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Title : Annales du Comité flamand de France

Author : Comité flamand de France. Auteur du texte

Publisher : Mme Théry (Dunkerque)

Publisher : Bacquet, etc.Bacquet, etc. (Dunkerque)

Publisher : Impr. V. DucolombierImpr. V. Ducolombier (Lille)

Publisher : Impr. H. MorelImpr. H. Morel (Lille)

Publisher : Comité flamand de FranceComité flamand de France (Lille)

Publication date : 1903

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36142003q

Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb36142003q/date

Type : text

Type : printed serial

Language : french

Language : néerlandais

Format : Nombre total de vues : 14058

Description : 1903

Description : 1903 (T27)-1904.

Description : Collection numérique : Fonds régional : Nord-Pas-de-Calais

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k55097665

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-214906

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 19/01/2011

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ANNALES

DU

COMITÉ FLAMAND

DE FRANCE

TOME XXVII

1903-1904

LILLE IMPRIMERIE VICTOR DUCOULOMBIER

Rue de l'Hôpital-Militaire, 78

MCMIV



ANNALES

DU

COMITÉ FLAMAND DE FRANCE



ANNALES

DU

COMITE FLAMAND

DE FRANCE

TOME XXVII

1903-4

LILLE

IMPRIMERIE VICTOR D U COULOMBIER

'Rue de l'Hopital-Militaire, 78

MCMIV


Le Comité Flamand de France rend les auteurs des Mémoires publiés dans les ANNALES responsables de la correction de leurs épreuves.


COMITÉ FLAMAND DE FRANCE

LISTE

DES

MEMBRES D'HONNEUR, TITULAIRES & CORRESPONDANTS

BUREAU

1903-4

Président : M. le chanoine LOOTEN (Camille), docteur és-lettres, doyen de la Faculté des Lettres aux Facultés catholiques, membre correspondant de l'Académie Royale Flamande, à Lille.

Vice-Présidents : M. le chanoine FLAHAULT (René), membre de la Commission historique, à Dunkerque.

M. CORTYL (Eugène), docteur en droit, membre de la Commission historique du Nord, à Bailleul.

Secrétaire : M. TIBLE (Georges), maire d'Ochtezeele.

Secrétaire-Archiviste : M. DE COUSSEMAKER (Félix), docteur en droit, archiviste-paléographe, membre de la Commission historique du Nord, à Bailleul.


— VIII —

Trésorier : M. EECKMAN (Alexandre), 0. >£, 0. A. O, secrétaire-général honoraire de la Société de Géographie, membre de la Commission historique du Nord et de plusieurs Sociétés savantes, à Lille.

Trésorier-adjoint : M. DAVID (Auguste), propriétaire, à Hazebrouck.

Archiviste-honoraire : M. WITTEVRONGHEL (Edouard), docteur en droit, avocat, à Paris.

MEMBRES D'HONNEUR

MM.

CASTELLANOS DE LOZADA (Don Basilio-Sébastien). directeur

de l'Académie d'Archéologie, à Madrid. CORDONNIER (Louis), ;.:, architecte, à Lille.

DELCROIX (Désiré), >ï<, chef de division à la direction des

sciences et dos lettres, à Bruxelles. DELISLE (Léopold), C. i, membre de l'Institut de France,

à Paris.

FIRMENICH (le Dr.1.-M.), >ï<, homme de lettres, à Berlin.

KURTH (Godefroy), professeur a l'Université, président de la Société d'art et d'histoire, à Liège.

LIMBURG-STIRUM (le comte de), président do la Société d'Emulation de Bruges.

MONNIER (Mgr), évêque de Lydda.


IX

MM.

POTTER (Frans de), secrétaire perpétuel de l'Académie Royale Flamande, à Gand.

RODET (Léon), ingénieur à la manufacture de tabacs, à Paris.

SÉNART (Emile), :, membre de l'Institut de France, au château de la Pelice, par la Ferté-Bernard (Sarthe).

SNIEDERS (le Dr Auguste), membre de l'Académie Royale Flamande, à Anvers.

SONNOIS (Mgr), archevêque de Cambrai.

VAN DUYSE (Florimond), homme de lettres, à Gand. VAN TIEGHEM (Philippe), :';;;, membre de l'Institut de

France, professeur au Muséum d'histoire naturelle, à

Paris. VERHEIJEN (J.-B.), inspecteur de l'Enseignement primaire

de la province du Brabant septentrional, membre des

Etats-Généraux, président de la Société des sciences et

des Arts, à Bois-le-Duc (Pays-Bas).

WALLON, 0. -iv, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, sénateur, à Paris.

WINKLER (Johan), membre de diverses Sociétés savantes à Haarlem (Pays-Bas).

MEMBRES TITULAIRES

ACHTE (l'abbé), curé de la Neuville. AERNOUT (l'abbé), prêtre habitué, à Bailleul. AMPLEMAN DE NOÏOBERNE (l'abbé), missionnaire apostolique, à Bourbourg.


MM.

ANDRIES (l'abbé), professeur à l'Institution St-François

d'Hazebrouck. ARNOULD (le colonel), •,»:, >fc, etc., directeur de l'école de

Hautes études industrielles, aux Facultés catholiques

de Lille.

BACQUET (Albert), à Dunkerque.

BACQUET, percepteur à Bavai.

BAELDE (l'abbé), vicaire à Dunkerque.

BARON (l'abbé Joseph), professeur à l'Institution St-François d'Assise d'Hazebrouck.

BECK (l'abbé) vice-doyen, curé d'Arnèke.

BECK (l'abbé), curé de Bollezeele.

BECK (Jules), >£, agent d'assurances, à Dunkerque.

BECUAVE (l'abbé), doyen de Saint-Amand, à Bailleul.

BECUWE (Edouard) propriétaire, à Cassel.

BEEKMANS (l'abbé Charles), missionnaire diocésain, à Cambrai.

BEHAGHEL (Victor), propriétaire, à Bailleul.

BEHAGHEL-LICSON, >X<, propriétaire, à Lille.

BEHAGHEL (Ernest), docteur en droit, à Lille.

BEIRNAERT (Hippolyte), notaire, à Bourbourg.

BEIRNAERT (Joseph), malteur, à Bergues.

BELLE (Elie), adjoint au maire, à Wormhoudt.

BERGEROT (Alphonse), ancien député du Nord, maire d'Esquelbecq.

BERGEROT (Auguste), avocat, à Paris et au château d'Esquelbecq.

BERGUES (le maire de), pour la bibliothèque communale.

BERNARD (François), conseiller d'arrondissement, à Dunkerque.

BIESWAL (Paul), ancien magistrat, à Lille.

BLANCKAERT (Emile), docteur en droit, notaire à Bergues.


XI

MM.

BLANCKAERT (Léon), •*>, président de chambre honoraire à la Cour d'appel d'Alger.

BLED (le chanoine), correspondant du ministère de l'Instruction publique, membre de la Société des Antiquaires de la Morinie, à Saint-Omer.

BLOMME (M.), instituteur public en retraite, à Coudekerque-Branche.

BODDAERT (l'abbé Jules), directeur de la Maison SaintLouis, à Lille.

BOMMART (Théodore), notaire honoraire, à Lille.

BOMMART (Raymond), propriétaire, à Lille.

BONDUELLE (André), distillateur, à Renescure.

BONPAIN-VANDERCOLME, ancien adjoint au maire de Dunkerque.

BONVARLET(Georges), industriel, à Coudekerque-Branche.

BOUCHAERT (l'abbé), curé à Coudekerque-Branche.

BOUCHET (Emile), >£, 0. A. i}, vice-président de la Société Dunkerquoise pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts, à Dunkerque.

BOUDIN (Henri), architecte, à Lille.

BOULY DE LESDAIN (Louis), docteur en droit, avocat, à Dunkerque.

BOULY DE LESDAIN, notaire à Dunkerque.

BOURDON (Hippolyte), propriétaire, à Dunkerque.

BRANDE (le chanoine), curé de la paroisse du Sacré-Coeur, à Lille.

BRETAGNE (Maurice de), au Château-Bois, par Béthune.

BRIEF (l'abbé), curé de Nieppe.

BROUSSE (le chanoine Pierre), doyen de Saint-Eloi, à Dunkerque.

BUBBE (le général), 0. :v , à Paris.

BULTHEEL (l'abbé), doyen de Morbecque.

BUNS (l'abbé),directeur de la maison Saint-Michel à Lille.


— XII

MM.

CAILLIAU (l'abbé), vicaire, à Loos-lez-Lille. CAMERLYNCK (l'abbé), curé de Winnezeele. CAMPE (l'abbé), préfet des études à l'Institution N.-D. des

Dunes. CHAMONIN, notaire honoraire, à Lille. CHIGOT, peintre d'histoire, à Dunkerque. CHIROUTRE (l'abbé), chapelain, à Wez-Macquaert. CHOQUEEL (Paul), négociant, à Dunkerque. CHRISTIAEN (l'abbé), aumônier, à Arnèke. COCHIN (Henry), député du Nord, au château du Wez, à

Saint-Pierre-Brouck. COLAERT, membre de la Chambre des Représentants, à

Ypres. COLESSON fils, à Wormhoudt.

COPPIETERS'T WALLANT (Alfred), avocat, à Bruges. COQUELLE (Félix), >X<, industriel, à Dunkerque. CORTEEL, ancien instituteur, à Houtkerque. COUSSEMAKER (Albéric DE), ancien membre du Conseil

provincial de la Flandre occidentale, à Lille. COUSYN (l'abbé), vicaire, à Hondschoote. CREMON (l'abbé), professeur à l'Institution Saint-François

d'Assise à Hazebrouck.

DAMMAN (l'abbé), professeur au collège de Bailleul. DAMMAN (l'abbé), curé de la Chapelle-d'Armentières. DARRAS (Georges), notaire, à Dunkerque. DASSONNEVILLE (l'abbé), vicaire à Cassel. DAUBRESSE (l'abbé), professeur à l'Institution N.-D. de

Grâce à Cambrai. DAVID (Georges) à Gravelines. DE BAECKER (le Dr Félix), correspondant de l'Académie de

médecine, à Paris. DE BACKER (Emile), >£, maire, au château du Couvent,

à Noordpeene.


XIII

MM.

DEBERDT (Charles), sculpteur, à Bailleul.

DEBEYER (l'abbé), curé de Saint-Pol-sur-Mer.

DEBRABANDER (l'abbé), curé d'Adinkerke (Flandre occidentale).

DEBREYNE (l'abbé), vicaire à Cassel.

DEBREYNE (l'abbé), curé à Nieurlet.

DEBRIL (l'abbé), curé de Buysscheure.

DECAMBRON (l'abbé), missionnaire diocésain à Cambrai.

DECHERF (l'abbé), supérieur de l'Institution Notre-Dame des Dunes, à Dunkerque.

DECLERCK (l'abbé), vicaire à Wervicq-Sud.

DECOCK (l'abbé), vicaire à Gravelines.

DE CONINCK (Pierre), A, peintre d'histoire, à Amiens.

DECOSTER (Edouard), négociant à Lille.

DEOROOS (Jérôme), notaire, président de la Société des Antiquaires de la Morinie, à Saint-Omer.

DEDRIE (l'abbé), vicaire à Hondschoote.

DEDRYVER (l'abbé), curé de Zuytpeene.

DEGROOTE (Georges), conseiller général, maire d'Hazebrouck.

DE HAERNE GILLIODTS (Werner), archiviste à Gand, (Belgique).

DEHAESE (l'abbé), curé, à Roubaix.

DEHANDSCHOEWERCKER (Aimé), avoué, à Hazebrouck.

DEKERVEL (l'abbé), curé de Steene.

DELANGHE (l'abbéh vice-doyen, curé de Watten.

DELANGHE (l'abbé), curé de Ghyvelde.

DELCROIX (Dr), a Annoeullin.

DELÉPINE (l'abbé), directeur au séminaire académique, Lille.

DELERUE (Mgr Edmond), à Clifton (Angleterre).

DEMAN (l'abbé), doyen de Bergues.

DEMAN (Jules), notaire honoraire, adjoint au maire de Dunkerque.


— XIV — MM.

DENYS (l'abbé), doyen de Saint-Martin, à Dunkerque. DENYS DU PÉAGE, archiviste-paléographe, à Lille. DENYS, directeur de l'école de Comines (Belgique). DERAM (Jules), architecte, à Hazebrouck. DESCAMPS (Auguste), membre de plusieurs sociétés

savantes, à Paris. DESCAMPS (l'abbé Gédéon), curé de Looberghe. DESCAMPS (l'abbé Emile), curé do Sercus. DESCHODT (Joseph), avocat, à Hazebrouck. DE SCHREYEL (le chanoine), secrétaire de l'évèché,

membre de la Société d'Emulation, à Bruges. DESMOUDT (l'abbé), curé de Merckeghem. DESMYTTÉRE (Albert), ■*;., docteur en droit, ancien magistrat, avocat, à Boulogne. DESPICHT (l'abbé), vicaire à Zeggers-Cappel. DESTAILLEUR (l'abbé), vicaire à Saint-Eloi, à Dunkerque. DEVOS (l'abbé), curé de Lederzeele. DEVOS (l'abbé), supérieur du collège épiscopal de Furnes

(Belgique). DEVOS (l'abbé), curé de Craywick. DEWEZ (l'abbé Jules), aumônier de la Prison, à Lille. DE WULF (Frédéric), négociant, à Dunkerque. DE WULF (Jean), ancien élève de l'Ecole Polytechnique,

capitaine du Génie, à Rajen (Seine-Inférieure). DHALLUIN (l'abbé), curé de Mardyck. DIDRY (Henri), docteur ès-lettres, licencié en droit, à

Paris. DIDRY (Jules), avoué, à Hazebrouck. DIMNET (l'abbé), professeur au collège Stanislas, à Paris. DODANTHUN (Alfred), vice-président de l'Union Faulconnier,

Faulconnier, de la ville de Dunkerque. DODANTHUN (Alfred), docteur en droit, secrétaire-général

de l'Union Faulconnier, propriétaire du journal l'lndicateur.

l'lndicateur. Hazebrouck.


— XV — MM.

DOMINICUS (l'abbé), doyen de Bourbourg.

DORMION (Marcel), propriétaire, à Hazebrouck,

DRIEUX (l'abbé), prêtre habitué, à Cassel.

DUMONT (Alfred), •$■'-, >X<, avocat, maire de Dunkerque.

DUMONT (Georges), >X<, avoué, à Dunkerque.

DUNKERQUE (le maire de), pour la bibliothèque communale.

DURIN (Henri), vice-président de l'Union Faulconnier, à

Dunkerque. DUVET (Maurice), propriétaire, à Hazebrouck.

EVERAERT (l'abbé), curé de Capellebrouck.

FAURE (Henri), propriétaire, à Lille.

FAUVERGUE (l'abbé), curé de Grande-Synthe.

FÉLIGONDE (de), conseiller référendaire à la Cour des comptes, à Paris.

FICHEROULLE (Jérôme), propriétaire du Journal La Bailleuloise, à Bailleul.

FICHEROULLE (l'abbé Odilon), curé, à Roncq (St-Roch).

FINOT (Jules), .?;, 0. I. O, archiviste du Nord, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, à Lille.

FLAGEOLET, ancien magistrat, à Gravelines.

FLAHAULT (Charles), propriétaire, à Bailleul.

FLAHAULT (Charles), ;■>:, 0. A. U, docteur ès-sciences, professeur à l'Université de Montpellier.

FLAHAULT (Evariste), ingénieur des arts-et-manufactures, à Oran.

FOURNIER (Pierre), C. %, ancien conseiller d'Etat, trésorier général des Invalides de la Marine, à Paris.

FONS DE LA PLESNOYE (le vicomte de la), propriétaire, à Hazebrouck.

GAILLIARD (Edward), %, membre de l'Académie Royale Flamande, conservateur en chef des Archives de l'Etat, à Anvers.


— XVI — MM.

GALLOO (Auguste), notaire, à Radinghem.

GALLOO (Edouard), licencié en droit, notaire à Bergues.

GILLIODTS-VAN SEVEREN, membre de la Commission

Royale d'histoire de Belgique, archiviste de la ville de

Bruges. GORGUETTE D'ARGOEUVES (Xavier de), membre de la

Société des Antiquaires de la Morinie, à Saint-Omer. GOVAERE (l'abbé), vice-doyen, curé de Caestre. GROSSEL (Arsène), numismate, à Bergues. GRYSOX (l'abbé), curé de Méteren.

HADOU (Achille), propriétaire, à Hazebrouck.

HAMEAUX (l'abbé), curé de Flêtre.

HANDSCHOOTE (l'abbé), curé de Rosendael.

HARRAU (l'abbé), aumônier, à Rosendaël.

HAUTCOEUR (Mgr), protonotaire apostolique, chancelier des Facultés catholiques de Lille.

HAZEBROUCK (le maire d'), pour la bibliothèque communale.

HECQUET (Pierre), courtier maritime, à Dunkerque.

HEMART DU NEUFPRÉ, conseiller d'arrondissement, maire de Zuytpeene.

HÉMERY (l'abbé), professeur à l'Institution Notre-Dame des Dunes, à Dunkerque.

HENNEGRAVE (F.), >£, notaire honoraire, à Bergues.

HERREMAN (le chanoine), doyen de Wormhoudt.

HIDDEN (l'abbé), curé de Quaedypre.

HIDDEN (l'abbé), supérieur de l'Institution Saint-Jacques, à Hazebrouck.

HIÉ (Emile), .«:, président de la Société d'agriculture, maire de Bailleul.

HONDSCHOOTE (le maire d'), pour la bibliothèque communale.

HOOFT (le chanoine), à Cambrai.


XVII

MM.

HOSTEX. archiviste de la ville de Dixmude (Belgique).

HUET-WALLAERT, industriel à Roubaix.

HUET (Eugène), propriétaire, â Lille.

HUYGHE (le Dr Georges), à Dunkerque.

HUYGHE (le Dr Félix), à Saint-Pierre-Brouck.

ITSWEIRE (l'abbé), vicaire, à Malo-les-Bains

Joos (Fernand), négociant, à Dunkerque. JOURDIX (l'abbé Charles), curé de Croix.

KYTSPOTTER (Alfred DE), propriétaire, à Cassel.

LAGATIE (l'abbé), curé de Petite-Synthe.

LAMANT (l'abbé), doyen de Gravelines.

LANCRY (Gustave), docteur en médecine, à Dunkerque.

LANDRON (Jérémie), vice-président de la Société d'agriculture de Dunkerque, à Bollezeele.

LATTEUX-BAZIN, peintre-verrier, au Mesnil-Saint-Firmin (Oise).

LECLERCQ (Louis), industriel, à Roubaix.

LECOMPTE (l'abbé), chapelain aux mines de Lens.

LEDEIN (le chanoine), curé de Saint-Pierre de Chaillot, à Paris.

LELEU (l'abbé), professeur à l'Inslitution Notre-Dame des Dunes, à Dunkerque.

LEMAIRE (Julien), propriétaire, à Watten.

LEMAX (l'abbé), professeur à l'Ecole Saint-Joseph, Lille.

LEMEITER (l'abbé Eugène), professeur à l'Institution SaintJacques, à Hazebrouck.

LEMIRE (l'abbé), député du Nord, à Hazebrouck.

LENER (Jules), négociant à Hazebrouck.

LERNOUT (Louis), pharmacien à Hazebrouck.

LESAFFRE (Louis), industriel, à Renescure.


— XVIII — MM.

LESNE (l'abbé), professeur suppléant aux Facultés catholiques de Lille.

LEURÈLE (l'abbé), vicaire, à Vieux-Berquin.

LEURIDAN (l'abbé Théodore), archiviste diocésain, bibliothécaire des Facultés catholiques do Lille.

LEYS (l'abbé), aumônier des hospices à Dunkerque.

LIBBERECHT (l'abbé), aumônier des Dames Ursulines à Gravelines.

LIEFOOGHE (Prosper), propriétaire à Bailleul.

LIÉGEOIS (Edmond), membre de la Société Royale de numismatique de Belgique, bibliothécaire et conservateur du musée de la ville d'Ypres.

LIPPENS (l'abbé), vicaire, à Linselles.

LOBBEDEY (le chanoine Emile), vicaire général, à Cambrai.

LONGEVILLE (Robert de), au château de Spycker.

LOOTEN (le Dr), 0. A. O, médecin des hôpitaux, à Lille.

LORDENIMUS (l'abbé), curé d'Armboust-Cappel.

LOTTHE (Ernest), notaire, conseiller général, à Bailleul.

LOTTHÉ (Pierre), brasseur, à Bailleul.

LOUF (Emilien), notaire à Ailly-le-Haut-Clocher.

LUYSSART (l'abbé), vicaire, à Mouvaux.

MAHIEU (l'abbé), professeur à l'Institution du Sacré-Coeur,

à Tourcoing. MALOT (Albert), licencié en droit, industriel, à Bouchain. MALOT (Georges), propriétaire, à Cassel. MANCEL (Emile), 0. . commissaire général de la Marine

en retraite, au château de Tarperon (Côte-d'Or). MARCHANT (Lucien), avocat, à Lille. MARKANT (l'abbé), curé de Broukerque. MASSON-BEAU, 0. >ï<, conseiller général, adjoint au maire

d'Hazebrouck. MOENECLAEY (Frédéric), ancien magistrat, adjoint au

maire de Bailleul.


- XIX -

MM.

MOENECLAEY (Frédéric), auditeur à la Cour des comptes,

à Paris. MOENECLAEY, conseiller général, maire de Cassel. MONTEUUIS (l'abbé Gustave), membre de l'Union Faulconnier,

Faulconnier, de Leers. MOREL, propriétaire, à Petite-Synthe. MOULIN (l'abbé), professeur à l'Institution Notre-Dame

des Dunes, à Dunkerque.

OPDEDRINCK (l'abbé), curé de Damme (Flandre occidentale) .

PATTEIN, artiste peintre, à Bailleul.

PATTEIN, >ï< sculpteur, à Hazebrouck.

PEROCHE, *, directeur honoraire des contributions indirectes, à Lille.

PÉTIAUX, professeur â l'Institution Notre-Dame des Dunes, à Dunkerque.

PILLYSER (l'abbé), curé de Comines-Sud.

PITTE (l'abbé Camille), curé de Vieux-Berquin.

PLACHOT (l'abbé), curé de Fort-Mardyck.

PLICHON (Jean), député du Nord, conseiller général, ingénieur des arts et manufactures, à Bailleul.

PLICHON (Pierre), docteur en droit, avoué, à Paris.

PLOUVIER (l'abbé), curé de Saint-Pierre-Brouck.

PODEVIN (l'abbé), vicaire, à Roubaix.

POUPART (le docteur), à Hazebrouck.

PRUVOST (l'abbé Sylvain), aumônier de l'hospice de Seclin.

QUILLACQ (Georges DE), industriel, à Dunkerque. QUARRE-REYBOURBON (Louis), 0. I. O, membre de la

Commission historique du Nord, de la Société des

Sciences, etc., à Lille.

RAFFIN (l'abbé), curé de Fournes.


— XX

MM.

REUMAUX (Elie), .■-.■, directeur de la Société des Mines de

Leus. REUMAUX (Tobie), docteur en médecine, président de

l'Union Faulconnier, à Dunkerque. RICHEBÉ (Raymond), à Paris.

RICHEBÉ (Auguste), - , 0. A. y, ancien sous-préfet, à Lille. RIGAUT (Henri), membre de la Commission historique du

Nord, à Lille. RUYSSEN (le général), 0. h , à Pont-de-Vaux (Ain). RUYSSEN (l'abbé), curé de la Gorgue.

SABRE (Maurice), professeur â l'Athénée royal, à Malines

(Belgique). SAGARY (le chanoine), doyen de Saint-Géry, à Valenciennes.

Valenciennes. (Alexandre), docteur ès-lettres, professeur

à l'Ecole supérieure de Commerce, à Lille. SALEMBIER (le chanoine), docteur en théologie, secrétaire

général dos Facultés catholiques de Lille. SALOMÈ (le chanoine), : , doyen de St-EIoi, à Hazebrouck. SAMSOEN (le docteur), conseiller d'arrondissement, à

Hazebrouck. SAMYN (l'abbé Joseph), à Bruges. SAPEL IER (Louis) fils. à Bergues. SCALBERT (le chanoine), doyen de Saint-Jean-Baptiste, à

Dunkerque. SCHALLIER. notaire, à Bourbourg. SOHODDUYN (l'abbé), professeur au collège Saint-Winoc,

à Bergues. SENAME (Henri), greffier de l'état-civil, à Bailleul. SONNEVILLE (Constant), architecte, membre correspondant

de la Commission royale des Monuments de Belgique,

à Tournai. SPILLEMACKER (l'abbé), curé de Coudekerque.


XXI —

MM.

SPOT (Héliodore DE), banquier, à Furnes (Flandre occidentale).

SPOT (Raphaël DE), sénateur, à Furnes (Flandre occidentale).

STAELEN (le chanoine), doyen honoraire, à Zermezeele.

SWARTE (Victor DE), :'■'■;■, trésorier-payeur général du Nord, correspondant du ministère de l'Instruction publique, etc., à Lille.

SWARTE (Edouard DE), brasseur, à Vieux-Berquin.

SYSSAU (l'abbé), curé de la Motte-au-Bois.

TERNAS (Pierre DE), docteur en droit, inspecteur des finances, au château de Nieppe et à Paris.

TEIL (le baron DU), au château de Saint-Momelin.

TEIL (le baron Joseph DU), à Paris.

THÉRY (Henri), 0. A. O, membre de la Commission historique du Nord, à Hazebrouck.

THÉODORE, membre de la Commission historique du Nord, à Lille.

THIBAUT (l'abbé), doyen de Cassel.

THOORIS (l'abbé), curé d'Esquelbecq.

TORRIS, maire de Gravelines.

TURCK (Georges), sculpteur, à Lille.

VALLÉE (Georges), député du Pas-de-Calais, à St-Georges.

VANDAELE (l'abbé), vicaire, à Hazebrouck.

VAN DEN BROEK (Georges), architecte, à Bergues.

VAN DEN BROEK (Ernest), licencié ès-lettres et on droit,

avocat, à Paris. VANDENBUSSCHE (l'abbé), curé d'Oxelaere, VANDENDRIESSCHE (l'abbé), curé de Bavinchove. VANDEPITTE (l'abbé), doyen honoraire, aumônier, à Lille. VANDERMEERSCH (l'abbé), curé de Terdeghem.


- XXII -

MM.

VAN DEN BULCKE (Gaston), médecin, à Furnes (Belgique).

VAN DE WALLE (Elie), licencié en droit, à Bailleul.

VAN DE WALLE (Félix), docteur en droit, à Lille.

VAN DE WALLE (Siméon), avoué, à Paris.

VANDEWALLE (l'abbé), vicaire à Saint-Sauveur, à Lille.

VAN ESLANDE (Pierre), docteur en droit, avoué, à Béthune.

VAN HAECKE (le chanoine Louis), premier chapelain du

Précieux Sang, à Bruges. VANHEECKE (l'abbé), économe à l'Institution Notre-Dame

des Dunes, à Dunkerque. VANHOUCKE, (Auguste), propriétaire, à Hazebrouck. VANHOVE (l'abbé), professeur à l'Institution Notre-Dame,

à Cambrai. VAN TIEGHEM (Philippe), ■'«:-, membre de l'Institut de

France, professeur au Museum d'histoire naturelle.

à Paris. VANWAELSCAPPEL (l'abbé), curé de Noordpeene. VERHAEGHE (l'abbé), curé de Sainte-Marie-Cappel. VERHEYLEWEGEX (Victor), avoué honoraire, à Béthune. VERSTRAET (l'abbé), curé d'Ochtezeele. VERVEY (l'abbé), curé de Pitgam. VILLETTE (le docteur), à Dunkerque.

WADOUX (l'abbé), professeur à l'Institution Notre-Dame

de Dunes, à Dunkerque. WARENGHIEN (le baron Amaury DE), ancien magistrat,

avocat, à Douai. WENIS, docteur en médecine, à Bergues. WICKAERT (l'abbé), doyen d'Hondschoote. WILLEMS, attaché à l'administration communale de

Bruxelles, à Laeken. WINNAERT (l'abbé Louis), au séminaire académique, à

Lille.


- XXIII -

MM.

WORMHOUDT (le maire de), pour la bibliothèque communale. WYCART (l'abbé), professeur au collège de Bailleul.

MEMBRES CORRESPONDANTS

BAUDUIN (Hyppolyte), homme de lettres, à Bruxelles. DERNIER (Théodore), archéologue, à Angre (Hainaut).

DEGEYTER (J.), homme de lettres, à Anvers. DEKKERS-BERNAERTS, l'un des secrétaires de la Société

Voor Taal en Runst, à Anvers. DERUDDER (Gustave), docteur ès-lettres, professeur au

lycée de Valenciennes. DEVILLERS (Léopold), conservateur des archives de l'Etat

et de la ville, à Mons.

GEVAERT (F.-A.), >ï< <*, directeur du conservatoire royal de musique, à Bruxelles.

HAMY (le R. P.), de la Compagnie de Jésus, à Paris.

JAMINÉ, avocat, président de la Société scientifique et

littéraire de Limbourg, à Tongres. JANSSENS (H.-Q.), homme de lettres, à Sainte-Anne ter

Muiden, près l'Ecluse (Pays-Bas).

LEGRÉ (Ludovic), avocat à Marseille.

NÈVE (Félix), ancien professeur de l'Université, à Louvain.


— XXIV

MM.

VAX DER STRATEN (Edmond), homme de lettres, à Audenarde.

VAN EVEN (Edouard), archiviste de la ville de Louvain.

VAN SPEYBROUCK (l'abbé), membre de l'Académie pontificale Gli Arcadi et de la Société d'Emulation de Bruges.

VERMANDEL (Edouard), littérateur, à Gand.

VERMAST, directeur de l'école moyenne de Menin (Flandre occidendale).

VORSTEMAN VAN OIJEN, membre de plusieurs Sociétés savantes, à La Haye.

WALTHIER (le docteur Georges), à l'Institut Théobald, à Hambourg.


COMITE FLAMAND DE FRANCE COMPTE-RENDU

DE LA

FÊTE DU CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE

DE LA FONDATION

A HAZEBROUCK

le 14 Septembre 1903

Le Lundi 11 Septembre 1903, le Comité Flamand de France célébrait à Hazebrouck, le cinquantième anniversaire de sa fondation. Le programme de la journée comportait quatre parties : 1° Une messe célébrée à la mémoire des membres défunts du Comité ; 2° Une séance intime de réception des délégués des Sociétés savantes de la région ; 3° Un banquet ; 4° Une séance publique.

La Messe

A dix heures du matin, le Bureau et bon nombre des membres du Comité Flamand de France se trouvaient réunis à l'église paroissiale de Saint-Eloi, à Hazebrouck. La messe fut solennellement chantée par M. le Chanoine Flahault, l'un des vice-présidents du Comité, assisté à l'autel de deux vicaires de la paroisse. M. le Chanoine Salomé, Chevalier de la Légion d'Honneur, Doyen de


Saint-Éloi, le plus ancien des membres du Comité Flamand, avait tenu, malgré son grand âge, à donner une précieuse marque de sympathie à notre Société, en assistant à la cérémonie de sa stalle et revêtu des insignes de sa dignité. Par une délicate attention de sa part, à laquelle le Comité a été très sensible, M. le Doyen voulut que l'excellente maîtrise de la paroisse exécutât des chants liturgiques funèbres composés par lui, et a la fin de la messe, il tint à chanter lui-même le De Profundis pour nos défunts.

On remarquait dans l'assistance, outre les membres du bureau, bon nombre de nos collègues parmi lesquels il convient de citer tout particulièrement, Mgr Delerue, Prélat de Sa Sainteté, ancien curé de Llanarth (comté de Galles), flamand d'origine et de coeur, qui n'avait pas hésité à entreprendre un long voyage pour venir donner une marque de sympathie au Comité dont il est membre et auquel il est lier d'appartenir : M. le Chanoine de Schrevel, secrétaire de l'évêché de Bruges ; M. l'abbé Lemire, député du Nord, etc., etc. Un certain nombre de notabilités civiles et ecclésiastiques et de dames d'Hazebrouck ou des environs, assistaient aussi â la cérémonie.

Séance du Matin

A l'issue de la messe, à onze heures, les membres du Comité et les délégués des Sociétés savantes se réunissaient dans le grand salon de l'Hôtel de ville mis gracieusement à leur disposition par M. Degroote, conseiller général et mains d'Hazebrouck.

M. l'abbé Looten, président du Comité Flamand de France déclare la séance ouverte et souhaite tout d'abord en termes chaleureux la bienvenue à ses confrères, puis aux délégués des Sociétés savantes de l'étranger et de


la région qui ont bien voulu s'associer au jubilé du Comité.

On remarquait, dans la salle : M. l'abbé Lemire. député du Nord ; M Dumont, maire de Dunkerque ; Mgr Delerue, Prélat, Romain ; MM. Quarré-Reybourbon. délégué de la Commission Historique du Nord; Decroos, président et délégué de la Société des Antiquaires de la Morinie : le Chanoine de Schrevel, secrétaire de l'évêché de Bruges, membre de la Société l'Emulation de cette ville ; Terquem, secrétaire général de la. Société Dunkerquoise, remplacant M. le docteur Duriau empêché au dernier moment, etc., etc.

Un certain nombre de nos confrères, malheureusement empêchés d'assister à la fête, s'étaient excusés par des lettres. Le Président donne lecture, de cette correspondance dont nous reproduisons ici les pièces principales.

ARCHEVÊCHÉ

de

CAMBRAI

Cambrai, la 12 Septembre 1903.

« MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

» Vous vous proposez de fêter dans la chère ville d'Hazebrouck, le cinquantenaire de la fondation du Comité flamand de France. Des circonstances indépendantes de ma volonté m'empêchent de répondre à votre invitation : il m'eût été trés agréable d'assister à vos pacifiques assises, d'écouter vos orateurs et de vous remercier, vous et vos doctes collègues du grand bien fait à notre petite patrie flamande par la Société si provi-


dentiellement fondée en 1853 par M. Edmond de Coussemacker, dont la cité de Bailleul se glorifie à si juste titre.

» Que de monuments anciens, que de manuscrits précieux, que d'objets vénérables, sacrés ou profanes, vous avez sauvés ou conservés !

» Ces souvenirs du passé à nos yeux ont très grand prix et pour leur valeur artistique et pour les enseignements qu'ils nous rappellent. Dès lors, les faire connaître, les classer, les préserver do toute détérioration ou destruction est une oeuvre digne des plus vifs encouragements.

" Les travaux du Comité flamand forment une riche mine, une véritable aurifodina où ont pu puiser avec profit les auteurs de nos récentes monographies paroissiales.

» Monseigneur l'Archevêque me prie de transmettre! son plus reconnaissant souvenir, Monsieur le Président, et je me permets d'y joindre mes sentiments personnels de gratitude et, de respect.

»E M. LOBBEDEY.

V. g., Archidiacre de Flandre, »

Bambeke, 29 Août 1903.

« MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

» Vous m'avez fait l'honneur de m'inviter au cinquantième anniversaire de la fondation du Comité Flamand de France. J'aurais été charmé de pouvoir venir vous féliciter au nom de la Société d'Emulation de Bruges, mais à mon vit regret, je devrai me priver de ce plaisir devant m'absenter à cette époque.

» Vous m'avez demandé de déléguer en mon absence un membre de la Société, je suis heureux de pouvoir


vous annoncer que M. le Chanoine de Schrevel, membre du Comité directeur de la Société, accepte de se rendre à la fête jubilaire de votre Comité en qualité de délégué. Je pense que vous accueillerez avec plaisir le choix de M. le Chanoine de Schrevel qui ne doit pas vous être inconnu.

» Veuillez, Monsieur le Président, agréer avec l'expression de mes regrets, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

» Cte TH. DE LIMBURG-STIRUM. »

Lille, le 24 Août 1903.

COMMISSION HISTORIQUE

DU

DÉPARTEMENT DU NORD

Instituée par arrèté préfectoral de 1839

« Monsieur l'abbé et, très honoré Président,

» Je vous remercie bien vivement de votre aimable lettre et de la proposition si flatteuse pour moi qu'elle renfermait. Soyez persuadé que j'aurais été très honoré et très heureux de l'accepter et de me rendre à votre gracieuse invitation si, à l'époque où doit avoir lieu la réunion du cinquantenaire du Comité flamand (14 septembre), je n'avais pas dû être en congé et absent de Lille. En effet, à cause des réparations qui ont eu lieu aux Archives et d'une vente de papiers considérable, je n'ai pu jusqu'ici prendre de vacances et je compte partir le 3 septembre pour une vingtaine de jours.

» Veuillez, Monsieur l'abbé et très honoré Président, agréer et faire agréer à mes confrères, mes excuses et.


mes sincères regrets et croire à l'assurance de mes sentiments les plus distingués et dévoués.

» Jules FINOT. »

Haarlem, 7 Septembre 1903.

" Aan het, Bestuur van het « Comité Hamand de France », te Hazebroek.

» Hooggeachie Heeren !

» Hiermede, heb ik de eer en hei genoegen U-lieden in het, byzonder, en alle leden van ons Genootschap in 't algemoen, van harte geluk te wenschen met het 50-jarig loffelyk bestaan van ons Genootschap. lk neem in myne gedachten geerne deel aan de feestvreugde die door def beugelyk feit U en ons allem te beurt valt.

» Moge het Genootschap weèr op nieuw oen 50-jarig tydperk van bloei intreden, weèr op nieuw, als tot nu toe. alles betrachten wat op zynen weg ligt ter bevordering van de kennis. oud en nieuw. van « Moedertaal en Vaderland » in Fransch-Vlaanderen !

» Myn leeftyd maakt het, my wel wat bezwaarlyk om in persoon naar Hazebroek te reizen en deel te nemen aan uw feest. Wil my myne afwezigheid ten goede houden.

» Onder betuiging myner byzondere hoogachting, en met vriendelyken groet, heb ik de eer te zyn,

» Uw dw. Dr » Johan WINKLER, » Lid van het « Comité flamand de France ».


SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES

DE

PICARDIE 1836

Amiens, le 30 Août, 1903.

« Le Président

à Monsieur le Président du Comité Flamand

de France, à Lille.

» MONSIEUR LE PRÉSIDENT.

» Par votre lettre élu 15 de ce mois, vous avez fait, l'honneur d'inviter la Société des Antiquaires de Picardie, au cinquantième anniversaire de la fondation du Comité Flamand de France, qui aura lieu le 14 septembre prochain.

» Je vous en fais au nom de notre Société tous mes plus sincères remerciements.

» Nous nous serions associés avec le plus grand plaisir à cette fête, mais nous sommes actuellement en vacances, et nous ne tiendrons pas de séance d'ici au 14 septembre, de sorte qu'il nous sera impossible de déléguer l'un de nous. De mon côté, je vais tout prochainement partir en voyage, et je ne pourrai à mon vif regret, me rendre à Hazebrouck.

" Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de tous mes sentiments les plus dévoués.

» Georges DURANT. »


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CHAMBRE

DES

DÉPUTÉS

Bailleul, 30 Août 1903.

« MON CHER MONSIEUR.

» J'ai bien reçu votre aimable invitation à la fête- du Comité Flamand de France, fixée au 14 septembre prochain.

» Je vous en remercie vivement.

» Mais il ne me sera possible d'être avec vous que de coeur, mes obligations militaires m'appelant aux manoeuvres dès le 1er septembre, pour trois semaines.

» Veuillez je vous prie, excuser mon absence auprès de nos collègues, agréer vous-même tous mes regrets, et croire, mon cher Monsieur, à mes sentiments bien dévoués.

» J. PLICHON.

» Député du Nord. »

ILLE DE BAILLEUL

Secrétariat de la Mairie

Bailleul. le 11 Septembre 1903.

« MONSIEUR LE PRÉSIDENT.

» J'ai bien reçu votre aimable invitation pour la cérémonie du 14 courant, et je vous en remercie vivement. » Certes, c'eût été pour moi un grand plaisir de fêter


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avec vous le cinquantenaire du Comité Flamand de France que j'affectionne particulièrement. Malheureusement, retenu ici par une réunion de famille, je ne pourrai être des vôtres que de coeur.

» Veuillez agréer, Monsieur le Président, avec toutes mes excuses, l'assurance de mes sentiments très distingués et bien dévoués.

" Le Maire, » Emile HIÉ. »

7 Septembre 1903.

« MON BIEN CHER COLLÈGUE.

» Je souscris bien volontiers cl de tout coeur au banquet jubilaire du Comité.

» Me sera-t-il donné de pouvoir assister aux fêtes de ce cinquantième anniversaire. Je crains que non et je le regrette très vivement. J'aurais tant désiré m'y trouver avec les collègues de la Flandre flamande, si dignement représentés par le très érudit et très sympathique Chanoine de Schrevel, secrétaire de Monseigneur de Bruges. Entre temps je bénis sincèrement, le bon Dieu de la longévité accordée au Comité Flamand et je souhaite de grand coeur à cette chère Société une nouvelle ère de la plugrande prospérité. De loin, je salue très cordialement le cher Président, M. Looten, et tous mes collègues dont je conserve le plus doux souvenir.

» J. OPDEDRINCK,

» Curé de Damme. »


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SOCIETE

des

ANTIQUAIRES DE LA MORINIE

FONDÉE EN 1031

reconnue d'utilité publique en 1833

Saint-Omer, 3 Septembre 1903.

« CHER ET VÉNÉRÉ PRÉSIDENT.

» Je m'empresse de vous remercier de votre aimable invitation et de vous dire mon vif regret d'être empêché de m'y rendre. Mais je serai par le coeur et par la pensée. « absens quidem corpore praesens autem spiritu », avec tous nos confrères du Comité Flamand, réunis pour fêter le einquantième anniversaire de sa fondation. Le Comité m'est trop cher et je compte parmi ses membres trop de véritables et déjà vieux amis pour ne pas m'associer de toute mon âme à cette belle fête qui. dans la pensée de tous, doit être la glorification d'un noble passé et la préparation d'un avenir plus brillant encore.

» En cette fête de famille va vibrer d'une émotion profonde et ardente ce que l'un de nos confrères, éloquent défenseur de nos plus chères libertés, a si bien appelé et expliqué «l'âme flamande». A cette fête je m'associe d'autant plus volontiers que je suis, si j'ose ainsi parler, flamand de demi-sang. Ma mère était du vrai pays de Flandre, de Steenwoorde. je fus d'abord élevé à Wormhoudt, et la première langue que j'ai comprise et balbutiée était, le flamand. Que de fois j'ai déploré les rigueurs de mon père pour la Moedertael !

» Je vous dis ici, M. le Président, le regret et les voeux


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d'un membre du Comité. J'aurais aussi, comme membre de la Morinie, à me souvenir et à remercier des toujours cordiales et fructueuses relations que notre Société a de tout temps entretenues avec son frère cadet le Comité. La vieille Morinie est bonne soeur : elle applaudit très sincèrement aux succès du frère qu'elle a vu naître et dont la brillante fortune lui fournit motif de le jalouser quelquefois.

» Cette vieille et fidèle amitié notre cher et sympathique président, M. Decroos, vous la dira en notre nom à tous : il vous portera les félicitations et les voeux de la Société des Antiquaires de la Morinie. Sa seule présence parmi vous resserrera encore les lions d'affection, d'estime et de mutuelle bienveillance des deux Sociétés soeurs.

» Vive le Comité Flamand de France ! » Vive son dévoué et distingué Président !

» Vivat, vivat

» Ad multos annos !

» Ce sont les voeux de votre humble confrère. M. le Président, heureux de saisir l'occasion de vous renouveler l'expression de ses sentiments d'estime et de particulière et respectueuse affection.

» Votre dévoué serviteur, » 0. BLED. »


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FACULTES CATHOLIQUES DE LILLE

ECOLE

de

HAUTES ÉTUDES INDUSTRIELLES

11, rue de Toul

Lille, le 3 Septembre 1903.

Cabinet du Directeur

« CHER PRÉSIDENT.

» Combien je suis désolé de ne pouvoir encore assister à la belle réunion de lundi dans notre bonne ville flamande d'Hazebrouck, pour vous y rencontrer et entendre les orateurs si distingués que vous nous annoncez.

» Mais je suis décidément un bien inutile membre ayant toujours autre chose à faire que ce que vous nous demandez. Mais ce jour-là même, il faut que je me mette en route pour un voyage d'études dans le Centre. C'est dans mon devoir professionnel.

» Mille respects à tous mes chers collègues et bien respectueusement à vous.

" Colonel ARNOULD. »


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Dunkerque, 28, rue St Jean, 11 Septembre 1903.

« MONSIEUR LE PRÉSIDENT.

» J'ai l'honneur de vous accuser réception de la double invitation que vous avez bien voulu m' adresser pour la séance solennelle du cinquantenaire du Comité et le banquet qui l'accompagne.

» Le collègue dévoué du Comité Flamand et le VicePrésident de la Société dunkerquoise se seraient fait un plaisir d'être des vôtres, mais mon infirmité qui me rend les moindres voyages fort difficiles, m'empêche d'être des vôtres.

» Veuillez agréer, M. le Président, avec l'expression de mes regrets, l'hommage de mes sentiments les plus respectueux.

» Emile BOUCHET.

» Vice-Président de la Société dunkerquoise, » Membre du Comité flamand, » Officier d' Académie. »

Westove, à Blendecques, 13 Septembre 1903.

« MONSIEUR ET CHER COLLÈGUE,

» Il ne me sera malheureusement pas possible d'assister demain au cinquantenaire du Comité Flamand de France, ainsi que je l'avais espéré.

» Je regrette vivement de vous avoir dérangé inuti-


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lement par mon adhésion, tardive* et désormais inutile, et vous prie très instamment d'être auprès de M. le Président et de nos collègues, l'interprète de mes excuses en même temps que de mes félicitations.

» Veuillez agréer, Monsieur et cher Collègue l'expression de mes sentiments les plus distingués.

» Baron Joseph DU TEIL. »

Bailleul, 12 Septembre 1903.

« MONSIEUR ET CHER PRÉSIDENT,

» Le Comité Flamand va célébrer son cinquantenaire et j'aurai le grand regret de n'être avec lui que par la pensée ce jour là. Vous pensez bien qu'une circonstance grave peut seule me priver d'être de cette fête. Il s'agit d'un obit du mois d'une tante aux funérailles de laquelle je n'ai pu assister.

» Je vous serais reconnaissant de vouloir bien dire à nos confrères mes très vifs regrets. Avec eux et avec vous, je remercierai Dieu ele nous avoir donné la vie, d'avoir permis que l'oeuvre grandisse et prospère ; je lui demanderai de lui assurer une très longue vie et un brillant avenir, et je n'oublierai pas celui qui la préside avec tant de dévouement.

» Veuillez croire aussi au regret que j'ai de ne pouvoir passer quelques heures avec vous et à la fidélité de mes meilleurs sentiments.

» Ch. FLAHAULT,

» Professeur à l'Université de Montpellier. »


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Monsieur le Président donne ensuite la parole à M. le Chanoine Flahault, vice-président, qui remplit le pieux devoir de rappeler la mémoire des membres défunts depuis la fondation du Comité Flamand de France.

La liste des membres du Comité Flamand, décédés depuis sa fondation, dit l'orateur, en substance, serait trop longue pour que l'on puisse en donner lecture. Nous voulons, au moins citer en ce jour les noms des fondateurs de notre association et ceux des hommes qui. dès 1854, leur avaient donné leur adhésion et leur concours.

Fondateurs

MM. Edmond DE COUSSEMAICER, juge au tribunal civil de

Dunkerque, conseiller général du Nord. Louis DE HACKER, ancien magistrat, inspecteur

des Monuments historiques. Raymond DE BERTRAND, membre de la Commission

historique du Nord. Le docteur THELU. Auguste RICOUR, professeur de mathématiques au

Lycée de Douai. Le docteur MENEBOO.

Hippolyte BERNAERT, négociant à Dunkerque, L'abbé Désiré CARNEL, vicaire à Dunkerque.

Membres honoraires

ALBERDINGK-THYM, membre de l'Académie Royale des Beaux-Arts d'Amsterdam.

BORMANS, professeur à l'Université de Gand.

BLOMMAERT, homme do lettres à Gand.

Le chanoine CARTON, président de la Société d'Emulation à Bruges.


— 16 —

MM. CASTELLANOS DE LOSADA. directeur de l'Académie

à Madrid, Henri CONSCIENCE, à Anvers. DAVID, professeur à l'Université Catholique de

Louvain. Edmond DE BUSSCHER. membre de l'Académie

Royale à Bruxelles. Le baron DE SAINT-GENOIS, président de la Société

Willems-Fonds. DE PERCEVAL. représentant à Bruxelles. L'abbé DE RAM, recteur de l'Université Catholique

de Louvain. DIDRON, secrétaire du Comité des Arts et Monuments. DIEGERICK. archiviste d'Ypres. DUJARDIN, président de la Société Voor Tael en

Kunst à Anvers. EICHKOFF, correspondant de l'Institut à Lyon. FIRMENICH homme de lettres à Berlin. Jacob GRIMM, membre de l'Académie de Berlin. GÉRARD sous-préfet de l'arrondissement de Dunkerque. HASE, membre de l'Institut à Paris. HOFEMAN-VON FALLERSLEBEN, homme de lettres à

Weimar. Le vicomte de KERCKOVE-VARENT. président de

l'Académie de Belgique. KERVYN DE LETTENHOVE, membre de l'Académie

Royale de Belgique. André LE GLAY, conservateur des Archives du

Département du Nord. Alfred MAURY, sous-bibliothécaire de l'Institut

à Paris. Francisque MICHEL , correspondant, de l'Institut

à Bordeaux.


— 17 —

MM. Franz MONE, directeur des Archives à Carlsruhe. Le comte de MONTALEMRERT, membre de l'Académie

Française. REICHENSPERGER, conseiller à la Cour d'Appel de

Cologne. François RONS, homme de lettres à Gand. SERRURE, professeur d'histoire à l'Université de

Gand. Le docteur SENELLAERT, à Gand. Ferdinand VAN DE PUTTE, chanoine à Boesinghe. Prudent VAN DUYSE, archiviste de la ville de Gand. VINCENT, membre de l'Institut de France. Ferdinand WOLF, conservateur de la Bibliothèque

Impériale à Vienne.

Membres résidants

Le chanoine AERNOUT. doyen-curé de Ste-Catherine.

à Lille. L'abbé BACQUART. doyen-curé de Saint-Waast à

Bailleul. Benoit BAERT, notaire à Cassel. Louis BAUDIN, directeur-receveur du bureau de

pesage à Dunkerque. Philippe BECK, propriétaire à Dunkerque. L'abbé BECUWE, aumônier à l'Hospice Comtesse

à Lille. L'abbé BERNAERT, vicaire à Wormhoudt. L'abbé BERNAST, curé de Sainte-Marie-Cappel. L'abbé BLAEVOET, vicaire à Haubourdin. L'abbé BLOEME, curé à Roquetoire. Alexandre BONVARLET, négociant à Dunkerque. L'abbé CAILLIÉ, doyen-curé à Wormhoudt. L'abbé CAPPELAERE, curé a Borre.

2


— 18 —

MM. L'abbé CORTYL, curé à Wylder.

Césaire DAVID, propriétaire à Saint-Omer.

Le chanoine DECONYNCK, doyen de St-Jean-Baptiste

à Dunkerque. L'abbé DEHAENE, doyen de St-Amand à Bailleul. L'abbé DEHAENE, principal du collège d'Hazebrouck. L'abbé DEKEISTER, directeur du collège à Hazebrouck. Charles DELAROIÈRE, maire à Bergues. L'abbé DEPOORTER, prêtre habitué à. Hazebrouck. Victor DERODE, négociant à Dunkerque. L'abbé DERUYWE, curé à Holques. L'abbé DESMIDT, vicaire: à Dunkerque. L'abbé DUJARDIN, vicaire à Hazebrouck. L'abbé GOBRECHT, doyen de Saint-André à Lille. L'abbé GORIS, curé à Caestre. Winoc HARLEIN à Esquelbecq. L'abbé HOUVENAGHEL, vicaire à St-André à Lille. L'abbé LEURÉLE, vice-doyen, curé à Zegerscappel. L'abbé MARRÉCAUX, curé à Steenbecque. L'abbé MARKANT, doyen à Morbecque. Le docteur MORAEL, à Wormhoudt. MOUVAU, propriétaire à Bergues. L'abbé PAUWELS, curé à Steenvoorde. L'abbé POLLAERT, curé à Zuytpeene. L'abbé PRUVOST, curé à Saint-Pierre-Brouck. RYNGAERT, huissier à Hondschoote. L'abbé SALOMÉ, curé à Walincourt. L'abbé SERLEYS, curé à Millam. L'abbé SIMON, doyen à Tourcoing. L'abbé STROBEL, enré à Armbouts-Cappel. Le chanoine TOP, curé à Carnin. L'abbé TREUTENAERE, curé à Hondeghem. L'abbé VANDENABEELE, vicaire à Bourbourg. L'abbé VANUXEM, curé à Saint-Sylvestre-Cappel.


— 19 —

MM. VERCLYTTE, instituteur à Sainte-Marie-Cappel. L'abbé VERSTUEVEL, curé à Lynde. L'abbé WALBROU. curé à Bierne.

Membres Correspondants

ANGILLIS DE RUMBEKE, président de la Société de

Veernigde-Vriende. Alexis BAFCOP, artiste peintre à Paris. Benoit BARBEZ, imprimeur à Bergues. Pierre BELS, propriétaire à Wormhoudt. L'abbé BOGAERT, curé à Cappellebrouck. Winoc BOREL, littérateur flamand à Eecke. Henri BRUNEEL, homme do lettres à Lille. L'abbé CARPELLE, curé à Brouckerque. Jean CARLIER, membre de plusieurs Sociétés savantes

à Paris. Joseph COLLIXS, secrétaire perpétuel de l'Académie

d'Anvers. Léon DE BURBURE, homme de lettres à Anvers. L'abbé DEDRYE, curé de Craeywick. DEGEYTER, secrétaire de la Société Voor Tael eu

Kunst à Anvers. DEKKERS-BERNAERTS, secrétaire de la même Société. DELAROIÈRE, maire à Hondschoote. Désiré DELECROIX, secrétaire de la Société De Morgenstar

Morgenstar Bruxelles. Le docteur DEMEUNYNCK, maire à Bourbourg. Le docteur DEPOORTÈRE. à Bailleul. Charles DEPREZ, clerc de notaire à Rexpoëde. Auguste DE REUME, capitaine d'artillerie à Bruxelles DESCAMPS, receveur municipal de Bergues. L'abbé DESCHODT, vicaire à Ghyvelde. Félix DEVIGNE, peintre d'histoire à Bruxelles.


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MM. Alfred DEZITTER, peintre à Crochte.

Victor GAILLARD, à Gand.

HAUW, juge de paix à Steenvoorde.

JAMINÉ, avocat à Tongres.

KESTELOOT-DEMAN, doyen de la Société de Rhétorique à Nieuport.

LANSENS, homme de, lettres à Couckelaere.

Louis LECONTE, littérateur flamand à Bailleul.

Jules LEPREUX, archiviste de la ville de Valenciennes.

Willem MANNART, homme de lettres à Berlin.

Pierre MARCHAND, huissier à Rexpoëde.

L'abbé MASSIET, vicaire à Bourbourg.

MEYNNE-VANDECASTEELE, homme de lettres à Nieuport.

NEVE, bibliothécaire de l'Université de Louvain.

L'abbé PAEÏLE, curé à Auby.

Auguste PERREAU, à Tongres.

Henri RAPSAET, avocat à Audenarde.

Edmond ROXSE, conservateur des archives à Furnes.

L'abbé RUBBEN, vicaire à Cassel.

RUYSSEN, avoué à Hazebrouck.

SERRURE fils, homme de lettres à Gand.

SILVY, sous-chef de bureau au ministère de l'Instruction publique et des cultes à Paris.

L'abbé VANDENBUSSCHE, curé à Gravelines.

VANDER ELST, vice-président de la Société de Morgenstar à Bruxelles.

VANDENKERCKOVE, maire à Volckerinchove.

VANDENKERCKOVE, propriétaire à Volckerinchove.

VAN DEN PEEREBOOM, membre de la Chambre des représentants.

VANDERVIN, secrétaire, architecte de la Société Royale des Beaux-Arts et de Littérature à Gand.

VANDEVELDE, président du tribunal civil de Furnes.


MM. VAN EVEN, archiviste à Louvain.

L'abbé VANNEUVILLE, curé à Bambecque. VLEESCHOUWER, professeur à Anvers, WAYENBURG, littérateur flamand à Bailleul.

M. le Chanoine Flahault, s'interrompt pour accorder un souvenir tout particulièrement ému à M. Edmond de Coussemaker, le fondateur du Comité ; à M. Ignace de Coussemaker, dont le Bureau et, les membres du Comité sont heureux de voir se perpétuer les traditions de famille en la personne de M. Félix de Coussemaker, archiviste du Comité Flamand de France.

Parlant ensuite d'Alexandre Bonvarlet, le digne successeur d'Edmond de Coussemaker à la présidence du Comité Flamand, M. le Vice-Président fait part à l'assistance des pourparlers qu'il a engagés avec notre confrère M. Bonvarlet fils, pour que les membres élu Comité puissent exploiter les grandes richesses renfermées dans les innombrables notes, fiches, et manuscrits amassés avec une admirable patience et une compétence rare par l'ancien président de notre Société ; il ajoute qu'il a la ferme espérance de voir sous peu ses démarches couronnées de succès.

Enfin, M. le Chanoine Flahault rappelle les services rendus par deux autres membres fondateurs : M. l'abbé Désiré Carnel et M. Louis de Backer, dont le Comité est, heureux de compter au nombre de ses membres, le fils, M. Emile de Backer, maire de Noordpeene.

En terminant, M. le Vice-Président dit que l'avenir de la Société donne les plus belles espérances, grâce aux ressources de toute nature qu'il puise dans le labeur et la sympathie de ses 320 membres.

L'allocution de M. le Chanoine Flahault est couverte d'applaudissements.


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La parole est ensuite donnée à M. le Vice-Président Eugène Cortyl, qui, sur le Concours Littéraire institué par le Comité Flamand de France, à l'occasion de la célébration du cinquantenaire de sa fondation, lit le rapport suivant, que l'assemblée souligne à diverses reprises de ses applaudissements.

MESSIEURS ET CHERS CONFRÈRES,

Le Comité Flamand, dans sa séance du 20 Mars 1902, décida de décerner, à l'occasion du cinquantenaire de sa fondation, un prix de six cents francs au meilleur mémoire traitant d'un point, d'histoire politique, religieuse, littéraire ou artistique de la Flandre Maritime.

Un seul mémoire a été présenté au bureau. Le sujet en est, : La vie et les oeuvres de Michel De Swaen.

L'auteur semble avoir pressenti les préférences de notre association. S'il est un point d'histoire littéraire qui méritait d'être étudié, c'est bien l'oeuvre de Michel De Swaen. Il incarne en lui le génie de notre province depuis sa réunion à la France, et il est le seul de nos poètes qui fasse bonne figure à la suite des grands écrivains classiques de la Hollande, Vende! et Cats, dont luimême se proclamait le disciple.

Le Comité Flamand, dès ses premières années, en 1855, fit tous ses efforts pour rendre au grand poète Dunkerquois, alors trop peu connu, la justice qui lui était due, et il projetait même la réimpression d'une partie de ses oeuvres. En 1809 et 1870, l'un de ses membres, M. Carlier donnait de Michel De Swaen une double étude biographique et littéraire.

M.Van Duyse, qui était aussi des nôtres, publiait, dans le Belgisch Museum, une étude de critique littéraire sur De Swaen. qui fut très remarquée. Plus récemment, le


président du Comité éditait, dans nos Annales, trois poèmes de De Swaen, et les accompagnait de préfaces et de remarques littéraires ; il lisait aussi devant l'Académie Royale Flamande, une étude sur le drame intitulé : Mauritius.

M. Bonvarlet, dont la bibliothèque était si riche en documents concernant la Flandre Maritime, avait acquis deux manuscrits inédits de De Swaen ; avec le désintéressement qui caractérisait notre ancien président, il les offrit au Comité flamand, M. le doyen Salomé nous fit hommage d'un troisième manuscrit de De Swaen d'une très grande importance. Enfin, M. le Chanoine Flahault eut récemment la bonne fortune de retrouver le portrait du poète Dunkerquois et le fit reproduire, par la phototypie, pour nos Annales.

Mais jusqu'ici, il n'avait, point été fait d'étude critique embrassant l'oeuvre entière du poète Dunkerquois. Le mémoire présenté au Comité Flamand comble cette lacune.

Ecrit primitivement en flamand, il a été couronné, sous cette forme, par l'Académie royale de Bruxelles. L'auteur a pensé qu'une adaptation française serait.favorablement accueillie par notre société. Il entrait ainsi dans nos vues d'une façon très opportune. Et voilà, comment, en cette année du cinquantenaire élu Comité Flamand, justice sera enfin rendue à Michel De Swaen. Il y a lieu d'espérer que bientôt aussi, en Belgique et en Hollande, il prendra, dans l'histoire de la littérature néerlandaise, le rang élevé qui lui revient.

La devise de l'auteur est très heureusement choisie. Verblydl u in den Tydt, « Réjouis-toi dans le temps présent ». C'était celle de la Société de Saint-Michel de Dunkerque, que dirigea De Swaen, et dont ses oeuvres portèrent le renom dans toute la Flandre.


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Le mémoire tient tout ce que son titre promet. L'auteur ne s'est point contenté de donner la biographie du poète, il l'a placé dans le milieu même où il a vécu. Tantôt en s'appuyant sur des faits certains, tantôt en faisant d'ingénieuses conjectures, il a tâché d'établir la part d'influence que l'entourage de De Swaen et les événements de son temps ont exercée sur sa formation intellectuelle et poétique. C'est avec raison qu'il a insisté sur le côté religieux du caractère du poète et les tendances mystiques de son oeuvre. Nous savons mieux désormais comment son âme et son talent sont orientés vers l'idéal surnaturel auquel il n'a cessé de tendre.

L'étude des poèmes dramatiques et des principales poésies lyriques et didactiques de De Swaen est fort consciencieusement faite ; elle atteste une connaissance complète de son oeuvre et un très vif sentiment de ses beautés poétiques et littéraires. Les citations sont nombreuses. bien choisies, et, d'ordinaire, heureusement traduites.

Les points de rapport que l'auteur établit entre De Swaen et les écrivains contemporains, soit de Flandre, comme Poirters et d'Ogier, soit de Hollande comme Cats, Luiken et Vondel. ce dernier surtout qui fut son principal maître, contribuent à élargir le sujet, et à mettre en lumière les qualités et les défauts de notre poète.

L'auteur a eu l'excellente pensée de comparer De Swaen, dont la plume a si souvent tenté de rivaliser avec le pinceau dans les descriptions où il excelle, aux peintres néerlandais, ses contemporains. Comme Jordaëns et Teniers, c'est le sourire aux lèvres et la joie dans le coeur qu'il représente les scènes si naïves et si pittoresques de la vie populaire. On pourrait ajouter crue De Swaen est paysagiste à la manière de Ruysdael, et que, comme lui,


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il rend admirablement dans ses descriptions de la mer, la sauvage beauté des vagues agitées par la tempête, ou le calme des flots d'opale réflétant le ciel du Nord.

L'auteur fait remarquer aussi que, dans ses Noëls, De Swaen a su rivaliser de naïveté pieuse avec les imagiers et les primitifs du XVe siècle. On retrouve en lui, le flamand réaliste, tout imprégné des traditions populaires du moyen âge.

S'il nous était permis d'exprimer un regret, c'est que l'auteur n'ait pas écrit un chapitre spécial sur la langue, le style et le rythme de De Swaen. Il a traité cette matière en différents endroits de son mémoire ; mais il eut été préférable, à notre sens, de l'étudier dans un chapitre spécial, où elle eût pu être approfondie davantage.

Nous résumons les conclusions de l'auteur et nous nous y associerons. De Swaen, dit-il, s'élève au-dessus des rhétoriciens ses contemporains, comme le chène au-dessus des taillis ; son oeuvre défie la pleine lumière de la critique. Si, comme poète tragique, il manque de force dramatique, il sait mettre, dans la bouche de ses personnages, des descriptions et des monologues de la plus grande beauté. Sa comédie, la Botte couronnée, est digne d'occuper une place à côté de ce que nous possédons de mieux en ce genre. C'est dans les Zedelyke Rymwerken et dans Het Leven en Dood van Jesus que De Swaen triomphe surtout. « Il y dépeint, dit l'auteur. » avec un égal talent des scènes violemment agitées et » terribles, ou des paysages riants et idylliques. Ses » sentiments religieux donnent à ses vers un souffle » entraînant, soit qu'il chante son Dieu sur un ton de » naïveté populaire, soit qu'il exhale sa foi dans une » extase mystique, ou qu'il célèbre sa toute-puissance et » sa sagesse. »


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Le bureau du Comité est heureux de proclamer lauréat du concours du cinquantenaire, l'auteur de ce savant mémoire.

Sous la devise, que nous avons mentionnée, se cache le nom de M. Maurice Sabbe, professeur à l'athénée royal ele Malines, membre du Comité flamand de France. Le jury lui décerne, à l'unanimité, avec ses vives félicitations, le prix de six cents francs, et, décide que son mémoire sera imprimé dans le tome des Annales qui est en cours de préparation.

Après la lecture de ce rapport, le Président se lève et propose un double voeu à la ratification de l'Assemblée.

Le premier est que l'Académie Royale Flamande de Belgique, réalise le souhait exprimé déjà par quelquesuns de ses membres actifs ou correspondants, en donnant, des oeuvres de Michel De Swaen , une édition savante' et définitive, qui soit digne du meilleur poète, qu'ait produit la Flandre à la fin du XVIIe ou commencement du XVIIIe siècle.

Le second, que la ville de Dunkereque consacre, par un souvenir quelconque (statue, monument, plaque commémorative, nom donné à une rue, etc.), la mémoire du grand poète à qui elle a donné le, jour. Le travail de M. Sabbe, dit le Président. qui sera imprimé intégralement dans le tome XXVII de nos Annales, permettra à tous nos compatriotes, de connaître et d'estimer à sa véritable valeur, l'oeuvre de De Swaen. Il serait, à désirer que Dunkerque, contribuât pour sa part, à reconnaître la gloire d'un de ses plus célèbres enfants, trop longtemps ignore'. On pourrait préparer le public à une cérémonie de ce genre, par une séance solennelle à laquelle participeraient les Sociétés savantes des arrondissements Flamands.


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M. Dumont, maire de Dunkerque, fait écho aux paroles du Président : « Il n'est, dit-il, au Conseil municipal, que le pouvoir exécutif. Mais il se fera un plaisir de transmettre à ses collègues de l'Hôtel-de-Ville, le voeu du Comité Flamand. Et s'il ne tient qu'à lui, nos espérances seront justifiées dans un avenir prochain. »

L'assemblée adopte par acclamation les deux voeux du Président, qui lève la séance en priant tous les confrères présents d'être bien exacts au banquet, et, à la séance du soir.

Le Banquet

A midi un quart, les membres du Comité Flamand et. les délégués des Sociétés savantes se trouvaient de nouveau réunis dans une salle de l'hôtel des Trois-Chevaux où un excellent, banquet par souscription avait été organisé par M. A. David, trésorier.

On y remarquait : M. l'abbé Lemire, député du Nord ; M. Alfred Dumont, maire de Dunkerque; M. QuarréReybourbon, de Lille, délégué de la Commission Historique* du Nord ; M. Jérôme Decroos, notaire à Saint-Omer, Président et délégué de la Société des Antiquaires de la Morinie ; M.Terquem, de Dunkerque. délégué do la Société Dunkerquoise ; M. le Chanoine de Schrevel. secrétaire de l'Evéché de Bruges, délégué de l'Emulation de cette ville ; MM. René Lener, Président, et Baron, directeur de l'Association Chorale la Concordia d'Hazebrouck.

M. l'abbé Looten, docteur ès-lettres, professeur aux Facultés Catholiques de Lille, Président du Comité Flamand de France ; MM. le Chanoine Flahault et Eugène Cortyl, Vice-Présidents ; M. Tible. maire d'Ochtezeele, secrétaire: M. Félix de Coussemaker. archiviste; M. A. David, d'Hazebrouck, trésorier.

Mgr Ed. Delerue ; M. l'abbé Fauvergue, curé de


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Grande-Synthe ; M. l'abbé Vandewalle. vicaire à Lille (Saint-Sauveur): M. de Backer, maire de Noordpeene ; M. de Coninck, peintre d'Histoire à Amiens ; M. le Chanoine Vanhaecke, premier Chapelain du Précieux-Sang, à Bruges ; M. Jules Beck. de Dunkerque ; M. Elie Vandewalle, de Bailleul; M. Blanckaert, Président de Chambre honoraire à la Cour d'Appel d'Alger; M. l'abbé Leman, de Wattrelos ; M. Albéric de Coussemaker, ancien membre du Conseil Provincial de la Flandre Occidentale, à Ypres ; M. Louis de Lesdain, avocat, de Dunkerque ; M. Edm. Liégeois, bibliothécaire et. conservateur du Musée de la. ville d'Ypres ; M. l'abbé Ernest Dimnet, de Trélon, agrégé d'Anglais, professeur au Collège Stanislas : M.Ernest. Hostin, de Dixmude ; M. Ed. de Swarte, de* Vieux-Berquin ; M. Fournier, Trésorier général des Invalides de la Marine, de Paris ; M. Octave Bosquillon de Jenlis, de Cassel ; M. G. Pattein, sculpteur, conseilller municipal d'Hazebrouck ; M. Jules Lener, conseiller municipal d'Hazebrouck : M. le Docteur Dussart. de Dunkerque, Membres du Comité Flamand de France.

La presse régionale était aussi représentée au Banquet par MM. Jules Duthil, de La Dépêche, de Lille ; Ficheroulle, de la Bailleuloise, de Bailleul; le reporter du Nord Maritime, de Dunkerque; le reporter de La Croix du Nord, de Lille : M. Boone. correspondant de divers journaux de Belgique. M. Dodanthun, propriétaire de l'Indicateur, retenu par les exigences d'une période d'exercices militaires, s'était fait excuser.

Vu dessert le Président se lève et porte la santé de tous ceux — la liste en est, longue — envers qui le Comité Flamanel a contracté une dette de reconnaissance. En premier lieu Messieurs les Maires des villes des deux arrondissements qui nous ouvrent, avec tant d'empressement, les portes de leurs Hôtels-de-Ville et de leurs


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Maisons Communes, chaque fois que le Comité les en sollicite. Plus spécialemenl il remercie les maires de Dunkerque, Hazebrouck et Bailleul, les deux premiers qui nous accordent fidèlement une allocation annuelle, le dernier qui veut bien réserver à notre usage une salle des Ecoles Académiques pour le service de notre bibliothèque. Il croit être l'interprète de leurs administrés aussi bien que de leurs confrères, en leur souhaitant d'être à perpétuité maires de leurs municipalités respectives.

Des élus municipaux il passe aux élus de la Chambre. Parmi les quatre Députés du pays Flamand, trois sont membres de notre compagnie. Il regrette l'absence de M. Plichon, retenu aux manoeuvres, de M. Henry Cochin, dont un télégramme vient annoncer à la dernière heure qu'il est retenu loin de nous. Il salue le député d'Hazebrouck, M. l'abbé Lemire et le félicite d'avoir revendiqué à la Tribune du Parlement, lors de la dernière discussion du budget, le droit des provinces à conserver leurs usages traditionnels, leur langue, leur art, tout ce qui constitue leur originalité. Ce jour là, le Député a parlé en vrai Flamand de France.

Il adresse ensuite un salut amical aux membres des Sociétés savantes imitées à la cérémonie du jour : M. le Chanoine de Schrevel, chargé par M. le comte de Limburg Stirum, ele représenter la Société d'Emulation de Bruges et qui tout à l'heure prendra la parole ; M. Quarré Reybourbon, le vénéré et aimable doyen d'âge du banquet, délégué de la Commission historique ; M. Decroos, Président des Antiquaires de la Morinie ; M. Terquem, délégué de l'Union Dunkerquoise. A tous présents et absents, le Président adresse son merci cordial et affirme qu'entre ces Compagnies savantes il. ne saurait y avoir lieu à la rivalité, mais à une sage émulation à qui fera le mieux avancer la science.


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Il félicite les organisateurs du banquet, notamment M. David : et il boit à la presse qui a bien voulu nous assurer son excellente publicité, et préparer les voies à la séance de tout à l'heure.

Enfin il propose la santé des deux vice-présidents MM. le Chanoine Flahault et Cortyl qui l'aident en toute circonstance de leurs sages conseils, dictés par l'expérience et l'amitié, et qui contribuent de cette manière à alléger le fardeau qui pèse si lourdement sur ses épaules depuis la mort de M. Bonvarlet.

M. Dumont prend ensuite la parole pour répondre au toast du Président.

Avec ce charme exquis qui lui est propre, il rappelle que Dunkerque a été le berceau du Comité flamand et aurait souhaité que cette ville fût le théâtre de son jubilé, mais il n'en veuf pas aux membres du bureau, et la, preuve que Dunkerque ne les boude pas. c'est la présence du maire de Dunkerque et celle des délégués de l'Union Faulconnier et de la Société Dunkerquoise, qui poursuivent le même but que le Comité Flamand : faire connaître à tous que l'esprit a ses droits, que la conscience a ses droits, la conscience historique comme l'autre.

M. Dumont dit ensuite que les Sociétés géographiques, en organisant de nombreuses et intéressantes excursions, nous ont révélé les beautés naturelles de notre pays et nous ont fait comprendre que point n'était besoin, comme* on l'avait cru trop longtemps, de franchir nos frontières pour voir de beaux sites et admirer de magnifiques monuments. Le Comité Flamand et les autres Sociétés savantes nous ont rendu le même service sur un autre terrain : elles nous ont, révélé nos gloires locales et notre histoire, elles ont montré les pages palpitantes de nos annales, riches en faits héroïques comme en anecdotes spirituelles ou touchantes, et en nous faisant aimer beaucoup notre


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petite patrie locale, elles nous ont fait aimer davantage la grande patrie française.

Ce discours, dont nous ne donnons que l'idée principale, a été un véritable petit chef-d'oeuvre de finesse et d'élégance.

M. Quarré-Reybourbon avec une bonhomie charmante, offre au Comité, avec ses voeux personnels, ceux de la Commission historique, de la Société de Géographie, et des autres Compagnies savantes, dont, en dépit de son âge, il est le membre toujours jeune, toujours actif.

M. Terquem rappelle les origines communes de la Société Dunkerquoise et du Comité Flamand; il apporte le salut fraternel de la soeur aînée à la soeur cadette, et lui souhaite longue vie et prospérité.

M. Decroos dit qu'une portion du programme d'études du Comité étant commune à la Société Audomaroise dont il est le Président, puisque l'un étudie la partie Flamande, l'autre la partie Française de la Morinie, il est heureux de trouver dans cette communauté d'occupations scientifiques, la source des sentiments de haute estime et de parfaite cordialité. Il boit, « ad multos annos » et ajoute ses souhaits à ceux qui ont déjà été exprimés.

M. Cortyl porte la santé du Président et celle de Mgr Delerue.

Mgr Delerue remercie, et dans un speech plein d'humour, affirme son profond attachement pour la mère-patrie et le sol natal.

Tous ces toasts ont été écoutés avec une religieuse attention, et quelques-uns ont recueilli le plus vif succès.

La plus grande cordialité n'avait pas cessé de régner pendant toute la durée du repas. Nulle part on ne sentait la gène et la froideur des banquets officiels.


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Séance de l'après-midi

A trois heures de l'après-midi, dans le grand salon de l'Hôtel-de-Ville, mis gracieusement, à la disposition du Comité Flamand de France par la Municipalité, eut lieu la grande séance publique.

La salle était remplie non seulement de membres du Comité, mais aussi des notabilités civiles et esclésiastiques de la région, et de l'élite des familles d'Hazebrouck, Bailleul, Cassel, Merville, etc., qui avaient tenu à répondre à l'invitation du Comité et à lui donner cette* preuve d'intérêt.

La Société Chorale La Concordia d'Hazebrouck qui prêtait son gracieux concours à la fête, sous l'habile direction de son chef M. Baron, exécuta à la perfection deux choeurs de toute beauté, dont le dernier « Hymne à la France » fort goûté, fut chanté une deuxième fois à La demande de M. le Président, qui adressa en ternies fort délicats les félicitations et remerciements du Comité à cette phalange d'artistes.

Sur l'estrade avaient, pris place aux côtés de M. le' Président Looteu : M. le Chanoine Salomé, Chevalier de la Légion d'Honneur, curé-doyen de la paroisse St-Eloi : Mgr Delerue : M. l'abbé Lemire, Député d'Hazebrouck: M. le Chanoine de Schrevel, et les autres membres du Bureau.

M. le Président déclare la séance ouverte et donne immédiatement la parole à M. le Chanoine Salomé qui a voulu, malgré son grand âge, montrer toute sa sympathie au Comité Flamand en assistant au début de la séance et en y prenant la parole pour entretenir d'une façon charmante, l'auditoire, de la langue des Flamands de France.


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Se plaçant sur le terrain linguistique, M. Salomé s'étonne du mépris que certains demi-savants affichent à l'endroit d'un idiome qui a un vocabulaire aussi riche, une syntaxe aussi régulièrement fixée, une littérature aussi variée, un domaine géographique aussi étendu que notre langue maternelle!.

Il félicite les membres du Cemiité du soin qu'ils mettent à fixer le souvenir de cette langue, à en recueillir tous les monuments particuliers à notre légion. Il les engage à redoubler de zèle, car la. transformation des moeurs et des coutumes se fait, rapidement, et il importe que les fils et les arrière-petits-fîls des Flamands de la génération actuelle continuent d'aimer, de goûter et, de parler la langue de leurs pères.

L'allocution du vénéré doyen est interrompue à plusieurs reprises par les applaudissements de l'assemblée.

M. le Président, se fait l'interprète de tous les auditeurs pour féliciter l'orateur ! Il le remercie avec effusion des marques précieuses d'encouragement et de sympathie qu'il s'est plu à multiplier dans le cours de cette mémorable journée envers le Comité Flamand qui lui en gardera une éternelle reconnaissance.

Ensuite M. le Président, esquisse à longs traits l'histoire du Comité Flamanel de France, depuis sa fondation jusqu'au jour de son jubilé, rendant un hommage aussi bien senti que justifié à la mémoire de ses deux prédécesseurs, M. Edmond de Coussemaker et M. Bonvarlet qui ont été l'âme de la Société pendant près d'un demi siècle. Il résume les graneles lignes du programme que le Comité s'était imposé et qu'il a réalisé. Le lecteur trouvera le texte de ce discours qui a été fort applaudi, inséré in-extenso à la suite de ce compte-rendu.

M. le Président donne ensuite la parole à M. le Chanoine de Schrevel, Secrétaire de l'Évéché de Bruges,

3


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qui nous parle des célébrités de la Fandre flamande et gallicante au XVIe siècle. Ce fut, pour beaucoup d'auditeurs une révélation d'apprendre ce que la Flandre a produit à cette époque de peintres, de sculpteurs, de musiciens, de philologues, d'orientalistes, d'hellénistes, d'historiens, d'hagiographes, etc.

11 serait impossible do résumer le beau travail de M. le Chanoine de Schrevel. Nos confrères auront le plaisir de le lire tout entier un peu plus loin. M. le Chanoine de Schrevel fut unanimement applaudi par l'auditoire vivement intéressé et M. le Président se fit l'interprête de tous, en le remerciant en excellents termes, pour cette belle étude.

M. le Président donne ensuite lecture d'un télégramme de M. Henry Cochin. Retenu par une indisposition soudaine, il lui a été impossible de se rendre à Hazebrouck, comme c'était convenu depuis de longues semaines.

M. Looten exprime les profonds regrets du Comité et de l'Assemblée, qui seront privés du plaisir d'entendre la parole fine et distinguée du député de Dunkerque. Il fait des voeux pour son prompt rétablissement et espère qu'en une circonstance prochaine, la déception de ce jour trouvera sa compensation.

En l'absence de M. Cochin, M. l'abbé Lemire, Député d'Hazebrouck, a bien voulu céder aux instances des membres du Bureau, et clore la réunion par une de ces improvisations où il est passé maître.

Comme M., le Doyen Salomé, il a défendu la langue flamande qu'il ne faut pas vouloir étouffer, car cette langue est le véhicule des traditions chères à une race libre. Qu'on apprenne le français et le flamand, dit-il, mais qu'on no supprime pas le flamand. Puis, rendant hommage à tout ce qui a été fait jusqu'ici par le Comité, il indique, parmi les études qui lui restent à faire, la


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recherche des origines de l'art local et, la mise en valeur de ce que le temps a épargné de l'art domestique.

Le succès de M. l'abbé Lemire a été très vif et son discours fort applaudi. On en trouvera plus loin le texte intégral.

Enfin, M. le Président remercie M. l'abbé Lemire de son beau discours et exprime à toutes les personnes présentes la gratitude du Comité Flamand de France pour la sympathie qu'elles lui ont montrée en assistant en aussi grand nombre aux Fêtes de son Cinquantenaire.

La séance est levée à six heures du soir, et tous se retirent emportant le meilleur souvenir de cet te solennité.


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Discours de M. l'abbé Looten

MESDAMES, MESSIEURS.

Les phénomènes de la vie, à quelque degré qu'ils se manifestent, à quelque ordre de créatures qu'ils appartiennent, ont le privilège d'exciter notre curiosité et notre intérêt.

Si par exemple la naissance d'un être humain ou la genèse d'une institution humaine est un événement dont on ne saurait nier la grandeur et l'importance — commencer de vivre n'est-ce pas partir la joie au coeur, toutes les voiles gonflées par l'espérance, pour les splendides découvertes et les paradis inconnus? —c'est un spectacle grand encore et réconfortant de voir un être humain aboutir au terme d'un de ces longs stades que l'historien romain Tacite, appelait grande mortalis oevi spatium, un vaste espace de vie mortelle. L'amère expérience de notre caducité, ajoute à un tel évènement un prix incomparable; c'est comme une victoire remportée sur les puissances aveugles qui nous étreignent. Un demi-siècle de durée, combien ce simple mot n'évoquet-il pas à l'imagination charmée d'efforts entrepris, d'intelligence et d'activité virilement déployées, d'épreuves supportées, de difficultés vaincues, de longue patience, d'indomptable énergie, de confiance en Dieu et en la bonté de sa cause ?

Et voilà pourquoi, quand un homme ou une institution a le bonheur de parvenir à cette limite du cinquantenaire


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si rarement atteinte, tous les coeurs se dilatent, et le mot de « Jubilé » retentit sur nos lèvres vibrantes.

Cette joie émue, nous la ressentons à cette heure solennelle, où le Comité Flamand de France fête le cinquantième anniversaire de sa fondation. Du coeur de ses membres elle a débordé sur vous, Mesdames et Messieurs, qui êtes accourus en foule, avec un empressement dont il m'est doux de vous remercier, pour répondre à l'appel cordial que nous vous avons adressé. Les orateurs éminents qui dans quelques instants prendront la parole, vous récompenseront largement de la peine que vous avez bien voulu vous imposer. Mais soyez assurés que rien ne pouvait nous être plus agréable ni plus sensible, que de voir l'élite de notre bien-aimé pays nous apporter le précieux témoignage de sa sympathie.

I

Mesdames et Messieurs, c'est du héros de notre fête jubilaire, c'est-à-dire, le Comité Flamand de France luimême, que j'ai reçu mission de vous entretenir. C'est son histoire que je dois rapidement esquisser devant vous. En remplissant cette tâche, j'espère répondre d'une façon satisfaisante à la question que, sans doute, vous me posez : « Le Comité mérite-t-il la faveur dont on le comble en ce jour ? La présence de tant d'hommes distingués, tout ce concours de peuple, ces chants si harmonieusement modulés en son honneur, en est-il vraiment, digne ? »

Pour résoudre le problème, demandons-nous d'abord quelle a été la pensée dirigeante de ses fondateurs, à quels mobiles ils ont obéi en posant les bases de notre associa-


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tion. Ou je me trompe fort, ou bien de l'examen sommaire auquel nous allons soumettre ces hommes qui furent de grands initiateurs, il ne résultera que des conséquences honorables, qui justifieront votre sympathie et la reconnaissance, que nous, leurs successeurs, leur avons vouée.

Quand, il y a cinquante ans passés, M. Edmond de Coussemaker et sa modeste pléiade d'amis, se concertèrent pour créer le Comité, ils avaient conscience de répondre à un besoin de leur temps et de leur pays. Ils pouvaient invoquer d'abord cette raison générale, qui vaut pour tous les temps et tous les lieux, savoir, que l'homme cultivé ressent une soif insatiable de connaître ce qu'il est, d'où il vient, où il va, et quels sont les chemins que suit sa destinée. Mais de plus, ils sentaient vivement qu'outre les sciences naturelles et philosophiques, issues en droite ligne de cet impérieux besoin de savoir qui jaillit de notre âme, les sciences historiques ont le droit, de revendiquer aussi leur place et leur sphère d'action. L'homme est un être social. Des liens parfois invisibles, mais certains, rattachent au sol qu'il habite, à la race dont il dérive, à la cité dont après quinze et vingt générations il est l'habitant, à la nation dont il est un citoyen. Sa vie actuelle plonge ses racines très avant dans les siècles disparus. Sans qu'il s'en doute, il marche en vertu d'une vitesse et suivant une direction, que les âges anciens lui ont imprimée. S'il veuf ordonner sa vie privée et publique suivant les règles de la sagesse, il importe que semvent il regarde le passé pour mieux orienter son avenir. Il n'y a pas de solution de continuité dans l'évolution d'un peuple, pas plus que dans l'évolution de la nature : chaque fois que l'on a méconnu cette maxime, l'on s'est jeté de gaieté de coeur au-devant des pires catastrophes.

C'est dans la vertu de ce principe que les sociétés savantes puisent leur raison d'être. Leur mission supé-


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Heure, c'est d'instruire le présent par la leçon du passé : elles percent à jour la prétention vaine de ceux qui voudraient construire un homme social de pièces artificielles, sans rapport intime avec ses origines et son milieu.

Dans la mesure où s'est exercée son influence, telle a été l'action du Comité Flamand de France : c'est un premier mérite que je relève à son honneur.

II

L'autre service qu'il a rendu, c'est d'avoir conquis au bénéfice de l'archéologie et de l'histoire, une province inexplorée avant lui.

En 1852, quelques hommes de tête et, de coeur, avaient inauguré la société Dunkerquoise pour l'encouragement des lettres, des sciences et des arts. Cette compagnie, qui ne tarda point à prospérer, restreignit le cercle de ses études à la ville même de Dunkerque.

M. Edmond de Coussemaker vit qu'il y avait lieu de faire davantage. Cet esprit pénétrant était fortement frappé de l'extrême importance qu'avait prise et conservée dans les deux arrondissements de Dunkerque et d'Hazebrouck, la civilisation de notre pays d'origine, la Flandre.

Sans doute, depuis les conquêtes de Louis XIV, sanctionnées en 1078 par le traité de Nimègue, notre régime politique et notre nationalité avaient accompli une évolution profonde : nous étions devenus Français. Plus de deux siècles allaient s'écouler pendant lesquels notre* loyalisme, en dépit des sacrifices qu'il nous en a coûtés, ne se démentirait pas un instant.

Cependant le fond Flamand persistait, comme le sédiment primitif qui supporte la terre arable : d'autant


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plus que le conquérant et ses successeurs avaient eu l'intelligence de comprendre qu'on n'éteint point dans un peuple, par des mesures arbitraires, l'amour de sa langue et de ses institutions.

De là une permanence de l'esprit Flamand en pleine terre française, une continuation des us et coutumes d'autrefois, qui à l'heure même où je parle, s'est atténuée peut-être, mais est loin encore de se trouver abolie.

C'est vers l'étude do cette portion de notre archéologie' que M. De Coussemaker poussa la Société nouvelle qui. le 10 avril 1853, était créée sous le nom de Comité Flamand de France.

« L'association, disaient les statuts, a pour objet l'étude de la littérature Flamande ; la recherche et la conservation des documents historiques et littéraires en langue flamande dans la Flandre maritime.

Les membres du Comité prennent l'engagement de recueillir et de lui faire connaître tous les renseignements et documents sur :

1° les sciences, l'histoire, les lettres et les arts ;

2° le droit féodal, les juridictions seigneuriales et les coutumes :

3° les institutions littéraires telles que les chambres de rhétorique, confréries théâtrales, etc. ;

4° les légendes et chants populaires ;

5° les traditions, tes usages et les coutumes :

6° les croyances populaires ;

7° les saints du pays ;

8° les miracles, processions et, cérémonies religieuses :

9° les corporations et les métiers ; 10° les proverbes et maximes populaires ; 11° les sociétés d'archers : 12° les noms d'hommes et de choses ; 13° les inscriptions tumulaires et autres ;


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14° la biographie et la bibliographie des Flamands de France ;

15° l'art dramatique ;

16° les chartes et privilèges ;

17° les généalogies et les armoiries :

18° la liturgie et, la musique ».

Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, vaste était le programme et abondante la matière. Mais nos fondateurs avaient la belle et confiante audace de la jeunesse. Et ils se lancèrent dans l'arène, ne doutant pas que le succès couronnerait leurs efforts, et qu'à l'instar de tant d'autres sociétés qui couvraient do leurs réseaux les villes et les provinces de France, ils feraient oeuvre utile au pays et honneur à la science historique alors renaissante.

Ils prirent pour devise les deux mots que chacun en Flandre connaît, depuis nombre d'années : « Moedertael en, Vaderland» et qui exprime très exactement le double but essentiel de leur association : étudier tout ce qui regarde la langue et le pays Flamand.

Ils firent appel aux hommes de bonne volonté de toute notre région, et pour mieux marquer qu'ils entendaient coaliser toutes les forces vives de la Flandre maritime, ils composèrent pour leur compagnie un sceau blasonné, où la division territoriale de l'ancien régime est rappelée par les armes des quatre villes et chàtellenies de Bergues, Bourbourg, Bailleul et Cassel, et la division moderne, figurée par celles des chefs-lieux de nos deux arrondissements flamingants , Dunkerque et Hazebrouck (1).

Ce n'est pas en vain, Mesdames et Messieurs, que retentit l'appel de ces hommes convaincus et courageux. Grâce à Dieu les idées justes et fécondes trouvent lourd Bulletin, III, p. 79.


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jours dans notre cher pays Flamand un écho sympathique. Les documents affluèrent. Une vigoureuse impulsion fut donnée aux recherches et aux travaux des érudits. Un Bulletin rendit compte régulièrement des réunions. Les mémoires de longue haleine furent réservés pour une publication spéciale, les Annales. Chaque année qui s'écoulait apportait sa pierre à l'édifice que l'on avait entrepris de bâtir. Au commencement de l'année jubilaire, nous comptions huit volumes du Bulletin, et vingtsix volumes d'Annales. Encore ne sont pas comprises dans cette collection les oeuvres personnelles, en grand nombre, de nos premiers confrères, et une foule de communications, qui. exposées verbalement ne furent jamais couchées sur le papier (1).

Il me serait impossible en ce moment de détailler l'inventaire de ces richesses, Je me contenterai de dire que sur tous les points de notre histoire locale — littérature, langue, droit, institutions laïques ou ecclésiastiques — le Comité, a fourni des documents de grande valeur, et que notre répertoire est classé par tous les savants qui étudient, la Flandre maritime, parmi les sources qui font autorité, et dont la connaissance est indispensable à l'historien.

III

Au point de vue scientifique, comme au point de vue des intérêts sociaux du pays, le Comité Flamand de France n'a donc perdu, ni son temps, ni sa peine. L'organe répondait à un besoin évident : il s'est créé, il a pris

(1) Il faudrait ajouter à cette énumération, l'Almanach publie par les soins du Comité, depuis trois ans. et qui est tiré à plusieurs milliers d'exemplaires.


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conscience de lui-même, il s'est assuré une place dans la lutte pour l'existence.

Mais pour obtenir un tel résultat, il a fallu tout un concours de circonstances favorables, qui peut-être ne se fussent pas rencontrées ailleurs.

D'abord notre compagnie fut placée à son berceau sous le patronage de savants illustres, dont l'étoile déversa sur elle son heureuse influence.

Quels sont les noms que l'on peut lire sur la liste de ses premiers membres d'honneur?

A côté du comte de Montalembert, d'Alfred Maury, d'André Le Glay, du prince Louis Lucien Bonaparte, je vois ceux de Mgr de Ram, recteur magnifique de Louvain, du baron Kervyn de Lettenhove, de MM. Snellaert et Serrure, de Henri Conscience, d'Alberdingk Thym, le critique d'art hollandais, de Jacob Grinim, le rénovateur de la science philologique, de Firmenich, d'Hoffmann von Fallersleben, c'est-à-dire des écrivains et orateurs les plus illustres, qui en France. en Belgique, en Hollande et en Allemagne ont été les chefs de ce mouvement admirable de retour vers l'étude de nos origines, qui sera l'une des gloires les plus indiscutées de ce qu'on appelle le Reimantisme.

Au reste le génie bienfaisant qui veilla sur nos jeunes années, ne cessa jamais de susciter à nos côtés des hommes qui laissaient tomber sur nous un rayon de leur célébrité. Tel Mgr Dehaisnes, l'historien si justement, estimé de l'art en Flandre, M. Léopold Delisle, l'éminent directeur de la bibliothèque nationale, et ces deux morts illustres dont la tombe vient à peine de se fermer : Guido Gezelle, le poète de Bruges, Schaepman, l'O'Connell de la Hollande. Nous regarderons toujours comme une gloire l'honneur de pousser notre petite nacelle dans de tels sillages !


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Derrière ces membres d'honneur, s'avance la phalange compacte des membres actifs : ce sont les abeilles ouvrières, dont le zèle est infatigable et dont l'ardeur ne connaît pas de défaillances. L'éloge n'est pas outré, Mesdames et Messieurs, surtout quand il vise nos confrères de la première période, nos fondateurs, dont hélas ! aucun n'est témoin do notre jubilé.

C'est un plaisir exquis, de parcourir les comptes-rendus de nos séances entre 1853 et 1860 ! Quelle activité, quelle richesse d'aperçus, quelle émulation : c'est presque de la fièvre ; c'est sûrement de l'enthousiasme !

A la fois collectionneurs et écrivains, nos confrères arrivent à chaque séance chargés de butin précieux, parfois enlevé de haute lutte aux Vandales de ce temps là. Ils rassemblent pour notre bibliothèque des milliers d'imprimés et un nombre considérable de manuscrits. Il semble que, comme César, chacun d'eux dans sa sphère n'est point content de ce qu'il a fait, tant qu'il lui reste quelque chose à faire : nil adum reputans si quid superessel agendum. Toutes proportions gardées, il revit en eux je ne sais quoi des hommes de la Renaissance : ils paraissent, apporter une aptitude égale à toute sorte de travaux. Ils ne sont pas un, mais plusieurs. Tels étaient : Prosper Derode ; l'abbé Désiré Carnel; Raymond de Bertrand ; Louis de Baecker ; J.-J. Carlier : Auguste Ricour ; Césaire David ; Constant Thélu ; le chanoine Van de Putte et bien d'autres dont je ne puis rappeler la mémoire. Certes, le développement des sciences historiques et le progrès constant des méthodes, a infirmé sur plus d'un point les recherches de ces érudits. Qui d'ailleurs oserait se vanter d'être infaillible ? Mais, telle quelle. leur oeuvre est d'une variété et d'une richesse incomparables. Et pour ma part je ne puis me défendre d'un sentiment d'admiration profonde, quand je songe à la


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somme considérable de résultats acquis pour toujours, par ces hommes d'élite, à une époque où les moyens de communication et les instruments do travail étaient loin d'offrir aux travailleurs les facilités que notre temps leur octroie avec tant de largesse.

Mais une force merveilleuse les stimulait et décuplait leurs ressources : c'était l'amour passionné de leur pays natal, la conviction de le servir, la certitude de lui être utile, le désir de mettre en un relief toujours croissant la, place qu'il avait occupée dans l'histoire. Avec de tels sentiments au coeur, n'est-on pas sûr de faire oeuvre qui dure ?

IV

Cependant, dans toute entreprise, le zèle et l'initiative des individus ne suffisent point pour assurer le succès. Pour qu'une société s'engage sans péril dans sa voie* propre, en restant fidèle à la discipline des débuts, pour qu'elle s'avance avec méthode et sagesse, en se tenant à égale distance des zèles compromettants et des torpeurs morbides, il faut des chefs habiles et expérimentés. « K-.ç xv.oxvo; sdTio : qu'il y ait une fête ! »

A cet égard le Comité Flamand a été favorisé d'une façon providentielle.

Son premier président et principal fondateur, M. Edmond de Coussemaker (1805-1876) avait contracté de bonne heure le goût des choses de l'esprit et de l'art. A Paris, tandis qu'il suivait les cours de l'école de droit, il avait fréquenté les salons Parisiens, et prêté une oreille attentive aux premiers chants du Romantisme qui naissait alors dans les réunions du Cénacle et le bureau de rédaction du Globe. Pourtant c'était vers la musique et l'archéologie


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plutôt que vers les lettres, que le portait, son tempérament. Il entra dans la magistrature : mais il consacra tous ses loisirs à ses études favorites, et il y mit l'esprit sagace, consciencieux, persévérant et intègre qui distingue le véritable homme de robe. Ces qualités remarquables de sagesse et de pondération étaient un sûr indice de ses aptitudes à la présidence. Il en remplit les fonctions pondant 23 ans. Ce qui lui accordait un ascendant incontesté sur ses confrères, c'était outre un goût pour le travail qui allait jusqu'à la passion, une science extrêmement étendue. On a dit de lui avec, raison qu'il était l'âme de notre' société ; tête qui commande, et bras qui exécute, il réunissait les dons du capitaine et du soldat.

Les 70 travaux qu'il a publiés dans nos Annales, rédigés dans un style austère qui est l'exactitude même, embrassent tout le programme de notre société : ils ont trait à la littérature et à la linguistique, à la musique et au chant, à l'archéologie et à la paléographie, aux institutions civiles et religieuses. Ils peuvent passer pour des modèles du genre.

Mais il y avait en de Coussemaker plus qu'un érudit. Son esprit ne se cantonnait pas dans l'analyse et le dépouillement des chartes. Il aimait les vues larges et les questions d'intérêt plus général. C'est ainsi qu'il composa une monographie des troubles de la Flandre au XVIe siècle.

Plus tard, la musique médiévale, dont l'étude l'avait captivé dès son enfance, devint sa, province, et il s'y installa comme dans son domaine propre. La publication intitulée : Chants populaires des Flamands de France. avait été dans cette voie une tentative heureuse. Bientôt suivirent les éditions, qui furent très remarquées en ce temps, des Scriptores de Musica medii aevi ; son His-


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toire de l' Harmonie au Moyen Age, complétée par l' Art harmonique aux XIIe et XIIIe siècles, les Drames liturgiques et les OEuvres complètes d'Adam de la Halle, le trouvère d'Arras.

Ces oeuvres, qui firent franchir une étape à l'histoire de la musique et de la poésie du moyen-âge, valurent à notre premier président une des plus hautes récompenses que puissent briguer un homme de lettres : il fut nommé membre correspondant de l'Institut de France.

Portée sur des ailes si puissantes, notre compagnie traversa sans encombre la. période de l'adolescence. Il était le garant de son sérieux et des progrès de sa croissance. Elle reçut de lui — pour ne jamais le perdre, espérons-le — cet ensemble d'aspirations, de goûts, de procédés et de traditions, dont le faisceau cohérent forme ce qu'on appelle l'esprit de corps d'une société.

D'autres qualités, Mesdames et Messieurs, distinguaient l'esprit et le tempérament de notre deuxième président, M. Alexandre Bonvarlet (1876-99).

Nous tous, qui l'avons approché de près, conservons le souvenir de sa franche et énergique figure, si bien encadrée dans une barbe vénérable, de son regard empreint, de bonhomie et de finesse, de cette voix un peu rauque mais forte et pénétrante, de sa loyale étreinte qui révélait une âme sincère, un coeur chaleureux, et un esprit enthousiaste jusque sous les cheveux blancs.

Bien que sa famille fût de souche Française, M. Bonvarlet aimait la Flandre Maritime d'une affection passionnée et toute filiale : il est des adoptions qui l'emportent sur les actes de naissance les plus authentiques !

Membre du Comité dès 1855, son activité n'allait subir aucune relâche pendant quarante-trois ans. Doué d'une patience d'ange et d'une mémoire prodigieuse, M. Bon-


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varlet fit de son cerveau une sorte; de bibliothèque vivante, dans laquelle étaient rangés, chacun à. son endroit, les documents les plus variés et les plus curieux. Si l'on possédait le secret de photographier les images spirituelles, l'on eût pris sur le vif. dans l'âme de notre deuxième président, le portrait de la Flandre d'autrefois. Elle y demeurait concrète et animée, telle que l'avaient formée les âges et les régimes successifs, avec sa bigarrure complexe d'institutions et de coutumes, sa riche parure de châteaux, d'églises et d'abbayes, sa lignée de seigneurs illustres, ses laborieuses phalanges de corporations et de sociétés littéraires. M. Bonvarlet s'était assimilé toute son histoire. Ses communications innombrables en constituent autant de feuillets détachés : telles les paroles de Nestor, qui, comme lit neige, en une nuit, couvrent la campagne. Son érudition était incroyable. Parfois même, à l'instar des prodigues, il en jetait les trésors à pleines poignées. Mais nous nous gardions bien de l'en ompêcher : et même lorsqu'il prenait, pour arriver au but, le chemin des écoliers, sûrs de recueillir plaisir et profit, nous ne perdions pas sa trace.

Nommé président en 1876, il en remplit le rôle jusque vers 1898, l'année qui précéda sa mort. Comme chef il aimait à dire qu'il avait choisi pour devise : « le roi règne et ne gouverne pas. » Rien de plus paternel en effet que sa discipline* : il s'ingéniait à dissimuler ce qu'elle a de pénible, est à persuader à, ses confrères qu'elle n'existait pas. La seule peine qu'il nous ait faite, ce fut de nous quitter, trop tôt, hélas! pour les siens, et pour noire société, qui, d'ici lemgtemps, ne réussira point à combler ce vide.

Ainsi, l'un et l'autre de nos présidents, émules par la science, le premier plus apte aux vues générales, le second plus porté à l'analyse et aux détails, tous les deux


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d'un dévouement absolu à nos intérêts, ont dirigé notre compagnie d'une main sûre et prudente.

Toutefois, ce n'est pas tout pour une société d'avoir une tête et des membres, ni même de publier des travaux qui fassent autorité. Il faut, dans une certaine mesure, qu'elle compte avec une puissance à laquelle le mécanisme de la vie moderne ajoute chaque jour un nouveau crédit, et que Pascal appelait, déjà « la reine du monde », je veux dire l'opinion publique. C'est une dame parfois bien capricieuse, et ceux qui sont condamnés à vivre sous sa dépendance entière, sont quelquefois bien à plaindre !... Je n'insiste pas. crainte de me brouiller avec elle. J'aime mieux dire qu'en général elle nous a été elémente. Ce n'est pas que nous ayons toujours esquivé ses boutades d'humeur ou ses petits coups de langue. Mais il n'est que juste de dire que, mieux informée ou remise dans son équilibre normal, elle nous a rendu justice. Il n'y a guère que ceux qui font aux autres des procès de tendance, qui aient l'habitude de leur prêter leurs propres procédés. J'ai beau examiner de près notre histoire ou nos statuts : dans la première, je ne puis découvrir aucune stipulation machiavélique, ni dans les seconds aucun article qui puisse donner prise à de fâcheuses interprétations. Nous n'avons jamais prétendu, nous ne prétendons que faire oeuvre scientifique, dans notre modeste rayon. Parum, sed constanter. voilà notre maxime, dont la sincérité a été maintes fois reconnue par tous ceux qui ont bien voulu s'occuper de nous sans parti pris, et notamment par la presse régionale, cet organe vital de l'opinion, si aimablement représenté en ce jour au milieu de nous.


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V

Dans cet, aperçu historique, vous me reprocheriez avec raison d'accorder une part, trop large à l'idéal, si je n'y mettais que de la lumière vive et des couleurs brillantes. Je ne donnerai pas dans ce travers, et je me garderai bien d'affirmer que le Comité Flamand n'a connu durant les cinquante années de son existence

" Qu'un éternel printemps sous un ciel toujours bleu. »

Cette sénéritè imperturbable ne se rencontre que dans les contes de fées, et j'ai la prétention (excusez-moi) de rester dans le domaine de la réalité vivante.

Donc nous avons connu des jours mauvais.

A l'âge héroïque, qui ne peut durer qu'un temps, succéda l'âge humain proprement dit, qui comporte une part inévitable de difficultés et de traverses. Je laisse de côté celles qui sont pour ainsi dire intimes, et qui dans toute association dérivent de l'originalité des caractères et de la diversité des humeurs. Les conflits de ce genre sont fâcheux, maison s'en accommode sans trop de peine.

Le coup vraiment redoutable qui nous fut porté eut pour cause les néfastes événements de 1870-71. Nous nous rappelons encore — et ce souvenir nous étreint le coeur — le désarroi profond dans lequel fut précipitée alors notre pauvre patrie. Aux horreurs de la guerre étrangère vinrent se joindre les maux cent fois pires de la guerre civile. Le deuil fut universel et égala les ruines qui s'amoncelaient, immenses, sanglantes, sous nos regards inconsolés.

Forcée de se recueillir après cette navrante expérience,


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la France appliqua toutes ses forces à se refaire, à bander ses plaies, et, au prix de mille dangers, issus de l'intérieur aussi bien que de l'extérieur, à remonter la pente où elle avait si brusquement glissé pour tomber si bas.

Tandis qu'elle se livrait, à ce prodigieux travail de reconstitution, la vie publique sembla quitter la périphérie pour refluer tout, entière vers le centre. Le public avait le vague instinct qu'il fallait à tout prix sauver le corps, au risque d'en sacrifier quelques membres. Ce sentiment de conservation était juste, mais cruel. Beaucoup d'institutions en éprouvèrent les douloureuses conséquences.

Le Comité Flamand fut frappé l'un des premiers. Aux environs de 1876, date du décès de M. de Coussemaker, décimé par la mort, le chagrin, le découragement de la majorité de ses membres, il fut sur le point de sombrer.

Déjà, les prophètes de mauvais augure s'apprètaient à tinter notre glas funèbre. Mais ils n'avaient pas compté avec l'énergie des vieux Flamands, qui plient, mais ne rompent pas. Notre président M. Bonvarlet, secondé par un petit groupe de, ses amis fidèles, parmi lesquels je dois citer M. Van Costenoble. mort curé de Flêtre, il y a quelque deux ans, M. Ignace de Coussemaker, l'héritier des traditions et du nom de notre fondateur, résista à la tourmente et ne lâcha point prise. Pendant des années, réduite à sa plus simple expression, cette vaillante troupe déploya une énergie incroyable pour reculer la date de la catastrophe. Sa constance eut enfin raison de la mauvaise fortune ! A partir de 1880, des jours plus heureux commencèrent à luire. Notre pays, cependant, avait repris possession de lui-même, et maintenant plus confiant en l'avenir, il recommençait à prendre* goût aux oeuvres de l'esprit. Le Comité bénéficia de ce regain de faveur.

Le 20 novembre 1888, en ce même hôtel de ville où


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nous recevons en ce jour la cordiale hospitalité, à laquelle nous a habitués le premier magistrat de cette ville, Mgr Dehaisnes, de sa main habile et ferme, donna le coup de barre décisif, qui fit glisser notre barque dans un courant propice, sur des eaux qui allaient de nouveau nous entraîner vers la haute mer.

Après avoir rappelé l'origine, le but, les travaux, l'esprit du Comité Flamand, l'aimable et savant prélat terminait sa, mémorable allocution par ces mots, que je demande la permission de citer textuellement :

« La Flandre maritime a conservé, avec sa langue, son histoire spéciale, comme la Bretagne, comme notre chère et malheureuse Alsace.

» Mais nous voyons dans ses annales, que, depuis plus de douze siècles, excepté pendant les 141 années de la domination espagnole, elle n'a pas cessé d'être une province de la France ; et nous savons être fiers des gloires et des héros de la grande patrie, comme nous associer à ses malheurs, à ses souffrances. Notre, association est volontiers en communication avec ses soeurs, les sociétés savantes de la Belgique : mais elle est Française ; elle porte avec bonheur et fierté, le nom de Comité Flamand de France.

» Nous serions heureux, ajoutait-il, si l'esquisse que nous venons de tracer pouvait contribuer à déterminer un certain nombre de nos compatriotes de la Flandre, membres du clergé ou laïques, à donner leur adhésion au Comité, à prendre part à ses travaux. »

Mesdames et Messieurs, la semence jetée tomba dans une bonne terre, et le désir de Mgr Dehaisnes fut exaucé.

A partir de cette date, notre compagnie reprit, pour tout de bon sa marche ascendante. Ce fut une des grandes joies de mon distingué prédécesseur, M. Bonvarlet, de voir se relever l'institution dont il avait été le plus


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ferme soutien. Cette intime satisfaction fut pour lui et ses compagnons des jours critiques, une légitime récompense. Elle alla grandissant, lorsque parmi les confrères qui prirent alors une influence prépondérante sur nos destinées, vinrent se placer au premier rang deux hommes auxquels, en dépit de leur modestie, je dois aujourd'hui — ainsi l'exige mon rôle d'historien — rendre un solennel hommage. J'ai nommé MM. le chanoine Flahault et Eugène Cortyl, le premier qui fut, et ne cesse d'être, un sergent recruteur d'un zèle inlassable et d'une diplomatie toujours sûre de son succès final ; l'autre qui pendant près de vingt ans, avec un tact et un dévouement qui n'ont d'égale que la courtoisie la plus aimable a rempli les fonctions ingrates de secrétaire.

Tous ces intrépides travailleurs se remirent à l'ouvrage, et les volumes de nos Annales qui parurent sous leurs auspices ne déparèrent point leurs aînés, tant s'en faut !

Ils renferment notamment les précieuses contributions à l'histoire de Bailleul, dont M. Ignace de Coussemaker s'était réservé comme le monopole ; le remarquable Essai de M. Hosdey, sur le statut du Hoop, la Monographie par M. Carnel, du Flamand tel qu'il est parlé à Bailleul (mémoire couronné par la Société des sciences de Lille), les Notices de M. le chanoine Flahault sur les dévotions paroissiales, etc., etc.

J'en passe, et des meilleurs !

Suivant le voeu de Mgr Dehaisnes, laïques et ecclésiastiques, entrèrent dans notre Société : si bien que nous sommes aujourd'hui près de 350. Les uns sont attirés et encouragés par l'attitude bienveillante des administrations municipales des deux arrondissements, qui avec un empressement presque unanime, dont je les remercie de toute mon âme, favorisent la bonne tenue de nos séances,


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en nous ouvrant, à deux battants, les portes de leurs hôtels de ville ou de leurs maisons communales.

Les autres, aujourd'hui plus que jamais, prennent un vif intérêt à nos travaux depuis que Mgr l'archevêque a fondé cette Société d'études du diocèse de Cambrai, qui dans sa jeune vaillance, a commencé la publication d'importants travaux qui lui font grand honneur.

Nos confrères du clergé ont d'ailleurs sous leurs yeux des exemples de persévérance que je me promets de leur proposer : c'est d'abord celui du vénéré doyen de cette ville, qui depuis plus de quarante ans nous apporte son sympathique concours, et que je saluais tantôt avec respect comme le plus ancien membre du Comité Flamand ! C'est ensuite celui de Mgr Delerue, l'enfant dont se glorifie justement Bailleul, qui après quarante années passées eh Angleterre, dans les labours de l'apostolat, garde vibrant dans son coeur l'amour de la Flandre et de notre association.

La nation soeur et voisine, la Belgique, ne cesse pas de nous fournir une élite choisie de confrères : deux fois aujourd'hui nous avons la bonne fortune de les saluer et de les applaudir, puisque l'un des orateurs de cette séance, et le lauréat de notre concours, MM. De Schrevel et Sabbe, sortent de leurs rangs.

VI

Voilà esquissée dans ses traits essentiels la physionomie de notre Société.

Sans mener de bruit, à la vieille façon de nos pères, le Comité a entretenu au sein de la Flandre maritine de hautes et nobles habitudes de coeur et, d'esprit. D'esprit,


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puisqu'il a maintenu parmi nous le goût des études archéologiques et historiques, et qu'à chacun de ses bulletins, à chacun de ses volumes, il a apporté une contribution, grande ou petite, à la reconstitution de notre glorieux passé. Il a été comme une modeste mais utile école de savoir, ouverte à tous les hommes qu'intéresse la connaissance de l'ancien régime.

Mais il a fait plus. Il a vivifié les sentiments qui tiennent le plus fortement, à notre coeur et que nous désignons sous le nom générique de patriotisme, passion sacrée qui nous fait chérir d'un amour inaltérable, au sein de la grande patrie commune, la petite patrie particulière, sa langue, son ciel et son climat, ses collines et ses vallées, ses bois et ses rivières, ses vieilles coutumes et sa toujours jeune religion, — passion qu'il faut nourrir plus que jamais à notre époque, où de nouveaux barbares veulent renverser les barrières qui séparent les peuples, sans souci des maux qu'ils peuvent, déchainer, ni des conséquences funestes d'un nivellement universel qui ferait table rase de tout ce que les provinces et, les pays ont conservé de saillant et d'original.

Et si telle a été la tâche du Comité depuis cinquante ans, pourquoi désespérerions-nous de son avenir?

Demain, comme hier et, aujourd'hui, notre pays aura les mêmes raisons de cultiver son esprit et son coeur, et d'aimer ce qui constitue son essence, ce qui fait, la moelle de ses os.

Qu'on n'aille pas répétant que tout a été dit et que dans les champs où nos prédécesseurs ont fait la moisson, il n'y a plus que de maigres glanures. En vérité, rien n'est plus faux. Il reste de quoi remplir de vastes greniers ! II n'est que de s'imposer la peine de regarder de près, et l'on aperçoit aussitôt des horizons inexplorés. Témoin nos dernières publications : les recherches de M. Finot sur


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les relations de nos ports avec l'Espagne et l'Italie, — la belle étude de M. de Saint-Léger sur l'administration de la Flandre maritime depuis Louis XIV, — l'histoire de Thierry Gherbode, conseiller et premier archiviste des ducs de Bourgogne, racontée par M. Félix de Coussemaker, etc.

D'ailleurs, si l'on a pu dire justement de l'Eglise qu'elle est une éternelle recommençeuse, ne peut-on pas, avec autant de raison, l'affirmer de la science? Le progrès constant des méthodes et la découverte de sources inconnues renouvelle tous les vingt-cinq ans la face des choses. Les générations de travailleurs peuvent se succéder impunément : il y aura toujours de quoi rassasier les plus avides, de quoi contenter les plus difficiles !

Aussi, Mesdames et Messieurs, c'est avec, une entière confiance, que nous nous efforcerons de continuer l'oeuvre entreprise par nos prédécesseurs. Appuyés sur cet esprit d'association, qui, dans le passé a été la cheville ouvrière de la Flandre et qui le sera demain, si nous voulons nous en donner la peine; forts de la sympathie que le public nous témoigne et de la. collaboration de nos chers confrères, jeunes et vieux, qui soutiendront à la. hauteur voulue, notre renom scientifique, nous nous obstinons à croire que le Comité verra de nombreuses années futures s'ajouter à celles qu'il a déjà vécues. Et, en ce qui nous concerne, c'est dans la conviction profonde que nous sommes en parfaite communauté de sentiments avec la Flandre tout, entière, que faisant nôtre la courageuse devise qu'une famille princière a inscrite sur son blason, nous disons en ce jour mémorable, « avec l'aide de Dieu, nous maintiendrons ! »


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Discours de M. le chanoine De Schrevel

Secrétaire de l'évéché de Bruges

MESDAMES ET MESSIEURS ,

Le Président de la Société d'Emulation de Bruges, M. le comte de Limburg Stirum, a bien voulu me déléguer pour assister â la fête du cinquantième anniversaire du Comité Flamand de France. J'ai accepté avec bonheur cette mission honorifique, parce qu'elle me fournit l'occasion de présenter aujourd'hui aux membres de la savante Association jubilaire, les chaleureuses et sympathiques félicitations de leurs confrères de Belgique. Les sociétés historiques et littéraires sont toujours pleines d'ardeur pendant les premières années de leur existence : mais bien souvent, après quelque temps les matières s'épuisent, l'enthousiasme décroit et elles vivotent. Ce n'est pas le cas du Comité Flamand de France. Malgré ses cinquante ans, malgré des circonstances douloureuses pour la patrie française, survenues il y a quelque trente ans, qui l'ont fait ployer un instant sans le rompre, il reste toujours vigoureux et fécond. Le mémoire de M. le Président Looten sur les travaux de l'Association en fait foi. Je souhaite au Comité Flamand de France de maintenir vaillamment le rang qu'il occupe parmi les sociétés savantes ; je souhaite que le second demi-siècle de sa vie soit marqué par des productions encore plus remarquables et plus nombreuses.


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Une autre mission tout aussi honorifique, mais plus lourde, m'a été offerte : celle de vous faire aujourd'hui une lecture. J'ai hésité longtemps avant de l'accepter. Un secrétaire, rivé du matin au soir à son bureau, qui ne dispose que de peu de loisirs, qui ne parle jamais en public, comment oserait-il s'aventurer à prendre la parole d'une manière digne de la fête jubilaire d'un corps savant, dans une langue qui n'est pas la sienne? Je me proposais de décliner ce dangereux honneur, quand M. E. Cortyl est intervenu. « Si l'amitié, m'écrivait-il, pouvait peser de quelque poids dans la balance, je la déposerais sur le plateau. » Le poids de l'amitié a si bien pesé, que je me suis incliné. Si donc, après le vrai régal littéraire que vient de nous servir M. le Président Looten, vous êtes condamnés à me subir pendant quelque temps et à entendre des choses que peut-être vous connaissez déjà, il faut vous en prendre à votre VicePrésident M. Cortyl. C'est lui qui est le coupable.

Invité à vous parler du XVIe siècle, je viens vous entretenir, sous la forme familière d'une conférence, des gloires de la Flandre Maritime et de la Flandre Gallicante à cette époque. Nous ne saurions mieux faire honneur aux membres du Comité Flamand de France qu'en leur montrant comment leurs aïeux prirent une large part au mouvement artistique et intellectuel qui se produisit alors dans le comté de Flandre. Majores vestros cogitale, souvenez-vous de vos ancêtres, disent les anciens. En vous rappelant les noms de vos ancêtres, qui se sont distingués dans toutes les branches de l'activité humaine, vous serez persuadés que vous ne devez pas réserver toute votre admiration pour les progrès réalisés de; nos jours, pour l'ardeur et la ténacité de nos travailleurs modernes; vous serez persuadés que nos devanciers ont aussi quelque droit à notre reconnaissance, vous


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constaterez qu'en bien des matières ils nous ont ouvert la marche et frayé le chemin.

Je ne traiterai que des personnages qui ont vécu entre 1500. et 1600 et qui sont nés ou qui ont passé la plus grande partie do leur existence dans cette partie de la Flandre qui forme aujourd'hui les arrondissements d'Hazebrouck, de Dunkerque, de Lille et de Douai. En limitant ainsi le champ à parcourir, je sais que je m'expose à l'inconvénient de devoir citer des savants qui ont fleuri à la fin du XVe et au commencement du XVIIe siècle ; mais j'échappe à la difficulté plus grande de déterminer quelles célébrités appartiennent exclusivement au XVIe siècle. En outre, cette délimitation nous permettra, d'une part, de répondre par des faits à ceux qui, à tort, attribuent la renaissance des arts et des lettres à la Réforme ; d'autre part, elle nous forcera à saluer avec respect ces hommes dont l'activité littéraire et scientifique a triomphé de toutes sortes d'obstacles et qui ont su produire de grandes choses à une époque où les troubles religieux agitaient notre pays, où les voyages étaient fatigants et souvent dangereux, les communications lentes et difficiles, où la typographie venait à peine de naître et où les éléments d'étude, les livres et les manuscrits étaient non pas réunis dans des bibliothèques, mais disséminés dans les abbayes et les couvents.

Voici, à grands traits, l'ordre que nous nous proposons de suivre. Après avoir parlé de l'art, nous ferons une excursion dans les domaines de la littérature, de la médecine, de l'histoire et de la théologie ; nous jetterons, en passant, un regard sur les universités de Louvain et de Douai ; ensuite nous signalerons les hommes qui se sont illustrés dans les missions, la magistrature, la politique et la diplomatie ; nous finirons par rappeler le souvenir glorieux des enfants de la Flandre maritime et


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de la Flandre gallicante qui ont, été élevés à la dignité épiscopale.

Dans l' art, la musique, la gravure, la sculpture et la peinture ont eu leurs représentants parmi vos ancêtres. Contentons-nous de citer quelques noms d'artistes.

ALARD DUNOYER, dit DU GAUCQUIER (1), en latin NUCAEUS, musicien, né à Lille dans la première moitié du XVIe siècle, fut d'abord chantre de chapelle de l'empereur Ferdinand I, puis de Maximilien II, ensuite de l'archiduc Mathias, alors vice-roi do Hongrie à Presbourg et plus tard roi de Hongrie, de Bohème, et enfin empereur. « Du Gaucquier, dit M. Fétis (2), était un musicien de grand mérite ». Nous avons de lui un ouvrage in-folio intitulé : Quatuor missae, quinque, sex et octo vocum, auctore Alardo Nuceo vulgo Du Gaucquier, Insulano, Sereniss. principis Matthioe Austrii, etc., musicorum praefecto, jam primum in lucem editae. Anvers, Plantin, 1581.

Toutes les parties sont imprimées en regard.

La famille REGNART ou REGNARD, de Douai, se distingua également dans l'art musical. Les quatre frères François, Jacques, Pasquier et Charles Regnard furent compositeurs, comme nous le révèle le recueil suivant : Novae canliones sacrae, quatuor, quinque et sex vocum, tum instrumentorum cuivis generi, tum vivae voci aplissimae, authoribus Francisco, Jacobo, Paschasio, Carolo Regnart fratribus germants. Douai, 1590. Si les positions occupées par les deux derniers sont inconnues, nous sommes mieux renseignés sur la carrière des deux premiers. François fut attaché d'abord, comme simple

(1) Gaucque en patois de Lille et des environs signifie grosse noix.

(2) Biographie universelle des Musiciens, t. III, p. 423. Paris, 1878.


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musicien, à la cathédrale de Tournai. Après y avoir rempli pendant, peu de temps les fonctions de maître de chapelle, il passa au service de l'archiduc Mathias. Nous avons de lui : Missae tres, quatuor et quinque vocum, auctore Francisco Regnardo , Sereniss. Principis Mathiae Austrii, etc., musicorum vice praefecto. Anvers, 1582. —Cinquante chansons convenantes tant aux instruments qu'à la voix, mises en musique, à quatre et cinq parties, par François Regnard. Douai, 1575. — Poésies de P. Ronsard et autres poëtes, mises en musique, à quatre et cinq parties. Paris, 1579. Jacques Regnard devint plus célèbre. Il n'avait que vingtet-un ans, lorsque ses premières compositions furent publiées dans un recueil intitulé : Magnificat secundum 8 vulgares musicae modos a diversis musicis compositum 4 et 5 vocum. Douai, 1552. Chantre à la cathédrale de Tournai, il entra d'abord dans la chapelle impériale de Vienne, puis, en 1570, Roland de Lassus l'appela à Munich, pour la chapelle du duc Albert de Bavière. Vers 1575, Jacques fut rappelé au service de l'empereur, Maximilien II, et après la mort de ce prince, devint second maître de la chapelle de l'empereur et roi de Bohème, Rodolphe II, à Prague, position qu'il occupa jusqu'à ce que l'archiduc Ferdinand priat le roi de Bohême de le renvoyer à Vienne. Quelques années après il retourna à Prague, où il mourut, probablement en 1600. M. Féiis (1) énumère tous les ouvrages de François Regnard. En voici les principaux : Teulsche Lieder mit dreyer Stimmen, nach Art der neapolitanen oder welschen Villanellen (Chansems allemandes à la manière des villanelles italiennes, à trois voix). Munich, 1573. — Sacrae aliquot canliones quas moteta vulgus appellat

(1) Biographie unicerselle des Musicens, t. VII, pp. 199-201. Paris, 1875.


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quinque et sex vocum. Authore Jacobo Regnart flandro Sac. Caes. Majestatis musico, divo Maximiliano II, Romauorum imperatori sernper Augusto consecratae. Munich, 1575. — Aliquol cantiones vulgo motecta appellatae, ex veteri atque novo testamento collectae. quatuor vocum. Nuremberg, 1577. — Newe Kurzweilige teulsche Lieder mit fünf Syimmrn zu singen und auf allerley Instrumenten zu gebrauche (Nouvelles chansons allemandes courtes et agréables à 5 voix, pour chanter ou pour l'usage de toutes sortes d'instruments). Nuremberg, 1580. — Canzoni italiane a cinque voci. Nuremberg, 1581. — Cantionum piarum septem psalmi poenitentiales, tribus vocibus. Munich, 1586. — Mariale, hoc est opusculum sacrarurn cantionurn pro omnibus B. M. V. festivitatibus cum 4, 5, 6. 8 voc. Inspruck, 1588. Les compositions suivantes n'ont été publiées qu'après la mort de Jacques Regnard : IX Missae sacrae ad imilalionern seleclissimarum cantionum suavissima harmonia a, quinque,sex et octo vocibus elabora lac. Francfort, 1002. —Carollarium missurum sacrarurn ad imilalionern etc... a 4, 5, 6, 7, 8 et 10 voc. Munich, 1603. — Motettae 4, 5, 6, 7, 8 et 12 vocibus pro certis quibusdam diebus dominicis, sanctorumque festivilatibus. Francfort, 1005. — Canticum Marioe quinque vocum. Dillingen, 1605. — Magnificat decies oclonis vocibus ad octo modos musicos composition, una cum duplici antiphona, Salve Regina, totidem. vocibus decanlanda. Francfort, 1614.

MARTIN BAES, né à Douai, à la fin du XVIe siècle. mérite d'être signalé comme graveur. Dans l'ouvrage intitulé Le Coeur dévot, d'Etienne Buiset, on trouve de Baes vingt gravures allégoriques, fort remarquables. Un beau portrait représentant saint François de Sales, orne le livre Use Love of God (Douai, 1630), dont le titre


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porte des médaillons emblématiques du même graveur. La 2me édition de La Vie et la mort de vingt-trois Martyrs de l'ordre de Saint François et de trois Jésuites, crucifiés au Japon; des prodiges d'avant et après leur martyre, par Samuel Buirelle (Douai, 1628), est également illustrée d'une belle gravure de Martin Baes (1).

Un nom célèbre dans la sculpture est celui de JEAN DE BOLOGNE, né à Douai en 1524. Son père voulait le faire entrer dans le notariat, mais le jeune homme négligea ses études et se fit sculpteur. Confié d'abord aux soins de l'ingénieur Jacques Beuch, il partit pour l'Italie et obtint la faveur d'être admis â l'école de Michel-Ange. Lorsqu'il en sortit, il était un des artistes les plus habiles, dont le talent mérita les encouragements de personnages illustres, entre autres, des grands ducs Ferdinand et Corne de Médicis. Les oeuvres de Jean de Bologne sont innombrables. Qu'il suffise de signaler les statues de Vénus, d'Esculape, de Mercure volant, de Côme de Médicis ; le groupe de Mercure et Psyché qui décore Versailles ; Hercule terrassant le Centaure, les portes célèbres de la cathédrale de Pise. Le grand maître mourut le 14 août 1608 à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Son corps repose sous l'autel d'une chapelle qu'il avait, érigée dans l'église de l'Annonciation à Florence. Son portrait, peint par Bassan et acheté par le gouvernement français au prix de 12.000 francs, ornait autrefois le Louvre (2).

Passons à la peinture.

Qui d'entre vous ne connaît le fameux retable d'Anchin, conservé aujourd'hui à l'église de Notre-Dame à Douai,

(1) DUTHILLOEUL, Galerie douaisienne, 2e série, p 140. Douai, 1864.

(2) Voir H DUTHILLOEUL, Galerie douaisienne, pp. 36-39. Douai, 1846 ; Eloge de Jean de Bologne par H. DUTHILLOEUL. Douai, 1820, ouvrage couronné par la Société centrale d'Agriculture, Sciences et Arts du Département du Nord.


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admirable polyptyque, composé de neuf panneaux dont, les 254 personnages représentent sur là face extérieure toute la terre vénérant la Croix, et sur la face intérieure tout le ciel adorant la Sainte Trinité? Mgr Dehaisnes nous en a raconté l'histoire. Qu'il me soit permis de résumer ici cette page intéressante.

Les Vandales iconoclastes de 1793 avaient fait transporter à Douai et jeter dans les greniers et la chapelle de l'ancien collège des Jésuites, avec d'autres objets enlevés de l'abbaye d'Anchin, un retable célèbre, peint sur bois. qui, pendant plusieurs siècles, avait orné l'église de ce monastère. Quand le Concordat eut restauré le culte catholique en France, M. Levesque, desservant de Cuincy, demanda à la Commission du Musée s'il ne pouvait pas obtenir un tableau pour son église très pauvre. « Allez au collège des Jésuites, lui dit-on. et prenez-y ce qu'il y a de moins mauvais ». Né au village de Pecquencourt, sur le territoire duquel s'élevait jadis Anchin, l'abbé Levesque avait sans doute entendu vanter le retable de l'abbaye. Il tâcha donc de le retrouver. Mais au milieu des tableaux recouverts de poussière, des planches sculptées, des livres, des instruments de physique qui gisaient pêle-mêle, il ne réussit, qu'à découvrir le panneau central qu'il fit transporter à Cuincy. Il avait fait mettre en couleur la chaire et les boiseries de son église par Marlier, peintre en bâtiments à Douai ; mais il n'avait pas de quoi payer. Que fait-il ? Estimant que le compartiment central du retable, privé de ses panneaux, ne valait guère grand'chose, il l'offre eu paiement à Marlier. Le brave peintre l'accepte et, moins artiste encore que le curé, fait de son tableau une porte pour un petit atelier établi sous le toit de sa maison. Le pauvre tableau conserva cette destination jusqu'en 1832, époque de la mort de Marlier. Le docteur Escallier, qui avait donné ses soins au malade, était un


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amateur possédé de la manie de la collection. Plein de pitié sans doute pour la veuve du peintre, il lui achète quelques mauvaises toiles et demande si elle ne possède plus rien d'autre. La. bonne femme conduit M. Escallier au grenier. Le docteur parvint, quoique difficilement, â découvrir quelque chose sous la couche noirâtre dont la poussière et l'humidité avaient, recouvert le volet. — « Combien en désirez-vous Madame ?» — « Mais rien. M. le Docteur !» — « Oh ça non !» — Eh bien, je vous le cède volontiers pour dix francs. » Escallier lui glisse deux louis dans la main et lait emporter le panneau. Rentré chez lui bien tard, il se met à nettoyeur son acquisition avec le soin et la patience d'un antiquaire. Des anges apparaissent en adoration devant la SainteTrinité. C'est une oeuvre d'art, se dit-il, et il continue son travail, si bien qu'à sept heures du matin il était encore occupé à son tableau qu'il admirait et montrait avec orgueil. Mais qu'étaient devenus les autres panneaux ? La Commission du Musée de Douai les avait relégués dans une des dépendances de son immeuble. Le 1er décembre 1818 , elle vendit à l'encan une foule de tableaux que l'affiche appelle des oeuvres de rebut hors d'état d'être conservés. Les six volets du retable d'Anchin furent vendus en bloc, sans désignation spéciale, et adjugés au prix de 1 fr. 50, selon les uns, ou de 7 fr. 50 selon les autres, à M. Estabel, qui les fit restaurer. M. Escallier, qui les avait admirés plus d'une fois chez M. Estabel, se demanda si ces volets n'étaient pas le complément du panneau acheté à la veuve Marlier. Il se rend chez son ami, prend les dimensions, étudie les personnages et le sujet, et se trouve bientôt convaincu que ce sont bien les diverses scènes d'un même vaste ensemble. « Que voulez-vous de ces peintures? s'écria-t-il. Il me les faut. J'ai retrouvé la partie principale, je veux


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le tout. » — « Trois mille francs », répondit Estabel. C'était trop pour le docteur. Il offre deux mille et quelque chose, avec promesse de payer comptant. « Je viendrai demain matin vous donner ma réponse », dit Estabel. Jugez si Escallier dormit d'un sommeil tranquille ! Avec une impatience fièvreuse il attend son ami. Enfin, on sonne : c'est lui. Estabel vient annoncer qu'il accepte, l'offre de la veille. L'argent était prêt, le marché est conclu. C'est ainsi que. grâce au goût éclairé, à l'initiative et, aux sacrifices du docteur Escallier, furent enfin réunis tous les panneaux de l'une eles oeuvres les plus importantes et les plus belles de* l'école flamande primitive (1).

Quel est l'auteur de cette oeuvre admirable? Longtemps on l'a attribuée à Memlinc. C'est très flatteur pour le peintre. En 1860, Mgr Dehaisnes conjecturait que Jean Gossart, de Maubeuge, ou Gérard Horembault pourrait bien en être l'auteur. En 1862, les archives de la Bibliothèque royale de Bruxelles révélèrent le secret. M. Wauters, archiviste, trouva dans un Mémorial rédigé en 1601 pour l'archiduc Albert, par un religieux d'Anchin, ce précieux passage : Les plus excellentes pinclures sont de la table du grand autel à doubles feuilletz, peinturée par l'excellent painlre Belgambe. En comparant l'écriture du Mémorial avec celle d'autres manuscrits conservés à Douai, Mgr Dehaisnes acquit la certitude que la phrase révélatrice est écrite de la main du grand prieur d'Anchin, dom François du Bar (2). Plus de doute, l'oeuvre ravisssante du retable d'Anchin est due au merveilleux pinceau d'un enfant, de Flandre : Jean Bellgambe de Douai ! Il est vraiment regrettable que ce joyau n'ait

(1) C. DEHAISNES. — De l'Art chrétien en Flandre. Peinture pp. 297-301 Douai, 1860.

(2) A. ASSEMN et C. DEHAISNES. — Recherches sur la vie et l'oeuvre de Jean Bellegambe. peintre douaisien du XVIe siècle, dans la Reçue de l' Art chretien, sixième année, pp. 428-445. Paris, 1862.


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pas figuré à l'exposition des primitifs flamands, à Bruges, comme y a figuré un autre tableau du même maître : la descente du Christ aux limbes (1).

Après ce coup d'oeil, presque furtif, jeté sur les artistes, tournons nos regards vers les hommes qui ont brillé dans la littérature : ils sont légion.

Nous diviserons les humanistes en trois groupes : le groupe des philologues : le groupe de ceux qui ont publié des ouvrages pour l'enseignement des langues anciennes et le groupe de ceux qui ont produit des oeuvres de style. Cette division n'est pas toujours rigoureuse, car bien des humanistes appartiennent en même temps à plusieurs, voire même à toutes les catégories. Bien plus, certains humanistes se sont distingués dans d'autres carrières. En effet, à cette époque, à côté d'hommes de condition modeste, on trouve des nobles, des magistrats, des médecins, des dignitaires ecclésiastiques qui s'intéressaient fort au mouvement littéraire, qui se livraient eux-mêmes avec ardeur à l'étude des lettres anciennes, et se piquaient de connaître les langues, d'apprécier les antiquités et les raretés ; on trouve des membres de la haute société qui prodiguaient les encouragements aux savants et leur fournissaient, avec d'importants secours pécuniaires, de précieux instruments de travail. Si parmi les Mécène qui ont favorisé les littérateurs de notre pays nous comptons Jérôme de Busleiden, fondateur du Collège des Trois Langues à Louvain, Marc Lauryn, de Bruges, Jean van Loo, abbé d'Eversham, vous avez aussi le vôtre, Georges de Halewyn, seigneur de Comines.

(1) N° 352 du Catalogue de l'Exposition. Quant aux autres oeuvres de Bellegambe, voir Revue de l'Art chrétien, 1. c. pp. 434467.


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Mais ne faisons pas de digression, et commençons par le premier groupe, celui des philologues.

Les philologues en s'occupant de la critique, de l'interprétation et de la publication des textes des langues anciennes, ont rendu des services éminents, non seulement à la littérature, mais encore aux sciences. Et ceci s'applique également au grempe de ceux qui ont, publié des ouvrages destinés à l'enseignement.

Tout en facilitant le moyen d'écrire un latin plus correct, ils nous ont ouvert les trésors renfermés dans les ouvrages de langue grecque et de langue hébraïque. Le grec est la langue du Nouveau Testament, des Pères de l'Eglise orientale, d'une fouie de philosophes, d'historiens, de médecins ; l'hébreu est la langue de l'Ancien Testament et aussi des oeuvres rabbiniques dont les Juifs se réservaient la clef avec beaucoup d'orgueil. Vous comprenez dès lors combien les latinistes, les hellénistes et les hébraïsants ont droit à la reconnaissance de l'exégèse, de l'histoire, de la philosophie, de la médecine, etc.

Eh bien, votre Flandre a eu ses philologues.

JEAN STRASELIUS, de Straseele, fit ses études à Louvain. puis à Paris, où il occupa pendant vingt-six ans la chaire de grec au Collège royal de France. On sait que ce collège fut créé par François I, sur le modèle du collège des Trois Langues à Louvain. Straselius mourut en 1556, et nous laissa un travail sur les Aurea Carmina Pythagorae, travail qui fut édité par François Thorius.

FRANÇOIS THORIUS, de Bailleul, à la fois médecin, mathématicien et poète, vécut à Paris dans l'intimité de Denis Harduin. Il publia : Joannis Straselii, Belgae, professoris graeci commentariolus in aurea carmina Pythagorae, cum ejusdem Straselii Epitaphiis. Paris, 1562. Son Carmen de l'ace, 1558, est la traduction de


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l'exhortation à la paix de Pierre Ronsard. Ses Epigrammata et Satyroe sont estimés par Peerlkamp.

PAUL LEOPARDUS (LIEBAERT), naquit en 1510, à Isenberghe, mais passa presque toute sa vie dans la Flandre maritime. Etudiant à Louvain, il s'adonna spécialement à l'étude des lettres grecques, sous la direction de Nicolas Cleynaerts et de Rutger Rescius, et se lia intimement avec le professeur Pierre Nanninck. Rentré en Flandre, vers 1540, il dirigea, au moins pendant douze ans, une école latine à Hondschoote. Il fut appelé ensuite au collège, célèbre à cette époque, de BerguesSaint-Winoc, où il mourut le 3 juin 1567, en présence de son ancien élève l'helléniste Jean Macarius ou l'Heureux. qui lui ferma les yeux. En 1544, il avait achevé un recueil d'observations variées sous le titre de Emendationes et miscellanea. Rescius, qui était sur le point d'éditer le travail de son ami (car il était typographe en même temps que professeur), mourut avant de pouvoir en commencer l'impression. Leopardus, malgré le mérite de son ouvrage, ne chercha plus guère à lui trouver un éditeur; il s'appliqua plutôt à l'augmenter et à l'améliorer et continua ses recherches sur les apophtegmes. Pressé par Nanninck, il se décida à publier une partie de ses études sur ce dernier sujet, à savoir : Vitae et Chriae, sive apophtegmata Aristippi, Diogenis, Democratis. Statonis, Demostenis et Aspasiae. Anvers, 1556, dédié au magistrat de Hondschoote. Ce n'est que plus tard, sur les instances du brugeois François Nans, qu'il consentît à livrer au public son oeuvre principale; mais il n'en vit pas l'impression. La première partie parut sous ce titre : Pauli Leopardi Isembergensis Furnii, Emendationum et miscellaneorum libri viginti. In quibus plurima tam in Graecis quam. in Latinis auctoribus a ne mine hactenus animadversa aut inteltecta, explicantur et


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emendantur. Tomus prior decem libros continens. Anvers, Plantin, 1568, dédié au magistrat de Bergues. La seconde partie, comprenant les dix autres livres, fut publiée en 1004, par Gruter, dans le tome III de la Lampas critica. Quelle est la valeur des Emendationes ? « L'auteur y déploie, dit M. L. Roersch (1), une érudition peu commune ; un grand nombre, de prosateurs grecs : Diodore, Plutarque. Strabon, Polybe, Lucien. Dion. Stobée et Athénée, y sont corrigés en beaucoup d'endroits: son principal procédé de critique est la comparaison : un fait bien constaté par l'autorité de plusieurs écrivains fournit, le moyen de redresser les erreurs contraires. Il applique cette méthode, avec le même succès, à quelques auteurs latins, entre autres à Ovide. Souvent aussi il relève les fautes commises dans les traductions des historiens et des philosophes grecs. Il s'attache à donner la portée des proverbes et à en retrouver la source ; mais il aime surtout à expliquer le sens exact des sentences, bons mots et apophtegmes, et à les rapporter à. leur véritable auteur ». Bien d'étonnant donc que la place de professeur de grec au Collège royal de France lui fut offerte ; sa modestie, jointe à. l'attachement de sa femme au pays natal, lui lit refuser cette position des plus honorables.

NICAISE ELLEBODIUS (VAN ELLEBODE), natif de Cassel. étudia à Padoue, où il prit les grades de maître ès arts et de docteur en médecine. Ses profondes connaissances lui concilièrent la bienveillance du cardinal de Granvelle et, l'amitié de Paul Manuce, de Jean-Vincent Pinelli (2), savant bibliophile napolitain, et d'Etienne II Radetius,

(1) Biographie nationale, t. XI, p. 830. Bruxelles. 1890-91.

(2) M. EM. VARENBERGH. dans sa notice sur Ellebodius (Biographie nationale, t. VI, p. 554) fait, à tort, de Jean-Vincent Pinelli deux personnages, Jean et Vincent.


vice-roi de Hongrie et évêque d'Agria (Erlau) (1), qui le pourvut d'un canonicat dans sa cathédrale. Il mourut à Presbourg, en 1577. Outre quelques poésies latines imprimées dans les Delicioe poëtarum Belgarum de Gruterus, quelques lettres latines sur des sujets scientifiques insérées clans les Epistoloe illustrium Belgarum de Daniel Heinsius et une Epistola ad Carolum Clusium dans les Exercitationes de Thomas Crenius, on possède

de lui : NsaEffio'J ETf-iy-o^iou y.i.\ tpO.ouotpou TTEGI ccuaetoç 3cv0co7rou

fi'.êX'.ov sv. Nemesii episcopi et philosophi de natura hominis liber unus. Nunc primum et in lucem editus, et latine conversus a Nicasio Ellebodio Casletano. Anvers, Plantin, 1565. La traduction d'Ellebodius fut réimprimée à Oxford (2), en 1671, cum annolalionibus, et se trouve aussi dans la Bibliotheca Patrum, édition de Lyon. Cette version, nette et correcte, redresse un grand nombre de passages de l'écrivain grec, mal interprétés par Georges Valla, médecin de Plaisance.

FRANÇOIS RAPHELENGIEN, né à Lannoy, le 27 février 1539, fit ses premières études à Gand. Sa mère, après la mort de son mari, destina son fils au commerce et l'envoya à Nuremberg ; mais le jeune homme s'y adonna à l'étude des langues. Plus tard il fit d'énormes progrès en grec et en hébreu, à Paris, surtout sous la conduite du professeur Jean Mercerus. Les guerres civiles l'ayant obligé de quitter la France, il se retira à Cambridge, en Angleterre, où il enseigna, dit-on (3), les lettres grecques. A son

(1) Agria (Haute-Hongrie) et non pas Egra (Bohême), comme l'écrit M. Varenbergh.

(2) Le même auteur se trompe en traduisant Oxonii (Oxford) par Auxonne, petite ville de la Côte-d'Or.

(3) M. MAX ROOSES CChristophe Plantin, imprimeur anversois, 2me éd., p. 212. Anvers, 1890), observe qu'il est difficile d'admettre ce détail, vu que Raphelengien n'avait que 25 ans lorsqu'il entra au service de Plantin.


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retour aux Pays-Bas, en 1564, il s'arrêta à Anvers pour acheter des livres. Croyant avoir des dispositions pour le métier do correcteur, il s'engagea en cette qualité chez Plantin. Le typographe comprit bientôt combien précieux serait pour lui ce jeune homme dont il dira plus tard, en lui délivrant son certificat d'imprimeur, qu'il était « savant ès-langues latine, grecque, hébraïque, chaldéenne, siriaque, arabe, française, flamenghe et autres vulgaires». Il se l'attacha si bien que l'année suivante il lui donna sa fille Marguerite en mariage. Ce fut surtout dans l'impression de la Bible polyglotte que Raphelengien rendit des serices à son beau-père. Qu'il nous soit permis de dire un mot de cette grandiose entreprise.

Un des grands événements des annales littéraires et typographiques des Pays-Bas, c'est sans contredit l'édition de la Bible royale, en cinq langues (hébreu, grec, latin, chaldéen et syriaque) par Christophe Plantin, avec le concours des savants critiques et des meilleurs orientalistes de l'époque. La maison anversoise rivalisait déjà avec celles des Alde et des Estienne, mais la réédition de la. Bible polyglotte de Complutum (Alcala de Henarès) mise à la hauteur des progrès réalisés depuis, laisse derrière elle, tant sous le rapport du travail intellectuel que sous celui du travail matériel, toutes les autres publications sorties des presses de Plantin, que Baronius n'hésitait pas à appeler le premier imprimeur du monde. Ce travail colossal, chef d'oeuvre de typographie, comprend huit volumes grand in-folio. Les quatre premiers contiennent l'Ancien Testament en hébreu, avec la Vulgate en regard sur la page de gauche, et en grec, d'aprés la version des Septante, avec la version latine sur la page de droite ; la, paraphrase chaldaïque occupe le bas de la. page de gauche, avec sa traduction en face, sur la page de droite. Le tome V donne le Nouveau Testament


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en syriaque, en grec et en latin. Les trois derniers tomes sont consacrés à l'Apparatus, où l'on trouve les variantes du grec, du chaldéen, du syriaque et de la Vulgate, quatre grammaires et quatre dictionnaires hébreu, chaldéen, syriaque et grec, ainsi que des dissertations savantes d'herméneutique, de géographie, de chronologie et d'archéologie sacrée. Malgré les difficultés qu'offrait au point de vue de l'exactitude, l'impressiem des textes hébreu, chaldéen et syriaque avec leurs points-voyelles et leurs accents massoréthiques et avec leur version interlinéaire, l'immense entreprise fut terminée en quatre ans (août 1568 à mai 1572). Tirée à 1213 exemplaires, la Bible royale coûta 300.000 francs, sans compter les 13 exemplaires en parchemin destinés à Philippe II et pour lesquels on employa 10.263 peaux.

Quelle part prit Raphelengien à cette oeuvre gigantesque? Sous la direction d'Arias Montanus, avec les deux Lefèvre, il revoyait tous les textes, les collationnait avec le texte de Complute et les grandes bibles rabbiniques de Venise, choisissait les meilleures leçons, corrigeait les épreuves. Il fournit à l'Apparatus les variantes pour les Targums ou paraphrase chaldaïque (Variae lectiones et annotatiunculae quibus Thargum, id est, chaldaica paraphrasis infinitis in locis illustratur et emendatur), une grammaire hébraïque, (Grammatica hebroea) et l'abrégé du dictionnaire hébreu de Sanctès Pagninus (Thesauri hebraicae linguae olim « Santé Pagnino Lucensi conscripti, epitome). — « En abrégeant le Thésaurus, dit Mgr Lamy, Raphelengien a fait un dictionnaire hébreu à la fois plus complet, plus correct, plus méthodique et plus facile. » — Il collabora également à la correction de la version interlinéaire de l'hébreu de Sanctès Pagninus, qui se trouve aussi insérée dans l'Apparatus (Hebraicorum


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bibliorum veteris Testamenti latina interpretatio, opera olim Nantis Pagnini Lucensis : nunc vero Benedicti Ariae Montant Hispalensis, Francisci Raphelengii, Alnetani, Guidonis et Nicolai Fabriciorum Boderianorum fratrum collato studio, ad Hebraïcam diclionem diligentissime expensa). Dans la préface de la Bible royale, Arias exprime, on termes pleins de chaleur, la grande estime qu'il a pour son principal collaborateur : « C'est, dit-il, un homme de la plus grande activité, d'un zèle incroyable, d'une assiduité non interrompue, d'un esprit clairvoyant, et d'un excellent jugement. Nul ne le surpasse dans la connaissance des langues anciennes ; c'est grâce à son savoir et à son travail, que le grand ouvrage, ce trésor de science et de langues, a pu paraître avec une admirable correction. »

Pendant le séjour de Plantin à Leyde, Raphelengien et son beau-frère, Moretus (Moerentorf), furent chargés du soin de la maison d'Anvers. François Raphelenghien passa les dernières années de sa vie à Leyde, où, depuis 1585, Plantin lui avait cédé son imprimerie. En 1586, il fut nommé imprimeur de l'Université et professeur d'hébreu. Il mourut le 20 juillet 1507, nous laissant encore: Dictionnarium chaldaicum, Lexicon Arabicum, Lexicon Persicum. Il est à regretter qu'à la fin de sa carrière, ce savant homme ait abandonné la foi de ses pères pour embrasser le calvinisme (1).

PIERRE LANSSELIUS S. J., né à Gravelines en 1579, fut, à la demande de Philippe IV, envoyé à Madrid, où il enseigna les langues orientales ; il y mourut en 1632. Il publia les oeuvres de S. Denis l'aréopagite, sous ce titre : Sancti Dionysii Areopagitoe Opera omnia quoe extant.

(1) Voir MAX ROOSES. op. cit.; LAMY, La Bible royale en cinq langues imprimée par Plantin. Bruxelles, 1892.


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Tina cum cjusdem vitae scriptoribus nunc primum graece et latine conjunctim edita. Accesserunt S. Maximi scholia, nunc primum lalinilate donata et Georgii Pachymerae paraphrasis in Epistolas. Omnia studio et opera Petri Lansselii. Gravelingani Societatis Jesu. Presbyteri. Paris, 1615. Nous avons encore de lui : Biblia sacra vidgatae Editionis Sixti V. Pont. Max. jussu recognita alque édita cum scholiis plurimum auctis et emendatis Joannis Marianae et notationibus Emanuelis Sa, Societatis Jesu sacerdotum. Quoe singulis sacri Textus capitibus subjunguntur , et perpetui Commentarii vicem. supplent ; addito Petri Lansselii ejusdem Soc. supplemento. Anvers, 1624. — Dispunctio caluniniarum quac S. Justino martyri inuruntur ab Isaaco Casaubono. Paris, 1616. Au moment de sa mort, il travaillait à la correction de la version des Septante, et à l'explication « das laminas (gravures) que se hallaron (qui se trouvent) en el Sancto Monte de Granada ».

Passons au deuxième groupe, celui des savants qui ont écrit des ouvrages destinés à renseignement des langues anciennes. Outre les grammairiens, les lexicographes, les auteurs de dialogues, de préceptes de rhétorique et d'art épistolaire, de pédagogie, d'exhortations morales pour la jeunesse, nous donnons aussi les chorographes, les archéologues et les épigraphistes. Nous devons, en effet, nous rappeler que la chorographie, l'archéologie et l'épigraphie, qui forment aujourd'hui des sciences spéciales, étaient, à l'époque dont nous parlons, cultivées non pour elles-mêmes, mais pour autant qu'elles pouvaient servir à l'intelligence des écrivains anciens.


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A. — Grammaires, dictionnaires, préceptes de rhétorique, pédagogie, etc.

Saluons d'abord Georges de Halewyn, le riche seigneur de Connues, ce dilettante, ami des lettres, qui savait honorer quicoupue se signalait par son savoir, et dissertait lui-même sur la langue latine.

GEORGES DE HALEWYN naquit au château de Comines, vers 1470. Il était fils de Jean, seigneur de Halewyn (Halluin), conseiller du duc de Bourgogne, et, de Jeanne de la dite, gouvernante de Marie de Bourgogne et de Philippe le Beau, nièce du célèbre historien Philippe de Comines. Il s'adonna de bonne heure à l'étude des lettres latines et grecques et parcourut dans le but de s'instruire. l'Allemagne, la Bohême, la Hongrie et l'Espagne, Vivant à la cour de Charles-Quint, il accompagna, en qualité d'orateur, l'ambassade envoyée par l'empereur à Henri VIII. Plus d'une fois, on l'appela à donner son avis dans les conseils de la couronne, mais il préféra toujours aux honneurs publics le charme des paisibles études. Il aimait.passionnément les livres et avait formé dans son château une bibliothèque considérable d'ouvrages des auteurs classiques et des meilleurs littérateurs de son temps, surtout, de l'Italie. De Halewyn était en relation avec presque tous les savants de son époque : avec Erasme, Louis Vives, Marc Lauryn, Thomas Monts, le cardinal Wolsey, François de Cranevelde. personnages qu'il avait, rencontrés à Bruges ; avec Barlandus. Martin Dorpius et surtout Despautère dont, il était l'ami et le Mécène.

Il écrivit beaucoup d'ouvrages en latin et en français,


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mais la plupart sont restés manuscrits. Il traduisit en français l'ouvrage d'Erasme : Morioe encomium seu stultitiae laus (Eloge de la Folie) et contribua ainsi à faire connaître en France la trop célèbre satire. Georges se cacha sous le voile de l'anonyme, et l'on croit qu'il est l'auteur de l'édition : Erasme Roterodame, de la Déclaration des Louanges de Follie, stile facessieux et profitable pour connaître les erreurs et les abus du monde. Paris, 1520 (1). Plus tard, il écrivit contre les erreurs do Luther un livre en français dédié à Charles-Quint. Cet ouvrage doit être perdu ou devenu d'une rareté excessive, car il n'est connu que par sa. réfutation. Tout en combattant les doctrines du moine apostat, il était tombé dans de nouvelles erreurs. Josse Chchtove, de Nieuport, chanoine de Chartres, qui avait passé des années à défendre le dogme catholique contre le réformateur allemand, ne pouvait laisser passer le livre sous silence. Il entreprit de le réfuter, mais, tenant compte des bonnes intentions de l'auteur, il le fit, avec une grande bienveillance, dans l'écrit dont voici le titre : Improbatio quorumdam articulorum Martini Lutheri, a veritate catholica dissiden tium : et in quodam libello gallico, qui hic discutitur, non satis exacte nec recte impugnatorum. Elaborata per Judocum Clichtoveum Neoportuensem doctorem theologum et canonicum Carnotensem. Paris, 1533.

Georges de Halewyn était meilleur littérateur que théologien.

Son principal ouvrage, dédié à son ami J. Despautère en 1508, et qui ne parut qu'en 1533, est un traité de la restauration de la langue latine. M. de Reiffenberg sem(1)

sem(1) édition ne peut être la première, car déjà en 1517, Érasme remercie de Halewyn d'avoir entrepris la traduction et en demande un exemplaire.


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blait douter de son existence. M. L. Polain fut assez heureux pour en rencontrer un exemplaire, faisant partie, de la bibliothèque de M. Van Hulst. Celui-ci l'a perdu depuis, l'ayant mêlé avec un millier de volumes dont il voulait se débarrasser. Voici, d'après M. Polain, le titre de cette rareté bibliographique : Restauratio linguoe latinae per I). Georgium, Haluini Cominiique dominum edita. Lege, lector. optima: videbis enim desueta. nova et inaudita. Anvers, Simon Coquus. 1533. L'ouvrage est précédé d'un avis au lecteur, indiquant la matière des six livres : 1° De concordia grammaticorum; 2° De, eruditione puerorum, ; 3° De libris per ordinem legendis: 1° De vera elegantia. de arte epistolica ac de puerorum, epistolis primis : 5° De sententiis Ciceronis ex epistolis ejus familiaribus, hujus aetatis epistolis convenientibus ; 6° De puerorum quaestionibus. L'exemplaire vu par M. Polain ne contenait que les trois premiers livres, l'édition finissant par ces mots : Haec de libris legendis sufficiant ; scquuntur tres libri a pueris legendi. Dans la. première partie de ce traité Halewyn expose ses idées sur le moyen d'acquérir le plus sûrement une connaissance exacte de la langue latine. La lecture et l'imitation des bons auteurs lui semblaient plus propres à atteindre ce but que l'étude des règles de la grammaire. Erasme ne l'approuva pas entièrement : « Je ne suis, dit-il, ni de l'avis de ceux qui, méprisant tout précepte, veulent étudier le latin dans les auteurs seuls, ni de ceux qui substituent la grammaire à la. lecture des écrivains : il faut, des règles, mais en petit nombre. » De Halewyn avait déjà exprimé sa manière de voir dans un autre ouvrage, conservé en manuscrit à la bibliothèque royale de Bruxelles : Georgii Haloini Cominiique domini annotationes super Virgilii codicem, cum commentis Servii, Donati et Judoci Badii


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Ascensii, ab ipso Badio Ascensio Parisiis impressum anno a Christi nativitate 1500. L'auteur y tâche de redresser les erreurs de Servius, Donat et Badius qui, dit-il, interprêtaient Virgile d'après les règles de la grammaire. Toutefois, à son tour, il se trompe plusieurs fois dans l'interprétation.

De Halewyn laissa encore en manuscrit, d'après le catalogue des livres de la, bibliothèque de Charles de Croy, duc d'Arschof, prince de Chimay :

Georgii Haloini opusculum de Talis et Tesseris manuscriplum (sur les dés et osselets des anciens) : Oratio quod ars grammalica est impedimentum in lingua latina; l'ormulae puerorum loquendi tam graece quam latine; De vera elegantia et de vestibus Romanorum ; Adolescentiae aetatis pericula, et de ludo pilae ; De Carminibus et versibus opusculum : Super Aretinum, enarratio (sur Pierre d'Arétin) ; Annolationes in Budaeum de asse et ejus partibus scriptae (1) (sur le traité de Budée, concernant l'as, monnaie romaine et ses parties) ; Variae epistoloe et plura alia ; Grammaticalia et annotationes in Plautum manuscriptae ; Varii dialogie manuscripti ; Annotationes in Virgilium manuscriplae ; Animadversiones in Plautum manuscriplae.

D'après Goethals, il composa en outre : De Laudibus eloquentiae; De coronatione imperatorum; De musica. Il cultivait, parait-il, avec zèle et succès, la musique, dont il favorisait les progrès ; il prétendait même en avoir donné des notions neuves.

Georges de Halewyn, qui fut, à juste titre, célébré par ses contemporains comme un grand ami et protecteur des lettres, mourut au château de Comines, en septembre 1536,

(1) De Halewyn entretint à ce sujet une intéressante correspondance avec L. Vivès.


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et fut enterré, selon son désir, à, côté de sa femme, Antoinette de Sainte-Aldegonde, dans le tombeau de ses ancêtres en l'église d'Halluin (1).

JEAN DESPAUTERIUS (VAN SPAUTEREN), bien qu'il vit le jour à Ninove. vers 1460, vous appartient cependant, parce qu'il passa une grande partie de sa vie à BerguesSaint-Winoc et à Comines. Il étudia la philosophie à Louvain. à la pédagogie du Château et en sortit le quatrième sur 103 concurrents, à la promotion de 1501. Il enseigna la rhétorique à la pédagogie du Lis, où il mit en vigueur de nouveaux procédés qui devaient donner à ses ouvrages de grammaire une complète supériorité sur tous les livres alors connus. C'est, là qu'il contracta une étroite amitié avec son collègue Martin Dorpius : c'est, à Louvain encore, que Georges de Halewyn apprit à connaître le célèbre grammairien et lui demanda son amitié. Despauterius se retira bientôt à Bois-le-Duc, où il ouvrit une école latine. Malgré le succès qu'il obtint dans cette ville, il n'y resta pas longtemps ; il préféra rentrer en Flandre pour exercer les mêmes fonctions à BerguesSaint-Winoc. Une syntaxe (Syntaxis Joannis Despauterii, Ninivitoe) conservée à la bibliothèque de Bergues, et dont la préface est datée de cette ville, prouve qu'il y commença à mettre la main au grand ouvrage qui devait immortaliser son nom. Georges de Halewyn entretenait, une correspondance assidue avec le savant humaniste et, vers 1513, réussit à l'attirer à Comines, où il le combla de ses faveurs. Le ludus cominiensis devint célèbre. Despauterius y acheva le travail commencé à Bergues. A côté de sa syntaxis parurent ses

(1) Voir !.. ROERSCH, dans la Biographie nationale, t. VIII, p. 628 ; L. Messiaen, Histoire chronologique, politique et religieuse des seigneurs et de la aille de Comines, t. III, pp. 436 sqq. Courtrai. 1892.


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Rudimenta gramrnatica. (1), sa Prosodia, ses traités De Figuris et de Tropis. Tous ces traités furent réunis plus tard et formèrent les fameux Commentarii grammatici. Paris, 1537; Lyon, 1503. Les traités, tirés à part, sont imprimés dans une foule d'endroits.

Nous avons encore de Despauterius : Ars versifieatoria (traité de versification), dédié à de Halewyn ; Orthographia ; Ars epistolica; De accentibus et punctis et De carminum generibus, Ces deux derniers opuscules sont insérés dans le Centimetrum de Servius.

Le travail de Despauterius qui fit le plus de bruit est sa grammaire latine. Malgré l'opposition formidable qu'il rencontra, le recteur de l'école de Comines, soutenu par Georges de Halewyn, marcha hardiment dans la voie de la réforme et fit tomber dans l'oubli le Doctrinale puerorum d'Alexandre de Villedieu.

Despauterius mourut à Comines, en 1520, et fut enterré en l'église de celte ville, vis-à-vis de l'autel de SaintSébastien. Avant le saccagement de 1566, on lisait cette épitaphe sur sa tombe :

Epitaphium doctissimi

Viri Joannis Despaulerii hujus oppidi ludi magistri

Qui obiit anno 1520

Hic jacel unoculus visu praeslantior Argo,

Flandrica quem Ninive protulit, at caruit (2).

PASQUIER ZOUTERIUS (DE ZOUTERE) de Hondschoote, était maître d'école à Ypres. Nous avons de lui : Miscellanea

(1) A la demande de son ami Jean Vineanus, de Wormhout, qui enseignait à Bergues, il publia une seconde édition des Rudimenta plus intelligible pour les enfants. Elle est dédiée à Vineanus et la dédicace datée de Comines, le 10 décembre 1514.

(2) Voir L. J. MESSIAEN. Histoire chronologique, politique et religieuse des Seigneurs et de la Ville de Comines, t. 111, p. 459, sqq. Courtrai, 1892.


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grammatices. Anvers, 1424 ; Adolescentia sive de contemnenda voluptale et amplexanda virtute, en vers. Anvers, 1521.

PIERRE CURIUS, maître d'école à Bergues-Saint-Winoc, nous a laissé : Grammatical graeca et latina. Anvers, 1530; Dictionnarium graece latine et, teutonice, à l'instar de la Pappa puerorum de Jean Murmellius.

ANTOINE SILVIUS (DU BOIS? VAN DEN BUSSCHE?), do Dunkerque, recteur d'école à Vilvorde, s'est fait connaître par son Compendium grammatices et syntaxeos Despauterianae. Anvers, 1563, et par ses Colloquia puerilia avec traduction française et flamande. Louvain, 1573 ; Anvers, 1581). Le poète Gilles Periander, de Bruxelles, fut un de ses élèves.

PIERRE VAN DE CLAEUS, de Douai, préfet d'école à Gand, puis à Aire, était, versé dans la langue grecque, comme le prouvent ses : Tabulae conjugationum linguae groecae, Gand, Manilius 15...

ANTOINE LAUBÉGEOIS, S. J., né à Douai, en 1572, enseigna le grec et l'hébreu à l'université de Coïmbre, les lettres grecques et latines et ht rhétorique en Belgique. Il mourut à Lille en 1626. Son principal ouvrage est intitulé : 'ïrtn SAÀ*3OÇ W''^ ~.:~o<j.ri seu graecae linguae Breviarium graeco latine, opera Antonii Laubegeois, e Societate Jesu. Douai, 1626.

JACQUES VOLCAERD, natif de Bergues-Saint-Winoc (1), très versé dans la littérature grecque et latine, ouvrit une

(1) Il s'appelle lui-même Bergensis. Jean Second, dans l'épitaphe de Volcaerd, dit : « Primordia vitie Bergn dedit ». Valere André interprète Bergues-Saint-Winoc ; Foppens ne se prononce pas; Paquot, d'après une note manuscrite d'Adrien van Westphalen, fait naître Volcaerd à Gertrudenberg. Jusqu'à preuve du contraire, nous opinons que Berga, sans ajoute, signifie Bergues-SaintWinoc, plutôt que Gertrudenberg ou Berg-op-Zoom.


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école à La Haye. Il eut comme élève Viglius, le futur président du Conseil Privé. En 1521, Volcaerd ayant pris ce jeune homme en amitié l'emmena avec lui à Louvain, où il continua à lui donner des leçons particulières de grec. Le savant humaniste s'occupa jusqu'à sa mort, arrivée vers 1530, à élever des jeunes gens dans les belles-lettres. Le poète Jean Second, également un de ses élèves, pleura sa mort dans une élégie. Le seul ouvrage connu de Volcaerd est intitulé : Oratio de usu Eloquentiae in oheundis muneribus, habita Lovanii in Disputationibus (ut vocant) quodlibeticis, a Jacobo Volcardo, Bergensi. Anvers, 1526.

SIMON CAULIER, né à Flines, professeur de rhétorique au collège de Marchiennes, à Douai, mort à l'abbaye de Loos, publia : Rhetoricorum, ad Car. Alex. Croyum libri V. Douai, 1594.

JACQUES HAUTIN, S. J., né à Lille, à la fin du XVIe siècle, enseigna la philosophie à Douai et passa neuf ans à Lille, en qualité de répétiteur des scolastiques pour les humanités et la philosophie. Il y mourut en 1671. Nous avons de lui : Jacobi Hautini e Soc. Jesu sacerdotis Praecepta Rhetoricae ex optimis quibusque collecta authoribus, et puerorum ingeniis accommodata : Item facilis methodus orationis et amplificationum. Douai, 1640; Lille, 1647; Munich, 1657; Lille, 1669.

Nous parlerons de ses autres ouvrages à propos des théologiens.

NICOLAS BRONTIUS (LE BRON), né à Douai en 1513, s'appliqua aux belles-lettres, à la philosophie morale et à la jurisprudence. Il nous a laissé : 1° Libellas compendiariam, tum virtutis adipiscendae, tum litterarum parandarum rationem perdocens ; bene beateque vivere cupienti apprime utilis, authore Nicolao Brontio.


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Adjecta sunt ab eodem carmina facilem studendi Juri modum tradentia. Anvers, 1541 ;

2° Liber de utilitate et harmonia artium, tum futuro Jurisconsulto, tum liberalium disciplinarum politiorisve litteraturae studiosis utilissimus. Anvers, 1541;

3° Poéma ad invictissimum Caesarem Carolum : Fortuna, atque occasionibus utendum : nec non, composito Religionis dissidio, in Turcas hélium esse suscipiendum. Ejusdem Pocmata tria ad Hannones, quorum ultimum de laudibus Hannoniae. Anvers, 1541.

JEAN CARPENTARIUS (CARPENTIER), né à Illies, recteur d'études à Armentières, écrivit pour la formation des jeunes gens : Decalogica ennaratio ex illustrioribus theologis deprompta. Anvers, 1533.

PIERRE POMERANUS, natif de Cassel, vécut en Italie, où il publia : De ratione instituendi pueros. De studiis sapientiae. Milan, 1542.

JACQUES GAÏUS (DE GAY), natif de Hondschoote, régent du collège de Furnes, dédia au magistrat de cette ville un opuscule portant le titre de : Dies geniales vulgo Bacchanalia, Jacobi de Gay, filii, Hondiscotani. Douai, 1611. L'auteur y attaque vigoureusement le luxe et les excès de table.

B. - Chorographes, archéologues et épigraphistes

JACQUES DE LEUSSAUCH, né à Marchiennes, dans les dernières années du XVe siècle, latinisa son nom sous la forme de Lessabaeus, dont les biographes ont fait Lessabé. Promu au sacerdoce, il devint, en 1530, recteur de la


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grande école de Mons, poste qu'il occupa jusqu'au 17 octobre 1536. Pendant son rectorat il fit paraître, probablement à l'usage de ses élèves : Hannoniae urbium et nominatiorum locorum ac caenobiorum, adjectis aliquot limitaneis, ex annalibus anacephalaeosis. Renias declamatiuncula. Carminum tumultuaria farrago, Jacobo Lessabaeo Marcaenensi auctore. Anvers, 1534. Dédié à Jacques Coene, abbé de Marchiennes, ami et protecteur de de Leussauch, cet opuscule comprend un résumé historique et géographique du comté de Hainaut, un discours où l'orateur fait parler la Pauvreté, et un certain nombre de poésies. Si le recteur de Mons n'est pas grand poète, sa description chorographique du Hainaut a de la valeur. Aussi a-t-elle été réimprimée, en 1844, par le baron de Reiffenberg et traduite en français, en 1885, par G. Decamps et A. Wins, pour la Société des Bibliophiles belges de Mons.

J. de Leussauch mourut à Tournai, en 1557 (1).

PIERRE LE MONIER naquit vers 1552, dans la Pévèle, et se fit recevoir bourgeois de Lille. Après y avoir exercé longtemps les fonctions de notaire, à l'âge de 56 ans il entreprit le voyage d'Italie, (10 mars 1609 — 13juin 1610). Il parait qu'après son retour, il renonça au notariat ; toujours est-il qu'il se fit maître d'école. En 1614, il publia : Mémoires et observations remarquables d'épitaphes, tombeaux, colosses, obélisques, histoires, arcs triomphaux, oraisons, dictiers et inscriptions, tant antiques que modernes, veues et annotées en plusieurs villes et endroits, tant du royaume de France, duché et comté de Bourgogne, Savoye, Piedmont, que d'Italie et d'Allemagne, pour l'exaltation de l'auguste Maison d'Autriche... Lille, 1614. Cet ouvrage, dédié au magis(1)

magis(1) ERNEST MATTHIEU. Biographie nationale, t. XII, p. 35.


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trat de Lille, renferme des particularités curieuses et une foule d'inscriptions qu'on aurait peine à trouver ailleurs. Une élégie faite par Martin Trezel, docteur en médecine, et insérée à la fin du volume, nous apprend que Le Monnier avait composé beaucoup de poésies.

JEAN MACARIUS (L'HEUREUX), né à Gravelines en 1540, mourut chanoine d'Aire en 1604. Très versé dans les langues latine et grecque qu'il avait étudiées à BerguesSaint-Winoc, sous Paul Leopardus, il passa vingt ans à Rome, scrutant les vieux monuments et fouillant avec passion les bibliothèques. Sa modestie égalait son savoir. Aucun de ses nombreux ouvrages ne vit le jour durant sa vie (1). Heureusement, comme il avait connu l'institution de Busleiden, en faisant, à Louvain son cours de philosophie, il légua au collége des Trois Langues tous ses manuscrits. Ses travaux comprenaient d'abord des traductions du grec, à savoir : de Basile, évêque de Séleucie : De vita B. Theclae ; Homiliae in quatriduanum Lazarum ; in proditionem Iudae et myslicam coenam ; in sanctum Pascha ; in Abraham, et Isaac ; Epistola ad Optimum, de eo Scripturae loco juxta LXX « omnis qui occiderit, seplies vindictam exsolvet » ; de Cyrille : Oratio in Transfigurationem ; de Dei-para ; in Hypaepantem, id est, Purificationis diem; de SaintJean Chrysostome : Homilia in Theophaniae diem. Les autres écrits sont des dissertations sur des matières de philologie et d'antiquités : De autiqua scribendi ratione. De natura verbi medii ac fere de tota, natura Verborum graecorum (canevas d'un ouvrage plus étendu) ; Inscriptiones graecae, Macario interprete, cum, notis

(1) M. FRED. ALVIN, dans sa notice sur Macarius (Biographie nationale, t. XII, p. 88) en excepte un seul, mais ne renseigne pas lequel. Il vise probablement l'Abraxas qui fut imprimé 53 ans après la mort de Macarius.


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ejusdem ; Emendatio bibliorum romana ; Abraxas seu Apistopistus... antiquaria de gemmis basilidianis disquisitio ; Hagioglypta seu, commentarius de picturis et sculpturis antiquioribus praesertim quae Romae reperiuntur. L'Abraxas enrichi de notes et de commentaires par Jean Chifflet, chanoine de Tournai, parut à Anvers, chez Balth. Moretus, en 1657. Tous les autres manuscrits se sont perdus dans la suite, sauf celui de Hagioglypta sur lesquels M. Le Glay a donné une notice dans ses Nouveaux analectes, (Lille 1852, pp. 79-83). M. le comte Lescalopier les a publiés avec une préface et des notes du P. Garruci, sous ce titre : Hagioglypta, sive Picturae et sculpturae sacrae antiquiores, explicatae a Joanne l'Heureux (Macario). Paris, 1856.

Nous en sommes arrivés au troisième groupe, celui des humanistes qui ont produit des oeuvres de style en prose ou en vers.

Vous remarquerez la stérilité de la littérature flamande à cette époque. Elle s'explique malheureusement trop bien par les événements. La langue flamande s'était abâtardie sous le règne des ducs de Bourgogne; elle déclina encore sous le gouvernement de Marguerite d'Autriche. L'influence française, sous ces régimes, fut tout à fait, prépondérante. Dans cet abaissement général de la langue, un seul genre s'était maintenu pour ainsi dire intact et à l'abri de cette influence : c'était le chant populaire simple et naïf, cultivé par les rhétoriciens. Or, les chambres de rhétorique se distinguaient alors par un esprit frondeur et indépendant. Elles s'abstenaient dans le principe d'attaquer et de ridiculiser la religion ellemême ; peu à peu, cependant, les doctrines de la réforme s'infiltrèrent chez elles, et leurs productions ne tardèrent pas à s'en ressentir. Les rhétoriens furent rigoureusement surveillés, et des peines graves prononcées contre


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ceux qui ne se comportaient pas avec la réserve nécessaire. Plusieurs membres des anciennes chambres de rhétorique s'unirent à la cause des provinces révoltées, et le mouvement littéraire émigra, avec les exilés, en Hollande (1). Vous constaterez également que je ne parle pas do poésie française. C'est parce que vos poètes de langue française ne sont point nombreux et qu'on peut dire en général de leurs productions, ce que dernièrement M. H. Potez (2) affirmait au sujet de celles des Loys, de Douai, de Jean Rosier, né à Orchies et curé d'Esplechin, etc. : « I'aucissima bona, milita mediocria, plura etiam mata. Il y a très peu de bon, beaucoup de médiocre, môme du mauvais. »

Par contre, le XVIe siècle est le commencement de l'âge d'or de la poésie imitée des classiques latins. Même au milieu des troubles qui agitèrent si violemment notre pays, le Comté de Flandre a produit toute une pléiade de poètes néo-latins; c'étaient, des jurisconsultes, des moines, des ecclésiastiques, des maîtres d'école, voire même des hommes d'épée qui consacraient leurs loisirs à cultiver les Muses. Votre région participa largement à cette elllo— rescence littéraire qui a préparé les Hosschius et les Becanus du XVIIe siècle. Nous allons énumérer vos poètes, en appuyant toutefois sur ceux qui ont brillé d'un éclat plus vif. Nous rencontrerons aussi quelques écrits en prose.

A. — Poètes et Prosateurs

ETIENNE COMES (DE GRAVE, LE COMTE?), né à Cassel, à la fin du XVe ou au commencement du XVIe siècle, prêtre

(1) NAMÈCHE, Cours d'Histoire nationale, t. XXI, p. 278.

(2) H. POTEZ. Qualis floreret apud Duacences res poetica, gallice scripta, quum universa scbola a Philippo secundo condita vigere inciperet, p. 163. Douai, 1897.


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et pendant plus de vingt ans secrétaire du chapitre de Saint-Donatien à Bruges, s'adonna avec succès à la poésie latine. D'après ses biographes, il avait un réel talent et sa versification est élégante et d'une tournure agréable. Nous avons de lui : Sylvula carminum et sanctologion Flandriae. Bruges, 1544; Carmen heroicum Stephani Comitis Bellocassii (1) de suffragiis Caesaris Caroli ad imperium, à la suite d'une harangue faite par l'auteur et intitulée : Reverendi in Christo Patris Domini Petri Submontani, Abbatis Dunensis, una cum clarnssimis heroibus Domino Lodoyco a Elandria Gandavorum Praelore, Domino Guidone Blasfeldo el Nicolao Bousingo in Hispaniam ad catholicum regem legati; oratio partim consolatoria (relative à la mort de l'empereur Maximilien I) partim gratulatoria (relative à l'avènement de Charles-Quint), 1520. Peerlkamp donne comme échantillons eles poésies de Bellocassius ; 1° sur la mort de Louis Vives :

Quando igitur mini non licuit te corpore vivum Servare, efficiam nomme, Vives eris.

2° à l'occasion de sa désignation par le sort comme roi d'une société :

Sors regem fecit, comitem stirps patriae : neutrum Res ; tamen hsec aliquid sors mihi credo notat. Suspicor ut regerem me : verus sic ego tandem Rex ero, Socraticis dignus honore viris.

JÉRÔME DU MORTIER, né à Lille vers 1520, de parents nobles, s'adonna d'abord à la jurisprudence, puis aux belles-lettres. Il mourut de la peste dans sa ville natale,

(1) Cornes s'appelle lui-même Bellocassius, faisant allusion aux noms de Bailleul (Belle) et Cassel.


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vers 1580. Après sa mort, on publia : Nobilis viri D. Hieronymi du Mortier Insulani poemata posthuma. Arras, 1620, où nous trouvons les rubriques suivantes : Destudiis auctoris. De rébus bello gestis. De Bacchanalibus. De funeribus. De amore et odio. Dans De rebus bello gestis, l'orateur célébre la victoire de Gravelines, et, à cette occasion, reçoit une lettre élogieuse de son parent Auger de Busbecq.

FRANÇOIS HAEMUS (HÉME), né à Lille, en 1521, fréquenta pendant six ans le gymnase dirigé par Jean Hantsaeme, à Gourtrai. Il y apprit le latin, le grec et s'appliqua surtout à la poésie latine. Il continua ses études, d'abord, en 1536, à Lemvain, puis à Paris et à Orléans. Rappelé à Conrtrai par son ancien maître, il exerca sous lui les fondions de vice-recteur. Après six ans, il ouvrit luimême une école latine dans un faubourg de la ville, devint prêtre, et se voua pendant trente, ans à préparer de fortes générations d'humanistes, de philologues et de jurisconsultes. Ne se voyant plus en sûreté dans les environs de Courtrai, ravagés par les calvinistes, et sentant ses forces décroître, Haemus se relira en 1570, dans la ville même, et acheta une petite maison pour y donner renseignement à un petit nombre d'élèves. Les troubles grandissant, il se réfugia chez Antoine Meyer, son ami, à Arras ; il revint à Gourtrai quand le calme fut rétabli et y mourut le 3 septembre 1585, laissant à Meyer cinq volumes de notes sur Horace, Virgile, Ovide et le poète Jér. Vida.

Hème était lié d'amitié et avait un commerce suivi de lettres avec les savants et surtout avec les poètes de sent temps. Citons : Jean van Loo, abbé d'Eversam, son Mécène, les deux De Meyere, Jacques, l'annaliste et Antoine, régent des humanités à Arras, Jean Lacteus, régent à Lille, Pierre de Pape, régent à Menin, Jacques


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Sluper et Simon Mantaeus prêtres et poètes, Jean van Gheesdael, recteur de l'école de Notre-Dame à Anvers, Adolphe van Meetkercke, helléniste, Arnould Cabootere, médecin et poète brugeois, établi à Courtrai, André Pevernage et Adrien Pichart, musiciens, Mathias de Lobel, médecin et botaniste.

Sans avoir une grande élévation poétique, Haemus écrivait un latin fort pur et tournait ses vers avec aisance. Nous avons de lui :

1° Francisci Haemi, Insulani, sacrorum hymnorum libri duo. Ejusdem variorum carminum sylva una. Lille, 1556 (mais imprimé à Paris, chez Fezandat). Le premier livre des hymnes sacrées contient la paraphrase de quelques psaumes de David ; le second, des hymnes en l'honneur des saints. Ses mélanges (Sylva) contiennent des pièces traduites du grec, par exemple le Dialogue de Vénus et de Cupidon; des poésies fugitives adressées à ses amis ; des poésies appartenant au genre erotique et bachique, mais où l'on ne rencontre pas un seul vers qui puisse blesser l'oreille la plus délicate ; un long poème sur l'incendie qui détruisit près de trois cents maisons à Lille, en 1545 : Fortuilum Insulensis urbis incendium.

2° Poémata Francisci Haemi, Insulani, ad Rever, patr. D. Joannem Loaeum praepositum Eversamensem jam primum in lucem edita. Anvers, Plantin 1578, dédié à son ami et protecteur, l'abbé van Loo. On y trouve deux livres de Funebria, composés à l'occasion du décès de quelques personnages flamands,de l'époque, et trois livres de Carmina en mètres variés qui sont également inspirés par des faits contemporains et offrent ainsi un interêt historique. Les pièces les plus remarquables sont : la victoire des Français à Landrecies en 1543; le sac de Térouanne en 1553; la victoire de


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Lépante en 1571 ; la paraphrase en vers élégiaques du traité d'Erasme De civilitate morum puerilium (1).

HUBERT CLERIOUS (LE CLERC), né à Lille en 1531, mort en 1615, prêtre attaché à l'église Saint-Pierre, nous est connu par ses paraphrases des psaumes pénitentiaux ; ses élégies et épitaphes réunies dans : Poësis sacra. Tournai, 1610. C'est lui qui composa l'épitaphe de son compatriote François Haemus.

JACQUES SLUPER, naquit à Bailleul en 1532. Ses parents quittèrent cette ville pour s'établir à Herzeele. Après avoir terminé ses études à Merville sous Jacques Marcotte, il suivit les cours de philosophie et de théologie à Louvain. Promu au sacerdoce, il fut nommé chapelain à Boesinghe où il séjourna de 1555 à 1566. Durant, la persécution des gueux, après le saccagement d'Ypres (15 août), il se retira dans cette ville, tomba bientôt entre les mains des sectaires, fut jeté en prison et enfin exilé. Sluper chercha un refuge à Arras auprès de son ami Antoine, De Meyer. Le calme étant momentanément rendu à la Flandre, il rentra à Ypres et devint bientôt chapelain à Westvleteren, village situé non loin de l'abbaye d'Eversam, dont nous connaissons déjà le prévôt, Jean van Loo, le Mécène de tout ce que le pays comptait d'hommes érudits. Inutile de dire que Sluper jouissait de l'amitié et de la protection de van Loo et des moines d'Eversam cultivant les Muses. De nouveaux troubles survenus en 1578 forcèrent le chapelain de Westvleteren à prendre le chemin de l'exil. Il fut de rechef recueilli à Arras, chez Antoine De Meyer, où il trouva son ami

(1) VAN DE PUTTE. Etudes sur la littérature latine dans la W estFlandre au XVIe siècle, dans les Annales de la Société d'Emulation, t. XXVIII, pp. 75-93; L. ROERSCH, Haemus (François) dans la Biographie nationale, t. VIII, pp. 604-606; ALPH. ROERSCH, Correspondance inédite de Loaeus, abbé d'Eversam. Gand, 1898.


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François Haemus. Il ne quitta plus la capitale de l'Artois et y mourut le 1er août 1602.

Jacques Sluper occupe parmi les poètes latins du XVIe siècle une place très honorable. Il maniait le genre pastoral en imitation de Virgile ; l'élégie d'après Ovide lui était familière, et, imitateur d'Horace, il se plaisait dans le genre lyrique en composant des odes de formes diverses. Toutefois il réussit mieux dans ses Eglogues ou Pastorales que dans ses pièces lyriques. Ses odes ne brillent pas par la lucidité des expressions et il s'y laisse aller quelquefois au rythme rimé. Vrai paysagiste dans ses Pastorales, il décrit admirablement les sites, les moeurs et les coutumes des campagnards, l'instinct des animaux; son style y est simple, facile et coulant, d'une latinité pure qu'on voudrait rencontrer dans ses autres oeuvres. Comme François Haemus, il est toujours pudique, et rien, dans les sujets délicats, n'est capable de blesser le coeur le plus chaste.

Ses oeuvres, imprimées de son vivant, sont au nombre de trois :

1° Jacobi Sluperii poëmata, nunc primum in lucem édita. Anvers, 1563. Nous y trouvons deux livres d'élégies ; deux livres de vers fugitifs; deux églogues, l'une sur Henri II, roi de France, l'autre sur l'entrée solennelle de Martin Rithovius dans sa ville épiscopale d'Ypres, le 11 décembre 1562, etc.

2° Omnium fere gentium nostraeque aetatis nationum habitus et effigies. In eosdem Joannis Sluperii epigrammata. Adjecta ad singulas Icones gallica tetrasticha. Anvers, 1572. Cet ouvrage dédié à Jean VVynter, secrétaire de la châtellenie de Bergues-Saint-Winoc, est devenu extrêmement rare. Au recto de chaque feuillet une gravure sur bois représente le costume d'une personne, gentilhomme, bourgeois, soldat, etc., de l'un ou de


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l'autre pays. Le verso comprend, en vers, l'explication de la figure en regard.

3° Jacobi Sluperii, Herzelensis, Flandri, poëmata. Anvers, 1575. Ce volume, dédié à l'abbé Jean van Loo, est une édition considérablement augmentée des Poëmata de 1563. Il contient un livre d'hymnes ; sept eglogues, dont une sur la mort de François Richardot, évêque d'Arras ; un livre d'épîtres à ses amis ; un livre de Pastorales ; son Hortulus Eaf.voc, (Jardin du printemps) suivi d'un appendice de lettres, d'épigrammes, adressées à Sluper par ses amis et de réponses qu'il leur fit. La dernière pièce en vers de cette édition est, une lettre de l'auteur à son livre, Ad librum. Il y fait une sortie violente contre les gueux. Il n'a pas d'expressions assez dures pour condamner les cruautés des sectaires. Rien d'étonnant : ils avaient massacré son père, vieillard vénérable de 82 ans; après l'avoir transpercé de leurs glaives, ils avaient brûlé son corps mutilé. Ce crime fut accompli le 20 juin 1570, jour auquel fut assassiné également le curé d'Herzeele, Jean Vierendeel.

Pour vous donner une idée du monde littéraire à cette époque, citons quelques noms de personnes auxquelles Sluper adresse ses lettres ou ses poésies et de personnes qui lui répondent ou dont de petites pièces de poésie sont insérées dans les Poëmata. Dans la première catégorie, viennent: Jean van Loo, abbé d'Eversam, son Mécène; Jacques Marcotte, ancien maître de Sluper à Merville ; Aimé Goemare, son ancien condisciple à Merville; Antoine de Meyere ; Corneille Wagemakere, bailli de Reninghe ; Galerand Mammcsius, poète à Ghyverinchove ; Jérôme Claysone, jurisconsulte et poète à Bruges ; Jacques de Bryarde, bourgmestre du Franc de Bruges ; Jacques Marchant, historien et poète à Nieuport ; Jacques Yetziveert, poète à Bergues ; Jean Coterius, curé de


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Saint-Jean, à Ypres ; Josse Hugezoone, recteur du collège d'Ypres ; Martin van Loo, docteur en médecine, à Dixmude ; Adrien Hooge, curé à Reninghe ; Jean Morgat, chanoine régulier à Voormezeele ; Louis de Leuze. bourgmestre de Furnes ; Marius Laurier, libraire et poète, à Ypres; Martin Descailles, docteur en médecine, à Louvain; Nicaise Grizel, officiai de l'évêché, à Ypres; Olivier Ymeloot et Salomon Faber, poètes yprois. A la seconde catégorie appartiennent (1) : François Baudimont, de Dixmude; Charles Liebaert et François van Houtte, de Langemarck ; Gautier Cools, de Zonnebeke ; Jacques Mayus, de Poperinghe ; Adrien Damant, de Gand ; Gautier Moons, chanoine d'Ypres ; François Haemus ; Jacques Belchiere, d'Ypres ; Nicolas de Leuze, docteur en théologie, à Louvain, ancien professeur de Sluper.

Après la mort de Sluper, parurent, par les soins de Philippe de Meyere : Elogia virorum bellica laude illustrium carminé descripta. Adjecta sunt in calce nonnulla ad amicos epigrammala. Arras, 1603.

Hymnus in honorent D. Vadasti, atrebatensium episcopi, omni genere carminum redditus. Arras, 1603.

Les ouvrages suivants sont restés inédits :

De bello Tunetano libri XII. Il paraît que c'est l'oeuvre capitale de Sluper, dédiée à Ferdinand de Carvaque. Peutêtre sont-ce les frais ou la crainte de ne pouvoir écouler les exemplaires à cause des troubles, qui ont empêché l'auteur d'en hasarder la publication. Bucolicorum liber. — Bellum Rossemicum circa Antverpiam et Lovanium gestum, carminé heroïco descriptum. — Martyrium S. Vincentii, levilae, carminé heroïco descriptum. — Catalogus omnium pêne poëtarum priscorum et recentiorum, versu phaleucio. — Sacrorum hymnorum

(1) Outre ceux dont les noms sont en italiques.


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liber unus. — Descriptio omnium opificum. —Miscellanea et Eclogae circiter ducentoe (1).

JACQUES YETZWEIRT naquit à Bergues Saint-Winoe, de parents nobles mais peu riches. Il s'adonna d'abord, raconte-t-il lui-même, à la poésie latine. Jacques Marchant affirme qu'Yetzweirt a composé de belles élégies qui n'ont pas vu le jour. Dans les poëmata de Sluper (éd. de 1575) nous trouvons deux de ses lettres au poète bailleulois, la première en vers hexamètres, datée d'Ypres, le 28 décembre 1503, au retour d'un voyage en Ecosse ; la seconde, en forme d'élégie, datée de Bergues, le 28 mars 1568. Vers cette dernière époque, il se fit soldat. Du 10 octobre 1572 au 17 mars 1573, il était en garnison à Auelenarde, comme porte-drapeau sous le commandement de Wychuisen ; puis nous le rencontrons à Gand. Un jour qu'il était invité chez Ghislain Timmerman, abbé de Saint-Pierre, celui-ci lui montra un mémoire que l'archiprêtre Pierre Simoens, à la demande de l'évêque Corneille Jansenius, avait composé sur la surprise d'Audenarde par Jacques Blommaert (7 septembre 1572). Le prélat, voyant que Yetzweirt goûtait l'écrit, l'engagea vivement à le mettre en vers. Le soldat s'excusa d'abord, disant que le métier des armes était incompatible avec la poésie ; toutefois il n'osa pas résister jusqu'au bout, à son bienfaiteur. Le poème parut en décembre 1573, sous ce titre : Aldenardias sive de subdola ac furtiva Guesiorum in civilatem Aldenardensem irreptione, inauditisque ibidem flagitiis designatis, de senatus civiumque laudabili fide et constantia, sacerdotum, postremo cruentis martyriis et turpissima Guesiorum fuga Poëma, auctore Iacobo Yetzeweirtio Flandro. Anvers, 1573. C'est

(1) VAN DE PUTTE. Etude sur la littérature latine dans la WestFlandre au XVle siècle, dans les Annales de l'Émulation, t. XXVII, p. 361 sqq.


un poème de 2382 vers, dédié à François de Halewyn, seigneur de Sweveghem, gouverneur d'Audenarde. « La pièce, dit Paquot, est d'un style assez coulant et d'un latin passable ; niais je n'y vois ni poésie, ni élévation ". Quoiqu'il en soit cette oeuvre a une véritable valeur historique. C'est le motif pour lequel M. Adrien Desmet l'a publiée dernièrement dans son travail : De morte quinque sacerdotum qui Aldenardae in scaldim a silvestribus guesiis demersi perierunt anno post Christum natum MDLXXII. Bruges, 1881.

Je ne parlerai pas de Jacques de Meyere. Feu M. Bonvarlet, Président du Comité flamand de France, a fourni une docte notice sur l'historien et M. l'abbé Looten, votre Président actuel, l'a si bien dépeint comme poète, à l'occasion de l'érection d'un monument au célèbre enfant de Flêtre. Disons toutefois un mot d'Antoine, neveu de Jacques.

ANTOINE DE MEYERE, né à Flètre vers 1527, successivement précepteur de gréc à Louvain, recteur d'humanités à Tirlemont (3 ans), à Cambrai (7 ans), et à Arras (27 ans), était l'ami intime de François Haemus, de Jean Sluper, d'André Hoius. Il nous a laissé :

Cameracum, seu urbis et populi Cameracensis Encomium. Anvers, 1550.

Isocraiis Paroenesis ad Demonicum, latine versa ; cum quinto libro Epigrammalum graecorum. Cambrai, 1501.

Ursus, seu vila D. Vedasli Episcopi Atrebatensis, in libros III divisa. Paris, 1580.

Threnodia,seu illustrium aliquot virorum Epicediae et tumuli. Arras, 1594.

On cite encore de lui, sans indiquer la date d'impression :

Cato christianus, sive institutio paroenetica ad pietatem in libros X digesta ; — Comités Flandriae ex


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Anualibus Jacobi Meyeri, versu heroïco; —Sententiae B. Nili, episcopi et martyris, egraecis latinae factae (en vers); — Quatuor hominis novissima; — Strenae ad amicos; — Jaunis Austriaci Victoria de Turcis ad Naupactum relala ;— Epithalamia sacra et profana. Ses ouvrages inédits sont : Epigrammalum liber:

— Annotationes in libros Hesiodi ~to: spyx; ■/.%: 'r,\j.içxs ;

— Anagrammata, celebrioribus discipulis dicata ; — De cruce, ejusque religiosa adorotione; — Miscellaneorum volumen.

Antoine eut un fils, également,poète, à savoir Philippe; mais celui-ci étant né, à Arras, il sort de notre cadre.

JEAN DE SAINT-LAURENT, né à Douai, doyen de la collégiale de Lens, professeur royal de grec à l'université de Douai, décédé en 1616, nous a laissé : Oratio funebris in obitum Rev. D. Joannis Miraei IV Antverp. Episcopi. Douai, 1611.

GILLES BAVARIUS (DE BAVIÈRE), S. .T., né à Lille, en 1550, et mort à Gand, en 1027, fit dans sa jeunesse une étude particulière de Virgile, comme nous en trouvons la preuve dans ses ouvrages : 1° Musa catholica Maronis, sive catechismus Maroniano carmine expressus a R, P. Aegidio Bavario, Societalis Jesu jubilario. In gratiam luventutis poeticae artis studiosae. Anvers, 1022. C'est le catéchisme en vers virgiliens ; 2° Passio Domini Nostri Jesu Christi. versibus lieroïcis potissimum ex Marone concinnatus. Anvers, 1625.

ANTOINE DU JARDIN, S. J., né à Lille, en 1685, et mort à Liège, en 1633, fut professeur d'humanités. Après sa mort, on publia : Jacobi Jardinii Insulensis e Soc. Jesu Elegiarum sacrarurn libri tres. De arte forensi libri duo. Opus posthumum. Douai, 1630, 1639; Munster, 1636; Anvers, 1636.


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JEAN VINTART, S. J.. né à Lille, en 1593, et mort à Tournai, en 1679, professa les belles-lettres et la langue grecque. Il se fit favorablement connaître par ses poésies latines, parmi lesquelles nous trouvons : Joannis Vincartii Gallobelgae Insulani e Societate Jesu Sacrarurn Heroidum Epistolae. Tournai, 1040; J. V..., De cultu Deiparae libri tres. Lille, 1648. Ce sont des élégies sur le culte de la Sainte Vierge, que l'auteur a traduites en français, en prose et en vers. Nous avons encore de lui : Elogia Mariana, alphabelicis litteris ordine digesla, Sacrae scripturae, Sanctorum Patrum ac Theologorum, sententiis necnon moralibus documentis illustrata. Tournai, 1658 ; Eloges alphabétiques de la Sainte Vierge. Tournai, 1661. L'auteur s'est plu a écrire la vie des saints, qui ont porté le nom de Jean : Vita D. Joannis Chrysostomi archiepiscopi Constantinopolitani et documenta ad formandos mores ex ejusdem operibus deprompta. Tournai, 1539; Vitae SS. Joannis Eleemosynarii Climaci et Damasceni . Cum documentis moralibus. Douai, 1050; Vitae SS. Joannis Baptistae et Evangelistae cum, documentis moralibus. Tournai, 1051. Signalons encore parmi les nombreux ouvrages élu P. Vincart (Sommervogel en cite 22) un travail qui doit vous intéresser : Jo. Vincartii lnsulanii e Soc. Jesu B. Virgo Cancellata in insigni ecclesia Collegiata D. Petri Insulae cullu et miraculis celebris. Lille, 1030. C'est l'histoire de Notre-Dame de la Treille à Lille.

B. — Dramaturges et Tragiques

PIERRE LIGNEUS (VANDEN HOUTTE), naquit à Gravelines vers 15.20, fit ses études de philosophie et de droit à Louvain, et obtint le grade de licencié en 1554. Après avoir donné dans cette ville, pendant plusieurs années, des


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leçons particulières de jurisprudence, il se retira à Anvers, où il passa le reste de ses jours dans la pratique du barreau. Humaniste en même temps que jurisconsulte, il nous a laissé : Dido, Tragoedia ex libris Aeneïdos Virgilii desumpta : auctore Pet. Lignco Gravelingano: adjectis ab codem in quatuor priores libros Aeneïdos nonnullis annotatiunculis. Anvers, 1559. Cette tragédie fut représentée à Louvain le 0 mai 1550.

BERNARD EVERARD, d'Armentières, nous laissa : Salomon. Comoedia sacra aliaque carmina. Douai, 1501.

ADRIEN ROULERIUS (DE ROILERS), né à Lille, religieux de Marchiennes, enseigna la, poésie au collège de Marchiennes, à Douai, et mourut curé de St-Sauveur, à Lille. Il publia : Adriani Roulerii Insulani, Stuarta, Tragoedia, sive Caedes Mariae serenissimae Scotorum Reginae in Anglia perpetrala. Exhibita ludis remegialibus a Jurentute Gymnasii Mareianensis... Douai, 1593. Cette pièce, dont les principaux personnages sont, Elisabeth, Marie Stuart, l'ombre de Henri VIII, et le comte de Leicster, est dédiée à Antoine Blondel, baron de Cuincy, et signée : Adrien de Roulers. C'est donc à tort que Diithilloeul l'appelle Routier.

THÉODORE WALLAEUS (VAX DE WALLE), ermite de SaintAugustin, né à Lille, mort à Louvain en 1535, enseigna la poésie à Bruxelles, ensuite la rhétorique à Lille et à Louvain. Il a écrit :

1° Divinae justitiae theatrum, sive Maria, Othonis III. Imperatoris uxor ; Tragoedia. Louvain, 1631.

2° Oralio de D. Thoma Aquinale, doctore angelico, habita Insulis Flandrorum in templo P. P. Praedicatorum anno 1530 ; et oratio de frequenli memoria Passionis Christi, habita Lovanii in templo S. P. Augustini, ad sodales philosophos, auctore R. P. F.


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Theod. Wallaeo, Insulensi, Augustiniano, Eloquentiae professore Lovanii. Louvain, 1631.

3° Orationes de quatuor novissimis, cum una in laudem sodalitatis corrigiatae, altera de S. Monica, habita in templo S. P. Augustini Lovanii ad sodales philosophos. Louvain, 1631.

4° Orationes Marianae. Louvain, 1636 (publiées par son frère Matthieu van de Walle, également ermite de Saint-Augustin).

Avant de quitter le champ de la littérature que nous venons d'explorer, signalons deux publications qui, malgré leur caractère bizarre et original, offrent un certain intérêt. La première émane de Jacques Le Saige, marchand de draps de soie, né à Douai. C'est le récit simple et naïf d'un pèlerinage qu'il fit à Jérusalem, en 1518. Douai ne possédant pas encore d'imprimeurs à cette époque, le pèlerin publia sa relation chez Bonaventure Brassart, à Cambrai. Une première édition parut vers 1520; une seconde, vers 1524, les deux portant le même titre : Chy s'ensuyvent les gestes, repaistres et despens que moy Jacques Le Saige, marchant de draps de soye, demourant à Douay, ay faict de Douay à Rome, Nostre Dame de Lorette, à Venise, Rhodes... et de la en la saincte cité de Jerusalem, fleuve Jourdain et autres lieux, jusquez au retour dudit Douay. A la fin du livre, l'auteur trace pour ainsi dire son portrait :

Che present livre a faict Jacques Le Saige, Lequel est bien sarpillit (1) de languaige, Grand crocheteur de boutelles et flacquon, Je prie Dieu que luy fache pardon.

J. Le Saige était en effet un brave homme qui aimait

(1) Sarpillit : grossier.


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surtout le bon Dieu et la bonne chère. Sa narration est intéressante, d'abord par la peinture des coutumes et des usages du temps et surtout par le style de l'écrivain. Celui-ci n'était pas lettré et semble écrire comme il parle. Nous avons donc un précieux échantillon du français parlé par les bourgeois de Douai au commencement du XVIe siècle. M. Cardon (1), en citant une page de Le Saige, dit : « Combien y trouverions-nous de mots que n'eût pas employés un Parisien de l'époque? » et M..Potez (2) affirme que le langage du marchand douaisien serait compris par tous les Français.

Le pèlerin de Jérusalem n'aura pas soupçonné que les rares exemplaires de son ouvrage atteindraient de nos jours le prix fabuleux de 600 francs ; il n'aura pas soupçonné qu'après plus de trois cents ans, M. Duthilloeul en donnerait une troisième édition avec un glossaire et des notes : Voyages de Jacques Le Saige de Douai à Rome, Noire Dame de Lorette, Venise, Jérusalem et autres saints lieux. Douai, 1851.

La seconde publication tout aussi curieuse dont je veux parler, est un livre intitulé : Omilies trente noef, contenantes l'exposition des sel psalmes pénitentieles préciés en la ville de Valencènes, en l'église et prévôtée de Notre-Dame la grande, par D. Andrieu Du Croquet, religioe de l'abaïc de Hasnon, doctoer en la S. théol. Douaisien, Douai, 1579. Croquetius, prieur de l'abbaye d'Hasnon, se proposait d'opérer une révolution complète dans l'orthographe de la langue française en supprimant toutes les lettres doubles et inutiles. « Ce livre est un monument précieux, dit M. A. Dinaux, qui a conservé la prononciation des habitants instruits et bien élevés des

(1) La fondation de l'université de Douai, p. 35. Paris, 1892.

(2) Qualis floreret apud Duacenses res poëtica, gallice scripta.p. 5.


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Pays-Bas pendant le XVIe siècle ». M. Duthilloeul (1) dit que les autres productions de Du Croquet sont pour toujours condamnées à l'oubli. Nous verrons, à propos des théologiens, que ce jugement est trop sévère.

Cette transition, Mesdames et Messieurs, nous conduit sur un terrain d'une tout autre nature, celui de la médecine. Si tous les noms à citer ne sont pas célèbres au même degré, il en est cependant qui marquent dans les annales de la science. A côté de médecins astrologues, nous rencontrons des hommes de réelle valeur ; nous rencontrons même un des rois de la botanique. Vous en jugerez vous-mêmes.

JACQUES CASTRIUS (VAN CASTER?), d'Hazebrouck, médecin à Anvers, adressa aux corps médical de Gand une dissertation sur la suette : Epistola de sudore epidemiali, quem anglicum vocant. Anvers, 1529.

GUILLAUME MAGISTER (LE MAISTRE), médecin de Lille, mort en 1585, publia un traité sur la peste : Isagoge therapeutica de saevitia curatione et praeventione Pestis. Venise, 1572; Francfort, 1572.

NICOLAS BASELIUS (VAN BASEL?), médecin chirurgien de la ville de Bergues-Saint-Winoc, donna en français la Description de la comète qui a paru le 14 Novembre

1577, avec pronostics sur l'année très calamiteuse

1578. Anvers, 1578.

JEAN BOURGESIUS (BOURGEOIS), né à Houplines en 1562, exerça la médecine à Ypres. Il s'appliqua aussi a l'astrologie, dont il prétendait tirer beaucoup de lumières pour son art. On voit par son propre horoscope, qu'il donnait

(1) Galerie douaisienne, p. 136.


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dans les rêveries de l'astrologie judiciaire. Nous avons de lui :

1° Praecepta nec non sententiae insigniores quantum ad imperandi rationcm M. Francisci Guicciardini, ad Sereniss. principem Alexandrum Farnesium, Parmae et Placentiae principem, etc., Joanne Bourgesio Houpliniensi interprete. Anvers, Plantin, 1587.

2° Laurentii Jouberli, Delphinalis Valentini, Henrici III Galliarum Regis archiatri, et in Academia Monspeliaca regii medecinae professoris et concellarii, de vidgi erroribus medecinae, medicorumque dignitatem deformantibus, librum singularem latinitate donabat et scholiis illistrabal Joannes Bourgesius, Houpliniensis, medicinae et astrologue candidatus. Anvers, 1000. Cet ouvrage est dédié au magistrat d'Ypres.

3° Demetrius Pepagomenus redivivus, sive Traclatus de arthritide, caussas et originem ejus enudans, viarn et rationem ejus averruncandae, contractaeque persanandae scientiam suo complexu coercens. Graece cotiseriplus jussu Michaëlis Paloeologi, Imperatoris Constantinopotitani, a Demetrio Pepagomeno, ejus archiatro. Ex gallico Federici Jamoti, medecinae doctoris, latinae consuetudini traditus a Joanne Borgesio. Saint-Omer, 1619. Le traducteur dédie cet ouvrage à l'archiduc Albert.

FRANÇOIS RUAEUS (DE LA RUE), né à Lille, était un médecin très instruit. Tout en s'occupant particulièrement d'histoire naturelle, il cultivait les lettres et connaissait même l'hébreu. On a de lui un ouvrage curieux sur les pierres précieuses : De Gemmis aliquol, lis praesertim quant m Dirus Joannes Apostolus in sua Apocalypsi memiuil, de aliis quoque quarum usas hoc aevo percrebuil. Libri duo theologis non minus utiles quam philosophis et omnino felicioribus ingeniis per-


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jucundi, e non vulgaribus utriusque philosophiae aditis deprompti. Paris, 1547 ; Turin, 1565; Lyon, 1588, 1595 et 1652, avec la Philosophie sacrée de François Vallès. Une autre édition (Francfort, 1596) est accompagnée de divers opuscules sur toutes sortes de minéraux. De la Rue mourut à Lille en 1585 (1).

JEAN SYLVIUS (DU BOIS), né à Lille, prit ses grades en médecine à Louvain. Comme presque tous les médecins du XVIe siècle, il avait fait d'abord des études littéraires assez soignées. On sait qu'alors l'enseignement de la médecine consistait en partie dans l'explication et le commentaire d'Hippocrate et de Galien. La connaissance des langues anciennes était donc indispensable. Dubois enseigna quelque temps à Louvain. Il y était en 1557 et prononça à cette date, dans une dispute solennelle, une Declamatio de morbo gallico, qu'on trouve dans son traité : Joannis Silvii Insulensis de morbi articularis curatione tractatus quatuor, ejusdemque de morbo gallico declamatio, Lovanio anno 1557 habita. Anvers, Plantin, 1557; Silvester, 1565. La Declamatio a été insérée dans le travail d'Aloysius Luisinus : De morbo gallico omnia quae exstant, t. II, pp. 140-145. Dubois s'établit ensuite à Valenciennes, où, tout en exerçant la médecine, il devint régent du collège Saint-Jean, en remplacement de Laurent Achol. Il était dans cette ville lorsque fut inaugurée l'université de Douai. Il chanta l'université naissante dans son : Nascentis Academiae Duacensis ejusdemque illustrium professorum Eucomium. Annno M.D.LXII. Tert. non. octob. Per Joannem Sglvium Insulensem Vallencenis Medicinam facientem. Douai. 1563. C'est, un poème latin de cent soixante-douze hexamètres consacrés à célébrer la fonda(1)

fonda(1) DE WALQUE dans la Biographie nationale, t. V, p. 324.


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tion de l'Université et son corps professoral. Sylvius y loue Philippe II, Walerand Hangouard, premier recteur, François Richardot, évêque d'Arras, Richard Smith, professeur de théologie, Jean Van de Ville, Jean Ramus, Boèce Epo, professeurs de droit, Petreius Tiara, Jean Cospeau, Jean Ferrarius, professeurs de belles-lettres, Jean Rubus (Dubuisson), président du collège du roi. Jérôme de France, Paul du Mont, Antoine Dablanus, Claude Respin.

C'est encore à Valenciennes qu'il composa : Joannis Silvii Dialogi et Car mina. Anvers, 1568 ; Tabulae pharmacorum, opera Joannis Silvii. Anvers, 1568.

Dès 1565, les étudiants de Douai le demandaient au magistrat comme professeur-. Il n'y fut appelé qu'en 1572. Cette même année il avait fait imprimer un nouvel ouvrage qui justifiait le choix de l'Université et de la ville : Morbi populariter grassantis praeservatio et curatio ex maxime parabilibus remediis. Louvain, 1572. En 1573, il terminait un livre dans lequel il payait en quelque sorte sa bienvenue à l'Université, par les conseils qu'il adressait aux étudiants pour la conservation de leur santé : De studiosorum et eorum qui corporis exercitationibus addicti non sunttuenda valetudine libri duo. Don ai, 1574. Sylvius enseigna à Douai trois ans et demi (1), c'est-à-dire jusqu'à sa mort, arrivée le 5 avril 1576. Son nom a toujours figuré parmi les plus illustres professeurs de la faculté de médecine de Douai.

PIERRE HASCHARDUS ou HASSARDUS ( HASCHAKRT ou

(1) M A. LE ROY, dans la Biographie nationale, t. VI, p. 195, se trompe lorsqu'il affirme que « Silvius fut investi dans la faculté de médecine en même temps qu'Adrien Rhodius et Nicolas Mercatel d'une chaire qu'il occupa avec distinction pendant treize ans et demi». Ce n'est qu'à la fin de 1570 que Rodius occupa la première chaire et que la faculté de médecine fut définitivement organisée. Voir G. CARDON, Lu fondation de l'université de Douai, pp. 396 sqq.


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HASSARD), natif d'Armentières, médecin-chirurgien et astrologue, étudia à Louvain (1) et mena une vie très mouvementée. En 1539, il exerça l'art de guérir, comme il nous l'apprend lui-même, en « régions diverses si comme Livonie, Russie, Suvecic, Wandalie, France et en ces noz païs-bas ». Il pratiquait la chirurgie d'après les règles de Paracelse, qu'il préférait aux préceptes des anciens médecins. En 1544, on le trouve à Lille, établi comme maître d'école ; témoin la publication suivante : La manière d'escripre par abréviations : avec un petit traicté de l' orthographe françoise, faict et composé, par Pierre Hasschart, escrivain et maistre d'escole, en la ville de Lille, en Flandre, au prouffit et utilité de ses bons et studieux escaliers. Gand, 1544.

Hasschaert exerça ensuite la profession de médecin successivement à Louvain (1552), à Bruxelles (1565) et à Liège (1576). En fait d'ouvrages de médecine, nous avons de lui : Morbi gallici compendiosa curatio. Authore Petro Haschardo lnsulano medico chirurgo. Louvain, 1554 : HIPPOCRATES, van die wonden int hooft.

uuten latyne.... overgheset door M. Peter Hassardus.

Hassardus. 1563 ; PH. AUR. T. PARACELSE, la grande vraye, et parfaicte chirurgie.... Nouvellement traduicts en langue françoise, par M. Pierre Hassard. Anvers, 1567; EOBANUS HESSUS, saluberrima bonae valetu

valetu tuendae praecepta novisque commentariis a

Petro Hassardo illustrata. Francfort, 1568 ; PH.

AUR. T. PARACELSE, de la peste... trad. en français par M. Pierre Hassard. Anvers, 1570; puis un opuscule sur la peste, inséré dans sou travail sur la comète de 1556.

Ses ouvrages astrologiques sont : Prognostication pour lan de nostre Seigneur MCCCCCLII, calculee sur le

(1) MOLANUS. Historiae Loeaniensium libri XIV, éd. de Ram, t. I, p. 575.


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méridien de la tres fameuse universite de Louvain, par M. Pierre Haschard, Medecin Cyrurgien audict lieu. Louvain, 1551 ? ; De Ihorrible comete qui sest apparu en ces régions, environ le premier iour de mars, l'an 1550. Compose par Piere Ifascard, médecin et chirurgien en la ville de Louvain. Au quel est adiouste un petit traiclé de la preservation contre la peste... Louvain. 1556, dédié au magistrat de Maestricht ; Prédictions astrologiques pour lan de nostre Seigneur, 1501. Calculees sur le meridien de Bruxelles par Maistre Pierre Hassardus, medecin et mathematicien audict lieu. Anvers, 1560?; Prognosticatie universael ende eewichi door de welcke een yeghelyck mach lichtelyck hennen die veranderinghe des weders ende eertsche dinghen door Meester Peeter Hassard, medecyn ende mathematicus tot Bruessel. Anvers s. d. ; Almanach oft journael voor 't jaer der werelt 5530 ende van onsen Heere M. D. LXXVI scrickeliaer. Gecalculeert op den Horizon vande zeer vermaerde stadt van Ludick ende byligghende plaetsen. Door M. Peeter Hassard van Armenliers, medecyn woonende inde voorschreven stadt van Ludick. Anvers, 1576 ; Almanach pour l'an de nostre Redempteur M. D. LXXXIII, par M. Pierre Hassard. Selon la nouvelle calculation. Anvers, 1583; Clypeus astrologicus adversus Flagellum Francisci Rapardi Brugensis medici, in quo (non minus quam in Achillaco clypeo omnes arles et oeconomiae) deteguntur errores et nugae ipsius Rapardi cum declaratione et approbatione utilitatis astrologiae et confutatione argumentorum ejus. Autore Petro Haschardo Insulano, medico-chirurgo. Louvain, 1552.

« Tous les ouvrages astrologiques d'Haschaert, dit M. Victor Vander Haeghen (1), portent l'empreinte des

(1) Biographie nationale, t. VIII, p. 741.


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croyances supersticieuses et naïves du temps ». Le plus fameux est son Clypeus astrologicus. Pour en saisir la nature, il nous faut l'aire une petite digression.

Vers le commencement du XVIe siècle se manifesta une forte tendance à attaquer les préceptes de Galien et d'Avicenne. Paracelse, professeur à Bâle et visionnaire exalté, en s'efforçant de soustraire la médecine à l'autorité des anciens, la jota dans l'inextricable labyrinthe de l'astrologie, de l'alchimie et des folies cabalistiques. Il eut ses partisans parmi les médecins flamands. Le peuple, toujours avide de nouveauté et facile à séduire par le merveilleux, goûtait beaucoup les calendriers des médecins astrologues, contenant les pronostics du temps et la désignation des jours où, d'après la conjonction des astres et les influences célestes, il convenait de se laisser raser, de se faire saigner, de se purger, de prendre des bains. L'almanach perpétuel astrologique et médical publié en 1550 par Pierre van Bruhesen, médecin-pensionnaire de Bruges, jouit d'une vogue extraordinaire. Le magistrat de la ville lui accorda une protection si grande qu'il promulga gravement une ordonnance par laquelle il enjoignait expressément à tous les intéressés de se conformer à l'almanach de maître Bruhesius,etdéfendait aux barbiers de rien entreprendre sur le menton de leurs concitoyens aux jours que ce médecin indiquait comme dangereux, à cause d'une conjonction de Mars et de la Lune ou d'un aspect sextil de Saturne. François Rapaert, également médecin-pensionnaire de Bruges, depuis 1551, mais plus sérieux que Bruhesen, persiflla les doctrines spagiriques et charlatanesques de son collègue, et, en même temps, l'ordonnance du magistrat. A son tour, il publia: Dengrooten ende eewcigen Almanach, ydel van allebeuselingen : van laten, van bayen, van purgeren, seker leeringen inhoudende, icaerby dal wel mocht heeten de geessele van


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de almanachen medecyningen huysmedecynen. quacksalvers. « Le grand et perpétuel almanach, libre de toute sottise relativement aux saignées, aux bains, aux purgations. et contenant certains préceptes qui lui valent à bon droit le nom do fléau des almanachs, des médicastres et des charlatans ». C'est contre le sage et solide travail populaire de Rapaert que Haschaert publia son Clypeus astrologicus, ou Bouclier astrologique contre le fléau de Fr. Rapaert. Il y prend la défense de l'almanach de van Bruhesen, loue hautement la conduite et l'ordonnance des échevins de Bruges et exhorte les magistrats des autres villes à suivre cet exemple.

La bibliothèque royale de Bruxelles conserve un ouvrage de Haschaert, resté inédit, et d'un tout autre genre :

Chroniques de Flandres abrégées, où est traicté de tous les forestiers et contes d'iceluy pays jusques au règne de notre très redoubté sire et prince l'empereur Charles cinquiesme de ce nom toujours auguste, etc., etc., compilées et extraictes au plus près de la vérité, hors de divers autheurs par M. Pierre Haschard (1).

MATHIAS DE LOUÉE OU DE L'OBEL, médecin, né à Lille, en 1538, a laissé une grande réputation de bptaniste, fondée sur la publication d'ouvrages importants. Nous empruntons a M. Ed. Morren (2) et à M. Max Rooses (3) la plupart des détails qui suivent. Mathias avait vingtsept ans quand il se fit inscrire à l'université de Montpellier, le 22 mai 1565 ; mais il avait déjà voyagé en Italie et en Allemagne. Le professeur Rondelet était alors

(1) Voir : FERD. VANDER HAEGHEN, Bibliotheca Belgica, 1re série, t. XII ; J. DE MERSSEMAN, Notice sur François Rapaert. Bruges, 1844.

(2) Biographie nationale, t. V, pp. 452 sqq.

(3) Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 326 sqq. Anvers, 1890.


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à l'apogée de sa réputation ; les hommes les plus distingués venaient de toutes les parties de l'Europe se réunir autour de sa chaire. Sans négliger ses leçons et en s'appliquant avec un zèle infatigable à la science des végétaux, De Lobel herborisa sans relâche en Provence et dans les Cévennes. Rondelet avait sans doute discerné la supériorité intellectuelle et la sagacité de cet élève d'élite sous la rudesse de son allure ; lorsqu'il mourut, le 20 juillet 1565, il lui légua ses manuscrits de botanique. Mathias passa encore deux ou trois ans à Montpellier, toujours occupé à explorer la flore locale et, probablement, à rédiger l'ouvrage dont il avait conçu le plan, en collaboration avec son ami Pierre Pena. En 1571, il le fit paraître à Londres, chez Purfoot, en l'intitulant : Stirpium adversaria, nova perfacilis investigatio, luculentaque accessio adpriscorum, praesertim Dioscoridis, et recentiorum materiam medicam, aucloribus P. Pena et Al. De Lobel, medicis, avec une dédicace à la reine Elisabeth ; in-folio de 458 pages, accompagnées de 272 gravures, d'après Rooses, et de 268, d'après Morren. Ces Adversaria donnent la description de douze ou treize cents plantes, objet de ses observations ou de celles de ses maîtres. On y trouve des données précises sur la végétation champêtre et horticole des Pays-Bas. A l'article Froment, ils mentionnent le grand commerce de grains d'Anvers ; ils disent comment l'Espagne déversait à cette époque sur notre pays des masses de blés durs que nos moulins ne savaient pas moudre ; ils donnent le blé de mars comme une production essentiellement flamande ; ils expliquent la fabrication de la bière par le seigle et l'orge ; séparent l'orge d'hiver sous le nom de soucrion (1) et donnent de toutes les ceréales une histoire complète.

(1) Escourgeon : en flam. Sukrioen ou Schokkeljoen.


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Les Adversaria, dit M. Morren, sont aussi une source de renseignements sur la botanique de l'Angleterre, où De Lobel avait beaucoup herborisé. Quelques végétaux exotiques et nouveaux sont décrits et même figurés pour la première fois, comme le Papyrus antiquorum, qu'il avait observé à Pise, le Sarracenia. purpurea, le Tillandsia utriculata, etc. « Mais en se plaçant à un point de vue plus élevé, continue le même auteur, on découvre dans l'ouvrage des mérites d'un ordre plus général, une classification des plantes, hésitante il est vrai, marquant cependant un grand progrès sur les conceptions des contemporains. Tandis que dans les commentaires de Matthiole, et dans les herbiers de Dodonée, de De l'Ecluse et des autres promoteurs de la rénovation botanique au XVIe siècle, les plantes sont distribuées, soit au point de vue de leur utilité pour l'homme, soit en séries purement alphabétiques, on est frappé de voir ici une séparation nettement tranchée entre ce que nous appelons maintenant les monocotylées et les dicotylées. La distinction est fondée sur des caractères tirés des feuilles qui, étroites et rubanées chez les premières, sont, le plus souvent, réticulées ou incisées dans les secondes. On n'est pas moins étonné de rencontrer dans les Adversaria la préoccupation de l'ordre suivant la série naturelle et et d'y lire les mots de genres et de familles de plantes ».

Après la mise au jour des Adversaria, De Lobel vint s'établir à Anvers, où il pratiqua la médecine. En 1576, il publia chez Plantin : Plantarum seu slirpium historia Matthioe De Lobel insulani. Gui annexum est adversariorum volumen. L'ouvrage comprend deux parties : les Stirpium observationes (1 ) et les Nova stirpium adversaria. Cette édition des Adversaria est du même tirage que

(1) Après la dédicace, on trouve une poésie de Fr. Haemus, compatriote du botaniste.


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la première publiée à Londres, chez Thomas Purfoot, dont De Lobel vendit à Plantin, au prix de 1200 florins, huit cents exemplaires non écoulés en Angleterre. Seulement il y a quelques additions : Quibus accessit appendix cum indice variarum linguarum locupletissimo. Eodem M. De lobel auctore. Additis Guillielmi Rondelletii aliquot remediorum formulis nunquam antehac in, lucem editis. Ces additions comportent d'abord, un appendice, orné de nombreuses gravures plus grandes que les précédentes, consacré à quelques végétaux rares ou nouvellement introduits dans les jardins belges, et à des plantes que l'auteur avait rencontrées dans ses herborisations autour d'Anvers : ensuite, un index des plantes citées, écrit en latin, en français, en allemand, en anglais, en portugais et en italien ; enfin les formules de quelques remèdes selon les prescriptions de Rondelet. Les Stirpium observationes sont une sorte de complément des Adversaria. Les plantes cultivées dans les jardins y occupent une large place. Les planches, dit M. Max Rooses, sont au nombre de 1473, dont la moitié environ avaient servi aux ouvrages de Dodonée et de De l'Ecluse (1). On y trouve aussi un traité des Succédanées, d'après les notes recueillies au cours de Rondelet. Mais ce qui attire surtout l'attention, c'est la dédicace Universis Galliae, Belgiae ordinibus. etc.. oit il met les Belges au premier rang dans la culture des plantes (in excolenda re herbaria). Il dit qu'on rencontre, dans ce petit pays, plus d'espèces et de variétés de plantes que dans la Grèce antique, la grande Espagne, toute l'Allemagne, l'Angleterre, la France et l'Italie même, où la culture est poussée si loin.

(1) Les autres planches furent gravées exprès pour ce livre, dit M. Max Rooses ; Ant. van Leesten en tailla 708 et Gérard van Kampen 74. M. Morren compte 1180 planches et dit que la plupart avaient déjà été utilisées pour les herbiers de Dodonée, De l'Ecluse et Matthiole.


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En 1581, De Lobel fit paraître sou livre populaire : Kruydt-boech, oft beschryvinghe van allerleye ghewassen, hruyderen, hesteren ende gheboomten, deur Matthias de Lobel, medecyn der Princ. Excen. Anvers, Plantin. C'est une édition flamande, mais augmentée, de la Plantarum seu Stirpium historia (1).

La même année, Plantin publia, sous le nom de Plantarum seu Stirpium icones, un recueil de toutes les ligures de plantes qu'il possédait et dont le nombre se montait à 2.181. La classification et la description sommaire des planches furent faites par De Lobel, et audessus de chacune d'elles se trouve un renvoi aux éditions latine et flamande de son herbier. Le mérite de cet album est à juste titre attribué à De Lobel. Le Kruydtboeck est dédié au prince d'Orange et au magistrat d'Anvers. Guillaume avait nommé De Lobel son médecin et l'avait pris chez lui à Delft. Notre savant semble avoir séjourné en cette ville depuis 1581, jusqu'au jour de l'assassinat du Taciturne. Il revint alors à Anvers et y fut médecin-pensionnaire de la ville; son nom figure sur la liste des médecins-jurés d'Anvers, en 1584 et 1585. Peu d'au nées après, nous le retrouvons à Londres, où il acheva sa carrière. Il obtint, à cotte dernière époque de sa vie, le titre de botaniste du roi Jacques 1.

Eu 1605, Purfoot, premier éditeur des Adversaria, remit au jour ce qui restait du premier tirage, en y ajoutant quelques nouveaux opuscules : Lobelii animadversiones in Rondelelii methodicam pharmaceuticam officinam ; une étude systématique sur les graminées, la description de quelques espèces nouvelles, des renseignements sur les céréales et la fabrication des bières;

(1) Plantin avait acheté, pour 120 florins, 250 des 272 figures employées en 1571, par Purfoot. Ces planches servirent dans l'herbier flamand.


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de nouvelles plantes bulbeuses, comme l' Amaryllis formosissima; un article sur le Yucca; une dissertation sur les baumes et diverses substances thérapeutiques, et un traité de Rondelet sur l'hydropisie et l'éléphantiasis. Cet intéressant supplément donne une valeur particulière à l'édition de 1605 des Adversaria.

Nous avons à examiner maintenant, Mesdames et Messieurs, avec quelle ardeur vos ancêtres ont cultivé l'histoire. Ma tache, ici, est plus facile, parce que, apparemment, vous connaissez mieux les historiens de votre pays que ses médecins d'autrefois.

PHILIPPE DE COMINES, chambellan, d'abord de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, ensuite, des rois de France, Louis XI et Charles VIII, est trop connu, même de ceux de mes auditeurs qui ne sont pas membres d'une société historique, pour que je parle longuement du grand historien et de l'habile diplomate. Je ne suivrai donc pas dans sa carrière accidentée celui qui fut tour à four le ministre choyé de Louis XI et le prisonnier de la cage de fer au château de Loches, sous Charles VIII ; je me bornerai à quelques détails.

Philippe, fils de Colart II de la Clite, sire de Comines, et de Marguerite d'Armuyden, naquit au château de Comines, probablement en 1415, et mourut, au château d'Argenton, le 18 octobre 1511. M. Kervyn de Lottenhove (1) a émis des doutes sur le lieu de naissance de l'illustre chroniqueur. M. Messiaen, qui donne une notice biographique très étendue sur le sire d'Argenton (2),

(1) Philippe de Commuas. Lettres et négociations, t. I. p. 45.

(2) Histoire... des seigneurs et de la rille de Comines, t. 111, pp. 315-105.


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semble répondre victorieusement à l'objection soulevée contre l'opinion généralement admise jusqu'alors. Les Mémoires de Philippe de Comines, auxquels leur auteur doit sa célébrité, comprennent le récit des événements qui se passèrent en France, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Italie, etc., depuis 1461 jusqu'en 1498. Quoiqu'il en suit des motifs qui déterminèrent Comines à abandonner Charles le Téméraire pour embrasser le parti de Louis XI ; quoiqu'il en soit des défauts et des faiblesses du fin politique et des méprises de l'historien, ses Mémoires constituent une source des plus précieuses pour l'étude des règnes de Louis XI et de Charles VIII. Aussi furent-ils traduits dans les langues des pays intéressés. Nous en avons des traductions en flamand (1), en allemand (2), en anglais (3), en espagnol (4), en italien (5) et même en latin (6). La

(1) Historie van coninck. Lodovik van Vranckryck, den elfsten dies naems, ende van hertogh Carle van Borgondien : beschreren inde francoische tale door Philips van Communes, overgheset inde nederduytsche spraeeke door CORNELIS KIEL. Anvers, 1578. Le traducteur est le célèbre philologue Kilianus, auteur du dictionnaire Hamand-latin : Dictionarium teatonico-lati.num.

(2) Strasbourg, 1551.

(3) Paris, 1576; Londres, 1614. La dernière est, pensons-nous,celle de A. R. Si'oiu.K : Memoirs of Philip de Commines... with. Life and Notes. Londres, 1885 ?

(4) Las memorias de Felipe de Comines, con escolios proprios, por D. JUAN VITRIAN. Anvers, 1043. Las memorias de Felipe de Comines,

de los hechos y empresas de Luis undecimo reyes de Francia,

traducidus del frances, por 1). JUAN VITRIAN. Anvers, 1713.

(5) Le Memorie de Filippo di Comines, tradotte da NICOLO REINCE. Venise, 1541 ; Gênes, 1594; Milan, 1601; Le Memorie... tradotte da LORENZO CONTI. Brescia, 1612.

(6) Philippi Cominaei. De rebus gestis Ludovici ejus nominis undecimt, Galliarum Regis, et Caroli, Burgundiae Ducis, commentarii rercac prudenter conscripti. .. ex gallico facti latinia J. SLEIDANO. Paris. 1501 ; Philippi Cominaei Commeutationes rerum gestarum et dictarum Ludocici NI et Caroli VIII Regum Franciae ex gallico translatae (GASPAR BARTHIUS). Francfort, 1629.


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dernière édition française est celle de M. de Mandrot ; elle porte le titre de : Mémoires de Philippe de Communes. Nouvelle édition publiée avec une introduction et des notes d'après un manuscrit inédit et complet, ayant appartenu à Anne de Polignac, comtesse de La Rochefoucault, nièce de l'auteur. Paris, 1901-1903. Cette édition, qui est, dit-on, la cent vingt-quatrième de l'ouvrage, vient à son heure, car la meilleure édition antérieure, pour le texte (1), celle de la Société de l'Histoire de France (Paris, 1840-1847), ne se rencontre plus que rarement.

Ceux qui désirent étudier de plus près Philippe de Comines trouveront des éléments dans Kervyn de Lettenhove : Philippe de Commincs. Lettres et négociations. Bruxelles, 1867-74 ; W. Arnold : Die ethischpolitischen Grundanschauungen des Philipp von Commines. Dresde, 1873; Duméril : Commincs et ses mémoires (Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, V) ; L. Messiaen : Histoire... de Comines, t. III; Ch. V. Langlois : Philippe de Commines, dans l' Histoire de la langue et de la littérature française, des origines à 1900, publiée sous la direction de L. Petit de Julleville, t. II, chap. VI, l' Historiographie, pp. 328-332. Paris, 1896; B. de Mandrot : L'autorité historique de Philippe de Commines (Revue historique, 1900).

Philippe de Comines était le.cousin de Georges de Halewyn. Comme lui, il s'entourait de manuscrits rares et précieux, collectionnait, des médailles et était grand ami des arts.

Autrefois son corps reposait en l'église des Grands Augustins à Paris, où de son vivant, Comines avait

(1) Celle de GODEFROY et LENGEET DU FRESNOY (Paris, 1717) est précieuse, dit M. Pirenne, par les documents publiés en appendice.


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fait construire un monument dans la chapelle de NotreDame de Ripâ.

ROBERT GAGUIN, contemporain de Philippe de Comines, s'est également fait un nom dans l'histoire. On n'est pas d'accord touchant le lieu de sa naissance. Les uns le font naître près d'Arras, les autres à Calonne-sur-la-Lys, d'autres à Douai, d'autres encore à Colline (1). Toujours est-il que Gaguin passa la première moitié de sa vie au couvent de la Sainte-Trinité dans la forêt de Nieppe. Envoyé par ses supérieurs à Paris, il y obtint le grade de docteur en théologie. Le roi Charles VIII le nomma conservateur de la bibliothèque du Louvre (2). Le trinitaire enrichit son dépôt d'un grand nombre d'ouvrages imprimés et manuscrits. Fin XXe général de son ordre (1473), il fut envoyé successivement par Charles VIII et Louis XII, en ambassade près des cours d'Italie, d'Allemagne et d'Angleterre. Tritème et Erasme le célèbrent comme historien, théologien et poète. Laissant de côté ses ouvrages qui se rapportent à la théologie et à la littérature, citons seulement : Roberti Gaguini De origine et gestis Francorum perquam utile compendium, Paris, 1197. Compendium. Roberti Gaguini super Francorum gestis, ab ipso recognition et auctum. Paris, 1500, 1521 ; Francfort, 1577, avec un supplément d'Hubert Valleius; Douai, 1586, avec un appendice de Jacques Bourgeois, provincial des Trinitaires de Douai. A la fin de l'édition de 1500, on trouve une lettre d'Erasme qui fait un éloge pompeux du travail de Gaguin. Cepen(1)

Cepen(1) Colline sur les contins de l'Artois et de la Flandre » dit FELLER, Dictionnaire historique. C'est sans doute une confusion avec Calonne, car Colline se trouve près de Montreuil-sur-Mer.

(2) L. DE BAECKER (Les Flamands de France dans le Messager des Sciences historiques, année 1850, p. 415) parle de la bibliothèque du palais Luparensi. C'est bien du Louvre (lupara) qu'il s'agit.


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dant la valeur du Compendium réside principalement dans les livres X et XI où l'auteur narre les événements dont il a été témoin, sous Louis XI, Charles VIII et Louis XII.

L'ouvrage de Gaguin fut traduit en français. Nous en avons rencontré les titres suivants : Cy commence le premier livre des faictz et gestes des Françoys, compose par Robert Gaguin et depuis translate de latin en vulgaire françoys par Pierre Desrey champenoys. Paris, 1518 ; La mer des cronicques et mirouer hystorial de France, jadis compose en latin par Robert Gaguin et nouvellement traduict en françoys. Paris, 1536; C'est le sommaire historial de France... nouvellement reduict en forme dung promptuaire ou epilhome... depuis le premier roy de France jusques au roy François premier selon Robert Gaguin et autres cronicqueurs. Paris (vers 1523).

Nous devons encore à Gaguin la : Passio S. Richardi martyris, insérée par les Bollandistes dans les Acla Sanctorum, sous la date du 25 mars (1).

Robert Gaguin mourut à Paris en 1501 ou 1502. Son chef fut rapporté à Douai, en 1550, par Jacques Bourgeois, et placé dans la bibliothèque du couvent des Trinitaires.

La belle notice de M. Bonvarlet sur JACQUES DE MEYERE, considéré comme historien, me dispense de parler du consciencieux annaliste des Flandres ; je vous renvoie donc tout simplement au tome XXII des Annales du Comité Flamand de France.

Vous connaissez tous le travail qui parut, en 1571, à Anvers chez Plantin, portant ce titre : Les Chroniques

(1) Et non pas sous la date du 25 mai, comme le disent Foppens, L. De Baecker, etc.


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et Annales de Flandres : contenantes les héroicques et très victorieux exploicts des forestiers et comtes de Flandres, et les singularités et choses mémorables advenues audict Flandres depuis l'an de Nostre Seigneur Jésus-Christ VF et XX jusques à l'an MCCCCLXXVI. Nouvellement composées et mises en lumière par Pierre d'Oudegherst, docteur ès loix, natif de la ville de Lille. Confiants dans la sincérité de ce titre, Foppens, Valère André, Paquet, Lesbroussart, qui publia une nouvelle édition de l'ouvrage (1), M. J. Stecher, auteur d'une notice biographique sur Pierre d'Oudegherst (2), tous attribuent à celui-ci la paternité des Chroniques et Annales de Flandres. Il n'y aurait donc rien d'étonnant si vous considériez comme votre second annaliste des Flandres, Pierre d'Oudegherst, né à Lille, en 1540, et mort à Madrid, en 1592. Et cependant, je dois à la vérité de vous détromper. En effet, déjà en 1858, M. Alexandre Pinchart a produit des documents qui prouvent que Pierre d'Oudegherst s'était approprié l'oeuvre de son père, Jean, et l'avait édité sous son propre nom (3). En 1901, M. Herman Van der Linden, dans sa notice sur Jean d'Oudegherst (4), a corrigé la méprise de M. J. Stecher.

(1) Annales de Flandre de P. d'Oudegherst, enrichies de notes grammaticales, historiques et critiques, et de plusieurs Chartres et diplômes, qui n'ont jamais été imprimés. Gand, 1789. Voir t.. I. « Notice historique et critique de la vie et des ouvrages de l'auteur ».

(2) Biographie nationale, t. VI, p. 145. Bruxelles, 1878.

(3) Archims des Arts, des Sciences et des Lettres dans le Messager des Sciences historiques, année 1858, p. 307. En 1572 Pierre se présenta à la cour de Viennecomme étant l'auteur des Chroniques et A nnales, qu'il avait dédiées à Maximilien II. L'empereur demanda des renseignements sur ce personnage au due d'Albe. Celui-ci fit savoir au prince que " le recueil des histoires de Flandre qu'il (Peter Oudegherste) a faiet imprimer et dédier à Sa Majesté, n'a esté faict par luy, mais par son père quy estoit homme studieux, ayant esté longtemps pensionnaire du Franc à Bruges ».

(1) Biographie nationale, t. XVI, p. 385. Bruxelles, 1901.


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JEAN D'OUDEGHERST, le véritable auteur des Chroniques et Annales de Flandres, naquit à Hesdin, le 27 novembre 1511. S'il ne vous appartient pas par la naissance, il est quelque peu des vôtres par la résidence. Il épousa Marguerite de Inghelvert, le 11 janvier 1536, à Lille, où il habita jusqu'au 16 décembre 1549, époque à laquelle il fut nommé lieutenant-général du bailli de Tournai et du Tournaisis. En 1551, il devint pensionnaire du Franc de Bruges, puis, en 1558, conseiller et procureur général du grand Conseil de Malines. Jean d'Oudegherst, tout en consacrant ses loisirs à la confection des Chroniques et Annales de Flandres, se livrait encore à des travaux juridiques. A la bibliothèque royale de Bruxelles (n° 6498), on conserve sa : Briefve instruction pour ceux qui se veulent façonner de la practique judiciaire, observée en matière civile ès cours de Flandre, d'Artois et autres de l'obéissance de l' empereur ; extraite des notes de Jean Oudegherst, lieutenant général ès bailliages de Tournai/ et Tournaisis, l'an 1550, trouvées jointes aux coustum.es desdits bailliages escrites de sa main (1).

A côté de ces annalistes et chroniqueurs universellement connus, se placent des travailleurs plus modestes. Citons d'abord André Levaillant, Raphaël de Beauchamp et Jacques Nieulant.

ANDRÉ LEVAILLANT, né à Douai vers 1568, entra dans l'ordre des chanoines réguliers de Mont Saint-Eloi, et prit le grade de bachelier en théologie à l'Université de Douai. 11 fut, élu prieur de son monastère, en 1599, et abbé, en 1624. Il a laissé un ouvrage inédit, sous le titre de : Mémoires pour une chronique du monastère dit

(1) A. PINCHART, Archives des Arts, etc. dans le Messager des Sciences historiques, année 1860, p. 139 ; FERD. VAN DER HAEGHEN, Renseignements sur la famille d'Oudegherst dans le Messager des Sciences historiques, année 1875, p. 97.


de mont Saint-Eloy-lez-Arras, avec la liste des abbès. Levaillant décéda le 10 mai 1625, avant d'avoir reçu la bénédiction abbatiale.

RAPHAEL DE BEAUCHAMP, né à Douai, en 1571, religieux de l'abbaye de Marchiennes, publia le travail d'André du Bois, prieur do Marchiennes au XIIe siècle, continué par plusieurs autres. Il en enrichit le texte de notes et d'appendices et le fit précéder de prolégomènes un peu longs et disparates. En voici le titre prolixe : Historiae Franco-Merovingicae synopsis seu historia succineta de gestis et successione regum Francorum, qui Merovingi sunt dicti, a R. P. Domino Andrea Silvio, Regii Marcianensis coenobii magno priore, ante annos circiter 433 conscripta, et a Dn. Willelmo abbate Andernousi aliisque chronologis 2 anonymis continuata. Nunc vero beneficio et opera R. P. ac Domini Raphaëlis de Beauchamps, presbyteri et Marcinensis monasterii religiosi ; prolegomenis, appendicibus, notationibus et paraleipomenis laboriose illustrata, primumque in vulgum emissa. Douai, 1033.

JACQUES PASQUIER NIELLANT, natif de Bergues-SaintWinoc, prit l'habit des Frères-Prêcheurs au couvent de La Haye. Nous lui devons la traduction flamande de l'histoire de la persécution du roi Hunneric contre les catholiques d'Afrique. « De persecutione Wandalica » écrite, vers 107, par le saint évêque de Vite, Victor d'Utiquc : Historie, ofle waerachtighe beschryvinghe van de onghenadighe ende growrsaeme vervolginghe der goeden kerstenen aenghedaen vande vreede Wandalen in 7 landtschap van Afriken. Anvers. 1568. Cet ouvrage de Victor d'Utique, publié par Beatus Rhenanus (Bâle, 1535), par le P. Chifflet (Dijon, 1665), par dont Ruinarf (Paris, 1694), et traduit en français par Arnauld d'Andilly, est


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important au point de vue de l'histoire de l'Eglise africaine et de celle des Vandales, ainsi qu'au point de vue de la théologie polémique. Le but du traducteur était de consoler les catholiques de Flandre et de Hollande persécutés par les calvinistes, au XVIe siècle.

A propos des troubles religieux de cette époque, je me plais à signaler ceux qui ont contribué à nous en conserver le triste souvenir.

PIERRE-PAUL VAN DEN KERCKHOVE, né à Dunkerque, mort en Angleterre vers 1600, était très versé dans le latin, le grec et l'italien. Il a rendu service à ses compatriotes en traduisant de l'italien en latin, les commentaires de L. Guicciardini : Commentariorum Ludovici Guicciardini de rebus memorabilibus, quae in Europa, maxime vero in Belgio, ab undetricesimo, usque in annum M. D. LX evenerint, libri tres. Actiophanensi (1) interprete. Una cum nominum, dignitatum et rerum illustrium luculento indice. Anvers, 1566.

RENON (ou RAINUCE) DE FRANCE, originaire de Douai, que nous rencontrerons tout à l'heure parmi les magistrats, nous a laissé, en manuscrit, son : Histoire des causes de la desunion, révolte et altérations des Païs-Bas. M. Piot, archiviste général du Royaume de Belgique, l'a publiée sous le titre de : Histoire des troubles des PaysBas. 3 vol. in-4°, Bruxelles, 1886-1889.

HENRI A MYRICA (VAN DER HEYDEN), né a BerguesSaint-Winoc, vers 1540, entra dans l'ordre des FrèresPrècheurs. Il a continué, jusqu'à l'année 1575, et mis en meilleur ordre l'ouvrage Geusianismus du dominicain Charles Wynckius, auquel il ajouta plusieurs faits qui n'ont pas rapport à notre Flandre. Une troisième partie

(1) Actiophanon : église des Dunes : Duynkerke.


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est consacrée par lui au récit du martyre des confesseurs de la foi de Gorcum, à l'exposé des dévastations, des pillages et dos sacrilèges commis à Audenarde, et à d'autres faits non moins curieux pour l'histoire de ces temps. C'est d'après le manuscrit de Van der Heyden que M. Van de Putte a publié, dans les in-4° de la Société d'Emulation, le Geusianismus. Bruges, 1841. Van (1er Heyden nous a laissé aussi la meilleure et la plus correcte des deux copies connues du Mémoire de Pierre Simoens sur la surprise d'Audenarde, mémoire que Jacques Yetzweirt, encore un enfant de Bergues, a mis en vers dans son poème Aldenardias, dont nous avons parlé à propos des poètes néo-latins. M. l'abbé Adrien Desmet, dans sa De morte quinque sacerdotum..., disputatio (Bruges, 1881) a édité, avec l' Aldenardias, de Yetzweirt. l'Historia capti a Geusiis ac detenti ad tempus oppidi Aldenardensis de P. Simoens, surtout d'après la copie de Van der Heyden.

GÉRARD DE MEESTER, également de Bergues-St-Winoc, où il naquit en 1594, de Nicolas et de Jeanne Horneweghe, fut. moine de l'abbaye d'Eversam, et ensuite curé de Saint-Riquier-lez-Furnes. MM. F. Van de Putte et Carton ont publié, dans le Monasticon Flandriae de la Société d'Emulation de Bruges, deux travaux du religieux : Chronicon Monasterii Evershamensis. Bruges, 1852 et Historia Episcopatus Iprensis. Bruges, 1851. Ce dernier ouvrage présente un haut intérêt pour l'histoire des troubles religieux en Flandre au XVIe siècle.

C'est grâce aux chroniques de ces moines qu'il nous est permis de rappeler aujourd'hui avec respect les noms de deux de vos martyrs : ceux de Martin Neerkose (Nercosius), curé de Hondschoote et de François de la Fosse, curé de Rexpoëde, massacrés par les Gueux des Bois, le 27 janvier 1508.


Une branche importante de l'histoire, Mesdames et Messieurs, c'est l' hagiographie, qui constitue l'histoire de la vie morale et spirituelle des peuples. Eh bien, vos ancêtres du XVIe siècle n'en ont pas négligé la culture.

ARNOLD WION, né à Douai, le 1er mai 1554, entra dans l'ordre des Bénédictins, à Oudenbourg (1). Le 24 septembre 1578, l'abbé Melchior Everaert fut forcé par les Gueux de quitter l'abbaye avec tous ses moines. Wion se réfugia en Italie, où il fut reçu dans le monastère de Saint-Benoit de Mantoue, de la congrégation du MontCassin. C'était un religieux exemplaire, laborieux et savant. Son oeuvre capitale est le : Lignum vitae, ornamentum et decus Ecclesiae, in quinque libres divisum. In quibus totius sanctiss. Religionis divi Benedicti initia, viri dignitate, doctrina, sanctitate, ac principatu clari describuntur : et fructus qui per eos S. R. E.

accesserunt, fusissime explicantur Venise, 1595.

L'auteur y fait l'histoire de l'ordre de Saint-Benoit, et de tous les hommes remarquables qu'il a produits. Le P. Wion n'a pas eu à sa disposition les éléments nécessaires pour réussir dans sa vaste entreprise et il manque souvent de critique. Mais, s'il n'a pas été heureux dans la dissertation où il veut prouver que la maison d'Autriche descend de la famille Anicienne, de laquelle était Saint-Benoît, s'il a été le premier à publier la fameuse prophétie relative aux Papes, attribuée faussement à saint Malachie, archevêque d'Armagh en Irlande ; cependant son Martyrologe de l'ordre de Saint-Benoît (dans le livre III) a été réimprimé et enrichi de notes par le savant dom Hugues Ménard (Paris, 1629) et son ouvrage a eu l'honneur d'être mis à profit par l'illustre Mabillon,

(1) Et non pas à Ardenbourg, comme l'écrit Duthilloeul(Galerie douaisienne, p. 403).


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pour les Annales ordinis S. Benedicti. Le P. Charles Steingel a traduit le Liguum vitae en allemand : Lignum vitae. Baum des Lebens. History des ganzen Ordens S. Benedicti. Ersllich von D. Arnoldo Wion in latein beschriben, nun aber durch F. Carolum Stengelium in die teutsche Sprach gebracht. Augsbourg, 1607. Vogt reproche au traducteur d'avoir retranché presque tout ce qui concerne l'histoire littéraire, d'après lui, la partie la plus intéressante.

Wion écrivit aussi une vie de saint. Gérard, martyr et apôtre des Hongrois ; Vita S. Gerardi e Veneta familia de Sagredo martyris et Hungarorum apostoli, notationibus illustrata. Venise, 1596. Cet ouvrage est recherché à cause du commentaire qui accompagne la vie du saint. L'infatigable moine avait revu les oeuvres de l'historien B. Platine, dans le but d'en donner une nouvelle édition ; la mort l'arrêta au milieu de ses Travaux.

JEAN MOLANUS (VERMEULEN), naquit en 1533, à Lille, où ses parents étaient allés séjourner, pour y apprendre la langue française. A vrai dire il ne vous appartient que par la naissance, car son père Henri, était de Schoonhoven, et sa mère, Anne Peters, louvaniste, et lui-même passa toute sa. vie à Louvain, et se qualifia d'enfant de cette ville. Je serai donc court, me bornant à citer les principaux ouvrages du docteur en théologie qui professa la philosophie, obtint une chaire de théologie, fut. nommé par Philippe II censeur des livres, et occupa, la première présidence du séminaire du Roi.

Ouvrages hagiographiques :

1° Usuardi martyrologium, quo Romana Ecclesia ac permultae aliae uluntur : jussu Caroli Magni conscriptum ex martyrologiis Eusebii, Hieronymi, Bedae et Flori ac aliunde. Cum additionibus ex martyrologio romanae Ecclesiae et aliarum, potissimum


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Germaniae inferioris : et metrico martyrologio Wandelberti Prumiensis. Et annotationibus, in quibus voces aliquot obscurae explicantur, et quid probati authores de sanctorum vita ac martyrio conscripserint, copiose insinuatur. Opera Joannis Molani Lovaniensis. Louvain, 1568. Ce travail sur le martyrologe d'Usuard est la première étude un peu complète, consacrée aux martyrologes en général. Il fut plusieurs fois réimprimé du vivant de son auteur, chaque fois augmenté et corrigé.

2° Indiculus sanctorum Belgii. Louvain, 1573. Notices succinctes, par ordre alphabétique, des saints de toutes les anciennes provinces belges, suivies d'une petite chronique hagiographique (Chronicon brevissimum de sanctis Belgii) et d'un calendrier national, premier essai de ce genre (Calendarium Belgicum, continens festa et jejunia provinciae Mechliniensis).

3° Medicorum ecclesiasticum diarium. Louvain. 1595. Calendrier des saints médecins, composé à la demande du docteur en médecine Viringus, ami intime de Molanus.

4° Natales sanctorum Belgii et eoru-mdem chronica recapitulatio, auctore Joanne Molano cive et doctore theologo Lovaniensi. Louvain, 1595 ; réimprimé à Douai, en 1616 : Natales... recogniti, notis aucti et illustrati, opera quorundam S. Theol. Doctorum et in universitate Duac. Professorum. Bien que, au point de vue de la critique historique, éclairée aujourd'hui par des documents inconnus au XVIe siècle, plusieurs notices laissent à désirer, il est incontestable que Molanus doit-être considéré comme le père et le créateur de l'hagiographie belge.

5° Joannis Molani... Historiae Lovaniensium libri XIV. Tous connaissent ce précieux travail, demeuré longtemps en manuscrit et publié par Mgr de Ram sous le titre : Les quatorze livres sur l'histoire de la ville


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de Louvain du docteur et professeur en théologie Jean Molanus. Bruxelles, 1861.

Ouvrages théologiques :

1° De picturis et imaginibus sacris liber unus : tractans de vitandis circa eas abusibus et de earum

significationibus. Authore J. Molano Ejusdem

responsio quodlibetica ad tres quaestiones, quae versa pagina indicantur (sur le revers du titre est indiqué le sujet de ces trois questions : 1. Utrum sacrarum imaginum usus legitimus sit et retlinendus ; 2. An liceat orare pro iis qui nunc martyres moriuntur ; 3. An damnato ad mortem liceat negare eucharistiam). Louvain, 1570. C'est l'ouvrage capital de Molanus, dans lequel l'auteur, après avoir vengé la doctrine catholique sur l'usage des images contre les iconoclastes, se propose de défendre les formes reçues dans l'Eglise pour les représentations des divers sujets sacrés, de proscrire les abus qui s'étaient glissés dans quelques-unes d'entre elles, d'expliquer l'origine de celles qui étaient moins connues et d'éclairer, par les témoignages de l'histoire, tout ce qu'il pouvait y avoir d'obscur dans la représentation habituelle de tel mystère ou de tel saint. Cette publication de Molanus, considérablement remaniée par lui, fut publiée après sa mort par Cuyckius, sous ce titre: De historia sanctarum imaginum, pro vero earum usu contra abusus, libri IV, auctore Joanne Molano, regio theologo et cive Lovaniensi. Louvain, 1594 ; Douai 1617; Louvain, 1771.

2° Joannis Molani, libri quinque. De fide haereticis servanda libri tres. De fide rebellibus servanda liber unus, qui est quartus. Item unicus de fide et juramento quae a tyranno exiguntur, qui est quintus. Cologne, 1584. C'est une protestation contre les opinions que les hérétiques prêtaient calomnieusement aux catholiques.


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3° Liber de piis testamentis et quacunque alia piae ultimae voluntatis dispositione. Cologne, 1585. Traité composé pendant les ravages de la peste, en 1578.

4° Theologiae practicae compendium, per conclusiones in quinque tractatus digestum. ( 1. De poenitentia et censuris ; 2. De decalogo ; 3. De virtutibus et peccatis ; 4. De sacramentis ; 5. De republica christiana). Cologne, 1590. Excellent manuel de théologie pratique, résumant, le cours du président du collège du Roi.

5° De canonicis libri tres.— I. De canonicorum vita. — II. De eorum officiis. — III. De dominio canonicorum et servis ecclesiarum. Item orationes tres, de Agnis Dei. de Decimis dandis, de Decimis defendendis. Cologne, 1670. C'est jusqu'ici, dit Mgr de Ram, le traité le plus complet sur l'institution des chanoines.

Molanus mourut à Louvain, le 18 septembre 1585, à peine âgé de 52 ans (1).

PHILIPPE PETIT, de l'ordre de Saint-Dominique, né à Bouchain, en 1598, prieur du couvent de Douai, et président du collège de Saint-Thomas, en cette ville.

Nous lui devons : 1° Abrégé de la vie. du B Albert, le Grand, évêque de Ratisbone. Douai. 1635, 1638 et Bruxelles, 1638, avec des Sermons et oraisons faictz durant le jour et octave de sa béatification.

2° Fondation du Couvent de la Sainte-Croix, du Collège de Saint-Thomas d'Aquin, du Monastère de Sainte-Catherine de Sienne, tous trois de l'ordre des Frères Prescheurs en la ville et Université de Douay.... Douai, 1653.

3° Les vies et actions des vénérables soeur Jeanne de Sainte-Catherine et soeur Dominique de la Croix,

(1) Voir : Mgr DE RAM, Les quatorze livres sur l'Histoire de la ville de Louvain, introduction. Bruxelles. 1861.


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professes du monastère de Sainte-Catherine de Sienne, à Douay. Douai, 1649.

4° Abrégé de la vie et des actions mémorables du R. P. saint Dominique de Gusman, fondateur de l'ordre des Frères Prescheurs. Douai, 1655.

5° Histoire de la ville de Bouchain, capitale du comté d'Ostrerant. fondée l'an 691 par Pépin de Herstal IV, Prince et Duc de Brabant. Douai. 1659. Ce dernier ouvrage a été réimprimé à Douai, en 1861, avec une biographie de l'auteur.

On conservait de lui, au couvent de Douai, deux manuscrits : De l'ange gardien, et Abrégé de toutes les vies des saints et des bienheureux de l'ordre des R. P. Prescheurs.

Le P. Petit mourut à Douai, le 6 décembre 1671.

MARTIN L'HERMITE, S. J., né à Armentières, en 1596, lit son noviciat à Rome, étudia la philosophie à Naples. enseigna les humanités et fut pénitencier à Lorette. Devenu dans les Pays-Bas, il professa la philosophie, les mathématiques et la théologie à Douai, où il mourut eu 1652. On a de lui :

1° Histoire sacrée des saints Ducs et Duchesses de Douay. Seigneurs de Merville, les SS. Gertrude, Adalbalde, Rictrude, Maurand, patron de Douay, Fondateurs de la très-ancienne Eglise et du College des chanoines de S. Ame ; enfants spirituels des Pères des Saints S. Amand et S. Ame. evesques. confesseurs, apostres, abbes : Deduite depuis l'an 1496 jusques en 1637. Annee heureuse pour l'invention du depost. du B. Remare jadis prevost de ce sacre college avec un brief recit de ce succes : recherchee fidelement es aucteurs ecclesiastiques et profanes, archives et vieux manuscrits des Eglises. Recueillie par le R. Père M. L. de la Compagnie de Jesus. Douai, 1637. En 1863, cet


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ouvrage fut réimprimé à Douai ; l'édition ne fut tirée qu'à 30 exemplaires numérotés.

2° Histoire des saints de la province de Lille, Douay, Orchies, avec la naissance, progres, lustre de la Religion catholique en ces chastellenies. Douai, 1638. Au jugement de Duthilloeul, l'auteur manquerait de critique; mais son livre renferme de curieux documents sur les trois châtellenies et mérite d'être consulté par tous ceux qui veulent connaître exactement l'histoire de ce pays.

Martin l'Hermite a publié également un écrit de théologie polémique : Catéchisme ou abrégé de doctrine touchant la grâce divine, selon la Bulle de Pie V, Grégoire XIII, Urbain VIII. Antidotes des erreurs du tems : par un docteur de la S. Théologie de Douai. Douai, 1650. L'auteur y combat le Catéchisme de la grâce, précis de l' Augustinus de Jansenius.

ARNOLD DE RAISSE, mieux connu sous le nom de RAISSIUS, né à Douai, vers 1580, y obtint un canonicat au chapitre de Saint-Pierre. Il employa ses loisirs à recueillir tout ce qui concernait les saints des Pays-Bas, le culte dont on les honorait et leurs reliques. A cette fin, il n'épargna ni peines, ni frais, ni voyages. Il parcourut les diverses provinces belges, visita les églises, les monastères, fouilla leurs archives et leurs trésors, et en tira les matériaux qui servirent à la composition de ses nombreux écrits, dont voici l'énumération :

1 ° Vita sanctissimi Vulganii insignis collegiatae ecclesiae Lensensis patroni tutelaris; item sancti Chrysolii, Armenorum archiepiscopi et martyris. Douai, 1623.

2° Vitae Theodorici a Monasterio Guardiani Lovaniensis : e sinu latebrarum cruta, studio et opera Arnoldi Raissii. Douai, 1631. Cette vie de Thierry de Munster est ornée d'un très beau portrait, gravé en taille-douce


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par Martin Baes, le graveur douaisien, dont je vous ai entretenus au commencement de cette conférence (1).

3° Arnoldi Raissii Duacenatis, Belgica christiana, sive Synopsis successionum et gestorum Episcoporum Belgicae provinciae. Douai, 1634.

4° Coenobiarchia Gisleniana, sive Catalogus praesulum abbatiae Cellae apostolorum sive sancti Gisleni in Ursidungo. Douai. 1611.

5° Coenobiarchia Crispiniana, seu Antistitum. monasterii S. Landelini de Crispinio res geslae. Douai, 1642.

6° Fr. Moschi Coenobiarchia Ogniacencis sive Antistitum Ogniacensium catalogus cum elogiis ; auctore Arn. de Raisse. Douai, 1636.

7° Catalogus Christi sacerdotum qui ex nobili Anglicano Duacenae civitatis collegio proseminati praeclarum fidei catholicae testimonium in Britanuia praebuerunt ; collectore Arnoldo Raissio, Duaceno. Douai, 1630.

8° Origines Cartusiarnm Belgii publicabat Arnoldus Raissius, Duacenas. Douai, 1632.

9° Peristromata sanctorum, collecta, ab Arnoldo Raissio, Belga-Duaceno. Douai, 1630. Cet ouvrage rarissime est des plus curieux. Mais les deux monuments dont sera toujours fière notre hagiographie nationale, ce sont :

10° Ad natales sanctorum Belgii Joannis Molani Auctarium, in quo tam martyres quant alii sancti, beati, aut renerabiles ac pietatis fama celebres homines recensentur. auctore Arnoldo de Raisse, Duacensi. Douai, 1626.

C'est pressé par ses amis et encouragé par le doyen de Saint-Pierre, Gérard du Mont de Rampemont, que Rais(1)

Rais(1) p. 62.


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sius compléta les Natales de Molanus. Il parait que déjà il avait donné ses soins à l'édition de cet ouvrage qui parut à Douai en 1616 : Natales recogniti (1).

11° Hierogazophylacium Belgicum, sive Thesaurus sacrarum reliquiarum. Belgii : aut. Arnoldo Raissio, Belga-Duaceno. Douai, 1028. C'est un inventaire des reliques conservées dans les églises et monastères belges, avec les documents qui en constatent l'authenticité.

Duthilloeul (2) dit que « la plupart des ouvrages de Raissius n'offrent plus aujourd'hui un véritable intérêt, mais qu'ils sont bons à consulter par les personnes qui se livrent à l'étude de l'histoire ecclésiastique de nos contrées ». Cette appréciation est erronée. Les productions d'Arnold de Raisse sont, encore de nos jours, fort estimées, et se cotent, dans les ventes de livres, à des prix très élevés.

Le docte chanoine, émule de Molanus, mourut a Douai, le 6 septembre 1644 ; son corps fut inhumé dans l'église Saint-Pierre.

La plus importante des grandes collections historiques, celle qui a rendu à la science de l'érudition les services les plus sérieux, c'est la collection des Acta sanctorum. réunie par les Bollandistes. Mais, me direz-vous, quel rapport, y a-t-il entre l'oeuvre des Bollandistes et la Flandre maritime ou la Flandre gallicante au XVIe siècle ? Le berceau de l'oeuvre, n'est-il pas la résidence des Jésuites à Anvers ? Le P. Bolland, qui publia le tome I de la collection, en 1613, et qui donna son nom aux collaborateurs des Acta sanctorum, n'est-il pas l'auteur du plan de cet immense travail? Eh bien, non! L'oeuvre prit naissance à Douai, au collège d'Anchin,

(1) Voir plus haut, p. 127.

(2) Galerie douaisienne, p. 328,


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dirigé par les Pères Jésuites ; la première idée de l'entreprise germa dans le cerveau d'Héribert van Roswey. Mgr Dehaisnes nous le raconte dans son intéressant opuscule : Les origines des Acta sanctorum et les protecteurs des Bollandisles dans le Nord de la France. Douai, 1869. Empruntons-lui les quelques détails qui vont suivre (1). Héribert van Roswey ou Rosweyde, d'Utrecht, admis dans la Compagnie en 1558, suivit le cours de philosophie au collège d'Anchin, y devint maître ès arts et reçut la prêtrise, à Douai, des mains de Matthieu Moullart, évêque d'Arras. C'est pendant cette période de sa vie, qu'Héribert conçut la pensée de réunir des documents pour la publication des Acta sanctorum. Durant son scolasticat, on le voyait souvent, aux jours de promenade, se diriger vers les monastères voisins de la ville, et là, dans la poussière des Bibliothèques, dans les manuscrits les plus anciens, rechercher et copier avec soin les actes des saints, encore inédits. Chargé d'enseigner la philosophie au collège de Douai, il consacra aux mêmes travaux les loisirs que lui laissait le professorat. Les abbayes d'Anchin et de Marchiennes fournirent surtout les matériaux qui ont formé la base du gigantesque monument dos Acta sanctorum.

Après avoir parcouru tous les monastères des PaysBas, Rosweyde exposa son plan, dans la préface de ses Fasti sanctorum, quorum vitae in Belgicis bibliothecis manuscriptae ; item acta praesidialia sanctorum martyrum Tharaci, Probi et Andronici. Anvers, 1607. La première partie de l'ouvrage offrait l'indication

(1) Voir aussi : Plan conçu par le Père Roswey le de la Compagnie de Jesus pour la publication des « Acta sanctorum », dans les Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de Belgique, t. V. 1868, pp. 216 sqq. ; Dom PITRA. Etudes sur la collection des Actes des saints, par les RR. PP. Jésuites Bollandistes. Paris. 1850.


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des 1300 vies consultées ; la seconde (les actes de Tharacus, Probus et Andronicus), donnait un spécimen des Acta sanctorum projetés. Le cardinal Bellarmin, auquel Rosweyde avait envoyé son plan, demanda quel était l'âge de celui qui osait annoncer une telle oeuvre. On lui répondit qu'il avait quarante ans. « A-t-il donc l'espoir, répliqua Bellarmin, de vivre encore deux cents ans? » Rosweyde ne vécut plus que vingt et un an ; il fut enlevé, le 5 octobre 1629, par la peste contractée en soignant un moribond, à Anvers. Mais l'oeuvre dont il avait jeté les fondements ne périt point. Voici comment.

Rosweyde, dans ses excursions à la découverte des vies des saints, se rendit un jour à l'abbaye de Liessies près d'Avesnes. Il y fut reçu a bras ouverts, car il avait été, au collège d'Anchin, le professeur de plusieurs jeunes religieux de ce monastère. L'abbé, dom Antoine de Winghe, grand protecteur des lettres et des arts, le prit en affection et l'encouragea dans son dessein. Non content de mettre à sa disposition les nombreux passionnaires et les autres manuscrits qu'avait rassemblés son prédécesseur, le vénérable Louis de Blois, il aida le jeune jésuite de ses conseils et de ses observations, lui fournit de l'argent pour le travail des copistes, pour acheter des livres et pour subvenir aux dépenses de ses voyages. C'est à ce généreux Mécène que Rosweyde, en 1615, dédia ses Vitae Patrum. et, en 1628, une nouvelle édition du môme ouvrage. Dans la préface de cette édition, Rosweyde écrit qu'ayant réuni de toutes parts depuis 1607, de nouveaux documents, pour les Acta sanctorum, il était enfin prêt à commencer la publication de ce grand travail. « Le mois de janvier, disait-il, est sur mon pupitre ; je vais le disposer pour l'impression ». Il comptait commencer en octobre. En ce même mois d'octobre, il mourut à Anvers, pleuré par tous les hommes


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de bien, mais surtout par dom de Winghe. Celui-ci, de concert avec l'abbé de Saint-Vaast d'Arras, dom Philippe de Caverel, engagea vivement le provincial de la Compagnie à désigner un successeur au P. Rosweyde. Cette intervention sauva les Acta. On se demandait à la résidence d'Anvers, s'il ne fallait pas abandonner aux souris et aux vers tout le bagage d'antiquaire qui encombrait la bibliothèque. Le provincial écouta dom de Winghe, et le P. Jean Bolland fut chargé de recueillir le lourd héritage. L'abbé de Liessies reporta sur Bolland toute l'affection qu'il avait vouée à Rosweyde. Il fit une fondation de huit cents florins pour l'entretien d'un collaborateur. Ce collaborateur fut le P. Godefroid Hensschen. Bientôt d'autres collègues allaient leur être adjoints. Les Bollandistes existaient ; ils existaient; grâce aux sacrifices, au zèle et aux efforts de dom Antoine de Winghe. Le généreux abbé eut la consolation de recevoir, en 1635 et en 1636, les premières feuilles du tome 1 de janvier ; mais il ne devait pas en voir la fin. Il mourut à Mons en 1637, et le premier volume ne parut qu'en 1643. Le monument, dont Rosweyde avait posé les premières assises à Douai, s'élève encore toujours, et aujourd'hui la collection des Acta sanctorum compte soixante-six volumes.

Mesdames et. Messieurs, suivant l'ordre des matières indiqué au début de cette conférence, j'ai à vous entretenir des théologiens de votre pays. Ils sont encore plus nombreux que vos historiens. Aussi, de peur de vous fatiguer outre mesure, je devrai me borner.

Je suis sur que vous vous attendez à n'entendre citer que des noms de prêtres et de religieux. Vous êtes dans l'erreur. Des laïques même ont. cultivé la science la plus


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sublime, la science de Dieu et des choses divines : tels sont Philippe Montanus, Paul du Mont et Nicolas de Montmorency.

PHILIPPE MONTANUS, natif d'Armentières, sans entrer dans les ordres, mena une vie toute de piété et d'étude. Il conquit le grade de docteur en théologie à l'Université de Paris, où il se lia d'amitié avec Erasme. A l'âge de soixante ans il vint s'établir a Douai, où il se plut à vivre au milieu des professeurs de l'Université naissante. Il fut le premier qui fonda trois bourses d'études au collège de Marchiennes. Nous lui devons une recension, avec traduction latine, des oeuvres de saint Jean Chrysostôme, ainsi qu'une version, en latin, des commentaires de Théophylacte sur les Evangiles, les Epitres de saint Paul et quelques prophètes (Bâle, 1554 et 1570). Ces travaux témoignent qu'il possédait parfaitement la langue grecque.

Montanus mourut, à Douai, en 1576, plus qu'octogénaire, et fut inhumé à l'église Saint-Jacques, où l'on voyait son portrait dans un vitrail.

PAUL DU MONT (MONTIUS), né à Douai, en 1532, fit ses humanités à Cambrai, et ses études supérieures à Louvain et à Paris. Greffier-pensionnaire de sa ville natale pendant plus de quarante ans, il prit vraisemblablement part aux négociations, entre le magistrat douaisien et le gouvernement espagnol, relatives à. l'érection de l'Université, car son nom se trouve parmi ceux dont Jean Silvius chanta la louange dans son Nascentis academiae... Encomium (1). Il consacra ses loisirs à composer des livres de piété et à traduire, du latin, de l'italien et de l'espagnol, en français les ouvrages ascétiques qu'il

(1) Voir plus haut. p. 105.


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regardait comme les plus utiles pour son temps. Voici les titres sommaires de ses principales publications :

1° La grand'guide des pécheurs pour les acheminer à vertu (L. de Grenade). Douai, 1577; Paris, 1585; Lyon, 1585, etc. Dédié à don Juan d'Autriche.

2° De la simplicité de la vie chrestienne (Jérôme Savonarole). Douai. 1586.

3° La vérité de la Foy soubz le triomphe de la Croix de Jésus-Christ (Jérôme Savonarole). Douai. 1588.

4° La Science du Salut (Denis le Chartreux). Douai, 1591.

5° Le bref chemin de la vertu (Denis le Chartreux). Douai, 1591.

6° Lunettes spirituelles pour conduire les femmes religieuses au chemin de perfection (Denis le Chartreux). Douai, 1587.

7° Le thresor des faictz et dictz memorables des hommes saincts et illustres du viel et nouveau Testament (Marc Marulle). Douai. 1595.

8° L'anatomie du corps politique comparé au corps humain pour cognoistre la source et origine des maladies d'iceluy, qui nous causent pour le jour d'huy tant de troubles parmy la chrestienté (Jean Michel). Avec levray et unique remède pour le remettre en santé (René Benoit). Douai. 1581.

9° La doctrine de S. Dorothé. Douai, 1597.

10° L'oreiller spirituel, nécessaire à toutes personnes pour extirper les vices et planter la vertu. Douai, 1599.

Paul du Mont mourut à Douai, en 1602, âgé de 71 ans.

NICOLAS DE MONTMORENCY, fils de François, seigneur de Wastines, et d'Hélène Villain, naquit à Morbecque (1). vers 1556. Dans sa jeunesse, il fut gentilhomme de bouche

(1) L. DE BAECKER, Les Flamands de France, l. c, p. 139.


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de Philippe II. En 1583, il succéda à son oncle, Maximilien Villain, dans les fonctions de chef des finances des Pays-Bas. Il entra au Conseil d'Etat et présida souvent, en qualité de premier commissaire, au renouvellement des échevinages de Flandre. Il était seigneur de Vendegies et prince de Robecq, et, au décès de Floris de Stavele, il hérita de la baronnie de Haverskerke et des ville et seigneurie d'Estaires et de Zuid-Berquin, qu'il fit ériger en comté, le 8 août 1611.

Ce descendant de l'illustre famille des Montmorency donna, pendant toute sa vie, l'exemple d'une piété solide, éclairée et édifiante. En 1604, il fonda, à Lille, l'abbaye de Sainte-Brigitte, qu'il choisit pour lieu de sépulture. Il publia une série d'ouvrages ascétiques remarquables.

1° Manuale principis. Douai, 1598.

2° Spiritualis dulcedo quatuor libris comprehensa. C'est un ouvrage dont les quatre parties furent imprimées a des dates différentes (1).

a) Manna absconditum, precationes mellifluas et devotas in quolibet orandi genere proponens , cum aliquot meditationibus piis et praeviis. Louvain, 1601. Juste Lipse faisait de ce livre le plus grand cas, et Antoine Sanderus en chanta les mérites.

b) Flos campi in quo exercitia et meditationes quotidianae. Louvain, 1604. A propos de cet opuscule, M. L. De Baecker a eu une étrange distraction : « La botanique, dit-il (2), fut cultivée avec succès par Jean Van Houtte, docteur en médecine à Bergues, qui enseigna l' Art pour connoistre, aymer, guigner, abbellir et noùrir des fleurs, par raisons naturelles et du tout irrépréhensibles, déduites de l'anthosophie. (Manuscrit vendu à la vente

(1) Voir : Paul BERGMANS, Biographie nationale, t. XV, pp. 198, sqq.

(2) Les Flamands de France, l. c.


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de M. Bieswael, le 15 avril 1845). Il avait été précédé dans l'étude de cette partie de l'histoire naturelle par Nicolas de Montmorency... Ce seigneur... fit paraître successivement : 1. Flos campi; 2. Manna absconditum... » M. De Baecker, dans ses recherches, aura sans doute rencontré une mention de l'ouvrage de Montmorency ne donnant que les deux premiers mots de sou titre Flos campi: il en aura conclu que c'était un ouvrage de botanique, alors qu'il s'agissait de fleurs spirituelles.

c) Diurnale pietatis in quatuor partes repartitum. Anvers, 1616. Dédié à l'archiduc Maximilien d'Autriche.

d) Solemne convivium bipartitum : de praecipuis solemnitatibus D. N. Jesu Christi, B. Mariae et sanctorum. Anvers, 1617.

3° Couronne spirituelle. Douai, 1602.

4° Exercices quotidiens et méditations en l'honneur du glorieux saint Joseph, époux de la Mère de Dieu. Douai, 1009, 1616 ; Bruxelles, 1610.

5° La semaine chrétienne. Douai, 1612.

6° Fontaine d'amour divisée en sept parties, composée et recueillie à l' honneur de Dieu, pour l'entretien des âmes dévotes. Bruxelles, 1613.

7° L'amour de Marie divisé en trois parties, faict et composé à l'honneur de Dieu et de la Vierge Marie. Bruxelles, 1614.

8° Le chapelet spirituel. Bruxelles, 16??

Nicolas de Montmorency mourut à Gand. le 16 mai 1617, pendant qu'il présidait au renouvellement du magistrat. Son coeur fut mis dans le tombeau de ses ancêtres, à Estaires, et son corps transporté à l'abbaye des Brigittines de Lille.

Je viens de nommer quelques théologiens laïques de votre pays. La liste des théologiens prêtres est, cela va


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sans dire, beaucoup plus longue. Ils ont traité tous les genres. Commençons par ceux qui se sont occupés de théologie ascétique et mystique (1), science qui enseigne les règles et les conseils de la perfection chrétienne. Nous y joindrons les auteurs de théologie parénétique, qui ont employé la forme du sermon.

JEAN NOCKART. natif de Lille, prit l'habit de SaintDominique, dans cette ville. Lecteur en théologie, il fut prieur du couvent de Lille, définiteur de la Province (1530) et inquisiteur pour le diocèse de Tournai.

Il publia, de concert avec le P. Jean Lanceau, ou Lancelli : P. Antonii de Azaro, Parmensis, Medulla sermonum, recognita et emendata. Paris, 1515.

Nous lui devons aussi une édition des Commentaires de Cajetan : Commentaria Magistri Ordinis, Thomae de Vio, Cajelani, in I partem Summae S. Thomae de Aquino. Paris, 1514.

Nockart mourut à Lille, en 1540.

AMAND FREMAULT, dominicain, né à Lille vers 1488, professa la philosophie aux couvents de Lille et de SaintOmer. Il mourut en 1549, laissant en manuscrit :

Conciones quadragesimales super illum unicum Psalmi L versiculum : Peccatum meum contra me est semper. Tibi soli peccavi.

Conciones de Tempore et de Sanctis per annum.

HENRI PIPPINCK, né à Cassel, au commencement du XVIe siècle, prit l'habit de Cordelier de l'étroite Observance. Il devint un prédicateur distingué, et fut un ardent polémiste vis-à-vis des novateurs. Il gouverna le couvent

(1) Il ne faut pas confondre l'ascétisme avec le mysticisme. L'ascète se propose la perfection de l'homme par l'exercice des vertus chrétiennes, il est surtout pratique. Le mystique tend au même but, mais par la connaissance et l'amour de la vérité, par la méditation et la contemplation : il est surtout spéculatif.


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d'Anvers et fut élu provincial de la Basse Germanie, en 1564. Il avait été envoyé en Angleterre lors du mariage de Philippe II avec Marie Tudor, en 1559, comme aumônier des Flamands de la suite du prince.

A la Bibliothèque Royale de Bruxelles, on conserve de lui trois opuscules réunis sous le titre de : Gheestelyke leeringen (ms. n° 3988).

Ce fut Pippinck qui, le premier, publia la troisième partie des Refereinen de la. célèbre Anna Byns : Een seer scoon ende suyver boeck verclarende de mogentheyt Godts ende Christus ghenade over die sondighe menschen : daerenboven die waerachtige oirsaecke vander plaghen, die wy voor ons ooghen sien : met veel scoon vermaninghen totter deucht. die in Christo is : den rechten wech vun Godts toorn van ons le keeren. hier Pais te vererighen. ende hier nu-maels het eenwich leven. Door... Anna Byns... Anvers, 1567.

Nous avons encore de lui : Het Bruy-loft cleedl der Liefden Gods, verclarende hoe seer dut een yegelyc Christen mensche van noode is totter salicheyt, ende wat groote wonderlycke uruchten die Charitate in dye siele der menschen is werchende. Ghemaecktby broeder Frans Vervoort, ghecorrigeert ende int lichl gebracht byden Eerweeerdighen Heer Broeder Hendrich Pippinck, Minister Provinciael van Nedcrduytslant. Anvers, 1566. Het Sweert des Gheloofs om lebeschermen die Cliristen Kerche teghen dic vyanden der Waerheyts, ghetogen wt die heylige scriftwre, wt die heylige Concilien. ende wt die alderoutste Vaders ende Doctoren der heyleger Kercken. Gemaect in Fransoysce talc van B. Nicolaes Grenier, Religioos van S. Victors, ende overgeslelt in Duytsce : nu int licht gebrocht doer B. Henrick Pippinck. Anvers, 1568.

Pippinck mourut dans sa ville natale, vers 1580.


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JEAN CROMBECIUS (VAN CROMBEECK), S. J., né à Douai, en 1563, fut recteur de Liège et de Saint-Omer, où il finit ses jours, en 1626. Nous avons de lui :

De studio perfect.lionis, libri duo. Anvers, 1613; Mayence, 1614. Traduit en français par le P. Chesneau. Saint-Omer, 1614.

Ascensus Moysis in montent seu de oralione tract.lalus tribus stationibus ac viis purgativa illuminaliva unitiva distinctus. Saint-Omer, 1518; Cologne, 1618; Lyon,1619.

Tomi tres in Psalmos. Ces commentaires étaient prêts pour l'impression quand l'auteur mourut.

ETIENNE L'ARCHIER (ou DE LANCIER), natif de Lille, prieur des Ermites de Saint-Augustin, à Bon vignes (Namur), publia :

Origo magnitudinum majestatis reginae Coelorum seu Alatris Dei et divinae misericordiae. Liège, 1634.

JEAN DU JARDIN (1), S. J., né à Douai, en 1565, mort à Valenciennes, en 1644, nous a laissé : Manuale considerationum, complectens compendium praecipuarum considerationum. Videlicet, de homine, de mundo, de peccato, de virtule, de Deo, de Angelo custode, de IIII novissimis, de Christi passione, de Dei praesentia et de aetermitate. Douai, 1625.

Manuale peccati mortalis, continens summarium praecipuorum malorum ac remediorum ejus. Douai, 1625.

Il traduisit en français plusieurs ouvrages du P. Alvarez de Paz :

Traicté de l'exercice journalier des vertus. Douai,

(1) En parlant des poètes, nous avons cité, p. 98, Antoine du Jardin, né à Lille, en 1685. C'est une distraction; il faut lire : Jacques du Jardin, né à Lille, en 1586.


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1615, 1625: Traité de la haine et fuite des péchés. Douai, 1626; Méditations. Douai, 1625; Traité de l'amour et la suite de la vertu et de son excellence. Douai, 1627 : Traicté du combat et de la victoire contre les tentations : fort utile à tous, à fin de les bien rejetter et surmonter, pour obtenir la couronne immortelle. Douai. 1627.

WALLERAND CAOULT, prêtre douaisien, bénéficier de la collégiale de Saint-Amé, a rendu des services par ses traductions :

Oraison non moins dèvotieuse que substantiuse de D. J. Trithème, abbé de Spanheim, traictant des douze renards causons la ruyne de la religion... Douai, 1604.

La doctrine du coeur, composée passé 300 ans par le R. P. Gérard, traduite par F. Delatlre, augmentée par W. Caoult. Douai, 1601.

Bulles pontificales tirées du, Bullaire romain, touchant la closture des religieuses, tournées du latin en français. Douai, 1004.

La vie admirable, très saincte et miraculeuse de Mme saincte Ludyvinc, escrite en, langue, latine par Jean Brugman, de l'ordre de Saint-François, réduit par Laurent Surius : de nouveau, sans abréger, mise du latin en français et distinguée en trois parties. Douai, 1600.

Caoult publia en outre : Miracula quae ad invocationem B. V.Mariae apud Tungros, Camberones et Nervios in Hannonia, ac Dominam Gaudiorum in Picardia vulgo Notre-Dame de Liesse dictam, effulsere ab anno 1081 ad annum usque 1005. Aut. Caoult, presbylero. Douai, 1600; 1606.

JEAN CAILLET, S. J., né à Douai, en 1578, enseigna le


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grec et mourut dans sa ville natale, en 1628, laissant en manuscrit : Illustria sanctorum virorum exempta in singulos anni dies. 6 volumes.

JACQUES DE LA PORTE, né à Lille, prit l'habit des Ermites de Saint-Augustin, et fut successivement prieur des couvents de Lille, Tournai, La Bassée, définiteur et visiteur de la province de Cologne.

On a de lui : Médilations sur les sept douleurs de la bienheureuse Vierge Marie. Douai, 1645 : Traité du pain bénit (de Saint-Nicolas de Tolentin). Douai, 1647.

OTHON LADESOU. S. J., né à Lille, le 11 juillet 1587. enseigna pendant cinq ans les humanités, et mourut recteur d'Hesdin, le 8 mai 1630. Il nous reste de lui :

Occupatio quotidiana adolescentis studiosi, seu praxes et rationes variis cum pietalis, tum studiosorum exercitiis, ejus aninurn excolendi, ex probatis auctoribus collectae et concinnatae. Mons, 1629; 1647 ; Vienne, 1664; Munich. 1682 ; Ingolstadt, 1747.

PIERRE PENNEQUIN, S. J., né à Lille, en 1588, enseigna les humanités, la philosophie, l'hébreu et l'Ecriture Sainte, à Douai, fut recteur des collèges d'Arras et de Mons, et enfin (1652-1654) provincial. Il mourut à Mons, en 1663. Ses principaux ouvrages sont :

1° Primum societatis Jesu Saecutum Deiparae Virgini Mariae sacrum. Arras, 1640.

2° Introduction à l'amour de Dieu, divisé en trois parties. Mons, 1644 ; 1345; 1654. Ouvrage dont l'auteur donna une édition latine : Isagoge adamorem divinum. Anvers, 1661. Nous en avons aussi une traduction flamande par le P. Fr. de Smidt : lnleydinghe loi de liefde Godts... Anvers, 1650, et une traduction allemande par le chanoine régulier Muzenhard : Gottlicher LiebsZeiger... Augsbourg, 1700.

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3° Traité des trois retraites intérieures... Mons. 1644 ; 1655.

4° Entretiens spirituels. Mons, 1656 ; 1657. Traduit en flamand par le P. de Smidt : Gheestelycke onderhoudinghen. Anvers, 1658.

5° Maximes de l'esprit tirées des vérités éternelles et opposées à celles de la chair. Liège. 1668.

ALARD LE ROY, S. J., né à Lille en 1588, entra dans la Compagnie en 1607. Il passa quelques années dans renseignement des humanités, et les trente dernières années de sa vie dans le ministère de la chaire et du confessionnal. Nous lui devons :

1° Iler certum coeli, et modus efftcax ad salutem. Tournai, 1621.

2° Beata virgo, causa omnium bonorum, et nota salutis. Tournai, 1022.

3° La saincteté de vie, tirée de la considération des fleurs. Liège, 1641 ; 1053.

4° La vertu enseignée par les oiseaux. Liège, 1053.

5° La pénitence délayée souvent infructueuse, au moins doubteuse. Liège, 1641.

5° Le père de famille et ses obligations. Liège, 1612.

7° Instruction pour passer vertueusement les dimanches et les festes de l'année ; item les chastimens de ceux qui les ont transgressées. Liège, 1653.

8° Nostre-Dame de Grâce. Nostre-Dame de Bon Voyage, guide fidèle des voyageurs. Nostre-Dame de Bon retour. En quatre cas bien importans. Honorées aux faubourgs d'Avroy-lez-Liège. Liège, 1651.

9° Liège catholique, offerte aux Liégeois catholiques. Liège, 1633.

10° La vie de S. Lambert, martyr, Evesque de Tongres : Patron de la cité et pays de Liège. Liège,


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1634. Les nos 9° et 10° sont des traductions des ouvrages latins du P. Jean Roberti.

11° Compendium vitae B. Francisci de Borgia. Lille, 1624.

JACQUES HAUTIN, S. J., de Lille, dont nous avons déjà signalé les Praccepta rhetoricae (1), a produit une foule d'ouvrages ascétiques. En voici les principaux :

1° Angélus Custos seu de mutuis Angeli Custodis et clientis angelici offtciis, tracta lus. Anvers, 1520, 1630.

2° Lytrum animarum Purgatorii. Douai, 1642.

3° Sacramentum amoris Eucharistia, opus theologico concionatorium, duobus libris exhibitum. Lille, 1650.

4°Patrocinium defunctoruma R. P. Jacobo Hautino Soc. Jesu sacerdote tribus libris exaratum... Liège, 1664.

5° Novum opus de novissimis improbo acerbissimis, probo suavibus... Lille. 1571.

ISIDORE DE SAINT-JOSEPH, carme déchaussé, né à Dunkerque, vers 1590, prit l'habit au couvent de Douai. Il enseigna la philosophie et la théologie en Flandre, fit des leçons sur les controverses au séminaire de Saint-Paul, à Rome, devint consulteur du Saint Office, procureur général de la. congrégation d'Italie (1647), puis définiteur général (1650 et 1656). Il mourut à Rome en 1666. Voici les ouvrages qu'il nous a laissés :

1° Le bouquet sacré de la bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. Douai, 1627.

2° Praxis verae Fidei qua jus tus vivit ; ex hispanico idiomate Thomae a Jesu versa. Cologne, 1628.

3° S. Gregorii Decapolitae sermo, nunc prirnum

(1) Voir plus haut. p. 83.


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editus, e graeco latinitate donalus, ac nolis brevibus illustratus. Rome, 1642.

4° Vita, virtutes et epistolae spirituales Joannis a Jesu Maria, Carmelitarum excalceatorum praepositi generalis. Rome, 1649.

5° Annalium congregationis Italicae Carmelitarum excalceatorum, Tomus I. Rome, 1668 (1).

FRANÇOIS GAULTRAN, S. J., né à Gravelines, en 1591, fut professeur d'humanités et recteur de Béthune et de Valenciennes, et mourut a Tournai en 1669, nous laissant :

Abrégé de la vie spirituelle pour tout estat, tiré de la considération des créatures... Liège, 1638; Tournai, 1645; 1661 ; 1666.

Lu vie de S. Druon ou Drogon, confesseur. Tournai, 1652 ; Douai, 1770; 1781 ; 1829 ; Valenciennes, 1830 : Lille, 1850; Valenciennes, 1862 ; Arras, 1862.

Question historique où il se traite si Tournay est une ville des anciens Nerviens et si elle en est la capitale. — Dissertatio historica sitne Tornacum urbs Nerviorum, eorumque metropolis. Tournai, 1658.

TOUSSAINT BRIDOUL, S. J., né à Lille, le 22 mai 1595, passa toute sa vie dans les travaux du saint ministère et mourut dans sa ville natale, le 28 juillet 1672.

Ses ouvrages ascétiques sont :

1° Boutique sacrée des saints et vertueux artisans. Dressée en faveur des personnes de celle vocation. Lille, 1650. Le P. Fr. de Smidten a donné une traduction flamande ; Den doorluchtige Winckel van de Heylighe ende deughdelycke Cooplieden ende Ambachtslieden. Anvers, 1051.

2° Itinéraire pour la vie future. Lille, 1663.

3° L'illustre hôpital des pieux aveugles. Lille, 1670.

(1) Voir : PAQUOT, Mémoires, t. XII, p. 350.


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4° L'Enfer fermé par la considération des peines des damnés. Lille, 1671.

5° Le Paradis ouvert par la dévotion envers la Sainte Vierge. Lille, 1671.

6° L'Escole de l'Eucharistie, establie sur le respect miraculeux que les bestes, les oiseaux, et les insectes, ont rendu en diverses occasions au S. Sacrement de l'autel. Lille, 1672. Un anglican, Will. Clagett, traduisit cet ouvrage en anglais et mit en tête une méchante préface.

7° Le triomphe annuel de N. Dame : Où il est traité chaque jour de l'an des honneurs que la Vierge a receus du Ciel et de la terre. Addresse à la Mère de Dieu, à titre de reconnoissance, pour avoir conservé la Compagnie de Jésus durant son premier siècle, dans l'esprit qu'elle lui a procuré à sa naissanee. Lille, 1640.

8° Le triomphe annuel de Notre Seigneur. Où est traité chaque jour de l'an des mistères de la vie de Jésus, ou des faveurs qu'il a fait aux hommes ou des reconnaissances qu'il a recettes de ses devots. Lille, 1659.

On lui doit encore :

9° La vie de François Caietan de la Compagnie de Jésus. Ecrite en italien par le R. P. Alfonse Caietan, et mise en françois par le R. P. Toussain Bridoul, tous deux de la même Compagnie. Lille, 1641. Dédié à M. Jean Foucquart, abbé de Loos.

10° Miracles et bénéfices faits par S. François Xavier, apostre des Indes à Potamo, en Calabre, l'an MDCCLII. Traduits [de latin du P. Bachin] en françois par le Père Toussaint Bridoul. Lille, 1661.

11° La vie de S. Florent Pretre, reclamé pour les fièvres et mal de tête, composée par le P. Toussaint Bridoul. Liège, 1653.


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NICOLAS PARENT, nè à Lille, vers la fin du XVIe siècle, entra dans l'ordre de Citeaux, fut prieur de l'abbaye de Loos-Notre-Dame, et directeur spirituel des religieuses cisterciennes de Notre-Dame du Mont-d'Or, à Wevelghem. Il mourut en 1663 , nous laissant : L'abeille mystique, ou fleurons odorifèrans, et discours emmiellez du très dévot frère saint Bernard, pour les trois voyes de la perfection religieuse, purgative, illuminative et unitive. Divisée en trois parties. Tournai, 1639.

Nous n'avons pas trouvé les titres de deux autres ouvrages écrits en français, que Foppens lui attribue, et dont il donne les titres en latin : Calcar divini amoris (Stimulant de l'amour divin), et Pia exercilia usurpanda an le et post communionem (Pieux exercices avant et après la communion). Lille. De Rache.

PIERRE DE LA RUE, naquit à Bergues-Saint-Winoc, vers la fin du XVIe siècle. Entré dans l'ordre de Citeaux, il fit profession à l'abbaye des Dunes, près de Furnes, prit le grade de bachelier formé en théologie à l'Université de Douai, et enseigna pendant plusieurs années la philosophie et la théologie, dans son monastère, transféré à Bruges, depuis 1627. Il fut ensuite chargé de la direction spirituelle des Bernardines de Ravensberg, près de Watten, puis des religieuses de Spermaille à Bruges, où il mourut, en 1648. Charles de Visch, dans ses Scriptores ordinis Cisterciensis, dit qu'aux Dunes on conservait, en manuscrit :

Conciones per totum an ni circulum habendae tam festis quam Dominicis diebus ; Sermones de diversis materiis ; des cantiques spirituels et des comédies sacrées en vers flamands.

CORNEILLE PERDU (PERDUCIUS), S. J.. né à Bergues-


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Saint-Winoc, en 1594, enseigna la philosophie pendant plusieurs années, à Douai, et mourut à Valenciennes. On a de lui :

1° Acheminement de l'àme à son Créateur, par les gratieux et amiables sentiers d'une saincte confiance et espérance de son salut en la bonté et miséricorde de Dieu. Douai, 1635; Tournai, 1642.

2° Le secret d'une bonne mort, déduit par le P. Cornille Perducius. Mons, 1642.

3° Considérations dévotes sur la grâce de la vocation à l'estat religieux et au célibat. Mons, 1647.

4° Quelques dévotes considérations pour nous embraser du saint amour de Dieu et nous porter à la pratique des vertus. Valenciennes, 1651.

5° Quelques advis salutaires pour faciliter l'entrée à l'oraison et en tirer profit, au temps mesme des ariditez et désolations. Valenciennes, 1651.

6° La règle ou le bon usage du dueil, qu'on doit tenir, à la mort des proches, et des bons amis : avec les devoirs de bienséance et d'obligation, que les trépassez attendent et demandent des vivans. Valenciennes, 1655.

7° Les entretiens et les douceurs du saint amour en suite et en vertu d'une attentive considération des bienfaits receus de la main de Dieu. OEuvre très propre à toute sorte de personnes de quelque état et condition qu'elles soient. Valenciennes, 1656.

La théologie ascétique et la mystique chrétienne sont basées sur la théologie proprement dite, dogmatique et morale. D'après les formes qu'elle revèt, la théologie, tant morale que dogmatique, s'appelle positive, scolastique, polémique, catéchistique, etc. Nous allons rencontrer tous ces genres traités par vos théologiens d'autrefois. A ces théologiens nous ajouterons les auteurs qui ont


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louché des questions d'Ecriture Sainte, de droit canonique ou de liturgie.

PIERRE COLPIN, natif de Douai, docteur en Théologie de l'Université de Douai (promotion de 1571), mort dans cette ville, en 1599, nous a laissé, en manuscrit (n° 471 de la Bibl. de Douai) : Catechismi catholici ab eximio M. V. Mathaeo Galeno Westcappellensi in scholis theologicis publiée dicti Erotcmata per singulas catéchèses digesta Duaci anno 1505 et in. hoc compendium opéra Pétri Colpini redacta. On avait établi à l'Université de Douai une chaire de catéchèse dont le titulaire, professeur de la faculté de théologie, devait donner, sous une forme adaptée aux jeunes gens qui se destinaient aux carrières libérales, un cours approfondi de religion, en insistant surtout sur les erreurs du temps. Galenus (•j- 1573) fut le premier professeur de catéchèse. Son cours dura cinq ans et comprend deux cent dix-neuf leçons, contenant un corps très complet de théologie théorique et pratique. Colpin, un des élèves de Galenus, eut l'heureuse idée de consigner par écrit les doctes instructions données par son maître, jusqu'en 1565. Devenu lui-même professeur royal de catéchèse et chanoine de Saint-Pierre, il publia : Liturgica institutio complectens sacrosanctoe rnissae naturam, partes, formam et preces sacrificales, adjunctis precatiunculis, quibus in divino cul tu exerceri debeant studiosi adolescentes. Douai, 1597.

ANDRÉ DU CROQUET, docteur en théologie, de la même promotion que Colpin, et prieur de l'abbaye d'Hasnon, vous est déjà connu. J'ai cité plus haut (1) son ouvrage original : Omilies trente noef, etc. J'ai fait remarquer, en même temps, la trop grande sévérité de Duthilloeul qui

(1) Page 102.


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dit que les autres productions de Croquetius sont pour toujours condamnées à l'oubli. Quelles sont ces productions?

1° Catéchèses christianae, AndreaeCroquetii, S.Theologiae licentiati confectae et editae opéra et studio maximo, ex Mathaei Galeni, quondam apud Duacenses Cancellarii ac regii primariique professons, homiliis catecheticis. Douai, 1574. C'est un recueil complet des cathechèses du professeur Galenus, dont nous venons de parler tout à l'heure, recueil qui est loin d'être condamné à l'oubli. — Les auditeurs et amis de Galenus engagèrent Du Croquet à publier les oeuvres inédites du maître. Croquetius choisit, parmi les manuscrits de Galenus, l'un de ceux qui semblaient le mieux convenir aux nécessités de l'époque et fit paraître :

2° Enarratio Epistolae ad Hebraeos B. Pauli Apostoli, a syro sermone in latinum conversae, ex M. Galeni Weslcapellii praelectionibusconcinnata opera ac studio Fr. Andreae Crocquetii... Douai, 1570. Cette production, pas plus que la première, n'est condamnée à l'oubli.

Peut-être est-ce un autre travail de Galenus que Du Croquet publia sous ce titre, probablement écourté, donné par Duthilloeul : Commentarii in epistolam Pauli ad Romanos, edente Andrea Croquetio. Douai, 1677. Le mot edente semble indiquer que Croquetius n'est que l'éditeur de l'ouvrage.

JEAN COUVILLON, S. J., né à Lille vers 1520, entra dans la Compagnie, en 1543, à Louvain, où il était professeur de la pédagogie du Lis. Il enseigna la philosophie et la théologie à Coimbre, Rome, Lyon et Ingolstadt. En 1561, le duc Albert de Bavière l'envoya au Concile de Trente, l'y accréditant comme son théologien. Couvillon fut ensuite recteur à Dillingen, et mourut à Rome, en 1581.


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C'était, un saint religieux doublé d'un grand savant, à qui nous devons :

Theologicae conclusiones deductae ex priori epistola D. Pauli ad Corinthios, quam interpretatus est hoc anno Romae R. Pater Joannes Cuvillon, professer theologiae Societatis Jesu, in collegio ejusdem Societatis. Rome. 1554.

(En manuscrit) Quaestiones in Psalrnos ; Confessionum Libri VIII. C'est son autobiographie.

JEAN AENDEVOET, né à Bergues Saint-Winoc, licencié endroit et en théologie de l'Université de Douai (1), très versé dans le grec et l'hébreu, publia :

Scutum Samuelis sive de ementita vatis in fer i larva scrutinium. Douai, 1635. C'est, une dissertation sur la résurrection de Samuel.

Vita B. Francisci de Sales. Foppens n'indique pas le nom de l'imprimeur.

JACQUES H UGUES, né à Lille, S. T. D., chanoine de Saint-Pierre à Lille, nous a laissé;

Psalmi cum cantieis : diurnarum Jiorarum Brevearii Romani perspicua et brevis (pro meditatione) explanatio, auct. Jac. Hugues. 1647.

Ecloga a spiritu S. Salomoni dictata : aut. Jacobo Hugues. 1649. — Duthillouil signale ces ouvrages dans son Catalogue des ouvrages cités comme imprimés à Douai, mais dont les imprimeurs ne sont pas indiquès (2).

Foppens cite : Explanatio in cantica canticorum. Douai, 1649; Spécimen optimigenerisexplanandi Scripturas, novem Psalmorum expositione editum. Lille,

(1) Selon L. De Baecker (Les Flamands de France, 1. c, p. 452) il aurait étudié à Louvain.

(2) Bibliographie douaisienne, n°s 1695 et 1700.


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Simon le Francq, 1646. Nous pensons que l'Explanatio n'est autre chose que l'Ecloga. Le Specimen parait différent des Psalmi cum canticis.

JEAN DECKERS, S. J., né à Hazebrouck, en 1560, entra au noviciat de Naples, en 1578. Il enseigna la philosophie et la théologie à Douai et à Louvain, devint chancelier de l'Université de Gratz et recteur du collège d'Olmutz. Il mourut à Gratz (1) en 1619. C'était un religieux d'un profond savoir et d'une haute piété.

Nous avons de lui : Exercitum christianae pietatis. On pense qu'il s'agit de l'ouvrage anonyme : Exercitium christianae pietatis, in gratiam studiosorum auctoritate et mandato Illustriss. Card. D. Nicolai Radivilii collection. Cologne, 1589; Louvain 1599.

Oratio Groecii, cum cancellarius esset, habita in sponsalibus Sigismundi III Regis Poloniae cum Constantia Austriaca. Cracovie, 1605.

Oratio panegyrica in exequiis serenissimae Mariae Annae archiducis Austriae uxoris serenissimi Ferdinandi, ejus qui postea lmperium (II, hujus nominis) obtinuit, Groecii dicta anno salu tis CIC IDC XVI. Gratz, 1016.

Le P. Deckers travailla pendant quarante ans à un ouvrage resté inédit et intitulé : Theologicarum disserta tionum mixtim et chronologicarum, in Christi MeavOcoraou natalem, seu de primario ac palmari divinae ac humanae chronographiae vinculo, qui est annus or tus, ac mortis Do mi ni ; atque universa Jesu Christi OEconomia. 3. vol.

Comme un avant-coureur de cet ouvrage,le P. Deckers fit soutenir des thèses résumant sa doctrine sur la date

(1) Groecii : à Gratz, et non pas en Grèce, comme le dit L. De Baecker (Les Flamands de France, dans le Messager des Sciences historiques, 1. c. p., 435).


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de la naissance de Notre Seigneur, qu'il place l'an 749 de Rome, la 5e année avant l'ère vulgaire : Velificatio seu theoremata de anno or tus ac mortis Domini, deque universa Jesu Christi in carne oeconomia. Gratz, 1605 ; Tabula chronographica a capta per Pompeïum Jerosolyma ad incensam et delelam a Tito Caesare Urbem. ac Templum, sepullamque ac triumphatam Synagogam

Synagogam his brevicolae notae ad opticam

thesium. Gratz, 1005 (1).

Pendant qu'il occupait la chaire de théologie au collège d'Anchin, le P. Deckers eut des démêlés avec des professeurs de l'Université de Douai. Deckers enseignait sur la grâce et la prédestination la doctrine moliniste en vogue dans son ordre. Comme il avait avancé dans son cours que cette doctrine était celle de saint Thomas et de la plupart des théologiens, il fut attaqué par Baudouin Rythove et Guillaume Estius. Une autre assertion du P. Deckers mécontenta les docteurs de Douai, qui, on le sait, professaient le thomisme. Il avait dit qu'il ne voyait aucune différence réelle entre la doctrine thomiste sur la prédétermination physique et celle de Calvin, bien que celui-ci affirme que la grâce enlève le libre arbitre, tandis que les thomistes soutiennent que la liberté reste sauve. Nous n'entrerons pas plus avant dans l'histoire de cette querelle, dont on peut trouver le développement dans Th. Bouquillon : Les théologiens de Douai, II, Matlhias Bossemius. Arras, 1880.

FRANÇOIS LE ROY, S. J., né à Lille en 1592, enseigna huit ans la philosophie et quatorze ans la théologie à Douai, et fut recteur des collèges de Douai et de Mons. Dans la suite, il fut appelé à Rome en qualité de théologien du

(1) Voir : I'. DE RAM, Hagiographie nationale, t. 1, p. 130. Louvain, 1864.


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père général et censeur des livres pour l'assistance d'Allemagne. Il mourut au collège romain, en 1679.

Outre un travail ascétique intitulé :

1° Occupatio animae Jesu Cristo crucifixo devotae. Complectens varia exercitia spiritualia ad recolendam, venerandam, imitandamque Donimi nostri Passionem accomodata. Prague, 1664-1665 ; nous avons de lui un excellent ouvrage polémique :

2° Exercitationum theologicarum adversus haereses aevi praesentis, sectarum, quae religionis reformationem praetendunt, labyrinthus inextricabilis. In quo demonstratur : Novatorum (idem atque doctrinam universam versari in circulo, nec ipsos proinde habere in rebus fidei controversis ubi pedem figant, nisi ad Ecclesiae catholicae sensum, traditionemve recurrant. Avignon, Lyon, 1677; Liège (augmenté et avec un titre modifié), 1680.

Nous lui devons encore :

3° Templum sapientiae. Sive dissertatio mystagogica in qua de Templo sapientiae, partim historico et, litterali, partim mystico ac spiritali, sensu disseritur ; illudque nominatim disquiritur : Fueritne templum Salomonicum Supremae Dei Sapientiae, speciali titulo, ac vero nomine dedicatum. Lille, 1664. Dédié à Alexandre VII.

4° Porticus Salomonis, Sapientiae Templo sublimioris Academiae, seu scholae coelestis, instar adjecta. In qua,summa quaedam et communissima Christianae ac verae Sapientiae capila, peculiari methodo, atque miscella eruditione, dissertantur. Liège, 1668. Dédié à Clément IX.

CLAUDE DE CARNIN, né à Douai, en 1576, était chanoine de Saint-Pierre, à Douai, et mourut à la fleur de l'âge. Il avait fait de solides études de théologie et de droit,


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comme le prouvent ses deux ouvrages : Trac tatus de vi et potestate legum humanarum in tres partes dissectus, quarum prima universim de legum tam ecclesiasticarum quam civilium, ad mortale peccatum, obligatione disseritur : secunda, legum poenalium obligandi vis discutitur : tertio,, de obligatione legum tributariarum disceptatur : aut. Cl. Carnino. Douai, 1608 ; Oppugnatio turris Babel, seu propugnatio utriusque potentiac et législations hnmanae, ecclesiasticae et civilis, adversus filios Belial, novatores exleges nostri aevi ; au tore Claud. de Carnin. Douai, 1620.

GILLES DE LA COULTURE, né à Lille, est un calviniste converti, auquel nous devons un otnrage apologétique : Rescriptions faictes entre M. Gilles de la Coulture, Lillois, depuis son retour du calvinisme au giron de l'Eglise romaine et M. Antoine l'Escaillet, encore ministre wallon en la ville de Canterbery, pays d'Angleterre, touchant principalement la continuelle perpétuité et visibilité de l'Eglise de Jésus-Christ, jusques à la fin du monde. Anvers, 1588.

JEAN HUCHON, natif d'Annoeullin, prit le grade de docteur en théologie à Douai. Il fut curé de Saint-Sauveur, à Lille, censeur des livres et doyen de chrétienté. Son principal ouvrage est ;

1° Theologia practica de sacramentis, cum commentario ad primam partem Enchendii Petri Binsfeldii suffraganii Trevirensis... Lille, 1641.

On a encore de lui :

2° Miroir de la Croix, ou méditation sur la Passion de N. S. et autres points importans, pour tous les jours de la semaine, avec des réglemens spirituels. Lille, 1640.

3° Pensée salutaire pour les fidels tres-passez ; avec


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l'histoire d'un certain esprit de l'Hôpital-Comtesse de Lille, puis naguere délivré ; composé par ordre de Mgr l'eveque de Tournai. Lille, 1641.

ELOI FACON, né à La Bassée, en 1585, fut d'abord chanoine régulier do Cysoing, puis entra chez les Capucins et mourut au couvent de Lille, en 1670. C'était un solide moraliste, dont on aime à citer les : Flores tot tus theologiae practicae, tum saeramentalis tum moralis, ex doctorum praesertim recentiorum sententiis : auctore Eligio Bassaeo. Douai, 1639; Flores.... Nunc demum venustiores, fragrantiores, necnon uberiores emittuntur. Editio nova.... Douai, 1643.

Louis LE PIPPRE, S. T. L., également natif de La Bassée, après avoir enseigné la philosophie au collège du Roi, à Douai, devint chanoine régulier de l'abbaye de Hennin, près d'Amis. A l'exemple de son compatriote, Eloi Facon, il passa dans l'ordre des Capucins, où il prit le nom de P.Bonaventure. Il fut successivement recteur de théologie au couvent de Montpierreux, à Liège, gardien dans plusieurs couvents et provincial. Il mourut à Soignies, le 11 septembre 1650, après avoir publié :

1° Parochianus obediens, seu de duplici debito parochianorum audiendi verbi et missae parochialis. Douai, 1633.

2° Theophilus parochialis, seu de quadruplici debito in propria parochia persolvendo : concionis, missae, confessionis pascalis, pascalisque communionis. Anvers, 1635.

C'est une édition augmentée du Parochianus, qui fut souvent rééditée, tant sous le nom de Theophilus (Rouen, 1635 ; Rome, 1639) que sous celui de Parochophilus, seu libellus de quadruplici debito. (Paris, 1657 ; 1679).

Le Parochianus fut traduit en français, par François de


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la Tombe, curé de Saint-Quentin, à Tournai : Le Paroissien obeyssant, ou les deux obligations qu'ont les paroissiens d'ouyr la messe et la parolle de Dieu en leur paroisse. Tournay, 1634.

La première partie du Theophilus, concernant la messe de paroisse, traduite par Benoît Puys, curé de Saint-Nizier, à Lyon : Le Théophile paroissial, provoqua, une célèbre dispute entre le traducteur et le P. Henri Albi, jésuite (1).

PIERRE DE SAINT-OMER WALLON-CAPPLLLE, vit le jour au village de Wallon-Cappelle, s'il faut en croire M. L. De Baecker (2). D'autres le font naître à SaintOmer. Lui-même se nomme Fr. Petrus a S. Audomaro, alias a Wallon Cappelle (3). En tout cas il vous appartient par la résidence. Wallon-Cappelle reçut l'habit monastique à Saint-Winoc, vers 1544. En 1558, il alla suivre les cours de l'Université de Louvain. Rappelé en 1564, il enseigna la théologie à ses confrères de Bergues. Il mourut prieur de Saint-Winoc, le 25 janvier 1603.

On a de lui :

1° Institutionum monasticarum secundum sacrosancti concilii Tridentinidecreta. Libri très... authore F. Petro a sancto Audomaro, alias a Wallon-Cappelle. Accesserunt tractatus duo : Al ter de hospitalitate monachorum ; alter de casibus reservatis monachorum praelatis. Louvain, 1572. Une seconde édition (Cologne, 1584) comprend un supplément : Cum tribus ad monas(1)

monas(1) : PAUL BERGMANS, Biographie nationale, t. XI, pp. 873875.

(2) Les Flamands de France, 1. c. p. 139.

(3) Ne descendrait-il pas de l'illustre maison de Saint-Omer, dont une branche portait le nom de Saint-Omer Wallon-Capelle ?


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ticen professos concionibus (de sui abnegatione, de paupertate evangelica, de contemplatione).

2° Illustrationes Religionis monasticae in tres libros distributae. Ex S. Scripturis et ab antiquissimis quibusque Patribus probatae, omnibus non modo liuic professioni devotis, sed caeteris etiam christianis apprime utiles. Cologne, 1583. Dédié à son frère, François de Wallon Cappelle, évèque de Namur.

3° Declaratio caussarum, ob quas Belgium gravissimis praemitur calamitatibus, cum demonstratione remedii adversus easdem efficacissimi. Cologne, 1582. Dédié à Alexandre Farnèse, gouverneur des Pays-Bas. Cet ouvrage a été traduit en français par Nicolas de l'Ardeur, secrétaire de l'évêque de Namur : Discours sur les causes et remèdes des troubles et calamitez des PaïsBas. Liège, 1585.

On conserve chez les Bollandistes, en manuscrit : Calalogus Reverendorum abbatum monasterii S. Winnoci cum quibusdam rerum. g est arum commentariis. Ce Catalogus a servi de base au travail que le P. Pruvost, S. J., a publié dans le Monasticon Flandriae de la Société d'Emulation, de Bruges, sous le titre de : Chronique et cartulaire de l'abbaye de Bergues- SaintWinoc. Bruges, 1875-78. 2 vol. in-4°.

Nous lui devons enfin un petit traité manuscrit sur l'immersion des reliques de saint Winoc dans la Colme : Tractatus apologeticus : Quod S. Winnoci circumlatio et ejus in aquam mersio, quae sacrosanctae Trinitatis die festo fit, non sit superstitiosa qualem Erasmus describit et discipuli non pauci rident, sicut nec vanum sit usu aquae in qua reliquiae S. Winnoci mersae fuerunt expectare beneficium (1).

(1) Voir : R. P. ALEXANDRE PRUVOST, Chronique cit, t. I, p. XXV ; t. II, p. 462.

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JACQUES LE FEBVRE (FABER), né à Tourcoing, vers 1550, entra au couvent des Dominicains à Lille, fit ses études à Louvain, devint prieur à Lille, régent des études à Louvain et prit le bonnet de docteur à l'Université de cette ville, en 1590. L'année suivante, s'étant mis en route pour aller prêcher l' Aven t à Huy, il fut arrêté par les calvinistes, qui, après l'avoir cruellement maltraité durant trois jours, le tuèrent à coups d'épée, le 24 novembre 1591. — Permettez-moi de rappeler, à cette occasion, qu'un autre enfant de votre Flandre, Pierre Pruus, né à Lille, vicaire de l'ordre des Frères-Mineurs, en se rendant d'Ath à Gand, fut également assassiné par les hérétiques cachés en embuscade. C'était, en 1571. Aux deux curés martyrs cités plus haut (1), il faut ajouter encore Antoine Van der Clyte. curé de Rubrouck, et son vicaire, Pierre Dolet, qui périrent aussi victimes des Gueux des Bois, le 17 avril 1508.

Jacques le Febvre promettait beaucoup, puisqu'il nous a laissé, en manuscrit, outre ses Conciones pro Dominicis et festis per adventum et quadragesimam, un commentaire sur le traité de Verbo Incarnato de saint Thomas : Commentaria in tertiae partis S. Thomae quaestiones viginti septem priores.

FRANÇOIS-HYACINTHE CHOQUET, dominicain, né à Lille, vers 1580, prononça ses voeux à Anvers. Il fit ses études de théologie à l'Université de Salamanque, où il eut comme professeurs les célèbres théologiens Dominique Bannez, Pierre de Ledesma et Pierre de Herrera. Maître de théologie de son ordre (1611), il prit aussi le bonnet de docteur à l'Université de Douai (1615). Il fut règent des études et enseigna la théologie aux couvents de Louvain (1608-1616), de Douai et d'Anvers. De concert avec

(1) Voir page 124.


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le prieur de Douai, Philippe Petit (1) et les PP. Ignace Brizuela, Pierre Woestyn et Michel Ophoven, il travailla à l'érection du collège de Saint-Thomas d'Aquin pour l'enseignement de la théologie et de la philosophie. Il mourut à Anvers, en 1645.

M. A. Vander Meersch, dans sa notice sur Choquet (2) le qualifie d'hagiographe, et dit : « Ce religieux, fort laborieux et instruit, était, malheureusement, trop crédule et trop prévenu en faveur de son ordre : on en trouve mainte preuve dans le corps de ses ouvrages. On lui doit : 1° Laudatio virtutis et sapientiae D. Thomae Aquinatis. Douai, 1618. 2° Sancti Belgii ordinis Praedicatorum. Douai, 1618.... Une édition française de ce livre fut publiée sous ce titre : Actions mémorables des PP. Dominicains qui ont fleuri aux Pays-Bas (3)... Cette traduction est faite par le P. Jean de Noeuwirelle ; une autre en flamand, est due au P. Léonard Janssen-Boy. Ce livre comprend un grand nombre de faits apocryphes. Il composa encore d'autres opuscules (4), dont on trouve la nomenclature dans Paquot ».

S'il y a lieu de n'accepter que sous réserve certaines assertions de Choquet, il est un fait particulièrement

(1) Voir plus haut, p. 129.

(2) Biographie nationale, t. IV, p. 96.

(3) C'est le titre sommaire du frontispice. Voici le titre complet : Recueil des oies et actions mémorables des saincts personnages ayants oescu dans les Pays-Bas sous la règle de S. Dominique. Douai, 1629.

(4) Voici ces autres opuscules non théologiques : Tabella cirtutum ac miraculorum B. Ambrosii Sansedonii Senensis... et B. Jacobi Salomonii Veneti... utriusque ex Ordine Praedicatorum, quos Gregorius XVin Beatorum namerum retulit anno MDCXXII; ex vulgari Italico Latine cersa. Douai, 1623 ; Beata Ingridis, Ordinis Praedicatorum rediviva ; sive brevicula ejus, hactenus incognitae vita et beatificatio. Douai, 1632 ; In funere P. Michaëlis Ophovii, ex ordine Praedicatorum, seoeti Sylvaeducensium Episcopi, oratio... Anvers, 1633; Triumphus Rosarii a sede Apostolica


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intéressant pour votre région, qui, avancé par lui, est hors do toute contestation. C'est le martyre du P. Antoine Timmerman, dominicain du couvent d'Anvers et natif de Dunkerque. Le 18 mars 1582, Jean Jauregny, originaire de la Biscaye, attenta à la vie de Guillaume d'Orange. Peu de jours auparavant, Jauregny s'était confessé au P. Timmerman. Les hérétiques arrêtèrent le religieux et exigèrent qu'il révélât les aveux de son pénitent. Le confesseur refusa de violer le secret de la confession. Il fut soumis à la torture puis, le 28 mars, pendu et mis en quartiers. La tète de la victime est encore aujourd'hui conservée à la sacristie de l'église de Saint-Paul, ancienne église des Dominicains. Le récit de Choquet est confirmé parmi témoin non suspect, Derens, qui, dans une lettre, datée du 27 mars 1582 et adressée au comte Frédéric de Berghes, écrit : « On a aussi arrêté un prêtre à qui Jauregny s'était confessé, et il a été mis à la torture, mais il n'a point voulu avouer qu'il avait eu connaissance de son dessein » (1).

Si, en parlant des hagiographes, nous n'avons pas cité Choquet, c'est que nous le rangeons, et à juste titre,

décrétas sodalitati B. Virginia Marinae, ob rictoriam ipisius precibus partam de potentissima Turcar um classe sub Pio V. l'ont. Max; adsertus a R. P. Franc, Hyac. Choquetio. Anvers, 1641; Mariae Deiparae in ordineni Praedicatorum ciscera materna exhibet P. Ilgae. Choquetius. Anvers, 1634. Dans ce dernier ouvrage l'auteur parle des stigmates de saint Dominique, et des rayons lumineux qui entouraient le dominicain de Lemos dans les fameuses disputes de la congrégation de Auxiliis. C'est peut-être pour ce motif que sou livre fut mis à. l'index, donee cor rigatur, par décret du 22 janvier 1612.

(1) « Daer is oock een priester gevangen die hem gebicht hadde, ende is donselven gepynicht worden maer en beeft nyet willen |be] lijden eenige kennisse daervan gehadt te hebben ». GROEN VAN PRINSTERER, Archives ou correspondance inédite de la Maison d'Orange Nassau, t. VIII, p. 79. L'épitaphe de Tinimerman, à l'église des Dominicains, à Anvers, porte : « Hic, dura confessionem sacramentalem revelare noluit (O egregiam constantiam ) quaestionibus tortus, martyrii coronam obtinuit ».


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parmi les théologiens. En effet, le savant dominicain, en fait d'ouvrages théologiques, a publié :

1° De origine gratiae sanctificantis, Tomus primus, in quo de ejus natura, causis efficientibus, subjecto, libri tres. Douai, 1628 (759 pp.). — Le tome second, qui n'a point paru, devait contenir : De dispositionibus ad Gratiam ; De Justificatione ; De Merito, Gratiaeque effectibus ; De perseverantia, et confirmationis in Gratiae donis ; De causa finali Gratiae, quae est ejus per Gloriam consummatio. — A la suite de cet ouvrage se trouve une dissertation où est traitée avec ampleur une question très intéressante relative au sacrement de l'Eucharistie ;

2° De mistione aquae in calice Eucharistico, ejusque in Christi sauguinem conversione opusculum theologicum (118 pp.) ;

3° De confessione per litteras seu internuncium, dissertiones theologicae, Prior R. P. Francisci Hyacinthi Choquetii Lilani, Ord. Praed. S. Th. Doct. Posterior R. P. Francisci d'Avila Abulensis, ex eodem Ord. S. Theol. ibidem Doct. olira ac Profess. Douai, 1623. Ces deux dissertations présentent un vif intérêt au point de vue de la question, autrefois controversée : « Si l'ont peut se confesser et recevoir l'absolution par lettres, ou par le moyen d'un tiers ». A la fin de sa dissertation (chap. vu Tractatur difficultas de moribundo obmutescente), Choquet combat l'opinion que le P. Gilles de Coninck défend dans son traité De sacramentis (Disp. 7, Dub. X, pp. 462-464) où il dit : « On peut absoudre un moribond, qui avant l'arrivée du prêtre, a demandé à se confesser, ou a donné d'autres signes de contrition, mais qui, en présence du prêtre, n'est plus capable de rien manifester ». Cette question, différente de celle do la confession par lettres, n'est plus guère controversée


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aujourd'hui. Toutefois, le travail de Choquet nous expose l'ensemble des arguments produits à son époque par les auteurs d'opinion diverse.

Ces données prouvent que la notice de M. Vander Meersch est incomplète, et qu'on doit regarder Choquet non seulement comme hagiologue, mais surtout comme théologien.

GILLES DE CONINCK, S. J., né â Bailleul, le 20 décembre 1571, entra au noviciat le 15 octobre 1592. Il fut l'élève du P. Lessius, occupa dix-huit ans la chaire de théologie au collège des Jésuites à Louvain et remplit ensuite pendant dix ans les fonctions de préfet des études supérieures au même collège. Il mourut à Louvain, le 31 mai 1038. G. de Coninck est une des gloires de sa ville natale, car il occupe une place d'honneur parmi les théologiens scolastiques de la période la plus brillante de la théologie (1). Aussi, toutes les grandes bibliothèques possèdent-elles les ouvrages du savant jésuite bailleulois :

1° Commentariorum ac disputalionum in universam doctrinam D. Thomae de sacramentis et censuris, tomi duo. Auctore Aegidio de Coninck, e societate Jesu, in Academia Lovaniensi S. Theol. professore. Anvers, 1616. In-folio de 864 pp. Dédié à Jacques Boonen, évèque de Gand, son ami de vieille date ; Anvers, 1619; Lyon, 1619, 1024 ; Anvers, 1624 ; Lyon, 1625 ; Rouen, 1630 ; Lyon, 1643.

2° De moratilate, natura et effectibus actuum super(1)

super(1) l'histoire de la théologie catholique, on distingue deu x âges, l'age des Pères, qui s'étend jusqu'à la fin du XIIe siècle, et l'âge des théologiens. Ce dernier comprend deux époques : la première, appelée l'époque scolastique par excellence, finit au début du XVIe siècle ; la seconde (1517-1830) se subdivise en deux périodes. La première période, la plus brillante, commence avec l'apparition du protestantisme, dure jusque la propagation du Jansénisme (1517-1660) et atteint son apogée de 1570 à 1630. La seconde, de beaucoup inférieure, va de 1660 à 1830.


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naturalium in genere. Et fide, spe, ac charitate speciatim. Libri quatuor. Auctore Aegidio de Coninck sive Regio Bellano e societate Jesu, in Academia S. Theol. Professore. Anvers, 1623. Dédié au magistrat de Bailleul. Dans sa dédicace, datée du 15 mai 1623, l'auteur félicite l'échevinage d'avoir appelé dans sa ville natale les pères de la Compagnie.

A la suite de Paquot (1) et du P. De Backer (2), M. Aug. Vander Meersch (3) attribue à de Coninck : Opusculum de absolutione moribundi sensibus destituti, et ajoute : « Cette brochure fut vivement attaquée par un habile théologien et le P. De Coninck lui opposa : Responsio ad Dissertationem impugnantem absolittionem moribundi sensibus destituti : Antverpiae, 1625 ». C'est inexact. Le P. de Coninck n'a pas écrit de brochure spéciale «De absolutione moribundi... » Mais un passage de son traité De sacramentis (Disp. 7, Dub. X) a été combattu dans une dissertation parue à Douai, en 1623. Cette dissertation n'est autre que la De Confessione per litteras. dominicain Choquet, que nous avons mentionnée tout à l'heure. Le jésuite y répondit par ;

3° Responsio ad Dissertationem impugnantem absolittionem moribundi sensibus destituti. Addita explicatione duorum, circa ministrum sacramenti Alalrimonii, et dissolutionem ejusdem per conversionem alterius conjugis ad fidem. Auctore Aegidio de Coninck, Societ. Jesu, S. Theolog. Professore. Anvers, 1625.

Notons en passant que M. Vander Meersch, sans le remarquer, qualifie Choquet d'habile théologien.

4° R. P. Aegidii de Coninck Bellani e Societate Jesu

(1) Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des dix-sept provinces des Pays Bas et de la procince de Liège, t. VIII, p. 358.

(2) Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, t. I.

(3) Biographie nationale, t. IV, p. 892.


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in Academia Lovaniensi Sacrae Theologiae Professoris Disputationes theologicae de Sanctissima Trinitate et Divini Verbi Incarnatione. Cum quatuor indicibus... (fol. de 732 pp.). Anvers, 1645.

Ce travail, que l'auteur avait terminé douze ans avant sa mort, prouve que le savant jésuite possédait aussi bien la dogmatique que la morale.

JEAN GYA, né à Cassel, fut professeur de théologie à Paris. Intimement lié avec Guillaume Budée, le restaurateur de la littérature grecque en France, il écrivit des commentaires sur l'ouvrage de son ami : De contemplu rerum fortuitarum. Nous ignorons s'il publia des travaux théologiques. Il mourut à Paris, en 1559, comme le prouve le chronogramme du poète bailleulois François Thorius :

CASLETUM GENUIT, RAPUIT TE GALLIA, GIA, NEXIBUS EXUTUS CORPORIS, ASTRA CoLIs.

Mesdames et Messieurs, en guise de diversion, je vous invite à vous transporter en esprit à l'ancienne Université de Louvain. Vous aurez la satisfaction de constater que, si l' Alma Mater est une des gloires des Pays-Bas, vos ancètres ont largement contribué à relever l'éclat de l' Athènes du Nord.

L'ancienne Université de Louvain comprenait cinq facultés ; celle de philosophie, appelée communément faculté des arts, celle de théologie, celles de droit canonique et de droit civil (facultates utriusque juris), et la faculté de médecine.

Chaque faculté se choisissait un doyen temporaire. Les cinq facultés obéissaient à un chef suprême, appelé Recteur Magnifique. Celui-ci avait pour conseil ordinaire les


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doyens des facultés. En outre, il présidait le Sénat académique, qui était composé de tous les docteurs des facultés de théologie, de droit et de médecine, d'un certain nombre de professeurs et de docteurs de la faculté des arts, des régents des quatre pédagogies et de quelques dignitaires de l'Université. Le Sénat académique formait le conseil extraordinaire du Recteur dans les affaires de haute importance. A partir de 1445, les élections rectorales se renouvelaient tous les semestres (1).

Dans la série des Recteurs (2) nous rencontrons :

NICOLAS DE HELLIS OU VAN DER HELLE, S. Th. D. (147586-88-95). Né à Dunkerque en 1442, professeur de théologie et pléban de la collégiale Saint-Pierre (1499), il mourut à Louvain en 1505. M. L. De Baecker dit que Van der Helle écrivit plusieurs ouvrages. Nous n'avons pas réussi à en trouver les titres. Devant le maître-autel de l'hôpital de Louvain on lisait autrefois cette épitaphe élogieuse :

« Magistro Nicolao de Hellis, summo theologo

Ecclesiae S. Pétri Lovaniensis pastori,

Et hujus xenodochii prius collapsi, tam in religione

Quam in aedificiis, instauratori piissimo

Viro pacifico et juris ecclesiastici

Propugnatori ardentissimo,

In omnes egenos, praesertim studiosos, munificentissiino

Monumentum factum.

Obiit X Kal. junii an. 1505.

Vixit annis 63 ».

(1) Voir ; A. VERHAEGEN, Les 50 dernières années de l'Université de Louvain, p. 76. Gand, 1889.

(2) REUSENS, Documents relatifs à l'ancienne Université de Louvain dans les Analectes pour servir à l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. XXVII, p. 303. Louvain, 1889. — Les chiffres qui suivent les noms indiquent les années de rectorat.


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NICOLAS VIRULI OU MANNEKKNS (1482), fils de Charles, fut régent de la pédagogie du Lis.

LÉON OUTERS (1499-1502), natif de Hondschoote, obtint, en 1485, la sixième place dans la promotion de la faculté des arts, devint licencié en décrets, professeur et régent du Lis. Il résigna ses fonctions en 1513, époque à laquelle il fut pourvu de la cure de Dunkerque. Après avoir été chanoine de Saint-Lambert, à Liège, il fut élevé à la dignité prévôtale de Saint-Paul, dans la même ville. Il fonda six bourses à la pédagogie du Lis, trois en faveur des Liégeois et trois en faveur des Dunkerquois.

JEAN NAEVIUS OU DE NEVE (1515) vit le jour à Hondschoote. Proclamé troisième dans la promotion de 1499, il conquit le grade de bachelier en théologie et devint professeur et régent du Lis, où il eut pour élève Despauterius. Il mourut en 1524.

Ecoutons ce qu'en dit M. Félix Neve (1) : « Il accueillit à son foyer le grand humaniste (Erasme), quand celui-ci eut renoncé â l'hospitalité de Paludanus. Erasme apprit à l'estimer ainsi que ses collègues et ses amis d'étude, pendant sa résidence dans ce collège (du Lis), dont Naevius était alors devenu président. Déjà auparavant il avait suivi avec intérêt les efforts faits par son ami pour mettre en honneur les études latines, et il lui avait dédié, en 1515, comme à leur directeur, Lilianorum Lovanii gymnasiarchae, un recueil d'opuscules choisis, commençant parles distiques de Caton, destinés à servir de texte aux exercices des élèves de Naevius... Personne ne lit plus de cas qu'Erasme des services rendus par ce maitre à la jeunesse, dans les cours d'humanités qui prospéraient au Lis... Il se plut à vantera tout le monde la

(1) Mémoire historique et littéraire sur le collège des TroisLangues, à l'Université de Loucain, p. 132. Bruxelles, 1856.


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réunion des qualités de l'esprit et du coeur qu'il avait observées en lui, et à lui attribuer une habileté de langage peu commune et une élégance pleine de sel, dans la discussion ou dans la plaisanterie. Nihil est Naevio meo, disait-il en 1517, in hac Academia vel eruditius, vel festivius, vel denique sincerius ».

JEAN HEEMS (1529-32-35-50), natif d'Armentières, fut régent du Lis pondant plus de trente-sept ans, depuis 1522 jusqu'en 1560, année de sa mort. Nous avons vu tantôt un compatriote de Heems, Philippe Montanus, monter jusqu'au grade de docteur en théologie, tout laïc qu'il fût. Jean Heems nous fournit l'exemple d'un prêtre, docteur en médecine. Nommé professeur de médecine et chanoine de la seconde fondation à Saint-Pierre, le 25 novembre 1525, il occupa sa chaire jusqu'à latin de sa vie. Par testament il fonda six bourses à la pédagogie du Lis. Ses restes reposent à l'église Saint-Pierre.

MICHEL DRIEUX (1531-34-38), do la faculté de droit. Nous en parlons plus loin.

VULMER BERNAERTS (1548-51-56-01-68), né à Eccke vers 1510, fit ses études au Lis et obtint la troisième place à la promotion des arts de 1528. Professeur de philosophie au Lis, au moins depuis 1535, il suivit les cours de droit et devint licencié. En 1538, il fut nommé professeur extraordinaire de droit canonique et chanoine de Saint-Pierre. Il prit le bonnet de docteur le 31 août 1547 et, quelques mois après, succèda à Dominique Cackaerts dans la chaire primaire de droit canonique qu'il occupa jusqu'à sa mort. En 1551, Bernaerts fut député, par la gouvernante Marie d'Autriche, au Concile de Trente, avec quatre de ses collègues de la faculté de théologie. A son retour, on lui offrit une place de conseiller au grand Conseil de Malines ; mais il refusa cet


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honneur, comme il déclina également un canonicat à la métropole de Cambrai, que lui présenta l'archevêque Maximilien de Berghes; il préférait la carrière laborieuse du professorat. Il était réputé comme un des plus grands canonistes de son temps. Swertius affirme qu'il écrivit plusieurs ouvrages, entre autres De poenis canonicis. Aucun d'eux n'est parvenu jusqu'à nous.

Vulmer Bernaerts mourut à Louvain, le 23 janvier 1571 (n. s.), laissant une fondation de deux bourses au collège Saint-Ives. Son corps fut inhumé dans l'église Saint-Pierre, devant l'autel de Saint-Ives. On lisait autrefois sur sa pierre tombale cette épitaphe :

« Clariss. ac Doctiss. Viro

D. Vulmaro Bernartio, Eeckensi,

Artium et J. U. Doctori

Et primario Professori juris canonici,

Ab eo duos et XX annos explicati,

Hujus ecclesiae Canonico

Et Universitatis sextum Rectori :

Qui, nomine Ordinis Ecclesiast.

Hujus regionis

Concilio Tridentino interfuit.

Haeredes moesti P. P.

Obiit anno domini MDLXX.

X. Kal. Febr., annos natus LX.

Relicto ad duorum Juris studiosorum

Alimentum reditu LX aureorum.

Ei pacem precare ».

MATTHIEU RUCKEBUSCH (1564), professeur de la faculté de droit civil. Nous le rencontrerons parmi les évêques.

JEAN BLONDEL (1574), né à Lille, licencié en médecine, puis docteur (1578), quitta sa chaire de la faculté de méde-


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cine pour entrer dans la Compagnie de Jésus. Il mourut à Pont-à-Mousson, en Lorraine.

JEAN MOLANUS (1578) vous est déjà connu (1).

BAUDOUIN FEUTZ (1650), né à Broxeele, prêtre, licencié utriusque juris, président du collège de Drieux.

La Flandre maritime et la Flandre gallicante furent, comme nous l'avons vu (2), dignement, représentées dans les facultés do théologie, de droit canon, de droit civil et de médecine ; mais ce fut surtout la faculté des arts qui recruta ses professeurs parmi les fils de ces deux parties de la Flandre.

La faculté des arts qui correspondait en quelque sorte à la faculté de philosophie de nos universités modernes, avait quatre collèges : le Château (Castrum), le Porc (Porcus), le Lis (Lilium) et le Faucon (Falco). Ils portaient le nom de pédagogies, et dans chacun d'eux on donnait un cours de philosophie, fréquenté non seulement par les boursiers logés au collège, mais aussi par des étudiants libres habitant en ville chez les bourgeois. A la tête de la pédagogie se trouvait un régent (regens) assisté dans ses fonctions par un sous-régent (subregens). Deux professeurs primaires (professores primarii) et deux professeurs secondaires (secundarii) étaient chargés des cours et présidaient aux exercices littéraires et scientifiques.

Veuillez me suivre un instant à la pédagogie du Lis. Vous y serez réellement chez vous. En effet, c'est un cassellois, Charles Alannekens (Viruli) qui doit en être regardé réellement comme le fondateur. D'après les comptes de la ville de Louvain, cette pédagogie existait déjà en 1432. Mais Viruli, qui en fut régent de 1437 à

(1) Voir p. 126,

(2) Ajoutons encore, pour les facultés de droit : Jean Corvilan, de Lille (1528), Pierre Pintaflour (1540), Jean Vandeville (1557) et Pierre du Courouble (1570). '


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1193, année de sa mort, la réorganisa et la dota richement. Parmi ses successeurs dans la régence nous rencontrons : Nicolas Viruli. fils de Charles (1489) ; Léon Outers (1493) ; Jean Naevius (1515-1522) ; Jean Heems (1522-1560) ; Jean Plansonius, de Douai (1540, co-régent avec Heems-1555).

La série des sous-régents comprend :

Pierre du Courouble (1505-1570; Antoine de la Rue, de Lannoy (1027). auparavant professeur de littérature au collège de Gand ou collegium Vaulxianum.

La liste des professeurs fournit une foule de noms de vos deux Flandres :

Michel Drieux ; Remi Drieux ; Jean Crucius ou Gutins, de Bergues-Saint-Winoc, ancien élève du Lis, d'où il sortit troisième dans la promotion de 1517 ; Vulmer Bernaerts (1535-39); Pierre Pintaflour ; Antoine Le Pippre (1538-1510), d'Armentières, neveu de Jean Heems; Jean Cuvillon (1543), de Lille, qui entra dans la Compagnie de Jésus (1) ; Pierre Gilioen ou Rex (1544-1545), d'Armentières; Ghislain de Vroede (1545-1549); Maximilien Manare (1544), de Douai. Elève du Lis, il obtint la onzième place sur cent cinquante-six concurrents, prit plus tard le grade de licencié dans les deux droits, devint successivement chanoine chantre, archidiacre de Flandre et doyen (1576) de la cathédrale de Tournai. En 1584, il fut nommé prévôt de Saint-Pierre, à Lille, où il mourut en 1597, laissant huit bourses pour des étudiants de Douai et de la pédagogie du Lis à Louvain et dix bourses pour les apprentis de Lille et de Tournai. — Remarquons, en passant, qu'un autre douaisien, probablement un parent de celui-ci, Olivier Manare, était étudiant au Lis. et devint maître ès-arts, en 1516. Entré chez les Jésuites,

(1) Voir p. 153.


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en 1550, il fut envoyé à Rome, et nommé professeur de rhétorique à Gubbio, en 1552. Premier recteur du fameux collège romain (1554) et peu après de celui de Lorette, il devint successivement commissaire pour la France (1563), premier provincial (1561), assistant du P. général Evrard Mercurian et, à la mort de celui-ci, vicaire général (1580) de la Compagnie. Après l'élection du P. Claude Aquaviva, il fut visiteur de la Germanie et provincial de Belgique (1589-1596) et mourut à Tournai, en 1614(1). — Poursuivons la série des professeurs ; Christophe Potier (1547-1557), de Douai, élève du Lis et deuxième dans la promotion de 1544; Jean Six (1552-1558), plus tard évêque de Saint-Omer ; Etienne Mortreul (1554-1557), de Douai ; Wallerand Parmentier (1561-1563) ; Pierre du Courouble (1563-1570). Né à Linselles, il fit ses études au Lis, d'où il sortit quatorzième, en 1562. Sous-régent depuis 1565, il devint professeur de droit civil (1570) et chanoine de Saint-Pierre. Plus tard, il obtint un canonicat à Tournai et fut nommé officiai en 1593. Il fut eu outre vicaire général de l'évêque de Tournai, Michel d'Esne. Il décéda le 11 avril 1616, laissant une fondation pieuse en faveur de la pédagogie du Lis.

N'avais-je pas raison de vous dire qu'à la pédagogie du Lis vous seriez chez vous ?

Tous les personnages que je viens de vous citer appartiennent au corps professoral de la faculté des arts. Il en est encore un autre que je ne puis omettre :

JEAN DESMARAIS,mieux connu sous le nom de PALUDANUS, était natif de Cassel. Elevé à la dignité de rhetor publicus, ou professeur public de rhétorique, il exerça cette fonction pendant bien longtemps et eut comme élève le célèbre

(1) Voir : SOMERVOGEL, Bibliothèque des Pères de la Compagnie de Jésus.


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Adrien Barlandus. Le 22 décembre 1503, il fut investi de la charge de dictator (1) ou rédacteur des lettres officielles, écrites au nom de l'Université, et la conserva jusqu'à sa mort, arrivée le 20 février 1526. Paludanus fut en relation intime avec Thomas Morus et Erasme. « Après Despautère, écrit M. Félix Nève, nous nommerons en première ligne Jean Paludanus comme un des maîtres qui avaient la puissance d'exciter dans les autres le goût

des lettres Erasme l'a considéré comme un maître dont

il vantait souvent les précieuses qualités, et l'a traité comme un intime ami, à qui il a demandé l'hospitalité à Louvain pendant de longues années (2) ».

Parcourons, si cela ne vous fatigue pas trop, quelques uns des nombreux collèges de l'ancienne Université.

Grand collège des théologiens ou du Saint-Esprit

Le collège des Théologiens date de 1442. En 1561, le nombre des étudiants était devenu si considérable, qu'on trouva bon de diviser rétablissement en deux. De là le grand et le petit collège du Saint-Esprit.

Le premier président du grand collège, après la division, fut JEAN SIX (1561).

Petit collège des théologiens

NICOLAS DE WATINES, de Lille, S. T. et J. U. L., ancien curé de Wavrin, occupa la présidence de 1628 à 1633. Il devint ensuite chanoine (1635) officiai et archidiacre

(1) Parmi les dictatores nous trouvons encore Pierre Plansonius, de Douai, un parent, sans doute, de Jean Plansonius, co-régent du Lis.

(2) Mémoire cité, p. 130. — C'est seulement vers la fin de 1517 qu'Erasme se décida à aller habiter la pédagogie du Lis, sous Jean Naevius, pour y jouir de plus d'espace.


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(1642) de la cathédrale de Saint-Aubain, à Namur. Il mourut le 1er août 1651.

Collège de Saint-Ives, ou des Bacheliers, ou des Juristes

Dans la série des présidents viennent : Thomas du Courouble (1519), de Lille (1), U. J. L. et professeur extraordinaire de droit ; Vulmer Bernaerts (1540-1544) ; Matthieu Ruckebusch (1559-1502.)

Collège de Saint-Donatien

Président ; Matthieu Ruckebusch (1562-1565).

Collège de Houterlé

En 1560, JACQUES CARLIER, de Lille, succède dans la présidence à Martin Hessels.

JEAN SIX y fonde deux bourses en faveur de ses parents, des enfants de choeur de Saint-Omer, et des étudiants Audomarois ou Louvanistes.

Collège du Roi ou Séminaire royal

Ce collège, fondé en 1579 par Philippe II, était destiné exclusivement à former des prêtres capables d'exercer les fonctions du saint ministère.

Guillaume Lindanus, évêque de Ruremonde, avait insisté auprès du roi pour obtenir la création de ce séminaire. Grâce à. Jean Vendeville, alors membre du conseil

(1) Thomas du Courouble, probablement un parent de Pierre du Courouble (quoique appelé insulensis, il pouvait, de même que Pierre, être né à Linselles, in agro insulensi), figure aussi avec Nicolas de Hellis et Léon Outers dans la liste des cinq juges d'appel qui constituaient une cour d'appel des décisions rectorales. Voir REUSENS, l. c. p. 409.

12


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privé de sa Majesté, qui appuya vivement la demande de Lindanus, le roi y consentit. Nous avons dit plus haut (1) que Molanus occupa la première présidence du séminaire royal. Nous nous trompions avec Mgr de Ram. Molanus affirme lui-même que le premier président du collège du Roi fut Jean de Stryen, évêque de Middelbourg. Molanus en fut le premier professeur de théologie et légua tous ses meubles et sa bibliothèque au séminaire

Collège de Lille

Chose étrange, on ignore complètement comment et quand ce collège a commencé ; comment et quand il a cessé d'exister. Mais le nom qu'il porte indique assez qu'il doit son origine à quelque généreux lillois.

Collège de Drieux

Comme à la pédagogie du Lis, vous y êtes complètement chez vous. En effet, ce collège emprunte son nom à son fondateur Michel Drieux.

MICHEL DRIEUX, fils d'Adrien et de Marie Swartens, naquit à Volckerinckhove. Elève de la pédagogie du Lis, il obtint, à la promotion des Arts de 1521, la deuxième place sur cent soixante-deux concurrents. Il enseigna la philosophie au Lis, devint docteur dans les deux droits en 1530, occupa successivement les chaires de professeur extraordinaire de Code, de professeur ordinaire des Institutes de droit canon et, a partir de 1531, celle de professeur de Décrets. Il fut trois lois recteur magnifique, officiai (en résidence à Louvain) du prince-évêque de Liège, inquisiteur général de la foi, doyen de la collégiale de Saint-Pierre, et. mourut le 10 septembre 1559.

(1) Voir p. 126.


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Ses restes reposent à l'église Saint-Pierre, devant l'autel de Saint-Ives. L'épitaphe suivante consacre sa mémoire :

« Venerabilis et eximius jurisconsultes

D. Michaël Driucius, ortus ex Volckerinchove

Territorii Casleten. Artium et U. J. doctor

Annis XXVIII ordinarius Decretorum professor :

Hujus ecclesiae presbyter, canonicus et decanus,

Academiae Lovanien. Cancellarius

Spiritualis curiae Remi episcopi Leodien. officialis

Necnon haereticae pravitatis inquisitor generalis

Fundator Collegii Druciani

Continuis summisque laboribus ac vigiliis

Caussa reip. christianae confectus

Obiit XVI septembris an. CIC CI LIX

Aetatis suae LXIIIJ. Cujus animae Deus misereatur ».

Le collège de Drieux était un des plus richement dotés de Louvain. La fondation de Michel fut considérablement augmentée par plusieurs de ses proches parents, parmi lesquels on peut citer Remi II Drieux (1), évêque de Bruges, neveu du fondateur, Remi III, Jacques et Baudouin I Drieux, ses petits-neveux (2), et Baudouin II Drieux (3), son arrière petit-neveu. Ce n'est donc pas sans raison, que, lors de la reconstruction des bâtiments, en 1775, on plaça au-dessus de la porte d'entrée du collège une inscription dans laquelle on l'appelle : Drieuxiorum dormis.

Dans la série des présidents du collège viennent :

MATTHIEU DE NEUFVILLE (1560-1570) S. T. B., de Cassel,

(1) Fils de Remi I (frère de Michel), et de Catherine Fenaerts.

(2) Tous trois fils de Maurice (frère de Remi II) et de Marie Feutz.

(3) Fils de Guillaume (frère de Remi III, de Jacques et de Baudouin I) et de Louise Pauwels.


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fils de Gautier et de Laurence Drieux, soeur de Michel. Il habitait auprès de son oncle, qui, par testament, le nomma premier président du collège.

JACQUES DRIEUX (1570-1599) S. T. B., natif de Merckeghem.

BAUDOUIN II DRIEUX (1602-1030) J. U. L., chanoine de Saint-Pierre, à Cassel. Il était doyen de Saint-Jacques, à Louvain, depuis 1012, quand il mourut à Anvers, en 1630.

BAUDOUIN FEUTZ (1631-1662) J. U. L., né à Broxeele, était fils de Remi et de Jeanne Smits. Avant d'être appelé à la présidence, il était chanoine de Saint-Hermes, à Renaix.

Les fondations annexées autrefois au collège de Drieux sont administrées aujourd'hui par la commission provinciale de Brabant et rapportent un revenu de plus de 5.500 francs.

Après avoir visité l'Université de Louvain, il nous faut jeter un coup d'oeil sur celle de Douai. Comme j'habite Bruges, j'ose vous prier, Mesdames et Messieurs, de faire un petit détour pour passer par l'ancienne Venise du Nord. Nous ne nous y arrêterons que le temps nécessaire pour vous rappeler quelques vieux souvenirs.

Et d'abord dans la Collégiale de Saint-Sauveur, nous trouvons, derrière le maître-autel, la sépulture de :

HENRI ZWYNGHEDAU, né à Bailleul, licencié en droit canon, officiai de l'évêque de Tournai, pour l'archidiaconé de Bruges (1), doyen du chapitre de Saint-Sauveur

(1) Avant l'érection des nouveaux diocéses en 1559, l'èvêché de Tournai comptait trois archidiaconés, ceux de Tournai, de Gand et de Bruges. Ce dernier comprenait les doyennés de Bruges, d'Ardenbourg et d'Oudenbourg.


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et en même temps curé de la portion d'or de NotreDame. Il mourut en 1531.

Le chapitre de la Collégiale de Notre-Dame comptait dans son sein plus d'un enfant de votre Flandre.

REMI II DRIEUX, nommé prévôt le 20 juin 1558, conserva sa dignité jusqu'au 31 mai 1577.

Parmi les chanoines, nous rencontrons Adam Zwynghedau (1523-1566); Jean Zwynghedau (1571-1584); Remi III Drieux (1563-1569) ; Jacques Drieux (15701576) ; Baudouin I Drieux (1576-1620) et Matthieu de Neufville (1564).

ADAM ZWYNGHEDAU, natif de Bailleul, frère d'Henri, exerça pendant trente-quatre ans les fonctions d'official, d'abord de l'évêque de Tournai, pour Bruges (15321562), puis du premier évêque de Bruges, Pierre Curtius (1562-1566). Il mourut le 21 juin 1566 et fut inhumé dans le choeur de Notre-Dame, sous une pierre tombale, portant cette épitaphe :

D. O. U.

Uni trino

Et magistro

Adamo Swyngedau

Pbro canonico hujus ecclesiae

Et officiali munere primum episcopi Tornacensis

Deinde Brugensis primi

Annos amplius 34 summa cum laude et aequitate functo

Extetro intestinalis hernicae morbo e vivis abrepto

Pietatis ergo haeredes P. C.

Vita functus est

21 junii anno redemptionis humanae 1566.

Annos natus 72. Belliolanus.


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JEAN ZWYNGHEDAU, de Bailleul, probablement un neveu d'Adam et d'Henri, mourut le 4 avril 1583, à Douai, oit il s'était réfugié pendant la domination des Gueux à Bruges.

A la place du Bourg s'élevait autrefois la Collégiale de Saint-Donatien, devenue cathédrale par l'érection du nouveau diocèse de Bruges. Elle fut détruite en 1799, le 14 octobre, fête de Saint-Donatien. Heureusement J. Gailliard nous a conservé les épitaphes qui ornaient ses murs et ses monuments, dans les Inscriptions funéraires et monumentales de la Flandre Occidentale.

Dans le choeur de cette église, du côté droit, on voyait un tombeau de marbre blanc avec figure représentant Mgr Remi Drieux, en habits pontificaux, avec cette inscription :

Spes mea Christus

Sepultura

Reverendissimi Domini

Dni REMIGII DRIUTII

Casletani

Brugarum secundi episcopi

Cancellarii Flandriae perpetui

Regis catholici in supremo consilio Mechliniae

XII annos consiliarii

Cum munia episcopatus XXIV annos

Menses sex exercuisset

Caducam hanc vitam

Cum alia feliciori commutavit

XII Maii anno Domini M. D. XCIV

Orale

Pro animae illius refrigerio.


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On voyait dans la nef centrale quelques pierres tumulaires qui nous intéressent :

D. O. M.

et

Admodum reverendis

Et spectata probitate ac eruditione

Viris et dominis

Fratribus germanis in hoc collegio cathedrali confratribus

Ac Reverendmi Domini Remigii Driutii

Secundi Brugarum episcopi nepotibus

Hic simul quiescentibus

Domino ac magistro

REMIGIO DRIUTIO

Pbro J. U. L.

Hujus ecclesiae per annos 49 canonico

Et episcopatus Brugensis circiter 48 officiali

Qui octogenario major

Naturae debitum solvit Kal. 8bris 1618

Dno AC Mro JACOBO DRIUTIO

Pbro sac. theol. baccalaureo formato

Hujus ecclesiae etiam canonico

Qui ad feliciorem vitam commigravit 9 Kal. julii 1605.

Quiescentibus

Aeternam salutem lector apprecare

R. I. P.

REMI III DRIEUX, J. U. L., né à Merckeghem en 1538, fut chanoine de Notre-Dame, vicaire du prévôt de cette collégiale (1566), et chanoine gradué de Saint-Donatien (1569). Nommé officiai par son oncle (déc. 1569), il conserva ces dernières fonctions sous les évêques Mathias Lambrecht, Charles de Rodoan et Antoine Triest. Lors de la captivité de Remi II Drieux, il fut chargé, avec


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l'archidiacre Jacques Eeckius, de l'administration du diocèse. Il mourut le 1er octobre 1618.

JACQUES DRIEUX, S. T. B., frère de Remi III Drieux, vous est déjà connu comme chanoine de Notre-Dame (1570-1576), et président du collège de Drieux, à Louvain (1570-1599). Il devint chanoine de Saint-Donatien en 1587, et décéda à Bruges, le 23 juin 1605.

Venerabili Domino ac Magistro

JACOBO DE MOLENDINO

Filio Petri

Flandro Bailliolensi

Hujus insignis ecclesiae collegiatae canonico

Et cantori vigilantissimo

A° a Chro nato XVe LV

Mensis februarii die 27 defuncto.

JACQUES DE MOLENDINO OU DU MOULIN (1), natif de Bailleul, chanoine de Saint-Donatien depuis 1525, fut élu grand chantre, le 23 juillet 1537. En 1548, cet ami des enfants pauvres fit une fondation perpétuelle, dont les revenus devaient servir à nourrir et à loger dans la maison du rector scholarum six réfectionaux (2). Cet acte de générosité ne fut que le prélude d'une générosité plus grande encore, à laquelle s'associa un autre chanoine. En effet, le 22 septembre 1550, Jacques du Moulin et Jacques de Coninck, augmentèrent la fondation, chacun d'une rente perpétuelle de vingt-quatre livres de gros, destinée à couvrir les frais d'entretien et de logement

(1) L'official Remi Drieux, dans les lettres qu'il écrit à Laurent de Molendino, de Bailleul, l'appelle du Molin.

(2) Les réfectionaux, ainsi appelés parce qu'ils participaient aux refectiones ou distributions du choeur, étaient au nombre de treize, et exerçaient les fonctions d'acolytes. Les choraux étaient des enfants de choeur proprement dits, appartenant à la maîtrise.


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des treize réfectionaux chez le maître d'école, dans une maison située le plus près possible de l'église SaintDonatien. Les diverses stipulations, faites par les généreux fondateurs, trahissent chez eux le noble désir de fonder une oeuvre stable, sérieuse et utile à la gloire de Dieu. Qu'il suffise d'en rappeler une ; « Les enfants à admettre comme réfectionaux doivent être doués d'un bon caractère et avoir des dispositions pour l'étude. Ne seront point admis ceux qu'on prévoit devoir retourner dans le monde, et ne pas devenir un jour ministres de l'Eglise ». L'institution des réfectionaux devint une pépinière de prêtres et le berceau du futur séminaire de

Bruges.

Domino

LAURENTIO DE MOLENDINO

F° Joannis Bailliolano

Pbro canonico et cantori Ecc. S. D. Brug.

Obiit M.D.XCVI. XXVIII augusti.

LAURENT DE MOLENDINO , également né à Bailleul, devint chanoine en 1562 et grand chantre en 1579.

ERASME HEEMS, J. U. D., né à Godewaerdsvelde, fut nommé chanoine de Saint-Donatien, le 12 juillet 1525. Il résigna son canonicat en 1553 et mourut à Louvain en 1558. D'après Foppens (1), il occupa une chaire à l'Université de cette ville. Molanus le compte parmi les fondateurs de bourses de l' Alma Mater.

Plusieurs d'entre vous ont sans doute visité le grand séminaire de Bruges. C'est l'ancienne abbaye des Dunes, de l'ordre de Citeaux. Sous la chapelle du cloître se trouve le caveau des abbés, qui renferme entre autres les restes d'Adrien Cancellier et de Bernard Campmans.

(1) Compendium chronologicum episcoporum Brugensium, etc., p. 173. Bruges, 1731.


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ADRIEN CANCELLIER, né à Dunkerque, reçut. La crosse abbatiale en 1610, à l'âge trente ans. L'abbaye, dont il était le chef, se trouvait primitivement dans les Dunes, aux environs de Furnes. Elle fut détruite par les calvinistes dans la tourmente du XVIe siècle, et les religieux durent se disperser. Après les troubles, en 1605, les moines revinrent et se bâtirent une nouvelle demeure, à quelque distance de l'ancien monastère, plus avant dans les terres, à Ten Bogaerde. Les installations étaient loin d'être complètes. Cancellier les aménagea plus confortablement pour les besoins de la vie monastique. Mais le prélat prit surtout à coeur de faire fleurir la discipline et la piété dans sa communauté. Au témoignage du vénérable Chrysostome Henriquez, Cancellier était un type de perfection, et ses disciples menaient une vie angélique. Son gouvernement fut si remarquable que le savant historien de l'abbaye des Dunes, Charles De Visch, crut devoir en perpétuer le souvenir en publiant : Vita R. P. Adriani Cancellier, monasterii Dunensis abbatis. Bruxelles, 1660.

Cancellier, XXXIXe abbé des Dunes, mourut le 16 avril 1623. En 1627, son corps fut transporté à Bruges.

BERNARD CAMPMANS, natif de Douai, fut élu, à l'unanimité, successeur de Cancellier. C'était un homme distingué par son savoir et sa vertu. Plusieurs fois les archiducs Albert et Isabelle lui confièrent des missions importantes. Le clergé d'Ypres, et, plus tard, le clergé de Bruges, le députèrent aux Etats de Flandre. Le souverain pontife Urbain VIII et l'abbé de Clairvaux le nommèrent, vicaire et visiteur général de l'ordre pour la province belge. Dès le début de sa prélature, Campmans conçut le projet de transférer l'abbaye dans un endroit plus sur. A cette fin, il voulut sauver, pour les utiliser, les ruines de l'ancien monastère, rasé par les gueux et enseveli sous


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une masse d'eau et de sable de plus de quinze mètres de hauteur. Il espérait, en même temps, retrouver le corps du Bienheureux Idesbalde, IIIe abbé des Dunes, mort en 1167. Après un travail opiniâtre, il réussit à découvrir le cercueil en plomb renfermant les précieux restes. A la prière de Campmans, Mgr Antoine de Hennin, évêque d'Ypres, accepta de faire la reconnaissance des reliques. La cérémonie eut lieu le 21 avril 1624, à Ten Bogaerde, en présence des abbés de Saint-Winoc, de Saint-Nicolas de Furnes, de Loo, de plusieurs chanoines, parmi lesquels le doyen et l'archidiacre du chapitre de Saint-Martin d'Ypres. Le procès-verbal constate que le corps du B. Idesbalde était encore entier, frais et flexible, et répandait une odeur suave. Attirée par le bruit de cette invention prodigieuse, l'archiduchesse Isabelle se rendit à Ten Bogaerde, le 13 août 1625, accompagnée d'une suite nombreuse, dans laquelle on remarquait le cardinal de la Cueva, le nonce, le marquis de Spinola, etc. A la vue de la fraîcheur et de la flexibilité du corps, les spectateurs s'écrièrent à plusieurs reprises : Le doigt de Dieu est là ! Les pèlerins affluèrent à l'abbaye, laissant des dons et des offrandes sur le tombeau du Bienheureux. Bientôt les écumeurs de mer hollandais tentèrent d'enlever ces oblations. C'est alors que Campmans choisit la ville de Bruges comme résidence. Il acheta le refuge que l'abbaye de Ter Doest (Thosan), incorporée à la mense épiscopale, possédait dans cette ville, quai de la Porterie. Le 3 mai 1627, il y installa sa communauté et y déposa les restes précieux du B. Idesbalde (1). Dès l'année suivante, il posa

(1) Le corps du B. Idesbalde repose aujourd'hui en l'église de l'hospice du Saint-Esprit, dit de la Potterie. En 1890, j'eus le bonheur de porter à Rome le procès informatif sur les vertus et les miracles du IIIe abbé des Dunes, et le culte rendu au vénérable serviteur de Dieu. Sur avis favorable de la S. Congrégation des


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la première pierre des splendides bâtiments qui constituent aujourd'hui le séminaire de Bruges. Dans le grand parloir de l'établissement, on admire une peinture de Jacques van Oost, le vieux, représentant sur son lit funèbre le vénérable abbé Campmans, mort le 20 décembre 1642, en odeur de sainteté. En 1673, on trouva le corps de Campmans intact et. flexible, comme l'atteste cette inscription ;

RRmus Dominus D. Bernardus

Campmans 40us abbas, ac

Extructor hujus domus, etc.

Obiit 21 a 10bris 1642

Repertus, et hic denuo repositus,

Integer habitu et corpore

Ac membris flexibilibus 12 maii 1673 (1).

Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, d'avoir bien voulu vous attarder un instant à Bruges. Transportonsnous à Douai.

Le 5 octobre 1562 est une date mémorable pour la Flandre Gallicante. C'est la date de l'inauguration (2) de

Rites, donné le 10 juillet 1801, Sa Sainteté Léon XIII ratifia, le 23 juillet suivant, le culte rendu par le peuple, de temps immémorial, au Bienheureux Idesbalde.

(1) Voir C. DE VISCH, Compendium chronologicum exordii et progressus abbatiae clarissimae Beatae Mariae de Dunis, etc., pp. 102-110. Bruxelles, 1660, et NIVARDUS VAN HOVE, Het leven mirakelen ende wondertuke vindinge can het heylig en ongeschonden lichaem canden Saligen Idesbaldas, etc., pp. 232-235. Bruges, 1763.

(2) Voir : Bref recueil et recit de la Solemnite faicte à lentree et consecration de l'Unicersite faicte et erigee en la ville de Douay, en Flandre, par le tres catholique et tres vertueux prince Philippe, Roy Despaigne, conte de Flandre, ete , le V Doctobre, L'an M. CCCCCLX1I. Douai. Jacques Boscart (1563).


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l'Université érigée à Douai par Pie IV (bulle du 6 janvier 1560) et Philippe II (décret du 19 janvier 1562). Cette nouvelle Alma mater devait comprendre les cinq facultés de théologie, de droit canonique, de droit civil, de médecine et des arts. Fondée à une époque où les PaysBas étaient profondément agités par les troubles religieux, fondée dans une ville frontière de langue française et franchement catholique, l'Université de Douai sera un puissant moyen de combattre l'hérésie, do conserver la foi, de retenir dans le pays les étudiants qui, auparavant, allaient puiser, avec la science, le poison de l'erreur aux universités de France et d'Allemagne. La création de l'Université provoqua la création de nombreux collèges et séminaires dont la population scolaire allait accroître la prospérité matérielle de la ville. La création de l'Université provoqua l'établissement d'une foule d'imprimeries dans une cité qui, avant 1563, ne possédait aucune presse typographique (1). Le corps professoral, toujours fidèle aux traditions catholiques, fit rejaillir sur la ville, pendant plus de deux siècles, l'éclat de sa science orthodoxe.

Il ne m'est pas possible de retracer ici l'histoire de l'Université de Douai, même pendant le dernier quart du XVIe siècle. M. Cardon a consacré, rien qu'à l'exposé de sa fondation, un volume de près de 500 pages.

Je me borne à relever deux points.

D'abord je constate, à l'honneur de votre Flandre, que la ville de Douai, les Pays-Bas catholiques et plus

(1) Le Bref recueil est probablement le premier ouvrage imprimé à Douai. Jacques Boscart (1653), Loys de Winde (1561) et Jean Bogard (1574) furent les premiers imprimeurs établis à Douai. A ce propos rappelons que le chef de l'illustre famille des typographes du nom d'Elzevier exerça la profession de libraire en cette ville, vers 1575, et que deux de ses enfants, Josse et Arnold, y sont nés. — Voir DUTHILLOEUL, Galerie douaisienne, deuxième série, p. 64. Douai, 1864.


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tard la France sont redevables, au jurisconsulte lillois Jean Vendeville et au jurisconsulte douaisien Jérôme de France, des services incalculables rendus par l'Université jusqu'en 1790. Comme le démontre M. Cardon, c'est Jean Vendeville qui détermina Philippe II à demander au Pape l'érection d'une université à Douai (1) ; c'est Jérôme de France qui dirigea les délibérations du conseil de la ville et ses négociations avec le gouvernement de Bruxelles (2).

Ensuite je me permets quelques réflexions à propos d'un passage de Duthilloeul, le savant auteur de la Bibliographie douaisienne. Parlant de l'Université de Douai, il s'exprime ainsi (3) : « Nous ne dirons rien de particulier ni sur quelques-uns de ces collèges ou séminaires qui avaient plus d'importance que les autres, ni sur les professeurs de la nouvelle Université. Si l'on en excepte d'ailleurs le collège anglais fondé en 1568 par Guillaume Allen..., aucun de ces établissements, considéré isolément, ne présente de souvenirs bien imposants ; mais pour des institutions de ce genre, c'est leur ensemble qui leur donne une véritable importance... Nous dirons de même qu'à l'exception de quelques hommes connus, dont les noms et les ouvrages se trouvent cités avec honneur dans cette Bibliographie, aucun des professeurs de l'Université de Douai n'a jeté dans le monde théologique ou littéraire un bien grand éclat. Mais là encore, l'ensemble était tout ;

(1) M. Cardon prouve que J. Vendeville reprit en 1559 les négociations entamées par les Douaisiens en 1531, 1534, 1538 et 1552, mais abandonnées depuis lors, et envoya à Bruxelles, à l'insu de la ville de Douai, son mémoire intitulé : Le premier projet et sommaire de la Remontrance. — Voir CARDON La fondation de l'Université de Douai, pp. 62 svv.

(2) J. de France a été non seulement le directeur mais aussi l'historien de ces négociations, dans son : Discours de la poursuite et érection de l'Université de Douay.

(3) P. XXXIV.


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la communauté de foi, de vues, de doctrines, faisait la force du corps, et le professeur le plus obscur et le plus inconnu avait ainsi son influence comme le plus capable et le plus célèbre. Pour apprécier convenablement un établissement de ce genre, il convient donc de ne point s'écarter de ce point de vue, que nous croyons éminemment vrai, et par suite duquel nous devons nous attacher à l'ensemble bien plus qu'aux détails ». S'il est vrai qu'ici « l'ensemble est tout », il n'est pas moins vrai que plus les détails sont remarquables, plus l'ensemble apparaîtra dans toute sa grandeur. Or, la manière dont M. Duthilloeul parle des collèges et séminaires et des professeurs laisse plutôt une impression fâcheuse. Sans doute, le collège des prêtres anglais ou le collège du Pape fut le plus célèbre. Créé pour former des ouvriers évangéliques qui iraient combattre l'hérésie en Angleterre, il conserva la semence sacerdotale pendant la persécution d'Elisabeth et envoya dans la mère patrie une légion de missionnaires. De 1568 à 1618, près de cent-cinquante anciens élèves figurent sur la liste des martyrs catholiques de l'Angleterre. Le collège anglais de Douai est la maison mère d'où sont sortis les collèges anglais de Rome, de Valladolid, de Séville, de Saint-Omer, destinés à l'éducation des missionnaires de la Grande-Bretagne (1). Mais, est-ce à dire que les collèges du Roi, d'Anchin, de Marchiennes, des Bénédictins anglais, de Saint-Vaast n'ont rien à fournir à l'histoire ? Est-ce à dire que même les autres séminaires où l'on ne donnait pas l'enseignement, mais qui logeaient uniquement des élèves fréquentant les cours universitaires, ne méritent pas une notice sur leurs présidents, leurs élèves les plus en vue ? Nous sommes loin de

(1) L'histoire du collège des prêtres anglais est déjà assez connue. Mais nous attendons avec impatience une étude plus complète, promise par M. l'abbé Leuridan.


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partager l'opinion de M. Duthilloeul (1). Encore moins partageons-nous son opinion sur la valeur du corps professoral de l'Université.

Pour ne parler que de la faculté de théologie, nous préférons l'appréciation du Dr Bouquillon, dont personne ne niera la compétence. « Dès son origine elle ne le céda, dit-il, à aucune de ses aînées par la science et elle les surpassa presque toutes par la pureté de son enseignement » (2). La preuve de cette assertion est faite en partie. Le docte professeur Bouquillon a inauguré une série de notices bio-biliographiques sur « Les théologiens de Douai», et nous lui devons : I. Mathieu Galenus, d'abord professeur à Dillingen (Arras, 1879); II. Mathias Bossemius, chancelier de l'Université (Arras, 1880). M. l'abbé Th. Leuridan, membre du Comité Flamand de France, a continué la série en publiant : III. François Sylvius, le premier parmi les théologiens qui donna un commentaire complet de la Somme de saint Thomas (Amiens, 1894) ; IV. François Richardot, l'évêque d'Arras, professeur à Douai (Amiens, 1895) ; V. Guillaume Estius, un des derniers commentateurs du Livre des sentences de Pierre Lombard, et célèbre exégète (Amiens, 1890); VI. Thomas Stapleton, fameux controversiste (Lille, 1898) ; VII. Georges Colveneere, l'éditeur de la Chronique de Baldéric, de l' Histoire de l'Eglise de Reims de Flodoard, et du traité De apibus de Thomas de Cantimpré, etc. (3). (Lille, 1898) ; VIII. Gaspar

(1) On trouvera dans notre Histoire du séminaire de Bruges, l'histoire du séminaire de la Torre à Douai, et nous avons déjà recueilli beaucoup de documents relatifs au séminaire des Evêques. Il existe une vie d'un des présidents de ce séminaire : Vie de JeanBaptiste de Villers, prêtre, président du séminaire provincial des évêques, à Douay. Lille, 1788.

(2) Les théologiens de Douai, I Mathieu Galenus, p. 18.

(3) Pour la publication des oeuvres de Raban Maur, voir notre notice sur Jacques Pamelius dans la Biographie nationale, t. XVI, p. 539.


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Nemius, devenu évèque d'Anvers et archevêque de Cambrai (Lille, 1900) (1). Nous possédons aussi une vie de Guillaume Allen (2). Mais il reste encore beaucoup à écrire sur Richard Smith, Jean Rubus (Du Buisson) Barthélemi Peeters (Lintrensis) (3), Baudouin Rythovius, Pierart, Henri de Cerf, de la Verdure, Tournely et sur les théologiens qui professaient dans certains collèges, tels que Richard Hall, Thomas II right, Odoard Westonus, Richard Bristow, etc. (4). Nous exprimons le voeu que M. l'abbé Leuridan, qui a si magistralement continué la série des notices commencée par le Dr Bouquillon, nous fournisse bientôt de nouvelles bio-bibliographies sur les théologiens de Douai.

(1) Il est intéressant de comparer le nombre des ouvrages de ces professeurs cités par M. Duthilloeul avec le nombre des travaux cités par M. Leuridan. Ainsi, pour Guillaume Estius, en dehors de ses commentaires sur Pierre Lombard, de ses écrits scripturaires et de l'histoire des martyrs de Gorcum, Duthilloeul donne un ouvrage ; M. Leuridan parle de douze. Tandis que Duthilloeul cite douze ouvrages de François Sylvius (dont par distraction il en attribue quatre au professeur de médecine Jean Sylvius, dans la table), M. Leuridan en compte vingt. Duthilloeul ne donne qu'un écrit de Stapleton; M. Leuridan en énumère vingtquatre. Cela suffit déjà pour apprécier la valeur de cette phrase de Duthilloeul : « A l'exception de quelques hommes connus, dont les noms et les ouvrages se trouvent cités avec honneur dans cette Bibliographie, aucun des professeurs de l'Universite de Douai n'a jeté dans le monde théologique ou littéraire un bien grand éclat. »

(2) Wilhelm Cardinal Allen (1532-1594) und die englischen Seminare auf dem Festlande. Von Dr ALPHONS BELLESHEIM. Mainz, 1885.

(3) Nous avons donné une courte notice sur B. Peeters dans la Biographie nationale, t XVI, p. 839-817.

(4) André Hoyus, professeur de langue grecque, a sa notice dans la Biographie nationale (par L. ROERSCH), t. IX, p. 570; et dans notre Histoire du séminaire de Bruges, t. I, pp. 88-97. On trouve une notice sur Jacques Raevardus, professeur de droit, dans la Biographie des hommes remarquables de la Flandre Occidentale, t II, p. 113. Bruges, 1814. Boèce Epo, Adrien Puessius, Jean Ramus, professeurs de droit, etc., etc., mériteraient aussi une notice.

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Mesdames et Messieurs, le nom français fut toujours synonyme de courage et de dévouement. Aujourd'hui encore, dans les Annales des Missions catholiques, la France occupe la place d'honneur. Puissent les sacrifices de vos légions de prêtres et de sieurs missionnaires appeler, en ces jours sombres, les bénédictions divines sur votre patrie et ranimer dans vos âmes l'espoir de voir luire bientôt des temps meilleurs !

Au XVIe siècle, votre Flandre était une terre fertile où germait l'héroïsme. Qu'il me suffise de citer quelques noms d'hommes qui se consacrèrent à la propagation de la Foi dans les pays infidèles.

JACQUES NAVARCHUS OU SCHIPMAN, S. J., né à Hondschoote, fut un des premiers missionnaires de la province belge. En 1504, il prononça, à Louvain, ses voeux entre les mains du P. Mercurian, provincial. II mourut à Anvers, le 12 mai 1570. Dans les Epistolae Indicae et Japanicae, de multarum gentium ad Christi fidem per Societatem Jesu conversione (Louvain, 1570), on trouve une lettre adressée au P. Florentin Bouchart, dans laquelle Schipman raconte le martyre de quelques anglais mis à mort dans leur patrie. Les Epistolae Japanicae, de mullorum in variis insulis gentilium ad Christi fidem conversione (Louvain, 1570) contiennent une longue lettre du missionnaire à Jean Lentailleur, abbé d'Anchin, traitant des Nestoriens et des Jacobites, de la Chine, de la Tartarie, du Tangut ou Thibet, etc. (1).

PIERRE BOLLE, S. J., missionnaire envoyé aux Indes

(1) Voir : SOMMERVOGEL, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, v° Navarchus ; DE BACKER, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, v° Japon.


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par Grégoire XIII, était né à Bailleul (1). Nous ignorons les détails de sa vie apostolique. Les Trigault sont mieux connus.

EUE TRIGAULT, S. J., né à Douai en 1575, entra au noviciat, le 5 juillet 1596. Il partit pour la Chine en 1618, mais il mourut, avant d'y arriver, à Goa, le 18 octobre 1618.

Nous avons de lui : Petit discours écrit d'Elie Trigault, religieux de la Compagnie de Jésus, contenant plusieurs belles particularités de son voyage aux Indes Orientales. Valenciennes, 1020.

NICOLAS TRIGAULT, S. J., naquit à Douai en 1577. Sa vie ayant été écrite par Mgr Dehaisnes (2), je me contente d'en donner une courte esquisse. Entré dans la compagnie en 1594, le P. Trigault enseigna la rhétorique à Gand, et se disposa par l'étude des sciences et des langues orientales à la carrière des missions. Le 5 février 1607, il lit voile de Lisbonne vers Goa, où il arriva le 10 octobre suivant. Son état de santé le retint pendant plusieurs années dans cette ville. Il n'aborda en Chine qu'en 1610. Après trois ans de séjour, il fut envoyé en Europe pour rendre compte des progrès des missions et recruter de nouveaux ouvriers évangéliques. De retour dans l'Inde en 1013, il poursuivit son voyage par terre, traversant la Perse, l'Arabie déserte et l'Egypte, sans guide, sans moyens de défense, exposé à tous les périls. Arrivé au Caire, il fut transporté à Otrante ; de là il se rendit à Rome, où il reçut de ses supérieurs et du pape Paul V l'accueil le plus honorable. Après avoir passé quelque temps au sein de sa famille et avoir parcouru la Belgique, il repartit de

(1) AEG. DE CONINCK, De moralitate, etc., p. VI.

(2) Vie du Père Trigault de la Compagnie de Jésus. Paris et Tournai, 1864.


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Lisbonne, en 1618, avec quarante-quatre compagnons. Son frère Elie, son cousin Hubert de Saint-Laurent et plusieurs autres pères moururent pendant le voyage. Luimême tomba malade à Goa et ne put reprendre la mer que le 20 mai 1620.

Rentré en Chine, après une absence de sept ans. le P. Trigault fut chargé de l'administration spirituelle de trois vastes provinces. Il se livra sans relâche aux fonctions de son ministère et trouva, cependant le temps de s'instruire dans l'histoire de la littérature des Chinois. Il mourut à Nanking, ou à Hang-tcheou, le 14 novembre 1028, à l'âge de cinquante-un ans.

Voici les principaux ouvrages qu'il nous a laissés :

1° Coppie de la lettre du R. P. Trigault Douysien, de la Compagnie de Jésus, contenant l'accroissement de la Foy catholique aux Indes, Chine et lieux voisins. Ensemble l'assiégement de Mozambic, Malaça, Amboin, etc., par la flotte Hollandaise. Escrite au R. P. François Fleron, provincial de la mesme Compagnie en la province des Pays-Bas, datée de Goa, en l'Inde Orientale, la veille de Noël, 1007. Anvers, 1009; et, sous un titre plus court, Paris, Rouen, Lyon, 1009. Traduit en flamand. Anvers, 1609.

2° Vita Gasparis Barzaei Belgae e Societate Jesu B. Xaverii in India socii. Auctore P. Nic. Trigault. Anvers, 1610; Cologne, 1611. Son neveu, D. F. de Riquebourg-Trigault, médecin, traduisit cet ouvrage en français. Douai, 1615.

3° Litterae Societatis Jesu e regno Sinarum ad R. P. Claudium Aquavivam ejusdem Societatis praepositum generalem aunorum M. DCX et M. DCXI a R. P. Nicolao Trigautio, ejusdem Societatis conscriptae. Anvers, 1615; Vienne, 1016. Traduit en italien. Rome, 1615.


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4° Memorial al Rey nuestro senor, cerca de la propagacion de nuestra sante Fe. Por el Padre Nicolas Trigaucio, religioso de la Compania de Jesus, Procurador de la China. S. d.

5° ReiChristianae apud Japonios commentarius. Ex litteris annuis Societatis Jesu annorurn 1009, 1010, 1011, 1012, collectus. Auctore P. Nicolao Trigautio. Vienne, 1615. Traduit en Polonais. Cracovie, 1016.

6° De Christiaua expeditione apud Sinas suscepta ab Societate Jesu. Ex P. Matthaei Ricii ejusdem Societatis commentariis, libri V. Ad. S. D. N. Paulum V. In quibus Sinensis regni mores, leges atque iustituta et novae illius ecclesiae difficillima primordia accurate et summa fide describuntur. Auctore P. Nicolao Trigautio Belga ex cadem Societate. Vienne, 1615 ; De christiana expeditione... Editio recens ab eodem auctore multis in locis aucta et recognita. Lyon, 1616 ; Cologne, 1617 ; Lisbonne, 1623; Vienne, 1623; Cologne, 1634.

Cet ouvrage, dont Paul V accepta la dédicace, est le premier dans lequel on ait trouvé des notions exactes sur la Chine, et contient une excellente biographie du P. Ricci. Aussi obtint-il un grand succès : il fut traduit en allemand (Augsbourg, 1617) ; en espagnol (Séville, 1621) ; en italien (Naples, 1622), et plusieurs fois en français. Voici le titre de la traduction française de D. F. de Riquebourg : Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine entreprinse par les P. P. de la Compagnie de Jésus, comprinse en cinq livres. Esquels est traicté fort exactement et fidèlement des moeurs, loix et constumes du pays, et des commencemens tres difficiles de l' Eglise naissante de ce royaume. Tirée des commentaires du P. Matthieu Riccius, par le P. Nicolas Trigault, de la mesme Compagnie. Et nouvellement traduicte en français, par le


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Sr D F. de Riquebourg-Trigault. Lyon, 1616; Lille, 1617.

7° Epistola R. P. Nicolai Trigautii e Societate Jesu de felici sua in Indiam navigatione : itemque de statu rei christianae apud Sinas et Japonios. Cologne, 1620. Traduit en allemand (Augsbourg, 1020), et en français (Valenciennes, 1020).

8° De christianis apud Japonios triumphis sive de gravissima ibidem contra Christi fidem persecutione exorta anno 1012 usque ad annum 1020, libri V,,.. Munich, 1623.

9° Tuei li nien tchan li fa. (De computu ecclesiastico). Singan fou, 1625.

Le P. Trigault le publia en chinois, en latin et en syriaque.

10° Hoang i. (Aesopi selectae fabulae). Singan fou, 1025.

11° Pentabiblion sinense quod prirnae atque adeo sacrae auctoritatis apud illos est. Latina paraphrasi explicuit. (Ce sont les 5 king ou livres de Confucius, livres sacrés des Chinois).

12° Si jou eul mou tseu. Han tcheou, 1020. Vocabulaire disposé par tons, suivant l'ordre des mots européens. « Cet ouvrage, dit le P. de Backer, n'est pas moins remarquable par la singularité de son exécution typographique que par la manière, souvent ingénieuse, dont les caractères chinois ont été ramenés à l'ordre des éléments de notre écriture (1).

Dans sa notice sur le P. Nicolas Trigault (2), M. Duthilloeul reproduit le portrait en pied du célèbre missionnaire, peint par un des Bellegambe, en 1617, et conservé au musée de Douai.

(1) SOMMERVOGEL, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus. (2) Galerie Douaisienne, p. 374.


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MICHEL TRIGAULT, S. J., né à Douai, entra au noviciat en 1617. Il enseigna la grammaire, partit pour la Chine, où il arriva en 1630, et mourut à Canton, en 1667.

Il a laissé :

Tsong tou tao wen. (Litaniae SS. Apostolorum).

Lettre du R. P. Michel Trigault, Douisien de la Compagnie de Jésus (Nepveu du R. P. Nicolas Trigault qui est allé de l'Europe en la Chine pour la deuxième fois) envoyée, du royaume de la Chine le 30 d'Avril 1039, à son frère le P. Nicolas Trigault de la mesme Compagnie, demeurant à Douay, qui est parti par après pour l'Inde Orientale sur la fin de l'an 1013. Liège, 1644.

Avant de vous parler des hommes de votre pays qui ont honoré la magistrature, il ne sera pas inutile, Mesdames et Messieurs, de donner quelques détails sur les conseils de justice au XVIe siècle (1). Les conseils de justice, existant à cette époque dans les Provinces Belgiques, étaient le grand conseil de Malines, les conseils de Brabant, de Hollande, de Gueldre, de Flandre, de Frise, de Namur, d'Artois, de Luxembourg et d'Utrecht (2). Ils constituaient des corps de magistrats, analogues à nos tribunaux modernes, dont tous les membres, nommés par le prince, étaient inamovibles. Leur juridiction était

(1) Ces détails sont empruntés à l'Histoire politique nationale. Origines, développements et transformations des institutions dans dans les Anciens Pays-Bas, par M. EDMOND POULLET. Deuxième édition, t. II, complété et publié par PROSPER POULLET, pp. 326 sqq. Louvain, 1882-1892.

(2) En Hainaut, les grands tribunaux de l'époque communale n'avaient pas encore été transformés. Dans la gouvernance du Limbourg, la justice supérieure était exercée par l'échevinage de Limbourg et les hautes cours des pays d'outre-Meuse; dans la Flandre gallicante par le siège de la gouvernance.


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ordinaire et leur rôle continu, leurs séances journalières. A Malines, en Brabant, en Flandre, tous les conseillers sont de nécessité jurisconsultes. A Malines et pendant longtemps à Namur, il existe un certain nombre de sièges exclusivement réservés à des conseillers ecclésiastiques. En Artois, en Luxembourg, à côté d'une majorité de magistrats gradués, ou do robe longue, se trouvent toujours quelques conseillers de robe courte ou chevaliers de Cour, qui ne sont pas nécessairement jurisconsultes, mais qui doivent être nobles de la province. En Brabant, où de nécessité constitutionnelle les membres du conseil doivent être brabançons de naissance, ou seigneurs d'une baronnie brabançonne, le prince peut cependant nommer deux conseillers étrangers, pourvu qu'ils sachent le latin, le français et le flamand. Les conseils de justice possédaient tous, en dehors de leurs attributions judiciaires, des attributions politiques et administratives. Au point de vue judiciaire, le grand conseil de Malines était le premier corps de justice des Pays-Bas. Comme tel, il avait pour justiciables toutes les personnes qui, soit à raison de leur naissance, soit à raison des charges dont elles étaient revêtues, étaient supérieures aux conseils provinciaux ordinaires, par exemple les princes du sang, les chevaliers de la Toison d'Or, les gouverneurs de province, etc. Le grand conseil de Malines était encore juge supérieur ou d'appel en matière civile, à l'égard des conseils provinciaux qui n'avaient pas la qualité de conseils souverains (1).

Cet aperçu vous dit assez quelle haute position sociale occupaient les magistrats qui siégeaient dans les conseils de justice des Pays-Bas. Vous ne m'en voudrez pas si,

(1) A cette époque les conseils souverains n'étaient qu'au nombre de deux : celui de Brabant et celui de Gueldre : mais la noble et souveraine cour de Mons avait la même indépendance qu'eux.


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à côté des membres de la magistrature assise, je cite quelques jurisconsultes appartenant au barreau (1). A cette dernière catégorie appartiennent Pierre Ligneus et François Pollet.

PIERRE LIGNEUS (VAN DEN HOUTTE), do Gravelines, nous est déjà connu comme dramaturge (2). Il appartient aussi aux jurisconsultes. Ayant pris, en 1554, le titre de licencié en droit à l'Université de Louvain, il séjourna plusieurs années dans cette ville et s'occupa à donner des leçons particulières de jurisprudence. Il se retira ensuite à Anvers, où il passa le reste de ses jours dans la pratique du barreau. Il nous a laissé : Annotationes in institutiones Juris Civilis. Anvers, 1556. Les notes de cette première édition ne regardent que le I, le II et une partie du III livre des Institutes. Une seconde édition parut sous ce titre : Annotationes in libros IV institutionum Juris Civilis. Anvers, 1558 ; Louvain, 1559. Le but de cet ouvrage est de critiquer les mauvaises gloses qui fourmillent dans les énormes recueils d'Accurse, Bartole, Balde, Jason. Van den Houtte comptait publier un travail semblable sur les Pandectes.

Georges Beyer dans sa Auctorum juridicorum notitia fait un grand éloge de Ligneus et de ses Annotationes.

FRANÇOIS POLLET, né à Douai en 1516, fit des études à Louvain et enseigna le droit, à Paris, dans des cours publics et particuliers. Il revint ensuite à Douai, exercer la profession d'avocat. Il fut prématurément enlevé au barreau et à la science, à l'âge de trente ans, laissant, en manuscrit, un ouvrage estimé et bien écrit, l'Histoire du bar(1) Une troisième catégorie comprend les jurisconsultes qui professaient le droit civil dans les universités ; tels sont : Michel Drieux, Pierre Pintaflour, Remi Drieux, Jean Vendeville, Matthieu Ruckebusch, Pierre du Courouble.

(2) Voir p. 99.


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reau romain, dont le dernier livre était inachevé. Son gendre, Philippe do Broïde (1), acheva le travail et le publia sous ce titre : Francisci Polleti Duacensis J. C. Historia Fori restituta, et aucta corollariis et proeter missis quibus series affecta conficitur per Philippum Broidaeum Ariensem, ejusdem generum. Duaci et Orchiarum propraefectum. Accesserunt ejusdem Broidaei Argumenta singulorum librorum et capitum, cum indice locupletissimo. Douai, 1572, 1573 et 1576. Swertius affirme que Pollet avait en préparation un autre ouvrage intitulé : De mensis veterum, poculis et cyathis, quorum apud eos usus fuit.

Votre Flandre a fourni aux cours de justice un contingent considérable de magistrats.

Nous avons vu qu'une place de conseiller au grand conseil de Malines fut offerte à Vulmer Bernaerts. Pierre Pintaftour déclina successivement la présidence de la cour de Malines et celle du conseil de Luxembourg. Remi Drieux occupa le siège de conseiller ecclésiastique à Malines, de 1557 à 1569.

GUILLAUME MARTENUS OU MARTENS, né à Dunkerque. au commencement du XVIe siècle, fit ses études à Louvain et y prit le grade de docteur dans les deux droits, Il se rendit ensuite en Italie, où il se lia d'amitié avec le célèbre Alciat, qu'il appelle son maître, et avec Viglius d'Aytia do Zuichem, président du conseil privé. Revenu dans les Pays-Bas, Martens devint président du conseil de Luxembourg, et occupa ces fonctions jusqu'à sa mort, arrivée en 1559. Il dédia à Viglius son ouvrage : Ecphrasis elegeiaca ad ultimum - Pandectarum

(1) Docteur de la promotion de 1596, de Broïde occupa une chaire de droit à l'Université de Douai.


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titulum, qui de diversis regulis juris antiqui tam hetrusco quam norico codici inscribitur : cuique cormini sua regula, qua licuit exemplarium fide, ad verbum praeposita : una cum raptis quibusdam scholiolis rei subjectae quam maxime conversionibus suo loco margine adjectis. Louvain, 1553.

Dans l'Ecplirasis, Martenus met laborieusement en vers deux cent et onze règles juridiques, extraites de Gaïus, d'Ulpien, de Paul, de Pomponius, etc. Ce travail est un tour de force qui n'a plus de valeur aujourd'hui qu'à raison de sa rareté.

Guillaume Martenus avait un frère, Jean Martenus, qui fut chanoine-chantre de la cathédrale de Saint-Bavon, à Gand (1).

FRANÇOIS ROOSE, natif de Bailleul, fit ses études à Louvain et obtint, dans la promotion des Arts de 1561, la neuvième place sur cent cinquante-trois concurrents. Il devint conseiller du grand conseil de Malines et mourut en 1610.

GUILLAUME VAN COORENHUYSE, né à Bailleul d'une ancienne et noble famille, exerça pendant plusieurs années la profession d'avocat, à Gand, où son savoir et son éloquence lui valurent une grande et légitime autorité. Après avoir été conseiller du conseil de Hollande, il passa, en la même qualité, au conseil de Flandre, dont il devint président, en 1605. Il se distinguait par une connaissance approfondie des langues grecque et latine. Les jurisconsultes de son temps, dit M. Thonissen (2) recommandaient aux élèves en droit la lecture de l'ouvrage sur les Pandectes qu'il avait publié sous ce titre : Digestorum seu Pandectarurn juris civilis, partitio et methodus.

(1) Voir : Paul BERGMANS, Biographie nationale, t. XIII, p. 893.

(2) Biographie nationale, t. IV, p. 374.


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Ad D. Iodocum Courtewilium (1). Auctore Guilielmo Cornhuysio Baliolano, in comitio Fland. advocato. Gand, Jacques Vivarius, 1505 (imprimé cependant à Anvers chez Plantin).

G. Van Coorenhuyse mourut à Gand, en 1617.

GUILLAUME HANGOUART, seigneur do Piètre et de Pommereaux, né à Lille, fut conseiller de Charles-Quint et mourut, en 1516, président du conseil d'Artois. Il était le frère de Wallerand Hangouart, successivement aumônier de Charles-Quint et de Philippe II, doyen de SaintPierre à Lille, prévôt de Saint-Amé à Douai et le premier chancelier de la nouvelle Université.

JEROME DE FRANCE, seigneur de la Vacquerie, de Noyelles, etc., né à Douai, fit ses études de philosophie à Louvain, où il suivit le cours de droit du célèbre Mudée. Il commenta d'abord privatim le titre du Digeste De regulis juris. Il parcourut ensuite l'Allemagne et la Suisse, enseigna le droit à Fribourg et y écrivit le premier commentaire qui ail paru sur ce chapitre des Pandectes : Hieronymi Franci Duaceni jurisconsulti in regulas juris, id est, ipsissimam veteris Ro. jurisprudentiae velut medullam commentarii nunc primum in lucem editi. Bâle, 1558. L'ouvrage est dédié à l'évêque de Liège, Robert de Glymes de Berghes. En 1559, il obtint la place de conseiller-pensionnaire de sa ville natale. Ce fut pour lui l'occasion de rendre à Douai les services les plus signalés, en se dépensant tout entier aux négociations de la cité avec le gouvernement des PaysBas pour l'érection de l'Université (2). Dans la suite il

(1) Après la dédicace : Cl. D. lod. a Courtewille, G. Cornhuysius. on trouve la réponse : Iodocus a Courtewille Cornhuysio consobrino suo.

(2) Voir p. 190.


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devint conseiller du grand conseil de Malines, puis président du conseil d'Artois. Il mourut en 1606. Philippe II l'avait créé chevalier, le 9 décembre 1588.

RENON DE FRANCE, fils de Jérôme, nous est déjà connu comme historien (1). Il succéda à son père dans les fonctions de conseiller au grand conseil de Malines (8 novembre 1587) et de président du conseil d'Artois (21 octobre 1005). Le 30 avril 1622, il fut élevé à la dignité éminente de président du grand conseil, en remplacement de Jacques Liebaert, quoiqu'il ne fût pas au nombre des candidats présentés par le Parlement de Malines. Renon mourut le 29 août 1028, laissant plusieurs enfants, entre autres Jérôme Gaspar Christophe, qui occupa le siège épiscopal de Saint-Omer, et Adrien-Jerôme Gaspar qui devint conseiller et maître aux requêtes, puis président du grand conseil de Malines (2).

LAMBERT DE BRIAERDE, chevalier, naquit à Dunkerque vers 1490. Il était fils d'Adrien et de Mario d'Esperlecques. Docteur en droit, probablement d'une université de France, il s'appliqua d'abord à la pratique du barreau. Il attira bientôt l'attention de Charles-Quint qui le nomma conseiller-maître des requêtes au grand conseil de Malines (1er janvier 1522). Il passa ensuite au Conseil privé, puis (27 novembre 1532) devint président du grand conseil, succédant à Nicolas Everardi. « Do Briaerde, dit M. Britz (3), sut remplir pendant vingt-quatre ans ces fonctions élevées avec tout le succès qu'on pouvait attendre de son grand savoir, de son expérience et de son zèle pour la religion catholique. Il était si haut placé dans

(1) Voir p. 123

(2) Voir : ALPHONSE WAUTERS, Renon de France dans la Biographie nationale, t. VII, p. 230.

(3) Biographie nationale, t. III, p. 44.


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l'estime de Charles-Quint qu'il assista à tous les conseils, que l'empereur tint dans les Pays-Bas, et qu'il reçut de celui-ci plusieurs missions importantes. C'est ainsi qu'en 1533 il fut envoyé avec le légat du Pape auprès des princes protestants de l'Allemagne pour leur faire abandonner les doctrines de Luther... A la fin de l'année 1538, Marie de Hongrie le députa à Gand avec Adolphe de Beveren, pour faire rentrer les révoltés sous l'obéissance de leur souverain, les engager à payer les aides et prendre des informations contre les rebelles. En 1555, de Briaerde assista avec Granvelle, Viglius, le duc de Medina-Coeli, le comte de Lalaing et de Bugnicourt aux conférences de Marcq, pour traiter de la paix avec les ambassadeurs français sous la médiation de la reine d'Angleterre ». Il mourut à Malines. le 10 octobre 1557, et fut inhumé dans l'église de Saint-Jean. Habile diplomate, de Briaerde était en outre un profond jurisconsulte. Nous avons de lui un ouvrage posthume, écrit en flamand — chose rare pour cette époque — : Tractaet hoe en in wat manieren dat men nae dispositie van geschreven rechten schuldich is en behoort te procederen in accien, personnele, criminele, reele, mixte, ende ook in beneficialibus; gemaect by M. Lambrecht de Royaerde (Briaerde) riddere, en in siner tyd president vanden grooten rade van Mechclen. Anvers 1562. Ce traité sur le mode de procédure, suivant le droit écrit, lui valut une grande réputation. « En considérant, dit encore M. Britz, que la pratique civile de Wielant ne parut qu'en 1558 et celle do Damhoudere en 1567, on peut regarder celle de Briaerde comme une oeuvre originale, dont l'utilité devait alors être très grande. De Briaerde y rappelle ses Concilia qui n'ont jamais vu le jour; il serait donc le premier arrêtiste belge et Nicolas Heems et Nicolas Everardi doivent être considérés comme ses successeurs ».


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Harduin l'appelle le plus grand magistrat de son époque et Foppens le proclame le plus grand jurisconsulte de son temps.

Avec L. de Briaerde nous venons de mettre le pied sur le terrain de la politique et de la diplomatie, où nous rencontrons, vers la même époque, Josse de Courtewille et Auger de Bousbecque, et, au commencement du XVIe siècle, Guillaume Caoursin, personnage tout à fait caractéristique.

GUILLAUME CAOURSIN, naquit à Douai, vers 1430, d'un père rhodien. Pendant quarante ans, il fut au service des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ; cependant il ne porta jamais l'habit do l'ordre. Dès l'an 1462, il assista comme vice-chancelier au premier chapitre général tenu à Rhodes par le Grand Maître Raimond Zacosta. En 1400, il accompagna ce dernier à Rome, où se tint un chapitre général en présence du pape Paul II. A la clôture de cette assemblée, on résolut de faire sortir de l'ordre tous ceux qui n'en portaient point l'habit : mais Caoursin fut excepté de la loi, en considération de sa personne. Zacosta étant mort à Rome, il retourna à Rhodes avec le nouveau Grand-Maître, Jean-Baptiste Orsini. En 1470, il fut envoyé en ambassade vers le Pape pour demander du secours contre les Turcs. Sous Pierre d'Aubusson, successeur d'Orsini, il se distingua au fameux siège de Rhodes, en 1480. Cinq ans plus tard, lorsqu'il se rendit à Rome, en qualité d'ambassadeur du Grand Maître pour complimenter Innocent VIII au sujet de son avènement au trône pontifical, le Saint Père fut tellement charmé de l'éloquence et de l'habileté de l'orateur, qu'il l'honora des titres de comte Palatin et do secrétaire apostolique. Après avoir rempli de nouvelles et importantes missions, il mourut à Rhodes, en 1501.


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Les oeuvres de Caoursin furent imprimées à Ulm, en 1490. En voici la nomenclature, d'après Paquot (1) :

1° Obsidionis Rhodiae Urbis descriptio. Description du siège de Rhodes.

2° De terrae motus labore, quo Rhodii affecti sunt.

3° Oratio in senatu Rhodiorum, de morte magni Turci (Mahomet II), habita pridie kalendas junias MCCCCLXXXI.

4° De casu regis Zyzymi commentarius. Zizim, battu par son frère Bajazet II, s'était réfugié chez les chevaliers de Rhodes, en 1482.

5° De celeberrimo foedere cum Turcarum rege Bagjazit per Rhodios inito, commentarius. Traité conclu par d'Aubusson avec Bajazet II, fils et successeur de Mahomet II.

6° De admissione regis Zyzymi in Gallias, et diligenti custodia et asservatione, exhortatio. Zizim fut transporté en France, où on le traîna de forteresse en forteresse.

7° De transtatione sacrac dexterae S. Joannis Buptistae,Christi praecursoris, ex Constantinopoliad Rhodios commentarius. Bajazet II avait envoyé à d'Aubusson une relique, qu'on disait être la main droite de saint JeanBaptiste. Caoursin, un des commissaires chargés d'en faire l'examen, conclut à son authenticité.

8° Ad summumpontificem Innocentium papam octavum oratio habita V Kalend. februarii MCCCCLXXXV.

9° De traductione Zyzymi Suldani, fratris Magni Turci, ad Urbem, commentarius. Charles VIII lit passer Zizim en Italie, où il fut remis entre les mains du Pape.

10° Volumen stabilimentorum Rhodiorum Militum

(1) Mémoires... cit., t. XV, p. 176 svv.


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(Equitum) sacri ordinis Hospitalis S. Joannis Hierosolymitani. C'est un recueil des statuts de l'ordre des chevaliers de Rhodes, approuvé par le grand maître d'Aubusson et le chapitre général du 5 août 1493.

JOSSE DE COURTEWILLE, seigneur de Pollinchove, chevalier d'Alvantura et commandeur de Villafranca, naquit à Bailleul vers 1520. Il était fils de Pierre et de Jeanne van Coorenhuyse. Philippe II le nomma secrétaire d'Etat pour les affaires des Pays-Bas, près de sa personne à Madrid. Lorsque le roi vint en Belgique, en 1557, de Courtewille le suivit partout et lui servit d'interprète. Lors du retour de Philippe II en Espagne, il l'y accompagna et. entretint avec Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas, une correspondance très active. C'est ainsi que la duchesse était mise au courant de toutes les affaires politiques et de famille, et des nouvelles les plus intéressantes. En 1561, il devint greffier de l'Ordre de la Toison d'Or. Bien que sincèrement attaché à son souverain, il n'approuva jamais les mesures de rigueur employées contre ses compatriotes pendant les troubles du XVIe siècle. Lorsque Philippe II envoya le duc d'Albe dans les Pays-Bas (1567), de Courtewille revint dans son pays natal, exercer auprès du gouverneur général les fonctions de secrétaire. Il eut le courage, car il en fallait, d'adresser au duc un mémoire intitulé : Moyens par où semble que Sa Majesté pourroit mieulx regaigner le coeur des vassaux et subjets de par deçà, vray remède à l'établissement des affaires. Le grand remède, selon lui, et il n'avait pas tort, était la présence du roi dans nos provinces ; dans l'intervalle, le prince devait satisfaire les trois ordres, le clergé, la noblesse et le peuple, en leur accordant certains privilèges, en se montrant clément, doux et généreux. Le duc d'Albe ne goûta pas cette modération. Il engagea le roi à rappeler son secrétaire en

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Espagne. Mais un travail excessif et la gravelle conduisirent de Courtewille au tombeau. Il mourut, le 12 mai 1572. Le gouverneur général comprit, alors seulement qu'il avait perdu en lui un secrétaire capable, et le roi un serviteur fidèle (1).

OGIER OU AUGER GHISELIN DE BOUSBECQUE OU DE

BUSBECQ (2), fils de Georges Ghiselin, seigneur de Bousbecque et de Catherine Hespiel (3), naquit à Comines, en 1522. S'il faut en croire Sanderus, le jeune Auger fréquenta l'école de Wervicq et celle de Comines. qui alors était dirigée par Pierre Meganck. Le savant seigneur de Comines, Georges de Halewyn ne fut sans doute pas étranger à l'éducation du fils de son ami Georges Ghiselin. Après de brillantes études faites à Louvain, Auger suivit les cours des Universités de Paris, de Vienne, de Bologne et de Padoue. Il parut sur la scène politique pour la

(1) Voir : PIOT, dans la Biographie nationale, t. IV, p. 427.

(2) Les notices biographiques sur Auger de Bousbecque sont nombreuses. Voici les principales : FOPPENS, Bibliotheca belgica, t. I, p. 110 ; SWERTIUS, Athenae belgicae, p. 147; SANDERUS, De seriptoribus Flandriae libri tres, p. 25; Un diplomate flamand du seizième siècle à la cour de Constantinople, dans la Revue nationale, t. XII, 1844, p. 203; J. DE SAINT GENOIS, Les Voyageurs belges, t. II, p. 29; HEFFNER, Notice sur Auger-Ghislain de Busbeck, dans les Bulletins de l'Académie Royale de Belgique, annexe 1853-1854 ; ROUZIÈRE ainé, Notice sur Auger de Busbecq. Lille, 1860; ALBERT DUPUIS, Etudes sur l'ambassade d'Auger de Bousbecques en Turquie, dans les Mémoires de la Société impériale des Sciences de Lille; DE REIFFENBERG (notice), dans le Dictionnaire de conversation, t. IX; GACHARD (notice), dans la Biographie nationale, t. III, p. 180 ; DERVAUX, Biographie d'Auger Ghisselin de Bousbecques. Lille, 1876; JEAN DALLE (notice), dans son Histoire de Bousbecque. Wervicq. 1880, pp. 46-73 ; J. VAN DEN GHEYN (mémoire), dans les Annales de la Fédération archéologique et historique de Belgique, t. III ; Compte-rendu des travaux du Congrès tenu à Bruges en 1837, pp. 64-85 ; L. J. MESSIAEN (notice), dans son Histoire. de Comines. Courtrai, 1892, t. III, pp. 406-435; L. PEYTRAUD, De legationibus Augerii Gislenii Busbequii in Turciam a Ferdinando I Austriaco ad Suleimannum missi (1554-1562). Paris, 1897.

(3) Jeune fille non mariée. En avril 1549, Auger obtint de Charles-Quint un acte de légitimation.


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première fois en 1554, lorsqu'il accompagna, en qualité de secrétaire, don Pedro Lasso de Castille envoyé à Londres comme ambassadeur par Ferdinand, roi des Romains, pour complimenter la reine Marie Tudor et Philippe d'Espagne, à l'occasion de leur mariage. Une mission plus importante lui fut confiée vers la fin de la même année. Ferdinand l'envoya en ambassade à Constantinople auprès de Soliman II. Bousbecque arriva dans la capitale de l'empire ottoman, le 20janvier 1555. Soliman se trouvant à Amasiéh, dans l'Anatolie, l'ambassadeur alla l'y rejoindre. « Des questions d'une importance majeure, dit M. Gachard, divisaient en ce moment la cour de Vienne et la Porte Ottomane. Le roi des Romains s'était fait céder la Transylvanie par Isabelle, veuve du vayvode Jean, mort en 1540 ; il avait, à la faveur des circonstances, pris Waradin et Cassovie ou Caschau en Hongrie. Le sultan exigeait que la Transylvanie fût remise au fils du vayvode, et que Ferdinand restituât les deux villes dont il s'était emparé. Il s'agissait, pour Busbecq de le faire renoncer à ses prétentions ». Il obtint une trêve de six mois et fut renvoyé avec une lettre du sultan pour le roi des Romains. A peine rentré à Vienne, il dut repartir pour Constantinople, où il arriva au commencement de 1557, muni des réponses de Ferdinand. Cette seconde négociation dura sept ans. Après avoir subi des menaces terribles (1) et une captivité de trois ans (2), il parvint enfin à force

(1) Les bachas, effrayés de l'audace d'Auger de vouloir reparaître devant leur maître irrité, ne lui pronostiquaient que malheur, ne parlaient que de décapitation et de pal, et même, lui disaient ils, ce qui peut vous arriver de plus heureux, c'est que vos deux collègues soient jetés en prison, et que vous, ambassadeur, on vous coupe le nez et les oreilles et qu'on vous renvoie, ainsi mutilé, à votre maître parjure.

(2) Il fut enfermé dans ses appartements, dont les fenêtres étaient murées du côté de la rue, et ni lui, ni ses gens ne pouvaient recevoir de visiteurs. Il n'est donc pas question d'une étroite prison.


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d'habileté, de constance, d'énergie unie à une patience et à une douceur admirables, à conclure avec le divan, à des conditions avantageuses pour l'empereur (Ferdinand venait de succéder à son frère Charles-Quint sur le trône impérial, en 1556), une trève de huit ans, et qui pourrait se prolonger encore, si dans l'intervalle il ne survenait entre les deux cours quelque sujet de guerre.

Bousbecque quitta Constantinople en 1562. Il espérait pouvoir se retirer dans sa patrie et y jouir des douceurs de la vie privée. Ferdinand ne tarda pas à l'appeler à Vienne, pour lui confier l'éducation des fils de Maximilien, roi des Romains. Créé chevalier d'Or par Maximilien, lors du couronnement de ce prince comme roi de Hongrie, en septembre 1563, Bousbecque fut décoré du même titre par l'empereur Ferdinand, le 3 avril 1564 (1).

En 1570, les deux plus jeunes fils de Maximilien II, Albert et Wenceslas, partirent pour l'Espagne avec l'archiduchesse Anne, qui allait épouser Philippe II; Bousbecque les y accompagna en qualité de gouverneur et grand maître d'hôtel. L'année suivante, il ramena de Madrid à Vienne les deux fils aînés de Maximilien II, Rodolphe et Ernest. A cette époque, le duc d'Albe chercha à l'attirer à Bruxelles, où il aurait siégé à la fois au

(1) Les lettres impériales du 3 avril 1564 constituent le plus bel éloge qu'un souverain ait jamais fait d'un de ses sujets: «Que de soins, dit l'empereur, vous avez apportés à votre mission d'ambassadeur ! Que d'incommodités, de peines, de fatigues, vous avez endurées ! Quels dangers de mort vous avez courus ! Quelle prévoyance vous avez montrée, en conduisant ces affaires difficiles ! Quelle loyauté, quels soins, quelle habileté, quelle prudence, quel génie, quelle fermeté ! Avec quelle piété vous avez racheté, aidé et aimé ces malheureux chrétiens que l'on envoyait à Constantinople dans un honteux esclavage, pendant que vous y séjourniez ! .... Vous avez obtenu ce que personne n'aurait pu obtenir. Aussi, non seulement, vous avez gagné là la plus grande estime de nos sérénissimes fils et des princes du saint Empire Romain, mais vous avez su acquérir l'amour même des Turcs, qui ont reconnu vos vertus et les ont admirées ».


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conseil d'Etat, et au conseil privé (1). Mais Bousbecque ne put accepter ces offres ; l'empereur Maximilien, qui depuis plusieurs années l'avait nommé conseiller d'Etat, venait de l'attacher à la maison de ses fils. C'est probablement en 1574 que Bousbecque devint grand maître de la maison d'Elisabeth, lorsque cette princesse, qui avait épousé Charles IX, roi de France, rentra à Vienne après la mort de son époux. Il fut envoyé en France pour y administrer les domaines sur lesquels avait été assigné le douaire d'Elisabeth (2). En 1592, lors du décès de la reine Elisabeth, il sollicita et obtint de l'empereur la permission d'aller finir ses jours dans sa patrie. Il espérait passer encore quelques années au château de ses aïeux. En 1587, il avait acheté à son neveu Charles de Ydeghem, seigneur de Bousbecque, de Wiese, etc., toute la terre de Bousbecque, pour en jouir sa vie durant, à condition que cette terre, après sa mort, ferait retour au seigneur de Wiese. Hélas, le châtelain de Bousbecque ne revit jamais le manoir de ses ancêtres. Attaqué en route par des ligueurs à Cailly, puis relâché, il se fit transporter au château de la comtesse de Maillot, à Saint-Germain, près de Rouen, et y mourut le 28 octobre 1592 (3), à la suite d'une fièvre violente causée par son accident de voyage. Son corps fut inhumé dans l'église de Saint-Germain, et son coeur, enfermé dans une boîte de plomb remplie d'aromes,

(1) Correspondance de Philippe II, éd. GACHARD, t. II, pp. 185 et 193. Déjà en 1556 Viglius avait proposé Bousbecque comme membre du conseil privé. Voir Analecta Belgica, t. I, 2me partie, p. 385.

(2) « La plupart de ses biographes, dit Gachard, avancent qu'en 1582 il fut nommé par Rodolphe II son ambassadeur à la cour de Henri III ; nous avons de fortes raisons de douter de ce fait : les lettres de Busbucq des années 1582 à 1585, sur lesquelles on appuie cette assertion, nous paraissent être plutôt d'un nouvelliste que d'un diplomate revêtu d'un caractère officiel ».

(3) D'autres disent en août 1591.


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fut envoyé à Bousbecque et solennellement déposé dans le tombeau de sa famille.

Auger de Bousbecque n'était pas seulement un diplomate consommé et le parfait modèle des ambassadeurs ; il occupe encore une place distinguée parmi les hommes marquants du XVIe siècle comme littérateur, philologue, ethnographe, antiquaire et naturaliste.

La pureté et l'élégance du stylo de Bousbecque trahissent un écrivain nourri des meilleures modèles de l'antiquité latine.

On a de lui :

1° Quatre lettres où il fait le récit de ses deux ambassades eu Turquie; elles sont adressées à Nicolas Micault, membre du conseil privé des Pays-Bas. Les deux premières, consacrées à son premier voyage, furent publiées, sans sa permission, chez Plantin, à Anvers, en deux éditions différentes, 1581 et 1582, sous ce titre : Itinera Constantinopolitanum et Amasianum, et de re militari contra Turcos instituenda consilium. M. Messiaen cite une édition en espagnol (Pampelune, 1582). En 1589, elles parurent ensemble à Paris sous les yeux et par les soins de l'auteur : elles étaient intitulées : A. G. Busbequii legalionis Turcicae epistolae IV, etc. « Elles obtinrent un grand succès, dit M. Gachard, par la profondeur, la clarté avec lesquelles y étaient analysés la politique, ainsi que les éléments de force et de faiblesse de l'empire ottoman. Ces quatre lettres seules, dit un biographe, en apprennent autant que tous les livres composés depuis sur la Turquie, et elles n'ont pas peu contribué à détruire la terreur qu'inspirait en Europe le nom des Ottomans. Hotman les cite, dans son Traité de l'office d'un ambassadeur, comme des modèles à suivre; Scaliger, qui n'aimait guère à louer, en parle avec de grands éloges ». Aussi eurent-elles plusieurs éditions. M. Mes-


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siaen en cite treize. Elles furent traduites en allemand, en français, en polonais, en flamand et en anglais (1).

Son Consilium ou projet de guerre, mérite l'attention. « Non-seulement il avait réussi à arrêter, pour quelque temps, la lutte entre l'Orient et l'Occident, mais sa pénible ambassade eut un autre résultat non moins utile. Observateur profond, politique prévoyant, Bousbecque avait étudié, sous toutes ses phases, le mystérieux empire des Ottomans, et il eut la gloire de le faire connaître à l'Europe, ne dissimulant ni sa force ni sa faiblesse; car s'il avait pour but de diminuer la terreur superstitieuse que le nom de Turc inspirait dans l'Occident, il ne voulait pas cependant que l'on se méprit sur l'ambition et la puissance réelle des sectateurs de Mahomet » (2).

2° Lettres à l'empereur Rodolphe II sur les affaires de France. Elles parurent à Louvain, en 1630, sous ce titre : Epistolae ad Rudolphum II Imper, a Gallia Scriptae, editae a J. B. Houwaert, et à Bruxelles, en 1031, sous le titre de : A. G. Busbequii Caesaris apud regem Gall. legali (3) epistolae ad Rudolphum II Imperal. e bibliotheca J. B. Houwaert. M. Messiaen en cite quatre éditions françaises. Ces lettres, dit M. Gachard, jettent un grand jour sur ce qui se passait à la cour de France, sur le caractère de Henri III, de Catherine de Médicis, du duc d'Anjou, du roi de Navarre, de Marguerite de Valois et sur les événements du temps.

M. Messiaen énumère onze éditions des A. Gisleni Busbequii omnia quae exstant, une édition française, par le chanoine Etienne de Foy, et deux éditions anglaises des oeuvres complètes.

(1) Voir : L. MESSIAEN, Histoire... de Comines, I. c, p. 126.

(2) Revue nationale, cit.

(3) Voir plus haut, p. 213, note 2.


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A. de Bousbecque laissa, en manuscrit, deux ouvrages aujourd'hui perdus. L'un avait pour titre : De vera nobilitate historia ; l'autre : Historia. Belgica trium fere annorum quibus dux Alençonius in Belgio est versatus. « On doit surtout regretter la perte du second, dit M. Gachard ; Busbecq y avait vraisemblablement développé et complété les indications que fournissent ses lettres sur la politique de Henri III et de Catherine de Médicis envers les Pays-Bas ».

Très versé dans le grec, il parlait couramment le latin, l'italien, l'espagnol, le français, l'allemand, le slavon et le flamand, et avait, une prédilection particulière pour sa langue maternelle. Nous en trouvons la preuve dans sa quatrième lettre sur la légation de Turquie, où il se révèle en même temps comme ethnographe (1). Il y décrit les caractères anthropologiques de deux indigènes d'une tribu qui occupait, en 1562, la Chersonèse Taurique (Crimée). « L'un dos deux, dit-il, était de taille élancée : tout son extérieur respirait une sorte de simplicité ingénue, on l'eût pris pour un Flamand ou un Hollandais. L'autre était plus petit, d'apparence plus massive. Son teint était sombre.... Je ne saurais décider si ce sont des Saxons ou des Goths. Si ce peuple est Saxon, je pense qu'il aura été poussé en ce pays par Charlemagne qui dispersa cette nation en différentes confiées du monde. La preuve en serait dans le grand nombre de villes de la Transylvanie qui sont, même de nos jours, occupées par des Saxons. Il se pourrait que les tribus les plus sauvages eussent été reléguées dans la Tauride jusqu'en Chersonèse, où elles ont gardé jusqu'à ce jour, la religion chrétienne,

(1) Le R. P. Van den Gheyn a étudié d'une façon remarquable les renseignements recueillis par Auger de Bousbecque sur les Goths orientaux, renseignements qu'il ramène à deux chefs principaux : le caractère ethnique des Goths orientaux et leur langue. Voir le Mémoire cité plus haut, p. 210, note 2.


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au milieu de populations hostiles. Si ce sont des Goths, je crois qu'ils habitaient jadis un territoire limitrophe des Gètes. On ne sera pas dans l'erreur sans doute, en affirmant que la majeure partie de la région, comprise entre les îles de Gothie et de Praecope, était autrefois au pouvoir des Goths ». — « C'est la seconde des hypothèses de Busbecq, dit le R. P. Van den Gheyn, qui rallie aujourd'hui tous les suffrages ». Le savant Bollandiste expose ensuite comment les célèbres philologues Grimm, Massman, Mannhardt, etc., ont donné à la lettre de Bousbecque sa vraie interprétation ethnologique, en qualifiant de Goths de la branche orientale les Chersonésiens rencontrés par l'ambassadeur flamand. « Nous ne serions pas surpris, conclut-il, d'apprendre que les indications de Busbecq sur les Goths orientaux ont été le point de départ de toutes les études ultérieures entreprises sur cette question ethnographique ».

Après avoir décrit les caractères anthropologiques des Goths orientaux, Auger de Bousbecque insiste longuement sur la langue de ce peuple. Il fut vivement frappé des analogies nombreuses que cet idiome offrait avec le flamand, sa langue maternelle. Il donne d'abord une liste de mots qui sont les mêmes chez nous ou qui diffèrent peu, ensuite une série de termes pour lesquels l'analogie est moins saisissante à première vue, mais qui est peutêtre plus importante, observe le R. P. Van den Gheyn, parce qu'elle montre les divergences phonétiques qui distinguaient le dialecte de Crimée du méso-gothique d'Ulfilas. Le docte jésuite fait sur tout cela de savantes remarques linguistiques et une étude comparative avec le gothique d'Ulfilas et certains dialectes germaniques. Contentons-nous de reproduire la première liste et les noms de nombre fournis par Bousbecque. Ceux d'entre vous qui parlent le flamand seront heureux de compren-


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dre, en partie, la langue usitée, au XVIe siècle, par les Goths de Crimée (1).

Broe,

Plut,

Stul,

Hus,

Wingart,

Reghen,

Bruder,

Schwester,

Alt,

Wintch,

Silvir,

Goltz,

Kor,

Salt,

Fisct,

Hoef,

Thurn,

Stern,

Sune,

Mine,

Tag,

Oeghene,

Bars,

Handa,

Boga,

Miera,

Rinck et ringo,

Brunna,

Waghen,

Apel,

pain,

sang,

siège,

maison,

vigne,

pluie,

frère,

soeur,

vieillard,

vent,

argent,

or,

blé,

sel,

poisson,

tête.

porte,

étoile,

soleil,

lune,

jour,

yeux,

barbe,

main,

arc,

fourmi,

anneau,

source,

char,

pomme,

brood.

bloed.

stoel.

huis.

wyngaard.

regen.

broeder.

zuster.

oud.

wind.

zilver.

goud.

koorn.

zout.

visch.

hoofd.

deux,

sterre.

zon, zunne.

maan.

dag.

oogen.

baard.

hand.

boog.

mier.

ring.

bronne.

wagen.

appel.

(1) Nous ajoutons le mot flamand correspondant.


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Schieten,

Schlipen,

Kommen,

Singhen,

Lachen,

Criten,

Geen,

Breen,

Schwalth,

tirer une flèche,

dormir,

venir,

chanter,

rire,

pleurer,

aller,

rôtir,

mort,

schieten.

slapen.

komen.

zingen.

lachen.

kryten.

gaan.

braân.

zwelten (1).

Ita (2), un, een. Tua, deux, twee. Tria, trois, dry. Fyder, quatre, vier. Fyuf, cinq, vyf, vuif, vuve.

Seis six, zes.

Sevene (3), sept, zevene. Athe, huit, achte.

Nyne, neuf, negene.

Thiine, dix, tiene.

Pendant son séjour en Turquie, Bousbecque rassembla près de deux cent cinquante manuscrits grecs, dont il donna une partie à la bibliothèque impériale de Vienne. Il copia avec soin toutes les inscriptions qu'il trouvait sur les anciens monuments et les envoyait à ses amis Clusius et Juste Lipse. Grâce à lui, l'Europe fut mise en possession du fameux monument épigraphique connu sous le nom de Table d'Ancyre. Il forma une précieuse collection de

(1) Zwelten : Bezwyken van gebrek, vergaan van flauwte Voir : DE Bo, Westvlaamschidioticon v°.. Zwelten, où l'auteur cite un extrait de la coutume de Bailleul : « Een jeghelick wort ghehouden syne doode peerden ofte andere geswolten beesten te delven in synen grondt ».

(2) C'est, dit le R. P.Van den Gheyn, le gothique ainata, du moins dans sa seconde partie. Le gothique de Crimée n'a gardé que la seconde syllabe, ainsi que le danois et, le suédois étt,... tandis que les autres langues germaniques ont sauvé seulement la première syllabe one, ein, een.

(3) A propos du terme sevene, Bousbecque observe, dit le R. P. Van den Gheyn, que ses hôtes de Crimée prononçaient ce mot tout à fait comme nous autres Flamands, ut nos Flandri.


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médailles antiques, parmi lesquelles se trouvaient de magnifiques exemplaires grecs et byzantins. Il fit cadeau des plus belles et des plus rares à l'empereur Ferdinand. Ce prince, voulant rendre hommage aux vastes connaissances de son ambassadeur, lui conféra le titre de directeur de la bibliothèque impériale et royale Vienne.

Naturaliste distingué, Auger de Bousbecque avait transformé son hôtel, à Constantinople, en une véritable ménagerie, en arche de Noé, comme il le dit lui-même. Il fut le premier qui étudia convenablement le squelette de la girafe et qui mentionna le mouton domestique à large queue (ovis aries laticauda). Tournefort crut avoir découvert en 1700 la chèvre d'Angora (capra hircus angorensis) ; Bousbecque en parle déjà et attribue à diverses causes la finesse do son poil. Il décrivit un grand nombre d'animaux curieux, par exemple, l' hyaenacrocuta, le lynx, la genette, l'ichneumon, l'espadon, les silures, etc.

Comme botaniste, il occupe une place honorable à côté de Dodoens, de l'Ecluse et Delobel. Il recueillit quantité de plantes utiles, telles que le roseau aromatique (calamus aromaticus, ou acorus calamus), la réglisse (glycyrrhiza glabra) trouvée près d'Ancyre, la germandrée aquatique (teucrium scordium), etc. Il observa des premiers le riz (ariza sativa), l'hyacinthe muscari, le narcisse oriental, le platane (platanus orientalis). Ce fut lui qui introduisit en Europe le maronnier de l'Inde, la tulipe et le lilas. Vous ne serez donc pas étonnés de trouver au jardin botanique de Gand le buste d'Auger de Bousbecque, dressé à l'ombre d'un bouquet de lilas et au pied duquel s'étale un parterre de tulipes.

Mesdames et Messieurs, nous sommes arrivés à la


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dernière étape ; il ne nous reste plus qu'à vous signaler les évoques originaires de votre pays. Ces vénérables prélats sont les plus beaux fleurons de la couronne qui orne le front de votre Flandre.

MICHEL FRANÇOIS, mieux connu sous le nom de Alichael Francisci de Insulis, naquit à Templemars en 1435. Il prit l'habit de saint Dominique au couvent de Lille, fit ses études de philosophie et de théologie au couvent de SaintJacques à Paris, et devint maître des_novices à Lille. En 1461, il retourna à Paris où il fut le disciple d'Alain de la Roche. Le P. Conrad d'Asti ayant érigé la Congrégation de Hollande, le P. Michel quitta la France pour se rendre aux Pays-Bas. Le chapitre général de l'Ordre, tenu à Rome en 1468, le destina à expliquer un an la Bible et un an les Sentences à Cologne (1469 et 1470). En 1473, Michel François prit le bonnet de docteur en l'Université de cette ville. Il remplit successivement les fonctions de régent des études à Cologne (1478), de prieur à Valenciennes (1482), de vicaire général de la Province de Hollande (1484) et de prieur à Lille (1487-1496). Depuis 1490, Maximilien d'Autriche lui avait confié l'instruction de son fils unique Philippe le Beau. En 1493, le P. Michel fut nommé inquisiteur général de la foi dans les provinces des Pays-Bas soumises à ce prince et devint dans la suite l'aumônier, le confesseur et le conseiller de son jeune élève. En vertu d'un bref d'Alexandre Vf du 15 juillet 1496, le P. Michelfut sacré évêque de Sélivrée. Lorsqu'en 1502, Jeanne, étant devenue héritière présomptive des couronnes de Castille et d'Aragon, par le décès de son neveu don Michel, l'archiduc et son épouse projetèrent leur premier voyage en Espagne, Michel François s'excusa auprès du prince d'entreprendre une aussi longue traversée que son âge et ses infirmités rendaient périlleuse ; après lui avoir procuré un autre confesseur, le


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P. Jean Lampier du couvent de Bruxelles, il se retira à

Malines auprès de Marguerite, veuve de Charles le Téméraire, dans l'intention d'instruire les enfants confiés à la garde de cette princesse ; mais il mourut, le 2 juin 1502, quelques mois avant le départ de la Cour.

Nous avons de lui (1) :

1° Delerminalio de tempore adventûs Antichristi, ac de ejus ingressu in mundum, progressu, et egressu, atque de novilatibus, que jam de co currunt ; quam habuit Auctor et pronunciavit in Aida F. Alallhei de Aquis Colonie an. AI.CCCCLXXVII1. Cologne, 1478.

2° Quodtibelum de veritate Fraternilalis SS. Rosarii Colonie anno A1.CCCCLXXV1 pronuntialum. Cologne, 1470. Quodibelum de veritate Fraternilalis Rosarii, seu Psallei'ii B. Alarie Virginis.... pronuntialum Colonie in scholis Artium, tempore Quodlibelorum, A. D. Al. CCCCLXXVI per P. Michaelen de Insulis, sacre Théologie Professorem ejusdem ordinis, renovatunique postea per eumdem anno LXX1X sequenli propter codas causas in Prologo contentas. Cologne, 1479: 1480; Lyon, 1488; Bologne, 1500; Paris, 1504, 1509, 1514, 1518.

3° Quodlibelica decisio perpidehra et devota de septem doloribus christifere virginis Alarie ac communiet saluberrima confraternitale desuper inslilula. Anvers, Thierry Maertens (entre août 1494 et octobre 1195); Schatenthal, 1501. Ce petit livre rarissime se rattache à l'histoire de la dévotion à Notre-Dame des Sept Douleurs, qui s'établit en Belgique à la fin du XV 0 et au commencement du XVIe siècle, sous la haute pro(1)

pro(1) manuscrit de son ouvrage : De abusibus Aullcorum, ad Philippum Archiducem, Belgii et Hispaniae Principem, conservé autrefois au couvent des Dominicains de Lille, n'existe plus aujourd'hui.


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tection des princes de la maison de Bourgogne, souverains des Pays-Bas.

Au dernier quart du XVe siècle, la piété des fidèles se portait avec une prédilection marquée vers les mystères de la passion et le culte de Marie, sous le titre de Alater dolorosa, prenait une extension considérable. Mais les livres liturgiques et ascétiques, antérieurs à cette époque, ne contiennent aucune trace du nombre sept dans l'expression des douleurs de Marie. Le fondateur de la confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs fut Jean de Coudenberghe, doyen de Saint-Gilles d'Abbenbroek, et en même temps curé des églises des Saints Pierre et Paul de Romerswaal et de Saint-Sauveur de Bruges, plus tard secrétaire de Charles-Quint. Ce pieux ecclésiastique, affligé des maux que la guerre civile déchaînait sur son pays après la mort de Marie de Bourgogne, entreprit d'engager ses ouailles à recourir à l'intercession de la Mère de Dieu, ne doutant point, dit-il : « que celle qui a tant souffert et dont les souffrances ont été changées en joies, ne s'intéressât à leur triste sort et ne voulût les secourir et consoler ». Dans ce dessein, il fit placer dans les trois églises qui dépendaient de lui une image do la Vierge, avec une inscription en vers, rappelant sept (1) des douleurs principales de sa vie. Ces images attirèrent en foule les pieux fidèles, qui se mirent avec un religieux empressement à méditer les mystères qu'elles rappelaient, et à conjurer la Mère des douleurs de vouloir écarter de la patrie les calamités dont elle était accablée. Bientôt, vers 1490, il se forma successivement dans les trois églises de Romerswaal, Bruges et Abbenbroek, une confrérie sous le vocable de Notre-Dame des Sept Douleurs. Philippe

(1) Ce sont les mêmes Sept Douleurs que nous honorons encore aujourd'hui; les divergences qu'on observe dans la suite entre quelques églises ne remontent donc pas à l'origine de la dévotion.


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le Beau, ayant eu connaissance de ces pieuses pratiques, demanda l'avis de plusieurs doctes personnages, en particulier de son ancien précepteur, devenu son confesseur et conseiller, le P. Michel François. La réponse ayant été que cette dévotion était bonne en elle-même et féconde en fruits de saints, le prince se fit inscrire dans la confrérie, pour laquelle il demanda l'approbation canonique à l'évêque d'Utrecht, David de Bourgogne. Mais si la dévotion â Notre-Dame des Sept Douleurs fut généralement accueillie avec sympathie, elle rencontra aussi des adversaires. Pourquoi, disait-on, cette dévotion nouvelle qui ne peut invoquer en sa faveur ni l'autorité d'un saint fondateur, ni les traditions d'une Eglise illustre ? Pourquoi ce nombre arbitraire de Sept Douleurs ? La dispute s'échauffa et la question fut portée devant l'Université de Louvain, qui confirma le jugement de l'évêque d'Utrecht. La controverse continuant, on résolut do s'adresser à Rome et Philippe le Beau écrivit directement à Alexandre VI. Ces négociations furent avant tout l'oeuvre du P. Michel François qui publia alors sa dissertation Quodlibelica decisio. C'est le premier traité théologique sur la matière dont il soit fait mention. L'auteur s'attache à prouver dans la ligueur de la scolastique « que la dévotion aux Sept Douleurs, solide et excellente en ellemême, n'est nouvelle que pour la forme, et que les grâces nombreuses dont elle est la source, montrent assez qu'elle est agréable à Dieu et qu'on ne saurait trop louer et remercier ceux qui l'ont établie ». Par sa bulle du 25 octobre 1495, Alexandre VI loua grandement la piété de l'archiduc et approuva la dévotion et la confrérie, établie sous son patronage, en l'honneur des sept principales douleurs de la Sainte-Vierge. On sait que Marguerite d'Autriche, soeur de Philippe le Beau, fut aussi la propagatrice dévouée de la dévotion aux Sept Douleurs.


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En 1516, elle fonda une chapelle en l'honneur de NotreDame des Sept Douleurs, dans la magnifique église qu'elle faisait construire à Brou, près de Bourg-en-Bresse ; en 1518, elle fonda à Bruges, hors la porte des Baudets, le couvent des Annonciades, sous le titre des Sept Douleurs de la Mère de Dieu (1).

Une des particularités intéressantes de la Quodlibeiica decisio est l'image de Notre-Dame des Sept-Douleurs qui se trouve sur le premier feuillet. La Vierge est représentée à mi-corps, vêtue d'un grand manteau qui l'enveloppe en entier et d'un long voile dont les plis flottants paraissent descendre jusqu'à terre. La tête, entourée d'un nimbe aux l'ayons fortement accusés, et. légèrement inclinée à gauche, respire une douleur calme et profonde. Un faisceau de sept glaives réunis vient de gauche à droite s'enfoncer dans la poitrine de la Vierge pendant que celle-ci, d'un geste gracieux, presse doucement la pointe des épées contre son coeur. On trouve une image de NotreDame des Sept-Douleurs d'un type différent dans l'édition de 1510 des : Miracula confraternitalis septem dolorum sacralissime virginis Marie, de Jean de Coudenberghe. Les glaives y sont étalés, (rois d'un côté, quatre de l'autre, devant la poitrine de la Vierge, la pointe dirigée vers la région du coeur et y pénétrant légèrement. — Un savant mythologue, M. H. Gaidoz, avait trouvé au Musée Britannique un cylindre chaldéen représentant l'offrande d'un chevreau à la déesse assyrienne Istar, assise sur un trône et encadrée dans un trophée d'armes disposées en éventail derrière elle, quatre d'un côté et trois de l'autre. La vue de cette image lui ayant rappelé

(1) Voir : H. P[ERRETANT], La dévotion aux Sept Douleurs de la Sainte-Vierge. Son origine et ses progrès en Belgique et en Bresse (1490-1520). Belley, 1895; JEAN DE L'OUDENBERCHE, Ortus, progressus et impedimenta fraternilatis beatissime cirginis Marie de passione que dicitur de septem doloribus. Anvers, 1519.

15


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aussitôt la Vierge aux sept glaives, M. Gaidoz s'est mis à rechercher les origines de la dévotion â Notre-Dame des Sept Douleurs, et est arrivé à la conclusion suivante (I) : « Un cylindre assyrien ou quelque autre pierre gravée est arrivée en Italie au moyen âge ; on connaît les rapports fréquents de commerce que l'Italie du moyen âge entretenait .avec l'Orient. Une image de femme ne pouvait être prise que pour celle de la Vierge Marie : que l'on songe aux nombreuses images de déesses gréco-romaines prises pour des images de la Vierge Marie! Mais, que pouvaient signifier ces armes que l'on voyait, paraître derrière la ligure féminine et comme traversant la poitrine? C'étaient sans doute des glaives,et que pouvaientils signifier? Un clerc ingénieux ne manqua pas de deviner qu'ils étaient le symbole de douleurs : le passage de l'Evangile que nous venons do citer | Luc, II, 351 confirma aussitôt cette explication. Les glaives étaient au nombre de sept ; il ne s'agissait que do trouver (et c'était facile), les sept principales douleurs de la Vierge Mario ». Le R. P. Delehaye, Bollandiste, dans une dissertation faite de main de maître (2), prouve qu'il ne faut pas recourir au trophée d'Istar pour fixer l'origine de la dévotion à Notre-Dame des Sept Douleurs ; que cette dévotion naquit, non point en Italie et en plein moyen âge, mais en Flandre, tout à. la fin du XV° siècle ; que les pieux artistes flamands ont traduit l'idée des sept douleurs par l'image si expressive do la Vierge aux sept glaives. — Inutile de dire que le R. P. Delehaye, dans sa riposte à M. Gaidoz, a utilisé la Quodlibelica decisio du P. Michel François et les écrits de Jean de Coudenberghe.

(1) La Vierge aux sept glaioes. MÉLUSINE, t. VI (1892) p. 120-138.

(2) La Vierge aux sept glaices, dans les Analeeta Botlandiuiia, t. Xll (1893), p. 333-352.


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Ajoutons que M. H. Gaidoz a loyalement reconnu s'être trompé.

GHISLAIN DE VROEDE, natif de Dunkerque, fit ses éludes à Louvain, inscrit, comme la plupart des flamands de la Flandre maritime, à la pédagogie du Lis. Au concours de la faculté des Arts de 1542, il sortit le troisième sur cent vingt concurrents. Il professa la philosophie au Lis de 1545 à 1519, et devint licencié en théologie. Admis comme professeur à la chaire publique de théologie (5 octobre 1558), fondée à Bruges par Jean de Witte, évoque de Cuba, il obtint bientôt la cure du Béguinage à Bruxelles, puis, en 1572, celle de Notre-Dame de la Chapelle, qu'il garda jusqu'à sa mort. G. de Vroede assista à ses derniers moments le comte de Hornes, qui périt sur l'échafaud avec le comte d'Egmont (ôjuin 1508). Nommé suffragant coadjuteurde l'archevêque de Malines, le cardinal de Granvelle, en 15GS), sous le titre d'évêque de Sélivrée (Salubria), il reçut l'onction épiscopale à SainteGudule, le 28 avril 1570, des mains de Maximilien de Berghes, archevêque de Cambrai : les évoques assistants étaient Sonnius, d'Anvers, et Richardot, d'Arras. Kn 1572, de Vroede célébra pontifîcalenient, à l'abbaye bénédictine de Forest-les-1'ruxelles. les obsèques de Martin Cuperus, évèque de Chalcédoine, sufifragant-coadjuteur de Cambrai. Le 31 juillet 1575, avec Rémi Drieux, il assista Martin Rythovius, évêque d'Ypres dans la cérémonie du sacre de Pierre Pintaflour, élevé au siège de Tournai (1).

De A'roede mourut à Bruxelles, le 14 août 157!) ; mais comme l'église de Notre-Dame de la Chapelle était alors occupée par les gueux, il fut inhumé dans le caveau de l'église du Sablon (2).

(1) Archives de l'èvêché de Bruges, Acta Kpiscopatu» Y prenais (Reg. Martini Rythovii. fol. 111).

(2) Voir : CLAESSENS, Histoire des archevêques de Malines, t. I, p. 171.


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PIERRE PINTAFLOUR. évêque de Tournai, né à Strazeele, en 1502, mourut à Tournai le 10 avril 1580. M. Eugène Cortyl, son arrière-petit-neveu, a retracé le portrait du vaillant évèquo. Il nous expose la vie de son parent depuis le berceau jusqu'à la tombe. 11 nous le montre élève à la pédagogie du Lis à Louvaiu, précepteur de jeunes gens de famille, professeur de philosophie au Lis, étudiantcndroit, professeur extraordinaire de Code à lT'niversité, chanoine (1) de Saint-Pierre, jurisconsulte dont ou appréciait les conseils dans les affaires difficiles, conseiller de Tèvèque de Tournai. Charles de Croy, avocat renommé du barreau de Bruxelles. 11 nous le dépeint veuf sans enfants, renonçant au monde et prenant la résolution de se consacrer entièrement à Dieu et à son Eglise, résolution que no peut ébranler l'offre qu'on lui fit successivement de la présidence du grand conseil de Malines et de celle du conseil de Luxembourg. Pintallour ayant revêtu de nouveau l'habit clérical fut nommé à la cure de Hérinnes, devint chancelier de la cour spirituelle de Tournai, oilicial, doyen du chapitre. M. Cortyl décrit le « bon curé», l'ollicial intègre, le chef du chapitre pieux et zélé, travaillant à la réformation du clergé de Tournai. Nommé évèquo de Tournai en 1575, après la mort de Gilbert d'Oignies, Pintallour occupa le siège épiscopal pendant environ cinq ans, dans des circonstances particulièrement didiciles et pénibles. M. Cortyl nous expose les travaux apostoliques du saint pasteur, l'influence heureuse et efficace au point de vue politique qu'il exerça de concert avec Martin Rythovius, évoque d'Ypres, et Rémi Drieux, évêque de Bruges. Ce pâle résumé de la brillante carrière d'un enfant de Strazeele doit vous engager à lire les pages attrayantes

(1) Depuis quelque temps déjà il était clericus ; on sait que, de droit, pour devenir chanoine, il i'aul au moins avoir reçu la tonsure.


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du livre : Un évêque du XVI" siècle. Pierre Pintaflour, évêque de Tournai de 157,") à 1580, par EUGÈNE CORTYL. Lille, 1898 (1).

MATTHIEU RUCKEBUSCH, fils de Josse, naquit vers 1585, à Boire, dans la châtellenio de Cassel. Elève de la pédagogie du Lis, à Louvain, il obtint la vingt-cinquième place sur cent soixante-dix-sept concurrents, dans la promotion des Arts de 1552. Devenu licencié in utroque jure, il fut nommé président du collège île Saint-Ives (1559), professeur de Code et chanoine de Saint-Pierre (1561), président du collège de Saint-Donatien (1502). En 1504 il est recteur de l'Université. Nous ignorons à quelle date il fut pourvu de la cure de Zillebeke. Le 9 mars 1570 (n. s.), Rémi Drieux lui conféra la 27e prébende de Saint-Donatien à Bruges, réservée aux gradués en droit ; mais Ruckebusch renonça à ce bénéfice, le 25 février 1571 (n. s.), avant d'en avoir pris possession, pour devenir chanoine de la métropole de Cambrai, dont il fut élu doyen le 21 octobre 1573. 11 était vicaire général de l'archevêque Berlaymont, lorsqu'on 1585, Philippe II le nomma au siège épiscopal de Garni. La ville de Cambrai étant occupée par les troupes françaises, il se retira à Mous, attendant de Rome ses lettres de confirmation. Sa nomination n'était pas encore confirmée par le Pape, lorsque Matthieu Ruckebusch montait le 19 avril 1580. Il fut enterré dans l'église de Sainte-Waudru, où on lui éleva un monument avec cette épitaphe :

D. Matthaeo Rucquebusch

Presbytero .1. U. licentiato

Ecclesiae metropl. Camerac. Decano

Et canonico, nec non lllustrissimi et

(1) Ce travail a paru dans les Annales du Comité flamand de Fronce, t. XX, pp. 63-226.


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Reverendissimi Domini de Berlaymont Archiepis.

Vicario generali, qui cura a Rege Catholico

Episcopus Gandensis esset designatus

In hoc oppido, civitato Cameracena

Ab hostibus occupata,

Terrenos honores eu ni cailcsiibus commutavit.

Executores testam. moesti posuere.

Obiit anno Domini M. D. LXXXVI, die XIX

Mensis Aprilis (1).

JEAX DE VISSCHERE, né à Bergues-Sainl-Winoc, le 1er janvier 1501, était fils de Jean de Visschere, bailli d'Ingelmunster (2), qui fut lâchement assassiné, au pont de Maltebruggo-lez-Gand, par François de la Kethulle, seigneur de Ryhove, le 4 octobre 1578. Il fit ses études de théologie, comme élève du séminaire du Roi, à Douai, et prit le grade de bachelier (3). Curé, et doyen de chrétienté do Dixmude, depuis 1585, il fut nommé, le 31 juillet 1592, chanoine de la dixième prébende du membre de Saint-Martin (1) du chapitre cathédral d'Ypres, prébende à laquelle était attachée la cure d'âmes de la paroisse de Saint-Martin.

(1) REUSENS, Analeel.es pour sereir A l'histoire ecclésiastique de la Belgique, t. XVII, p. 355; Archives de l'évêché de Bruges, Acta Driutii.

(2) C'est ainsi que la plupart des auteurs qualifient la victime des sectaires. L'auteur des Mémoires anonymes sur les troubles des l'atjs-Bas, éd. BLAES, I. III, p. 10, l'appelle: lieutenant du souverain bailli de Flandre; FRANÇOIS OE HALEWYN, Mémoires sur les troubles de Gand, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE, p. 93, dit: ancien lieutenant du souverain bailli de Flandre; DE CODT, dans une lettre conservée aux archives d'Ypres, n" 61, le nomme : prévost.

.(','}) Ses lettres de nomination comme chanoine de Saint-Martin portent : Dilecto nobis .1. de Visschere, ai-tium magistro et sacrae theologiae baccalaureo.

(4) Le chapitre était formé de « trois membres » dits, d'après l'origine des prébendes : le membre de Théruuanne, le membre de Saint-Martin ou d'Ypres et le membre de tûmes.


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Son éloquence remarquable et son zèle infatigable attirèrent sur lui l'attention des archiducs Albert et Isabelle. Lorsqu'en décembre 1609, Mgr Charles Maes fut transféré au siège de Gand, les princes désignèrent Jean de Visschere pour lui succéder sur le siège d'Ypres. Le nouveau prélat, confirmé par bulles datées du 25 octobre 1010, prit possession le 28 décembre et reçut l'onction épiscopale en l'église de Saint-Martin, le 6 février 1611. L'évêque consécrateur, Jacques Blasaeus, de Saint-Omer, était assisté de Charles Maes, de Gand, et de Charles-Philippe de Rodoan, de Bruges. A cette occasion, les chanoines offrirent à leur ancien confrère, devenu leur maître, un vase en argent, portant les armes du chapitre.

Dès le début de son épiscopat, de Visschere déploya la plus grande activité, visitant tout son diocèse et prêchant jusque dans les plus humbles villages. Malheureusement il ne gouverna l'évêché d'Ypres que pendant deux ans et quelques mois. En rentrant de sa tournée pastorale, au commencement de la troisième année, il tomba malade et mourut le 20 mai 1613. à peine âgé de cinquante-deux ans. Par testament, il légua toute sa fortune au séminaire épiscopal d'Ypres et au séminaire du Roi, à Douai. Ses restes reposent dans le choeur de la cathédrale de Saint-Martin, où l'on voit encore aujourd'hui un superbe mausolée, en marbre noir, avec figure en albâtre, représentant l'évêque couché, revêtu de ses habits pontificaux. Sur la face antérieure du tombeau se trouve cette inscription :

Lector

Hic situs est

Reverendiss. Joannes Visscherius

Wi noci-Berganus,

Qui hujus ecclesiae Canonicus et Pastor


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Vigilantissimus,

Concionum mère christianarum facundia

Admirabilis,

Divini zeli dotibus

Incomparabilis,

Ejusdem demum Episcopatus infulam

Meruit ;

Quo numéro tribus 1ère annis gnaviter

Defunctus,

Seminariis

Iprensi et Regio Duaceno

Omnium adventitiorum bonorum suorum

Scriptis legatariis,

Tandem

Maximo sui reliefo desiderio

Obiit VII kalend. J.un.

Anno Christi MIDCXIII.

Cum vixisset

Ann. LU. mens. IV. dieb. XXV.

Tu

Ut aeternum beatus vivat,

apprecare.

Faisant allusion à son nom, Jean de A'isschere avait pris pour devise : In verbo tuo laxabo rele.

JEAN SIX (1), né à Lille, en 1533, mourut évêque de Saint-Omer, le 11 octobre 1586. Il fit ses études à la pédagogie du las, à Louvain, et fut proclamé trente-huitième sur cent soixante-onze concurrents, clans la promotion des Arts, en 1551. A peine magisier arlium, il obtint une

(1) Nous avons puisé aux sources suivantes : FRANÇOIS LUCAS, In obitam D. Joannis Si:c episcopi Audomaropolitani, oratio funebris. Anvers, 1587; Archives de Saint-Omer, Acta capituli B. M. V. Auilomarensis ; O. BLED, Les Ecéques de Saint-Omer depuis la chute de Thérouanne, 1553-1019. Saint-Omer, 1898.


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chaire de philosophie au Lis (1552-1558). Dans l'intervalle, il suivit les cours de théologie comme élève du collège du Saint-Esprit, et remplit les fonctions enviées de prior vacantiaru.m. Devenu licencié, il est appelé à enseigner la théologie au monastère des Célestins à Héverlé-lez-Louvain. II n'avait que vingt-huit ans lorsque, le 21 juin 1561, on le chargea de la présidence du Grand collège des Théologiens, au moment où se fit la division en grand et petit collèges du Saint-Esprit (1). Peu de temps après, il devint curé de Saint-Etienne, à Lille. Pendant dix ans, malgré sa santé délicate, Jean Six administra cette paroisse avec une sagesse, une prudence et un zèle qui frappèrent Gérard d'Hamôricourt. Ce saint prélat fit auprès du curé de fréquentes démarches pour le décider à venir à Saint-Omer partager ses travaux. Jean Six ne put se résoudre à quitter ses ouailles ; toutefois, il consentit à se rendre de temps à autre chez l'évoque pour lui venir en aide dans ses nombreuses difficultés. Enfin, usant d'une pieuse fraude, d'Haméricourt força le curé de Saint-Etienne de résider à Saint-Omer, en lui conférant une prébende de chanoine gradué dans sa cathédrale (2 décembre 1571), et en le nommant son vicaire général. Il fit même des instances, qui demeurèrent d'ailleurs sans effet, pour le faire agréer de son vivant, comme son successeur sur le siège épiscopal. Pendant la vacance du siège (2), Jean Six, fut député par le clergé aux Etats d'Artois. Ceux-ci à leur tour le dépêchèrent à Bruxelles, aux Etats Généraux, à l'effet d'aviser, avec les délégués des autres provinces, sur les

(1) Voir plus haut, p. 176.

(2) Gérard d'Haméricourt mourut le 17 mars 1577. Le chapitre nomma vicaires généraux sede infante Louis de Bersacques, doyen, Louis Militis, archidiacre d'Artois et Jean Hevms, archiprètre.


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mesures à prendre pour le salut du pays. C'était pendant les séances orageuses qui suivirent la retraite de don Juan au château de Namur(l). A chaque fois que la présidence de rassemblée est dévolue à l'Artois (2). Jean Six préside aux débats, prend la défense de la religion et du roi, combat les menées des Orangistes, anime les partisans de la paix par son exemple. Cette conduite courageuse lui attire la haine des patriotes qui le menacent, lui dressent des embûches et excitent le peuple contre lui, si bien que les Etats d'Artois jugent prudent de le rappeler. Rentré à Saini-Omer, Jean Six devint pénitencier, le 7 octobre 1577 (8) et vicaire général sede rncanle, le 20 décembre 1577 (4). Peu de temps après, il reçut de l'archiduc Mathias des ordres auxquels il ne croyait, pas pouvoir obéir (5). Pour ne pas forfaire à sa conscience, il préféra s'exiler. Il séjourna pendant huit

(1) Actes des Etats généraux, éd. (IACIIAED, t. I, p. 215, n' 702.

(2) La présidence de l'Assemblée était hebdomadaire et exercée à tour de rôle par chaque province.

(3) lui remplacement d'F.ustache Culvoult, décédé.

(•1) En remplacement de Jean Ileyms, démissionnaire.

(5) François Lucas expose le fait en ces termes : « A d fer tu r ut vacantis sedis vioario. ab aula perduelli, mandatum taie, quali ubsequi erat ipsi religio, eo quod de re (quani visum est subticerc) statutnin esset a gubernatore légitime, Kegis l'ratre. » Il n'est pas question ici du refus de prêter le serment à Mathias contre don Juan, décrété le 22 avril 1578. Nous pensons qu'il s'agit de l'élection de l'abbesse de Notre-Dame de Bourbourg. F.n juillet 1577, Jean Six fut chargé par don Juan de- procéder avec. Kythovius, èvéque d'Ypres, à l'élection d'une nouvelle abbesse. La pluralité des suffrages désigna Antoinette de W'issueq, dite de Boiny. Mais sur l'avis des commissaires, qui trouvaient que Ghislaine Warluzel était plus propre à réformer la maison d'après les ordonnances du concile de Trente, don Juan pourvut celle-ci de la charge. Antoinette de Wissocq réclama auprès de l'archiduc Mathias et des F.tats généraux, qui maintinrent la première élection. Le chapitre, représentant l'autorité épiscopale durant la vacance du siège, refusa de reconnaître Antoinette de Wissocq. De là, sans doute, «les injonctions adressées par Mathias à Jean Six alors vicaire général. Les ternies employés par Fr. Lucas cadrent, parfaitement avec notre opinion. Lucas se tait, sur l'affaire elle-même, afin de ne pas devoir prononcer îles noms propres, au risque de froisser une famille en vue. Cfr Acta capiluh B. M. V., 14 mai 1578.


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mois à Paris, où il fréquenta l'Université et se remit à l'étude de l'hébreu. Dès qu'il apprit que l'Artois se préparait à la réconciliation avec le roi, il s'empressa de rentrer à Saint-Omer. Au décès de Louis Militis, archidiacre d'Artois et vicaire général, le chapitre lui restitua les fonctions de vicaire général sede vacante (17 août 1579), elle roi lui donna l'archidiaconat d'Artois. Mais les chanoines avaient déjà pourvu do cette dignité Philippe d'Ostrel (21 août 1579) ; ils maintinrent leur droit de nommer aux prébendes et dignités, pendant la vacance du siège.

Le 0 mai 1580, Alexandre Farnèse envoya à Jean Six les lettres royales qui le nommaient à l'évêché de SaintOmer. Les bulles de confirmation n'étant arrivées que l'année suivante, la cérémonie du sacre eut lieu le 23 juillet 1581, dans l'église de Saint-Pierre, à Douai. L'évêque consécrateur, Matthieu Moullart, d'Arras, était assisté de Jean Sarrazin, abbé de Saint-Vaast et d'Arnold Gantois (al. de la Canibe), abbé de Sainte-Rictrudo, de Marchiennes. Le G août suivant, le nouvel évoque fit sa joyeuse entrée dans la ville épiscopale. La plume féconde de M. l'abbé Bled(l), membre du Comité flamand de France, dans son remarquable travail : Les évoques de Saint-Orne)' depuis la chute de Thérouanne (SaintOmer, 1898), a raconté en détail les travaux apostoliques de Jean Six. Je me contente de signaler seulement quelques faits qui touchent à l'histoire des autres diocèses des Pays-Bas.

En 1581, Jean Six recueillit à Saint-Omer les pauvres religieuses de Sainte-Claire, de la réforme de sainte Colette, chassées d'Anvers par les hérétiques.

(1) Au cours de l'impression de cette lecture, nous apprenons avec une vive satisfaction que M. O. Bled vient d'être nommé chanoine honoraire de la cathédrale d'Arras.


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La domination des gueux à Bruges (mars 1578mais 1581) avait, forcé les ecclésiastiques de s'expatrier. Douai et surtout Saint-Omer étaient, les villes oi'i les exilés se réfugiaient de préférence. Jean Six eut la perspicacité de distinguer parmi ces prêtres fugitifs ceux qui par leur savoir et leur vertu pouvaient rendre des services à son diocèse. C'est ainsi qu'il reçut Jacques de Pamele, François Lucas et Guillaume Taolboom, trois brugeois, hommes de grand mérite (1). Il n'eut pas à le regretter. Jacques de Pamele, successivement chanoine de la prébende de Sainte-Barbe (27 mai 1580), archidiacre de Flandre (2 janvier 1581) et vicaire général, fut pour le prélat un précieux auxiliaire dans l'administration de son diocèse. Non moins utile fut François Lucas, secrétaire de l'évêque, chanoine théologal (Gjuillet 1588) et. chanoine gradué (2 avril 158 1). Guillaume Taelbooin, après avoir été curé-doyen de Bourbourg (1581) devint chanoine théologal (21 avril 1581). La preuve que Jean Six avait été heureux dans son choix, c'est que ses successeurs Jean De Vernois et. Jacques Blasaeus donnèrent également toute leur confiance aux trois prêtres brugeois.

Martin Rythovius, èvêque d'Ypres, après une captivité de près de quatre ans (^8 octobre 1577-13 août 1581) s'était retiré à Courtrai, puis à Aire. En juin 1583, ht ville d'Ypres gémissant sous le joug dos gueux, il gagna Fumes, dans l'intention de réconcilier quelques églises profanées par les sectaires. Ayant quelques affaires à régler avec Jean Six, il se rendit à Saint-Omer le 4 octobre. A peine arrivé dans cette ville, il se sentit malade et

(Il Nous avons donné des notices sur Jacques de Pamele dans la Biographie nationale, t. XVI pp. 52S-5I2 ; sur François Lucas, ibidem, t. XII, pp. 1)50-563; sur Guillaume Taelbooin dans {'Histoire du séminaire de Bruges, t. I, 1" part , pp. 377-38?.


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fut admis chez les Soeurs Noires où il succomba le 9 du même mois. Il est probable que Jean Six assista son vénérable ami à ses derniers moments ; toujours est-il qu'il célébra ses funérailles dans la chapelle du couvent.

Quelques mois après le décès do Rythovius, la ville d'Ypres, prise par le prince de Parme, le 7 avril 1584, rentra sous l'obéissance de Philippe IL A la demande du roi, Jean Six réconcilia solennellement la cathédrale de Saint-Martin, en consacra les autels profanés et la rendit ainsi au culte, le 19 mai 1584, veille de la Pentecôte (1).

Jean Six, en vaillant évèque, mourut comme un soldat sur la brèche. L'archevêque de Cambrai, Louis de Berlaymont, avait convoqué un synode provincial à Mons, pour le 2 octobre 1586. L'évêque de Saint-Omer se mit en route, accompagné de Jacques de Pamele, son vicaire général, et de François Lucas, son secrétaire. Durant le voyage, après avoir visité les abbayes de Saint-André à Aire, de Saint-Sauveur à Ham, de Saint-Jean-Baptiste à Choques, il consacra cinq autels à Lillers. Cette cérémonie avait duré jusque vers le soir. Le lendemain, bien que saisi par la fièvre, et malgré l'avis de ses compagnons, le trop zélé prélat fit une ordination et administra le sacrement de confirmation à une multitude de fidèles. La fièvre l'ayant pris de nouveau il se hâte d'arriver à Lille, où il meurt après quelques jours dans la maison de son neveu Willant (2) chanoine de Saint-Pierre. Selon ses dernières volontés son corps fut déposé dans l'église de Saint-Pierre et son coeur transporté à Saint-Omer, pour y être inhumé devant le premier degré par lequel on monte au choeur de sa cathédrale, « là même, dit-il dans

(.1) Archives de la ville d'Ypres : Acta capituli saneti Martini, 19 mai 1584.

t.2) Archives de Saint-Omer : Archices ecclésiastiques, g. 2. Testament de Jean Six.


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son testament, où fut le trésor qui m'a été confié, et où fut le souci de mon coeur. »

Quelque temps après, un service solennel pour l'évêque défunt fut célébré dans la cathédrale de Saint-Omer. Matthieu Moullart, évêque d'Arras, chanta la messe et Jacques de Pamele, que le roi venait de choisir pour succéder à Jean Six, y assista, comme évêque nommé. François Lucas prononça à cette occasion l'oraison funèbre de l'illustre défunt qu'il avait assisté à ses derniers moments. Encore aujourd'hui on ne saurait lire sans émotion ce beau discours, oit l'orateur dépeint admirablement le prélat vertueux et savant, bon et simple dans la vie privée, grave et austère, zélé et intrépide dans les grands devoirs de l'épiscopat.

La devise de Jean Six était : Judicium cogita.

JEAN VENDEVILLE (1) naquit à Lille, le 24 juin 1527, de Guillaume et de Marie Desbarbieux. Son père était bourgeois de Lille, mais originaire de Sainghin-en-Mélantois. Le jeune Vendeville commença ses études à Menin sous Pierre de Paepe. Envoyé à Paris à l'âge de quinze ans, il fit de rapides progrès dans les belles-lettres et la science du droit civil. Pendant quelque temps il apprit la pratique des affaires au conseil d'Artois. Revenu à Lille, il obtint un canonicat à ht collégiale de Saint-Pierre, dont Roger Vendeville, son oncle, était doyen. Celui-ci se proposait

(1) Nos principales sources sont : NICOLAS ZOES, D. Joannis Yendutlii episcopi Tornacensis, juris utriusque doctoris et consiliarii. régis entholiei in concilia prioato cita. Douai, 1598; VOISIN, Notice sur Jean Venileaille, écéque de Tournai, dans les Bulletins de la Société historique et littéraire de Tournai, t. VJ, pp. 149-1(57. Tournai, 1S60 ; A. l'ossoz, Mgr Jean Y eixdeville, écéque de Tournai. Lille, 18G2 ; KEUSKNS, La première idée du collège île la J'ropagaiule ou Mémoire présente en 158') par Jean Vendcille, écéque de 'fouinai, au Sourerain Pontife S in te Y, afin de l'engager d établir des séminaires destinés « former des ouvriers apostoliques pour les missions étrangères. Tournai, 1870.


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d'en faire son coadjuteur, mais Jean résigna son bénéfice et se rendit à Louvain pour prendre ses grades. Licencié in utroque jure, il donna des leçons particulières et publiques avec un succès qui lui amena une foule d'élèves des Pays-Bas et de l'étranger. Ses relations s'étendaient avec son enseignement ; plusieurs seigneurs, le comte de Lalaing, par exemple, lui confièrent leurs intérêts. En 1553, il soutint sa thèse doctorale avec éclat, le même jour que Wamesius, Peckius et Hopperus. Peu après, il épousa Anne Roelofs, d'une famille noble de Louvain, et devint professeur ordinaire de droit civil, en 1557, et de droit canonique, en 1560. Tout entier à ses études, il néglige de faire les démarches nécessaires à l'effet d'obtenir une place de conseiller au grand conseil de Malines, pour laquelle il était recommandé au gouverneur général des Pays-Bas, et n'est pas nommé. Vers le même temps, le dominicain Pépin Rosa prêchait le carême à Saint-Pierre. Vendeville, dit Zoos, fut si touché de ses sermons sur Tobie, qu'il prit en dégoût les choses humaines pour se donner tout à Dieu. Il voulut un directeur qui le conduisit dans la voie du Soigneur et s'adressa à Martin Rythovius, professeur de théologie également remarquable par sa science, par la pureté de sa vie et par son zèle pour la propagation de la foi. Dès ce moment la vie de Vendeville fut celle d'un saint. Sous l'inspiration de son directeur, il s'adonne à la prière, aux pieuses lectures, à la méditation, et s'enflamme d'un désir brûlant de combattre l'hérésie et d'étendre le règne de Dieu. Ce sera désormais sa principale occupation.

En .1559, après en avoir obtenu l'approbation de l'archevêque de Cambrai, Maximilien de Berghes, il adressa au président Viglius un mémoire : De minaendis liaeresibus, fruit de ses longues réflexions et de ses entretiens avec les plus hauts personnages du pays. « Le


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moyen de « diminuer l'hérésie » c'était, dit M. Cardon (1), la fondation de collèges et de séminaires ou l'on formerait des prêtres instruits, capables de discuter avec les docteurs de la Réforme, et ces collèges devaient se grouper, pour le plus grand bien de l'Eglise catholique, autour d'une université nouvelle. Le mémoire De minuendis haeresibus contenait sans doute en germe la conception de l'Université de Douai comme institution de résistance catholique. » En 1500 ou 1501 les échevins de Douai reçurent le résumé d'un mémoire qui avait été adressé au gouvernement de Philippe II, un an ou deux ans auparavant, pour lui conseiller l'érection d'une université à Douai. Cette pièce était intitulée : Le Premier projet et sommaire de la Remonstrance. M. Cardon n'hésite pas à attribuer la paternité de la Remontrance à Vendeville, qui, à l'insu des Douaisiens, avait repris, en 1559, les démarches commencées par ceux-ci en 1531 et abandonnées en 1552. Philippe II fit bon accueil au mémoire de Vendeville. Sounius est chargé do négocier l'affaire à Rome, en même temps que l'érection dos nouveaux évêchés. Jérôme de France négocie avec le gouvernement au nom de la ville de Douai. Vendeville se trouve à Bruxelles en 150.2, lorsque les députés de Douai s'entendent avec Viglius sur les contributions des abbayes et le choix des professeurs, et il accepte avec empressement les propositions de Jérôme de France d'aller enseigner dans la nouvelle Université, dont il est un des principaux fondateurs. 11 occupa la première chaire de droit civil de 1502 à 1578. Elève de Mudée, il apporta à Douai la méthode de son maître (2). (Tétait un professeur modèle

(1) La fondation de l'Unicersité de Douai, p. G8,

(2) « Il avait composé à Douai, dit M. Cardon (l. c. p. 377), des ouvrages de droit pour ses élèves, comme Une Comparaison de l'édit perpétuel de Salvius Julien et du code de Théodose avec le corps de lots de Justinien, dont le titre seul annonce une oeuvre


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et plein de dévouement pour ses disciples. Après ses cours, il faisait venir les étudiants chez lui et les interrogeait ; il les exerçait dans sa maison aux disputes qu'ils devaient soutenir publiquement. Il restait en relations avec ses anciens élèves et les réunissait dans des conférences. Au milieu de ses nombreuses occupations, il trouvait encore le temps de prendre part à toutes les démarches qui pouvaient contribuer à la prospérité de l'Université. Il est le fondateur ou l'instigateur de presque toutes les grandes créations catholiques qui se rattachent à l'érection de Y Aima Mater. C'est Vendeville qui fit, établir dans l'Université le cours si important de catéchèse (1) dont Galenus consentit si difficilement à se charger. C'est lui qui fit ouvrir par Jean Lentailleur, abbé d'Anchin, un collège de Jésuites (collège d'Anchin). C'est lui qui encouragea Guillaume Allen à fonder un collège Anglais (2) et intéressa Viglius (3) à cette oeuvre. Son ancien directeur et ami Rythovius, à peine élevé

considérable ; mais il n'a rien fait imprimer. Sa préoccupation principale parait avoir été de rendre l'étude du droit plus claire et plus facile : il insiste toujours sur les principes généraux et préfère un cours élémentaire, mais utile, à des dissertations plus brillantes et plus savantes, mais dont ses auditeurs eussent tiré moins de profit. Les deux seuls ouvrages de Vendeville qui aient été publiés, au XVII' siècle, par Valère André, répondent bien parleur titre à ce souci du maître : l'un est un Commentaire sur les principes du Droit canon; l'autre est intitulé : V. Cl. Joan. Venduillii J. V. /). primum Locanii eanonum ordin., post Duaei LL primi ac primai ii, de principiis et oeconomia librorum juris unioersi ad proemium Pamlectarum sioe ad constitutiones justinianas Pantlectis praejigi, solitas Commentarius, Opus posthumum et tum ad Pandeelarum Codicisque partitionem ac methodum facilita indagandam, tum ad tollendas antinomias conciliandaque juris loca in. speciem pugnantia, utile imprimis ac necessarium. » Louvain, 1655.

(1) Voir plus haut, pp. 152 et 153.

(2) Voir plus haut, p. 191.

(3) Notons, en passant, qu'en 1569, Viglius lui-même fonda à Louvain un collège qui portait son nom, Collegium Viglianum. L'activité de Vendeville n'aura pas été étrangère à cette création.

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sur le siège d'Ypres, dut se rendre à Trente, en juin 1563 Toujours dévoré d'un saint zèle, Vendeville lui envoie ses notes sur l'éducation du clergé, avec prière de les communiquer aux Pères du concile. On sait que l'évêque d'Ypres assista à la session XXIII, du 15 juillet 1503, où fut décrété l'établissement des séminaires. Serait-il téméraire de croire que ce décret célèbre renferme quelques-unes des vues proposées par Vendeville?

L'Eglise était menacée par la puissance musulmane. Vendeville ne voyait de salut pour l'Europe que dans une ligue puissante, formée entre les princes chrétiens contre l'ennemi commun. 11 rédigea sur ce projet un mémoire solidement appuyé, et, peu de temps après l'exaltation de Pie V, il le fit parvenir au Pape par l'entremise du jésuite Polanc (1500). Le Souverain Pontife, par l'intermédiaire du même religieux, lui en exprima toute sa satisfaction. On connaît l'histoire de la Ligue si célèbre par la victoire de Lépanle.

En 1507 Vendeville partit pour Rome avec Guillaume Allen et Morgan Philips. Il y eut de fréquents rapports avec des personnages distingués de l'Eglise romaine auxquels il fit part, sans doute, de son projet de séminaire destiné à former des ouvriers évangéliques qui travailleraient à la conversion des Grecs et des Maronites. Pendant son séjour dans la ville éternelle, il mit son projet par écrit et, quelques jours avant son départ, le présenta à Pie V en priant le Saint Père de le soumettre à l'examen d'un homme pieux, zélé et savant (1). Pie V chargea le cardinal de Clairvaux d'examiner le mémoire

(1) M. Cardon (op. cit., p. 345) dit que Vendeville ne put être reçu par le Pape. Or Vendeville écrit lui-même : « N'actus aliquid otii, scripto médium illud mandavi, et uno aut altero die antequam ex urbe recederem summatim cerbo communicavi, et in scriptis dedi sanctissimo domino nostro Pio V. » — La première idée du collège de la Propagande, édit. RISUSIÏNS, p. 24.


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et de lui en rendre compte (1). Vendeville et ses deux compagnons quittèrent Rome au printemps de 1568. C'est pendant ce voyage de retour que le professeur inspira à G. Allen l'idée de faire lui aussi quelque chose pour la conversion d'autres hérétiques, c'est-à-dire des Anglais restés en Angleterre. Le collège des prêtres anglais s'ouvrit en septembre 1568.

Au point de vue politique Vendeville appartenait au parti national. Il avait de fréquentes conférences avec l'archevêque de Cambrai, Maximilien de Berghes, l'évêque d'Ypres, Rythovius et l'abbé d'Anchin, Jean Lentailleur. Ce fut lui qui décida ces personnages influents à envoyer un homme sûr à Madrid pour faire à Philippe II un rapport exact sur l'état des Pays-Bas. Lui-même rédigea et adressa à Requesens un mémoire pour engager le roi à se réconcilier avec la Hollande et la Zélande. Le gouverneur général fit traduire le mémoire en espagnol et l'envoya à son maître. Bien plus, Vendeville se rendit en personne en Espagne, afin d'entretenir le roi des maux qui désolaient le pays. Il eut une audience de deux heures avec le souverain, qui ne le congédia qu'après lui avoir fait promettre qu'il lui écrirait fréquemment pour l'informer exactement sur la situation des provinces et de la religion catholique. Pour rentrer dans sa patrie Vendeville avait pris la voie de mer ; une violente tempête le jeta sur les côtes do l'Angleterre. Il fut arrêté, envoyé à Londres et ne dut sa liberté qu'à l'intervention de l'ambassadeur de Philippe II auprès d'Elisabeth.

Peu après son retour à Douai, un deuil vint l'affliger ;

(1) Le cardinal de Clairvaux fut surpris par la mort avant d'avoir pu remettre son rapport. Vendeville ne crut pas devoir faire alors de nouvelles démarches, sachant que le Saint Père était surchargé par les préoccupations que lui donnait la guerre contre les Turcs.


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il perdit sa femme, qui ne lui laissait, qu'une fille (1). Cette perte le détacha de plus en plus du monde ; on le vit multiplier ses prières, ses jeûnes et ses aumônes. Ce fut alors que plusieurs amis rengagèrent à entrer dans les ordres ; mais il s'en déclara indigne.

Don Juan venait d'arriver en Belgique. Le gouverneur général n'avait pas ses apaisements sur ht Pacification de Gand, au point de vue de la religion. Fonck et le seigneur de Rassenghien firent de vains efforts pour le tranquilliser. Heureusement, au moment opportun, Martin Rythovius se rendit à Luxembourg, en compagnie de Jean Vendeville, qui lui avait conseillé cette démarche. En son nom et au nom de ses collègues Rémi Drieux, do Bruges, et Pierre Pintaflour, de Tournai, le vieil évêque d'Ypres supplia don Juan d'avoir pitié de ces pauvres pays. Comme l'archiduc faisait observer que la pacification de Gand paraissait déroger à la religion catholique, l'évêque lui répliqua, et il le répéta plusieurs fois, « que non seulement elle ne dérogeait pas à la religion, mais qu'elle tendait même à l'augmenter, et qu'il le soutiendrait devant Sa Sainteté et partout oit il en serait besoin. » Ce que Fonck et le seigneur de Rassenghien n'avaient pas réussi à obtenir, la médiation des prélats l'obtint ; l'accord s'établit en principe et il en fut dressé acte le 8 décembre 157(5. Le prince d'Orange fit tous ses efforts pour empêcher la conclusion de la paix ; il redoubla ses efforts pour provoquer la rupture après YEdit perpétuel. Vendeville s'expliquait franchement avec ses amis (2) et en public sur les menées du Taciturne. Celui-ci voulut s'en venger. Il persuada aux Etats

(1) Elle s'appelait Marie, et épousa Léonard de Bocxhorn, de Louvain, seigneur de Lovenjoel, lièrent, etc.

(2) Voir sa lettre du 14 juillet 1577, à Matthieu Moullart, abbé de Saint-Ghislam, reproduite par Possoz, op. cit., p. 182.


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généraux que la présence du professeur de Douai était nécessaire pour avoir son avis sur certaines propositions de Marnix de Sainte-Aldegonde. Vendeville accourt à Bruxelles. A peine y est-il arrivé qu'on le conduit à l'Hôtel de Ville où il est accusé de n'être venu que pour conspirer. Jean se défend avec intrépidité et confond ses accusateurs en exhibant les lettres des Etats qui avaient réclamé sa présence. Mis en liberté, il suivit le conseil de l'abbé d'Hasnon, Jacques de Fraye, et se retira par prudence à Liège. Peu de temps après, le magistrat de Douai le supplia de revenir dans cette ville. Le professeur céda à leurs instances. Mais bientôt Philippe de Broïde l'informa secrètement qu'il était dénoncé à Guillaume et que celui-ci voulait le jeter en prison. Vendeville partit furtivement pour Paris, et sa chaire lui fut enlevée. L'Université de Paris lui en offrit une autre, mais il refusa parce que les grades ne s'y conféraient pas avec toute l'équité désirable.

Pendant son séjour dans la capitale il utilisa son temps à composer un nouveau mémoire sur les affaires de sa patrie, qu'il adressa à Philippe II ; il écrivit plusieurs lettres à Grégoire XIII sur l'état des Pays-Bas, dans lesquelles il expose la nécessité d'obtenir une bonne paix par l'intervention des princes chrétiens (1). Les conférences de Cologne suivirent de près. C'est encore de Paris qu'il envoya à Grégoire XIII le mémoire adressé autrefois à Pio V, mais remanié et corroboré d'observations nouvelles. Lorsqu'il en entendit la lecture. le Pape ne put retenir ses larmes ; il approuva le projet et exprima l'intention d'y donner suite. Il ordonna au P. Possevin, jésuite, de faire un résumé exact et concis

(1) Voir ses lettres du 1" et du 16 mars 1578, adressées à Grégoire XIII (Archives du Vatican : Nun.:iatura d'Inghilterra, I, 374 et 375, cit. par BELLESHEIM, Wilhem Allen..., pp. 23-2-1).


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des plans proposés par Vendeville, et il les suivit à quelques modifications près, pour instituer les collèges destinés à l'éducation des jeunes gens maronites, grecs et dalmates. Cependant ce n'était là qu'un commencement d'exécution du vaste dessein de Vendeville.

Manquant de tout, Vendeville fut obligé de quitter Paris. Le 21 avril, on le trouve à Amiens et le 22 à Péronne, d'où il écrit à don Juan pour recommander à la bienveillance du gouverneur général le seigneur de Champagney qui avait manifesté l'intention de rentrer sous l'obéissance du roi et de se retirer à Gravelines auprès de Valentin de Pardieu (1). Après s'être arrêté quelque peu â Cologne, il se rendit à Namur pour saluer le comte de Bucquoy, Maximilien de Longueval. C'est là qu'il reçut les lettres qui le nommaient membre du conseil privé (7 juillet 1578). Dans la visite qu'il fit au gouverneur général (2), il parut avec des vêtements tout usés, car, depuis son départ de Douai, sa pauvreté ne lui avait pas permis de s'en procurer d'autres. Les Douaisiens l'ayant supplié de revenir au milieu d'eux, il rentra à Douai et fut reçu avec enthousiasme. Un des magistrats, en le voyant, dit à ses collègues : « Voilà Joseph, notre frère, que nous avons chassé, persécuté et vendu ! »

A cette époque, Martin Rythovius, du fond de sa captivité à Gand, écrivit à Vendeville pour le prier de vouloir être son coadjuteur dans l'administration du diocèse d'Ypres. Vendeville ne put pas encore se résoudre à rece(1)

rece(1) cette lettre (Aroli. génér. du royaume de Belgique, Papiers d'Etat et de l'Audience, liasse 176) reproduite par BLAES dans les Mémoires anonymes sur les Troubles des Pays-Bas, t. II, p. 207, note 1.

(2) ZOES (p. 28) dit simplement : « Deductus igitur est a couiite ad gubernatorem ». Possoz (p. 83) traduit : Dans la visite qu'il rendit au duc de Parme ». Remarquons que don Juan ne mourut que le 1" octobre 1578.


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voir les ordres. Il ne céda aux instances continuelles de ses amis, qu'après avoir rempli sa mission comme député de la ville de Douai (1) dans les délibérations et les négociations pour la réconciliation des provinces wallonnes, qui fut signée à Mons, le 13 septembre 1579. Il reçut le sous-diaconat et le diaconat en 1580, fut ordonné prêtre le 1er janvier 1581 et célébra sa première messe le jour de l'Epiphanie.

Le 19 j uin 1585, il devint écolàtre de la ville de Bruxelles en remplacement de Jean Gérard (2). Loin de retenir pour lui-même les revenus de ce bénéfice, il y ajouta encore du sien pour l'entretien des maîtres d'école. Il était d'ailleurs d'une charité inépuisable. Pendant la disette de 1586, il proposa à tout le personnel de sa maison de faire ensemble un second carême (c'était vers la Pentecôte), afin de pouvoir donner davantage aux pauvres.

Il profita de sa position de membre du conseil privé pour faire le plus de bien possible. Prévoyant la pénurie de bons pasteurs et de prédicateurs, surtout pour le cas où la Hollande et la Zélande seraient un jour restituées au roi, il obtint de Philippe II l'érection de deux séminaires dits du Roi, l'un à Louvain (1579) (3), l'autre à Douai (1582), dont il reçut la haute surveillance. De concert avec Martin Rythovius, il releva la pédagogie du Faucon, qui tombait en ruines ; grâce à ses soins, cet

(1) « Jean Vendeville, écrit Possoz (op. cit., p. 87), fut du nombre de ceux que le duc de Parme envoya à l'abbaye de Saint-Vaast d'Arras pour défendre les intérêts du roi d'Espagne». Nous croyons au contraire qu'il agit comme député de Douai. Dans l'assemblée de fin février 1579 à l'abbaye de Saint-Vaast, Douai se fit représenter par le président Dauxy, Philippe de Broïde et Jean Vendeville. VOISIN, l. c, p. 172.

(2) REUSENS, Analectes, t. V, p. 223.

(3) Ibid., t. XVIII, p. 420.


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établissement devint un des plus florissants de l'Université de Louvain (1). Les provinces récemment réconciliées avec le roi avaient besoin de missionnaires pour réparer les maux causés par l'hérésie et ranimer partout la foi catholique. Vendeville en ayant remontré la nécessité au prince de Parme, fut chargé d'y- pourvoir. 11 se rendit à Louvain pour se concerter avec les supérieurs des ordres religieux. Pendant son voyage il fut saisi par des brigands qui le retinrent captif à Berg-op-Zoom durant près d'un mois. Heureusement il ne fut pas reconnu et obtint sa liberté au prix d'une légère rançon. La maison du conseiller était assiégée parles religieux, les prêtres, les veuves, les malheureux de touto sorte qui avaient à solliciter une faveur du conseil privé. Vendeville soignait leurs intérêts avec la même diligence qu'il mettait à préparer les affaires publiques à l'ordre du jour du conseil.

Au décès de l'évêque de Tournai, Pierre Pintaflour (10 avril 1580), le prince de Parme recommanda, pour lui succéder, Vendeville qui n'était encore que diacre. Cette recommandation n'eut pas de suite alors. L'Eglise de, Tournai demeul-a veuve pendant trois ans. Morillon fut nommé le 13 mars 1582, reçut ses bulles en 1583 et fut sacré le 10 octobre suivant. Il mourut le 27 mars 1586. De nouveau Alexandre Farnèse présenta, au roi la candidature de Vendeville, qui l'ut fortement appuyée par Jean Bonhomme, évèqtie de Veroeil et notice apostolique. Dans l'intervalle, Jean Six, évêque de Saint-Omer, tombé malade en se rendant au synode provincial de Mous (septembre 1586), répondit à ceux qui l'interrogeaient sur le choix de son successeur, qu'il n'en voyait pas de plus capable que le conseiller Vendeville. Par lettres du

(1) REUSENS, Analectes, t. XXI, p. 21.


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24 juillet 1587, le roi désigna Vendeville pour succéder à Morillon. Après avoir passé quelques jours à Tournai auprès de Jacques Marquais, abbé de Saint-Martin, l'évêque nommé se rendit à Douai, sous prétexte de visiter le séminaire du Roi, mais en réalité pour se préparer à son sacre par une retraite de six semaines. Il reçut l'onction épiscopale le 29 mai 1588, à Tournai, dans l'église abbatiale de Saint-Martin, des mains de Louis de Berlaymont, archevêque de Cambrai, assisté de Matthieu Moullart, évoque d'Arras, et de François Petrart, évéque de Chalcédoine, suffragant de Cambrai, ancien gardien du couvent des Récollets, à Douai.

Parfait chrétien dans le mariage et le veuvage; plus parfait encore depuis qu'il avait reçu la prêtrise, Vendeville fut un évèque modèle, toujours fidèle à sa devise : Quae sursum sunt quaerite. Malgré le prince de Parme qui désirait le conserver, le pasteur résigna les fonctions de membre du conseil privé, afin de se consacrer tout entier à son troupeau. Il attacha à son service Guillaume Façon, curé de Saint-Jacques à Douai, prêtre d'une haute vertu et d'une grande expérience. Il commença par convoquer tous les doyens de chrétienté afin de se faire renseigner exactement sur l'état do son diocèse.

Après avoir fait dresser un catalogue de tous les curés, divisés en trois catégories, il témoigna une profonde estime et un amour de père à ceux qui étaient reconnus comme prêtres bons et zélés ; il engagea à renoncer à leur charge, ou priva de tout pouvoir ceux qui étaient, incapables ou indignes ; à ceux qui, n'ayant, pas la science suffisante, paraissaient pouvoir l'acquérir, il enjoignit d'étudier la Somme de la doctrine chrétienne du P. Canisius et le Directoire des confesseurs du P. Polanc. Considérant que les doyens sont les yeux de l'évêque, il porta le nombre des doyennés de cinq à douze. Il fit


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publier à l'Université de Douai et ailleurs les cures vacantes, qui furent mises au concours, et afin de rendre les examens plus solennels, il les présidait exactement lui-même. Il voulait que chaque doyen eût sous la main au moins un jésuite ou un autre religieux mendiant qu'il pût envoyer prêcher et catéchiser dans les paroisses les plus négligées. Il fit avec le plus grand soin la visite de son diocèse, confirmant et prêchant sans relâche. La première année de son épiscopat, il administra le sacrement de confirmation à plus de soixante mille personnes, parmi lesquelles on comptait un grand nombre de vieillards septuagénaires et même octogénaires. Les collégiales et les monastères qui relevaient de lui, furent aussi l'objet de sa vigilance. Après les premiers mois de son administration, il ne se contenta plus de prêcher à l'occasion des confirmations, mais se fit un devoir d'annoncer souvent la parole de Dieu à son peuple, visant, avant tout à instruire et à loucher. Au mois de février 1589, il publia un Manuel du prédicateur (1), où il détermine la matière que les prédicateurs auront à traiter spécialement, pendant un an, dans leurs instructions. Lors du synode diocésain, tenu le 16 mai suivant, il imposa à ses prêtres la pratique du Manuel pour un terme de deux ans, afin que les fidèles fussent, à bref délai, éclairés exactement sur leurs devoirs de chrétiens (2).

(1) Quaedam ma g ni momenti ad non parum/iromocendum honorent Dei et salutem animarum ab omnibus decanis christianitatis, pastoribus concionalonbus et confessariis dioeeesis Tornacensis diligenter obseraanda hoc anno usque in diem Cinerum anni pro.vimi. Douai, 1589.

(2) Statuta synodi dicecesanae Tornacensis habitae anno Domini 1689 feria tertia ante Pentecosten, jiraesidente Recerendissimo in Christo Pâtre D. Jeanne Venduitlio Episcopo Tornacensi. Tournai, 1589. Voir tit. 11, De doctrina et praedicatione verbi Dei ; ce. III et IV : « eam (rationem) toto hoc biennio in summa observari mandamus : tetnpus in eo scripto praefixum sic proiogantes ».


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En 1591, il fit paraître un Manualc paslorum (1) dont il prescrivit l'usage dans l'administration des sacrements.

Dans le synode que les évèques de la province de Cambrai tinrent à Mons en 1586, il avait été décidé qu'on érigerait, à frais communs, un séminaire provincial à Douai, où les élèves auraient la faculté de suivre les cours do l'Université. Lorsque Vendeville prit possession de son siège, rien n'était encore fait. A n'en pas douter, l'ardent promoteur d'établissements destinés à la formation de prêtres pieux et intruits, désira vivement la création de ce séminaire et pressa son métropolitain d'exécuter le décret synodal. Toujours est-il que l'archevêque, les évêques de Tournai et d'Arras, et le doyen L. de Bersacques, délégué du chapitre de Saint-Omer (2), se réunirent à Douai, les 3 et 4 août 1588, aux fins de se concerter sur les moyens d'exécution du projet. Philippe de Broïde, ami de Vendeville, fut chargé d'acheter l'hôtel du comte d'Hoochstraete. Dans les divers diocèses on recruta les futurs élèves par voie de concours. Le 11 novembre 1590, Matthieu Moullart, consacra la chapelle en présence de Vendeville et des délégués de Cambrai et de Saint-Omer. Le lendemain, le nouveau séminaire des Evêques, fut solennellement inauguré et confié à la présidence du docteur Antoine Surius (3).

Au milieu do ses travaux apostoliques, Vendeville n'avait pas perdu de vue son projet favori. Appelé à Rome en 1589, afin de s'acquitter de la visite ad limina Apostolorum prescrite par les saints canons, et rendre

(1) Manuale pastorum ad uniforme m administrationem sarramentorum aliorumque officioruin eeclesiasticorum per cicitatem et dioecesim Tornacensem. Louvain, 1591.

(2) L'évêque de Naniur, François de Walton-Cappelle, s'était excusé.

(3) Archives du royaume de Belgique, Eoéché de Tournai, n° 1773.


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compte de l'état de son diocèse, il ne voulut pas quitter la ville éternelle sans présenter à Sixte V un long mémoire (1) engageant le Pape à fonder des séminaires destinés à former des ouvriers évangéliques pour les missions étrangères. Sixte V confia le mémoire aux cardinaux de la Congrégation des Réguliers, parmi lesquels se trouvait Jean-Antoine Facchinetti, élevé plus tard sur le Saint-Siège sous le nom d'Innocent IX. Tous applaudirent à ht sagesse des vues exposées par l'évêque de Tournai. Mais rien n'aboutit, alors, parce que les soins du Souverain Pontife étaient absorbés par les affaires de France.

Vendeville quitta Rome avec l'estime de tous les personnages distingués, qui avaient eu des rapports avec lui. Peu de temps après, Baronius lui écrivait : « Je relis souvent les lettres que j'ai reçues de Votre Grandeur. Elles m'animent à marcher sur vos traces : il nie semble alors que je converse avec un de ces pieux et saints évoques des premiers âges de l'Eglise... Les cardinaux Palcotti, Citsanus et Frédéric Borroméo, avec qui je m'entretiens fréquemment do vous, vous aiment beaucoup et vous vénèrent. »

Pendant son séjour à Rome, Vendeville avait obtenu du général des Jésuites, Claude Aquaviva. une résidence de ces religieux à Lille ; il obtint également du Pape que le couvent des Ermites de Saint-Augustin, établi à Tournai, mais tombé dans le relâchement, tut détaché de la province de France et soumis à la juridiction du provincial des Pays-Ras.

Lorsque rentré à Tournai, Vendeville apprit la mort de Sixte V et l'élévation au suprême pontificat de Grégoire XIV (Nicolas Sfondratus), il envoya à celui-ci une

(1) Ce mémoire, publié par M. REUSENS, ne compte pas moins de 111 pages.


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lettre de félicitations et profita de cette occasion pour revenir sur le mémoire adressé à Sixte V. Le Souverain Pontife, après avoir répondu par deux lettres dans lesquelles il loue le zèle de Vendeville, institua une congrégation spéciale chargée de l'examen du projet soumis. Cette congrégation, qui reçut le nom de Congrégation de l'évêque de Tournai, était composée des cardinaux Paleotti, Asculanus, Allen et Frédéric Borroméo, auxquels on adjoignit deux docteurs, Sylvius Antoniano et Gérard Vossius (1). Elle tint plusieurs séances, mais ne prit aucune décision. Alors l'évêque de Tournai adressa une nouvelle supplique au Saint Père pour le prier de presser l'affaire, se montrant disposé, dans l'intérêt, des séminaires projetés, à résigner son évèché et à entrer lui-même comme élève dans un des établissements qui seraient fondés. Il alla jusqu'à joindre à sa demande un acte authentique par lequel il résignait son évèché et se mettait à la disposition du Souverain Pontife. ( îrégoire XIV n'accepta pas la résignation, malgré les instances réitérées de l'évêque de Tournai.

Grégoire XIV mourut le 15 octobre 1591, et eut pour successeur le cardinal Fachinetti (Innocent IX, 29 octobre) qui, deux jours avant de devenir Pape, s'était informé auprès de Vossius oit en était l'affaire de l'évêque de Tournai. Peu de temps après son élection, il chargea le cardinal Paleotti d'achever l'examen du mémoire de Vendeville. En apprenant l'exaltation de Fachinetti, l'évoque de Tournai se réjouit de ce que Dieu eût élevé sur le trône pontifical un homme qui partageait ses vues ; toutes ses espérances-se réveillèrent, et malgré son grand âge, ses infirmités (2) et les rigueurs de la saison, il partit

(1) Vossius, né à Looz, au diocèse de Liège, fut prévôt de la collégiale de Tongres et résida longtemps à ltome.

(2) Il portait une hernie double.


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pour Rome (novembre 1591). Arrivé à Bologne, il apprit qu'Innocent IX venait de mourir le 20 décembre. Ce coup, particulièrement douloureux pour Jean Vandeville, n'ébranla pas sa constance. 11 confirma sa route. Arrivé à Rome, il s'empressa d'aller se jeter aux pieds du nouveau pontife Clément VIII (cardinal Aldobrandini) et de l'entretenir de l'oeuvre dont l'examen se prolongeait depuis si longtemps. Clément VIII ordonna immédiatement à la commission des cardinaux de terminer l'examen, et d'en faire un prompt rapport. Après une première délibération les cardinaux approuvèrent le projet, mais en limitèrent pourtant l'exécution au seul ordre de Saint-François de la stricte observance. Le Pape fit appeler le cardinal Matthaei, protecteur et premier supérieur des Franciscains; il lui enjoignit do se mettre à l'oeuvre et de régler toutes choses à la satisfaction de l'évêque de Tournai. Le cardinal, qui approuvait fort le plan de Vendeville, s'empressa de le communiquer au procureur général de l'ordre.

Vendeville, heureux de voir son projet recevoir un commencement d'exécution, retourna à Tournai, mais ne survécut pas longtemps à son voyage. Un de ses derniers actes fut l'établissement des Capucins à Tournai. Au commencement d'octobre 1592, la fièvre le saisit au cours d'une visite pastorale, dans le doyenné de Courtrai. Malgré son indisposition, il alla confirmer à Menin et à Wervicq ; mais la fièvre, devenue plus violente, força l'évêque de rentrer à Tournai où il mourut le 15 du même mois.

L'idée conçue et fécondée pendant environ trente ans par Vendeville no mourut pas avec son auteur. La fondation du collège de la Propagande, qui eut lieu en 1627 sous le pontificat d'Urbain VIII, ne fut que la réalisation du projet conçu par l'évêque de Tournai.


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C'est à celui-ci que revient l'honneur d'avoir eu la première idée de cette institution, qui, depuis près de trois siècles, rend à l'Eglise catholique des services signalés (1).

Les restes de Vendeville furent inhumés dans le choeur de la cathédrale de Tournai. Deux ans après sa mort, certains travaux nécessitèrent l'ouverture de sa tombe ; bien que le corps de l'évêque n'eût pas été embaumé, on le trouva sans la moindre tache de corruption, comme s'il venait d'avoir été déposé dans le monument funèbre.

Cette particularité excita l'admiration et augmenta la haute idée qu'avaient de ses éminentes vertus tous ceux qui l'avaient connu. Permettez-moi de rappeler ici un incident du voyage que Vendeville fit à Rome en 1589. Lorsque l'évêque de Tournai alla faire ses adieux au cardinal Facchinetfi, on remarqua que celui-ci baisa respectueusement la tête chauve du vieillard, et comme on lui demandait pourquoi il avait agi de la sorte : « Ah ! répondit le prince de l'Eglise, vous ne savez donc pas que cette tête est le chef d'un saint ! »

RÉMI DRIEUX (2), fils de Rémi et de Catherine Fenaerts,

(1) Par sa bulle du 22 juin 1G22, Grégoire XV institua définitivement la Congrégation des cardinaux de la Propagande, composée de treize cardinaux, trois prélats et un secrétaire. Parmi les prélats se trouvait Mgr Jean-Baptiste Vives, espagnol, référendaire des deux signatures et ministre résidant pour l'infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas. Au courant, sans doute, du projet conçu par Vendeville et examiné par S. Pie V et ses successeurs, Vives résolut d'ériger dans son palais un collège, où seraient élevés et instruits de jeunes ecclésiastiques de diverses nations étrangères. A cette fin, il fit don de son palais et de tous ses biens à Urbain VIII, qui, par sa bulle Immortalis Dei du 1" août 1627, institua canoniquement le collège appelé Collegium Urbanum de propaganda Eide, du nom de son principal fondateur Urbain VIII, et de celui de la Congrégation dont il dépend. C'est ainsi que, chose digne de remarque, un prélat, uni à la Belgique par des liens intimes, fut le premier bienfaiteur du collège de la Propagande.

(2) Voir nos Notes et Documents pour sercir à la biographie de Reml Drieux, 11" écéque de Bruges. Bruges, 1904.


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vit le jour à Merckeghem, en 1519. A l'âge de onze ans, il reçut la tonsure des mains de Daniel Tayspil, évêque de Byblos, suffragant de Thérouanne. 11 fréquenta les cours de philosophie à la pédagogie du Lis, à Louvain, sous la régence de Jean IJeems, et eut comme professeurs Vulmer Bernaerts et Pierre Piniallour. Dans la promotion des Arts, de 1538, il obtint la quinzième place sur cent et dix concurrents. Devenu maitre-ès-Arts il suivit les leçons de droit de Michel Drieux, Mudée, Bernaerts et Pintaflour. Après quatre ans il conquit le grade de licencié in utroque jure. En 1513 il fut promu au sacerdoce par Martin De Cuypere, évoque de Chalçédoine, suffragant de Cambrai. D'abord professeur de philosophie au Lis (entre 1538 et 154-1), puis de droit civil et chanoine de Saint-Pierre (1541-1519), il devint doyen de SaintJacques, à Louvain (1550), conseiller ecclésiastique au grand conseil de Malines (1557) et prévôt de Notre-Dame à Bruges (20 juin 1558).

En 1560, Philippe II nomma Rémi Drieux à l'évèché de Leeuwarden. Les troubles religieux empêchèrent le nouveau prélat de prendre possession. Il assista cependant comme évêque élu et confirmé, au synode provincial d'Utrecht (1505). En 1568, le roi d'Espagne le promut au siège de Bruges. Un bref de Pie V, en date de 19 septembre 1509, confirmant le choix du souverain, délia l'évêque de Leeuwarden des liens qui l'attachaient à celte Eglise. Intronisé le 4 décembre 1569, Renti Drieux gouverna le diocèse do Bruges pendant près de vingt-cinq ans.

Nous n'allons pas le suivre dans tous les travaux de son fécond épiscopat, dans ses visites pastorales au cours desquelles, après avoir administré le sacrement de confirmation, il conférait parfois les ordres dans les paroisses de la campagne. Nous ne relèverons pas son zèle pour le


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maintien de la discipline ecclésiastique et religieuse, ni l'activité qu'il déploya en érigeant des écoles populaires, des écoles dominicales, des catéchismes, un collège de Jésuites à Bruges ot un séminaire diocésain. Passant sur la délicate et patiente ténacité avec laquelle il travailla à l'exécution des ordonnances des conciles provinciaux de Malines (1570) et de Louvain (1571) et des décrets qu'il porta lui même dans les synodes diocésains de 1571 et 1575, nous nous contenterons de considérer son attitude sur le théâtre de la vie politique au milieu des graves événements qui se déroulèrent aux Pays-Bas depuis la fin du gouvernement du duc d'Albe jusqu'après la mort, de don Juan (1).

En exposant la ligne de conduite do Rémi Drieux dans les affaires publiques, il est impossible de passer sous silence les noms de ses confrères dans l'épiscopat. D'ordinaire, on effet, les chefs des diocèses partageaient les mêmes idées et travaillaient de concert.

En ce qui concerne l'odieux impôt du dixième denier, nous constatons chez les évoques de Flandre Rythovius, d'Ypres, Jansénius, de Gand et Drieux, de Bruges, une parfaite unité de vues. Ils poursuivent un triple but : défendre les intérêts matériels de leurs ouailles ; pourvoir au bien moral du peuple et procurer l'apaisement du pays en écartant tout ce qui tendait à aigrir les Belges contre le roi d'Espagne.

On sait que le duc d'Albe, qui avait besoin d'argent, voulait établir dans les Pays-Bas un système d'impôts qui permit au gouvernement espagnol de se rendre, en matière financière, indépendant des Etats. Il eut recours à la perception du centième, du vingtième et du dixième

(1) Ne pouvant traiter que sommairement cette matière étendue, nous renvoyons aux articles qui ont paru dans la Reçue d'Histoire ecclésiastique, tt. II, III et IV, sous le titre de : Rémi Drieur-, écéque de Bruges et les troubles des Pays-Bas.


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denier. Le duc exigeait immédiatement, la centième partie de la valeur de toutes les propriétés mobilières et immobilières; pour l'avenir, le vendeur payerait le vingtième du prix de vente de tous les immeubles et le dixième des biens meubles.

Ce projet, présenté aux Etats généraux le 24 mars 1509, rencontra la plus vive opposition ; le tiers état, que le dixième denier devait atteindre d'une façon sensible, montra une résistance opiniâtre.

En présence des murmures qui s'élevaient partout, le gouverneur général renonça provisoirement à la levée du dixième et du vingtième denier et proposa, en octobre, de remplacer ces impôts par une contribution annuelle de deux millions de florins, pendant six ans, et par la perception d'un second centième, après les six aimées. Mais, infidèle à sa parole, le duc annonça, dès le mois de juillet 1571, que les deux impôts du dixième et du vingtième denier allaient être rendus exécutoires. A cette nouvelle stupéfiante, les représentations surgissent de toutes parts. Le 29 septembre, Martin Rythovius, évêque d'Ypres, écrivit secrètement au gouverneur général pour le conjurer de remplacer l'impôt du dixième denier par un autre. « A l'approche de l'hiver, dit-il, où les besoins sont plus nombreux et les profits plus rares, les malheureux ouvriers, exaspérés par la misère, pourraient se laisser entraîner à des résolutions funestes. Il est à craindre, d'ailleurs, que la mesure prise n'aliène au Roi le coeur de beaucoup de ses sujets, alors qu'il est si nécessaire qu'il gagne leur affection » (1).

Les Etats de Flandre (2), après avoir vainement enCi) Correspondance de Philippe II, éd. GACHARD, t. Il, p. 204.

(2) Les Etats de Flandre se composaient du clergé, de la noblesse et des quatre membres (Gand, Bruges, Ypres et le Franc de Bruges).


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voyé à Bruxelles plusieurs députations, prièrent les évoques de Bruges, Gand et Ypres, de s'adjoindre à leurs députés. Nonobstant les rigueurs de la saison, Drieux, Jansenius, et Rythovius acceptèrent avec empressement l'invitation, et Je 12 janvier 1572, allèrent plaider chaudement la cause de la Flandre auprès du duc d'Albe. Le 24 mars suivant, les mêmes prélats adressèrent directement au roi une protestation énergique contre les déplorables conséquences du dixième denier, qui pèserait surtout sur les pauvres, dépeuplerait le pays, ruinerait le commerce, et serait l'occasion de beaucoup de faux serments (1). Poussés à bout par l'obstination du duc d'Albe et bravant ses menaces, les Etats des provinces dépêchèrent des délégués à Madrid. La députât ion fut reçue en audience royale le 21 juin 1572. La remontrance des évêques de Flandre avait-elle fait impression sur la conscience de Philippe II ? Le décret de suspension du dixième et du vingtième denier, daté de Madrid le 24 juin, arriva à Bruxelles, le 15 juillet.

Le 18 décembre 1573, le duc d'Albe partait pour l'Espagne, laissant le gouvernement à Louis de Requesens.

Sous Requesens, la situation des Pays-Bas était déplorable. Les soldats espagnols se mutinaient ; la flotte promise par le roi n'arrivait pas; les pouvoirs refusaient les subsides. On réclamait la paix avec les insurgés de Hollande et de Zélande. Requesens convoqua une junte, composée de trois présidents, trois gouverneurs et trois évêques. Les évêques étaient Drieux et Rythovius (2). S'adressant à ces derniers : « Puis-je traiter? » dit le gouverneur général. « Il le faut, répondirent-ils. Il y a en Hollande et en Zélande des milliers d'âmes qui se perdent.

(1) Corresp. de Philippe II, éd. GACHARD, t. II, p. 236.

(2) Gérard d'Haméricourt, évêque de Saint-Omer, s'était excusé à raison de son grand âge et de sa faiblesse.


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Le roi en doit compte à Dieu ». Requesens affirma qu'il ne reculerait pas en ce qui touchait la religion, et les deux prélats ajoutèrent : « Il faut savoir céder quelque chose pour mieux gagner les âmes et replanter l'ancienne foi. » Ils étaient certains, disaient-ils, qu'en tenant ce langage, ils seraient approuvés à Rome. On tint quatre ou cinq séances. Les membres de la junte conseillèrent, à l'unanimité, de saisir l'occasion qui s'offrait de négocier avec le prince d'Orange et les Etats de Hollande et de Zélande, sous les réserves qu'aucune atteinte ne serait, portée à la foi catholique et à la souveraineté de Philippe II (1).

Les conférences s'ouvrirent à Bréda, le 5 mars 1575. Les propositions des commissaires royaux étaient des plus conciliantes. « Le roi, outre l'oubli du passé, le rétablissement des privilèges, la mise en liberté réciproque des prisonniers, la restitution des biens confisqués, promettait de faire sortir les soldats espagnols et les autres étrangers, dès que les rebelles auraient licencié leurs mercenaires et que la paix serait faite. Quant au point de la religion, il ne voulait rien concéder d'attentoire à la religion catholique. Les dissidents, qui n'entendaient pas se réconcilier avec l'Eglise, devraient quitter les PaysBas; mais le roi leur octroyait un délai de quatre mois pour mettre ordre à leurs affaires et un autre délai de huit à dix ans pour vendre leurs biens. Sa Majesté n'innovait rien ».

Mais ni le Taciturne, ni les réformés (qui formaient à peine le quart de la population) n'entendaient faire la paix au détriment du calvinisme. L'offre de rétablir les privilèges, disaient-ils (lorjuin 1575), serait acceptable si l'on pouvait en user « avec libre conscience » ; mais en

(1) Corresp. de Philippe II, éd. GACHAU», t. III, p. 577.


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quoi profiterait-elle à des gens contraints de quitter leur pays pour cause do religion? Que le roi fasse cesser les poursuites en matière religieuse et on lui prêtera obéissance. Le prince, la Hollande et la Zélande ne peuvent désarmer avant le départ des soldats espagnols et autres étrangers. Il faut que les Etats généraux aient préalablement statué librement sur la situation du pays. Si le roi refuse d'accueillir leur requête touchant la question de la religion, ils consentent à se sousmettre, même en ce qui concerne ce point, à la décision des Etals généraux (1). Requesens, avant de prendre une résolution définitive, voulut de rechef demander l'avis d'une junte d'Etat. Drieux et Rythovius en faisaient de nouveau partie. Le 18juin la junte donna collectivement son avis motivé: « Il faut qu'à tout prix le gouvernement cherche à mener les négociations à bonne fin, dans le plus le bref délai; car, plus la guerre dure, plus le catholicisme perd du terrain, et il ne faut pas compter sur la voie des armes. Les rebelles demandent la sortie des soldats étrangers : qu'on consente à cette sortie immédiate, pourvu que les rebelles licencient aussi leurs mercenaires. Que le roi consente à ce que les Etats généraux soient entendus sur tous les points, même le point de la religion, immédiatement après la retraite des étrangers. Dans l'état actuel des choses, le roi, qui ne peut absolument pas soumettre la question religieuse à la décision des Etats, pourrait, après mûre délibération des évêques et des théologiens, offrir aux révoltés une tolérance politique temporaire, à la condition, qu'ils s'abstiendraient de l'exercice public de leur culte et que tout scandale public serait réprimé. Le zèle des prédicateurs catholiques ramènerait peu à peu les égarés à la vraie foi (2).

(1) Corresp. de Philippe II, t. III, p. 723.

(2) Ibid , p. 737.


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Malheureusement Requesens n'écouta pas ces sages conseils. Les malheurs prophétisés par la junte se réalisèrent. Le grand commandeur découragé, succomba le 5 mars 1570. Le conseil d'Etat prend lui-même les rênes du- gouvernement. Après quelques victoires, les soldats espagnols se mutinent de nouveau et pillent Alost. Le 4 septembre, sur les instigations du prince d'Orange, le seigneur de Glymes viole militairement la salle des séances du conseil d'Etat et constitue prisonniers les membres présents.

Quelle sera la conduite des provinces abandonnées à elles-mênios ?

Le 0 septembre les États de Brabant, dominés par les meneurs d'un gouvernement occulte, requièrent les Etats des autres provinces d'envoyer leurs députés à Bruxelles pour agir en commun, « attendu que la confusion générale des affaires réclame un prompt remède ».

Les Orangistes, à la suite du coup d'État du 4 septembre, comptaient sur un entraînement général. Leurs projets échouèrent, grâce aux réserves faites par les Etats de Ilainaut et de Flandre en faveur du maintien de la foi catholique et de l'obéissance au roi. La déclaration du clergé de Flandre (10 septembre), fut particulièrement énergique. Sous l'inspiration des évêques d'Ypres et de Bruges, le clergé propose d'envoyer au Saint Père et à Sa Majesté un mémoire, pour exposer les griefs de la nation et protester solennellement que les Etats de Flandre persistent unanimement et entendent persister, jusqu'au dernier soupir, dans la religion catholique et dans l'obéissance à l'Eglise romaine et au roi, même au prix de leur vie. Il approuve l'union avec les autres États sur le pied de l'accord de 1518. Il trouve opportun de faire sortir les soldats espagnols et étrangers, après avoir payé leur solde ; que si, après l'offre de les payer, ils ne veulent


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pas quitter, il y aura lieu, d'après l'édit du 26 juillet 1576 (1), de procéder contre eux. Il agrée aussi qu'on traite de la paix avec la Hollande et la Zélande et du retour de ces provinces à la religion catholique et à l'obéissance au roi, sans préjudice de la religion et des droits de Philippe II, et sous l'approbation de Sa Majesté. Enfin il désapprouve l'emprisonnement des membres du conseil d'État et réclame instamment leur mise en liberté et leur réintégration dans le conseil (2).

Le 7 octobre, les États généraux décident d'envoyer à Gand des députés, au nombre de neuf, pour reprendre les négociations de Bréda, selon les instructions qui leur seront données, « sauf toutesfois que la religion catholicque romaine s'exercera et demourera enthiere sans innovation quelconque et sans toucher a l'obéyssance deue à Sa Majesté » (3). Le 9, le conseil d'État apostille cette décision sous les mêmes réserves, « pourveu que le tout se fâche avecq conservation de la religion catholicque romaine et l'aucthorité et obéyssance de Sadicte Majesté » (4).

Le 17 octobre, les États justifient leur conduite auprès de Philippe II, protestant « qu'ils entendent et veulent persister, maintenir et continuer en la sainte foi et et religion catholique romaine et y persévérer jusqu'à la mort, sans faire n'y souffrir être faict aucun changement ou altération à icelle ou au service et obéyssance dus au Roi » (5).

(1) Edit par lequel le conseil d'Etat mettait les mutins d'Alost hors la loi comme rebelles au roi et ennemis du pays.

(2) Archives de l'èvêchè de Bruges. Acla capituli S. Donatiuni, 19 septembre 1576.

(3) Bulletin delà Commission royale d'Histoire, 4" série, t. III, p. 389.

(4) lbid., p. 401.

(5) GACHARD, La Bibliothèque nationale de Paris, t. I, p. 146.


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Les négociations commencèrent le 19 octobre. Les délégués du Taciturne demandaient que l'exercice de la religion réformée demeurât debout en Hollande et en Zélande jusqu'après la déclaration des États généraux. Les députés du Midi, trouvant les orangistes inébranlables, admirent leur prétention, à la condition qu'entretemps les catholiques de Hollande et de Zélande auraient au moins de leur côté, le libre exercice de la religion romaine. Peine perdue. Les Hollandais prétendent « que la permission dudict exercice seroit trop dangereulx avant la déclaration desdicts estatz, ausquelz ils s'estoient remis, etdéclaroient estre contens d'ensuyvre en tout et partout leur déclaration » (1).

Les députés du Midi en réfèrent aux États généraux qui répondent le 28 : « après avoir grandement débattu la conséquence et meurement délibéré sur touttes circonstances..., nous sommes finablement arrestez et trouvé d'accord que pourrez bien passer et glisser ce poinct, encoires que plusieurs le trouvoient assez dur, espérant que de brief par la déclaration des estatz génôraulx le tout sera redressé » (2).

Le 8 novembre 1570, les plénipotentiaires signèrent le traité si fameux, connu dans l'histoire sous le nom de Pacification de Gand (3).

Il) Bulletins de la Commission royale d'Histoire, i" série, t. III. p.'113.

(2) Ibtd.. p. Illi.

(3.i Cet acte comprenait vingt-cinq articles :

I.e premier stipulait l'oubli et pardon réciproque des injures, offenses, méfaits et dommages que s'étaient infligés les habitants des provinces représentées au traité; dans le second, les parties contractantes prenaient l'engagement de se garder désormais une paix ferme et inviolable; de s'assister en toutes occurences d'avis de, conseil et de fait, spécialement pour expulser des Payslias les Espagnols et les autres étrangers; de se tenir prêtes pour atteindre ce but et aussi pour résister à ceux qui de fait


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Sous le rapport religieux, la Pacification contient quatre clauses principales : 1° maintien exclusif de la religion catholique dans les quinze provinces (art. IV) ; 2° tolé«

tolé« vouldroient en ce contrarier ». A raison de l'importance des art. III-VIII, nous les donnons in extenso.

Art. III. — « Oultre ce est accordé, que incontinent après la retraicte des Espaignols et leurs adherens, lors que toutes choses seront en repos et seureté, les ambedeux parties seront tenues d'avancer et procurer la convocation et assemblée des Estats généraux, en la forme et manière que se feist au temps que feu de tres haulte mémoire l'Empereur Charles feist la cession et transport de ces Pays bas es mains du Roy nostre Sire; pour mettre ordre aux affaires des Pays en général et particulier, tant au fait et exercice de la Religion esdits Pays de Hollande, Zélande, Bommel, et lieux associez, que pour la restitution des fortresses et artilleries, batteaux et autres choses appertenans à sa Majesté, que durant lesdits troubles ont esté prinses par lesdits de. Hollande et Zélande et autrement, comme pour le service de sa Majesté, bien et union des Pays l'on trouvera convenir. En quoy ne pourra d'ung costè ny d'autre, estre donné aucun contredit ou empescbement, delay ou retardement, non plus au regard des ordonnances, déclarations, et resolutions, que y seront faites et données, que en l'exécution d'icelles, quelles qu'elles soyent: aquoy les ambedeux parties se submettent entièrement et de bonne foy ».

Art. IIII. — « Que doresnavant, les inhabitans et subjects d'ung costé et d'autre'de quel pays de pardeça. ou de quel estât, qualité ou condition qu'ils soient, pourront partout hanter, fréquenter, passer et repasser, demeurer et traffiequer, marchandernent et autrement, en toute liberté et seureté : Bien entendu qu'il ne sera loisible ny permis à ceux de Hollande et Zeîande, ny à autre de quel pays, qualité, ou condition qu'il soit, de attenter aucune chose pardeça, hors desdits Pays de Hollande et Zélande et autres lieux associez, contre le repos et paix publicque, et signamment contre la Religion Catholicque Romaine et l'exercice d'icelle, ny à cause de ce injurier ou irriter aucun, de faict ny de parolles, ny ie scandaliser par actes semblables, à paine d'estre puniz comme perturbateurs du repos publicq, à l'exemple d'autres ».

Art. V. — «Et à fin que cependant, personne ne soit legierement exposé à quelque reprinse, caption ou dangier, tous les placcars cy devant faictz et publiez sur le fait d'Heresie; ensemble les ordonnances criminelles faites par le Duc d'Alve, et la suite et exécution d'icelles, seront surceez et. suspenduz, jusques à ce quepar les Estats généraux autrement en soit ordonné : Bien entendu que aucun scandale n'y advienne en la manière susdite».

Art. VI, — « Que ledit Seigneur Prince demeurera Admirai gênerai de la mer, et Lieutenant pour sa Majesté de Hollande et


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rance provisoire (1) du statu quo en Hollande et Zélande (art. III et IV) ; 3° maintien de cette situation jusqu'au moment où la future assemblée des États généraux aura statué sur l'exercice du culte dans ces deux provinces (art. III) ; 4° suspension provisoire des anciens placards sur le fait de l'hérésie (art. V).

Que par la Pacification de Gand l'exercice exclusif du

Zélande, Bommel et autres lieux associez ; pour par tout commander comme il fait présentement, avec les mesmes justiciers, officiers et magistrats, sans aucun changement ou innovation, ne soit de son adveu et consentement; Et ce au regard des villes et places que Son Excellence tient présentement, jusoues à ce que par les Estats généraux, après la retraicte des Espaignols autrement en soit ordonné ».

Art. VII. — « Mais touchant les villes et places comprinses en la commission qu'il a de sa Majesté, qui ne sont à présent soubz l'obéissance et commandement de Son Excellence: ledict poinct demeurera en surceance, jusques à ce que s'estans icelles villes et places, jointes àceste union et accord avecq les autres Estats; Son Excellence leur aura donné satisfaction sur les poinctz esquelz elles se trouveroyent intéressées soubz son gouvernement, soit au regard de l'exercice de la religion ou autrement, afin que les Provinces ne soyent démembrées et pour éviter toute dissention et discord ».

Art. VIII. — « Et cependant nulz placca'rs, mandemens, provisions ny exploits de justice, auront lieu esdits Pays et villes régies et gouvernées par ledit Seigneur Prince, sinon ceux qui par Son Excellence, ou par le Conseil, magistrats, ou officiers illec, seront approuvez ou décernez sans préjudice pour le temps advenir du ri'sort du grand Conseil de sa Majesté ».

Dans une clause finale, les députés promettent d'observer et de faire observer les articles précédents et tout ce que les États généraux « en ce que dict est » ordonneront ; et de faire ratifier, jurer et signer le traité endèans le mois, par les prélats, nobles et autres membres des pajs et par le prince.

(1) Le caractère provisoire des articles III et IV, en ce qui concerne la Hollande et la Zélande, n'a pas été suffisamment pris en considération par certains auteurs.

Ainsi nous lisons dans BAUMSTARK (Philippe II, roi d'Espagne, traduit de l'allemand par G. Kuicrn. Liège, 1877, p. 147): «Ce traité stipulait entre autres le départ des troupes espagnoles, la réunion des Etats généraux et la tolérance du protestantisme en Hollande et en Zélande ». M. Kurth, le traducteur, accentue encore en observant en note : « Il fallait dire : la domination exclusive du protestantisme en Hollande et en Zélande, ainsi que la suppression du culte catholique dans ces deux provinces. Telles furent


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culte catholique fût maintenu dans les quinze provinces rien de plus certain. Cela ressort clairement des documents relatifs aux négociations. Cela est affirmé par Matthieu MouDart, évêque nommé d'Arras, un des plénipotentiaires du Midi, qui, le 28 octobre 1576, écrit à Morillon : « qu'il at esté convenu et accordé que les quinze pays de Sa Majesté demeureront en l'exercice de l'ancienne catholicque religion Romaine, sans aulcun cheangement ou nouvelletè : et quant ad ce point, il ne sera jamais miz en débat ou controverse ; et quant aux deux pays d'Hollande et Zélande, où aulcuns demandent povoir demeurer en la prétendue nouvelle religion réformée, qu'ils seront tenus d'obéyr ad ce que en sera dit par les Estats généraulx desdicts XV pays» (1). Cela est affirmé par le conseil d'Etat : «Et combien, écrit-il au roi le 10 novembre 1576, qu'en la dicte Pacification se trouvoyent aulcuns poincts que l'on eust bien volu redresser, toutesfois, au regard qu'icelle Pacification se trouvoit faicte avec le maintènement entier de la religion catholique romaine en toutes les provinces, saulf celles de Hollande et Zélande, èsquelles elle a esté desjà longtemps perdue, n'avons peu laisser de passer oultre

mesmes eu égard que de introduyre èsdictes provinces d'Hollande et Zélande ladicte religion, nous est laissé ouvert bon espoir par moyen desdicts estatz et leur

en effet les conditions draconiennes imposées aux députés des États généraux par les protestants du Nord, qu'on voudrait faire passer pour les apôtres de la tolérance » !

Cette manière de parler, qui méconnaît le caractère provisoire des articles III et IV, a été reprise dans le Cours d'histoire moderne. Résumé des principales questions envisagées surtout au point de eue politique et social, par P. R. S. ./. Bruxelles, Albanel, s. d., p. IIS : « Ce traité stipulait.... la tolérance du protestantisme en Hollande et en Zélande, c'est à dire la domination exclusive du protestantisme dans ces provinces ».

(1) Correspondance du Cardinal de Granvelle, éd. PIOT, t. V, p. 152.


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assemblée générale, desquelz se peult, à nostre advis, prendre et avoir si bonne opinion en cest endroit, que se peult espérer que la pluspart d'eulx tiendra bon pour la remise de la dicte religion » (1). Cela est affirmé par Lensaeus, professeur de Louvain, signataire de la déclaration de la faculté de Théologie en faveur de la Pacification : « Il est certain, dit-il, qu'en vertu de ce traité (la Pacification de Gand) le culte catholique devait être maintenu comme avant, dans toutes les autres provinces, tandis qu'en Hollande et en Zélande, l'exercice de la religion demeurerait, selon les endroits, tel qu'il y était, jusqu'au moment où les États généraux auraient statué quelque chose à ce sujet » (2).

Les auteurs qui ont écrit après les événements ne sont pas d'un autre avis ; tels sont : Bentivoglio (3), De Foore (4), Nuyens (5), Ed. Poullet (6), Gachard (7), Claessens (8). Cela est affirmé aussi par le protestant Groen

(1) Correspondanve de Philippe II, éd. GACUAIU), t. V, p. 21.

(2) Libelli cujusdam Antcerpiae nuper editi contra seren. D. Joannem ab Austria, gubernatorem generalem inferioris germaniae, qua parte conseientiae ut vacant libertas in eo requiritur, brecis et dilucida confutatio. Louvain, 1578, p. 67.

(3) Histoire des guerres de Flandre. Paris, 1769, t. II, p. 169.

(4) Le Spectateur Belge, t. III. Bruges, 1815, p. 21

(5) Geschiedenis der nederlandsche beroerten in de XV t eeuw. Amsterdam, 1867, 11, 2° partie, p. 307; La Pacification de Gand, dans la Revue générale, juillet 1876, p. 29.

(6) Histoire du droit pénal dans le duché de Brabant, depuis l'avènement de Charles-Quint jusqu'à la réunion delà Belgique à la France à la fui du XV IIP siècle. Mémoire couronné. Bruxelles, 1870, pp. 101 ss.; Les Constitutions nationales belges de l'ancien régime à l'époque de l'invasion française de 1791. Mémoire couronné. Bruxelles, 1875, p. 95; Histoire politique nationale. Louvain, 1882-1892, t. II, p. 469.

(7> Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 4' série, t. III. Documents inédits sur la Pacification de Gand, p. 112.

(8) L'Inquisition et le Régime pénal pour la répression de l'hérésie dans les Pays-Bas dupasse. Turnhout, 1886, p. 237.


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van Prinsterer (1) : « Aussi, dit-il, ne fût-on pas arrivé à un accord, sans la condition très positive de maintenir dans les 15 provinces le catholicisme exclusif ».

Nous ne pouvons donc souscrire à l'appréciation de M. J. van Praet touchant la Pacification : «Elle avait pour objet de réunir les représentants de toutes les provinces en un même accord, d'établir la tolérance complète de tous les cultes... » (2). Nous ne pouvons admettre l'affirmation de .1. de Jonge : « Dans la Pacification de Gand, la liberté de conscience était tacitement accordée de part et d'autre, tant pour la Hollande et la Zélande, que pour les provinces méridionales » (3). Nous ne pouvons partager l'avis de l'éminent professeur à l'Université de Liège, M. Godefroid Kurth, lorsqu'il écrit: « Par cet acte, on proclamait la tolérance religieuse, excepté en Hollande et en Zélande, où le culte catholique restait interdit » (4).

(1) Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange Nassau, t. V, p. 471. Cet auteur exprime cette pensée en plus d'un endroit. Voir plus bas, pp. 278,280.

(2) Essais sur l'histoire politique des derniers siècles. Bruxelles, 1867, p. 234.

(3) L'Union de Bruxelles, année 1577. Traduction de LAURENT DELEVILLE-BAUSSART. Rotterdam, 1829, p. 180.

(4) L'histoire de Belgique racontée aux enfants des écoles. Namur, 1903, p. 123. Comme cet excellent ouvrage était inscrit au programme des collèges du diocèse de Bruges pour l'étude de 1 histoire nationale en classe de quatrième, M. le chanoine Rommel, inspecteur des Collèges, crut devoir signaler notre manière de voir sur la Pacification de Gand à MM. les professeurs qui se servent du manuel de M. Kurth. Il communiqua ses observations au savant historien. Celui-ci promit d'examiner la question, et répondit plus tard à M. l'inspecteur qu'il n'était pas encore arrivé à modifier sa manière de voir. « M. le chanoine De Schrevel, écrit-il, a excellemment montré que, dans la pensée des contractants catholiques, il s'agissait avant tout du maintien de la religion catholique et de l'autorité du roi; mais je considère que c'est un chef-d'oeuvre de la diplomatie de Guillaume d'Orange de leur avoir fait signer la Pacification avec de pareilles espérances. En effet, quel est le résultat immédiat de cet acte 1 a) les soldats espagnols seront renvoyés ; b) les placards seront


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Si la tolérance religieuse était proclamée par le traité de Gand, à quoi bon proposer plus tard la Paix de Religion ? Comment expliquer que les provinces wallonnes, pour repousser la Paix de Religion, s'appuient expressément sur ht Pacification de Gand, comme y (Haut contraire, sans que les Etats généraux d'alors essaient de le nier ? La troisième clause, que les calvinistes avaient euxmêmes proposée spontanément à Bréda (1), et acceptée à Gand (2), est le considérant qui aura entraîné les Etats

suspendus ; e.) le culte catholique restera interdit en Hollande et en Zélande. Et c'est tout ! Il n'y a donc que gain pour les protestants et c'est en vain que l'on alléguera qu'il s'agit d'un provisoire et que les Etats généraux, où la majorité sera catholique, trancheront la question dans un sens catholique.

» Guillaume savait fort bien la manière de transformer le provisoire en définitif; il n'ignorait pas l'art d'empêcher une réunion des Etats généraux de se tenir, et, si elle se fut tenue quand même, de lui contester son caractère et de rendre ses décisions illusoires.... En résumé, par la Pacification, Guillaume a joué les catholiques et créé pour eux une situation presque inextricable, qui a été conjurée, à la fin, par YEdit perpétuel, par les maladresses des calvinistes fanatiques et par l'initiative des Malcontents., au surplus, si je republie mon manuel, j'atténuerai l'expression de mon jugement, pour ne pas donner lieu à un malentendu à ce sujet ».

Bornons nous à observer que M. Kurth, dans sa réponse à M. le chanoine Rommel, ne touche pas la question la plus importante, à savoir, la situation faite par la Pacification aux quinze provinces sur le terrain religieux. 11 ne parle que de celle des provinces de Hollande et de Zélande. Nous verrons, tout à l'heure (note 2), que les provinces rebelles redoutaient la réunion des États généraux, et regrettaient la clause qu'elles avaient proposée à Bréda et acceptée à Gand. Nous admettons que le Taciturne s'est employé à empêcher la réunion des Etats généraux. La " situation presque inextricable des catholiques » a été conjurée, non pas par YEdit perpétuel, qui n'était que la confirmation de la PaciJi.cat.ion, mais par Valentin de Pardieu, les Malcontents, les États des provinces wallonnes qui, s'appuyant précisément sur le traité de Gand, ne voulurent plus souffrir sa violation, surtout en ce qui concernait la religion catholique dans les quinze provinces.

(1) Voir p. 261.

(2) Voir p. 264. Les calvinistes redoutaient la future réunion des États généraux. « Le prince d'Orange avait eu soin de rassu-


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et le conseil d'État à se contenter pour le moment de ne pas imposer à la Hollande et à la Zélande le culte exclusif

rer ceux de son parti, principalement les ministres de Leyde, lesquels lui objectaient que cette convention ne serait que provisoire, qu'elle pourrait être annulée par une autre assemblée générale. 11 répondit que cette autre assemblée générale ne se tiendrait pas de longtemps ». JUSTE, La Pacification de Gand, p. 71.

Dès le 10 novembre 1576, le conseil d'État écrit au Roi que, selon la relation des députés chargés de traiter la Pacification, « si du costé du prince et de ceulx d'Hollande et Zélande l'on ne se eust eslargi à la communication de Breda, si avant qu'il a esté faict, au regard de la remise aux estats généraulx, Us n'y fussent maintenant esté induysables, ayants faict tout debvoir pour en rèsilir. Corresp. de Philippe II, t. V, p. 21.

Quelques jours avant YEdit perpétuel le conseil d'Etat, dans un mémoire présenté à don Juan, dit : « Il est évident que la Pacification de Gand a singulièrement compromis la position du prince d'Orange. Elle stipule, en effet, que ce sera à la pluralité des suffrages que l'on statuera sur l'exercice du culte. Il n'est pas douteux que, sur dix-sept provinces, quinze n'émettent un vote

favorable au rétablissement de la religion catholique Les

Etats calvinistes comprennent la situation ; aussi se plaignentils d'avoir été circonvenus. Par suite, ils ne redoutent rien tant qu'une réconciliation des États généraux avec don Juan et la décision de la question religieuse émanant de l'assemblée générale des États de' Belgique. MARTIN DEL, RIO, Mémoires sur les troubles des Pays-Bas durant l'administration de don Juan, éd. DELVIGNE, t. I, p. 179.

Cette crainte devint plus grande encore après YEdit perpétuel. « Quant à l'accord qu'est passé, écrit Morillon à Granvelle, le 22 avril 1577, quasi tout entier comme l'aviez lors entendu, duquel l'on vad accomplissant les conditions [de la paix], au grand regret des consistoriaulz d'Hollande et Zélande, qui ne se fussent jamais soubmis à la détermination des Estais quant au faict de la Religion s'ils heussent pensé que les soldats estrangiers sortiroient, ce

qu'ils croient encore avec difficulté à présent 11 [le prince

d'Orange] tient fort mal l'accord et se plainct de nous, qu'est l'aceoustumé des malcontepts, eulx couvrants du manteau de diffidence. Luy et les Hollandais et Zélandais, sont bien esbahis de la retraicte des Espagnols, laquelle ils n'ont jamais creud ; et maintiennent qu'ils retourneront, pour abuser le peuple hérétique que enraige de Tappoinetement J'aiet le VIII de novembre dernier, et que l'on s'est soubmis aux qu'une provinces, pour ordonner sur la Religion ». Corresp. de Granvelle, t. VI, p. 207 et p. 210.

C'est à cette situation des calvinistes que Groen van Prinsterer fait allusion lorsqu'il dit : « Le prince avoit beaucoup de motifs pour désirer la paix; il en avoit un plus grand pour la combattre». Archives de la maison d'Orange Nossau, t. VI, p. X.


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du catholicisme. D'une part, l'engagement pris par les protestants de se soumettre à la décision de l'assemblée des États généraux ; d'autre part, la conviction que dans cette assemblée les députés catholiques du Midi, grâce à leur majorité, donneraient une décision favorable au catholicisme, expliquent comment les plénipotentiaires des quinze provinces pouvaient croire qu'ils no sacrifiaient rien des principes et servaient les intérêts de la vraie religion. C'est l'argument que les Etats généraux et le conseil d'Etat invoqueront toujours pour justifier leur conduite, c'est celui que feront prévaloir les personnages influents pour engager don Juan à accepter la Pacification.

Les évêques d'Ypres et de Bruges, qui, dans la junte du 18 juin 1575, avaient exprimé l'avis que le roi ne pouvait absolument pas « submectre au jugement de ses estatz l'exercice de la religion » (1), et à qui par conséquent l'article III de la Pacification devait déplaire (2), tâchèrent cependant d'en tirer tout le profit possible. C'était en effet sur la déclaration de la future assemblée des États généraux que les provinces du Midi avaient

(1) Voir p. 261.

(2) Dans une lettre adressée à Philippe II, le 30 janvier 1577, Granvelle écrit : « Le traité des Éiats avec le Prince d'Orange et ceux de Hollande et de Zélande, qu'on a imprimé, n'est pas tel que je le voudrais pour le service de Votre Majesté : mais peutêtre que les termes de ce traité s'expliquent par ce qui a été déclaré verbalement, puisque les évêques et le président Viglius disent qu'il ne contient rien de préjudiciable à la religion ni contre l'obéissance due à Votre Majesté ». — Corresp. de Philippe II, éd. GACHARD, t. V, p. 162. Les États auraient-ils laissé entendre que dans leur future assemblée ils ne feraient rien sans consulter l'autorité ecclésiastique compétente? S'il en était ainsi, les principes étaient saufs et la clause de l'article III de la Pacification, ainsi interprétée, devenait acceptable pour les théologiens auxquels, prise en elle-même, elle avait déplu lors des négociations de Bréda. On comprend dès lors comment les évêques et les docteurs de Louvain ont pu approuver la Pacification de Gand. Voir plus loin, p. 274.


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compté pour rétablir le catholicisme en Hollande et Zélande, lorsqu'ils permirent à leurs commissaires « de glisser sur ce point ». En présence du l'ait accompli, Rythovius et Drieux, estimant que de l'attitude de cette assemblée dépendait le salut du pays, chargèrent le théologien Jacques Pamelius, chanoine de Saint-Donatien, à Bruges, de préparer un mémoire qui serait présenté aux États généraux et dans lequel il serait démontré qu'on ne pouvait admettre dans les Pays-Bas d'autre religion que la religion catholique (1). '

En attendant la réunion des États généraux, tous les efforts de l'épiscopat tendront à faire recevoir don Juan d'Autriche, à éviter la guerre civile et, à prémunir les catholiques contre les dangers qu'offrait pour eux le retour des fugitifs protestants accordé par la Pacification. Au contraire, le prince d'Orange et ses adhérents s'emploieront à retarder la réunion des Etats généraux, et, dans l'intervalle, ils s'efforceront d'empêcher la. reconnaissance du nouveau gouverneur, de pervertir les États généraux, d'en éliminer les éléments catholiques et d'infecter les provinces méridionales.

Le 3 novembre 1576, don Juan d'Autriche était arrivé incognito à Luxembourg. Il s'agissait de lui faire accepter la Pacification de Gand. Dans les négociations qui, malgré le Taciturne, s'ouvrirent entre les États et le gouverneur général, celui-ci ne fît aucune difficulté à promettre de faire sortir les Espagnols; mais il n'avait pas ses apaisements au sujet du maintien de la religion catholique et de l'obéissance au roi. Fonck et de Rassenghien firent de vains efforts pour le tranquilliser. Nous

(l) De religionibus dicersis non admittendis in uno aliquo unius regni, monarchiae, prooinciae, ditionis reipublicae autcicilatis loao, ad Ordines Belgii- relatio. Anvers, 1589.

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avons déjà raconté (1) la démarche que Martin Rythovius fît à ce moment auprès de don Juan.

L'évêque d'Ypres, en son nom et au nom de ses collègues de Bruges et de Tournai, déclara à l'archiduc « que non seulement la Pacification de Gand ne dérogeait pas à la religion, mais qu'elle tendait même à l'augmenter ». Ce que Fonck et de Rassenghien n'avaient pas réussi à obtenir, la médiation des trois prébits l'obtint ; l'accord s'établit en principe et il en fut dressé acte le 8 décembre.

Le même jour, don Juan déclare aux députés que si, en accomplissement de la promesse des États et du conseil d'État, les évêques maintiennent devant Dieu, Sa Sainteté, Sa Majesté et toute la chrétienté que la Pacification de Gand ne porte pas atteinte à la religion, mais tend plutôt à l'affermir, il se tiendra pour satisfait et content. Quant à l'obéissance au roi, il désire en communiquer avec le conseil d'État, et, " je n'en doute pas, ajoute-t-il, nous nous trouverons d'accord ».

Pendant que le Taciturne mettait tout en oeuvre pour faire échouer les négociations, les Etats se mirent en devoir de réunir les documents capables de donner satisfaction à don Juan. On s'adressa à l'épiscopat et aux facultés de théologie et de droit de Louvain pour ce qui concernait le point de la religion. Les consultations des évêques et des professeurs de l'Université furent favorables. Le conseil d'État à son tour donna une déclaration relative à l'obéissance au roi.

Grâce aux manoeuvres du prince d'Orange, les négociations traînèrent en longueur. Le duc d'Anjou, qui avait accepté le protectorat des Pays-Bas, était sur le point d'arriver. Mais la reine d'Angleterre ne voulait pas qu'on continuât à traiter avec les Français. Elle avait consenti

(1) Voir plus haut, p. 244.


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aux Etats un prêt de quarante mille angelots, à la condition qu'ils garderaient l'obéissance au roi d'Espagne, leur prince naturel, et maintiendraient la religion catholique. Les Etats assurèrent à Elisabeth qu'ils n'entendaient et ne voulaient en aucune manière changer de religion ni de prince.

C'est dans ces circonstances que les Etats généraux conclurent un nouveau traité, connu sous le nom d'Union de Bruxelles, et signé le 9 janvier 1577. Après avoir rappelé la Pacification de Gand, provoquée par la nécessité de repousser la tyrannie espagnole : après avoir affirmé le besoin d'une fidélité mutuelle et réciproque, l'acte poursuit en ces termes :

« Pour ces raisons et mesmes affin que riens ne soit faict infidèlement au preiudice de lire commune patrie et juste défense, ou obmis par négligence ou connivence, ce que pour icelle juste défense est ou sera requis, avons en vertu de are pouvoir et commission, respectivement et aultrement, pour nous et nos successeurs, promis et promectons en foj- de christiens, gens de bien et vrays compatriotes, de tenir et entretenir inviolablement, et a jamais, ladicte union et association, sans (pie aulcun de nous sen puisse desioindre ou départir par dissimulation, secrète intelligence, ny aultre manière quelconque. Et ce pour la conservaon de are st 0 foy et religion apostolicque catholicque romaine, accomplissement de la pacificaon, joinctement pour lexpulsion des Espaignolz et leurs adherens, et la deue obéissance a sa Matc, pour le bien et repos de nre patrie, ensemble pour le maintiennement de tous et chuns nos privilèges, droictz, francises, statufz, coustumes et usances anchiennes. A quoi exposerons tous les moyens que nous seront possibles, tant par deniers, gens, conseil et biens, voires la vie sil fust nécessaire ». Il se termine ainsi : « A paine destre dégradez de noblesse,


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de nom, darmes, et honneur, tenus pour parjures, desléaux et ennemis de âred. patrie, devant. Dieu et tous les hommes, et encourir note dinfamie, et laschete a jamais » (1).

Les députés de Hollande et de Zélande déclarèrent et protestèrent qu'en signant l'acte d'Union ils n'entendaient aucunement déroger au traité de la Pacification de Gand. ni se faire préjudice à l'égard des points de la religion et de l'autorité du roi, lesquels ont été réservés à l'assemblée des Etats généraux, après le départ des Espagnols et des autres troupes étrangères, la tranquillité une fois rétablie (■/).

Il déplaisait à un groupe de membres des Etats (Mefsius et d'autres) de ne pas voir, dans la Pacification de Gand, d'article « faisant pour la foy catholique ou pour sa Majesté royale » ; don Juan, dans ses négociations avec les États, revenait toujours sur ces deux points ; la reine d'Angleterre subordonnait son prêt d'argent à la condition que les États conserveraient la religion romaine et la soumission à leur souverain : dès lors, quoi de plus naturel, chez les membres do la majorité catholique des États, qui voulaient éviter la guerre et se mettre d'accord avec don Juan, que d'exprimer dans l'Union de Bruxelles d'une manière nette et claire, ce qu'ils déclaraient devant le gouverneur général être contenu dans le traité du S novembre 1576? C'était le moyen de lui faire ratifier plus facilement la Pacification de Gand, tout en rassurant ceux qui doutaient de l'orthodoxie des Etats. Qu'outre ce but principal, les mêmes membres catholiques, par une nouvelle et plus vigoureuse association de toutes les pro(1)

pro(1) de Bruxelles, année 1577, selon l'original, publié par M. J. C. OE JONGE, etc., p. 277.

(2) Bulletins de la Commission royale d'Histoire, •! série, t. III, p. 443.


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vinces, aient voulu donner à réfléchir à don Juan, nous ne voyons nul inconvénient à l'admettre.

Au fond, quant à la question religieuse, l'Union de Bruxelles ne s'écarte pas de la Pacification de Gand. Par cela même que Y Union confirmait la Pacification, elle ne pouvait rien contenir de contraire à celle-ci. L'article IV de la Pacification maintenait la religion catholique dans les quinze provinces : l' Union allirme ce maintien en termes précis, mais ne déroge pas à l'article III de la Pacification, relatif au statu quo provisoire en Hollande et en Zélande (1).

Il nous est donc impossible de souscrire à l'opinion de J. de Jonge : que la paix de Gand était plus tolérante. L'idée dont part cet auteur, c'est, qu'au traité du 8 novembre 1576 « la liberté de conscience était tacitement accordée de part et d'autre, tant pour fa Hollande et la Zélande, que pour les provinces méridionales » (2). C'esl sur cette idée erronée qu'il construit tout l'échafaudage de ses raisonnements. Cette prétendue différence entre les deux pactes admise, il prouve facilement que les réformés, ayant « basé sur la Pacification de Gand la liberté des cultes », avaient raison de regretter l'imprudence commise en adhérant à l'Union de Bruxelles, de s'éloigner de celle-ci et do se rapprocher des provinces de Hollande et de Zélande pou r contracter avec elles l'f 'uion d'Ulrerh I tandis que l'Union de Bruxelles devenait pour les provinces catholiques un centre de ralliement, l'égide dont elles se couvrirent pour justifier leur conduite.— On voit

(1) La protestation des députés de Hollande et de Zélande était donc superflue en ce qui les concernait ; mais elle dévoilait leurs sentiments vis-à-vis du roi d'Espagne. Notons en passant, que la protestation des réformés ne porte pas sur le maintien exclusif de la religion catholique dans les quinze provinces , nouvelle preuve que ce maintien était contenu dans la Pacification de tiand.

(2) l/l'm'w île Bru .celle*, p, 1811.


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par là ce qu'il faut penser de la conclusion de l'auteur «que par le maintien inopportun et maladroit de la religion romaine, l'Union de Bruxelles devint la cause de la confusion, de la discorde, de la perte de la liberté et de la ruine de la patrie » (1).

A notre avis, les calvinistes de Hollande et de Zélande, en s'engageant à suivre « en tout et partout la déclaration des Etats généraux », espéraient que don Juan ne consentirait jamais à renvoyer les Espagnols et n'accepterait pas la Pacification de Gand. Dès lors, la réuniou des États généraux n'aurait pas lieu de sitôt et, dans l'intervalle, les autres provinces seraient, comme la Hollande et la Zélande, infectées d'hérésie. On prendrait occasion de cet état de choses pour exiger en faveur des réformés de toutes les provinces la liberté de religion, grâce à laquelle le calvinisme parviendrait à dominer. « La rage calviniste, dit Nuyens, fut seule cause de la séparation des provinces en 1578 ».

Au moment où les Etats signaient l'Union de Bruxelles, les négociations avec don Juan traînaient, il est vrai,

(1) Ibid., p. 55. Nous verrons plus loin quelle fut la cause véritable de la séparation des provinces en 1578.

En attendant, voici l'opinion de Groen van Prinsterer. « On suppose, écrit-il, à ce compromis des résultats très funestes, c'est-à-dire, la discorde entre les Protestants et les Papistes. Ces suppositions se fondent, mal à propos, à notre avis, sur la mention expresse du maintien de la Religion Catholique. L'omission d'une clause pareille eut été tout à fait extraordinaire.... Les provinces catholiques, tout en reconnaissant qu'il s'agissait do confirmer cette Pacification, non d'y apporter des changements, ne pouvaient pousser la complaisance jusqu'à passer sous silence les intérêts de leur foi .. L'Union ne fut pas une source de désunion, mais une tentative pour la prévenir. Ce ne fut pas depuis lors que l'on exigea le maintien exclusif de la lleligion Romaine ; car jamais encore les Etats n'avaient songé à y renoncer. Certes, on ne pouvait interpréter les articles de Gand dans ce sens; et les Réformés eux-mêmes ne s'y trompèrent point ; du moins ils avouèrent la chose et même la proclamèrent plus tard ». Arehires de la maison. d'Orange Nassau, éd. GUOEN VAN PRINSTERER, t. V, pp. 589-590.


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mais n'étaient pas rompues. Le 23 janvier 1577, des conférences s'ouvrirent à Huy et les débats se succédèrent sans interruption pendant quatre jours entiers. Grâce à l'intervention de Matthieu Moullart, évêque d'Arras, de Gérard de Groesbeck, évêque de Liège et du P. Trigoso, confesseur de don Juan, le gouverneur général accepta la Pacification (28 janvier 1577) :

« J'accorde, écrivit-il, et approuve la paix faite entre les États et le prince d'Orange, vu qu'il me conste, par les témoignages et la foi des évêques, des universités et autres prélats, qu'elle ne renferme rien contre la religion catholique romaine, et aussi que messieurs du conseil d'État de Sa Majesté, l'illustrissime et révérendissime prince de Liège et les ambassadeurs de Sa Majesté impériale m'ont donné toute satisfaction ; et cela à condition que les États s'entendent avec moi sur les points contenus dans mon dernier écrit. »

Le 5 février les États ratifièrent à la pluralité des voix ce qui avait été conclu à Huy, et le 12 du même mois, don Juan apposa sa signature au traité, connu dans l'histoire sous le nom à'Edit perpétuel de Marche.

Il faut signaler parmi les stipulations les plus importantes : la promesse d'une amnistie générale (art. I); la confirmation de la Pacification de Gand, ce qui entraînait la convocation des États généraux mentionnée en l'article III du même traité (art. II) ; la promesse que le roi maintiendrait tous les anciens privilèges et ne laisserait servir dans le gouvernement et l'administration des Pays-Bas que des naturels du pays (art. X) ; la promesse de la part des États, sur leur conscience devant Dieu et les hommes, d'entretenir et de maintenir en toutes choses et partout la religion catholique romaine et l'autorité du roi (art. XI) ; l'engagement de renoncer à toute alliance avec d'autres princes (art. XII) et à renvoyer les soldats étrangers


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qu'ils ont levés (art. XIII). Notons enfin la clause qui termine le traité :

« Tellement toutesfois que le susdict traité de paix, faict on nostre susdicte ville de Gand, demeurera en sa vertu et vigueur, en tout ce que dessus, et de ce qui en dépend » (art. XVI).

Les partisans du Taciturne étaient déçus. Ils manifestèrent leur mécontentement en refusant d'assister à la publication de l'Edit qu'ils appelaient la Paix des Prêtres. Cette appellation ironique, nous l'admettons dans le sens réel. Le clergé pouvait ajuste titre revendiquer la plus large part dans la conclusion de l'accord. Ce qui a décidé don Juan à accepter la Pacification de Gand, c'est avant tout ht déclaration des évêques, des prélats et des docteurs de Louvain, c'est encore l'intervention des évêques de Liège et d'Arras et du confesseur de don Juan, le père Trigoso. Ce sera l'éternel honneur du clergé d'avoir employé tous ses efforts pour éviter l'exécrable guerre civile et barrer ainsi la route à l'invasion de l'hérésie.

L'article XI, relatif au maintien de la religion catholique, ne faisait que reproduire une clause similaire de Y Union de Bruxelles; il n'était donc pas on opposition avec la Pacification de Gand qui, du reste, en vertu de l'article XVI, demeurait en vigueur (1).

Mais le Taciturne ne voulait pas la paix, « pas plus,

(1) « Le prince, dit Groen van Prinsterer (Archives cit., t. V, p. 629) s'élève contre l'art. 11 de l'Edit perpétuel, article relatif au maintien de la religion catholique romaine. Toutefois il semble qu'ayant signé l'Union de Bruxelles, nonobstant une clause pareille, on pouvait signer l'Edit sous les mêmes réserves ; et cela avec d'autant plus de sécurité qu'on voyait en première ligne l'adhésion au traité de Garni. >> Cette appréciation de Groen van Prinsterer est également celle d'un autre historien protestant, W. STIRLING-MAXWEL (Don John nf Austria, t. II, p. 202. Londres, 18*3) qui voit dans l'Edit peipctuel comme une seconde édition du


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dit Groen van Prinsterer, pour le reste des Pays-Bas que pour la Hollande et la Zélande en particulier ......

« Spécialement il prévoyoit que la perspective de propager et d'établir dans les Pays-Bas la Réforme alloit s'évanouir. Le gouverneur s'opposeroit à de tels projets, de concert avec le clergé, les nobles et les magistrats. Pour la Hollande et la Zélande le péril étoit plus grand. L'accord conclu, on alloit les serrer de près ; la marche

pour D. Juan étoit tracée Il comptoit que les quinze

provinces feroient dans l'Assemblée générale tout devoir possible pour rétablir la religion catholique en Hollande

et Zélaude On comprend dès lors, — c'est toujours

Groen van Prinsterer qui parle, — que le Prince avoit garde de vouloir un cours de choses aussi régulier. 11 n'avoit rien omis pour entraver les négociations et prévenir la paix ». « Son opposition à l'accord ayant été inutile, quelle fut sa conduite après le fait accompli ? D'abord il a garde de publier l'Edit ou d'y adhérer. C'eût été un obstacle de moins à l'arrangement final qu'il redoutoit.... Sans positivement refuser, il pousse donc, de son côté, les exigences jusqu'à être sûr d'un refus.... D'un autre côté il a soin de ne pas rompre avec les États généraux.... Du reste il continue à suivre envers D.Juan la même lactique. Il nourrit la défiance, il fortifie les soupçons » ( 1 ).

traité de Gand, dont il approuvait et ratifiait chacune des clauses sans exception: les clauses de la Pacification, qui n'y étaient pas reprises, étaient néanmoins ratifiées et approuvées par les termes qui ratifiaient et approuvaient le pacte entier.

D'ailleurs, le 7 février, les Etats font savoir au prince d'Orange que « l'article XIe ne li/e que les quinze provinces » et que la position des pays de Hollande et de Zélande n'est pas atteinte, vu que « par la ilause J'aide de l'article 16, tous les articles précédens sont réduit:- audiet t.raiclë de Pacification qui demeure en sa force et rigueur ». — Biblioth. royale de Bruxelles, msc 7223.

(1) Archiees cit., t. V, p. 63(1.


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L'apologiste du Taciturne résume comme suit la période qui s'étend de YEdit perpétuel jusqu'à, la rupture des États avec le gouverneur général : « L'on verra que D. Juan, fidèle à ses promesses, voulut gouverner par la douceur ; et l'on pourra voir en outre que ses antagonistes dirigés, encouragés par le prince d'Orange, réussirent, par les suppositions les plus alarmantes et les plus outrageux soupçons, par des prétentions excessives, des reproches non mérités, des humiliations, des insultes, des conspirations même, à le décréditer, à paralyser ses efforts, à irriter son amour propre, àanéantirsonautorité, à l'entretenir dans une crainte perpétuelle pour sa liberté et sa vie ; à l'amener enfin à chercher le salut, tète baissée, dans un coup de désespoir. Acte insensé, folie, d'après le Prince d'Orange ; mais folie qu'il avoit prévue, désirée, préparée, et dont il sut admirablement profiter. Ayant, à vrai dire, forcé D. Juan à réaliser de fausses alarmes, il exploite la faute qu'il a fait commettre ; une déclaration de guerre en est le résultat » (1).

Nous ne pouvons esquisser ici, même rapidement, les événements qui suivirent la publication de l'Edit perpétuel, événements qui prouvent combien l'appréciation sévère de Groen van Prinsterer est juste et fondée. Qu'il nous suffise de dire que l'attitude publiquement hostile du Taciturne fut la cause principale qui porta don Juan à prendre un parti désespéré ; la conviction, pleinement fondée (2), qu'on en voulait à sa vie ou du moins à sa liberté, fut la cause déterminante de sa décision. Le 24 juillet il s'empare du château de Namur. Si les Etats généraux avaient écouté Guillaume, ils auraient sur-lechamp déclaré la guerre ; mais il y avait encore dans

(1) Archives cit.. t. VI, p. VIII

(2) Voir la preuve dans nos Notes et documents pour servir à la biographie de Rémi Drieux, pp. 708-722.


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cette assemblée un parti puissant qui ne voulait pas une rupture définitive. Aussi les négociations continuèrent. Le 21 septembre, grâce aux efforts de Gaspar Schetz, seigneur de Grobbendoncq, de Rémi Drieux et du seigneur de Willerval, l'accord était près de se conclure. Les trois négociateurs des États revinrent à Bruxelles, tout joyeux de leur succès. Malheureusement; les Etats, cédant sous la pression populaire, avaient résolu d'inviter le prince d'Orange à se rendre parmi eux. Les choses changèrent de face par l'arrivée de Taciturne. Celui-ci, dit Groen van Prinsterer, « en un instant sut tout renverser. On avoit la paix ; on eut la guerre ». Tout fut remis en question, on rétracta l'adhésion au changement unique proposé par don Juan, et l'on ajouta trois nouvelles conditions. Malgré une suprême tentative faite auprès des Etats par Drieux et Willerval, la rupture éclata.

Drieux, rentré à Bruxelles après l'insuccès des négociations de la fin de septembre, partit bientôt pour Bruges. Il ne reparait sur la scène politique qu'à la réunion des États de Flandre, convoqués à Gand par les Etats généraux pour le 24 octobre

Que s'était-il passé dans l'intervalle? Le duc d'Arschot, au nom de quelques membres de la noblesse catholique, avait offert le titre de gouverneur général à l'archiduc Mathias. Il se débarrassait ainsi de don Juan et empêchait l'élévation du prince d'Orange. Les partisans du Taciturne, d'abord déconcertés, conçurent bientôt un projet de revanche : ils résolurent de le faire nommer rmeacrd ou gouverneur de Brabant. Grâce à la pression violente de ht plèbe, les États de Brabant, au milieu du tumulte, choisirent le prince d'Orange comne gouverneur de leur province. Le 22 octobre, les États généraux, n'osant pas aller à rencontre de la volonté du peuple, consentirent, sous le bon plaisir des Etats des provinces,


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à recevoir le prince d'Orange comme gouverneur particulier de Brabant, provisoirement jusqu'à ce qu'il y eût un gouverneur général.

Le 24 octobre devait s'ouvrir à Gand la session des Etats de Flandre, sous la présidence du duc d'Arschot. Dans une réunion préparatoire, tenue au palais épiscopal de Bruges le 23 octobre, on résolut de présenter aux États de Flandre une déclaration et une protestation de fidélité au roi et à la religion catholique, dans le sens de celle du 16 septembre 1576 (1). Malgré le mauvais temps, malgré son âge et ses infirmités, après un moment d'hésitation, Drieux se décida à aller défendre en personne les intérêts de la foi et du clergé. Comme s'il avait eu le pressentiment du sort qui lui était réservé, au moment du départ, le prélat remit l'administration de son diocèse entre les mains de l'archidiacre et de J'officiai Rémi Drieux, fils de Maurice. Dans l'assemblée des Elats de Flandre, du 24 octobre, la question du gouverneur de Brabant fut agitée. Bucho d'Aytta et François Schouteete, seigneur d'Erpe exhibèrent à la réunion du clergé et, de la noblesse la copie de la résolution des États généraux du 22 octobre. Leduc d'Arschot et d'autres membres des États généraux, l'raicheinent rentrés de Bruxelles, firent remarquer que la nomination du prince d'Orange comme rnirnerd de Brabant avait été rejetée par la plupart des provinces, et même dans les Etats de Brabant, par le comte d'Egniont, le marquis de Berghes, le baron de Hèze et, d'autres nobles. La dessus :

« Il fust, advisé par les prélatz et nobles audict Gand, ayant la plusparf opiné, et conformément, ne se y estant nulluv opposé, oires qu'il fust par exprès, demandé si quelqu'un avoit il dire au contraire, que ces te nouvelle

(1) Voir plus haut, p. 262.


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élection et érection contrarieroit l'union jurée pour le respect que l'on debvoit à l'authorité de Sa Majesté, joinct qu'estant manifestement le prince d'Orange d'aultre religion que la romaine, il ne convenoit de le mectre chef en une province qui avoit promis en ladicte union d'observer ceste religion inviolablement, sans la laisser ensfraindre, et l'exemple et l'autorité du chief importait totalement ; de plus qu'estant le prince d'Orange pourveu du gouvernement d'Hollande, Zélande, oultre l'Estat d'Utrecht, et de l'admirauté de la mer, et ce que icelles provinces desjà s'estoient plainctes aux Estatz-Généraulx de sa si longue absence, il seroit malaisé qu'il peult furnir en tant de lieux ; de plus, que les Estats-Gènéraulx avoient peu auparavant, absolutemenl déclaré et résolu qu'ilz n'entendoient pas qu'aulcun puiist déservir deux estatz incompatibles, ainssy qu'estoient tous les susdictz ; joinct que l'on feroit peu pour Son Excellence de le pourveoir pour si peu de temps que les provinces sembloient debvoir estre sans gouverneur général, parce que l'on traictoit de la réception de-l'archiducq Mathias, frère de l'empereur Rudolphus ; dadvantage que, pour la contrariété que avoit eu aux Estats-Gènéraulx à Bruxelles, et que tant des provinces y avoient contredict à ceste élection, la provision nouvelle de ce gouvernement poulroit estre occasion de quelque division entre les Estatz, de laquelle les susdicts prélatz et nobles de Flandres s'en déchargeoient, et protestoient n'en vouloir estre imputez, si elle advenoit, l'ayans préveu et ayans préadverty les aultres Estatz, comme ilz faisoient présentement » (1).

Cet avis, rédigé par le seigneur de Zweveghem, fut

(1) FRANÇOIS DE HALEWYN, seigneur de Zweveghem, Mémoires sur les troubles de Gand, 1577-1579, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE, pp. 2-4. Bruxelles, 1865.


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surtout inspiré, quant aux motifs tirés de la religion, par les deux évêques Rythovius et Drieux.

Le prince d'Orange s'était attaché les Gantois, en leur faisant restituer, malgré une forte opposition dans le sein des États généraux, les privilèges confisqués par CharlesQuint, en 1540. Aussi, dès qu'on eut connaissance, dans le public, de la résolution des ecclésiastiques et des nobles, une vive irritation se déclara contre eux, mais surtout contre le duc d'Arschot. Les partisans du Taciturne en profitèrent pour fomenter l'agitation; ils se plaignirent de ce que les anciens privilèges, quoique rétablis, n'étaient pas remis en vigueur. Poussés sous main par le Taciturne et par Marnix de Sainte-Aldegonde, les orangistes, pendant la nuit du 28 octobre 1577, s'emparent de l'hôtel-de-ville et font prisonniers le duc d'Arschot et quelques seigneurs. Drieux et Rythovius étaient du nombre.

La captivité des deux évêques dura, près de quatre ans. Après plusieurs semaines les prélats furent internés dans l'hôtel ou Sleen de Schardeau, puis, le 13 mai 1578, au Princenhof où on les garda avec une extrême rigueur. Transférés plus tard dans la prison commune du Châtelet (Sausselct) ils passèrent dans ce lieu infecte deux ans et un mois, mêlés aux voleurs et aux pires malfaiteurs, exposés aux plus cruelles avanies et à de continuels dangers. Enfin, le 13 du mois d'août 1581, Drieux et Rythovius furent échangés contre Burchard de Hembyze et un ministre protestant, prisonniers des Malcontents. L'échange eut lieu à Olsene, d'où les libérés furent conduits sous escorte à Courtrai. Le grand bailli de cette ville, qui n'était autre que François de Halewyn leur ancien compagnon de captivité, le clergé et la population reçurent les vénérables prélats avec les marques de la plus vive sympathie et du plus grand


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respect. Les deux évoques séjournèrent à Courtrai pendant plusieurs mois. Après avoir réconcilié quelques églises et cimetières et consacré les autels que les hérétiques avaient profanés, Rythovius partit pour Aire, où s'était réfugié le chapitre de Saint-Martin d'Ypres (mars 1532). Nous avons raconté plus haut (1) comment ce saint prélat mourut à Saint-Omer, sans avoir vu sa ■ville épiscopale rentrer sous l'obéissance du roi. Après le départ de Rythovius de Courtrai, Drieux y continua l'oeuvre de restauration commencée par l'évêque d'Ypres. En juillet 1582, sur l'invitation du prince de Parme, il se rendit à Audenarde pour y restituer au culte les églises et les cimetières violés, administrer le sacrement de confirmation et conférer les ordres. Il partit ensuite pour Tournai, où, à la demande du chapitre, il exerça également les fonctions épiscopahis jusqu'au sacre du nouvel évêque Morillon. Cette cérémonie eut lieu le 16 octobre 1583. Drieux et Jérôme Liétart, abbé de Saint-Ghislain, assistèrent Louis de Berlaymont, archevêque de Cambrai, prélat consécrateur. Le 30 du même mois, Jean Hauchin élevé au siège archiépiscopal de Malines, reçut à Tournai l'onction sainte des mains de Morillon, assisté de Drieux et de Wallon-Cappelle, évêque de Namur.

Au mois de mai 1584, Alexandre Farnèse envoya l'évêque de Bruges au pays de Waes, pour y exercer son ministère.

Le 20 mai 1584 fut signé le traité de réconciliation de la ville de Bruges. Après avoir duré près de huit ans, l'exil de Drieux allait prendre fin. Le 9 juin, l'évêque rentra dans sa ville épsicopale. Remploya les dernières années de sa vie à réparer autant que possible les ruines que les gueux avaient accumulées en Flandre et mourut

(I) Voir p. 236.


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dans son palais le 12 mai 1594,1a vingt-cinquième année de son épiscopat, à l'âge do soixante-quinze tins.

Avant de finir, jetons un regard en arrière sur les événements qui se passèrent durant la captivité et l'exil de Drieux.

Mesdames et Messieurs, vous savez que la longue révolution qui remplit le règne de Philippe II eut pour résultat le premier démembrement territorial des PaysBas. Tandis que les dix provinces méridionales rentrent sous l'obéissance du roi d'Espagne, les sept provinces septentrionales s'érigent en Belgium confoederatum ou République des Provinces unies.

Quelle fut la cause de cette séparation? A cette question l'hislorien .T. de Joage répond: l' Union de Bruxelles a été la cause de la séparation des provinces du Midi de celles du Nord, parce qu'elle comprenait le maintien de la religion catholique, tandis quel a Pacification de Gand comprenait la liberté do conscience, même pour les provinces autres que la Hollande et la Zélande; que celles du Midi se mettaient sous l'égide de l' Union de Bruxelles, tandis que celles du Nord s'appuyaient sur la Pacification de Gand.

Rien de plus inexact.

La vraie cause de la séparation fut la rage des calvinistes, qui violèrent do toutes façons la Pacification de Gand. Le coup de main du 28 octobre 1577 a été l'origine des terribles excès des Gantois, l'origine des troubles dans les autres villes ; les troubles ont provoqué la Paix de Religion, nouvelle violation du pacte do Gand sur une question essentielle de principe. Une réaction se produit. Valentin de Pardieu se lève le premier. Montigny forme le parti des Malcontonts. Les États de Hainaut, d'Artois, des villes de Valenciennos, Lille, Douai et Orchies s'émeu-


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vent, se liguent entre eux, approuvent les Malcontents. Tous demandent la réconciliation avec le roi, générale si c'est possible, particulière s'il le faut, et finissent par faire la paix avec Philippe II, sur les bases mêmes de la Pacification de Gand.

Les divers éléments de la réaction voulaient, il est vrai, avant tout conserver la religion catholique dans les quinze provinces ; niais les violences des Gantois et spécialement le maintien de la captivité des évêques et des seigneurs étaient toujours leur plus grand grief. Lorsque, lors de la convention de Connues (9-12 janvier 1579), Montigny abandonnant de Pardieu, se rapprochait des États généraux et. allait faire avorter le mouvement catholique, les Gantois, en refusant à nouveau le transfert des prisonniers en pays neutre, et en déchirant ainsi la convention de Comines, provoquèrent la rupture complète de Montigny avec les Etats généraux et sa jonction définitive avec de Pardieu. Les captifs, c'était l'enjeu. Le point d'appui de la résistance de Pardieu, des Malcontents, des provinces de Hainaut et d'Artois, des villes, de certains régiments même, ce n'était pas, comme l'affirme de Jonge, l' Union de Bruxelles (à l'exclusion de la Pacification de Gand, qu'invoquaient, au dire du même auteur, les provinces du Nord); mais c'était tout d'abord et spécialement la Pacification de Gand, confirmée par l' Union de Bruxelles ci par YEdit perpétuel; c'était, en particulier, les articles III et IV du traité de Gand violés par les réformés sectaires. Nous allons on rencontrer la preuve en parcourant rapidement les diverses phases des troubles et de la réaction.

Groen van Prinsterer, l'apologiste du Taciturne, parle en ces termes de l'arrestation des évêques et des seigneurs : « La violence porta des fruits amers. La bride étoit relâchée au peuple, et ce fut ici le commencement de ces

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troubles de Gand dont le prince écrivoit en mai 1579, « A coup sûr ces désordres de Flandre gâtent toutes nos affaires » (1).

« Il n'y eut plus à Gand qu'une série d'injustices, dit le même historien. — En février, après la défaite de Gembloui's, garnisaires dans les couvents, enlèvement de ce qu'il y avait de plus précieux dans les églises. En mai, refus de publier le placard pour le maintien du catholicisme ; tolérance envers les prêches publics ; mauvais traitements envers les religieux et les religieuses ; insultes, menaces de tout genre ; rèformation du séminaire. En juillet et en août, envahissement des églises, pillage des cloîtres, fureurs des iconoclastes. En septembre, refus positif de tolérer le culte catholique. En général tout est autorisé ou toléré par le collège des 18. — Loin de céder aux remontrances qui leur arrivent de toutes parts, les Gantois veulent forcer la Flandre entière à les imiter » (2).

En effet, les Gantois s'emparèrent d'Hulst, Eecloo, Axel, Courtrai, Bruges, Ypres. Contentons-nous de l'appeler succinctement les prises de ces trois dernières villes.

Le 13 mars 1578, R.yhove pénètre dans la ville de Courtrai, y arrêta le grand bailli, François Schouteete, seigneur d'Erpo, quelques échevins, le curé do Deerlyk et Hercules Vanden Berghe, qui, le lendemain, sont transférés à Gand. Le 10 avril un comité des XVIII est installé. C'était le commencement d'une ère de persécutions, de profanations et d'extermination du culte catholique, qui dura jusqu'à la reprise de la cité par Montigny en 1580 (3).

(1) Archites cit., t. VI, p, 218.

(2) Ibid., t. VI, p. 463.

(3) I-'R. DE POTIER, Gesc/iiedenis der stad Kortryk. Courtrai, 1876, t, IV, p. 119.


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Quelques jours plus tard, le 20 mars, Ryhove et Mortagne, à la fête de six ou sept enseignes, s'introduisent à Bruges, grâce à la trahison de Jacques Mastaert, chefhomme de la section de Saint-Jean. Ils se rendent à l'hôtel de ville et signifient aux échevins que le magistrat et les autres pouvoirs, étant constitués par des commissaires suspects, doivent être renouvelés. Les échevins ne voulurent pas obéir à cette injonction et en écrivirent à Mathias et au prince d'Orange. Dans l'intervalle, le 22 mars, un collège des XVIII est constitué. Le 25, arrive Adolphe van Meetkercke, conseiller d'État, muni d'une commission l'autorisant à procéder au renouvellement de la loi avec le concours d'un ou de plusieurs autres commissaires à son choix. Le lendemain, 26, le magistrat est renouvelé par van Meetkercke, Guillaume van Gryspeere membre du grand conseil de Malines et Nicolas Despars, le premier des XVIII. C'est donc bien sur l'ordre du gouvernement que se fit l'épuration du magistrat. La domination gueuse, avec son cortège de vexations et de violences, dura jusqu'en mai 1584 (1).

La surprise d'Ypres fut plus mouvementée. Le dimanche 20 juillet, à quatre heures du matin, le seigneur d'Assche (2) et deux capitaines entrèrent en ville à la tête d'une forte bande. Le seigneur d'Assche fit immédiatement arrêter et jeter en prison toutes les personnes qui, par leur influence, auraient pu contrarier ses desseins. Parmi elles Henri de Codt, greffier, Arthus de Ghistelles, seigneur de Rymeersch, grand bailli d'Ypres, Jean de Visschere, bailli d'Ingelmunster, furent transférés à Gand où ils rejoignirent les prisonniers du Princen-IIof. Un

(l) Archives de la ville de Bruges, Secrète resolutie bouc, 20 mars 1578, etc.

(.2) Guillaume de la Kethulle, seigneur d'Assche, frère de François de la Kethulle, seigneur de Ryhove.


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comité des XVIII est établi. Le règne de la terreur ne finit que par la reddition de la ville au prince de Parme en avril 1584 (1).

« Le prince d'Orange, dit Groen van Prinsterer, voulait, pour établir l'Evangile, donner un libre cours à la Réforme » (2). En implantant partout le calvinisme, il se proposait de détacher les Pays-Bas de la souveraineté de Philippe II, objet de sa haine. Guillaume approchait de son but. Il avait procuré la rupture des négociations entre les Etats généraux et don Juan (octobre 1577). Mécontent de l'appel de Mathias fait sans son aveu, il se dédommagea amplement de cet affront en faisant imposer à l'archiduc des conditions qui réduisaient à néant l'autorité du gouverneur général (6 décembre). Celui-ci n'est qu'un enfant à la lisière, un instrument, un jouet, une statue. Maintenu en sa qualité de ruwaerd de Brabant et nommé lieutenant général de l'archiduc (8 janvier 1578), il devient son tuteur et son guide et gouverne par lui ; Mathias est le greffier du prince d'Orange (3). Par la nouvelle Union de Bruxelles (10 décembre 1577), où catholiques et réformés se font une promesse réciproque de bienveillance et de protection, le Taciturne procure des garanties aux protestants de toutes les provinces, fait croître leur nombre et prépare de loin la Paix de Religion (4). Il s'assure la majorité du nouveau conseil d'Etat en y introduisant ses partisans et en éloignant ses antagonistes (21 décembre 1577) (5). Giâce à ses

(1) A. VANDEN PKEREBOO.M, Henri de Coït, greffier pensionnaire de la ville d'Ypres, dans les Annales de la Société historique, archéologique et littéraire de la aille d'Ypres et de l'ancienne W'est- Flandre. Y près, 186'J, t. IV, p. 368 suiv.

(2) Arcltives cit., t. VI, p. xvn.

(3) Ibid., p. 258.

(4) Ibid., p. 257.

(5) Ibid., p. 270.


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émissaires, les calvinistes font l'épuration des magistrats, et par conséquent des Etats généraux, on faisant entrer dans les échevinages des villes des hommes gagnés à la Réforme, qui se font appeler Patriotes ; ils établissent dans les principales villes les fameux comités des Dixhuit ou des Quinze (1) et arment des milices bourgeoises dont les chefs remuants et factieux entretiennent des relations actives avec les lieutenants du prince d'Orange. Les garnisons des principales villes du Brabant et de la Flandre sont remplies de soldats hérétiques ; anglais, écossais et français. Un serment inique, imposé aux ecclésiastiques, met ceux-ci dans l'alternative de forfairo à leur conscience ou do se rendre odieux et suspects (22 avril 1578).

En se faisant le complice de l'arrestation des évêques et des seigneurs, le Taciturne avait, à son point de vue, commis une lourde faute. Il aggrava cette faute en n'exigeant pas plus énergiquement dès le principe la liberté des prisonniers et en laissant faire les Gantois (2). Il ne soupçonnait pas qu'au moment oit il semblait être à l'apo(1)

l'apo(1) cit., t. VI, p. 265.

(2) Le 10 novembre 1577, grâce aux instances des Etats généraux, des quatre membres de Flandre et de la ville d'Anvers, grâce surtout au conseil du Taciturne, qui voulait éviter l'irritation de toute la noblesse, le duc d'Arschot seul fut relâché. Depuis lors, Guillaume ne lit rien ou presque rien en faveur des autres prisonniers. Il semblait fermer les yeux sur les violences des Gantois. Ce n'est que vers la fin de septembre 157S qu'il adressa à ceux-ci une lettre pressante pour les avertir des dangers qui résultaient de leur conduite. « La ruine de l'Etat est imminente, dit-il, s'ils ne suivent une autre voie ». Il leur reproche de compromettre sa propre réputation, puisqu'on soupçonne que tout cela se fait à son instigation. Pierre Knibbe, muni de cette lettre, devait représenter aux Gantois les plaintes qui arrivaient de tous côtés. La démarche demeura sans résultat. Au lieu d'écouter les objurgations du prince d'Orange, les Gantois arrêtent le seigneur d'Aussy, gouverneur d'Alost, qui était arrivé dans leur ville pour leur expliquer pourquoi Alost ne voulait pas recevoir de garnison gantoise. Cet insuccès était d'autant plus humiliant que le Taciturne invoquait comme argument sa propre réputation. Voir : Corresp. de Guillaume le Taciturne éd. GACHARD, t. IV, p. 72.


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gée de sa puissance ces prisonniers deviendraient la cause de la réaction et du retour des provinces méridionales à l'obéissance de Philippe IL

« La violence des Gantois, dit Groen van Prinsterer, fit naître parmi les catholiques le parti des Mécontents (1). Comparé aux griefs, ce nom est un véritable euphémisme » (2).

Le premier qui leva la tète fut Valentin de Pardieu, seigneur de la Motte. Quel est son langage lorsqu'on avril 1578 il se sépare des États généraux ? Exposant aux quatre membres de Flandre les raisons de sa conduite, il proteste qu'il veut avant tout la conservation de la foi et de l'autorité du roi conformément à « la saincte union et Pacification de Gand sy solempnellement par nous tous jurée et signée ». « Mais tant s'en fault que icelle se maintienne quand l'on vient, à grands regrets et avec pleurs, considérer l'odieuse appréhension et griefre détention des bons évesques, prélats et seigneurs, ensamble les changements illégitimes et extraordinaires quy se practicque| nt| au renouvellement des magistrats, joinct à ce l'inscription des biens ecclésiastiques, passant soubz silence le grand tort et scandale quy se practicque journellement envers leurs personnes, dont l'on ne faict ny pugnition ny justice quelconque, vôtres ny mesmes de ceulx lesquelz tout présomptueusement se advanchent d'envahir les bonnes villes, perturbans ainsy fout le peuple et tranquillité de la républicque, choses directement contre la loy divine, édictz de Sa Majesté et à

(Il » Les Mécontents, dit le même auteur il. c, p. 515), se subdivisoient en trois parties : la Motte réconcilié avec le Roi ; les provinces wallonnes, tendant à une, association séparée ; les régiments wallons guerroyant pour la religion catholique : mais les nuances dévoient aisément se fondre dans les sentiments et les intérêts communs ».

(2) Archives cit., t. VI, p. 463.


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l'ordonnance de la susdite Pacification et tant désirée union ». 11 demande donc la mise en liberté des prisonniers et le rétablissement dans leurs charges des magistrats injustement démis (1).

Dans un synode tenu à Dordrecht, le 22 juin 1578, sous la présidence du trop fameux ministre Dathenus, les députés des églises réformées résolurent de présenter au gouvernement une requête tendant à obtenir le libre exercice des deux religions dans toutes les provinces. Le 12 juillet les États généraux, de concert avec le conseil d'État, rédigèrent certains points réglant la liberté religieuse. Le même jour on décida que l'archiduc Mathias, de l'avis des États généraux, enverrait aux diverses provinces le projet, avec la requête des protestants.

Le 22 juillet on proclama la Paix de Religion, au nom de Mathias et des États généraux. Cet édit, en vertu duquel on accordait le libre exercice du culte catholique ou protestant là où cent pères de familles en feraient la demande, était la négation de la Pacification de Gand. Aussi le mouvement catholique s'accentua.

Champagney se mit à la tète de ce mouvement et combattit franchement la Paix de Religion. Il fut arrêté à Bruxelles le 18 août et, le lendemain, conduit à Gand, où il partagea la captivité des prisonniers du PrinceuHof (2).

(1) Correspondance de Valentin de Pardieu, seigneur de la Motte, éd. DIEGERICK. Bruges, 1857, p. 214, lettre du 13 avril 1578.

(2) Voici les noms des principaux prisonniers de la Cour des Princes : le duc d'Arschot, relâché le 10 novembre 1577; Maximilieu Vilain, baron de Rassenghien ; Ferdinand de la Barre, seigneur de Mouscron, grand bailli de Gand ; Corneille de Scheppere, seigneur d'Eecke ; François de Halewyn, seigneur de Zweveghem; le conseiller Hessels ; l'avocat fiscal Jean de la Porte; les évêques d'Ypres et de Bruges; François Schouleete, seigneur d'Frpe ; Artbus de Ghistelles, seigneur de Rymeersch, grand bailli d'Ypres; Jean de Visschere, bailli d'Ingelmunster ; Henri de Codt, greffier d'Ypres ; Champagney.


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A la lettre du 13 juillet 1578, par laquelle Mathias demandait leur avis sur les articles de la Paix de Religion, les Etats de Hainaut répondent, le 17 juillet : « Nous avons umaninenient et tous d'une voix prompte et absolute, résolu de dire que c'est un faict auquel, pour sa gravité et importance, tous bons chrestiens et amateurs du repos publique se doibvent opposer, spéciallement cettlx qui désirent et entendent se déscharger et acquicter, envers Dieu et les hommes, de leurs voeux, promesses et serment. Et. en tant qu'il nous peult toucher en particulier, déclairons francement, de coeur tout entier et ouvert, que n'entendons et ne voulons, en manière que ce soit, prester l'oreille ny moins donner aucune ouverture, entrée ou consentement à telle pernicieuse requeste et articles, ny conniver ou dissimuler le moindre iotta au préjudice de aostre saincte, anchienne, catholicque et apostolicque foy et religion romaine, protestant de rechief, devant Dieu et les hommes (aidant sa divine bonté), le tenir et maintenir jusques à la mort... ».

« Et combien que ce fondement doibt plus que suffire pour toutte raison, louttesfois, l'on ne peult nyer que par la Pacification de Gand, articles 3m 0 et 4me, ce poinct de la religion saincte, catholicque, apostolicque et romaine a esté par exprès réservé en son entier pour les provinces de par deçà, avec ferme espoir et soubs promesse expressément stipulée qu'après la répulsion de l'onnemy et que les affaires seraient réduictz en tranquillité, la mesme saincte religion par l'assemblée des Estats généraux lors à tenir debvroit estre restablie et réintégrée es provinces d'Hollande, Zélande et associez, du moins qu'y seroit mis ordre touchant ledicf faict et exercice de la dicte religion, tant s'en fault que l'on doibve souffrir ny admettre par deçà quelque chose au préjudice d'icelle »,

Ils en appellent ensuite à l'article XI de YÈdit perpè-


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tuel, à la protestation des États généraux tant de fois renouvelée au roi d'Espagne, à l'empereur d'Allemagne, aux rois de France et de Portugal, à la reine mère, à Elisabeth, aux ducs de Savoie, de Lorraiae, de Clèves, de Guise, à presque tous les princes de la chrétienté. Ils en appellent, à la promesse (pie le prince d'Orange, lors de sa première arrivée, a faite de ne souffrir aucun attentat contre la religion catholique, mais d'aider à châtier les perturbateurs ; ils en appellent au serment de Mathias gouverneur général, et de son lieutenant-général do maintenir la religion catholique dans les quinze provinces et la Pacification de Gand en tous ses points et articles.

Ils concluent qu'ils sont, délibérés à résister à l'introduction do la Paix de Religion, même au péril de leur vie ; mais qu'ils demeureront dans l'union des Etats généraux « sur le pied de la Pacification de Gand » (1).

La protestation de Valenciennes (4 août 1578) est tout aussi énergique. Les prévôts, jurés, échevins et conseil de cette ville se disent émerveillés « du peu adviser jugement des réquérans ». Le maintien de la religion catholique, disent-ils, a été consacré dans les articles 3 et 4 de la Pacification de Gand, ratifié par l'Edit perpétuel, confirmé et approuvé par les serments dos Etats. Puis ils rappellent les lettres des Etats aux princes et les promesses de Guillaume et de Mathias, En présence de tous ces actes politiques et notoires, accorder aux réquérans ce qu'ils demandent ce serait « encourir la note do perfidie, desloyaultè. infamie et déshonneur » (2).

(1) GACIIAIU), Mémoires des choses passées uii.r Pays-Bas depuis Tan XYC septante-six jusques le premier de mai 1580 dans La Bibliotlteque nationale à Paris. Notices et extraits des manuscrits qui concernent l'histoire de Belgique. Bruxelles, 1875, t. I, p. 199. Ces mémoires sont, attribués par Gachard à Philippe de Lalaing, gouverneur du Hainaut.

(2) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. I, p. 409, n" 1246.


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Les résolutions des Etats des villes et châtellenies de Lille, Douai et Orchies (4 août), ne sont pas moins formelles. Ils déclarent « qu'ilz ne sont aucunement d'avis et n'entendent permectre l'exercice de la dicte religion prétendue réformée... ains de demeurer en la religion catholicque apostolicque romaine, laquelle ilz ont tant solempnellement promis et juré de maintenir et entretenir par la Pacification de Gand,, l'Union et plusieurs aultres actes auxquelz ils ne peuvent dérogher ny préjudiciel', sans encourir note d'inconstance et crisme de perjures et desloyaulx devant Dieu et le monde » (1).

C'était la base. Bientôt, nous le verrons tout à l'heure, on fera un pas de plus en proposant une ligue entre les provinces wallonnes.

Dans l'intervalle s'était formé le parti des Malcontents. Après la bataille de Gembloux, ce qui restait des régiments wallons fut renvoyé dans le Hainaut et l'Artois. On les y laissa dans l'abandon, dans l'oubli, sans solde. Leurs chefs, Montigny (2), Hèze, Glymes, Bersele, etc., vexés de cet isolement et des violences des Gantois, attribuent leur situation au prince d'Orange, auquel ils prêtent le dessein de provoquer le débanderaient de leurs troupes. Celles-ci, entrées en Flandre dans les environs d'Audenarde, se mutinent le 26 août 1578. Une partie est surprise le lendemain par les soldats gantois, assistés de la garnison d'Audenarde et des paysans, qui leur prennent leurs bagages et leur butin. Le reste se retire vers La Gorgue et Estaires, sur Je domaine de madame de Glayon. Vers la mi-septembre, le seigneur d'Assche, avec un corps de

(1) GACHARD, l. c, p. 410, n° 1247. — Les termes de la déclaration des Etats d'Artois du 1er octobre 1578 prouvent que ceux-ci avaient également, dès le début, protesté contre l'introduction de la l'aix de Religion. Voir plus bas, p. 315.

(2) Emmanuel de Lalaing, baron de Montigny, frère de Philippe de Lalaing, gouverneur du Hainaut.


b

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troupes de la garnison d'Ypres, attaqua les Wallons, mais sans succès. Les Gantois ayant envoyé des renforts, le château d'Estaires fut pris et madame de Glayon faite prisonnière (1). Les États généraux députèrent les seigneurs de Câpres, de Beaurepaire et Charles de Bonnières pour tâcher d'apaiser les soldats wallons. L'archiduc Mathias appuya les commissaires par une lettre à Montigny dans laquelle il invitait celui-ci à. ramener les soldats de son régiment à la raison. Le 28 septembre, Montigny répondit qu'il promettait de satisfaire à cette demande. « Cependant, ajouta-t-il, Vostre Altèze ne trouvera mauvais qu'ilz se mettent en quelque lieu seur (d'autant qu'elle n'est ignorant des bravades que leur sont venu faire les Gantois, sans à ceste avoir aulcuneiaent provoqué ou donné la moindre occasion du monde), pour se garantir par ce moyen contre tous ceulx qui les voudraient courir sus, et se tiennent sur leurs gardes » (2). Le 1er octobre, il s'empare de Menin et s'y retranche.

Les Gantois, dit van Halewyn (o), s'en prirent à ceux qui n'en pouvaient mais, aux prisonniers de la Cour des Princes. Ryhove, envoyé contre les Malcontenls qui, de Menin, menaçaient Courtrai (4,), fit monter dans un chariot Jacques Hessels et Jean de Visschere. Le capitaine

(1) Pour de plus amples détails, voir : P. L. MULLER et ALPH. DIEGERICK, Documents concernant les relations entre le due d'Anjou et les Pays-Bas (1570-158!!). La Haye, 1890, t. II, p. 540. Appendice I. Notice sur la première époque des troubles des Malcont.ents.

(2) Bulletin de la Commission, royale d'Histoire, 2" série, t. IX, Lettres inédites d'Emmanuel de Lalaing..., éd. DIEGERICK, p. 33s.

(3) Mémoires sur les troubles de Gand, 1577-1576, par FRANÇOIS DE HALEWYN, seigneur île Zweveyhem, éd. KERVYN DE VOEKAEUSBEKE. Bruxelles, l805, p. 92.

(4) Tous les efforts tentés par Ryhove pour déloger les Malconlents de Menin furent vains. Montigny s'empara successivement de Wervicq, Warnêton, Cassel, etc.


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Mieghem et une troupe de gueux l'accompagnaient. A une lieue de Gand, près de la bruyère de Saint-Denis-YVestrem (1), Ryhove ordonna de couper la barbe blanche de Hessels, la partagea en deux, mit une mèche à son chapeau, et donna l'attire mèche à Mieghem, qui eut orna également le sien. Après ce préambule cynique, les deux captifs furent pendus (4 octobre 1578). Le lendemain, dimanche, Mieghem s'étant rendu au PrinccnIlof, se présenta d'abord auprès des évoques et de Champagney, puis auprès des autres prisonniers et leur dit « qu'ilz eussent à escriro aux seigneurs de Montigny, d'IIcze et autres seigneurs wallons, leurs parons et aliez ou amys, que ilz eussent à se retirer hors de Menin et le pays de Flandres en dedans six jours prochains et non plus, ci s'ilz n'y obtempéraient, que l'on leur fcroit maulvais parti, veoire tout tel (dict-il à ceulx qui estoient en la salle) que l'on a faict à celluy duquel j'ai cherge de vous espandre ici la barbe, et ce disant, il la sépara et sema parmy la salle aux pieds des prisonniers » (2).

Dans une lettre adressée le 13 octobre à Mathias pour justifier la prise de Menin. Montigny récrimine contre les Gantois. — Plusieurs nobles et notables do Flandre se sont, plaints à lui des Gantois qui ont emprisonné les évêques et les seigneurs, saccagé et pillé les églises, abbayes, commis des sacrilèges, et cherchent à extirper la religion catholique, « directement contre la Pacification faicle à Gand et l' Union depuis ensuivit» ». Ils ont imploré son secours pour les délivrer de cette tyrannie. — Il ne quittera, dit-il, la place de Menin que lorsque

(1) Page 230, nous avons dit, par erreur, que de Visschere fut assassiné au pont de Maltcbrugge. A cet endroit Hessels fut sommé par H.vliove île nommer ses complices. Le meurtre fut perpètre plus loin.

(2) Vu. DE HALEWYN, l. c, pp. 93-99.


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les Gantois seront rentrés dans le devoir et auront relâché les prisonniers (1).

A la suite de la prise de Menin, de l'insuccès de la mission du seigneur de Câpres et de ses collègues auprès des Malcontents et de celle de Knibbe auprès des ( lantois, à la suite surtout de l'assassinat de Hessels et de .1. de Visschere, les Etats généraux avaient résolu d'envoyer le seigneur de Bours vers Montigny et une forte députalion vers les démagogues de Gand, aux fins d'apaiser le différend entre les Malcontents et les Gantois.

De Bours était chargé de s'enquérir de la cause du mécontentement dos régiments wallons, et, s'ils se plaignaient de ne pas recevoir de solde, de leur donner des assurances au nom des Etals ; mais s'ils se plaignaient des Gantois, de leur dire qu'ils ne devaient pas, pour se venger de ceux-ci, dévaster le plat pays innocent ; que ce n'était pas à eux, mais bien aux Etats de se mêler des affaires de Gand, où des commissaires étaient déjà envoyés. Il devait remontrer aux Malconlents combien leur révolte augmentait le danger dos évêques et seigneurs prisonniers (2). Arrivé à Lille, le 12 octobre, de Bours se transporta à Menin, en compagnie de Câpres, Beaurepaire et Auxy. C'est de cette ville, le quartier général des Malcontents, que sont datées leurs lettres du 19 par lesquelles ils communiquent aux Etats généraux la déclaration suivante de Montigny :

Après avoir remercié les États généraux d'avoir enfin voulu écouter ses plaintes, « Que la Pacification de Gand, dit-il, et les poinetz contenus en l' Union soient réelle(1)

réelle(1) de la Commission royale d'Histoire, 2e série, t. IX, pp. 343 et 347.

(2) On trouve l'instruction donnée à de Bours dans les Mémoires anonymes sur les troubles des Pays-Bas 1565-l580,èd. BLAES. Bruxelles, 1861, t. III, p. 135, notel.


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ment et de faict mis en exécution par toute la Flandre, et là où cela ne se pourroyt faire, pour le moings que la religion catholicque romaine soit librement exercée par tout le pays, et les gens d'Église, prélatz, gentilzhommes et aultres remis eu paisible et asseurée jouyssance de leurs biens ; et ceulx d'entre eulx qui sont détenuz prisonniers à Gaad, restabliz en liberté, ou du moins entre les mains de son Altèze, en lieu où elle, le conseil d'État et messieurs les Estatz commandent, sy absolu tentent qu'ilz en veuillent respondre pour, après avoir duemeat entendu leurs raisons, en ordonner avec toute bi iefveté selon qu'ilz trouveront convenir et les privilèges et ttsances du pays le permecteront ». Ces points accomplis, il se soumettra. Il proteste contre l'arrivée du duc Casimir (1) à Gand et contre la levée du camp (2).

Cette déclaration, du 18 octobre 1578, fut toujours regardée par les Malconlents comme la base nécessaire de toute négociation.

Le 13 octobre, le duc Casimir, à la tête de plusieurs cornettes de reîtres, se rendit à Courtrai dans l'intention de combattre les Malconlents. Montigny apprenant l'arrivée des Allemands et craignant d'être accablé par des forces supérieures, s'adressa au colonel français de Combelles, qui était le plus près de Menin. Celui-ci s'empressa de répondre à l'appel. Renforcé par ces troupes, Montigny, le lendemain de la prise de Lanaoy (3),

(!) Le duc Casimir, envoyé par la reine d'Angleterre pour soutenir les Etats généraux, se rendit à Gand, le 10 octobre 1578, pour aider les Gantois à combattre les Malcontents.

(2) Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 2° série, t. IX, p. 352.

(3) La prise de I.annoy eut lieu le 22 octobre. Les Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, seigneur île Montigny, éd. BLAES (p. 21) et les Mémoires des choses passées, etc. de Philippe de Lalaing (p. 207) disent que les soldats de Menin surprirent Lannoy, avant l'arrivée des Français. Les Mémoires anonymes (éd. BLAES) attribuent ce fait d'armes aux Français.


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partit pour Mons, où, le 23, il assista à l'assemblée des Etats de Hainaut. Il y exposa les motifs qui l'avaient porté à entrer en Flandre, et déclara qu'il persisterait dans sa résolution, exprimée à l'archiduc le 13 octobre, jusqu'à ce que les Gantois fussent rentrés dans le devoir (1). Il alla aussi saluer le duc d'Anjou, et lui fit connaître la situation. Le duc offrit des renforts, que Montigny accepta volontiers, et commanda au seigneur de Baligny, Jean de Montluc, de se porter en Flandre et se tenir aux ordres du chef des Malcontents (2).

Le 25 octobre, Montigny et de Ilornes informèrent de Bours, qu'ils avaient consenti àsttspendre les hostilités pendant les négociations ; mais voyant que celles-ci traînaient on longueur, et que les Gantois réunissaient des troupes, ils le prièrent de vouloir les excuser auprès de l'archiduc Mathias si de leur côté ils faisaient lever des troupes pour pourvoir à leur défense (3).

Entretemps que se passait-il à Gand ?

Les députés (4) des Etats généraux avaient charge de se plaindre des actes des Gantois, tant au fait de la religion que de leur prise d'armes, de leurs violences envers leurs voisins catholiques et de l'arrestation de gens d'église et de personnes séculières ; ils devaient requérir les Gantois do cesser immédiatement les hostilités, de restituer les

(1) Actes des Etats de Hainaut, t. VI, fol. 171.

(2) Mémoires sur Emm. de Lalaing, p. 22.

(3) Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 2° série, t. IX, p. 355.

(4) Les députés étaient Marnix de Sainte-Aldegonde, Bernard de Mérode, seigneur de Rumnien, van den Warcke, pensionnaire de Middelbourg, Jérôme van den Eynde, écbevin de Bruxelles, Henri de Bloeyere, Corneille van der Straeten, Adam Verliult et Paul Donckere. Les instructions données, l'une par les Etats, l'autre par le Taciturne, se trouvent dans les Documents concernant les relations du duc d'Anjou et les Pays-Bas (éd. MUI.LER et DIEGERICK), t. II, pp. 110 et suiv.


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biens ecclésiastiques, de rendre aux catholiques le libre exercice de leur religion, d'accepter pour la Flandre et même pour la ville de Gand la Paix de Religion, de mettre en liberté madame de Glayon, et d'envoyer à Anvers les évoques et seigneurs prisonniers (1). Ce faisant, l'archiduc, le prince d'Orange et les Etats généraux, s'efforceront de faire partir les soldats wallons ; et si ces derniers ne veulent pas accepter des conditions raisonnables, on les déclarera ennemis.

Après bien des pourparlers (2), le 27 octobre, les Gantois prirent la résolution suivante : Si la religion réformée est permise partout dans les Pays-Bas, ils veulent permettre ht religion catholique en Flandre et y laisser tranquilles les personnes et les biens ecclésiastiques. Aussi longtemps que les soldais étrangers seront dans le pays, ils garderont leurs prisonniers, promettant toutefois de ne leur faire aucun mal, si les Flandres sont préservées de toute invasion (3).

Les députés envoyèrent cette résolution à de Bours, par son collègue Marotelles (4). De Bours, retourné à Lille, dépêcha ce dernier à Menin pour communiquer la pièce

(1) Notons le passage suivant de l'instruction des Etats : « Oultre ce, les députez proposeront aux esebevins des deux bancqz, doyens, nobles et notables de Gand, que les estatz ont entendu qu'ilz auroient faict menacher de faire mectre à mort les seigneurs qu'ilz tiennent prisonniers, tant ecclésiastiques que séculiers, soubz timbre et couverture que, par leur moyen ou occasion, les soldatz altérez auroient prins le lieu de Menin (voir plus haut, p. 3(J0) et que iceluy et les quartiers à l'environ auroient esté fort endommagez, ce que néantmoins ne scavent croire, s'asseurant assez qu'ilz ne sont telz qui le voudroient faire ».

(2) Voir les lettres des députés des Etats généraux à Garni aux Etats généraux, du 15, 18, 20 octobre, et à Mathias. du 10 octobre, dans les Documents concernant les relations du duc d'Anjou (éd. MULLER et DIEGERICK.), t. II, pp. 154, 159, 175, 193.

(3) Ibid., p. 213.

(4) Philippe Marotelles, bourgmestrede Malines,avait été adjoint à de Bours.


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au chef des Malcontents. Montigny et de Hornes répondirent à de Bours, le 30 octobre: «Dans leur résolution, transmise par Marotelles, les Gantois se moquent non seulement de nous, mais encore de Son Altesse. Ils refusent formellement l'exercice de la religion catholique, en disant qu'ils la permettront pourvu que la religion réformée soit permise dans toutes les provinces. Ils professent une singulière estime pour Son Altesse, en refusant de lui confier les prisonniers qu'ils détiennent, sans jamais avoir voulu entendre leur défense, et dont même deux ont été pendus sans aucune forme de procès. Nous déclinons la responsabilité des maux qui pourront résulter dépareille conduite et sommes décidés à nous aider de toutes troupes, n'importe de quelle nation (1).

Après avoir pris connaissance de cette réponse, de Bours chargea Marotelles d'aller la porter à Gand. La communication n'y fit aucune impression.

Les Etats généraux convoquèrent alors le conseil d'Etat à une assemblée plénièro pour le 2 novembre. On y arrêta les termes de l'Acte d'acceptation de l'archiduc, du prince d'Orange, du conseil d'Etat et des Etats généraux sur les articles présentés par ceux de Gand. En voici la teneur :

« Son Alteze, Excellence et le conseil d'Estat et les Estatz généraux des pays de pardeça assemblez en la ville d'Anvers, considérans que losdiclz Pays-Bas sont en grand et évident danger de tomber es mains tyramicques des Espagnol/, ne soit que en toute diligence tous malentendu/ appartins de souldre entre les provinces soient assopiz et remédiez, ayans ouy le rapport du besongné de leurs députez envoyez en la ville de Gand pour appointer lesdictz malentenduz, et sur iceluy, ensemble

(1) Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 2" série, t. IX, p. 357.

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sur certaines déclarations données par escrit ausditz députez de la part des eschevins des deux bancqz, les deux doyens, nobles et notables, ensemble les trois membres de la dicte ville de Gand, le XXVIIe du mois d'octobre dernier, et sur tout meurement délibéré, ont accepté et acceptent par cestes les déclarations et présentations comprinses audict escrit eu la manière qui s'en suit. A scavoir, premier que lesdictz de Gand admettront le libre exercice de la religion catholicque Romaine es églises et places convenables, ensemble laisseront suivre aux gens d'église leurs biens tant audict Gand que es autres lieux de Flandres. Sy seront tenus lesdictz gens d'église de se comporter en toute modestie raison et fidélité sans contre icelle ville ni contre le repos de la patrie praticquer ou attenter aucune chose directement ou indirectement, à paine d'en estre chastoyez selon l'exigcace du cas, comme aussi Son Excellence et mesdictz seigneurs les Estatz généraulx feront tous devoirs d'induire les autres provinces unies qu'il/, admettront librement l'exercice de la religion réformée et ce qu'en dépend en tous lieux et places où icelle sera demandée. D'autre part, comme lesdictz do Gand ont déclaré, no feront aux nobles du pays aucune offence, injures ou préjudice comme n'estant et n'ayant jamais esté leur intention de extirper ou diminuer la noblesse, comme à tort on les charge. Et aussi de ne vouloir surprendre par armes aucunes villes ou provinces ny en particulier ou général ny icelles molester ou inquiéter ny autrement violer les jurisdietions d'autruy. Ce que Sadicte Alfeze, Excellence, conseil d'Estat et Estatz généraux acceptent.

Item que aux prisonniers saisiz en ladicte ville de Gand sera administrée bonne justice quand les forains et estrangiers ennemis seront expulsez. Acceptons la promesse faicte par les dictez de Gand que pendant ledict


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temps ne sera attenté quelque chose contre lesdictz prisonniers ny eux faict aucun grief. Dequoy lesdictz de Gand donneront telle asseurance convenable. Que lesdictz prisonniers seront mis en lieu neutral pour iceux les illecq se fidellement garder jusques à la décision de leur cause. Et accomplissaas lesdictz de Gand tous les poinctz et articles susdictz, Son Alteze, Excellence, conseil d'Estat et Estatz généraux les prendront en leur protection et sauvegarde comme estant un membre notable de l'union générale et les assisteront contre toutes invasions forces et violences qui leur sont ou pourront estre inférez. Et signament donneront ordre à ce que les soldatz wallons dont ils se planaient do se retirer hors de Flandres et des lieux par eux occupez et s'acheminer vers ledict camp. Et en cas qu'ilz soient refusans useront de tous moyens de contraincte à ce convenable » (1).

Bernard de Mérode, seigneur de Rumnten, Jean Hinckaert, seigneur d'Ohain, et le pensionnaire de Bruxelles, Van Dyven, furent chargés d'engager les Gantois à accepter les clauses de l' Acte d'acceptation de l'archiduc, etc. (2).

Davidson, ambassadeur d'Angleterre, avait offert de se rendre à Gand pour fâcher d'aplanir les difficultés. Les Etats, espérant que la puissance, qui avait patronné Casimir, pourrait exercer sur les démagogues une heureuse influence, donnèrent à Davidson un mémoire contenant les points principaux sur lesquels il devait insister (4 novembre).

A son tour, le duc d'Anjou fit des offres et dépêcha à Gand Bonyvet, celui de ses conseillers qu'il croyait le

(1) Archives générales du royaume, à Bruxelles. Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 68.

(2) Documents concernant les relations du duc d'Anjou avec les Pays-Bas (éd. MULLER et DIEGERICK), t. II, p. 245.


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plus agréable aux Gantois, pour leur proposer sa médiation.

Une députation du magistrat et de la bourgeoisie d'Anvers se rendit à Gand et, le 7 novembre, fit auprès des démagogues de vives instances pour leur faire accepter les propositions des Etats généraux. Le 10, Bonyvet fit sa proposition , disant que les Gantois ne pouvaient choisir un médiateur plus équitable, moins suspect et moins passionné que le duc d'Anjou. « Quant aux prisonniers, ajouta-t-il, le mieux serait de les mettre entre les mains du duc, pour faire, comme serait trouvé bon, par avis commun des gens bien intentionnés à la patrie et en particulier de la reine d'Angleterre ».

Le 11, les députés des Etats développèrent leur mandat, insistant surtout sur le mécontentement des Etats du Hainaut et d'Artois envers ceux de Gand, mécontentement qui exigeait absolument que ces derniers donnassent satisfaction aux Wallons. Le même jour, Davidson déclara que les Gantois couraient risque d'être considérés comme anarchistes, que tout le monde appuyerait les efforts des Etats pour les forcer à la raison, que la reine désavouait le procédé du duc Casimir, et qu'elle exigeait d'eux de se conformer aux propositions du prince d'Orange et aussi de restituer les biens ecclésiastiques, autant qu'il en restait, d'accepter la Paix de Religion et de mettre les prisonniers en lieu neutre, ou bien entre les mains de sa souveraine.

Le 13, des députés de Bruxelles n'insistèrent pas moins sur la nécessité pour les Gantois de se conformer au voeu général.

Après bien des conférences tumultueuses, le 22, les Gantois déclarèrent qu'ils ne seraient tenus de rétablir le clergé catholique, que lorsque les Malcontents cesseraient leurs actes d'hostilité et quitteraient la Flandre,


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et lorsque les autres provinces accepteraient la Paix de Religion.

Les choses en étaient là lorsque, à la demande des Quatre Membres de Flandre, adressée aux États généraux, le Taciturne accepta de se rendre à Grand.

Revenons aux Etats des provinces wallonnes.

En exécution d'une résolution prise dans l'assemblée générale du 26 juillet 1578, les États de Hainaut expédièrent trois missives (1). Dans la première, adressée aux Etats généraux, ils se plaignent des violences commises par les Gantois, à Ypres, et prient les États d'y mettre ordre et en particulier de faire relâcher le grand bailli d'Ypres, Arthus de Ghistelles, prisonnier à Gand, afin que l'on connaisse qu'ils n'entendent pas « advouer tel faict ou préjudice de la Paciffication (de Ci and), voire contre le serment de nostre unyon » (27 juillet). Dans la seconde, écrite au magistrat do Gand, ils protestent contre la violation « de la Pacifficalion faicte et arrestée voire en la meisme ville de Gand » et de « l' unyon depuis jurée et rattiffyée ». « Ce nous est, disent-ils, merveilleusement grande amertume et qui nous serre fort le coer et les entrailles, quand considérons, d'une part, la foulle et les oultraiges qu'on exécute contre les gens de bien, contre les saincts sacremens, contre les églises et ymaiges, villes, chasteaulx et villaiges, magistrat/ et officiers légitimes de loy et justice, et d'aultre part, quant prévoyons que l'ire de Dieu en est provoqué pour nous fulminer et fouldroyer aux abismes ». Ils supplient le magistrat de réprimer de pareils excès, « faisant cesser les prêches et exercice de la religion nouvelle, et au surplus restablir les affaires sur le pied de la dicte Pacifficalion » (28 juillet). Ils exhalent

(1) Actes des États généraux, éd. GACHARD, t. Il, pp. 419-423.


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les mêmes doléances dans leurs lettres à Mathias et prient Son Altesse de réduire à la raison les perturbateurs « au maintènement de notre saincte foy et religion catholique romaine, sur le pied d'icelle Pacifficalion et unyon (20 juillet) ».

Jusqu'ici, ils restent fidèles aux Etats généraux, regardent les Espagnols comme «l'ennemy», et continuent de payer les subsides (1).

Les Gantois, renforcés parles troupes du duc Casimir, devenant de plus en [dus violents, les dispositions des Etats de Hainaut changèrent quelque peu. Le 13 octobre, les trois Etats se réunissent en assemblée générale, à Mons, pour délibérer sur une demande de subsides faite par Mathias. Le comte de Lalaing leur remontra «qu'il y avoit chose de beaucoup plus grande importance », à savoir que la religion se perdant de tous cotés, et « estant le ducq Casimir allé en l'assistence des Flamens», il était plus que nécessaire d'aviser au remède ; il demanda s'il ne serait [tas bon de choisir quelque protecteur. Là-dessus le clergé déclara (pie le meilleur moyen était de se réconcilier avec le roi; que, si cela ne pouvait se faire de si tôt, il conviendrait de chercher quelque protecteur pour conserver ht religion. Mais, afin d'y parvenir, il importait de former une ligue entre les provinces catholiques. La noblesse se conforma à cet avis. Les villes se déclarèrent également pour une entente avec les autres provinces « s'estans jusques à présent conduicts sur le pied de la Pacification de Ghaadl et unyon jurée, mais avec ht protestation expresse, de ne vouloir rien attenter contre le bien et avancement de la cause commune. On résolut d'envoj'er des députés aux Etats d'Artois et à ceux de

il) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. I, p. 403, n' 1226.


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Tournai, Lille, etc., avec une ample instruction touchant l'union des provinces catholiques (1).

Ce n'était pas encore la séparation ; mais la première parole tendant à une séparation des provinces, wallonnes était prononcée. Elle allait, quoique lentement, trouver un écho partout où les catholiques se sentaient menacés. Aussi, dès que les États généraux apprirent cette démarche des États de Hainaut auprès de ceux d'Artois, de Tournai, Lille, etc., ils s'empressèrent de dépêcher, à Mons, le seigneur de Froid mont et le secrétaire Martini (2), à Douai, Lille, Tournai et Arras, le conseiller Richardot et le seigneur de Aille (Guiberchies).

Les États de Hainaut se réunirent les 23, 24, 25 et 27 octobre. Après avoir entendu l'avis des trois ordres, ils prirent la résolution suivante : Attendu que les desseins de ceux de la nouvelle religion, tendant à la ruine de la religion catholique et de la noblesse et « conséquantement de touttes gens de bien, » auraient été mis à exécution sans la résistance de Montigny et des Wallons, il est nécessaire de s'appuyer sur quelque grand prince pour rétablir la religion. Ils décident donc « absolutement » de requérir le duc d'Anjou, en sa qualité de défenseur de la liberté contre la tyrannie espagnole, de prendre sous sa protection la Pacification de Gand et l'Union des Etats généraux, en implorant le secours de la couronne de France (3).

Celte résolution prise, les États de Hainaut reçurent en audience le seigneur de Froidmont et Martini.

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACIURD, t. II, p. 423. Instruction donnée par les Etats de Hainaut à Lancelot de Peissant, seigneur de la Haye, envoyé vers les états d'Artois, pour les engager à former une ligue des provinces catholiques contre les protestants.—

Lancelot de Peissant s'acquitta de sa mission, à l'assemblée du 25 octobre, à Bèthune. Voir plus loin, p. 318.

(2) Ibid., t. II, pp. 62 et 63, n" 1446, 1447, 1448, 1449.

(3) Ibid., p. 431. On se rappelle que le 23 octobre, Montigny accepta les renforts de troupes offerts par le duc d'Anjou.


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En vertu de leur commission, ceux-ci représentèrent comment les États généraux avaient vu à leur grand regret l'altération entre les Gantois et les soldats wallons qui se sont emparés de Menin, altération qui a poussé les premiers à appeler, de leur propre chef, le duc Casimir. Ils sont peines d'apprendre que le mécontentement causé par les Gantois à Montigny s'est tellement propagé, que quelques provinces prétendent faire des ligues particulières ; ce qui amènera la ruine du pays. Les États ont envoyé des députés à Gand avec charge d'induire les Gantois à restituer les biens enlevés aux gens d'église, à envoyer les prisonniers à Anvers et à obéir aux ordres de l'archiduc, du conseil d'État et des États généraux. Ils ont pareillement dépêché le seigneur de Bours vers les Wallons pour leur faire des offres raisonnables. Entretemps, ils prient les États de Hainaut d'exposer leurs griefs et de conserver la concorde avec les autres provinces (1).

En réponse à la proposition de Froidmont et de Martini, les Etats de Hainaut se plaignent des procédés des Gantois et justifient les soldats wallons et Montigny. Les insolences, disent-ils, et les excès insupportables auxquels les Gantois ont pu, grâce à la connivence, se livrer impunément, légitiment suffisamment la, conduite des Wallons. Soldats conduits par « commissaires de Son Altèze et des Estatz généraux », ils n'ont fait que se défendre. Les Wallons, qui avaient fait autrefois vaillamment leur devoir contre l'Espagnol et se sont encore offerts à rentrer au camp, méritaient un tout autre traitement. Mais « sans les payer, employer ny casser » on les a abandonnés et négligés, les obligeant à vivre aux dépens du pauvre peuple. Et cependant, à double et triple dépense, on

(I) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 428.


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a engagé des soldats étrangers, tous hérétiques, dont on n'a pas à se louer. Les Flamands ont laissé débarquer dans leur province des compagnies d'Anglais et d'Ecossais, au moyen desquels ils ne se contentent pas de ruiner le pays, à l'exemple des Espagnols, mais étouffent la religion catholique, suppriment la noblesse, élèvent aux offices publics des gens de vile condition : de là tous les massacres, les pillages, les saccagements dont nous sommes témoins.

Les Gantois n'avaient aucune raison d'appeler le duc Casimir contre les Wallons, ceux-ci n'étant pas sur leur territoire. D'ailleurs, ils avaient des intelligences avec lui avant l'arrivée des Wallons en Flandre. Montigny, loin d'être digne de blâme, mérite des éloges pour avoir, en vertu de son serment à l'Union, voulu assister les envahis et les captifs. Tandis que d'autres provinces se liguent au préjudice de l'Union et de la Pacification de Gand, (1), nous avons exposé aux provinces voisines la situation misérable du pays, afin de trouver les moyens de maintenir cette union générale et la Pacification de Gand. La mission des députés vers les Gantois est assez raisonnable ; mais, vu l'obstination de ces derniers, elle a peu de chance de succès. Il y a tout autre chose à attendre des Wallons, dont les exigences sont justes et équitables, conformes même aux instructions qu'a reçues la députation.

Les Etats de Hainaut prient donc les Etats généraux de remédier à la situation. Pour cela il semble que la Pacification de Gand et l'union générale « doibvent estre tout premier remises en leur intégrité, spécialement regardant la foy et religion catholique"; du moias que, es villes ou provinces dont elle a estée deschassée,

(1) C'est une allusion aux agissements des provinces du Nord qui préparaient Y Union d'Utrecht.


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l'exercice publicque d'icelle soit restably eu toutte sceurté et liberté, les ecclésiasticques réintégrez en leurs églizes et tous les biens d'iceux et de tous aultres restituez ; les prévilègos et usaiges anciens maintenus et conservez ; les prisonniers tenus contre lesdicts prévilèges, mis en plaine liberté, du moins renvoyez en lieu où Son Altèze, conseil d'Estat et Estatz généraulx poêlent absolutement. commander, etc. » (27 octobre 1578) (1).

Les Etats de Hainaut écrivent le même jour aux Etats généraux : Nous avons toujours désiré « que la cause commune fût maintenue avanchée et conservée, suyvant le premier fondement de l'union, qu'est la Paciffication de Gand ». Les Wallons ne prétendent autre chose que coque fout homme raisonnable doit désirer. 11 incombe aux Etats généraux « qui ont commandement » sur eux, d'amener les Gantois à se ranger (2).

L'attitude des Etats de Hainaut est digne d'être remarquée. C'est la première fois qu'ils identifient leur cause avec celle de Montigny et des siens. Us ne s'en sépareront plus.

Passons aux Etats d'Artois.

Pendant le mois d'octobre eurent lieu dans cette province deux événements qui mirent fin aux agissements des factions orangistes de Saint-Omer (Sinoguets) et d'Arras ( Vert-vêtus).

Par lettre du 22 septembre 1578, Mathias avait ordonné aux Etats d'Artois de se réunir à Arras, le l 01' octobre, aux fins « de prendre une bonne briefve et fructueuse résolution » sur une demande de subsides et sur « le faict de la religion-frid en la dernière assamblée proposée ». Après avoir entendu de Beaurepaire, député

(1) .Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, l. c, p. 433.

(2) Ibid., p. 441.


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de l'archiduc, les Etats d'Artois déclarèrent être « unaninement résolus, comme autresfois de ne recepvoir et admectre en fachon que ce soit ladicte religion-frid, tant pour estre icelle répugnante à la loy divine, contraire à l'union et Pacification de Gand tant solempnellemeat jurées, comme pour ne servir de repoz en la république chrestienne, mesmes au contraire causer divisions sanglantes et immortelles » (T).

Après cette déclaration, les Etats d' Artois s'ajournèrent jusqu'au 14 octobre, pour aviser sur la question des subsides, et, « obstaut la maladie contagieuse » régnant à Arras, résolurent de se réunir à Béthune, ville plus « commodieuse » et située au milieu du pays d'Artois (2).

Dans l'intervalle les villes d'Artois firent connaître leur opinion en donnant leurs instructions à leurs députés aux Etats d'Artois (3).

A Saint-Omer, la consultation se fit les 8 et. 9 octobre. La séance du 9 s'ouvrit par un incident. Le seigneur d'Esquerdes (4) prenant la parole, en présence du magistrat, des notables, des seigneurs de Ruminghem (5), de

(1) Réconciliation des provinces wallonnes, t. I, fol. 400.

(2) La maladie contagieuse n'était qu'un prétexte. En réalité les Etats d'Artois, résolus à rejeter la Paix de Religion, ne croyaient pas pouvoir délibérer en sécurité dans une ville où dominaient encore les oert-r.êtus et la faction des Quinze.

(3) Les députés des villes n'étaient que des députés muets. Ils venaient écouter les proposions faites aux Etats, les rapportaient au magistrat communal, et celui-ci, d'accord avec la commune, leur donnait le mandat impératif d'aller voier aux Etats dans tel ou tel sens.

(4) Eustache de Fiennes, seigneur d'Esquerdes, était le meneur véritable, mais secret, de la faction orangiste de Saint-Omer. — Voir: O. BLED, La réforme à Saint-Omer et en Artois jusqu'au traité d'Arras. Saint-Omer, 1889.

(5) Eustache de O03', seigneur de Ruminghem, grand bailli et gouverneur de Saint Omer.


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Câpres (1) et de Masnuy (2), excusa les Gantois, exposa leur ferme volonté d'établir partout la Paix de Religion, et leurs menaces contre les villes, qui refuseraient de se joindre à eux pour repousser les Malcontents (3). Cette harangue n'obtint pas le succès que le chef orangiste en attendait. En effet, le docteur Malpau et A. Doresmieulx furent députés pour porter aux Etats d'Artois les résolut ions suivantes de la ville : « En premier lieu déclarerez que depuis cinq jours enchâ s'est par deux diverses fois faict grande assemblée de bourgeois notables et communaulté de ceste ville, pour cause que le, bruyt estoit que l'on debvoif admectre la liberté et les presches, estans de ce fort esmeus ; et à la dernière desdictes assemblées | du 9], protestèient en la présence do monseigneur de Câpres, gouverneur du pays et comté d'Artois de jamais admectre ladicte liberté, ains au contraire promirent tous de maintenir et conserver inviolablement la Pacification de Gand et la déclaration depuis sur icelle ensuivie, en icelle vivre et mourir jusqu'à la dernière goutte de leur sang, comme aussi avaient faict le jour précédent, tant M. de Ruminghem que tous ceulx du magistrat unanimement avec ceulx de leur conseil et la plus part des dix jurés pour la communaulté; déchirant en oultre qu'ils n'estoient intentionnez de fachon quelleconque d'entrer en la religiou-fridt, d'aultaaf qu'elle contrevenoit directement à ladicte Pacification de Gand » ('!).

Antoine Sinoguet et François Sara, les agents fougueux

(1) Otidart de Bournonville, seigneur de Câpres, alors commis au gouvernement d'Artois, en l'absence de Kouert de Melun, vicomte de Gand.

(2) Nicolas d'Aubremont, seigneur de Masnuy. commandant de la garnison de Saint-Omer.

(3) O. BI.ED, op. cit., p. 121.

(4) Ibid., p. 127,


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du seigneur d'Esquerdes, devenus odieux à la bourgeoisie, durent quitter la ville. C'était la chute des Sinoguets à Saint-Omer.

«Cette attitude de Saint-Omer, dit M. Bled, eut dans les pays circonvoisins un grand retentissement ; do la Motte la regarda comme le commencement du triomphe du parti catholique et royal en Artois, et il en informa aussitôt Philippe II, qui écrivit aux bourgeois de SaintOmer pour les féliciter de cet heureux changement » (1).

Dans leurs premières réunions à Béthune, les Etats d'Artois se préoccupèrent surtout des désordres d'Arras. Doresmieulx et Baudouin, chanoine de Béthune, furent députés auprès de Mathias pour obtenir que l'on « casse le capitaine Ambroise et destitue les Quinze de leur authorité comme les sources et racines de fout le malheur ». Depuis le 6 octobre les Orangistes terrorisaient la ville. Ils avaient jeté en prison les magistrats, menaçant de les mettre à mort. Les catholiques organisèrent la résistance et délivrèrent les prisonniers. Les échevins rendus à la liberté se réunirent avec le conseil d'Artois, destituèrent les Quinze, firent arrêter les principaux meneurs et instruisirent leur procès. Les avis étaient partagés quant à la question de savoir quel châtiment on infligerait aux coupables. Pendant la discussion survint de Câpres, rentré d'Halluin. « 11 effaça leur différent en ung moment, dit Pontus Payen, remonstrant en peu de parolles qu'il falloit pensser à punir les meschantz et repurger la ville de cette peste de calvinistes qui l'avoient tant affligée depuis ung au, qu'elle avoit esté réduicte finablement à trois doigtz de sa ruine ». Pierre Bertoul, Valentin Mordacq et Allard Crugeot furent pendus le 23 ; Nicolas Gosson eût la tète tranchée dans la

(1) 0. BLED, op. cit., p. 129.


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nuit du 25 au 20 ; cinq autres périrent par la corde quelques jours après ; plus de soixante séditieux furent bannis de la ville « sur la hart » (1). C'était la fin des vertvêtus à Arras et la perte de la cause de la réforme en Artois.

Le samedi 25 octobre (2), dans rassemblée des Etats d'Artois, réunis à Béthune, Lancelot de Peyssant s'acquitta de la mission que lui avaient confiée les États de Hainaut au sujet d'une ligue entre les provinces wallonnes.

Il est plus que notoire et manifeste, dit-il, que dans le traité de Pacification conclu à Gand, entre toutes les provinces pour se débarrasser des Espagnols, on a expressément stipulé, promis et juré « de n'attempter chose du monde ny faire aucun scandai par dechà contre l'anchienne foy et religion catholicque apostolicque et romaine », et ce point à été confirmé «par exprès » dans l'Union de Bruxelles. Malgré cela « l'on perchoipt et descouvre à tous costez que les sectaires et héréticques se desbendent à fouttle oultrance, faisant presches et exercices publicques de leurs sectes et religion pestiférées, ruynant et prophanant les sainctz sacrementz, cloistres et abbayes, saccageant les églises et imaiges, chassant et massacrant les gens ecclésiasticques et boas oatholicques, surprenant et outrageant monastères, villes et chasteaux, forçant, violant et abusant des filles sacrées et d'autres femmes et filles pudicques, usurpant et appliquant à leur desseing et volunté les biens et revenus du crucifix, emprisonnant et exécutant par grande infamye évesques, prélatz, seigneurs et honorables personnaiges

(1) Mémoires de PONTUS PAYEN, éd. HENNÉ. Bruxelles, 1861, t. II, p. 1C6, suiv.

(2) M. Gachard (Actes des Etats généraux, t. II, p. 55), dit que Lancelot de Peyssant fit sa proposition le 26. Or, le 26 étant un dimanche, les Etats ne siégeaient pas ce jour-là.


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justes et innocentz, renversant tout ordre de justice et police de magistratz et d'officiers légitimes et de toutte anchienneté accoutumez, menant, ad ces fins, gens et artilleryeen campaigne, et faisant tous actes d'hostilité ». Ils veulent anéantir la noblesse « et finablement tous gens de bien et bons catholicques ». Ils ne sont si audacieux que parce qu'ils sont excités par ceux qui « ont le plus juret et prommis, signez et ratifiiez ladicte Pacification » et qui, pour le moins, devraient montrer que cela leur déplaît et devraient aider à réprimer de pareils excès. Bien plus, celui qui « mercenairement et à la sy grande cherge du pays » est venu pour le secourir (1), donne assistance à ces révoltés.

Pour obvier à tant de malheurs, il est nécessaire « que les provinces les plus entières et qui se sont jusqties à présent maintenues sur le pied de la Pacification de Gand et union jurée empoignent les affaires à meilleur eschient... non pour attempter chose nouvelle et contraire au bien de la cause commune, mais soubz protestation bien expresse de se maintenir et conserver, suyvant les termes de ladicte Pacification et Union, contre la plus que barbare insolence et tyrannie, excédant l'espaignolle, desdis sectaires et leurs adhérens... ». Puisque la Hollande, la Zélande, la Flandre et d'autres provinces se liguent « et des bendent à mal faire » (2), il faut que « pour bien faire, les provinces, estatz et villes catholicques, si comme Arthois, Lille, Douay et Orchies, Tournay, Tournésis, Valenchiennes et Haynnau se joignent et unissent bien estroictement sur ce faict, et que par une bonne et mutuelle correspondance advisent de se maintenir, conserver la foy, et eslanchier, voires repoulser et

(1) Le duc Casimir.

(2) Allusion à la ligue des provinces septentrionales qui aboutit à l'Union d'Utrecht.


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rèprymer une telle violence» ; leur exemple en entraînera d'autres. Si notre union, qui n'est que « l'exécution de la première tant solempnellement jurée », est mal interprétée par les sectaires parjures, ce n'est pas une raison de tout laisser ruiner. « Il y va la gloire, honneur et service de Dieu, la conservation de notre saincte foy et religion catholicque, apostolicque et. romaine, ensemble de la noblesse et de tous bons catholicques, leurs honneur, vie, femmes et enfans et possessions » (1).

Rien ne fut résolu ce jour là concernant la ligue; mais, le 27, les Etats d'Artois s'adressèrent aux Etats généraux en des termes qui devenaient menaçants. « N'avons voulu faillir, disent-ils, vous remonstrer, comme avons faict à Son Altèze, qu'avons toujours désiré et désirons de nous maintenir en tout et partout, en conformité de son commandement et de la Pacification de Gand: ne se trouvant, qu'avons donné, en façon quelconque, occasion à nulz de l'union de malcontentement, comme ne ferons jamais sy à ce ne sommes conslruintz, qui seroit à nostre grand regret ». Nous voyons des perturbateurs et ennemis du repos public violer la Pacification de Gand, « et mectre tout en combustion et désordres à sacq et ruine les abbaies, monastères, églises et chasteaulx des gentilz hommes de nostre voisinance au pays de Flandre, mesine bruslé le cloistre de ht prcvosté de Vormezelles, estant les religieux déchassez et exilez, s'efforçans davantaige de fortifier aulcuns lieux prochains des villes de ce dict pays d'Artois, empeschans entre aultre la libre navigation de la rivière de Sainct-Omer; quy sont actes de guerre et hostilité, par lesquelles actions, voyons évidemment qu'ilz sont intentionné/, de faire le mesme en ce pays d'Artois ». Ils

(1) Actes des États généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 423.


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terminent en requérant les Etats généraux de réprimer les excès des perturbateurs (1).

Richardot et de Ville, députés par les Etats généraux, arrivèrent à Arras le 30 au soir. « A nostre grand regret, écrivent-ils à leurs mandants, y avons trouvé un changement plus luctueux que nous ne pensions... ; et de ce que nous aurons négofié avec les Etats d'Artois, qui se doibvent assembler la sepmaine prochaine icy ou à Béthune, ne fauldrons advertir Vos Seigneuries ».

A la demande du magistrat. d'Arras, assurant que « par la grâce de Dieu et la bonne bourgeoisie » la tranquillité était assurée, les Etats se rassemblèrent dans cette ville.

Richardot (2), de la part de l'archiduc, tâcha de dissuader les Artésiens a de faire plus eslroicte alliance ou confédération avec ceux de llaynaut ». A son tour Thierry d'Oflignies, seigneur de Callovelt, insista sur la proposition que son collègue Lancelot de Peyssant avait faite le 25 octobre. « Il représenta, écrit Sarrazin, prieur de Saint-Vaast (3), bien au long les ruses machiavelliques desquelles le prince d'Oronges avoit uzé jusques à ce jour pour exterminer la religion ancienne et planter la nouvelle, qu'il estoit désormais temps d'ouvrir les yeux, et puis qu'ils s'estoient plus estroitement associez contre les catholiques qu'il nous estoit loisible de faire aussy le mesme ».

Après que Richardot et d'Offignies se furent retirés, les Etats discutèrent la question de la ligue. Les opinions étaient partagées. Le 12 novembre, la ville d'Arras avait exprimé l'avis de sommer les Gantois de tout rétablir

(1) Actes des Etats généraux, éd. GAOUAKD, t. II, p. 443.

;2) Guiberchies, seigneur de Ville, collègue de Richardot, avait pris peur et était parti avant la réunion des Etats.

(3) Réconciliation des provinces wallonnes, t. Il, fol. 41. Lettre de Sarrazin au prince de Parme, 17 novembre 1578.

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en état, conformément à la Pacification de Gand; elle avait déclaré que si ceux-ci ne s'exécutaient pas incontinent, elle était dès maintenant pour lors entrée en ligue et union plus étroite avec les pays wallons ; elle avait déclaré en outre qu'elle ne voulait plus entendre parler d'introduire la Paix de Religion. (1). Les Etats d'Artois n'allèrent pas aussi loin ; ils voulurent au préalable connaître les intentions des Etats de Lille. Douai,

(1) Le ton de la déclaration du magistrat et des bourgeois d'Arras est singulièrement énergique. En voici la teneur :

« Le mercredy XII jour de novembre XV LXXV1II, messieurs majeur et eschevins de la ville d'Arras ont faict assambler la bourgeoisie d'icelle en leur chambre de conseil, où se seroint aussy trouvez Monseigneur de Câpres, gouverneur général d'Artliois et de la dicte ville et cité d'Arras, Messieurs du Conseil d'Arthois. ensemble Monsieur le lieutenant général et officiers de la gouvernance d'Arras, pour leur communiquer la proposition faicte aux Estatz d'Artois par les Estatz de llaynaut et sur icelle avoir leur advis. Lesquelz bourgeois joim-tement avecq mondict sieur de Câpres et mesdicts sieurs du Conseil, officiers de la gouvernance, majeur et eschevins. après avoir heu lecture d'icelle proposition, ont esté et sont d'advis de députer vers Son Altéze et Messeigneurs les Estâtz, génèraulx, ensemble escripre à Messieurs de Gand que, en conformité de l'èdiet de Daei/ication de Gand par eulx sy solempnelleiuent jurée, ilz ayent à le tout restablir et remectre au premier estât, restaurant les églises et monastères ruynees, ensemble les ecclésiasticques en tous leurs biens et prévilèges et tous autres oppressez, et donner ordre à ce que ladicte Pacification de Gand soit promptement par toutes les provinces unies entretenue en tous ses pointz ; et à ces fins par lesdicts de Gand eulx déporter de plus surprendre, envahir par armes ny autrement aucunes villes, bourgades ny autres places ; et oLI ilz ne voulilroyeut à, ce entendre incontinent et le dèmonstrer par effect, lesdictz d'Arras sont dès maintenant pour lors entré en ligue et union plus étroicte avecq les pays de Haynault. Lille, Douay etOrcbies, Tournay et Tournesiz, Valenchiennes et autres villes et provinces, seigneurs et potenlalz qui voldront suyvre et entretenir ladicte Pacification, tenans audict cas pour ennemis tous ceulx qui ont favorisé et favoriseront à ceulx tontrevenans à ladicte Pacification comme perfides et perturbateurs du repos publicq ; déclarans en oultre par lesdictz d'Arras qu'ilz ne veullent plus oyr parler d'introduire en icelle ville la religionvrede, laquelle ilz détestent et abhorent du tout pour les raisons par cy-devant par eulx alléghuèes ». Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 30.


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Orchies, Tournai, Tournésis et Valenciennes. Ils proposent donc aux Etats de Hainaut d'envoyer vers ces villes des députés hannuyers et artésiens, qui rendraient compte de leur mission à l'assemblée générale du 1er décembre, à Arras (1). D'autre part ils écrivirent à Mathias. D'abord en réponse aux demandes de Beaurepaire (2), ils consentent à la continuation des moyens généraux ou subsides, sous certaines conditions, et renouvellent le refus d'admettre la Paix de Religion, contraire à la Pacification et à l'Union jurées (3). Ensuite, en réponse à l'invitation faite par Richardot de ne pas se « distraire de l'union générale par aucunes ligues ou unions particulières », « sommes oathièrement résolus et intentionnez, disent-ils. de maintenir et garder inviolablement la Pacification de Gand et l'Union depuis ensuyvie, tant solempnellenient jurée et ratiffiée par les prorinces, sans aucunement nous en vouloir départir ; suppliant Vostre Altèze qu'il luy plaise commander et ordonner à toutes autres provinces comprinses en ladicte union faire le semblable; vomillans bien représenter à Vostre Altèze que l'on trouve estrange les insolences, excez et outraiges que commectent journellement aucuns Gantois et leurs adhérons endroict les ecclésiastiques nobles et particuliers, contrevenans directement au couteau de ladicte Pacification par eulx jurée ; et d'aultant que par icelle Pacification chacun se trouve obligé et chargé subvenir, ayder et secourir ceulx qui se trouvent lésez par les infracteurs de ladicte Pacification tant en général qu'en particulier. Requérons qu'il plaise à Vostre Altèze d'à toute diligence, ordonner ausdictz

(1) Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol 32. Lettre des Etats d'Artois aux Etats de Hainaut, 15 novembre 1578.

(2) Voir pp. 311, 315.

(3) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 81, n' 1496.


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Gantois et autres leurs adhérens, d'eulx déporter de telles insolences, excez et oultraiges, restablissanttous oppressez en leur pristines dignitez honneurs liberté/ et biens comme ils estoient auparavant lesdictz excez commis. A faillie de quoy (à noslro grandissime regret), serions conslrainclz pour acquit de nostre foy, serment et obligation, assister les oppressez par telle voye et moyen que trouverons convenir, avecq ceulx quy pour pareille descharge de serment et obligation vouldront faire le semblable... » (1).

Sarrazin, prieur de Saint-Vaast, ap])récie en ces termes le résultat de la dernière session des Etats d'Artois et la situation politique de la province :

« Les affaires vont ichy de bien en mieulx, écrit-il le 17 novembre à de la Motte, et l'on s'est entièrement déclairé contre les Ganthois et leurs adhérens, d'où résoudra une guerre, quy sera cause que nous nous réconcilierons au roy. A quoy je voy que l'église, presque toute la noblesse et une grand'partie des villes tendent l'oreille ». El comme le 1er du mois do décembre « de toutes les provinces quy se vouldront unir pour réprimer l'insolence des Ganthois l'on se doit ichy assembler pour, de main commune, adviser des moiens pour maintenir la Pacification de Gand, Son Excellence fera bien d'envoier lettres aux estatz ecclésiastiques, nobles et bourgeois?], mesnie députer quelqu'un pour y comparoir. Et suis fort estoné que le pontife | Matthieu Moullart, évêque d'Arras] ne retourne, pour le moins qu'il ne vient sur les lisières, d'où il escripvra au gouverneur, magistrat et peuple de ce lieu comme debvés aussy faire. Vous m'avés requis de tant faire vers monseigneur de Câpres qu'il ne s'allia avec le duc d'Alençoa, et ce, par promesses, et toutes aultres voies possibles. Ce que j'ai effectué l'asseurant sur ma vie

(1) Archives départementales à Arras. Reg. des Etats d'Artois, A, fol. 375. Réconciliation des provinces teutonnes, t. I, fol. 466.


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et honneur que, s'il vouloit maintenir la religion catholique et l'obéissance de Sa Majesté, que je luy feroy avoir le gouvernement général de ce pays et le particulier de Hesdin, comme le visconie l'a des Estais généraux. Or il me l'a juré et promis, et quy plus est, m'en a donné sa lettre escripte et signée de sa main propre » (1).

Récrit, le même jour, au prince de Parme (2) : «Ce faict [les discours de Richardot et d'Oflignies enfendus], et lesdits députez retirez, se feirent plusieurs conférences ; car comme l'assemblée estoit grande, aussy le faict fut fort débatu. Enfla toutesfois a été unanimement résolu, arresté et conclu de maintenir la Pacification de Gand en tous ses points, et l'Union depuis ensuivie, mesmes d'eu advertir l'archiduc Mathias affin qu'incontinent il donne le remède convenable aux foullesel excès (pue journellement commettent les Ganthois, ou bien qu'ilz s'efforceront de le faire, et que pour cest effect ils y emploieront corps et biens et prendront toute l'assistance quy se présentera.

» Il avoit, esté advisé d'escripre, qu'à faillie de ce que dessus, l'on se réconcilieroit au roy ; mais depuis a esté trouvé meilleur de l'effectuer que non pas de le dire. Ce que j'espère et m'asseure se fera, par la grâce de ce bon Dieu, et sont venues bien à propos les lettres do Vostre Excellence que l'on a donné chairge do communiquer au peuple quy y preste l'oreille. Il a esté davantaige arresté d'envoyer certains députez avec ceux de Ilaynault vers Lille, Douay, Orchies, Tournay, Tournesy et Valenchiennes, pour sonder s'ilz ne se vouldroient point joindre contre, les infrac tours de ladicte Pacification., affin que par main commune l'on puist adviser des moiens, et à

il) Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 40.

(2) Alexandre Farnèse, prince de Parme, avait, succédé comme gouverneur général des Pays-Bas à don Juan d'Autriche, décédé le 1" octobre 1578.


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cest effect envoier leurs députez suffisamment authorisez au dernier de ce mois en ce lieu, pour le lendemain, 1er du mois de décembre en assemblée généralle quy se tiendra, resouldre de ce quy sera le plus proffitable. Je sety bien que ceulx de Ilaynault tiennent le party du duc d'Alonçon et qu'ils le nous proposeront ; mais ce sera en vain, car nous voulons recognoitre le roy, et se fera indubitablement si l'on retire les Espagnolz et que l'on laisse gouverner les naturels ; de quov je les ay asseuré et asseure journellement, voire à voix haulte et claire, tant les affaires sont changées, qu'il n'est plus criminel de parler do se réconcilier au roy, mesmes vous n'oies presqu'aufros propos. Et comme il y en avoit de plus timides, pour la souvenance des choses passées, je leur ay remis le coer au ventre, et vous puis asseurer de l'église, et presque do toute la noblesse. Au regard du peuple il n'en va point long, moiennant que les Espagnolz se retirent...

» J'ai tant faict que le seigneur de la Thieuloye s'est

déclairé Le mosme ont faict quelques aultres que

cognoissés. Davantaige je veis hyor lettres escripfes de la main du seigneur de. Morhecque, gouverneur d'Aire, quy contenaient que les sieurs de la Motte et de Montigny s'étoiont retrouvez à Saint-Omer et qu'illec après plusieurs conférences avec le sieur de Manuy ils s'étoient résolus de vivre et mourir pour l'entretènement de la Pacification de Gand, et ledicf sieur de la Motte debvoit furnir gens et argent, mesmes qu'il a povoir du roy de traiter avec ceux quy se vouldront recognoitre (1), à condition de retirer les Espagnolz. laisser gouverner les

(1) Depuis le 11 septembre 1578 Philippe 11 avait envoyé à de la Motte l'autorisation d'accorder en son nom l'oubli du passé aux villes et aux particuliers qui rentreraient sous son obéissance et garderaient inviolablcment l'exercice de la religion catholique.


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naturels, moiennant les deux poincts. Quy a esté cause que ledict de Montigny a envoie le sieur de Boidinghem vers les sieurs estans présentement à Mons pour sur ce sonder leurs volontez ; et en attend l'on responce. Les sieurs de la Comté et de Prove se sont aussy déclairez. Mais quy est bien le principal, et duquel par vos dernières craindiés le plus, le sieur de Câpres est gaigné et est des nostres

» L'on tient que le duc d'Alençon a la maladie, et en est mort un gentilhomme du conte de Lalaing » (1).

Si la question de la ligue entre les provinces wallonnes n'était pas encore résolue, par contre, il se dessinait déjà un mouvement vers la réconciliation avec le roi d'Espagne.

Avant donc de suivre les travaux des Etats d'Artois dans leur session fixée au 1er décembie, considérons un instant les efforts déployés par le prince de Parme et par de la Motte pour ramener les chefs militaires et les provinces wallonnes à l'obéissance royale.

Le 13 novembre Valentin de Pardieu eut avec Montigny une entrevue à Watten, dans laquelle furent débattues les premières conditions d'une réconciliation avec le roi. Le lendemain, 14, une réunion plus nombreuse se tint à Saint-Omer. En présence de Montigny, Ruminghem, Masnuy, Bois-d'Enghien, Prove, etc., de la Motte fait connaître « que Sa Majesté désire et entend exposer tous les moyens pour parvenir à ung repos général entre ses subjects, offrant pour ceste cause deniers pour estre employés selon et au lieu qui se trouvera convenir, et que jà bonne somme est reposant en la ville de Gravelinghes avecq bonnes et sceures assignations pour plus grande somme.

(1) Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 41.


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» Oultre, offre de faire rentrer les Espaignolz et estrangers de quelles nations qu'ilz soient, et pour son service employer, en tous estatz et offices, naturelz de pardeça et non aultres, n'est que par ledict païs mesme en soit requis avoir d'aultres.

» Davantaige, S. M. entend et promet de maintenir chacun païs ville et communaultez, en tous et quelconques ses privilèges.

» Aussy, qu'icelle ne se resouviendra d'aulcunes choses passées, ains que le tout sera réputé pour non advenu.

» Le tout à condition que la foi catholicque et apostolicque romaine et sa deue obéissance seront observées ensuy vaut la Pacification de Gand et Union ensuy vie» ( 1 ).

« Lesquelles conditions et articles ont semblé bien justes et raisonnables, moyennant qu'il plaise à S. M. donner tout contentement raisonnable à Mgr le duc d'Anjou, pour ce que confessons et sçavons luy estre deubt et appartenir, soit par voye d'alliance ou aultrement ».

(I) O. HI.ED, La Réforme ci Saint-Omer et en Artois, p. 147. (Je document, qui est une minute sans date reposant aux archives de Saint-Omer et intitulé : Discours faict par M. de la Motte et ad ris sur le redressement des affaires de ce pays en présence de plusieurs seingneurs et gentil; hommes bien collectionne.:- au salut, tranquilité et repos du pays, semble être, dit l'auteur, un résumé succinct des propositions faites par de Pardieu dans la réunion de Saint Orner. Nous croyons que cela est vrai, et que les lignes qui suivent expriment l'accueil que firent les seigneurs il ces propositions. En effet, d'une part, M. Bled observe qu'à ce document est annexée une copie de requête au roi, par laquelle des gentilshommes du pays demandent à Sa Majesté d'accepter le concours d'Anjou qui les a déjà beaucoup servis. Moyennant les conditions « icy joinetes » du S. de la Motte, « Artois, Haynaut, Lille, Douai, Orcliies, Tournai et Tournesie » resteront fidèles à Dieu et au roi, même prendront les armes. D'autre part, de la Motte, rendant compte de la réunion de Saint-Omer au magistrat de Dtinkerque, dit : «avons trouvé quelque bon expédient pour nous maintenir en la foy de Dieu et son esglise catholique romaine, obéissance de notre prinche naturel, garder et observer les privilèges en conformité d'ung escript qui val icy joinct qu'avons faict aupa-


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La nouvelle que les chefs militaires s'étaient rencontrés à Saint-Omer se répandit bientôt dans toutes les villes de la région et y suscita des appréhensions. Le seigneur de Câpres se chargea de rassurer les villes. En qualité de « gouverneur provincial de ceste conté », il les assure que Saint-Omer ne songe pas à sortir de la « Pacification de Gand et de l' Union ensuivie », pour laquelle tous doivent employer « bien, maisons et propres vies », comme il l'attend de toutes les villes. Ni Montigny ni la Motte ne sont regardés comme infracteurs « de la dicte Pacification de Gand et Union ensuivie » ; si non, de Ruminghem, le magistrat avec sa bourgeoisie, Masnuy avec ses troupes ne les auraient voulu admettre. Que le Créateur nous donne à fous la grâce « de ne jamais départir ung seul brin de nos sermons et promesses conformes à la dicte Pacification de Gand et Union ensuivie » (1).

D'ailleurs, à cette époque, de Câpres était gagné à la

ravant. (Correspondance de Valent in Pardieu, éd. DIEGERICK, p. 252. Lettre du 15 nov. 157S). Puis, dans sa lettre du 16 novembre au prince de Parme, le gouverneur de Gravelines écrit: «de là (île Watten) (Montigny et moy) sommes allé à Saint-Omer le lendemain, où nous avons traicté avec Messieurs de Reminghem, de Mannuy et plusieurs aultres gentilzhomines quy se sont tous rèsoluz de vivre et moi ir pour la conservation de la foy et religion catholicque et la deue obéissance à Sa Majesté, moyennant que icelle accorde les articles quy ont esté dressés en conformité de son intention. Ils donnent espoir de réduire les provinces de Henault, Artois, Lisle, Douay, Orchies, Tournay et Tournésis et de déclairer la guerre au prince d'Orenges et ses alliez et de réduire par force d armes tous ceulx de pardeça quy ne se vouldront remectre en l'obéissance de Sa Majesté et conserver la religion catholicque par effect. Et quand au traicté de Gand dont il est faict mention, voiant que les affaires estoient en tielz termes que la voluntè inclinoit du costel des François, afin de les réduire de plus en plus en division et diffidence, j'ay condescendu pour ouverture de traicté qu'il en fût faict quelque mention ». (Réconciliation des provinces wallonnnes, t. II, fol. 35).

(1) Archives de Saint-Omer. Correspondance du Magistrat, 22 novembre 1578. Citation de M. BLED, La Réforme, etc., p. 150.


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cause royale. Il avait donné à Sarrazin, prieur de SaintVaast, un écrit signé de sa main, par lequel il jurait de vivre et mourir pour la religion catholique et le service du roi ; il avait fait la même déclaration « en pleine assemblée des Estatz d'Arthois, à hatilte voix » (1).

Les seigneurs de la Thieuloye, de la Comtée, de Boisd'Enghien, de Morbecque, de Prove s'étaient également déclarés (2).

Quant à Montigny, son attitude semble mystérieuse ; elle le sorti bien longtemps encore. 11 ne rejeta pas les propositions do la Motte ; mais, tout en affirmant de s'employer do tout son pouvoir à maintenir la religion catholique, il répondit qu'avant de prendre une décision il désirait « avant tout entendre la volonté des provinces plus catholicques, si comme de ceulx de Hannau, d'Arthois, Lille, Tournay et aultres, ensemble de M. le ducq d'Arschot, conte de Lalaing, et aultres mes parens et amys » (3). A cet effet, il envoya Bois-d'Enghien à Mous pour traiter avec les seigneurs au sujet de -la réconciliation avec le roi, tandis que lui-même se dirigeait vers Hondschooto pour préparer une expédition concertée

(1) Voir p. 324 et Correspondance d'Alexandre Farnêse, éd. GACHARD, dans les Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 2" série, t. IV, p. 399.

(2) Voir p. 326.

(3) ("est du moins ce qu'affirme Montigny dans sa lettre du 13 décembre 1578 à de la Motte.

« Et quand à ce qu'ilz désiroient sçavoir ce quy me pourroit avoir diverty de continuer ce que avons commenché de traicter à YVaeten et St Orner, je n'ay en riens changé d'avis. Mays comme je dis lors que ne povois, nommément estant si joeusne et sy peu expérimenté, riens rèsoultlre de moy mesme, et que désiroys avant tout... ». Réconciliation, etc., t. II, fol. 115. Les Documents historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et J. DIEOEUH K, t. I, p. 63, reproduisent cette lettre d'après une copie défectueuse. On y trouve « le S~ de Poiecqnes » au lieu de « S' de Floyecques » et « estant icy jensui de si peu expérimenté » au lieu de « estant si joeusne et sy peu expérimenté ».


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avec la Motte et Masnuy contre Bergues Saint-Winoc. Cette expédition dut être remise, à cause d'un différend avec les Français et de la prétention de Baligny de prendra part à l'occupation de Cassel. Les Français, qui exerçaient en Flandre des ravages insupportables, refusaient absolument d'obéir à Montigny. Comme ils étaient plus nombreux que les Wallons, le chef des Malcontents se rendit en personne à Mous pour demander au duc d'Anjou le rappel des troupes françaises (1) et en même temps pour traiter de l'affaire de la réconciliation (2). Que fît-il à Mons ? Il est bien difficile de le savoir exactement. En effet, nous sommes en présence de trois versions différentes. D'après les Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, Montigny pria le duc d'Anjou de faire retirer ses soldats hors de Flandre « pour le tort que le seigneur de Baligny luy faisoit ». Le duc y consentit et rappela Baligny, laissant à Montigny les troupes que celui-ci désirait garder. Les régiments de Combelles et de Chanel restèrent ; les autres rentrèrent en France. Cette version s'accorde avec le récit de la Motte au sujet du différend, entre Français et Wallons (3), mais, comparée avec la seconde, elle est incomplète (4).

(1) Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, éd BLABS, p. 28-30.

(2) Lettres de la Motte au prince de Parme, du 16 et du 25 novembre 1578 {Réconciliation des provinces wallonnes, t, 11, fol. 35 et 61), publiées dans les Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, éd. MULLER et DIEGERICK, t. Il, pp. 360 et 303.

(3) Lettre de la Motte au prince de Parme, du 25 novembre, /. c.

(4) Les Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, écrits, semble-t-il, par Montigny lui-même ou par un de ses apologistes, sont loin d'être un travail complet. Ils sont intitulés : Récit des causes qu'ont meu le seigneur de Montigny à se retirer de l'union des Estats généraux; avec son régiment appelé les Malcontents, et de leurs falcts et exploicts en Flandres jusques à la réconciliation des provinces walonnes. L'auteur expose les excès des Gantois, quelques actions militaires des Malconlents, mais parle peu des relations de Montigny avec de la Motte, se contentant de dire vaguement que dans le principe Montigny n'a voulu prendre


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Dans un rapport donné, de la part de la Motte, par Robert de Helfault, seigneur d'Havroult, au prince de Parme (1), nous lisons :

« Primes depuis les dernières lettres escriptes à Son Excellence par le S 1' de la Motte l'advertissant de la communication qu'il avait eu avecq le S 1' de Montigny, ledict S 1' de Montigny s'est transporté à Mons, où arrivé qu'il fust, pria le conte de Lalaing, son frère, de voloir assembler ceulx qu'il y povoit avoir audict Mons des Estatz de

aucune décision pour ne pas déplaire aux Français, dont il avait besoin, et parce qu'il ne se fiait pas à de Pardieu « vacillant pour lors sans prendre l'un ny l'aultre partys (!) ». 11 se tait sur les entrevues de Watlen, de Saint-Omer, de Béthune, de Cuinchy, de Mont-Saint-Eloi, et termine brusquement après le récit de l'arrestation, par Montigny, des capitaines wallons que la Motte cherchait à gagner à sa cause. Cela explique peut-être le silence des Mémoires sur tout ce qui concerne la réconciliation de Montigny avec le roi, par conséquent sur ce qui était en connexion avec les entrevues de Watten et de Saint-Omer.

(1) Réconciliation des provinces toallonnes, t. II, f" 104.

Dans sa lettre du 25 novembre 1578 au prince de Parme, de la Motte, après avoir dit que Montigny, à la swite de ses difficultés avec les Français, s'était rendu à Mons, ajoute : « J'en attends tous les jours responce et aussitost que je l'auray, je ne fauldray renvoyer le sieur d'Avrould ».

Le 21 décembre, Alexandre Farnèso écrit, de Visé, à de Pardieu : « Par mes lettres du XV de ce mois, je vous ay respondu à tout ce que m'avez escript... Depuis est arrivé le S' de ilavrou qui m'a apporté vos lettres du V de ce mois » et m'a déclaré ce dont vous l'aviez chargé. Réconciliation îles provinces wallonnes, t. II, f HO.

Le 7 janvier. Farnèse écrit an roi : « Sire, le S1 de Havrou est depuis quelques jours retourné de Gravelinghes avecq une lettre de crédence du Sr de la Motte, et m'a rapporté comme le sieur de Montigny estoit de retour de Mons, et lui avait faict entendre, par le sieur de Bodinghien, ce qu'avait passé audict Mons, avec les conte et eontesse de Lalaing, duc d'Arschot, marquis de Havrech, sieur de Frezin, abbez de Hannon et Marolles, et ledict Bodinghien : qui estoit que, pour la grande affection, etc. ». Correspondance d'Alexandre Farnèse, éd. GACHARD, /. c, p. 417.

Le document qui se trouve dans la collection Réconciliation des provinces wallonnes, fol. 104, n'est autre que le rapport donné par Kobert de Helfault. seigneur d'Havroult, au prince de Parme, de la part de Valentin de Pardieu.


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Haynault, où que trouvast les sieurs conte et confesse de Lalaing, duc d'Arschot, marquis de Havrech, S 1' de Fresin, abbés de Hanon et Marolles, et Bodinghien, ausquelz le S 1' de Montigny déclara que, pour la grande affection qu'il avoit de toutz temps porté au Sr de la Motte, et pour l'assistence qu'yceluy avoit tousjours donné tant à sa personne comme à ses troupes depuis qu'ils estoient entrés en Menin, ne povoit moins faire qu'estant à Cassel si près de Gravelinghes, que de communiquer avecq ledict Sr de la Motte ; lequel ayant ouy parler et entendu les raisons les plus commodes qu'il luy allèguoit pour remédier aux affaires du pays et veu l'auctorité qu'il avoit de Sa Majesté de traitter avecq ceulx du pays, ne trouvait remède plus commode que de se rejoindre avecq le Roy qui est ung prince puissant, veu mesmo qu'il offrait de retirer tous et quelconques estrangers estant les affaires appaisées. A quoy respondit le conte de Lalaing qu'il estoit fort esbahy qu'il avoit traillé si avant avecq le S 1' de la Motte sans leur en advcrtir et principallement le duc d'Alençon, auquel ilz estoient tant obligés, lequel ne le prendroit de bonne part. Sur quoy répliqua ledict Montigny que ledict d'Alençon auroit tort de luy en scavoir mauvais gré veu que cessant la cause pourquoy ledict duc estoit venu, l'obligation qu'on avoit aussy en son endroit n'estait nulle et que pour conclusion il ne voloit perdre son âme et honeur, et que s'ilz craindraient de le déclarer audict d'Alençon qu'il seroit le premier quy luy diroit. Surquoy fust résolu de députer avecq lui le marquis de Havrech et abbé de Marolles, où que venu ledict de Montigny déclara à d'Alençon le mesme qu'il avoit dit à l'assemblée première, et comme il convenoit, pour maintenir ceste guerre, avoir prestement sur main troix mois de gaiges pour entretenir par rnoix dix mil hommes


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de piedt, trois mille chevaulx et neuf pièces d'artillerie. A quoy ledict d'Alençon respondit qu'il estoit mal possible furnir tielle somme d'argent, pour estre la France fort espuisée d'argent; et sur ce respondit Montigny qu'il estoit doncq nécessaire de soy rejoindre avecq le roy son maistro, quy estoit ung prince puissant pour les maintenir. Sur quoy dit, Alençon qu'il estoit esnierveillé qu'on avoit trait lé tout ce sans luy en advertir, suivant le traicté lait avecq luy; si esse [est-ce] qu'il seroil tousjours bien aize que le roy catholicque se réunisse avecq ses subjectz et qu'eusse |eux| fussent, délivrés de toute tyrannie, et qu'à ces fins il avait mandé une partie de ses troupes. Cela achevé, le S 1' de Montigny luy dit qu'il estoit aussy nécessaire que Son Altè/.e fisse incontinent retirer hors de Flandres les troupes franchoises, sauf le régiment de Combel et quattre cent barquebousiers, et ce pour les foulles insupportables qu'yceulx commettent journellement. Pour à quoy satisfaire ledict duc envoya ung gentilhomme de sa chambre vers lesdictes troupes, pour leur faire commandement de se retirer.

» Ledict conseil achevé, rentrèrent en l'aultre premier, où qu'ils firent leur rapport, insistant, tousjours ledict de Montigny pour se rejoindre avecq le roy, veu que ledict d'Alençon a'avoit moyen de les maintenir et que quand à luy ou lire ce quo son honeur luy commandoit qu'il n'ozeroit retourner vers les soldatz valons sans se résouldre du tout, à cause qu'yceulx valons estoient du tout intcntionés de demeurer au service du roy. Sur ce fust résolu d'envoyer à Arras le marquis de Havrech et abbé do Hanon pour, comme on présume, faire le mesme que feront ceux d'Arthois. Et incontinent retourna ledict sieur de Montigny à Estaires, où arrivé qu'il fust trouva le capitaine Pépin, lequel de prime fasce luy ayant baizé


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les mains demandit quelles bonnes nouvelles il aportoit ; et luy faisant ledict de Montigny assés maigre responce, luy dict Pépin : « Monsieur il ne fault que vostre seignerie face du fin, car ne vous resouldant du tout au service du roy, je ne vois aultre apparence que les soldatz vous trousseront par le colet. Quoy oyaat ledict Montigny, oultre les murmures que ja par les rues il oyoit desdicts soldatz, fut fort en paine et incontinent despescha Boidinguem vers Gravelingues pour déclarer au S'" de la Motte tout le discours susdit. Et ledict Bodinguem trouva le Sr de la Motte hors de Gravelingues entre S et 9 heures du soir en chemin pour aller vers Arras, suivant ce que luy avoit mandé Mons 1' de Cappres ; qui fut cause que ledict la Motte ne pouvait pour lors envoyer plus grande résolution au S 1' de Montigny, seulement renvoya le S 1' de Bodinguem affin de tenir la bonne main à tout comme il avoit fait du passé, luy ayant asseuré ledict sieur de la Motte mille florins de rente héritable pour luy et les siens, qu'il prie à Son Excellence luy voloir avouer, pour aultant qu'il dict que Bodinguem a fait de boas services au roy à maintenir le Sr de Montigny et le conte et confesse de Lalaing, mesmes qu'il a esté cause que ceulx de Mons ont donné l'ordre qu'astlieur nulz François peuvent entrer en la ville avecq armes, ayant renforcé les deux compaignies l'ungne de Bodinguem et de Strinchant des naturelz du pays » (1).

(I) Ce rapport est trop intéressant pour ne pas en donner la suite :

« En oultre qu'estant arrivé le Sr de la Motte au mont SaintEloy pour les raisons que Son Excellence sçait, estant Mons' de Câpres advertis que les desseings de Messieurs de Bossu et visconte de Gandt de venir en Arras estoient [rompus ?], remercia ledict la Motte et ceulx de. sa suitte de la paine qu'ilz avoient prins, leur suppliant voloir retourner à Gravelingues et qu'il espéroit tout bien d'Arras suyvant ungne coppie de lettre qu'ay délivré à Son Excellence et comme ay resentu davantaige par


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Que faut-il penser de cette seconde version ? La relation de ce qui s'est passé à Mons a telle été réellement composée par Montigny, comme le croient

ung nommé Gargas lequel avoit le S' de la Motte laissé à Arras, et retourna à Gravelingues le 5" de décembre.

» Item que ceulx de Cassel continuent en leurs bonnes volontés; attendant, à nion partement, le S' de la Moite les députés des chaslelenies île Bourbourg, Bergues et. Fourp.es pour le sixième, et ce par l'ineitde ceulx de Cassel. dont on espère tout le succès.

» Item ledict S1 de la Motte est d'advis qu'on eseripve lettres à mons' de Câpres luy asseurant qu'on le continuera en toutz ses estatz, mesmes que le Hoy l'honorera de titres et honeurs plus grands qu'il n'at, en cas qu'il le désire, mettant en sa lettre qu'on scait bien qu'il a toujours esté de bonne volonté a\rant tousjours attendu après l'heure commode pour donner à cognoistre sa bonne volonté. Quand à nions''de Montigny luy escripre lettre de crédenee sur le S1 de la Motte que tout ce qu'il luy dira et proinetterat de la part de Son Excellence sera tenu vailablc; aultre lettre à Bodinghem que ce qu'il luy a promis s'accomplira ; désirant en oultre ledict de. la Motte que Son excellence lui tiene vailable tout ce qu'il traitera et promettera avecq ceulx de Artbois et aultre lieux voisins et de sa guernison.

» En oultre que Son Excellence voeulle donner ordre que les vieulx soldatz de Gravelingues soient payés de leurs arrierages suivant la promesse faite par feu Sou Altèze, et d'ung mesnie chemin que l'ordre soit tielle qu'il n'y ait fatilte d'argent tant pour la guernison ordinaire que les soldatz walons qui se mettront en l'obéissance du roy.

» Item que les affaires d'Arlhois sont en fort beau chemin sauf Hesdin, ltenty et Lillers pour occasion du visconte lequel a ses gens en sa dévotion, et est nécessaire escripre lettre au Sr d'Auberlieu luy asseurant tout avancement honeur et. crédit.

» Item que les sieurs de Morbecque et de la Tieuloye ont assuré le S' de la Motte île leurs bonnes volontés vers le Roy.

» Item au retour du sieur de la Motte du Mont St-Eloy n'ayant aucunes nouvelles de mons' de Montigny, délibéra d'envoyer Robert d'Ausques dit sieur de Floyecques vers ledict S1 de Montigny pour scavoir à quoy il tenoit qu'il n'avoit de ses nouvelles et (ju'il prioit lui mander incontinent sa dernière résolution pour ce qu'il convenoit ainsy pour le service du roy. En oultre avoit chargé ledict de Fioyecques de scavoir de Boidinguem son bcsoigné depuis qu'il avoit parlé au S1 de la Motte, et encoire que le S 1' de Montigny faisoit aucun semblant d'estre rescordé (ce qu'on espère que non) ledict de Floiecques avoit charge de scavoir de Pépin le lieu qu'il voldroit choisir pour faire les monstres et recepvoir six mois de gaiges, et par ce moyen abondonner ledict de Montigny, le tout pour avancher les affaires et ne perdre temps ».


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MM. Muller et Diegerick (1), pour être portée à la Motte ? Ou bien ressort-il du texte que Bois-d'Enghien fit un rapport verbal, que, dans son zèle, il aura peut-être orné à sa façon ? Nous laissons au lecteur le soin de répondre à ces questions.

Enfin, nous avons la version du duc d'Anjou qui, à la date du 25 novembre, écrit aux Etats généraux (2) : « Je n'ay laissé faire en sorte que le seigneur de Montigny m'est venu trouver par deçà. Auquel ajant aussy sondé ce qui a peu irriter les Walons contre les Gantois, après l'avoir prié de se soubmectre et condescendre à quelques conditions avecq toutes les persuasions et remonstrances dont je me suis peu adviser, il m'a enfin présenté aulcuns articles qui me semblent assez raisonnables ; sur quoy il vous convient pourveoir de quelque prompt remède, si aymez vostre conservation, d'aultant que les Espaignolz gaignent cependant pays, et redoublent tellement leur arrogance qu'il sera mal aisé d'en pouvoir plus rien rabattre. De ma part je n'ay riens plus à coeur que de vous ayder à la réconciliation et y mectre la bonne main affin que tous, d'une correspondance, nous soyons plus fortz pour résister ausdicts ennemiz ; et de faict j'envoye présentement le sieur de Fontpertuys..., pour faire retirer les compagnies françaises qui se sont joinctes ausdictes valonnes... » (3).

(1) Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MULLER et DIEGERICK, t. Il, pp. 296, note 1. où l'on trouve une intéressante dissertation sur les trois versions.

(2) Ibid., p. 295.

(3) Au récit du duc d'Anjou il faut ajouter deux autres documents.

A la date du 24 novembre 1578, le marquis d'Havre écrit de Mons aux Etats généraux : « Je ne puis laisser vous advertir que pendant mon séjour pardeça, je n'ay obmis à toutes occasions tenir la main à l'assopissement du malentendu d'entre les Walons et les Gantois si avant qu'enfin, par l'assistence de monsieur le conte de Lalaing, j'ay tant faict que le duc d'Anjou a mandé

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Comment concilier cette troisième version avec les deux premières ? Le duc d'Anjou s'était offert aux Etats généraux comme médiateur entre les Gantois et les Malconlents (1). Les Etats généraux s'étaient plaints au duc d'Anjou de la jonction de ses troupes avec celles des Malcontents (2). Le comte de Lalaing, chef de la faction française, se montrait mécontent de voir son frère rompre l'accord, bien que verbal, qu'il avait fait en octobre avec le duc. Les autres seigneurs, pas plus que le comte, n'étaient pressés de rentrer sous l'obéissance du roi. Le duc, en retirant ses troupes, faisait plaisir aux Etats généraux, aux Gantois, aux Malcontents, et se trouvait par là dans de meilleures conditions pour remplir le rôle de médiateur. S'étant ménagé, par l'intermédiaire du comte de Lalaing, une seconde entrevue avec Montigny, à l'insti de Bois-d'Enghien, il aura entamé la question du différend des Malconlents avec les Gantois.

vers luy monsieur de Montigny pour l'induire à toute voye raisonnable, comme il a faict, s'estant retourné vers les troupes walones pour leur cominunicquer le tout ».

Dans sa lettre du 2 décembre aux Etats généraux, l'abbé de Maroilles s'exprime ainsi : « J'ay de plus près remarqué sa prompte volonté [du due d'Anjou] dans la négociation qu'il a faicte avecq monsieur de Montigny, endroict la retraicte des Walons et Francbois estant en Flandre, là où il s'est tant virillement emplie, ayant examiné leur demande, visité la responee des Gantois et poisez [pesé] l'ordonnance sur ce ensuyvie par Vos Seigneuries, Altèze, Excellence et conseil d'Estat, qu'il a depuis luy-inesme conceu certains articles tendantz, à l'entier assopissement de ce malentendu, mesmes résolu de renvoyer les François en leur pays, pour ne mancquer de sa part à aulcun bon devoir qui pourra résulter à la commodité des babitans de ces pays ». — Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., t. II, pp. 289 et 327.

(1) Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MULLER et DIEGERICK, t. Il, p. 237. Instruction pour des Pruneaux, 4 octobre 1578; p 247. Sommaire de la proposition de dts Pruneaux, 8 novembre 1578.

(2) Ibid., p. 172. Lettre des États généraux au duc d'Anjou, 17 octobre 1578.


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Montigny, désillusionné par l'attitude de son frère, aura esposé au duc les points contenus dans sa déclaration du 18 octobre, ht réponse des Gantois du 27 octobre, et l'Acte d'acceptation de l'archiduc Mathias, etc., du 3 novembre (1). Mais s'il y a de l'exagération dans la seconde version, il semble y en avoir également dans celle du duc d'Anjou. Le récit des difficultés de Montigny avec les Français, empêche d'admettre que ce fut sur les instances du duc que le chef des Malconlents se rendit à Mons. Le duc, est-il sincère, lorsqu'il informe les Etats qu'il fait retirer les compagnies françaises, sans ajouter qu'il agit ainsi à la demande de Montigny se plaignant dos excès commis par elles? On devine aisément le motif pour lequel il no parle pas de sa première entrevue avec Montigny. Valentin de Pardieu, non content de travailler les chefs militaires, tâcha encore de gagner les villes de Flandre à la cause de la réconsilliation. Le 15 novembre, il leur adressa copie des propositions faites la veille à SaintOmer, ainsi qu'une longue lettre dont voici le résumé : Trois choses, écrit-il, maintiennent les républiques en prospérité : la religion, la police tant civile que militaire, et les finances. La religion, base de toute communauté politique, est la première ; car « il serait plus aysé à bastir une ville sans fonds ou sans terre, que d'assembler un peuple sans religion ». Aussi, Sa Majessé, fidèle à son serment, « entend de ne tolérer n'y permectre qu'ung seul exercice de la religion catholicque et romaine ». « Il nous (loiht souvenir, Messieurs, du serment solempnel qu'avons tous faict par ensemble, suyvant nostre union, non seulement de maintenir la religion chrestienne et catholicque, mais encore de l'advancher à nostre pouvoir sans en tolérer aulcune aultre, ny souffrir aulcun scandai et attentast estre faict contre icelle, en

(1) Voir p. 338, en note, la lettre de l'abbé de Maroilles.


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conformité de la Pacification de Gand : Je dis librement, et mes actions le feront paroistre, que la seule occasion quy m'a faict retirer des mauvais a esté la religion contemnée... ». Les misères et les excès, surtout ceux commis par les Gantois, vont s'accroissant sans espoir de salut. « Je n'ay sceu moins faire, afin de n'estre participant à de telles indignitez, que do m'opposer à leurs desseings... ; s'il vous plaît d'embrasser ceste cause, j'offre d'exposer ma vie à vostre service. C'est ce que Dieu nous commande, c'est ce que le roy désire ».

Quant à la police, le repos public résulte en grande partie de la concorde entre les sujets et leur prince. Or, le roi, pour tout apaiser, propose l'oubli du passé, désire que tous statuts, ordonnances, privilèges anciens, soient strictement observés et que « ceulx quy seront instituez à l'administration des magistrats, soient eslues des plus gens de bien, et des plus fameulx du pays. Et quant au faict militaire, Sa Majesté promect retyrer les Espaignolz et estraingiers ».

Reste la question des finances. Sa. Majesté, émue de compassion à la vue de tant d'impôts qui pèsent sur le peuple, d'autant qu'elle sait que la plus grande partie des finances et recettes générales sont aux mains du parti contraire, « m'a envoyé somme notable de deniers pour les frais qu'il conviendra faire pour nous défendre..., et bonne assignation pour en tirer durant cette guerre affin d'obvyer aux désordres et pour le soulaigement du peuple ».

Il termine par une vive et pressante exhortation à accepter le remède à tant de maux si librement offert par le roi (1).

(1) Correspondance de Valentin de Pardieu, éd. DIEGERICK, pp. 252 et 254. Le gouverneur de Gravelines envoya copie de cette iettre au Conseil d'Artois, le 17 novembre.


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Le 27 novembre, de la Motte écrivit aux Etats d'Artois pour les féliciter de leurs « bons debvoirs faicts en ce pays et signamment en ceste ville pour la conservation de notre saincte foy et religion catholicque romaine et service de Sa Majesté » et leur offrir le secours de sa personne et de ses forces (1).

A son tour, le prince de Parme envoya aux Etats d'Artois Matthieu Moullart, évêque d'Arras et Guillaume Le Vasseur, seigneur de Valhuon, munis d'instructions et chargés de faire des propositions de paix. Ils devaient déchirer à l'assemblée que le roi n'exigeait que deux points : l'observance de la religion catholique et l'obéissance à Sa Majesté ; qu'il promettait l'oubli du passé, le maintien des privilèges et le retrait des soldats étrangers qui seraient remplacés, en cas de besoin, par des naturels du pays.

Le comte de Lalaing, les Etats de Hainaut, les villes de Mons et de Valenciennes, l'abbé d'Hasnon, le duc d'Arschot, le marquis d'Havre, Pierre de Melun, sénéchal de Hainaut, reçurent à cette époque des lettres d'Alexandre Farnèse « tendant toutes à exhorter ung chacun à son debvoir vers Dieu leur créateur et le roy leur souverain seigneur et prince naturel » (2).

Quel fut le résultat de ces efforts ? Les Etais d'Artois siégèrent du 1er au 11 décembre. On se. rappelle que l'ordre du jour comportait la question de la ligue entre les provinces wallonnes. Le premier jour, on entendit les députés du Hainaut et ceux de Lille, Douai, Orchies et Valenciennes (3), « lesquelz, écrit do Câpres à de la

(1) Réconciliation des provinces wallonnes, t. Il, fol. 99.

(2) Ibid., fol. 89. Lettre du prince de Parme à de la Motte, G décembre 1578.

(3) Ceux de Tournai et Tournésis s'étaient excusés sur la crainte que les Gantois, leurs proches voisins, n'interprétassent mal leur démarche et ne leur fissent subir quelque dommage.


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Motte, font tous protest de vivre en la religion catholique romaine et Pacification de Gand » (1). Au cours de la séance on reçut une lettre de Matthieu Moullart demandant à être entendu. Après de vifs débats, sa demande fut repousséo, malgré les efforts des ecclésiastiques. On décida seulement de consulter sur ce sujet le peuple d'Arras (2). Le peuple ayant été consulté le lendemain, il fut résolu, le 3, qu'on entendrait l'évêque dès son retour. Le même jour, on apporta une missive du vicomte

(1) Réconciliation des provinces wallonnes, t. Il, fol. 71. Lettre de Câpres à de la Motte, Arras 1er décembre 1578.

(2) C'est sans doute à cet incident que de, Câpres fait allusion lorsque, dans la même lettre, il dit : « Les affaires ne s'échauffent tant comme vouldrois ». A cette consultation du peu]) 1 ed'Arras se rattache probablement la remontrance suivante des « capitaines bourgeois et manans » de cette ville :

« Nous avons entendu, disent-ils, que Vos Seigneuries seroient icy assemblées pour traieter une bonne paix et réconciliation avecq le roy nostre maître, et que pour cest effect seroit icy député Monsieur le révérendissime d'Arras avecq commission de Monsieur le prince de Parme...., dont sommes estes fort joyeulx pour l'espoir qu'avons qu'en pourra sortir quelque, bon effect au service de Dieu du roy et soulaigement do la pauvre patrie. Mais comme.... que trop avons expérimenté les misères des guerres intestines.... nous sommes venus de la part des capitaines, bourgeois et manans de ceste ville vous représenter devant V. S. et leur déclarer que nostre final désir est de nous accommoder et réconcilier du tout avecq le roy nostre prince naturel selon qu'en raison et équité et avecq telles assurances que sera trouvé convenir. Supplians partant bien à certes Vos Seigneuries de se vouloir en ce conformer à noz bonnes intencions, et là ou nous scaurions qu'aucuns n'y volussent entendre nu mesme y donner destourbier, nous protestons que de nostre part y entendrons si avant qu'en droict et raison trouverons convenir, n'entendans nullement que par la passion particulière si comme à proufiet, vengeance, deffiance, grandeur ou aultre sinistre intention d'aucunes gens peu effectionnez au publicque soit einpesehè ou retardé un bien si général et de telle importance. Et si donneront tel ordre à ces perturbateurs de repos publicq qu'à l'avenir ilz n'auront le moyen d'attenter semblable chose au préjudice du bien et repos publicq, ce que prions Messeigneurs estre prins de vous de bonne part ». — Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 162.


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de Gand, restitué dans son gouvernement d'Artois (1), annonçant son arrivée pour le lendemain vers dix heures, et priant les Etats de ne rien décider avant ce temps. Le 4, le gouverneur, dès son entrée en séance, se plaignit « avec modestie » des mauvais bruits que l'on avait répandus sur son compte, assurant qu'ils étaient faux et protestant de son intention de s'acquitter de sa charge en toute fidélité. Le 5, après avoir entendu l'évêque d'Arras et le seigneur de Valhuon, les Etats d'Artois, bien que le vicomte de Gand déconseillât une paix particulière avec le roi, parce que l'empereur préparait une paix générale, décidèrent d'informer résolument l'archiduc Mathias et les Etats généraux de leurs intentions.

Nous avons toujours voulu, disent-ils, et nous voulons encore maintenir « ponctuellement et inviolablement la Pacification de Gand, avecq l'Union depuis ensuivie », mais il faut que tout le monde les observe. L'évêque d'Arras et le seigneur de Valhuon nous ont, en présence des députés des autres provinces, fait au nom du prince de Parme, des propositions de réconciliation avec le roi. Nous vous en envoyons copie ainsi que d'une aiissive du seigneur de la Motte (2). Nous avons résolu de rédiger quelques articles en vue de parvenir à cet le réconciliation : articles que nous vous communiquerons. En retour nous vous prions de nous envoyer les conditions de la récon(1)

récon(1) seigneur de Câpres avait été chargé du gouvernement d'Artois pendant l'absence de Robert de Melun, vicomte de Gand. Les Etats généraux, s'apercevant de l'attitude de de Câpres, s'étaient empressés de lui retirer le gouvernement et de le restituer au vicomte de Gand.

(2) Voir plus haut, p. 341. Le 8 décembre, les Etats d'Artois répondirent à la Motte pour le remercier bien affectueusement, t vous asseurant que serons toujours prestz à maintenir de touttes noz forces les deux poinctz par nous tant sollempnellement jurez ». Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 99.


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ciliation générale préparées par l'empereur Rodolphe. Mais nous tenons à déclarer franchement que, si quelques provinces s'opposent à la réconciliation avec le roi, « sommes résoluz passer oultre et entendre à une bonne et asseurée paix, au plus grand bien et advantaige que pourrons adviser pour éviter aux maulx, désastres et inconvèniens appareils au pays » (1).

Le 8 décembre, « au lieu abbatial sainct Vast d'Arras », les Etats d'Artois avaient rédigé les « poinctz et articles advisez pour parvenir à une paix et réconciliation avecq Sa Majesté». Ces articles étaient au nombre de trente-six (2). Notons en quelques-uns. Le Ier stipule « que le traicté de Pacification faict à Gand, l'Union, Edicl perpétuel et raliffication de Sa Majesté deniorront en leur plaine force et vertu » ; par le IIe « est accordé une oubliance perpétuelle de deux costez de tout; ce que peult avoir esté faict depuis les premières altérations, sans en faire aulcune mention, reproche ou recherche comme de chose non advenue » ; le IIIe demande ratification par Sa Majesté de « ce que at esté faict, conclud et arresté, pourveu, conféré et aultremont besoigné par les Estatz géaéraulx, Son Altèze et Conseil d'Estat, non répugnant à la Pacification de Gand, Union depuis enssuyvie, Edict perpétuel et franchises du pays tant en général qu'en particulier » ; le IV requiert le prompt départ des « gens de guerre estrangiers » qui seront remplacés, où besoin sera, par des « naturelz agréables aux Estatz de chacune province ».

il) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. II. p. 446, appendice XII.

(2) Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 91-98. « Poinctz et articles couchez et advisez pour parvenir à une paix et réconciliation avecq Sa Majesté ». « Les gentilz hommes nobles bourgeois de la ville et cité de Saint-Omer acceptent en toute bénévolence les articles de paciffication proposez de la part de Sa Majesté soubz les restrictions déclarez en marge de ce quaier, priant Sa Majesté les volloir agréablement recevoir au bien et repos de ce pais ».


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Les députés, munis d'une copie de ces articles, devaient s'en retourner vers leurs mandants pour prendre des pouvoirs plus étendus et résoudre sur le projet de réconciliation particulière avec le roi.

Les Etats d'Artois en se séparant, s'ajournèrent au 28 décembre pour « besoigner » le 29.

Le 19 décembre, l'assemblée des bourgeois d'Arras prit, entre autres, les résolutions suivantes : « Eu premier lieu, d'entendre à une réconciliation et paix asseurée avecq Sa Majesté soubz les conditions conceues et à concevoir pour le plus grand repos et asseurance de la républicque de ces Pays-Bas, avecq la généralité de toutes les provinches d'Arthois et aultres qui vouldront venir à la mesme réconciliation.

» Pareillement, de n'admettre garnisons nouvelles es villes et forteresses de ce pays, sans le consentement des Estatz (d'Artois)..., et entretenir les compaignies y estantes, pour la certitude que l'on a de leur fidélité.

» Item, de procéder à la levée de cent hommes bourgeois pour la conservation de la ville, dont les trente seront prins des quinze compaignies bourgeoises, et le reste seront jeunes gens, dont M. de Câpres sera le chef.

» îtem, de traiter alliance et soy joindre avecq les Wallons et bandes d'ordonnances de ces pays, pour réprimer la pétulance des Ganthois, maintenir et conserver ceste province contre et envers tous, ensamble la religion catholicque, apostolicque et romaine.

» Item, que l'acte dépeschée et arrestée en l'assemblée dernière, tenue le XII de novembre dernier XVCLXXVIII (1), auroit esté ratifié, signament la clause par laquelle l'on tient pour ennemys les contrevenans à

(1) Voir plus haut, p. 322.


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la Pacification de Gandt, ensamble leurs faulteurs et adhérens ; que l'on ne vouloit oyr parler de la religionvrede » (1).

La ville de Saint-Omer n'était pas moins bien disposée. Le magistrat apostilla chacun des trente-six articles, contenant les conditions de la paix, ajoutant : « Pour conclusion sommes unanimement résolus d'entendre à ladicte paciffication et réconciliation avec Sa Majesté, sans plus long temps persévérer en guerre, et oit aillâmes provinces ou villes ne y vouldroient entendre, aias s'arrester sur divers modifications et distinctions pour retarder ladicte paix, l'on supplie les Estais de ce pays en particullier résollutnient et délibérément passer oultre à ladicte réconciliation, moiennant touteffois asseurance raisonnable que les articles cy dessus advisez seront accomplie » (2). Le 26 décembre, à la demande des ecclésiastiques, nobles et notables bourgeois, le magistrat envoya à ses mandataires des instructions formelles et pressantes dans le sens des apostilles.

Les Etats généraux et l'archiduc Mathias, après la réception des lettres des Etats d'Artois du 5 décembre, s'inquiétèrent du progrès du mouvement catholique. Ils chargèrent le conseiller van Meetkercke d'aller détourner l'Artois d'un accord avec Farnèse et prièrent le vicomte de Gand de prêter son appui à leur député (13 décembre 1578) (3). Meetkercke remontra aux Artésiens que Son Altesse et les Etats généraux, « très-aises d'entendre par leurs lettres du Vu de ce mois, le désir qu'ilz ont encoire de maintenir la Pacification de Gand. et l' Union depuis ensuivie », n'avaient jamais voulu contrevenir à cette

(1) Mémoires anonymes, etc., éd. BLALS. t. III. p. 295.

(2) Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 98.

(3) Actes des Etats généraux, éd. GACHAUD, t. II, p. 99, n" 1 544; p. 100, n" 1515; p. 448, appendice xm.


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Pacification. Mais à cause de la guerre, ils n'ont pu, sans danger, empêcher les réformés de faire exercice de religion, et, ayant « l'ennemy en barbe », il a fallu pour « ne donner occasion de tumultes et massacres, par manière de provision, accorder la religions-vrede dans les places qui l'ont demandée. Ils n'ont agi ainsi que pour « bénéficier plus ceulx de la religion catholique romaine que les aliénés d'icelle ». Le comte de Zwartzenberg, ambassadeur de l'empereur Rodolphe, négocie en ce moment une réconciliation générale avec le roi : conclure un traité particulier avec le prince de Parme serait faire affront à l'empereur et exposer les villes et le plat pays d'Artois « à la gendarmerie espagnole » (1).

Le 29 décembre, Meetkercke rendant compte de sa mission à l'archiduc, lui exposa le mécontentement de ceux d'Artois. Mais grâce à ses efforts, écrit-il, peu à peu ils commencent à comprendre « la grande faulto qu'ilz feraient s'ilz se voulissent disjoindre si légèrement des aultres ». On m'assure que ceux de la commune d'Arras ont résolu « de vouloir demeurer uniz avecq la généralité de de tous les Estatz, point se séparer d'eulx et ne venir en quelque traicté particulier de paix ou réconciliation avecq le roi catholique », demandant que « la dicte généralité veuille passer oultre et haster de mectre tout le pays ensemble en une bonne et ferme paix généralle ». Aujourd'hui, j'ai fait ma proposition en l'assemblée des Etats d'Artois ; oa me donnera prompte réponse (2).

En effet le 30 décembre, les Etats d'Artois informèrent l'archiduc Mathias que sur l'affirmation du conseiller de Meetkercke leur assurant « qu'à toutte célérité l'on procurera une bonne et avantageuse paix » générale, ils

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD. t. II, p. 449, appendice xiv.

(2) Mémoires anonymes, etc., éd. BLAES, t. III, p. 251, note 2.


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consentaient à surseoir au traité particulier projeté. Mais ils ont soin de demander que Son Altesse leur fasse part « du progrès et estât de la négociation encommencée parle comte de Zwartzenberg, touchant la réconciliation, « pour adviser d'y envoyer députez de nostre part, pour y faire tous bons offices pour parvenir à la dicte pacification » (1).

Ce consentement à une surséance n'était donné qu'à la condition qu'une paix générale serait conclue à bref délai. Aussi,dans la séance du 5 janvier 1579, les Etats d'Artois et les députés de Hainaut et de Lille, Douai et Orchies résolurent de faire « la semonce » aux provinces, et d'en envoyer copie à l'archiduc Mathias et aux Etats généraux. Le ton de cette « semonce » est on ne peut pins énergique. Aucun homme sensé, écrivent-ils, ne peut trouver étrange qu'il nous ait amèrement déplu de voir plusieurs provinces, à rencontre de leurs serments, enfraindre la Pacification de. Gand, à tel point qu'elles ont amené Son Altesse, le conseil d'Elat ot les Etals généraux à édictor des ordonnances (la Paix de Religion) contraires à ce traité, surtout à son article principal concernant la religion catholique. De là des scandales et des ruines irréparables, « à la honte et confusion perpétuelle de ces Pays-Bas ». Nous avons donc eu raison de chercher les moyens de parvenir « à une générale réconciliation avecq le roy ». Cependant, notre conscience nous engage à demander auparavant aux Etals généraux de rétablir les affaires « es termes et au pied de la dicte Pacification de Gand et de la dicte Union depuis ensuyvie » : faute de quoi nous tiendrons pour séparés de l'union ceux qui en violent, les articles. « Réquérans sur ce d'entendre et scavoir l'intention de Vos Seigneuries par tout ce mois,

(1) Mémoires anonymes, etc., éd. BLAES. t. III, p. 251.


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pour, suivant ce, nous conduire et régler. Cependant néantmoins, pour le désir qu'avons d'une bonne, briefve et asseurée réconciliation, sommes travaillaus à concepvoir par ensemble et de main commune quelques poinctz et articles que trouverons à ces fins nécessaires, lesquelz poinctz vous seront briefvement envoyez pour assistance, advanchement et progrès du traicté encommenché » (1).

Après l'expédition de cette sommation, les Etats d'Artois continuèrent leurs travaux. Le 6, on revisa les points de la proposition de paix faite par le prince de Parme et les articles conçus dans la réunion du 8 décembre 1578. Le 7, ils dressèrent l'acte d'union particulière de l'Artois, du Hainaut. et de la ville de Douai (2), connue sous le nom d'Union d'Arras.

L'acte rappelle d'abord en quelles circonstances et à quelles condifions se sont, conclues, en 1576, la Pacification de Gand, et, en 1577, l'Union de Bruxelles. Mais loin d'y être fidèles, «plusieurs séditieux, hérétiques et pertubateurs du repos publique, contre leur foy, honneur, obligation et serment, s'estoient, au temps que plus on se debvoit esvertuer et employer de secouer le fardeau de l'ennemjr commun, tellement oubliez, desbordez et desbandez en la principale province (la Flandre) et quasi par toutes les aultres, peu s'en fault, s'attachant à notre saincte foy et religion par telle force qu'ilz avaient déchassé tous gens d'Eglise et de religion, massacré grand nombre d'iceulx, violé filles sacrées, prophané et renversé églises et autelz, saccagé et brisé images à tous costez, foullé aux piedz les sainctz sacremens, mesmement, sans aucune horreur ou crainte de la vengeance divine, celuy

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACHAHD, t. II, p. 452, appendice xv.

(2) Les députés de Lille et Orchies n'avaient pas « commission pertinente »,


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du précieux corps et sang de Nostre-Seigneur, ruynant et démolissant jusqu'aux fondemens abbayes, églises, cloistres et monastères, usurpant et robant les biens d'icelles bonnes maisons dédiez et vouez au sainct service divin ». Ils ont déclaré de bouche et de fait qu'ils voulaient détruire à jamais la religion catholique et la noblesse ; ils ont destitué les magistrats légitimes, brisé les lois ; « aianl aussi appréhendé les principaulx seigneurs, éoesques, prélats, nobles, genlilz hommes, dames et conseillers, et les aucuns d'iceux exécutez, pendus, estranglez et décapitez, sans aucun ordre ou forme de justice » ; ils se sont mis en campagne à main armée, détruisant fout, implantant partout l'hérésie, extirpant la religion catholique, décides à exercer la même tyrannie partout, si, par une vraie providence divine, « le baron de Montigny avec ses troupes, plusieurs seigneurs, gentilzhommes et aultres bons personnages, zélateurs de la gloire, honneur et service de Dieu, [ne] s'y fussent uniement opposez ».

Tant d'excès ont pu se commettre impunément, malgré force requêtes à Son Altesse, aux Etats généraux et au conseil d'Etat, par la nonchalance des uns et l'appui même des autres. Les sectaires ont obtenu du gouvernement, entre autres édicts tendant à l'abolissement de la religion catholique, « celuy qu'ils appellent la religionsvrede, sous prétexte « que c'estoit le seul remède pour pourveoir à tant de maulx; chose à vray dire tant absurde, que, tout au contraire, c'estoit et. est la seule voie et unique moien pour accomplir la mesure de leurs iniquitez ». Irréconciliables, ils empêcheront la paix par des conditions trop iniques, et entretemps les affaires vont « à décadence et ruine ». C'est pourquoi, confiants en Dieu, pour décharger notre conscience et éviter la note de perfidie infligée par le pacte d'union à ses violateurs,


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« nous avons trouvé convenir d'en faire protestation publique, et de nouveau, entre nous et tous aultres quy se vouldront descharger de leur serment et obligation, rafreschir, renouveler et plus estroictement confirmer ladicte union ».

» A ceste cause, en vertu de nos pouvoirs et commissions, avons promis et juré, promettons et jurons... suyvant le contenu exprès de ladicte union, et à l'effect et accomplissement d'icelle, de persévérer et maintenir nostre dicte saincte foy catholique, apostolique romaine, deue

obéissance de Sa Majesté et Pacification de Gand

Sommans, prians et exhorfans tous aultres estatz, provinces, villes et communautez, gouverneurs, colonnels, capitaines, gens de guerre et généralement tous gens de bien, de s'acquitter pareillement de leur debvoir et obligation, et à mesme fin entrer et se joindre avec nous, faisans... pareille déclaration de maintenir et conserver ladicte Pacification et Union généralle depuis ensuivie en tous leurs poinctz et articles... » (1).

Deux jours après, le 9 janvier, les Etats d'Artois et les députés de Hainaut et Douai, selon leur promesse, envoient aux Etats généraux les points et articles qu'ils ont arrêtés pour parvenir à la paix avec le Roi. Nous les avons conçus, disent-ils « sur le pied et fondement de la Pacification de Gand et Union depuis ensuivie (que ne voulons abandonner ou négliger) », mais en termes si

(1) Actes des Etais généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 451, appendice XVI. Gachard date l'acte du 6. Le registre aux résolutions des Etats d'Artois, et la copie insérée dans la collection Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 176, portent la date du 7.

\JUnion d'Arras n'était signée que par les Etats d'Artois, de Hainaut et de la ville de Douai. Les députés des villes de Lille et Orchies, renvoyés vers leurs commettants pour de plus amples pouvoirs, n'étaient pas encore de retour, et l'on attendait toujours la réponse des Etats de Tournai, Tournésis et Valenciennes. Les Etats d'Artois écrivirent à chacune de ces villes des lettres pressantes pour stimuler leur zèle.


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raisonnables « que Sa Majesté ny autres » ne pourront les rejeter. Nous espérons que les Etats généraux voudront y « entendre sérieusement » et nous avertir de leurs intentions, car « le mal que nous ressentons en noz entrailles ne permet plus longue dilation, et nous seroit force d'adviser le remède, si en dedens la fin de ce mois ne voions par effect laccomplissement de ce que nous avons escripl » (1).

Les Etats d'Artois ne s'en tinrent pas à cette catégorique déclaration faite aux Etats généraux ; ils voulurent pouvoir compter sur le concours d'hommes de guerre, pour s'opposer, le cas échéant, aux Gantois. Ils s'adressèrent donc, le même jour, 9 janvier, au comte de Lalaing, gouverneur du Hainaut, au seigneur de Willerval, gouverneur de Lille, Douai et Orchies, h de la Motte, à Masnuy, à Montigny (2).

Les 15 et 16, dans une réunion au cours de laquelle le vicomte de Gand et le seigneur de Câpres prirent la parole, les officiers de la gouvernance d'Arras, le magistrat et les bourgeois décidèrent que pour la sûreté du pays et « pour n'estre prins au pied levé sans aulcunes armes défensives contre les ennemys qui se nvmstrent de divers costez », il serait bon de retenir pour deux mois les Wallons actuellement à Menin , aux dépens communs des provinces liguées. Le vicomte de Gand et

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 460, appendice xvn.

(2) « Monseigneur, lui écrivent-ils, ayant quelque chose de grande importance à communiquer à V.S"' selon que vous poeult avoir récité le Sg' capitaine la Biche, la requérons bien affectueusement se voloir transporter jusques icy, au moings envoyer quelque député de sa part, homme confident et instruit de l'intention d'icelle et ne voloir ce pendant passer oultre à quelque arrest de l'appoinctement commenchié avecq les Ganthois sans nous en faite part ». — Archives municipales de Saint-Omer. Correspondance du magistrat. Citation de M. BLED, La Réforme, etc., p. 183.


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de Câpres, étaient chargés de faire adopter cette proposition par les Etats d'Artois.

Le duc d'Anjou, sur qui les provinces wallonnes avaient cru un moment pouvoir compter, quittait les Pays-Bas, emmenant ses troupes. Par lettre du 26 janvier, datée de Conty, il fit ses adieux aux Etats d'Artois. Ceux-ci prirent alors la résolution suivante :

Considéré qu'apparemment les Gantois et autres ligués avec eux voudront « empiéter » sur les provinces voisines, il a paru bon d'organiser une commune défense contre les assaillants, sans néanmoins se départir de la Pacification de Gand, « entendans que Hollande, Zéidande, Fnze, Overyssel, Utrecht, Gheldrcs avec une partie de Flandre et aultres ne voeullent entretenir ladicte Pacification,... signamment aux articles touchant la religion catholique romaine, mais la abolissent, du tout... Pourquoi est expédient de se munir de forces pour empescher telles entreprinses, et samble que le pays d'Artois polroit bien entretenir pour quelques mois les gens de guerre quy s'ensuyvent ».

— Suit l'énumération des compagnies. —

Si chaque province confédérée veut en faire autant, il n'y a rien à craindre des malveillants. Dans le cas où il faudrait « tenir les champs », les forces de toutes les provinces se réuniraient sous le commandement d'un général en chef, choisi d'un commun accord (1).

Malheureusement, celui auquel les provinces wallonnes songeaient à remettre le commandement de toutes leurs troupes, Montigny, faillit taire échouer le projet de défense contre une attaque probable des Gantois et

(1) Archives municipales de Saint-Omer, Correspondance du magistrat : Points pour arrester les gens de guerre tant de pied que de cheval pour la deffense et tuiuon du pays d'Artois.— Citation de M. BLED, La Réforme, etc., p. 122.

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enrayer le mouvement de réconciliation avec le souverain légitime.

Où en étaient, dans l'intervalle, les négociations du seigneur de Bours et les rapports de la Motte avec le chef des Malcontents ?

Nous avons vu que Montigny, après sa seconde entrevue avec le duc d'Anjou, à Mons, était retourné à Estaires, et que, ayant entendu les propos du capitaine Pépin et les murmures de ses soldats, il en fut fort en peine et dépêcha Bois-d'Enghien vers Gravelines pour déclarer â de la Motte ce qui s'était passé à Mons (1). Soupçonna-t-il déjà alors que de Pardieu tâchait de gagner ses officiers et voulut-il s'en venger ? Toujours est-il que bientôt nous trouvons les chefs des Malcon lents à Houplines, où le 2 décembre, sur de nouvelles démarches du seigneur de Bours, Montigny et Hèze firent la déclaration de leurs exigences. Les articles en furent communiqués aux Gantois, qui y apportèrent quelques modifications. Voici les principaux articles avec les apostilles des Gantois (2) :

I. « Que les quatre membres de Flandres, nommément ceulx de Gand, admettront et permectront le libre exercice do la religion catholique romaine es esglises du pays et conté de Flandres, répartissans icelles entre ceulx des deux religions (bien entendu que ce soit à contentement de ceulx de la religion catholicque), et ce tant seulement es lieux où la religion prétendue réformée est jà introduicte, exceptez lus esglises de dignité, comme abbayes, esglises cathédrales et collégiales, lesquelles seront partout restituées aux catholicques, et des aultres (estans réparties également) le chois en sera aux catholicques seuls.

II. » Ensemble, laisseront suivre à touts gens d'Eglise

(1) Voir p. 334.

(2) Nous avons mis en italiques les apostilles des Gantois.


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leurs biens meubles estans séquestrés ; et quant aux immeubles, seront restituez, qu'ilz fussent aliénez, tant en ladicte ville de Gand que es aultres lieux de Flandres, et que en ce ilz soyent réellement maintenu/, « moyennant que les terres et héritages appliquez- aux fortifications des villes ri y soient comprins ».

III. » Que tous nobles et aultres ayants biens audict Flandres, ne tenans le party des Espaignolz ou leurs adhérens, seront remis en leurs biens et aulhorité et paisible possession d'iceulx, eu telle forme et manière comme a esté déclaré cy-dessus pour les ecclésiastiques : « comme réciproquement aux aultres cilles d'Artois, Hainault, Liste, Douay, Orchïes cl Tournésis, toutes aultres, où ce présent accord, ou traicté sera ordonné et recheu, tous ceulx qui sont bannis et expulsez pour le faict de la religion, ou ce qui en dépend,, seront reslablis en la possession paisible de leurs biens, et poulront librement habiter et demeurer es dictes villes et pays ».

IV. » Les ungs et les aultres desdictes religions seront tenuz se comporter ensemble en toute modestie, raison et fidélité, sans pratiquer ou attempter contre l'un ou l'aultre, ny contre le repos de la patrie, aulcune chose, directement ou indirectement, et que contre les transgresseurs sera procédé sommièrement et sans dilay par ceux qui à ce seront deuement choisis et ordonnez, au contentement des deux parties, par indivis, assçavoir aultant de l'une religion que de l'aultre ; ausquels appartiendra la cognoissance contre lesdicts transgresseurs jusques au définitif exclusivement. Et estant le procès du tout instruict, le juge ordinaire y aura cognoissance, pour y décider sommièrement. Lequel juge et magistrat sera « tousjours renouvelé en chascune ville, suyvant leurs privilèges et anciennes coustumes », et aussi composé également des deux religions, et le tout seulement es lieux


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où la religion prétendue réformée est jà introduicte. Et seront les officiers desdicts lieux obligez les assister, à peine de s'en prendre à eulx au cas de refuz ou difficulté. Bien entendu que les choisis et magistrat feront serment d'administrer une bonne et briefve justice, sans porter faveur ou dissimuler, pour cause de l'une ou l'autre religion.

V. » Que soubz ce mot : « Les prisonniers saisiz à Gand », seront comprins spécialement les évesques d'Ypre et de Bruges, le baron de Rassenghien, le seigneur de Mouscron et son filz, les seigneurs de Sweveghem et d'Eecke, les grand bailly d'Ypre et de Court ray, le seigneur de Champagny, et tous aultres pour semblables cas déteuuz prisonniers, tant à Gand qu'ailleurs.

« Que les prisonniers saiziz à Gand, spécialement les évesques, etc., seront renvoyez en Anvers entre les mains de Son Altèze, pour en ordonner selon que, sous te debooir de justice et pour le bien et repoz du pais, sera trouvé convenable ».

VI. » Et quant à Madame de Glajon, elle sera quittée et deschargée de toutes promesses et obligations qu'elle pourroit avoir faictes pour son eslargissement.

VIL » Qu'il sera déclairé soubz quel lieu neutral les prisonniers seront mis et gardez : sur quoy requièrent que ce soit soubz Monseigneur le duc d'Anjou, comme défenseur du païs, l'archevesque de Coloigne, l'évesque de Liège ou duc de Clèves, comme ayantz esté souvent employez par cy-devant à appaiser les différents survenus es Païs-Bas. Bien entendu que, pour vuider leur procès, ne sera attendu jusques à ce que les forains et estrangiers ennemis du païs soient expulsez ; mais incontinent qu'ilz seront en mains neutres, sera procédé, eu toute breveté et équité, à leur charge ou descharge, par devant le


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conseil privé, les président et gens du grand conseil à Malines, ou chancellerie de Brabant, à la discrétion de Son Altèze, le tout suivant les pthilèges du pays.

IX. ». . Que lesdictz soldatz wallons demeuront en guarnison es lieux présentement occupez, jusques à ce que les poinctz cy mentionnés seront réellement effectuez ; « que lesdicts soldats wallons seront tenus de sortir, incontinent que lassurance leur sera donnée de l'accomplissement des poinctz susdicls, assçavoir (quand pour l'accomplissement et effectuation d'iceulx Son Altèze, avecq le conseil d'Estât, et les députez des eslatz gènéraulx s'y seront obligez, et en auront donné patentes, signées de leur secrétaire et scellées du sceau de la ville; et après seront aussi lesdicts poinctz agréés et ratifiés pa>' toutes les autres provinces comprises soubz Vunion. Et promectons que lors nous, nos trouppes et associés sortirons de tout le pays de Flandres sans aulcun dilay ny retardement » (1).

Les Etats généraux communiquèrent le document au duc d'Anjou. Montigny par lettre du 9 décembre, datée de Loo, leur exprima son contentement de voir que le jugement du différend entre les Gantois et les Wallons était remis au duc (2).

Après les journées tumultueuses de novembre, le Taciturne, à la demande des quatre membres de Flandre, consentit à se rendre à Gand (3). Il y arriva le 2 décembre. Le 4, dans une assemblée du magistrat et des trois membres de la ville, il proposa six articles : 1° amnistie

(1) Lettres inédites d'Emmanuel de Lalaing, éd. DIEGERICK dans les Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 2e série, t. IX, p. 360.

(2) Documents» concernant les relations entre le due d'Anjou, etc., éd. MULLER et DIEQERICK, t. II, p. 337.

(3) Ibid., p. 313, note 1.


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générale ; 2° fidélité à l'union et soumission à l'autorité de la généralité, dans toutes les affaires générales; 3° acceptation des articles de paix proposés par les Etats ; 4° traitement, de la part de la Flandre, des affaires de la généralité par avis commun des quatre membres; 5° règlement sur les contributions de la généralité; 6° traitement des affaires générales de la ville d'après les anciennes coutumes (1).

Les Gantois voulurent bien entrer en délibération sur ces articles. Après plusieurs conférences avec le prince d'Orange, Bernard de Mérodo. et ses co—députés, le 11 décembre, le magistrat et les trois membres do la ville donneront leur consentement aux six articles. Toutefois, en agréant l'Acte d'acceptation du 3 novembre, ils déclarèrent être contents que lys seigneurs prisonniers fussent transportés à Anvers (2). Enfin, le 16, malgré la résistance opiniâtre de Hembyze, dix-huit articles, rédigés par le Taciturne et les députés des Gantois, furent mis en forme d'une ordonnance qu'on appelle la Paix de religion de (îand et qui fut publiée le 27 décembre (3).

Mais cela ne concernait que les affaires intérieures de la ville de Gand ; il fallait maintenant tâcher de conclure un accord avec les Malconlenls. Dos commissaires, nommés par le membre de Gand, devaient traiter avec de Bours et avec les députés des trois autres membres de Flandre, à savoir ceux d'Ypres, de Bruges et du Franc de Bruges. Ceux-ci, à leur tour, étaient chargés de se mettre en rapport avec les chefs des Malcontents. La. déclaration de Montigny et de Hèze (du 2 décembre)

(1) Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MLI.LEK et DIEGEIUCK, t. II, p. 315.

(2) Ibid., p. 364, note 1.

(3) 1t. Di: JONGHE, Gendsche geschiedenissen, t. II, p. 95.


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servit de base à la négociation. Le 16 décembre, probablement sur les conseils de Guillaume d'Orange, les Gantois ajoutèrent quelques nouvelles modifications à celles qu'ils avaient déjà apportées à la déclaration. Avant de présenter les articles aux Malcontenls, les quatre membres de Flandre envoyèrent François de la Noue (1) vers le duc d'Anjou pour les lui communiquer, obtenir son consentement, et probablement aussi pour l'engager à user de son influence comme médiateur aux fins d'y faire consentir les chefs des Malcontenls. Le duc d'Anjou apostilla les articles (2). Le 23 décembre, au château de Lannoy, fut conclue entre Montigny et Hèze d'une part, de Bours et les députés des trois membres de Flandre, d'autre part, une suspension d'armes de huit jours, pendant laquelle les Malcontenls promettaient de donner leur réponse définitive aux conditions proposées par les Gantois (3).

Dans l'intervalle, Montigny n'avait pas rompu foute relation avec de la Motte. Celui-ci essayait toujours de ramener le chef des Malcontents à la cause royale. En route pour Arras, de la Motte avait été renseigné par Boisd'Engltien sur ce qui s'était passé à Mons (4) et à Estaires. Rentré à Gravelines, et n'ayant pas reçu d'autres nouvelles, il dépêcha à Loo Robert d'Ausques, seigneur de Floyecques, pour savoir de Montigny où en étaient les affaires traitées à Watten et à Saint-Omer, et pour lui

(1) Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MULLER et DIEGERICK, t. II, p. 381.

(2) Ibid., p. 370.

(3) Documents historiques inédits concernant les troubles des Pays-Bas, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK. t. I, pp. 72 et 73.

(4) Sauf sur la seconde entrevue de Montigny avec le duc d'Anjou, dont probablement Bois-d'Enghien n'avait pas connaissance.


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offrir de lui obtenir du roi la commission de général de ces quartiers. Montigny, par lettre du 13 décembre, datée de Loo, le remercie courtoisement de ses offres. Il dit qu'il n'a pas changé d'avis et répète que, étant si jeune et si peu expérimenté, il ne voulait rien résoudre sans connaître lit volonté des provinces wallonnes et des seigneurs, ses parents et amis. Or ceux-ci n'ayant encore rien arrêté de certain, il n'a pu jusqu'ici donner sa résolution définitive, « fors de s'employer de tout son pouvoir à maintenir la religion catholique ». Toutefois, il prendra une décision le plus tôt possible et en informera incontinent de la Motte. Il ajoute, en post-scriptum « J'espère que vous verray bien tost, comme ay dict à Monsr de Floyecques et je vous apportera)' ou envoyeray au plus tost les conditions qu'ay demandé aux Estatz » (1).

Ayant appris que de Floyecques, en retournant de Loo vers Gravelines, avait été assassiné avec presque toute son escorte aux environs d'Esquelbecque, Montigny écrivit le 17 décembre à de Pardieu : « J'ay esté infiniment mary d'entendre la fortune advenue à monsieur de Floyecques, et pour vous faire paroistre le ressentiment que j'en ay, je despescho monsieur de Boidinghem pour s'informer de l'advenue du faict et en faire la pugnition et vengeance condigne à ung tiel meurtre. Je m'y fusse volontiers encheminé moy mesmes, mais a esté trouvé meilleur que prinse la route de Mons, pour mectre une fin ;'i ces affaires. Espérant que le S 1' de Boidinghem y fera autant de debvoir que moy mesmes » (2).

Le même jour, 17 décembre, se trouvait à Loo Robert Bien-Aymé, prieur de Renfy, envoyé par la Motte pour

(1) Documents historiques inédits concernant les troubles îles r'aij^-lias, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, t. I, p. 63.

I2I Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 135.


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demander à Montigny une résolution définitive (1). Celui-ci répondit qu'il no pouvait rien faire sans l'aveu de son frère, le comte de Lalaing, et de quelques autres seigneurs du Hainaut. Afin de lui faire connaître les sentiments de ces seigneurs, il partit le lendemain (2), 18, avec le prieur pour Mons, où, pendant trois jours, on tint conseil au logis de l'abbé de Hasnon. Le comte de Lalaing et Montigny délivrèrent à Robert Bien-Aymé, avec prière de le présenter au prince de Parme, un mémoire, non signé, contenant les conditions auxquelles les seigneurs et prélats étaient prêts à rentrer sous l'obéissance du roi. Le prieur de Renty arriva à Visé le 4 janvier 1579. Farnèso trouva que quatre points de ce mémoire offraient de grandes difficultés : 1° « la prompte retraite des Espaignolz et estrangiers ; 2° que Vostre Majesté veuille donner consentement au duc d'Alenchon, qui les a venu ayder et qu'il demeure allié et confédéré ; 3° le maintien de l'archiduc Mathias au gouvernement ; 4° le maintien de tous les autres fonctionnaires dans leurs offices ». Ces points, dont il ignorait la provenance soit de la part des Etals de Hainaut, soit de la part de quelques seigneurs particuliers, lui paraissaient d'autant plus étranges, que le peuple désirait vivement la paix, et que les habitants de Mons avaient voulu « que le duc d'Anjou sortast de la ville pour quelque trahison qu'ilz avoient découvert et pareillement que les deux compaignies de soldatz walons feissent le semblable, comme s'est faict, estant ledict duc à Condé et lesdictes compaignies à aullre lieu ». Il rédigea un écrit dans lequel il priait

(1) Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 136. Lettre de Robert Bien-Aymé, de Loo, le 17 décembre 1578.

(2) Ibid., fol. 137. Lettre de François de Pépin à la Motie, de Loo, le 17 décembre. « Et croy que luy mesme se fut acheminé audict lieu d'Exheeque, n'eust esté qu'il faict estât partir demain pour Mons ».


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le comte de Lalaing, Montigny et les autres seigneurs d'engager les Etats de Hainaut, et autres qui voulaient entrer dans un traité, à envoyer leurs députés à une conférence avec des commissaires du gouvernement espagnol, conférence qui se tiendrait à Namur. Mais le prieur refusa de leur porter cette proposition, parce qu'il soupçonnait que ces seigneurs, par crainte de se rendre suspects aux Etats des autres provinces et au duc d'Alençon avec lequel ils étaient alliés, n'oseraient pas envoyer des députés vers le prince de Parme, sans être d'accord avec eux (1).

Montigny s'était rendu de Mons (2) à Lannoy, où, le 23, fut signée, comme nous l'avons vu, la trêve pendant laquelle les Malcontents avaient promis de donner leur réponse aux propositions des Gantois. De Bours et les députés des trois membres de Flandre trouvèrent Montigny, Hèze, Bersele et autres au château de Comines, où ils célébrèrent la nuit des Rois, le 5 janvier. Le 9. Montigny et Hèze communiquèrent aux commissaires des Etats et des Flamands les conditions auxquelles ils étaient prêts à se retirer de la Flandre : I. « Que les quatre membres de Flandres et nommément ceulx de Gand admectront et permectront le libre exercice de la religion catholicque es églises du pays et conté de Flandres, réparfissans icelles pour le moins la moictiè aux catholicques. A condition que ceulx qui seront commis au reparti ment des dites églises, tant ceulx députez par

1 Correspondance d'Alexandre Farnèse, éd. GACHARD, /. c, p. 128-430.

(2> MM. MULLER et DIEGEUK K {Documents concernant les t elalions entre le duc d'Anjou, etc.. p. 561) disent: «Probablement cette assemblée des seigneurs à Mons doit donc avoir eu lieu dans les derniers jours de décembre 1578 ou les premiers de janvier 1579, donc en tous cas après les négociations au château de Lannoy ». Le contraire résulte des dates qui nous sont fournies par Robert Bien Aymé et Pépin.


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Son Altèze que par les quatre membres de Flandres seront pour le moins la moictié d'iceulx catholiques, affin d'y mectre ordre au contentement des parties, et ne se fera la dicte répartition sinon es lieux où la prétendue réformée religion est jà introduicte. Et es villes, villaiges et lieux où il n'y aurait qu'une église, Son Altèze, Estatz généraulx et quatre membres de Flandres feront leurs extrêmes debvoirs de les conserver au seul usaige des catholiques ; se seront dudict repartissement excepté les églises de dignité, si comme abbayes, églises, cathédrales et collégiales, lesquelles seront aux catholiques seulz. Et au regard de l'église de saint Johan (1), en la ville de Gand, en considération qu'elle est la principale église d'icelle ville, mesmement que feu de très haulte mémoire l'empereur Charles y at esté baptizé et le roy y auroit tenu son dernier ordre, lesdits seigneurs de Montigny et de Hèze requièrent qu'icelle soit restituée aux catholiques. Néantmoins, pour ne rompre ung accord tant requis pour le bien du pays, remectent l'ultérieure détermination à Son Altèze et Estatz généraulx, les supplians vouloir tenir la bonne main à la restitution des églises.

II. » Que tous les ecclésiasticques et gens d'église seront restituez en leurs cloistres, maisons, héritaiges. biens et rentes exceptez les terres sur lesquelles sont assis les bollewercqz, courtines, fosses et contrescarpes, dont ilz en auront semblable récompense que aultres particuliers cy-après. Et pour que leurs meubles sont la plus part dissipez et aliénez, se contenteront de ce qui sera trouvé en leurs cloistres. maisons et fondz ou en

(1) Le 16 décembre, les Gantois avaient ajouté : « ce neantmoings soubstiennent ceulx de Gand si avant qu'il touche l'esglise Sainct-Jehan en leur dicte ville qu'elle est parrochiale ».


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main séquestre, mais quant aux mendians (1) d'autant que les dictz députez de Son Altèze, des estats généraulx et du pays de Flandres ont déclairé aux dictz seigneurs de Montigny et de Hèze qu'ils sont tous retirez et leurs églises et cloistres accommodez à ceulx de la religion réformée au lieu de paroichiales, les restablir le plus tost que faire se pourra et dès à cest heure leur suivront les revenus et biens des cloistres où ils sont proffez, exceptez les terres occupées par les ouvraiges de la forme que dessus.

III. » Que tous nobles et aultres ayans biens aux dictes Flandres et ne tenans le parti des espaignols ou leurs adhère as seront remis en tous leurs biens, droictz, seigneuries et prééminences et paisible possession d'iceulx en telle forme, manière et exception comme a esté déclairé cy-dessus pour les ecclésiasticques. Bien entendu (pue quant aux offices et estatz qu'iceulx nobles avaient ausquelz Son Altèze aurait pourvu d'aultres administrateurs, requièrent lesdicts seigneurs qu'il plaise à Son Altèze donner aux déposez occasion de contentement, consentans pour aultant qu'en ceulx est que tous ceulx qui sont passé quelque trois ou quatre mois expulsez ou se seront retirez hors des villes d'Artois, Haynault, Lille, Douai et Orchies, Tournay et Tournosiz et tous aultres lieux pour le fait de la religion ou ce qui en dépend, soyent réciproquement restabliz en la possession paisible de leurs biens et qu'ilz pourront librement habiter et

(1) Dans la rédaction du 16 décembre les Gantois avaient ajouté : « excepté les niendiens, pour estre tous retirés et leurs esglises et cloistres accomodés à ceulx de la religion réformée...; ce néantnioings ont esté content de leur laisser suyvre le revenu et biens des cloistres, dont ils sont prolects ». Leduc d'Anjou avait proposé : « Seront les esglises d'iceulx départies esgalement, scavoir est la moitié qui sera rendue et restitée à iceulx mendiens et l'autre moitié à ceulx de la religion prétendue réformée ».


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demeurer es dictes villes et pays, suyvant la pacification de Gand et se conduisans selon elle.

IIII. » Les ungs et les aultres desdictes religions seront tenuz se comporter ensemble en toute modestie, raison et fidélité, sans practiquer ou attempter l'ung contre l'aultre, ny contre le repos de la patrie aulcune chose directement ou indirectement, et que contre les transgresseurs sera procédé sommièrement et sans dilay par ceulx quy seront à ce deuement choisiz et 01 donnez au contentement des deux partis par indiviz, assçavoir aultant de l'une religion que de l'autre, ausquelz appartiendra la cognoissance pour en décider sommièrement. Lequel juge et magistrat es lieux où s'excèrcent les deux religions et non ailleurs sera aussy composé esgallement des deux religions, selon les privilèges et anciennes coustumes de chacune ville et place, et seront les officiers des dictes places obligez les assister à paine de s'en prendre à eulx au cas de refuz ou difficulté. Bien entendu que les choisiz et magistrat feront serment d'administrer une bonne et briefve justice sans porter faveur ou dissimuler pour l'une ou pour l'aultre religion.

V, VI et VIL » Lesdicts seigneurs de Montigny et de Hèze acceptent que tous les prisonniers détenuz à Gand, soient mis en main neutrale suyvant l'acte de Son Altèze, estans contens que ce soit es mains du duc de Clèves. A condition qu'ilz y seront conduitz avec telle seureté de leurs personnes que Son Altèze et Etats généraulx en puissent répondre. Et que dedans six sepmaines après leur sortie de Gand leur sera déclairé les charges de leurs accusateurs, ou en faulte de ce, seront tenuz absoulz et déchargez. Sur lesquelles charges leur sera administré bonne et briefve justice selon les droitz privilèges et coustumes du pays. Toutefois avant sortir de Gand feront lesdicts prisonniers serinent de ne rien attempter au


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préjudice du repos publicq et, nommément contre ceulx de la ville de Gand ou manans d'icelle ville pour les choses passées. Et au regard de madame de Glayon, elle sera tenue exempte de toutes promesses et obligations qu'elle pourroit .avoir faict pour son élargissement. Et seront d'une part et d'aultre relaxez tous capitaines, officiers, soldai/, et, tous aultres ayans tenu le parti, adhéré ou favorisé soit en secret ou en publicq l'une ou l'aultre des parties, le tout sans rançon, fraiz ou dospens, ne fut qu'auparavant ce traicté ilz eussent accordé sur ieelles rançons, Irais et despens (1).

IX. » Est accordé que les dictes compaignics (de Montigny, Hèze, Alennes, etc.) seront mises et retirées es villes de Cassel et Menin. jusqu'à ce que le payement des deux premiers mois leur soit faict, délaissant et quiclanl toutes aultres places par eulx ou leurs associez occupez... se retitans la part que Son Altèze commandera, aussitôt qu'ils auront reçu les dicts payements... ensemble l'asseurancede l'accomplissent des poincts susditz » ('£).

Aces stipulations Montigny et de Hèze ajoutèrent un mémoire concernant leurs intérêts privés, dans lequel ils demandent le gouvernement d'une ville et le payement de ce qui sera trouvé leur être dû (3).

(1) Le IG décembre, la rédaction portait: « Ceulx de Gand donneront leur aclvis et absolute résolution par escript comme de chose qui les touche, eu particulier, lesquels on entend s'estre quant à ce totallement conformés à la demande et proposition de la Court.»— Le duc avait ajouté : « Monseigneur se rapporte au contenu en ces articles aux sieurs de Montigny et de Hèze ».

(2) Dans la rédaction du 16 décembre les Gantois demandaient aux Malcontents de demeurer dans les places qu'on leur désignerait, de quitter toutes les autres qu'ils occupaient et de se retirer là où l'archiduc l'ordonnerait, aussitôt après avoir reçu l'assurance requise de l'exécution des articles.

(3) On trouve une copie de la Conoention de Comines dans la collection Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol. 180. MM. Muller et Diegerick (Documents concernant les relations


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Pendant qu'il négociait à Comines, Montigny apprit que ses soldats étaient sur le point de quitter leurs quartiers pour se rendre a Watten, où la Motte les attendait avec une partie de ses propres soldats et de ceux de Masnuy (1). Il se rendit précipitamment à Menin, arrêta les capitaines et autres officiers gagnés par la Motte, s'assura de Cassel et confia les prisonniers à Fontpertuys, agent du duc d'Anjou, qui devait les conduire à Lannoy (2).

Montigny étant de retour à Comines, le 12 janvier, de Bours et ses collègues acceptèrent les conditions proposées le 9 et l'accord fut conclu. Cet accord, connu sous le nom de Convention de Comines, fut ratifié le 25 janvier par l'archiduc, le prince d'Orange, le conseil d'Etat et les Etats généraux (3).

Le 15 janvier, les officiers et soldats de Montigny écrivirent à ceux du régiment d'Egmont, en garnison à Saint-Omer. Ils les engagaient à ne pas se séparer de la généralité, « affin qu'évitiez le ni ilheur qui nous estoit préparé par les séductions et promesses décepvantes de ce parjure, si Dieu, par sa divine clémence, ne nous eut à l'instant descouvert le comble de ses méchancetez, qui

entre le duc d'Anjou, etc., t. 11. p. 566) en ont reproduit le texte d'après Ordinaris Depechen des archives royales du royaume à La Haye ; comme aussi le texte du mémoire concernant les intérêts pricés de Montigny et de Hèze (l. c , p. 575).

(1) La date de cet événement est fournie par de Bours qui, le 10 janvier 1579, annonçant aux quatre membres de Flandre, « que le tout est desja réluieten bon chemin », ajoute : « Mais comme je suis encorres empechè avecq lesdicts sre de Montigny et de Hèze. pour divertir aulcuns desseings du s1 de la Motte lequel coiniiienchoii desja attirer à son costé plusieurs soldais de leurs troupes soubs prétexte de six mois de gaiges qu'il présentoit »... — iiO'-umcnts historiques inédits concernant les troubles des l'aysBas, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, t. 1, p. s8.

(2) Mémoires sur Emmanuel de Lalaing, éd. BLAES, p. 33.

(3) Documents historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSUEKE

VOLKAERSUEKE DIEGERICK, l. C, p. 120.


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ne tendent à aultre but que d'attirer l'Espaigne eu Arthois. Pour à quoy obvier les Estatz généraulx et tous les seigneurs et gentilzhommes de ces pays ont supplié monsieur de Montigny de voulloir etnprendre la charge et conduite de tous les wallons et trouppes catholicques jusques à ce que toutes les provinces en général puissent jouir, en s'accordant avec le roy, d'une paix désirée, qu'on espère de brief.... Et parce que monsieur de Montigny nostre général, a donné toutte charge à à monsieur de Waron, qui commande à Cassel, de vous donner toutte assurance de son costé et du nostre, tel que la sçauriés désirer, avecq lettres de sa main qu'il vous pourra monstrer, nous espérons que ne fauldrez de incontinent nous mander l'entière conclusion de vos voluntez... » (F). Un soldat de Cassel apporta les lettres de Montigny et de son régiment à Saint-Omer. Le magistrat de cette ville ayant surpris des propos entre les soldats à ce sujet, condamna à mort le malheureux messager. Il ne lui fit grâce que sur l'intervention du commandant de Cassel, qui affirma que le courrier ignorait ce qu'il portait (2).

Sur la dénonciation du magistrat de Samt-Omer, les Etats d'Artois se plaignirent à Montigny de ses agissements. Celui-ci leur expliqua sa conduite et écrivit en même temps à Saint-Omer pour se justifier. Il sait, déclare-t-il, qu'on a calomnié ses intentions ; il affirme à nouveau qu'il n'a pris les armes que pour le maintien de la Pacification de Gand et pour la conservation de la foi catholique romaine. Il persévère dans ces intentions. Le traité qu'il a conclu avec les membres de Flandre n'y contredit pas, au contraire. Par là, il réprime les excès

(1) Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MULLER et DIEGERICK, t. II, p. 584.

(2) BLED, La Ré/orme à Saint-Omer, p. 196.


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des Gantois, jusqu'à ce que les Etats généraux et Son Altesse puissent rétablir l'ordre. De plus longues divisions auraient amené une ruine générale. Quant à l'arrestation de quelques-uns de ses capitaines, c'est affaire de discipline. Il conjure ceux de Saint-Omer de se garder des traités particuliers, prenant bien garde « que aucuns abusant de ce doux et tant désiré nom de paix ne vous introduisent en vos entrailles une très cruelle guerre ». Ces particularités ne peuvent que « obliquement restablir au milieu de nous la domination estrangère que tant abhorrissons ». Le plus sûr est de suivre le chemin «tant saintement encommencé » d'une plus étroite union entre les provinces, afin de mieux « s'entre deffendre », mais sans se séparer de la généralité (1).

Si Montigny se trompait en pensant qu'il maintenait la Pacification de Gand et la religion catholique par la proposition de ses articles sur le partage des églises entre catholiques et réformés, etc. (2) ; s'il se trompait en espérant que les États généraux et Mathias parviendraient à rétablir l'ordre au moyen de cette espèce de paix de religion, il avait au moins le dessein généreux d'arracher à leur dure captivité et à une mort presque certaine les captifs du Princen-Hof et d'éviter à sa patrie les horreurs d'une guerre civile. Mais, ici encore, il se

(1) Archives municipales de Saint-Omer. Correspondance du Magistrat. Citation de M. IÎLCD, La Reforme, etc., p. 196.

(2) Les provinces wallonnes comprenaient mieux la Pacification de Gand. « Laquelle pacification (de Gand), écrit Alexandre Farnèse au roi, tous lesdicts estats walons veuillent maintenir et qu'elle sorte son effect, puisque feu le sr don Juan l'a jurée et Vostre Majesté ratifiée, principalement pour contenir la retraicte des Espaignolz, et, en vertu d'icelle contraindre et forcer (comme ils disent) les aultres provinces de la langue ilamengue à restaurer les églises et faire cesser les presches, sauf en Hollande et Zeelande ». Correspondance d'Alexandre Farnèse, éd. GACHARD, l. c, p. 401.

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trompait, heureusement pour la cause catholique. Les Gantois allaient lui prouver son erreur.

Dans leur réponse à la lettre du 10 janvier, par laquelle de Bours avait annoncé le succès de sa négociation, les quatre membres de Flandre ne cachèrent pas que les conditions exigées par les Malcontents n'étaient nullement à leur guise. Bientôt le peuple de Gand fournit la preuve qu'il n'entendait pas se laisser guider par ceux qui lui conseillaient la modération. Le 19 janvier, le Taciturne obtint un acte en vertu duquel les Gantois permettaient de conduire les prisonniers à Termonde, d'où ils seraient transférés, par Cologne, au pays de Clèves (1). Lo lendemain, 20 janvier, Montigny lui écrivit pour urger l'exécution de la Convention de Comines, le suppliant « qu'il luy plaise faire haster le plus qu'il sera possible tout ce qui a esté convenu, mesmemont la délivrance des srs prisonniers, dont le délay engendre infinies dissidences et pourroit causer nouveaux troubles » (2). Lorsqu'on voulut exécuter l'acte du 19 janvier, la populace s'ameuta, força les malheureux prisonniers à descendre des chariots où ils étaient déjà montés, et à rentrer k la Cour des Princes. Toutefois, le 23, quatre chariots couverts, sous escorte de quarante cavaliers et d'une compagnie d'infanterie, conduisirent les captifs à Termonde, où ceux-ci furent remis entre les mains de Ryhove, gouverneur de cette ville. Mais Ryhove, au lieu de les envoyer au pays de Clèves, les retint à Termonde, d'où les malheureux furent ramenés à Gand le 4 avril (3).

(1) Documents historiques inédits, etc , éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, t. I, p. 109.

(2) Ibid., p. 110.

(3) FRANÇOIS DE HALEWYN, Mémoires sur les troubles de Gand, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE, pp. 114-191, où l'on trouve tous les détails sur le sort des prisonniers.


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L'article de la convention de Comines, auquel les Malcontents tenaient le plus, n'était pas observé. La clause relative à l'exercice de la religion catholique fut également violée. Les églises de Gand et des environs furent restituées en partie aux catholiques; mais à peine ceux-ci avaient-ils commencé à y célébrer le service divin que les violences des calvinistes recommencèrent de plus belle ; en mars, les iconoclastes commettaient par toute la Flandre de tels ravages que l'on dut renoncer à l'exercice public du culte catholique. C'est ce qui allait bientôt ramener complètement Montigny, malgré son différend avec de la Motte.

Les Etats d'Artois devaient se réunir le 0 février 1579. Le 31 janvier, le prince do Parme écrit à l'évêque d'Arras, et au seigneur de Valhuon : «Et puisque touttes choses sont remises à l'assamblée future le VIe de l'aultre mois, ce qui sera au faict sera de bien informer ceulx qui se y trouveront et les desabuzer de ruzes et finessses du prince d'Oranges et des siens et qu'ilz ne leur veuillent plus adjouster nulle foy pour les mensoinges et bourders qu'ilz ont semez jusques à présent, si comme que le conte de Zwartzenberg avoit traicté à Visez avecq nous le faict de la pacification générale, vous aiant bien apparu le contraire par les pièces que vous sont esté envoyées. Aussi leur mettre au devant la négociation et union particulière qui se praticque en Lîtrecht (1) contre eulx, le traicté qu'il a faict à Gand touchant l'exercice des deux religions. Davantaiges leur montrant copie de la lettre du sr Aldegonde (2) par laquelle ilz pourront descouvrir ses

(1) L'Union d'Utrecht, signée le 23 janvier 1579, se préparait déjà depuis le mois de novembre 1578.

(2) Voici un extrait de cette lettre de Marnix de Sainte-Aldegonde à Ryhove :

« Son Excellence [le prince d'Orange] s'appreste pour vous venir


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intentions tant pour le faict de sa faulse religion que de la paix qu'il ne désire, se moucquant de tout le monde quand il dit que l'on accordera ung aultre voiage au conte de Zvvartzenberg après qu'ilz auront asseuré leur faict, et ce qu'il praticque pour gaigner villes et extirper les bons. Et que partant l'on veuille entrer en la réconciliation particulière sans plus de dilay et se résouldre toutd'ung beau coup et envoyer icy députez avecq les articles que l'on pourra avoir conceu. Et s'ilz sont telz que voulons espérer de subjectz tant catholiques et loyaulx à leur prince, vous les pourrez asseurer que envoyant icy députez pour conclure et arrester le tout, que nous ne les laisserons partir mal contens de nous. Ains leur donnerons toutte satisfaction, à nous aucunement possible, mesmes en ce qui concerne le faict de la ratification de la Pacification de Gand, sur laquelle aurez veu ce que nous vous en avons escript, par le baron de Selles, party pour vous aller trouver pour renforser vostre légation comme avez désiré » (1).

veoir, combien qu'il ne s'y fiera de léger, sans premièrement séjourner en chemin pour bien fonder le fond. Vous ferez avecq les fidelz tous bons debvoirs tant pour accélérer son asseurance et arrivée que de l'assister quand il sera illecq. J'espère que ces bélistres malotruz porteront de, bncf le coeur plus mal content qu'ilz ne s'en attribuent le nom. La dextérité est extrême, conceue par Son Excellence, et bien aultre qu'il ne descouvre à ses altèze3 petites et grandes; sur tout, bonne et sûre mine et langue. En la plus voisine de nos bonnes villes nous avons perdu au Magistrat ung bien tidel et affectionné, mais il y en a encoires d'aultres bien principaulx, et sy y est la garnison ennemie aux infidelz pour mourir au collège des patres, illecq Son Excellence a trouvé d'y mectre une mouche s'asseurant bien tost d'aultres bourdons. Tu sustine, temptis enim breee. Nous avons esté bien informé quel part ceste nostre mouche a eu avecq le tyran d'Alva, et, pourquel service il avoit obtenu le don de la greffe de la ville après le sacq. Mais telz galans nous duisent comme sçavez, et en avons tousjours tirez les plus notables services. Nostre gros solliciteur ne cesse de crier paix et de cercher propositions : auquel nous accordons un aultre voyage quant tout sera bien contreminé ». — Archives municipales de Saint-Omer. Correspondance du Magistrat. O. BLED, La Réforme, etc., p. 188.

(1) Réconciliation des proeinces wallonnes, t. II, fol. 191.


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De son côté, l'archiduc Mathias et les États généraux s'efforcèrent de détourner les provinces wallonnes d'une réconciliation particulière. Par une déclaration du 29 janvier, ils promettent qu'ils tiendront « la bonne main à ce que contre leur gré et volunté l'exercice de la religion prétendue réformée ne fût admise ny introduite es dictes provinces, par quelque voye que ce soit, contre la Pacification, union et serment par eulx preste. Lesquels ferons mainctenir en tous leurs poincts et articles, et par espécial ce qui touche la dite religion catholicque apostolicque et romaine, entendant néantmoing que les dictes provinces ne se disjoincdent de la généralité, à cause de la religion es aultres villes permise par provision, par accord des Etatz d'icelles » (1).

Le 24 janvier, les Etats généraux avaient dépêché vers les États d'Artois, de Hainaut, de Lille, Douai et Orchies l'abbé de Saint-Bernard, le marquis d'Havre et Adolphe de Meetkercke, avec mission de les détourner de conclure un traité particulier avec le prince de Parme (2).

Ces délégués arrivèrent à Mons le 4 février, et à Arras, le 15.

Ils réussirent auprès des Etats de Hainaut qui, le 8 février, prirent la résolution « d'envoyer leurs députez aux Estatz généraulx pour soliciter et avancher la pacification et réconciliation avec le roy catholique, nostre seigneur et prince naturel, encommenchées par l'ambassadeur de l'empereur...; le tout néantmoings sur le pied et fondement de la Pacification de Gand, Union ensuivie et Edict perpétuel, sans y povoir avancher ou coucher quelque article contraire, signamment à la reli(1)

reli(1) historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSUEKE et DIEGERICK, t. I, p. 127.

f2) Actes des États généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 137. n" 1645.


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gion catholique romaine » (1). Ils réussirent également auprès des États de Lille, Douai et Orchies et de Valenciennes qui s'engagèrent à ne traiter de la paix qu'avec la généralité. Mais à Arras, Meetkercke et ses collègues trouvèrent les esprits « merveilleusement altérez et malcontents ».

Dans la séance du lundi 16, de Selles et de Valhuon exposèrent les intentions du roi, en présence des députés du Hainaut, Lille et Douai. Le lendemain, les députés des États généraux eurent leur audience. Ceux-ci écrivent, le 20, à Anvers : « Nous espérons que la résolution des Estats d'IIaynault causera que lesdits d'Arthois ne se disjoindront point de la généralité et ne feront aulcun traicté particulier ». Le 23, le marquis d'Havre informe l'archiduc Mathias de la situation : « Sommes encoires' aux mesmes termes, dit-il, les Estats consultans sans résolution, le sr de Selles avec ses fauteurs practiquans par tous moyens et inventions possibles pour parvenir à leurs pernicieux desseins (2) ». Le 19 était arrivée à Arras une lettre, datée de Madrid, le 7 février, dans laquelle Philippe II disait : « Nous vous promectons de rattiffier et approuver tout ce que les évesque d'Arras, s 1' do Valhuon et consors traicteront et accorderont avec vous, en vertu et suyvant la commission et instruction qu'ils ont à celle fin de notre très chier et très amé nepveu le prince de Parme » (3). Le 23, les deux commissaires du roi firent entendre à l'assemblée que le souverain inclinait à accepter la Pacification de Gand. Ces nouvelles ramenèrent les États de Hainaut et de Douai, qui avaient été un moment dissidents.

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACIIARD, t. II, p. 461, appendice XVIII.

(2) Documents historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, t. I, pp. 163 et 165.

(3) Réconciliation des prorinces wallonnes, t. II. fol. 198.


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En effet, le 24 février, après avoir entendu Pévêque d'Arras, les Etats d'Artois, de concert avec les députés du Hainaut et de Douai, envoyèrent aux Etats généraux la réponse suivante aux propositions de Meetkercke et de ses co-députés :

L'avertissement de demeurer dans l'union ne doit pas s'adresser à nous, qui n'avons jamais contrevenu en un seul pointa la Pacification de Gand,; il doit s'adresser à ceux qui l'ont constamment violée. Nous n'avons reçu aucune satisfaction à notre requête du 6 janvier, dans laquelle nous demandions que les affaires fussent redressées sur le pied de la Pacification de Gand et de l'Union de Bruxelles, vous priant de nous dire votre intention à ce sujet dans le courant du mois. Le terme est expiré depuis longtemps, et nous sommes toujours sans réponse. Au contraire, les choses vont de mal en pis, et les réformés se liguent contre nous. Nous voulons bien une réconciliation générale, de préférence à une réconciliation particulière, « pourveu néantmoins que ce soit sur le pied et fondement de la Pacification de Gand, Union ensuivie et Edict perpétuel, sans y admettre ou coucher chose quelconque au contraire, signamment de nostre saincte foy et religion catholicque romaine ». On nous a présenté de traiter une réconciliation avec Sa Majesté, qui a l'intention de ratifier la Pacification de Gand, l'Union de Bruxelles et l'Edit perpétuel. Malgré les avantages qu'elle nous procurerait, nous n'avons pas encore voulu la conclure, dans le ferme espoir de parvenir bientôt à une réconciliation générale sur le même pied. Nous avons supplié le prince de Parme « de vouloir embrasser ladicte générale réconciliation (1). Requérant

(1) En effet, le 25 février, les Etats d'Artois remirent au baron de Selles et au seigneur de Valhuon, un message dans ce sens pour Alexandre Farnèse. 11 est reproduit par M. BLED, La Réforme, etc., p. 220.


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bien instamment Vos Seigneuries ne rejecter ou négliger l'occasion qui se présente si bonne, de tant qu'aullrement la nécessité nous presseroit de passer plus avant ». Nous vous prions aussi de nous faire connaître, avant le 15 mars, votre intention sur le redressement des affaires, et de nous communiquer les articles de paix proposés à l'ambassadeur impérial. Vu l'état des choses entamées de part et d'autre, il ne doit pas vous étonner si nous regardons votre silence comme un refus (1).

A cette lettre si correcte, si sincère et si désintéressée des Etats d'Artois et des députés du Hainaut et de Douai les Ettits généraux répondirent, le 3 mars, par une longue missive. Cette missive, qui porte un cachet tout à fait calviniste (2), ne ressemble pas aux autres lettres adressées jusqu'ici par les Etats généraux aux provinces wallonnes. Voici le résumé de quelques passages :

Vous nous demandez de redresser les affaires sur le pied de la Pacification de Gand. Mais, en vous conjurant de « demeurer en l'union de la généralité », nous n'avons fait autre chose que vous rappeler l'observation de ce traité. En effet, la Pacification de Gand a été conclue dans le but d'expulser les Espagnols et de maintenir nos privilèges ; « voilà le fondement et entière base de la dicte Pacification, voilà la cause et l'occasion pour laquelle elle a esté entreprise et sur laquelle elle s'appuye et repose, et bref, à laquelle tous aultres poinctz et articles d'icelle se doibvent l'apporter comme à leur

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 462, appendice XIX.

(2) Elle rappelle le fameux et sophistique Discours contenant le vraij entendement de la Pacification de Gand, de l'union des Estats et aultres traictés y ensuyris, loucliant le faict de la Religion. Par lequel est clairement monstre' que le Religions-fridt ne répugne pas ny ne contrarie aucunement à ladietc Pacification, Union, etc., 1579.


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première source et origine » (1). Vous et nous tous, « sommes, avant toutes choses, tenuz et obligez si estroictement » de chasser les Espagnols, que nous devons nous y employer, « jusques au bout, voire plus tost mourir qu'en y faisant faulte, soubz quelque prétexte que ce soit ». Des hommes intéressés cherchent à vous éblouir les yeux en vous promettant que les Espagnols se retireront lorsque vous serez assez forts pour résister à toutes les autres provinces qui ne veulent pas se réconcilier aux mêmes conditions que vous. Connaissant votre attachement à la religion catholique, ils veulent vous attirer à eux par ce beau prétexte ; c'est vous proposer « les fers et les chaînes d'une servitude espagnole, couvertes de quelque lustre de faux or ».

La Pacification de Gand il est vrai, a été violée en quelques points, par une conséquence nécessaire des troubles ; mais cela n'autorise pas les Etats d'Artois à renoncer au but de ce traité, même tous les autres articles fussent-ils transgressés. On objecte que les Etats généraux ont excédé leur pouvoir en admettant la religion réformée hors de Hollande, Zélande et lieux associés ; cette objection aurait quelque apparence de fondement, si l'on avait pu se débarrasser des Espagnols. Mais la Pacification de Gand a été conclue au moment où nous pensions que le nombre des réformés dans les autres quinze provinces était restreint. Or, il n'en a pas été ainsi depuis; une foule d'habitants de ces provinces ont embrassé la réforme. Pour éviter l'effusion de sang, nous avons dû leur accorder, au moins par provision, et là, où on le désirait, la Paix de religion. Loin d'enfreindre par là la Pacification de Gand, nous avons employé « le seul et unique moyen de la maintenir inviolable contre

(1) Comme si le maintien de la religion catholique dans les quinze provinces n'avait pas été formellement stipulé!


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les practiques et menées escovédiales ». En empêchant, par le traité de Gand, ceux de Hollande et de Zélande d'introduire la réforme dans les quinze provinces, nous ne nous sommes pas été la liberté de le faire nous-mêmes, en cas de nécessité ; tout comme ces deux provinces, en nous empêchant d'y introduire la religion catholique contre leur gré, conservent la faculté de l'admettro elles-mêmes, si cela leur convient. Désireux d'une bonne paix, nous sommes prêts à accepter les articles que vous nous proposez, « pourvu que tous y soyent comprins, sans faire différence de religion ». Veuillez donc nous déclarer promptement si vous voulez passer outre à une réconciliation particulière, sans la généralité, sous prétexte que d'autres provinces exigent la Paix de religion (1).

Tous ces sophismos, de même que l'apologie de la rcligion-vrcde présentée par Mcetkercke (2) ne firent aucune impression sur les Etats d'Artois ; nous le verrons tout à l'heure.

L'épèe du chef des Malcontenls était indispensable au triomphe de la cause catholique, et on était sur le point de la perdre ; il fallait absolument aplanir le différend entre Montigny et de la Motte.

Le prieur de Renty avait fait, le 24 janvier, une démarche inutile de la part de la Motte auprès de Montigny (3).

A la demande de Valentin de Pardieu, le vicomte de Gand et le seigneur do Câpres eurent avec lui une entrevue, à Béthune, le 3 février. Ils y signèrent la L'roleslalion de Béthune, acte par lequel ils promettaient de se

(1) Actes des Etats généraux, éd. GACIIARD, t. II, p. 465, appendice xx.

(2) Ibid., p. 162, nô 1736.

(3) Do"uments concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MUI.I.ER et DIEGERICK, t. II, p. 601 Lettre de la Motte au prince de Parme, 25 janvier 1579.


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mettre au service du roi, si «la Pacification de Gand, et Union, ensemble Edict perpétuel » étaient maintenus et si les soldats espagnols et autres étrangers sortaient promptement du pays, en ajoutant que, si quelques villes ou provinces ne voulaient faire de même, ce seraient celles-ci et non pas eux qui devraient être considérées comme se séparant de l'union. A cette protestation était jointe l'obligation de faire la guerre aux Espagnols, si le roi n'accomplissait pas les promesses faites en son nom. Robert de Melun et Câpres communiquèrent leur protestation à Montigny et l'invitèrent à se trouver avec eux et de la Motte à Cuinchy, aux fins de régler les difficultés pendantes entre lui et le gouverneur de Gravelines (1). Le 11 février, passant à Lille pour se rendre à Cuinchy, Montigny promit à de Hèze, en présence de Willerval, gouverneur de Lille, et du colonel d'Alennes, de ne pas signer la protestation avant d'avoir du vicomte de Gand et du seigneur de Câpres l'engagement écrit de procurer la signature de la Motte dans les six jours. 11 exigea en outre que, au cas où de Pardieu refuserait de s'engager comme eux, les signataires le tinssent dès cette heure pour ennemi, promettant de ne plus traiter avec lui directement ou indirectement (2). Dans la réunion du 11, à Cuinchy, Montigny se montra froid à l'égard de la Motte, auquel il reprochait d'avoir suborné plusieurs de ses officiers. Ce dernier répondit qu'il en avait agi ainsi parce que Montigny ne donnait pas suite à ce qui avait

(1) Le registre B aux délibérations des Etats d'Artois mentionne, à la date du 7 février : les Etats décident que l'on écrira à M. de Masnuy à Saint-Omer pour l'informer que les s" de la Motte et de Montigny doivent se rencontrer à Cuinchy avec MM. de Gand et de Câpres, et qu'il sera instruit de ce qui s'y sera passé. O. BLED, La Réforme, etc., p. 207.

(2) Documents historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, t. II, p. 136.


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été concerté entre eux, et avait mémo, à son insu et à l'insu do ses propres soldats, conclu un traité avec les députés des provinces hérétiques ; qu'il ne devait donc pas trouver étrange de le voir prendre des précautions contre lui. Le vicomte de Gand intervint en alléguant qu'il avait fait de même à Hesdin avec le seigneur d'Auberlieu, qui ne le prit pas en mauvaise part. Mais Montigny ne voulut pas céder. Le lendemain il fut question «de faire promptemcnt ung corps sollide, composé de cavaillerie et infanterie, catholiques et vassaux de Sa Majesté» pour résister au prince d'Orange et à ses adhérents et les chasser. Montigny ne put pas encore se résoudre à renoncer à son traité avec de Bours; mais il exprima l'intention d'aller voir de Hèze, demandant quatre à cinq jours pour répondre, et partit pour Arras, où il se trouva avec le colonel d'Alennes. Avant l'expiration du terme, de Pardieu lui dépêcha Bois-d'Enghien, chargé de lui remontrer qu'en n'acceptant pas les « belles offres que Sa Majesté luy faisoit estre chef et général des trouppes de ce costel», il agissait contre son honneur et profit, et « directement contre la loy de Dieu et son église catholique romaine, son debvoir comme vassal» du roi. Boisd'Enghien trouva de meilleures dispositions chez Montigny, qui fit demander « en quoy se pourroit estendre l'auctorité que Sa Majesté luy offroit ». Les explications fournies par de la Motte firent bonne impression ; le chef des Malcontents promit de répondre au roi et de faire savoir à Sa Majesté que s'il avait attendu si longtemps de se déclarer, c'était « pour amener et confirmer les provinces catholicques ensamlile » (1).

Le chef des Malconlents était-il gagné à la cause

(1) Documents concernant les relations entre le duc d'Anjou, etc., éd. MULI.ER et DIEGERICK, t. II, pp, 614-619. Lettre de la Motte au prince de Parme, 5 mars 1579.


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royale (1) et tâchera-t-il désormais de se dégager vis-àvis des Etats généraux ? Il trouvera du moins dans les nouveaux excès des Gantois l'occasion favorable de s'allier définitivement avec de la Motte.

Montigny se trouvait peut-être encore à Arras, lorsque, le 28 février, les soldats et officiers de la garnison de Saint-Omer (2), à l'occasion d'un incident dont nous ignorons la nature, exprimèrent leurs sentiments au vicomte de Gand, gouverneur d'Artois. « Tous les capitaines, officiers et soldats, disent-ils, avons promis et juré à M. de Masnuy nostre lieutenant colonel de mourir tous à ses piedz pour maintenir la Pacification de Gand et Union. Laquelle promesse nous promectons et jurons de tenir inviolable, et appelons le Seingneur Dieu à témoing que jamais ne fut et n'at esté aultre nostre intention, et que c'est là le but où nous voulons tous mourir, promectans à V. S. et à M. de Masnuy de luy donner tout ayse et confort pour ayder à chastier ceulx quy se trouveront coupable de volloir aller au contraire de nostre promesse. Et pour donner satisfaction à V. S. de ce quy s'est passé hier, il est, Monseingneur, que nous avons prié AI. Waest, l'ung de noz capitaines, de se voloir trouver vers la S. de Mgr le conte d'Egmont, nostre colonnel, pour luy déclarer nostre intention, à

(1) « Ces seigneurs [de Câpres et le vicomte de Gand] donques s'assurans et prenans goust à ce qu'il samble estre desjà traité et convenu entre eux et ledict sr de la Motte et s" députés, ont fait grand debvoir pour donner le mesuie goust aux aultres et les amener et convertir à leur intelligence, comme a esté fait du s' de Montigny et quelques aultres à l'assamblée de Cunchi ; car lesdits s" de Selles et de Valhuon m'ont dit qu'il est quasi tout converty, moyennant l'entretènement de la Pacification de Gand ». Réconciliation des prorinces wallonnes, t. II, fol. 202. Lettre de Fr. de Moncheaux au prince de Parme, 17 février 1579.

(2) Ces troupes, composées de cinq enseignes, sous le commandement de Masnuy, appartenaient au colonel comte Philippe d'Egmont.


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celle lin de luy prier qu'il luy plaise de se volloir trouver icy pour se joindre avec Messeingneurs les Estats catholiques, pour maintenir la Pacification de Gand et l'Union ensuivye. A faulte de quoy, luy déclarer de nostre part que nostre intention estoit de vivre et mourir sur ces articles, tant solempnellement par nous jurés. Par quoy si Sa Seingneurie ne volloit tenir le mesme party, nous luy déclarons que nous nous tenons quicte et absoutz du serment que luy avons preste et que nous obéirons dores en avant à M. de Masnuy, suivant le commandement à nous faict de la part de Messieurs les Estatz d'Artois et V. S. » (1).

Pendant que la garnison de Saint-Omer pressait ainsi le zèle de son colonel, le comte d'Egmont, il est probable que la môme impatience tourmentait les soldats de Montigny (2).

Le seigneur de Bours attendait le retour de Montigny des Etats d'Artois pour l'inviter à sortir de Flandre et à mettre ses troupes au service des Etats généraux. Le 4 mars 1579, il fit savoir aux chefs des Malcontenls que l'archiduc Mathias, afin de leur donner satisfaction au sujet des évéques et seigneurs prisonniers, avait trouvé convenable de remettre ceux-ci entre les mains du marquis de Berghes, seigneur catholique. — Le 6 mars, Montigny et Hèze répondent qu'avant d'être tenus de retirer leurs soldats des places où ils sont en garnison, il faut que les articles de la Convention de Comines soient exécutés. Or, le premier article, relatif au rétablisse(1)

rétablisse(1) BLED, La Réforme, etc., p. 224.

(2) « Ung de ses capitains [de Montigny], dit ung jour à Arras que si tost que la ditte armée de Gravelinges se mectroit aux champs et approcheroit celle dudict sr de Montigny, les soldats et gentilz hommes abandonneront ledict s' de Montigny pour se retirer et renger du costé dudict de la Motte M. Réconciliation des prorinces wallonnes, t. II, fol. 217. Lettre de François de Moncheaux à Alexandre Farnèse, 18 mars 1579.


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ment de l'exercice du culte catholique par toute ht Flandre, « est bien petitement avanché depuis la conclusion du traicté, ores qu'il y ait jà deux mois de l'arrest d'icelluy » ; il en est de même du second, relatif à la restitution de leurs biens aux ecclésiastiques, qui sont pour la plupart «constraintz d'estre vagabonds es maisons particulières et habitz lays ». Quant aux prisonniers, « il ne doibt plus estre question de les renvoyer es main neutrale, soit en Clèves, à Berghes ou ailleurs, ains procéder à leur descharge et délivrance absolute », puisque le terme de six semaines à compter du jour de leur sortie de Gand est expiré, sans qu'on leur ait déclaré « les charges de leurs accusateurs ». « Semblablement la dame de Glajon n'est encoires deschargée des promesses et obligations qu'elle a esté constrainte de faire pendant sa détention ». D'ailleurs, l'archiduc et les Etats ont peu d'espoir de faire exécuter les conditions du traité, « répétans par tant de fois : Aultanl qu'en nous est, et semblables» expressions. — Le lendemain, 7 mars, de Bours répliqua : Quant au rétablissement de l'exercice de la religion catholique et à la restitution des biens ecclésiastiques, il doit suffire pour le moment que Son Altesse, Son Excellence, le conseil d'Etat et les Etats généraux aient « donné obligation signée de leur secrétaire et scellée de leurs scaulx de l'accomplissement et effectuation desdicts poincts ». Quant aux seigneurs prisonniers, MM. de Montigny et de Hèze doivent savoir que les six semaines ne peuvent courir que depuis le jour « de l'acceptation et effectuation dudict traité de leur part et que sadicte Altèze at jà beaucoup faict de les avoir tiré hors de la ville de Gand et les avoir collocqués en la garde du marquis de Berghes (1),

(1) L'archiduc avait, le 13 février, ordonné d'envoyer les prisonniers à Berg-op-Zoom, et de les confier à Jean van Witthem seigneur de Beersel, marquis de Berghes et seigneur de Berg-


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sans qu'iceulx s1* prisonniers aient encoires faict le serinent conditionné par ledict traicté » (1). «Quant à la dame de Glajon, icelle par vertu dudict traicté et acte d'aggréation, se trouve assez deschargée de ses promesses et obligations baillées pendant sa détention, comme estant par iceulx cassées».— Le 8, de Bours reçut des chefs desMalconlenls la réponse suivante: En ce qui concerne les deux premiers articles, ce n'est par pour obtenir une simple promesse de l'archiduc qu'ils ont entrepris leur campagne, niais pour obtenir le redressement réel des griefs. « Voyant que pendant les deux mois que l'on traîne ces affaires, on a faict sy petit debvoir, et que ce peu quy a esté faict est par forme d'acquit et quasy dirrision, ne se peuvent déporter d'insister sur ce faict ». «. Quant aux sieurs prisonniers, les mots du traicté sont sy clers et évidens que les dicts sieurs se donnent très grande merveille comment on emprend ainsy les desguiser, et leur donne ce faict fort petite espérance que l'on doibve observer riens de tout le traicté, puys que ce poinct quy est tant juste, sy clerement couché et sans aulcune difficulté, est ainsi contorqué ». « Le mesme de la dame de Glayon, laquelle on fait détenir et retient-on son bien sans aulcune raison et contre le traicté par semblables subterfuges ». — La réplique donnée par de Bours le môme jour, 8 mars, est insignifiante : « Il n'y a matière, dit-il, n'y occasion quelconque que les sieurs Montigny et Hèze persistent ou insistent d'avantaige » ; je ne puis leur donner satisfaction, les points contenus dans leur écrit

op-Zoom. Le seigneur de Court, était chargé d'aller les prendre .en bateau. Mais Ryhove empêcha le bateau d'arriver à Termonde et le lit retourner à Anvers. FRANÇOIS DE HALEWYN, Mémoires sur les troubles de Gand, éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE, pp. 158 à 176. (1) Les prisonniers n'eurent jamais l'occasion de prêter ce serment. « L'on ne feist oncques aulcun debvoir devers les prisonniers, afin qu'ilz feissent le serment ». FRANÇOIS DE HALEWYN, l. c, p. 164.


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du 8 mars dépassant mes pouvoirs; mais j'enverrai incontinent le dossier de la négociation à Son Altesse afin de connaître ses intentions. —Encore dans la même journée, les Malcontents déclarent « qu'ils sont extrêmement marris de ce que le sieur de Bours dict n'avoir povoir ou authorité de faire effectuer les poinctz par eulx requys », et qui ne sont autres que ceux de la convention conclue. Ils terminent en demandant que Son Altesse fasse promptement « mectre en absolute et plaine délivrance tous les sieurs prisonniers » et les délivrer « es mains des sieurs de Montigny et de Hèze à Menin sans aulcun dilay, estant le temps préfixé par le traicté expiré, et gisant ce faict en prompte exécution et générale obligation suyvant l'union ». — Le 9 mars, de Bours informa les quatre membres de Flandre du résultat de ses conférences avec les Malconlents et de son intention d'en référer à l'archiduc (1). Mais la conduite des Gantois rendit inutile toute démarche ultérieure. L'anarchie reparut avec plus de violence que jamais dans les rues de Gand (2). Aussi, dès le 11 mars (3), Montigny, de Hèze et d'Allennes paraissent avoir rompu complètement les négociations, puisqu'à cette date ils écrivent, de Lille, à l'abbesse de l'abbaye de Groeninghe pour lui demander « quelque raisonnable somme de deniers », afin de les employer à combattre les Gantois (4). Nous touchons au dénouement.

(1) Documents historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSDEKE et DIEGERICK, t. I, pp. 177-195.

(2) Pour les détails de ces nouvelles violences des Gantois, voir B. DE JONGHE, Gendsche gescliiedenissen, t. II, pp. 118-126.

(3) M. KERVYN DE LETTENHOVE (Les Hugenots et les Gueux, t. V, p. 340) parle d'une entrevue de Montigny et de la Motte, le 11 mars. L'auteur confond avec celle du 11 février à Cuinchy. D'ailleurs, le 11 mars Montigny se trouvait à Lille.

(4) Documents historiques inédits, etc., éd. KERVYN DE VOLKAERSBEKE et DIEGERICK, t. I, p. 202.


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Le 13 mars, Alexandre Farnèse, répondant au message des Etats d'Artois du 25 février (1), leur écrit : « Vous accordons, au nom de Sa Majesté, et vous promettons de faire ratifier la Pacification de Gand, l'Union et l'Edit perpétuel, moyennant que l'on conserve la religion catholique et l'obéissance due au roy, comme au temps de l'empereur d'heureuse mémoire ». Selon votre requête, nous avons écrit aux Etats généraux pour offrir les mêmes propositions à toutes les provinces. Vous serez informés de leur réponse (2).

Le 19 mars, les Etats généraux opposent à la lettre du prince de Parme une fin de non-recevoir (3).

La nouvelle que le roi s'engageait formellement à retirer les troupes espagnoles acheva de modifier les dispositions des provinces wallonnes. Dans leur assemblée du 23 mars, les Etats de Hainaut (4) chargent leurs députés, à savoir les prélats de Hasnon et de Vicogne,

(1) Voir p. 375, note.

(2) Bibliothèque de Saint-Omer, manuscr. 810, p. 462, cité par O. BLED, La Réforme, etc., p. 238.

(3) Actes des Etats généraux, éd. GACIIARD, t. II, p. 165, n° 1745. « Us ne sauraient, disent-ils, souscrire à l'exercice exclusif de la religion catholique romaine et à l'accomplissement de la due obéissance au roi comme du temps de l'empereur Charles : car, en ce temps là, pour l'assurance dudit exercice, les feux et les placards étaient mis en pratique ; or les placards sont suspendus ». —Ces mots «comme du temps de feu l'empereur», employés par le prince de Parme, suscitèrent des difficultés en l'assemblée des Etats d'Artois ; mais l'èvèque d'Arras et ses collègues réussirent à les aplanir. Réconciliation des prorinces wallonnes, t. II, fol. 229. Lettre de l'èvèque d'Arras et des s" de Selles et de Valhuon à Farnèse, 4 avril 1579.

(4) La réunion des Etats d'Artois, fixée au 15 mars, fut remise à cause de l'assemblée des Etats de Hainaut, vers laquelle les Artésiens avaient député « le prieur de St-Vaast, le s' de Tangry et ung eschevin de laditte ville (d'Arras), tous trois, comme j'entens, bien affectionnés à la paix ». Réconciliation des provinces wallonnes, t. II, fol 216. Lettre de Fr. de Moncheaux à Farnèse, 18mars 1579. Sarrazin n'aura pas peu contribué à faire prendre aux Etats de Hainaut les résolutions en question.


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Jean d'Offignies, Louis Corbault, Jacques de la Croix et Thierry d'Offignies de se rendre à Arras pour, « à l'assistance des Estats d'Arthois et députés des aultres provinces entrer avecq Messieurs les députés de Monseigneur le prince de Parme en conférence, communication et traicté de paix ». Ils les chargent d'en informer les Etats généraux. « N'oubliront aussi lesdicts députés, ajoutent-ils, mais traieteront et appointeront aussy avecq M. le baron de Montigny pour absolutement entretenir touttes ses trouppes et quelques bendes d'ordonnance à la dévotion et service de ces provinces et conséquament de Sa Majesté » (1). Le 30 mars, les Etats de Lille, Douai et Orchies, « en la présence et après avoir eu l'advis de Mgr de Willerval, gouverneur, et de Mgr le baron de Montigny », considérant, d'une part, que les négociations pour la paix entamées par l'Empereur ne font aucun progrès ; d'autre part, que Sa Majesté promet d'entretenir en tous leurs points la Pacification de Gand, l'Union de Bruxelles et l'Edit perpétuel, considérant en outre que plusieurs provinces ne veulent la réconciliation « sang y mesler le faict de la religionsvrede », décident d'accepter les offres du roi, sous la condition expresse de la sortie des Espagnols (2).

Le 3 avril, les Etats d'Artois, de concert avec les députés du Hainaut, de Lille, Douai et Orchies, après avoir entendu l'èvèque d'Arras, rapportant de Petersem copie de la lettre écrite par Farnèse aux Etats généraux et de la réponse de ceux-ci, résolurent de passer outre à la réconciliation avec le roi. Pendant qu'ils employaient les journées des 4 et 6 avril à discuter ci à rédiger les articles qu'on présenterait au prince de Parme, en ce môme jour du 6 avril, se concluait le Traité de Monl(1)

Monl(1) des prorinces loallonnes, t. II, fol. 222.

(2) O. BLED, La Réforme, etc., p. 251.


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Saint-Eloi. Par ce traité, Montigny, tant en son nom qu'en celui du baron de Hèze et des colonels et autres officiers de ses troupes, jure de maintenir la religion catholique et de rentrer sous l'obéissance du roi d'Espagne, conformément à la Pacification de Gand, Union et Edit perpétuel ; il promet de servir fidèlement Sa Majesté envers et contre tous, à la condition que dans un délai fixé, elle retire de ces provinces les soldats espagnols ; réciproquement, de la Motte s'engage, au nom du roi, à verser à Montigny la somme de 205.000 florins pour le paiement de ses troupes (1).

Assurées désormais de forces militaires suffisantes pour les défendre contre toute attaque de leurs ennemis, les provinces catholiques remirent les articles, élaborés en vue delà réconciliation, aux mains de Mathieu Moullart, du baron de Selles et du seigneur de Valhuon, avec prière de les soumettre au duc de Parme. Le 17 mai 1579, fut conclu à Arras, et le 12 septembre suivant signé à Mons, le célèbre Traité d'Arras (2), par lequel les Etats d'Artois, de Hainaut, de Lille, Douai et Orchies rentraient sous l'obéissance de Philippe II (3).

Mesdames et Messieurs, l'exposé que nous venons de faire, vous prouve, nous osons l'espérer, que la séparation des provinces du Midi de celles du Nord est le

(1) Lettres inédites d'Emmanuel de Lalaing, éd. DIEGERICK, l. c, p. 372.

(2) Actes des États généraux, éd. GACHARD, t. II, p. 522, appendice XXXIII

(3) Pour donner satisfaction au Bureau du Comité flamand de France qui tient à ne pas différer plus longtemps la distribution de ses Annales, nous avons été forcé, à regret, de n'esquisser que les grandes lignes de la dernière phase du retour des provinces wallonnes à la couronne d'Espagne.


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résultat, non pas de l'Union de Bruxelles, prétendument moins tolérante que la Pacification de Gand, mais des excès des calvinistes, surtout des Gantois, excès qui trouvent leur origine dans le coup de main du 28 octobre 1577, dont Guillaume d'Orange s'était fait le complice. Il vous prouve que les violences des démagogues de Gand et en particulier le maintien de la captivité des évêques et des seigneurs furent toujours le plus grand grief de tous ceux qui prirent part à la réaction. Il vous prouve que le refus des Gantois de transférer les prisonniers du Princen-Hof en pays neutre détermina Montigny à se réconcilier définitivement avec le roi. Il vous prouve que les provinces wallonnes, voulant à tout prix conserver la foi de leurs pères, s'opposèrent opiniâtrement à la Paix de religion, en s'appuyant non point, comme l'affirme l'historien .1. de Jonge, sur l'Union de Bruxelles (à l'exclusion de la Pacification de Gand), mais avant tout sur la Pacification de Gand, confirmée par l'Union de Bruxelles et par Y Edit perpétuel.

• Une autre conclusion qui se dégage naturellement de cet exposé, c'est qu'en admettant avec J. van Praet, J. do Jonge, M. Godefroid Kurth que la Pacification de Gand comportait la tolérance religieuse, il devient impossible de comprendre comment les Etats d'Artois, de Hainaut, de Valenciennes, de Lille, Douai et Orchies ont pu repousser la Paix de religion précisément en vertu de la Pacification de Gand, sans provoquer de la part des Etats généraux d'autre réponse que l'aveu de leur impuissance à empêcher la Paix de religion.

Vous comprendrez aussi ce qu'il faut penser des passages suivants de N. Considérant (1) relatifs à l'Union d'Arras et au Traité d'Arras : « Par cet acte (la désastreuse con(1)

con(1) CONSIDÉRANT, Histoire de la Révolution du XVI' siècle. Bruxelles-Leipzig (1860), pp. 211 et 219.


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fédération d'Arras, comme il l'appelle) que l'on avait sans pudeur intitulé confirmation de l'union générale, les représentants des provinces méridionales, en jurant « de persévérer et maintenir la saincte foy catholicque, apostolicque et romaine », à l'exclusion de toute autre, creusaient un abîme infranchissable entre eux et les réformés ; ils déchiraient le pacte solennel qui avait établi entre toutes les provinces la solidarité d'où devait sortir tôt ou tard une nationalité vivace ; ils brisaient d'un seul coup l'avenir de la patrie : criminelle erreur qu'il fallut chèrement expier ! Ce qu'il y a de remarquable c'est que les auteurs de ces attentats prétendaient agir au nom delà légalité et invoquaient, pour justifier leur détermination, les clauses mêmes de la Pacification de Gand, dont ils dénaturaient le sens et la portée de la manière la plus flagrante. En effet, disaient-ils, « il avoit esté expressément stipulé, promis et accordé de part et d'aultre, que, es dictes provinces de par deça, au dehors de Hollande et Zélande, ne seroit loisible et permis d'attenter quelque chose contre le repos et paix publique, signamment contre la religion catholique romaine etl'exerciced'icelle». Mais à côté de cette sage protection accordée au culte catholique, la pacification avait inscrit le principe de la tolérance et avait confié aux Etats généraux le soin do régler définitivement cette question importante; ce qui avait été fait par la paix de religion ». « Ils atteignirent enfin le but de leurs efforts; le 17 mai (1), Alexandre Farnèse leur octroya des lettres patentes par lesquelles il promettait au nom du roi l'observation entière de la Pacification de Gand et de l' Edit perpétuel, le pardon général, le départ des gens de guerre étrangers dans un délai de six semaines, la confirmation des privilèges et

(1) Lisez : le 12 septembre.


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la restitution de tous les biens saisis ou confisqués. Mais, à côté de ces concessions, qui, pour la plupart, étaient illusoires ou le devinrent par la suite, était inscrite l'obligation imposée aux contrées soumises de maintenir exclusivement la religion catholique et l'obéissance due au roi comme au temps de l'empereur Charles-Quint, c'est-à-dire d'abjurer le passé et de couronner une lutte de vingt ans par la plus éclatante des apostasies ».

Vous apprécierez la justesse de l'observation de l'éminent historien belge, M. Gachard. « Il faut le reconnaître, écrit-il, les provinces wallonnes obtinrent, par le traité d'Arras, des concessions qui allaient au delà de tout ce que, avant les troubles, les plus ardents patriotes avaient jamais espéré. Ainsi le roi confirmait la pacification de Gand et l'union de Bruxelles ; il accordait l'oubli du passé; il prenait l'engagement défaire sortir du pays les troupes étrangères, et même les régiments bourguignons ; de ne commettre au gouvernement général que des princes du sang ; de faire décider par le Conseil d'Etat toutes les affaires, comme du temps de Charles-Quint; de ne composer ce conseil que de naturels du pays, dont les deux tiers devraient être agréables aux Etats, et avoir suivi leur parti depuis le commencement jusqu'à la fin ; de ne conférer de même qu'à des personnes agréables aux Etats les charges des conseils privés et des finances, ainsi que les gouvernements des provinces et des villes ; de restituer tous les privilèges, etc.

» On peut s'étonner que de telles concessions n'aient pas engagé les autres provinces des Pays-Bas, le Brabant et la Flandre surtout, à rentrer sous l'obéissance de Philippe II : elles se seraient épargné par là bien des maux, des calamités, des ruines, et le traité d'Arras serait devenu la base du droit public des Belges, dans


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leurs rapports avec leurs princes, tandis qu'il tomba en désuétude, les grandes villes de la Flandre et du Brabant n'ayant pas obtenu des conditions aussi avantageuses, lorsqu'elles furent obligées de se soumettre » (1).

Vous apprécierez d'autant plus les remarques de Groen van Prinsterer qu'elles sont écrites par une plume protestante. « On accuse les catholiques d'inconstance et de trahison... Le maintien de la religion catholique avoit été garanti par les assurances les plus positives et les plus multipliées. Ces engagements les avoit-on tenus? Suspension des placards, impunité des réunions particulières, liberté du culte public, égalité parfaite, et [mis enfin proscription du Papisme, telle étoit la marche qu'avoiont rapidement suivi, la force en main, les partisans de La Réforme. De persécutés devenus persécuteurs, ils s'attiroient l'indignation même des théologiens de leur parti... On marchoit droit au renversement des institutions monarchiques, au changement de souverain, à l'anéantissement de la noblesse, à l'extermination du catholicisme. Les catholiques, puisqu'on ne tenoit aucun compte des obligations contractées à leur égard, ne pouvoient-ils se croire réciproquement libérés? Ne devoientils pas reculer dans une- carrière dont ils ne pouvoient sans horreur envisager le terme, et faut-il leur imputer à crime si, pour sauver leurs intérêts les plus sacrés, ils abandonnent la cause commune, tellement dénaturée; si, à l'anarchie populaire et aux violences des iconoclastes, ils préfèrent la tyrannie espagnole et le despotisme royal? Mais cette supposition n'est [tas fondée. Ils n'abandonnèrent pas la cause commune. Ils se tinrent, avec bien plus de fidélité que leurs antagonistes, aux bases sur lesquelles on avait traité ; de sorte qu'ils pou(1)

pou(1) d'Alexandre Farnèse, éd. GACHARD, dans les Bulletins de la Commission royale d'Histoire, 2e série, t. IV, p. 372.


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vaient dire : « La pacification de Gand, seul fondement de l'Union générale a esté punctuellement observée par nous-mesmes, en ce que debvons surtout maintenir la religion saincte catholique romaine et la deue obéissance de Sa Majesté, qui sont les deulx principaulx poinctz, avec celluy qui concerne les privilèges des Pays de la dicte Union...., et tous ceulx se voulans exempter de deux conditions si péremptoires de la dicte Pacification ne peuvent véritablement estre appelés membres d'icelles » {van der Spiegel). Ils obtinrent même plus qu'on n'avoit primitivement demandé. Ils stipulèrent pour les autres provinces la faculté de faire leur paix avec les mêmes avantages. Dans l'accord du 17 mai il y a là-dessus un article spécial... Ils ne se livrèrent point, comme plusieurs se l'imaginent, pieds et mains liés, aux Espagnols. L'épithéte de Spaanschgezind chez nos historiens, celle d'Espagnolizé dans les lettres et actes du temps, est une désignation peu conforme à la vérité. La haine contre les Espagnols étoit universelle, en 1579 comme auparavant. Dans la rédaction des articles de paix rien ne fut oublié en fait de défiance et de précautions. Les troupes étrangères durent quitter non seulement les Provinces wallonnes, mais toute l'étendue des Pays-Bas, et, si les dangers de la guerre en firent désirer, en 1582, le rappel, l'influence des Espagnols fut bannie à jamais. Il n'étoit pas question de pouvoir absolu et illimité. On représente les catholiques prosternés devant le souverain. Ce tableau est peu conforme, soit à l'esprit général de l'époque, soit au cas particulier qui nous occupe... La paix étoit bonne ; en outre elle étoit assurée. L'abbé de Sainte-Gertrude écrit : « Je vous demande comment le Roy nous peult tromper après la retraicte des Estrangiers (de laquelle on se peult bien asseurer), nous donnant l'entier gouvernement du


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Pays es nos mains..., de sorte quoy qu'on dict qu'il y peult estre tromperie, nous ferez singulier plaisir de nous escripre en quelz poincts il y auroit faulte » (van der Spiegel). La suite des temps a fait voir que cette confiance n'étoit pas de la témérité.,. M. Meyer observe « que l'aristocratie dans la République [des ProvincesUnies] fut bien plus oppressive que le gouvernement monarchique dans les Provinces qui restèrent au roi d'Espagne » (Institutions judiciaires. La Haye, 1819, IV, 128)... Ce qui surprend, ce n'est pas l'entraînement de la plupart des catholiques vers la paix, c'est bien plutôt les hésitations de plusieurs, malgré une telle abondance de motifs » (1).

Si la Pacification de Gand avait été loyalement observée, dit M. De Decker, les dix-sept provinces, qui formaient les puissants Pays-Bas, n'eussent peut-être jamais été séparées. Alors on aurait pu, par des efforts communs, obtenir ce que les Malcontenls et les provinces wallonnes obtinrent isolément ; même on aurait pu obtenir davantage. Par l'union de toutes les forces on aurait finalement obligé Philippe II à introduire un système gouvernemental dans le sens du Traité d'Arras, et la nation des Pays-Bas se serait distinguée, parmi les Etats européens, par sa puissance, sa grandeur et sa prospérité, aussi bien que par la culture des arts, des lettres et des sciences (2).

L'attachement inébranlable des provinces wallonnes à la religion romaine, attachement qui doit servir d'exemple à la génération actuelle, a du moins assuré l'existence des Pays-Bas catholiques. Aussi ai-je tenu à mettre particulièrement en relief, dans la dernière partie de cette

(1) Archives ou correspondance inédite de la maison d'OrangeNassau, éd. GROEN VAN PRINSTERER, t. VI, p. 673.

(2) Gesehiedenis der Malkontenten, p. 235.


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conférence, la part, bien grande, prise par les Etats de Lille, Douai et Orchies, et de Valenciennes au rétablissement de l'unité du culte et de la souveraineté du roi d'Espagne dans les provinces méridionales des Pays-Bas. C'est grâce à l'influence prépondérante de la religion catholique et à la quasi-autonomie gardée par ces provinces sous la suzeraineté de souverains éloignés, devenus bien débonnaires, qu'elles acquirent, sous le nom de Provinces Belgiques, tous les caractères d'une nationalité propre qui, dès les premières années du XVIIe siècle, brillait du plus vif éclat. Cette nationalité continua de s'affirmer malgré les changements de souveraineté ; elle survécut aussi à la conquête, à l'annexion à la Hollande et put enfin prendre son plein épanouissement en 1830. Nous fûmes frères jusqu'au joui- où le canon de Louis XIV sépara, nos destinées ; nous ne sommes plus que des voisins, mais des voisins amis, gardant fidèlement les souvenirs d'un passé commun, qui ne fut pas sans gloire. C'est à ce titre que je renouvelle au Comité flamand de France les félicitations et les voeux de ses membres belges, que j'ai exprimés au début de cette conférence ; c'est à ce titre encore que je me recommande à l'indulgence bienveillante de l'auditoire, dont j'ai sans doute mis la patience à l'épreuve par cette lecture aride (1), mais qui voudra bien m'excuser, parce qu'il y trouvera la glorification de ses ancêtres du XVI 8 siècle.

Vous aurez été surpris, comme je l'ai été moi-même,

(1) 11 est à peine besoin de dire que le conférencier n'a pas fait subir à son auditoire une lecture aussi longue; mais il a cru être agréable au Comité flamand de France en fournissant, en vue de la publication que la Société jubilaire comptait faire, des détails plus précis et documentés sur les hommes remarquables, dont au cours de sa communication, il avait été forcé de ne donner qu'un portrait à peine ébauché.


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Mesdames et Messieurs, de voir que vos deux provinces. si peu étendues, ont pu, en un seul siècle, donner le jour à un aussi grand nombre d'hommes célèbres ou remarquables, dans toutes les carrières de l'activité humaine. Je ne crois pas que pareil exemple de fécondité se rencontre fréquemment dans le cours des âges. Si, en Grèce, à Rome, en France, l'histoire a noté les siècles de Périclés, de Léon X et: de Louis XIV ; pour être juste, elle devrait au moins rappeler d'un mot que la Flandre Wallonne et la Flandre Maritime eurent aussi, sur un théâtre bien restreint, un siècle de fécondité extraordinaire, celui des Bellegambe, des de Meyere, des Raissius, des de Lobel, des de Bousbecque, des de Coninck, des Vendeville, des Pintaflour et des Drieux.


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Discours de M. l'abbé Lemire

Député du Nord

« La patrie française, est-ce qu'elle no va rien dire ? » s'écriait tantôt au banquet qui réunissait les membres du Comité Flamand de France, l'un de nos amis et confrères ? Elle a déjà parlé dans notre réunion intime par la bouche de M. Duniont, maire de Dunkerque qui, dans des circonstances qui sont encore présentes à votre mémoire, représentait le pays devant le premier magistrat de la République.

Nous avons entendu M. Duniont, célébrer ce matin, le patriotisme du Comité Flamand de France. Il devait l'être encore dans cette réunion plus solennelle par la bouche de M. Henry Cochin, dont nous regrettons si vivement l'absence, et qui se fut acquitté de cette tâche avec infiniment de délicatesse. Ce patriotisme des flamands, il l'eût célébré avec coeur, esprit et conviction : vous le savez, mieux que personne, habitants de la Flandre maritime et agricole, vous qui le connaissez et qui l'avez choisi pour défendre au Parlement vos intérêts, vos libertés et vos droits.

Hélas ! il ne peut aujourd'hui se trouver parmi vous, niais comme nous avons au coeur le même ardent amour de votre histoire et de vos traditions, après nous être rencontrés plusieurs fois dans les réunions du Comité Flamand de France, je crois pouvoir, non pas m'exprimer comme lui, mais auprès de ce Comité dont on célèbre le cinquantenaire aujourd'hui, me faire l'interprète de la


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patrie française qui a le devoir de le remercier ; car il a mis en ses mains une belle gerbe de science. En multipliant ses recherches sur l'art local et les vieilles traditions, et en ravivant les nobles idées de liberté, d'association et d'indépendance, il a rendu de grands services au pays tout entier, sur ce coin du sol national.

Pour atteindre ce but, mes chers amis du Comité Flamand, vous aviez sous la main un certain nombre d'instruments de travail. Le premier c'est la littérature et la langue avec les inscriptions retrouvées sur les pierres des maisons, des églises, et des monuments publics.

M. le Doyen d'Hazebrouck vous le disait tout à l'heure : conservez avec soin cette langue, relique du passé.

Et j'ajoute : le gouvernement ne peut pas vous le défendre.

Ce serait faire une oeuvre antipatriotique que de défendre à une province de conserver son idiome. Aussi ai-je entendu des hommes de tous les partis dire : Rassurezvous sur ce point. Supprimer la langue d'un pays, ce serait supprimer une fontaine du beau, et en même temps anéantir les trésors littéraires d'une race et détruire tout l'intérêt do ses monuments historiques.

Nous ne commettrons pas cette faute, nous, Français, en face de l'Europe jalouse de son passé, de l'Europe où toutes les nations et tous les gouvernements ont tant à coeur de ne pas perdre une parcelle de ce qui fut quelque chose de leur histoire. Nous serions coupables, nous. Français, si nous laissions perdre un atome de notre patrimoine. Voilà pourquoi, nous voulons que les enfants de la Flandre, continuent à parler leurs deux langues : celle de la petite patrie et celle de la grande.

Là-dessus nous sommes d'accord, M. le Président.

Nés en Flandre, ou enfants adoptifs de cette province, je tiens à l'affirmer aujourd'hui, nous avons tous voué


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à la langue flamande un culte qui ne finira qu'à la mort, parce qu'elle est l'idiome d'une noble race qui, malgré un passé troublé, a gardé ses viriles coutumes et ses pures traditions. C'est pourquoi la Patrie peut être sans inquiétude sur sa fidélité et son dévouement.

Une seconde ressource, qui jusqu'aujourd'hui a été peu mise à profit, est celle que nous offre l'art local, avec toute sa variété et sa richesse. Combien, à l'origine, y eut-il chez nous de ces artistes, de ces peintres inconnus, dont les oeuvres sont reléguées dans quelque coin de nos greniers, peut-être même de nos sacristies ! Le Comité Flamand de France a pour mission de rechercher les vestiges de cet art traditionnel.

Il se peut que dès les temps anciens, on ait connu chez nous des maîtres italiens, dont le classique pinceau ait été imité jusqu'à nos jours : M. Decooninck en est une preuve. Les recherches sur certaines peintures flamandes ont révélé dans leur dessin et leur coloris quelque chose qui rappelle Le Pérugin et Raphaël, et d'autres artistes fameux. Mais pensez-vous que parmi vos ancêtres vous ne trouverez pas des artistes qui se soient passés des maîtres Italiens pour donner à leurs tableaux l'expression, la couleur et la lumière ?

La sculpture a produit chez nous des oeuvres que nous allons admirer à Dijon qui fut autrefois la capitale des ducs de Bourgogne Elles sont vraiment dignes d'être comparées aux Michel-Ange, ces sculptures d'artistes flamands.

Et pourquoi nos concitoyens sont-ils allés si loin porter leurs chefs-d'oeuvre, si ce n'est parce qu'ils trouvaient là-bas des princes magnifiques qui les payaient généreusement ?

De même que pour la peinture et la sculpture, il reste beaucoup à faire pour la musique, dans le Comité Fia-


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mand de France. Vous nous avez dit avec raison, M. le Président, qu'Edmond de Coussemaker nous avait rendu un grand service, parce qu'il avait réveillé pour nos oreilles, le lointain écho des chants de notre pays. Oui, Messieurs, quand nous entendons les voûtes de nos églises retentir de certains vieux Noèls, instinctivement nous nous demandons ce qui vibre dans ces accords? C'est l'âme de nos ancêtres qui, à travers ces chants se glisse mystérieusement dans nos âmes et voilà pourquoi nos coeurs sont remués, et nous dressons la tête comme à une voix connue. Restez-nous longtemps, restez-nous toujours, musique de nos pères éternellement jeune !

Restez, vous aussi, (ouvres des vieux maîtres flamands qui êtes la véritable expression de notre esprit et de notre race ; régnez dans l'intérieur de nos foyers et de nos églises. On commence à en avoir tissez de ces compositions cosmopolites qui peuvent être payées cher par les acheteurs d'Amérique, mais qui sont dédaignées par les vrais amateurs d'art.

Que le Comité Flamand de France se transporte dans les vieilles maisons, qu'il visite les manoirs solitaires, qu'il fasse le tour de nos musées, et qu'il rappelle à nos •artisans eux-mêmes les modèles d'autrefois !

Messieurs, vous faites apprécier un plat d'étain ou une faïence antique, une plaque rouillée portant une inscription : vous protégez une poutre ouvragée ou une porte ornée de rudimentaires sculptures : quand vous sauvez de l'oubli un de ces objets, vous sauvez quelque chose de ■cette humanité qui a dit : Non oninis moriar ! Et les hommes qui ont façonné toutes ces oeuvres, artistes inconnus, peintres sans gloire, horlogers sans marques de fabrique, peuvent tressaillir de joie au fond de leurs tombes et dire : « Ce que j'ai fait autrefois, cette oeuvre dans laquelle j'ai glissé ma tendresse et mon àme, je


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l'ai faite pour des hommes de coeur ! Elle ne périra pas. » Et ils en sont consolés.

C'est en étudiant tous ces objets, ce mobilier ancien, cet art local qui a rempli notre pays de trésors incomparables, c'est-en rappelant ces légendes et ces chants, que vous aurez, M. le Président et Messieurs les membres du Comité Flamand de France, l'insigne honneur de redire aux contemporains cette grande leçon : que dans notre pays on a toujours aimé à vivre de la vie de famille.

Il importe sur ce point que vous recherchiez et vulgarisiez les maximes de nos ancêtres.

Il est un de leurs refrains qui devrait être écrit sur la porte et gravé dans le coeur de tous nos paysans : « Le bonheur du vrai flamand, habitant de son pays, c'est la liberté dans sa maison et sur sa terre ! »

T'geluk den waeren Vlaeming,

Bewonder zyne landing,

T'is vryheid in zyn huys en landsche !

Ce qui a fait la force de notre race, c'est l'amour des traditions et des libertés locales, le respect du foyer, et par conséquent la pratique de toutes les vertus abritées dans le sanctuaire de la famille : telle est aussi la première leçon que le Comité Flamand de France nous a donnée : nous l'en remercions.

La seconde est l'amour de l'association qui a été encouragé dans notre pays par les franchises corporatives. Sous les cendres accumulées par plusieurs générations vous trouvez des associations de toute espèce. Cet esprit d'union et de fraternité a contribué largement au décor, à la force du pays. Il a fait surgir du sol ces masses de pierres telles que la tour de Dunkerque et le clocher d'Hazebrouck ; il a dressé ce merveilleux beffroi de Bergues qui agite son carillon, comme une danseuse


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espagnole secoue sa tête chargée de grelots. Les dentellières chantaient en choeur à Bailleul, à Ypres et à Bruges, comme leurs compagnes de Franche-Comté ou d'Auvergne. Et les couturières venaient à Hazebrouck prier au pied de la statue de la bonne mère Sainte Anne.

Que dire des archers de Saint-Sébastien?

Que dire de tant d'autres associations dont on parle beaucoup aujourd'hui sans pouvoir les imiter?

On insiste, Messieurs, et avec raison, sur l'esprit d'association et de solidarité. Que l'on s'efforce de restaurer les institutions de jadis qu'il a inspirées !

Que nos communes à leur tour se remuent pour qu'on leur rende leurs franchises locales !

Il y a une chose à laquelle il ne faut pas toucher en Flandre : c'est la charte communale. Or, le Comité Flamand de France nous a fait connaître l'origine et l'histoire de cette liberté des communes. Il nous a appris avec quelle ténacité, certaines villes, Bailleul, Dunkerque, Merville et autres défendaient leurs prérogatives. Qu'il propose sans cesse ces nobles exemples! Car, aujourd'hui nous en sommes encore à attendre les lois sur l'organisation locale du travail, la libre gestion des finances, la direction des affaires par la commune. Voilà des libertés que des sociétés comme le Comité Flamand de France, peuvent contribuer à obtenir en montrant qu'elles sont basées sur les documents historiques.

Ces franchises nous en avons joui jadis, grâce au christianisme. Je n'aurais pas le droit de parler ainsi dans un autre milieu, mais ici, il me semble que j'ai le devoir de le dire : dans le passé historique de la Flandre, nous trouvons une grandeur morale qui s'appuyait sur un fond de sincères convictions religieuses.

En dehors de cette enceinte on parle de persécutions. Je n'en parlerai pas. D'ailleurs je ne crois pas qu'on


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puisse porter atteinte, d'une façon sérieuse, à la foi, dans un pays oit les âmes sont foncièrement croyantes.

Cette trombe épouvantable qui s'est abattue sur notre province au XVIe siècle, époque où furent massacrés tant de prêtres, tant d'humbles femmes, de bourgmestres, de conseillers municipaux et de gens du peuple de notre Flandre maritime, a-t-elle ruiné la foi ? Non. Je suis instruit par les recherches historiques du Comité Flamand de France, qu'il n'y a rien à craindre pour l'avenir d'un pays quand il sent couler dans ses veines une sève religieuse puissante et pure.

Ah ! Messieurs du Comité, quand je me rappelle ces vaillants chrétiens, vos ancêtres, qui ressemblaient à nos forêts sur lesquelles passent, sans les briser, tous les orages, je me dis que puisque ces hommes de fidélité et de liberté ont supporté tant d'assauts sans faiblir, leurs rejetons, les enfants de ce pays seront, eux aussi, capables de résister à de semblables tempêtes.

Ils seront même d'un bon exemple et d'un grand secours pour la France.

Quant au vieux chêne Gaulois, il possède quatre racines vigoureuses par lesquelles, aux quatre coins de son territoire, il va chercher au loin la sève nourricière et attire à soi les éléments dont il fait sa véritable force.

Du côté de l'Océan, la France puise dans le réservoir celtique la vaillance des chevaliers bretons, dont les histoires et les poétiques légendes ont fait le charme étrange de ce pays et contribuent encore à lui conserver sa noblesse et son originalité.

Au midi, sur les confins de la Provence et du Languedoc, elle peut correspondre par son idiome et ses usages avec l'Italie et l'Espagne. Elle emprunte à ces deux nations les derniers vestiges qui soient restés de la délicatesse et de l'élégance des civilisations antiques.


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Du côté de l'Est, la France était jadis en communication avec la race germanique ; elle promenait les plis de sa robe verte sur les bords du vieux Rhin. Aujourd'hui, toute communication est interrompue de ce côté, et ce qu'il y a de plus pénible pour nous, peuple de France, ce n'est pas d'avoir perdu quelques milliers de kilomètres carrés, ou d'avoir vu passer sous la domination étrangère quelques millions d'hommes, c'est d'avoir par un traité néfaste, perdu sur cette frontière, toute communication avec une des grandes races de l'humanité.

Ce n'est plus que par notre Flandre, ce n'est plus que par nos deux arrondissements, que la nation française conserve une communication avec la race germanique. Et c'est là la mission providentielle des deux arrondissements de Dunkerque et d'Hazebrouck.

Ah ! puissiez-vous, Messieurs les Membres du Comité Flamand de France, puissiez-vous, Mesdames et Messieurs, avec l'aide de notre dévoué président M. l'abbé Looten, nous assurer la continuation et l'intégrité de co précieux trésor ! C'est là ce que l'on attend de vous.

Puisse la Flandre conserver intact l'amour de la vie de famille, de l'indépendance communale, de ses vieilles corporations, et par sa grandeur morale et religieuse, contribuer à la grandeur de la patrie! Cette journée sera de celles où l'on fortifie ces sentiments dans les coeurs, et les nobles sentiments forment pour la France, notre mère, d'excellents serviteurs, des fils dévoués !


LA VIE ET LES OEUVRES

du Poète Dunkerquois

MICHEL DE SWAEN

PAR

Maurice SABBE

Docteur en Philosophie ri Lettres, Professeur à l'Athénée royal de Malines.

Mémoire couronné par le Comité Flamand de France



CHAPITRE PREMIER

Biographie. — Ouvrages. — Manuscrits

Naissance. — Ecole. — Mariage. — Enfants. — Habitation. — Mort. — .Membre de la chambre de rhétorique de Saint-Michel. — Aelivilé dans la chambre et au dehors. — Relations dans les Pays-Bas espagnols. — En Hollande .' — Corporations de Saint-Georges et de Saint-Sébastien. — Le portrait de De Swaen. — Corporations religieuses. — Amis de Dr Swaen. pour la plupart des religieux. — Vie exemplaire. —Que croire des accusations dont il s'accable lui-mèinc. — Ascétisme. — Toutes les (eiivres de De Swaen nous sont-elles parvenues . — Pièces condamnées par lui. — Les ouvrages imprimés : Andronic. le Cid. Mort morale de Charles-Quint, Poésies morales. Vie et Mort de Jésus-Christ. — Pourquoi les contemporains de De Swaen n'ont-ils pas édité toutes ses oeuvres :' — Modestie du poète. — Situation de la ville de Dunkerque au point de vue linguistique. — Manuscrits à l'abbaye, de Bergues. — Qu'advinl-il de ces manuscrits'.' — Les manuscrits du Comité llamand de France. — Ms. I: Poésies morales. — Ms. 11: Catherine. Maurice et poésies morales. — De Swaen est-il l'auteur de Catherine et de Maurice? — Ms. III : Mort morale de Charles-Quint, la Boite couronnée et poésies morales.— Différences entre le manuscrit et le texte imprimé de la Mort morale. — Edition gantoise de la Botte couronnée (1718), comparaison avec le manuscrit. — Ms. IV : Art poétique. — Ordre chronologique des oeuvres de De Swaen. — Ouvrages attribués à De Swaen : China. Horace. — Ce que l'on a écrit jusqu'ici sur De Swaen.

A partir de 1662 Dunkerque appartient définitivement à la France. Quatre années auparavant Turenne s'en était emparé pour le compte des Anglais, mais en 1662 Louis XIV la racheta à Charles II, et le 2 décembre de la môme année, le Roi Soleil fit son entrée dans cette ville maritime flamande, qui resta dès lors définitivement séparée du reste des Pays-Bas.

La joyeuse entrée du roi à Dunkerque fut accompagnée


de fêtes brillantes. Entouré de mousquetaires et de soldats à pied, il entra par la porte de Bergues dans la ville, qui était somptueusement décorée. Des élèves des Jésuites, vêtus en esprits protecteurs de la ville, et placés au-dessus de la porte, saluèrent le monarque de vers de circonstance et invitèrent la foule à se réjouir du début de son règne. Une grande affluence de curieux étaient venus des Pays-Bas espagnols voisins pour assister aux festivités ; celles-ci durèrent jusqu'au départ du roi, qui se fit à la lueur des flambeaux, le 5 décembre, à trois heures du matin (1).

Cette joyeuse entrée de Louis XIV aura certainement laissé chez Michel De Swaen une des plus fortes impressions que peut recevoir le jeune âge. Il avait en effet à ce moment une douzaine d'années.

La vie de cet, homme, qui devait être un jour le plus méritant des écrivains de langue néerlandaise de Dunkerque et de toute la partie occidentale de la Flandre française, commence donc eu réalité au moment même oit sa ville natale est définitivement séparée du reste des Pays-Bas.

Michel De Swaen (2), fils de Philippe, naquit à Dunkerque le 20 janvier 1651. Son baptême eut lieu le 25 janvier, et se trouve acte aux registres de l'église sous le numéro 1547 (3).

Nous connaissons bien peu do chose de la vie de De Swaen. Les quelques particularités que nous possédons, furent presque toutes fournies par J.-J. Carlier à

(1) P. Faulconnier. Description historique de la cille de Dunkerque, t. VII (Bruges, A. Wydts, 1730).

(2) J. M. Sebrant l'appelle par erreur Martin (Proeven van Nederl. Dichtkunde uit zecen Ecuwen. Gand, 1827). De même Witsen Geysbeek dans son Crit. anthol. Woordenb. der Nederl. Dichters.

(3) Bulletin du Comité flamand de France, t. V, p. 246.


une séance du Comité flamand de France, en mars 1869. Nous avons fait les recherches nécessaires pour découvrir quelques renseignements supplémentaires, mais, à notre grand regret, la plupart de nos efforts sont restés vains.

Nous ne savons quelle école a fréquenté De Swaen, il est cependant plus que probable que c'est dans sa ville natale, qu'il reçut son instruction des Jésuites. De même que dans la plupart des villes du sud des Pays-Bas, l'ordre des Jésuites avait fondé à Dunkerque à la fin du XVIe siècle, un collège, qui eut pendant de longues années le monopole des études classiques. Il ressort clairement des oeuvres de De Swaen qu'il a reçu une éducation classique bien soignée. Non seulement il nous montre qu'en dehors du flamand, sa langue maternelle, il connaissait le latin, le grec et le français, mais encore en plus d'un endroit nous le sentons entièrement pénétré de l'esprit des auteurs de l'antiquité. D'autre part, la conception strictement religieuse qu'il avait de la vie, et qui ressort nettement de ses ouvrages, tend à prouver que les Jésuites furent bien ses éducateurs.

Ses études finies, il s'établit comme chirurgien dans sa ville natale. Le conseil communal lui donna le titre de chirurgien juré de la ville (1).

A l'âge de vingt-quatre ans il épouse Anne Damart (24 juillet 1678) (2). De ce mariage naquirent plusieurs enfants, dont un seul, François-Louis, nous est connu. Ce fils de De Swaen reçut une bourse d'études des autorités communales (3). En 1713, il prononça ses voeux

(1) M. De Swaen. Zedelycke Rymwerken (Dunkerque, Labus, 2e édition, p. 1).

(2) Bulletin du Comité flamand de France, t. V, p. 240.

(3) J.-J. Carlier. Loisirs d'exil, courtes notes sur quelques membres des ordres religieux nés au pays Dunkerquois (Bulletin du Comité flamand, t. V, p. 389).


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solennels au couvent des Prémontrés de Saint-Nicolas à Furnes ; il y mourut en 1726 (1). En 1723 il avait donné une édition des Zedelycke Rymicercken de son père (2) et l'avait dédiée à Michel Lieven, bourgmestre et chefhomme de la chambre de rhétorique Nu, morgen niet, à Dixmude. Ce fils do De Swaen était alors « chanoine régulier » de l'abbaye de Furnes (3). C'est donc à tort que l'historien dunkerquois Faulconnier a écrit que F. L. De Swaen était en 1715 gardien du couvent des capucins de Furnes (1).

Le journal La Dunherquoise publia le 30 juillet 1844, une lettre datée du 27 septembre 1700, et dans laquelle on trouve différents détails à propos de De Swaen et de sa famille. Qui a écrit cette lettre et comment elle a paru dans la feuille dunkerquoise, c'est ce que nous n'avons pu éclaircir. Sans vouloir pour cette raison contester l'authenticité de cette pièce, nous croyons cependant nécessaire on nous en servant, de faire toutes nos réserves. L'auteur de cette lettre dit de De Swaen : « Je le trouvai au milieu de sa famille, composée de sa femme et de plusieurs enfants, dont le plus jeune me parut avoir sept à huit ans. Je remarquai surtout l'une de ses demoiselles, qu'il appelait Marie, et dont les traits réguliers, les yeux vifs, le teint vermeil forment ce qu'on peut appeler une beauté. »

François-Louis ne fut probablement pas le seul des enfants de De Swaen qui revêtit l'habit religieux. A la bibliothèque de l'Université de Gand on conserve une

(1) Chronicon et cartularium abbatiae Sancti Nicolai Furnensis. (Bruges, Van de Casteele-Werbrouck, 1849, p. 48).

(2) Zeilel. Uynun, 2e partie, avant-propos de l'imprimeur Labus.

(3) Zedelycke Rymivercken (Dunkerque, Labus, 2e édit., p. 1).

(4) Faulconnier. Description historique de Dunkerque, voir plus haut.


note manuscrite de l'ancien bibliothécaire De Laval (1), note d'où il ressort qu'un fils de De Swaen était religieux à l'abbaye des Bénédictins à Bergues Saint-Winoc. De Laval avait reçu ces renseignements en juillet 1817, d'un certain De Swaen, pharmacien à Dunkerque et parent du poète. D'après cette note, le fils de De Swaen doit avoir brillé à l'abbaye. « Son mérite l'éleva à la dignité de trésorier et si le roi n'eût jugé convenable de mettre l'abbaye en commande, tout portait à croire qu'il aurait été nommé abbé, ayant été élu, l'un des droits (sic) candidats pour cette place éminente ». Peut-être est-ce à la présence de ce fils de De Swaen à l'abbaye de Bergues, qu'il faut attribuer ce fait que la plupart des manuscrits de notre poète y furent transportés après sa mort. Ce n'est pas seulement la note de De Laval (2) qui nous le confirme, mais l'imprimeur P. Labus, un contemporain et un excellent ami de Michel De Swaen, nous l'assure aussi : « Le révérend prélat de Bergues Saint-Winoc qui conserve un si grand trésor » (3).

Dans la lettre parue dans le numéro déjà cité de La Dunkerquoise nous lisons que l'auteur alla visiter De Swaen dans sa maison de la rue des Claires. J.-J. Carlier (4) pense que De Swaen habita pendant les dernières années de sa vie dans la rue de la Couronne, une maison oit, durant de longues années, de 1750 à 1859 résidèrent des descendants du poète. Cette dernière

(1) J. F. De Laval. Notes pour l'histoire des Pays-Bas, pp. 18-50 (Bibliothèque Universitaire, folio manuscrits C. 3322).

(2) «Tous les manuscrits de l'auteur passèrent dans la bibliothèque de cette abbaye ».

(3) François Forret. Het Dobbel Refereyn-Boeck... Vermeerdert met 9 gedichten van M. De Swaen : F. Labus, Dunkerque, 172...(?) Avant propos (Bibliothèque univers. Gand, n° 1840).

(4) Bulletin du Comité flamand de France, t. V, p. 246.


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supposition est aussi admise par Güthlin (1), qui proposa de donner le nom de De Swaen à cette rue.

De Swaen mourut le 3 mai 1707. D'après les registres de l'église il fut enterré le 5 mai (2).

En ce qui concerne la biographie de De Swaen, ses ouvrages nous apprennent qu'il était attaché de corps et d'âme à la chambre de rhétorique dunkerquoise, SaintMichel sous la devise Verblydt u in den tydt et portant la pâquerette dans son blason. C'est à l'époque où De Swaen en fit partie que cette chambre atteignit son apogée, non seulement parce qu'il l'illustrait par son talent de poète, mais encore parce qu'il y déployait une activité, extraordinaire.

La chambre de rhétorique de Saint-Eloi, la plus ancienne que possédât Dunkerque, et quatre autres encore, avaient été fermées en 1584 et avaient vu leurs biens confisqués, sur l'ordre du duc de Parme, parce qu'elles étaient soupçonnées de former des milieux de propagande protestante (3). Ce n'est qu'en 1621 que l'on retrouve la trace d'une chambre renaissante. Cette année là la chambre de Saint-Michel reçut 90 livres des magistrats de la ville pour payer la location de son local. C'est dans cette dernière chambre que De Swaen allait déployer son activité de poète.

Les membres de Saint-Michel, parmi lesquels se trouvaient quelques notables et quelques ecclésiastiques de Dunkerque, se réunissaient dans une salle située sous la tourelle, actuellement démolie, de l'ancienne porte du quai, au bout de la rue du Quai (4). Ils se réunissaient là

(1) Mémoires de la société dunkerquoise, XII, p. 323.

(2) Bulletin du Comité flamand de France, t. V, p. 246.

(3) Messager des Sciences, 1842, p. 51. (1) J. F. De Laval. Voir plus haut.


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le soir pour s'exercer dans « l'art d'Apollon » et pour « se distraire quelque peu » (1).

En règle générale c'était De Swaen qui rendait ces réunions intéressantes. Le nombre des poésies, — telles que « Uytspraeken van Pryskaerten » et « Raedsels » — qu'il écrivit spécialement pour assurer la marche régulière des réunions des rhétoriciens, est considérable. La seconde partie des Zedelycke Rymivercken ne contient rien d'autre, et dans d'autres ouvrages inédits de De Swaen nous retrouvons encore toute une série de ces pièces. De Swaen ne laissait échapper aucune occasion de consacrer à la chambre les accents de sa lyre. Au nouvel an il adressait des félicitations rimées à ses « frères en rhétorique » (2), Il chantait le blason de la gilde (3) et son emblême la pâquerette (4). Il se prodiguait. C'est lui qui complimente le révérend sieur De Seck, premier chapelain de l'église paroissiale de Dunkerque, à l'occasion de son élection comme directeur spirituel de la gilde (5), c'est encore De Swaen qui compose le « chant d'allégresse de la gilde de rhétorique sur la réception du sieur Hector comme chef » (6). Lors de l'élection du sieur Thomas van Kaester, notaire du roi, comme doyen de la chambre, ce fut encore De Swaen qui le salua d'un « chant d'honneur » (7). Un concours était-il prescrit par un des membres du comité nouvellement intallés, tels que les doyens sieur Pierre van den Heede (1704) et sieur Jacques Maes (1705), De Swaen ne manquait pas d'y

(1) Zedelycke Rymwercken, p. 129.

(2) Ibid., p. 74, 115.

(3) Ibid., p. 83.

(4) Ibid., p. 106.

(5) Ibid., p. 129.

(6) Ibid., p. 145.

(7) Ms. Com. flam. II, n° 18.


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prendre part (1). Aussi est-il tout naturel que dans ces circonstances De Swaen fut proclamé prince de la chambre de rhéthorique.

Quand il fut honoré de ce titre, il mit au concours, entre ses frères de la gilde, une question pour laquelle il réservait, des prix en argent (2). En même temps il s'excusait do ne pouvoir faire pour la chambre tout ce qu'il aurait voulu.

Contentez-vous de l'intention au lieu des actes. Contentez-vous d'un coeur qui aimera toujours celui qui trouve agrément aux déesses de la poésie et du chant. Un coeur qui donne volontiers à ses émules tout ce qu'il a en lui-même (3).

De Swaen non seulement composait des poèmes pour la chambre, mais il avait aussi l'art de les déclamer d'une manière parfaite. L'imprimeur Labus nous en donne un témoignage dans l'épilogue des Zedelycke Rymwercken : « Mon coeur me presse d'ajouter ici que j'ai eu l'honneur de l'entendre réciter la plupart de ces poésies, art dans lequel il brilla autant que dans celui de les composer : ce dont peuvent témoigner à Dunkerque, maints hommes honorables, savants et religieux qui étaient honorés et charmés de se trouver de temps à autre à la chambre, pour entendre de cette bouche d'or ses poésies morales. »

Nous croyons également que De Swaen a écrit la

(1) Ms. Com. flam., II, n° 17.

(2) Zedelycke Rymwercken, p. 77.

(3) Vernoeght u met den wil in plaetse van de daedt, Vernoeght u met een bert dat stadigh zal beminnen Al vvie behaegen schept in Rym en Sangh-Godinnen ; Een hert dat alles wat het in sigh selven beeft,

Syn mede-yveraers gewillig overgeeft... (*).

(*) Zedelycke Rymwercken, p. 78.


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plupart de ses oeuvres dramatiques à l'intention de la chambre Dunkerquoise. Il est en tous cas certain que la farce de Gecroonde Leerse, fut représentée par la Gilde, pendant le carême de l'année 1688 (in den vastenavonttydt des jaers 1688 ») (1). La lettre de La Dunkerquoise nous apprend aussi que la traduction du Cid due à De Swaen fut donnée à la chambre en 1700 (2).

De Swaen était en relations suivies avec d'autres chambres de rhétorique, aussi bien dans les Pays-Bas espagnols que dans la Flandre française. Les rhétoriciens de la chambre Baptisten Royaerts à Bergues Saint-Winoc l'avaient en vive affection (3). En 1705, il prend part à Bergues à un concours organisé par M. M. Le Maire, licencié en droit et chef homme de la chambre de rhétorique Baptisten Royaerts (4). Il va à Bruges en 1700, pour y prendre part à un concours organisé par la chambre de rhétorique des Prie Santinnen (5). En outre il écrit un rondeau sur la devise de cette gilde (6). Il envoie aussi ses poésies à la chambre de Heilige Geest, à Bruges (7). Il était en relation avec le chef homme de Nu, morgen niet, M. Lieven, bourgmestre de Dixmude (8), ainsi qu'avec le facteur de la gilde Scerp deur onder 't heiligh Cruus, et avec le pitancier de la collégiale, De Borde, de Dixmude (9). Il appréciait hautement les

(1) De Gecroonde Leerse. Edit. Looten (Lille, V. Ducoulombier, 1891), Waerschouwingh.

(2) « Dans quelques semaines, elle se proposait de représenter le Cid de Corneille, traduit en vers flamands par M. De Swaen ».

(3) Zedel. Rymir., introduction à la 2e partie par l'imprimeur.

(4) Ms. Com. flam., II, n° 16.

(5) Voir à ce propos le chapitre suivant.

(6) Ms. Com. flam., I, n° 15.

(7) Zedel. Rymw., p. 108.

(8) Ibid. Dédicace : « Tot den welcken u' Lieden syne groote genegentheit aen mij dickwils kenbaer heeft gemaeckt ».

(9) Ms, Com, flam., II, n° 4. « Mynheer De Borde, pitancier in de collegiale kerk van St-Niclaes te Dixmuyden ».


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rhétoriciens de Dixmude, les vers suivants le démontrent :

Dixmude ! doux séjour des compagnes de Phébus, A cause de lui (*), je t'aimerai encore plus ardemment. O ville riche en rhétoriciens ! Quoique tu sois petite tu es célèbre par l'art, de l'orient à l'occident. Tu as dans ton sein, les Kruysbroeders, les Morgennieten et les Royaerts, sans cesse désaltérés aux sources d'Hippocrène (1).

De Swaen était aussi en relations d'amitié avec les rhétoriciens d'Ypres, surtout avec un certain sieur G. D. D., auquel il dédia deux épîtres on vers (2) et avec les rhétoriciens Vander Meer et Kerel. Dans une de ces pièces, De Swaen exprime ses regrets de ne pouvoir être présent à la fête de Saint-Cosme, que l'on fêtait à la chambre de rhétorique d'Ypres (3). Plus d'une fois il a regretté de ne pouvoir être à Ypres quand il l'aurait voulu :

Combien de fois n'ai-je pas souhaité que Poperinghe et Proven, avec leurs bois et leurs champs de houblon, soient reculés vers l'est ; quoique la contrée soit belle, elle m'oppresse le coeur, parce que ta présence, par elle, m'est ravie. Quelles étranges, envies cela suscite chez moi : je souhaite cette ville près des bords de la Lys,

(1) Dixmuyde ! soet verblyf van Phebus gesellinnen. 'Ksal u, om synentwil (*) nogh vieriger beminnen, O Redenrycke stadt ! al syt gy cleyn van vest, Gy syt vermaert, door Konst, van 't Ooste tot het West: Gy treft in uwen schoot Kruysbroeders, Morgennieten, En Royaerts, staegb gelaeft, aen d'Hipocrene-vlieten.

(2) Ms. Com. flam., II, n° 5 et 6.

(3) Ms. Com. flam., II, p. 145. « Misschien biedt Kerels hant of Vander Meers u aen. Een roemer coelen wyn, tot welvaert van De Swaen ».

(*) Il s'agit de De Borde.


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tantôt c'est l'église Saint-Martin et sa tour en pierres de taille, avec toute la ville que je voudrais voir élevée sur la dune de Flandre (1).

Le désir de se trouver parmi les rhétoriciens d'Ypres, lui met sous la plume cette spirituelle allusion à son propre nom :

Oh ! si je pouvais me métamorphoser à l'image de mon nom, je serais en un instant, couvert de plumes de cygne, et volerais alors si vite et si bien à travers les airs jusqu'à ce que je puisse enfin embrasser ce cher ami. Mais pour que mes souhaits soient tous correctement remplis, je devrais alors de cygne-oiseau de nouveau devenir cygne-homme, pour, selon mes désirs, parler bouche à bouche avec celui qui, inconnu, me voue son amitié (2).

Non seulement De Swaen traite avec son ami d'Ypres des choses de la littérature, mais il s'entretient aussi de sujets de moindre importance comme le prouvent les deux vers suivants par lesquels De Swaen termine un écrit littéraire adressé au sieur G. D. D. :

(1) « Hoe dikwyls wensch ik niet, dat Poperingh en Proven Met bosch en hommellant naer't Oosten waer verschoven ; Hoe schoon de lantstreek sy, sy steekt my tegen 't hert, Omdat uw bysyn my, door haer, benomen wert.

't Is vreemt wat lusten my, daer op te voren comen :

Nu wensch ik deze vest dicht aen de Leyestroomen

Dan Sinte Maertens kerk, en toren van Arduyn

Metgheel de stadt te sien gesticht op Vlaenderens Duyn » (*).

(2) O ! Cost ik myn gedaent, naer mynen naem verkeeren, 'K wiert op eenen stont, bedekt met swane-veeren,

En vloogh dan soo geswint en veerdigh door de locht, Tot ik soo lieven vrient, voor 't eerst omhelsen mocht. Dogh, om myn wenschen al te stellen op hun orden, 'K Moest dan van Swaene beest weer Swaene-mensche worden Om, volgens mynen lust, te spreken, mont aen mont, Met hem, die onbekent my syne vrientschap jont (**).

(*) Ms. Com. flam., II, p. 145. (**) Ibid., II, p. 146.


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Je te prie, entretemps, de t'occuper d'un valet pour celui qui, avec plaisir se nomme ton serviteur (1).

Les rhétoriciens de Furnes n'étaient pas non plus des inconnus pour De Swaen. Dans les Zedelycke Rymicercken se trouve un poème portant le titre suivant : « Eloge en l'honneur des membres des chambres de rhétorique de Furnes, dites Frères de la Croix, Pauvres dans la bourse, Barbaristes, Jeunes d'esprit ; après qu'ils eurent représenté la pièce de Floridan et de Lydie, le 4 mai 1688, la gilde de Dunkerque y ayant été invitée » (2). Cette représentation doit avoir beaucoup plu à De Swaen, car il n'épargna pas les louanges qu'il adressa aux Furnois :

Sur la scène vous pouvez concourir avec les anciens Grecs, et vous ne faites rien de barbare quoique vous soyez Barbaristes. Qui ne fut ému, quand Floridan plein d'amour après tant de douleur, de malheur, embrassa son amie? Qui ne se réjouit, quand après ce long deuil, leur amour fut couronné par une inaltérable union? Après cela on vit « Pleun » et « Lobbedey » et « Griot » déverser à flots la douce joie et le badinage : jamais ne furent si bien réunis le plaisant et, le sévère, jamais ne parut avec plus d'éclat la gloire de Melpomène (3).

(1) Ick bid u, onderdien, te zorgen om een knecht

Voor hem die met genucht, sigh uwen dienaer seght (*).

(2) Zedel. Rymw., p. 126.

(3) « Ghy moogt op 't speel-tooneel met, d'oude Grieken twisten, En oeffent niet barbaers al syt ghy barbaristen » (**).

Wie wierdt'er met ontroert, als Floridaen vol minne, Naer soo veel smerten ramp. omhelsde syn vriendinne? Wie was er niet verheught, als naer dien langen rouw, Hun liefde wierdt ghekroont door een stantvaste trouw ? Hieronder sagh men Pleun met Lobbedey en Griete, Een beeck van soete clucht en boertery uyt-giete : Noyt heeft men jock en ernst soo wel gestelt byeen, Noyt bleek den luyster meer der fiere Melpomeen (*'*).

(*) Ms. Com. flam., II, n° 5.

(**) Zedel. Rymw., p. 126.

(***) Ibid., p. 127.


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Au nom de la chambre de Dunkerque, Do Swaen exprime l'espoir de pouvoir recevoir un jour les rhétoriciens de Furnes :

Nous qui sommes les moindres nourrissons de Phébus, nous sommes heureux de pouvoir chanter vos louanges et votre mérite. Pardonnez, si notre voix affaiblie par l'air de Thétis, ne sonne assez claire pour célébrer votre renommée. Mais, maintenant que nous espérons avoir plus de rapport avec vous, nous espérons dorénavant mieux vous honorer, et aspirons à vous voir un jour en notre salle, et, comme il est de notre devoir, à vous y remercier de votre accueil (1).

De pareilles visites ne devaient certainement pas être bien rares à la chambre de Dunkerque. Nous lisons en effet dans un chant en l'honneur du doyen de la chambre, sieur Pierre van den Heeden : la chambre est visitée par les étrangers et par les voisins (2).

De Swaen est aussi allé en Hollande. Ceci ressort d'un sonnet, intitulé : « A M. Van Steel, qui m'est inconnu, au sujet de sa complainte sur mon départ de Hollande » (3). Nous citerons au cours de ce travail ce beau et très intéressant sonnet. Qui était ce M. Van Steel ? Nous ne sommes pas parvenus à le savoir.

(1) Wy die de minste syn van Phaebus voesterlingen, Verheugen ons uw lof en prys te mogen singen. Vergeeft, soo onse stem, in Thetis locht verschaelt,

Niet klaer ghenoegh en klinckt 't wyl s'uwen roem ophaelt.

Dogh, nu wy meer met u verhopen te verkeeren,

Soo hopen wy hier naer u beter te vereeren,

En haken om u eens te zien op onze zael,

En daer naer onse plicht, 't herkennen uw onthael (*)

(2) Ms. Com. flam., II, n° 10. « De Kamer wordt bezoht door vreemden en gehuren ».

(3) Ibid., II. n° 7. « Aen den heer Van Steel my onbekent over syne clacht, op myn vertreck, uyt Hollant ».

(*) Zedel. Rymw., p. 127.


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Si avant tout De Swaen consacrait sa verve poétique à la chambre de Saint-Michel, cependant de temps à autre il mit sa muse au service d'autres sociétés dunkerquoises.

Ce fut lui qui chanta les louanges du premier grand pensionnaire Davery au nom de la gilde d'arbalétriers Saint-Georges, à l'occasion de son élection de « coninkstabel » (connétable) de la gilde (1). Il nous rappelle dans ce poème le pittoresque cortège que la gilde de Saint-Georges de Dunkerque organisait lors de ses fêtes :

Saint Georges entre en lice au son des tambours et des trompettes, assis sur le fier cheval (2).

Ce Saint Georges devait au cours du défilé montrer son adresse en faisant exécuter toutes espèces de voltes au fougueux cheval. D'après le chevalier d'Ostalis (3) cette coutume existait encore à Dunkerque en 1757.

De Swaen faisait partie de la Gilde de Saint-Sébastien. C'est même grâce à cette circonstance que nous possédons son portrait. Mathieu Elias, un des peintres les plus méritants de cette partie de la Flandre française, fit, pour orner la salle de la confrérie de Saint-Sébastien, un tableau où se trouve le portrait en pied de la plupart des membres. De Swaen est parmi ceux-là. Cela ne laisse aucun doute, car au-dessus de chaque personnage est peint un numéro, correspondant à celui qui se trouve sur une liste jointe au tableau et contenant les noms des divers personnages. Ce tableau resta pendu jusqu'en 1845, dans la salle de la gilde. Plus tard, il passa de main en main, jusqu'à ce qu'enfin il devint la propriété du peintre dunkerquois

(1) Zedel. Rymw., p. 147. 118.

(2) « Sint Joris treedt in 't perck,

Met trom en trompgeschal op 't moedigh peert gezeten » (*).

(3) Chev. d'Ostalis. Voyages et Réflexions, 1787 (Cf. Ann. Com. flam., 1854-55, p. 317).

(*) Zedel. Rymw., p. 149.


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Shelley, qui fit pour le Comité flamand de France une copie au charbon de bois de la figure de De Swaen (1).

La lettre de La Dunkerquoise, que nous avons citée à diverses reprises déjà, nous dit quel était en 1700 l'aspect de De Swaen : « Ce chirurgien est un homme de petite taille, jeune encore, mais dont les cheveux grisonnants et le visage ridé attestent l'étude et le travail. » Le portrait de M. Elias nous laisse aussi l'impression d'une tête de penseur et de travailleur.

Les autres sociétés dunkerquoises dont nous parle De Swaen dans ses écrits, sont exclusivement religieuses. Les « Lofdichten » (panégyriques) dédiés à la confrérie de Sainte-Barbe (2), et à celle du Très Saint-Sacrement de l'autel pour l'administration des malades (3), instituée en 1697, nous prouvent, que De Swaen n'était pas seulement, comme le montrent ses écrits, un homme pieux en paroles, mais qu'il l'était aussi en fait. Le poème sur l'installation de la Confrérie du Saint-Sacrement est surtout très caractéristique à cet égard. De Swaen se réjouit de l'institution de cette Confrérie,

Faite pour louer Dieu sur terre comme le

Séraphin le fait dans les jardins des cieux (4).

Une institution pareille était nécessaire à Dunkerque comme le montre De Swaen :

Un comédien réunit autour de lui beaucoup de monde, et le Christ Notre Seigneur quand il va chez les malades, trouve malaisément qui veut l'accompagner dans la rue.

(1) Ann. Com. flam. (t. XXV, 1900, p. 1). C. Looten. Notice sur le portrait de De Swaen.

(2) Zedel. Rymw., n° 24 (2e partie).

(3) Ibid., p. 130.

(4) « Geschickt ow Godt op aert te loven,

Ghelyck den Seraphyn doet in des Hemels Hoven » (*).

(*) Ibid., p. 130.

b


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Ce qu'avec douleur on vit encore il y a peu de semaines, avant qu'on eût commencé à parler de la Confrérie (1).

Maintenant que la confrérie existe, tout cela ira beaucoup mieux. Nous apprenons comment il sera procédé dorénavant quand il s'agira d'administrer un malade :

Les bourgeois qui ne peuvent quitter l'église de toute la journée commencent à s'apprêter. Ceux-ci préviennent les voisins, d'autres s'occupent du luminaire, d'autres entonnent des psaumes et des hymnes à la louange de Dieu. On en voit d'autres pleins d'ardeur, préoccupés, de mettre le prêtre à l'abri de la pluie, pendant qu'avec la sonnette on rappelle à un chacun, que le roi et le fiancé de nos âmes s'approche (2).

De Swaen termine ce poème par un appel au public, qu'il convie à soutenir pécunairement la nouvelle confrérie. Les derniers vers sont certainement plus chrétiens que poétiques :

Jésus, ouvre au pauvre homme tous ses trésors, et vous ne dénoueriez pas même pour lui votre bourse (3) ?

(1) Een kamerspeelder doet by hem veel volck vergaeren. En Christus, onzen Heer, als hy by siecken gaet, Vindt qualyck die hem wilt verzellen over straet.

Dit heeft men nogh met rouw ghesien voor weinigh weken Eer dat men heeft begost van 't Broederschap te spreken (*).

(2) « Hiertoe beginnen sigh de Borgers te bereyden,

Die konnen van de kerk gebeel den dagh niet scheyden ; Dees maenen de ghebuert, die sorgen voor net licht, Dees melden Godes lof met Psalmen en Ghedicht. Men siet'er andere vol vierigheit, verlegen, Op dat den Priester sou gedeckt zijn voor den regen, Terwyl men met de bel elck een indachtig maeckt, Dat onzer zielen vorst en Bruydegom ghenaeckt » (**).

(3) Jesus, stelt den armen mensch al syne gaven open,

En sult ghy uwe beurs voor hem niet eens ontknoopen? (***)

(*) Zedel. Rymw., p. 131. (**) Ibid., p. 131. (***) Ibid., p. 131.


Tout le poème se résume donc eu un appel en faveur de l'oeuvre de la nouvelle confrérie. C'est donc en zélateur religieux de la confrérie que De Swaen a parlé. D'un chant funèbre pour les funérailles du Rév. de Bousy (1), premier chapelain de la confrérie, il ressort que De Swaen en était membre (medebroeder). Certainement c'était un des plus zélés et des plus actifs.

Le prêtre de Bousy était un ami de De Swaen, aussi le chant funèbre est-il empreint d'une sincère douleur. Le tableau des funérailles que nous peint De Swaen reproduit la cérémonie avec fidélité et n'est pas dépourvu d'attraits :

Silence ! je vois la ville entière saisie de douleur et de peines. La communauté, triste et les larmes sur les joues, se réunit devant la maison, pendant que le son douloureux des cloches remplit tous les assistants de plaintes et de deuil. La bourgeoisie éplorée s'avance, à pas lents, pour l'enterrement, rangée en ordre par confréries, couvrant les deux côtés de la rue de la lumière des flambeaux. Le digne corps, couvert des habits sacerdotaux, renouvelle par son apparition les soupirs et les douleurs. Les prêtres aussi purs d'habits que de coeur, enlèvent la civière ; trois d'entre eux portent le calice, la couronne, et la croix en avant ; tous entonnent avec un accent de douleur et de plainte les chants liturgiques. Les amis suivent le corps la démarche triste et en deuil, accompagnés du conseil de la ville L'entourage consterné et ému jusque dans l'âme, s'efforce de calmer sa douleur par des plaintes (2).

(1) Zedel. Rymw., p. 131.

(2) Stil ! 'k zie geheel de stad met druk en wee bevangen, De treurige gemeent met tranen op de wangen Vergadert voor bet huys, terwyl het droef geluyt

Der clocken yders mont tot clacht en rouw ontsluyt. De droeve borgery comt aen, met trage stappen, l'en uytvaert, ordentlyk verdeelt in broederschappen,


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La sympathie qui unissait De Swaen à de Bousy, était née surtout d'idées et de penchants religieux communs. De Swaen avait placé en de Bousy l'espoir qu'il avait de le voir convertir les protestants :

Nous espérions, que vous auriez, par un si saint travail (**), au Zélandais et au rude Anglais fait croire la vérité (1).

Il est plus que probable qu'il s'agit ici des matelots ou voyageurs Zélandais et Anglais qui résidaient temporairement à Dunkerque. Il n'y avait en effet pas de protestants dans la population fixe de Dunkerque puisque Louis XIV les avait bannis de la ville en 1664 « afin d'en déraciner entièrement l'hérésie (2) ». La ville avant appartenu aux Anglais, les protestants y avaient été autrefois assez nombreux.

La plupart des amis et des connaissances de De Swaen étaient des ecclésiastiques. Lors de l'enterrement du Rév. Jean van de Knocke, chapelain et directeur des Augustins à Dunkerque, il le célébra en un VreugdeBesettende

VreugdeBesettende met toorslicht gheel de straet. Het weerdigh lyk ghedeckt met priesterlyk gewaet, Vernieut door syn vertoogh de suchten en de smerten. De Priesters even reyn van kleeren en van berten, Slaen d'handen aen de baer : dry dragen kelk, en kroon, En kruys vooruit; alt'saem verheffen s'in een toon Van weedom en geklagh de kerckelyke sangen. De vrienden volgen 't lyk met pynelyke gangen En rouwsleep, door den Raet der stede vergeselt: D'omstaenders in de ziel verslagen en ontstelt, Betrachten hunnen rouw te stillen met te klagen (*).

(1) Wy hoopten, dat gy soudt, door een soo beyligh werk (**) Den Zeeuw en harden Brit de waerbeyt doen gelooven (***).

(2) Faulconnier. Descript. hist. de la ville de Dunkerque (VII, p. 71).

(*) Zed. Rymw., p. 131.

(**) Doctrine et conduite chrétienne.

(***) Zed. Rymw., p. 131.


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Sangh (Chant de joie) (1), qui montre, que les deux hommes étaient liés. Le Rév. Frère J. Coolsaet, du prieuré des dominicains de Bergues, plus tard professeur de théologie à Rome, était aussi en bonnes relations avec le poète, comme l'atteste un Zegenwensch (Souhait de bonheur) (2) que De Swaen a dédié à Coolsaet. Parmi les connaissances de De Swaen se trouvait encore la « vertueuse et pieuse » demoiselle Isabelle Govaers, à laquelle il dédia aussi un Zegenwensch (3) lorsqu'elle fit sa profession de foi au béguinage de Malines.

Parmi les laïques que fréquentait De Swaen à Dunkerque, il semble que l'imprimeur P. Labus a occupé une place toute spéciale. Labus lui-même se nomme un ami de coeur (herte-vriendt) (4) de De Swaen. Ce Labus devait être un des membres les plus influents de la chambre de rhétorique Saint-Michel. Il lui arrivait de composer des vers (5) et outre sa qualité d'imprimeur il avait celle de traducteur (vertaelder) de sa grandeur l'amiral en Chef de France (6). A la mort de De Swaen des panégyriques furent composés par A. De France, M. Bondu, F. Remey, M. Decocq, C. Droomers (7) et par l'avocat P. Looten (8), tous rhétoriciens avec lesquels il semble que De Swaen a vécu en excellents termes.

(1) Ms. Com. flam., I, n° 19.

(2) Ms. Com. flam,, I, n° 16.

(3) Ms. Com. flam., II, n° 15.

(4) Zedel. Rymw., conclusion.

(5) M. De Swaen. Zedelycke doot van Keyser Karel. (Dunkerque, P. Labus, 1707).

(6) J. Deruyter. Nieuw Liedt boeck.... den Maegde-Krans, etc. (Dunkerque, approb, 1712. P. Labus). Titre (Cf. Annales du Com. flam.. 1853, p. 41).

(7) M. De Swaen. Zedelycke doot van Keyser Karel (Dunkerque, P. Labus, 1707).

(8) Zedel. Rymw., liminaire.


22 *

A plusieurs reprises P. Labus insiste sur la manière de vivre exemplaire de De Swaen. Il est dit dans la préface des Zedelycke Rymwercken, que De Swaen a édifié ses concitoyens et ses frères de la gilde non seulement par ses oeuvres mais encore « par sa conduite bienveillante et vertueuse ». Dans l'épilogue du même ouvrage, De Swaen nous est encore une fois représenté comme un homme dont les écrits et la manière de vivre concordaient parfaitement, et qui a édifié par là tous ceux qui l'ont connu. Si nous nous rappelons maintenant, en présence de ces témoignages, la bonne amitié qui liait De Swaen à beaucoup d'ecclésiastiques, nous pourrons en conclure qu'il n'y avait rien à redire sur la conduite et la piété du chirurgien et poète dunkerquois.

A ce propos on trouve dans les ouvrages de De Swaen, spécialement dans Jesus Leven en Dood et dans les Zedel. Rymwercken, de curieuses allusions à sa propre manière de vivre, allusions qui méritent d'être examinées d'une façon plus spéciale.

Dans les deux ouvrages que nous venons de citer De Swaen s'accable parfois lui-même des plus amers reproches. Il fut un temps, prétend-il, où il poursuivait les choses terrestres (« den wereldgod naliep »), où à l'église consacrée à Dieu, il osait adorer la créature (« in Gods gewyde kerk het schepsel aenbidden ") et où « dans un sot transport d'amour, il eut renié son Dieu et vendu son âme pour un baiser » (voor een kus in dwaese minnesucht (zyn), God had afghegaen. en (zyne) ziel verkocht) (1). Il fut un temps où « sa langue licencieuse faisait rougir par son langage dévergondé un pur visage » (losse tong tot wellust uytgelaeten, een reyn gelaet ontstak met tuchteloos te praeten), où il « lançait des regards impudiques sur les vierges honnêtes », (zyn geyl gezicht op

(1) Zedel. Rymw., p. 17.


23 *

maegdewangen sloeg en in een eerbaer hert een wulpschen oogslag joeg) (1). Sa langue, « poussée par la débauche, (snoode tong door ontucht gedreven) tenait des propos honteux qui faisaient pâlir ou rougir un visage pur » (waerdoor een reyn gelaat verstierf of rood ontstak) (2). Son « âme quittait son Dieu pour de la chair boueuse, puante, pourrie et débauchée », (voor morsig, stinkend, rot en ontuchtig vleys), « elle restait comme une sale chienne à fouiller dans les vomissements d'immondes envies » (als een vuylo teef in het braksel van walgelyke lust vroeten). « Gourmand à l'excès, il se couchait, ivre de vin, comme un sale porc, fouillant dans un égout et assouvissant ses appétits de boue. » (Gulsig buyten maet, lag ik verdronken in den wyn, als een vuyl versauwen swyn, dat in een goote vroet en met slyk syn lusten boet) (3). Il ajoute encore que « dans son jeune âge, il ne pouvait supporter l'aspect de Dieu et qu'il le chassa de sa maison et même de son coeur » (4). (In myne jonge dagen, dat ik God voor myn gesicht niet en konde verdragen, dat ik hem uyt myn huys , ja uyt myn herte stiet). La débauche, les excès et le blasphème auraient donc marqué, suivant ses propres aveux, une partie de la vie de De Swaen.

Diverses citations nous permettent de préciser la partie de sa vie qui lui inspirait ces remords. « J'ai passé vingt ans à des plaisirs de luxure» (5). « Mon âme a pendant plus de vingt ans été étendue sur une civière » (6). « Quoique pendant vingt ans, vous ayez exclu de votre

(1) Jesus Leven en Dood, 1re p., 11e chant.

(2) Jesus Leven en Dood, 2e p., 5e chant.

(3) Jesus Leven en Dood, 2e p., 11e chant.

(4) Jesus Leven en Dood, 1re p., 17e chant.

(5) Jesus Leven en Dood, 1re p., 23e chant.

(6) Jesus Leven en Dood, 1re p., 8e chant.


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esprit l'amour de votre Dieu » (1), dit de De Swaen à lui-même, « cependant vous pouvez encore avoir confiance en Dieu. » « Lazare n'était mort que de quatre jours, votre âme depuis vingt ans, et cependant elle peut, encore ressusciter » (2). « Dieu a attendu pendant vingt ans le moment où votre âme se tournerait vers lui » (3).

Toutes ces citations sont tirées de Jesus Leven en Dood, une oeuvre que De Swaen termina vers la quarantaine, comme il ressort du début d'une des considérations que le poète s'adresse à lui-même : « Vous avez maintenant quarante ans » (4). En 1694 donc, cette oeuvre était terminée (5). Labus témoigne que Jesus Leven en Dood est une oeuvre à laquelle De Swaen a travaillé dix ans (daer dieu vernufte Geest 10 jaren op ghewerckt heeft) (6). Nous pouvons admettre que les idées que De Swaen développe dans cette oeuvre étaient arrivées chez lui à leur maturité quand il l'a entreprise; de sorte que De Swaen parlait à trente ans, do vingt années de dévergondage, dans lesquelles il aurait déjà vécu. Ce serait donc dès sa dixième année, qu'il aurait chargé sa conscience de tous les crimes cités plus haut !

Il est hors de doute, qu'en jugeant les reproches que De Swaen s'adresse à lui-même, il faut avant tout tenir compte de la balance tout à fait spéciale, qu'il employait pour peser ses fautes. Si nous devions nous représenter le jeune De Swaen comme un débauché, un prodigue et

(1) Jesus Leven en Dood, 1re p., 29e chant.

(2) Jesus Leven en Dood, 1re p., 19e chant.

(3) Jesus Leven. en Dood, 2e p., 19e chant.

(4) Jesus Leven en Dood, 1re p., 15e chant.

(5) Le nombre d'années correspond à celui qui est indiqué dans l'avis de l'édition de cette oeuvre (Bruges, J. Van Praet, 1767).

(6) Zedel. Rymiv., conclusion.


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un blasphémateur, nous pourrions courir le risque de le rendre plus mauvais qu'il n'a jamais été. La vérité exige, que nous défendions De Swaen, contre De Swaen même.

A l'âge de trente ans, notre poète avait une conception de la vie qui n'était pas très éloignée de l'ascétisme. Bien qu'il vécût dans le monde, il pensait et agissait comme un religieux. Il avait, pour lui-même, les plus hautes exigences en ce qui concernait sa ferveur et ses pratiques religieuses :

La vie chrétienne c'est gémir, veiller, combattre, la vie chrétienne c'est se mortifier, jeûner, souffrir, toujours être occupé, toujours être sur ses gardes, ne jamais se reposer, toujours être armé, de jour et de nuit (1).

Une pareille conception de la vie devait lui faire juger, avec la plus extrême sévérité, tout ce qui ne pouvait concourir directement au salut de son âme. Un instant de distraction à l'église, une innocente causette amoureuse, une demi-ivresse à la fin d'un repas devaient éveiller, chez le sévère chrétien, un sentiment exagéré de sa culpabilité. Il tâchait d'atteindre l'idéal le plus pur de la vie religieuse; la moindre éclaboussure mondaine le remplissait d'effroi. Il nous fait songer à la béguine, qui accourt anxieusement chez son confesseur pour qu'il la délivre des tourments de l'enfer, auxquels elle se croit irrémédiablement vouée, parce qu'elle s'est mirée trop longtemps dans sa glace. C'est ht nature elle-même qui sans doute aura poussé De Swaen à jouir des plaisirs de

(1) Het Christen leven is versuchten, waeken, stryden, Het Christen leven is versterven, vasten, lyden, Geduerig in de weir, geduerig op de wacht, Noyt rusten, altyd zyn gewapent, dag en nacht (*).

(*) Jesus Leven en Dood, 1re p., 18e chant.


la jeunesse, qui si l'on tient compte des usages et des habitudes du dix-septième siècle, étaient peut-être un peu libres, mais qui certainement n'auront pas laissé la moindre tache sur son bon renom. Vue avec les yeux de la vie mondaine, la conduite de De Swaen est certainement irrépréhensible. Seuls les regards scrutateurs du plus sévère esprit religieux purent y découvrir toutes ces abominations.

Cette conception si sévèrement religieuse de la vie peut faire surgir chez nous la question de savoir si toutes les oeuvres de De Swaen sont bien arvivées jusqu'à nous, et si le poète n'a pas détruit dans son âge mur quelquesunes des oeuvres plus mondaines de son jeune âge. Il y a certainement dans les vers suivants, par lesquels débute Jesus Leven en Dood, une condamnation d'oeuvres profanes antérieurement écrites :

Moi qui auparavant faisais chanter ma muse avec des accents tristes ou joyeux dans des tragédies ou des pastorales, qui d'après les sots désirs de mon goût de rimer passais mon beau temps à plaisanter et à rire; moi qui faisais enflor mon coeur de vent et de fumée, pour mettre sur un fier piédestal ma langue maternelle (1).

Ces vers nous donnent aussi l'assurance, qu'en dehors des trois tragédies et de la farce que nous possédons de De Swaen, il a écrit encore d'autres ouvrages dramatiques et notamment des pièces pastorales. Il se peut, naturellement que ces pièces se soient perdues par hasard, mais nous soupçonnons De Swaen de les avoir condamnées

(1) Ick die, voor descn placht myn penne te doen quelen, Met droef of bly y geklang in Treur of Herder-spelen Die naer de dwaese lust van myne dichtens sucht Myn weerden tyd versleet in boerterye en klucht ; Ik, die vol wind en roock myn ader op ded' swellen Om op een trotsen voet myn moeders tael te stellen...


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et détruites lui-même, à un moment où elles ne satisfaisaient plus à ses exigences morales et religieuses.

Nous avons la preuve qu'il l'a fait pour deux autres petites pièces qui n'étaient pas de nature bien édifiante. Dans un des manuscrits de De Swaen (1) conservés à la bibliothèque du Comité flamand de France, se trouvent deux poésies érotiques, sans aucune tendance morale, l'une Minnestreek lot bestekingh van de begaefde en liefweerdighste Isabel op haeren feestdagh (Poésie d'amour pour la fête de la spirituelle et aimable Isabelle) et l'autre une conventionnelle Minneclacht aen de soete Dianier (Complainte à la douce Diane). Les deux pièces sont barrées, et la même main qui les a écrites a mis en note la condamnation rimée suivante :

Ainsi soupirent les sots que l'amour fait délirer (2).

De Swaen qui a réuni et corrigé dans ce manuscrit divers poèmes (« verscheyde Rymwerckem te samen vergaderde en verbeterde ») a donc, après plus ample réflexion, condamné ces deux poésies, les seules que nous connaissions de lui qui ne soient pas religieuses ou morales (3). Nous croyons que De Swaen a détruit et condamné plus d'une oeuvre de jeunesse. Toutes les oeuvres que nous avons retrouvées de lui ont un caractère fortement religieux et moral, môme la farce, de Gecroonde Leerse, surtout dans sa dernière version (4); le hasard aurait été bien clairvoyant de s'acharner uni(1)

uni(1) Com. flam., II, n° 2 et 3.

(2) So suchten de dwasen Wie liefde doet rasen.

(3) E. de Coussemaker découvrit la signature de M. De Swaen sur un exemplaire de l'Histoire des Pays-Bas, de Guiceiardini. Il put établir ainsi que le manuscrit que possède le Comité est aussi de la main de De Swaen. (Bull. du Com. flam., 1857, 59).

(4) Voir plus loin.


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quement sur des oeuvres mondaines, comme les pastorales, que nous savons avoir existé.

Si De Swaen a agi ainsi, il n'aura fait que ce que beaucoup de ses contemporains avaient fait avant lui. La poésie exclusivement lyrique sans portée religieuse n'avait à son époque aucune valeur, et des rimes érotiques, écrites dans un moment d'ardeur juvénile, provoquaient régulièrement des remords chez leurs auteurs, quand ils avaient atteint l'âge mûr (1). Cats a écrit dans sa jeunesse une oeuvrette, qui est perdue pour nous, mais dont il dit avec mépris dans ses Sinne-en Minnebeelden que c'était une aberration de son aveugle jeunesse (« uytwerpsel van zyne blinde jonckheyt ») et qu'elle contenait seulement des idées folles (« geckelyke invallen »). Luiken aussi regrettait d'avoir écrit sa Duitsche Lier, qu'il tâchait par tous les moyens de faire disparaître de la circulation. D'autres exemples de pareils remords littéraires se présentent très fréquemment au XVIIe siècle (2).

De Swaen aura imité le cornemuseur de Lucques dont parle son contemporain le père Poirters (3).

Après avoir joué de la cornemuse sans aucun profit devant la porte des bourgeois, il alla à l'église jouer devant l'image du Rédempteur, qui laissa aussitôt tomber dans son escarcelle son soulier d'argent. La récompense divine était devenue l'unique but des efforts poétiques de De Swaen, les vaines joies du monde un objet de dédain.

Parmi les oeuvres de De Swaen il ne s'en trouve qu'une seule qui fut imprimée de son vivant et sous sa, direction, et encore, n'est-ce qu'une traduction. En 1700 parut chez Ant. Franc. Van Ursel, à Dunkerque : Andronicus,

(1) G. Kalff. Litterat. en Tooneel (Haarlem Bohn, 1895), p. 125.

(2) Ibid., p. 124.

(3) Masker v. de wereld (Anvers. V J. Cnobbaerts), p. 12.


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treurspel, vertaelt uyt het Frans van den Heer de Capistron, door M. De Sivaen. (Andronic, tragédie, traduite du français de M. de Campistron, par M. De Swaen) (1). L'oeuvre fut dédiée à M. Charles-Honoré Barentin, intendant du Roi à Dunkerque depuis 1699 (2).

Barentiu avait accepté le titre de protecteur de la chambre de rhétorique, et c'est au nom de cette dernière que De Swaen lui dédia sa traduction. « La rhétorique de Dunkerque ou (pour nous exprimer suivant l'esprit de la langue française) l'Académie flamande est trop sensible à l'honneur que vous daignez lui faire de bien vouloir être son protecteur, pour qu'elle ne le laisse pas paraître publiquement » (3). De même que les écrivains de langue française chantaient les louanges de Barentin pour les Français, de même la chambre de rhétorique dunkerquoise voulait répandre ce bon renom parmi les Flamands.

La traduction du Cid due à De Swaen parut aussi de son vivant, mais à son insu. Chez le même A. F. Van Ursel vit le jour en 1694 : Den Cid, blyendigh treurspel, in frans uytghegheven door den onvergelyckelyken Corneille ende nu vertaelt uyt den eersten druck (Le Cid, tragi-comédie éditée en français par l'incomparable Corneille, et maintenant traduite d'après la première édition) (4). Le nom de De Swaen n'est pas mentionné dans le titre, mais il ressort de la préface adressée par

(1) Un exemplaire de cet ouvrage se trouve à la bibliothèque de la Maatschappy van Nederlandsche Letterkunde, à Leyde. C'est à tort que Willems pensait que Andronicus était une couvre originale (Verhandel. over de Nederl. Tael-en Letterkunde in de zuidel. provinciën der Nederl., p. 272).

(2) Faulconnier. Hist. de Dunkerque, VIII, p. 113.

(3) Andronicus, dédicace.

(4) Un exemplaire se trouve à la Bibliothèque Royale à Bruxelles. Cat. A. 8e cl. 4276.


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l'éditeur à De Swaen, que la traduction est l'oeuvre de ce dernier. « La vérité est cependant que votre travail ne parait qu'à votre insu. En effet, un de vos amis auquel vous aviez confié cette pièce de théâtre pour la lire, ayant de même communiqué celle-ci à l'un de ses amis, sans vous en avertir, ce dernier est, venu tantôt chez moi pour la faire imprimer. »

De pareilles pratiques n'ont rien d'étonnant pour celui qui connaît les idées régnant au XVIIe siècle sur la propriété littéraire. Bon nombre d'auteurs ont vu leurs oeuvres imprimées et réimprimées à leur insu. La traduction du Cid de van Heemskerk (1) n'était, pas non plus destinée à être publiée, mais le manuscrit, dérobé à son auteur, fut imprimé à son insu ; et comme cette édition était mal soignée, van Heemskerk se vit, plus tard obligé de faire imprimer l'ouvrage lui-même (2).

En 1707, l'année de la mort de De Swaen, parut pour la première fois une oeuvre originale du poète. C'est en effet à ce moment que P. Labus publia : De Zedelycke Doodt van Keyser Caret den Vyfden, Tonneel spel door M. De Swaen. (La mort morale de l'empereur CharlesQuint. Comédie par M. De Swaen) (3). Un avis de l'imprimeur au lecteur nous apprend que cotte oeuvre fut le chant du cygne de notre poète : « het leste werck van dien hoogh-verlichten Gheest» (la dernière oeuvre de cet esprit éclairé) (4). Une réimpression de cette édition fut donnée en 1843 dans le Belgisck Museum de Willems (5).

(1) Amsterdam, D. V. D. Stichel 1641.

(2) E. Picot. Bibliographie Cornélienne. Paris, A. Fontaine, 1876, p. 365.

(3) On en trouve un exemplaire à la bibliothèque de l'Univ. de Gand (Rés. 671).

(4) De Zedel. Doodt (Ed. Labus, p. 48).

(5) Les tirés à part du Belgisch Museum, portent le millésime 1844.


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Le même éditeur publia plus tard encore un ouvrage de De Swaen. En 1722, quinze ans après la mort de De Swaen, l'oeuvre suivante sortit des presses de Labus : Zedelycke Rymivercken en Christelycke Gedachten door M. De Swaen, in syn leven tot Duynkercke stads-ghesivoren Heel-meester, en tot syn doodt toe Prince der Gilde van Rhetorica der voorseyde stede. (Poésies morales et pensées chrétiennes par M. De Swaen, de son vivant chirurgien juré de la ville de Dunkerque, et jusqu'à sa mort Prince de la Chambre de rhétorique de la dite ville).

Ces Zedelycke Rymivercken furent dédiées par le fils du poète, F. L. De Swaen « chanoine régulier » à l'abbaye de Saint-Nicolas à Furnes, à Michel Lieven, premier bourgmestre et chef homme de la chambre de rhétorique Nu, morgen niet, à Dixmude. Cette dédicace est datée du 30 mai 1722; l'approbatur du « librorum censor », l'est du 19 mai 1722.

Labus fît une seconde édition du même ouvrage, avec le même titre, mais en y ajoutant la note suivante : « Seconde édition, corrigée de beaucoup de fautes, et augmentée d'environ 480 vers consistant en sept énigmes et leurs solutions, lesquelles pièces furent dernièrement remises à l'imprimeur par un homme honorable » (1).

Cette seconde édition parut sans indication d'année, mais avec le même approbatur que l'édition de 1722. Comme le fait déjà remarquer la note placée en titre, cette édition comprend sept énigmes avec leurs solutions (Raedsels met uytteggingen), qui ne se trouvaient pas dans la première. Toutes ces énigmes sont imprimées en caractères italiques. Mais la seconde édition est plus riche encore que le titre ne l'annonce. Six poèmes, qui ne se trouvent pas non plus dans la première édition, sont

(1) Ex. à la biblioth. de l'Univers, à Gand (H. 630).


ajoutés ici p. 126, 128, 137, 139, 147, 152. Ces poèmes qui terminent le livre, furent probablement donnés à l'imprimeur alors que le texte précédent était déjà imprimé, et ne pouvait plus être modifié. En effet nous lisons à la page 126 : « Encore deux poèmes du même auteur, qu'on a récemment découverts », et au lieu de deux poèmes nous en trouvons six.

Cette édition se termine par un important Epilogue adressé par l'éditeur à ceux qui aiment l'art de la poésie flamande ou néerlandaise (Slot-Reden van den Drucker tot de Minnaers der Vlaemsche of Nederlandsche RymKonste). Nous ferons à diverses reprises usage de cet épilogue au cours de ce travail.

Labus y exprimait l'espoir de pouvoir éditer un jour, s'il était suffisamment appuyé, une oeuvre plus importante de De Swaen, dans laquelle étaient chantées la vie, la passion et la mort du Christ. « Quand je parle de ces ouvrages, dit Labus, celui-ci est le moindre, mais je veux comprendre par là, la vie, la passion et la mort du Christ, tirées des Saintes Ecritures et des pères de l'Eglise, oeuvre sur laquelle cet esprit éclairé a peiné pendant dix ans ; l'ayant lu autrefois, je m'imaginais que c'était là bien plus l'ouvrage d'un séraphin que celui d'un homme : Je souhaite, avec d'autres amis des arts, de voir imprimer cette oeuvre, et j'espère qu'ils seront heureux de ce petit travail.

Labus ne put réaliser ce souhait, et le hasard voulut que cette oeuvre plus importante de De Swaen fût éditée bien plus tard à Bruges.

En 1767 parut en effet dans cette dernière ville, chez Joseph Van Praet : Met Leven en de Doot van onsen Saligmaker Jesus Christus. Rymkonstig beschreven door M. De Swaen, in syn leven Prince der Redenryke Gilde lot Duynkerke. (La vie et la mort de notre


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sauveur Jésus-Christ, décrites en vers par M. De Swaen, de son vivant Prince de la chambre de rhétorique à Dunkerque) (1).

On nous raconte les aventures de cet ouvrage dans un avant-propos.

Le manuscrit en était tombé aux mains d'un des fils de l'auteur. Celui-ci en 1724, en fit cadeau « à M. François Adrien Donche, en ce temps échevin de la ville de Dunkerque, lequel ne voulut pas s'en défaire (quoiqu'il y eût été sollicité à diverses reprises), mais le laissa, après sa mort, à son fils ; de sorte que ce manuscrit serait resté oublié dans cette famille, si ledit fils ne l'avait donné à sa tante, Mme Françoise Claire Donche, supérieure au couvent des Urbanistes, dites les Riches Claires à Bruges. Pendant longtemps celle-ci avait fait connaître ses sympathies pour cet ouvrage, on le lui remit, lors de la célébration de son jubilé de vingt-cinq ans comme supérieure, le 29 juin 1766, à la suite de quoi, et par l'entremise d'autres amis, l'éditeur dos présentes est parvenu à avoir ce manuscrit, de sorte que c'est grâce à ce seul hasard, que cet ouvrage est sorti de l'obscurité, où beaucoup d'autres écrits de cet auteur sont restés ».

Toutes les autres oeuvres dont nous parlons plus loin, une seule exceptée, restèrent manuscrites jusque dans les toutes dernières années. Ce n'est cependant pas l'envie d'éditer toutes les oeuvres de De Swaen qui a manqué à ses contemporains. Déjà, dans la préface du Cid, est exprimé l'espoir de voir imprimées toutes les oeuvres du poète dunkerquois. Labus émet encore le même voeu, à diverses reprises, dans les Zedelycke Rymwercken. Il devait donc exister des raisons sérieuses qui empêchaient la réalisation de ces souhaits répétés.

(1) Ex. à la Biblioth. de l'Université de Gand (B. L. 1979, 19).


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De son vivant De Swaen fut peut-être bien lui-même le plus grand obstacle à la publication de ses ouvrages. La modestie ou le manque de confiance en lui-même l'empêchaient d'éditer autre chose que des traductions. Eu effet, du vivant du poète, seuls Andronic et le Cid furent imprimés, et ce dernier encore à l'insu du traducteur. L'éditeur du Cid fait allusion à cette excessive modestie de De Swaen dans une préface qu'il adresse à l'auteur lui-même : « Qui donc, lui dit-il, ne sait pas que le moindre semblant de gloire vous fait peur, et que c'est là la vraie cause pour laquelle tant de si bonnes pièces restent ignorées » (1).

A en juger d'après les plaintes de certains contemporains, il y avait encore deux ordres de raisons qui empêchaient cette publication.

La situation dans laquelle se trouvait la langue néerlandaise à Dunkerque vers la fin de la vie de De Swaen, semble avoir été un premier obstacle à l'impression de ces poésies. Dans l'Epilogue de la 2me édition des Zedelycke Rymwercken, Labus écrit : « si les oeuvres de De Swaen se trouvaient dans des villes où les autorités et les habitants parlent une seule et même langue, elles auraient été depuis sa mort imprimées, peut-être bien dix fois » (2). Il est certain que cette simple remarque éclaire d'un jour très curieux la situation des langues l'une vis-à-vis de l'autre, dès 1722, à Dunkerque.

Nous pouvons en déduire qu'alors déjà une partie considérable des notables et surtout des dignitaires communaux n'éprouvaient plus guère de sympathie pour le flamand.

Une des premières mesures du gouvernement français,

(1) De Cid (Dunkerque, A. Van Ursel, 1694) Opdracht aen den weerden en voorsienigen Heer M. De Swaen.

(2) 2me édit. Den Drucker tot den Leser.


après le rachat de Dunkerque aux Anglais, fut d'imposer l'emploi de la langue française dans tout ce qui concernait l'administration communale et la jurisprudence.

Quand Turenne s'empara de Dunkerque, en 1658, pour le compte des Anglais, l'acte de reddition portait, à l'article 13, que les droits linguistiques des habitants seraient respectés. « L'on continuera toujours au Magistrat de plaidoier, exercer et administrer la Justice, tant civile que criminelle en la langue thioise ou flamande comme l'on a toujours fait du passé » (1). Mais deux ans après la vente de Dunkerque à Louis XIV, le 26 mai 1664, ce monarque déclara que dorénavant tout se ferait exclusivement en français. Le grand bailli do Dunkerque, Faulconnier, écrit là-dessus en 1730 : « Cela s'est observé si exactement jusqu'à présent, que cet ordre a été cause que cette belle langue a été si bien cultivée à Dunkerque, qu'il n'y a maintenant presque personne qui ne l'entende et qui ne la parle facilement » (2). Ce jugement est certainement quelque peu exagéré, puisque actuellement, encore bon nombre d'habitants de cette ville ne connaissent que fort imparfaitement la langue française, — mais nous pouvons sans hésiter en déduire que, sinon la classe inférieure, tout au moins les autorités communales et tous les adorateurs du soleil parlaient de préférence et presque exclusivement le français. Nous concevons maintenant très bien les doléances que Labus faisait huit années auparavant : ceux, qui les premiers auraient dû acheter et protéger ses éditions, ne le faisaient pas, parce que ce n'étaient pas des publications françaises.

Mais il y avait encore un autre obstacle qui devait faire remettre indéfiniment la publication des oeuvres complètes de De Swaen. Nous avons déjà vu plus haut

(1) Cf. Faulconnier. Histoire de Dunkerque, VI, p. 32.

(2) Faulconnier. Ibid., VII, p. 71.


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que les manuscrits de De Swaen étaient conservés à l'abbaye de Saint-Winoc. Il parait ne pas avoir été facile de retirer ces écrits de l'abbaye pour les faire imprimer. Labus écrit dans les Zedelycke Rymwercken : « Les compagnons d'art des villes environnantes sont affligés de ce que les ouvrages de ce remarquable auteur soient depuis si longtemps déjà comme enterrés sous la main d'un des plus dignes prélats » (1). Dans le Dobbel Ref'ereyn Boeck de F. Forret (2), où se trouvent recueillies quelques poésies de De Swaen. se rencontrent les vers suivants du même Labus. Ici Labus n'exprime plus seulement ses regrets au prélat de Bergues Saint-Winoc, mais il le supplie de se dessaisir des manuscrits pour sauver la mémoire de De Swaen :

Dans ces poèmes vit l'esprit de De Swaen, dont le nom et les oeuvres méritent d'être imprimés en lettres d'or, (le temps et le hasard s'efforcent de les faire oublier). Mais quoique la Flandre le souhaite autrement, je crois qu'on n'y réussira jamais, à moins que le très révérend Prélat de Bergues Saint-Winoc (qui conserve un pareil trésor), ne se laissât toucher par le désir de faire connaître aux artistes des Flandres, l'essence do cet écrivain ; que dis-je ? de proclamer la réputation de De Swaen comme celle d'un Phénix. Sans l'amour et la bonne volonté de cet abbé, De Swaen sera bientôt mort pour les lettres néerlandaises (3).

Néanmoins l'abbé ne se laissa pas émouvoir par ces

(1) 2e édit. Den Drucker tot den Leser.

(2) Voir plus haut : Den Drucker aen de Nederlandtsche ende Vlaemsche Reden-Rycke Liefhebbers.

(3) In dees Gedichten leeft den Geest van Heer De Swaen, Wiens naem en wercken zyn wel weerdt in goud te drucken, — Den tydt en het gheval tracht die te doen vergaen, —

Of Vlaender anders wenscht, ick vrees 't sal noyt gelucken


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paroles, car il ressort de la préface de Jesus Leven en Dood, qu'en 1767, rien n'était encore sorti de l'abbaye de Bergues Saint-Winoc. « Il était à craindre que toutes les oeuvres parfaites de ce poète renommé ne fussent condamnées à rester dans l'obscurité, étant comme enterrées dans une abbaye célèbre, un petit nombre d'entre elles seulement étant tombées entre les mains d'un des fils de l'auteur... »

Nous n'avons pu trouver nulle part la raison pour laquelle l'abbé de Bergues Saint-Winoc ne consentait pas à laisser imprimer les oeuvres de De Swaen. Ce refus est d'autant plus étonnant que le caractère édifiant et religieux de ces écrits devait plutôt engager un ecclésiastique à les publier.

En tous cas, les manuscrits de De Swaen restèrent à l'abbaye de Bergues Saint-Winoc. Qu'en advint-il là-bas? Le correspondant de De Laval (1) pensait qu'ils furent détruits « à la destruction de la Bibliothèque lors du vandalisme révolutionnaire, à la fin du XVIIIe siècle. » Cette supposition est inexacte, pour la bonne raison que plusieurs de ces manuscrits furent retrouvés plus tard. M. Morael, médecin à Wormhoudt, fit savoir à une séance du Comité flamand de France, en 1853, que M. Bareel, ancien curé du même village, avait sauvé de l'incendie de l'abbaye de Bergues Saint-Winoc, un manuscrit de De Swaen. Ce livre, qui contenait une tragédie intitulée Absalon (2), s'est malheureusement

Ten waer d'Eerwaerdigbst' Heer Prelaet van Qinoxbergh, (Die soo een schat bewaert) door Liefde sich liet treffen, By Vlaenders Konstghenoot, dien schryvers geestigh mergh, lck segh, De Swaen syn naem als Phenix te verheffen, Dies sonder dien Heer Abts besonder liefde en jonst, De Swaen die is schier doot voor Neerlands Reden-Konst.

(1) Voir plus haut.

(2) Ann. du Com. flam., 1853, p. 275.


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de nouveau perdu. Il est vrai que M. Morael vint annoncer le 30 avril 1854 au Comité flamand, qu'une copie d'Absalon était on la possession de M. Bels ou de la famille Schelle à Wormhoudt (1) ; il est encore vrai que le 6 juillet de lit même année il annonça qu'il avait découvert un rôle de la tragédie et qu'il en remettrait une copie au Comité (2) ; mais les découvertes n'allèrent pas plus loin et Absalon resta ignoré. Peut-être quelqu'un sera-t-il assez heureux pour mener à bien de nouvelles recherches. D'après la communication de M. Morael, le curé Barcel ne sauva qu'un manuscrit de l'incendie de l'abbaye. Le Comité flamand possède cependant trois autres manuscrits provenant de l'abbaye de Bergues Saint-Winoc (3). Devons-nous croire alors que le curé Bareel sauva plus d'un manuscrit ? Cette hypothèse est assez probable, mais on n'en peut rien dire de précis.

Les trois manuscrits du Comité flamand sont indiqués par J.-J. Carlier comme provenant de l'abbaye de Bergues Saint-Winoc, et cela sans aucun renseignement sur la façon dont ces manuscrits quittèrent l'abbaye (4).

Le premier manuscrit (in-4°, 365 pages) a pour titre : Verscheyden Godvruchtige en sedige Rymwercken op veeler haade voorvallen en gedachten. Eerste deel vergadert en verbetert ; in Duynkercke, 1697. Tweede deel t'samen vergadert in Duynkereke 1098. (Différents poèmes religieux et moraux sur de nombreux évènements et pensées. Première partie, rassemblée et corrigée : à Dunkerque 1697. Deuxième partie, rassemblée à Dunkerque) (1698). Nous le désignons au cours de ce

(1) Ann. du Com. flam., 1851, 55.

(2) Ibid.

(3) Ibid., 1870-72. J.-J. Carlier. Les OEuvres de M. De Swaen.

(4) Ibid.


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travail par ce signe : Ms. I. Il fut remis au Comité flamand par M. le doyen Fidèle Salomé, curé d'Hondschoote (1), actuellement doyen à Hazebrouck. Le donateur conserva cependant le manuscrit chez lui. Quand je le lui demandai en 1901, il ne put mettre à ce moment la main dessus et me le promit pour plus tard. Heureusement je pus me tirer d'affaire avec une copie du manuscrit, que M. de Coussemaker se chargea jadis de faire prendre et que je pus trouver à la biblothèque royale de Bruxelles (2). La longue description que M. Carlier nous donne du manuscrit (3), nous fournit la certitude complète que le manuscrit de Bruxelles en est une copie fidèle. Le manuscrit ne contient que des poésies inédites. Dans les derniers temps le Comité flamand en a publié quelques-unes dans ses annales.

Le deuxième manuscrit (Ms. Il), (in-4°, 301 pages), fut donné au Comité par son président, feu M. Bonvarlet de Dunkerque. Il contient deux tragédies et une nouvelle série de poésies moins importantes. La première tragédie porte le titre un peu long de : Triomf van het Kristen geloof over d'Afgodery in de Martely en de doot van de H. Maget en Martelaresse Catharina, naer het looneel geschikt ende nieuwelyx overgesien en verbetert in Duynkercke 1702. (Triomphe de la religion chrétienne sur l'idolâtrie dans le martyre et la mort de la sainte vierge et martyre, Catherine, arrangé pour la scène, revu et corrigé dernièrement à Dunkerque 1702); la seconde tragédie s'appelle Mauritius. Le texte du Mauritius fut publié par les soins de M. l'abbé C. Looten, dans les Annales du Comité flamand de France

(1) Bull, du Com. flam., I, p. 399.

(2) Ms. 283, série II.

(3) Ann. du Com. flam , 1870-72. J.-J. Carlier. Les OEuvres de M. De Swaen.


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(1901-02). Les poésies sont réunies sous le titre : Zedige Rymwercken (ende Bemerckingen) in stercken en soeten styl (door M. De Swaen, in syn leven prins der Redenrycke gilde binnen Duynkereke) 1702. (Poésies morales (et remarques) en style doux et en style fort (par M. De Swaen, de son vivant, prince de la chambre de rhétorique de Dunkerque), 1702. Ces dernières poésies, au nombre de vingt, sont aussi toutes inédites, sauf les numéros 1, 12, 14, 18 et 19, qui figurent dans les Zedelycke Rymicercken, imprimés par Labus (numéro 1, p. 72; 12, p. 118; 14, p. 80; 18, p. 137; 19, p. 139). En décrivant ce manuscrit M. Carlier émet un doute sur la paternité des deux tragédies Catharina et Mauritius attribuée à De Swaen. Il se pourrait bien, dit-il, que De Swaen ait simplement copié ces pièces d'un autre auteur parce qu'il les trouvait belles. La seule raison que donne Carlier pour justifier ce doute, c'est que dans le manuscrit il n'est en aucune façon indiqué que De Swaen fût l'auteur de Catharina et de Mauritius, alors que semblable indication existe bien réellement pour les poésies qui forment la troisième partie du manuscrit. Mais Carlier oublie d'ajouter que le nom de l'auteur et les autres indications que, en donnant le titre, nous avons imprimés entre parenthèses et non en italique, sont d'une toute autre main que le manuscrit lui-même. A en juger par l'écriture, ces indications ne furent ajoutées que bien plus tard, et notamment au XIXe siècle. Celui qui composa le manuscrit n'y ajouta donc nullement son nom, pas plus sur ce manuscrit que sur les deux autres que possède le Comité flamand et qui sont tous écrits de la même main. La raison du doute de Carlier disparaît donc entièrement. Nous sommes convaincu que le manuscrit de Catharina et de Mauritius est de l'auteur même de ces pièces. La remarque « nieu-


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welyx oversien en verbetert » (nouvellement revu et corrigé) ajoutée au titre de Catharina en est bien une preuve, de même que le « vergadert en verbetert » (rassemblés et corrigés) des Verscheyden Godvruchtige en sedige Rymwercken du premier manuscrit et le « te saem vergadert en verbetert » (rassemblés et corrigés) des Verscheyden Rymwercken in soeten en stercken styl du troisième manuscrit, dont nous parlerons tantôt. Du reste quelle bizarre idée aurait donc eue De Swaen d'aller mettre à côté d'oeuvres qui sont siennes sans conteste, — puisque Labus les a imprimées comme telles, — des oeuvres d'autres auteurs, et cela sans aucun avertissement? Ce que dit Carlier du Mauritius et de Catharina, il l'aurait pu dire avec tout autant de raison du Zedighe Dood van Keiser Karel et de la Gecroonde Leerse du troisième manuscrit du Comité. Là non plus en effet, n'est cité aucun nom d'auteur ! Heureusement nous possédons l'édition de 1707 du Zedighe Dood, qui prouve d'une façon irréfutable que le manuscrit anonyme est bien de De Swaen. Du reste, si môme les doutes de Carlier ne reposaient pas sur une base trop fragile pour s'y arrêter plus longuement, à eux seuls l'esprit et la facture de Mauritius et de Catharina, qui montrent des analogies si frappantes avec les autres oeuvres de De Swaen, suffiraient à établir la vérité de notre thèse.

Les manuscrits que possède le Comité, sont de la main même de De Swaen (1). et contiennent exclusivement ses propres oeuvres, qu'il a une dernière fois revues et corrigées durant les dernières années de sa vie. Il a réuni ici tous les poèmes qu'il croyait dignes de

(1) Nous avons déjà dit plus haut (p. 27 *) que M. E. de Coussemaker put établir par la comparaison de la signature de De Swaen et de l'écriture des volumes conservés par le comité, que ces derniers sont de la main de De Swaen.


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lui survivre, pour en former un album de souvenirs pour lui-même et un héritage poétique pour ses descendants. Il y ajouta même les témoignages flatteurs qui lui avaient été envoyés par ses contemporains et par les poètes ses confrères. C'est ainsi que l'on trouve dans le troisième manuscrit, au n° 8, l'original du poème élogieux qui lui fut adressé, le 7 janvier 1701, par la chambre du SaintEsprit de Bruges, à la suite d'un concours auquel il avait pris part. C'est là, selon nous, une preuve certaine que ce manuscrit fut la propriété personnelle de De Swaen.

Le troisième manuscrit (Ms. III) fut également remis au Comité par M. Bonvarlet, qui l'avait acheté au libraire malinois De Bruyne. Nous y trouvons De Zedighe Doot van Carel den Vyfden (La mort morale de CharlesQuint), De verheerelyckte Schoenlappers of de gecroonde Leerse (Les Savetiers honorés ou la Botte couronnée) et une nouvelle série de dix-huit poésies morales : Verscheyde Rymwercken in soeten en stercken styl te saem vergadert en verbetert in Duynkereke 1100. Nous retrouvons cinq de ces dernières dans les Zedelycke Rymwercken de Labus de 1722 ; ce sont les nos 1, 8 (avec appendice), 10 (1), 16 et 17, qui se trouvent chez Labus, p. 102, 106, 109, 119 et 122.

Comme nous le montre l'émunération des ouvrages imprimés faite plus haut, De Zedighe Doot van Carel den Vyfde fut imprimé dès 1707 et fut littéralement réimprimé d'après l'édition de 1707, par les soins de Willems, en 1843. Il existe une légère différence entre le texte du manuscrit et celui do l'imprimé. Dans ce dernier, un mot a été changé par ci par là, probablement pour rendre le vers un peu plus harmonieux, mais ces

(1) Chez Labus manquent cependant les appendices à ce morceau : Uitspraak over de Pryzen et Slotreden.


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modifications sont peu nombreuses, et ne méritent pas qu'on s'y arrête plus longuement. Il faut accorder plus d'importance à quelques retouches qui modifient le sens de certains vers. Chaque fois que dans le texte du manuscrit il est dit quelque chose qui pourrait exciter la susceptibilité de la France, nous le trouvons adouci dans le texte de Labus et moins directement applicable à ce pays. Ainsi par exemple (Acte I, l, v. 67) : « den Franschen aenslagh » (l'attentat français) devient chez Labus : « des vyants aenslagh » (l'attentat de l'ennemi) ; de même (Acte IV, 2, p. 174) « van het Fransche hof vervreemt » (soustrait à l'influence de la cour française) devient chez Labus : « van 'svyants list vervreemt » (soustrait aux ruses de l'ennemi). Il est plus que probable que nous devons voir dans ces modifications la main de la censure, qui pouvait difficilement tolérer que de pareils souvenirs fussent rappelés dans cette partie des Pays-Bas à peine annexée à la France. C'est même un peu pour faire ressortir ces variantes du texte, et surtout pour mettre eu circulation un plus grand nombre d'exemplaires de cette pièce devenue rarissime, que M. l'abbé C. Looten en a donné une nouvelle édition, tout-à-fait conforme au texte du manuscrit, dans les Annales du Comité flamand de 1900.

L'abbé C. Looten a aussi donné dans les Annales du Comité de 1891 une édition conforme au manuscrit, de De Verheerlyckte Schoenlappers of de gecroonde Leerse. Nous possédons pourtant de cet ouvrage une autre édition, parue quelques années après la mort de De Swaen. Nous sommes les premiers à pouvoir l'avancer avec certitude. L'abbé C. Looten avait déjà remarqué dans un catalogue de l'année 1737 du libraire H. Bosch, d'Amsterdam, le titre suivant : Verheerlyckte schoenlapper of de gekroonde laars Klugtspel, 1718, Gendt by


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C. Meyer. (Le savetier glorifié ou la botte couronnée, 1718, Gand, chez C. Meyer). La ressemblance de ce titre avec celui de la farce de De Swaen du manuscrit du Comité avait frappé l'abbé C. Looten, mais il ne parvint pas à découvrir cet opuscule et ne put donc se prononcer (1). Nous avons été assez heureux pour trouver ce petit livre dans la riche collection d'éditions gantoises, que M. F.Van der Haeghen a réunie avec tant d'ardeur et de science à la bibliothèque de l'Université de Gand. De verhecrlychte Sckoenlappcr ofte de Gecroonde Leerse, Cluchtspel (2) lot Ghendt by Cornelis Meyer (1718) est bien l'oeuvre de De Swaen, quoique son nom n'y soit pas cité. La comparaison du texte du manuscrit avec celui de l'imprimé ne laisse aucun doute à cet égard.

Dans l'édition de Meyer figure une préface de l'imprimeur au lecteur, qui évidemment manque dans le manuscrit :

Cher lecteur qui aimez et recherchez les farces, voici un sujet agréable.... etc. (3).

De Swaen place dans le manuscrit, après le titre, la dédicace suivante : Tot Meerder eere Gods ende van den II. Aertsengel Michaël (à la plus grande gloire de Dieu et du saint archange Michel). Dans l'édition gantoise de 1718 cette dédicace se localise comme suit : Tot meerder lof en glorie van t doorluchtige en goedertieren Huys van Oostenryck (A la plus grande gloire et aux louanges de l'éminente et clémente maison d'Autriche).

(1) De Gecroonde Leerse, édit. avec notes, par C. Looten (Extrait des Ann. du Com. flam., 1891. p. 41).

(2) Ext. de la biblioth. de l'Univ. de Gand : G., 1736.

(3) Waerde leser die de cluchten,

Soeckt en mint met groot genuchten Hier is aengenaeme stof. , .., etc.


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Entre le texte du manuscrit et celui de l'édition de Meyer existent du. reste en certains endroits de très apparentes différences. Un examen plus minutieux des deux versions s'impose ici.

Ce qui nous frappe tout d'abord c'est la négligence avec laquelle l'édition de Meyer a été composée et imprimée. Seuls nos livres populaires qui ont été republiés à diverses reprises et sans aucun soin par des imprimeurs peu instruits ou même illettrés, peuvent nous montrer des échantillons de mutilations du texte et du sens qui puissent être mises en parallèle avec celles de l'édition Meyer de la Botte couronnée.

Il faut voir ce que deviennent certaines expressions du manuscrit dans le texte de Meyer ! Quylebab : quilebal (II, 110); Die roo karbonkelneus : die rood caek boukelneus (III, 5) ; De sausse van dat schoon kappoen : de cansse... (III, 199) ; myn steertebeen : myn herte been (IV, 97) ; dien vuylen vraet : dieu vuylen veraer (rimant avec laet) (V, 119) ; dieu haetigen slavoen : dien baetigen slavoen (V, 138) ; dat pestigh gelt : dat heftig geld (V, 152) ; Anteuns patroon : auteurs patroon (V, 65) ; bewieroockt met den damp : met den dauw (IV, 29) ; wat dat de swarte kauw de boute raefverwyt : de swarte schouw... (II, 276) ; al waer hy uyt syn stat, met noorderson verhuyst : selfs sonder son verhuyst (II, 134). Voilà quelques spécimens, mais nous pourrions y ajouter encore toute une série d'erreurs (1) qui ne le céderaient en rien, pour le ridicule, à celles que nous venons de citer.

Une seconde divergence entre le manuscrit et l'édition gantoise, nous frappe tout autant. A l'exemple de Breeroo et d'autres auteurs comiques du XVIIe siècle,

(1) III, 253 à 257, 327 à 330, etc.


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De Swaen a prêté aux personnages de la Botte couronnée, le langage populaire ; ainsi remarquons-nous dans le manuscrit bon nombre de formes locales de la West-Flandre. Dans l'édition de Meyer toutes les locutions west-flamandes ont été, systématiquement écartées. Voici quelques exemples : Gyn styven (IV, 106), gyn gulsigaert (Id., 117), gyn lompen kloct (Id, 128), etc., deviennent dans l'édition Meyer : Gy styven, gy gulsigaert, gy lompen kloet. — « Is de deur gesloten ? Jae 's en gegrendelt », lisons-nous dans le manuscrit (III, 179) ; jae's, dans l'édition Meyer devient tout bonnement jae. — Le pronom personnel je et l'adjectif possessif jen, qui sont presque exclusivement employés par De Swaen dans le manuscrit, sont aussi écartés de l'édition Meyer (Is 't dat ie vryen wilt (II, 98): dat gy (Id., II, 99, 148, 149, etc., etc.) (Wie heeft ien schoen gebonden (II, 108) : u schoen... (Id., II, 109, 111 ; III, 115). Nous sommes en droit de croire que c'est l'éditeur lui-même qui a apporté toutes ces modifications au texte, et cela en vue de son public, dont la plus grande partie n'employait pas ces formes west-flamandes, ou ne les connaissait pas.

A côté de ces négligences et de ces modifications d'expressions locales, nous trouvons encore de temps à autre dans le texte de Meyer un passage qui nous semble être la version primitive et plus ancienne de, De Swaen, et qui a été corrigé selon toute probabilité dans le manuscrit, plus récent. Ainsi nous lisons chez Meyer : (Voorreden, 4-8) :

Geen sulcke grootheyt past op Vasten avond dagen. Want dan is 't tyt van vreugt, van blytschap en genucht, t Welck 't eenig oogwit is, van dees gemaeckte clucht. Het treurspel nu niet past, en moet voor dit verstommen, Nu Keyser Carel wil selfs by de lappers commen


— 17 * — Ces vers deviennent dans le manuscrit :

Xeon, sulcke grootheyt past niet wel op deze dagen ; t'Is Vastenavont ; tydt van vreught en soete clucht, Tydt van gesangh, en spel, en danssen en genucht. Dit doet, op ons tooneel, het treurgedicht verstommen : Om, met dien grooten vorst, by lappers te gaen mommen,

Personne n'hésitera à préférer cette dernière version à la première. C'est pour cela que nous croyons qu'elle est la plus récente, revue et corrigée dans le manuscrit par De Swaen. Serait-il trop osé de penser que l'édition Meyer est faite d'après un manuscrit plus ancien que celui que possède actuellement le Comité flamand? Il est très possible, qu'après le grand succès qu'obtint la Botte couronnée, à Dunkerque en 1688, cette pièce fut communiquée en manuscrit à d'autres chambres, qui la copièrent et la répandirent plus loin encore, jusqu'à ce qu'enfin elle arrivât, beaucoup plus tard, entre les mains de Meyer. Nous reconnaissons bien volontiers ne pouvoir étayer notre supposition de preuves bien solides, et volontiers nous l'abandonnerions pour une meilleure, mais nous estimons cependant qu'elle ne parait nullement improbable.

Dans le manuscrit se trouvent des séries de vers, que nous ne retrouvons pas dans l'édition de 1718. Nous citons seulement les principaux fragments. Les plaintes de Jacqueline sur « Kosen » et ses considérations sur le mariage, morceau vraiment savoureux, (Ms. I, 9 à 126) ne se rencontrent pas dans l'édition Meyer ; il en est de même des vers dans lesquels est esquissé si originalement l'orgueil de la mère Maey au sujet de sa fille (Ms. I, 135 à 158). Le rôle d'Ambroise compte dans le manuscrit cinquante vers de plus que dans l'édition Meyer (Ms. II, 289 à 316 ; IV, 55 à 78). Comme Ambroise joue dans la


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pièce le rôle de moralisateur et que précisément ces vers ajoutés, surtout les derniers, accentuent ce caractère dans le manuscrit, il nous semble d'autant plus probable que le texte do Meyer est plus ancien que celui du manuscrit. De Swaen avait dans les dernières années de sa vie un besoin plus grand de moraliser que dans sa jeunesse.

D'un autre côté l'édition de 1718 contient aussi des passages qui ne figurent pas dans le manuscrit. Le jugement sévère de Charles V sur les excès que commettaient les nobles au temps de carnaval (Meyer, V, 85 à 97), (fragment que nous citons plus loin) manque dans le manuscrit, de même que le fragment suivant, qui en luimême est assez typique (Meyrer, V, 34 à 47).

O Maey, il y en a tant qui courent les rues avec une fausse apparence ! Extérieurement ce sont do braves gens, mais quand on veut les examiner attentivement à l'intérieur, on découvre le loup sous la peau de l'agneau. Je connais, non loin d'ici, un pareil hypocrite, un saint en apparence « un mangeur de crucifix » qui fait journellement le signe de la croix autant de fois qu'il a de cheveux sur la tète et de poils au menton, — son aspect extérieur édifie tous ceux qui le connaissent; mais c'est un rusé renard couvert de plumes de colombe ; il prend cet aspect pour mieux guetter son profit, et il le garde jusqu'au moment où il a pris dans ses filets ce qu'il désire (1).

Cette sortie, si libre et si vive d'allures, contre la

(1) Och Maey daer synder veel die met een valschen schyn Langs straete gaen, het syn van buyten goede lieden, Maer als men neerstig hun van binnen gaet bespieden, Men vïnt den wolven aerd bedeckt met lammervel, Ick ken niet verr'van hier soo een geveynsden wel, Een heyligen in schyn, een byter van Pilaeren Die dagelycx maeckt sooveel cruysen als hy hairen


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tartufferie, n'est-ce pas l'expression des idées d'un De Swaen bien plus jeune ? Et le De Swaen de l'âge mur ne s'est-il peut-être pas imaginé que la critique d'un extérieur trop religieux impliquait l'affirmation tacite chez l'auteur d'un zèle moins prononcé? Ou bien a-t-il craint que ses vers ne donnent lieu à de mauvaises interprétations ? Ou bien enfin devons-nous penser que ces vers ont été intercalés par un étranger dans l'oeuvre de De Swaen ?

Il serait à souhaiter qu'il fût donné de la Botte couronnée une nouvelle édition, faite d'après le manuscrit et d'après l'édition de 1718. Quoique le manuscrit soit certainement le texte corrigé que De Swaen voulait léguer ne varietur à la postérité, nous pensons cependant que certaines des variantes de l'édition de 1718 sont suffisamment importantes pour y fixer l'attention. Du reste, l'édition Looten, faite d'après le manuscrit, peut être considérée plutôt comme un acte de piété envers le poète dunkerquois que comme un ouvrage scientifiquement complet (1).

Un quatrième et dernier manuscrit (Ms. IV) contient un art poétique : « Nederduitsche Digtkunde of Rymkonst te saemen gestelt en uyt verscheideschrivers verOp

verOp hooft en kinne heeft, wiens uytterlick gesicht Al wie hem niet en kent door syne seden sticht, Maer 't is een loosen vos becleet met duyve pluymen. Hy treckt dat wesen aen om beterder te luy men, Op winst en eygenbaet, en blyft daer med' bedeckt, Totdat hy 't geen hem lust in syne netten treckt.

(1) C'est ainsi qu'il a pu se glisser dans cette édition quelques erreurs. Ainsi nous lisons par exemple (111, 122) : « Dan sit ge nogh soo koel, als eenen nucht' ren keeuwer », ce que Looten explique de la façon suivante (p. 110) : « Keeuwer, animal à branchies, de keeuw ou kieuw, branchie ». Mais la version de l'édition de 1718 « Dat siet nogh soo koel als eenen nuchtren reeuwer » (celui qui nettoie et revêt les morts), nous montre qu'il était inutile de chercher si loin l'explication de ce vers. Looten commet encore une erreur dans le résumé qu'il nous donne de

d


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gaederd door Michiel De Swaen, heelmeester en digter der redenrike guide binnen Duynkereke". (Art poétique néerlandais, composé, d'après différents auteurs, par M. De Swaen, chirurgien et poète de la chambre de rhétorique de Dunkerque). Ce manuscrit, écrit de la même main que les précédents, fut découvert à Bruges vers 1853. (1) par M. l'abbé Carton, qui en fit faire une copie pour le Comité flamand. Des mains de l'abbé Carton, le manuscrit passa à celles de M. A. Diegerick, qui en fit don à la bibliothèque de l'Université de Gand, où il est conservé sous le n° 1697.

Les oeuvres complètes de De Swaen peuvent donc être divisées comme suit : tragédies : Catharina, Mauritius et De Zedighe Dood van Keizer Karel ; farce : De Gecroonde Leerse; traductions : Andronicus et le Cid ; poésies lyriques didactiques : Leven en Dood van Jesus et Zedelycke Rymwercken dispersées dans le volume de Labus et dans les manuscrits ; et enfin la Nederduitsche Digtkunde. Il serait assez difficile de donner à cette énumération un ordre strictement chronologique. Les premières oeuvres furent probablement les traductions, puisque de l'aveu même de De Swaen (2), elles ne furent que des exercices pour se faire la main à la composition de tragédies lui appartenant en propre. La farce De Gecroonde Leerse, qui fut jouée dès 1688, peut avoir précédé la traduction de ces tragédies. Le Cid fut imprimé

la Botte couronnée. « Le Savetier sollicite et obtient la faveur de donner comme enseigne à sa boutique une botte surmontée de la couronne impériale » écrit-il (p. 9). Cependant le texte nous montre que le savetier demandait toute autre chose. « Il demande et obtient l'honneur de pouvoir porter dans la procession une botte couronnée à la tête de son métier » (*).

(1) Ann. du Com, flam., 1853, p. 27.

(2) Andronicus, dédicace (Voir plus loin notre 3e chapitre).

(*) Résumé du 5e acte. Edit. Looten, p. 92. Voir aussi : V, 133 et suiv., p. 103.


en 1694 et Andronicus en 1700. Pour Het Leven en de Dood van Jesus seulement nous avons des chiffres certains. Cette oeuvre, comme nous l'avons prouvé plus haut, fut terminée en 1694. Nous savons aussi avec certitude que la Zedighe Dood fut la dernière oeuvre de De Swaen (1). Nous pouvons aussi établir que la Rymkonst ne fut pas achevée avant 1700, puisqu'elle contient des vers écrits pour un concours qui n'eut lieu qu'en 1700 à Bruges (2). C'est là tout ce qui peut être dit avec certitude en ce qui concerne la chronologie des ouvrages de De Swaen.

On attribue à De Swaen deux autres ouvrages encore.

Prudent Van Duyse croyait que la traduction néerlandaise du Cinna de Corneille, qui fut représentée en 1774 lors d'un concours entre chambres de rhétorique à Bailleul, et qui fut imprimée à Ypres, chez T. F. Walwein, était l'oeuvre de De Swaen (3). Dans ses Flamands de France (p. 210), L. De Backer exprime le même avis. E. Picot dans sa Bibliographie Cornélienne (p. 375) dit de cette traduction qu'elle est certainement l'oeuvre de notre Dunkerquois. De même J. J. Carlier cite Cinna parmi les oeuvres de De Swaen.

Nous avons examiné cette traduction, et nous devons déclarer que nous ne partageons pas l'avis de Van Duyse et de De Backer, et que nous ne comprenons pas lit confirmation qu'en donne Picot. Voici le titre de cette traduction, conservée à la bibliothèque de l'Université de Gand (4) : Le Commandement de l'amour, que nous a donné le Christ et que les chrétiens ont trop souvent négligé, observé par César-Octave, empereur payen de Rome, envers ceux qui voulaient l'assassine : (chef(1)

(chef(1) plus haut.

(2) Voir notre 2e chapitre.

(3) Ann. du Com. flam., 1858-59, p. 414. — Ibid., V, p. 45.

(4) B. L., 5360.


d'oeuvre du grand Corneille) traduit en néerlandais, et représenté à Bailleul par les quatorze chambres de rhétorique réunies, sur la scène des « Jong van Zinnen » sous la protection de la noble vierge et martyre Barbe, durant le mois d'Octobre 1774. Dans ce titre très long, rien ne nous prouve que De Swaen ait eu une part quelconque à l'élaboration de cette oeuvre. L'oeuvre ellemême ne légitime du reste nullement cette opinion. La langue, la seule chose qui pût donner quelque valeur à cette opinion, ne présente rien qui soit caractéristique de la personnalité de De Swaen. Les contemporains de De Swaen ne font nulle part mention de pareille traduction. Nous nous demandons même avec étonnement comment les rhétoriciens de Bailleul seraient parvenus à retrouver cette pièce soixante-dix ans après la mort de De Swaen.

Il est par contre bien plus probable que c'est la chambre de Bailleul elle-même ou son « facteur » qui a fait cette traduction. Nous lisons dans la dédicace aux bailli et échevins de la ville : « Les parfaits exemples d'attachement que vous nous donnez journellement, nous ont obligés à vous dédier la pièce où sont montrés les véritables exemples d'attachement de César-Octave, envers ceux qui voulaient le tuer ; nous vous prions de ne pas tenir compte du peu que nous pouvons vous offrir, mais bien de l'intention qui a guidé ceux qui seront toujours respectueux envers vous, Messieurs ; vos serviteurs, le chef homme, le Prince, le Doyen, les dirigeants et les membres de « Jong van zinnen » de Bailleul ; (signé) : Cleenewerck de Craeyencour, prince de Jong van zinnen ». Si la chambre de Bailleul n'avait pris aucune part à la confection de cet ouvrage, comment aurait-elle pu parler « du peu (qu'elle) peut offrir aux magistrats ? » Pourquoi ne regarderions-nous pas Cleenewerck de Craeyencour, « prince facteur » de la chambre, comme


le traducteur? Il s'exprime dans la dédicace comme s'il s'agissait d'une oeuvre collective, mais c'était là l'habitude des chambres de rhétorique ; l'individualité du facteur disparaissait d'ordinaire sous le blason de la chambre. De Swaen parle lui-même de cette façon dans la dédicace d'Andronic à M. Barentin. En tous cas nous croyons qu'il y a autant de raisons d'attribuer cette traduction au facteur de Jong van zinnen, qu'à De Swaen. Il ne faut pas vouloir découvrir constamment la main de De Swaen dans tout ce que la Flandre française a produit en fait de littérature ; à côté de l'écrivain dunkerquois et après lui, il y a eu assez d'hommes capables d'entreprendre avec succès pareille traduction. Longtemps après la mort de De Swaen nous voyons paraître encore bon nombre de traductions. En 1785 l'avocat Servois de Bergues Saint-Winoc traduit le Tancrède de Voltaire; en 1778 J.-J. Baey, de Bailleul, traduit l'Alzire du même auteur ; en 1779, A.-J. Cuvelier, de Bergues Saint-Winoc, traduit la Mélanie, de La Harpe ; en 1805, Flahault de la même localité donne une traduction du Régulus, d'Arnault, etc., etc. (1).

Dans le catalogue pour la vente des livres de feu Serrure (1873), il est dit d'une traduction manuscrite de l' Horace de Corneille : « Cette traduction semble être l'oeuvre de M. De Swaen ». Ce manuscrit fut acheté par le libraire Vyt, de Gand, qui dit l'avoir vendu à L. Konkelberghe, de Blankenbergue. A la mort de ce dernier, le manuscrit n'a plus été retrouvé. Nous nous sommes donc trouvé dans l'impossibilité de vérifier jusqu'à quel point la supposition du catalogue Serrure était fondée.

M. Vanderest prétend dans son histoire de Jean

(1) Abbé D. Carnel. Les Soc. de Rhétor. chez les Flam. de France (Ann. du Com. flam., 1859-60).


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Bart (1) que De Swaen a composé un chant funèbre sur la mort de ce héros en 1702. Ce poème se trouvait dans un recueil paru chez P. Labus vers 1719. M. J.-J. Carlier. qui a pu lire ce poème, n'admet pas qu'il soit de De Swaen, car il n'y trouve pas le style caractéristique des vers de De Swaen ; de plus, ajoute-t-il, Labus, si la pièce avait été vraiment l'oeuvre de son ami, n'aurait certainement pas négligé de le dire. Nous n'avons pu nous procurer ce poème.

Enfin, pour être complet, disons que P. Labus insérait dans bon nombre des livres qui ont paru chez lui après la mort, de De Swaen, une ou plusieurs pièces de son ami, comme hommage à son talent (2).

Cependant aucune de ces poésies ne manque dans les ouvrages de De Swaen que nous avons cités plus haut.

Quel jugement la critique a-t-elle porté jusqu'ici sur l'oeuvre de De Swaen ? Des contemporains c'est certainement Labus qui en parle le mieux et le plus longuement dans ses préfaces et ses épilogues que nous avons cités plus haut. Les autres rhétoriciens, parlant de De Swaen, rivalisent, à la manière du XVIIIe siècle, en louanges exagérées.

L'imprimeur van Ursel le met au-dessus de Vondel et de Cats. Dans la préface do la traduction du Cid, il prétend que De Swaen « est un poète, qui sans exagération peut être compté parmi les Vondel et les Cats (pour ne pas dire qu'il les a dépassés) ». Dans le Nieuw Liedtboeck den Maeghdehrans (3) de J. De Ruyter,

(1) Dunkerque, 1844.

(2) Oeffeninghen van de 3 Goddelycke deugden door J. Sohier (P. Labus, 1722), Nieuw Liedtbocck den Voghel Phenix door Jac. De Ruyter, « clerck van de weesorye » te Veurne (sans indic. d'année). Dobbel Refreyn Boeck de Nieuwe Wandeldreve door J. Forret(172...?).

(3) Dunkerque (sans indic. d'année), approb. 1712 (Biblioth. de M. Flor. Van Duyse, auditeur militaire à Gand).


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édité par Van Ursel, ce dernier répète encore bien plus explicitement cette idée : « De Ruyter, dit-il à son auteur, tu honores beaucoup la poésie hollandaise, mais nous n'amoindrissons aucunement en cela le mérite de De Swaen, dont les oeuvres dépassent toutes les autres ».

Parmi les littérateurs et historiens modernes qui ont écrit sur De Swaen, nous devons citer en premier lieu J.-J. Carlier, P. Van Duyse et C. Looten. On possède du premier une étude bibliographique sur les oeuvres de De Swaen (1), dont nous avons fait usage plus haut, avec certaines additions et certaines modifications. J.-J. Carlier a fourni aussi la plus importante contribution à la bibliographie de De Swaen (2). P. Van Duyse a étudié M. De Swaen dans un article du Belgisch Museum de J.-F. Willems. Le mérite principal de cet article réside dans les considérations littéraires trés exactes, que nous donne Van Duyse à propos de De Swaen. L'abbé C. Looten s'est surtout occupé de l'édition de quelques-unes des oeuvres dramatiques de De Swaen, édition accompagnée de notes et de renseignements adéquats.

Ont encore écrit sur De Swaen, Günthlin dans les Mémoires de la société Dunkerquoise, L. De Backer dans ses Flamands de France, A. Dinaux dans les Archives du Nord de la France, Snellaert dans son Histoire de la littérature flamande et Willems dans la Verhandeling over de Nederduytsche tael-en letterkunde. Ces derniers ne nous font rien connaître de nouveau sur notre poète.

(1) Ann. du Com. flam., t. XI, 1870-71.

(2) Bull, du Com. flam., t. V, 1869-70.


CHAPITRE II

Querelles de Rhétoriciens. — L'Art Poétique de M. De Swaen.

La fête du St-Sang. à Bruges, en 1700. — Concours des Drie Santinnen. — L'origine et l'éloge de la poésie. — Les principales chambres de rhétorique de la Flandre et du Brabant, prennent part au concours. — De Swaen à Bruges. — Les chambres de Ninove, de Dunkerque et de Matines, remportent les palmes. — Le Heliconsche Echo. — Le, Beroepschrift de Dunkerque contre Bruges. — Den Val des Waens. réponse des Brugeois. — Critique mesquine et accusations malveillantes. — Echos de cette querelle. — La chambre du St-Esprit et De Swaen. — Ce que cette querelle de rhétoriciens nous apprend. — La littérature néerlandaise dans les Pays-Bas du Sud, au commencement du XVIIIme siècle. — Rapports entre De Swaen et les membres des chambres de rhétorique. - Rhétoricien ou poète ? — Vocation artistique. — Nederduytsche Digtkunde of Rymkonst. — Imitation d'Aristote. — Manque d'originalité. — Origine divine, but religieux et didactique de la poésie. — Pocta nascimur. — Le poète doit être érudil. — Lecture favorite de De Swaen. — Jugement critique sur Vondel et Cats. — Imitation de Vondel. — La simplicité et le naturel dans l'expression. — La poésie exclut la frivolité. — Gravité de sa muse.

Le 0 mai de l'année 1700, la ville de Bruges célébrait avec l'éclat habituel, la fête annuelle du St-Sang.

Les étrangers, accourus de toute part, remplissaient d'une animation extraordinaire les rues brillamment ornées. La foule s'agenouilla pleine de recueillement quand le sang du Sauveur fut porté devant elle, dans la fameuse châsse, éclatante d'or et, de pierreries, entourée de tout l'apparat d'un brillant cortège religieux; mais quand le cortège mondain qui suivait immédiatement


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le cortège religieux amena le géant Trevanus et son fils Polyphème, traîné par sa nourrice dans une roulette, les quatre fils Aymon, le Pélican, le mont Parnasse et d'autres figures légendaires (1), ce recueillement fit bientôt place à une gaieté générale. Après l'ommegang c'était la foire qui éveillait la curiosité et la joie du populaire.

Vers deux heures de l'après-midi (2) on pouvait voir cependant une quantité de citoyens notables et d'étrangers qui s'isolaient de cette foule bruyante et qui traversaient, pleins de dignité, la place du Bourg en se rendant à la salle échevinale du Franc où la libre chambre de rhétorique des Drie Santinnen (3) tenait, en ce jour, de solennelles assises (4). La chambre du Saint-Esprit, la rivale brugeoise des Drie Santinnen, s'y rendit en corps, accompagnée de son bedeau, brillamment chamarré d'or (5). Le prince des drie Santinnen s'était rendu avec une députation chez le prévôt du Saint-Esprit afin d'inviter, selon les exigences de la courtoisie, la chambre soeur à assister à la solennité ; le prévôt avait accepté l'invitation à condition toutefois qu'il occuperait la première place à côté du président des drie Santinnen (6).

Dans la salle se trouvait déjà un public choisi. Devant

(1) Ces détails concernant les anciens cortèges du St-Sang, sont empruntés à l'ouvrage de J. Droomers: De langb-gewenschte Vernieuwinge der Vrede-Vreught (Bruges, Ign. Van Pee, 1698). — Xieuwe Voldichte Reuse-Spraecke (Bruges, A. Michiels, 1687).

(2) De Heliconsche Echo (Bruges, Ign. Van Pee, s. d.. p. 5).

(3) Les trois saintes : Ste Barbe, Ste Catherine et Ste MarieMadeleine.

(4) Registres de la Société des drie Santinnen (Archives de la ville de Bruges).

(5) « In corpore met den clercq. » Cf. Memorieboek de la chambre de rhétorique du St-Esprit (1700 à 1708, 9 mai 1700), (Archives de la ville de Bruges).

(6) Ibid.


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la table du conseil se tenaient le président des drie Santinnen J. Ch. Peellaert, seigneur de Steenmarre et bourgmestre du Franc de Bruges ; le prévôt de la Société, J.-G. Taquet, seigneur de Lachene ; les membres du comité, parmi lesquels le seigneur Louis-Albert van Havenskerke, baron de Lichtervelde et vicomte de Watervliet ; Ch. Ans. d'Adornes, seigneur de Poelvoorde; Jean Droomers, l'auteur si populaire de Liederick de Buck. et bon nombre d'autres personnages de rang et de marque (1).

Ce n'était pas un événement banal qui avait réuni cette brillante assemblée.

Quelques mois auparavant la chambre de rhétorique des drie Santinnen avait invité toutes les chambres soeurs de la Flandre et du Brabant à prendre part à un concours de poésie. Elles devaient envoyer pour le 9 mai 1700, une poésie, sur un sujet imposé, qui serait lue devant le jury en assemblée publique: les sociétés concurrentes pouvaient également envoyer « leur facteur » pour lire la poésie. Le sujet et les conditions du concours furent envoyés aux chambres intéressées dans une circulaire rimée dont nous extrayons les vers suivants :

Puisque nous sommes épris d'art, prenez comme sujet l'origine et l'éloge de la poésie, traitez-le dans le style et le mètre de cette invitation, en dix fois dix vers ; la fin de l'ouvrage doit être le chronogramme de l'année par laquelle ce siècle termine son cours (2).

(1) De Helic. Echo, p. 7, 8.

(2) « Verkiest tôt stoff "

Want wy konstminners zyn, Den Oorspronck en den Lof, Der Rymkonst, op den styl en maet gelyck aen desen, In reken thienmael thien ; maer 't slot van 't werck moet weEen bondigh-jaerschrift dat met zyn getallen uytl' [sen

Het jaer dat met syn loop, dees loopende Eeuwe sluyt (*).

(*) Registre des drie Santinnen (Archives de la ville de Bruges).


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On demandait en outre une poésie destinée à être chantée, et dans laquelle on devait dépeindre la vie des muses (1).

Toute une série d'objets précieux furent destinés aux vainqueurs de cette joute littéraire : Un plateau en argent, deux chandeliers en argent, deux coupes en argent, une salière en argent, un bénitier en argent (2), sans compter d'innombrables « couronnes de laurier » (3).

Le nombre des chambres concurrentes fut tellement élevé que le Comité des drie Santinnen fut obligé de décider que la lecture des poésies ne se ferait pas seulement le 9, mais aussi le 10 mai. La Pioene de Malines, l'Olyftak et le Violier d'Anvers, la Genetie Blom et le Groeyende Boom de Lierre, le Saint-Esprit de Bruges, les Baptisten Royaarts de Bergues St-Winoc, les Catharinistes d'Alost, Al vloeyende bloeyende Nympha de Ninove, Besproeit dat bloeil de Thielt, Van Vroescepe dinne de Nieuport, Nu, morgen niet et le Saint-Esprit de Dix mude, Verblydt u in den tydt de Dunkerque, le Cranck B. Stier d'Oudenbourg, les Seeghbaer Herten de Roulers, les Jesusten de Leffinghe et seize amateurs particuliers devaient y déclamer ou faire déclamer leurs cent vers sur l'origine et l'éloge de la poésie.

De Swaen assista à ces mémorables assises des drie Santinnen. Il devait y lire la poésie qu'il avait faite comme prince facteur de la chambre de Dunkerque (4). Il ne passa pas inaperçu dans cette réunion. Il est probable que sa renommée poétique l'avait devancé de Dunkerque à Bruges, car, s'il faut en croire les Brugeois.

(1) Registre des drie Santinnen (Archiv. de la ville de Bruges).

(2) De Hélic. Echo, p. 9.

(3) Registre des Drie Santinnen (Arch. de la ville de Bruges).

(4) Den Val des Waens (voir ci-après), p. 9.


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« il y fut accueilli avec politesse, reçu avec grande amabilité et entouré de l'estime générale » (1).

Il fallut plus d'un mois au jury des Drie Santinnen avant de pouvoir prononcer son jugement. Le résultat du concours fut proclamé en « séance publique, les portes ouvertes » le 27 juin 1700 (2). Le premier prix fut accordé à la chambre Al vloeyende bloeyende de Ninove pour la poésie de son facteur, le médecin B. A. Speeckaert. Le second prix échut à la chambre de Dunkerque Verblydt u, in den tydt pour l'oeuvre de son prince M. De Swaen. La Pioene de Malines reçut le prix réservé à la chanson sur les muses. Cette poésie était l'oeuvre de Pierre Gyseleers-Thys, facteur de la Pioene. Les grands frais que le voyage de Malines à Bruges avait occasionnés à Thys furent couverts par ses confrères de la Pioene. qui versaient de ce chef chaque semaine un denier entre les mains de leur facteur. Mais ces versements ne furent pas suffisants. Lors de leur nomination, les doyens C. De Winter et Frans Opper payèrent encore 70 florins à Thys au lieu d'offrir à leurs confrères le traditionnel banquet (3).

La chambre de rhétorique brugeoise fut tellement enthousiasmée du résultat de son concours , qu'elle décida de publier en un volume tous les poèmes reçus afin « de ne pas laisser étouffer dans le puits de l'oubli des oeuvres aussi remarquables et distinguées » (4).

Ce recueil qui ne contribue que d'une façon fort douteuse à augmenter la réputation littéraire des Drie Santinnen, est intitulé : Echo de l'Hélicon (de Heli(1)

Heli(1) Val des Waens, p. 1.

(2) De Helic. Echo, p. 9.

(3) Archives de la Pioene (Archives de la ville de Malines). Fol Chambres de rhétor., S. III. n° 2, S. II, n° 1. — Voyez encore : G. J. J. J. Van Melckebeke: Geschiedkundige Aenteekeningen rakende de St Jans Gilde, p. 147 (Malines, 1862).

(4) De Helic. Echo, p. 4.


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consche Echo), et contient tous les poèmes et chants produits aux séances du 9 et du 10 mai 1700 (1).

La chambre brugeoise adresse dans ce livre à chacune des chambres victorieuses un compliment rimé dans lequel, selon la coutume de l'époque, l'éloge le plus exagéré est distribué avec la plus grande prodigalité. La chambre dunkerquoise fut particulièrement comblée d'éloges.

L'archange Michel nous chante en des accents joyeux l'origine et l'éloge de la poésie, avec un rythme que l'on n'entend pas sur terre, mais au ciel (2).

La réponse poétique de De Swaen à ce panégyrique se trouve également dans le Heliconsche Echo. Elle est courtoise mais très réservée, elle semble dédaigner quelque peu cet éloge exagéré. Quoique cette poésie ne nous prouve pas encore que De Swaen fût mécontent du résultat du concours, elle nous laisse cependant l'impression qu'il n'en était pas non plus fort enthousiaste. N'y a-t-il pas une pointe d'ironie dans les vers suivants?

Dunkerque ne demande pas de couronnes de laurier à Bruges, elle laisse cette gloire au Franc, remarquable par ses poètes (3).

S'il restait des doutes quant à la façon dont la rhétorique dunkerquoise avait accueilli son second prix, ils furent dissipés quelques mois plus tard. La chambre

(1) Publié chez les héritiers d'Ign. Van Pée, s. d. (Bibliothèque de l'Université de Gand. Acc., 9145).

(2) D'Arsengel Michaël zingt ons met Vreugdetoonen,

Den oorspronck en den Lof der Rymkonst, op een maet, Die men op d'aerde niet, maer in den Hemel slaet (*).

(3) Duynkerken eyscht, van Brugh, geen groene lauwerkroonen Sy laet dien roem aen 't Vrye, uytstekend in Poëten (**).

(*) De Helic. Echo, p. 12. (**) Ibid., p. 13.


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de Dunkerque protesta énergiquement contre le jugement du jury des Drie Santinnen, dans une brochure dont De Swaen fut l'auteur présumé (1). Cette brochure est intitulée : Beroepschrifl voor de Gilde van rhetorica binnen Duynkercke, tegen de vriie hooftkamer der weerde dry Santinnen binnen Brugge, over huer vonnis uytgesproken den 27 Juny 1700, nopende de rymwercken, le voren in Mey ter voldoeningh van haere konstbegroetinghe overghegheven en wederom gestell ten oordeel van alle wyse, gheoeffende, voorsienighe en hoogh-geleerde yveraerls der nederduytsche rym-en redenkonsl (2).

(Protestation de la chambre de rhétorique de Dunkerque contre la libre chambre principale des Drie Santinnen à Bruges, concernant le jugement rendu le 27 juin 1700, sur les poésies soumises au concours du mois de mai précédent et soumises à nouveau à l'appréciation de tous les amateurs sages, experts, clairvoyants et instruits, de la poésie et de la rhétorique néerlandaises).

Les Brugeoisprétendirent que le Beroepschrifl « avait été imprimé secrètement et distribué journellement sous main, sans que l'auteur ou la chambre de Dunkerque eût daigné leur en envoyer un exemplaire» (3). Ces paroles nous font supposer que la protestation des Dunkerquois fut répandue dans toutes les chambres de rhétorique flamandes et brabançonnes et y produisit quelque sensation.

La brochure dunkerquoise contient une comparaison

(1) Toutes les publications officielles de la chambre dunkerquoise furent rédigées par son prince, M. De Swaen. Les Brugeois affirmèrent que la brochure était le travail de De Swaen. P. van Duyse la considérait également comme un écrit de De Swaen.

(2) Ant. Van Ursel. Dunkerque, 1701.

(3) Val des Waens, p. 1.


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entre le poème couronné de A. B. Speeckaert et celui de De Swaen. L'oeuvre du poète de Ninove y est examinée à la lumière de règles et de préceptes empruntés à un petit ouvrage de Vondel : Aenleidingeter Nederduitsche Dichtkunst. (Introduction à la poésie néerlandaise) (1). De Swaen y examine l'ouvrage de son concurrent, couronné, comme Horace le désire dans les vers « Vir bonus et prudens versus reprehendit inertes, etc. ». Il les traduit comme suit :

Un critique compétent montre et blâme aussi bien les vers rocailleux que les vers flasques, il ne tolère ni les expressions manquant d'élégance ni le clinquant, il fait voir comment l'obscurité et les termes équivoques déplaisent (2).

De Swaen ne devait pas chercher bien loin pour trouver dans le travail de Speeckaert des vers « rocailleux » ou « flasques ». Citons en deux seulement :

— Met just, heeft 't rym in hem trap-wys wasdom bekomen...

— Zoo is 't nu dat zy 't steyl van all' heyl oversweeft...

Le clinquant y abondait également dans des expressions telles que : « Wie kan de waerde, naer haer waerde overwegen », « uyt, d'oudren breyn gebroeyt », « d'oudste oude tyd », « ver voor 't begin begon », « de greesten in de

(1) OEuvres de Vondel, éd. Van Lennep-Unger, 1648-1653, p. 136.

(2) Een welgeoefende berisper toont en smaadt

Soo wel de hardigheyt als slapheyt van de inaet, Hy kan onacrdigheyt, nogh ydle pracht verdragen En leert hoe duysterheyt en dobbelsin mishagen (*).

(*) Nous n'avons pu, malgré de longues recherches, mettre la main sur le Beroepschrift. (Je que nous en disons ici, nous l'empruntons à une note manuscrite de feu P. van Duyse, qui reçut communication de cette précieuse brochure de M. De Baeckere de Bergues, en 1851. M. Flor. van Duyse mit cette note de son père à notre disposition.


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golven van treursurcht door een dwang van drabbigh bloedt gedolven », « d'hooghst hoogmogend 'handt », etc. A notre avis les vers de Speeckaert sont inférieurs à ceux de De Swaen quoique ces derniers ne soient que médiocres et, ne puissent certainement pas être classés parmi les meilleures productions du poète dunkerquois. Le poème de Speeckaert ne contient par exemple aucun vers de la valeur des extraits suivants de la poésie de De Swaen.

En Dieu est mon origine, en cet être infini duquel jaillissent tous nos biens et richesses ; ce trésor inépuisable généreusement répandu, qui nous comble sans cesse et ne diminue jamais (1).

Mais quelle beauté surgit à mes regards? L'amour luit dans ses yeux, la majesté sur son visage. Sa bouche est pleine de miel. Sa robe est blanche comme la neige ; son voile est de pourpre, orné d'étoiles d'argent et de flammes d'or (2).

Loin de nous toutefois l'intention d'aller avec De Swaen en appel contre le jugement des Drie Santinnen. Les Brugeois. ont jugé avec leur goût de « rhétoriciens » et il nous serait très difficile avec nos conceptions modernes d'établir si leur jugement a été juste ou non.

La protestation dunkerquoise irrita vivement les Bru(1)

Bru(1) Godt is myn begin; in dit oneyndigh wesen Waeruyt dat aile goet en gaven zyn geresen ; Dien grondeloosen schat in miltheyt uytgestort, Die altydt mededeelt en noyt vermindert wordt...

(2) Maer wat voor schoonheyt komt, voor myn gesicht geresen ? Zy draegt de liefde in't oogh, de majesteyt in 't wesen

Den boningh in de mondt : haer kleeding is sneeuwit

Haer sluyer purper root, vvaerop in hun gelit

De silver starren en vergulde vlammen blincken (*).

(*) Registre des Drie Santinnen (Archives de la Ville de Bruges). Helic. Echo. — Zedelycke Rymwercken de De Swaen, etc.


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geois qui préparèrent aussitôt une contre-protestation. Voici le titre de leur réponse, titre où l'on trouve un jeu de mots sur le nom de De Swaen : Den val des Waens of Voldoende Beandwoording door de Vrye Hoofkamer der weerde drie Santinnen binnen Brugge op het Duinkerks Beroepschrift aenwyzende de feilen des zelfs Rymwerk (1). (La chute de la vanité, ou réponse péremptoire de la libre chambre de rhétorique des Drie Santinnen de Bruges au Beroepschrifl de la chambre de Dunkerque, indiquant les fautes contenues dans le poème présenté par cette dernière).

Cette brochure parut le 23 juin 1701.

Le jury brugeois explique son jugement de la façon suivante : «Nousestimions que parmi toutes les chambres de rhétorique concurrentes, celle do Ninove avait le mieux exposé l'origine, et celle de Dunkerque l'éloge de l'art. Comme l'origine était demandée en premier lieu, et l'éloge seulement en second lieu, le premier prix fut accordé à Ninove et le second à Dunkerque » (2). On admettra que cette argumentation n'est pas des plus solides.

La brochure brugeoise n'examine pas le Beroepschrifl ni les multiples critiques de De Swaen sur la poésie de Speeckaert. De l'avis des Brugeois le Beroepschrift : « était trop vide et trop lamentable ». D'un autre côté « ils avaient voulu laisser quelque matière à la chambre de Ninove, pour le cas où celle-ci aurait voulu se mêler au débat ; quoique, d'après eux, le jeu n'en valût pas la chandelle » (3). Ce que De Swaen avait fait pour la poésie de Speeckaert, les Brugeois le faisaient pour la sienne.

(1) Bruges, chez les héritiers d'Ign. Van Pée (Gand, Biblioth. de l'Université, Acc. 9145, 1).

(2) De Val des Waens, p. 2.

(3) Ibid., p. 3.


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Ils voulaient simplement « rendre au chicaneur la monnaie de sa pièce » (1).

Tout ce que contient le Val des Waens est en effet du domaine de la pure chicane, et ce serait perdre notre temps que de nous y arrêter longuement. Nous n'avons par exemple aucune envie d'examiner avec les auteurs de la brochure si Salomon était plus instruit qu'Adam (2) et d'autres questions du même acabit. Constatons simplement que la brochure brugeoise est écrite d'un ton très aigre et lance contre De Swaen les accusations les plus malveillantes. Mais nous ne pouvons nous empêcher de sourire en nous rappelant que ces mêmes critiques brugeois qui s'évertuent maintenant à démolir le poème de De Swaen, l'avaient, quelques mois auparavant, comparé à un chant céleste (3).

Le pamphlet brugeois commence par accuser De Swaen d'être un monstre d'orgueil parce que son poème débute par les mots : « En Dieu est mon origine... » (5). « Quelle vanité ! Quel orgueil outrecuidant, s'écrie le critique brugeois, comment osez-vous parer le début de votre poésie du nom du Tout-Puissant ? » (4).

Le pieux De Swaen est même accusé d'hérésie parce qu'il avait écrit : « (Godt) waeruyt dat allegoet en gaven zyn geresen » (5). « Ryzen signifie chez nous venir de bas en haut » écrivent les rhétoriciens brugeois, « vous dites donc que les biens s'élèvent de Dieu ! Dieu se trouve-t-il donc plus bas que les biens qui s'élèvent au-dessus de lui ?

(1) De Val des Waens, p. 2. « Den hairkliever met bairklieven betaelen ».

(2) Ibid., p. 11.

(3) De Helic. Echo, p. 12.

(4) De Val des Waens, p. 3. Notez bien que De Swaen parle ici de l'origine de la poésie.

(5) Voir page 13.


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Cette thèse est hérétique ! » (1). Malheureux De Swaen ! N'ose-t-il pas dire encore : « Adam uyt synen niet verheven? » (Adam tiré de son néant). Les théologiens brugeois le rappellent vivement à l'ordre. « C'est une thèse erronée en contradiction directe avec les saintes écritures, que de dire qu'Adam fut tiré du néant » (2). Pourquoi donc ce Dunkerquois égaré ne savait-il pas que d'après le livre de la Genèse 2. 7, l'homme fut créé du limon de la terre ?

De Swaen est encore accusé d'indélicatesse. On lui reproche d'avoir imprimé son poème de concours dans le Beroepschrift après l'avoir revu et corrigé sans en prévenir les lecteurs (3). Pour juger de la valeur de cette accusation nous avons comparé le texte du poème de De Swaen tel qu'il se trouve dans le Heliconsche Echo et dans les Registres des Drie Santinnen, avec le texte que De Swaen nous donne plus tard dans ses Zedelycke Gedichten. Nous avons simplement constaté qu'il a changé gebruik en geluid (4), gebod en gebed (5) et qu'il écrit pypen au lieu de stemmen (6). Il reconnaît en outre avoir laissé par erreur gebruik dans le manuscrit destiné au concours. La faute qu'on impute à De Swaen est donc une insignifiante peccadille.

La brochure brugeoise va encore plus loin, elle insinue que De Swaen n'est qu'un vulgaire plagiaire. Là où le mérite du poème de De Swaen est, indéniable on décoche à l'auteur des amabilités comme les suivantes : « Allez, continuez, sage homme, voilà qui nous plaît, nous coni(1)

coni(1) Val des Waens, p. 6.

(2) Ibid., p. 7.

(3) Ibid., p. 9.

(4) Vers 7.

(5) Vers 23.

(6) Vers 90.


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mençons à avoir de l'estime pour vos vers ; nous disons vos vers parce que de bonne foi nous les considérons comme vôtres. Quelques-uns pensent cependant que ces vers, ainsi que d'autres qui suivent, ne sont pas de votre composition, car ils ne ressemblent aucunement à vos vers habituels et surtout aux vers très mal faits de l'Andronic que vous venez de publier » (1). Cette malveillante mise en suspiscion revient encore plus loin. « Si ces flèches sortent de votre carquois, vous vous faites du tort en n'écrivant pas toujours de la même façon » (2). « Entre les premiers vers et la plus grande partie des derniers il y a la différence du jour à la nuit. Nous étions portés à croire que deux amateurs différents avaient travaillé à votre poème, mais puisque vous nous avez assuré, étant ici à Bruges, que vous êtes le seul poète de Dunkerque, nous devons bien croire que tout le poème est votre oeuvre » ,(3).

A la fin de la brochure on lance encore à De Swaen une pointe qui caractérise bien les conceptions littéraires des rhétoriciens : on lui reproche de ne pas avoir rédigé son Beroepschrift en vers.

Celui qui, plein de vanité, s'imagine être à l'abri des fautes, ne doit pas critiquer l'oeuvre d'un rimeur dans un écrit non rimé. L'art vaut bien l'art. Il est par trop mesquin qu'un rimeur écrive en une langue non rimée. Si vous voulez encore une réponse, adressez-nous des écrits rimes (4).

(1) Val des Waens, p. 14.

(2) Ibid., p. 16.

(3) Ibid., p. 18.

(4) Wie zig vol waens verbeelt van feilen vry te wezen, Die moet niet rymeloos een rymerswerk doorziften ; De konst is konste waert. Ilet valt te byster kael, Dat een konstrymer schryft in ongerymde tael.

Vraegt gy nogandwoord.sehryftonsin gerymde schriften(*). (*) Ibid., p. 19.


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Heureusement pour la gloire de De Swaen, que plus tard sa virtuosité de rimeur fut hautement proclamée par son ami P. Labus ! Dans le liminaire des Zedelycke Gedichten, l'imprimeur dunkerquois place De Swaen au-dessus de St-Bernard, parce que ce dernier n'avait enseigné la doctrine du Christ qu'en « langue non rimée », alors que De Swaen l'avait fait en vers !

Ce grand pilier de l'Eglise excella à écrire les enseignements du Christ en prose ; mais vous, ô élite des esprits (De Swaen), c'est en vers que vous apprenez à glorifier le Seigneur (1).

Nous ignorons si la chambre de rhétorique de Ninove intervint dans cette querelle : nos recherches à Ninove sont restées vaines. Une grande partie des archives de Al vloeyende bloeyende furent détruites par les révolutionnaires français, comme l'atteste une requête adressée au conseil communal en 1804, par la chambre reconstituée. Nous ignorons également si De Swaen répondit aux grossières attaqués des Brugeois ; s'il les a dédaignées il a agi sagement.

Cette querelle entre disciples d'Apollon dura encore quelque temps après la publication des deux brochures. Nous en avons retrouvé quelques échos.

Dans le registre des Drie Santinnen, on trouve le programme (pryskaart) du concours du 30 octobre 1701 (peu de temps donc après la publication du Beroepschrift), où est proposé le sujet suivant, sans aucun doute inspiré par les événements que nous venons de relater.

Montrez, en vers comme d'habitude, le caractère,

(1) Dien grooten kerkpilaer, nam uyt in Godes leer

Te schryven ongherymt : maer ghy, ô puyck der geesten, Leert met hooghdraventheyt op maet den opper Heer ver(heffen...

ver(heffen...


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l'esprit et la fourberie de celui qui pour être loué luimême se moque de l'art d'autrui auprès des gens simples (1).

Le manuscrit III du Comité Flamand de France contient une poésie jusqu'ici inédite, dans laquelle De Swaen fait allusion à l'incident des Drie Santinnen. L'abbé De Borde, pitancier à l'église collégiale de St-Nicolas, à Dixmude, et facteur de la chambre de rhétorique Scher p deur onder 't Heilig Kruys, avait envoyé à De Swaen, « quoique ne le connaissant pas », une poésie élogieuse à propos de sa traduction de l'Andronic tant attaquée par les Brugeois. La poésie de De Swaen, contenue dans le manuscrit III du Comité est une réponse à cette épitre. Nous en extrayons le fragment suivant :

Que tout le Nord, monté sur Pégase aux ailes rapides, essaye d'éblouir l'Ouest par des vers bruyants, par un étalage de mots empruntés aux Scythes et aux Hébreux et par une langue torturée comme si elle était issue des vagues glacées; l'air doux de l'Ouest ne craint pas le Nord, et le visage brûlant de Phébus y rayonne avec tant de bienveillance que ni l'orage, ni la grêle n'y sont à craindre (2).

De Swaen a ajouté en marge auprès du mot Noorden qu'il visait Bruges, et au mot rymgalmig il met en note: « Imitation des mots pompeux sur lesquels les jeunes

(1) Thoont dan, in reken naar gewoont, den aert en 't wesen En't schalck bedryf, van die om selfs te zyn gepresen Met auders konsten by d'eenvoudighe houd den spot.

(2) Dat gbeel het Noorden met het snelgewiekte paert

Met Westen onderneem Rym-galmighs t'overschreeuwen

Met woordenpronck ontleent van Scythen en Hebreeuwen

En woeste tongen ten ysgolven uytgestort;

De soete Westerlucht ontsiet geen Noort, en wort

Soo vriendelyck bestraelt door Phebus gloeyend wesen,

Dat sy voor geenen storm, noght hagel beeft te vreesen.


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élèvent tout leur art ». Ce rymgalmig n'est pas une imitation mais bel et bien un mot pris par De Swaen dans le poème couronné de Speeckaert où il se rencontre deux fois. Le troisième des vers cités contient également une allusion au concours brugeois où le facteur du Cranck B. Stier d'Oudenbourg avait lu un poème ridicule, émaillé d'étymologies scythiques et hébraïques (1).

Dans son Art poétique, De Swaen trouve encore l'occasion de citer des vers défectueux du poème de Speeckaert. Il donne comme exemple d'obscurité les vers suivants :

Eer de wysgierigheyd heeft naektelyk ontdaen Den knoop der onrust van het licht der son en maen (2).

De Swaen indique comme source de cette citation : Lofdicht van Ninove. Ce lofdicht n'est autre que le poème couronné à Bruges, auquel De Swaen emprunte encore dans son Art poétique l'exemple suivant de vers manquant d'harmonie :

Denckt ondertusschen dat 't gen 't oudt is in syn luyster Door soo veel tydsverloop in 'l vast bewys wordt duyster (3).

Nous pouvons être convaincus que le Val des Waens ne fit aucun tort à la bonne renommée du poète dunkerquois. La chambre de rhétorique brugeoise du St-Esprit donna quelque temps après le fameux concours des Drie Santinnen une preuve d'estime à De Swaen, laquelle dut lui faire doublement plaisir puisqu'elle venait des concitoyens de ses détracteurs. Le 28 décembre 1703 De Swaen composa pour la chambre du St-Esprit en réponse à une prijskaart une poésie sur le caractère et les propriétés

(1) Helic. Echo, p. 98.

(2) Ibid., p. 103.

(3) Ibid., p. 105.


de la vraie amitié (1). La chambre lui envoya une poésie de remerciaient, où nous trouvons des vers flatteurs comme les suivants :

Esprit doué, pompeux mais doux... Votre travail mérite à juste titre le premier prix, mais celui-ci a trop peu de valeur pour un si digne ami (2).

Si nous avons relaté par le menu le concours de rhétorique brugeois de 1700, ce n'est aucunement, nous le disions déjà plus haut, pour démontrer que De Swaen y avait été méconnu ; les couronnes de laurier accordées par les chambres de rhétorique ajoutent si peu d'éclat à la vraie renommée d'un poète qu'il serait naïf d'y accorder quelque importance. Carlier se faisait certainement une idée fausse de la valeur de ces lauriers, quand il signalait parmi les titres de gloire do De Swaen, que ce dernier avait été vingt fois couronné dans les concours des chambres de rhétorique flamandes (3). Vingt n'est ici qu'un nombre très approximatif, mais De Swaen eût-il été cent fois couronné dans ces joutes littéraires, la postérité ne l'en eût pas estimé davantage.

Le concours brugeois et les écrits auxquels il donna lieu ont une autre importance. Ils nous donnent une idée originale et pittoresque de l'activité des chambres de rhétorique dans les Pays-Bas du Sud à la fin du XVIIe siècle, et ils nous permettent d'approfondir la conscience littéraire de cette, époque. Ils nous donnent le fond caractéristique sur lequel se détachera la figure de De Swaen.

(1) Ms. III, Com. flam., 8e poésie. — Zedel. Rymw.. p. 106.

(2) Vol geest begaefde breyn, hoogdravende, maer soet.. Uw deftig werck met recht den eersten Prys verdient, Maer s'is te slecht van weerd 'voor soo een waerde Vrient I *).

(3) Carlier. Lettre à De Coussemaker sur Faulconnier (Ann. du Com. flam. 1853, p. 108).

(*) Zedel. Rymw., p. 103, 109.


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La belle époque classique de la littérature néerlandaise touchait déjà au déclin de sa splendeur. Vondel, Hooft, Huygens, Cats et tant d'autres avaient conduit la littérature dans les Pays-Bas du Nord à un degré de développement qu'elle n'a plus atteint depuis. Mais les Pays-Bas du Sud n'avaient pas suivi cette marche vers l'apogée. En examinant la situation à fond, on serait tenté de croire que la vie littéraire si animée chez les Hollandais du XVIIe siècle n'a eu aucune influence sur les Flamands de cette même époque. Nous ne prétendons pas que cette littérature ne fût pas connue des Flamands, loin de là; Vondel et Cats furent même très populaires dans les Pays-Bas du Sud. Dans la préface de l'Heliconsche Echo, Vondel est invoqué comme une espèce de divinité protectrice. D'autres littérateurs hollandais furent encore lus et célébrés par les Flamands. Le Père Jésuite A. Poirters s'adresse comme suit dans une notice aux lecteurs de son Masque du Monde : « J'ose espérer toutefois que vous ne repousserez pas mon ouvrage, quoique vous ayez abondance de ces excellents poètes hollandais » (1). Dans l' Heliconsche Echo nous trouvons encore les noms des poètes hollandais Hooft, Jan Vos, Krul, Westerbaen, Heyns, Van Baerle et d'autres encore, cités avec un éloge exagéré. Mais tous ces noms nous ont l'air d'être simplement amenés ici par un puéril désir de faire étalage d'érudition, tout comme les noms d'Homère, de Virgile, d'Ovide et d'autres classiques furent cités à l'envi par nos rhétoriciens qui n'avaient qu'une idée très vague des oeuvres de ces derniers poètes. Dans tous les cas l'influence vivifiante qui devait émaner de grands modèles tels que Vondel et Hooft n'eut aucune prise sur les Pays-Bas du Sud ; le ravissement que la production

(1) Masker van de Werelt, p. 364.


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littéraire semble avoir procuré aux Hollandais de ce siècle n'eut qu'un très faible écho dans les Flandres. A. Poirters et G. Ogier sont les seuls noms qui représentaient jusqu'ici les Pays-Bas du Sud dans l'histoire générale des lettres néerlandaises au XVIIe siècle.

La littérature flamande vivotait à cette époque pour ainsi dire exclusivement dans les chambres de rhétorique. Quand au XVIe siècle celles-ci étaient devenues des foyers de protestantisme, le gouvernement Espagnol et l'église catholique les avaient combattues et supprimées, mais au XVIIe siècle, quand les influences protestantes furent écartées et que l'unité catholique fut rétablie dans nos contrées, les chambres de rhétorique furent rouvertes et cette fois vivement encouragées par le gouvernement et l'Eglise (1). Les chambres révolutionnaires rie jadis étaient devenues maintenant des modèles de piété catholique et d'attachement au gouvernement. Les poésies rhétoriciennes de cette époque nous en donnent des preuves abondantes.

Mais si, au point de vue religieux, les chambres de rhétorique n'étaient plus ce qu'elles avaient été au XVIe siècle, au point de vue artistique elles n'avaient guère changé. La littérature y était toujours considérée comme un passe-temps d'amateurs auquel tout le monde pouvait prendre part, tout comme au tir à l'arc ou au jeu de boules. On eut probablement trouvé à cette époque dans les Flandres et le Brabant, encore autan! de « poètes » qu'en 1561, année en laquelle il n'en figurait pas moins de 1893 « à cheval » au grand landjuweel d'Anvers. Mais, parmi ces innombrables rhétoriciens du XVIIe siècle, les poètes dignes de passer à la postérité étaient aussi rares que parmi ceux du XVIe siècle. Leurs rimailleries

(1) E. Van der Straeten. Le Théâtre villageois en Flandre (Bruxelles, A. Tillot), t. I, p. 53.


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présentent toujours cette même emphase mythologique, cette même parade de mots creux et sonores, cette même fausse érudition, ce même manque d'inspiration sincère qu'à l'époque où Michel De Casteleyn était encore l'oracle du Parnasse flamand.

L'oeuvre des rhétoriciens flamands du XVIIe siècle est la production d'une communauté sans talent, où le manque d'inspiration n'est pas compensé par la valeur historique. La profonde léthargie intellectuelle dans laquelle ces amateurs de littérature étaient plongés, ne fut troublée par rien. Ni commotions politiques, ni crises religieuses, ne donnèrent à leurs écrits collectifs quelque valeur au point de vue de l'histoire de la civilisation, et le génie qui eût pu donner à ces écrits une valeur esthétique, leur fit toujours défaut.

Trente-deux « poètes » concurrents se présentèrent au concours de 1700 à Bruges, mais combien y en avait-il parmi eux qui furent vraiment inspirés par le sujet à traiter, combien y en avait-il qui ne furent pas attirés avant tout par les belles pièces d'argenterie à gagner? Nous voyons le jury brugeois accorder la palme à l'auteur d'une poésie d'un style boursouflé et sans aucune qualité esthétique. Presque toutes les poésies concurrentes sont des modèles de la plus ridicule et de la plus fausse érudition. Le Val des Waens, la brochure de défense de la chambre principale des Drie Santinnen, est un chef-d'oeuvre de mesquine chicane et de haine puérile. L'esprit critique do ces rhétoriciens célèbre aujourd'hui comme « langage céleste » la même poésie que demain, il rejettera comme étant dénuée de toute valeur. Le concours brugeois de 1700 nous donne ainsi une idée typique des coutumes, du goût littéraire et de l'esprit des rhétoriciens flamands de cette époque.

Voulez-vous l'opinion d'un contemporain sur les pro-


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ductions littéraires des écrivains flamands de la fin du XVIIe siècle? P. Labus nous la donne dans son épilogue sur les Zedelycke Rymwercken de De Swaen. « Il est étonnant de voir que l'on produise et joue dans notre pays tant de tragédies et de pièces comiques dont le sujet manque de fond et d'ordre, dont les vers n'ont ni mesure ni style, où l'on fait parler un gentilhomme comme un paysan et un paysan comme un prince, et dont la langue ne ressemble souvent ni au flamand, ni au brabançon, ni au néerlandais ». Labus parle encore dans cet épilogue, de littérateurs « amateurs d'argent » qui, « chaque année, font payer bien cher aux braves paysans, cinq ou six de leurs pièces monstrueuses qui nous feraient douter si leur auteur sait lire ou écrire ».

Après ce jugement sur les productions littéraires de cette époque, les doléances suivantes de De Swaen sur la décadence de la poésie néerlandaise dans les Flandres ne paraîtront certainement pas exagérées. C'est encore à De Borde que De Swaen s'adresse au sujet du concours brugeois.

En vérité, quand je constate cette vaine parade de mots, ces sons boursouflés, cette composition hérissée de barbarismes; quand je vois la poésie mutilée et torturée de la sorte par nos compatriotes, mon coeur se sentaccablé de douleur. En quel siècle vivons-nous ? Quel triste malheur accable l'Hélicon ? C'est comme si ses choeurs ne laissaient plus entendre que des chants sauvages. La violence règne en maîtresse sur l'art et le langage. On dirait que le Pamasse s'est transformé en Etna, Apollon en Polyphème, les muses en cyclopos ; les flots de nectar coulent pour les faux poètes ; le fracas et les rodomontades et les sons sans mesure défient maintenant la poésie mélodieuse et le chant bien ordonné. Cet art céleste qui avait coutume de charmer le coeur par les oreilles commence maintenant


à ennuyer partout les savants par son manque d'harmonie et de mesure (1).

Ces faux poètes et ces rhétoriciens vaniteux formaient le milieu dans lequel vivait De Swaen. Nous avons en effet démontré au chapitre précédent que le poète dunkerquois était, un fervent des chambres de rhétorique. Il ne se dévouait pas seulement sans cesse pour la chambre de rhétorique de sa ville, mais il avait encore des rapports soutenus avec ses frères rhétoriciens des autres villes flamandes, tant du Nord de la France que des Pays-Bas espagnols. En constatant ces relations de De Swaen avec les chambres de rhétorique, il est une question qui s'impose. Dans quelle mesure s'est-il identifié avec ce milieu, dans quelle mesure sa personnalité artistique y a-t-elle été absorbée, dans quelle mesure s'est-il élevé au-dessus de ce milieu et s'est-il approché du niveau des vrais poètes aux émotions profondes et sincères? L'étude littéraire des oeuvres de De Swaen va nous fournir la réponse à cette question.

Nous pouvons toutefois assurer dès maintenant que De Swaen a aspiré à la qualité de vrai poète. S'il n'a pas

(1) Voorwaer, als ik bemerk dat ydel woorden-spel Dien opgepronkten klank on woesten t' samenstel Van bastaert-naemen en ontlede lettergrepen ; Als ik de Rymkonst soo verminkt sie en beknepen Door onsen lantgenoot, myn bert t begeeft door druck. Wat eeuw beleven wy? Wat droevigh ongeluck Oravangt den Helicon ? 't Gelykt dat syne kooren Hier niet dan wilde sangh en toonen laten hooren. De woestheyt beef't de konst en reden overheert. 't Schynt dat Parnassusbergh in Aetna is verkeert, Apol in Polypheem, de Musen in Ciclopen ; De nectar-vloeden staen voor waenpoëten open; Gerammel en gesnork, met mateloos geklank Trotseert, nu soet gedicht en welgeschikte sanck. Die bemelkonst, die 't bert door d'ooren placht te streelen Begint nu overal geleerden te vervelen. Door schetterend geluyt en ongebonden Maet (*).

(*) Ms. III, Com, flam., 4e poésie, p. 139.


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atteint jusqu'à cette hauteur, ce ne fut certes pas à cause de son asservissement au milieu des rhétoriciens et à ses défauts, ce ne fut pas à cause d'un manque d'étude, et ce ne fut surtout pas faute d'un amour sincère pour les belles lettres. De Swaen nous fournit des arguments abondants à l'appui de cette triple affirmation.

Un certain Sr G. D. D., « excellent poète » à Ypres avait annoncé à De Swaen qu'il avait abandonné la pratique de la poésie parce que les chambres de rhétorique locales l'avaient traité « avec dépit, haine et envie ». La réponse de De Swaen à cet écrit démontre combien le poète dunkerquois était peu asservi aux chambres de rhétorique, et que sans leurs encouragements il eût encore continué la pratique des lettres.

Si la Rose vous pique, vous pouvez l'abandonner, en vous perdant, elle perdra la plus belle de ses feuilles. Si la Fleur de blé ne vous donne que de la paille et du bourrier, retirez d'elle vos soins généreux. Vous n'avez besoin ni des Lichtgelaen ni des Rosiers, vos oeuvres vous sont des palmes et des lauriers (1).

« S'il m'arrivait à la chambre de rhétorique ce qui vous y est arrivé, dit De Swaen à son ami, je resterais chez moi, mais je me consacrerais dans le calme à la pratique des lettres » (2). Ce n'est pas pour un désaccord

(1) Indien de Roos (*) u steekt gy moogt se laten varen. Sy mist, u missende, baer alderschoonste blaeren. En geeft de Korenbloem (**) u niet dan stroy en kaf, Trek, met uw milde sorgh, van haer uw handen af.

Gy hoeft nogli Lichtgelaen (***) nogh pronckende Rosière n Uw wercken strecken u, tot palmen en laurieren (****).

(2) Zedel. Rymwercken, p. 147.

(*) Chambre de rhétorique d'Ypres. — Lichtgelaen (légèrement chargés), chambre de N. D. d'Aremberg.

(**) Ibid.

(***) Ibid.

(****) Ms. III, Com, flam., Sendbrief aen Sr G. D. D.


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avec les chambres de rhétorique que De Swaen se serait privé du plaisir que lui procurait le culte dos Muses ! Sans cela il n'eut pas écrit :

Quand un esprit calme est né pour la poésie, aucune autre occupation ne peut le charmer. Et que de douceurs ne goûte t-il pas en s'adonnant à la poésie ? Pendant qu'il jouit de ses entretiens avec la muse, et que. délivré de tout autre souci, il s'efforce de dépeindre les moeurs pures de cette déesse, que de beautés ne découvre-t-il pas en elle, que de joie ne lui doit-il pas? Plus il la fréquente, plus son amour l'attire (1).

Cet amour sincère de la poésie était pour De Swaen le vrai stimulant au travail. Les chambres de rhétorique avec leurs concours et leurs faux lauriers n'avaient sur lui qu'une influence très secondaire. De Swaen voyait si bien la nullité de ces chambres vaniteuses ! « Y trouve-ton autre chose, se demande-t-il, que vanité et orgueil? » (2) On y cultive la vanité !

N'est-il pas ridicule que de jeunes compagnons rhétoriciens osent se comparer à Ovide et à Virgile, et qu'un écolier rimeur « de première culotte » estime ses écrits supérieurs au livre du prince Homère ? (3)

(1) Als een stillen Geest tot dichten is gheboren, Geen ander besigheyt kan syrien wil bekooren :

En wat al soetheyt smaeckt hy onder 't Dichten niet? Terwyl hy 't onderhoudt der Sangh-Godin gheniet, En in d'afspieghelingh van haere reyne zeden, Bevry dt van andre sorgh, syn sinnen gaet besteden, Wat schoonheyt, wat genucht en vindt hy daer niet in ? Meer by met haer verkeert, meer lockt hem haere min (*).

(2) Zedel. Rymwercken, p. 147.

(3) Is 't niet belacchelyk dat jonge sanggesellen Sigh by Ovidius en Maro derven stellen,

En dat een Rymscholier, van synen eersten broeck, Syn schriften hooger acht dan prins Homerus boek (**).

(*) Zedel. Rymwercken, p. 147.

(**) Ms. III, Com. flam., Sendbrief aen Sr G. D. D.


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D'autres raisons encore amenèrent De Swaen à prendre en grippe les chambres de rhétorique. D'après lui les rhétoriciens méritaient amplement la réputation de buveurs que le proverbe flamand « rederyker, kannekyker » leur a donnée.

Mais ce qui me donnerait encore un plus grand dégoût de cette école, c'est d'y être réuni à de sales ivrognes, c'est d'y voir des gorges qui se gonflent constamment sous le vin, des nez ornés de rubis. Il vient en cet endroit plus de gaillards attirés par le jus de la treille que par le sage langage; et quand le jeune moût les prend au cerveau, le Parnasse ne connaît plus ni règle ni raison. Comment un homme sobre peut-il y trouver du plaisir? Je ne conçois pas comment il se laisse aveugler au point de perdre son temps précieux auprès de pareils hâbleurs et de pareilles tètes chaudes (1).

Il semblerait que parmi les confrères en rhétorique on rencontrât encore pis que des ivrognes. Dans la préface de son Art poétique, De Swaen s'écrie : « Que désormais soient bannis de l'école de poésie tous les brandons de convoitise, les athées libertins, les voluptueux, les lâches flatteurs et les perfides calomniateurs ».

Nous nous demandons naturellement pourquoi De Swaen, malgré cette opinon défavorable qu'il avait des

(1) Maer 't gene van die school my soude meer doen walgen, Is, daer te syn versaemt met vuyle Bacchusbalgen ; Met kelen, die men staegh siet swellen, door den wyn, Met neusen, die beset met roo karbonkels syn. Daer comen tot die plaets, meer gasten aengetreden Om'tdolle druyvensap, dan om de wyse reden ; En als de nieuwe most hen in de herssens slaet Dan weet Parnassus hof van regel nogh van maet. Hoe kan een matigh man daer vergenoegen vinden? lck weet niet hoe hy sich soo verre laet verblinden, Dat hy syn weerdigen en kostelyken tydt By sulcke ratelaers en dolle koppen slyt (*).

(*) Ms. III, Com. flam., Sendbrief aen Sr G. D D.


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chambres de rhétorique, continuait à en faire partie et à les fréquenter. Il prévient cette objection.

Je reconnais que mes paroles sont en contradiction avec ma façon d'agir ; mais que voulez-vous, je vois le mal et je me sens attiré vers lui (1).

De Swaen s'excuse en disant qu'à la chambre de rhétorique il cherche seulement la société de « six ou sept confrères ayant les mêmes goûts que lui » (2).

Portés non pas à la boisson, mais à la poésie. Et puisqu'il est nécessaire de détendre l'arc parfois, je ne le détends jamais mieux qu'en compagnie de ces chers camarades, avec lesquels je chasse le temps par une chanson ou par une douce poésie qui berce l'âme. Mais au cas où leur présence vient à me manquer, on peut remarquer mon mécontentement dans mon regard (3).

De tout cela, il résulte que De Swaen avait on soi quelque chose qui le distinguait des autres rhétoriciens. Il avait l'amour sincère de l'art, qui lui procurait ses plus pures jouissances. Il avait du rôle des chambres de rhétorique une conception plus haute que celle qui semble avoir été courante à cette époque. Quand ces institutions secondaient son amour des lettres, quand elles lui procuraient l'occasion de se distraire par la poésie et le

(1) 'k Beken myn oordeel spreekt myn eigen werken tegen ; Wat wilt gy, 'k sie net quaet en ben er toe genegen (*).

(2) Ms. III, Com. flam., Sendbrief aen. Sr G. D. D.

(3) Genegen, niet tot dranck, maer tot de poesy.

En mits het noodigh is somtyds de boogh t'ontspannen,

'k Ontspan hem noyt soo wel dan met die lieve mannen,

By wie ik, met een liet den tragen tydt bedriegh

Of met een soet gedicht de ziel in slape wiegh.

Maer, als ick, by geval, hun bysyn com te missen,

Dan can men uyt myn oogh, myn ongenoegen gissen (**).

(*) Ms. III, Com. flam., Sendbrief aen Sr G. D. D. (**) Ibid.


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chant, alors il leur restait fidèle et dévoué, mais là où elles engendraient l'adulation réciproque, favorisaient la vanité, s'adonnaient à une mesquine chicane ou tombaient dans l'orgie, il s'en détournait sans hésitation.

De Swaen sut mettre au service de son amour de la poésie un remarquable goût du travail. En faisant cette remarque, nous ne songeons pas tant à la liste considérable de ses oeuvres littéraires qu'à la somme extraordinaire de travail qu'il consacra à polir et à repolir ses vers, et à étudier les lois et les règles de l'art adoptées à son époque.

Quand De Swaen reproche leur vaniteuse suffisance, aux écoliers rhétoriciens de première culotte, il ne s'expose certainement pas à voir ce reproche se tourner contre lui. Jusque dans les dernières années de sa vie il corrigeait et recorrigeait ses écrits, comme l'attestent les manuscrits du Comité flamand. Il soumettait volontiers ses oeuvres au jugement et à la correction d'autres amateurs de la poésie en qui il avait confiance. C'était là d'ailleurs un usage courant parmi les auteurs néerlandais du XVIIe siècle (1) et plus d'une fois ils ne s'y conformèrent que par une espèce de fausse modestie escomptant l'éloge avant tout, mais la manière dont De Swaen demande à un ami son jugement critique sur une de ses oeuvres, dénote à notre avis une sincérité vraie (2).

Mon but était d'apprendre ce qui manquait à mon ouvrage. Je ne suis pas assez vaniteux pour me mettre en tète que cette tragédie ne contient pas beaucoup de défauts. — Coupez, taillez, arrachez et brûlez y

(1) Dr. G. Kalff. Litterat. en Tooneel, te Amsterdam in de 17e, Eeuw, p. 131.

(2) Ms. III, Com. flam., Sendbrief aen Sr G. D. D.


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autant que vous le jugez nécessaire, comme un chirurgien qui veut le bien de son patient (1).

De Swaen a réuni les fruits de son étude des lois et des règles de la poésie dans son ouvrage « Neder-Duitsche Digtkunde of Rymkonst » (Art poétique néerlandais). Cet ouvrage est, de l'aveu même de l'auteur, une « adaptation de la poétique d'Aristote à la pratique moderne de la langue néerlandaise » (2). Nous retrouvons dans cet Art poétique tout ce qui fut professé sur les lois de la poésie depuis J. C. Scaliger, le fameux amplificateur et commentateur d'Aristote au XVIe siècle jusqu'à Boileau. L'adaptation de cette poétique à la langue néerlandaise se borne à un chapitre sur la métrique néerlandaise et quelques considérations critiques sur certains auteurs néerlandais, surtout sur Vondel et Cats. Cet ouvrage ne peut donc revendiquer aucun titre d'originalité. Il prouve cependant que l'art n'était pas aux yeux de De Swaen un passe-temps d'amateur, auquel on pouvait s'adonner à la légère, sans préparation aucune. Il ne voulut pas s'engager dans la carrière des lettres en une course déréglée comme un cheval sans bride. Il voulut comme Vondel le prescrit dans son Introduction à la poésie néerlandaise « faire brider par la science et l'art son penchant et ses goûts de la littérature ». Cette poétique démontre surtout, que De Swaen se sentait lui-même assez supérieur à ses confrères en rhétorique, pour se présenter devant eux

(1) Myn oogwit was te wesen onderricht,

Van 't gen ik niet en sagh t'ontbreken aen myn dicht. Ik ben soo waensiek niet van in myn hooft te steken, Dat in dit treurigh spel niet schuylen veel gebreken. Snyd, Kapt, trek uyt en brand soo veel gy't noodigh acht, Gelyk een arts, die na syn lyders welvaert tracht (*).

(2) Rymkonst. Voorreden.

(*) Ms. III, Com. flam., Sendbrief aen Sr G. D. D.


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comme un maître et leur développer la théorie et la haute vocation de l'art.

Les idées que De Swaen développe dans son Art poétique concernant l'origine et l'essence de la poésie, sont les mêmes qu'il avait déjà mises en vers dans son Eloge de la poésie pour le concours de Bruges. Dans ce dernier poème, il est dit que l'origine de la poésie est en Dieu. Le Tout-Puissant fit connaître à Adam « la mesure, la place et le son de chaque syllabe » et « lui expliqua les règles pour ordonner les mots d'après la raison » (1). La rime fut « inventée plus tard par les enfants d'Adam, qui accouplaient les mots pour mieux les retenir » (2). Les mêmes notions sur l'histoire de la poésie se retrouvent dans la préface de l' Art poétique. Comme la poésie a son origine en Dieu, elle doit avant tout servir à chanter ses louanges ; « comme elle vient de Dieu elle doit retourner à lui» (3). Ainsi De Swaen en arrive logiquement à la conclusion que la poésie ne peut produire exclusivement que des hymnes en l'honneur de la divinité, et des ouvrages didactiques pour l'édification des hommes. « Afin que la poésie remonte à son origine », dit De Swaen, « nous devons composer des chants et des poèmes : 1° à la louange du Tout-Puissant, qui dès le principe jusqu'aujourd'hui s'est réservé cet art pour être loué et béni à travers les siècles par toutes les bouches et en toutes les langues ; 2° pour l'édification et la joie des hommes en donnant des représentations expressives et agréables de la beauté, de la vertu et de la difformité du vice, afin de favoriser l'amélioration des moeurs et le repos du coeur » (4).

(1) Zedel. Rymwercken, p. 95.

(2) Ibid., p. 95.

(3) Ibid., p. 97.

(4) Digtkunde. Voorreden.


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Cette conception du but de la poésie met De Swaen en pleine concordance avec la grande majorité des auteurs néerlandais du XVIIe siècle. Le but de Cats en écrivant était de travailler « à la gloire du nom divin, à l'amélioration de l'auteur et à l'édification du lecteur » (1). Tout écrivain, d'après Vondel, ne pouvait poursuivre comme but unique que « l'image couronnée de la vraie vertu » (2). Brandt signale de même comme premier devoir de la poésie « d'inspirer aux hommes l'amour de la vertu tout en les amusant, et de leur donner le dégoût des méchantes entreprises » (3). Ces citations pourraient être multipliées encore sans aucune difficulté. Il ne faudrait pas même pour cela chercher exclusivement dans les ouvrages d'auteurs sérieux : les auteurs comiques eux-mêmes plaidaient volontiers en faveur de la valeur moralisatrice et édifiante de leur art (4).

Il ne suffit pas cependant d'être moralisateur pour être poète. Il faut avoir des dispositions innées pour la poésie. Cet ancien « poeta nascimur... » est paraphrasé par De Swaen comme suit : « la poésie sera vainement pratiquée par celui à qui la nature a refusé un certain relief, une certaine élévation d'esprit, qui éclaire les pensées et les munit d'une fécondité inlassable » (5). Ailleurs De Swaen appelle ce don « le merveilleux dans le langage », une faculté au moyen de laquelle le poète entraîne, ravit et subjugue le lecteur.

Le poète qui possède cette faculté innée, « doit la nourrir de tout ce qui est grand et remarquable ». Il

(1) Cats. Sinne-en Minnebeelden (Voorrede).

(2) Vondel. Gulden-Winckel (Voorrede).

(3) Brandt. Leven van Vondel. Ed. Dr. E. Verwys. Nederl. Klass., p. 1.

(4) G. Kalff. Liiterat. en Tooneel, p. 122.

(5) Digtkunde. Besonder Hoofdstuk.


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doit étudier la physique, la morale et l'histoire, ou comme De Swaen le dit : « les actions et les paroles des héros ». En parlant ainsi De Swaen se montre encore bien fils de son époque, qui affectionnait tant l'étalage de science en poésie (1). Vondel donne aux aspirants littérateurs à peu près les mêmes conseils dans son Introduction. « Que le poète s'applique, dit-il, à développer journellement ses notions des différentes sciences non pas pour posséder ces dernières à fond, ce qui serait bien impossible, mais pour en avoir une idée exacte, et savoir en tirer parti dans ses oeuvres » (2). Et ici le grand poète néerlandais recommande la lecture des proverbes de Salomon, des oeuvres de Cicéron, de Sénèque et de Plutarque ainsi que de l' Iconologia de Cesare Ripa, l'encyclopédie de l'époque.

L'Art poétique de De Swaen nous fait connaître une partie considérable des lectures favorites de notre auteur. A plusieurs reprises il cite l'opinion de Plutarque, Quintilien, Suétone, Buccelinus, Farnabius, Baronius, Rosweydus, R. Rapin, Mezeray et William Temple. Parmi les littérateurs proprement dits il cite Corneille, Racine, Molière, Boileau et les néerlandais Vondel et Cats. Les noms de Westerbaen et de Fockenburg figurent aussi dans l'Art poétique, niais Vondel et Cats y sont vantés au-dessus de tous les autres comme les vrais maîtres de la poésie néerlandaise.

Ce que De Swaen écrit sur Vondel et Cats prouve qu'il avait l'esprit critique et qu'il savait très bien pourquoi il louait ou blâmait un auteur. Il se peut bien que la critique moderne ne s'associe plus sans réserve aux jugements émis par De Swaen sur ces deux poètes, mais elle

(1) Cf. Kalff. Littéral, en, Tooneel, p. 125.

(2) Aenleiding ter Nederd. Digtk. (Van Lennep-Unger, 16481653, p. 139).


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doit reconnaître que les appréciations de De Swaen ne sont déjà pas si mal pour un auteur de ce XVIIe siècle qui vit la critique littéraire néerlandaise dans les langes. Les biographies de Vondel et de Hooft par Brandt sont en effet les premiers balbutiements de la critique littéraire dans les Pays-Bas.

Voici l'opinion de De Swaen sur Cats : « Il excelle dans les chants erotiques, les poésies morales, les bergeries, les emblèmes et autres poésies agréables et spirituelles qui nous donnent une idée suffisamment caractérisque de son genre. Son style est doux et clair, mais quelque peu flasque et prolixe, flasque dans les dissertations graves, prolixe dans les descriptions ». A cette opinion De Swaen ajoute une remarque qui semble prouver qu'à cette époque Cats trouvait dans les Flandres de plus chaleureux admirateurs qu'en Hollande. « Je m'étonne, écrit le poète dunkerquois, de l'étrange ingratitude de ses compatriotes qui, ayant oublié ce dont ils lui sont redevables, regardent ses ouvrages avec un certain mépris ».

« Vondel, affirme De Swaen, surpasse tous les poètes néerlandais par la force du style et l'élévation de la pensée». « Il entraine dans son vol quiconque examine attentivement ses oeuvres ». « Son relief extraordinaire le rend parfois inégal à lui-même ; parfois il rampe par terre, parfois il s'élève dans les plus hautes régions célestes ». « II excelle dans les chants épiques, les tragédies et les satires qui indiquent bien la sagacité de son esprit ». Quels sont les défauts du prince des poètes néerlandais d'après De Swaen? « Son style est fort, nerveux, mais rocailleux et obscur, et peu de ses pièces de théâtre peuvent être jouées pour ces motifs. Il déplaît par des néologismes trop recherchés et obscurs. Il ennuie par de longues parenthèses et par des métaphores peu naturelles et manquant d'â-propos ». « On trouve souvent chez lui


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des jeux de rythmes et des jeux de mots, et souvent il rend son style trop emphatique à l'encontre de ses propres règles. Il est très fertile en mots composés très expressifs, mais parfois impropres et à double sens ». « En dépeignant la passion de l'amour, il est rude, irrespectueux et parfois impudique, comme en témoignent son Joseph en Egypte, son Samson » (1).

De Swaen critique plus d'une fois l'obscurité des vers de Vondel en attribuant ce défaut à l'emploi d'un style ampoulé et de néologismes. Plus d'un Flamand de l'époque de De Swaen fit ce reproche à la poésie de Vondel. P. Labus, entre autres, dit dans son épilogue sur les Zedelycke Rymwercken « que beaucoup d'auteurs veulent imiter le grand style de Vondel, alors qu'ils devraient, bien lire pendant six ans ses ouvrages avant de pouvoir saisir les idées trop profondes de ce poète » (2). De Swaen s'insurge également contre cette manie d'imiter Vondel. « Les ri meurs de cette époque veulent tous être des disciples de Vondel, dit-il, ils l'imitent en tout ce qui est dur et emphatique, mais négligent sa composition bien ordonnée, son charme, sa majesté, son habileté et sa science. Ainsi, ils tombent dans le désordre, l'obscurité et la gaucherie ». Nous ne nous trompons probablement pas en prenant pour les soi-disant disciples de Vondel, auxquels De Swaen s'attaque, les poètes du concours de Bruges, ces nouveaux « venus du Nord », dont il avait déjà signalé les « néologismes ampoulés » et le manque de clarté à son ami De Borde de Dixmude.

Il est fort probable encore que De Swaen songeait aux mêmes forgeurs de mots et poètes déréglés en donnant les conseils suivants : « Un auteur doit consacrer une attention toute particulière à l'invention et à l'emploi judicieux

(1) Digtkunde, 2e Verhandeliog.

(2) Zedel. Rymw., 2e partie, Slotreden.


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des mots composés ». « Notre langue, ajoute-t-il, se prête admirablement à la formation de pareils mots et peut ainsi devenir tout à fait remarquable, comme la langue grecque et la langue hébraïque, par ses expressions énergiques, claires, concises et pénétrantes ». « Mais, on devra toujours employer ces mots composés avec une grande circonspection, évitant toute nouveauté, pénétré de cette règle essentielle du langage, que c'est l'usage qui fait la loi en tout » (1).

Les idées concernant la simplicité et la pureté de la langue, que De Swaen développe déjà dans son épître à De Borde, se retrouvent aussi dans son Art poétique. « Le meilleur des styles, dit De Swaen dans cet ouvrage, sera celui qui se rapproche le plus de l'expression naturelle de la pensée » (2).

Il va de soi que De Swaen, avec une conception d'art aussi exclusivement religieuse que celle exposée plus haut, ne pouvait tolérer aucune frivolité dans la poésie. Aussi son jugement sur les petits genres littéraires, plus ou moins légers, est généralement d'une sévérité extraordinaire. Tout ce qui ne servait pas a. perfectionner le coeur et à l'élever à Dieu n'avait aucune valeur à ses yeux.

Il tolère les bergeries à la seule condition qu'elles « tendent à améliorer en nous les passions de l'amour » (3). Mais c'est rarement le cas. Les pastorales sont la plupart du temps « semblables à ces vaines fictions appelées romans, et qui, engendrées en France il y a deux siècles, se sont répandues par toute la chrétienté au grand malheur de la jeunesse ». L'invention de ce dernier genre était aux yeux de De Swaen un mal tellement grand, qu'il rappelle à la décharge des Français « qu'ils devaient les romans à

(1) Digtkunde (2e dissertation, 3e chap.).

(2) Ibid. (1er chap.).

(3) Ibid., p. 49 (Van de Herderye).


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d'autres peuples, et particulièrement aux Italiens, très amoureux de leur nature, et cherchant les plus chères satisfactions de leur vie dans les jouissances erotiques » (1).

Les poésies lyriques elles aussi devaient servir exclusivement à l'édification. « Les amateurs des beautés mondaines et les courtisans flatteurs ont profané ces poésies à l'exemple des payens en les faisant servir à l'éloge et à la flatterie de femmes et de personnages vaniteux, fiers et même impudiques, dont le nom et les oeuvres ne méritent que l'éternel oubli » (2).

Ce n'était pas seulement pour la religion et la morale chrétiennes que De Swaen exigeait de la poésie le respect le plus absolu, mais encore pour tout le cortège classicomythologique des dieux et des déesses du paganisme. Il n'admettait en littérature aucun manque de respect, aucun trait d'esprit blessant à l'égard de ces divinités qu'au point de vue religieux il ne cessait cependant pas de combattre.

« Ce que ni les Grecs, ni les Latins n'ont jamais entrepris, écrit De Swaen, on peut le voir actuellement chez les Italiens, les Espagnols, les Français et les Néerlandais, et parmi ces derniers dans les oeuvres de Scarron, imitées par Fockenburg ; ils ont humilié les muses, ils les ont jetées aux pieds du vulgaire par leurs réflexions et leurs paroles comiques ; tel est le cas dans leur Gigantomachie, traduction travestie d'après Virgile. Mais le jugement des savants démontre bien le peu d'estime que méritent ces oeuvres » (3).

Dans ses propres productions littéraires, De Swaen s'est presque exclusivement laissé inspirer par la muse grave. A l'exception do la Botte couronnée, que l'auteur présente

(1) Digtkunde, p. 49 (Van de Herderye).

(2) Ibid., 4e chap. (Van de Lierdichten).

(3) Ibid., 2e chap. (Satira).


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lui-même comme une pochade de carnaval et qui est au fond une pièce à forte tendance morale, nous ne connaissons de De Swaen que des tragédies et des poésies religieuses et didactiques. Dans notre chapitre précédent, nous avions examiné à un point de vue biographique, si De Swaen a cultivé des genres littéraires légers et nous avons abouti à la conclusion qu'il condamna bien vite comme de futiles productions de jeunesse les quelques poésies moins graves qu'il avait pu écrire. Comme artiste complètement formé, il ne reconnut que la seule muse sévère ; c'est à elle seule qu'il resta fidèle.

Pour résumer ce chapitre en quelques mots, constatons que De Swaen n'était pas asservi à son entourage vaniteux et plus que médiocre des chambres de rhétorique, qu'il se sentait suffisamment élevé au-dessus de cet entourage pour lui donner dans son Art poétique un guide littéraire et que sa conception de l'art était la plus sérieuse et la plus haute qui tût connue à cette époque. L'examen de ses oeuvres doit nous montrer maintenant si à côté de ces bonnes intentions et de ces connaissances théoriques, De Swaen possédait également le tempérament nécessaire qui seul fait le véritable poète.

Dans notre aperçu rapide de l' Art poétique, nous nous sommes bornés aux considérations d'un caractère général, les points particuliers tels que la poétique dramatique, la métrique etc. seront traités dans le courant de cet ouvrage là où ils se présenteront.


CHAPITRE III

Les Tragédies de De Swaen

La poétique dramatique île De Swaen. — Les lois théâtrales des classiques français. — Quelle traduction d'Aristote fut employée par De Swaen? — Lieux communs. — Absence de jugement personnel. — Durée de la tragédie. — Caractère du héros. — Choeurs. — Musique.

— Concessions au goût du public. — Théorie des passions. — Intérêt restreint de la poétique dramatique de De Swaen.

Maurice. — Sujet. — Sources. — Matière favorite des rhétoriciens flamands. — Conduite du poème dramatique. — Application des lois classiques. — Valeur dramatique. — Maurice, caractère antidramatique.

— Le principe de la royauté par la grâce de Dieu. — Ressemblance avec les Juives de Garnier? — Caractère des personnages de second plan : Constantine, Phocas. — La nourrice dans le Maurice de De Swaen et dans l'Héruclius de Corneille.

Catherine. — Sujet. — Conduite du poème. — Ressemblances avec Le Martyre de Sainte Catherine de De la Serre, les Maeghden de Vondel et le Polyeuete de Corneille. — Catherine, la » vierge et martyre » conventionnelle du drame chrétien. — Maximin, le païen obstiné. — Valeur dramatique.

La mort, morale de Charles-Quint. — Sujet. — Manque d'action. - Pas de lutte intérieure chez Charles-Quint. — Pas de conflit. — Philippe Il vis-à-vis de son père. — Faible caractéristique personnelle des personnages. — De Swaen représente-t-il d'Egmont et de Hornes comme des hypocrites?

Appréciation générale des tragédies de De Swaen.— Considérations de M. l'abbé Looten sur le draine de Vondel conçu comme « peinture d'histoire ». — De Swaen a suivi la poétique dramatique de son époque. — Absence de tempérament dramatique. — Poésie lyrique et didactique. — Rhétorique.

Traduction du Cid et de l'Andronic. — But. — Ce qu'elles lui ont appris.

— Descriptions. — Légende de la traduction du Cid. — L'enjambement.

— Alexandrins français et néerlandais.

La théorie classique d u gen re dramatique au XVIIe siècle et son histoire sont trop connues pour nous y arrêter


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longuement. J. C. Scaliger, ce « temple de tous les arts et sciences » (1) comme Vondel l'appelle avec un respect puéril, avait réédité la poétique d'Aristote en 1561, après avoir comblé les lacunes que présentait le texte original. Cet ouvrage nous présente une espèce d'Aristote renouvelé dont la responsabilité retombe pour une très grande partie, non sur le philosophe grec, mais sur Scaliger. Toute la théorie classique du genre dramatique s'y trouve en germe. La loi tyrannique des trois unités, telle qu'elle a régi le drame classique, découle, non du texte original d'Aristote, mais du remaniement de Scaliger. C'est le principe exagéré de la vraisemblance qui, d'après Scaliger, devait être respecté avant tout dans la tragédie, qui donna lieu à la conception étroite de cette fameuse règle des trois unités. L'Art poétique de Ronsard (1565), l'Art de la tragédie de J. de la Taille (1572), l'Art poétique de Vauquelin de la Fresnaye (1605) et tous les autres écrits qui ont aidé à forger lentement cette fameuse loi, jusqu'au moment où Chapelain la présenta avec l'autorité de l'Académie comme un dogme immuable, trouvent leur origine dans la poétique d'Aristote, transformée ou plutôt déformée par Scaliger.

La période de formation de la théorie du drame classique était close au commencement du XVIIe siècle ; les lois du théâtre étaient immuablement fixées pour une longue série d'années. Toutes les dissertations qui parurent dès ce moment sur ce sujet ne font que se répéter.

Ainsi De Swaen, dans son Art poétique ne nous donne pas autre chose sur le théâtre que les lieux communs, que l'on retrouve chez tous ses contemporains. Il le reconnaît d'ailleurs en toute franchise : « Nous avons exposé brièvement les règles de la tragédie puisées dans

(1) Salmoneus, préface, p. 86 (Ed. Van Lennep-Unger).


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l'Art poétique d'Aristote et les observations de son traducteur » (1).

Quelle traduction d'Aristote De Swaen mentionne-t-il ici ? Du fait qu'il ne cite pas le nom du traducteur, nous pensions d'abord pouvoir conclure qu'il estimait que celui-ci était suffisamment désigné par le seul titre de « traducteur d'Aristote ». Cette omission de nom pouvait aussi être attribuée à un oubli de De Swaen, mais nous étions moins disposé à accepter cette supposition, car dans les autres passages de son Art poétique De Swaen cite régulièrement ses sources. Si nous nous demandons, dans la première supposition, qui l'on pouvait désigner au XVIIe siècle comme le traducteur d'Aristote, nous pensons encore en tout premier lieu à Scaliger; car quoiqu'il appartienne au XVIe siècle, il fut encore au XVIIe siècle considéré « comme un oracle de sagesse » (2) dans toutes les universités et par tous les savants de l'Europe occidentale.

Après un examen plus approfondi, il parait toutefois peu probable que De Swaen se soit servi de l'ouvrage de Scaliger comme base de sa poétique du genre dramatique. De Swaen parle comme tous ses contemporains d'une quantité de choses que Scaliger ne signale pas. C'est le cas par exemple pour la loi de l'unité de lieu que ni Aristote ni Scaliger lui-même ne formulent. Ce fut en effet J. de la Taille qui le premier exigea cette unité (3). De Swaen donne la loi complète des trois unités, telle que son époque la considéra, comme un axiome. A propos de la durée de la tragédie, De Swaen va également plus loin que Scaliger. « L'imitation, écrit notre poète, ne doit pas durer plus longtemps que n'a duré l'action qu'elle

(1) Digtkunde, 2e partie, 13e Hoofdstuk.

(2) Vondel. Salmoneus, préface, p. 86.

(3) Art de la Tragédie (Intr. de Saül, 1572).


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suit » (1). Ce fut A. de Rivardeau qui donna pour la première fois ce précepte en 1566 : « Ces tragédies sont bien bonnes et artificielles (2) qui ne traictent rien plus que ce qui peut estre advenu en autant de temps que les spectateurs considèrent l'esbat » (3).

Il est donc certain que De Swaen ne s'est pas servi de l'ouvrage de Scaliger, mais d'une adaptation d'Aristote plus récente. Laquelle? Parmi les auteurs que De Swaen cite dans le courant de son ouvrage, nous n'en trouvons pas qui aient fait une traduction d'Aristote. Le père Jésuite René Rapin a bien écrit des Réflexions sur la poétique d'Aristote (1676), William Temple parle bien d'Aristote dans ses Essays on ancient and modern Literature (1705), mais ni l'un ni l'autre ne pourrait être appelé le traducteur d'Aristote.

Il est d'ailleurs peu important de savoir quelle traduction De Swaen a employée pour écrire son Art poétique. Même les « observations » du traducteur que De Swaen peut avoir empruntées ne portent aucun cachet personnel, car, nous le répétons, tout ce que De Swaen dit au sujet du genre dramatique se trouve non pas seulement chez tel ou tel des rhéteurs de son époque, mais chez tous.

Là où De Swaen s'écarte quelque peu des lieux communs, il le fait d'une manière indécise ou en se basant sur des autorités reconnues. Concernant la limitation de la durée de la tragédie à la durée de l'action imitée, — une loi que De Swaen attribue à tort aux Grecs, — il se hasarde à faire l'observation suivante : « Les Grecs ont appliqué cette règle avec une rigueur telle que bien souvent ils ont été obligés do faire violence à leur inspiration. En cela ils ne doivent pas être imités et,

(1) Digtkunde, 2e p., 1e hooft.

(2) Faites avec art.

(3) Aman, introd. (OEuvres poétiques, Paris, 1859).


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d'après l'illustre chevalier Temple, il vaudrait mieux s'écarter un peu de cette règle que de tomber dans une pareille erreur en voulant l'appliquer » (1). Ailleurs encore De Swaen est d'une timidité typique. « Le personnage principal de la tragédie, dit-il, doit être semblable à nous, si son malheur veut produire en nous la crainte. » C'est-à-dire qu'il doit, être « désireux d'être bon et sujet à beaucoup de défauts » (1). C'est ainsi qu'il paraphrase les préceptes connus d'Aristote sur le caractère des héros de tragédie. Il y ajoute la remarque suivante : « Par cette règle d'Aristote tous les martyrs et leurs semblables sont écartés du théâtre contre l'opinion de beaucoup de poètes modernes, qui ont choisi dans la vie de ceux-ci quantité de sujets de tragédies. Nous laisserons aux savants le soin de décider si cela est permis ou non » (1). Il est à remarquer toutefois que l'homme qui hésitait tant à s'écarter de cette règle dans la théorie n'hésita pas à le faire dans la pratique. Sa Catherine a en effet été conçue à l'encontre de cette règle.

Il n'y a que ses idées sur le chant, la sixième des parties réelles de la tragédie, d'après Aristote, que De Swaen exprime résolument. « Il est fortement à regretter que les choeurs soient laissés de côté aujourd'hui, car par le chant expressif accompagné d'instruments à cordes, ils produiraient grand effet sur la scène et procureraient au spectateur une grande satisfaction. Si quelqu'un veut entreprendre de relever le théâtre néerlandais, il pourra tirer grand profit de la restauration des choeurs » (2). Ailleurs il ne se plaint pas seulement de l'absence de choeurs, mais aussi du manque de mise en scène attrayante, et à ses plaintes il joint une attaque contre l'opéra qui, à son époque, avait captivé

(1) Digtkunde, 2e p., 1er ch.

(2) Ibid., 2e p., 12e ch.


l'estime générale par là collaboration de Quinault et de Lulli (l). « Ici. dit-il, on devrait faire une sortie contre les théâtres modernes qui négligent le charme du chant et de la mise en scène, ce qui est caue que les gens perdent le goût des tragédies et courent en foule à l'opéra absurde pour entendre prononcer des arrêts de mort en chantant, etc. » (2). Il est étonnant que De Swaen, qui manifeste une si grande prédilection pour les choeurs dans son Art poétique, n'en ait pas intercalé dans ses tragédies. Il n'avait cependant qu'à suivre l'exemple de Vondel qu'il prenait si volontiers comme modèle. La musique et la mise en scène furent surtout dans l'idée de De Swaen, des concessions faites au goût du public. Il le prouve dans la Mort morale de Charles-Quint. Au moment où Charles-Quint remet sa couronne, son sceptre et son manteau à son fils Philippe, on entend « le son de toutes sortes d'instruments » (3). De Swaen ajoute en note : « Ici l'on pourrait danser » (4). Le mode conditionnel de cette note nous fait supposer que De Swaen jugeait luimême plus convenable de ne pas danser à ce moment solennel, immédiatement avant la pathétique prière finale du vieil empereur. Mais il jugea à propos de signaler qu'à cet endroit, il y avait moyen de satisfaire le public par le spectacle fastueux d'un ballet.

De Swaen donne comme annexe à son Art poétique une dissertation au moyen de laquelle il veut initier les « élèves du Parnasse » à la connaissance des passions humaines. Ici, il ne suivait aucun modèle précis, mais la timidité et l'hésitation avec lesquelles il nous présente cette partie de son travail, n'en sont pas moindres. Il

(1) Privilège de Louis XIV accordé à l'opéra en 1672.

(2) Digtkunde, 2e p., 2e ch.

(3) Zedighe Doot, acte 5, scène 3, p. 81.

(4) Ibid.


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exprime l'espoir que les savants ne prendront pas son zèle do mauvaise part « et espère qu'ils voudront bien examiner et corriger ce qu'il a eu la hardiesse d'entreprendre et de publier dans sa langue » (1). Cette partie de l'Art poétique ne contient d'ailleurs rien d'original. De Swaen nous y donne une classification et une caractéristique des différentes passions, comme plus d'un rhéteur classique en avait déjà donné. L'ensemble de cette étude produit sur nous l'impression que De Swaen a voulu y formuler aux aspirants dramaturges des recettes pour faire des caractères. A certains moments, ces préceptes semblent même s'adresser aux interprètes de tel ou tel caractère sur la scène. Parlant de la tristesse, De Swaen écrit : « Les manifestations de la tristesse sont : le mécontentement, les plaintes, la recherche de la solitude, la pusillanimité, la prostration de l'esprit et le dépérissement du corps » (2). Parlant de la crainte il dit : « Ses effets sont les suivants : la décoloration du visage, le tremblement des membres, l'oppression de la respiration, la pression du coeur, l'agitation des sentiments et le trouble du raisonnement » (3). De la honte : « L'homme honteux devient généralement d'abord pâle, ensuite rouge » (4).

La poétique du genre dramatique de De Swaen présente ce seul intérêt, qu'elle nous indique sur quel terrain nous devons nous placer nous-mêmes, pour formuler un jugement critique sur les propres ouvrages dramatiques de cet auteur. En étudiant Maurice, Catherine et la Mort morale de Charles-Quint, nous pouvons

(1) Digtkunde, Verh. van de Kennis van het Menschenhert, 1er chap.

(2) Ibid., 4e chap.

(3) Ibid., 5e chap.

(4) Ibid.


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exiger de De Swaen tout ce que la théorie classique nous permet d'exiger: nous éprouvons ainsi la valeur dramatique de De Swaen, avec la pierre do touche qu'il nous à fournie lui-même. Dans le courant de ce chapitre, nous aurons l'occasion d'indiquer pourquoi nous tenons à insister ici sur ce fait.

Faisons maintenant l'examen critique des trois productions de la muse tragique de De Swaen.

Le sujet de Maurice est emprunté à l'histoire de l'empire byzantin. Tibère Il fut tellement épris de son général Maurice, qui avait combattu victorieusement les Perses, que sur son lit de mort il lui donna sa fille Constantine comme épouse et le désigna comme son successeur. Comme politicien, Maurice ne fut pas ce qu'il avait été comme guerrier. Il provoqua, parmi ses soldats et ses sujets en général un vif mécontentement, qui devait entraîner pour lui les pires conséquences. Dans une guerre contre les Avares, l'armée de Maurice, conduite par Commentioles, fut vaincue et faite prisonnière. Le Khan des Avares proposa de libérer les 12.000 prisonniers qu'il venait de faire à raison de quatre siliques par tête. Maurice refusa l'offre. Là-dessus le Khan fit massacrer les 12.000 soldats. L'exaspération contre Maurice fut extrême. A la première occasion l'armée l'abandonna, elle refusa d'obéir à ses ordres et entra en rébellion ouverte contre lui sous la conduite de Phocas. De même à Constantinople, la haine s'éleva de toutes parts autour de Maurice. Un personnage, représentant l'empereur, fut conduit par la ville, assis sur un âne, et exposé aux railleries de la populace. La faction des bleus, qui prenait encore le parti de Maurice, n'était plus qu'une insignifiante minorité ; les verts au contraire, qui prirent fait et cause pour Phocas, devinrent les maîtres de la ville. Quand Phocas s'approcha de Constan-


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tinople avec les soldats rebelles, Maurice prit la fuite avec sa famille. Il s'embarqua pour l'Asie, mais une violente tempête le rejeta sur la côte, du coté de Nicomédie. Phocas, proclamé empereur eu remplacement do Maurice, déclaré déchu, fit emprisonner ce dernier avec toute sa famille. Il fit en outre décapiter les cinq fils de Maurice en présence de leur père. La nourrice du plus jeune voulut substituer son enfant à son nourrisson, mais Maurice refusa ce sacrifice, sous prétexte que le châtiment que Dieu lui infligeait devait être exécuté complètement. Finalement Maurice fut décapité luimême, le 27 novembre 602 (1).

De Swaen peut avoir puisé ces aventures émouvantes de l'empereur byzantin dans les chroniques de Theophylacte, de Zonaras et d'autres, mais il est plus que probable qu'il les découvrit dans les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, qu'il nomme dans son Art poétique. Baronius fit à cette époque autorité en matière d'histoire ecclésiastique, et plus d'un auteur tragique du XVIIe siècle, nous ne citerons que Corneille, a trouvé chez lui des sujets dramatiques.

L'histoire de Maurice semble avoir été un sujet favori des auteurs dramatiques et du public flamand. De Swaen ne fut pas le seul qui mil, Maurice et Phocas sur le théâtre dans les Flandres. En 1761 on joua à Ooteghem une tragi-comédie intitulée : La mort criminelle de l'empereur Maurice, tué par Phocas, prince de sa cour (2), en 1763 on représenta à Gheluwe : La triste mort de Maurice, empereur romain et la fin misérable de

(1) Le Beau. Hist. du Bas-Empire (Paris, M. D. C. C. LXVIII), t. XII — Baronius. Annales Ecclésiastique, t. II, p. 53-54 Ces auteurs ont puisé dans les chroniques byzantines de Théophylacte, de Zonaras et d'autres.

(2) E. Vander Straeten. Le Théâtre villageois en Flandre, t. II, p. 182.


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Phocas, le rapt de la Sainte-Croix par Chosroès et la glorification de celle-ci par Héraclius (1) et en 1776 on joua douze fois à Asper : La triste fin de l'empereur romain Maurice (2). Quoique ces trois titres soient différents l'un de l'autre, il se pourrait fort bien qu'ils ne désignent qu'une seule et même pièce. Dans tous les cas nous croyons pouvoir admettre qu'il ne s'agit point ici de la pièce de De Swaen. Cela ne serait d'ailleurs possible que pour la pièce d'Asper, dont le titre n'exclut pas cette supposition. La pièce d'Ooteghem, signalée comme tragicomédie, et celle de Gheluwe dont le titre annonce beaucoup plus que ne donne la tragédie de De Swaen, ne furent certes pas l'ouvrage de notre poète dunkerquois.

De Swaen commence sa tragédie au moment où le bruit de la rébellion des soldats et de la proclamation de Phocas comme chef des insurgés, se répand à Constantinople au palais impérial. Les capitaines Philippicus et Photinus s'entretiennent de l'événement. Au milieu de l'inimitié générale qui entourait Maurice après son refus de racheter les soldats prisonniers, ces deux chefs lui sont restés fidèles et sont prêts à le défendre même au prix de leur vie. Ils aviseront avec l'empereur aux moyens de combattre la rébellion (Acte I, scène 1).

Ils le mettent au courant de la gravité de la situation et lui apprennent que ses fidèles, conduits par le vieux général Priscus, ont été massacrés, et que Constantinople est menacé par les rebelles. Maurice donne à Philippicus et, à Photinus les ordres nécessaires pour mettre la ville en état de défense (1,2). Ensuite il prie Dieu d'épargner, quoiqu'il arrive, sa femme et ses enfants (1, 3).

Conon, un émissaire de Phocas, qui avait à Constanti(1)

Constanti(1) Valider Straeten. Le Théâtre villageois en Flandre, t. II, p. 97.

(2) Ibid. p. 26.


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nople fomenté la révolte contre Maurice, vient raconter à ce dernier que Phocas éprouve des remords de l'assassinat de Priscus et que la révolte des soldats s'est apaisée (I, 4).

Maurice n'ajoute aucune foi à ces dires, et continue à discuter avec ses fidèles les moyens d'écarter le danger. Narses engage Maurice à faire quelques concessions à Phocas; on pourrait par exemple le laisser à la tête de l'armée ne fût-ce que jusqu'au retour de Théodosius,un des fils de Maurice qui est en expédition avec une partie de l'armée en Asie. Maurice craint toutefois que Phocas n'accepte pas cette proposition, il sent parfaitement que le révolté vise à la couronne impériale (II, 3). Au surplus, tous les pourparlers deviennent bientôt inutiles, car l'ennemi est aux portes et assiège la ville (II, 7).

Maurice veut que sa femme et ses enfants prennent la fuite. Constantine déclare qu'elle restera auprès de lui pour le seconder dans le danger. Elle se décide seulement à quitter la ville avec sa famille après que Maurice lui a fait la promesse de la suivre (III, 1, 2). L'empereur n'abandonne son poste qu'au tout dernier moment. La ville est prise, le peuple acclame Phocas. Philippicus et Narses, ayant perdu tout espoir, engagent Maurice à fuir à son tour (III, 3). Quand Conon arrive pour s'emparer de l'empereur, celui-ci a disparu (III, 5).

Nous apprenons ensuite comment l'empereur et les siens sont surpris par une tempête qui les jette sur la cote où Conon et la populace les font prisonniers (IV, 1). On nous apprend également qu'entretemps Phocas a été proclamé empereur (IV, 1). Quoique celui-ci ait maintenant obtenu tout ce qu'il ambitionnait, il ne se sent point satisfait. Il lui semble que l'empereur, qui supporte son malheur avec une si noble résignation, a grandi dans sa chute et cela l'exaspère. Il décide la mort


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de Maurice, mais il veut d'abord essayer s'il ne parviendra pas à troubler le calme résigné de l'empereur déchu, en le torturant. Il propose d'abord à Constantine qu'elle engage Maurice à consentir à partager le pouvoir avec l'usurpateur. Constantine refuse de conseiller cette bassesse à son époux (IV, 3). Là-dessus Phocas ordonne de tuer les enfants de Maurice sous les yeux de leur père (IV, 4).

Maurice assiste à l'extermination de sa race sans pousser un cri, sans montrer la moindre faiblesse (V, 1). Phocas ne verra pas se réaliser son désir d'interrompre la superbe résignation de l'empereur; il pourra le charger de chaînes (V, 2), il pourra enchaîner sa femme et les couronner tous deux d'ail en ricanant (V, 3), Maurice ne perdra pas un instant sa royale dignité et continuera à braver le tyran. Au comble de l'irritation Phocas condamne l'empereur et sa femme à mourir dans d'atroces supplices (V, 3).

Maurice est entièrement conçu et construit d'après les régies classiques. Les trois fameuses unités y sont respectées. Remarquons seulement pour ce qui concerne l'unité de temps, que ces vingt-quatre heures renferment une suite bien longue d'événements. Il est peu probable que la prise de Constantinople, la fuite de la famille impériale, la tempête, le meurtre des enfants et d'autres faits encore aient eu lieu dans ce court espace de temps. Nous savons toutefois que De Swaen réclamait pour l'application de l'unité de temps un peu moins de rigueur. La division en actes est également faite d'après les modèles classiques. Le premier acte est bien « l'exposition des Grecs », où la cause première des malheurs de Maurice et l'état de choses au commencement de l'action, nous sont expliqués ; les trois actes suivants contiennent tous les « épisodes », la prise de la ville, la proclamation de Phocas comme empereur, la fuite de Maurice, la tempête


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et le meurtre des enfants ; le cinquième acte nous donne la « catastrophe », la mort de Maurice et de Constantine. En élaborant la scène de l'assassinat des enfants, De Swaen s'est souvenu du précepte d'Horace : « ne pueros coram populo Medea trucidet ». Le choix de Maurice comme héros de la pièce est également conforme aux exigences du théâtre classique. Maurice est « un héros de haute condition et d'illustre lignée », il nous est semblable par ses défauts, et son malheur est la conséquence de ses propres actes. Maurice est certainement la tragédie dans laquelle De Swaen a appliqué les règles classiques avec le plus de soins.

Toutefois la pièce n'y gagne rien en valeur dramatique. L'essence réelle de tout drame, la lutte entre deux forces ou volontés opposées, le conflit de passions ou de désirs, fait absolument défaut ici. La tragédie de De Swaen n'est au fond que la relation poétique de l'exécution du malheureux Maurice.

Examinons le caractère de Maurice. Il a commis une faute grave : il a laissé massacrer ses soldats alors qu'il pouvait les libérer à prix d'argent. C'est là la cause de la fatalité qui s'acharne contre lui.

Le malheur de l'empereur n'a rien d'étonnant. Vous avez maudit avec moi, — et nous la déplorons encore — la cruauté du prince, qui refusa de donner quatre deniers par tête pour ses soldats, lorsque Chagan étouffa cette masse de chrétiens dans leur sang, presque devant les murs de Constantinople (1).

(1) Des Keysers ongeluk en is soo wonder niet.

Gy hebt met my verwenscht, hetgen wy nogh betreuren, Wanneer Chaganus, schier voor Constantinus mueren Die groote menigte van Krist'nen, in hun bloet Versmoorde, omdat den vorst, uyt een te wreet genioet. Ontsey voor vder hooft vier penningen te geven.

(I, I I, p. 102).


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Cet événement important, la source de tous les malheurs de Maurice, nous semble indiqué ici d'une façon trop sommaire ; la personnalité de Maurice gagnerait certainement en relief si nous apprenions ici quel vice l'avait fait agir de la sorte, soit l'avarice, comme le supposaient les chroniqueurs byzantins, soit la vengeance politique contre ses soldats révoltés, comme le supposait Lebeau (1). Il reste établi toutefois que tout ce qui vient frapper Maurice est un châtiment de ce crime.

L'empereur lui-même est d'ailleurs pénétré de sa culpabilité. A la première nouvelle des malheurs qui le menacent, un sentiment d'acquiescement à la punition inévitable qui l'attend s'empare de lui. A peine a-t-il appris que l'armée s'est révoltée contre lui et marche sur Constantinople sous la conduite de Phocas, qu'il prévoit le dénouement le plus tragique. Il sait quel méfait le Seigneur a à lui reprocher, et immédiatement il reconnaît dans les événements sa main vengeresse. Il se soumet avec humilité aux arrêts divins.

Je vous ai offensé et je suis prêt à recevoir de votre main tel châtiment qu'il vous plaira de m'infliger. J'attends votre sentence, et je veux accepter sans murmure la décision de votre grâce. 0 Seigneur miséricordieux ! Hachez, taillez, brûlez, écrasez, anéantissez-moi dans cette vie, à condition de me pardonner pour l'éternité (2).

Cette conscience de sa culpabilité et cette soumission

(1) Lebeau. Hist. du Bas-Empire, t. XII, p. 50.

(2) 'k Heb tegen u misdaen

En ben volveerdigh om van uwe hant t'ontfaen

Soodanige straf als't u behaegt my op te leggen.'

k' Veiwaeht uw vonnis eu wil sonder tegenseggen

Aenveerden het t besluyt van uw genadigh' liant.

O goedertieren heer ! Kapt, Kerft hier, schend en brand.

Verplet, vermorsel my, verniet my in dit leven

Behoudens dat gy 't my voor eeuwigh wilt vergeven.

(I, 4).


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à tous les châtiments possibles, font de Maurice le type du personnage antidramatique. Toute force de résistance est brisée en lui ; ni malheur, ni douleur, ni honte, rien ne saurait le pousser à s'insurger contre le sort qui l'accable. Au contraire, plus il endurera son châtiment avec résignation, plus il s'anéantira complètement dans la volonté divine, plus sûrement il obtiendra le pardon de ses crimes.

Maurice prend bien quelques mesures pour résister à Phocas, l'instrument de la vengeance divine, — il fait mettre la ville en état de défense et examine comment Phocas pourrait être rendu moins dangereux, — mais ces mesures ne proviennent pas du désir que Maurice pourrait avoir de se sauver lui-même, elles sont plutôt produites par la conscience que Maurice avait de ses devoirs de gouvernant ; il ne pouvait pas céder à la révolte. S'il tente une défense contre Phocas, c'est en tout cas avec la conviction intime, qu'elle est inutile et n'arrêtera en rien l'accomplissement de son sort fatal.

Si Maurice avait réellement le désir de la résistance, il inspirerait d'emblée un intérêt dramatique puissant. S'il avait par exemple le ferme espoir de tenir Phocas éloigné de Constandnople, la défaite de ses troupes l'émouvrait profondément ; s'il avait vraiment foi dans le bon résultat des pourparlers de réconciliation, l'irruption subite des révoltés dans la ville, qui vient de ruiner toutes ses espérances, lui briserait de nouveau le coeur, et ces défaites répétées dans une lutte contre des dispositions immuables d'en haut, élèveraient peut-être Maurice au rang d'un personnage émouvant et hautement dramatique. Mais Maurice n'a rien de cet espoir ni de cette foi.

Maurice n'attend même aucun salut de la fuite. Quand il veut à tout prix éloigner sa femme et ses enfants de Constantinople, son intention est bien de rester lui-même


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dans la ville pour y attendre avec résignation le danger menaçant ; seules les supplications de son épouse lui font promettre de la suivre. Si Philippicus et Narses ne l'engageaient pas fortement, après leur défaite, à prendre la fuite (III, 3), il ne suivrait peut-être pas encore sa famille, malgré sa promesse.

La tempête qui jette Maurice et les siens entre les mains du tyran qu'ils fuyaient, prend naturellement dans ces circonstances le caractère d'un avertissement divin. Aussi la résignation de Maurice s'accentue-t-elle encore dès ce moment. Sa soumission à l'inévitable ne connaît plus de limites désormais. Il se laisse porter tous les coups sans esquisser le moindre mouvement de résistance ; il ne laisse entendre ni cri, ni soupir qui pourrait être considéré comme une désapprobation du jugement divin. Il loue au contraire la justice de la vengeance de Dieu.

On le torture, on tue avec une cruauté atroce ses propres enfants ; il ne trouve pas un mot d'horreur ni de révolte.

Dès le commencement on le vit recueilli d'angoisse, immobile comme une statue de marbre ; seul son regard terni par la douleur, se porte tantôt sur la terre, tantôt au ciel. C'est là que son coeur se dévoile, c'est là que l'on peut compter toutes les douleurs qui déchirent les entrailles du père. Enfin il s'écrie, du profond de sa poitrine : « Reçois, ô Dieu du ciel, tout ce sang innocent en expiation de mon crime » (1).

(1) Men sagh liera van 't beginsel ingetoogen

Door schroom, soo roerloosals een beelt van mariner staen.

Alleen syn oogen, door den rouw ontluystert, gaen

Nu aerd, nu hemelwaers: daer kan inen 't herte kennen

Daer telt men al de ween, die d'ingewanden schennen

Des vaders.. .

Ten leste roept hy, uyt het diepste van syn borst,

Met een gebroken stem : Ontfangt. o hemelvorst.

Al dit onscbuldig bloet, lot soen van uwen tooren.

(V, 1, p. 171).


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Phocas nargue Maurice dans son malheur, il l'insulte ainsi que sa femme, il les fait couronner d'ail pour les couvrir d'opprobre, et les expose aux railleries de la soldatesque ; Maurice supporte tout cela avec la plus sublime résignation. Job sur son fumier ne fut pas plus patient que lui. A toutes les injures de Phocas, il répond simplement :

Le Seigneur qui transforme tous les royaumes terrestres dans son infinie et suprême sagesse, qui relève les humbles, abat les superbes et porte dans sa main toutes les puissances de la terre, — le Seigneur voit que honteusement je suis chassé du trône de mes ancêtres et que tu m'y remplaces. Il me convient d'accepter sa volonté comme une loi et de supporter ta tyrannie et ta cruauté pour suivre ses désirs en reculant devant toi. Voilà ma résolution. N'attends pas que, lâche et impatient, je pleure et me plaigne du châtiment qu'il m'envoie par tes actes. Tu es dans la main de Dieu le fléau qui me frappe ; j'honore sa clémence dans ton inhumanité et sa juste volonté dans ton injustice (1).

Quand Phocas, après avoir épuisé les moyens de mettre à l'épreuve le sang-froid et la patience de Maurice, le condamne à mort, celui-ci, soumis comme l'agneau qu'on

(I) Den Heer der Heeren, die all' aerdsche koninkryken Naer syn oneyndige voorsienigheyt erstelt 't Vernederde verheft, 't verheven nedervelt En in syn liant draegt al de mogentheen der aerde, Siet toe, dat ik vol smaet uyt myn voorsatens waerde En rykstoel wiert geschopt, en gy daer in geset. Het voegt my synen wil t'ontfangen als een wet, En al uw dwinglandy en wreetheyt te verdragen, Om, voor u wykende, te volgen syn hehagen. Daer siet gy myn besluyt. Verwacht niet dat ik laf, Of ongeduldigh kreune en klage van de straf, Die hy, door uw bedryf, myn huys wil oversenden. Gy strekt tot geessel aen Godts haut, om my te schenden; Ik eer syn deerenis in uwe onmenschlykheyt, En syn rechtveerd'gen wil in uw onrechtighheyt.

(V. 4. p. 177).


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va immoler, s'offre au sacrifice en proclamant l'équité des sentences divines :

Seigneur, vous êtes juste, et vos jugements le sont aussi (1).

Un détail caractéristique pour l'époque où vivait De Swaen, époque du pouvoir royal par droit divin, ne peut passer inaperçu ici. Maurice abandonne tout, ses biens, ses enfants, sa propre vie, sans murmure, sans résistance, parce que Dieu semble exiger de lui tous les sacrifices; il n'y a que son droit à l'empire qu'il défend avec énergie. L'idée si logique que c'est aussi par la volonté de Dieu que Phocas a été investi du pouvoir impérial qu'il vient de perdre, ne peut lui entrer dans l'esprit. Il refuse absolument, au contraire, de le reconnaître comme son supérieur ou même comme son égal. Bien que l'immense majorité de son peuple l'ait détrôné, Maurice continue à se sentir maître suprême et empereur. Dieu lui-même l'a sacré empereur, et aucune main humaine ne peut lui enlever l'onction divine. Phocas a beau s'appuyer sur la volonté du peuple, Maurice ne reconnaît pas au peuple le droit de révolte contre le maître légitime, même quand celui-ci gouverne mal.

Le peuple et l'empereur sont unis par un contrat réciproque. Le peuple est sujet, l'empereur maître de droit. S'il abuse de sa puissance, l'abus est contraire à la raison, mais le peuple ne peut pas, pour ce motif, fouler l'empereur aux pieds; s'il est tyran, et bon seulement en apparence, le peuple doit néanmoins lui être soumis (2).

(1) Gy syt rechtveerdigh Heer, en oordeelt altyt recht.

(2) Gemeente en keyser syn in onderlingen echt,

't Gemeent is onderdaen, den keyser heer van 't recht, Misbruykt hy syne macht, 't misbruyk is tegen Reden Maer daerom magh 't gemeent den Keyser niet vertreden ; Hy sy een dwîngelant, en goet slechts in den schyn, 't Gemeent moet niettemmin heur onderworpen syn.

(V, 2).


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Les aventures de Maurice présentent une analogie frappante avec celles de Sédécie, roi de Judée, telles que l'auteur français Robert Garnier les a mises à la scène dans ses Juives. Sédécie s'était, malgré la volonté de Dieu, révolté contre Nabuchodonosor. Ce dernier fut l'instrument au moyen duquel Dieu châtia Sédécie, comme Phocas fut l'instrument qui châtia Maurice. Nabuchodonosor détrône le révolté et le punit d'une façon barbare ; il fait décapiter sous ses yeux toute sa lignée, et lui enlève ensuite la vue. Sédécie ne reste pas aussi calme que Maurice devant le massacre de ses enfants.

Le Père.

Voyant choir à ses pieds sa géniture chère. Qui l'appelle en mourant et qui luy tient les bras. Transpercé de douleur, donne du chef à bas, S'outrage de ses fers, se voitre contre terre, Et tasche à se briser le test contre une pierre, Rugîst comme un lyon, ronge ses vêstemens. Adjure terre et ciel, et tous les élémens (I).

Mais, après le meurtre, la résignation lui vient, et au lieu de se plaindre et de maudire son sort, il s'incline devant Dieu et rend-hommage à sa terrible justice. Ses paroles rappellent involontairement celles de Maurice, après le massacre de ses enfants.

Toujours soit-il benist et que par trop d'angoisse Jamais désespéré je ne le déconnoisse (2).

Il est incontestable que Maurice et Sédécie présentent des traits analogues, et si ce n'était que Maurice nous est présenté par l'histoire tout comme par De Swaen

(1) Les Tragédies de Rob. Garnier (Lyon : P. Freliou M. D. XCV), p. 567.

(2) Ibid., p. 571.


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comme le pénitent par excellence (I), nous songerions sérieusement, à une influence des Juives sur Maurice. La ressemblance entre les deux tragédies n'existe qu'accidentellement et parce qu'elle existait entre les deux sujets et entre les personnages principaux.

Garnier et De Swaen, tous deux profondément chrétiens, ont naturellement mis dans un jour tout particulier la chrétienne soumission de leurs héros à la volonté vengeresse du Seigneur. Dans la forme il n'existe pas la moindre ressemblance entre l'ouvrage de Garnier et celui de De Swaen. Nous tenons à établir cette constatation parce que les traits communs qu'offrent les deux sujets et le caractère des héros, feraient supposer facilement qu'il y a eu influence de Garnier sur De Swaen. Cette supposition serait d'autant plus naturelle, que les Juives ont exercé une influence certaine sur d'autres dramaturges néerlandais. Vondel prouve dans sa Jérusalem délivrée qu'il connaissait bien l'oeuvre de Garnier (2), et Willem van Nieuwelandt d'Anvers n'hésitait pas à plagier cette tragédie en 1635.

Quand le personnage principal d'une tragédie paralyse par son manque de caractère l'action dramatique, comme c'est le cas pour Maurice, les autres personnages ne sauraient plus sauver grand chose, même s'ils étaient mieux trempés pour le conflit dramatique.

Constantine nous est présentée comme une mère aimante, mais surtout comme une épouse dévouée. Quand Maurice lui dit de s'enfuir avec les enfants, elle refuse d'obéir s'il ne l'accompagne pas lui-même. Elle

(1) Suivant Lebeau Maurice criait à chaque coup de hache qui tuait ses enfants: « Vous êtes juste Seigneur et votre jugement est juste », p. 88.

(2) Cf. C. Looten. Etudes sur Vondel, p. 44.


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est prête à subir aux côtés de son époux les plus rudes épreuves.

Si vous craignez tant pour moi. je ne crains pas moins pour vous ; pendant, que vous souffrez pour moi, songez à ce que je souffre pour vous : si vous voulez que je fuie, fuyez alors avec moi. J'étais votre compagne dans la prospérité et la joie, je reste votre compagne dans l'adversité et la souffrance. Mon coeur ne craint, à vos côtés, ni malheur, ni détresse, mon coeur ne sera arraché de vous que par la mort (1).

Le sentiment de la dignité est aussi fort chez Constantine que chez Maurice. Quand Phocas veut lui faire proposer à son mari de devenir son adjoint au gouvernement de l'empire, elle refuse énergiquenient. Aucune menace ne peut la décider à faire cette démarche. Son caractère devient ici en tous points semblable à celui de Maurice. Le dédain avec lequel ils repoussent tous deux la proposition de Phocas, démontre avec la plus grande évidence qu'ils ne considèrent pas la vie comme le bien le plus précieux.

Phocas est une nature vile qui se laisse uniquement stimuler par les charmes séducteurs de la puissance et de la grandeur, et qui conduit à son profit, personnel l'insurrection des soldats. Il laisse commettre les crimes les plus atroces — tels que l'assassinat des généraux fidèles à Maurice — sans prononcer une parole de désapprobation. Tout lui est bon pour atteindre le but qu'il poursuit.

(1) Vreest gy soo seer voor my, ik vrees voor u niet minder, Terwyl gy voor my lydt, denkt wat ik voor u ly ; Wilt gy dat ik vertrek, vertrekt dan ook met my. Ik was uw deelgenoot in voorspoet en verblyden, Ik blyve uw deelgenoot in tegenspoet en lyden. Myn hert ontsiet, met u, geen onheyl, geenen noot ; Myn hert wort noyt van u gerukt dan door de doot.

(III, 1).


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Cependant, dès qu'il est entré en possession de la puissance et des richesses tant convoitées, il sent que le bonheur ne se trouve pas là. Il apprend qu'il est une chose supérieure au luxe et à la grandeur, une chose qui lui échappe et que Maurice possède. La grandeur d'âme de sa victime remplit son coeur d'envie. S'il réussissait, par sa proposition de partager le pouvoir, à faire commettre une action vile à Maurice, ou, par ses honteuses railleries et ses tortures, à le faire éclater en sanglots et en imprécations, alors seulement il se sentirait satisfait.

Le pouvoir impérial ni la couronne ne peuvent me charmer aussi longtemps que Maurice reste aussi noble : son malheur le relève ; sa grandeur d'âme efface la honte de sa chute. Ses terribles malheurs augmentent son courage au lieu de l'abattre. Si vous voulez que je me réjouisse de son infortune, faites que rien ne lui reste de son renom d'autrefois, que par crainte et impatience il implore ma clémence en tremblant. Peu m'importe que son corps soit en ma puissance, je veux aussi sa dignité ; aussi longtemps qu'il la garde, tout mon bonheur sera empoisonné ; sa vie ne m'est rien, c'est son honneur qu'il me faut (1).

Les personnages secondaires ne présentent aucun

(1) Geen keyserlyk gesach, geen kroon can my behagen Soo lang Mauritius soo edelmoedigh blyft : Syn ramp verheft hem ; syn groothartigheyt verdryft De schandvlek van syn val. Syn schrickige ongelukken Vermeerdren synen moedt in plaats van t' onderdrucken. Begeert gy, dat ik my verheuge in syn ellend, Maekt dat in hem niet sy van synen naem bekent, Dat hy, uyt lastigheyt en vreese voor syn leven Versoeke myn gena, al schudden ende beven 't Is weynyh dat syn lyf is onder myn gewelt 't Wens, dat syn achtbaerheyt daer nevens sy gestelt : Soo langh by die behoudt, 'k verwensch al mynen segen ; Syn leven quelt my 't minst, syn eere steekt my tegen.

(IV, 2, p. 130).


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caractère typique. Philippicus et Photinus, les fidèles de Maurice, qui se retirent après la mort de leur maître dans un château solitaire, loin des fragiles grandeurs du monde; Conon, l'aide de Phocas, qui simule la sympathie pour Maurice afin de s'emparer plus facilement de sa personne; Rufus et Arcas, les capitaines de Maurice, qui ne viennent en scène que pour nous faire les inévitables et interminables récits que comporte toute tragédie qui se respecte ; tous sont conçus d'une façon tout à fait conventionnelle sans aucun souci de caractéristique personnelle.

Seule la nourrice du plus jeune enfant de Maurice, mérite une mention spéciale, non pas pour la façon dont son caractère est développé, — il est à peine esquissé — mais parce que le choix de ce personnage donne une idée caractéristique des goûts littéraires de De Swaen.

Nous avons vu que d'après Baronius et d'autres, cette nourrice voulut par dévouement à son maître, substituer son propre enfant à son nourrisson condamné à mourir. Maurice refusa cette offre, prétextant que la vengeance divine devait suivre librement son cours. Cette lutte entre la nourrice dévouée et Maurice, nous est présentée par De Swaen. L'empereur repousse l'offre de la nourrice en ces termes :

Laissez toute la charge de deuil et de malheur sur ma seule maison accablée ; ce secours est trop petit pour ma lignée abandonnée (1).

Corneille a également fait usage de cette même situation en ébauchant sa tragédie Héraclius, mais non sans lui avoir fait subir des changements: Corneille suppose que

(1) Laet geheel den last van rouwen

En ongelukken, voor myn druckigh huys alleen ; Die bystant is voor myn verlaten stam te cleen.

(IV, 7, p. 164).


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la nourrice fait réellement tuer son fils au lieu du dernier descendant de son maître. A la mort de Maurice, elle substitue cet enfant au fils de Phocas, Héraclius. Phocas élève donc, sans le savoir, le fils de sa victime, pendant que la nourrice élève le fils de Phocas. C'est ainsi que celle-ci prépare le roman extraordinairement compliqué que Corneille nous présente dans Héraclius.

Il est à remarquer que Corneille remplace cette nourrice, une femme de basse condition, par une gouvernante appartenant à la classe supérieure de la société. Il nous explique pourquoi il a agi ainsi : « Comme j'ai cru que cette action était assez généreuse pour mériter une personne plus illustre, j'ai fait do cette nourrice une gouvernante » (1), « une personne plus illustre et qui soutient mieux la dignité du théâtre » (2). Le préjugé de Corneille contre tout ce qui était de provenance roturière et sa conception ultra aristocratique de la dignité du théâtre, devaient nécessairement l'empêcher de mettre sur la scène une femme du peuple dans un rôle aussi noble que celui do la nourrice. De Swaen n'avait pas les scrupules du maître français. Il se trouvait lui-même trop près du peuple, il avait journellement trop de rapports avec lui pour songer un seul instant qu'une noble action sied mieux à une personne de marque qu'a une personne de condition inférieure. Quoiqu'il partageât la conception classique de la dignité de la tragédie, il ne croyait pas y déroger en mêlant aux gens de la cour une nourrice, issue de la classe populaire, et jouant un rôle qui lui convient du reste à merveille.

Dans son ensemble, Maurice peut être considéré comme une tragédie absolument manquée. La préoccupation

(1) OEuvres de P. Corneille avec notice de J. Lemer (Paris, Delahays, 1857), p. 134, t. II.

(2) Ibid., p. 139. Examen d'Héraclius.


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dominante de De Swaen en écrivant cette tragédie, fut de nous montrer l'exemple édifiant de la soumission inconditionnelle et illimitée de Maurice à la volonté divine. Un tel sujet est antidramatique dans son essence. Le pénitent chrétien résigné qui se laisse porter coup sur coup sans opposer la moindre résistance, peut être un parfait héros épique ou lyrique, mais jamais il ne saurait être un héros dramatique. Ici, la question n'est plus de savoir jusqu'à quel degré De Swaen, en traitant un tel sujet, a prouvé qu'il possède le tempérament d'auteur dramatique ; nous devons nous demander préalablement si, en choisissant un tel sujet, il n'a pas fourni la preuve péremptoire de sa complète incapacité au point de vue dramatique.

La seconde tragédie de De Swaen est intitulée : Triomphe de la foi chrétienne sur l'idolâtrie, dans le martyre et la mort de sainte Catherine, vierge et martyre. Il met en scène dans cette pièce la figure populaire de Catherine d'Alexandrie, mise à mort comme chrétienne par l'empereur Maximin Daia, au IVe siècle. Catherine était de sang royal. Ses biographes racontent qu'elle était d'une érudition rare, et qu'un jour elle discuta d'une manière si brillante contre tout un corps de philosophes païens, que ces derniers furent tous convertis au christianisme. Catherine gagna par la force de son raisonnement, beaucoup d'âmes à la religion chrétienne, parmi lesquelles la femme do l'empereur Maximin, Porphyre, général du même empereur, etc. Sa beauté avait éveillé les désirs du voluptueux Maximin, « qui se faisait un jeu de déshonorer les autres femmes de la ville » (1). Mais comme Catherine avait fait voeu

(1) Abbé de Ram. Vie des pères, martyrs et autres saints (VI, 25 nov.) d'après Eusèbe de Césarée (350).


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de chasteté, elle repoussa avec horreur toutes les propositions du séducteur. Après avoir fait mettre à mort sa propre femme, parce qu'elle s'était convertie au christianisme, Maximin proposa à Catherine de l'épouser et de s'asseoir à coté de lui sur le trône (1). Sur son refus catégorique, il la condamna à être torturée sur quatre roues, mais les cordes et les roues se brisèrent par miracle, et la vierge fut décapitée.

Catherine fut pendant longtemps une des saintes les plus populaires des Pays-Bas. Plus d'une chambre de rhétorique la prit comme patronne. Son mariage mystique avec le Seigneur fut représenté par quantité de peintres. La littérature lui a rendu également de nombreux hommages.

Comment De Swaen a-t-il adapté cette légende de Sainte au théâtre?

Au commencement du premier acte, le prêtre Termogènes, engage la cour de l'empereur Maximin à mettre plus de zèle à vénérer Jupiter. Catherine s'élève avec véhémence contre les paroles du prêtre, elle déclare sans crainte, qu'elle ne reconnaît que le Christ comme Dieu unique, et accable les dieux payons d'outrages et de mépris. Termogènes réclame la mise à mort de la vierge téméraire. Maximin ne satisfait pas à la demande du prêtre, la « passion juvénile et le courage inexpérimenté » de Catherine, le dispose à la clémence envers elle. Il l'engage à abjurer la foi chrétienne; alors toute la cour l'estimerait et la choierait. Catherine refuse, niais Maximin ne désespère pas encore de la voir venir à d'autres sentiments. Il la fera discuter de la valeur des deux religions avec les sages de sa cour, dans l'espoir de lui prouver l'inanité de ses croyances.

(2) Jean Mielot. Vie de sainte Catherine d'Alexandrie, revue par Marius Sepet (1881).


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L'impératrice Placidia est étonnée et inquiète au plus haut point de la patience et de la tolérance de son mari à l'égard de la chrétienne révoltée ; elle a le pressentiment que Maximin aime Catherine, et elle voit dans la conduite de l'empereur un commencement d'infidélité. Elle fait part de ces craintes à sa confidente Emilie.

Le deuxième acte nous montre Catherine discutant au milieu des docteurs. Le feu croisé des opinions ne dure pas longtemps, car la parole de Catherine est si chaude, sa dialectique si serrée que tous les philosophes passent bientôt au christianisme. Maximin exaspéré les condamne tous au bûcher. Mais vis-à-vis de Catherine il reste encore indécis. Une puissance dont il ne se rend compte que fort imparfaitement, l'empêche de la punir comme les lois de son empire l'exigeaient. Il ordonne de la mettre en prison et de la flageller,

Placidia puise dans cette conduite de nouveaux motifs de soupçonner son mari d'aimer Catherine. Quoiqu'elle voie la chrétienne conduite en prison chargée de fers, elle ne parvient pas à étouffer ses craintes.

L'acte suivant nous montre que Placidia avait bien pénétré le coeur de son époux. Maximin aime Catherine. Il charge son capitaine Porphyre d'aller trouver la chrétienne dans sa prison et de la bien disposer à son égard. Placidia qui entend par hasard l'ordre donné à Porphyre, décide d'aller écouter avec sa dame d'honneur la conversation qui s'engagera entre Catherine et le capitaine.

La prisonnière dont le courage venait précisément d'être relevé par le chrétien Justin, écarte toutes les propositions que Porphyre lui fait au nom de son maître. Dans une espèce d'extase elle magnifie l'amour de Dieu en exprimant son mépris de l'amour des hommes. Elle parle d'une façon si entraînante et si persuasive que Porphyre, Placidia et Emilie décident de devenir chré-


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tiens sous l'influence de ses paroles. Quand Maximin vient prendre des nouvelles de l'entretien de Porphyre et de Catherine, les nouveaux chrétiens lui apprennent leur conversion. L'empereur les condamne à mort.

Au quatrième acte Maximin tente de séduire lui-même Catherine, mais il y réussit aussi peu que Porphyre. Dans son dépit il la condamne enfin à être rouée.

Sur ces entrefaites l'impératrice Placidia et Porphyre ont été baptisés secrètement dans leur prison par le prêtre Justin. Cela les a tellement enthousiasmés qu'ils se réjouissent quand on vient leur lire leur arrêt de mort ; c'est avec bonheur qu'ils vont, comme Catherine, verser leur sang pour leur nouvelle foi.

Deux récits (IV, 5 ; V, 3) nous apprennent que Catherine subit la torture sur la roue sans aucune souffrance, et que les exécuteurs de l'ordre impérial sont au contraire terrassés par le feu du ciel.

Au dernier acte, Catherine parait intacte devant Maximin qui maintenant veut la tuer lui-même. Termogènes empêche l'empereur de commettre ce crime de ses propres mains. Catherine sera tuée par un soldat. Termogènes, qui assiste à cette exécution, est tellement ému par le calme et le courage de Catherine et par les apparitions surnaturelles qu'il voit, auprès de son cadavre, qu'il abandonne également la religion païenne et vient supplier Justin de le baptiser.

La Catherine de De Swaen présente des ressemblances frappantes avec plusieurs autres ouvrages dramatiques, surtout avec les Maeghden (Vierges) de Vondel et le Martyre de Sainte Catherine de De la Serre, oeuvre qui fut traduite en Néerlandais par J. H. Glazemaker en 1668 (1).

(1) De heilige Katerina, Martelares. — Treurspel door den heer De la Serre, vertaling van J. H. Glazemaker (Amsterdam, 1668).


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Le sujet du Martyre de De la Serre est absolument le même que celui de l'oeuvre de De Swaen. L'empereur Maximin, frappé par la beauté de Catherine, devient amoureux d'elle. Il est ballotté entre son devoir de chef d'Etat et les inclinations de son coeur. « Dois-je suivre le sentiment de la justice ou celui de l'amour ? » (II, 5, p. 103) se demande-t-il. Il envoie Porphyre auprès de Catherine pour la convaincre qu'elle doit changer de religion et répondre à son amour (III, 1). L'impératrice remarque également que son époux aime Catherine et elle veut aller entretenir de cette passion la chrétienne emprisonnée (III, 2). Catherine convertit l'impératrice. Les tentatives de Porphyre restent vaines; alors il propose à l'empereur de la laisser discuter avec les philosophes. Le débat a lieu entre Catherine et le philosophe Lucius, « désigné par tous ses collègues » (IV, 3, p. 119). Lucius et Porphyre sont convertis. Us meurent ainsi que l'impératrice sur le bûcher dans une espèce d'extase religieuse. Catherine survit intacte aux tortures de la roue, vient encore engager vainement l'empereur à passer au christianisme et meurt ensuite par le glaive ; sa mort est entourée de miracles. L'empereur enfin touché accorde la liberté de religion aux chrétiens.

Notre comparaison entre les deux pièces ne démontre nullement que De Swaen ait subi l'influence de De la Serre. La lutte qui s'engage entre l'amour et le devoir politique dans le coeur de Maximin, est le seul point qui nous ferait songer à une influence de De la Serre ; tous les autres points de ressemblance appartiennent à la légende même qui fut la source commune où puisèrent les deux auteurs. Dans ses détails l'oeuvre de De Swaen s'écarte d'ailleurs beaucoup de celle de De la Serre.

La ressemblance avec les Maeghden de Vondel est plus


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frappante, et ici l'on peut parler avec plus de certitude de l'influence exercée sur De Swaen.

Les rapports entre Maximin et Catherine sont pour ainsi dire calqués sur ceux qui existent chez Vondel entre Ursule et Attila. Ursule avait juré de n'appartenir jamais qu'à son céleste époux et de répudier l'amour du monde. Dès qu'Attila la voit, sa beauté le remplit d'un violent amour. Le prince païen veut épouser la jeune chrétienne. Il charge le prêtre Beremond d'éloigner Ursule du Christ et de la gagner pour lui. Ursule refuse d'acquiescer à ses demandes, défend habilement sa religion, et outrage les dieux païens. Là-dessus Beremond demande à Attila de condamner la chrétienne à mort. Attila se sent toutefois tellement amoureux d'Ursule qu'il ne parvient pas à prononcer son arrêt de mort. C'est seulement sur les vives instances de ses généraux qu'Attila se laisse persuader et qu'il sacrifie presque malgré lui la vierge chrétienne. Ici la ressemblance entre les deux pièces est évidente. Certaines scènes des deux tragédies peuvent être mises comme des pendants les unes à côté des autres. La dialectique de Catherine dans ses débats sur la religion avec Termogènes et les philosophes est la même que celle d'Ursule contre Beremond (Maeghden, II, p. 284). L'hésitation de Maximin, la lutte entre son devoir de chef d'Etat et ses sentiments amoureux, sont les mêmes que chez Attila (Id., IV, p. 305). Attila soupire : " Mon coeur sent l'amour et l'intérêt de l'Etat, lutter l'un contre l'autre » ( Id., II, p. 293). Les plaintes de Maximin sont comme un écho de ces paroles. «Quoique la flamme de l'amour m'embrase, la raison d'état tâche d'anéantir sa violence » (Catherine, III, 1).

Il existe aussi des analogies entre l'oeuvre de De Swaen et le Polyeucle de Corneille. Ce chef-d'oeuvre du tragique français peut-être considéré comme le modèle de toute une


série de drames à tendance religieuse, qui opposent le christianisme triomphant au paganisme battu en brèche. Ces pièces présentent toutes certains motifs analogues qui constituent comme autant de traits de famille. Les ressemblances entre Catherine et Polyeucte sont du même genre. Le motif principal du conflit de deux religions nous frappe tout d'abord ; le dédain et les outrages dont Catherine comble les divinités païennes nous rappellent les traits que Polyeucte et Néarque lancent contre les dieux de pierre et de bois au solennel sacrifice ; (III, 2, récit de Stratonice) l'enthousiasme du néophyte Polyeucte après son baptême (II, 6) fait songer aux transports de Placidia et de Porphyre après le leur; l'exaltation de l'amour de Dieu au-dessus de l'amour des hommes, se trouve aussi éloquemment exprimé dans Polyeucte que dans Catherine; les conversions au christianisme que provoque la mort de Polyeucte ont également dans la pièce de De Swaen, de nombreuses imitations.

La personnalité et l'originalité n'étaient pas appréciées au XVIIe siècle, l'imitation des classiques était, au contraire, comme une espèce de loi obligatoire à laquelle peu d'auteurs se sont soustraits (1). Sied-il maintenant de faire à De Swaen un grief du manque complet d'originalité dans l'action de Catherine ? Il nous semble que les idées des contemporains de De Swaen sur l'originalité littéraire, ne peuvent être invoquées ici comme des excuses, elles peuvent tout au plus sauver la valeur relative de notre auteur. Nos idées littéraires modernes nous font prononcer un jugement plus sévère; pour nous, c'est un défaut réel, que dans toute la pièce de De Swaen il n'y ait pas une seule situation qui dénote une trouvaille personnelle.

Nous devons constater la même absence d'originalité

(1) Kalff. Tooneel en Litteratuur, p. 126.


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dans le développement du caractère des personnages : cette faiblesse ressort déjà des quelques points de ressemblance que nous avons signalés plus haut, mais elle nous frappe surtout chez Catherine, l'héroïne de la pièce.

Dans sa jeunesse, elle avait étudié toutes les sciences profanes, mais n'y avait trouvé aucune satisfaction durable. Plus tard, elle découvrit la vraie sagesse dans la doctrine du Christ. Elle l'avoue aux savants de la cour de Maximin :

On me vit dans vos écoles consacrer ma jeunesse à l'étude de la nature et de la rhétorique, mais, ni la rhétorique ni la nature ne m'ont jamais montré le chemin de la vraie sagesse. C'est pourquoi, ne voulant pas aveugler plus longuement mon âme, je suis allée chercher dans le Christ la science pure et l'humilité ; là, je trouvai de suite ce que j'avais si longtemps cherché et ce qu'aucun homme n'avait pu me montrer (1).

La grâce divine l'a touchée, et a fait luire à ses yeux la vraie lumière.

L'esprit divin vint toucher mon âme d'un rayon pénétrant de son éclatante lumière, c'est ainsi que la vérité fut révélée à mes regards (2).

Dès ce moment, elle appartient uniquement à Dieu ; c'est lui désormais qui sera son unique fierté, son unique

(1) Men sagh my myne jeugt in uwe school besteden Tot kennis van natuer en stellinge der reden, Maer reden en natuer en heeft my niet ontdekt Hetgene tot den wegh der waere wysheyt strekt; Dies heb ik om myn ziel niét vorder te verblinden In Christus reyne leer en needrigheyt gaen viriden. Daer vond ik in het cort hetgen ik langer socht

En't gene geenen mensch my immer wysen mocht (II).

(2) Den goddelyken geest quamm myne ziel aenroeren,

Met een doordringend strael van syn claerblinkend licht Waerdoor die waerheyt wiert ontdekt aen myn gesicht.

(III, 4, p. 53).


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espoir. Son origine royale, les liens de l'amitié, les jouissances du monde n'existent plus pour elle.

Mon nom est Catherine, je suis de race royale, puisque vous m'ordonnez de vous le dire. Mais, ce que j'estime le plus, c'est que le Christ a voulu me prendre comme fiancée, c'est là ma plus haute gloire, ma plus riche couronne, l'unique but de mes désirs et la récompense de mes peines.

L'amitié ni la joie ne peuvent charmer mon âme, j'ai renoncé à tout cela pour mon élu (1).

Ces vers ne sont-ils pas comme la paraphrase de ce que Néarque dit de Dieu :

Il ne faut rien aimer qu'après lui, qu'en lui-même. Négliger pour lui plaire et femme et biens et rang (p. 184).

Au service du Seigneur, Catherine fait preuve d'une inlassable combativité. Elle est une propagatrice enthousiaste dos idées chrétiennes, et dans cet apostolat, elle est aussi intolérante que l'est le révolté mystique Polyeucte. Elle conspue amèrement la religion établie et ses prêtres.

Comment, César, laissez-vous aveugler votre jugement au point de croire en ce menteur, en cet homme perfide? Pensez-vous que Jupiter menace votre couronne parce que Termogènes, cet hypocrite, l'assure? Cette statue muette qui ne peut remuer un doigt, irait déchainer la guerre et

(1) Myn naem is Cataryn, myn stam van coningsbloet, Nadien gy 't my gebiet en ik 't u seggen moet. Maer 't gene bovendien ik hooger acht in weerden, Is, dat my Christus wou 'voor syne bruyt aenveerden. Dit is myn hoogste roem, dit is myn rykste kroon, Myn wenschens eenigh wit en mynen aerbeyts loon.

(I, 1, p. 8). Geen vrientschap, geene lust can myne siel bekooren. Dit al heb ik versaekt voor mynen uytvercooren.

(I, 1, p. 7).


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la peste contre l'empire romain, abîmer les fruits de la terre, empoisonner l'air, infecter les hommes et les animaux ? S'il peut invoquer tous ces maux, comment donc supporte-t-il ce reproche d'une vierge? (1)

Rien ne peut la faire chanceler dans sa foi. Elle répond aux savants de telle façon que ceux-ci s'avouent vaincus et se convertissent à sa religion. La puissance persuasive de ses paroles semble irrésistible puisque Porphyre, Placidia et Emilie se laissent tous les trois convertir. Elle reste faiseuse de prosélytes jusque dans la mort. Après son exécution, Termogènes, l'idolâtre endurci, vient en effet augmenter la série des conversions opérées par son coeur. Les séductions de Maximin n'ont aucune prise sur elle. Depuis que le Christ est devenu son fiancé, l'amour mondain est mort pour elle. Comme la vierge Théodore, l'héroïne de la tragédie connue de Corneille, qu'on livre à la prostitution pour lui faire violer son voeu de chasteté, Catherine sait résister aux séductions les plus pressantes. Les tortures corporelles sont tout aussi impuissantes contre sa foi inébranlable. La menace-t-on de la mort, elle provoque ses persécuteurs :

Venez, percez cette poitrine qui brûle depuis si longtemps du désir de verser le meilleur de son sang pour ma foi (2).

(1) Hoe, César, laet gy dan uw oordeel soo verdoven Dat gy dien logenaer, dien valschaert cont geloven? Denkt gy, dat uwe kroon staet voor Jupyn te redit, Omdat Termogenes, een huychelaer, dat seght ?

Te weten een stom beelt, dat hant nogh duym can roeren, Sal tegen 't roomsche ryk de pest en orloog voeren, Verderven 't aerds gewas, vergiftigen de locht, Besmetten mensch en beest door hunnen ademtocht. Indien dit ailes is gehecht aen syn vermogen Hoe can hy dit verwyt van eene Maegt gedogen ?

(2) Com doorboor

Dees boesem, die soo langh door yver wiert gedreven Om 't beste van myn bloet voor myn geloof te geven.

(I, 1 p. 6).


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C'est avec une espèce d'impatience qu'elle attend le martyre qui doit augmenter ses mérites, aux yeux de son fiancé spirituel. Elle bénit ses fers et implore la flagellation.

0 liens doux et agréables ! Vous mettez mon coeur en flammes au souvenir de mon bien-aimé, lié pour moi comme un voleur. — O bien-aimé ! Voyez votre esclave, liée à son tour par amour pour vous ! Quelle consolation en ce jour, de pouvoir souffrir quelque chose pour vous ! — Soyez les bienvenues, ô cordes d'amour ! Maintenant j'aspire aux rudes fouets, pour offrir à mon Dieu, à mon bien suprême, le meilleur de mon sang (1).

Elle endure les souffrances les plus violentes en véritable héroïne. Elle souffre, comme Néarque dans Polyeucte, « en bravant les tourments, en dédaignant la vie, sans regrets, sans murmure et sans étonnement » (p. 218).

Pendant que les nerfs de boeuf et les fouets, meurtrissaient son corps sous leurs coups redoublés, elle se tenait immobile , son regard enflammé, levé plein d'amour vers le ciel (2).

(1) O soete ! o aengenaeme banden ! Gy doet myn minnend herte branden In d'overdenkîngh van myn lief, Voor my gebonden als een dief,

— O liefste lief! Sie uw slavinne

Hier ook gebonden t' uwer minne !

Hoe troost net my op desen dagh

Dat ik voor u iet lyden magh !...

Syt wellecom, o minnereepen !

Nu wensch il; naer de taeye sweepen,

Om mynen Godt, myn hoogste goet,

Te sohenken 't beste van myn bloet. (II, 6, p. 38).

(2) Twyl in haer jeugdigh lyf de peesen en de sweepen Door 't ongeduldigh slaen 't vleys morselden en kneepen, Stont sy onroerelyk met een ontsteken oogh

Vol liefde en vierigheyt getrocken naer omhoogh.

(III, 1, p. 42).


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Tout ce caractère est peint d'après des modèles connus. Les points de ressemblance avec les Maegdhen de Vondel et le Polyeucte de Corneille, que nous avons signalés, se trouvent surtout dans la composition du caractère de Catherine. Catherine est la « vierge et martyre » conventionnelle, le type connu de l'héroïne chrétienne, de la « kruisheldin » comme Vondel l'appelle; elle n'appartient pas seulement au drame de De Swaen, mais à tout ce groupe de drames à tendance chrétienne dont Polyeucte est le brillant prototype.

Maximin, le païen endurci, foncièrement mauvais, présente également beaucoup d'affinités avec d'autres personnages du même groupe de tragédies. Le gouverneur Valens et sa femme Marcelle dans la Théodore de Corneille, sont des précurseurs de Maximin, sous le rapport de la perversité et du manque de conscience. Attila des Maeghden de Vondel est un autre de ses précurseurs sous le rapport des désirs voluptueux, On charge systématiquement les réprésentants de l'ancienne religion de tous les défauts et péchés imaginables. On les peint sous les plus sombres couleurs afin de pouvoir faire tomber une lumière plus éclatante sur les héroïques figures chrétiennes.

Maximin n'est susceptible d'aucun bon sentiment. La volupté que la beauté de Catherine allume en lui, lui fait répudier sa femme. Il respecte la vie de Catherine aussi longtemps qu'il conserve encore quelque espoir d'assouvir ses viles passions. Cet espoir une fois déçu, il condamne par dépit la vierge au martyre. Rien ne peut lui faire abandonner cette basse vengeance, pas même le miracle par lequel Catherine subit intacte la torture de la roue. Ce miracle avait même fait fléchir le plus âpre adversaire de Catherine, l'idolâtre Termogènes. Maximin seul ne pouvait pas se laisser toucher parce qu'il devait


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rester a priori le mauvais personnage, le payen inexorable.

Les autres personnages, tels que l'impératrice Placidia, Porphyre, Emilie, etc., sont aussi incolores que les personnages du second rang du Mauritius. Tout le drame se joue entre Catherine et Maximin ; nous ne voyons nulle part que leur entourage influe sur l'action dramatique. Ce conflit dramatique ainsi limité rendait pour ainsi dire superflue l'élaboration d'un caractère nettement défini pour Placidia et les autres acteurs du drame. Tous, en dehors de Catherine et de Maximin, semblent uniquement venir en scène pour se laisser convertir au christianisme par les doctrines de la martyre.

Notre jugement d'ensemble sur Catherine ne saurait être plus favorable que celui que nous exprimions sur Mauritius.

Il est vrai que nous n'avons pas affaire ici à un héros absolument passif comme Maurice, qui rendait tout drame impossible, — Catherine est au contraire une enthousiaste avide de combattre — mais la vierge chrétienne a un caractère trop peu humain pour nous émouvoir. Avant le début de la pièce, elle a déjà rompu tous les liens qui la liaient aux choses terrestres. Elle traverse la tragédie comme la porteuse consciente de la parole divine. La lutte intérieure entre la passion et le devoir lui est absolument étrangère, puisque servir Dieu est son unique passion en même temps que son unique devoir. Elle appartient à ce groupe de héros dramatiques, dont Aristote écrivait déjà, que leur vertu trop pure les rendait impropres à la tragédie. Même les malheurs qui frappent Catherine ne nous émeuvent que légèrement, parce que nous savons qu'elle les appelle avec une espèce de bonheur. Elle implore les sanglades du fouet et elle se rend à la roue de torture, comme au triomphe final de


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sa vie sur terre. Elle souffre avec une réelle volupté parce que ses souffrances lui assurent une place d'autant plus belle au ciel.

D'un autre côté, le noyau dramatique de la tragédie — la lutte entre Catherine et Maximin — n'est pas assez important pour tenir notre intérêt en éveil durant cinq actes. Après le troisième acte ou Maximin condamne à mort la vierge chrétienne, le drame est fini à notre avis. Les deux actes suivants ne nous apprennent eu effet que les détails de la mort de Catherine.

La troisième production grave de la muse dramatique de De Swaen est-elle meilleure que les deux précédentes ?

La Mort morale traite l'épisode connu de l'abdication de Charles-Quint. Après la conclusion de la paix des religions à Augsbourg en 1555, Charles-Quint vit s'anéantir son rêve de restauration de l'unité religieuse en Europe. Abattu par le découragement et la maladie, il transmit solennellement dans son palais à Bruxelles la partie la plus importante de ses possessions à son fils Philippe II. Il avait donné ses autres états quelque temps auparavant à son frère Ferdinand. Il consacra le reste de ses jours à des méditations et à des pratiques religieuses dans une humble maison de campagne, à côté du couvent de St-Just.

Au premier acte delà Mort morale le vieil empereur fait part de son intention d'abdiquer à son confident Philibert de Savoie. Il lui demande de préparer Philippe, son successeur, à cet événement (I, 5). Les soeurs de l'empereur, Marie de Hongrie et Eléonore de France, aideront Philibert à accomplir cette mission (I, 3).

Le second acte nous montre à l'oeuvre Philibert et les soeurs de l'empereur. Philippe se met à réfléchir à la lourde tâche qu'il aura à assumer à la mort de son père.


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Il envisage l'avenir d'un oeil pessimiste. Philibert tâche de le ranimer autant que possible (II, 2). Marie de Hongrie entretient Philippe de la situation de l'Angleterre, dont ce dernier était roi depuis son mariage avec Marie, fille d'Henri VIII. Les considérations de Philippe sur l'état de choses en Angleterre sont aussi sombres que ses prévisions sur l'avenir des Pays-Bas. Tout comme Philibert dans la scène précédente. Marie s'efforce ici de ranimer Philippe (II, 3).

Au commencement du troisième acte Philippe sait que son père veut abdiquer en sa faveur. Ici s'engage un débat entre le père qui veut abandonner la couronne, et le fils qui n'ose l'accepter (III, 1). Philippe avoue cependant après une courte lutte intérieure que le poids de la couronne emporte la balance et qu'il est prêt à monter sur le trône (III, 2).

Déjà au premier acte le prince d'Orange et le comte d'Egmont, en apprenant l'affaiblissement physique constant de l'empereur, avaient exprimé les craintes que leur inspirait sa mort, et l'antipathie qu'ils éprouvaient contre Philippe (1,1). Us craignent que leurs libertés et leur pouvoir ne courent un grand danger sous le nouvel empereur. Les relations familières qui existent entre Philippe et Philibert, un étranger, et la tendance évidente du premier à s'éloigner autant que possible des nobles néerlandais, les irritent vivement et augmentent leur défiance. Ils décident de bien veiller sur leurs libertés et sur leurs droits (III, 3). Egmont demande à Eléonore d'insister auprès de son frère afin qu'il reste sur le trône. Eléonore refuse de faire quoi que ce soit dans ce sens (IV, 1). Quand l'empereur apprend lui-même à d'Egmont et au prince d'Orange que sa résolution est irrévocable, ils se soumettent (IV, 3). Egmont s'adresse encore à Marie pour lui demander de bien vouloir rester gouvernante des


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Pays-Bas sous le règne de Philippe. Sa présence serait une garantie pour l'avenir du pays. Mais Marie a pris l'irrévocable décision de suivre l'empereur dans sa retraite

(V, 1).

Les deux dernières scènes représentent le couronnement de Philippe (V, 2, 3).

Nous n'exagérons pas en disant que la Mort morale ne contient pas l'ombre d'une action dramatique. Nous n'y trouvons aucunement « le noeud ni le dénouement », ces conditions essentielles d'une tragédie, d'après De Swaen lui-même (1). Tout en n'exigeant même pas que la tragédie de De Swaen suscite la crainte et la pitié et réponde aux autres exigences d'une tragédie, nous espérions au moins y découvrir quelque qualité dramatique. Cet espoir a été déçu. Les scènes successives n'offrent aucun intérêt dramatique, pas plus que les caractères des différents personnages,

Charles-Quint est vieux et maladif, son énergie est brisée, il est blasé de toutes les jouissances que la gloire et la richesse peuvent procurer, et il n'aspire plus qu'après le repos et la solitude. Sa résolution d'abdiquer est inébranlable. Dans un élan d'ardeur religieuse, il décide de consacrer ses derniers jours uniquement au Seigneur et de se préparer comme le plus humble des mortels à une mort chrétienne. Ce désir de mortification est la seule force active qui reste au vieil empereur, il domine chez lui tout autre sentiment et c'est avec une espèce d'extase qu'il en prévoit l'accomplissement final.

Un poète vraiment dramatique eût opposé à ce désir ardent du monarque fatigué, les multiples considérations qui pouvaient empêcher ou rendre plus difficile la réalisation de ce rêve de repos et de mortification ; il eût fait

(1) Rymkonst, 7e chap.


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chanceler l'empereur malgré lui dans la décision prise, et créé ainsi une figure dramatique émouvante. De Swaen ne nous donne rien de tout cela.

Charles-Quint n'hésitequ'une seule fois, tout au commencement de la pièce (I, 4), et encore cette hésitation est-elle plutôt le tout dernier écho d'une lutte complètement finie. L'empereur sent une dernière fois « que son âme est attachée aussi fortement à la gloire et aux richesses qu'au corps dans lequel elle est née » (V, 148-150). Il hésite une dernière fois à « franchir l'incommensurable distance qui sépare l'empereur du sujet » (V, 155). La vision éclatante de ses états immenses et de sa puissance le charme .une dernière fois (161-171). Mais, d'un seul mouvement, il chasse définitivement toute hésitation.

Souvenirs de ma gloire, de ma splendeur, de ma richesse, de mes états, de mes hauts faits, quittez mes pensées, cachez-vous à mes yeux et laissez libre mon âme : je veux être entièrement séparé de mon empire, je veux arrêter tous mes désirs de grandeurs terrestres, étouffer toute mon ambition et mon avidité des honneurs, abandonner toute joie et toute jouissance temporelle pour être entièrement uni à mon Seigneur et Dieu (1).

Dès ce moment, aucune tentation ne vient plus ébranler la décision de l'empereur. Le divorce de son âme et des attraits du monde est désormais un fait définitivement accompli. L'empereur possède maintenant un calme mer(1)

mer(1) van myn roem, pracht, rykdom, staten, machten, Gesach en heldendaen, vertrekt uyt myn gedachten; Verbergt u voor myn oogh, laet myne ziele vry : Ick wil gescheyden syn van gheel myn heerschappy ; Ick wil gheel myn begeirt naer aerdsche grootheyt stutten. Geheel myn staetsucht en eergierigheyt uytputten, Versaken aile lust en tydelyk genot, One gbeel vereent te syn met mynen Heer en Godt.

(I, 4, p. 177).


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veilleux et une résignation à toute épreuve pour écarter tous les obstacles que le monde voudrait encore opposer à son projet. L'âme de l'empereur est libre (179) et elle n'écoute plus que « l'appel charmant, la douce passion, l'invitation de son Dieu » (304-305).

Tel est l'état d'âme de l'empereur au début de la pièce, tel il reste jusqu'à la fin.

C'est en vain que Philibert lui objecte que son abdication sera considérée par les ennemis de l'empire, comme un signe de faiblesse et sera de nature à amoindrir sa gloire. Orange et Egmont lui montrent en vain combien l'intérêt de l'Église et de l'Etat exigent qu'il reste au pouvoir. Philippe lui-même, son successeur au trône, attire en vain l'attention de l'empereur sur sa jeunesse inexpérimentée, sur les progrès de l'hérésie, sur le démembrement qui menace l'empire, sur le danger que court le nouveau monarque d'être accusé par le peuple d'avoir supplanté son père. C'est en vain que Philippe propose de gouverner en collaboration avec son père. Rien ne peut plus faire hésiter l'empereur, à travers toutes ces instances, il marche droit vers son but.

Il parait que le monde entier s'oppose à mon dessein, mais le inonde entier ne changera en rien l'inclination de mon coeur (1).

La lutte psychologique dont le développement nous eût intéressés, et qui eût fait de l'empereur un personnage vraiment dramatique, fait absolument défaut ici.

Pour nous dédommager quelque peu du manque absolu d'action dramatique, il restait encore un autre moyen, à savoir une lutte abstraite entre les pensées et les désirs

(1) 't Schynt dat sigh tegen my geheel de werelt stelt; Maer gheel de werelt cloet myn herte geen gewelt.

(p. 68).


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opposés. De Swaen eût pu mettre en évidence les penchants et les sentiments contraires de l'empereur, de Philippe, du prince d'Orange et du comte d'Egmont, et les faire agir les uns contre les autres en créant ainsi un conflit de caractères.

De Swaen semble avoir eu cette dernière intention, et il l'a réalisée dans une certaine mesure, mais, ou bien il n'a pas eu une conscience suffisante de la nécessité de ce conflit, ou bien il a été impuissant à le développer.

L'empereur est secondé dans son désir d'abdiquer par ses soeurs Marie et Eléonore. Là où il ne peut réfuter les objections qui se lèvent contre son abdication, ce sont elles qui s'en chargent. Marie est môme tellement pénétrée de ces idées, qu'immédiatement après l'abdication de Charles, elle abdique à son tour comme gouvernante des Pays-Bas. Ces deux figures ont donc aussi peu de signification dramatique que le personnage principal lui-même.

Philibert de Savoie se range aussi du côté de l'empereur dès la fin du premier acte. En apprenant pour la première fois les intentions de son maître il les combat, mais il se soumet bientôt à la volonté inébranlable du prince, et accepte la mission de préparer Philippe à son avènement au trône.

Vis-à-vis de ce groupe qui travaille avec l'empereur pour son abdication se trouvent d'Orange, d'Egmont et surtout Philippe. Mais l'opposition de ce trio manque de vigueur et, d'énergie.

L'opposition d'Egmont et d'Orange a aussi peu d'importance que celle de Philibert au commencement de la pièce. C'est seulement de la bouche de l'empereur même que nous apprenons que les deux nobles néerlandais ont essayé une tentative pour le faire rester sur le trône. Egmont et Orange se disent et se répètent bien l'un à l'autre pourquoi ils désirent garder Charles comme empe-


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reur et ce qui leur inspire de l'antipathie contre Philippe (I, 1 ; III, 3), Egmont insiste bien auprès d'Eléonore pour qu'elle demande à l'empereur de rester au pouvoir (IV, 1), mais de tout cela il ne naît aucun conflit. Dès qu'Egmont et Orange entendent de la bouche de l'empereur même que sa résolution est irrévocable, ils se soumettent humblement et entonnent les louanges du gouvernement et des mérites personnels de l'empereur (IV, 3).

L'antagoniste le plus sérieux de Charles-Quint est Philippe. Il est le seul qui insiste avec une certaine ténacité auprès de son père pour qu'il n'abdique pas. Entre les deux princes s'engage un débat où chacun défend sa manière de voir avec beaucoup de logique (III, 1). Dans cette scène, les deux princes donnent un moment l'illusion de se trouver face à face comme des caractères tout d'une pièce, comme des personnages vraiment Cornéliens. A la fin de cet entretien, Philippe n'a pas encore consenti à succéder à son père, et l'empereur espère que Philibert saura mieux que lui-même convaincre son fils. C'est là le seul endroit de la pièce où la suite de l'action nous inspire un réel intérêt de curiosité. Mais comme cet intérêt est de courte durée ! Nous apprenons déjà à la scène suivante, que la gloire et la puissance que promet la possession de la couronne impériale ont eu raison des résistances de Philippe. Ce changement brusque nous donne quelque peu l'idée que l'opposition de Philippe dans le débat précédent n'était qu'une opposition apparente, de pure courtoisie.

J'en conviens, quand je vois la couronne de si près je juge autrement du pouvoir suprême, et son charme vient toucher mon coeur à tel point que je ne conçois pas quelle gloire il peut y avoir à y renoncer. L'éclat du plus haut des trônes du monde me réjouit, mon ambition se sent caressée par une si belle couronne, et mon âme de héros


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rassemble toutes ses forces pour aspirer à l'immortalité de mon nom ; le caractère de grandeur que donne la majesté royale me remplit l'esprit. Le sentiment du devoir a beau résister en moi à la décision de l'empereur, mon coeur est sans cesse charmé par l'idée d'être élevé au trône, et mon envie, encouragée par mon droit de naissance, s'approprie toutes les possessions de l'Espagne. Alors qu'il me semble que le caprice de mon père est contraire à la raison, j'embrasse avec joie les grandeurs qu'il abandonne et j'oublie son humiliation quand je vois cette couronne destinée à ma tète. Vous voyez ainsi comment mon coeur et mon âme luttent l'un contre l'autre, celui-là est plein d'ambition, celle-ci est remplie de pitié, et malgré la violence du sentiment de mon devoir filial, le poids de la couronne l'emporte en moi (1).

Ce changement brusque n'est pas suffisamment motivé par la force d'attraction de la couronne. Philippe nous a été présenté dans les deux premiers actes comme redou(1)

redou(1) Beken, als ik de kroon van soo naby aensie Ik oordeel andersins van. d'opperheerschappie, En haer bekoorlykheyt, comt soo myn hert aentreffen Dat haer versaking my geen roem can doen beseffen.

k Verheugb my in den glans van 's werelts hoogst