuie Nadaud, qu'il justifie par cet encouragement : « Maintenez l'expression, elle est juste et convenable. »
Nadaud continua et dit qu'au sein des classes ouvrières il naît de grandes espérances pour l'amélioration de leur sort dont l'Assemblée devrait s'occuper. « Très bien ! très, bien ! c'est cela, dit de son banc Savatier-Laroche. »
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Nadaud termine par cette déclaration qu'il doit, lui ouvrier, plus que tout autre défendre le droit des pauvres.
« Sans doute, s'écrie le représentant de l'Yonne. Vous êtes le représentant du travail. »
Nous avons fait mention de cette séance et des interruptions courtes, mais singulièrement énergiques de Savatier-Laroche, pour montrer encore une fois sa conviction profonde que la République de Février ayant promis des lois sur le travail, le premier devoir de l'Assemblée est d'élaborer ces lois, dont l'indifférence de la majorité ne tient aucun compte et provoque ainsi tant de déceptions.
Dans la séance du 26 février 1851, l'ordre du jour appelle l'interpellation de Savatier-Laroche au ministre de l'intérieur sur les élections communales prochaines à Auxerre et dans tout le pays.
« Il s'agit d'une élection, dit Savatier-Laroche, qui a ému une ville de 12.000 habitants, laquelle se préoccupe vivement de nouveaux empiétements du pouvoir exécutif; il s'agit d'un système qui naît, mais dont les conséquences sont immenses.
« L'Assemblée attache une grande importance aux franchisés et libertés municipales qui ne ne peuvent se fonder que sur de larges bases communales. Cette atteinte à un de ces principes doit être dénoncée.
« Les élections communales sont toujours importantes et, en mai, tous les conseils communaux seront renouvelés. Or ils fournissent des délégués pour la composition des bureaux, afin d'établir la liste des jurys. Il importe donc que les élections se fassent loyalement, que le pouvoir n'y porte aucune atteinte. »
Voici le fait dont il s'agit.
Par décret du Président de la République du 3 octobre dernier, le Conseil municipal d'Auxerre a été dissous et légalement; le Conseil était composé d'hommes fort honorables, amis de leur pays, soucieux d'une sage administration ; mais il y avait un malheur que voici : parmi les élus, l'élément bonapartiste ne brillait que par son absence.
D'après la Constitution, ce Conseil dissous doit être réorganisé dans un délai de trois mois, soit au 3 mars prochain.
Pour l'exécution du décret présidentiel, le préfet de l'Yonne, Haussmann, a pris un arrêté dont l'article II porte : « Tout électeur inscrit sur les listes électorales de la commune, en exécution de la loi du 31 mai 1850, recevra, par les soins de la commission
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municipale provisoire, une carte indiquant la section à laquelle il appartient et rappelant le jour et l'heure, le lieu de réunion, le nombre de conseillers à élire par la section. »
Or, Savatier-Laroche n'accepte à aucun titre pour une élection communale la loi du 31 mai 1850 et il proteste.
« Dans la pensée de tous les membres de l'Assemblée, cette loi n'a été présentée, discutée, faite, votée que pour les élections à la représentation nationale.
« De quel droit l'applique-t-on alors aux élections communales ? Il est nécessaire de voir un abus évident dans le fait d'une loi qui a sa spécialité transportée à d'autres élections qu'elle n'avait pas prévues; c'est un abus de pouvoir exécutif d'appliquer une loi restrictive du suffrage universel, une loi illibérale aux élections de toutes les communes de France. « De plus, il résulte de l'arrêté du préfet qu'Auxerre a vingt-sept conseillers à élire, que la commune d'Auxerre est divisée en neuf sections dont chacune n'aura que trois conseillers à élire. D'où cette conséquence qu'il y aura des mandataires sans mandants.
« A cet agissement s'opposent la loi du 21 mars 1831 et le décret de juillet 1848.
« La loi du 21 mars 1831, dite loi organique des conseils municipaux, a autorisé, dans son article 44, l'administration à séparer en plusieurs fractions une commune dont la population excédait 2.500 âmes. On peut même concéder que ce même article 44 autorise à faire voter chacune d'elles pour un certain nombre de conseillers limité.
« Mais arrive un décret du 3 juillet 1848, oeuvre de la Constitution, dont l'article 7 dispose que le scrutin de liste est le principe et la base des conseils communaux, qu'il fait revivre pourtant les paragraphes 2, 3, 5 de l'article 44. Si l'on était placé sous l'empire de ces deux lois, l'interpellatiom présente n'aurait pas de raison d'être.
« Or l'interpellation est maintenue, affirme que l'arrêté préfectoral est une usurpation sur les droits du citoyen. En effet, ne s'est-il rien passé depuis juillet 1848? Il semble que nous ne sommes pas de notre pays, que les faits les plus importants, affectant profondément le droit politique de la France, nous soient inconnus.
« Depuis le 3 juillet 1848, il est intervenu un fait considérable qui a inauguré un droit politique nouveau, qui a consacré à tout jamais le suffrage universel direct.
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« La Constitution est venue poser des principes contraires à ceux écrits dans les deux lois de mars 1831 et du 3 juillet 1848.
« Une loi, pour cesser d'être, n'a pas besoin d'être abrogée ; elle cesse d'être applicable des qu'une loi nouvelle renfermé des dispositions inconciliables avec celles des lois préexistant es. !
« La Constitution a établi le suffrage universel direct comme base du nouveau droit politique, puis le scrutin de liste.
« Il y a de plus un article spécial formellement écrit dans 1 là: Constitution, le voici :
« Les conseillers municipaux sont élus par le suffrage direct « de tous les citoyens domiciliés dans la commune. »
« Le texte dit tous. Or une fraction est-elle un entier? « Que le ministre sache que je revendique un droit écrit; dans la Constitution, pour qu'il soit maintenu dans son intégrité. »
Savatier-Laroche, après avoir démontré que le Conseil d'Etat, qui n'est pourtant pas composé de républicains de gauche, est deson avis, conclut :
« Puisque là Constitution déclaré que chaque département nomme un certain nombre de représentants, que chaque canton élit un membre du Conseil général et qu'elle est muette sur les conseillers communaux, il en résulté qu'elle maintient le scrutinde liste. D'ailleurs le gouvernement se met en contradiction avec lui-même. Deux fois depuis 1848 il y a eu à Auxerre des élections municipales ; deux fois tous les. citoyens ont nommé, sans fractionnement, par scrutin de liste, leurs vingt-sept conseillers. Aujourd'hui il lui a plu, par des motifs que l'on ne devine que trop, de jeter à l'écart l'article 79 de le Constitution et d'adopter un nouveau mode d'élection illégal, anticonstitutionnel. Il faut que l'Assemblée rappelle à la légalité le pouvoir exécutif et respecte elle-même la loi suprême du pays. »
Inutile de commenter ce discours éloquent, de discussion serrée, abondante, d'une documentation juridique impeccable, nouveau témoignage dé l'amour de l'orateur pour la liberté et lés. droits de là démocratie.
Dans la séance du 3 mars 1851, il y eut discussion sur la priseen considération du projet de la loi Ducoux, relative à là construction d'une Bourse des travailleurs qui comprendrait des bureaux de renseignements et de placement utiles aux ouvriers, pour le prix des marchandises, le taux des salaires et pour toutes les.
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informations intéressant le patron, l'ouvrier, le producteur, le Consommateur.
Cette institution entrait dans les opinions démocratiques de Savatier-Laroche. S'il ne prit pas la parole, il soutint de toute son énergie ceux qui parlèrent favorablement de cet utile établissement, que repoussa d'ailleurs la majorité,
Le 27 mars 1851, lé ministre de l'instruction publique d'alors, du nom de Giraud, fut interpellé sur là destitution de Michelet et d'un professeur de philosophie, nommé Jacques. Ce fut Madier de Monjau, de la Montagne, qui interpella le ministre. SavatierLaroche blâma à plusieurs reprises ce ministre réactionnaire et ne ménagea pas ses applaudissements à l'interpellateur, que désapprouva d'ailleurs la majorité par 440 voix.
Le lendemain 28, l'Assemblée discuta sur la prise en considération du citoyen Desmars, relative à la fixation de la législation d'après laquelle serait faite la prochaine élection du Président de la République.
M. Desmars demandait à l'Assemblée une nouvelle, loi ; la commission s'en tenait à la loi du 31 mai 1850. Desmars n'insista pas, il voulait qu'on légiférât seulement parce qu'il craignait qu'en 1852 il y eût un cabinet plus réactionnaire que le cabinet actuel, qui était d'accord avec la commission. Celle-ci était d'ailleurs approuvée par l'autorité de M. de Vatimesnil, dont la science juridique était respectée. Les républicains de la minorité faisaient opposition en s'en tenant à la Constitution qui portait : « Le Président sera nommé au scrutin secret, à la majorité absolue de tous les électeurs des départements et de l'Algérie. »
Avec eux était Savatier-Larbche qui, comme eux, repoussait la loi du 31 mai 1850, qui était restrictive et éliminait 3 ou 4 millions, d'électeurs.
La minorité échoua.
La discussion du 26 avril fut plus passionnée sur la proposition Bourzat et autres montagnards, concernant la suppression du traitement des cardinaux, qui n'était pas fixé par le Concordat et était l'oeuvre du premier consul., Savatier-Laroche fut, dans la circonstance, d'accord avec Bourzat, qu'il avait déjà vigoureusement appuyé lors de la loi Falloux sur l'enseignement.
L'attitude politique du représentant de l'Yonne fut là même contre la loi Chapot qui entourait le droit de pétition de tant de formalités que c'était, autant dire, le supprimer. La loi Chapot fût votée le 8 mai. Nous voici au 22 mai 1851. Il s'agissait de reviser bu non la
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Constitution. La lutte s'engagea entre la majorité et la minorité, lutte ardente à propos de deux projets de loi présentés, l'un par le représentant Moulin demandant que toutes les questions relatives à la révision de la Constitution qu'il approuvait fussent renvoyées à une commission unique et spéciale nommée dans l'Assemblée au scrutin de liste et à l'absolue majorité des voix ; l'autre projet du député Morin, de la Drôme, demandait que les propositions concernant la révision fussent dispensées des formalités de l'article 78 du règlement de la Chambre.
Savatier-Laroche prit la parole : « La proposition Moulin est injuste et oppressive à l'endroit de la minorité. La proposition Morin est dangereuse et révolutionnaire. »
Des orateurs éminents de la majorité ont dit à diverses reprises : les temps deviennent difficiles, nous nous devons à tops la; vérité.
Savatier-Laroche reprend pour lui le mot; il dira la vérité: « Au fond des deux propositions que l'on discute, quelle est la vraie pensée ? C'est que la Constitution doit être révisée.
« C'est de la franchise, mais est-ce de la loyauté?
« Dans un combat honorable et digne, les armes doivent être égales. Or ce n'est pas le cas ici. Toutes les armes sont entre vos mains, à vous, majorité. La lutte, à dire le vrai, est entre la monarchie et la république. Or, les membres du parti de la monarchie se sont emparés, depuis deux ans, des positions sociales, politiques, militaires, administratives.
« De nos amis, les républicains, il n'en est plus un seul qui ait conservé les fonctions que la République leur avait données, quand elle était comprise et pratiquée. Conseils municipaux, conseils généraux républicains ont été dissous par le gouvernement, et la loi du 31 mai 1850 a éliminé du nombre des électeurs 3 à 4 millions de citoyens libéraux, démocrates.
« C'est donc bien véritablement la lutte entre monarchistes et républicains démocrates.
« Et vous venez nous convier à de grandes assises du suffrage universel, vous venez nous dire : Que craignez-vous? Ce que nous demandons en poursuivant la révision de la Constitution n'est autre chose que le renvoi devant le peuple souverain. Non pas, mais devant un jury épuré et trié que nous accepterions si vous lui rendiez le suffrage universel.
« Vous vous réservez le rôle chevaleresque, vous faites appel au peuple souverain, mais vous avez eu soin de ; le mutiler d'avance; vous avez gardé pour vos amis tous les pouvoirs et Vous avez honteusement chassé les nôtres des comices.
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« Mais soyez convaincus que nous maintiendrons notre droit et ce droit est quelque chose de par cette Constitution tant maudite. Ce droit, aujourd'hui de la minorité, sera un jour celui de la majorité, c'est-à-dire que nous userons des avantages que nous trouvons dans la Constitution, comme, vous avez use largement des vôtres.
« Pensez-vous que nous ayons à redouter les discussions à la tribune? Je les appelle, loin de les craindre. Je serai bien aise d'entendre que l'on veut Henri V..., que l'on veut le prince de Joinville, un empire quelconque. Nous discuterons ces questions de monarchie et de république.
«. Vous parlerez en bons termes de la monarchie, vous avez des orateurs éminents. Vous parlerez du grand roi, du grand siècle, des magnificences de Versailles.
« A côté de ces courtisans et du luxe de Versailles, nous parlerons de 20 millions de sujets écrasés par des taxes iniques, d'un peuple entier persécuté dans ses croyances religieuses par un despote usé, par une vieille femme, par un jésuite.
« Vous parlerez des gloires de l'Empire, de ces quinze ans d'épopée impériale ; et nous vous opposerons deux millions de cadavres, la France deux fois envahie, nos villes et nos campagnes désolées par l'odieuse conscription. D'autres diront la prospérité toujours croissante du dernier règne, la sagesse, l'habileté du vieux roi. Nous vous peindrons le servilisme s'infiltrant partout, la concussion allant s'asseoir jusque dans les conseils du roi; et pourtant cet échafaudage, si laborieusement construit par la ruse et l'intrigue, est tombé au souffle d'une émeute,
« Nous discuterons et je ne doute pas que la République ne sorte plus grande, plus forte, plus vivace de ces. débats:
« Je finis en disant des propositions Moulin et Morin ce que j'en ai dit en commençant l'une est injuste, l'autre dangereuse, révolutionnaire.
« Je vote contre ces deux propositions.
« Je vous convie à l'examen de notre budget, question autrement opportune et nécessaire. »
Ici finit le rôle politiqne de Savatier-Laroche, rôle que l'on trouvera certainement digne d'être remarqué et signalé, étant donné le peu de durée de son mandat, que vint interrompre le criminel eoup d'Etat du 2 décembre 1851.
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Rendu à la vie privée, spolié de sa dignité de représentant du peuple, Savatier-Laroche employa ses loisirs a écrire ses souvenirs (Profils parlementaires, Profils auxerrois), des méditations., sur les questions philosophiques, morales ou religieuses qui lepréoccupaient II composa même un livre dé; fables qui; font songer à La Fontaine.
Nous publierons le résumé des volumes : Profils parlementaires, Profils auxerrois.
IV
PROFILS PARLEMENTAIRES
(1870)
En étudiant Savatier-Laroche dans son rôle politique, nous, avons vu quelles sont ses opinions; dans ce livre, il ne manquera pas de les affirmer à nouveau, de les accentuer même, tont en pratiquant une entière impartialité à l'égard des opinionscontraires à la sienne. Dans les discours qu'il a prononcés à la tribune, nous avons eu maintes fois l'occasion; de dire que sou style est correct, sa pensée claire, sa phrase coulante, aisée, et atteignant parfois jusqu'à l'éloquence. Dans son livre, nous retrouvons les mêmes qualités.
Au chapitre premier, il réunit dans un même cadre trois. hommes dont il dit : « Glorieuse trinité » : Berryer, grand par son éloquence au barreau et, à la tribune, par sa fidélité,: jamaisébranlée, à la légitimité tombée; Thiers, grand par la dextérité - merveilleuse de sa parole simple, coulante, fine, piège habile où. il sait infailliblement faire glisser et tomber, à son insu, son adversaire, partisan obstiné du juste milieu; Jules Favre; grandparce que tribun puissant, agressif, sarcastique, pulvérisant ses contradicteurs sous l'éclair et la foudre de son discours; républicain montagnard. Berryer mourut enveloppé dans son drapeau. Thiers, que 72 ans n'ont pas vieilli, est un ami passionne de la France. Jules Favre, inébranlable dans ses convictions, a été admis — honneur bien mérité — à l'Académie française, qui compte un fin lettré de plus.
Au chapitre II, il s'agit de Lamoricière et de Cavaignac, tous deux généraux formés par la rude guerre d'Afrique, laquelle
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l'auteur caractérise dans une belle page de ce chapitre; la France a payé à ces héros sa juste gratitude en les appelant, avec Charras. Bedeau et d'autres encore, à la Législative.
Lamoricière, instruit et brave, n'escalade la tribune que quand il a à exprimer, de son éloquence incisive de soldat, des idées justes et précises.
Cavaignac, fils de conventionnel, frère du grand libéral Godefroy. est une âme loyale, puritaine, désintéressée; il refusa la dictature et put dire avec, fierté : « Je ne suis pas tombé du pouvoir, j'en suis descendu ». II eut, obéissant à des suggestions de conseillers affolés de peur ou ennemis sournois de la République, il eut la faiblesse de refuser, après les journées de juin, des juges aux vaincus, d'où cette belle et vraie sentence de SavatierLaroche : « Le droit méconnu se retourne contre l'oppresseur ». Crvaignac se retira de la politique, mais, par cet acte d'injustice, sa fin fut assombrie.
Singulière figure que celle du Président Dupin, procureur général, jurisconsulte éminent, l'homme parfait de sa fonction, avec un langage correct, très sobre, qu'il savait pourtant émailler d'anecdotes amusantes.
Ce qu'il fut comme président de l'Assemblée législative, dont la majorité reconnaissait en lui, nous ne dirons pas ses opinions politiques, il n'en avait pas, mais ses tendances, son parti-pris. Il est resté et restera fameux pour ses mots d'esprit, les épigrammes dont il accablait les infortunés inexpérimentés ou maladroits, qui affrontaient la tribune. Dupin a servi tous les gouvernements, car il était friand des hochets de prétendues distinctions dout ils sont les dispensateurs. Dupin, quoique très intelligent, était un homme à vues courtes, incapable de ces larges idées qui constituent les vrais hommes d'Etat. Il était Morvandiau : son costume dp gros drap solide, ses souliers ferrés à gros clous, décelaient son origine paysanne qu'il ne renia jamais et ne chercha jamais à renier.
Quel contraste avec la noble figure de Montalembert, qui naquit grand seigneur et trouva la pairie dans son berceau ! Son origine n'était pour lui qu'un stimulant à l'action; même plébéien, il aurait su se conquérir une place. Il a mis toute sa vie, son talent, au service de deux grandes idées : la liberté de l'enseignement et l'affranchissement de la Pologne, coreligionnaire en ceci de Lamennais et de Victor Hugo. Montalembert était profondément chrétien catholique; il faut dire pourtant que, dans une lettre à Savatier-Laroche, il se défend de placer l'Eglise au-dessus de l'Etat et revendique la paternité du mot fameux attribué à
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Cavour : « L'Eglise libre dans l'Etat libre ». Montalembert mettait à défendre sa conviction religieuse tout son coeur et son talent, d'orateur, voisin de celui de Jules Favre. Cette conviction et l'intérêt de la religion, qui était sa passion, l'amenèrent, pour les soutenir, à acquiescer en aveugle, politiquement parlant à tous. les régimes, dont il ne fut, cependant, jamais le flatteur. Le second: Empire l'honora de deux mois de prison, « prisonnier, écrit Savatier-Laroche, dont on serait fier de serrer la main ».
« Quelle tristesse au fond des choses ! quel vide, quel néant! », s'écrie Savatier-Laroche, avant de commencer le profil d'Odilon Barot. Voilà un homme dont, pendant trente ans, tous les échos de la presse ont répété le nom à l'envi, et c'est à peine si aujourd'hui les générations oublieuses se le rappellent. Pendant ces trente années; on le voit fidèle d'abord à Louis-Philippe; puis, rallié à l'idée des banquets réformistes, mais n'attendant d'eux que l'exercice d'un droit contesté, et contre son attente aboutissant à la révolution; ensuite assurant le départ en sécurité du roi pour l'exil, enfin se rattachant sans succès à la régence de la duchesse d'Orléans, plus tard député à la Législative ; président du conseil des ministres, sous la Présidence de Bonaparte où il prête les mains à l'expédition de Rome, ce fut sa faute, sinon son crime, entraîné qu'il fut hors de sa voie droite jusque là par des alliances suspectes. Il crut bien faire. Il ne démissionna pas; il fallut le 2 décembre pour lui enlever le bandeau qu'il ayait surles yeux. Et Savatier-Laroche de terminer par ces mots : «Odilon. Barrotestun de ces parlementaires dont j'honore la vie laborieuse. Il a vaillamment servi la cause de la liberté ; n'a-t-il pas courageusement souscrit, récemment, au monument Baudin? Il vient de publier un beau livre sur la décentralisation. Fasse léciel que nos gouvernants s'en inspirent! ».
Pierre Leroux, au physique tête énorme, crinière énormeplutôt que chevelure. Sous une enveloppe épaisse, l'esprit embellissait le corps. Fils de ses oeuvres, autodidacte, d'abord prote d'imprimerie, devient écrivain, digne collaborateur de J.Réynaud, de George Sand, publia son livre Humanité qui fit école. Il siégeait au faîte de la Montagne, avec Lamennais. Savatier-Laroche admirateur de Pierre Leroux, ne va pas jusqu'à partager l'outrance deses opinions qu'ii explique par les lois réactionnaires déLouis XIV, de Charles X, continuées et complétées sous LouisPhilippe, où le fougueux républicain voit la lutte du vieux monde, qu'il faut absolument détruire, contre le monde nouveau
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qu'il faut à tout prix fonder. Pour achever ce profil, nôtre auteur cite deux traits de la vie parlementaire de Leroux. La majorité de la Législative faisait une loi électorale où elle décrétait et multipliait les éliminations d'électeurs. Leroux signe un amendement que ne seraient ni éligibles, ni électeurs, les joueurs, les spéculateurs, les usuriers, les bretteurs, les coureurs de tripots et de filles, condamnés pour adultère, etc., etc. Démonstration par l'absurde qui arrêta la majorité dans sa course à l'élimination. Une autre fois, il propose de décréter le vote des femmes. C'était si neuf et si inattendu qu'on s'apprête à rire, mais Leroux fait l'éloge de la femme en tant que fille, épouse et mère dans un si beau langage, avec l'accent du coeur, que les sourires et les chuchotements cessent, le silence s'établit, et l'on écoute religieusement et l'on applaudit.
François Arago, le grand savant, inspire à Savatier-Laroche de très belles pages sur la science, la grandeur qu'il y a pour les vrais savants à la simplifier afin de la rendre accessible à la moyenne des esprits; sur la divination d'Arago à propos de l'utilité des chemins de fer alors méconnue; sur le gouvernement provisoire de février dont tous les membres furent si désintéressés, si dévoués à la patrie; sur les journées de juin où Arago montra un courage si héroïque; sur ce dernier enfin et sur Barthélémy-Saint-Hilaire refusant tous deux le serment au coup d'Etat qui n'osa les frapper. Arago fit partie de toutes les Assemblées depuis 1830. A la Législative, il garda le silence, revivant dans son fils Emmanuel.
Le profil de Lamennais est à lire tout entier dans le texte. Ce beau génie de premier ordre, si tourmenté, ne se prête pas à une sèche analyse, qu'il y aurait témérité de notre part à entreprendre.
Dufaure, libéral depuis 1834 à la Chambre de Louis-Philippe, se sépara courageusement, à la Législative, de la majorité. C'est là un acte qui n'est pas médiocre. Savatier-Laroche se plaît à en esquisser le profil. C'est encore là un témoignage de l'impartialité et de la largeur d'esprit qui abondent dans son livre, unies à des considérations philosophiques, et cela en communion d'idées avec Dufaure qui, sous Louis-Philippe, revendiqua, contre Thiers, la liberté de la presse, expression de la pensée. A la Législative, Dufaure suivit la politique de Cavaignac, politique honnête, timide, tiraillée en sens contraires. Les journées de juin lui donnèrent le vertige, et les transportations en masse la ruinèrentDufaure, sans avoir l'éclatante parole de Jules Favre, la conversation spirituelle de Thiers, l'ironie de Montalembert, ni l'ampleur-
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de Victor Hugo, avait une langue facile, aisée, limpide, s'élevant rarement mais ne tombant jamais. Depuis le 2 décembre, il déplut au pouvoir, qui l'élimina. Il n'en reste pas moins un talent hors ligne, une probité sévère et désintéressée, dédaigneuse de tout titre ou ruban, un modèle de labeur et, sinon de haute, du moins d'honorable moyenne vertu politique.
M. de Lamartine, issu d'une famille de noblesse par le nom et par les sentiments, fils d'une mère pieuse et dévouée surtout à son fils, héritier du nom, puisa à ces deux sources pures tout ce qui le consacre à jamais à l'admiration de la postérité comme poète, rénovateur d'une école poétique affadie, impuissante; comme élégant prosateur, comme orateur politique, comme homme enfin. Transporté au pouvoir sur les ailes de la popularité, puis éprouvé dans sa vieillesse par la perte de cette popularité et la misère noire et l'oubli, il lutte avec acharnement, de sa plume, contre l'adversité sans pouvoir, hélas ! en triompher; notre auteur écrit sur cet homme extraordinaire des pages qui valent d'être signalées, sur le caractère du poète qui n'est nullement élégiaque, comme le feraient supposer les pleurs de tant de femmes! émues et vibrantes à ses vers, mais fort et énergique, ce dont témoignent sa conduite héroïque aux journées de juin et sa superbe harangue à l'Hôtel de Ville, affrontant la colère de la foule et lui faisant déchirer le drapeau rouge, symbole d'anarchie. Et SavatierLaroche achève ce profil, dont nous n'avons pu qu'affaiblir la beauté, par des pages qne nous avons lues et relues, tant elles s'imposent à l'intelligence, an coeur du lecteur, et qui font penser aux beaux vers de Chénier, appliqués à Lamartine :
Trois mille ans ont passé sur la cendre d'Homère, Et depuis trois mille ans Homère respecté Est jeune encore de gloire et d'immortalité.
Le hasard avait fait qu'à côté de Savatier-Laroche siégeaient, à la Législative, les deux plus grands poètes du siècle: Lamartine et Victor Hugo. Celui-ci ne se convertit aux idées républicaines qu'après avoir été partisan du Premier Empire, puis de la Restauration; puis membre de la Chambre des Pairs, sous LouisPhilippe, mais toujours partout, pourtant, défenseur des opprimés, Savatier-Laroche a raconté dans plusieurs pages magistrales l'événement qui détermina la conversion du grand poète à la République. Il s'agissait de réviser ou non la Constitution. Le problème était ardu, les meilleurs esprits très soucieux et très partagés. Du vote dépendait, en effet, l'avenir du pays et de la
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République. Victor Hugo se fit inscrire contre la révision. Pendant plus d'un quart d'heure, il. lui fut impossible de se faire entendre. Mais avec son éloquence de tribun convaincu, sa voix tonnante, dans une improvisation d'un langage imagé, énergique, ses yeux lançant des éclairs, assénant ses pensées sur la tête de la majorité comme autant de coups de foudre, pendant deux heures et plus il la tint domptée et attentive. Il ne s'arrêta que haletant et mouillé de sueur. Mme Hugo était présente, on deviné en proie à quelle angoisse, quoiqu'elle ne pût encore, hélas prévoir le malheur que venait de s'attirer son époux : la proscription, l'exil pendant les vingt ans du Second Empire auquel il se condamna pour ne rentrer que pleurant sur la France vaincue et humiliée.
Rendu à la vie privée et spolié de sa dignité de représentant du penple par le coup d'Etat de Bonaparte en 1851, SavatierLaroche employa ses loisirs à écrire ses souvenirs (Profils parlementaires, Profils auxerrois, Une semaine) ou des méditations sur les questions philosophiques, morales ou religieuses qui le préoccupaient (Affirmations et Doutes, Une semaine, Profils parlementaires, Profils auxerrois, etc.), et même un volume de Contes et Fables qui font songer à La Fontaine : en tout huit volumes.
L'année précédente, en 1869, Savatier-Laroche avait fait parvenir à Guernesey, à Victor Hugo, les pages ou il exposait le rôle du poète à l'Assemblée Législative. Victor Hugo (1), qui corres(1)
corres(1) première lettre est de 1850, le 7 septembre, pendant les vacances de la Législative. Victor Hugo était souffrant dé la gorge : Votre lettre, écrit-il, « Monsieur et honorable collègue, m'a touché comme si j'avais senti le serrement « de votre main.
« j'ai à peine quitté. Paris. M. Louis V... [nom illisible d'un député médecin] « m'avait à proximité; tous les 8 jours, il me brûle le pharynx et, quoique « réactionnaire et blanc (ou noir) comme vous voudrez, de la nuance de « Montalembert, il fait son possible très loyalement pour que je puisse parler « en novembre. J'ai tort de dire de la nuance de Montalembert, car, sous pré« texte de guérir le larynx, un jésuite vrai me tordrait le cou,
« Vous avez raison, l'hiver sera rude. Tous ces gens-là [les députés de la « majorité] sont enragés, fous ou aveugles; ils prennent le siècle et le peuple à « l'envers, et leur cerveau est comme ils voudraient' que le peuple et le siècle « fussent. Un de ces jours l'esprit du temps se lèvera, les frappera d'un revers
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pondit pendant 24 ans avec notre compatriote, répondit par l'éloge de ce fragment en ces termes, dans une lettre du 4 janvier
« Vous y fûtes [à l'Assemblée] acteur et témoin. Acteur, vous « avez soutenu les principes; témoin, vous avez pu juger les « consciences. La mienne vous a été ouverte là, pendant les. « longues heures dans l'intimité de notre voisinage de banc à « banc.
« Ecrivez ces souvenirs, ils seront sous votre plume grands, « vrais et utiles. Vous avez fait une page, c'est bien ; maintenant,. « faites le livre
« L'heure est venue de raconter l'histoire. Les nouvelles géné— « rations écoutent avidement. Représentant Savatier-Laroche,. « vous avez la parole. »
Savatier-Laroche obéit aux conseils du grand patriote, Nous. espérons que cette communication, malgré qu'elle ne soit qu'un, résumé, justifiera l'éloge qui précède.
« de main et les écrasera, en ne voulant que les souffleter. C'est la chance que « courent les nains qui s'attaquent aux géants.
« Que Dieu intervienne à temps et nous sauve !
« Si j'avais vraiment quitté Paris, je n'aurais pu résister à votre bonne et « gracieuse offre et vous m'auriez vu dans ce jardin où vous rêvez l'avenir et « où vous trouvez la sagesse.
« Votre hospitalité ressemble à votre esprit; elle est douce et généreuse.Vous « me direz : « Qu'en savez-vous? ». Je le sens, ce qui vaut mieux que de le « savoir.
« Je retire ce mot vaut mieux, car savoir votre hospitalité c'est avoir vécu. « auprès de vous, sous votre toit, à votre foyer, et rien ne dédommage de cela.
« Plaignez-moi, mon cher Collègue, de n'avoir pu être votre hôte et consolez-. « moi, le 14 novembre, en redevenant mon voisin. Je vous serre la main. « Ex imo. — V. H. ».
La lettre suivante est du 18 septembre 1851, datée de Paris.
Savatier-Laroche a invité Victor Hugo, Mme Hugo et leurs fils à venir à Auxerre. Victor Hugo répond que « pour lui il n'y a pas de repos et que le « combat ne cesse pas pendant les vacances ».
Il ne se rendra donc pas, ajoute-t-il « à votre douce et cordiale invitation ». Il lui faut encore, cette année, renoncer au plaisir d'aller serrer la main de son ami.
« Voilà mes deux fils en prison, achève-t-il (pour soi-disant délit de pressé). « Mais ils [les membres du gouvernement] ne sont pas contents; c'est moi qu'ils. « visent. Qu'importe ? Dieu, et le peuple et la République prévaudront.
« Tuus, V; H. »
Voici, du 10 mai 1853, une nouvelle lettre à une nouvelle invitation de Savatier-Laroche. Victor Hugo est exilé à Jersey, et vient d'éditer clandestine—
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Savatier-Laroche clôt ce profil en montrant, plus particulièrement que tout autre, le talent d'écrivain de son collègue, son coeur plein d'affection pour son coreligionnaire politique dont une lettre que nous avons citée montre que, cette affection, le. poète la lui rendait en toute sincérité. C'est un grand homme, que nul ne contestera, pour l'auteur des Profils.
Profil de la Législative
Après avoir peint individuellement les membres les plus remarquables de la Législative, Savatier-Laroche entreprend le profil de l'Assemblée tout entière. Il pourra ainsi dire ce qu'elle devait faire et ce qu'elle a fait, comment elle a dévié du rôle qui devait être le sien; comment, de la part des uns, le mépris du devoir, de la part des autres, l'indifférence, l'ont amenée à se suicider en quelque sorte elle-même.
Elle avait reçu de la constituante la liberté, et, entre ses mains, la liberté a péri. Si l'union fait la force, la désunion crée la faiment
faiment Châtiments. Il a prononcé un discours sur la tombe d'un député
exilé comme lui à Jersey. Enoncer le fait, c'est dire combien le poète fut
éloquent dans l'expression de ses regrets pour le compagnon de son exil et
combien il sut flageller le proscripteur. La lettre arriva difficilement, mais non
le discours, à Savatier-Laroche.
Victor Hugo a fixé son exil à l'île de Guernesey. C'est là qu'en 1869, SavatierLaroche,
SavatierLaroche, a écrit son livre de- Fables et Contes, l'envoie à son ami, avec son
portrait. Victor Hugo lui renvoie le récépissé du portrait avec les vers.
suivants :
Orateur et poète et grand homme merci !
Là-bas dans ma demeure,
Tous les jours, à toute heure D'un regard salué, le portrait que voici Me redira ton nom et ton sourire, merci !
Comment parvinrent à l'exilé le volume et le portrait, nous l'ignorons.
Le récépissé arriva à Savatier-Laroche par l'intermédiaire de M. Lacour, conseiller général républicain de Saint-Fargeau, à qui Victor-Hugo l'avait remis en main propre et qui avait su le dissimuler à la police.
En 1866, M. et Mme Savatier-Laroche avaient résolu d'aller voir leur ami à Guernesey même.
Ils ne l'y trouvèrent pas; il était à Bruxelles pour donner, inutilement hélas ! à Mme Hugo malade, les soins des princes de la science de cette capitale. Grande fut la déception des deux époux. Savatier-Laroche ne put que l'exprimer ainsi que les condoléances de la mort de Mme Hugo.
A cette lettre, Victor Hugo répondit de Saint-Josse-Termonde, petite localité de la banlieue de Bruxelles, le 16 septembre :
« Cher ancien Collègue, « Vous parlez la vraie langue de l'âme. Vos consolations me sont douces
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blesse. La Législative se composait de deux parties inégales : une majorité écrasante par le nombre (550 membres), et une moins nombreuse minorité (250 membres). La majorité était monarchique, parce qu'élue par le suffrage universel encore trop inexpérimenté et trop récemment appelé au vote, Encore, si tous ses membres eussent eu pour idéal une seule monarchie! Les uns tenaient pour la légitimité, les autres pour la monarchie de Juillet, d'autres pour un empire !
Une des causes qui amenèrent cette majorité hybride à la Législative fut la peur du socialisme. Les socialistes crurent tous, à la Révolution de Février, pouvoir réaliser chacun la théorie qu'il prêchait et considérait comme devant établir le paradis sur la terre. Il suffit de nommer Louis Blanc, Fourier, Proudhon, Cabet, Barbes, etc., pour montrer quel talent ils mettaient à répandre leurs doctrines. Aussi la classe ouvrière se jeta en grand nombre dans leurs bras, mais la masse agricole, si nombreuse en France, ne se laissa pas gagner à ces promesses flatteuses; elle écouta plutôt la voix de mille et mille pamphlets accusant le socialisme de crimes qu'il était bien éloigné de commettre, de vouloir partout dresser la guillotine; or, la peur, « cette terrible maladie, dit : Montaigne, qui emporte si promptement notre jugement», la peur de perdre qui sa fortune, qui le lopin de terre qu'il possédait depuis 1789, contribua beaucoup à constituer cette majorité sans unité. Parmi ses chefs, quelques-uns essayèrent d'y ramener l'unité en fusionnant des principes opposés, de persuader, par
« Pourtant je ne puis être consolé. Je me tourne vers la vie meilleure. En « attendant, jusqu'à mon dernier souffle, je combattrai pour la liberté. Souffrir « n'empêche pas de lutter. Je serre vos mains généreuses, cher vieil ami. »
La dernière lettre de Victor Hugo à Savatier-Laroche est du 16 janvier 1873.
Les malheurs fondaient sur Victor Hugo; il avait déjà perdu, subitement enlevé, son fils Charles, en mars 1871. Le dernier, François-Victor, disparaissait de même en 1873. Aux condoléances de son ami, le père répondit de Guernesey où il était allé comme pour se retremper et se ressaisir dans les solitudes de l'îlot perdu d'ans l'Océan, et en même temps protester, par son abstention volontaire, contre les marchandages, les compromissions, les petitesses de « l'Ordre moral » ,
« Hauteville-House, 16 janvier.
« Votre souvenir me touche profondément. Oui, je crois que ce que je fais est « bien. Je représente la calme protestation de la Vérité contre l'immense Men« songe flagrant et régnant. Je vous remercie de le dire si éloquemment, cher et « ancien collègue, cher vieil ami. Mon coeur est avec vous. Vous savez combien « j'aime votre noble esprit.
« Victor HUGO; »
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exemple, un comte de Chambord sans enfants, de laisser, à sa mort, la couronne au comte de Paris, c'est-à-dire de marier deux principes inconciliables: le droit divin et la souveraineté du peuple; le comte de Chambord fut inflexible.
En face de cette majorité se dressait la minorité composée d'ardents républicains, en général unis, mais si confiants dans le succès de la République qu'ils ne virent pas le danger et ne surent pas le prévenir.
A la suite de ces observations générales, Savatier-Laroche revient à quelques profils d'hommes marquants, dans la minorité surtout.
Le maréchal Bugeaud, parti le fusil sur l'épaule, devenu maréchal et duc d'isly, conquérant puis gouverneur de cette Afrique où s'étaient formés, à son école, tant d'officiers distingués; type du soldat agriculteur. Sa devise : Ense et aratro.
Le duc de Broglie, ex-pair de France, président de la Chambre Haute, président, à la Législative, du conseil des ministres, comme il l'avait été déjà sous la précédente monarchie, dirigeait la mojorité, était l'âme du célèbre comité de la rue de Poitiers, où s'élaboraient les projets de loi réactionnaires et se donnait le mot d'ordre de tous les votes. M. de Broglie se serait contenté de monarchiser, si l'on peut dire, la République; il aurait rougi de substituer la force à l'idée, le sabre à la parole.
Un autre membre de ce comité était le comte Mole. Il ne laissera pas de traces dans l'histoire; il n'était pas méchant, mais faible, indécis, sans conviction, désireux d'être toujours quelque chose ; il eût mieux valu, pour lui, être quelqu'un.
Savatier-Laroche cite encore M. de Vatimesnil, représentant le parlementarisme de la Restauration, régime sous lequel il avait été procureur général, ministre avec Martignac. Très versé dans le droit, il était très écouté à la tribune, quoiqu'il fut plus abondant et disert qu'éloquent.
Un autre majoritaire était H. de la Rochejacquelein. SavatierLaroche lui reproche d'avoir été sénateur sous le Second Empire. Il ne parlait pas pour obtenir un résultat, mais pour éveiller des échos dans la presse. Vanité puérile. Il disait : « Moi, mes paysans ». Savatier-Laroche conclut : « Beaucoup de mouvement, peu de besogne. L'écureuil dans sa cage mobile ».
Combien différent le représentant majoritaire de l'Yonne, Raudot. Les mesures qu'il proposait étaient marquées au coin du bon sens et de l'utilité. Comme Savatier-Laroche, il ne se rallie
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pas à l'Empire, et il passe dans le silence et la fierté du devoir accompli les jours qui lui restent à vivre.
Le profil de M. de Tocqueville amène Savatier-Laroche à tracer le caractère de la République-américaine dont Tocqueville avait appris à étudier et à admirer l'organisation lors d'une mission qui lui avait été confiée en 1831, pour y examiner le régime des prisons, d'où résulta son livre La Démocratie en Amérique. Républicain à toute épreuve; au coup d'Etat, il quitta la vie publique, résistant à toutes les avances qui lui furent faites, notamment par l'Empereur lui-même ; un jour que Tocqueville vint, faisant partie d'une commission de son département, aux Tuileries, pour obtenir un tracé de chemin de fer : « Vous voyez, Monsieur, lui dit l'Empereur, que les chemins de fer rapprochent les distances! ». Tocqueville s'inclina et cette entrevue fut la seule qu'il eut jamais avec l'usurpateur.
Savatier-Laroche achève ce profil ou plutôt cette étude de la Législative par l'énumération de plusieurs membres de cette majorité, si funeste à son parti. A chaque nom, il se contente d'attacher une épithète ou une courte phrase caractéristiques du personnage, par exemple : « Fortoul, le malencontreux inventeur de la bifurcation; Baroche et Routier, futurs ministres de l'Empire, démocrates avancés en 1848, et convertis au dogme autoritaire; de Noailles-Mouchy, conservateur légitimiste, de vieille noblesse à côté de Fialin de Persigny, anobli d'hier pour avoir. trempé dans le crime du 2 décembre ». Savatier-Laroche fait enfin une place à part à quelques généraux : Chasseloup-Laubat, Baraguay d'Hilliers, Changarnier, etc. ; Leflo, questeur de l'Assemblée au coup d'Etat, qui défendit ; nergiquement son droit, brisa; son épée, ne céda qu'à la violence. Un évêque, Mgr Parisis, de Langres, présidait la commission de l'assistance publique où siégeait Savatier-Laroche.
En face cette formidable majorité se dressait une minorité à moitié moins nombreuse. Et Savatier-Laroche, au souvenir aimé dé ces compagnons de lutte, s'écrie : « Que de citoyens illustres ! Quelle variété de talents! Quelle puissance de parole! Quel patriotisme ! Quelle activité et quel dévouement ! La plupart sont proscrits. L'histoire change' le mot et qualifie victimes ceux que la politique a frappés ».
Ledru-Rollin, éloquent autant sinon plus que Berryer, élu à la Constituante par trois départements, par cinq à la Législative, et eut 300.000 voix pour la Présidence de la République. Il aimait le peuple, n'a jamais déserté sa cause, s'exila en 1849, à Londres, et,.
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n'ayant plus la tribune, se fit écrivain. Enfin, il fut désintéressé; son passage au pouvoir n'a été pour lui que l'occasion d'amoindrir sa fortune. Noble exemple, par malheur non contagieux.
Savatier s'est étendu sur les mérites de Michel de Bourges, grande figure républicaine, commandant le silence à la tribune, car l'auditoire se sentait en face d'une nature supérieure. La tribune est un piédestal ou un pilori : elle était piédestal pour Michel. Il fallait le voir, descendant de la Montagne à pas comptés, jeter en passant un regard ironique à Dupin qu'il n'aimait pas, et disant lentement et hardiment son opinion. A la Législative, il continuait le rôle qu'il avait toujours eu de défenseur de toutes les libertés. Sa gloire politique s'orne de son talent de fin lettré, ami de George Sand.
Qui penserait que le nom du républicain convaincu, un des chefs de la Montagne, que fut Mathieu de la Drôme, n'est plus connu que comme celui d'un almanach? Il partit en exil quand sa mère en fut morte de cbagrin ; au retour se livrai, pour vivre, à l'étude indépendante de la météorologie dans son almanach apprécié des cultivateurs et. des marins, ce qui lui allait au coeur et continuait son apostolat dans la classe laborieuse, à laquelle il avait consacré toute sa vie.
Le représentant des Landes, Frédéric Bastiat, atteint d'une maladie de larynx qui lui interdisait la tribune, a laissé d'excellentes études d'économie politique sur le libre échange et qui font autorité.
Des Landes aussi venait Pascal Duprat, d'abord professeur à Alger, puis journaliste distingué. A la Chambre, il se fit remarquer contre la loi réactionnaire sur l'enseignement et contre les tendances aux spéculations hasardeuses et immorales que ne réfrénait pas le gouvernement, et en faveur de la construction des chemins de fer.
Crémieux était israélite. La nature ne l'avait pas gâté au point de vue plastique, mais l'avait doté, en compensation, très libéralement à celui de l'intelligence. A la tribune, il était l'émule de Thiers, comme lui causeur abondant, insinuant, charmeur.
Savatier-Laroche avait un intime ami, un confident sûr et discret dans la personne de Charles Lagrange, représentant de Paris, siégeant à la Montagne. Il était un soldat de la République fidèle et dévoué, mais plus disposé à combattre en guérillas autour du bataillon du Sinaï, comme il disait. Ancien officier d'artillerie et de marine, il se signale par maints actes de courage. En 1830, il était aux barricades, à Paris, de même à Lyon en 1832.
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Après une évasion sensationnelle de Sainte-Pélagie, en 1848, il entre le premier aux Tuileries.. A la Constituante et à la Législative, il se voue à la défense des vaincus de juin, éloquent à réclamer pour eux l'amnistie. Au coup d'Etat, il fut! frappé et mourut en exil dans le dénuement.
Savatier-Laroche interrompit pendant quelques pages ses. profils pour faire en quelque sorte son apologie à lui-même, affirmer à nouveau sa foi à la cause de la liberté, son ; mépris et sa haine pour la fortune, même amnistiée par le succès, son admiration pour les victimes, les opprimés du présent et du passé : Socrate, Jésus, les saints et les martyrs de la foi catholique, aujourd'hui réhabilités par l'opinion, comme le seront dans l'avenir les condamnés par Bonaparte, car il y a au-dessus de nous une loi qui ne permet ni au mensonge ni à l'erreur de prendre définitivement racine. Et il rappelle ce qu'il a écrit en 1855 dans son ouvrage Affirmations et Doutes: que les crimes sont toujours punis, que le hasard n'est pour rien dans l'histoire et que le fait le plus imprévu se déduit d'un fait antérieur, que toute mauvaise action porte tôt ou tard son fruit. Enfin il se félicite d'avoir, comme conseiller général, refusé le serment à Bonaparte, et d'avoir été,, par cette apparente disgrâce, rendu avec bonheur à sa famille, à: ses chères études.
Après ces pages, Savatier-Laroche en revient à tracer encore quelques profils, comme s'il se reprochait de n'avoir pas encore signalé certains collègues. Voici l'ouvrier maçon de la Creuse, Nadaud, qu'il estime pour sa ferveur démocratique, son langage énergique et franc, dont certains souriaient, mais qui touchait les gens de coeur. Dans l'exil, Nadaud a étudié, pour vivre, la langue et la littérature françaises, dont il donnait, à Londres, des leçons appréciées.
Ensuite, Savatier-Laroche déblaie le terrain, si nous pouvons, dire, en citant seulement maints collègues qui mériteraient des éloges, tels Félix Pyat, Noël Parfait, Chauffour, Latrade, Péan, Gambon, Joigneaux, Cantagrel, Th. Robert, Roussel, etc., etc., etc
Que conclure de cette étude ?
La monarchie est morte et ne renaîtra pas, ni la pompe, le luxe des cours, le cortège des grands seigneurs; mort aussi le principe d'autorité sur lequel elle reposait. D'un Antonin vertueux comme Marc-Aurèle peut naître un monstre comme Commode,
L'esprit moderne a inventé, d'après Montesquieu, le système représentatif et parlementaire dont l'Angleterre se félicite; mais nos moeurs diffèrent de celles d'Outre-Manche et nous n'avons.
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pas acclimaté chez nous la maxime : « Le roi règne et ne gouverne pas ».
Quant au despotisme, il ne se discute pas; c'est un état contre nature; c'est la négation du développement progressif de l'humanité; il ravale la dignité humaine.
Le volume Profils parlementaires se termine par des articles divers intitulés « Variétés » sur Les Girondins de Lamartine.
C'est un merveilleux artiste que M. de Lamartine. OEuvre de conscience et de génie, l'Histoire des Girondins vivra dans la mémoire des hommes ainsi que les noms qu'elle a consacrés.
Les Travailleurs de la Mer, de Victor-Hugo, oeuvre étrange, aux simples et vigoureuses proportions, une fantaisie de poète, un tour de force réussi, un roman en trois volumes, qu'on raconterait en vingt lignes, où se rencontrent des beautés de premier ordre, des tableaux qui ravissent ou donnent le frisson, des pages émues, des pensées hardies.
L'Affaire Clemenceau, d'Alexandre Dumas fils, est une de ces productions équivoques dont Paris semble, depuis quinze ou vingt ans, avoir le monopole. Cette littérature réaliste n'est pas. vraie. Elle ne décrit que les surfaces sans descendre dans les profondeurs; et parce que l'âme n'est pas saisissable par les sens, elle nierait volontiers l'existence de l'âme. De là des vues incomplètes, de fines observations, des détails charmants et un ensemble faux.
Les Idées de Madame Aubray, du même auteur, c'est l'histoire d'une fille perdue, sans l'excuse même de l'amour, qui se fait entretenir pour donner du pain à sa mère et, plus tard, à son enfant, et qui, introduite dans une maison honnête, épouse le fils. C'est la réhabilitation par le mariage.
L'auteur de l'Affaire Clemenceau tourne dans le même cercle; le demi-monde, qu'il a mis en lumière, est tout son horizon. N'est-ce pas l'erreur d'un homme de talent qui veut, avec de la boue, faire des statues?
Suivent enfin quelques aimables et jolies pièces de vers à des. amis, à leurs enfants, et une sorte de proverbe dramatique en. prose qui n'est pas sans agrément.
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V
PROFILS AUXERROIS
(1872) Raveneau-Serizier .
L'avènement de la monarchie de Juillet, substituant à l'hérédité le principe électif du pouvoir, eut son retentissement à Auxerre, où la population, sans attendre l'assentiment royal, acclama pour maire M. Raveneau-Serizier.
C'était un plébéien, émancipé par le travail, libre-penseur, franchement ami de son pays, dont il dirigea les affaires comme les siennes propres, suspect au clergé, à la bourgeoisie, à là petite noblesse, mais indifférent à cette opposition qu'il savait, par ses actes irréprochables, réduire à l'impuissance. Quoique illettré ou presque, Raveneau savait parler à propos et emporter l'assentiment général.
Voici un trait qui le dépeint dans sa franchise et son honnêteté. Il survint une difficulté d'intérêt entre la ville d'Auxerre et les Montmorency de Seignelay, à propos d'un chemin limitrophe sur la largeur duquel ceux-ci empiétaient. Pour éviter un ; procès possible, Raveneau convoqua les parties dans son cabinet; Les Montmorency y envoyèrent un intendant qui, en face de pièces qui ne laissaient aucun doute sur l'usurpation, cherchait à en imposer en rappelant la haute noblesse, la haute considération de la famille de ses maîtres. Raveneau, en l'écoutant, s'agitait sur son fauteuil, tambourinait sur son bureau, signes d'impatience. A la fin, il éclata : « Je me f... pas mal de vos Montmorency ! Vous avez volé du terrain, restituez-le. » « Ce coup de boutoir; dit Savatier-Laroche, qui assistait en qualité d'avocat de la ville, fit plus que n'aurait fait mon. éloquence. La transaction fut signée. »
La ville obérée fut ramenée, par la sage administration dé Raveneau, à des finances normales et prospères. Le gouvernement s'honora en le nommant juge de paix et le décorant de là Légion d'honneur, non encore prodiguée alors.
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Le président Chardon
était un homme du passé, d'abord avocat érudit et distingué, puis élevé par la Restauration à la présidence du tribunal de la ville d'Auxerre, qu'il occupa toute sa vie, universellement estimé et hautement apprécié pour son impartialité et sa science juridique, jusqu'à la Cour d'appel de Paris. Témoin ce fait : Un avocat d'Auxerre vient plaider à la Cour d'appel : « Avez-vous votre requête signée du président Chardon? » lui demande le grand chancelier Séguier. Sur sa réponse affirmative : « Alors, soyez bref. » Ce qui signifiait que la sentence serait ce que l'avait formulée le président Chardon. A ces qualités de magistrat, le président Chardon joignait celles d'homme du monde d'une urbanité irréprochable et celles d'un travailleur infatigable. Il écrivit un Traité sur le vol et la fraude, un autre des Trois Puissances maritale, paternelle et tutélaire, et une Histoire d'Auxerre qui fait autorité par la richesse et la sûreté de la documentation. On ne peut reprocher au président Chardon que d'avoir participé à une hideuse mascarade religieuse qui eut lieu dans toute la. France, par ordre, en 1825.
M. Chardon fut décoré de la Légion d'honneur, le premier de la liste des magistrats.
Marie
Il y a, écrit Savatier-Laroche, deux hommes dans Marie : l'homme politique et l'avocat. Fils de ses oeuvres, pourvu d'un léger patrimoine, il a lutté et travaillé toute sa vie. Ses convictions le portaient à la République. Il fut, sans l'avoir recherché, membre du gouvernement provisoire de 1848. Comme tous ses collègues, il travailla avec acharnement, et désintéressement à fonder le régime républicain. Les journées de Juin, qu'il ne sut pas prévenir, le désillusionnèrent un peu, car il rêvait d'une république athénienne et pacifique. Après la Constituante et la Législative, il revint au barreau qu'il ne quitta plus ; il eut l'honneur, comme Berryer, d'être reçu et fêté par l'élite du barreau et de la haute magistrature de Paris. Savatier-Laroche cite tout au long la péroraison de son beau discours de remerciements. Savatier-Laroche montre par là la largeur de son esprit, car il n'avait pas toujours été l'approbateur de son compatriote. Marie mourut avant 1870. C'était mourir à propos.
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Théophile Robert
Nous avons déjà cité le début de ce profil. Quoique compatriotes de Marie, Savatier-Laroche et Robert furent moins liés avec lui qu'ils ne l'étaient entre eux. Ils siégeaient d'ailleurs surdes bancs plus élevés de la Montagne, à l'Assemblée. Robert avait sucé ses ardentes convictions républicaines avec le lait de sa mère. Le gouvernement provisoire le désigna pour être commissaire de la République dans l'Yonne. A partir de ce moment, il s'engagea dans la voie douloureuse, pliant et chancelant sous Le fardeau. Il fit l'expérience, dit Savatier-Laroche, que sur! le calvaire politique la montée est rude et que la mise en croix est au bout. Ce montagnard, que l'on croyait de bronze, fut un administrateur débonnaire jusqu'à faire brûler toutes les pièces compro-. mettantes à la préfecture, dont, disait-il, certains drôles auraient pu mésuser. 80.000 suffrages le portèrent à la Constituante; et une imposante majorité à la Législative.
Quand il vit la République française écraser la jeune républilque romaine, abandonner la Hongrie et Venise à leurs oppresseurs, frappé alors au coeur, il se découragea; le chagrin le mina sourdement et la maladie régnante, le choléra, lui porta le derniercoup.
Savatier-Laroche, du moins, n'abandonna pas son ami!; il prit soin que de décentes funérailles lui fussent faites à Auxerre, et, sur sa tombe, il prononça un éloge mérité, devant un auditoire, hélas ! peu nombreux, car une réaction ombrageuse avait interdit que la dépouille mortelle de ce fervent républicain traversât la. ville pour gagner le cimetière.
Martineau des Chesnez
était d'une vieille famille auxerroise, dont les membres] occupèrent successivement des charges dans la magistrature de leurville natale.
Le baron Martineau, né le 5 janvier, entra victorieusement, au concours, à l'Ecole polytechnique.
A sa sortie, nous le voyons, sous les auspices du comte Mollien, dans les bureaux du Trésor public, puis à la secrétaire rie d'Etat, où il gagné l'affection de Maret, duc de Basseno. Ensuite le comte Daru l'emmène à la campagne de Russie, dont il revint pourtant, ainsi que le capitaine Coignet, ce qui! faisait, dire à celui-ci : « Il n'y a que deux bons bougres à Auxerre, moi.
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et Martineau. » Puis il fit la campagne de 1813 et fut entraîné dans la chute du premier Empire, mais pour être rappelé bientôt par la Restauration, en raison de ses talents et de sa probité. Dès lors, il ne quitta plus le ministère de la guerre, dont, sous le long ministère du maréchal Soult, il fut le véritable titulaire.
Quand sonna l'heure de la retraite, le second Empire le nomma maire imposé de sa ville natale. A cette tâche, il se dévoua tout entier et les Auxerrois lui doivent d'avoir fait du cloaque immonde qu'était alors leur ville le coquet chef-lieu départemental que les visiteurs admirent aujourd'hui. A Martineau sont dus l'éclairage au gaz, le pavage et le redressement des rues, l'abattoir, l'adduction des eaux de Vallan et une police plus vigilante de l'hygiène et de la propreté.
Tout cela ne se fit pas sans que la population murmurât contre son bienfaiteur malgré elle. Martineau n'en gardait pourtant pas rancune, car pour tous les Auxerrois il était toujours empressé d'user de son influence, qui était grande à Paris, afin de leur rendre service.
Tant qu'il fut maire, la société officielle se pressait dans sa démeure, dont elle oublia le chemin, quand, parce qu'il ne voulut pas faire oeuvre de candidat, il ne fut pas réélu aux élections municipales. Il vécut plusieurs années oublié, soutenu du moins dans cette épreuve par l'affection de son admirable et héroïque épouse qui ne vivait que pour lui et, mourant avant lui, recommandait encore, lors de son dernier soupir, M. Martineau à son entourage. Son dernier battement de coeur fut pour lui.
Louis de Cormenin
Le profil que voici n'est pas celui d'un Auxerrois. L'éloge de Louis de Cormenin est une réponse de Savatier-Laroche à Mme Louis de Cormenin pour lui accuser réception de l'envoi de deux volumes des oeuvres posthumes de son mari. Comme pour compléter ces oeuvres, Savatier-Laroche adresse à Mme de Cormenin une appréciation critique de ses oeuvres, à lui-même, Savatier-Laroche, qu'avait faite et lui avait adressée Louis de Cormenin et n'était encore publiée nulle part. Les deux familles Cormenin et Laroche étaient liées depuis que Savatier-Laroche avait été à la Législative le collègue du père de Louis, plus connu sous le nom de Timon, dont il signait des pamphlets appréciés au temps de leur publication.
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Leclerc, avocat,
était, physiquement, richement doué. Il avait fait d'excellentes études classiques et possédait une mémoire prodigieuse. Toute sa vie il aima et lut Virgile, Horace et même Lucrèce et tant d'autres. La littérature italienne lui était aussi familière; il! citait Boccace, Pétrarque, Dante.
Mondain très recherché, il redevenait laborieux et austère dans son cabinet, fouillant les vieux textes, butinant partout.
Il plaidait bien, surtout aux assises, dans les causes criminelles, et ses péroraisons étaient fréquemment applaudies de l'auditoire transporté. La Restauration lui offrit des postes avantageux, il refusa ; d'ailleurs il est mort sans avoir augmenté sa fortunefamiliale.
Voici une ombre au tableau. Il manquait, ce jurisconsulte éminent, de ces larges vues qui disposent à la tolérance. Epris des: institutions du Moyen-Age, qui étaient, à ses yeux, un type et une forme définitive de la société chrétienne, étranger et peut-êtrehostile au progrès moderne, il se cramponnait au passé, et de cette citadelle en ruines il tirait sans péril ni méchanceté, il faut, le dire à son honneur, sur les hommes et les choses de son temps.. Rêveries inoffensives, pieuses illusions. « Ayons le culte des souvenirs, dit Savatier-Laroche, mais vivons de la vie de nos. contemporains. »
Dans la personne de M. Leclerc, Auxerre et son barreau ont perdu une de leurs gloires et M. Leclerc a eu les obsèques solennelles et le cortège nombreux de ses concitoyens qu'il méritait.
M. Challe
mérite les mêmes éloges. Savatier-Laroche ne les lui marchande pas. Challe débute au barreau sans autre appui que son talent; il y conquiert sa place et la garde honorablement. Il brillait surtout, aux assises, comme Leclerc, et il y a remporté nombre de victoires. Un jour, à la Législative, Savatier-Laroche annonce à. Rouher que Challe se retirait du barreau. « Tant mieux, dit celuilà, il a fait acquitter tant de gredins ! »
Challe n'était pas qu'éloquent, il était jurisconsulte consommé ; nul n'expliquait un point de droit avec plus de clarté. Il a rencontré dans sa vie beaucoup d'adversaires et quelques ennemis de ceux-ci jamais ne fut Savatier-Laroche, qui lui reproche non.
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pas de la versatilité, mais son peu de persistance dans ses opinions politiques. On le voit rédacteur, sous la Restauration, dans une feuille d'avant-garde libérale, puis acceptant et servant la monarchie de Juillet, où il est conseiller de préfecture; après la République, il embrasse la cause du deuxième Empire. Malgré cette souplesse, il n'obtient pas de ces régimes ce qu'il était en droit, semble-t-il, d'en recevoir. Cette conduite habile, trop habile pourrait-on dire, ne le mène pas à un succès. Il a bien conduit sa barque sans qu'elle submerge, mais, dit Savatier-Laroche, n'eût-il pas mieux valu en élever plus haut la mâture, au risque de quelque coup de vent et d'être secoué par la tourmente,?
Heureusement pour lui, Challe avait une autre passion que l'ambition politique. Il cultivait avec ardeur et succès l'histoire et l'archéologie, étudiant et contrôlant les monuments du passé; il les remettait en lumière et les jugeait. Ces investigations ont leur importance et, grâce à elles, se constitue la synthèse historique de notre pays. Challe occupe une place distinguée parmi les successeurs de notre Lebeuf, à côté de Leblanc d'Avau, de Quantin, de Chérest. Les érudits le garderont en mémoire, comme aussi d'ailleurs ses concitoyens reconnaissants, qu'il ait succédé' au baron Martineau et administré sagement leur ville pendant cinq ans et plus, sans faire regretter son prédécesseur.
Mme Colleret.
Savatier-Laroche crut, dans ses Profils, ne devoir pas oublier sa-soeur, celle qu'il appelle quelque part sa seconde mère, dont il garde un souvenir attendri. Elle épousa M. Colleret, notaire et maire à. Appoigny. L'excellente femme méritait mieux dans la vie que le sort qui lui fut départi par la fortune : la mort lui ayant pris sa fille à l'âge de 20 ans et mère d'une petite fille qui mourut à un an et quelques mois, enfin peu après son mari luimême, la laissant seule et désolée, se consacrant toute aux pauvres et aux affligés. A lire cette biographie, on trouve un tableau fidèle de la famille de l'époque et la nouvelle certitude que dans la poitrine de Savatier-Laroche battait un coeur tendre, embrassant d'un seul et même amour passionné la famille, la patrie et l'humanité.
SUIVENT DEUX HISTOIRES VRAIES
Dans la première, il s'agit de deux jeunes gens, sinon amis, du moins bien connus de l'auteur. Tous deux sont morts jeunes,,
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après avoir eu le pressentiment de leur disparition prématurée de ce monde. Savatier-Laroche raconte sans tirer du récit aucun argument. « Qui expliquera, écrit-il en finissant, cet effarement de l'âme, ces intuitions, ces secondes vues, ces élans, ces défaillances, ces chutes ? Qui ne sent que, par certains côtés, nous échappons aux lois immuables de la matière pour nous perdre dans je ne sais quel infini ?
Un souvenir
C'est la seconde histoire vraie. Un jeune Ferville, fils d'un gros marchand, est tenu pour un déclassé parce qu'il n'a aucun goût pour le métier de son père, ni pour aucun autre. Un jour, on apprend qu'il est entré dans l'atelier d'un peintre et que, passionné pour l'art, il réussit et a obtenu au Salon une récompense. Pour se livrer tout entier à son inclination, il a acheté, loin de Paris, une maison où il vit isolé. Un soir d'été, assis devant sa porte, ouvrant sur la grande route, il voit venir une calèche où se trouvent un vieillard et une jeune fille. A quelques pas dé Ferville, l'homme descend, un fusil à la main, vise et tue un coq de bruyère perché sur un peuplier. Or, avant qu'il rejoigne son attelage, le cheval, laissé à la garde de la jeune fille, prend le mors aux dents, épouvanté du coup de feu, et va briser la voiture et s'abattre lui-même contre un arbre voisin. La jeune fille est étendue comme morte. Désespoir dû vieillard dont elle est la fille. Mais Ferville a arrêté et relevé le cheval, la jeune fille n'est qu'évanouie, revient à elle et tous deux remercient l'intrépide sauveteur qu'ils vinrent ensuite quelquefois visiter. Or le père, fouillant un jour un tiroir, trouva une aquarelle, oeuvre de sa fille; représentant l'accident avec, au-dessous : « A mon sauveur et b... a...! » Le père comprit, lut : bien-aimé, s'encourut chez Ferville, visita l'atelier et dit, étonné : « Gomment n'avéz-vous pas peint l'événement qui nous concerne et dont vous êtes le héros ? « Ferville, sans répondre, tire un rideau et apparaît une toile, vrai chef-d'oeuvre, faisant revivre l'aventure. Malgré les instances de M. de X..., personnage de haute noblesse, il refusa de la vendre. C'était assez dire le sentiment qu'il en gardait. M; de X... n'hésite pas, considérant que la noblesse de l'art vaut bien celle du nom, il invite un soir Ferville à passer quelques heures avec lui et des amis. Au milieu de la soirée, il pousse Ferville dans les bras de sa fille : ce furent les fiançailles, le mariage; suivit.
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Un drame en 1814
Un vieillard pauvre, qui travaille à la journée chez le père de Savatier-Laroche a un fils dont il ne parle jamais, lequel est soldat et ne peut sans doute que donner rarement de ses nouvelles. Un jour, pourtant — c'était en 1814, au moment où l'étranger envahissait la France, — le vieux X... reçoit un message de son fils, qui lui donne rendez-vous pour la nuit suivante, au pied d'un vieil orme, sur la route de Chevannes. Le lendemain, le cadavre du fils baignait dans son sang au pied de l'orme et le vieillard était mort, pendu à une branche avec une lettre dans sa main : « J'ai tué mon fils. »
On conjectura que, sur les instances de celui-ci, il l'avait tué pour ne pas le laisser combattre avec l'étranger contre des Français et qu'ensuite il s'était pendu, n'ayant plus rien qui le rattachât à la vie.
Une soirée en 182.
Pendant qu'il faisait son droit à Paris, Savatier-Laroche, grâce à la recommandation de M. Mauger, son professeur de philosophie, était reçu dans certaines très honorables familles de la bourgeoisie et notamment dans l'une où fréquentaient des notabilités de l'époque. Or, à une soirée, la conversation roula sur l'existence de l'âme. Les avis étaient fort divers. Alors le maître de la maison : « Voici trois jeunes gens, je les enferme dans mon cabinet et, dans une heure, ils feront chacun un quatrain exprimant leur opinion. Nous les lirons, nous voterons sur la question qui nous divise.
Voici le premier quatrain :
Radieuse étincelle, En son obscure milieu, Mon âme est immortelle Et son foyer, c'est Dieu.
Des deux autres quatrains, l'un était d'un sceptique, le troisième d'un matérialiste athée.
Ce fut le premier qui réunit 27 voix, c'est-à-dire les voix des assistants, sauf de quelques vénérables dames qui dormaient ou n'avaient pas d'avis.
Le quatrain victorieux était celui du jeune Savatier.
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AVANT, PENDANT ET APRÈS LA COMMUNE
Savatier-Laroche reproduit, vers la fin du volume, six articles. qu'il écrivit dans le journal la Constitution le 20 octobre 1870, le 8 mars, le 25 mars, le 30 mars, le 27 avril et le 1er juin 1871. Eloquents, ces articles expriment la douleur que ressent le patriote par la guerre et la honteuse paix qui nous enlève l'Alsace et la Lorraine, l'indignation qui transporte le républicain ardent et ami de l'ordre en face de" cette guerre civile qui mit nôtre France à deux doigts de sa perte.
Enfin viennent, de la page 209 à 231, des pensées sur les femmes, puis on trouve d'autres pensées encore dans trois autres volumes : Affirmations et Doutes, Etudes morales, Une Semaine, et sur là politique et la religion. De ces pensées, L. de Cormenin a adressé a Savatier-Laroche l'appréciation critique dont nous avons parléplus haut et dont la justesse ne peut échapper à personne.
Citons encore dans ce livre de Profils auxerrois quelques pièces, de vers, dont deux sont des consolations à Mme Colleret sur ses malheurs et trois autres plus courtes sont dédiées à des demoiselles inconnues ou plutôt que l'auteur ne nomme pas.
LE TEMPLE ROMAIN DE MONTMARTRE ( 1)
Par M. l'abbé A. PARAT Correspondant du Ministère de l'Instruction publique
LE SITE ET LE NOM
Dans la bordure des collines escarpées qui serre de très près, sur la rive gauche, la rivière du Cousain, affluent de la Cure, tous les voyageurs en route pour Avallon remarquent une croupe arrondie qui se détache nettement et domine le paysage. C'est le Montmartre, situé à 4 kilomètres en aval d'Avallon, sur la commune de Vault-de-Lugny.
Cette butte, qui cote 357 mètres d'altitude et une hauteur de 210 mètres, est formée à la base par le terrain jurassique dit Lias, qui a fourni sa pierre au château du Vault, et que recouvrent les marnes du ciment de Vassy. Au-dessus s'étagent les calcaires bajocien et bathonien qui ont donné les matériaux de pierre de taille à l'église. Ce dernier, argileux à la base, occasionne deux sources à mi-côte qui coulent en ruisseaux pérennes : les fontaines des Fosses et de Bel. Tout au sommet, le calcaire très dur dessine un mamelon de 30 mètres de hauteur formant une petite terrasse aride qui domine le plateau, lequel s'allonge vers le sud.
C'est au pied de cette calotte rocheuse que se voient les ruines d'une antique construction que tous les archéologues rapportent à un temple romain. Sa situation au sud du mamelon qui l'abrite et en vue d'Avallon, le castrum gallo-romain, ne pouvait être mieux comprise. Toute la côte de Montmartre était autrefois un riche vignoble et son plateau était en culture. Aujourd'hui, cette côte est en friches et la plaine se couvre de bois de pins. Montmartre n'est pas loin des grottes d'Arcy et de Saint-Moré ;
(1) La notice s'est bien fait attendre, car elle avait été décidée aux dernières
fouilles, en 1908, mais parce qu'on la voulait complète et autant que possible
décisive, il a fallu s'adresser aux savants autorisés qui ont eu à se prononcer
sur les différentes questions soulevées à Montmartre en épigrâphie, philologie,.
archéologie, hagiographie et numismatique.
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aussi les tribus néolithiques ou de l'âge de la pierre polie, attirées par les fontaines, y ont laissé des traces nombreuses de leur passage, soit dans la côte, soit sur l'emplacement même du temple. On a ramassé un peu partout des débris de poterie primitive, des meules et molettes de granit, des haches en silex ou en roche étrangère, des pendeloques et autres objets. On parle de six haches dont plusieurs sur le temple même, ce qui n'étonne pas, les haches ex-voto avaient un caractère religieux chez les GalloRomains. Une petite grotte existe dans les escarpements : la Cave aux Loups, mais elle est sans intérêt.
Tout le pays environnant est riche en vestiges des époques anciennes, aux abords surtout des rivières du Cousain et de la Cure. La grande voie d'Agrippa, longeant Avallon; passait à quatre kilomètres du temple. Deux voies secondaires allaient, l'une d'Avallon dans le Haut-Morvan, l'autre d'Autun à Auxerre par la montagne. Sur un territoire de 1.600 mètres de longueur pris d'Avallon jusqu'au confluent des deux rivières, on compte" au moins vingt-cinq villas et trois cimetières mérovingiens. (Carte),
Il faut citer surtout au pied dé la côte de Montmartre une grande villa traversée par le ru des Fosses, une autre en face sur le bord du Cousain, une troisième au château, une quatrième, riche en marbres, à la Vigne-des- Fées, une cinquième sur le plateau même à 200 mètres du temple, à l'est.
La première question qui se pose sur ce lieu dit de Montmartre est celle de sa graphie ou de son orthographe qui entraîne celle de sa destination. Faut-il écrire Montmartre, comme le Montmartre de Paris, ou Montmarte, comme l'ont imaginé les premiers inventeurs du temple romain ?
Le cadastre a donné le nom du lieu dit selon la prononciation que le géomètre a reçue dans le village. Encore aujourd'hui, les gens du pays d'alentour disent Montmettre en accentuant l'r final qui est le point important. Il est significatif, car dans le langage usuel on élimine généralement les r et l'on dit par exemple le Tarte (Voutenay) pour le Tartre (tertre). A côté du Montmartre, il y a la butte de Niètre qui a la même forme orthographique et se prononcé de même. Or déjà, comme le veulent les érudits en philologie, on ne doit pas toucher aux formes anciennes des lieux dits quand même on n'en saurait pas l'origine bu la signification.
Il y a une règle encore plus importante admise par tous les érudits. C'est que la forme la plus ancienne et la plus courante
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est celle qu'il faut adopter ; et tel est le cas pour. le Montmartre d'Avallon. Les archives de la maison de Chastellux, qui posséda un fief au Vault, conservent des actes de vente de 1427, 1540 et 1550 qui portent Montmartre ; seul un acte de 1542 donne Montmartre qui se rapproche du parler actuel, mais où figure l'r final (communication de M. Henri de Chastellux). Les archives de l'hôpital d'Avallon, qui par ses biens de la Maladière avait des vignes au Vault, possède des actes de 1457, 1468, 1540, 3550, où le nom de Montmartre, en un seul nom ou en deux, offre la même forme (Baudoin, la Maladière. Bull. A. 1888). Plus près de nous, dans les actes de notaires et dans un terrier, on lit Montmarthe en 1600 et 1609 et Montmartre en 1603. On a pu vouloir donner à la côte des vignobles du château le nom de la damé qui était Marthe de Mornay ; toutefois la forme ancienne survit.
Pourquoi cette orthographe nouvelle de Montmarte qui sans aucune référence ancienne vient donner un démenti à l'autre qui persiste depuis le XVe siècle? C'est en 1822 que s'est faite la substitution. Les archéologues-amateurs d'Avallon, Préjean et Malot, des lettrés, connaissaient avant les grandes fouilles le nom exact du lieu dit d'après le plan cadastral. Préjean écrit même, en octobre 1822 : « Le terreau de Montmartre (mons Martis). » Montmartre se traduisait-donc selon lui par mons Martis ; de là ce nom de Montmartre qui fut adopté par tous les écrivains comme une traduction toute naturelle, même après la découverte de l'inscription qui dédie le temple à Mercure. Elle fut surtout propagée par Caristie, de l'Institut, architecte, et Mérimée, le littérateur, qui pensèrent que c'était tout simple, puisqu'on avait à Montmartre le temple des dieux, d'y voir l'un d'eux, Mars, dont le nom avait de l'analogie avec celui de Montmartre. M. le commandant Espérandieu m'écrit à ce sujet : « Caristie et Mérimée n'entendaient rien ou pas grand'chose à l'épigraphie. »
Mais l'orthographe, qui paraissait savante et qui avait une signification, fit son chemin. Beaucoup l'adoptèrent : Quantin, Victor Petit, la carte d'étât-major, la carte du service vicinal, l'ancien Guide Joanne, etc. La connaissance récente des lois du langage a ramené les érudits à la forme ancienne; citons : Ernest Petit, Maurice Prou, Espérandieu, Baudoin, le nouveau Guide Joanne, etc. Il restera à donner le sens de Montmartre qui est déjà connu pour le Montmartre de Paris. Deux communes en France possèdent des hameaux portant ce nom écrit de même : Clèré dans l'Indre-et-Loire et Champigny dans Seine-et-Marne; mais aucune donnée archéologique ne s'y rattache.
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LES RUINES
Après avoir établi le bien-fondé du nom du lieu dit, voyons l'origine de la découverte. Ce nom de Montmartre pouvait éveiller l'attention des archéologues, d'autant qu'en 1770, on trouva, dit Préjean, des fragments de marbre blanc au-dessous du temple, auprès de la fontaine de Bel. Mais ce n'est qu'en 1822, et par hasard, que l'on soupçonna l'existence d'un édifice important. Aucune tradition, aucun souvenir, aucun indice n'était attaché dans le pays à ce lieu portant le nom significatif de Montmartre.
C'est en septembre, qu'un nommé Tavoillot, de Domecy, défrichant un champ attenant à la butte de pierres qui recouvrait le temple, découvrit une tête d'homme (celle de Laocoon) qu'il porta chez le curé, la croyant une tète de saint. On en resta là quelque temps, mais l'abbé Lombard, du Vault, remarquant les monnaies romaines qui étaient mêlées aux sous des offrandes, finit par savoir quel paroissien les y mettait.
On encouragea le cultivateur, qui continua ses recherches assez superficielles. Les débris furent portés soit au presbytère, soit à Pontaubert, chez M. Malot, ancien procureur. On intéressa à la découverte M. Ravisy, du Vault, beau-père de M. Geoffroy Saint-Hilaire, qui, dit le rapport, « joint à une fortune considérable un goût décidé pour les beaux arts ». Il fit l'acquisition du champ et pria l'architecte Caristie, un Avallonnais, membre de l'Institut, revenant d'Italie, de diriger les fouilles. Elles eurent lieu en présence de Préjean, ancien procureur du roi, qui en écrivit une relation assez courte dans le volume intitulé Voyage à Pompéi, Paris 1829, et de Malot, ancien procureur impérial, qui les décrivit plus longuement dans une série de lettres parues dans le Bulletin de la Société d'études d'Avallon, 1868. Moreau père, professeur au collège, dessina les principales pièces d'archéologie dans la relation de Malot, et Laureau, de Thory, classa les cent quatre médailles dans un catalogue inséré dans la notice Préjan.
C'est le 25 novembre qu'une vingtaine d'ouvriers attaquèrent la butte qui recouvrait les ruines ; et chaque jour, Malot notait les découvertes d'objets, avec le lieu du gisement. On ne saurait mieux désirer, et l'on peut dire que le relevé des plans, la description des trouvailles, l'inventaire des pièces, les dessins exacts des principales sculptures, la conservation des objets font de ces travaux un modèle de découverte archéologique. J'ai pu m'en rendre compte par mes fouilles qui, dans le temple et sa terrasse,
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n'ont rien laissé d'intact et ne m'ont rapporté que de menus objets. Le mot d'Ernest Petit, « l'emplacement du temple n'a même pas été entièrement exploré », est donc inexact.
Par la lecture du journal de Malot, qui va du 25 noyembre au 15 décembre, jour de neige et de froid intense où les fouilles furent arrêtées, on peut tracer sur un plan la situation des débris du mobilier lapidaire qui se trouvaient toujours enfouis à 30 et 60 centimètres. En dehors du temple, côté sud, le défrichement le long du mur avait mis à découvert un torse en marbre, la tête de Laocoon (PI. II, F. 3), une tête casquée sans visage (PI. III, F. 3), une cuisse d'une statue colossale. Sur le côté nord, les fouilles n'ont trouvé qu'un fragment de jarret de cheval.
Les deux gisements principaux étaient localisés dans les galeries nord et est. Celle du nord contenait deux statues entières qui ont une valeur de document. Elles étaient « couchées sur le ventre, les pieds tournés vers l'angle, auprès d'un piédestal ». A l'angle nord-est, c'était la statue de l'Apollon drapé tenant une coupe des libations ; à l'angle nord-ouest, c'était l'Apollon archer. Leur conservation, leur position à la place même qu'elles occupaient au milieu des débris des autres statues permettent des hypothèses qu'on exposera.
Disons tout de suite que dans les galeries de l'ouest et du sud on ne signale aucune trouvaille. Tout le reste était réuni dans la galerie est, qui touche à l'entrée; les deux têtes de Pallas ou Minerve, l'une en marbre, l'autre en pierre, des pieds et des mains en marbre du côté gauche; une tête frisée en pierre, des pieds, des mains, des jambes, des bras, tous fragmentés, des draperies en marbre. Du côté droit, en face de la porte, à l'extérieur, à la distance de 1 mètre 50 et à la profondeur de 60 centimètres, un premier fragment de la tablette de marbre portant l'inscription a été mis au jour. Plus près de la porte, on a recueilli une tête en marbre mutilée de jeune homme. Mais une découverte qui complète les autres est celle de nombreuses médailles, à deux mètres de cette porte et dont 72 se trouvaient réunies.
Ces premières fouilles mirent à découvert les ruines du temple avec son annexe et fournirent une abondante collection de débris artistiques et de médailles. Elles laissèrent toutefois intact le sol du bâtiment des gardiens qu'on se promettait de déblayer plus tard. Le travail achevé, on ramena les pierres sûr les ruines et leurs bordures, de sorte que, plus tard, personne ne put dire au juste où était leur place dans le champ qu'on appela le Champ des Idoles.
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Les fouilles furent reprises les hivers de 1907 et 1908, avec quatre ouvriers qui se trouvaient alors, heureux temps ! contents d'une journée de 3 francs. Je dois dire ici, avec gratitude, que ce fut grâce aux souscriptions du Ministère, du Touring-Glub, des. Sociétés savantes d'Auxerre et d'Avallon, et de nombreux particuliers où se trouve un groupe de touristes anglais visitant les fouilles; Le premier résultat a été de rendre les ruines à la lumière et à l'examen des archéologues. De plus, le plan s'est augmenté de deux murs dé clôture au nord et au sud et d'une petite salle adossée au sud au grand bâtiment. La récolte a eu son importance par la découverte, dans la salle centrale, où l'on n'avait signalé que « des débris de verre, d'amphores, de marbre et quelques médailles », d'un torse en marbre blanc dont la poitrine tailladée forme un vrai document. De plus, on a recueilli 30 médailles, une cuiller des sacrifices en argent et un bouton émaillé. Le grand bâtiment, sur lequel lors des premiers travaux, on fondait des espérances de trouvailles, ne fut pas exploré faute dé ressources, mais un fossé mené tout le long des murs à Tinté— rieur n'a donné aucun résultat.
Malot avait remarqué « à cent cinquante pas à l'est des ruines un monceau de pierres assez considérable et alentour des pierres.
taillées, des débris de tuiles », ce qui paraissait indiquer une villa. La butte, en effet, recouvrait une habitation, mais c'était
une salle unique de 6 mètres 50 de longueur, la façade tournée à l'est. Chose particulière, le devant formait une terrasse en maçonnerie,
maçonnerie, de 1 mètre sur 2 mètres de largeur, et le mur où elle s'appuyait avait des enduits colorés, ce qui supposait un abri couvert. La récolte a donné des poteries communes et des.
samiennes, des tuiles, des briques, deux fibules en bronze, sept
médailles, dès fragments de membres de trois statues : une grande.
et une petite en pierre, une autre petite en marbre blanc.
L'ÉDIFICE
C'est encore d'une ruine qu'il s'agit, mais on peut en tracer le plan et en indiquer le mode de construction. L'ensemble représente une enceinte carrée, les faces orientées aux quatre points cardinaux. A quelque distance des faces nord et sud sont des murs de clôture. Devant la façade est, qui contient l'entrée, s'étend une cour ou terrasse bordée sur l'autre côté d'un bâtiment rectangulaire en parallèle avec cette façade. Sur le petit
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côté sud du rectangle s'adosse une chambre et le bâtiment se relie au temple par des murs (PL I. F. 2).
Le temple, considéré seul, présente une enceinte carrée de 16 mètres de côté à l'extérieur. Il a sa face principale tournée vers l'est, regardant Avallon et s'ouvrant par une porte de 2 mètres 30 de largeur. Cette enceinte renfermé une autre enceinte pareille, à trois mètres de distance, ce qui forme une galerie de 46 mètres de développement. Au centre, enveloppée par cette seconde enceinte, se trouve une salle presque carrée de 8 mètres 70 sur 7 mètres 80. Les murs ont encore 50 à 70 centimètres de hauteur, reposant sur une fondation de 30 centimètres, avec une épaisseur de 60 centimètres. Tous les murs sont faits du moellon bien taillé de la pierre de la montagne dont on voit les carrières. C'est un calcaire lisse, dur, qui se débite en tablettes de 5 à 8 centimètres d'épaisseur. A l'entrée, les parements sont de la même pierre dont la taille est plus soignée. Partout un enduit épais à la chaux pure recouvre cette maçonnerie qui est fort solide. Dans an endroit restreint, à l'intérieur, on voit quelques briques. intercalées dans les assises et le ciment romain. A la porte, gisait une grande dalle assez brute, percée d'un trou à l'extrémité, qu'on pouvait prendre pour le seuil.
Dans la galerie nord, il restait des plaques de l'enduit. Une surface était couverte d'un mortier de chaux mêlé de sable granitique et tapissé d'un lit de chaux pur très poli. On a relevé des restes de peintures de couleur vive et formant des bandes horizontales traversées à l'angle par une bande verticale ; les couleurs. sont le blanc, le jaune et rouge d'ocre et le vert émeraude. On trouve ces peintures reproduites au musée d'Avallon, avec un rameau à feuilles d'acacia sur un enduit, recueilli en 1822, (PL III, F. 13).
On suivait cette décoration partant du mur est sur 80 centimètres, puis, après une lacune, l'enduit reparaissait, mais il était grossier, rugueux. Sur une surface de 70 centimètres sur 50 s'étalait un dessin de figures géométriques fait à l'ocre rouge. Ce sont des rectangles verticaux séparés par des bandes, des cercles et demi-cercles, des diagonales se coupant au centre dans un cercle. Préjan appelait ces dessins « barbares », et il était dans le vrai, car ils rappellent les dessins de poteries de l'époque, mérovingienne. (PL I. F. 3).
Le grand bâtiment, séparé du temple par une terrasse de 6 mètres 50 de largeur, mesure 21 mètres 50 sur. 11 mètres 50 extérieurement. Du côté nord existe un mur de séparation à trois.
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mètres du mur principal. Sur le devant du bâtiment, un mur parallèle à la façade, à distance de 50 centimètres, forme une sorte de canal qu'on a trouvé en partie dallé de tuiles à rebords. Sur le petit côté sud du rectangle, muni de contreforts, s'adosse une petite chambre carrée de 4 mètres 50 de côté, qui a fourni de nombreuses poteries cammunes. La construction de ces parties est la même que celle du temple, mais moins soignée. Les fouilles s'étaient arrêtées à cette annexe ; on comptait les reprendre; se promettant de nouvelles trouvailles. Elles sont restées inachevées, mais des; recherches faites tout le long des murs en 1907; n'ont donné aucun résultat. A cette époque, on a reconnu de plus des murs de clôture au nord et au sud, à trois mètres des bâtiments, sur 8 à 10 mètres de longueur ; ils ont 80 centimètres d'épaisseur et faits de gros matériaux.
Le temple, la cour et le bâtiment d'habitation paraissent bien établis au même niveau, et les premiers chercheurs disent, en effet, n'avoir pas trouvé trace d'escaliers au-devant de la porte du temple. Mais parce que les constructions formaient une terrasse surélevée, un escalier de trois ou quatre degrés, placé au sud, entre le temple et l'habitation, devait conduire à la cour. Le plancher du temple est encore en place ; il est formé de pierres ■debout sur 10 centimètres, recouvertes d'un béton fait de petits cailloux calcaires d'une épaisseur de 5 centimètres. On n'a pas vu, en 1822 et en 1907, de traces de dallage et de débris de mosaïque. Un seul indice trouvé dans les dernières fouilles consiste en un fragment de plaque schisteuse noire. C'est une sorte qui vient probablement d'Autun et qui se rencontre dans beaucoup de villas. Servait-elle au dallage ou à un revêtement ? La salle centrale offre le même sol qne la galerie ; le plancher est légèrement incliné, mais on n'y voit pas de trou d'écoulement,
Nulle part on n'a découvert de traces de colonnes comme il s'en trouve au temple grec que Victor Petit a reproduit dans ses Villes et Campagnes (page 95) et qu'Ernest Petit appelle une « reconstitution absolument fantaisiste ».
Le péristyle de ce genre de temple aurait fait reposer ses colonnes sur un soubassement de grand appareil. Or ; notre temple est une construction tout à fait rustique, même à la base. On a écrit que les colonnes, qu'on croit disparues, auraient été utilisées au château de Domecy; mais M. de Domecy, consulté, déclare qu'il n'en est rien.
D'après Caristie et Ernest Petit, la salle centrale n'était pas couverte et recevait ainsi le jour qui se répandait dans les gale-
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ries dont le toit était soutenu par des pilastres et des arcades au travers desquelles passait la lumière, le mur extérieur étant tout à fait plein. Mais quel était le portail de cette construction rustique ? On lui donnerait celui qui est figuré dans un petit temple de Pompéi : c'est-à-dire une porte encadrée de deux colonnes et couverte d'un chapiteau. On a pensé que deux colonnes de pierre dure (PL III, F. 21) gardées chez un habitant du Vault, rive droite, viendraient de Montmartre, parce qu'elles ont le type romain au sommet, l'astragale faisant partie intégrante du fût ; mais ce type se trouve encore à l'époque barbare. Or tout auprès s'élevait une petite église de cette époque à laquelle on pourrait mieux attribuer ces colonnes. On a dit aussi que les colonnes de marbre de l'église primitive de Saint-Martin d'Avallon proviendraient de Montmartre, ce que la simplicité de son temple ne permet pas de croire. On a supposé, plus justement, que sur la voie romaine bordée de sépultures, à la porte du Castrum, s'élevait un petit édifice sacré décoré de ces colonnes d'un marbre rare.
LE MOBILIER
Le temple ne se recommandait donc pas par un luxe de construction, mais son mobilier rachetait cette rusticité bien établie. « Têtes et sculptures, écrit M. Salomon. Reinach, sont d'un intérêt extraordinaire; et l'art y avait là un vrai musée de copies. » (Lettre du 22 mai 1922). Et les galeries qui contenaient ces statues étaient, à en juger par quelques débris, rehaussées de peintures, de corniches et dé revêtement de marbre blanc. C'est une chose unique en France qu'un temple romain, gardant avec son enceinte des statues entières, des têtes intactes et tout un ensemble de torses et de membres d'un bon style.
Tous ces objets, recueillis avec soin, ont été notés dans un catalogue qui comprend 62 articles. La collection, gardée d'abord par Achille Ravisy, fut donnée par ses entants à la ville en 1868. Elle fut déposée au musée de la Société d'Etudes, à la Tour d'horloge, où son installation laissait fort à désirer. Elle est maintenant en belle place au Musée municipal, où elle forme un groupe à part. Et cette collection a conservé la totalité des objets découverts à Montmartre. Une belle pièce toutefois avait été réservée, c'était l'admirable tête en marbre blanc de Minerve. Elle ornait la salle de bibliothèque de M. Geoffroy Saint-Hilaife, au Vault, et à sa mort elle fut vendue 1.500 francs, acquise heureusement par
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un de ses parents résidant près de Semur. Mais le possesseur avait bien voulu permettre, avant sa mort, de la confier au Musée des antiquités nationales de Saint-Germain pour un moulage. De sorte que la parfaite reproduction de ce petit chef-d'oeuvre est à Saint-Germain et au musée d'Avallon.
Les statues composent la partie principale du mobilier lapidaire, et deux sont presque entières : 1° La statue en pierre tendre de 2 mètres 10 de hauteur (PL III, F. 1) est dite Flamen (Flamine ou prêtre) par Salomon Reinach. (Répertoire de la statuaire grecque et romaine, t. IV,; p, 310). Elle est appelée par le commandant Espérandieu « Apollon drapé et voilé, copie romaine d'un modèle grec"; le bras droit qui tenait une patère manque ». (Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, t. III, n° 2239). Moreau a figuré la tête (PL II, F. 1), le pied de la statue et la patère jadis tenue par la main (PL III, F. 7, 8). Ce qui est remarquable, c'est la souplesse des plis du vêtement et leur disposition qui laisse voir les formes du corps. 2° L'autre statue, à qui manque le bas des jambes (PL III, F. 2), mesure encore1 mètre 46. Elle est dite simplement Apollon par S. Reinach... (Recueil, p. 53). E. Espérandieu l'appelle « Apollon archer(pithien) nu, debout, portant en bandouillère son carquois; dans lequel la main droite puisait une flèche; cette main, le carquois, la main gauche font défaut ; copie romaine d'un modèle grec ». (N° 2238). On a retrouvé une partie de carquois (F. 10) ; la tête, dessin de Moreau, est figurée P. II, F. 2.
Les têtes, dont on ne s'explique pas dans cette mutilation générale la bonne conservation, sont au nombre de huit : 1° La tetê de Pallas-Athena, la Minerve romaine (PL II, F. 5), d'après une photographie, de 20 centimètres de hauteur, en marbre blanc et non en calcaire tendre, comme le dit Espérandieu (n° 2236), est » coiffée d'un casque athénien, bonne copie d'une oeuvre grecque, peut-être scopasienne ». D'après S. Reinach, cette tête dériverait d'un original de Sicile. On peut voir dans son livre : Recueil de têtes antiques (PI. 101, p. 80), que la Minerve de Montmartre est comme un fac-simile de la tête enterre cuite d'Athéna, du Musée du Louvre, dont il dit qu'elle « offre tous les caractères de l'art grec du IVe ou Ve siècle. L'aspect en est très juvénile ; il s'en dégage un air exquis de simplicité et de candeur. Si ce n'était Athéna, ce pourrait être Jeanne d'Arc ». Ce type pourrait être du à Scopas, « ce qui n'est pas invraisemblable » (1).
(1) Scopas, célèbre sculpteur grec du Ve siècle avant Jésus-Christ. Auteur du fameux Mausolée.
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Les premiers archéologues l'appelaient la déesse Roma, qui n'en différait que par le casque.
2° Une tête en pierre, dite de même par Espérandieu (n° 2235). « Minerve coiffée du casque Corinthien, le derrière de la tête manque, 30 centimètres de hauteur, copie romaine d'un modèle grec ». D'après lui, l'énorme bâton ou sceptre (PL III, F. 9), qui mesure encore 1 mètre 75 et devait avoir plus de 2 mètres, serait la lance de la déesse. Oh le donnerait mieux à la statue colossale qui pouvait avoir 3 mètres de hauteur.
3° Une tête « en calcaire tendre (PL H, F. 3) de 33 centimètres de hauteur, barbu, à cheveux longs, dont le visage exprime la douleur, la bouche ouverte laisse voir les dents, peut-être Laocoon ». (N° 2237) (1).
4° Une tête en marbre de même dimension, « coiffée d'un casque corinthien élevé, sans visière et sans couvre-nuque, chevelure abondante, mais la figure manque, serait une Pallas ou Minerve ». (PL III, F. 3).
5° Une tête en marbre d'adolescent, grandeur naturelle, dont la face gauche fait défaut, d'un mérite égal aux autres. (PL III, F. 4). D'après S. Reinach, ce serait Apollon ou Bacchus, et la copie remonte à « un bel original du IVe siècle ».
6° Une tête en. pierre d'homme, aux cheveux frisés, dont la partie inférieure manque. Elle a été prise par les premiers archéologues pour un type barbare. (PL III, F. 5). Ce serait une copie peut-être « d'un original peu archaïque, qui était un Hercule, de la fin du ve siècle; mais le travail des cheveux a été mal compris par le copiste».
A part les deux statues entières et les têtes qui désignent sûrement des statues, il existe des parties qui ne laissent pas de doute sur la présence de plusieurs personnages sacrés. 1° Une colonne rectangulaire, haute de 50 centimètres, que décoré au sommet une sorte de robe à plis sur 56 centimètres, figurait le dieu Terme, gardien des champs, dont la tête manque.
2° Il y a une dizaine de fragments, des cuisses surtout, d'une statue colossale, dont un gros doigt du pied reposant sur un socle dénote un sujet qui mesurait au moins 3 mètres de hauteur et qui pouvait être un Jupiter.
3° Un torse en marbre, sans vestige de bras, de 50 centimètres de largeur, portant une draperie légère jetée sur l'épaule gauche ;
(1) Voir S. R. Têtes antiques, Laocoon, pl. 228.
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il est sans trace de mutilation sur les deux faces et pourrait être le dieu Mars. (PL II, F. 6).
4° Un torse de marbre, de 40 centimètres, trouvé dans la salle centrale ; il a les deux faces comme tailladées. Le marbre n'étant pas sensible à la gelée et nulle part ne se montrant ce genre de mutilation, on ne peut l'attribuer qu'à des coups portés avec; acharnement. Ce serait, de ce fait, le dieu principal Mercure, qui occupait la salle du milieu. Ces deux torses ne peuvent apparteniraux Minerve qui étaient drapées.
5° Une statuette d'enfant en pierre, dont il reste le buste vêtu d'une tunique et la base des bras. (PL III, F. 6).
6° Un fragment en pierre d'un bras d'adolescent.
7° Un cheval en pierre dont le seul vestige est un jarret d'un animal de taille ordinaire et non colossal, comme on l'a dit. Il pourrait être celui d'un centaure : homme-cheval, dont Caristie a trouvé des spécimens au théâtre d'Orange.
Le mobilier lapidaire comprenait donc au moins treize statues. dont cinq étaient en marbre. Celles dont la tête mesure 30 centimètres étaient hautes de 2 mètres, les autres avaient une taillecommune. Les objets en pierre appartenant à ces statues sont, en fragments : un bâton en pierre, dont il est parlé, à section ovalede 9 centimètres de largeur, orné de quatre gros boutons à la base;, un bouclier rond de 55 centimètres de diamètre, sur lequel courent des serpents, bouclier de Minerve, dit l'égide ; un cimierde casque, une poignée de sabre tenue par une main, une tête, d'oiseau (PL III, F. 11), un fragment de fourreau en marbré.
Certaines parties des statues sont à remarquer; on citera : en marbre, une jambe adhérente à un tronc de palmier de 67 centimètres; quatre pieds, deux mains, d'énormes fragments decuisses. En pierre, deux pieds, quatre mains. Tous ces accessoires, dénotenf des statues de 2 mètres de hauteur. A ces statues appartiennent des draperies de vêtement; deux sont en marbre et mesurent 60 et 70 centimètres, deux autres sont en pierre ; il y avait donc des personnages nus ou drapés en marbre et en pierre.
Les objets servant à l'ornementation sont variés. Il y a un fragment de corniche en pierre, de 58 centimètres, avec trois, modillons et deux rosaces dans les interstices (PL III, F. 12), un plateau polygonal à la base, portant une moulure circulaire qui devait recevoir une colonne de 22 centimètres de diamètre et servir de support à une statue ; des bandes moulurées (PL II, F. 14),. plinthes ou cimaises en marbre de 10 à 12 centimètres et de cinq profils différents, il s'en trouve 4 mètres 50; des bandes; mou-
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lurées en pierre, de trois profils différents, il s'en trouve 80 centimètres ; des plaques de revêtement en marbre, de 2 à 4 centimètres, d'épaisseur et 30 centimètres sur 18.
La numismatique se réserve un mobilier qui est précieux, parce, qu'il offre un document pour dater l'âge des monuments. Les médailles sont rares dans les villas, car elles ont reçu la visite après les invasions des peuples dépouillés, de tout. C'est une exception de les trouver en si grand nombre à Montmartre. On peut y voir l'aversion qu'éprouvaient les chrétiens pour un argent offert aux idoles.
Voici, d'après la notice de Malot (Bull. 1868, p. 119 et 137) la liste des 97 médailles, dont 72 se trouvaient devant la porte du temple « réunies au même endroit » : Trajan, 117, moyen bronze (le chiffre est celui de la mort) ; 2 Marc-Aurèle, 180, une en argent ; Alexandre Sévère, 235, gr. br. ; 3 Gordien III, 244, argent ; Constance Chlore, 306, m. br.; Hélène, femme de Constance; 2 Maximin, 313, m. br. ; 2 Licinius, 328, p. br. ; 18 Constantin-leGrand, 337, p. br. ; 6 médailles sous le nom de Rome, p. br. ; 4 médailles sous le nom de Constantinople, p. br. ; 7 Crispus César, 309, p. br. ; 11 Constantin-le-Jeune, 340, p. br. ; 4 Constant, 350, br. quinaire ; 10 Constance II, 361, p. br, ; 10 Décence, p. br. et quinaire ; Constance Gallus, p. br. ; Julien II, 354, p. br. ; Valentinien 1, 375, p. br.
Les dernières fouilles, menées minutieusement, ont enrichi la liste de trente nouvelles médailles qui furent trouvées aussi devant l'entrée du temple. Elles ont été déterminées par M. Mani-. facier, de la Société des Sciences. Ce sont les mêmes empereurs, sauf : Vespasien, 79 ; Dioclétien, 305 ; Valens, 378. On remarquera que les médailles du Haut-Empure sont rares et que les autres, sont souvent des petits bronzes, ce qui dénote des offrandes très, modestes et plutôt des derniers temps.
L'INSCRIPTION
Les statues de Montmartre pourraient nous dater le temple du IIe siècle, dit le siècle des Antonins, mais la pièce importante est l'inscription qui indique en même temps à quel dieu il était consacré. Cette inscription était gravée sur une plaque de marbre blanc de 49 centimètres sur 48 ; et il en reste encore une bonne moitié en neuf fragments. (PL I, F. 4). L'inscription se compose de trois lignes qui devaient occuper une surface de 43 centi-
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mètres sur 23. Elle est faite de lettres majuscules de 4 centimètres et annonce « une très bonne époque». (S. Reinach, Espérandieu). « Je la daterais, dit ce dernier, du milieu du premier siècle. » Elle a été publiée par le Corpus des inscriptions latines de Mommsen, t. XIII, 2839.
La plaque brisée n'a pas gardé tous ses fragments, et; les lacunes, à. la première ligne surtout, forment une difficulté de lecture qui a fort embarrassé les épigraphistes. Il fallait d'abord
pour se prononcer, avoir la reproduction exacte que donne la photographie. Et cette reproduction est conforme aux dessins faits dès la découverte par Préjean (PL III, fig. 15) et par Moreau (partim) (F. 16). Ces deux dessins ont même indiqué le trait de la base d'un E précédant l'R, qui ne paraît pas dans la photo par. suite sans doute du départ d'une esquille. (Voyage à Pompéi, p. 12
et pl. n°3).
Au contraire, Prosper Mérimée (Voyage dans le Midi de la France, 1835) et Quantin (Bibliothèque historique, t. I, p. 30) ont donné une lecture fautive, l'un dans le texte N-RC, l'autre dans le texte NERC (F. 17, 18). Il était utile de faire connaître ces erreurs aux érudits.
La première ligne annonce la dédicace du temple faite à un dieu par Un personnage nommé à la troisième ligne. C'est le nom
de ce dieu qu'il s'agit d'identifier et que l'absence d'un fragment rend litigieux. Le mot DEO, en effet, est suivi d'une lettre qui peut être un N ou un M, après laquelle se trouve un intervalle avant la lettre R qu'il faut remplir. D'après les dessins de Préjean et de Moreau, un E précéderait l'R, comme le dit l'auteur : « l'E qui suit l'M ne paraît pas douteux, quoique l'on n'ait que le trait inférieur ». Et Mérimée dit aussi : « Entre le N et le R on voit comme le bas de E. »
Toute la difficulté se concentre dans la lecture de la première
lettre, et sur ce point important, les savants les plus autorisés ont été consultés, ayant sous les yeux une photo de 12 centimètres sur 11, Caristie, le premier, « rejette, dit Préjean, la supposition d'un M à cause de l'élévation perpendiculaire du trait du second jambage et du peu de distance avec le troisième qui serait uni à l'E. Alors, ajoute Préjean, il faudrait lire DEO NERC, ce qui ne
se rapporterait à aucune divinité et serait inintelligible.» On pourrait, invoquer une faute de graveur, mais, dit Espérandieu, « l'inscription n'est pas d'un graveur maladroit, et a priori on ne
peut la croire ».
M. Gagnat, de l'Institut, dit : « Malgré tout, il faut lire, on peut
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lire Mercurio ; il s'agit bien d'une dédicace au grand dieu galloromain Mercure. » M. Salomon Reinach, conservateur du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain, dit l'inscription « très mystérieuse, impossible de lire DEO MERCURIO par la raison qu'il n'y a ni M ni E, mais plutôt NI ou NV, un dieu inconnu ». M Thomas, de l'Institut, se dit « d'accord avec M. S. Reinach pour penser que la première lettre du mot qui suit DEO ne peut pas être M, mais serait N. Donc il n'y a pas à songer à MERCURIO ». M. Maurice Prou, directeur de l'Ecole des Chartes, dit « c'est une énigme », considérant l'espace étroit qui sépare la première lettre de l'R. Le commandant Espérandieu dit : « La lecture Deo Mercurio est la seule qui puisse convenir. Il me semble que la lecture M E liés n'a rien d'impossible. » M. Adrien Blanchet, de l'Institut, qui fut élève de Héron de Villefosse, dit « avoir étudié les photographies de l'inscription, et il pense que si les morceaux de la plaque se rejoignaient bien, on aurait une M très élargie, comme nous avons un O, mais possible tout de même. D'ailleurs, je ne vois pas, dit-il, à quel dieu pourrait convenir le groupe. » M. Jules Toutain, directeur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, se dit « partisan de la lecture de Deo Mercurio et ajoute : je crois qu'il y aurait assez de place pour une ligature », qui ferait du jambage de l'E le second jambage de M. D'ailleurs, selon lui, « il y a des gaucheries dans la gravure; l'E de Deo, le T et le P de stipibus sont quelque peu irréguliers. Je ne crois pas que l'argument tiré de la largeur et de la distance des lettres soit irréfutable. » C'est dans ce sens, d'ailleurs, que Victor Petit, éminent dessinateur-archéologue de l'Avallonnais, avait, en 1869, résolu le problème. Un cliché, envoyé à la Société d'Etudes, donne une restitution dont on a détaché (F. 20) la partie litigieuse.
On peut voir sur le dessin d'Espérandieu, qui est un calque d'une photo de 12 centimètres sur 11 (F. 19), comment il entend ■restituer ce membre en litige de l'inscription, d'accord avec MM. Blanchet et Toutain. On se rangerait aisément à ce sentiment, surtout après l'inspection de la plaque elle-même où la pointe supposée d'un N reste fort douteuse.
La deuxième ligne ne donne lieu à aucune discussion importante. M. Espérandieu dit que la forme ordinaire est stipite. M. S. Reinach pense que stipibus doit se compléter par conlatis (par souscription). Mais, pour la régularité qu'on suppose exister entre les lignes et la règle grammaticale, on ajouterait plutôt E T.
La dernière ligne a été bien lue dans le Corpus cité plus haut :
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« CVRAIVLII. » On y remarque l'absence du nom de famille et le rapprochement excessif de l'A de Cura et de l'I de Julius, sans aucun signe de séparation comme ailleurs.
Mais un nouvel examen s'imposait après les prudentes réserves du commandant. Car il m'écrivait : « Je ne me prononce pas, n'ayant pas sous les yeux l'original. En somme, ma consultation ne résoudra pas, je le crains, le problème. » Or, de cet examen, il résulte que le point litigieux n'est pas sur l'espace suffisant où se placerait un M, mais sur l'existence même de cette lettre dont on devrait trouver un indice, si léger soit-il.
La figure 21, reproduisant par un calque la forme exacte! de la lettre douteuse, semble bien permettre de lire, d'une façon négative, la vraie lettre. En effet, au bas du jambage, où l'on voit la pointe entière, le fragment de la plaque forme une marge dequatre millimètres au-dessus de cette pointe. S'il s'agissait d'un M, on verrait certainement l'amorce du second jambage, si, faible serait-elle. Or le marbre est intact et n'a pas reçu de gravure.
Il était bon de laisser la discussion se faire sur la première difficulté, qui tout d'abord semblait la seule, Et maintenant il faudrait donc en revenir à une lecture qui trouble l'épigraphie, car NERCVRIO n'a pas de sens. Pour sortir d'embarras, on devrait recourir à une faute de graveur et voir dans le Corpus s'il n'existe pas des exemples de ce genre. Je rappellerai toutefois, qu'à Saint-Moré, l'ancien Cora, il y a sur la haute colline escarpée où sont percés les tunnels, à 9 kilomètres de Montmartre, un sommet qui s'appelle Nermont. Il y a là un chêne rabougris, dit de Saint-Moré, qui est encore en vénération.
Après une étude prolongée de la plaque et l'examen des observations nombreuses venues des archéologues, je donnerai un essai de restitution de l'inscription telle que le suggère le cadre régulier des lignes d'une gravure artistique. A la dernière ligne,! on a ajouté, par une pure supposition, le nom de Celsus, qui se trouve dans l'inscription de la stèle de Voutenay, dédiée à Mercure, parce que ce nom de six lettres finit justement une ligne qui correspond à la première. Toutes les lettres ajoutées ont la dimension et sont à la même distance que celles qui sont visibles..
DEO-NERCVRIO
EX-STIPIBVS-ET
... CURA IVLII [CELSI]
L'époque à laquelle remonterait la construction du temple de
17 DE MONTMARTRE 259
Montmartre, datée par ses statues, coïncide avec celle où « il est question d'une manière officielle d'Aballonem, dans l'Itinéraire d'Antonin, au IIe siècle de notre ère ». (E. P.). A cette époque, le culte de Mercure, dieu des voyageurs et du commerce pour les Gaulois, était prépondérant. « C'était le dieu que les Gaulois latinisés aimaient par-dessus tous les autres pourvoyeurs d'idoles. » (Jullian)! « Mercure est nommé en tête de tous les dieux gaulois et a été figuré à des centaines d'exemplaires. » (S. Reinach). Dans son Répertoire de la statuaire, on voit que Mercure est figuré sous près de 150 types. « Mercure est de tous les immortels celui dont on parlait le plus au ive siècle. » (Beugnot). « Le culte de Mercure eut beaucoup de vitalité, s'identifiant avec lé" culte gaulois de Lug. » (Lavisse). « Lugos était honoré sur la colline où, avant Jésus-Christ; était établie une colonie militaire et que les Gaulois appelaient Lugdunon (Lugdunum), dunum en gaulois signifiant montagne, lequel lieu s'est dit Lyon. »
Les monuments consacrés à Mercure sont nombreux dans la Bourgogne. C'est le cippe ou autel domestique de Voutenay (musée d'Auxerre); une statuette en bronze, d'Island; un ex-voto de Magny-sur-Tille (musée de Dijon); une statue du musée d'Autun ; une inscription à Villey-sur-Tille, et combien d'autres trouvailles signalées par Bulliot dans son étude sur la Mission de saint Martin dans le pays éduéen, 1889. Mais ce qui frappera davantage, c'est la proportion constatée dans les six volumes d'Espérandieu, de son Recueil général des bas-reliefs et statues de la Gaule romaine : on y a compté 258 Mercure et seulement 69 Mars.
LE NOM DE MONTMARTRE
Le temple de Montmartre d'Avallon, comme celui de Paris, a été le temple de Mercure, mais il ne s'y attache pas le souvenir des martyrs. Toutefois, le nom étant le même, on se demande d'où vient ce nom ? S'est-il substitué au premier, c'est-à-dire à Mercure, ou bien en dériverait-il ? C'est là une question de philologie qui a été pour Paris le sujet de controverse. On a donc invité, comme pour l'épigraphie, les savants autorisés à nous exposer leur sentiment sur l'origine du nom de Montmartre.
Voici ce qu'on sait du Montmartre de Paris. La vie de saint Denis, écrite au IXe siècle, antérieurement à 840, par Hilduin, abbé de Saint-Denis, indique expressément que le Montmartre, qui auparavant s'appelait Mont-de-Mercure (Mons Mercurii), de la
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principale idole honorée dans les Gaules, s'est appelé Mont-desMartyrs (Mons Martyrum), rappelant l'endroit où saint Denis et ses compagnons ont souffert pour la foi chrétienne. Or, au VIIe siècle, la Chronique dite de Frédégaire nous apprend que Montmartre s'appelait Mons Mercore, forme populaire de Mercurius, qui se prononçait Mercourious.
Ces deux textes ont donné lieu à des études divergentes. M. Longnon dit que le nom Mons Mercurii est certainement le nom primitif de Montmartre. Ce nom était aussi celui de plusieurs lieux de la Gaule à l'époque romaine. On peut citer le bourg de Saint-Michel-Montmalchus, en Vendée, appelé \Mons Mercurii en 1300, qui est devenu Montmerqueur ou Montmerqueu, pour aboutir finalement à Montmalchus. Or, en l'absence d'une preuve quelconque, il est imprudent d'affirmer qu'il ait produit Montmertre ou Montmartre. Le nom latin de Mons Martyrium, qu'Hildouin dit avoir été substitué au nom primitif de la montagne, portait l'accent tonique sur l'antépénultième, c'est-à-dire sur l'a : c'est par conséquent la seule étymologie que l'on puisse accepter du nom de Montmartre. (Auguste Longnon, centenaire de la Société des Antiquaires de France. Recueil des Mémoires, 1904).
Cette dissertation de Longnon répondait à l'opinion de Julien Havet, qui, dans la bibliothèque de l'Ecole des Chartes 1890, fait venir Montmartre de Mons Mercurii, opinion qu'il fut seul à . défendre. M. Salomon Reinach croit que le changement du; nom primitif s'est fait par les chrétiens en vue d'une désaffectation au moyen d'une légère altération qui a produit Mons Martyrum, Montmartre. M. Thomas dit : « J'estime que Montmartre, partout où il existe, représente Montem Martyrum. » M. Maurice Prôu dit aussi : « Mieux vaut l'étymologie Mons Martyrum. »
Mais à côté de l'étymologie classique, s'est placée une nouvelle méthode appelée la phonétique, qui est devenue dans le laboratoire de l'abbé Rousselot, à la Sorbonne, une sorte de science" instrumentale du langage. De là une interprétation récente qui fait venir Montmaitre non de Mercurii, mais de Mercoris, sa forme populaire.
M. Vendryès, professeur à la Sorbonne, directeur de la Revue celtique, écrit : « Il n'y a pas d'impossibilité à faire venir Montmartre de Montem. Mercoris, qui a dû exister en latin vulgaire, par un intermédiaire Montmercre, qui aurait été transformé par des influences chrétiennes en Montmartre (Montem Martyrum). Il n'est pas nécessaire que des chrétiens aient été martyrisés à cet
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endroit ; les places du Martroi, dans plusieurs villes du centre de la France, tirent sans doute leur nom d'un oratoire conservant des reliques de martyrs. » Jusqu'ici, l'étymologie de Montmartre par Mont-des-Martyrs était universellement adoptée ; Le Blant, Bournu l'ont défendue, et quel que soit le sort réservé au sens étymologique, le changement opéré par l'abbé Hilduin restera acquis : Montmartre sera le Mont-des-Martyrs ; mais si le nom est justifié pour le Montmartre de Paris, que dire du Montmartre d'Avallon?
LA DESTRUCTION
L'état qu'a offert le temple de Mercure, tombé dans l'oubli, aux premiers archéologues ne laisse pas de doute sur une destruction voulue et violente. Les débris de son riche mobilier de sculptures ont permis de recounaître douze statues dont deux grandes entières paraissaient tombées à leur place, tandis que les autres en fragments, têtes, torses, membres avaient leurs débris disséminés à l'intérieur et au dehors du temple. A peine si l'on peut dire qu'ils représentent le quart du mobilier artistique.
On se demande comment cinq têtes, les plus belles, n'ont rien perdu de leurs formes; comment, des deux torses en marbre, l'un est seulement amputé de ses bras, mais l'autre est affreusement mutilé sur les deux faces. On se demande enfin ce que sont devenus surtout les débris de ces statues et des motifs décoratifs, presque tous en marbre blanc. On peut penser, pour ce dernier point, qu'ils ont été utilisés dans la construction du château-fort du Vault et principalement du donjon dont les murs de trois mètres ne laissent rien voir des matériaux du blocage. C'est tout ce qu'on peut dire ou supposer.
Mais à quelle époque eut lieu cette destruction et quel en fut le motif? On pouvait penser à l'insurrection des Bagaudes, en 268. Les révoltés prirent et saccagèrent la ville d'Autun, et, en haine de Rome, détruisirent les plus beaux établissements. Une autre cause plus probable et fondée sur des données archéologiques, attribue cette destruction au passage de l'évêque de Tours, saint Martin.
On sait, en effet, que saint Martin, se faisant missionnaire, vint dans le pays des Eduens vers 375 pour y ruiner le culte des idoles, ce qui entraînait la destruction de leurs temples. Son historien, Sulpice Sévère, nous fait, pour ainsi dire, assister à l'oeuvre que l'ancien soldat de l'Empire, « qui s'était constitué,
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dit Lavisse, le défenseur des opprimés contre les violences des fonctionnaires », avait entreprise sans le consentement des empereurs, à ses risques et périls. Saint Martin se présente, sans doute, précédé de son nom qui est grand dans la Gaule, mais il est seulement accompagné de quelques religieux. Il voyage sur un âne, vêtu d'habits communs, le corps ceint d'une corde. Mais c'est l'homme d'action, et avec son éloquence toute militaire, il enseigne, dit son historien, que les dieux ne sont qu'une illusion, qu'un arbre, une source, une statue de pierre, n'ont rien de divin, que les idoles sont impuissantes, que seul son Dieu est le vrai Dieu et que, pour en finir, leur temple doit être détruit.
La plupart du temps, sa parole était si persuasive que les païens renversaient eux-mêmes leur temple. Mais parfois aussi ils opposaient de la résistance. Alors le saint se mettait lui-même à l'oeuvre avec ses compagnons. Il brûlait les édifices, abattait les arbres consacrés, réduisait en morceaux les autels et les idoles. Dans de tels cas, l'hostilité des prêtres et des paysans était à redouter. Martin fut plusieurs fois maltraité et repoussé. A Autun, lés gens se jettent sur lui et déjà l'un d'eux a l'arme levée, mais soudain il tombe à terre. Malgré le danger qu'il courait, il ne se décourageait pas et revenait à la charge. Quand l'oeuvré de destruction était achevée, saint Martin établissait une paroisse et laissait un prêtre qui bâtissait une église à la place du temple.
On peut suivre la trace de ses pas aux églises ou paroisses qui portent son nom. Mais l'archéologie, d'accord avec l'histoire, retrouve son passage dans les ruines des temples qui peuplaient le pays des Eduéens. Le grand archéologue Bulliot à: fait connaître, par ses recherches dans ces ruines, que leurs médailles s'arrêtaient toutes à Valentinien Ier, qui fut empereur de 364 à 375. (C. Bulliot, la Mission de saint Martin dans le pays éduéen, 1889). Montmartre est cité à juste titre dans la liste des temples . dont la ruine reste datée par le règne de Valentinien ; et nous pouvons dire que sa destruction est du temps de saint Martin et que la cause est l'abolition de l'ancien culte de Rome.
Il faut relever une assertion de M. Challe, dans son Histoire de l'Auxerrois. Il dit que du temps de saint Amatre, les monuments du paganisme furent détruits dans la contrée, ce qui est exact; mais il ajoute que son biographe raconte qu'il aida saint Martin dans son oeuvre de destruction, ce qui ne s'y trouve pas mentionné et ne pouvait être que soupçonné.
Jusque-là tout s'explique. Mais pourquoi ce mont, qu'on devait appeler Mont de Mercure, du nom de son temple, s'est-il appelé
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Mont des Martyrs (Montmartre). On ne connaît rien dans les chroniques ou dans les traditions qui autorise ce nom nouveau. M. Ernest Petit supposait que les martyrs c'étaient les païens qui auraient été massacrés lors de la destruction du temple. Mais le vocable martyr est un mot essentiellement chrétien qui veut dire témoin de la foi et qui toutefois ne serait pas resté dans le langage des chrétiens du pays pour désigner des païens, leurs victimes.
Pour finir, deux questions secondaires se posent : comment se fit la destruction du temple de Montmartre et que se passa-t-il après la destruction ? L'épigraphie, dans la détermination du nom du dieu gravé sur la plaque de marbre, et la philologie, dans l'explication du nom même de. Montmartre, n'ont pas dissipé toute obscurité. Aussi, pour les derniers jours du temple, nous n'avons recours qu'aux hypothèses.
La destruction à Montmartre ne se borna pas seulement au renversement des idoles, comme cela put se faire ailleurs. On y constate un brisement, un émiettement de la pierre et du marbre poussé à l'extrême, surtout dans le torse d'une statue. Ce n'était pas l'oeuvre d'un moment ni de peu de monde et l'on pourrait y voir l'accomplissement de ce passage de l'histoire de saint Martin : « La plupart du temps, sa parole était si persuasive que les païens renversaient eux-mêmes leur temple. »
« La religion romaine, dit Duruy, était un culte intéressé, sans doctrine, sans enseignement moral », ajoutons sans entrailles. Un capitaine promet un temple s'il revient vainqueur, un marchand promet une statue si ses affaires vont bien, et c'est ainsi que le* temple de Montmartre s'est enrichi d'oeuvres d'art. Ce serait une preuve que le Castrum d'Avallon avait eu une certaine importance et contenait autrefois des familles haut placées.
Mais il faut faire pour ce culte une remarque de suprême importance. Ce qu'on entend en histoire par « peuple romain », c'étaient les seuls citoyens, c'est-à-dire les sénateurs, les administrateurs, les chefs de l'armée, les grands propriétaires, les riches marchands. Or, le temple de Montmartre, avec ses dieux de pierre et de marbre, s'ouvrait pour eux seuls. La foule des colons affranchis, esclaves qui étaient des millions au service de quelques milliers de maîtres, regardait de loin, avec respect, avec crainte ce temple de Mercure et des grands dieux que les puissants et les riches pouvaient seuls adorer. Pour eux, ils peuplaient, par un rêve de leur imagination, leurs pauvres demeures de dieux protecteurs qu'ils appelaient pénates, lares et génies. On comprend alors que « le défenseur des
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opprimés », sans prêcher la révolte contre les. maîtres, pût trouver chez les colons et les esclaves des ouvriers pour la destruction, d'autant plus que les derniers adorateurs de Mercure étaient, à la décadence romaine, bien peu nombreux et peu. croyants.
Mais saint Martin, connaissant le besoin de l'homme de trouver près de lui des amis et des protecteurs, allait donner à ces peuples-enfants d'autres protecteurs divins qui remplaceraient supérieurement ceux qu'il leur enlevait. Un culte était né aux catacombes qui honorait religieusement les martyrs, les grands amis du Christ et de leurs frères les chrétiens. C'est un fait qu'aux premières temps de l'Eglise des Gaules, toutes la dévotion, après Dieu, allait aux martyrs. Saint Martin n'eut garde, en abolissant le culte des dieux imaginaires grands et petits , d'oublier les soldats du Christs. Il tourna les esprits vers les martyrs qui étaient des personnes connues, de tout âge, de toute condition, dont on savait le nom, la patrie, la date, la vie exemplaire. Grâce aux martyrs, disent les historiens , l'hostilité des foules pour la doctrine du Christ , si belle , mais si sévère, s'est affaiblie peu à peu. On n'a aucune raison de croire qu'une église ou une chapelle vint à Montmartre remplacer le temple des dieux, comme il s'est fait ailleurs , Mais on peut penser qu'en s'éloignant du Mont de Mercure, dont il avait ruiné le prestige, saint Martin, pour donner du moins un fonds solide à la nouvelle croyance , aura dit aux chrétiens d'un jour : «Désormais , vous appellerez cette montagne des dieux le Mont des Martyrs », en latin Mons Martyrum, qui a fait en langue vulgaire Montmartre.
Un fait nouveau découvert par les dernières fouilles doit être, en finissant , proposé aux archéologues de la décadence romaine et de l'époque barbare. On a vu dans quel état se trouvait la galerie nord : deux statues entières étaient allongées à chaque bout auprès de leur piédestal; de plus, la muraille offrait sur une partie un enduit très lisse couvert de bandes de couleur, et sur un autre un enduit grossier portant des figures géométriques. (PI I, F. 3).
Cet état de chose indique certainement qu'après la destruction, la galerie a été le témoin de scènes qui ne sont pas du caractère et de l'époque du temple romain. De là de nouvelles hypothèses que suggère la religion des foules après le passage de saint Martin. Jusqu'à l'établissement de la paroisse d'Oligny, le Vault primitif, au IXe siècle, les païens purent former encore tan groupe nombreux dans la région et revenir à leurs dieux de Montmartre ;
23 DE MONTMARTRE 265.
cela s'est vu ailleurs, surtout après le passage des Sarrazins. Les médailles, presque toutes de basse époque, seraient des restes de leurs offrandes. Près du Vault se trouve Champien, Campus paganus.
Une autre hypothèse peut être soutenue, s'appuyant sur des faits connus. A la décadence, les sculpteurs avaient disparu, et parce que le peuple avait besoin de la représentation des martyrs pour s'attacher au nouveau culte; alors, non seulement on se servait des temples païens que l'on convertissait en chapelles, mais les statues mêmes des dieux devenaient par un changement de nom les saints du culte chrétien.
Que s'est-il passé après la destruction presque totale et l'abandon complet du temple? Les invasions des Sarrazins, puis des. Normands, auront jeté le trouble dans la population et amené l'oubli. Les ruines seront devenues dans la suite un réservoir de matériaux. Que le culte des martyrs attaché à la montagne n'ait pas laissé de souvenir, il n'y a rien d'étonnant. Ne sait-on pas qu'à Rome les catacombes, lieu de sépulture d'innombrables martyrs et de pèlerinages incessants, finirent par tomber dans un tel oubli que ce fut, dans le XIXe siècle, une grande découverte de les retrouver, car le nom seul en était resté dans les archives.
Après l'abandon du temple et pour se défendre des incursions des Normands, un village se fonda sur la montagne; il se nommait Oligny. C'est M. Ernest Petit qui a prouvé son existence sous les successeurs de Charlemagne. Il disparaît avec le retour de la paix, mais son nom est encore cité au XIIIe siècle. Je crois avoir découvert la place de son donjon, car Oligny était une vicairie, c'est-à-dire un chef-lieu militaire. Tout au sommet se voit une excavation régulière de 6 mètres de côté, profonde de 50 centimètres à 1 métré dans le sol rocheux. Les murs entourant la cavité sont en pierres sèches soigneusement construits et de 2 mètres d'épaisseur. Il s'y trouve un mur de séparation fait au mortier. Les fouilles n'ont amené que des poteries peu caractéristiques. On pourrait voir dans cette grossière fondation la base du. donjon de la vicairie, construit en bois comme les premiers donjons du haut moyen-âge.
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BIBLIOGRAPHIE
Découverte d'un temple romain en 1822, à une lieue d'Avallon, en Bourgogne, par M. P... (Préjean), dans Voyage à Pompéi, 17 pages in-42, 2 planches. Comynet, à Avallon, 1829.
Découverte d'un monumeut antique sur le Mont Marte, prés d'Avallon, en 1822, par Malot, 57 pages, plan, médailles, dans le Bulletin de la Société d'Etudes d'Avallon, 1868.
Le Montmarte ou antiquités découvertes sur cette montagne en 1822, poème par le frère Lazare, anachorète (Malot, procureur du roi), in-8°, 39 pages. Comynet, Avallon, 1827.
Réponse au frère Lazare sur ses antiquités de Montmarte, par le frère Marcellin, in-8°, 20 pages. Gallot, Auxerre, 1827.
Mission et culte de saint Martin dans le pays éduéen, par Bulliot et Thiollier, in-8°, 1892.
Villes et Campagnes de l'Yonne, par Victor Petit in-4°, 93 à 96, 4 figures.
Le Temple de Mercure sur le Montmartre d'Avallon, par Ernest Petit. Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, 1904, 9 pages, 2 planches.
Le Nom de Montmartre, par l'abbé Meunier, docteur es lettrés, in-8°, 29 pages. Nevers, 1914.
NOTE. — Il faut être quelque peu archéologue et alerte pour visiter
le Montmartre. Deux chemins conduisent près des ruines du temple. Le plus long, mais le meilleur, est l'ancien chemin de Domecy, partant de Vermoiron.Une fois sur le plateau, on gagne à travers champs le bois de pins qui cache sur la droite le lieu des ruines. On peut monter aussi au sommet du mamelon, d'où l'on jouit d'un beau coup d'oeil, puis redescendre dans la direction d'Avallon, ce qui vous amène juste à l'endroit. L'autre chemin, plus court, mais malaisé et moins sûr, part de l'entrée du Vault et vous conduit dans le bois de pins où il faut alors s'orienter en tirant vers l'ouest. C'est là que le Syndicat d'Initiative pourrait tracer un sentier avec indicateurs qui verrait alors nombre de touristes. Mais, faut-il le dire, les visiteurs trouveront aujourd'hui les ruines encombrées de buissons de ronces. Il n'aurait pourtant fallu aux Sociétés d'archéologie qu'une journée d'ouvrier, au début, pour l'entretien de ces vestiges intéressants et des plus rares.
A PROPOS DE LA TAXE DU PAIN
Par M. Victor GUIMARD
La question du prix du pain passionne en ce moment, et à bon droit, l'opinion publique.
Quand on parle de la taxe aux boulangers, ils répondent : « Pourquoi ne taxe-t-on pas la farine? »
En effet, pourquoi, si on taxe le pain, ne taxe-t-on pas d'abord la farine?
C'est que la taxe du pain date d'une époque où le commerce
du blé n'avait rien de commun avec ce qu'il est de nos jours. Le
pain, aliment essentiel du peuple, était, depuis des années et des.
années, une des grandes préoccupations des gouvernements.
Avant Turgot, le blé récolté dans une province devait y être
consommé. Une province pouvait avoir une récolte superbe tandis que sa voisine, par suite des orages, grêles, etc. n'avait qu'une récolte infime; pour la première c'était l'abondance, pour la seconde c'était la disette, car elle ne pouvait s'approvisionner
chez sa voisine. Ce sera l'éternel honneur de Turgot d'avoir ■décrété la libre circulation des grains. Grâce à cette réforme
■capitale, les marchés furent approvisionnés partout, le blé ne manqua plus, et alors les administrations locales n'eurent plus
que le souci de tenir le prix du pain en rapport avec le prix du blé. De là est née la taxe du pain. Des abus se produisirent
comme toujours : oh étendit la taxe à une foule de denrées. Aussi
l'Assemblée constituante, par la loi des 19-22 juillet 1791 sur la Police municipale et correctionnelle, voulant confirmer « divers Règlemens et Dispositions contre l'abus de la taxe des denrées », édicta, sous l'article 30, les mesures suivantes : « La taxe des
subsistances ne pourra provisoirement avoir lien dans aucune ville ou commune du Royaume que sur le pain et la viande de
boucherie sans qu'il soif permis en aucun cas de l'étendre sur le vin, le blé, les autres grains, ni autres espèces de denrées, et ce
sous peine de destitution des Officiers municipaux. »
268 A PROPOS 2
C'est à cette loi que maintenant encore on se réfère pour taxer le pain.
Pourquoi ne parlait-on point du prix de la farine et n'en tenait-on point compte? C'est que — il n'y a pas encore 80 ans décela — le blé n'était pas comme aujourd'hui acheté par les meuniers, ou fort peu, mais bien, dans les villes, par les boulangers, et, dans les campagnes par les particuliers non cultivateurs qui se rendaient au marché de la ville voisine où ils faisaient l'emplette de « leur fournée », c'est-à-dire de la quantité de blé nécessaire pour sustenter leur famille pendant un certain laps de temps. Ce blé était porté au moulin du pays et le meunier, après toutefois s'être payé en nature, rendait à ses clients la farine et le son obtenus.
Le meunier n'était donc pas un marchand de farine, mais un industriel travaillant pour le compte des boulangers et des particuliers. Dans ces conditions, le législateur d'alors ne pouvait songer à taxer la farine.
Les choses ont bien changé. On ne voit plus de marchés au blé. proprement dits, plus de sacs amenés et vendus sur la place. On ne voit plus à Sens, comme autrefois, lorsqu'à onze heures précises la cloche annonçait l'ouverture du marché, les groupes des modestes acheteurs venus des environs ou des faubourgs de la ville, un sac sous le bras ou un « hottereau » aux épaules circulant dans les passages ménagés entre les sacs de grains, et y débattant le prix des quelques mesures qui leur étaient nécessaires ; on ne voit plus, à midi et demi sonnant, les boulangers de la ville venant acheter « concurremment avec le public », et enfin, à une heure et demie, tous les boulangers ou marchands étrangers autorisés à leur tour à procéder à leurs acquisitions.
Aujourd'hui les boulangers n'achètent plus le blé. Ce sont les meuniers ou les marchands de grains en gros, ceux-ci pour revendre les grains aux meuniers, qui traitent sur échantillons avec lés cultivateurs. Les meuniers fournissent de farine les boulangers. Il n'y a plus même que très peu de particuliers qui cuisent leur pain dans les villages.
Puisque la farine est vendue, il apparaît que son prix doit être en.rapport avec le prix du blé et le prix du pain en rapport avec celui de la farine , car , évidemment, les boulangers: ne peuvent établir le prix; de leur pain qu'en tablant sur le prix que la farine leur est vendue, d'où découle naturellement cette conséquence que, si on veut taxer le prix du pain, il faut aussi taxer le
3 DE LA TAXE DU PAIN 269
prix de la farine. Et si l'on admet la taxe, la loi des 19-22 juillet 1791 doit être complétée en ce sens.
Les meuniers trouveront toujours du blé à acheter, j'entends si l'année donne une récolte au moins ordinaire. En effet, on n'a guère à craindre que le blé se refuse à la vente. Le blé est une denrée qui ne peut se garder des années : il s'échauffe en tas dans les greniers ; les charançons, rats et souris prélèvent dessus chaque jour une dîme onéreuse. Devant ces dégats lès cultivateurs, poussés aussi par la pensée de l'opportunité de changer en beaux deniers un produit d'une conservation et d'une garde aussi aléatoires, se montrent peu souvent réfractaires à la vente et les offres de ce côté n'ont pas à faire redouter des prix trop élevés si, encore une fois, l'année n'est pas déficitaire. La baisse qui récemment s'est produite aussitôt que le marché du blé est redevenu libre en est une preuve.
C'est donc du côté du meunier et du boulanger qu'il faut se tourner pour leur demander qu'ils se contentent d'un bénéfice raisonnable. Il y a à craindre qu'ils ne subissent l'ambiance qui a créé une nouvelle atmosphère dans le commerce. De ce côté aussi il s'est fait une révolution.
Autrefois le commerçant exploitait son fonds jusqu'à la soixantaine, amassant lentement, à petit bénéfice, de modestes rentes qui lui assuraient une vieillesse calme et aisée, mais non somptueuse, comme il devrait en être de règle pour tous les citoyens dans une démocratie où tous doivent travailler pour la collectivité. La concurrence qui alors était l'âme du négoce interdisait au marchand de surélever ses prix sous peine de voir sa boutique désertée par les acheteurs.
De nos jours, les commerçants d'une même profession se ■syndiquent, s'entendent pour fixer leurs prix. Ils veulent de gros bénéfices, ils veulent faire rapidement fortune, ils veulent se retirer des affaires au bout de quelques années. Il faut dire que l'une des conséquences les plus extraordinaires des terribles années que nous venons de vivre, c'est que personne ne semble plus avoir conscience de la valeur de l'argent. Il a coulé à tels flots par suite des allocations militaires, des traitements quadruplés, des hauts salaires payés dans les usines de guerre, du renchérissement inoui des denrées vendues, etc. qu'on ne se résout plus à trouver suffisants les modestes bénéfices des temps passés. On veut maintenant brasser les affaires, remuer l'argent à la pelle, et conséquemment en voir rester beaucoup dans le coffre-fort.
270 A PROPOS 4
Je ne suis point partisan des taxes. Je crois qu'elles sont des mesures attentatoires à la liberté et à la propriété, qu'elles sont des moyens vexatoires qui peuvent être gros de conséquences en suscitant la coalition des intéressés et par conséquent être la cause de troubles: tout récemment, en réponse à la taxe, les. boulangers de Castellane ont fermé leurs boutiques, les bouchers, de Bordeaux ont délaissé leurs étaux, un maire d'une commune de l'Yonne a essuyé les voies de fait du boulanger de la localité; je crois que les taies raréfient et font disparaître des marchés les. produits qu'elles veulent atteindre, qu'elles incitent à falsifier la qualité de la marchandise, etc. Mais je comprends ceux qui soutiennent que, devant la concurrence disparue, devant l'entente concertée pour vendre à un prix élevé, l'autorité, au nom de l'intérêt général, a non seulement le droit d'intervenir, mais, après s'être entourée de tous les éléments utiles et fait la part d'un bénéfice honnête, a le devoir de fixer un prix maximum.
Et puisque j'ai écrit ce mot maximum, que l'on me permette de rappeler que, pour arrêter le renchérissement excessif des. grains, la Convention nationale, le 4 mai 1793, vota l'a loi sur les subsistances qui établissait le maximum, c'est-à-dire la taxe sur le blé. Et pourtant bien des économistes éclairés, tels les citoyens. Fauchet et Rovère que la Convention avait envoyés comme commissaires à Sens en 1792 pour rétablir l'ordre troublé par les. entraves apportées à la circulation des grains, avaient dit: « Ceux qui vexent les marchands les écartent; ceux qui taxent les grains les font disparaître (1) ».
La loi du maximum entraînait la déclaration des grains et farines, les visites domiciliaires, les réquisitions, l'obligation pour les marchands de tenir un registre de leurs achats et de leurs ventes. Bien que les réquisitions ne dussent porter que sur le surplus des grains nécessaires à la consommation familiale, la peur d'en manquer poussa beaucoup de cultivateurs à faire des déclarations inexactes, ou à cacher des réserves. Ils délaissèrent les marchés. Le 9 septembre 1793, rapporte M. Porée dans son très intéressant travail : Les subsistances dans l'Yonne pendant la Révolution, 8.000 acheteurs, venus au marché d'Auxerre pour s'approvisionner en blé, « trouvèrent le marché dégarni et durent se retirer les mains vides ».
Logiquement, le maximum devait s'étendre à toutes les ; den(1)
den(1) Les Subsistances dans l'Yonne sous la Révolution, par M. Ch. Porée.
5 DE LA TAXE DU PAIN 271
rées. Le 29 septembre la Convention en jugea ainsi. Les journées, de travail elles-mêmes furent taxées : on voulait que l'ouvrier fût mis à même par son salaire de pourvoir suffisamment à la subsistance de sa famille. C'était justice.
Toutes ces mesures avaient pour résultat de rendre le blé de plus en plus rare. La Convention fut amenée à décréter le 25 brumaire an II (15 novembre 1793) qu'il n'y aurait plus désormais, qu'une mouture uniforme, que les meuniers ne pourraient extraire plus de 15 livres de son par quintal de grains, et qu'à l'avenir les boulangers ne vendraient qu'une seule espèce de pain. Ce fut le « Pain de l'Egalité ».
A Auxerre, la ville fut divisée en quartiers ayant chacun sa boulangerie. Chaque famille reçut une carte nominative portant la quantité de pain qui lui était attribuée et l'indication de la boulangerie où elle devait s'approvisionner. Le « Pain de l'Egalité », qui était comme un acheminement vers le Communisme, fut aussi mis en honneur et distribué à Sens et dans les autres, villes et principaux bourgs du département (nivôse an II, janvier 1792).
Les approvisionnements ne se faisaient plus que par réquisitions. A la moisson, en août 1794, un décret enjoignit aux propriétaires de porter chaque semaine une quantité de grains, au marché de leur circonscription. Des résistances se produisirent. Le maximum resta inexécuté. Des habitants des villes se rendaient de nuit dans les villages voisins et y achetaient en cachette du grain qu'ils payaient au-dessus de la taxé; Et ce n'était pas sans appréhension que les paysans consentaient à en céder, car les dénonciateurs, alléchés par la promesse qu'ils recevraient une partie du blé caché et ainsi vendu étaient nombreux partout. Le trouble et la peur tenaient les campagnes anxieuses.
Aussi, le 4 nivôse an III (24 décembre 1794) la Convention abolit le maximum. Il n'avait pas duré deux ans! La libre circulation des grains fut rétablie dans toute l'étendue de la République. « Le seul moyen d'arrêter l'exhaussement progressif des denrées, déclara la Municipalité d'Auxerre, est d'attirer l'abondance en favorisant par tous les moyens les arrivages et la libre circulation des denrées ; l'opinion publique seule peut atteindre et flétrir ceux qui seraient assez déhontés pour profiter de la pénurie momentanée pour vendre leurs denrées à des prix exhorbitans ». Nous savons, hélas! à quoi nous en tenir sur l'efficacité de cette Crainte de l'opinion publique chez les mer-. cantis actuels.
272 A PROPOS 6
Alors commença pour les grains ce que nous voyons se produire de nos jours sur une grande échelle pour les denrées de la ferme : l'enlèvement à n'importe quel prix, dans les campagnes, des produits de la terre pour les expédier à Paris.
Pour y mettre un terme, le 4 thermidor an III (22 juillet 1795) un décret fait défense d'acheter ou de vendre du blé ailleurs que sur les marchés. Le Conseil général de la commune de Sens à ce sujet écrit à la Convention qu'il convient d'ajouter à cette défense l'obligation pour les cultivateurs d'amener leurs blés sur les marchés, et lorsqu'enfin la loi du 7 vendémiaire an IV (29 septembre 1795) donna aux municipalités le pouvoir de requérir les cultivateurs pour l'approvisionnement des marchés, les choses reprirent leur cours normal. Du reste une moisson magnifique facilitait grandement l'atténuation de la crise; les hauts prix baissèrent.
Si nous sommes allés faire une excursion dans les difficultés qui, sous la Révolution, ont rendu si angoissante pour nos pères la question du pain, c'est afin d'y puiser des enseignements pour résoudre aujourd'hui une autre face du même problème: 3combattre la cherté du pain.
Nous croyons avoir démontré plus haut que la farine doit être soumise aux mêmes règlements que le pain. En ce qui concerne ce dernier, puisque, pour le moment, la loi ne vise que lui, si, malgré toutes les tentatives de conciliation, il n'est point possible d'arriver à un accord amiable pour en fixer le prix, si les choses sont telles qu'il faille recourir à la taxe, que cette grave mesure ne soit plus du moins laissée à la seule décision de chaque municipalité. Il est d'un effet déplorable, je dirai même désastreux pour les esprits, de voir des localités voisines régies différemment : ici, point de taxe ; là, la taxe règne en souveraine rigoureuse; ici le pain est vendu tel prix, là tel autre prix. Cela pouvait se comprendre autrefois quand le blé acheté par les boulangers était vendu à des prix non identiques dans les marchés de villes voisines. Les temps ont marché depuis même moins de cinquante ans. Ces différences de traitement sont inadmissibles à notre époque et né peuvent qu'entretenir une agitation qui peut devenir dangereuse pour l'ordre public. La meunerie a pris de tels développements qu'elle fournit des régions entières ; la taxe peut donc être uniforme dans tout un département. Ordonnée comme mesure générale, elle devrait être fixée par le Préfet, fonctionnaire indépendant, et non plus laissée à l'initiative et à l'appréciation du Maire dans chaque commune, ce qui ne peut que mettre celui-ci
7 DE LA TAXE DU PAIN 273
dans l'embarras et lui créer de graves ennuis. La loi de 1791 doit être profondément remaniée.
Nous venons de voir l'influence exercée déjà sous la Révolution par Paris sur le renchérissement des vivres en province. Maintenant plus que jamais, c'est Paris qui dévore et raréfie les denrées dans nos campagnes : lait, oeufs, volailles, lapins, veaux, etc. tout est enlevé par des ramasseurs à des prix qui font presque rougir le paysan lui-même, et prend le chemin de la capitale, au grand détriment de nos villes où la cherté est excessive.
Un des facteurs de cette cherté persistante est sans contredit cette entente dont nous parlions tout à l'heure, entre les marchands d'une même profession. Pourquoi n'ont-ils pas compris qu'ils étaient les premiers intéressés à la baisse, et n'ont-ils pas petit à petit diminué leurs prix? Ils auraient pu le faire facilement, surtout s'ils s'étaient aussi entendus pour se refuser à acheter ce qui leur eût semblé trop cher.
Cette absence de concurrence, regrettable pour la masse des consommateurs, semble avoir eu pour conséquence de faire durer les hauts prix. Aussi qu'arrive-t-il? Des entreprises surgissent qui se proposent, devant la cherté de la vente des denrées, de réaliser des bénéfices en traitant des affaires sur une grande échelle, ce qui leur permet de se contenter de gagner peu sur l'unité et par conséquent de vendre à meilleur marché. Ceci va-t-il tuer cela ? Les commerçants commencent à s'apercevoir que si l'entente a du bon, elle peut aussi conduire à des déboires. Allons-nous voir la concurrence s'allumer entre ces entreprises ? Ce serait tant mieux, ce serait le commencement de l'ère de la vraie baisse que tant de petites gens, tant de familles gênées attendent anxieusement dans les privations depuis si longtemps!
Pour pouvoir soutenir la lutte, l'intérêt des marchands est peut-être de s'entendre encore, mais cette fois pour acheter, pour acheter coopérativement, si je puis dire ainsi. Traitant ensemble pour l'achat de grandes quantités de denrées, ils les obtiendraient à meilleur compte, ce qui leur permettrait, à eux aussi, de vendre à plus bas prix.
Qu'on le veuille ou non, la concurrence dans toutes les branches du commerce, l'initiative des hommes d'action, sont les vrais régulateurs des prix plutôt que les taxes, sources de vexations, et auxquelles il ne faut recourir que dans les circonstances critiques. Ce qu'il faut poursuivre énergiquement, inexorablement, ce sont les coalitions qui tentent d'accaparer les produits
18
274 A PROPOS 8
pour les raréfier et en faire hausser les prix. Les coalitions dans ces conditions sont un crime : la loi doit les punir.
Après la tourmente où, dans tant de cerveaux surchauffés, la conscience de l'honnêteté commerciale s'est obscurcie et a, sombré dans un coupable mercantilisme, il importe que les efforts de tous se concertent et se donnent pour mission de faire refleurir les traditions qui sont et qui doivent être l'honneur des marchands français. Quand tout le monde, pénétré de ses devoirs au milieu de la collectivité, aura le scrupule d'une stricte justice dans ses actes envers ses semblables, les taxes seront inutiles et l'harmonie régnera entre vendeurs et acheteurs. Travaillons donc pour qu'à mesure que s'éloignera le temps du trouble délétère, la conscience d'une loyale équité dans les transactions reprenne sa sereine prépondérance.
LES URSULINES D'AUXERRE
1614-1906
Par M. l'Abbé G. BONNEAU Vicaire général
M. Charles Demay publiait, en 1894, au Bulletin de la Société, une étude très documentée sur le Quarré des Ursules, c'est-à-dire sur l'ensemble des bâtiments concédés aux Ursulines ou successivement acquis ou édifiés par ces religieuses. Il a dit peu de choses de la Communauté : ce n'était pas son dessein.
La notice que je vous offre a pour objet la vie même du couvent et du pensionnat. J'ai pu notamment reconstituer la liste complète des supérieures. Au nécrologe on trouvera des noms qui évoquent le souvenir de nombreuses familles auxerroises naguère encore très connues et très estimées dans la région.
J'ai dû faire entrer dans cette notice quelques renseignements déjà donnés par M. Demay; je ne pouvais les omettre. Plusieurs lui avaient d'ailleurs été signalés ou communiqués par moimême, car il me parlait volontiers de ses travaux et me disait ses projets. J'éprouve une certaine satisfaction à donner comme un complément au Quarré des Ursules de celui qui a fourni une contribution aussi large qu'appréciée à l'histoire d'Auxerre.
CHAPITRE I
LES DÉBUTS, LES CONSTITUTIONS.
Au commencement du XVIIe siècle, dans les villes de Bourgogne, des associations de demoiselles et dames pieuses se consacraient à l'éducation des jeunes filles, jusque là trop délaissées. Evêques et curés étaient les promoteurs de la fondation de ces écoles, dans lesquelles on recevait des enfants de toutes les classes de la société. M. Quantin en a donné les preuves pour lé département de l'Yonne,
276 LES URSULINES 2
Auxerre ne resta pas en arrière. Dès 1614, six personnes de la ville se réunissaient et convenaient de se vouer à cette belle oeuvre. Elles avaient été conseillées et dirigées par un saint prêtre, Jean Boutroux, curé de Saint-Pierre-en-Château. Leurs noms ont été conservés. Elles s'appelaient « Estiennette Gervais, fille de Jean Gervais, grenetier au grenier à sel d'Auxerre, âgée de 30 ans; Marie Prévost, fille d'honorable homme Florentin Prévost, marchand, âgée de 29 ans; Marie Couillaut, fille d'honorable homme Lazare Couillaut,. marchand, âgée de 23 ans; Louise Potin, fille de Claude Potin, marchand, âgée de 40 ans ; Marguerite Legeron, fille de noble homme et sage maître François Legeron, conseiller au bailliage royal d'Auxerre, âgée de 31 ans; Eugénie Garnier, fille d'Etienne Garnier, vigneron, âgée de 35 ans ». Une autre jeune fille, native d'Avallon, Jeanne Perreau, vint peu après se joindre à elles.
L'évêque d'Auxerre, François de Donadieu, ne pouvait manquer de les encourager dans l'accomplissement de leur généreux dessein. « Il remontra à Messieurs du corps de ville qu'il estait à propos d'établir des filles prudentes et sages qui n'eussent d'autre soing que d'instruire les jeunes filles de la ville, ce. qui fut trouvé d'un chacun très utile et raisonnable et même ces Messieurs offrirent pour cet effet l'ancien collège.... moyennant vingt-quatre livres de louage par an » (1).
Les bâtiments de cet ancien collège avaient été abandonnés aux Bénédictines de Saint-Julien, en 1610, « pour les dédommager de la destruction de leur couvent, nécessitée par la défense de la place en 1591. Ces religieuses en étaient donc les propriétaires. Dans l'acte qui les attribuait aux futures Ursulines, les droits des Bénédictines étaient réservés. Et quand, en 1617, la nouvelle communauté acheta l'emplacement du vieux collège, les Bénédictines reçurent 1500 I. d'indemnité » (2). « Au bout de trois ans ou environ les maîtresses exposèrent à Messieurs de l'Hôtel de Ville qu'elles désiraient faire les trois voeux de Religion sous la règle des Ursules ». Comme il s'agissait d'une chose spirituelle, ces Messieurs les renvoyèrent à l'évêque qui fit droit à leur demande, le 22 juin 1617, « aux conditions qu'elles seraient mises en closture, demeureraient sujettes à lui et à ses successeurs
(1) Le collège fondé par Germain de Charmoy, chanoine d'Auxerre, y avait été transféré, en vertu d'une donation faite par ses héritiers à la ville le 15 juillet 1535.
(2) Frappier. Histoire de l'abbaye de Saint-Julien, p. 63.
3 D'AUXERRE 277
vacqueraient à l'instruction de la jeunesse sous tel prix qu'il aviserait avec les magistrats de l'hôtel de ville, que celles qui entreraient à l'âge de seize ans feraient profession deux ans après et que ne le faisant point elles ne laisseraient pas d'être tenues pour professes, que les actes de leurs professions seraient portés et enregistrés au Greffe de la justice royalle et qu'elles ne pourraient recueillir la succession de leurs parents » (dom Viole).
Aussitôt on ouvrit une chapelle. Le 10 septembre 1617, « fut bénie l'église des religieuses ursulines d'Auxerre par le R. P. Chappelle, religieux cordelier, gardien du couvent de son ordre à Auxerre et vicaire général de Monsieur l'évêque de cette ville et il y célébra la première messe » (1).
Mais si le corps de ville, non moins que l'Evêque, félicitait les fondatrices du zèle et du désintéressement avec lesquels elles accomplissaient la tâche qu'elles s'étaient imposée, déjà on avait reconnu et constaté que leurs capacités n'étaient pas à la hauteur de leur dévouement, et que l'esprit religieux leur faisait défaut.
« Elles manquaient de principes et d'idées justes sur l'instruction », dit le chanoine Potel, dans ses Antiquités d'Auxerre. L'évêque lui-même ne voyait en elles « pour toute fondation d'un Monastère que six filles assez âgées, bien pauvres et fort infirmes ». (Chron. de l'Ordre des Ursulines, 3e p., addit. p. 519). Il constatait « qu'il, est difficile de professer une institution sans l'avoir appris de personnes qui en ont acquis une parfaite connaissance » (dom Viole). Aussi résolut-il de faire appel à des religieuses déjà connues par leur science, leur zèle et leur vertu. Des professes furent demandées à la maison des Ursulines de Paris, qui ne put en envoyer. On s'adressa à Dijon. Les Ursulines de Dijon n'étaient encore que congrégées; elles ne devaient obtenir leur bulle qu'en 1619 (2). Aussi firent-elles d'abord des difficultés, mais elles finirent par céder.
« La Mère Françoise de Xaintonge, supérieure de Dijon, avec
(1) Ephémérides auxerroises de Pierre Sallé, curé de Saint-Loup, citées par M. Demay.
(2) Sainte Angèle avait fondé, en 1537, la compagnie de Sainte-Ursule appelée par le peuple la divine et sainte compagnie. L'institut de Sainte-Ursule fut établi à Paris, en 1611, sur les conseils de Mme Accarie, par Mme Marie-Madeleine Lhuillier, veuve de M. de Sainte-Beuve. A Dijon, Françoise de Xaintonge réunit sa petite communauté dès 1605. Ces jeunes filles qui vivaient à la manière des Ursulines firent leurs voeux simples le 29 septembre 1611, et leurs voeux solennels le 22 août 1619, après avoir obtenu de Paul V une bulle en date du 23 mai 1619.
278 LES URSULINES 4
Madame de Sanzelle, leur digne fondatrice, leur mena deux soeurs bien capables dé leur communiquer l'esprit de l'Ordre. Elles entrèrent dans leur maison le 3e d'octobre 1617 (1) et le lendemain on la ferma». La première messe y fut célébrée le 4e jour d'octobre, fête de Saint-François.
Les deux religieuses envoyées de Dijon à Auxerre étaient Marie-Jacqueline de Grafard de Villette et Jeanne Daudenet. La première fut immédiatement désignée comme supérieure de la communauté. Le 8 octobre, le R. P. Chappelle introduisit le Sait-Sacrement, avec les cérémonies ordinaires de l'Eglise, dans leur chapelle.
A peine un an s'était écoulé que déjà les auxerroises s'accommodaient difficilement de leur nouveau genre de vie et ne se pliaient qu'avec peine aux exigences de la règle. Elles auraient voulu réprendre leur liberté et la direction de la maison. Mais elles comptaient sans l'énergie de la supérieure. L'une des mécontentes mourut bientôt. Trois autres quittèrent la communauté. Les trois qui demeurèrent étaient Louise Potin, dite Geneviève de Sainte-Madeleine, première novice du monastère ; Marie Couillaut, dite Angélique et Marie Prévost, dite des Anges, qui fut la première professe de la maison.
La sortie des trois premières causa un grand émoi dans la ville, où ces filles avaient leurs relations de famille. On pensa qu'il y avait, de la part de la supérieure, excès de zèle et de rigueur, et les blâmes ne lui manquèrent pas tout d'abord. La Mère de Grafard, derrière sa grille, laissa dire, garda le silence et l'orage passa.
La communauté, d'ailleurs, prospérait rapidement; les pensionnaires et les externes affluaient. Les religieuses formées à l'obéissance et à l'abnégation par leur digne supérieure furent bientôt « en grande réputation dans la ville ».
Le 22 août 1619, la Mère Marie de Grafard alla faire à Dijon ses voeux solennels (2). Elle y conduisit deux soeurs d'Auxerre pour leur donner encore davantage l'estime de la vie religieuse. A son
(1) Le chanoine Potel dans ses Antiquités sur la ville d'Auxerre, donné la date de 1618, adoptée par M. Ch. Demay. Les Chroniques des Ursulines fixent cette fondation à l'année 1617. La même date ressort du texte des lettres dé Louis XIV et de tous les documents que j'ai consultés.
(2) Aux trois voeux ordinaires de pauvreté, chasteté et obéissance, les Ursulines ajoutaient celui de se consacrer à l'instruction des petites filles. C'était, disait sainte Angèle de Mérici, la raison d'être de ses filles.
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retour, elle donna à sa petite communauté l'habit religieux, la règle de saint Augustin et quelques constitutions.
En 1620, cinq religieuses d'Auxerre firent leurs voeux simples. Enfin, le 15 octobre 1622, les Ursulines obtinrent du pape Grégoire XV une « bulle fort avantageuse pour leur monastère ». Cette bulle les obligeait à se conformer aux Ursulines de Paris ou à celles de Bordeaux. Elles quittèrent alors les coutumes de Dijon pour prendre celles de Paris. Bientôt quatorze religieuses firent la profession solennelle entre les mains de Monseigneur de Donadieu. Cette première profession eut lieu le 10 juin 1623. Auparavant l'évêque leur avait donné des constitutions datées du 24 mai 1623, « avec l'avis et les conseils de Jean Boutroux, curé de Saint-Pierre-en-Château, promoteur de cet établissement » (1).
De ces constitutions je veux citer quelques points :
« Les Ursulines, avec paroles familières, feront entendre à leurs escolières comme elles sont obligées de se convertir et offrir à Dieu si tost qu'elles ont atteint l'âge de raison..." (ch. 4). Les pensionnaires né pouvaient parler en particulier qu'à leur père ou leur mère (ch. 8). « On leur donnera de bonnes viandes et en quantité nécessaire... » (ch. 10). Le chapitre 11 est particulièrement intéressant. Il y avait étude et classe de 8 à 10 heures, de midi à 2 heures et de 4 à 6 heures. Le reste était donné aux exercices de piété, aux repas et à la récréation.
« De l'ordre qu'elles (les pensionnaires) doivent tenir en leur exercice.
Les grandes pensionnaires se lèveront à cinq heures et demie et les petites à six, afin d'être touttes peignées et habillées pour faire leurs prières avant que d'assister à la messe qui se dira à sept heures et demie. A la sortie d'icelle desjeuneront pour commencer leurs exercices après huit heures. A dix heures elles diront les litanies de la Vierge et des Saints et de là elles iront à la salle où elles garderont la modestie, parlant et faisant le moins de bruit qu'elles pourront, afin que les plus âgées et les maîtresses puissent être attentives à la lecture qui se fera après la bénédiction de la table durant le dîner et le souper. Grâces étant dites, feront une heure de récréation laquelle finie elles écriront et continueront leur exercice. A deux heures elles goûteront et après celles de la première et de la seconde classe diront leurs
(1) Frappier. Notice sur l'abbaye de Saint-Julien, p. 101.
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vêpres en même temps que la communauté et les petites quelques autres prières.
A quatre heures réciteront toutes la leçon du catéchisme; ou de la doctrine et à six heures souperont où elles se comporteront comme au dîner. Puis feront leur récréation, et alors celles de la première et seconde classe diront le petit office de Notre-Dame jusques à Prime. A huit heures elles feront l'examen pour être couchées après huit heures et demie et les petites feront seulement l'action de grâces et l'examen pour être couchées à huit heures...
Tous les dimanches et fêtes, excepté les jours solennels, à la fin de la récréation se récitera ou se fera la doctrine en un même lieu où seront touttes les grandes et petites pensionnaires. »
La supérieure était élue pour trois ans. Elle pouvait être continuée dans sa charge pour trois autres années, mais il lui fallait alors les deux tiers des voix (ch. 16). « La porte conventuelle sera fermée avec deux serrures et deux clefs... les portières ne s'arrêteront à deviser, la porte ouverte, avec les séculières... pour obvier à la superfluité des discours et perte de temps, jamais on ne doit arrester plus d'une demi-heure au parloir... la religieuse doit fuire les discours mondains qui la peuvent distraire de la présence de Dieu (ch. 17) ».
Le nombre des religieuses de choeur, tant professes que novices, était fixé à trente-trois ; mais, pour commencer, l'évêque permettait d'aller jusqu'au nombre de quarante. On pouvait recevoir quatre soeurs converses. Le nombre des pensionnaires était limité à cent. Chaque religieuse de choeur devait donner à la maison 2.400 livres (ch. 31). « L'office divin et la messe se diront selon l'usage de Rome » (ch. 49) (1).
Les prescriptions qui concernent l'humilité, le silence, les: pénitences, les mortifications corporelles et les jeûnes sont très sévères. On comprend que des religieuses formées selon l'esprit de ces constitutions devaient arriver à une éminente vertu. Leur vie et leurs oeuvres ne pouvaient manquer d'être appréciées et elles le furent.
François de Donadieu ajoutait : « Nous voulons et entendons que les présentes constitutions soient gardées le mieux que faire se poura sur peine de correction ; mais afin de pourveoir aux
(1) Lebeuf dit que! François de Donadieu « avait conçu à Rome une haute idée du rit qu'on y voyait communément pratiquer ».
7 D'AUXERRE 281
âmes craintives, nous déclarons que les présentes constitutions n'obligent point à péché mortel mais seulement à la peine temporelle qu'enjoignent le supérieur ou la supérieure, si ce n'est qu'elles soient violées par certaine malice ou mépris ou que de soy même elles obligent à péché mortel. »
Les susdites Constitutions, Règles et Statutz ont esté arrestez et compiliez par nous Evêque d'Auxerre, soussigné, eu sur ce l'advis et conseil des soussignés avec nous ainsy qu'il est porté par nos lettres d'aprobation cy après insérez.
François, évêque d'Auxerre ; Gas. Barger, chantre d'Auxerre ; J. Briffou, Berault, de Villiers, théologal, de Montreuil, Imbert Boisle, Jean Blàndin, Frère Laurens, de Paris, père gardien ind., Frère Séraphin, de Paris, prédicateur, cap. ind. ; Bardolat.
François de Donadieu, par la permission divine et du SaintSiège apostolique, évêque d'Auxerre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Scavoir faisons qu'après avoir veu diligemment et exactement examiné à plusieurs et diverses fois les cayers cy dessus ou sont rédigez par écrit les règles, constitutions et status des religieuses du Monastère de Sainte Ursule érigé en cette ville d'Auxerre par lettres et bref de notre Saint-Père le pape, jourd'huy par nous publiées et fulminées et lesquelles Règles, Constitutions et Status auraient esté par nous cy devant compilées faites et arrestées à l'instar de celles du Monastère de Sainte Ursule de Paris, ainsi qu'il nous est mandé par lesdittes lettres, eu sur ce l'advis et conseil des cy après nommez à scavoir des vénérables et scientifiques personnes Me Gaspard Barger, chantre et chanoine en l'église cathédrale d'Auxerre ; Me Charles de Villiers, docteur en théologie de la Faculté de Paris, chanoine théologal en ladite église d'Auxerre; Me François Berault et Simon de Montreuil, chanoines de ladite église; M. Germain Bardelat, lecteur en icelle et notre officiai en notre cour épiscopale ; M. Jean Briffou, vice-gérent en icelle cour, et M. Jean Bouteroux, prêtre curé de Saint-Père-en-Chasteau de cette ville, confesseur ordinaire desdittes religieuses, et encore des révérends pères Laurens, de Paris, gardien du couvent des Capucins de cette ditte ville, et Séraphin, de Paris, prédicateur, religieux dudit couvent, des pères Boisle, recteur du collège des Jésuites d'icelle . ville, et Jean Blandin, prêtre de ladite Société, nous avons icelles. règles et constitutions approuvées et confirmées approuvons et confirmons, voulons et ordonnons qu'elles soient entièrement et exactement gardées et observées par les religieuses dudit monastère présentes et advenir, et pour plus grande approbation.
282 LES URSULINES 8
d'icelles les avons signées et fait signer avec nous par les cy dessus nommez et ensuite faire inscrire les présentes pareillement signées de notre main et; soussignées par notre secrétaire, auxquelles avons fait mettre et apposer notre scel.
A Auxerre, le vingt-quatrième jour de may mil six cens vingt trois.
FRANÇOIS, évêque d'Aucerre,
par l'ordonnance de Mondit Seigneur.
MOREAU, secrétaire (1).
Avant de quitter l'évêché d'Auxerre pour celui de Comminges,
François de Donadieu eut la joie de voir s'affermir cette oeuvre. Il put admettre à la profession vingt-deux religieuses. Dans la ■suite, elles arrivèrent au nombre de quarante et plus, « leur couvent étant un des plus beaux et des plus accomplis dé la Bourgogne » (Dom Viole, vers 1665).
Les Ursulines tiraient sans doute quelque profit de leur pensionnat; les religieuses, en entrant, apportaient une dot et les dons des Auxèrrois devaient aller, généreux, à cette communauté très appréciée. Aussi, dès 1636, elles songèrent à remplacer, par une véritable chapelle, le petit oratoire ouvert au début. De cet édifice, il ne reste guère que le portail. On y voit sainte Ursule qui abrite ses religieuses sous son manteau (2). La première pierre de cette chapelle fut posée, le 4 mai 1636, par M. Percheron, Chanoine, grand vicaire et archidiacre d'Auxerre.
Quelques années plus tard, le roi Louis XIV voulut assurer l'existence et favoriser le développement de cette maison religieuse. Les Ursules possédaient « leur église, maison et lieux clostraux... quelques héritages assis au lieu dit l'Espinette et un labourage assis au finage de Hauterive... ce que n'étant pas suffisant de pouvoir nourrir et entretenir le nombre des religieuses qui sont à présent en leur monastère ; crainte qu'elles ne puissent si tost faire les autres acquisitions qui leur seraient nécessaires...» elles ont recours au roi qui leur donne, au mois d'août 1661, des lettres par lesquelles il agrée, confirme et approuve leur établissement, sous l'autorité de l'évêque d'Auxerre, et amortit leurs biens, les déchargeant de tous droits d'homme vivant et mourant et les dispensant de « payer pour raison de ce aucune finance ou
(1) Archives de l'Yonne, H. 1827.
(2) Au coin des rues Michel-Lepelletier et du Nil.
9 D'AUXERRE 283
indemnité ». Il ordonne au bailly de « les deffendre de toutes injures, grief, violence, oppression et de toutes nouvelletez indeües
indeües Il défend à toutes personnes, sous peines graves, « de meffaire ny médire, n'y souffrir estre meffait n'y médit à la
communauté desdittes suppliantes et leurs serviteurs en aucune
manière... » (1).
CHAPITRE II
LES SUPÉRIEURES FONDATIONS - PROGRÈS - DIFFICULTÉS FERMETURE ET DISPERSION
I.— Marie Jacqueline de Grafard de Jésus fut maintenue comme première supérieure, en 1623, lors de l'approbation définitive de la maison. Issue d'une noble famille de la Brie, elle avait été élevée avec Madame la marquise de Senecey, l'une des plus vertueuses dames de la Cour. Entrée au couvent de Dijon à l'âge de 30 ans, elle y mena une vie exemplaire. C'était « une âme fort chérie de Jésus-Christ et tout appliquée à sa croix ». Elue de nouveau en 1626, elle gouverna la communauté pendant douze ans (1617-1629). Elle le fit avec une prudence admirable qui eut pour résultat la ferveur des religieuses; son économie pleine de sagesse fit la prospérité matérielle de la maison. En 1639, elle alla commencer la maison de Corbigny, emmenant avec elle deux professes et une novice, soeur Marie de Jésus de La RocheLoudun, qui fut la première professe de cette nouvelle communauté.
La Mère de Grafard ayant éprouvé quelques déboires à Corbigny, revint à Auxerre, où elle finit saintement ses jours et mourut « dans l'opinion d'une grande religieuse" (Dom Viole et Chronique des Ursulines, III, p. 521).
Son décès est ainsi mentionné dans le registre des sépultures : « 2 septembre 1639, révérende et très honorée Mère Marie Jacqueline de Grafard, dite de Jésus, professe du monastère de Dijon, d'où elle était venue pour l'établissement de cette maison dont elle a été la première supérieure. » Elle n'avait que 58 ans d'âge et 26 de profession religieuse.
Sous son gouvernement, en 1629, fut fondée la maison de Gien, avec l'autorisation de Mgr Gilles de Souvré, évêque d'Auxerre.
(1) Voir plus loin ces lettres du. Roy.
284
LES URSULINES
10
Trois professes d'Auxerre y furent envoyées. La Mère Gabrielle Thierrat, dite Gabrielle de l'Assomption, en fut la première supérieure. Elle eut pour la seconder Catherine de Saint-Augustin et Claude de Sainte-Agathe qui fut maîtresse des novices. Celle-ci était « une fille de rare vertu, d'une obéissance ponctuelle et sans réplique, d'une humilité sincère, dont on voyait les marques dans ses actions. Elle mourut à Gien, ayant grandement édifié la communauté, qui pensait avoir obtenu par son intercession des grâces spirituelles et temporelles ». (Chronique des Ursulines, IIIe p., p. 56).
Cet établissement fut approuvé par lettres patentes de 1636 et 1652.
Il ne restait à Gien, en 1742, que cinq religieuses, qui n'étaient plus en état de remplir avec exactitude les exercices spirituels et obligations de leur état. Le roi fit alors défense d'y recevoir des; novices. Une ordonnance de Mgr de Caylus supprima cette maison et l'unit aux Hospitalières de Gien (11 juin 1750).
II. — Jeanne Daudenet, de la Passion, qui avait accompagné Marie de Grafard pour la fondation d'Auxerre, fut là seconde supérieure (1629-1632). Elle était née à Langres et fille d'un receveur des domaines de Sa Majesté.
III. — Judith Heuvrard Ursule de Saint-Bernard, originaire de la ville de Gien, fut élue deux fois supérieure et dirigea la maison de 1632 à 1638. Elle était d'un grand zèle, mais qui manquait de mesure et de prudence. Quelques religieuses eurent à souffrir de sa rigueur excessive; et l'une d'elles, soeur Angèle de SaintFrançois, qui était de noble famille, fut pendant quatre ans injustement traitée. Mais « vertueuse et ayant la dévotion à Jésus crucifié, elle fit preuve d'une patience héroïque ».
En 1638, alors que Dominique Séguier venait de quitter l'évêché d'Auxerre, Edme Amyot, docteur de Sorbonne et doyen du chapitre d'Auxerre, eut quelque indice de cette situation. II put convaincre la supérieure qu'on s'était trompé et obtint la réhabilitation de cette religieuse, qui mourut le 3 octobre 1641. Elle s'appelait dans le monde Anne de Cabaret. M. Amyot « la regardait comme une sainte à faire miracle ». Son exemple eut d'ailleurs une salutaire influence et ses compagnes, édifiées par sa vertu, n'en furent que plus étroitement unies dans la pratique du zèle et de la charité (Chronique des Ursulines). Lebeuf attestequ'à cette époque la maison des Ursulines était en pleine prospé— rite (Histoire d'Auxerre, t. II, p. 237).
11 D'AUXERRE 285
La Mère Judith Heuvrard mourut le 13 mai 1639, âgée de 50 ans, ayant environ 18 ans de profession religieuse,
IV. — Edmée Martineau, de Jésus, supérieure de 1638 à 1641. Elle mourut le 11 février 1643, âgée de 42 ans, dont 18 de profession.
V. — Marie Henriet, en religion Marie de Saint-Joseph, native de Saint-Florentin, élue en 1641, fut réélue en 1644. Elle sut inspirer aux religieuses une si grande confiance et une telle estime que, trois fois encore, il lui fallut assumer cette lourde charge. Il y a là aussi un indice du bon esprit qui régnait dans la communauté.
VI. — Jeanne Daudenet, de la Passion, supérieure pour la seconde fois de 1647 à 1650. Sa mort survint le 23 septembre 1657 ; elle avait 60 ans. Elle en avait passé 41 « en cette maison où elle était venue du monastère de Dijon, dont elle était professe, pour l'établissement de ce monastère qui lui a d'immortelles obligations et où elle doit, être vénérée comme une vraie sainte.
(Registre des Sépultures).
VII. — Marie Henriet. Troisième supériorat (1650-1653),
VIII. — Anne Cochon, en religion Anne de la Mère de Dieu (1653-1656). Elle meurt le 8 décembre 1675, ayant 72 ans, dont 54 de profession.
IX. — Marie Henriet. Quatrième supériorat (1656-1659).
X. — Marie de la Cour, de l'Incarnation, Auxerroise, fut supérieure de 1659 à 1662. Le 15 octobre 1677, elle mourait, ayant 72 ans, dont 54 de vie religieuse.
XI. — Louise Sallé, en religion Sainte-Scholastique, Auxerroise de la paroisse Saint-Loup, supérieure de 1662 à 1665. Elle mourut le 23 mars 1667, n'ayant que 48 ans, dont 30 de profession.
XII. — Marie de l'Isle, dite de Jésus de Saint-Ahthime, élue à la fin de l'année 1665, n'arriva pas à la fin de son supériorat. Dieu la rappela à lui le 6 juin 1667. Cette supérieure contribua beaucoup au bon renom de la communauté. D'un abord facile et d'une conversation agréable, toujours inspirée par une tendre piété, douée d'un jugement sain et d'une science solide, elle sut se faire aimer des pensionnaires, des novices et des religieuses qu'elle dirigea successivement. Si elle rencontra des contradictions, elle les supporta avec une admirable résignation. D'ailleurs humble comme toutes les saintes, « elle prétendit qu'elle n'avait été qu'un sujet de scandale et de mauvaise édification et que Dieu l'ôtait de cette vie parce qu'elle était indigne de la charge de supérieure qu'elle portait ». Elle avait 42 ans d'âge et 21 de
286 LES URSULINES 12
profession. Le journal des illustres religieuses de Sainte-Ursule, au 16 juin, lui donne le titre de Vénérable.
Son inhumation fut présidée par M. Gruet, théologal et grand vicaire de Mgr Pierre de Broc, en présence « de plusieurs ecclésiastiques et personnes considérables et des R. R. P. P. Cordeliers qui chantèrent l'offisse et toutes les cérémonies en présence et en plasse de la communauté à laquelle la consternation où elle estait par la mort de cette chère mère et très digne supérieure ne permit pas de rendre ce dernier devoir ». L'acte de décès fut signé par Soeur Agnès Billard de Saint-Alexis, assistante. (Reg. des Sépultures).
Vers cette même époque, le 18 septembre 1666, mourait une autre soeur qualifiée aussi de vénérable, soeur Jeanne Prévost, de l'Assomption. Entrée en religion malgré les menaces de ses proches qui Voulaient la faire marier, elle se distingua par) son ardente dévotion envers le Saint-Sacrement, dévotion qu'elle put satisfaire par la communion presque quotidienne. Elle y trouva le secret de passer, dans une paix admirable, plus de quinze années de souffrances aigües. (Journal, au 18 septembre). Elle passa 32 ans en religion et mourut à 60 ans.
XIII. — A la mort de la Mère Marie de l'Isle, la Mère Marie Henriet, dont j'ai déjà souligné l'intelligence, la piété et l'habileté dans le gouvernement des âmes, fut élue supérieure pour la cinquième fois (1667-1670). Chargée de mérites, elle quitta ce monde le 8 août 1674, ayant 72 ans. Elle en avait passé 54 dans la vie religieuse.
XIV. — Elle fut remplacée par la Mère Agnès Billard de SaintAlexis, qui mourut le 20 février 1672, dans le seizième mois de son supériorat. Elle n'avait que 43 ans, dont 26 de profession; Ses obsèques furent célébrées en présence de Mgr Nicolas de Colbert, évêque d'Auxerre. L'acte de décès est signé de Soeur Edmée de la Visitation, assistante.
XV.— Soeur Edmée Thibault, de la Visitation, fut élue deux fois et demeura supérieure de 1672 à 1678. Elle sut faire prospérer la maison au point de vue temporel, car, en 1675, elle plaçait 11.000 livres qui furent retirées en 1714 (1). Mais elle avait encore plus à coeur la ferveur spirituelle. De son temps vivait une soeur converse, Soeur Claude Denis de Sainte-Monique, qui fut vénérée: à: cause de son humilité, de sa dévotion et de sa mortification
(1) Archives de l'Yonne. G 1733.
13 D'AUXERRE 287
extraordinaire, et qui fut signalée comme une des plus saintes religieuses de l'ordre. Elle mourut le 10 janvier 1674. (Journal desUrsulines au 10 janvier). C'est aussi la Mère Thibault qui mit en usage, pour les sépultures, le caveau creusé sous l'église. La première inhumation y fut faite le 12 mars 1677.
XVI. — Qui fut supérieure de 1678 à 1681 ? Très probablement Marguerite Bourg de Saint-François.
XVII. — Mais en 1681, nous retrouvons la Mère Thibault, de la Visitation, qui fut encore élue en 1684. En 1685, elle agrandit considérablement la maison, en faisant l'acquisition de l'ancien hôpital Saint-Vigile, qui avait appartenu aux moines de SaintMarien, établis à Notre-Dame-la-D'Hors.
XVIII. — Mère Marguerite Bourg, de Saint-François, fut supérieure de 1687 à 1690. Elle sortit de ce monde le 2 février 1707, ayant 77 ans d'âge et 61 de vie religieuse.
XIX. — Puis c'est la Mère de la Visitation qui est replacée à la tête de la communauté et maintenue pendant six ans (1690-1696).
XX. — Pendant trois ans (1696-1699), elle cède la place à la Soeur Françoise de la Villette de Sainte-Ursule.
XXI. — Et, avant la fin de ce XVIIe siècle, les religieuses donnèrent encore deux fois leurs voix à la Mère Thibault, de la Visitation (1699-1705). Ayant bien mérité de Dieu et de sa communauté, elle quitta ce monde le 6 février 1708. Agée de 78 ans, elle en avait donné 58 à la vie religieuse et avait été élue huit fois, supérieure.
XXII. — De 1705 à 1708, supérieure Jeanne Marie de SaintThomas, qui mourut le 4 juillet 1722.
XXIII. — De 1708 à 1714, la Mère Françoise de la Villette, deux fois élue.
XXIV. — Mère Jacqueline Lefebvre de Saint-Augustin, supérieure (1714-1717).
XXV.. — Et en 1717, la très honorée Mère Françoise de la Villette, qui avait gagné l'estime, la confiance et l'affection de ses. religieuses, fut rappelée au pouvoir, où elle fut maintenue en 1720. Douée d'une robuste constitution, elle porta vaillamment les fatigues et les soucis qu'apporte avec lui le gouvernement d'une communauté nombreuse et d'un grand pensionnat. Pendant 69 ans elle avait vécu de la vie religieuse ; elle avait 87 ans lorsque Dieu la rappela à lui, le 19 juin 1732.
XXVI. — De 1723 à 1729, la supérieure fut Louise de Pothierre, de la Conception. Elle mourut étant assistante, le 24 juin 1742, ayant 79 ans dont 62 de vie religieuse.
288 LES URSULINES 14
XXVII. — En 1729, les religieuses nommèrent comme supérieure Soeur Estiennette-Bienvenue Martineau des Chesnez, de Sainte-Geneviève, qui, à cause des graves difficultés causées par le jansénisme, devait demeurer en charge jusqu'en 1746.
Sous l'épiscopat de François de Donadieu, de Gilles de Souvré, de Dominique Séguier, de Pierre de Broc et des deux Colbert, la maison des Ursulines alla toujours en progressant. La communauté comptait 60 religieuses. Mais sous celui dé M. de Caylus, elle passa par une crise dont, grâce à l'énergie de la Mère supérieure, elle sortit pourtant sans trop de dommages.
Quelques religieuses avaient subi l'influence des doctrines jansénistes et en acceptaient trop volontiers les rigueurs excessives. Mère Sainte-Geneviève, qui était un « modèle de douceur, de piété et de droiture », était aussi une femme de grande, énergie. Elle sut maintenir dans la bonne doctrine la majorité de ses religieuses. Deux novices seulement, « les seules discoles qui restaient irréductibles dans leur attachement à l'erreur»,
quittèrent le couvent. Mais la crise était à l'état aigu au moment où devaient avoir lieu les élections. On était à la fin de 1735. La Cour dut intervenir. Elle défendît jusqu'à nouvel ordre de procéder aux élections. C'était maintenir en place la supérieure, qui achevait ses six ans de supériorat, et par conséquent approuver sa conduite. Les élections n'eurent lieu qu'en 1743.
Après avoir porté le poids du gouvernement pendant la période la plus difficile et la plus dure, Mère Sainte-Geneviève alla recevoir sa récompense le 31 juillet 1749, ayant 75 ans d'âge et 57 de profession.
XXVIII. — Louise-Madgdeleine Gentil, de l'Assomption, de 1746 à 1752. Elle reçut à Aûxerre quatre religieuses de la maison de Cravant, les soeurs Potherat, Le Loir, Pomerot et Bourdillat Cette maison, ruinée par une mauvaise gestion, avait été supprimée par ordonnance de Mgr de Caylus, le 8 janvier 1749. Les soeurs furent réparties en différents couvents.
XXIX. — Edmée-Marguerite Gentil, de Saint-François, de 1752 à 1755. Elle meurt, étant assistante, le 11 janvier 1759, à l'âge de 66 ans, dont 48 de vie religieuse.
XXX. — La mère Louise Gentil, de l'Assomption, fut de nouveau supérieure de 1755 à 1761. Sa mort survint le 8 mai 1765. Elle était âgée de 83 ans et comptait 66 ans de profession.
En 1762, faisait profession Marie-Anne de Villeneuve de la Croix. A cette occasion, son père céda aux Ursulines 250 livres de rentes pour la dot de sa fille, fournit les habits et paya les frais
15 D'AUXERRE 289
de la cérémonie. Toutefois, il fut stipulé que, sur ces 250 livres, on en remettrait 100 annuellement à ladite demoiselle de Villeneuve, « pour servir à lui procurer les petits secours qui ne se donnent pas pour l'ordinaire dans les couvents et en disposer pour elle comme bon lui semblerait ». Sa santé débile réclamait des ménagements. Elle mourut le 23 avril 1780, n'ayant que 40 ans.
Nous trouvons ensuite comme supérieures :
XXXI. — 1761-67. — Marguerite Disson, de Saint-Jean-Baptiste, décédée le 4 novembre 1778, à l'âge de 84 ans. Son acte d'inhumation est le premier qui soit signé de personnes autres que le confesseur et la supérieure. Outre celle du Frère François Marie, capucin, confesseur, et de Soeur Marie, de Jésus, on y trouve celles du Frère Stanislas, capucin, procureur, Frère Nicolas de Béthune, vicaire, Doriot, cordelier..
XXXII. — 1767-73. — Marie Potherat de Billy, de Jésus.
XXXIII. — 1773-76. — Jeanne Deschamps, de Saint-Paul. XXXIV.— 1776-83. — Marie Potherat de Billy, qui fut par
conséquent élue quatre fois.
XXXV. — 1783-89. — Jeanne Deschamps, de Saint-Paul. En 1753, elle avait été élue, à l'unanimité, au premier tour de scrutin. En 1786, elle ne le fut qu'au sixième tour, mais à la grande pluralité des voix. Elle était d'ailleurs bien âgée. Sa mort survint le 3 juin 1791; elle avait 77 ans dont 59 de profession; Elle put entrevoir les mauvais jours; Dieu lui épargna la douleur de se voir expulser d'une maison qu'elle avait tant aimée.
XXXVI. — 1789-91. — Madeleine Robinet de Villemey, de SaintAugustin, qui allait voir l'orage fondre sur la communauté et la Révolution disperser le troupeau. Mais elle eut encore la consolation de voir une cérémonie dé profession. Deux soeurs converses, qui avaient pris le voile le 29 avril 1787, Jeanne-Catherine Dartois, de Sainte-Madeleine, et Marie-Louise Clément, de SainteMarguerite, prononcèrent leurs voeux le 30 avril 1789. Le 24 février précédent, la communauté, assemblée capitulairement, avait autorisé la Révérende Mère à coter et parapher les registres de vêtures et de professions. Ce registre ne porte mention que des deux professions dont je viens de parler. L'époque des suprêmes épreuves était ouverte.
19
290 LES URSULINES 16
LA DISPERSION
Au début de l'année 1791, il y avait encore au monastère des Ursulines 21 religieuses de choeur, 7 soeurs converses et 2 associées, dont l'une avait nom Madeleine de la Flotte.
Soeurs de choeur :
Madeleine Robinet de Villemey, de Saint-Augustin, supérieure. Marie Potherat de Billy, de Jésus.
Jeanne Deschamps, de Saint-Paul, dépositaire, qui meurt le 3 juin 1791.
Marie Leclerc de Champmartin, de Sainte-Thérèse.
Jeanne Leclerc de Champmartin, de Saint-Germain, assistante.
Marie-Anne de Grillet de Trucy, de Sainte-Cécile, zélatrice.
Catherine-Marie de Varenne, de Saint-Etienne.
Germaine Garnier, de Sainte-Angèle.
Madeleine de la Rivière, de Saint-Joseph.
Michelle Garnier, de Saint-Charles.
Jeanne Daubenton, de Sainte-Ursule.
Madeleine de Lenfernat, de Sainte-Rosalie.
Anne de Lenfernat, de Saint-Louis, qui sort le 18 janvier 1791.
Adelaïde Parisot, des Saints-Anges.
Henriette Martineau des Chesnez, de Saint-Ambroise.
Madeleine Boursin, de Saint-Edme.
Henriette Pallais, de Sainte-Monique.
Agathe Jorre, de Saint-Bernard.
Victoire Perrier, de Sainte-Rose.
Henriette Chapotin, de Sainte-Colombe.
Adelaïde Chabert, de Sainte-Geneviève.
Soeurs converses :
Claude Migné, de Saint-Alexis, qui meurt le 4 avril 1792, à l'âgede 91 ans et demi, ayant 65 ans de profession religieuse. Elle fut la dernière religieuse qui mourut et fut inhumée au monastère. Dieu lui fit une grande grâce.
Marié Page, de Saint-Dominique.
Françoise Renard, de Sainte-Catherine. Retirée à Lucy-surYonne, elle recevait une pension de 400 livres, mais elle étaitobligée de se plier à toutes les exigences de l'administration. En l'an VI (1798), il lui fallait encore se rendre à Coulanges pour prêter les serments exigés.
Françoise Page, de Saint-Joachim.
Jeanne Dumaine, de Sainte-Marthe.
17 D'AUXERRE 291
Jeanne Dartois, de Sainte-Madeleine. Anne Clément, de Sainte-Marguerite.
En cette même année 1791, le pensionnat était encore florissant. Quelques dames y vivaient retirées du monde. Le couvent pouvait subsister; il ne demandait qu'à vivre et à continuer son oeuvre bienfaisante d'éducation morale et religieuse. Comptes en main, M. Demay a pu dire que « la situation du couvent des Ursulines, sans être très prospère, n'avait cependant rien d'inquiétant » (1). Le 18 juin 1791, il y eut encore des élections pour nommer une dépositaire en remplacement de Jeanne Deschamps, récemment décédée. Ce fut la dernière manifestation de la vie de la communauté dont nous trouvons mention. L'année s'acheva tant bien que mal. Mais l'année 1792 vit la dispersion.
A celles qu'on obligeait à sortir, on donnait bien « quelques meubles, du linge, des effets ». A certaines d'entre elles, on restituait même des couverts d'argent. Quelques pensions furent accordées. Le 13 décembre, le Directoire assurait un logement aux deux tourières. Mais les classes étaient fermées, la vie commune interdite et la maison confisquée. L'année n'était pas achevée que la dernière religieuse avait quitté ce monastère où, pendant cent soixante-quinze ans, des femmes vertueuses et dévouées, ayant dit adieu à leur famille, s'étaient enfermées pour prier et chanter les louanges de Dieu, pour former le coeur des jeunes filles à la vertu, orner leur intelligence et tremper fortement leur volonté en la dirigeant vers le bien. Là où des centaines d'enfants avaient pris leurs ébats, la porte se ferma et le silence se fit.
Les bâtiments des grandes écoles, cédés gratuitement par la ville, en 1613, à « d'honnestes filles » qui avaient le projet de se réunir pour l'instruction des enfants, étaient bien vite devenus insuffisants. Pour les religieuses et pour le pensionnat, il fallait une assez vaste chapelle. On l'édifia en 1636. Et peu à peu, comme l'a si bien exposé M. Demay dans sa notice sur le Quarré des Ursules, les religieuses réalisèrent leur ambition, qui était de devenir propriétaires de tout le terrain compris entre les rues actuellement dénommées rues Française, Michel-Lepelletier,PaulArmandot et du Nil. « Elles avaient élevé sur ce vaste emplacement d'importantes constructions, d'utiles dépendances et ménagé de spacieux jardins où elles trouvaient, au sein de la tranquillité
(1) Demay. Op. cit.
292 LES URSULINES 18
la plus complète, un lieu propice à la méditation, avec les agréments de la promenade » (1).
On songea d'abord à morceler la propriété. L'estimation par lots, faite le 30 septembre 1793, montait à la somme de 24.845 livres. Mais ce projet fut abandonné. La chapelle servit de lieu de réunion pour les fêtes décadaires et devint le siège de sociétés populaires. Le 16 septembre 1793, on démolissait le clocher et le dôme; le 11 novembre, on enlevait les fleurs de lys et les girouettes; enfin, le 3 décembre, on descendait le drapeau pour y attacher le bonnet de la liberté. Et on allait y loger des prisonniers, puis des recrues. Un décret du 11 juin 1810 attribua à la ville d'Auxerre cet emplacement, dont la superficie était de 1 hectare 13 ares 12 centiares, à la condition d'y établir une caserne. Ce fut fait et naguère encore on ne la connaissait que sous le nom de caserne des Ursulines.
APPENDICE
LES URSULINES D'AUXERRE AU XIX SIÈCLE
Le 8 octobre 1828, trois religieuses Ursulines arrivaient de Paris à Auxerre. L'instruction et l'éducation étaient en souffrance. D'accord avec M. Le Blanc, maire d'Auxerre, et la municipalité, M. Viart, archiprêtre de la cathédrale, les appelait à continuer l'oeuvre interrompue par la Révolution. La ville leur abandonna momentanément la jouissance du presbytère actuel, dont on venait de faire l'acquisition. C'était modeste (2) « Les familles chrétiennes se hâtèrent de profiter, pour leurs enfants, de la présence des bonnes soeurs, qui remplissaient avec une singulière attention leurs devoirs d'Ursulines et d'institutrices » (3). Le pensionnat augmentant de jour en jour, il fallut, dès l'année suivante, trouver un local plus spacieux et mieux aménagé pour les classes. M. Viart vieillissait. Les vicaires, M. Fortin et M. Bruchet s'y employèrent avec zèle.
Le choix s'arrêta sur une maison située rue du Collège, près de l'ancienne chapelle des Jésuites, actuellement le théâtre. Il y
(1) Id.
(2) Une travée a été ajoutée plus tard à cette maison.
(3) Fortin. Souvenirs, I, p. 316.
19 D'AUXERRE 293
avait plusieurs chambres, des salles de classe et une petite chapelle (1). Elles y étaient à peine installées que leur oeuvre faillit périr. Ecoutons ici M. Fortin : « L'on était encore occupé des travaux d'appropriation... lorsque survint la Révolution de 1830. A Auxerre, elle eut pour effet d'attirer aux soeurs l'animadversion des révolutionnaires, qui ne prétendaient rien moins que de brûler leur petite maison qu'elles occupaient depuis peu. Heureusement le voisinage prit fait et cause pour elles ou plutôt pour le quartier qui aurait brûlé avec elles. Déjà les fagots étaient entassés à leur porte. Cette sorte d'axiome : Proximus ardet Ucalegon les sauva » (2).
Le calme revint et l'oeuvre continua à prospérer. Il fallut songer à une nouvelle installation. C'est alors qu'on jeta les yeux sur l'ancienne maison des Providentiennes, située rue du Champ (Michelet). Elle fut acquise, le 12 septembre 1836, au prix de 63.000 francs. M. Fortin ne manqua pas de faire remarquer que si, en 1829, on eût suivi son avis plutôt que celui de M. Bruchet, ou l'aurait eue pour 26.000 francs. Du moins, les Ursulines avaientelles une vaste maison, bien appropriée à leur oeuvre, et de l'espace qui permettait des agrandissements.
C'est là que, pendant soixante-dix ans, les Ursulines menèrent leur vie de prière et de dévouement et formèrent à la piété des milliers de jeunes filles, qui trouvèrent auprès de maîtresses appréciées une instruction solide autant que variée et la meilleure des éducations. Le pensionnat fut des plus florissants.
Hélas ! l'orage éclata de nouveau, le pensionnat fut fermé et les religieuses dispersées. Un décret du 12 juillet 1906, signifié à la communauté le 15 du même mois, enjoignait aux religieuses de quitter la maison avant le 1er septembre. La Supérieure était alors la Révérende Mère Adèle Vezin de Sainte-Marie, native de Bassou. Le couvent des Ursulines d'Auxerre comptait à ce moment seize religieuses de choeur et douze soeurs converses. Quand ces événements seront tombés dans le domaine de l'histoire, il se trouvera bien un Auxerrois qui dira leurs noms aux générations futures.
Les dernières religieuses quittèrent la vieille maison de la rue du Champ le 31 août 1906. La plupart prirent le chemin de l'exil
(1) Ces bâtimentss furent plu tard annexés en partie au petit séminaire : salles de classe et cour de la petite division.
(2) Fortin. Souvenirs, I, p. 317.
294 LES URSULINES 20
et furent accueillies en Belgique par Mgr l'évêque de Tournai. Six sont mortes sur la terre étrangère. Les survivantes subirent les épreuves de la guerre et les horreurs des bombardements. Et pendant que les obus tombaient jusque dans leurs chambres et sur leurs lits, ces saintes filles offraient à Dieu leurs souffrances et faisaient monter vers le ciel d'ardentes prières pour le salut de leur patrie toujours bien-aimée, la France.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
LETTRES DE LOUIS XIV ROY DE FRANCE ET DE NAVARE EN FAVEUR DES URSULINES D'AUXERRE (1661) (1)
Louis par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre à tous présents et à venir, Salut. Nos chères et bien amées les Religieuses de Sainte Ursule de nostre Ville d'Auxerre, Nous ont fait remonstrer qu'en conséquence des consentemens des Maire, Gouverneur et Eschevins de ladite Ville du vingt-deuxième juin mil six cens dix-sept, authorisé de celuy de nostre amé et féal Conseiller en nos Conseils le Sieur Donadieu lors Evesque desdits lieux, du 24 dudit. mois, elles se sont establies en ladite Ville et y ont acquis les fonds et emplacemens nécessaires pour les bastimens de leur Eglise, maisons et lieux clostraux, et depuis ce temps fait encore acquisition de quelques héritages assis au lieu dit l'Espinette, et un labourage assis au finage de Hauterive par contracts du 21 décembre 1655 et 17 août 1660 Ce que n'étant pas suffisant de pouvoir nourir et entretenir le nombre des Religieuses qui sont à présent en leur Monastère; crainte qu'elles ne puissent si tost faire les autres acquisitions qui leur seraient nécessaires pour y pouvoir subvenir, elles ont esté conseillées, attendant qu'il plaise à Dieu de leur en donner les moyens, de recourir à Nous, et nous supplier de vouloir agréer et confirmer leurs dit établissement et acquisitions susdites, mesmes pour éviter les frais ausquels elles seront obligées, s'il leur convenait plaider en diverses juridictions pour le peu de bien temporel qu'elles possèdent qui se consommerait par ce moyen, de leur accorder sur ce et sur l'amortissement du bien par elles acquis, comme dit est, nos lettres sur ce nécessaires : A ces causes, de l'advis de nostre Conseil qui a veu le consentement desdits Maire, Gouverneur et Eschevins et dudit sieur Evesque de nostre dite Ville d'Auxerre cy attachez avec les contracts desdites acquisitions sur le contrescel de nostre Chancellerie : Nous avons en conséquence d'iceux, agréé, confirmé et approuvé, et de nos
(1) Archives de l'Yonne : H, 1827.
21 D'AUXERRE 295
grâces spéciales, pleine puissance et authorité Royalle, agréons confirmons et approuvons par ces présentes l'establissement des exposantes en nostre dite Ville d'Auxerre, lequel, en temps que besoin serait, Nous leur avons permis et permettons pour y faire par elles et celles qui leur succéderont au Monastère qu'elles y ont choisi, tous les exercices et fonctions de leur règle et institut, ainsi que font les autres Religieuses de leur ordre establies en nostre Royaume, sous l'authorité desdits sieurs Evesque d'Auxerre et de ses successeurs, et aux conditions portées par lesdits consentemens, à laquelle fin et à ce qu'elles puissent posséder les emplacemens et héritages susdits par elles acquis, dont elles ont payé l'indemnité aux Seigneurs domimans, sans crainte d'en estre inquiétées à l'advenir, Nous les avons, de quelque valeur et consistance qu'ils soient, admorti et admortissons comme à Dieu dédiez, sans que cy après lesdites exposantes soient tenues de nous donner homme vivant, mourant et confisquant, ny nous payer pour raison de ce aucune finance ou indemnité, de laquelle, à quelque somme qu'elle se puisse monter, Nous leur avons fait et faisons don par lesdites présentes signées de nostre main, à la charge néantmoins de nous rendre les foy et hommages et reconnaissances, si aucunes nous sont deües pour raison des choses par elles acquises, en la manière accoustumée : ayans en outre icelles exposantes pris et mis, prenons et mettons en nostre protection et sauvegarde spéciale, ensemble leur Communauté et leurs séculiers présens et avenir pour la conservation de leurs personnes et droits, et pour leurs gardiens spéciaux, Nous avons commis et député, commettons et députons le Bailly de nostre Ville d'Auxerre ou son Lieutenant ausquels mandons et ordonnons de les maintenir et garder de par Nous en leurs justes possessions, saisines, droits, usage, franchises et libertez, les deffendre de toutes injures, grief, violence, oppressions et de toutes nouvelletez indeües, lesquels, s'ils trouvent avoir esté faites contre et au préjudice de nostre protection et sauvegarde, nous voulons qu'incontinant ils fassent remettre au premier estat et deub, et que nostre présente sauvegarde soit signifiée et publiée es lieux qu'il appartiendra, et qu'il sera requis pour la Communauté desdites suppliantes : Et pour témoignage de nostre authorité, Nous voulons que nos pannonceaux et bastons Royaux soient mis et apposés sur les lieux, maisons, terres et possessions desdites exposantes, faisant deffense à toute personne de quelque qualité et condition qu'ils soient sur certaines et grandes peines, de meffaire n'y médire, n'y souffrir estre meffait n'y médit à la Communauté desdites suppliantes et leurs serviteurs en aucune manière, et que le premier de nos Huissiers ou Sergens sur ce requis, face payer incontinant et sans délay toutes les debtes mobiliaires, qui seront reconnues par les confessions des parties ou autres enseignemens leur estre deûes, et en cas de reffus, opposition ou délay, ils adjournent les opposans ou reffusans ou delayans et tous infracteurs
296 LES URSULINES 22
de nostre dite sauvegarde à certain et compétant jour pardevant ledit Bailly d'Auxerre, son lieutenant audit lieu, auquel de nostre certaine science, ' grâce spéciale, plaine puissance et authorité Royalle Nous en avons commis et attribué, commettons et attribuons par ces présentes lettres juridiction et connaissance d'oresnavant et à perpétuité, et pour connaître de tous et uns chacuns les procès, différents et instances personnelles, possessoires et pétitoires, réelles, mixtes ou autres quelconques, tant en demandant qu'en défendant, en première instance seulement privativement à tous autres Juges leurs Lieutenans et Justiciers des Juridictions ordinaires et autres, soit Royalles ou de quelques Seigneurs nos sujets ayant droit de Justice et Juridiction, A tous lesquel nous en avons interdit et deffehdu, interdisons et defendons toute Cour et Juridiction et connaissance à peine de nullité, et icelle commise et attribuée, com— mettons et attribuons par ces dites présentés à nostre Bailly d'Auxerre ou son Lieutenant, pour y estre procédé entre les parties comme de raison, ausquels nous ordonnons de faire aux parties: ouyes, bonne et briesve justice, et de faire jouyr et user lesdites suppliantes et leurs serviteurs de nostre dite protection et sauvegarde et de nos lettres, droits et privilèges de garde gardienne, et de toutes et chacunes les autres choses qui peuvent et doivent appartenir en l'office de garde gardienne; Si donnons en mandement à nos amés et! féaux Conseillers, les gens tenans nos Cours de Parlement à Paris, Bailly d'Auxerre ou son Lieutenant, et à tous autres nos Justiciers et et Officiers et chacun d'eux, en droit soy, ainsi qu'il appartiendra, que ces présentes ils facent publier et registrer, et le contenu en icelle garder et observer inviolablement de point en point, selon leur forme et teneur, contraignant à ce faire lesdits Juges ordinaires, leurs Lieutenans et autres nos sujets quelconques à chacun d'eux par inductions et déclarations de toutes peines, nullitez, amandes, payement d'icelles par contraintes et autres voyes deües et raisonnables, nonobstant tous autres privilèges à ce contraires, ausquels nous avons dérogé et dérogeons par ces dites présentes : Car tel est nostre plaisir, et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, Nous avons fait mettre nostre scel à ces dites présentes.
Donné à Fontainebleau au mois d'Aoust, l'an de grâce mil six cens soixante-un et de notre règne le dix-neuvième.
Signé : Louis. Par le Roy : DALOMÉNIE.
Enregistré au Parlement le 16 septembre 1662.
Leües et publiées à l'audiance du Bailliage et Présidial d'Auxerre ce requérant lesdites Dames Religieuses, par Billard et Mérat leurs advocat et procureur, cejourd'hui 14 novembre 1662.
23 D'AUXERRE 297
EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DE LA DERNIÈRE CÉRÉMONIE DE PROFESSION AUX URSULINES D'AUXERRE (30 AVRIL 1789).
Jeanne-Catherine Dartois, fille de feu Adrien Dartois, vigneron à Mailly-Château et de feue Catherine Prévôt, née à là même paroisse le vingt août 1756 et baptisée le même jour, a pris l'habit de religieuse et le nom de Sainte-Madeleine, le 29 d'avril 1787, dont il a été fait acte.
Elle a fait profession solennelle et prononcé ses voeux en l'église des Religieuses Ursulines d'Auxerre, avec la permission de Mgr J.-B.- Marie Champion de Cicé, évêque d'Auxerre, en présence de Monsieur Vaultier, prêtre chanoine-chantre en l'église cathédrale, licentié en théologie, vicaire général, et du R. P. François Marie, vicaire des R. P. Capucins, confesseur ordinaire de la Communauté. Prédicateur: le R. P. Sébastien, religieux capucin et desservant de Rouvray. Supérieure : Re Mre Madeleine Robinet de Villemay de Saint-Augustin.
Suit pareil acte pour Marie-Louise Clément, fille de Jean-Baptiste Clément, maître tonnelier à Maligny, née le 24 novembre 1759.
NÉCROLOGE (1)
Age Profession 10 juin 1619. — Louise Potin Geneviève de Sainte-Magdeleine, première novice, décédée après 5 mois
de noviciat 43 ans. — —
26 novembre 1625. — Jeanne Perreau de la Trinité.... 32 — 4 ans..
28 mai 1626. — Germaine Cochon dite de la Croix . 19 — 2 —
3 avril 1634. — Françoise Puisoye de Sainte-Claire... 25 — 3 —
30 septembre 1637. — Françoise de Rochefort, fille de
M. le Marquis de la Boulaye, dite de SaintCharles 27 — 8 —
13 mai 1639. — Mère Judith Heuvrard Ursule de SaintBernard 50 — 18 —
31 mai 1639. — Germaine Fernier de Sainte-Geneviève. 34 — 8 — 17 juillet 1639. — Jeanne Regnauldin du Sauveur...... 59 — 15 —
30 août 1639. — Anne Jousseau de Sainte-Cordule..... 40 — 15 —
2 septembre 1639. — Révérende et très-honorée Mère Marie Jacqueline de Grafard de Jésus, fondatrice et première supérieure de la Maison
d'Auxerre... ....58— 2013
2013 1641. — Germaine Berault de la Croix 30 — 12 —
(1) Archives du Greffe d'Auxerre : Reg. des sépultures (communautés religieuses).
298 LES URSULINES 24
Age Profession
3 octobre 1641. — Anne de Cabaret Angèle de SaintFrançois
SaintFrançois ans. 17 ans.
28 octobre 1642.— Anne Deschamps Agnès de SaintFrançois
SaintFrançois 28 — 7 —
11 février 1643. — Révérende Mère Edmée Martineau
de Jésus 42 — 13 —
9 mars 1646. — Chrestienne Rousselet de SaintAugustin 28 — 11 —
16 septembre 1647. — Edmée Cochon dite des Saints... 32 — 16 — 28 octobre 1649. — Françoise de la Roche de Loudun
de Sainte-Catherine 36 — 20 —
22 mars 1652. — Claude Richer Magdeleine des Anges. 40 — 22 —
28 avril 1652. — Marie Coulliaux Angélique 58 — 35 —
1er février 1655. — Germaine Jamion de Sainte-Agnès. 46 — 28 — 23 septembre 1657. — Révérende et très-honorée Mère
Jeanne Daudenet de la Passion 60 — 40 —
30 avril 1658. — Anne Thierriat de la Nativité 55 — 37 -
13 novembre 1658. — Anne Rigolé de l'Annonciation .. 43 — 25 —
6 janvier 1659. — Mère Edmée de Chenu de SainteUrsule
SainteUrsule — 34 —
10 janvier 1659. — Mère Marie Prévost des Anges, première professe d'Auxerre 72 — 34 —
5 avril 1659. — Anne Pion Magdeleine. de la Trinité... 54 — 35 —
1er avril 1660. — Judith Bailly Marie de l'Assomption. 61 - 32 —
5 octobre 1661. — Mère Catherine Hay de SaintAugustin
SaintAugustin — 38 —
7 mars 1662. — Mère Jeanne Hennequin du SaintSacrement
SaintSacrement — 38 —
6 juin 1662. — Françoise Girardin de Saint-Ignace... 48 — 31 — 25 décembre 1662. — Magdeleine Jacquinot du Calvaire. 26 — 8 —
4 mai 1664. — Anne Le Rable Elisabeth de la Passion. 70 — 40 - 15 septembre 1666. — Jeanne Prévost de l'Assomption. 60 — 32 —
23 mars 1667. — Révérende et très-honorée Mère Louise
Sallé de Sainte-Scolastique 48 — 30 —
28 mai 1667. — Perrette Liger de la Croix 60 — 30 —
6 juin 1667. — Révérende et très-honorée Mère Marie
de l'Isle de Jésus et de Saint-Anthime 42 — 21 —
17 juillet 1667. — Marie -Claude Soufflot de SaintAugustin
SaintAugustin 24 — 3 —
25 avril 1669. —. Elisabeth Girard de Sainte-Marie 59 — 40 —
14 décembre 1669. — Anne de Carruyer de Launay 22 — 5 —
20 février 1672. — Révérende et chère Mère Agnès Billard de Saint-Alexis 43 — 26
23 janvier 1673. — Edmée Seurat de Saint-Hiacinthe .. 44 — 20 —
3 janvier 1674. — Edmée Duvoigne de Sainte-Anne ... 36 — 18 —
25 D'AUXERRE 299
Age Profession
1er juin 1674. — Marie Bézanger Séraphique 66 ans. 42 ans.
8 août 1674. — Révérende Mère Marie Henriet de
Saint-Joseph 72 — 54 —
8 décembre 1675. — Révérende Mère Anne Cochon,
dite Anne de la Mère de Dieu 72 — 54 —
12 mars 1677. — Barbe Chesnet de la Conception ...... 46 — 29 —
15 octobre 1677. — Révérende Mère Marie de la Cour
de l'Incarnation.. 72 — 54 —
3 décembre 1677. — Edmée Briard de Jésus 48 - 31 —
23 avril 1681. — Angélique de la Goguée de SainteThérèse.
SainteThérèse. — 33 —
15 juin 1681. — Françoise-Marie Bouzy de Saint-Gabriel, 37 — 17 —
4 novembre 1682. — Germaine Thibault de SainteGeneviève
SainteGeneviève — 28 —
2 mai 1683. — Catherine Girard de Jésus .. 74 — 58 —
4 mai 1683. — Marie Bailly de Saint-Charles .61 — 44 —
6 juin 1685. — Gabriel Tiffené de Sainte-Gertrude .... 52 — 33 — 17 octobre 1685 — Françoise Petit-Foudrier de SainteClaire 42 — 24 —
13 janvier 1687. — Marie Dazon de Saint-Jean 48 — 30 —
7 juin 1687. — Marguerite de la Roche du Saint-Esprit. 75 — 58 — 17 juin 1688. — Marie Madeleine Thiennet de SainteAnne 24 — 3 —
19 décembre 1688. — Marie Deschamps de Jésus 28 — 4 —
16 avril 1690. — Jeanne Sélier de Sainte-Angèle 50 — 33 —
4 septembre 1690. — Marie-Madeleine Morin des Séraphins
Séraphins — 9 —
1er juin 1691. — Révérende Mère Marie Nodot de la
Résurrection 71 — 54 —
29 octobre 1691. — Claude Mouchon de l'Assomption.. 35 — 12 — 10 décembre 1692. — Mère Marguerite Legoy de SainteCécile.. .....59 - 43 —
5 janvier 1695. — Elisabeth Cochon dite de tous les
Saints.. 70— 45 —
8 janvier 1698. — Louise Cochon dite de l'Ascension.. 82 — 64 — 23 janvier 1700. — Marie Trébuchet de Saint-Joseph,. 71 — 55 — 18 avril 1700. — Marie Herbin de Saint-Hierôme 43 — 18 —
1er janvier 1702.— Marie Mocquereau de la Visitation. 81 — 60 — 12 novembre 1702. — Elisabeth de Rivière de SaintJean 67 — 51 —
31 janvier 1703. — Jeanne Soufflot de Sainte-Agathe ... 58 — 40 —
39 octobre 1703. — Françoise Boucher de Saint-Ignace .57 — 39 — 27 novembre 1705. — Mère Magdeleine Joly de SaintBenoist
SaintBenoist 75 — 57 —
300 LES URSULINES 26
Age Profession.
2 février 1707- — Révérende et très-honorée Mère
Marguerite Bonrg de Saint-François 77 ans. 61 ans.
19 mars 1707. — Jeanne Bourg de Saint-Bonaventure .. 74 — 58—
17 septembre 1707. - Magdeleine Morin de Sainte-Rose. 44 — 23 - 6 février 1708. — Révérende et très-honorée Mère
Edmée Thibault de la Visitation 78 — 58 —
25 mai 1708. — Barbe Regnauldin de Saint-Louis 76 — 59 -
10 mai 1710. — Marie-Magdeleine Guinon des Anges ... 64 - 46 — 23 juillet 1710. — Elisabeth-Thérèse Massé de Jésus.. 41 — 20 — 30 novembre 1711. — Marguerite Bourotte de SaintBernard 75 — 56 —
3 août 1712. — Antoinette Jacquinet de Sainte-Magdeleine
Sainte-Magdeleine 63 — 43 —
15 février 1713. — Perrette-Marie Geneviève de SaintPierre
SaintPierre — 60 —
1er août 1713. — Catherine-Monique Jacquard de SaintFlorentin 44 — 22 —
2 mars 1714. — Jeanne Rigolet de Sainte-Elisabeth... 83 — 67 — 1er novembre 1714. — Edmée-Louise Rafin de SainteClaire 44 — 23 —
5 décembre 1714.— Révérende Mère Marthe-Marie de
Sainte-Marie, assistante 58 — 41 —
6 juillet 1715. — Marie Gueron de l'Incarnation 48 — 29 —
21 avril 1716. — Françoise Robinet des Séraphins 41 — 19 —
18 novembre 1716. — Catherine Michot de SainteThérèse
SainteThérèse — 33. -
12 juin 1717. — Magdeleine Carruyer de Launet du
Calvaire 70 — 54 —
20 février 1718. — Mère Marie de Grimonville de Bar
de Saint-Paul 82 — 66 —
21 avril 1818. — Marie-Marie de Saint-Jean, professe de
Cravant, associée avec tous les droits à cette
maison 74 — 58 —
20 janvier 1720. — Charlotte Morin de l'Annonciation. 54 — 37—
23 avril 1720. — Angélique-Françoise Bruchet de la
Nativité.... 64 — 44 —
16 septembre 1720. — Angélique Brunot de Saint-Alexis. 67 — 45 —
4 juillet 1722. — Révérende et très-honorée Mère
Jeanne-Marie de Saint- Thomas 81 — 65 —
24 mars 1725. — Marie-Anne Veugny de Saint-Ambroise. 61 — 39 — 18 mars 1729. — Anne-Catherine Pinterel de SainteDorotée
SainteDorotée — 54 —
13 juin 1732. — Révérende et très-honorée Mère Françoise
Françoise la Villette de Sainte-Ursule 87 — 69 —
27 D'AUXERRE 301
Age Profession
12 novembre 1733. — Magdeleine Galimard de SainteScolastique
SainteScolastique ans. 56 ans.
25 décembre 1734..— Rèvérende Mère Jacqueline Lefebvre
Lefebvre Saint-Augustin 82 — 63 —
9 février 1737. — Germaine-Eusébie Robinet du SaintSacrement 67 — 47 —
20 novembre 1737. — Marie-Anne Richer de SaintAmbroise
SaintAmbroise — 6 —
4 novembre (?). — Marie-Suzanne Mocquot de SainteAngèle
SainteAngèle — 16 —
3 avril 1740. — Jeanne-Magdeleine Richer de SainteLucie 28 — 11 —
22 octobre 1740.— Anne-Laurence Regnauldin de SaintEstienne
SaintEstienne 74 — 55 —
21 août 1741. — Barbe Borne de la Croix ... 41 — 16 —
4 février 1742. — Jeanne Moreau de Sainte-Cécile.... 69 — 47 — 24 juin 1742. — Révérende et très-honorée Mère Louise
de Pothierre de la Conception, assistante 79 — 62 —
11 février 1743. — Révérende Mère Marie-Edmée Chapotin
Chapotin l'Enfant Jésus 71 — 52 —
5 janvier 1747. — Marie Collot de Saint-FrançoisXavier...
Saint-FrançoisXavier... — 41 —
3 septembre 1747. — Louise - Magdeleine - Marié de
Sainte - Marie 51 — 30 —
8 août 1748. — Anne-Constance de la Passion 77 — 58 —
31 octobre 1748. — Catherine Borne de Sainte-Edmée . 54 — 33 — 16 novembre 1748. — Eugénie Chrestien de SaintCharles 55 - 37 —
31 juillet 1749. — Révérende et très-honorée Mère Antoinette Bienvenue Martineau des Chesnez de Sainte-Geneviève 75 — 57 —
29 mai 1751. — Marie-Anne Raffin de Saint-Joseph..... 65 — 46 —
9 juin 1752. — Edmée Borne de Sainte-Anne 49 — 30 —
28 décembre 1754. — Marguerite-Magdeleine Tavernier
de Boulogne de Saint-Nicolas 72 — 54 —
1er mars 1755. — Sébastienne-Elisabeth Dovisa de
Saint-Pierre 63 — 36 —
27 mars 1755. — Magdeleine Doutreleau .48 — 31 —
5 novembre 1755. — Marie Girardin de Saint-Louis... 66 — 46 — 26 novembre 1757, — Edmée-Hélène Briant de Forbois
de Sainte-Agnès 61 — 44 —
11 janvier 1759. — Révérende Mère Edmée-Marguerite
Gentil de Saint-François, assistante 66 — 48 —
4 janvier 1760. — Mère Charlotte Cochon dite de la
Miséricorde 86 — 59 —
302 LES URSULINES 28
Age Profession
4 août 1761.—Mère Marie-Anne Le Prestre de Vauban
Louise de Saint-Laurent 88 ans. 63 ans...
3 octobre 1763. — Marie-Anne Soufflot de Saint-Bruno. 47 — 30 —
8 mai 1765. — Révérende Mère Louise-Magdeleine
Gentil de l'Assomption 83 — 66 —
23 avril 1767. — Très-chère Mère Germaine PhilebertCatherine
PhilebertCatherine des Anges, assistante....... 72 - 53 —
3 mai 1767. — Très-chère Soeur Jeanne-FrançoiseMarguerite
Jeanne-FrançoiseMarguerite la Villette de Sainte-Ursule,
maîtresse des novices 01 — 36 —
29 mars 1770. — Anne Espaullard de Saint-André 79 — 59 -
21 juillet 1770. — Maximiliane-Tarcile Moreau de la
Maison-Blanche de Sainte-Lucie 34 — 14 —
9 septembre 1771. — Anne-Edmée Briant de Forbois
de Saint-Bernard 73 — 56 —
26 décembre 1771. — Madeleine Coulleault de Berry
Martineau de Sainte-Barbe 65 — 45 —
1er mai 1772. — Catherine Briant de Forbois de Saint
Hiacinthe 77 — 61 —
20 mai 1772. — Edmée-Germaine Potherat de SainteFélicité 60 — 41 —
28 octobre 1772. — Claude Bogne de Sainte-Agathe 81 — 64 —
8 avril 1773.—Mère Claude Girardin de Sainte-Rose.. 85 — 63 —
15 septembre 1773. — Ursule Riche de Saint-Benoît.. .69 — 40 — 17 avril 1778. — Gabriel-Gertrude de l'Enfernat de la
Resle de Sainte-Victoire .. 31 — 4 —
4 novembre 1778. — Révérende Mère Marguerite
Disson de Saint-Jean-Baptiste 84 —
10 avril 1779. — Catherine-Madeleine Soufflot de SaintArcène
SaintArcène — 45
23 avril 1780. — Marie-Anne de la Croix de Villeneuve
de Sainte-Geneviève 40 — 18 —
12 avril 1782. — André-Edmée Coulleau de Berry de
Sainte-Hélène 74 — 53 —
11 décembre 1782. — Pierrette-Zacharie Potherat de
Sainte-Elisabeth 72 — 53 —
17 février 1783. — Révérende Mère Germaine Grasset
des Séraphins, assistante 77 — 59 —
22 novembre 1783. — Anne-Elisabeth Diamy Clémence
de Sainte-Claire 73 — 56 —
10 août 1784. — Françoise Paintandre de Sainte-Marie. 46 — 25 —
12 avril 1786. — Mathie Ligeré de Sainte-Madeleine ... 81 — 63 — 3 juin 1791. — Mère Jeanne Deschamps de Saint-Paul. 77 — 59 —
29 D'AUXERRE 303
SOEURS CONVERSES
Age Profession
21 septembre 1649. — Huguette Bredot de la Présentation
Présentation ans. 3 ans..
30 janvier 1667. — Jeanne Dusaut de Sainte-Ursule 63 — 31 —
16 janvier 1669. — Antoinette de Chenu de SainteAngèle
SainteAngèle —52 —
5 janvier 1674. — Jeanne Petit de Sainte-Marthe 68 — 27 —
10 janvier 1674. — Claude Denis de Sainte-Monique ... 72 — 50 —
1er décembre 1688. — Marguerite Bourgoin de SaintMichelle
SaintMichelle — 28 —
28 novembre 1704. — Catherine Murot de la Résurrection 80— 61 —
30 octobre 1698. — Geneviève Roncelin de Saint-Edme. 52 — 34 —
12 mars 1701. — Anne Brosse de la Présentation 64— 46 —
18 novembre 1707. — Edmée Morot de la Purification. 49 — 29 — 14 novembre 1718. — Barbe Dimanchot Germaine de
Sainte-Barbe 79 — 58 —
14 juin 1719.— Jeanne-Charlotte Barbier de Sainte-Anne. 40 — 14 —
31 mars 1725. — Edmée-Anne Renard de Sainte-Marthe. 67 — 30 — 30 juin 1735. — Anne Duchange de Saint-Dominique... 84 — 66 — 25 novembre 1735. — Marie-Geneviève Sapin de SaintGermain 58 — 33 —
25 décembre 1746. — Catherine Galernat de la Présentation
Présentation — 41 —
26 octobre 1748. — Marguerite Senaux de Saint-Joachim. 66 — 48 — 9 avril 1760. — Placide Goudret de Sainte-Flavie.... 63 — 35 —
6 février 1783. — Mélanie Bazot de Saint-Pierre . .28 — 11 mois.
5 novembre 1788. — Edmée Charpentier de SainteAnne, née à Hauterive le 14 mai 1729.. » »
4 avril 1792. — Claude Migné de Saint-Alexis 91 — 65 —
NOVICES
Age Noviciat
Louise Potin (v. premier acte du nécrologe). 26 août 1662. — Marie Louiset de Sainte-Agnès .. 18 ans. 1 an.
22 janvier 1692. — Edmée-Marrhe Martineau de
de Saint-André 16 — 1 an 4 mois..
URSULINES ÉTRANGÈRES
8 décembre 1698. — Mère Anne de Saint-Benoist, professe de la maison de Cravant, à Auxerre depuis 15 ans.
5 mai 1724. — Mère Catherine Bastonneau de la Ferrière de SaintPerre,
SaintPerre, de Saulieu, à Auxerre depuis 2 ans. 5 mars 1750. — Claude Poncerot de Sainte-Catherine, converse, professe de Cravant.
304 LES URSULINES 30
20 avril 1750. — Marie Potherat de Saint-Michel, religieuse professe de Cravant. 7 mai 1774. — Catherine Le Loir de la Miséricorde, professe de Gravant, âgée de 67 ans. 36 ans de vie religieuse, dont 10 à Cravant.
Parmi les pensionnaires décédées à la maison et inhumées dans la sépulture ordinaire des religieuses, je relève quelques noms à noter : Mlles Claude de la Roche, Magdel ine de l'Enferna, Charlotte de Pothière.
10 novembre 1667. — Mme Marie Maugard, veuve d'honorable homme mestre Florentin Maugard, greffier de la ville et communauté de Saint-Florentin ; pensionnaire perpétuelle (70 ans).
12 mai 1669. — Mlle Hélène Billard, fille de Me Billard, avocat au Parlement de Paris, décédée à l'âge de 16 ans et inhumée dans l'église des Ursulines, en présence de Mgr illustrissime et revérentissime messire Pierre dé Broc, evesque d'Auxerre.
15 février 1698. — Mlle Marguerite Marie, surnommée de la Vierge, pensionnaire perpétuelle, portant l'habit religieux (54 ans), fille de M. Thomas Marie, écuyer, baron d'Avigno, lieutenant général au bailliage d'Auxerre, et de dame Marthe Foudriat.
6 mars 1753. — Mlle de Qincy (9 ans), distinguée par sa naissance et içue de parans fort respectables et estimables.
21 novembre 1755. — Mlle Cornu (5 ans), fille de M. Cornu, employé dans l'Amérique, à l'île Saint-Dominique.
1er décembre 1755. — Mlle Barbe Morelle (13 ans), fille de M. Morelle, bon bourgeois et famille des plus distinguées de Noyers.
22 décembre 1760. — Mlle Sophie Rabias de Coursant.
1er décembre 1762. — Mlle Victorine Martineau Déchesnez (12 ans), fille de M. Martineau Déchesnez, avocat du roy.
28 décembre 1765. — Mlle Marie Regnaudin, sourde muette, pensionnaire depuis 1727, fille de M. Regnaudin, marchand de vins à Paris.
9 mars 1771. — Mlle Geneviève Bogrie (84 ans), fille de M. Bogne, officier du roy, et de demoiselle Geneviève Riche.
20 décembre 1771. — Demoiselle Catherine de Gentil de la Breuille de Varigny (14 ans), fille de messire Jean-François de Gentil, chevalier, seigneur de la Breuille, de Saint-Puis en; partie, et dame Marie-Anne de Vathère.
Les pensionnaires étaient inhumées dans la sépulture ordinaire des religieuses. Les deux dernières, demoiselle Edmée-Madeleine Chopin (59 ans), décédée le 29 mars 1792, et dame Marguerite Martin, veuve de M. Claude Perrette (63 ans), décédée le 14 juin suivant, furent « transportées et inhumées à la paroisse NotreDamé-la-d'Hors. »
LES
SOUVENIRS NAPOLÉONIENS DU MUSÉE DE SENS
ET LEUR HISTOIRE
Par Mlle Augusta HURE Conservatrice des Musées de Sens (Yonne)
La plus grande part des souvenirs napoléoniens que renferme le musée de la ville de Sens est due à la générosité de M. SaintDenis, ancien mameluck de l'Empereur, un des témoins les plus intimes de sa vie de conquérant et de souverain déchu.
Afin d'initier le lecteur aux lignes qui vont suivre, nous croyons nécessaire de donner une courte notice sur ce fidèle serviteur.
LOUIS-ETIENNE SAINT-DENIS
Louis-Etienne Saint-Denis naquit à Versailles, le 22 septembre 1788. En 1806, il abandonna avec joie les fonctions de petit clerc qu'il occupait à l'étude du notaire Colin, place Vendôme, à Paris, pour celles d'élève piqueur au service du Grand Eçuyer de la maison de l'Empereur. En décembre 1811, il entre comme second mameluck aux ordres intérieurs et personnels de Napoléon 1er et prend le nom d'Ali.
Dès lors, il suivit son maître pendant ses campagnes (1) et devint premier mameluck quand Roustan quitta l'Empereur après son abdication. Nous le retrouvons à l'île d'Elbe investi de missions de confiance, aux Cent-Jours, puis à Sainte-Hélène où il remplit l'office de second valet et de bibliothécaire. C'est à Sainte-Hélène que Saint-Denis mit au net les écrits de l'Empereur ; aussi la plupart des manuscrits de Longwood sont-ils de sa
(1) Saint-Denis était de petite taille, ce qui le prédisposa pendant les campagnes de Napoléon à lui servir d'aide d'observation. Il se plaçait devant l'Empereur le gros bout de la lorgnette appuyée sur son épaule. — Emmanuel de Las Cases, Récit du retour des cendres de Napoléon, p. 123. — Organisation de l'équipage de Napoléon en 1812, art. 14 (carnet de la Sabretache, 1894).
20
306 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 2
main. Son écriture était fine et serrée. Quand il ne pouvait déchiffrer, il substituait au texte illisible des mots de son cru, que l'Empereur tantôt acceptait, tantôt corrigeait, mais sans lui interdire ces libertés. Les Souvenirs de Saint-Denis, récemment parus (1), attestent qu'il savait s'exprimer dans un style correct. En lisant ces souvenirs, restés jusqu'en 1921 inédits, on est frappé de sa mémoire prodigieuse. Il est capable de reproduire un plan, une conversation, de simples paroles qui l'ont frappé et qui se sont gravés en lui.
Après la mort de Napoléon, Saint-Denis eut naturellement sa part des souvenirs se rattachant à l'Empereur et qui furent partagés entre ceux qui avaient participé volontairement à sa dure captivité. Assuré par le testament de Napoléon d'une somme de 135.000 francs, il alla s'installer provisoirement à Versailles, puis résida à Paris et enfin, en 1827, vint se retirer à Sens, où il mourut le 3 mai 1856, à l'âge de 67 ans. En 1854, il avait été fait chevalier de la Légion d'honneur.
Le docteur Poumiès de la Siboutie, qui fut longtemps le médecin de la famille Saint-Denis, et dont les mémoires ont été publiés en 1909 dans la Revue Hebdomadaire, raconte que l'ancien mameluck avait eu l'idée de noter au jour le jour ce qu'il voyait et entendait. Poumiès va jusqu'à prétendre avoir parcouru ce journal. On doit faire remarquer que Saint-Denis a toujours déclaré dé la manière la plus catégorique qu'il n'avait pris aucune note pendant toute la durée de ses services auprès de l'Empereur; « il regrettait même cette négligence que d'ailleurs il se reprochait ». M. Gustave Michaut, le récent éditeur des Mémoires de SaintDenis, pense que les affirmations de Poumiès de la Siboutie sont le résultat d'une confusion.
En passant, il nous faut remarquer que la description, quoique très courte, que donne Saint-Denis, dans ses Souvenirs, du passage de Napoléon dans le département de l'Yonne, en 1815, reste; conforme à ce que l'on nous en a dit. Cependant, c'est d'après SaintDenis que nous apprenons que ce fut à Auxerre que le général Brayer, qui dînait avec l'Empereur, aurait fait la proposition de descendre à Paris avec quelques centaines d'hommes et de surprendre les Bourbons dans leur lit. Cette proposition ne fut pas. agréée.
(1) G. Michaut, Saint-Denis dit Ali dans la Revue des Deux-Mondes, n° du 15 juin 1921, p. 763. — M. Michaut est l'arrière petit-gendre de Saint-Denis.
3 DU MUSÉE DE SENS 307
Quant au passage de Napoléon à Sens, le 19 mars 1815, SaintDenis ne nous donne aucun détail, pas plus que sur l'arrêt de l'Empereur à Saint-Denis-lès-Sens, puis à Pont-sur-Yonne où il se reposa quelques heures dans la maison Bertrand située sur la place (1).
En choisissant Sens comme résidence, Saint-Denis ne s'est donc pas basé sur les impressions que cette ville lui avait laissées lors de son passage avec Napoléon, et qu'il semble avoir totalement oubliées. Il faut croire, comme le suppose M. G. Michaut, qu'il y fut attiré par son ami, l'officier en retraite Dufeu, qui le fit plus tard son légataire universel ; peut-être voulut-il aussi se rapprocher de Marchand, son compagnon de Sainte-Hélène, qui s'était installé dans sa propriété du Verger, à une lieue d'Auxerre (2).
Le corps de Saint-Denis et de sa femme, l'anglaise Mary Hall, qu'il, avait épousée à Sainte-Hélène, puis celui d'une de ses filles et de son gendre, tous enterrés à Sens, ont été relevés en 1912 et inhumés de nouveau dans ce même cimetière. Ce caveau occupe, dans les concessions à perpétuité, le bord et la droite de l'allée principale. Sur une pierre couchée on lit :
Mary Hall Birmingham (lire née à Birmingham) le 5 décembre 1796. Sens le 4 octobre 1841 (lire décédée à Sens (3) ;
Louis-Etienne Saint-Denis, né le 22 septembre 1788, décédé le 3 mai 1856;
Isabelle Saint-Denis, décédée le 30 avril 1850 dans sa 24e année;
Barthélémy Léaux, son époux, décédé le 28 juin 1850, dans sa 35e année.
Ici il s'agit de la seconde fille de Saint-Denis née à Paris, le 11 juillet 1826, et décédée non pas dans sa 24e, année, mais à l'âge de 24 ans, ce qui nous reporte ainsi aisément à la date de sa naissance.
La première fille de Saint-Denis était née à Sainte-Hélène, le 31 juillet 1820, et sa troisième fille, Napoléone-Mathilde, naquit à Sens le 14 décembre 1827. Barthélemy Léaux, le mari d'Isabelle,
(1) A. Rossigneux, Une étape de Napoléon 1er à Auxerre, 17-19 mars 1815, Bull, de la Soc. des Sc. de l'Yonne, 2e semestre 1910. — Napoléon 1er à Joigny, Sens et Pont-sur-Yonne. Bull. Soc. Sc. de l'Yonne, 1er semestre 1911.
(2) G. Michaut, Saint-Denis dit Ali, Revue des Deux-Mondes, 1921. — Marchand, premier valet de l'Empereur, était le fils de la première berceuse du roi de Rome.
(3) Mary Hall, gouvernante de Mlle Hortense, fille du grand maréchal Bertrand alors à Sainte-Hélène.
308 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 4
est donc mort la même année que sa femme, c'est-à-dire six années avant celle de Saint-Denis (1).
Saint-Denis, dans un testament olographe du 6 juillet 1855, rédigea l'acte de ses dernières volontés, qui fut ouvert après son décès (2) Il léguait à la ville de Sens les objets suivants dans les termes et l'ordre ci-dessous :
1° L'habit de l'Empereur garni des épaulettes et la plaque de la légion d'honneur. Mes enfants feront faire une montre vitrée pour le contenir ; 2° la cocarde de l'un des chapeaux de l'empereur. Celle-ci sera misé sous verre dans un petit cadre; 3° Les deux volumes de M. Fleuri Chaboulon (cet ouvrage dont les marges sont couvertes de notes au crayon de la main de l'empereur avait appartenu à Sir Hudson Lowe), et celui de la bataille de Waterloo (cet exemplaire fut envoyé à l'empereur par le docteur Ods Méara. S. M. en avait donné le manuscrit au docteur lors du départ de celui-ci pour l'Europe et l'avait chargé de le faire imprimer. Les quelques changements et corrections écrits au crayon sont de la main de l'empereur) ; 4° les deux atlas, sur les cartes il y a des tracés ou calculs, etc., au crayon qui sont! de la main de l'empereur. Pour faire ses dictées sur les campagnes d'Italie, il s'est fréquemment servi de l'atlas d'Italie; 5° le volume in-folio des campagnes d'Italie. Cet ouvrage fut envoyé à l'empereur par lady Holland ; 6° et enfin le morceau de cercueil de l'empereur et le morceau du tronc de l'un des saules qui ombrageaient la tombe en 1840.
Ici nous observons que la carte de Sainte-Hélène, offerte par la famille Saint-Denis à la ville de Sens, n'est pas mentionnée dans ce legs, pas plus que le petit cahier de notes dont il va être; question plus loin (3).
Les objets ainsi légués par Saint-Denis à la ville de Sens ont donc une authenticité certaine confirmée par un testament jet par les documents de l'histoire (4). Quelques-uns d'entre eux seule(1)
seule(1) aurait été enseveli par une dame Chiganne-Saint-Ange, blanchisseuse de la famille, résidant au Clos-le-Roi et qui remplissait souvent ces fonctions funèbres. Ces renseignements nous furent fournis par nos grands parents habitant le même quartier.
(2) Testament déposé le 7 mai 1856 au rang des minutes de Me Petipas, notaire à Sens ; ouvert le 8 mai 1856.
(3) Dans les Mémoires de Fleury de Chaboulon, avec annotations manuscrites de Napoléon Ier (Paris, Rouveyre, 1901), M. L. Cornet a donné dans le premier volume un fac-simile de l'extrait du testament de Saint-Denis, concernant la ville de Sens, et que nous retrouvons de nouveau dans le livre de A. Gift of Napoleon, de Sir Lee Knowles, avec comme frontispice les deux portraits réunis de Saint-Denis et de Marchand.
(4) Ces reliques napoléoniennes ont aujourd'hui une très grande valeur. Une page de l'Histoire de la Corse (oeuvre de jeunesse de Napoléon) a atteint près de 16.000 francs à une vente (A. Rossigneux).
5 DU MUSÉE DE SENS 309
ment ont été sommairement décrits par M. Deligand au tome VII du Bulletin de la Société archéologique de Sens (an. 1861). Nous allons reprendre cette description, décrire les objets qui ne l'ont pas encore été et, quand il sera nécessaire, les commenter (1).
CARTE DE SAINTE-HÉLÈNE
Des historiens ont parlé de la carte de l'île Sainte-Hélène du musée de Sens, dont nous copions exactement les titres :
GEOLOGICAL PLAN & ELÉVATION OF THE ISLAND OF ST HELENA BY M. GEN. A. BEATSON.
A droite et sous la carte, en fins caractères, annonçant le nom du graveur :
Girtin sc" 8 Broad St Golden Sqe.
Plus bas encore on lit : London Pub. as the Act directs by G. & W. Nicol Pall Mall. Janv. 1er 1816.
Cette carte est sillonnée de lignes au crayon rouge, avec les points cardinaux de la main de l'Empereur. Elle fut éditée à Londres en 1816 et provient, comme il est dit, du major A. Beatson qui quitta Sainte-Hélène en 1815.
On sait que plusieurs propositions d'évasions furent faites à Napoléon, qui les repoussa toujours (2).
Le comte de Montholon parle d'une carte donnée à l'Empereur sur l'ordre d'Hudson Lowe, gouverneur de l'île, à partir d'avril 1816. C'est en 1817, lorsqu'on présenta un projet d'évasion à l'Empereur, et qu'après avoir demandé cette carte, il dit à ses compagnons : « J'ai encore quinze ans de vie; tout cela est bien séduisant, mais c'est une folie, il faut que je meure ici ou que la
(1) Bibliographie sur Saint-Denis :
L. Cornet, Mémoires de Fleury de Chaboulon avec annotations manuscrites de Napoléon Ier, Paris, Rouveyre, 1901, pp. XVIII à XX.
André Rossigneux, Ali le Mameluck, Bull, de la Soc. des Sc. de l'Yonne, 1911, 1er semestre, pp. 59 à 75.
Sir Lee Knowles, A Gift of Napoleon, Londres, John Lane-the, Bodley-Head. G. Michaut, Saint-Denis dit Ali, Rev. des Deux-Mondes, 1921, n° du 15 juin, p. 760.
(2) Récit de la captivité de l'Empereur à Sainte-Hélène, par le général Montholon, tome II, pp. 200 et 434. — Histoire des deux Restaurations, par de Vaulabelle, 3e édition, tome V, pp. 428, 429.
310 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 6
France vienne m'y chercher. » Il n'y a pas de doute que la carte, que rappelle ici Montholon, ne soit celle du Musée de Sens.
Trois lignes rouges principales, tracées par l'Empereur, sont particulièrement à noter sur cette carte de Sainte-Hélène. L'une d'elles passe sur l'îlot Georges Island et s'achève dans la Stone top Bay. Une autre ligne pénètre au Sud-Est entre la baie Stone top Bay Long et Range Pt, serpente dans l'île en contournant le plateau Devils Punch Bowl, et aboutit vers la mer à la petite baie de Ruperts Valley, au Nord. Sous cette ligne, l'Empereur a tracé les mots : vent alizé.
Une. troisième ligne part également au Nord, emprunte; de nouveau Ruperts Valley, passe à l'Est de Water Fall Briars et va rejoindre la précédente ligne en face le plateau Deuils Punch Bowl.
En outre, des petits cercles rouges entourent étroitement Plantation House établie assez au Nord de l'île, puis le Telegraph, vers la pointe Saddle, à l'Est. Des traits et des points rouges, maintenant à peine visibles, déterminent d'autres lieux. Un tracé au crayon noir, indiqué tantôt par un trait, tantôt par des hachures, annonçant le plateau, débute vers Turks Cap, entoure Great Wood, rayonne autour de Longwood Ho., et vient aboutir à FisTiers Valley. Au bas de la carte le mot Europe est tracé en! rouge. D'autres annotations sont illisibles.
Dans la partie consacrée à la coupe transversale de l'île, des traits au crayon noir vers la pointe Gills (celle-ci accompagnant à l'Est la baie Stone top) forment, sur un certain parcours, deux tracés directeurs sur la mer, orientés vers le Sud, puis tournent brusquement et empruntent la direction de l'Est. Dans toutes ces lignes on reconnaît aisément la recherche d'un plan conçu en vue d'une évasion éventuelle.
HABIT DE L'EMPEREUR
C'est à partir du Consulat que Bonaparte, sans abandonner l'uniforme de général de division, adoptera un petit nombre de tenues auxquelles il donnera un caractère personnel et qu'il portera jusqu'à sa mort. Ce sera surtout, vers 1802, l'habit de colonel des chasseurs à cheval de la garde impériale, eh drap vert, avec collet écarlate, que l'Empereur affectionnera particulièrement. C'était en général la tenue de bataille et la tenue journalière. Le procès-verbal des derniers devoirs qui lui furent rendus à Sainte-
7 DU MUSÉE DE SENS 311
Hélène mentionne qu'il fut inhumé avec cet uniforme (1).
Aux Tuileries, nous dit Saint-Denis dans ses Souvenirs, l'Empereur portait l'habit de grenadier, ainsi qu'à l'Elysée, à SaintCloud, etc. Dans les voyages ou à l'armée, il mettait constamment celui des chasseurs à cheval. En cérémonie, avec le costume militaire, il portait le grand-cordon de la Légion d'honneur sur l'habit de grenadier.
Quand l'Empereur, à Sainte-Hélène, habitait les Briars, « il se mettait en uniforme des chasseurs à cheval de la garde. Il avait porté ce costume à bord du Bellerophon et du Northumberland (2) et, bien entendu, le chapeau à cornes et la cocarde tricolore, que plus tard il supprima. Peu après son installation à Longwood, il mit d'abord un habit de chasse à tir, et quand celui-ci, après avoir été retourné, fut devenu par trop mauvais, il le remplaça par un habit bourgeois vert ou brun. »... « Le dimanche, il en mettait un bleu également bourgeois. »... « Constamment, lorsqu'il s'habillait, il portait le grand-cordon de la Légion d'honneur (ce cordon était sans croix et sous l'habit) et la plaque sur l'habit (3).
Nous lisons dans le travail de M. Paul Frémaux : « Au début de la captivité, l'habit que portait l'Empereur était celui en drap vert de la garde impériale, à parements et collet rouges, puis ce fut celui des chasses à courre, dégarni de ses galons d'or et d'argent » (4).
C'est un habit des chasseurs à cheval de la garde que possède le musée de Sens. Il est en drap vert désormais bleui par l'action de la lumière. La couleur verte ne se devine que dans les parties non exposées à l'air, et encore est-elle très atténuée par suite du long usage que l'Empereur fit de ce vêtement. Le col est plat, en drap écarlate, de coloris bien conservé, ainsi que les parements en pointe du bout des manches. Les revers, également en pointe, du plastron, les petites pattes des relevés du derrière de la basque, celles de l'attache des épaulettes sont liserées du même rouge.
(1) Mémoires du D' Antommarchi, tome II, p. 67.
(2) Bellerophon navire sur lequel Napoléon s'est embarqué, confiant, dans la rade de Rochefort, le 15 juillet 1815, pour aller se livrer « à la générosité des Anglais ». Du Bellerophon, l'Empereur fut transféré sur le Northumberland qui l'emmena à l'île d'exil. Le passage d'un navire à l'autre eut lieu le 7 août 1815, au large de la côte anglaise, à Torbay.
(3) Saint-Denis, Souvenirs, 1921, juin, p. 768, septembre, p. 152.
(4) Paul Frémaux, Les derniers jours de l'Empereur, Paris, Flammarion, p. 65.
312 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 8
Comme ornements, des boutons en cuivre jaune, des épaulettes d'or et la plaque de la Légion d'honneur filigranée ou passementée d'argent sur toile(1). L'aigle impériale en occupe le centreavec autour les mots Honneur et Patrie. Cinq pointes fourchues sont séparées entre elles par une frange rayonnante.
Sur les revers du devant du vêtement des boutons ronds en
cuivre, désormais unis, servent, nous l'avons dit, à l'agrémenter D'autres boutons, également unis, attachent lés pattes d'oie du derrière des basques ainsi que les épaulettes (2). Un motif, sous forme de cor de chasse, se trouve en passementerie dorée surdrap rouge au bas de chacun des pans de l'habit.
De prime abord, il est singulier de rencontrer des boutons unis ; il faut supposer, d'après les faibles reliefs que possèdent quelquesuns d'entre eux, que leur motif ornemental disparut sous l'effet actif de l'astiquage, et qu'ainsi des boutons seraient un peu; plus neufs que d'autres. Deux sont cabossés.
Dans l'état des vêtements de l'Empereur, que se partagèrent, après son décès, ses familiers, aucun uniforme n'est indiqué comme étant échu à Saint-Denis (3). Il faut donc croire que malgré que ce vêtement lût garni des épaulettes et de la plaqué de la Légion d'honneur, il aurait été donné à Saint-Denis par l'Epapereur lui-même à Longwood, sans doute, parce qu'il avait beaucoup servi. D'ailleurs, sur ce dernier point, son aspect, ses boutons usagés, ainsi que les Souvenirs de Saint-Denis qui signalent le service prolongé de la garde-robe de l'Empereur dans l'île, sont de nature à l'assurer.
Cet habit, à nos yeux, devient plus cher et vénérable encore. N'est-ce pas avec lui que Napoléon a promené ses rêveries de souffrance, dans des lieux morts où les arbres et les herbes poussent comme à regret, quand il se dirigeait vers le site plus verdoyant des Briars, qui mettait en son âme un peu de gaieté!
L'habit d'uniforme de l'Empereur, du Musée de Sens, a figuré dans différentes expositions, notamment à l'Exposition Rétrospec(1)
Rétrospec(1) fois « les crachats » étaient en argent massif et coûtaient 50 francs. D'après un compte du tailleur Chevalier, cet habit vert coûtait 210 francs, les épaulettes 144 francs (Dr Daymard).
(2) L'épaulette portée par Napoléon 1er à Austerlitz (1805) est ornée, au centre, d'un cor de chasse. Celles de l'habit de Sens n'en possèdent pas. — Catalogue de l'Exposition historique et militaire de la Révolution et de l'Empire (Galerie des Champs-Elysées, Paris, 1895). — H. Defontaine, Le Passepoil n° 1 Strasbourg.
(3) Frédéric Masson, Carnet de la Sabretache.
9 DU MUSÉE DE SENS 313
tive militaire organisée en 1889 à l'Esplanade des Invalides par le Ministère de la Guerre, et où il a suscité un très vif intérêt. Il se trouve reproduit dans diverses revues, notamment dans l'ouvrage que G. Boudet, éditeur, a consacré à cette exposition. A l'Exposition internationale de 1900, il occupait, au centre de la salle du Musée de l'Armée, une place d'honneur.
COCARDE D'UN DES CHAPEAUX DE NAPOLÉON
Cette cocarde est sous verre, dans un petit cadre rond et doré. La disposition de ses couleurs répond à celle de la cocarde du chapeau de Waterloo dont nous parlerons plus loin, mais dont les dimensions sont un peu plus grandes: blanc au centre, ensuite bleu et rouge de couleur passée. Son diamètre est de 0.041.
Deux volumes in-8 des « Mémoires pour Servir à l'Histoire de la Vie Privée du Retour et du Règne de Napoléon en 1815 », par M. Fleury de Chaboulon, Ex-Secrétaire de l'Empereur Napoléon et de son cabinet, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat, Baron, Officier de là Légion d'honneur, Chevalier de l'Ordre de la Réunion.
L'ouvrage du Musée de Sens est le premier qui fut édité à Londres, le tome I en 1819, le tome II en 1820 (London, John Murray, Albermale Street).
Il en existe plusieurs autres éditions. En 1820, à Leipzig, chez Brockaus, sous la rubrique de Londres et le nom de Murray, 2 volumes in-8°. A Hambourg, chez Hoffmann et Comp., 4 volumes in-8°. A Bruxelles, chez Lacrosse, 2 volumes in-8°. On en trouve aussi une édition, datant également de 1820, publiée à Londres, chez Longman, Hurst, Rees, Orme and Brown, 2 volumes in-8°. C'est encore une grande partie de ce livre que M. T. Delbare a donné au public sous le titre de Conspiration du 20 Mars, Nouveaux éclaircissements sur l'Histoire des Cent-Jours, tirés des Mémoires d'un secrétaire de Bonaparte, Paris, Gide fils, 1820, 2 volumes in-8°. Le texte des Mémoires de Fleury de Chaboulon figure enfin dans le Recueil de pièces authentiques sur le captif de Sainte-Hélène, de Mémoires et de documents écrits ou dictés par l'Empereur Napoléon, publié en 1822 chez Alexandre Corréard, libraire à Paris, Palais-Royal, Galeries de Bois, n° 258, Il forme les tomes sixième et septième de ce Recueil (1).
(1) Ces Mémoires, imprimés ainsi dans différents pays, se répandirent en Europe, et le public ignora, jusqu'en 1901, qu'à Sainte-Hélène l'Empereur les avait lus et condamnés.
314 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 10
Un exemplaire de cette première édition de Londres des Mémoires de Fleury de Chaboulon fut envoyé à Longwood à Sir Hudson Lowe qui, après l'avoir lu, le remit à Napoléon (1), Celui-ci, après en avoir pris connaissance, s'empara d'un de ces crayons noirs finement aiguisés, que son secrétaire lui préparait d'avance, et couvrit d'observations, de traits, les marges d'une quantité de pages dont la lecture semble avoir provoqué en lui une vive irritation. Ce sont les deux volumes qui Contiennent
Contiennent précieuses annotations de la main de l'Empereur que possède le Musée de Sens. Ces lignes critiques furent longtemps inédites, jusqu'au jour où M. L. Cornet les publia dans une édition spéciale (2).
Malgré que, d'un bout à l'autre de ses Mémoires sur les CentJours, Fleury de Chaboulon ne cesse de montrer un complet dévouement et une profonde admiration pour l'Empereur, Napoléon les a jugés très sévèrement et a reproché à l'auteur de ne pas l'avoir toujours fait parler « suivant ses propres opinions ».
A examiner lés annotations marginales du grand Captif, on sent qu'elles sont l'oeuvre d'une main impatiente. Dès notes sont bâtonnées, des mots incompréhensibles, des paragraphes et des pages entières sont enfermés dans des accolades ; des mots, des lignes ont été soulignés avec une telle énergie que le trait du crayon s'est fait sentir sur plusieurs pages.
L'Empereur qui, dans ses correspondances et ses notes, écrivait rarement lui-même, aimait apposer des annotations en regard des exposés imprimés, et] quantité de volumes portent ainsi des remarques ou des calculs de lui. Toutefois « les mots à plusieurs syllabes l'ennuyaient, et n'ayant point la patience de les écrire complètement, il les mutilait ». Cette habitude, jointe à celle qu'il avait d'offenser l'orthographe par insouscience et distraction, rendait souvent son écriture illisible (3).
Aussi la tâche de M. L. Cornet, afin de déchiffrer ici les notes manuscrites de Napoléon, a-t-elle été facilitée par l'existence d'un petit cahier de papier vergé bleuté, de quatre pages écrites à la
(1) Cet ouvrage aurait été. dit-on, adressé à Sainte-Hélène par une Anglaise éprise de Napoléon.
(2) L. Cornet, Mémoires de Fleury de Chaboulon avec annotations manuscrites de Napoléon 1er, Paris, Rouveyre, 1901.
(3) Fleury de Chaboulon, Mémoires..., p. 225. — Saint-Denis, dans ses Souvenirs, dit, au sujet de la mauvaise écriture de l'Empereur, qu'il lui arrivait parfois de ne pouvoir se lire.
11 DU MUSÉE DE SENS 315
plume, et qui, dans le legs de Saint-Denis à la ville de Sens, accompagnait les deux volumes de Fleury de Chaboulon. Ces lignes sont la reproduction d'une copie des notes critiques marginales de l'ouvrage en question, copie qui a été attribuée à C. de Méneval, secrétaire de Napoléon après Bourrienne, et reconnu comme le plus apte à déchiffrer l'écriture impériale. Il semble bien que les Mémoires, de Fleury de Chaboulon, annotés par l'Empereur, furent communiqués à de Méneval par Saint-Denis, car le premier n'est jamais allé à Sainte-Hélène (1). Quant aux ■caractères très fins du cahier du Musée de Sens, ils sont l'oeuvre de Saint-Dénis.
Les Mémoires de Fleury de Chaboulon, du Musée de Sens, portent sur le titre, en haut et à droite, le cachet humide et noir aux armes impériales ; au-dessus les mots l'Empereur Napoléon sont tracés d'une fine écriture (2). Ce cachet a été observé sur tous les livres de la bibliothèque à l'usage personnel de Napoléon à Sainte-Hélène. La signature fut moins observée et nous ne la retrouvons plus sur les autres volumes de cette bibliothèque que possède le Musée de Sens. Semblable fait fut observé sur d'autres ouvrages ayant appartenu à la même réunion de livres, et notamment sur les huit tomes des oeuvres de Molière, donnés en octobre 1912 au Théâtre-Français par le comte Primoli, arrière neveu de Napoléon par l'une des filles de Lucien Bonaparte. D'après M. Couët, bibliothécaire de la Comédie-Française, ces volumes proviendraient du cardinal Fesch, dont Lucien Bonaparte, prince de Canino, second frère de Napoléon, était neveu comme l'Empereur lui-même (3).
Dans le catalogue dressé par les experts anglais, en vue de la vente des livres de la bibliothèque de l'Empereur à SainteHélène (coté V 14229 à la Bibliothèque Nationale de Paris), plusieurs volumes sont signalés comme possédant des corrections, des références de la main de Napoléon Ier (4).
La composition de cette bibliothèque a été estimée à 538 volumes au minimum, dont le fond était constitué d'ouvrages de
(1) C. de Méneval a transcrit ces notes de Napoléon Ier sur un exemplaire qui se trouve dans la Réserve de la Bibliothèque Nationale; sur le tome premier, il en avertit lé lecteur.
(2) Cette écriture n'est pas de Napoléon et répond à celle de Saint-Denis.
(3) Communication de M. Félix Chandenier de Paris.
(4) Un fac-simile de ce Catalogue, orné de l'ex-libris de l'Empereur et de sa signature, figure dans l'ouvrage précité de M. L. Cornet.
316 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 12
grands écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles et de nombreux exemplaires de science, de géographie et d'histoire. Après la mort de l'Empereur, et selon sa volonté exprimée dans son testament du 15 avril 1821, 400 d'entre eux devaient être remis, par l'intermédiaire de Saint-Denis, au roi de Rome quand il aurait! 16 ans (1). Ce désir ne put être réalisé et les livres restèrent entre les! mains de Saint-Denis. Plus tard, les plus précieux furent remis à divers membres de la famille impériale, d'autres furent partagés entre Saint-Denis et ses compagnons de Sainte-Hélène, qui en dotèrent des Musées. C'est ainsi que celui de Sens doit de posséder, quelques-uns de ces rares documents (2).
Mémoires pour servir à l'Histoire de France en 1815, avec le plan de la bataille de Mont-Saint-Jean, à Paris, chez Barrois l'aîné, libraire, rue de Seine, n° 10. F. S. G., 1820 (volume in-8°. Imprimerie d'Ange Clo).
Dans la préface de ce livre, l'éditeur nous fait savoir « qu'une traduction anglaise, qui s'imprime actuellement à Londres, a étéfaite ici sur la copie qui] nous a servi pour l'impression ».
Dans cet ouvrage, le cachet de l'Empereur se trouve en tête et à droite de la page du titre, sa signature n'existe pas.
Ces Mémoires sont l'oeuvre personnelle de Napoléon Ier ; il les avait dictés au général Gourgaud à Sainte-Hélène. Le docteur O' Meara, retournant en Europe, fut chargé par l'Empereur de leur édition. Après l'impression de ce travail, l'exemplaire du Musée de Sens fut envoyé à Napoléon, à Sainte-Hélène, qui fit, au crayon, des corrections, des changements sur 15 pages. En tête de ce volume, on a réuni ces annotations manuscrites sur une feuillede papier vergé qui fut collée au verso du feuillet tenant à la reliure ; sur l'autre face du feuillet, de couleur verte, oh lit, écrits à l'encre noire et en gros caractères, les mots NAPOLÉON Ier Cet errata comprend 13 lignes à l'encre et deux au crayon d'une écriture très fine qui est celle de Saint-Denis; jusqu'à ce jour il est resté inédit.
En effet, les Mémoires pour servir à l'Histoire de France,en 1815.
(1) Fils de Napoléon Ier né à Paris le 20 mars 1811, mort à Schoenbrunh le 22 juillet 1832. En France il portait le titre de roi de Rome, en Autriche celui de due de Reichstadt.
(2) Le général Bertrand, mort en 1847, a laissé au musée de Châteauroux. plusieurs reliques napoléoniennes. Pierron, maître d'hôtel de Napoléon, légua à la ville de Fontainebleau, quelques volumes provenant de Longwood et un chapeau de l'Empereur.
13 DU MUSÉE DE SENS 317
ont été imprimés dans la collection des Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous le règne de Napoléon Ier, écrits à SainteHélène sous sa dictée par les généraux qui ont partagé sa captivité (1), mais la comparaison qu'on peut en faire avec le volume de Sens éprouve que les rectifications indiquées plus haut par l'Empereur n'ont pas eu lieu (2). Ci-dessous nous les exposons en leur concernant la disposition que leur a donnée Saint-Denis.
ERRATA AUX MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE FRANCE EN 1815 PAGES LIGNES
3 7 Au lieu de arrivée, mettre retour.
5 20 Après ces princes, mettre alliés des ennemis de la France.
153 24 Au lieu de Gal Excelmans qui commandait la cavalerie,
mettre Comte Gérard.
154 4 Effacer, Je suis un vieux soldat de l'année d'Italie ; j'ai
cent fois entendu le Gal Bonaparte prêcher ce principe. 154 14 Effacer, Le comte Gérard joignit dans ce moment le Maréchal, et lui donna le même conseil que le général Excelmans. 154 17 Effacer, lui dit-il.
186 13 Au lieu de Blucher, mettre Bulow.
186 14 Après bataille, mettre entre trois et quatre heures, et
qu'elle l'eut perdu. 186 15 Après du soir, effacer un point.
186 17 Après 1er et 2e corps, effacer la virgule et mettre un point.
196 19 Après dans la journée, mettre du 17, la nuit du 17 au 18
et la matinée.
198 3 Après derrières mettre, Les inconvénients s'en firent
sentir pendant la bataille, les parcs d'artillerie pêlemêle en retraite dans le défilé de la forêt ne parent alimenter les batteries ce qui fut cause du mauvais service que fit l'artillerie anglaise.
200 10 . Après mieux faire, mettre l'artillerie a été entravée par le mauvais choix du champ de bataille,
11 6 Au lieu de guerre civile, mettre lutte (3).
197 23 Au lieu de sauver, mettre secourir (4).
177 21 Au lieu de foudroyer les ennemis intérieurs, mettre foudroyer
foudroyer ennemis intérieurs (5).
(1) Rossange et Dufour, Paris, 1820 (voir tome 9).
(2) Deligand, Notice sur divers objets ayant appartenu à l'Empereur Napoléon Ier et qui font partie du Musée de la ville de Sens, Bull. Soc. arch. de Sens, 1861, t. VII.
(3, 4) Lignes au crayon ajoutées par Saint-Denis.
(5) Phrase au crayon noir écrite par Napoléon, que nous avons" retrouvée dans le corps de l'ouvrage, et qui fut oubliée par Saint-Denis.
318 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 14
Atlas Classique et Universel de Géographie ancienne et moderne, contenant trente-sept cartes, dont une des systèmes planétaires, huit de Géographie ancienne, et vingt-huit de Géographie moderne; dressées d'après les matériaux les plus estimés et assujetties aux observations astronomiques les plus récentes, par P. Lapie, Capitaine de première Classe au Corps Impérial des Ingénieurs-Géographes, à Paris chez. Magimel libraire pour l'art militaire rue de Thionville n° 9, chez. Picquet, Géographe-Graveur du Cabinet topographique de S. M., quai de la Monnoie, n° 17, 1811.
Dans cet atlas le cachet à l'aigle impériale a été appliqué sur une des premières feuilles sans être accompagné de la signature de Napoléon. Des notes de la main de l'Empereur indiquent des. distances. Des chiffres de force armée, des lignes de marche couvrent des cartes et des pages. La plus usagée de ces; cartes est celle qui comprend la Perse, la Turquie d'Asie, l'Arabie, le Candahar. Une ligne rouge la traverse entièrement, partant du Caire, coupant le désert de l'Arabie, le Sud du royaume de Perse, pour aboutir à l'Indoustan. De nombreuses villes de la Perse, de la Tartarie sont soulignées. Dans les marges, des chiffres s'alignent au crayon noir. La partie méridionale de l'Asie est constellée de traits rouges. Au dos d'une des cartes, des figures géométriques, de nombreux chiffres accompagnent une sphère partagée à l'aide d'angles, de triangles et de courbes. La carte de la Grèce, à la page 7, n'existe plus dans cet atlas et a été arrachée.
Grâce à de semblables documents et à la correspondance publiée par ordre de Napoléon, nous connaissons le génie impérieux de celui qui révolutionna le monde. Avec les traits tracés sur ces cartes nous pénétrons, en quelque sorte, ses desseins! prodigieux, dont le début seul fut ébauché. Nous le suivons presque pas à pas dans son rêve de conquérir l'Orient. « Je mettais foute ma gloire (disait-il) à faire des Français le premier peuple de l'Univers. Tout mon désir, toute mon ambition était qu'ils surpassent les Perses, les Grecs, les Romains, tant dans les armes que dans les sciences et les arts » (1).
Atlas de l'Histoire des guerres des Gaulois et des François en Italie. Atlas in-folio composé de douze cartes et de deux vues; il est tiré sur du Jésus, sur du Jésus vélin, et sur du Colombier vélin. Les cartes ont été gravées par M. François Tardieu.
(1) Saint-Denis, Souvenirs..., p. 185.
15 DU MUSÉE DE SENS 319
Atlas dressé par Lapie, Ingénieur-Géographe de 1re classe du dépôt de la guerre, An XIII (1805).
Plus loin on lit que : Le Portrait de sa Majesté l'Empereur des Français et Roi d'Italie, qui est au Frontispice de l'Histoire des Guerres des Gaulois et des François en Italie, a été dessiné par M. Isabey et gravé par Alexandre Tardieu.
La reliure de cet ouvrage manque, sauf sur la tranche du dos où est le titre, et ainsi le portrait de l'Empereur, annoncé comme existant au frontispice, ne se retrouve plus. Le cachet aux armes impériales est apposé sur la feuille précédant celle du titre définitif. La signature de Napoléon fait encore défaut. Dans l'angle gauche de la Carte Générale, une petite vue du Passage du Grand Saint-Bernard a été gravée par P. F. Tardieu (place de l'Estrapade n°... 18). Deux autres vues, à la fin de l'Atlas, reproduisent pour la première la Bataille de Marengo du 25 Prairial, An 8 (14 mai 1800), dessinée d'après nature par un officier de l'Etat-Major, gravée par P. P. Choffard, l'An 1802, la seconde, Descente du Mont Saint-Bernard dessinée par Le Jeune, gravée par F. Jourdan. Dans le corps de cet in-folio, plusieurs notes, des tracés au crayon rouge sont de l'Empereur, qui s'est fréquemment servi de cet Atlas pour faire ses dictées sur les campagnes d'Italie (1).
Campagnes de Napoléon premier Empereur des Français et roi d'Italie.
TITRE
Tableaux Historiques des Campagnes d'Italie, depuis l'An IV Jusqu'à la bataille de Marengo, suivis du Précis des opérations de l'Armée d'Orient, des détails sur les cérémonies du sacre, des bulletins officiels de la Grande Armée et de l'Armée d'Italie dans tout le cours de la dernière guerre d'Allemagne, jusqu'à la paix de Presbourg tirés des rapports officiels et de la correspondance de Napoléon-leGrand.
Toutes ces vues ont été prises sur les lieux mêmes, et les estampes sont gravées d'après les dessins originaux de Carle Vernet.
A Paris, chez Aubert, éditeur et propriétaire, rue Saint-Lazare, n° 42, Chaussée d'Antin, 1806 (2).
(1) Saint-Denis, Testament.
(2) Volume in-folio.
320 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 16
Imprimés par Didot, et terminés par Charles, rué de Seine,
n° 16, Faubourg Saint-Germain.
Sur le premier feuillet tenant à la reliure on lit, tracé à l'éncre
noire, le mot NAPOLÉON; puis au-dessous :
FROM. E. W. HOLLAND BY LORD BATHURSTS PERMISSION (1).
Deux cachets aux armes impériales occupent, en haut et à droite, la première feuille du titre. En face, et écrits à l'encre noire et en grosses lettres, les mots nouveaux : NAPOLÉON FROM E. W. HOLLAND (2).
La signature de l'Empereur n'accompagne pas les cachets. Ces annotations manuscrites résument que Lady Elisabeth Vassall, femme de Henry Richard Holland, homme d'Etat anglais, eut la généreuse pensée de joindre à la caisse de livres! que son mari adressait à l'illustre captif, et parmi lesquels se trouvaient des ouvrages, de science, de géographie et quelques nouveautés littéraires du début du XIXe siècle, l'in-folio du Musée de Sens. Napoléon fut touché de cette délicate attention, et envoya à lady Holland une boîte enrichie d'une pierre antique qu'il avait reçue du pape Pie VI, après la signature, du traité de Tolentino du 19 février 1797. Ce présent était accompagné de ces mots écrits de sa main:
« L'Empereur Napoléon à Lady Holland : « Témoignage de satisfaction et d'estime » (3).
MORCEAU DE CERCUEIL DANS LEQUEL L'EMPEREUR FUT INHUMÉ
A SAINTE-HÉLÈNE
Le jeudi 15 octobre 1840, le corps de Napoléon, exhumé; du triple cercueil d'étain, de plomb, d'acajou dans lequel il reposait •depuis le 7 mai 1821, revit la lumière de Sainte-Hélène. Lorsqu'il fut déposé dans le cercueil de bois d'ébène apporté de France et qui allait permettre à son rêve de se réaliser (4), le cercueil d'acajou fut débité et les fragments distribués aux assistants. Saint(1)
Saint(1) permission de lord Bathurst. — Fac-simile dans l'ouvrage de M. Cornet (Rouveyre, Paris, 1901.
(2) Napoléon, de la part de E.-V. Holland.
(3) Biographie Didot, V° Holland. — Cf. Deligand.
(4) C'est dans un codicille de sa main que Napoléon, le 16 avril 1821; exprimait le désir dans son testament, dicté de la veille, de reposer sur lés rives de la Seine.
17 DU MUSÉE DE SENS 321
Denis présent au partage eut un des plus importants (dimensions 0 m. 33 sur 0 m. 25).
FRAGMENT DU SAULE QUI OMBRAGEAIT LE TOMBEAU DE L'EMPEREUR A SAINTE-HÉLÈNE
L'Empereur, dans sa terre d'exil, avait dit un jour au général Bertrand : « Si mon corps doit rester dans l'île, faites-moi enterrer
à l'ombre des saules, près de la fontaine où l'on va chercher mon
eau tous les jours ».
Là, en effet, fut creusée la fosse où allait dormir pendant vingt ans la dépouille impériale, sous une dalle sans inscription. Un des saules de ce site mélancolique étant venu à mourir, son tronc fut débité et partagé. C'est un de ces morceaux de 0.14 sur 0.06
qui figure dans la vitrine du musée de Sens. Plusieurs personnes présentes prirent des branches du saule, encore existant, dont elles firent des boutures, et on prétend qu'en Angleterre quelques saules proviennent ainsi de la Vallée du Tombeau. Saint-Denis,
qui avait rapporté de ces branches, en offrit une à M. Hippolyte Lorne de Sens, qui la planta près d'une pièce d'eau de son château, situé en face de l'église de Saint-Clément, village à 1 kilomètre au Nord de Sens.
CHEVEUX DE L'EMPEREUR
L'Empereur avait recommandé qu'à sa mort ses cheveux fussent recueillis.
Ce désir fut exécuté et, aussitôt après l'autopsie, ceux-ci furent coupés afin d'être employés à faire des bracelets qui devaient être envoyés à des personnes de la famille impériale, suivant l'ordre qu'en avait donné Napoléon. Les cheveux qui restaient et •garnissaient encore le front et les côtés de la tête furent Supprimés quand il fallut prendre l'empreinte au plâtre de la figure (1). (Voir plus loin : Moulage de la face de l'Empereur après sa mort). Saint-Denis reçut de ces reliques, dont il offrit une petite part à son ami M. Alfred Lorne, de Sens. Celui-ci, plus tard, légua cette mèche de cheveux à la ville de Sens avec ses riches collections. Saint-Denis a gardé le reste; comme d'autres objets qu'est-il devenu?
(1) Saint-Denis, Souvenirs, pp. 642-643.
21
322 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 18
Les cheveux de l'Empereur, exposés dans la vitrine du musée de Sens, sont dans un riche cadre vitré. Leur couleur actuelle est celle de cheveux décolorés par une trop vive lumière.
« Lorsque Napoléon monta à mon bord le 15 juillet 1815, raconte le capitaine du Bellerophon, Frederick Maitland, il s'en fallait exactement d'un mois qu'il eût quarante-six ans, étant né le 15 août 1769. Il paraissait fort, robustement bâti. Il avait cinq pieds sept pouces de taille environ, les membres bien faits, les, attaches fines, le pied et la main petits ; cette dernière potelée, une main de femme plutôt que d'homme; les yeux gris clair, les dents bonnes. Sa physionomie, triste et sombre si quelque chose le contrariait, devenait extrêmement agréable dès qu'il souriait. Les cheveux d'un brun foncé, voisin du noir, laissaient le front et le sommet de la tête un peu dégarnis, mais pas un seul n'était blanc. Je n'ai vu à personne son teint, d'une étrange pâleur jaune. » (1)
On a prétendu que les cheveux de l'Empereur commençaient à se clairsemer et à grisonner à la fin de son existence; il se peut, car des contrariétés morales et des souffrances physiques pendant son séjour dans l'île avaient modifié son aspect extérieur.
La décoloration des cheveux du musée de Sens est d'autant plus compréhensible que ces objets ont toujours accompagné la cocarde sous verre léguée par Saint-Denis et qui se trouve dans le même cas. D'ailleurs la partie inférieure et épaisse des cheveux réunis a conservé une teinte assez régulière et qui répond à ce que l'on a dit du « Corse aux cheveux châtains et plats » (2).
(1) P. Frémeaux, Les Derniers Jours de l'Empereur, Paris, Flammarion, p. 30.
(2) Le cadre du Musée de Sens où sont enfermés les cheveux de Napoléon a été fourni par la grande maison parisienne Alphonse Giroux et Cie au prix de 75 francs. Dans l'Affiche de Sens du samedi 28 décembre 1839, n° 52, dont un numéro est déposé derrière ce cadre fermé par un verre, et à clef, cet objet est ainsi décrit : « Cadre, en palissandre, garni à son centre d'un beau velours, cramoisi sur lequel est fixée l'aigle impériale, armée de la foudre et surmontée d'une étoile rayonnante. Au milieu d'un petit cercle guilloché, posé sur une moire blanche, est placée l'initiale de Napoléon autour de laquelle on voit ses cheveux symétriquement arrangés ; quatre abeilles, d'un travail achevé, ornent les angles du cadre, la couronne impériale domine tous ces ornements qui sous, le rapport de la ciselure et de la dorure ne laissent rien à désirer, même au goût le plus sévère. »
Dans le derrière du cadre sont également enfermées une attestation de cette relique, par Saint-Denis, qui a apposé au bas de l'acte sa signature aussitôt légalisée par celle du Maire de Sens ; une autre attestation qui eut lieu.
19 DU MUSÉE DE SENS 323
FRAGMENT DE LINGE BLANC AVEC CHIFFRE COURONNÉ DE L'ÉMPÉREUR
Ce morceau de linge en fil blanc est de 0 m. 09 de hauteur sur 0 m. 04 de largeur. L'N et la couronne impériale qui le surmonte sont au point de marque à l'aiguille d'une grande finesse et exécutés en coton d'un rouge désormais atténué par la lumière. La hauteur de cette initiale et de la couronne est de 0. m. 05. Ce don a été fait par M. le Dr René Moreau, de Sens.
Rappelons que l'Empereur, en quittant. Pont-sur-Yonne le 19 mars 1815, laissait à son hôtesse, peut-être par mégarde, peutêtre volontairement, un mouchoir de fil blanc marqué d'un N, que Mme Bertrand, la tenancière de l'hôtel, conserva en souvenir du séjour de quelques heures de Napoléon dans sa maison (1).
Outre sur les bijoux et sur les objets usuels et mobiliers appartenant à l'Empereur, les N et les couronnes impériales se multipliaient aisément sous ce règne, et nous en voyons sur les monnaies, dans le décor des fêtes populaires, jusque sur une affiche séditieuse à l'égard des Bourbons qui fut placardée à Auxerre dans la nuit du 17 au 18 juillet 1815 (2).
COUVERT D'ARGENT AUX CHIFFRES DE L'EMPEREUR
La longueur de cette cuillère et de cette fourchette est de 0 m. 21. L'ornementation du dessus du bout des manches consiste en un ovale, avec au centre la couronne impériale et au-dessous la croix de la Légion d'honneur. Ce couvert en argent aurait servi à Napoléon quand, accompagné de ses généraux Berthier et Gourgaud, il déjeuna à Sens le 30 mars 1814 à l'hôtel de l'Ecu, alors qu'il venait de la Champagne et volait au secours de Paris
après le décès de M. Alfred Lorne, le 25 septembre 1842, lorsque les scellés, furent apposés, par Me Leroux, notaire à Sens, le 8 octobre 1842, sur les objets provenant de cette succession, et parmi lesquels figurait le cadre de palissandre contenant la mèche de cheveux de l'Empereur. La famille Lorne, après avoir consulté M. Saint-Denis, décida que ce souvenir serait remis à la. ville de Sens, le musée actuel n'étant pas encore constitué. Ont signé pour ce : Lorne père: Lorne Hippolyte, Pompon, professeur de physique au collège de Sens, Saint-Denis, de Chauveau, premier adjoint délégué, le 9 avril 1844. La signature de M. de Chauveau a été légalisée par celle du sous-préfet.
(1) A. Rossigneux, Napoléon Ier à Joigny, Sens et Pont-sur-Yonne, 19-20 mars 1815, Bull. Soc. Se. de l'Yonne, 1er semestre 1911, p. 16.
(2) Bulletin de police du 21 juillet 1815, Arch. Nationales n° 73733.
324 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 20
menacé. On sait que certains objets du service de la table de l'Empereur le suivaient dans ses moindres déplacements. Ce couvert aurait été offert au musée de Sens par Mme veuve Leclaire. Ce don ne se trouve authentiqué par aucune inscription au registre des entrées, mais il est mentionné sur l'étiquette de ce couvert ainsi que dans un des catalogues du musée datant de 1891 (1).
L'AMÉTHYSTE DE LA COMTESSE WALEWSKA
Cette améthyste, montée sur or en épingle de cravate, comporte 0.0252 de hauteur sur 0.0152 de largeur. Très pure de violet, avec un motif exécuté en haut relief et avec soin, elle prend ainsi place dans la série des camées. Ce motif reproduit la tète de Napoléon, encore jeune, parée d'une torsade de cheveux, retombant sur l'épaule gauche et de cheveux finement frisés emprisonnant le haut du front, sur lesquels s'appuient trois feuilles de laurier dans leur hauteur.
Napoléon offrit cette améthyste à la comtesse Walewska et l'histoire nous dit qu'elle fit longtemps rêver Mme Récamier.
Avant d'arriver au musée de Sens cette fameuse gemmé a beaucoup voyagé. En premier lieu, la comtesse Walewska la laissa à son fils le comte Walewski(2) qui l'offrit plus tard à la grande Rachel en témoignage de son admiration pour son art. La célèbre tragédienne, après l'avoir fait monter en épingle de
(1) Sur l'étiquette du Musée, le nom de la donatrice était écrit Leclaire, dans le catalogue Leclair. Il n'est pas encore certain que ces deux orthographes soient très justes.
Outre ce court arrêt à Sens, à l'hôtel de l'Ecu, Napoléon passa trois autres fois dans cette ville. Déjà, le 6 mai 1800, quand partant pour la seconde campagne d'Italie, escorté de Bourrienne, il déjeuna à Sens chez les parents de son secrétaire (A. Schuermans, Itinéraire général de Napoléon Ier), à l'angle de la rue de l'Ecrivain et de la rue de la Banque, où se trouve aujourd'hui l'archevêché. Louis-Antoine Bourrienne, né à Sens en 1769, appartenait: à une riche et fort ancienne famille sénonaise, les Fauvelets. Une autre fois, le 2 avril 1805, accompagné de l'Impératrice Joséphine et de toute sa cour, Napoléon, suivi de son cortège impérial, ne fit que traverser la ville (A. Schuermans) pour arriver à Troyes par la porte de Sens. Il se rendait à Milan ceindre la couronne de fer des anciens rois Lombards. Les événements, comme; on l'a vu plus haut, devaient l'y ramener en 1815, Sens étant comprise dans l'itinéraire que devait suivre la petite armée de l'île d'Elbe, du golfe Juan à Paris.
(1) Le comte Walewski, fils naturel de Napoléon, est né en 1810 à Walewica en Pologne, mort à Strasbourg en 1868.
21 DU MUSÉE DE SENS 325
cravate, la donna à son tour à son médecin le docteur Guillon en réconnaissance des soins qu'elle avait reçus de lui. En 1896, le fils du docteur Guillon, c'est-à-dire l'artiste peintre Adolphe Guillon de Vézelay (Yonne), la léguait par testament au musée de Sens.
Aux yeux de la comtesse Walewska cette améthyste constituait une sorte de talisman, et son profond attachement pour l'Empereur l'entraîna de ce côté à une véritable superstition. Pour elle, il était dit que, lorsque l'étoile de Napoléon pâlissait, la couleur de l'améthyste s'assombrissait et devenait de plus en plus foncée les jours de péril. Alors, pendant les nuits froides de la Pologne, le chagrin s'emparait de son âme romantique ; jamais cette femme ne se serait départie de ce bijou.
DEUX LETTRES DE NAPOLÉON
L'écriture d'une de ces lettres est celle de Bourrienne, secrétaire de Bonaparte, alors que ce dernier n'était encore que Général en Chef des armées (12 janvier 1799). Nous en donnons l'exposé :
Liberté RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Egalité
Au quartier général du Caire, le 23 nivôse an 7.
Bonaparte, Général en chef
Au commissaire Ordeur en chef d'arme.
Vous voudrez bien citoyen ordonnateur, faire donner 400 paires de souliers à la division du général Lanne.
BONAPARTE.
La seconde lettre, signée Napoléon, datée de Mayence le 29 septembre 1806, fut adressée au Général Rapp en vue de dispositions militaires à prendre pour se diriger sur Würtzbourg, afin que les détachements y soient le 2 octobre 1806 (1). Quelquesunes de ces lignes sont consacrées à l'inquiétude que Napoléon éprouve de ce que le payeur des armées n'est pas encore arrivé.
Ces deux documents sont des exemples, parmi tant d'autres, qui nous font voir l'Empereur dans sa prodigieuse activité, s'occupant aussi bien des chaussures, des moindres questions
(1) Cette lettre doit figurer dans le livre VII du baron Fain, secrétaire de Napoléon dès 1806 et qu'il accompagna dans toutes ses campagnes, jusqu'à l'abdication de Fontainebleau.
326 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 22
matérielles que des plus hautes questions de l'Etat. Un mot, une phrase suffit au Consul comme à l'Empereur, pour exprimer sa volonté, pour trancher une question, lever une difficulté, prononcer un jugement, apprécier un homme et certaines de ses apostilles au bas des ordres « sont des coups de griffes » (1). Les deux lettres du musée de Sens ont été offertes à cette ville par M. Alfred Lorne.
CINQ LIGNES DE L'ÉCRITURE DE L'EMPEREUR.
Ces lignes sont un don récent (1922) de M. le Dr Rémond Lorne au Musée de Sens ; elles furent écrites au crayon par Napoléon à Sainte-Hélène. Sur leur verso on lit :
Ecriture de Napoléon Ier, Empereur des Français qui m'a été donnée par M. Saint-Denis qui était à son service et qui ne l'a quitté qu'après sa mort.
Sens, le 6 mars 1827], LORNE aîné (2).
Ces lignes sont des aide-mémoires difficiles à déchiffrer, et certains mots en sont d'une lecture incertaine :
1° pr. d. eius averone Joseph gio vanelli et aloise contarini.
2° 15 avril réponse du doge manini délibère en secret.
3° 1 mai résolution du grand conseil qui autorise les 2 députés à traiter des choses de la compétence du grand conseil.
4° le 2 mai le général en conférence avec les députés de Margher.. (3).
MOULAGE DE LA FACE DE L'EMPEREUR APRÈS SA MORT
Ce masque sur la demande du musée de Sens lui a été envoyé par l'Etat. Il est la reproduction de celui qui fut moulé, sur la face même de l'Empereur mort, par son médecin le Dr Antom(1)
Antom(1) et Apostilles de Napoléon.
(2) M. Hippolyte Lorne aîné était fils de M. Lorne Théodore ; il avait pour frères M. Alfred Lorne (célibataire) et MM. Adolphe et Auguste Lorne. M. le Dr Rémond Lorne, de Sens, est le fils de M. Hippolyte Lorne.
(3) Les mots réponse et compétence ne nous semblent pas très certains. Ces notes semblent évoquer des faits qui se seraient passés vers 1793.
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marchi (1); L'aspect de cette face revêt une expression de douceur, de calme profond « comparable à ce que l'art grec: a de plus haut », et que la mort restitua aux traits de l'illustre captif. Cette pièce confirme l'impression de beauté que tous les spectateurs ont éprouvée lors de l'inoubliable scène de la reconnaissance du cadavre de Napoléon, le 15 octobre 1840, et que l'un d'eux a rendue en termes des plus explicites (2).
« Je ne lui avais jamais vu de son vivant des traits si magnifiques », rapporte le major Gorrequer, qui assistait aux derniers instants de l'Empereur. De l'avis unanime le mort était d'une souveraine majesté.
Cette effigie diffère par sa ressemblance de tous les bustes, portraits, médailles que nous connaissons de Napoléon ; prise sur la face même de l'Empereur après sa mort, elle est le seul document d'une valeur réelle.
Au bas de ce moulage, une petite médaille de bronze, ornée de la tête laurée de Napoléon «Empereur et Roi », nous informe avec les mots, souscription du Dr Antommarchi 1833, tracés dans l'exergue, la date à laquelle l'unique détenteur de l'image véritable du prisonnier de Sainte-Hélène l'a rendue publique, longtemps, on le voit, après la mort de Napoléon. Ce retard fut la cause que l'authenticité de ce morceau a été longtemps discutée.
Si cette suspicion plane encore, elle n'a plus raison d'être depuis la publication récente des Souvenirs de Saint-Denis, certifiant, avec leurs détails, que le moulage dont il S'agit ici est bien l'unique empreinte de la face de Napoléon. A cet effet, nous copions ce passage de Saint-Denis plein d'intérêt: « Dans la matinée, Mme Bertrand ayant eu l'idée qu'il serait convenable qu'on eût l'empreinte de la figure dé l'Empereur, un médecin anglais M. Burton, était allé à la recherche de quelque pierre calcaire propre à faire du plâtre. Le médecin étant parvenu avec quelque peine à trouver ce qu'il désirait, revint à Longwood avec un peu de mauvais plâtre qu'il avait obtenu de la cuisson. Dès que le public s'en fut allé, lui et Antommarchi se mirent à l'oeuvre. ».....« Malgré la mauvaise qualité du plâtre, Antommarchi et Burton réussirent fort heureusement à tirer le moule
(1) Antommarchi, avant sa situation auprès de l'Empereur, avait exercé sa profession à Florence (Italie), et était élève d'un fameux anatomiste nommé Mascagni, qui l'avait soi-disant désigné pour son continuateur.
(2) Mémoires de Marchand. Voir Autour de Sainte-Hélène, 1re série, p. 141.
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d'abord de la face et ensuite de l'autre partie de la tête» (1). D'ailleurs le général Bertrand, parmi les souvenirs qu'il avait réunis de Napoléon, conservait avec respect divers objets notamment, le chien (empaillé) de l'Empereur — un symbole — son lit de camp, son portrait par Lefèvre, son masque en plâtre moulépar le Dr Antommarchi. Après la mort de son fils, Napoléon Bertrand, ces objets furent dispersés dans une vente faite en 1882 (2). Si le général conservait ainsi le masque en plâtre de la face de l'Empereur, c'est qu'il avait été un des témoins de la prise de ce moulage (3).
LE CHAPEAU DE WATERLOO
Le chapeau de Waterloo du Musée de Sens est dû à la libéralité du général Duchesne (4). Il avait été remis au général par Mme Dupuis, née Léontine Putois, dont la tante Clémentine Putois, avait épousé Elie-Roger Duchesne, oncle du général. Mme Dupuis était la petite fille de Delaunay, chapelier de l'Empereur, dont l'établissement, situé au Palais-Royal,. portail pour enseigne : « Au Temple du goût » avec la raison sociale Poupart et Cie, et non pas Poupart-Delaunay ; Cie soulignant Delaunay.
A sa rentrée à Paris, après la bataille du 18 juin 1815, l'Empereur, dont le chapeau avait été maltraité par la pluie reçue pendant la campagne, l'envoya pour être réparé chez ses fournisseurs habituels. Poupart et Cie, qui avaient toujours en réserve un chapeau prêt à être livré à sa Majesté, donnèrent un chapeau neuf, et gardèrent l'autre afin de le remettre en état. Les événe(1)
événe(1) des Deux-Mondes, n° du 1er octobre 1921, pp. 642, 643.
(2) J. Pierre, La Captivité et la Maladie de Napoléon Ier d'après des lettres inédites. Revue du Berry, septembre 1904.
(3) Le Musée de Sens possède un petit fossile calcaire dont l'intérieur est rempli de cristaux de calcite et qui fut recueilli à Sainte-Hélène à l'endroit où Napoléon aimait à se reposer; il provient des collections de l'ingénieur Chiboust, fort sérieuses par l'authenticité de leur origine. Cet objet est une nouvelle attestation que l'île volcanique recelle sur certains points des terrains calcaires ayant pu fournir une matière propre au moulage de la face de l'Empereur.
(4) Le général Duchesne (Jacques-Charles-René-Achille), né à Sens en 1837, promu général de brigade en 1888, divisionnaire en 1893, il fut nommé commandant en chef du corps expéditionnaire de Madagascar, débarqua à Majunga en 1895, et conduisit ses troupes jusqu'à Tananarive. dont il s'empara, le 30 septembre 1895. Il fut ensuite nommé commandant en chef des 5e et 7e corps d'armées. Mort à Paris le 29 avril 1918.
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ments qui suivirent la bataille de Waterloo se succédèrent avec une telle rapidité que le chapeau que portait l'Empereur ce jourlà resta entre les mains des chapeliers.
En effet, par suite du départ de Napoléon pour Sainte-Hélène, ce chapeau ne put lui être rendu et a toujours été conservé dans la famille Poupart-Delaunay-Dupuis, jusqu'au jour où Mme Dupuis a bien voulu s'en dessaisir en faveur du général Duchesne. Un legs de ce dernier en faisait après sa mort la propriété dû Musée de Sens.
Quant au chapeau neuf, délivré par Poupart et Cie, en remplacement de celui de Waterloo qu'ils ont gardé, c'est celui que l'Empereur portait à Sainte-Hélène et qui avait été remis après sa mort, comme souvenir, à sa soeur la reine Caroline Murat, comtesse de Lipona. Celle-ci, un peu plus tard, eut à coeur de l'offrir à M. Mercey en reconnaissance des services qu'elle avait reçus de lui.
Plus tard encore, ce chapeau devint la propriété de M. Gérôme, artiste-peintre, membre de l'Institut, qui le paya 17.000 francs (1).
On sait que le tailleur de Napoléon était Chevalier. Lejeune, qui lui. succéda, continua à servir l'Empereur. Quant à ses chapeaux nous voyons que c'était Poupart et Cie qui les lui fournissaient au prix de 60 francs, d'après M. Germain Bapst produisant une facture de ces chapeliers, datée de Paris, du 19 août 1808, ainsi conçue :
Fourni pour le service personnel de sa Majesté l'Empereur et Roi
Deux chapeaux castor à 60 francs 120 »
24 Le repassage d'un chapeau et fourni une
coëffe piquée en soie 6 »
26 Le repassage 6 »
Ainsi, le fameux chapeau coûtait 60 francs et, dès que la coiffe en était fatiguée ou le poil rebroussé, Napoléon le faisait repasser ou redoubler (2).
L'Empereur avec son sens de l'ordre appréciait certes l'économie. Cependant on a calculé que de 1800 à 1815 il a usé environ 120 chapeaux.
Au sujet de cette économie on cite quelques traits plaisants, et
(1) Augusta Hure, le Temps, Paris, n° du 20 mars 1921. — En avril 1919 un autre petit chapeau a été adjugé à L'hôtel des Ventes 3.950 francs.
(2) Le Figaro, Paris. n° du 30 juin 1888.
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les Auxerrois, le 17 mars 1815, n'ont pas manqué d'enregistrer l'histoire, du vieux chapeau et de la vieille redingote grise que l'Empereur demanda et s'empressa de revêtir, pendant son court séjour dans cette ville, sous la menace de la pluie (1).
Qui consulte le compte de son tailleur Chevalier, que le Dr Daymard a commenté avec beaucoup d'esprit, et qui ne commence qu'au 12 thermidor An XIII (30 juillet 1805), sera frappé de la consommation énorme que l'Empereur faisait de tous ses genres de vêtements, bien qu'il les fit souvent réparer. C'est, nous dit l'histoire, qu'il était peu soigneux.
Ce n'est pas sans émotion que nous avons reçu entre nos mains le chapeau de Waterloo, que nous avons considéré les poils du feutre fripés par place, où semblaient se lire les mots évocateurs, les journées mémorables accomplies sous la pluie, dans la boue. Il est un témoin, il est une date. Pour la partie décisive, l'Empereur partit au feu avec ce chapeau, qu'il n'abandonna pas. Comme il n'a pas été réparé, son état est très significatif et se ressent de la fatigue de la campagne. Le débordement de la coiffe sur le bord du feutre prouve la volonté que l'Empereur a eue de l'enfoncer avec force. La disposition de l'entrée nous dit sa pose en biais, adoptée sur la tête impériale.
Malgré une journée épouvantable, terme dont s'est servi Napoléon pour la qualifier (2), elle fut des plus chaudes pour lui et là crasse du bord du feutre en est la preuve. La coiffe, piquée en soie légère d'un gris douteux, qui remonte en arrière d'un demicentimètre sur la peluche noire, puis le cabossage extérieur, ■également en arrière de la calotte près du grand relevé, là où la main s'appuyait pour enfoncer le chapeau, annoncent clairement l'effort que fit l'Empereur pour maintenir fermement ce couvrechef sur sa tête, pendant l'ardeur des événements. Les angles
(1) Max. Quantin, Histoire anecdotique des rues d'Auxerre, Annuaire, de l'Yonne, 1870.
(2) " Napoléon ne pouvait comprendre sa défaite de Waterloo. Fallait-il l'attribuer à la pluie du 17 juin, à la charge intempestive des grenadiers à cheval dé Guyot, à la fausse marche du maréchal Grouchy ? » (P. Frémeaux,
Les derniers jours de l'Empereur, Paris, Flammarion, p. 71).
« On pourrait dire que dans cette courte campagne, tout concourt à être contrairement à ce que voulait l'Empereur. Le temps qui avait été passable dans la matinée, se mit à la pluie, et l'eau tomba en si grande abondance que la plaine en devint impraticable. Nous étions mouillés jusqu'aux os. A une station, l'Empereur demanda son manteau. » Saint-Denis, Souvenirs..., Revue des Deux-Mondes, n° du 1er août, 1921, p. 385.
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relevés du bicorne jouèrent le rôle de gouttières. En avant sur le côté gauche, comme seul décor, entre deux étroits galons noirs et plats (1), une cocarde tricolore d'un diamètre de 0m048, soit 0m007 plus large que la cocarde offerte par Saint-Denis au Musée de Sens, la couleur rouge étant plus développée. Les teintes, en partant du centre, sont blanche, bleue, rouge. Cette disposition répond à celle qu'ont donnée des historiens puis des artistes dans des portraits de l'Empereur, celle qui a été adoptée.
Nous insistons sur la cocarde du chapeau conservé au château de. Fontainebleau, que portait Napoléon à son retour de l'île d'Elbe, et dont la couleur blanche se trouve intercalée entre le bleu et le rouge (2). Pour expliquer cette différence, on a allégué que ce serait peut-être là une cocarde improvisée, semblable à celle qu'avaient arborée les soldats de la garnison de Grenoble.
Cette solution ne nous paraît pas très justifiée et nous croyons qu'il faut simplement attribuer cette diversité à ce que les chapeliers ont parfois une tendance à intervertir l'ordre des couleurs. Quoique les cocardes de l'Empire fussent tricolores ce n'était pas encore les couleurs de notre drapeau national actuel, qui ne furent adoptées que sous Louis-Philippe. La cocarde tricolore avait été déjà portée par Louis XVI et illustrée par nos armées. La cocarde militaire de la milice bourgeoise de Paris fut d'abord aux couleurs de la ville, bleue et rouge; quelques jours après, La Fayette y ajouta la couleur blanche, qui était celle du Roi, et fit déclarer par l'Assemblée nationale que la cocarde tricolore serait désormais celle de la France.
Avec Louis XVIII on revint à la cocarde blanche. La cocarde adoptée par Napoléon, comme souverain de l'île d'Elbe, était blanche et amarante, le rouge au centre ; sur le blanc il y avait trois abeilles (3).
(1) Sur le chapeau d'Eylau, aux Invalides, les petits galons traversent la cocarde.
(2) Communication du Dr René Moreau, de Sens, à la Soc. arch. de Sens, 1921.
(3) Les cocardes du chapeau de l'Empereur étaient placées plus ou moins hautes sur le revers; celle du chapeau de Waterloo le dépasse légèrement. Les Invalides possède le chapeau de la Cella du tombeau, qui avait été donné à Gros pour peindre Eylau. Après la mort de ce peintre il fut vendu au docteur Delacroix qui en fit don aux Invalides au retour des cendres. Le chapeau de la salle Turenne provient du musée des Souverains, auquel il a été offert par Napoléon III. Le troisième chapeau, salle Napoléon, a été légué au musée par Meissonier. Un autre exemplaire est enfermé dans le cercueil de l'Empereur.
332 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 28
Le volume du chapeau de Waterloo est différent de celui du chapeau de Sainte-Hélène et de ceux des Invalides; nous en donnons les dimensions :
Hauteur devant 16 centim.
Hauteur derrière ... 25 »
Distance d'une corne à l'autre.. 46 ».
Ouverture de la tête de droite à gauche
et en biais .... 21 »
Ouverture de devant en arrière 16 »
Poids 327 gr. 50
DOCUMENTS DU GÉNÉRAL DUCHESNE DEVANT ASSURER L'AUTHENTICITÉ: DU CHAPEAU DE WATERLOO
Les dimensions du chapeau de Sainte Hélène, possédé parl'artiste-peintre Gérôme, membre de l'Institut, nous sont livrées, par un des documents que le général Duchesne a légués à la ville de Sens ; elles furent communiquées au général par un intermédiaire, et provenaient de M. Grammont, artiste-peintre, membre du Comité de perfectionnement du Musée de. l'Armée. Ces. mesures sont les suivantes :
Hauteur devant 15 centim.
Hauteur derrière 20 »
Distance d'une corne à l'autre 45 »
Ouverture de la tête de droite à gauche. 20 »
Ouverture de devant en arrière 17 »
Un second document fort intéressant par les signatures dont il est revêtu, complète, par des renseignements et sa rédaction, l'histoire de la propriété du chapeau de Waterloo, que plus haut nous avons fait valoir. Les signatures sont celles de M. Thoumazou, avec sou cachet d'intendant-général directeur, de M. P. Beurdeley, maire du VIIIe arrondissement de Paris, accotée du cachet de la mairie de l'Elysée venant légaliser la. signature du général et son cachet du conseil supérieur de la guerre.
Parlons aussi de la copie d'une lettre de la reine Murat dans, laquelle elle annonce à M. Mercey sa décision de lui offrir le chapeau que l'Empereur portait à Sainte-Hélène en reconnaissance des services et des consolations que lui et les siens lui avaient prodigués depuis ses malheurs. Cette lettre fut communiquée au général Duchesne par l'artiste-peintre Gérôme qui l'avait sans doute obtenue avec le fameux chapeau en 1894,
29 DU MUSÉE DE SENS 333
COPIE DE L'ACTE DE BAPTÊME DE NAPOLÉON
C'est encore au général Duchesne que lé Musée de Sens doit de posséder une copie de l'acte de baptême de Napoléon, malheureusement non conforme en ce qui regarde la signature du père de l'Empereur, et collationnée imparfaitement par l'archiviste d'Ajaccio : Carlo Bonaparte pour Carlo Buonaparte:
D'après cet acte, Napoléon fut baptisé en juillet 1771, donc deux ans après sa naissance le 15 août 1769.
Des discussions se sont élevées sur ces noms de Bonaparte et de Buonaparte l'un et l'autre couramment employés (1). Il est à croire que Napoléon conserva l'appellation de Buonaparte jusqu'au Consulat, et que les Bourbons et leurs partisans continuèrent par la suite de le nommer ainsi (2). D'ailleurs cette consonnance distinctive devait flatter la vanité du jeune officier, plus tard du grand chef, tout, en lui rappelant, comme le disait M. Maurice Trubert, son origine corse et ses ancêtres italiens. L'Angleterre, qui n'avait pas reconnu Napoléon, comme Empereur des Français, ne lui accordait pendant sa captivité que le titre de «Général de Buonaparte». Remarquons en passant que nombre de Français contemporains avaient le mauvais goût d'insulter l'infortune du captif de Sainte-Hélène. La plupart des royalistes, jadis ralliés au gouvernement impérial, disaient et écrivaient avec mépris Buonaparte. Ce terme; soit employé familièrement, soit par ironie, fut utilisé par des écrivains, pour le titre de leurs ouvrages, même après que Napoléon fut empereur et même disparu ; entre autres nous citons Chateaubriand 1814, Coffinières avocat? Paris 1814, Lamartelière, Paris 1815, F. T. Delbare 1817 et 1820, Fabry 1817, M. Thomassy 1821... De Bourrienne qui, à l'école de Brienne, se lia ainsi de bonne heure avec Buonaparte, prétend que l'U, dans le nom de Buonaparte, ne fut supprimé que pendant la première campagne d'Italie, c'est-à-dire un peu avant le Consulat, et que le conquérant n'eut d'autres motifs que de conformer l'orthographe à la prononciation et
(1) Journal des Débats, nos du 16 avril et du 2 mai 1921.
(2) Le nom de Buonaparte se retrouve jusque sur des médailles et, en 1796, nous en trouvons une frappée en l'honneur du « jeune héros » (musée de Sens).
334 SOUVENIRS NAPOLÉONIENS 30
d'abréger sa signature: Dans les Exercices publics de l'Ecole de Brienne, ce nom se trouve inscrit dès 1780 en trois mots, de Buona parte, à la suite desquels on ajouta de l'isle de Corse (1).
CORRESPONDANCE DU PRINCE D'ECKMULH (2) LETTRES DE L'EMPEREUR
Dans la vitrine de Sens, consacrée aux souvenirs napoléoniens, un volume manuscrit, reproduisant les lettres adressées par l'Empereur au prince d'Eckmühl, est exposé. Ces documents, furent légués au Musée de Sens par Mme Adelaïde Louised'EckmPuhl, marquise de Blocqueville, fille du maréchal Louise Nicolas Davout, prince d'Eckmühl, duc d'Auerstaedt, 1770-18041823.
D'après le testament de Mme de Blocqueville, du 9 février 1885, il semble bien que les différents dons qu'elle fit au Musée de Sens auraient été motivés par l'intérêt que son père portait à" cette ville. A cet effet, elle rappelle que le prince d'Eckmühl a sauvé à Sens, par sa présence d'esprit et par son courage, Mgr de Castellane des mains d'une troupe révoltée.
Ces correspondances, transcrites avec soin sûr des feuilles de papier vergé de 0.20 X 0.15 et dorées sur tranche, sont enfermées dans une reliure de maroquin rouge ornée de fers dorés. Sur les faces du Volume, se trouvent impressionnées les armés de la famille du Maréchal et les couronnes ducale et princièrè conquises par lui. Au-dessous on lit:
1er Lot. Marquise de Blocqueville
Les pages, au nombre, de 538, commencent avec le 7 floréal an 11 de la République, sous la signature de Bonaparte. Ces lettres sont adressées de Saint-Cloud, par Bonaparte, au citoyen général Davout, elles s'achèvent le 15 août 1813, à midi, sous la signature.
(1) Alex. Assier, Napoléon Ier à l'Ecole royale militaire de Brienne, 1779-1784, in-8. Paris, 1874. — Les Bonaparte en Champagne. Légendes, curiosités et traditions de la Bourgogne, Paris, 1880-1881, p. 115.
(2) Eckmülh est ainsi orthographié sur le volume ici en question.
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de Napoléon. Cette dernière n'apparaît dans ces correspondances que le 7 messidor, an 12, datée de Saint-Cloud (1).
MÈCHE DE CHEVEUX DU BARON LARREY
Les souvenirs napoléoniens du Musée de Sens seront au complet quand nous aurons cité le petit cadre doré qui renferme des cheveux gris du baron Larrey, chirurgien en chef de la grandearmée, d'une rudesse en contraste avec la. finesse des cheveux de l'Empereur.
(1) Le Musée d'Eckmühl d'Auxerre possède les lettres de l'Empereur au, Maréchal Davout réunies en trois petits volumes in-4°. M. de Mazade a donné, dans les quatre volumes de la Correspondance du Maréchal Davout, ses commandements, son ministère de 1801-1814, la plupart des réponses que fît l'Empereur au prince d'Eckmühl. Il serait toutefois intéressant d'examiner si toutes les lettres contenues dans les volumes d'Auxerre et de Sens ont été mentionnées dans cet ouvrage.