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Titre : Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne

Auteur : Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne. Auteur du texte

Éditeur : Perriquet (Auxerre)

Éditeur : Société des sciences historiques et naturelles de l'YonneSociété des sciences historiques et naturelles de l'Yonne (Auxerre)

Date d'édition : 1925

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34354407z

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34354407z/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1925

Description : 1925 (VOL79 = SER5,T9).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Bourgogne

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55109470

Source : Bibliothèque nationale de France

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 27/12/2010

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BULLETIN

DE LA

Société des Sciences Historiques et Naturelles

DE L'YONNE


Art. 55 du Reglement intérieur. — La Société, en admettant au Bulletin les articles communiqués par ses Membres, laisse aux auteurs toute liberté au sujet des opinions et assertions émises par eux, mais, elle n'en partage en aucune façon la responsabilité.


BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ DES SCIENCES

HISTORIQUES ET NATURELLES DE L'YONNE

Année 1925

79e Volume. (9e DE LA 5e SÉRIE)

AUXERRE SECRÉTARIAT DE LA SOCIÉTÉ

M DCCCCXXVI



BULLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ DES SCIENCES

HISTORIQUES ET NATURELLES DE L'YONNE

Année 1925

I SCIENCES HISTORIQUES

NOTICE HISTORIQUE

SUR

MENADES

Par l'abbé A. PISSIER, curé de Saint Père

CHAPITRE VI

Les de Sainte Maure, seigneurs de Menades. Procès que soutint cette famille. Les habitants de Menades fortifient leur village. La seigneurie est vendue.

19. Charlotte de Châlon Arlay et son époux, Adrien de Sainte-Maure, rencontrèrent de' très grandes difficultés pour entrer en jouissance de leur héritage. Car, Antoine de ChâlonArlay, évêque d'Autun, et son frère, Bernard, seigneur de l'Isle sous Montréal, contestèrent les droits de leur nièce Charlotte : ils prétendaient se prévaloir contre elle d'une substitution qui


6 NOTICE HISTORIQUE 46

aurait été faite en faveur de la branche masculine ; et ils soutinrent leur point de vue devant toutes les juridictions, jusqu'à ce qu'enfin le Parlement, par un arrêt en date du 14 mai 1500, envoyât les époux Adrien de Sainte-Maure en possession du comté de Joigny, des seigneuries de Pierre Perthuis, Lormes, Menades, Précy et dépendances (1). Ces domaines ne restèrent pas longtemps entre leurs mains ; car, en 1504, Adrien de SainteMaure et son épouse étaient morts, laissant de leur union six enfants, dont l'aîné, Jean, recueillit leur succession.

C'est à cette époque que fut construit LE CASTEL. Comme le nom l'indique, le Castel devait être une petite demeure féodale : il était situé à environ 200 mètres au sud de Menades, et tout près de plusieurs petites fontaines. VICTOR PETIT, qui, vers 1860, réunissait des matériaux pour son très bel ouvrage, Villes et cam pagnes de l'Yonne (réédité en 1916 sous le titre plus exact de Villes et campagnes de l' Avallonnais), affirme que, pour lui, la maison du Castel conservait encore des vestiges du quinzième siècle.

Du reste, des portes et fenêtres en accolade qui sont dans cette maison, donnent bien cette date ; et ce qui la précise, c'est sa dalle armoriée, dont le blason est celui des de Sainte-Maure.

Quelle fut la destination du Castel ? Son emplacement, et surtout les armes d'alors ne permettent pas de voir dans cette construction une petite maison forte, capable de soutenir un siège. A-t-il été une maison de plaisance, un pied-à terre pour quelque membre de la famille seigneuriale? Cela est fort probable, bien qu'aucun document ne le dise.

Il fut, pensons-nous, l'auditoire, où se rendait la justice ; car les quelques écrits, échappés à la destruction de monceaux de papiers qui s'y trouvaient, sont presque tous des actes de justice. Quoi qu'il en soit, le Castel est ruiné depuis longtemps, et ce qui en reste aujourd'hui dans la maison de Pannetrat, le charron, est entouré de quelques habitations qui forment le petit hameau du Castel.

20. Jean de Sainte-Maure, comte de Nesle et de Joigny, baron de Pierre-Perthuis, seigneur de Menades, Précy-sur-Cure et autres lieux, mourut en 1526, laissant trois enfants en bas-âge, dont l'aîné lui succéda (2).

(1) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, année 1862, pp. 122-123.

(2) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, année 1862, pp. 122-123.


47 SUR MENADES 7

21. — Jusqu'à sa majorité, Louis de Sainte Maure, marquis de Nesle, comte de Joigny, etc., resta sous la garde-noble de sa mère. Pendant douze ans, celle ci défendit les intérêts de son fils, et en son nom, contre le chancelier Antoine du Prat, qui reven diquait le comté de Joigny. L'affaire se termina en 1538 par une transaction (1).

A cette époque, comme on l'a déjà pressenti, la royauté a reconquis une bonne partie des droits que les seigneurs féodaux lui avaient usurpés au moyen âge ; elle recrute l'armée sans l'intermédiaire des seigneurs bannerets; elle rend la justice en son nom ; bientôt, tous les pouvoirs seront concentrés entre ses mains; et elle donne déjà aux sujets des seigneurs (Menades va le démontrer), toute autorisation d'agir au mieux des intérêts de la communauté, sans se préoccuper de ceux des seigneurs. Dès maintenant, ceux-ci n'ont plus de juridiction que dans certains cas de simple police ; ils n'exercent plus d'autres fonctions publiques que celles dont le roi veut bien les investir ; leur titre n'a plus qu'un éclat affaibli qui achève de s'éteindre. Nous allons voir bientôt qu'ils ne sont plus comme autrefois attachés à leurs terres, et qu'ils les vendent facilement et sans regret ; ils ne portent plus d'intérêt à leurs sujets qui leur paient encore quelques droits ; mais bientôt le peuple à son tour va les oublier et les abandonner.

En ce même temps, les habitants de nos campagnes étaient trop souvent assaillis et mis au pillage par des malandrins qui arrivaient à l'improviste et disparaissaient aussitôt leur mauvais coup fait ; et de tous côtés, pour se mettre en sûreté, on fortifiait les villages. Or, c'est au roi, et non au seigneur, que l'on demandait la permission d'entreprendre ces travaux ; et c'est le roi qui l'accordait, en spécifiant que le, tout serait exécuté aux frais de la population. En 1544, les habitants de Menades obtinrent du roi François Ier cette autorisation de clore leur village de murailles. Et, sans tarder, le 29 décembre de cette année, ils se réunirent en assemblée extraordinaire, discutèrent le devis des travaux à faire, et, pour l'exécution, conclurent le marché suivant :

« Les murailles devront avoir dix-huit pieds de haut, trois pieds d'épaisseur à la base et deux au sommet, le tout exécuté en pierre et en terre ; elles seront garnies de douze ou quatorze tours en demi-cercle, communiquant entre elles par une courtine ;

(1) Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne. 1862, p. 123.


8 NOTICE HISTORIQUE 48

chaque tour sera munie d'une entrée en pierre de taille, de trois canonnières en bas, et de trois à l'étage auquel on accédera par un escalier ; l'intérieur de chaque tour sera aussi muni de corbeaux pour recevoir le plancher. Il y aura deux portes et une poterne ; chaque porte sera accostée de tours comptant dans les douze ou quatorze prévues ; et elle aura meurtrières et escalier pour arriver à l'étage ; la poterne aura aussi des meurtrières, et un escalier pour y arriver. Les portes, poterne, canonnières, meurtrières et escaliers seront en pierre de taille, à chaux et à sable ; les entrées seront munies de fermetures convenablement ferrées, et ayant leur serrure ; les portes pourront être disposées pour avoir une herse ou un pont levis; et l'enceinte tout entière aura environ quatre cents toises de sept pieds et demi chacune.

« De leur côté, les habitants s'engagent à amener les bois, matériaux, pierre, terre, chaux, sable et eau à pied d'oeuvre, et à fournir au maître maçon et à son ménage un logement conve nable; de plus, pour payer ces travaux, les habitants résidant au village donneront pendant dix huit années consécutives à partir de la prochaine récolte, le 13e de leurs fruits, grains, légumes, vins et chanvre ; et ceux qui demeurent hors de l'enceinte, donneront le 16e de leurs dites récoltes.

. « Les travaux seront terminés et les clefs remises en mains de Sébastien Segault, sergent royal, dans deux ans à la Saint-Jean ».

Et ce document est signé de vingt habitants dont les noms suivent : Guillaume Fillion, Joseph Joly, Anthoine Oudin, Nicholas Fillion le jeune, dit Guénot, Toussaint Fillion, Simon Amy, Jehan Duprey, Nycholas Duprey, Léonard Malteste, Symon Guclin, Pierre Poinssot, Phelippe Coignot, Guillaume Maleteste, " monsieur » Gauffroyt le jeune, Guyot Jacob, Pierre Rabalcourt, Jacques Breillard, Estienne Gendrey, Nycholas Ravisey, Estienne Duprey (1).

Il est évident que les habitants de Menades se chargeaient aussi allègrement de ces travaux coûteux, parce que le pays était dans la prospérité. A l'appui de cette indication générale, on aimerait à donner sur ce point des documents démontrant l'aisance des particuliers, par exemple des contrats de mariage. Mais un seul, de 1538, a été rencontré dans d'anciennes minutes; il sera reproduit ici, non pas comme argument décisif, mais comme pièce intéressante : le futur, Loys (Louis) Duprey, pos(1)

pos(1) de l'Yonne, E, 461.


49 SUR MENADES 9

sesseur de plusieurs journaux de terre, a de ses parents la promesse d'une partie de leur prochaine récolte en blé, avoine et. foin ; quant à la future, Jehanne Guclin, « elle recevait en dot la « somme de vingt francs (1), une thorie (taure) du prix de « 3 francs, une robe de couleur, une autre robe de gris d'ostel (2), « son chapeau nuptial, un lict garny de couette, cuissin, sept lin« ceulx, une couverte de boyge, une arche fermante à clef, et une « pièce de cinq aulnes de thouaille (toile) (3). »

L'état de recettes des dîmes permettrait de faire la même cons tatation avec plus de précision; mais depuis l'année 1507, le Chapitre Saint Lazare d'Avallon, avait, en vertu de son droit de patronage, réuni à sa marise la cure d'Island avec Menades, son annexe (4), donnant à bail les revenus de ces deux paroisses, à charge par le preneur de les faire desservir ; en 1526, c'étaient deux prêtres, Thomas Delarue et André Geoffroy, qui étaient fermiers de ces revenus, moyennant 80 livres par an, et qui, en 1536, chargeaient un autre prêtre, Guillaume Judas, de faire le service paroissial dans ces deux localités (5). Il est très probable que le Chapitre reprit bientôt la perception directe de ces dîmes ; car, sur ces produits, il faisait remettre aux procureurs de l'église d'Island, en 1554, deux bichets de froment et deux bichets de méteil, qui devaient être consacrés à la donne des deux paroisses, c'est-à-dire distribués aux pauvres d'Island et de Menades (6).

Du moins, les vingt signatures apposées par les habitants de Menades au bas du marché pour la construction des murailles de leur pays, prouvent clairement que l'instruction populaire n'était pas un vain mot à cette époque (7).

(1) On se fera une idée de ce que représentent ces 20 francs d'alors, en les rapprochant de la valeur d'une taure, comparée à ce que cette tète de bétail se paierait aujourd'hui.

(2) Couleur ou étoffe inconnue. (3; Arch. de l'Yonne, E, 439.

(4) Arch. de l'Yonne, G, 2014 et 2056.

(5) Arch. de l'Yunne, G, 2030 et 2050.

(6) Arch. de l'Yonne, G, 2172.

(7) En écrivant cette dernière ligne, l'auteur a devant lui un petit volume de 0.146 X 0 098, datant de l'invention de l'imprimerie et ayant trait précisément à l'instruction des enfants dp peuple ; il a été imprimé sans la pagination, en gothique, avec des planches en bois gravées, les initiales peintes à la main, il a pour titre :

« Arismetique nouvellement corrigée et imprimée a paris ». Il commence ainsi :


10 NOTICE HISTORIQUE 50

Ces fortifications de Menades étaient achevées depuis plus de six ans quand, en 1553, Louis de Sainte-Maure, démembra son patrimoine : il en détacha la partie située dans l'ancienne Bourgogne, c'est à dire Menades et Pressy, qu'il vendit à Troïlus de Vaux, écuyer, seigneur de Chemilly et Vaulcharme (1), capitaine et bailly de Noyers (2).

Menades était ainsi à tout jamais séparé de Pierre-Perthuis.

TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DES SAINTE MAURE

SEIGNEUR DE MENADES

Adrien de Sainte-Maure, comte de Nesle,

devient par suite de son mariage avec Charlotte de Châlon Arlay.

seigneur de Pierre Perthuis- Menades, Précy, baron de Lormes, comte de Joigny,

+ 1504. d'où

Jean de Sainte Maure, comte de Joigny. et cinq; autres enfants

seigneur de Pierre Perthuis et dépendances.

époux de X...

+ 1526,

laissant trois enfants mineurs.

dont

Louis de Sainte Maure,

qui, en 1553.

vend Menades et Précy

à Troylus de Vaulx

« Pource que toutes choses consistent en nombres, poix et mesu res, et que « en toutes sciences tant spéculatives q mechaniques est ne| cessaire l'art de « nombrer, Et mesmement est nécessaire a marchans, changeurs et au tres « gens de finances, et que aucuns nen tendent pas le latin et principalement « les jeunes enfans, Pour la doctrine diceulx ay extraiet de plusieurs livres «. et auteurs darismetique ce présent traictée et mis en françois Auquel petit livret est contenue premièrement larismetique qui se fait par les getz « selon six espèces de nombres en tiers avec quatre figures de getz bien < no tables pour ceux qui ne scavent escrire Et puis apres pour ceulx qui « savent les cripture est demonstrée ladicte arismetique par chiffres selon « ledict nombre entier, Con sequemment le nombre roupt et fractions a vec " la notable reigle de trois par pluiseurs reigles et questions, Et a la fin « plu sieurs reigles de compaignies de marchans et aussi la reigle de baractes

" et changes de marchandises. El devez noter que en ce livre ie prens le « noble pour quatre frans et un quart . le salut pour deux frans, etc..

Ce petit livre, en un mot, est du plus haut intérêt; les trois lignes qui le terminent sont surtout à noter, parce qu'elles fixent la date de l'impression, vers 1489 au plus tard Imprimé a paris par Pierre le caron Imprimeur

" demeurât a pa ris en la rue de la juirye a limage rie dame ou a la pmiere « porte du palais. »

(1) Chemilly et Vaulcharme sont deux localités situées aux environs de Noyers.

(2) Arch. de la Côte d'Or, B, 10637.


51 SUR MENADES 11

CHAPITRE VII

Sous Troïlus de Vaux et ses descendants (9) Pendant les guerres du Calvinisme et de la Ligue. Premiers troubles. Menades durant le siège de Vézelay : son clocher est brûlé; ses remparts sont démolis.

Troïlus de Vaux (nommé aussi ailleurs Troylleus de la Vaulx), rendit foi et hommage au roi pour la terre et seigneurie de Mena des et Précy, par devant la Chambre des Comptes de Dijon, le 19 avril 1553 ; en même temps il prit l'engagement de faire, dans les quarante jours, aveu et dénombrement desdites terres, en payant les droits dus au Trésor (1).

Le nouveau seigneur parut il quelques fois à Menades, séjournant un instant au Castel construit au siècle précédent par les comtes de Joigny, seigneurs de Pierre-Perthuis, Menades et autres lieux, à peu de distance du bourg ? Rien ne l'indique. Il est fort probable que, comme beaucoup d'autres possesseurs de petits fiefs à cette époque, Troïlus de Vaux avait un intendant qui résidait au Castel, touchait les droits lucratifs de la terre de Menades et de Précy, et les faisait passer à son maître.

Depuis plusieurs années, Menades vivait tranquille à l'abri de ses remparts ; et la population comprit mieux encore que jamais l'avantage de cette protection, en 1563, quand elle apprit que « certains voleurs » avaient visitéIsland : à cette occasion, le Chapitre d'Avallon donna, l'année suivante, dix livres au vicaire perpétuel, Me Fr. Bourgeot, « pour la perte qu'il a eu l'an passé en « déservant la Cure, pour ce qu'il n'osoit s'y trover ni tenir oudit « lieu, et cent sols aux procureurs de l'église pour la réparation « des dégâtz causés par certains voleurs » (2). Quels pouvaient être ces détrousseurs, ces cambrioleurs qui paraissent avoir attaqué de préférence un prêtre et une église ?...

Cependant, de telles alertes ne laissaient pas que d'exciter des inquiétudes parmi les gens du peuple ; c'est dans une circons ■tance de ce genre qu'un habitant de Menades cacha sous le pavé de son étable un certain nombre de testons et d'écus, monnaies d'argent à l'effigie et au nom de François Ier et de Henri II. En

(1) Ces droits s'appellent aujourd hui droit de mutation et d'enregistrement (2) Arch. de l'Yonne, G. 2064.


12 NOTICE HISTORIQUE 52

1924, M. Jean Marie Fillion, en faisant des réparations à son immeuble, a retrouvé ces pièces qui sont toutes dans un état de conservation parfaite, couvertes seulement d'une patine d'oxyde d'argent qu'avec un peu de précaution il est facile de faire disparaître.

D'autres raisons que les méfaits de « certains voleurs » dans un village particulier expliquaient, il est vrai, ces précautions prises un peu partout. Les nouvelles hérésies de Luther et de Calvin avaient recruté des adeptes jusque dans nos régions, et ceux ci en se promettant tout haut d'abolir la religion catholique, en insultant publiquement à ses mystères, en tournant en ridicule ses ministres et ses cérémonies, avaient profondément exaspéré les fidèles; d'un côté comme de l'autre, il se rencontra des ambitieux pour exploiter dans le sens de leur propre politique ces sentiments de leurs sujets ou de leurs compatriotes. Dans ces conditions, la rencontre fortuite de Vassy fut l'événement qui mit la France en feu : de là ces violentes luttes civiles qu'on a appe lées les guerres de religion.

Déjà, en 1564, trois cents protestants se sont emparés de Girolles, d'où ils allaient piller et rançonner jusqu'aux portes d'Avallon ; mais ils capitulèrent devant les coups que leur porta le seigneur de Vézannes, gouverneur et capitaine de la ville. Bientôt, d'autres places étaient tombées aux mains des protestants qui, en 1567, , surprennent de nouveau Girolles, s'emparent de Cravant, puis au printemps de 1568, prennent par surprise Vézelay où ils s'ins tallent.

Il est grand temps de mettre sérieusement le pays en état de défense. Trois cents soldats sont chargés de cette mission ; mais, pour leur solde, il faut imposer les paroisses de tout le bailliage. Menades a bien ses murailles, capables sans doute de le mettre à couvert contre quelque coup de main de maraudeurs, mais non peut être contre une attaque en règle de soldats bien armés ; aussi est il avisé par lettre du lieutenant de Bourgogne, en date du 20 avril 1569, qu'il aura à payer pour l'entretien de ces défenseurs, avant dix jours, la somme de huit livres tournois, pour un mois seulement (1). Le chiffre de la contribution, à répartir sur chacun des habitants n'était pas très élevé; mais, renouvelé tous les mois, il devait bien vite devenir fort lourd.

Sansac, lieutenant général des armées du roi, entreprit de chas

1) Arch. d Avallon, EE, 42.


53 SUR MENADES 13

ser de Vézelay les protestants qui s'y étaient installés; et, au •commencement d'octobre 1569, il vint mettre le siège devant la place. Pendant ces opérations du siège, Menades fut souvent tra versé par les convois que l'assiégeant faisait venir d'Avallon : un jour, c'étaient des charriots amenant à Tharoiseau, où on les mit en dépôt, des poudres et des munitions de guerre ; un autre jour, c'était un transport de pièces de bois pour réparer cinq canons et une couleuvrine ; une autre fois encore, c'étaient des charretiers envoyés par M. de Missery, qui laissaient à Menades des fascines pour faire des gabions et deux meules de moulins (à bras) pour préparer la farine destinée au pain des assiégeants (1) ; puis, à différentes fois, c'étaient les commissaires des vivres, les capitaines Béguin et Marey, qui amenèrent par Menades, sous les murs de Vézelay, jusque près de 50.000 pains, 91 muids de vin, 18 moutons et 2.300 harengs, sans compter l'avoine pour la cava lerie (2). Le 24 décembre 1569, dans son rapport au roi, Sansac déclarait qu'il « tenait toujours bridés ceux de Vézelay » (3) ; mais, quelques semaines plus tard, malade de fatigues et de chagrin, il abandonnait la partie et ralliait Avallon, laissant les villages voi sins exposés aux représailles des protestants.

Ils étaient à craindre, ces protestants maîtres de Vézelay, d'après le portrait qu'en a tracé un contemporain : « Les homme huguenots », dit il, « qui estoient dans ledict Vézelay, estoient le « chevalier du Boulet, de Lescagne, de Bezancourt, et un autre « dont je n'ai sceu le nom, tous quatre grands et insignes voleurs « de gens sur les chemins avec leurs gens. Bref, ledict Vézelay « estoit le retraict de tous les voleurs, larrons et brigans, moyen« nant qu'ils fussent huguenots » (4). Aussi accablèrent-ils les bourgs d'Asquins, de Saint Père, de Tharoiseau, de Menades, d'impositions, de contributions, de taxes, de réquisitions outrées ; et même, dans une de leurs courses, ils répondirent aux plaintes des habitants de Menades en mettant le feu à leur église ; le clocher fut brûlé et écrasa dans sa chute la première travée, à l'entrée ; et nos pays aux abois n'eurent plus d'autre ressource que celle de s'adresser au roi par une lettre de mars 1570, implo rant sa protection (5).

(1) Arch. d'Avallon, EE. 42 et 52.

(2) Ibid., EE, 42.

(3) Bibl. Nat., ms. Colbert, 197. Fontanien, 20.

(4) Documents inéd. sur l'hist. de France. Mémoires de CI. Haton, p. 559.

(5) Bibl. Nat. Portefeuille de Fontette, n° XL, f° 41.


14 NOTICE HISTORIQUE 54

La réponse qu'ils reçurent fut que la paix était signée à SaintGermain depuis le 18 août 1570 et que, d'après les conditions du traité, les protestants devaient évacuer Vézelay. En même temps, une enquête était ordonnée pour signaler les dégâts causés parces troubles ; et, l'année suivante, 1571, les officiers du roi et les échevins d'Avallon déclaraient, dans une lettre au maréchal de de Viéville, que, dans la région, il y avait plusieurs églises incendiées, parmi lesquelles celle de Menades, où le service divin n'était plus célébré (1). Et, comme si les réparations que réclamaient leur église et sans doute aussi leurs fortifications n'étaient pas déjà une charge plus que suffisante, les habitants de Menades furent encore soumis à l'impôt des villes nouvelles closes et taxés de ce chef à la somme de 28 livres pour la défense du bailliage (2).

Mais le traité de Saint Germain fut gravement compromis par l'odieux guet apens de la Saint Barthélémy. Si, dans nos pays, les luttes sanglantes ne recommencèrent pas entre protestants et catholiques, les partis ne désarmèrent point pour cela et restèrent sur le qui-vive. Parfois un groupe paraissait sur un point, parcourait une région, ravageant la campagne, détruisant les récoltes,, puis se dispersait tout d'un coup (3).

Ces faits se passaient en 1576, au moment où la Ligue était organisée par Henri, duc de Guise, dans le but apparent de défendre la religion catholique, mais en réalité pour détrôner le roi Henri III. Avallon, qui tint pour la Ligue, eut beaucoup à souffrir, aussi bien des troupes qui, venant l'attaquer, pillaient et rançonnaient les villages et les bourgs d'où étaient tirés ses approvisionnements, que des forces qui se chargeaient de la protéger et à qui la ville devait fournir et la nourriture et la solde.

Au milieu de ces difficultés générales, le Parlement de Dijon, le 26 janvier 1588, rendit, à l'occasion de la mort d'Adrien Bonnot, main mortable de Menades, un arrêt fort intéressant. On se souvient que les biens d'un main-mortable décédé sans enfant légitime appartenaient au seigneur. Or, Adrien Bonnot, soumis à la main-morte et mort sans enfant, laissait des dettes. Le seigneur, dont le nom n'est pas cité, voulut entrer en possession de l'héritage du défunt ; mais les créanciers réclamèrent le

(1) Arch. d'Avallon, EE 44.

(2) Ibid., EE, 35.

(3) Arch. d'Avallon, EE, 50.


55 SUR MENADES 15

remboursement de ce qui leur était dû. Le Parlement de Bourgogne, appelé à trancher la question, ordonna que les biens du mort « seroient mis aux criées et vendus au profit de' ses créan« ciers, nonobstant la réclamation du seigneur qui devroit se « pourvoir sur le surplus des biens, ou les garder tous, mais « après avoir payé les dettes » (1).

Cependant, la situation d'Avallon devenait difficile, et son rayon d'action se resserrait tous les jours ; car, les royalistes qui s'étaient déjà emparés de Montréal, de l'Isle sous Montréal, de Girolles, de Noyers, de Mailly la Ville, d'Arcy-sur-Cure, de Tharoiseau, virent encore venir à eux Vézelay et Mailly le Château. Peu après, le duc de Nemours, frère du duc de Mayenne et l'un des chefs de la Ligue, vint s'emparer de Pierre Perthuis ; mais, craignant que ce château tombât au pouvoir des royalistes et leur fournît un puissant point d'appui, il le fit démanteler : là se bornèrent ses succès.

Sans perdre de temps, messire Olivier de Chastellux actionna devant le bailliage d'Avallon les habitants de Menades et de Précy, en vue de les contraindre à faire le guet et à monter la garde en son château, attendu que celui de Pierre-Perthuis, duquel its étaient retrayants, comme on disait alors (2), venait d'être mis sans défense. Il est permis ici de se demander sur quel titre juridique se basait cette action Pierre Perthuis, nous semble-t il, n'avait jamais été sous la suzeraineté de Chastellux; les habitants de Menades et de Précy, croyons-nous, n'étaient tenus à aucun devoir envers le seigneur de Chastellux ; ceux de Menades avaient leur village, leur bourg fortifié ; de plus, la dame de Pierre Perthuis, Claude de Bellanger, était intervenue dans l'affaire et protestait avec les habitants de Menades qui n'étaient plus ses sujets, contre les prétentions du sire de Chastellux. Tout fut inutile; et, par sentence du 15 septembre 1591, le bailliage d'Avallon déclara que les gens de Menades et de Précy devaient guet et garde à Chastellux (3).

Depuis que le gouverneur de Vézelay, Edme de RochefortPluviaut, s'était séparé de la Ligue et avait fait prendre à ses

(1) Le président Bouhier. Observations sur la Coutume de Bourgogne, t. II, p. 547. — Chevanes. Notes sur notre Coutume, p. 394.

(2) Ce qui signifie qu'en cas de danger, ils avaient le droit de s'y réfugier avec leurs biens.

(3) Arch. du château de Chastellux, pièce perdue et recouvrée. Bull, de la Soc. des Se. de l'Yonne, 1904, n° 1677.


16 NOTICE HISTORIQUE 56

soldats l'écharpe blanche, il s'était proposé de mettre Avallon sous l'obéissance du roi : ce fut là désormais le but de ses efforts. Mais pour s'assurer du succès, il avait bien des obstacles à écarter. Ainsi, le bourg fermé de Saint-Père pouvait tomber au pouvoir des ligueurs et, par suite, paralyser tout mouvement de troupes : Rochefort en fit démolir les murs d'enceinte. Tharoiseau,

fortifié depuis une cinquantaine d'années, n'avait plus sa garnison royaliste; mais l'adversaire pouvait reprendre ce poste et gêner ainsi les entreprises des soldats de Vézelay : Rochefort en fit abattre les remparts. Menades pouvait servir de position et d'abri à des troupes ligueuses qui, tout en protégeant Avallon, menaceraient Vézelay : Rochefort lit raser les murailles et les tours que les habitants, pour leur sécurité, avaient construites qua rante-huit ans auparavant au prix de lourds sacrifices (1). Puis, après avoir ainsi déblayé la voie devant lui, Rochefort entra en relation avec six bourgeois mécontents d'Avallon et convint avec eux du jour et de l'heure où les portes de la ville lui seraient ouvertes ; et, le 31 mai 1594, à 6 heures du matin, il entrait avec ses soldats de Vézelay par la Porte Auxerroise, et, en moins d'une heure, il arrêtait et faisait prisonniers le gouverneur, le capitaine et la garnison ligueuse de la ville. En annonçant la reddition d'Avallon à Henri IV, Rochefort se faisait promettre huit mille écus qui lui furent payés sur les impositions du bailliage (2); et, de plus, il obtenait l'amnistie complète de tous ses méfaits. La lettre du roi porte en effet : « Nous voulons que la mémoire du < passé soit esteincte et abolie, au sujet de la prinse (prise) des « armes, forcement, razement, démolition et démantellemens des « chasteaux, maisons, forteresses et espéciallement des bourgs de « Sainct Père, Tharoiseau, Menades, etc. » (3).

Une lacune considérable dans les Inventaires des archives de la Bourgogne ne permet pas de donner la date de la mort de Troïlus de Vaux, ni le nom de son successeur ; ce n'est que la ressem blance du nom qui pourrait autoriser à inscrire après lui Sébastien de la Vaulx, lequel était, en 1590, homme d'armes de la •compagnie d'Edme de Rochefort-Pluviaut, gouverneur et capitaine de Vézelay (4); dans ce cas, il serait curieux de le voir •coopérer à la démolition des remparts d'un bourg dont il était le seigneur.

(1) Bull, de la Soc. des Sc. de l'Yonne, t. XVIII, p. 198.

(2) E. Petit. Avallon et Avallonnais, p. 363.

(3) Bull, de la Soc. des Sc. de l'Yonne, t. XVIII. pp. 265 267.

(4) Arch. d'Avallon, inventaire, pp. 244, 271, 274.


57 SUR MENADES 17

CHAPITRE VIII

Jean de Massol, puis sa veuve, née Josèphe Filzjehan,

propriétaires de la seigneurie de Menades

Affranchissement de la main morte

Réparations faites à l'église. Domaines enclavés dans la seigneurie.

23. Avant la fin des troubles, la terre et seigneurie de Menades a changé de maître : en 1593, elle appartient à noble Jean Massol, conseiller au Parlement de Dijon (1). Le même personnage est désigné comme seigneur de Menades et Précy, dans l'acte de baptême de son fils Jacques, du 11 février 1612. Plus tard, il sera qualifié seigneur de Précy, Menades, Tharoiseau (2) et Marcilly (3)

Quand la paix fut rétablie, noble Jean Massol (4) seconda les efforts des habitants de Menades pour réparer les désastres causés par plus de vingt cinq ans de guerres civiles : par acte daté du jour de la saint Nicolas, 6 décembre 1602, il affranchit de la main morte leur territoire presque tout entier, leur laissant à tous le droit d'en disposer à leur gré ; mais, comme certains tenanciers ne firent rien pour profiter de cette faveur, 229 journaux de terre, 59 sées et demie de prairie et 18 ouvrées de vigne demeurèrent soumis à ce droit (5).

A la même époque, la population de Menades fit à son église les réparations dont la nécessité était urgente. Comme il s'agissait d'aller au plus vite pour rendre l'édifice à sa destination, ces restaurations furent exécutées, sans aucune préoccupation artistique, par Antoine Juilleton, maçon à Menades, qui, en 1618, reconstruisit l'église en ruines de Cure (6).

24. — Jean Massol n'était plus en 1626 ; car, à cette date, sa femme, dame Josèphe Filzjehan, relicte de feu Jean Massol, •contribuait à l'établissement des Ursulines à Avallon, en se por(1)

por(1) Description de la Bourgogone. t. IV, p. 12.

(2) Par suite d'échange de Chassigny avec le chapitre d'Avallon.

(3) Arch. d'Avallon, GG, 15.

(4) Un peu plus tard, on dira de Massol. (5) Arch. de l'Yonne, A. 11.

(6) Arch. de l'Yonne, H, 1908.

2


18 NOTICE HISTORIQUE 58

tant garante devant le Conseil des échevins que ces religieuses, vouées à l'éducation et à l'instruction gratuite des filles pauvres, ne seraient pas une charge pour la ville (1).

Bien qu'elle soit désignée comme dame de la terre et seigneurie de Menades, la dame Massol n'en avait qu'un partie, comme nous l'avons déjà remarqué : à l'abbaye de Cure, on s'en souvient, appartenaient des prés. Un mémoire du premier tiers de ce XVIIe siècle (établi peut-être pour répondre aux vues de Henri IV de reconstituer pour le mieux l'assiette des impôts), nous donne la nomenclature de ces possessions, avec le lieu dit et la contenance de chacune d'elles : le lecteur les trouvera ici avec les noms et l'orthographe de l'époque :

« Menades. Préz appartenans à l'abbaye de Chore :

« Premièrement, le prey Boutereu, compté pour 6 sées, se « trouve contenir 3 arpens 49 perches, qui valent 4 sées 15 perches; « en note . La sée de prey vault 90 perches et l'arpent de Bour« gogne 110 perches ;

« Une autre pièce de prey au dessoubz, appelé l'Haste Mouillau, « tenant par le haut à la seigneurie de Menades, comptée pour « 6 sées, s'est trouvé contenir 425 perches qui valent 3 arpens « 3 quartiers et 13 perches et demi ;

« Une autre pièce de prey au même lieu, tenant au précédent « par un angle et appelé le prey du Couvent ou le prey Aubin, « compté pour une sée,. s'est trouvé contenir 81 perches ;

« Une autre pièce de prey au même lieu de l'Haste Mouillau. « compté pour 2 sées. On n'a pu trouver cette pièce ; ce sera pour « une autre fois (2) ;

« Le prey dict l'Haste à la Bonne ou à la Borne, au dessus de « Menades, est à présent en terre labourable dont le receveur « jouist ;

« Les tierces (3) à Menades :

« La pièce de terre dite les Aubues de Pauvreté s'est trouvé « contenir 14 arpens de Bourgogne ;

« La pièce de terre dicte de Champgelive s'est trouvé contenir « 10 arpens ;

« Un journal de terre dict en Pierre l'ée ;

(1) Baudiau. Le Morvan, t. III, p. 103.

(2) Cette amusante réflexion n'est pas soulignée dans le texte.

(3) La tierce était une redevance perçue en nature sur la récolte.


59 SUR MENADES 19

« Il y a encore un prey qui doit tierce, qui n'a pas été mesuré. « Voilà pour ce qui est à Menades » (1).

Ajoutons que ces biens étaient loués à moitié en 1641, c'est-àdire que sur quatre bichets récoltés, l'abbaye en recevait deux, moitié froment et moitié orge ; en 1691, ils étaient amodiés pour la somme annuelle de 176 livres; en 1785, pour 270 livres, deux paires de poulets et deux canards (2).

D'autres parties du territoire appartenaient alors à Pierre Odebert, président au Parlement de Bourgogne, originaire d'Avallon, dont il fut un insigne bienfaiteur. Il possédait sur Menades une métairie (petite ferme) comprenant, outre les bâtiments d'exploitation, 17 arpents de terres labourables et 15 sées de pré (3). Au collège de sa ville natale, qu'il a restauré ou, pour mieux dire, fondé, il donna, en 1650, cette propriété dont les revenus devaient être appliqués à cet établissement d'instruction (4).

La maison de Chastellux était aussi propriétaire d'un domaine situé sur Tharoiseau et Menades, et traversé par le Chemin Rouge qui aboutissait au Moulin à-Vent, climat de Seigny. André de Chastellux, faisant le dénombrement de ses terres en 1704, l'appellera le domaine de Préfond (5).

Il y avait encore sur Menades, « en tirant vers le Grand Island », une propriété foncière indépendante de la seigneurie ; à partir de 1739, elle appartiendra aux de Monfoy (6).

Cependant, dame Josephe Filzjehan, veuve de Jean de Massol, voyait se prolonger son heureuse vieillesse. Des enfants nés de son mariage, trois filles lui restaient, Odette, Olympe et Guillemette. Elle maria Odette à messire Jacques Fyot, d'une illustre et ancienne famille parlementaire de Bourgogne, et Guillemette à Bénigne Bernard; quant à Olympe, elle ne contracta point d'alliance et fut la fidèle compagne de sa mère qui resta titulaire

(1) Arch. de l'Yonne, H, 1928.

(2) Arch. de l'Yonne, ibid.

(3) Annuaire de l'Yonne, 1853, p. 428.

(4) Arch. d'Avallon, GG, 52. Ces terres turent vendues à la Révolution comme biens nationaux, parce que l enseignement au collège était donné par des prêtres, les Pères Doctrinaires

(5) L'abbé Parat. Island-le-Saulçois, pp. 56 60.

(6) Arch. de l'Yonne, E, 224, avec un plan de ce domaine.


20 NOTICE HISTORIQUE 60

des seigneuries qu'avait possédées son époux. Dame Josèphe Filzjehan mourut en 1655 et fut inhumée à Avallon ; à l'occasion de ses funérailles, la ville fit porter des torches par les pauvres et offrit des confitures à Mme d'Origny (1).

CHAPITRE IX

La famille Fyot alliée aux de Massol

Droits féodaux revendiqués par l'un des propriétaires

de la seigneurie de Menades

La justice. Les desservants. Le bon curé Guéniot

Concession d'un banc dans l'église. Fragment d'un compte

25. A la mort de leur mère, les trois demoiselles de Massol se partagèrent sa succession. Odette, qui avait épousé Jacques Fyot et était déjà veuve, avait les seigneuries de Menades et de Tharoiseau ; à Dijon, où elle demeurait, elle fit reprise de fief devant la Chambre des Comptes le 27 décembre 1656 (2).

Elle eut un fils dont nous ignorons et le prénom et l'alliance ; il mourut avant sa mère, la laissant tutrice de son enfant Bernard (3).

Pendant cette tutelle, nous constatons qu'à Menades fonctionnait un tribunal de justice ressortissant au bailliage d'Avallon. En 1684, le juge ordinaire avait nom Philippe Jacob, avocat au Parlement ; et le procureur d'office était Charles Gourlot (4). Le juge, qui nécessairement devait connaître la Coutume et être en état de l'interpréter et de l'appliquer, était ordinairement un avocat d'Avallon; il avait un lieutenant qui le remplaçait au besoin (on dit aujourd'hui un suppléant) ; le greffier rédigeait les jugements, les procès verbaux d'apposition de scellés, les inventaires après décès, etc. ; le procureur d'office saisissait le juge des délits, requérait la peine et, de plus, était chargé de la police dans le village, faisait apposer les scellés après décès, etc. ; c'était le plus souvent un habitant du pays, et son emploi se transmettait ordinairement dans la même famille. Les appointements de

(1) Arch. d'Avallon, CC. 261.

(2) Arch. de l'Yonne. A, 11.

(3) Arch. de l'Yonne, E, 131.

(4) Papiers retrouvés au Castel.


61 SUR MENADES 21

ces officiers de justice étaient pris sur le produit des amendes prononcées par le juge et fixées par le droit coutumier. Les audiences se tenaient, pensons nous, au Castel, tant que le Castel fut debout, et plus tard, jusqu'à la Révolution, dans un local ou au litoire dont nous ne connaissons pas l'emplacement.

A la même époque, Menades paraît être une paroisse à peu près organisée, bien que toujours désignée comme l'annexe d'Island. Ainsi, en 1668, le service divin y est assuré par Choppin, vicaire d'Island, et Poiret, « desservant » ; en 1671, par fr. Patry ; de 1680 à 1684, par fr. Jacques Gallemard, « religieux prestre du couvent de Vézelay, déservant l'église de Saint Nicolas de Menades » ; de 1684 à 1688, par fr. Anthoine Bogne, « guardien du couvent de Vézelay » ; en 1689, par fr. François le Bail, prédicateur, qui, par humilité, signe « religieux indigne du couvent des Cordeliers de Vézelay » ; et de 1689 à 1693, par fr. Léonard Mariz (1).

26. Sur ces entrefaites, Bernard Fyot, écuyer, seigneur de Vaugimois, entra en possession des terres de Tharoiseau et de Menades, au titre d'héritier testamentaire de feue son aïeule Odette de Massol, décédée au commencement de 1685; le 13 avril suivant, il rendit foi et hommage desdites seigneuries ; et il en fit aveu et dénombrement le 6 juillet de la même année. Dans cet acte, il revendiquait, comme faisant partie de son droit de justice, celui de connaître des causes de la gruerie, c'est à dire ayant trait aux contraventions qui pouvaient être commises dans les bois communaux de Menades; il se disait aussi possesseur du droit d'épave (2), en vertu duquel tout animai domestique errant et non réclamé par son propriétaire dans les vingt jours, apparte nait au seigneur; ce droit, qui présentait évidemment quelques profits, entraînait aussi des charges, car il obligeait le seigneur à faire élever à ses frais les enfants abandonnés ou enfants trouvés sur ses terres.

D'après les documents laissés au Castel, l'année 1708 vit à Menades un trait édifiant qui mérite d'être conservé au souvenir des paroissiens. Jean Rousseau et Jeanne Oudin, sa femme, avaient contracté envers Charles Gourlet une dette qu'ils se virent dans l'impossibilité de rembourser de là, poursuites et

(1) Registres de l'état civil. (2) Arch. de l Yonne, A, 11.


22 NOTICE HISTORIQUE 62

condamnation à la saisie et à la vente de leur petit bien. Maître Philibert Guéniol, curé d'Island et de Menades (1), apprend avec une peine très grande que deux de ses bons paroissiens sont dans une pareille épreuve que, malgré tous leurs efforts, ils n'ont pu éviter. Sur son conseil, ceux-ci vont supplier leur créancier d'avoir pitié de leur sort et de leur éviter la prison pour dettes qui était alors la conséquence inévitable de leur condamnation. Charles Gourlet déclare qu'il se désistera de toute instance et même qu'il fera déduction de tout gain d'argent (2) si la somme prêtée, soit 400 livres, lui est remboursée. Avec ce renseignement, le bon curé se présente chez Charles Gourlet et lui propose de se substituer aux malheureux débiteurs ; Gourlet consent et remet au curé, qui les lui demande, toutes les pièces contre Rousseau et sa femme ; et maître Guéniot souscrit une obligation par laquelle il s'engage à payer les 400 livres en quatre versements, le premier au mois d'août prochain et les trois autres d'année en année, à la même époque.

Maître Guéniot dut s'imposer des sacrifices et des privations pour tenir son engagement l'année suivante, l'année de ce terrible hiver qui causa partout tant de pertes et de souffrances.

Dès le mois d'octobre 1708, disent les relations de ce temps, commença à souffler un vent violent ; puis la pluie tomba presque sans répit. Le 23 décembre, gelée blanche suivie d'une pluie torrentielle ; le 28, le vent reprend et pousse la pluie en bour rasques ; le 6 janvier 1709, le froid redouble et, en moins d'une heure, la terre, les chemins sont durcis par la gelée ; le lende main, la neige tombe en abondance ; les blés et les vignes sont gelés ; la neige continue à tomber et pendant trente-cinq jours le froid est intense : aucune plante, aucun arbre ne résistent. Les animaux sauvages, ne trouvant plus de quoi vivre, se rapprochent des habitations. Le 10 février, dégel ; mais le 22, le froid reprend tout à coup pendant vingt cinq longues et tristes journées, jusqu'au 19 mars. Et quand vient enfin le dégel, il est suivi d'une pluie froide presque continuelle qui ne cessa qu'à la fin de mai.

On s'explique dès lors que les années 1709 et 1710 furent des années de véritable famine. Avec de l'argent, il était très difficile de se procurer encore un peu de blé des récoltes précédentes ; mais les pauvres ne vivaient que d'herbages et de racines ; et

(l Depuis 1696.

(2) Nous croyons que cela signifie déduction faite des intérêts.


63 SUR MENADES 23

plusieurs succombèrent à ce misérable régime. C'est ainsi qu'à Menades, Jacques Sonnois, laboureur, qui, un soir, avait donné l'hospitalité dans sa grange à un mendiant étranger, le trouva mort de besoin le lendemain matin (1).

2. A la mort de Bernard Fyot, survenue fin de 1711, Anselme Bernard Fyot de Vaugimois, son fils, hérita des seigneuries de Menades et Tharoiseau ; dans l'acte de foi et hommage qu'il en rendit, le 4 janvier 1712, il se qualifie chevalier, conseiller au Par lement; l'aveu et dénombrement de ces terres fut présenté à la Chambre des Comptes de Dijon, le 27 avril 1714, par son épouse, Anne Philippine de Vallon, de lui autorisée (2).

Pluieurs fois, notamment en 1718 et en 1720, les membres de cette famille qui résidait à Dijon, visitèrent Menades et Tharoi seau, où ils se montrèrent très affables pour tous, sans exception (3).

28. En 1728, par acte du 7 novembre, messire Anselme Bernard Fyot de Vaugimois, chevalier, conseiller honoraire au Parlement de Bourgogne, et Anne-Philippine de Vallon, son épouse séparée de biens, donnent en constitution dotale les sei gneuries de Menades et Tharoiseau à leur fils, messire Richard Fyot de Vaugimois de Mimeure (4), chevalier, capitaine au régiment de cavalerie de Luynes. Celui ci en rendit foi et hommage au roi, le 29 janvier 1729, et en donna acte d'aveu et dénombrement devant la Chambre des Comptes le 3 février suivant (5). Il y déclarait qu'il avait le droit d'imposer aux gens de Menades une journée de corvée pour vendanger ses vignes avant les autres, et de percevoir, le lendemain de Noël, de tout habitant non affranchi de la main morte une poule et trente deniers (6).

Maître Philibert Guéniot était toujours curé de Menades en même temps que d'Island où il résidait. Pour le service de Menades, il se fit aider, en 1715, par Caillat, religieux cordelier,

(1) Mairie de Menades. état civil.

(2) Arch. de l'Yonne. E. 131.

(3) Etat civil de Tharoiseau.

(4) Il tenait ce titre par sa mère de son aïeul, Jacques Louis de Vallon, marquis de Mimeure, membre de l'Académie Française.

(5) Arch. de l'Yonne, E, 131. (6) Arch. de l'Yonne, A. 11.


24 NOTICE HISTORIQUE 64

en 1742 par de la Grange qui devint ensuite curé de Domecy sur le Vault, en 1745 par Breuillard.

D'après les registres de ce temps, nous constatons qu'en 1696 il y eut à Menades 7 naissances, 5 en 1698, 6 en 1704, 8 en 1706 (1).

On trouve encore, au bas d'un acte de mariage du

25 février 1726, dix signatures, quinze à un autre acte du 25 novembre 1727, nouvelle preuve que l'instruction n'était pas inconnue.

Le 2 février 1724, maître Guéniot administre, à Menades, le baptême à un enfant d'Uzy, Germain Ribaillier, fils de François et de Marie Daviot ; et il note, dans cet acte, que « l'enfant n'a pu « être porté à sa paroisse Saint Antoine de Cure sur Cure, à cause « des grandes eaux qui ont emmené le pont de Cure ».

En 1729, dame Marie Bernard, veuve de feu Claude Gourlet, conseiller du roi, élu en l'élection de Vézelay, sieur de la Gra vière, demeurait la plus grande partie de l'année à Serée, paroisse de Saint André en Morvan ; trouvant plus commode pour elle d'assister à la messe à Menades, elle voulut donner à la fabrique de l'église de Menades une demi-soiture de pré, lieu dit En Tranché, finage dudit Menades, à condition qu'elle aurait pour elle et ses ayants cause un banc placé dans la nef de l'église de Menades, au côté droit, à l'entrée du choeur, près de la muraille qui sépare la nef dudit choeur. Le 15 mai, les fabriciens et le curé, maître Ph. Guéniot, consentent d'autant plus volontiers que ladite dame s'est toujours montrée très généreuse, que précédemment elle a déjà donné à l'église une chasuble de soie garnie couleur violette, avec une aube, un amict, une sinture (sic), deux chandeliers d'étain, et encore qu'elle a fourni gracieusement les bois

(1) Faut il imputer ces chiffres à la densité plus forte de la population ? Non probablement, car, un peu plus tôt, eh 1680 Menades ne comptait guère que 140 habitants ; seulement le devoir familial, français et chrétien était alors bien compris. Ce mouvement de la population à Menades comme ailleurs) est intéressant à suivre depuis la fin du XVIII siècle et peut suggérer de sérieuses réflexions.

En 1787, Menades avait 185 habitants ; 168 en 1801 167 en 1821, 180 en 1831 ; 183 en 1841 , 214 en 1851 ; 231 en 1856, et la terre de Menades les nourrissait ; 225 en 1861 ; 192 en 1872; 183 en 1881, 183 en 1891 , 170 en 1901 ; 142 en 1911 ; et 123 en 1921 ! Ainsi s'évanouissent la richesse et la force de la France. Une chose est certaine, c'est que, si en 1914 la population de la France avait été celle que l'on constatait dans tout le pays vers 1850, JAMAIS L ALLEMAGNE NE

NOUS AURAIT ATTAQUÉS


65 SUR MENADES 25

dont les habitants de Menades ont eu besoin pour réparer la couverture de la nef de leur église (1).

Dans les papiers retrouvés au Castel se lisent les fragments d'un compte de 1746, l'année même de la mort du bon curé Guéniot : ces renseignements, tout incomplets qu'ils sont, fournissent cependant certains détails, par exemple sur le prix d'une journée d'homme, sur la valeur des charrois, qu'il est sans doute utile de noter :

« Jean Lorren a fait de l'ouvrage à Menades, dans la maison des mineurs Ducrot, pour 4 livres ;

« Les Regnaut de Menades ont fait de l'ouvrage pour 3 livres :

« Pierre Malterre a fait une journée, 13 sols ;

« Du gluis pris chez Montigny, pour 3 livres ;

« Plus, Rousseau a fourni une feuillette de chaux, 30 sols ;

« Plus, un charroi d'arène, 20 sols ;

« Plus, deux charrois de lave employée à la maison pour couvrir le four, 40 sols ;

« Plus, 14 sols pour deux chariots de lave tirée par Nicolas Lairot ;

« Toutes les sommes rangées et calculées en présence de la veuve Ducrot et de Charles Rousseau, les sommes montent à

66 livres et 17 sols ;

« Plus, Charles Rousseau a donné à la veuve Ducrot 6 livres pour la location du courtil pendant environ quinze années ;

« Plus, la veuve Ducrot a reçu 3 livres, au 17 juillet 1746, qui n'est pas dû ; mais la veuve Ducrot en avait besoin ; et ledit Rousseau avance ces neuf livres dont il n'est pas dû, mais la veuve en avait besoin pour l'entretien de ses enfans. »

Trois ans plus tard, Richard Fyot de Mimeure vendait ses terres de Menades et de Tharoiseau.

(1) Arch. de l'Yonne, G, 2469.


"26 NOTICE HISTORIQUE 66

CHAPITRE X

Pierre Champion, seigneur de Menades

Comment les impôts étaient levés. Assemblée des habitants

Administration des biens de l'église

29. En effet, en 1749, Richard Fyot de Mimeure cédait ses terres et seigneuries de Menades et Tharoiseau à Pierre Champion, seigneur de Précy-sous-Pierre-Perthuis, qui en rendit foi et hommage dans le délai fixé par la Coutume de Bourgogne; et son aveu et dénombrement fut enregistré à la Chambre des Comptes de Dijon, le 23 février de l'année suivante, 1750 (1).

La terre de Précy, que possédait déjà Pierre Champion, avait cessé de faire un tout avec Menades depuis un siècle; et nous ignorons à qui elle appartint après la mort de dame Josèphe Filzjehan, veuve de Jean de Massol. Ce qui est certain, c'est que, cinquante ans plus tard, le fief de Précy était la propriété de N. de Bretagne, qui signait Bretagne de Massol. Celui-ci le vendit en 1705 à Etienne Guijon pour le prix de 16.000 livres; à son tour, E. Guijon, par acte du 17 octobre 1723, le céda à Jean Laureau, grainetier au grenier à sel d'Avallon, qui le rétrocéda, le 28 avril 1725, à Pierre Champion, lequel en fit hommage le 2 mai suivant (2).

Ainsi, le domaine vendu en 1553 à Troïlus de Vaux par Louis de Sainte-Maure se trouvait reconstitué, pour une quinzaine d'années, entre les mains de Pierre Champion, de la famille avallonnaise des Champions d'Annéot et de Nansouty (3).

Le titre de seigneur de Menades que venait d'acquérir ainsi Pierre Champion lui donnait simplement le droit de percevoir les anciens droits féodaux que n'avait pas supprimés l'affran(1)

l'affran(1) de l'Yonne, E, 131.

(2) L'abbé Baudiau. Le Morvan, t. III, p. 104.

(3) C'est cette famille qui a donné à la France le général de Nansouty, à qui Napoléon 1er avait confié le commandement de la cavalerie de la garde. A la bataille de Craonne, 7 mars 1814, Napoléon lui ayant ordonné de s'emparer d'une redoute, Nansouty fit faire halte. « Pourquoi ce commandement ? » demande l'empereur étonné. « Sire, j'irai seul : il n'y a qu'à mourir, mais

je ne ferai pas tuer inutilement mes soldats. » (Bull, de la Soc. d'Etudes d'Avallon, 1924, p. 47).


67 SUR MENADES 27

chissement d'une partie de la population. Les impôts royaux ou provinciaux, discutés et arrêtés par les Elus généraux des Etats de Bourgogne, étaient levés par les échevins de Menades et centralisés par le commissaire des impositions du bailliage. Le rôle suivant de 1749, reproduit intégralement, expliquera suffisam ment comment se faisait la répartition et dira quels étaient alors les contribuables de Menades :

« Roole et impost fait sur les habitans de Menades par Charles « Rousseau et Jean Fillion, échevins et collecteurs dudit lieu, la « présente année, pour survenir au payement de la somme de « cent dix huit livres dix sols à lquelle ils ont été imposés pour « leur cotte part de la capitation de la présente année, suivant la « commission de Nos Seigneurs les Elus généraux aux Etats de « Bourgogne du 1er décembre 1748, ladite somme payable, aux « termes de ladite commission, à M. Deschamps, écuyer, seigneur « baron de Courgy, receveur des impositions des bailliages « d'Avallon, Noyers et comté d'Auxerre, en son bureau des « recettes d'Avallon, vingt sols pour la collecte à deux deniers, « quarante sols pour la journée desdits échevins à la confection « du présent roole, cinquante sols pour la confection d'iceluy. « toutes lesdites sommes font celle de cent vingt quatre livres « répartyes ainsi qu'il suit, sauf l'herreur de calcul :

« Jean Pannetrat, 10 livres 4 sols ;

« Veuve Charles Regnault et Joseph Regnault, 7 livres 15 sols;

« Charles Gourlot, 6 livres 4 sols ;

« Charles Rousseau et son fils, 8 livres 3 sols ;

« Jacques Lairot, 112 sols ;

» Estienne Montigny et Eustache Sonnois, 12 livres 1 sol ;

« Veuve Claude Duprey et son fils, 7 livres 14 sols ;

« Claude Fournillon l'énel, 44 sols ;

« Madeleine Cholat, 27 sols ;

« Veuve Joseph Fournillon, 26 sols ;

« Veuve Jean Auclerc, 43 sols ;

« Charles Cholat, 3 livres 10 sols ;

« Jean Regnault, 4 livres 6 sols ;

« Charles Sonnois, 57 sols ;

« Joseph Guillemot et Jean Fournillon, 105 sols ;

« Jean Lairot l'énel et Jean Bourdillat, 3 livres 3 sols ;

" Veuve Jean Lairot et son fils, 3 livres 16 sols ;

« Jean Lairot le jeune, 32 sols ;

« Veuve Jean Baillière et Louis, son fils, 3 livres 16 sols

« Pierre Roy, 31 sols;


28 NOTICE HISTORIQUE 68

« Blaize Rapeneau, 16 sols ;

« Charles Roy, 53 sois ;

« Veuve Jean Rapeneau, 16 sols ;

« Veuve Edme Terré et son fils, 48 sols ;

« Jean Fillon, 48 sols ;

« Veuve Charles Valmont et Louis Fournillon, 3 livres 3 sols:

« Joseph Bonibon, 28 sols ;

« Claude Gillot, 31 sols ;

« Lazare Duprey, 41 sols ;

« Pierre Gillot, 16 sols ;

« Françoys Jollyet, 114 sols.

« La présente imposition a été faite par lesdits Rousseau et « Fillion, échevins cy devant nommés, et, à leur réquisition, le « présent roole a été escript, calcullé et signé par moy, praticien, « demeurant à Avallon, ce jour d'huy 10 avril 1749 (1) ».

Les deux échevins de Menades, que nous voyons ici pour la première fois, étaient chargés d'administrer les affaires de la communauté et d'en défendre les libertés et les intérêts ; ils tenaient leur mission de l'assemblée des habitants. Chaque année, aprés les grands jours de Menades, sur avis donne au prône de la messe paroissiale, les habitants « qui formaient la plus grande et la plus saine partie de la population », se réunissaient, au jour et à l'heure dits, au son de la cloche, devant l'église ou dans l'auditoire suivant la saison, sous la présidence du juge ou de son lieutenant, assisté du procureur d"office et de son greffier. Après avoir entendu, discuté et approuvé les comptes de l'exercice écoulé, l'assemblée continuait les pouvoirs des échevins ou en élisait de nouveaux. On nommait ensuite le garde-messier (garde champêtre) et l'on fixait ses émoluments. Toutes ces décisions étaient prises à la majorité des voix; le greffier les rédigeait et le juge, en les signant, leur donnait l'autorité d'une sentence de justice. Telles étaient les assemblées ordinaires de la communauté.

Mais, quand une affaire urgente se présentait, les échevins qui n'avaient pas le droit de prendre d'eux mêmes une décision, recouraient au procureur d'office pour obtenir du juge l'autorisation de convoquer une assemblée extraordinaire, laquelle avait lieu avec le même cérémonial et le même appareil ; la question était exposée, débattue et recevait une solution. On voit qu'au

(1) Dans les papiers trouvés au Castel.


69 SUR MENADES 29

temps passé la communauté s'administrait par le suffrage universel largement et fréquemment consulté, mais appliqué uniquement aux intérêts du bourg, sans s'aventurer jamais sur le terrain si obscur et si dangereux de la politique.

Dans ce rôle des impositions de 1749, on voit que les échevins étaient en même temps répartiteurs et collecteurs ; et ces fonctions étaient obligatoires. On comprend dès lors que leur travail, surtout celui de la répartition, les exposait à des réclamations et à des rancunes de la part des contribuables qui pouvaient les accuser de partialité. On crut supprimer cet inconvénient en réalité, on le changea seulement de place en adjoignant aux échevins deux asseurs chargés d'asseoir sur la tête de chaque contribuable sa part d'impôts, selon sa fortune ; les deux asseurs qui paraîtront dans un autre rôle de 1758 étaient Louis Gourlot et Joseph Reneaut, et les échevins Jean Pannetrat et Louis Fournillon (1).

C'est vers cette même date que l'on rencontre les renseignements les plus complets sur l'administration des biens de l'église de Menades par les procureurs, appelés plus tard les marguilliers, puis les fabriciens.

En 1750, Charles Rousseau, marguillier, reconnaît avoir reçu de Joseph Lairot « la somme de 2 livres 2 sols pour les poires de l'église et l'herbe du semetiere ».

En 1752, d'après le compte rendu par devant M. Demange, vicaire général d'Autun, les biens appartenant à la fabrique •étaient loués verbalement au nommé Gillot, moyennant la somme annuelle de 19 livres (2).

Or, ces biens consistaient en :

Deux ouvrées de vigne ;

Une demi sée de pré sur le Tranchet ;

Une demi sée de pré vers les prés de la Porte ;

Un journal de terre aux Eaux-Buës ;

Deux journaux de terre sur le pré Boirot;

Deux tiers de journal aux Champs Poichots ;

Un journal au Rillerat ;

Un demi-journal au même climat ;

Un autre journal même lieu dit;

Deux journaux aux Champs Pignots ;

(1) Papiers trouvés au Castel. (2) Papiers trouvés au Castel.


30 NOTICE HISTORIQUE 70

Deux tiers de journal sur le Clos (1).

On voit que jadis l'église de Menades possédait un vrai petit domaine dont les revenus étaient consacrés aux besoins du culte.

L'année suivante, 1753, nous lisons encore que le droit de sépulture dû à la fabrique, à l'occasion des inhumations dans l'église, était de 20 sols pour les grandes personnes (au-dessus de 14 ans) et de 10 sols pour les petits corps ; la même année, on achète une chasuble noire du prix de 13 livres (2).

En 1756, la cloche de Menades fut solennellement bénite par le curé d'Island et de Menades ; elle eut pour parrain Pierre Champion et pour marraine sa fille, Pannetrat et Rousseau étant échevins et Jean Regnaut et Montigny étant marguilliers, comme l'indique l'inscription gravée sur son pourtour :

LAN 1756 JAY ETE BENITE PAR MONSIEVR HVBERT MORISOT PRETRE ET CURE DISLAN LE SAVLSOIS.

SES DEPENDANCES ET DE CE LIEV JAY EV POVR PARAIN MESSIRE PIERRE CHAMPION SEIGNEUR DE

ti£i PRECY THAROISEAU ET DE CE LIEV ET POVR MARAINE DEMOISELLE MAGDELEINE CHAMPION

tfr FILLE DVDIT SEIGNEUR

PANNETRAT MD ROVSSEAV I GIN REGNAVD

E MONTIGNY.

Et depuis 1756, la cloche annonce les fêtes et les offices de l'église, elle chante les joies et pleure les deuils des paroissiens de Menades.

Vingt ans plus tard on constate, dans un autre compte, que, tous les dimanches, la moitié du pain bénit était vendue à la criée devant la porte de l'église, ce qui avait produit pour toute l'année la somme de 14 livres, 15 sols et 3 deniers, que les éparties de fil présentées par chaque ménagère en offrant le pain bénit, et les noix données pour faire l'huile de la lampe du Saint-Sacrement avaient trouvé acquéreur pour la somme de 35 livres, que les biens fonds appartenant à l'église étaient loués moyennant 35 livres par an.

Le 1er septembre 1779 (3), Laurent Gauffroy, laboureur métayer, étant marguiller, le compte de la Fabrique fut rendu devant

(1) Arch. de l'Yonne. G, 2469.

(2) Papiers trouvés au Castel.

(3) Pierre Champion n'était plus seigneur de Ménades.


71 SUR MENADES 31

Me Jacques Garnier, vicaire d'Island et de Menades, en l'absence du sieur curé empêché. D'après le procês-verbal de cette reddition du compte, on peut conclure que le tout se passait comme pour les comptes de la communauté ; car, est-il noté dans cette pièce, « ce compte fut rendu en présence de Messieurs les Offi« ciers de la justice de Menades, de nombre d'habitans et parois« siens convoqués en la manière accoutumée par une annonce à « la messe paroissiale le dimanche précédent et au son de la « cloche, devant le banc d'oeuvre de l'église, après l'expédition « des Grands jours de Menades » (1).

CHAPITRE XI

Madame d'Estut d'Assay, née de Bonin, fait acquisition de la terre de Menades. Acte d'aveu et dénombrement. Difficultés avec l'administration d'alors.

30. Par contrat en date du 25 mars 1767, Madame d'Estut d'Assay, née Marie Pierrette de Bonin, veuve depuis 1759 de Edme-François II de Stut, achetait de Pierre Champion les seigneuries de Menades et de Tharoiseau, dont elle rendit foi et hommage le 25 avril 1770 (2). Par suite, Précy redevenait une terre à part, qui appartint à P. Champion jusqu'à sa mort, janvier 1772, et demeura ensuite la propriété de sa fille, Madeleine, dite Mademoiselle de Précy, qui, en 1779, affranchit ses sujets de la main-morte (3).

En lisant dans l'acte d'aveu et dénombrement de la terre de Menades les revendications de Mme d'Assay, on les trouvera bien souvent en contradiction avec les droits et les libertés dont les habitants jouissaient depuis longtemps. Malgré ce désaccord que nous renonçons à expliquer, nous donnons ce document tel qu'il est écrit. Madame d'Assay s'exprimait ainsi :

(1) Papiers trouvés au Castel.

(2) L'abbé Baudiau, le Morvan, tome III, p. 104.

(3) Ibid. Mademoiselle Madeleine Champion de Précy venait de temps en temps au château de Précy; ordinairement, elle habitait à Avallon la maison ornée d'un beau porche avec grille, située à l'angle des rues Porte Auxerroise et Maison-Dieu. Elle mourut sans alliance (Bullet, de la Soc. d'Etudes d'Avallon, 1924, p. 41).


32 NOTICE HISTORIQUE 72

« 1° A cause de la seigneurie de Menades, membres et dépen« dances d'icelle, appartient à ladite dame d'Estutt d'Assay, toute « justice, haute, moyenne et basse, tant pour le civil que pour le « criminel et la gruerie ainsy que tous autres droits y adhérens, « — pour l'exercice de laquelle justice ladite dame a droit, pou« voir et faculté d'instituer quant bon luy semblera, tous offi« ciers, tels que bailly, procureur d'office, greffier, sergent, messier « et notaire authentique

« 2° En vertu du terrier de 1561 (1), elle a droit de clamer en « première instance pour le rachat d'un bichet d'avoine dû par « chacun des habitans de Menades et payable le jour de Noël ;

«. 3° Droit d'épave, d'amende et confiscation ;

« 4° Droit d'exploits de justice;

« 5° Droit des langues des bêles à cornes tuées et vendues au « détail ;

« 6° Droit d'amende de 7 sols par bête trouvée en mésus (2) ;

« 7° Droit d'indire (3) dans quatre cas (4) ;

« 8° Droit d'usage et de pacage dans les bois de la commu« nauté, en qualité de première usagère ;

« 9° Une corvée de bras pour les vendanges dans la seigneurie;

« 10° Droit de cens (5) de 8 derniers par arpent sur certains « héritages ;

« 11° Droit de main morte sur les 229 journaux de terre, 59sées « et demi de pré et 18 ouvrées de vigne qui n'ont pas été affran « chies le 6 décembre 1602 (6) ;

« 12° Droit de ban de vendange. »

Cette déclaration fut suivie de l'ordonnance ci-après rapportée

(1) Cette pièce est aujourd'hui perdue.

(2) Mésus, dommages, dégâts.

(3) Indire, doubler une redevance.

(4) Et ces quatre cas ne sont pas énumérés !

(5) Cens, impôt foncier. On voit que cet impôt n'était point lourd, mais, il ne faudrait pas en conclure que la terre était inculte et que la misère était le partage de nos populations car, en 1789, on comptait à Menades 30 boeufs. 50 vaches, 15 élèves et 100 moutons (Statistique du bailliage d'Avallon, ms. de la Société d'Etudes d'Avallon).

(6) C'est dans leurs cahiers de doléances de 1789 que les habitants de Menades ont protesté contre ce droit, disant : « Cette servitude est une usurpation « sur le droit naturel : la raison doit la proscrire ». Courtaut, dans ses études sur l'Esprit public du Tiers Etat, publiées dans le Bullet. de la Soc. des Sc. de l'Yonne, 4e vol., p. 380, parle de ces cahiers comme s'il les avait sous les yeux, mais impossible de les retrouver.


73 SUR MENADES 33

et qui permettait aux habitants intéressés de protester contre les ■inexactitudes et les fraudes qui auraient pu y être introduites ; et les habitants n'en ont rien fait !

« Les Président, Trésorier de France, Intendant des finances, et « grands voyers en Bourgogne et Bresses, chevaliers, Conseillers « du Roy, tenant la Chambre du Domaine, veüe la requête de « dame d'Estutt d'Assay, dame de Tharoiseau et Menades, ten« dant au blâme (1) du dénombrement des terres et seigneuries « de Tharoiseau et Menades, vu ledit dénombrement, conclusions « des gens du Roy, et rapport du Commissaire en cette partie, les « Président, Trésoriers de France,tenant la Chambre du Domaine, « ont ordonné et ordonnent que, par le greffier d'icelle, duplicata « dudit aveu et dénombrement sera expédié et délivré au Procu« reur du Roy, à la diligence duquel il sera envoyé sur les lieux, « pour être lue et publiée à l'assemblée la présente ordonnance « par trois dimanches consécutifs à l'issue des messes paroissiales « des lieux dont il s'agit, et sera fait sur lesdites publications « deuement certifiées et rapportées à la Chambre extraordinaire, " ce que de raison, et seront toutes oppositions receues à ladite . « Chambre de Domaine. Fait à Dijon, etc.. » (2).

Madame d'Assay, dame de Menades, se fixa au château de Tharoiseau avec sa toute jeune famille, car elle était restée veuve à l'âge de dix-huit ans, avec trois enfants : Philibert-Marie, qui perpétua le nom ; Gabriel-Alphonse, qui fut chevalier de Malte, et Louise Françoise, qui mourut en 1732 (3).

La dame de Menades et de Tharoiseau s'était donc bien mise en règle avec le fisc d'alors; elle renouvela son acte d'aveu et dénombrement à l'avènement de Louis XVI, le 11 décembre 1776, quand la noblesse fit au nouveau roi son serment de fidélité (4). Mais, peu de temps après, elle eut la désagréable surprise de recevoir une note d'après laquelle, à la requête du Procureur du roi en la Chambre des Comptes du Nivernais, sa terre de Menades était saisie et mise sous la main du roi, sous prétexte que, rele vant de ce duché, elle n'y avait pas fait son acte d'aveu. Madame d'Assay réclama, protesta contre cette mesure, disant que Menades avait toujours fait partie de la Bourgogne, et non du Nivernais.

(1) Discussion, examen approfondi.

(2) Arch. de l'Yonne, A, 11. E, 131.

(3) Le marquis de la Guère. Généal. de la Maison de Stutt p. 240.

(4) Ibid. et Arch. jadis au château de Tharoiseau.


34 NOTICE HISTORIQUE 74

Malgré ses droits, malgré sa justification, ce fut seulement le 13 septembre 1780, que, par acte passé devant Goussot et Pannuet, notaires, reconnaissant que Menades était réellement de la mouvance du roi à cause de son duché de Bourgogne, elle eut avis de la main levée de cette saisie opérée depuis près de quatre ans; et , en lui notifiant que la seigneurie de Menades n'était pas du Nivernais, comme il l'avait pensé, Antoine Charles Parmentier, Procureur général du Roy en la Chambre des Comptes duc Duché de Nivernais, semble flatter Madame d'Assay, comme pour lui faire oublier ainsi les ennuis dont il était la cause, car il lui donnait le titre de Marquise d'Assay (1).

Philibert Marie de Stut d'Assay, l'aîné de la famille, né le 10 octobre 1757, fut d'abord page de la Reine de France; en 1782, il était capitaine au régiment de Royal Cavalerie ; en février 1789, il recevait son brevet de major en second au régiment de Cambrésis Infanterie ; le 9 juin de la même année, il épousait mademoiselle Louise Françoise de la Barre (2). Quelques semaines plus tard éclatait la Révolution qui allait changer complètement l'état social de la France.

(l) Le marquis de la Guère. Généal. de la Maison de Stutt, etc...

(2) Mademoiselle Elisabeth de la Barre, soeur de Madame de Stutt d Assay, donna, dans la première moitié du siècle dernier, à l'hôpital de Vézelay. les champs qu'elle possédait sur Menades. La mention de cette donation, avec toutes les précisions désirables, a été trouvée d'une façon tout à-fait extraordinaire pendans la Grande Guerre 1914 1918 : un soldat, originaire de Menades, pénètre avec son bataillon dans un village lorrain que les Allemands viennent d'évacuer , dans la maison où il entre, il voit les livres de la bibliothèque épars sur le sol, dans le plus grand désordre; il ramasse un de ces volumes, l'ouvre et y lit ce qui suit : « N° 3178. ORDONNANCE DU ROI qui autorise l'hospice de « Vézelay (Yonne), à accepter le legs à lui fait par la demoiselle Elisabeth« Geneviève Delabarre, d'un domaine à Menades, de la valeur de 10.000 francs, « à la charge de services religieux. (Paris, 4 Mai 1826) »; et, à son premier moment de liberté, il envoie ce renseignement à sa famille. Le maire actuel de Menades. M. Joseph Defert, pourra dire le nom de ce soldat, à qui voudra se renseigner.

Le testament olographe de Mlle Elisabeth de la Barre, est daté du 19 mai 1918 ; par cet acte elle donnait à l'hôpital de Vézelay 6 hectares de terre, 1 hectare 30 ares de pré. et une somme de 300 francs, a charge de deux messes, le 20 mai et le 27 novembre de chaque année.


75 SUR MENADES 35

CONCLUSION

C'est avec une profonde émotion que nous avons suivi la popu

lation de Menades au milieu des multiples épreuves qu'elle a rencontrées au cours des siècles, et nous avons sincèrement compati à ses souffrances et à ses malheurs. Mais, après avoir lu les pages qui précèdent, plus d'un, peut être, s'est dit : Tous ces maux sont venus de l'ancien régime, sous lequel ont dû se courber nos ancêtres.

Sans doute, l'ancien régime a eu ses abus, résultant des usages, des coutumes, des moeurs et même des lois qui régissaient une société dans l'enfance ; mais, quelle est l'époque, même bien avancée dans la civilisation et le progrès, qui n'a pas eu ses abus? Sans doute encore, il y a eu sous l'ancien régime des fautes, des crimes que l'on pourrait énumérer en longues séries; mais, en d'autres temps plus rapprochés, ne pourrait-on pas citer des listes et des listes de faits condamnables qui n'ont point pour excuse l'état d'une société en formation ?

Tout cela ne prouve qu'une chose, c'est que les gouvernements, en général, se défendent comme ils peuvent et par les mêmes moyens : si l'intérêt est en jeu, l'homme et les principes dispa raissent, il ne reste plus que la force. Mais, aussi, constatons qu'au milieu de toutes ces difficultés, de tous ces désordres, les habi tants de Menades n'ont jamais désespéré de leur petite patrie : ils l'ont toujours aimée.

D'autre part, cet ancien régime a duré des siècles, et nous avons touché du doigt les progrès qu'il a accomplis, grâce au Christianisme, sous les Romains et les Barbares ; nous avons vu comment, sous cette même influence, il a conquis l'affranchisse sement du peuple et la possession du sol, dont une petite portion seulement est demeurée soumise à la main-morte, comment encore la communauté en vint à gérer ses propres ressources sans aucun contrôle du pouvoir central, pourvu que les impôts royaux et les impôts seigneuriaux furent payés.

On insistera sans doute en disant que ces impôts étaient lourds, sous l'ancien régime. Eh oui ! Seulement, rendons-nous bien compte que tous les gouvernements, quelle que soit leur étiquette, font payer le plus qu'ils peuvent au malheureux contribuable. L'Etat est insatiable, il prend beaucoup et donne le moins


36 NOTICE HISTORIQUE 76

possible : à peine peut-il nous garantir contre les attentats visant nos personnes et nos propriétés.

Les champs ne sont plus possédés- par les mêmes maîtres ; ce n'est plus le collecteur, mais le percepteur qui reçoit les impôts ; le gouvernement du roi a été remplacé par le gouvernement du peuple, mais il faut toujours payer. Car le fisc perçoit les impôts sur les quatre contributions, sur nos personnes, sur nos maisons, sur la lumière du soleil qui les éclaire, sur l'air qui y pénètre, sur nos meubles, sur le vin que nous récoltons, sur le sucre, sur le café, sur le tabac, sur les droits de succession et d'enregistrement, sur les chiens, sur les voitures, sur les bicyclettes, sur les motos, sur les chevaux, sur les billards, sur les cartes à jouer, sur les raisins secs, sur les prestations, sur les quittances, sur les allumettes,, sur la bougie, sur le pétrole, sur les frais de justice, sur le timbre, etc., etc. ; nous ne pouvons pas respirer, boire, manger, naître, mourir, sans que l'Etat perçoive un droit. Que fait il donc de tout cet argent ?

En 1764, au nom du Parlement de Bourgogne, le Président de Brosses adressait à Louis XV ces paroles qui sont peut être encore de circonstance : « Tôt ou tard, le peuple apprendra que les « débris de nos finances continuent d'être prodigués en dons sou « vent trop peu mérités, en pensions excessives, en places et en « appointements inutiles. Mais, tôt ou tard aussi, il repoussera ces « mains avides qui toujours s'ouvrent et ne se croient jamais < pleines, ces gens insatiables qui ne semblent nés que pour tout « prendre et ne rien avoir, gens sans pitié comme sans pudeur ».

Sous l'ancien régime encore, nous avons vu que les habitants de Menades recevaient l'instruction populaire, qu'ils luttaient en même temps avec courage, avec confiance, contre des difficultés qui nous rebuteraient probablement très vite ; et ainsi, ils ont laissé à leurs descendants un magnifique héritage d'honneur, de foi et de vertu qu'il faut faire fructifier ; car ce sont de véritables titres de noblesse, et pour tous, ne l'oublions pas, noblesse oblige !

Faut-il donc conclure en faveur de l'ancien régime ? Evidemment non ! Jamais nous n'avons eu cette pensée et nous ne permettons à personne de supposer que nous ne sommes pas de notre siècle. Mais, nous disons qu'il faut avoir pour ce passé les égards que l'on a pour les vieillards qui nous ont instruits par leur expérience et leur sagesse, et qui nous ont comblés de bienfaits. Car c'est lui qui est notre maître, c'est lui qui, d'une main patiente et sûre, nous a conduits au port ; c'est de ses débris qu'est faite la société actuelle : partout on retrouve la trace de la vieille société


77 SUR MENADES 37

française, et dans l'ordre administratif, et dans l'ordre judiciaire, et dans l'ordre militaire, et dans l'établissement et la perception des impôts. Enfin, qu'on, le veuille ou non, nous constatons simplement un fait : c'est l'ancien régime, malgré ses imperfections, qui a construit la France, province par province, et qui l'a faite grande, noble, forte et glorieuse.

Mais, si nous respectons l'ancien régime, nous aimons la liberté, la vraie liberté, celle qui tend au bien, toujours au mieux, qui est fondée sur le respect des droits de tous, car elle élève l'homme et l'honore, et lui fait sentir sa valeur et sa dignité, et non cette liberté mesquine, tracassière, marchandée encore à un grand nombre, comme si la liberté n'appartenait pas à tous et par droit naturel et par droit de conquête.

REMARQUE. IMPORTANTE

Les deux dessins donnés d'après des croquis, au commencement de ce livre (Chapitre premier, pp. 4 et 5), ne rendent pas très exactement la forme des bracelets qui proviennent de Menades et sont au Musée de Besançon L'auteur avait reçu, il y a deux ans, la promesse que des photographies de ces souvenirs préhistoriques lui seraient adressées; et il comptait les reproduire ici, pour donner une juste idée de ces objets intéressants ; mais ces photographies ne lui sont pas encore parvenues au moment où il remet pour l'impression la fin de son travail ; et il regrette ce retard.


38 NOTICE HISTORIQUE 78

APPENDICE

LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE (1)

20 novembre 1791. Nomination des officiers municipaux. La

paroisse compte 35 citoyens actifs, qui se sont assemblés sous la présidence de Me Chipard, vicaire de Menades ; avant de procéder au scrutin, on désigne comme assesseurs les trois plus anciens d'âge sachant lire et écrire, qui sent : Philippe Grossin, Joseph Bonin et Louis Fillion. Tous les assistants prêtent le serment en ces termes : « Je jure d'être fidèle à la nation, à la loy et au roy et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale », et chacun lève la main en disant : « Je le jure ». Les trois scrutateurs nommés ensuite sont les mêmes. Puis, Jean Pannetrat est élu maire : il accepte ; Joseph Bonin est élu officier municipal ; il accepte.

Les trois notables élus sont Edme Bourdilliat, Charles Fillion, Charles Sonnois, qui acceptent.

Signé : J.-P. Chipard, Pannetrat, greffier, Pannetrat, maire, Claude Sonnois. Pannetrat.

13 février 1792. Le territoire de Menades est divisé en sections. Conformément au décret de l'Assemblée nationale des 20, 22 et 23 novembre 1790, accepté par le roy le 1er décembre suivant, le Maire et les officiers municipaux de Menades, réunis au lieu de leurs séances, ont divisé le territoire de leur commune en huit sections, savoir :

A. La Pelouse, limitée, etc.

B. Les Aubuës, limitée, etc.

C. La troisième section du champ Signale, limitée au levant, etc.

D. La quatrième section dite les Châtelées, limitée au levant, etc.

E. La cinquième section dite les Aubus de Pauvreté, limitée, etc.

F. La sixième section dite les Champs Poichots, limitée, etc.

G. La septième section dite les Bois, limitée, etc.

H. La huitième section dite le Village, limitée dans le centre du territoire et entourée de vieux murs de toutes parts (2).

(1) D après le registre des délibérations, registre qui porte sur son premier feuillet cette épigraphe .

< Au nom de l'auteur de la nature. Amen.

« Le nom de Dieu soit béni

« Le Père.

« Le Fils.

« Le Saint-Esprit,

« Aujourd nui et dans tous les siècles. Amen. »

(2) Les ruines des anciennes fortifications existaient donc toujours.


79 SUR MENADES 39

22 avril 1792. Nomination de quatre gardes-champêtres. — Ces gardes sont : Louis Auclerc, Charles Fillion, Lazare Pouilliat, Jean Danguis, qui recevront chacun 45 livres.

28 avril 1792. Incendie. Un incendie éclate à Menades sur les deux heures de l'après-midi et détruit plusieurs maisons, occasionnant des pertes considérables. Le feu a pris dans la maison de Marie Gautilliot, veuve Charles Cholat, a consumé cette maison, la grange, l'écurie; il fut impossible de rien sauver, ni meubles, ni effets ; 10 moutons et brebis périrent : perte estimée 1 000 livres. La maison de Charles Sonnois, contiguë à la précédente, fut aussi détruite, ainsi que la grange, la petite écurie, tous ses meubles et effets, sauf un mauvais coffre qui contenait quelques hardes de sa femme : perte évaluée à 650 livres. De plus, le feu atteignit la maison de Charles Renault, de Fontette, y brûla ladite maison, une grange, deux écuries, la moitié d'une autre grange et d'une autre écurie, les deux tiers d'une remise et une autre écurie attenante, plus trois chambres et une écurie : perte évaluée à 1.800 livres. La maison de. François Guilmaux fut toute entière détruite, avec la moitié d'une grange, la moitié d'une écurie, le tiers d'une remise : perte estimée à 450 livres. Paul Auclerc, locataire de Charles Renault, a perdu tout son mobilier, tous ses effets, moins un mauvais coffre, et encore 12 moutons : perte, 300 livres. Marguerite Renault, autre locataire de Charles Renault, a perdu tous ses effets, sauf deux mauvais coffres, un marcepié (1) avec quelques linges personnels évalués à 150 livres.

13 Juin 1792. Menades, desservi par un prêtre, (textuel). « Les officiers municipaux de la commune de Menades assemblés au lieu ordinaire des séances, M. le Procureur de la commune a dit que Maistre Jean-Claude Blandin, curé d'Island et dudit Menades, lui avait communiqué une lettre qui lui avait été adressée par M. Borge, procureur syndic de l'Administration du district d'Avallon, en laquelle lettre l'Administration porte des plaintes contre le Père Simonot, prêtre, ci-devant religieux cordelier, demeurant à Menades, tendant à avancer que le Père Simonot prêchait une doctrine inconstitutionnelle, qu'il attirait à ses offices les paroissiens attachés à leur curé inconstitutionnel.

« Le Procureur de la commune, entendu la Municipalité, a d'abord témoigné le plus grand étonnement, attendu que le Père Simonot, résidant à Menades, et dont toutes les démarches ont été faites sous les yeux de la Municipalité, n'a, jusqu'à cette époque, que témoigné

(1) Sorte d'escabeau, de marchepied : un lit très haut était autrefois l'orgueil de la ménagère, pour escalader ce lit, il fallait un marchepied. Ce meuble, que l'on peut voir encore dans quelques maisons, était confectionné de manière à servir de coffre pour serrer du linge, d'où l'expression « un marcepied avec quelques linges personnels ».


40 NOTICE HISTORIQUE 80.

un zèle ardent pour obliger les habitants dudit Menades, ses concitoyens, qu'il a toujours donné, le premier, l'exemple de l'obéissance à la loi, et que jamais il n'a tenu aucun propos pour nuire à l'ordre actuel, que la Municipalité, conjointement avec le sieur Blandin,. curé d'Island, ne l'ont prié de faire de temps en temps les fonctions ecclésiastiques qu'à cette condition, et jusqu'à l'époque où il serait possible de trouver un curé constitutionnel.

< En conséquence, il a été arrêté que copie du présent procèsverbal serait délivrée à Mr Jean Claude Blandin, curé d'Island pour être, par lui, communiqué à l'Administration du district, et étayé des raisons qu'il jugera convenables.

" Fait aux bureaux de la Municipalité de Menades, le 13 juin 1792.

« Pannetrat, greffier. »

24 septembre 1792. — Sur réquisition de l'Administration du district d'Avallon, le Conseil général de la commune de Menades nommeJean Pannetrat et Charles Fillion pour faire la visite et l'évaluation du finage de Pontaubert.

Le 21 septembre 1792. Serment du Père Simonot. Le maire de Menades, les officiers municipaux, les membres du Conseil général de ladite commune, se réunissent au lieu ordinaire de leurs séances, pour prêter le serment « d'être fidèles à la Nation et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir pour elles ». M. Pierre Simonot, ci-devant religieux Cordelier, résident à Menades, appelé ad hoc, a fait le même serment.

Le 21 octobre 1792. Philippe Jacob, greffier du juge de paix du canton de Vaux (1) est désigné pour recevoir les déclarations des habitants de Menades, afin de préparer la base des impositions mobiliaires.

Le 24 octobre 1792. Etienne Larché, laboureur, Edme Couvert, vigneron, tous deux de Tharot, et Edme Chevy, Edme Collins, vignerons, tous deux de Pontaubert, ont fait, les 16, 17, 22 et 23 courant, l'évaluation des terres et biens-fonds de Menades, en vue de préparer la base des impositions immobiliaires.

Le même jour. La Municipalité décide que la salle des délibérations du Conseil général de Menades sera louée moyennant 12 livres par an, que le traitement du secrétaire greffier sera payé 50 francspar an, et que les fournitures du papier, bois et lumière pour la Municipalité, seront fixés à 150 livres.

Le 8 décembre 1792. Renouvellement de la Municipalité. Les.

35 citoyens actifs de Menades, réunis sous la présidence de Claude

(1) Pendant la Révolution, le Vault-de-Lugny fut un canton; Menades en. faisait partie.


81 SUR MENADES 41

Sonnois, nomment comme scrutateurs les trois plus anciens d'âge, qui sont : Claude Sonnois, Philippe Grossin et Louis Fillion. Puis, OR prête le serment, comme l'année précédente Sont ensuite nommés au scrutin :

Officier municipal : Jean Grossin, qui accepte ;

Procureur de la commune : Paul Auclerc, qui accepte ;

Notables, en remplacement des précédents : Jean Danguy fils, Paul Fillion, Jean Baptiste Fillion, qui acceptent;

Trésorier de la commune : Paul Pannetrat, qui accepte ;

Assesseurs : Edme Poulliat, Lazare Pouilliat, Jean Baptiste Châtelain, Thomas Gourlot, qui acceptent.

Le 12 décembre 1792. On établit la liste des jurés : ils sont 27. Le premier officier municipal déclare ne savoir signer.

Le 24 décembre 1792. Projets de travaux communaux. Considérant que, depuis longtemps, plusieurs chemins finéraux sont devenus impraticables, que la commune n'a ni fontaine, ni lavoir, ni abruvoire assez sains tant pour les hommes que pour les bestiaux, que, d'autre part, les réserves des bois ont été vendues pour faire face à ces besoins urgents, et que l'époque de ces paiements est échue, la Municipalité de Menades délibère qu'elle poursuivra toute requête nécessaire pour l'exécution de ces travaux, et qu'elle réparera ou construira une maison commune, si les deniers de la réserve suffisent pour ce supplément de travaux. Signé : Pannetrat, greffier ; Pannetrat, maire; Grossin, municipal; Auclerc, président de la commune ; Sonnois ; Fillion. Le premier officier municipal déclare ne savoir signer.

En note. — La requête ci-dessus formulée a été adressée à l'Administration du district d'Avallon, le 20 janvier 1793.

Le 27 décembre 1792. Le desservant Simonot. Pierre Simonot, ancien religieux Cordelier, faisant présentement fonction de desservant de Menades, prête serment (1), et la Municipalité de Menades décide que copie de ce procès verbal sera envoyée au Procureur sindic du district d'Avallon (2).

Le 24 février 1793. L'Etat civil à la mairie. Jean-Claude Blandin, curé (assermenté) d'Island et de Menades, dépose entre les mains de la Municipalité de Menades les registres des baptêmes, mariages et sépultures, depuis 1660 jusqu'à 1792, excepté celui de 1713, qui manque. En même temps, il remet la somme de 3 livres au trésorier de la commune.

Le 20 mars 1793. Enrôlement de volontaires. (Textuel). —

(1) Les termes du serment ne sont pas rapportés !

(2) La pièce n'était certes pas compromettante pour le Père Simonot !


42 NOTICE HISTORIQUE 82

« Cejourd'hui, vingt mars 1793, l'an deuxme de la République française, après midy, après avoir convoqué la réunion des jeunes gens capables de porter les armes et domiciliés audit Menades, pour l'exécution de la loi du vingt-quatre février dernier relative au recruttement des armées, nous nous sommes transportés avec tous les jeunes gens en la maison commune où, étant tous assemblés, lesdits ont déclaré d'une voix unanime qu'ils entendaient procéder par la voie du scrutin pour la nomination des deux deffenseurs de la Patrie, contingent que doit fournir la communauté de Menades.

« Pour parvenir à procéder de cette manière, les jeunes gens réunis ont nommé scrutateurs le citoyen Georges Defert, et Philippe Grossin, demeurant à Taroiseau et audit Menades ; tous les scrutins ayant été mis dans une boitte sur le bureau de la Municipalité et dépouillement ayant été ensuite fait par lesdits scrutateurs, il est résulté que, à la pluralité des voix Jean Cholat, fils de deffunt Charles Cholat et de Marie Gautilliot, âgé d'environ vingt-cinq ans, et Paul Doré fils de deffunt Hilaire Doré et de Charlotte Lairot, âgé de dix-neuf ans, tous deux demeurant à Menades, ont été nommés deffenseurs de la Patrie.

« En conséquence, nous, lesdits officiers municipaux, nous avons proclamé lesdits Cholat et Doré, en présence de ceux qui composent la présente Assemblée, lesquels nous ont déclaré qu'ils acceptaient leur nomination avec satisfaction, et qu'ils étaient prest de voiler à la deffense de la Patrie à la première réquisition qui leur sera faite.

« Et nous, lesdits officiers municipaux, nous nous sommes soussignés avec le procureur de la commune et nous, ledit secrétaire, lecture faite, dont acte. »

Signé : Pannetrat, maire ; Grossin, municipal ; Auclerc, procureur de la commune; le second officier municipal déclare ne savoir signer ; Pannetrat, greffier.

Le 22 du même soir. La Municipalité de Menades déclare au Directoire d'Avallon qu'il lui est impossible de fournir l'habillement des volontaires nommés le 20 de ce mois.

Le 24 mars 1793. Adjudication publique du rôle des contributions foncières, mobiliaires et des patentes, faite au profit (sic) de Claude Sonnois qui s'en charge, moyennant 1 sol par livre pour le foncier, et 3 deniers par livre pour le mobilier et les patentes.

Le 14 avril 1793. Paul Doré, soldat volontaire nommé le 20 mars dernier, est, le 13 avril, renvoyé dans ses foyers par le commissaire de l'armée, comme impropre au service. Le lendemain, 15, est nommé, avec les mêmes formalités que le 20 mars, Joseph Grossin, fils de Joseph Grossin et de Marie Loriot, âgé d'environ 23 ans.

Le 12 mai 1793. La Municipalité nomme gardes des récoltes et des bois communaux Jean-Baptiste Fillion et Edme Bourdilliat, qui touchent chacun 50 livres pour l'année.


53 SUR MENADES 43

Le 27 novembre 1793. La Municipalité de Menades nomme son Comité de surveillance. En font partie : Jean Renault, Gabriel Fillion et Jean Thomas Gourlot.

Le 22 décembre 1793. Pour la première levée des hommes de 18 à 25 ans, Menades a fourni : Jean Fournillon, Louis Trémaux. Lazare Fournillon, Paul Doré et Charles Fillion. Pour instruire ces jeunes enrôlés du district d'Avallon, il faut (comme ailleurs) des armes. Jean Pannetrat, Paul Pannetrat, la veuve Séguin, Philippe Grossin, Jean Thomas Gourlot, Jean Baptiste Fillion et Louis Auclerc déposent en conséquence leurs fusils à la Municipalité de Menades.

En cette année 1793, la Municipalité de Menades a distribué, au nom ■de la Bienfaisance Nationale, 50 livres à trois indigents du pays.

6 pluviose an II (26 janvier 1794). La Municipalité nomme l'agent national de Menades, Paul Auclerc, lequel aura lui même son agent particulier, chargé de porter au district les procès verbaux de l'agent national et de la Municipalité, moyennant 36 livres de rétribution annuelle.

21 pluviose an II (26 janvier 1794). Le maximum. Sur ordre venu par le district d'Avallon, la Municipalité fixe le tarif maximum des journées et des labours, ainsi qu'il suit :

Pour façons de blé à trois labours qui sont divisés en deux classes : les plus difficiles, 14 livres par journal; les plus faciles, en aubues, 12 livres.

Pour les terres en frémis (probablement : tramois) : 5 livres par journal les plus faciles ; 6 livres, les plus difficiles.

Pour façon d'une ouvrée de vigne, à l'année : 5 livres.

Le vin se vend 25 sols.

Pour le battage en grange par jour, et nourri : 8 sols.

Pour faire des fosses dans les vignes, par jour, non nourri : 1 livre 2 sols; et 15 sols, nourri.

Journée d'un charron, nourri : 1 livre 4 sols.

Journée de maçon : 1 livre.

Journée de menuisier, nourri : 1 livre 5 sols.

Journée d'une couturière : 6 sols ; de son apprentie : 3 sols.

Journée d'une femme manouvrière, nourrie : 6 sols.

Journée d'un faucheur, nourri : 1 livre 5 sols.

13 prairial an II (2 mai 1794). Réquisition de chanvre :

10 personnes de Menades en ont fourni 29 livres et un quart.

20 prairial an II(9 mai 1794). Sont nommés commissaires pour la réquisition des grains : Philippe Grossin et Charles Fillion, qui recevront 7 livres par jour pendant les opérations qui commenceront le 1er messidor prochain.

2 fructidor an III (19 août 1794 ). Réquisition de 30 quintaux de foin, 15 quintaux d'avoine et 5 quintaux de paille, qui sont fournis par 10 personnes de Menades.


44 NOTICE HISTORIQUE 84

7 fructidor an III (24 août 1794). Défense de pénétrer dans les vignes avant le ban de vendanges.

3 vendémiaire an III (15 septembre 1794). Réquisition de blé pour fournir le marché d'Avallon : 17 bichets sont fournis par les habitants de Menades.

22 nivôse an III (12 janvier 1795). Réquisition refusée. Le citoyen Sainte Marthe, officier de santé à Sermizelles, qui a été nommé commissaire pour l'accélération des transports des avoines réquisitionnées pour la commune de Paris, se présente à Menades pour remplir son mandat. La Municipalité justifie qu'elle a satisfait en temps voulu aux réquisitions précédentes, et elle déclare que, dans le moment actuel, les laboureurs sont dans l'impossibilité de fournir à une nouvelle réquisition, parce qu'ils ont à ensemencer leurs terres.

22 pluviôse an III (11 février 1795). Dépréciation des assignats. Les assignats de 5 livres et au-dessous n'auront plus cours, en conséquence, le maire vérifie la caisse du receveur et du trésorier de la commune : celle du receveur renferme 770 livres en assignats de 5 livres et celle du trésorier de la commune 695 livres en pareille monnaie.

3 prairial an III (22 mai 1793). Le maire de Menades a fait recette de la somme de deux mille livres provenant de la vente des réserves des bois, laquelle somme lui est venue par les mains de Paul Pannetrat, trésorier, pour être versée dans la caisse du receveur d'Avallon. Ce versement a lieu le lendemain, 4 prairial.

5 prairial an III (24 mai 1795). — Le citoyen Picard, nommé commissaire pour le recensement des grains et des légumes dans toutes les communes du district d'Avallon, se présente à Menades pour remplir son mandat. Le maire de Menades désigne Jean Grossin pour l'accompagner.

19 prairial an III (7 juin 1795). Au nom de la Bienfaisance Nationale, une somme de 160 livres attribuée à un vieillard indigent de Menades et une autre somme de 60 livres à une vieille femme indigente, aussi de Menades.

20 prairial an III (8 juin 1795). Le courrier qui apporte les nouvelles concernant Menades reçoit 36 livres de gage par an. Désormais, Bourgeot, de Vault, touchera celte somme, au lieu de Jean Fournillon, qu'il remplace.

24 prairial an III (12 juin 27.95). Il est arrêté que Jean-Baptiste Fillion sera seul garde-champ être et qu'il touchera 150 livres pour son année.

Le même jour, arrête aussi que le percepteur de Menades sera rétribué ainsi qu'il a été convenu, le 24 mars 1793.

Arrêté encore que 60 livres seront affectées aux dépenses du


85 SUR MENADES 45

papier, de la lumière et du bois pour les séances du Conseil général de Menades.

30 prairial an III (18 juin 1795). Une nouvelle somme de 40 livres est distribuée à 8 indigents de Menades, au nom de la Bienfaisance Nationale.

30 messidor an III (18 juillet 1795). Le citoyen Simonot, prêtre. (Textuel). « Le 30 messidor an III. a comparu devant la Municipa lité de Menades, le citoyen Simonot, prêtre, lequel a déclaré que son intention est d'exercer le ministère connu sous le nom de culte catholique, apostolique et romain dans l'étendue de cette, commune. En conséquence, il demande qu'il lui soit donné acte de sa soumission aux lois de la république. »

Et aussitôt la Municipalité prend la délibération suivante :

« Nous, le Conseil général de la commune de Menades et tous les les habitants réunis en assemblée générale à l'effet de discuter sur l'objet dont il est question, à savoir ce qui suit : Nous, lesdits habitants susdits de Menades, avons arrêté qu'il sera accordé au citoyen Simonot, desservant de cette commune, la quantité de 1 boisseau de froment par laboureur pour la Passion, chaque année, et de plus, celle de 1 boisseau de froment par chaque laboureur et manouvrier, avec une demie livre de beurre ou la somme de seize sols. Fait et arrêté par nous, lesdits habitants de Menades, les jour et an que dessus, et nous nous sommes soussignés ceux qui sachent le faire. »

30 brumaire an IV (21 novembre 1795). (Textuel). « Devant nous est comparu le citoyen Pierre Simonot, habitant à Menades, lequel nous a fait la déclaration dont la teneur suit : « Je reconnais que l'universalité des citoyens est le Souverain, et je promets soumission et obéissance aux lois de la république ». Nous lui avons donné acte de cette déclaration, et a signé avec nous : f. Pierre Simoneau; Pannetrat, agent muicipal; Renault, agent. »

2 frimaire an IV (23 novembre 1795). (Textuel). « Nous, agent et adjoint municipal de la commune de Menades, attestons que les citoyens de la commune susdite ont choisi l'église et semetiere de cette commune pour l'exercice de leur culte. »

16 frimaire an IV (7 décembre 27.95). « Le citoyen Genêt, demeurant à Valloux, s'est immiscé dans notre église pour vouloir toucher aux vitraux de ladite église ; la commune s'y est opposée et a défendu audit Genêt de toucher aux vitraux. Néanmoins, ledit s'est transporté en ladite église et a trouvé un vitrau (1) que le vent avait détaché, où il n'y manquait que trois ou quatre petits caros. Ledit Genêt a pris un panneau en son entier, l'a décollé et l'a jeté par

(1) Probablement tout le vitrage d'une fenêtre.


46 NOTICE HISTORIQUE 86.

terre. C'est pourquoi la commune demande que le vitrau soit raccommodé à ses frais et tous dépens, dommages et intérêts qui pourront en résulter pour ledit Genêt, en cas que visite n'en soit faite à ses dépens. »

21 pluviose an IV (10 février 2796). Le comité de surveillance de Menades est renouvelé et compose ainsi qu'il suit : Philippe Grossin, président ; Claude Sonnois, secrétaire ; Jean Renaud, Gabriel Fillion, Paul Pannetrat, Louis Auclerc, Jean Fournillon, Pascal Boussard.

23 pluviose an IV (12 février 1796). Le rôle de l'imposition foncière est adjugé à Paul Auclerc moyennant 11 deniers par livre; Paul Auclerc déclare prendre pour caution François Auclerc

24 floréal an IV (13 mai 1796). La dépense du papier, bois et lumière pour les séances du Conseil général de la commune est arrêté à la somme de 90 livres.

5 prairial an IV (24 mai 1796). La Municipalité de Menades nomme gardes-champêtres et gardes des bois Jean-Baptiste Châtelain et Jean-Baptiste Fillion, dont les émoluments seront : à chacun, 40 livres pour les champs et 25 livres pour les bois.

26 juin 1796, vieux stil. (sic). Les agents municipaux de Menades font défense aux habitants dudit lieu et aux forains de faucher les prés sur le territoire de Menades avant le 30 juin, sous peine de 50 livres d'amende pour toute contravention.

13 messidor an IV (1er juillet 1796). Jean-Baptiste Fillion et son frère ont passé huit jours pour clôturer le jardin du citoyen Simonot desservant de Menades ; pour ce travail, il leur est alloué la somme de 6 livres.

30 thermidor an IV (17 août 1796). D'après vérification faite par le maire de Menades, le percepteur a en caisse pour le compte de la commune de Menades, 6.100 livres, plus 456 livres en coupons de l'emprunt forcé, plus 1.985 livres et 17 sols en assignats.

4 fructidor an IV (21 août 1796). Défense de conduire les bestiaux dans les emblaves de trémois, orge, avoine, avant que les récoltes, soient totalement enlevées, sous peine de 50 livres d'amende.

13 germinal an V (2 avril 1797). Jean Pannetrat est nommé adjoint de Menades.

5 prairial an V (24 mai 1797). Jean-Baptiste Châtelain et JeanBaptiste Fillion sont de nouveau nommés gardes champêtres et gardes des bois; leurs émoluments seront les mêmes pour les champs, mais seulement 20 livres pour les bois.

10 germinal an VI (30 mars 1798). Etienne Pannetrat est nommé adjoint au 3e tour de scrutin.

13 fructidor an VI (30 août 1798). Défense d'entrer dans les vignes après le 15 fructidor, sous peine de 15 livres d'amende.


87 SUR MENADES 47

77 nivôse an VII (7 janvier 1799). Le Conseil général enregistre une décision prise par le canton du Vault : le garde-champêtre aura 60 livres par an. Claude Gerbeaux est nommé à ce poste. Le tambour aura 12 livres par an, et celui qui sera nommé battra la caisse pour annoncer les nouvelles, les décades, les fêtes nationales, les jours de mariage.

10 germinal an VII (2er avril 1799). Jean Pannetrat est nommé agent municipal.

5 prairial an VIII (24 mai 1800). Jean-Baptiste Fillion est nommé garde en remplacement de Claude Gerbeaux, avec une augmentation de 3 livres, soit 63 livres par an.

Vendémiaire an VIII (septembre 1800). Le ban de vendange est fixé au 5 vendémiaire (17 septembre) ; les grapilleux et les grapilleuses n'entreront dans les vignes que 2 jours après la récolte faite, sous peine de 3 livres 10 sols d'amende.

27 brumaire an XI (8 novembre 1803). Du Conseil municipal de la commune de Menades : (textuel) (1).

« A Monsieur le Curé, très digne prêtre de l'arrondissement d'Avallon.

« Le Conseil étant assemblé sous l'autorité du Maire, au sujet de délibérer de la conservation d'un desservant pour notre commune.

« D'après une circulaire du Curé d'Auxerre, signée Viard, vicaire général.

" Au sujet de notre église, elle est en très bon état, et la commune s'oblige de fournir un logement pour le desservant, jardin et son chauffage.

« Ainsi la Commune d'unanime voix se charge de toutes les charges des édifices et de celle du desservant.

« La Commune a toujours été desservie par un desservant : nous sommes éloignés d'Island d'une lieue, de très mauvais chemins et une église ysolée, beaucoup éloignée du pays

« Nous espérons en vos bontés ordinaires et nous ferez justice.

« Pannetrat, maire. »

1er novembre 1804. — La Municipalité nomme sonneur de Menades Paul Auclerc, qui aura : 1° 5 sols par chaque habitant et par an ; 2° 10 sols pour services et grand'messes ; 3° 1 franc pour un enterrement et 1 chopine chaque fois.

VENTE DES BIENS NATIONAUX. Le 2 novembre 1790, l'Assemblée Nationale avait décrété que les biens ecclésiastiques seraient mis à la disposition de la Nation. Il y en eut sur Menades : la liste sera donnée ci dessous. Une autre loi du 9 novembre 1791 avait mis dans.

(1) On sent dans cette lettre une très grande émotion.


48 NOTICE HISTORIQUE 88

la même catégorie les biens des émigrés. Pendant la période révolutionnaire, tous ces biens furent vendus par l'administration du district d'Avallon :

Ceux de l'abbaye de Cure, le 16 février 1791.

Ceux de la cure d'Island, le 28 mars 1791.

Ceux de la cure de Pierre-Perthuis, le 1er juillet 1791.

Une partie de ceux de la cure de Menades, le 22 août 1791.

Ceux de Domecy sur-le Vault, le 22 avril 1793.

La métairie du Collège d'Avallon, le 4 juin 1793.

Les terres de la Fabrique de Menades, le 3 décembre 1793.

Le reste des biens de la cure de Menades, le ler brumaire an V (23 octobre 1796).

Une partie des biens de' M. de Monfoy, émigré, le 27 thermidor an VI (14 août 1798).

Le reste des biens de M. de Monfoy, le 12 nivôse an VII (2 janvier 1799).

Dans le registre des délibérations du Conseil de Menades, on lit le renseignement suivant, très glorieux pour un enfant du pays :

Notice sur les services de Paul Auclerc, fils de Louis et de Jeanne Marcelot. Il est entré au service à l'âge de 18 ans, au 7e bataillon de la Marne, faisant partie de la 75e demi-brigade, en qualité de fusillier, le 15 septembre 1792, et y a servi jusqu'au 15 juin l803.

Il a été blessé à la bataille d'Aboukir, en Egypte, d'un coup de feu entre les deux dernières côtes du côté droit, dont il résulte une grande gêne pour la respiration. Sous les ordres du général Friant, son service effectif est de 9 ans 8 mois 20 jours, plus 9 campagnes de guerre.

J'ai, maire soussigné de la commune de Menades, dressé la présente notice sur la déclaration dudit Claude Auclerc et la représentation de ses papiers, que je certifie être celle qu'il m'a faite à la mairie, a Menades, le 22 juillet 1804. »

Et à la suite :

DÉPARTEMENT RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

de

L'YONNE LIBERTÉ ÉGALITÉ

6e Division Paris, le 27 prairial, an XI

de la République Française

RUREAU

des Pensions

Le chef de la 6e division du ministère de la Guerre au citoyen Auclerc (Claude), ex-fusillier à la 75e demi-brigade, résidant à Menades, arrondissement d'Avallon, département de l'Yonne.


89 SUR MENADES 49

Le ministre me charge, citoyen, de vous annoncer que, par arrêté du Gouvernement en date du 12 prairial an XI, votre solde de retraite est fixée à deux cent soixante seize francs vingt-cinq centimes, et qu'il vient d'autoriser le commissaire ordonnateur de la 18e division militaire à vous le faire payer dans la commune où vous résidez.

J'ai l'honneur de vous saluer.

Collationné par le chef du bureau. (Signature)

(Signature) N° matricule, 371

Pour copie conforme : Le Maire de Menades,

PANNETRAT,

Parmi les vicaires d'Island qui ont desservi Menades avant 1790, il en est deux, les abbés Louis philippot et Mathurin Chaulon, dont les noms devront rester dans le souvenir des paroissiens de Menades, parce que ce sont les noms de deux confesseurs de la foi.

L'ABBÉ LOUIS PHILIPPOT. Il signait les registres de Menades en 1758-1759.

A l'époque de la Révolution, il était curé d'Athie-sur-Montréal. Il a prêté serment à la constitution civile du clergé, car son nom se trouve sur une liste de prêtres assermentés communiquée par l'évêché d'Autun; mais, quand Pie VI eut condamné le serment, l'abbé Philippot dut se rétracter, puisque, en 1792, lors des décrets de proscription contre les prêtres non assermentés, il disparut de sa paroisse et se réfugia dans les environs. En 1794, il était à Faix, hameau de Sauvigny-le-Bois, où les gendarmes vinrent pour l'arrêter, dans une maison suspecte d'incivisme. Il y était en effet. Mais, la maîtresse du logis qui coulait sa lessive, avait aperçu la maréchaussée : « Vite, cachez-vous, Monsieur le Curé ; voici les gendarmes. » L'abbé Philippot ne se fit pas répéter l'avertissement ; il se blottit sous le cuvier qui était très grand et dans lequel, avec un sang-froid imperturbable, la brave femme continuait de verser des chaudronnées d'eau bouillante, pendant que toutes les chambres, tous les coins et recoins de la maison étaient explorés inutilement. L'abbé Philippot demanda aussi plusieurs fois l'hospitalité à la papeterie de Vesvres, dans la vallée du Cousain, au-dessous d'Avallon.

Vers la fin de 1795, il revint à Athie où sa signature se retrouve sur le registre paroissial. Il dut se cacher encore pendant les persécutions du Directoire ; mais, au rétablissement du culte, en 1803, il rentra dans sa paroisse à laquelle le nomma l'évêque de Troyes. Il y mourut le 9 avril 1804, à l'âge de 74 ans.

L'ABBÉ MATHURIN CHAULON. Après avoir été vicaire d'Island et desservant de Menades, dont les registres portent son nom en 1760,


50 NOTICE HISTORIQUE 90

l'abbé Chaulon était curé de Thisy, quand la Révolution éclata. Il refusa de prêter le serment constitutionnel et resta dans sa paroisse jusqu'au jour où un intrus, soutenu par la force publique, vint l'expulser de l'église et du presbytère ; cédant à la force, il se retira dans une maison particulière, et célébra les offices dans une grange que l'on montrait encore dans ces derniers temps.

Conformément au décret du 7 mai 1792, il fut arrêté et conduit dans la prison d'Auxerre ; son âge (62 ans) le sauva de la déportation, mais non des souffrances et des infirmités que sa longue réclusion lui fit endurer. Il adressa aux autorités centrales du département une réclamation émouvante contre le régime qu'il endurait et y joignit les certificats de médecins attestant que ce régime lui était mortel ; non seulement on ne lui répondit pas, mais on garda ses certificats.

Il était ainsi soumis à toutes les privations avec 75 ou 80 prêtres fidèles, dont plusieurs obtinrent, en 1799, leur liberté, à la condition qu'ils se soumettraient à la surveillance de la police. C'est ainsi que l'abbé Chaulon revint à Thisy, à la grande joie de ses paroissiens. Le 30 avril 1803, l'évêque de Troyes lui renouvela sa nomination ; seulement l'âge et les infirmités triompherent de son robuste tempérament; et il mourut, assisté de ses confrères voisins, le 28 septembre 1806, à l'âge de 76 ans.


91 SUR MENADES 51

TABLE DES MATIERES

Pages

AVANT PROPOS. Situation ; aperçu géologique du territoire ; le nom 1

CHAPITRE Ier. La préhistoire à Menades ; l'occupation romaine ; souvenirs de cette époque; les Barbares; situation du peuple 3

CHAPITRE II. Menades sous ses seigneurs ; les sires de Pierre Perthuis ; les habitants et leur église ; ce qu'ils faisaient pour elle ; les impôts qu'ils payaient aux seigneurs 9

CHAPITRE III. Sous les Toucy-Bazarnes, descendants des Pierre-Perthuis; rapports de ces seigneurs avec leurs suzerains ; reconstruction de l'église de Menades ; impots exagérés ; affranchissement partiel 19

CHAPITRE IV. Sous Geoffroy de Charny, allié aux ToucyBazarnes; les exploits de ce vaillant chevalier; il est gardien du Saint-Suaire ; il veut reprendre Calais par surprise ; trahi, il se venge cruellement ; il est tué à la bataille de Poitiers ; ce que devint la seigneurie 26

CHAPITRE V. Les Châlon Arlay, seigneurs de Menades ; La guerre avec l'Angleterre continue ; le traité d'Arras ne donne pas la paix à nos pays ; la lutte entre Louis XI et Charles le Téméraire 36

CHAPITRE VI. — Les de Sainte-Maure, seigneurs de Menades ; le Castel ; procès que soutint la famille de Sainte-Maure ; les habitants de Menades fortifient leur village ; la seigneurie est vendue 45

CHAPITRE VII. Sous Troilus de Vaux et ses descendants (?) ; pendant les guerres du Calvinisme et de la Ligue ; premiers troubles ; Menades durant le siège de Vézelay ; son clocher est brûlé ; ses remparts sont démolis 51

CHAPITRE VIII. Jean de Massol, puis sa veuve, née Josèphe Filzjehan, propriétaires de la seigneurie de Menades ; affranchissement de la main-morte; réparations à l'église; domaines enclavés dans le seigneurie de Menades 57


52 NOTICE HISTORIQUE 92

CHAPITRE IX. La famille Fyot alliée aux de Massol", droits féodaux revendiqués par l'un des propriétaires de Menades ; la justice; les desservants; le bon curé Guéniot; concession d'un banc à l'église ; fragment d'un compte 60

CHAPITRE X. Pierre Champion, seigneur de Menades ; comment les impôts étaient levés ; assemblée des habitants ; administration des biens de l'église 66

CHAPITRE XI. Mme d'Estut d'Assay, née de Bonin, achète la terre de Menades : acte d'aveu et dénombrement ; difficultés

avec l'administration du fisc d'alors 71

CONCLUSION 75

REMARQUE IMPORTANTE 77

APPENDICE. La période révolutionnaire 78


HISTOIRE D'UNE VIEILLE FONTAINE

(SAINT-FLORENTIN 1512-1859)

Par O. DEVOUGES Vice-président de la Société des Sciences historiques de l'Yonne

(Communication faite à la séance du 6 décembre 1925 de la Société des Sciences de l'Yonne)

Jadis, il y a plus de soixante ans, s'élevait à Saint-Florentin, au milieu de la petite place située au centre de la ville-haute, une curieuse fontaine, dont maints chroniqueurs d'autrefois, le baron de Taylor, Vaysse de Villiers et d'autres encore, ont signalé le grand intérêt artistique.

Du centre d'un bassin octogonal de pierre s'élevait un fût, aux faces gravées de ces longs caractères gothiques usités au commencement du XVIe siècle, qui, au dessus d'une large frise joliment sculptée, se terminait brusquement par un plateau de même diamètre, sans vasque, sans jet d'eau central, sans ornement, sans rien. Mais, de la frise, l'eau jaillissait de trois belles gargouilles de bronze, dragons au long col et aux grandes ailes étendues, et le tout présentait un réel cachet d'art.

C'était le temps, alors, ou dans la gentille petite ville si pittoresquement étagée avec ses vieilles maisons à pignons du milieu desquelles surgissait, gracieuse et élancée, sa jolie église de la Renaissance (1), mais qu'alimentaient seuls, à grands efforts de bras, quelques puits profonds aux eaux douteuses ; c'était le temps où tout autour de la fontaine le sol s'étendait, irrégulier, donnant cours, parmi les pavés « cahoteux », aux ruisselets du trop plein

(1) L'église (monument historique) fut construite du XVIe au XVIIIe siècles, sur un terrain vague dit « La Motte de la Tour », octroyé en 1357 par Charles V. Non terminée, elle ne comprend que le choeur avec jubé et le transept, mais les deux premiers seuls font déjà de cette église un des plus remarquables monuments de le Renaissance.


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du bassin, que les enfants, pataugeant dans ce déluge, cher chaient à régulariser par de savantes canalisations.

« Ce doux siècle n'est plus !» II y a quelque soixante ans, disons nous, en 1858, pour être plus exact, la fontaine était bien délabrée, l'eau était rare et aussi les finances municipales, car malgré ses gros marchés renommés,sa seule ressource d'alors, la petite ville n'a jamais été bien riche ! et voilà qu'un beau jour le maire s'avisa que, peut être, au lieu de dépenser en réparant, serait-il tout bénéfice de détruire et de vendre...

Déjà du reste, au mois d'octobre de l'année précédente, la démolition de deux beaux pilastres qui, à l'issue de la rue Dilo, marquaient l'emplacement de l'une des portes fortifiées de l'ancienne enceinte, avait exercé la monomanie de destruction des édiles d'alors : le maire s'était mis en goût !

Ce ne fut cependant pas sans de sérieuses oppositions qu'il en arriva à ses fins et les registres des délibérations du Conseil muni cipal de 1859 en font foi. Il y eut, entr'autres, de fortes protestations au sujet du sacrifice des trois dragons de bronze que d'au cuns voulaient, tout au moins, utiliser dans un nouveau monu ment en projet, mais rien n'y fit : pour 450 francs, les gargouilles furent vendues à un brocanteur de Sens, tandis que, sur la demande du directeur d'alors du Musée de Cluny, M. du Sommerard demande qui aurait bien dû ouvrir certains yeux, s'il n'eût été déjà trop tard ! les principales pierres de la colonne centrale furent gratuitement données en vue d'une réédification dans le jardin de l'historique hôtel, les autres étant abandonnées à tout venant (1).

Et c'est ainsi que, en entrant dans le jardin du célèbre musée, à droite de la porte de l'établissement et au milieu d'une plate bande, on peut voir encore la colonne en question, mais sans ses gargouilles, et supportant, malgré la promesse du directeur d'une reconstitution « aussi fidèle que possible. », la vasque d'une autre vieille fontaine, nullement florentinoise, — histoire, sans doute, d'épargner la place ! (2).

(1) A l'Inventaire du Musée de Cluny, en 1920, ce fût était ainsi désigné, sous le n° 230 : « Assises en pierre sculptée provenant de la fontaine de Saint FIo rentin (Yonne), chargées d'ornements courants et de caractères de style gothique. Données par le maire de Saint-Florentin en 1862 ». A l'inventaire général actuel (1925), le fût est inscrit sous le numéro 18.747.

(2) Cette réédification n'a pu être réalisée, comme le prouvent les textes, par la faute de la municipalité florentinoise d'alors, qui n'a donné aucun des renseignements et documents qui lui avaient été demandés. La vasque provient de Nogent sur Marne, d'où elle a été amenée en 1865.


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Quant aux gargouilles de bronze, rachetées ensuite par Cluny au brocanteur de Sens et reléguées, en attendant un meilleur sort, dans un magasin du musée, il a déjà été dit dans la séance du 3 décembre 1916 de la Société des Sciences, qu'à la suite de nos démarches personnelles auprès du directeur actuel du musée, M. Edmond Haraucourt, et grâce à l'empressement de celui-ci à provoquer, du Comité des musées et du Secrétaire d'Etat des Beaux Arts, un décret d'autorisation de dépôt au petit musée de Saint Florentin (1), ces vieux souvenirs étaient rentrés au pays qu'ils n'auraient jamais dû quitter. (Fig. 1).

Dans ce même musée, où seule une mosaïque, oeuvre d'un arti san florentinois qui l'avait présentée à l'Exposition industrielle d'Auxerre de 1893, rappelait jusqu'alors et peu exactement du reste, le petit édifice en question, figure aussi depuis quelque temps une grande lithographie encadrée, reproduction d'une gravure d'un magnifique ouvrage de la Bibliothèque Nationale, intitulé : Voyages pittoresques dans l'ancienne France, par le baron Taylor, Ch. Nodier et de Cailleux (Champagne).

Mais quelle différence entre le superbe monument que représente cette gravure et celui qu'ont connu nos contemporains ! entre ce bassin polygonal et ce fût servant de socle à une sorte de reliquaire, comme on en voit, au Trésor de la cathédrale d'Auxerre, — reliquaire à six panneaux formant autant de niches à des statuettes de saints et surmonté d'un clocheton terminé par une croix fleuronnée, et le simple « plateau sans ornements, sans jet d'eau, sans rien », dont il a été parlé plus haut, et dont l'image permet maintenant de comprendre le rôle! (Fig. 2.)

Serait ce donc oeuvre de pure imagination et de fantaisie comme on l'a prétendu, ainsi que nous le verrons plus loin, que ce dessin d'un monument dont toute la partie inférieure, tout au moins, est déjà si fidèlement représentée, telle que l'ont vue nos •contemporains, comme aussi ces gargouilles que tous, aujourd'hui, peuvent voir au musée de Saint-Florentin?

C'est le baron Taylor et ses collaborateurs qui, les premiers, viennent jeter un jour sur la question. «Dans le voisinage de l'église, « disent ils en effet, et au milieu d'une place irrégulière, s'élève « une jolie fontaine de style ogival, dont le bassin octogone reçoit « l'eau de la gueule de trois dragons en bronze. Le pilier central

(1) Décret du 2 décembre 1916.


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« était décoré de statues de saints et surmonté de la figure du « Christ. Nous donnons le dessin de ce petit monument, restauré « d'après une des verrières de l'Eglise » (1).

Et c'est encore un autre auteur, Vaysse de Villiers, qui dans son Itinéraire descriptif de la France (de la Bibliothèque Nationale) dit aussi : « Les vitraux de l'église sont bien conservés ; il en est sur « lequel est peinte la fontaine de la ville, telle qu'elle existait sur « la place publique, circonstance faite pour ajouter beaucoup « d'intérêt à ce monument gothique qui u'en manque pas d'ail« leurs par lui-même » (2).

La verrière citée dans ces ouvrages existe toujours et les Florentinois la connaissent bien. Située au dessus de l'entrée de la sacristie, elle n'est ni des plus belles ni des plus grandes parmi cette remarquable collection de vitraux, splendeurs de cette église de Saint-Florentin que, dans ses si intéressants Souvenirs de Bourgogne, Em. Montégut a qualifiée de « Maison de plaisance de Dieu », « tant elle est coquette et lumineuse, tant elle respire l'amour de l'art et le raffinement de l'esprit », mais elle est des plus intéressantes, cette verrière, au point de vue de l'histoire locale, car elle nous donne, sous forme d'emblèmes des litanies de la Vierge, une idée de ce qu'étainet quelques-uns des monuments d'autrefois.

Datée de MVXXV (3) et par conséquent l'une des plus anciennes de l'église (la première est de 1524), cette verrière est de peu postérieure à l'époque où, de 1507 à 1512, la seigneurie de SaintFlorentin appartenait à Gaston de Foix, roi de Navarre, jeune prince aussi célèbre par son courage guerrier que par son caractère généreux et son ardeur à suivre et à protéger ce mouvement artistique et littéraire que fût la Renaissance (4). (Fig. 3).

1) Baron Taylor, Ch. Nodier et de Cailleux. Voyages pittoresques dans l'ancienne France, 1820. édition de 1857, 17 vol. (B. N., L. 15. 28 in F°.. Champagne, page 415).

(2) Vaisse de Villiers. Itinéraire descriptif de la France et de l'Italie Route de Paris à Dijon par Tonnerre, 1817 (B. N., L. 25 26).

(3) Dans un cartouche, la verrière porte, en bas du panneau de gauche, l'inscription suivante : « Le XXV jour du mois de mars MVXXV, vénérable et discrète personne Gratien Chabrier, prêtre, a fait faire cette verrière en l'honneur de Dieu et de la Conception de la Vierge Marie. Priez Dieu pour lui et tous trépassez ».

(4) Après être passée par bien des mains : royales bourguignonnes, champenoises, etc., la seigneurie de Saint Florentin appartenait, en 1460, à Jacques d'Armagnac, duc de Nemours et cousin de Louis XI. Confisquée alors par celuici après que Jacques eût, en 1477, payé de sa vie, sur l'échafaud ses incessantes.


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Courte cependant fût la durée de cette seigneurie de Gaston qui, le 11 avril 1512, à 23 ans, après avoir gagné sur les Espagnols la célèbre bataille de Ravennes, fut tué en poursuivant les vaincus et ce fût particulièrement malheureux pour la cité florentinoise que, pour lui témoigner de son intérêt, le prince, dit l'histoire locale, s'était empressé d'embellir en ornant les portes dites de Saint Florentin et de Saint Martin (1) de ces statues équestres qui surmontent aujourd'hui, assez bizarrement du reste,

et rien ne prouve, bien au contraire, leur authenticité le magnifique retable du grand autel de l'église et en élevant, au milieu de la place centrale, la curieuse fontaine dont nous parlons aujourd'hui, réalisant ainsi un projet dont se préoccupaient déjà les édiles dès le début du XVe siècle (2). (Fig. 4.)

révoltes contre son roi, cette seigneurie fut revendiquée, en 1503, à la mort du dernier des enfants du rebelle, et sans souci de la confiscation royale, par Gas ton de Foix, roi de Navarre, duc de Nemours et vicomte de Narbonne, leur héritier. Louis XII, oncle de Gaston, qu'il aimait beaucoup, donna à son neveu, cette seigneurie et d'autres encore, par contrat du 19 octobre 1507. en échange du comté de Narbonne. Ce contrat fut, le 14 janvier suivant, enregistré par le Parlement de Paris, dont Saint Florentin ressortit alors, au détriment du bailliage de Troyes.

Mis, en 1512, à la tête de l'armée d'Italie, pour la conquête du Milanais, Gaston de Foix s'y signala si bien qu'il fût surnommé « le Foudre de guerre de l'Italie ». Après avoir gagné la bataille de Ravennes, il périt, en poursuivant l'ennemi, frappé de 15 blessures au visage. Son gouvernement de la seigneurie de Saint Florentin n'a donc duré que de 1507 à 1512.

(1) La porte « Saint Florentin », formée de deux tourelles réunies par une arcade et surmontée d'une statue équestre du saint, s'ouvrait sur le faubourg d'Andrecy, où est actuellement l'hôpital. Elle s'élevait entre la rue du Collège et la place Vérolot et fut démolie en 1783.

La porte « Saint Martin », située à l'extrémité de l'actuelle rue de ce nom, présentait aussi une statue équestre de ce saint (sans doute celle que l'on peut voir au musée,, entre deux figures d'homme et de femme qui reproduisaient les traits du père et de la mère de Gaston de Foix. Au dessus de la première étaient les armes de Foix et de Béarn. tandis que la seconde était surmontée d'une salaman dre sans couronne, emblème desseconds Valois. Cette porte fut détruite en 1704.

La porte « de Dilo » (Dei locus), située à l'extrémité de la rue du même nom, devait son appellation à sa proximité d'un prieuré voisin et non pas, comme on le croit, de la grande abbaye proche de la forêt d'Othe, qui fût détruite, sous le roi Jean, à l'approche des Anglais. Cette porte, jusqu'à sa destruction, en 1771. était surmontée d'une statue de la Vierge, très vénérée, qui avait été trouvée au fond d'un puits du prieuré.

(2) Camille Hermelin, Histoire de la Ville de Saint Florentin, première partie, page 225, (Travail publié dans le Bulletin de la Société des Sciences de 1 Yonne, T. LXVI, et en tirage spécial chez Plon et Nourrit, éditeurs. 1912), et Archives de la ville « Note de frais pour recherches d'eau », du 10 juillet 1410.


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Contemporaine des monuments dûs à la libéralité de Gaston de Foix (monuments dont, pour la fontaine en particulier, l'âge est justifié par les longues lettres gothiques du socle), cette verrière nous donne quelques documents. C'est, d'une part, dans le panneau de droite, une ville fortifiée (civitas Dei) avec tours et église centrale au clocher élancé et, en outre, une grosse tour fortifiée (turris Davidï) ; puis, d'autre part, dans le panneau de gauche, une porte, entre deux tours (porta coeli), surmontée d'une niche; un puits avec potence (puteus aquarum viventium) supportant poulie et corde ; et, enfin, la fontaine en question (fons hortornm) au bassin polygonal, et dont le fût, à trois gargouilles ailées, est surmonté d'un Christ très orné. (Fig. 5).

Tout cela, d'emblée, ne semble il pas avoir été inspiré à l'artiste verrier par ce qu'il avait ou avait eu sous les yeux ? Car enfin, quelque pays qu'il habitât, ne faut il pas admettre qu'il n'a pas composé le dessin du vitrail qui lui avait été demandé sans qu'il fût venu se rendre compte de l'emplacement, de la disposition et des dimensions de la baie qu'il devait décorer, et sans qu'il se fut inspiré alors des choses remarquables du pays ?

Reportons nous à ces anciennes vues de Saint Florentin, de la Bibliothèque Nationale, et particulièrement à celle de 1611, la plus exacte certainement, bien que postérieure, dont Joachim Duviert fût l'auteur et dont on peut voir une reproduction à la mairie de St-Florentin (Fig. 6): la civitas Dei du vitrail ne nous rappelle-t-elle pas, avec ses murailles et ses tours, et surtout détail très caractéristique cette église au clocher élancé qui les domine de si haut, la petite cité florentinoise de cette image et n'en est-il pas de même de la porta coeli avec ses deux tours rappelant la porte de « Saint-Florentin » si nettement visible sur ce même dessin? Qu'est-ce donc aussi que cette fontaine polygonale, cette fons hortorum, avec son fût aux trois dragons ailés, surmonté d'un Christ, si ce n'est (le Christ excepté), l'exacte reproduction de ce qu'ont pu voir encore les Florentinois de 1858 ? Et pourquoi alors, le dessin de l'ouvrage de Taylor dont j'ai parlé plus haut, qui reconstitue dans son entier, et d'après le vitrail, le petit monument qui fait l'objet de cette notice, serait-il apocryphe ?

Cette opinion fût cependant fort controversée, il n'y a pas trop longtemps, et par l'un de nos plus réputés collègues de la Société des Sciences, M. Charles Moiset, et par un membre de l'Institut, professeur en Sorbonne, M. Alfred Espinas, et le premier a été jusqu'à écrire ceci dans l'Annuaire de l'Yonne de 1895, à propos justement de cette vue de 1611, citée plus haut :


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« Pénétrons au coeur de la ville : là, se trouve une place au « milieu de laquelle se dresse une fontaine, spécimen bien réussi « de la Renaissance, composée d'une colonne portant des ins« criptions en lettres gothiques et ornée de trois dragons de « bronze qui jettent l'eau dans un bassin. Cette fontaine, au lieu « d'être simplement consolidée ce qui était faisable a été « par malheur démolie, en 1859, pour être remplacée par un « affreux champignon qui, Dieu merci, vient de disparaître. Pour « comble d'hérésie esthéthique, on n'a même pas pris soin, avant « la destruction, d'en faire un croquis. Les pierres ont été dissé « minées et employées à de vulgaires usages. Il n'en est resté que « deux ou trois qui, au bout de quelques années, ont été envoyées, « sur la demande de son directeur, au musée de Cluny, où elles « sont encore. M. du Sommerard, qui connaissait cette fontaine, « avait formé le projet de la reconstituer dans les jardins de « Cluny. Il avait même, par prévision, racheté les trois dragons « que la ville avait vendus à un brocanteur. Mais il lui fallait, « pour réaliser cette oeuvre de restitution, avoir des renseigne « gnements précis, qu'il a demandés à plusieurs reprises et qu'on « n'a pu lui fournir, parce que aucun plan ni aucune mesure « n'avaient été conservés. Voilà comment notre petite ville s'est « trouvée destituée de l'honneur d'occuper une place dans le « célèbre musée. Dans notre infortune, bienheureux encore « sommes-nous qu'on n'ait pas pris le change en élevant une « fontaine d'après un dessin contenu dans un album édité par le « baron Taylor, je crois, dessin auquel on a donné intrépidement « pour titre : Fontaine de Saint Florentin. La fontaine que repré« sente ce dessin existe bien ici, mais ne nous y trompons pas. « elle n'existe qu'en peinture, sur l'une des verrières de l'église « qui a pour sujet : la conception de la Vierge. C'est un emblème « emprunté aux litanies de la mère du Christ. Mais cet emblème « ne rappelle en rien l'ancienne fontaine de notre place, celle « pour laquelle la ville a vendu, au siècle dernier (en 1723) ses « 18 canons et ses 11 chaînes de rues, demandé au Conseil du roi « le rétablissement, à son profit, de la seconde moitié de l'octroi « sur les vins vendus au détail, dont elle jouissait autrefois, et, de « plus, la concession d'un nouveau droit de 15 sols par muid « tant sur les vins du cru que sur les vins étrangers entrant dans « la ville. De grâce, pas de quiproquo ! »

« L'emblème ne rappelle en rien, dit M. Moiset, l'ancienne fontaine de la place de Saint-Florentin ! » Une telle affirmation, sous une telle plume, serait vraiment incompréhensible pour qui n'a


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pas connu le caractère de son auteur, et c'est à se demander si celui ci a réellement vu la verrière qui porte l'emblème en question, puisque « emblème » il y a ? Que sont donc, encore une fois, le bassin polygonal et surtout les trois dragons ailés du susdit emblème, si ce n'est la reproduction de la partie principale de la fontaine que M. Moiset, comme tous ses contemporains, a bien connue, et pourquoi alors, celle de la partie supérieure, parce qu'il ne l'a pas vue, de ses yeux vue, en réalité, ne serait elle également possible ? Est ce donc parce que tout cela figure sur un vitrail d'église, « édifice » dans lequel M. Moiset il le dit quelque part, dans le même article, « n'avait pas à pénétrer », que l'exactitude en doit être méconnue ?

Et cependant l'autre critique de la question que fût M. Espinas, dans une étude sur la Population de Saint-Florentin au moyen âge, n'a t il pas écrit, lui, à propos des remparts de la ville (1) : « Il est probable que la verrière de l'église où sont figurées les litanies de la Vierge représente une de ces tours et l'ensemble des fortifications, la tour serait turris Davidi et l'ensemble Civitas Dei » et, plus loin, dans le même article : « Les vitraux de l'église de Saint Florentin nous montrent les charrettes sur lesquelles on transportait alors les produits agricoles » ?

Quelle contradiction entre ces deux érudits qui avaient entre eux cependant de si intimes relations, et lequel devons nous croire, du licencié en droit, ancien secrétaire général de la préfecture en 1870-1871, auteur d'études nombreuses, mais parfois, hélas! quelque peu superficielles, ou du professeur en Sorbonne, auteur desavants ouvrages d'économie sociale et porté par ses études philosophi ques mêmes à ne rien admettre sans raison ?

Mais, dira-t-on, si un Christ surmontait réellement notre fontaine au XVIe siècle, qu'est il devenu depuis et pourquoi, nulle part, ne trouve-t-on trace de son existence ? et c'est là, nous devons l'avouer, la plus grosse objection qu'on puisse nous opposer. Nous avons consulté, en effet, bien des personnes compétentes, fouillé dans maints vieux écrits, appelé à la rescousse un bien cher ami d'enfance, C. Hermelin, notre ancien et si regretté

(1) Alfred Espinas, la Population de Saint Florentin au moyen âge (Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne, 2e semestre, pages LIX (notes) et LXII)


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■collègue, auteur d'une très documentée histoire de Saint-Flo rentin, que la mort, bien malheureusement, ne lui a pas permis de terminer, et de tout cela... rien !

Un historien local, Jacob Moreau de la Plante, qui « naquit, vécut et mourût à Saint Florentin », de 1653 à 1726, dans ses « Recherches sur les antiquités de Saint-Florentin », où il décrit « minutieusement » les portes et les tours de la petite cité, son église et les statues équestres du maître-autel statues qui, donc, étaient déjà installées, etc., « ne souffle mot de la fontaine » (1) ; mais n'est ce pas là un simple oubli, bien qu'extraordinaire, car si le Christ n'y était plus, le gros du monument et ses dragons existaient encore et cela seul eût dû permettre à Moreau de la Plante d'éviter cette lacune ? De cela, en tous cas, ne devons-nous pas inférer qu'à l'époque de la seconde moitié du XVII e siècle, la partie supérieure du petit édifice avait déjà disparu ?

Comment et pourquoi? c'est ce qu'il faut rechercher mainte nant.

Or, si nous savons déjà, d'une part, que la fontaine a été très certainement construite avant 1525, sous la seigneurie, de 1507 à 1512, de Gaston de Foix, nous apprenons d'autre part, par des notes des archives de Saint-Florentin, que dès le XVIIIe siècle l'inscription en caractères gothiques du socle avait été en grande partie mutilée au point d'avoir été rendue indéchiffrable. C'est donc entre ces dates limites, de 1500 à 1700, qu'il peut être possible de trouver une solution de la question et qu'il faut la chercher.

Que s'est-il donc passé dans la région, en ce laps de temps ?

S'il suffit de simplement signaler les sièges que supporta, après tant d'autres et toujours victorieusement, la petite forteresse florentinoise, d'abord en 1544, contre Charles Quint, et en 1636, contre un parti d'Espagnols, de reîtres et de Lorrains, puis quelques contre coups de la Ligue et de cessions de la seigneurie traitée trop souvent comme une quelconque denrée commerciale, — ces faits ne semblant pas avoir pu entraîner la disparition du couronnement artistique de notre fontaine, — il n'en est plus de même pour ce qui s'est passé de 1562 à 1594, pendant la triste période des guerres de religion.

Bien que, en effet, la grosse majorité des habitants fût demeurée fidèle, durant toute la durée de ces guerres civiles, à la reli(1)

reli(1) C. Hermelin (personnelles) des 19 octobre et 21 décembre 1915.


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gion de ses pères, la population comptait cependant quelques centaines d'adeptes des idées nouvelles, indigènes ou non. Dès le début des troubles, ces protestants, nous dit l'histoire locale furent « forcés de fuir devant une véritable explosion de piété catholique », mais ils revinrent après la prise d'Auxerre (1567) et les florentinois, si terrorisés par les nouvelles des environs qu'ils se cachaient dans ces souterrains qui, de même qu'à Auxerre formaient un réseau de galeries sous les rues et les maisons, ne purent les empêcher d'envahir peu à peu leurs demeures, puis, à la suite du siège de Sens, d'y établir un détachement de 200 gens d'armes et de 300 arquebusiers, que, seule, une puissante attaque de l'avant-garde royale pût déloger définitivement et rabattre sur Pontigny qu'il pilla (1568).

A la suite de ces événements, Saint Florentin put jouir d'une tranquillité relative au milieu de l'immense émotion causée par les massacres de la Saint Barthélemy (1572), mais ce ne fut pas pour longtemps, car le traité de Bergerac (1577) qui venait de mettre fin à la sixième guerre, fut, pour ses habitants, la cause d'autres inquiétudes. En effet, n'étant plus utilisés dans les armées royales, un ramassis d'aventuriers, ramenans de guerre, ribauds sans foi ni loi comme sans discipline, habitués à vivre de rapines et de brigandages, erraient dans les campagnes. Recrutés à nouveau par les capitaines du duc d'Anjou pour soutenir les Pays Bas révoltés contre l'Espagne, une horde de 1200 de ces hommes vint hiverner auprès de Saint-Florentin, y répandant si bien la terreur que Henri III dût envoyer contre eux le comte de Tavannes qui les défit et fit mettre à mort les plus criminels, et que, cela ne suffisant pas à les réduire ni à arrêter leurs forfaits, des troupes de Champagne et de Brie durent à leur tour les traquer comme des bêtes sauvages (1).

Tous ces faits ne furent pas sans semer dans les esprits floren tinois de mauvais exemples et des germes nocifs, et nous en voyons la preuve dans la nécessité qui s'imposa à l'archevêque de Sens d'envoyer, en 1620, pour les combattre, une mission de Capucins, mission qui se transforma bientôt, du reste, en un établissement définitif.

A la réflexion, tout cela n'entraîne t il pas tout au moins celte

(1) Ouvrages : Duruy, Histoire de France : Challe, Histoire de l'Auxerrois (1878) ; Pigeory, Histoire de la ville de Saint Florentin (1850) ; Hermelin, Histoire de Saint-Florentin (1912).


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très grande probabilité que, au milieu de ces troubles et de ces dévastations, il ne fût nullement impossible, bien que rien ne nous en soit parvenu, qu'à Saint-Florentin comme ailleurs, des destructions aient été commises, parmi lesquelles celles des sujets religieux de la fontaine ?

En effet, si les protestants florentinois furent, bien que du pays, forcés de fuir devant une explosion de réprobation, ne serait ce pas à la suite de quelque mauvaise action ? et, plus tard, ne pouvons nous accuser également tous ces aventuriers dont il vient d'être question, capables de tous les méfaits et de toutes les dévastations, et même aussi certains habitants du pays, fâcheusement influencés ?

Et si nous nous rappelons, d'autre part, que l'état même du monument tel que nous l'avons vu, avec son lût incomplet et son aspect de socle attendant un couronnement, indiquait suffisant ment qu'il avait dû être décapité, quel pouvait être, de la part de tels gens, l'objet de cette mutilation si ce n'est le Christ entouré de saints qu'indique le vitrail de l'église et que représente la gra vure de la Bibliothèque Nationale?

Mais, dira-t-on, Moreau de la Plante, dans ses recherches sur les antiquités de Saint-Florentin, ne mentionne même pas la fontaine ! Simple oubli sans doute, répétons le, et qui n'aurait juste ment pas eu lieu si le monument, dans sa beauté complète, se fut imposé davantage à l'attention de l'historien. Et, du reste, la reproduction du vitrail ne nous montre t elle pas et les gargouilles de bronze et la frise sculptée du fût, telles que nous pouvons les voir au musée de Saint-Florentin et à celui de Cluny ?

Encore une fois donc, puisque le maître verrier a pu et cela, ne l'oublions pas, quelques années seulement après la construc tion de la fontaine et alors que, toute récente, elle occupait toujours les esprits de nos ancêtres, puisque l'artiste a pu reproduire presque exactement la partie de l'édifice que nous avons connue, pourquoi n'aurait-il pas agi de même pour le couronne ment et l'aurait il inventé, alors qu'il ne l'a fait ni pour le bassin, le socle et les dragons, ni pour les autres représentations de l'enceinte et de l'une des portes de la ville ? Faudrait-il donc croire à une miraculeuse coïncidence ?

Qu'est il d'étonnant, du reste, à trouver dans une simple fontaine tout l'art dont témoignait la nôtre et qui devait en faire une des plus remarquables de la Renaissance, quand nous savons qu'elle fût édifiée tout à côté de la coquette église que nous


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voyons encore, en même temps qu'elle, et cela à une époque où partout se réveillait le culte et des arts et des lettres ?

La question semble donc tranchée et tout cela ne peut que nous faire regretter davantage l'impéritie de la municipalité florentinoise de 1859 qui, insoucieuse de l'exemple donné par ses devancières de 1719 et 1763(1) pour l'entretien de la fontaine, sourde aux observations et aux réclamations de quelques-uns de ses conseillers et enfin comble de légèreté! ne prenant même pas le soin de conserver quelques croquis ou photographie du monument condamné, le fit détruire pour en vendre, à des conditions dérisoires, les parties artistiques.

Heureux devons nous donc nous considérer de l'intervention

qu'on nous permettra de rappeler encore en terminant— du directeur d'alors du Musée de Cluny, M. du Sommerard, qui, en 1862, racheta au brocanteur les beaux dragons de bronze n'est-ce pas, une fois de plus, en dire la valeur ? et se fit donner, par le Maire, les pierres les plus ornées du fût, le tout dans l'intention, s'il eût pu obtenir de la municipalité les documents et renseignements nécessaires, de réédifier la fontaine, « aussi fidèlement que possible », dans le jardin du musée.

Heureux devons-nous être aussi de la bienveillance du directeur actuel de Cluny, M. Ed. Haraucourt, et de son intervention dont nous devons le remercier encore, qui a permis le retour à leur lieu d'origine de ces pièces artistiques, souvenirs précieux de la vieille cité.

Remplacée l'année même de sa démolition et non, nous le répétons, sans de sérieuses objections ou protestations de quelques conseillers municipaux — par cet autre monument (?) élevé sur réservoir souterrain, que M. Moiset, dans la citation faite plus haut a si justement qualifié d' « affreux champignon », la fon taine primitive le fût de nouveau, en 1895, à la suite d'une souscription publique mais non sans de grandes discussions (2), par le petit édifice de style plus industriel qu'artistique que l'on voit

(1) 1° Autorisation, du 17 octobre 1719, signée Louis et contresignée Phély peaux de la Vrillière. de vendre canons et chaînes pour la réparation de la fontaine , 2° Devis, de 1763, pour la reconstitution de la fontaine et le nettoyage ■des « dragons » . 3e Plan de 1766 (archives de Saint Florentin.

(2) Cette souscription a été ouverte sur l'initiative et par les soins de M. Auguste Devouges. ancien greffier d'instruction à Paris.


13 HISTOIRE D'UNE VIEILLE FONTAINE 65

aujourd'hui. Mais alors que l'approvisionnement d'eau de la ville n'était assuré et combien peu! que par une source située au pied de la colline « des Conches », à un kilomètre de la ville, et, en même temps, par la petite source du jardin de « la Cornue » et par quelques puits très profonds ne donnant qu'une eau très calcaire, la fontaine d'aujourd'hui et vingt bornesfontaines réparties dans différents quartiers, fournissent, depuis l'inauguration du 1er mars 1890, après les études de 1884 et grâce à un sacrifice pécuniaire, énorme pour les maigres ressources florentinoises, de 262.000 francs, l'eau abondante et saine de la source de « la Sourdiote », près Sormery, à 9 kilomètres. (Fig. 7). C'est sur ce renseignement que nous terminerons cette notice. — Sauver de l'oubli un intéressant monument en rappelant son histoire aux amants des vieilles choses de notre région ; satisfaire la curiosité des visiteurs du petit musée florentinois au sujet des belles gargouilles de bronze qu'il conserve, tel a été notre but. Qu'on veuille bien nous pardonner tant de pages pour un si minime objet, en songeant qu'elles ne sont, après tout, qu'une manifestation d'un sentiment aujourd'hui, trop affaibli : l'amour du pays natal !



LES MAITRES BOULANGERS D'AUXERRE

Par M. LOISEAU (1)

EDITS ET REGLEMENTS GENERAUX

Nombreux sont les Edits et Règlements qui ont constitué et régi les anciennes corporations et communautés d'arts et métiers (2).

Par l'édit d'avril 1777, les communautés d'arts et métiers ci devant établies dans les villes du ressort du Parlement de Paris ont été abolies, et il en a été créé de nouvelles dans celles des villes dont l'état est annexé à l'Edit.

La ville d'Auxerre a dû figurer dans cet état, car il existait des Jurandes à cette époque.

Mais il n'en fut pas de même de la ville de Sens qui obtint son autorisation par Lettre-Patente du 6 février 1778, enregistrée au Parlement le 27 mars suivant.

Les communautés invitées à établir de nouveaux statuts et règlements ne firent aucune diligence ; elles étaient trop attachées aux anciens usages. Alors un règlement général fut établi par la Déclaration du Roi du 1er mars 1782, enregistré au Parlement le 28 juin suivant et publié dans les comtés d'Auxerre, Barsur-Seine et Maçon.

Aux termes de ce règlement général, les apprentis qui aspiraient à devenir maître devaient figurer aux registres de la communauté.

Et pour être reçus maîtres ils devaient justifier de leur apprentissage et, s'ils voulaient exercer dans une autre ville, justifier en plus qu'ils avaient travaillé un an dans cette ville.

Toutefois, les aspirants qui avaient plus de vingt-cinq ans et qui ne rapportaient pas de brevet d'apprentissage pouvaient être

(1) Certains documents m'ont été procurés par M. Coutnrat, ancien notaire notre collègue, à qui j'exprime ma gratitude.

(2) A citer notamment ceux de Philippe-le-Bel, Louis XI, Henri III, Henri IV, Louis XVI.


68 LES MAITRES ROULANGERS 2

reçus maîtres en justifiant qu'ils avaient travaillé pendant un an chez un des maîtres de la communauté dans laquelle ils voulaient être admis.

La maîtrise n'était accordée qu'en justifiant de la capacité en présence des syndic et adjoint de la communauté et de trois autres maîtres tirés au sort, lesquels les interrogeaient sur le métier ou la profession et les faisaient travailler devant eux si c'était un art mécanique.

Dans chaque communauté il était dressé, tous les ans, un tableau contenant les noms des maîtres par ordre d'ancienneté et ceux de leurs apprentis.

Chaque communauté avait un syndic et un adjoint pour veiller conjointement à l'administration des affaires, à la recette et à l'emploi des revenus communs, à la police intérieure et à la conduite des apprentis. Ils exerçaient leurs fonctions deux années, la première comme adjoint et la deuxième en qualité de syndic.

Les communautés, composées de vingt cinq maîtres au plus, pouvaient s'assembler en commun. Mais les communautés plus nombreuses devaient être représentées par dix députés avec des formalités spéciales.

Elles ne pouvaient faire aucun emprunt de quelque nature que ■ce soit sans y être spécialement autorisées par Lettre-Patente dûment enregistrée.

Il était défendu de faire aucun présent sous prétexte de confrérie, ni pour quelque cause que ce soit, sous peine de concussion.

Egalement, il était défendu aux apprentis, compagnons et ouvriers, de s'assembler en corps sous prétexte de confrérie, et de quitter leurs maîtres avant l'expiration de l'engagement.

D'autre part, les patrons ne devaient pas prendre des apprentis, compagnons et ouvriers, sans congé écrit ou la permission du juge de police.

Les anciennes corporations et communautés d'arts et métiers ont existé à Auxerre depuis un temps immémorial. Des statuts de la communauté des maîtres apothicaires ont été confirmés par Lettres Patentes de : Henri III (juillet 1577, et plus tard par Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.


3 D'AUXERRE 69

LETTRES DE MAITRISES ET ACTES DE RÉCEPTION CONTRATS D'APPRENTISSAGE

Le métier de boulanger est de peu antérieur à Charlemagne.

Il ne fut jamais libre : son organisation fut toujours liée intimement à l'ordre public.

On eut les fours banaux et seigneuriaux et les boulangers qui achetaient du grand panetïer du Roy le droit d'exercer.

Vinrent plus tard les maîtres boulangers investis par lettres de maîtrise ou reçus par les jurés après avoir produit un chefd'oeuvre.

Dès 1500, on trouve des maîtres boulangers à Auxerre.

Le nombre des boulangers ne fut guère limité que pour Paris. Mais ils ne pouvaient exercer sans réception ou autorisation. En voici quelques exemples :

Par lettre de maîtrise du 30 décembre 1654, Louis, roi de France et de Navarre, « établit Jean Couturat maître boulanger pour « exercer comme les autres maîtres reçus par chef-d'oeuvre, et « assister aux invitations et assemblées qui se feront au corps « dudit métier pour entrer en son ordre à la Jurande ainsi que « les autres maîtres reçus par chef d'oeuvre, mais sans l'astreindre « au chef-d'oeuvre ni à aucune épreuve, payer banquets et fes« tins, droit de confrérie et de bouette ».

Par autre lettre de maîtrise du 10 juillet 1660, Louis, roi de France et de Navarre « établit Hubert Le Main maître du métier « de boulanger en la ville d'Auxerre avec droit d'assister aux « invitations et assemblées pour entrer en son ordre à la Jurande « ainsi que les autres maîtres reçus par chef-d'oeuvre, sans l'as« treindre audit chef-d'oeuvre ».

Aux termes d'un acte dressé par le conseiller du Roy, à Auxerre, le 18 décembee 1682, avec l'assentiment des maîtres boulangers jurés, « Edme Couturat, fils de défunt Jean Couturat, bou « langer, est reçu à la maissoire de boulanger sans avoir fait le « chef-d'oeuvre prescrit, ayant promis de tenir boutique ouverte « en la ville d'Auxerre et faubourgs pour vendre le pain bis, « blanc et mollet ainsi que les autres maîtres, et d'observer les « statuts et les ordonnances et règlements de police ».

Un autre acte du conseiller du Roy, du 12 janvier 1719, constate la réception de maître boulanger de Joachim Couturat, fils de


70 LES MAITRES BOULANGERS 4

Edme Couturat, avec l'agrément des maîtres jurés et après avoir fait le chef-d'oeuvre en leur présence.

Enfin, un acte dressé par le conseiller du Roy, le 7 juin 1774

constate la réception de Pierre Couturat, fils de Pierre Couturat, comme maître boulanger, après avoir fait le chef d'oeuvre en présence des maîtres jurés.

La famille des Couturat, qui comptait déjà un maître boulanger le 6 avril 1596, a continué le métier de boulanger jusqu'en 1859. Belle tradition de successeurs de père en fils !

Une famille Prudot donne aussi un certain nombre de boulan gers au XVIIe et au XVIIIe siècle.

C'est que la profession fut recherchée et considérée.

L'apprentissage du métier de boulanger était réglé par les usages et l'autorité ; il existait aussi des contrats privés ou authentiques. M. Eugène Drot, dans son Recueil de Documents tirés des anciennes minutes des notaires, paru dans le Bulletin de la Société des Sciences, signale des contrats d'apprentissage en 1508, 1521 et 1586.

ANCIENS RÈGLEMENTS DE POLICE ET MUNICIPAUX

MM. Thierriat, Prévôt d'Auxerre, Mazangard, Président au Présidial d'Auxerre, Délié, conseiller au Présidial, maire de la ville d'Auxerre, et autres officiers de ladite Prévôté du corps de ville, juge politique pour les ventes et distributions de pain tant bis que blanc et mollet pour la fourniture de la ville, ont arrêté au bureau de police, le 6 avril 1596, que » lorsque le bichet de « bled froment se vend dix huit, dix neuf et vingt sols le pain « blanc du poix d'une livre trébuchant qui est seize à dix sept « onces bien pâté, non imbû, bien cuit, bien blanc, sera vendu « sept deniers. Et le pain bis quatre deniers, qui est un liard « moins

« 51, 52, 53 et 54 sols 17 deniers

« 55, 55, 57 et 58 sols 18

« 59, 60, 61 et 62 sols 19

« 63, 64, 65 et 66 sols 20

« 67, 68, 69 et 70 sols 21

« 71, 72, 73 et 74 sols 22 —

« 75, 76, 77 et 78 sols 23

« 79, 4 1iv., 4 1iv. 1 s., 4 1iv. 2s. 24

Ce règlement de 1596 fut longtemps appliqué, mais non sans


5 D'AUXERRE 71

des difficultés entre la communauté des boulangers et les officiers municipaux de la ville d'Auxerre. Et il est intervenu différents arrêts de la Cour du Parlement de Paris.

Un arrêt du 13 avril 1753 ordonna que « lorsque le plus bean « froment du marché vaudrait 3 livres 19 sols 4 deniers, 4 livres « 1 sol et 4 livres 2 sols le bichet, le pain blanc serait taxé « 24 deniers la livre, le pain bis 3 deniers au dessous du pain « blanc et le pain mollet 3 deniers au dessus dudit pain blanc, « non compris 3 deniers d'octroi, et que le pain serait augmenté « ou diminué d'un denier par livre à mesure que le blé augmen« ferait ou diminuerait de 4 sols par bichet ».

En 1773, la communauté des boulangers d'Auxerre présenta une requête à M. Baudesson, ancien Elu général des Etats de la Province de Bourgogne, maire perpétuel et juge de police de la ville, faubourgs et banlieue d'Auxerre :

« Attendu que le plus beau froment valait au marché d'Au« xerre, le 19 mars 1773, 6 livres 14 sols, 6 livres 15 sols, 6 livres « 16 sols et 6 livres 18 sols le bichet, et conformément au règle« ment et à l'arrêté précités, la taxe devait être pour le pain blanc « 38 deniers la livre, le pain mollet 41 deniers et le pain bis 35 « deniers, car tout était triplé depuis 1596 et chaque artisan « devait attendre de son travaii de quoi subvenir ».

De son côté, Monseigneur l'Intendant de Bourgogne écrivait que Monseigneur le contrôleur général se plaignait qu'il n'y avait aucune proportion entre le prix du pain blanc et celui du blé froment, lequel, d'après l'essai adopté à Paris que toutes les expériences avaient confirmé, ne devait être vendu qu'un denier par livre numéraire du prix du septier de blé, mesure de Paris, outre la manipulation, et que le prix du pain des qualités inférieures devait différer de 6 deniers — il avait donné l'ordre de procéder incessamment à une taxe conforme à cette proposition.

Conformément aux conclusions du Procureur-syndic Leblanc et aux motifs y détaillés, et par ordonnance de M. Baudesson, maire, du 21 mars 1773, la dernière taxe faite, le 13 février 1773, a été suivie.

A la suite des expériences faites sur l'art de la boulangerie, en 1783, les frais du boulanger ont été fixés, à Paris, à 4 et 1/4 de denier par livre.

En général, les règlements en remontant jusqu'à 1757 autorisaient la fabrication de trois qualités différentes de pain dont le poids et la forme étaient déterminés.


72 LES MAITRES BOULANGERS 6

FETE DE SAINT-HONORE — INSIGNES

Tous les corps de métiers eurent leur patron protecteur avec des insignes toujours pompeux, tel l'écusson des boulangers de Touraine qui portait sur fond d'azur un saint Honoré tenant une pelle à four, d'argent, chargée de trois paires de gueule.

Certains boulangers portaient des boucles d'oreilles avec aes compas ou des coupe pâtes.

Naguère encore, on fêtait à Auxerre la Saint-Honoré : le 16 mai de chaque année, dès le matin, les apprentis attachaient un bouquet à la boutique du maître boulanger qui donnait la pièce.

Et, dans la journée, les maîtres de leur côté et les apprentis du leur se réunissaient en un banquet copieusement arrosé par les bons vins du pays.

APRES LA SUPPRESSION DES CORPORATIONS

La Révolution de 1789 supprima les corporations, maîtrises et Jurandes ; elle proclama que désormais il serait libre à toute personne de faire tel négoce et d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouverait bon (Lois des 2 et 17 mars 1791 et des 14 et 17 juin, même année).

Dans cette suppression, fut naturellement comprise la corporation des boulangers.

Mais le pain étant la base première de la nourriture sa fabrication et sa vente restèrent toujours soumises à la sollicitude et à la vigilance de l'autorité.

On imposa aux boulangers des déclarations et autorisations préalables pour exercer leur profession, et prescrivant des mesures pour les dépôts de blé et de farine et la fabrication et la vente du pain.

C'est surtout pendant les années de disette et les périodes troublées que les législateurs et l'Autorité eurent à intervenir.

La disette de grains se fit sentir à Auxerre, en 1789 : Plusieurs boulangers ne cuisaient plus parce que les grains leur manquaient et les autres étaient réduits au 1/4, tout au plus au 1/3 de leurs cuissons ordinaires. Le corps municipal et les membres du Comité y réunis, vivement touchés de la désolation générale, par délibération du 2 octobre 1789, proposèrent aux citoyens de la ville et


7 D'AUXERRE 73

à cenx des habitants des villes et des paroisses voisines, une souscription patriotique à titre d'emprunt, sans intérêt, à l'effet de procurer les fonds nécessaires à l'approvisionnement jusqu'à ce que la liberté de la circulation, parfaitement rétablie, ait ramené l'abondance dans les moulins.

Cette délibération a été ratifiée par l'assemblée générale des habitants le 18 octobre 1789. Et les grains achetés furent portés à la halle et délivrés suivant les besoins.

D'après un compte daté du 17 août 1791, le Directoire du département arrêta la recette de la souscription patriotique à 23.072 livres, 16 sols, 6 deniers, et la dépense à 28.633 livres, 10 sols, 9 deniers, d'où un excédent de dépenses de 5.560 livres, 14 sols, 3 deniers. Et la municipalité remboursa les souscriptions en 1792.

La loi du 22 juillet 1791 autorisa les maires de toutes les communes à taxer le prix du pain, c'est-à-dire à fixer un prix maxi mum au-delà duquel il ne peut être vendu sous peine de contra vention punissable.

En 1793, la Convention établit la loi du maximum.

En l'an III, à Paris, la distribution du pain par les boulangers se fait sur les cartes délivrées aux citoyens par leurs sections, chaque citoyen vivant du travail de ses mains reçoit une livre et demie de pain, tous les autres, de quelque âge et de quelque sexe qu'ils soient reçoivent une livre.

Auxerre fut également divisé par sections et par quartiers avec affectation d'un boulanger par quartier, et chaque livraison da pain était mentionnée sur la pancarte délivrée à chaque famille.

L'année suivante, on revint au système libéral.

Le 19 ventôse, an VI, les membres de l'Administration centrale du département de l'Yonne arrêtent ce qui suit .

« 1° On emploiera pour la taxe du pain le prix du blé de pre« mière qualité ;

« 2° Les frais et la main d'oeuvre du boulanger seront comptés, « pendant le cours de l'an VI à six deniers de pain et ainsi conti« nuer jusqu'à ce qu'il y ait une variation sensible dans le prix « du bois et de la main-d'oeuvre ;

« 3° On comptera pour un quintal de grain 100 livres de pain « dont 50 livres pain blanc et 50 livres pain bis ;

« 4° Le prix du pain blanc sera taxé à 6 deniers au dessus du « pain bis ;

« 5° La taxe du pain sera changée toutes les fois que le blé « augmentera ou baissera de 20 sous par quintal. La taxe sera


74 LES MAITRES BOULANGERS 8

« alors augmentée ou diminuée de 3 deniers par livre sur le pain « blanc et de 3 deniers par livre sur le pain bis, lesquels 3 deniers « font le quart d'un sou comme 25 est le quart du quintal ;

« 6° La taxe de pain restera la même tant que le prix de la « mercuriale pour le froment de première qualité ne sera pas « augmenté ou diminué de 12 sous 6 deniers par quintal;

« Mais lorsque le prix porté à la mercuriale pour le froment de « première qualité sera de 12 sous 9 deniers au dessus ou au« dessous du prix de la dernière taxe le pain sera augmenté ou « diminué de 3 deniers par livre de pain blanc et de 3 deniers par « livre de pain bis ».

Avant l'établissement du système décimal il était d'usage, à Auxerre, que les pains blancs fussent fabriqués d'après le poids de marc ou ses multiples ainsi qu'il suit, savoir : 1/2 livre, 1 livre, 2 livres, 4 livres. Le poids du pain bis-blanc a toujours été indéterminé parce que cette espèce ne se vendait, soit en pain entier, soit au détail, que sur la pesée faite en présence des acheteurs. Il en était de même du pain bis, à l'exception seulement des miches fabriquées pour les vendanges, lesquelles devaient peser 2 livres.

Par une délibération de l'administration municipale du 19 Germinal, an VII, la taxe de la livre a été ainsi fixée :

Pain blanc, 2 sols 6 deniers ; pain bis, 2 sols.

Le 14 septembre 1811, le maire Leblanc (grand-père de notre distingué collègue M. Leblanc-Duvernoy), fait un règlement confirmant aux boulangers leur obligation de mettre le poids sous peine de confiscation au profit de l'hospice et de se voir dresser dresser des procès verbaux avec la suite qu'ils comporteraient conformément au Code pénal.

Des sanctions sévères étaient appliquées contre les boulangers contrevenants. C'est ainsi que par jugement de police du 17 octobre 1829, confirmé le 22 du même mois, deux boulangers furent condamnés chacun à 3 fr. 75 d'amende plus 24 heures de prison, et un troisième à 3 fr. 75 d'amende.

Avec les années écoulées et les circonstances, la réglementation suit son cours.

Le 15 juillet 1833, le maire Raveneau-Serizier établit un nouveau règlement qui est approuvé par le Préfet le lendemain. Ce règlement, visant les lois des 16, 24 août 1790, 22 juillet 1791, l'ordonnance royale du 18 janvier 1816, les règlements préexistants, et notamment ceux des 11 novembre 1809 et 14 septembre 1811, contient ce qui suit :


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« 1° Les boulangers ne pourront, comme par le passé, fabri« quer et exposer en vente que des pains blancs à poids détermi« nés de 25 et 50 décagrammes, 1 et 2 kilogrammes (1/2 livre, « 1 livre, 2 livres et 4 livres) ;

« Ils fabriqueront aussi du pain de vendanges du poids de « 1 kilogramme ;

« 2° A partir du 1er août les pains blancs de 1 et de 2 kilo« grammes, aussi bien que les miches de vendanges, devront por « ter les lettres initiales de chaque fabricant, quelle que soit la « forme des dits pains ;

« 3° Les fabricants continueront à fabriquer des pains dits « gros pains blancs ainsi que du pain bis à poids indéterminé et « ne devant être livrés au public qu'après pesée faite en présence « de l'acheteur ;

« 4° Tous pains blancs de 1 ou 2 kilogrammes, toutes miches « de pain bis pour les vendanges qui seront trouvés fait dans les « boutiques, soit dans les rues, soit dans les auberges, soit partout « où la police pourra pénétrer, sans être revêtus de la marque du « fabricant, seront saisis et transportés à la mairie où le commis « saire de police, en présence du fabricant dûment appelé, dres« sera procès-verbal de la contravention ;

« 5° Tout pain à poids détermtné, quelle que soit sa forme, qui « ne pèsera pas le poids pour lequel il doit être livré sera égale « ment saisi, coupé et pesé en présence du fabricant ;

« 6° Les contraventions à l'article 4 seront punies conformé« ment aux articles 471, 479 et 480 du Code pénal ».

A la suite d'une pétition par les boulangers au maire d'Auxerre, du 21 août 1833, il fut admis la tolérance de 2 onces sur les pains de 2 kilos, d'une once et demie sur ceux d'un kilo, d'une once sur ceux d'un demi-kilo. Et on dispensa les boulangers de la marque pour les pains d'un demi-kilo et d'un quart de kilo.

Tous les anciens règlements municipaux furent abrogés par le maire Martineau des Chesnez par un arrêté du 16 juillet 1853, qui stipule notamment :

Que nul ne pourra sans avoir accompli les conditions et for malités prescrites par l'ordonnance du 18 janvier 1816, exercer la profession de boulanger dans la ville d'Auxerre ;

Que les boulangers ne pourront se refuser à cuire le pain des particuliers :

Que les approvisionnements de farine seront soumis à des vérifications ;

Que la taxe continuera d'avoir lieu tous les quinze jours, les


76 LES MAITRES BOULANGERS 10

premier et seize de chaque mois, et qu'elle sera établie par le maire sur l'avis d'une commission instituée par lui ;

Que le pain soumis à la taxe sera de deux qualités : le pain blanc et le pain mi blanc ;

Que les boulangers de la ville et les forains seront tenus de marquer leur pain au moyen d'une estampille appliquée sur la pâte avant de la mettre au four, et portant les initiales de leurs nom et prénoms ainsi que leur numéro d'inscription à la mairie.

Pour permettre aux boulangers de tenir compte aux consommateurs des appoints et de ne plus priver ces derniers de la fraction connue sous le nom de fort denier, le maire Martineau dee Chesnez, par un avis du 25 novembre 1853, leur prescrivit de se présenter à la Recette générale pour échanger les anciennes pièces d'un liard, de deux liards et d'un sou en centimes.

En conformité des prescriptions du décret du 16 novembre 1858 et de l'arrêté de M. le Préfet de l'Yonne du 31 décembre suivant, le Conseil municipal se préoccupa de créer un magasin qui contiendrait les réserves en grains et farines que chaque boulanger devait fournir. On trouva qu'il y avait un inconvénient à laisser ces réserves chez le boulanger, car dans un moment de gêne il y puiserait pour subvenir aux nécessités du jour. D'autre part, l'Autorité aurait sous la main les approvisionnements.

C'est ainsi que fut édifié le Grenier d'abondance sur l'emplacement d'un jardin qui appartenait à la ville d'Auxerre, près de l'abattoir (Délibération du Conseil municipal du 20 février 1860). La destination première de cet immeuble, qui a conservé son nom, fut de courte durée, l'obligation des approvisionnements ayant été supprimée par décret du 22 juin 1863.

Actuellement, il est occupé par la Bourse du Travail et le Patronage laïque.

Quant à notre vieille halle aux grains elle a disparu, et sur son emplacement on a construit notre Hôtel des Postes qui a été livré au public le 28 novembre 1909.

Sauf la taxe par les maires et les prescriptions d'intérêts publics, la profession de boulanger est devenue complètement libre. Voici une taxe du maire d'Auxerre à la date du 28 mars 1905 :

« Le prix du pain est basé sur le prix des farines (marque de « Corbeil), diminué de 4 francs par sac de 159 kilos, cours moyen « de la place d'Auxerre. Il est alloué aux boulangers pour frais « de manutention et autres une somme de 17 fr. 50 par 200 kilos « de pain ou sac de farine de 159 kilos. Exemple : 159 kilos de « farine font 200 kilos de pain. Le cours officiel est de 53 francs


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« diminués de 4 francs, soit 49 francs ; frais de manutention et « autres, 17 fr. 50 ; ensemble, 66 fr. 50, soit pour le kilo de pain « 66 fr. 50 divisé par 200, égal 0 fr. 33 ».

Il y a quelques mois, le maire de Nice avait, par voie d'arrêté, taxé le prix du pain et, en même temps, réglementé la forme et le poids du pain. Se basant sur le décret du 22 juin 1863, le Syndicat des boulangers contesta le droit au maire de réglementer la forme et le poids, mais ils furent déboutés par jugement du tribunal de simple police.

De tout temps, la boulangerie aurait voulu s'affranchtr de la taxe. Elle prétendit aussi que du moment qu'on restreignait ses profits il fallait lui faciliter les moyens d'un travail rémunérateur et assuré en limitant le nombre des boulangers proportionnellement à la population.

Mais le pain étant la base de l'alimentation son prix a toujours été réglementé, et des mesures spéciales concernant la boulangerie ont toujours été prises dans les périodes de crise.

La grande guerre de 1914-1918 nous a ramené à des pres criptions rigoureuses comme autrefois : règlements des approvisionnements en farine ; suppression des pains de luxe et de fantaisie ; régime du pain rassis pour diminuer la consommation, avec tolérance sur le poids de 5 0/0 ; mélange de 50 0/0 de succédanés à la farine ; restriction du pain à 300 grammes par tête et par jour et 200 et 100 grammes pour les vieillards et les enfants, avec obligation pour les boulangers de ne livrer le pain que sur tickets ou coupons.

Quelle satisfaction lorsque les conditions d'équilibre rétablies la vie normale a été reprise !

Mais voilà que maintenant nous souffrons actuellement du pain cher (de 0 fr. 45 le kilo en 1914 il est passé à 1 fr. 50). Grosse question sociale à résoudre car le consommateur ne doit payer le pain que ce qu'il vaut et le moins cher possible, le renchérissement atteint tous les budgets privés et les frappe d'autant ptus dûre ment qu'ils sont plus modestes.

Pièces justificatives. Les lettres de maîtrise et actes de réception des 30 décembre 1654, 10 juillet 1660, 18 décembre 1682, 12 janvier 1719, 7 juin 1774, et les règlements et taxée du pain des 6 avril 1596 et 19 Germinal an VII, ont été versés par M. Loiseau aux archives départementales.



LES NOTICES ARCHÉOLOGIQUES VILLAGEOISES

Par M. l'abbé A. PARAT Correspondant du Ministère

PROVENCY

TEMPS GÉOLOGIQUES

Le territoire de Provency-Marcilly, d'une contenance de 1.188 hectares, cote une attitude basse de 238 mètres dans la vallée et de 330 mètres à l'ancien moulin à vent de la Tour-dePré. Il présente une surface très accidentée au nord où les buttes de Vaivre, de la Tour, de Montmorin, lui forment une demiceinture au pied de laquelle coule le ru du moulin venant d'Athie et qui prend, à Lucy-le Bois, le nom de Vau-de-Bouche (vallée du Bouchin ou du Bouchat, nom ancien des petits bois).

Le sol, dans sa composition, montre quelques coins du calcaire à grandes huîtres et une petite bande de calcaire dur, dit bajocien, qui était exploité autrefois. La très grande partie appartient au calcaire marneux de Vassy qui fournit le ciment. Ces couches établissent un niveau d'eau qui occasionne de nombreuses sources et fontaines. M. Prévost, creusant derrière l'église, rencontra une nappe d'eau abondante qu'il conduisit au lavoir du bas.

Toutes ces assises, plus ou moins argileuses, sont des dépôts marins recouvrant la bordure du granit; elles, contiennent les animaux marins de cette époque très ancienne dite deus Lias. Avec des variétés de mollusques, on trouve des empreintes de poisson et des vestiges d'ichtyosaure, sorte de lézard marin qui atteint douze mètres. M. Prévost a recueilli de l'un d'eux plus de cent vertèbres et cent dix dents. Une fouille a été faite en 1786, vers Genouilly, dans l'espoir de trouver du charbon de terre, parce qu'on prenait pour du charbon le lignite ou l'anthracite provenant des arbres fossiles que les ouvriers appelaient des planches à cause de leur forme aplatie. (Voir au musée d'Avallon une belle collection classée, formée de tous les terrains jurassiques


80 NOTICES HISTORIQUES 2

du Lias, par M. Moreau, professeur de sciences au collège). Les marnes à ciment avaient autrefois une usine au dessus du bourg ; elles s'exploitent aujourd'hui activement dans deux usines situées à l'est, près de la station.

EPOQUE PREHISTORIQUE

C'est l'époque, sans date connue, qui a vu l'homme, premier occupant du sol, vivre au milieu des forêts en compagnie d'animaux disparus, comme l'éléphant-mammouth, le rhinocéros, Tours des cavernes, etc. Il séjournait alors auprès des grottes de la Cure où il a laissé dans le remplissage de ses abris les ossements de ces animaux et les silex habillement taillés, qui lui servaient d'armes et d'outils, le métal lui étant absolument inconnu. Cette époque primitive, dite du Moustier, a laissé une station à Sauvigny, mais on ne connaît jusqu'ici, à Provency, que l'autre race d'hommes venue plus tard, qui vivait au milieu d'animaux domestiques et s'adonnait à la culture et à l'élevage. Ce nouvel occupant, qui fréquentait aussi les grottes et ne connaissait que le silex, a laissé de rares vestiges : une hache en silex, polie (collection Prévost), et une hachette verdâtre, en pierre étrangère (collection Thibault).

ÉPOQUE CELTIQUE OU GAULOISE

Cette époque, qui peut remonter à 2000 ans avant Jésus Christ, est celle qui voit le bronze, puis le fer, se substituer à la pierre, ce qui marque de grands progrès dans l'industrie. Appelée plus tôt celtique à ses débuts, elle serait plus tard l'époque gauloise dont parle déjà l'histoire romaine. Ces lointains ancêtres, dont nous descendons directement, se font connaître par leurs sépultures bien apparentes, formées d'amas réguliers de pierres qui sont des meurgers pour les paysans et des tumulus pour les archéologues. Ces tombeaux rustiques sont communs dans les bois d'Annay et de Girolles; ils ont fourni, au musée d'Avallon, des colliers ou torques, des bracelets, des agrafes ou fibules, des anneaux accompagnant les corps.

Rien ne fait supposer que de pareils vestiges aient existé sur le territoire, mais tout auprès, à Moutombe, un tumulus, fouillé par l'abbé Breuillard, lui a donné « des anneaux, des broches, une épée », qui sont allés au musée.


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EPOQUE GALLO ROMAINE

Ces mêmes Gaulois, devenus Romains par la conquête de Jules César, 52 ans avant Jésus Christ, ont laissé mieux que des sépultures. On trouve partout les traces de leurs habitations, bien reconnaissables aux solides murs de fondations, aux débris de tuiles à rebords, de poteries, et parfois aux monnaies de bronze. La région avallonnaise, traversée par la grande voie d'Agrippa, bien pourvue de ruisseaux et de bonnes terres, était alors très peuplée. On a compté, à part le Montmartre, plus de 200 villas dont les principales, celles de Saint More, de Saint-André, de Saint Germain, ont été explorées.

II faut montrer l'aspect que présentait la campagne au nord de la cité d'Aballonem dans un espace assez restreint. C'est sur Angely, la villa près Marzy ; à Sainte Colombe, la villa de Marisy et d'Ancy (Anciucus) ; à Coutarnoux (Curtis Arnulphi) la villa de Crot Rateau; à Dissangis, la villa du bourg, avec colonnes, et celle des Marchons; à Sceaux, la grande villa des Haches ou de Ranneaux et celle du Champ-du Pommier; à Athie, la villa des Battelées Charbonnières ; à Sauvigny, la villa de la Troquette; à Etaules, la villa d'Aisy (Aisiacus) et celle de Coumalnoux ; à Annay-la-Côte (Auduniaca colonia), la villa du bourg, avec mosaïque, et les fonderies du Champ du Feu ; à Lucy-le-Bois (Luciacum), les villas du bourg, de la Duire et du Vau de Bouche; à Thory (Tauriacum), la villa, avec sépulture et statue ; à Annéot, les villas du Bouchat, du Crot Dumay et du Merger-du-Rhin.

Le territoire de Provency était alors occupé par un gaulois du nom romanisé de Marcellus qui a donné au village primitif son nom de Marcilly. Une villa devait se trouver près de l'église, à l'ouest, car dans les champs voisins et dans les fouilles faites poulie monument des soldats, les tuiles à rebord sont les indices ; une autre villa existait dans les bonnes terres de la Terre de Pré, là où M. Thibault, ancien instituteur, a recueilli des monnaies des empereurs romains : Antonin le Pieux, Gallien, Salonine, Constantin Ier, Crispus, Constantin le Jeune, Constantin II, Constantinopolis, Gratien, Valens, Valentinien Ier, Arcadius. Ces règnes, qui vont d'Antonin, 161 après Jésus Christ, à Arcadius, 408, comprennent 247 ans. Le dernier, Arcadius, est celui qui vit arriver les Barbares de Germanie (406) qui envahirent la Gaule. Ces médailles, qui ont été mises au musée sous le nom de Provency, appartiennent mieux à Marcilly qui domine l'histoire à l'époque romaine.


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ÉPOQUE BARBARE OU MÉROVINGIENNE

Les villas agricoles furent toutes ruinées par le passage des Barbares, surtout des Vandales, et la dévastation dura dix ans. Elle fut telle que la population gallo-romaine disparut presque entièrement, ne laissant que des ruines, sans qu'on sache le nom des propriétaires fondateurs de la plupart des villas. Les quelques habitants échappés au massacre revinrent se bâtir, avec les débris, une demeure qui n'avait rien de la construction romaine, les bons ouvriers ayant péri. C'est par ceux là que nous connais sous le nom de plusieurs villas ou de leurs propriétaires, comme Anciacum, Aisiacum, Luciacum, Tauriacum, Curtis-Arnulphi, Marcelliacum et peut être Gellianacum, Genouilly.

Nous assistons donc à la nouvelle colonisation qui se fit grâce à la dernière invasion, celle des Burgondes ou Bourguignons qui étaient déjà chrétiens, industrieux et tolérants. Il se fit un par tage des terres, un mélange des deux peuples, sans violence, qui allait remplacer la civilisation romaine. On appelle, en histoire, cette époque de transition qui va des invasions à Charlemagne (800), époque barbare ou mérovingienne. On retrouve des traces des premiers villages renaissant des ruines. On les appellera des villes, du nom francisé de la villa romaine, simple habitation agricole : le nouveau et très modeste groupement qui a succédé à la villa isolée a été constaté, près de Provency, à l'endroit qui s'appelle encore « la ville d'Ancy », sous Sainte Colombe, de même à « Aisy », près d'Etaules, et ailleurs. Mais on connaît mieux les nouveaux arrivants barbares par leurs sépultures qui ont été découvertes à Voutenay, Saint Moré, et surtout à Vaux Donjon (Asquins). Ce sont de vrais cimetières où les corps sont accompagnés des armes et des bijoux de ces Francs Burgondes, que l'on attribue aux descendants de Mérovée et qui sont d'une industrie particulière (Voir les collections aux musées d'Auxerre et d'Avallon).

L'ÉPOQUE FÉODALE OU DU MOYEN AGE

Charlemagne paraît et la Gaule, comme on la nommait encore, connut une extension considérable de territoires avec une époque brillante des lettres, des arts et de la législation: aussi l'appellet on époque carolingienne (Carolus, Charles) ou encore HautMoyen Age. Mais ses descendants voient le démembrement de


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son empire à la bataille de Fontenoy (841): La France, l'Alle magne, l'Italie, vont se former en Etats indépendants. Ils virent aussi de nouvelles invasions : ce sont les Sarrazins qui remontent le Rhône et arrivent à Auxerre vers 725, et les Normands qui viennent par la Seine et la Loire et atteignent Auxerre vers 887.

Les Gallo-Romains se sont aguerris au contact des FrancsBurgondes, race belliqueuse, et les Barbares sont repoussés. Mais le pouvoir royal ne paraît pas dans la lutte; il s'est tellement affaibli que les gouverneurs du roi, ducs et comtes, se déclarent indépendants. Ils se bâtissent des châteaux forts et ils attirent à eux, pour les protéger, les seigneurs du voisinage qui vont devenir les chevaliers ou écuyers de leur armée. Ainsi se forme une sorte de fédération dont le chef est dit le suzerain et les subordonnés des vassaux. Tel est ce régime de la féodalité qui fera connaître les familles dans leurs rapports avec les monastères qui se fondent en même temps que les seigneuries.

Nous entrons maintenant dans l'histoire écrite. Deux grandes seigneuries s'étendent au Nord d'Avallon : c'est Montréal, à l'Est (Mons-Regalis), dont relèvent 35 villages, et Noyers, à l'Ouest, qui groupe de 30 à 40 villages. Ce que nous appelons la commune de Provency se compose de deux territoires, l'un qui comprend Provency et Genouilly, de la seigneurie de Montréal, et l'autre comprenant Marcilly et la Tour du Prey, de la seigneurie de Noyers, ces deux domaines, tous deux de la Bourgogne, n'ayant rien de commun et se limitant par le vieux chemin qui va d'Avallon à Sainte Colombe en touchant l'église.

Maintenant, la présente notice traitera de l'administration particulière de Provency rattachée étroitement au gouvernement de Montréal. Provency est cité pour la première fois vers 1150, alors qu'un Hugues Jobert, propriétaire d'une part d'Hervaux (Erviel), intervient dans un accord entre Anséric de Montréal et l'abbaye de Reigny, au sujet de la forêt. Il est encore cité, en 1184, et sous le nom de « Proency », au nombre des biens de la collégiale d'Avallon que le pape Lucius III prend sous sa protection, enfin dans les chartes de l'abbaye de Reigny, en 1158, sous le nom de « Proenci ». Cart. II, p. 70.

Le village, qui est en 1484 un fief de l'Isle, sous le nom moderne de « Provency », se fait connaître, chose singulière et peut être unique, sans porter un nom propre comme les autres villages. C'est un petit groupe de maisons qui tire son nom d'un autre groupe voisin plus ancien et plus important qui se nommait « la ville d'Ancy ». Provency, ou mieux Proancy, veut dire « avant


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Ancy », étant formé de la préposition latine pro, avant, et d'Ancy que l'on a liés plus tard avec un v pour adoucir la prononciation. Et ce nom, du XIIe siècle, se voit encore à l'église, sur une tombe peu ancienne, où on lit « Proancy », qui est la véritable ortho graphe. On peut voir dans le Bulletin de la Société des Sciences de l'Yonne (1913), ce qu'était ce village d'Ancy (Anciacus), lui, avait conservé le nom de son propriétaire gallo-romain, mais un groupe s'était fait un nom de sa position auprès de lui et paraît l'avoir gardé dans les archives jusqu'au XIVe siècle où l'on trouve Proanceium (1305).

Provency aurait eu pour seigneur, au XIIe siècle, Hugues Jobert ; c'est le seul connu. Il devait avoir un petit château fort s'élevant sans doute à la place de la grande maison du XVIe siècle, dite « la Motte des Ouches », nom qui s'emploie pour désigner de modestes défenses. On en verrait une preuve dans l'existence d'une maladière que citent les Archives nationales et qui a gardé son nom dans un champ à l'Est, cette sorte de fondation accom pagnant souvent le château-fort au temps des croisades. Mais la Motte était plutôt une maison forte avec enceinte, fossés, pontlevis et peut-être tourelles ; elle est qualifiée de fief noble et appartient, en 1544, à Renée d'Aulnay, veuve de Loron de Tharot. Dans la suite, il n'est plus question de demeure seigneuriale, Provency n'est plus qu'une terre sans histoire.

Comme on le pense, Provency n'a joué aucun rôle dans les guerres; un seul fait est à signaler : au moment où les Protestants sont maîtres de Vézelay, en 1567, les églises de Girolles, de Tharot, de Magny, de Menades, d'Angely, de Marcilly, sont brûlées et les curés en fuite ; c'est le meurtre du curé de Provency par les Huguenots (protestants), en 1561. Il n'y a plus qu'à citer, d'après M. Baudenet, quelques seigneurs qui viennent après l'abbaye de Reigny (1258), et les chanoines de Montréal (1305) : Louis de Sainte-Maure, comte de Joigny, baron de l'Isle, seigneur d'Origny, de Chasseigne (Côte-d'Or), de Provency, de Genouilly (1548). Il aurait acheté la terre de Provency de Guillaume, Damoiseau (vers 1480). On retrouve un Gabriel Damoiseau qui épouse Elisa beth Davoust, puis on voit Claude de Lanneau, et de nouveau un Antoine Damoiseau qui épouse Anne de Cullon des seigneurs d'Arcy. La famille des Sainte Maure est la plus intéressante ; elle se fait connaître par une inscription autrefois située au bord du choeur, mais dont la dalle a été placée à l'entrée de l'église. On lit sur la dalle, en lettres gothiques : « Ci-gît noble seigneur Jehan de Sainte-Maure, seigneur de Puenci, d'Origny et de


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Chasseigne, qui trépassa le 19 mai 1562 ». La sépulture était dans la chapelle seigneuriale.

La famille des Sainte Maure intéresse plus que les autres par l'alliance que fit Adrien, en 1500, avec la dernière descendante de la famille de La Trémouille. On sait le grand rôle que joua un La Trémouille auprès de Charles VII, contrariant sans cesse les volontés de Jeanne d'Arc. Or, les La Trémouille étaient devenus comtes de Joigny par une alliance avec Marguerite de Noyers qui en était comtesse.

A la fin du XVIIIe siècle, la famille des Baudenet d'Annoux est connue par plusieurs de ses membres à Provency. Jacques Baudenet, co seigneur d'Annoux, est enterré dans le choeur, en 1767, en présence de Jean-Baptiste Baudenet, curé de Provency. Celuici traverse la Révolution et vient, en l'an V, se déclarer ministre du culte catholique. On retrouve les Beaudenet au XIXe siècle : Jacques Baudenet est médecin et maire en 1820.

Provency a son « maistre descole » en 1690 et doit à son curé, l'abbé Hamelin, d'avoir eu le premier, dans la région, l'heure de la Tour Eiffel par la télégraphie sans fil.

GENOUILLY

Tout près de Provency, au Sud Est, sur la rive gauche du ru du moulin, un petit groupe de maisons s'aligne en amont d'un petit castel du XVIe siècle, qui fut autrefois un château féodal (Dict. archéologique Quantin). On trouve le domaine cité dès le XIIe siècle sous le nom de Genully en 1149 (Cart. I. 449), et en 1180 : Genuly. Il devient Géloingny en 1484, comme fief de l'Isle, puis Gélougny lès Avallon (1500) et Génoilly, au XVIe siècle, comme terre de Montréal. On ne connaît pas les anciens seigneurs qui durent être les écuyers des sires de Montréal.

L'histoire de Genouilly ne commence guère qu'au XVe siècle. Le domaine appartient aux Damoiseau qui le cèdent à la maison des Sainte Maure, dont Louis, comte de Joigny et baron de l'Isle, est le seigneur. Mais, en 1548, celui ci « donne à son frère naturel Jean les fiefs d'Origny, Chasseigne (près Nolay, Cote-d'Or), Pro vency, Genouilly, qui sont du démembrement de la terre de l'Isle, à l'occasion de son mariage avec Renée de Moisson, 1548 ». L'affranchissement des habitants s'est fait en 1544. On a, dans un un aveu de 1581, la composition de la maison seigneuriale ou


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castel, « un corps de logis, granges, étables, murailles de 18 à 20 pieds de haut, avec quatre tours aux quatre coins, flanquées de fossés autour ayant huit pieds de large ». Les seigneurs de Genouilly, Renée de Moisson, Jean de Sainte-Maure, Renée et Françoise de Sainte Maure, tiennent en plein fief, c'est-à dire sont les seigneurs de Provency, C'est à ces maisons de Sainte Maure et de Moisson que Provency doit très probablement sa belle église bâtie à cette époque même et où les seigneurs de Genouilly ont leur chapelle.

A la famille de Moisson, succède la famille de Pampelune que l'on voit paraître, vers 1671, avec Alexandre de Pampelune. La demeure Moyen Age est démolie et vers cette époque le petit manoir actuel la remplace ; il garde, sur une plaque de chemi née, les armes de cette famille : un loup ravissant. C'est une construction en bel appareil qui conserve des traditions de la Renaissance, par exemple dans les fenêtres où sur une douzaine se voient cinq modèles différents ; il y avait une chapelle de style ogival, désaffectée à la Révolution; elle est signalée, en 1671, dans une visite épiscopale, ayant pour patron Saint-Pierre, dont la statue est sur un autel non consacré. Une partie du manoir, comprenant le même style, est plus récente, comme aussi la tour qui est par derrière. La famille se continue jusqu'en 1746 et plus tard, l'on cite une dame de Pampelune, âgée de 90 ans, qui est inhumée, en 1744, dans la chapelle (seigneuriale), sous la tombe des seigneurs de Genouilly.

En 1580, le seigneur de l'Isle par alliance, François aux Epaules, eut de grandes contestations avec les habitants au sujet des bois d'Hervaux. Une transaction se fit et cet acte servit de base pour les droits qu'eurent à défendre les onze villages favorisés, dont Provency et Genouilly. Il existait en amont du village un moulin dont on parle sans l'avoir vu, et un étang dont les champs conservent le nom. Genouilly a sur ses terres une fabrique de ciment et une exploitation agricole qui se fait remarquer ; près de là passe la ligne du chemin de fer d'Avallon à Nuits. Il y a dans le groupe des habitations quelques maisons du XVIe siècle.

L'ÉGLISE

L'église de Provency est un bel édifice paroissial de village, de forme rectangulaire, mesurant 22 mètres de longueur sur 16 mètres de largeur et 10 mètres de hauteur. Sa construction, qui se place à la transition peu marquée du style ogival à celui de la Renais-


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sance, serait comprise entre 1480 (Louis XII) et 1560 (François Ier), époque où fut bâtie l'église du Vault-de Lugny (14981544) dont elle reproduit fidèlement le style, le beau modelé en moins. Ses fondateurs seraient des seigneurs de Genouilly et de Provency qui étaient de la même famille : les Sainte Maure, comtes de Joigny, barons de l'Isle, et les Moisson, leurs parents, étaient seigneurs d'une vingtaine de fiefs et les plus riches de la région. On ne saisit nulle part un indice de participation de l'abbaye de Marcilly.

Cette église n'est pas la première, car sa porte principale appartient au style roman, plein ceintre, encadrée de deux colonnes avec chapiteaux à crosses et feuilles d'eau qui sont d'une église du XIIe au XIIIe siècle. On retrouve ce beau vestige des anciens édifices aux églises de Précy, de Girolles, de Lucy le-Bois et ailleurs. La simplicité de ce portail annoncerait un édifice modeste. On se demande si, comme au Vault de-Lugny, il n'existait pas une église primitive qui remonterait à Charlemagne, car on a trouvé, sur la place de l'église, des sarcophages.

Ce qui frappe à l'extérieur, c'est une haute tour carrée, s'élevant à la droite de la porte, flanquée de larges contreforts que nécessitait le sol de marne à ciment. Les surfaces en sont nues, ouvertes seulement à la base et au sommet de deux petites fenêtres et terminées par une courte flèche. La porte est précédée d'un porche de style franchement Renaissance formé de trois arcades plein ceintre qu'étayent trois petits contreforts et que recouvrait une voûte remplacée par une charpente. Le tympan est bordé d'une moulure trilobée sans autre décoration. Le pignon est percé seulement d'une petite fenêtre à un meneau.

L'intérieur de l'église se présente sous trois nefs à quatre travées, dont les arcs se prolongent jusqu'au sanctuaire qui est très court. La nef centrale et ses bas côtés sont voûtés en pierre à nervures ogivales s'appuyant sur des piliers sans chapiteaux. Le sanctuaire a sa voûte couverte de nervures prismatiques qui simulent une rosace à feuilles de trèfie. Les deux travées suivantes ont des nervures également ramifiées. Les deux premières travées de chaque côté offrent de fortes colonnes rondes, ayant une base courte ornée de griffes; les autres ont des colonnes carrées, à faces sinueuses, présentant leurs angles sur le bord des nefs, ce qui leur donne un aspect losangique ; elles sont cantonnées aux angles de fines colonettes. Les arcs ogives se fondent •dans les colonnes ou s'arrêtent sur des motifs sans art : un blason gratté, un pélican ? une grosse tête plate, une tête à trois faces


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rappelant la Trinité; une seule sculpture mérite l'attention c'est, à l'autel du Sacré-Coeur, le petit buste d'un ange tenant un livre, en saillie du mur. Au dessus de la porte, deux forts corbeaux indiquent une tribune qui est mentionnée dans la visite de 1671, avec les trois cloches.

Le chevet est droit, percé d'une grande fenêtre flamboyante à trois meneaux, et toutes les travées sont éclairées de fenêtres de, même style. Près de la tour s'ouvre une petite porte latérale surbaissée, à moulures, du XVIIe siècle, accostée d'une fenêtre ronde à godrons. A l'extérieur, un contrefort porte un cadran solaire. Au bas côté droit, le mur s'arrête à une chapelle dont l'arc d'entrée, en forme d'anse de panier, s'appuient sur de simples piliers moulurés où se lit la date 1552. C'est la chapelle seigneuriale, et les tombes, qui se voient à distance de l'entrée, recouvraient autrefois le pavé, mais en étaient surélevées, car on voit dans la visite faite en 1702 que la fabrique est mise en demeure de les abaisser au niveau du pavé. Il y a trois autels modernes : le maître autel, tout en pierre, surmonté d'un dais d'exposition, porte des motifs de sculpture imité du XVe siècle. A droite, la chapelle de la Sainte-Vierge est toute en bois, avec des sculptures très peu saillantes, du style flamboyant. Le devant, dans un médaillon, est orné d'une scène de la Nativité, en bas-relief, et dans le rétable qui couvre le mur, deux sujets allégoriques agrémentent la boiserie. Dans une niche se voit une statue, en cou leur, de la Vierge à l'Enfant, du XVIe siècle, de bon style ; c'est la Notre-Dame de Bon-Repos qui, de l'abbaye de Marcilly, est venue, après une cachette, échouer à l'église. L'autel de gauche, dit du Sacré-Coeur, autrefois de Sainte Anne ou de Saint-Nicolas, est tout en pierre et très simple.

Si les autels n'ont rien gardé des choses anciennes, le dallage a conservé les noms des principaux seigneurs qui furent les fondateurs de l'église ; mais les dalles mortuaires ne recouvrent plus leurs sépultures qui occupaient la chapelle seigneuriale. A l'entrée de l'église, on lit en lettres gothiques cette inscription : « Cigiste noble seigneur Jehan de Saincte Maure, en son vivant seigneur de Puency, d'Origny et de Chasseigne, qui trépassa le XIX mars 1562 ». Sur la bordure, en lettres ordinaires, se lit : « Cy gist dame Edmée de Lagneau, épouse de noble seigneur Raphaël Damoiseau, escuyer, seigneur de Provency et de Mennemois, qui décéda le neuf avril 1686 ». Dans la nef droite, en face de la chapelle seigneuriale, se voient deux tombes : l'une, qui porte aux quatre coins des armoiries, se lit ainsi : « Cy gist noble escuyer


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Françoys de Moisson, en son vivant seigneur de Genolly, qui tré passa le 21 de febvrier 1605 ». A côté, une tombe porte une inscription en latin, celle de Claude Robert, sans doute professeur de collège, ou juge : « homme (strenuus et probus) zêlé et loyal, qui décéda, à l'âge de 77 ans, en 1623 ». Dans la grande allée se trouve la sépulture des époux Chappotot, Lazare et Denise, de 1605, dont une inscription, sur le premier pilier gauche à l'en trée, sur table de pierre, relate la fondation, en 1666, d'une fonda tion de messe par les héritiers. A l'entrée du choeur, deux tombes mentionnaient le nom du curé Décabillaut, 1637, et de Hugues Jarry « curé de Pancy », 1617. Il y a une vingtaine d'autres dalles' mortuaires, disséminées dans l'église, une est d'un « marchand de la Tour de Prey », une autre grande, de l'allée principale, de 1554, porte une inscription en caractères anciens qu'on ne rencontre guère et qu'on à peine à déchiffrer. C'est un Michel Barbier, sans doute un boucher, car le couperet de la profession y figure. On a reproduit quelques lignes de cette rare épigraphie (Fig.).

L'archéologie a cherché ailleurs, dans les archives, quel aspect présentait l'église au XVIIe siècle, d'après le procès verbal des visites faites par le délégué de l'évêque en 1671, 1672 et 1702.

On est heureux de pouvoir représenter un peu l'aspect de l'église au siècle passé, alors que l'édifice abritait, comme toutes les églises d'ailleurs, un musée de belles et saintes productions de l'art. Nous donnons un extrait de ces procès verbaux des archives de Mâcon.

La grande porte, au dessus de laquelle est une tribune, est largement ouverte, précédée d'un porche voûté. Au clocher il y a trois cloches. Il y a près de l'entrée deux petites portes, celle du cimetière et une autre donnant sur la cour du presbytère auprès de laquelle se voit une chapelle contenant le confessionnal. Une balustre sépare le sanctuaire du choeur, avec un crucifix en relief au milieu. Les deux bas côtés ont, près du choeur, une chapelle qui forme les bras de croix ; celle de droite est la chapelle seigneuriale où sont des dalles mortuaires surélevées. La chapelle qui fait l'autre bras de croix au côté gauche est en ruines (Le titulaire n'est pas indiqué).

Le maître-autel, qui est de Saint Symphorien, patron de la paroisse, est décoré de trois peintures par derrière, la SainteVierge, Saint-Symphorien et Sainte-Catherine ; aux côtés sont deux images en relief, des statues de Saint Heursain (Ursin) et de Sainte Catherine. Un ciel est au-dessus de l'autel et aux côtés


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sont deux reliquaires de Saint-Symphorien et Saint-Ursin. Il y a sept autres autels sans fondations qui ont une nappe et un devant d'autel avec une image en relief et en peinture. C'est Notre Dame, Sainte-Anne, Saint Nicolas, Notre-Dame de-Pitié, Saint-Aubin, Sainte Brigide. Il y a une bannière de futaine à ramages et où sont Saint-Symphorien et Sainte-Catherine, par devant, et Notre Dame par derrière. Les fonts sont avec balustre.

Le mobilier paraît peu riche : le devant d'autel est en cuir doré et c'est une croix de bois et deux chandeliers d'étain qui le décorent. Il y a pourtant un calice et un ciboire d'argent avec un autre calice d'étain, un petit ciboire d'étain pour porter le viatique aux malades ; il y a encore quatre croix, deux en cuivre et deux en bois, deux lampes en cuivre et en étain. Mais le linge n'est pas rare, c'était le temps où tout le monde filait; on a compté 27 nappes, ce qui fait quatre par autel.

Quelle perte s'est faite dans les églises de ces peintures et surtout de ces statues données par les riches seigneurs et taillées à la belle époque de la Renaissance ; on n'a qu'à voir les statues historiques de Pontaubert.


HISTOIRE DU COLLEGE D'AUXERRE

AU XIXe SIECLE Par M. CESTRE

AVANT PROPOS

Nous avons interrompu l'histoire du Collège d'Auxerre à la fin de l'année scolaire 1824 1825 (Voir Bulletin de 1915),. époque où le vénérable et vénéré principal Laporte cessa ses fonctions.

Notre intention est de continuer cette histoire en nous aidant de documents, tels que l'Almanach d'Auxerre et de Sens, l'Annuaire de l'Yonne, les registres du Bureau d'administration du Collège, dans lesquels nous constaterons quelques lacunes (1). Ajoutons la précieuse collection des palmarès de la distribution des prix, complète, ou à peu près, à partir de l'année 1829-1830, et enfin des documents oraux et traditionnels que notre long séjour à Auxerre nous a permis de recueillir.

De cette histoire, le premier chapitre doit s'occuper des Prin cipaux, un second chapitre des Professeurs, un troisième des Elèves qui ont marqué dans leurs études et que nous suivrons, autant que possible, dans leurs différentes carrières.

(1) Le Bureau d'administration était composé de personnes occupant un rang dans la ville par leurs fonctions, leur réputation, leur intelligence. Ils étaient pour le Principal des conseillers, servaient d'intermédiaires autant que de surveillants discrets entre lui et le Conseil municipal et réciproquement. Le Con seil les désignait, mais le Ministère du l'Instruction publique les agréait et les nommait, ce qui ajoutait à leur autorité.


92 HISTOIRE DU COLLÈGE D'AUXERRE 2

CHAPITRE Ier DES PRINCIPAUX

Principalat de l'abbé Nivoy

Le successeur immédiat de Dom Laporte fut dans les trois années scolaires, en 1825 26, 1826 27, 1827 28 (pour une partie seulement de cette dernière année), l'abbé Nivoy. Le régime du Collège est et sera, jusqu'en 1876-77, le même que sous le principalat de Dom Laporte ; le Principal était un maître de pension officiel, si l'on peut dire : il recrutait les internes, les nourrissait, les entretenait à ses risques de gain ou de perte. La ville lui fournissait le logement, payait les régents (ainsi nommait on alors les professeurs du Collège), percevait la rétribution collégiale que devaient chaque année externes et internes. C'est le régime irrévérencieusement nommé par l'opinion régime de « marchand de soupe ».

L'Almanach ne donne que le nom de l'abbé Nivoy. Il ajoute, toutefois, qu'il fit le geste, qu'on peut croire désintéressé, de réduire le prix de la pension à 450 francs par an.

Principalat de l'abbé Ozouf

Un nouveau Principal, l'abbé Ozouf, achève l'année 1827-28. Il lança un prospectus fixant le costume des internes : deux habits uniformes, deux pantalons, deux vestes de drap bleu foncé, doublés de même, avec parements et collet bleu-céleste, des boutons jaunes de métal, ornés de fleurs de lys avec, en exergue, Collège d'Auxerre, chapeaux ronds. L'abbé Ozouf a un sous-principal, prêtre comme lui, un abbé Robert, qui cumule la chaire de philo sophie.

Principalat de M. Lacombe

En l'année 1829, l'abbé Ozouf a disparu encore plus rapidement que son prédécesseur, sans que nous en sachions la raison, et nous voyons un nouveau principal, un laïque, M. Lacombe.

Nous regrettons de ne rien savoir sur M. Lacombe, ni sur son lieu d'origine, ni sur sa carrière avant qu'il vînt diriger le pensionnat et l'ensemble du Collège. Le seul fait qu'il y demeura vingt ans indique, avec ce que le registre du Bureau d'adminis-


3 AU XIXe SIÈCLE 93

tration nous apprendra de lui, qu'il gouverna l'établissement avec zèle et intelligence, qu'il fut, en un mot, un Principal de mérite.

Le Bureau d'administration, le 27 avril 1832, tint une séance importante, dont voici le sommaire :

« Considérant que l'Histoire doit être enseignée par un régent « spécial, que la Ville ne peut créer une nouvelle chaire faute de « ressources (1), le régent de la classe de philosophie, d'ordinaire « peu peuplée, enseignera l'Histoire et fera sept heures par « semaine, dont quatre heures d'histoire et trois heures de phi « losophie ».

Le Principal, informé de cet arrêté, s'alarme, en pédagogue averti, de cette diminution de l'enseignement philosophique (2). « Les élèves, écrit il, sortiront de leurs classes avec une idée « imparfaite et superficielle d'une philosophie hâtivement déve« loppée, ayant soulevé les plus grandes questions sans les résou« dre et trouvé le scepticisme et non la vérité ».

Quant à l'enseignement de l'Histoire, il est d'accord avec le Bureau qu' « elle doit être enseignée spécialement », mais de la manière suivante qu'il expose : « Cet enseignement doit être, « étant donné l'âge des élèves, dans les classes de troisième et de « deuxième, analytique ; au contraire, dans les classes de rhéto « rique et de philosophie, synthétique et général. Il conviendrait « donc que les régents actuels de troisième et de deuxième « ouvrissent dans leurs classes respectives un cours d'Histoire « approprié à l'âge de leurs élèves, et ce cours les mettra à même « de suivre l'Histoire générale qu'enseignera le régent de philo « sophie, passant en revue les trois civilisations d'Asie, d'Afrique « et d'Europe ».

Le Bureau agréa cette transformation de son projet qui fut mis en pratique, avec l'agrément de l'autorité supérieure, dès l'année suivante.

A partir de 1834, le Principal, par décision de l'administration supérieure, fit partie de droit du Bureau d'administration. On peut conjecturer que les qualités pédagogiques de M. Lacombe ne furent pas étrangères à cette autorisation.

Voici encore deux faits qui peignent en M. Lacombe le péda

(1) Que de fois hélas ! pareille plainte s'est fait entendre ! (2) Dont il occupait lui-même la chaire.


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gogue en même temps que le chef soucieux de sa tâche. C'était l'habitude qu'il y eût, à l'époque, un examen public des élèves, à Pâques et à la fin de l'année, d'après un programme donné. M. Lacombe conseilla au Bureau de faire imprimer et distribuer les programmes, pour attirer un plus grand nombre d'assistants et d'interrogateurs, et ainsi faire mieux connaître et apprécier le Collège. Cela coûterait seulement 60 francs, c'est-à-dire 0 fr. 60 que paierait chaque élève, ce qui fut adopté.

Nous voyons par ce fait qu'en 1835 le Collège comptait cent élèves.

Le second fait date de 1844. Le Principal annonce au Bureau, à la séance de juillet, qu'il a introduit dans les classes un nouvel exercice qui est dénommé exercice oral. C'est ce que nous appelons aujourd'hui, où il est encore en usage, la récitation classique, récapitulation trimestrielle de tous les passages d'auteurs que les élèves ont appris.

En cette même année, M. Lacombe est informé qu'un crédit est ouvert au budget de l'Instruction publique pour encourager les Villes à compléter, améliorer l'enseignement dans leurs collèges. Elles n'auront, pour en profiter, qu'à témoigner de leur impuis sance financière. Auxerre est, hélas ! dans ce cas. Elle s'est imposé de lourds sacrifices. Elle vient de faire des réparations au bâti ' ment sur l'ordre de l'inspecteur général Libri, d'acheter de nouveaux instruments de plrysique. Le Principal propose qu'elle sollicite 1.500 francs.

Une séance du Bureau nous apprend que la rétribution collé giale, qui était de 25 francs, est maintenant de 50 francs et sera recouvrée par trimestre.

La santé du bon Principal s'altère. Une fois déjà, en 1843, un M. Blin, un régent sans doute, signe à sa place le palmarès. En 1848, M. Lacombe sent ses forces décliner ; il en apporta l'attestation justifiée par le docteur Paradis, demanda à toucher la moitié des bénéfices de l'internat jusqu'à son admission à la retraite et proposa pour administrer la maison et pour en toucher le reste, un certain abbé Robert, professeur licencié ès lettres à Besançon, qui pourra lui succéder. En effet, on a présenté des certificats excellents attestant que le choix qui pourrait être fait de l'abbé mérite d'être pris en considération.

« Le Bureau en prend acte, exprime à M. Lacombe ses regrets « et le remercie de ses soins constants et intelligents donnés au Collège pendant dix-neuf ans ».


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Ce principalat finit en 1849, soit par la mise à la retraite, soit par la mort, nous ne savons, de M. Lacombe.

Trois candidats sont en présence pour lui succéder : l'abbé Robert, désigné par M. Lacombe et agréé par le Bureau ; M. Pompier, professeur de la classe de seconde, et un troisième professeur, celui de rhétorique, licencié ès lettres, M. Munier. C'est ce dernier qui l'emporte, sur la recommandation en haut lieu d'Edouard Charton, personna grata au Ministère et bien connu comme rédacteur en chef du Magasin Pittoresque. De cet appui du moins, dans le cours de sa carrière, M. Munier ne faisait pas mystère, il aimait à se louer de la bienveillance de Charton à son égard pour l'avoir porté au principalat et, une seconde fois, pour l'avoir sauvé d'une disgrâce, d'une révocation peut-être, de la part d'un recteur départemental d'alors, Ferrouil de Montgaillard, fervent partisan du second empire. Dans le moment même, en 1849, l'adroit candidat Munier faisait montre d'opinions libérales, assistait aux séances des clubs, y prenait même la parole, en un mot se conciliait habilement l'opinion publique générale du moment.

Sa nomination date de 1849 et son principalat dure jusqu'à sa démission volontaire, en 1869, c'est à-dire vingt ans.

Principalat de M. Munier

M. Munier fait partie, comme son prédécesseur, du Bureau d'administration, dont nous possédons les procès verbaux de toutes les séances.

M. Munier y lit chaque année son compte de gestion établi par recettes et dépenses. Ce registre nous est donc précieux pour suivre le Collège dans sa vie quotidienne en quelque sorte. Les comptes de gestion de M. Munier commencent en 1850 et finissent en 1867. A les reproduire tous, même en résumé, il faudrait une longue série de chiffres de la plus grande monotonie. Nous nous sommes borné à citer le compte de la première année, 1850, se montant en recettes à 20.587 francs, en dépenses à 20.572 francs et le chiffre de la dernière, en 1867, en recettes à 31.223 francs, en dépenses à 31.275 francs, avec un déficit de dépenses, ce qui n'est qu'exceptionnel, car tous les autres enregistrent un excédent de recettes.

De cette différence dans les sommes du compte final et du


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compte initial, on voit que les recettes se sont considérablement accrues, accroissement dû à celui du nombre des élèves et du chiffre de la rétribution collégiale. Le Principal cite rarement le nombre des élèves, omission très regrettable. Pourtant il signale au Bureau, en 1850, 127 élèves; en 1852, 164 ; en 1864, 253.

Le chiffre de la rétribution collégiale s'accroît aussi avec les années, et c'est encore là un moyen de saisir la marche ascendante de la prospérité de l'établissement. Le Principal est, devant le Bureau, trop discret sur ce point. Pourtant il dit qu'en 1852 elle est encore de 50 francs, comme au temps de M. Lacombe; en 1858, il attribue l'accroissement des recettes à la rétribution collé giale, mais il n'en donne pas le chiffre. Il est plus explicite en 1864. Elle est de 60 francs pour les élèves de lettres et de sciences de la division supérieure, de 50 francs pour les élèves de grammaire, de 40 francs pour les élèves de la division inférieure.

Le principalat de M. Munier fut particulièrement heureux ; il s'est passé des événements qu'il importe de signaler :

1° Le Collège dépendant jusqu'ici de l'Académie de Paris est, en 1855, rattaché à l'Académie de Dijon, comme il l'est encore aujourd'hui ;

2° En 1865 66, sous le ministère, à l'Instruction publique, de Duruy, il est créé, dans les lycées et collèges, un nouvel enseignement à côté et distinct de l'enseignement des Humanités : c'est l'enseignement dit spécial, qui aura des maîtres spéciaux formés à l'Ecole normale établie dans les restes du vieux et célèbre monas tère de Cluny (Saône-et-Loire). Il s'adressera spécialement aux élèves se destinant à l'industrte, au commerce, à l'agriculture, aux arts et métiers. Cet enseignement ne manquera pas d'amener au Collège de nouveaux maîtres, de nouveaux élèves, éléments nouveaux de prospérité ;

3° En 1858 59, il se fonde, à Paris, une Association des anciens Elèves du vieux Collège Amyot, dans le but de ne pas laisser s'affaiblir les liens d'amitié formés entre eux sur les mêmes bancs, de venir en aide à ceux d'entre eux qui seraient victimes d'infortunes imméritées. Chaque année les réunira dans un ban quet fraternel. L'Association encouragera les élèves du Collège qui le méritent et désignés par leurs maîtres. Cet encouragement prit plusieurs formes successives : médailles d'or et d'argent d'abord, puis, la caisse de l'Association se grossissant, par des


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bourses ce qui est mieux, quart, demi, trois quarts et bourses entières, sans préjudice de prix d'honneur distribués à chaque distribution de prix.

Le Principal Munier, dans la circonstance, eut un geste que l'historien du Collège doit signaler. Il déclara au Bureau d'administration (séance de 1860), qu'il s'associe à la généreuse libéralité de l'Association et réduira pour ses boursiers le prix de la pension à 400 francs, payera la rétribution collégiale, les livres classiques et autres menus frais. Le geste est beau : le citer, c'est le louer.

4° Voici enfin un fait d'une importance capitale pour le Collège, pour son renom au dehors, pour la prospérité qui en sera la conséquence.

Par décret ministériel de 1863, le Collège d'Auxerre prendra part, à chaque fin d'année classique, à deux concours, dont le but est de stimuler le travail et de comparer la force des élèves des établissements universitaires dans le double enseignement qui y est donné, à savoir celui des Humanités et celui de l'enseignement spécial.

Le premier de ces concours aura lieu entre tous les élèves des classes supérieures de tous les lycées et collèges de France : c'est le Concours général.

Le second aura lieu entre les élèves des lycées et collèges de l'Académie, à savoir, pour notre région : des cinq lycées de Sens, Troyes, Nevers, Dijon, Chaumont, et des collèges d'Auxerre, de Beaune, de Langres, et plus tard de tous les collèges, petits et grands, de l'Académie : c'est le Concours Académique.

Enfin, à tous ces moyens précédents de mettre en relief notre Collège, s'en ajoute un autre, qui n'est pas moindre : c'est, avec l'énumération des succès des élèves aux concours, celle de leurs succès aux divers examens universitaires.

Dans le procès-verbal de la séance du Bureau de 1853, on lit et le Principal annonce que trois élèves ont été reçus bacheliers ès lettres et quatre élèves bacheliers ès sciences.

Nous inclinons à croire que ce n'était pas la première lois que le Collège présentait des élèves aux examens, mais c'est la première fois que le fait est mentionné.

Ce sera là un nouveau moyen de rendre évidente la marche ascendante, les progrès de notre vieux Collège.

Un second moyen, plus efficace encore, sera, ai-je dit, l'énumération des succès aux concours généraux et académiques. Ici, faute de pouvoir citer des noms de lauréats trop nombreux, nous


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donnerons des chiffres : ils ont leur éloquence. Voici dans quel ordre nous présenterons cette nouvelle manifestation de la vie du Collège : le chiffre des élèves reçus aux divers baccalauréats et examens, celui des nominations obtenues au Concours général, celui enfin des récompenses gagnées au Concours académique pendant la durée de chaque principalat.

Principalat de M. Munier (Succès depuis 1855 à 1867)

Admis au Baccalauréat ès lettres... 78 élèves

Admis au Baccalauréat ès sciences. 46

Total 124 élèves

Succès au Concours général

Remarquons qu'ils doivent être nécessairement moins nombreux, puisqu'ils portent sur tous les établissemenis universitaires de France :

Un 8e en 1865; un 6e en 1866, un 3e en 1867, accessit dans les années 1865 66-67.

Succès au Concours académique En 1863 0 prix. 4 accessits

En 1864 3 11

En 1865.... 1 15 — En 1866 .. 1 6

En 1867 . 4 14

En 1868... 3 17

Total... 12 prix, 67 accessits

Pendant tout son principalat, M. Munier faisait payer à ses internes 450 francs, y compris la rétribution collégiale. Une seule fois, dans l'espace de vingt ans, il sollicita de ses chefs hiérarchi ques et du Bureau une augmentation de la pension. C'est dans la séance de décembre 1855. Il la justifia par l'augmentation des denrées cette année là. Il obtint ce qu'il demandait. Le chiffre de majoration n'est pas mentionné.

M. Munier, au moins une fois, pendant son principalat, s'intéressa et fit intéresser la Ville et le Bureau au sort de ses collaborateurs, les régents. Leurs traitements furent accrus suivant un barême nouveau: « Leurs traitements, lisons nous dans le registre du Bureau (séance du 5 mai 1860), ne sont plus en rapport avec le renchérissement de la vie et le rang que ces fonctionnaires doivent occuper dans la société ».

Donc, à partir du 1er janvier 1861, ces traitements seront pour


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la chaire de 1re mathématiques, de physique et chimie, d'histoire, de logique, de rhétorique, de 2e, 2.000 francs ; pour la 2e chaire mathématiques, 1.800 francs; pour la 3e, 1.600 francs; pour la chaire de 3e classique, 1.700 francs ; de 4e, 1.600 francs ; de 5e, de 6e, 1.500 francs, et pour récompenser les services de M. Rousseau, de 6°, 100 francs lui sont alloués à titre personnel. Tel fut le principalat très brillant de M. Munier. La prospérité constamment croissante de l'établissement lui est due certes, mais en partie seulement, par l'ordre, la discipline qu'il savait faire régner dans son collège, avec la collaboration de son sous principal, M. Vidal, dont le souvenir est resté comme régent de 4e classique et, depuis 1861, comme sous-principal, impeccable disciplinaire, redouté et respecté tout à la fois. J'ai dit « en partie, seulement », car une partie considérable de ce succès doit, en toute justice, être attribuée à l'élite des régents d'alors enseignant et dans les lettres et dans les sciences.

Principalat de M. Lechartier (Un an et quelques jours)

Le successeur de M. Munier au principalat fut un M. Lechartier, venant du collège de Joigny et arrivant avec avancement au collège plus important d'Auxerre.

Cet avancement, si tout d'abord M. Lechartier put justement s'en féliciter et s'en réjouir, devint bientôt pour lui une cause de peine et de chagrin.

Il administra le collège l'année 1870 71. Sur celte année là, notre registre du Bureau d'administration est muet. M. Lechartier commence l'année scolaire 1871 72, puis tout à coup est mis, par l'autorité supérieure, lui qui venait d'avoir de l'avancement, en disgrâce, en congé de disponibilité.

Le pauvre fonctionnaire en est affligé, atterré ; ses chefs hiérarchiques le frappent, il a recours au Bureau d'administration, il lui écrit une longue apologie de sa trop courte administration, il le prend à témoin que sa présence au principalat a été pour lui, à cause de la guerre, une grosse perte d'argent, que pourtant le nombre des élèves n'a pas diminué autant qu'il était à craindre, que l'ordre a régné dans la maison, qu'aucune plainte à ce sujet n'a été formulée.

Le Bureau confirme tout ce que M. Lechartier invoque en sa faveur, il donne raison à ses justes revendications. C'est en vain,


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l'administration supérieure reste sourde (1). La sentence est immuable. La cause en est restée pour nous un mystère.

Principalat de M. Derdouest (Cinq ans, 1872-77)

A M. Lechartier succède M. Derdouest, qui avait été Principal à Charleville, puis à Bastia. Dans ce dernier poste, M. Derdouest avait gouverné le collège de façon qu'il avait gagné, avec l'appro bation de la population, celle d'un haut fonctionnaire universi taire originaire de cette ville, M. Graziani, chef alors du personnel au Ministère de l'Instruction publique. C'est avec l'agrément de M. Graziani qu'il nous arrive à Auxerre.

Il prend, à la place de M. Vidal, démissionnaire, comme sous principal, son gendre, M. Lenel, qui professa en même temps la 3e classique.

Son premier compte de gestion porte en recettes (année 72-73) la somme de 35.919 fr. 93 ; son dernier présente, en recettes (année 76 77), la somme de 51.506 fr. 75 ; donc, la prospérité du Collège ne cesse de s'accroître.

Voici les succès aux examens et concours :

Baccalauréat ès lettres complet 43

Baccalauréat ès lettres scindé (rhétorique)... 13 Baccalauréat ès-lettres scindé (philosophie).. 10

Total des baccalauréats ès-lettres . 66

Baccalauréat ès-sciences complet 16

Baccalauréat ès sciences restreint 3

Total des baccalauréats ès-sciences.... 19 Soit un total général de 85 baccalauréats.

Diplômes d'études d'enseignement spécial... 12

Arts et Métiers de Châlons 1

Ecole de Saint-Cyr 1

Concours général

En 1873 (enseignement classique), 1 accessit En 1874 — 3

(1 Elle blâme même le Bureau de son intervention, qu'elle trouve illégale.


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Concours académique

En 1873 (enseignement classique). 3 prix, 15 accessits

En 1874 10 15

En 1875 6 15

Total.... 19 prix, 45 accessits

En 1873 (enseignement spécial) ... 1 prix, 1 accessit

En 1874 . 1 6

Total... 2 prix, 7 accessits

Dans deux séances du Bureau d'administration, M. Derdouest fit des propositions pour améliorer les bâtiments vieillis du Collège ; en 1873, il signalait des réparations urgentes, la création de nouveaux locaux tant pour l'enseignement classique que pour l'enseignement spécial.

Il revient sur ce sujet en 1874, d'accord d'ailleurs avec le Bureau, qui sentait la nécessité de ces travaux, en vue de la trans formation du Collège en Lycée, dont on parlait déjà alors et qui ne se fera jamais. M. Derdouest voulait un établissement d'aspect avenant, dont l'hygiène fût irréprochable. Sous son principalat, la cour de récréation des petits, qui se tenait dans la cour d'en trée, fut supprimée et remplacée par l'agréable jardin actuel. Pour rendre la chose possible, M. Derdouest fit abandon d'un jardin dont il jouissait vers la chapelle ; il serait long d'énumérer toutes les améliorations qu'il exécuta pour l'hygiène, la propreté, l'installation d'une infirmerie, pour d'autres besoins encore. Il suffit de dire qu'il exposa tout un plan de réparations successives de la maison, qui s'effectuèrent sous d'autres principalités, mais suivant le plan d'ensemble établi par ce chef intelligent autant qu'habile et dévoué, sous la direction duquel tout ce qui précède démontre qu'autant, sinon plus que sous la direction précédente de M. Munier, notre Collège jouit d'une prospérité toujours croissante.

Nous voici à l'année scolaire 1876-1877; un grand événement va se produire : le Principal est mis à la retraite ou, comme il disait dans un langage imagé et pittoresque, « il eut l'oreille fendue » au mois de janvier 1876. Quand il nous annonça cette nou velle, avec un visage impassible et l'air indifférent, nous le sen tions ému de nous quitier si tôt, car, dans ses collaborateurs, il avait autant d'amis.

Je ne reviendrai pas sur la prospérité de la maison, que démontre suffisamment tout ce qui précède.


102 HISTOIRE DU COLLÈGE D'AUXERRE 12

Le fait important est que, d'entente entre l'autorité supérieure, représentée par le Recteur de l'Académie de Dijon et le Conseil municipal d'Auxerre, le Collège fut mis en régie, c'est-à-dire que la gestion du pensionnat fut retirée des mains du Principal pour être placée sous la direction de la Ville, représentée par un économe. C'est la fin, à Auxerre, du régime dit de « marchand de soupe », régime hybride justement décrié.

Principalat de M. Monceaux (1876 1879)

Le Principal qui inaugura ce régime fut M. Monceaux, régent de rhétorique, imposé ou presque par la Municipalité. M. Der douest était un disciplinaire un peu rude. M. Monceaux crut devoir, au point de vue de la discipline intérieure, prendre le contre pied de son prédécesseur, obéissant en cela, sans doute, aux suggestions de la Municipalité. Il se révéla d'une faiblesse disciplinaire déplorable qui faillit mener l'établissement à sa perte. Ou ceux qui l'avaient porté à sa fonction comprirent, ou lui même sentit qu'il faisait fausse route. M. Monceaux, au bout d'à peine trois ans, de 1876 à 1879, demanda son changement et alla terminer sa carrière au collège de Beauvais.

L'année 1876 eut aux divers examens le succès accoutumé :

Baccalauréat ès-sciences complet 5

Baccalauréat ès lettres complet 1

scindé (rhétorique) . . 27

scindé (philosophie) .. 10

Il y eut, dans renseignement spécial, 2 diplômes d'études.

Au Concours général on signale 1 accessit.

Au Concours académique, on signale 1 prix et 17 accessits.

En l'année 1877, nous comptons :

Baccalauréat ès sciences complet 2

Baccalauréat ès lettres scindé (philosophie) .. 18

scindé (rhétorique) ... 20

Diplômes d'enseignement spécial 4

Au Concours académique, 2 prix et 12 accessits.

Le compte de gestion dans le nouveau régime est satisfaisant. Le Bureau en félicite le Principal et l'Econome avisé, M. David. Les sommes s'élèvent : en recettes, à 152.228 fr. 80 ; en dépenses, à 145.294 fr. 12; excédent de recettes, 6.934 fr. 68.


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En 1877, le Ministère accorde un supplément de 300 francs de traitement aux professeurs qui ont le grade de licencié.

Le Bureau trouve juste d'augmenter l'allocation du Principal de même somme, puisqu'il est, lui aussi, licencié.

Le Collège doit à M. Monceaux l'établissement bien utile des bibliothèques de quartier. Sur son initiative, on vota aussi 300 francs pour rendre les maîtres internes plus stables; 1.000 francs pour récompenser les professeurs des succès au Concours académique; 1.200 francs au lieu de 1.000 francs pour la distribution des prix.

Mais la rentrée s'annonce mal, nombre d'élèves s'en vont, des vides se creusent dans la population collégiale. Le Principal abandonne cette tâche que sa faiblesse a compromise.

Principalat de M. Sallé (1879 1890 ; durée, 11 ans)

M. Monceaux est remplacé par M. Salle qui vient, du petit collège de Montargis, au collège de plein exercice et en régie d'Auxerre. L'Administration a eu la main heureuse, son choix a été bon. La suite de cette étude le démontrera.

Ce principalat doit être étudié en deux parties : la première, qui s'étend de 1879 à 1883 ; la seconde, de 1883 à 1890. Cette division s'impose par la terrible catastrophe dont souffrit la ville d'Auxerre, la désastreuse épidémie de 1882, de fièvre typhoïde, qui fit tant de victimes, mit tant de familles en deuil, et dont le souvenir n'est pas encore effacé.

Première période : de 1879 à 1883 (4 ans) En pleine année scolaire, par arrêté de juin 1880, le Concours académique est supprimé ; le Collège ne prendra part, désormais, qu'au Concours général; ses succès seront donc plus rares et moins retentissants. C'est une source de prospérité tout à coup , tarie, que ne compensera pas le prix Paul Bert, fondé en 1887.

Pourtant, les recettes du compte administratif, en ces quatre années, dépassent le chiffre de 150.000 francs en recettes. Les dépenses, en général, sont aussi, ces années là, ce qu'elles étaient précédemment. En 1879 80, il y eut, pendant les deux mois de vacances, une dépense de 18.030 francs qui put paraître extraordinaire ; elle fut nécessaire et productive, car elle fut payée par la caisse même du collège et consacrée à l'achat d'un mobilier : lits de fer, sommiers, draps, linges, la Ville gérant le pensionnat, gérance à laquelle d'ailleurs s'entend admirablement l'économe,


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M. David, qui sait chaque année avoir en magasin des denrées, vin ou bois, qui doivent être qualifiées recettes.

En ces quatre années, il y eut une moyenne de 20 à 25 bacheliers es lettres et ès-sciences et une vingtaine d'autres succès dans l'enseignement spécial ou aux Arts et Métiers de Châlons et à diverses écoles.

Le Principal reçoit à chaque séance du Bureau des félicitations et des remerciements. Il est très attentif à ce que le personnel enseignant ou surveillant ou gens de service soient matériellement satisfaits, donc plus dévoués à leur tâche. Il fait augmenter le salaire du concierge, vieux et zélé serviteur, porte à 3.000 francs le traitement du professeur de la première chaire de mathématiques, M. Bonnotte, qui a au Collège trente-trois ans de services ; il fait voter 1.000 francs pour attirer au Collège, qui en a déjà un, des agrégés. Bref, ce zèle évident fait élever son traitement à 5.000 francs, dont 500 à titre personnel.

Nous voici à la seconde période, 1883 à 1890.

L'épidémie empêcha la rentrée de se faire à la date accoutumée. Elle n'eut lieu qu'en janvier. Il en résulta que presque tous les élèves des divisions supérieures et des classes à examens se dispersèrent à Sens, à Dijon, à Nevers, dans des collèges voisins, et qu'ils ne revinrent plus. Le Collège fut découronné.

Nouvelle cause de diminution : il se crée, par une singulière erreur administrative, dans les chefs-lieux de canton, des écoles dites primaires supérieures, dont les programmes d'enseignement se rapprochent de ceux de l'enseignement spécial ; les élèves venant suivre cet enseignement au Collège seront attirés à ces écoles, parce que les enfants seront plus près de leurs familles, les frais moins considérables. De plus, les récoltes agricoles et viticoles sont médiocres, les familles restreignent leurs sacrifices. Voilà de quoi justifier le fléchissement inévitable de la prospérité de notre Collège. Plus tard, vers 1885, la Municipalité elle même introduit une cause de perte des revenus du Collège, qu'elle déplore. L'Econome fournissait et vendait aux élèves les livres, les cahiers, les plumes, etc. La Municipalité déclare que les parents seront libres de se fournir dans la ville, à leur gré. Voilà encore une source tarie.

Les recettes au compte administratif diminuent donc nécessairement. En 1883, elles tombent à 103.000 francs ; c'est le plus bas chiffre, en cette année, le plus rapproché de la catastrophe ; elles remontent, mais lentement. Nous les voyons à 122.000 francs, à 138.000 francs, à 142.000 francs, le plus haut chiffre que le Prin-


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cipal a pu enregistrer, avec 141.000 francs, pour retomber à 133.000 francs, 120.000 francs.

Pourtant le Bureau, témoin de ces oscillations, a la sagesse de n'en pas rendre M. Salle responsable (1).

Au point de vue des succès aux examens, la maison n'est pas en décadence. Dans cette période de sept années de principalat de M. Salle, la moyenne par année est de 20 à 25 reçus aux baccalauréats ou autres examens, autant que dans la première période précédente.

Au Concours général on compte, en 1883, un 1er accessit en composition française dans l'enseignement classique; en 1884, un 4e accessit de littérature dans l'enseignement spécial ; en 1885, un prix de législation dans l'enseignement spécial; en 1887, le prix Paul Bert est fondé (2).

En 1883, le Collège a eu la visite et une complète inspection,

(1) Il constate d'ailleurs lui même que M. Sallé s'ingénie à atténuer dans la mesure du possible, le fardeau financier que fait porter à la Ville sa subven tion communale, qui grossit à mesure que les recettes décroissent.

En 1887 88, il jugea possible, proposa et eut d'ailleurs à sa proposition un plein acquiescement et du Bureau et du Conseil municipal à savoir d'augmenter le prix de l'internat et de l'externat inférieur, jusqu'ici, au prix établi dans les établissements similaires et rivaux. L'internat coûtera désormais pour les :

Divisions supérieures d'enseignement classique. .. 700 francs

de grammaire 650

élémentaires .... . . . 600

Dans l'enseignement spécial, pour la 1e année 620

pour la 2e et 3 année.. 550

pour la 4e, 5e et 6e année.. 700

L'internat payera pour les grands. . .. 140

pour les moyens ... . 120

pour la division élémentaire . 100

pour la classe primaire . 60

Le résultat sera que la subvention communale pourra être ramenée à 20.600 francs peut-être.

Un membre du Bureau enchérissant sur la proposition du Principal, émettait l'avis que le prix de la nourriture des internes fût, par an, diminué à 290 ou à 280 francs. Le Principal y fit opposition, les familles s'alarmeraient, pensaitil, et les 300 francs furent maintenus.

12) Rappelons qu'en cette même année 1887 fut fondé, par Mme Paul Bert, le prix Paul Bert pour être décerné alternativement à l'élève de mathéma tiques élémentaires ou de rhétorique qui, chaque année, après concours, aura fait la meilleure composition sur un sujet de géographie coloniale.

Autorisation ministérielle du 7 anvier 1887.


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dans toutes les classes, du recteur Chapuis ; ce chef plutôt sévère presque dur, vient cependant présider le Bureau et déclare qu'il est satisfait, et du personnel administratif et du personnel enseignant. Il se déclare moins satisfait de l'état matériel de la maison et laissa une longue liste d'améliorations à accomplir, desquelles la Municipalité accomplit les plus urgentes, remettant les autres à plus tard pour ne pas enfler le chiffre des dépenses toujours lourd à la Ville. Aussi réclamait-elle souvent, mais ne recevait jamais que chichement les subsides de l'Etat. Celui ci, même en ces années difficiles, lui imposait le blanchissage, le raccommo dage, les fournitures classiques pour ses boursiers, sur le nombre desquels la Ville le trouvait chiche aussi, comme pour ses subsides.

De tout ce qui précède il suit que le Principal fait son devoir, qu'il maintient l'ordre, que sous son administration vigilante et sachant stimuler chacun, tous travaillent, tous font leur devoir, et élèves, et maîtres.

M. Sallé aurait pu rester encore, malgré son état de santé pré caire, parmi nous ; il dut se retirer, c'est ce qu'il nous reste à raconter.

La cause fut un différend d'opinion entre lui et la Municipalité d'alors, le Principal voulant conserver le vicaire de la cathédrale, aumônier du Collège, payé du gros traitement de 300 francs, la Municipalité voulant le supprimer aux gages. Le Principal disait : L'aumônier, attaché à l'établissement, fait partie du personnel, j'ai autorité sur lui : il célèbre les offices à la chapelle du Collège, à l'heure que je lui prescris, il fait le catéchisme aux jours que je désigne et à des moments où les classes, les études, n'en ressen tent aucun inconvénient. Si vous le supprimez, les exercices religieux que les familles exigent ne seront pas supprimés pour autant, l'aumônier les fera en son église, à ses heures, je devrai y conduire des élèves, employer et augmenter le nombre, pour cette tâche, des maîtres surveillants, de même pour le catéchisme. » Mais les Municipaux furent sourds à ces raisons pourtant si justes. Il y eut, à plusieurs reprises, entrevues, discussions, cha cun tenant à son opinion. Pour avoir le dernier mot, la Munici palité menaça M. Sallé de réduire son traitement de 5.000 à 4.500 francs. Ce coup le décida à demander sa mise à la retraite, qu'il obtint. Il avait exercé au Collège onze ans, nous avons vu avec quelle habileté, quel succès ; la catastrophe de 1882 n'abattit ni son courage ni son zèle; il ramena peu à peu la population du Collège à la normale et laissa la maison, à son départ, aussi


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florissante ou à peu près qu'à son arrivée. Et, si l'on réfléchit qu'il souffrait de la terrible maladie incurable de la goutte, qu'il sut, malgré elle, toujours accomplir ses devoirs multiples, on ne peut que s'incliner devant tant de stoïcisme. Il mettait en pratique la maxime de Posidonios qui, au plus fort des crises, s'écriait : « Douleur, tu as beau faire, je n'avouerai pas que tu es un mal ! »

Principalat de M. Mitaine (Durée, un an)

En l'année 1891 92, le Collège a pour Principal M. Mitaine, venant d'un Collège dont nous ne savons pas le nom. Furent reçus cette année :

Baccalauréat ès lettres complet 3

Baccalauréat ès lettres scindé (rhétorique).... 17

(philosophie). .. 5

Baccalauréat (enseignement spécial) 1

Certificat de pharmacien de 2e classe 2

Le Bureau tint séance le 3 juin 1891. Dans l'explication qu'il donne du compte administratif, le Principal signale 125 au lieu de 138 pensionnaires, une diminution de boursiers et de demipensionnaires.

Principalat de M. Fromenti

(1892 1894 : durée, deux ans)

En l'année 1892-93, M. Mitaine a disparu, remplacé par M. Fromenti. M. Mitaine recula sans doute devant la tâche de relever le Collège momentanément fléchissant.

En cette année scolaire 1892 93, le succès aux divers examens n'a pas fléchi.

Baccalauréat ès-sciences complet 3

Baccalauréat ès lettres scindé (philosophie) . . 7

(rhétorique) . 4

Certificat d'examen à la 2e classe (pharmacie) . 1

(Ecole d'Alfort) 2

(Agric. Montpellier) 1

Baccalauréat (enseignement spécial) 7

Prix Paul Bert : Tassin (1893)

Au Bureau, le compte administratif porte toujours en dépenses une somme supérieure à celle des recettes. Le Principal en indique la cause dans la diminution du nombre des pensionnaires (20 en


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moins) et la cherté plus grande des denrées ; mais le nombre des demi-pensionnaires s'est accru de 15.

En l'année 1893-1894, le résultat des divers examens est satisfaisant : 27 bacheliers ès-sciences et ès lettres, dont 7 de l'enseignement spécial, et 5 élèves admis à diverses écoles.

Cette année voit disparaître M. Fromenti, qui a demandé et obtenu son changement. Son séjour à Auxerre, quoique bien court, n'a pas été heureux : il a eu la douleur de perdre une jeune fille de 18 ans, puis il a été victime d'un bruit calomnieux répandu dans la ville, dont on n'a pas su le ou les coupables: de détourner à son profit personnel et des siens partie de la nourri ture du pensionnat. Nous sommes, nous qui l'avons connu, con vaincu qu'il était incapable de pareille vilenie. Cette nouvelle douleur, s'ajoutant à la première, le décida à quitter cet établissement où il n'avait rencontré que des peines. Il semblait devoir être un bon chef; il fut assurément un honnête homme.

Principalat de M. Bréart (1893 à 1897 ; durée, quatre ans)

Ce principalat n'offre rien de saillant à signaler. Nous y voyons un nouvel économe, M. Jollibois.

Les recettes du compte administratif varient de 144.000 à 137.000 francs, en passant par 140.000 et 141.000 francs, ce qui indique que le nombre des élèves diminue sans qu'il soit donné de motifs de ce fait regrettable.

La diminution porte surtout sur l'enseignement spécial et moderne, elle est moindre dans l'enseignement des Humanités.

Le succès aux divers examens se maintient et s'accentue même, ce qui est dû à ce que, maintenant, il existe un baccalauréat de l'enseignement moderne scindé, comme celui des humanités, en plusieurs catégories : lettres, sciences, philosophie.

De plus, au Concours général : en 1894, 1 prix, 2 accessits ; en 1895, 1 prix, l'unique, décerné en mathématiques.

De ces succès, chaque enseignement a sa part, un peu plus accentuée, toutefois, dans l'enseignement moderne.

M. Bréart est parti à Coulommiers, préférant un collège à son compte, avec risques et périls de perte ou de gain à un collège en régie. Son administration fut, en général, estimée, mais les cir constances déjà signalées d'épidémies, de récoltes médiocres, de la création d'écoles primaires supérieures continuant d'agir suite nombre d'élèves, M. Bréart se sentit sans doute impuissant à


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lutter contre leur répercussion sur la population qu'il voyait décroître. Il partit sans être regretté mais sans emporter non plus de sérieux mécontentements.

Principalat de M. Créances (1897 1903 : durée, six ans)

M. Créances est un universitaire autodidacte, c'est à dire qui, après avoir pris ses grades dans l'enseignement primaire, parvint à l'enseignement secondaire par le baccalauréat ès sciences puis, travaillant, obtint la licence ès sciences naturelles. Après avoir enseigné quelques années, il entra dans l'administration, fut Principal dans divers collèges et enfin vint au Collège d'Auxerre où il resta six ans.

Le succès aux examens, baccalauréat classique et moderne, tous deux scindés comme précédemment déjà en plusieurs caté gories, fut l'équivalent des succès précédents : 30 à 35 en moyenne par année.

De plus, le Collège réussit au Concours général : en 1901, avec le 3e accessit en version latine, le 2e accessit en composition fran çaise; en 1903, avec deux accessits encore, le 3e en histoire, ensei gnement classique; 3e accessit aussi en physique et chimie dans l'enseignement moderne.

Le nombre moyen de la population collégiale atteignit, le plus élevé, 291, le plus bas, 276, en moyenne, 284 élèves.

Au compte administratif, les recettes varient entre 100.000 et 89.000 francs ; la nourriture par tête d'élève et par an est en moyenne de 295 francs.

Le Principal Créances ne pouvait pas ne pas s'alarmer de la concurrence que nous avons déjà signalée des écoles primaires supérieures cantonales et fonda au collège l'enseignement indus triel avec un professeur de travaux manuels qui cumulait avec la classe primaire, puis avec deux maîtres-ouvriers de la ville, pour le fer et le bois dans la chapelle transformée en atelier. On y faisait aussi un cours de droit et les élèves, suivant leur âge et leur développement intellectuel, suivaient les cours de lettres et de sciences dans l'enseignement moderne.

A la dernière année de son principalat, M. Créances eut à rédiger le contrat décennal entre l'Etat et la Ville, ce dont il s'acquitta à la satisfaction des parties, c'est à-dire le Bureau d'administration, la Ville et l'Etat.


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CHAPITRE II

LES PROFESSEURS

Le titre de ce chapitre ne doit pas être pris à la lettre. Tl ne signifie pas que nous mettrons sous les yeux du lecteur la longue et fastidieuse liste de tous les professeurs qui ont occupé une chaire au Collège depuis 1826 à 1903. Nous ne citerons que ceux qui s'y sont attachés par un long séjour et ont par là contribué à sa prospérité, à ses succès. Nous nous bornerons à nommer les fonctionnaires externes, sans charger notre travail par l'énumé ration des maîtres internes ne faisant que passer dans l'enseigne ment des classes élémentaires.

Dans l'année scolaire 1826-27, sous le principalat de l'abbé Nivoy, le sous principal, l'abbé Robert, enseignait la philosophie. Les autres régents on sont omis au registre du Bureau ou n'ont pour notre étude aucun intérêt. Nous relevons seulement le nom du régent de 4e M. Haran, déjà régent de 5e depuis 1813 et régent de 6e en 1808. Il était de Vézelay, fit toute sa carrière au Collège. Nous nommons aussi le régent de 6e, M. Hélie. Il exerçait depuis longtemps au Collège, où nous l'avons signalé régent de 5e et 6e en 1811, car le Bureau sollicita du Ministre que, vu son âge, il soit à bref délai mis à la retraite ; sa classe est en souffrance. Le Bureau ajoute toutefois qu'il lui soit donné la pension que méritent ses bons et longs services.

Cette même année les sciences étaient enseignées par un M. Boucher, muni du grade d'agrégé, d'où nous concluons qu'il était Auxerrois et tenait à rester dans sa ville natale, à enseigner au Collège, où sans doute il avait fait ses premières études, puisqu'il exerçait dans un collège, avec ce grade rare à l'époque et maintenant encore réservé le plus souvent aux lycées. Notre opi nion est d'ailleurs confirmée par la tradition : un vigneron d'Auxerre, du nom de Gravereau, nous a plusieurs fois parlé du savant mathématicien Boucher, son parent, dont la famille était fière à juste titre. Nous pensons que c'est bien l'élève que nous voyons distingué d'un prix du préfet R. de la Bergerie à la distribution de 1808 !

En 1827 28, la rhétorique a un titulaire. Il se nomme DaltierFleuriselle. Nous ne le mentionnerions pas, si le Bureau ne nous le montrait comme un fonctionnaire d'un caractère singulière-


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ment indépendant ou d'une rare inconscience de son devoir. Après avoir demandé un congé, il est vrai, mais sans attendre la réponse, il avait quitté sa classe, et ses élèves depuis longtemps déjà attendaient son retour. Le Bureau demanda au Ministre de prendre une sanction contre le coupable, que par ordre il revienne sans retard ou qu'il soit révoqué.

En cette année M. Boucher disparaît ou retraité ou décédé. Le Bureau décide qu'il sollicitera du Ministre de nommer à cette chaire M. Dondenne fils, que « son instruction, dit la délibéra tion, et sa moralité rendent digne de celte fonction » (1). L'année suivante, M. Dondenne est investi de la chaire où le Bureau le désirait. Il fit toute sa carrière de trente ans au Collège, générale ment réputé pour son savoir et son talent pédagogique. Nous l'avons connu retraité à notre arrivée à Auxerre, en 1875. Il travaillait encore, fréquentait assidûment la bibliothèque de la Ville, où il avait sa place attitrée C'était un petit vieillard aux longs cheveux encore blonds frisés, bien soigné de toute sa personne, sympathique à tous les lecteurs dont plusieurs, sans doute, n'avaient pas oublié qu'à leur grand profit il les avait souvent collés au tableau noir.

Les régents n'étaient pas riches, alors, quoique en 1829 le Bureau eût hiérarchisé, si je puis dire, leurs traitements, de sorte qu'ils s'augmentaient, suivant la hiérarchie des chaires ellesmêmes, de 1.200 francs en 6e, jusqu'à 1.700 francs en rhétorique, sans dépasser la somme que la Ville y consacrait chaque année, 10.300 francs.

Le Bureau se rendait compte, sans doute, qu'il eût mieux valu en accroître le montant. Le règlement universitaire de l'époque exigeait que les régents fissent leurs classes revêtus de la robe. La question se posa s'il fallait les contraindre à se procurer une robe d'apparat pour les cérémonies publiques. Le Bureau décida de ne pas leur en faire une obligation et que l'habit de ville suffirait à l'occasion.

En 1831-32, le Principal, M. Lacombe, supplée en philosophie un régent non encore désigné. En 1832, l'administration envoya un titulaire, du nom de Bonamy qui, si nous en croyons une tradition auxerroise, sortait de l'Ecole normale supérieure. C'était un régent de grand savoir et de non moins grande originalité dans sa conduite privée. Il employait, disait on, les grandes

(1) Sous le principalat de Dom-Laporte, en 1822, Dondenne fils remportait le prix de mathématiques.


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vacances à voyager à pied et gagnait ses frais de déplacement en jouant à l'étape, dans les cafés, du violon, instrument sur lequel il avait du talent. Il vivait avec sa soeur aussi bohème, sinon plus, que lui même, jusqu'à aller au marche chaussée des bottes de son frère. M. Bonamy était réputé incapable de maintenir la discipline dans sa chaire. C'est peut-être pour cette raison qu'il fut, l'année suivante, nommé en rhétorique. C'était le précipiter de Charybde en Scylla.

En 1834, le Bureau, dont fera partie désormais de droit le Prin cipal, élabora un plan, auquel nous ne savons pas si M. Lacombe collabora. Il s'agissait d'obvier à l'inconvénient de laisser les élèves inoccupés en l'absence du régent. Voici le moyen qui fut délibéré et décidé

1° Se suppléeront mutuellement, le Principal et le régent de philosophie ; le régent de rhétorique et de seconde ; le régent de 3e et de 4e ; le régent de 5e et de 6e ;

2° En cas d'absence du régent de mathématiques, les régents des trois divisions qui suivront ses cours feront classe, comme à l'ordinaire, les jours où il devrait y avoir cours de sciences ;

3° Il n'y aura lieu à aucune indemnité pour le suppléant si la suppléance n'a duré que 15 jours. Au bout de 15 jours, le sup pléant touchera la moitié du traitement du titulaire.

Le Bureau entend par suppléance que le régent suppléant un collègue réunira les deux classes, celle du suppléé et la sienne. Ainsi les élèves ne seront jamais inoccupés.

En 1834 35, M. Bonamy étant descendu en rhétorique, M. Xavier Ravin fut nommé en philosophie. Nous ne savons pas où il avait enseigné auparavant. Il exerça à Auxerre 24 ans, jusqu'en 1858. C'est déjà une garantie du talent et du savoir de M. Ravin, que cette longue durée de services appréciés. Ajoutons y cette seconde garantie et confirmation de son mérite, qu'il fut l'ami intime du représentant du peuple à la législation de 1849, Savatier Laroche, dont nous avons eu l'honneur d'exposer devant notre Société des Sciences la biographie. Vous n'avez pas oublié le libéralisme de ses opinions politiques, la profonde culture littéraire et philoso phique de son esprit, la générosité de son coeur. Si Ravin et lui se lièrent, c'est qu'il y avait entre eux des affinités qui les attiraient l'un vers l'autre. On peut se figurer les deux amis discutant, dis putant de cent questions philosophico religieuses et sociales dans le jardin, à l'ombre des vieux arbres de la rue d'Egleny. Avec la philosophie, Ravin enseigna, suivant le plan de M. Lacombe,


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l'histoire générale, mérite nouveau que nous devons lui reconnaître.

1835 36 et les deux années suivantes ne nous offrent que les mêmes régents.

En 1837-38, un M. Zévort remplace, en rhétorique, M. Bonamy, en congé. Nous n'avons pu établir si ce M. Zévort était l'historien qui eut plus tard un nom. D'ailleurs, il ne nous restera guère. M. Rousseau Anatole, qui comme maître d'internat avait quelque temps suppléé M. Hélie, dont on attendait la retraite, et était passé en 5e, est atteint d'ophtalmie chronique et il abandonne l'enseignement ; il est remplacé par un M. Graliot qui ne restera guère dans cette chaire. M. Rousseau se retira à Montigny laResle, où la tradition nous le montre vivant en propriétaire aisé — rare bonne fortune pour un universitaire. Il était né coiffé, quoiqu'on le désignât, par suite de l'habitude qu'il avait de rester tète nue, sous le nom de « Rousseau sans chapeau », pour le distinguer de son collègue et homonyme Rousseau Claude, qui de maître d'internat, lui aussi, était passé en 6e.

Rousseau Claude, après avoir été maître interne à Avallon, puis à Auxerre, est investi, après M. Hélie, de la chaire de 6e. Il ne la quittera plus qu'après 44 ans, à l'âge de 72 ans, où il mourut sans avoir pris sa retraite. Ces longs états de services l'avaient rendu légendaire à Auxerre, dans le département de l'Yonne et dans les départements voisins où tant de ses élèves avaient étudié sous sa direction le Selectoe et les fables de Phèdre en latin, puis en grec anonné les fables d'Esope. Quand il mourut, presque dans sa chaire, ce fut une surprise : le père Rousseau — c'est ainsi qu'on le nommait toujours paraissait immortel.

En 1838 39, le Conseil municipal et le Bureau méditent de doter le Collège de l'enseignement de deux langues vivantes : l'anglais et l'allemand. Pour la langue anglaise, le choix des édiles tomba sur un jeune Ecossais, venu depuis peu à Auxerre, et y exerçant la profession de courtier en vins. Milne était son nom. Il accepta la chaire avec 1.200 francs d'appointements. La Ville d'Auxerre était économe, et pour cause. Milne était un homme d'esprit peu cultivé, mais d'une intelligence souple, avisée, capable de s'adapter habilement à sa nouvelle et bien inattendue fonction. Il possédait bien sa langue et sut s'y perfectionner par le travail, la lecture, l'étude des divers programmes qu'il dut enseigner à des élèves d'âges différents. Il sut même devenir un pédagogue de quelque mérite. Mais il se révéla en lui un défaut qui tenait à la fois à une •connaissance insuffisante des enfants français et à son origine


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étrangère, qui lui faisait d'abord assez mal prononcer le français et commettre des pataquès ridicules dont nos gamins s'amu saient fort. Milne devint bientôt, sous ce rapport, légendaire, même dans la ville.

En 1850, le Bureau et le Conseil municipal s'émeuvent. Il semble qu'on veuille se débarrasser de Milne ; on n'ose pas l'attaquer directement et l'on prend un biais. Il faisait deux cours de langue anglaise, l'un aux écoles communales, l'autre au Collège. On lui supprime le premier, peu suivi, avec 400 francs de traitement. Il ne reste à la victime que 800 francs. On espérait qu'il démissionnerait. Mais point. Il réclame, crie misère ; on fait la sourde oreille. Mais, toujours sans démissionner, Milne réclame encore, persévère dans ses plaintes ; bref, ce conflit dura un temps que nous ne savons pas; l'opiniâtre régent finit par attendrir ses non moins opiniâtres persécuteurs. De mauvaise grâce on lui donna ses 1.200 francs à la condition qu'il ferait un cours d'anglais du soir aux jeunes employés de la Ville. Voilà l'orage apaisé. Pas pour bien longtemps; il gronde de nouveau en 1854; on réduit Milne à 900 francs. Nous sommes moins instruit de la cause, sans doute toujours la même : sa classe où l'on s'amuse si bien, disent ses élèves. Milne échappe à la nouvelle bourrasque, nous ignorons comment.

Dès lors, l'horizon se rassénère. Le régent a su atténuer, sinon corriger complètement son défaut de discipline ; il s'est fait une méthode d'enseignement, ses élèves l'écoutent mieux ; puis l'enseignement spécial, en 1865, rend la langue anglaise obligatoire et dans les classes et dans les examens. Les élèves de Milne y font bonne figure.

La langue anglaise est appelée à concourir huit fois, de 1867 à 1878 au Concours académique. Elle y obtint 3 prix et 12 accessits. Pour ces succès et pour la besogne accrue, le traitement de Milne est porté à 1.400 francs. On peut trouver la récompense assez maigre.

Nous ne savons pas à quelle date Milne prit sa retraite : ce fut aux environs de 1880. Il avait enseigné près de 40 ans, carrière mouvementée, mais qui finit dans le calme et la paix. Son fils était professeur agrégé d'anglais à Charlemagne, à Paris ; sa fille mariée à un journaliste qui devint receveur particulier des finances dans une de nos colonies d'Afrique.

En même temps que les édiles choisissaient Milne pour enseigner l'anglais, ils appelèrent à enseigner la langue allemande un réfugié polonais,du nom de Klobukowski, qui vivait péniblement,


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à Auxerre, d'un modeste emploi d'expéditionnaire à la préfecture. La langue allemande réunissait si peu d'élèves que la Ville songea à supprimer le cours. Il ne fut sauvé que parce qu'un inspecteur général avait trouvé dans cette classe des élèves intelligents et conseilla son maintien. Le malheureux régent ne gagnait que 600 francs par an. Nous ne savons combien d'heures on exigeait de lui pour ce salaire de famine, qui fut même wne fois réduit à 500 francs. C'était pitoyable. M. Klobukowski n'avait pas l'entre gent de Milne et ne sut pas se faire valoir avec autant d'habileté. Il eut une famille nombreuse ; un fils lui fait beaucoup d'honneur, lequel fut ministre de France au Pérou, à Bruxelles, et gendre de Paul Bert, qui l'avait apprécié au Tonkin.

Des trois années 1843-44,1844-45, 1845 46, nous n'avons que des noms de régents, lesquels ne rentrent pas dans le cadre de ce travail.

Nous voici dans l'année 1845 47. En vue de l'érection possible du Collège en Collège royal et à cause du renchérissement de la vie, le Bureau juge qu'il convient d'augmenter les traitements des régents, conformément à une circulaire ministérielle de 1839, de manière que les chaires de philosophie et de rhétorique touchent 1.900 francs, les chaires de mathématiques élémentaires de 2e et de 3e 1.700 francs, les chaires de 4e, 5e, 6e, 1.500 francs, ce qui fait à chacun une augmentation de 100 francs.

1847 1848 n'offre aucun intérêt pour nous.

En 1848-49, nous entrons pour vingt ans dans le principalat de M. Munier.

Presque simultanément nous voyons M. Bonamy revenir, après congé, dans sa rhétorique, y remplaçant le nouveau Principal. Nous ne redirons pas ce que l'on peut attendre de cet original fantoche.

Mais, en 1849 50, l'importance et l'étendue que prend l'enseignement des sciences a nécessité la création d'une seconde chaire que vient occuper M. Bonnotte. Il est originaire de Clamecy, sort de l'Ecole normale supérieure, toutefois sans être agrégé. Auxerre est son premier poste et en sera le dernier. Il s'attache au Collège, se marie dans la ville, où bientôt sa réputation naît et ira toujours croissant, réputation de savoir, de dévouement.

Nous avons, dans notre chapitre premier, cité plusieurs événements heureux survenus sous le principalat de M. Munier ; la nomination de M. Bonnotte peut s'ajouter à ces événements. Elle aussi sera une cause indiscutable de la prospérité du Collège. Pendant trente ans et plus, sous le principalat de trois principaux


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après celui de M. Munier, la liste des bacheliers ès sciences s'allon géra et sera, pour la plus grande partie, l'oeuvre de M. Bonnotte qui, d'abord professeur dans des cours d'importance secondaire, prend la place de M. Dondenne, lequel se consacre volontaire ment à la chaire de physique et chimie. La haute et importante chaire de mathématiques élémentaires devient et restera la propriété de M. Bonnotte. De la qualité de son enseignement nous avons un témoignage probant que nous devons citer. Un de nos anciens élèves, devenu le général Descourtis, originaire du MontSaint Sulpice, a dit, dans un banquet de l'Association amicale du Collège, à Paris : « M. Bonnotte avait une méthode d'enseigner bien à lui, que n'approuvaient pas toujours les inspecteurs généraux, mais dont ils reconnaissaient unanimement l'efficacité et le succès ». Cette opinion d'un témoin et personnage compétent peut se résumer en deux mots : originalité et perfection. Pourquoi faut il, pour achever ce portrait de M. Bonnotte, dire que la fin de sa vie fut attristée par la conduite de son fils? Le Collège, la Ville entière, partagèrent l'affliction du père infortuné.

La même année que Bonnotte arriva au Collège M. Blin, déjà régent sous M. Lacombe où il signa, nous l'avons dit, une fois, le palmarès, et occupait la chaire de 3e classique; il la quitta pour prendre celle d'histoire, enfin créée par la Ville. La tâche nous paraîtrait lourde aujourd'hui pour un seul régent. M. Blin l'assuma courageusement. Nous aimons à croire, quoique nous n'ayons pu le savoir sûrement, qu'elle fut allégée plus tard. Il enseignait l'histoire du Moyen Age en 3e, l'histoire de France en rhétorique et en seconde, l'histoire romaine en 4e, l'histoire ancienne en 5e et en 6e. Le même général Descourtis, au banquet où il parla de M. Bonnotte, associa au souvenir de ce dernier le souvenir ému de M. Blin, dont il dit qu'il était l'Histoire personnifiée, impertur bablement sue et enseignée avec clarté et dévouement. A ce titre et à celui que, lui aussi, s'attache à Auxerre, y fit toute sa carrière, M. Blin devait avoir une bonne place dans notre travail.

Nous l'avons connu dans sa longue retraite, avec la cravate blanche, le haut-de-forme du temps de Munier. Il était toujours actif: nous l'avons jugé tel dans plusieurs commissions où il rendait encore des services à l'Université. On disait de lui, comme autrefois de Dom-Laporte, qu'il était aumônier et s'associait à de nombreuses bonnes oeuvres.

A M. Blin, en 3e classique, succéda M. Monceaux, qui passa en rhétorique après M. Bonamy, devint Principal quand le College fut en régie, en 1876. Nous l'avons jugé comme Principal dans


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notre chapitre premier. Comme professeur, il resta peu de temps en 3e et prit la chaire de rhétorique. Il y fut un professeur non sans valeur, fort recherché et réputé dans les pensionnats de jeunes filles, où il plaisait pour sa tenue très soignée, sa parole abondante et facile. Son titre à une place dans notre travail, c'est qu'il fut un Auxerrois, prit après le principalat de Beauvais sa retraite à Auxerre, où sa famille, y résidant encore, rappelle honorablement son souvenir.

En 1855, vint occuper au Collège la chaire de seconde clas sique M. Marchand, licencié ès-lettres, franc-comtois d'origine. Le Collège fut pour lui, comme pour M. Bonnotte, probablement son premier poste et indubitablement le dernier, puisqu'il prit sa retraite dans notre ville.

M. Marchand était un timide et un modeste, mais son savoir, son dévouement à son devoir, lui gagnèrent sans qu'il la recher chat, la notoriété et, de plus, l'estime générale de ses chefs, des parents, des élèves, de la population auxerroise tout entière. L'affection de ses élèves lui fut aussi pleinement acquise, car ils sentaient qu'ils les tenait pour ses enfants et se consacrait à eux avec un dévouement absolu. La qualité de l'enseignement de M. Marchand est attestée par les nombreux, très nombreux succès que ses élèves remportèrent au Concours académique : à chaque année, à l'exception d'une seule, ils y furent nommés. M. Marchand était surtout un helléniste érudit et passionné. Un de ses élèves, Alapetite, aujourd'hui investi d'une haute fonction gouvernementale, disait de lui . « Voyez M. Marchand ; quand il ouvre un livre de grec, on dirait un prêtre ouvrant le tabernacle ». M. Marchand devint si bien Auxerrois qu'il se fit bâtir une maison en face du Collège; il n'avait que la rue à traverser pour entrer dans le sanctuaire où il officiait, comme aurait dit M. Alapetite. Il s'était marié à Chevannes, près d'Auxerre. Sur la tombe de M. Marchand, on aurait pu graver : transiit benefaciendo.

En 1859, M. Xavier Ravin se retire. Il est remplacé par M. Fouillée, frais émoulu de l'Ecole normale supérieure, agrégé. Son doctorat avec sa thèse sur le déterminisme, le rendit célèbre, et c'est à peine s'il resta une année scolaire à Auxerre. Disons que, sur l'initiative de l'Inspecteur d'Académie Huret, le Conseil muni cipal et le Bureau avaient, en plein accord avec lui, imaginé de faire nommer en philosophie, au Collège, un abbé qui, en même temps, serait l'aumônier et donnerait un plus grand développement à l'enseignement religieux, que l'Inspecteur trouvait insuffisant. La parfaite coïncidence de date entre la retraite de M. Ravin


118 HISTOIRE DU COLLÈGE D'AUXERRE 28

et la nomination de M. Fouillée fit échouer ce plan et semble indiquer que l'administration universitaire supérieure ne l'avait pas vu d'un oeil favorable.

En 1859, M. Vidal succède, dans la chaire de 4e classique, à M. Baleine, qui prend sa retraite.

Si un peintre de portraits nous demandait deux modèles pour les peindre en un dyptique, l'un en face de l'autre, nous lui dési gnerions Marchand et Vidal. Nous venons de représenter Mar chand ; voici, sous notre plume, Vidal. Il y a entre les deux régents des ressemblances et aussi des différences. Et d'abord, les ressemblances : tous deux, non originaires de notre ville (car Vidal est fils de l'Auvergne) adoptent Auxerre, en font leur résidence, y fondent une famille, s'attachent au Collège, Vidal comme maître interne, puis maître de 7e, et enfin régent de 4e où il finira sa carrière, en 1884, avec 25 ans de services. Tous deux ont même talent d'enseigner, mêmes succès aux concours, pour Vidal un peu moins nombreux; tous deux ont accompli leur devoir avec un dévouement absolu, appréciés hautement de leurs chefs, des familles, de toute la population; celle-ci, en parlant d'eux, les associait en disant : Ce sont les deux piliers du Collège. Voici, en regard, quelques différences : Vidal était moins paternel que Marchand, il menait sa classe un peu comme un sergent son escouade, sans aller pourtant jusqu'à la rigueur militaire; il savait qu'il enseignait des enfants, d'âge encore tendre, que sévérité n'est pas rigueur, et il savait à propos détendre leur esprit, parler à leur coeur, car Vidal était poète, et il a laissé un livre de poésie ; aux compliments de ses élèves, au Jour de l'An, il répondait par des vers attendris.

C'est le côté énergique de Vidal qui le fit choisir par M. Munier pour son sous principal, tâche qu'il mena de front avec celle de régent, depuis 1861, pendant dix. ans, et où il fut disciplinaire impeccable et par là encore excellent ouvrier de la prospérité du Collège, comme nous l'avons déjà montré. Dans sa vieillesse, il fut menacé de cécité. Que l'on juge de son désespoir, lui qui ne vivait que de ses livres, de ses poètes favoris ! La mort lui épargna cette cruelle calamité.

En 1866 67, le Bureau arrête d'augmenter de 100 francs tous les professeurs, en raison de l'augmentation de la rétribution collégiale due à l'augmentation du nombre des élèves.

A M. Fouillée succéda, en philosophie, un M. Mongel, qui ne reste pas assez longtemps pour mériter dans notre étude autre chose que de citer son nom. Il fut remplacé par M. Karr.


29 AU XIXe SIÈCLE 119

M. Karr est originaire de Châtillon sur Seine. Il est licencié ès-lettres et il enseigne la philosophie à la satisfaction de tous. Le Principal Derdouest a pour lui une estime particulière, que corrobore le nombre de bacheliers qui sortent de sa classe chaque année.

Mais il survient entre lui et le professeur de rhétorique une querelle fâcheuse. Des élèves, en général les meilleurs, passent le baccalauréat après la rhétorique, gagnant à cela une année à ne pas faire leur classe de philosophie. M. Karr, privé ainsi des meilleurs sujets, voit diminuer le nombre des bacheliers qu'il comptait d'ordinaire à son actif, et il acquiert la certitude que ce mouvement, qui lui est préjudiciable, est favorisé par son collègue de rhétorique. Il lui en fait la remarque avec quelque amertume ; son collègue n'en tient compte et le prend de haut. Voilà donc deux fonctionnaires désunis. Or, à ce moment, le collège est mis en régie et le professeur de rhétorique Monceaux devient principal. Karr ne put rester sous ses ordres. Stimulé, non battu par cette disgrâce, il va à Paris, prépare, obtient l'agrégation de grammaire, est nommé professeur de sixième au lycée Louis le Grand, collabore avec l'inspecteur général Chassang, édite avec lui des manuels qui ont du succès. Mais, hélas ! une congestion l'emporte en plein triomphe. Son énergie méritait mieux : « La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles », a dit le poète.

Parmi les collaborateurs de M. Desdouest, citons encore M. Lemoine, qui, breveté de Cluny, enseigne, dans l'enseignement spécial, les mathématiques et le dessin graphique. Il est originaire d'un département du Centre. Il adopte Auxerre, y fonde une famille, s'attache à l'établissement et y finira sa carrière. Son enseignement fut vite apprécié, mis en relief par les nombreux succès de ses élèves au concours académique presque chaque année et une fois même au concours général. Il est justement réputé pour un professeur compétent et zélé. Quand fut fondé le collège devenu le lycée de jeunes filles, il y est appelé et de même apprécié dans son enseignement des mathématiques et du dessin linéaire. A côté du professeur de sciences exactes, il y avait en M. Lemoine un remarquable artiste violoniste.

Avec lui vint, sortant également de Cluny, un M. Coderch. Il ne se fixa pas, lui, à Auxerre : les qualités de son enseignement historique et littéraire, montrées par des succès au concours académique, firent regretter son départ pour la direction d'une école normale primaire.


120 HISTOIRE DU COLLÈGE D'AUXERRE 30

Un Clunysien également, du nom de Lessiau, instruit, mais plus qu'immoral, amoral, excita bientôt dans la ville un tel mépris que l'on se félicita du prompt départ qui en débarrassa le collège.

Nous voici en face d'un honnête homme, d'un véritable éducateur de la jeunesse, M. Marchal.

M. Marchal, originaire de la Haute Marne, débuta dans l'Université, répétiteur au lycée de Strasbourg, où il devint licencié ès sciences mathématiques. Il fut nommé au collège de Schlestadt, où il se maria, croyant y finir sa carrière. Mais la guerre malheureuse de 1870 éclate, la France est dépouillée, découronnée de l'Alsace-Lorraine. Marchai quitte Schlestadt avant que le Boche en vienne empoisonner l'air, arrive en France, sollicite un poste, est nommé à Auxerre. Il s'y fixe, heureux de respirer l'air de la patrie ; il y enseigne les mathématiques dans la seconde chaire au collège, puis dans la première chaire lors de la retraite de M. Bonnotte, dont il continue l'oeuvre avec la même distinction, le même succès. Quand sonne l'heure de la retraite, il vit en sage, cultivant son jardin attenant à la maison qu'il a bâtie, et reçoit de ses concitoyens une précieuse marque de l'estime qu'ils lui portent pour son enseignement et au collège de garçons et à celui des jeunes filles, où il le continua quand celui ci fut lycée : ils le nomment conseiller municipal.

En 1874, la classe de troisième classique est confiée à M. L'Héritier, né à Vincelles, élève brillant du collège, où il tenait la tête de sa classe. Il fut, devenu professeur, ce qu'il avait été pendant ses études : laborieux, homme de devoir. Faire son devoir était une tradition de famille que lui avait léguée son père, un digne instituteur. Malheureusement la mort le frappa trop jeune, laissant une veuve avec deux petites filles qu'elle sut péniblement, mais courageusement, élever dans les principes de leur père, qu'elles connurent à peine.

Cette année 1874 vint à notre collège un Clunysien, M. Lefebvre, professeur de langue allemande dans l'enseignement spécial. Lefebvre se maria à Auxerre, où il professa neuf ans avec distinc tion aux deux établissements universitaires. Il ne quitta notre ville qu'à regret, mais sa nombreuse famille le fit partir en nous ne savons quel lycée pour y gagner des appointements plus rému nérateurs.

Encore dans l'enseignement spécial, nous voyons M. Wernert, sorti de Cluny avec le grade d'agrégé. L'administration ne le laissa pas longtemps dans un collège et l'envoya successivement


31 AU XIXe SIÈCLE 121

dans plusieurs lycées ; il a fini sa carrière au grand lycée de Dijon.

En 1875, M. Cestre occupe la chaire de sixième après un prédécesseur du nom de Terrasse, incapable, immoral et moins que qua lifié pour remplacer dignement le père Rousseau, à qui il avait succédé. M. Cestre se fixa à Auxerre, eut l'heur de réussir sans faire regretter le père Rousseau, passa successivement de sixième en cinquième, puis de cinquième en quatrième, où il finit sa carrière comblé de l'honneur d'être chevalier de la Légion d'honneur, sur l'initiative de son principal M. Créances, de son inspecteur d'académie Oudinot et du recteur Boirac.

De 1876-1877, date la mise en régie du collège. Voir notre chapitre I.

En 1876 paraît au collège, comme maître interne, M. Guinot, dont nous ignorons l'origine. Il devint Auxerrois, occupa successivement avec un certain succès les deux chaires de sixième, puis de cinquième classiques. Il prit sa retraite en 1903 avec vingt-sept ans de services au collège ; il est mort récemment à Seignelay.

En 1876, un M. Perrichon succéda à Karr en philosophie. Il suffit de le nommer.

En 1876 aussi, M. Devillars, licencié ès lettres, occupa la chaire de cinquième classiques. Ensuite, après la mort de M. L'Héritier, il sollicita et obtint la troisième. Entre temps, il s'était marié à une parente du sénateur Ribière. Il quitta sa chaire d'Auxerre, alla à Paris, se fit agrégé de grammaire et finit au lycée Montaigne.

Nommons encore, en 1876, un M. Devaussanvin, certifié d'allemand. Il se hâte de quitter le collège pour aller en Sorbonne conquérir de nouveaux grades et il enseigna au collège Chaptal, à Paris.

A nommer aussi, comme exemple de persévérance, un maître interne du nom de Gillot, originaire de Ressy-sur Cure. Il n'avait ici que le brevet simple primaire. A force de travail et de volonté, avec des moyens de fortune, il prit tous ses grades, moins l'agrégation, entra et finit maître d'une chaire auxiliaire de sciences au lycée Buffon, à Paris.

Enfin, notre collège voit arriver, pour occuper la chaire de rhétorique après M. Monceaux, un de ses bons élèves plusieurs fois lauréat du concours académique, M. Bonnerot, licencié ès lettres, Jovinien d'origine. Son enseignement fut très remarqué et très brillant : savoir et élégance d'esprit et de langage le caractérisaient. M. Bonnerot nous quitta trop tôt et regretté, conquit en Sorbonne l'agrégation des lettres et fut nommé en troisième à


122 HISTOIRE DU COLLÈGE D'AUXERRE 32

Louis-le-Grand. La mort interrompit trop tôt une carrière qui s'annonçait très belle.

En 1877, à Perrichon, très peu remarqué comme professeur de philosophie, succède, au grand avantage de notre établissement, M. Picavet. M. Picavet est dans la force du terme le salf made man, comme disent les Anglais. D'abord élève de l'Ecole normale primaire de Douai, il prend tous ses grades d'enseignement pri maire; sans doute, il exerça quelque temps comme maître adjoint dans le département de l'Aisne, dont il était originaire ; mais il trouva le temps et eut l'énergie d'apprendre le latin et le grec. Il prit le baccalauréat, la licence ès lettres. C'est avec ces deux grades, qu'après un court séjour dans un collège de Vendée, il arriva à Auxerre, professeur de philosophie, science spéciale à laquelle il se consacra tout entier. M. Picavet n'avait pas une grande facilité de parole, mais ses leçons, toujours soigneusement préparées, étaient claires et pleines de substance. M. Picavet, de plus, s'attachait à ses élèves et se faisait non seulement estimer, mais aimer d'eux. C'est M. Picavet qui sut captiver l'intelligence et le coeur de Rigout Julien, lequel fut, si l'on peut dire ainsi, son oeuvre et qui, sous sa direction, avait gagné le deuxième prix de dissertation française au concours général et au concours acadé mique de 1878. Après avoir mérité les plus grands éloges dans notre collège, M. Picavet obtint d'être bibliothécaire à la Sorbonne et, dans le calme de cet emploi, il acheva ses études de philosophie et en prit le grade d'agrégé, puis passa le doctorat avec une thèse sur la philosophie, la scolastique du moyen âge. Ces succès, dus à son travail acharné, le firent rester à Paris, à l'Ecole des Hautes Etudes, faisant un cours, écrivant des volumes sur la scolastique. Il eut et c'était justice — un nom dans ce compartiment de la philosophie. Les Hautes-Etudes sont annexées à la Sorbonne. Quel chemin avait parcouru M. Picavet !

Fatigué de son enseignement oral, souffrant d'ailleurs de ses yeux souvent injectés de sang, il fut nommé secrétaire du Collège de France, où il termina dans un repos relatif sa belle carrière. Entre temps, il était pour ses élèves et les fils de ses amis un guide, un conseiller, un appui. Que de jeunes Auxerrois il aida, en leur trouvant des emplois, des moyens de préparer une carrière. Nous sommes particulièrement reconnaissant à M. Pica vet de ce qu'il fit pour que notre fils aîné ait pu demeurer à Paris, au collège Chaptal, où il lui procura un emploi de surveillant, à la Sorbonne où il lui concilia la bienveillance des maîtres et notamment du professeur Beljame. Cette reconnaissance, que


33 AU XIXe SIÈCLE 123

nous nous plaisons à exprimer hautement ici, n'est pas un sujet étranger à notre étude. Elle éclaire et complète la biographie de M. Picavet, et elle n'est que l'expression des sentiments qu'il a mérités de tant de jeunes gens dont il fut le soutien. Cette bonté, avec cette persévérance au travail, sont les caractéristiques du grand coeur de M. Picavet. Il fut à Auxerre le collègue de M. Bonnerot. Quand celui ci mourut, jeune et laissant un fils, M. Picavet s'en constitua le père et il eut la joie, avant de mourir, de voir ce jeune Bonnerot déjà réputé poète et auteur d'ouvrages remarqués. Ce fils adoptif fut traité par lui comme son propre fils, aujourd'hui professeur d'histoire à l'Université de Toulouse. Son succès est la plus douce consolation de Mme Picavet, qui se faisait la collaboratrice de son époux et, à cause de cela même, ressentit plus douloureusement le vide de sa mort.

Citons encore M. Cornet, un Auxerrois, excellent élève qui, licencié ès lettres, succéda à M. Marchand. Son enseignement apprécié fut trop court ; une ophtalmie lui fit demander un principalat. Il l'exerça à peine une année et il mourut.

Nous devons aussi un souvenir à M. Saléta, venu ici de Prades, professeur licencié ès-sciences physiques et naturelles. Il fut un excellent professeur. Le pensionnat libre de M. Breuillard décli nant, M. Saléta crut qu'il pourrait le ramener à sa prospérité première. Il fut déçu et retourna à Prades, surveillant la culture de son vignoble et maire de la ville.

Nous touchons à la fin de ce travail. Toutefois, parmi les professeurs dont les noms s'offrent à notre mémoire, il s'en ren contrera dont, à regret, nous devons abréger la biographie.

Tel M. Coquet, venu licencié ès lettres du lycée de Sens occuper au collège la chaire d'histoire pendant plusieurs années. On regretta qu'il l'abandonnât pour entrer, avec l'agrément de l'inspecteur général Beaujean, dans l'administration des lycées. Il y finit sa carrière censeur au lycée de Poitiers. Dans sa retraite, il dota d'eau potable et de l'électricité, en qualité de maire, le village natal de Mme Coquet. La guerre lui enleva son fils, déjà professeur de droit à l'Université de Poitiers et dont la veuve mourut de chagrin. Lui même a été victime d'une congestion qui le frappa d'une presque cécité. Triste fin d'une vie si heureuse et si bien remplie !

Disons quelques mots de M. Mengel, qu'un inspecteur d'académie tira du collège de Joigny où il faisait la septième, par le mirage d'obtenir à Auxerre une chaire de grammaire qu'il ambi tionnait et qu'il n'obtint qu'après plusieurs déceptions pour ne l'occuper que peu de temps. Sa mort fut prématurée.


124 HISTOIRE DU COLLÈGE D'AUXERRE 34

M. Picavet, en 1882, fut remplacé par M. Rouget, Auxerrois, élève distingué de notre collège, qui vint y enseigner la philosophie muni de la licence et de l'agrégation, ce dernier grade conquis après une campagne avec un bataillon de marche auxerrois en 1870, campagne au cours de laquelle la mort l'épargna à la bataille sanglante de Sainpuits. Par désintéressement et par affection pour sa ville natale et son vieux collège, il refusa plusieurs fois d'être nommé dans les lycées. Vingt générations d'élèves profitèrent ainsi de l'enseignement de ce maître savant et pédagogue accompli. Il dut (on le regretta) devancer, pour fatigue, l'heure de la retraite. M. Rouget n'était pas que philosophe, il fut aussi artiste. Il enseigna brillamment au lycée de jeunes filles l'histoire de l'Art, et Auxerre n'oubliera pas que, dans les fêtes illuminées qui sont sa gloire, il fut un guide et un ouvrier des plus dévoués et des plus habiles. Quelle belle épi taphe à graver sur sa tombe, ouverte trop tôt, ces mots : Patriotisme, science, dévouement, désintéressement !

En 1882 83, la deuxième chaire de science fut occupée par M. Laurent, qui nous restera la moitié de sa carrière au collège, où il donnait un enseignement solide, et mérita ainsi de succéder à M. Marchal dans la première chaire où il forma aussi de nombreux bacheliers. Il s'attachait à notre établissement, où il jouissait de considération et de succès, lorsqu'un inspecteur général, frappé de la sûreté de son savoir et de son talent à en faire profiter ses élèves, lui proposa de le faire nommer au lycée de Dijon. M. Laurent refusa d'abord, puis consentit ; il était originaire de la Côte d'Or. C'est ainsi que le collège eut le chagrin de le voir s'éloigner.

Quand Mengel mourut, en 1885, on nomma en cinquième M. Drouet, licencié ès lettres, originaire de Chéroy, dans l'Yonne, venant du lycée de Dijon, où il était répétiteur. Il professa dans, cette chaire de cinquième cinq ans. Drouet était le professeur par excellence, sachant distribuer son savoir à ses jeunes élèves et aussi parler à leur coeur ; tous l'aimaient, il était pour eux un père de famille. Il était venu à Auxerre avec le désir d'aller au lycée de Sens, au voisinage de Chéroy, et où il avait fait ses études. Mais les années s'écoulèrent sans que ce désir se réalisât. Trouvant à Auxerre autant d'amis que de collègues, des élèves dociles et affectueux, il était devenu bien Auxerrois, bien attaché à sa chaire et au collège, quand on l'appela en troisième à Sens. Il nous quitta en pleurant. A Sens, il se fatigua à sa classe où il dut enseigner un programme nouveau et dont sa modestie lui


35 AU XIXe SIECLE 125

faisait grossir la difficulté. Déjà malade, il aggrava son état par un travail excessif et, avant d'avoir fini la première année scolaire à Sens, il y mourut prématurément, laissant désolée sa vieille mère, qui ne tarda guère à le suivre.

Nous nous reprocherions de passer sous silence un professeur de seconde, en 1894, M. Lévy, licencié ès lettres, qui se révéla, quoique débutant, professeur à la hauteur de sa tâche. Très sympathique, ses collègues autant d'amis — le nommèrent président de leur Amicale et leur représentant au Conseil académique. Là il gagna l'estime des représentants des autres collèges, et il fut par eux élu président de la Fédération amicale de l'Académie.

Il s'y montra si dévoué aux intérêts du corps que les fédé rations amicales des collèges de toute la France lui confièrent la présidence et le soin de leurs intérêts professionnels. La tâche devint plus lourde. M. Lévy s'y donna, comme il continuait de se

donner à sa classe au collège, tout entier, avec intelligence et dévouement. Il en mourut, emportant dans la tombe tous les regrets. A M. Bonnerot, en rhétorique, succéda un M. Castanet, à celui

-ci M. Folliet. Ce dernier fit toute sa carrière à notre ville et en notre collège, en rhétorique, avec le grade de licencié ès lettres

de l'Université de Lyon, ville dont il est originaire. Il se révéta immédiatement le professeur par excellence de la classe impor tante où les élèves se forment à la première partie, la partie littéraire, du baccalauréat. Chaque année, par dizaines et plus, il

en sortait des bacheliers. C'est dire l'étendue de la culture littéraire du professeur dans les trois langues, française, latine et grecque, son talent parfait à façonner l'esprit des jeunes gens et le dévouement sans bornes qu'il mettait à accomplir sa tâche, pourtant pénible et délicate, mais qu'il aimait. M. Folliet devint Auxerrois et le resta toute sa carrière, qui vient de finir en 1922. Une seule fois il songea pourtant à quitter notre ville, à la suite d'un affreux malheur qui lui enleva son épouse et une charmante

jeune fille, mais il aimait sa tâche, nous l'avons dit ; la crainte d'être nommé dans un lycée, avec une chaire inférieure en importance et en intérêt, le retint, au grand, à l'immense profit du collège. Nous avions pensé, et beaucoup avec nous, qu'il aurait pour successeur M. Lesire. le professeur de seconde. M. Lesire ne sollicita pas la chaire. C'eût été un excellent maître succédant à un maître excellent. Ne quittons pas M. Folliet sans déplorer que, malgré le désir et la demande plusieurs fois renouvelée de ses Chefs, la Légion d'honneur n'ait pas couronné une si belle carrière. Le gouvernement se fût honoré en le faisant. La vertu n'est pas, hélas ! toujours récompensée !!



LA PUISAYE

SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR

Par M. A. VATHAIRE DE GUERCHY

Jusqu'à présent les érudits qui ont étudié l'histoire de la Puisaye, se sont cantonnés dans l'histoire d'une de ses petites villes : M. Déy, pour Saint Fargeau et Bléneau, M. Lesire, pour Toucy, M. Challe, pour Saint-Sauveur et Moutiers (1), mais aucun d'eux n'a mis en lumière que ce petit pays a formé en fait, dans son ensemble, une grande seigneurie réunie, du XIe au XVIe siècle, sous la domination d'une même famille et portant le nom de Seigneurie de Puisaye,

C'est cette histoire que nous allons chercher à éclaircir, en donnant un tableau de l'organisation et de l'état social de la Puisaye pendant cette période d'après de nombreux documents, presque tous inédits, qui nous ont permis de former un véritable cartulaire.

I

SOURCES

Un des meilleurs souvenirs de nos recherches historiques est la découverte, déjà lointaine, à la Bibliothèque Nationale, dans la collection de Lorraine, de deux volumes, nos 236 et 237, recueils de pièces manuscrites, intitulés Péreuse (sic) ; et notre joie fut grande d'y trouver 165 actes originaux allant de la fin du XIIIe siècle au commencement du XVe et concernant non seulement Perreuse, mais beaucoup d'autres localités de la Puisaye. Des recherches ultérieures nous permirent d'y ajouter d'autres pièces contenues dans le volume 119 de la même collection, dans

(1) Signalons aussi les articles de M. le docteur de Smyttère, conçus surtout au point de vue de l'histoire de la Maison de Bar (Bulletins de 1869 et 1871).


128 LA PUISAYE 2

le Mss. Français 11853, et dans l'Inventaire des Titres de Lorraine de du Fourny, qui a conservé l'analyse de pièces perdues aujourd'hui.

Les registres du Trésor des Chartes aux Archives Nationales nous en ont fourni également, ainsi que les Archives de l'Yonne; en dehors de celles que Lebeuf ou M. Quantin avaient déjà publiées ou que M. de Chastellux a copiées pour notre Société. Enfin, les Archives départementales du Nord conservent un fonds important, composé des actes de Yolande de Flandres, veuve du duc Robert de Bar, dame de Cassel et usufruitière de la seigneurie de Puisaye. On y rencontre de nombreux renseignements sur l'administration et les moeurs, déjà signalés par divers auteurs et qui nous ont été très utiles.

La plupart de ces pièces se rapportent à l'organisation féodale : actes de foi et hommage, aveux et dénombrements où le vassal énumère à son suzerain le détail de tous les biens et droits qu'il tient de lui en fief; ce sont les plus nombreux parmi ces documents, et comme ils sont généralement très détaillés, on voit quelle mine de renseignements ils nous offrent. Quelques partages entre les membres de la famille de Bar ont un grand intérêt général. Au point de vue administratif, des nominations de bailly, châtelains, receveurs, etc., surtout par Yolande de Flandres. Enfin, nous avons eu le rare bonheur de trouver un compte très détaillé de la vente des bois de Puisaye en 1315 et 1316.,

Jusque vers la fin du XIIIe siècle, le latin était la langue la plus usitée, mais ensuite on ne se sert presque plus que du français et nous pouvons constater les progrès de la langue et de l'orthographe, assez arrièrées toutes deux chez les tabellions de cam pagne. Dans les appendices, nous donnons la liste des termes paraissant inconnus jusqu'ici et ne se trouvant ni dans du Lange ni dans Sainte Pallaye, sans que nous puissions dire si ce sont des expressions archaïques ou patoises.

Il serait très difficile de déterminer quelle était alors la prononciation en usage. Tout au plus pourrait on tirer quelques conclusions de l'orthographe de certains mots, qui par le redoublement des voyelles, tiendrait à prouver que la prononciation était un peu traînante, par exemple : Le Gratis pour Le Gras, maasure pour masure, au XIVe siècle, ou le changement de l'r en s ou z, assez fréquent dans le langage populaire, et qui avait lieu même pour les noms propres, par exemple : Saint-Vezain pour SaintVerain. Notons également les finales : prel pour pré, estel pour été. Nous avons relevé aussi cette forme, qui dut être populaire


3 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 129

« le chemin de Perreuee au cerre » pour à Auxerre, et dont il y a plusieurs exemples.

Un certain nombre de ces documents sont encore munis des sceaux qui les authentiquaient. Outre ceux de la maison de Bar, dont plusieurs ont déjà été reproduits à la suite des articles de M. de Smyttère (1), on y trouve les sceaux des derniers Toucy, de quelques autres familles féodales, et surtout ceux des juridictions locales devant qui étaient passés les actes : bailliages, prévôtés, etc., en particulier celui du bailliage de Puisaye, dont nous repar lerons, et les « sceaux aux causes et convenances » de Puisaye et de Perreuse.

II

GÉOGRAPHIE HISTORIQUE DE LA PUISAYE (2)

La Puisaye avant le XIe siècle

La Puisaye n'ayant jamais constitué une division administrative ou politique, il est assez difficile de fixer de prime abord ses limites. C'est, dans la nature du terrain boisé et dont les champs sont tous entourés de haies, que se trouve son principal caractère, et cependant l'usage populaire lui donne une plus grande étendue. On a remarqué que les anciennes circonscriptions ecclésiastiques correspondaient assez exactement à des régions naturelles ou à d'antiques divisions entre des peuplades distinctes ; il y avait bien, au Moyen Age, un archidiaconé de Puisaye, mais il ne comprenait pas toute la région, telle que nous, la connaissons, et s'étendait plus loin par certains côtés. Comme le dit l'auteur qui a le mieux décrit ce petit pays (3) : « Toujours la circonscription « déborde la Puisaye de quelque côté, sans la comprendre tout « entière de l'autre ».

Telle que nous la connaissons, la limite populaire de la Puisaye, partant du Val de la Loire, au Nord-Ouest de Bonny, englobe Dammarie en Puisaye, Champoulet, Rogny, le Charme, dans le Loiret, atteint l'Ouanne à Grandchamp, enclave Villiers-Saint Benoît et Toucy, redescend au Sud en comprenant Moulins, Levis, Fontenoy, Sainte-Colombe, Treigny, Dampierre, Saint(1)

Saint(1) Société des Sciences : 1869, 1871.

(2) Pour l'étymologie du nom de la Puisaye, voir pièces justificatives.

(3) Goujon. La Puisaye, 17.


130 LA PUISAYE 4

Verain, et se termine un peu avant d'arriver à Myennes, sur la Loire.

Mais le territoire que nous étudierons s'étendait un peu plus loin au Sud-Est, comprenant une partie de la Forterre que les circonscriptions féodales lui avaient rattaché, et qui avait d'ailleurs les mêmes usages.

Par la nature de son sol argilo-sableux, froid et souvent humide, par suite difficile à cultiver, la Puisaye était prédestinée à être un pays forestier et de grandes propriétés. En effet, si l'on jette les yeux sur la carte de l'Auxerrois avant le XIe siècle, placée par M. Quantin en tête du second volume du Cartulaire de l'Yonne, on reconnaît de suite que les vallées étaient seules peuplées pendant les premiers siècles du Moyen Age et que les plateaux situés entre l'Ouanne et le Branlin, entre celui-ci et le Loing et surtout à l'Ouest de cette dernière rivière, étaient presqu'entièrement couverts de forêts. On y retrouve bien les restes d'assez nombreuses exploitations métallurgiques, mais qui pouvaient n'être que passagères.

Presque tout le territoire de la Puisaye était compris dans le pagus d'Auxerre et le fut aussi dans le diocèse de cette ville qui garda la même circonscription ; une petite partie, au Nord-Est, dépendait du pagus et du diocèse de Sens.

La Puisaye donna son nom à l'un des deux archidiaconés du diocèse d'Auxerre, dont l'étendue était d'ailleurs beaucoup plus vaste.

Le pays était donc partagé entre quelques grands domaines analogues aux Latifundia des derniers temps de l'empire romain et dont les maîtres avaient une situation et une puissance vraiment seigneuriale.

Nous avons déjà montré (1) qu'un des plus grands domaines de la Puisaye et de l'Auxerrois, au commencement du Ve siècle, était celui de Saint Germain, car ses possessions, dont il donna les plus importantes à l'église d'Auxerre, en distribuant les autres aux monastères qu'il fonda, comprenaient Appoigny, Guerchy, Poilly, Marnay, Toucy, Moulins, Mézilles, Fontenoy, Corvol, Varzy, et Vergers en Donziois. C'est donc sans grande exagération que nous avons pu présenter saint Germain comme un des premiers seigneurs de la Puisaye. De même saint Vigile, mort en 683, avait des propriétés près de Saint Fargeau, à Druyes, Ouanne.

(1) Bulletin Société des Sciences, 1918, p. XXXIV.


5 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 131

Lain, Lainsecq, Entrains, et jusqu'à la Loire, et Haimar, mort en 763, qui était également fort riche. La même organisation sociale se maintint pendant les siècles suivants, la population ne s'accroissant que lentement avec les défrichements des bois.

En effet, les paroisses mentionnées dans les statuts de SaintAunaire, à la fin du VIe siècle, ne comprennent, pour la région qui nous intéresse, que Druyes, Varzy, Alligny, Bléneau, Arquian, Bitry, Bouhy, Entrains, Thury, Levis, Pourrain, Ouanne, et des localités qui paraissent représentées par Saint-Amand, Saint Sauveur, Sainte-Colombe et Saint Martin-des-Champs. Un siècle après Toucy apparaît dans les statuts de Saint-Tétrice. On remar quera qu'au commencement du VIIIe siècle des centres de population relativement importants comme Saint-Fargeau (1), Saint Privé, Lavau, Treigny, Perreuse, Saints, Etais, Mézilles, Leugny, ne sont encore que des hameaux à peine mentionnés (2).

Dans la partie de la Puisaye qui dépendait du diocèse de Sens, Champignelles et Tannerre sont nommés comme paroisses au IXe siècle. Villiers-Saint Benoît est connu depuis 975.

Les siècles suivants furent trop souvent troublés et le contrecoup de la bataille de Fontenoy se fit sentir pendant longtemps, à en croire les légendes locales.

Cependant le besoin de sécurité étant général, en attendant que la féodalité créât' une hiérarchie des personnes et des terres, il s'établit par la force des choses un régime seigneurial qui groupait les populations autour des hommes assez puissants et assez riches pour assurer leur protection et certains avantages matériels en échange de services ou de redevances. En même temps s'élevaient les premiers châteaux-forts, tels que ceux de Toucy et de Saint Fargeau, construits vers 995 par Héribert, évêque d'Auxerre, et la tour de Saint-Sauveur; due probablement à un comte d'Auxerre. Les populations vinrent naturellement se grouper autour de ces centres de défense, dont l'érection suppose déjà l'existence d'un nombre considérable de travailleurs.

Quelle était à cette époque la condition des personnes ? Très peu de documents relatifs à la Puisaye nous permettent de la connaître. Il y avait toujours eu des hommes libres, restes de

(1) Saint-Fargeau est cependant nommé dans le testament de Saint Vigile (683), mais n'était pas encore une paroisse.

(2) Voir cependant, chapitre XXVIII, un assez grand nombre de noms de lieux remontant à l'époque gauloise.


132 LA PUISAYE 6

l'ancienne population gauloise qui n'avait certainement pas été entièrement asservie par les invasions, ou représentants des Francs et Germains. L'esclavage personnel avait complètement disparu, au plus tard au VIIIe siècle. Mais la plus grande partie de la population était formée par les colons ou par les serfs. Attachés à la terre qu'ils cultivaient, ceux-ci ne pouvaient en être séparés et suivaient le sort de leur petit domaine s'il était vendu. Cette condition, qui nous semblerait aujourd'hui intolérable, était cependant un très grand progrès sur l'esclavage, car le serf était assuré de ne jamais être séparé de sa famille, pas plus que de la terre qu'il cultivait. Ses enfants étaient presque toujours assurés de lui succéder, mais devaient payer au seigneur le droit de main-morte pour recueillir sa succession en la rachetant. Il payait au seigneur des redevances pour sa tenure, était assujetti à divers services et l'autorité du seigneur n'était limitée que par la coutume.

Le colon occupait un rang plus élevé, il pouvait quitter le manse ou domaine auquel il était attaché et dont la jouissance lui était assurée pour lui et ses héritiers, et il pouvait y renoncer pour s'établir ailleurs sans que. le seigneur le forçât à revenir chez lui comme le serf, en vertu du droit de poursuite. Les redevances qu'il payait à celui ci étaient plus moderées et avaient le carac tère d'un fermage plutôt que celui d'un impôt arbitraire. On peut assimiler aux colons les hôtes ou hospites, que nous retrouverons plus tard, et qui étaient considérés jusqu'à un certain point comme libres. C'est en ce sens que, d'après le célèbre Polyptyque d'Irminon, les colons occupant le domaine de l'abbaye de SaintGermain-des Prés, à Bitry (1) sont dits « ingenui » depuis la donation faite à cette abbaye, au VIe siècle, parce qu'ils ne doivent de redevance ou de service à personne sans la permission de l'abbé.

III

ORGANISATION DE LA FÉODALITÉ

Les conditions des personnes et des terres restèrent les mêmes à peu près jusqu'au XIe siècle, pendant qu'à un niveau supérieur s'organisait lentement la féodalité sur la base du régime seigneu(1)

seigneu(1) commune du canton de Saint-Amand (Nièvre). Polyptique d'Irminon, édition Longuon, p. 155.


7 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 133

rial et de la recommandation. Au milieu de l'anarchie causée par la dissolution de l'empire de Charlemagne, le pouvoir central n'existant presque plus que de nom et ne pouvant plus contenir les grands fonctionnaires, comtes, etc., jusque là amovibles, ils se rendirent indépendants et confisquèrent à leur profit l'exercice des droits régaliens. Comme la plupart d'entre eux possédaient aussi de grands bénéfices et qu'ils en obtinrent l'hérédité vers la fin du IXe siècle, les deux usurpations, hérédité du bénéfice et souveraineté du bénéficiaire, se confondirent entre leurs mains. En même temps, ceux qui se sentaient moins forts se recommandaient à un plus puissant qui leur accordait sa protection moyennant certaines redevances, le service militaire (dû auparavant à l'Etat), et l'hommage, qui était la reconnaissance solennelle de la dépendance du vassal et de la foi ou de la fidélité qu'il devait à son seigneur. En ce sens, le fief est le bénéfice qu'un vassal tient de son seigneur. Tous les seigneurs dépendant les uns des autres, tiennent leur terre les uns des autres et doivent l'avouer à chaque nouvelle génération ou à des époques fixes. Ce sont ces aveux et dénombrements qui ont été conservés en assez grand nombre et dont nous avons pu tirer bien des détails sur la condition de notre pays.

Nous croyons devoir insister sur cette coutume de la recom mandation qui explique la dissémination souvent étrange des fiefs d'une châtellenie. En examinant les listes des fiefs que nous donnons plus loin et surtout la carte, on est frappé de voir, outre le noyau central, produit des concessions faites par le nouveau châtelain primitif, un assez grand nombre de fiefs très éloignés de la châtellenie dont ils relèvent et enclavés dans ceux des autres châtellenies. Tel est le cas pour celle de Perreuse, des fiefs de Test Milon d'un côté, et de l'autre de Courcelles et Huban, situés à grande distance, en plein Nivernais. Les fiefs de la baronnie de Saint-Verain étaient également dispersés sur un territoire très étendu, des rives de la Loire jusqu'à Tannerre. Il faut en voir la cause, selon nous, dans des recommandations faites par les pos sesseurs de ces anciens domaines non au seigneur le plus voisin, mais à un seigneur particulièrement puissant ou auquel ils étaient attachés par un lien quelconque, parenté ou service en commun dans les guerres. En ce sens on peut dire d'une façon assez générale que l'organisation féodale, commencée sur la base personnelle, s'est établie ensuite sur la base territoriale, car la terre devint dès lors le fondement de toute puissance et de la hiérarchie féodale.


134 LA PUISAYE 8

Les questions personnelles durent, en effet, jouer un grand rôle en Auxerrois, car c'est à la suite de la guerre de la succession de Bourgogne que la féodalité y fui vraiment constituée.

Le duc de Bourgogne, Henri le Grand, étant mort en 1002, le roi Robert, son neveu, réclama sa succession, mais le duc défunt avait fait reconnaître pour son héritier Othe Guillaume, fils d'un premier mariage de sa femme. Il s'en suivit une guerre, longue et acharnée, qui dévasta toute la Bourgogne et où le principal auxi liaire du roi était Hugues, comte de Chalon, devenu évêque d'Auxerre, tandis que Landry, comte de Nevers et gendre d'Othe Guillaume, soutenait celui-ci. Enfin, la guerre se termina vers 1015, par un traité (1) dans lequel fut définitivement réorganisé l'Auxerrois avec toute la Bourgogne sur la base du régime féodal.

L'évêque d'Auxerre, Hugues de Chalon, conservait la suzeraineté de la plus grande partie de son vaste diocèse, outre ses domaines personnels, venant la plupart de saint Germain, c'està-dire une châtellenie à Toucy, celles de Cosne et de Varzy, etc.. Toute la partie méridionale du diocèse était divisée en trois grands fiefs, qu'il attribua à trois de ses principaux lieutenants dans la guerre qui venait de se terminer. A son neveu Geoffroy de Semur, il donna celui de Donzy, dont dépendaient Entrains, Billy, Etais, Druyes, Perreuse, Lavau et Saint Amand. Un second, dont une partie de la ville de Toucy était le chef-lieu, et qui comprenait tous les environs jusqu'au Loing, fut le partage d'un de ses parents maternels, Ythier de Narbonne. Enfin Hugues attribua le troisième à un autre de ses parents, d'origine méridionale, nommé Gibaud, qui eut le territoire compris entre Saint Amand et la Loire et y éleva un château connu sous le nom de Saint-Verain. Outre ces trois grands fiefs, qu'on désigna plus tard sous le nom de baronnies, comme nous le verrons, l'évêque se réserva quelques châteaux comme Mailly le Château et SaintSauveur, qu'il inféoda au comte d'Auxerre.

En faisant la paix avec Landry, le roi lui attribuait, en effet, le comté d'Auxerre, formé de la ville et de la partie septentrionale du diocèse. Bléneau avait été cédé au comte du Gâtinais, ainsi que la suzeraineté de Saint-Fargeau, relevant de Montargis.

(1) Ce ne fut pas, comme le croyait M. Challe, au Concile d'Héry, qui n'eut lieu que vers 1020, d'après M. Ernest Petit : Histoire des Ducs de Bourgogne I. p. 103 ; abbé Chaume : Origines du Duché de Bourgogne, I. p. 487.


9 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 135

Telle fut désormais l'organisation féodale qui subsista, au au moins nominalement, durant tout l'ancien régime.

Elle n'était pas entièrement nouvelle : Il y avait déjà des fiefs au Xe siècle. Ce qu'on fit en 1015, ce fut la constitution des quatre grandes seigneuries déjà existantes ou nouvelles dans le cadre de ces quatre grands domaines.

IV

LA PUISAYE SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR

La Puisaye se trouvait donc partagée en trois grandes portions, mais cette division ne devait pas rester longtemps intacte. Ithier de Narbonne ou ses successeurs immédiats, car les documents sur le XIe et la première moitié du XIIe siècle sont rares et très succincts, cherchèrent à se créer un grand domaine où ils fussent seuls maîtres en dehors de Toucy qu'ils devaient partager avec l'évêque. Ils acquirent donc, soit au moment du partage, soit ultérieurement, la châtellenie de Saint Fargeau, qui relevait du comté du Gâtinais et dont dépendait celle de Mézilles, puis celles de Perreuse, de Lavau et de Saint-Amand qui relevaient de Donzy. Dès lors, le domaine du seigneur de Toucy s'étendait de Parly jusque près de la Loire, comprenant tout ce qu'on nommait la forêt de Puisaye, et faisait de lui un des plus grands seigneurs de France, sans parler des fiefs qu'il possédait en dehors, comme celui du droit de pêche dans la rivière d'Yonne, de Cravant à Auxerre, et que nous retrouverons plus loin (1).

Les historiens lui donnent le titre de baron de Toucy, mais il faut observer que ce titre est relativement beaucoup plus moderne.

Si la vanité est de tous les temps, les titres nobiliaires ne se sont répandus qu'assez tard. Aux premiers siècles du Moyen Age, un baron n'était qu'un seigneur d'un rang assez élevé, sans avoir une place spéciale dans la hiérarchie. Nous en avons la preuve dans les documents qui nous ont servi pour cette étude : des chartes de 1323 et 1326 relatant des aveux faits à « noble baron monseigneur le comte de Bar » (2).

Les seigneurs du plus important des trois grands fiefs de

(1) V. article pêche.

(2) Coll. de Lorraine. Vol. 236, pièces 15 et 19. Les actes qui n'ont pas de référence spéciale sont tirés des manuscrits de la Collection de Lorraine.


136 LA PUISAYE 10

l'évêché d'Auxerre n'ont jamais pris d'autre titre que celui desire de Donzy avant de devenir comtes de Nevers.

Ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle qu'on voit paraître le titre de baronnie de Saint-Verain, alors que la famille des seigneurs primitifs qui en avait porté le nom était éteinte depuis long temps.

Il en était de même pour Toucy dont les seigneurs s'intitulaient seulement Iterius de Tociaco ou dominas Tociaci tant que leur maison exista. Jean, le dernier et le plus puissant d'entreeux, se qualifiait simplement nobilis vir.

Quand le grand domaine dont nous avons parlé fut constitué et qu'il fut aux mains des comtes de Bar, on voit paraître l'expression « terre de Puisaye » et en 1271 celle de « seigneurie de Puisaye » (2) qui persista jusqu'au XVIe. siècle. Dès 1266, il y avait un « bailli de Puisaye », chargé de l'administration générale de la terre.

Jusqu'à la dissolution de cette grande seigneurie au XVIe siècle, après les Chabannes, les seigneurs en étaient dits « seigneurs des pays de Puisaye », qu'on traduisait en latin par patria Puisaya.

Le titre de baron de Toucy n'apparaît qu'en 1385 (3), mais d'une manière intermittente, et comme donné par des subalternes qui veulent flatter un grand seigneur. Après son acquisition par Jacques Coeur, Toucy devient décidément une baronnie ; Antoine de Chabannes et son fils Jean en prennent toujours le titre (4), bien que Jean se qualifie encore, en 1497, seigneur de Puisaye. En 1509, son gendre, René d'Anjou, se dit encore seigneur de SaintFargeau et des pays de Puisaye (5), quoiqu'il ne possède plus Toucy ni Saint Amand.

Cette grande seigneurie de Puisaye avait duré cinq siècles, dont plus de quatre entre les mains des deux paissantes maisons de Toucy et de Bar qui en avaient réuni les diverses parties et leur avaient donné une unité durable, fondée sur celle d'une région naturelle.

Une autre châtellenie reçut aussi plus tard le titre de baronnie, c'est celle de Perreuse. Malgré son importance relative et celle de la petite ville qui en était le chef lieu, elle n'avait jamais porté

(1) Cartulaire de la Charité, Marolles : Inventaire des titres de Nevers, 615.

(2) Pièces justificatives, III. Quantin, Recueil de pièces, p. 384.

(3) Duchesne, Histoire de la Slaison de Bar, preuves, p. 54, 55.

(4) Archives nationales, P 651 p. 47 — P 147, p. 16.

(5) Archives de l'Yonne, H 1152.


11 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 137

aucun titre au Moyen Age. Le premier, Gaston d'Orléans, tuteur de sa fille, Mademoiselle de Montpensier, se qualifie de baron de Perreuse, en 1629, et ses successeurs suivent son exemple.

Nous croyons donc avoir établi que ces titres de baronnies, inconnus aux premiers siècles de la féodalité, sont très modernes. Les érudits des XVIIe et XVIIIe siècles, croyant que tout se passait antérieurement comme de leur temps, avaient accrédité cette erreur qui a éte fidèlement suivie depuis.

Pour affirmer sa suzeraineté sur ses grands vasseaux, l'évêque d'Auxerre se faisait livrer de temps en temps leurs châteaux, y résidait un ou deux jours, puis les leur rendait comme pour une nouvelle inféodation. On exprimait ce droit en disant que le château était jurable et rendable au suzerain. Il en était ainsi pour le château de Toucy, et Yolande de Flandres, comtesse de Bar, le reconnut le 20 novembre 1373 (1). Lebeuf dit que l'évêque avait contribué, vers 1180, à rebâtir la tour du seigneur de Toucy à condition qu'elle lui serait jurable et rendable. Un autre droit exprimant la suprématie de l'évêque était le célèbre droit de portage en vertu duquel les quatre barons le portaient à sa pre mière entrée à Auxerre, dans la cathédrale. Thibaut de Bar et Jeanne de Toucy le reconnurent en 1271 (2) et Yolande de Flandres en 1373.

Tel fut l'état de la grande seigneurie de Puisaye tant qu'elle appartint à la maison de Toucy dont Jean de Toucy, le dernier et le plus puissant représentant, mourut en 1258, à la septième croisade. Sa fille unique, Jeanne, avait épousé le comte Thibaut de Bar, auquel elle apporta ses grandes seigneuries de Puisaye. A la mort de Thibaut, en 1291, elle partagea leurs biens entre leurs nombreux enfants et la Puisaye fut attribuée en entier à Jean, leur second fils. Celui ci mourut sans enfants, avant 1315, laissant une veuve, Jeanne de Dreux, qui avait épousé en premières noces le comte de Roucy et continuait à porter le titre de comtesse de Roucy.

Pour son douaire elle eut la jouissance de la châtellenie de Saint-Fargeau et de la moitié de la terre de Puisaye (3).

C'était presque là une tradition car, au siècle précédent, Agnès de Dampierre, veuve de Narjot II de Toucy, avait eu également

(1) Lebeuf, II p. 3, I p. 336. (2) Pièces justificatives, III. (3) Pièces justificatives, VI.


138 LA PUISAYE 12

Saint Fargeau en douaire, de 1198 aux premières années du XIIIe siècle (1), et sa belle-fille, Béatrise de Réon, en 1218. La comtesse de Roucy resta donc en possession jusqu'à sa mort, arrivée en 1324, du château de Saint Fargeau, où elle résidait, et de la châtellenie: pour le reste de la terre de Puisaye, elle en abandonna la jouissance aux frères de son mari, moyennant 1660 livres tournois par an, par un accord passé le 26 août 1317. D'après son testament, que nous reproduisons (2) elle semble avoir été très charitable et s'être attachée à la Puisaye, car elle fait de nombreux legs aux monastères et aux pauvres de la région, en même temps que des fondations pour l'âme de ses deux maris ; elle mourut peu après (3) et le vieux manoir des douairières resta le plus souvent inhabité.

En effet, Jeanne de Toucy était morte en 1317, mais auparavant, le 27 janvier 1306, au château de Bussron, près de SaintAmand, elle avait confirmé le partage de 1291, portant que si Jean de Bar mourait sans enfants, la Puisaye retournerait à son frère aîné, le comte Henry (4).

Cependant, les seigneurs de Puisaye avaient des devoirs envers le roi, leur suzerain pour une partie de leurs terres, et le premier était le service militaire. En novembre 1317, « la comtesse de Bar, dame de Puissoie », est convoquée avec les autres vassaux du roi à l'armée royale, pour le 2 avril 1318. Il s'agit là de Jeanne de Toucy, bien qu'elle fut morte en cette année, probablement avant le mois d'août. De même « la dame de Puissoie », c'est-àdire Jeanne de Dreux, doit se faire représenter à la même convo cation (5).

Le roi sentait dès lors le besoin de s'appuyer, dans les circons tances graves, sur toutes les classes de son royaume. En 1308, Philippe le Bel convoquait pour la seconde fois les Etats Géné raux pour le soutenir dans sa lutte contre les Templiers. Les bour geois de Toucy nommèrent pour les représenter Jean Changeuson et Jean Clarin (6). Pour Saint Fargeau, le bailli de Puisaye

(1) Archives de la Nièvre, fonds de l'abbaye de Roches.

(2) Pièces justificatives, VII.

(3) Sa tombe, retrouvée en 1897, à Saint Dominique, près Montargis, et trans portée au musée de Montargis, porte l'épitaphe suivante : « Cy gist Noble dame Jehanne de Dreux, comtesse de Roucy et dame de Puisaye et Rochefort, qui trespassa l'an de grâce mil ccc et XXIIII le onziesme jour du moys d'avril »

(4) Pièces justificatives, IV.

(5) Recueil des Historiens de la France, XXIII, p. 809.

6) G. Picot, Documents sur les Etats Généraux, p. 652, 661.


13 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 139

mande que « de par lou commun assentement des bourjeoys de « la châtellenie de Saint-Fergeaul, je hay elleu Jehan Moriaul, « demerant à Mézilles, et Jehan de Nigion, mon clerc, espéciauls « messagers pour estre à Tours au nom de ladite chastellenie « pour oïr le commandement de nostre seigneur le roy ».

Saluons ces lointains ancêtres de nos députés ; si leur élection ne fut peut-être pas exempte de toute pression officielle, ils semblent, toutefois, avoir rempli exactement leurs devoirs.

En février 1317, c'est le roi Philippe IV qui convoque « la comtesse de Bar, dame de Puissoie », aux Etats Généraux pour approuver son avènement au trône en vertu de la loi Salique (1).

Le comte Henri de Bar étant mort avant son frère Jean, la succession de celui ci devait échoir à Edouard de Bar, fils d'Henry, mais ses oncles Pierre, seigneur de Pierrefort, en Lorraine, et Erard, seigneur de Pierrepont, réclamèrent une augmentation de leurs parts, et après la mort de leur mère, vers 1320, la ssigneurie de Puisaye fut divisée en cinq portions. Le comte Edouard conserva Toucy, Saint-Fargeau, Mézilles et Perreuse ; Pierre eut Lavau, Faverelles, Septfonds et Saint Privé ; Erard fut seigneur de Saint-Amand et Busseron. Une grande étendue de bois, comprise entre Saint-Amand, Lavau et Saint Fargeau resta indivise entre eux pendant plusieurs années (2).

Jusqu'au milieu du XIIIe siècle, la Puisaye toute entière était comprise dans les limites du bailliage royal de Sens. Lors de la création de celui de Villeneuve le Roi, au WIIIe siècle, elle avait été divisée entre ce nouveau ressort et celui d'Orléans. En 1344, le roi Philippe VI accorda au comte de Bar que désormais toute sa terre de Puisaye relèverait du bailliage de Sens (3).

Le comte Edouard de Bar était donc dès lors seigneur de la plus grande partie de la Puisaye, mais elle ne fut plus pour lui et pour les siens qu'une terre de rapport, car ils séjournaient de pré férence en Lorraine. On ne connaît qu'une mention de son séjour dans notre pays, c'est à Saint-Fargeau, en 1329 (4).

Il mourut à Chypre, en 1336, laissant un fils, Henri, qui lui succéda, mais ne semble pas être venu en Puisaye et mourut en 1344. Sa veuve, Yolande de Flandres, joua au contraire un rôle plus intéressant pour nous. Princesse active et fastueuse, mais en

(1) Hervieu, Recherches sur les Etats Généraux.

(2) Pièces justificatives, XI.

(3) Pièces justificatives, XII.

(4) V. appendice II.


140 LA PUISAYE 14

même temps autoritaire, violente, et ne reculant pas devant l'abus de la force, elle représente assez bien un type de grande dame de ces époques troublées.

Restée veuve à dix huit ans avec deux enfants en bas âge, elle dut d'abord résister à Pierre de Bar Pierrefort, leur grand oncle, qui voulait s'emparer de leur tutelle. Par l'entremise du roi, elle put l'en empêcher, mais dut lui donner 2.000 livres et assigner à son fils Henri 200 livres de rente sur la terre de Mézilles, suivant un acte de 1347.

Lorsque son fils aîné, Edouard, fut déclaré majeur, elle ne voulut pas reconnaître cette décision du roi et insulta le bailli de Sens, ne cédant que devant la menace d'une sévère répression. En 1351, Edouard lui fit assigner pour son douaire 6.000 livres de rente sur la terre de Puisaye et Clermont-en Argonne ; la partie de la Puisaye qui lui était attribuée était estimée 1.700 livres de revenu. Edouard étant mort, en 1352, son frère Robert lui suc céda, mais le roi, malgré les réclamations de Yolande, ne lui donna pas le droit de gouverner ses Etats et en chargea le bailli de Sens.

D'ailleurs, Yolande venait de se remarier, en 1353, à Philippe de Navarre, comte de Longueville, frère du trop célèbre-Charles le Mauvais qui, comme celui ci, était l'allié des Anglais. On comprend que le roi, et pendant la captivité de Jean le Bon, le régent Charles, aient cherché à éloigner Yolande et son mari du gouver nement du Barrois et aient même pris des précautions contre eux en Puisaye, comme l'a fait remarquer M. Chérest (1).

C'était, en effet, le moment où, à la suite de la bataille de Poitiers, les grandes compagnies anglo navarraises s'avançaient vers le centre de la France, se préparant à la ravager. Nous avons une preuve de l'inquiétude qu'elles inspiraient et des mesures prises pour s'y opposer, dans une pièce conservée aux archives du Nord : 1358, 18 mai, mandement du régent au bailli de Sens de s'informer de l'importance et antiquité des ville et château de Perreuse et de les faire fortifier s'il est nécessaire (2). Comme c'est à la requête du duc de Bar et des habitants de Perreuse que le régent demande ces renseignements, on voit qu'il n'était pas disposé à s'en rapporter à la vigilance de Yolande ou de Philippe de Navarre.

(1) L'archiprêtre, p. 69.

(2) Archives du Nord, B 859.


15 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 141

D'après ces lettres, le duc et les habitants de Perreuse exposent que cette petite ville a d'anciennes fortifications, mais mal entre tenues, et qu'un certain nombre d'habitants et de voisins qui pourraient s'y réfugier en cas de troubles refusent d'y faire le guet ou de contribuer aux réparations. Le régent ordonne donc de les y contraindre si, après enquête, il apparaît qu'ils y sont obligés. Un document postérieur nous apprend qu'on faisait le guet sur les murs de Perreuse en 1362.

Philippe de Longueville mourut en 1363. Sa veuve, qui résidait ordinairement dans son château de Nieppe, près de Cassel, ne se désintéressait pas de la Puisaye. De nombreuses pièces, insérées dans les cartulaires de la dame de Cassel, conservées aux archives du Nord (1), nous la montrent nommant des baillis, châtelains ou autres officiers de ses seigneuries, recevant leurs comptes, s'inquiétant des questions de police comme quand, en 1370, elle pardonne à Jacques Bochart, boucher, coupable d'avoir vendu de la viande gâtée en la halle de Saint Fargeau.

Néanmoins, son naturel violent reprenait souvent le dessus. Son fils, le duc Robert, ayant été fait prisonnier par les Messins, ne recouvra sa liberté que moyennant une rançon énorme, à laquelle Yolande contribua pour une grosse somme. En retour, elle s'attendait à réprendre son influence auprès du duc, mais il n'en fut rien. Dans sa colère, elle fit enlever et emprisonner son fils, en 1371, « sans aucune cause raisonnable », ainsi que celui ci le dit lui-même dans la plainte qu'il parvint à faire remettre au roi, son beau-frère. Charles V intima immédiatement à la com tesse l'ordre d'élargir le duc qui fut, en effet, mis peu après en liberté. Mais Yolande, qui avait toujours considéré Henri de Bar Pierrefort comme son ennemi personnel et l'auteur de sa disgrâce, osa le faire arrêter à Vincennes et traîner de prison en prison. Méprisant les ordres du roi, elle fit même mettre à mort un de ses sergents (2).

Cette fois, Charles V la fit arrêter elle-même, le 26 avril 1371, et emprisonner à Sens, puis à la tour du Temple, à Paris. En même temps il faisait saisir toutes ses terres, entre autres celles de Puisaye. Néanmoins il l'autorisa, le 7 juin 1373, à rendre hommage,

(1) Archives du Nord, B 1574, 1575.

(2) Finot, le Train de maison d'une grande dame, Bulletin du Comité des travaux historiques.


142 LA PUISAYE 16

par procuration, à l'évêque d'Auxerre, à cause de Toucy, et à se faire représenter au portage de ce prélat (1).

Peu après, en octobre 1373, le roi consentit à la faire mettre en liberté, mais à condition d'assurer à son fils Robert les terres qu'elle avait eu France. Le 23 mai 1380, Charles V lui fit don d'une somme de 1.000 francs pour l'aider à fortifier et entretenir ses châteaux situés au Perche et en Puisaye (2). Moitié de cette somme dut être consacrée aux châteaux de Puisaye.

Nous savons d'ailleurs qu'à cette époque elle résida plusieurs fois dans notre pays. Des pièces des archives du Nord (3) nous la montrent à Saint-Fargeau, le 13 décembre 1376, le 15 septembre 1381 et le 13 mars 1385.

Cette petite ville était en effet devenue le véritable chef lieu de la Puisaye depuis le milieu du XIV e siècle. C'est toujours elle qui est nommée la première parmi les possessions des ducs de Bar dont elle occupait le centre. Comme nous l'avons déjà dit, ils s'y sentaient les seuls maîtres, tandis que Toucy était partagé entre eux et l'évêque d'Auxerre. Quand cette dernière ville eut été prise et brûlée, en 1423, par les Anglais, l'importance de Saint-Fargeau s'en accrut et depuis lors elle a toujours été considérée comme la capitale du pays.

Le 18 août 1385, la comtesse Yolande mande à Herbillon d'Aubreville, receveur de la terre de Puisaye, « d'avoir très grant soin « et bonne diligence de lever, recevoir et exploitier tout ce qui « nous est et sera deu par delà, et soiez soingneux de nostre vigne « de Perreuse que on y face ce qu'il apartient, et que elle soit « vendengiée en temps et en heure, en faisant par avant relier « des tonneaux, et que on face de la meilleure vendange certaine « quantité de vins de Pinoz pour nostre bouche, car nous les « pensons mener à Paris pour nos pourvéances (4) par certain « temps que nous y pensons à séjourner » (5).

Voyant venir avec l'âge la nécessité du repos et de l'éloigné ment des grandes affaires, Yolande céda à son fils Robert, par acte du 31 octobre 1385, tous ses droits sur la Puisaye en échange de la châtellenie de Varennes en Argonne.

La comtesse Yolande de Flandres, qui était renommée pour le

(1) Lebeuf, II, p. 3. IV, n° 315.

(2) Archives du Nord, B 949.

(3) Archives du Nord, B 1574.

(4) Provisions.

(5) Archives du Nord, B 3266 bis.


17 SOUS DES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 143

luxe de son train de maison et de ses châteaux, et que nous venons de voir si soucieuse de ses intérêts, termina sa vie d'une triste façon. Elle avait dû avoir plusieurs fois recours à des Lombards et à des usuriers, et finit par être emprisonnée le 10 juin 1395 à la requête d'un changeur de Tournai auquel elle devait « grosse somme de finance » (1). Relâchée au bout d'un mois, elle mourut le 12 décembre suivant en son château de Nieppe, près de Cassel.

Dès avant la cession qu'elle fit au duc Robert de ses droits sur la Puysaye, celui-ci avait acquis, le 14 décembre 1384, des héritiers de son cousin Pierre de Bar-Pierrefort toutes les seigneuries que celui-ci possédait dans ce pays, c'est-à-dire Lavau, Sept fonds, Saint- Privé et Faverelles, formant la part advenue à son grand père en 1317, plus la châtellerie de la Coudre (2). Robert reconstituait ainsi à son profit l'ancienne grande seigneurie de Puisaye, sauf la châtellerie de Saint Amand, attribuée à la branche de Bar Pierrepont.

Le 11 avril 1388, il assigna le douaire de la duchesse Marie de France sur la terre de Puisaye (3), comprenant les seigneuries acquises quatre ans auparavant.

Nous n'avons qu'une mention du séjour de Robert en ce pays : il était en février 1403 à Saint-Fargeau. Il est probable que lui et la duchesse avaient dû y venir plus souvent, car dans son testament fait le 15 janvier précédent, elle fonde deux chapelles en l'église de Saint Fargeau et fait des legs à presque toutes les églises de ses domaines (4). Elle mourut l'année suivante.

Le duc Robert fit le 19 septembre 1409 le partage de ses biens entre ses enfants : le cardinal Louis, son dernier fils, eut les sei gneuries de Perreuse, Lavau, la Coudre et Faverelles, c'est à dire tout ce qui relevait du comte de Nevers comme baron de Douzy, le reste de la Puisaye appartenant à Jean de Bar, avant dernier fils du duc. Celui ci mourut le 12 avril 1411. Jean prit alors le titre de seigneur de Puisaye. Comme il était du parti des Arma gnacs, Charles VI confisqua ses domaines et les donna le 8 juin 1412 à son frère aîné, le duc Edouard De Bar, qui était resté du parti bourguignon ; mais ils durent lui être rendus à la paix

(1) Finot Le Train de Maison, p. 26.

(2) Commune de Faverelles (Loiret).

(3) Pièces justificatives, XV.

(4) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, IV. Preuves.


144 LA PUISAYE 18

d'Arras en 1414. Jean fut tué eu 1415 à Azincourt, sans laisser d'enfants.

Son frère le duc Edouard ayant été tué en même temps, le cardinal Louis se mit en possession de tous leurs domaines malgré les réclamations de sa soeur Yolande, reine d'Aragon.

Comme son frère Jean il avait suivi le parti du dauphin Charles contre les Anglais, aussi, malgré toute sa fortune et ses dignités, sa situation pécuniaire était elle assez embarrassée. Il avait dû contracter des emprunts gagés sur des seigneuries de Puisaye et en 1424 il les engagea à Georges de la Trémoille, seigneur de Sully et principal conseiller du dauphin en lui empruntant 2.000 écus d'or. En même temps il lui confiait la garde et la défense de ses châteaux. Ce n'était pas là une clause gratuite, car l'année précédente, après avoir gagné la bataille de Cravant, les Bourguignons, commandés par le maréchal de Chatellux, s'étaient emparés de Toucy qu'ils avaient entièrement détruit et ensuite de Saint Fargeau. Le 15 mai 1424 le roi d'Angleterre avait même donné au maréchal le château et la terre de Saint Fargeau pour le recompenser et le dédommager des pertes qu'il avait faites à la guerre (1) ; mais le cardinal de Bar ayant traité avec ce prince et lui ayant même fait hommage le 5 mai 1429 (2) ses terres et châ teaux lui furent restitués. La Trémoïlle s'y était déjà installé en maître et les conserva presque jusqu'à sa mort. Aussi quand Jeanne d'Arc traversa notre pays en allant à Chinon trouver Charles VII, elle voyageait à partir de Toucy avec plus de sécurité dans une région qui reconnaissait l'autorité du vrai roi de France.

Cependant le cardinal de Bar était mort en 1431 laissant toutes ses seigneuries de Puisaye à son neveu Jean Jacques, marquis de Montferrat, dont les fils ne les dégagèrent qu'en 1445, pour les vendre en 1450 à Jacques Coeur, le célèbre et malheureux argen tier de Charles VII.

Nous arrêterons donc ici cet exposé de l'histoire de Puisaye au Moyen Age. Aussi bien avec la fin de la Guerre de Cent Ans com mence une nouvelle période qui prépare les temps modernes.

Les institutions du Moyen Age, que nous avons mentionnées en passant, et que nous étudierons plus en détails, vont se transformer ou même disparaître. Le système féodal entre déjà en décadence ; bien qu'il doive durer encore près de trois siècles il ne

(1) Histoire de la Maison de Chastellux, p. 398.

(2) Archives nationales. P 1647.


19 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 145

sera plus guère qu'une façade qui ira en se lézardant de plus en plus.

De même la grande seigneurie de Puisaye, dont nous avons raconté la formation et les vicissitudes, et qui se retrouve presque en entier aux mains de Jacques Coeur, va être démembrée sous ses successeurs, et sera morcelée encore plus tard, malgré les titres nobiliaires qu'on donnera à ses débris.

V

FIEFS ET SEIGNEURIES

La plupart des fiefs remontaient à l'établissement du régime féodal, c'est-à-dire au commencement du XVe siècle, mais la coutume des concessions de fiefs se maintint même au delà du Moyen Age. Sans sortir des limites de la Puisaye, nous trouvons une charte de 1220 par laquelle Robert de Courtenay, seigneur de Champignelles, donne un fief à Guyot et Simon de Orbac, ses chevaliers, un hébergeage ou bâtiment d'exploitation, les terres et prés en dépendant et le droit d'usage dans la forêt de Burcey, à condition qu'ils seront ses hommes liges « contra omnes homines » (1). En 1239, le même Robert et sa femme donnent « in feodum et homagium ligium » à Suino, leur sergent, en récompense de ses bons services, une ceute de cent sous tournois à prendre sur le Minage de Charny (2). Il serait facile d'en citer d'autres exemples à des époques bien plus récentes.

La tenure en fief paraissait si naturelle à cette époque et il semblait si avantageux de se créer des vassaux de cette manière qu'on donnait en fief non seulement des terres, mais des droits féodaux ou des rentes, comme nous venons de le voir pour une rente sur la perception d'un droit de ménage. C'était là ce qu'on appelait un fief incorporel ou fief en l'air. En 1220, le chevalier Simon Cato tenait en fief du seigneur de Saint-Fargeau le droit de pêche dans le Loing (3), Henri Male Couronne tenait de même une rente de 40 sous sous les étaux des bouchers de Saint-Fargeau et Odin Sarradin le droit dé ferrage à Septfonds.

Le droit de minage sur les grains à Druyes était aussi un fief.

(1) Du Bouchet, Histoire de la Maison de Courtenay. Preuves, p. 28.

(2) Bibliothèque nationale, Titres originaux de Courtenay. 146.

(3) Pièces justificatives, I.

10


146 LA PUISAYE 20

Au commencement du XVIe siècle Jeanne de Mello avoue tenir de Jean de Bar, seigneur de Puisaye, « la moitié des ventes des « bestes du marché d'Auxerre, fors la foire de Chalendes mai, et « de six samedis en l'an, esquelz je ne prend rien en ventes (1). »

En 1208, Pierre de Fontenay reconnaît que le comte de Bar lui a donné en fief lige dix livres tournois à prendre sur les rentes de la Prévôté de Saint Fargeau. Il y avait même des Dîmes inféodées

Citons enfin les droits sur les ventes, le tavernage et le péage de Perreuse qui formaient un fief de celte châtellenie dont nous avons plusieurs aveux du XIVe siècle. Ces rentes tenues en fief fini rent par disparaître en grandes parties, soit que leur montant eut diminué par suite de l'avilissement progressif de l'argent, soit qu'à l'occasion d'un retrait féodal le suzerain les ait gardées pour son compte. Tel fut le cas d'un fief situé à Mézilles et appartenant à Louis Castegne Lombard. Celui ci étant mort sans enfant, la comtesse de Flandres en prit possession par droit de déshérence, et donna en 1384 les biens du défunt à Pierre Mirouer, bailli de Puisaye, « sauf et réservé à nous vingt livres de rente que ledit « feu Lois prenoit chascun au sur noz ceus de Mésilles lesquels « nous avons retenu pour nous (2) ». Le retrait féodal s'exerçait le plus souvent en cas de vente d'un fief : le seigneur suzerain, sans l'autorisation duquel la vente ne pouvait être valide, avait le droit de reprendre ce fief en remboursant le prix au vendeur, et pouvait le garder pour lui ou le donner à un autre vassal.

Les anière fiefs étaient nombreux ce qui augmentait la division des terres, et se multipliaient parfois à la suite de partage. Eux mêmes avaient quelquefois des arrière-fiefs, qu'un aveu de la chatellenie de Toucy en 1400 appelle sur rérefié (3).

De cette multiplication des fiefs il résultait que beaucoup d'entre eux étaient très peu importants. Ainsi en 1367 Jean Vuillon tenait à la Breuille un fief composé d'une maison et six journaux et demi de terre qui avait lui même un arrière-fief de deux journaux ; le tout estimé dix sols tournois de revenu. Le petit fief du Chêne le Pendu à Perreuse, n'avait qu'un arpent et valait quatre sols de rente. Celui de Vau-Vermain, au même endroit, avait deux arpents mais ne valait que deux sols six deniers de revenu. Dans une autre région, à Lavau, Jean Mirouer possédait en 1411 un

(1) Copies données par M. de Chastellux à la Société nivernaise.

(2) Archives du Nord, B 1575.

(3) Collection de Lorraine, vol. 237.


21 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 147

fief contenant deux bichetées et rapportant cinq sols tournois. A Lavau également le Pré-Vincent, d'un arpent et demi, ne rapportait que trois sols parisis en 1390. Il serait facile d'en citer d'autres du même genre.

Tous ces petits fiefs et bon nombre d'autres plus importants n'avaient pas de justice et peu de droits féodaux. Aussi arrivait il assez souvent des réunions qui faisaient disparaître les plus petits. Beaucoup d'ailleurs ne se retrouvent pas après la guerre de Cent Ans qui amena la destruction de nombre d'habitations isolées et même de localités assez importantes.

On peut donner en exemple Chassin, entre Treigny et Moutiers, où existaient plusieurs fiefs dont un avec manoir et une chapelle (1). Depuis le commencement du XVe siècle on ne les voit plus mentionnés nulle part et les terres qui en dépendaient restèrent jusqu'au siècle dernier à l'état de terres vaines et vagues après avoir été réunies à celles de la grande seigneurie de Ratilly.

Bien que le fief fût par définition une ferrure noble, il pouvait être possédé valablement par un roturier. « Estienne Artuys. Bourgoys de Lavaul » fait aveu en 1336 pour un fief qui est probablement aujourd'hui la Grange Arthuis. En 1392 « Maistre Hugue Mirouer » d'une famille de baillis et de notaires, tenait également plusieurs fiefs à Lavau. « Honorable homme et saige maistre Johan Cuirat » est vassal de Perreuse en 1391. Nous avons même déjà vu que les deux frères Castegue (ou Castegna) Lombards, avaient des fiefs à Mézilles avant 1384 (2).

Tous ces renseignements, et beaucoup d'autres que nous utiliserons plus loin, nous sont fournis par les aveux et dénombrements ou nommées que les vassaux devaient rendre à leurs suzerains à chaque mutation ou à certaines époques, et qui forment la plus grande partie des documents que nous avons consultés dans la collection de Lorraine. On pourra en trouver deux, comme exemples, dans les pièces justificatives (3).

Bien que tout le territoire fût partagé en fiefs il existait encore quelques terres indépendantes ou alleux. D'après un acte des Archives de l'Yonne, Guillermus de Revillou, chevalier, vendit en 1294 un pré à Sougères, » quod a nullo atio tenebat im feodum

(1) C'est peut-être le Cassiniacus des Statuts de Saint Aunaire.

(2) Nous n'avons rien trouvé de semblable à ce qu'on a appelé plus tard le droit de Franc-Fief.

(3) Pièces justificatives, IX et XI.


148 LA PUISAYE 22

vel retro feodum, ved de suo allo dio existebat (1). » Une charte de Philippe de Valois, datée de 1341, reproduite par M. Ernest Petit dans le Bulletin de la Société (2), et qui s'applique en réalité à Chassin de Puisaye, nous prouve que le franc-alleu était consi déré comme d'usage courant.

On trouvera en appendice les listes des fiefs de chaque châtel lenie connus avant 1430, et une carte indiquant les principales seigneuries.

VI

DROITS FÉODAUX

Les Droits Féodaux nous paraissent aujourd'hui extraordinai res et même abusifs ; ou peut dire cependant qu'à l'origine la plupart avaient été le prix de services rendus ou la compensation d'assez lourdes charges, mais les institutions dégénérant et les hommes aussi ils avaient survécu à ce qui les justifiait. Un cer tain nombre d'entre eux dérivaient du régime seigneurial et s'étaient constitués bien avant l'établissement de la Féodalité. Nous savons ainsi que Saint-Germain avait des droits de Gite et de Sauvegarde à Pourrain. Le grand propriétaire gallo romain qui devait trouver presque tout sur son domaine, avait été conduit naturellement à imposer à ses colons ou à ses hospites des redevances variées suivant les territoires qu'ils cultivaient ou les besoins de la petite communauté constituée par la villa. Telle nous paraît avoir été l'origine des banalités et de plusieurs autres droits sanctionnés plus tard par la Féodalité.

Comme le dit un ouvrage récent (3) : « le seigneur Féodal est un personnage double : il est usufruitier foncier de son fief, mais il est aussi usufruitier de droits, en ce sens qu'il s'est arrogé la jouissance de prérogatives issues de l'appropriation des fonctions publiques, et il en résulte qu'il perçoit les droits indirects que percevait le gouvernement carolingien » comme les droits de cir culation, droits sur les foires, etc..

Il n'est pas étonnant que, surtout dans les premiers siècles du Moyen Age, il y ait eu des abus dans l'exercice de ces droits,

(1) H 1627. Abbaye de Reigny.

(2) Bulletin de 1898, p. 338.

(3) Calmette, La Société féodale, p. 66.


23 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 149

comme on le voit dans une charte de 1110. Narjot de Toucy avait commis des exactions de toutes sortes sur le territoire de VillersSaint-Benoit ; malgré ses recommandations par testament, ses héritiers ayant continué, l'Evêque d'Auxerre les força à se rétracter (1).

Le grand nombre de droits féodaux que l'on trouve mentionnés dans les chartes est plus apparent que réel : le même droit porte souvent des noms différents selon les localités; ainsi le Champart est appelé Terrage ou même Tierces.

A la suite de la Guerre de Cent Ans qui avait ruiné beaucoup de localités, un certain nombre de droits disparurent par union avec d'autres.

Examinons d'abord les droits sur les terres qui en représentent le loyer.

Cens. Le cens redevance fixe et annuelle est le prix du louage de la terre ; c'est donc la prestation rotière par excellence, aussi la censive est elle toujours opposée au fief comme tenure roturière. Le seigneur est propriétaire, ou pour mieux dire, possède le domaine éminent de toutes les terres sur lesquelles il perçoit le cens.

Le taux du cens le plus répandu était de six deniers par arpent: c'est celui qui est fixe par la coutume de Lorris en 1155, et qui y est donné comme celui des accensements originaires. D'après cette coutume très répandue en Gâtinais et en Puisaye, chaque bourgeois payait six deniers pour sa maison et un arpent de terre (2).

Ce taux varie de quatre deniers à Diges jusqu'à douze deniers à Charbuy, Champignelles et Moutiers. Il fut quelquefois élevé par la suite, comme à Charbuy, où lors de l'affranchissement en 1382 il fut porté de six à douze deniers.

Le terme ordinaire du paiement des cens était la fête de Saint Rémi, le 1er octobre, mais on trouve assez souvent d'autres termes, comme la Toussaint, le lendemain de Noël, la SaintAndré, 30 novembre, ou même le 1er mai.

Comme c'était là un droit fixe et que le pouvoir de l'argent a toujours été en diminuant, il en est résulté qu'au bout de quelques siècles il n'y avait plus là qu'une redevance nominale, mais

(1) Quantin, Cartulaire de l'Yonne, I, p. 221.

(2) Prou, Les Coutumes de Lorris, p. 33.


150 LA PUISAYE 24

qui était toujours le signe de la dépendance de la terre vis à vis du seigneur.

Le plus grand nombre des concessions à cens remonte aux XIe et XIIe siècles, mais il y en eut tant que dura le système féodal. En 1234, Nicolas de Hautvillars accense sa terre de Chevillon aux Hospites qui la cultivaient déjà à titre de taille arbitraire, à condition de ne payer désormais que 12 deniers par arpent (1). Ces concessions continuèrent pendant les siècles suivants, devenant naturellement plus rares, et souvent à des taux plus élevés. On pourrait en citer jusqu'à la veille de la Révolution, tant on était habitué alors à ce mode de tenure (2). En 1789, lors de l'abolition du système féodal, les tenures à cens furent supprimées comme entachées de féodalité, et les censitaires devinrent du jour au lendemain pleins propriétaires, même ceux dont les concessions étaient les plus récentes (3).

Les tenures à cens étaient généralement dites faites à cens et rente, et souvent simplement à rente. Les censitaires de la sei gneurie des Barres, près de Saint-Sauveur, payaient aussi à la Saint Georges d'autres cens appelés trousses.

Lods et ventes. Si par suite de la dépréciation de l'argent le revenu des censives avait fini par n'être presque plus que nominal, il n'en était pas de même d'un droit qui accompagnait presque toujours le cens, le droit de lods et ventes. C'était un droit de mutation, proportionnel à la valeur de l'immeuble vendu. Quand il s'agissait d'une tenure en bourdelage ou en masure, il était du tiers de cette valeur et s'appelait alors tiers deniers, usité surtout dans les châtellenies de Saint Fargeau et de Toucy. Il y avait là une reconnaissance de la vente par le seigneur et acceptation par lui du nouveau détenteur. Le taux ordinaire des lods et ventes était du douzième du prix de vente.

En dehors des dîmes payées au clergé, il y avait des dîmes appartenant à des particuliers (4). Ainsi, en 1393, les dîmes de blé et de vin à Perreuse faisaient partie d'un fief. Il y avait même des dîmes inféodées, c'est à-dire constituant un fief à elles

(1) Bibliothèque nationale, Pièces originales de Courtenay, 650.

(2) Mais ce n'était plus alors qu'une exception pour des landes ou des terrains improductifs, à laquelle le propriétaire se résigne quand il ne peut eu tirer parti autrement.

(3) Congrès scientifique d'Auxerre en 1858, II p. 375

(4) Lebeuf, IV. n° 153.


25 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 151

seules : en 1400, les dîmes de Villiers Saint Benoît étaient partagées entre le baron de Toucy, deux de ses vassaux et le curé de Dracy pour un huitième (1).

Un autre droit proportionnel plus généralement répandu était le terrage, appelé souvent tierces et dans d'autres pays champart. C'était un droit sur les grains (2), perçu au douzième en général, mais quelquefois au septième ou même au sixième. En plus, dans un certain nombre d'endroits, chacun des tenanciers devait prélever sur sa récolte une quarte ou un boisseau du meilleur blé, probablement pour fournir au seigneur des grains de semence. A Fontaines, on appelait cette redevance la moisson au prévôt.

L'avoine, étant la céréale la plus répandue, servait de base à diverses redevances. Une des principales était la maréchaussée, rente en avoine pour la nourriture des chevaux du seigneur, en usage dans tout l'Auxerrois (3).

De même les sauvements dont le taux, vers 1400, était, à VilliersSaint-Benoît, d'un quart de boisseau pour trois arpents de terre, les suigances (sequentia avenarum). C'était d'ailleurs un terme générique, car il y avait des suigances en argent à Toucy, Charbuy, Appoigny, Dracy, des suigances en vin et gelines à Arran, près de Toucy.

La culture du chanvre donnait lieu à des redevances qui se payaient en torches ou torchons (4), ce qui doit s'entendre des paquets de chanvre teille et prêt à être filé. Enfin il y avait aussi les rentes payées en pains, principalement aux environs de SaintSauveur et de Perreuse. Mais de quelle nature étaient ces pains ? D'après ce que nous savons des conditions de l'agriculture à ces époques, ils n'étaient certainement pas de pur froment, ce qui d'ailleurs aurait été spécifié expressément, mais de seigle ou du mélange de froment et d'orge appelé mouture, et ainsi ils pou vaient se conserver frais plus longtemps. En 1388, à Saint-Sauveur, ces pains étaient estimés 2 deniers la pièce.

Des redevances beaucoup plus répandues et dont l'usage s'est conservé jusqu'aux fermages d'aujourd'hui, avaient lieu en poules ou gelines. On payait en général une geline de rente par feu. Pour en savoir la valeur, nous avons trois documents : l'un, de 1312,

(1) Collection de Lorraine, vol. 237.

(2) Pièces justificatives, XI.

(3) Lebeuf, IV. p. 138, 139.

(4) Lebeuf, IV, p. 140.


152 LA PUISAYE 26.

qui estime la geline à 4 deniers tournois, l'autre, de 1352, qui la fixe à 6 deniers tournois (1), et un de 1383 à la même valeur.

Un droit de festage ou faîtage était imposé dans quelques seigneuries sur chaque maison, plutôt en Auxerrois qu'en Puisaye et variait de valeur selon les lieux. Ainsi à Bazarnes, près de Vermenton, dans un fief relevant de Toucy, il était de 12 deniers tournois par an, sur « chascune maison à feste faisant feu ».

Les corvées sont parmi les droits féodaux qui ont conservé la plus mauvaise réputation, d'autant que le pouvoir royal les a exercées plus tard avec rigueur jusqu'à la fin de l'ancien régime. Cependant tous les seigneurs ne possédaient pas ce droit dont la valeur variait beaucoup. En 1383, à Villeneuve-les-Genêts, chaque masure devait une corvée par an, estimée 6 deniers tournois. En 1394, une corvée de labour vaut 6 sols tournois à Trucy l'Orgueilleux. Vers 1400, « chascune personne liant boeufs à Trucy doit trois corvées par an, et chascun homme qui n'a beste traliant doit trois journées de bras. »

En 1411, à Vacheresse, près Champignelles, une masure devait « une corvée de boeufz en mars, une à fener et une à charroier foins. »

Les cinq masures du petit fief de Charreau, près de Toucy, devaient « fener et mettre en mules trois arpents de prés appelles les Prés des Corvées » ; d'autres fois, les tenanciers devaient simplement une corvée de bras en moisson. Il y avait donc une grande irrégularité dans l'exercice de ce droit qui dérivait des. conditions mises par les seigneurs aux concessions des terres ou aux affranchissements des serfs jusque là corvéables à merci. En effet, d'après l'accensement de Chevillon, fait en 1234, et que nous avons cité plus haut, les censitaires ayant des bêtes de trait devront, à l'avenir, deux corvées de leurs bêtes par an, une pour faire les blés d'hiver et une autre pour les labours de mars, et une corvée de bras, soit pour moissonner, soit pour faucher ou faner les foins, soit pour tout autre travail. Ceux qui n'ont pas de bêtes de trait devront trois corvées de bras.

Un des plus anciens parmi les droits féodaux est le droit de gîte qui dérive à la fois de celui qu'avait le fonctionnaire carolingien d'être défrayé par ses sujets dans ses tournées et du droit attribué au suzerain par la concession du fief d'être hébergé par son vassal. Le droit de gîte et procuration était donc très en

(1) Annuaire de l'Yonne, 1889, p. 220.


27 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 153.

usage dans les premiers siècles du Moyen Age, le gîte s'entendant du logement et des accessoires, la procuration équivalant à une réquisition.

La lourdeur même de ce droit amena d'assez bonne heure sa conversion en rentes, d'autant plus que l'accroissement de la population en rendait l'exercice moins nécessaire. Dans notre région, ces rentes étaient connues sous le nom de Maugier, au XIVe siècle, aux environs de Saint Sauveur.

En 1174, le seigneur de Toucy reconnaît qu'il ne peut lever sur chaque masure du prieuré de Villiers Saint-Benoît, que deux deniers pour la procuration de ses sergents. Par un acte de 1218, Itier de Toucy substitue au droit de procuration qu'il avait à Perreuse, une rente de cent sous. Ainsi, dès cette époque, ce droit était généralement converti en rentes. Le droit de gîte ne pouvait d'ailleurs être exercé utilement que par de grands seigneurs, dans des seigneuries très étendues.

Après les droits qui frappaient uniquement les terres, voyons quels étaient ceux imposés sur les personnes habitant une seigneurie, même quand elles n'avaient pas de tenures. Le plus important était la taille, qui devint plus tard le principal des impôts royaux et dont le nom est resté dans nos campagnes comme synonyme d'impôt. Il y avait cependant des tailles réelles, assises sur les tenures. En 1258, Hugues de Saint Verain donne à Mathieu de Ratilly la seigneurie de Moutriveau (1), avec un certain nombre de ténements à cause desquels leurs possesseurs étaient « tailliables alto basso » (2). Peut-être étaient ils encore des serfs !

En 1411, à Champignelles, deux masures, près de Saint Denissur-Ouanne, payaient chacune 14 sols de taille ; une autre devait 46 sols tournois de taille et le terrage(3). La taille personnelle était la plus fréquente, surtout avant l'abolition de la main morte, où, comme dit encore un document de 1400 (4), « les hommes sont taillés chascun an à volonté selon le vaillant qu'ils ont. »

Lors des affranchissements, ces tailles à volonté étaient conver ties en bourgeoisies à tarif fixe : ainsi, dans l'aveu de la seigneurie de Longueron, près de Joigny, après l'énumération des serfs taillables à volonté, vient celle des bourgeois qui ne peuvent

(1) Montriveau, commune d'Arquiau (Nièvre).

(2) Bibliothèque nationale, Pièces originales : Saint Verain, 23.

(3) Archives nationales, P 132, 9.

(4) Collection de Lorraine : 236 pièces, 88.


154 LA PUISAYE 28

cependant quitter la seigneurie mais ne paient que 12 deniers parisis par tête. A Trucy l'Orgueilleux, le taux variait de 2 sols 6 deniers tournois à 5 sols (1). C'était là le premier pas vers la liberté complète.

On n'avait pas manqué d'imposer des droits sur le commerce qui se faisait surtout dans les foires et marchés. Parmi les divers droits que Jeanne de Mello, comtesse d'Eu, tenait en fief de Toucy, elle indique dans un aveu « la moitié des ventes des bestes du « marché d'Auxerre, pors la foire de Chalendes mai et de six « samedis en l'an, esquelz je ne prend rien en ventes. » De même vers 1400, un autre vassal de Toucy possédait « le huitiesme des « prouffis et esmolumens de la foire de Fontaines, dès la voille « de Saint Lorent, au premier coup de vespres, jusques au pre« mier coup de vespres de jour Saint Lorant. »

En 1385, le seigneur de Villeneuve les-Genêts déclare que les étalages de la foire de la Saint André lui rapportent 5 sols tournois. Il y avait aussi un droit de salage sur le sel vendu à Toucy.

En 1320, un des fiefs de la châtellenie de Perreuse était constitué par les droits de ventes et de tavernage à Perreuse ; l'explication de ce droit de tavernage est donnée par la charte d'affranchissement de Varzy (2) qui le fait consister en une redevance d'un setier par muid de vin vendu. Dans certains endroits le seigneur possédait un droit de préemption sur le vin, appelé la semonce du vin, en prenant le vin vendu par les serfs pour le prix qu'ils le vendaient aux particuliers, mais seulement pendant une certaine période.

Dans certaines seigneuries importantes, il existait des péages à l'entrée des petites villes, par exemple à Champignelles, à Bléneau, où un aveu de 1394 estime le revenu du « péage et travers » à 40 sols tournois, à Perreuse et à Treigny. A Toucy, l'évêque per cevait un droit de péage sur les bêtes à laine passant au delà des rivières de Loire et d'Yonne, à raison d'un denier par tête.

Une des formes des droits féodaux qni a gardé le plus d'importance jusqu'à la fin était la banalité, c'est à dire le droit pour un seigneur d'avoir un moulin, un pressoir, un four auquel tous les habitants de la seigneurie étaient obligés d'avoir recours sans poùvoir s'adresser ailleurs. C'était naturellement un des droits qui rapportaient le plus, aussi était il très impatiemment sup(1)

sup(1) justificatives, XIII.

(2) Lebeuf, IV, p. 64.


29 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 155

porté, amenait de nombreuses contestations, et a été très forie ment critiqué. Nous croyons qu'il faut en chercher l'origine dans le régime seigneurial primitif. Le possesseur d'une villa gallo romaine, et plus tard celui d'un grand domaine sous les Carolingiens, était obligé d'avoir un moulin, un four, etc., pour son usage et celui de ses serfs ou colons qui n'avaient pas les moyens de les construire. Il était donc naturel qu'il leur imposât l'obligation de s'en servir, ce qui entraînait pour lui celle d'entretenir le moulin ou le four, et d'y établir un meunier ou un fournier. Par la suite, lors de l'établissement de la féodalité, cette obligation devint un droit absolu au profit du seigneur et s'étendit souvent sur tous les habitants d'une paroisse, car beaucoup de petits seigneurs ne possédaient pas de banalités.

Le four banal devint même dans ce cas un fief : ainsi le four de Lavau appartenait par moitié, en 1335, au seigneur de Lavau et aux enfants Pillouard ; le reveau en était estimé 100 sols tournois (1). En 1393, cette seconde moitié était elle même divisée en deux. Ordinairement, le possesseur du four avait droit d'usage dans les bois du seigneur pour le chauffage. A Toucy, la halle et la boucherie banale appartenaient au baron, mais le four banal était à l'évêque qui avait aussi, sous le titre de droit de boulan gerie et pâtieserie, des fours particuliers pour les petits pains et la pâtisserie.

Il avait aussi un droit de tourteaux, consistant en ce que les habitants ne pouvaient faire porter au four banal leurs pâtes à cuire que par le préposé de l'évêque et moyennant une rede vance (2).

La banalité du moulin était l'occasion de nombreuses contes tations : les moulins étant affermés par les seigneurs, leurs fer miers, assurés de la clientèle, étaient souvent difficiles et peu scrupuleux.

Une autre variété de baux était le bauvin, droit qu'avait le sei gneur de vendre seul du vin pendant une certaine période, à condition que ce fût du vin de sa récolte. A Champignelles, le seigneur avait le droit de bauvin pendant le mois de mai. A Toucy il était exercé en commerce par l'évêque et le baron pen dant le mois d'août.

Ces droits de banalité étant généralement très lourds, les com

(1) Pièces justificatives. XI.

(2) Archives de l'Yonne, G 1710.


156 LA PUISAYE 30

munautés d'habitants s'efforçaient de les acheter quand elles le pouvaient (1).

Enfin, au profit des châteaux-forts existait le droit de guet et garde, obligeant les habitants de la seigneurie à venir participer à la garde du château pendant un temps déterminé. Les fiefs en relevant y étaient souvent obligés : ainsi le seigneur du Chesnoy devait 20 jours de garde au château de Saint Fargeau, d'après un aveu de 1337 (2).

En 1358, le régent Charles, qui prenait d'actives mesures pour s'opposer à l'invasion anglaise, mande au bailli de Sens de faire une enquête sur l'état des fortifications de Perreuse ; il a appris, dit il, qu'un certain nombre de ressortissants de cette châtellenie et d'autres qui n'en relèvent pas, mais en sont voisins, refusent de participer aux réparations et d'y faire la garde, bien qu'en cas de danger ils puissent s'y réfugier avec leurs biens (3). Il lui ordonne donc de les y contraindre, si leur obligation est prouvée. Ce droit de garde, moins nécessaire avec la fin des guerres, fut générale ment transformé, à la fin du XVe siècle, en un revenu modique en argent.

VII

ÉTAT DES PERSONNES

Dans les premiers temps de la période féodale, l'état des personnes était encore ce que nous l'avons vu pour l'époque précédente : quelques hommes libres, un certain nombre de colons ou hôtes, attachés à la seigneurie, et des serfs formant la majeure partie de la population des campagnes. Le Moyen Age, dans ses premiers siècles, tend à constituer une série de conditions voisines les unes des autres, échelonnées de la servitude à la liberté.

En effet, dès le milieu du XIIe siècle, un grand mouvement se dessine, sous la direction de l'autorité royale, pour l'amélioration de la condition des serfs. Nous avons déjà indiqué ailleurs (4) comment, à la suite de l'octroi, en 1155, de la charte de franchise dite coutume de Lorris, à cette petite ville du Gâtinais par Louis

(1) Procès verbaux de l'Administration départementale de l'Yonne, II, p. 184.

(2) Archives de l'Yonne, E 182.

(3) Archives du Nord, B 859.

(4) Bulletin Société des Sciences, 1922, p. 10.


31 SOLS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 157

le Gros, elle se répandit rapidement dans les environs et fut adoptée par nombre de seigneurs voisins, désireux d'accroître la population et par suite la valeur de leurs domaines.

Les affranchissements ont des causes multiples : en outre des idées religieuses, la plus importante paraît avoir été le besoin de bras par suite des défrichements du XIIe siècle, et la crainte que les serfs n'aillent dans les villes franches, car le seigneur tient avant tout à ce que les affranchis restent sur sa terre où il leur assure une ferme.

Les maisons de Courtenay et de Sancerre, dont les domaines étaient voisins de ceux du Roi, suivirent bientôt cet exemple. Le comte Pierre de Courtenay donna en 1188, à ses hommes d'Auxerre, une charte inspirée de celle de Lorris. Son gendre, Hervé de Douzy, affranchit ceux de Saint-Sauveur en 1204. Sauf les exceptions indiquées plus loin, on ne trouve dès lots en Puisaye plus trace d'affranchissements ou de mainmorte. On ne doit pas en conclure qu'elle n'y a jamais existé, ce qui serait une exception trop extraordinaire, mais qu'elle avait disparu à la fin du XIIe siècle, époque sur laquelle nous avons très peu de documents.

A partir du milieu du XIIIe siècle, nous en avons davantage, mais toujours un peu en dehors de la Puisaye qui peut être considérée dès lors comme affranchie. En 1250, l'abbaye de SaintGermain des-Prés à Paris donne la liberté à ses hommes de Bitry, canton de Saint-Amand, dans la Nièvre. En 1326, le comte Edouard de Bar affranchit des serfs qu'il avait encore à Toucy (1). Après un préambule, où il proclame l'excellence entre toutes les bonnes oeuvres de celle qui consiste à abolir le joug de la servitude, il désigne nominativement 71 personnes qu'il affranchit de tout droit de servage personnel et mobilier, en indiquant les meix ou tenures qui seront à l'avenir chargés d'un cens fixe en remplacement des anciennes redevances, en moyenne de 6 deniers pour une maison ou un arpent de pré.

En 1328, il y avait encore des serfs mainmortables à Tan nerre (2).

En 1339, le seigneur de Chassin, près Treigny, avait encore des droits de mainmorte qui ne sont plus mentionnés dans un aveu de 1357, ayant probablement été abolis entre ces deux dates.

La seigneurie de Trucy l'Orgueilleux (3), près de Clamecy,

(1) Pièces justificatives, VIII.

(2) Bibliothèque nationale, Pièces originales : de Courtenay. 282.

(3) Canton de Clamecy (Nièvre). Pièces justificatives, XIII.


158 LA PUISAYE 32

relevait de Toucy. En 1368, Jeanne de Brienne, comtesse d'Eu, à qui elle appartenait, en affranchit les habitants qui lui avaient donné, dans ce but, 1.500 francs d'or, et durent donner aussi 300 francs à la comtesse de Bar, suzeraine du fief.

Néanmoins, il y avait à Trucy une autre seigneurie, où vers l'an 1400, on trouve encore des serfs, ce qui prouve que leur condition ne devait pas paraître extrêmement dure ; on était là d'ailleurs sur la frontière du Nivernais où la mainmorte a persisté bien plus longtemps.

Au contraire, en 1388, le duc Robert de Bar, affranchissant les habitants de Fleury et Pouceaux, déclare que le maintien de la mainmorte lui serait très préjudiciable ; ses sujets, pour éviter les charges qui pèsent sur eux, quitteraient la seigneurie pour aller jouir ailleurs des franchises « et de fait en sont plusieurs partis ». L'unique condition mentionnée par cet acte est le paiement de deux sols parisis de cens par an (1).

Dans un certain nombre de cas, nous constatons encore l'exis tence de la mainmorte au XIVe siècle. Il en était ainsi jusqu'en 1390 pour la petite seigneurie des Chéseaux, entre Perreuse et Treigny, où se trouvaient des masures tenues « à taille hault et bas, à courvées, à coustumes, à pains, à gelines, à ferrages et à mainmorte ». C'était également le cas des tenanciers de Test-Milon en 1388, et de Fougilet en 1390, mais en 1409 les terres de ce dernier fief étant abandonnées, la mainmorte n'y reparut pas. En 1400, il y avait encore à Champlay, près Joigny, des serfs taillables à la volonté du seigneur, de poursuite et de mainmorte, mais à partir de cette époque on ne retrouve plus dans aucun de ces endroits cette servitude qui aurait nui beaucoup au repeu plement du pays après la guerre de Cent ans.

Nous avons vu qu'à un rang plus élevé que les serfs se trouvaient les colons de l'époque carolingienne, auxquels on peut assimiler les hôtes ou hospites, qui avaient un commencement de liberté, puisqu'ils n'étaient pas soumis au droit de poursuite, s'ils abandonnaient la terre à laquelle ils avaient droit. Le seigneur n'avait pas sur eux un droit de propriété absolue, comme sur les serfs, mais droit à des prestations temporaires et limitées par un contrat. D'ailleurs, on ne trouve plus mention des colons à partir du XIe siècle, et les hospites deviennent rares au XIIIe. Vers 1220, un des feudataires de la châtellenie de Saint-Fargeau possé(1)

possé(1) justificatives, XVI.


33 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 159

dait « sex ostisias » qui devaient être des tenures d'hospites (1). En 1242 eut lieu entre Jean de Toucy et le Prieuré de Moutiers un échange par lequel le Prieuré lui cédait un certain nombre d'hommes et de tènements, situés sur le territoire de la châtellenie de Perreuse. En l'absence de toute indication sur l'état réel de ces hommes, dits simplement « hommes du Prieuré », nous sommes portés à voir en eux des hospites qui suivaient le sort de leurs tènements sans y être néanmoins obligés (2).

Nous avons déjà cité l'acte par lequel Nicolas de Hautvillars accorda à ses hospites de Chevillon, jusque là taillables à sa volonté, qu'ils ne devront plus que certaines redevances fixes. C'est là, nous semble-t il, un exemple de la manière suivant laquelle disparut alors cette classe des hôtes (qu'on ne retrouve plus dès lors) par une conversion de droits arbitraires en des prestations fixes qui en firent des hommes libres comme les autres censitaires.

Quelle était la condition des serfs affranchis, surtout à partir du XIIIe siècle ? Devenaient ils toujours et ipso facto absolument libres d'aller où ils voulaient?

En 1368, Jeanne de Brienne, comtesse d'Etampes, affranchissant les serfs de Trucy-l'Orgueilleux, ajoute « les dessusdiz (affranchis) et leurs successeurs ne pourront jamais vendre ou donner leurs héritaiges à personne de serve condition, sauf que nous prendrons pour Bourgeoisie sur une et chacune personne tenant feu de cinq sols tournois à deux sols six deniers par feu. » (3) De même, dans l'aveu rendu vers 1400 pour la seigneurie de Longueron, près de Joigny, après l'énumération des serfs mainmortables et taillables à volonté, vient celle des bourgeois « sauz ce que eulx ne leurs hoirs se puissent mettre en aultre adveu de seigneur, et paient chacun au pour leurs bourgeoisies chascune teste 12 deniers parisis. » Ces bourgeois, qui avaient déjà une certaine liberté et n'étaient plus soumis à des droits arbitraires, ne doivent pas être confondus avec les bourgeois des villes franches.

On voit que ces différentes classes roturières formaient comme une échelle s'élevant de plus en plus vers la liberté complète. De là, elles pouvaient même accéder à la Noblesse qui n'a jamais été une classe fermée, par l'exercice de différentes charges ou par

(1) Pièces justificatives, I.

(2) de Maulde, Condition forestière de l'Orléanais, p. 112. 3) Pièces justificatives. XIII.


160 LA PUISAYE 34

l'acquisition de fiefs. Nous en trouvons des exemples dans notre région. La famille Blandin, qui paraît sortir de bourgeois d'Entrain, débute par Jean Blandin, garde scel à Donzy, en 1320, fournit un bailli de Nevers en 1398, acquiert des fiefs autour d'Entrain et de Clamecy et s'allie aux families nobles du pays. Les Mirouer, qui sont clercs du comte de Bar et gardes scels au commencement du XIVe siècle, deviennent ensuite baillis et possèdent de petites seigneuries à la fin de ce siècle.

Citons enfin les Le Muet qui, partant d'un notaire à Clamecy en 1312, après avoir été gardes scels, puis baillis à Donzy à la fin de ce siècle, acquièrent ensuite aux environs de Clamecy des seigneuries qu'ils conservèrent pendant 200 ans, en même temps qu'une autre famille Le Muet, peut être leur parente, sortant des bourgeois d'Auxerre, arrivait à posséder les seigneuries de Bellombre et d'Escolives.

Ces familles de serfs du XIIe siècle, de censitaires du XIVe, se sont-elles toujours perpétuées dans les mêmes localités? Pouvons nous les y retrouver aujourd'hui ou du moins leurs noms ? Il en est très peu dans ce cas et encore n'est-ce généralement pas dans les endroits qu'elles habitaient au Moyen Age, Aussi, ne pouvonsnous prendre au sérieux les prétentions des familles qui assurent cultiver le même domaine depuis plus de quatre ou cinq siècles. Si l'on retrouve la trace des plus anciennes familles du pays, c'est dans les noms de ces hameaux qui couvrent la Puisaye et dont une très grande partie sont formés par des noms de familles, venant la plupart d'anciennes communautés, comme nous le verrons au chapitre suivant. (1)

VIII

ÉTAT DES TERRES

On sait déjà que, parallèlement aux différentes classes de personnes, il y avait divers modes de tenure : tenure servile où la coutume tempérait la volonté arbitraire du seigneur, et censive résultant d'un contrat; entre les deux tenures, des colons, puis des hôtes, qui disparurent d'assez bonne heure. Une autre servait aussi de transition, mais persista bien plus longtemps. C'était le

(1) Voir plus loin : chapitre XXIX.


35 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 161

bordelage ou bourdelage, usitée depuis le XIIIe siècle en Nivernais, et qui s'était répandue jusqu'en Puisaye. Elle nous semble se relier à la coutume des communautés taisibles, très répandue en Nivernais, où elle persista jusqu'au siècle dernier. Celles ci étaient des associations de paysans, appartenant ou non à la même famille, vivant en commun, et réunis pour l'exploitation d'un même domaine. Leur existence paraît antérieure à l'établissement de la Féodalité, sans quoi les seigneurs n'auraient vu en elles que des sociétés artificielles, créées pour échapper à la mainmorte. En effet, dans les reconnaissances à bordelage, les détenteurs sont toujours dits « communs parsonniers », et de là viennent les noms de lieu si fréquents en Puisaye et en Nivernais, tels que : les Moreaux, les Martins, etc..

Le principe de la tenure en bordelage est de faire consister la redevance en « deniers, grains et plume, ou des trois les deux ». Le tenancier ne pouvait démembrer la tenure, ni l'engager; il pouvait la vendre, mais avec autorisation du seigneur qui prélevait une partie du prix. Pour hériter d'un bordelage, il fallait être commun avec le bordelier au moment de son décès, et payer le tiers denier qui correspondait aux lods et ventes des censives. Ce mode de tenure était donc très avantageux pour le seigneur et dur pour le tenancier, aussi, devant la résistance qu'opposèrent ceux ci, il ne s'étendit plus dans nos pays après le XVe siècle, mais persista encore longtemps en Nivernais.

Le bordelage étant ordinairement constitué sur une tenure complète avec habitation était connu en Puisaye sous le nom de masure, et ce nom y resta comme synonyme de tenure. Dans un aveu de la seigneurie des Barres près de Saint Sauveur en 1388, on énumère dix sept « bourdelaiges » devant des tailles appelées trousses, des redevances d'avoine appelées mines et d'autres en pains. Le droit de mutation n'y était que du quint denier. A Champignelles, en 1411, nous trouvons de nombreuses masures devant chacune 14 sols de taille avec ferrage, deux bichets d'avoine combles et foulés, un pain, une geline, une corvée pour faner et une pour rentrer les foins.

Dans la petite seigneurie des Cheseaux, près de Perreuse, existaient en 1381 « trois ostez tenuz en maisure et en bourdelaige, valant chacun cent solz tournois de taille. » En 1390, il y a eu de nouvelles concessions, car on y compte six masures tenues de la même manière, et rapportant en tout 8 livres 7 sous de taille, 13 setiers d'avoine, trois pains, trois gelines et dix corvées de moisson. Les masuriers y étaient encore soumis à la mainmorte

11


162 LA PUISAYE 36

car on combinait parfois les divers modes de tenure, mais dans les bordelages les redevances étaient toujours exactement déter minées. Il y en avait encore au même endroit en 1403, mais ils semblent avoir disparu au XVIe siècle.

Nous avons déjà vu le mode de constitution de tenures en censive qui fut le plus général dans les derniers siècles du Moyen Age ; aussi a t-on pu dire : nulle terre sans cens. L'ascensement était plus qu'un bail à ferme, en ce que le censitaire pouvait transmettre son domaine à des tiers. Le bailleur à cens ne conservait que la directe ou domaine éminent, et perdait le domaine utile, moyennant une rente invariable et certain droits féodaux, lods et ventes, ferrages, etc., qui, étant en réalité des impôts de quotité, conservèrent seuls une valeur véritable par la suite des temps.

Outre ces divers modes de tenure, il y avait encore quelques rares terres qui étaient dites tenues en franc alleu. Vers 1400, dans la seigneurie de Champeaux, près de Toucy, il existait plusieurs petits domaines tenus de cette façon et devant cependant au seigneur une corvée pour la moisson, et une redevance en argent appelée donne qui se payait tous les trois ans.

Quelle était, dans chaque seigneurie, la répartition des terres entre le seigneur et les tenanciers ? Dans celles qui avaient quelque importance, le seigneur avait toujours un domaine propre, en terres d'une étendue variable, qu'il faisait valoir pour son compte à l'aide des corvées dues par les censitaires. Autour de son manoir, souvent assez modeste, régnait un « pourpris » ou jardin, un verger, des terres et prés, quelquefois des vignes ; les bois appartenaient presque exclusivement au seigneur. Mais la plus grande partie des terres était entre les mains des tenanciers, ou masuriers. Il est assez difficile de déterminer quelle pouvait être l'étendue de chaque tenure ou tenement, comme on disait, souvent : elle paraît varier entre 5 et 20 ou 25 arpents au plus, ce qui est vraisemblable, quand on considère l'état assez primitif de la culture et des instruments agricoles.

Le morcellement des terres était donc très grand, surtout en Puisaye où l'on rencontre de très petits champs et des prés contenant « l'oeuvre d'un faucheur ».

Il en fut ainsi jusqu'au milieu du XVe siècle. Après les ravages de la guerre de Cent Ans, beaucoup de terres ne trouvant plus de preneurs, les seigneurs constituèrent de grands domaines qu'ils faisaient valoir directement ou affermaient. Dès le commencement du XIVe siècle, il y avait déjà de véritables baux à ferme. Les


37 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 163

monastères, dont le personnel avait diminué, pour ne pas laisser leurs terres incultes, les louaient à temps ou à viager, moyennant une redevance en nature ou une rente (1).

IX

AGRICULTURE

II est très difficile de donner une idée exacte de l'agriculture au Moyen Age, faute de documents précis ; d'ailleurs, l'état primitif et routinier de la culture ne se prêterait pas à des calculs de statistique exacte.

Nous avons vu que les vallées étaient cultivées de toute antiquité, même dans la Puisaye la plus boisée ; les plateaux de la Forterre l'était également, car Saint-Germain, donnant au Ve siècle à un monastère le territoire de Fontenoy, déclare qu'il est fertile en froment.

Après les invasions, les défrichements se multiplièrent, d'abord par l'action et l'exemple des moines, (2) puis au profit des seigneurs laïques. Dans un accord de 1161, entre le comte de Nevers et l'abbaye de Saint Germain, (3) il est stipulé que si quelqu'un veut mettre en culture des terres jusque là incultes dans les domaines du prieur de Saint Sauveur, celui ci ne pourra lui en refuser la permission, ni lui demander plus de 12 deniers pour cette autorisation. L'ardeur des défricheurs, toujours à la recherche de terres neuves et plus avantageuses, les entraînait souvent sur les domaines de leurs voisins ; il en résultait des accords comme celui qui eut lieu en 1243 entre la comtesse de Nevers, les seigneurs de Toucy, Saint-Verain, et d'autres voisins, pour limiter les défrichements dans les forêts de Montmoyen et de Noir Espinay, situées près d'Entrains et de Sainpuits, ou en 1259 entre le comte de Bar et le prieuré de Moutiers au sujet de la forêt de Burcey (4).

Comme il y avait d'ailleurs peu de monastères en Puisaye les défrichements de leur fait furent peu nombreux, mais ceux des

(1) Archives de l'Yonne, H 1628.

(2) Congrès scientifique d'Auxerre en 1858, II, p. 348.

(3) Cartulaire de l'Yonne, II, p. 128.

(4) Quantin, Recueil de pièces du XVIIIe, p. 203-286.


164 LA PUISAYE 38

seigneurs furent plus importants. Outre ceux déjà cités, on peut donner en exemple la création, par les seigneurs de Saint Verain, de plusieurs villages portant les noms de localité de la Terre Sainte, comme Jérusalem, Jéricho, Nazareth, Bethphagé, qui sont évidemment des souvenirs des Croisades. Gibaud III, seigneur de Saint Verain, ayant pris part à la VIIe croisade, en 1248, c'est probablement à lui qu'il faut rapporter leur fondation.

Cependant, en dehors de la Puisaye proprement dite, plusieurs monastères avaient de grands domaines nommés granges, comme l'abbaye de Reigny à Beauvoir et à Vaureta, près de Sougères, et celle de Bourras, à Chevigny près d'Etais. Elles n'étaient habitées que par des frères convers qui, à l'origine, entretenaient de grands troupeaux. Plus tard, ils y entreprirent des cultures qui durèrent jusqu'au XIVe siècle, époque où le recrutement des monastères étant moins actif, tandis que la population civile augmentait, il devint plus commode et plus lucratif pour les abbayes de donner à bail la plus grande partie de leurs terres (1).

Par analogie, on appelait granges les exploitations directes des seigneurs (2). En 1381, Pierre de Jeurre tient à Mézilles « une grange, c'est assavoir un guaingnage de terres arables et de prez qui y appartiennent. »

A côté du terme de grange, on trouve souvent celui de gaignage, ou gaingnage, pour désigner l'ensemble des terres labourables ; des terres gaignables ou portant gain, comme on disait alors, formant une exploitation. Outre ce terme qui se maintient jusqu'au XVIIe siècle, on trouve quelquefois celui d'ocherie, avec la même signification. Le mot d'ouche ou osche, qui se retrouve encore dans des noms de lieu, désigne une pièce de terre, isolée, souvent enclose.

L'état de ces cultures était naturellement assez peu avancé, néanmoins toutes les céréales actuelles étaient cultivées au Moyen Age, mais dans des proportions différentes de celles d'aujourd'hui : les céréales pauvres, seigle, orge, avoine, dominaient (3). Le nom de blé était un terme général, équivalant à celui de grain, et le froment était toujours désigné expressément, d'autant plus qu'on employait divers mélanges, comme la mouture, mélange de blé et d'orge, qui fut en usage jusqu'à une époque assez récente, ou

(1) Congrès scientifique d'Auxerre, II, p. 354-367.

(2) Lebeuf, IV nos 135-178. (3) Lebeuf, IV. p. 138-139.


39 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 165

même le mélange de froment et d'avoine. L'orge était appelé blé trémois, ou de trois mois.

La valeur des grains était exposée à de grandes variations, par suite de la difficulté des communications et des entraves mises à la circulation entre les diverses provinces. Nous avons peu de documents qui nous permettent de l'évaluer. Un compte des revenus du bailliage de Gien, vers 1220 (1), estime 15 livres parisis un mélange de 8 muids et demi de blé et d'avoine, et plus loin trois muids et demi et demi en mêmes grains, 6 livres ; six muids de seigle et d'avoine valent 11 livres, c'est à dire 36 sols le muid. En 1312, à Bonny, l'avoine, mesure d'Auxerre, vaut 5 sols tournois le setier, le seigle, 6 sols tournois, et le froment, 2 sols parisis le bichet, qui était environ le quart du setier. Naturellement, nous ne pouvons savoir quelle était la qualité de ces grains. En 1318, à Champignelles, le bichet de froment est estimé de 3 sols à 3 sols 9 deniers tournois et l'avoine 18 deniers.

Un dénombrement rendu pour Fleury en 1352 porte le froment à 6 sols et l'avoine à 2 sols le bichet (2). A Villeneuve-les-Genêts, pays plus pauvre que la vallée d'Aillant, le bichet de froment était estimé en 1383, 3 sois tournois et l'avoine 18 deniers. Vers 1380, quatre bichets de froment sont vendus 12 sols parisis à Mézilles. En 1407, la quarte de farine (quart du bichet) valait 10 sols parisis.

Il est également assez difficile de calculer le revenu des terres. D'après un document de 1323, les héritiers de Jeanne, comtesse de Bar, devaient à Jean, comte de Montmorency, à cause de sa trisaïeule, Emma de Laval, qui avait épousé, en secondes noces, Jean de Toucy, 200 livrées de terres, c'est-à-dire la quantité de terres suffisantes, dans la châtellenie de Saint Fargeau, pour produire un revenu de 200 livres. Or, la livrée de terres fut estimée 7 livres 3 sols et les 200 livrées en question furent rachetées moyennant 1400 livres tournois environ.

Avec les dénombrements de petits fiefs ne comprenant que des terres, sans droits féodaux, on peut estimer que la terre en Puisaye, au XIVe siècle, rapportait 3 à 4 sols tournois l'arpent, et autour de Perreuse, 4 sols en moyenne. Ces chiffres, étant donnés par les vasseaux eux-mêmes, devaient être plutôt faibles, néanmoins ils n'ont pas été contestés par le suzerain.

(1) Recueil des Historiens de France. XXIII, p. 720.

(2) Annuaire de l'Yonne, 1889. p. 220.


166 LA PUISAYE 40

Pour les prés nous avons encore moins de renseignements.

En 1337, cinq quartiers de pré à Marnay, dans la vallée d'Aillant, rapportaient 40 sols tournois. (1) Vers 1400, deux arpents de pré à Dracy valaient 20 sols tournois de revenu, et deux arpents à Toucy valaient le double.

En 1410, une pièce de pré de la même contenance, mais située à Faverelles, c'est-à dire dans une partie assez pauvre de la Puisaye, ne rapportait que vingt sols.

Bien que la Puisaye ne soit pas un pays propice à la vigne, elle y était assez répandue au Moyen Age. La difficulté des commuai cations empêchant d'en faire venir de l'extérieur on voulait néan moins avoir son vin à soi et l'amour-propre s'en mêlant on le trouvait bon. En 1360 il y avait ainsi toute une côte de vignes à Chassin ; vers 1400 on en trouvait à Vieuxchamps, près de Charbuy, à Dracy, à Arrau, et les moines du Prieuré de Villiers Saint Benoît avaient une vigne dans cette localité. Enfin il y en avait même à Beaujarry, près de Lavau.

Mais les meilleurs crus étaient autour de Perreuse, où le sei gneur de Toucy avait en 1218 un clos assez considérable pour qu'il put assigner aux religieux qui en desservaient l'église une rente de dix muids de vin blanc ou rouge (2). Ses successeurs la conservèrent jalousement et nous avons déjà vu que Yolande de Flandres recommandait qu'on eut grand soin de sa vigne de Perreuse et qu'on mit de côté du vin de Pinot qui devait être envoyé à Paris pour sa consommation personnelle.

Parmi les droits féodaux il y avait en 1400 des redevances en vin à Arrau, près de Toucy.

Comme les autres revenus fonciers, celui des vignes est assez difficile à évaluer, d'autant plus qu'il est plus variable. Le seul document que nous ayions sur ce sujet est un aveu de 1337, mentionnant que vingt arpents et demi de vigne à Marnay, près de Poilly, c'est à dire dans la vallée d'Aillant, rapportaient quarante sols tournois (3), ce qui reviendrait à peu près à deux sols l'arpent. Quant à la valeur du vin, en 1261, quarante cinq muids de vin d'Auxerre sont estimés douze livres parisis (4).

D'ailleurs ces revenus que nous nous sommes efforcés d'estimer

(1) Archives de l'Yonne, E 182. (2) Lebeuf. IV, p. 81.

(3) Arch. de l'Yonne, E 182.

(4) Recueil des Historiens de la France. XXIII, p. 720.


41 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 167

ne restaient pas invariables. Les guerres et les désordres du XIVe siècle les avaient fortement affectés et avaient même amené sur bien des points l'abandon des cultures et la destruction des villages. Ainsi un fief à la Breuille, près de Sainpuits, qui en 1339 valait huit livres tournois de rente, ne rapportait plus en 1365 et en 1367 que soixante sols tournois. Dans la petite seigneurie de Charroux, à Sainte Colombe, les droits de Tierces sur les grains qui en 1394 rapportaient huit setiers d'avoine, ne produisent plus que trois ou quatre setiers en 1410 ; en effet, à la première de ces dates deux cents arpents de terre étaient déjà en friche « et ne trouve l'on à qui les bailler », mais en 1410 c'est trois cents arpents « à quoy les bonnes gens ont renoncié », aussi le revenu total de dix livres tournois était descendu à six livres. Le revenu de la seigneurie de Chassin qui de 1355 à 1365 était de cent livres tour nois, tombe en 1395 à quarante livres. De même, celle de Fougilet qui valait en 1390 quinze livres tournois ne rapporte en 1409 que quatre bichets de froment et autant d'avoine avec cinq sols tournois en argent.

Jean de Prie rendant le dénombrement de sa seigneurie de Lest-Milon en 1388, déclare qu'elle valait du temps de son grand'père cent vingt livres, mais ne vaut plus que vingt livres en moyenne.

Dans une autre partie de la Puisaye vers 1400, au BuissouSaint-Verain, le fief qui valait autrefois trente livres ne rapporte plus que soixante sols.

En 1411, dans la terre de Champignelles, le gagnage des Cloris, comprenant quatre-vingts arpents, vaudrait huit livres tournois s'il était en état « mais il n'y a habitation aucune et sont toutes les terres en friche ». Il en est de même pour ceux de la Choisellerie et de la Motte Messire Raoul, ayant à peu près la même étendue (1). La terre de Villeneuve-les-Genêts n'était pas en meilleur état, et l'on y cite aussi plusieurs masures « vacques et en désert. » Un moulin estimé autrefois cinquante sols de rente, ne rapportait plus rien.

On allongerait facilement cette liste des terres dont on pourrait dire, comme dans un aveu de 1394 « lesquelles choses sont de présent de nulle valeur, pour ce que tout est à présent en désert ou tout au moins en petite valeur. »

Il est donc exact que, dans la seconde moitié du XIVe siècle, le

(1) Archives nationales, P 132, pièces 5 et 9.


168 LA PUISAYE 42

revenu des terres avait diminué de moitié environ et parfois davantage.

Nous avons très peu de renseignements sur la nature des bestiaux à cette époque et leur valeur. L'état de l'agriculture favorisait plutôt l'accroissement du bétail que son engraissement en raison du mode trop rudimentaire de culture, des pacages très fréquents dans les bois et de l'usage très répandu de la vaine pâture. Par suite les prix des animaux devaient naturellement être peu élevés.

Dans les premiers siècles du Moyen Age, les monastères entretenaient de grands troupeaux sous la surveillance des frères convers dans les granges.

Dans les époques où le pays était encore peu peuplé et peu cultivé, ces troupeaux parcouraient pour paître des étendues considérables, tant à travers les terres que dans les bois, tellement qu'il était nécessaire de limiter leurs terrains de parcours.

Une sentence arbitrale de 1172 règle ainsi les contestations élevées entre les abbayes de Reigny et de Bourras (1) et l'on peut voir que les troupeaux s'éloignaient souvent de plusieurs lieues de l'abbaye ou de la grange.

Les limites étaient constituées par des chemins ou des sarrées qui étaient probablement des levées de terre.

Les troupeaux paraissent avoir été surtout constitués de moulons et de porcs. Pour ceux-ci les monastères ou les usagers avaient le droit de paisson ou panage dans les bois qui étaient presque tous en hautes futaies. Le nombre des porcs qui pou valent pâturer dans les bois était ordinairement réglé par les titres de concession.

Divers indices nous font penser qu'il y avait alors en Puisaye une race de petits chevaux analogues à ceux qu'on trouvait encore en Morvan il y a un siècle, et qui servaient également comme bêtes de somme ou de selle, la culture ne se faisant qu'avec des boeufs.

Par suite de la pauvreté des cultivateurs il arrivait que le seigneur ou un autre leur donnait des bestiaux en cheptel moyennant un prix de location dont le taux variait suivant la misère ou l'aisance des campagnes.

Les cultures de légumes paraissent avoir été peu nombreuses,

(1) Cartulaire de l'Yonne, II, p. 237. Congrès scientifique d'Auxerre 1858, II, p. 364.


43 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 169

sauf les pois et fèves qui avaient une grande importance avant l'introduction de la pomme de terre. Le chanvre était souvent ultivé et nous avons déjà vu que les censitaires payaient dans certains endroits des redevances en torches de chanvre.

Malgré l'état assez rudimentaire de l'agriculture, nos aieux connaissaient et utilisaient déjà des pratiques que nous nous figurons quelquefois avoir découvertes. La Marne était en usage en Puisaye au XIVe siècle, ce qui est assez naturel puisque le cal caire ou la craie s'y rencontrent à côté des terrains siliceux qu'ils peuvent amender. Dans un aveu rendu pour Villeneuve-les Genêts en 1388, il est question de « la Marnière du Vau ». Vers 1400, le seigneur de Fontaines percevait sur « les Marnes qui sont vendues à gens qui ne sont mie ds ladite terre » un droit qui lui rapportait quarante sols tournois par an. Il y avait aussi des Marnières à Sauilly et à Fleury. Enfin, dans les dernières années du XVe siècle, on prenait à Bourron, près de Champignelles, de la Marne « pour fumer les terres (1) ».

X

BOIS

La Puisaye a toujours été un type de pays forestier, où les bois, ont toujours joué un rôle très important, tellement que ses habi tants ont peine à se figurer un pays sans bois. Nous avons vu que les bois couvraient autrefois la plus grande partie du territoire, mais avec des clairières cultivées qui s'accrurent rapidement. Les défrichements se poursuivirent surtout aux XIe et XIIe siècles, si bien qu'au XIVe l'étendue des bois ne paraît pas avoir été sensiblement plus grande qu'aujourd'hui ; ils étaient souvent moins agglomérés, un certain nombre de lieux cultivés ayant été abandonnés à la suite de la guerre de Cent Ans.

L'ancienne extension des bois est encore attestée par les noms de la Forêt donnés à plusieurs villages, mais surtout en Forterre, pays où ils ont été presque tous détruits.

Les grands défrichements étaient surtout le fait des monastères, tandis que les seigneurs conservaient les bois qui étaient leur domaine propre le plus important, où ils se livraient à la chasse

(1) Bibliothèque nationale, Pièces originales : de Courtenay. 698.


170 LA PUISAYE 44

et qu'ils se réservaient pour quelques concessions nouvelles. C'est ainsi qu'en 1218 Robert de Courtenay, seigneur de Champignelles, fonda le village de Villeneuve les Genêts (1).

Les défrichements étaient souvent entravés par l'existence de droits d'usage, ce qui amenait des contestations ou des procès constatés par de nombreuses chartes.

Hier de Toucy avait cédé en 1212 au comte de Nevers diverses terres près de Clamecy moyennant une concession d'usage dans les forêts de Montmoyen et de Noir-Espinay, qui s'étendaient autour de Sainpuits. Mais des seigneurs voisins en ayant défriché de notables parties, un accord de 1243 arrêta les défrichements et fixa les conditions de l'usage (2). Enfin, en 1278, le comte de Nevers céda au comte de Bar et à Jeanne de Toucy 650 arpents de bois en toute seigneurie en compensation de leurs droits.

Nous avons plusieurs autres exemples de concessions d'usages ou de cantonnements pour faciliter les défrichements. En 1269, le comte de Bar cédait au prieur de Saint Sauveur 40 arpents dans les bois de Niroault, en compensation de l'usage qu'avait celui-ci dans la forêt de Burcey (3).

Quelles étaient les principales dénominations de ces grandes masses de bois ? Tout d'abord, on désignait par Bois de Puisaye ou Forêt de Puisaye tous ceux compris entre Saint-Fargeau, Lavau, Dammarie en Puisaye, Faverelles et Saint Amand, et qui appartenaient à la maison de Toucy et ensuite à celle de Bar (4), et dont une très grande partie dépend encore de la terre de SaintFargeau. C'est là le coeur de la Puisaye forestière et c'était le meilleur domaine de ses anciens seigneurs, comme on le verra par la pièce justificative V.

Une autre grande forêt, souvent mentionnée dans les chartes, était celle de Burcey ou Burcoy, qui occupait la partie est du plateau entre le Loing et le Branlin, depuis Marchais Belon et le Charme, au nord jusqu'à l'intervalle entre Saint-Sauveur et Mézilles, où existent encore aujourd'hui les restes d'une petite habitation fortifiée appelée Bressoy. Elle a été de bonne heure morcelée et les seigneurs de Puisaye n'en possédaient que la partie du sud.

Le territoire de la Forterre, si dénudé aujourd'hui, montrait

(1) du Bouchet Histoire de la Maison de Courtenay. Preuves, p. 28.

(2) Trésor des Chartes, J 256, pièce 42.

(3) Archives de l'Yonne. H 1150.

(4) Pièces justificatives. XI.


45 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 171

pourtant jusqu'au XIVe siècle les bois de Noir Espinay et de Montmoyen.

Les premiers occupaient le versant ouest de la Montagne des Alouettes, entre Sainpuits et la Voie romaine et s'avançaient jusque vers Entrains.

La forêt de Montmoyen, beaucoup plus considérable, s'étendait depuis les environs de Lainsecq jusque vers Ciez, dans la Nièvre. Elle a été en grande partie défrichée au XIIIe siècle, comme nous venons de le voir, et n'est plus représentée que par les bois de Ferrières et de Jussy, mais le souvenir en est marqué par des noms de villages : la Forêt Dardeau, la Forêt sous Bouy, etc.. La portion qui en appartenait aux comtes de Bar. éloignée de leurs autres possessions, a dû être vendue au XIVe siècle et défrichée depuis.

Partout où le terrain était favorable à la croissance du bois, ce qui est l'ordinaire en Puisaye, s'étendaient de hautes futaies, dites « grants bois » ou « bois de haulte foiche », ce qui paraît être un terme local. Comme on peut le voir par la pièce justificative V, ces futaies formaient la plus grande partie du domaine forestier des comtes de Bar. Elles devaient être fort belles, puisque, d'après la vie de Suger, c'est là qu'il vint chercher les bois de charpente nécessaires pour l'abbaye de Saint Denis (1). C'était aux futaies que paraît avoir été réservé le nom de forêts (2), les taillis étant ■désignés par celui de revenues du bois qui revient ou repousse. Le très curieux compte de la vente des bois de Puisaye en 1316, que nous donnons en pièce justificative, montre que dans bien des cas on peut retrouver encore aujourd'hui l'emplacement des coupes.

Les ventes étaient faites à l'amiable et devaient être laborieuses, car au prix principal s'ajoutait une somme proportionnelle « pour les vins », sans compter celui qui devait être bu en trai tant ; en outre, aux marchés les plus importants on adjoignait aussi de l'argent « pour ung anniaul à la partie ma dame », c'est à-dire une bague pour la dame de Puisaye et une certaine quantité de cire. L'élevage des abeilles était donc en honneur à cette époque, mais cette cire pouvait aussi provenir d'essaims trouvés dans les arbres creux. Elle était employée à faire des cierges et

(1) Lebeuf, I, p. 310.

(2) Pièces justificatives, XI.


172 LA PUISAYE 46

des torches pour l'éclairage, et servait aussi à sceller les actes authentiques et même les lettres.

Les paiements se faisaient au Landit, c'est-à-dire le 7 juin, et également à la Saint Ladre ou Lazare, le 2 septembre.

Presque tous les acquéreurs étaient des gens du pays ; on y voit figurer aussi des Lombards qui s'adonnaient dès lors à tous les genres de commerce.

Nous n'avons naturellement que peu de renseignements sur l'aménagement des bois; néanmoins, pour ceux de la terre de Puisaye, il était fixé par un règlement, car en 1409 le cardinal de Bar, qui n'en avait que l'usufruit, s'engagea « en tant qu'il touche les bois et haultes forestz de ladicte terre, nous n'en ferons aucune dissipation, mais les ferons copper à tailles et ventes ordinaires bien et prouffitablement ».

Les taillis, « revenues ou bois à chauffer », étaient coupés à 12 ans à Vermenton, à 10 ans à Test Milon, mais ce sont là des. bois de Forterre; il est probable qu'en Puisaye les révolutions devaient être plus longues.

Plus difficile encore à connaître exactement est la valeur des bois, qui dépend de leur âge, de la nature du sol et encore d'autres conditions.

D'après le compte de 1316, le prix de la coupe d'un arpent de haute futaie, dans de très bons bois, parait avoir été alors de 25 à 30 livres tournois, c'est à dire 1.750 à 2.100 francs, calculé au pouvoir de l'argent vers 1900. La même année, Jeanne de Toucy vendait la coupe de 81 arpents de haute futaie pour 1.620 livres tournois, ce qui fait 55 livres l'arpent, et un prix certainement élevé.

Quant aux taillis, les archives de l'Yonne nous fournissent deux ventes de fonds et superficie, en 1269, pour 6 livres 7 sols l'arpent à Merry, Vaux, et en 1392 pour 15 sols tournois l'arpent à Diges (1), c'est à-dire dans des conditions différentes dont on ne peut tirer de moyenne.

En 1318, des bois provenant de la succession de Jean de Courtenay, à Champignelles, rapportent 2 sols tournois de revenu, et d'autres à la Ferté Loupière 4 sols (2).

En 1353, ceux de Saint-Maurice-Thizouailles rapportent 5 sols.

Les bois de Villeneuve-les-Genêts ne sont estimés que 2 sols derente en 1383, et en 1388 12 deniers.

(1) Archives de 1 Yonne, G 1934, H 1120.

(2) du Bonchet, Preuves, p. 96-98.


47 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 173

Vers 1400 le revenu de l'arpent de bois était estimé à Dracy 18 deniers ou 2 sols 6 deniers. Enfin, en 1411, les bois de Champignelles ne sont plus estimés que 16 deniers, y compris la justice et le droit de garenne, tous les revenus ayant diminué par suite des longues guerres.

Si les bois formaient les plus importants domaines des sei gneurs, ils étaient souvent grevés de droits d'usages au profit d'établissements religieux, de communautés ou même d'autres seigneurs. Les concessions d'usages étaient celles qu'on faisait le plus facilement aux monastères, comme le prouvent de nombreuses chartes.

Pour les communautés d'habitants, les droits d'usage dérivaient de la jouissance accordée par le propriétaire d'une villa gallo romaine à ses tenanciers ; plus tard, ils ont été souvent convertis en cantonnement et par suite en droits de propriété au profit des habitants ; de là vient le nom d'usages appliqué à d'assez nom breux bois communaux.

Les usages avaient diverses modes d'exercice. Tantôt ils étaient généraux, s'appliquant à l'ensemble des bois d'une seigneurie et à tous les produits de ces bois, comme ceux donnés en 1131 par Hugues le Manceau, seigneur de Saint Verain, à l'abbaye de Villegouden (1), ou par Itier de Toucy, en 1211, à l'abbaye de Roches, dans tous ses bois de Puisaye, du bois mort pour se ■chauffer et du vif pour construire et réparer. Une définition générale en est donnée dans l'assignation faite en 1317 du donaire de la comtesse de Roucy, veuve de Jean de Bar, sur la terre de Puisaye : « Usera et coupera desdicts bois et forez en sadicte « partie pour édiffier et maisonner, soustenir et rapareiller ses « mesons, ses fours, ses molins et ses héritages, et pourra faire « couper merrien pour ses vignes, pour tonneaux et autres « vesseaus à harbargier ses vins de ladicte terre, pour la nécessité « de ses hostiex de Puisoie, pour ardoir en ses hostiex li et ses « genz, pour chauffer ses fours, et touz pasturages là où bois se « puisse deffendré, à l'us et à la coustume du pais, et paisson à « pors jusques à cent pors chascun au tant seulement. Et pourra « faire fauchier herbe ès gros bois et forez, et cueillir à la faucille « ès revenues. » (2).

Les habitants de la Villotte avaient droit d'usage dans une

(1) Lebeuf, IV, p. 34.

(2) Archives nationales. 3356, pièce 98.


174 LA PUISAYE 48

pièce de bois de 70 arpents appartenant au seigneur du lieu, « lesquelx usaiges sont communs aux manens et habitans de « ladicte Villotte, tant à paisturer, coupper, charroyer et aultres « aisances à leurs nécessitez toutes et quanteffoiz qu'il leur « plaist ».

D'autres fois, le droit d'usage était restreint d'une façon limitative. Les moines de Fontaine Jean avaient droit d'usage dans la forêt de Burcey, appartenant aux Courtenay, mais proeter quercam et faqum, ce qui en diminuait singulièrement l'importance (1). Par une transaction de 1213 entre le chapitre d'Auxerre et les seigneurs d'Arran et de Sauilly, il est reconnu que les hommes de ceux ci auront seulement le droit de prendre dans les bois du chapitre les fougères, les racines des arbres morts appelées souches et d'y faire paître leurs bestiaux (2).

Pierre de Vaux et Jean de Mailly, vendant en 1269 au comte de Bar le quart du bois de Bailly, près de Saint-Fargeau, retiennent pour eux l'usage du bois mort et le droit de pâturage pour leurs bestiaux dans les bois ayant plus de cinq feuilles.

L'exercice du droit d'usage était quelquefois subordonné à une redevance. Ainsi, à Champignelles, les usagiers des bois du seigneur lui payaient huit sols de rente le 1er mai (3) ; de même à Villeneuve les Genêts.

Une des formes les plus répandues d'usages était la Paisson ou Panage des porcs, qui eut une grande importance tant que les futaies où elle s'exerçait surtout furent nombreuses en Puisaye. A une époque où l'agriculture était peu avancée, cette coutume accroissait son rendement et les terres boisées n'étaient pas alors improduction pour l'alimentation des habitants, d'autant plus qu'elle s'exerçait pour les autres bestiaux, comme nous venons d'en voir l'exemple.

Itier de Toucy, fondant en 1218 le Prieuré de Boutissaint, lui accordait le droit de faire paître vingt porcs dans ses bois de Puisaye sans payer la redevance appelée panage. Le droit était d'ailleurs réglementé suivant les saisons.

En 1298, les religieux de l'abbaye de Roches renoncent aux droits d'usage qui leur avaient été concédés dans les bois de Puisaye, moyennant qu'ils pourront mettre 140 porcs dans tous

(1) du Bouchet, Preuves, p. 25-30. (2) Quantin, Recueil de pièces, p. 61. (3) Archives nationales, P 132, pièces 5.


49 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE RAR 175.

les bois de Puisaye en tout temps, sauf au mois de mai, et en cas de défense par cri public de la paisson, le seigneur de Puisaye sera tenu de leur montrer 40 arpents de haute futaie où ils pourront mettre lesdits porcs pendant le temps de la défense (1).

Le droit de paisson était complété par celui de glandée qui permettait de ramasser des glands ou des faînes pour nourrir des porcs à domicile.

En 1219, le seigneur de Saint-Verain, concédant à l'abbaye de Roches le droit d'usage dans ses bois, y ajoute expressément glandem et faginem. Les glands étaient un des produits des futaies que les seigneurs affermaient quand il n'y avait pas de droits d'usage.

Le seigneur suzerain se réservait souvent sur les bois de ses vassaux le droit de gruerie ou tiers deniers, c'est à dire le tiers du prix de vente des coupes, en raison de la surveillance qu'il exerçait sur ces bois par son forestier ou gruyer. Une sentence du bailli d'Orléans, confirmée par le roi en 1294, reconnaissait ce droit au seigneur de Toucy sur les bois du Prieuré de VilliersSaint Benoît (2).

Il ne semble pas que l'on ait jamais fait dans les bois de Puisaye des cendres, comme c'était alors l'usage en Morvan et dans la forêt d'Othe. L'éloignement des rivières empêchait de les exporter sur Paris, comme dans ces deux autres pays.

On y fabriquait, au contraire, du charbon. Le compte de 1316 mentionne « Lorent, oun charbonnier de Blenel », qui avait acheté 23 arpents de bois près de Bléneau, et on a constaté l'emploi du charbon dans les terriers.

Mais, dira-t-on, en l'absence de moyens de communication faciles pour des marchandises encombrantes, comment tirait-on partie, presque sur place, des produits de ces grands bois qui aujourd'hui s'écoulent pour la plupart dans les villes ? Pour les taillis, le chauffage qui se faisait partout au bois, les nombreuses poteries et tuileries en consommaient facilement la plus grande part. Quant aux futaies, les usages en étaient très variés. La pierre étant assez rare en Puisaye, on construisait la plupart des mai sons en pans de bois, comme il s'en trouve encore quelques-unes, particulièrement à Saint Fargeau et à Toucy, des bâtiments comme ces vieilles granges appelées vulgairement couveuses, à.

(1) Archives de la Nièvre, H.

(2) Archives du Loiret, Cartulaire de Saint-Benoît.


176 LA PUISAYE 50

cause de leurs larges toits descendant presque jusqu'à terre, ou des halles tout en bois comme celle de Leugny. La vigne, si répandue aux alentours de la Puisaye, réclamait des échalas ou paisseaux et du merrain pour la couverture des maisons sous la forme d'aissif ou aissis, le chaume étant plutôt employé en Forterre. Beaucoup d'ustensiles ou d'outils, aujourd'hui fabriqués en métal, étaient alors en bois : écuelles, pelles et même charrues.

Pour la garde et la conservation des bois; il fallait des agents spéciaux dans les grandes seigneuries. Celle de Puisaye en eut toujours. Simon était forestier de Puisaye en 1160, d'après le cartulaire de Saint-Benoît.

Etienne Le Roy prend le titre de maître des forêts de Puisaye en 1323 et 1361. Vers 1370, la comtesse Yolande de Flandres nomme Jeannet Sarrazin sergent et forestier de Saint Fargeau, et peu après c'est Guillemin Garnier qui lui succède (1).

Au dessous d'eux se trouvaient d'autres sergents et gardes.

XI

HAIES ET CLOTURES

Décrire la Puisaye sans parler des haies serait impossible. Si les bois sont la parure naturelle de ce verdoyant pays, ce sont les haies entourant tous les champs et les envahissant parfois outre mesure qui lui donnent son caractère particulier et souvent le font paraître encore plus boisé qu'il n'est en réalité. La pratique de l'élevage et la nature du sol facilitant la croissance du bois les ont multipliées et les maintiendront toujours.

Mais il y avait autrefois des haies de diverses espèces, le même nom ayant en outre plusieurs significations différentes.

Si les haies ordinaires clôturant les champs n'ont pas laissé grande trace dans les documents anciens, il en existait d'autres qui jouaient un rôle défensif plus important. M. Challe a déjà montré (2) comment les comtes d'Auxerre avaient élevé, à la fin du XIIe siècle, dans les bois de Moutiers, des ouvrages de fortification qui portaient ce nom et devaient consister en levées de terre surmontées d'une forte haie et précédées d'un fossé. Le nom

(1) Archives du Nord, B 1574.

(2) Bulletin Société des Sciences, 1872.


51 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 177

de Châteauvert donné à des endroits dominant ces bois doit en être un souvenir. On a d'autres exemples de ce système de défense simple, mais assez efficace contre des adversaires n'ayant que des armes primitives. La haie était quelquefois remplacée par une palissade, comme celle qui formait l'enceinte du château de Voutenay en 1205 (1).

Les haies qui sont le plus souvent mentionnées dans nos anciens documents sont celles qui se trouvaient en pleine forêt, où elles étaient établies pour la chasse. Les seigneurs du Moyen Age, passionnés pour la chasse, faisaient ainsi enclore une partie des bois, soit pour la multiplication du gibier, soit pour y tenir en réserve des bêtes fauves qu'on pourrait chasser à loisir, ou même pour y réunir des animaux qu'on y rabattait en chassant ; tel est le cas donné par un compte de l'archevêché de Sens qui mentionne en 1367 « les dépenses de vingt-deux compagnons qui firent les haies pour chasser aux sangliers » (2). Ce n'étaient naturellement pas des haies vertes comme celles dont nous avons parlé jusqu'ici, mais des clôtures en branchages ou épines sèches, ou souvent des plessis, faits de branches entrelacées, ou même des palissades appelées pour le gros gibier pailis. Quand il s'agissait de chasser les lièvres et les lapins seulement elles n'étaient faites que d'épines et de genêts (3).

Les seigneurs étaient très jaloux de ces haies qui entraînaient de grands frais pour les construire, aussi les réservaient-ils avec soin dans les concessions d'usage.

Robert de Courtenay, accordant en 1197 l'usage de la forêt de Burcey à l'abbaye de Fontaine Jean, déclare que les moines ne pourront rien enfermer dans ses haies. Par son testament, en 1225, il dispose que ni lui ni ses successeurs ne pourront y faire d'autre clôture que cette « haie sèche » (4).

En 1218, Hier de Toucy donne au prieuré de Boutissaint le droit de paisson dans ses bois de Puisaye haïs meis et plaissetis exclusis.

Le compte des bois de 1316 mentionne « les pailiz de Touche veaul », nommé plus tard le parc de Toucheveau, dans le bois de Saint Fargeau.

(1) du Bouchet, Preuves, p. 13.

(2) Archives de l'Yonne, G 534.

(3) Quantin, Recueil de pièces, n° 650.

(4) du Bouchet, Preuves, p. 25 32 65.


178 LA PUISAYE 52

En 1318, il est dit dans l'assignation du douaire de la comtesse de Roucy qu'elle pourra « hayer et faire faire haies pour la chase ès bois de Saint-Fargeau. »

Il est encore question des haies de Rriaut, près de Fontaines, en 1400. Depuis cette époque on ne trouve plus mention de haies de ce genre, peut être à cause de la difficulté croissante de faire établir et entretenir des clôtures aussi étendues, les droits de corvée ayant été réglementés plus strictement, mais elles avaient eu une si grande importance qu'on en retrouve encore la trace dans les noms des lieux. Ainsi le Parc de Toucheveau peut être identifié avec le Bois du Parc, au milieu des Bois de Saint Fargeau et celui des Grandes enceintes, entre Mézilles et Toucy, avec les haies de Briaut.

Les clôtures des terres étaient si multipliées en Puisaye qu'elles portaient encore d'autres noms. Par exemple, un aveu rendu en 1336 pour un fief à Mézilles mentionne une pièce de terre « avecques les roisses et cloisons tenens environ » et plus loin une terre « avecques les cloisons d'environs. » Les mêmes termes se retrouvent dans plusieurs endroits, sans désigner comment étaient faites ces cloisons. Quant aux roisses ou risses, on retrouve ce terme dans d'assez nombreux noms de lieux.

Il nous reste à parler d'une sorte particulière de clôtuies. ou plutôt de délimitations, usitées aux XIIe et XIIIe siècles sur le bord de la Puisaye. Ce sont les Sarrées ou Sarratoe, grandes levées de terre précédées de fossés, qui servaient à séparer les terrains de parcours des grands troupeaux qu'entretenaient les monastères de cette époque ou à limiter une seigneurie. C'est dans ce dernier sens qu'il est question dans une charte de 1124 par laquelle Hugues le Manceau, seigneur de Saint-Verain, donne à l'abbaye de Bourras tout ce qu'il a à Chevigny, près d'Etais, « excepte quod « sarratas meas quoe ob firmitatem terne meoe factoe sunt, destruere non proesumant » (1).

En 1147, Itier de Toucy donne à l'abbaye de Roches ce qu'il a à Susson « sicut septum est de sarreis et palitio (2) ». Dans un accord conclu entre les abbayes de Reigny et de Bourras en 1172, il est stipulé que les religieux de l'un ou de l'autre monastère « ultra sarratas quoe tendunt a Monteusqueredio mea oque ad « Petrosam pecora sua ad pascendum non transducaut (3) ».

(1) Galha Christiana, XII col. 110.

(2) Cartulaire de 1 Yonne, I. p. 419.

(3) Cartulaire de l'Yonne, II, p. 237.


53 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 179

Ces sarrées paraissent se retrouver encore aujourd'hui dans le lieu dit : les Grands Fossés, à l'intersection des routes de Perreuse à Bouhy et de Sainpuits à Treigny, et à la limite du département.

Enfin, en 1219, Hugues de Saint Verain abandonnant à l'abbaye de Roche des terres à Saint Loup près Cosne, retient pour lui la propriété des Sarrées qui les bordent.

Depuis cette époque on ne voit plus mention de ces clôtures si étendues ; les défrichements du sol et la difficulté de les entrete nir durent les faire abandonner, néanmoins le nom de la Sarrée se retrouve dans plusieurs noms de lieu du Nivernais et du Morvan.

XII

ADMINISTRATION

On ne possède que très peu de renseignements sur l'administration de la seigneurie de Puisaye sous la maison de Toucy. Les comtes de Bar, qui vivaient très loin de ce grand domaine et n'y venaient que très rarement, durent y entretenir des mandataires bien organisés.

Thibaut de Bar déclare dans un acte de 1267 que Macé de Ratilly, chevalier, est son « commandement en Puisaye » et celui ci prend de son côté le titre de garde de la terre de Puisaye. Il pouvait être considéré comme le représentant personnel et général du comte, car c'est lui qui reçoit les actes de foi et hommage en son nom.

Après lui venait le Bailly de Puisaye, qui resta depuis le princi pal représentant de l'administration de celte grande seigneurie. A l'origine il cumulait tous les pouvoirs, dirigeant l'administration, présidant les « jours de justice », recevant les revenus et les impôts, faisant élire ou désignant lui même les députés aux Etats Généraux, etc. Plus tard, un receveur fut spécialement chargé de la partie financière. En 1378, les gages de Jean de Revigny, bailli de Puisaye, étaient de cent livres par an. Il y avait pour le bailliage un sceau spécial aux armes des seigneurs (1). Nous donnons en appendice une liste des baillis de Puisaye.

(1) En 1308, le sceau du bailliage de Puisaye portait : deux bars affrontés, séparés par une torsade en pal, et accompagnés chacun d'une croisette au pied fiché et d'une quintefeuille. (Archives nationales, J 415, n° 180.)


180 LA PUISAYE 54

Le « Procureur général en la terre de Puisaye », Me Jehan Thévenou mentionné dans un acte de 1403, paraît avoir eu plutôt des fonctions judiciaires.

Le Receveur dont les fonctions étaient souvent remplies par le bailli lui même, avait le maniement de tous les revenus en argent et en nature.

Gilles de Cloyes fut receveur de Puisaye de 1369 à 1374. En 1385 c'était Herbillon d'Aubreville.

Dans chaque châtellenie il y avait un Prévot (1), si bien que dans la pratique châtellenie et prévôté étaient presque synony mes. Le prévôt suppléait le bailli dans ses fonctions administratives et judiciaires ; c'était en son nom qu'étaient délivrés les actes passés par les Tabellions et garde scels de sa prévôté. Il les faisait revêtir du scel aux causes et convenances » qui en assurait l'authenticité.

Sous le comte Edouard de Bar, 1320 à 1336, le scel aux causes portait un grand écu aux armes de Bar, accosté à droite d'un plus petit aux armes de Toucy, et à gauche, d'un autre aux armes d'Eléonore d'Angleterre, femme du comte Henri de Bar, père d'Edouard.

Du temps du duc Robert ou de ses enfants il portait un écu parti de Bar et de France, à cause de la duchesse de Marie de France.

Celui de la prévôté de Saint-Amand pendant tout le XIVe siècle portait deux Bars de forme très allongée accompagnés d'une bordure, armes de la branche de Bar-Pierrepont.

Le bailli avait sous ses ordres des sergents, jouant le rôle de gardes ou d'huissiers. En 1380, la comtesse Yolande de Flandre nommait Louis Mabilez au poste de sergent général de la terre de Puisaye.

Les principaux seigneurs, tels que ceux de Saint-Verain et de Champignelles, avaient aussi leur prévôt et leurs sergents. La sergenterie de Champignelles était même un office tenu en fief et comportant une maison et des terres. Outre ces fonctionnaires administratifs, il y avait dans chaque châtellenie un châtelain ou capitaine chargé de l'entretien et de la défense du château.

En 1380, Charles V accordait à Yolande de Flandre 500 francs d'or pour mettre ses châteaux de Puisaye en état de défense (2).

(1) Pièces justificatives, XI et XV.

(2) Archives du Nord, B 949.


55 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 181

Yolande avait en 1370 nommé Jean du Maigny châtelain de Saint Fargeau. En 1411, Henri de Pousseaux, seigneur de la Motte de Mézilles avait été nommé capitaine de Saint Fargeau par le duc de Bar, mais les Armagnacs s'emparèrent de la ville l'année suivante et le forcèrent à y rester : il finit après la reprise de la ville par le roi par obtenir de celui ci des lettres de rémisson (1). Pierre le Gueux avait été nommé en 1370 par Yolande de Flandres portier du château de Saint Fargeau, et Guillaume du Garet châtelain de Perreuse.

Jacquier de Neuville était en 1365 châtelain de Septfonds pour Henri de Bar Pierrefort.

Dans chaque château il y avait une chapelle : en 1317, la comtesse de Roucy, qui a l'usufruit de Saint Fargeau, doit payer quinze livres au chapelain pour ses gages.

Nous avons déjà parlé des forestiers et sergents des bois.

On rencontre parfois des actes passés par devant un tabellion « garde de par le Roy nostre sire dou sécel à causes et à convenances de la terre de Puisoie. »

Voici l'explication de cette apparente anomalie. Après la mort du comte Edouard de Bar, sa mère, Yolande de Flandres, ayant épousé Philippe de Navarre, comte de Longueville, le roi lui enleva en 1353 la tutelle de son second fils Robert et confia au bailli de Sens l'administration des biens de celui ci. Par suite de ses intrigues et de celles de son mari, cette mesure fut maintenue jusque vers 1360, époque où Yolande reprit ses pouvoirs sur la Puisaye.

XIII

JUSTICE

La Puisaye était soumise en grande partie à la coutume de Louis Montargis, dont relevait la châtellenie de Saint Fargeau et le pays à l'ouest de l'Ouanne ; la partie du sud et la rive droite de l'Ouanne dépendaient de la coutume d'Auxerre. De même, au point de vue des appels on des cas royaux elle était partagée autrefois entre les bailliages d'Orléans et de Sens, puis à partir du XIIIe siècle de celui de Villeneuve le Roi, jusqu'à ce qu'en 1344 le roi Philippe VI accordat au comte de Bar que sa terre de Puisaye

(1) Imprimées dans Bulletin de la Société du Gâtinais. 1917 p. 177.


182 LA PUISAYE 56

serait en entier du bailliage de Sens (1). Un peu plus tard le roi, cherchant toujours à accroître l'étendue de sa juridiction, créa à Cepoy, près de Montargis, un nouveau bailliage dont l'étendue n'était pas bien définie, mais comprenait une grande partie de notre pays : ainsi des lettres de rémission concernant Villiers Saint Benoît en 1406 sont adressées au bailli de Cepoy (2).

Les seigneuries les plus importantes avaient droit de haute justice ou plutôt, comme le disait en 1411 la veuve de Pierre de Courtenay faisant aveu pour la châtellenie de Champignelles « toute haulte, moyenne et basse justice, saufve la justice de noz « vasseurs, tele come il l'ont accoustumé d'avoir, et généralement « y avons droiz de justice que a baron et Chastellain et doit avoir « de raison et de coustumes, avec toutes espaves et autres droiz « appartenans à baron, seigneur et chastellain (3) ».

La haute justice s'entendait surtout des cas de meurtre, de vol et de rapt. Cette « justice de vasseur » s'entendait de la justice jusqu'à soixante sols d'amende ou basse justice. C'était la plus répandue. Beaucoup de ces petits fiefs dont nous avons fait remarquer l'exiguité n'avaient aucune justice.

Il est très difficile d'estimer quel revenu la justice rapportait au seigneur. En 1388, pour la seigneurie des Barres, près de SaintSauveur, qui produisait environ 110 livres par an, « les exploitz de justice » sont estimés 10 livres. A Champignelles, en 1318, le bâton de la prévôté, ou la redevance payée par le juge sur les produits de son office, rapportait 10 livres, et les grosses échoites ou confiscations de la haute justice 7 livres 10 sols.

La prévôté et sergenterie de Bléneau était affermée 15 livres tournois en 1394 (4).

Le bailli tenait des assises annuelles ou grands jours qui, pour Saint Fargeau et Perreuse, avaient lieu au commencement de septembre. A Toucy, la justice était commune entre l'évêque et le baron (5). Les assises s'y tenaient deux fois par an, le quatrième jeudi après Pâques et le premier jeudi après la Toussaint. A la première devaient comparoir tous les juges et prévôts des justices subalternes du bailliage.

Pour l'exercice de la haute justice, c'est-à-dire pour l'exécution

(1) Pièces justificatives. XII.

(2) Trésor des Chartes, JJ 161, p. 144.

(3) Archives nationales. P 132, pièce 9.

(4) du Bouchet, Preuves, p. 96 129. (5) Lebeuf, IV, p. 140.


57 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 183

des arrêts de mort ou d'exposition, le seigneur avait droit d'avoir des fourches ou signes patibulaires, dont le nombre de piliers variait suivant l'importance de la seigneurie.

A Grandchamp « l'échelle » était située devant l'église, près du cimetière. A Toucy, les fourches, communes à l'évêque et au baron, se trouvaient sur la hauteur en sortant de la ville, du côté d'Auxerre.

Les fourches étaient ordinairement élevées sur une éminence, au milieu d'un terrain vague qui en a gardé le nom de la Justice et le renom d'un endroit mal famé. C'est le cas de la hauteur où a été élevée la colonne commémorative de la bataille de Fontenoy, sans que le nom de la Justice ait rapport à l'issue de la bataille.

XIV

POPULATION

Il est impossible d'évaluer la population de la Gaule, mais il n'est pas absolument vrai que le pays fut entièrement couvert de forêts ; si l'on calcule le nombre des soldats de Vercingétorix, on reconnaît qu'il était relativement assez habité. Bien qu'il y eut quelques grands centres, comme Genabum, Avaricum, et plus près de nous Entrains, les populations étaient très disséminées. Il en fut encore de même après la conquête romaine : on comptait peu de gros villages, mais beaucoup de Villas appartenant à de riches gallo romains qui groupaient un nombreux personnel. Un grand nombre de ces villas furent détruites dès le 111e siècle, par la révolte des Bagandes, puis par les invasions germaniques qui durèrent jusqu'à la fin du Ve siècle, amenant ainsi une grande diminution de la population. A partir de cette époque, se constituèrent des centres autour des églises, tandis que les Gaulois avaient peu d'endroits consacrés au culte, et que chez les Romains le culte était presque toujours domestique. La Forterre, plus découverte que la Puisaye si traversée par des voies romaines, avait été de bonne heure plus peuplée.

La fin de la période carlovingienne fut marquée par des troubles fréquents et surtout par la guerre de la succession de Bourgogne qui dépeuplèrent encore nos contrées. Le calme revint avec l'organisation de la Féodalité et la population s'accrut surtout au XIIe siècle, à la suite des affranchissements du servage dont une des grandes causes était le besoin de bras pour les défriche-


184 LA PUISAYE 58

ments nombreux jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Nous avons déjà montré comment des portions importantes de forêts avaient été mises en culture à cette époque, et comment les défrichements pouvaient être considérés comme terminés à la fin de ce siècle. Aussi, peut on dire, avec tous les érudits qui ont étudié cette époque, que jusqu'au milieu du XIVe siècle, où les ravages de la guerre de Cent Ans commencèrent à se faire sentir dans nos pays, ils étaient presque aussi peuplés qu'aujourd'hui, sauf les agglomérations urbaines. Presque tous les villages et hameaux importants existaient déjà, et nombre d'autres ont été détruits alors et ont disparu. On peut tirer la même conclusion de l'existence de nombreuses Maisons Dieu et léproseries que nous signalerons plus loin.

D'ailleurs, pour juger du chiffre de la population au XIIIe siècle, on peut considérer les dimensions des églises datant de cette époque qui supposent un nombre d'assistants aux offices au moins égal à celui d'aujourd'hui.

A partir de 1360, au contraire, l'Auxerrois et la Puisaye sont parcourus par les bandes de routiers de Robert Knolles et d'Arnaud de Cervolle ; l'armée anglaise y passe en revenant de Bourgogne, et tous ces aventuriers « mangent le pays », comme disent énergiquemenl les chroniqueurs, prenant d'assaut les châteaux, incendiant et détruisant les villages et surtout les maisons isolées.

Aussi, le nombre de localités désertes et de maisons en ruines est-il considérable dans la dernière partie de ce siècle. En 1390, à Fougilet, près de Sougères, sur huit masures ou maisons accompagnées de tenures, deux seulement sont habitées et les six autres en ruine. Vingt ans après, toutes ces masures sont encore inhabitées.

Vers 1400, dans la châtellenie de Toucy, on rencontre de tous côtés ces expressions : « masure vague..., terre en désert..., désert de vigne..., il n'y a en icelle terre nuls habitans. » C'est probablement à cette époque que furent abandonnées les terres de la plaine de Briaut, qui restèrent depuis en gâtines ou bruyères et ne furent remises en culture que dans le courant du siècle dernier.

Sur le territoire de Treigny existait vers 1400 le village de Chassin, assez important pour compter trois fiefs, une chapelle et plusieurs maisons. Nous croyons qu'on peut l'identifier, avec Cassiniacus, cité par Lebeuf, comme localité disparue. Mais dans les premières années du XVe siècle, tout y fut détruit, dans des.


59 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 185

conditions que nous ne connaissons pas (1), et une très grande étendue de terres tomba également à l'état de gâtines inhabitées pendant près de cinq siècles. En traitant de l'agriculture, nous avons déjà fait remarquer que dans la région de Champignelles et de Villeneuve-les-Genêts les ravages de la guerre avaient été aussi grands.

En résumé, la population qui n'avait cessé de croître jusqu'au milieu du XIVe siècle où elle était arrivée à un niveau très élevé, diminua rapidement pendant une centaine d'années, et ne se releva qu'après la cessation des guerres, sans pouvoir de long temps réparer toutes ses pertes.

XV

MONUMENTS ET HABITATIONS

Nous n'avons, pour ainsi dire, plus en Puisaye de monuments des premiers siècles du Moyen Age. Les anciens châteaux s'été vaient presque tous sur des mottes qui ont seules subsisté. Outre les villages qui portent ce nom, il y a encore de nombreuses mottes, par exemple à Saint Bault, près de Mézilles, aux Metz et au Chêne Rond, dans la commune de Saint Sauveur, aux Foucards, sur celle de Fontenoy, à Saint-Privé, Champcevrais, à Gémigny, près de Thury, à Bassou, près de Lainsecq, etc... Des châteaux plus récents ont été construits sur des mottes, tels étaient autrefois ceux de Septfonds et Villeneuve-les-Genêts, ceux d'Arquiau et de la Maisonfort à Bitry, dans la Nièvre. La plupart de ces mottes ne portent plus de traces de constructions, ce qui prouve que celles qui s'y élevaient autrefois étaient surtout en bois, principalement en Puisaye où les matériaux de construction sont rares.

Nous avons exploré, près du hameau des Chapons, commune de Mézilles, une petite enceinte, dite « le château de Bressoy », qui peut donner le type de ces petites fortifications, servant plutôt de refuges que d'habitations, et qui durent être assez répandus dans le haut Moyen Age. C'est une enceinte d'environ 60 mètres sur 40, entourée de fossés, et aujourd'hui couverte de bois. A l'intérieur,

(1) Peut être en 1421. lors de la prise de Saint Fargeau par les Armagnacs, puis par les Bourguignons.


186 LA PUISAYE 60

il y a une petite motte de 20 mètres environ de diamètre, avec des restes très informes de constructions.

Les châteaux un peu importants étaient surtout constitués par de grosses tours, comme celle de Saint Sauveur et de Saint Fargeau, élevées vers la fin du Xe siècle. Dans l'Annuaire de 1858, V. Petit a indiqué les transformations du château de SaintFargeau. La tour de Saint Sauveur appartenait au comte de Nevers qui en avait laissé la garde et l'entretien aux habitants de la ville, ainsi que le constate un rapport de 1375 (1).

Celle de Toucy fut rebâtie vers 1175 par Narjot II qui en était seigneur; l'évêque Guillaume de Toucy contribua aux frais parce qu'elle lui était jurable et rendable (2). Elle existait encore en 1373. En 1380 l'enceinte du « grand château de Toucy » comprenait diverses maisons où se trouvaient les étaux des bouchers (3). Vers 1410, il est question dans un aveu du « petit château » tenant aux murailles de la ville, qui, d'après M. Lesire (4), aurait été la demeure de l'évêque. Le même acte mentionne la porte du Serment qui devait être une des portes de l'enceinte fortifiée près de l'église.

Il est probable qu'il dut exister une tour analogue à Saint Verain où elle fut remplacée plus tard par un château et des fortifications dont les ruines forment encore un ensemble imposant malgré leur délabrement.

A Druyes se trouvait un très ancien château, appartenant aux comtes de Nevers, qui le reconstruisirent au XIIe siècle, et sur lequel notre collègue M. Mirot a publié une notice intéressante. (5)

Le château de Perreuse avait moins d'importance, étant très rarement habité par ses seigneurs, mais la petite ville avait comme les autres une enceinte fortifiée composée d'un mur élevé sur un talus et précédé d'un fossé et d'un autre talus, percé de deux portes, flanqué de place en place par des tours et supportant des échauguettes ou assommoirs. Nous avons vu qu'en 1358 le Régent se préoccupait de l'entretien de ces fortifications, et qu'en 1380, il donnait 500 francs d'or à Yolande de Flandres pour fortifier ses châteaux de Puisaye.

Mentionnons enfin la « forteresse de la Coudre », comme elle

(1) Archives du Pas de-Caiais, A 99. (2) Lebeuf, I p. 336 IV, p. 319.

(3) Archives de l'Yonne, G 2006.

(4) Bulletin Social de l'Yonne, 1907. p. 365 373. (5) Bulletin Social de l'Yonne, 1923, p. 43.


131 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 187

est nommée dans les actes du XIVe siècle. Située à l'extrémité de la commune de Faverelles, elle appartenait à la branche de Bar Pierrefort qui en fit une place forte importante pendant la guerre de Cent Ans.

Un aveu de 1400 mentionne à Trucy-l'Orgueilleux, dans la Nièvre, une maison seigneurale « qui est à créneaulx », c'est à dire un petit castel fortifié.

Le château de la seigneurie de Saint Amand, appartenant à la branche de Bar-Pierrepont, s'élevait à environ deux kilomètres à l'est de cette ville, et était connu sous le nom de château de Busseron. Il fut, selon une tradition, brûlé pendant la guerre de Cent Ans, et l'on n'y voit plus aujourd'hui que des restes de fossés, ce qui ferait supposer qu'il était en partie construit en bois.

Il y avait en effet en Puisaye un certain nombre de manoirs, dont la principale défense consistait en un large et profond fossé, dont les terres avaient été rejetées à l'intérieur, formant une levée très forte et souvent couronnée d'une haie, comme celui qu'a signalé M. Challe dans son étude sur Moutiers.

Le bois ayant toujours été très abondant dans ce pays était souvent employé presque exclusivement dans les constructions, et cet usage s'est perpétué très longtemps. Nous possédons un bail à cens à Mézilles, datant de 1530, et fait à charge d'y construire, dans l'espace de trois ans, une maison de « charpentage ».

Il existe d'ailleurs encore à Toucy et à Saint Fargeau des maisons en bois du XVIe siècle, et il y a quelques années, on rencontrait sur plusieurs points de la Puisaye, de vieilles granges construites entièrement en bois qu'on nommait des couveuses « en patois couisses » à cause de leurs toits s'abaissant très près de terre qui leur donnait l'air d'une poule accroupie sur ses oeufs. Elles étaient couvertes en aissif ou aissis (1), planchettes de merrain de chêne taillées comme des tuiles, qui étaient la couver ture ordinaire des bâtiments de toutes espèces dans nos pays au Moyen Age. On n'y trouve en effet aucune mention de tuiles ni de tuileries ; une seule tuilerie, abandonnée à cause des guerres, à Vermenton, c'est-à-dire très en dehors de la Puisaye. Le chaume y était rare : une grange couverte en gluy à Sainpuits en 1323, à côté d'une maison couverte en aissy. Les châteaux eux-mêmes étaient couverts de cette façon, comme le prouvent les comptes de celui de Druyes vers 1380, publiés par M. Mirot (2). Il en était

(1) On trouve aussi aisseule ou essoule.

(2) Bulletin 1923, p. 52 58.


188 LA PUISAYE 62

de même pour les églises et les chapelles. Cette toiture avait un aspect sombre et peu élégant, mais offrait l'avantage d'une fermeture hermétique, et était plus légère que la tuile, quoique moins durable. Ce mode de construction et de couverture explique pourquoi l'on ne trouve pas de ruines des villages détruits pendant la guerre de Cent Ans, comme Chassin.

Dans les documents de la collection de Lorraine que nous analysons pour cette étude, on rencontre diverses dénominations, appliquées aux habitations rurales ou à leurs dépendances, qu'il est intéressant d'examiner.

Tout d'abord le terme générique meix ou mensus, désignant une habitation d'une certaine importance, et par suite l'ensemble de la tenure (1); il a formé divers noms de hameaux, dont plusieurs étaient des fiefs (le Mée, le Metz). La forme meix a persisté surtout en Morvan. Dans les plus anciens documents on mentionne les hostiriae qui devaient être les maisons des hospites dont nous avons parlé plus haut.

On trouve au XIVe siècle hostel ou hosté employé comme syno nyme de masure, c'est-à-dire une maison avec une tenure. En 1388 le mot de conduit est donné avec le même sens (2).

L'hebergagium ou haubergement était l'ensemble d'une exploitation rurale au XIIIe siècle (3).

Près de Clamecy, on trouve plus tard le mot de menaige ou manaige avec le même sens.

Le masureau ou maisureaul était l'enclos autour de la maison, comprenant cour, jardin et terre attenants.

Les étables étaient les bouries.

Les seuls documents que nous ayions sur le mobilier sont : le testament de Jeanne de Dreux, veuve de Jean de Bar, fait en 1324, et par lequel elle lègue à chaque Maison-Dieu de ses domaines « ung lit estofé de couste (4), de coissin (5), de dras et de couverture » ; et un acte de 1394 relatant l'acquisition à Perreuse d'une maison contenant « cinq liz garniz de couestes, de cuissins et de couvertures ».

(1) Pièce justificative, VIII.

(2) Pièce justificative, XVI.

(3) du Bouchet : Histoire de Courtenay. Preuves, p. 28.

(4) Lit de plume.

(5) Matelas.


63 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 189

XVI MALADRERIES. HOTELS DIEU

On a déjà exposé l'organisation de l'Assistance publique et de la Charité sous l'ancien régime ; en particulier M. Bouvier l'a fait dans les bulletins de 1899 et 1901, mais nous pouvons la compléter, grâce à des documents plus anciens. Au Moyen Age, les hôpitaux ou Hôtels Dieu recevaient également les pauvres, les malades et les voyageurs. Aussi se trouvaient ils de distance en distance, le long des chemins les plus fréquentés. Au contraire, les léproseries ou maladreries ne recevaient que les lépreux, et ceux ci étant très nombreux au XIVe siècle, il y en avait dans de très petits villages.

L'existence de ces établissements était due à des fondations de seigneurs ou de particuliers, et c'était encore des donations qui les entretenaient. Bien qu'il n'y eût pas de plan d'organisation générale, leur administration était presque partout la même : un maître, qui était souvent prêtre, dirigeait la maison, et des frères et soeurs, ne formant pas une congrégation, mais liés par un engagement, soignaient les malades et les hôtes. On trouvera des détails précis dans le tableau d'une léproserie en 1336, à Lichères, près de Joigny, par L. Le Grand (1).

La maladrerie de Toucy, érigée comme presque toutes les autres sous l'invocation de Saint-Lazare, possédait des biens provenant de donations comme nous en trouvons dans les Archives départementales. En 1386, l'évêque d'Auxerre en avait nommé pour maître administrateur son frère Bertrand Cassinel ; la duchesse de Bar y ayant fait opposition, l'évêque obtint des lettres royales le maintenant dans le droit de nommer ou destituer ces administrateurs (2).

En 1318, le règlement du douaire de la veuve de Jean de Bar l'oblige à faire dix livres de rente au chapelain de la maladrerie de Saint-Fargeau. Vers 1372, Yolande de Flandres nomme Martin des Tourbes gouverneur de cet établissement. Il était dû également en 1318 à la maladrerie de Mézilles, par la dame de Puisaye une rente de dix sols et sept setiers de seigle, et sept setiers de seigle à

(5) Bibliothèque, Ecole des Chartes, 1900.

(6) Archives de l'Yonne, G 1673-2006.


190 LA PUISAYE 64

celle de Fontaines. A Perreuse, la maladrerie était aussi appelée la maison aux malades. Elle était située sur le chemin de Perreuse à Loing.

Celle de Champignelles reçut en 1282 de Guillaume de Courtenay un legs de 20 sols. Par le même testament, il léguait 5 sols à chacune des léproseries de Charny, Saint Martin sur Ouanne, Villiers-Saint-Benoît, Tannerre et Villeneuve-les-Genêts (1).

La maladrerie de Bléneau est mentionnée en 1395, celle de Faverelles en 1375 et celle de Grandchamp en 1400. A Lavau, la maladrerie avait des terres dès 1335.

Il en existait également à Treigny, Ronchères, Septfonds, SaintPrivé, Chastenay, Druyes, Saint Sauveur et Ouanne (2). On voit donc que presque tous les villages de notre région en possédaient, mais l'isolement des lépreux dans ces établissements et surtout l'usage du linge, au lieu de la laine, qui se répandit au XIVe siècle firent disparaître la lèpre à cette époque. En 1336, il n'y avait plus qu'une seule lépreuse à Lichères.

Les Maisons-Dieu ou Hôtels Dieu étaient moins nombreuses; il n'y en avait que dans les bourgs de quelque importance. Une des plus anciennes serait l'hospice établi à Moutiers au VIIe siècle pour les pèlerins anglais et cité par M. Challe dans son travail sur la Puisaye.

En 1385, Robetin Picoreaul, maître de la Maison-Dieu de Toucy, donna quittance pour une somme de 50 sols tournois qu'il avait reçue de la comtesse de Bar. Par le règlement du douaire de la veuve de Jean de Bar, elle devait faire à la Maison Dieu de SaintFargeau une rente de 60 sols et trois setiers de seigle, à celle de Mézilles 40 sols et deux setiers de seigle. Par son testament de 1403, Marie de France, duchesse de Bar, lègue à cette Maison-Dieu « vint frans pour une fois, pour employer icelle somme à la réparation d'icelle maison ». Celle de Bléneau reçut en 1395 cinq sols tournois, d'après le testament de Pierre de Courtenay. Par son testament de 1282, Guillaume de Courtenay léguait 20 sols à la Maison-Dieu de Champignelles et cinq à celle de Villeneuve-lesGenêts. Celle ci et ses biens sont mentionnés dans des aveux de 1313 et 1411.

En dehors de ces établissements pour ainsi dire officiels, la bienfaisance privée s'exerçait parfois dans des maisons particu(1)

particu(1) Bouchet. Preuves, p. 63.

(2) Inventaire des archives de l'Yonne, IV, préface.


65 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 191

lières comme nous en trouvons la preuve dans la curieuse pièce n° 327 de la collection de Chastellux.

C'est une lettre de rémission accordée en février 1385, à Guiot Marchant, de Parly. Celui ci et sa femme avaient « par grant dévotion, bonne entencion et voulonté, ordenez et du tout disposez et establi eulx, leur hostel avecques leurs autres biens quelconques, pour recevoir, couchier et hébergier audit hostel, pour l'amour de Dieu, les poures trespassants par ledit lieu ». Un vaga bond de passage s'y étant introduit et ayant cherché querelle à Marchant, celui-ci le blessa en se défendant, et fut emprisonné dans les prisons du chapitre d'Auxerre, haut justicier de Parly. Il recourut au Roi qui le grâcia eu égard à la mauvaise conduite de ce vagabond, et à cause des bonnes oeuvres de Marchand, dont la détention prolongée causerait la ruine de l'hôpital de Parly.

XVII

COMMERCE

Dans les premiers siècles du Moyen Age l'activité commerciale est assez faible. Le domaine seigneural, héritier du domaine de la Villa Gallo-Romaine, se suffit économiquement à lui même. A côté des serfs employés à la culture, il y en a qui travaillent dans des ateliers, des moulins, etc., appartenant au seigneur. Plus tard, quand les affranchissements donnent aux vilains la faculté de s'établir en dehors de la seigneurie, le travail devient libre et le commerce peut se développer. Néanmoins, pendant de longs siècles, les habitants des campagnes vécurent sur eux mêmes, consommant les produits qu'ils récoltaient, vêtus de toile faite avec le chanvre qu'ils cultivaient par le tisserand du village, ou de la laine de leurs troupeaux. Le commerce ne portait donc que sur un petit nombre d'objets, et le grand commerce avec les pro vinces éloignées ne fut guère exercé pendant longtemps que par des étrangers, Juifs ou Lombards, comme nous le verrons plus loin.

Le commerce local était presque entièrement concentré dans les foires et marchés, institués pour la plupart par des seigneurs qui y percevaient des droits lucratifs, aussi en trouvait-on dans d'assez petits villages, bien que les foires fussent bien moins nombreuses qu'aujourd'hui.

Nous avons vu plus haut qu'on donnait parfois en fiefs tout ou


192 LA PUISAYE 66

partie des droits perçus dans les foires ; il en était ainsi pour celles d'Auxerre, dont la plus importante était celle de Chalende mai, ou des calendes de mai, le premier de ce mois.

De même à Fontaines existait vers 1400 une foire le jour de la Saint Laurent, le 10 août; elle a disparu et n'est plus rappelée que par la fêle patronale. Le seigneur de Toucy, qui était en même temps seigneur de Fontaines, avait donné en fief « le huitiesme des prouffis et émolumects d'icelle foire, dès la veille de la Saint Lorent, au premier coup de vespres, jusqu'au premier coup de vespres du jour Saint Lorent ». Une foire assez importante se tenait à la Saint-Georges, près du prieuré des Moutiers.

En 1388, les droits sur les marchands vendant à la foire de Villeneuve-les-Genêts valaient cinq sols tournois.

Pour les paiements importants, surtout avec les étrangers, on adoptait comme terme la date des grandes foires connues dans toute la France, comme les foires de Champagne, celles du Landit. le 11 juin, ou celle ce Saint Lazare, le 2 septembre (1).

XVIII

MESURES

Un des principaux caractères du régime féodal était une extrême diversité, chaque seigneur, se considérant comme détenant une parcelle de souveraineté et pouvant dès lors régler nombre de questions selon sa volonté. Cette diversité que nous avons déjà vue dans les droits féodaux, se retrouvait dans les mesures qui variaient à l'infini selon les localités, au détriment de la facilité du commerce. Les seigneurs d'une certaine importance étaient seuls à avoir droit de mesures. Dans un aveu rendu en 1394 par Pierre de Courtenay pour la seigneurie de Bléneau, il reconnaît avoir droit à « toutes mesures et adjustements de pois soient à blé, à cire, à draps, à gresses, à sel, à vin et à toutes aultres manières de liqueurs qui nous peuvent et doivent appartenir avoir en nostre ville de Bléneau » (2). M. Quantin a publié des tableaux des poids et mesures usités autrefois dans le département auxquels on pourra se reporter pour connaître tous ceux dont se

(1) Pièces justificatives. V, VI. (2) du Bouchet. Preuves, p. 129.


67 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 193

servaient nos ancêtres. Nous nous bornerons à relever les particularités indiquées dans les documents que nous avons consultés. Mesures de superficie : La mesure la plus répandue était l'arpent, divisé en quatre quartiers et cent carreaux, équivalant à peu près au demi hectare. Dans le Gâtinais, au delà de Bléneau et de Charny, il était un peu plus petit.

Le journal ou journel, usité surtout en Forterre, avait la même valeur. Pour les prés, on employait la sétérée ou seyturée, qui avait une contenance un peu moindre et Vandain, qui en était une fraction.

Concuremment avec ces mesures fixes, on estimait parfois la superficie du terrain par la quantité de travail nécsssaire pour le cultiver, ainsi disait on « ung guaingnage contenant le labouraige de deux charrues » ou deux charruées de terre, la charruée valant environ 80 ares, c'est à dire ce qu'on peut labourer dans une journée avec une charrue. Pour les prés, l'oeuvre d'un faucheur était une mesure employée sur la limite du Nivernais.

Pour les vignes, une hommée ou l'oeuvre d'un homme, valait le dixième d'un arpent, c'est-à-dire environ cinq ares.

La bichetée ou boisselée, superficie qu'on peut ensemencer avec un bichet ou un boisseau de grain, était une mesure répondant à 10 ou 12 ares, suivant la nature du grain.

D'autres fois, on estimait la quantité de terre d'après sa valeur en argent ; par exemple une livrée, une parisis, terres valant une livre ou un sol parisis, sans prendre garde que cette valeur devait diminuer avec la dépréciation de l'argent.

Mesures de capacité : il faut d'abord distinguer les plus importantes, qui sont des mesures de compte, le muids et le setier.

Le muids valait huit setiers (à Bonny) à douze setiers, ce qui, d'après des actes de 1212 et 1375, paraît avoir sa contenance ordinaire en Puisaye. On s'en servait également pour les grains et les liquides.

Il en était de même pour le setier qui contenait quatre bichets de grain ou, en moyenne, 156 litres.

Le bichet de grain pesait de 75 à 100 livres, suivant les localités, en moyenne 84 litres, et répondait à 4 décalitres. On stipulait quelquefois que la mesure de grain devait être non seulement comble, mais chauche, c'est à-dire pressée et foulée.

Le boisseau, moitié ou quelquefois tiers du bichet, valait lui même deux quartes, et c'étaient là les deux seules mesures réelles. Celle-ci se subdivisait en pintes.

On trouve quelquefois aussi pour les grains une mesure appelée

13


194 LA PUISAYE 68

mine, qui paraît plus forte que la quarte, sans que nous puissions en donner exactement la contenance.

La queue était une mesure qui servait pour la chaux et le sable (1).

Le mesurage des grains par un agent du seigneur dans les foires et marchés donnait lieu à un droit de minage qui était ordinairement de 1/40e.

XIX

MONNAIES

En cette matière aussi la plus grande diversité régnait, surtout dans les premiers siècles du Moyen Age, ce qui facilitait les opérations peu scrupuleuses de changeurs qui étaient en même temps banquiers.

Outre la monnaie royale avec ses deux types, tournois et parisis, on employait les monnaies féodales, et d'abord celle du comte d'Auxerre. Par un accord de 1200 avec l'abbaye de Saint-Benoîtsur Loire, qui possédait la seigneurie de Villiers-Saint Benoît, Itier de Toucy reconnut que la monnaie d'Auxerre aurait seule cours à Villiers, et qu'au cas où le titre en serait abaissé, les habitants paieraient leurs redevances envers l'abbé et le seigneur de Toucy, au taux de la monnaie de Provins (2).

Celle-ci était en effet très souvent en usage à cette époque, ainsi que celles de Gien et du prieuré de Souvigny, en Bourbonnais (3) Ces monnaies disparurent vers le milieu du XIIIe siècle.

La multiplicité et les altérations des monnaies avaient pour résultat qu'on stipulait en fixant un paiement en quelle monnaie et à quel taux il devait être fait. Pierre de Bar-Pierrefort, faisant son testament en 1345, fonde une rente de dix livres au profit de l'église de Lavau, et ordonne qu'elle soit payée « en petits lornois vicz, et non pour plus ault pris, non obstant imitacion de monnoie ». En 1375, le receveur de Puisaye doit payer à Yolande de Flandres 510 livres tournois, en comptant « le florin appelé franc d'or pour vint soulz tournois la pièce ».

En 1395 l'écu d'or à la couronne est estimé dans un acte reçu à

(1) Bulletin 1923, p. 52.

(2) Cartulaire de Saint Benoît.

(3) Cartulaire de l'Yonne, II, nos 347, 504.


69 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 195

Paris 10 sols la pièce, et dans un autre, reçu en Nivernais, 22 sous 6 deniers. C'est également ce dernier taux qui est accepté pour un paiement fait près d'Auxerre.

XX

CHEMINS

Dans un pays accidenté et humide comme la Puisaye, les chemins ont toujours été mauvais. Il y avait bien un voyer à Auxerre, mais ses pouvoirs ne s'étendaient pas au delà du comté et il est probable que son action ne se faisait sentir que dans les environs de la ville.

Avec le particularisme qui caractérisait le régime féodal, personne ne songeait à entreprendre des travaux d'intérêt général, aussi on se contentait des chemins usités de temps immémorial et des voies romaines qui existaient encore.

Grâce à leur solide construction, ces voies restèrent très long temps en assez bon état et servirent à la circulation jusqu'à une époque relativement récente. La voie d'Auxerre à la Loire et à Bourges, par Entrains, a été, pendant tout le Moyen Age, l'unique voie de communication entre la Basse Bourgogne et le bassin de la Loire (1). On sait qu'elle joua un grand rôle lors de la bataille de Fontenoy. Depuis elle est connue comme cheminum levatum quo tenditur et Interamnis Autissiodorum dans des actes de 1124 ; plus tard on l'appelle le grand chemin levé ou le chemin d'Auxerrois. En mai 1412, Charles VI, allant au siège de Bourges, le suivit à partir d'Auxerre et revint en juillet, par le même chemin, en cette ville. Enfin, en 1566, Charles IX, revenant du Midi, se servit également de la voie romaine, mais depuis cette époque elle paraît avoir été abandonnée..

Une autre voie romaine, allant d'Autun à Orléans, par Clamecy, coupait la première à Entrains, et passait sur le bord de la Puisaye par Bouhy, Saint-Amand, Arquian et la Coudre où on l'appelait, au XIVe siècle, le « grand chemin perré ».

Peut-être existait-il d'autres voies secondaires, comme celle dont on a retrouvé des fragments entre Saint-Privé et Bléneau (2),

(1) Congrès scientifique d'Auxerre en 1858, p. 15.

(2) Bulletin de 1904, p. VIII.


196 LA PUISAYE 70

et qui aurait relié Auxerre à Orléans en suivant la vallée du Loing, mais elles ont disparu avec l'extension des cultures.

Avant la construction des voies romaines, il existait naturellement des chemins gaulois, créés par l'usage et la nécessité. Tel ce très ancien chemin, presque disparu aujourd'hui et connu sous le nom de sente des Bourguignons, qui mettait le Morvan en communication avec la région parisienne, en traversant toute la Puisaye. Venant probablement d'Autun, il passait par Entrains, suivait la vallée du Loing depuis Sainte Colombe, traversait Saint-Sauveur et se dirigeait ensuite par Septfonds sur Charny, Courtenay et Montereau. Après avoir été très fréquenté pendant le Moyen Age, il fut encore suivi, jusqu'à l'établissement des chemins de fer, par les bandes de boeufs destinés à l'approvisionnement de Paris, et qui venaient du Morvan ou du Charolais.

Il est à remarquer que Saint Sauveur se trouvait à l'intersection de cette sente des Bourguignons et d'un chemin qui, empruntant la voie romaine d'Auxerre à Orléans, mentionnée plus haut, a été signalé par M. Challe comme celui qui suivaient du VIe au Xe siècle, les pèlerins anglais allant à Rome, pour lesquels on avait établi un hospice à Moutiers (1).

Une autre voie de communication très importante était celle qui reliait Auxerre par la vallée de la Loire par Toucy et Saint Fargeau, ces deux petites villes formant deux étapes. Elle était jalonnée par des maisons Dieu servant d'hospices pour les voyageurs, car il en existait à Toucy, Mézilles et Saint Fargeau. C'est le chemin que suivit Jeanne d'Arc d'Auxerre à Toucy et peut-être jusqu'à Mézilles.

On mentionne aussi dans les chartes les chemins de Toucy à Saint Sauveur, de Saint Sauveur à Auxerre par Fontenoy, de Bléneau à Auxerre, et enfin, en 1356, « le grant chemin qui vait de Perreuse au cerre. »

Malgré le mauvais état de ces chemins, on y voyait parfois circuler des personnages étrangers et importants. En 1261, le célèbre archevêque de Rouen, Eudes Rigaud, revenant de Lyon par Nevers, arrive le 23 avril au prieuré de Donzy-le-Pré, le 24 il couche à Saint Sauveur, le 25 à Sommecaise, où il rencontre l'archevêque de Sens et le lendemain est avec lui à Nailly, près Sens (2). En revenant du Concile de Bourges, en 1268, avec Guy

(1) Bulletin, 1872, article sur la Puisaye, p. 15.

(2) Registre des visites d'Eudes Rigaud, p. 108, 594 (Collection des Documents inédits).


71 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 197

de Mello, évêque d'Auxerre, très lié avec Eudes Rigaud, les deux prélats séjournèrent à Villechaul, près de Cosne, où l'évêque avait un château ; le 4 février ils sont au prieuré de Lépau, près de Donzy, le 5 à Varzy, le 6 à Clamecy; de là, ils vont à Vézelay, reviennent par Bazarnes à Régennes, d'où Eudes Rigaud repart le 11 par La Ferté Loupière.

De pareils voyages et si rapides ne pouvaient se faire qu'à cheval, surtout dans des chemins toujours mauvais. C'était égale ment sur des chevaux que s'exécutaient certains transports de marchandises. Il y eut pendant longtemps, en Puisaye, une race de petits chevaux comme celle qui existait encore dans le Morvan au commencement du siècle dernier, et qui, vivant presque toujours dans les bois, servait au transport du charbon. Au XVIe siècle, François Ier autorisait des négociants nivernais à faire sortir de leur province certaines marchandises au moyen de bandes de ces petits chevaux (1).

XXI

LOMBARDS ET JUIFS

Malgré la simplicité des rapports économiques et la difficulté des communications dans les premiers siècles du Moyen-Age, les gens de cette époque sentirent promptement le besoin, non seulement de monnaie, mais d'intermédiaires qui pussent leur en procurer facilement et faire circuler l'argent aisément. Le carac tère français se prêtant peu à ce genre de négoce et les condamna tions de l'Eglise contre le prêt à intérêt intervenant aussi, ce furent toujours des étrangers qui jouèrent le rôle de banquiers. Les Juifs s'y adonnaient depuis longtemps et l'on sait les vicissitudes par lesquelles ils passaient : tour à tour tolérés, persécutés, tolérés de nouveau moyennant de beaux deniers comptant, et à la merci des rois et des grands seigneurs qui, en définitive, les ménageaient parce qu'ils avaient besoin d'eux.

Les Juifs s'étaient établis à Auxerre dès les premiers temps du Moyen-Age et y passèrent par les mêmes vicissitudes qu'ailleurs; néanmoins, ils avaient obtenu d'habiter dans la cité et même d'y avoir une synagogue, mais ils en furent chassés au commence(1)

commence(1) des actes de François Ier


198 LA PUISAYE 72

ment du XIIIe siècle (1). Cependant ils s'étaient répandus dans les environs et même en Puisaye, car en juillet 1240 Gibaud III, seigneur de Saint-Verain, conclut à la suite d'un arbitrage rendu par le trésorier du Temple, à Paris, une transaction avec des Juifs du roi, héritiers de Simon de Saint-Verain, juif, qui lui appartenait (2).

Beaucoup d'autres seigneurs imitaient celui de Saint Verain : dès 1208, le pape Innocent III se plaint, dans une lettre à Hervé, comte de Nevers, du scandale que fait naître la faveur excessive dont jouissent les Juifs auprès de la plupart des seigneurs (3).

Mais vers cette époque, d'autres étrangers vinrent en France faire concurrence aux Juifs : c'étaient les Lombards, comme on les appelait, bien qu'ils fussent originaires de diverses provinces du nord de l'Italie.

Dans le premier tiers du XIIIe siècle, ils étaient déjà fixés à Auxerre où, comme dans plusieurs autres villes, ils donnèrent leur nom à une rue (4). On y trouvait, au XIVe siècle, l'hôtel des Lombards. Une petite rue voisine, dite rue de Milan, leur doit peut-être aussi son nom.

Les Lombards furent les banquiers de ces deux siècles et cher chaient même, comme nous le verrons, à acquérir des situations territoriales. Deux d'entre eux, Bonaventure, originaire de Sienne, et Villain (ou Villani), citoyen de Lucques, vinrent s'établir à Auxerre et se déclarèrent bourgeois de l'évêque, mais le comte Guy de Forez les fit arrêter et saisir tous leurs biens. L'évêque les ayant revendiqués inutilement, mit la ville en interdit. Cette grave mesure amena une transaction du 11 août 1230, rapportée par l'abbé Lebeuf, par laquelle le comte leur rendit la liberté et une grande partie de leurs biens, mais nous ne savons pas exacte ment pour quelle cause il les avait lait emprisonner.

D'autres Lombards d'Auxerre se livraient au commerce et à la banque qui entre leurs mains aboutissait facilement à l'usure. En effet, un compte de partage entre les enfants de Thibaud de Bar, seigneur de Puisaye, vers 1325, porte qu'il est dû par la succession 400 livres aux Lombards d'Auxerre, et une note postérieure ajoute : « dont grant domaiges sunt venu. » Comme les pièces

(1) Lebeuf, III. p. 139.

(2) Imprimé dans Teulet. Layette du trésor des Chartes . II, n° 2873

(3) Recueil des Historiens de la France, XIX, p. 497.

(4) Annuaire de l'Yonne, 1859 p. 216 219.


73 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 199

citées plus loin, ce compte est tiré du vol. 236 de la collection de Lorraine.

En abordant la Puisaye, les Lombards, aptes à tous les commerces, entreprirent celui du bois qui était le plus important. Dans un compte des ventes des bois de la seigneurie de Puisaye, en 1316, on mentionne des sommes qui doivent leur être payées sur le prix de ces bois. Il y est également question « des forges et des mines qui furent aux Lombards » dans les bois de Tronsoy, près de Toucy, ce qui prouve qu'ils s'intéressaient aussi à la métallurgie, industrie florissante alors en Puisaye.

Nous connaissons les noms de plusieurs familles de ces Lombards, noms qui ont été francisés, selon l'usage du temps. Regnaut Rapherin, ou Rapharin, achetait également des bois, ce qui ne l'avait pas empêché de vendre à Jeanne de Toucy, dans la Puisaye, « ung anniaul », c'est-à-dire une bague pour laquelle elle lui devait 15 livres. Jean Rafarrin était employé, en 1322, par le comte de Boulogne, pour le partage de la terre d'Arquian.

Plusieurs de ces étrangers étaient originaires de la ville d'Esté, en Vénétie, qu'on nommait alors Ast : « Roland Provent et ses compagnons, marchands de Sienne », étaient créanciers de Jean Le Chandelier, bourgeois d'Auxerre en 1321 (1). Vers la même époque, la dame de Puisaye avait vendu à « Marquait et Aulbertin, fils de Conrard Griselle, lombard d'Ayst », 60 arpents de bois de haute futaie pour 1600 livres tournois. Ce marché n'ayant pas été exécuté, le comte de Bar donna une compensation à Vyet et Conrard, enfants dudit Aubertin, qui avaient aussi des maisons à Varennes en Barrois et à Longwy et auxquels il avait déjà emprunté de l'argent.

Mais toutes ces opérations, dans lesquelles ils abusaient trop souvent de l'inexpérience en affaires de leurs débiteurs, attiraient enfin sur eux la justice du roi. Thomas Monard, habitant de Perreuse, était débiteur de 187 livres parisis envers deux Lom bards, Ruffi de Summa ripa et Milon de Saint-Pierre. Ceux ci ayant été convaincus d'usure, leurs biens furent confisqués par le roi et Monard s'étant libéré de sa dette en en payant le capital entre les mains du trésorier du roi, conformément aux ordon nances royales, sa libération fut reconnue valable par une quit tance totale de 1347 (2). En effet, le 28 décembre de cette année,

(1) Archives de l'Yonne, H 1253. (2) Archives Nationales, JJ 76, pièce 165.


200 LA PUISAYE 74

le roi nommait Gibaut d'Etrisy, abbé de Saint Pierre d'Auxerre, commissaire sur le fait des Lombards (1), en déclarant « comme pour les oppressions et griefs que plusieurs de notre peuple ont tout temps soutenu par les grans et excessives usures que les Lombars usuriers et les Ytaliens prestans à usure prenoient et levoient et par les fraudeux contraux que il faisoient sur noz subgez », il le charge de rechercher dans les bailliages de Sens et d'Auxerre tous les débiteurs des Lombards, et après avoir vérifié leurs dettes, de leur défendre de rembourser ces usuriers, mais de leur ordonner de payer seulement « le pur sort », c'est à-dire le capital, entre les mains des receveurs royaux. En conséquence, le chevalier Guillaume de Babeurre ayant prouvé que la dette qu'il avait envers le lombard Senos avait été exagérée et qu'il en avait déjà payé une partie, fut admis à rembourser le reste au trésorier du roi.

A la même époque, le roi accordait à Guillaume de Mailly, bourgeois d'Auxerre, des lettres concernant les dettes qu'il avait envers des Lombards (2). Cependant ils revenaient toujours, sous diverses prétextes, et certains de ces étrangers, plus honnêtes et plus adroits, trouvaient moyen, malgré leur origine, de s'intro duire dans la société féodale. Guillaume Castegne, dit Perruche le Lombard, avait ainsi acquis des fiefs composés de terres, bois cens et autres droits féodaux à Mézilles et Toucy. Après sa mort, ses biens passèrent à son frère, Louis Castegne, qui avait épousé damoiselle Isabelle de Courferaut. Comme ils moururent sans enfants, leurs biens revinrent par droit d'aubaine et par défaut d'hoir à la dame de Puisaye, Yolande de Flandres, qui en 1381 en donna une partie à Pierre de Jeurre, châtelain de Sens, et le reste, en 1384, à Pierre Mirouer, bailly de Puisaye (3).

Une pièce du trésor des Chartes nous apprend qu'un marchand gênois, Henri de Cartois, s'était établi et marié à Charny, vers 1380.

Depuis cette date, nous ne trouvons plus mention de Lombards dans ce pays. Les persécutions qu'ils subissaient les en avaient éloignés ou les Français avaient-ils acquis plus d'aptitudes au maniement de l'argent ? On serait tenté d'adopter cette dernière opinion en voyant le célèbre Jacques Coeur, qui avait fait une

(1) Archives Nationales, JJ 80, n° 406.

(2) Archives Nationales, JJ 77, pièce 178.

(3) Archives du Nord, B 991, 1575.


75 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 201

fortune immense dans le grand commerce, acheter au siècle suivant la seigneurie de Puisaye.

D'ailleurs, à cette époque se constituaient de grandes banques Lucquoises et Florentines qui accaparaient tout le commerce, comme celles qui prêtaient de grosses sommes au roi d'Angleterre pour la conquête de la Guyanne.

XXII

MOULINS

Dans l'antiquité, outre les moulins à bras dont on a retrouvé des meules dans plusieurs localités, on employait de grosses meules mues par un manège comme nos vieux pressoirs et déjà des moulins à eau. Le Polyptique d'Irminon, écrit au IXe siècle, mentionne des moulins. Aux siècles suivants nous en trouvons sur de nombreux ruisseaux, dont plusieurs nous paraîtraient aujourd'hui trop peu importants; il en existait aussi sur des étangs, très nombreux à cette époque. Ils appartenaient toujours aux seigneurs.

A Toucy, l'évêque avait un moulin qui, d'après le pouillé de 1290, lui rapportait environ 100 sols par an (1). Celui de Liboreau, sis au bas de la ville, et mentionné dès 1279, appartenait, en 1400, à un seigneur du Jaffot et le revenu en est estimé 10 livres tournois.

L'abbaye de Saint Benoît-sur Loire avait à Villiers SaintBenoît un moulin important sur lequel divers particuliers avaient des rentes en grains, moitié froment et moitié mouture, qu'ils revendirent à l'abbaye en 1287 et 1304 (2).

D'après une sentence de 1269, le prieuré de Moutiers, possesseur à cette époque de l'étang de Bourdon, devait y entretenir un canal d'un pied carré, pour alimenter celui de Saint Fargeau et faire moudre les moulins de cette ville.

En 1336, il y avait un moulin à Mézilles et un au-dessus sur la rivière de Branlin. Il en existait un à Grandchamp, en 1400, trois au moins à Champignelles, en 1411, un à Villeneuye-les-Genêts,

(1) Lebeuf, IV, p. 140.

(2) Cartulaire de Saint Benoît.


202 LA PUISAYE 76

en 1383, qui rapportait autrefois 32 bichets d'avoine et 6 chapons, mais ne valait plus rien à cause des guerres (1).

Les moulins de Druyes ont toujours été importants : en 1296, ceux qu'on appelait les moulins de la Doiz » appartenaient à la famille de Pesselières.

Nous trouvons encore des moulins à Treigny où le duc de Bar possédait le moulin d'Arny qu'il louait, en 1398, moyennant 12 setiers de grains, moitié froment et moitié avoine. A Chassin, il y en avait deux en 1353, un à Villerot, près de Sainte Colombe, en 1403, à Dampierre en 1320, à Faverelles en 1393.

Parmi ceux qui s'élevaient sur la chaussée des étangs, nous pouvons citer les quatre moulins de Lavau, en 1336 (2), et celui de Septfonds, en 1313.

Mais, dira t-on, dans toute cette énumération il n'est question que de moulins à eau et nulle part de moulins à vent. C'est qu'en effet nous n'avons pas trouvé mention de moulins à vent dans nos pays antérieurement au XVIe siècle, et il nous a même été assez difficile d'avoir des renseignements précis sur leur introduction en France. Il semble dès à présent certain qu'elle a eu lieu à la suite de la première croisade et tout d'abord dans les provinces de l'Ouest. Du Cange cite en effet, dans son glossaire, une charte du comte de Mortain, en Normandie, donnée en 1106, et relative à un moulin à vent. De là ces moulins se répandirent dans l'Ile de France. Notre collègue, M. Mirot, nous a fait con naître le don fait par Philippe-Auguste, en 1218, aux bourgeois de Compiègne, de deux moulins à vent (3), et l'autorisation donnée, en août 1297, par Philippe le Bel à Guiart de Pontoise, son armurier, d'établir un moulin à vent à la couture Saint Lazare, à Paris.

Ce sont là les plus anciens documents authentiques que l'on possède sur cette question mais, nous le répétons, ces moulins, si répandus dans nos campagnes jusqu'à la fin du siècle dernier, n'y ont été introduits que lors du grand mouvement de reconstruction qui a suivi la guerre de cent ans.

Outre les moulins à grains, il y en avait pour moudre les écorces. En 1394, Pierre de Courtenay, seigneur de Bléneau, men tionne dans l'aveu qu'il rend pour cette seigneurie « le bothouer « à escorce qui peut bien valoir de rentes par an sexante soulz de

(1) Archives Nationales, P 132, p. 6

(2) Pièces justificatives, XI.

(3) Archives Nationales. JJ 8, fol. 61.


77 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 203

« tournois. » Dès 1170, l'abbaye de Reigny possédait une rente sur le boutoir de la Villotte (1).

De temps immémorial, la présence d'un gisement d'argile a Foulou, près de Toucy, a entraîné l'existence des moulins, autre fois dits boutoirs, à fouler les draps. Dans l'aveu rendu vers 1400, on mentionne les « bouturins de Toucy, sis près de la Chaterie. »

Il en existait aussi à Bléneau où « le molin et bouthoer à dras » dit les moulins Havez, constituait un fief tenu en 1396 par Thé venin Bille (2).

Vers 1400, le moulin établi sur l'étang de Salesin, près de Toucy, avait été converti en forge.

XXIII

FORGES

Depuis longtemps on a signalé l'existence, en Puisaye, de nombreuses exploitations métallurgiques dont les résidus ou ferriers sont répandus sur toute l'étendue du pays et forment parfois de petites montagnes, comme à Tannerre. Mlle Hure, dans le Bulletin de 1919, a exposé l'ensemble de cette question pour le département et montré que la métallurgie, très développée déjà sous les Gaulois, y arriva à son apogée sous les Romains et les Gallo Romains.

On a déjà signalé les nombreuses trouvailles de monnaies et de poteries romaines faites dans des ferriers à Tannerre, Mézilles, etc..

Une inscription constate l'existence à Entrains, aux premiers siècles de notre ère, d'une corporation importante d'aerarii ou fondeurs en bronze, dont les produits se répandaient au loin (3).

La métallurgie était particulièremenl développée en Puisaye

où les forges s'établissent d'abord sur les plateaux, au milieu des

bois, puis descendirent plus tard dans les vallées, au bord des

cours d'eaux qui leur fournissaient la force hydraulique vers les

premiers temps du Moyen-Age.

Il y a donc eu deux âges dans cette exploitation, le premier

(1) Cartulaire de l'Yonne, II, p. 213.

(2) Bibliothèque Nationale, pièces originales, de Courtenay n° 406. 3) Baudiau. Histoire d'Entrains, appendice.


204 LA PUISAYE 78

fournissant les gros ferriers où les scories, très lourdes, renferment encore de 40 à 45 % de fer ; le second est celui des petits ferriers dont les scories vitreuses et légères, dites laitier, ne conte nant plus que très peu de fer, ont été utilisées pour fournir les vernis siliceux des poteries, et sont presque épuisées aujourd'hui, M. Goujon a publié une carte des ferriers qui, bien qu'incomplète, donne une idée de leur répartition et de leur grand nombre en Puisaye (1).

Les localités nommées la Forge, le Fourneau, le Ferrier, Ferrières, y sont également très répandues. Néanmoins les documents écrits relatifs à ces exploitations ne se trouvent guère qu'au XIIIe siècle, comme nous le verrons pour les droits de ferrage, qui supposent une coutume antérieure.

En 1316, le compte des coupes de bois (2) mentionne « les forges « et les mines qui furent aus Lombarz », dans les bois situés entre Dracy et Tannerre, cette dernière localité pouvant être considérée comme le siège des plus importantes exploitations métallurgiques de la Puisaye à toutes les époques.

En 1370, la comtesse Yolande de Flandres permet à Gilles de Cloyes, bailli de Puisaye, « de faire en sa grosse forge de mine à « eaux qu'il a en nostre ville de Saint Fargeau tant de feus comme « il li plaira, en faisant autant de fer comme il faisait par avant à « deux feus, non contestant qu'il ne puisse faire audict lieu que « deux feus par la coustume dudict lieu » (3).

Dans une saisie de la châtellenie de Champignelles, en 1398, on mentionne « au lieu de Coldroy une grosse forge que tenait Jehan « Le Botet, mareschal de ladite forge » (4).

A Saint Aubin Châteauneuf, dont la seigneurie appartenait au Chapitre de la cathédrale de Sens, existait, en 1400, une grosse forge que le chapitre louait 40 sous (5). En 1404, le Roi accordait des lettres de rémission à Jehannin Quarré, de Saint-Aubin, « ouvreur de traire mines à faire fer et acier » (6).

Vers 1400, un moulin existant au Jaffot, près de Toucy, avait été converti en forge, ce qui prouve la prospérité de la métallurgie à cette époque.

(1) Goujon, la Puisaye, p. 109.

(2) Pièces justificatives, V,

(3) Archives du Nord, B 1574.

(4) De Courtenay pièces originales, p. 409.

(5) Archives de l'Yonne, G 959, 965.

(6) Collection de Chastellux, 501.


79 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 205

D'ailleurs, M. Siméon Luce a déjà fait remarquer (1) que le développement de cette industrie dans le Nivernais et l'Auxerrois fut une heureuse conséquence de la guerre de cent ans. Privés pendant de longues années par l'occupation anglaise du métal qu'ils tiraient auparavant de Normandie, Charles VII et ses successeurs, qui avaient besoin de grandes quantités de fer pour la création d'une artillerie puissante, favorisèrent l'extraction ainsi que la fabrication de ce métal dans nos pays. On pourrait en effet citer de nombreuses forges existant encore en Puisaye au XVe siècle et même au XVIe.

Ces recherches de minerai dans tout le territoire donnaient lieu à la perception de droits féodaux spéciaux, appelés ferrage.

En 1209, Itier de Toucy fit donation à l'abbaye des Roches d'une rente de 14 livres sur le ferrage de Lavau.

En 1348, Pierre de Bar-Pierrefort, assignant à Isabelle de Vergy, sa belle-fille, une rente sur la seigneurie de Lavau, cite parmi les revenus de cette seigneurie « les ferrages des forges de mine « ès fornanx de Lavaul et des appartenances », ce qui prouve que ces redevances, assises sur plusieurs exploitations, devaient avoir une importance sérieuse.

En 1218, Narjot de Toucy donna à l'église de Perreuse une rente de cent sous sur le ferrage de Saint Amand (2).

XXIV

POTERIES

Il est très probable que les gisements d'argile, si nombreux en Puisaye, durent être utilisés de bonne heure ; néanmoins leur exploitation n'a laissé que peu de trace dans les documents.

« Le gros Asale, lou potier de Saint Amant » avait acheté, en 1315, une coupe de bois de taillis de la seigneurie de Puisaye (3).

Nous savons que des fouilles opérées près de Saint-Verain ont amené la découverte de fours et de débris de poteries datant de la seconde moitié du XVe siècle.

Bien que ces poteries fussent recouvertes de vernis, nous n'avons

(1) S. Luce, la Guerre de Cent ans, I p. 375.

(2) Lebeuf, IV, p. 81.

(3) Pièce justificative. V.


206 LA PUISAYE 80

pas connaissance d'anciens moulins à laitier, comme il y en avait tant au siècle dernier, écrasant les scories de forge siliceuses pour fournir le vernis.

Les tuileries étaient très rares en Puisaye au Moyen Age. La fabrication des tuiles à rebords, si répandue du temps des Romains, n'y avait pas persisté, et nous avons déjà dit que tous les édifices, en général, paraissent avoir été couverts alors en bois ou en chaume.

Les deux seuls exemples de tuileries que nous ayons rencontrés étaient en dehors de la Puisaye, à Appoigny, vers 1299 (1), et à Vermenton, vers 1400, où une tuilerie était abandonnée à cause des guerres.

Il n'y existait pas de verreries ; cette industrie n'a été introduite qu'au XVIe siècle par des verriers lorrains, et on se servait pour boire de gobelets en métal, surtout en étain.

XXV

CHASSE

On connaît l'importance de la chasse pour les seigneurs qui en étaient très jaloux et considéraient le droit de chasse comme un de leurs droits les plus précieux. Ainsi le comte de Bar faisant, en 1269, un accord avec le prieur de Saint-Sauveur, lui céda en toute propriété 40 arpents de bois avec la basse justice, mais en gardant la haute justice et le droit de chasse (2).

Dans l'assignation du douaire de la comtesse de Roucy, veuve de Jean de Bar, sur la moitié de la terre de Puisaye, en 1318, ce droit lui est réservé en même temps que la justice.

Les seigneurs se réservaient souvent une portion de bois pour y laisser multiplier le gibier; c'était une garenne, dont le nom est resté à tant de pièces de bois. Un aveu de 1335 mentionne qu'il y avait « garenne de grosses bestes et de menues » dans la partie des grands bois de Puisaye restée indivise entre les trois branches de la maison de Bar (3). A Champignelles, le bois du Parc est dit dans l'aveu de 1377 « fermé à fossez, portant garenne de toutes

(1) Lebeuf, IV, p. 138.

(2) Archives de l'Yonne, H 1152.

(3) Pièce justificative, XI.


81 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 207

bestes » et contenant 600 arpents (1). L'aveu de 1411 déclare encore la garenne « à lièvres et counins et autres bestes qui « valait autrefois 11 sols tournois et à présent ne vault riens» par suite des ravages de la guerre. Eudes de Rogny, rendant aveu pour Villeneuve les-Genêts, en 1388, déclare avoir « garenne en » mes bois à toutes bestes et par toute ma terre, et peult valloir » chascun aux sols environ. »

La chasse de la garenne et de la seigneurie, en général, était surveillée par un seigent spécial appelé garennier, comme Geoffroy Sile, dit Bardin, que Jean de Courtenay nomma, en 1417, « sergent à verge, garennier et garde de nos eaues, forestz, prez et terres en el par toutes noz terres et chastellenies de Saint« Morise, Chastillon, Fontenailles, Saint-Briçon et Champi« gnelles » (2). Malheureusement l'acte ajouta seulement « aux gaiges accoustumez », ce qui ne nous renseigne pas sur les émoluments de cette charge.

Dans les grandes seigneuries et les forêts comme il s'en rencontrait en Puisaye, on pratiquait une chasse fort à la mode au Moyen-Age, la chasse à la haie, qui consistait à faire entrer le gibier dans une vaste enceinte, créée à l'avance au milieu des bois et où on pouvait le chasser plus aisément. C'est en ce sens que dans l'assignation du douaire de la comtesse de Roucy, en 1318, il est dit qu'elle aura droit de chasse « à toutes bestes, et « pourra hayer et faire faire haies pour la chasse ès bois de « Puisaye. »

Ces haies, qui étaient faites en branchages ou même en palissades, étaient souvent d'une étendue considérable : en 1316, on coupa 34 arpents de taillis « dedans les pailiz de Toucheveaul » (3). Elles entraînaient dès lors des frais considérables de construction et d'entretien ; aussi disparurent-elles après l'abolition du servage et quand la main d'oeuvre devint plus chère. En effet, on n'en trouve plus trace après le XIVe siècle.

Elles ont laissé néanmoins leur souvenir dans plusieurs noms de lieu : ainsi le bois du Parc de Toucheveau, cité en 1485, près, de Saint-Fargeau, et appelé encore aujourd'hui le bois du Parc. Entre Toucy et Mézilles, une grande portion de bois porte le nom des Grandes Enceintes.

(1) Archives Nationales, P 132, pièces 5, 7, 9.

(2) De Courtenay, pièces originales, 440.

(3) Pièce justificative, V.


208 LA PUISAYE 82

XXVI

PÊCHE

Si la Puisaye n'a jamais eu de grandes rivières, elle comptait autrefois de très nombreux étangs dont beaucoup très petits, et l'on en retrouve la trace dans les bois. Le faible rapport de certains terrains, la difficulté d'avoir du poisson de mer et le grand nombre de jours maigres, étaient les causes qui en favorisaient la multiplication. Un acte de 1352 nous apprend que la pêche en était généralement faite tous les trois ans.

Ces étangs de la Puisaye jouèrent un rôle dans un événement historique que M. Challe a déjà raconté dans l'histoire de l'Auxerrois.

En 1427, l'armée anglaise assiégeait Montargis mais était à son tour pressée par celle de Charles VII que commandait Dunois, bâtard d'Orléans. Un de ses lieutenants, Thibaut de Termes, qui guerroyait depuis plusieurs années en Auxerrois, lui fit connaître qu'en coupant à la fois les chaussées des nombreux étangs répandus dans les vallées de l'Ouanne et du Loing, on pouvait inonder cette dernière et séparer en deux l'armée assiégeante. C'est ce qui eut lieu le 5 septembre 1427. Dunois repoussa facilement les Anglais de la rive gauche et ceux de la rive droite durent lever le siège en toute hâte.

Comme le constate M. Challe, la tradition de cette inondation, si heureuse pour les Français, s'est conservée en Puisaye.

Dans les rivières, le droit de pêche était, comme la chasse, réservé au seigneur qui la faisait garder par ses sergents. En 1408, l'évêque et le baron de Toucy furent maintenus en la possession commune de la rivière, pêcherie et garenne en la rivière d'Ouanne à Toucy. En 1394, Pierre de Courtenay, dans l'aveu de sa seigneurie de Bléneau, reconnaît tenir une lieue environ de rivière portant garenne dans ladite seigneurie (1).

La pêche pouvait même être un fief, comme à Saint Fargeau (2) ou dans l'Yonne. Depuis un temps fort ancien, les seigneurs de Toucy possédaient des droits sur la rivière d'Yonne qu'ils finirent

(1) Du Bouchet, preuves p. 129.

(2) Pièce justificative, I.


33 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 209

par donner en fief, relevant de Perreuse, et que nous trouvons, au XIV e siècle, aux mains des maisons de Mello et d'Eu. Le fief de la rivière d'Yonne, du pont de Crayant jusqu'au pont d'Auxerre, comportant toute justice et garenne pour la pêche (1), appartint presque toujours aux seigneurs de Beaulche. En 1383, Jeanne d'Eu, comtesse d'Etampes, donna au Chapitre de la cathédrale d'Auxerre une rente de 40 livres sur sa seigneurie de la rivière d'Yonne, à charge de faire célébrer une messe journalière à la chapelle Notre-Dame des Miracles, devant le portail de la cathédrale.

XXVII

DOMAINES ECCLÉSIASTIQUES

Comme nous l'avons vu plus haut, l'évêque d'Auxerre possédait en grande partie, par héritage de Saint Germain, un domaine territorial considérable qui faisait de lui un des prélats les plus riches de France, et qui s'étendait largement en Puisaye. Outre ses résidences d'Auxerre et de Régennes, il avait à Toucy un château dont relevaient plusieurs fiefs aux environs. Lebeuf a donné, dans les preuves de son histoire d'Auxerre, un très intéres sant état des revenus de l'évêché vers 1290, classé selon les diverses châtellenies, et que nous avons déjà utilisé plusieurs fois.

Surtout nous savons que l'évêque était suzerain des trois grands fiefs qui se partageaient notre pays, Toucy, Donzy et SaintVerain, ainsi que de Saint-Sauveur, Cosne, et un certain nombre d'autres moins importants. Varzy, en Nivernais, était aussi un domaine considérable et une des résidences préférées de nos évêques.

Le Chapitre de la cathédrale d'Auxerre était également un grand seigneur territorial, possédant en Puisaye les seigneuries de Pourrain, Beauvoir, Egleny, Merry la Vallée, Oisy près Clamecy, ■et de grandes étendues de bois.

Le Chapitre de Toucy, fondé en 1200 par l'évêque Hugues de Noyers, avait des domaines autour de cette ville.

Entre les monastères du diocèse, l'Abbaye de Saint-Germain, grâce aux donations de son fondateur, était de beaucoup la plus

(1) Annuaire de l'Yonne, 1857, p, 247. Bulletin, 1885, p. 394, 401.


210 LA PUISAYE 84

riche, tant par ces possessions directes, comme Diges, Escamps, Ponnessaut (Saint Martin-sur-Ouanne), que par les prieurés qui en relevaient.

Celui de Moutiers, dont l'histoire a été écrite par M. Challe, était originairement assez riche et avait une demi-douzaine de fiefs aux alentours.

Ceux de Saint-Sauveur, de Saint-Bonnet, à Levis, et de Sommecaise, étaient moins importants.

Nous avons déjà eu l'occasion de parler de l'Abbaye de Reigny, dont les granges de Vaureta et de Beauvoir, ou grange sèche, à Sougères, sont souvent citées, dans les chartes des XIIe et XIIIe siècles, à propos des donations que leur faisaient les seigneurs.

De même l'Abbaye de Bourras, commune de Saint-Malo(Nièvre), possédait à Chevigny, près d'Etais, une grange importante, objet de contestations et de transactions avec celles de Reigny à cause du parcours des troupeaux et des droits d'usage.

L'Abbaye de Roches, fondée en 1134 près de Myennes (Nièvre), par Hugues le Manceau, seigneur de Saint-Verain, avait de nombreuses possessions dans la partie ouest du diocèse d'Auxerre, à Aligny, Ménestreau, Ciez, Saint-Verain, Fondelin, et reçut de fréquentes donations des seigneurs, par exemple les dîmes de Treigny. Dès le XIIe siècle, les Toucy et ensuite les de Bar donnèrent à l'abbaye de Roches des droits d'usage et de pacage dans leurs bois de Puisaye, surtout en faveur du domaine de Susson (Faverelles).

De l'abbaye de Saint-Satur, dans le Cher, dépendait le prieuré de Boutissaint, situé entre Treigny et Saint-Fargeau, qui fut pendant un temps chargé de desservir Perreuse, mais perdit rapidement son importance.

Plus brève encore fut l'existence de celui de Plain Marchais, dans la paroisse de Lavau, dépendant lui même de celui de l'Epau, dans la Nièvre, de l'ordre du Val des Choux, et fondé, en 1213, par Itier de Toucy. M. Déy a conté ses vicissitudes dans l'histoire de Saint Fargeau.

En 975, la puissante abbaye de Saint Benoît sur Loire reçut en donnation le territoire de Villiers, au dessous de Toucy, où elle établit un prieuré qui prit le nom de Villiers-Saint Benoît et constitua un domaine important ; nous avons eu plusieurs fois à mentionner ce prieuré, surtout à cause de ses démêlés avec les sires de Toucy qui élevaient souvent la prétention d'y jouir de droits abusifs.

En résumé, aucun grand monastère ne s'élevait sur le territoire


85 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 211

de la Puisaye : tous ceux qui y possédaient des établissements avaient leur chef-lieu au dehors.

Pour être complet, il faudrait mentionner les domaines des paroisses et églises, car presque toutes, même de simples chapelles, avaient des possessions provenant ordinairement de fonda tions, mais il serait très difficile d'en donner le détail, les archives des églises n'existant guère pour une époque aussi ancienne.

Nous ferons seulement remarquer que tant que Saint-Fargeau ne fut pas devenu une petite ville, comme nous l'avons dit plus haut, Saint-Sauveur joua un rôle plus important en Puisaye, même au point de vue religieux. Dès le XIIe siècle, le diocèse était divisé en quatre archiprêtrés : Auxerre, Saint Bris, Varzy et Puisaye. Or, jusqu'au XVe siècle, ce dernier porte le titre d'archiprêtré de Saint-Sauveur (1) et les curés de cet endroit continuèrent plus tard à le prendre.

XXVIII

NOMS DE LIEU

Pour achever de donner un tableau complet de la Puisaye au Moyen-Age, il est bon de chercher à classer les noms de lieu suivant leur origine et leur ancienneté. On peut les distinguer en six classes :

I. Noms celtiques

Comme le dit M. Quantin dans l'introduction de son dictionnaire topographique, on rencontre sur tout notre territoire d'assez nombreux villages dont les noms portent un cachet d'antiquité irrécusable, dont la signification est à peu près inconnue et qui apparaissent comme les témoins des premiers âges de la Gaule. Voici ceux qne nous avons pu relever en citant d'abord la forme la plus ancienne (2).

Aduna Capot (Chappe, Arrau, Artadum (Arthé), Argeno (Argenou).

Blanoilus (Bléneau), Briciacum (Brécy), Branlin, Bâle, Burcey ou Burcoy, Boras (Bouza), Boticen (Boutissaint), Brittas (les Briottes).

Cavanniacum (Chevigny), Champingol (Champignelles), Ciez,

(1) Cartulaire de l'Yonne, II, p. 478. Lebeuf, I. p. 408.

(2) Voir Quantin, Cartulaire général de l'Yonne, II, p. XXVI.


212 LA PUISAYE 86


87 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 213

Clange (Saints), Compasciagus (Commecy), Colons (Coulon), Cutiacum (Cuissy.

Dracei (Dracy), Drogia (Druyes), Digia (Diges).

Fundelinum (Fondelin).

Garchy (Guerchy), Gémigny, J.

Imaranum (Entrains).

Jandin, Jussy.

Loederus (Latré), Loconnacus (Leugny), Levaticus (Levis), Loima (Louesme), Lanum (Lain), Lapa (VIIe et XIIe siècle), ou Launtum (Xe siècle), (Le Loing), Lupinus (Alpin).

Meleredum (Moutiers), Micigla (Mézilles), Mirisela (Mizerelle, commune de Bitry), Misiers (commune de Mézilles), Mici (1).

Nodamus (le Nohain).

Odouna (Ouanne), Oscellus (Oiselet).

Puciolns (le Poussoir).

Ronchères, Riconorum (Arqueneuf).

Susson, Solemé (Sauilly), Solennat (Solium).

Talo (le Talon), Tauotra (Tannerre), Tociacum (Toucy), Tho (Thou), le Thabor, Trigniacum ou Trenignum (Treigny), Tul (le Thureau), Viriliacum (Vrilly).

On remarquera que cette liste comprend presque tous les lieux importants et les paroisses de la contrée. Il est également à noter que le cours d'eau et la localité la plus voisine de la source portent le même nom : Ouanne, Loing, Branlin. Ouanne et Entrains ont la même position au confluent de deux vallons formant la vallée du cours d'eau.

II. Noms gallo-romains

Lesnoms formés depuis la conquête romaine ont pour racines des noms d'hommes, d'arbres, d'habitations, tirés du latin. Charmois, Le Chesneau, le Chesnoy. La Chaise, Champeaux. Etais (Testoe). Ferrières, Fontenoy. Jeuilly (Julliacum). Neuvy (Novus vieus). Perreuse, Pounessant (Pons nasceneius). Test Milon. Villiers. Savigny (Saviniacum).

(1) Territoire entre Bléneau et Villeneuve les Genêts.


214 LA PUISAYE 88

III. Noms d'origine ecclésiastique

Outre ceux qui indiquent l'existence d'un édifice consacré au culte, comme la Chapelle, Moutiers, beaucoup d'autres sont tirés du nom du patron de la paroisse, Dammarie, Dampierre, SaintMartin, etc., ou ajoutent ce nom à un ancien nom : Villiers-SaintBenoît.

Il y en a où un nom de Saint a remplacé l'ancienne dénomination Saints par Cotiacus, comme Moutiers, Meleredum.

IV. Noms tirés de circonstances locales

Beauvais, Beauvoir, Bellevue.

Châteaublanc.

Grange sèche.

Lainsecq.

Maupertuis, Montmoyen.

Richebourg, les Roches.

Sainpuits.

V. Noms formés par un article précédent un nom commun

Ils sont plus anciens que ceux formés sur des noms d'homme, et pour là plupart remontent aux XIIe et XIIIe siècles. En effet, contrairement à l'opinion de M. J. Flrch (1), nous croyons qu'il y a toujours eu, surtout en Puisaye, des habitations isolées, protégées par leur situation, granges des monastères, petits manoirs fortifiés ou village ayant succédé à des villas.

Tels sont : les Barres, la Borde, la Boulassière, la Breuille, la Bruyère, les Chéseaulx.

Le Ferrier, Le Fort, la Forge.

La Garenne.

La Maison-Rouge, la Mée, le Metz, la Motte.

VI. Noms formés par un article précédent un nom d'homme

Ils proviennent des concessions à cens ou à bourdelage faites par les seigneurs à leurs tenanciers, et à charge d'y habiter (2). Dans l'ouest de la Puisaye, ils correspondent souvent à d'anciennes communautés taisibles, d'où l'article les... Ils ne datent au plus

(1) J. Flach Introduction à l'enquête sur les conditions de l'habitation en France, II. p. 72. 91.

(2) Quantin. Dictionnaire topographique de l'Yonne, p. XIX.


89 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 215

tôt que du XIVe siècle, et se sont surtout répandus après la guerre de cent ans (Voir ci-dessus, chapitre VIII).

Ainsi les Briaux (Toucy) sont cités en 1325, les Baillis et les Basins (Toucy) en 1400. La Miregandie (Treigny), en 1407. Ce sont les plus anciens que nous connaissions. Les Devaux (Treigny) ont remplacé les Chéseaux, détruits au commencement du XVe siècle. De même la Mareinerie, le Moulin Marsin, la Picarderie, etc..

XXIX

NOMS D'HOMME

Il n'en est pas des noms d'homme comme des noms de lieu : tandis que ceux ci, malgré leurs transformations, restent attachés à la même localité où on les retrouve encore au bout de plusieurs siècles, les premiers, qui subissent moins de changements, suivent les familles qu'ils désignent et, par suite de l'instabilité relative de celles ci, disparaissent au bout de peu de temps de leur pays d'origine pour émigrer dans d'autres régions.

Cette instabilité, due aux partages, aux successions, aux mariages et aux divers événements de la vie d'une famille, était déjà connue pour les classes riches et aristocratiques, mais on supposait que les classes plus modestes et surtout les familles rurales, fortement enracinées dans leur terre natale, devaient y rester tant qu'elles duraient et s'y retrouver encore au bout de longs siècles, surtout sous l'ancien régime. Nous avons eu la curiosité de vérifier ce point d'histoire sociale, et dans ce but nous avons dépouillé près de 400 documents antérieurs au XVIIe siècle et concernant la Puisaye.

Ce relevé n'a porté que sur les familles rurales, paysans ou artisans, à l'exclusion de celles qui portaient des noms de fiefs et dont il est dès lors très difficile de reconnaître le nom patronymique. Nous avons négligé les noms qui se retrouvent dans toutes les provinces et viennent ordinairement de surnoms significatifs comme Petit, Legrand, Lenoir, Dupont, etc.. parce qu'ils ne peuvent fournir d'indications locales.

Avant le XIIIe siècle, il est très rare de trouver des noms de paysans dans les documents originaux, ceux-ci, généralement succincts, ne mentionnent que les seigneurs ou les fonctionnaires, dont on ignore presque toujours l'origine. Les actes d'affranchissement ont disparu pour la plupart, et les aveux et dénombre ments qui nous fournissent tant de renseignements, ne sont


216 LA PUISAYE 90

nombreux qu'au XIVe siècle. A partir de cette époque, nous sommes bien mieux documentés.

Pour le XIIIe siècle, nous n'avons donc que 62 noms dont 4 seulement subsistent encore aujourd'hui en Puisaye.

An XIVe siècle, qui nous a fourni plus de documents, 597 noms, dont 54 subsistant, c'est-à-dire près du dizième.

La dépopulation causée par la guerre de cent ans, fait que le XVe siècle ne fournit que 306 noms, dont 39 subsistants, proportion un peu plus forte.

Enfin, au XVIe siècle, sur 197 noms, 66 sont encore portés, ce qui revient au tiers.

Ajoutons que les anciens noms, encore usités aujourd'hui, ne le sont presque jamais dans leurs localités d'origine, mais surtout dans des endroits assez éloignés de la Puisaye. L'exemple de stabilité le plus remarquable que nous connaissions est celui de la famille Bressolle qui sous le nom de Bressiaul possédait, en 1395, une tenure de la seigneurie de Chassin, à Treigny, et qui habite encore actuellement dans la même partie de la commune.

Citons aussi la fumille Gruet, fixée à Fontaines au début du XVIe siècle et qui y est encore honorablement représentée aujourd'hui.

Il y a des Jaluzot aux environs de Toucy depuis les premières années du XVe siècle.

On voit donc ce qu'il faut penser des généalogies de certaines familles rurales qui prétendent cultiver le même domaine depuis plusieurs siècles, généalogies presque impossibles à établir, les registres d'état civil ne remontant qu'à la seconde moitié du XVIe siècle au plus tôt.

Contrairement à ce qui se passe pouf diverses provinces, les noms d'homme en Puisaye n'affectent pas de formes ou de terminaisons caractéristiques. On pourrait seulement remarquer la fréquence relative de la terminaison en eau, comme dans Perreau. Moreau, Desleau, Barreau, Barjot, Robineau, Morineau, Rameau, etc.. On écrit indifféremment eau ou ot, de même qu'aujourd'hui encore certains noms ont conservé une forme archaïque : on trouve en effet Paqueau et Pascault, Guinot et Guinault.

En définitive, on peut dire que si les institutions de la période que nous avons étudiée ont toutes disparu, si presque tous les monuments élevés avant 1430 ont péri ou ont été transformés les familles elles-mêmes se sont éteintes ou ont émigré en d'autres. parties de la Puisaye, si bien qu'il ne reste sur place presque aucun témoin de ces temps reculés que nous avons peine à reconstituer.


91 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 217

CONCLUSION

Nous arrêtons cette étude au seuil d'une période qui vit la fin du Moyen Age et l'aurore des temps modernes. Après la guerre de cent ans, terminée pour l'Auxerrois par le traité d'Arras, en 1435, la tranquillité renaît, les campagnes se repeuplent et les ruines se relèvent (1) On reconstruit les petites villes dévastées par les ennemis et dans la seconde moitié du XVe siècle vont s'élever de tous côtés ces petites églises de style gothique flamboyant qui sont une des parures de notre pays.

En même temps se produisent de grandes transformations éco nomiques et sociales. Pour aider au repeuplement des pays dévastés, les seigneurs font disparaître les dernières traces du servage ; beaucoup de droits féodaux peu importants sont abolis ou rachetés.

D'autre part, tous les villages détruits ne se relevèrent pas et de nombreuses terres, restées longtemps incultes, devinrent des bois ou des landes qui accrurent le domaine personnel des seigneurs.

La grande seigneurie de Puisaye, conservée intacte par Antoine de Chabannes, est morcelée après lui, en 1488.

Le pouvoir royal fait sentir de plus en plus son action, notamment par ses baillis, par les impôts et aides qu'il lève. La centralisation va donc s'accroissant en réduisant le système féodal à l'état de décor de jour en jour plus effacé, tandis qu'il dominait tout dans la période qne nous avons étudiée, où le particularisme était la règle.

Néanmoins les conditions économiques restant presque les mêmes, la vie rurale continua d'être celle que nous avons décrite sur presque tous les points et il en fut ainsi jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Les recherches du genre de celles ci ne nous paraissent donc pas inutiles, car si elles ne sont peut être que l'histoire vue par par ses petits côtés, elles nous enseignent par quelles vicissitudes ont passé nos pères et en même temps nous apprennent de quelle façon s'est développée la grandeur de notre patrie, ce qui est encore un moyen de nous la faire mieux aimer.

(1) Quantin. Episodes de l'Histoire du XV siècle Bulletin du Comité des, travaux historiques 1866).


218 LA PUISAYE 92

APPENDICES I

GÉNÉALOGIE DE LA MAISON DE TOUCY

L'origine de la maison de Toucy, comme celle de la plupart des maisons féodales, reste assez obscure. A la suite de la guerre de la succession de Bourgogne, vers 1015, l'évêque d'Auxerre, Hugues de Chalon, partagea son diocèse entre trois de ses principaux lieutenants. L'un d'eux, Itier, dit de Narbonne (1), reçut la grande seigneurie de Toucy. Ce surnom indique une origine méridionale et fait supposer qu'il était peut-être parent de l'évêque, fils d'Adélaïs d'Arles. D'ailleurs, les noms d'Hier et de Narjot, héréditaires chez les Toucy, selon la coutume des grandes maisons féodales, étaient auparavant inusités en Auxerrois et suffiraient à prouver une origine étrangère à la province.

Itier (2) fut donc le premier seigneur de Toucy et de toute la Puisaye, ayant reçu d'ailleurs en fief les châtellenies de SaintFargeau, Perreuse et Saint-Amand. Il eut pour fils :

I. Hier II, seigneur de Toucy et de Puisaye, en 1060. Mort en 1097, à la première croisade, sans enfants :

II. Hugues fit avec ses frères une donation à l'abbaye de Molesmes vers 1090;

III. Narjot, seigneur de Toucy et de Puisaye. Mort avant 1110, en Terre-Sainte. Il avait épousé Ermengarde, qui vivait encore en 1134, et en eut :

1° Elisabeth, épousa vers 1102 Hugues que, sur la foi d'André Duchesne, on croit un puiné de la maison de Châtillon surMarne (3). Il prit part, avant 1110, avec sa belle-mère Ermengarde, à un accord avec l'abbaye de Saint-Benoît où il est dit

1) Lebeuf I p. 331. Une famille chevaleresque portant le nom de Narbonne subsiste à Toucy pendant tout le XIXe siècle (Id. IV, p. 36, 38, 42).

(2) Bien que son nom ne soit donné par aucun document authentique, nous lui conservons celui d'Itier, en raison de l'usage des noms héréditaires à cette époque. Il est d'ailleurs impossible que ce fut lui qui fut encore seigneur de Toucy en 1060.

(3) Il soutenait même que Hugues avait été l'auteur de la seconde maison de Toucy et lui avait apporté les armes de Châtillon, ce que du Bouchet avait déjà réfuté l'hérédité des armoiries n'étant pas encore établie.


93 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 219

gener ejus Tociacensis eastri tune dominus (Cartulaire de l'Yonne, I.). Il n'était donc alors que gérant de cette seigneurie pour son jeune beau-frère Itier. Mort avant 1020.

2° Itier III, qui suit.

3° Etienne, disciple de Saint-Bernard, abbé de Fontemoy, en 1128, de Reigny, en 1134. Mort en 1162.

4° Hervé, chartreux en 1139. Mort en 1151.

5° Béatrix, épousa en 11.. Hugues de Thil.

6° Adeline, abbesse de Crisenon en 1140.

7° Alexandre vivait encore en 1163.

8° Garne épousa Geoffroy IV, seigneur de Donzy. Morte en 1178.

Itier III, seigneur de Toucy et de Puisaye. Mort en 1147, à la croisade, épousa Elisabeth... qui vivait encore en 1170, et en eut :

I. Narjot II, qui suit.

II. Sara, épousa Gibaud, seigneur de Saint Verain.

III. . .. épousa Renaud, seigneur de Pougy (Aube).

IV. Guy, qui vivait en 1160.

Narjot II, seigneur de Toucy, de Puisaye et de Bazarnes, alla à la croisade, en 1191, et y mourut en 1192. Il épousa Agnès de Dampierre, qui vivait encore en 1200, et eut Saint Fargeau pour son douaire. Ils eurent pour enfants :

1° Itier IV qui suit.

2° Jean, vivait en 1192. .

3° Mathilde, abbesse de Saint Julien d'Auxerre.

4° Anséric, auteur de la branche des seigneurs de Bazarnes, le Vault et Pierre Perthuis.

5° Narjot, auteur de la branche de la Terza, en Sicile.

Itier IV, seigneur de Toucy et de Puisaye, vicomte d'Auxerre en 1189 et 1194. Il accompagna Philippe-Auguste à la conquête de la Normandie, en 1206, et à Bouvines. En 1208 il était bicarius ou lieutenant du roi en Bourgogne. Il alla, en 1218, à la cinquième croisade et mourut la même année au siège de Damiette. Epousa:

1° Elisabeth. . . .

2° En 1207, Béatrix de Réon, dame de Gergy, veuve d'Alexandre de Bourgogne-Montagu. Elle eut Saint-Fargeau pour son douaire et vivait encore en 1236.

Du premier lit :

I. Jean, qui suit.

II. Othe ou Othon, eut pour fils :

Othon II, prit part à la dernière croisade de Saint-Louis, en


220 LA PUISAYE 94

Saint Louis, en 1269. Amiral de France en 1296, mort en octobre 1297. Il eut pour enfants :

1° Philippe, mort avant 1301.

2° Jeanne, épousa, vers 1297, Dreux de Mello, seigneur de Lormes et Château Chinon.

Jean, seigneur de Toucy et de Puisaye. En 1238, le roi lui confia la garde du château de Laval. Il avait été un des témoins des chartes d'affranchissement d'Auxerre et de Nevers. Jean prit part à la septième croisade, en 1250, et mourut outre mer en 1258. Il avait épousé, avant 1231, Emma, dame de Laval, fille de Guy VI de Laval et d'Avoise de Craon, et veuve : 1° de Robert III, comte d'Alençon ; 2° de Mathieu de Montmorency, connétable de France. Elle mourut en 1264. Jean en avait eu :

Jeanne, dame de Toucy et de Puisaye, épousa, en 1255, Thibaut III, comte de Bar. Elle devint veuve en 1291, et mourut en 1317.

Armes : de gueules à trois pals de vair, au chef d'or, chargé de quatre merlettes de gueules.

D'autres personnages ont porté le même nom et pourraient se rattacher à la maison de Toucy. Nous citerons parmi eux :

Narjot ou Norgaud, chanoine et archidiacre d'Auxerre, archidiacre de Langres en 1088, chantre puis évêque d'Autun en 1098. Mort le 14 mai 1112. (E. PETIT, Histoire des Ducs de Bourgogne, VII, p. 528).

I. Arnaud de Toucy, témoin de donations faites par Itier III de Toucy en 1120 et 1150. En 1160, il fit lui-même une donation à l'abbaye de Reigny (Cartulaire de l'Yonne, II). Il avait pour enfants :

1° Geoffroy, témoin de la donation de 1160.

2° Etienne, témoin de la donation de 1160.

3° Marie donna en 1164, à Reigny, le sixième du territoire de Toire.

IL Eudes, témoin des donations de 1150 et 1150. Il eut pour fils.

Girard, vivant en 1160.

Narjot Alexandre donna en 1162, à l'abbaye de Reigny sa part dans la terre de Toire (Cartulaire de l'Yonne, II). Il avait épousé Elisens et en avait eu :

Séguin, qui vivait en 1162 ;

Helvis de Toucy, dame de Diges, épousa avant 1201 Ponce de Mont Saint Jean, seigneur de Charny et Châtel-Censoir (E. PETIT, Histoire des Ducs de Bourgogne, II).


95 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 221

II GÉNÉALOGIE DE LA MAISON DE BAR

Thibaut II, comte de Bar, épousa, en 1255, Jeanne de Toucy, fille de Jean de Toucy et d'Emma de Laval, qui lui apporta la seigneurie de Puisaye. Thibaut mourut en 1291 et Jeanne en 1317. Ils avaient eu pour enfants :

I. Henri III, comte de Bar. Mort en 1302. Il avait épousé, en 1293, Eléonore d'Angleterre, dont : Edouard, comte de Bar, qui suit :

II. Jean, seigneur de Puisaye, d'après le partage de 1291. Mort après 1311, sans enfant, avait épousé, avant 1307, Jeanne de Dreux, veuve de Jean, comte de Roucy, qui eut pour son douaire la moitié de la Puisaye et mourut en 1323.

III. Erard, auteur de la branche de Pierrepont et Saint Amand qui suivra.

IV. Pierre, auteur de la branche de Pierrefort et Lavau, qui suivra.

Edouard, comte de Bar, seigneur de Puisaye en 1317. Mort en 1336 ; épousa en 1310 Marie, fille de Robert II, duc de Bourgogne. Il était à Saint Fargeau le 26 septembre 1329. Ils eurent pour fils :

Henri IV, comte de Bar, seigneur de Puisaye. Mort le 24 décembre 1344; avait épousé, en 1340, Yolande de Flandres, dame de Cassel, fille de Robert III, comte de Flandres, qui se remaria, en 1353, à Philippe de Navarre, comte de Longueville, mort en 1363.

Yolande mourut le 12 décembre 1395 et avait eu d'Henri de Bar :

I. Edouard II, comte de Bar. Mort en 1352.

II. Robert, duc de Bar en 1354, seigneur de Puisaye. Mort le 12 avril 1410, épousa en 1364 Marie de France, fille du roi Jean, qui mourut en 1404. Ils eurent :

1° Edouard III, duc de Bar, tué en 1415 à Azincourt. En 1412, Charles VI lui donna la Puisaye, confisquée sur son frère Jean.

2e Louis, qui suit.

3° Jean, baron de Toucy, seigneur de Puisaye, par le partage de 1409. Tué à Azincourt, en 1415, sans laisser d'enfant.

4° Yolande, épouse en 1384 Jean, roi d'Aragon.

5° Jeanne, épouse en 1394 Théodore, marquis de Montferrat.


222 LA PUISAYE 96

Louis, évêque de Langres en 1395, de Châlons en 1413, de Verdun en 1420. Cardinal en 1397. Il eut au partage de 1409 les seigneuries relevant de Donzy et devint seigneur du reste de la Puisaye en 1415. Mort en 1431, laissant ses seigneuries de Puisaye à son neveu, le marquis de Montferrat.

Armes : d'azur, semé de croix recroisettées d'or, au pied fiché, à deux Bars, adossés du même, brochant sur le tout.

BRANCHE DE PIERREPONT

Erard, seigneur de Pierrepont. Au partage de 1317, il eut une des cinq parts de la Puisaye, comprenant Saint-Amand, Busseron, etc.. Mort après 1335. Il avait épousé Ysabeau, fille de Thibaut, duc de Lorraine, dont :

I. Thibaut, qui suit,

II. Jean, seigneur de Saint Amand et Busseron en 1351. Mort avant 1361, avait épousé Catherine de Châtillon, dont :

Jeanne.

III. Ferry, seigneur de Saint Amand pour un tiers, en 1367 chanoine de Liège.

Thibaut, seigneur de Pierrepont, de Saint-Amand pour un tiers. Mort avant 1366 ; épousa, en 1340, Jeanne de Namur dont il eut :

1° Henriette, dame de Saint-Amand et Busseron pour un tiers, épouse avant 1369 Henri, comte de Petitepierre.

2° Yolande, dame de Pierrepont, épousa Othon, seigneur d'Arkel, en Hollande.

3° Yolande, dame de Saint Amand et Busseron pour un tiers, épousa, avant 1369, Eudes de Grancey.

Armes : de Bar au lambel de gueules.

BRANCHE DE PIERREFORT

Pierre, seigneur de Pierrefort. Il testa le 3 octobre 1345. En 1317, après la mort de Jeanne de Toucy, il hérita d'une des cinq parts de la seigneurie de Puisaye, composée de Lavau, Faverelles, Septfonds et Saint Privé. Il avait épousé Jeanne de Vienne, dont;

I. Henri, seigneur de Pierrefort, Lavau, Faverelles; la Coudre, en 1358. Mort en 1380. Il épousa, en 1342, Isabeau de Vergy, morte vers 1358. Ils eurent pour fils :

Pierre II, seigneur de Pierrefort, Lavau, Faverelles, la Coudre, Septfonds, Saint-Privé. Mort sans alliance en octobre 1380, et ses seigneuries échurent à Evrard, comte de Deux-Ponts, son cousin germain, qui les vendit, en 1384, au duc Robert de Ban

II. Jeanne, épousa Valleran, comte de Deux-Ponts.

Armes : de Bar à une bordure de gueules.


97 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 223

III

NOM DE LA PUISAYE

On a depuis longtemps formé des hypothèses très diverses sur l'origine du nom de la Puisaye : les uns lui cherchant une étymo logie celtique à une époque où on connaissait fort mal cette langue d'autres prétendant la trouver dans la nature du territoire lui-même. Personne ne s'inquiétait alors de rechercher les formes anciennes de ce nom qui ont étérelevées par M. Quantin (1), et que nous allons énumérer en faisant remarquer que les documents écrits dans des pays voisins ont pu être mal orthographiés.

La plus ancienne mention est celle donnée au VIIIe ou IXe siècle par les actes de Saint-Sanctien, au sujet du martyre de SaintPrix qu'ils disent avoir eu lieu dans la Silva quoe nuncupatur « Pusceia » (Bollandistes : 6 septembre).

En 1147, on trouva Poiseia (Cartulaire de l'Yonne, I p. 419), mais ce titre est suspect.

En 1161, Sanctus Salvator de « Puscio » (Cartulaire de l'Yonne, I p. 129).

En 1184, Piscia (Bibliothèque Nationale : Pièces originales de Courtenay, n° 36).

Vers 1201, Poisie (Livre des Vassaux de Champagne, p. 173), et Puisoie (Feoda Campanioe, n° 50).

Lebeuf (IV, p. 112), donne Puisegia en 1218, mais d'après un vidimus.

En 1259, Puseya (QUANTIN, Recueil de pièces, p. 286).

En 1291, Puisoye (Bibliothèque Nationale, Collection de Lorraine, vol. 234).

En 1316, Poysoye (Prèce jusiificative, V).

Nous relevons encore les formes Pusoie et Pousoie dans le cours du XIVe siècle, mais au XVe la forme Puisoya est bien établie.

En définitive, le nom primitif paraît avoir été Pouseia, l'u seul se prononçant ou.

(1) Dictionnaire topographique. Cartulaire de l'Yonne, II p. XXIX.


224 LA PUISAYE 98

IV

VALEUR DE LA SEIGNEURIE DE PUISAYE AU XIVe SIÈCLE

Il est très difficile d'estimer la valeur et même le revenu exact d'une grande seigneurie au Moyen Age, les documents étant en général trop succincts et n'offrant pas une comptabilité assez détaillée.

Néanmoins, nous allons essayer de tirer parti des quelques documents que nous possédons. En 1317, après la mort de Jean de Bar, seigneur de Puisaye, le douaire de Jeanne de Dreux, sa veuve, dut être liquidé (1). Il se composait de la jouissance de la châtellenie de Saint-Fargeau et de celle de la moitié de la seigneurie de Puisaye. Cette moitié fut alors accensée, ou comme nous dirions aujourd'hui affermée, par Jeanne de Dreux à ses beaux-frères pour la somme de 1.660 livres tournois, ce qui porterait la valeur de toute la seigneurie de Puisaye à plus de 5.000 livres de revenu,

En 1351, c'est le douaire de Yolande de Flandres qui est assigné sur la terre de Puisaye appartenant au comte Edouard son fils, c'est à dire Saint Fargeau, Toucy, Mézilles, Ronchères et Perreuse, à l'exclusion de Lavau, Saint-Amand, et des hautes futaies. Ce douaire est estimé 1701 livrées de terre, c'est-à-dire que le revenu en était de 1701 livres (2).

Si l'on considère séparément les châtellenies, celle de SaintFargeau rapporte en 1220 avec Ronchères, Saint-Privé, Mézilles et Septfonds, la somme de 371 livres de monnaie nivernaise, 11 muids de froment et 22 muids d'avoine (3).

Un siècle après, en 1323, Saint-Fargeau et Mézilles sont estimés environ 2.000 livrées de terre.

Pour Lavau, Pierre de Bar Pierrefort rendant en 1335 au comte de Nevers son aveu pour les terres de Lavau et Faverelles, en estime le revenu à 450 livres tournois, plus 200 livres tournois pour le cinquième par indivis des grands bois de Puisaye, sans compter les profits des fiefs (4).

En 1348, il assigna pour- remploi de la dot de sa belle-fille,

(1) Pièces justificatives, VI.

(2) Collection de Lorraine, 237, n° 13.

(3) Pièces justificatives, I.

(4) Pièces justificatives, XI.


99 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 225

Isabelle de Vergy, 400 livrées de terre sur la terre et seigneurie de Lavau, en se réservant tous les bois, ce qui revient à la même estimation.

Enfin, en 1352, Henri de Bar Pierrefort, fils de Pierre, loue à Othon de Poitiers, ancien évêque de Verdun, ses terres de Lavau et Septfonds, à la réserve des hautes futaies, et sous diverses charges, moyennant 1120 livres (1).

V

ENGAGEMENT DE LA PUISAYE AU COMTE D'AUXERRE-CHALON

D'après l'abbé Lebeuf (2), Marguerite, fille aînée de Jean II de Chalon, comte d'Auxerre, et de sa première femme, Marie de Genève, prenait le titre de dame de Toucy et de Puisaye. Elle épousa en 1329, à l'âge de dix ans, Jean de Savoie Vaud, fut émancipée par son père, en 1333, et mourut sans enfants en 1378. Selon M. E. Petit, elle aurait épousé en secondes noces Henri de Vienne, seigneur d'Antigny.

Comme nous savons que pendant tout le XIVe siècle la Puisaye appartint sans interruption à la maison de Bar et qu'il n'existe aucun lien de parenté entre Marguerite de Chalon et cette maison, on ne peut comprendre comment elle pouvait prétendre être dame de Toucy et de Puisaye.

D'un autre côté, un acte des archives de l'Yonne. H 1179, daté de 1333, et deux actes de la collection de Lorraine, de 1335 et 1338, sont donnés par un « prévôt de Thuri et de Puisaye pour le comte d'Auxerre ».

Il résulte de ces faits que Jean II de Chalon, comte d'Auxerre de 1308 à 1346, eut la jouissance d'une partie au moins de la Puisaye, mais à quel titre? Nous pensons que ce peut être par suite d'un engagement. On sait que l'engagement était une alié nation temporaire d'une seigneurie que le vendeur pouvait reprendre en remboursant l'acquéreur comme dans une vente à réméré.

Il est donc possible que le comte Edouard de Bar, qui fut seigneur de Puisaye de 1317 à 1336, en ait aliéné ainsi une partie qui aura été plus tard reprise par son fils Henri. Il ne la considé(1)

considé(1) de du Fourny.

(2) Mémoires sur l'Histoire d'Auxerre III p. 224.


226 LA PUISAYE 100

rait que comme une propriété de rapport, et sa présence n'y est signalée qu'une fois en 1329.

On sait d'ailleurs qu'à la suite du partage de la Puisaye et du règlement du douaire de la comtesse de Roucy, veuve de Jean de Bar, Edouard eut des contestations financières avec ses oncles de Pierrefort et de Pierrepont. Plus tard, l'expédition en Orient, où il trouva la mort en 1336, dut lui causer de grands besoins d'argent. C'est peut être là l'origine de cet engagement.

En tout cas, l'ingérence du comte d'Auxerre dans la seigneurie de Puisaye cessa bientôt, et depuis lors resta toujours réunie dans la même main.

VI

BAILLYS DE PUISAYE

1265, Pierre de Bar, sergent du comte de Bar et bailli de Puisaye.

1266, Macé de Ratilly, commandement en Puisaye pour le comte de Bar.

Avant 1278, Jean de la Breuille, bailli du comte de Bar en Puisaye.

1308 à 1318, Jean l'Ermite, bailli de Puisaye pour la famille de Bar.

Vers 1323, Perrot Juste, bailli pour le comte de Bar.

1329, Nicolas de Cloyes, bailli et receveur de Puisaye.

1335 à 1355, Guillaume Lorens, bailli de Puisaye.

135., Etienne Le Maire, bailli de Puisaye.

Avant 1370, Pierre Mirouer, bailli de Puisaye pour Yolande de Flandres.

1370, Gilles de Cloyes, bailli de Puisaye pour la même, ne l'était plus en 1375.

Avant 1378, Jehan de Revigny, bailli pour la même.

1384, Pierre Miroer, bailli pour Yolande de Flandres.

1385 à 1388, le même, bailli pour le duc de Bar.

1402, Jean Thévenon, procureur général de Marie de France, duchesse de Bar, pour sa terre de Puisaye.


101

SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR

227

VII

DICTIONNAIRE DES TERMES INÉDITS QUI NE SE TROUVENT NI DANS DA CANGS NI DANS SAINTE-PALLAYE

Abevrouer ou esbeuvrouer

(abreuvoir). Annéugi (droit d'aînesse). Campene (campagne, champs). Foiche, bois de haulte foiche

(futaie). Fruige (friche). Manaige ou menaige (maison

avec ses dépendances.

Mitanche (méteil).

Mouyoye (endroit humide),

(mouillère en patois de la

Puisaye). Mygeleu (milieu), Ocherie (tenure sans maison). Prel (pré).

Yllette de pré (parcelle de pré). Zeue ou Reue (abreuvoir).

VIII

LISTE DES FIEFS

Nous donnons ci-dessous la liste des fiefs de la seigneurie de Puisaye, distingués par châtellenies. Comme dans le reste de ce travail nous n'avons relevé que les fiefs connus avant 1430, mais il faut remarquer qu'un certain nombre d'entre eux ont disparu à la suite de la guerre de cent ans et que d'autres ont changé de nom. Nous n'indiquons que les fiefs dont on peut connaître la situation avec quelque certitude.

Châtellenie de Toucy (80 fiefs)

Les Agnons (Moulins).

Les Allins (Moulins).

Arran (Toucy).

Arthé.

Les Baillis (Toucy).

Bâle (Parly).

Les Bardines ou les Bardineries

Bardineries Bazarnes. Arrière-fief, le Lac-Sauvin ( Arcysur-Cure).

Arcysur-Cure). Bazins (Toucy). La Borde (Leugny).

Le Bourneau (La Ferté-Loupière).

Ferté-Loupière). (Nièvre). Briant (Fontaines). Les Briaux (Toucy). La Brosse (Sementron). La Bruyère (Dracy). Le Buisson-Saint-Vrain (La

Villotte). Champeaux (Dracy). Champlay. Un fief à Charbuy. Le Charmoy (Leugny).


228

LA PUISAYE

102

Charreau (Grandchamp).

Châtres (Moulins).

Chauminet (Lalande).

Le Chesnoy (Levis).

Chièvre (Levis).

Chivres (commune de Courcelles

Courcelles Cornot (Sementron). Dracy.

Duenne (Ouanne). Eschalestes (Saint-Sauveur). Fleury (un fief à). Fontaines.

Fontenay-sous-Fouronnes. Forêt (Sementron). Forêts (Leugny). Les Fouets (Dracy). Les Fourneaux (Lalande). Les Fourneaux (Dracy). Fours (Toucy). Frégerbaut (Dracy). La Geneste (Dracy). Grandchamp (en partie). La Grange-aux-Roys (Grand

champ). Les Guérins (Moulins). La Haie (la Villotte). Le Jaffot (Toucy). Juilly (Merry-la-Vallée). Lalande. Le Grand Longueron (Champlay).

(Champlay).

Deux fiels à Mainjoint (Fontaines).

Maulmont (Merry la Vallée). Maurepas (Merry-la-Vallée). La Mazure.

Meillier (Saint Aubin Châteauneuf). Le Montoi (Grandchamp) Montreparé (Lainsecq). La Motte de Champelou (Leu

gny).

Moulins.

Paroy (Oisy (Nièvre).

Les Pichons (Moulins).

La Platière (Fontaines).

Pont Marquis (Moulins).

Les Rameaux (Lalande).

Arrière - fief Vaurobert (Lalande).

Le Grand Richebourg (Sementron).

Le Sablon (Levis).

Sainte Pallaye.

Sauilly.

Arrière-fief, le Petit Sauilly.

Le Saussois (Fontaines).

Trucy l'Orgueilleux (Nièvre).

Vauvillon (Grandchamp).

Vaux (Merry-la-Vallée).

Vermenton (un fief à).

Vieuxchamps (Charbuy).

Villemorin (Dracy).

Dîmes de Villiers-Saint-Benoît.

Villot (Villiers Saint-Benoît).

La Villotte.

Vrilly (Somme).

Châtellenie de Saint-Fargeau (46 fiefs)

Archambaut ou la Masure au Nain (Saint-Fargeau).

Blandy.

Bléneau.

Bouza ou la Grange-Colemier (Saint-Privé).

Le Buisson ou la Cour Buisson (Saint-Martin).

Charbonnières (Saint-Fargeau).

Le Chêne - Pouilleux (SaintMartin).

Le Chêne-Rond (Saint-Sauveur).


103

SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR

229'

Le Chesnoy (Saint-Fargeau).

La Cocherie (Saint-Martin).

La Cormerie (Bléneau).

Le Coudray (Bléneau).

Dannery (Septfonds).

Les Forêts Regnaud (Saint Martin).

Les Foussottes.

La Garenne Noir Epinoy.

La Gaufrerie (Bléneau).

La Grange Rouge (Bléneau).

Guillemeau (Saint Fargeau).

La Guiotière ou Guioterie (SaintMartin).

Laulnay (Saint Privé).

Louesme.

Arrière fief le Barbet (Grandchamps).

Arrière - fief de Mezancelles (Champignelles).

Machecourt (Saint-Martin).

Les Mairottes (Saint Martin).

Malrepas (Saint Privé).

Le Metz en partie (St-Sauveur).

Micy.

Montréal (Ronchères).

Les Morillons ou la Morellerie (Saint-Martin).

La Motte de Mézilles ou la Motte Pouceaux.

La Motte Levault.

La Motte de Saint-Privé.

La Paillarderie (Thon).

Le Plessis Naullet ou les Naullets (Saint Martin).

Les Poussifs ou le Grand Boulin (Saint-Martin).

Rente sur la prévôté de SaintFargeau.

Ratilly.

Arrière-fief le Boissenet (Trei

gny).

Arrière fief Guédelon (Treigny).

Ronchères.

Arrière fief, le fief Testu ou la

Bardinière. Les Salles (Bléneau). Saint-Martin des-Champs. Saint-Privé. Septfonds. Tannerre.

Arrière fief les Arcis (Tannerre). Arrière-fief Chassenay ou Champlay

Champlay La Gibardière (Champignelles). Morfontaine (Champignelles). Le Mouton (Tannerre). Vacheresse (Tannerre). La Trémellerie (Saint Privé). Villars (Champignelles).

Châtellenie de Perreuse, relevant de Donzy (46 fiefs)

Beaulche.

Arrière fief, Fontaine Madame. La Breuille (trois fiefs à). La Bruyère (Treigny). La Carouble (Sainpuits). Champfremeux (Sainpuits). Le grand Charroux (SainteColombe). Chassin (trois fiefs à).

La Chaume (Perreuse), deux

fiefs. Le Chêne du Pendu (Perreuse). Les Chéseaux (Treigny). Arrière-fief, Ruy. La Coudray ou Mont Coudray

(Perreuse). La Cour d'Argent. Courcelles (Nièvre).


230

LA PUISAYE

104

La Folletière ou le fief des

Forestiers. Perreuse (deux fiefs). La Forêt Dardeau (Sainpuits). Fougilet (trois fiefs). Le Gué (Sainte Colombe). Guerchy. Autre fief, aujourd'hui la Bussière.

Bussière. Machecourt. Mauclair. Le Mée (Sainpuits). Montreparé. Morennes. La Motte (Sainte-Colombe).

Moulin Paillard.

Les Noues.

Perchin (Treigny).

Perreuse (ventes, tavernages et

péage de). Sainte Colombe. Les Simonneaux (Lain). Test-Milon. Treigny.

Treigny (péage de). Vanneau (Sainte-Colombe). Vau Vermain (Perreuse). Villerol (Sainte Colombe). Rivière d'Yonne, entre Cravant

et Auxerre.

Châtellenie de Saint-Amand, relevant de Donzy

Busseron. Angeliers (Dampierre).

Varennes (Saint Amand).

Châtellenie de Lavau, relevant de Donzy (16 fiefs).

Les Avenières.

Beaujarry (Faverelles).

Le Bois (Faverelles).

La Coudre (Faverelles).

Foizeau (Faverelles).

Four banal de Lavau.

La Grange Arthuis.

La Grange des Ferriers (Lavau).

Le Martroy (Faverelles).

Le Moulin Neuf.

L'Ouche au Picart (Lavau).

Le Pré Vincent.

La Paillarderie (Thon).

La Queue de Ravault.

La Terrefort (Lavau).

Châtellenie de Mézilles, relevant de Saint Fargeau (15 fiefs)

Berry (Mézilles).

Bressoy (Mézilles).

La Chapellerie (Mézilles).

Le Fort d'Assigny ou la Motte

de Nesvoy. Les Grenous (Mézilles). La Guespière (Mézilles). La Guilloterie (Mézilles).

Les Mazures. Misière (Mézilles). Nailly (Mézilles). Le Portail (Mézilles). Les Prunelles (Mézilles). Rome (Mézilles). Simbaut (Mézilles). Vessy (Mézilles).


105 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 231

Châtellenie de Bléneau, relevant de Saint Fargeau (18 fiefs)

La Bastière ou le fief de Pric

Champcevrais). Blandy (Saint - Martin - des

Champs). Bournonville ou Boulenville

(Bléneau). Bourron (Champignelles). La Bretauche (Bléneau). Le Coldargenture (Bléneau). Le Coudray (Bléneau).

Les Guays (Bléneau). La Guiardère (Bléneau). La Marinière (Bléneau). Les Moulins Havez (Bléneau). La Naquerie (Bléneau). La Paillardière (Bléneau). La Reboursère (Bléneau). La Simonnière. La Tribaudellerie.

PIECES JUSTIFICATIVES

I

Vers 1220.

Etat de la châtellenie de Saint-Fargeau et estimation de ses revenus

Sanctus Ferreolus, videlicet hoc quod dominus habet in castellania, Roncheria, Mesiles, Setfonz, et eorum justifia : Sanctus Privatus boscum et planum ; illud quod dominus habet in riparia de Mostiers, et hoc quod habet ad Boraz (1) et ad Cheine Poilous (2).

Domanium valet : in denariis IIIc et LXI libras de fortibus Nivernensibus, sine explotis (3) terrae ; bladi, XI modios frumenti et XXII modios avenae ad mensuram Senonensem.

Dominus Eufredus de Vova tenet... (sic) Sancfi Ferreoli in feodo ligeris quidquid domina de Malrepast et fratres sui tenent in castelliana Sancti Ferreoli, excepta domo forti quam domina de Malrepast tenet ab eodem domino. Dominus Hugo de Apiniau tenet ab eodem domino domum de Mota, et terram de Mici (4), qua partitur ad dominum Willhelmum de Blenello. Dominus Stephanus de Bretello (5), Bretellum, et quod alius ibidem tenet de eo. Dominus Willelmus de Blenello, terram de Misi, et quidquid tenet ibi in bosco et in piano. Dominus Gaufridus Presbiter, quicquid habet ad Sanctum Privatum, exceptis VII denariis censualibus. Dominus Simon Cato, medietatem

(1) Bouza, ferme, commune de Saint-Privé.

(2) Le Chêne Pouilleux, fief à Saint Martin-des Champs.

(3) Amendes judiciaires.

(4) Territoire entre Bléneau et Villeneuve les Genêts.

(5) Breteau.


232 LA PUISAYE 106

omnium quae habet inter duas riparias (1), et quicquid dominus Stephanus Roissiax habet in décima de Mici et ad Sanctum Privatum, et piscariam aquae Sancti Ferreoli. Dominus Henricus Grenoille, quicquid habet ad Mici et medietatem molendini Fabri et domum suam. Dominus Renaldus de Baali, quicquid habet in castellania Sancti Ferreoli, excepto feodo de Cruz. Dominus Gaufridus de Malicorne, quod habet ad Tonnourre, ad Loime, ad Blaurein (2), ad Bruiant, in haiis de Gratecamp, ad Cortum et ad Linières (3). Dominus Guido de Porta terram de Jafeit de Mesiles. Dominus Willelmus li Bas terram de Chanoi, molendinum de Brociu, unam noam, et terram quam Stephanus Gallus tenet de eo ad censura,

Dominus Lienus de Chassein, quicquid tenet ad Mesilas. Dominus Stephanus Gallus, quicquid tenet ad Monboolen, et quod ibi tenetur ab eodem. Dominus Renaldus de Coldreio, firmitatem de Kateli, et quicquid habet infra fossata. Dominus Stephanus Goberti, terciam partem de hoc quod habet ad Roncherias.

Dominus Robertus de Cortenai, feodum de Blenello et feodum de Malicorne. Dominus Henricus Mal a Corona XL solidos de redditu in stallis carnificum Sancti Ferreoli. Petrinus de Mesiles quicquid habet ad Mesilas. Dominus Willelmus de Coldra duas partes de Roncheriis quas Stephanus Gober tenet ab eodem. Henricus Botaut, quicquid habet ad Monboolen. Dominus Renaldus de Castro Renardi, quod habet ad Sanctum Privatum et quicquid Willelmus de Coldroi et Guido de Fontenai, milites, tenent ibi ab eodem. Simon Collum Argenti, quod Willelmus de Sancto Martino capit in grangia domini Hugonis de Apineto et duo tenementa. Gaufridus Limerat, domum suam et sex ostisias (4). Dominus Willelmus de Oenna (5), quicquid habet ad Mesilas et in castellania Sancti Ferreoli. Perrinus Grenoille, quicquid tenet ad Chardonneries. Odinus Sarradins terragium de Setfonz, et firmitatem quamdiu domino placuerit. Gaufridus de Barro, quicquid habet ad Mesilas.

Recueil des Historiens de France, XXIII, p. 663.

Fiefs du bailliage de Sens sous Etienne de Hautvilliers.

(1) Le Loing et le ruisseau de Bourdon.

(2) Beaurem, commune de Champignelles.

(3) Lignières, commune de Champignelles..

(4) Maisons des Hospites.

(5) Ouanne).


107 SOUS DES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 233

II

1241, janvier (1242, nau st.).

Echange de serfs et de droits seigneuriaux entre le Prieuré de Moutiers

et Jean de Toucy

Omnibus prasentes litteras inspecturis, frater Galterius (1), humilis Abbas Sancti Germani Autissiodorensis, salutem in Domino. Noveritis quod de assensu et voluntate nostra et conventi nostri, Prior et conventus de Monasteriis ex una parte, et nobilis vir Johannes, dominus Tociaci, ex altera, talem inter ipsos fecerunt permutationem : videlicet quod dicti Prior et conventus de Monasteriis concesserunt dicto nobili et heredibus ejus, et in perpetuum quitaverunt hommes Prio ratus de Monasteriis subnotatos et tenementa eorumdem, et quidquid ipsi Prior et conventus habebant in illis, videlicet Gaufridum Roger, Guillelmum serourium ejus habitantes circa Petrosam, item, Challo tum des Aubues, Renaudum filium ejus, Iterium de Valgrelant, Gaufridum et Guillelmum filios defuncti Preoultear, Iterium filium defuncti Villain, la Robiue, Andream generum ipsius, Gaufridum filium defuncti Vallucentis (2), Stephanum generum ipsius et Challotum de Valgrelant, habitantes in Valgrelant ; item, les Martinois (3), scilicet Renaudum album, Gaufridum, Guillou et Guiardum Martini, habitantes in terra de Chessein. Item homines habitantes in Champlain, scilicel Johannem de Champlain et Elisabet, sororiam ejus. Dictus vero Johannes, dominus Tociaci, per haec concessit et quitatione quitavit et concessit dictis Priori et conventui de Monasteriis novem modios avene quos de bianno in biannium habebat in questa (4), super homines dictorum Prioris et conventus de Monasteriis de Ripparia. Item, quitavit idem Johannes et concessit nobis et successoribus nostris feodum suum quod Stephanus de Mailliaco, armigerum, et quicumque alii tenebant ab ipso Johanne, videlicet totam decimam de Ripparia ; de quo feodo de voluntate et mandato dicti Johannis idem Stephanus fecit nobis homagium et successores ejusdem Stephani et quicumque de cetero aliquid percipiunt in tota dicta decima nobis et successoribus nostris homagium facere tenebuntur in futurum, vel dictus Stephanus de Mailliaco, seu successores ejus, pro illis dictum homagium nobis et successoribus nostris in posterum facere tenebuntur. Dictus vero Stephanus de Mailliaco eamdem decimam quam a nobis de mandato et voluntate dicti Johannis, domini Tociaci, acceperat in feodum

(1) Gautier Bérard.

(2) Vauluisant.

(3) D où la Marcinerie ?

(4) Bulletin. Soc. Se. Y., 180, p. 13.


234 LA PUISAYE 108

nobis pro centum et viginti libris par pignori obligavit; de quibus centum et viginti libris par dictus Stephanus in pecunia numerata se coram nobis tenuit pro pagato. Dictus autem Johannes, dominus Tociaci, tenetur compellere dictum Stephanum de Mailliaco quod ipse inducat fratres suos et quoscumque alios habentes vel reclamantes aliquid in tota dicta décima ad omnia laudanda quae supra sunt expressa. Ut autem haec permutacio rata et firma in perpetuum habeatur in posterum, praesentem cartam sigilli nostri munimine fecimus roborari. Actum anno Do mini MeCCe quadragesimo primo, mense januario. Scelléd autrefois.

Collection de Lorraine, vol. 199, coté France, n° 8.

III 1271, juillet.

Reconnaissance par Thibaut, comte de Bar, et Jeanne de Toucy, sa femme, du droit de portaye de l'évêque d'Auxerre

Nous Thiébaus, cuens de Bar le Duc, sire de Saint Fergeaulx, à tous ceux qui verront ces présentes lettres, salut. Saichent tuit que nous, pour raison dou fié de Toucy et des aultres chouses que nous tenons en fié et en hommaige de l'Evesque d'Auceurre, lesqueles chouses meuvent dou chief nostre chière feme, Johanne Duchesse (sic) de Bar, et nostre hoir qui tenroient la terre de Tocy et les aultres chouses qui mueuvent de son fié, soemes tenus à porter l'Evesque d'Auceurre quiconque soit, le jour de son inthronization à Auceurre. En tesmoingnaige de laquele chouse nous avons pendu nostre seaul en ces présentes lestres. Et nous Johanne, comtesse de Bar; de cui chief ces chouses mueuvent, en tesmoingnaige de ceste chous avons mis nostre seaul avec le seaul nostre chier signor. Ce fut faict en l'an de l'Incarnation nostre Signor XIIe LXXI, au mois de juignet.

DUCHESNE, Histoire de la Maison de Bar, preuves, p. 36.

IV 1305, 27 janvier (1306, nau st.).

Partage fait par Jeanne de Toucy entre ses enfants

Nous, Johanne de Toci, contesse de Bar, jadis dame de Puisoye, faisons assavoir à tous ceux qui ces lettres verront, que corne nostre, chier et amé enfant se fussent soumis par leur serment à nostre ordenance et voulenté de tout le droit qu'ils avoient ou povoient avoir, fust de par nostre chier et amé seignour compaignon Monseigneur le conte Thiébaus, fust de par nous, nous, diligeanment pourveue et appensée du droit qui pouit à ung chacun d'eus apartenir, tant par le


109 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 235

devant dit nostre chier seigneur et compaignon leur père come de par nous, dou consoil des preud'homes les partismes et devisasmes, lesqueles parties ils reçueurent paisiblement et amiablement et se tinreut pour bien paie. Auquel partage il fust ordené et accordé que Jehans, nostre fils, sire de Puisoie, auroit pour son partage toute la terre de Puisoie et les apartenances, après nostre décez .. .. (énumération des parts des autres)

Donné à Buisseron, en l'an de grâce MCCCV, le jeudy devant la Purification Nostre-Dame.

DUCHESNE, Histoire de la Maison de Bar, preuves, p. 43.

V

Etat des coupes des bois de Puisaye, en 1316 et des payements à recevoir en cette année pour Jeanne de Toucy

C'est ceu que l'on doit des vantes des bois de Poysoye des payemanz qui sunt à avenir en la menière qu'il au sit en cest escript.

(1° Futaies)

1. De V erpens, III quartiers et X quarreaus dou boys de Bruil erber (1), vandu Estienne Cournau, demeure ung payement de IIIIxx et XI livres X sols à payer au Landiz (2) lan de IIIe et XVI.

2. De LXVI erpanz dou boys de la Genetière (3), vendu à Gilet, frère Mayeu, à Guillaume Mellin, et à Guillaume Louvet, dont li payemanz montèrent mil et Vc livres tournois et XLV livres pour ung anniaul à la partie ma dame et LXXVII livres V sols pour lou vin, et VIIIxx II livres et unes quarterées de cire qui furent asené ou Baillif de Clermont (4) en la menière qu'il est contenu ou registre.

3. Dou boison danviron la greinche de Nesvoy (5), vandu à Guillaume Saunier, Guillaume Charnier (?), Guillaume... (effacé),... Moriset (?) lou maréchaut de Thouci, demeure ung payement de XXV livres à payer au Landiz l'an de III° et XVI.

4. De X erpanz et XX quarreaus pris ès vantes de Pequeus (6), vandu à Regnaudin et à Bri... (demeure) II payement chacun de XXX livres

et XII sols à payer au Landiz lan IIIe et XVI de la Saint Ladre, amprès.

5. De II erpanz et XXXVI quarreaus pris ès vantes de Pequeus,

(1) Breuillambert (Saint Fargeau).

(2) Le 11 juin.

(3) Jean de Bar avait acheté, en 1306, les bois de la Genétière.

(4) Colet de Bar, bailli de Clermont en Argonne. 5) La Motte de Nesvoy (?).

(6) Poqueux en 1390, près de Beaujarry.


236 LA PUISAYE 110

vandu à Jehannot lou fil maistre P... (effacé)... de la Vaul, demeure ung payement de XIIII livres, III sols, III deniers, à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

6. De VIII erpanz pris ou Bruil erbert et de XII chaignes pris au la cingle (1) dou gros boys, don la somme monta VIIxx XII livres et VII livres XII sols pour lou vin, et XVI livres de cire, demeure III payemanz chacun de XXXVIII livres à payer au Landiz lan de IIIe et XVI, et à la Saint Ladre et au Landiz amprès.

7. De VIII erpanz pris ou Bruil Erbert. vandu à Estiene Tournu, demeure II payemanz chacun de L livres à payer au Landiz lan de IIP et XVI, et à la Saint-Ladre amprès.

8. De ung erpant et XL quarreaus pris vers la loge fu Galart, vandu à Guillaume Courmière et Perreau Miser, demeure ung payement de XVIII livres, III sols et III deniers, à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

9. De III erpanz pris ès vantes de Pequeus, vandu à Guillaume lou fil Velefrère de la Vaul, demeure ung payemant de XIX livres X sols à payer à la Saint Ladre lan de IIIe et XVI.

10. De II erpanz pris ès vantes de Pequeux, vandu à Jehannot lou fil maistre Pierre, demeure ung payement de XIIII livres et X sols à payer à la Saint-Ladre lan de IIIe et XVI.

11. De ung erpant et X quarreaux pris androit la noue Guillin, vandu à Gillot frère Meni (?), demeure ung payement de CV sols et demi livre de cire à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

12. De II erpanz et X quarreaus pris ès vantes de Pequeux vanduz à Thévenin fiz au Richevilein, demeure ung paiemant de XIIII livres et XIIII sols à payer à la Saint-Ladre, lan de IIP et XVI.

13. De ung erpant et demi pris ès quailles vandu à Huguet le Tant, demeure ung payement de 15 livres à payer au Landiz lan de IIIe et XVI ; lesqueles sont asenées à Regnaut Rapherin, que Madame li devoit pour ung anniaul.

14 De X erpanz, ung quartier et IX quarreaus dou boys devant Plein Merchis, vanduz ès diz moeues VIIxx XV livres et II sols et VII livres et XV sols pour lou vin, et XVI livres et 1 quartiers de cire, don li payemanz sont encore à asener.

15. De II erpanz pris en Bruil Erbert, vandu à Huguet le Taut LX livres et LX sols pour lou vin, et VI livres I carriers de cire à payer la moytié au Landiz lan de IIIe et XVI, et lou vin et la cire et l'autre moytié à la Saint-Ladre amprès qui sunt assené és Lonbarz.

16. De XIIII erpanz et XL quarreaus dou boys de Bruil Herbert, vandu à Perrin Pitaut III livres et LX livres et XVIII livres pour lou vin et XXXVII livres III quartiers de cire à payer à VI payemanz, lou premier au Landiz lan de IIIe et XVI, et à Sainz Ladres et aus Landiz ansiganz ; tuit sunt asené ès Lonbarz.

(1) Enceinte.


111 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 237

17. De XXV erpanz et I quartier dou boys de la Genetière, vanduz à Guillaume Mellin et à Guillaume le Rétif et à Perreau Lami V s.t. et C sols et XXIII livres pour les annaus à la pertie ma dame, et XXVI livres IX sols pour lou vin et LV livres et demie de cire, qui sunt tout aseinés ou Baillif de Clermont.

18. De XII erpanz et XXXVI quarreaus dou boys de Bruil Erbert, vandu à Estienne Courmière III livres tournois et XV livres pour lou vin et XXX et une livre et demie de cire qui sunt assené à Lonbarz.

19. De 11 erpanz et demie dou boys de la Fonteine de Crolecu, vanduz à Perreau Miser, demeure I payement de XX livres à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

20. De III quartiers et VI quarreaus pris lez les Foullées au curé de La Vaul, vandu à Raoulin Paulievé, demeure ung payement XVI livres et VI sols pour lou vin, et demie livre et demi cartiers de cire à payer au Landiz lan de IIP et XVI.

21. De XIII erpans dou boys qui fut Thévenin Monte, vandu à Henri Guilenon de Moutiers, demeure II payemanz checun de XXIIII livres et X sols à paier au Landit lan de IIIe et XVI, à la Saint-Ladre amprès et XLIX sols por lou vin et V livres et demi quartiers de cire au premier payement.

22. De X charretées de bûches prises ou fagotiz dou four, vandu Estiene Auberon, demeure ung payement de XXV sols à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

23. De ung chaigne que li vanz avoit abatu ou boysson à la Bourele, vandu à Colin Armand, demeure un payement de XXV sols à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

24. De IIII erpanz, III quartiers et IX quarreaus dou boys de Coinches, vandu à Colin Paulevé, demeure ung payement de XXIIII livres IIII sols et XXIIII sols II deniers et O (obole ?) por lou vin, et II livres et demie livre de cire, à paier à la Saint-Ladre lan de IIIe et XVI.

25. De nng erpant III quartiers don Gaterz de Bouis que la confesse de Rouci et li curez de la Val avoyent fait, vandu à Jamain Jobelot, demeure ung payement de XV livres et XV sols por lou vin et une livre et demie de cire à payer à la Saint Ladre lan de IIIe et XVI.

26. De III (?) fouleiz que li moene de Roches avoyent fait à Pequeus, vandu à Guillaume Velefrère, demeure II payemanz checun de X livres à payer au Landiz lan de IIIe et XVI et à la Saint Ladre, lan de IIIe et XVII, et XX sols pour lou vin, et II livres de cire au premier payemant.

27. De IIII chaignes ses (secs) pris ou boysson à la Bourelle pour fere buche, vandu à Morreau, demeure ung payement de XXV sols et XVIII deniers por lou vin, et demi cartiers de cire, à paier a la SaintLadre lan de IIIe et XVI.

28. De III erpanz et XXII quarreaus dou boys au droit la maison Regnaut Léger, vandu à Pierres Lou, demeure ung payement de


238 LA PUISAYE 112

XXII livres et IIII sols et XXX sols por lou vin et III livres et ung cartiers et demi de cire à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

29. De V erpanz, III quartiers et XX quarreaus dou boys de Pequeus, vandus à Guillaume Velefrère, demeure III payemanz checun de XXVI livres VIII sols VIII deniers à payer à la Saint Ladre lan de IIIe et XVI, et au Landiz et à la Saint Ladre aussigant, et LXXIX sols IIII deniers por lou vin, et VIII livres ung cartiers et demi de cire au premier payemant.

30. De II erpenz dou boys de Pequeux, pris lez les Bruères, vandu à Thinaut de la Vaul, demeure ung payement de X livres à payer au Landiz lan de IIIe et XVII.

31. De ung erpant de boys pris ès vantes de Pequeux, donné à I de Beauleu (1) par ma dame et par mon signour Pierre de Bar pour ceu qui quita ma dame dou merchief de III livres pour les vins quil avoit vanduz qui estoit trop chiers.

(D'après cette pièce, le prix d'un arpent de haute futaie paraît avoir été, vers 1315, d'environ 25 à 30 livres tournois, c'est-à-dire de 1750 à 2.100 francs au pouvoir de l'argent en 1900).

D'après ce compte, il y avait 530 livres (37.100 francs) à recevoir au Landit (11 juin) 1316, et environ 400 livres (28.000 francs) à la SaintLadre (2 septembre) suivant.

(II° Revenues (ou taillis)

Revenues vandues dont li payement sont à avenir en la menière qui sansit :

32. De VIxx erpanz et ung quartier et demi dou boys de Male Queronne (2) vandu à Teniol de Villiers demeure ung payement de XL livres 11 sols VI deniers à payer au Landi lan de IIIe et XVI.

33. De XXXVI erpanz des revenues de Montmaien (3), vanduz à Thévenin Belot de Tez (4), demeuré II payemanz, checun de X livres à payer à la Toussainz lan de IIIe et XVI, et à la Toussainz lan de IIIe et XVII.

34. De XXIIII erpans et ung quartier dou boys dedanz les pailiz de Touchevaul, vandu à Guillaume Vequot, demeure ung payemant de VI livres et XV deniers à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

35. De XIII erpanz demi et demi quartier dou boys de Mici (5), vandu à Thévenin-Signiart, lou tissier de Setfonz, demeure ung payement de VI livres XVI sols et III deniers à paier au Landiz lan de IIIe et XVI,

36. De XIIII erpanz et demi quartier dou boys de Mici, vandu à Perreaul, fil Pereefer de Mesilles, demeure ung payement de VII livres et XVIII sols X deniers à paier au Landiz lan de IIP et XVI.

(1) Beaulieu (Loiret).

(2) Bote des Malcouronnes (Bléneau).

(3) Bois de Montmoyen (Sainpuits).

(4) Etais.

(5) Mici, entre Saint-Privé et Villeneuve-les-Genêts.


113 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 239

37. De la aye (haie) Mimier, vandue au gros Asale, lou potier de Saint-Amant, demeure ung paiement de C sols à payer à la SaintLadre, lan de IIIe et XVI.

38. De XX et III erpanz et demi quartier dou boys de Mici, vandu à Lorant, lou charbonier de Blenel, demeure II payemanz, chacun de X livres XV sols et X deniers à payer au Landiz lan de IIIe et XVI, et à la Saint-Ladre ausigant.

39. De cent et IIII erpanz, ung quartier et demi dou boys des Plein, chettes, vandu à Regnaudin de Saint Bris, demeure ung payement de X livres VIII sols IX deniers à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

40. De IIII erpanz dou boys de Tronçoy (1), vandu à mon signour Micheaul de Mésilles, demeure ung payement de VIII livres et VIII sols por lou vin, et III quarterées et demi de cire à paier au Landiz lan de IIIe et XVI.

41. De ung arpent dou boys de Troncoy vandu à la fame fu Martin de Mésilles, demeure ung payemant de XL sols et II sols por lou vin, et une quarterée de cire à paier lan de III et XVI.

42. De II erpanz dou boys de Troncoy, vendu à Huguenin lou Borgoing de Mésilles, demeure ung payement de L sol à paier au Landiz lan de IIIe et XVI.

43. IIc XXVI erpanz et III quartiers dou boys de l'Ermitage (2), vanduz à Jehan Joli de Thoci, demeure VII payemanz, checun payement XXXV livres VIIII sols VII deniers et demie poygoise à payer a

VII Sainz Ladres venanltz, la première sera lan de IIIe et XVI, et les autres ensiganz, et XXI livres V sols II deniers pour les anniaus, et

VIII livres et III sols pour lou vin, et XVII livres et demie quarterée de cire à payer tôt à la Saint Ladre, première dessus dite, lan de IIIe et XVI.

44. De cent erpanz demi et demi quartier dou bois de Mironet, vandu à Jehan Jaquin de Mésilles, demeure IIII payemanz, checun de XXVIII livres 11 sols et VI deniers à paier à IIII Landiz venanz, lon premier au Landiz de lan IIIe et XVI, et CXII sols VI deniers por lou vin, et XI livres et une carterée de cire au pourmier payement.

45. De VIxx et I erpanz dou boys de la Bruère outre Viliers, vandu à Theneaul de Villiers et Jehan dou Four, demeure ung payemant de

IX livres XVIII deniers à payer au Landiz lan de IIIe et XVI.

46. De IIIIe erpanz dou boys de Troncoy, des forges et des mines qui furent aus Lonbarz, vanduz à Theneaul de Villiers, à Perrin Belevée et à son gendre, demeure VIII payemanz, checun de VIxx V livres IIII sols IV deniers à paier à VIII landiz venanz, lou premier

(1) Bois du grand et du petit « Tronsoy » tenant aux terres de Toucy et aux bois de la Bruyère et appartenant au seigneur de Saint-Fargeau en 1485 (Arch. Nat., P 147, 16,).

(2) Bois de « l'Ermitage lez les Orcières » en 1485.


210 LA PUISAYE 114

Landiz lan de IIIe et XVI, et XXX livres pour ung anniau à la partie ma dame au premier paiement.

47. De IIII erpanz dou boys des Boulées de vers Ion crot au Brenart, vandu à Perreau Fleuri de Saint-Fergel, demeure ung payemant de LX livres et X sols au Landiz lan de IIIe et XVI.

48. De XLIII erpanz et XX quarreaus dou boys devant la maison Guillaume Sale, vandu à Perreau Miser, demeure ung payement de XXI livres et XII sols à paier au Landiz lan de IIIe et XVII.

49. De XXVI erpanz demi et demi quartier dou boys de Bailli, pris an II leux, vandu à Jehan Rachou, de Saint-Amant, demeure ung payemant de XXI livres et 12 sols VI deniers et XVI sols pour lou vin et une livre et demie et demi carterée de cire à paier lan de IIIe et XVI.

50. De LX et X erpanz et III quartiers dou boys de Tuiche veau (1), vandu à Thévenin Fouace de Saint-Fergel, demeure II payemanz chacuns de XXXV livres VII sols VI deniers et LXX sols 1 denier por lou vin, et VII livres une quarterée et demie de circ au premier payement qui sera au Landiz lan de IIIe et XVI, et l'autre au Landiz assigant.

51. De XXXI erpenz de bois et IIII quarreaus dou boys de Mici, vandu à Perreau Ion fil Pereefer, demeure II payemanz checun de XVI livres et X sols à payer au Landiz lan de IIIe et XVI, et à l'autre Landiz ansigant, et XXX et III sols por lou vin, et III livres et demie de cire à paier au premier Landiz.

52. De XXVI erpanz et demi dou boys de Mici, vanduz à Guillaume Tranchant, demeure II paiemanz checuns de XIIII livres et XI sols et VI deniers a paier au Landiz de lan mil IIIe et XVI et l'autre au Landiz ansigant, et XXIX sols et II deniers pour lou vin, et III livres de cire au premier paiement.

53. De L et VI erpanz dou boys de Corbe Chieuvre, vanduz à Regnant Barbier, demeure II payemanz, chacun de XXI livres à payer au Landiz lan de IIIe et XVI, et à l'autre Landiz ansigant, et X livres et X sols pour les anniaus à la partie ma dame, et LII sols et VI deniers pour lou vin, et V livres et demi de cire au premier paiement.

Il y avait donc à recevoir : au landiz 1316, environ 500 livres ou 35.000 francs à la Saint Ladre de la même année, 100 livres valant en 1900 7.000 francs.

Total, environ 108.000 francs pour le revenu des bois de Puisaye en 1316.

Collection de Lorraine, t. 226, n° 87.

Rouleau de parchemin composé de trois peaux et de 75 centimètres de long.

(1) Bois du « Parc de Toucheveau appartenant au seigneur de Saint Fargeau en 1425 (Arch. Nat. P 147. 17). Aujourd'hui le bois du Parc (?).


115 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 241

VI 1317, 26 août.

Assignation du douaire de la comtesse de Roucy, veuve de Jean de Bar, seigneur de Puisaye, sur la terre de Puisaye

Philippe, par la grâce de Dieu, Roi de France,...

Saichent tuit que en la présence de nos amez clercs maîtres Jehan de l'Ospital et Jehan Pariset dit de Rains, à ce envoyez de par nous et de nostre court espécialement... Pour ce en leurs propres personnes estaubliz an dehors des murs près de la ville de Bar le Duc, le XXVIe jour du mois d'ahoust l'an MCCCXVII, nostre amé et féal Edoars, cuens de Bar, pour luy et pour Pierre de Bar, chevalier, son oncle, en tant comme à luy et audit Pierre touche et puet touchier, et Erars de Bar, chevaliers, frere dudit Pierre, et oncle d'icelui conte, en son nom, et pour tant comme il ly touche et puet touchier, et reco gnurent de leurs bones volentez, si comme li diz clercs nous rappor térent que comme par le traictié don mariaige Jehan de Bar, jadis chlr., signour de Puisoye, oncle dudit comte, et frère desdiz Erart et Pierre, et de nostre amée et féable Jehanne de Dreues, contesse de Roucy, ladite contesse eust et deust avoir pour son doaire la meson et la ville de Saint-Ferjuel sans pris (1) et la metié de toute la terre de Puisoie en toutes choses, et sus l'autre metié de ladite terre nuef cenz livres de rente pour raison de la terre de Vienne, assise au plus près de ladicte metié, si corne il appert par lectres faites dudit Jehan de Bar, chevalier, jadis scellés du scel nostre très chier seigneur et père pour ladicte contesse de Roucy, contre nostre amée et féale Jehanne de Tocy, jadis contesse de Bar et dame de Puisoie, en débatant ledit doaire après la mort dudit Jehan de Bar, son filz. Et emprès ces choses ladicte contesse de Bar, au temps que elle vivait, pour le partage et le droit que ladicte comtesse de Roucy avoit et devoit avoir ès choses dessusdictes pour son doaire, eust baillé et délivré à ladicte contesse de Roucy la meson de Saint-Ferjuel, la ville et la chastelerie, la Ville de Saint-Martin-des Champs, la ville de Saint Privé, la ville de Setfonz, la ville de Ronchières, la ville de Mésilles, la metié de toute la terre de Tocy et de Fontaines apartenant au seignour de Puisoie, la ville de Laval, la ville de Perreuse et la chastelerie, et toutes les apartenances desdites villes et aultres chouses. En fin lesdiz Pierre et Erars, ès noms dessus diz, se recogneurent entre tenuz checun pour soy et pour le tout à garantir à ladicte contesse délivrer et des pecchier toutes les chouses de son dit doaire

(1) Sans estimation, sans prisée.


242 LA PUISAYE 118

envers le seigneur de Montmorency (1) de deus cens livrées de rente qu'il demande sus la terre de Saint-Ferguel, et généralement de tout ce que li sires de Montmorency a et demande et pourra demander tant sus ladicte terre, corne à ladicte contesse de Roucy et aux cen siers de ladicte terre

Et recognurent encores estre tenuz lesdiz cuens et Erars ès noms dessus devisez et promistrent checuns pour le tout à garantir et délivrer à ladicte contesse de Roucy toutes les choses dessus dites, et checune d'icelles, espécialement envers Gobert, seigneur d'Aspremont, et Marie de Bar, sa femme.

Confirmé par le même roy le mercredy après la Typhame, XIe jour de janvier en l'an MCCCXVII (1318, nau st.).

DUCHESNE, Histoire de la Maison de Bar. Preuves, p. 46. Extrait des anciens registres de la Chancellerie,

VII 1324, 1er octobre.

Testament de Jeanne de Dreux, comtesse de Roucy, veuve de Jean de Bar

Confirmatio testamenti domina Johannae de Dreueys, comitissa de Rouciaco, et domina de Puisoie.

Vidimus donné par le Roi du testament Legs . ...

Au couvent des frères Préecheurs d'Auceurre, trente livres. It. au Séreurs de Saiut-Dominique delez Montargis deus ceus livres pour mettre en héritaige pour faire mon annue chascun an. It. à Plain Marchis en Puisoie, cent solz. It. à Bouticein en Puisoie, quarante solz.... It. à chascune des Maisons Dieu de ma terre de Roichefort (2) et des appartenances, XX solz et lit estofé de conste, de coissin, de dras et de couverture ; c'est assavoir ès villes que je tieng, tant de

douaires comme d'héritaiges, quant au liz It. au povres des villes.

que j tieng en ma terre de Saint Fargiaul XXX livres Et veill que

ces deniers pour les povres dessus nommez soient départiz par les prebstres, par les prévoz ou par les justices des villes dessus dites, ou par ceus des quiex il semblent miex à mes exécuteurs.... It. à monsieur Guillaume, curé de Saint-Martin-des-Champs en Puisoie, XXX livres It. à mes receveurs généraux de mes terres; c'est assa(1)

assa(1) I de M. à cause de Mathieu II, mari d'Emma de Laval, qui avait épousé ; 2° Jean de Toucy, père de Jeanne, comtesse de Bar. Jean de M. avait conservé sur Saint Fargeau des droits venant de sa trisaïeule et contre lesquels le comte de Bar et ses oncles garantissent la comtesse de Roucy. Ils les lui rachetèrent en 1318.

(2) Rochefort en-Iveline (Seine et-Oise).


117 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 243

voir... à mon receveur de Puisoie, bon compte rendu premier à mes exécuteurs, je leur laisse à chascun qui au temps de lors seroit

receveurres, XX livres It. mes debtes, mes torffaiz, et mes laiz

premièrement paiez je vueil que mes exécuteurs praignent seur le

remenant de mes biens jusques à VIIIe livres pour départir en la conté de Rouci et en la terre de Puisoie pour les âmes de moi et de mes très chiers seignours et mariz, c'est assavoir monssieur de Rouci et monssieur Jehan de Bar...., et vueill que les laiz et les aumosnes contenues en ce testament soient paiez et entérimez à tournois fort monnoie . . . . ... ...

Je eslis mes exécuteurs Révérent père en Dieu monssieur Gérart de Cortonne, Evesque de Soissons, mon très chier cousin; Me Jehan de Soissons, Doien de Laon, le Provincial des Frères Prêcheurs de France ; et Me Guillaume, curé de Saint-Martin-des-Champs en

l'Eveschié d'Auceurre, mon Fuscicien En tesmoing des quiex choses,

je Jehanne de Dreues, contesse de Rouci dessus dite, ai mis mon propre séel en ce présent escrit appelé testament. Donné le dimanche jour de la feste Saint-Remi ou chief d'ottobre, en l'an de grâce mil CCC vint et quatre.

Confirmation dudit testament pas le Roi en février 1324 (ve st.).

Archives Nationales, Registres du Trésor des Chartes, JJ 62, p. 86.

Analysé dans : DUCHESNE, Histoire de la Maison de Dreux, preuves, p. 289.

VIII 1325, mars (1326, nau st.).

Affranchissement des Serfs à Toucy par Edouard, comte de Bar, confirmé par le roi en octobre 1345

Eduardus, cornes Barri, dominus de Thociaco in Puiseya, ad perpetuam ici memorian. Speciale debitum, inter alia pietatis opera, reputamus jugo servitutis astrictis, toto mentis et corporis desiderio incessanter manumitti clamantibus, aurem clementis propitiaionis apperire. Hinc est quod nos, praemissorum consideratione, per (?) moti pietatis intuitu, Stephanum et Gauffridum, dictos Guiart ; Guillelmum et Robertum dictos Evrart; Guillelmum Guioti; Johannem Giletam et Dyvonam liberos deffuncti Naguille, Guillelmum Morelli ; Bironam dictam la Biliarde; Joffrenellum Choyn ; Gauffridum et Petronillam liberos deffuncti Maleterre ; Stephanum Cuynelii, Jehannem ejus nepotem ; Guillelmum, dictum Petit, filium deffuncti le Père ; Stephanum Cappurelli (1), Johannem suum filium ; Agnetam dictam Filleron et Adelinam ejus filiam ; Agnetam filiam defuncti

(1) Faubourg Capureau, à Toucy.


244 LA PUISAYE 118

Lubion; Stephanum, Johannem, Guillelmum, et Adelinam liberos deffunctae Adelinae Gaudetée ; Guillelmum Gruardi ; Adelinam filiam defuncti Beguin Paterne ; Petrum dictum Maulevaut ; Marionam filiam defuncti Adae Cuyne ; Stephanum Judei et Petronillam ejus uxorem ; Alipdim dictam la Beone ; Johannem filium deffuncti Largi ; Babelonam filiam deffuncti Marrecon : Johannem, Adelinam et Guil lelmum, liberos deffuncti Johannis Naguille ; Stephanum et Stephanum fratres, et Agnetam, liberos deffunctis Odonis Grinelli ; Felisetum filium deffuncti Guillelmi Reneri ; Stephanum, Guillelmum, Johannem, Regnaudum, et Gilletam et Beronam, liberos deffuncti Pétri Grivelli ; Petrum et Bernardum, liberos deffuncti Guidonis Baalli, oc Johannem, nasorem dicti Petri; Galterium et Gauffridum, liberos Petri Belion ; Petrum, Regnaudum et Guillelmum, liberos Johannis Morelli; Petrum et Johannem, liberos deffuncti Guillelmi lou Charretier; omnes abolimus servos nostros hominesque capi taies, ex hac die in antea manumittimus, cum liberis eorumdem, de suis propriis corporibus legitime procreatis, natis ac etiam nascituris, tam per lineam feminam descendentibus quam etiam masculinam, liberosque et cives nostros fecimus, omneque jus et jugum servitutis quibus nobis ratione personarum et mobilium suorum astricti tene bantur eisdem natis ac etiam nascituris, nullum jus servitutis reti nendo ; retinemus tamen in dictis hominibus eorumque liberis natis et nascituris ac bonis eorumden, manentibus, contrahentibus, seu delinquentibus, in et sub jurisdictione, dominio et districtu nostris, ommimodam jurisdictionem, justitiam et superioritatem in eis eper nos et successores nostros existendam, quemadmodum in nostris subditis liberis et aliis exercemus. Si vero praedicti homines per nos, ut praemittitur, manumissi, eorumque liberi nati ac etiam nasci turi, teneant seu possideant ad praesens, tenuerint vel possederint in futurum, aliqua de praediis vel domibus in et super quibus certos redditus habeamus, sive census fuerint, costumia, sequentiae, gallinae, tailliae, sive alii redditus questusque quibuscumque nominibus nuncupentur, illos redditus ab eisdem consuetis reddi et persolvi (lacune) exceptis aliquibus de mensis (1) nostris inferius declaratis. Quare tailliam supradictis manumissis, natis et nascituris, quittavimus et remisimus, ac etiam tenore praesentium remittimus et quittamus, ita tamen quod loco praedictae taillae censum annuum et liberum inferius declaratum portantem laudes et ventas secundum loci consuetudinem, nobis et nostris successoribus anno quolibet ad festum Beati Remigii solvere tenebuntur... Hii autem sunt mensi (1) dicto censu libero positi et redacti et pecunie censualis qua sunt et erunt in posterum onerati. Primo domus Alipdis la Beone, sita ante et juxta domos dictorum les chenigentes, per sex denarios turon.

(1) Meix.


119 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 245

Hem, domus Agnetis filise (defuncti) Lubione, contigua praefataee domui ex una parte, et domui deffuncti Gaidonis Joli, ex alfera, per sex denarios turonenses. Item, ortus Stephani Capurelli et Johannis ejus filii, contiguus ponti et rippariae deu Respit ex una parte, et orto dictas Bourrée ex altera, per quatuor denarios turoneuses. Item, unum arpentum prati quod tenet Guillelmus ; filius dicti lou Père, pertinens prato Guillelmi dicti chamion et heredum Johannis Clarini, per sex denarios turoneuses. Item, duo arpenta prati quae tenet Stephanus Cuynelli, et ejus nepos, contigua pratis deffuncti Robini Claveau ex una parte et rippariae des Briaux, ex altera, per duodecim denarios turoneuses. Item, duo arpenta terrae vocata dou Maul perier contigua niaguae vise per quam itur apud Sanctum Salvatorem, quod tenet dictus Stephanus Cuynelli et ejus nepos, per octo denarios turonenses. Item, una petia terrae continens arpentum et dimidium, quam tenet Adelina, filia Begnin Paterne, contigua terraee Stephani Cuynelli ex una parle, et magnoe viae per quam itur apud Sanctum Salvatorem ex altera, per sex denarios turonenses. Item, una petia quam tenet Stephanus Jeudei, continens duo arpenta et demidium, sita in Bourrienne (?) contigua pratis dictorum les Foynoz ex una parte, et Pafrae relicloe Guidonis le Royde, ex altera, per quindecim denarios turonenses. Item, una petia prati quam tenet Johannes Naguille et Guido Cormerii, contigua domui deffuncti Regnaudi Nariot ex una parte, et domui dicti Naguille ex altera, continens, arpentum et dimidium, per novem denarios turonenses. Item, una petia prati sita au Gue Trousse Loup, continens arp ntum et dimi dium, quam tenent liberi Maleterre et Johannes Beons, contigua pratis domini Episcopi Autissiodorensis ex una parte, et prato Stephani Platerii ex altera, per novem turonenses. Quare autem ut ratum, firmum et stabilem imposterum habeatur, praesentes litteras sigilli nostri fecimus munimine roborari. Anno ab Incarnatione Domini M° CCC° vicesimo quinto, mense martii.

Archives Nationales, Trésor des Chartes, JJ 75, p. 282.

IX 1326, 23 décembre.

Aveu et dénombrement rendu par Jean de Prie pour Test-Milon

C'est le fié que je, Jehans de Prie, chevaliers, sires de Buzançois et des Thez Milon, advoue à tenir en fié de vous très hault home, noble et puissant, mon très chier seignour monseignour le conte de Bar, seigneur de Poisoie : c'est assavoir ma maison des Thez Milon avecque tout le boisson, si comme elle se comporte. Item les tailles appartenanz à ladicte maison, qui montent à LXXIV livres, que soit plus, que soit moins. Item, les cens et les montonnages qui montent IIIIXY II livres, que soit plus, que soit moins. Item, les terres qui montent


246 LA PUISAYE 120

IIIIe XXXII bichetz d'aveine, que soit plus, que soit moins. Item, les coustumes qui montent IIIIe XXVIII bichetz d'aveine. Item les terres gainguables dou dict leu, valent bien IIIIr bichetz de blez de moison ; c'est assavoir C bichetz de fromant, XXV bichez de ceigle, VIXX bichez d'orge trémois et VIIXX XV bichez d'aveine. Item, environ XL arpens de bois qui sont bien vendus de X ans en X ans IIIIXXX livres ; et se tenent toutes les choses dessus dites au bens le conte de Nevers, d'une part, et au seignour de Fossegileit, et au seigneur de Lain, et à la terre au seignour de Colons et de Vacy d'aultre part. Item, une pièce de pré contenent IIII quartiers ou V quartiers environ, séant en leu que l'on dit à Villiers. Item, en toutes les choses dessus dictes justice et seignorie grant et petite. Item, C bichez de rante, c'est assavoir L bichez de fromant et L bichez d'aveines assis sur la terre de Fossegeloit (sic), qui est monseignour Philippe de Pesselières, chevalier. Item justice et seigneurie des terres feu Thibaut le Deable. Et toutes ces choses ge avoue à tenir de vous, et plus neu say. Et vous supploie, sire, comme à mon très chier sei gnoui se plus en savez qu'il vous plaise que vous m'en avisez ou facoie aviser, et se de plus en estoie avisez plus en avouroie à tenir de vous. En tesmoing de la quele chose, ge ai scélés ces présentes lettres de mon propre séel. Donné l'an de grâce mil CCC et XXVI, le mardi avant la Nativité Nostre Seigneur.

Scellé autrefois. Collection de Lorraine : vol. 236, pièce 21.

X 1335, 23 juin.

Hommage rendu par Edouard, comte de Bar, au comte de Nevers pour Perreuse

Loiz, contes de Flandres, de Nevers et de Rethesl, salut, savoir laissons que comme à la prière de nostre très chier et aîné seigneur le Roy de France nous aienz receu en nostre foy et hommage nostre chier et amé cousin le conte de Bar de son chastel de Perrouse en Pousoie et des appartinances, c'est assavoir de ce qui muet et doit mouvoir de nostre terre et aussi de la terre à deniers que il a et doit avoir héritablement en Flandres en la bourse de nous et de nos hoirs, contes de Flandres, des queilz choses dessus dites nous l'avons receu à homme en l'abbaie de Saint-Martin deleiz Pontoise ; assavoir est que nous volons et agréons par ces présentes lettres que ce qu'il est entreiz en nostre foy et hommage audit lieu ne puisse porteir préjudice à luy ne à ses hoirs et auxi qu'il ne puisse porter préjudice a nous ne à nos hoirs, et que ou cas qu'il est ou sera tenus de à nous faire ailleurs ledit hommage il ou sui hoir le nous soient tenus de faire là où il appartendra de raison et que aussi il et sui hoir le


121 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 247

nous soient tenus de faire là où il appartendra de raison et que aussi il et sui hoir ne nous soient ou seront tenu de faire ledit hommage aultre part que là où ils doient et devront ycelly faire de raison.

En témoingnage de vérité, nous avons fait sceller ces présentes lettres de nostre séel. Donné l'an de grâce mil trois cens trente et cinq, le vint et troisième jour de juing.

Archives du Nord, chambre des comptes de Lille, B 728.

XI 1335, 12 août.

Aveu et dénombrement rendu par Pierre de Bar, seigneur de Pierrefort, au comte de Nevers, pour Lavau, Faverelles et le cinquième par indivis des bois de Puisaye.

Nous, Pierre de Bar, chevalier, sires de Pierrefort et de Lavaul en Puisoie, faisons savoir à tous que nous cognissons et advoons à tenir en fié et en homaige de très hault et puissant prince nostre très chier et amé seigneur et cousin Mgr le conte de Flandres, de Nevers et de Rethest, les choses cy après nommées. C'est assavoir les villes de Lavaul et de Faverelles et les appartenances d'ycelles, nostre maison de Lavaul, nostre maison dou Foui et les appartenances. De rechief, nostre Prévosté de Lavaul et de Faverelles, qui vault bien par an de rente environ vint et, cinq livres tournois. De rechief, nos cens qui nous sont dehu à Lavaul, à paier chascun an le jour de la Saint Remy, portans loux et ventes, qui valent chascun an environ IIe livres tournois. De rechief, nos terraiges de Lavaul et de Faverelles, qui valent par an environ dis et huyt muys d'avoine à la mesure d'Anetre (sic). De rechief, la moitié dou four de Lavaul, partant par nou devis à Perrenelle la Pillouarde et à Adeline, fame feu Joffroy Quatrenone, qui vault par an de rente environ C solz. De rechief, nostre grange séant en la parroiche de Lavaul et les appartenances d'ycelle, qui vault par an de rente environ demy muy de froment et demy muy d'avoine à la mesure d'Anetre. De rechief, le syege d'ung estang, séant dessoz la ville de Lavaul, que l'en appelle l'estang Pouneaul, où il ha pré à présent, et soloit estre estangs. De rechief, nostre estang appelé l'estang Batereaul (1), nostre estang delez la ville de Lavaul, nostre estang appelé l'Estang neuf, notre estang dou Foul. De rechief, nostre molin de l'estang Batereaul, la moitié dou molin de la ville de Lavaul, partant par nou devis à Genin Artuys, et nos deux molins de l'Estang nuef. Et généralement tout ce que nous havons et poons avoir es parroiches de Lavaul et de Faverelles, mouvans dou

(1) Battereau. commune de Lavau.


248 LA PUISAYE 122

fié dou dit Mgr le conte. De rechief, justice et seignorie hault, basse et meyime en tous les lieux dessus diz. Et nous puent valoir les choses dessus dites de rente par an environ IIIIe et L livres tournois. De rechief. nous tenons et advoons à tenir en fié dou dit Mgr le conte la quinte partie des bois de Puisoie, forés et revenues, partant par non devis à Mgr le conte de Bar et à Mgr Thiébaut de Bar, nos neveuz, dès le chemin de la Croiz de Puisoie, si comme li diz chemins se comporte, à déstre main en alant au marchais de Papieux, et dès ledit marchais de Papieux, si comme le chemins sors le départ parmi les fiefs de France (1), et par dehors les espaux des Loies, et par dehors la Garenne de Thoucheveaul (2) en laissant la Garenne à main sénestre, si comme li usaige de Baailly le départ selont la forest en venent droit à Noir Espinoy, entre le bois de Baailly et la haie de Baailly, en retournant de Noir Espinoy, en venant tout droit au pont de Chardonnières (3) ; laquele quinte partie des diz bois nous vault bien chascun au par communes années CC livres tournois de rentes. De rechief, justice et seignorie hault, basse et meyime en ladite quinte partie des bois dessus diz. De rechief, garenne de grosses bestes et de menues en ladite quinte partie des diz bois. De rechief, advoons à tenir en fié du dit Mgr le conte tous les liez et rérefiez cy après nomez, lesquelx on tient de nous. C'est assavoir, le fié que Jehans de la Coldre, escuiers, tient de nous en la parroiche de Fave relies, c'est assavoir la maison de la Coldre et les appartenances, qui vault bien de rente par an environ vint et cinq livres tournois. De rechief, le fié que damoiselle Phelippe de la Coldre, sa suer, tient en fié dou dit Jehan, et en rérefié de nous. De rechief, le fié que Jehans dou Bois, escuiers, tient en fié dou dit Jehan de la Coldre, et en rérefié de nous. De rechief, le fié que Jehans dou Martroy, escuiers, tient de nous, c'est assavoir la maison dou Martroy (4) et les apper tenances, et puent valoir de rente par an environ XL livres. De rechief, les fiez que madame Johanne de Friquebaut, Phelippons dou Puys, Guiliaumes dou Meis et li hoir au Richevillain tiennent dou dit Jehans en fié et en rérefié de nous. De rechief, le fié que Jehans dou Bois, escuiers, tient de nous, c'est assavoir sa maison dou Bois et les appartenances, séant en la parroiche de Faverelles, et puent valoir de rente par an environ vingt et cinq livres tournois. De rechief, les fiez que li hoir au Richevillain et Tennis Pillouars tiennent doudit Jehan en fié et en rérefié de nous. De rechief, le fié que Jehans de Ratilly, escuiers, tient de nous en la parroiche de Faverelles, qui

(1) Fiefs relevant de Montargis, Saint-Fargeau, etc...

(2) Bois du Parc ?

(3) Limites des bois restés indivis entre les de Bar, et de ceux qui étaient propres au conte de Bar et dépendaient de Saint-Fargeau.

(4) Le Martroy (Faverelles).


123 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 249

vault chascun an de rente environ XX solz. De rechief le fié que Jehans de Cloies, escuiers, tient de nous : c'est assavoir la Grange des Ferriers et les appartenances, qui puent valoir de rente par an environ XX livres. De rechief, le fié que Phelippons de Varennes, escuiers, tient de nous es parroiches de Lavau et de Faverelles, qui puent valoir de rente par an environ huyt livres. De rechief, les fiez que li filz feu Jehan de la Châtre, li hoir feu Jehan Martin, Jehans de Varennes li sires de la Châtre, Gaucherons Gomars, la Bérangère, et Jehans de Maizecelles, tiennent dou dit Phelippon en fié et en rérefié de nous. De rechief, le fié que li enfant feu Joffrerin Aguogué tiennent de nous en la parroiche de Faverelles, qui peut valoir de rente par an environ seze livres. De rechief, le fié qu'Estienes Guitoys tient de nous en la dite parroiche, qui puet valoir de rente par an environ sis livres. De rechief, le fié qu'Estienes Artuys tient de nous en la parroiche de Lavaul, qui puet valoir de rente par an environ XV livres. De rechief, le fié que Guillaumes dou Meis tient de nous à Biaujarcy, qui puet valoir de rente par an environ soixante sols. De rechief, le fié que Perrenelle la Pillarde tient de nous en la parroiche de Lavaul, qui puet valoir de rente par an dix livres. De rechief, le fié qu'Arnouls Mirouer tient de nous en ladite parroiche, qui peut valoir de rente par an environ IV livres. De rechief, le fié que Tennis Pilloars tient de nous en ladite parroiche, qui puet valoir de rente par an environ XX sols. De rechief, le fié que Regnaus Gautiers tient de nous en ladite parroiche de Lavaul, qui peut valoir de rente par an environ sexante sols. De rechief, le fié que li hoir feu Guillaume de Biaujarry tiennent de nous à Biaujarry, qui peut valoir de rente par an environ XL solz. De rechief le fié qu'Adeline, fame feu Joffroy Quatrenon, tient de nous en la parroiche de Lavaul, qui puet valoir de rente par an environ huit livres. De rechief le fié que Perraus Rolans tient de nous en ladite parroiche, et ceu que l'en tient de lui en fié et en rérefié de nous, qui puet tout valoir environ XL solz de rente par an. De rechief, le fié que Joffroy, filz feu Vincent dou Bois, tient de nous en ladite parroiche qui peut valoir XL solz de rente par an. De rechief, le fié que Joffron Courreaz tient de nous en ladite parroiche de Lavaul, qui puet valoir de rente par an environ V solz. De rechief, le fié que Guillaume li Fuer... tient de nous en la dite parroiche qui puet valoir de rente par an environ treze solz. De rechief, le fié que Corsez Piquars tient de nous en la dite parroiche, qui puet valoir trante solz de rente par an. De rechief, le fié que Jehannoz Chataus tient de nous en ladite parroiche qui peut valoir de rente par an environ V solz. De rechief, le fié que Thévenins Paillars (1) et Perioz Paillars, frères, tiennent de nous en la dite parroiche qui puet valoir de rente par an environ XL solz. De rechief.

(1) La Paillarderie Thon).


250 LA PUISAYE 124

le fié que Huguenins Paons tient de nous en la parroiche de Lavaul, qui puet valoir de rente par an V solz. De rechief, le fié que Jehans Haynoners tient de nous en la dite parroiche qui puet valoir de rente environ dis sols par an. De rechief, le fié que Jehannins Jobeloz tient de nous en la dite parroiche, qui peut valoir par an environ dis solz. De rechief, le fié que Tennis Richevillains tient de nous en la parroiche de Lavaul, qui puet valoir de rente par an environ XL solz. De rechief, le fié qu'Andriers de Rovroy tient de nous en la dite parroiche de Lavaul qui peut valoir de rente environ XL solz. De rechief, le fié que li hoir feu Jehan Orillart tiennent de nous en la dite parroiche de Lavaul qui peut valoir dis solz de rente par an. De rechief, le fié que Guillaumes Subleaux tient de nous en la parroiche de Lavaul, qui peut valoir de reate par an environ dis solz. Et se de plus nous povoiens advisier que fust ou mehust dou fié dou dit Monsieur le Conte, ou il pleut audit Monsieur le Conte, ou à sa gent, à nous en advisier plus cognuistriens et advoeroiens, et desjà cognuissons et advoons à tenir en fié de lui, comme de nostre très chier seigneur. En tesmoing de laquele chose, nous avons seéllé ces .présentes lettres de nostre propre séel. Doné l'an de grâce mil trois cens trante et cincq, le semadi devant la feste Nostre-Dame an aoust.

Collection de Lorraine, t. 236, n° 25.

XII 1344, 24 septembre.

Philippe VI accorde à Henri IV, comte de Bar, que sa terre de Puisaye, qui est des ressorts, partie d'Orléans, partie de Villeneuve le Roy, soit dorénavant du ressort de Sens (1).

Philippe Savoir faisons à touz présens et avenir que nous avons

octroyé et octroyons de nostre grâce espécial, certaine science et auctorilé Royal, par ces présentes lettres, à nostre amé et féal neveu Henry de Bar, por li et por ses successeurs, contes de Bar, que sa terre de Puisaye, ensamble ses appartenances, pui est de nos ressorz, partie d'Orliens et partie de la Ville neuve le Roy, soit d'ores en avant et demeure à touz jours mais du ressort de Senz, avecques certaines terres de sa conté de Bar qui sont du dit ressort de Senz, Si donnons en mandement à tous noz officiers et subgiez qui sont et qui pour le temps avenir seront que ledit conte et ses diz successeurs lessent et facent joir de nostre dite grâce, sauz aucun empes chement. Et que ce soit ferme chose et estable à touz jours mais, nous

(1) En 1531, lors de la rédaction de la coutume de Lorris-Montargis, la Puisaye est tout entière du ressort de Montargis, Villeneuve-les Genêts suit aussi cette coutume quoique du ressort de Sens.


125 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 251

avons fait mettre nostre séel en ces présentes lettres, sauve nostre droit en autres choses et en toutes l'autrui. Donné en nostre manoir de Rays, le XXIIIIe jour de septembre, l'an de grâce mil troys cenz quarante et quatre.

Par le Roy : BARR. Sine flnancia : MILO.

Archives Nationales, Registres du Trésor des Chartes : JJ 75, p. 60.

Analysé dans DUCHESNE, Histoire de la Maison de Bar, preuves, p. 48.

XIII

1368, 6 novembre, Beaulche.

Affranchissement par la comtesse d'Etampes des habitants de Trucy l'Orgueilleux, du consentement de la comtesse de Bar.

Nous, Jehanne de Brienne, contesse d'Eu et d'Estampes, affranchis sons de la main morte les habitants de Trucy l'Orgueilleux . moiennant qu'ils nous ont donné et paié la somme de mille et cinq cens francs d'or. ...

« excepté que les dessusdiz et leurs successeurs ne pourront jamais " vendre, eschanger ou donner leurs héritaiges à personne de serve « condition, et au cas où ilz feront le contraire les héritaiges ainsi « venduz ou aliénez demourront frans et quittes à nous ou à nos « successeurs acquis. .. sauf que nous et nos diz successeurs « auront et prendront pour bourgeoisie sur une et chascune per « sonne tenant feu et lieu en nostre dite ville, de quelconque estat ou « condition qu'il soit, cinq solz tournois pour chascun feu et au « dessoulz jusques à deux solz six deniers tournois paier la dite « bourgeoisie d'an en an le jour de la feste Saint Remi, à peine de

« trois solz tournois de deffault ...

« Donné en nostre chastel de Beauche, le siziesme jour du mois de « novembre, l'an de grâce mil trois cent soixante et huit. "

Consentement donné par son mari Louis, comte d'Eu, le 21 septembre 1368.

1368, 4 décembre. Amortissement donné par Yolande de Flandres, comtesse de Bar, de qui Trucy relevait. ....

« et dont nous appartenoit la somme de trois cens francs d'or. » (1).

Copie donnée par M. de Chastellux à la Société Nivernaise, d'après un original des Archives de Chastellux, carton Trucy H n° 1, avec sceau pendant.

(1) 300 francs, montant du quint denier sur 1500 francs.


252 LA PUISAYE 126

XIV 1381, mars (Vidimus donné le 16 juillet 1383).

Hommage rendu an Roi par Yolande de Flandres, comtesse de Bar, pour Saint-Fargeau et Mézilles

Charles, par la grâce de Dieu, Roy de France.

Au Gouverneur du Bailliage d'Orliens et au Bailly de Chartres, ou à leurs lieutenants, salut et dilection. Nous sommes recors que en Caresme darrain passé eust deux ans, nostre très chière et amée cousine la comtesse de Bar, dame de Cassel, nous fist foy et hommage de son chastel, ville et chastellerie de Saint Fergeaul, de Mésilles en Pousoie, et des appartenances d'iceulx que elle tient de nous à cause de nostre chastel de Montargis, et des fiez de Pierre Coppe et de leurs appartenances, lesquelz elle tient de nous à cause de la conté de Chartres. Auquel hommage nous la receusmes, sauf nostre droit et l'autruy. Si nous mandons et à chascun de vous, si comme à lui appartiendra, que pour cause dudit hommage nou fait vous ne contraigniez ou molestiez nostre dicte cousine, ne souffrez estre empeschée en aucune manière, mais se aucune chose aviez pour ce pris ou mis en nostre main, vous ycelle lui rendez et restituez, ou faites rendre et mettre encontinent à plaine délivrance. Donné à Paris, le XVIe jour de juillet, l'an de grâce mil CCC quatre vins et troiz, et de nostre règne le tiers.

Par le Roy, à la relation de Monseigneur le duc de Bourgoingne.

P. MANHAC.

Archives Nationales, P 16, cote V, ancienne VM VIIc XLIII.

XV 1388, 11 avril, Bar-le Duc.

Assignation du douaire de Marie de France, femme du duc Robert de Bar

sur la Puisaye

D'après leur contrat de mariage, du 4 juin 1364, le duc Robert de Bar devait donner à sa fenme Marie de France 3.000 livres de terre sur les acquêts qu'il ferait en France avec la dot de celle-ci. Il lui assigna donc en douaire pour cette somme outre les châtellenies du Barrois, la seigneurie de Puisaye qu'il avait acquise de sa mère en 1385.

... Item la tour et tout ce qu'il a en la ville, Baronnie et Prévosté de Tocy, tant ce qui meut dou fief de l'Evesché d'Auxerre, que autrement. Item, le chastel, ville et Prévosté de Saint-Forgeaul en Puisoye, et la ville et Prévosté de Mésilles, ensemble toutes les villes et villois des dictes Chastelleries et Prévostez,mouvans dou fié dou Roy et dou


127 SOUS LES MAISONS DE TOUCY ET DE BAR 253

Conte de Joingny. Item la ville ferme et donjon de Péreuse. Item la forteresse de la Coldre, et toutes ses apartenances, la ville et Prévostez de Lavaul et de Faveroles, mouvans dou fié et de la Chastelerie de Donzi, oudit païs de Puisoye. Item la forteresse de Setfons et la ville de Saint Privé, et avecques ce la ville et seigneurie de Sormery, et toutes ses apartenances mouvans dou fié le Roy.

DUCHESNE, Histoire de la Maison de Bar, preuves, p. 55, d'après les Registres de la Chancellerie.

XVI 1388, 3 novembre.

Affranchissement par Robert, duc de Bar et seigneur de Puisaye, et Marie de France, des habitants de Fleury et Pousseaux.

Robert, duc de Bar, marquis du Pont et seigneur de Puisaye, et Marie, fille de Roy de France, sa loyal compaigne et espouse, duchesse et marquise desdits lieux, scavoir faisons que nous avons eu la supplication de messire Micheaul Rolier, prestre, et des habitans de Fleury et Pusseaulx (qui sont nommés)

Robert déclare que le maintien de la main morte lui serait très préjudiciable; ses sujets, pour éviter les charges qui pèsent sur eux, quitteraient la seigneurie pour aller jouir ailleurs des franchises « et de fait en sont plusieurs partis, par la teneur de ces présentes exemptons et affranchissons de ladite condition et servitude de main morte, voulons et consentons que la succession et escheoite des habitans et forains qui ont ou auront héritages es mettes de nostre censive, soit et parviengne à leurs plus prochains hoirs, » quiconque viendra s'établir à Fleury ou à Pouseaux ponrra « y maisonner et édiffier, labourer et cultiver » sans que ses maisons ou ses champs soient sujets à la main morte.... « Chascun feu, conduit ou domi cile qui est ou sera en nostre dite censive sera tenu rendre et payer par chacun an, landemain de Noel, deux sols parisis de cens »

Donné à Bar, le IIIe jour de novembre, l'an de grâce mil troys cens quatre vins et huyt.

Amortissement donné par « Jean de Noyers, conte de Joigny, comme sires de qui ladite terre muet et est tenue en fief. »

Antigny, le 4 juillet 1389.

Trésor des Chartes, JJ 138, n° 115.

Collection de Chastellux, n° 379.


TABLE DES MATIERES

Pages

I. Sources 1

II. Géographie historique de la Puisaye 3

III. Organisation de la Féodalité 6

IV. La Puisaye sous les maisons de Toucy et de Bar. 9 Y. Fiefs et seigneurie S 19

VI. Droits féodaux 22

VII. Etat des personnes 30

VIII. Etat des terres 34

IX. Agriculture 37

X. Bois 43

XL Haies et clôtures 50

XII. Administration 53

XIII. Justice 55

XIV. Population 57

XV. — Monuments et habitations 59

XVI. Maladreries, Hôtels-Dieu 63

XVII. Commerce 65

XVIII. Mesures 66

XIX. Monnaies 68

XX. Chemins 69

XXL Lombards et Juifs 71

XXII. Moulins 75

XXIII. Forges 77

XXIV. Poteries 79

XXV. — Chasse 80

XXVI. Pêche 82

XXVII. Domaines ecclésiastiques 83

XXVIII. Noms de lieu 85

XXIX. Noms d'homme 89

XXX. Conclusion 91

APPENDICES

I. Généalogie de la Maison de Toucy 92.

II. Généalogie de la Maison de Bar 95

III. Nom de la Puisaye 97

IV. Valeur de la seigneurie de Puisaye 98

V. — Engagement de la Puisaye au comte d'Auxerre 99

VI. Baillis de Puisaye 100

VIL Dictionnaire des termes inédits 101

VIII. Liste des fiefs 101


129 TABLE DES MATIÈRES 255.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I. 1220. Etat de la châtellenie de Saint-Fargeau .... 105

II. 1241. Echange entre Moutiers et Jean de Toucy 107

III 1271. Portage de l'Evêque d'Auxerre 108

IV. 1306. — Partage fait par Jeanne de Toucy entre ses

enfants 108

V. 1316. Etat des coupes des bois de Puisaye 109

VI. 1317. Assignation du douaire de la comtesse de

Roucy 115

VIL 1324. Testament de la comtesse de Roucy ... 116

VIII. — 1326. Affranchissement des serfs à Toucy 117

IX. 1326. Aveu de Test-Milon 119

X. . 1335. Hommage pour Perreuse au comte de Nevers 120

XI. — 1335. Aveu au comte de Nevers pour Lavau 121

XII. 1344. — Ressort de la terre de Puisaye 124

XIII. 1368. Affranchissement de Trucy 125

XIV. 1383. Hommage au Roi par Yolande de Flandres,

pour Saint-Fargeau 126

XV. 1388. Douaire de Marie de France 126

XVI. 1388 Affranchissement de Fleury 127



MTR Y PENDANT LA REVOLUTION

(1790-1795)

Notes sur l'administration municipale d'après les registres de délibérations et les Archives du département de l'Yonne

Par M. J. CUTLLIER Directeur d'école à Auxerre

I

INTRODUCTION

Les documents inédits sur la Révolution française se font de plus en plus rares, mais il reste encore à glaner dans les archives de nos petites communes rurales.

Moins agitées que les villes par les passions politiques, éloignées des frontières et des centres révolutionnaires, en partie satisfaites par la suppression des droits féodaux et l'accession à la propriété des biens seigneuriaux et ecclésiastiques, nos campagnes ne connurent guère d'événements tragiques. Il serait néanmoins intéressant d'en relater la vie au cours de ces années de boulever sement politique et social. Quel accueil ont elles fait aux décisions des grandes Assemblées révolutionnaires ? Quels avantages en ont-elles retirés, ou, au contraire, quelles difficultés ces décisions y ont-elles suscitées? Voilà ce qu'on peut déterminer avec assez de précision en compulsant les registres de délibérations des assemblées communales, ceux du moins qui ont échappé à la destruction ou à la mutilation.

En 1911, grâce à l'autorisation rie la municipalité de Nitry (1), que nous remercions ici de sa bienveillance, nous avons pu retrouver à la mairie et reconstituer quatre registres-cahiers en mauvais état et mutilés et dont voici le détail :

(1) MM. Adine maire, et Rodot, adjoint.

17


258 NITRY 2

1er cahier, du 27 juin 1790 au 2 janvier 1791 (feuillet 5 au feuillet 38) ;

2e cahier, du 27 février 1791 au 27 novembre 1792 (feuillet 6 au feuillet 32) ;

3e cahier, du 27 janvier 1793 au 13 frimaire an II (feuillet 2 au feuillet 36 ; il manque les feuillets 16 à 24 inclus) ;

4e cahier, du 21 frimaire an III au 9 frimaire an IV (feuillet 2 au feuillet 21; le 22e feuillet porte une seule déclaration de l'an VI).

Malgré ces lacunes, et abstraction faite des transcriptions de lois, décrets ou lettres patentes, on possède là un ensemble intéressant de 215 délibérations. Les complétant au moyen des archives départementales (1), nous en avons tiré la substance des notes qui suivent.

Nous étudierons successivement l'administration générale et les finances, la garde nationale, les subsistances et réquisitions, les droits féodaux et biens nationaux, l'agriculture et les décisions diverses.

Mais pour la clarté de notre exposé, il nous paraît nécessaire d'indiquer tout d'abord les caractéristiques de Nitry et de son histoire.

II

NITRY AUJOURD'HUI

Nitry est actuellement un bourg de 480 habitants, du canton de Noyers, dans l'arrondissement de Tonnerre. Il est situé entre Vermenton et Noyers, sur la route d'Avallon à Joigny ; il s'élève sur le plateau qui sépare la vallée de la Cure de celle du Serein, à l'altitude de 250 mètres environ. Longtemps isolé et dépourvu de moyens faciles de communication, il est desservi, depuis 1921, par la ligne d'autobus Vermenton Tonnerre. Son finage de 3470 hectares, un des plus étendus du département, appartient aux versants de la Cure et du Serein et principalement au dernier. Il comprend un plateau peu accidenté aboutissant par des pentes rapides à l'ouest, sur la vallée de Joux à Sacy, à l'est, sur la vallée de Vaucharme, qui se termine à Chablis ; ce plateau est sillonné

(1) Nous avons, en outre, eu recours souvent aux ouvrages bien connus de M. Porée, archiviste départemental de l'Yonne, sur la période révolutionnaire dans notre département et particulièrement aux » Procès verbaux de l'administration départementale de l'Yonne, de 1790 à 1800 ».


3 PENDANT LA RÉVOLUTION 259

du sud au nord par un étroit vallon et son point culminant est à 278 mètres, sur la route de Joux. La partie nord ouest en est boisée ; ses terres argilo-calcaires, parfois fort caillouteuses, sont éminemment propres à la culture des céréales (assolement triennal) ; les pentes et le sommet portent quelques vignes reconstituées, moins étendues que les les anciennes; depuis une quarantaine d'années, des reboisements de pins ont été pratiqués dans les parties peu productives ; quelques prés et les friches servent de complément aux artificielles pour la nourriture d'un bétail assez nombreux. Les 3470 hectares du finage se décomposent ainsi (1911) (1) :

Terres labourables (y compris les articielles) 2.065 hectares

Prés naturels 12 hectares

Herbages 18 160

Pâturages et pacages 130

Vignes 50

Cultures maraîchères 1

Bois et Forêts 909

Landes 285

Total 3.470 hectares

Le bétail comprenait à cette date environ 200 vaches et 1500 moutons.

Nitry n'a d'ailleurs aucune industrie et tire subsistance et revenus uniquement de ses céréales, de ses bestiaux, de son bois et de son vin : c'est une commune exclusivement agricole.

Le village occupe le centre du territoire. Autrefois, une mare étendait au beau milieu de l'agglomération ses eaux souvent boueuses; elle a été supprimée en 1903 et remplacée par un réservoir souterrain d'eau potable ; une place bien nivelée en marque l'emplacement.

A part l'église du XVIe siècle, près de laquelle s'élève le monument aux morts de la grande guerre, on ne trouve, à Nitry, aucun édifice ancien ou remarquable; le violent incendie de 1755 a d'ailleurs nécessité la reconstruction de la plupart des maisons du village, dont beaucoup sont encore couvertes en « laves » (2).

Les fermes de Grille, Noiret et Vorme dépendent de la commune dont elles sont les seuls écarts.

(1) Renseignements tirés de la statistique agricole de 1911 et obligeamment communiqués par M. Marlot, instituteur.

(2) Pierres calcaires plates et minces utilisées dans la région en guise de tuiles.


260 NITRY

III NITRY AVANT LA RÉVOLUTION

L'origine de Nitry, mal déterminée, paraît antérieure à la con quête romaine. Le village gallo romain de Briennicum, situé à quelques hectomètres au nord ouest du village actuel, a disparu depuis longtemps. Nitry est mentionné comme paroisse dans les règlements des évêques Aunaire et Tétrice, au VIe et au VIIe siècle. La paroisse comprit plus tard, avec Nitry comme chef-lieu, le village de Lichères; elle subsista sous cette forme jusqu'en 1789.

Son territoire, enclavé dans l'ancienne Bourgogne, était, au XIe siècle, morcelé en plusieurs fiefs appartenant à divers sei gneurs dont les principaux étaient les seigneurs de Châtel Censoir (les Mairy) et les sires de Noyers.

Du XIe au XIIIe siècle, l'église de Nitry et toutes ses dépendances, aître, serfs, dîmes, etc., les terres et droits seigneuriaux des deux villages passèrent par dons ou par acquisitions entre les mains des abbés de Molême qui en firent une des seigneuries de l'abbaye ; le prieuré fondé par eux disparut vers le XIIIe siècle. Cette domi nation ecclésiastique ne prit lin qu'à la Révolution (1).

L'affranchissement du droit de mainmorte eut lieu à titre onéreux par une charte de 1278 dont nous ne connaissons qu'un très court fragment, mais qui fut renouvelée le 23 janvier 1380. Nous aurons l'occasion d'en parler ci après.

La tutelle des moines fut assez douce ; ils encouragèrent les défrichements en dégrevant les « essartes » du droit de tierce ; ils avaient droit de haute justice, possédaient moulin, four et pressoir banaux. Ils maintenaient l'assolement triennal avec jachère et encourageaient la culture de la vigne.

A plusieurs reprises, des aliénations de biens seigneuriaux eurent lieu ; elles furent importantes au XVIe siècle, à la suite des ordres du roi pour la vente des biens temporels du Clergé ; mais les abbés commendataires, qui avaient intérêt à grossir leurs revenus particuliers, s'occupèrent surtout d'augmenter leur

(1) Extrait de la « Monographie générale de Lichêres près-Aigremont, par J. Cuillier, partie historique (inédit).


5 PENDANT LA RÉVOLUTION 26l

domaine forestier au détriment de celui des habitants. Au XVIIe siècle, le prince de Conti, abbé de Molême, appliquant le droit de triage, se fit attribuer 300 arpents de bois qui s'ajoutèrent aux 200 arpents cédés par la charte d'affranchissement. Ses successeurs, profitant des embarras financiers de Nitry qui avait contracté des dettes importantes au XVIIIe siècle, cherchèrent à se faire céder plus ou moins légalement de nouvelles portions de la forêt. Les abbés firent encore distraire de la partie restante la quantité nécessaire au chauffage des fours banaux de Nitry et Lichères. Tous ces empiétements ne se firent pas sans soulever des protestations énergiques de la part des communautés lésées ; ils suscitèrent des procès interminables et de violents conflits où la vie humaine ne fut pas toujours respectée.

En 1789, la population de Nitry était évaluée à 250 feux et comprenait 800 âmes. On y trouvait environ 100 familles de jour naliers ne possédant rien et à peu près autant de familles de cultivateurs dont la plus grande partie labouraient les terres de propriétaires n'habitant pas la commune ; le reste de la popula tion comprenait surtout des marchands de grains ou de bétail et quelques menus commerçants. Si nous en croyons les doléances des gens d'alors, la misère était grande et l'impôt fort lourd ; les cultivateurs se plaignaient surtout de ne pas être propriétaires des terres où ils peinaient tant ; mais c'étaient des bourgeois et non des nobles qui en détenaient la majeure partie et la Révolution ne devait pas leur apporter, sur ce point, un notable changement. Malheureusement, nous n'avons pu retrouver les cahiers de doléances de Nitry pour y voir formulés, avec certitude, les plaintes et désirs de sa population.

Le territoire cultivable se composait alors de 3551 arpents de terres labourables (arpent de 51 ares) ainsi classées : 1re classe, 218 arp. ; 2e classe, 1452 arp. ; 3e classe, 1881 arp. ; — de 4 arp. 60 perches de pré et 79 arp. 1/2 de vignes. Il y avait 825 arpents de bois communaux.

Les biens seigneuriaux et ecclésiastiques, les droits de toute espèce étaient affermés à des particuliers ; en voici le détail :

L'abbaye de Molême, dont l'abbé était alors Mgr. de Cicé, évêque d'Auxerre, possédait des bâtiments, un four banal, la rente d'un moulin à vent non banal, 40 à 50 journaux de terre, 2 arpents 1/2 de pré. Elle avait en outre les tierces perçues au 60e, au 20e et surtout au 8e ; la dîme sur le vin, le chanvre, la laine, etc. ; les lods et ventes, droits de greffe et tabellionnage; le chauffage du four et 50 livres de rente sur les Religieuses Ursulines de Montbard;


262 NITRY 6

le tout amodié à J. Bapt. Gautherin, à Nitry, pour 7925 livres (1), jusqu'en 1790, et cédé à partir du 1er janvier 1791 à Corsaint, de Nitry, pour 7800 livres. 3 journaux de terre étaient restés amodiés à la veuve de Jean Gautherin, précédent fermier de l'abbaye, pour 5 livres.

Les bois possédés par l'abbé sur la seigneurie Nitry-Lichères comprenaient, comme nous l'avons vu, 700 à 800 arpents ; il y en avait 360 arpents environ sur le territoire de Nitry et en une seule pièce. Dans ces 360 arpents étaient probablement compris les 140 arpents (85 + 55) destinés au chauffage des fours banaux des deux villages (2). Ils produisaient, année commune, environ 3700 livres, plus 310 livres provenant du sieur Sardin, de Lichères, qui avait acheté les coupes destinées au chauffage du four banal de cette communauté.

De la chapelle de Notre Dame des-Champs (3) dépendaient environ 40 journaux de terre dont la récolte était amodiée à tiers de gerbes à Jean Doré, de Nitry, pour 100 livres.

Les Ursulines de Montbard possédaient 15 arpents 1/2 de terres labourables, 1 quartier de pré, 6 cordes de chénevières et un bâti ment d'exploitation, le tout amodié à tiers de gerbes (en 1790) à Jean Simon, de Nitry, pour 800 livres.

Enfin, les terres de la fabrique comprenaient environ 78 arp. (4).

Toutes ces terres faisaient partie des 3551 arpents mentionnés plus haut.

La taille était fixée, en 1789, à un total de 6208 livres dont 2910 livres de taille effective, 1470 livres de brevet et 1828 livres décapitation. La même année, les redevances étaient évaluées

(1) 7.500 livres pour les droits seigneuriaux et 420 livres pour la coupe des 8 arpents et demi de bois destinés au chauffage du four banal.

(2) Rien de plus variable que les superficies attribuées aux bois seigneuriaux sur Nitry, selon les pièces examinées : 271 arpents 13 octobre 1790) ; 350 arpents -L 85 + 55 (20 novembre 1790 . 498 arpents (12 décembre 1790 ; 41,) arpents (8 mai 1791), etc.

En réalité, ils comprenaient exactement 498 arpents sur Nitry, plus 200 arpents et le domaine particulier de l'abbaye sur Lichères.

Peut-être ce manque de précision est-il dû à la négligence des secrétaires ; il faut admettre aussi que l'on envisageait tantôt l'ensemble de la revendication; tantôt telle ou telle partie de la forêt.

(3) La chapelle de Notre Dame des Champs était située dans nn vallon, auprès d'une source, à 1 kilomètre Nord Est de Nitry. On peut en voir les restes encore aujourd'hui.

(4) Arch. communales de Nitry. reg. de délib. 3 octobre 1790, 20 novembre 1790.


7 PENDANT LA RÉVOLUTION 263

à 30.636 livres. La taille avait été de 6.881 livres et les redevances de 36.740 livres en 1788 (1).

En 1788, Nitry n'avait d'autres revenus que ses bois de 825 arpents, dont 200 en réserve de l'âge de 15 ans ; une moitié de cette réserve avait été coupée en 1784. Le reste des bois formait les affouages partagés entre les habitants à raison de 25 arpents par an (révolution de 25 ans), moyennant un versement de 8 ou 10 sols par habitant (feu) pour les frais de distribution et de coupe.

Une rente de 300 livres par an, sur les aides, à Paris, servait à la communauté pour payer le garde des bois.

Les impôts sur les bois communaux étaient de 44 livres pour vingtième.

L'église, le presbytère, les fontaines et puits avaient besoin de réparations urgentes et il restait encore 2.000 livres des anciennes dettes (2).

En 1789, la paroisse de Nitry, y compris sa succursale de Lichères, faisait toujours partie du diocèse d'Auxerre; elle en formait l'extrême pointe vers l'est, sur les confins des diocèses de Langres et d'Autun.

C'était, au point de vue de la justice, une prévôté seigneuriale ressortissant, à l'origine, au bailliage de Sens ; mais cette prévôté, bien qu'éloignée, fut incorporée au nouveau bailliage créé à Villeneuve-le Roi, en 1563, aux dépens de celui de Sens.

Nitry relevait, pour les bois, de la Maîtrise de Sens, et pour les impôts, de la généralité de Paris, élection et grenier à sel de Ton nerre, bureau intermédiaire de Chablis ; cependant, quelques habitations éparses et les terres adjacentes étaient sur la Bourgogne (3).

IV

ADMINISTRATION GÉNÉRALE

Jusqu'en 1790, la communauté de Nitry, comme la plupart des autres villages, avait eu une certaine organisation. Les affaires publiques se traitaient le dimanche, au sortir des offices religieux, devant la porte de l'église, parfois même à l'intérieur de l'édifice; les habitants s'assemblaient au son de la cloche : fort souvent, ils

(1) Porée, op. cit., tome I (Tableau de l'arrondissement de Chablis).

(2) Porée, op. cit., tome I, p. 230.

(3) Bull, de la Soc. des Sc. de l'Yonne, année 1909 ; Porée, la Formation du département de l'Yonne en 1190.


264 NITRY 8

étaient prévenus au prône du curé de l'affaire à discuter. La communauté avait donc ses assemblées générales, se réunissant quand les circonstances l'exigeaient. Elle avait son secrétairegreffier qui rédigeait le procès-verbal des réunions importantes sur des pages volantes dont beaucoup malheureusement sont perdues. Deux syndics (1) dirigeaient l'administration; un collecteur levait les tailles, un notaire dressait les actes; le procureur fiscal assistait à toutes les assemblées. Mais après l'intendant, auquel toute décision devait être soumise, le véritable maître de la communauté était le prévôt, représentant du seigneur, abbé de Molême.

Nous n'avons trouvé aucune trace de la constitution d'une municipalité en 1787 ou 1788 (édit de 1787) et aucune pièce ne mentionne un événement quelconque en juillet ou en août 1789 ; nous ne pouvons donc dire si la prise de la Bastille ou la nuit du 4 août eurent un écho à Nitry. Toutefois, comme dans les autres villages, la garde nationale fut constituée ; elle comprenait une centaine d'hommes, officiers et soldats (2), et quand l'organisation générale en fut terminée, elle formait, avec les hommes de Puits de Bon (3), une des quatre compagnies du bataillon de Noyers.

L'Assemblée constituante, par décision du 11 novembre 1789, divisa la France en départements, districts, cantons et municipalités. Dès le 12, s'engagèrent à Auxerre des discussions qui aboutissaient, vers le milieu de janvier, à la formation du département de l'Yonne. Le 26 janvier, le département était constitué, ainsi que les districts et cantons le composant. Nitry était rattaché au canton de Noyers, district de Tonnerre. Lichères, si longtemps lié à lui au point de vue religieux et féodal, fit partie du canton de Vermenton, dans le district d'Auxerre. En vain l'ancien prévôt de Vermenton, Bardet de Mandijon, proposa, entre autres choses, de détacher Nitry de Noyers pour l'unir au canton de Vermenton et de céder à Noyers, en échange, Lichères et Aigremont ; son avis ne prévalut pas et la décision précédente demeura ferme (4). La

(1) Beaucoup de communautés n'avaient qu'un syndic. Nitry en eut presque toujours deux vers la fin de l'ancien régime, ainsi que Lichères. village de la même seigneurie (Arcli. de Nitry, pièces diverses : supplique du 21 juin 1763, réunion du 31 (sic) avril 1758, etc.).

(2) Exactement 117, officiers compris au 27 juin 1790 (voir plus loin). (3) Aujourd'hui, hameau de Noyers (Yonne).

(4) Porée, la Formation du département de l'Yonne en 1790. Bull, de la Socdes Sc. de l'Yonne, année 1909, p. 76.


9 PENDANT LA RÉVOLUTION 265

demande des habitants de Nitry, du 16 pluviôse an VI, par laquelle ils prient l'administration de rattacher leur commune au canton de Joux, a beau faire valoir le mauvais état de la route de Noyers et être formulée à l'unanimité des 166 présents ; elle est repoussée (1). Nitry ne devait plus sortir du canton de Noyers.

Par décret du 14 décembre 1789, la Constituante décidait la convocation des assemblées de citoyens par municipalités afin d'élire le maire, les officiers municipaux et les notables avec lesquels on formerait le Conseil général de la commune. En 1790, Nitry avait exactement 112 citoyens actifs, 86 citoyens non actifs, 609 femmes et enfants et 17 domestiques, soit au total 824 personnes (2). En raison de sa population qui dépassait 500 âmes, il avait à élire 1 maire, 5 officiers municipaux, 1 procureur et 12 notables. Nous n'avons pas trouvé le procès-verbal de l'élection, car il était rédigé sur l'un des feuillets manquants du premier registre; cette élection eut lieu sans doute le 31 janvier 1790, date commune. Nous en avons reconstitué le résultat comme suit : maire, Pierre Gautherin ; procureur, Edme Gautherin, frère du précédent ; officiers municipaux, P. Laurent, Jean Cottereau, Pierre Dol, Pierre Ballacey, Jean Doré; notables, Jean Baptiste Gautherin, Jean Baptiste Boissard, Jean Rameau, Jean Baptiste Fournier, Jean Brûlé, Corsaint, Edme Simon, Balton, Jean Simon, Saja, F. Adine (?), Rebours (?).

Le procureur élu étant frère du maire qui avait un second frère parmi les notables, son élection n'était pas valable. Elle fut déclarée illégale par le département le 29 juin suivant et la municipalité fut invitée à faire un autre choix (3). Les électeurs se réunirent dans l'église, le 26 juillet 1790, au nombre de 50, et ils élurent Edme Rameau.

N'ayant pas encore de maison commune, les membres de la municipalité tinrent leurs séances dans la maison de l'un d'entre eux ; ils avaient pris comme secrétaire greffier Lamas, qui était recteur des écoles, à Nitry.

A peine en fonctions, ils s'occupent d'une importante affaire qu'ils auront à coeur de terminer à leur avantage et ils l'amorcent

(1) Cette délibération est la dernière des quatre registres ; elle fut prise sous la présidence de Edme Gautherin maire, elle porte 41 signatures. La délibération qui précède est datée du 9 frimaire an VI.

(2) Porée, Procès-verbaux de l'Administration départementale de l'Yonne, de 1790 à 1800, tome I. p. 380.

(3) Porée, op. cit., tome II, p. 5.


266 NITRY 10

le 3 juillet 1790 : c'est l'affranchissement de leurs terres du droit de tierce, et, par suite, la demande en restitution d'une partie des bois seigneuriaux. Cette question sera traitée à part.

Plusieurs membres de la municipalité faisaient partie de la

garde nationale et se trouvèrent compris parmi les huit délégués

envoyés à Noyers pour la Fédération. La municipalité ne jugea

donc pas nécessaire de désigner une délégation spéciale pour

Paris.

Le 14 juillet 1790, le maire et les membres présents de la municipalité firent assembler les habitants à l'issue de la grand'messe et tous prêtèrent avec enthousiasme le serment « d'être fidèle à la Nation, à la loi et au roi, et de maintenir la Constitution ». Le procès verbal de cette solennité fut transcrit au registre des déli bérations; nous en donnons ci après la copie intégrale :

« Cejourd'huy mercredy quatorze juillet mil sept cent quatrevingt-dix heure de midy a lissu de la grande messe paroissialle dud. Nitry au devant de la grande porte d'icelle.

« La municipalité assemblée assistée du secrétaire greffier ;

« Les habitants assemblés au son de la cloche et étants en grand nombre auxquels le maire a dit Mrs Voicy le moment où nos bons citoyens et compatriottes se sont réunis des quatres coins du royaume au milieu de la capitalle, pour y faire le voeux et le ser ment le plus solennel, de se réunir tous comme de vrais frères et ne plus faire qu'une seulle et même famille, et que sy malheureusement la paix en était troublée, ils jurent de verser jusqu'à la dre goutte de leur sang pour la patrie. Comme vous le scavez M" ils ne font pas ce serment seulement pour eux-mêmes; mais ils le font encore pour tous les Bons citoyens qu'ils représentent,

« En présence de l'Etre suprême, de lauguste assemblée nationalle et du méllieur des Rois que ce pacte fédératif se fait

« Ainsy Mrs Joignons nous au même voeu, et comme de fait nous jurons tous scavoir la municipalité et la commune par devant la municipalité

« Les mains levées vers le Ciel d'être fidèles à la nation, à loi (sic) et au Roy et de maintenir en tous nos pouvoirs la constitution du Royaume, il a été arrêté par le corps municipal que mention en soit faitte sur le registre de la municipalité de cette psse fait et arrêté par nous Pierre Gautherin, maire ; Pierre Henry Ballacey, Pierre Laurent, Jean Dorré, Jean Cottereau et Pierre Dol, officiers municipaux et du secrétaire-greffier soussignés avec les habitants a lexception de ceux qui ont déclarés ne scavoir signer ».


11 PENDANT LA RÉVOLUTION 267

Signé : Gautherin, maire ; Ballacey, Doré, Dol, Laurent, Cottereau, Boissard, Simon, Moyne, Edme Adine, Brûlé, Brûlé, Jean Simon, Martineau, vicaire, Gautherin Louis, Louis Moyne, Saja, Droin, François Daiguemorte, J. B. Fournier, E. Dorey, Jean Doré, Balton, P. Balton, Christophe Adine, Daiguemorte, Boissard, Pierre Simon, J.-B. Brûlé, Jean Dorré, E. Chartraire, Lamas, Jarry.

Le 3 octobre seulement, sur l'invitation du directoire de Ton nerre, la municipalité constitua son bureau et son Conseil ; furent élus du bureau, le maire Gautherin, et Edme Ballacey, premier officier municipal ; du Conseil, P. Laurent, J. Doré, J. Cottereau. P. Dol. Elle décida d'allouer un salaire de 60 livres au secrétairegreffier qui était alors Lamas, maître d'école (17 octobre). De plus, le 22 mai 1790, elle demanda que les citations faites par l'huissier du juge de paix et qui coûtaient 44 sols fussent faites par le greffier communal qui ne toucherait que 20 sous pour chacune. Le 26 mai, Louis Simon fut autorisé à porter les exploits et Jean Simon nommé tambour municipal.

Le Conseil fut renouvelé par voie de tirage au sort le 14 novem bre 1790.; les nouveaux élus furent J.-B. Boissard et Fournier, nommés officiers municipaux ; Jean, fils de Pierre (Gautherin ?), Rameau, Adine, Rebours, J.-B. Brûlé, Cl. Chartraire, nommés notables. Tous acceptèrent et prêtèrent serment. 36 citoyens actifs seulement avaient pris part à l'élection. Le 19 décembre, l'assemblée nomma son bureau : le maire et J. Cottereau, et son Conseil : Laurent, Dol, Boissard et Fournier.

Avec l'année 1791, les événements prennent une mauvaise tournure à Paris ; l'émigration continue; le roi s'enfuit le 20 juin et tâche de gagner la frontière. On ignore la direction qu'il a prise, toutes les municipalités sont alertées. Celle de Nitry requiert tous les citoyens et la garde nationale de se mettre sous les armes surle-champ et d'arrêter toute personne, soit à cheval, soit en voiture, soit à pied, si elle est inconnue, de fouiller les voitures et de don ner avis de ce qu'ils trouveront contraire au bon ordre. On sait comment la municipalité et la garde nationale de Varennes opé rèrent l'arrestation de Louis XVI.

L'émigration augmenta et de nombreux fugitifs allèrent grossir le rassemblement de Coblentz; les émigrés devenaient dangereux surtout en raison de l'appui que leur prêtaient les cours étran gères. L'abbé de Molême, seigneur de Nitry, Monseigneur de Cicé, avait émigré dès 1790. Les acquéreurs de biens nationaux se sentaient menacés; or, le 19 avril précédent, avait eu lieu la première adjudication concernant Nitry au profit du maire et de ses frères.


268 NITRY 12

La municipalité décide, le 26 juin, d'acheter 50 piques et demande aux administrateurs de Tonnerre d'envoyer une quantité de fusils en proportion de la population. « Voici, dit elle, des circonstances qui engagent tout le royaume à prendre les armes pour le soutien de la Patrie et le maintien des propriétés ». Elle fit monter régulièrement la garde par les citoyens.

C'est à peu près à cette époque (25 octobre 1791) que l'administration départementale songea à procurer, dans certaines com munes, du travail aux personnes indigentes, en créant des filatures. Elle décida qu'il serait nécessaire que le département accordât une somme de 2.000 francs pour en établir une à Nitry. Cette filature occuperait les femmes, celles ci ne trouvant pas de travail pendant la moitié de l'année, en raison de ce que le sol, trop humide, ne produisait pas de chanvre. Noyers, Ravières et Ton nerre étaient compris dans le projet ; nous ne croyons pas qu'il ait reçu un commencement d'exécution en ce qui concerne Nitry (1).

La fin de l'année approchant, il fallut procéder au remplacement du maire, de 3 officiers municipaux et de 6 notables. A la réunion qui eut lieu le 13 novembre 1791, dans l'église, Edme Gautherin fut élu maire ; J. B. Fournier, E. Balton, J. Guinebert, J. Boissard, officiers municipaux ; Cl. Chartraire, procureur ; Rebours, N. Boissard, J.-B. Guinebert, E. Rameau, P. Laurent et P. Gautherin, notables (2). Une nomination régulière fut faite de F. Lamas comme secrétaire greffier et P. Laurent comme tréso rier ; tous deux prêtèrent serment. .Le bureau et le Conseil ne furent constitués que le 25 décembre.

La famille Gautherin avait deux places dans l'administration communale, dont celle de maire. Il n'y avait point alors de maison commune à Nitry ; le 17 novembre, on choisit, pour tenir les séances, la maison que cette famille venait d'acquérir comme bien national et qui était proche de l'église. Les audiences des officiers municipaux furent fixées au jeudi de chaque semaine, à une heure du soir.

La nouvelle municipalité exigea des fonctionnaires municipaux plus de travail et d'exactitude ; le 19 janvier 1792, elle révoqua le

(1) Arch. de l Yonne, L 915.

(2) Composition du Conseil général : maire, Edme Gautherin ; officiers municipaux. J. B. Boissard, E. Balton. J. B. Fournier, Jacques Boissard, J. Guigne bert ; procureur, Cl. Chartraire ; notables. Ed. Trinquet, N. Boissard, F. Dubourg, J. Carré. F. Adine, J. Rameau, J. B. Guignebert, Ed. Simon-Rameau P. Laurent. P. Gautherin. J. B. Brûlé, J. Doré.


13 PENDANT LA RÉVOLUTION 269

secrétaire greffier et instituteur F. Lamas, et le remplaça comme instituteur par M. Gentilt, comme secrétaire par Edme Laurent ; le 27 février, ce fut le tour du pâtre communal Tremblay, rem placé par Jacques Moine.

La guerre, depuis longtemps menaçante, avait été déclarée le 20 avril. On connaît ses débuts malheureux et l'invasion du territoire national. La Patrie fut déclarée en danger : le Conseil en fit publier l'arrêté à son de caisse et aussitôt s'occupa des réqui sitions de fusils, de chevaux, de munitions ; le 8 septembre, E. Balton et J.-B. Boissard se rendent à Noyers avec l'état des marines trouvées à Nitry et se concertent avec les autres envoyés du canton pour la fabrication des piques; ils en réclament 120 pour leur commune.

La municipalité n'a plus de repos ; elle veille aux réquisitions, reçoit les serments des fonctionnaires et agents, expédie les fusils de calibre et les uniformes à Tonnerre ; elle décide de tenir deux séances publiques par semaine, le jeudi et le dimanche, de trois à cinq heures du soir, conformément d'ailleurs à l'arrêté du district du 13 octobre. Les lois et les comptes rendus des séances seront affiches à la porte de la maison des séances et de l'église.

Mais la canonnade de Valmy, l'enthousiasme et la fermeté de nos volontaires décidèrent les Prussiens à la retraite. Dégagée au nord-est, la frontière, vers les Alpes, était franchie par nos troupes ; en effet, le 22 septembre 1792, les Français entraient en Savoie et le 21 octobre, les Savoyards, assemblés à Chambéry, votaient leur réunion à la France ; le gouvernement républicain de la Convention ratifiait cette décision le 27 ; mais dès le 19, le district pre nait un arrêté fixant la fête civique qui devait commémorer cet heureux événement. Elle eut lieu à Nitry le 21 octobre, à midi sonnant. La municipalité au complet, la garde nationale en armes, une nombreuse assistance se réunirent autour de l'arbre de la liberté planté près de la mare (1). Les cloches sonnaient à toute volée et les assistants chantèrent solennellement « l'hymne des Marseillais ».

(1) Nous ne connaissons pas la date exacte de la plantation de l'arbre de la liberté à Nitry. Nous n'avons eu de renseignements sur ce point que d'une manière indirecte. Nous avons trouvé aux archives de l'Yonne, en date du 14 mai 1793, une requête de plusieurs citoyens de Nitry demandant à être déchargés d'une condamnation prononcée contre eux pour avoir arraché un arbre dans le bois des ci-devant religieux, « cet arbre ayant été donné à la commune pour perpétuer la mémoire de la Liberté ». Une enquête fut ordonnée. L arbre de la Liberté aurait donc été planté pendant l'hiver de 1791 1792.


270 NITRY 14

Le maire s'étant absenté, il trouva, à son retour, la commune dans un grave état de surexcitation ; il réunit aussitôt le Conseil, le 27 novembre, et il se plaignit que J.-B. Boissard « avait suscité un désordre des plus affreux », avec Cl. Chartraire, le procureur de la commune ; ils se seraient opposés à ce que les habitants fissent le partage de la coupe affouagère, disant qu'ils ne devaient rien, que l'impôt à payer était mal fondé et que « si quelqu'un payoit, on lui couperoit la tête ». Malheureusement, la fin du registre est déchirée et on ne peut connaître la suite donnée à cette affaire. Les électeurs durent momentanément abandonner le parti Gautherin, car l'élection de décembre, dont nous n'avons pas le compte rendu, porta J. B. Boissard à la tête de la commune. Ses adversaires ne devaient pas lui pardonner leur échec; ils ne le combattirent pas ouvertement, mais ils lui suscitèrent toutes sortes de difficultés avec l'administration. Celle-ci avait quelques complaisances pour eux car ils étaient gros acquéreurs de biens nationaux à Nitry (1). Boissard et la nouvelle municipalité furent en butte à leurs dénonciations. Ils accusèrent le maire d'avoir, en novembre, empêché le paiement des contributions et défendu au garde de rendre compte des délits commis au bois ; il aurait dit qu'il se moquait des lois ; il était représenté comme un homme séditieux car il tenait un cabaret ; il aurait empêché des enrôlements à Noyers. Plus tard, on prouvera à l'administration qu'il a enfreint la loi du maximum. Mais le Conseil est d'accord avec le maire ; par une délibération du 27 janvier 1793, il réfute ces accusations et prie l'administration départementale de ne tenir aucun compte de telles dénonciations. Malheureusement pour Boissard certains griefs étaient fondés; les apparences étant contre lui, l'administration sera disposée à le surveiller de très près et à se montrer sévère à son égard.

L'exécution du roi, en janvier 1793, avait aggravé la situation de la France, à l'intérieur et à l'extérieur, et les événements de Paris avaient leur contre-coup en province. A Nitry, le 28 avril, les électeurs furent convoqués dans l'église pour élire un comité de surveillance (loi du 2 mars); les travaux de semailles l'emportant sur la politique, il n'y eut que deux ou trois présents et on ne put procéder à l'élection. Le comité fut cependant constitué

(1) Ils jouissaient d'une certaine influence. Edme Gautherin avait été le seul citoyen de Nitry électeur à l'Assemblée législative.


15 PENDANT LA RÉVOLUTION 271

par la suite, bien qu'on ne trouve pas trace du fait ; on peut constater son intervention en plusieurs affaires.

Cette terrible année 1793 apporta besogne et soucis de toute sorte à la municipalité ; les réquisitions étaient incessantes et ne s'exerçaient pas facilement, les levées de soldats amenaient des troubles, les finances communales étaient en mauvais état. Et les. griefs s'accumulaient contre le maire ; celui ci ne s'apercevait peut être pas de la montée de l'orage et continuait à user de son pouvoir pour sauvegarder les intérêts de ses concitoyens en essayant d'écarter ou de réduire les réquisitions. Quand la mesure fut comble, il fut traduit à la barre du département, puis à celle du district; il s'entendit d'abord reprocher durement sa conduite, puis il fut condamné à la prison et incarcéré à Tonnerre (16 pluviôse, an II). Le Conseil en entier avait été dénoncé avec lui ; mais l'administration du district, considérant que les membres de la municipalité « quelque criminelle que soit leur conduite », ne pouvaient être suspendus ni destitués autrement que dans les formes prescrites par la loi, se borna à dénoncer leurs agissements à Maure, représentant du peuple, qu'elle invita à prendre les mesures nécessaires.

Nous n'avons aucun renseignement sur les dix mois qui suivent.

Le 26 frimaire an III, après une enquête dont nous ne connaissons pas les motifs, Maure « épure les autorités constituées » ; il révoque six membres de la municipalité et nomme maire Edme Gautherin; officier municipal, Nicolas Brûlé; agent national, Léonard Laurent ; notables, Al. Prestat, J. Mignerot, J. Moine, lesquels prêtent serment aussitôt; le 28, Nicolas Brûlé est nommé trésorier.

Désormais, et malgré les réquisitions continuelles, la tranquil lité revient peu à peu ; la municipalité met de l'ordre dans son fonctionnement ; elle se fait autoriser à payer ses frais de bureau, le bois et les ustensiles pour le feu, les appareils d'éclairage de la maison commune; à verser aux commissaires nécessaires lors des visites et réquisitions 10 l. par jour au compte de la commune ; elle reçoit, le 16 nivôse an III, la visite de Michaud, notaire à Noyers, délégué pour s'assurer de l'exacte transcription des lois et délibérations et activer l'exécution des ordres de l'administra tion centrale; le 2 pluviôse an III, elle fixe à 1 heure, tous les quintidis, les audiences de police municipale; elle prévoit des travaux importants.

Elle a encore des alertes : le 5 messidor an III, Guérard, com-


272 NITRY 16

missaire de Noyers, rend le Conseil entier « personnellement et collectivement responsable » de la non exécution des ordres de réquisition et en avise le district; mais elle ne s'en émeut pas et la menace reste lettre morte.

La loi municipale de l'an IV modifia profondément le corps municipal. Plus de corps délibérant ; un simple agent municipal élu : ce fut Edme Gautherin à Nitry. La vie municipale som meille; les registres de délibération sont clos pour longtemps.

Nommé maire plus tard, Gautherin fit publier et afficher à Nitry la proclamation suivante dont l'original existe aux archives communales (1) :

« Le Maire de la commune de Nitry aux concitoyens, « Citoyens, « Je vous annonce la feste du 18 brumaire et en même temps « celle de la paix qui sera célébrée le même jour. Je vous invite « de la célébrer tous et de cesser tous vos agricolles (sic) pour « vous livrer tous entier à cette heureuse feste qui est pour votre « bonheur et votre tranquillité. Je ne doute pas un instant que « aucun d'entre vous n'aprenent cette heureuse nouvelle avec « toute la satisfaction qu'un vrai républicain doit avoir et que ce « jour ne se passera que dans la joye et aux cries repettés de vive « la République et mille fois Vive à jamais le premier Consul « Bonnaparte.

« Signé : GAUTHERIN. »

Cet enthousiasme, la lecture des présentes notes nous l'explique. La famille Gautherin, aisée dès avant 1789, comprenait quatre frères : Pierre, Jean Baptiste, Edme, propriétaires et marchands de bois à Nitry, et Charles, laboureur et marchand de bois à Perrigny. Comme la plupart des bourgeois, ralliés dès l'origine à la cause de la Révolution, ils ont joué un grand rôle dans la municipalité de Nitry pendant la période révolutionnaire, rôle de direction, intéressé sans doute, mais d'autre part utile à la commune. Assez instruits et rompus à la pratique des affaires, les trois frères de Nitry ont sans cesse partagé ou détenu l'autorité municipale, sauf pendant les quelques mois de 1793 où, à l'exemple de Paris, le vrai peuple, besogneux, mais peu capable, la leur avait enlevée pour la confier à Boissard. Pierre avait été

1) Archives de Nitry. Pièce sans date, mais vraisemblablement de ventôse an IX février ou mars 1801.


17 PENDANT LA RÉVOLUTION 273

maire en 1790, puis capitaine de la garde nationale à la compa gnie de Nitry, puis commandant du bataillon de Noyers ; par ses démarches officielles, il avait contribué à la réintégration des bois seigneuriaux usurpés et était ensuite parti aux armées. JeanBaptiste avait fait partie du conseil général de la commune. Edme avait été tour à tour procureur, maire en 1791, 1792, en l'an III; agent national sous le Directoire, maire ensuite. Il avait pris, en 1790, l'initiative des réclamations concernant les bois et les tierces et avait secondé son frère dans la fin de l'affaire. Disposant de fonds, ils s'étaient rendus acquéreurs de la plus grande partie des biens nationaux vendus à Nitry ; ils avaient consolidé leur aisance première et la Révolution leur avait ainsi procuré des avantages moraux autant que matériels. Leur condition était devenue nettement supérieure parmi une population qui com prenait cent familles de journaliers et des cultivateurs presque tous fermiers de propriétaires forains.

On comprend qu'Edme Gautherin, plus soucieux de ses intérêts qu'attaché à la République, ait pu se réjouir, malgré le coup d'Etat, de l'établissement d'un gouvernement fort qui reconnaissait et affermissait sa situation politique et lui assurait la jouis sance de ses propriétés grâce à une paix qu'il croyait durable et qui fut d'ailleurs accueillie avec joie par les plus misérables de ses concitoyens.

V

FINANCES

Nous avons vu les charges fiscales de Nitry à la veille de la Révolution : elles se résumaient ainsi pour 1789: taille, 6.208 1. ; redevance, 30.636 1.

De 1790 à 1795, les municipalités eurent le souci continuel de se débarrasser des anciennes taxes et de faire face aux charges nouvelles créées par la contribution patriotique. Comme les municipalités actuelles, elles trouvèrent heureusement une précieuse ressource dans le produit des bois.

Le 3 octobre 1790, le rôle de la contribution patriotique fut dressé conformément aux décrets et transmis à Tonnerre ; il fut approuvé quand on eut constaté qu'il ne contenait pas de fausses déclarations (lettre du 14 novembre).

Le classement des terres, en 1779, n'avait point été fait, ou du moins les notes avaient disparu. Pour asseoir l'impôt de 1791, le

18


274 NITRY 18

Conseil dut le refaire ; nous en avons donné le détail au chapitre III ; le revenu net du territoire était fixé comme suit :

Terres, bâtiments et jardins 16.084 1. 4 s.

Bois communaux 2.300 1.

Bois nationaux (ci-devant communaux)... 902 1. 10 s.

Total.. 19 286 1. 14 s.

Il était d'usage de se servir de la vente des portions de bois pour payer les impôts ; le 17 octobre 1790, le Conseil demanda l'autorisation d'exploiter deux coupes, la première étant très mauvaise ; l'administration départementale s'y opposa absolument.

Le prix de l'affouage fut fixé, en 1791, à 4 1. 2 s.; le Conseil décida de payer le recteur d'école, pour son arpentage, sur les deniers communaux. L'affouage coûta 7 1. 15 s. en 1792, et un nommé Fournier fut chargé de percevoir les fonds. Pendant plusieurs années, la distribution des affouages ne se fit pas sans difficultés. Volontairement ou non, en 1793, dans la liste des affouagistes, on avait omis un certain nombre d'habitants qui dénoncèrent le fait à l'administration départementale. Celle-ci ne badina pas : le 9 nivôse an II, elle prit une délibération où la conduite de la municipalité de Nitry était sévèrement jugée. Elle lui rappela que le partage des affouages était une application nécessaire du principe d'égalité, que les anciens abus devaient disparaître « sous l'Egalité républicaine », qu'il était digne des magistrats du peuple de donner l'exemple de la soumission aux lois en pensant aux citoyens de la classe indigente, afin de les faire bénéficier des avantages communs, bien que ne participant pas aux charges publiques. Elle fixait à l'inscription sur la liste des affouagistes la condition d'un an de présence dans la commune ; elle arrêta que tous les citoyens, sans exception, auraient droit au partage, que les exclus seraient rappelés et qu'ils seraient payés de la valeur de leur affouage, si le partage était déjà fait et le bois enlevé ; elle rendait les officiers municipaux personnelle ment responsables de l'exécution de son arrêté (1).

Il faut applaudir à une telle mesure qui rappelait la municipa lité de Nitry à un devoir impérieux, le respect du droit des pauvres et le maintien de l'égalité. Elle fit sans doute quelque résistance, car le 25 ventôse an II, l'administration départemen(1)

départemen(1) op. cit., tome VI. p. 197.


19 PENDANT LA RÉVOLUTION 275

tale dut l'inviter à nouveau à se conformer à l'arrêté qu'elle lui avait signifié (1).

La vente des rouettes produisait quelques revenus. Ces rouettes, ou liens de menu bois, servaient aux fabricants de trains de bois pour Paris, sur la Cure et sur l'Yonne, pour rattacher les pièces de bois amenées à flot perdu jusqu'à Vermenton ou Cravant. En 1791, la commune en avait vendu 600.000 ; les 3/5e en avaient été livrés et payés (environ 3.500 1.). Le reste fut façonné et et livré en mars 1792 (1.400 1.); Boissard et Guinebert furent désignés pour surveiller la livraison. Le produit de ces ventes fut versé dans la caisse municipale. Le 26 juin 1791, 20.000 rouettes avaient été vendues aux habitants de Nitry pour lier les gerbes en moisson, à raison de 120 livres. Sur réquisition, une nouvelle vente en fut faite aux marchands de bois de Paris, le 3 messidor an III.

Enfin, les ventes de coupes passèrent par bien des vicissitudes. La municipalité, qui revendiquait une partie des bois seigneu riaux, devenus nationaux, mit opposition aux coupes, ou à leur paiement, et l'administration départementale, de son côté, refusait son approbation aux coupes de réserve demandées par la municipalité -, celle ci dut, à plusieurs reprises, faire valoir que le produit de ces coupes lui permettrait de payer ses dettes, de faire exécuter des travaux urgents et d'acquitter les impositions fort lourdes des bois communaux (13 avril 1793).

La commune obtient enfin l'autorisation de vendre 83 arp. 90 p. de réserve, au climat de la Couée. Le Conseil décide aussitôt qu'il sera payé comptant, sur le montant de la vente, 3.842 1. 19 s. pour l'imposition foncière sur les bois, y compris l'année de traitement des deux gardes ; il demande un mandat de 10.000 livres pour réparer le presbytère, faire construire une maison commune et un logement à l'instituteur ; enfin, il délègue pour la vente, qui aura lieu à Tonnerre, le 25 frimaire, le maire Edme Gautherin et P. Carré, officier municipal (23 frimaire an III).

Une délibération du 13 frimaire an II, nous prouve, d'autre part, que la commune était entrée en possession des bois usurpés par les abbés de Molême ; il en résultait des charges nouvelles, mais aussi une notable augmentation des ressources.

Il avait été assez difficile d'établir les premiers rôles de contri bution ; Nitry retarda tant leur envoi que l'administration du dis

(1) Porée, op. cit., tome VI, p. 295.


276 NITRY 20

trict dut intervenir pour faire presser le travail qui fut confié à « des personnes capables. » Le 4 avril 1792, Pierre et Edme Gautherin et le maître d'école, Nicolas Gentilt, en furent chargés, avec un délai de six semaines et moyennant 480 1.

P. Laurent avait été nommé, le 15 août 1791, receveur des impo sitions. Il vint à décéder et le Conseil le remplaça d'urgence par Claude-SimonRameau, qui accepta cette charge moyennant quatre deniers par livre pour l'imposition mobilière et trois deniers par livre pour les patentes. Le 7 août 1792, l'administration départe mentale homologua cette nomination, bien qu'irrégulière dans la forme et quant à la rétribution, afin de ne pas retarder la rentrée des impôts. Le 1er avril 1793, J. Doré prit, à la criée, les fonctions de trésorier, moyennant 2 d. par livre. Enfin, le 28 frimaire an III, il fut remplacé par Nicolas Brûlé.

Le 6 messidor an III, le district demanda à la municipalité de Nitry l'inventaire de l'actif et du passif de la commune. A cette époque, Nitry ne devait plus rien; il n'avait comme revenus que sa réserve de communaux, d'environ 100 arpents, aménagée dix ans auparavant ; sa seule ressource pour régler ses impositions foncières était le produit de la coupe vendue à Tonnerre ; il avait à payer en impositions 5.781 1. sur les bois et 500 1. pour les gardes ; mais le produit de la coupe était élevé et pouvait faire face à bien d'autres dépenses.

La situation financière, en 1795, était donc satisfaisante.

VI

GARDE NATIONALE ET RECRUTEMENT

Au point de vue militaire, de 1790 à 1795, l'administration communale eut à s'occuper de la garde nationale et du recrutement pour les armées. Mais nos renseignements sont très incomplets en raison des lacunes des registres.

Aucune pièce, avons-nous dit, ne mentionne l'organisation de la garde nationale à Nitry ; la date et l'initiative de sa création nous sont inconnues ; ce sont les archives de l'Yonne qui nous apprennent que les hommes, de Nitry, joints à ceux de Puits-de Bon, formaient une compagnie sur les quatre du canton de Noyers (1).

1) Porée, op. cit., tome IV, p. 122.


21 PENDANT LA RÉVOLUTION 277

Le 28 mai 1790. la garde nationale de Nitry comprenait 117 officiers et soldats qui se réunirent pour nommer leurs délégués à la Fédération et jurer le maintien de la Constitution ; ils dési gnèrent J. B. François, P. Gautherin, E. Laurent, E. Balton, P. Piat, P. Guinebert, Jean le Noble, fils de Jean, qui se rendirent à Noyers où l'élection par bataillon des délégués pour Paris devait avoir lieu. Le décret de l'Assemblée donnait droit à un député pour 200 hommes. P. Gautherin fit peut être partie des élus, car 51 ne parut pas à la fête locale, le 14 juillet suivant. Nous avons vu, plus haut, comment cette fête fut célébrée par les gardes nationaux et autres citoyens de Nitry.

Destinée à assurer l'ordre à l'intérieur, la garde nationale de Nitry remplit son devoir consciencieusement. A la nouvelle de la fuite de Louis XVI, elle prend les armes et monte la garde de jour et de nuit, exerçant une étroite surveillance sur les voya geurs, d'ailleurs assez rares, passant par la commune.

Après l'arrestation du, roi, le Conseil général vote « un témoignage de satisfaction » à sa milice pour son patriotisme, son exactitude et son zèle ; il croit même devoir signaler à l'administration départementale la conduite scandaleuse de la garde de Joux « qui est restée inactive depuis huit jours, ce qui constitue un exemple dangereux » (30 juin 1791).

D'après la Constituante, le recrutement de l'armée devait être assuré par des engagements volontaires ; ils furent insuffisants : les gardes nationales devinrent des pépinières de soldats.

Le 2 juin 1791, lors de la fuite du roi, croyant la guerre étrangère imminente, l'Assemblée mobilise les gardes nationales du Nord Est de la France et ordonne la levée de 100.000 volontaires pris dans les gardes nationales du reste du territoire. Nitry fournit son contingent. Mention en est faite dans une délibération du 19 septembre 1791 : « Vous savez avec quel empressement la garde « nationale de cette commune s'est enrollé dans les volontaires « pour se transporter sur les frontières pour le soutien de la « Patrie. » Ce même jour, 14 volontaires étaient demandés ; nous ne savons pas les noms de ceux qui partirent, mais le Conseil décida qu'ils recevraient 126 livres ; 42 livres seraient consacrées aux frais de route, car plusieurs volontaires des précédents départs n'avaient pu les payer; le surplus devait être réparti par parts égales entre ceux qui seraient désignés pour se transporter aux frontières. Ainsi donc, les pauvres s'enrôlaient aussi bien que les riches.

Rien de saillant au registre en 1792. Mention est faite d'un


278 NITRY 22

arrêté du corps municipal, en date du 4 septembre, portant « que « sur le champ la quaisse serait batue dans toutes les places « communes de cette commune avec un officier municipal pour « communiquer aux citoyens ledit arrêté que la Patrie est en « danger en les invitans de voler à son secours pour combattre " les henemis de la Liberté et d'apporter leurs fusils... » Des piques devaient remplacer les fusils versés.

Il dut y avoir un départ de volontaires, car 8 uniformes en pro venant se trouvaient libres en octobre suivant.

Avec l'année 1793, les réquisitions de service adressées à la garde nationale se multiplient; elle doit viser les passeports des étrangers, faire cesser le tumulte, courir au feu (29 mars). Le 30 mars, elle est requise en permanence, « tant que le danger de la Patrie existera » ; mais le surlendemain, le Conseil demande à suspendre cette permanence en raison du retard qu'elle apporte aux travaux agricoles, et il fait remarquer avec raison qu'il ne passe guère d'étrangers à Nitry, puisqu'il n'y a pas de grande route.

En février, pour faire face à l'Europe, le Gouvernement se décidait à recourir aux levées en masse. Tous les hommes de 18 à 40 ans, non mariés et en état de porter les armes, sont déclarés en état de réquisition permanente. Le 3 avril, parmi les 463 hommes du contingent demandé au district de Tonnerre, Nitry dut fournir 8 hommes. On fait réunir les inscrits, qui sont au nombre de 53. Le commissaire invite les jeunes gens à s'enrôler volontairement, mais aucun ne se présente ; tous demandent le tirage au sort. Le hasard désigna donc Pierre Trinquet, Pierre Simon, Christophe Carré, François Simon, Jean Maillot, Jean Simon, Pierre Mion et Jean Baptiste Simon, qui furent requis de se tenir prêts à marcher au premier ordre.

Sur ces huit jeunes gens, deux furent réformés : F. Simon et Ch. Carré ; on fit un nouvel appel au contingent. Le 14 avril, 44 inscrits se présentent au commissaire et à la municipalité, mais ils demandent à désigner les deux partants au vote secret. Nicolas Leblanc, par 32 voix, Jean Soisson, par 29 voix, sont proclamés soldats. Ils durent se rendre le lendemain à Tonnerre pour être dirigés sur Metz.

Le 3 mai, le district demanda l'état des citoyens non armés. En même temps, les commissaires du district informaient la municipalité que sur les deux soldats attendus le 15 avril, un seul, Jean Soisson, s'était présenté, l'autre s'était enfui. Le Conseil fait aussitôt comparaître Claude Leblanc, père du fugitif, et le somme


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de lui présenter son fils. Claude Leblanc, furieux contre la muni cipalité et les jeunes gens de Nitry qui ont désigné Nicolas pour l'armée, s'emporte et répond hardiment qu'il préfère que son fils aille s'engager ailleurs; c'est se déclarer complice de la fuite du jeune homme, et le Conseil pense que celui-ci ne doit pas être loin. Il en avise donc l'administration qui fait rechercher le réfractaire.

Cet incident, qui eut des suites fâcheuses, fait nettement res sortir l'inconvénient d'un pareil mode de désignation qui livrait le recrutement aux passions locales et ouvrait la porte à tous les abus (1).

En effet, les citoyens de Nitry, obligés de désigner un rempla çant au fugitif, rendirent la vie dure à toute la famille, si bien que Claude Leblanc, exaspéré, s'emporta en menaces contre ses concitoyens, parla de mettre le feu au village et jura de se venger d'une manière ou de l'autre. La première colère passée, il persista dans ses projets de vengeance, approuvé par tous ses parents, de telle sorte que la municipalité, jugeant ces gens dangereux, réquisitionna la garde nationale pour les désarmer. Un détache ment commandé par le capitaine Pierre Gautherin se rendit aussitôt chez Leblanc et se saisit de son fusil qui fut déposé le lendemain, 22 mai, entre les mains des officiers municipaux. Leblanc ne semble pas être revenu par la suite à de meilleurs sentiments car, le 9 juin, le Conseil municipal maintint la déci sion par laquelle il le signalait comme suspect et donnant des marques d'incivisme.

Une modification avait été apportée l'année précédente (12 avril 1792) à l'organisation de la garde nationale du canton de Noyers (2). Pour donner satisfaction à Puits-de-Bon, rattaché à Nitry, et qui réclamait, l'administration départementale avait arrêté que le bataillon de Noyers, formé à quatre compagnies, aurait deux compagnies formées par Noyers, une par les quatre villages « de la rivière » et une par Nitry et Villiers (3). C'est pourquoi, le 14 juin 1793, la garde nationale de Nitry et Villiers s'assembla à Nitry pour la nomination d'un lieutenant en rem(1)

rem(1) était dû à Prieur de la Marne art. II de la loi). Une modification y fut apportée par la Convention, le 13 mai 1793, à l'exemple de ce qu'avait fait le département de l'Hérault (Voir à ce sujet : A. Mathiez, la Révolution Fran çaise, t. II, pages 193 et suivantes).

(2) Porée, op. cit., tome IV. p. 122.

3) Villiers-la-Grange, aujourd'hui hameau de Grimault.


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placement de Edme Laurent, parti pour l'armée et alors cap... (?) au 3e bataillon de l'Yonne à l'armée du Nord. Il n'y eut que 22 votants. Edme Gautherin fut élu lieutenant par 16 voix et PierreJ. B. Gautherin proclamé porte-flamme à l'unanimité.

C'est sans doute à la même époque que partit le capitaine Pierre Gautherin que nous retrouverons plus tard cap... (?) au 3e bataillon de l'Yonne, armée du Nord (3).

A ce moment, les jeunes gens mis en état de réquisition (18 à 25 ans) avaient été appelés à Tonnerre; ils furent licenciés au bout de quinze jours, et quand Jacques Poiron, commissaire pour le canton de Noyers, passa dans la commune sur l'ordre de Maure, on l'avertit de leur retour. Néanmoins, il donna l'ordre d'en dresser la liste, conformément au modèle réglementaire, ce qui fut fait les jours suivants. Mais ils refusèrent de laisser prendre leur signalement et le Conseil fut obligé d'exposer le cas à l'adminis tration, tout en protestant qu'ils se tenaient prêts à partir.

Le trimestre qui suivit la moisson de 1793 fut une période d'activité pour la garde nationale de Nitry ; elle fut continuellement réquisitionnée pour les visites domiciliaires, la garde des portes, la surveillance des convois de blé et pour empêcher les enlèvements clandestins de grains (22 octobre). A partir du 4 frimaire, le caporal Christophe Adine dut prendre 8 hommes et monter pendant près d'une semaine la garde aux portes afin de visiter les voitures et vérifier les acquits. Nous verrons que leur vigilance était justifiée.

Le 15 nivôse an III, la garde nationale réunie sur la place publique procéda au renouvellement de ses chefs. François Corsaint, précédemment lieutenant de grenadiers du canton de Noyers, fut élu capitaine ; Jean Cottereau fut nommé sergent et J. B. Fournier, caporal. Ils prêtèrent aussitôt le serment accoutumé.

Quand la Convention eut décrété la réorganisation des gardes nationales, la convocation fut lancée à Nitry pour le 30 messidor an III. L'enthousiasme de 1789 était tombé, les circonstances n'étaient plus les mêmes et d'ailleurs Nitry avait payé sa dette à

(1) Séances du Conseil, 2 vend, an IV , délivrance d'un certificat pour procuration.

Rappelons que ce 3e bataillon est celui que commandait Davout et qui fit le 4 avril 1793, 1 accueil que l'on sait à Dumouriez accompagné de dragons autrichiens.


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la Patrie : ses enfants combattaient encore sous le drapeau de la République. Personne ne se présenta ; le Conseil remit la séance au lendemain, 1er thermidor, à une heure de l'après-midi, et les citoyens furent encore en nombre insuffisant : la section de Nitry ne put être constituée. Le Conseil consigna le fait aux registres et en avisa l'administration du district. C'est la dernière mention qui soit faite de la garde nationale.

VII

SUBSISTANCES ET RÉQUISITIONS

Ce qu'il y a de caractéristique à Nitry, pendant la période révolutionnaire, c'est l'importance des réquisitions et le trouble qu'elles apportèrent dans la vie relativement calme du village.

La culture y poursuivait une série de mauvaises années ; le

rigoureux hiver de 1789 avait gelé les blés ; 1790 et 1791 avaient

fourni des récoltes à peine passables ; celle de 1792 fut mauvaise

en grains, nulle en fourrages. Le prix des grains monta considérablement

considérablement dans la région, le pain valait plus de 5 sols la livre.

On sait avec quelle difficulté la Convention put assurer à la fois le ravitaillement des armées aux frontières et la subsistance à l'intérieur. En effet, le commerce était désorganisé, les approvisionnements des centres ne se faisaient plus avec la même régularité; le gouvernement avait en outre à lutter contre les agissements coupables des accapareurs et l'égoïsme des producteurs dont le désir secret était trop souvent de profiter d'une hausse due à la rareté des denrées, sinon de la provoquer.

Nous savons aussi comment renchérissement des vivres eut pour conséquence la loi du maximum et leur rareté, le système vexatoire, mais indispensable, des réquisitions (1).

Pendant l'ancien régime, Nitry avait été un centre assez actif pour la vente du blé ; de nombreux marchands y résidaient et d'autres y venaient d'assez loin ; le commercé portail surtout sur le grain récolté dans la région et aussi sur de grosses quantités que l'on amenait de la vallée d'Epoisses. Nitry était donc tout désigné pour l'application du système établi par le gouvernement ; il ne fut guère ménagé.

(1) Voir Porée, les Subsistances dans l'Yonne et particulièrement dans le district d'Auxerre pendant la Révolution. in-8°, Paris, 1903.


282 NITRY 26

Dès 1791, en application des instructions du ministre de l'inté rieur, la municipalité avait dû fournir des renseignements sur l'état des récoltes (26 septembre). D'après ses dires, il ne restait à Nitry ni grain, ni vin des années précédentes. Les terres pouvaient produire ordinairement 6.000 bichets, froment et seigle, et 6.000 bichets, orge et avoine, sur lesquels il fallait se nourrir et prélever la semence pour l'année suivante; 450 feuillettes de vin, insuffi santes pour la consommation des habitants ; 1.000 livres de chanvre et 30 bichets de chènevis. L'année 1789 n'avait donné à Nitry qu'une demi-récolte en grains; 1790 et 1791 avaient été des années ordinaires ; quant au vin, on n'en avait eu qu'une demi récolte en 1790, un quart de récolte en 1791. En cette même année 1791, Nitry disposait pour la vente de 500 bichets de froment, autant d'avoine et d'orge ; ces grains devaient être menés, comme à l'ordinaire, au marché de Vermenton ; la quantité disponible ne pouvait être plus considérable en raison de ce que la plupart des fermages (et ils étaient nombreux) se payaient en nature.

C'était peu pour la surface ensemencée ; dans les dernières années de l'ancien régime, la crainte des impôts avait sans doute donné l'habitude des fausses déclarations.

Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre à l'Autriche. Le 4 septembre, on lit aux habitants de Nitry la déclaration de la Patrie en danger; ils sont invités à fournir volontairement leurs fusils de calibre et à conduire aux armées les chariots, charrettes et munitions de première nécessité. Le Conseil prévoit des refus ; pour y parer, il fournit d'avance certaines excuses, d'ailleurs en partie valables : en dehors des fusils déclarés, les habitants n'ont guère que des fusils de chasse; les chevaux sont trop petits et indispensables aux travaux du sol ; il n'y a pas de chariots et les voitures sont petites ; enfin le peu de munitions dont on dispose est nécessaire à la défense du village.

Evidemment, il y a là une manifestation d'égoïsme ; mais ces gens, en général, étaient fort besogneux. Il est assez curieux, néanmoins, de constater qu'ils n'avaient pas marchandé leur sang en fournissant des volontaires aux armées et qu'ils étaient relative ment plus fermés aux sacrifices pécuniaires. Ne voit on pas quelque chose d'analogue aujourd'hui ?

Quelques jours avant Valmy, la première réquisition fut signifiée au village. Rappelons, une fois pour toutes, que ces réquisitions, presque toujours justifiées, étaient payées ordinairement en assignats et au tarif du maximum. Les Prussiens entraient en


27 PENDANT LA RÉVOLUTION 283

Champagne, à quelques marches seulement de l'Yonne ; le résultat des manoeuvres de Dumouriez et de Kellermann était incertain ; la possibilité d'un désastre pour nos troupes de première ligne rendait urgente l'organisation de formations de réserve. Le 15 sep tembre, deux commissaires de Noyers, Edme Boyer et François Avignon, arrivent à Nitry, munis de pouvoirs spéciaux émanant du district. Ils requièrent aussitôt plusieurs voitures de grains pour Tonnerre et le dépôt des armes ; état sera dressé des dépo sants. Sur leur demande, le Conseil nomme quatre commissaires locaux, E. Gautherin, J. Boissard, Simon Rameau et J. B. Brûlé, afin d'effectuer avec eux les visites domiciliaires à l'effet de recon naître les grains, les habillements d'uniforme et les armes.

Les fusils furent déposés le 8 octobre suivant; on en trouva cinq de calibre qui furent envoyés à Tonnerre avec huit uniformes provenant de volontaires de la commune et des environs (Nitry et Villiers-la-Grange).

Les victoires de Valmy et de Jemmapes rassurèrent nos populations et en écartèrent les armées ; il est probable que Nitry n'eut rien à fournir pendant l'hiver de 1792. Mais la récolte avait manqué en blé et en vin (dél. du 7 avril 1793), et les vignes de Nitry gelèrent entièrement le vendredi 31 mai 1793 (dél. du 2 juin). Déjà, depuis le mois de novembre précédent, la commune devait fournir son blé disponible à Tonnerre, chef lieu du district. Or, en raison de la mauvaise récolte de 1793, la petite ville de Vermenton (1), sur la Cure, se trouva dépourvue de grains ; réduite a signaler sa situation désespérée à l'administration départementale, elle demanda une prompte assistance. Par un arrêté du 5 sep tembre 1793, il fut ordonné que les officiers municipaux de Nitry alimenteraient les marchés de Vermenton ; quant à Tonnerre, il devrait, jusqu'à nouvel ordre, s'approvisionner dans les communes de Carisey, Dyé, Villiers Vineux et La Chapelle Flogny (2).

Forts de cet arrêté, les habitants de Vermenton vinrent tous les jours acheter du blé à Nitry. Ceux des communes vignobles des environs, Accolay, Vincelottes, Irancy et même Saint-Bris (3), se hâtèrent de les imiter.

Il en résulta un certain désordre, des pertes de temps au moment

(1) Vermenton. chef lieu de canton, 14 kilomètres de Nitry Tonnerre est à 28 kilomètres.

(2) Porée, Procès verbaux de l'Administration départementale de l'Yonne, de 1790 à 1800, tome VI, p. 39.

(3) Saint Bris. 18 à 20 kilomètres de Nitry par les anciens chemins.


284 NITRY 28

des semailles ; le Conseil aurait voulu régulariser ces ventes qui avaient lieu au prix de la taxe, soit 14 livres le quintal ; il demanda, en conséquence, que fussent installés à Nitry un marché et des foires, faisant valoir avec raison que cela permettrait une économie de temps très précieuse, vu le départ de nombreux jeunes gens aux armées. En outre, il réclamait, comme compensation à la taxe du blé, la taxation de toutes les autres marchandises de première nécessité et même celle du travail. Demande légitime, car la loi du maximum appliquée au blé seul mettait les communes productrices dans une situation défavorable, en raison du prix élevé des autres denrées. « D'ailleurs, faisait remarquer le Conseil, la loi permet aux communes d'établir un marché chez elles et Nitry est assez important pour le faire. Il compte 200 feux et il est bâti sur trois branches de routes à deux ou trois lieues des villes les plus proches ». Le marché serait fixé au jeudi de chaque semaine et les foires, aux dates suivantes : samedi des Cendres, 5 mai, 24 juillet, 20 septembre et 4 décembre. Les habitants de Nitry n'arrivèrent pas à faire prendre leur demande en considé ration (1).

Sur l'ordre de Maure, représentant du peuple, Jacques Poiron, commissaire spécial du canton de Noyers, en mission, vint le 3 octobre 1793 présenter plusieurs réclamations au Conseil géné ral de Nitry. Il demandait, entre autres choses, que l'on conduisit à Tonnerre les grains nécessaires à la subsistance, pendant deux mois des jeunes gens en état de réquisition (Voir ch. VI). La valeur en serait d'ailleurs régulièrement payée. Il demandait aussi la nomination de délégués pour faire avec lui le recensement des grains dans la commune. Or, les jeunes gens réquisitionnés avaient été licenciés ; Nitry ne devait donc rien de ce fait. Le Conseil le fit remarquer au commissaire et lui rappela en outre que les grains de la commune étaient à la disposition de Vermenton, d'après l'arrêté du département en date du 5 septembre 1793 ; que le 9 du même mois on avait remis au district 4 fusils, les seuls trouvés de calibre ; enfin, que l'état des grains avait été dressé avec soin, et on le lui présenta.

Cependant, à la requête de Maure, une réquisition de 40 quintaux de blé par semaine, à conduire au marché de Vermenton, est

( 1) Ils avaient été plus heureux en mars 1638 ; des lettres patentes de Louis XIII avaient autorisé quatre foires dans la paroisse et un marché, le mardi de chaque semaine (Arch. de la Côte d'Or. Fonds Molême, Nitry Lichères.


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signifiée à la municipalité de Nitry le 7 octobre, avec ordre au maire et au procureur de comparaître le lendemain à Auxerre, à la barre du département. Leurs réponses du 3 octobre n'avaient pas plu ou avaient été mal interprétées. Le Conseil en délibéra aussitôt. Il décida que Nitry ferait le nécessaire quant à la réquisition ; mais il fournit en outre des excuses légitimes à son manque d'empressement, faisant remarquer que journellement la com mune envoyait des grains à Vermenton, qu'il y avait eu des départs au moment des semailles, occasionnant un manque de bras au pays, que les grains d'Epoisses ne venaient plus à Nitry comme autrefois, toutes choses parfaitement exactes ; il disait encore que le recensement des grains n'était pas terminé, mais cela n'était plus conforme à sa déclaration du 3 octobre ; il demandait même un secours pour parer à la disette de fourrages, Nitry n'ayant pas de prairies ; enfin, il spécifiait que copie de cette délibération serait remise au maire et au procureur qui se rendraient à Auxerre et s'en serviraient comme pièce justificative.

Maire et procureur comparurent donc à Auxerre le 8 octobre devant l'administration départementale. On leur enjoignit « d'op tempérer » sans délai aux réquisitions qui leur seraient adressées dorénavant, et ils repartirent pour Nitry, sachant bien ce qu'une infraction à de pareils ordres, en un tel moment, pourrait leur coûter. Aussi, le soir même, le Conseil renouvela sa demande d'établir foires et marché ; il élabora même un règlement complet sur les dates, emplacements et conditions diverses; mais il n'eut pas plus de succès que la première fois.

A ce moment d'ailleurs, les doléances de Nitry étaient de bien minime importance aux yeux des administrateurs. Le premier semestre de 1793, qui voyait éclater les insurrections royalistes, la guerre civile et les trahisons, n'avait pas été très heureux pour nos armes. Mais le 14 août Carnot entrait au Comité de salut public et tout allait être mis en oeuvre pour repousser l'invasion et sauver l'unité nationale.

L'armée ayant besoin de canons, on fondit les cloches des églises. Nitry en possédait trois. Chéret, procureur syndic de Tonnerre, en réquisitionne deux. Le 18 octobre, on décide qu'elles seront descendues et conduites à Tonnerre. François Droin, de Nitry, en effectue le transport le 20 octobre suivant moyennant 100 livres.

L'invasion restait menaçante et les fusils avaient été réquisi tionnés ; pour arrêter les incursions possibles des hussards ennemis, l'administration centrale avait décidé la fabrication de 500.000 piques. Le fer nécessaire fut réquisitionné et les communes


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durent fournir l'état des fers disponibles chez les maréchaux. Le 11 brumaire an II (1er novembre 1793), on trouva chez Pierre Ballacey, maréchal à Nitry, une barre de fer de 24 livres et une pièce d'acier de 12 livres ; chez Nicolas Brûlé, maréchal, 60 livres pesant de fers disponibles. L'état en fut aussitôt envoyé à Tonnerre.

On procède à la réquisition des chevaux ; le canton de Noyers doit en fournir cinq. Les commissaires de Noyers arrivent à Nitry le 22 octobre et passent la visite des chevaux de la commune (1) ; ils en trouvent un seul convenable. La déclaration du 4 septembre 1792 n'était donc pas fausse.

Les communes environnantes continuaient à venir s'approvisionner en grains à Nitry. Se rappelant les menaces faites au maire et au procureur, les officiers municipaux cherchèrent à se mettre à couvert en décidant sagement de ne laisser partir aucun chargement de blé sans certificat ; il leur serait ainsi loisible d'indiquer à tout moment aux autorités le montant du stock disponible. Ils avaient compté sans la fraude: de nombreux cultivateurs, tentés par des offres supérieures au prix légal, livraient leur blé à des acheteurs clandestins. Le Conseil réquisitionna la garde nationale qui fut chargée d'exercer une surveillance active dans le village et au débouché des routes (22 octobre).

On chercha par tous les moyens à augmenter la quantité de blé vendable. Nitry possédait un moulin à vent qui touchait pour droit de mouture l/20e des grains; le meunier fut dorénavant payé en argent et non en nature, et en application de la loi du maximum, le Conseil décida qu'on lui accorderait pour chaque bichet de blé, 11 sous 3 deniers ; de méteil, 9 sous 9 deniers ; de seigle, 8 sous ; d'orge, 6 sous 6 deniers (1er brumaire an II).

Souffrant toujours de la disette, voyant les provisions de Nitry diminuer, Vermenton s'inquiète de ce qu'il pouvait y rester de grains. Le 12 brumaire, la petite ville envoie trois commissaires, afin de procéder à un nouveau recensement des subsistances de Nitry, « en grains, tisses ou farines ». Le Conseil général de Nitry « désirant entretenir avec le Conseil général de Vermenton la paix et l'union qui les lient depuis longtemps » fait acte de bonne volonté : il nomme deux commissaires, les citoyens Corsaint et Adine, pour faire le recensement demandé, lequel eut lieu le mardi suivant à sept heures du matin.

(1) La déclaration des commissaires, écrite de la main de l'un d'eux au registre, porte pour la première fois les dénominations du calendrier républicain : 1er jour, 1re décade 2e mois, an II.


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Tranquille de ce côté, Nitry est inquiété par le district. Le même jour, arrive un commissaire spécial, Simonnot, qui, en vertu d'un arrêté du district de Tonnerre sur les réquisitions des pailles, foins et avoines, présente un état portant 2.150 bottes de paille de 10 à 12 livres et 200 bichets d'avoine de 46 livres à fournir à la première demande.

Le représentant du peuple, Maure, avait régularisé les fournitures de blé pour Vermenton et les avait fixées à 40 quintaux par semaine. Nitry manqua à la fourniture d'une semaine; peutêtre n'avait-on pas trouvé de charretiers, peut être la bonne volonté de la commune se lassait elle devant les demandes affluant de toutes parts. Vermenton qui aurait dû être rassuré par les promesses du 12 brumaire manque de patience. Il se plaint à la fois à Nitry et à Auxerre. Il menace le Conseil général de la commune d'avoir recours à la force armée et ce, aux frais de la commune, si on ne lui fait régulièrement les fournitures convenues. Le Conseil se disculpe ; il rappelle avec raison qu'il a toujours mon tré de la bonne volonté et qu'il a donné maintes preuves de fra ternité à Vermenton pendant la disette ; ses fournitures hebdo madaires ont souvent dépassé 40 quintaux, dit il, et le vendredi précédent il a même envoyé du blé à l'avance. D'ailleurs, ajoute t-il, il faut songer à la commune elle-même qui n'a plus que 2.285 quintaux de blé pour 800 individus; l'excédent de son avoine est en réquisition et il ne reste d'orge que la quantité nécessaire aux semailles. Cependant, le Conseil arrête que l'on enverra à Vermenton toute la quantité de grains possible ; mais il prie l'administration départementale de remettre à Maure l'état des grains précédemment dressé, afin que, mieux renseigné, il ne soit plus tenté d'imposer à Nitry des réquisitions que la commune serait hors d'état de satisfaire. Ces explications arrivèrent trop tard. La plainte de Vermenton avait produit son effet et à la date du 20 brumaire nous trouvons, inscrite au registre, la copie d'une réquisition en date du 19, lancée d'Auxerre, et portant ordre de faire battre et conduire toutes les semaines 80 quintaux de grains au marché de Vermenton.

Le 22 brumaire, les commissaires de Vermenton et les commissaires à la suite de l'armée révolutionnaire se rendirent à Nitry où ils firent assembler le Conseil général. Changeant de tactique, ils firent appel aux bons sentiments de la population, exposant la triste situation de Vermenton dépourvu de subsistances. Les citoyens de Nitry, touchés de la disette de leurs voisins, s'engagèrent à fournir; chaque semaine 50 bichets de froment, jusqu'à concur-


288 NITRY 32

rence de 300 quintaux, et en outre 100 quintaux d'orge « tramois ». Sur la représentation du Conseil, on diminua ces fournitures de 2 quintaux pour les semailles, et il fut convenu que Vermenton délivrerait un acquit à chaque livraison.

Mais le tracas continua pour Nitry. Quelques jours plus tard, il reçut l'ordre de fournir 30 quintaux de grains à la commune d'Arcy. L'administration départementale affirmait qu'à l'examen attentif de l'état de recensement des grains fourni précédemment, il était facile de voir que c'était par mauvaise volonté que la commune se refusait à obéir. « Nous cesserons d'employer à votre égard le langage fraternel, dit la note, nous enverrons un déta chement de la force armée révolutionnaire et c'est alors que nous verrons si vous ferez par crainte ce que vous ne voulez pas faire par fraternité ». (27 brumaire an II ; 17 novembre 1793). En même temps, Vermenton signifiait à Nitry une délibération des mêmes administrateurs, prise le 28 brumaire, à la suite d'une entente entre son Conseil général et le commandant de l'armée révolu tionnaire. Les communes de Nitry, Villiers-la-Grange, Lichères et Joux étaient de nouveau déclarées en état de réquisition permanente pour l'approvisionnement du marché de Vermenton et sous la responsabilité des officiers municipaux, « considérans que la « Terreur doit être à l'ordre du jour jusqu'à ce que le fédéralisme « municipal soit écrasé et qu'auroit fait commettre aux munici« palités favorisées par la nature, la nécessité de partager avec « celles dont le sol est ingrat, les bienfaits de l'existence... »

La municipalité de Nitry, à ce moment, était pleine de bonne volonté ; mais elle était peu secondée par les habitants devenus récalcitrants à des ordres dont ils ne voyaient peut-être pas l'importance, indifférents à une situation dont ils ne comprenaient pas la gravité ou qu'ils craignaient pour eux mêmes, habitués aussi par le système fiscal de l'ancien régime à dissimuler soigneu sement l'importance de leurs récoltes.

Les officiers municipaux firent opérer le 3 frimaire (22 novembre) des perquisitions chez les citoyens soupçonnés d'avoir fait de fausses déclarations de subsistances (loi du 4 mai). Ils saisirent du blé et de l'orge qui furent vendus séance tenante au prix du maximum à des gens de la commune ; le prix en fut remis aux propriétaires, ainsi que la farine saisie. Mais ces grains étaient en faible quantité, soit que la dissimulation eût été habile, soit que les perquisitions eussent été volontairement peu sérieuses. Ce qui nous permet, en effet, de suspecter la sincérité des déclarations, c'est que certains cultivateurs continuaient de vendre en cachette


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des grains dont ils auraient dû justifier la disparition s'ils les eussent portés sur leur état déclaratif. Sentant qu'il était atta quable sur ce point, le Conseil essaya de montrer son zèle à répri mer la fraude. Il renouvela ses ordres à la garde nationale de veiller aux portes afin d'empêcher les enlèvements de blé clandestins. L& 4 frimaire, Louis Luzot, de Vincelottes, est arrêté; on lui saisit 1 bichet d'orge qu'il avait payé 6 livres et 3 mesures de blé payées 15 livres le bichet, marchandises achetées chez P. Dol et Etienne Simon, de Nitry. Ils furent tous trois dénoncés au juge de paix de Noyers.

Mais la municipalité n'en restait pas moins suspecte. Le 5 frimaire (25 novembre 1793), une citation à comparaître devant les administrateurs du département fut lancée contre les officiers municipaux de Nitry qu'une lettre du maire de Chablis, Poulain, représentait comme s'opposant à une réquisition. Toutes les communes des alentours s'acharnaient donc sur Nitry, qui n'en pouvait mais, et n'en défendait que plus âprement le reste de son bien. Le même jour, et à sa louange, la commune acquittait de bon gré une contribution patriotique de première nécessité : elle donnait sa part dans la fourniture volontaire de linge et de toile à l'armée. La quête faite chez les habitants produisit 67 chemises, 2 draps, 2 serviettes qui furent remis aux autorités militaires. Les cultivateurs de Nitry, pauvres d'ailleurs en majorité, avaient pensé à leurs fils qui combattaient aux frontières pour eux et pour la France.

Nous ne connaissons rien sur la suite donnée à la citation du 5. Il manque au moins un registre complet de délibérations et cette lacune s'étend sur une période d'un an (1). Or, l'année 1794 vit des réquisitions de toute nature si nous en jugeons par les registres du village voisin, Lichères, où s'inscrivent des demandes inces santés de chiffons, salpêtre, chevaux et voitures surtout, grains et subsistances diverses ; Nitry ne fut pas oublié comme fournisseur attitré de blé : nous en trouvons la preuve dans les procès-verbaux de l'administration départementale.

La commune n'avait pas terminé ses envois réglementaires à Vermenton ; toujours impatiente, et forte de l'appui des autorités, cette ville demanda l'autorisation d'envoyer 12 commissaires pour activer les fournitures dans les communes du canton et en outre

(1) Troisième registre, dernière délibération : 13 frimaire an II. Quatrième registre, première délibération : 21 frimaire, an III.

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dans celles de Nitry, Joux et Villiers-la-Grange (1). Les adminis trateurs départementaux furent prudents ; ils demandèrent production des états de recensement des grains et ajournèrent leur décision jusqu'après examen de ces états (23 frimaire, 13 décembre 1793) (2).

Le service des fournitures n'en fonctionna pas mieux. Le 1er nivôse, une réquisition de grains frappée sur Nitry et Villiersla Grange reste inobservée. Le maire lui même, J. B. Boissard (3), y apporte plus que de la négligence ; « ses actes, dit plus tard l'accusation, semblent être un défi porté aux lois et aux autorités ». Il résiste passivement aux sommations et se montre assez peu respectueux vis à vis des commissaires qui viennent le rappeler à ses devoirs. Il arrache, paraît il, des bornes dans les coupes ordinaires de bois afin de s'en approprier davantage. Il n'hésite pas à enfreindre la loi du maximum, car il est convaincu de vendre son vin, comme aubergiste, 30 sols la pinte, alors que le Conseil général, les officiers municipaux et lui même l'ont taxé à 12 et 15 sols. De nombreux témoins en font la déclaration en présence de P. Droin, E. Balton, Cl. Chartraire, E. Lamas, J. Guinebert, P. Piat ; une dénonciation écrite est adressée à l'administration départementale par le Comité de surveillance de Nitry. (6 pluviôse an II, 25 janvier 1794) (4).

Il est assez difficile, les registres ayant disparu, de déterminer ce qui était réellement répréhensible dans la conduite de Boissard ; l'enquête est évidemment tendancieuse, mêlant des griefs d'ordre personnel aux fautes du magistrat municipal, et l'affaire s'enve nimant par suite de rivalités et de jalousies d'ordre politique et purement local.

En tout cas, l'orage grossissait sur la tête du maire qui, bouc émissaire de la commune, allait être rudement châtié de ses abus de pouvoir et surtout de ses complaisances pour ses concitoyens.

Le 13 pluviôse (1er février), une nouvelle dénonciation, plus grave en raison de l'auteur, est lancée contre lui. Elle émane du citoyen Pertrand, commissaire de la Commission générale des subsistances de la République pour le département de l'Yonne;

(1) Villiers la Grange, alors commune, aujourd'hui hameau de Grimault.

(2) Porée, Procès verbaux de l'Administration départementale, t. VI, p. 146. (3) Il avait été élu maire en remplacement de Gautherin, quelque tempe

auparavant.

(4) Arch dép. de l'Yonne L 984.


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rentrant de ses tournées, il déclare avoir « de grands sujets de plainte » contre les maires de Nitry, Méré, Lignorelles, VilliersVineux, lesquels n'ont rien oublié, dit-il, pour entraver sa mission. Aussitôt, les maires et officiers municipaux desdites communes sont convoqués pour le 16 du même mois au lieu des séances de l'administration départementale, pour y être entendus dans leurs moyens de défense ; après quoi, il sera statué sur leur sort (1).

Le 16 pluviôse, les administrateurs écoutèrent sans bienveillance les explications des comparants ; ils firent avouer à Boissard la plupart des actes qu'on lui reprochait, en particulier l'arrachage des bornes pour son avantage personnel ; on fit grief aux officiers municipaux et à lui même des diverses demandes de la commune, de leurs réponses personnelles, de leur résistance aux réquisitions, leur démontrant que Nitry cherchait à se soustraire à toute fourniture, quoique « riche en grains », puisque cette commune avait encore 100 quintaux et au delà en plus de sa consommation (2). On rappela que l'administration avait été plusieurs fois obligée de recourir à la force armée contre « cette commune désobéissante » ; que Boissard semblait être le premier instigateur des troubles, vu sa conduite « indécente et despectueuse (sic) à l'égard des autorités constituées », et qu'il paraissait avoir dirigé « le fédéralisme municipal ».

En conséquence, Boissard fut mis sur-le-champ en état d'arrestation et conduit à la maison d'arrêt d'Auxerre d'où il fut conduit le lendemain dans celle de Tonnerre. Tous les membres du Conseil de la commune furent dénoncés près le tribunal de Tonnerre, comme coupables du délit de « resserrer les grains » (Loi de sep tembre). On signalait en outre la conduite des magistrats de Nitry comme « indigne des magistrats du peuple ».

La dénonciation fut envoyée à Tonnerre, chef lieu du district, où le tribunal devait prendre les mesures nécessaires pour la révocation des membres du Conseil et les réquisitions futures à Nitry. Au chap. IV, nous avons indiqué la suite donnée à cette affaire et nous avons vu que Boissard fut maintenu en prison. Il fut en outre destitué.

Le 26 pluviôse suivant, le citoyen Pertrand notifie aux intéressés que les réquisitions sur Nitry sont maintenues (3). Mais toute la

(1) Porée, op. cit., t. VI, p. 235.

(2) C'était peu pour la commune.

(3) Porée, op. cit., t. VI, p. 259.


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commune semble prendre parti pour son maire : le 14 ventôse an II (4 mars 1794), elle se refuse à satisfaire à la réquisition en faveur de Vermenton (1).

A partir de cette date et jusqu'au 17 brumaire an III (7 novembre 1794), il n'est plus question de Nitry où la provision de blé avait dû être épuisée jusqu'au dernier grain ; mais la récolte de 1794, bien que peu abondante, la renouvela et les réquisitions recommencèrent. Les communes voisines en subirent également, car le 16 vendémiaire, Lichères avait dû fournir 50 quintaux de blé à Vermenton et avait été averti, par un gendarme, d'avoir à préparer 50 quintaux, puis 100 quintaux de blé pour le marché du même lieu (2). Nous ne connaissons pas le montant de la réquisition du 17 brumaire, sur Nitry, mais la commune refusa la fourniture demandée et le 18, l'administration départementale se crut obligée de blâmer une délibération de la municipalité comme illégale et « subversive » ; elle ne comportait pourtant rien d'exorbitant, demandant simplement que, pour la tranquillité des cultivateurs, les grains réquisitionnés leur fussent payés aussitôt livrés (3).

Nitry continua d'être mis à contribution ; dans le courant de frimaire, il eut à fournir 300 quintaux de blé pour l'armée de l'intérieur. La municipalité, composée de Leblanc, Adine, Piat et Corsaint, affirma que le Conseil feraittous ses efforts pour en activer la livraison. Cette réquisition serait notifiée aux cultivateurs et en outre on tâcherait de secourir Vermenton (4e registre, dél. incomplète).

Nitry s'efforça de tenir l'engagement pris par ses administrateurs. Il avait déjà fourni 147 quintaux au bureau militaire d'Auxerre, 45 quintaux à Vermenton; 5 voitures étaient chargées pour la livraison des 300 quintaux ; cependant, l'administration départementale parla d'une nouvelle réquisition de 500 quintaux de grains. La commune possédait au delà de cette quantité ; mais il fallait réserver le grain nécessaire aux semailles et alors, même en réunissant tout le reste, il était impossible de satisfaire à la totalité des demandes. La municipalité prit le parti d'exposer cette situation à l'administration en lui faisant remarquer, en outre, qu'il n'y avait pas de foin, et que le grain enlevé par les propriétaires payés en nature ne se retrouvait plus chez les cultiva(1)

cultiva(1) de l'Yonne, L 778.

(2) Archives de la commune de Lichères. 3) Arch. de l'Yonne, L 936.


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teurs. La commune ferait tous ses efforts pour donner satisfaction mais il ne fallait pas exiger l'impossible (21 frimaire an III).

En dépit de ces explications, le 23 frimaire, Léonard Barreau, commissaire de Vermenton, vient activer une réquisition de 100 quintaux pour Vermenton, plus une de 400 pour Auxerre : c'étaient bien les 500 quintaux demandés. Instruit par l'emprison nement de l'ex-maire, le Conseil proteste de son obéissance aux lois et promet de faire tout le nécessaire pour donner satisfaction dans les 24 heures. Promesse imprudente et vaine : la municipalité a beau faire aussitôt une répartition des 100 quintaux dus à Ver menton entre 71 cultivateurs, 4 seulement, F. Corsaint, Edme, Pierre et Jean Baptiste Gautherin fournissent leur contingent. Acquéreurs de biens nationaux et assez aisés, ces derniers ne peu vent faire preuve de mauvaise volonté, mais les 67 autres citoyens refusent net toute livraison. On en dresse la liste, mais ils déclarent qu'ils n'ont même pas de quoi vivre si leurs propriétaires ne viennent pas à leur secours : ils sont très chargés de redevances en blé et ce qui reste d'orge est précieusement conservé pour les semailles. Nous savons en effet que ces gens étaient fermiers ou métayers pour la plupart ; les propriétaires, payés en nature ainsi que la loi les y autorisait, enlevaient annuellement 3.000 quintaux de grains, blé et orge, à Nitry. Edme Gautherin recevait le 26 frimaire la récompense de son obéissance aux autorités : il était nommé maire de Nitry (v. ch. IV).

Dès le 27 frimaire, la municipalité signalait des ventes frauduleuses de blé, certains habitants livrant encore leur grain sans acquit à des étrangers, soit de jour, soit de nuit. Un certain nombre de citoyens, craignant des représailles ou calculant que la charge des réquisitions tomberait sur les gens loyaux, s'engagèrent à y veiller.

Le 29, en raison de la résistance que nous avons signalée, les 100 quintaux ne sont pas encore livrés. Deux commissaires de Vermenton, les citoyens Charles Quantin et Jean Boudard, arrivent à Nitry pour presser la livraison ; il ne s'agit d'ailleurs que d'une avance sur les 500 quintaux demandés. Le Conseil avoue son impuissance ; devant les objurgations des commissaires, il décide de se transporter à nouveau chez les refusants; il réitérera ses ordres et en cas de refus, il en fera dresser procès-verbal et la dénonciation sera envoyée à Tonnerre pour que, conformément à la loi, il y ait confiscation des grains.

Le lendemain, 30, l'agent national de la commune, accompagné de la municipalité, se rend chez les récalcitrants; ceux-ci, sourds


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à la voix de leurs autorités, refusent à nouveau de livrer si peu que ce soit de leurs grains.

Faisant acte de vigueur, la municipalité saisit les quantités de grains fixées pour chaque citoyen et les confisque. Liste en est dressée séance tenante et portée au registre des délibérations ; un double en est adressé à l'agent national de Tonnerre. Celui ci envoie aussitôt à Nitry un détachement de l'armée révolutionnaire et le complément des 100 quintaux est livré et emmené.

Le même jour, partent 4 cordonniers de Nitry, Edme Boussard, Edme Brûlé, Cl. Leblanc et Ch. Leblanc, requis de se transporter sans délai à Tonnerre afin d'y travailler pour l'armée (2 nivôse an III).

Une menace planait encore sur Nitry : c'était la fourniture des 300 quintaux de grains pour l'armée de l'intérieur et des 400 quintaux pour Auxerre. La situation devenait grave au village ; cette fois, la municipalité craignait réellement la famine et il n'y avait plus d'orge que pour les semailles. Deux commissaires furent chargés d'aller à Tonnerre présenter la défense de Nitry et tâcher de faire cesser les réquisitions (4 nivôse). L'administration était peu disposée à écouter leurs doléances; elle en tint si peu compte que le 11 pluviôse, le citoyen Regnault, commissaire d'Auxerre, arriva dans la commune pour accélérer la livraison des 500 quintaux à fournir. Il était 7 heures du soir quand il se présenta à la municipalité et la séance du Conseil fut ajournée au lendemain.

Le matin même, une lettre de la municipalité de Noyers avait mis en réquisition 2 boeufs de trait. Le choix avait porté, après visite, sur un boeuf de François Boussard et un boeuf de la veuve Rétif. Les deux animaux devaient être amenés et livrés le lendemain, sur la place.

Le 12 pluviôse, le Conseil s'assembla donc, et en présence du citoyen Regnault, l'agent national exposa que cent journaliers, chargés de famille, devant puiser leur subsistance chez les cultivateurs, ceux ci, épuisés d'autre part par les redevances en nature, ne pouvaient plus faire face aux réquisitions trop nombreuses. Il mit sous les yeux du commissaire un état suggestif; les déclarations avaient donné :

Blé, 2.508 quintaux ; seigle et méteil, 120 quintaux ; orge et avoine, 2.883 quintaux; au total : 5.511 quintaux.

Les réquisitions pour Tonnerre avaient pris 147 quint.

pour Vermenton Paris 45

pour Vermenton 100

pour magasins d'Auxerre 100

acompte sur 400 quintaux 40

Au total 432 quint.


39 PENDANT LA RÉVOLUTION 295

Les propriétaires forains et les moisonneurs payés en nature avaient enlevé 2.400 quintaux ; nourriture, 945 quintaux ; au total : 4.677 quintaux (1) ; reste : 834 quintaux ; c'est à-dire la sub sistance de Nitry pendant 2 à 3 mois. Le Conseil concluait à l'impossibilité de fournir du grain au dehors.

Les trois Gautherin qui pensaient à se rendre acquéreurs de biens nationaux le 25 pluviôse suivant et tenaient à ne pas s'aliéner les bonnes grâces de l'administration, offrirent encore 40 quin taux de grain pour Auxerre, à raison de 40 livres le quintal de froment et 35 livres le quintal d'orge. Le Conseil décida que l'état ci dessus serait envoyé au représentant du peuple ; deux membres de la municipalité et le citoyen Regnault firent une nouvelle visite chez les cultivateurs, mais tous répondirent qu'ils ne pouvaient rien fournir, ayant à peine de quoi vivre.

Nitry, par la suite, eut quelque répit. Le 8 ventôse an III, sa municipalité fournit l'état des réquisitions de chevaux, harnais et voitures à la date du 4 germinal précédent. Nous y trouvons que 12 chevaux avaient été requis, que 2 étaient repartis, que 3 pouvaient repartir, mais que les autres, ainsi que les harnais et les voitures, étaient rentrés hors de service.

Le bois était enlevé pour Paris, mais ce n'était pas aussi gênant que le blé pour lequel les demandes recommencent en germinal. Le 16 germinal (5 avril 1795), on rappelle au souvenir de Nitry une certaine réquisition de 300 quintaux pour l'armée de l'intérieur ; elle datait du 10 thermidor précédent, et 100 quintaux seu lement avaient été fournis au bureau militaire. Les retardataires furent invités à déposer leur quote part à la mairie, dans les vingtquatre heures ; ils n'obéirent pas. Deux jours après, Claude Piat, commissaire de Noyers, est envoyé à Nitry. On lui montre différents états ; on lui expose les difficultés rencontrées et il se décide à une visite domiciliaire qu'il exécute sur-le-champ. Le commissaire reconnaît alors que les cultivateurs ont dit vrai et qu'ils n'ont plus de grains que pour eux ; procès-verbal de la visite est adressé à l'administration.

L'approvisionnement de Paris et des armées avait nécessité l'arrêté du 4 germinal (Comité de Salut public) ; les particuliers devaient faire la déclaration de leurs grains, on exécuterait des

(1) Cet état, rédigé à la hâte, et que nous avons copié intégralement, renferme une erreur manifeste. En effet, le total des grains indisponibles est de 3.777 quintaux et non 4677. Donc 900 quintaux sont omis et devaient être réquisitionnés ou avoir été fournis précédemment.


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visites domiciliaires, s'il y avait lieu, afin de leur faire verser un dixième des grains déclarés. La municipalité reçut notification de cet arrêté le 8 floréal an III; elle nomma François Adine et Corsaint pour recevoir les déclarations; les grains devaient être déposés à la maison commune pour être transportés sans délai à Auxerre; la réquisition portait en outre sur le dixième des farines et légumes. Mais ce n'est que le 4 prairial suivant que l'arrêté fut publié; le 8, aucun cultivateur, sauf Léonard Laurent, Edme Gautherin, F. Adine et Nicolas Brûlé, n'avait encore satisfait à la réquisition et cependant le dépôt des subsistances aurait dû être effectué dans les trois jours. Le procès verbal du refus dut être envoyé aux administrateurs en place de grains. Claude Gautherin avait demandé à être exonéré de la réquisition parce que ses ouvriers n'acceptaient en payement que des grains, mais sa demande fut repoussée (1).

Le 13 prairial, Guérard, commissaire de Noyers, tente une nouvelle démarche à Nitry. Il recense encore une fois les grains avec Claude Leblanc, désigné par le Conseil. Le résultat de cette opération, qui nous est inconnu, fut sans doute favorable aux habitants, car ils ne furent pas inquiétés.

A la même époque, nos armées victorieuses envoyèrent au Gouvernement de nombreux prisonniers qui étaient répartis sur divers points du territoire. Le déparlement de l'Yonne eut sa part de bouches supplémentaires à nourrir. Noyers en reçut un certain nombre et il fallut assurer leur subsistance. A cet effet, le 5 messidor an III, le commissaire Guérard vint à Nitry opérer la levée du dixième des vivres. Mais la grande Terreur est passée et la crainte s'évanouit. Guérard arrive, tous les officiers municipaux sont absents, sauf le citoyen Brûlé qui ajourne la séance au lendemain. Guérard est furieux ; il rend le Conseil responsable de la non exécution de ses ordres, consigne ses observations au registre, transmet une copie du procès-verbal à l'administration. La réunion projetée pour le lendemain n'eut pas lieu, mais des prisonniers autrichiens furent envoyés à Nitry. Corsaint en prit 3 ; le maire en eut 2 ; P. et J. B. Gautherin, F. Adine, Rameau, Chichot, Boussard, Laurent, Carré, chacun un; ils s'engagèrent à les nourrir, pour leur dixième à verser, jusqu'à la récolte suivante. Les autres citoyens de la commune, ne voulant rien entendre, fuient signalés au district.

(1) Arch. dép. L 1038.


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C'est la dernière mention de réquisition consignée au registre. La récolte de l'an III fut abondante, la période de disette disparut et avec elle la loi du maximum. Cependant, Nitry subit encore des demandes, car le 10 frimaire an IV, invitées à approvisionner les marchés de Vermenton, les communes de Nitry et de Joux refusèrent d'obéir aux ordres du département (1).

Les tracas de l'administration municipale furent lourds pendant ces quatre années. Placée entre l'administration centrale qui s'appuyait sur des lois rigoureuses et agissait en vue d'un intérêt supérieur, et ses administrés plus sensibles à leur intérêt particulier, elle eut une lâche singulièrement ingrate où les responsabilités ne furent pas faciles à esquiver.

Jamais, cependant, elle n'apporta une opposition ouverte et d'ailleurs dangereuse aux ordres du district ou du département, mais elle ménagea, autant qu'elle le put, l'intérêt des habitants de Nitry, tout en assurant, par une sage prévoyance, les récoltes futures, et même en conjurant, par des sacrifices personnels, les. représailles gouvernementales. La loi du maximum atteignait d'ailleurs particulièrement la commune qui aurait pu vendre ses grains à un prix rémunérateur et se voyait obligée, malgré la hausse générale du cours des denrées, de les livrer à perte par les réquisitions. C'était le défaut de celte loi d'exception qui sans doute sauva certaines régions de la France de la famine, mais fit naître la fraude et retomber sur les citoyens loyaux les fautes des gens sans scrupules. On s'explique la délibération du 20 septembre 1793 qui montre que les administrateurs de Nitry eurent le sens très juste d'un équilibre nécessaire dans l'évaluation des denrées, et du travail, en cas de recours à la taxation.

Nous ne pouvons donc ratifier le jugement de l'administration départementale qui appela Nitry « commune ingrats et égoïste ». Elle-même, cette administration, comprit la situation puisqu'elle ne poussa pas les citoyens de Nitry au désespoir et qu'en fait les, réquisitions signifiées ne furent jamais totalement exigées.

(1) Arch. dép. L 1095.


298 NITRY 42

VIII

ENSEIGNEMENT

Au cours de la période révolutionnaire, la municipalité de Nitry n'a pas négligé l'instruction publique.

Une école existait d'ailleurs depuis longtemps dans le bourg. Les actes de l'état civil les plus anciens, ils datent du XVIIe siècle, sont signés en moyenne par un tiers au moins des assistants. Il devrait même s'y trouver une plus forte proportion de signatures, mais nous avons constaté que fort souvent le prêtre rédacteur des actes y portait la mention « qui ont déclaré ne scavoir signer », sans s'inquiéter si les témoins savaient le faire. Une requête du curé Rolland, de 1752, porte 24 signatures sur 63 noms d'assistants.

Faute de documents, nous ne connaissons pas l'organisation de ces écoles et nous ne savons pas si elles occupaient un local spécial ; la plus ancienne mention qui soit faite d'un maître remonte à 1622 (1). Depuis cette date, nous avons pu établir presque sans interruption la liste des « Recteurs des Ecolles » (2) grâce aux signatures des actes de toutes sortes, registres paroissiaux, plaids, etc... Les uns ont mérité des honneurs particuliers, comme Edme Berthier, inhumé dans l'église le 9 octobre 1728,

(1) Arch. de Nitry, Plaids : « ... plus au Me d'écolle, une feuillette qu'il me rendra ou la somme de 8 livres et le vesseaux " (février 1622).

(2) Maîtres d'école à Nitry, avant 1789 (Arch. de Nitry) : 1622. Mention ci-dessus.

1646 1667-1668. Et. Gillot.

1673. Jossinat.

1677-1681. Rousset. recteur des écoles.

1685. — Jean Pasdeloup, sous-diacre, recteur des écoles,

1687. — François Céant, maître et directeur des écolles. 1689-1728. — Edme Berthier (fut aussi notaire) ; son fils, maître d'école à Sacy.

1720. Jean Pain.

1721. Pierre Ladjournelet.

1732. Pierre Rétif, recteur d'école. 1735. François Prêtat.

1740. P. Breuillard.

1741. — Cl. François Perrot.

1746. P. Breuillard, recteur d'école. 1765 1775. Nicolas Rétif.


43 PENDANT LA RÉVOLUTION 299

« lequel a toujours servi l'église et la paroisse avec édification pendant 39 ans " (1) ; d'autres, au contraire, ont encouru la disgrâce du curé, tel François Prêtat, qui se voit interdire d'être parrain et même de signer aux registres paroissiaux par le sieur Caverot, curé de Nitry, lequel ne craint pas d'enregistrer la chose dans un curieux acte de baptême (2) ; tel autre, enfin, a été le héros d'aventures tragi comiques, comme ce Pierre Breuillard que quatre mégères saisirent, frappèrent à coups de poing, de pierres et de sabots, puis voulurent traîner dans l'étang, en avril 1740 (3). En 1775, le recteur des écoles était un nommé Nicolas Rétif, et la Révolution trouva en fonctions François Lamas.

On sait que les communautés passaient généralement avec leurs maîtres un bail pour 3, 6, 9 ans ; cela nous explique d'ail leurs les fréquents changements de ceux ci dans les petits villages, mais nous n'avons découvert dans les archives de Nitry aucun bail de cette nature; nous ignorons donc les clauses du contrat qui liait Lamas à la communauté (4).

Ainsi, avant 1789, pendant plusieurs siècles, Nitry avait eu des maîtres d'école d'une façon continue et ses habitants, au moins les plus aisés, avaient pu jouir des bienfaits de l'instruction.

Les clauses du bail passé avec François Lamas étaient proba , blement peu précises, car dans une réunion qui eut lieu sur la place de l'église, à la sortie des vêpres, le 31 octobre 1790, les habitants décidèrent de fixer la rétribution du maître d'une manière plus claire et plus juste. Il fut convenu qu'on lui paierait par an et par habitant (par feu) dix sols pour chanter les offices ; il devait faire l'école tant qu'il aurait des écoliers ; la rétribution scolaire était fixée comme suit :

« Pour les commençants, 4 sols par mois ;

« Pour ceux qui liront et écriront, 6 sols ;

« Pour ceux qui apprendront l'arithmétique, 8 sols ».

En outre, il devrait enseigner le chant gratis. L'école devait commencer au 1er novembre et se faire à raison de trois heures le matin, de 8 à 11 heures, et de deux heures le soir, de 2 à 4. Les

(1) Acte de décès d'Edme Berthier, 9 octobre 1728 , Arch, de Nitry état-civil.

(2) « Mon (sic maître d'école ne tenoit pas d'enfans dans le pays de Nitry et... je ne le voulois point pour raisons à moy connues (Arch. de Nitry état

civil).

(3) Enquête en justice du 23 juin 1740 Arch. de Nitry. Plaids).

(4) Nous n'y avons trouvé qu'un bail passé entre Lichères, succursale de Nitry, et le sieur Rétif recteur d'école, le 16 novembre 1746.


300 NITRY 44

services d'église étaient payés à part, à raison de 15 sols pour un enterrement, un mariage ou une grand'messe. Le maître d'école, qui cumulait son service scolaire avec celui de greffier et de chantre à l'église, était en outre chargé de l'arpentage des coupes affouagères. Ce dernier travail devait être assez mal rétribué et irrégulièrement payé, car Lamas se plaignit et, ne pensant guère qu'il établissait un précédent aux grèves de fonctionnaires, il déclara qu'il cesserait cette fonction. Le 16 octobre 1791, le Con seil décida que Lamas serait payé, car on avait besoin de lui,, mais nous ne savons s'il lui fut alloué les 10 sous par affouagiste qu'il réclamait et qui lui auraient valu une rétribution d'environ 90 livres.

Comme maître d'école, le sieur Lamas en prenait d'ailleurs à son aise. Non seulement il négligeait ses fonctions de secrétaire greffier, montrant de l'inexactitude, ne rédigeant pas les rapports des gardes, mais encore il faisait sa classe, comme beaucoup de ses collègues d'alors, en exerçant un autre métier. Lamas était cordier, et tout en faisant lire les enfants, il tournait sa roue ou teillait son chanvre. Les plaintes affluèrent, on l'accusa de mal enseigner les enfants; le Conseil s'émut. Par une délibération du 19 janvier 1792, Lamas fut révoqué et de ses fonctions de greffier et de celles de maître d'école ; défense lui fut faite « de ne point s'imiser dans les fonctions de maître d'école », et le maire eut soin d'ajouter en marge du procès-verbal « à peine d'y être contraint par les voies de droit ». Le Conseil décida en outre que chaque affouagiste payerait 20 sols pour l'établissement d'un autre maître d'école, mais la mention en fut entièrement rayée de la main du maire.

C'est seulement le 28 février 1792, plus d'un mois après, qu'un successeur au sieur Lamas fut nommé par le Conseil. La place était restée jusque lâ vacante et le Procureur de la commune fit remarquer au Conseil qu'il était urgent « d'y pourvoir promptement... par une personne capable d'en remplir les fonctions ». Le Conseil accueillit comme Recteur des Ecoles de la paroisse de Nitry, le sieur Nicolas Gentilt, recteur des petites écoles du canton de Noyers depuis quatre ans. La délibération comportant cette nomination est très explicite. Le sieur Gentilt dut présenter, de la part des supérieur et préfet du collège de Noyers, du maire et des, officiers municipaux de ladite ville et du curé de Noyers, des certificats d'ailleurs excellents tant au point de vue de ses capacités que de sa conduite. Il avait en outre un certificat de la municipalité de Noyers attestant que le 9 février il avait prêté le


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serment civique (1). Tout cela fut rappelé dans les considérants.

La tâche du futur maître fut nettement fixée. Il devait faire l'école toute l'année, sauf pendant les moissons et le jeudi soir de chaque semaine; il pouvait en outre prendre un jour par mois pour vaquer à ses affaires. Du 1er novembre au 1er avril, chaque séance de classe devait durer trois heures et commencer à 8 heures le matin, à 1 heure le soir ; pendant la période d'été, cette même période de trois heures partait de 7 heures le matin et de 2 heures le soir, l'interclasse étant par conséquent de 4 heures.

Le maître devait faire le catéchisme toute l'année, à raison de deux jours par semaine; il devait servir la messe et assister le curé dans ses fonctions ; il devait assister aux mariages, baptêmes, enterrements, sacrements aux malades, moyennant « les rétribu tions ordinaires et d'usage ».

Quant au traitement, il comprenait d'abord une rétribution annuelle de 20 sols par habitant (affouagiste ou feu), payable par le percepteur communal et par trimestre. La rétribution scolaire était fixée à 4 sols par mois et par enfant étudiant l'alphabet jus qu'à l'écriture et 8 sols pour les autres, jusqu'à l'étude de la qua trième regle y comprise.

Enfin, cette délibération devait être portée au curé par une députation qui le prierait d'agréer le sieur Gentilt en ce qui con cernait ses fonctions dans l'église, savoir « instruire la jeunesse dans la religion et chanter au choeur ». Les membres du Conseil affirmaient qu'en cas d'acceptation de la part du curé, « leur reconnaissance serait sans borne ». Le sieur Gentilt fut accepté et put entrer aussitôt en fonctions, mais nous avons quelque raison de croire que la reconnaissance si bien promise au curé Martineau eut des limites.

Gentilt accomplit sa tâche à la satisfaction générale ; on se plut à reconnaître et son expérience et son assiduité, « qui est une justice qu'il faut lui rendre à ce sujet », dit une délibération. Malheureusement, il avait plus de capacité que de voix, et si l'on était content de son enseignement, on était fâché et humilié de

(1) Le serment civique ci-dessus mentionné était le suivant Je jure d être fidèle à la Nation et de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir en les défendant. D'après la loi du 14 août, il était exigible de tous ceux recevant un traitement de l'Etat ; c'est le texte même de celui qui fut prononcé le 7 sep tembre 1792 et inscrit au registre le jour même par Jean Lemoine, instituteur public au collège français de Saint Orner (Pas de Calais), natif de Nitry où il passait ses vacances. Remarquons que le mot roi en est banni.


302 NITRY 46

son chant à l'église ; il excitait, paraît il, « la moquerie des étrangers qui assistent aux offices divins à Nitry », d'où le mécontentement de la population, très pratiquante, sinon croyante, froissée dans son amour propre et préférant un chantre à la voix juste et sonore à un maître de valeur.

Par délibération en date du 3 mars 1793, le citoyen Gentilt fut donc mis en demeure de se procurer un chantre pour tenir sa place à l'église et la conserver en son nom. De plus, le paiement par trimestre ne plaisait guère à la municipalité; aucun conseiller ne voulait s'en charger, pas même le trésorier de la commune ; il fut convenu que Nicolas Gentilt ne serait payé de son traitement communal qu'au bout de l'année.

L'engagement du sieur Gentilt était pris pour 3, 6 ou 9 années consécutives. Mais à cette époque, Nitry tenait encore très fort aux manifestations du culte, malgré les progrès de la Révolution, car la question du chant à l'église fut très probablement la cause de la rupture du bail. En effet, Nicolas Gentilt devint recteur d'école à Cravant ; il y trouva sans doute moins d'exigence pour le service de l'église et plus de bonne volonté pour les paiements. Peut être ne s'étaient-ils pas quittés, les gens de Nitry et lui, en parfaite intelligence, car il dut faire à son ancienne municipalité une signification d'avoir à payer 50 livres par mois de ses honoraires et le Conseil décida, le 5 juin 1793, que le maire Boissard les paierait sur son compte. Nous ne connaissons pas la date exacte de la cessation des fonctions de Nicolas Gentilt et nous ne savons à qui est due l'initiative de la rupture ; en tout cas. vers la fin d'avril, Nitry manquait à nouveau de maître d'école.

Le Conseil se réunit le 2 juin 1793 afin de pourvoir à cette vacance et d'assurer non seulement l'instruction de la jeunesse, mais aussi « le chant aux offices divins » ; le procureur proposa et le Conseil général choisit pour lui confier cette double fonc tion un homme qui l'avait déjà remplie et qu'ils connaissaient bien, le citoyen François Lamas, alors secrétaire greffier de la municipalité ; il accepta. Nous ne savons si, dans les pourparlers, on fit allusion à l'ancien motif de révocation, mais on fixa aussitôt les clauses du marché; elles étaient sensiblement les mêmes qu'avec Nicolas Gentilt et on n'y trouve aucune défense concernant la profession de cordier du sieur Lamas.

Celui ci devait faire l'école toute l'année, à l'exception du temps des moissons, du jeudi soir de chaque semaine et d'un jour de vacance par mois. Aucun changement n'était apporté à la durée et aux heures des séances de classe en hiver; en été, elles


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devaient commencer plus tôt et finir plus tard, « pour faciliter les enfants de la campagne ». Rien n'était changé au service du' culte. Le traitement se composait de 20 sols par habitant (feu), ce qui devait produire environ 200 livres à toucher en deux termes égaux, dont le premier serait payé au 1er décembre suivant et l'autre au 1er juin, et ainsi de suite; ces sommes seraient prèle vées par le percepteur sur les habitants, dans le temps de la distribution des affouages; la rétribution due par les parents restait la même; enfin, l'engagement était encore une fois signé pour 3, 6 et 9 années consécutives.

Lamas entra aussitôt en fonctions ; on fut sans doute content de ses services, car la municipalité prit la précaution de lui assurer, par écrit, les rétributions diverses qu'il devait recevoir; ainsi, dans la fixation du prix de l'affouage, elle eut soin de faire indiquer que la somme comprenait le prix de l'arpentage par le maître d'école et son aide, le sonneur (22 octobre 1793).

La loi du 29 frimaire an II (19 décembre 1793), rendait cadu ques les conditions du bail passé avec Lamas. Elle établissait, comme on sait, la gratuité et l'obligation de l'instruction, punissant d'amende et de privation temporaire de droits civils les parents qui n'enverraient pas leurs enfants à l'école. En outre, elle mettait le local à la charge de la commune. Jusqu'alors, en effet, le maître d'école non seulement se logeait à ses frais, mais encore devait fournir un local pour la classe ; nous avons trouvé la clause insérée dans un bail passé par la communauté de Lichères, succursale de la paroisse de Nitry, avec un de ses maîtres d'école (1), et il devait en être de même à Nitry. En application de la loi nouvelle, le Conseil général de Nitry, par une délibération du 23 frimaire an III, décida de faire construire un logement à l'instituteur. Saluons ce nom au passage ; c'est la première fois qu'il est employé dans le langage municipal de Nitry pour désigner le maître d'école ; on s'était servi du terme même du décret. Un acompte de 10.000 livres, demandé à l'administration sur le produit d'une coupe extraordinaire, devait per mettre de payer ce logement, en même temps d'ailleurs que des réparations au presbytère et la construction d'une maison commune. Mais nous ignorons si le fonctionnement même de l'école devait être modifié.

(1) Bail du 16 novembre 1746, entre Pierre Rétif, maître d'école à Poilly. et la communauté de Lichères (Arch. de Nitry, pièce déjà citée).


304 NITRY 48

Lamas ne resta pas deux ans en fonctions. Pour une cause qui nous reste inconnue, en mars 1795, Nitry était encore sans instituteur.

Le citoyen François Gérard, instituteur à Parly, se présenta devant le Conseil général de la commune pour se faire agréer. Il s'intitulait pompeusement professeur de langues, de géographie et de météorologie ; il déposa sur le bureau du Conseil son extrait de baptême ainsi qu'un certificat de civisme délivré par le Conseil général de Parly, en date du 24 nivôse et dûment visé par l'administration du district d'Auxerre. Il fut reçu provisoirement, vu l'urgence, à l'unanimité. Mais les conditions d'admission sont changées; il n'est plus question du service de la messe; en revanche, au lieu d'une belle voix pour le lutrin, on exige un peu plus de capacité et des titres sérieux. En effet, pour être admis définitivement, le postulant devait passer un examen devant le jury d'instruction du district de Tonnerre « conformément à la loi » ; au lieu de l'agrément du curé, il devait se pourvoir de celui de l'administration du district, s'il était reconnu suffisamment instruit. Lamas, l'ex instituteur, signa cette délibération datée du 18 ventôse an III, ce qui nous incite à penser qu'il avait résigné de son plein gré ses fonctions d'instituteur. Le Conseil général invitait en outre le jury d'examen et l'administration à faire le nécessaire pour que le sieur Gérard fût installé le plus tôt possible.

Mais François Gérard avait trop de titres pour Nitry : six mois s'étaient à peine écoulés qu'il n'y exerçait plus. Un nouvel insti tuteur se présenta le 14 vendémiaire an IV, à la mairie, et inséra lui-même, en superbe écriture, au registre des délibérations, une déclaration de son intention d'ouvrir une école à Nitry, le 1er brumaire suivant. « J'enseignerai, dit il, à lire, écrire, l'arithmétique et l'orthographe en me conformant à la loi du 29 frimaire de l'an II et autres subséquentes ». C'était le citoyen François Robert, instituteur à Pimelles.

La loi du 3 frimaire an IV supprima l'obligation et la gratuité dans l'enseignement primaire, mais laissa le logement aux instituteurs. Pourtant, à la vente des biens nationaux du 21 prairial an IV, Robert acheta un bâtiment à Nitry, « le ci-devant près bytère », et un petit jardin clos y attenant, le tout provenant de la cure, pour une somme de 716 livres ; il était encore instituteur à Nitry au moment de cette vente. La commune n'avait probablement pas encore pu donner suite à son projet du 23 frimaire an III, de construction ou achat d'un logement à son instituteur.

Avec Robert finissent et la liste des instituteurs qui ont enseigné


49 PENDANT LA RÉVOLUTION 305

à Nitry, de 1789 à 1795, et nos renseignements sur l'enseignement pendant cette période.

On est frappé de l'instabilité des maîtres pendant ces cinq années. Ils ne vont jamais au bout de leur engagement pour des causes parfois futiles. Ces changements fréquents sont ils la con séquence de l'agitation de ces temps troublés, de l'application des lois nouvelles, de l'insuffisance de la rétribution consentie par Nitry, nous ne saurions nous prononcer.

D'autre part, la révocation de Lamas, dans la séance du 19 jan vier 1792, montre que Nitry s'intéressait à l'instruction de ses enfants; c'est une indication favorable pour les lois qui vont suivre. En effet, les premiers maîtres, obligés par la modicité de leur rétribution d'exercer une profession complémentaire, sont avant tout chantres à l'église et serviteurs du curé pour le culte ; tout est bien s'ils ont une belle voix au lutrin, d'où la nécessité de l'agrément du curé à leur nomination. Par la suite, on ne tolère plus l'exercice d'un autre métier; on se préoccupe enfin uniquement de la valeur professionnelle et intellectuelle du maître.

L'éducation religieuse est bannie de l'enseignement à partir de 1793; nous savons à quoi répondait l'enseignement du chant. Seules sont enseignées les notions essentielles, lecture, écriture, un peu de calcul n'allant pas plus loin que la quatrième règle, bâton de maréchal des privilégiés. C'est seulement en l'an IV qu'il est question de l'orthographe.

Remarquons encore les mesures suivantes, empreintes d'un esprit vraiment pratique : tendance à régulariser le traitement du maître, préoccupation d'assurer la fréquentation scolaire, exigée d'ailleurs en l'an II, sans gêner les familles, en plaçant les vacances au moment des moissons ; en période d'été, interclasse de quatre heures permettant aux enfants de se trouver à la maison au retour des parents après la première demi-journée de travail champêtre, soit pour le repas en commun, soit pour le ravitaille ment des travailleurs restés aux champs, le travail intellectuel étant d'ailleurs toujours pénible et parfois nul à ce moment de la journée ; concession intéressante d'un jour par mois à l'institu teur pour qu'il pût vaquer à ses affaires.

Nous voyons enfin que si le maître d'école est, de 1790 à 1792, un particulier traitant librement avec la commune, sauf agrément du curé, l'instituteur de l'an II est devenu un fonctionnaire, pourvu du logement dans un but d'intérêt public. C'est en rac courci le tableau de ce que présentera, dans cet ordre d'idées, le siècle qui va suivre.

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306 NITRY 50

IX

CULTE

Nous avons dit que la paroisse de Nitry date de la formation du diocèse d'Auxerre. L'église primitive était bâtie dans la partie sud du village actuel. Détruite par un incendie, elle fut rempla cée, vers le XIIe siècle, par une construction édifiée sur l'emplacement de l'église actuelle qui s'élève au centre du village et dont la plus grande partie est du XVIe siècle avec un clocher de 1689 (1).

Vers la fin du XIe siècle, l'église et toutes ses dépendances furent cédées par Gui de Châtel Censoir à saint Robert, abbé de Molême, qui fonda à Nitry un prieuré. Celui ci disparut au XIIIe siècle; les bâtiments se trouvaient au nord de l'église et on y accédait de l'église même par une large porte ogivale. Les curés restèrent soumis à la présentation des abbés de Molême, gros décimateurs de Nitry, seigneurs de Nitry Lichères. Pendant tout l'ancien régime, et particulièrement au temps des abbés commendataires, s'élevèrent entre les curés et les abbés d'interminables chicanes concernant les dîmes que revendiquaient les abbés au détriment des curés, lesquels ne recevaient que la portion congrue. Les habitants prenaient parti tantôt pour les uns, tantôt pour les autres; il en résulta, au XVIIIe siècle, des scènes déplorables où la dignité des ministres du culte ne fut pas toujours sauvegardée (2).

Avant 1789, Lichères n'était qu'une dépendance de la paroisse de Nitry. Les offices y étaient célébrés tantôt par un vicaire rési dant à Lichères, tantôt par le curé même de Nitry. A mainte reprise, celui-ci fut remplacé par le curé de Poilly-sur-Serein, village voisin mais d'un diocèse différent.

Au moment de la Révolution, on ne connaissait à Nitry que le culte catholique (3). La pratique en était couramment observée

(1) Quantin, Répertoire archéologique du département de l'Yonne.

(2) Cuillier, op. cit.

(3) Il y eut cependant parfois des protestants parmi la population. Nous avons trouvé, en effet, dans les archives de Nitry, registres paroissiaux, mention d'une abjuration d'un ménage protestant, Edme Chemise et Marie Lauvin, qui eut lieu solennellement le 17 janvier 1686, en l'église de Nitry sous le ministère du curé Ignace Millaut.


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comme dans la plupart des villages d'alors ; les hommes, en grand nombre, assistaient assez régulièrement aux offices. Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, que le travail était rigoureusement interdit le dimanche (1) ; d'autre part, c'était à l'issue de la messe ou des vêpres, sur la place de l'église, que se traitaient les affaires communales, par les habitants assemblés au son de la cloche; le plus souvent ces affaires étaient annoncées au prône, par le curé ; enfin, c'était parfois l'église même qui servait de lieu de réunion (2). La pratique du culte se confondait avec la vie publique.

En 1788, le curé de Nitry était vieux et malade ; il ne pouvait plus exercer son ministère et il mourut vers le mois de juin 1790. Il était suppléé par un vicaire de Vermenton, nommé Martineau, qui conserva ses fonctions ecclésiastiques à Nitry jusqu'en 1791. Lichères était desservi par un vicaire nommé Jean Louvrier qui fut nommé curé de Nitry au mois de juillet 1790, après le décès de son prédécesseur. Louvrier continua de résider à Lichères. Lorsque les prêtres durent prêter le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, Jean Louvrier refusa de le faire dans les termes prescrits par la loi ; il accompagna le serment de tels commentaires qu'il fut considéré comme réfractaire (3). Il ne fut cependant pas inquiété immédiatement et il continua d'exercer à Lichères dont la population lui était très sympathique. Par contre, en l'espace de trois mois, il ne dit qu'une fois la messe à Nitry et les habitants, furieux de n'avoir qu'un vicaire, alors que leur bourg était le chef-lieu de la paroisse, obtinrent de leur Conseil une délibération demandant à ce que le curé Louvrier vînt résider à Nitry ou abandonnât sa cure (8 septembre 1790).

L'inimitié s'accrut entre curé et paroissiens. Le 19 septembre 1790, les grains provenant de la tierce des terres de la chapelle de Notre-Dame-des Champs, savoir 125 gerbes de blé froment et 62 d'avoine, sont adjugés aux enchères publiques à Jacques Rameau, de Nitry, pour 140 livres, plus 6 livres pour le loyer de la grange et 3 livres pour celui qui avait fait la levée. Les 140 livres devaient être remises au district (arrêté du département en date

(1) Christophe Adine est signalé pour avoir fauche de la luzerne dans son jardin, le dimanche ; il sera poursuivi (Délib. du 18 juillet 1790, arch. de Nitry). Assignation du 30 juin 1700 contre P. Leclerc, cabaretier ; du 30 décembre 1787 contre Quatreveaux, marchand de bois, etc... (Arch. de Nitry).

(2) Election de Edme Rameau, procureur, le 26 juillet 1790 (Arch. de Nitry reg. de délib.).

(3) Arch. de l'Yonne, L 928.


308 NITRY 52

du 17 août). Or, le curé se plaignit que la vente avait été illégale et qu'on ne lui avait remis que 120 livres sur 150. Le Conseil dut se réunir le 8 mai 1791 pour se disculper, et il exposa que « la « calomnie qui lui est imputée ne peut provenir que d'un réfrac « faire qui sans doute veut juger les autres sur sa conduite ». L'administration départementale reconnut que la plainte du curé n'était pas fondée, l'argent n'ayant pas été conservé par la commune (1).

Le Conseil général de Nitry répondit aux attaques du sieur Louvrier en votant, le 22 mai 1791, à l'issue de la grand'messe, des remerciements publics au sieur Martineau, vicaire de Ver menton, pour avoir rempli les fonctions de curé à Nitry depuis 1788 « avec zèle et édification ». En outre, comme Louvrier, réfractaire, ne pouvait plus être considéré comme curé de Nitry, les habitants demandèrent la nomination de Martineau en la paroisse de Nitry Lichères par les électeurs du district de Tonnerre.

Ceux-ci se réunirent le 29 mai 1791 afin de désigner des remplaçants aux curés de Fulvy et de Nitry, les sieurs Dopont et Louvrier, qui avaient refusé le serment. Martineau fut élu pour Nitry (2).

En vertu des lois nouvelles, son traitement fut porté à 1.500 livres (3) et la commune dut se préoccuper d'un logement ; elle avait encore à mettre en application la loi sur le jardin des curés qui devait être d'une contenance d'un demi arpent. Le 24 juin 1791, une commission visita donc l'ancien presbytère, alors inhabité ; elle le trouva « inhabitable, effondré et aquouatique » (sic) ; il n'y avait pas de jardin. Les biens nationaux étant vendus, on ne pouvait en distraire une partie. Le Conseil demanda l'autorisation de prendre sur les biens de la fabrique ou d'acheter le terrain nécessaire. Il reconnut, d'autre part, que la toiture de l'église nécessitait des réparations urgentes, car il pleuvait à l'intérieur, mais il eut soin de faire remarquer que ces réparations incombaient au ci devant abbé de Molême qui aurait dû les faire effectuer en temps opportun.

Cependant, Jean Louvrier résidait à Lichères où il continuait à dire la messe, bien que réfractaire. La dénonciation qu'il avait

(1) Arch. de l'Yonne, L 928.

2) Porée, op. cit., t. IV p. 250, et Arch. de l'Yonne, L 686. (3) Arch. de l'Yonne L 929 Le traitement légal minimum était de 1.200 livres. plus le logement.


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faite au sujet des tierces détermina une enquête complémentaire auprès du Conseil qui dut fournir des détails sur la cure de Nitry. La municipalité avait vendu les tierces de la Chapelle pour 140 livres et non 180 comme l'affirmait Louvrier; la somme avait été intégralement versée au district : la dénonciation repo sait donc sur une base fausse. Les curés de Nitry jouissaient de la Chapelle de Notre Dame des Champs, qu'ils entretenaient ; or, depuis un certain temps, ils l'avaient laissée tomber en ruines et jamais les terres n'avaient été reconnues comme appartenant à la cure. Les fondations de cette chapelle étaient inconnues du Conseil, le curé y disait seulement une messe solennelle le 16 août; les deux processions de Pâques et de Quasimodo se faisaient comme d'usage et on ne savait si elles étaient fondées ; les litanies de la Vierge n'étaient jamais chantées; enfin, la cure de Nitry était « à portion congrue et se payait par les ci-devant « abbés de Molesme, pour lors seigneurs de Nitry ».

Ces renseignements, fournis à l'administration, mettaient à néant les prétentions du prêtre réfractaire (10 juillet 1791).

Il fut naturellement peu satisfait. Ayant l'appui des habitants de Lichères, il tenta de susciter des ennuis à son successeur, le curé Martineau. Celui ci s'étant rendu à Lichères trouva les portes de l'église fermées. Les habitants s'opposèrent à la célébra tion de la messe par lui, Martineau, et déclarèrent qu'on ne le reconnaissait point pour curé, « mais bien le sieur Louvrier, réfractaire à la Loy de la constitution civile du clergé », et le maire de Lichères fut impuissant à faire ouvrir l'église ; il fallut signaler le fait à l'administration départementale (17 juillet 1791) (1).

Celle ci prit les mesures nécessaires et fit nommer desservant de Lichères le nommé Tocquot ; il était en fonctions le 25 août suivant (2).

L'ex curé Louvrier demanda alors à l'assemblée départementale le règlement de son traitement. Il fit valoir que sa cure étant à portion congrue, il avait reçu de Mgr de Cicé, ci devant abbé de Molême, 350 1. pour traitement du 28 juin 1790 au 1er janvier 1791 ; il réclamait par suite ordonnance de 946 1.15 s., savoir : 1° une somme de 250 1. pour supplément de traitement des six derniers mois ; 2° 375 1. pour le premier quartier de l'année en

(1) Porée, op. cit., t. IV, p. 266. (2) Porée, op. cit., t. III p. 173.


310 NITRY 54

cours, suivant la population de la paroisse qui était de 1.200 âmes (1); 3° 297 1. pour 2 mois et 12 jours échus le 12 juin 1791, époque de son remplacement ; 4° 24 1. 15 s. pour 18 jours de la pension accordée aux non-conformistes. L'administration dépar tementale décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer, attendu que les 350 1. complétaient son traitement des six mois d'exercice faits comme desservant de Lichères, puisque cette somme lui avait été payée par Mgr de Cicé, et que lui-même s'était présenté pour recevoir son traitement de curé de Nitry à dater du 28 juin

1790 (2). Louvrier fit sans doute de nouvelles démarches avec plus de succès, car une ordonnance de 350 1. lui est délivrée par décision de l'administration départementale en date du 12 janvier 1792, pour un supplément de 1791 et sa desserte de la succursale de Lichères (3).

Le hameau de Villiers-la-Grange avait dû être rattaché, au moins passagèrement, à la paroisse de Nitry, car vers la fin de

1791 il était desservi par le curé de cette paroisse ; celui ci fut bénéficiaire d'une ordonnance de paiement, en date du 10 avril 1792, pour 5 mois et demi de desserte de la succursale de Villiers (4).

Le décret de l'Assemblée législative du 29 novembre 1791 exi geait de tous les ecclésiastiques le serment civique. Le curé Martineau dut renouveler ce serment le 18 septembre 1792 ; les habitants de Nitry, qui tenaient à leur culte voulaient que leur curé fût en règle avec la loi ; la prestation de serment, signée du curé, fut soigneusement consignée au registre de délibérations. Pour la même raison, la municipalité délivra à Martineau un certificat de résidence, avec signalement précis, le 19 février 1793.

Le presbytère n'avait pas été réparé et la commune était, de par la loi, obligée de loger son curé ; elle obtint, le 20 décembre 1792, de l'administration départementale, l'autorisation de faire dresser un devis des réparations urgentes ; mais, comme elle avait commis l'imprudence d'offrir une somme de 400 1. pour cet objet, elle fut mise en demeure de s'expliquer sur la provenance de cet argent.

C'est vers cette même époque que le curé Martineau et ses paroissiens, reprochèrent au maître d'école, Nicolas Gentilt, de

(1) La paroisse comprenait Nitry et Lichères. (2) Porée op. cit., t. III. p. 216. (3) Porée. op. cit., t. IV, p. 51. (4) Porée. op. cit., t. IV, p. 186.


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mal remplir ses fonctions de chantre à l'église et de faire des offices divins l'objet de la moquerie des passants. La mise en demeure signifiée au sieur Gentilt d'avoir à se faire remplacer au lutrin, date du 3 mars 1793 (Voir chap. VIII). Le curé souffrait encore de ne pas avoir un jardin de la contenance réglementaire ; il fit une nouvelle réclamation au département ; sa demande fut rejetée par décision du 29 brumaire an II (19 novembre 1793 (1).

Par la Constitution civile du clergé, la Constituante n'avait ni voulu, ni cru porter atteinte à la religion. Mais de 1790 à 1793, les esprits avaient évolué ; bien qu'en principe la liberté du culte restât proclamée, la Convention décida, le 26 brumaire an II (16 novembre), sur la proposition de Cambon, qu'églises et presby tères serviraient d'asiles aux pauvres et de maisons d'école ; le 20 brumaire, la fête de la déesse Raison était célébrée à Notre Dame. Les conséquences de ces événements se firent bientôt sentir en province. Nombre de communes rurales, suivant l'exemple de Paris, transformèrent leur église en temple de la Raison. Les lacunes des registres ne nous permettent malheureu sement pas d'avoir des données précises sur les agissements anticléricaux d'un comité local dont l'existence est certaine (2). Tou tefois, nous constatons que le 12 frimaire (2 décembre) l'inven taire de l'église de Nitry fut fait par Simonnot, commissaire du district, et Claude Leblanc, de Nitry, en suite de quoi les scellés furent apposés sur la porte.

Des habitudes séculaires sont difficiles à rompre ; Nitry tient encore à son culte. Pour le défendre, le Conseil se réunit immédiatement ; il rédige séance tenante une pétition où il expose que le Conseil et les habitants ont été élevés dans la religion catholique, et que c'est la seule qu'ils professent. En vertu de la loi, il réclame l'église pour y exercer le culte, et en outre les ornements et les vases sacrés. Il demande aussi un prêtre, aux frais de la Nation ou de la commune, et dans ce dernier cas un prêtre à son choix. Il fait même remarquer que Nitry se trouvant à deux lieues d'un centre et comptant 200 feux pourrait former un arrondissement convenable pour une cure avec Aigremont, Vil(1)

Vil(1) op cit., t. VI. p. 139.

(2) La délibération du 12 frimaire, qui suit, est l avant dernière du troisième «registre; puis une lacune d'un an. Qui a eu intérêt à faire disparaître le registre de l'an II''


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liers la Grange, Lichères et Sacy, villages distants d'au plus une lieue.

A ce moment une telle demande ne pouvait guère être prise en considération et l'église resta fermée, bien que la Convention n'eût point supprimé le traitement des ecclésiastiques et que le 16 frimaire elle eût défendu toute violence contre la liberté des cultes. D'ailleurs, le prêtre finit par abandonner sa paroisse; il se fil, en effet, délivrer par l'administration départementale, le 23 germinal an III, une ordonnance de paiement, alors qu'il était professeur au collège de Joigny ; la pièce porte Edme Martineau, ex curé de Nitry (1).

Les fidèles restèrent sans pasteur jusqu'au 6 messidor an III. La Convention avait voté sa seconde Constitution, dans laquelle elle opérait la séparation de l'Eglise et de l'Etat en déclarant que la République ne salariait aucun culte ; mais elle y proclamait aussi que nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi. La municipalité de Nitry s'empresse de profiter de cette clause. Elle nomme d'abord un homme chargé de l'entretien de l'église et des cérémonies du culte ; c'est Pierre Simon, tonnelier, qui touchera de ce fait 100 livres par an. Le même jour, Jean Baptiste Guéneau, âgé de 28 ans, de Massangis, mais demeurant à Nitry, comparaît devant la municipalité et déclare qu'en vertu de la loi du 11 prairial précédent il consent à remplir le ministère catholique à Nitry ; il prête aussitôt le serment obligatoire. Alors la municipalité déclare, tant pour elle que pour la commune, qu'elle entend continuer son culte catholique, en conformité de la loi précitée, « et notamment dans l'édifice où elle l'a exercé originairement et dont la commune est en possession depuis un temps immémorial ». Elle accepte comme curé le sieur Guéneau, à charge par lui de se conformer aux lois de la République (6 messidor an II). L'église fut rouverte.

Le 9 frimaire an IV (29 novembre 1795), le curé Guéneau renouvela son serment dans la forme suivante : « Je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain et je promets soumission et obéissance aux lois de la République ». L'agent national en prit acte. En application de la loi du 7 vendémiaire (art. 17, titre IV), les habitants de Nitry firent ensuite cette déclaration : « Les habitants (de Nitry) déclarent qu'ils

(1) Arch. de l'Yonne, L 68.


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choisissent pour l'exercice de leur culte catholique l'enceinte appelée cy-devant Eglise pour la continuation de leur dit culte, et la place qui environne le dit édifice pour continuer les dites sépultures ».

Ainsi se terminent, en même temps que les registres, les. vicissitudes du culte à Nitry pendant la Révolution (1).

X

BIENS NATIONAUX ET DROITS FÉODAUX

La seigneurie de Nitry-Lichères appartenait à l'abbaye de Molême dont l'abbé, en 1789, était Mgr de Cicé qui émigra en 1790. Ainsi que nous l'avons vu plus haut, elle comportait, à Nitry, maisons, terres et pré, bois, droits féodaux ; nous avons à y rattacher les terres de la fabrique, de la mense conventuelle et celles qui dépendaient de la chapelle de Notre-Dame des Champs.

Les terres avaient été l'objet de tant d'aliénations depuis le moyen âge que l'étendue en était notablement réduite ; par contre, les seigneurs abbés n'avaient négligé aucune occasion d'accroître leurs bois aux dépens du domaine forestier des deux communautés.

Les Ursulines de Montbard, d'autre part, possédaient à Nitry une maison d'exploitation et des terres provenant très probablement d'une concession de l'abbaye, ainsi que le fait présumer la rente de 50 lives qui les grevait.

De nature ecclésiastique, dès 1790 ces biens devinrent la propriété de la Nation (1)

Ils représentaient, dans leur totalité, les 0,09 du territoire de Nitry, savoir : les 0,08 de ses terres productives et les 0,31 de ses bois. A Lichères, ils formaient les 0,22 du territoire, savoir : les

1 Signalons toutefois que J. B. Queneau ministre du culte à Nitry fut l'objet de poursuites pour infraction à la loi du 7 vendémiaire, en même temps, que ses collègues J. Pajou. de Villiers la Grange, J. Malary, de Grimault. E. Hugot, de Môlay devant le tribunal correctionnel de Tonnerre 15 fructidor, an II), Arch. de 1 Yonne, L 1317.

(1) 10 octobre 1789, proposition de Talleyrand ; 2 novembre 1789. décret de l'Assemblée mettant les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation ; 19 décembre 1789, décision de vente , 25 juin 1790 vote de l'aliénation totale.


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0,15 de ses terres productives et les 0,63 de ses bois. C'était, pour l'ensemble des deux communautés, les 0,135 du finage, les 0,11 des terres, les 0,41 des bois (1).

Nous aurons encore à tenir compte d'un labourage de 15 hect. environ, d'origine différente. Le nommé Jean-François-Claude Davoust, fils de Jacques Davoust, demeurant à Annoux et propriétaire de terres sur Nitry, vint à émigrer. Or, le 9 février 1792, les biens des émigrés avaient été placés dans la main de la Nation. Un partage de biens fut opéré le 14 frimaire an VII entre le père et la Nation; celle ci, représentant le fils émigré, eut dans son lot les terres de Nitry.

Ces maisons et terres furent vendues, les droits féodaux furent supprimés, non sans difficultés, et les bois usurpés furent recu pérés par les communes, les bois appartenant en propre à l'abbaye restant la propriété de l'Etat qui les vendit beaucoup plus tard.

a) Vente des biens

L'état dressé le 20 novembre 1790 par le Conseil général de la commune pour être fourni au district s'appuyait, en ce qui concerne les terres, sur un bail rédigé après arpentage ; les superficies indiquées peuvent donc être considérées comme exactes ; elles ne présentent pas de différence sensible avec celles qui sont portées aux procès verbaux d'adjudication.

Le domaine propre de l'abbaye, outre les bâtiments et dépen dances, pressoir, jardin, cour, d'une contenance totale d'un arpent et demi, et four banal, comportait 15 journaux de terre en une seule pièce au Champ-Monsieur, 3 journaux au Chemin-d'Aigremont, 16 arpents aux Chaumes des Vaux-Viards, un demi-journal près la Croix-Lénard et 2 arpents et demi de pré. Il était donc peu morcelé. L'administration en fit un seul lot dont les terres représentaient environ 18 hectares (2) (N° 6 de la désignation des biens) (3).

On fit un deuxième lot avec les terres de la Mense conven

(1) Superficie totale : Nitry, 3.470 hect ; Lichères. 1.635 hect. Terres cultivables : Nitry. 1.854 hect. , Lichères, 1.256 hect. Bois Nitry. 601 hect. Lichères, 246 hect. en 1789).

(2) L'arpent est compté de 51 ares. C'est la valeur indiquée sur la très grande partie des actes de la fin du XVIIIe siècle, à Nitry. Très rares sont ceux qui donnent à l'arpent une superficie de 42 ares. Le journal est compté à raison de trois aux deux arpents.

(3) Arch. de l'Yonne, reg. 61 f 234 à 249 et 377 à 381.


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tuelle, soit 2 arpents au climat de la Couée (N° 7 de la désigna tion des biens).

Le domaine des Ursulines consistait en un bâtiment et ses dépendances, une grange appelée la Grange des Tierces et environ 80 hect. de terres ; celles ci comportaient 111 parcelles s'étendant sur 39 lieux dits du finage, parmi lesquels le Champ de la Couée, 12 parc. 6 a. 1/2 15 j. 1/2 ; le Chemin de la Couée, 3 parc. 1 a. + 20 j. ; le Chemin de Vauplait, 8 parc. 2 a. 1/2 + 10 j. 1/2; le Chemin de Noyers, 7 parc. 1/2 a. + 9 j. 1/2, etc. Par une adjudication morcelée, il eût été facile de contenter de nombreux acquéreurs ; cependant, on ne fit du tout qu'un seul lot (N° 8 de la désignation).

Enfin, les terres de la Chapelle étaient en une seule pièce de 40 journaux, soit environ 13 hect., au Chemin de Joux ; on ne jugea pas à propos de les morceler et elles formèrent un 4e lot (N° 8 de la désignation),

Les paysans de Nitry, presque tous fermiers ou métayers, n'étaient que de petites bourses; trois au moins de ces lots dépassaient leur puissance d'achat. Mais la famille du maire, très à l'aise, en connaissait la valeur puisque l'un des frères était fermier de l'abbaye, et les convoitait. Est ce à son influence qu'est dû le non morcellement ou aux soucis de la Constituante qui, effrayée par le spectre de la banqueroute, était plus préoccupée à ce moment de la réussite de ses projets financiers que des intérêts des humbles ?

Quoi qu'il en soit, au point de vue local, la mesure n'était rien moins que démocratique.

Les quatre lots furent l'objet d'une première vente qui eut lieu, dans la forme légale, le 19 avril 1791.

Le premier lot, fut adjugé à Charles Gautherin, laboureur à Perrigny, tant pour lui que pour ses frères, moyennant 17.000 livres. Le deuxième lot fut adjugé dans les mêmes conditions à Pierre Gautherin, de Nitry, moyennant 725 livres. Le troisième lot fut la part d'Edme Gautherin, également pour lui et ses frères, moyennant 37.300 livres. Le quatrième lot échut à Joseph Rétif, laboureur à Annay-la-Rivière (sur Serein), au prix de 6.000 livres.

Les trois premiers lots étaient donc rassemblés dans les mêmes mains, mais les apparences étaient sauves puisque les acquéreurs étaient différents.

L'adjudication avait produit en tout 61.025 livres.

Les terres de la fabrique avaient une superficie d'environ


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36 hect. ; elles étaient très morcelées et disséminées à travers le finage. Elles comportaient 103 parcelles réparties en 45 lieux dits : Fumée du Four, 5 parc. 3 a. 1/2; Chemin de l'Isle, 6 parc. — 1 a. J- 7 j. 1/2; Chemin de Noyers, 6 parc. 2 a. 1/2 + 1 j. ; Chemin d'Oudun, 7 parc. 3 a. , 2 j. ; Chemin de Cravant, 5 parc. 2 a. -r- 2 j. ; etc...

Elles furent mises en vente le 3 pluviôse an III. Nous sommes sous la Convention, cette fois, le domaine est fractionné pour la vente; les trois coutures (soles: blé, avoine, sombres) sont divisées chacune en trois lots de conformation et de valeur, sinon de contenance, à peu près égales.

Il n'y eut personne à la première criée, mais l'adjudication eut lieu le 25 pluviôse suivant; en voici le résultat :

Lots, Estîmation

1 1.4601.

2 1 420

3 1.500

4 1.590

5 1.215

6 1 340

7 1 330

8 1 050

9 1.280

Superficie (1)

4 a. + 10 j.

7 a. 1 2 3 j. 1 4

4 a. -L 10 j. 1 2

3 a. -r 5 j.

4 a. 1,2-r 5 j.

5 a. 1 2 -r 4 j. 3/4

3 a. -r 5 j.

4 a. 1,2 + 2 j. 1,2

6 a. -r 7j. 12

Acquéreurs

J.-B. J. Gauterin J. B. Droin

Bidault

J. Bidault J.-B.-B. Gautherin Laurent Renault Léonard Laurent Jean Rameau Ed. Bertheau Léonard Laurent

Domicile Prix d'adj.

Nitry 5 100 1.

Annay

6 825 l'Isle

Nitry 5 020

Nitry 8 100

Aigremout 5.600

Nitry 7.275

Nitry 10.500

Aigremont 5.375

Nitry 6.750

Un 10e et un 11e lots comprenant les chènevières, estimés 60 livres et 75 livres, furent adjugés, le 10°, pour 515 livres, à Pierre Chappey; le 11e, pour 400 livres, à Pierre Piat, tous deux de Nitry.

(1) Contenances actuelles approximatives 1° 5 hect. 3 ; 2° 4 hect. 9 ; 3° 5 hect. 5 ; 4 3 hect. 2, 5 4 hect. ; 6° 4 hect. 4 ; 7° 1 hect. 2 ; 8° 3 hect. 1 ; 9 5 hect. 5.


61 PENDANT LA RÉVOLUTION 317

La vente produisit 61.465 lires, mais les assignats étaient déjà bien dépréciés.

En biens de la même nature, il ne restait plus alors, à Nitry, qu'un bâtiment, provenant d l a Cure, et que la loi du 6 mai 1791 avait remis à la Nation. C'était l'ancien presbytère, accompagné d'un petit jardin clos tenant à la rue de Vienne et d'un bout à la rue du Caron Pipaux. Evalué 1.790 francs, il fut vendu, le 21 prai rial an IV, pour 716 livres seulement à François Robert, instituteur à Nifry.

Le 14 frimaire an VII, la propriété Davoust passait à la Nation, Elle comprenait 15 hect. 31 a. 15 cent, en plusieurs pièces. En vente le 23 pluviôse an VII, sur une mise à prix de 960 francs, et personne ne s'étant présenté, elle fut adjugée, le 28 pluviôse suivant, pour 1.375 francs, à Edme Gautherin, de Nitry.

En résumé, les ventes produisirent en tout 124.781 livres, sur quoi la famille Gautherin avait versé 69 600 livres ; 14 acquéreurs, dont 8 seulement de Nitry, participèrent au partage. Depuis longtemps, la majeure partie des terres de Nitry appartenait à une bourgeoisie, moyenne ou petite, en presque totalité étrangère au village. La Révolution n'a donc guère apporté de changement dans la répartition des propriétés ; il faudra le XIXe siècle et particulièrement des événements tout récents pour faire passer la propriété rurale aux mains de ceux qui la cultivent.

b) Droits féodaux et bois

En 1789, les droits seigneuriaux dont jouissait l'abbé de Molême sur Nitry comprenaient, d'après l'état fourni au district le 20 novembre 1790 :

« La 20e gerbe gerbée sur le demi-quart du finage ;

« En outre environ cent arpents à la 60e gerbe dont les terres « sont chargées de 2 sols 6 deniers de cens par arpent ;

« Et dans le surplus des terres labourables le droit de tierce à « raison de 8 gerbes l'une ;

« La dixme de laine de 20 l. une avec 1 sol par agneau ;

« Les lods et ventes payables à raison de cinq sols par écu. « M. l'abbé de Molesme se les est réservés ;

« La dixme de chanvre à la 20e partie... »

Nous avons vu que le tout était amodié à J. B. Gautherin, moyennant 7.500 livres.

A partir de 1790, la suppression de ces droits fut l'objet de


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réclamations suivies qui envisagèrent également la réintégration des bois usurpés.

Exposons rapidement les causes de cette dernière revendication.

A l'origine, Nitry et Lichères possédaient en toute propriété une assez grande étendue de terres et de bois. Nous ne connaissons rien sur les premières usurpations féodales. A partir du XIe siècle, l'abbaye, substituant sa suzeraineté à celle des divers seigneurs du lieu entrait en possession des bois que ceux ci détenaient sur le finage des deux communautés, entre autres ceux dénommés encore actuellement « bois Sainte-Marie ».

Par une charte de 1278. renouvelée en 1380, les habitants de Nitry-Lichères cèdent à l'abbaye, pour se racheter de la servitude et d'un droit de banvin, outre 850 livres tournois, 47 arpents de « fortaige » et 2 deniers /12 de vente d'héritages, 200 arpents de bois (arp. de Tonnerre) de leur domaine propre, pris dans les. bois de l'OEuvre, situés près du bois Sainte Marie, appartenant aux religieux.

En 1637, lesdits habitants doivent céder, à titre de triage, au prince de Conti, alors abbé de Molême, environ 300 arpents de leurs bois restants; mais en vertu de l'édit de 1665, ils croient pouvoir rentrer en possession de cette portion de leur forêt et de fait ils la reprennent.

Une transaction de 1713 met à la disposition du seigneur-abbé, M. de La Rochefoucault, environ 80 arpents de bois pour chauf fage du four banal.

Une requête du 8 juin 1731, de l'abbé de Molême, tend à le mettre à nouveau en possession du triage de 300 arpents ; une deuxième requête expose que les papiers de l'abbaye sont brûlés et que les titres primitifs ne peuvent être présentés, mais l'abbé appuie sa demande : 1° sur ce qu'il est le seigneur ; 2° sur ce que les habitants ne lui payent aucune redevance pour leurs bois ; 3° sur ce que le droit de triage avait été reconnu au prince de Conti et que seule la négligence en avait dépossédé les successeurs.

Le 9 mars 1732, les habitants de Nitry sont obligés de reconnaître qu'ils sont effectivement entrés en possession du triage abandonné au prince de Conti.

Un arrêt du Conseil d'Etat du 9 septembre 1732 ordonne que l'administration forestière procédera au bornage et à la délivrance au profit de l'abbé, en qualité de seigneur de Nitry et Lichères, du tiers de la totalité des bois possédés par les deux


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communautés, à prendre dans les cantons choisis par l'adminis tration. L'arrêt est signifié aux intéressés le 15 septembre.

Les officiers de la maîtrise de Sens reçoivent, le 26 novembre suivant, les protestations des syndics de Nitry qui leur affirment que le triage de 1637 n'a été cédé au prince de Conti. en échange du paiement des dettes de la communauté, que pour sa vie « abbatiale » et qu'il a même promis de restituer les 90 (?) arpents de bois en Vauviard abandonnés à son prédécesseur, M. de L a Rochefoucauld. Les syndics de Lichères n'ont pas daigné se présenter.

Néanmoins, on procède au partage : l'arpentage de 1704 accusant 1.494 arp. 54 p., les officiers de la maîtrise en disiraient 498 arpents pris dans le quart en réserve, au profit du seigneur abbé (procès verbal du 22 décembre 1733).

Les habitants de Nitry et Lichères sont assignés pour assister à l'opération du bornage ; les syndics de Nitry persistent dans leurs remontrances et ceux de Lichères signifient une opposition à l'arrêt du 9 septembre 1732 ordonnant le triage. C'est l'objet du procès-verbal du 18 mars 1734 qui constate en même temps que le bornage ayant été quand même effectué, les bornes ont été cassées dans les bois de Lichères et devront être remplacées.

Le 5 juillet 1752, un arrêt de la Table de Marbre condamne plusieurs habitants de Lichères pour avoir coupé et partagé entre eux, en 1750, le canton de bois voisin des bois de la com munauté.

Enfin, le 23 août 1756, il est encore distrait, pour le chauffage des fours banaux, au lieu des 80 ou 90 arpents précédents, 85 arpents pour Nitry et 55 pour Lichères.

En résumé, au cours de six siècles, 838 arpents environ de bois roturiers étaient passés dans le domaine seigneurial et les manants frustrés avaient toujours protesté contre une telle spo liation.

En général, après le 14 juillet 1789, on n'acquitte plus les droits féodaux ; la crainte d'une nouvelle Jacquerie contribue à leur abandon par les privilégiés dans la nuit du 4 août. Mais il faut rappeler les termes précis de la proposition de Noailles : « ... tous les droits féodaux sont rachetables par les communautés, en argent ou échangés sur le prix d'une juste estimation... les cor vées seigneuriales, les mainmortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat... » En somme, on affranchis sait les hommes, non les terres. Si les dîmes, abandonnées aussi, tombèrent d'elles-mêmes quand l'Assemblée eut décidé de rétri-


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buer les membres du Clergé, il n'en fut pas de même des autres droits, à la grande surprise des paysans. Les mesures prises par la Constituante étaient si peu faites pour faciliter la libération des propriétés que certains historiens ont pu se demander si l'Assemblée avait sérieusement désiré ce résultat. Ainsi, les sei gneurs furent considérés comme ayant primitivement possédé toutes les terres roturières ; les droits féodaux furent supposés le résultat d'une transaction entre tenanciers et seigneurs ; les censitaires durent faire la preuve qu'ils ne devaient rien, chose difficile, impossible même en bien des cas.

Aussi, allons nous voir les paysans de Nitry entreprendre une lutte opiniâtre contre cette mauvaise volonté légale. D'autre part, lors de la remise des biens ecclésiastiques à la Nation, les bois de l'abbaye, et avec eux la partie usurpée, devinrent sa propriété : c'est contre l'Etat que les revendications en matière forestière devront désormais s'exercer.

Les notables de Nitry, dirigés par les Gautherin, hommes versés dans la pratique des affaires, se tenaient au courant des décisions de la Constituante concernant bois et droits féodaux ; ils guettaient l'occasion favorable. Ils crurent la trouver dans le décret du 24 mars 1790 sur les droits de champarts et ferrages, et la loi du 3 mai suivant sur les droits féodaux rachetables. Mis en émoi par le décret du 18 juin 1790 portant défense de troubler la perception des tierces, ils provoquèrent une réunion extraordinaire du Conseil général de la commune à la date du 3 juillet et la question des tierces fut longuement et minutieusement étudiée. La conclusion fut que, pour obtenir la suppression du droit de mainmorte sans indemnité et la restitution des bois pris sous prétexte de triage, de chauffage de la maison seigneuriale et du four banal et de rachat des droits seigneuriaux, il fallait à tout prix rechercher et trouver les titres convenables, la communauté ayant négligé de conserver les siens. On chargea de la besogne Edme Gautherin, procureur fiscal ; il reçut de pleins pouvoirs, fut autorisé à se faire assister par une personne capable de déchiffrer les anciennes écritures et prié de se faire délivrer des copies authentiques des titres découverts ; il recevrait 12 francs par jour et serait remboursé de toutes ses avances sur mémoires justifiés.

Le 21 juillet 1790, Edme Gautherin, de retour, rendait compte au Conseil du succès de sa mission. Assisté de Me Droin, avocat à Perrigny, et de Me Simonet, avocat à Noyers, il avait trouvé les


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titres nécessaires (1). Une charte de 1380 indiquait que la mainmorte pesant sur les habitants et héritages de Nitry avait été convertie en un droit de tierce, outre les autres conditions de la « rédemption » ; entre autres pièces, elle lui avait paru d'un grand poids. En conséquence, le Conseil décide aussitôt de ne pas payer la tierce ; la dîme étant indépendante, Nitry la paiera comme à l'habitude; enfin les titres seront notifiés à l'administration du district.

Celle ci ne mit aucune hâte à prendre une décision ; peut-être avait-elle trop de réclamations semblables.

En attendant, le 31 juillet (2), elle envoie à la municipalité l'ordre de ne pas s'opposer à la gestion de leurs biens par les Ursulines de Montbard et le curé ; elle l'invite à surveiller la culture et à dresser un procès-verbal de visite constatant la dégradation ou le délaissement des propriétés. Satisfaction lui fut d'ailleurs donnée le 22 août suivant.

La municipalité ayant demandé des instructions au sujet du droit de tierce, il lui fut répondu, le 17 août, que les Ursulines de Montbard étaient autorisées par décret à administrer leurs biens et avaient par conséquent le droit de percevoir le droit de tierce à Nitry, de l'engranger et d'avoir la clef du bâtiment qui leur serait remise par l'officier municipal de ce chargé. Quant au droit semblable appartenant au curé, « si cet ecclésiastique ne se présentait pas pour enlever la perception, la municipalité aurait le droit de lever le tiers des gerbes et de les vendre au plus offrant enchérisseur après annonce, à charge d'en verser le produit dans la caisse du district ». Le 19 septembre 1790, en exécution de ces ordres, les tierces des terres de N. D. des Champs sont adjugées à J. Rameau, moyennant 140 livres à remettre au trésorier du district, à Tonnerre. Nous avons exposé au ch. IX la chicane suscitée par cette affaire.

Cependant, à toute occasion, le Conseil juge utile de rappeler ses revendications.

Le 17 octobre 1790, fournissant au district le classement des

(1) Le procès verbal de la délibération n'indique pas où les titres furent trouvés. En 1889, seul, le chartrier de Molême devait les posséder encore. Mais, en 1790, ils avaient dû, en partie tout au moins, être transportés à Châtillon, chef lieu du district, ainsi que nous le ferait supposer le paragraphe final de l'arrêté départemental de l'Yonne en date du 7 juillet 1794. Ils sont aujourd'hui aux archives de Dijon.

2) Porée. op. cit., t. II, p. 27.

21


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propriétés fait en 1779, il y inscrit 271 arpents de bois précédemment au seigneur abbé et passés à la nation, mais il a soin d'ajou ter que la commune en réclame la propriété. Le 20 novembre, envoyant à Tonnerre l'état des biens nationaux, il y mentionne le droit de tierce, mais rappelle que les habitants le considèrent comme devant être supprimé sans indemnité suivant le titre qu'ils ont notifié au procureur syndic du district et pour la vali dité duquel ils entendent se pourvoir par devant des juges compétents. Il indique que les bois dont il donne l'énumération sont réclamés par la commune de Nitry qui va incessamment faire le nécessaire pour s'en faire adjuger la propriété. Il réclame même les terres de l'abbaye.

Le même jour, s'appuyant sur le décret du 24 mars, il convoque en assemblée générale les habitants de Nitry et les propriétaires forains. Il s'agit des mesures à prendre pour obtenir l'abolition du droit de tierce, attendu qu'il le considère comme l'effet du rachat de la mainmorte et non le résultat d'une concession de fonds (charte de 1380). Le lendemain, 21, ladite assemblée autorise les officiers municipaux à se pourvoir auprès des administrateurs du département pour obtenir décharge de ce droit et comme les biens de l'abbaye sont à la disposition de la nation, on demande la suppression sans indemnité.

La réponse n'arrive pas et Nitry s'impatiente. Le 12 décembre suivant, nouvelle autorisation du Conseil aux officiers municipaux pour le même objet. Comme le décret porte en outre que les banalités sont supprimées sans indemnité, le Conseil réclame la suppression du droit de banalité du four pour lequel on payait la 24e livre de pâte, et la restitution des bois réservés pour le chauffage du four. Il rappelle encore une fois qu'il se pourvoira en temps et lieu pour la restitution des 498 arpents de bois obtenus illégalement à titre de triage, en 1733, par l'abbé de Molême.

Auxerre garde le silence et les affaires courantes vont leur train. La municipalité fournit en décembre un certificat constatant que le garde des bois de l'abbaye est toujours Jean Beruel et qu'il est sans reproche. Ses gages, payés par le fermier de l'abbaye, s'élèvent à 230 livres. Il touche 24 livres pour son logement et une gratification de 24 livres à la vente de la coupe annuelle. Celle-ci (14 arpents) est d'ailleurs en exploitation. Le fermier de l'abbaye, Gautherin, est remplacé par Corsaint le 1er janvier 1791. Celui-ci demande à exploiter le four banal de gré à gré avec les habitants. Le bruit de la suppression des tierces faisait naître des litiges. Un nommé Soupeaux, fermier en Noiret, au courant des démarches


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du Conseil, avait déclaré vouloir jouir des avantages de la loi. Au moment de la moisson, il avait prévenu ses propriétaires, un nommé Viard, de l'Isle, et une dame Laval, de Noyers, qu'il refuserait les tierces dues sur leurs terres, ce qu'il fit de leur consentement. Mais par la suite, dans une reqête au département, les copropriétaires désapprouvent leur fermier. Le Conseil est saisi de l'affaire et il fait comparaître le fermier qui affirmait et croyait un peu prématurément que la question venait d'être tranchée en faveur de la commune. Le fermier entendu, le Conseil déclare que les propriétaires sont libres de remettre leur quote-part (2/3 des grains), mais le fermier s'en tient à la décision du département (27 mars 1791).

Le 8 mai, Louvrier, curé de Nitry, se plaint de la vente soidisant illégale du tiers des gerbes provenant de la cure ; le conseil se disculpe une première fois mais doit fournir à nouveau, à l'administration départementale, le 10 juillet suivant, des expli cations très détaillées qui le justifient définitivement.

Le même jour, le district demande l'état des biens nationaux: le Conseil répond que cet état a été fourni, que les biens nationaux sont vendus et qu'il reste seulement 415 arpents de bois situés au finage de Nitry, Climat du Haut du Faîte, Bourdonnet et Vauviard, tenant d'une part au bois de Lichères, d'autre à Sacy, d'autre au bois de Nitry, « lesquels la commune réclame » (1).

La réclamation de la commune contre les tierces et banalités fut enfin jugée par les administrateurs du département de l'Yonne dans la séance du 7 juillet 1791. Après examen des chartes de 1380, 1381, 1383, 1502, 1507, 1510 et de la transaction de 1713, le Directoire, étroitement pénétré de l'esprit de la loi, ergotant sur la rédaction de la charte de 1380, déclare qu'il n'y est question des tierces qu'après mention faite des conditions d'affranchissement, que la clause qui les concerne doit donc être considérée comme indépendante de ces conditions et que les habitants de Nitry ne prouvent pas davantage que le droit de tierce ait été imposé sur leurs héritages pour « héridimer de la mainmorte réelle ou mixte », « qu'aux termes du décret du 24 mars, les droits de champarts et « ferrages agréés et au nombre desquels doit être compté celui de « tierce sont présumés être le prix et la condition d'une concession « primitive de fonds et comme tels doivent être payés jusqu'au

(1) Plus une rente de 5 bichets de blé par Jean Lamort, meunier, et 5 sols de cens ; et une rente de 9 1. 12 s. par P. et J. Simon et Jean Amelin.


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« rachat, sauf la preuve contraire ». En conséquence, la commune est déboutée de sa demande et la municipalité invitée, conformément à la loi, à tenir la main à la perception des tierces jusqu'au rachat ou à une preuve par titres autres que la charte de 1380. Quant à la restitution des 80 arpents de bois, il est sursis à statuer jusqu'à production de la procédure tenue entre le sieur de La Rochefoucauld et les habitants de Nitry antérieurement à l'arrêté du 12 mai 1710, les pièces devant être demandées aux administrateurs du district de Châtillon.

C'est une grosse déception pour Nitry qui doit se soumettre pro visoirement et de mauvais gré à cet arrêté. La municipalité demande alors au district s'il faut faire la gestion du droit de tierce ou s'il y aura adjudication. Elle fait remarquer que ce droit se trouve réduit à la 12e gerbe pour les terres où la dîme était payée conjointement et, suivant les titres, qu'il est payable à la grange; qu'il vient d'être l'objet d'une demande de suppression, " mais comme la question ne parroit pas encore décidée " on obéira à la loi.

Le district décide qu'une adjudication aura lieu le 19 juillet suivant. Le Conseil proteste aussitôt énergiquement contre la teneur de l'arrêté qui annonce à tort une tierce générale sur le finage. Il fait remarquer à l'administration que, venant de procéder à l'adjudication des biens nationaux du 19 avril où elle avait annoncé les biens vendus quittes de tous droits, elle n'aurait pas dû laisser commettre une pareille erreur; d'ailleurs, que les parties accoutumées à la prestation du droit de tierce sont délimitées par des bornes encore existantes. Il fera insérer cette délibération du 17 juillet au procès verbal d'adjudication.

Puis le Conseil, apparemment, se tient coi; mais le maire, agis sant comme particulier, continue la lutte, appuyé par un certain nombre d'habitants de Nitry. Ils lancent par devant le tribunal de Tonnerre une assignation tendant à faire défense de percevoir le droit de tierce sur Nitry et à faire restituer par le trésorier du district les sommes payées à ce titre en 1790 et 1791. Maintenant son opinion première, le Directoire du département autorise le procureur syndic à plaider en la cause (3 décembre 1791).

Le tribunal de Tonnerre se prononce le 25 janvier suivant, ordonnant au procureur général de déposer au greffe, dans un délai de deux mois, tous les titres des droits appartenant à la Nation sur le finage de Nitry, notamment ceux concernant la tierce des champs et la dîme des vignes (1).

(1) Ici se place un léger incident qui nous renseigne sur le curieux étal d'es-


69 PENDANT LA RÉVOLUTION 325

Signifié le 6 février, ce jugement est suivi, le 17 avril, d'une nouvelle requête d'Edme Gautherin. Le district émet alors l'avis qu'il soit demandé au tribunal un délai suffisant pour se procurer les titres des redevances ; ils les a réclamés instamment, mais en vain, au district de Châtillon ; il décide de faire de nouvelles démarches.

Saisi de l'affaire, le Directoire départemental se conforme à l'avis du district et, vu le décret du 15 mars 179.0, arrête que, si on ne peut se procurer aucun titre, Gautherin et consorts seront tenus de justifier leur réclamation, faute de quoi ils devront être déclarés non recevables en leur demande et condamnés aux dépens (5 mai 1792).

Le 3 avril précédent, ledit Directoire avait examiné la récla mation de Nitry concernant les bois réservés pour le chauffage du four banal ; il s'était contenté de renvoyer la requête pour avis à la Maîtrise des Eaux et Forêts, à Sens.

Mais la chance tourne enfin pour Nitry. Le décret du 16 août 1792 déclare que toutes poursuites pour cause de droits féodaux seront suspendues et celui du 25 août proclame la suppression sans indemnité de tous les droits féodaux dont les propriétaires ne pourraient exhiber le titre primitif. La preuve de concession du fonds étant à la charge du propriétaire et, dans la plupart des cas, impossible à fournir, c'est, en fait, l'abolition pure et simple des droits et Nitry s'en rend compte.

Aussi, le 7 février 1793, le Conseil demandant qu'on fasse rendre les comptes de Jean Carré, gendre Colin, adjudicataire moyennant 800 livres pour la levée des tierces, le secrétaire insère soi gneusement au procès-verbal ces mots : « ce droit étant supprimé sans indemnité » (1). Il était réservé à la Convention de prononcer la suppression complète de tous droits, sans indemnité, par son décret du 17 juillet 1793, qui ordonnait en outre la destruction des titres. Cette fois Nitry pouvait être tranquille.

Le 22 août 1793, les administrateurs du département avaient encore à examiner une requête du citoyen Gautherin, ex-fermier

prit de certains émigrés. M. de Cicé, à l'étranger depuis deux ans déjà, avait appris la vente des biens de l'abbaye à Nitry. Il réclama les lods et ventes aux acquéreurs et il y eut appel en conciliation à Tonnerre. L'entente n'ayant pu s'établir entre les parties, le Conseil de Nitry se hâta de prévenir l'administration que, comme émigré, M. de Cicé ne devait rien toucher, les droits appartenant à la Nation (25 mars 1792).

(1) Une convention intervint entre les parties.


326 NITRY 70

des droits de l'abbaye, et relative à sa gestion. Il s'agissait d'une demande en réduction sur le prix du bail en raison du refus que faisait la majeure partie des redevables de payer le droit de tierce. La demande fut rejetée (1).

C'est le dernier écho de cette épineuse question.

Restaient les bois de la seigneurie. Le décret du 25 août portant annulation de tous les actes d'affranchissement de la mainmorte réelle ou mixte avec restitution des héritages cédés et celui du 28 août annulant les édits et arrêts relatifs au droit de triage avec restitution du fonds et des fruits dans un délai de cinq ans s'appli quaient exactement à Nitry.

Le Conseil se hâte de reprendre sa revendication. Il se réunit le 6 novembre 1792 et le procureur expose longuement et nette ment le cas particulier de la commune. Il montre que les décrets semblent faits pour elle, rappelle les conditions de cession dé 200 arpents de bois en 1278 et 1380, de 498 arpents en 1732 1734, appartenant à Nitry et Lichères, considère que ces bois sont actuellement à la disposition de la Nation et que les titres d'ori gine, vicieux pour les anciens possesseurs, le sont également pour elle. C'est donc contre elle que doit s'exercer une action des deux communes, dans les formes légales. Convaincu par ces explications et après avoir pris connaissance des titres, le Conseil décide sur le champ de commencer l'attaque en envoyant copie de la délibération à Auxerre, ainsi qu'aux habitants de Lichères qu'il invite à joindre leurs efforts aux siens. Il commet Je citoyen Edme Gautherin, maire, au soin de poursuivre l'affaire, lui donne pouvoir de former opposition à la coupe ou aux deniers en pro venant et de faire toutes démarches nécessaires, les frais étant à la charge de la commune.

L'administration départementale étudia aussitôt la question qui paraissait très claire, vu la loi et les titres produits. Le 25 novembre suivant, en conclusion d'une délibération dont le procès verbal détaillé est un véritable et très complet historique de l'affaire et dont les considérants témoignent, cette fois, d'un esprit nettement républicain et démocratique, le directoire du département émettait un avis entièrement favorable aux prétentions des deux communes : «... les habitants de Nitry doivent être réintégrés dans la possession et propriété en ce qui les concerne 1° de 200 arpents de bois accordés pour rachat de la mainmorte

(1) rch. de l Yonne, LN 38.


71 PENDANT LA RÉVOLUTION 327

suivant qu'il est constaté par la charte latine et autres subsé quentes de 1278 et 1380; 2° qu'ils doivent encore être remis en possession également en ce qui les concerne de la quantité de 498 arpents de bois pris pour triage par l'abbé de Molême à la faveur d'un arrêt du Conseil de 1732 exécuté contre le gré et nonobstant l'opposition formelle des habitants du dit... »

Mais soit que les affaires du même genre fussent nombreuses, soit que l'Etat dont les bois nationaux formaient une précieuse réserve financière ne fût pas plus disposé que les ci-devant seigneurs à lâcher ce qu'il tenait, soit par suite des événements poli tiques et de formalités longues par elles mêmes, l'hiver passa, puis une grande partie de l'année 1793, sans apporter aucune solution.

Une coupe avait précédemment été adjugée au citoyen J.-B. Boissard dans la partie des bois réclamée par la commune; on avait annoncé son annulation parce que la commune « était en droit de propriété ». Le Conseil adresse à l'administration une demande motivée d'exploitation de cette même coupe en offrant de produire ses titres (7 avril 1793).

La loi du 10 juin 1793 permit d'en finir avec cette irritante question.

Un mémoire des communes de Nitry et Lichères renouvela les précédentes demandes ; le Directoire du département, revenant sur son arrêté antérieur, décida que la contestation serait vidée par des arbitres, conformément à la loi. Ces arbitres seraient nommés en nombre égal (deux) tant par les communes intéressées que par le procureur général syndic du département pour la Nation et comparaîtraient devant le juge de paix du canton de Noyers (8 brumaire an II, 29 octobre) (1).

Immédiatement avisé, le Conseil de Nitry se réunit et nomma P. Gautherin pour choisir les arbitres de la commune. Le 19 brumaire, il remplissait sa mission de concert avec le fondé de pouvoirs de Lichères et désignait pour arbitres des communes les citoyens Latour, homme de loi et de Veriy, un des juges de paix d'Auxerre. Les représentants de la Nation furent Guineau et Paradis, hommes de loi. Le même jour, rendant compte de sa mission au Conseil, il en reçoit pleins pouvoirs, ainsi que son frère Edme, pour suivre l'affaire, faire tous actes nécessaires au juge ment et en assurer l'exécution.

Nous n'avons pu, malgré nos recherches, retrouver la teneur

(1) Porée, op. cit., t. VI. p. 113.


328 NITRY 72

précise de ce jugement qui fut favorable aux communes. Nous ne savons pas exactement comment les bois récupérés furent répartis entre elles. Toutefois, le calcul des superficies fait penser que Nitry eut pour sa part le triage de 498 arpents, compris d'ailleurs dans son finage (1).

La commune voyait enfin ses efforts récompensés. Le 13 fri maire an II, réglant sa coupe affouagère, le Conseil décida « qu'arpentage et division seroient faites le plus promptement possible dans les bois du Haut du Fête desquels bois cette commune vient d'être réintégrée dans sa possession, que le martelage a été fait par les officiers de la Maîtrise des Eaux et Forêts de Sens, à la charge par les habitants de payer les impositions et autres charges sur lesdits bois ».

XI

AGRICULTURE ET AFFAIRES DIVERSES

Nous venons de voir la lourde tâche qui incomba pendant ces. quatre années à la municipalité de Nitry. A l'image de la Convention, elle eut cependant le temps de prendre des décisions intéressantes pour la commune au point de vue strictement local. souvent d'ailleurs en application des instructions reçues.

Elle fait vérifier les mesures des commerçants locaux ou forains et punir les fraudeurs (25 juillet 1790 et 1791).

Elle prend des mesures de salubrité publique et de sécurité en faisant visiter les fours et cheminées (29 août 1790), enfermer ou abattre les chiens soupçonnés de rage, visiter le bétail pendant et après une épizootie qui décime le troupeau communal (10 février 1793), enfouir les bêtes mortes à une demi-lieue du village et quatre pieds de profondeur (31 janvier 1793). Elle oblige les habitants à dégager les rues et places publiques, à démolir les. constructions légères empiétant sur les rues, à se conformer à un alignement relatif pour lequel elle demande un plan.

Elle organise le service des sonneurs, du fossoyeur (31 oct. 1790).

Elle prend à plusieurs reprise des arrêtés pour que les chevaux

(1) Arch. de Nitry, reg. des délibérations. Du 2 fructidor an 8, extrait : ... que la commune vient de rentrer dans environ 400 arpents de bois qui avaient été usurpés par le cy-devant abbé de Molesmes, il sera nécessaire d'en faire l'aménagement... »


73 PENDANT LA RÉVOLUTION 329

soient conduits à l'abreuvoir avec une longe, pour que le gros bétail ne puisse causer d'accidents (10 février 1790).

Elle publie des règlements concernant la police municipale, la fermeture des auberges, la tenue dans l'église, l'état des viandes (18 novembre 1791).

Elle demande, mais sans l'obtenir, l'établissement d'un notaire à Nitry (8 septembre 1791).

Elle fait aménager ou construire un presbytère, une mairie, un logement pour l'instituteur.

Elle décide des travaux importants près de la mare. Les eaux qui débordaient en saison pluvieuse s'écoulaient par un canal dans les prés situés au nord du village. Ce canal formait un endroit dangereux où des accidents s'étaient produits plusieurs, fois. La municipalité fait construire une chaussée et un pont ; elle charge les riverains de l'entretien du canal. Elle décide en outre la creusée de puits en plusieurs endroits du village, « puisqu'il y a des sources » ; elle vote 8.000 livres pour faire exécuter ces travaux, la somme devant être prélevée sur la coupe de réserve (3 pluviôse an III).

Un malheureux Jean Carré, dit « Braisé ». ayant été incendié, elle obtient le dégrèvement de ses contributions et elle lui fait remettre un secours important (28 novembre 1790).

L'agriculture fut également l'objet de son attention.

Des usurpations de terrain communal avaient eu lieu en plusieurs endroits. Jusqu'en 1770, il avait existé autour du village des fossés assez profonds; les bords s'en étaient affaissés peu à peu ; les bestiaux qu'on y menait paître contribuèrent à un nivel lement que les riverains achevèrent en quelques années. Ceux-ci démolirent les anciens murs d'enceinte qui longeaient ces fossés, ainsi que les tours de la « citadelle », puis ils annexèrent le terrain conquis. La surface ainsi usurpée mesurait 355 cordes réparties entre une quinzaine de propriétaires ; la famille Gautherin en détenait la plus grande partie (1).

Le Conseil voulut régulariser la situation; le maire, Pierre Gautherin, invoqua une délibération de 1771 qui proclamait soidisant la suppression desdits fossés au profit des riverains ; le Conseil lui fit remarquer qu'il était intéressé trop directement dans la question pour prendre part à la discussion, et après son départ, « sans avoir égard aux dires de M. le Maire », il décida

(1) Ch. Gautherin, 88 cordes, Pierre, 61 c. ; Edme, 22 c. ; Jean, 23 c.


330 NITRY 74

d'annexer ces terres au cadastre, au profit de la commune. On fit de même pour une place mouillée, en « Champagne », défrichée par plusieurs particuliers, et pour une place à décombres sise près de la porte de Tonnerre (5 août 1791).

Le classement des terres avait été fait le 3 octobre 1790 ; les états de section furent déposés le 25 juin 1791 ; le finage était divisé en quatre sections, village compris.

Le 28 frimaire an III, le Conseil décida qu'une partie des fonds des ateliers de secours serait attribuée à la réparation du chemin des bois communaux (700 toises x 36 pieds). Dès 1790, il avait signalé le besoin urgent de réparations de la route de Lichères, cependant récente, et il avait demandé l'établissement de routes joignant Nitry à Vermenton, Noyers, Sainte Vertu et Cravant (3 octobre 1790).

La délibération du 22 août 1790 nous renseigne sur les travaux culturaux ; la commission municipale visitant les terres de la seigneurie, fermier Corsaint, trouva que les bonnes terres n'avaient été sombrées qu'à deux ou trois raies sur chaque sillon, au lieu des quatre ou cinq nécessaires dans ces terres ; le binage avait été fait à trop grosses raies ; une pièce de terre ensemencée en vesces, la troisième année de l'assolement, avait donné une récolte au lieu de se reposer en jachère, ce qui était contraire à la coutume du pays. Corsaint fut donc accusé d'avoir « forculturé » et le Conseil demanda la résiliation du bail.

A plusieurs reprises, le Conseil dut fournir le relevé des cultures et des récoltes ; si nous comparons les états de septembre 1791juillet 1792, prairial an III, nous voyons que les 3.551 arpents de terres cultivées produisaient en année moyenne 12 à 14.000 bichets de tous grains, 450 feuillettes de vin, 1.000 livres de chanvre. Les cultivateurs employaient pour la semaine 2.000 bichets de blé et autant d'autres céréales; il se consommait annuellement au village 3.500 bichets de blé et autant d'avoine et orge; le blé se vendait à Nitry 9 livres le bichet de 80 livres, en juillet 1792. La récolte avait été de 6.000 bichets en 1789, 12.000 en 1790, autant en 1791 et, en 1792, de 5.000 bichets de blé et 7 à 8.000 d'avoine.

Les bans de vendange furent régulièrement fixés par le Conseil après la visite des trois experts nommés par lui. Une amende de 10 livres frappait ceux qui devançaient la date fixée. Voici quelques indications :

1790 : vendange, 8 octobre ; grappillage, 3 jours après la fin ; demi-récolte.


75 PENDANT LA RÉVOLUTION 331

1791 : vendange, 3 octobre ; grappillage, 12 octobre; un quart de récolte.

1792 : vendange, 8 octobre ; grappillage, 20 octobre ; (?).

1793 : toutes les vignes ont entièrement gelé le 31 mai. 1795 . vendange, 6 vendémiaire.

Tous les ans, le Conseil nommait deux gardes messiers et deux pâtres communaux ; chacun de ces derniers se chargeait des bestiaux d'une moitié du village. Ils étaient rétribués en nature selon l'usage de l'époque, et les procès verbaux de nomination n'offrent rien de particulier. Uu garde forestier pour les bois seigneuriaux, un autre pour les communaux guettaient attentivement les délinquants, fort nombreux en ces temps où les déprédations dans les bois étaient la règle. Ces gardes et pâtres étaient eux-mêmes assez souvent l'objet de plaintes, toujours écoutées et contrôlées par le Conseil. Guingois, pâtre des bêtes à laine, est révoqué le 27 février 1791 et remplacé par Dupicq qui a soin de faire insérer cette clause au marché : « S'il n'y a rien de sa faute, ne sera responsable du loup ni de mort subite. » Un autre pâtre, Tremblay. ayant mal accompli son service, est révoqué le 27 février 1792 et remplacé par J. Moine. On est fort content de Béruel, mais l'autre garde « qui ne punissoit point ses parents » est remplacé par Adine à qui on accorde 200 livres par an.

En 1794, à l'expiration de leur année, les gardes font grève pour insuffisance de salaire. Le Conseil leur offre 1.000 livres aux deux; Simon et Adine acceptent provisoirement, mais le 1er thermidor an III, le Conseil renouvelle leur mandat et leur accorde 1.000 livres à chacun, en raison de la grande étendue du finage et de la cherté des vivres. Nous avons vu le montant du traitement de Béruel. Le Conseil le porta à 500 livres.

Ces détails de minime importance nous montrent cependant que la municipalité, malgré ses multiples occupations, sut réserver à l'agriculture une part de sa sollicitude.

XII

CONCLUSIONS

Ces quatre années de Révolution n'ont laissé à Nitry aucun souvenir tragique. L'absence du seigneur local, l'affaiblissement de sa lointaine autorité, une tutelle relativement douce, écailaient toute idée de représailles populaires.


332 NITRY 76.

En majorité trop ignorants pour comprendre d'emblée la Révolution et trop besogneux pour y participer activement, la plupart des habitants ne semblent guère touchés d'abord que par les avantages matériels qui en découlent; étroitement assujettis par les travaux des champs, ils ont des occupations trop absorbantes pour consacrer à la politique un temps précieux. Aussi, en dehors d'un groupe restreint de « notables », la masse reste surtout passive et son rôle est en contraste singulier avec celui des citadins. Non préparée à la Révolution, elle la subit, pourrait-on dire, comme elle a subi les dernières années de l'ancien régime, avec cette mentalité paysanne consciente de ses intérêts immédiats. Un moment, elle semble se réveiller et participe au mouvement démocratique de la Convention ; mais le manque de savoir, de prudence, de relations et aussi de tenue des nouveaux dirigeants, autant que les menées adverses, met fin à ces velléités d'émancipation plébéienne et au bout d'un an à peine, après l'intervention de l'administration supérieure, la population reprend sa passivité, ne réagissant avec quelque énergie que quand on menace son culte ou le produit de ses récoltes.

1790 avait placé Nitry sous l'administration de demi-bourgeois ; après une courte éclipse, les mêmes dirigeants réapparaissent, s'imposant par leur situation et les services rendus, leurs intérêts se confondant avec ceux de la commune. En effet, en partie grâce à eux, Nitry sort de la tourmente sans dettes, ses terres libérées de leurs redevances féodales, ses bois usurpés récupérés. Mais la propriété n'est pas sensiblement déplacée et si les propriétaires terriens échappent à l'emprise féodale, la population proléta rienne reste, à ce point de vue, esclave d'une bourgeoisie possédante qui lui enlève eh nature le plus clair de son gain.

Ne faisons donc pas trop grief à Nitry de quelque résistance à certaines réquisitions ; il a, en général, montré de la soumission aux lois républicaines; il a fourni des volontaires aux armées et du pain à tous. Il ne s'imprégnera que peu à peu des idées nouvelles et ne profitera pleinement que beaucoup plus tard des bienfaits de la Révolution.


LES « SEPULCRES » DANS L'YONNE

Par M. le Chanoine E. CHARTRAIRE

Dans sa magistrale étude sur l'Art religieux à la fin du Moyen Age en France, M. Emile Mâle a particulièrement étudié l'évolution produite au XVe siècle dans le sentiment religieux et l'inten sité, à cette époque, de la dévotion à la Passion de Jésus-Christ. « Assurément, écrit-il, la Passion n'a jamais cessé d'être là cause du christianisme; mais, auparavant, la mort de Jésus-Christ était un dogme qui s'adressait à l'intelligence ; maintenant, c'est une image émouvante qui parle au coeur. »

Et l'érudit maître énumère les manifestations diverses dans l'art religieux de ce qu'il appelle le pathétique : Christs de pitié, descentes de croix, Vierges douloureuses, mises au tombeau. Si d'autres régions ont conservé une plus grande quantité de ces monuments, l'Yonne en possède un bon nombre dont quelquesuns justement renommés, d'autres insuffisamment connus qu'il nous a semblé utile de signaler à l'attention des admirateurs de la sculpture du XVe et du XVIe siècle.

Une première catégorie de ces monuments représente le Christ, dépouillé de ses vêtements, couronné d'épines, les mains et les jambes liées de cordes, assis sur un rocher que recouvre à moitié le manteau qu'on lui a arraché, une tête de mort à ses pieds.

On a souvent désigné à tort ces statues sous le nom de l'Ecce homo. M. Mâle démontre qu'il faut y reconnaître le Christ assis au Calvaire, attendant le supplice. Il a reproduit dans son livre le Christ de pitié de l'église de Venizy ; on en peut citer nombre d'autres dans la même région de l'Yonne, confinant au diocèse de Troyes et abondamment pourvue de belles sculptures des ateliers troyens, en particulier Soumaintrain, Sormery, Beugnon, SaintFlorentin, Saint-Pierre de Sens. Le « Christ de pitié » a d'ordinaire pour supports des consoles ornées des instruments de la


334 LES « SÉPULCRES » 2

Passion. Quelquefois on y lit une invocation rimée, comme à Beugnon :

Mon créateur, rédempteur et vray père,

Vérité, vie et la voie d'adresse

Ta grand douleur, grâce et amour, apère

Sur ma pour âme, vile et pécheresse,

Fiche en mon coeur la récordation

Des blasphèmes, de l'oprobre et injure

De ta cruelle et dure passion,

Des crachemens et double flagelleure.

Délivre moy de péché et d'ordure

Par ton sainct sang qu'en si grant abondance

Tu espandis en croix et en torture

Pour mon meffaict et désobéissance.

Les Vierges de douleur ou Notre-Dame de Pitié, étaient bien plus en honneur encore. Il n'était guère d'église qui n'eût la sienne. Des chapelles spéciales étaient souvent, en dehors de l'église paroissiale, dédiées à cette dévotion, comme à Héry et à Saint-Martin sur Ouanne. Très nombreuses sont encore, disséminées dans toute l'étendue du département, ces statues de la Vierge, le visage éploré, penchée sur le corps rigide de son fils reposant sur ses genoux. Citons celles de Saint Fargeau, de Saint-Florentin, de Saint Thibaut et Saint André de Joigny, de Saint Martin-sur-Ouanne, de Domecy-sur Cure, de Beugnon, de SaintPierre de Sens, de Fontaine lès Sens, de Soumaintrain ; cette dernière offre cette particularité d'un donateur à genoux près de la Vierge et soutenant pieusement de ses mains la tête du Christ.

D'autres groupes présentent, entourant la Vierge de Pitié absorbée dans sa douleur, la Madeleine, Saint-Jean ou d'autres personnages, tels les groupes de Cézy, de Jussy. de Soumaintrain. Celui qui occupe le rétable de l'autel latéral dans l'église SaintPierre de Sens, mérite une attention spéciale. Il a le rare avantage d'être daté. C'est en 1514 que le prévôt de Sens, Jehan Lesné, chi rurgien du Roi, et sa femme Philippe de Remilly, virent achever la chapelle dédiée à la Vierge que l'archevêque Tristan de Salazar les avait autorisés à édifier en 1510, et c'est vraisemblablement à cette même époque, qu'ils firent sculpter en haut relief le rétable de l'autel. Il représente la Vierge et Sainte Madeleine agenouillées près du corps du Christ et, de chaque côté, les deux donateurs présentés chacun par leur saint patron, Saint-Jean évangéliste et Saint-Philippe, Saint-Jean soutenant de sa main gauche la tête du Christ dont la Vierge et Sainte-Madeleine soulèvent le bras.


3 DANS L'YONNE 335

Au dessus, quatre angelots portent les instruments de la Passion. De Guilhermy a noté que le fond de la niche était peint et représentait la ville de Jérusalem avec ses monuments et ses tours, et que la banderole enroulée dans l'encadrement gardait encore les traces d'une légende, sans doute celle de Jean Lesné, conservée dans un écoinçon dn vitrail : NUL BIEN SANS PEINE.

Ces diverses évocations de la Passion du Sauveur trouvèrent bientôt leur complet épanouissement dans les Sépulcres ou Mises au tombeau. Le grand mouvement religieux des XIIe et XIIIe siècles après avoir soulevé la chrétienté et entraîné les croisés à la délivrance du tombeau du Christ, avait provoqué la création de confréries du Saint Sépulcre. Ces confréries élevèrent de petites chapelles figurant le sanctuaire du Saint Sépulcre à Jérusalem. De là sortit naturellement la pensée de peupler ces édicules de groupes sculptés figurant les acteurs et les témoins de la mise au tombeau : la Vierge, Saint-Jean, Madeleine, les saintes femmes, Joseph d'Arimathie et Nicodème, groupés autour d'un sarcophage où repose le corps du divin crucifié.

Le département de l'Yonne possède cinq de ces monuments : à Tonnerre, Villeneuve l'Archevêque, Sens, Joigny et Villeneuve sur Yonne.

Le sépulcre de l'Hôtel Dieu de Tonnerre, daté de 1453, est considéré comme le plus ancien connu. Vraisemblablement, il en existait déjà au début du XVe siècle, car le précieux parement de Narbonne, conservé au Musée du Louvre et datant du règne de Charles V, présente dans l'un de ses panneaux la Vierge, entourée de Saint-Jean et des saintes femmes, serrant convulsivement dans ses bras le corps de son fils au moment où il va être déposé dans le tombeau.

Le sépulcre de Tonnerre, au mérite de l'ancienneté, ajoute celui de la qualité. Dans son Histoire de l'Art, M. André Michel déclare qu'il est « un des plus beaux » (T. III, p. 416). Son histoire est connue. Rappelons seulement qu'il fut offert à l'hôpital par un riche bourgeois de Tonnerre, Lancelot de Buronfosse, pour avoir sa sépulture et celle des siens auprès de ce « moult riche, notable et dévoult sanctuaire », et que les comptes de l'année 1451-1452 font mention de divers paiements « à Jehan Michiel et à Gaston de la Sonnecte, ymagiers, qui ont fait le sépulcre dudit hôpital », sculpteurs dont on a vainement cherché à deviner la nationalité et l'école.

Exécuté trois quarts de siècle plus tard, en 1528, le sépulcre de Villeneuve-l'Archevêque est encore une oeuvre de la sculpture


536 LES « SÉPULCRES » 4

gothique, d'un art qui n'est pas inférieur à celui de Tonnerre. Il provient de l'église de l'abbaye de Vauluisant à laquelle il avait été offert, en 1528,par les parents de l'abbé Antoine Pierre. Comme la mise au tombeau de Chaource, dont certaines figures ressemblent étrangement à celles de Villeneuve, ce sépulcre appartient évidemment à l'atelier troyen, justement renommé, du maître resté anonyme qui a créé la fameuse statue de Sainte Marthe dans l'église de la Madeleine de Troyes, atelier que, pour cette raison, on a appelé « l'atelier de la Sainte Marthe » (1).

Un troisième sépulcre est, on peut le dire, complètement ignoré. Il est enclos dans une petite chapelle du couvent, absolument inaccessible aux profanes, du Carmel de Sens. La décoration du sarcophage, les costumes, les coiffures en turban de Joseph d'Arimathie et de son compagnon, le maniérisme accentué et les atti tudes des personnages accusent nettement l'abandon de la tradition gothique et le goût nouvellement implanté de la Renaissance. On ne possède aucune donnée sur l'origine de ce monument. Il est certain, d'autre part, qu'il n'a pas été fait pour le monastère qui l'abrite, étant antérieur de près d'un siècle à la fondation du Carmel de Sens. Ne serait il pas le sépulcre, depuis longtemps disparu et dont on ne retrouve aucune trace, qui occupait à la cathédrale de Sens, avant 1840, la chapelle établie au revers de la petite porte Saint-Denis, alors condamnée.

Cette mise au tombeau était abritée primitivement dans une chapelle basse, dite du Sépulcre, fondée en 1354 par l'archevêque Guillaume de Melun. La chapelle ayant été détruite en 1761, lors de la construction de la salle capitulaire, on avait transféré la mise au tombeau sous la chapelle de Saint-Denis. Un inventaire, de 1776, y constate, avec un grand christ de bronze, jadis suspendu au dessus de la grande entrée du choeur, la présence d'une figure de Notre Seigneur dans le tombeau, entouré de per sonnages nombreux.

Ce groupe sculpté a été enlevé au XIXe siècle, lors de la démolition des grandes chapelles du XIVe siècle et de l'ouverture de la porte Saint Denis. Il est probable que les religieuses carmélistes auront alors recueilli le monument sans emploi, encombrant, et auquel, à cette époque, où la statuaire du Moyen-Age et de la Renaissance était à peu près partout bannie des églises, on n'atta(1)

n'atta(1) Koechlin et Vasselot, la Sculpture à Troyes, p. 100 à 107.


Saint-Pierre de Sens

Saint- Florentin


Villeneuve l'Archevêque

Villeneuve l'Archevêque


Villeneuve-l'Archevêque

Villenenve-l'Archevêque


Soumaintrain


Saint-Jean de Joigny


Villeneuve-sur-Yonne


Villenieuve-sur-Yonne

Villeneuve-sur-Yonne


Carmel de Sens

Saint-Pierre de Sens


5 DANS L'YONNE 337

chait aucun intérêt. C'est là une hypothèse qui, pour ne s'appuyer sur aucun document, ne manque cependant pas de vraisemblance d'autant plus que ces sculptures, assez médiocres, semblent bien appartenir au même atelier sénonais qui avait produit les grandes statues attachées par le chanoine Nicolas Fritard à chacun des piliers de la grande nef et du choeur, et le bas-relief de la Passion servant aujourd'hui de rétable à l'autel de la chapelle Saint Martial.

L'histoire du sépulcre de Saint-Jean de Joigny n'est pas moins étrange. Ce monument de marbre, avec ses figures sans expres sion, la préciosité des détails décoratifs contrastant avec la lourdeur des personnages, le défaut de rondeur dans les modelés, l'inspiration évidemment italienne de la décoration du sarcophage, ne rappelle aucun des caractères de la sculptnre française du XVIe siècle. Une circonstance fortuite, en permettant de le comparer au superbe tombeau de Raoul de Lannoy, dans l'église de Folleville (Somme), a fait la lumière sur son origine (1).

Le sépulcre de Saint-Jean de Joigny a été fait avant 1545, pour l'église de Folleville où se voit encore, derrière l'autel, la nicheau tympan peuplée d'anges porteurs d'instruments de la Passion, qui l'a abrité jusqu'en 1634.

A cette époque, Pierre de Gondi, comte de Joigny, ayant vendu la terre de Folleville, fit transporter a Joigny, ainsi qu'il s'en était réservé le droit dans l'acte de vente, le sépulcre de la chapelle seigneuriale de Folleville. Ainsi s'explique comment les médaillons du sarcophage sur lequel repose la figure du Christ reproduisent les portraits de Raoul de Lannoy, seigneur de Folleville, et de Jeanne de Poix son épouse, et comment les petits angelots restés dans la chapelle des fonds de Joigny, après avoir longtemps surmonté le sépulcre, présentent des écussons aux armes de Créquy, de Viefville, de Griboval, tous alliés aux seigneurs de Folleville.

L'auteur de ces sculptures est, très probablement, Mathieu Laignel qui, après avoir fait dans la cathédrale d'Amiens le tombeau du cardinal Hémard, vint à Folleville travailler au tombeau de François de Lannoy. C'est à cette occasion que, inspiré par l'oeuvre d'Antoine Tamagnino et peut être sous la direction de

(1) Voir E. Chartraire, le Sépulcre de l'église de Saint Jean de Joigny, dans Bulletin Archéologique. 1916, p. 131 à 160.

22


338 LES « SÉPULCRES » 6

ce maître, Laignel s'essaya bien imparfaitement à imiter le genre du grand sculpteur génois.

Le dernier en date des sépulcres de l'Yonne est celui de la grande et belle église de Villeneuve-sur-Yonne. Il se compose d'un Christ de bois, du XVe siècle, étendu sur un coffre de maçonnerie sans caractère et de sept personnages de pierre, grandeur nature, d'une exécution très soignée. Peut-être les attitudes tourmentées de quelques-uns des sujets méritent-elles une critique ; mais l'expression des figures, les détails très soignés des costumes, la finesse de l'exécution, classent cette « Mise au tombeau » parmi les meilleures. On ne connaît pas son origine, mais elle date vraisemblablement des dernières années du XVIe siècle ou du début du XVIIe.


L'ABBAYE DE MARCILLY

Par M. l'abbé PARAT

Ce nom, qui devait au Moyen Age, en Bourgogne, être d'une certaine célébrité, paraît avoir, d'après d'Arbois de Jubainville, une origine romaine qu'il partage avec 60 Marcilly de France. Il était le domaine d'un Marcellus gallo-romain dont on retrouve l'emplacement de la villa qui a fourni de nombreuses médailles. Aujourd'hui c'est un petit village tout entier bâti le long du vieux chemin d'Avallon et dont la population ordinaire a oscillé entre 50 et 100 habitants.

Mais Marcilly s'est fait une place dans l'histoire de la Bourgogne parce qu'il a possédé une abbaye jusqu'à la Révolution. Parler d'abbaye c'est évoquer le souvenir de ces grands monastères de Citeaux, Fontenay, Crisenon, Reigny. Or, ici. rien de comparable à ces fondations de premier ordre. Mais Marcilly avait un caractère qu'on ne trouve pas ailleurs. Il était comme le Saint-Denis des sires de Noyers, et leurs sépultures avaient pour gardiennes des abbesses prises dans leur famille ou parenté. Tout y devait rester très modeste et se borner à cet office ; de plus, un événement extraordinaire avait amené les foules à l'abbaye : il y avait un pélerinage qui datait de la fondation.

Marcilly était, à l'époque de la féodalité, une simple seigneurie relevant de Noyers. En 1200, habitait en son castel, « Hugues de Prey, chevalier, seigneur de Marcilly, Philippe-Dieudonné (Auguste) étant roi de France, Innocent IV pape, Hugues de Bourgogne, Gérard évêque d'Auxerre. » C'était, sans doute, le père de Bure de Prey, et les seigneurs résidaient dans leur modeste manoir, en face d'un petit donjon dit la Tour de Prey qui servait plutôt de refuge que de défense.

C'était une famille très chrétienne, car Hugues avait dans le bois voisin « une chapelle dont l'abbaye doit son origine, dans' laquelle de temps immémorial était révérée l'image de la SainteVierge sous le titre de Notre-Dame-du-Repos. » « Après la guérison ou conversion inespérée du chevalier Lebrun, maître d'hôtel de Philippe-Auguste, Bure et sa femme firent ériger une nouvelle


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chapelle hors du bois et y joignirent un monastère; Gérard, évêque d'Autun, fit la translation de l'image. » On sait le lieu dit « la Chapelle du Bois » où le temple rustique, église du village, était situé.

La grande maison des sires de Noyers, qui avait contracté des alliances avec plus de vingt-cinq familles marquantes et qui avait participé, depuis 1075, à la fondation des abbayes de Molesme, Moutier-Saint-Jean, Pontigny, Fontenay, Reigny, Rougemont, Vézelay, Crisenon,Pont-aux Dames, Fontrevault, Quincy. ne possédait pas de monastère à elle; aussi ses défunts ne trou vaient leurs sépultures que dans les abbayes où ses bienfaits lui donnaient un droit.

FONDATION

Bure de Prey (Bur, Buret), parent de Miles VIII, forma le projet de fonder dans sa petite seigneurie un monastère qu'il savait répondre aux voeux de son suzerain, si ce n'est pas d'entente avec lui. Ce monastère, qui ne répondait guère à l'importance de la maison de Noyers, serait grand par sa destination. Il abriterait les tombes du suzerain et de ses vassaux, et les abbesses de leurs familles feraient célébrer leur anniversaire. C'était un monastère ayant titre d'abbaye, mais « établi seulement pour quatre ou cinq religieuses. » L'étendue restreinte des bâtiments et surtout de la chapelle où il n'a jamais été possible « de placer plus de cinq sièges » sont une preuve que les religieuses ne furent pas plus nombreuses. »

Avec dévouement, Buret cède sa maison et ses terres de Marcilly aux religieuses et s'en va bâtir à côté de son donjon de Prey un petit château-fort. L'acte de fondation de l'abbaye est de 1239 et Pérard nous le donne dans une charte, latine, qu'il date de Mile VIII, d'après Er. Petit. L'acte, traduit du latin, est transcrit ici en entier sauf quelques détails secondaires.

« Je, Miles, seigneur de Noyers, fait savoir à tous ceux que ces lettres verront, que Bure de Piz, chevalier, mon féal, et Marie son épouse, ont donné en ma présence et de mon consentement, pour le remède de leurs âmes ainsi que celles de leurs antécesseurs, en pure et perpétuelle aumône, à l'abbesse et au couvent des Iles, près Auxerre, pour fonder une abbaye de moniales de l'ordre de Citeaux à Marcilly, les choses énoncées plus bas pour les posséder à toujours ; savoir : la maison dans laquelle ledit Buret et sa femme demeurent, avec les ouches attenant, depuis la chapelle


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jusqu'aux vignes » (soit quatre prés et cinq champs désignés sans indication de contenance) « les deux fermes que ledit Buret et sa femme ont à Marcilly, un muid d'avoine et un demi-muid de froment à prendre annuellement sur les coutumes d'Avallon avec deux familles.

« Ils donnent aussi à l'abbesse et au couvent toute facilité, soit pour attirer, soit pour expulser tous ceux qui viendront de quelque lieu que ce soit se fixer dans leur manse et accordant aussi toute puissance, excepté la seule et haute justice. Ils concèdent aussi la portion qu'ils ont dans la ferme près de Thory (Vaudran) ainsi que les terres qu'ils ont à Thory. Ils donnent aussi dans la forêt d'Hervaux (Hermicells) la moitié de leur portion. Ils concèdent enfin le droit de mener paître partout librement les animaux.

« Ils promettent, sous la foi du serment, de ne jamais rien faire, ni par eux ni par qui que ce soit, ni en secret ni ouverte ment contre ladite donation. Fait et donné en l'an de Notre Sei gneur, mil deux cent trente neuf, au mois de février. »

L'abbaye reçut des religieuses du monastère des Iles, fondé en 1209 à Orgeline, dont les sires de Noyers étaient les bienfaiteurs, ce qui était nécessaire pour connaître la vie bénédictine, mais l'abbesse fut toujours prise dans les familles du pays et il n'est plus parlé dans la suite du monastère à qui Buret déclare donner ses biens. L'administration de Notre Dame de Bon-Repos fut d'abord confiée à l'abbaye de Citeaux, fondée par Saint-Bernard, en 1251, puis à l'abbaye de Fontenet, près Montbard, dont les belles constructions sont debout.

Mais dix-sept ans après leur installation, sous Alix de Prey, alors que la première abbesse Béatrix de Noyers et les fondateurs Bure et Marie d'Anglure reposaient dans la chapelle, les religieuses se plaignirent à Girard, évêque d'Autun, lui exposant de graves incommodités : la maison est située dans un lieu sec et peu fertile, le bois et la pierre y sont fort rares, de sorte que leur logement consiste en de très pauvres bâtiments, insuffisants pour une communauté; l'eau y est fort rare et l'été on n'a pour boire que l'eau puante et bourbeuse d'un petit ruisseau. Elles priaient donc l'évêque de leur accorder un autre endroit où elles pour raient bâtir, transférer leur communauté et trouver de quoi l'entretenir.


342 L'ABBAYE

LES DONS

Ces plaintes furent accueillies, car l'évêque leur accorda la léproserie de Gerce, sur Sauvigny (aujourd'hui tuilerie de Cerce) avec ses dépendances et ses revenus, à condition qu'elles recevraient et logeraient tous les lépreux de la paroisse et qu'elles reconnaîtraient l'autorité de l'évêque. L'acte de soumission fut donné en mai 1256, mais cet acte ne sortit point son effet parce que Reine de Thory, veuve de Guy de Cissey (Côte d'Or), soeur de Bur, vint augmenter leurs possessions et fut imitée de plusieurs familles que la décision de. l'abbesse avaient émues.

On voit par la confirmation, en 1273, de l'acte de donation de Reine autorisée par Miles VIII, que les biens arrivaient à temps à l'abbaye : c'est le moulin Dagnon de Marcilly (qui prend ailleurs le nom d'Aquin et de Genot), ses appartenances et trois ouches avec une maison. Une condition est posée par le suzerain : un anniversaire fait solennellement en l'église, de Miles et de Alissant son épouse, de Miles le seigneur actuel et de Marie son épouse, chacun an après leur décès. » Il se réservait aussi le droit de garde pour lui et ses successeurs. Et le sire de Noyers mit son sceau en l'an de grâce de Notre Seigneur mil deux cent soixante treize.

L'exemple qu'avait donné Bur, ajoutant au don de Marcilly 400 arpents de bois dans la forêt d'Hervaux, fut suivi dans de grandes proportions. Après Reine de Thory, ce sont les ducs de Bourgogne dont Béatrix, femme de « très humble Baron Hugues de Bourgogne », donne en 1272, à l'abbaye, le péage (droit de passage) sur le pont du ruisseau de Cerce. Puis c'est Miles IX et son frère, chanoine d'Auxerre, qui donnent « quinze livrées de terre ». Avec Miles X, le maréchal, les dons deviennent nombreux ; sa seconde femme, Jeanne de Flandre Dampierre, morte en 1317, fonde un anniversaire et trois messes. Jeanne de Montbéliard, sa troisième femme, morte en 1322, inscrit dans son testament 50 sols pour faire annuellement son anniversaire. En 1340, Miles fait cadeau aux religieuses de « quatre muids de vin vermeil tout en vesselé des vignes de la Maladière de Noyers » en reconnais sance des secours qu'elles lui avaient fournis dans ses embarras d'argent. Une lettre du bailli d'Auxerre, de 1372, énonce les dons du maréchal à Marcilly.

Parmi les autres bienfaiteurs connus, le premier en date est


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Artaud III de Chastellux, en 1239 ; Houdard, petit-fils de Bure, qui donne le four banal de Massangis pour sa sépulture et son anniversaire et 300 livres pour les réparations de l'abbaye ; un Guillaume de Prey, ancêtre d'Houdard, donne 6 journaux de terre pour « l'entretenement de la lampe » ; Jean de..., époux de Guillemie d'Etaules, donne un moulin à Marcilly et des tierces du même lieu; Reine de Marcilly donne le moulin d'Aquin et plusieurs héritages; Eudes du Vault, époux de Marguerite Davoult, donne des terres et des vignes à Vermoiron ; le sire de Vassy et Marguerite de Bar son épouse, donnent des biens à Etrée et à Mélusien ; Geoffroy de Tharot donne une rente d'un setier de froment ; Jean de Chalons, seigneur de Marrault, qui se dit fon dateur de l'abbaye, et Isaac de Ragny, sont aussi des bienfai teurs ; enfin, c'est Marguerite Crux, dame de Pierre-Perthuis, qui fait un legs en 1308. Tels sont les dons principaux connus qui furent faits à la première abbaye, et combien d'autres dont s'accompagnait la demande d'une sépulture.

ABBESSES

Les abbesses de Marcilly, de l'ordre de Citeaux, au nombre de dix-huit, se succédèrent de 1239 à 1460, sous onze rois, de SaintLouis à Charles VII. Leurs noms nous sont connus, elles nous apportent, dans l'histoire locale, les noms marquants des familles de la région. La première qui aura le gouvernement des religieuses venues de l'abbaye des Iles sera prise dans la famille du suzerain : c'est Béatrix de Noyers qui seule aura sa tombe près du choeur de la chapelle (1239 1246). La deuxième, comme il convient, sera de la famille des fondateurs, Alix de Prey (1246 1298). Puis c'est Isabiau de Ragny, 1317, Jeanne de Sancerre, d'une famille alliée à Noyers (1322-1334) ; puis c'est Jeanne de la Faulche ou de la Souche.

Cette Jeanne de la Faulche, dont l'origine reste à trouver, fut la représentante, en 1346, d'un acte important pour le monastère. Houdard, seigneur d'Etaules, de Prey et de Marcilly, petit fils de Bure, conclut avec l'abbesse un échange de biens dont voici l'analyse. Houdard, sire « d'Etaules, de Prey, de Marcilly », petitfils de Bure, conclut avec l'abbesse et son couvent un échange de biens. Houdard accepte de l'abbaye le bois Burot, de 400 arpents environ, compris dans la forêt « d'Arviaux », et provenant de l'aumône et fondation du seigneur Bure, mais avec condition que


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le droit d'usage, de chauffage, de pâturage, est conservé aux habitants, de plus le moulin d'Agnon (qui est dit ailleurs d'Aquin) sous la Vaivre, qui a été donné en aumône à l'abbaye par Reine de Prey, dame de Thory. En échange de ces biens, Houdard accorde à l'abbesse une quantité de terres, vignes, prés, qui sont situés à Thory, Prey, Etaules, Vaudran, et qui comprennent 63 journaux de terres, 12 fauchées de prés, 60 ouvrées de vignes, avec les droits de toute justice et des redevances d'argent et de grains. (Là se trouve désignée la croix de Pissechien, qui est dite ailleurs Pichien).

C'est à l'occasion de sa sépulture à l'abbaye que Houdard explique son choix ainsi : « En contemplant, dit-il, le dévot, excellent et évident miracle, fait en icelle église, de la dévote dame que le chevalier son mary, avait donnée au diable, et fait lettres de son sang. » Cet acte, de 1346, année de la défaite de Crécy, était revêtu du sceau du duc de Bourgogne, de celui de Guillaume, évêque d'Autun, de ceux de l'abbé de Fontenet, de Houdard et de l'abbesse. Les témoins de l'acte sont : Jean de Charny, sire de Marrault, Jehan, sire du Vau, Guillaume, sire de Ragny, Guillaume, sire de Barres, Etienne, curé de Provency, Pierre, curé de Lucy-le-Bois, Alexandre, curé d'Etaules, et d'autres, mais on ne voit pas paraître d'aumônier.

Dans cet acte, il est fait mention d'un événement extraordinaire qui fait partie de l'histoire de l'abbaye et qui doit y tenir une place dans cette notice. Après Jeanne de la Faulche viennent Isabiau de Bruigny, 1366, Jeanne de Railly (près Quarré-lesTombes), 1397, Erembourg, Davoult, Marguerite de Ragny Iolent (Iolende) d'Etaules, Jeanne du Vaux, Marguerite d'Arcy. où les sires de Noyers avaient des alliances, Pétronille de Gelougny (Genouilly).

Enfin, la liste de la Gallia Christiana que l'on a complétée et mise en ordre, enregistre encore Jeanne Davoult que l'on fait mourir en 1466, à l'abbaye de la Couture, près du Mans, ce qui est une erreur, car c'était une abbaye d'hommes, mais ce pourrait être Saint-Julien-du Pré, au faubourg du Mans, qui était un couvent de Bénédictines. La dernière abbesse, la dix-huitième peut-être, fut Agnès de Saint-Pierre. Elle donna sa démission en 1460, entre les mains de l'abbé de Reigny, par ordre du duc de Bourgogne qui avait acheté la seigneurie de Noyers en 1295. Par permission du duc, dont les « lettres, datées de Bruxelles, ne font pas une mention honorable des religieuses », e les furent transférées à l'abbaye de Reconfort ou de la Consolation, Sainte-Marie


(Photo de G. Duvergier, à Avallon.)

PLANCHE I. — 1. Les seigneuries de Marcilly. Tour de Prev et de Provency. = 2. Vieux colombier de ferme à Marcilly, détruit. — 3. Inscription partielle d'une tombe de Provency, XVIe siècle. — 4. La Tour de Prey, donjon remanié au XVIe siècle. — 5. Bâtiment de l'abbaye transformé en château. — 6. Le plan de l'abbaye au XVIIIr siècle. B, chapelle détruite. — 7. Dalle de Houdard, avec ses brisures (musée d'Avallon). — 8. Parement de cette dalle en morceaux, au château. — 9. Plan de l'ancienne chapelle avec ses sépultures. — 10. Les armoiries de l'abbaye.



(Photo de G. Duvergier. à Avallon.)

PLANCHE II. — 1. Tête d'un mausolée vêtue de la cotte de maille, XIII° siècle. — 2. Bras couvert de la cotte de maille, XIIIe siècle. — 3. Une des têtes, de femme des mausolées, XIVe siècle. Murs. — 4. Inscription du mausolée de Miles X, le maréchal. — 5. Motif de sculpture du XIIIe siècle. — 6. Motif de sculpture du XIVe siècle. — 7. Piliers de la chapelle. — 8. Notre-Dame de Bon Repos, du XVIIe siècle.



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de l'ordre de Citeaux, où les sires d'Arcy avaient une sépulture, abbaye de filles, du Nivernais, à trois lieues de Vézelay.

On ne se fait pas une idée du désordre qui régnait en France à la fin de la guerre de Cent ans : le royaume avait été vendu à l'Angleterre, les grandes familles étaient décimées, la maison de Noyers se désintéressait de son abbaye, les châteaux forts s'ouvraient aux bandes pour ne pas subir de pillage, les chefs de l'armée de Jeanne d'Arc se faisaient chefs de pillards, les petits laboureurs, pour ne pas mourir de faim, se joignaient aux écor cheurs, comme on appelait les routiers. Que pouvait devenir l'asile de la paix, qui n'avait aucun soutien, au milieu d'une société démoralisée.

SÉPULTURES

Mieux qu'à Citeaux, Fontenet, Crisenon, Reigny, l'abbaye de Marcilly avait sa chapelle tout entière occupée par les sépultures des bienfaiteurs. De plus, on possède la liste officielle, avec détails, des tombes des sires de Noyers et de leurs alliés ; on doit au prieur de la reconnaissance pour la conservation de ce mémento peutêtre unique et fort remarquable. Au point de vue des arts de la sculpture, on pouvait peut être la placer à côté du Puits de Moise, de Dijon. A un point de vue plus élevé, on entre avec les sires de Noyers dans la grande histoire, et l'on voit les belles ligures que la France pouvait montrer dans ce petit coin de la Bourgogne. Et tout a disparu : le visiteur épris des arts et des souvenirs historiques, ne verra plus, grâce à cette notice, que la place où toutes ces choses ont fait battre le coeur ds nos ancêtres.

C'est une expédition rendue à Davout de Curly, le 27 juin 1821, qui a conservé le relevé des inscriptions des tombes demandé en 1748 par Jean François Bouquet, prieur en la maison abbatiale. (Voir le plan de la chapelle, le relevé est textuel).

« Sur la tombe contigüe à la balustrade ou appui de commu nion qui sépare le choeur d'avec la nef, du côté de l'Evangile (1), on lit: « Cy gisent, de très noble mémoire, noble chevalier Bure de Prey et madame Marie d'Anglure sa fâme, seigneurs du dit Preis, Brassy, Joux et de La Ferté, fondateurs de séants lesquels, ont dôné à l'église de séans leur meix et seigneurie du dit Marcilly et la grange de Vaudranet ès appartenances en toute justice. Le dit chevalier trépassa le VIIIe jour de mars et sa dite femme le X du même mois, l'an mil deux cent quarante et un. » Anglure. est dans la Marne, sur l'Aube. Marie était une parente de saint


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Bernard et dessires de Noyers. Bure devait être de la Champagne, comme les Miles de Noyers.

« Sur une tombe contigüe et au même alignement est gravé ce qui suit (2) : « Cy gist noble dame et sage Guillemie Destables, vicomtesse de Saulieu, qui fut femme mons. Jean Malentin, seigneur du dit lieu, laquelle a donné à l'église de céans III ses tiers de blé froment et avoine par moitié sur le moulin Dacquin de Marcilly et amortir à la ditte église les terres du dit Marcilly, qui trépassa le IIIe jour de mai mil deux cent quarante-six. » C'est ce don qui avait décidé le retour des religieuses.

« Encore sur le même alignement, une autre tombe gravée comme il suit : « Cy gist noble Dame madame Reyne de... Vier dame de Thory, fille monsieur hugue de Preys, chevalier, et de madame haies de la rivière sa femme et soeur mons Bure de preys, chev. fondateur de séans et femme Guy de Cussey, cheva lier, seigneur de Gisey-le vieux; elle trépassa le IIIe jour d'avril, Fan mil deux cent qnatre vingt et deux ; elle donna à l'église de céans le moulin d'acquin. »

« Encore au même alignement est une quatrième tombe gravée comme il suit : « Cy gist noble devote et vénérable dame béatrix de Noyers, première abbesse de ceans, fille monseigneur Mille de Noyers et de madame halissan sa femme, laquelle trépassa le second jour du mois de mars l'an mil deux cent quarante six. »

« A l'entrée principale de la ditte église et en dedans de la nef, au-dessous du premier vitrail de la ditte église, du côté du septentrion, est une tombe gravée comme il suit : « Cy gist noble chev hudes du Vault seig. du dit lieu, qui donna à l'église de seans ung mex à Vermoiron et dix arpents de vignes au dit lieu, qui tré passa le VIe jour du mois d'oct., l'an mil deux cent soixante douze. » « Cy gist noble dame Marguerite Davout, fille de mons. Jehan Davout, chev sire de Cursey-sur-Loire et femme de mons. hudes du Vault, laquelle trépassa le Xe jour de décembre de l'an mil deux cent soixante treize. »

« A côté de la ditte porte et principale entrée de la nef sont deux mausolées élevés de terre de trois pieds sur l'un desquels représentant en relief deux hommes et une femme couchés ayant à leurs pieds un lion et des écussons, et qui est à main droite en entrant par la ditte porte, est gravé ce qui suit : « Ci gist Mons Mille, sire de Noyers, dit la Dadây, qui trépassa le vingt deux de septembre de l'an mil (1350), et autour du dit mausolée, en bordure sont encore en autres caractères, ces mots : Ci-gist madame


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Jehanne de Saincyr, jadis dame de Noyers, qui trépassa l'an de grâce (1318) ».

« L'autre mausolée, main gauche de la grande porte, représente deux hommes et une femme avec leurs écussons aux pieds et il n'y a rien de gravé. Du même côté, entre la tombe première de Bure de preys et celle de heudes du Vault, est un mausolée excédent le rez-de chaussée de deux pieds, sur lequel représentant un homme et une femme, est ce qui suit : « Ci gist mon Seigneur houdard Destables, chevalier, maître d'hôtel du Roy ntre sire, jadis mestre de l'écurie, qui trépassa l'an mil trois. Ci gist madame Biétrix Davout, femme Mgr houdart, jadis mestre de l'Ecurie et fille de Mgr gûelle Davoust, chev qui trépassa l'an mil III. »

« Au-dessous du premier mosolée, à main droite en entrant dans la nef, est une tombe gravée comme il suit : Ci gist mons1... de Vassy, chevalier, qui trépassa le XVIIIe jour du mois de mars l'an IIIe, et madame Margue de Bar sa femme, qui nous donna un setier de blé sur Estrées et la tierce de Meluzien. »

« Ainsi extrait des inscriptions gravées sur les tombes dessus dittes et collationné par moi Louis Breuillard, notaire, avec le dit dom Bouquet, en présence de Me Pierre Monfoy, avocat à Avallon. et Jean Beurdeley, manouvrier à Marcilly. »

De l'abbé de Courtepée, en 1760, avant, dit il, qu'on ait réparé l'église : « J'ai vu les mausolées du fondateur et de sa femme, de Miles de Noyers, 1350, de Miles son fils, Grand Bouteiller de France, de Milon, père du Maréchal, avec leurs femmes, les tombes d'Houdard, seigneur d'Etaules, maître de l'Hôtel du Roi, petit fils de Bure, fondateur, et d'Agnès Davoult sa femme, de Guillemie d'Etaules, 1246, de Reine de Thory, d'Alix de la Rivière, femme de Guy de Cussy, seigneur de Gisey le Vieux, 1282, d'Eudes de Vaux, époux de Marguerite D'avoult, 1272, de Jacques D'Avoult, seigneur de Prey et de Marcilli, de Jean D'Avoult, sei gneur d'Etaules, 1394, d'Elie de Clugny, seigneur d'Etaules, de 1688. »

Selon Courtepée, il y avait quatre mausolées et neuf tombes, ce qui complète l'inventaire de 1748.

Diderot, Encycl. T. 23, p. 212, dit qu'en 1643 on trouva dans l'ancienne église du prieuré la tombe d'Halexant, femme de Mille VIII de Noyers, en 1273. Cette tombe, transportée à Marcilly. est décrite ainsi « Ci-gît, dessous ces quatre pierres, la maîtresse de cette terre. De qui fut du plus grand renom, Madame Helissant avait nom, Dame de ce chatel jadis, Dieu la mette en son paradis. »


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Dans le fonds Delamare, on lit : Il y a encore un tombeau dans une chapelle enfoncée du côté de l'évangile, d'un Mile de Noyers avec sa femme. Il n'y a point d'inscription, il y a seulement une figure en relief grande comme nature, qui tient un bouclier sur lequel un aigle couronné tel qu'il se voit dans les armes du Mile de Noyers. »

Pour bien fixer toutes ces choses, il faut avoir recours à Ernest Petit dans l'Histoire des Sires de Noyers et dans son Histoire de la Bourgogne. Le mausolée de gauche (I) sans nom est la tombe de Mile IX, décédé en 1291, et de sa femme Marie de Chatillon,dame de Créci, morte en 1296. Il portait deux personnages en relief, de grandeur naturelle, avec deux écussons, l'un de l'aigle couronné de Noyers et l'autre de Châtillon-sur-Marne. C'était Mile VIII, son père, qui avait fondé l'abbaye et dont la seconde femme, Halixant, enterrée à Noyers, et non à Marcilly, comme le dit E. Petit, eut son inscription transportée à Marcilly.

Le mausolée de droite, qui porte non deux hommes et une femme, comme le dit l'inventaire, mais deux femmes et un homme, est la tombe Mile X, le maréchal, qui garde à ses côtés sa seconde femme, Jeanne de Flandre, morte en 1318 et sa troisième femme, Jeanne de Montbéliard, morte en 1334; les trois écussons de Noyers, Flandre et Montbéliard s'y voient. L'inventaire dit qu'on lisait en bordure « Ci gist madame Jehanne de Saincyr » ; c'était sa première femme, appelée aussi Jehanne de Rumigny, dame de Montcornet, dont le fils, Mile XI, surnommé le Bossu, était destiné à continuer la branche aînée. On voit que le maréchal fonde trois chapelles, dont une au château de Noyers. Il y a un troisième mausolée, d'un Mile de Noyers, enterré avec sa femme ; ce serait la tombe de Mile VIII, le fondateur, qui, placé dans une chapelle, par humilité ne voulut pas d'inscription, ce qui fut imité par Mil IX.

Les quatre Tombes au devant du choeur, de Bure le fondateur, de Guillemie dame de Marcilly et grande bienfaitrice, de Reine de Thory soeur de Bure, de Béatrix fille de Miles, première abbesse, sont à la place d'honneur. Les tombes de Eudes et de son épouse, le long du mur, sont celles de parents et bienfaiteurs. La tombe voisine celle de Houdard, dite mausolée (7) mais qui n'est qu'une dalle surélevée permet d'identifier le nom de son épouse que Delamare a lu Danon et qui peut se lire ainsi dans l'inscription, mais l'acte de reconnaissance des tombes a lu Davout qui peut s'écrire Davou ; les enquêteurs sans s'arrêter à l'orthographe savaient que seuls les Davout étaient historiques. Après la sépul-


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ture du seigneur de Vassy (8), il y a encore quatre inscriptions relevées dont on ne dit pas la place. Mais combien d'autres, -comme celles des douze abbesses, des bienfaiteurs, des religieuses, avaient-ils leurs sépultures ; on cherche leurs places même sous les dalles muettes ou dans le cimetière commun qui devait être situé tout près, à l'est, dans ce qui est le potager.

LA CHAPELLE

D'après le plan des Archives et la description des sépultures, on peut se représenter la chapelle (B) formant un rectangle qui était une aile du bâtiment (A) de l'abbaye. Elle était orientée de l'ouest à l'est et mesurait 15 mètres environ de longueur, éclairée de quatre fenêtres ; on lui donne une grande porte à l'ouest et une petite porte au nord. Selon la disposition des anciens monastères, le fond du choeur était occupé par la stalle de l'abbesse au milieu et des quatre stalles des religieuses sur le côté ; l'autel était placé au-devant du choeur séparé de la nef par une balustrade ; une porte sur le côté permettait de passer du choeur dans l'abbaye. Le logis principal se prolongeait au-delà de la chapelle (C) et cette salle pouvait être une sacristie, une chapelle ou la salle du Cha pitre.

On peut, sur les lieux, faire le tracé de cette chapelle qui fut détruite en 1795 et 1808. Mais que reste-t-il ? On doit à M. Ernest Gariel, propriétaire en 1862, la conservation de la dalle remarquable d'Houdard qui alla d'abord au petit musée de la Tour d'horloge et vint enrichir le musée d'Avallon où elle fait l'admiration et se voit reproduite dans les livres d'art. On a plus encore, grâce à M. Piot, gendre Gariel, le propriétaire actuel, car en réparant le mur de la façade ouest en partie, il trouva de beaux débris qui ornent la planche II et font voir un petit édifice du XIIIe au XIVe siècle digne de sa destination.

Le plus intéressant des trouvailles se rapporte aux sépultures; ce sont des pièces de valeur : c'est la tête, à la face meurtrie, et le bras revêtu de la cotte de mailles, du milieu du XIIIe siècle, ceux sans doute de Miles VIII fondateur, de Miles IX et de Miles X le maréchal. Ce sont deux têtes de femmes assez semblables, faisant partie des mausolées, et aujourd'hui engagées dans les murs de la ferme. C'est la pierre très ornée d'une fine sculpture, que nous présente un fort joli dessin de Pierre Génevey, de Pontaubert, sorti de Polytechnique. Elle porte le nom d'Anon et doit être un


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des parements de la grande dalle d'Houdard qui était élevée de deux pieds et qu'on a prise pour un mausolée. Quant à l'inscription de 1350, c'est celle même qui bordait le mausolée de Miles X le maréchal dit la Daday. Il y a enfin dans le jardin une partie d'inscription en gothique : « Ci-gist madame Bunis Davey famé... « qu'on n'a pu identifier.

Après cet inventaire de quelques ruines historiques échappées au vandalisme sans patrie, nous dirons : il est donc là couché à une place qu'on peut fixer « celui qu'un contemporain appelait Miles le Grand, qui lut gouverneur de province, porte oriflamme, grand bouteiller du duc, maréchal de France, orateur du Roi dans des assemblées, qui avait servi son pays sous sept rois et qui ayant terminé sa carrière à 75 ans mourut dans son château de Noyers à près de 80 ans, témoin de l'extinction des familles féodales. Il n'a cependant manqué au maréchal de Noyers que de vivre en des temps moins malheureux, pour conserver après lui cette auréole de gloire dont il fut entouré pendant sa vie. On ne voulut plus se souvenir après les désastres de Crécy et de Poitiers de ceux qui avaient été témoins et acteurs de ce drame malheureux. Voe victis ! » (E. Petit, les Sires de Noyers).

LE CHEVALIER LEBRUN

Marcilly, vers 1200, sous Philippe-Auguste, se présente à l'histoire, 40 ans avant la fondation de l'abbaye, avec un évènement singulier qui le sort de l'obscurité et lui donne une place à part dans le pays avallonnais. Il s'agit de la conversion extraordinaire du chevalier Lebrun, maître d'hôtel du Roi. Cet événement aurait décidé la fondation du monastère qui aurait pris de lui le nom de Notre-Dame du Bon Repos. Ce nom lui est resté jusqu'à la Révolution et il s'était établi un pélerinage qui n'a cessé qu'en 1840. Ici, le rôle de l'historien doit se borner à rapporter les documents qui établissent l'origine et la chaîne de la tradition, et encore en le faisant sobrement dans une simple notice. Un tableau sur parchemin, qu'on voyait autrefois appendu à la muraille de la chapelle, exposait en ces termes l'origine de cette célébrité.

« En l'an mil deux cents, sous le règne de Philippe Dieudonné, un nommé Geoffroy Lebrun, maistre d'hostel du roy, étant disgracié de la cour et sans aucun moyen, comme il passait au travers de la forêt Darnois, autrement Darvaux, le diable lui apparut et lui promit de grandes richesses à condition qu'il lui livrerait sa


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femme : ce que ledit Lebrun luy promit et, à cet effet lui en donna une cédule signée de son sang. Ce que voulant exécuter, il monta à cheval, mit sa ditte femme en trousse, et se mit en chemin pour aller au rendez-vous qui était dans la susdite forêt ; et comme son chemin était de passer au devant de l'église de Notre-Dame de Marcilly, la veille de l'Assomption de Notre-Dame, la ditte femme entendit sonner une messe et demanda à son mari d'entrer dans l'église. Et comme ledit Lebrun voulut sortir pour accomplir son voyage, la Vierge prit la figure de sa femme, monta sur la croupe de son cheval derrière luy. Et estant au rendez-vous, on entendit un grand bruit qui se faisait dans la forêt, et en même temps la Vierge enleva des mains du diable la cédule dudit Lebrun et la, rendit à sa femme, laquelle fut trouvée endormie dans laditte église, où elle s'était endormie, et la Vierge luy ayant apparut luy ordonna de prier pour la conversion de son mari, et disparut ».. (Manuscrit de la Bibliothèque impériale, n° 5446, ce qui n'est plus exact).

Ce récit se trouve rapporté dans La Légende dorée, de Jacques de Voragine, écrite vers 1290 au chapitre de l'Assomption de la Sainte Vierge. Voragine était un dominicain qui devint archevêque de Gênes. Le Père Chifflet disait en 1670 de Voragine : « on hésitait à croire ce récit par trop merveilleux et que n'accréditait aucune indication ni de temps, ni de lieu, ni de personne ». Ce qui montre que Voragine avait fait seulement la mention du fait.

Nous arrivons à 1346, à l'acte d'échange de biens entre Houdard et l'abbesse cité plus haut, acte original découvert aux archives de Sauvigny par l'abbé Breuillard. Houdard déclare assurer sa sépulture en « icelle et benoiste église de la dévote dame que le chevalier son mary avait donné au diable et fait lettres de son sang ».

La tradition se continue. Un érudit le P. Chifflet avait, avant 1670, imprimé dans l'ouvrage Atlas Marianus, le récit qu'on voyait à la chapelle lui en donna une forme plus littéraire. Il ajoute que le seigneur de Marcilly était Hugues de Prey, que Geoffroy et sa femme, en reconnaissance, finirent leurs jours près de la chapelle et furent enterrés au pied de l'autel où leur tombeau se voit encore aujourd'hui. « De nos jours, dit il, on vient fréquemment des provinces les plus éloignées en pélerinage à cette chapelle où l'on obtient nombre de faveurs miraculeuses, spécialement des malades qui sont tourmentés d'insomnies avec péril de la vie ".

La tradition trouve encore un auteur qui vient peu après Chifflet, c'est l'abbé du monastère Macusson, qui tout en respectant le


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fond du récit l'amplifie de détails, de réflexions, de discours qui en font une lecture de piété. L'abbé Courtepée, l'historien de la Bourgogne, dit que « ce petit ouvrage annonce plus de crédulité que de goût et de critique ». Macusson dit aussi que Lebrun et sa femme furent inhumés dans la chapelle.

Notons enfin le récit fantaisiste de M. Hérardot, d'Avallon, dans ses Légendes avallonnaises où tout est dramatisé. Mais il rapporte des traditions populaires toujours existantes qui peuvent être anciennes : la place de la rencontre se reconnaît encore car le bois n'y pousse pas et l'on y voit l'endroit qu'on appelle « la borne rouge ».

Voir : Mémoires historiques sur la Bourgogne, abbé Breuillard, (Bibl. de la ville). Notre Dame-du-Bon-Repos, abbé Gally, fondateur de la Société d'Etudes, Bulletin 1867.

LA SECONDE ABBAYE

Après tant d'évènements malheureux, de disparition des familles, de transformation de tout genre, on peut dire que c'est une seconde abbaye qui commence avec une nouvelle époque. Un petit groupe de religieux bénédictins sous la direction d'un abbé succède réellement à la première abbaye : même direction religieuse, même destination cultuelle de la garde des tombes, mêmes bâtiments et biens. Mais combien elle se ressent des temps troublés qui ont perdu la première. La ferveur a diminué, le recrutement ne se fait plus, la garde des fondations est passée des sires de Noyers à ceux de l'Isle de la même famille, les dons ont presque cessé ainsi que les demandes de sépultures. Les abbés portent des noms qui ne rappellent en rien les anciennes familles et ne sont pas de la contrée parce qu'ils reçoivent leur nomination du Roi. Ils sont quelquefois abbés sans être prêtres, abbés même de plusieurs monastères et non tenus à la résidence. C'est un corps qui se meurt, comme d'ailleurs les grandes abbayes.

Marcilly passera par les guerres du Protestantisme, verra le service divin supprimé dans son église brûlée (1571). On lui connaît encore un abbé et un prieur, mais en 1781 l'abbé est seul et le dernier représentant s'appellera « frère prieur ».

Quelques faits résument son histoire : Claude de Sainte Maure, seigneur de l'Isle, confirme la concession à l'abbaye de l'usage aux bois d'Arvaux. Hélie de Clugny, seigneur d'Etaules, demande une sépulture avec deux messes par semaine (1687). Deux enfants


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d'Antoinette de Chambornet, fille de Marguerite Davout, épouse de Bernard de Marrey, sont enterrés à Marcilly qui reçoit aussi les sépultures de Pierre de Lauvergeat, époux de Marguerite de Marrey (1529), d'Aubert Lauvergeat, prieur de Bois-d'Arcy, d'Itier de Marrey, frère de Louis de Marrey un des abbés.

A côté du monastère, quelques petites seigneuries subsistent : celles de Houdard en 1346, d'Aubenton en 1487, d'Antoine de Bretagne en 1685, de Guillaume de Champion en 1748. Toutefois, dans cette décadence, les liens avec Noyers ne sont pas rompus : en 1687, Louis-Henri de Bourbon, prince de Condé, ordonne de payer chaque année ce que le comté de Noyers doit à Marcilly.

Voici les abbés connus nommés à l'abbaye de Marcilly : Edme d'Autrey 1460, Jacques Berlin de Semur 1468, de la Chambre des Comptes, plus tard abbé de Quincy, Ogier Froment, Blaise Larguet, devenu abbé de Citeaux, Louis 1er de Marrey, nommé par François 1er, contructeur du cloître 1516, Guillaume Latérannes 1539, nommé par le Roi prieur de Jully, Félix de Masle, d'Auxerre, licencié en droit 1571, Guillaume Marie 1581 et Etienne Jobert, prieur, François Blanchon 1594, Didier Goust 1596, René Barbe 1598, Charles de Changy, de la famille des seigneurs de Savigny, 1601, Jean Petit 1615, Henri Laveau 1623, Pierre Nicot 1624 (il y a une croix de ce nom sur Sauvigny), Anthoine le Gras 1670, Guillaume 1681, Blondel 1681, Jean-Antoine Macusson, de Bar-leDuc, auteur d'écrits sur l'aurore boréale et le système du monde, a fait « l'histoire de la conversion miraculeuse du chevalier Lebrun » 1680, Félix Masle 1688, Alexandre d'Houdreville 1708, Louis II Sauvat, moine de l'ordre 1728, dom Bouquet, prieur 1742 à qui l'on doit le relevé des tombes, et dom Prieur qui assiste à la chute de l'abbaye.

Avant d'assister à la ruine complète de l'institution monastique et de la destruction de la chapelle, la meilleure partie de l'abbaye, voyons ce que les abbés nous ont laissé de leur passage à Marcilly. Ils se sont fait des armoiries figurées dans les grands recueils : de sable à une bande d'or, parti d'azur à trois roses d'argent, posées 2 et 1. Une belle inscription gothique fixée au mur nous rappelle la construction d'un cloître par l'abbé de Marrey en 1520. Cet abbé était de la grande famille des Marrey du Nivernais qui s'était alliée aux Davout, et pareille construction annonçait la richesse et le goût de l'abbé. Il n'en reste malheureusement rien, pas même la place gardant les limites exactes. Voici cette inscription : « l'an mil cinq cent et vingt, furent faits et parachevés les

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cloîtres de séans, par vénerend père en Dieu, frère Louis de Marey, 5e abbe de séans ».

Mais l'objet sauvé de la ruine, et le plus intéressant à tout point de vue, c'est la statue de Notre-Dame de-Bon-Repos, non pas celle qui trônait dans la première abbaye et dont on ne peut assez regretter la disparition, mais celle qui fut installée vers 1600, peut être en substitution de l'ancienne trouvée trop archaique, elle a son histoire contée par l'abbé Gally. « La Vierge est représentée debout dans une attitude gracieuse et portant sur son bras gauche l'enfant Jésus qui étend la main sur une rose que sa mère lui pré sente... A l'occasion du mariage de la fille de Sainte-Marte, le nouveau propriétaire, la madone, qu'on désignait quelquefois sous le nom de Vierge noire, fut peinte ainsi qu'on la voit. Après la destruction de la chapelle, et pour ménager les sentiments du pays, Sainte Marte convertit en chapelle une chambre de l'ancienne abbaye, il y fit dresser un autel où il plaça la madone miraculeuse. Après sa mort son gendre fit fermer la chambre, et par ses ordres la Vierge fut portée à l'église paroissiale où l'oubli des. anciennes traditions la fit accueillir avec une froideur déplorable. On trouvait à cette Vierge une tournure surannée, et l'on ne tarda' pas à mettre sur l'autel qu'on lui avait accordé d'assez mauvaise grâce, une statue en plâtre de la Vierge classique. Heureusement, le curé, à défaut de goût archéologique, avait le respect des choses saintes. Il ne permit pas que la statue de la mère de Dieu devint le jouet des enfants et la confina dans un coin de la sacristie où nous avons eu le bonheur de la retrouver en 1864. Cette statue, haute de 63 centimètres, a peu de valeur artistique ; mais elle est précieuse par son antiquité et par la vénération dont elle était l'objet ». Nous dirons, au contraire, que cette madone historique, oeuvre de la Renaissance, a son cachet et se réclame de l'art ; elle est enfin revenue à la place d'honneur à l'autel de la Vierge de Provency.

Il faut citer encore une grande croix du parc d'un style à part et le bénitier à côtes qui est dans l'oratoire du château.

PELERINAGE

Marcilly ne manqua pas de visites de seigneurs tant que dura la maison de Noyers, mais il dut sa célébrité à la dévotion attachée à Notre Dame de-Bon Repos, et le pélerinage accompagna cette dévotion dès les premiers jours sans doute. Les chroniqueurs disent qu'on y venait de loin, isolément ou par groupes, mais on


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voit dans les grandes calamités tout le peuple d'Avallon, comme à la peste de 1636, venir en pélerinage solennel. Jusqu'en 1839 on y vit accourir des pélerins. Aux jours de l'Assomption et de la Nativité il y avait foule comme avant la Révolution, et le propriétaire tolérait que les marchands s'établissent dans la cour de l'abbaye. Jusqu'en 1750, la paroisse Saint Pierre d'Avallon arrivait le premier jour de mai faire son pélerinage. Mais c'était toujours la petite abbaye accusant en 1768 un revenu de 1878 livres et de 524 livres.

1790. Les derniers jours sont venus, le 18 novembre 1790, Nico las Prieur, abbé de Marcilly, donne l'inventaire des titres de l'abbaye aux administrateurs du district d'Avallon, les archives de l'Yonne (H 1882) font voir que l'ordre existait dans le chartrier. On relève brièvement : 1. Bail du domaine de Marcilly fait à Leroy d'Avallon ; 2. Bail du domaine de Vaudran, à Leroy ; 3. Bail de la métairie de la Tour de Pré; 4. Bail de la métairie de Pro vency ; 5. Bail pour le droit de tierce à Marcilly, à Leroy ; 6. Bail du domaine de Marcilly Mont Saint-Jean, à Leroy du moulin Genot de Marcilly ; 7. Bail d'une portion de dîmes à Domecy ; 8. Bail d'une maison rue Bel-Air, à Avallon, à Leroy ; 9. Contrat de vente sur l'Hôtel de Paris à la rente annuelle de 312 livres;

10. Contrat de rente foncière de 100 livres sur la terre de l'Isle

11. Contrat de rente sur le comté de Noyers de 35 livres 10 sols;

12. Bail d'une maison de Marcilly, à Tétot ; 13. Reconnaissance de cens sur le bourg de Saint Martin d'Avallon indivis avec Saint Martin d'Autun. L'inventaire des papiers divers de 24 pièces peut se borner ici au n° 19 : ordonnance des rois de France et des ducs de Bourgogne pour maintenir les abbés dans leurs droits, et n° 20 : inventaire des titres et chartes et concessions faits à l'abbaye.

1791. La vente de l'abbaye eut lieu le 4 mars 1791, et l'abbé devait quitter sa résidence le 15 mai. Les 24 arpents de bois taillis près de l'abbaye fut achetés 10.300 livres par Claude Baroud, ci-devant avocat royal à Lyon, résidant à Paris ; les 25 ouvrées de vignes près des bâtiments 4.000 livres, par le même ; la maison abbatiale, chapelle attenant et dépendances dans un enclos de 4 arpents, 16.800 livres, par le même Baroud, mais par l'entremise de Clément Roche, marchand à Avallon.

1793. Il est constaut par un acte de 1793 que c'est la veuve Palza, demeurant à Paris qui est propriétaire, car il est dit par cet acte que Elisabeth Poilevé, veuve de Jean Palza, et Claude Baroud ont cédé toute la propriété à Gérosme Hubert, demeurant à Paris. Dans l'enclos se trouvait une maison louée à long bail à un


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nommé Tétot, c'était une gêne pour les propriétaires, et Tétot pour la quitter, exigeait qu'on lui fit bâtir une pareille maison à l'extérieur, ce qui décida sans doute la vente de l'abbaye à Hubert. 1795. On voit alors intervenir Edme Sainte-Marte, ancien reli gieux doctrinaire professeur au collège d'Avallon, comme fondé de pouvoir d'Hubert, et ce serait lui devenu propriétaire, « qui avait, dit-on, la manie de remuer les pierres qui fit détruire la chapelle en 1795 et employa une partie des anciennes tombes à des constructions de son goût » (abbé Gally). Il n'y avait plus alors qu'une chambre qui servait de chapelle pour le pélerinage. Ce serait en 1839 que mourut Sainte-Marte, cultivateur à Genouilly, et que son gendre Richard prit sa place à l'abbaye. S'il s'était donc trouvé à Avallon un homme qui eut acheté l'abbaye en vue de sauver de la ruine l'abri monumental des sires de Noyers si beau des souvenirs d'une grande famille bien française et ce petit reliquaire des choses de l'art des trois siècles de la meilleure époque ? Le mal était fait, M Ernest Gariel, le fondateur de l'église de Vassy et du médailler d'Auxerre arriva trop tard. Il conserva le logis abbatial des derniers jours avec ses sept chambres, cabinets, cuisine, chambre à four, cave voûtée sous tout le bâtiment.

Ce logis, tel qu'il existait à la vente, était devenu depuis le XVIIIe siècle, où les religieux et la vie religieuse avaient disparu, la maison de l'abbé seul devenu homme du monde et qui s'était fait une habitation confortable. Ce pourrait être l'abbé d'Houdre ville, qui résida de 1708 à 1715 qui aménagea l'intérieur et l'extérieur à ses goûts. Le dedans accuse, en effet, une restauration du temps de Louis XV, et le salon laisse deviner ce que furent les abbés de la décadence.

L'intérieur actuel a conservé toutes les dispositions anciennes. Une galerie tient toute la longueur du logis principal et garde les portes de ce qui furent des cellules. On voit surtout le salonbibliothèque Louis XV avec sa cheminée de marbre, ses panneaux de scènes en peintures bourgeoises, son corps de bibliothèque encadré de délicates ciselures. Le réfectoire voûté a ses meubles d'angle, et il y a ailleurs des cheminées avec leurs anciennes plaques.

Quel est maintenant l'aspect extérieur de l'abbaye de Marcilly après les embellissements bien compris qu'a faits M. Stéphane Piot-Gariel ? Le pignon nord est percé d'une large fenêtre de style encadrée de deux tourelles dont l'une en encorbellement a copié celle de l'Isle. Le corps du logis s'ouvre au milieu sur un grand


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escalier à double tournant. L'aile sud s'accoude à une troisième tourelle. La façade est n'a pas changé, on retrouve le petit escalier de l'abbaye d'où partait l'avenue conduisant au vieux chemin d'Avallon. Il faut ajouter que les portes et fenêtres, les flammanches ont leurs cadres enjolivés des sculptures de la Renaissance dont les détails ont été soigneusement pris dans les maisons historiques du pays. En un mot c'est un château qu'on a pu prendre pour du XVe siècle. On s'étonnera de voir des statues anciennes, des têtes de chevaux encastrés dans les murs ; ils proviennent d'une maison seigneuriale de Coutarnoux. Le propriétaire avait pressenti le commerce déplorable qui se fait aujourd'hui des antiquités et les a sauvées de la dispersion.

Les alentours de la maison, comme l'intérieur, ne représentent plus l'abbaye du temps même de l'abbé Marrey qui fit édifier un cloître, indice d'une vie religieuse. C'est un parc à la française où se retrouvent encore le colombier et le puits de l'époque. On y voit quatre grilles de fer forgé, mais modernes, un grand escalier Louis XV avec ses deux pilastres ornés de lions tenant des écussons. Quant à la grille de l'entrée de la nouvelle avenue, elle fermait l'avenue ancienne sur le bord du chemin où se dressent encore les piliers sculptés mais découronnés des vases de pierre qui ornent l'avenue nouvelle.

On voudrait savoir qui était cet abbé Prieur, le dernier de l'abbaye : son origine, son âge, sa résidence finale. A ces victimes des temps troublés, on avait promis une petite pension viagère qu'on leur donna seulement quelques années. Quelle fin lamentable d'un départ et d'années si brillantes. Et maintenant, on sait tout juste à Avallon qu'il y a un hameau de Marcilly pareille aux autres ; et à Noyers sait-on qu'il existe ? La nuit est descendue sur ce coin de la Bourgogne autrefois célèbre. C'est à l'historien de ramener les hommes et les faits du passé à la lumière. Il ne doit pas laisser dire que nous vivons étrangers les uns aux autres comme des citoyens de pays différents. Avallon et Noyers surtout ne peuvent oublier que les yeux de la Bourgogne et même de la France furent un moment fixés sur le château fort des sires de Noyers et sur son maréchal de France. Il n'y a qu'une France à travers les siècles, on le comprend mieux depuis nos infortunes, et selon le mot du poète Lamartine : « C'est la cendre des morts qui créa la Patrie ».