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Titre : Mémoires de la Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher

Auteur : Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher. Auteur du texte

Éditeur : (Blois)

Date d'édition : 1922

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344401101

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344401101/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : Nombre total de vues : 7572

Description : 1922

Description : 1922 (VOL24).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55162038

Source : Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher, 2008-266892

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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DE LA SOCIÉTÉ

DES

SCIENCES & LETTRES

DE LOIR-ET-CHER

VINGT-QUATRIEME VOLUME

BLOIS

IMPRIMERIE R. DU GUET et Cie

13, rue Gallois, 13 1922



MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ DES SCIENCES ET LETTRES DE LOIR-ET-CHER



MÉMOIRES

DE LA SOCIETE

DES

SCIENCES & LETTRES

DE LOIR-ET-CHER

VINGT-QUATRIEME VOLUME

1922

BLOIS

IMPRIMERIE R. DUGUET et Cie

13, rue Gallois, 13

1922



LISTE DES MEMBRES

DE LA

SOCIÉTÉ DES SCIENCES ET LETTRES

DE

LOIR-ET-CHER

BUREAU DE LA SOCIÉTÉ Années 1913-1921

Président d'honneur : MM. BELTON.

Président : Dr LESUEUR.

Vice-président : GAUCHIE.

Secrétaire : abbé GALLERAND.

Bibliothécaire : ALIX.

Trésorier : HONNORAT. ,

Membres du Comité de publication : TROUILLARD.

vicomte DE CROY.

Années 1921-1924

Président d'honneur : MM. BELTON.

Président : CAUCHIE.

Vice-président : RAYMOND.

Secrétaire : abbé GAU<ERAND.

Bibliothécaire : comte DE VIENNE.

Trésorier : HONNORAT.

Membres du Comité de publication : Dr LESUEUR

TROUILLARD.


VI

MEMBRES TITULAIRES

MM. Admis en

BELTON, &, I. 61, avocat, conservateur des Musées de

la ville de Blois, 44, rue Beauvoir, à Blois 1868

GUIGNARD DE BUTTEVILLE, Sans-Souci, à Chouzy

(Loir-et-Cher) 1889

DUFAY, I. Il, ancien bibliothécaire de la ville de Blois,

16, avenue Trudaine, à Paris 1891

BELENET (comte DE), ancien officier, 8, rue Porte-ClosHaut, à Blois 1893

GRENOUILLOT, I. CI, architecte en chef des monuments

historiques, 12, rue Saint-Honoré, à Blois 1893

CACHIE, ancien pharmacien, 26, rue du Haut-Bourg,

à Blois. 1896

RENDU, I. Q, architecte de la ville de Blois, 9, rue

Monin, à Blois 1896

ALUX, I. |î, bibliothécaire de la ville de Blois, 27, rue

des Trois-Marchands, à Blois 1897

FANDEUX, ancien notaire, 2, rue Boësnier, à Blois 1898

TROUILLARD, I. |ï, archiviste du département de Loiret-Cher,

Loiret-Cher, rue d'Angleterre, à Blois 1898

RAGU, ifc, ancien sous-chef de bureau à l'École Polytechnique, 22, rue Porte-Côté, à Blois 1899

CROY (vicomte DE), archiviste-paléographe, château de

Monteaux (Loir-et-Cher) 1900

HOUSSAY, A. ||, docteur en médecine, à Pont-Levoy

(Loir-et-Cher) 1901

ANSALONI, $t, docteur en médecine, II, me des Minimes, à Blois 1902

RENOU, I. Il, directeur de l'École normale d'instituteurs, 9, avenue Paul-Reneaulme, à Blois 1902

HONNORAT, directeur du Service des eaux de la ville

de Blois, 17, route basse de Paris, à Blois 1903

LESUEUR, A. If, docteur en médecine, 10, rue du Palais,

à Blois 1904

ROUSSET, industriel, 17, quai du Foix, à Blois 1905

DILLARD, A.' If, négociant, 22, place du Château, à

Blois • 1905

MEUSNIER, docteur en médecine, 10, rue des Domaines,

à Blois 1908


VII

YVONNËAU, artiste peintre, 42, rue Albert-Ier, à Blois 1910

MARCHEVILLE (comte DE), château du Moulin, Lassay

(Loir-et-Cher) 1911

JOLAIN, avocat, 3, rue des Saintes-Maries, à Blois . 1911

RAYMOND, #, président du Tribunal civil, 4, retour

du Remenier, à Blois 1911

MONTRICHARD (comte DE), château de Saint-Gervais,

à Saint-Gervais (Loir-et-Cher) 1912

GROB, A. H, artiste peintre, 7, rue Saint-Honoré, à

Blois 1913

QUERON, I. ij, docteur en pharmacie, 42, rue Porte~

Porte~ à Blois ' 1913

FLORANCE, I. Il, président de la Société d'Histoire naturelle de Loir-et-Cher, 16, boulevard EugèneRiffault, à Blois 1919

ALLIROI, directeur de la Cie du Gaz, 9, quai de la

Saussaye, à Blois 1919

JOSSINET, &, principal du Collège de Blois, 2, rue du

Département, à Blois 1919

FILLAY (Hubert), I. H, avocat, 9, mail Clos-Haut, à

Blois 1919

GALLERAND (abbé), professeur à l'Ecole libre SaintFrançois-de-Sales,

SaintFrançois-de-Sales, rue du Bourg-Neuf, à Blois 1919

DEVISE (DE), château de La Cour, à Saint-Lubin-enVergonnois

Saint-Lubin-enVergonnois 1920

PIAIES D'AXTREZ, O. %, colonel en retraite, 22, levée

de Chailles, à Blois 1920

VIENNE (comte DE), 59, quai du Foix, à Blois 1920

CHESNEAU (abbé), curé de Saint-Gervais (Loir-et-Cher) 1920

DOLIVEUX (Louis), industriel, 14, rueAlbert-Ier, à Blois 192°

VIENNE (Mme la comtesse DE), 59, quai du Foix, à Blois 1920

GEOFFROY (Mme DE), 16, rue Augustin-Thierry, à Blois 1920

DUGUET, &, imprimeur, 13, rue Gallois, à Blois 1920

MARMASSE, docteur en médecine, 1, rue des Jacobins, à

Blois 1920

BELTON (Mme), 44, rue Beauvoir, à Blois 1920

LESUEUR (Mme), 10, rue du Palais, à Blois 1920

FLORANCE (Mme), 16, boulevard Eugène-Riffault, à

Blois 1920

BRO, conservateur des hypothèques, 30, quai SaintJean, à Blois 1921


VIII

OLIVIER, docteur en médecine, dirécteur de l'Asile

d'aliénés de Blois, 34, avenue de Paris, à Blois 192I

LEGRAND, pharmacien, II, place Louis XII, à Blois .. 1921 VÉTEAU (Mme), docteur en médecine, rue du Sanitas,

à Blois . 1921

HANOTAUX, O &, membre de l'Académie française, ancien ministre, Le Prieuré, à Orchaise (Loir-etCher), et 4, avenue Hoche, à Paris 1921

FRATACCI, rédacteur principal des Contributions indirectes, 48, rue Beauvoir, à Blois 192I

DAUGE, docteur en médecine, 2, rue des Ponts-Chartrains,

Ponts-Chartrains, Blois 1921

LEMAITRE-R0BERT-H0UDIN (Mme), sculpteur, 6, place

Victor-Hugo, à Blois 1922

CROISIER, docteur en médecine, 64, avenue de Paris, à

Blois 1922

FLERS (marquis Robert DE), O. $f, membre de l'Aca• demie française, château de Cour-sur-Loire, par Menars (Loir-et-Cher), et 70, boulevard de Courcelles, à Paris 1922

RAYMOND (Mme), 4, retour du Remenier, à Blois 1922

GAILET (Mme), château de La Borde, à Rilly, par Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher), et 65, rue Jouffroy, à Paris 1922

CAUCHIE (Mme), 26, rue du Haut-Bourg, à Blois ..... 1922

AUGUSTIN-THIERRY, homme de lettres, La Rochette, à Chouzy (Loir-et-Cher), et 144, boulevard de Courcelles, à Paris 1923

DILLARD (Mme), 22, place du Château, à Blois 1923

SENGES, docteur en médecine, médecin-chef de la villa

Lunier, rue des Lions, à Blois. 1923


Procès-verbaux des Séances

SEANCE DU 2 MAI 1919

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

La Société des Sciences et Lettres, qui avait suspendu ses travaux depuis le début de la guerre, reprend ses réunions le vendredi 2 mai 1919.

Nécrologie. — M. le Dr Lesueur, président, après avoir ouvert la séance, rappelle les pertes éprouvées par la Société pendant ces cinq dernières années.

Un de ses membres, LE COMMANDANT BARON, a été tué à l'ennemi. Officier de carrière. Baron s'était fait apprécier avant la guerre, non seulement par ses qualités militaires, mais aussi par son urbanité et sa culture générale. C'était un homme du monde et un lettré, qui s'était concilié toutes les sympathies, aussi bien parmi nous que parmi ses camarades du régiment. A la mobilisation il partit comme capitaine au 313e régiment d'infanterie, avec lequel il fit tout le début de la campagne. Au commencement de 1915, il passait avec le grade de commandant au 113 e et était bientôt promu chevalier de la Légion d'honneur. Après s'être vaillamment conduit dans ces durs combats de la forêt d'Ar-


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gonne, qui firent tant de victimes dans son régiment, il tomba près de son poste de commandement au ravin des Meurissons, au cours de l'attaque allemande du

13 juillet 1915, sans que ses hommes aient eu la consolation de pouvoir ramener son corps dans nos lignes. Bien que le commandant Baron ne soit entré dans la Société que quelques mois avant la guerre et n'ait pas eu le temps de prendre une part effective à ses travaux, tous ses membres garderont un souvenir ému à ce collègue distingué tombé pour la France.

Plusieurs autres membres de la Société sont disparus au cours de ces cinq années de guerre : M. BRISSON, maire de Blois, qui avait administré notre ville pendant

14 ans et s'est éteint à la veille de la mobilisation générale ; M. L'ABBÉ CROISIER, M. MEUNIER, qui furent des habitués de nos séances, M. DE LA BASSETIÈRE, et, au cours de ces dernières semaines, M. PERROCHOT et M. TROUESSART.

M. TROUESSART, qui exerça pendant de longues années la profession d'architecte dans notre ville, s'était fait connaître, en dehors de ses travaux professionnels, par ses dessins archéologiques et par ses travaux d'érudition. Dessinateur habile et scrupuleux, il a su, tout en conservant à ses oeuvres un réel caractère d'art, leur donner une précision de détails qui en fait de véritables documents. Il a reproduit ainsi d'intéressants morceaux d'architecture inaccessibles à l'objectif du photographe, comme la maison de Denis Dupont, une maison de la rue Saint-Lubin, etc., et il a conservé le souvenir de monuments détruits ou profondément remaniés, comme le pavillon d'Anne de Bretagne, dont les gravures qui ornent les murs de notre salle des séances nous montrent l'état avant sa restauration. Ses plans et ses restitutions archéologiques ne sont pas


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d'une précision moins minutieuse. Le plan restitué de Bourg-Moyen, des Jacobins et de Saint-Lomer, qu'il communiqua à la Société, est notamment du plus grand intérêt et mériterait d'être publié dans un prochain volume de ses Mémoires.

Comme érudit, M. Trouëssart a surtout étudié les archives municipales de Blois. Il a passé de nombreuses années à dépouiller les registres de délibérations municipales et les registres d'état civil, et en a laissé des copies, des analyses et des tables. Ses analyses des délibérations municipales publiées à de trop rares exemplaires sous le titre La commune de Blois de 1517 à la fin du XVIIIe siècle d'après les registres municipaux {Blois, Migault, 1896) est un instrument précieux pour les historiens locaux. Outre cet ouvrage, il publia divers articles à Paris dans le journal L'Architecture et à Blois dans Le Loir-et-Cher historique et dans L''Avenir de Loiret-Cher. Vivant très retiré, il venait rarement aux séances de la Société, à laquelle il appartenait depuis 1900. Il prit part cependant à certaines controverses archéologiques sur le pavillon d'Anne de Bretagne et publia dans les Mémoires (t. XVI) un article sur La galerie de Henri IV et les Jardins du château de Blois. C'était un travailleur consciencieux et un ami éclairé de notre ville et de ses monuments, que regretteront tous ceux qui ont eu l'occasion de le connaître et de l'apprécier.

Enfin la Société a eu le regret de perdre deux de ses anciens présidents : M. Bodros et M. Thibault.

Venu à Blois il y a bientôt trente ans, comme directeur des contributions indirectes, promu chevalier de la Légion d'honneur pour les services rendus dans son administration, M. BODROS, après avoir obtenu sa retraite, voulut terminer ses jours dans notre ville. Esprit curieux et cultivé, M. Bodros entra à la Société des


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Sciences et Lettres en 1893. Il prit une part active à ses travaux, suivit assidûment ses séances et en fut président pour l'année 1895-96. Bien qu'un deuil cruel et l'état de sa santé l'aient tenu depuis de longues années éloigné de ses réunions, il y avait conservé les plus grandes sympathies, et il a emporté les regrets de tous ses collègues.

ADRIEN THIBAULT fut un des travailleurs les plus zélés et une des figures les plus originales de notre Société. Né en 1845 d'une famille de cultivateurs de Francillon (commune de Villebarou), élevé par un curé de La Chaussée, M. Pally, puis au petit séminaire de Blois, il entre tout jeune encore à l'atelier de céramique d'Ulysse-Besnard. Pendant son service militaire il se fait envoyer en Italie, où il passe plusieurs années, et d'où il ne revient qu'en 1870 pour prendre part à la guerre franco-allemande et à la défense de Paris pendant la commune. De retour à Blois, il fonde à La Chaussée; en 1874, une fabrique de faïences, où il applique les procédés de son maître Ulysse, et arrive pendant quelques années à concurrencer ses produits.

En même temps qu'il s'adonnait à ces travaux artistiques, Adrien Thibault commençait à s'occuper d'études d'histoire locale et celles-ci finissent bientôt par l'absorber complètement. Il a d'abord pour but d'écrire la monographie de Villebarou, son pays d'origine. Mais il se livre dans cette fin à des recherches d'une étendue dépassant de beaucoup l'importance de son sujet. Celuici d'ailleurs ne tarde pas à prendre une ampleur qu'il n'avait pas prévue dès l'abord. Ce n'est pas là seulement une simple notice historique sur une petite bourgade, mais une étude beaucoup plus générale sur ce qu'était une paroisse française avant la Révolution, sur son régime féodal, sur la répartition et l'origine de la pro-


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priété, sur la vie et les moeurs des habitants, sur ses diverses cultures, sur ses impôts et ses droits seigneuriaux, et il apporte ainsi une contribution fort intéressante à l'histoire du petit peuple de nos campagnes sous l'ancien régime.

De cet ensemble encore inédit il extrait pour les publier séparément quelques chapitres, notamment la biographie de L'abbé Louis Jouanneau, curé de Villebarou, peintre et poète (Blois, Migault, 1913), et les lettres d'un volontaire de Villebarou à l'armée de Sambre et Meuse (Loir-et-Cher historique, 1893,). Parallèlement à ces recherches historiques, d'autres études le préoccupent ; il s'intéresse en particulier aux questions de linguistique et publie en 1892 son Glossaire du pays blésois, le meilleur ouvrage que nous possédions sur le vocabulaire de notre région.

D'ailleurs les dépouillements considérables qu'il avait entrepris dans les archives départementales, notariales, communales, particulières, etc., et notamment dans certains fonds non encore inventoriés, comme ceux du bailliage de Blois, l'amènent à la découverte de maints documents nouveaux. Citons l'inventaire du château de Menars à la mort de Mme de Pompadour, qui fut publié depuis (Mém. de la Soc, t. XXII) , l'inventaire du château de Nozieux en 1793, le procès-verbal de la chute de l'église Saint-Solenne en 1678, la saisie de l'hôtel d'Alluye en 1605, le procès-verbal des dévastations commises par les Huguenots au prieuré de Saint-Lazare et à l'abbaye de Saint-Lomer, qui sont des documents de premier ordre pour l'histoire de ces divers monuments.

Il publie dans les bulletins et les mémoires de la Société, différentes notices sur les Recherches à faire dans les archives communales, (Bull., janv. 1896), sur l'expres-


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sion « noble homme » (Bull., juin 1894), sur les Meubles et tapisseries du château de Blois (Bull., fév. 1895), sur Florimond de Beaune (Bull., mars 1896), -sur L'abbé Michel Chabault, député aux Etats généraux de 1789 (Mém., t. XIV), sur Les armes de la ville de Blois et Vécusson récemment découvert de la rue des Juifs (Mém. t. XIV), sur Le prieuré de Saint-Jean-en-Grève-lès-Blois et sa justice (Mém., t. XV). De ses patientes recherches dans les archives du bailliage de Blois, il tire non seulement de Nouvelles notes sur les protestants blésois (Mém., t. XIV) et sur les métiers de Blois, qui lui permettent de compléter les ouvrages de MM. Belton et Bourgeois sur les mêmes sujets, mais encore la matière d'un curieux et très vivant article sur Les gens et les choses de la justice à Blois aux temps passés (Mém., t. XVIII).

Cet ouvrage est le dernier qu'il ait publié. C'est que depuis cette époque il s'est donné une tâche nouvelle, celle de dresser l'armoriai de la région blésoise. Ces recherches héraldiques occupèrent les dernières années de sa vie, et pendant quinze ans il s'y adonna avec un zèle, une méthode et une assiduité remarquables. Ce travail est resté inachevé et lui-même estimait que plusieurs années lui étaient encore nécessaires pour le mener à bonne fin. Néanmoins la quantité de matériaux réunis par lui sur ce sujet est considérable et il est à souhaiter qu'ils puissent un jour être édités ou tout au moins mis à la disposition du public.

Dans son ensemble, l'oeuvre d'Adrien Thibault, encore en partie inédite, représente un travail considérable et fournit une importante contribution à l'histoire de notre région. Tous ses travaux, très nourris de faits, puisés aux sources les plus sûres et souvent les plus difficiles à consulter, d'ailleurs très vivants, émaillés d'anecdotes, écrits dans un style pittoresque, très per-


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sonnel et très « local », créent à leur auteur une individualité bien marquée parmi les historiens blésois.

Presque toutes ses études firent d'ailleurs l'objet de nombreuses communications aux séances de la Société des Sciences et Lettres, à laquelle il appartenait depuis 1893, et un certain nombre furent publiées par elle. Aussi en fut-il élu président à deux reprises, en 1896 et en 1903, et la Société avant de reprendre ses travaux tient-elle à adresser un dernier hommage à cet érudit collaborateur.

Le président signale également le décès de plusieurs membres correspondants, notamment du GÉNÉRAL MARCOT, tué à l'ennemi, de M. HUE, maire de Pontlevoy, et de M. le COLONEL DE ROCHAS, qui publia de 1884 à 1887 plusieurs articles dans les Mémoires de la Société, et en particulier un important travail sur Les forces non définies (Mém., t. XI), qui acquit une grande . réputation parmi les amateurs de sciences occultes.

Bibliographie. — Le président remet à la Société les ouvrages reçus depuis 1914. Il signale en particulier :

I°) Deux volumes intitulés La science française, publiés en 1915 par le ministère de l'Instruction publique, pour l'exposition. de San Francisco, et rédigés par les personnalités les mieux qualifiées pour montrer le rôle joué par la France dans l'évolution des diverses branches de 3 a science.

20) Dans le compte-rendu de la 43e session de l'A. F. A. S., tenue au Hâvre en 1914, une communication de M. Florance sur des Objets trouvés dans des sépultures mérovingiennes à Oucques (p. 758) et une communication de M. Robert de Launay sur Un vitrail du musée de Vendôme et un vitrail de Saint-Jacques de Lizieux (p. 761).


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3°) Dans le Bulletin philologique et historique du ministère (année 1914), une communication de M. J. Soyer sur diverses identifications de noms de lieux de notre région (p. III).

40) Dans l'Intermédiaire (t. LXXVIII, col. 56 et 413, et t. LXXIX, col. 165), diverses notes sur la collection de Michel Bégon.

5°) Dans les Mémoires de l'Académie de Caen (191617), un article de M. Moniez, A propos d'un pastel représentant Pilastre de Rozier. Ce tableau aurait appartenu au colonel anglais Thornton « qui vint en France après Waterloo et loua le château de Chambord ».

6°) Dans le Bulletin de la Société archéologique de Touraine, (t. XX, 1915), une étude de M. L. de Grandmaison sur les Poinçons d'orfèvres et de fondeurs-balanciers en la Monnaie de Tours insculpés de 1679 à I750L'auteur publie dans ses appendices les poinçons particuliers des orfèvres de Blois et les contrepoinçons des gardes-jurés de l'orfévrerie de cette ville, qui releva de la Monnaie de Tours jusqu'en 1718.

7°) Dans le Bulletin de la Société archéologique et historique de V Orléanais :

a) un article de M. Jules Baillet sur La peste à Blois en 1627 (t. XVI, 1914, p. 465);

b) un article de M. J. Soyer sur les Jetons d'argent offerts en 1776 par la ville de Blois à l'échevin Pierre Boucherai (t. XVII, 1914, p. 34) ;

c) un article de M. J. Soyer sur une Charte inédite du XIIIe siècle concernant le chapitre de la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans et la paroisse de Chaumont-surTharonne (t. XVIII, 1917, p. 27).

8°) Dans les Mémoires de la Société archéologique et historique de l'Orléanais (t. XXXD7, 1915) : a) une étude de M. Pierre Dufay sur La destruction


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du pont de Blois et de la chapelle Saint-Fiacre par la débâcle de 1716 (p. 62) ;

b) une monographie de la paroisse de Nouan-le-Fuzelier (Loir-et-Cher) par M. Basseville (p. 101).

Compte-rendu financier. — La parole est ensuite donnée à M. HONNORAT, trésorier, qui expose le compte des sommes recouvrées et dépensées pendant la période écoulée depuis la dernière réunion.

Renouvellement du Bureau. — La Société ne s'étant pas réunie depuis 1914, décide qu'il n'y a pas lieu de procéder actuellement au renouvellement des membres de son bureau élus en 1913 pour 3 ans. Ce renouvellement est reporté à l'année 1921.

Invitation. — Le président communique de la part de M. Guignard, président de la Société littéraire de Loir-et-Cher, une invitation à assister à une réunion qui aura lieu à Amboise le dimanche 4 mai, pour commémorer le 4e centenaire de la mort de Léonard de Vinci.

50e Anniversaire de M. Belton. — Le président, au nom de tous les membres , adresse à M. Belton, président d'honneur, toutes ses félicitations à l'occasion du 50e anniversaire de son admission à la Société des Sciences et Lettres. Il est décidé qu'une réunion sera spécialement organisée pour commémorer cet événement.

Communication. — M. BELTON communique à la Société le résultat de ses nouvelles recherches sur Victor Hugo et sa famille, et notamment sur un certain nombre de pièces entièrement inédites donnant des détails sur l'adolescence de Victor Hugo et de son frère Eugène,


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plus âgé que lui de deux ans et qui fut son camarade d'études à la pension Cordier et Decotte et au collège Louis-le-Grand (années 1816-1817). En 1818, ils commencent ensemble leurs études de droit, ayant renoncé à l'école Polytechnique, où le général, leur père, aurait voulu les pousser.

Cette étude sera publiée dans les Mémoires de la Société.

SEANCE DU 30 MAI I9I9

Présidence de M. LE Dr LESUEUR président.

Centenaire de Léonard de Vinei et Congrès Archéologique. — M. le Dr Lesueur donne à la Société quelques détails sur les fêtes du 4e centenaire de la mort de Léonard de Vinci à Amboise, le 5 mai, et sur le Congrès de la Société française d'Archéologie, en particulier sur la visite de cette Société à Reims, réunions auxquelles le Dr Lesueur a assisté.

Admissions. — On procéde au vote pour l'admission de deux nouveaux membres. M. FLORANCE, présenté par MM. Belton et Cauchie, et M. ALLIROL, présenté par MM. Honnorat et Cauchie, sont admis comme membres titulaires de la Société.

Bibliographie. — Le président, continuant le dépouillement des volumes reçus pendant la guerre, signale les ouvrages suivants :

I° Dans le Bulletin archéologique du ministère (année 1917), l' Inventaire de Jeanne de Penthièvre, femme de


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Charles de Blois (1393) publié par le chanoine L.-J. Denis (p. 194).

20) Dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de France (année 1916, p. 303), une communication de M. Stein, qui signale un verrier (Lisoius vitrearius) à Vendôme à la fin du xie siècle.

3° Dans les Mémoires de la Société historique du Cher :

a) la continuation de l'Essai de bibliographie berruyère de Louis Rollet (années 1915-16), contenant notamment deux articles sur Gièvres (p. 33) et Mennetou-surCher (p. 52) ;

b) un article de Paul et Robert Gauchery sur L'église d'Orçay (Loir-et-Cher) et son mobilier historique (année 1917, p. I).

40) Dans le Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais :

a) une étude de M. Eug. Jarry sur Les origines de la famille Phélypeaux (t. XVIII, 1917, p. 82) ;

b) un Répertoire bibliographique de l'histoire du département du Loiret par M. J. Soyer (t. XVII, 1915-16, supplément), contenant de très nombreuses indications intéressant le département de Loir-et-Cher.

Le président signale également l'inventaire de la Collection Paul Garnier au musée du Louvre, par M. Gaston Migeon, Paris, 1917 (cette collection comprend huit montres ou petites horloges provenant des ateliers de Blois).

Enfin il attire particulièrement l'attention de la Société sur le Dictionnaire topo graphique, historique, biographique, généalogique et héraldique du Vendômois et de l'arrondissement de Vendôme de M. R. de Saint-Venant, président de la Société archéologique du Vendômois, 4 vol., Blois, Migault, 1912-17. Amorcé en 1864 par le père de l'auteur, continué par A. de Rochambeau,


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cet ouvrage est dû surtout aux laborieuses recherches poursuivies pendant plus de vingt ans par M. R. de Saint-Venant, qui non seulement a dépouillé tout ce qui a été publié sur le Vendômois, mais a minutieusement exploré une quantité considérable de documents inédits, soit aux archives nationales, soit dans les archives du Loir-et-Cher, du Loiret et de la Sarthe, soit à la bibliothèque nationale et dans les bibliothèques de Vendôme, de Blois et de Tours, dans les archives communales, judiciaires, notariales, dans les chartriers de certains châteaux, etc.. Aussi nous donne-t-il dans les vingt mille articles de son dictionnaire les renseignements les plus complets et les plus précis sur toutes les localités, villes, paroisses et lieudits de la région vendômoise, et sur toutes les familles et tous les personnages se rattachant à l'histoire de cette province. Loin de décourager par son étendue les chercheurs futurs, comme semble le craindre l'auteur, cet ouvrage sera au contraire pour eux un précieux instrument de travail et nous pouvons seulement regretter qu'une oeuvre semblable n'ait pas été entreprise pour les autres parties de notre département.

Communication. — M. LE Dr LESUEUR entretient la Société des fouilles qu'il a eu l'occasion de pratiquer en Algérie, notamment dans les ruines de Rusgunise. Rusguiniae était une petite ville romaine située sur la baie d'Alger, à une trentaine de kilomètres de cette ville, près du cap Matifou, et dont les vestiges sont ensevelis aujourd'hui sous des fourrés de lentisques et de palmiers nains. M. Lesueur en a principalement étudié les thermes. Cet établissement comprenait plusieurs salles chauffées par des hypocaustes. Dans l'une d'elles (caldarium), on voit encore la piscine d'eau chaude (alveus) dans une niche demi-circulaire. De cette der-


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nière pièce on passe dans une grande salle (salle de repos sans doute) qui domine la mer d'un à pic d'une dizaine de mètres et dont le sol est recouvert d'une vaste mosaïque.

Cette mosaïque, longue de 15 mètres et large de 12, a été entièrement déblayée. Au centre était un tableau de 2 mètres de côté environ, qui représentait probablement le char de Neptune, mais qui est presque complètement détruit. Par contre le reste du décor est assez bien conservé. Il se compose de motifs géométriques : rosaces de dessins variés, entrelacs, grecques, etc., empruntés au répertoire ornemental habituel des mosaïstes romains, exécutés en marbres blancs, jaunes, rouges, verts et noirs, et formant un ensemble largement et harmonieusement ordonné. M. Lesueur présente un relevé d'ensemble et plusieurs aquarelles fragmentaires de cette intéressante mosaïque, qui vient s'ajouter aux nombreuses oeuvres de ce genre qui ont été déjà découvertes dans l'Afrique du Nord.

SÉANCE DU 20 JUIN 1919

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Communication. — M. TROUILLARD communique des notes sur Les droits féodaux de la seigneurie de Cormeray aux XIVe et XVIe siècles ; droits de justice, tailles, corvées, banalités. Ces notes sont le commentaire de documents récemment donnés aux archives départementales par le chanoine Porcher et classés dans ce dépôt sous la cote F 332.


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SÉANCE DU II JUILLET I919

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Admissions. — M. JOSSINET, principal du collège, et M. HUBERT-FILLAY, avocat, présentés par M. Belton et M. le Dr Lesueur, sont élus membres titulaires.

Communication. — M. LE Dr LESUEUR étudie Les vitraux de l'église de Cour-sur-Loire. Ces verrières du XVIe siècle, les plus belles de la région blésoise, sont dues sans doute aux libéralités du célèbre trésorier de Louis XII, Jacques Hurault, et de ses descendants, alors seigneurs de Cour-sur-Loire, dont elles portent encore les armoiries. Elles furent restaurées de 1886 à 1894 par MM. Steinheil, père et fils, et Bonnot.

M. Lesueur essaye d'en définir les caractères, recherche les influences qu'elles dénotent et tente d'en préciser la date. Il montre la valeur d'art de plusieurs d'entre elles, notamment une Nativité de la Vierge (à rapprocher d'un vitrail analogue de Saint-Valérien de Châteaudun) et un Arbre de Jessé, qui décorent la première et la dernière fenêtre du collatéral sud. Il s'attache enfin tout particulièrement à retrouver la signification iconographique, jusqu'ici mal connue, de certains de ces vitraux.

Il montre ainsi que le vitrail du bas côté nord n'est autre que l'illustration d'un récit de la Légende dorée, concernant un pélerin de saint Jacques condamné injustement a être pendu et sauvé par un miracle du saint, qui le soutint lui-même dans ses bras.

Quant à l'étrange sujet d'un vitrail du bas-côté méridional, représentant les douze apôtres enfants et nus,


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groupés autour de Jésus, de ses parents et de ses proches, il n'est tel que par la fantaisie des restaurateurs, qui ont refait presque entièrement le panneau central. Celui-ci ne comportait sans doute à l'origine que les figures de Jésus, de la Vierge et de saint Joseph, accompagnées peut-être de sainte Anne et des trois maris que lui prête la légende. L'ensemble de la composition reproduisait le thème traditionnel des « Trois Marie », c'est-à-dire de la Vierge et de ses deux soeurs, Marie Salomé et Marie Cléophée, accompagnées chacune de leur époux et de leurs enfants.

SEANCE DU 7 NOVEMBRE 1919

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Compte rendu financier. — M. HONNORAT donne lecture du compte-rendu de la situation financière de la Société. Le compte-rendu est approuvé et des félicitations sont votées au trésorier.

Don de manuscrits à la Bibliothèque Municipale. —

— Le président signale le don fait par Mme Trouëssart à la bibliothèque municipale des manuscrits de notre regretté collègue M. A. TROUESSART. Il s'agit d'une collection de 74 volumes reliés, entièrement écrits de la main de M. Trouëssart et comprenant les matières suivantes :

I°) Copiedes registres municipaux de la ville de Blois de 1573 à 1799 (9 vol.). Chaque volume est suivi d'une table et un volume supplémentaire est consacré à la table des


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noms de la plupart des personnes figurant dans ces registres. On sait que M. Trouëssart avait publié des analyses de ces délibérations municipales dans le journal L'Avenir (tirage à part, Blois, Migault, 1896).

2°) Analyse des registres de baptêmes, mariages et sépultures des six paroisses de la ville de Blois et des habitants de cette ville appartenant à la religion réformée. Pour cette série, qui comprend 37 volumes, M. Trouëssart a dépouillé plus de 300 registres conservés à la mairie et au greffe du Tribunal civil. Il donne une analyse complète de tous les articles et la copie textuelle de ceux qui offrent un intérêt particulier par la qualité des personnages qu'ils concernent ou pour toute autre raison. Chaque volume est suivi d'une table alphabétique. M. Trouëssart a établi en outre une « table, des noms notables » contenus dans ces registres (I vol.) et un répertoire des « familles blésoises d'après les registres des paroisses » (3 vol.).

3°) Extraits des anciens journaux de Blois (12 vol.). Pour l'établissement de cette série, M. Trouëssart a dépouillé méthodiquement le Journal de Loir-et-Cher jusqu'en 1884 et L'Avenir de Loir-et-Cher de 1885 à 1918 et a copié tous les articles qui lui ont paru intéressants pour l'histoire locale.

40) Notes, mémoires et extraits concernant le département de Loir-et-Cher et localités voisines (9 vol.). M. Trouëssart a réuni dans ces volumes les copies ( ou extraits, ou analyses) d'un grand nombre de travaux déjà publiés (volumes, brochures, articles de revues, etc.), d'études restées inédites et même de documents d'archives.

Pour ces deux dernières séries, comme pour les précédentes, des tables établies à la fin de chaque volume facilitent beaucoup les recherches. M. Trouëssart avait don-


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né d'autre part un « répertoire de livres et documents... concernant le département de Loir-et-Cher et contrées voisines» (I vol.), qui était, semble-t-il, un simple catalogue des ouvrages possédés par l'auteur, soit sous la forme de livres ou articles de revues, soit dans ses notes manuscrites, mais qui constitue déjà un véritable essai de bibliographie locale.

Il faut encore signaler un volume d'éphémérides de Loir-et-Cher, relevé chronologique des principaux faits historiques concernant la contrée formant aujourd'hui le département de Loir-et-Cher, de 675 à 1830.

Enfin, avec ces manuscrits, Mme Trouëssart a remis à la bibliothèque municipale un carton renfermant des plans, dessins et relevés d'architecture de M. Trouëssart, qui ne sont pas la partie la moins intéressante de cette collection. On y trouvera notamment un grand nombre de copies de plans anciens conservés aux archives départementales, dans les archives communales de Blois, etc..

Ces manuscrits contiennent, on le voit, presque uniquement des copies d'ouvrages et de documents déjà connus. Néanmoins, en réunissant en quelques volumes clairement présentés, d'une lecture facile et pourvus de tables, les indications qui nécessitaient jusqu'ici de laborieuses recherches dans les innombrables registres des paroisses ou des délibérations municipales, en groupant des articles de toutes, sortes presque impossibles à trouver dans quatre-vingts années de journaux locaux ou • disséminés dans un grand nombre d'ouvrages ou de revues, ils faciliteront singulièrement le travail des chercheurs, et le « fonds Trouëssart » de la bibliothèque de Blois sera certainement un des plus fréquemment consultés par tous ceux qui s'intéressent à notre histoire locale.


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Communication. — M. LE Dr LESUEUR donne connaissance de documents concernant Le château de Coursur-Loire, qui lui ont été aimablement communiqués par Mme la marquise de Fiers, propriétaire de ce domaine. Cette série ne comprend qu'un petit nombre de pièces originales antérieures à la Révolution ; mais un inventaire, dressé probablement entre 1775 et 1781 par un archiviste du marquis de Marigny, donne une idée suffisamment exacte de ce qu'était à cette époque le chartrier de Cour-sur-Loire.

Il résulte de l'examen de ces documents qu'il existait aux XIVe et XVe siècles dans la paroisse de Cour-surLoire deux fiefs principaux. L'un, le fief de Cour-surLoire proprement dit, appartint successivement et par voie d'héritage aux familles d'Estouteville, de Beauvilliers, d'Estampes ; l'autre était à la fin du XIVe siècle en la possession d'un certain Jean de Vendômois et est désigné aux XVe et XVIe siècles sous le nom de « fief de Monthalhays » appartenant aux seigneurs de ce nom. Le premier était en partie de la mouvance féodale du comté de Blois, en partie de celle de la seigneurie de Bury ; le second relevait uniquement du comté de Blois. L'un et l'autre avaient leurs ■vassaux et leurs censitaires : le fief de Malabry, englobé depuis dans le grand parc de Menars, relevait féodalement des seigneurs de Cour, et la terre de La Borde-Blanche, sur la rive gauche de la Loire, était tenue en fief par les seigneurs de Monthalhays. Enfin les droits seigneuriaux: droits de haute, moyenne et basse justice, notariat, greffe et sergenterie, droit de « rouage » sur les chariots et charrettes chargés de vin passant dans l'étendue de ladite justice, droits de boucherie, droits de passage et pêche dans la Loire, dîme des grains et vins, etc., étaient partagés entre ces deux seigneurs. Les religieux de Bourg-


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moyen avaient aussi des censives dans cette paroisse et percevaient une part de la dîme des grains et vins.

La terre de Cour-sur-Loire fut achetée par Jacques Hurault, le célèbre trésorier de Louis XII, vers 1490, date de sa foi et hommage à la seigneurie de Bury. Au cours du XVIe siècle, ses descendants réunirent à cette terre les différents autres fiefs de la paroisse, avec tous les droits qui y étaient attachés, et de nombreux autres domaines. En 1551 Henri II autorisait Jacques II Hurault. à faire rétablir « les fourches patibulaires à deux pilliers de la seigneurie de Cour », et en 1584 Henri III érigeait cette terre en châtellenie en faveur du chancelier de France Philippe Hurault.

Au XVIIe siècle les Hurault voulurent à plusieurs reprises vendre leur seigneurie de Cour. En 1647 notamment Henri Hurault la céda à Guillaume Charron de Menars ; mais le marquis de Rostaing, seigneur de Bury, son suzerain, en fit le retrait féodal, et ce n'est qu'en 1671 que sa fille, Marguerite-Renée de Rostaing, veuve de Henri de Beaumanoir, marquis de Lavardin, la vendit définitivement à Jean-Jacques Charron de Menars. Depuis cette époque jusqu'à la Révolution la terre de Cour-sur-Loire fit partie du marquisat de Menars, mais en 1692 le château fut loué à vie à un certain Michel Bailly, seigneur de Marcilly.

Les actes postérieurs à la Révolution, non seulement nous font connaître les propriétaires successifs du château de Cour-sur-Loire depuis sa vente comme bien d'émigré en 1794 jusqu'à son acquisition par le marquis de Fiers en 1857, mais par les descriptions qu'ils renferment nous renseignent sur l'état du château à cette époque. Nous y trouvons la mention de nombreuses dépendances aujourd'hui disparues (bâtiments d'exploitation entourant une avant-cour, colombier, ga-


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lerie se terminant d'un côté par une faisanderie et de l'autre par une chapelle, etc.) et des indications précieuses sur les modifications subies par le château luimême au cours du XIXe siècle. Enfin un inventaire de l'an VII nous montre quel était alors le riche mobilier du château : tentures des Gobelins avec bordures d'arabesques, tentures d'Aubusson, tentures de « beau Bruxelles faisant quatre tableaux représentant les quatre saisons, avec deux autres morceaux de verdure », fauteuils, chaises et bergères « en tapisserie des Gobelins représentant divers oiseaux et animaux, avec tous les bois sculptés et dorés, » etc.

SÉANCE DU 30 NOVEMBRE I919

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

Cinquantenaire de l'admission de M. Belton. — La Société se réunit pour fêter le cinquantenaire de l'admission de M. BELTON, son doyen et son président d'honneur. Cet anniversaire tombait le 11 décembre 1918, mais la Société n'ayant pas encore repris ses réunions à cette date a tenu à en reporter la célébration à l'année suivante.

M. LE Dr LESUEUR, président, prend la parole pour féliciter M. Belton au nom de tous ses collègues. Sans vouloir retracer en détail sa longue et belle carrière d'érudit, sans étudier, comme il conviendrait, la part considérable qu'il a prise dans le mouvement intellectuel de notre cité depuis 50 ans, il dit en quelques mots quel fut son rôle pendant ce demi-siècle dans l'exis-


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tence de notre Société, et quels droits il s'est acquis à la reconnaissance et à l'affection de tous.

M. BELTON remercie le président. Il évoque le souvenir de son quarantième anniversaire, que la Société avait également tenu à commémorer, et des évènements qui se sont accomplis depuis. Il insiste plus particulièrement sur ceux dont notre ville fut le théâtre pendant ces dernières années de guerre et qui feront d'ailleurs l'objet d'une communication plus étendue.

Une coupe de Champagne est offerte au président d'honneur, à qui tous les membres présents viennent adresser leurs compliments et leurs voeux.

SEANCE DU 14 DECEMBRE I9I9

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

¥isite Ses Peintures de Puvis fie Chavannes. — La Société se réunit à 3 h. 1/2 au château de Blois, dans la salle des États, pour visiter les peintures de Puvis de Chavannes du musée d'Amiens, qui y ont été amenées pendant la guerre et qui y sont actuellement conservées.

Elle se rend ensuite à sa salle de réunion, où la séance est ouverte à 4 h. 1 /2.

Admission. — M. L'ABBÉ GALLERAND, professeur au Petit Séminaire, présenté par M. Trouillard et M. le Dr Lesueur, est élu membre titulaire.


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Bibliographie. — Le président, rendant compte des volumes reçus par la Société, signale dans la Revue des études historiques, mars-juin 1919, le compte rendu d'un ouvrage de M. Alfred Marquiset sur Le Marquis de Marigny (Paris, Emile Paul, 1918).

Le Bulletin de la Société archéologique de Sens, t. XXIX, 1915, publie, p. 162, sous le titre Le Pont d'Yonne à Sens, une étude de M. Barraux sur la récente démolition de cet ouvrage construit de 1739 à 1742 et attribué à Boffrand. Or par sa forme en dos d'âne, par le dessin de ses piles, par la courbe de ses arcs, par la présence d'un obélisque sur l'arche centrale, ce pont rappelle de très près celui de Blois, élevé 20 ans auparavant par Gabriel le père. D'autre part, M. Maurice Prou a communiqué à la même société (op. cit., p. XLIV) un procès-verbal de l'Académie royale d'architecture du 25 février 1726 relatant que « M. Gabriel a fait voir un plan et élévation pour un pont de pierre qu'on propose de faire à Sens... », d'où il semble résulter que Boffrand,— si l'attribution à cet architecte est confirmée, — s'était grandement inspiré du projet de Gabriel.

Nomination. — M. LE Dr LESUEUR, président de la Société, a été nommé inspecteur de la Société française d'achéologie pour le département de Loir-et-Cher.

Communication. — M. BELTON rend compte des services rendus par le château de Blois pendant la guerre à l'administration des Beaux-Arts, en donnant refuge aux principales richesses des musées et des palais nationaux.

Cette communication sera publiée dans les Mémoires de la Société.


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SÉANCE DU 25 JANVIER I920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

Communication. — M. FLORANCE fait une causerie sur l' Archéologie préhistorique en Loir-et-Cher.

Dans les terrains attribués à l'ère tertiaire, au cours de la période dite Eolithique, l'abbé Bourgeois, de Pontlevoy, et plusieurs autres préhistoriens notoires, notamment MM. G. et E. de Mortillet et M. Rutot, auraient trouvé des silex taillés par l'homme primitif. Ces silex sont en effet quelque peu troublants, mais ne paraissent pas encore des preuves convaincantes pour la majorité des spécialistes. La question en est restée à peu près au même point.

Les gisements et les silex taillés de la période Paléolithique ou de la pierre taillée ont été divisés en six époques.

1°) L'époque Chéléenne, très chaude, est représentée jusqu'à ce jour en Loir-et-Cher par une seule station, celle d'Artins, découverte par M. Clément, laquelle a donné 242 instruments typiques, et par une vingtaine de gisements sporadiques, qui ont donné 66 pièces.

2°) L'époque Acheuléenne, qui était tempérée, est représentée dans notre département par dix stations, dans lesquelles on a recueilli 1200 pièces. La principale est encore celle d'Artins, qui a continué d'être habitée et où M. Clément a récolté 555 instruments, dont certains très beaux.

3°) Pour l'époque Moustérienne, plutôt froide, M. Florance a compté 54 localités, dans lesquelles il a noté 8957 pièces caractéristiques. Dans deux stations diffé-


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rentes, à Artins, M. Clément a réuni 6848 pièces. A Sambin, M. Ligneul a recueilli 1463 pièces au moins ; on peut citer aussi les petites stations d'Orchaise, d'Averdon et de Roches.

4°) L'époque Aurignacienne, très froide, ne comprend chez nous que deux stations peu importantes, l'une à La Buroche, près de Montoire, découverte par M. Aubin, l'autre à Seillac par M. Bourdain ; on peut aussi citer quelques instruments dans d'autres localités plus ou moins à toutes les époques. Les pièces ramassées s'élèvent en tout à 800 environ.

5°) L'époque Solutréenne, très froide également, est à peine représentée en Loir-et-Cher par quelques pièces sporadiques.

6°) De l'époque Magdalénienne, qui avait une température arctique, on n'a trouvé ici que 196 instruments dans 20 localités différentes.

M. Florance n'a pas vu encore toutes les collections contenant des pièces trouvées en Loir-et-Cher, mais ce qu'il a pu noter jusqu'à ce jour représente environ les trois quarts de ce qui a été recueilli et permet déjà de se former une opinion. Il est certain aussi qu'on devra trouver d'autres gisements dans l'avenir. Malgré cela, la faible quantité d'objets provenant des trois dernières époques, formant une période qu'on appelle l'âge du Renne, et l'absence totale dans notre région d'ossements de renne et de mammouth, alors qu'on en trouve à une latitude bien plus chaude, donnent à penser à M. Florance que le Loir-et-Cher a dû être inhabitable et couvert de glaces pendant l'âgé du Renne, qui correspond à une grande époque glaciaire.

Il avait apporté une trentaine de silex typiques, qu'il a montrés à ses auditeurs.

Une prochaine fois, il étudiera la période Néolithique.


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SÉANCE DU 22 FÉVRIER 1920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Admission. — M. DE DEVISE, présenté par M. Cauchie et par M. le Dr Lesueur, est élu membre titulaire.

Communication. — M. L'ABBÉ GALLERAND fait une communication sur La liberté du culte à Blois en 1791-1792.

Jusqu'au décret du 26 août 1792, qui prononçait l'exil contre les prêtres réfractaires à la loi du serment, le statut légal pour eux fut une loi du 13 mai 1791. L'article premier de cette loi leur donnait le droit de dire la messe, — la messe seulement, — dans les églises officielles, occupées par les prêtres jureurs. L'article second reconnaissait aux catholiques non-conformistes la faculté de louer des édifices spéciaux pour y exercer leur culte, à condition de mettre au-dessus de la porte une inscription déterminée. M. l'abbé Gallerand examine comment fut exécutée cette loi dans le département de Loir-et-Cher.

Quant au premier article, les autorités blésoises ne mirent pas d'entraves à son exécution jusqu'en février 1792. Avant cette date les difficultés vinrent des ecclésiastiques eux-mêmes. Tantôt c'est le curé jureur qui rend son église quasi inaccessible à son confrère insermenté, — et l'on raconte les démêlés des deux prêtres de Ternay ; tantôt c'est l'ancien curé, le réfractaire, qui empiète audacieusement sur le terrain du nouveau curé, l'élu du peuple : dès cette époque, dans beaucoup de paroisses, à Lancôme, à Troô, à Prunay, à Souesmes,


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etc., c'est la guerre. Dans les paroisses où les deux prêtres s'entendent volontiers, — il s'en trouve, —voilà que l'autorité diocésaine intervient. L'évêque, M. de Thémines, défend absolument tout contact avec « l'intrus » et avec son église. Grosses angoisses de certains prêtres. Lettres alarmées du curé de Saint-Jean Froidmentel et de l'abbé Joly, retiré à Villerbon. Les représentants de l'évêque exilé sont intransigeants : nul contact avec « l'intrus », c'est le mot d'ordre. Certains prêtres n'ai tiennent pas compte :luttes épiques de l'ardent réfractaire de Lancôme. La plupart abandonnent leurs églises profanées, rassemblant leurs fidèles dans leurs chambres (abbé Thoisnier, Cayer et Pasquier, etc.), ou dans des oratoires (curés de Villeneuve-Frouville, d'Ecoman), ou dans des chapelles de château (curés de Bouffry, d'Azé). Dénonciations contre eux. Le directoire du département sévit. Mais au mois de juin 1791, le tribunal du district de Blois, lui, proclame explicitement le droit, pour les prêtres non-conformistes, de faire chez'eux « toutes les fonctions du culte ». Relativement au premier article,en Loir-et-Cher, c'est donc l'anarchie.

L'article second soulève plus de difficultés encore. Démarches réitérées des communautés religieuses de Blois pour être autorisées à suivre le culte non-conformiste dans leur clôture : elles finissent par avoir gain de cause. Les catholiques blésois vont tenter, eux aussi, d'obtenir un local non-conformiste. En leur nom, l'avocat Pardessus demande au département l'autorisation de louer à cet effet l'ancienne église des Cordeliers (octobre 1791). Les curés jureurs de la ville s'émeuvent à cette nouvelle. Le club, — acharné comme il est contre les catholiques romains, — parle d'ameuter la populace. Le département effrayé refuse l'autorisation. Une autre


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fois, en février 1792, les catholiques blésois essayent d'ouvrir légalement un local non-conformiste, rue Chemonton. Ils demandent à la municipalité des garanties de sécurité ; la municipalité ne veut répondre de rien. « La force est dans le peuple, » dit-elle. Et cette fois encore le tribunal de district donne tort à l'administration.

Les paroisses rurales n'ont pas essayé de profiter des libérales dispositions de l'article second. Les curés réfractaires trouvent plus expédiait de prendre la liberté sans la demander. En bien des endroits, les municipalités se déclarait pour eux, et là, c'est le triomphe du culte catholique. Une seule paroisse tenta de bénéficier de la loi et voulut se constituer légalement en « société de nonconformistes » : Saint-Cyr-du-Gault. M. l'abbé Gallerand raconte le long effort de presque une année soutenu par les gens de Saint-Cyr pour revendiquer leur liberté, l'affirmation publique que firent de leur croyance les chefs de famille devant les autorités constituées, leurs requêtes suppliantes — six fois répétées — aux ministres et au roi, la façon dont ils accueillirent les trois desservants assermentés que nécessairement on leur envoya, le mauvais-vouloir du département qui fit fermer leur église, puis la grange qui leur servait de temple, malgré que toutes les formalités, — même celle de l'écriteau, — eussent été remplies.

Donc, pendant que les tribunaux affirment le droit des réfractaires, l'administration leur oppose des refus contraires aux lois ; la raison en est qu'elle est sous la coupe de la Société des amis de la Constitution, elle, très intolérante.


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SÉANCE DU 28 MARS I92O

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

Admissions. — M. LE COLONEL PIALES D'AXTREZ, présenté par M. Belton et M. Jolain, et M. LE COMTE DE VIENNE, présenté par M. Belton et M. le Dr Lesueur, sont élus membres titulaires.

Bon d'ouvrage. — M. le Dr Lesueur fait hommage à la Société d'un volume dont il est l'auteur : Un peintre blésois : Henri Sauvage, notice illustrée de 32 reproductions en phototypie et de 2 eaux fortes originales, Blois, imp. Sille, 1919.

Communication. — M. FLORANCE continue sa communication sur L'archéologie préhistorique en Loir-etCher, et étudie l'époque néolithique.

Ce n'est qu'après un temps assez long, suivant la période glaciaire de l'âge du Renne, que la flore, puis la faune et enfin l'homme reparurent dans notre pays ; les animaux ne pouvaient pas vivre sans herbages, sans plantes, et l'homme sans les deux. C'est ce qui explique la longueur des périodes de la Pierre taillée, qui comprend plusieurs phases glaciaires. Ce ne sont plus les mêmes races d'habitants que celles qui se trouvaient précédemment dans notre pays ; ce n'est plus la même industrie, la même taille d'armes et d'instruments ; c'est à peu près le même climat que le climat actuel et c'est la même faune.

On divise la période de la Pierre polie en trois époques : le néolithique ancien, le moyen, et le récent. Pendant la première époque, la plus ancienne, la pierre polie


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n'existe pas encore ou très peu, mais on y arrive ; ce sont les mêmes formes, sauf le polissage ; pendant l'époque moyenne, la pierre polie commence ; et pendant l'époque récente, le polissage et la taille du silex sont devenus un art.

En plus des instruments ou armes qu'on retrouve, à peu près, sauf le polissage, dans les époques précédentes, viennent de nouveaux instruments : les polissoirs pour polir les haches, les lissoirs polis pour lisser les coutures des vêtements, les meules et les mollettes pour écraser le grain, car ce qui caractérise l'âge de la Pierre polie, c'est la culture des céréales, qui a été un progrès énorme, rendant l'homme sédentaire.

Auprès des anciennes stations, dans notre région, on trouve des sépultures fort intéressantes, sous forme de dolmens, tumulus et menhirs. On y rencontre également des enceintes et camps préhistoriques, qui ont servi d'endroits d'habitation et surtout de lieux de refuge pour la famille et la tribu. M. Florance donne la description et la situation de tous ces monuments en Loiret-Cher.

Enfin, en voyant des monuments mégalithiques et des stations préhistoriques en Beauce, pays très sec, alors que les habitations étaient toujours au bord des ruisseaux ou rivières, M. Florance se demande comment c'est possible. L'examen des stations et des monuments de Beauce lui a permis de remarquer qu'ils étaient situés auprès de petites rivières desséchées. On doit donc penser que le dessèchement des rivières est postérieur à l'établissement des stations et à l'édification des monuments et probablement même à l'époque galloromaine, qui a été florissante en Beauce. M. Faupin dans sa géologie de Loir-et-Cher, a constaté que de nos jours il se produisait un abaissement progressif


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du niveau des sources en Beauce ; cet abaissement n'est pas étonnant dans un terrain aussi calcaire et on peut voir qu'il n'a pas affecté les temps préhistoriques.

SEANCE DU 23 AVRIL 1920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

Communication. — M. LE Dr LESUEUR fait une communication accompagnée de projections sur L'église et l'abbaye de Saint-Lomer.

Ce travail sera publié dans les Mémoires de la Société.

EXCURSION DU 7 MAI I92O

Visite de l'Eglise Saint-Lomer

La Société se réunit à 4 heures à l'église Saint-Nicolas (Saint-Lomer), où elle est reçue par M. le chanoine Lefebvre, curé de la paroisse, accompagné de ses vicaires. M. LE Dr LESUEUR rappelle l'historique du monument et renouvelle sur place les explications archéologiques données dans sa précédente communication. La Société visite les différentes parties de l'église, puis se rend à l'Hôtel-Dieu pour étudier les bâtiments de l'ancien monastère, notamment les vestiges du cloître du XIIIe siècle et le bâtiment des celliers élevé aux XIIe et XIIIe siècles et fortifié au XIVe.


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SÉANCE DU 28 MAI 1920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR

Admissions. — M. L'ABBÉ CHESNEAU, curé de SaintGervais, présenté par M. Trouillard et M. l'abbé Gallerand ; M. Louis DOLIVEUX, présenté par M. Rousset et M. le Dr Lesueur ; Mme LA COMTESSE DE VIENNE et Mme DE JEOFFROY, présentées par M. le Comte de Vienne et M. le Dr Lesueur, sont élus membres titulaires.

Communication. — M. TROUILLARD fait une communication sur Les archives de l'abbaye de Saint-Lomer.

Le fonds de Saint-Lomer est un des plus considérables de la série H des archives départementales de Loir-etCher.

Le plus ancien de ses documents remonte à l'année 902 (l'original est perdu ; nous n'en possédons qu'une copie du XVIIIe siècle).

Les titres concernant l'administration spirituelle du monastère sont peu nombreux. Le plus précieux est un cérémonial de l'abbaye écrit dans les dernières années du XIIe siècle (postérieurement à 1173, date de la canonisation de saint Thomas Becket, archevêque de Cautorbéry, dont l'office est ordonné dans le manuscrit). ■ Le cérémonial présente quelques détails sur l'église abbatiale (ses autels, ses cloches, les reliques qui s'y trouvaient conservées), sur les bâtiments réguliers du monastère (cloître, dortoir) et sur l'église paroissiale de SaintPierre du Foix, dans laquelle les mornes de Saint-Lomer se rendaient en procession à certains jours de carême.

L'inventaire se continue par deux registres d'annales


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de l'abbaye (« Livre des choses mémorables » et « Journal des choses remarquables »), rédigés de 1641 à 1777 par les prieurs et les cellériers du monastère et par les secrétaires du chapitre.

Viennent ensuite les délibérations des sénieurs de l'abbaye (de 1675 à 1751) et les actes du chapitre (de 1604 à 1775), puis de nombreux titres de propriété, des registres de comptes, des inventaires du mobilier et des archives, un cartulaire du monastère et enfin les titres des prieurés dépendant de Saint-Lomer.

Tous ces documents nous font connaître la vie intérieure de l'abbaye, surtout dans les années de véritable décadence qui précèdérent l'introduction de la réforme de Saint-Maux (en 1627).

Le relâchement qui s'était introduit sous le régime de la commende fut encore aggravé par le délabrement des lieux réguliers (après les pillages des guerres de religion) qui rendit la vie commune à peu près impossible. Les mornes étaient en outre divisés par des dissensions profondes et par des révoltes incessantes contre l'autorité bien affaiblie du prieur claustral.

Cependant la décadence ne fut pas absolue. Les bénédictins de Saint-Lomer paraissent bien n'avoir jamais négligé les études intellectuelles. Le chapitre envoyait fréquemment des religieux suivre les cours des collèges des Jésuites (à Billom notamment) ou des Oratoriens (à Vendôme) — ou prendre des grades en théologie aux universités de Bourges, d' Orléans et de Paris (les moines étudiant à Paris devaient résider dans les collèges de Cluny et de Marmoutier).

De plus il est à remarquer pendant cette période de relâchement que les évêques de Chartres s'efforcèrent à plusieurs reprises de rétablir la discipline régulière et particulièrement de réorganiser la vie commune, et que


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plusieurs familles de la bourgeoisie (médecins de Blois, conseillers et procureurs au bailliage de Blois, conseillas en l'élection de Châteaudun), espérant sans doute une réforme prochaine de l'abbaye, ne renoncèrent pas à présenter et à faire admettre leurs enfants au noviciat de Saint-Lomer.

Le chartrier du monastère contient des notes abondantes concernant les travaux effectués à l'église et aux bâtiments réguliers.

D'abord les ouvrages de défense (murailles, fossés, chemin de ronde) qui annexèrent l'enclos de Saint-Lomer à l'enceinte fortifiée de la ville, ouvrages exécutés pendant la Guerre de Cent ans et vraisemblablement entre les années 1356 et 1361.

Malgré ces fortifications, les bâtiments de l'abbaye eurent beaucoup à souffrir des guerres de religion, mais dès la fin de la tourmente les moines entreprirent la restauration de leur communauté.

De 1595 à 1621 nombreux travaux de réparations à l'église abbatiale (aux voûtes, aux fenêtres, au grand autel, au jubé) ; en 1642, réfection des voûtes et ouverture des portails de la façade, murés depuis le XIVe siècle ; en 1644, réparations au dôme ou lanterne de la croisée du transept ; en 1645 et 1647, nouvelles restaurations des voûtes ; en 1687, élévation d'un clocher sur le dôme ; en 1692, réfection de quelques verrières ; en 1698, démolition de la flèche de la tour du Nord ; enfin, vers 1760, acquisition d'un orgue sorti des ateliers du célèbre facteur Isnard.

Dans l'église furent inhumées plusieurs « personnes de qualité ». Je me bornerai à mentionner les sépultures d'Isabelle de France, fille du Roi Charles VI, « très chère et très amée campagne » du duc Charles d'Orléans, morte à Blois en 1409 et enterrée dans la chapelle de


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Notre-Dame, comme le prouvent deux lettres de Charles d'Orléans, datées de 1446 et 1451, — et de Guy Pot, gouverneur et bailli de Blois et capitaine de la ville de Blois, décédé en 1495 et inhumé dans la chapelle de Notre-Dame de Pitié, qu'il avait fait ériger.

Malgré les titres de Guy Pot, les religieux concédèrent ladite chapelle en 1682 à Jean-Baptiste Charron, marquis de Menars, qui y avait fait élection de sépulture. Le marquis devait élever un mausolée dans la chapelle mais sans pouvoir « rien oster de ce qui se trouvait des armes, sépulcre et tombeau » de messire Guy Pot. Pour des raisons demeurées inconnues la concession n'eut pas d'effet et Jean-Baptiste Charron fut inhumé dans l'église paroissiale de Menars.

Les bâtiments réguliers, comme l'église abbatiale, avaient beaucoup souffert des guerres de religion.

Les moines en commencèrent la restauration dès le début du XVIIe siècle et les travaux furent continués par les Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, qui entreprirent bientôt la construction d'un monastère entièrement nouveau.

En 1662, le Roi accorda aux religieux — pour la disposition d'une basse-cour — la portion des fossés de la ville qui s'étendait depuis l'éperon jusqu'à l'église le long des greniers de l'abbaye — c'est-à-dire le long des bâtiments de l'aile occidentale qui conservent encore aujourd'hui les anciens celliers du XIIIe siècle et le chemin de ronde fortifié du XIVe siècle.

La construction des nouveaux bâtiments réguliers commencée en 1663 devait se continuer jusqu'en 1725. Elle fut dirigée vers 1671 par l'architecte Habert et, quelques années plus tard, par un bénédictin de l'abbaye de Saint-Etienne de Caen, Guillaume La Trem-


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blaye, qui fit en 1705 le voyage de Blois pour prendre part à la conduite des travaux.

EXCURSION DU 30 MAI 1920

Visite du château de Blois

La Société des Sciences et Lettres se joint au Syndicat d'initiative de Blois et aux abonnés de la revue Blois et le Loir-et-Cher pour faire une visite archéologique du château de Blois sous la conduite de M. LE Dr LESUEUR.

Dans la Salle des États, M. Lesueur retrace l'histoire des origines du château et décrit sommairement l'aspect de celui-ci au moyen-âge. Puis devant l'aile de Louis XII et celle de François Ier il fait l'historique de la construction de ces deux édifices, qui sont ensuite visités en détail. Enfin, après que M. Lesueur eut exposé dans son ensemble le plan de Mansart, on visite les différentes parties de l'aile de Gaston d'Orléans et notamment les parties hautes de la coupole du grand escalier.

SÉANCE DU 2 JUILLET 1920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

Admission. — M. DUGUET, imprimeur, présenté par M. le Dr Lesueur et M. Cauchie, est élu membre titulaire.


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Bibliographie. — Le président signale dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1919 : I°,p. 129, une communication de M. l'abbé Plat sur la signification des mots capsum et altarium dans la description de la basilique de Saint-Martin par Grégoire de Tours ; 20, p. 250, une communication de M. Emile Chénon sur deux bulles pontificales de 1143 et 1146 confirmant les biens possédés par l'abbaye du Chezal-Benoît et mentionnant' entre autres le prieuré de Cornilly.

Communication. — M. I'ABBÉ GALLERAND fait une communication sur Le serment du clergé de Loir-et-Cher en 1791.

Il y avait en Loir-et-Cher, à la date du serment constitutionnel (janvier-février 1791), 426 prêtres séculiers fonctionnaires publics, donc assujettis au serment. M. l'abbé Gallerand étudie le problème psychologique de leur décision en face du serment. Ce problème est extrêmement complexe. On peut cependant essayer de le résoudre grâce aux nombreuses pièces d'archives (correspondance officielle de ces prêtres, lettres intimes, discours, etc. ). Les questions d'intérêt matériel en décidèrent un certain nombre. D'autres influences vinrent, peser sur les décisions ; elles sont examinées en détail (pressions des hommes officiels, notamment du procureur syndic de Saint-Aignan, Péan ; pressions des châtelains ; pressions des confrères ; mots d'ordre de l'autorité ; le clergé du Loir-et-Cher appartenait à six diocèses différents, d'où diversité dans les directions).

De ces influences variées résulte aussi une grande variété dans les formules de serment (refus, prestation pure et simple, serment avec restrictions, avec préambule...)

A Blois, l'évêque fut un adversaire déclaré du serment.


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Il entraîna dans le refus tout le clergé séculier de sa ville épiscopale, sauf quatre prêtres. Dans le reste du département, les attitudes sont très diverses suivant les régions : dans le Blésois et le Vendômois, nombreux refus ; dans le Perche, beaucoup de serments avec préambule; en Sologne, presque unanimité dans la soumission (influence de l'évêque assermenté d'Orléans, dont dépendait la Sologne).

Sur les 426 prêtres séculiers, fonctionnaires publics, on compte 277 assermentés, 148 insermentés, I douteux. Cette statistique est valable pour la date de mai 1791. Les chiffres ont considérablement varié par la suite (rétractations de 1791 et surtout de 1795).

SÉANCE DU 21 NOVEMBRE I920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président

Décorations. — Le président, au nom de la Société, adresse ses félicitations à deux de ses membres, M. RAYMOND et M. JOSSINET, qui ont été récemment nommés chevaliers de la Légion d'honneur.

Admissions. — M. LE Dr BOUDARD, présenté par M. le Dr Lesueur et M. Cauchie, et M. LE Dr MARMASSE, présenté par M. Cauchie et M. le Dr Ansaloni, sont élus membres titulaires.

Don de Manuscrits. — Le président remet à la Société de la part de Mme Bodroz une importante collection de Notes manuscrites rédigées par M. Bodroz, ancien


-38président

-38président la Société. Il s'agit d'une série de notes sur de nombreuses localités du département, classées par ordre alphabétique, n'occupant pas moins de 22 volumes et constituant un véritable dictionnaire historique et archéologique du Loir-et-Cher. Ces notes, que d'ailleurs M. Bodroz paraît avoir rédigées pour luimême et qu'il ne destinait pas à la publication, ne sont pas, à la vérité, le fruit de recherches personnelles, mais une compilation d'ouvrages connus. Elles n'en seront pas moins un utile instrument de recherches pour les travailleurs qui s'intéressent à l'histoire de notre région.

Bibliographie. — Parmi les ouvrages reçus par la Société, le président signale un volume de M. ChouquetGuillon intitulé « L'esprit des fleurs et des végétaux » et préfacé par notre collègue M. Ragu, et un article de M. de Saint-Venant, dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, mettant au point la question des Limites de la Beauce.

H signale également la publication par M. l'abbé Chesneau de souvenirs d'enfance sous le titre de Contes du Port-Richard, Blois, imp. Duguet, 1920 (Port-Richard est un hameau de la commune de Saint-Laurent-desEaux).

Le président mentionne enfin :

I° Dans le catalogue des Archives de la guerre par L. Tuetey, (Catal. gén. des manuscr. des bibl. publ. de Fr., 3 vol., Paris, Plon, 1912-15-20), plusieurs articles concernant la région blésoise.

2° Dans L'Industrie sidérurgique en France au début de la Révolution, par H. et G. Bourgin (coll. de doc. inéd. sur l'hist. écon. de la Rév. fr., Paris, impr. nat., 1920), un article sur les forges de Fréteval (p. 217-118) ;

30 Dans Le premier jardin des plantes français :


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Création et restauration du jardin du roi à Montpellier par Pierre Richer de Belleval (1593-1632), par L. Guiraud, (Arch. de la ville de Montpellier, t. IV, Montpellier, Roumégous et Déhan, 1920), une note sur un voyage botanique de Paul Reneaume dans la région cévenole (p. 278).

Communication. — M. LE Dr LESUEUR fait une communication accompagnée de projections sur Les monuments de Suèvres. Il parle d'abord des antiquités romaines découvertes en cette ville et notamment de celles mises à jour par les fouilles pratiquées aux Châtelliers en 1849. Il commente ensuite l'inscription conservée dans la sacristie de l'église Saint-Lubin, dédicace d'un monument consacré à Apollon. Puis il étudie un chapiteau de marbre réemployé dans le clocher de SaintLubin, chapiteau qui, d'après une récente et ingénieuse hypothèse de M. l'abbé Plat, serait une oeuvre du Ve ou VIe siècle, peut-être importée de Grèce et destinée primitivement à décorer la confession d'une basilique mérovingienne.

Passant au moyen-âge, M. Lesueur décrit l'enceinte fortifiée de Suèvres, jadis percée de cinq portes, dont une seule, la porte de Gâtines, subsiste aujourd'hui.

Après avoir dit quelques mots de l'église Saint-Martin, actuellement désaffectée, il entreprend une étude plus détaillée de Saint-Christophe, et plus particulièrement de son intéressante nef carolingienne. Il cherche notamment à restituer l'aspect primitif de cet édifice et à distinguer de la construction antérieure à l'an mille les modifications apportées à une date très ancienne, probablement au XIe siècle, et les remaniements d'époque plus récente. Enfin, après avoir décrit les agrandissements faits à ce monument au XIIe et au XVIe


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siècles, il remet à une prochaine séance l'étude des vitraux, ainsi que celle de Saint-Lubin et des autres monuments de Suèvres.

SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 1920

Présidence de M. LE Dr LESUEUR,. président

Admissions. — MME BELTON et MME LESUEUR, présentées par M. Belton et M. le Dr Lesueur, sont élues membres titulaires.

Communication.— M. LE Dr MEUSNIER présente à la Société trois Lettres autographes et inédites de Bonaparte à sa femme. On sait que Bonaparte avait dû partir pour la campagne d'Italie immédiatement après son mariage avec Joséphine de Beauharnais. Aux lettres enflammées qu'il lui écrivait et aux objurgations qu'il lui adressait de venir le rejoindre, Joséphine répondait bientôt qu'il lui était impossible de quitter Paris, parce qu'elle se croyait enceinte. C'est à cette prétendue grossesse que se rapportent les lettres présentées par M. le Dr Meusnier. Bonaparte accueille cette nouvelle avec enthousiasme, et ses lettres, où sa joie d'être père se mêle aux accents de la tendresse la plus passionnée pour celle à qui il croyait devoir ce bonheur, nous font connaître le jeune et ardent général en chef de l'armée d'Italie dans ses sentiments les plus intimes. Ce sont là d'intéressants témoignages à ajouter à tous ceux utilisés par M. Frédéric Masson dans son enquête sur Napoléon et les femmes.


— 41 — SÉANCE DU 16 JANVIER 1921

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Bibliographie. — Le président signale la récente publication d'un volume de M. Pierre Rain, intitulé Les chroniques des châteaux de la Loire, Paris, Pierre Roger, s. d. Sans prétendre apporter à l'érudition beaucoup de faits nouveaux et de renseignements inédits, ces « chroniques » mettent à la portée du public et présentent agréablement une suite de récits dispersés jusqu'ici dans diverses publications et se rattachant tous à l'histoire des plus belles demeures des régions blésoise et tourangelle.

Découverte archéologique. — Le président rend compte de la découverte d'une chaussée romaine, faite au mois de septembre dernier dans la rue des Minimes, en posant des canalisations d'eau, et signalée à la Société parnotre collègue M. LE Dr ANSALONI. La tranchéefaite au milieu de la rue mit à jour cette chaussée à une profondeur de 60 centimètres environ, depuis la maison portant le n° 18 jusqu'à la rue Franciade. Il est à noter que, le niveau de la rue ayant été abaissé d'au moins 1 mètre au cours du siècle dernier, la chaussée romaine se trouvait par rapport à l'ancien niveau, à plus de 1 m. 60 de profondeur. Le dallage se composait de gros blocs irréguliers, larges d'environ 40 centimètres, épais de 30, très usés à leur surface par le passage des voitures. Au bas de la rue, la chaussée paraissait obliquer vers le sud, dans la direction de la porte chartraine.

Communication. — M. LE Dr LESUEUR, continuant


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son étude sur Les monuments de Suèvres, parle des vitraux de l'église Saint-Christophe. Ces vitraux, du XVIe siècle, devaient décorer autrefois toutes les fenêtres de l'église. Ils ont malheureusement été fort mutilés et leurs fragments ont été réunis sans aucun ordre, vers 1840, dans les fenêtres de l'abside. Ils renferment néanmoins quelques morceaux d'une très belle qualité. On y remarque, notamment, quatre scènes de la vie du Christ après la passion, deux scènes d'une légende des pélerins de saint Jacques, qui rappelle celles de Cour-sur-Loire, et deux importants fragments d'un « Pressoir mystique ». Celui-ci est à rapprocher du célèbre vitrail de SaintÉtienne-du-Mont, à Paris, et d'une gravure du Cabinet des Estampes, publiée par M. Mâle (L'art religieux de la fin du moyen-âge en France, p. 116), mais le vitrail de Suèvres, qui peut dater au plus du milieu du XVIe siècle, est bien antérieur à ces deux représentations.

M. Lesueur étudie ensuite l'église Saint-Lubin. Cette église, donnée en 895 à la collégiale Saint-Martin de Tours, à laquelle elle appartint jusqu'à la Révolution, fut désaffectée en 1791, vendue comme bien national, puis rachetée et offerte, en 1836, pour être rendue au culte, à la fabrique de Suèvres, qui la fit restaurer vers le milieu du siècle dernier, avec le concours de M. l'abbé Morin, curé de Suèvres, et de M. d'Alès, propriétaire du château des Forges. C'est de cette restauration que datent l'abside, la voûte du collatéral sud du choeur, et probablement aussi celles du collatéral nord et des bascôtés de la travée du clocher. C'est à cette époque égale-, ment que fut abattue la nef lambrissée, qui complétait l'église vers l'ouest, et que fut transporté, où on le voit aujourd'hui, le portail latéral actuel, qui n'était autre que le portail occidental de la nef détruite, ainsi qu'en fait foi un croquis communiqué par Mme la princesse


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de T'Serclaes, propriétaire actuelle du château des Forges. L'église avait déjà subi une restauration importante au début du XVIe siècle, époque à laquelle avait été construit ce portail et où l'église avait été considérablement surélevée extérieurement. A l'intérieur, le choeur, avec ses deux travées couvertes, l'une d'une voûte d'ogives très primitive et: l'autre d'une voùte d'arêtes, paraît dater du milieu du XIIe siècle. Quant à la travée couverte d'une coupole et au gracieux clocher qui la surmonte, dont la date a été récemment encore fort contestée, M. Lesueur les attribue au XIe siècle. Le caractère archaïque de la construction, l'appareil à larges joints avec emploi assez singulier de briques posées verticalement, la disposition des piles à ressauts rectangulaires, terminées par une simple imposte, et des arcs en plein cintre à double voussure, les motifs archaïques (damiers, torsades) de la sculpture ornementale, le caractère très fruste des chspiteaux, tout porte à croire, conformément à l'opinion émise par M. l'abbé Plat, que cet édifice, malgré la sobre élégance de ses lignes, n'est pas de beaucoup postérieur à l'an mille.

M. Lesueur termine en donnant quelques renseignements sur le château des Forges, élevé à la fin du règne de Louis XII, pour Jacques Lebordier, par deux maîtres maçons de Châteaudun, Pierre Justin et Guillaume Guillemin, et sur le château de Diziers, dont l'aile orientale, flanquée de tours, appartenait sans doute à une demeure élevée au commencement du XVIe siècle par Pierre de Saintré et Jacqueline de Ronsard, et dont l'aile nord,— qui allait être habitée quelques années plus tard par Mme Guyon, la célèbre quiétiste, amie de Fénelon,— fut rebâtie entre 1660 et 1680 par François Le Ma re de Villeromard.


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SÉANCE DU 27 FÉVRIER I921

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Admission. — MME FLORANCE, présentée par M. Florance et M. le docteur Lesueur, est élue membre titulaire.

Bibliographie. — Le président signale la récente publication d'une étude de M. J.-G. Lafore, intitulée Les chapiteaux du cimetière couvert de Saint-Saturnin dans le faubourg de Vienne à Blois, Toulouse, impr. Salze-Petel, s. d. (1921), ouvrage qui est en réalité une monographie complète du cimetière de Saint-Saturnin accompagnée de nombreux dessins de l'auteur.

Décoration. — Le président a le plaisir de faire part à la Société qu'un de ses membres, M. le Dr ANSALONI, vient d'être nommé chevalier de la Légion d'honneur. Il est chargé de lui transmettre les félicitations de ses collègues.

Communication. — M. BELTON communique à la Société, d'après une correspondance absolument inédite, les renseignements qu'il possède sur Eugène Hugo, le frère aîné de Victor et son camarade d'études à la pension Cordier et au collège Louis-le-Grand, et avec lequel il commença des études de droit. Les deux frères vivaient ensemble dans un accord touchant, supportant courageusement leur pauvreté. Mais Eugène devint fou à une époque contemporaine du mariage de Victor. '

On a prétendu que ce mariage avait été la cause de la folie du pauvre Eugène, qui aimait la fiancée de son


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frère, et que l'accès aurait éclaté subitement la nuit même des noces. M. Belton établit qu'il n'en est rien, et que, depuis la mort de sa mère, Eugène donnait des signes non équivoques de dérangement d'esprit. La situation s'aggravant, on fut obligé de le faire interner à Bicêtre, au commencement de 1823.

Le général vint l'y chercher et l'emmena chez lui, à Blois, où il parut se remettre un peu. Mais l'amélioration fut de courte durée, et, au mois de mai, nous le trouvons à la Salpêtrière, chez le docteur Esquirol, où il ne resta pas longtemps. De là, on le transféra à la maison de Saint-Maurice-Charenton, où il trouva quelque amélioration, mais bien fugitive.

Au commencement de 1825, le général reçoit de très mauvaises nouvelles : Eugène est devenu complètement gâteux et inguérissable. Il vécut encore 10 ans et ne mourut que le 20 février 1837.

SÉANCE DU 8 AVRIL I92I

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Dons d'ouvrages. — M. le Dr Lesueur, président, remet sur le bureau deux brochures de M. Jules Brosset : Jean-Baptiste Isnard, Facteur de Grandes Orgues au XVIIIe siècle (1726-1788), et Jean-Jacques-Firmin Vimeux, Maître de. Chapelle de la Cathédrale d'Orléans (1798-1855,) ; et une brochure de M. Hubert-Fillay : Mon Blois à moi (impressions de Victor Hugo sur Blois), toutes les trois, hommages des auteurs à la Société.


-46Bibliographïe.

-46Bibliographïe. Le président signale le volume très documenté que M. Jean Mariéjol vient de consacrer à Catherine de Médicis, Paris, Hachette, 1920 (compte-rendu dans la Rev. des Etudes hist., oct.-déc. 1920, p. 542).

Il mentionne également la récente publication des OEuvres du sieur de Sigogne. Ce poète contemporain de Henri IV appartenait à la famille de Beauxoncles, qui possédait au XVIe siècle le fief de Sigogne, près de Marchenoir.

Présentation de miniatures. — Le président communique deux miniatures représentant les deux premiers évêques de Blois, Mgr de Bertier et Mgr de Caumartin, et propose leur acquisition pour le Musée.

Communication. — M. L'ABBÉ GALLERAND fait une communication sur Une phase de la Terreur en Loiret-Cher : La Grande Panique de Décembre 1793.

M. l'abbé Gallerand raconte les événements de la première quinzaine de décembre 93, — la période la plus houleuse de la Terreur chez-nous. A la. nouvelle que l'armée vendéenne, victorieuse à Pontorson, à Dol, à Autrain, redescendait rapidement vers la Loire, dans l'intention de repasser le fleuve, les autorités blésoises s'affolèrent, dans la crainte d'une invasion du département. Une double série de mesures parut s'imposer d'urgence : se protéger contre les envahisseurs et donc mettre le pays en état de défense : ce fut l'oeuvre de Conseil général ; — se protéger contre les ennemis de l'intérieur (et l'on entendait par là les « aristocrates », les prêtres et tous les gens suspects) : ce fut l'oeuvre du Comité Central de Surveillance.

M. l'abbé Gallerand suit jour par jour la fiévreuse ac-


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tivité où vécut alors le Conseil général : les alternatives d'épouvantes et d'espoir ; les courriers se succèdant presque d'heure en heure de Blois au « front » et du « front » à Blois ; les commissaires volant vers les limites nord-ouest du département pour organiser la défense dans les districts de Vendôme et de Mondoubleau ; les dépêches implorant des secours en troupes et en munitions près des départements. voisins ; les consignes d'extrême rigueur auxquelles Blois fut soumis par le député Guirnberteau ; les plans grandioses de défense stratégique dont on commença la réalisation, etc..

En fait d'activité, le Comité de surveillance ne le cédait en rien au Conseil général. Dans une séance secrète, tenue par ce Comité en la nuit du 3 décembre, de très graves décisions furent prises, — et suivies d'exécution immédiate : cette nuit-là, quatre-vingtdix-sept personnes, déclarées « ennemis de la Patrie », furent arrêtées dans la ville, parfois en d'odieuses circonstances. Le lendemain la mesure fut étendue aux autres districts ; des arrestations nombreuses et arbitraires, — le Comité l'avoua, — furent opérées à SaintAignan, à Mer, à Romorantin. A ce moment le bruit courut qu'un immense complot se préparait, tramé par les prêtres, — les prêtres constitutionnels. Sur le champ,des commissaires partirent secrètement, avec ordre de fouiller, dans le même temps, tous les presbytères et de visiter tous les papiers des prêtres. Quelques arrestations furent encore opérées, pour des motifs d'ailleurs ridicules, dont M. Gallerand cite un certain nombre. Pas ombre de conjuration ne fut découverte.

Les prisons cependant regorgeaient, et l'on eut peur que, dans le cas d'invasion, les Vendéens ne trouvassent dans tous ces détenus de précieux auxiliaires. L'évacua-


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tion des prisonniers fut donc décidée. On discutait, le soir du 8 décembre, sur cette question, quand arriva à Blois un convoi de suspects et de prêtres, venant de Saurnur et dirigé sur Orléans ; le chef du convoi, Lepetit, avait massacré depuis Saumur environ huit cents de ses prisonnias ; il lui en restait deux cents. A la demande de deux terroristes blésois, il en fit fusiller' encore neuf, près de l'auberge de Château-Gaillard ; les détails de ce drame sont ignobles de férocité. Or c'est à ce Lepetit que quelques blésois voulaient que l'on confiât, pour un transfert à Orléans, les gens détenus dans les prisons de la ville.

Le Comité de surveillance s'y opposa ; il laissa partir Lepetit et son convoi. Il opéra lui-même un triage et fit des suspects trois parts : les uns furent élargis avec ou sans caution ; les autres furent évacués sur Orléans, aumilieu de circonstances dramatiques ; le reste fut transféré à Pont-Levoy, où ils reçurent un charmant accueil de la part de Doîn Chappotin, — un pur sansculotte, mais un parfait homme du monde. C'était le 13 décembre. Le lendemain on apprenait la déroute vendéenne au Mans, donc la cessation du péril ; et en même temps on mettait à exécution le décret de la Convention, qui supprimait les Conseils généraux et les Comités de surveillance de département : l'un et l'autre corps se dissolvait après une rude mais néfaste besogne.

SÉANCE DU 6 MAI 1921

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président. Admission. — M. BRO, conservateur des hypothèques,


-49présenté

-49présenté M. le Dr Lesueur et M. Cauchie, est élu membre titulaire.

Affaire de Chambord. — Le président signale le jugement rendu par M. RAYMOND, président du Tribinal civil de Blois, dans l'affaire de Chambord, le 27 avril 1921. Cette ordonnance, accompagnée de considérants étendus, a été publiée dans le journal L'Avenir du Ier mai 1921.

Bibliographie. — A ce propos le président signale les deux ouvrages suivants :

Prince Sixte de Bourbon, Chambord et la maison de France, Paris, Champion, 1920 ; Antoine Lestra, Les Bourbons à Chambord, dans la Revue Hebdomadaire des 23 et 30 avril 1921.

Communication. — M. HONNORAT, directeur du service des eaux, fait une communication sur Les compteurs dans les distributions d'eau, avec de nombreuses pièces de démonstration.

EXCURSION DU 22 MAI I92I

à Menars, Cour-sur-Loire et Suèvres

Réunis à 1 heure, place Victor-Hugo, au nombre de 45 environ, les excursionnistes prennnent place dans des automobiles, qui les conduisent d'abord au château de Menars, premier but de l'excursion. Dans la cour d'honneur du château, M. LE Dr LESUEUR, président de la

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Société, donne quelques renseignements sur l'histoire de cette célèbre demeure, dont la construction fut commencée au XVIIe siècle par Guillaume Charron et son neveu Jean-Baptiste Charron, président de Menars, le beau-frère de Colbert, mais dont la splendeur est due surtout aux transformations que lui firent subir Mme de Pompadour, puis son frère, le marquis de Marigny. M. Lesueur rappelle que les travaux furent confiés successivement aux deux plus illustres architectes de ce temps, Gabriel, l'auteur du Petit Trianon et de la place de la Concorde, et Soufflot, le constructeur du Panthéon, et que les sculptures qui ornaient les jardins, oeuvres de Pigalle, Coustou, Adam, Lemoyne, Vinache etc., constituaient une des plus riches collections de l'Europe. A défaut de ces oeuvres d'art aujourd'hui dispersées, les excursionnistes admirent quelques glaces et boiseries, vestiges du mobilier délicat et raffiné de la favorite, et visitent successivement le grand parterre et sa charmante rotonde, le parterre de l'orangerie, le jardin anglais du « Bois bas », la pièce d'eau avec la grotte « piccola ma garbata » et la grande allée de tilleuls, qui font encore de Menars une des résidences les plus séduisantes de notre région. Cour-sur-Loire, que l'on atteint en quelques minutes en traversant le parc de Menars, fut, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle la résidence de Jacques Hurault, le trésorier de Louis XII. C'est lui qui construisit le château, et c'est encore lui et ses descendants qui restaurèrent l'église et la dotèrent de beaux vitraux, qu'on y voit encore aujourd'hui. Les sociétaires, qui sont très aimablement reçus au château par Mme la marquise de Fiers et à l'église par M. l'abbé Garreau, curé de la paroisse et auteur d'une intéressante monographie de Cour-sur-Loire, admirent surtout ces belles


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verrières, les plus remarquables de toute la région blésoise.

Les monuments de Suèvres ont un intérêt plus spécialement archéologique. Après avoir parcouru les rues de la ville et jeté un coup d'oeil aux vieilles maisons, aux vestiges de l'église Saint-Martin, aux restes des fossés et des remparts, les excursionnistes s'arrêtent plus longuement à l'église Saint-Lubin, qui est l'objet de quelques commentaires archéologiques, et au château des Forges, où ils sont gracieusement accueillis par Mme la princesse de T'Serclaes. A Saint-Christophe, où les accompagne M. l'abbé Pitard, curé de Suèvres, ils étudient principalement l'intéressant pignon carolingien et les restes des vitraux du XVIe siècle, parmi lesquels on distingue notamment des fragments d'un « Pressoir mystique. »

La journée se termine enfin par la visite du château de Diziers, dont le principal corps de logis, du XVIIe siècle, s'accompagne d'une aile de la Renaissance flanquée de tours. Cette vieille demeure séduit par ses beaux ombrages, ses larges douves remplies d'eau courante, et aussi par les souvenirs qu'y ont laissés les Saintré, les Ronsard, les Dangeau, et surtout Mme Guyon, qui habita Diziers plusieurs années après son emprisonnement à la Bastille.

SEANCE DU 3 JUIN 1921

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président. Admission. — M. LE Dr OLIVIER, présenté par


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M. le Dr Lesueur et M. Cauchie, est élu membre titulaire.

Bibliographie. — M. le Dr Lesueur signale la publication, sous le titre Une fille de Napoléon, des mémoires d'Emilie de Pellapra, princesse de Chimay (introduction de la princesse de Bibesco, préface de Frédéric Masson, Paris, éditions de la Sirène, 1921). Mme la princesse Bibesco a publié sous le même titre un article dans la Revue des deux mondes du 15 mars 1921. Fille de Napoléon et de Mme Pellapra, née Emilie Leroy, que l'empereur aurait connue à Lyon en 1809, Emilie de Pellapra devint par suite de deux mariages successifs, comtesse de Brigode, puis princessse de Chimay, et fut propriétaire du château de Menars de 1827 à 1871. La princesse de Chimay et sa mère reposent aujourd'hui toutes les deux dans le cimetière de Menars.

Communication. — M. LE Dr LESUEUR donne connaissance à la Société de Documents concernant l'ancien hôtel Hurault, situé rue Saint-Martin, n° 18, documents qui lui ont été obligeamment communiqués par le propriétaire actuel, M. Dumesny. Cette maison, qui était contiguë à l'église Saint-Martin et qui s'élève sur des caves du XIIIe siècle, paraît dater de l'époque de. Louis XII et a conservé, on le sait, d'intéressants détails d'architecture de ce temps. Depuis le XVIIe siècle, elle est communément appelée « le Louvre » ou « le Petit Louvre ». Les actes de ventes successifs permettent de restituer la série complète des propriétaires depuis 1642, époque à laquelle l'hôtel sortit de la famille Hurault, jusqu'à nos jours. Les renseignements sont malheureusement moins complets et moins précis pour


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la période antérieure. Néanmoins, des contestations s'étant élevées à diverses époques entre l'église SaintMartin et les propriétaires de l'hôtel Hurault, on trouve dans les papiers de ceux-ci plusieurs mentions ou copies de titres anciens appartenant aux archives de SaintMartin et susceptibles de nous donner d'utiles indications sur cette demeure.

Nous apprenons ainsi qu'il existait primitivement en cet endroit une maison appelée Le Morier, qui fut acquise en 1477 par un certain Richard Fourniguet, bourgeois de Blois. Nous ignorons qui la posséda ensuite et qui la fit reconstruire au début du XVIe siècle, mais nous savons qu'elle appartenait à un nommé Philippe Geufrion en 1573 et à sa veuve en 1582. D'autre part le 17 décembre 1584 une rente était « assise et assignée » sur cette maison au profit de l'Hôtel-Dieu « par hault et puissant seigneur Philippe Hurault, chevallier, vicomte de Cheverny, chancelier de France », qui l'aurait par conséquent acquise entre 1582 et 1584. Le chancelier la posséda jusqu'à sa mort survenue en 1599, après quoi elle appartint successivement à deux de ses fils, Louis Hurault, comte de Limours, et Henri Hurault, comte de Cheverny, lequel la vendit le 26 juillet 1642.

Les titres de l'hôtel Hurault nous font connaître également l'état de cette demeure aux différentes périodes de son histoire et les travaux qu'y firent faire certains propriétaires. En 1749, notamment, elle eut à subir d'importantes réparations, une fenêtre fut privée de ses meneaux et une grande cheminée de pierre de la Renaissance fut détruite « pour être refaite en une cheminée à la mode ».

Ces documents nous donnent enfin de nombreux renseignements sur l'église Saint-Martin. Des lettres de Marie, duchesse d'Orléans, mère de Louis XII, du


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10 février 1477, nous apprennent que l'« église parroychialle de M. Sainet Martin de Blois » était « si petite que la tierce partie des paroissiens ne pouvoit convenablement estre à une fois en icelle église » et que les dimanches et fêtes, ils devaient rester « en la rue, hors d'icelle église, pour oïr la grant messe, vespres et autres services ». Aussi la duchesse accorde-t-elle l'autorisation de prolonger l'église vers l'ouest jusqu'au « roq et muraille de nostre chastel de Blois », en se réservant le droit de faire détruire cette construction « s'il advenoit qu'il y eust guerre ou autre mauvais temps ou fortune » et s'il était nécessaire « pour la seureté de nostre dit chastel », et en 1536 l'édifice est-il agrandi de nouveau par l'acquisition d'un « derrière de maison » appartenant à un certain Lemasne et occupant l'emplacement d'un passage par où l'on descendait antérieurement de la « grant cour » du château à la ville (Cf. communication de M. Pierre Lesueur, séance du 16 juin 1911).

L'église Saint-Martin et là maison du Louvre étaient d'ailleurs unis par de nombreuses servitudes. La tourelle en encorbellement qui occupe encore l'angle de la cour renfermait à chaque étage un oratoire s'ouvrant directement sur le choeur de l'église. Il y avait d'autre part dans l'église une chapelle de Notre-Dame fondée par les seigneurs de Cheverny et .ornée de leurs armes, qui était « bastie sous la terrasse et dans le terrain de la maison ». Il en était de même d-'une partie de la sacristie. Deux fenêtres de l'église s'ouvraient d'ailleurs sur la cour de l'hôtel et les propriétaires de celui-ci étaient tenus d'entretenir certaines gouttières de l'église.

Désaffectée en 1791, l'église Saint-Martin fut achetée par la ville qui la fit démolir pour agrandir la rue. Le cahier des charges de la démolition nous apprend que


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l'église avait un clocher de charpente, auquel on montait par une tourelle d'escalier, et une « galerie soutenue par des arcades » séparant sans doute la nef d'un bas-côté méridional.

EXCURSION DU 15 JUIN 1921

Visite archéologique de l'église Saint-Saturnin et de son cimetière du XVIe siècle

Le mercredi 15 juin 1921, la Société a organisé une visite à l'église Saint-Saturnin, de Vienne, et à son ancien cimetière. A 5 heures, les sociétaires et leurs invités sont réunis, au nombre de près de 150, à l'église Saint-Saturnin, où ils sont très aimablement reçus par M. l'abbé Motte, curé de la paroisse, et M. LE Dr LESUEUR, président de la Société, donne quelques renseignements sur l'histoire de ce monument.

L'église Saint-Saturnin possède encore un mur du Xe ou XIe secle, visible dans le comble du collatéral sud. Ce mur, construit en petit appareil, était percé de plusieurs fenêtres, dont le cintre est entouré d'une rangée de briques. L'édifice primitif subit par la suite de très nombreuses modifications. Le clocher central paraît dater du XIVe siècle. Au XVe siècle, le choeur fut reconstruit et la nef couverte d'un lambris (dont la trace est visible dans le comble) et pourvue de collatéraux ; c'est de cette époque, en effet, que datent les arcades sud de la nef et la plupart des fenêtres des bas-côtés.

Mais une reconstruction sur un plan beaucoup plus grandiose fut entreprise à l'époque de Louis XII. C'est


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-56alors furent élevées la façade avec son beau portail et la base de la tour, et c'est vers le même temps, sans doute, que l'on construisit les élégantes chapelles NotreDame-des-Aydes et Saint-Jacques (aujourd'hui du Sacré-Coeur), qui étaient sans doute les dernières travées des collatéraux projetés et qui ont malheureusement été très altérées extérieurement. Tout cela est d'ailleurs resté inachevé et l'église s'accrut seulement les années suivantes de deux petites chapelles corporatives dédiées à Sainte-Anne (fendeurs de bois) et à saint Pierre (pêcheurs). Cette dernière, fort gracieuse, porte la date de 1528.

Lors de la prise de Blois par les huguenots, en 1568, l'église fut en partie ruinée. Elle fut restaurée de 1568 à 1575, époque à laquelle furent construites les arcades du collatéral nord et les voûtes, malheureusement trop basses,de la nef et des bas-côtés. Sous Louis XIII, enfin, on fit un nouveau projet de reconstruction, d'ailleurs moins vaste que celui du siècle précédent, mais on n'exécuta que les parties hautes du clocher, de la façade et les deux premières travées de la nef.

Les visiteurs examinent ces différentes parties de la construction et les oeuvres d'art conservées dans l'église, notamment les bâtons de confrérie, la peinture allégorique commandée à Jean Mosnier pour commémorer la délivrance de la ville après la peste de 1631, et la belle statue de la Vierge, du XVIIe siècle, provenant de l'abbaye d • La Guiche et qui s'élève sur l'autel de NotreDame des Aydes.

Après avoir traversé l'ancienne rue du Poirier (aujourd'hui rue Munier), les sociétaires vont visita le monument qui fait face à l'église et qui est connu communément sous le nom de « cloître de Vienne ». C'est là, en fait, un des rares cimetières entourés de galeries qui


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subsistent en France. Une partie du terrain sur lequel il s'élève fut achetée par les marguilliers de Saint-Saturnin en 1515 et 1516 (Arch. dép. de Loir-et-Cher, G. 1028). Il a donc probablement été construit dans les premières années du règne de François Ier, dont un des chapiteaux porte d'ailleurs la salamandre.

On admire particulièrement le beau travail de charpente des galeries supportées de trois côtés par des poteaux de bois et sur le quatrième par des piliers de pierre. Ceux-ci ont d'intéressants chapiteaux, décorés tantôt de motifs empruntés au répertoire habituel des ornemanistes de la Renaissance, tantôt d'attributs funéraires ou de scènes de la danse macabre.

L'administration des Beaux-Arts a entrepris la réfection des toitures et, bien que l'édifice risque d'y perdre un peu de son charme, on ne peut que souhaiter, dans l'intérêt de sa conservation, que cette restauration soit continuée. Mais il serait surtout désirable, quels que soient les sacrifices financiers nécessaires, de changer l'affectation actuelle de ce monument, qui, au mépris de sa valeur artistique et de son intérêt archéologique, a été transformé en buanderie pour l'hôpital général.

SÉANCE DU 8 JUILLET 1921

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Admission.— M. LEGRAND, pharmacien, présenté par M. le Dr Boidard et M. Cauchie, et MME LE Dr VETEAU, présentée par M. le Dr Lesueur et M. Honnorat, sont élus membres titulaires.


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Publication d'un volume de Mémoires. — Le président rend compte d'une réunion récente du bureau de la Société, qui a envisagé la prochaine publication d'un nouveau volume de Mémoires. Les sociétaires qui désirent faite paraître un travail dans ce volume sont priés d'en aviser un des membres du bureau.

Prix du Collège. — Une somme de 25 francs est accordée, suivant l'usage, pour offrir un prix au Collège de Blois.

Découvertes archéologiques — Le président signale qu'une tranchée, pratiquée pour poser des conduites de gaz devant la mairie, a mis à jour, près de l'angle est de ce monument, à 25 centimètres au-dessous du trottoir, la base d'une ancienne tour des fortifications de la ville. Cette tour, autant qu'on peut en juger par la faible partie déblayée, devait avoir 7 à 8 mètres de diamètre ; son parement extérieur s'avançait à I m. 80 environ en avant de la façade actuelle de la mairie. Elle se composait d'une partie verticale, dont il ne subsiste plus que l'assise inférieure, reposant sur un soubassement incliné amorti par une moulure. Elle était construite en belles pierres de taille de moyen appareil parfaitement conservées. Il semble qu'on puisse la dater du XVe ou du commencement du XVIe siècle. Cette tour est d'ailleurs bien visible sur les vues de Blois de la fin du XVIe siècle.

Le président donne communication d'une lettre de M. Jouvellier, membre de la Société Archéologique de l'Orléanais, signalant la récente découverte, dans la région de Verdes, d'un trésor se composant d'un grand nombre de pièces de cuivre et de bronze et de quelques pièces d'or ; mais ce trésor fut vendu et dispersé dès que mis à jour.


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Congrès d' Archéologie. — Le président rend compte du Congrès d'archéologie qui, cette année, s'est tenu à Limoges et à Brives, et à une partie duquel il a pu assister. Il signale, notamment, parmi les points étudiés par le Congrès : I° l'analogie entre la coursière supportée par des modillons, qui règne au-dessus des grandes arcades dans la nef de la cathédrale de Tulle, et celle de l'église Saint-Lomer, de Blois, analogie bien mise en valeur par M. Lefèvre-Pontalis, directeur du Congrès ; 2° la parenté de certaines sculptures décoratives du château de Montai avec les productions des ateliers de la région de la Loire et du château de Blois en particulier.

Communication. — M. L'ABBÉ GALLERAND fait une communication sur La lutte des évêques Thémines et Grégoire au printemps de 1791. Ce travail sera publié dans les Mémoires de la Société.

EXCURSION DU 24 JUILLET 1921 à Vendôme

Les membres de la Société, partis de Blois par le premier train, sont reçus à 9 heures par M. Peltereau, président, et M. l'abbé Plat, secrétaire de la Société archéologique du Vendômois, qui veulent bien diriger l'excursion. La visite du château, tant à l'intérieur, dans le beau jardin appartenant à M. Pinault, qu'à l'extérieur, permet d'étudier la vaste enceinte fortifiée et les vestiges (XIe siècle) de l'ancienne collégiale Saint-Georges. Elle est complétée par l'exploration des souterrains


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creusés dans le rocher sous la forteresse. La visite de la curieuse chapelle romane Saint-Pierre-la-Motte, celle de l'Hôtel-de-Ville et de plusieurs maisons anciennes, notamment d'une belle maison du XVIe siècle dite « hôtel des monnaies », terminent la matinée.

L'après-midi est presqu'entièrement consacrée à la Trinité. Les excursionnistes parcourent d'abord les bâtiments de l'abbaye, notamment le grand bâtiment du XVIIIe siècle servant de caserne, les restes du cloître, la salle capitulaire, la chapelle des XIe et XIIIe siècles, les greniers romans, le charmant logis de l'abbé (XVIe siècle). Puis ils visitent l'église elle-même ; ils suivent les diverses étapes de sa construction depuis le transept, qui date en partie de 1040 avec des réfections du XIIIe siècle de style angevin, jusqu'à la grande nef édifiée en plusieurs campagnes au cours des XIVe, XVe et XVIe siècles ; ils admirent la clôture du choeur, les stalles, les statues, les vitraux ; enfin ils étudient le magnifique clocher roman, un des chefs-d'oeuvre de l'architecture française du XIIe siècle. Cette visite est rendue parfaitement claire et très intéressante grâce aux explications données par M. l'abbé Plat, qui veut bien faire profiter les membres de la Société de sa parfaite connaissance du monument. La journée se termine par la visite du musée et de la chapelle du lycée.

SÉANCE DU II NOVEMBRE I921

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président. Dons d'ouvrages. — Le président remet à la Société


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de la part des auteurs une notice illustrée sur Mennetousur-Cher, par MM. Marcel Aubert et Hubert Fillay (Blois, éd. du Jardin de la France, 1921), et une notice sur Le mortier gaulois en pierre pour broyer et moudre les grains, présentée par M. Florance au Congrès de l'A. F. A. S., 1921.

Bibliographie. — Il signale également parmi les ouvrages récemment parus :

Un volume de M. l'abbé Chesneau, Un représentant du peuple du Loir-et-Cher, le Dr François-Joseph Ducoux (1808-1873) d'après ses papiers politiques (Blois, Duguet, 1921) ;

La publication, avec introductions et notes, par M. Pierre Dufay, d'un Recueil de poésies diverses du Vendômois Robbé de Beauveset (Paris, Jean Fort, 1921) ;

Une notice de M. Hubert-Fillay sur Le 113e à Signeulx (Blois, Froger, 1921) ;

Le compte rendu de l'Inauguration de la statue de Jeanne d'Arc, à Blois, le 13 août 1921 (Blois, Duguet, 1921).

Subvention. — Le président donne lecture d'une lettre de M. le préfet lui faisant connaître que le Conseil général a voté en faveur de la Société une subvention de 200 francs.

Publication d'un volume de Mémoires. — Le

président rend compte des travaux du comité de publication. Il est décidé que le prochain volume de Mémoires comprendra : I° Les procès-verbaux des séances tenues depuis la guerre ; 2° Une étude de M. Belton sur Les oeuvres d'art réfugiées au château de Blois pendant la


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guerre ; 3° Une étude du même auteur sur L'adolescence de Victor Hugo, d'après une correspondance inédite ; 4° Un travail de M. l'abbé Gallerand sur La lutte entre les évêques Thémines et Grégoire au printemps de 1791 ; 5° Une étude de M. Florance sur Le souterrain refuge du Reménier ; 6° Une notice archéologique de M. le' Dr Lesueur sur L'église et l'abbaye de Saint-Lomer.

Candidature. — Le président fait part de la prochaine candidature comme membre de la Société de M. Gabriel Hanotaux, de l'Académie française.

Renouvellement du bureau. — Les pouvoirs du bureau, qui avaient été par suite de la guerre, prorogés jusqu'en 1921, étant expirés, il est décidé qu'il sera procédé à son renouvellement à la prochaine séance.

Communication. — M. le Dr Lesueur, à propos d'un article récent (J. Six, Un grand bronze de Michel-Ange au Louvre, dans la Gazette des Beaux-Arts, mars 1921) parle de la statue de David de Michel-Ange, qui s'élevait autrefois au milieu de la cour du château de Bury, et étudie les différents travaux qui ont traité cette question.

Bien que cette statue ait été signalée dès le XVIe siècle par Vasari (Vite de piu eccellenti pittori, scultori e archittetti, éd. 1760,-t. III, p. 206) et par Condivi (Vita di Michelagniolo Buonarroti, chap. XXII), c'est seulement depuis les travaux de Reiset (Un bronze de Michel-Ange, dans L'Athenoeum français, 1853, p. 488, 516 et 559) qu'on en connaît l'histoire. Cet érudit nous apprit qu'elle avait été commandée le 12 août 1502 à Michel-Ange par la Seigneurie de Florence, pour être offerte au maréchal de Gié, qui avait exprimé le désir d'avoir une figure semblable au célèbre David de Donatello, qui s'élevait


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-63alors la cour du Palazzo vecchio. Quoique le sculpteur se fût engagé à la livrer dans un délai de six mois, elle n'était pas encore terminée en 1504, lorsque le maréchal de Gié tomba en disgrâce et que Michel-Ange dut quitter Florence pour satisfaire aux exigences du pape Jules II. Mais quelques années plus tard il était question de l'offrir à Florimond Robertet, dont la Seigneurie, très endettée vis-à-vis de la France, cherchait à se ménager les bonnes grâces, et le 6 novembre 1508 elle partait pour la France. La nombreuse et fort curieuse correspondance échangée à ce sujet entre la Seigneurie et les ambassadeurs florentins a été publiée par Giovanni Gaye (Carteggio inedito d'artisti dei secoli XIV, XV, XVI, Florence, 1840) et savamment commentée par Reiset (op. cit.).

Cette correspondance nous fait savoir que Robertet avait l'intention de placer la statue sur une colonne de marbre — qu'il aurait bien voulu également se faire offrir — « dans la cour de sa maison de Blois nouvellement construite (murato di nuovo) », c'est-à-dire de l'hôtel d'Alluye. Mais La Saussaye (Blois et ses environs, art. Bury) a montré qu'il la fit transporter de là à son château de Bury, comme en témoigne la mention qui en est faite dans l'Itinerarium Gallioe de Jodocus Sincerus (1616) et dans l'Histoire de Blois de Bernier (1682), ainsi que les gravures de Du Cerceau (Les plus excellens bastimens de France, 1579), dans lesquelles on distingue fort bien, malgré l'échelle réduite, la silhouette du David, sur sa colonne. Bury ayant été vendu en 1633 au marquis de Rostaing par Charles de Villeroy d'Halincourt, celui-ci emporta la statue de Michel-Ange en son château de Villeroy (Seine-et-Marne), ainsi que nous le rapporte une description en vers de Bury de 1650 due au poète Henri Chesneau (V. aussi un inventaire de 1532 plus


-64ou

-64ou remanié par Chesneau et réimprimé par Eug. Grésy, Mém. des Antiquaires de France, 1868, p. 58 et 64). Il semble bien qu'elle se trouvait encore là au xvme siècle (D'Argenville, Voyage pittoresque aux environs de Paris, 1768, p. 251/, mais on perd sa trace à partir de cette époque.

Depuis les travaux de Reiset et de La Saussaye, le David de Bury a été étudié par plusieurs érudits (notamment : Montaiglon, Le David de bronze du château de Bury, dans la Gazette des Beaux-Arts, janv. 1876, p. 242 ; Courajod, Le David de bronze du château de Bury sculpté par Michel-Ange, dans la Gazette archéologique, 1885, p. 77 ; A. Pit., Une maquette de Michel-Ange, dans la Revue de l'Art ancien et moderne, t. I, 1897, p. 78, et Le David de Michel-Ange au château de Bury, Id., t. II, 1897, p. 455 ', J- Six, op. cit.), dont les recherches nous permettent de nous faire une idée du chef-d'oeuvre disparu. La statue était en bronze et de grandeur naturelle. Un croquis de Michel-Ange conservé au Louvre (carton Michel-Ange, 714, et plusieurs fois reproduit, notamment dans la Gaz. des B. A., janv. 1876, p. 243, et dans la Rev. de Loir-et-Cher, juill. 1889, ce dernier inversé) est généralement considéré comme une première esquisse du David de Bury. Le personnage est représenté debout, la jambe droite fléchie, le pied posé sur la tête de Goliath. C'est bien là le « David col Golia sotto » dont parle Condivi. D'autre part une statuette de bronze du Musée d'Amsterdam (reproduite dans la Rev. de l'art anc. et mod., t. II, p. 455, et dans la Gaz. des B. A., mars 1921, p. 168) serait, d'après M. Pit, coulée sur un modèle de cire exécuté par Michel-Ange pour la statue de Bury.

M. Lesueur conclut en montrant quels rapports unissent le David de Bury à toute une série d'oeuvres conçues par le génie du grand sculpteur, à cette époque


-65de

-65de vie, du Bacchus au David colossal de Florence, au Génie victorieux, à l'Apollon de bronze, que M. Six vient de lui restituer avec beaucoup de vraisemblance, et aux célèbres Esclaves du Louvre.

SÉANCE DU l8 DÉCEMBRE I92I

Présidence de M. LE Dr LESUEUR, président.

Don d'ouvrage. •— M. le Dr Lesueur offre à la Société un volume qu'il vient de publier en collaboration avec son frère, M. Pierre Lesueur, sur Le Château de Blois (1 vol. de 313 p., avec 35 planches hors texte, 30 gravures dans le texte et 2 dépliants, Paris, Longuet, 1922).

Le secrétaire remercie M. le Dr Lesueur du don de son ouvrage. « Je ne doute nullement, dit-il, d'être l'interprète fidèle de la Société en adressant à M. le docteur Lesueur de chaleureux remerciements pour le don de son beau livre : Le Château de Blois. Du reste, le mérite de ce travail, oeuvre d'un de ses membres, rejaillit bien un peu sur elle. Les faits historiques qui illustrèrent le château de Blois avaient eu maintes fois, et tout récemment encore, leurs chroniqueurs ; mais l'édifice lui-même attendait son historien ; il a trouvé, pour le faire aimer davantage, un écrivain que M. Paul Vitry se félicite et s'honore d'inscrire au nombre des collaborateurs de la savante collection des Notices historiques et archéologiques sur les grands monuments. On le sent à chaque page, et nous le savions, nous, d'autre part, l'auteur a interrogé amoureusement chaque


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pierre de son Château ; il a, dans la poudre des parchemins, retrouvé les maîtres qui furent les vrais ouvriers de cette maison de rois. Il a, en passant, hélas ! comme tous les vrais savants, détrôné quelques légendes. Lui en voudrons-nous, puisque la vérité y gagne ?

« Comme si l'érudition profonde du livre, sa consciencieuse documentation, l'art nuancé et grave de sa mise en oeuvre, n'eussent pas suffi à nous captiver, ses pages ont été semées de beaux clichés qui l'éclairent, de dessins d'un choix heureux et d'un goût très sûr : et sa valeur en est certes rehaussée.

« Bref, livre solide et définitif, livre attrayant à la fois et savant, dont la Société est fière : que la modestie de M. le Dr Lesueur ne s'offusque pas de se l'entendre dire... en famille ».

Bibliographie. — Le président signale la publication qui se poursuit actuellement dans la Revue des Deux Mondes (15 octobre 1921 et numéros suivants) d'une étude sur Augustin Thierry d'après sa correspondance et ses papiers de famille, par son arrière-petit-neveu, M. A. Augustin-Thierry. Ce travail donne de nombreux renseignements sur l'enfance d'Augustin-Thierry à Blois et fait connaître, notamment, une curieuse relation sur le séjour au collège du futur historien, rédigée par un de ses professeurs, M. Gaudeau, à l'intention de la Société Académique des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher et que celle-ci n'a jamais publiée.

Il mentionne également parmi les ouvrages récemment parus :

Monuments originaux du procès de canonisation du bienheureux Charles de Blois, duc de Bretagne, SaintBrieuc, Prudhomme, 1921, comprenant : I° une introduction ; 20 l'enquête originale de 1371, texte latin ;


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3° la vie du bienheureux, par dom Plaine ; 4° la postérité de Charles de Blois, par le vicomte Frolier de la Messelière ; 5° une illustration composée de plusieurs portraits.

Wordsworth's French Daughter (une fille française de de Wordsworth), par George Mc Lean Harper, Princeton university press, 1921. C'est l'histoire d'un séjour à Blois du poète anglais Wordsworth en 1792, d'une jeune fille de la bourgeoisie blésoise, Mlle V..., qu'il séduisit et d'une fille qui naquit de cette union passagère.

La Résistance au Concordat de 1801, par René de Chauvigny, Paris, Plon, 1921, ouvrage traitant principalement de l'histoire de la « Petite Eglise » dans le Vendômois.

La Société d'Assurances Mutuelles de Loir-et-Cher contre l'incendie, 1821-1921, par M. A. Rayneau, Duguet, 1921, notice contenant quelques indications sur l'hôtel d'Alluye, siège de la société, et des notes biographiques sur divers personnages.

Les Richesses d'art de la France. Architecture. La France de la Renaissance, par Paul Vitry, conservateur au Musée du Louvre, Paris, Longuet, s. d. (1921). Cet ouvrage de vulgarisation, comprenant 32 courtes notices en français et en anglais sur les monuments de la Renaissance, en consacre deux au château de Blois et plusieurs aux autres monuments de la région.

Il signale, d'autre part, dans le chapitre que M. Henry Lemonnier consacre à L'Architecture en France pendant la première moitié du XVIIe siècle, au t. VI de l'Hisoire de l'Art, d'André Michel, Paris, A. Colin, 1921, une courte note sur l'aile de Gaston d'Orléans au château de Blois (p. 187), et la reproduction de plusieurs relevés architecturaux exécutés au XVIIIe siècle par


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J.-F. Blondel et conservés aujourd'hui à la bibliothèque de l'Institut (p. 170,175 et 187) ;

et, dans la Gazette des Beaux-Arts (août-septembre 1921), un article de H. Clouzot et E. Gélis sur Le Décor de la montre du XVIe au XIXe siècle à l'Exposition du Musée Galliera, exposition à laquelle figuraient plusieurs ouvrages des horlogers blésois du XVIIe siècle.

Il attire enfin l'attention de la Société sur deux importants ouvrages concernant des monuments très voisins de notre région :

Sainte-Croix d'Orléans, histoire d'une cathédrale gothique réédifiée par les Bourbons, 1599-1829, par l'abbé J. Chenesseau, 2 vol. et 1 album de planches, Paris, Champion, 1921 ;

et l'Histoire et description de la cathédrale de Tours, par le chanoine Boissonnot.

Admissions. — M. le Dr Lesueur et M. de Devise présentent la candidature de M. HANOTAUX, membre de l'Académie Française, ancien ministre, membre de la Société des Nations. M. Hanotaux est élu par acclamations et le présidait est chargé de lui faire savoir combien la Société sera honorée de le voir prendre place parmi ses membres et s'intéresser à ses travaux.

M. le Dr DÀUGE, présenté par MM. les Drs Lesueur et Meusnier, et M. FRATACCI, rédacteur principal des Contributions indirectes, présenté par MM. les Drs Lesueur et Ansaloni, sont élus membres titulaires.

Election du bureau. — Il est procédé à l'élection du bureau pour les années 1921 à 1924. Sont élus :

Président. — M. CAUCHIE. Vice-président. — M. RAYMOND.


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Secrétaire. — M. l'abbé GALLERAND. Bibliothécaire. — M. le comte DE VIENNE. Trésorier. — M. HONNORAT.

Sont adjoints aux membres du bureau pour former le Comité de publication : M. BELTON, président d'honneur, et MM. le Dr LESUEUR et TROUILLARD, anciens présidents.

M. le Dr LESUEUR, en quittant la présidence, exprime sa satisfaction de laisser la Société en pleine prospérité, tant au point de vue du nombre de ses membres, qui a presque doublé depuis la guerre, qu'à celui du nombre et de la valeur des travaux qui lui ont été présentés. Il demande, et on lui accorde immédiatement, la faveur de conserver la direction du volume de Mémoires, dont la Société a entrepris la publicationM.

publicationM. prend la présidence et remercie ses collègues de la confiance qu'ils ont bien voulu lui témoigner.

Communication. — M. RAYMOND fait une communication sur L'Affaire Berryer et son dénoûment devant la Cour d'assises de Loir-et-Cher.

Ce fut à l'occasion des troubles de l'Ouest, en 1832, qu'eurent lieu, contre Berryer, des poursuites devant la Cour d'assises de Loir-et-Cher.

Berryer, qui s'était rendu à Nantes le 22 mai 1892 et avait eu, aux environs de cette ville, une entrevue avec la duchesse de Berry, fut arrêté quelques jours plus tard à Angoulême, où il était de passage, alors qu'il se dirigeait vers la Haute-Loire.

Il fut ramené à Nantes, où une instruction se poursuivit dans des conditions assez anormales. Parmi les détails relevés au cours de ses interrogatoires, il convient de remarquer ses déclarations au point de vue politique,


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ses explications au sujet de ses relations avec diverses personnalités, notamment avec Chateaubriand, le duc de Fitz-James et Hyde de Neuville. Les deux premiers écrivirent, d'ailleurs, au ministère de la Justice pour se solidariser avec lui.

L'inculpé refusa de donner des renseignements au sujet de l'entrevue qu'il avait eue avec la duchesse de Berry et de révéler le lieu de sa retraite.

Berryer avait été renvoyé, pour complot contre la sûreté de l'État et participation aux troubles de l'Ouest, devant la Cour d'assises de la Loire-Inférieure, qui fut dessaisie par la Cour de cassation au profit de la Cour d'assises de Loir-et-Cher.

Baryer fut transféré à Blois et les débats de l'affaire, qui se continua deux jours, commencèrent le 16 octobre 1832.

L'attitude de Berryer, à la Cour d'assises, fut la même que celle qu'il avait eue devant le juge d'instruction de Nantes. Toutefois, il protesta avec raison contre certaines irrégularités et contre certaines manoeuvres, destinées à le faire considérer comme coupable des faits qu'on lui reprochait.

Parmi les chefs d'accusation, l'un des principaux consistait dans les relations qu'il avait eues avec un ancien officier, le lieutenant-colonel Tournier, et ses agissements, ayant pour but de lui persuader d'aider à renverser le Gouvernement de juillet.

Tournier, que Berryer avait déclaré d'abord ne pas connaître, prétendait avoir reçu de l'accusé des sommes d'argent et deux documents qu'on a qualifiés de brevets et qui paraissent émanés de la duchesse de Bary.

Berryer nia les avoir remis au témoin. Ce dernier, qui était évidemment un agent provocateur, persista dans ses déclarations ; mais, incapable de soutenir jusqu'au


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bout le rôle qu'il avait assumé, il se troubla à l'audience dans les questions multiples posées par la défense, se contredit et finit par déclarer qu'il était malade, pour se soustraire aux débats.

D'autre part, deux experts, désignés par la Cour d'assises, après un examen rapide et avec des pièces de comparaison insuffisantes, déclarèrent que les brevets n'étaient pas de l'écriture de la duchesse de Berry. Il est permis de ne pas partager leur opinion, qui, évidemment consciencieuse, était celle d'experts inhabiles.

Quoiqu'il en soit, dans de telles conditions, alors d'autant plus que la façon dont l'affaire avait été conduite ne pouvait que créer un courant de sympathie en faveur de Berryer, un acquittement s'imposait. Il fut prononcé aux applaudissements de la salle, après l'abandon de l'accusation par l'avocat général qui occupait le siège du ministère public. Berryer était détenu depuis le 7 juin, date de son arrestation à Angoulême...

Au cours de la séance furent produits une lettre autographe de Châteaubriand, écrite au ministre de la Justice, et les deux brevets, l'un écrit entièrement par la duchesse de Berry, l'autre portant sa signature.



LE CHATEAU DE BLOIS PENDANT LA GUERRE

Le Louvre et les Musées Nationaux réfugiés à Blois

Notes prises par M. BELTON, Conservateur du Musée de Blois

Au mois d'avril 1918, nous sommes à une époque critique. Dès le 22 mars, le front anglais a été rompu. Le bombardement de Paris jette l'épouvante dans la capitale. L'explosion de la Cour-Neuve et le bombardement à longue distance (plus de 100 kilomètres) par le gros canon déterminent une émigration générale. A Blois, on ne trouverait plus une maison, ni même une chambre à louer.

Le jour de Pâques, date fatale, le front anglais est enfoncé, mais bientôt après rétabli avec le concours des Américains. Le 17 avril, jour de l'exécution de Bolo, le gouvernement se préoccupe de mettre à l'abri, au château de Blois, les principales richesses du musée du Louvre. Déjà Toulouse en avait reçu une partie. La Joconde est à Toulouse.

19 avril. — Il tombe de la neige au cours de l'aprèsmidi.


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20 avril. — M. Dumonthier, administrateur du Mobilier national, arrive à Blois pour étudier l'installation au château des principaux tableaux du Louvre.

Après examen on décide de les déposer dans les deux longues galeries des Ier et 2e étages du musée (partie Louis XII) actuellement fermé aux visiteurs. Un service spécial de surveillance sera organisé pour la protection de ces incalculables richesses.

21 avril. — La neige tombe de nouveau.

25 avril. — Un wagon de tableaux du Louvre (200 à 300 toiles) arrive à Blois à midi, par le train de voyageurs. Il est escorté de M. Baschet, administrateur adjoint du Mobilier national. Le wagon est immédiatement conduit au château et les toiles emmagasinées dans les salles du musée de peinture.

Les cadres ont été enlevés et les toiles affrontées deux à deux, du côté de la peinture, avec un intervalle d'un ou deux centimètres pour laisser passa l'air et éviter les frottements.

D'autres envois suivront.

Des mesures de sûreté sont prises. Plusieurs portes du musée sont condamnées et munies de barres de fer. L'administrateur et le gardien coucheront dans les salles dont toutes les clefs leur sont remises.

Le poste américain installé au château à défaut de soldats français monte la garde jour et nuit.

30 Avril, — Arrivée au château d'un second wagon de tableaux du Louvre.

3 Mai. — M. Dumonthier, administrateur du Mobilier national, est arrivé au château. Il couche dans une des salles du musée (celle des portraits modernes).


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Il est satisfait de l'installation et approuve les dispositions prises pour la sécurité des collections du Louvre.

6 Mai. — Au château, exacice d'incendie, sous la direction de M. Honnorat, chargé provisoirement des services d'incendie, en présence de M. Dumonthier, du maire de Blois, de M. Grenouillot, architecte des monuments historiques et de moi. On étudie les dispositions à prendre en cas d'incendie.

La sécurité des collections paraît assurée dans la mesure du possible.

II Mai. — Nouvel arrivage d'un wagon de tableaux du Louvre. Ce sont les grandes toiles qui arrivent maintenant.

17 Mai. — Le transport continue. Déjà Toulouse a reçu, comme nous l'avons dit, des oeuvres importantes, Montpellier aussi, je crois.

Le ministère des Beaux-Arts approuve les mesures prises et exprime sa satisfaction pour l'accueil qu'il a reçu à Blois. Il écrit en ce sens à la municipalité.

On va maintenant transporter au château des tapisseries et des meubles.

Pour remercier les Blésois, M. Dumonthier se propose d'installer au château, au profit de la ville, une exposition de tapisseries du Garde-meuble. Je lui remets à ce sujet une note des tapisseries que nous possédons déjà et une autre de celles que nous désirerions avoir.

25 Mai. — Nouvel arrivage au château de tableaux, tapisseries et objets d'art du musée du Louvre, de la ville de Paris, du musée de Cluny, etc.

Nombreuses pièces de tapissaies des Gobelins, de


Beauvais, etc. Parmi les Gobelins (maisons royales) on voit celle qui représente le château de Blois et la place Royale, avec l'église du collège (actuellement SaintVincent) et le clocher de Saint-Sauveur. Un panneau de Beauvais d'une merveilleuse conservation, dépendant de Cluny, fait partie d'une douzaine de pièces dont toutes les autres appartiennent à la cathédrale de Beauvais. Plusieurs panneaux en longueur figurent la légende de saint Etienne.

On parle encore d'envoyer les Puvis de Chavannes du musée d'Amiens, qui démarouflés sont actuellement à Eu.

Quelques consoles dorées, un assez grand nombre de sièges Louis XIV et Louis XV complètent cet envoi.

28 Mai. — (Le 27 est la journée fatale). Les toiles d'Amiens (Puvis de Chavannes) démarouflées et roulées sont arrivées au château de Blois.

30 Mai. — Il en arrive de nouvelles par camion militaire. Ces toiles immenses sont déposées dans la salle des États Généraux.

31 Mai.— Un camion amène des meubles magnifiques, tables, bureaux, cabinets, etc.

8 Juin. — Arrivée au château d'une voiture de meubles et de tapisseries du Louvre, et aussi d'une voiture d'antiquités — sculptures et autres — venant de Beauvais.

9 Juin. — Autre voiture venant de Beauvais (vitraux, tapisseries, soies, etc.) Il est question aussi d'envoyer les portes de la cathédrale. Mais nous n'avons pas de locaux suffisants. On pourrait voir à Chambord.


LE CHATEAU DE BLOIS PENDANT LA GUERRE

I. TAPISSERIES DU MUSÉE DE CLUNY ET MEUBLES

DANS UNE SALLE DU MUSÉE DE BLOIS (AILE DE LOUIS XIl)

2. LE BUREAU DE LOUIS XV PAR RIÉSENER

DANS LA CHAPELLE SAINT-CALAIS



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14 Juin. — Nouveaux arrivages du musée de Cluny et des ministères.

Du ministère des Affaires étrangères est venu le bureau de Napoléon et son encrier.

15 Juin. — Les toiles de Puvis de Chavannes, démarouflées d'Amiens, sont déroulées dans la salle des États, pour être nettoyées par des ouvriers spéciaux, sous la direction de M. Boutreux, et restaurées par M. Koss, peintre, membre de la Société nationale des Beaux-Arts, ancien collaborateur de Puvis. Il y en a malheureusement quelques-unes de très endommagées et même déchirées. La grande toile de 17 mètres Ludus pro patria n'a heureusement pas trop souffert.

L'Opéra envoie 15 caisses contenant les partitions manuscrites des oeuvres de Massenet.

De la Comédie Française nous arrivent quelques tableaux. On parle d'expédier à Blois le Voltaire, de Houdon. Le sociétaire Fenoux est venu sur place étudier la question.

17 Juin. — Une voiture, qui devait arriver ce matin, est embouteillée, dit-on, à la gare de triage.

La marquise de Castellanes, apparentée, paraît-il, à la famille de Saumery, demande à déposer au château quelques tableaux précieux. Elle s'entendra à ce sujet, s'il y a lieu, avec M. Dumonthier.

L'ancien préfet de la Seine, M. Delanney, actuellement ambassadeur au Japon, a également déposé des caisses.

Le château étant complètement encombré, M. Dumonthier va partir pour l'ouest, Angers, Rennes, pour chercher d'autres locaux convenables.


-78L'Illustration

-78L'Illustration juin) donne les photographies des salles du Louvre vides de leurs trésors.

Le n° du 15 juin donne les dessins des Puvis de Chavannes du musée d'Amiens démarouflés et mis à l'abri au château de Blois, où on les restaure dans la salle des États.

Le n° du 29 juin (p. 635-636) représente l'atelier de M. Boutreux, dans la salle des États, pour la restauration des Puvis de Chavannes.

9 Juillet. — Conférence, au château, avec MM. Dumonthier, colonel de Cugnac, commandant Finot, sur les précautions à prendre contre l'incendie.

12 Juillet. — Arrivée, au château, d'un nouveau wagon de meubles précieux, sièges, écrans, tàpisseries, etc. venant de Compiègne, du palais de l'Institut...

Plusieurs caisses viennent du musée de Verdun et avaient d'abord été expédiées au Louvre.

20 Juillet. — Arrivée d'un fourgon de meubles provenant du palais de Fontainebleau. On y remarque, entre autres merveilles, une commode Louis XV et plusieurs tables à cuivres merveilleux, et enfin, et surtout, un immense bureau, dit bureau de Louis XV, du musée du Louvre, avec cuivres à personnages, incrustatations, marquetteries, etc. (I). Il a fallu 10 hommes pour

(1) Musée du Louvre. — Bureau commencé par Oëben et fini par Riesener.

« Ce grand bureau à secrétaire destiné au roi Louis XV. Bien que commencé par Oëben, ce meuble, sur lequel est placée la signature de Riesener, doit être classé parmi les oeuvres de ce dernier » (Champeaux, Le Meuble, t. II, fig. 57 et 58).


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décharger ce meuble. Vu son poids, il a été déposé dans l'ancienne chapelle.

20 Juillet. — Réception d'une caisse contenant des reliures anciennes de la bibliothèque de Fontainebleau.

31 Juillet. — Le capitaine Cordier, du régiment des sapeurs-pompiers de Paris, vient, à la demande de M. Dumonthier, examiner les mesures prises contre l'incendie, et indiquer celles qu'il jugerait nécessaires.

Arrivée au château d'une nouvelle voiture de meubles composée principalement de tables et bureaux provenant de différents ministères, et aussi du Garde-meuble.

11 Août. — M. Lafferre, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, visite le château pour s'assurer en personne si toutes les précautions ont été prises pour la garde et la sûreté des trésors envoyés par le Gardemeuble et les musées nationaux. Il est reçu par M. le Préfet et par M. Dumonthier, administrateur du Mobilier national ; M. Le Téo, inspecteur d'académie, et moi assistons à la visite.

Je lui fais les honneurs de la bibliothèque municipale, dont M. Alix, bibliothécaire, actuellement en congé, m'a heureusement remis les clefs. -

4 Septembre. — Je fais une nouvelle visite des collections du château.

Remarqué des assiettes de Sèvres, représentant des châteaux, et ayant fait partie des services impériaux.

Vu aussi un certain nombre d'objets appartenant à des particuliers, notamment des sièges en tapisserie au petit point, au commandant Potier, du palais de l'Elysée.

La Comédie Française, la Légion d'honneur ont envoyé leur contingent.


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Le musée Jacquemart-André avait aussi envoyé quelques oeuvres, et non des moindres. Nous avons recueilli :

Les disciples d'Emmaus, de Rembrandt, catal. 410 ; le portrait du graveur Wille, de Greuze, 189 ; le portrait du comte François, de David, 373 ; un magistrat, attribué à Van Dyck.

Ces tableaux avaient voyagé avec leurs cadres et emballés. L'administration du musée JacquemartAndré ayant désiré que les caisses fussent ouvertes pour que l'on pût constater l'état des toiles, nous avons pu voir et admirer ces oeuvres importantes.

29 Septembre. — Le château contient environ 1.200 tableaux du Louvre.

11 Novembre. — Le 11 novembre 1918 l'armistice est signé. Immédiatement le gouvernement prend les mesures nécessaires pour réintégrer les objets d'art déposés à Blois, en vue des réceptions qui auront lieu à Paris pour la paix.

La Chambre des Députés et le Sénat réclament d'urgence les tapisseries qui leur appartiennent ; une auto militaire vient les chercher à Blois, ainsi qu'un bureau du ministère des Finances.

19 Novembre. — Du reste, d'une façon générale, notre château commence à se vider des trésors qu'il renfermait depuis le mois de mai. Les Affaires étrangères vont nous reprendre les meubles, tapisseries, bronzes, etc., qui nous avaient été confiés. Jamais on ne verra réuni un pareil ensemble de richesses.

23-24 Novembre. — On annonce, pour le 28, l'arrivée


LE CHATEAU DE BLOIS PENDANT LA GUERRE

Clichés de Mme Belton I. OEUVRES D'ART PROVENANT DE BEAUVAIS ET DE SOISSONS DANS LA SALLE DES FÊTES DE GASTON D'ORLÉANS

2. LES PEINTURES DE PUVIS DE CHAVANNES DU MUSÉE D'AMIENS DANS LA SALLE DES ÉTATS



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à Paris du roi d'Angleterre. Aussi presse-t-on le retour des meubles merveilleux et des tapisseries dépendant des ministères.

M. Lafarge, employé supérieur au Garde-meuble, surveille et presse la réexpédition.

Les meubles que nous avions au château servent dès aujourd'hui à décorer, au palais des Affaires étrangères, les appartements du roi d'Angleterre.

Le lit de Napoléon, aux pieds ornés de génies ailés, garnit la chambre à coucher, où l'on voit aussi l'une des deux psychés, la plus chargée d'ornements. Le fameux bureau de Napoléon, apporté du ministère des Affaires étrangères, y a été replacé.

Le bureau-bibliothèque, avec les bronzes de Gouthière, est dans la chambre du prince de Galles ; dans celle du prince Albert on a placé une coiffeuse et une psyché qui ont servi aux impératrices Joséphine et MarieLouise.

Les sièges en tapisserie de Beauvais complètent cette décoration.

Année 1919. — La réouverture du musée du Louvre (sculpture) est prévue pour le 25 janvier. Pour la peinture, on ne peut encore prévoir aucune date. Les toiles sont encore à Blois.

Le transport dans les salles de Gaston d'Orléans des objets restant encore au château et des objets d'art de Beauvais, Soissons et Compiègne s'effectue sous la direction de M. Grenouillot. Parmi ces objets, les premiers avaient été entassés sans beaucoup d'ordre dans les salles du rez-de-chaussée de la partie Louis XII, dans un encombrement sans nom ; il y en avait d'entassés jusqu'aux solives. D'autres furent placés dans les salles de Gaston d'Orléans ; et, comme le tout ne pouvait


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rester sans vérification, on fit ouvrir les caisses, nettoyer et réparer les meubles, tableaux et objets d'art. Ce service était tout différent de celui qu'avait dirigé M. Dumonthier. Il était placé sous l'autorité de M. Paul Léon, alors chef de division du service d'architecture au ministère des Beaux-Arts ; le lieutenant Sabathé en était le principal agent. Au château, c'est M. Grenouillot, architecte en chef des monuments historiques, qui en avait la charge.

Je suis beaucoup moins renseigné sur cette partie des envois que sur la première ; j'ai même dû, pour les visiter et les photographier, obtenir l'autorisation spéciale du ministère.

Là encore, il y avait des merveilles. Lorsque M. Grenouillot les eut fait déballer et ranger dans la salle des fêtes et dans les selles voisines, ce fût un éblouissement, et les rares personnes qui ont pu les voir ou les entrevoir en ont conservé un souvenir précieux.

Les ornements d'église de la cathédrale de Beauvais produisent, dès le premier abord, un effet étonnant :

chapes brodées d'or, avec motifs d'une rare finesse ;

meubles magnifiques, parmi lesquels on remarque une table Louis XVI, de Soissons, sur laquelle on avait placé un Christ, de Beauvais, d' un réalisme impressionnant ;

un coffre et des statuettes (Beauvais) ;

un panneau gothique (Beauvais) ;

des sièges de la cathédrale et notamment le fauteuil de l'évêque.

Ajoutons à cette énumération bien incomplète :

plusieurs tableaux primitifs, dont quelques-uns très remarquables ;

un magnifique cabinet, en bois noir ;

un brûle-parfums antique, en fer forgé ;


-83une

-83une statue en bois de sainte Wildgeforte crucifiée.

S'il y avait eu une concordance quelconque, qui n'existait pas, entre les diverses administrations, même très voisines, il y avait là, pour le ministère, une occasion unique d'acquitter sa dette envers la ville de Blois. On nous avait promis, en effet, pour reconnaître le grand service rendu aux Beaux-Arts par la ville, d'organiser au château, par les soins de l'État et au profit de la ville, une exposition des principales et plus intéressantes tapisseries du Garde-meuble (I). Le sort en décida autrement. Tout d'abord les circonstances, extrêmement critiques, empêchèrent de s'occuper de ce projet ; et, lorsqu'on aurait pu le reprendre, l'armistice, éclatant comme un coup de foudre, en empêcha la réalisation. En effet, l'ar-, rivée à Paris des rois et des grands personnages obligea l'administration à faire revenir précipitamment ce qui meublait le Sénat, la Chambre des Députés, l'Elysée et les ministères, et voilà comment la ville fut privée de

(I) Lettre du ministère :

Palais Royal, 25 Mai 1918.

Le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, à M. le Préfet de Loir-et-Cher.

M. l'administrateur du Mobilier national sollicite l'autorisation d'organiser, dans les salles du château de Blois, une exposition de tapisseries et de tapis, au moyen de nos collections nationales qui ont été provisoirement mises en dépôt dans ce château. Cette exposition aurait lieu sous les auspices et au bénéfice de la ville de Blois.

J'ai l'honneur de vous prier de me faire savoir si vous n'auriez aucune objection à présenter au sujet de cette proposition. Dans le cas où elle vous paraîtrait susceptible d'être accueillie, vous voudriez bien me faire connaître votre avis, ainsi que celui de la municipalité de Blois, sur les dispositions qu'il y aurait lieu d'adopter pour cette installation, ainsi que sur les dispositions à prendre pour assurer la garde de ces collections et prévenir tous risques d'incendie.


-84ce

-84ce lui avait été promis. Mais elle eût pu avoir une légitime compensation si les services publics s'étaient entendus, et cela sans qu'il en coûtât rien, que les frais de gardiennage.

Autre était la situation des Puvis de Chavannes. Nous avons vu que c'était en mai 1918 que ces toiles immenses avaient été déposées dans la salle des États. Après l'armistice, la restauration étant terminée, on pouvait espérer que la ville d'Amiens ou l'administration des Beaux-Arts les feraient enlever pour rendre à la ville de Blois la libre disposition, de la salle. Il n'en fut rien. Sur réclamation, le ministère envoya à Blois M. Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg et du musée Rodin, qui avait été chargé de surveiller et de vérifier les travaux de restauration. Ur assez long temps s'écoula. Enfin la ville, qui avait décidé de donner, à l'occasion de la Grande Semaine, un banquet au château, sous la présidence de M. Chéron, ministre de l'Agriculture, déclara qu'elle déclinait à ce sujet toute espèce de responsabilité. On s'exécuta enfin, et on envoya des ouvriers spéciaux qui, à grands frais, les tendirent sur d'énormes rouleaux et les emballèrent dan? des caisses ad hoc, de manière à empêcha" toute avarie. L'enlèvement définitif eut Heu le 8 mai 1922.

Il est à remarquer qu'en ce qui nous concerne, nous avions pendant près de 4 ans assuré, sans frais spéciaux, la conservation de ces toiles ; je ne crois pas qu'on ait trouvé le temps de nous remercier. Il est vrai que c 'était pour le château, un honneur d'abriter de pareils chefs-d'oeuvre.


A L'ASSAUT D'UN SIÈGE ÉPISCOPAL

THEMINES ET GREGOIRE au début de 1791

par M. l'abbé J. GALLERAND

I. — THÉMINES

Ce n'était pas une banale figure que Monseigneur Alexandre-Amédée de Lauzières de Thémines. Sa famille, depuis que Pons de Lauzières, marquis de Thémines, maréchal de France, l'avait brillamment illustrée, jouissait d'un grand crédit. Lui-même était très en cour : aumônier du roi, évêque à trente-quatre ans, Louis XVI l'avait appelé un des premiers à l'Assemblée des Notables ; il songea même, dit-on, à le faire ministre à la place de Loménie de Brienne.

Ce grand seigneur trouva, pour le déploiement de son faste, un cadre incomparable : Blois, cet évêché de plaisance, renté de 90.000 livres, « le plus agréable évêché du royaume », assure un contemporain. Et là, dominant superbement le val de Loire, et ses molles eaux, et ses forêts infinies, et la ville peuplée d'églises, — le palais somptueux baigné de lumière : « un vrai palais de Rome »,


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avec sa profusion de tableaux et de beaux meubles, avec ses bibliothèques inestimables, dont les 72.000 volumes alignaient les éditions les plus belles et les plus rares de tous les pays.

En ce cadre splendide, les réceptions pouvaient être éclatantes. Les plus grands noms de la cour, princes et maréchaux de France, s'y venaient délecter : ' le maître de céans était magnifique ; il était surtout séduisant. De son âme d'artiste délicat, de ses longues intimités avec les livres, de ses voyages aux pays ensoleillés d'Espagne, il tenait de quoi nourrir brillamment ses causeries ; et l'on restait des heures sous le charme, nous confie un des assidus de ses salons (I).

Et pourtant ce gentilhomme fastueux « affichait » une grande austérité de moeurs. Dès que les hôtes avaient passé et qu'il se retrouvait seul, les lustres alors s'éteignaient ; « le vaste palais n'était plus éclairé que par une chandelle » ; et si l'on allait le surprendre en son intimité, « le suisse vous accompagnait jusque chez l'évêque et celui-ci vous reconduisait jusque chez le suisse ».

De vrai, cet homme est fait de contrastes. Ce lettré, que l'on dit spirituel et de goût suprêmement délicat, apparaît, quand il tient la plume, dilué et obscur, heurté . et souvent incorrect (2). Ce causeur élégant, fine fleur d'aristocratie, on le surprendra parfois, en des mandements officiels, à tenir un langage de portefaix, à déverser l'insulte sans retenue (3). Cet austère ne reçoit guère à

(I) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. I, p. 430.

(2) Dinocheau, qui à la vérité était son ennemi personnel, raille son « amphigouri aristocratique, mystique et parabolique. » (Courrier de Madon, n° du 20 mars 1790, p. 20. Bibl. nat., LC2 279).

(3) Voir par exemple sa Lettre pastorale du 25 juin 1791, Paris, 1791, 262 pages, p. 172.


sa table que « deux grands vicaires connus par leurs moeurs ». Cet évêque vraiment dévot, dont on a pu dire qu'il faisait « son métier en prélat consommé (I) », dont ses ennemis eux-mêmes ne sauront s'empêcher de vanter les vertus, n'a pas une fois, parait-il, durant ses quinze années d'épiscopat, fait de visite pastorale. Ce « mystique à la Fénelon », que jamais n'entacha le scepticisme à la mode, se prend, au grand scandale de son Chapitre et de son diocèse, à bouleverser la liturgie populaire par une hécatombe de fêtes et de dévotions chères aux simples (2). C'est un humanitaire, béni des pauvres gens, libéral à l'extrême envers les hopitaux ; et c'est un affable, — on l'a vu, — dont l'amène hospitalité est une séduction ; or on sait d'autre part qu'il traite froidement ses prêtres, ne leur donne que de laconiques audiences, ne les prie jamais à sa table, — le fait est souligné par les contemporains, — et souvent les éconduit en passant la tête en travers de la porte. « La seule science où il se montre en maître, c'est le mépris des curés », écrit avec humeur un ecclésiastique étranger à son diocèse (3). Aussi s'aliéna-t-il une bonne partie de ses prêtres, — « tout son clergé », dit Dufort par hyperbole.

(1) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. II, p. 3.

(2) Entre autres réformes, il défendit d'exposer, selon la coutume, à la vénération des fidèles les reliques conservées dans l'église de La Chaussée-Saint-\ ictor, et il fit même enlever les châsses, ce qui produisit un gros émoi. — Le Chapitre lui présenta, le 17 juillet 1778, de respectueuses observations au sujet des fêtes supprimées ou renvoyées. — (Reg. de délib. du Chapitre de la cathédrale, p. 33 et suiv. Arch. Dép., G. 213. — Lettres de protestations de différents membres du clergé. Arch. évêché de Blois.)

(3) Pierre-Jérémie Chatizel de la Néronière, curé de Soulaines, au diocèse d'Angers, député aux États Généraux, (Lettre à l'abbé Drouchaux, curé de Seur, au diocèse de Blois, datée de Versailles, le 16 juin 1789. A. D., L- 2019.)


Tel curé se permet de tracer, sous un portrait de l'évêque, les mots suivants : « C'est donc là de Thémines l'effroyable effigie », et un peu plus bas : « Original sans copie (I) ». Tels autres l'appellent dans leurs lettres le « hautain Thémines », le « brutal Thémines », l'« orgueilleux Thémines (2) ».

Et c'est là le trait dominant de ce caractère : la « hauteur » ; Dufort, son ami très fidèle, dit le « despotisme ». Il eût fait, ajoute-t-il, s'il avait été ministre, « son petit cardinal de Richelieu (3) ». Au fond, — et toute son histoire en est une preuve, •— cette nature infiniment polie était pétrie d'orgueil de caste. Sa charité même en était faite : s'il donnait, « il voulait donner et régir en maître ». Là est la clef de cette vie toute en contrastes.

La clef de ses attitudes politiques aussi. Un homme de sa mesure ne se pouvait désintéresser des grands problèmes qui passionnaient la France aux alentours de 1789. A la mêlée des idées il prit donc une part active, et il

(I) David-Nicolas Polier, curé de Saint-Secondin. (Voir A. Cauchie, L'abbé Polier, dans Mémoires de la Soc. des Sc. et L. de Loir-et-Cher, t. XVIII, p. 36.)

(2) Lettres de différents curés au Comité de surveillance de Loir-et-Cher, A. D.,, L. 1972, 1975, etc. Il est vrai que ces lettres ont été écrites en pleine Terreur, par des curés constitutionnels qui avaient alors tout intérêt à maudire l'évêque d'ancien régime. On trouve d'autre part, sous la plume du curé constitutionnel de Mazangé, Nicolas Lecomte , en l'année 1792, l'expression de sentiments opposés. « Mon estime pour lui (Thémines), écrit-il, ne finira qu'avec ma vie et ma reconnaissance me suivra au tombeau » (Arch. par. de Mazangé).— Mais, quand même, ces épithètes restent significatives ; et rhostilité du clergé à l'endroit de l'évêque est un fait affirmé par de sûrs témoignages contemporains.

(3) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. II, p. 4.


-89y

-89y son tempérament d'aristocrate impénitent. L'esprit philosophique, l'esprit niveleur, libéral à outrance ne l'avait nullement entamé, lui, contrairement à tant d'autres.

Avec sa fierté de gentilhomme, il se posa d'abord en adversaire des nivellements. « L'égalité est le cri du moment, écrivait-il en 1788 : qu'on l'établisse aujourd'hui, nous aurons aujourd'hui l'anarchie et ensuite la servitude (I) ». L'évêque de Blois faisait une prophétie !...

Dans le corps ecclésiastique, moins que partout ailleurs évidemment, il ne tolérait cette intruse ■— l'égalité. Les curés, qu'il traitait de si haut, il fut piqué de les voir relever la tête ; et quand il constata qu'un courant d'opinion se créait pour les envoyer en nombre aux États Généraux, il se scandalisa fort, prit la plume et mena campagne décidée pour endiguer le courant (2). Il ne lui allait pas non plus que les curés, — « le second ordre », ainsi qu'il affectait de dire, — fussent richement rentés : « l'honnête nécessaire » c'est tout, décidait-il en son Cahier de doléances particulier, et même il osait ajouter à leur adresse : « Dans l'ordre ecclésiastique, on est sujet à oublier son origine (3) ». Il faut avouer que la leçon du grand seigneur était quelque peu mortifiante. Les curés s'en offensèrent, et si bien qu'ils cabalèrent contre sa candidature ; et, au lieu de lui offrir à lui leur mandat aux États Généraux, ils le confièrent, non

(I) Observations sur le rapport fait au Roi dans son conseil par le ministre des Finances, le 27 décembre 1788. Blois, 1789, 26 pages.

(2) Observations sur la représentation du Clergé aux Etats Généraux. Blois, 1789, 24 pages.

(3) Instructions et cahier du Hameau de Madon. Blois, 1789, 119 + 10 pages. Chap. XV. — Madon était la maison de campagne des évêques de Blois.


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sans intention malicieuse, au prêtre que l'iconoclastie de l'évêque avait le plus affecté, à Michel Chabault, curé de La Chaussée, qui était un excellent homme, mais sans plus (1).

Son humeur passée contre l'idole-égalité, Thémines se retrouvait d'ailleurs, en son Cahier de doléances particulier, l'humanitaire bienfaisant ; il y plaidait la cause des artisans (2), et celle des esclaves d'Afrique (3) ; il y protestait contre le casuel forcé : « Les fidèles ont droit d'être servis gratuitement (4) ». Il y faisait même une révérence à cette autre idole, la liberté, moins haïssable que la première. « Rien n 'est plus libre que la pensée », posait-il en principe ; et de là, il inférait que les hérétiques ont droit à la liberté civile dans l'État, à condition qu'il y ait « faveur pour la religion catholique (5) ». Mais tout aussitôt il se referma : la liberté n'aurait plus de lui d'autre sourire...

La Révolution cependant marchait à pas de géant. Elle abolissait les franchises et les privilèges pécuniaires du clergé ; l'évêque de Blois ne les pleura pas ; son humanitarisme en avait déjà consenti le sacrifice, à la pensée que « ce qu'on appelait le privilège de l'un redeviendrait le droit commun de tous (6) ».

Elle sécularisait les biens ecclésiastiques ; là encore il se tut ; la pauvreté, disait-il, produirait « des trésors d'un ordre supérieur (7) ».

(1) L'autre député du clergé du bailliage de Blois fut JeanBaptiste de la Roche-Négly, prieur-curé de Saint-Honoré de Blois.

(2) Instructions, chap. XI.

(3) Ibid., chap. xn.

(4) Ibid., chap. xv.

(5) Instructions, chap. XVI, et Cahier, p. 6.

(6) Instructions, chap. XIII.

(7) Deuxième lettre, à M. Adam, Chanoine de la Cathédrale. Blois, 1790, 22 pages. Le chanoine Adam était supérieur des Carmélites de Blois ; Thémines en fit, à son départ de Blois, un de ses vicaires généraux clandestins. Il mourut en 1805, âgé de 74 ans.


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Mais voilà qu'elle sécularisait aussi les institutions intangibles de l'Église : elle ouvrait les portes des couvents, elle prétendait offrir aux religieux la liberté. L'évêque alors se dressa. — « Insultante liberté ! » clama-t-il à ses . moniales (I). « Il y a nécessité de vivre et de mourir dans les cloîtres », et, « si tous les cloîtres étaient rasés », il faudrait se faire « une retraite dans le monde, une solitude dans son propre coeur (2) ». Les moniales écoutèrent ses conseils, ses ordres : elles demeurèrent presque toutes fidèles à leur clôture. Mais chez les moines ce fut la débandade lamentable. Alors contre les déserteurs il lança l'interdit. « Sévérité exaltée ! » prétendirent les victimes. — Non pas, répondit-il, mais « chrétienne prudence »... Et l'avenir allait montrer qu'il avait raison.

Or à cette législation démolisseuse et profanatrice, l'Assemblée nationale se prit, le 9 juillet 1790, à exiger de tous une adhésion par serment (3) : la cérémonie de ce serment devrait se faire avec solennité, dans les églises. Des consciences s'inquiétèrent et consultèrent l'évêque. Il donna son mot d'ordre dans une Lettre imprimée au chanoine Adam : le serment civique, n'implique pas « adhésion de coeur et d'esprit, disait-il,... mais seulement soumission aux décrets ». Qu'on le prête donc : il n'a rien qui puisse alarmer (4)... Ce devait être sa dernière transaction avec le régime.

Le 24 août suivant, éclatait en effet la loi sur la Cons(I)

Cons(I) lettre, à la Révérende Mère Prieure des Carmélites. Id.

(2) Deuxième lettre, à M. Adam, etc.. — L'Hermite de la Forêt de Madon, ou Réflexions impartiales sur les ordres religieux. Paris, 1789.

(3) Ce premier serment (1790), dit serment civique, ne fut point condamné par le clergé de France.

(4) Première lettre, à M. Adam, Chanoine de la Cathédrale. Ibid.


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titution civile du clergé. Dès ce moment l'évêque monta droit sur la brèche et ne la quitta plus.

La loi statuait en matière religieuse. Bouleverser diocèses et paroisses, c'était déplacer les juridictions, et cela sans le consentement de Rome. Or il ne voulait pas reconnaître une telle compétence au pouvoir civil ; il n'admettait pas que le droit de prêcher l'évangile fût soumis, — c'est son expression, — « à la toise exclusive des géographes (I) ».

Puisqu'on voulait réformer l'Église de France, écrivait-il, il fallait réunir un concile ; et, si on ne voulait pas de concile, il fallait s'en tenir à la décision du Pape. « L'Église souvent s'explique par lui seul ». Allait-il donc oublier, ce gallican, les libertés de l'Église gallicane? Non pas : et il s'en expliquait : « L'esprit de nos libertés... est de rendre indépendantes les Puissances de la terre de celles du ciel, chacunes dans leur ordre (2) ».

De ce principe là il entendait, pour sa part, faire, chez lui, l'essai,— de piquante manière : en organisant son diocèse sur les bases d'une séparation de l'Eglise et de l'Etat. La loi lui octroyait généreusement douze mille livres : il rejetterait ces douze mille livres, traitant le fisc « comme le sacrilège qui mettait à prix les choses saintes (3) ». Mais, ne demandant rien à l'État, ne sachant rien de l'État, il prétendait que l'État ne sût aussi rien de lui et ne se mêlât pas des affaires de son diocèse. Il espérait, selon son mot, que « le fisc ne serait libéral que pour les parjures ». Illusions ! Le fisc voulait précisément

(1) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 7.

(2) Ibid., p. 95, p. 230.

(3) Ibid., p. 30.


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être libéral pour tout le monde, parce qu'il entendait bien que tout le monde fût « parjure ».

Croyant viable sa solution, l'évêque se mit donc à en préparer la réalisation. Afin d'éclairer les esprits, il entreprit un grand ouvrage sur le régime de séparation qu'il préconisait ; il devait y mettre les choses au point, y donner « une copie fidèle de l'Église primitive », y tracer les caractères « d'une bonne réformation... d'après l'esprit du Maître (I) ».

Ce pendant la Constitution civile s'appliquait dans le diocèse. Le 19 novembre, les scellés étaient posés sur la sacristie du Chapitre ; le 20, défense était faite aux chanoines de se réunir pour chanter l'office. Les chanoines s'en allèrent verser leur amertume dans le coeur de l'évêque. M. de Thémines ne put que gémir avec eux, et leur demander leurs prières, en vue des combats qu'il sentait imminents (2).

L'ère des combats ne tarda pas en effet à s'ouvrir... Aux premiers jours de décembre, l'évêque recevait du procureur général syndic une invitation à se conformer aux décrets, et à collaborer avec le Département pour la réorganisation du clergé et la nouvelle circonscription des paroisses.

C'était l'occasion d'énoncer ses principes, et de proposer cette séparation, qu'il désirait, entre la puissance spirituelle et la puissance temporelle. Il répondit une longue lettre. « Puisque nos biens nous ont fait tant d'ennemis..., nous sollicitons, Messieurs, comme une faveur, de ne recevoir aucun traitement pour nous, ni pour les dignes coadjuteurs de notre entreprise. Nous désirons offrir généreusement dans notre église cathé(I)

cathé(I) p. 216.

(2) Registres du Chapitre de la cathéd. de Blois, 19 et 20 nov. 1790. (Extrait : A. D. L. 2050.)


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drale nos soins et notre sollicitude. Laissez-nous les âmes et prenez tout le reste (I) ».

C'était noblement dit. Mais, avouons-le, à cet aristocrate de haute marque, la lettre du Département dut sembler une façon d'impertinence : qu'étaient ces petits bourgeois qui avaient l'air de le sommer, lui, de combiner avec eux un remaniement de son diocèse?... Il ne put se tenir de leur dire leur fait. « Vous nous commanderez ailleurs ; mais dès que vous entrerez dans l'église, vous y serez nos enfants et nos disciples. Nous serons citoyens suivant vos règles ; mais, si vous voulez être membres de l'Église, vous le serez selon les miennes », Paroles d'autocrate blessé ou d'impavide champion des droits sacrés? Les deux à la fois sans doute. En tout cas, elles sont superbes.

Les administrateurs en furent mortifiés et ils décidèrent, « d'une voix unanime », de dénoncer l'évêque à l'Assemblée nationale.

Le projet d'église séparée libre venait de subir là un sérieux à-coup. Bientôt ç'allait en être l'écroulement... On publiait à Blois le décret du 27 novembre (2). Faire serment de fidélité à la Constitution, à la Constitution grossie de la loi schismatique,— ou bien se voir déchu de son siège : le dilemme excluait tout modus-vivendi. Le serment serait là, critérium précis, implacable, qui trancherait nettement les attitudes vis-à-vis de la loi.

(1) Lettre de M. l'Evêque de Blois à Messieurs les Administrateurs du Département de Loir-et-Cher, 24 décembre 1790, 15 pages.

(2) Il obligeait tous les ministres du culte fonctionnaires publics à « jurer d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi ; de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi ». C'était donc jurer implicitement obéissance à la loi sur la Constitution civile du clergé, regardée comme schismatique.


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Or l'évêque était bien résolu, pour sa part, à ne point transiger avec elle. — « J'étais certain, note Dufort de Cheverny, que Thémines ne se prêterait à rien ; nos conversations m'avaient appris que c'était un homme d'un caractère décidé (I) ». Et le peintre Robin, qui était son ami, s'étant permis de lui donner des conseils de transaction, Thémines, parait-il, « dans une réplique fort sèche, le renvoya à sa palette et à ses pinceaux (2) ».

Le serment de l'évêque devait être prêté dans l'église cathédrale, le dimanche qui suivrait la publication de la loi. Le 9 janvier, date où se firent à Blois les premiers serments, Thémines ne parut pas en chaire ; le 16, puis le 23, même silence. On ne pouvait patienter davantage. Le lundi 24, le maire avertit le Département. Et le jour même, le Département s'occupait de préparer l'élection d'un autre évêque. Son procureur syndic envoyait aux six districts une circulaire, qui les priait de convoquer les électeurs pour le dimanche 13 février.

II. — L'ÉLECTION

Les électeurs qui arrivent à Blois le 12 février ou le matin du 13, sont au nombre de .260 environ. Les 28 cantons du département s'y trouvent très inégalement

(I) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. II, p. 41.

(2) Lettre du peintre Robin au Comité de surveillance du département, 1793. A. D., L. 1987. Le peintre J.-B.-Claude Robin, né à Paris en 1734, mort à Chouzy, en 1818. Il passa une partie de sa vie en Blésois. On lui doit entre autres oeuvres, le « Saint-Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes », qui se trouve actuellement dans la salle des Assises, au palais de Justice de Blois; et la décoration du plafond de la salle de spectacle de Bordeaux.


- 96représentés.

96représentés. Marolles envoie vingt-deux députés, Montoire vingt et un, Romorantin - vingt, Celettes dix-sept, Bracieux quinze, Montrichard treize, Mer douze, Blois, Saint-Aignan et Pontlevoy onze, — de Marchenoir, d'Ouzouer-le-Marché, de Villedieu, il en vient seulement cinq, de la Ville-aux-Clercs trois, de Salbris et de Chaumont deux.

Il y eut, nous le savons, tels électeurs qui refusèrent de venir pour ne pas se faire artisans de schisme. Mais il ne faudrait pas en conclure que ceux qui répondirent à l'appel fussent tous gagnés à la cause constitutionnelle En. réalité les teintes étaient, parmi eux, bien diverses.

Un état-major évidemment d'idées très modernes, personnages constitués qui, soucieux d'être « à la hauteur », se laissent docilement soulever par le flot montant de la Révolution : un Lemaître, un Savonneau, futurs députés à la Législative, un Brisson, futur conventionnel régicide; d'autres encore, plus ou moins avancés : Petit de Villanteuil, Boesnier l'aîné, Rangeard-Germonnière, — des Blésois ; Dupont de Veillenne, du canton d'Avaray, aristocrate renégat, qui se livrera au parti jacobin; Despagnol-La-Fagette et Lenormant-Dutail, de Mer ; Carouget, de Villetrun ; Blanchet de Langeron, de Montoire ; Vérité,du canton de la Ville-aux-Clercs; Trotignon de Montenay, de Chémery, etc. Puis, émergeant de ce groupe de politiques, quatre prêtres assermentés, non des moindres : Dupont, jadis chanoine de la collégiale de Saint-Aignan-én-Berry, aujourd'hui administrateur au Département ; Quesnot, curé de Saint-Cyr de Sargé, président du directoire de Mondoubleau (I) ; Camus,

(I) Dom Piolin (L'Eglise du Mans durant la Révolution, t. I, p. 144), et, à sa suite, M. de Saint-Venant, Dictionnaire archéologique ... du Vendômois, t. III, p. 140) disent que Quesnot fut nommé évêque de Loir-et-Cher, mais qu'il refusaT Les


A L'ASSAUT D'UN SIEGE ÉPISCOPAL

ALEXANDRE-AMÉDÉE DE LAUZIÈRES DE THÉMINES ÉVÊQUE DE BLOIS



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vicaire d'Aunay, administrateur au district de Mer ; et Meyssonnier des Bruères, curé de Monthou-sur-Cher, docteur en théologie, un de ceux qui ont accueilli avec le plus d'ardeur la Constitution civile. Notons le bien : quatre prêtres, sur deux-cent-soixante électeurs, ■— voilà tout ce qui représente le corps ecclésiastique à une élection épiscopale !... Telle sera, pourrait-on dire, la gauche de l'Assemblée.

Il y aura l'extrême gauche, — quelques figures inquiètantes aux couleurs plus tranchées, esprits combatifs, monteurs de tumulte. Dufort de Cheverny les qualifie « énergumènes, ambitieux et scélérats (I) ». Il en signale deux : un fermier de Beauce, Claude Lépine, paysan entêté et irréductible ; un ancien bailli de Montrichard, De Frécine, futur conventionnel régicide lui aussi. On en reconnaît d'autres, dans la liste des noms : le fermier Phelippeaux, de Celettes, clubiste « enragé » (2) ; Vourgères, de Vendôme, Pierre Ledru, de Mer, qui se feront un nom aux pires jours de la Terreur.

A l'opposite de ces groupes, une droite conservatrice entièrement dévouée à Thémines, et décidée à soutenir ferme sa candidature. Le comte Dufort de Cheverny en est le chef très écouté ; et c'est un de ses membres qui lance, ce jour-là, dans le public un libelle anonyme destiné à faire sensation : Réflexions d'un électeur religieux qui ne veut nommer qu'aux places vacantes.

Tous ces groupes à idées plus ou moins arrêtées, constituent en fait la minorité de l'assemblée. Le gros

procès-verbaux de l'assemblée électorale ne permettent pas d'affirmer ce fait. Il est probable que cette légende, recueillie par Dom Piolin, provient d'une confusion : Quesnot put être un des concurrents de Grégoire en cette assemblée électorale ; mais il n'y fut pas élu évêque.

(1) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. Il, p. 42.

(2) Ibid., p. 28.


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des électeurs est, au point de vue des opinions, fort impersonnel. Fermiers, petits propriétaires ou marchands, ce sont tout uniment de braves gens, qui aiment sincèrement leur église et leur curé, et ne se mêlent guère de politique. Ils apportent à Blois, avec une certaine fierté d'avoir à élire un évêque, une bonne volonté entière pour s'inspirer, dans leur choix, des sages directions suggérées par la circulaire de convocation, laquelle soulignait en effet « la grande importance... pour la Religion que le choix... tombât sur des personnes véritablement dignes (1) ». Ils apportaient aussi leur tempérament de ruraux : positifs, pesant les choses avec leur bon sens avisé et s'embarrassant peu d'idéologie ; mais en même temps opportunistes et ayant grand peur de se compromettre en s'affichant. Les uns « ne savent ni A ni B, dit Dufort, et vont comme on les pousse » ; les autres « sont des gens qui veulent le bien, mais qui ne cabalent pas et ne savent pas se rassembler (2) » : Dufort connaissait bien son monde...

A leur arrivée, les électeurs trouvent la ville en émoi ; un fait grave vient de se produire, que l'on commente âprement : l'évêque a publié un mandement, et ce mandement a été interdit, saisi par les corps constitués !...

Depuis quelques jours déjà en effet une active propagande était menée contre les élections. Les prêtres de la ville, presque tous réfractaires au serment, s'agitaient, s'efforçaient d'ameuter l'opinion. Ils assemblaient les fidèles dans des maisons particulières ; ils tenaient, la

(1) Circulaire du procureur général syndic, 24 janvier 1791. A. D., L. 946.

(2) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. II, p. 42.


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nuit, disait-on, des conciliabules, où il venait beaucoup de monde et les cerveaux s'échauffaient.

Le 9 février, six femmes, paroissiennes de SaintNicolas, se présentèrent au directoire du département. Très exaltées, elles réclamaient, «avec véhémence et menace, la conservation de leur paroisse, de leur curé, de leurs vicaires et de leur évêque ». S'ils n'ont pas de pain, disaient-elles, nous leur en donnerons. Malheur! si l'on s'obstine à les supprimer ; nous sommes soutenues par les mariniers, et nous nous laisserons couper en morceaux, plutôt que de nous séparer de nos pasteurs... Le Département fit dire aux maris de ces « agitées » « de veiller sur leurs femmes et de les maintenir en paix et tranquillité, à peine d'être personnellement responsables (I) ». En fait il prit peur, se grossit le danger, manda six gardes pour assurer le calme de ses séances, et requit tout un détachement du Royal-Cravate cavalerie, pour protéger l'assemblée électorale qui allait se réunir.

Et voici que le n, au sein de cette effervescence, l'évêque lançait son mandement, où il fulminait contre toute élection !... Cinq cents exemplaires en avaient été tirés chez Masson, distribués aux passants dans les rues, colportés de maison en maison. « Scandale », crièrent les autorités en émoi... Les procureurs syndics dressèrent des réquisitoires indignés.« Chaque mot, dit l'un, exigerait notre censure (2) ». Et le Département dénonça à l'Assemblée nationale le mandement, déféra au tribunal ses « auteurs, fauteurs et distributeurs (3) ».

La municipalité entra en séance extraordinaire. Elle

(1) Délib. du direct, du départ., 9 février 1791. A. D., L. 114.

(2) Délib. de la municip. de Blois, séance extraordinaire du 12 février 1791. A. Mun. de Blois.

(3) Délib. du direct, du départ., 12 février 1791. A. D., L. 109.


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s'éleva contre « tant d'audace et une telle licence ». Il fallait incontinent arrêter « le mal », courir à l'imprimerie, perquisitionner, saisir les exemplaires non encore distribués. Deux commissaires furent désignés. Chez Masson, ils ne trouvèrent rien : tout avait été livré à Thémines. Ils coururent au palais épiscopal. L'évêque était à sa table de travail, occupé à écrire. Les deux délégués s'annoncèrent, lui exposèrent leurs intentions. Du doigt, le prélat indiqua un paquet près de lui : « Vous êtes maîtres de vous en emparer », dit-il avec hauteur. Cinquante et un exemplaires, c'était tout ce qui lui restait. On fouilla la bibliothèque, les appartements ; recherches infructueuses. Et il était dix heures du soir, quand les commissaires revinrent à l'hôtel-deville....

Donc le lendemain 13, il n'est bruit que de cette équipée. Dans les maisons, les auberges, où ils sont descendus, les électeurs entendent conter les détails ; ils prennent connaissance de la lettre : elle s'est répandue partout, malgré les censures, — à cause des censures. On la leur fait passer à eux spécialement.

L'évêque y proteste en termes énergiques et fiers.« Nous ne sommes ni mort, ni démis : quels sont maintenant nos crimes et nos juges?... Qu'allez-vous faire, nos très chers frères, mettre deux chefs dans une famille, deux pasteurs dans un troupeau?... S'il vous fallait un autre pasteur qui remplît mieux vos voeux, nous prenons l'engagement solennel avec vous de lui céder notre place et de descendre de notre chaire, pourvu qu'il arrive par la porte de Jésus-Christ et de son Église... Mais si vous voulez nous quitter, pour vous égarer sous des guides réprouvés par l'Église, il est de notre gloire et de notre salut de ne jamais vous abandonner. Nous vous pour-


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suivrons par nos instructions, nos gémissements et nos larmes (I)...»

De telles paroles font sur tous ces électeurs si divers des effets très divers.

Beaucoup trouvent que l'évêque n'a pas tort, — et c'est la masse de l'assemblée.« On sentait, dit Dufort, l'injustice de nommer à une place qui n'était pas vacante (2) ». D'autres sont en fureur,— les extrémistes. Devant cette lettre qui surgit là, à la veille de l'élection, tranchante, autoritaire, provocratice, avec la prétention de dicter des ordres, leurs vieilles animosités éclatent. Or ils vont trouver, à côté d'eux, de puissants alliés.

Une cabale en effet s'est formée, depuis quelque temps, montée par les députés de Loir-et-Cher à l'Assemblée nationale : ils font campagne en faveur d'une candidature au siège de Blois, et le candidat est un de leurs collègues : l'abbé Grégoire, curé d'Embermesnil, député de la Meurthe.

De Paris, le vicomte de Beauharnais, l'un de ces députés, a écrit, il y a peu de jours, à son ami le comte de Cheverny, lui recommandant instamment d'appuyer le candidat. « C'est, disait-il, un sujet pur, spirituel, plein de moeurs, zélé pour la religion,... qui a assez de fermeté dans le caractère pour rendre des services à son diocèse (3) ». Ce n'est pas certes Dufort de Cheverny, ami personnel de Thémines, qui va faire propagande en faveur du curé lorrain. Mais les députés ont des affidés dans la ville ; et d'ailleurs l'un d'eux est présent, Dinocheau, le rédacteur de ce Courrier de Madon (4), dont le

(I) Adresse aux électeurs, 7 pages.

(2) Mémoires, t. II, p. 42.

(3) Ibid., p. 41,

(4) Le Courrier de Madon à l'Assemblée Nationale, journal que Dinocheau faisait paraître « tous les matins, au Palais Royal, n° 14, chez Gattey, libraire ». Il y émettait des idées


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titre seul est un coup de griffe lancé à M. de Thémines. Or tout ce inonde racole des voix activement, exalte les mérites du député de la Meurthe : patriote, éloquent, prêtre de grand savoir et de grande foi, courageux défenseur de la « liberté ». Par contraste, il faut bien démolir l'évêque actuel ; la cabale ne s'en fait pas faute, Dinocheau en tête.

Tel est l'état des esprits... Le Département, redoutant, dit-il, les « explosions » des « têtes chaudes », a pris des mesures d'ordre. Il a commandé de ne pas sortir dans les rues, sans lumière, le soir du samedi 12 février.ni les soirs suivants. Maréchaussée, garde nationale, détachement du Royal-Cravate ont été mobilisés. Jour et nuit des patrouilles doivent sillonner la ville.

Pour le dimanche 13, « un piquet » a reçu l'ordre de se tenir « en bataille sur la place de la cathédrale pendant la messe ». La municipalité a eu beau représenter que cet « appareil militaire... répandrait dans cette cité paisible, pendant la célébration des saints mystères, une teinte d'inquiétude », qu'il offrirait au peuple « l'image inquiétante d'une élection soutenue par la force des armes ». Le Département n'a pas cru devoir abandonner son plan ; il veut, dit-il, « en imposer, intimider toute espèce de mécontent (I) ».

C'est à dix heures que s'ouvrit l'assemblée. La messe paroissiale fut célébrée avec solennité ; tous y assistèrent

assez avancées. Le premier numéro est du lundi 2 novembre 1789. Ce journal n'eut qu'une existence éphémère. Le titre était une allusion malicieuse au Cahier du H ameau de Madon. Bibl. nat., Le 2 279.

(I) Lettre de la municipalité de Blois au directoire du département, 11 février 1791. •— Réponse du département, 12 février. A. D., L- 711-


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ainsi que l'exigeait la loi du 24 août. Le Veni Creator fut chanté ; car on avait voulu conserver un cadre très religieux à cette laïcisation de l'Église. La messe terminée, l'Assemblée monta dans le choeur, et le procureur générai Brisson (I) lut le discours d'ouverture.

En vérité il commença fort bien. Il eut un mot de louange pour M. de Thémines, « cet évêque qui fut toujours recommandable par ses talents, par ses lumières et par la pureté de ses moeurs », et « qui serait digne encore des plus grands éloges », s'il était à la fois « bon citoyen ». Mais, déclanché sur ce mot, ce fut alors un acte d'accusation qui longuement se déroula en de lourds griefs. Brisson prononçait là une exécution capitale. Les antithéminiens, tous les avancés avaient leur cause servie à souhait, Ils durent applaudir vivement la peu flatteuse oraison funèbre.

Enseveli l'évêque d'ancien régime, on devait préparer le régime nouveau. Décemment, l'orateur ne pouvait appuyer, ni même suggérer expressément une candidature. Mais n'y avait-il pas façon d'aiguiller habilement les sympathies et les voix?... Brisson s'y employa.

Pour les « fonctions délicates et sublimes, dont il s'agit», dit-il, il faut « des prêtres vertueux ». Certes le département en posséde un « assez grand nombre ». Mais la vertu seule n'est pas suffisante ; il faut une vertu qui ne sache pas plier sous le poids des devoirs. Déjà d'autres départements ont choisi leurs évêques ; ils sont allés les chercher « jusque dans le sein de l' Assemblée nationale », et toute la France applaudit ces nouveaux élus, « ces héros de la Révolution .

(I) Marcou Brisson, bailli de Selles-en-Berry en 1789, élu député à l'Assemblée nationale, puis à la Convention, où il vota pour la mort du roi.


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L'insinuation était adroite ; elle s'enveloppait de périodes pompeuses et sonores ; elle se précisait, à la fin, en un portrait fort bien tracé de l'évêque idéal. « Choisissez, Messieurs, un homme prépondérant, distingué par son patriotisme et par son savoir, dont l'ascendant entraîne les esprits, dont les lumières puissent dissiper les incertitudes ; qui porte sur son front le caractère noble et imposant d'un homme fait pour prêcher les vérités de l'Evangile et propager les principes constitutionnels ; qui réunisse enfin à tous ces avantages celui d'être marqué du sceau de la confiance publique (I) ».

Sous ce portrait, tous les gens avertis mirent d'instinct le nom de Grégoire... Le « parti des députés » applaudit avec force l'astucieux procureur. Les cabales jubilaient : on venait de leur faire une belle réclame. La bande des antithéminiens alors se déchaîna. Dufort nous la décrit. Un prêtre mène l'assaut, — un moine prémontré qui a jeté le froc, Jean Tolin, prieur-curé de Saint-Pierre-du-Bois (2), triste personnage, frondeur, brouillon, insolent ; il a de longue date amassé des rancoeurs contre le haut-clergé, et a salué, dès le début, comme une libératrice l'« heureuse et mémorable révolution (3) ». Il n'est pas électeur.. Mais il veut être là,

(I) Procès-verbal de l'élection de Grégoire. A. D., L. 249.

(2) Saint-Pierre-du-Bois, aujourd'hui hameau de la commune de Saint-Martin-dès-Bois. — Ce Tolin, religieux prémontré de l'abbaye de Saint-Georges-du-Bois, sera choisi par Grégoire comme vivaire épiscopal. En février 1792, il publiera un pamphlet contre l'épiscopat constitutionnel : il y demandera qu'on réduise les évêques au rôle de curés de cathédrale, et qu'on supprime leurs insignes ; il s'y posera aussi en apologiste du mariage des prêtres. (Grande réforme à faire dans le clergé constitutionnel, Paris, in-40, 62 pages). L'apparition de ce libelle suscitera, à Blois, un toile général, au point que le club lui-même chassera de son sein le vicaire épiscopal.

(3) Il eut, en particulier, maille à partir, en 1789 et 1790, avec l'abbé commendataire de l'abbaye de Prémontrés de Saint-Georges-du-Bois. A. D., L. 896.


— 105puisqu'il

105puisqu'il de battre « le hautain Thémines ». On le voit, « le chapeau sur les yeux », s'agiter, en pleine cathédrale, vomissant des invectives contre l'évêque. Il trouve des acolytes : Lépine, qui hurle des insanités et cherche à rallier les fermiers, ses camarades ; Frécine, qui, trouvant bonne l'occasion de se montrer, — car il a des ambitions, — débite une diatribe « aussi injurieuse que possible » (I). La bande est méprisable ; elle se rend odieuse.

Malgré toutes ces menées, toutes ces pressions, la majorité ne se laisse pas entraîner. Les « energumènes »' excitent son dégoût, le « parti des députés » sa défiance.

Vers quel parti vont ses sympathies, elle l'a bien montré par ses votes : Petit de Villanteuil, maire de Blois, qu'elle a élu président, est un homme de toute droiture, un esprit modéré ; et Dufort de Cheverny, que 200 suffrages, sur 240 votants, ont nommé secrétaire, personne n'ignore ses hautes relations aristocratiques, ni les liens qui l'unissent à Thémines.

Le groupe des « honnêtes gens » d'ailleurs garde toujours son idée : maintenir sur son siège l'évêque actuel. Et voilà qu'ils décident d'envoyer vers lui ,une délégation « pour l'inviter à rester et à se conformer à la loi nouvelle (2) ». La démarche était fort louable en ses intentions ; mais quelle confiante naïveté de la part de ces braves gens ! Dufort, quisavaitd'avancelaréponse, se garda bien de faire partie de la députation.... Les pourparlers ne furent pas longs ; « au premier mot, ils

(I) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. II, p. 42. — Augustin-Lucie de Frécine, né à Montrichard, le 13 décembre 1751, avocat au Parlement, bailli de Montrichard en 1780 ; député à la Législative, en 1791 ; membre de la Convention, où il vote

pour la mort du roi. Receveur général dans l'Yonne, en l'an VII. Mort à Montrichard, le 20 juin 1804.

(2) Ibid., p. 43.


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prirent fin ». Évidemment l'évêque ne pouvait pas accepter les conditions de l'élection. Les délégués revinrent désappointés.

Thémines n'est plus candidat. Sur qui ses partisans vont-ils reporter leurs voix? Depuis hier on chante de tous côtés à leurs oreilles les louanges de l'abbé Grégoire. Mais, qu'est-ce en réalité que ce prêtre autour duquel on fait tant de bruit ? Très peu au fait des débats politiques, beaucoup ignorent les titres du curé d'Embermesnil, On leur crie bien que c'est un homme d'un grand mérite et d'un grand prestige. Mais quand même, venant de si loin, cet homme, dont ils ne savent rien de bien sûr, ne leur dit pas grand chose. Ayant pour parrain tout ce parti d'énergumènes, cet homme ne leur dit même rien de bon.

N'ont-ils pas là, tout près d'eux, dans le département, voire parmi eux, dans l'assemblée électorale, des prêtres de vrai mérite, — le procureur syndic l'a lui-même affirmé, — des prêtres qu'ils connaissent bien, avec lesquels ils causent, en qui ils peuvent avoir confiance? Un abbé Dupont, par exemple, ne vaudrait-il pas cet énigmatique curé de Lorraine?... Et voilà comment fut lancée cette candidature qui faillit mettre à mal le succès de Grégoire.

L'abbé Dupont n'est pas homme de grande envergure, certes. Mais jeté dans le mouvement, et soucieux d'y tenir une place, il s'est haussé jusqu'à l'administration départementale. Il est des constitutionnels blésois le plus en vedette. D'une ambition assez naïve, ce bon chanoine, brave homme au demeurant, se laisse prendre au mirage du violet. Devant cette faveur qui lui arrive, il se garde de protester. Vraiment il a des chances ; le relief qu'il tient de ses fonctions civiles impressionne ; on le sait actif; il est jeune, — 44 ans ; on le dit serviable


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et bon à qui recourt à son influence ; surtout on le connaît et il est du pays, — grosse question (1)...

En somme, au soir de cette première journée, nul scrutin n'ayant encore défini les positions, les partisans de Grégoire, malgré leurs actives pressions, ne sont sûrs de rien : devant leurs sondages, les ruraux ont montré visage réservé de gens qui ne veulent pas se compromettre. Il faudra donc attendre le premier scrutin, le lendemain. Mais, en attendant, on continuera la campagne, — dans les clubs.

Les clubs, — je dirai de quel esprit ils étaient, — ont voulu se mêler des affaires de l'assemblée : de quoi ne se mêlaient-ils pas ?... Vers 5 heures, ils ont envoyé une députation à la cathédrale. On l'a admise au bureau, et son chef, un jeune diacre fort audacieux d'idées, Laurent Roger (2), a prononcé un discours animé du « plus pur patriotisme ». L'assemblée a applaudi et décidé que ce discours serait transcrit au procès-verbal. En se retirant, la députation a déposé sur le bureau une adresse dans laquelle, en un style grandiloquent et flou, elle faisait des voeux pour « le glorieux privilège », « l'oeuvre sainte » des électeurs, et les invitait à venir, dans leurs « moments de loisir », partager avec les clubistes « la douce effusion du patriotisme ».

Les « douces effusions » durent, je le croirais, se traduire, ce soir-là, aux clubs, par d'ardents dithyrambes en l'honneur du candidat éminemment patriote, dont

(1) Claude Dupont, né à Saint-Aignan, le 9 mai 1751, chanoine de Saint-Aignan ; depuis juillet 1790, membre du directoire du département. Il restera, durant toute la révolution, le représentant le plus en vue et l'un des plus sages du clergé constitutionnel. Nommé curé de Montrichard, en 1803, il mourut, dans cette paroisse, le 19 février 1813.

(2) Laurent Roger, né à Blois le 17 mai 1766, ordonné prêtre par Grégoire le 23 avril 1791, puis nommé curé de SaintClaude : il sera un des plus agités parmi les constitutionnels.


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bientôt les Amis de la Constitution allaient faire leur idole.

A 9 heures, le lendemain, les électeurs revinrent a la cathédrale. Une dizaine manquaient. L'appel terminé, le premier scrutin s'ouvrit. Un à un, les 250 membres présents s'avancèrent au bureau,. et, en déposant leur bulletin, prononcèrent le serment civique, dont la formule était inscrite près du vase.

Ce fut très long : cela dura quatre heures. On attendit, dans la fièvre, le dépouillement... Grégoire, Dupont se trouvèrent avoir bon nombre de voix, mais ni l'un ni l'autre la pluralité absolue ; il y avait d'autres concurrents que le procès-verbal ne nomme pas, Quesnot, Meyssonnier peut-être.

Le parti des députés s'énervait. L'abbé Dupont devenait sérieusement gênant. Il fallait trouver moyen d'évincer ce fâcheux. On l'accusa d'accaparer des voix en sa qualité d'électeur. Le pauvre chanoine dut venir se défendre au bureau, et il fut, selon Dufort, assez terne.

A trois heures, pour le second scrutin, il y avait 239 présences. Le procès-verbal note que « l'appel terminé, les électeurs se sont tenus éloignés du bureau des scrutateurs ». Est-ce pour souligner qu'il n'y eut pas de tripotages?... En fait le second vote maintenait les positions du premier.

Il pouvait être environ cinq.heures. La nuit venait, et l'on ne voyait poindre aucune solution, chaque parti se tenant obstinément sur ses positions. Alors le président déclara que l'Assemblée « ne pourrait voter pour cette dernière fois que sur le sieur Grégoire... et sur le sieur


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Dupont..., qui avaient réuni le plus de suffrages en leur faveur ».

Il fallait en finir. « On sentit, dit Dufort, que, dans ces moments de trouble, la religion serait perdue, si le successeur de M. de Thémines n'avait d'autre recommandation que les talents les plus ordinaires et une envie démesurée d'être évêque. On nous disait Grégoire un homme convaincu de la religion, de moeurs pures, éloquent, plein d'énergie. De deux maux, il fallait éviter le pire (I) ». Dufort avait dans la main tout son groupe d'« honnêtes gens ». Sans doute leur soufla-t-il un mot d'ordre.

A l'appel nominal, on constata cette fois plus de 50 absences, peut-être gens fatigués d'une si orageuse journée, ou bien froissés de ce qu'on jetât ainsi l'interdit sur leur candidat personnel... De cette conjoncture, Grégoire profita: sur les 211 votants, II6 furèntpour lui, 87 pour l'abbé Dupont, 8 billets étant nuls. 116 voix ! Le curé d'Embermesnil avait, — enfin, — la majorité, mais une majorité chèrement disputée et bien parcimonieusement octroyée.

Cependant le parti des députés triomphait. Les applaudissements, les acclamations éclatèrent. Solennellement le président proclama l'élu... La nuit était très avancée... Toutes les cloches de la ville néanmoins se mirent en branle pour saluer le nouvel évêque, et un courrier partit « avec la plus grande célérité », portant à Grégoire et à l'Assemblée nationale l'heureuse nouvelle de l'élection.

Le lendemain, à dix heures, la cathédrale est comble. (1) Mémoires, t. II, p. 43.


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Tout Blois se trouve là, tout ce qui n'a pas juré haine à la Constitution civile. De nouveau le nom de Grégoire est proclamé, acclamé. La cathédrale est fervescente. Le parti vainqueur exulte. Il faudrait qu'une parole pacifiante tombât sur tous ces esprits échauffés.

De la grille du choeur, un officier municipal, excellent homme, Baron-Germonière, essaie quelques mots. « Si nous formions, Messieurs, une assemblée de courtisans, je m'empresserais de faire l'éloge de l'homme en place aux dépens de l'homme disgracié ; mais... cette assemblée électorale, impassible comme la loi, ne doit se permettre ni critique, ni éloge... D'ailleurs la nomination que vous venez de faire manifeste clairement votre opinion et sur le prélat que vous avez choisi, et sur le prélat savant et ferme auquel il fallait nécessairement opposer, pour la tranquillité des consciences, un ange de lumière et de paix ». La dernière phrase n'était pas très claire, la première plutôt forcée ; mais cela pouvait en somme accommoder tout le monde, et c'était, adroitement donnée, une leçon...

Cependant toutes les cloches à nouveau sont en branle, Les pièces d'artillerie tonnent. La messe solennelle commence, célébrée par Léonnar-Vallon, l'un des deux curés assermentés de la ville. On chante l'Exaudiat ; on chante le Te Deum. Le peuple est en liesse...

Et de son palais épiscopal, M. de Thémines entend les cloches et les chants célébrer sa déposition officielle... Quels furent à cette heure ses sentiments? Du dépit? Je ne le crois pas ; de cette assemblée il n'attendait rien pour lui-même. Plutôt de l'écoeurement, du mépris pour cette église « mercenaire », née « des antres de la chicane et des bourbiers de la ville (I) ». Contre elle

(I) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 173.


— III —

il aura des mots cinglants. Épouser ce rôle de mercenaire, lui n'y eût jamais consenti. Et c'est pourquoi, ce matinlà, l'injure d'une déposition ne le déprima pas. « Immuable comme Socrate, raconte Dufort, il consolait le peu d'amis qui lui restaient fidèles (I) ».

Le 15 février, le curé d'Embermesnil, en son appartement de la rue du Colombier, recevait deux courriers lui apportant l'annonce de son élection à l'épiscopat : l'un venait de Blois, l'autre venait du Mans.

« Nous espérons, disaient les électeurs de Loir-et-Cher, que l'église de Blois verra renaître, sous votre gouvernement, les beaux siècles de la religion... Et nous bénissons le ciel, de nous avoir indiqué un prêtre aussi courageux défenseur des droits d'un peuple libre que de la foi de nos pères (2)... » Toute la lettre était délicatement écrite, louangeuse sans hyperbole.

Tel message avait de quoi tourner une tête. Et Dufort soutient que celle de Grégoire « n'était pas assez carrée pour résister à cette élévation (3) ». Mais Dufort parait avoir été sur ce point mal renseigné.

A en croire Grégoire lui-même, le mirage de l'épiscopat ne l'éblouit pas. La mitre,— il l'affirme,— n'était pas l'objet de son ambition (4). Sa première pensée fut de refuser, « parce que, a-t-il dit, la pensée première est sous la dictée du coeur », et que son coeur aspirait à la retraite « dans le sein paisible » de la paroisse lorraine

(I) Mémoires, t. II, p. 44.

(2) Lettre des électeurs à l'abbé Grégoire, 14 février 1791.

(3) Mémoires, t. II, p. 44.

(4) Mémoires de Grégoire, publiés par H. Carnot, 2 vol. in-8°, t. II, p. 18.


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dont il possédait « la confiance et l'amour (I) ». La charge pastorale l'effrayait : « périlleuse ' dignité », « fonctions redoutables », « fardeau le plus pesant », « bien au-dessus de mes forces », — il n'en parle qu'avec des soupirs d'accablement. Accepter, cela lui semblait prendre le rôle d'une victime qui se dévoue, « Le plus grand sacrifice que j'aie jamais fait, écrira-t-il à ses fidèles d'Embermesnil, a été de consentir à être évêque ».

Que ç'eût été là son sentiment réel et profond, il serait injuste d'en douter ; si souvent il l'affirmera au cours de sa vie, et avec un tel ton de sincérité, et en de si graves circonstances (2) !

Hésitant, il ouvrit son âme « à des hommes éclairés et vertueux ». On lui fit valoir' « les besoins de la religion et de la patrie », on luireprésenta qu'« un refus universel serait le signal de l'anarchie » ; on lui répéta « que la voix du peuple est la voix de Dieu ». Sur l'odre de son confesseur, le bénédictin dom L'Hièble, il accepta enfin, malgré ses répugnances. « Trop attaché à la religion pour lui préférer ma tranquillité..., et me rappelant le châtiment infligé a la désobéissance de Jonas, de tous les sacrifices je fis le plus grand (3) ».

Grégoire donc acceptait l'épiscopat. Mais entre les deux sièges il fallait choisir. Le courrier de Blois était arrivé avant celui du Mans. D'autre part le député de la Meurthe était très lié avec le vicomte de Beauharnais, député de Loir-et-Cher ; et celui-ci courut, sitôt reçue la

(I) Lettre pastorale du 24 mars 1791. Imprimée, Paris, 24 pages.

(2) Mémoires, t. II, p. 18 et suiv. — Lettre à ses paroissiens d'Èmbemesnil, 4 août 1791 (ibid., p. 28 et suiv.). — Lettre pastorale du 25 mars 1791. — Lettre a ses diocésains pour annoncer sa démission. Mémoires, t. II, p. 145. — Lettre au Pape Pie VII, 7 ventôse an XII.

(3) Lettre à ses diocésains pour annoncer sa démission, loc cit.


A L'ASSAUT D'UN SIÈGE ÉPISCOPAL

HENRI-BAPTISTE GREGOIRE EVÊQUE CONSTITUTIONNEL DE LOIR-ET-CHER



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nouvelle, le solliciter avec instance. Les autres députés du département firent la même démarche. Il opta pour Blois. Le messager emporta donc, à l'adresse du président de l'assemblée électorale, une réponse favorable...

A Blois, ce pendant, le congrès, maintenu en séance, attendait dans l'énervement. Le jeudi 17 février, à six heures du matin, le courrier arriva. Petit de Villanteuil ouvrit la lettre et en donna connaissance. « Puissé-je, y disait l'abbé Grégoire, justifier vos espérances !... Je ne puis vous offrir que mon zèle ; le succès est entre les mains de Dieu; mais cette Providence, que j'ai vue d'une manière tendre veiller sur moi dès mon berceau, continuera sans doute d'être mon guide et mon appui (I)». On applaudit frénétiquement et on vota l'impression à deux mille exemplaires. Une fois de plus les cloches sonnèrent, le canon fut tiré, pour annoncer à la ville que dès maintenant elle avait un évêque.

L'assemblée était dissoute. Les deux cent-soixante électeurs regagnèrent leurs paroisses, semant aux quatre coins du département le nom de l'abbé Henri-Baptiste Grégoire, député de Lorraine à l'Assemblée nationale.

III. — GREGOIRE

Qu'était-ce exactement que cet homme qui allait venir gouverner l'Église de Blois? On peut tout dire d'un mot : au point de vue des opinions, l'envers de l'autre évêque. Thémines et Grégoire sont aux antipodes

(I) Lettre de l'abbé Grégoire au président de l'Assemblée électorale. A. Nat., F 19 437.

8


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l'un del'autre : autant le premier incarne l'ancien régime, autant le second symbolise le régime nouveau.

Et pourtant, divergeant à ce point sur la ligne des idées, ils se rapprochent étrangement quant à leur caractère. Esprits distingués, nourris de littérature et de théologie, de tous les deux Dufort de Cheverny a pu écrire qu'ils étaient « séduisants » et de manières et de langage. Ils furent pareillement « austères », « vertueux », et ce mot, — il est curieux de le noter, — vient, comme de lui-même, aux lèvres de qui parle de l'un ou de l'autre. Tous les deux, s'ils n'eussent pas erré par ailleurs, resteraient, aux regards de la postérité, comme nimbés de l'auréole des confesseurs de la foi : puisque Thémines eut l'honneur d'être brutalement jeté en exil pour avoir tenu à remplir jusqu'au bout ses devoirs d'évêque ; et que Grégoire eut celui d'affirmer magnifiquement, du haut de la tribune de la Convention, au milieu d'une assemblée enfiévrée, en une journée de hontes et d'apostasies, et son caractère de chrétien et son caractère d'évêque (I). Leur religion à tous deux fut également sincère, — l'atmosphère de scepticisme ne les avait point pénétrés, — et leur charité également attentive : les pauvres de Blois bénissaient Thémines ; les gens d'Embermesnil avaient un culte pour Grégoire, vantaient « sa tendre sollicitude », « sa bonté affectueuse ». Et de la plume de ces batailleurs tombent parfois des paroles d'une tendresse émouvante.

Or ces bons, ces charmeurs dans l'intime de la vie, deviennent des intraitables, je dirais des féroces, quand ils abordent le terrain des idées. Il faut entendre le Thémines courroucé. Grégoire est pire. Lui qui dit et

(I) Le 7 novembre 1793, le jour où l'évêque de Paris, Gobel, vint publiquement abdiquer, à la tribune de la Convention.


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répète : « La haine n'eut jamais accès dans mon coeur (I) », il hait, et d'une haine implacable, la royauté et les rois. Quand il en parle, c'est la rage au coeur et l'injure aux lèvres : Louis XIV, c'est le « scélérat », « le plus orgueilleux des despotes » ; Louis XV, « le minotaure » ; Louis XVI « le parjure », « le monstre ». Dans le procès de Louis XVI, il votera contre l'inviolabilité, il votera pour la culpabilité, et, s'il ne vote pas la mort, c'est qu'il est l'ennemi de la peine de mort. Le spectre de la royauté l'aveugle, l'affolle au point de lui enlever pour un moment ce qu'il y a en lui de dignité et de bon sens.

Thémines et Grégoire sont des violents. Ils sont des intransigeants. Une fois prise son attitude d'hostilité vis à vis de la Révolution, le premier ne s'en voudra plus départir, jusque là qu'il refusera au pape la démission de son siège. « Très Saint Père..., nous nous trouvons dans la nécessité de vous refuser l'obéissance accoutumée... (2) ». Le second, lui non plus, ne saura pas fléchir. « Je suis comme le granit, a-t-il écrit, on peut me briser, mais on ne me plie pas (3) ». On ne l'a pas brisé ! Ainsi que l'autre, il se rebellera hautement contre le pape. « Très Saint Père..., si c'est un tort de penser comme Yves de Chartres, Hincmar de Reims et Bossuet sur les maximes de l'Église de France, je l'avoue, ce tort m'accompagnera au tombeau (4) ». Des deux évêques de Blois montait vers Pie VII le même cri de révolte ! Ainsi vivront-ils, irréductibles, obstinés dans leur insou(I)

insou(I) à des journalistes pour répondre à l'accusation de régicide, 1820, insérée dans Grégoireana, par Cousin d'Avallon, (Paris, 1821, 178 pages), p. 153.

(2) Lettre collective de treize évêques émigrés en Angleterre. Annales de la religion, t. XIV, p. 412-413.

(3) Lettre au duc de Richelieu, 1820 ; Grégoireana, p. 157.

(4) Lettre à Pie VII, 7 ventôse an XII. Mémoires, t.. II, p. 121-123.


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mission, tous deux chefs de secte, — jusqu'à la fin. Pourtant l'un, l'anticoncordataire, le « dissident », à la minute suprême, se réconciliera avec Rome. Il avait écrit, en un acte solennel : « Enfant docile et respectueux du Saint-Siège et de l'Église... c'est dans leur sein que nous voulons vivre et mourir (I) ». L'autre, le constitutionnel, mourra, lui, sans courber le front : « On ne me plie pas (2) ! »

Grégoire, un seul principe fut le ferment de sa vie et de son action, celui-là même que Thémines abhorrait : l'esprit démocratique, — on disait alors « l'amour de la liberté ». Vers la « liberté » il fut attiré d'instinct. Il parle de son « penchant précoce » pour « les ouvrages en faveur de la liberté (3) ». « J'aimais surtout l'ouvrage de Boucher : De justa Henrici tertii abdicatione; et les

(I) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 252.

(2) On sait que Thémines, après des séjours successifs en Savoie, en Espagne, puis en Angleterre, mourut à Bruxelles, le 2 novembre 1829. Lorsqu'en 1801, le pape Pie VII demanda la démission de tous les évêques de France, Thémines fut un des deux qui obstinément refusèrent, et il devint dès lors le chef de la secte anticoncordataire, connue sous le nom de Petite-Église. Sur son lit de mort, il fit sa soumission à Rome, entre les mains du curé de Saint-Jacques de Caudenberg ; et son successeur sur le siège de Blois, Mgr de Sausin, fit célébrer à Blois et à Vendôme, des services solennels pour le repos de son âme.

Grégoire, membre de la Convention, puis du Conseil des Cinq-Cents sous le Directoire, puis du Corps Législatif sous le Consulat, devint, sous l'Empire, sénateur, comte et membre de l'Institut. Il mourut le 28 avril 1831, obstinément fidèle au schisme : l'abbé Guillon lui avait, malgré la défense de l'archevêque de Paris, administré les derniers sacrements. A ses funérailles, célébrées en l'église de l'Abbaye-aux-Bois, un prêtre interdit chanta la messe ; une immense foule y assista et donna à la cérémonie le sens d'une manifestation politique.

(3) Mémoires, t. I, p. 327.


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Vindicioe contra tyrànnos publiés par Hubert Longuet sous le nom de Junius Brutus ».

De telles tendances étaient dangereuses à une telle date et en un tel esprit. Rencontrant alors les Philosophes, il ne pouvait que s'en éprendre : à les lire il se sentit « dévoré de doutes », et il faillit, en sa prime jeunesse, y trouver l'abîme. Pourtant il remonta : son âme était droite et saine ; elle fut frappée de ce que « la plupart des écrivains qui avaient attaqué la religion eussent souillé leur conduite et leurs ouvrages par des tableaux lubriques (I) ». Dégoûté de se trouver de tels compagnons de pensée, le jeune homme austère s'éloigna d'eux et leur garda rancune.

Mais ce qu'il y avait puisé d'idées libérales s'était déposé en sédiments solides sous ses croyances reconquises. Il découvrit alors qu'« entre le christianisme et la liberté il existe une indestructible et sainte alliance (2) ». A quelqu'un qui s'étonnera devant lui plus tard qu'un évêque soit ainsi animé « par l'esprit d'un Caton », il répondra, se reportant à sa jeunesse : « J'ai pris pour guide mon coeur et les Écritures ; l'un m'a enseigné la compassion pour les opprimés, et j'ai trouvé dans les autres toutes mes idées et tous mes principes sur la liberté (3) ».

Évidemment dans son monde de telles idées n'étaient pas chemin battu. Il cherchait une école pour le guider en ses aspirations. La Scholastique ne lui allait guère, — « cette Scholastique querelleuse qui... rétrécit le génie et dessèche le coeur (4) ». Il rencontra Port-Royal

(I) Mémoires, t. II, p. 3.

(2) De l'Eglise gallicane dans son rapport avec le Souverain Pontife (sans, nom d'auteur), Paris, 1821, 23 pages, p. 19.

(3) Conversation de Grégoire avec Lady Morgan. Grégoireana, p. 82 et suiv.

(4) Les ruines de Port-Royal en 1801, par le Citoyen Grégoire. Paris, 40 pages, p. 15.


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« Ce qui tient à l'école de Port-Royal, a-t-il dit, est ami de la liberté (I) ». C'était sa voie. Port-Royal, ce fut son culte !... En 1809, « année séculaire de la destruction du monastère », il écrira un livre ému à la gloire des Solitaires, « ces géants littéraires, qui tous ont cru à la révélation et l'ont défendue », mais aussi ces « précurseurs de la Révolution », qui ont opposé « une double barrière aux envahissements du despotisme politique et du despotisme ultramontain ».

Car ce qui l'a séduit dans l'école de Port-Royal, c'est bien certes « la pureté de la vertu, la sublimité du génie, la profondeur de l'érudition », mais c'est aussi l'aversion contre « toute espèce de despotisme ». Ce qu'il a gagné à ce contact, c'est bien la « morale évangélique, avec le caractère de dignité, d'austérité et d'amabilité qui lui est propre » ; c'est aussi un gallicanisme irréductible et un ardent démocratisme.

Il n'y a qu'à glaner dans ses nombreux écrits pour savoir ce qu'il pense de Rome, et pour constater qu'il tient de Port-Royal ses principes. « Port-Royal, ditil, fut également ami du Saint-Siège dont il a défendu les droits, et ennemi de la cour de Rome dont il a censuré les abus (2) ». Telle est à lui-même sa position. A son sens, il importe de ne pas « confondre le Saint-Siège avec la cour de Rome ». Pour le Saint-Siège il se déclare vingt fois, — et l'insistance est singulière, — « pénétré de vénération », « respectueusement soumis à ses décisions ». Et c'est lui, le fait est piquant, qui, dans l'Assemblée

(I) Les ruines de Port-Royal des Champs en 1809, Paris, 1809, 177 pages, p. 97 et suiv.

(2) Ibid,


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nationale, arrache aux Jansénistes du Comité ecclésiastique l'amendement à l'article II de la Constitution civile, cette fameuse mention de « l'unité de foi et de communion qui sera entretenue avec le chef visible de l'Église ».

Mais pour. « la cour de Rome », il n'a que de dures paroles. Elle est, dit-il, « l'antipode de la religion », « le premier scandale de la religion, — l'inquisition, toute hideuse qu'elle soit, ne venant qu'en seconde ligne (I) ». Périlleuse distinction ! Entre ce qu'il appelle la cour de Rome et le Saint-Siège, la démarcation n'est pas assez nette pour que, pensant réfréner l'une, il n'en arrive à enchaîner l'autre.

En fait, sous couleur de lutter contre les « empiètements ultramontains », il diminue singulièrement le Pape. Il lui dénie bien sûr l'infaillibilité. « Si les papes étaient infaillibles, par là-même les conciles seraient très inutiles (2) ». Puis il resserre les limites de sa juridiction, en deçà des « droits imprescriptibles des nations », des « saintes libertés » de l'église gallicane. Et le voilà, porté par ses principes, conduit à la thèse constitutionnelle. En • vérité il n'applaudit pas chaudement à la Constitution civile du clergé ; il la trouvait défectueuse. Il est curieux de noter son attitude durant les phases mouvementées de la discussion des articles. S'il intervient, ce n'est pas pour mettre son éloquence fougueuse à la défense de la thèse : c'est pour modérer la fureur de réformes qui sévit dans l'Assemblée. La plupart du temps ses motions échouent devant le sectarisme d'un parti qui ne veut qu'enchaîner le clergé. Et c'est

(I) Mémoires, t. II, p. 25 et 26.

(2) Essai historique sur les libertés de l'église gallicane, Paris, 1818, 459 pages, p. 7.


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pourquoi il trouve le décret, en tant de détails, répréhensible.

Mais le principe général il l'approuve. Aussi proclamera-t-il son adhésion au décret, et s'en fera-t-il le défenseur convaincu. Le pape condamnera la loi. Lui restera sur ses positions et ne s'émouvra de l'auathème, se disant en même temps « le très humble et très respectueux serviteur et fils » du Saint-Père. Aberration ? Non ; logique parfaite : il tient que le pape incursionne là sur le terrain interdit des libertés gallicanes.

Tel est le gallican. Port-Royal lui a infusé de même l'esprit démocratique. L'amour de la « liberté », chez lui, fut donc quasi instinctif ; ses premières lectures le développèrent ; ses études ultérieures lui donnèrent des principes. « Les nations ne sont pas la propriété de ceux qui les gouvernent... Elles tiennent du ciel leurs imprescriptibles droits (r) ». Il ne dit pas encore que la royauté, — « superfétation politique », — doit être abattue ; mais il la voudrait dès lors singulièrement amoindrie. Ne propose-t-il pas, pendant la rédaction du cahier de doléances du bailliage de Lunéville, de demander que le roi soit « pensionné » ! Scandale ! « Demi-blasphème » ! dit-on (2). Mais il faut croire que pareille audace n'effaroucha pas outre mesure les curés, car ils l'élurent député.

A Versailles, le premier représentant qu'il rencontre, c'est Lanjuinais. « Le premier engagement que nous contractons ersemble, dit-il, c'est de combattre le despo(I)

despo(I) prononcé le jour de la Toussaint 1789, en l'église de l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Paris, 8 pages.

(2) Mémoires, t. I, p. 402.


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tisme (I) ». Grégoire tient l'engagement. Il mène campagne contre tout despotisme, « despotisme politique », et « despotisme épiscopal », « confédérés » tous deux « pour river les fers des nations ». Il a deux armes redoutables : son éloquence mordante, puis les abus réels de ceux qu'il attaque. Il n'a pas peur des peintures réalistes, des mots virulents, des gestes de tribun. Ses paroles sont des actes ; elles entraînent et créent des courants. Le 10 juin, il lance une Lettre des plus violentes pour engager les curés à se réunir au Tiers-État (2). La réunion se fait. Dix jours après, c'est la scène du Jeu de Paume : il s'y trouve cinq curés et Grégoire est des cinq. Le 22 juin, pendant la réunion définitive de la majorité du clergé, lorsque le nom de Grégoire est prononcé, la salle retentit d'acclamations et il est nommé secrétaire de l'Assemblée... C'est la popularité qui commence... Il vote, avec la partie la plus démocratique, contre le veto absolu, contre le droit d'aînesse, etc.. Le 18 janvier, il est nommé président.

Le voilà en pleine lumière. La presse libérale célèbre ses louanges. On le salue du titre d' « idole de la France ». La presse populaire elle-même, — le Père Duchesne, — l'exalte...

Et c'est au sein de cette popularité que le veraient chercher les suffrages du département de Loir-et-Cher.

IV. — BLOIS FERMENTE

Dès le jour de l'élection, ce fut entre Grégoire et les autorités blésoises un échange de lettres pleines d'amé(1)

d'amé(1) p. 378.

(2) Nouvelle lettre d'un curé à ses confrères députés aux Etats Généraux, 40 pages.


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nités et de beaux espoirs. Mais aucune ne cachait au nouvel évêque que la ville de Blois fermentait et que « le fanatisme » y aiguisait « ses traits les plus malins ».

C'est que, depuis l'affaire de l'Adresse aux électeurs, M. de Thémines zélait. L'aimable prélat s'était mué en apôtre ardent. Il administrait le sacrement de Confirmation, « journellement », à quiconque faisait profession de renoncer au culte schismatique. Lui qui, depuis quinze ans, avait, comme on disait, réduit à six les sept sacrements de l'Église, il réparait sa négligence, — à la hâte. Il accueillait les enfants prodigues, les prêtres repentants, les recevait « avec respect » sur son sein paternel, lui, le « hautain Thémines » ! et les « embrassait tendrement ».

A ces apostoliques conquêtes, il lançait des disciples, qui partageaient sa haine contre le crime « d'intrusion » : Habert, son secrétaire, Gallois, curé de Saint-Nicolas, Maudhuit, vicaire de Saint-Saturnin, Ménard, économe du Séminaire, le jésuite Forest, ancien professeur au collège. Dans leurs sermons, au confessionnal, ils cherchaient à inspirer, la défiance contre le « schisme ». Dans leurs lettres, leurs visites, ils poussaient à la rétractation leurs confrères assermentés. Si l'on en croit une lettre du 22 mars, ils ramassaient dans les rues et partout où ils les pouvaient trouver, « à l'insu même des parents et sans leur consentement »,'des enfants de huit à neuf ans à qui ils faisaient faire la première communion (I). Ils recrutaient de force, pour créer le vide autour de «l'intrus »

Dans les chapelles des communautés surtout la résistance se préparait ardemment. Là on était plus chez soi ; onredoutait moins les oreilles indiscrètes, et l'on trouvait

(I) Lettre d'un administrateur du département au directoire du district de Mondoubleau, 22 mars 1791. A. D., L. 1307.


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groupés les fidèles les plus zélés pour la défense de la vraie discipline. A l'Hôtel-Dieu, Saunier, le martyr ; à la Visitation, Martellière ; aux Ursulines, Habert attisaient la flamme sainte, le « fanatisme », disait-on de l'autre côté.

« Prêtres, dévots, dévotes, écrivait une dénonciation, tous s'identifient avec la crosse et la mitre ; l'ex-prélat veut jouir encore de tout son crédit... Jamais sa cour ne fut plus nombreuse ; jamais aussi ses courtisans ne furent mieux reçus ; des mandements incendiaires, des conciliabules de nuit.,., voilà les manèges habituels de M. Lauzières (I) ».

Tout autour de la ville aussi, l'incendie se propageait. A La Chaussée, le vicaire Gourdet était des. plus actifs ; à Villerbon surtout, le curé Thoisnler et le vicaire Salmon entraînaient dans l'opposition là presque totalité de leur paroisse. « Partout, disait la même dénonciation, les prêtres semblent former une barrière entre le peuple et la loi. »

Mais, à l'encontre du « fanatisme épiscopal », se levait un parti puissant, audacieux, fanatique lui-même, le club des Amis de la Constitution. Il était alors présidé par un prêtre, le cistercien défroqué Edme Toubeau (2). Or pour ces patriotes à outrance, les réfractaires étaient des ennemis de la patrie, des « enfants dénaturés » qui buvaient « les sueurs et le sang de leur mère », (c'était là de leurs mots). Le Ier mars, ils dénoncèrent l'évêque à l'Assemblée nationale. En un factum très long, cajoleur pour « les aigles du sénat français », ils demandaient contre Thémines la déchéance «de toute

(I) Lettre des Amis de la Constitution de Blois à l'Assemblée nationale, Ier mars 1791. A. Nat., DXXIX bis, 21-227.

(2) Ancien procureur de l'abbaye cistercienne de l'Aumône (paroisse de La Colombe).


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fonction épiscopale comme de tout traitement ». Ils y peignaient au tragique la situation ; à les entendre, Blois pouvait, d'un jour à l'autre, « devenir le théâtre du plus affreux désastre ». Ils parlaient d'insurrection possible. « Nous sommes sans armes, gémissaient-ils ... Hâtez, Messieurs, notre sûreté. . Armez au plus tôt trois millions de citoyens pour repousser l'ennemi du dehors et contenir l'ennemi du dedans ».

Ces effarements touchaient au grotesque. Les Amis de la Constitution, eux, se prenaient au sérieux. Ils se tenaient sur leurs gardes, prêts à la lutte. La circonstance d'une ordination fut le casus belli qui déclancha l'offensive.

L'ordination était annoncée pour le 19 mars, samedi des Quatre-Temps. Un tel projet avait de quoi irriter les clubistes : oser faire cet acte épiscopal par excellence, alors que l'autre évêque, l'évêque légal, était à la veille de prendre possession ; se créer de ce fait quelques nouveaux auxiliaires tout dévoués, d'autant plus dangereux qu'ils déploieraient un zèle de néophytes, — c'était trop fort. D'ailleurs les deux ou trois diacres du club, de tous les sociétaires les plus exaltés, avaient des raisons personnelles pour bondir : évadés du Séminaire, ils ne pouvaient avoir en odeur de sainteté les ordinands, leurs condisciples, restés fidèles aux directeurs et à l'évêque. Et sous la pression qu'ils exercèrent, les administrations fléchirent.

Le 18 mars, en effet, le Département notifia à Thémines que Grégoire avait reçu la consécration, et qu'en conséquence il eût à cesser, lui, sur le champ « toutes


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fonctions épiscopales... comme aussi d'évacuer, dans le délai de trois jours, la maison épiscopale (1) ».

Une telle injonction était illégale, puisque le décret sur la Constitution civile du clergé autorisait les insermentés à rester à leur poste jusqu'à leur remplacement effectif. Le Département ne devait pas ignorer, remarque avec humeur Thémines, « que les intrus n'étaient en fonctions que du jour où ils souillaient en personne les églises par leur présence et par leur parjure (2) ».

Fort de son droit, l'évêque résolut de passer outre : quel ordre avait-il à recevoir de ces gens-là? « Les Protestants et les Juifs font leurs ministres et leurs rabbins sans que les directoires et les clubs s'en mêlent (3) », et il était bien décidé à faire, lui, ses prêtres, malgré les directoires et les clubs.

Le matin du 19, il donna la confirmation à trois jeunes filles, dans une maison particulière ; et l'ordination, il se proposait de la faire, la nuit suivante, dans une chapelle domestique, toutes portes fermées (4). La loi ne prohibant, disait-il, que les « fonctions publiques dans des églises nationales », il pensait être en règle avec la loi.

Mais les choses transpirèrent. « Le bruit public » informa le Département et de la confirmation du matin et du projet d'ordination pour la nuit. Grand émoi. Aussitôt le procureur syndic Brisson dresse son réquisitoire : donc, « malgré la notification qui a été faite à M. Thémines... il continue ses fonctions épiscopales ». Il faut, fût-ce par la force, que l'arrêté ait son exécution.

Talonnés par les gens du club, Département, District,

(1) Délib. du direct, du dép., séance du 18 mars 1791. A. D., L. 114.

(2) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 55.

(3) Ibid., p. 56.

(4) Ibid., p. 55-56.


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Municipalité concertent un vaste plan de repression. Le commandant de la garde nationale postera des hommes aux alentours de l'église des Visitandines, où l'on dit que Thémines « doit ordonner cette nuit des prêtres » ; il fera de fréquentes patrouilles, et se tiendra en communication étroite avec les autorités (I).

Mais voici qu'un bruit se répand : l'évêque est résolu à ordonner quand même, et, pour déjouer la police, à se transporter hors de Blois. Ainsi le péril s'étend. Les corps constitués élargissent les pouvoirs . du commandant, lequel devra « suivre M. Thémines dans les églises, chapelles ou maisons de la campagne où il pourrait se rendre pour faire son ordination (2) ». Et voilà le général marquis de Romé, chef actuel de la garde nationale (3), chargé officiellement de filer l'évêque de Blois : l'aventure est plaisante ! Il va d'ailleurs s'en acquitter ponctuellement, et le district pourra écrire à Grégoire

(I) Délib. de la municip. de Blois, 18 mars 1791. A. M. de Blois.

(2) Délib. du Direct, du départ., 19 mars 1791. A.D., L- 114.

(3) Albert-Marie, marquis de Romé de Vernouillet est une figure blésoise assez marquante pour mériter d'être signalée ici. Dufort de Cheverny souligne le côté léger de son caractère : il valait mieux que cette réputation. Né en 1730 à Vernouillet, il était de race vaillante ; son père, major d'infanterie, avait été estropié devant Namur ; deux de ses oncles paternels avaient été tués, l'un à Hochstedt, l'autre à Malplaquet ; un oncle maternel, Salaberry de Bneneville, était mort viceamiral et commandant à Toulon; son frère.le lieutenant-colonel marquis de Vernouillet, avait été tué à Minden. Lui-même commençait à servir à 13 ans. A 14, cavalier au régiment de Brissac, il se distinguait en Italie, en passant trois fois le Tanaro, sous les balles ennemies, pour exécuter un ordre du général de Crussol, et il recevait le commandement d'une compagnie. A 16 ans, il était aide de camp du maréchal de Belle-Isle. En 1759, à 29 ans, après Bergen, il était lieutenant-colonel du régiment des volontaires Liégeois ; puis, ce régiment ayant été réformé, il devenait gouverneur de la citadelle de ChâteauPorcien. La Révolution le trouvait général de brigade, en congé temporaire pour raison de santé.


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que les gardes nationaux « ont déjoué tous les projets », et que l'ordination « a été sagement arrêtée (I) ». Cette sagesse en vérité confinait quelque peu la folie. « Rien n'était plus ridicule, écrit M. de Thémines, que de courir la ville et la campagne pour poursuivre une ordination (2) ». Pareille équipée avait un air de don-quichottisme. Mais là-dessous était la main du club, et le club ne s'effrayait pas d'être grotesque.

Si l'on s'applaudissait de la victoire, on n'était pourtant pas tout à fait rassuré : l'évêque n'aurait-il pu ordonner dans le secret de sa chambre? On en voulait avoir la coeur net. Dans l'après-midi, du lendemain, deux membres du Département se présentèrent au palais épiscopal et demandèrent l'évêque. — Il n'est plus là, leur apprit-on ; il a transporté son domicile chez son vicaire général, M. de Pontevès, rue Pierre de Blois... Les délégués s'y rendirent, trouvèrent Thémines, qui les renvoya à son secrétaire, se firent présenter les registres et les consultèrent avec soin : la dernière ordination mentionnée était du 3 avril 1790. — « Depuis cette époque, n'en a-t-il pas été fait d'autres, interrogèrent-ils ; n'y a-t-il pas d'autres registres? — Non,

Cousin par sa mère du président de la Chambre des comptes de Paris, Charles-Victor-François d'Irumberry de Salaberry, il était très lié avec lui ; et 'ce dernier lui céda à vie le château de Fossé. Romé, qui avait à Blois une maison de ville, près du Palais de Justice, fut élu en 1790-1791 commandant de la garde nationale. Une lettre que, durant un séjour à Paris, il écrivait à Salaberry, fut interceptée, le 16 mai 1793, par le Comité de surveillance de Loir-et-Cher. Il s'ensuivit des perquisitions chez l'un et chez l'autre ; des papiers « inciviques » furent découverts, qui menèrent à l'échafaud les deux amis. Romé fut condamné à mort le 15 novembre 1793, et Salaberry le Ier avril 1794.

(I) Lettre de la municip. de Blois à Grégoire, 19 mars 1791. Citée par A. Gazier. Etudes sur l'histoire religieuse de la Révolution française, 1887, p. 47.

(2) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 56.


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répondit le secrétaire »... Us s'en furent donc rassurer le directoire, non sans avoir mis les scellés sur tous les papiers de l'évêché (I).

Ces événements n'étaient pas de nature à calmer les esprits. Les milieux réfractaires étaient en ébullition. Sentant imminente l'approche de « l'intrus », on s'exaspérait ; il fallait à tout prix lui rendre la place intenable, le discréditer dès son arrivée Et on travaillait l'opinion Il semble qu'on ait machiné une sorte de complot. Dès que Grégoire paraîtrait, les quatre curés réfractaires de la ville, ceux de Saint-Solenne, de Saint-Honoré, de Saint-Martin et de Saint-Nicolas, devaient quitter leur église, en manière de protestation, et cesser tout ministère officiel. Donc plus de messes, plus de vêpres, plus de confessions ni de communions, plus de sermons, — et l'on était en carème ! Sans doute s'attendait-on à ce que ce peuple, très attaché aux pratiques du saint temps, se montât contre le schismatique, — cause réelle de tout le mal... Ainsi la lutte se préparait, de part et d'autre, âprement... Sombres auspices pour un début d'épiscopat !

V. — « L'ANGE DE PAIX »

Malgré les messages pressants qui, de Blois, l'appelaient « pour déjouer ces trames perfides »; l'abbé Grégoire tardait. « Ne pensez-vous pas comme moi, répondait-il, qu'il serait inconvenant de venir avant

(I) Délibér. du Direct, du départ., 19 mars 1791. A. D., L. 114.


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d'être sacré? (I) ». Il ne voulait paraître qu'en évêque. Or les formalités préliminaires au sacre n'en finissaient pas.

Elles étaient très simples en principe. D'après un décret du 27 janvier, l'élu devait s'adresser au directoire du département, et celui-ci lui indiquait l'évêque auquel il lui fallait recourir pour la confirmation canonique et la consécration, le métropolitain de préférence.

Mais en fait le directoire de Loir-et-Cher se trouva fort embarrassé : le métropolitain, l'archevêque de Bourges, était non-conformiste et tous les suffragants étaient pareillement non-conformistes. Il fallut que Grégoire le vint tirer d'affaire : il lui conseilla tout bonnement de rédiger son acte en laissant en blanc le nom du prélat (2) ; lui-même compléterait suivant les occurrences. Et l'acte fut en effet libellé de la sorte. «Le Directoire..., attendu que le ci-devant évêque du diocèse du ■ département du Cher, métropolitain du diocèse du département de Loir-et-Cher, n'a pas satisfait à la loi du serment, a indiqué M. évêque de

pour procéder à la confirmation canonique et à la consécration de M. l'abbé Grégoire (3) ». Les débuts de l'église nouvelle connurent de ces plaisants mécomptes.

Deux évêques venaient d'être élus par deux nouveaux diocèses de la métropole du Centre : ceux de l'Allier et de l'Indre. Grégoire choisit François-Xavier Laurent, évêque nommé de l'Allier et son collègue à l'Assemblée nationale. Mais Laurent ne devait être sacré que le 6 mars ; et il fallut patienter jusque-là.

Le 11 enfin, Grégoire s'en fut le trouver, à l'hôtel de

(I) Lettre de l'abbé Grégoire au direct, du départ., 24 février 1791. A. D., L. 1307.

(2) Ibid.

(3) Reg. des délibér. du direct, du départ., 26 février 1791. A. D,, L. 114.


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la Reine, rue de Baune, accompagné de deux notaires. Les pièces légales présentées, il le supplia « avec instance» de vouloir bien lui accorder la confirmation canonique de son élection, et « de faire incessamment la cérémonie de la consécration... ou d'en déléguer le pouvoir à un autre ». L'évêque de l'Allier indiqua l'évêque de Lydda, Gobel, et transmit à celui-ci les pouvoirs.

Deux jours après, le 13 mars, ce fut le sacre. Journée féconde pour l'église constitutionnelle que ce premier dimanche de carème. Dans la chapelle de l'Oratoire de la rue Saint-Honoré, Saurine, évêque des Landes venait de donner l'onction à cinq évêques. Il était onze heures environ : près de l'autel, cinq autres élus prirent place, parmi lesquels le curé d'Embermesnil. De cette seconde fournée, c'est Jean-Baptiste Gobel de Lydda qui allait être le consécrateur, Gobel, l'infatigable pourvoyeur, qui, en moins d'un mois, aurait oint trente six fronts. Il avait comme assistants Jean-Baptiste Aubry, de la Meuse, tout fraîchement sacré et Jean-Baptiste Massieu, de l'Oise, évêque depuis une semaine.

Dans le choeur, quelques prêtres. Le clergé de Loiret-Cher était représenté par l'abbé Bodineau, curé de Saint-Bienheuré de Vendôme, député à l'Assemblée nationale, et par le diacre Roger, le jeune clubiste endiablé. Dans la nef, « un grand concours de citoyens ». Naturellement beaucoup de têtes officielles, parmi lesquelles le député de Loir-et-Cher Dinocheau.

Et c'est au milieu de cette solennité, que, par l'onction de Gobel, « par la participation et la coopération du Saint-Esprit », — on eut soin de le noter au procèsverbal, — l'élu du peuple blésois fut sacré évêque de l'Église de Jésus-Christ (I).

(I) «Rapport des actes d'institution canonique donnée à Grégoire par l'évêque de l'Allier le 11 mars, et de sa consécration par l'évêque de Lydda. » A. D., I4. 114.


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Dès lors Grégoire prépara hâtivement son départ. Il ne se faisait pas illusion sur les difficultés qui l'attendaient à Blois. On ne les lui avait pas cachées, ni même voilées ; d'ailleurs des lettres anonymes lui étaient parvenues, menaçantes, « dictées par la fureur ». « Sur quelques unes, écrit-il dans ses Mémoires, on voyait pour ainsi dire l'écume de la rage ; on se réjouissait de me plonger un poignard dans le coeur ».

Mais il avait.de quoi affronter l'arène. Son ardeur combative d'abord, aiguisée au feu des débats de l'Assemblée, et « trop accoutumée aux orages pour les craindre (I) » ; et puis son dévoûment de convaincu à la cause de l'Église constitutionnelle. Il trouverait enfin à ses côtés le bras séculier, prêt à lui apporter collaboration entière.

Cependant il était homme de trop bon sens pour apparaître à son clergé avec les foudres et les menaces d'un inquisiteur. Conquérir : telle était sa mission d'évêque. Donc il importait premièrement de se montrer comme un apôtre de paix, avec, sur les lèvres, des paroles de confiance et d'union. Il le sentait ; aussi composa-t-il dans cet esprit, avant son départ de Paris, une Lettre pastorale qu'il adressait « à ses vénérables coopérateurs dans le saint ministère et à tous les fidèles de son diocèse (2) ».

Il importait secondement de se présenter, non pas comme le ministre sans mandat d'une religion schismatique, mais comme l'« évêque du département de Loir-et-Cher, par la miséricorde divine et dans la communion du Saint-Siège apostolique ». Aussi écrivit-il, sur un ton de réserve assez fière, une lettre au

(I) Lettre pastorale du 24 mars 1791, Blois, 22 pages.

(2) Ibid.


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Souverain Pontife, pour l'informer que « les suffrages libres des électeurs » de Loir-et-Cher l'avaient appelé au gouvernement de ce diocèse, qu'il avait reçu l'institution canonique, qu'il avait été « régulièrement consacré (I) ».

Tout était donc prêt. Il se fit donner par l'Assemblée nationale un congé d'un mois, le temps de pourvoir au plus pressé dans son Église... Le 24 mars, il partit, emportant en son bagage de nombreux exemplaires de sa Lettre pastorale et de son adresse au pape.

Le vendredi 25 mars, au soir, il faisait une entrée solennelle dans sa ville épiscopale. Au son des cloches, au bruit du canon, les autorités le reçurent triomphalement. Tous les corps constitués étaient là : Département, District, Tribunal, Municipalité. La Garde nationale, ses drapeaux déployés, présentait les armes. Un détachement du Royal-Roussillon faisait la haie. Le long des rues, la popualtion était massée en foule. Et tous ces gens, accourus, les uns par principes, les autres par curiosité, le saluaient au passage « avec des transports d'allégresse ».

Cortège bien laïc pour un évêque !... Était-ce au fait un évêque qui arrivait, ou un fonctionnaire public?... Ce fut aux fonctionnaires publics qu'il fit ses premières visites : à l'Hôtel-de-Ville et au Département. Aprèsdemain, sitôt installé à la cathédrale, il s'en ira au club. Et ce fut le Département qui, ce soir-là, lui donna l'hospitalité : la première nuit dans son diocèse, l'évêque la passa sous les voûtes de l'abbaye nationalisée de Saint(I)

Saint(I) Blois, 2 pages.


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Lomer, dont les terrasses furent magnifiquement illuminées en son honneur (I).

De tout cela on ne se fit pas faute de plaisanter dans les milieux réfractaires. Thémines aura des mots cinglants, outrés en vérité, pour décrire la pompe toute laïque de cet intrus, arrivant au milieu d'un appareil militaire, « comme le prophète de la Mecque » ; n'ayant guère pour cortège que la canaille et « l'égoût des cloîtres et du sanctuaire (2) ». C'est injuste ; mais quand même le protocole était nouveau pour une entrée épiscopale...

Le dimanche 27 mars, Grégoire prit possession de son église. C'était le troisième dimanche de carème... A 9 heures, toutes les autorités se trouvaient dans la cour de Saint-Lomer. Le cortège se forma, le même que la veille. Les carillons chantaient. La foule était considérable. Tout se fit « avec pompe et très tranquillement ». Seulement, à la cathédrale, il y eut un incident regrettable. Tandisque la Garde nationale, commandée par le marquis de Romé, présentait les armes au passage de l'évêque, les hommes du Royal-Roussillon restèrent le dos tourné : leur chef n'avait à dessein donné aucun ordre : il s'appelait M. de Pontavice. Un tumulte se produisit : les gardes nationaux, outrés, voulaient chasser de l'église le détachement et faire justice de l'officier. Sans l'énergique intervention de Romé, paraît-il, « tout était en feu ». Interrogé sur cette « insulte faite aux

(I) Dans une lettre du 26, un des administrateurs du département, Vérité, dit la satisfaction que lui a causée ce premier contact avec Grégoire. « C'est la première fois que je me trouve à table avec un évêque ; je suis bien aise d'avoir commencé par un évêque constitutionnel ; il a un extérieur bien agréable, beaucoup de facilité dans l'élocution ». (Post-scriptum d'une lettre au Directoire de Mondoubleau. A. D., L. 1307).

(2) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 47.


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drapeaux », Pontavice aurait répondu, « d'un air de mépris », que, la Municipalité l'ayant requis d'assister à la cérémonie avec son bataillon, il s'était rendu à l'injonction et que « l'on ne pouvait exiger rien autre chose (I) ». Ce n'était pas un patriote : on Fallait, dans trois jours, dénoncer au roi (2) !

Le calme se rétablit. La cérémonie fut très solennelle et très longue. On entendit la lecture des actes « d'institution canonique » et de consécration, puis le serment de l'évêque, puis un discours du maire. Petit de Villanteuil était un homme de grand sens ; il sut, délicatement, prendre le ton qui convenait. « Fermement attachés à la foi de nos pères, embrasés de l'amour de la patrie, nous vous avons choisi, Monsieur, pour être notre guide dans la voie du salut et notre modèle de civisme... Évêque et citoyen tout ensemble, vous prouverez que la religion de Jésus-Christ et l'amour de la patrie sont indivisibles... La renommée vous a préparé des triomphes et votre affabilité vous les assurera. Ministre d'un Dieu qui pardonne les injures et les outrages, vos ennemis sont sûrs de votre amour... Puisse votre épiscopat être le règne de la religion, des moeurs et d'un culte pur ! (3) » En vérité tous ces gens-là étaient ardemment sincères, quand ils voyaient poindre un ère idyllique de foi renouvelée dans l'embrassement de tous les coeurs. On était

(I) Registre de la Société des amis de la Constitution, séance du 27 mars 1793.

(2) Ibid., séance du 30 mars. — En même temps, le marquis de Romé dénonça au général de Beauharnais le « jeune sot » qui venait de faire, disait-il, «sottises sur sottises, en manquant d'abord à la garde nationale, à l'évêque, aux corps administratifs, à moi et enfin à lui-même ». (D'une lettre de Romé «au président de Salaberry, à l'hôtel de Tours, rue N.-D. des Victoires, à Paris », 30 mars 1791. A. D., L. 2057).

(3) Reg. des délibér. de la municip. de Blois, séance du 27 mars 1791. A. M. de Blois. Extrait imprimé, Blois, 4 pages.


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encore, en ces débuts de 1791, aux heures de religieuses espérances ; et de l'évêque, — le lui avait-on assez répété dans les lettres ! — on attendait qu'il fût l'ange de la paix...

La messe pontificale commença. Autour du trône, tout ce que le clergé constitutionnel avait de plus en vedette, les Dupont, les Métivier, les Vallon, les Tolin... Dans le choeur, « un grand nombre d'ecclésiastiques, prêtres, diacres et sous-diacres ».

A l'Évangile, l'évêque monta en chaire, fit les annonces de la semaine, parla à son peuple.

Il eut le bon goût, lui aussi, de glisser un mot de louange pour « les talents » et « les vertus » de M. de Thémines. « Vos ennemis sont sûrs de votre amour », avait dit le maire. Voilà qu'en effet des paroles de paix et d'union tombaient de ses lèvres.

Après avoir prononcé son serment, il lut sa lettre pastorale, et l'impression pacifiante se précisa : « Je puis vous dire, comme saint Paul, que des tribulations et des épreuves m'attendent... Ministre d'un Dieu de paix, je trouverai dans mes principes et mon caractère cette patience chrétienne, à l'impulsion de laquelle il est si doux de s'abandonner... Vous me verrez... ne connaître et ne prêcher que Jésus-Christ crucifié... Vous désirez un père ; j'emploierai tout pour mériter ce nom si précieux à mon zèle, si cher à ma tendresse ».

Peu de paroles dures ; il rappelait seulement la haine, la calomnie qui l'avaient devancé à Blois ; il flétrissait d'un mot « l'astuce et la noirceur » de ses ennemis. Et il n'insistait pas davantage.

Mais il insistait longuement sur ce qui devait éclairer les esprits et abattre les préventions. Une à une, il réfutait les objections répandues contre la Constitution


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civile : les nouvelles circonscriptions des diocèses, le serment, le mode électif, le silence du pape.

Il y avait en tous ses raisonnements pas mal de sophismes, mais si bien habillés de phrases claires et de frappantes antithèses ! Et l'homme, qui, du haut de cette chaire, parlait, avait tant de sincérité rassurante! « On n'a point touché à l'Arche du Seigneur, s'écriait-il. L'arbre antique et majestueux de la religion subsiste dans sa force. On a seulement élagué des rameaux parasites qui l'empêchaient de prospérer... Votre Dieu est le Dieu de Clovis. Votre foi est celle de Charlemagne, de saint Louis, qui firent tous des règlements pour rétablir la discipline de l'Église ! »

Et de nouveau ses lèvres proféraient les paroles qui gagnent les coeurs. Aux prêtres il disait : « C'est la certitude de trouver en vous de grandes lumières et de grandes vertus qui me rassure contre mon insuffisance et ma faiblesse ». Au peuple il rappelait les temps durs de l'ancien régime : « Ils ne sont plus ». Il proclamait « l'infinie supériorité » de l'artisan vertueux sur le riche chargé de crimes ; il découvrait des perspectives enchanteresses : « Nous touchons au moment qui rouvrira les canaux de l'agriculture et du commerce, pour faire circuler l'abondance : des mains libres féconderont un sol étonné des moissons dont il sera couvert ».

Langage nouveau. Le « bon peuple » écoutait, les yeux rivés sur celui qui semblait tant l'aimer...

Quand la messe fut finie, quand les membres du Département conduisirent, en grande pompe, l'évêque au palais épiscopal pour l'y installer, le peuple suivit et acclama.

Le soir, les corps constitués de la ville, — sauf les officiers de Royal-Roussillon, qui prétextèrent « n'avoir pas le temps », — allèrent fêter Grégoire dans un grand


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dîner offert par le marquis de Romé, et dans lequel on servit, nous dit-on, un énorme brochet « de toute bonté », offert par le président de Salaberry. Et ce furent, les jours suivants, banquets sur banquets. « Nous faisons une chère angélique, écrit le général ; tout le monde fait fête à l'évêque nouveau (I) ».

Dans le beau palais, qui avait vu se déployer le faste des règnes précédents, Grégoire s'installa en « évêque des temps apostoliques », — Dufort dit dédaigneusement « en sans-culotte (2) ». Le hall princier, les salons lumineux, où les grands seigneurs de passage à Blois se délectaient naguère à parler art ou littérature avec le maître de céans, tout cela demeura clos et silencieux. Démocratiquement, Grégoire occupa une chambre au second ; et il se fit servir, simplement, par une gouvernante, Madame Dubois, « ma mère adoptive (3) », comme il l'appelle, femme très respectable, chez laquelle déjà il logeait à Paris.

Blois l'avait acclamé. Vendôme, Romorantin, Selles, quand il les visita, dans le courant d'avril, guidé par l'abbé Dupont, lui firent pareillement des réceptions chaleureuses. C'était toujours le même cérémonial : les cloches, le canon, les cortèges militaires, les visites aux corps constitués, les discours où l'on scellait l'alliance de la religion et du patriotisme, les festins civiques, enfin la visite aux églises, et toujours aussi c'étaient « des acclamations et des réjouissances », en l'honneur du « prêtre citoyen ». Là même où il ne parut pas en personne on fêta son installation. A Saint-Dyé, par exemple, la municipalité fit chanter, le 31 mars, un solennel Te Deum, et les rues, ce jour-là, retentirent, nous dit-on,

(I) Lettre de Romé à Salaberry, 30 mars 1791, loc. cit.

(2) Mémoires, t. II, p. 51.

(3) Grégoire, Mémoires, t. II, p. 35.


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de « cris d'allégresse » et de vivats à la louange de « Monsieur Grégoire (1) ».

En somme, on fut très expressif dans les manifestations de bienvenue. Dufort en convient ; et il est peu suspect de complaisance. « C'étaient partout des entrées triomphales, dit-il, une exaltation dans toutes les têtes... On le recevait avec enthousiasme (2) ». Dans cet empressement la curiosité eut bien sa part. Mais il y avait en outre une vraie sympathie pour cet évêque qui commençait son épiscopat par se donner à son troupeau. Le peuple se rappelait : jamais, de quinze années, le précédent pasteur n'avait daigné venir le visiter ; il fit la différence, et la popularité de Grégoire s'en accrut.

D'ailleurs que lui manquait-il pour être aimé du peuple? Il avait une belle prestance, cet évêque, un air de jeunesse, « une jolie figure », le regard « fin et spirituel », la mise et la frisure soignées, sans recherche. Il était « séduisant ». On fut charmé.

Dans son allure, rien de la dignité distante qui glaçait, chez l'autre évêque. Il savait se rapprocher, et, sans nulle gêne, se baisser au niveau des plus humbles, se faire « peuple ». Les gens de Saint-Denis-sur-Loire louaient en lui « la simplicité, l'humilité, la bonté (3) ». On fut ému .

Il parlait volontiers. Le geste était souple, plein d'aisance, la voix clairement modulée ; le verbe savait se faire ici enveloppant, comme à la tribune il se faisait passionné. Son âme vibrait à l'unisson de l'âme populaire

(1) Reg. de délib. mun. de Saint-Dyé. A. D., L. 2209. — Le curé de Saint-Dyé, Jean-Baptiste Huau, un réfractaire, refusa de chanter le Te Deum ; ce fut le vicaire, Jean-Louis Briard, qui le fit.

(2) Dufort de Cheverny, Mémoires, t. II, p. 51.

(3) Lettre de la municip. de Saint-Denis au Département, avril 1791. A. D., 719.


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qui, à cette heure, frémissait de grandes espérances ; le peuple, en l'entendant, se sentait compris, entretenu dans ses rêves. On fut conquis...

Ceux qui l'approchèrent, ces jours-là, demeurèrent sous le charme. L'administrateur Vérité ne se tenait pas, dès le soir du 26, d'écrire à ses amis de Mondoubleau l'heureuse impression que Grégoire venait de lui faire (I). Le marquis de Romé, lui, était dans l'enthousiasme ; et il écrivait à son ami, le président de Salaberry, en lui envoyant un exemplaire de la Lettre pastorale. « Notre nouvel évêque... est un homme charmant, aimable, doux, prévenant, du physique le plus agréable, parlant comme un ange et de l'esprit comme un dieu (2). » Même engoûment chez le marquis de Rancogne, qui, lui aussi, communiquait, le 28 mars, ses impressions à Salaberry : « J'ai été le voir ce matin, disait-il, et j'ai eu tout lieu d'en être satisfait : élocution simple et facile ; l'accueil le plus franc et le plus affable, une grande simplicité, accompagnée de toute la finesse et la délicatesse possible, voilà ce qu'il m'a paru, ainsi qu'à tous ceux qui l'ont vu ou entendu (3) ».

Le peuple fut conquis, la noblesse libérale fut ellemême séduite. Et les prêtres?

Les jureurs, en général, furent en liesse d'avoir un évêque si remarquable de tous points. Les quelques privilégiés qui eurent l'heur de le recevoir, au cours de

(1) Lettre de Vérité aux administrateurs du district de Mondoubleau, 26 mars 1791. A. D., L. 1307.

(2) Lettre de Romé à Salaberry, 30 mars 1791. A. N., W. 342.

(3) Lettre du marquis de Vezeaux de Rancogne, seigneur d'Herbault, au même, 28 mars 1791. Ibid.


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sa première visite pastorale, furent charmés. On se disputait la faveur de l'héberger. Le curé de Saint-Lubin de Vendôme, Barthélemy, le pressait de descendre chez lui. « Vous comblerez de joie un vieillard, disait-il, et vous pourrez vous glorifier d'avoir fait un heureux (I) ». Il y eut cependant quelques voix discordantes en ce concert de sympathies. Quand il passa, le 29 avril, à Selles-sur-Cher, le curé, Pasturaud, ne daigna pas même lui faire « une visite de bienséance » : c'était pourtant un constitutionnel fervent, qui allait entrer, sous peu de semaines, dans le conseil épiscopal de l'évêque de l'Indre. Les deux vicaires, assermentés aussi, s'abstinrent pareillement ; et même l'un d'entre eux poussa l'insolence jusqu'à dire « hautement » qu'ils étaient autant que Grégoire, et que, si celui-ci désirait les voir, il n'avait qu'à les aller trouver à leur chambre (2).

Quant aux réfractaires, ils ne pouvaient évidemment qu'être hostiles. En voyant ce prélat, charmeur quoiqu'on en voulût, ils sentirent leur rancune s'aggraver de dépit, et ils expliquèrent aux fidèles que « le bel esprit de Grégoire, c'étaitl'antéchristvenantséduire les coeurs(3)». Ils étaient montés à ce point que Saunier, le chapelain de l'Hôtel-Dieu, un doux, eut l'audace d'aller le trouver en son palais épiscopal, pour lui demander « de qui il tenait ses pouvoirs (4) ». Quand Grégoire se présenta aux églises des insermentés, on lui montra visage de glace, ou même hostilité déclarée. Un

(1) Lettre du 29 mars 1791, citée par Gazier, op. cit., p.,56, note.

(2) Lettre de la municipalité de Selles-sur-Cher au directoire du département, s. d. A. D., .- 868.

(3) Lettre d'un officier municipal de Villerbon au directoire du département, avril 1791. A. D., L. 870.

(4) J. Gallerand, Un martyr blésois sous la Terreur, JeanJoseph Saunier, prêtre, impr. Duguet, in-8°, 109 pages, p. 16.


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curé, — c'était peut-être Thoisnier, l'ardent curé de Villerbon, — l'arrêta à la porte de son église. « La chaire de M. de Thémines est-elle donc vacante? » lui demanda-t-il. Grégoire expliqua que le diocèse avait un autre évêque de par le décret de l'Assemblée nationale. — « En ce cas, reprit l'autre, nous pourrons changer d'évêque à chaque législature ; et pour n'être pas forcé de ne plus vous reconnaître peut-être dans six mois, il est plus simple de ne pas le faire aujourd'hui ». Jolie impertinence ! Mais la boutade était spirituelle et avait pour elle la logique. Elle est « une théologie entière », écrit Thémines qui raconte triomphalement l'anecdote (I). Milieu défiant, frondeur, hostile que ce clergé réfractaire.

Mais Grégoire voulait se présenter malgré tout en « ange de la paix » ; et à ceux qu'il ne pouvait visiter encore, il tendait, sincèrement, le rameau d'olivier, — sa lettre pastorale. Il en avait apporté avec lui ample provision d'exemplaires. Les Amis de la Constitution, soucieux de faire leur cour, prirent à leurs frais l'impression de deux cents autres : fâcheux imprimatur vraiment que celui du club !

Accompagnée de l'Adresse au pape, la lettre partit donc aux quatre coins du diocèse, expédiée non pas dans chaque presbytère, mais dans chaque maison commune ; le maire la devait apporter au curé ; car telles étaient les nouvelles hiérarchies.

On lui fit l'accueil qu'on eût fait à l'évêque en personne. Les jureurs la reçurent comme leur propre apologie ;

(I) Lettre pastorale du 25 juin* 1791, p. 174.


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il se trouvait parmi eux des sincères ; avec la même bonne foi qu'ils avaient accepté le serment, ils se rallièrent à cet évêque si persuasif ; n'entendit-on pas le desservant de Romilly-au-Perche assurer que s'il publiait la pastorale et l'Adresse, c'était pour affirmer « sa communion avec le successeur de saint Pierre, en professant toujours la même foi? (I) »

Les fidèles écoutaient, ne comprenant pas tout, mais vraiment édifiés de la simple bonté du nouveau pasteur ; et eux aussi se mettaient à entonner les louanges de « Monsieur Grégoire ». A Saint-Denis, la messe dite, le maire se leva, et, solennel, demanda à la paroisse son avis « sur l'imprimé des dites lettres ». Tous se dirent « transportés de joie », tous acclamèrent en l'évêque « leur père dans la religion..., le père des citoyens de ce diocèse..., l'ornement d'eux tous frères en JésusChrist ». Ils se sentaient, disaient-ils, bienheureux d'être conduits par un tel pasteur « dans la religion catholique, apostolique et romaine (2) » ; tant ils étaient loin, les braves gens, de se croire schismatiques !

Les insermentés, eux, reçùrent en général de fort mauvaise humeur les aimables invites du nouvel évêque (3). Le curé de Saint-Martin de Landes refusa de se souiller la main en prenant l'exemplaire que lui tendait le maire. D'ordinaire pourtant on ne fut pas aussi revêche. Quand l'officier municipal apporta la lettre, le curé remercia et il en parcourut les pages :

(I) Procès-verbaux de publication de la pastorale dans le district de Mondoubleau. A. D., L- 1357.

(2) Rapport de la municip. de Saint-Denis,. avril 1791. L. 870.

(3) Dans sa lettre du 28 mars au président de Salaberry, le marquis de Rancogne écrivait : « On espère que nombre de réfractaires se rendront d'ici peu de jours à la raison ». Ses pronostics furent déçus.


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non, vraiment, il ne pouvait donner cela en pâture aux fidèles II célébra la messe, monta en chaire, fit le prône et descendit sans aucune allusion, ou bien expliqua comment Grégoire était un intrus, pas un évêque légitime.

Ce refus donna lieu çà et là à des scènes quelque peu comiques. A Saint-Gervais, le dimanche 3 avril, au moment où le vicaire allait monter à l'autel, le maire lui tendit la pastorale. « J'ai prêté serment avec restriction, dit l'abbé ; je ne puis pas en faire la lecture ». Et comme le maire le pressait, il déclara, énervé, que, si l'on insistait, il ne dirait pas la messe. Le maire se retira et prit place au banc d'oeuvre. Mais au moment du prône, il revint à la charge ; s'avançant gravement vers l'autel, il requit à nouveau la lecture de la lettre. Cette fois, le curé, de sa stalle, cria au vicaire : « Si l'on veut vous forcer, interrompez la messe et retirez-vous ! » Le maire ne força rien, « ne voulant pas, dit-il, arrêter le cours du service divin». Pourtant, comme il fallait bien que la pastorale fût lue, il la tendit à un huissier son voisin, lequel se fit, faute de vicaire, le porte-parole de l'évêque (I).

Maire ou procureur syndic, en beaucoup d'endroits, durent assumer cet honneur. Tantôt au banc d'oeuvre, tantôt à la porte de l'église, tantôt même du haut de la chaire, ainsi qu'il advint à Saint-Dyé (2), ils suppléèrent, comme ils purent, le curé récalcitrant, et en profitèrent pour débiter une homélie à leur manière. L'église nouvelle s'affirmait donc bien partout église

(I) Procès-verbaux de publication de la lettre pastorale de Grégoire. A. D., L. 870.

(2) Ibid. A Saint-Dyé, ce fut le procureur de la commune, Porcher, qui fit cette lecture, le 3 avril. (Registre de délibér. municip.).


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« des hôtels-de-ville », suivant le mot de M. de Thémines.

Cependant la pastorale ne trouvait pas chez les prêtres que des adhérents enthousiastes ou des adversaires résolus ; en nombre d'âmes sacerdotales elle jetait d'angoissantes perplexités.

Certains réfractaires, du jour où ils avaient refusé le serment, ne vivaient que dans le trouble ; ils se sentaient côtoyer un abîme ; l'avenir les effrayait : l'abandon de leurs fonctions pastorales, l'abandon même de leurs ouailles, les aléas d'un inconnu troublant. Ils en venaient, aux heures plus noires, à regretter leur courageuse résistance. Et voilà qu'aujourd'hui s'imposait à eux un nouvel acte de rébellion, qui allait leur fermer plus encore le chemin de retraite ! Obéir, par contre, ils le savaient bien, c'était s'amnistier du précédent refus : car lire la pastorale, c'était reconnaître l'évêque, adhérer à la Constitution.

Quelques uns tentèrent des subterfuges. Le curé de Bracieux prétexta un mal à la jambe (I). Celui de Chaumont-sur-Loire, un étemel hésitant celui-là, ergota: « S'il est une loi qui m'oblige à lire tous les décrets indistinctement au prône, je m'y soumettrai ; mais je n'en connais point (2) ». D'autres voulurent tergiverser, retardèrent un dimanche, deux dimanches. Mais enfin il fallut se résoudre : les Districts s'impatientaient. Après avoir « mûrement réfléchi sur ce qui pouvait en résulter », comme déclarait le curé de Chambord, ils cédèrent. Les Districts jubilaient. Le 11 avril, celui de Vendôme, envoyant au Département le procès-verbal de la publication faite par les curés de Coulommiers et de

(I) Procès-verbaux de publication de la pastorale dans le district de Blois. A. D., L. 870.

(2) Lettre de Joulin, curé, au maire de Chaumont-sur-Loire, 14 mai 1791. A. D., L. 904.


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Mazangé, ajoutait : « Nous osons nous flatter que plusieurs autres abjurent leur erreur (I) ». L'espérance ne fut point déçue : six autres curés « abjurèrent» encore (2). Au district de Blois, il y en eut deux (3), deux dans celui de Saint-Aignan (4), trois dans celui de Mondoubleau (5) ; dix-sept autres de ce même district avaient mis à leur serment un préambule explicatif, — serment d'une validité douteuse ; tous publièrent la pastorale et se classèrent ainsi sans conteste parmi les assermentés. On compta donc des défaillances ; on compta aussi des ressauts dé courage. Certains prêtres jureurs n'avaient pas, eux non plus, trouvé l'apaisement de l'âme dans l'acte accompli : depuis le dimanche fatal, le serment leur pesait. Quand on les mit en demeure de faire un nouveau pas dans le schisme, de reconnaître formellement pour leur chef légitime l'évêque créé par une assemblée de laïcs, et d'étaler devant leurs ouailles les sophismes dont était tissée la pastorale, il se redressèrent et refusèrent obéissance à « l'intrus ». La question fut posée au Département de savoir si ce refus équivalait à une rétractation du serment, et s'il ne fallait pas dénoncer les rebelles à l'accusateur public (6). Le Département les déclara déchus, mis au nombre des réfractaires, et c'était de toute logique. Ils furent une bonne quinzaine de curés à oser alors ce geste courageux, cette

(I) Lettre du direct, du distr. de Vendôme à celui du départ. 11 avril 1791. A. D., L. 866.

(2) Les curés de Lignières, de Pezou, de Nourray, d'Areines, de Brévainville, de Saint-Jacques-des-Guérets.

(3) Les curés de Marolles et d'Averdon. "

(4) Les curés de Saint-Aignan, de Rilly.

(5) Les curés de Cellé, de Savigny, de Saint-Martin de Sargé.

(6) Lettre du district de Saint-Aignan au département, 9 juin 1791 A. D., L. 1626.

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énergique remontée vers la foi (I), — coeurs loyaux dont Thémines allait/bientôt écrire qu'il les regardait avec respect et les embrassait tendrement, parce qu'ils avaient « vaincu un ennemi presque invincible, le démon de la honte et de l'orgueil (2) ».

Ainsi dans le courant d'avril, les procès-verbaux arrivèrent des paroisses, apportant au Département les hésitations, les rétractations, les refus hostiles d'une foule de curés. Et Grégoire, tout prévenu qu'il fût de la situation, dut ressentir douloureusement en son âme le mépris qu'une si grosse partie de son clergé faisait de son message de paix (3)...

(I) Les curés de Saint-Denis, de Saint-Claude, de Mennetou, de Monthault, de Pierrefitte, de Thoury, de Millançay, de Châtres, de Vouzon, de Châtillon, de Bourré, de VilleneuveFrouville, de Lorges, de Semerville, de Danzé, du Temple.

(2) Lettre pastorale du 25 juin 1791.

(3) Quel fut le nombre des insermentés dans le département de Loir-et-Cher? Le chiffre en est assez délicat à établir. Les listes officielles en effet sont incomplètes. D'autre part les statistiques subissent des fluctuations constantes, du fait des rétractations et des prestations de serment après refus. En comparant les listes dressées par les Directoires, en les complétant d'après les données fournies par les tableaux des assemblées électorales, on obtient, pour les environs de mai 1791 : 429 prêtres séculiers fonctionnaires publics, donc astreints au serment, et, parmi ces-prêtres, 151 réfractaires, dont 102 curés. Dans la seule ville de Blois, sur les 27 prêtres fonctionnaires publics (curés, vicaires, professeurs, aumôniers d'hôpitaux), quatre seulement prêtèrent serment : les curés de Saint-Sauveur et de Saint-Saturnin, un professeur du Séminaire, un professeur du collège.

A la fin d'août 1792, date à laquelle la loi de déportation fixe irrévocablement les attitudes des prêtres par rapport au serment, nous trouvons dans le département 153 séculiers réfractaires. _ .

Dans la suite, il se produisit, parmi les assermentés de la première heure, un mouvement de rétractation ; une liste, établie en 1795-97, par les vicaires généraux de M. de Thémines, signale, à cette date, 44 rétractations.


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VI. — LES PREMIERES RIGUEURS

Tandis que ce message se disséminait à travers le diocèse, Grégoire allait lui-même le présenter aux communautés de sa ville épiscopale. Ce fut le 31 mars, cinq jours après son arrivée, qu'il en entreprit la visite.

En fait de communautés il ne restait plus guère, à Blois, que les couvents de femmes. Les monastères d'hommes étaient vides: car les rares sujets qu'ils abritaient encore en 1790 s'étaient, avec entrain, libérés de la vie commune.

Les religieuses, elles, continuaient de vivre leur règle, et dans leurs cloîtres la tiédeur n'était point entrée. Leurs aumôniers étaient prêtres zélés ; la loi, à la vérité, ne les astreignait pas au serment ; mais aucun n'eût été en disposition de le prêter. Directions intimes et sermons leur étaient autant d'occasions pour prémunir leurs moniales contre l'esprit qui soufflait au dehors. Ils prêchaient avec toute la passion d'âmes convaincues ; et, en les écoutant, les pieuses filles sentaient monter à l'unisson leur aversion contre le schisme : à travers les homélies de leurs prêtres, la Constitution civile leur apparaissait comme « l'abomination dans le lieu saint », et les assermentés comme des « lépreux », des « vases d'ignominie », des « prêtres de Baal », des « voleurs » et des « loups ».

Et voilà que ce jeudi 31 mars, elles apprennent que « le chef des voleurs et des loups » est en chemin pour les venir visiter !

«Les portes ne s'ouvrirent..., les communautés ne


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s'assemblèrent que par ordre municipal : car la voix du nouveau pasteur n'avait servi qu'à faire doubler les grilles et les verroux (I) » ; c'est l'assertion de Thémines. Nous lisons d'autre part, dans une lettre du 3 avril, écrite par un prêtre réfractaire, que « les Véroniques l'admirent sans difficulté dans leur enclos (2) ».

En tout cas, qu'elles lui eussent ouvert de gré ou de force, elles étaient toutes bien disposées à lui faire un accueil plus que glacial. Mais quand elles le virent entrer avec son appareil ordinaire, — « les écharpes, le bruit et la foule (3) », — les pauvres filles s'effarèrent. Il avait une singulière façon aussi, cet évêque, de venir apporter à ses religieuses ses premières bénédictions. Toute une bande l'escortait : deux membres de chaque administration, — Département, District et Municipalité, — puis « quarante personnes armées (4) ». Craignait-il d'avoir à soutenir un siège dans ces couvents qu'on lui disait infestés de fanatiques? Ou bien voulaitil seulement en imposer, par la crainte, à ces « âmes timides et solitaires »?...

Pourtant il a pris en entrant un visage « débonnaire, mansuet et pacifique » ; il sourit avec bienveillance ; il parle « dans un esprit de douceur ». Il se fait l'èvêque « séduisant », qui, tous ces jours-ci, à charmé et conquis les foules. Mais pour ces saintes âmes, il est le suppôt de Satan, « l'antéchrist » peut-être, comme on disait à Villerbon... Elles restent de glace. « Jamais nous ne vous reconnaîtrons pour notre évêque » : c:est l'uniforme réponse dans chacun des couvents.

(I) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 48.

(2) Lettre adressée par un prêtre réfractaire de Blois au chanoine Cretté, à Vendôme, 3 avril 1791. A. D., L. 2016 (dossier Cretté).

(3) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 48.

(4) Lettre du dossier Cretté, loc. cit.


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Grégoire insiste, presse davantage, questionne et argumente. Mais le souffle de la persécution secoue les ardeurs et fouette les audaces, et les soeurs, débridées, comme les vierges antiques si crânes devant le juge, flagellent l'intrus de vérités impertinentes. « Le ciel inspira les réponses », écrit Thémines ; les aumôniers les avaient bien soufflées aussi...

Grégoire essaye, doucement, d'abattre de telles défiances. Il est, assure-t-il, le « bon pasteur qui vient calmer les inquiétudes, dissiper les nuages », éclairer les consciences, témoigner à « cette portion précieuse de son troupeau toute l'ardeur et l'affection de son âme ». — Mais nous n'avons ni doutes ni inquiétudes, répondent-elles, et depuis longtemps tout nous paraît très clair.. Vous vous dites pasteur. Mais le pasteur ancien est-il donc mort, démis ou déposé? Nous ne connaissons pas de vacance d'un autre genre. Vous pouvez être, vous, l'évêque de la Constitution, mais pour être celui de Jésus-Christ, il faut être envoyé par son Église.

Afin d'éclairer leur bonne foi surprise, il leur tend sa pastorale et veut leur en lire des extraits. Mais elles répondent encore qu'elles n'ont pas attendu, pour être catholiques, « les nouvelles découvertes », et que l'esprit de leur vocation, ce n'est pas dans « les modernes opuscules » qu'elles l'ont puisé.

Grégoire ouvre sa lettre au Souverain Pontife, preuve authentique qu'il tient de l'Église sa mission. — Nous serions curieuses, répliquent-elles, de lire aussi la réponse.

L'évêque est désarçonné. Il s'attendait bien à de la mauvaise humeur de la part de ces femmes tant prévenues contre lui. « Il aurait toléré quelques discussions, quelques scrupules ». Mais ces boutades « laco-


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niques et tranchantes », en présence de toute sa bande officielle, l'humilient et l'irritent.

L'aimable sourire du début se dissipe, et l'onction des paroles douces. Il a des mots malheureux. Comme on lui représente, dans un des couvents, que, même sous l'ancien état de choses, la discipline est demeurée sauve, et que « la séduction du siècle n'a enlevé au divin époux qu'une seule vierge », — « Il est vrai, répond Grégoire ; mais il a fallu se bien presser de la marier »... La riposte est d'un homme qui s'énerve.

En réalité, il est fort mécontent, et, la douceur n'ayant, rien produit, il se laisse aller aux menaces : il enlèvera aux religieuses leur aumônier réfractaire, dit-il, et le remplacera par un prêtre assermenté.— « Appuyé par l'autorité, vous le pouvez ; mais nous n'aurons jamais de relations spirituelles avec lui », répondent les Véroniques ; et la supérieure des Augustines de l'HôtelDieu, l'intrépide soeur Roger : « Je sortirai, dit-elle, pour aller chercher celui qui sera digne de notre confiance ».

La visite se termina, le soir, par le Collège. Laréception y fut plus chaleureuse, de la part des élèves tout au moins. Ces élèves, surtout ceux de rhétorique et de seconde, s'étaient lancés dans le mouvement avec leur tête folle de quinze ans ; ils s'étaient même portés déjà à des actes « d'insurrection (I) ». Dans un mois ne réclameront-ils pas, ces imberbes « patriotes », la faveur d'être admis aux séances du club ? On les y admettra, ils y enverront de leurs vers en l'honneur du demi-dieu Mirabeau, et y viendront même déclamer, au milieu de « l'enthousiasme le plus vif », des discours débordants

(I) D'une lettre du professeur de rhétorique, l'abbé Jacques Villain, prairial an III. A. D., Q. 516.


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de civisme... Ils furent donc très fiers de la visite de leur évêque et le reçurent avec des vivats endiablés d'autant peut-être qu'ils savaient bien que leurs maîtres ne vibraient pas des mêmes émotions. L'accueil que ceux-ci firent à Grégoire fut en effet des plus réservés. Aux « vivat » des élèves l'abbé Hue alla même jusqu'à répondre : « Ut convertatur ! » Les jeunes « citoyens » crièrent au scandale, et, dès le lendemain, s'en allèrent porter au club une dénonciation, laquelle devait, dans la huitaine, faire jeter leurs maîtres à la porte (1).

L'incident n'était pas certes de nature à calmer la mauvaise humeur de l'évêque, tant de fois rabroué en cette néfaste journée. Le matin, aux Véroniques, aux Ursulines, aux Saintes-Maries : le soir, aux NouvellesCatholiques, à l'Hôpital de Vienne, à l'Hôtel-Dieu, aux Carmélites et aussi, en somme, au Collège, — partout il avait été vaincu. Les administrateurs qui l'accompagnaient proposaient des motions radicales : séparer, disperser ces religieuses rebelles. Un officier municipal, Rangeard-Germonière, voulait même qu'on les contraignît « à aller à la messe des jureurs, à se confesser à eux et à recevoir la communion de leurs mains (2) ».

Grégoire rentra au palais épiscopal, exaspéré contre ces nonnes si acerbement fanatiques, ces « théologiens femelles»,— les mots sont de lui,— « qui remplaçaient les principes par la crédulité et le raisonnement par le caquet (3) ».

Thémines, lui, exultait. « Ah ! si le divin maître a été bien servi, dira-t-il, s'il doit être content, c'est dans les asiles de ses chastes épouses, de ses vierges fidèles ! »

(1) Registre des délib. de la Société des amis de la Constitution, Ier avril 1791. A. M. de Blois.

(2) Lettre au chanoine Cretté, loc. cit.

(3) Annales de la Religion, t. II, p. 594.


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Les couvents étaient son troupeau de prédilection ; et il proposait à l'admiration des fidèles « l'étonnant spectacle » de ces « vierges timides » gardant « un front serein au milieu des menaces et des insultes de ces lâches tyrans (I) ». On imputa à son influence cette résistance unanime des couvents ; lui s'en défendit, rejetant toute l'inspiration de ce courage sur le compte de l'Esprit-Saint... Mais, en cette soirée du 31 mai, chacun, dans l'entourage de Grégoire, désignait d'un geste de rancune la maison de la rue Pierre de Blois, qui servait de retraite à l'évêque « fanatique » et qui était le foyer de la réaction.

Les jours suivants ne devaient qu'intensifier cette animosité. Le lendemain, Ier avril, les « Catholiques de Blois » osaient écrire à l'Assemblée nationale une « très humble et très respectueuse requête », marquaient-ils, en réalité une très fière et très hardie demande de justice. Ils y revendiquaient hautement la liberté de rester attachés à l'évêque déposé, parce que évêque catholique, et evêque catholique, parce que réfractaire au serment. « Il faut que nous sachions, disaient-ils, si la déclaration des Droits n'est établie que pour toutes les sectes de l'univers et ne fait exception que pour nous ; si l'on peut prier à la clarté du ciel, ou s'il faudra désormais se cacher dans les souterrains. Apprenez-nous donc, Messieurs, s'il y a liberté ou défense, une protection ou des persécutions à attendre, et s'il faut nous ranimer aux vertus de

(I) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 52.


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la primitive Église, parce que les mêmes persécutions nous attendent (I) ».

C'était noblement et crânement dit, mais combien scandaleux pour des oreilles constitutionnelles ! Qu'une pareille lettre ait été écrite à l'Assemblée nationale, cela indique à quel point les esprits étaient montés.

Ainsi la situation devient de plus en plus tendue. La division s'est mise dans les familles, le mari optant pour un culte, la femme pour l'autre culte. Même il y a, paraît-il, des femmes qui ont abandonné leur maison, pour ne pas être entravées dans la pratique de la vraie croyance. Les offices paroissiaux sont désorganisés. Le dimanche 3 avril, dans les églises Saint-Honoré, Saint-Sauveur, Saint-Martin, Saint-Nicolas, il n'y a eu qu'une messe à 8 heures, célébrée par un prêtre assermenté ; il n'y a eu ni confession, ni communion, ni sermon, ni vêpres, — et c'est le quatrième dimanche de carème ! Après la messe, on a cadenassé les portes et mis dessus les scellés. Dans aucune des églises conservées, les insermentés n'ont paru ; pour eux, ce sont désormais temples profanés, exécrés par la présence des schismatiques.

Le culte non-conformiste, fuyant les églises, s'est confiné dans les chapelles des couvents, dans les maisons particulières. La piété y est intense, activée par ce souffle de persécution. Les prêtres y ont des exhortations pressantes ; et les fidèles sortent de là, l'âme exaltée, les nerfs tendus, ardemment résolus à défendre leur culte, pleins d'une sainte haine contre les jureurs. Certains, rencontrant les assermentés, les insultent, comme d'ail(I)

d'ail(I) humble et très respectueuse Requête des Catholiques de Blois à l'Assemblée Nationale », 7 pages. Imprimée à la suite de la Lettre pastorale de M. de Thémines. Blois, 1791.


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leurs les « patriotes » insultent pour leur part les réfractaires.

Chacun de ces incidents s'en va grossir le dossier déjà lourd qui, dans les administrations, s'amasse contre Thémines et « sa cour ». Quasi quotidiennement arrivent les délations. Le 26 mars, c'est Ménard, économe du Séminaire, qu'on accuse d'avoir « tenu des propos contre nos législateurs ». Le 27, c'est le commandant de Pontavice, qui a fait scandale, le jour de l'intronisation. Le Ier avril, c'est l'abbé Liger, chapelain de la cathédrale, qui, dit-on, célèbre la messe dans sa maison de campagne de Cour-Cheverny, et engage les gens à n'assister qu'à celle-là. Le même jour, c'est l'abbé Hue, professeur au collège, pour son insolente boutade devant l'évêque. Le 2 avril, c'est le prieur des Montils, avec son vicaire ; le 6, les curés de Françay, de Saint-Lubin-en-Vergonnois, le vicaire d'Onzain, tous plus ou moins «inciviques et incendiaires»...

Ces dénonciations se concentrent aux bureaux du club, passent de là, presque officiellement, dans les bureaux des directoires, qui les accueillent, trop souvent, comme des ordres. Elles sont pareillement transmises au conseil épiscopal, puisqu'il s'agit de questions de discipline religieuse: En les lisant, Grégoire se sent l'âme aigrie contre les réfractaires. A tous, évêque, prêtres, religieuses, il avait, en un grand geste de pacification, tendu le rameau d'olivier. Le rameau d'olivier venait d'être partout repoussé, Il allait donc, vigoureusement, saisir le bâton pastoral ; et, puisque c'était dans les couvents que se trouvait le foyer de la rebellion, c'était les couvents qu'il allait frapper d'abord.

Le mercredi 6 avril, il promulgua une ordonnance en


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trois articles, qui devait, à son sens, couper le mal par la racine. Il y défendait à tout ecclésiastique, nonmuni de son approbation spéciale, de faire aucune fonction dans les chapelles de communautés et même dans les maisons particulières. Il y interdisait pareillement, sauf permission écrite de sa part, l'entrée de la clôture, « à toutes personnes, quelles que fussent leurs dignités », — et par ce mot évidemment il visait Thémines. Enfin il concédait aux religieuses la faculté de se confesser à tout prêtre approuvé par lui, qu'il fût ou non leur aumônier.

En fait c'était la notification, voilée, mais implacable, faite à Thémines et à son clergé qu'ils n'étaient plus rien dans le diocèse ; c'était la faillite radicale du culte nonconformiste. Désormais, chassés des chapelles, chassés des oratoires particuliers, les réfractaires n'auraient plus aucun moyen de rassembler leurs fidèles. Les églises constitutionnelles leur demeuraient bien ouvertes pour leur messe quotidienne ; mais de cette mince faveur ils ne voulaient, ne pouvaient profiter, tenant pour exécrés les temples des insermentés. Et ils seraient ainsi réduits à vivre sans culte, donc à mourir. C'était, pour Grégoire, le triomphe.

Triomphe pareil sur les couvents. Maintenant isolés de leurs aumôniers et de leur ancien évêque, qui les obsédaient de fanatisme, les religieuses seraient contraintes, si elles voulaient avoir la messe et les sacrements, de s'incliper devant le prêtre approuvé par l'évêque nouveau, d'adhérer à la Constitution civile et de quitter cette superbe impertinente que Grégoire ne leur avait pas pardonnée. En vérité, c'était dur de jeter aux très pieuses âmes des cloîtres ce brutal dilemme : ou bien agréer les jureurs, ou bien se passer de sacrements. Mais enfin la mesure était légale : seul évêque de par


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la loi, Grégoire avait seul juridiction sur tous les sujets du diocèse et il était maître d'étendre ou de restreindre ses approbations.

D'autre part, tout aussi logiquement que Grégoire, Thémines se tenait pour seul évêque canonique, et, ne reconnaissant à l'intrus nulle juridiction, il regarderait nécessairement, lui et ses prêtres, la décision comme lettre morte ; il continuerait de visiter ses monastères, d'y entretenir son esprit ; et ce serait la faillite de l'autorité de l'évêque schismatique.

Mais celui-ci avait pour lui le bras séculier. Et, dès ce jour même 6 avril, le Département arrêtait en séance que l'ordonnance épiscopale serait aussitôt « promulguée, affichée et exécutée (I) ». Exécutée, cela voulait dire qu'au besoin on intimerait aux aumôniers l'ordre de sortir des couvents, et que la force publique veillerait à ce que nul réfractaire n'y pût désormais pénétrer.

Dès que l'on eut connaissance de l'arrêté, ce fut une agitation extrême chez les insermentés. On cria à la tyrannie et l'on tint conseil.

Dans les couvents, le parti fut vite arrêté : on ne céderait pas. Les religieuses devaient bientôt voir arriver leur nouvel aumônier, — ce serait parfois un moine en rupture de cloître ; elles affecteraient de ne le point connaître, n'assisteraient pas à sa messe, préféreraient se passer de la communion, deux mois durant, plutôt que de la recevoir de sa main.

Les prêtres, eux aussi, se mirent à préparer la résistance. Chassés des chapelles, ils se confineraient dans les oratoires particuliers. L'ordonnan' e épiscopale prétendait bien les leur interdire aussi ; mais ils se moquaient, au

(I) Registre des délib. du directoire du dép., séance du Ier avril 1791. A. D., L. 109.


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spirituel, de l'ordonnance épiscopale ; et, comme le bras séculier n'en était pas encore à l'ère des perquisitions, c'est là que dès lors ils rassembleraient leurs fidèles, célébrant, confessant, catéchisant, prêchant tout de même que dans les églises. De quoi se mêle Grégoire! disaient-ils. Les gens n'auraient-ils plus le droit d'inviter chez eux «les bons prêtres», ni ceux-ci d'y causer de choses religieuses, d'y « prononcer... le nom de Dieu, sans un décret sanctionné » par l'intrus? Ils prêcheraient donc ; et contre le « despote » du diocèse, contre les « imbéciles membres de sa petite synagogue », — c'étaient là de leurs mots, — ils s'en donneraient à coeur joie. Ils méditèrent ce jour-là une vengeance, une réplique triomphale à la « monstrueuse ordonnance » ; impuissants à en entraver l'exécution, ils prétendirent du moins battre Grégoire à coups de syllogismes. Si l'intrus reconnaît, disaient-ils, l'existence de religieuses soumises à la clôture, il reconnaît donc l'existence des voeux solennels. Mais, s'il admet la force des voeux solennels, il est en contradiction avec la Loi qui ne les admet plus ; donc il est « infidèle à son serment », il estparjure. Si au contraire, conformément à la Loi, il avoue que les voeux solennels n'existent plus en France, il ne doit plus regarder les couvents que comme une aggrégation de personnes libres, qui consentent à vivre en communauté ; mais, si elles sont libres, leurs maisons ne sont pas plus soumises à son inspection que toutes les autres maisons particulières.

Ces raisonnements étaient peut-être subtilités de casuistes ; mais les casuistes, en l'occurrence, avaient-ils tort?... En pressant ainsi l'ordonnance, ils se firent un jeu d'en extraire une série d'abus de pouvoir, d'illégalités canoniques et de contradiction!? ; et ils se mirent aussitôt à rédiger un libelle, où les vices du document devaient


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être étalés en pleine lumière. Il eût fallu y prendre le ton grave de la discussion juridique, puisqu'on voulait éclairer les esprits et réfuter les sophismes. Mais, à cette heure, les prêtres réfractaires semblent n'avoir plus été de sang froid ; et ils crurent servir mieux leur cause en maniant l'arme du ridicule.

Le titre seul nous renseigne sur le ton général du libelle « M. Grégoire, député à l' Assemblée nationale et évêque constitutionnel du département de Loir-et-Cher, dénoncé à la nation, comme ennemi de la Constitution, infidèle à son serment, perturbateur du repos public, rénovateur du despotisme épiscopal, tyran de la liberté, etc., etc., etc., et par conséquent criminel de lèze-nation, par les habitants dudit département, ci-devant diocèse de Blois (I) ».

On sent que les auteurs trépignaient de rage impuissante, en écrivant. Ils noient leurs raisons dans un flot d'invectives ; ils veulent faire de l'esprit aux dépens de « sa grandeur constitutionnelle », et ils ne réussissent qu'à manquer singulièrement de goût ; c'est ainsi que, voulant reprocher à Grégoire le choix de ses vicaires épiscopaux, ils feignent d'émettre la crainte qu'il ne reçoive aussi les Juifs dans son conseil, « et gare à la circoncision pour tous vos pauvres diocésains » !

On aime à penser que M. de Thémines ne contribuapoint à la rédaction de ce pamphlet, lequel servait fort mal sa cause... Les théologiens blésois étaient-ils donc à ce point hors d'eux-mêmes?...

VII— LES ARTISANS DU TRIOMPHE

Dans l'autre camp, l'affollement estpire. L'autre camp, (I) Imprimé à Paris chez Crapart, 1791.


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c'est le club, et le club est au paroxysme de la fureur contre Thémines.

Qui s'en pourrait étonner? Au club, tout le clergé constitutionnel de Blois et des environs a ses entrées. Les jeunes diacres fougueux, Roger, Dubreuil (I) y sont manière d'oracles. Les prêtres rassis eux-mêmes, les Métivier, les Vallon, les Dupont ne dédaignent pas d'y siéger. Les constitutionnels de passage y viennent se retremper le civisme, — ou bien dénoncer leurs confrères. On verra, durant cette année 1791, le fauteuil présidentiel occupé la moitié du temps par un ecclésiastique. Si bien que ce réfectoire des Bénédictins, qui est pour le moment le siège du club, c'est en quelque façon la salle capitulaire de la nouvelle Église : on y traite les intérêts vitaux de la religion, on y enflamme les convictions en de pathétiques homélies. C'est l'officine des nominations, la pépinière du conseil épiscopal. C'est un tribunal d'inquisition, rigoureux, implacable. Implacable : un jour, un membre, écoeuré, ayant proposé « qu'à l'avenir aucun prêtre, membre de cette société, ne puisse faire aucune déclaration de complots qui pourraient s'ourdir par des prêtres », sa proposition fut vivement combattue et rejetée. Donc les prêtres dénoncent les prêtres. Sans relâche on dénonce. On censure, on met à l'index, on lance excommunication et interdit contre ceux que l'on nomme schismatiques, incendiaires ; puis on livre au bras séculier ; et le bras séculier, docilement, presque servilement, exécute les sentences. Municipalité, Département, tout cela se courbe, quand le diacre Roger et consorts fulminent et requièrent,

(1) Alexandre Dubreuil, né le 20 avril 1766, ordonné prêtre par Grégoire le 23 avril 1791. Il deviendra curé de Saint-Gourgon, puis de Prunay, où il se fera remarquer par son ardeur à dénoncer ses confrères insermentés.


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même s'il s'agit, on va le voir, de faire jeter dehors un Lauzières de Thémines. Un seul corps ne se courbe jamais, — la magistrature.

Évidemment le club et Grégoire sont au mieux. Ils se trouvent si parfaitement en communion de sentiments civiques ! L'évêque, là, se sent bien chez lui. On l'en a reçu membre, sur sa demande, le soir même de son installation et avec quel enthousiasme ! Il porte sur sa soutane le ruban de la Société. Quand il vient, on l'acclame, on le complimente avec attendrissement ; le président descend de son fauteuil pour lui céder la place. A son grand regret, il ne peut que rarement y venir,— trois fois en ce premier séjour à Blois : il a tant de besogne sur les bras ! « Mais si je suis sevré, écrit-il, du plaisir de me réunir à mes amis, à mes frères, je suis constamment d'affection et de coeur au milieu d'eux ».

De fait, entre l'évêché et le club c'est un échange continu d'amènes paroles, un va-et-vient de députations, qui font assaut d'attentions aimables. Le 29 mars, prié par les frères du club de vouloir bien « prendre en considération le patriotisme pur et ardent » de l'abbé Meyssonnier, Grégoire répond aussitôt qu'il ne croit pas « pouvoir mieux récompenser le patriotisme dudit curé de Monthou qu'en l'appelant dans son conseil ». Le club est de toutes les fêtes religieuses. Le 3 avril, invité à se rendre au Te Deum, chanté dans l'église épiscopale, « en action de grâces du rétablissement de la santé du roi », il délègue douze de ses membres. Il enverra pareillement une délégation officielle à la première messe d'un jeune prêtre ordonné par Grégoire ; puis, le 25 juin, aux processions de la Fête-Dieu. Le 4 avril, il demande un service pour le repos de l'âme du « génie de la France », Mirabeau ; et le 8, il émet le voeu que soient rétablies


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plusieurs fêtes supprimées par Thémines (1). Sa religion devient presque de la piété. Quand le pasteur est si patriote, comment donc les patriotes ne seraient-ils pas dévots !

Aussi bien l'évêque est de toutes les fêtes du club. C'est lui qui, le 2 mai, viendra en grande pompe couronner le buste de Désiles ; il y discourra pour magnifier le héros, et le club enthousiaste fera imprimer son discours, afin de l'envoyer aux quatre-vingt-deux autres évêques. Il y discourra encore pour exhorter au civisme les dames patriotes, et l'on verra ce peu banal spectacle : le défilé de ces dames, venant prêter serment « entre les mains de M. l'évêque »... Grégoire est le grand aumônier du club.

Il y est le saint, l'être intangible. Tout ce qui tombe de ses lèvres est parole d'or, dont on vote l'impression. Toute attaque portée contre lui est tenue presque pour sacrilège et vouée à l'exécration. Le 22 avril, un membre ayant apporté un journal où Grégoire est pris à partie, le club indigné déclare qu'il n'en veut même pas entendre lecture et le journal est condamné à être brûlé. Le club a ses autodafés ! Tribunal d'inquisition, disais-je !... Trois jours après, deux autres libelles, qui calomnient Grégoire, sont apportés en séance ; on les renvoie incontinent « au bureau de la poste pour être remis à l'auteur en témoignage du mépris » qu'on en fait. Mais, comme le mépris n'est pas remède efficace et que d'autres libelles éclosent, on décide, le 3 mai, qu'on écrira à tous les journalistes patriotes pour démentir ces calomnies et célébrer le « zèle apostolique » et les « vertus » de M. Grégoire...

(1) De fait, Grégoire publia, le 13 avril, un mandement qui prescrivait de chômer le mardi de Pâques. A. D., L. 2209'.

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Quand Grégoire, au bout de son congé, quittera sa bonne ville, un groupe de clubistes, au nom de tous, le reconduira jusqu'à Mer ; il y aura de touchants adieux, et l'évêque les chargera d'exprimer à tous les frères « les regrets les plus vifs de la séparation (i) ».

Tel est le bataillon qui va se cnarger du tnompne de Grégoire. Grégoire, c'est l'idole ; Thémines, par des « trames abominables », la veut faire crouler ; il faut incontinent briser Thémines....

Dans la soirée du 6 avril, — cette soirée où tout est effervescent dans Blois,—les clubistes se sont assemblés ; ils causent avec animation ; il y a des noms prononcés, avec colère, avec menaces, — les noms de ceux qui passent pour les meneurs du parti non-conformiste, et par-dessus tout celui du ci-devant évêque. A ce nomlà, les poings se tendent vers cette maison de la rue Pierre de Blois, d'où partent, croit-on, les mots d'ordre de fanatisme et de rébellion.

Dans la salle du club, c'est l'ébullition. Les têtes sont échauffées au-delà de toute mesure, jusqu'au « désespoir», dit un rapport officiel. Le diacre Laurent Roger est de tous le plus furibond. C'est un déchaînement de motions violentes : une d'elles finit par prendre corps, est applaudie, agréée ; c'est un complot insensé : constituer, dans le plus grand secret, une bande armée, puis, cette nuit même, envahir le domicile de Thémines, s'emparer de sa personne, l'embarquer sur la Loire et le mener à Nantes, pour de là le faire déporter.

(I) Reg. de la Société des amis de la Constitution de Blois, passim.


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Mais à l'Évêché, àl'Hôtel-de-Ville, dans les directoires, on a vent du complot. En face des conséquences éventuelles, on s'émeut, on prend peur. « Zèle excessif », dit le Département ; « trame odieuse », dira Grégoire. L'évêque est outré ; il tient le coup de main pour une faute de tactique, — pis que cela, pour une catastrophe. Sa modération le condamne ; la plus élémentaire prudence le condamne : ce serait la faillite de son prestige. Il faut l'empêcher sans tarder.

Département, District, Municipalité courent à la salle du club. Il est 9 heures du soir. Les clubistes s'assemblent « en séance extraordinaire ». Le procureur syndic de la Commune monte à la tribune : « La Municipalité, dit-il, vient d'être instruite qu'il y avait à l'instant dans la salle un rassemblement de sociétaires armés, dans le dessein d'exécuter différents projets hostiles ». Le diacre Roger se lève avec vivacité ; il proteste contre l'accusation, et, dit le procès verbal, « en démontre l'invraisemblance ». C'est payer d'audace. Il va renchérir encore : la trame est déjouée ; il aura sa proie quand même. « Je profite de la circonstance qui réunit les membres des différents corps, s'écrie-t-il, pour représenter la nécessité indispensable de faire partir M. Thémines, dont la présence est aussi nuisible à la tranquillité publique qu'à la sienne propre (I) ». A la sienne propre, le mot est cynique, sur les lèvres du chef des conjurés...

Les clubistes ont applaudi. La Société est puissante ; elle est très montée, décidée à « suppléer à la loi », à « se faire justice elle-même ». Les autorités vont céder. Le procureur syndic du Département, Brisson, prend à

(I) Reg. de la Société des amis de la Constit., séance du 6 avril 1791.


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son tour la parole et promet d'employer tous les moyens pour déterminer sans délai M. Thémines « à ce départ si indispensable au retour de la paix et de l'union ». Le club s'incline, renonce à son plan, mais à regret, et provisoirement.

Dès le lendemain, au directoire central, Brisson dressait un réquisitoire effaré : il représentait la ville en fermentation, les citoyens au « désespoir » en face des « dangers de la patrie », le peuple à bout de patience, les désordres prêts à éclater, la sécurité de Thémines menacée. Un seul remède, concluait-il : « intimer » aux meneurs réfractaires l'ordre de partir sans délai. Ainsi donc on allait se faire une fois de plus docile exécuteur des injonctions du club !

Cependant « intimer » parut aux administrateurs être un terme un peu rogue ; et l'arrêté qu'ils rédigèrent se contenta d' « inviter », — expression plus courtoise, — M. de Thémines à s'éloigner de son diocèse. On lui donnait 24 heures pour quitter la ville et deux jours pour sortir du département. Mais on lui laissait entendre que cet exil pouvait n'être pas définitif, que seulement il devait se prolonger jusqu'à ce que « la tranquillité publique fût parfaitement rétablie (I) ». Ainsi les formes étaient sauves.

A la suite de l'évêque, cinq prêtres figuraient sur l'arrêté d'expulsion : Habert, son secrétaire, Ménard, économe du Séminaire, Gallois, curé de Saint-Nicolas, Maudhuit, vicaire de Saint-Saturnin et le P. Forest. Au dernier moment, cinq autres y furent ajoutés : Martel(I)

Martel(I) du directoire du départ., séance du 7 avril 1791. A. D., L. 109.


-165lière,

-165lière, de la Visitation, Saunier, aumônier de l'Hôtel-Dieu, Gourdet, vicaire de La Chaussée, Thoisnier, curé et Salmon, vicaire de Villerbon.

La mesure satisfit, à peu près, le club. En fait, il avait gain de cause, et il s'en applaudit avec un cynisme révoltant, comme en témoigne la lettre, que, ce même jour, il écrivait aux « très chers frères et amis de Nantes ». Il comptait, y disait-il, que « ce premier exemple de justice et de sévérité » impressionnerait les « subalternes ecclésiastiques ». Mais si ces réfractaires continuaient leurs menées, il se sentait, lui, bien décidé à les « embarquer sur la Loire », et à les livrer aux mains des Nantais, qui devraient les faire transporter, sans espoir de retour, « sur quelques plages lointaines,... où ils pourraient vomir à leur aise leurs blasphèmes (I) ». La lettre se poursuivait sur ce ton ; et des quatre clubistes qui la signèrent, un était prêtre et deux étaient diacres (2).

Quant à M. de Thémines lai-même, la nouvelle du « complot » dut le stupéfier. Il n'aura pas de termes pour flétrir « la lâcheté nocturne avec ses détails et ses circonstances sauvages'». Trois mois plus tard, il serait encore sous le • coup de cette indignation écoeurée. « Puissions-nous, pour l'honneur du pays, devait-il écrire, effacer de notre sang ce monument de la férocité du temps. Quelle douleur pour nous de voir en tête la signature d'un religieux et de deux diacres qui ont mérité par là le sacerdoce et les premières bénédictions dunouvel Apôtre (3) ! »

(I) La Société des amis de la Const. de Blois à celle de Nantes, 7 avril 1791, 4 pages.

(2) Les deux diacres étaient Roger et Dubreuil ; le prêtre était Jean-Jacques Naudin, ancien religieux fontevriste. Il deviendra curé de Candé et sera, en 1793, un des pires terroristes.

(3) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 57.


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Quand, vers deux heures de l'après midi, ce jeudi 7 avril, le premier huissier de l'Hôtel - de - Ville, Lemaignen, vint lui signifier l'arrêté, le prélat se contint, et, avec son air d'habituelle fierté, se déclara prêt à « satisfaire à l'invitation qui lui était faite ». C'était pour lui, disait-il, un honneur.

L'huissier s'en fut ensuite au domicile de chacun des proscrits. Le P. Forest fit remarquer « qu'il ne se reconnaissait nullement auteur des troubles énoncés » dans l'arrêté, et il demanda un sursis pour « vendre ses meubles et faire ses paquets ». Les abbés Habert et Gallois réclamèrent pareillement le temps de « régler leurs affaires ». On leur répondit que l'invitation « excluait le plus léger retard ».

Thémines, lui, avait déjà pris ses mesures. Il avait vendu une partie de ses biens mobiliers, et s'était acquitté envers ses créanciers. Il fit à ses gens quelques largesses, recommanda aux' prêtres qui l'entouraient les fidèles et les communautés religieuses, puis il partit le soir même. « Il fit mettre ses chevaux de poste à sa chaise, raconte Dufort de Cheverny, alla à pied gagner sa voiture, à quatre heures du soir, sans que qui que ce fût osât l'insulter, et partit avec le même sang-froid que s'il allait faire une visite dans son diocèse. Les enragés, contents de le voir quitter la place, le laissèrent partir sans rien dire. Il n'emporta que ce dont il avait essentiellement besoin, ne disposant d'aucun meuble, ne prenant que ce qu'il avait touché de ses revenus, et abandonnant le courant ; il s'éloigna sans entretenir aucune correspondance, laissant au temps et à Dieu le soin de le faire rentrer dans ses droits (I) ».

« Cette belle retraite, ajoute Dufort, lui rattacha

(I) Mémoires, t. II, p. 50.


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tous les coeurs fidèles qu'un peu de singularité avait éloignés de lui ». C'est vrai ; l'odieuse affaire du complot, la brutalité effective de la prétendue « invitation », la dignité, un peu théâtrale, de son départ, tout cela lui mit sur le front l'auréole du persécuté pour la justice. Prêtres et fidèles non-conformistes se serreront avec respect autour de sa mémoire, autour de ceux qui, dans son diocèse, le représenteront ; et on aura tôt fait d'oublier les froissements passés, quand on recevra de l'évêque exilé ces paternelles effusions : « De tous les maux qui nous accablent depuis longtemps, le plus sensible à notre coeur est notre séparation... Nous portons dans notre sein nos fidèles disciples, les invincibles ministres de Jésus-Christ, ses vierges incomparables, et notre seul martyre est d'être loin du péril et de les y savoir (2) ».

Il partit ; et tandis que la poste l'emportait vers la Savoie, il dut se rappeler son premier mandement, celui où, le 25 janvier 1777, tout fraîchement intronisé, il saluait son diocèse. Il y disait ces paroles singulières : «Puisque, (Nos très chers frères), vous devenez l'unique objet de nos pensées, nous espérons aussi devenir le centre de votre foi et votre unique pasteur... Si le troupeau se disperse, comment peut-on le défendre? Détachez une branche du tronc, elle sèche... Souvenez-vous toujours, contre les faux docteurs et les nouvelles doctrines, de ces mots de Saint-Cyprien : « Quant à Novatien, sachez d'abord que nous ne devons pas nous informer de ce qu'il enseigne, puisqu'il enseigne hors de l'Église »

A quatorze années de distance, avec une claire vue. étrange, le jeune évêque de Blois avait percé l'avenir !

(2) Lettre pastorale du 25 juin 1791, p. 260.




LE CHATEAU DE MONTFRAUT VERS 1778

VUES DES FACES EST ET OUEST

(Archives Nationale 011328, liasse 4)


LE CHATEAU DE MONTFRAUT VERS 1778

VUE DE LA FACE NORD ET PLAN

(Archives Nationales o 11328, liasse 4)



Vues du Château de Montfraut

vers 1778

par M. Pierre LESUEUR

« Dans la forest de Boulogne, nous dit André Féli» bien en 1681, à une lieue ou environ du chasteau de » Chamborg, est celuy de Montfraud (I). C'est une an-' » cienne Maison Royale, bastie, de mesme que Cham» borg, par les premiers Comtes de Blois de la Maison » de Champagne... C'est un bastiment fort ancien et » fort simple, scitué dans une grande solitude, et où " apparemment les Comtes de Blois s'alloient délasser » au retour de la chasse» (2).

L'historien blésois Bernier (3), dans le même temps,

(I) Dans le parc du château de Chambord (Loir-et-Cher), à l'angle sud-est, à une centaine de mètres de la porte qui porte encore ce nom. (Documents cités infrà, passim et surtout Arch. nat., O 11328, liasse 3 : Lettre du contrôleur des Bâtiments Marie en date du 21 décembre 1777. — Cf. Carte de Cassini).

(2) André Félibien, Mémoires pour servir à l'histoire des maisons royalles et bastimens de France, 1681, p.p. A. deMontaiglon pour la Soc. de l'hist. de l'art franc., Paris, 1874, in-8°, p. 44.

(3) Bernier, Histoire de Blois, Paris, 1682, in-40, p. 85-86 : " II y a un autre Château à une lieuë ou environ de Chambord, « appelle MONFRAULT, dont je ne fais ici mention, que parce " qu'on le croit une Maison Royale, et une des plus anciennes du 1 païs. Quoy qu'il en soit, il est situé dans la Forêt de Boulogne,

c à une lieuë du Prieuré Conventuel de ce nom C'est un bâti«

bâti« tout simple, environné d'une solitude étonnante, et où « les Comtes de Blois alloient se délasser au retour de la chasse, c et si l'on en croit la tradition, c'estoit la demeure de la Maise tresse de quelqu'un de ces Comtes "•


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rapporte, aux mots près, exactement la même chose que Félibien, et il est visible que l'un s'est inspiré de l'autre, ainsi d'ailleurs qu'en bien d'autres passages. Quant à Piganiol de la Force et Expilly, ils se sont contentés de reproduire les précédents (I).

Enfin, bien avant eux, le ménestrel Watriquet de Couvin nous a laissé, dans son « Tournois des dames », une description poétique de Montfraut en 1327. Mais, s'il s'étend longuement sur les charmes de la campagne environnnante, il parle fort peu du château, bien qu'il le trouve tel « c'uns rois ne devroit pour manoir souhaidier nul autre manoir », et il se borne à mentionner « la grant chambre » et « la sale qui n'est pas petite ne sale » (jusqu'où conduit l'exigence de la rime!), avec son plafond «besantez d'argent et pointurez de vermillon », et encore « une tornelle petite, de verrières painte et escripte, belle et gente et de riche atour». Il ajoute, il est vrai, une longue description de ces vitraux, mais il y a apparence que ce n'est qu'une invention de poète pour amener le récit allégorique qui fait suite (2).

C'est à ces indications succinctes que se bornaient jusqu'à ce jour nos connaissances sur l'édifice du manoir de Montfraut, compris par François Ier dans l'enceinte du parc de Chambord (3). Il vaut autant dire

(I) Les quelques lignes consacrées à Montfraut par Piganiol de la Force (Nouvelle description de la France, Paris, 1718, in-12, t. V, p. 327) sont empruntées mot pour mot à Bernier. — Expilly (Dictionnaire géogr.,hist. et polit, des Gaules et de la France, 1766, t. IV, p. 851, v° Montfrault) reproduit exactement le texte de Félibien, bien que l'ouvrage de ce dernier fût encore inédit de son temps.

(2) Publié par F. Ubald d'Alençon, Description de Montfraut près Chambord en 1327, dans les Mém. de la Soc. des sciences et lettres de Loir-et-Cher, t. XVI, 1902, p. 277-288.

(3) J. de Croy, Nouveaux documents pour l'histoire de la création des résidences royales des bords de la Loire, 1894, p. 174.


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que nous ne savions rien de cette vénérable construction (1), et, bien qu'elle fût encore debout vers la fin du XVIIIe siècle, nul aujourd'hui ne pouvait imaginer quelle en avait été la figure. Certes, cette maison n'était point telle qu'on dût déplorer extrêmement notre ignorance à son sujet. Nous sommes heureux néanmoins de pouvoir combler dans une certaine mesure cette lacune.

Nous avons eu, en effet, la bonne fortune de découvrir aux Archives nationales un plan et trois vues du château de Montfraut conservés dans les papiers de l'ancienne Direction générale des Bâtiments du Roi (2) : ce sont les dessins que nous publions ici.

Ils ne sont ni signés, ni datés et ne portent aucune indication d'origine. Il ne saurait cependant subsister aucun doute sur le temps et les circonstances de leur exécution. En effet, si les trois vues portent simplement pour légende : « Chateau de Montfrault dans le parc de Chambord », la légende du plan est ainsi conçue : « Plan du chateau de Montfrault dans le parc de Chambord dont on propose la démolition pour les matériaux qui en proviendront être remployés tant au pavillon du garde qu'aux ouvrages à faire à Chambord». Or, nous sommes

(1) Nous n'avons pas à faire état ici de la donation qu'un comte de Blois aurait faite du château de Montfraut à l'Hôtel-Dieu de Blois et du rachat qu'en fit Gauthier d'Avesnes en 1233, ce point n'intéressant pas l'histoire monumentale de l'édifice. C'est pour la même raison que nous passons sous silence diverses indications données par M. de Croy (op. cit., p. 158 et 174) et par L. de La Saussaye (Le chât, de Chambord, 12e éd., 1875, p. 89, note 2).

(2) Ol 1328 (Direct, générale des Bâtiments du Roi ; département de Blois et Chambord), liasse 4 (année 1778), dossier intitulé : « Spéculation demandée par M. le Prince de Montbarey, Ministre de la Guerre, d'un établissement de cavalerie à Chambord, et quelques autres objets. Année 1778 ».


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exactement renseignés par les Archives des Bâtiments du Roi sur les divers points ainsi mentionnés.

Voici ce dont il s'agit.

En 1778, le Ministère de la Guerre forma le projet d'établir à Chambord un dépôt d'un millier de chevaux de remonte, en utilisant les grandes écuries qui avaient été commencées, au sud du château, sous le règne de Louis XIV et que le maréchal de Saxe, lorsqu'il habita cette résidence au milieu du XVIIIe siècle, avait fait terminer pour y loger son régiment de uhlans. L'administration ' militaire, dans ce but, se mit en rapport avec la Direction des Bâtiments, de laquelle dépendait le château de Chambord, au mois de juillet 1778, et lui demanda même de se charger de diriger les travaux à faire. L'intendant général des Bâtiments, Hazon, fut envoyé sur place au mois d'octobre suivant pour étudier la question. Il reconnut que des travaux considérables seraient nécessaires, tout ce qu'avait fait le maréchal de Saxe devant être reconstruit : ils étaient évalués à près de 250.000 livres. C'est pour diminuer cette dépense que Hazon proposa la démolition du château de Montfraut, « qui écroule de tous côtés », afin d'en utiliser les matériaux : il escomptait de ce fait une économie de 11.000 livres. Mais, le projet du dépôt de remonte fut promptement abandonné, à raison sans doute de la dépense excessive qu'il eût entraînée, et, en 1781, il n'était plus question que de former un haras d'environ cent cinquante étalons dans le château même, c'est-à-dire dans les constructions basses qui entourent une partie de la cour (I).

D'autre part, près du château de Montfraut se trou(1)I

trou(1)I nat. O1 1328, liasse 4, dossier intitulé : « Spéculation demandée par M. le Prince de Montbarey, Ministre de la Guerre, d'un établissement de cavalerie à Chambord, et quelques autres


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vait une des portes du parc de Chambord, laquelle en avait tiré et en a conservé son nom. Depuis longtemps, le garde de cette porte était logé dans le vieux manoir. En 1768, on avait commencé de construire un pavillon pour son habitation ; mais cet ouvrage était resté inachevé. Le garde avait donc continué de demeurer dans le château de Montfraut, qui, dans l'état de délabrement où il se trouvait, ne lui offrait qu'un abri de plus en plus précaire, le laissant « exposé à toutes les injures de l'air » et « presque à la belle étoile ». Aussi, le pauvre garde, ou plutôt le marquis de Saumery, qui avait pris sa cause, réclamait-il vivement l'achèvement du pavillon qui lui était destiné. En 1778, l'administration des Bâtiments profita de ce qu'elle envoyait Hazon à Chambord étudier le projet du dépôt de remonte pour le charger en même temps de donner un regard à la question du logement du garde. Hazon n'hésita point à reconnaître le bien-fondé de la demande et, en conséquence, il proposa un devis pour l'achèvement du pavillon, s'élevant à environ 1.000 livres. Dans ce devis, il prévoyait l'utilisation des matériaux provenant de la démolition du château de Montfraut. Mais, malgré de nouvelles et pressantes réclamations, les choses demeurèrent encore plusieurs années dans le même état (1).

objets. Année 1778 ». V. notamment : Demande du Ministre de la Guerre au Directeur des Bâtiments du 31 juillet 1778 ; — lettre d'Hazon à la Direction des Bâtiments, s. d., reçue le 19 octobre 1778 ; — état des frais de voyage d'Hazon du 5 octobre au 12 novembre 1778 ; — rapport d'Hazon sur le projet, enregistré à la Direction des Bâtiments le 21 novembre 1778 ; — note de Cuvillier, agent de la Direction des Bâtiments, s. d., octobre 1781. — Adde : ibid., liasse 7 : Devis des travaux à faire pour l'aménagement en haras et lettre d'envoi du Ministre de la Guerre du 17 novembre 1781.

(I) Arch. nat, 01 1328. Voir notamment : liasse 1 : Lettres du marquis de Saumery au Directeur des Bâtiments


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Or, c'est aux deux objets que nous venons de dire que se réfère la légende du plan que nous publions. Le projet de démolition du château de Montfraut y est expressément mentionné ; on y parle non moins formellement d'utiliser les matériaux pour les travaux à faire au pavillon du garde. Enfin, le plan comme les vues se trouvent dans le dossier consacré au projet d'établissement du dépôt de remonte, et ils sont inclus entre les deux feuillets du devis des travaux d'achèvement de ce pavillon. Il est donc bien établi qu'il faut assigner à ces quatre dessins la date au moins approximative de 1778 et qu'ils furent exécutés par un des

des 15 et 24 février et 22 juillet 1775 ; — ibid., liasse 3 : Lettre du même au même du 6 mars 1777 ; ■— lettre du Contrôleur du département Marie à la Direction des Bâtiments du 21 décembre 1777 ; — ibid., liasse 4, dossier mentionné à la note précédente : Lettre de Saumery au Directeur des Bâtiments du 26 juillet 1778 ; — lettre d'Hazon à la Direction des Bâtiments, s. d., reçue le 19 octobre 1778 ; — devis des travaux nécessaires pour l'achèvement du pavillon, enregistré à la Direction des Bâtiments le 21 novembre 1778 ;—ibid., liasse 6 : Lettre de Saumery au Directeur des Bâtiments, s. d., reçue le 15 avril 1780 ; •— ibid., liasse 7 : Lettre du même au même du 23 décembre 1781 ;

— ibid., liasse 8 : Lettre de Marie à la Direction des Bâtiments du 13 septembre 1782 ; — ibid., liasse 10 : Mémoire envoyé par le marquis de Polignac au Directeur des Bâtiments le 9 février 1784;

— lettre du même au même du 26 février 1784 ; — devis des travaux proposés à faire dans le département en 1784 par Marie du 28 février 1784. — C'est seulement au milieu de 1784, après les réclamations du marquis de Polignac, assurément plus influent que Saumery, que les ouvriers furent mis à l'achèvement du pavillon de Montfraut (ibid., liasses 10 et 12 : Lettres de Marie au Directeur des Bâtiments et à Cuvillier du 26 juillet 1784) et les travaux paraissent avoir été terminés la même année (ibid., liasse 10 : Lettres de Marie au Directeur des Bâtiments des 26 août et 6 octobre 1784 ; — ibid., liasse 17 : 4 mémoires de travaux de maçonnerie, menuiserie, charpente et serrurerie exécutés à Chambord de 1784 à 1787, réglés le 26 décembre 1788, et mémoire des travaux de couverture exécutés en 1786 et 1787 vérifié le Ier août 1788. •—• V. cependant la mention marginale du mémoire de maçonnerie et ibid., liasse n : État des travaux exécutés à Chambord, en 1783, 1784 et 1785 envoyé par Marie au Directeur des Bâtiments le 23 novembre 1785).


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fonctionnaires des Bâtiments, peut-être Hazon (I), pour éclairer le Directeur sur le mérite du projet de démolition.

Les plan et vues ici publiés précisent et illustrent les très rares et trop vagues données fournies jusqu'à ce jour par les textes.

Les documents imprimés et manuscrits s'accordent pour insister sur l'ancienneté du château de Montfraut. Il est assurément exagéré de dire que cette maison avait été élevée par les premiers comtes de Blois de la maison de Champagne, comme le fait Félibien. Nous n'avons affaire qu'à une oeuvre de l'époque gothique : et l'architecte Hazon était mieux fondé à dire seulement cet édifice « construit bien avant Chambord ».

Au reste, l'oeuvre médiévale n'était pas venue intacte jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Si l'ensemble du bâtiment remontait bien à ce temps, il avait été, pourtant, aux âges suivants, l'objet de changements. C'est ainsi, par exemple, qu'on voit à la façade du levant deux grandes fenêtres encadrées de pilastres qui accusent le style de la Renaissance. Elles furent peutêtre ainsi accommodées au cours des travaux ordonnés par Henri II vers 1550 (2).

(I) Sur Hazon consulter : Lance, Dictionnaire des architectes français, Paris, 1872, t. I, p. 354 ; — et Bauchal ; Nouveau dictionnaire biographique et critique des architectes français, Paris, 1887, p. 290.

(2) Arch. nat., P. 28811, Journal de la Chambre des comptes de Blois, fol. 25 v° ; p. p. J. de Croy, op. cit., p. just. XI, p. 200. Décision de la Chambre du 26 juin 1550 : « Veues les lettres missives du roy par lesquelles nous est mandé que eussions à regarder quel département nous avons faict de la somme de quinze cens livres pour employer ès réparacions de Chambortet Mont-


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Ces deux fenêtres éclairaient probablement la «grant chambre » ou la « salle », doût Watriquet de Couvin chantait la décoration peinte au XIVe siècle : ces deux pièces nous sont données par ce dernier comme les plus remarquables du château ; or celle qui recevait le jour de ces fenêtres et celle qui lui fait suite du même côté sont les plus importantes. Le poète se laisse d'ailleurs entraîner à quelque exagération en s'extasiant sur leurs dimensions qui auraient permis d' « asseoir plenté de gent », car l'une et l'autre n'avaient qu'une dizaine de mètres en chaque sens.

On remarque également sur la même façade une petite tourelle assise en encorbellement et couverte d'un toit en poivrière. C'est peut-être cette « tomelle petite de verrières painte et escripte » où Watriquet allait rêver. Mais, au temps que nos dessins furent exécutés, il n'y avait plus trace des vitraux qui avaient été remplacés par des panneaux de maçonnerie.

Enfin, il est assez vraisemblable qu'il faut voir un

frault particullièrement ausquelles icelluy seigneur veult estre besongné en diligence selon les divis et marchez que nous en avons faictz et arrestez avec les entrepreneurs », la Chambre « enjoinct ausdictz entrepreneurs fere et poursuyvre en toute diligence, respectivement chascun en son estat, la besongne et ouvrage par eulx entreprins ». — Il est douteux qu'on puisse identifier avec ces travaux les réparations « au lieu et maison de Monfrault », desquelles marché fut passé entre 1551 et 1554 à Pierre Godart, qui motivaient des observations de la Chambre des comptes de Blois en mai 1554, et dont le payement, montant à 12 écus, fut, après réception, ordonné aux héritiers de Godart en juin 1555 (ibid., fol. 119 r° et 171 v° ; mentionné par Croy, op. cit., p. 174 et 92 n. 4. Décisions de la Chambre des 10 mai 1554 et 27 juin 1555). ■—■ D'autres réparations furent encore ordonnées au temps de Charles IX, pour lesquelles marché fut fait en 1567 à Pierre Guillereau pour 32 livres 10 sols ; mais il paraît bien qu'elles ne comportaient que des travaux de charpente (Arch. nat., P. 28821, registre ordinaire de la Chambre des comptes de Blois, fol. 30 r° ; mentionné par Croy, op. cit., p. 174. Décision de la Chambre du 4 septembre 1567).


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oratoire dans la pièce située à l'angle nord-ouest qu'éclairait un grand fenestrage en tiers-point. On y devrait alors reconnaître la « chapelle de Toussins fondée ou manoir de Monfrault », du bénéfice de laquelle Denis Musset, plus tard lieutenant général du bailliage de Blois, était pourvu en 1478 et, au milieu du XVIe siècle, Jean Leroy, qui parait avoir apporté peu de zèle à son service (I).

Il nous semble inutile de commenter plus longuement les quatre dessins que nous publions. Le lecteur pourra aussi bien que nous tirer toutes les conclusions qui se déduisent de leur seul examen.

Ajoutons que, si le délabrement du château de Montfraut était déjà grand au temps de ces dessins par le défaut de toute réparation depuis longtemps, il s'augmenta encore considérablement les années suivantes et devint bientôt voisin de la ruine (2). La démolition, qui paraissait désormais la seule solution possible, fut décidée en 1785 pour être réalisée à mesure

(1) Bibl. nat., franç. 28.568, dr 47.439, pièce n. Quittance par Simon Musset au nom de son fils Denis des arrérages du bénéfice pour l'année 1478-1479. 22 juillet 1479 (mentionné par J. de Croy, Notices biographiques, à la suite du Cartulaire de la Ville de Blois, p. p. J. Soyer et G. Trouillard dans les Mémoires de la Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher, t. XVII, 1903-1907, p. 292, notice 4 sur Denis Musset). — Arch. nat. P 28811, fol. 68 v°. Décision de la Chambre des comptes de Blois du 13 août 1551 portant injonction à Jean Leroy d'assurer plus exactement son service.

(2) Vers le milieu de l'année 1782, plusieurs parties des combles et deux planchers s'effondrèrent. Arch. nat. O1 1328, liasse 8, lettre du contrôleur du département, Marie, à la Direction des Bâtiments du 13 septembre 1782.— Au commencement de 1784, la construction était étayée de toutes parts (ibid., liasse 10, devis des ouvrages à faire dans le département pendant l'année 1784 en date du 28 février 1784) et « les planchers, les portes et les fenestres menaçaient de tomber " (ibid., liasse 10, Mémoire envoyé par le marquis de Polignac au Directeur des Bâtiments, le 9 février 1784).

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des besoins des réparations aux ouvrages du parc de Chambord, auxquelles en devaient être affectés les matériaux (1) ; et nous voyons cette démolition commencée la même année et poursuivie les années suivantes (2).

Paris, mai 1918.

(I) Arch. nat. O1 1328, liasse 11. (année 1785). Note adressée à l'administration des Bâtiments le 2 avril 1785 ; — lettre du contrôleur Marie au Directeur général du 28 mai 1785.

(2) Arch. nat. O1 1328, liasse 11. Lettre du contrôleur Marie au Directeur général du 23 novembre 1785. — Ibid., liasse 17. Mémoire des travaux de couverture exécutés à Chambord en 1786 et 1787 par Blanchet.


Le Souterrain-Refuge du Remenier

ou du

Prieuré de Saint-Jean-en-Grève à Blois ( 1)

par M. E.-C. FLORANCE

A 100 mètres à l'est de ma demeure, boulevard Eugène Riffault, n° 16, à Blois, tout près de l'emplacement du très ancien prieuré de Saint-Jean-en-.Grève(2) et dans un terrain qui en dépendait, vendu, en 1747, sous le nom de jardin du Remenier, il existe un souterrain d'une certaine étendue, quoique réduit, avec des ramifications ayant plusieurs issues et un puits à eau à l'intérieur, ce qui est la caractéristique des souterrains-refuges.

Il est situé par moitié, à peu près, sous la partie la plus à l'est du boulevard et sous le jardin de l'établissement religieux des soeurs Servantes de Marie, n° 11.

(1) Voir Le Prieuré de Saint- Jean-en- Grève et ses souterrains (Bulletin n° 13, de 1912, de la Société d'Histoire naturelle de Loir-et-Cher), par C--E. Florance.

(2) Ce prieuré dépendait de l'abbaye des Bénédictins de Pontlevoy. Par charte du 11 novembre 1089, Estienne, comte de Blois, ratifiait les donations faites à l'abbaye de Pontlevoy, dont faisait partie ledit prieuré, par Thibault III, son prédécesseur; (d° même notice).


PLAN DU SOUTERRAIN-REFUGE DU PRIEURÉ DE SAINT-JEAN-EN-GRÈVE


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Il a été creusé au bas du coteau, presque au niveau de la vallée de la Loire, c'est-à-dire des alluvions modernes, sous l'énorme banc de calcaire de Beauce, de 35 mètres de hauteur au sommet du coteau, dans lequel, en passant en Loir-et-Cher, la Loire a fait son lit. Ce banc de calcaire finit à Blois, un peu à l'ouest de la ville, en aval, où il est remplacé par un banc de craie sénonienne plus épais encore.

On doit diviser ce souterrain en deux parties bien distinctes : la première, celle qui est au niveau de l'entrée, ou à peu près, en face et à gauche, c'est-à-dire à l'ouest; l'autre à droite, ou à l'est, à 3 mètres audessous du niveau de la première.

L'ouverture, avec exposition au sud-est, a été pratiquée dans une couche de tuf marneux de 1m,50 à 2 mètres d'épaisseur, au milieu de laquelle se trouve un petit banc de calcaire dur de 0m,20 à 0m,40 d'épaisseur, mais pouvant se déliter aisément, ce qui fait qu'on ne peut se dispenser de remarquer que pour ouvrir le souterrain on s'est attaqué à la partie la plus facile à creuser. Cette couche marneuse a été utilisée pour toute la première partie du souterrain.

En ne tenant pas compte des divisions postérieures, la principale salle, au début, avait, dans son ensemble, 23 mètres de profondeur et 11 mètres de largeur. L'entrée a 2 mètres de hauteur, et, jusqu'à 5 mètres de profondeur ; le sol va en pente légère pour arriver à donner dans la grande salle une hauteur de 2m,60.

Le plafond est représenté par un banc très régulier de calcaire dur, bien plein, bien dense, qui surmonte la couche de tuf. En raison de la grande portée du pla-


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fond, pour éviter un effondrement possible que certaines fissures pouvaient faire craindre, il a été soutenu primitivement par une suite de piliers ou supports naturels, ménagés en ligne droite, partant de l'ouverture presque au milieu de la salle et allant jusqu'à 4 mètres de distance du fond de la salle, qui se trouvait ainsi comme divisée en deux parties. Puis, plus tard, à une époque que j'indiquerai tout-à-l'heure, ces supports na turels, presque entièrement en marne ou tuf, ayant été jugés trop faibles furent remplacés ou doublés par de gros piliers de maçonnerie. Le pilier le plus éloigné, qui est isolé dans la salle, a 1m,30 d'épaisseur sur 1m,60 de longueur ; le deuxième, en revenant du côté de l'entrée, à 2 mètres de distance du premier, a, ainsi que les suivants, la même épaisseur que le premier, avec 2m,40 de longueur ; au milieu de ce pilier on voit des restes du support naturel primitif ; il est relié au troisième par une muraille assez récente qui sépare ainsi la salle en deux parties, car le troisième pilier qui est à 2m,90 du précédent, a lui-même 2 mètres de longueur et, s'il se trouve à 3 mètres du pilier de l'entrée, il y est relié par une autre muraille percée de deux petites lucarnes, pour la circulation de l'air sans doute. La principale salle a servi, il y a peut-être un siècle de champignonnière ; on voit encore, au long des parois et des piliers, une ligne de briques sur champ qui encadrait les plates-bandes sur lesquelles étaient cultivés les champignons. Les piliers et la voûte portent des traces d'un badigeonnage à la chaux qui a dû être effectué à cette époque.

La deuxième salle, celle qui se trouve de l'autre côté des piliers, pour une utilisation plus convenable, sans doute, a été voûtée en maçonnerie à une époque peu éloignée, celle de la construction de la muraille percée


-183de

-183de séparant les deux salles, qui est peut-être aussi celle de l'installation de la champignonnière ; c'est en même temps, probablement, qu'on a ouvert la porte spéciale qui faisait communiquer cette salle directement avec l'extérieur. Il n'est pas douteux qu'en principe il n'y avait qu'une seule entrée au sudest.

Dans cette deuxième salle, qui a 11 mètres de longueur et 4 mètres de largeur, à 8 mètres de l'entrée et à égale distance des parois, soit à 1m,60 environ, il existe un puits d'aération de 0m,70 de diamètre, très bien percé dans une voûte de calcaire de 5 à 6 mètres d'épaisseur (puits A).

Pendant que nous en sommes encore aux entrées, je dirai que, lors de l'établissement du boulevard Eugène Riffault, en 1855, pour éviter l'obstruction du souterrain, utilisé à cette époque, par l'établissement d'un remblai de 8 à 10 mètres de hauteur à cet endroit, la ville dut construire un passage voûté en dehors de la première entrée, la principale, et que pour ne pas condamner l'entrée de la deuxième salle, bouchée cependant depuis, on fit un deuxième passage voûté latéral, allant de la première à la deuxième porte.

A une époque qui doit être encore celle de l'établissement de la champignonnière, dans la grande salle principale, une autre division fut établie à l'entrée pour former une petite salle qui est comme l'antichambre des autres. Ce vestibule, presque carré, a 5 mètres de profondeur et 5m,60 de largeur. C'est dans cette salle que se trouve le puits à eau dont j'ai parlé au début ; le puits est circulaire avec une margelle carrée, afin de le fermer par une porte mobile qui n'existe plus mais dont on voit encore la ramure d'encastrement ; il paraît avoir été creusé de la même ma-


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nière, avec les mêmes mesures et en même temps que les quatre puits d'aération que je citerai au fur et à mesure ; il a 0m,70 de diamètre, 6m,25 de profondeur jusqu'à l'eau et 7m,30 de profondeur totale ; il est placé à 3 mètres de la porte d'entrée, à 2 mètres du fond et à 1 mètre du second pilier.

A l'ouest de la grande salle, à 4 mètres du fond, commence l'ouverture d'une galerie de 5 mètres de largeur à l'entrée, allant en se rétrécissant jusqu'à une profondeur de 9 à 10 mètres ; à cet endroit elle a été fermée de peur d'accidents par l'ancien propriétaire, M. Lorin, architecte, au moyen d'un amas de pierres et de décombres, à la suite d'éboulements qui s'étaient produits plus loin, en plusieurs endroits. La tradition rapporte que cette galerie, qui était très étendue, allait très loin sous le coteau, jusque sous le couvent des Saintes-Mariés, à près d'un kilomètre de là dans la direction de l'ouest. Ce n'est pas absolument impossible, cependant je crois plutôt que c'est une légende. Je croirais plus volontiers qu'elle longeait le coteau dans la direction du sud-ouest ; le commencement de sa direction semble l'indiquer. J'ai même des motifs sérieux de penser que la galerie n'allait pas plus loin que chez moi, c'est-à-dire au n° 16 du boulevard Eugène Riffault, à une centaine de mètres de la fermeture, ce qui est déjà bien raisonnable, et qu'elle débouchait soit dans ma cour soit à l'emplacement de ma cave située sous la maison. Ma cave a été creusée dans le rocher, il y a bien longtemps, car j'ai un caveau qui offre le même aspect noirâtre et de taille grossière que certains endroits des plus anciens du souterrain ; le reste a été agrandi ou retaillé lors de la construction de ma maison, dont l'origine doit remonter pour partie


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au XVIIe siècle. Sous ma cour, il existe des fosses et un puits perdu qui paraissent inremplissables.

En tous cas, on ne retrouve pas plus loin de puits d'aération ou de regards, comme il y en a un à 6 mètres de l'entrée de cette galerie (puits B, de mêmes dimensions que le regard de la salle voisine), un peu avant l'obstruction de la galerie. A 2 mètres de l'entrée, le passage a été rétréci jusqu'à n'avoir plus que 2m,20 de largeur, pour la construction en maçonnerie d'un pilier de soutènement du plafond, dont quelques parties en désordre et fissurées paraissent avoir subi un commencement d'éboulement.

A 6 mètres de l'entrée de la dite galerie, à la hauteur du regard, dans la paroi de droite, il y a une ouverture encadrée de montants en bois, de 1m,10 de côté, qui donne dans une excavation, presque carrée, de 5 mètres environ de côté et de près de 7 mètres de profondeur à pic de tous côtés ; le seuil est lui-même à 2 mètres du plafond, ce qui fait que cette étonnante excavation, creusée dans le roc, a près de 9 mètres de profondeur totale ; on l'appelle le gouffre. Je reviendrai plus tard sur sa destination primitive ; ce que je sais, pour l'avoir vu, c'est qu'il n'y a pas très longtemps elle était louée à un confiseur de la ville, M. Mauvy, pour servir de glacière ; j'ai vu souvent verser des tombereaux de glace pendant l'hiver, par le puits d'aération voisin, pour en remplir le gouffre.

On a diminué et approprié l'entrée de cette excavation non seulement par un encadrement de bois mais encore par un gros pilier allant jusqu'au fond, destiné à soutenir la voûte qui, à cet endroit, malgré une épaisseur de 5 mètres, montre des fissures. On descend dans le gouffre par une sorte d'échelle verticale formée par des barres de fer scellées dans le seuil et dans la paroi


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qui est en dessous. Le seuil de l'ouverture est formé d'un bloc de pierre de 1m,20 de longueur sur 0m,60 et 0m,70 de largeur et 0m,50 d'épaisseur. Au fond de la glacière et au milieu on a creusé une petite cuvette cylindrique pour recevoir l'eau qui pouvait provenir de la fonte de la glace, sans doute.

J'arrive à la description de la seconde partie du souterrain. Si la première a été creusée presque toute dans une couche relativement facile, il n'en est pas tout à fait de même pour la deuxième, taillée dans un banc de calcaire dur quoique assez divisé en pierrailles. Cependant, en arrivant au niveau de la galerie, on retrouve une petite couche de tuf marneux de 0m,75 d'épaisseur et le calcaire est moins dur et moins dense que le plafond de l'autre galerie, qui, ainsi que je l'ai dit, forme un bloc continu et régulier.

Pour arriver dans la grande galerie de la partie inférieure du souterrain, dont l'ouverture se trouve à droite de l'entrée principale, aussitôt après la petite salle du puits à eau, au commencement de la grande salle où était la champignonnière, on descend par un couloir en pente, qui a 10 mètres de longueur avec 3 mètres de profondeur environ, dans lequel on a construit, à une époque très récente, un escalier. Cet escalier en pierres de taille est formé de 22 marches, ayant 0m,45 de largeur, 0m,13 de hauteur et 1m,20 de longueur ; le passage n'a que 1m,70 de largeur. La grande galerie inférieure est très irrégulière dans sa forme, dans sa largeur et dans sa hauteur ; il faut l'imputer aux difficultés très grandes de l'extraction avec des moyens primitifs. D'autre part, en certains endroits, pour un


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motif qui paraît être de donner plus de régularité au niveau du sol, on a nivelé le sol en répandant des décombres ; alors la hauteur diminue et varie de 1m,60 à 2m,25 ; mais la direction reste toujours la même, parallèle au coteau avec des élargissements formant comme des chambres.

Au sortir du couloir en pente, c'est-à-dire de l'escalier, lequel est tout ce qu'il y a de plus moderne, avec rampe en fer et rigole en ciment pour l'écoulement des eaux, la galerie prend une largeur de 3m,40 sur une longueur de 3 mètres, puis on arrive, à droite, à une chambre, de 4m,20 d'ouverture, qui a une profondeur de 9 mètres et se transforme en un couloir étroit se continuant 5 mètres plus loin, perpendiculairement à la galerie ; à l'endroit où la chambre diminue brusquement de largeur, il y a un puits d'aération ou regard (puits C du plan), semblable aux deux autres précités. Dans la chambre, par suite des décombres apportés pour exhausser le sol, la hauteur moyenne n'est plus que de 1m,10 ; les décombres sur le sol forment une telle épaisseur qu'on y a pratiqué un trou, peu profond, qui sert de puits perdu, pour y amener les eaux que la pente, occasionnée par l'établissement du boulevard, conduit du dehors dans le souterrain, par les grandes averses ; le fond de la chambre et le couloir sont presque remplis de grosses pierres et de pierrailles.

En continuant, la galerie prend une largeur encore plus grande, de 4m,40, pendant une longueur de 6m,50, pour former une excavation en arc de 2 mètres de profondeur avec une longueur de 6m,20. Alors on trouve une autre chambre de plus de 6 mètres de profondeur, obstruée par un gros tas de pierres et de décombres, terminée par un quatrième puits d'aération (puits D du plan), qu'on devine plus qu'on ne voit, par la lu-


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mière qu'il projette sur les décombres qui empêchent d'y arriver.

Vis-à-vis cette chambre, de l'autre côté de la galerie, c'est-à-dire à gauche, on voit une autre excavation demi-circulaire, de 2m,70 dans sa profondeur, qu'on a fermée autrefois et isolée de la galerie, peut-être au commencement du XIXe siècle au plus, par un mur de 4 mètres de longueur qui, du côté de l'arrivée, forme un angle en saillie de 1m,40 sur la paroi de la galerie. Ce mur fait de l'excavation une cellule, ou pour mieux dire un véritable cachot, dans lequel on entrait par une porte de 0m,80 de largeur, ouvrant en dehors, qui a disparu ; l'air ne pouvait y pénétrer que par deux petites lucarnes étroites, en forme de meurtrières, pratiquées de chaque côté de la porte dans le mur. Cette cellule, singulièrement placée, a dû servir très probablement pour une séquestration, à une époque peu éloignée ; elle est impressionnante pour les visiteurs.

A la suite de ce cachot et presque à la fin de la galerie, qui se termine par une chambre à peu près circulaire de 6m,50 de diamètre, on trouve, à 3 mètres du cachot et du même côté, l'entrée d'un escalier de 33 marches de 0m,10 de hauteur, sur une longueur de 11 mètres, commençant à angle droit de la galerie pour aboutir à une issue, aujourd'hui bouchée, ouverte autrefois dans le coteau, et donnant actuellement dans la propriété des soeurs Servantes de Marie. Cet escalier, taillé grossièrement dans le roc et qui a été fort détérioré par l'usage, doit remonter à l'époque du creusement de la galerie. A une certaine époque, il faisait probablement communiquer le souterrain avec une importante exploitation agricole qui existait alors sur le coteau, au-dessus et non loin de l'issue. Mais la mu-


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raille qui renfermait l'escalier ne peut avoir une origine plus ancienne que celle du prieuré.

En résumé, sans tenir compte des développements des chambres, la seconde galerie, que je viens de décrire, a, depuis le commencement de l'escalier d'entrée jusqu'au fond de la dernière chambre, en ligne droite, une longueur de 41 mètres environ ; en y ajoutant la longueur de l'escalier de la dernière issue, qui est de 11 mètres, on obtient un total de 52 mètres pour la deuxième galerie. Le souterrain supérieur ayant une longueur, en ligne droite d'au moins 23 mètres, du fond obstrué près le gouffre à la paroi dans laquelle l'escalier de l'entrée a été taillé, l'étendue totale actuelle des souterrains est encore, au moins, de 75 mètres.

Sans compter la porte bouchée qui est à côté de l'entrée principale, qui n'a été ouverte que pour une exploitation assez récente, le souterrain avait au moins trois issues, quatre puits d'aération ou regards et un puits à eau.

Dans quel but le souterrain a-t-il été creusé et à quelle époque remonte ce travail?

Sans être par trop affirmatif, il me semble possible de répondre à ces questions. En tous cas voici ce que je pense :

J'ai dit, en commençant, que ce souterrain présentait tous les caractères et les apparences des souterrains-refuges. Ce n'était pas en effet pour en extraire des matériaux, pierre ou marne, qu'il a été creusé ; la pierre et la marne sont toutes les deux de trop mau-


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vaise qualité à cet endroit pour avoir été utilisées. Il n'y a pas de traces d'habitations permanentes comme il y en eut tant à Blois, autrefois, dans le coteau, comme j'en ai connu dans ma jeunesse, à l'extrémité opposée de la ville, rue Augustin Thierry, alors rue Bourreau ; il n'y a pas de foyers ni de fenêtres. On ne pouvait donc se servir du souterrain que pour y mettre des provisions en réserve, on peut dire le mot, en cachette, et pour permettre aux habitants voisins et à leurs bestiaux de s'y réfugier provisoirement en cas de danger ; il faut croire que le danger pouvait être très sérieux et très à craindre pour avoir donné lieu à un travail aussi considérable, surtout pour l'époque que je suppose.

Dans tous les temps les hommes ont eu à craindre des invasions ou des dangers et se sont protégés comme ils ont pu ; le souterrain refuge était à la portée des faibles, femmes, enfants et vieillards.

L'homme néolithique, faute d'instruments suffisants, ne pouvait se creuser de souterrains refuges, il ne pouvait qu'employer les souterrains naturels formés par les grandes eaux ou par des fontaines desséchées. Les souterrains artificiels ne doivent donc dater qu'après la découverte et l'emploi des métaux. Le souterrain que je signale, par son apparence et sa manière primitive, doit remonter, à mon avis, à l'époque celtique ou gauloise ; au moins à la deuxième époque de l'âge du fer. Alors existaient déjà ou on commençait à creuser les nombreux souterrains de notre région, notamment ceux de la Beauce.

Dans Quelques preuves de l'ancienneté de Blois (1), je

(1) Voir le bulletin n° 13, de 1912, de la Société d'Histoire naturelle de Loir-et-Cher.


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crois avoir démontré que Blois a été un oppidum gaulois, quand son promontoire barré, de l'époque néolithique récente, fut devenu insuffisant. Il y a donc bien des raisons pour penser que le souterrain du Remenier existait alors et servait aux habitants trop éloignés, qui ne pouvaient à temps se réfugier, en cas de danger, dans l'oppidum ou sur le promontoire fortifié. Il a dû servir, tel qu'il était à l'origine, notamment pendant l'invasion romaine (1), puis à la fin de l'Empire pendant l'invasion franque et pour se protéger contre les excursions des Normands, qui ont brûlé et pillé notre ville au IXe siècle. Ce sont les principaux faits connus, mais combien d'autres luttes notre région n'eut-elle pas à supporter ? combien d'incursions passagères, mais non moins dévastatrices, ont dû se produire ? Les Romains ont signalé la facilité avec laquelle les Gaulois savaient à l'occasion disparaître lorsqu'ils n'étaient pas de force à résister. C'est donc que leurs refuges existaient déjà avant l'invasion romaine.

Les deux parties du souterrain doivent dater, ou à peu près, de la même époque. Bien entendu on a commencé par la partie supérieure puisque la partie inférieure s'ouvre dans la première. La seconde partie n'a pu, en temps de paix, surtout dans les temps modernes être utilisée autant que la première, en raison des difficultés d'accès résultant de la différence de niveau ; c'est ce qui fait qu'elle a conservé son aspect primitif et les apparences archaïques que lui donnent sa taille fruste et grossière et son irrégularité.

Au moyen âge, le souterrain situé auprès du prieuré

(1) En témoignage de très anciennes habitations du Remenier, je puis citer la trouvaille chez moi, à 3 mètres de profondeur, de deux fragments de tuiles romaines, dans un très petit espace (voir id., id., p. 33).


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de Saint-Jean-en-Grève a été amélioré, utilisé par les moines bénédictins qui ont construit le prieuré au XIe siècle. S'ils n'en avaient pas fait une sorte de cachette, ils lui auraient ménagé une entrée plus convenable et n'auraient pas eu besoin de construire à côté un cellier monumental. Il a pu servir aussi de refuge provisoire pendant les guerres de la féodalité, pendant la guerre de Cent ans et pendant les guerres de religion, qui ont fort éprouvé notre cité et ruiné le prieuré.

Le gouffre, qui n'était autre qu'un silo, devait servir pour mettre en sûreté les réserves de provisions, grains et fourrages ; ce seraient les moines qui auraient fait construire les piliers de soutènement en maçonnerie de la principale salle, celui du gouffre, ainsi que celui qui est vis-à-vis, et la muraille de l'escalier conduisant à l'issue donnant dans le jardin supérieur, alors la ferme du prieuré. Les autres maçonneries dateraient seulement des XVIIe et XIXe siècles.

On peut remarquer une grande différence entre la taille très régulière et perfectionnée des parois des puits et celle des parois de la grande galerie inférieure, qui ne pourrait guère être plus grossière ; on peut comprendre qu'il y ait ainsi plus d'un millénaire de distance dans l'attribution que je fais de leur origine. Quant aux puits ce sont les dimensions et la perfection de taille qu'on retrouve pour la période du moyen âge, dans presque toute la France. Alors on était devenu expert dans l'art de percer les puits.

Sommairement voici quelle serait l'histoire du souterrain du Remenier :

Son importance ne permettant pas de supposer


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qu'il ait été creusé par un seul petit propriétaire, il l'aurait donc été par une collectivité, par les ordres d'un notable, sinon par ceux d'un chef de l'oppidum blésois, pour protéger les ouvriers agricoles de son domaine et leurs familles. Il y avait certainement des cultures pour nourrir les habitants de l'oppidum et j'ai déjà dit qu'à l'époque du prieuré, il y avait dans la région, au-dessus du souterrain, une importante ferme ou colonie agricole, avec laquelle il communiquait par une issue spéciale paraissant avoir beaucoup servi. Après l'occupation franque, par droit de conquête sinon par succession, l'oppidum et ses dépendances étant devenus la propriété des comtes de Blois, ceux-ci, au XIe siècle, firent don du domaine de SaintJean-en-Grève aux moines bénédictins de l'abbaye de Pontlevoy, ainsi que le constate la charte du 11 novembre 1089, qui confirme et ratifie la donation à l'abbaye par le comte Thibault III, qui a vécu de 1037 à 1088. Puis, ainsi que je l'ai dit dans Le Prieuré de Saint-Jean-en-Grève (1), le prieuré disparut lors de la création de l'évêché de Blois, en 1698, absorbé par la mense épiscopale. Enfin la mense épiscopale disposa des biens pour se créer des revenus ; c'est ainsi que le jardin du Remenier, dans lequel se trouvait une grotte qui en dépendait, fut vendu le 4 août 1747, suivant acte de Me Guénois, notaire à Blois, à Barthélemy Gaudeau, par François de Crussol, évêque de Blois, moyennant une rente foncière perpétuelle de 12 livres. Il en fut de même pour la grotte, laquelle, d'après un acte de reconnaissance d'hypothèque du 23 septembre 1771, même étude, se trouvait au-dessous du jardin

(1) Voir le Bulletin n° 13, de 1912, de la Société d'Histoire naturelle de Loir-et-Cher.

13


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des Pères Cordeliers (1). La propriété du prieuré étant divisée, ce fut alors, évidemment, que fut bouchée l'issue faisant communiquer les deux jardins par l'escalier du souterrain taillé dans le roc. La grotte étant devenue propriété privée, on chercha à l'industrialiser, à en tirer parti. Mais cela ne rentre plus dans le domaine de l'archéologie.

Ici donc je m'arrête, ce ne sera pas toutefois sans avoir exprimé tous mes remerciements aux locataires actuels, M. et Mme Hervé, pour toutes les facilités qu'ils m'ont accordées pour la visite et l'étude du souterrain.

Mon opinion personnelle pourra être discutée; mais, en signalant le souterrain du Remenier, je désire attirer sur lui l'attention des archéologues. C'est pour eux que je donne d'aussi longs détails que je prie mes autres lecteurs d'excuser.

P.-S. — A l'appui de mon opinion sur l'origine gauloise du souterrain du Remenier, je puis ajouter que je viens de visiter tout récemment (1er août 1922), à 3 kilomètres de Chartres, à Lèves (Eure-et-Loir), en plein pays carnute, un autre souterrain qui offre la plus grande analogie d'origine avec le nôtre. Dans le pays et dans la géographie de Joanne on le désigne sous le nom de Caves des Druides, parce que, selon la tradition, les druides y enseignaient. Dans les environs, il existe une ancienne enceinte gauloise, qui a dû servir encore à l'époque féodale, qu'on appelle Mons Leugarum et qu'on dit aussi avoir été le séjour sacré des druides. Je ne puis que la citer, je ne l'ai pas vue.

(1) Voir aux Archives départementales, liasse G. 14. Cet acte m'a été indiqué par mon collègue et ami, M. Arthur Fleury, de Vineuil.


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Sans chercher si le souterrain a été, ou non, occupé par les druides, ce qui serait difficile à démontrer, on peut penser qu'il est d'origine gauloise ; je le crois d'autant plus qu'il offre beaucoup de ressemblances dans sa manière d'être avec celui du Remenier. C'est bien là le premier travail souterrain de l'homme, avec les outils primitifs en métal. Creusé au pied du coteau, on s'est servi, de même qu'à Blois, d'une couche marneuse sous le rocher, avec des piliers ménagés dans la marne crayeuse pour soutenir la voûte ; ses chambres sont aussi frustes ; comme ici il y a un puits à eau étroit et aussi un grand puits sec très large d'ouverture, environ 2 mètres de diamètre à l'entrée comme au fond, et qui a 5 ou 6 mètres de profondeur ; cette excavation correspond à celle appelée le gouffre, au Remenier, et devait aussi servir de silo et de cachette de grains ; il y a aussi deux issues. Enfin ce souterrain est à quelques centaines de mètres et dans les dépendances de l'ancienne abbaye bénédictine de Josaphat, fondée en 1117 et à laquelle, toujours comme à Blois, elle a dû servir aussi de souterrain-refuge. Sur l'emplacement de cette abbaye s'élève aujourd'hui le bel asile et hospice d'Aligre.



VICTOR HUGO et son frère Eugène

à la pension Cordier et Decotte et au collège Louis-le-Grand

par M. Louis BELTON

Les deux fils du général Hugo qui se rapprochaient le plus par l'âge étaient :

Eugène, né le 16 septembre 1800,

et Victor, né le 24 février 1802.

Le général, qui se chargeait des frais de leur éducation, les avait placés à la pension Cordier, 41, rue Sainte-Marguerite, faubourg Saint-Germain, à Paris. De Thionville, dont il était gouverneur, il correspondait à ce sujet avec M. Cordier. Le prix de la pension était de 300 francs par trimestre, non compris les déboursés pour les frais des maîtres particuliers.

Les fonds étaient versés, au nom du général, par M. Katzemberger, de la maison Oberkampf, que le général avait établi curateur de ses enfants. Prévoyant le cas où il pourrait être investi dans Thionville le général recommandait à M. Cordier de s'adresser à la même personne pour le paiement des termes de la pension.


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Par ailleurs une des soeurs du général, Mme veuve Martin, née Marie-Françoise Hugo, «avait des fonds pour l'entretien des deux enfants ». Nous allons voir qu'elle ne les prodiguait pas.

Le général était parti (pour Thionville) au commencement de 1816 sans voir ses enfants et sans les prévenir de son départ. Le 31 mars, ils lui écrivent :

« Mon cher papa, c'est avec la plus grande surprise que nous avons été informés de ton départ. Nous voulions t'écrire , mais Mme Martin a refusé jusqu'ici de nous dire où tu étais. Ce n'est qu'hier qu'elle a consenti à nous l'apprendre, sans cependant vouloir nous donner ton adresse ; en sorte que nous sommes forcés de la charger de cette lettre, où, comme elle-même nous y a invités, nous renfermons la note de tout ce qui nous est absolument nécessaire en ce moment.

« Elle nous dit en outre que tu désirais savoir si nous faisons des progrès dans le dessin (1). M. Cadot est content de nous et nous a dit que cela irait bien. Nous prenons tous les samedis des leçons de perspective. Du reste, nous faisons tous nos efforts pour contenter nos maîtres.

« Adieu, mon cher papa, nous attendons ta réponse avec impatience, tant pour avoir de tes nouvelles que pour être soulagés dans nos besoins. Nous t'embrassons de tout coeur. Porte-toi bien, et aime toujours

Tes fils soumis et respectueux,

E. Hugo. Victor.

(1) Le général aurait désiré que ses fils entrassent à l'école Polytechnique.


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Le corps de la lettre est de la main d'Eugène.

Il paraît, du reste que Mme Martin n'était pas tendre pour ses neveux. En 1816, Eugène avait 16 ans et Victor 14. C'étaient de petits hommes qui supportaient mal la férule. Dans une lettre du 12 mai (écrite par Eugène et signée des deux frères), ils n'hésitent pas à se plaindre à leur père :

« Mon cher papa, M. Decôtte nous a communiqué le passage de ta lettre qui nous concernait, et nous en avons été aussi surpris qu'affligés. Si jusqu'ici nous nous sommes tû sur les désagréments que nous éprouvons de la part de Mme Martin, c'était uniquement pour ne pas te tourmenter, espérant d'ailleurs en voir bientôt la fin. Elle a sans doute voulu nous prévenir ; nous ignorons les plaintes qu'elle a pu te faire, mais elle eût dû songer que nous sommes d'un âge à savoir nous défendre quand nous le pouvons, et que tu dois la connaître aussi bien que nous.

« Nous avons pour elle tous les égards que nous lui devons comme tante, elle n'en a aucun pour nous ; elle semble même prendre à tâche de pousser à bout notre patience par les procédés les plus inconvenants. Tu nous as dit qu'elle était chargée de pourvoir à tous nos besoins, tu lui as sans doute laissé des instructions, mais nous ne pouvons croire que tu lui aies prescrit de traiter tes fils comme elle voudrait les traiter. Nous ne pouvons rien lui demander, pas même des souliers, qu'elle ne se récrie aussitôt après nous, sans ménager ses termes, sans penser au respect qu'elle se doit à elle-même. Si nous voulons lui prouver que nous avons raison, il nous faut essuyer un torrent de basses injures, quittes, quand nous nous y dérobons, à nous entendre appeler sots et impertinents, etc., etc.

« Nous ne te tracerons pas le tableau de la scène


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dégoûtante (sic) qu'elle nous a faite dernièrement ; il est seulement heureux pour nous d'en avoir eu des témoins, après les mensonges qu'elle a voulu inutilement faire croire à M. Decôtte, nous sommes en droit de suspecter sa sincérité à ton égard.

« Au reste, mon cher papa, nous n'avons rien à nous reprocher ; tout ce que nous avançons ici est fondé sur des faits connus, et dont il ne tient qu'à toi de prendre connaissance.

« Quant à ce que tu nous marques pour M. Cadot, nous osons te représenter qu'une année de dessin ne suffit pas pour entrer à l'école (polytechnique) ; nous te prions donc, si ton intention est que nous nous présentions aux examens, de nous permettre de prendre encore quelques mois de leçons, ne fût-ce que jusqu'aux vacances. Si tu accèdes à notre demande, daigne en informer M. Decôtte le plus tôt que tu pourras, afin que nous n'éprouvions pas de trop longue interruption. »

Nous n'avons pas là réponse que le général fit à ses fils le 12 mai ; nous supposons que la fière attitude des deux jeunes gens ne lui déplut pas trop, tout en pensant que, par amour de la discipline, il ne donna pas tort à Mme Martin.

Vers la fin de l'année, il demande à ses fils des renseignements sur leurs progrès en mathématiques et en philosophie. Ils lui répondent (3 décembre) toujours par la plume d'Eugène, et sous la signature des deux frères :

« Depuis six semaines que nous allons au collège de Louis-le-Grand, nous avons repassé toute l'arithmétique, et toutes les fois que nous avons été appelés au tableau, nous avons eu les numéros les plus élevés, tels que 15, 16, 17 et 18, nous avons eu, dans les com-


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positions les 3 e et 4e places, quoique, pour la géométrie, nous nous trouvions les plus faibles de la classe ; enfin M. le professeur lui-même nous a souvent adressé des paroles flatteuses sur notre travail et notre application.

« En philosophie, tous les devoirs que nous avons présentés depuis un mois que le cours est ouvert ont été notés bien et très bien, et nous ont pareillement attiré des choses flatteuses de la part de M. le professeur. »

Cette correspondance nous fait voir que les deux frères suivaient les mêmes cours à l'institution Cordier et au collège Louis-le-Grand ; frères par l'étude comme par le sang, ils semblent avoir partagé les mêmes succès ; ils ne correspondent avec leur père que par des lettres collectives, écrites en général par Eugène, l'aîné, et signées par les deux.

Dans cette même lettre du 3 décembre, ils ajoutent les détails suivants sur leurs travaux :

« Tu sais sans doute que les cours du collège nous tiennent depuis 8 heures du matin jusqu'à 5 heures du soir. Le cours d'arithmétique, professé par M. Guillard, dure depuis 8 heures 1/2 du matin jusqu'à 10 1/2 ; après ce cours, M. le professeur donne, de son propre gré, à ses élèves privilégiés des leçons d'algèbre auxquelles il a la bonté de nous inviter ; en sorte que nous ne pouvons revenir à la pension qu'à 12 heures 1/2. Depuis une heure jusqu'à 2 heures nous avons trois fois la semaine la leçon de dessin que nous donne M, Cadot ; à 2 heures nous partons pour nous rendre en philosophie d'où nous ne sommes revenus qu'à 5 heures du soir. Depuis 6 heures jusqu'à 10, nous nous occupons, soit aux leçons de mathématiques que nous


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donne M. de Cotte, soit à nos rédactions et aux devoirs du Collège. »

Après avoir énuméré ce programme de travail plutôt chargé, les deux frères demandent à leur père, comme récompense des efforts qu'ils font pour le satisfaire, de leur permettre de sortir les jours de congé avec leur frère Abel, de deux ans plus âgé qu'Eugène :

« Tu nous as souvent toi-même, cher papa, fait l'éloge de notre frère Abel, et tes propres discours prouvent que tu le regardes, avec nous, comme le meilleur des fils et le plus tendre des frères. D'après la manière dont est employé notre temps, il est impossible qu'il puisse nous voir les jours ouvrables ; et tu sais que les jours de congé sont tellement partagés entre la messe, le travail et la promenade qu'il ne peut venir nous embrasser aux jours où il est libre. Nous te demandons donc, cher papa, de sortir avec lui les jours de congé. »

Cette demande ne fut pas accueillie. Le générai Hugo ne considérait pas sans doute le frère de 18 ans comme un Mentor suffisant pour ses deux frères de 16 et 14 ans. Le 26 décembre 1816, Eugène et Victor, en envoyant à leur père leurs voeux pour le nouvel an, devoir auquel ils ne manquaient jamais, ajoutent avec une pointe d'amertume :

« Puisque toutes nos prières sont inutiles, nous ne te demandons pas de sortir avec Abel, malgré la bien douce satisfaction que nous aurions à l'embrasser, depuis si longtemps que nous ne l'avons vu, et nous tâcherons de nous résigner à passer ce jour de l'an comme les autres, c'est-à-dire depuis deux ans sans voir nos parents. »

Les deux frères n'en assuraient pas moins leur père de leur entière soumission à ses volontés : « Nous nous


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efforcerons toujours de satisfaire nos maîtres, puisque c'est le moyen de te contenter et de nous faire supporter notre situation avec moins de peine. »

Pourtant, le 22 juin 1817, ils écrivent à leur père pour protester contre les procédés dont ils sont victimes de la part de leur tante, Mme Martin.

« Ta lettre du 12 mai nous prouve qu'on calomnie notre conduite, et que, quoique (sic) nous fassions, on saura toujours nous donner tort près de toi ; n'importe, il ne sera pas dit que par notre silence nous ayons avoué ce dont on nous accuse. Il est faux que nous n'ayons pas eu pour Mme Martin tous les égards que nous lui devons ; il est faux que nous lui ayons ri au nez quand elle nous a dit que tu te faisais mille privations pour nous, quand elle nous exposait ta position.

« Quant à ce que nous t'avons marqué dans notre dernière lettre, nous croyons t'avoir dit que c'étaient des faits dont il ne tenait qu'à toi de prendre connaissance. En voici quelques-uns que nous pouvons encore y ajouter.

« Mme Martin nous a dit qu'elle nous donnait 3 francs par mois de sa bourse, et dans le même temps tu nous écrivais : Je vous donne tant par mois pour vos menus plaisirs. Mme Martin, sous prétexte que tu lui as défendu de venir à la pension de deux mois (tout en lui envoyant des lettres à porter pour M. de Cotte et pour nous), sous prétexte que tu as enfin remis à sa disposition le paiement des 3 livres qu'elle tirait si librement (pour libéralement!) de sa bourse, Mme Martin dis-je, est restée un mois sans daigner s'informer de nos besoins, et depuis deux mois nous a retranché nos deux sous par jour ; encore a-t-elle eu la sage prévoyance de ne nous en prévenir qu'au 1er juin.

« Comme nous lui avons poliment représenté que,


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comptant sur cet argent, nous avions été dans la nécessité d'emprunter, tant pour payer nos chaises à l'église que pour faire repasser nos canifs, relier nos livres, acheter des instruments de mathématiques, elle nous a répondu qu'elle ne nous écouterait pas, et nous a ordonné impérieusement de sortir de la salle.

« Elle ne le fera pas une seconde fois, mon cher papa. Nous aimons mieux renoncer à nos semaines que d'avoir désormais aucun rapport avec elle. Si cependant ton intention est que nous payions nos dettes, et que nous ne soyons pas tout à fait sans argent, nous te prions d'en charger Abel, plutôt que tout autre. »

Et, le 12 juillet 1817, par une lettre écrite de la main de Victor Hugo, mais signée également d'Eugène, ils annoncent à leur père « qu'ils ont eu le bonheur d'être désignés parmi les six élèves destinés par le professeur à concourir en philosophie » et ils prient le général de leur envoyer leur acte de naissance (1), sans lequel ils ne pourraient participer au concours.

Il y a quelque chose de touchant dans l'accord de ces deux jeunes gens, si étroitement unis par leurs études et par leurs sentiments, et qui, tenus à distance par leur père, s'appuient fraternellement l'un sur l'autre pour s'aider à supporter leurs chagrins.

Ils sont aidés et soutenus dans une certaine mesure par leur frère aîné Abel, né en 1798, ayant par conséquent deux ans de plus que Eugène, et qui, à 20 ans, a déjà conquis son indépendance. La correspondance d'Abel nous donne quelques renseignements intéressants sur lui-même, sur ses frères et sur la situation de la famille.

(1) Comme Victor était né à Besançon, le général s'adresse à un de ses cousins, M. Vénier, habitant cette ville, qui le 25 juillet lui envoie l'acte demandé.


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Dans sa lettre du 26 août 1817, Abel s'applaudit de n'être pas entré, comme ses frères, à la pension Cordier :

« Tu dois voir maintenant, écrit-il à son père, combien il a été heureux pour moi de ne pas céder au désir que tu avais de me faire entrer chez M. Cordier, puisque j'ai trouvé dans ce refus la source de mon indépendance ; et qu'au lieu d'être mêlé à mon âge à un troupeau d'enfants et soumis à la férule d'un M. de Cotte, et sans aucune espérance pour l'avenir (car pour former des espérances, il faut savoir quel, état on doit embrasser) je me trouve à dix-neuf ans suffire à mes besoins, et suis encore en mesure de donner quelques soulagements à ceux de mes frères qui n'ont pas encore reçu l'argent que tu leur avais promis pour le mois d'août, et qui, depuis trois mois, n'ont pas encore reçu l'argent que tu leur avais promis pour leurs petites dépenses mensuelles. »

Tout en conservant envers son père les formes les plus respectueuses, et même les plus affectueuses, Abel ne se gêne pas pour défendre contre lui ses deux frères desquels, à raison de ses 19 ans, et de sa situation indépendante, il se considère comme le protecteur:

« Je suis allé jeudi dernier à la pension de M. Cordier pour aller me baigner avec mes frères ; une de tes lettres leur disait de s'adresser à M. Decôtte pour la permission dont ils auraient besoin. Je m'adresse à lui, il me répond qu'il ne le peut, malgré sa bonne volonté. Il me présente une lettre écrite par toi, quoique je me plaise à croire que ton coeur ne l'a pas dictée, et j'y remarque avec étonnement les ordres que tu donnes pour la conduite à tenir avec mes frères, ordres qui, quand même il serait possible de les exécuter, n'en seraient pas plus justes, puisque, sur le simple rapport


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d'un professeur qui s'oublie assez pour donner un soufflet à un jeune homme de dix-huit ans, élève en philosophie, et qui a fini toutes ses études, tu nous traites de polissons, tu veux en faire mettre l'un d'eux en prison, et l'autre aux arrêts pendant un mois, tu veux qu'on défende à une mère de voir ses enfants, comme si cela était possible, et comme si l'on pouvait trouver un maître de pension assez hardi pour oser le faire, et pour finir enfin tu veux qu'ensuite on les chasse de leur pension sans t'inquiéter de ce qu'ils feront ni de ce qu'ils pourront devenir. »

Nous ignorons de quelle peccadille Victor et Eugène avaient pu se rendre coupables pour s'attirer une pareille colère de la part de général ; mais nous aimons à voir Abel les défendre, et nous allons voir qu'il les défend fort bien, et par de très bonnes raisons :

« Tu ignores peut-être, dit-il, que la conduite de M. Decôtte en cette circonstance est tellement contraire aux règlements de l'Université, qu'on pourrait, si l'on ne voulait éviter un nouveau scandale, le faire suspendre pour quelque temps de ses fonctions de professeur. Tu marques un mécontentement furieux de la conduite de deux jeunes gens qui viennent de donner aux concours des preuves signalées de leur bonne conduite et de leur talent. Un premier accessit au grand concours en philosophie, d'autres premiers en philosophie au lycée, d'autres en mathématiques, et la mention honorable au grand concours de poésie à l'Académie française accordée à l'un de tes fils âgé de 15 ans et demi, toutes ces preuves glorieuses te paraissentelles autant de signes de non application et d'inconduite? Où tout autre se glorifierait de tels enfants, tu ne vois que des misérables, des polissons, prêts à déshonorer un nom que tu as rendu recommandable


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par ta (carrière) militaire. Lis tous les journaux, lis les rapports du secrétaire perpétuel de l'Académie, lis surtout le Journal de Commerce, l'ex-Constitutionnel du 26 août, tu verras qu'il est d'autres carrières de gloire que la carrière militaire, tu y verras que le plus jeune de tes fils a débuté dans la carrière par un triomphe. Eugène n'a pas été si heureux, mais le mérite de Victor ne lui ôte pas le sien. O mon père, voilà pourtant les enfants que tu poursuis avec tant de fureur, des enfants pour qui le plus grand bonheur serait de te voir heureux, des enfants qui, loin de chercher à déshonorer ton nom voudraient te faire hommage de leurs couronnes. Non, mon père, je te connais, tu as écrit cette fatale lettre, mais ton coeur ne l'a pas dictée. Tu aimes encore tes enfants ; un mauvais génie, un démon de l'enfer, auquel tu devrais plutôt attribuer tes malheurs qu'à notre respectable mère, un démon qui sans cesse attaché à tes pas fascine tes yeux et ne te montre que des signes de haine où tu trouverais des preuves d'amour si tu osais t'approcher de coeurs qui te chérissent, un être familiarisé avec la calomnie et le mensonge a empoisonné à tes yeux l'action de mes frères. Tu as oublié tes enfants pour ne voir que des êtres fantastiques, méchants et haineux qu'on t'a présentés, et tu as cédé à la colère qu'on t'inspirait. Un jour viendra que tu nous connaîtras mieux, tu verras dans tout son jour hideux l'infernale créature dont je veux te parler, l'heure de notre vengeance sera arrivée, nous retrouverons notre père, et l'artisan de malheur tremblera à son tour. »

Quelle est cette infernale créature? Serait-ce Mme Martin, née Hugo, soeur du général, qui était chargée de pourvoir à leurs menues dépenses à la pension Cordier et de laquelle ils se plaignent véhémen-


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tement? Ne serait-ce pas plutôt Mme d'Almeg , qui vivait avec le général depuis qu'il était séparé de sa femme et qu'il épousa quelques semaines après la mort de cette dernière (I).

Pour violentes qu'elles soient, les plaintes des enfants ne sauraient nous déplaire. Nous voyons plutôt avec plaisir un jeune élève de philosophie, lauréat avant 16 ans de l'Académie française, refuser de se laisser souffleter par un cuistre. Mais le général ne paraît pas en avoir été autrement ému ; il conserve en tous cas de bonnes relations avec sa soeur, à laquelle il envoyait, près de dix ans plus tard, un pos (sic) de beurre, une poule, et trois pos de confitures (accusé de réception, 6 février 1826).

Toujours est-il qu'à cette lettre assez violente d'Abel le général ne fit aucune réponse. Le 17 octobre 1817, Abel lui écrit :

« Tu n'as pas encore répondu à ma lettre du 26 août dernier. Est-ce par oubli ou serais-tu fâché contre moi ? Ai-je dit autre chose que la vérité ? Et peut-elle te blesser? Nous savons, mes frères et moi, que tu n'es pas la cause de notre malheureuse position, et s'il est quelqu'un qui puisse nous en accuser, nous ne connaissons que trop bien la personne. »

Suivent, dans les correspondances, des considérations relatives à la question budgétaire, en ce qui concerne Victor et Eugène et leur mère:

« Comme mes frères ne peuvent, continue Abel, emprisonnés comme ils le sont (à la pension Cordier) s'acheter les effets dont ils ont besoin, et étant chargés

(1) La première femme mourut le 20 ou 31 juin 1821. Dès le 6 Septembre de la même année le général épousait, à SaintChristophe, arrondissement de Issoudun, Marie-Catherine Thomas y Saétoni, veuve sans enfants de M Anaclet d'Almeg.


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de s'entretenir tous les deux avec cinquante francs par mois, comme ça ne peut être, ainsi que tu leur as écrit, que par la plus stricte économie qu'ils pourront en venir à bout, je te prie d'écrire à M. Decotte de les laisser sortir avec moi pour faire leurs petites emplettes. Je dois faire porter à leur pension une malle pour enfermer leurs effets. Marque aussi, je te prie, à M. Decotte, de les leur faire rendre, afin qu'ils s'assurent, par eux-mêmes, de ce qu'ils possèdent, et de ce dont ils ont besoin. »

On voit que le budget des collégiens est plutôt maigre. Pour les études (livres, instruments), le père paraît avoir alloué également 50 francs ; mais, lorsque, par suite d'une erreur, les 50 francs furent employés à payer des leçons de dessin, les jeunes gens se trouvèrent dans l'embarras.

« Tu avoueras, mon cher papa, écrivent-ils le 29 décembre 1817, qu'il est un peu dur pour nous de supporter la peine (de cette erreur) surtout dans un moment comme celui-ci : nous avons été obligés, le mois dernier, de nous fournir des instruments à l'usage de l'école qui nous sont nécessaires. Nous avons acheté un étui de mathématiques. Nous comptions sur les 50 francs de décembre, et nous nous sommes trouvés tout à coup sans argent, pour près de deux mois, réduits à suivre sans livres des cours où l'on ne peut nous donner que la méthode, où tout dépend de nos études particulières... »

La femme du général, la mère des enfants, n'était pas traitée plus généreusement ; peut-être le général ne pouvait-il mieux faire.

Il s'était engagé à payer à sa femme une pension de 100 francs par mois sur son traitement de la légion d'honneur. Les paiements aux légionnaires ayant été

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suspendus, le général avait réduit la pension à 80 fr. Lorsque les paiements furent repris, Abel s'empressa d'en informer son père, lui proposant du reste de toucher pour lui sa pension, sauf à en employer le montant suivant ses désirs (Lettre Abel du 6 mai 1818).

Mais le général ne s'en souciait pas. Abel se plaint amèrement de ce manque de confiance tout en réclamant le rétablissement de la pension de 100 francs pour leur mère :

« C'est ici le moment, mon cher papa, de te témoigner la peine que je ressens de voir qu'ayant continuellement des réclamations à faire et des affaires à suivre, tu en aies chargé une autre personne, qui, quelque (sic) soient ses moyens, n'entend pas mieux, je pense, les affaires que moi, et qui, si elle a quelques connaissances au ministère de la guerre, n'en a néanmoins pas plus de facilités que moi pour terminer toutes les affaires dont il peut être chargé, soit à ce ministère, soit aux autres administrations ; il n'est pas de bureau où je n'aie de bonnes et agréables connaissances qui se font un plaisir de soigner les affaires dont je les charge, sans aucune rétribution. Je t'ai plus d'une fois offert mes services, tu as paru les dédaigner ; cependant un étranger n'apportera jamais à la défense de tes intérêts le même zèle que ton fils. »

Le choix d'un état

En août 1918, les deux frères quittèrent la pension Cordier, et revinrent habiter chez leur mère (Victor Hugo raconté..., p. 226.)

Dès le mois de juillet, ils se préoccupent sérieusement du choix d'un état :


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« La situation où nous nous trouvons, écrivent-ils à leur père le 20 juillet 1818, semble ne nous laisser le choix qu'entre deux états, la médecine et le droit. Nous aurions songé au premier pour l'un de nous deux, mais la difficulté de se faire connaître dans une carrière épineuse, et surtout la longueur des études (il ne faut pas moins de 7 ans pour être reçus dans cette faculté) nous en ont promptement détournés, par la pensée que nous resterions encore trop longtemps à ta charge.

« Le même inconvénient n'existe pas dans le Droit. Trois années d'études suffisent, en sorte que si tu avais pu obtempérer à nos désirs quand nous t'en avons parlé pour la première fois il y a deux ans, nous ne serions peut-être plus un fardeau pour toi. Nous avons considéré en outre que la connaissance du droit était indispensable pour être admis aux emplois de l'administration militaire et à la plupart des charges de l'administration civile ; si d'ailleurs nous nous trouvions tous les deux dans le cas d'embrasser la carrière du barreau, ce n'est pas dans une ville comme Paris que deux avocats pourraient se nuire.

« Quant aux arrangements relatifs au pensionnat, tu sais bien, mon cher papa, qu'il n'est plus possible que nous restions chez M. Decôtte, maintenant que nos études sont finies. Nous te proposons de nous donner 800 francs à chacun pour nos dépenses. Nous voudrions te demander moins, mais tu sentiras que cela nous est impossible, si tu considères que tu nous donnes déjà 300 francs pour notre entretien, et qu'avec 500 francs de plus nous ne pourrons, sans la plus stricte économie, subvenir aux frais de notre nourriture, à l'achat de nos livres, au paiement de nos inscriptions et diplômes, etc. »


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Le 12 avril, le général n'avait pas encore répondu ; les deux frères se décident à écrire de nouveau, et cette fois c'est Victor qui tient la plume, sauf à Eugène à signer après lui. La lettre est rédigée dans les mêmes termes que la précédente, que l'on pouvait supposer n'avoir pas été reçue par le général. Elle ajoute pourtant quelques précisions :

« Depuis un an, la maison de M. Decôtte n'était plus pour nous qu'une pension bourgeoise. »

Elle établit avec les mêmes chiffres le modeste budget proposé : 500 francs pour nourriture, logement, frais d'inscription, etc. Le général avait bien reçu les deux lettres. Sur la corne de chacune il écrit de sa main : « Rép. affirmativt le 16 août. »

Les choses étant ainsi convenues, les deux frères se préparent à quitter la pension Decotte, pas avant le 10 septembre toutefois, la pension étant payée jusque là. Le 20 août 1818, Victor écrit à son père tant en son nom qu'en celui d'Eugène, qui signe également la lettre, pour le prier de leur envoyer, vers cette époque du 10 septembre, le douzième de leur pension : « Tu sens, ajoute-t-il, qu'en sortant du pensionnat nous nous trouverons dénués de tout, même de lits, si l'on ne nous remet pas absolument tous les effets que nous avons chez M. Decotte ; nous te supplions donc de lui écrire pour que, vers le 10 septembre, tout notre mobilier, qui nous est actuellement si nécessaire, se trouve à notre disposition.

« Nous allons commencer notre droit : sois sûr, mon cher papa, que dans tous les temps nous nous ferons une étude de mériter ta satisfaction par nos travaux et notre conduite. Cette année même, ce n'est pas sans quelque honneur que nous avons terminé nos cours ; nous ne doutons pas du plaisir que tu éprouveras en


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apprenant que nous avons obtenu des accessits dans nos classes et au grand concours des quatre collèges. » Nous ne savons pas si les études de droit offrirent quelque attrait aux jeunes gens ; nous pensons bien que la littérature eut plus de charmes pour eux. Quoi qu'il en soit, ils continuèrent à prendre leurs inscriptions ; en décembre 1820, ils demandent à leur père un envoi d'argent pour prendre leur inscription avant le 15 janvier 1821, date de la clôture du Registre. Ils avaient donc commencé leur troisième année.



L'HOTEL DE MAYENNE au château de Blois

par M. le Dr Frédéric LESUEUR

Lorsque les fouilles pratiquées en 1906 au château de Blois, sur la terrasse qui s'étend au sud de la chapelle Saint-Calais, près de la vieille tour du Foix, eurent mis à jour, outre le mur d'enceinte du moyen âge, un important ensemble de constructions de la Renaissance (1), plusieurs problèmes se posèrent à l'attention des archéologues qui avaient suivi ces travaux.

Il fallait d'abord chercher à restituer aussi complètement que possible le plan et les dispositions de ces constructions, que les fouilles ne nous avaient fait connaître qu'en partie. C'est ce que nous avons tenté de faire. Mais les restitutions que nous avons publiées (2) présentaient forcément des lacunes et une certaine part d'hypothèse.

Il convenait d'autre part de rechercher quelle avait été la destination de ces différents bâtiments, dont l'exis(1)

l'exis(1) avons exposé le résultat de ces fouilles dans une étude publiée à cette époque dans le Bulletin monumental (t. LXXII, 1908, pp. 78 à 119) sous le titre : Les Fouilles du château de Blois, 1906 (tirage à part, Caen, Delesques, 1908). Le lecteur voudra bien se reporter à ce travail, que le présent article a seulement pour but de compléter et de préciser.

(2) Loc. cit.


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tence était jusque, là totalement ignorée. M. de Croy, en publiant une suite de documents recueillis par lui dans les archives de la Chambre des Comptes de Blois (I), apporta à l'étude de cette question une importante contribution.

Il montra d'abord que la tour,du Foix, la seule partie de tout cet ensemble de constructions qui soit encore debout, servait au XVIe siècle de dépôt pour les archives de la Chambre des Comptes de Blois, qui d'ailleurs devait occuper également un bâtiment voisin détruit en 1635 par Gaston d'Orléans (2).

Il publiait en outre deux documents concernant une autre maison, qui s'élevait sans doute dans le voisinage. Le premier est un acte du 8 avril 1523, par lequel René, bâtard de Savoie, comte de Villars et de Tende, grandmaître de France, reconnaissait avoir acheté, avec l'agrément du roi et de la reine, comtesse de Blois, « une maison couverte d'ardoyse et la moitié d'un arpentilz joignant à icelle maison, ou chastel de Blois, en l'enclousture des comptes dudict Blois », et s'engageait à ne jamais « bastir et édiffier ladite maison et arpentilz en sorte qu'elle puisse nuyre ne préjudicier à la veue et vitres de l'église et chappelle Saint-Kalais dudict chastel de Blois » (3). Le second nous apprend qu'au mois de janvier 1568, les protestants assiégeant Blois, on vint cacher des titres à la Chambre des Comptes, en présence du « concierge de la maison de M. le marquis de Villars » (4).

(1) J. de Croy, Notes sur l'emplacement de la Chambre des Comptes au château de Blois , dans la Revue de Loir-et-Cher de mai-juin 1906, col. 78 à 84.

(2) Cf. Arch. nat., KK. 297 B, fol. 9 ; KK. 902, fol. 203 v° ; P. 288I3 fol. 260 r° ; P. 28821, fol. 32 r° ; P. 28832, à la date du 14 juillet 1628 ; P. 28833, fol. 15 r°.

(3) Arch. nat., Q1. 447, original.

(4) Arch. nat., P. 28821, fol. 32 r°.


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De ces différents textes on pouvait encore rapprocher certains documents publiés autrefois par Bournon (I) concernant une maison appartenant au prieur de Saint - Calais, qui était « assise au chastel de Bloys, près ladicte églize Sainct-Callais » et qui fut en grande partie démolie pour faire place aux constructions de Gaston d'Orléans (2).

De tout cela nous avions conclu que les constructions s'élevant dans cette partie du château, que l'on appelait au xvie siècle « l'enclôture des Comptes », étaient occupées en partie par la Chambre des Comptes, en partie par des particuliers tels que le marquis de Villars et le prieur de Saint-Calais. Il nous était impossible de préciser davantage et nous n'aurions su dire avec certitude quelle était la destination de tel ou tel bâtiment mis à jour.

Or un document nouveau nous permet aujourd'hui à la fois de restituer de façon à peu près certaine les constructions sur lesquelles les fouilles nous avaient insuffisamment renseignés et d'identifier avec la plus grande certitude tous les bâtiments exhumés. Ce document a été découvert, au cours de ses patientes et fructueuses recherches dans les archives de l'ancien bailliage de Blois, par M. l'abbé Develle, qui nous l'a très aimablement communiqué. C'est un procèsverbal d'expertise, daté du 17 janvier 1635, d'une maison, ou plutôt d'un groupe de maisons situé sur l'emplacement de la terrasse du Foix et qu'on appelait « l'hôtel de Mayenne », sans doute parce qu'il avait précédemment appartenu à Charles de Lorraine, duc

( I ) Etude sur l'ancien château de Blois, dans les Mém. de la Soc. des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, t. X, 1884, pp. 147 à 194.

(2) Arch. dép. de Loir-et-Cher, 3. H. 89, pièces 2, 3 et 4.


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de Mayenne, le frère du duc de Guise, l'adversaire d'Henri IV. En 1635 Gaston d'Orléans, qui avait résolu de rebâtir entièrement le château de Blois sur les plans de François Mansart et qui était sur le point de commencer la construction de l'aile du château qui porte son nom, acheta plusieurs maisons, dont la démolition était nécessaire à l'exécution de ses projets, et notamment cet hôtel de Mayenne. C'est en vue de cette acquisition qu'il en fît faire l'expertise par le lieutenant général du bailliage. Voici d'ailleurs le document dont il s'agit :

PROCÈS-VERBAL HOSTEL DE MAYENNE (I)

« Ce jour d'huy lundy dix-septe jour de janvier mil six cens trente-cinq, par devant nous, Simon Chauvel, conseiller du roy et de monseigneur, lieutenant général, etc., est comparu le procureur du roy et de monseigneur par Me Thomas Lefort, antien advocat de Sa Majesté et de monseigneur, lequel nous a remontré que Son Altesse, ayant besoing de l'hostel de Mayenne pour continuer le desseing des bastimens qu'elle faict faire dans son chasteau de Blois, a faict résouldre en son conseil que nous nous transporterions audit hostel de Mayenne, pour dresser procès-verbal de l'estat d'icelluy et en faire faire l'estimation par experts en sa présence, affin d'en sçavoir et connoistre la juste valleur eu esgard à l'estat de ladite maison, les matériaux dont elle est construicte, l'endroict où elle est assise et le louage qui s'en tire par chacun an, et ce nonobstant l'absence de ceulx ausquelz

(I) Arch. dép. de Loir-et-Cher, série B (non inventoriée), bailliage de Blois.


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elle appartient, attendu la nécessité pressante de la continuation desdits bastimens et que sans ledit hostel du Maine (I) on ne peult mettre en leur perfection, pour servir le procès-verbal qui en sera faict à la validité de l'achapt que veult faire Sadite Altesse dudit hostel du Maine et au proffict des absens ainsy que de raison.

« Surquoy nous, optempérant au réquisitoire dudit procureur du roy et de monseigneur, sommes transportez, assistez de notre greffier ordinaire, avecq ledit procureur du roy comparant comme dessus, audit hostel de Mayenne, pris avecq nous François Ponssard et Pierre Marie, jurez du roy ès oeuvres de massonnerye et entrepreneurs desdits bastimens de Son Altesse et nommez de la part de Sadite Altesse, et encores des personnes de Claude Duchesne et Nicolas Fouquery, maistres charpentiers demeurans en ceste ville, nommez de la part dudit procureur du roy, desquelz nous avons pris et receu le serment au cas, et encores Louis Lebel et Charles de La Roque, bourgeois dudit Blois, pour faire avecq lesdits expertz ladite estimation et faire pour et en l'absence des propriéttaires dudict hostel de Mayenne, desquelz avons aussy pris le serment au cas, par lequel ilz ont tous promis de bien et fidellement vacquer au faict de ladite estimation, ce que leurs avons enjoinct faire, où estans sommes entrez dans toutes les chambres dudit logis, tant celles qui regardent sur le derrière que sur le devant de la court, concistans en ce qui suict :

« Premièrement ung corps de logis tenant à l'ung des peignons du chasteau et à la tour de la Chambre des Comptes et ayant face à costé sur la terrasse du chas(I)

chas(I) Lire : " de Mayenne ».


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teau vers aval, concistant icelluy logis appliqué au rezde-chaussée à une cuisine et garde-manger, une chambre audessus, et audessus de ladite chambre est une chambre en galletas, contenant cinq thoises ung pied de long sur dix-sept piedz et demy de large, une montée à vis hors oeuvres servant à monter es dites chambres, les marches et noyau de bois ; ung autre corps de logis en face de l'entrée de la court, prenant son jour sur ladite court et par le derrière du costé de la porte du Foix, atenant à la Chambre des Comptes par ung bout et de l'autre au corps de logis cy-après déclaré, appliqué au rez-dechaussée à une salle, cuisine et gallerie prenant son jour sur le jardin des portiers et proche ladite porte du Foix, contenant lesdites salle, cuisine et gallerie cinq thoises et demye de large sur six thoises de longueur, en ce compris Tescallier qui [est] à l'endroit de ladite cuisine, audessus desquelles salle et cuisine sont deux chambres de plain-pied, audessus desquelles sont deux greniers de pareilles longueur et largeur, ung berseau de cave audessoubs de la salle garny d'une dessente droicte ; ung autre petit corps de logis atenant à ung corps de logis appartenant au sieur Peltier, ayant jour et aspec pareil à celluy cy-dessus dernier déclaré, ung grenier audessus ; ung autre corps de logis en retour d'équerre, couvert en appentil, appliqué au rez-de-chaussée [à] une petite cuisine, une chambre et garde-robe, audessus desquelz y a ung grenier et audessoubs deux petites caves, qui contiennent la longueur et largeur desdites chambre et garde-robbe ; et en suicte desdits logis est une autre chambre à feu contenant quinze piedz en carré, une garde-robe atenant à ladite chambre ; de laquelle somes rentrez dans ung autre corps de logis en retour, appliqué au ré-de-chaussée en une salle contenant quatre thoises et demye de long sur trois thoises et


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denrye de large, et le dessus appliqué [à] un grenier seullement, ausquelz l'on monte avecq une petite montée de bois, soubs lequel logis dernier déclaré y a une cave voultée ; lequel dernier logis susdéclaré est couvert à comble et les autres couvertz en appentil, le tout couvert d'ardoise ; tous lesquelz logis sont planchayez et sollivés.

« Tous lesquelz logis sont tous presques inhabitables pour la partye des murs d'iceulx, planchers et montées, charpenterye et combles, la plus grande partye estayez et en péril éminent ; à raison de quoy et eu esgard au heu où elle [est] scituée, qualité d'icelle et cours du temps, ilz estiment tous lesdits corps de logis et lieux cy-dessus, à la réserve de la Chambre des Comptes qui y est enclavée, la somme de deux mil livres. Donct acte. Faict lesdits jour. Lesdits Duchesne et Fouquery ont déclaré ne savoir signer ».

Signé : Chauvel, T. Lefort, P. Marie, de Larocque, Lebel, Ponsard.

Grâce à ce document nous avons pu rectifier et compléter le plan que nous avions précédemment publié. Les experts donnant les dimensions de la plupart des bâtiments, la part d'hypothèse devient fort minime. Il convient toutefois de remarquer qu'ils ont pris en général leurs mesures à l'intérieur des appartements ; il faut donc, pour avoir les dimensions totales, hors oeuvre, y ajouter l'épaisseur des murs extérieurs et même quelquefois celle de murs de refends.

Le premier corps de logis signalé par notre texte « tenant à l'ung des peignons du chasteau et à la tour de la Chambre des Comptes et ayant face à costé sur


PLAN DE L'HOTEL DE MAYENNE


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la terrasse du chasteau vers aval » est évidemment le bâtiment A de notre plan. A la vérité celui-ci ne s'étend pas exactement jusqu'à la tour du Foix, mais nous verrons par d'autres documents qu'on désignait alors sous le nom de « tour de la Chambre des Comptes » non seulement la tour elle-même, mais les constructions adjacentes occupées également par la Chambre des Comptes. Deux côtés de ces bâtiments ont été mis à jour par les fouilles et, comme on nous en donne exactement les dimensions, on peut aisément en restituer les deux autres. Le rez-de-chaussée comprenait, nous diton, une cuisine et un garde-manger. La découverte en cet endroit d'une cheminée assez simple mais de vastes dimensions pouvait déjà faire supposer qu'il y avait là une cuisine. Quant au garde-manger c'était sans doute un réduit séparé de la cuisine par une cloison dont nous ignorons l'emplacement et que nous n'avons pas pour cette raison indiquée sur notre plan. Nous apprenons en outre que ce bâtiment avait un étage. On y accédait par une « montée à vis hors oeuvres », que nous avons figurée sur notre plan de façon assez hypothétique, car on ne nous en indique pas l'emplacement exact.

Le corps de logis, dont il est question ensuite, situé « en face de l'entrée de la court, prenant son jour sur ladite court et par le derrière du costé de la porte du Foix, atenant à la Chambre des Comptes par ung bout et de l'autre au corps de logis cy-après déclaré », peut être certainement identifié avec les bâtiments B, C, D de notre plan. Ces bâtiments, qui présentaient une ornementation assez soignée et des dispositions intéressantes, ont été presque entièrement déblayés par les fouilles. Le rez-de-chaussée comprenait, au dire de notre document, une « salle », — c'est la pièce B de notre plan, — une « cuisine », — c'est la pièce C, dans laquelle une


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grande cheminée a été mise à jour, — et une « gallerie prenant son jour sur le jardin des portiers et proche ladite porte du Foix ». La présence contre la tour du Foix d'un pilastre à l'alignement de la saillie formée par l'angle du bâtiment E nous avait déjà permis de conclure à l'existence d'une galerie D s'ouvrant sans doute par une série d'arcades du côté de la vallée. Cette hypothèse est maintenant confirmée. La galerie devait avoir une largeur de 3 mètres environ qui, ajoutée aux 8 mètres de la salle B, donne bien les 5 toises 1/2 indiquées comme largeur totale du bâtiment par notre texte. Celui-ci signale en outre l'existence d'un escalier « à l'endroit de ladite cuisine » et d' « ung berseau de cave au dessoubs de la salle, garny d'une dessente droicte ». Or cet escalier, une intéressante construction comprise en partie dans oeuvre et faisant en partie saillie à l'extérieur, et cette descente de cave ont bien été retrouvés à l'endroit signalé. On nous dit enfin que le bâtiment comportait un étage, ce que laissait déjà penser le bel escalier destiné à y conduire.

Venait ensuite « ung autre petit corps de logis atenant à ung corps de logis appartenant au sieur Peltier, ayant jour et aspec pareil à celluy cy-dessus dernier déclaré ». Il faut sans doute reconnaître là le bâtiment E de notre plan, dont un angle forme actuellement une sorte d'éperon en saillie sur l'alignement de la terrasse. Il est fâcheux qu'on ne nous en donne pas les dimensions ; elles nous auraient indiqué l'emplacement de sa façade du côté de la cour intérieure, que les fouilles n'ont pas permis de retrouver et que nous devons restituer de façon absolument arbitraire. Nous savons en tout cas que ce bâtiment était de peu d'importance et se composait seulement d'un rez-de-chaussée surmonté d'un grenier. Quant à la maison appartenant au sieur Peltier,


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rien n'indique qu'elle ait été démolie par Gaston d'Or, léans. Aussi serions-nous tenté de l'identifier avec une maison qui occupait l'angle des degrés du Château et de la terrasse du Foix et qui subsista jusqu'en 1869, époque à laquelle la municipalité la fit abattre pour dégager ce côté du château (1).

Le bâtiment « en retour d'équerre » mentionné ensuite ne devait pas être non plus bien considérable. Il ne comportait également qu'un rez-de-chaussée et un grenier couvert en appentis. Nous supposons qu'il était adossé à la maison du sieur Peltier et nous avons figuré en F, G et H les trois pièces dont il se composait. Toutefois, comme nous n'en connaissons pas les dimensions et qu'aucun vestige n'en a été exhumé, il y a encore là une part d'hypothèse.

Nous connaissons mieux les dimensions de la chambre suivante I, qui avait, nous dit-on; « quinze piedz en carré », et du « corps de logis en retour » J, qui était occupé au rez-de-chaussée par une salle de 4 toises I/2 de long sur 3 toises I/2 de large. Jusqu'en 1869 il exista sur cet emplacement J une cour qui avait très sensiblement ces dimensions. Nous allons voir d'ailleurs que d'autres documents ne laissent pas de doute sur l'emplacement de ces deux derniers bâtiments.

Il nous reste maintenant, en effet, à rapprocher le texte que nous venons d'étudier des documents signalés précédemment. De ces documents nous avions conclu que sur l'emplacement que nous étudions s'élevaient des bâtiments occupés par la Chambre des Comptes, une maison appartenant aux Villars et une maison

(1) L'emplacement de cette maison et de la maison voisine nous est exactement connu par les plans d'alignement dressés sous le Second Empire. Arch. comm. de Blois, bureau du directeur du service des eaux et de la voirie.

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appartenant au prieur de Saint-Calais. Où se trouvaient ces différentes constructions ?

Notre procès-verbal d'expertise se termine par une estimation totale des bâtiments « à la réserve de la Chambre des Comptes qui y est enclavée ». Cette mention jointe à celles concernant le bâtiment A et le bâtiment B « attenant par un bout, nous dit-on, à la Chambre des Comptes » ou à la « tour de la Chambre des Comptes », indique clairement que celle-ci occupait non seulement la tour du Foix, mais encore le corps de logis contigu, entre les bâtiments A et B.

Il est plus difficile de déterminer avec certitude l'emplacement de la maison du prieur de Saint-Calais. Les renseignements fournis par les actes qui nous la font connaître nous paraissent même, si on les prend à la lettre, tout à fait inconciliables avec ceux qui nous sont donnés par le document que nous venons de publier. On ne voit pas, en effet, étant donné ce que nous savons des constructions voisines, quelle aurait pu être la situation de cette maison qui, nous dit-on, joignait « d'un bout à l'église Saint-Calais, et d'autre bout aux murailles de la tour où souloit estre la Chambre des Comptes ». Mais nous avons déjà vu que l'expression « tour de la Chambre des Comptes » qui s'appliquait à la tour du Foix, s'étendait facilement aux constructions voisines, et, d'autre part, il ne faut peut-être pas chercher une précision scientifique dans les termes d'un acte notarié.

Si l'on consulte le plan de Du Cerceau (1), on remarque qu'il indique près de la chapelle Saint-Calais une petite

(1) Jacques Androuet Du Cerceau. Les plus excellents bastiments de France, t. II, Paris, 1579 (édition en fac-simile par Destailleurs et Faure-Dujarric, Paris, Lévy, 1870).


— 227 —

cour (I), que borde de deux côtés un bâtiment composé de deux corps de logis perpendiculaires. L'emplacement de ce bâtiment nous est assez exactement connu, car un angle en a été retrouvé. Il était situé, comme l'indiquent les actes cités par Bournon, « près de l'églize Sainct-Callais », sa façade donnait sur « la rue à aller de la grande court du chastel en ladicte chapelle SainctCallais par la petite porte », il « joignait d'une part à ladicte chapelle Sainct-Callais » et, bien que d'autre part il ne joignît pas exactement « à la Chambre des Comptes du Roy », mais à ce « pignon du château » mentionné par notre procès-verbal, nous pensons, jusqu'à preuve du contraire, que c'est lui qu'il faut identifier avec la maison du prieur de Saint-Calais.

Reste l'hôtel des Villars. Mais celui-ci, croyons-nous, n'était autre que l'hôtel de Mayenne lui-même, ou du moins qu'une partie des constructions qui formèrent plus tard l'hôtel de Mayenne. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'oeil sur la généalogie de cette famille. On sait, en effet, que le duc de Mayenne avait épousé Henriette de Savoie, veuve de Melchior des Prez, seigneur de Montpezat, et fille d'Honorat de Savoie, marquis de Villars, comte de Tende, qui fut maréchal et amiral de France et mourut en 1580. Celui-ci était né lui-même du mariage de René, dit le grand bâtard de Savoie, — fils naturel du duc de Savoie Philippe II, qui l'avait reconnu et lui avait donné le comté de Villars le 9 novembre 1497, — avec Anne de Lascaris, comtesse de Tende, qu'il avait épousée le 10 février 1498 (2).

(I) Nous avions pensé, dans notre étude du Bulletin Monumental, qu'on pouvait identifier cette cour avec celle qu'entouraient les constructions mises à jour par les fouilles. Mais cela supposerait un degré d'inexactitude vraiment invraisemblable. Il y avait deux cours distinctes dont une seule a été figurée par Du Cerceau.

(2) Hist. généal. et chronol. de la maison royale de France, par le P. Anselme, t. VII, p. 237.


— 228 —

Or nous avons vu que ce René, bâtard de Savoie, avait acheté, en 1523, « une maison couverte d'ardoyse et la moittié d'un arpentilz joignant à icelle maison, ou chastel de Blois, en L'enclousture des Comptes dudict Blois ». L'appentis dont il est question peut être identifié, à n'en pas douter, avec le bâtiment I de notre plan et la maison elle-même avec le bâtiment J, le dernier dont il soit fait mention dans le procès-verbal d'expertise de l'hôtel de Mayenne, « lequel dernier logis sus-déclaré est couvert à comble et les autres couvertz en appentil, le tout couvert d'ardoise ». Nous avons vu, en effet, que l'acquéreur s'engageait à ne jamais « bastir et édiffier ladite maison et arpentilz en sorte qu'elle puisse nuyre ne préjudicier à la veue et vitres de l'église et chappelle Saint-Kalais dudict chastel de Blois ». Or, l'exhaussement de ces bâtiments I et J, et de ceuxlà seuls, pouvait, à cause de leur proximité de la chapelle, enlever du jour aux fenêtres de celle-ci. La clause fut d'ailleurs exécutée et au XVIIe siècle ils ne comportaient encore qu'un rez-de-chaussée et un grenier.

De René de Savoie, la propriété de cette maison passa certainement à son fils, Honorat, marquis de Villars, qui la possédait, nous l'avons vu, en 1568, et de celui-ci à son gendre, le duc de Mayenne. En même temps qu'il achetait cette maison en 1523, le bâtard de Savoie se rendit-il acquéreur des autres constructions qui devaient constituer l'hôtel de Mayenne, constructions qu'il aurait fait plus ou moins complètement reconstruire au goût du jour ? Ce n'est pas impossible, car la décoration de ces bâtiments ne paraît pas de beaucoup antérieure à cette date. Il se pourrait cependant que ceuxci n'aient été réunis que plus tard à l'immeuble primitif, soit par le marquis de Villars, soit par le duc de Mayenne, désireux d'accroître l'importance de leur demeure.


— 229 —

En somme, si quelques doutes subsistent sur certains points, nous connaissons bien maintenant les dispositions générales et l'affectation de ces différents bâtiments, avant qu'ils ne fussent abattus ou ensevelis par Gaston d'Orléans. La petite cour autour de laquelle ils étaient disposés, l' « enclôture des Comptes », était bordée de trois côtés par divers corps de logis assez disparates et sans lien les uns avec les autres, qui formaient l'hôtel de Mayenne. Sur le quatrième côté s'élevait très probablement une maison appartenant au prieur de Saint-Calais. Quant à la Chambre des Comptes, elle occupait un bâtiment situé dans un des angles de la cour et la tour du Foix qui lui était contiguë. Rappelons que ces différentes demeures privées, qui communiquaient par une ruelle longeant la chapelle SaintCalais et l'aile de Louis XII avec la « grande cour » ou « avant-cour » du château, doivent être considérées comme des dépendances de celle-ci et non comme appartenant au château proprement dit, au « donjon ». L'expression « pignon du château », qui se trouve dans le teste que nous publions, indique bien où se terminait celui-ci. Toutes ces constructions, qui d'ailleurs menaçaient ruine, furent détruites en 1635 pour faire place au château de Mansart.



L'étude de M. le Dr LESUEUR sur L'église et l'abbaye bénédictine de Saint-Lomer de Blois, qui devait paraîtte dans le présent volume, fera l'objet du tome XXV des Mémoires de la Société.



TABLE DES GRAVURES

PLANCHES HORS-TEXTE

I. — Le château de Blois pendant la guerre :

I. Tapisseries du musée de Cluny et meubles dans une salle du musée de Blois (aile de Louis XII).— 2. Le bureau de Louis XV, par Riesener dans la chapelle Saint-Calais 76

II. — Le château de Blois pendant la guerre :

1. OEuvres d'art provenant de Beauvais et de Soissons dans la salle des fêtes de Gaston d'Orléans. — 2. Les peintures de Puvis de Chavannes, du musée d'Amiens, dans la salle des États 80

III. — A l'assaut d'un siège épiscopal : AlexandreAmédée

AlexandreAmédée Lauzières de Thémines, évêque de Blois 96

IV. — A l'assaut d'un siège épiscopal : HenriBaptiste

HenriBaptiste évêque constitutionnel de Loir-et-Cher 112

V. — Le château de Montfraut vers 1778 : Vues

des faces est et ouest 169

VI. — Le château de Montfraut vers 1778 : Vue de

la face nord et plan 169

GRAVURES DANS LE TEXTE

1. — Plan du souterrain-refuge du prieuré de SaintJean-en-Grève

SaintJean-en-Grève

2. — Plan de l'hôtel de Mayenne 222



TABLE DES MATIÈRES

Pages Liste des membres de la Société v

PROCÈS-VERBAUX DES SEANCES

Principaux articles :

Séance du 2 mai 1919 1

Nécrologie : M. le commandant Baron 1

M. Trouëssart 2

M. Bodros 3

M. Thibault 4

M. BELTON. — Victor Hugo et sa famille 9

Séance du 30 mai 1919 10

M. LE Dr LESUEUR. — Les ruines de Rusguniae (Algérie) 12

Séance du 20 juin 1919 13

M. TROUILLARD. — Les droits féodaux de la seigneurie de Cormeray 13

Séance du 11 juillet 1919 14

M. LE Dr LESUEUR. — Les vitraux de l'église de Coursur-Loire 14

Séance du 7 novembre 1919 15

Les manuscrits de M. Trouëssart 15

M. LE Dr LESUEUR. — Le château de Cour-sur-Loire. 18

Séance du 30 novembre 1919 20

Cinquantenaire de l'admission de M. Belton 20


— 236 —

Séance du 14 décembre 1919 21

M. BELTON. — Le château de Blois pendant la guerre 22

Séance du 25 janvier 1920 23

M. FLORANCE. — L'archéologie préhistorique en Loiret-Cher (période paléolithique) 23

Séance du 22 février 1920 25

M. L'ABBE GALLERAND. — La liberté du culte à Blois

en 1791-1792 25

Séance du 28 mars 1920 28

M. FLORANCE. — L'archéologie préhistorique en Loiret-Cher (période néolithique) 28

Séance du 23 avril 1920 30

M. LE Dr LESUEUR. — L'église et l'abbaye de SaintLomer

SaintLomer

Excursion du 7 mai 1920. — Visite de l'église

Saint-Lomer 30

Séance du 28 mai 1920 31

M. TROUILLARD. — Les archives de l'abbaye de SaintLomer 31

Excursion du 30 mai 1920. — Visite du château

de Blois 35

Séance du 2 juillet 1920 35

M. L'ABBÉ GALLERAND. — Le serment du clergé de

Loir-et-Cher en 1791 36

Séance du 21 novembre 1920 37

M. LE Dr LESUEUR. — Les monuments de Suèvres .. 39

Séance du 17 décembre 1920 40

M. LE Dr MEUSNIER. — Lettres de Bonaparte à sa

femme 40


— 237 —

Séance du 16 janvier 1921

Découverte d'une chaussée romaine 41

M. LE Dr LESUEUR. — Les monuments de Suèvres (suite) 41

Séance du 27 février 1921 44

M. BELTON. — Eugène Hugo 44

Séance du 8 avril 1921 45

M. L'ABBÉ GALLERAND. — Une phase de la Terreur en Loir-et-Cher ; la grande panique de décembre 1793 46

Séance du 6 mai I92I 48

M. HONNORAT. — Les compteurs dans les distributions d'eau 49

Excursion du 22 mai 1921. — Menars, Cour-surLoire et Suèvres 49

Séance du 3 juin 1921 5I

M. LE Dr LESUEUR. — Documents concernant l'hôtel Hurault 52

Excursion du 15 juin 1921. — Visite de l'église de Saint-Saturnin et de son cimetière du XVIe siècle 55

Séance du 8 juillet 1921 57

Découverte des fondations d'une tour de ville 58

M. L'ABBÉ GALLERAND. — La lutte des évêques Thémines et Grégoire au printemps de 1791 59

Excursion du 24 juillet 1921. — Vendôme 59

Séance du 11 novembre 1921 60

M. LE Dr LESUEUR. — Le David de Michel-Ange au château de Bury 62

Séance du 18 décembre 1921 65

M. RAYMOND. — L'affaire Berryer et son dénouement devant la Cour d'assises de Loir-et-Cher 69


— 238 —

MEMOIRES

L. BELTON. — Le château de Blois pendant la guerre. Le Louvre et les musées nationaux réfugiés à Blois 73

ABBE J. GALLERAND. — A l'assaut d'un siège épiscopal. Thémines et Grégoire au début de 1791.. 85

I. — Thémines 85

II. — L'élection 95

III. — Grégoire 113

IV. — Blois fermente 121

V. — " L'ange de paix » 128

VI. — Les premières rigueurs 147

VII. — Les artisans du triomphe 158

PIERRE LESUEUR. — Vues du château de Montfraut vers 1778 169

E.-C. FLORANCE. — Le souterrain-refuge du Remenier ou du prieuré de Saint-Jean-en-Grève à Blois 179

L. BELTON. — Victor Hugo et son frère Eugène à la pension Cordier et Decotte et au collège Louisle-Grand 197

DOCTEUR FRÉDÉRIC LESUEUR. — L'hôtel de Mayenne au château de Blois 215



BLOIS, IMP. R. DUGUET ET CIE, 13, RUE GALLOIS


MEMOIRES.

DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES ET LETTRES DE LOIR-ET-CHER

SOMMAIRE DES DERNIERS VOLUMES

TOME XIV (1900). — Daniel Dupuis, par M. Belton. .— L'abbé Michel Chabault, député aux Etats généraux de 1789, par M. Thibault. — Comptes des recettes et dépenses de la ville de Blois en 1404, par M. Soyer. — L'office de mesureur de grains pour la ville de Blois, par M. de Belenet. — Freschines à la fin du XVIIIe siècle, par M. Cauchie.— Le prieuré de Saint-Larare, par M. le Dr Doutrebente. — Les armes de Blois et l'écusson de la rue des Juifs, par M. Thibault. — L'église Saint-Vincent, par M. l'abbé Petit. — Les arrêtés de police de Pardessus, par M. Belton. — (348 p. ; 3 planches).

TOME XV (1901). — Contribution prosodique à la description : de Bury, par M. Dufay. — Le prieuré de Saint-Jean-en-Grève et sa justice, par M. Thibault. — Comptes des recettes et dépenses du comté de Blois en 1319, par M. de Croy. — (358 p.)

TOME XVI (1902). — Victor Hugo et son père, le général Hugo, à Blois, par M. Belton. — Les de Brisacier, par M. Rebsomen. — La musique de la garde nationale de Blois par M. Brosset. — Les silex du tertiaire de Thenay et l'abbé Bourgeois, par M. le Dr Houssay. — Notes sur les protestants blaisois, par M. Thibault. — Les Bretons à Blois, à la fin du Ve s., par M. Soyer. — La galerie Henri IV dans les jardins du château de Blois, par M. Trouëssart. — Description de Montfraut en 1327, par Ubald d'Alençon. — Un saint du Blésois : Victor, évêque du Mans, par M. Soyer. — (296 p. ; 9 planches).

TOME XVII (1903). — Cartulaire de la ville de Blois, par MM. Soyer et Trouillard. — Notices biographiques, par M. de Croy. — (512 p.).


MÉMOIRES

DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES ET LETTRES DE LOIR-ET-CHER

SOMMAIRE DES DERNIERS VOLUMES (suite)

TOME XVIII (1904). — L'abbé Polier (1726-1814), par M.

Gauchie. — Une question d'hygiène municipale au X.VIIIe s., par M. le Dr Lesueur. — Les gens et les choses de la justice à Blois aux temps passés, par M. Thibault. — Les jardins du château de Blois, pat M. Pierre Lesueur. — (440 p. ; 13 planches).

TOME XIX ( 1909) — L'affaire de Saluces et le duc de Guise,

par Mlle Hazon de Saint-Firmin. — Le tombeau de Jean de Morvilliers

Morvilliers les pleureuses de Germain Pilon, par M. Dufay. —

Fragment inédit sur la ville et le château de Blois, par Gustave

Flaubert. — Un portrait de Charles d'Orléans, par. M. de Croy. —

Napoléon en Loir-et-Cher, par M. Dufay. — Bibliographie Loiret-Chérienne

Loiret-Chérienne 1900 à 1908, par M. Dufay.— (372 p. ; 4 planches)

TOME XX (1910). — L'assemblée de département de Blois et Romarantin, par M. le Dr Lesueur. — (450 p. I carte).

TOME XXI (1911). — Vues des châteaux du Blésois au XVIIe s. par André Félibien, publiées par MM. F. et P. Lesueur. — .(112 P.; 25 planches).

TOME XXII (1912). — Menars, le château, les jardins et les collections de Mme de Pompadour et du marquis de Marigny, par M. le Dr Lesueur. — (272 p. ; 26 planches).

TOME XXIII (1913). —.Journaux de Jean Desnovers (16891728) et d'Isaac Girard (1722-1725), publiés par M. Dufay. — Les Forges (Suèvres), par M. Thibault. — Deux témoins de l'assassinat du duc de Guise : les abbés Claude de Bulles et Etienne d'Orguyn, par Mlle Hazon de Saint-Firmin. — (340 p. ; 2 planchés).

Prix de chaque volume : 20 francs. (Pour les membres de la Société : 10 francs).