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Titre : Bulletin mensuel de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier

Auteur : Académie des sciences et lettres de Montpellier. Auteur du texte

Éditeur : [Académie des sciences et lettres] (Montpellier)

Date d'édition : 1932

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32729500t

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32729500t/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 6186

Description : 1932

Description : 1932 (N62).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Languedoc-Roussillon

Description : Collection numérique : Collections de Montpellier Méditerranée Métropole

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k55064525

Source : Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 2008-268563

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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BULLETIN

de

L'ACADEMIE des SCIENCES et LETTRES de MONTPELLIER

N° 63

Annêe 1932

Bureaux de l'Académie pour l'année 1955.

Bureau Général

MM.

Président OUY-VERNAZOBRES (Ch.).

Vice-Président .... DAINVILLE (M. DE).

Secrétaire général . MERCIER (G.). Secrétaire général

adjoint CARRIEU (M.).

Trésorier GUIBAL (J.).

Bibliothécaire ..... BEL (H.).

Section des Sciences

Président........ CABANNES (J.).

Vice-Président HOLLANDE.

Secrétaire GRANEL DE SOLIGNAC (F.).

Section des Lettres

Président VALÉRY (J.).

Vice-Président .... . LAFONT (A.).

Secrétaire ........ BEL (H.).

Secrétaire adjoint . AMADE (J.).

Président

Vice-Président Secrétaire ...

Section de Médecine

BOUDET (G.).

CARRIEU (M.). GIRAUD (M.).


— 2 —

Liste des Membres de l'Académie au 1- Janvier 1933( 1)

Section des Sciences

Date d'admission

MM.

1905 AMANS (Paul), 45, avenue de Lodève. 1907 ASTRUC, 17, boulevard Berthelot.

1928 BATAILLON, 3, rue Richer-de-Belle val.

1919 BEAULARD DE LENAIZAN, 18, rue Flaugergues.

1920 BLAYAC (F.), 2, rue Foch.

1929 CABANNES (J.), enclos Laffoux. 1886 DAUTHEVILLE, 27, cours Gambetta. 1916 FAUCON, 17, boulevard de l'Esplanade. 1902 FONZES-DIACON, 23, cours Gambetta.

1931 GIRARD, 8, rue Jacques-Draparnaud. 1924 GODECHOT, 4, rue d Alger.

1892 GRANEL (M.), 14, rue du Collège.

1932 GRANEL DE SOLIGNAC, 1, rue Saint-Firmin. 1911 GRYNFELTT, 8, place Saint-Côme.

1930 HOLLANDE, 12, avenue de l'Agriculture. 1922 HUMBERT, 82, rue Lunaret.

1928 KUHNHOLTZ-LORDAT, 5, rue Saint-Vincent-de-Paul

1891 MASSOL, 20, boulevard des Arceaux.

1922 MORTILLET (DE), 3, rue Achille-Bégé.

1907 MOYE, 12, faubourg Boutonnet.

1920 PASTRE, 6, rue Général-René.

1918 PECH, 10, rue Emile-Zola.

1931 PERRIER, 8, rue Bizeray.

1914 BOCHE, 6, rue Jean-Jacques-Bousseau. 1930 GICARD, 29, rue Aiguillerie. 1914 TARBOURIECH, 8, rue de Verdun. 1927 TURCHINI, 4, rue Barralerie, 1916 VENTRE, 73 bis, avenue de Lodève.

N.

N.

(1) Les personnes qui relèveraient quelque erreur dans la liste qui suit sont priés d'en aviser le Secrétaire général.


— 3—

Section des Lettres

Date d'admission

MM.

1930 AMADE, 4, rue Bizeray.

1932 ARNAL, 11, rue d'Alger.

1925 BEL, 11 bis, rue André-Michel.

1912 COSTE, 17, rue du Palais.

1912 COULET, Rectorat.

1901 DEZEUZE, 27, rue Aiguillerie.

1919 ESPINASSOUX (D'), 11, faubourg Saint-Jaumes.

1922 FLICHE. 31, rue Saint-Guilhem.

1900 DAINVILLE (DE), 36, rue Proudhon.

1900 GAUFFRE, 82, avenue Georges-Clemenceau.

1924 GERVAIS, 28, rue Paul-Brousse.

1918 GRANIER (C.), 10, rue de l'Université.

1924 GRANIER, chanoine, 2, rue Rondelet.

1922 GRASSET (J.), 22, boulevard Jeu-de-Paume.

1893 GRASSET (P.), 6, rue Jean-Jacques-Rousseau.

1932 GUENOUN, 27, rue Lakanal.

1918 GUIBAL (L.), 6, rue Fournarié.

1900 GUIBAL (J.); 6, rue Fournarié.

1911 HALLE (Mgr.).

1930 LAFONT, enclos Laffoux, villa Hélène.

1927 MARTIN (Général), 12, cours Gambetta.

1907 MERCIER-CASTELNAU, 19, rue Durand.

1908 MILHAUD, 5, rue André-Michel.

1915 MORIN, 8, rue Salle-l'Evèque.

1916 REYNÈS (Mlle), 9, rue Vieille-Intendance. 1914 ROCHE-AGUSSOL, 2, plan du Palais.

1932 ROMIEU, 7, rue Henri-Guinier. 1922 THOMAS, 12, rue Delmas 1899 VALÉRY, 1, rue Fournarié. 1908 VIANEY, 64, cours Gambetta,


_ 4 —

Section de Médecine

Date d'admission

MM. '

1903 BERTIN-SANS, 3, rue de la Merci.

1922 BLOUQUIER DE CLARET, 4, place Aristide-Briand.

1919 BOUDET, 22, rue de l'Aiguillerie.

1926 CARRÈRE, 9, boulevard de l'Observatoire.

1919 CARRIEU, 5 bis, rue de la Merci.

1929 COLL DE CARRERA, 24, rue du Grand-Saint-Jean.

1912 CAIZERGUES, 11. rue Trésoriers-de-France.

1932 CONTE, 29, rue Foch.

1912 DELMAS, 1, rue Germain.

1912 DESMONTS, 55, Grand'Rue.

1891 ESTOR, 6, plan du Palais.

1919 ETIENNE, 14, rue Marceau.

1920 EUZIÈRE, 12, rue Marceau.

1925 GIRAUD (G.), 9, boulevard de l'Observatoire.

1924 GIRAUD (M.), 33, rue de l'Aiguillerie. 1919 GUEIT, 7, rue du Collège.

1925 GUIBERT, 16, rue Cardinal-de-Cabrières. 1906 HORTOLÈS, 15, rue Trésoriers-de-la-Bourse. 1908 LEENHARDT, 16, rue Marceau.

1919 LISBONNE, 14, avenue du Stand.

1919 MAGNOL, 1, rue Philippy.

1919 MARGAROT, 8, rue Maguelone.

1919 OUY-VERNAZOBRES, 4, rue Jacques-Draparnaud.

1922 PILLEBOUE, 11, rue de la République.

1919 RICHE, 13, rue Baudin.

1919 RIMBAUD, 2, rue Levat.

1926 ROUFFIANDIS, 5, cours Gambetta. 1887 TÉDENAT, enclos Tissé-Sarrus. 1905 VILLARD, 7, rue Maguelone. 1900 VIRES, 18, rue Jacques-Coeur.


— 5 —

Membres Honoraires

SECTION

1919 JADIN (Fernand), Doyen de la Faculté de

Pharmacie, Strasbourg Médecine

1921 BONNET (Emile), 11, Faubourg Saint-Jaumes,

Montpellier . Lettres

Membres Correspondants

1899 GIDE (Charles), Professeur à la Faculté de

Droit, Paris Lettres

» GRIFFITI, Professeur de Chimie, Londres...... Sciences

» GORDON (Anton, de) y de Acosta, Médecin, Cuba Médecine

1900 DELEZENNE, Agrégé de la Faculté de Médecine,

Institut Pasteur, Paris Médecine

1902 CALORE, Inspecteur des Monuments historiques,

Montpellier Lettres

1904 IMBERT (Léon), Agrégé à la Faculté de Médecine,

Médecine, Médecine

» GUIMARAES, Cap. du Génie, Elva (Portugal) Sciences

1905 MOITESSIER, Agrégé de Médecine et de Pharmacie,

Pharmacie, Sciences

1910 CHAUDIER, Doyen de la Faculté des Sciences,

Besançon Sciences

» GUÉRIN-VALMALLE, Professeur à la Faculté de

Médecine, Marseille Médecine

1911 POUJOL, Professeur à la Faculté de Médecine,

Alger Médecine

1912 RODET (A.), Professeur à la Faculté de Médecine,

Médecine, Médecine

1915 GESCHÉ, Professeur à l'Université, Gand .... Lettres

1919 BURNAND, Archiviste-Paléographe, Paris .... Lettres )) GERMAIN-MARTIN, Correspondant de l'Institut,

Paris Lettres

» MORGAN (Capitaine), Professeur d'architecture, Etats-Unis Lettres

1920 BASSÈRES, Médecin principal, Perpignan Médecine

)) VALLOIS (Henri), Professeur à la Faculté de

Médecine, Toulouse Médecine


_ 6 —

1921 FALGAIROLLES (Prosper), Archiviste, Vauvert

(Gard) Lettres

1922 VITOU, Médecin Inspecteur, Nancy Médecine

1924 ALLIES (A.-P.), Homme de Lettres, Pézenas .. Lettres

1926 NONY, Surintendant général en retraite, Montferrand

Montferrand Lettres

» DELFINO (Victor), Professeur à la Faculté de

Médecine, Buenos-Ayres Médecine

» VISBECQ, Médecin inspecteur, Marseille Médecine

1927 ALCADE (Dr Fernandez DE), Membre de l'Académie

l'Académie Madrid Médecine

1929 FERRANNINI (Andréa), Professeur à la Faculté

de Médecine, Naples Médecine


7 —

ECHANGES — FRANCE

Aix (B.-du-R.). — Académie des sciences, agriculture, farts et belles-lettres

d'Aix. Musée Arbaud, 2a,. rue du Quatre-Septembre. Aix (B.-du-R.). — Société d'études provençales. Aix (B.-du-R.). — Université d'Aix-en-Provence. Albi (Tarn). — Société des Sciences, arts et belles-lettres du Tarn, Alès (Gard). —■ Société scientifique et littéraire d'alès. Amiens (Somme). — Société des Antiquaires de Picardie. Amiens (Somme). — Société linnéenne du Nord de la France. Amiens (Somme). — Société médical© d'Amiens.

Angers (Maine-et-Loire). — Académie des sciences et belles-lettres d'Angers. Annecy (Savoie). — Académie Florimontane.

Arras (Pas-de-Calais). — Académie des sciences, lettres et arts dArras. Auxerre (Yonne). — Société des sciences historiques et naturelles de d'Yonne. Avignon (Vaucluse). — Académie de Vaucluse.

Bar-le-Duc (Meuse). — Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc. Besançon (Doubs). — Société d'émulation du département du Doubs. Béziers (Hérault). — Société archéologique. Bône (Algérie). — Académie d'Hippone.

Bordeaux (Gironde). — Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux. Bordeaux (Gironde). — Bibliothèque de l'Université, 20, cours Pasteur. Bordeaux (Gironde). —: Société linnéenne de Bordeaux. Bordeaux (Gironde). — Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux. Bordeaux (Gironde). — Société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux. Brest (Finistère). — Société académique de Brest.

Caen (Calvados).— Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen. Caen (Calvados). — Société linnéenne de Normandie. Carcassonne (Aude). — Société des arts et des sciences de Carcassonne. Châlons-sur-Marne (Marne). — Société d'agriculture, commerce, sciences et

arts du département de la Marne. Chambéry (Savoie). — Académie des sciences, lettres et arts de Savoie. Chambêry (Savoie). — Société médicale de Chambéry. Cherbourg (Manche). — Société académique de Cherbourg. Cherbourg (Manche). — Société des sciences naturelles et mathématiques de

Cherbourg, Colmar (Haut-Rhin). — Société d'histoire naturelle de Colmar. Constantine (Algérie). — Société archéologique de Constantine. Digne (Basses-Alpes). — Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes. Dijon (Côte d'Or). — Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. Dijon (Côte-d'Or). — Commission des antiquités du département de la Côted'Or.

Côted'Or. (Nord). — Société centrale d'agriculture, sciences et arts du département

du Nord. Epinal (Vosges). — Société d'émulation du département des Vosges. Evreux (Eure). — Société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-totires de

l'Eure.


_ 8 _

Gannat (Allier). — Société des sciences médicales de Gannat.

Gap (Hautes-Alpes). — Société d'études des Hautes-Alpes.

Grenoble (Isère). — Académie Delphinale.

Grenoble (Isère). — Société de statistique des sciences naturelles et des arts

industriels du département de l'Isère. Guéret (Creuse). — Société des sciences naturelles et archéologiques de la

Creuse. Laon (Aisne). — Société académique de Laon. La Rochelle (Charente-Intériéure). — Académie des belles-lettres, sciences et

arts de la Rochelle. Le Havre (Seine-Inférieure). — Société havraise d'études diverses. Le Puy (Haute-Loire). — Société d'agriculture, sciences, arts et commerce

du Puy. Lille (Nord). — Société centrais de médecine du département du Nord. Lille (Nord). — Société des sciences, de l'agriculture et des arts de Lille. Limoges (Haute-Vienne). — Société archéologique et historique du Limousin. Lyon (Rhône). — Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon. Lyon (Rhône). — Société d'agriculture, histoire naturelle et arts utiles de Lyon. Lyon (Rhône). — Société littéraire, historique et archéologique de Lyon. Lyon (Rhône). — Société de médecine de Lyon. Lyon (Rhône). — Université de Lyon. Mâcon (Saône-et-Loire). — Académie de Mâcon.

Marseille (B.-du-R.). — Académie des sciences, lettres et beaux-arts de Marseille. Marseille (B.-du-R.). — Comité médical des Bouches-du-Rhône. Marseille (B.-du-R.). — Société de médecine de Marseille. Mets (Moselle). — Société d'histoire naturelle de Metz. Montauban (Tarn-et-Garonne). — Académie des sciences, belles-lettres et arts

de Tarn-et-Garonne.

Montpellier (Hérault). — Archives du département de l'Hérault. Montpellier (Hérault). — Archives de la vile de Montpellier. Montpellier (Hérault). — Bibliothèque de la ville de Montpellier. Montpellier (Hérault). — Bibliothèque Universitaire. Palais de l'Université. Montpellier (Hérault). — Ecole nationale d'agriculture de Montpellier. Montpellier (Hérault). — Société archéologique de Montpellier, Montpellier (Hérault). — Société pour l'étude des langues romanes. Mulhouse (Haut-Rhin). — Société industrielle de Mulhouse. Nancy (Meurthe-et-Moselle). — Académie de Stanislas. Nancy (Meurthe-et-Moselle). — Société de Médecine de Nancy. Nantes (Loire-Inférieure). — Société des Sciences naturelles de l'ouest de la France.

Narbonne (Aude). — Commission archéologique de Narbonne. Nice (Alpes-Maritimes). — Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes.

Nîmes (Gard). — Académie du Gard.

Nîmes (Gard). — Comité de l'art chrétien. (Diocèse de Nimes),

Nimes (Gard). — Société d'étude des sciences naturelles de Nimes.

Orléans (Loiret). — Société d'agriculture, sciences, belles-lettres et arts d'Orléans.


— 9 —

Orléans (Loiret). — Société archéologique de l'Orléanais.

Paris (Seine). — Académie des inscriptions et belles-lettres, 23, quai Conti (6e).

Paris (Seine). — Académie de médecine, 16, rue Bonaparte (6e).

Paris (Seine). — Ecole polytechnique, 21, rue Descartes (5e).

Paris (Seine). — Ministère de l'Instruction publique, 110, rue de Grenelle (7e).

Paris (Seine). — Musée Guimet. Place d'Iéna (16e).

Paris (Seine). — Société dès études historiques, Institut historique, 82, rue Bonaparte (6e).

Paris (Seine). — Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France. Bibliothèque Nationale, 58, rue Richelieu (1er).

Paris (Seine). — Société d'histoire du Canada, 52, rue Richelieu (1er).

Paris (Seine). — Société nationale des antiquaires de France. Palais du Louvre (1er).

Paris (Seine). — Société philomatique de Paris, Sorbonne, 1, rue VictorCousin (1er).

Paris (Seine). — Société zoologique de France, 28, rue Serpente (6e).

Pau (Basses-Pyrénées). — Société des sciences, lettres et arts de Pau.

Poitiers (Vienne), — Société des antiquaires de l'Ouest.

Rennes (Ille-et-Vilaine), — Société scientifique et médicale de l'Ouest.

Rodez (Aveyron). — Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron.

Rouen (Seine-Inférieure). — Société de médecine de Rouen.

Saint-Etienne (Loire). — Société d'agriculture, industrie, sciences, arts et belleslettres du département de la Loire.

Saintes (Charente-Inférieure). — Commission des arts et monuments historiques de Charente-Inférieure et Société Archéologique de Saintes.

Saintes (Charente-Inférieure). — Société des archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis.

Sèvres (Seine-et-Oise). — Bureau international des Poids et Mesures. Pavillon de Breteuil.

Strasbourg (Bas-Rhin). —Société de médecine de Strasbourg.

Tananarive (Madagascar). — Académie malgache.

Toulon (Var). — Académie du Var.

Toulouse (Haute-Garonne). — Académie des sciences, inscriptions et belleslettres de Toulouse, Hôtel d'Assézat.

Toulouse (Haute-Garonne). — Bibliothèque de l'Université de Toulouse. Faculté des Sciences.

Toulouse (Haute-Garonne). — Société de médecine, chirurgie et pharmacie de Toulouse. Faculté de médecine.

Troyes (Aube). — Société académique d'agriculture, des sciences, arts et beîleslettres du département de l'Aube.

Valence (Drôme). — Société d'archéologie et de Statistique de la Drôme, 44, rue Madier-Montjau.

Versailles (Seine-et-Oise). — Société des sciences morales, des lettres et des arts de Seine-et-Oise.

Vitry-le-François (Marne). — Société des sciences et arts de Vitry-le-François.


10

ECHANGES — ETRANGER

Aberystwyth (Grande-Bretagne). — University Collège of Wales.

Abo (Finlande). — Bibliothèque de l'Académie d'Abo.

Amsterdam (Hollande). — Koninklijke Zoologisch Genootschap « Natura Artis

Magistra ». Anvers (Belgique). — Académie d'archéologie de Belgique. Athènes (Grèce). — Observatoire national d'Athènes. Athènes (Grèce). — Société philologique: le Parnasse. Bâle (Suisse). — Hiistoriche und antiquàrische Gesellschaft zu Basel. Universitatsbibliothek.

Universitatsbibliothek. (Suisse). — Naturforschende Gesellschaft in Basel. Universitats bibliothek. Batavia (Indes néerlandaises). — Koninklijk magnestisch en meteorologisch

Observatorium te Batavia. Berne (Suisse). — Société helvétique des sciences naturelles. Bibliothèque de la

vile, Bologne (Italie). — R. Academia delle scienze dell' Istituto di Bologna. Bonn (Allemagne). — Naturhistorische Verein der preussischen Rheinlande

und Westfalens in Bonn, Maarflach, 4. Boston (Mass.) [Etats-Unis d'Amérique]. — American Academy of arts and

sciences, 28, Newbury Street. Boston (Mass.) [Etats-Unis d'Amérique], — Boston Society of natural history,

234, Berkeley St. Brno (Brünn Tchécoslovaquie). — Université Masaryk de Brno. Bruxelles (Belgique). — Académie royale de médecine de Belgique. Bruxelles (Belgique). — Académie royale des sciences, des lettres et des beauxarts de Belgique. Bruxelles (Belgique). — Musée royal d'histoire naturelle de Belgique, 31, rue

Vautier. Bucarest (Roumanie). — Academia Romana. Bucarest (Roumanie). — Institutul meteorological României. Buenos-Ayres (République Argentine). — La Médicinal Argentina. — Junin 262

U. T. 1036 Cujo. Buenos-Ayres (République Argentine). — Sociedad Cientifica Argentina, Cevallos

Cevallos Buenos-Ayres (République Argentine). — Universidad de Buenos-Ayres. Cambridge (Mass.) [Etats-Unis d'Amérique], — Harward College. Cincinnati, O. (Etats-Unis d'Amérique). — American Association for the advancement

advancement science. Cincinnati, O. (Etats-Unis. d'Amérique). — Association of American Geographers.

Geographers. University of Cincinnati Library. Copenhague (Danemark). — Det Kongelige danske Videnskabernes Selskab,

Dantesplads, 35. Copenhague (Danemark). — Det Kongelige nordiske Oldskrift-Selskab, Société

royale des antiquaires du Nord. Copenhague (Danemark). — Dansk Naturhistorisk Forening i Kjobenhavn.


—11 —

Cordoba (République Argentine). — Academia nacional de ciencias en Cordoba. Dublin (Irlande). — Royal Dublin Society. Dublin (Irlande). — Royal Irish academy, 19, Dawson street. Edimbourg (Ecosse). — Royal observatory. Edinburgh. Edimbourg (Ecosse). — Royal Society of Edinburgh, 22-24 George-Street. Edimbourg (Ecosse). — Royal Society of Edinburgh, 22-24 George-Street. Florence (Italie). — Reale Istituto di studi superiori pratici e di perfezionamente Frankfurt-am-Mein (Allemagne). — Senckenbergische naturforschende Gesellschaft, Victoria Allée 9. Genève (Suisse). — Société d'histoire et d'archéologie de Genève, 12, rue Calvin. Genève (Suisse). — Société de physique et d'histoire naturelle de Genève.

Muséum d'histoire naturelle. Giessen (Allemagne). — Oberhessische Gesellschaft fur Natur — und Heilkunde

Heilkunde Giessen. Greenwich (Grande Bretagne). - Royal observatory, Greenwich, London

S. E. 10. Halifax (Canada). — Nova Scotian Institute of science. Harlem (Hollande). — Fondation Teyler (Teylers Stichting). Harlem (Hollande). — Hollandsche maatschappij der wetenschappen. Heidelberg (Allemagne). — Naturhistorisch-medizinischer Verein zu Heidelberg,

Universitats bibliothek. Helsinki (Finlande). — Societas Zoolog-Botanica Fennica Vanamo, Societas pro

fauna et flora fennica, Ritari Str. 6. Iowa City (Etats-Unis d'Amérique). — University of Iowa. Koenigsberg (Allemagne). — Staats-u. Universitats-Bibliothek zu Konigsberg

Konigsberg Pr. Kyoto (Japon). — Kyoto-Teikoku Daigaku (Kyoto Impérial University). La Havane (Ile de Cuba). — Academia de Ciencias medicas, fisicas y naturales

de la Habana. La Plata (République Argentine). — Universidad Nacional de la Plata. Faculdad

de Ciencias fisicomatematicas. Lawrence (Etats-Unis d'Amérique). — University of Kansas. Le Caire (Egypte). — Institut d'Egypte, rue El Cheikh Rihan. Le Cap (Cap de Bonne Espérance). — Royal Observatory. Gap of Good Hope. Leipzig (Allemagne). — Kgl. Sachsische Gesellschaft der Wissenschaften zu

Leipzig. Leningrad (Russie). — Académie des sciences de l'U. R. S. S. Liège (Belgique). — Société géologique de Belgique, Institut de Géologie de

l'Université, 7, place du Vingt-Août. Liège (Belgique). — Société royale des sciences de liège. Lincoln (Etats-Unis d'Amérique). — University of Nebraska. Lisbonne (Portugal). — Academia real das sciencias de Lisboa. Liverpool (Grande Bretagne). — Liverpool biological Society, University Collège. Londres (Grande Bretagne). — Linnean sociéty of London, Burlington House,

Piccadilly. W. 1. Londres (Grande Bretagne). — Royal astronomical society of London. Burlington House, London W. 1. Londres (Grande Bretagne). — Royal institution of Great Britain. Londres (Grande Bretagne). — Royal microscopical sociéty, 20, Hanover square,

London W. 1.


— 12 —

Londres (Grande Bretagne). — Royal Society of London, Burlington House London W. 1.

Lucques (Italie). — Reale Accademia lucchese di science, lettere ed arti.

Lund (Suède). — Lunds Universitet.

Luxembourg-Clausen (Luxembourg). — Institut royal grand ducal de Luxembourg, chemin de Weimershof, 4.

Madison (Etats-Unis d'Amérique). — Wisconsin Academy of sciences, arts and letters.

Madrid (Espagne). — Real Academia de ciencias philosophical society of Manchester, 36, Georges Street.

Melbourne (Australie). — Government of Victoria.

Mexico (Mexique). — Academia mexicana de ciencias exactas, fisicas et naturales.

Mexico (Mexique). — Instituto geologico de Mexico.

Mexico (Mexique). — Biblioteca de Ciencias Sociales, 3a Tacuba 11.

Mexico (Mexique). — Sociedad cientifica « Antonio Alzate ».

Milan (Italie). — Reale Istituto lombardo di scienze, lettere ed arti.

Modena (Italie). — Regia Accademia di scienze, lettere ed arti in Modena.

Moncalieri (Italie). — Osservatorio centrale del R. Collegio Carlo Alberto in Moncialieri.

Montevideo (Uruguay). — Museo de Historia Natural, Casilla 399. Montréal (Canada). — Geological Survey of Canada.

Moscou (Russie). — Société de l'Union Soviétique des Naturalistes de Moscou.

Naples (Italie). — Reale Accademia di archeologia, lettere e belle arti,

Naples (Italie). — Reale Accademia délie scienze fisiche e matematiche.

Neuchâtel (Suisse). — Société neuchâteloise des sciences naturelles, Bibliothèque de la Ville.

New-Haven (Etats-Unis d'Amérique). — Connecticut Academy of arts and sciences.

New-York (Etats-Unis d'Amérique). — American mathematical Society 501, West 116 th Street.

New-York (Etats-Unis d'Amérique). — American Muséum of natural history, Central Park W.

New-York (Etats-Unis d'Amérique). — New-York Academy of sciences, late Lyceum of natural history.

Nilcheroy (E. do Rio) [Brésil]. — Escola superior de Agriculture, e Medicina veterinaria.

Oslo (Norvège). — Det Norkse météorologiste Institut.

Padoue (Italie). — Accademia Scientifica Veneto-Trentino-Istriana, R. Universitâ.

Palerme (Italie). — R. Accademia di scienze, lettere e belli arti di Palermo. Perouse (Italie). — Accademia Medico Chirurgica di Perugia. Philadelphie (Etats-Unis d'Amérique). — Academy of natural sciences of Philadelphia.

Philadelphie (Etats-Unis d'Amérique). — American philosophical Society, 104,

South Fifth Street. Pise (Italie). — Società italiana di fisica.


— 13 —

Porto (Portugal). — Acadeimia polytechnica do Porto.

Prague (Tchécoslovaquie). — Ceska Akademie ved a umeni, Praha. Académie

Tchèque des Sciences et des Arts. Prague, 1-562 (Tchécoslovaquie). — Boehmisehe Gesellschaft der Wissenschaften,

Wissenschaften, des Sciences et des Lettres de Bohême. Praha I 562. Prague (Tchécoslovaquie). — Institut Central Météorolgique. Statni ustav

meteorologicky, 21 Karlova 3. Praha II. Prague (Tchécoslovaquie). — Lotos, Deutscher naturwissenschaftl. — Medizin.

— Verein fur Boehmen, Prag II, Salvovska 3. Riga (Latvie). — Naturforscher Verein zu Riga, Palais Strasse Nr. 4 Dommuseusm.

Dommuseusm. (Brésil). — Bibliotheca Nacional do Rio-de-Janeiro. Rio-de-Janeiro (Brésil). — Museu aNcional do Rio-de-Janeiro. Rochester (N.-Y.) [Etats-Unis d'Amérique]. — Rochester Academy of Science,

University. Rome (29) [Italie]. — Reale Acoademia dei Lincei. Rome (Italie). — Società Italiana per il progresse delle Scienze, — Via Staderari,

Staderari, Rotterdam (Hollande). — Batàafseh Génôotschap der proefondervindjelijke

wijsbegeerte, Beurssteeg N° 4. Saint-Louis (Missouri) [Etats-Unis d'Amérique]. — Academy of Science of

Saint-Louis. Saint-Louis (Missouri). [Etats-Unis d'Amérique]. — Missouri, historical Society. Saint-Louis (Missouri). [Etats-Unis d'Amérique]. — University of Missouri. San Francisco (Californie). [Etats-Unis d'Amérique]. — California Academy of

Sciences, Golden Gâte Park. Sassari (Italie). — Regia Università di Sassari. Istituto fisiologico. Sendai (Japon). — Tôhoku Impérial University. Sienne (Italie). — R. Università di Siena.

Stockholm (Suède). — Kongliga svenska Vetenskaps-Academien Stockholm 50. Stockholm (Suède). — Statens Meteorologisk-hydrografiska Anstalt. Stockholm, 2. Stockholm (Suède). — Sveriges goelogiska Undersôkning Stockholm 50. Stockholm (Suède). — Sveriges Offentliga Bibliotek. Syndney N. S. W. (Australie). — Australasian Association of the Advancement

of Science, St. Elisabeth. St. Syndney N. S. W. (Australie). — Australian Muséum. ■Syndney (Australie). — Government of New-South Wales. Tachkent (U. R: S. S.). — Bibliothèque de l'Université de l'Asie Centrale. Tachkent.

Tachkent. postale n° 47. Tacubaya (Mexique). — Observatorio astronomico nacional de Tacubaya. Taiwan (Japon). — Taihoku Impérial University Library. Tartu-Dorpat (Estonia). — Loodusuurijate Selts Tartu Ulikooli Juures (Rerum Naturae Investigatorum Societas uiniversitatis Tartuensis), Aia T. 46. Tokio (Japon). — Collège of science. Impérial University. Tokio (Japon). ■— Impérial Academy. Uyeno Park. Tokio (Japon). — Impérial earthquake investigation Committee. Tokio (Japon). — Institute of Physical and Chemical Research. Komagone,

Hongo. Tokio (Japon). — Zoological Society of Tokyo. Topeka (Etats-Unis d'Amérique). — Kansas Academy of science.


-14Toronto

-14Toronto — Canadian Institute.

Tromosoe (Norvège). — Tromsoe Muséum.

Tufst (Mass.) [Etats-unis d'Amérique]. — Tufst Collège.

Turin (Italie). — R. Accademia di medicina di Torino.

Turin (Italie). — R. Accademia delle scienze di Torino.

Uccle (Belgique). — Observatoire royal de Belgique.

Upsal (Suède). — Kongl. humanistiska Vetenskaps-Samfundet.

Upsal (Suède). — Kongliga Universitets Upsala Bibliotek.

Upsal (Suède). — Observatoire météologique de l'Université royale d'Upsala.

Upsal (Suède). — Regia Socîetas scientiarum Upsaliensis.

Urbana (Illinois). [Etats-Unis d'Amérique]. — Illinois Stade laboratory of natural history.

Valle di Pompei (Italie). — Il Rosario e la Nuova Pompei.

Varsovie (Pologne). — Polskie Panstwowe Muséum Przyrodnice, KiakowskiePnsedmiescie 26/28. (Museum Polonicae Historiae Naturalis).

Varsovie (Pologne). — Université libre de Pologne. Wolna Wszechnica Polska Warzawa, ul Sniadeckich, 8.

Venise (Italie). — Reals Istituto Veneto di scienze, lettere ed arti. Campo Francisco Morosini, Palazzo Loredan.

Vienne (Autriche). — Akademie der Wissenschaften in Wien. I, Universitatsplatz, 2.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — Bureau of american ethnology Smithsonian Institute.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — National Academy of Sciences.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — Smithsonian Institution.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — Surgeon general's Office, U. S. Army; War Department.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — U. S. Coast Survey.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — U. S. Department of Agriculture.

Washington (Etats-Unis d'Amérique). — U. S. Geological Survey of the Territories.

Winterthur (Suisse). — Naturwissensohaftliche Gesellsehaft in Winterthur.

Zagreb (Yougoslavie). — Narodna Starina, Wilsonov trg 8, (Musej).

Zurich (Suisse). — Naturforschende Gesellschaft in Zurich, Zentral-bibliothek.


Comptes rendus des Séances des tartans

SECTION DES SCIENCES

Séance du 11 janvier 1932

Présidence de M. G. KUHNHOLTZ-LORDAT, président.

En ouvrant la séance, M. KUHNHOLTZ-LORDAT fait part en ces termes du décès de M. J.-B. GÈZE, survenu le 6 janvier 1932 :

« Jean-Baptiste GÈZE est né le 23 mai 1870. Bachelier ès sciences, ingénieur agronome, licencié ès sciences physiques et ès sciences naturelles, ces étapes brillantes le conduisent au doctorat ès sciences par une étude remarquée sur la mise en valeur des marais littoraux du Midi méditerranéen, à l'aide des « Typha et de quelques autres plantes lacustres ». De 1893 à 1932, il est professeur d'agriculture, toujours en contact étroit avec les praticiens qui suivent et provoquent ses conseils éclairés, tant sur l'entretien des prairies que sur la lutte contre les parasites ou la génétique des céréales.

» De santé délicate, les portes de l'Ecole Forestière de Nancy, qui lui furent ouvertes par le concours, lui sont fermées par les docteurs. Le ministère de l'Agriculture lui confie néanmoins d'importantes missions à l'étranger, dont six en Europe et une en Algérie. Il en a rapporté une volumineuse documentation, dans laquelle de nombreux agronomes ont largement puisé et puiseront sans doute encore.

)) Dans ses recherches, GÈZE a toujours mené de pair un double penchant pour les sciences physiques et les sciences naturelles. Aussi n'est-on point étonné de le voir, en 1906, remplir les fonctions de météorologiste-biologiste à la Station d'avertissements agricoles de Montpellier. Et l'on retrouve dans ses mémoires des recherches sur le climat méditerranéen. Comme adjoint à la direction des services agricoles de l'Hérault, il dut élargir encore son champ d'études et il fit une enquête fort instructive sur les « Drailles » de transhumance. Les géogra-


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phes et les biologistes y pourraient trouver quelques éclaircissements sur les infiltrations méditerranéennes vers les régions soumises à l'influence atlantique.

Dans tous ses travaux, sur des sujets très divers, GÈZE apportait la même conscience, n'avançant que ce qu'il avait pu minutieusement contrôler.

Il laisse une oeuvre saine, solide et utile, accomplie dans la modestie et le dévouement. »

La séance est levée en signe de deuil.

A la reprise de la séance, une discussion s'engage à propos de la mise en valeur des étangs littoraux. GEZE avait mis en relief la valeur économique des Massettes (g. Typha), du Jonc des Chaisiers (Scirpus lacustris) et du Roseau des marais (Phragmites communis). Il avait reçu, du ministère de l'Agriculture, mission de « rechercher les moyens d'augmenter les revenus des terrains marécageux que l'on ne peut pas dessécher. )) Ces moyens sont généralement fournis, en dehors de la pisciculture, par des espèces végétales envahissantes par voie végétative et pouvant ainsi constituer des peuplements purs.

Ces questions sont toujours d'actualité. Certaines espèces envahissantes, longtemps considérées comme inutiles ou nuisibles, ont un rôle important à jouer sous certaines conditions. Le Spartina Towsendii envahit de plus en plus les vases de l'embouchure des fleuves; on le propage en Angleterre, en Hollande. Les régions intertropicales sont pauvres en bonnes espèces fourragères dont la biologie est encore assez mal connue; la pénurie de main-d'oeuvre, incompatible avec les soins culturaux minutieux qui conviennent aux prairies naturelles, fait rechercher des plantes à la fois envahissantes et nutritives, telles: l'Herbe de Para (Panicum molle), l'Herbe de Guinée (P. altissimum) ; le Chiendent Pied-de-Poule (Gynodon Dactylon) que l'on s'acharne à détruire dans les cultures, est très recherché comme plante fourragère. Dans les régions à période de sécheresse prolongée, dès 1893, SAGOT en recommandait l'introduction « immédiate » dans les colonies où il n'était pas installé. M. BLAYAC montre l'intérêt que les Américains portent à cette plante: l'un d'eux en demandait des semences récemment. Le Spartina Towsendii semble appelé à jouer un rôle


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semblable dans les régions côtières basses, découvertes à marée basse et utilisables à ce moment comme pâturages ; des graines ont été répandues en Afrique Occidentale Portugaise, en Afrique du Sud, sur divers points d'Austrasie, de Malaisie.

En France, GÈZE a montré que des plantes envahissantes et spontanées pouvaient jouer successivement leur rôle: le Roseau des Marais marque un stade postérieur à celui du Jonc des Chaisiers, dans l'évolution des vases mouvantes. D'une manière générale, la mise en valeur des terrains littoraux à évolution lente (marais, terrains salés) peut être artificiellement accélérée par la connaissance de l'évolution du tapis végétal: les Fétuques (Festuca arundinacea), les Glycéries (Atropis distans, convoluta), les Agropyres (Agropyrum littorale) forment rapidement des prairies fauchables par dessalement partiel permettant de franchir des stades antérieurs à la venue des Graminées. (Renseignements communiqués par M. KUHSTHOLTZLORDAT.)

COMMUNICATION

Amitoses dans les néoformations normales et néoplasiques

des cellules des glandes sébacées

par M. E. GRYNFELTT

Poursuivant mes recherches sur le mode de régénération des éléments anatomiques de l'épiderme au cours de leur fonctionnement normal, j'ai étudié plus spécialement ces jours derniers les glandes sébacées qui, à certains égards, représentent un objet de choix (chez l'homme, le rat, le lapin et le cheval),

Ces glandes, en effet, sont placées sur le côté de la gaine des poils, dans la région du collet, où elles déversent un magma graisseux formé par la fonte de leurs cellules (sécrétion holocrine de Ranvier). Ces cellules se détruisent donc au fur et à mesure pour fournir la matière sébacée, et elles se régénèrent aux dépens de la couche la plus externe de la masse cellulaire qui représente l'assise basilaire au contact de la membrane vitrée. C'est une couche de cellules à protoplasma très colorable, munies de noyaux fortement chromatiques.


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J'ai déjà attiré l'attention sur le mode de régénération de ces cellules dans un travail publié en 1924 à l'Association française pour l'étude du cancer, et j'ai indiqué que la zone la plus active était celle qui avoisine le collet, d'où paraissent émigrer les éléments qui vont peupler le fond de l'acinus. J'ai déjà indiqué, à ce moment-là, que la division directe paraissait jouer un rôle plus important que les caryocinèses dans ce processus de néoformation cellulaire.

En examinant plus attentivement les noyaux sombres que renferme la couche basilaire, j'ai maintes fois observé chez l'homme ou chez le cobaye, des divisions directes disséminées un peu partout dans l'acinus. Il n'est pas rare d'en trouver quatre ou cinq dans un acinus de moyenne dimension, tandis qu'il faut parcourir les bords de plusieurs glandes et compter plus de mille noyaux basilaires pour en rencontrer un en division indirecte. C'est vraisemblablement par division directe, par amitose, que se forment ces nids de noyaux, que l'on retrouve accumulés un peu partout dans la zone basilaire, et qui représentent des accumulations d'éléments d'attente pour subir la transformation sébacée.

J'ajoute que c'est également par le mode exclusif de la division directe que l'on voit proliférer la couche basilaire au cours de la néoformation épithéliomateuse que j'ai eu l'occasion d'étudier dans mon travail ci-dessus.

Séance du 8 février 1932

Présidence de M. KUHNHOLTZ-LORDAT, président.

Election. — Conformément à l'ordre du jour de la convocation, les membres présents ont à élire un nouveau membre, en remplacement de M. J.-B. GÈZE, décédé. Leur choix se porte à l'unanimité sur M. François GRANEL DE SOLIGNAC.

Prix de l'Association française pour l'avancement des Sciences. — Un mémoire a été transmis par M. le Secrétaire général à la Section des Sciences. La Section nomme une commission chargée de faire un rapport sur ce mémoire et comprenant: MM. KUHNHOLTZ-LORDAT, président de la Section; MASSOL et AMANS. Il est, de plus, décidé de demander à M. BEBTIN-SANS de vouloir bien s'adjoindre à la commission à titre consultant, en raison des applications à l'hygiène que comportent les recherches exposées.


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COMMUNICATIONS Maîtres-couples linéaires et maîtres-couples cylindriques

par M. AMANS

Les maîtres-couples linéaires caractérisent la locomotion aérienne et aquatique; le mode de locomotion dépend des positions respectives des sommets dorsal, ventral et latéraux du maître-couple. Les animaux fouineurs peuvent en outre former des maîtres-couples cylindriques, la proue est séparée de la poupe par une ligne variable, pouvant se transformer en une sorte de brassard ou de ceinture. Cette forme a sans doute pour but la formation des galeries permanentes. On la comprend moins, appliquée aux fuselages de certains avions, surtout avec des flancs plats.

Des recherches ultérieures de M. AMANS donneront des chiffres comparatifs de traînée et stabilité de route, en fonction des formes de fuselage et de la composition et nature du sol.

Note sur l'histologie du cancer expérimental du goudron chez le lapin albinos

par MM. E. GRYNFELTT et H. HARANT

Les auteurs présentent un résumé succint de l'étude histologique d'un cancer du goudron provoqué chez le lapin albinos au cours de l'année dernière. Pour le protocole de leurs expériences et la description anatomique des lésions, ils renvoient à une communication antérieure, insérée dans les Archives de la Société des Sciences médicales de Montpellier, à la séance du 5 juillet 1931.

Les lésions, assez différentes d'aspect, appartiennent aux trois formes fondamentales suivantes:

1° Papillome typique, en pastille constitué, par une acanthose très accentue du corps malpighien, dont les cellules conservent leur structure épidermoïde typique; les axes conjonctifs sont très réduits.

2° Papillome métatypique, villeux, avec longues saillies épidermiques coiffées d'une épaisse couche de cellules très impar-


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faitement kératinisées. Au sein du corps de Malpighi hypertrophié on relève l'existence de quelques globes épidermiques et de nombreux îlots de cellules claires à différenciation du type des muqueuses (cellules dites en « moelle de jonc ").

3° Folliculo-épithéliome, avec différenciation complète des glandes sébacées, hypertrophie considérable des parois folliculaires, dont les cellules, dans la partie moyenne, sont l'objet d'une dégénérescence vacuolaire dans leur exoplasme aboutissant à un « effilochage » très accentué de ces éléments. On y relève, en outre, des globes cornés et de nombreuses monstruosités cellulaires et nucléaires. Des parois des folliculomes ou de revêtement de la surface bourgeonnent des cordons épithéliaux atypiques qui envahissent le stroma, mais leurs cellules n'essaiment pas.

Deux faits méritent d'être retenus:

1° L'apparition précoce des folliculo-épithéliomes, apparus dès le 22 décembre, c'est-à-dire cinq semaines à peine après le début des badigeonnages. Malgré l'aspect nettement épithéliomateux de ces lésions, il n'y avait encore aucune métastase, ni retentissement ganglionnaire au 8 juin, au moment où l'animal a succombé à une infection intercurrente.

2° L'existence de lésions d'allure bénige (papillomes typiques) apparus ultérieurement et ayant persisté sous cette forme jusqu'au moment de la mort de l'animal.

Sur la fluorescence de certains phanères cutanés par MM. Jean TURCHINI et J. BROUSSY

o

En lumière para-ultraviolette filtrée (3.650 A), certains phanères épidermiques (ongle et peau humaine, bec et griffes des Oiseaux, par exemple) possèdent une belle fluorescence blanc nacré. Déjà, en 1911, au cours d'une étude générale sur la fluorescence des corps définis de la chimie minérale et organique, GOLDSTEIN (1) en avait fait la remarque, mais cet auteur n'avait donné aucune explication du fait observé., Nous nous sommes demandés si ce phénomène n'était pas dû à la présence,

(1) Phys. Zeitschr., 12, 1911.


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dans la composition chimique globale de ces phanères, de certains acides aminés ou groupes d'acides aminés les caractérisant.

OPPENHEIMER (2), dans son Traité de Biochimie, range ces phanères parmi les scléroprotéides et en donne la composition centésimale pour certains acides aminés, tryptophane, cystine et tyrosine, par exemple.

Pour essayer de résoudre la question, nous avons pratiqué une série d'expériences convergentes.

Dans une première expérience, nous avons recherché quelle était la fluorescence de certains acides aminés, purs, pris séparément, cristallisés et en solution aqueuse. Nous avons constaté :

1° Que les acides aminés contenant S ou SH dans leur molécule n'étaient pas fluorescents ;

2° Que la leucine, alanine et tyrosine l'étaient très faiblement en blanc ;

■ 3° Que le tryptophane possédait, soit à l'état cristallisé, soit en solution aqueuse fraîche, une belle fluorescence blanc nacré.

Dans une deuxième expérience, nous avons, par hydrolyse tryptique et acide, fragmenté en ses composants aminés, de l'ovalbumine (corps fluorescent blanc, à composition chimique se rapprochant de celle des scléroprotides et possédant 2,6 % de tryptophane). Nous avons constaté que la fluorescence ne variait pas au cours de l'opération.

Dans une troisième expérience, nous avons pris une solution aqueuse vieille de tryptophane et avons constaté qu'elle avait conservé sa fluorescence primitive, bien que la solution aqueuse de tryptophane s'hydrolyse en donnant naissance à des composés indoliques, ainsi que nous avons pu le suivre par la réaction glyoxylique.

La fluorescence paraît donc être due soit au tryptophane seul, soit à ses produits de décomposition.

En fin de séance, M. MASSOL met ses collègues au courant des expériences réalisées sur la ligne d'intérêt local Montpellier-,

(2) Handbuch der Biochemie des Menschen und der Tiere, G. Fischer, éd., Iena, 1925.


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Mèze, pour le transport des voyageurs au moyen des nouvelles automotrices du type « Micheline ». Une moyenne horaire (arrêts et ralentissements compris) de 70 kilomètres ne serait pas impossible.

Séance du 7 mars 1931

Présidence de M. F. KUHNHOLTZ-LORDAT, président.

Prix de l'Association française pour l'avancement des Sciences (A.F.A.S.). — M- MASSOL donne lecture de son rapport sur le mémoire de MM. Jean BLANC et Jean BLANCHARD : « La Verdunisation Bunauvarilla à Carcassonne (1928) ». Le rapport est adopté et la Section propose aux suffrages de l'Académie d'accorder le prix de l'A.F.A.S. aux auteurs du mémoire.

Une discussion s'engage sur la verdunisation par 1/10e dé milligrammes et la simple chloration au milligramme. M. MOYE fait remarquer que l'odeur de chlore parfois remarquée dans les eaux de boisson de Montpellier provenait de l'état neuf de certains tuyautages. On y remédiait en laissant séjourner, pendant une quinzaine de jours, les canalisations neuves avant leur mise en place.

COMMUNICATIONS

Biologie et Mécanique de la Spirale logarithmique

par M. AMANS

M. AMANS relate ses expériences inédites de turbines aériennes, à aubes spirales (d'Archimède et logarithmiques). Il signale les effets différents suivant que la tête des spires est périphérique ou voisine du centre de rotation. Il croit pouvoir donner à la spirale des mollusques un rôle de distribution plus homogène, plus uniforme, du liquide nourricier pendant la croissance.


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Sur la genèse et l'extension de la trame fibroïde dans les adéno-fibromes mammaires

par M. E. GRYNFELTT

L'auteur s'occupe plus particulièrement de la description des plaques à contours irréguliers et d'aspect homogène, à faible grossissement, que l'on voit, avec de forts objectifs, constituées par des nappes de précollagène, au sein duquel existe un réseau serré de fibrilles collagènes d'une ténuité extrême, à la limite de la visibilité. Ces plaques ne sont donc pas exactement assimilables au précollagène embryonnaire du symplasme hyalin embryonnaire, tel que l'a décrit LAGUESSE.

On trouve ces plaques en bordure de rognons fibreux s'avançant dans le stroma adipeux. Elles jouent un rôle vraisemblablement important dans l'extension du tissu fibroïde, ainsi que l'a indiqué CAUDIÈRE.

Mais on en voit aussi, en pleine substance fibreuse, constituées par l'hypertrophie ou par le gonflement hydrosyntasique du précollagène interfibrillaire des faisceaux conjonctifs, qui, à un moment donné, se fusionne pour constituer des nappes de précollagène, au sein desquelles s'éparpillent les fibrilles collagènes. Cette substance amorphe, constituée aux dépens du précollagène fasciculaire, représente donc autre chose qu'un simple coagulum des substances albuminoïdes du milieu intérieur, comme l'admet NAGEOTTE.

Séance du 11 avril 1932

Présidence de M. F. KUHNHOLTZ-LORDAT, président.

En ouvrant la séance, M. KUHNHOLTZ-LORDAT souhaite la bienvenue au nouveau membre de la Section, le Dr F. GRANEL DE SOLIGNAC.

Nomination du Secrétaire. -— M. F. GRANEL DE SOLIGNAC, qui accepte, est élu, à l'unanimité, secrétaire de la Section, en remplacement de M. GÈZE.


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COMMUNICATIONS

Sur un sens spécial de la mort chez l'animal par M. MOYE

L'auteur présente quelques considérations sur le sens spécial permettant à certains animaux de se rendre compte de la présence d'un cadavre qu'ils no sauraient percevoir directement. Il rapporte la double observation d'un chat vivant dans un étage qu'il n'a jamais quitté et qui, à l'occasion de deux décès survenus dans des appartements voisins, mais inconnus de lui, n'en a pas moins été très impressionné. Dans les deux cas, non seulement le chat a manifesté une vive inquiétude dès l'instant de la mort, mais il a très nettement reconnu la position exacte où se trouvait le cadavre, à travers le plancher pour un décès survenu à l'étage inférieur et à travers le plafond pour un second décès à l'étage supérieur. L'animal n'a jamais pénétré dans les appartements où ont eu lieu les décès et il n'a pu repérer la situation des corps sur les lits funéraires que par des émanations perçues de lui et échappant complètement aux sens humains.

Discussion

M. TURCHINI. — De la curieuse observation de M. MOYE, je rapprocherai un fait que j'ai constaté au cours de mes recherches sur les différences de potentiel dans les tissus {Bull, de la Soc. des Sc. méd. et biol. de Montpellier, vin, 1927) et qui consiste en ce que, au moment de la mort, les différences de potentiel tissulaires sont profondément modifiées. Ce sont peut-être ces modifications d'ordre électrique qui sont perçues par l'animal.

L'influence des indétonants et antidétonants sur les diagrammes des moteurs à explosion

par M. DE MORTILLET

La théorie des indétonants et antidétonants est l'objet de nombreuses polémiques ; elle est extrêmement complexe au double point de vue chimique et thermodynamique.


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Des techniciens spécialistes : MM. DUMANOIS, LAFFITE, GREBEL, BRUNSCHWIG, MOUREN, DUFRAINE, en France ; BERL, KRUPP, BAKER, ENGLER, en Allemagne, ont publié des volumes et donné des résultats de laboratoire et d'expériences, sans que la lumière ait été faite d'une manière positive.

Cependant, BERL est arrivé à une classification assez exacte de ces différents corps et qui est la suivante;

Détonants: Essence de pétrole, Gazoïl, Pétrole, Acroléine, Nitrobenzène, Ether sulfurique, Hexane.

Indétonants: Benzol, Essences riches en aromatiques, Alcools éthylique et méthylique, Acétone, Benzène.

Antidétonants: Toluène et Xylène, Ethyl, Aniline solubilisée.

Prodétonants: Aldéhyde éthylique.

Le rendement d'un moteur du cycle à quatre temps est fonction d'une série de formules. Les unes ayant trait au rendement thermodynamique, les autres à la consommation spécifique d'un ■carburant ayant un pouvoir calorifique donné. Il faut considérer le rendement thermique proprement dit, le rendement d'un cycle hypothétique affecté à chaque moteur, le rendement du diagramme réel, le rendement mécanique ou organique et le rendement cinédynamique.

Le phénomène de détonation des carburants dits détonants fait sentir son influence sur les diagrammes représentatifs de ces divers rendements.

Le conférencier donne au tableau une série de ces diagrammes avec les modifications qu'ils subissent du fait de l'influence des indétonants et antidétonants, modifications qui diminuent l'aire représentative du travail.

L'étude de ces diagrammes, tout en révélant ces influences, n'a pas permis d'y remédier au point de vue thermodynamique. Il a été nécessaire d'étudier d'une manière plus approfondie les phénomènes d'ordre chimique auxquels donne lieu la combustion des carburants liquides sous pression. Les travaux de M. DUMANOIS concordent avec ceux du professeur BERL, pour mettre en évidence le phénomène de dislocation moléculaire et de précombustion précédant la combustion complète. Ils ont pu, en étudiant cette combustion dans un carburant tonant tel que l'hexane, déceler, vers 350-400 degrés un début de réaction avec composés intermédiaires. Avec un indétonant comme le benzol, la réaction ne commence que vers 600 degrés, sans com-


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posés intermédiaires; quant aux antidétonants, leur présence a pour effet de s'opposer à cette réaction.

Cette découverte a permis de mieux comprendre l'influence de ces corps sur les déformations des diagrammes, de rendement et d'obtenir dans la pratique, par des mélanges appropriés, des détonants et d'indétonants ou d'antidétonants, des rendements plus élevés dans le cycle moteur.

Sur les hélices élastiques de construction mixte par M. AMANS

M. AMANS discute les divers facteurs d'une hélice souple, et en particulier ceux du nouveau type proposé par M. GIOVANISERRAGLI. Celui-ci emploie le terme de construction mixte, parce que les pales sont formées de bois et de métal; il pense avec raison qu'une telle hélice donnerait plus de sécurité. M. AMANS est depuis longtemps du même avis, mais il critique certains détails de première importance pour les déformations élastiques.

Réticulo-endothéliomes adventitiels et mycosis fongoïde par M. E. GRYNFELTT

Ayant eu l'occasion d'étudier récemment deux cas de mycosis fongoïde, étudiés cliniquement par mon collègue et ami, le professeur MARGAROT, nous sommes arrivés à cette conclusion que la lésion initiale était représentée par une hyperplasie des cellules adventitielles, réalisant une véritable tumeur ou réticuloendothéliome à point de départ péri-vasculaire. Le tissu néoformé était constitué par une accumulation de cellules lymphoïdes (lymphocytes et lymphoblastes surtout, auxquels se mêlaient quelques polynucléaires et de rares éosinophiles) dans les mailles d'un réseau d'histiocytes.

L'examen de ces coupes m'a rappelé un autre cas dont la formule histologique du début se rapprochait singulièrement de celle du mycosis. C'était encore un réticulum histocytaire, infarci de lymphocytes et de plasmocytes, avec hypertrophie marquée de certaines cellules du réticulum que l'on pouvait


mettre sur le compte des réactions du tissu conjonctif enflammé; car cette lésion, formant manchon autour des vaisseaux sanguins, donnait l'impression d'une réaction inflammatoire chronique. Ce diagnostic cadrait d'ailleurs avec l'évolution particulièrement lente de la néoformation: la tumeur, grosse comme une pièce de cinquante centimes, quand elle avait attiré l'attention du malade, avait mis quatre ans à acquérir les dimensions d'une pièce de deux francs. Mais, ultérieurement, la marche de la maladie modifia son allure. L'ablation de la tumeur fut suivie, cinq mois après, d'une récidive, d'abord d'allure bénigne, qui devint bientôt après infiltrante et acquit alors la structure d'un sarcome histiocytaire nettement caractérisé (par la cytologie de ses éléments, leur arrangement « épithélioïde » et la présence de nombreuses lacunes sanguines sans paroi endothéliales). Treize mois après, le malade succombait avec généralisation de sa tumeur.

Cette observation est intéressante à plusieurs points de vue. Elle montre d'abord les difficultés que l'on peut avoir à distinguer des réactions inflammatoires cutanées néoplasies à point de départ particulièrement « périvaseulaire )) ou adventitiel, les éléments qui entrent dans la constitution des lésions étant sensiblement les mêmes dans les deux cas, bien entendu avant que fut réalisée l'atypie cellulaire et l'architecture caractéristiques des sarcomes. Il est très vraisemblable, d'autre part, ainsi que le démontre l'observation clinique de ce cas, que la néoplasie était de nature bénigne au début, pour devenir à un moment donné franchement maligne et présenter alors l'image du sarcomme histiocytaire ou réticulo-endothéliome malin). Ce serait, en somme, dans la série conjonctive, une succession des formes à mettre en parallèle avec les adénomes ou papillomes suivis d'épithéliomes dans la série épithéliale.

Enfin, il est à noter que ce réticulo-endothéliome à point de départ adventitiel réalisait un type histologique assez voisin de celui de mycosis fongoïde. Or, jamais le malade, d'après l'observation très complète du professeur agrégé AIMES, n'a jamais présenté de symptômes du mycosis (érythèmes prurigineux, éruptions polymorphes, etc.). A telles enseignes, et ce sera ma conclusion, que si l'entité clinique « mycosis fongoïde » ne répond pas toujours à une même lésion histologique, comme l'ont soutenu tout récemment L. BERGER et A. VALLÉE, on peut


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inversement penser qu'une même lésion histologique (néoformation réticulo-endothéliale péri-vasculaire) peut coïncider ou non avec le syndrome clinique décrit sous le nom de mycosis fongoïde.

Séance du 9 mai 1932

Présidence de M. Jean TURCHINI, ancien président.

COMMUNICATIONS

Un nouvel appareil à ailes battantes

par M. AMANS

M. AMANS fait une critique physiologique et aérodynamique d'Un nouvel appareil à ailes battantes, construit et sur le point d'être essayé à Vienne (Autriche).

C'est un tétraptère, semblable à un Hanneton: les deux ailes postérieures sont battantes, les deux antérieures servent aux changements de direction, de haut en bas, ou de droite à gauche. La critique de M. AMANS est basée sur ses propres observations et mesures sur le vol des Coléoptères.

Quelques particularités de structure

de la paroi malpighienne des kystes épidermoïdes

par M. E. GRYNFELTT

Cette paroi est formée d'un épiderme cutané incomplet, puisque ses « annexes » font totalement défaut, c'est-à-dire les glandes sudoripares et les follicules pilo-sébacés. Caractère important puisque c'est sur lui que repose la distinction entre les kystes épidermoïdes et les dermoïdes, ces derniers pourvus de glandes sébacées et de poils.

C'est, de plus, un épiderme anormal, par les irrégularités considérables de l'épaisseur des assises malpighiennes qui peuvent se réduire à une seule couche, et par la présence de différenciations sébacées diffuses et fort discrètes, parmi les cellules du corps muqueux. Ces cellules sébacées sont d'ailleurs parfaitement différenciées : le corps du cytoplasme est rempli de sphères


29adipeuses,

29adipeuses, dimensions variables, que celorent l'acide osmique et le Soudan, qui dépriment le noyau et lui donnent l'aspect caractéristique qu'il présente dans les cellules sébacées au terme de leur évolution.

Séance du 13 juin 1932

Présidence de M. F. KUHNHOLTZ-LORDAT, président.

COMMUNICATIONS

La puissance nécessaire dans le vol par battements au point fixe

par M. AMANS

M. AMANS compare les mesures expérimentales d'HUTCHINSON, celles théoriques de MM. MAGNAN et SAINT-LAGUE, et sa propre formule empirique, en fonction du poids à soulever.

Au sujet d'un procédé, supposé nouveau, de destruction des mauvaises herbes

par M. KUHNHOLTZ-LORDAT

M. CARRÉ, directeur de l'Ecole d'Agriculture de Wagnonville (Nord), a fait, le 20 janvier 1932, une communication à l'Académie d'Agriculture au sujet de ses expériences sur la destruction des mauvaises herbes dans les Céréales. M. PRUVOST, constructeur, a réalisé un appareil de conception toute différente de celle des appareils à haute pulvérisation. Cet appareil a servi aux expériences de M. CARRÉ. La mauvaise herbe est traitée par la base: un système, dit en sabot, pulvérise l'acide sulfurique en « mouillant sur tout leur pourtour la base de toutes les tiges de blé et d'herbes ».

M. KUHNHOLTZ-LORDAT rappelle que cette théroie de la destruction des mauvaises herbes par nécrose du collet a été publiée par lui dès le 27 juin 1926, confirmée par Pierre LARUE, le 14 août 1926, et par MÉNERET, sous la direction de RAVAZ, le 8 août 1926.


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Cette théorie était officiellement enseignée dès 1924, dans le cours de Botanique appliquée et adoptée à l'Ecole d'Agriculture de Montpellier, six ans avant les expériences réalisées à l'Ecole de Wagnonville.

Le Peronoplasmopara Humuli

par M. KUHNHOLTZ-LORDAT

Les conditions exceptionnellement humides du printemps (1932) ont déclenché une attaque de Mildiou sur le Houblon dont quelques pieds sont cultivés à l'Ecole Nationale d'Agriculture (Montpellier). Les feuilles sont grillées, plus ou moins desséchées (parfois presque totalement). Sur les taches, on peut déceler au microscope quelques rares conidiophores (8 juin) et des oeufs en assez grande abondance.

Ce mildiou n'avait jamais été signalé dans la région, mais il est probable qu'en raison des efflorescences rares il a dû passer inaperçu et qu'il se trouve installé dans la région depuis x années.

Les (( cellules à manteaux » dans les cancers de la maladie de Paget du mamelon

par M. E. GRYNFELTT

On donne le nom de « cellules à manteaux » ou « cellules palléales » à des groupements cellulaires formés par une cellule centrale munie de son noyau, dont le cytoplasme est gonflé et vacuolisé, entourée par d'autres cellules également nuclées. Comme l'écrit DARIER, l'aspect est celui des zones diversement teintes autour d'un noyau central, les zones étant souvent nuclées elles-mêmes.

Cette définition permet d'éliminer les fausses cellules à manteaux que certains auteurs décrivent cependant comme telles, en particulier des cellules malpighiennes vacuolisées dont les noyaux sont refoulés et aplatis contre la paroi cellulaire ou encore des celules épidermiques qui sont le siège d'une kératinisation incomplète marginale autour d'une masse centrale demeurée claire.


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Ceci admis, on peut réduire à trois seulement les processus par lesquels les auteurs expliquent la formation de ces groupements cellulaires:

1° Ils paraissent résulter parfois d'une « division cellulaire avortée », suivant l'expression de SIMARD. Une cellule est l'objet d'une division cellulaire, par cinèse ou par amitose. Un des noyaux s'entoure d'une auréole de cytoplasme qui demeure incluse dans le corps de la cellule initiale, au sein d'une énorme vacuole. Il s'agit là d'un processus qui entre dans la catégorie des (( formations endogènes » de VIRCHOW, à l'intérieur des « physalides ».

2° D'autrefois, ces aspects cellulaires sont dus à la pénétration d'une cellule dans une cellule épidermique. Selon MASSON et PAUTRIER, il s'agirait, dans le cas particulier, de cellules néoplasiques émanées d'un cancer glandulaires sous-jacent et infiltrant les éléments de l'épiderme (cancer épidermotrope).

3° Plus souvent, semble-t-il, d'après les observations récentes que j'ai pu faire dans un cancer de PAGET du mamelon dont nous venons, MARGAROT, GUIBERT et moi de publier l'étude à l'Association française pour l'étude du concer, les cellules à manteau se forment par un autre mécanisme.

Comme le pense UNNA, il s'agit de cellules enkystées, c'est à-dire entourées d'une enveloppe membraneuse formée de cellules comprimées en manière d'écaillés. Dans le cas étudié, la cellule enkystée était le plus souvent une cellule claire, gonflée et vacuolisée, et les cellules du manteau étaient plus denses, plus chromophiles.

Cette sorte de dualisme cellulaire mettait bien en évidence le mode de formation de ces cellules à manteaux, dont on pouvait suivre toutes les étapes dans les préparations.

Séance du 11 juillet 1932 Présidence de M. TURCHINI, ancien président.

COMMUNICATIONS

Sur la stabilité automatique des avions

par M, AMANS .

Cette stabilité peut être obtenue plus ou moins facilement soit par une géométrie spéciale de la voilure et du fuselage, soit par des appareils agissant directement sur les commandes, sans


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l'intervention du pilote. Leur promptitude d'action est en raison inverse de leur masse. Parmi ces appareils, la girouette de CONSTANTIN occupe une place très honorable.

L'histoire de cette girouette est riche en enseignements sur la résistance des fluides, et aussi sur celle des bureaux; les meilleures idées sont paralysées par la routine, et parfois la malveillance.

Sur la différenciation sébacée des cellules épidermiques dans les glandes normales et leurs épithéliomas

par M. E. GRYNFETT

La sécrétion sébacée dans les glandes annexées aux follicules pileux n'est pas un simple phénomène de dégénérescence graisseuse, formule commode que l'on répète trop souvent. C'est un processus bien plus complexe, que l'on peut décomposer en deux phases distinctes :

A. Phase d'élaboration. — La cellule épidermique, plutôt en hyperbiose, se charge de substances grasses (des graisses neutres surtout) dans son cytoplasme par un double processus : 1° procesus d'adipogenèse, ou d'élaboration des graisses, en vertu de l'activité propre de ses éléments, et, en particulier, de son chondriome, d'après la théorie classique; 2° processus d'adipopexie, mis en évidence par POLICARD et Mlle TRICHTKOWITCH, qui a réalisé la fixation directe des graisses véhiculées par le sang sur le cytoplasme déjà chargé des sphérules adipeuses qu'il a élaborées.

Cette phase d'élaboration sébacée se traduit morphologiquement par la différenciation sébacée de la cellule génératrice, entraînant des modifications caractéristiques dans sa constitution d'ensemble, que je veux seulement envisager ici, et que l'on peut ramener à trois principales:

1° Vacuolisation du cytoplasme, consécutive à l'accumulation des boules graisseuses. Sur les coupes où ces dernières ont été dissoutes par les réactifs, il prend un aspect spongieux, à mailles inégales.

2° Déformation du noyau. — Primitivement vésiculeux et à contours arrondis, il se déforme ensuite au contact des boules


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adipeuses, dès que le cytoplasme granuleux, qui entoure le noyau disparaît par les progrès de la vacuolisation, en d'autres termes dès que ces boules viennent au contact de sa membrane. Il prend alors un aspect bosselé, et des « contours épineux » caractéristique. Mais il ne dégénère pas. La membrane, quoique profondément refoulée, garde sa colorabilité élective; les grains de chromatine et le réticulum sont toujours distincts sur le fond clair du noyau, où apparaissent aussi les plasmosomes acidophi. les. Il semble toutefois que la masse de l'enchylème diminue progressivement, peut-être parce qu'elle participé au processus de lo sécrétion sébacée, ce qui accentue la déformation du noyau. Celle-ci pourrait donc ne pas être un phénomène purement passif de compression et d'atrophie progressive du noyau. En tout cas, au cours de cette première phase, le noyau ne présente encore dans sa structure aucune des modifications que l'on voit dans les dégénérescences.

3° Augmentation de volume considérable du corps cellulaire.

— Pour en donner une idée approximative, j'indiquerai simplement que les diamètres de la cellule génératrice, aplatie, sont de 12 à 14 en moyenne, tandis que ceux des cellules sébacées complètement évoluées atteignent 30 à 40 . En les ramenant les unes et les autres à la forme de sphères régulières, et en évaluant les rapports de leurs volumes d'après les rapports de leurs rayons (qui sont respectivement de 4 et de 15 on arrive à cette conclusion qu'au cours de sa différenciation sébacée, le volume de la cellule épidermique devient 54 fois plus grand en moyenne, chiffre qui cadre bien avec l'impression que donné la comparaison des dessins obtenus à la chambre claire ou des photographies où celles génératrices et cellules sébacées sont représentées au même grossissement.

B. Phase de dégénérescence, où la cellule sébacée, comme toute cellule épidermique, meurt et s'élimine par desquamation dans le milieu extérieur. Dans ce cas particulier, elle subit une « fonte holocrine » et ses débris vont constituer le sébum. C'est à cette période ultime, seulement, que se manifestent les modifications altérativès du noyau, quelquefois par de là chromatolyse, le plus souvent par un état particulier où il apparaît complètement « dégonflée » réduit à sa membrane que ne colorent plus que les teintures plasmatiques le plus souvent.

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Cet ensemble de modifications est absolument caractéristique de la différenciation sébacée des cellules de l'épiderme. Au cours de l'évolution des cellules du type spongiocytaire, dont le cytoplasme se charge aussi de boules graisseuses ou lipoïdes, telles que les cellules du cortex surrénal ou du corps jaune, les déformations du noyau ne sont pas aussi profondes en général, et l'augmentation de volume de la cellule n'est en rien comparable à ce qu'elle est dans les cellules sébacées. Il en est de même dans la dégénérescence graisseuce des cellules de l'épiderme, si fréquentes dans les épithéliomas malpighiens, où le cytoplasme apparaît également vacuolisé par l'accumulation des sphérules graisseuses. Mais, ici encore, le volume de la cellule n'augmente que dans de faibles proportions, et les lésions du noyau sont d'emblée dégénératives et marchent de pair avec les altérations du cytoplasme.

Il m'a paru intéressant de préciser ces données parce qu'elles peuvent servir à élucider la question, encore controversée, des épithéliemas sébacés, dont certains auteurs, comme DARIER, contestent encore la légitimité. Leur principal argument est que les transformations graisseuses observées dans les cellules épidermiques, doivent être rapportées le plus souvent à des phénomènes de dégénérescence graisseuse banale. D'après ce qui précède, on voit que la confusion peut être évitée et que le diagnostic de la différenciation sébacée est possible, même sur les préparations ordinaires de pièces coupes à la paraffine, où les graisses ont été dissoutes au cours de manipulations. Ce sont des conditions de travail souvent imposées aux histopathologistes, qui n'ont à leur disposition qu'un fragment biopsique inclus à la paraffine.

Et le diagnostic d'épithélioma sébacé n'a pas leulement un intérêt théorique, permettant d'établir l'existence réelle, dans les cellules des épithéliomas issus de ces grandes —■ ou de tout autre point de l'épiderme — de potentialités évolutives sébacées. Il y a de plus une portée pratique indiscutable, car les épithéliomas sébacés se révèlent comme particulièrement bénins, à évolution très lente et très localisée en général, et ils paraissent être particulièrement sensibles aux radiations.


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Séance du 14 novembre 1832 ~'~~~'r

Présidence de M. KUHNHOLTZ-LORDAT, président.

Election du Bureau

M. CABANNES est élu président à l'unanimité.

M. HOLLANDE est élu vice-président à l'unanimité.

M. GRANEL est réélu secrétaire à l'unanimité.

COMMUNICATIONS

Des divers modes d'avaler son chemin ■

par M. AMANS

Il y a des animaux qui avalent complètement leur chemin de la bouche à l'anus, d'autres partiellement de la bouche aux branchies (Poissons). Ce dernier système a inspiré la construction des bateaux BOERNER (Truite et Requin), expérimentés sur l'Elbe.

L'auteur étudie ensuite l'aérodynamique des trancs de cône et des cylindres creux, ouverts aux deux bouts. Dans les troncs de cône, il faut distinguer :

1° Troncs réunis par leurs bases. C'est le système CHANARD, employé pour l'aération des wagons de chemin de fer, cabines d'auto ou d'avion;

2° Troncs réunis par leurs sommets, avec ou sans hélice. Avec hélice, nous avons un courant soit aspiré (diffuseur EIFFEL), soit comprimé en arrière de l'hélice (courant des Zooptères). Sans hélice, nous avons le Venturi simple ou triple, avec ses nombreuses applications en aviation.

Quant aux cyljndres creux, récemment brevetés, pour assurer la stabilité longitudinale automatique, mes expériences en cours font craindre une traînée plus grande que dans les autres systèmes proposés ou appliqués.


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Réflexions sur le traitement des plaies par les larves de mouches

par M. F. GRANEL

Des articles récents ont attiré l'attention sur les résultats obtenus par l'emploi des larves de mouche dans le traitement des plaies. Se basant sur les observations faites au cours de la guerre de plaies souillées de larves dont l'évolution avait été particulièrement favorable, des c irurgiens américains n'ont pas hésité à en faire le point de départ d'une thérapeutique nouvelle. Ils ont organisé dans leurs hôpitaux des élevages de mouche verte (Calliphora erythrocephala) dans des conditions de température et d'humidité permettant le développement des larves toute l'année, hiver comme été, les oeufs sont recueillis au fur et à mesure des pontes et stérilisés; les larves sont utilisées 48 heures après leur éclosion et placées sur les plaies post-opératoires. Toutes les plaies sont justiciables de cette thérapeutique et plus particulièrement les plaies infectées des ostéites et ostéomyélites suppurées. Les résultats sont des plus intéressants : les larves de mouches nettoient la plaie, activent la cicatrisation et se comportent ainsi comme des auxiliaires précieux du chirurgien.

L'organisation d'une telle thérapeutique nous étonne. Cependant, l'action cicatrisante des larves sur les plaies des blessés avait été jadis signalée par LARREY et de semblables constatations avaient pu être faites au cours de la guerre de 1914.

A ce sujet, voici le cas de trois blessés atteints de fracture ouverte des membres inférieurs, observés au moins d'août 1916, sur le champ de bataille de Verdun. Ces hommes, blessés depuis trois jours, avaient dû attendre dans leur trou d'obus la venue des brancardiers et leurs blessures, mal protégées par leur pansement individuel, étaient remplies de larves de mouche. Or, ces plaies, une fois débarrassées des larves, se montrèrent exemptes de débris nécrosés et parfaitement nettes jusque dans leurs anfractuosités les plus profondes. La peau et les masses musculaires avaient l'aspect de tissus en voie de bourgeonnement. L'état général de ces blessés était aussi satisfaisant que possible; ils ne présentaient aucun signe de toxémie.

Ces observations, bien qu'incomplètes, montrent l'action mécanique rapidement exercée par les larves au niveau des


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plaies. Comme tous les organismes à croissance rapide, les larves sont d'une voracité inouïe. Leur action mécanique s'exerce d'autant mieux qu'elles ne s'attaquent qu'aux tissus mortifiés respectant les portions vivantes, les vaisseaux par exemple, et que grâce à leur agilité, elles peuvent explorer la plaie jusque dans ses parties les plus cachées. Les observations des chirurgiens américains montrent qu'à cette action mécanique s'ajoute une action chimique, due à un principe actif qui diminue la pullulation microbienne et stimule le travail de cicatrisation.

Quel que soit l'avenir de cette thérapeutique, il est certain que malgré ses qualités elle n'en impose pas par son élégance. Il est curieux de voir ériger en méthode thérapeutique un procédé qui, à première vue, paraît si opposé aux principes les plus élémentaires de l'hygiène.

Léiomyose lélangiectasique de la cavité utérine

par M. E. GRYNFELTT

Cette tumeur diffère à première vue par son architecture des léiomyomes banaux de l'utérus. Ce ne sont pas des faisceaux musculaires compacts, dans un stroma rare et peu vascularisé. Elle est formée, au contraire, de fasceaux musculaires minces et à texture lâche, disséminés dans un stroma conjonctif délicat et parsemé de nombreux vaisseaux, ayant la signification de larges capillaires, car leur paroi est totalement dépourvue de membrane élastique interne. Dans l'adventice de ces vaisseaux on trouve de nombreuses fibres musculaires lisses, vaguement fasciculées, qui, d'abord centrées autour des vaisseaux, s'en écartent ensuite en divergeant et vont s'éparpiller dans le stroma. Il s'agit donc d'une formation musculaire lisse, bien diférente par sa genèse des léimyomes qui se développent au dépend du corps musculaire de l'utérus. L'existence de nodules inflammatoires chroniques au sein du stroma, et les manchons nombreux de périvasculite à mononucléaires, indiquent bien qu'il s'agit, non d'un blastome au sens strict du mot, d'un léiomyome, mais plutôt d'une hyperplasie inflammatoire, d'où le nom de léiomyome employé dans le titre de cette communication.


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Séance du 12 décembre 1932 Présidence de M. AMANS, ancien président, doyen d'âge.

COMMUNICATIONS

Observations sur la précédente communication:

« Des divers modes d'avaler son chemin »

par M. AMANS

M. AMANS présente des observations sur sa précédente communication: « Des divers modes d'avaler son chemin », en particulier sur la récente invention allemande, consistant à placer des tubes sur la face dorsale des ailes, parallèlement au sagittal; cette disposition aurait pour but d'assurer automatiquement la stabilité longitudinale. Ce résultat me paraissait vraisemblable, mais contraire à la finesse de l'avion.

J'ai fait quelques expériences à ce sujet et elles confirment cette opinion. Je les résume dans les deux faits suivants :

1° Un tube de cuivre, plongé dans du sable très fin, en position horizontale, tiré horizontalement par un contre-poids, se trouve cabré à la fin de la course et l'angle de cabrage est proportionnel à la vitesse. Dans le piquage d'un avion désemparé, la vitesse est augmentée et le couple de redressement augmente.

2° La traînée du cylindre creux en cuivre est aussi grande que celle d'un cylindre en bois plein, et deux fois plus grande que celle du cylindre en bois, munie d'une proue à maîtrecouple stomatoïde.

Nouvelles petites planètes par M. HUMBERT

De nouvelles petites planètes, récemment découvertes, présentent de très curieuses particularités.

L'une a été trouvée le 12 mars 1932, par M. DELPORTE, à l'Observatoire d'Uccle. Son orbite, analogue à celle d'Eros, se rapproche cependant encore plus de celle de la Terre: alors


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que la distance minimum Eros-Terre est de 0,15 unités astronomiques, celle de la nouvelle petite planète à la Terre peut atteindre 0,11.

a deuxième, découverte le 24 avril, par M. REINMUTH, à Heidelberg, est encore plus remarquable : son excentricité est très forte, de sorte que son orbite, assez allongée, est déjà digne d'intérêt par ce fait même; mais surtout elle s'approche de la Terre d'une façon inusitée: le 15 mai dernier, la distance de cet astre à la Terre n'était que de 0,07. C'est donc de tous les corps célestes notre plus proche voisin (la Lune mise de côté, bien entendu).

Une belle relique pascalienne par M. HUMBERT

M. HUMBERT signale qu'il a trouvé, au mois de septembre dernier, sur des rayons très rarement visités de notre. Bibliothèque Universitaire, une belle relique pascalienne: il s'agit de l'ouvrage sur la Roulette (ou Cycloïde), publié en 1658-1659, par PASCAL, SOUS le nom de DETTONVILLE, et où se trouvent posées les bases du calcul intégral. L'exemplaire de l'Université est non seulement une première édition, mais, ainsi qu'en fait foi une mention manuscrite sur la page de titre, A. Arnauld ex dono autoris, l'exemplaire donné par PASCAL lui-même au grand ARNAULD.

Ce volume est à présent rangé dans le cabinet du Bibliothécaire, parmi les livres les plus précieux appartenant à l'Université.

La dégénérescence spumeuse des noyaux par M. E. GRYNFELTT

En étudiant la structure fine de certains épithéliomas cutanés (spino-oellulaire et noevo-épithélioma) j'ai observé un processus important de dégénération nucléaire qui ne paraît pas avoir attiré de façon spéciale l'attention des auteurs. Il s'agit d'une sorte de vacuolisation progressive des noyaux qui se tuméfient de façon considérable et finissent pas éclater littéralement. En cela, ce processus diffère tout à fait de la « dégé-


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nére scence vacuolaire », signalée depuis longtemps par PODWYSSOTSKY (1888). Celle-ci pourrait tout au plus être considérée comme un stade de début des phénomènes dégénératifs que j'étudie ici, et qui mérite plutôt le nom de dégénérescence ou tuméfaction spumeuse des noyaux.

Cette dégénérescence débute par l'apparition d'une vacuole volumineuse, en général excentrique, ou d'un grand nombre de petites vacuoles qui donnent au noyau un aspect aréolaire {a et b). Dès ce moment, d'ailleurs, sa structure est profondément altérée: il est en pleine chromolyse. La plupart de ses câryosomes, réduits à l'état de granulations d'une finesse extrême, finissent par se dissoudre dans le suc nucléaires qui devient intensément basophile. Dans la suite, quand le noyau se tuméfie, cette chromophilie s'atténue, et les plasmosomes ou


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nucléoles acidophiles deviennent visibles (b, e, g, où ils ont été représentés sous forme de sphérules finement striées).

Le nombre et le volume des vacuoles continuant à s'accroître, le noyau prend une forme bosselée (c). Son « architecture » devient de plus en plus spumeuse. Les vacuoles se multiplient, grossissent, en conflueunt parfois de manière à former des cavités volumineuses à contours polycycliques.

Certains vacuoles finissent ainsi par acquérir des dimensions énormes, l'emportant de beaucoup sur le volume primitif du noyau. Tantôt elles forment une cavité unique, ovoïde, dont les pôles apparaissent coiffés (en d) d'une calotte de substance nucléaire spumeuse : tantôt ce sont des cavités multiples et irrégulières, formant une sorte d'épongé grossière (e, f, j) dont les mailles, très inégales, sont circonscrites par des travées de substance basophile. Le noyau, considérablement boursoufflé, arrive à mesurer, suivant son grand diamètres, plus de 60 , alors que normalement, dans ces mêmes tumeurs, avant sa vacuolisation, il atteint à peine 12 à 14 .

Cette vacuolisation progressive finit par déterminer l'éclatement du réseau nucléaire, de telle sorte que les parois des cavités spacieuses qui en résultent sont formées en grande partie par le cytoplasme (d, e, f, i). On voit en h deux grandes avéoles, qui apparaissent comme « soufflées » sur le côté gauche du noyau et qui sont encoire coiffées du débris de la membrane nucléaire rompue par leur expansion. La partie droite du noyau, demeurée finement spumeuse, est encore régulièrement sertie de sa membrane chromatique.

Ce processus qui boursoufflé le noyau et le disloque, aboutit à sa destruction par éclatement (comme on le voit en i [en bas] et en k. A ce moment, les travées, de substance nucléaire, ont perdu leur substance basophile : elles deviennent achromatiques ou légèrement acidophiles, et forment un réseau à mailles disloquées qui finissent par se confondre avec celles du cytoplasme, en désintégration lui aussi, et disloqué par l'afflux de la masse liquide échappée du noyau.

Malgré son apparence spumeuse et comme « soufflée », il est évident que ce ne sont pas des bulles gazeuses qui distendent ces noyaux. Dans les pièces fixées par l'alcool absolu, en vue de la recherche du glycogène, les vacuoles s'affaissent comme si elles renfermaient une substance ayant une grande affinité pour


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l'alcool, car elle a disparu au moment où commence la coagulation des albuminoïdes, déterminée par le réactif fixateur ; de sorte que le noyau rétracté a totalement perdu son architecture spumeuse sur les coupes du tissu tumoral ainsi fixé. Cette substance ne saurait être autre chose que de l'eau renfermant des sels minéraux. Les réactions des graisses (soudan, acide osmique), des mucines (mucicarmin de MAYER), des substances albuminoïdes (par le DERRIEN-TURCHINI) ont toujours été négatives. La dégénérescence spumeuse représente donc une forme spéciale de dégénérescence « hydropique » ou « vacuolaire », se localisant sur des noyaux en chromatolyse. Sauf à la phase terminale de plasmarrhexie, le cytoplasme n'est pas vacuolisé. Cette vacuolisation détermine un gonflement énorme du noyau, qui finit par éclater. Ses débris achromatiques finissent par se perdre au sein du cytoplasme en voie de désagragation : car la destruction de la cellule est l'aboutissant de ce processus.

Remarques histologiques sur la glande pulmonaire de Zonites algirus L.

par M. Jean TURCHINI

Chez un Pulmoné du littoral méditerranéen, Zonites algirus L., SICARD (1) décrivit, en 1874, une formation glandulaire particulière incluse entre les deux feuillets du planfond de la cavité respiratoire, en rapport avec le bord palléal du manteau et débouchant, par un court canal excréteur, à gauche du pneumostome. Il donna à cet organe le nom de « glande pulmonaire ». Seul, à ma connaissance, SICARD entreprit l'étude histologique de cette formation qu'il venait de décrire. La brièveté de ses constatations m'a engagé à entreprendre, avec M. BROUSSY, de nouvelles recherches pour essayer de fixer la vraie nature et la signification physiologique de la « glande pulmonaire » de Zonites, glande unique dans le groupe des Pulmonés. Voici les principaux résultats des présentes recherches qui, par ailleurs, font l'objet d'un travail plus étendu (2).

(1) Thèse Sc., Paris, 1874.

(2) Arch, de Zool. exp. et gén., 72, 1932.


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Chez Zonites algirus L., la « glande pulmonaire » est formée par une invagination canaliculaire de l'épithélium de revêtement du bord palléal du manteau, autour de laquelle sont disposées de nombreuses cellules glandulaires sans doute conjonctives. Ces éléments, qui paraissent provenir de la transformation, dans trois sens différents, d'une même cellule lymphocytiforme, sont, soit granuleux, à granulations calcaires, soit muqueux, soit albumineux et, dans ce dernier cas, subissant une évolution de la périphérie vers le centre de la glande. Quelle que soit la portion considérée de la glande, nous rencontrons toujours ces trois sortes d'éléments cellulaires principaux, dont les variations de nombre correspondent à des étages différents de l'organe.

Les cellules à granulations calcaires occupent la région antérieure de la glande, c'est-à-dire correspondent au bourrelet palléal, et sont disposées en travées rayonnantes. Ce sont de gros éléments, de 50 à 70 , à gros noyau, très chromatique, excentrique, et dont le cytoplasme est bourré de granulations donnant les réactions histochimiques du calcaire.

Les cellules muqueuses typiques, abondantes au niveau du tiers moyen et postérieur de la glande, sont en général très rapprochées de la lumière du canal excréteur. Leur taille varie entre 40 et 250 , et leur forme est amphorique.

Quant aux cellules à enclave albumineuse (la réaction de l'encre de DERRIEN et TURCHINI est positive à leur niveau), elles se présentent sous divers aspects correspondant aux différentes phases de leur évolution; elles occupent les régions moyenne et postérieure de la glande et subissent une évolution centripète. Dans les stades jeunes, les cellules possèdent de nombreuses gouttelettes oxyphiles au sein du cytoplasme. Leur taille est de 50 . Dans un stade intermédiaire, les gouttelettes ont conflué en une flaque oxyphile qui refoule le noyau vers la périphérie. Les éléments, de grande taille, 100 à 150 , ressemblent au « Eiveisszellen » des auteurs allemands. Un stade ultime correspond à une enclave albumineuse occupant toute l'étendue de l'élément. Le noyau a disparu, le cytoplasme persiste sous forme d'une très mince pellicule périphérique. Ces cellules atteignent alors jusqu'à 400 . et ne tardent pas à déverser leur contenu dans le canal excréteur par effraction à travers l'épithélium de revêtement. Celui-ci, semblable à l'épithélium tapissant le bord palléal du manteau, est formé d'une seule assise d'éléments d'as-


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pect et de forme variables, généralement ciliés, mais subissant par endroits des modifications de taille et de ciliation.

La différenciation des divers autres éléments passe aussi par plus phases. C'est au cours de la deuxième phase que se produit, au niveau d'éléments à inclusions non connu entes, comme une floculation de petits granules acidophiles qui grossissent, s'individualisent au sein du réticulum cytoplasmique, puis deviennent basophiles, se transformant alors en grains de p;rémucigène. Nous assistons ainsi à la formation de cellules muqueuses typiques. Les cellules à granulations calcaires se forment aussi au cours de la deuxième phase par condensation de granules aux points nodaux des mailles du réseau vacuolaire de l'élément générateur.

Dans la glande ainsi constituée, la période de repos hibernal correspond à une prédominance des formations muqueuses. L'inverse se produit lors de l'activité estivale, les éléments albumineux sont alors surtout développés, la portion palléale, granuleuse, de la glande ne subissant aucune modification dans les deux cas. La glande paraît avoir la même fonction que les autres éléments glandulaires disséminés des régions avoisinantes, c'est-à-dire une fonction de lubrification. De plus, elle semble jouer un rôle dans la réfection du test de Zonites. De par sa nature et de par sa structure, elle paraît enfin être l'homologue des formations transitoires décrites par MOYNIER DE VILLEPOIX chez de jeunes Hélicides, sous les noms de « bandelette palléale » et de « glande globuligène albuminoïde ».


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SECTION DES LETTRES

Séance du 18 janvier 1932

Présidence de M. de DAINVILLE, président.

M. le Président rappelle que trois fauteuils sont devenus vacants, par suite du décès de MM. Léon MAURY et VIARD, et du départ de Mgr MIGNEN. Il propose, selon la coutume, de nommer des Commissions qui présenteront des candidats à la prochaine séance de la Section. MM. THOMAS, MERCIER et BEL composeront la Commission chargée d'examiner les candidatures au fauteuil de M. Léon MAURY, et MM. VALÉRY, THOMAS et BEL celle chargée d'examiner les candidatures aux fauteuils de MM. MIGNEN et

VIARD.

M. THOMAS met la Section au courant des recherches qu'il fait aux Archives départementales sur un point de l'histoire de Marseillan et les difficultés qui mirent aux prises, en 1773-1774, le curé LUNARET et son vicaire CAUVET.

M. DE DAINVILLE indique une étude qu'il a entreprise sur la réforme municipale en 1620-1635, en se reportant à l'histoire de Béziers à cette époque.

L'Académie aura sans doute la communication du résultat de leurs travaux.

La séance est levée à 18 h. 45.

Séance du 15 février 1932

Présidence de M. DE DAINVILLE, président. ~

Excusés : MM. COSTE et MERCIER-CASTELNAU.

Les Commissions nommées pour présenter à la Section des candidats aux fauteuils de MM. Léon MAURY, MIGNEN et VIARD. proposent M. André ARNAL, professeur à la Faculté libre de théologie protestante, pour succéder à M. MAURY; M. François ROMIEU, pour succéder à Mgr MIGNEN, et M. Elie GÙENOUN, professeur à la Faculté de droit, pour succéder è M. VIARD.


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MM. ARNAL, ROMIEU et GUENOUN sont agréés et seront présentés aux suffrages de la prochaine assemblée générale.

La parole est donnée à M. LAFONT pour une communication sur « Les Misérables, de Victor HUGO, critiqués et refaits par LAMARTINE ».

La séance est levée à 19 heures.

Séance au 7 mars 1932

Présidence de M. DE DAINVILLE, président.

Rappelant des souvenirs d'enfance, M. VALÉRY parle de la présence dans le port de Sète, au bassin du dock de la Douane, d'un cétacé qui y avait été amené vers la fin de septembre 1870. Son père étant fonctionnaire des douanes, il lui fut facile d'approcher le monstre et de le contempler à loisir. Ce spectacle fit sur son âme d'enfant une impression profonde, qui ne s'est point effacée avec le temps.

M. VALÉRY rappelle que cet événement a été relaté dans les Annales de la Société d'horticulture et d'histoire naturelle de l'Hérault, où M- DOUMET-ADANSON publia une « Note sur le Rorqual, capturé aux environs de Palavas, le 23 septembre 1870 ».

La séance est levée à 18 h. 45.

Séance du 18 avril 1932

Présidence de M. DE DAINVILLE, président.

M. le Président donne la parole à M. AMADE pour sa communication sur la « Contribution à l'étude du folklore méridional: l'invisible et le mystère ».

La séance est levée à 19 heures.

Séance du 23 mai 1932

Présidence de M. VALÉEY, vice-président.

M. COSTE propose de demander à l'Académie l'admission de M. de GOESSE, avocat à Toulouse, comme membre correspondant. M. DE GOESSE serait présenté par la Section des Lettres, qui demanderait l'insertion du texte de sa conférence dans le Bulletin,


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M. MERCIER a la parole pour une communication suivies « Recommandations écrites de ROSSEL D'AUBAEUC, détenu pour fait de religion, pour l'éducation de son fils, 1694 ».

M. DEZEUZE présente ensuite des observations et des souvenirs personnels sur Boutonnet, ville inconnue.

La séance est levée à 18 h. 45.

■ Séance du 20 juin 1932.

Présidence de M. VALÉRY, vice-président.

M. MERCIER-CASTELNAU fait une communication sur le château de Castelnau, situé dans la commune de Castelnau-de-Pégairoles, arrondissement de Millau (Aveyron). Ce château, qui appartient actuellement à sa famille, date du xe siècle, peut-être, mais sûrement du XIIe. Il a appartenu, dès cette époque, à la famille des LEVEZOU, puis passa aux ARPAJON et aux PÉGAIROLE.

Le président remercie M. MERCIER-CASTELNAU de sa communication.

La séance est levée à 18 h. 30.

Séance du 21 novembre 1832

Présidence de M. DE DAINVILLE, président.

Election du Bureau pour 1933.

Votants : 10.

Ont obtenu:

Comme vice-président : M. LAFONT, 7 voix ; M. FLICHE, 2 voix ; M. THOMAS, 1 voix.

Comme secrétaire : M. BEL, 9 voix ; M. COSTE, 1 voix.

Comme secrétaire adjoint: M. AMADE, 10 voix.

En consquence, le Bureau pour 1933 est ainsi composé:

Président: M. VALÉRY, vice-président pour 1932, qui devient président de droit.

Vice-président: M. LAFONT.

Secrétaire: M. BEL. ;

Secrétaire-âdjomt: M. AMADE.


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M. le Président donne ensuite la parole à M- THOMAS, qui fait une communication sur ce qui s'est passé à Montpellier, il y a cent ans, pendant l'été et l'automne de 1832.

La séance est levée à 18 h. 30.

Séance du 12 décembre 1932

Présidence de M. VALÉRY, vice-président.

M. le Président donne la parole à M. THOMAS, pour une communication sur le voyage du Prince-Président dans l'Hérault en octobre 1852. Le Prince-Président arriva à Lunel, puis à Montpellier, en chemin de fer, le 1er octobre. Il poursuivit sa route à travers le département en voiture. M. THOMAS expose les divers incidents, peu importants, d'ailleurs, qui se produisirent pendant ce voyage, dont l'itinéraire avait été établi par le préfet, M. DURAND DE SAINT-AURAND. Un exemplaire de cet itinéraire est conservé aux Archives de l'Hérault.

La séance est levée à 18 h. 40.


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SECTION DE MÉDECINE

Séance du 4 janvier 1932

Présidence de M. OUY-VERNAZOBRES, président.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Election. — La Section décide, à l'unanimité des membres présents, de proposer aux suffrages de l'Académie M. CONTE, inspecteur général honoraire des services vétérinaire au Ministère de l'Agriculture, pour occuper le fauteuil de M. le professeur VEDEL.

COMMUNICATION

Le Néo-Malthusianisme en Angleterre au vingtième siècle par M. Léon PILLEBOUE

Le néo-malthusianisme, sous le nom de Birth Control, a pris en Angleterre une influence considérable au XXe siècle.

La Dr. Marie STOPES a fondé, en mars 1921, la première clinique de Birth Control, la Mother's clinic. Elle a pour but d'enseigner les méthodes proconceptionnelles et les méthodes anticonceptionnelles, mais sur les 5.000 premières consultantes, 166 seulement ont désiré se renseigner sur les moyens de remédier à leur stérilité.

Les causes de ce mouvement, qui ont fait tomber les naissances, pour un mariage, de 3,7 en 1901 à 2,2 en 1928, sont la surpopulation et la constatation, au moment de la dernière guerre, du grand nombre de porteurs de tares héréditaires.

En 1921, la densité de la population en Angleterre et au Pays de Galles était 250 h. au kmq. Au 23 décembre 1931, le nombre des chômeurs atteignait 2.572.600 pour une population de 44.371.000.

Des membres de l'Eglise anglicane, de nombreux médecins, des hommes d'Etat de tous les partis, favorisent ce mouvement.


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Le 28 avril 1926, la Chambre des Lords a voté une proposition de loi autorisant l'enseignement des méthodes contre la conception dans les Welfare Centre. Pour des raisons tout opposées, les Chambres françaises ont voté, le 21 juillet 1920, une loi qui punit d'amende et de prison tous ceux qui décrivent, divulguent ou offrent de révéler les procédés propres à prévenir la grossesse. Rien ne montre mieux combien les moeurs et les lois sont filles des circonstances.

M. OUY-VERNAZOBRES signale que ce mouvement tend à s'introduire en France sons la forme de l'eugénisme.

M. MAGNOL indique qu'en Allemagne la propagande anticonceptionnelle se développe librement.

Séance du 1er février 1932

Présidence de M. OUY-VEBNAZOBBES, président.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

A la précédente séance, M. PILLEBOUE avait signalé qu'un livre sur l'hygiène (1), à l'usage des lycéens, disait, au sujet du fromage de Roquefort: « Le Roquefort est fabriqué avec du lait de brebis. Ce lait est d'abord chauffé à 75 ou 80°, pour détruire la plupart des Bactéries ».

La Société de Roquefort, interrogée à ce sujet, a répondu:

1° Le lait servant à faire le Roquefort n'est pas et ne peut pas être pasteurisé ;

2° Il s'écoule au minimum trois mois entre la fabrication et la consommation. Suivant les données bactériologiques actuelles, il semble que ce délai soit suffisant pour empêcher toute propagation de fièvre ondulante par le fromage de Roquefort, bien que le lait ne soit pas pasteurisé.

Le Saint-Maroellin, fromage fait avec du lait de chèvre, paraît lui aussi innofensif pour la même raison.

(1) Hygiène, par V. BOULET, professeur agrégé au Lycée Satot-Loui®.


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COMMUNICATION

A propos d'un livre récent sur le Vin et l'Hygiène (1) par M. Marcel GIRAUD

Depuis le cri d'alarme de MAGNUS-HUS, contre l'alcoolisme, la plupart des abstentionnistes ont considéré le vin comme une simple dilution alcoolique.

Les vins falsifiés et nocifs de la crise phylloxérique ont accrédité la légende de la toxicité du vin.

Depuis le début du XXe siècle, réaction très marquée.

Où en est la question actuellement? C'est cette mise au point qu'a tenté le Dr DOLERIS.

L'alcool est-il toujours un poison? C'est aussi un aliment et non toxique, s'il est pris à des doses modérées et fractionnées (travaux d'ATWATER et BENEDICT, DUCLAUX, Roos et HÉDON).

L'alcool éthylique, le moins toxique de tous, pris à doses modérées et fractionnées, est un aliment non toxique: conditions réalisées dans le vin.

Le vin naturel ne produit pas d'alcoolisme (Ch. RICHET, cité par VENTRE [1]).

Quelle dose? 1 cc. d'alcool par kg., soit pour un homme de 70 kg., 70 cc. d'alcool, 900 cc. de vin à 9°.

Mais « le vin n'est pas l'alcool », il est à la fois plus et moins que lui. Plus, parce qu'il représente à un plus haut titre un aliment complet et un médicament de la nutrition.

Moins, parce que, à une valeur énergétique moindre est opposée une actions moins irritante sur les épithéliums, avec lesquels il entre en contact.

(Rapport de MM. LOEPER, professeur à la Faculté de médecine de Paris, et ALQUIER, secrétaire général de la Société d'hygiène alimentaire de Paris.)

(1) Le Vin et les Médecins: le Pour et le Contre, par le Docteur J. A. DOLERIS. — VIGOT frères.

(1) Traité de Vinification, par Jules VENTRE. A. DUBOIS et R. POULAIN, éditeurs, Montpellier.


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Le vin a donc une triple valeur : Valeur physiologique et alimentaire; Valeur thérapeutique; Valeur antiseptique et bactéricide.

C'est aux mêmes conclusions qu'aboutit le Dr DOLERIS: discussions devant la Société de Médecine de Paris, opinions des maîtres de l'hygiène, rapports contre la prohibition, études sur l'usage du vin d'après l'histoire, la religion et la science, viennent étayer les idées qu'il résume au début de son livre:

" Toutes les personnes jouissant d'une santé normale ont un réel intérêt à boire du vin. Telle est la bonne règle hygiénique.

» Les malades auxquels les médecins l'interdisent, en raison de leur maladie, sont hors de cause. Voilà l'exception.

» Le vin est une ressource précieuse pour la thérapeutique médicale et chirurgicale (grippe, pneumonie, débilité, convalescence, suites opératoires, etc.) C'est l'évidence ».

DISCUSSION

M. BOUDET insiste sur la valeur bactéricide du vin: l'abondance des collèges et pensions, qui consiste à mélanger à l'avance le vin et l'eau, est une pratique très hygiénique.

M. GUIBERT, à propos des vins plâtrés, accusés d'avoir une action particulièrement toxique sur le foie, signale l'expérience du Dr BOURDEL, en 1888, sur les élèves de l'Ecole d'Agriculture:

■Trois lots : Premier lot, buvant vin surplâtré (4 gr. de plâtre par litre) ; Deuxième lot, buvant vin plâtré (2 gr.) ; Troisième lot, buvant vin non plâtré.

Pendant sept à huit mois, aucun trouble digestif ou hépatique n'ont été observés.

Personnellement, il a donné pendant plusieurs années ses soins à une population qui buvait du vin surplâtré, sans jamais avoir observé d'accidents hépatiques.

Par contre, ceux-ci étaient fréquents chez les buveurs d'apéritifs.


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M. CARRIEU demande que les expériences sur le vin soient faites avec le vin de commerce, parce que c'est celui que boit le consommateur.

M. OUY-VERNAZOBRES conclut en souhaitant que le vin mis à la disposition du consommateur soit un vin sain, normal, agréable à boire et que les vins anormaux, d'où qu'ils viennent, soient rejetés du marché.

Séance du 7 mars 1932

Présidence de M. OUY-VERNAZOBRES, président.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

COMMUNICATION

Y a-t-il des sons perçus par les sourds-muets ? par M. OUY-VERNAZOBRES

I

L'ancien sourd-muet, celui qui vivait il y a cent ans, par exemple, était presque sans communications intellectuelles avec ses semblables, car, sauf quelques gestes dont ses familiers perçaient le mystère, il était à peu près hermétique pour tous les étrangers. Son intelligence restait à l'état rudimentaire — dans « l'enfance », comme on dit des vieillards qui n'ont plus un cerveau actif. Il était l'objet de bien des moqueries, de nombreuses tyrannies, et on peut dire qu'il était la bête de somme de toute la famille.

L'invention de l'alphabet par gestes lui ouvrit des communications usuelles avec les initiés, et l'on cria à la merveille parce qu'on put défricher son esprit, lui apprendre un métier. De nos jours, la patience des professeurs, la sagacité des médecins, ont poussé les progrès à un point vraiment éblouissant.

On a amené le sourd-muet à lire les rapoles sur les lèvres d'autrui comme nous lisons dans un livre, et à prononcer des mots, des phrases, c'est-à-dire à parler.


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II

Mais ce travail, chez l'enfant, est commencé beaucoup trop tard.

Si nous examinons le bébé à la nourrice, nous sommes frappés des mouvements de ses lèvres, des efforts précoces qu'il fait pour balbutier, des sons qu'il s'efforce de reproduire. Pour ceux que la question du transformisme intéresse, il n'est pas inutile de signaler ce fait que l'enfant, par hérédité, est poussé à parler, que seul, de tous les animaux, il est capable du travail gigantesque qui consiste à écouter un son et à le reproduire, en plaçant de mille manières différentes, les lèvres, les dents, la langue et le larynx. Si « rire est le propre de l'homme », le langage articulé et l'impulsion subie par l'enfant ne sont certainement pas des épiphénomènes et ne peuvent se comparer à l'aboiement que le chien sauvage a gagné dans la domestication. Reproduire des sons par imitation, en leur donnant un sens, est la caractéristique d'une espèce qui, comme dit BERGSON, est seule à avoir « sauté la corde ».

Donc, l'enfant, dès son plus jeune âge, subit une impulsion qui l'oblige à reproduire les sons qu'il entend. Ce besoin d'imitation de la parole passe du reste assez vite. Lorsque le bébé possède son vocabulaire courant nécessaire à l'ordinaire de la vie, ce travail si ardu des lèvres cesse à peu près complètement. Entre deux et six ans, l'enfant connaît tous les mots dont se sert son entourage dans l'existence matérielle.

Or, le sourd-muet est resté dans sa famille à peu près inerte. On lui a peut-être appris les gestes nécessaires pour la vie, mais son serveau n'a pas été gymnastique. Il y a donc pour le petit sourd-muet une perte de temps énorme; il est « handicapé » pour toute sa vie. Il faudrait, au contraire, qu'il fut toujours en avance sur ses petits condisciples normaux, à cause de la difficulté qu'on rencontre pour atteindre son intelligence.

On a donc été amené à faire commencer de très bonne heure l'éducation des enfants sourds par des spécialistes, et il n'est pas excessif de fixer cet âge à deux ans.

Or, on s'est aperçu qu'à cet âge la moitié des enfants sourds perçoivent certains sons. Ils ont un « reliquat acoustique », comme disent les spécialistes ; et voilà bien une admirable découverte que l'on s'est empressé d'utiliser.


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Certes, il y a quelques mamans qui disaient avec intérêt:

— Il entend tel cri d'animal Il se retourne quand son frère l'appelle... Mais cela restait à l'état de constatation, de curiosité, de bizarrerie.

Des médecins patients se sont adonnés à cette étude avec une admirable sagacité et, de même qu'un noyé ne reprend sa respiration souvent qu'après plusieurs heures de tractions rythmées de la langue, un enfant sourd-muet ne livre ses reliquats auditifs qu'après de longs mois d'efforts. Au moyen d'appareils ingénieux, on développe cet éveil partiel de l'ouïe, on essaie de faire travailler des cellules suppléantes, on leur fait différencier les sons de la voix, on leur fait sentir les diverses intonations, les liaisons des syllabes, et on améliore si bien leur parole qu'on arrive à donner de la vie à ce langage inerte au début. On admet qu'il est exceptionnel de ne pas obtenir de plus-value auditive chez l'enfant sourd mis au travail de bonne heure.

On peut ainsi, au moyen de grelots, de timbres montés en gamme, déceler les trous auditifs de l'enfant, et même lui donner une idée de la musique !...

Au point de vue éducatif, les procédés employés sont vraiment si ingénieux qu'il est intéressant de les répandre dans le public, pour lui montrer la patience et l'esprit de méthode des spécialistes

On commence par écrire sur un tableau le mot que l'on veut enseigner, de façon à en donner à l'enfant le « portrait » graphique. Il n'en peut pas lire les lettres, puisqu'il ne connaît pas l'alphabet, mais il saisit vite l'allure du mot, sa morphologie, si l'on peut dire. Du reste, on développe autant qu'on le peut l'attention visuelle des enfants en les habituant à reconnaître rapidement les différences infimes de détail dans des dessins d'un même objet.

Donc, l'enfant reconnaît le portrait du mot qu'on veut lui apprendre. On prononce, alors, ce même mot en accentuant le mouvement des lèvres: pa-pa, ma-man. La connaissance est faite. Il reconnaîtra désormais ce mot écrit et ce mot prononcé.

Supposons que l'on ait appris aux enfants les mots: fourchette, couteau, cuiller. On met dans des corbeilles des lotos spéciaux portant des dessins de ces objets mélangés parmi


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beaucoup d'autres. En écrivant les mots ou en les prononçant, l'enfant doit chercher dans la corbeille l'objet dessiné.

On conçoit que cet exercice, dont l'intérêt est très vif pour les petits sourds, développe rapidement l'acuité de leur esprit et les dote très vite du vocabulaire nécessaire à la vie, car il existe toutes sortes de collections d'animaux, de fruits, de fleurs, etc., sous forme de lotos.

Jules SOURY a cité le cas d'un enfant sourd-muet-aveugle, qu'un accident priva, très tôt, de l'usage de ses membres. C'était une loque informe, peut-on dire, et l'on ne savait guère si ce petit amis de chair humaine avait la faculté de penser.

Un médecin s'occupa de l'enfant. Avec une épingle, il lui fit comprendre la sensation de la piqûre à ses différents degrés, en commençant par le simple toucher pour arriver jusqu'à la douleur. La sensibilité, ainsi éveillée, il lui fit apprécier le contact d'objet plus volumineux, un couteau, par exemple, puis il lui fit différencier le manche et la lame, le chaud et le froid, le tranchant et la pointe, etc., etc. On voit avec quelle patience il cherchait par les voies tactiles à atteindre son esprit. Le jour où il vit cette face inerte se contracter et sourire, le médecin fut ému jusqu'aux larmes. Quel triomphe!... Puis, il passa des idées concrètes aux idées générales, et il l'amena... à parler.

... Dernièrement, on pouvait lire, dans le Journal du 6 janvier 1932: « Devant un jury d'examen, une jeune fille de 28 ans, sourde et muette de naissance, Mlle Suzanne LAVAUD, soutiendra, vendredi 8 janvier, à 9 heures et demie, à la Sorbonne, une thèse pour le doctorat de l'Université... »

Sans vouloir nous griser de la pauvre petite science humaine, si infime en regard de ce qui reste à découvrir, nous pouvons dire que par son talent merveilleux d'observation l'Homme est arrivé à se hausser à un point tel que, pour l'Homme des cavernes, l'Aurignacien, par exemple, il est une sorte de Dieu. Il sillonne les mers comme les poissons ; il vole comme les oiseaux, il s'éclaire avec la foudre qu'il a captée... Et les prédictions de l'Evangile se réalisent:

Les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent...


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Séance du 4 avril 1932

Présidence de M. OUY-VERNAZOBRES, président.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le président est heureux de faire part à la Section de la nomination de M. BOUDET à la chaire de Thérapeutique et lui adresse au nom de tous ses meilleures félicitations.

COMMUNICATION

Applications diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques

des épreuves de l'ammoniurie

et de l'excrétion acide provoquées

par MM. G. GIRAUD et P. MONNIER

M. GIRAUD, en son nom et au nom de M. Pierre MONNIER, reprend devant l'Académie, dans un bref raccourci, l'exposé de la fonction ammonio-productrice du rein, bien connue depuis les travaux de NASH et de BENEDICT, et d'AMBARD et SCHMID. Il rappelle l'application qui en a été faite au diagnostic urologique, à l'instigation du professeur DERRIEN, par MM. OLIVIER et BONNET, qui ont proposé de très sensibles épreuves d'exploration, fondées sur le choc acide provoqué.

Le rein défend, en effet, l'organisme contre l'acidose par deux processus, la formation synthétique d'ammoniaque, excrétée sous forme de sels ammoniacaux, l'excrétion direction d'ions acides. Ces deux fonctions peuvent être troublées, l'une concurremment avec l'autre ou indépendamment l'une de l'autre; l'un d'elles ou les deux peuvent, d'autre part, se montrer déficientes, à l'exclusion de tout autre anomalie de la filtration rénale. L'identification d'un trouble de l'une ou de l'autre de ces fonctions peut donc mettre sur la voie d'une insuffisance latente et discrète et permettre l'institution d'un traitement précoce: ces faits ont été bien établis par MM. JEANBRAU, CRISTOL et BONNET.

MM. GIRAUD et MONNIER ont appliqué les épreuves exploratrices de l'ammoniurie et de l'excrétion acide provoquées à des sujets à rein suspect, en vue de la pose de l'indication d'une cure hydrominérale. Ils ont refait ces épreuves, chez les mêmes


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sujets, après un traitement pierre de touche pair l'ingestion d'eau minérale. Ces examens comparés leur ont permis d'apprécier l'influence de la cure sur la restauration des fonctions antiacidosiques du rein ; ses résultats sont souvent très précis. Les constatations faites au cours de cette épreuve thérapeutique, outre qu'elles démontrent l'efficacité du moyen de traitement employé, ouvrent la possibilité de deux ordres de précisions nouvelles: les unes d'ordre thérapeutique quant au choix de l'eau minérale à employer de préférence, les autres d'ordre pronostique, fondées sur les résultats enregistrés quant à l'influence de la cure de diurèse sur l'amélioration des fonctions ammonio-productrice et acido-séerétoire du rein.

Séance du 8 juin 1931

Présidence de M. OUY-VERNAZOBRES, président.

La séance a lieu chez notre président qui, dans le cadre charmant de son petit hôtel, nous offrit la plus cordiale hospitalité.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

COMMUNICATION

L'Hôpital militaire Saint-Louis à Montpellier par MM. ARNAL et ROUFFIANDIS

M. ROUFFIANDIS fait, au nom de M. ARNAL, officier d'administration de réserve du Service de Santé, rédacteur au journal l'Eclair, de Montpellier, et en son nom personnel, une communication sur un travail de M. ARNAL, ayant trait à un point peu connu de l'histoire locale de Montpellier et du Service de Santé militaire de la région au XVIIIe siècle.

Les hôpitaux de Languedoc et Roussillon formaient la 13e division d'inspection. Ils étaient visités par un médecin inspecteur. Un de ces inspecteurs fut le chancelier IMBERT, de la Faculté de médecine de Montpellier.

Un grand nombre de ces hôpitaux, dits de charité, fonctionnaient comme les hôpitaux mixtes actuels, à Montpellier, Alès,


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Béziers, Sète, Carcassonne, Sommières, Saint-Hippolyte, PontSaint-Esprit, etc.

Deux hôpitaux, en outre, étaient purement militaires : celui de Perpignan et l'hôpital vénérien de Montpellier.

Ce dernier était situé hors de la porte de Lattes, sur remplacement où se trouve aujourd'hui l'immeuble de l'hôtel du Midi et du Crédit Lyonnais; il occupait une partie des locaux de l'ancien hôpital N.-D. d'Obilion.

Il était installé dans les conditions les plus défectueuses. Un casernement avait été établi dans les mêmes bâtiments et le voisinage des malades et des soldats n'allait pas sans inconvénients. En outre, les latrines de l'hôpital se déversaient dans la cour de l'immeuble voisin, où étaient casernes les seize cavaliers de la maréchaussée et qui donnait sur la rue qui porte encore le nom de ce corps.

Les réclamations de l'autorité militaire et du prévôt général de la maréchaussée aboutirent au transfert de l'hôpital dans un immeuble situé hors de la porte du Peyrou. Cet immeuble est celui dans lequel se trouve installé le service du recrutement, sur la place Castries.

L'hôpital, dénommé hôpital royal Saint-Louis, fut prêt en 1763. Il était insuffisant et on dut l'agrandir successivement par la construction d'une aile parallèle (c'est le bâtiment qui longe la rue Clapiers), puis par l'adjonction d'un terrain qui est l'emplacement actuel de la manutention militaire.

Le nombre des bits de l'hôpital fut ainsi porté de 75 à 150, puis à 180.

Il reçut non seulement les vénériens, mais encore les scorbutiques, galeux et scrofuleux du Languedoc, du Comtat, de la Provence et même de la Corse. Il prit donc une importance" considérable.

Le nouvel hôpital fonctionnait, comme tous les hôpitaux militaires de l'époque, à l'entreprise. L'entrepreneur recrutait et payait le personnel d'exécution, placé sous les ordres d'un directeur.

L'administration militaire était représentée par un contrôleur.

Il y avait un médecin-major et un chirurgien-major, un chirurgien aide-major, un apothicaire aide-major, six élèves chirurgiens et deux élèves apothicaires.


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L'aumônier était, en même temps, chargé, suivant les usages de l'époque, des fonctions de l'état civil.

La discipline était assurée par un corps de garde (1 sergent et 7 à 19 hommes), fourni par les troupes de la place.

Deux modes de traitement étaient particulièrement suivis: les frictions mercurielles et les dragées antivénériennes de KEYSER, au protoacétate de mercure. On utilisait des bougies chirurgicale antigonorrhée.

Le prix de la journée de malade s'établissait à seize sous poulies soldats, au double pour les officiers.

Les documents officiels nous apprennent que tout n'était pas parfait à l'hôpital Saint-Louis. Le médecin-inspecteur IMBERT se montrait cependant très satisfait de ce que cet hôpital, un des premiers de France, ait pu donner un lit individuel à chaque malade.

C'était là un progrès énorme.

L'hôpital fonctionna sans grands changements jusqu'au 1er janvier 1789, soit pendant vingt-cinq ans.

L'ordonnance royale du 3 août 1788 avait supprimé les hôpitaux militaires, sur le pied militaire, attachés au service de santé militaire et prescrivait la création d'hôpitaux régimentairas, gérés par les conseils d'administration des corps de troupe.

Le conseil d'administration du régiment de Médoc traita ensuite avec le conseil des hospices de Montpellier, qui accepta de recevoir les fiévreux et les blessés, mais laissa les vénériens à l'hôpital régimentaire, qui fut séparé par un mur des immeubles voisins affectés à la « munitionnaire » (manutention militaire où se fabriquait le pain de munition). Il existe encore une « impasse de la Munitionnaire ».

En 1811, les bâtiments de l'hôpital, délabrés, furent affectés au casernement des officiers, des deux brigades à cheval et du dépôt de la gendarmerie départementale (1).

Ainsi, à la fin comme à l'origine de l'hôpital militaire de Montpellier, on retrouve mêlée la maréchaussée.

(1) La Gendaranerie départementale fût, peu de temps avant la guerre, transférée à la nouvelle caserne construite avenue Chancel.


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Séance du 7 novembre 1932

Présidence de M. MAGNOL, président.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

COMMUNICATION

Les fautes des filles... et les coupables

par M. OUY-VERNAZOBRES

Elles sont navrantes, les histoires des pauvres filles qui se sont laissé conter fleurette par un gars de village à la casquette sur l'oreille, ou des midinettes qu'un beau jeune homme venait attendre au coin de la rue au moment de la fermeture des magasins! Toutes, à l'aube de leurs seize ans, ont cru au chant du rossignol.

— Que la corbeille que tu portes,

soit de jonc clair ou d'osier vert,

Pleine de fleurs ou de feuilles mortes —

Ton pas, sur le seuil de ma porte,

C'est la vie et toute la vie

Qui entre et marche dans ma vie,

Sandale souple ou talon lourd,

Douce ou farouche,

Et le baiser nu de ta bouche

Est tout l'Amour...

Ce n'est pas seulement Henri DE RÉGNIER qui murmure ces jolies choses dans ses Odelettes charmantes, c'est l'éternelle chanson qu'écoutent, avec un coeur oppressé, toutes les jeunes filles qui s'éveillent à la vie.

Et nous connaissons tous le drame poignant qui en est la suite. Le théâtre, le roman, et notre expérience d'ici-bas nous en ont montré mille exemples. La jeune fille, un jour, se réveille avec un enfant... et elle est toute seule: le père s'est enfui.

Quelques désespérées, dans un sursaut de colère, quelques familles exaspérées, essaient de le retrouver, de le prendre à la


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gorge, de l'obliger à réparer le mal qu'il a causé. Peine perdueLa recherche de la paternité est interdite !...

Et puis, quelles preuves donner? Des lettres? Souvent, il n'y en a pas, ou elles ne sont pas assez explicites, et aussi, le coupable a toujours assez de muflerie pour accuser des inconnus... des voyageurs de passage...

Ah ! les hommes ont bien fait les lois en leur faveur !

X

Cependant, avec le féminisme qui monte et qui déborde, on s'est penché sur ces détresses, on a essayé de les consoler — et aussi de retrouver les coupables.

Je ne sais s'il y a, en France, des tribunaux qui connaissent de ces sortes d'affaires, mais, à l'étranger... « on ne badine pas avec l'Amour ».

Dans leurs « Recherches sur les groupes sanguins », les docteurs DUJARRIC DE LA RIVIÈRE et OSSOVITCH nous racontent l'histoire d'un procès passionnant qui bouleversa tout Berlin.

Malheureusement, ils résument leur récit pour la seule instruction des hommes de science qui lisent les Annales de l'Institut Pasteur. Nous y perdons tous les détails savoureux, toute l'angoisse du roman (1).

Herr M... était divorcé, et il avait deux enfants, fruit de sa tendresse avec l'épouse répudiée. Ils s'appelaient Caroline et Guillaume.

Fruits de sa tendresse! C'est précisément ce qu'il ne voulait pas admettre! Dans sa rage de jalousie, cherchait-il à effacer tout souvenir lui rappelant sa femme ou bien avait-il vraiment des soupçons qui le mordaient? En tous cas, il prétendait que ces deux enfants avaient pour père Herr K. Sch..., qui, suivant la règle connue, avait été son meilleur ami.

Il entania un procès.

Je laisse tous les sentiers dans lesquels on s'aventura, toutes les confessions qu'on dévoila, toutes les tristesses d'alcôve que l'on se plût à étaler, toutes les pauvres fleurs d'amour, bien fanées, que les anciens époux se jetèrent à la tête.

(1) 1830, page 139.


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Le tribunal ordonna qu'un savant professeur, désigné comme expert, ferait des recherches... sur la paternité.

Il y a trente ans, un vieux savant, à lunettes d'or, aurait convoqué les intéressé et les aurait fait mettre dans la tenue d'Adam et d'Eve. Puis, il aurait fait des mensurations de crânes, des comparaisons de nez, d'oreilles, de mâchoires; il aurait recherché les particularités transmises, les indices d'hérédité, opposé les ensellures lombaires, les plateaux tibiaux, l'écartement du gros orteil, la forme des ongles, etc. Puis, il aurait fourni, un mois plus tard, un volumineux rapport, bourré de chiffres... qui n'aurait rien prouvé.

Dans ce procès tout moderne, un homme jeune, vêtu d'une blouse blanche!, prit quelques gouttes de sang à la pulpe des doigts de chacune des parties en cause, les fit tomber sur une plaquette de verre, y déposa quelques gouttes d'agglutinine, et, le lendemain, envoya au tribunal lerésultat de ses recherches en quelques lignes.

Herr Sch... et Frau M... appartenaient tous deux au groupe 0 (zéro). Leur sang ne contenait ni agglutinogène A, ni agglutinogène B.

Les enfants, au contraire, possédaient des agglutinogènes : Guillaume était du groupe A, Caroline du groupe B;

Comme il a été prouvé, par des expériences multiples, que l'enfant hérite toujours de son père ou de sa mère un groupe sanguin auquel il appartiendra pendant toute sa vie, sans que nourriture ou maladies puissent le modifier, on est bien obligé de conclure que Herr Sch... n'a pu donner à ces enfants ce qu'il n'avait pas.

Le tribunal déclara que Herr Sch... n'était pas leur père.

Herr M..., l'époux malheureux et jaloux, garda donc ses enfants.

Mais l'histoire ne nous dit point s'il n'y avait pas un troisième larron appartenant au groupe A et, oserai-je le dire..., peut-être un quatrième du groupe B...


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Séance du 5 décembre 1931

Présidence de M. OUY-VERNAZOBRES.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Election du Bureau pour 1933 : Président: M. BOUDET. Vice-président : M. CARRIEU. Secrétaire: M. Marcel GIRAUD.

COMMUNICATION

Le système pénitentiaire belge et les aliénés par M. J. EUZIÈRE

Les criminels, en Belgique, sont, après examen psychologique approfondi, classés en quatre catégories : normaux, pour lesquels la justice suit son cours ; aliénés, qui sont internés dans un asile; déséquilibrés et arriérés. Ces derniers sont enfermés pour trois, six ou quinze ans, dans des établissements spéciaux, de caractère plus hospitalier que répressif. Ils y travaillent, sont payés et leur gain leur est remis à la sortie. Ils peuvent recevoir la visite de leur famille.

Une commission mixte., médicale et judiciaire, peut, suivant leur état, les libérer par anticipation ou prolonger leur internement. A leur sortie, ils restent sous une surveillance médicosociale et sont internés à nouveau moindre délit.

Deux exemples typiques montrent l'utilité de cette organisation et les bons résultats qu'elle donne, tant au point de vue de l'ndividu que de la Société.


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Comptes rendus des Séances Générales

PROCES-VERBAUX

Séance générale du 25 janvier 1832

Présidence de M. Jean TURCHINI, président.

M. TURCHINI exprime aux membres de l'Académie ses remerciements pour l'avoir appelé à présider les séances générales en 1932, puis il fait part en ces termes du décès de M. GÈZE.

« M. GÈZE, secrétaire de la Section des Sciences, et bibliothécaire de notre Compagnie, a été brusquement enlevé à l'affection des siens au début même de ce mois. Le président de la Section des Sciences, M. KUHNHOLTZ-LORDAT, a retracé, en quelques paroles émouvantes, à la dernière réunion de la Section, la vie et la carrière scientifique de M. GÈZE et le successeur que nous lui désignerons sera appelé à prononcer son éloge. Mais la très grande place que M. GÈZE a occupé dans notre Compagnie me fait un devoir de rendre, dès maintenant, un public hommage à sa mémoire.

» Ancien élève de l'Institut agronomique, docteur ès sciences, professeur d'Agriculture, collaborateur à la Carte géologique de France, chargé à plusieurs reprises de missions par le ministère de l'Agriculture dans presque tous les pays de l'Europe, rédacteur en chef du Bulletin de la Société départementale d'encouragement à l'Agriculture, M. GÈZE a publié une foule d'études sur les statistiques agricoles, les assurances agricoles nouvelles, les engrais, les prairies, les plantes fourragères, la génétique des Céréales, les plantes palustres et les revenus qu'elles peuvent assurer, la végétation et les maladies de la vigne, la lutte contre les parasites de toute nature, les anciens chemins de transhumance, les orages et le climat méditerranéen, etc.

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)) Faisant le bien en voulant qu'on l'ignore, exposant les résultats de ses observations et de ses travaux sans vouloir même bien souvent qu'on sache qu'il en était l'auteur, témoin les innombrables notes non signées qu'il a publiées dans le Bulletin qu'il dirigeait, M. GÈZE a rendu d'innombrables services à l'Agriculture et aussi à notre Compagnie, dont il conservait les archives et maintenait les traditions. M. GÈZE, 'dont les connaissances étaient aussi grandes que la modestie et le dévouement sans borne, sera difficilement remplacé par nous.

)) Au nom de l'Académie tout entière, je prie la famille de notre regretté confrère d'agréer l'expression de nos condoléances émues ».

Les procès-verbaux de la Section des Lettres et de la Section de médecine sont lus.

Le procès-verbal de la séance générale de décembre est lu et adopté.

L'Académie prononce la vacance des fautueils de M. le doyen Léon MAURY, de M. le professeur VIARD, de M. GÈZE et de Mgr MIGNEN.

M. Bel est nommé à l'unanimité bibliothécaire-archiviste de notre Compagnie, en remplacement de M. GÈZE.

Une démarche sera faite auprès de M. le Receveur des Postes pour que les convocations aux séances soient remises à domicile avec plus de célérité.

Une proposition de M. OUY-VERNAZOBRES, sur les discours à prononcer par les nouveaux élus, est renvoyée à une séance ultérieure, pour permettre à M. le Président de faire auprès des nouveaux élus une démarche pressante en vue de hâter leur réception.

L'Association GUILLAUME-BUDÉ nous convie aux fêtes qui auront lieu à Nîmes, à Pâques prochaines.

L'Académie accepte en principe et charge la Section des Lettres de désigner comme délégués un ou plusieurs de ses membres, avec mission de présenter une communication, s'il y a lieu.

La parole est ensuite donnée à M. THOMAS, qui nous présente le récit pittoresque d'une touchante aventure d'un perruquier belge dans le midi de la France, au début du siècle dernier ; ce récit pourrait avoir pour sous-titre Le Forçat par erreur.


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Après quelques observations présentées par M. Camille GRANIER, notamment, M. le Président remercie le conférencier de son intéressante communication.

Il est ensuite procédé au vote d'un successeur au fauteuil de M. VEDEL.

Votants: 25. Bulletins trouvés dans l'urne: 25.

A obtenu: M. CONTE, 25 voix.

En conséquence, M. CONTE est nommé membre titulaire de l'Académie pour la Section de Médecine.

La séance est ensuite levée à 19 heures.

Séance publique du 22 février 1831

Présidence de M. Jean TURCHINI, président.

En ouvrant la séance, M. le Président rappelle le nom des confrères que nous avons eu le regret de perdre depuis le 1er janvier 1931. Ce sont: M. Paul CAZALIS DE FONDOUCE, géologue, anthropologiste et archéologue distingué, qui appartenait à l'Académie depuis 1870, et qui en était le Doyen; le professeur DERRIEN, correspondant de l'Académie de Médecine, Doyen honoraire de la Faculté de Médecine, chimiste éminent, qui laisse un grand nom dans la Science ; puis le professeur VEDEL, l'un des Maîtres les plus réputés de la clinique médicale montpelliéraine ; le Pasteur MAURY, le savant Doyen de la Faculté de Théologie protestante, théologien et sociologue, auteur de nombreux ouvrages de théologie; le professeur VIARD, professeur d'Histoire du Droit, docteur ès lettres, ancien professeur à l'Université catholique de Lille, bien connu par ses études des institutions de la Révolution; M. GÈZE, enfin, professeur d'Agriculture, docteur ès sciences, collaborateur à la Carte géologique, à plusieurs reprises chargé par le Gouvernement de missions à l'étranger, notre dévoué archiviste et à qui doivent tant les agriculteurs de notre région.

Il salue les membres élus en 1931: MM. SICARD, élu au fauteuil de M. LICHTENSTEIN ; M. PERRIER, à celui de M. CAZALIS DE FONDOUCE ; M. GIRARD, à celui de M. DERRIEN, et leur souhaite une cordiale bienvenue.


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M. Gaston PASTRE parle des amours de GOETHE, et M. le professeur MARGAROT traite la question de la lèpre en France. Un public très nombreux assistait à cette réunion et a témoigné par ses applaudissements de l'intérêt qu'il portait aux travaux de l'Académie et au talent de ses conférenciers.

Séance générale du 14 mars 1832

Présidence de M. TURCHINI, président.

Les procès-verbaux des séances générales de janvier et de février sont lus et adoptés.

Sur la demande formulée par M. Charles DULMONT, docteur ès lettres, pour la création d'une Académie des Provinces de France, l'Académie pense qu'il y a lieu de prendre connaissance du programme.

Il est procédé ensuite à l'élection de trois membres titulaires de la Section des Lettres et d'un membre titulaire de la Section des Sciences.

Votants: 12. Bulletins trouvés dans l'urne: 12. Ont obtenu:

MM. André ARNAL .. 12 voix

Elie GUENOUN 12 voix

François ROMIEU 12 voix

GRANEL DE SOLIGNAC 12 voix

En conséquence: MM. André ARNAL, Elie GUENOUN et François ROMIEU sont nommés membres titulaires de l'Académie dans la Section des Lettres.

Et M. GRANEL DE SOLIGNAC est nommé membre titulaire, dans la Section des Sciences.

La parole est ensuite donnée à M. LAFONT, pour sa communaction: Les Misérables, critiqués et refaits par LAMARTINE.

M. le Président remercie le conférencier de sa très intéressante communication, diverses observations sont échangées à ce sujet entre les membres.

L'Académie ratifie ensuite la proposition de la commission nommée pour examiner le travail présenté par MM. BLANC et BLANCHARD, en vue d'obtenir le prix de l'Association française pour l'avancement des sciences.

Ce prix est décerné à MM. BLANC et BLANCHARD.


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Séance générale du 25 avril 1031

Présidence de M. Jean TURCHINI, président.

Le procès-verbal de la Section des Lettres est lu.

Le procès-verbal de la Section des Sciences n'est pas encore rédigé.

La Fédération historique du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon adresse le programme du Congrès de Perpignan, qui se tiendra les 21 et 22 mai 1932. Les membres de l'Académie sont invités à y assister.

MM. FLICHE, THOMAS et COSTE représenteront l'Académie.

La parole est donnée à M. A.-P. ALLIÉS, membre correspondant de notre Compagnie, qui parle des Scènes et expressions languedociennes dans les Comédies de Molière. Cet exposé, très intéressant, sera inséré au Bulletin. Il donne lieu à diverses observations échangées entre divers membres.

Centenaires Montpelliérains par M. Louis-J. THOMAS

Les centenaires sont à la mode : M. THOMAS en a cherché un à commémorer.

Il remonte, jusqu'en l'an 32. Que se passait-il ici en l'an 32? Pas grand'chose, puisqu'à cette date, sur l'emplacement actuel de notre ville, il y avait rien qu'une garrigue.

En 932, il y a mille ans, il n'y avait toujours rien; pas l'ombre d'une ville et par le moindre événement notable.

En 1032, il y avait l'amorce d'un chemin conduisant au port de Lattes.

En 1132, la ville était déjà bâtie et le port actif.

En 1232, Montpellier est une ville illustre et riche; elle l'est davantage encore en 1332, mais il ne se passa rien de remarquable à ces années numérotées par le chiffre final de 32.

En 1432, c'est la venue de Jacques Coeur à Montpellier, pour y chercher fortune dans le commerce. On pourrait être tenté de célébrer le centenaire de l'arrivée chez nous de cet homme d'affaires fameux, dont l'histoire de France fait volontiers un grand homme — et à qui la municipalité a emprunté le nom


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pour le donner à une de nos rues. Ne nous a-t-il pas laissé, en effet, cette Loge des Marchands, dont le nom subsiste entre la place de la Comédie et la Halle Castellane — et cette Font Putanelle, auprès de laquelle nos grisettes dansaient il y a cent ans? Mais on rappelait naguère, dans la Chambre de Commerce, qui est l'héritière de l'ancienne Loge des Marchands, que, de son temps, Jacques Coeur fut une sorte d'Oustric ou de Kreuger. Mieux vaut alors ne pas insister.

Cherchons dans des siècles plus rapprochés du nôtre; en 1532, rien; en 1632, rien; en 1732, rien. Pas d'histoire, ni d'histoires à Montpellier.

Mais en 1832, voici du nouveau : à ce printemps de 1832, sous le règne du roi-citoyen, sous le ministère de CASIMIR-PÉRIER et l'administration du lieutenant-colonel GUINARD, maire de notre ville, les Montpelliérains eurent peur — peur du choléra.

Il fallait à tout prix écarter le fléau.

Comment faire? Les précédents connus consistaient en prières publiques, cierges offerts à Notre-Dame, processions et pèlerinages, qui ne paraissaient plus de mise en 1832.

On fit appel au Gouvernement, représenté à Montpellier par le préfet, le baron ROLLAND DE VILLACEAUX, lequel, selon l'usage, nomma une commission, composée en majorité de médecins.

Cette commission ne tarda pas à constater qu'il était urgent de remédier à l'état sale et malodorant des rues de Montpellier, que la pluie et le mistral ne parvenaient pas à laver et à assainir. Il fallait obliger les habitants à changer leurs habitudes, à balayer le devant de leurs portes, à curer les fossés, etc., le tout sous menace de procès-verbaux. Mais la cause principale des contraventions subsistait toujours — et pour cause!

Alors, dans sa séance du 16 avril 1832, le Conseil municipal, subitement éclairé, vota à l'unanimité un crédit de 7.000 francs pour qu'on pût ériger, en quelques endroits bien choisis, de ces petits édifices, que Paris, qui les connut plus tard, appela des « Rambuteau » et auxquels l'ancienne Rome avait donné le nom de son empereur VESPISIEN. Et il n'y eut pas de choléra à Montpellier en l'an 1832!

Le président remercie vivement les deux conférenciers, et la séance est levée à 19 heures.


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Séance générais du 30 mai 1932

Présidence de M. Jean TURCHINI, président.

Le président prie MM. KUHNHOLTZ-LORDAT et AMANS d'introduire en séance M. GRANEL.

La parole est donnée à M. GRANEL, qui prononce l'éloge de M. GÈZE.

M. TURCHINI répond à M. GRANEL.

Puis, le procès-verbal de la Section des Lettres et celui de la Section des Sciences sont lus. La Section de Médecine n'a pas tenu sa réunion mensuelle.

Le procès-verbal de la séance générale d'avril est lu et adopté.

Sur la proposition de la Section des Lettres, M. Pierre DE GORSSE, avocat à la Cour de Toulouse, est nommé membre correspondant de notre Académie.

La conférence, que M. DE GORSSE a donnée, cet hiver, sur deux abbayes cisterciennes du Languedoc, Fontfroide et Valmagne, dans le grand amphithéâtre de la Faculté des Lettres de notre Université, sera publiée dans le Bulletin de notre Académie.

La parole est ensuite donnée à M. Gaston PASTRE, pour lire la communication de M. OUY-VERNAZOBRES, sur La Vallière et les Médecins.

Cette conférence, très intéressante, sera publiée dans le Bulletin; elle donne lieu à diverses observations.

M. AMANS dit que les hautes altitudes ne sont pas favorables à l'activité des glandes endocrines, et qu'à ces hauteurs Mlle DE LA VALLIÈE eut trouvé un remède à la violence de son amour.

M. THOMAS regrette que le professeur BOISSIER DE SAUVAGES, le médecin de l'Amour, n'ait pas vécu un siècle plus tôt; il eût pu faire bénéficier Mlle DE LA VALLIÈRE de son remède contre l'amour.

M DELMAS précise que tout le rôle qu'on prétend attribuer aux glandes endocrines pourrait expliquer les ardeurs de l'amour, mais non le choix de l'être aimé.

M. TÉDENAT remarque qu'il ne faut pas exagérer le rôle des glandes endocrines. La séance est ensuite levée à 19 heures.


Séance générale du 27 juin 1932

Présidence de M. OUY-VERNAZOBRES, vice-président.

Le procès-verbal de la dernière séance de la Section des Lettres et celui de la dernière séance de la Section des Sciences sont lus.

Le procès-verbal de la séance de médecine d'avril est lu.

Le procès-verbal de la séance générale de mai est lu et adopté.

Le secrétaire général annonce à l'Académie que le legs de M. RIVES (2.000 fr.) va enfin nous être versé, après de nombreuses réclamations pendant cinq années.

L'Académie fixe au lundi 18 juillet la séance générale de juillet.

Sur la demande de notre bibliothécaire, M. BEL, l'Académie vote une somme de 300 francs, pour l'aménagement de notre bibliothèque et le transport des ballots de livres qui se trouvent en sous-sol dans le Palais de l'Université.

La parole est donnée ensuite à M. VIRES, pour sa communication sur le Docteur Alexis Alquier (1812-1865), professeur à la Faculté de Médecine de Montpellier.

L'étude de ce représentant des idées de l'Ecole de Montpellier est présentée avec ampleur, et le conférencier rend un bel hommage au caractère et à la valeur professionnelle du professeur ALQUIER.

M. THOMAS rappelle qu'il y a cent ans le chirurgien DELPECH mourut de mort tragique, tué sur l'avenue de Toulouse par un de ses clients. Il y aurait lieu d'évoquer le souvenir de ce professeur, qui fut une illustration de la Faculté de Montpellier, et cette évocation pourrait se faire à la séance générale publique de février prochain. On demande à M. VIRES de prendre la parole sur ce sujet. M. VIRES ne refuse pas.

La séance est ensuite levée à 16 h. 45.

Séance générale du 18 juillet 1932

Présidence de M. Jean TURCHINI, président.

Les procès-verbaux des Sections des Lettres, Sciences et Médecine' sont lus.

Le procès-verbal de la séance générale de juin est lu et adopté.


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Le secrétaire général fait diverses communications : d'abord, il fait part de l'invitation adressée à notre Compagnie par le secrétaire général du Congrès international du Carbonio carburante, qui se tiendra à Milan le 1er octobre prochain. Le Congrès demande l'adhésion morale de notre Académie — ce qui est accordé — et, si possible, notre participation effective. La demande sera transmise à notre collègue, M. DE MORTILLET, qui s'est spécialement occupé des questions à l'ordre du jour de ce Congrès.

L'Académie de Clermont-Ferrand nous communique un rapport sur la Fédération des anciens académies de province et nous demande notre adhésion à ce mouvement. L'Académie nomme une commission pour étudier cette question. Cette commission comprendra : MM. TURCHINI, GERVAIS et Gaston GIRAUD. Le secrétaire général la convoquera à la rentrée d'octobre.

Il est indiqué que dans les séances prochaines, un seul discours de réception sera prononcé par séance, de façon à ne pas empêcher les communications présentées.

COMMUNICATION

Remarques concernant certaines considérations sur la Philosophie de la Science moderne

par M. MOYE

D'éminents physiciens ont récemment contesté la loi dite de causalité ou de déterminisme scientifique et préfèrent voir, dans les lois physiques et naturelles, une sorte de probabisme qui, d'ailleurs, équivaut pratiquement à la certitude pour les applications courantes de la science.

D'autre part, l'étude de l'Univers astronomique tend à montrer que celui-ci évolue dans un sens irréversible vers un stade où la matière se dissiperait en radiations d'énergie dont on ignore la destinée ultime. L'Univers sensible se transformerait ainsi en un état échappant à nos sensations. Mais ce sont là des spéculations à la limite de la science et de la métaphysique et qu'on ne peut aborder qu'avec réserves et en les considérant surtout comme d'ingénieuses hypothèses.

M. le Président remercie M. MOYE de cet aperçu intéressant et la séance est levée à 18 h. 30.


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Séance générale du 28 novembre 1932

Présidence de M. Jean TURCHINI, président.

Le procès-verbal des sections des Lettres, Sciences et Médecine sont lus.

Le procès-verbal de la séance générale de juillet est lu et adopté.

M. GERVAIS, qui a présidé la commission chargée d'examiner le projet de Fédération des Académies de Province, fait son rapport; il propose à l'Académie de donner une acceptation de principe à ce projet, tout en indiquant que, s'il s'agit de prendre des engagements pécuniaires, les ressources de l'Académie ne nous permettent pas d'entrer dans cet ordre d'idées.

Sur l'observation de divers membres, il est décidé que des précisions seront demandées à l'Académie de Clermont-Ferrand. La réponse sera communiquée aux diverses sections.

Il est procédé à l'élection d'un vice-président pour 1933, et à l'élection d'un secrétaire général, d'un secrétaire général adjoint, d'un trésorier et d'un bibliothécaire pour trois ans. Votants : 25.

Ont obtenu:

Pour le poste de vice-président: M. de DAINVILLE: 24 voix; M. VALÉRY : 1 voix.

Pour le poste de secrétaire général: M. MERCIER-CASTELNAU: 24 voix.

Pour le poste de secrétaire général adjoint: M. CARRIEU: 24 voix.

Pour le poste de trésorier: M. Jean GUIBAL: 25 voix.

Pour le poste de bibliothécaire : M. BEL : 24 voix.

Le président annonce les résultats et proclame les divers élus.

Le secrétaire général demande à l'Académie de fixer au 3e lundi de décembre, c'est-à-dire au 19 décembre, la date de la réunion générale de décembre, le 4e lundi étant le 26 décembre.

Le secrétaire général rappelle que l'Académie offre, au concours, en 1933, le Prix Alphonse JAUME, pour un sujet de médecine légale, ete le Prix LITCHTENSTEIN et il annonce qu'en 1934 sera offert au concours un Prix de l'Association pour l'Avancement des Sciences (1re série) et le Prix RICARD.


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La parole est ensuite donnée à M. OUY-VERNAZOBRES pour sa communication qui a pour titre: Une enquête sur le métissage simio-humain. L'auteur invite M. CARRIEU à lire son manuscrit. Cette communication, très intéressante, donne lieu à une discussion, à laquelle prennent par MM. GRYNFELTT, VALÉRY et Paul DELMAS.

M. Paul DELMAS. — Les accouplements les plus singuliers ne sont point ici en cause, en matière de perversion génitale; psychiatres et chirurgiens publient, çà et là, les plus déconcertantes observations.

Il faut savoir gré à M. OUY-VERNAZOBRES d'avoir apporté ici des faits observés avec la plus stricte rigueur scientifique par quoi il établit le caractère légendaire de prétendus croisements entre espèces différentes.

Avec lui, il n'en faut chercher la raison dans des incompatibilités humorales qui semblent bien traduire l'irréductibilité définitive d'espèces apparemment voisines.

En clinique humaine, les exemples abondent de grossesses pathologiques du seul fait de la disharmonie biologique des deux géniteurs.

Les toxhémies gravidiques du premier et du dernier trimestre, l'une d'origine annexielle, l'autre à point de départ foetal, s'éclairent par l'agression de l'oeuf vis-à-vis de la mère dont les albumines, et en particulier celles qui caractérisent des groupes sanguins, sont incompatibles avec celles du père.

Par là peuvent s'expliquer que certaines unions, par ailleurs bien assorties, aboutissent à de mortelles intoxications gravidiques, alors que les « enfants de l'amour », conçus du fait d'attirances obscures où n'ont joué que les affinités impératives du subconscient, donnent, par contre, d'heureuses grossesses où la présence de l'oeuf n'est plus qu'un stimulant par où se réalise ce que BAR a appelé une symbiose harmonique homogène.

La séance est ensuite levée à 19 heures.


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Séance générale du 19 décembre 1832

Présidence de M. TURCHINI, président.

M. le Président désigne MM. GERVAIS et MOYE pour introduire M. GIRARD, qui va être reçu par notre Compagnie.

M. GIRARD fait l'éloge de M. DERRIEN, son prédécesseur.

M. HUMBERT était chargé de répondre à M. GIRARD. Obligé de s'absenter, M. HUMBERT a prié M. TURCHINI de le remplacer.

Ces deux discours seront insérés au Bulletin.

Puis les procès-verbaux des Sciences et de Médecine sont lus; le procès-verbal de la séance générale de novembre est lu et adopté.

M. le Président remercie M. Marcel GIRAUD du soin apporté à la présentation du Bulletin de notre Académie, qui vient de paraître.

COMMUNICATION

Le Mazet

par M. DEZEUZE

Avec beaucoup de pittoresque et de poésie, il nous montre la naissance du mazet, sa vie et sa mort. Le mazet n'a pas beaucoup changé de caractère à travers les âges ; on le retrouve aujourd'hui à peu près tel qu'il apparaissait jadis à VIRGILE, dans la campagne de Rome.

M. Camille GRANIER rappelle que le mazet, propriété particulière de l'occupant, a remplacé l'ancienne tenue en bordelage.

L'amour du petit coin de terre a existé de tout temps.

Avant de lever la séance, M. le Président remercie les membres de notre Compagnie de la bienveillance qu'ils lui ont témoigné pendant l'aimée qu'il est resté en fonctions.

La séance est ensuite levée à 18 h. 30.


LES DISCOURS DE RÉCEPTIONS

Réception de M. F. GRANEL

Discours de M. F. GRANEL,

MESSIEURS,

En me jugeant digne de participer à ses travaux, l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier me fait un honneur insigne dont je ressens tout le prix. Je vous en témoigne ma gratitude à vous qui m'accueillez aujourd'hui après avoir eu l'indulgence de m'accorder vos suffrages Je ne m'illusionne pas sur mes mérites; l'amitié a contribué à guider votre choix et j'ai bénéficié des sympathies que trouve ici mon père. Ma reconnaissance n'en est que plus vive et plus vrai le plaisir que j'éprouve à venir parmi vous. C'est un agrément d'entendre des hommes cultivés parler des sujets les plus divers et c'est un gain pour l'esprit de pouvoir ainsi sortir du cadre habituel de son travail. « Ce que l'on sait, souffre de ce que l'on ne sait pas » aimait à dire BRETONNEAU, ce praticien de génie, qui eut le don de pressentir les découvertes que la science de PASTEUR devait réaliser quelques années plus tard. Pour perfectionner et enrichir notre savoir, il est certainement plus nécessaire d'en élargir le champ que de creuser toujours plus profondément les mêmes sillons, aujourd'hui surtout, où la spécialisation s'impose, mais risquerait, si elle devenait excessive, d'établir des cloisons étanches entre les diverses disciplines, de nous mettre des oeillères et, comme le dit le professeur Pierre MAURIAC, « de confiner l'intelligence dans un domaine qui est peutêtre un palais, mais sûrement une prison. »

Aussi c'est bien l'utilité et mieux encore le charme d'une Compagnie telle que la vôtre de nous permettre de satisfaire agréablement notre curiosité d'apprendre et d'étendre notre vue en explorant des domaines voisins.


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Je l'éprouve aujourd'hui même, puisqu'une respectable coutume de votre Académie m'a amené à connaître la vie et l'oeuvre de mon prédécesseur et m'impose le pieux devoir de faire revivre devant vous le souvenir du savant agronome, que fut M. le professeur GÈZE. Bon serviteur de la Science, érudit de qualité, c'était bien le naturaliste connaissant la nature dans ses manifestations les plus diverses, l'aimant dans ses phénomènes les plus secrets, estimant qu'il n'est pas de meilleur maître que ce livre toujours ouvert, partout intéressant et susceptible de procurer à qui sait le lire de saines et véritables satisfactions.

X

Jean-Baptiste GÈZE était né à Toulouse, en 1870; il était entré à 18 ans à l'Institut National Agronomique et deux ans après à l'Ecole des Eaux et Forêts. Il dut malheureusement, en raison de sa vue, renoncer à la carrière forestière qui s'ouvrait devant lui et pour laquelle il éprouvait une véritable vocation. L'agriculture générale allait ainsi bénéficier de sa belle intelligence. A Aubusson d'abord, à Vic-en-Bigorre ensuite, il est nommé professeur spécial d'agriculture. Ses qualités d'enseignement sont vite appréciées et ses conseils recherchés de tous. Licencié es sciences physiques, il passe alors la licence es sciences naturelles, après s'y être préparé seul. En 1902, il est envoyé à Villefranche-de-Rouergue, où il séjourne jusqu'en 1914. Ces résidences successives dans des pays si différents servent son esprit chercheur et curieux. Autour de lui, tout l'intéresse: il observe avec passion, notant soigneusement les renseignements utiles et commençant dès ce moment à établir sur tous les sujets agricoles, botaniques, météorologiques, une documentation qu'il enrichira tous les jours d'acquisitions nouvelles. Au contact permanent de la nature, loin des centres d'études, il complète ainsi par lui-même sa formation scientifique et c'est ce qui donnera à son oeuvre une originalité bien particulière.

A Villefranche-de-Rouergue, les marais sont nombreux et leur exploitation imparfaite. Le professeur GÈZE voit vite l'intérêt scientifique et la portée pratique de cette question. Il en entreprend l'étude et pendant plusieurs années s'y consacre avec ardeur. A la suite de ses premières publications, le Ministère de l'Agriculture lui confie le soin de « rechercher les


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moyens d'augmenter les revenus des terrains marécageux que l'on ne peut pas dessécher. » Il s'applique alors à déterminer la valeur industrielle des diverses espèces palustres, les Carex, les joncs des chaisiers, les roseaux des marais et surtout les Typha, de qualité marchande si différente et de variétés multiples, suivant les conditions de milieu et de nutrition. Il étudie leur répartition à la surface du globe, les relations de cette répartition avec le climat et arrive ainsi à établir les localités avantageuses pour chacune d'elles. Des expériences de sélection lui paraissent nécessaires; il s'y emploie durant de longues années, apportant un soin minutieux à les réaliser et à les contrôler. Curieux de connaître le parti que l'on tire ailleurs de ces étendues palustres, il visite de nombreux marais en France et à l'étranger, notamment au cours des missions officielles dont il est chargé, en Autriche, en Espagne, en Suisse, en Belgique, en Hollande ; dans tous ses voyages, il examine de nombreux herbiers et recueille une abondante moisson de documents. Il arrive de la sorte à réaliser une étude botanique et agronomique complète qu'il présente en Sorbonne pour obtenir le titre de Docteur ès Sciences.

Ce séjour de quinze années dans cette petite ville du Rouergue fut ainsi particulièrement fécond, et pour lui, et pour la Science, et pour cette région de Villefranche, à laquelle il sut être utile par son patient labeur.

Mais là ne se borne par son activité. Ses doubles connaissances des sciences physiques et naturelles l'attirent vers la météorologie agricole. C'est comme météorologiste à la Station d'avertissements agricoles de Bel-Air qu'il arrive à Montpellier en août 1916. On est alors en pleine guerre; dans sa sphère modeste, le professeur GÈZE s'applique à servir son pays en s'efforçant de contribuer à sauver les cultures. Il est peu après nommé directeur adjoint des Services agricoles de l'Hérault, où il fait vite apprécier sa puissance de travail et son étonnante documentation. C'est ce poste important qu'il devait occuper jusqu'à sa mort. C'est là, Messieurs, que vous l'avez connu. Ceux qui l'ont vu à l'oeuvre savent avec quelle activité il multipliait ses recherches, prenant plaisir à compulser les riches collections scientifiques de notre ville comme à étudier la faune et la flore également variées de notre campagne montpelliéraine, trouvant un intérêt plus grand encore à fouiller les


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documents, à préciser des indications bibliographiques, penché sur les dossiers et les livres accumulés autour de lui, s'appliquant à connaître les publications françaises ou étrangères capables de l'intéresser, notant toujours — fidèle à sa méthode de travail — de son écriture fine et serrée', ce qui lui paraissait essentiel dans ses lectures. On peut dire, à ce point de vue, qu'il avait adopté le vieil adage que la lecture sans la plume n'est qu'une rêverie.

Son labeur constant n'est pas perdu pour nous. Le professeur GÈZE laisse une oeuvre importante, tant par sa qualité solide que par son étendue.

Indépendamment de sa thèse sur les plantes palustres, il a publié de nombreux travaux botaniques ou agricoles, qui sont le résumé de patientes observations appuyées le plus souvent sur l'expérimentation. Ainsi, ses travaux sur la génétique des céréales, les plantes fourragères, les engrais, l'entretien des prairies, la lutte contre les parasites. La portée utilitaire de telles recherches est considérable : son étude sur les blés, notamment, a permis d'en faire connaître et répandre en France des variétés nouvelles.

Dans notre Languedoc méditerranéen, où la vigne tient une si grande place, il n'a pas manqué d'apporter sa contribution à un tel sujet en relatant, avec M. le professeur RAVAZ, d'intéressantes observations sur sa végétation, ses maladies et plus spécialement le Mildiou. Grâce à une documentation étendue, il a pu dresser des tableaux de statistiques agricoles et s'occuper de la question des assurances mutuelles. Ses vastes connaissances d'ordres divers, géologique, phyto-géographique climatique, météorologique, l'ont amené à aborder avec fruit l'étude du climat et spécialement des orages du département de l'Aveyron, de la géologie de l'arrondissement de Villefranchede-Rouergue, et aussi du climat méditerranéen, dont il avait entrepris de rechercher les rapports avec la végétation. Il convient de faire une mention particulière de son important travail sur les drailles de transhumance, travail plein d'aperçus originaux et instructifs. A tout cela, il faudrait encore ajouter ses multiples rapports et ses nombreuses communications aux sociétés savantes.

A parcourir ainsi son oeuvre, on peut voir qu'il avait su éviter ce double écueil, disperser ses efforts ou rétrécir son champ d'investigation.


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Esprit clair et judicieux, ses mises au point précises des questions les plus complexes, ses rapports riches en renseignements et en chiffres seront pour de nombreuses générations d'agronomes précieux à consulter

Ami des livres et des documents, plusieurs de ses travaux témoignent de sa grande érudition et de sa belle culture classique. Ainsi, cette curieuse étude sur la Courtilière, où il put prouver l'existence de cet insecte ravageur dans la Grèce antique et en déterminer le nom dans l'oeuvre de THÉOPHRASTE.

Travailleur opiniâtre, ne se laissant arrêter ni par la longueur des recherches, ni par leur difficulté, son oeuvre reflète constamment son souci d'envisager une question sous tous ses aspects, de chercher à résoudre un problème après en avoir soigneusement établi les données pour essayer enfin d'arriver à son application pratique. Et c'est bien à cela, poser un problème et être curieux de son explication, que doivent tendre les efforts des hommes de science, par leur esprit de méthode et leur ténacité laborieuse.

En plus de ses publications, le professeur GÈZE laisse encore une quantité considérable de documents et de notes qui mériteraient d'être utilisés. Il hésitait toujours au moment de livrer un travail à l'imprimeur, et ce scrupule, inspiré par la haute idée qu'il avait de la Science, traduisait la grande conscience qu'il mettait à la servir. C'était la dominante de ses qualités morales. Grande était la valeur morale de cet homme modeste, à l'âme noble, chez lequel la bonté et le dévouement étaient choses naturelles. On peut dire qu'il n'éprouvait pas de plus grande et de plus véritable satisfaction que celle de rendre service. Il considérait, ainsi que l'écrivait récemment son ami, M. le professeur FLAHAULT, « comme un devoir de disposer de sa science, de sa vaste érudition, de ses notes, de ses livres, de tout lui-même, en faveur de qui pouvait en avoir besoin. » Cet homme de coeur trouvait les meilleures joies dans la vie de famille, heureux et fier de voir son fils attiré lui aussi par les études agronomiques.

Ses dernières armées furent assombries par la maladie. Jusqu'au dernier jour, cependant, il eut la satisfaction de remplir son devoir. Sa santé chancelante était véritablement vivifiée par une énergie intérieure qui puisait ses sources dans sa foi de chrétien et dans son amour de la science.

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Devant une telle harmonie de l'esprit et du coeur, on pense au mot de BACON : « Nos études doivent devenir un riche arsenal, un trésor pour l'ennoblissement de la vie. »

X

Figure de savant dont la vie et l'oeuvre témoignent d'une personnalité rare et qui est bien digne d'être remarquée dans ce groupe d'hommes de sciences où règne tant de diversité!

Dans une intéressante monographie, Charles RICHET s'est amusé à composer, à la manière de LA BRUYÈRE, une série de portraits de savants. Combien aurait-il pu en ajouter encore! C'est que la Science, plus peut-être que d'autres branches de l'activité humaine, montre parmi ses adeptes une extrême variété en raison de la liberté qu'elle laisse à chacun de s'épanouir suivant ses tendances et ses goûts, suivant ses facultés d'observation et même d'imagination. Et c'est dans cette diversité du genre et des efforts de chacun, coordonnés par l'unité du but poursuivi, qu'il faut trouver la condition même du progrès scientifique.

Dans les sciences morphologiques — l'Histologie, par exemple, qui est mon terrain de travail — que de tendances variées qui expliquent son extension croissante! Les uns, tels que mon regretté Maître, M. le professeur VIALLETON, trouvent dans l'étude des faits les vues synthétiques susceptibles de les conduire aux idées générales; d'autres y voient une portée pratique et s'attachent aux problèmes les plus importants et les plus actuels de la pathologie que seul le laboratoire pourra résoudre; d'autres appliquent avec succès à l'analyse cytologique les techniques les plus modernes et les plus fécondes, empruntées à la physique et à la chimie.

Et une telle diversité parallèle au progrès se retrouve dans toutes les branches de la Science.

Messieurs, en venant aujourd'hui parmi vous succéder au professeur GÈZE, que je ne saurais cependant remplacer, j'évoque en moi-même les noms des hommes de science qui, dans le passé, ont illustré votre Compagnie; je pense aussi .à ceux non moins éminents qui contribuent si brillamment à son illustration présente. Prendre place à leurs côtés, y trouver de tels exemples, est pour moi à la fois un honneur et un encouragement.


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Réponse de M. Jean TURCHINI

MONSIEUR,

Les usages de notre Compagnie ne me désignaient pas pour répondre à votre remerciement. Vous avez insisté pour qu'il fut dérogé cette fois aux usages. Je le regrette pour vous, car le président de notre Section des Sciences vous eût certainement reçu en termes plus éloquents que je ne saurais le faire. J'en suis ravi pour moi, car vous me procurez ainsi à la fois le plaisir de vous accueillir officiellement parmi nous et la satisfaction d'exprimer publiquement à votre vénéré père, qui est des nôtres depuis 40 ans, les sentiments de déférente estime que notre Compagnie nourrit à son endroit.

Trop modestement, vous attribuez votre élection à la sympathie unanime dont il jouit et aux liens d'amitié qui vous unissent à plusieurs d'entre nous. Permettez-moi de vous dire que si les membres de l'Académie sont plus particulièrement heureux d'accueillir le fils dans la Compagnie qu'a honoré le père, s'ils aiment voir se continuer parmi eux de nobles traditions familiales, s'ils n'oublient pas que déjà deux des vôtres, un historien et un naturaliste, vous ont précédé dans cette enceinte, s'ils se réjouissent spécialement d'ouvrir leurs rangs aux enfants de cette terre languedocienne parce que plus que tout autres ils sont attachés au passé et à l'avenir de leur province et à son rayonnement scientifique, s'ils tiennent à compter parmi eux les hommes distingués qui la représentent, qui la servent ou qui l'honorent, c'est cependant les titres scientifiques uniquement qui commandent leur choix. Et, dois-je le dire, les vôtres ne sauraient être discutés.

Elève du regretté Doyen VIALLETON, qui présida notre Académie en 1923, vous vous êtes habitué de bonne heure aux méthodes les plus rigoureuses de la recherche scientifique. Vous avez, sous sa direction, poursuivi les études qui, du doctorat en médecine, vous ont conduit au doctorat ès sciences et à l'agrégation. Vous vous êtes affirmé comme l'un des principaux continuateurs de la pensée du maître disparu. Vous avez abordé vos études histologiques, non avec le seul désir de pré-


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ciser quelques détails de structure, mais toujours avec la volonté de comprendre la signification des faits observés, d'en dégager des vues synthétiques qui peuvent conduire à formuler des idées générales. Et quelle que soit l'orientation de nos recherches, que nous tenions à nous limiter aux seules données morphologiques, ou que nous désirions scruter plus profondément la matière vivante, que nous fassions appel ou non à l'expérimentation et à toutes les ressources des sciences physiques ou chimiques, que nous ayons un but pratique ou que le résultat de nos travaux reste sans application immédiate, vous êtes certainement, comme moi, d'avis que nous avons tous, que tous les histologistes dignes de ce nom, ont tous une même aspiration: celle d'essayer de résoudre, en dernière analyse, les problèmes que pose l'étude de la vie. Vos oeuvres n'en donnent-elles pas un parfait exemple?

Lorsque vous étudiez la pseudo-branchie des Poissons, ce n'est pas la disposition en elle-même de cet organe chez les Sélaciens, les Ganoïdes et les Téléostéens; ce n'est pas même la structure histologique particulière et très variable de ses lames et de ses lamelles qui vous préoccupent le plus, c'est avant tout, sa signification morphologique, c'est sa valeur fonctionnelle.

Ce qui vous intéresse surtout, lorsque vous en précisez la morphologie, ce sont les raisons anatomiques et embryologiques qui expliquent la position différente de cet organe dans les diverses espèces. Ce qui retient votre attention lorsque vous en fixez la structure histologique, ce sont les ressemblances qui s'affirment à cet égard entre les divers Téléostéens et qui montrent que cet organe doit être considéré chez ces animaux comme une glande endocrine, de même qu'il doit être considéré, par ailleurs, dans tous les groupes de Poissons, comme un réservoir vasculaire, véritable régulateur interposé sur la circulation artérielle de la tête. Ce qui vous préoccupe enfin, c'est d'établir que chez tous les Poissons la pseudo-branchie, ayant une réelle valeur fonctionnelle, ne saurait être considérée comme un organe rudimentaire et de montrer, comme le répétait volontiers MORAT, « qu'en fait d'organes rudimentaires, il n'y a souvent de rudimentaires que nos connaissances.» Ce travail nous valut, en même temps que des éloges, en Sorbonne, de la part de votre jury de thèse, le titre envié de lauréat de l'Institut de France.


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Lorsque vous abordez l'étude du poumon des Mammifères et des petites cellules granuleuses qu'on y rencontre, c'est la signification de ces éléments qui est l'objet de vos préoccupations ainsi que leur rôle dans la fonction lipopexique et lipodiérétique du Poumon et dans la fonction martiale de cet organe. Vos travaux sur ce point sont rapportés dans les traités classiques.

Dans vos belles recherches, en collaboration avec le professeur VIALLETON, sur le développement des os longs, ce sont, avant tout, les processus généraux, ceux de l'ostéogenèse, qui vou intéressent et la nécessité, pour qu'ils se produisent, d'un manchon qui devient bientôt rigide et qui entoure l'ébauche du futur os.

Il en est de même dans vos travaux, avec le professeur Louis HÉDON, relatifs à la désintégration de l'hémoglobine, parce qu'ils vous permettent de préciser de nombreux points de physiologie, de mieux connaître et comprendre diverses fonctions générales de nutrition.

Quel que soit celui de vos mémoires que j'envisage, c'est toujours le penser physiologique qui vous arrime. C'est toujours le fait général que vous cherchez à dégager du cas particulier. Ce désir des idées générales, ce besoin de larges connaissances se manifestent également dans l'expression de la joie que vous éprouvez à faire partie d'une Compagnie comme la nôtre, où toutes les tendances, où toutes les disciplines, où toutes les formes de la connaissance humaine sont représentées.

Dans son beau livre sur PASTEUR, DUCLAUX dit de DAVAINE, à propos de la découverte de la bactérie charbonneuse : « DAVAINE regardait la science par les fenêtres de la médecine ». Nous ne concevons pas tous de la même manière un même fait. Notre élaboration cérébrale personnelle dépend de nos acquisitions antérieures. Plus nous connaîtrons de disciplines diverses, plus nous aurons de fenêtres ouvertes sur la nature et mieux nous sauvons l'observer et l'expliquer. Le commerce des hommes cultivés qui composent cette Assemblée, nous aide à ouvrir plus de fenêtres encore sur le monde qui nous entoure. Comme votre regretté prédécesseur, nous saurons profiter de ce bienfaisant commerce, nous saurons élargir le champ de nos connaissances. Quant à vous, Monsieur, qui êtes déjà élu secrétaire de la Section des Sciences, vous saurez remplacer dans notre Compagnie M. GÈZE, dont l'infinie modestie égalait la haute valeur morale et le profond savoir.


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Réception de M. M. GIRARD

Discours de M M GIRARD

MONSIEUR LE PRÉSIDENT, MESSIEURS,

Une ancienne tradition, à laquelle votre Compagnie demeure fidèle, veut que vos élus soient conviés à prendre pour la première fois contact avec leurs collègues en leur adressant, au moins, quelque courte allocution, à défaut d'un discours.

Je me félicite aujourd'hui de l'existence de cette coutume — à laquelle je m'excuse de me conformer si tard — car elle me permet de vous exprimer mes sentiments de vive gratitude pour l'honneur que vous avez bien voulu me faire en m'accueillant parmi vous.

Je l'avouerai cependant, en toute franchise, la fierté d'avoir été favorisé de vos suffrages ne vas pas pour moi sans confusion, quand je considère l'insuffisance de mes titres à cette distinction précieuse. L'Académie m'apparaît, en effet, comme un centre des plus brillants d'études poursuivies dans tous les domaines de la pensée, avec le prestige d'un passé plus de deux fois séculaire, spectacle bien fait pour frapper de crainte le nouveau venu dans cette savante Maison, ou moment où il se dispose à en franchir le seuil.

C'est donc, Messieurs — soyez en remerciés — à votre bienveillance et aussi à l'indulgente amitié qui m'a proposé à votre choix, que je dois de prendre place dans cette Assemblée en y succédant à l'homme éminent, dont, le souvenir est toujours présent à vos mémoires.

Tous ceux qui ont connu le professeur DERRIEN et, plus encore, ceux qui ont eu l'heureuse fortune de travailler avec lui, ont été frappés par la tendance encyclopédique de son esprit et la remarquable diversité de ses aptitudes. Ces qualités s'étaient manifestées chez lui de bonne heure, et, au moment où beaucoup ne sont encore que des écoliers, il abordait ses études


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médicales, pourvu d'une ample culture générale, aussi bien littéraire que scientifique. Puis s'est poursuivie cette carrière, d'une simple et riche ordonnance, qui, des fonctions de préparateur de chimie, l'amenait, en 1907, à l'agrégation, et, aussitôt après la guerre, dans cette chaire de chimie biologique et médicale qu'il devait occuper avec tant d'éclat.

Son oeuvre scientifique a été considérable et il faudrait, pour en faire ressortir l'importance, des connaissances étendues en biologie et en chimie, auxquelles je ne saurais prétendre.

Je veux du moins mentionner ici ses études sur la matière colorante du sang, sur l'indol et ses dérivés, sur le rôle de ces pigments complexes appelés parphyrines, enfin ses ingénieuses investigations sur le dosage de l'azote dans l'organisme et sur le chimisme du liquidé céphalo-rachidien, qui ont conduit à des règles de diagnostic couramment appliquées en clinique.

Dans les innombrables questions sur lesquelles sont activité s'est exercée, son souci constant était d'orienter ses recherches vers la physiopathologie et d'en rendre les résultats applicables à la pratique médicale.

Il les résumait dans de courtes notes, écrites dans ce style d'une concision élégante dont il avait le secret, exposant le sujet avec une clarté parfaite, sans rien cacher cependant des difficultés non encore résolues; mieux que personne, en effet, il savait l'art de poser les problèmes dans toute leur généralité et de découvrir des liens cachés entre les phénomènes en apparence les plus dissemblables.

Eugène DERRIEN a été ainsi le type du vrai savant et, on peut ajouter, du savant complet; car, loin de se cantonner dans les études spéciales, où il était passé maître, son esprit, toujours en éveil, s'intéressait aux questions les plus variées et pénétrait sans effort le détail de toutes les disciplines.

D'une immense érudition, qui n'excluait pas le sens critique le plus sagace, il était constamment au courant du dernier état de la pensée scientifique, non seulement sur l'objet même de ses travaux, mais aussi dans tous les domaines connexes. De cette connaissance sure, il faisait largement profiter tous ceux qui venaient lui demander conseil. Enseigneur incomparable, il savait éveiller les intelligences, inspirer à ses élèves la passion du travail méthodiquement poursuivi, les guider à travers la complexité souvent décevante des phénomènes, les orienter vers les fécondes découvertes..


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Aussi a-t-il été mieux qu'un excellent professeur, un véritable chef d'école, et son enseignement, comme ses travaux, lui vaudront ce rare privilège réservé aux bons ouvriers de la pensée, celui de se survivre.

Ce n'est pas ici, Messieurs, qu'il sera oublié, dans une enceinte où il a présidé vos débats et qu'il a si souvent animée de son éloquente parole.

Le peu que j'en ai rapporté n'est qu'une esquisse bien imparfaite; je souhaiterais qu'elle eût évoqué en vous le souvenir de cette figure au ferme dessin, de cette lumineuse intelligence, dont une cruelle fatalité a interrompu brusquement le rayonnement si plein de promesses.

Puisse le modeste successeur de ce grand disparu bénéficier pour lui-même de l'ambiance de haute culture où il est introduit; puisse-t-il contribuer, dans la mesure de ses forces, à l'oeuvre poursuivie dans cette Maison, vouée au culte désintéressé de la science et aux plus délicats travaux de l'esprit.

Réponse de M. HUMBERT

MONSIEUR,

Permettez-moi de déplorer cette tyrannique coutume de notre Compagnie, qui exige que, dans une séance comme celle-ci, le premier mot adressé au récipiendaire par celui qui joue le rôle d'orateur de la troupe, soit ce terme, volontairement impersonnel, de Monsieur. Si j'avais eu le choix, je n'aurais pas hésité longtemps: dédaignant tous les titres auxquels vous donnent droit vos fonctions, j'aurais commencé ma harangue par : Mon cher camarade.

Si l'on m'a demandé, en effet, dérogeant aux usages, de remplacer le président de notre Section pour vous souhaiter ce soir la bienvenue, n'est-ce point parce que l'on savait que nous sommes l'un à l'autre unis par la grande fraternité polytechnicienne? Et, d'ailleurs, n'est-ce point aussi parce que nous avons, jadis, appris, dans les amphithéâtres de l'X, à plier nos esprits aux disciplines scientifiques, que nous avons ultérieure-


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ment été jugés dignes, l'un comme l'autre, de nous asseoir dans ces fauteuils — et de retrouver ici celui de nos camarades que nous vénérons comme notre Doyen, mais qui a eu la coquetterie de se faire élire dans la Section des Lettres?

Vous êtes, en effet, Monsieur, entré premier à l'Ecole Polytechnique. Du moins je le suppose, car c'était en 1901, et, au bout d'un temps suffisant, tout ancien polytechnicien est toujours entré premier à l'Ecole. En tout cas, ce qui est plus sûr, c'est que votre rang de sortie a été assez brillant pour vous classer dans ce que nous appelons la Botte, et vous faire entrer au Corps des Ponts et Chaussées.

Ingénieur, vous avez été attiré par le Midi. Cela n'est pas étonnant: les travaux d'art, dans nos contrées, sont nombreux et intéressants; d'ailleurs n'était-il pas du Midi, le patron des ingénieurs des Ponts et Chaussées, Saint-Bénézet d'Avignon? Toute votre carrière s'est écoulée dans des villes méridionales — sauf un très court séjour à Paris, et certain stage, qu'il vaut mieux oublier, entre la Mer du Nord et les Vosges. Sète, Toulouse, vous ont retenu quelque temps; mais, pour notre bonheur, c'est Montpellier qui vous a fixé: vous l'habitez depuis douze ans, et vous l'aimez autant que cette vallée de Chamonix, où l'on est presque sûr de vous rencontrer, chaque été.

Et, ingénieur des Ponts et Chaussées, qu'avez vous fait, sinon construire des chaussées et des ponts ? Mais il y a chaussées et chaussées, comme il y a ponts et ponts. Celles et ceux dont vous vous êtes occupé n'ont rien de banal: la réfection courante des routes du département ne vous a pas suffi. Vos chaussées, ce sont les quais du port de Sète : vous avez trouvé là l'occasion d'un travail intéressant, et qui vous a sorti de la routine administrative, où risquent de sombrer tant de fonctionnaires.

Quant à vos ponts, c'est à Sète aussi qu'il les faut admirer. Nous nous rappelons tous avec quel enthousiasme nos amis sétois ont salué l'inauguration du premier de ces appareils, à la silhouette si originale, qui transporte aux rives de l'étang de Thau l'esthétique du fer, celle de Garabit ou du Forth bridge. Ils sont trois, à présent, sur le canal, qui se soulèvent avec élégance, malgré leurs imposantes dimensions, en basculant doucement sur ce qui semble être un simple signe du mécanicien. Ces ponts, construits sur un modèle américain, furent


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les premiers en France de ce type. Je voudrais que l'on sût davantage, Monsieur, que c'est à vous que nous les devons. Nous ne vous rendons pas suffisamment justice. Là-bas, dans les Pyrénées-Orientales, la ligne si hardie de Perpignan à FontRomeu, traverse, à deux reprises, le gouffre où coule la Têt, sur deux admirables ouvrages d'art: un pont de pierre aux arches puissantes, un étroit pont suspendu jeté d'une volée au-dessus de l'abîme. Ils sont à présent, et c'est très bien, universellement désignés par les noms de leurs constructeurs: Pont Séjourné, Pont Gisclard. Pourquoi cette coutume n'est-elle point adoptée par ici? Vous rappelez-vous, mes chers confrères, ce vers que son ridicule a sauvé, solitaire, de l'oubli dans lequel sont tombées les oeuvres de son auteur, Charles DE POMAIROLS :

C'est un très grand honneur de posséder un champ...?

Vous avez, Monsieur, le grand honneur de posséder trois ponts, dont vous laissez la jouissance au public: je souhaite que ce public ne se montre plus ingrat, et que, leur donnant le nom qui leur convient, il les appelle désormais : les ponts GIRARD.


COMMUNICATIONS

Deux Abbayes cisterciennes : Fontfroide et Valmagne par M. Pierre DE GORSSE

« L'Abbaye de Citeaux, fondée en 1098, devint, grâce à l'impulsion de saint BERNARD (1091-1154), le point de départ d'une nouvelle forme de piété ascétique; l'importance de ce saint fut immense, aussi bien dans le domaine de la mystique et de la fondation des ordres monastiques, que dans celui de la politique religieuse, saint BERNARD, que DANTE prendra pour guide lorsque s'ouvrira à ses yeux la vision suprême du Paradis, fut, au XIIe siècle, la flamme spirituelle du christianisme occidental, qui atteignait alors à son apogée. » Ainsi s'explique M. ErnestRobert CURTIUS, professeur à l'Université de Bonn, dans son récent Essai sur la France.

De fait, Citeaux est né de l'humble et virile réaction de quelques hommes de foi qui, dans leur monastère de Molesmes, au diocèse de Langres, où ils suivaient les règles de Cluny, s'aperçurent avec angoisse que leur vie et leur conduite n'étaient pas en rapport assez étroit avec les préceptes de leurs voeux. Transfuges de leur couvent, pour n'être pas transfuges de leur règle, ces hommes rêvent d'un ordre nouveau où les préceptes de saint BENOIT S 'épanouiront dans doute leur simplicité et ainsi donc dans toute leur pureté. Ils réalisent leur dessein. Plus tard, saint BERNARD viendra, parachèvera leur oeuvre, et sur la chrétienté un esprit nouveau soufflera. Des monastères surgiront de toutes parts ; des moines blancs iront édifier le quadrilatère de ces cloîtres, tous semblables les uns aux autres, réalisés toujours suivant un thème préconçu, mais où, pourtant, chaque contrée, chaque climat apporte sa note particulière avec la manifestation de son tempérament.

Le Languedoc méditerranéen possède encore, dans un état de conservation admirable, deux de ces monastères où, sous la


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règle de saint BERNARD, des hommes firent briller dans les jours incertains du Moyen Age, le radieux flambeau de la civilisation. Fontfroide, au diocèse de Narbonne; Valmagne, au diocèse d'Agde, sont ces deux spécimens d'architecture monastique que nous examinerons rapidement après avoir, en quelques mots, retracé l'histoire de ces deux anciennes abbayes (1).

X

Sur la route qui va de Narbonne à Carcassonne, un chemin de grande communication, sur la gauche, se dirige vers Couiza. Il pénètre dans la partie la plus pittoresque des Corbières, abandonnant les centres habités pour un site plus sauvage. A quelques kilomètres, également sur la gauche, un chemin rocailleux, semble vouloir s'enfoncer dans une gorge plus déserte encore. La route sinueuse court dans un cadre de désolation qui rappelle par bien des traits l'aridité de la Castille espagnole. Elle franchit un torrent à gué, comme un oued africain presque complètement à sec mais terrible en ses brusques colères. Tout en face, une colline s'élève couverte d'yeuses et de cyprès, parfumée de thyn et de romarin. Brusquement, alors que le chemin semble vouloir se perdre dans la rocaille, de vastes bâtiments surgissent, une porte monumentale annonce un centre de civilisation.

Ce lieu sauvage et silencieux renferme l'abbaye de Fontfroide, un des monastères cisterciens les mieux conservés de France, dont l'apparition soudaine émeut profondément l'artiste et laisse rêveur l'historien ou l'archéologne.

L'origine de ce monastère est fort ancienne. Ses débuts furent modestes, mais son développement rapide. Les historiens discutent sur la date certaine de sa fondation: est-ce vers la fin du XIe siècle qu'elle se place, ou bien date-elle du milieu du XIIe siècle, lorsque la vicomtesse ERMENGARDE, de Narbonne, dit donation à l'abbé VITAL « du bien de Fontfroide, avec toutes les terres en dépendant, cuites ou incultes, les entrées, passages

(1) Le 12 avril 1932, M. Pierre de Gorsse a fait, sur ce sujet, datas le grand amphithéatre de l'Université, sous les auspices de l'Académie, une conférence avec projections dont ces notes succinctes ne sont qu'un pâle résumé.


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et sorties, les bois, les pâturages, les eaux », et ce, pour le salut de son âme, de celle de son père et de tous les siens.

M. Emile CAUVET, qui, en 1875, a consacré à l'étude de l'histoire de Fontfroide un ouvrage auquel il n'y a rien à reprendre, estime que si ERMENGARDE doit être considérée comme une bienfaitrice insigne de l'abbaye, en raison de sa donation du 12 des calendes d'avril 1159, le mérite de la fondation du monastère doit revenir à son grand'père, le vicomte AYMERIC, qui, dès la fin du XIe siècle, vers 1093, installa des religieux dans le désert de Fontfroide.

Peu de temps après, le monastère s'affiliait à l'Ordre de Citeaux, qui venait d'être établi dans les circonstances déjà rappelées. Il devait avoir dans la famille des vicomtes de Narbonne de précieux bienfaiteurs et l'accroissement de ses biens devint bientôt considérable. Legs et donations affluent, émanant soit d'évêques, soit de seigneurs, non seulement de la France méridionale, mais encore du nord de l'Espagne. Le roi d'Aragon, comte de Barcelone, ayant visité Fontfroide, ne décide-t-il pas d'établir l'ordre de Citeaux dans ses états, et par acte du 15 des calendes de février 1149, fait donation à l'abbaye du Jardin de Poblet, non loin de Tortosa et de Tarragone, afin que les religieux y viennent fonder un monatère. Ce fait présente un grand intérêt, car il explique la filiation architecturale des abbayes cisterciennes de France et d'Espagne. Par-delà les Pyrénées, Fontfroide possède donc une magnifique réplique dans l'abbaye royale de Poblet; le détail historique de cette fondation permet de comprendre des similitudes de construction véritablement frappantes.

Les seigneurs temporels ne sont pas les seuls à porter de l'intérêt à Fontfroide; le pape INNOCENT III lui manifeste d'éclatante manière sa sollicitude: le dixième des calendes de juin 1200, il promulgue une bulle qui place l'abbaye sous la protection du Saint-Siège, énumère toutes ses possessions qui jouiront désormais du même privilège, et anathématise ceux qui viendront troubler, de quelque façon que ce soit, les religieux d'un monastère qu'il comble de ses bénédictions.

Les seigneurs de Narbonne demandent à être inhumés dans l'enceinte de l'abbaye qui devient le Saint-Denis de cette puissante famille. Au demeurant, certains de ses membres prennent ombrage de cette trop riche voisine et lui cherchent querelle.


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Ainsi, cet impétueux AMALRIC, de Narbonne, se trouvant en 1252 dans un état d'impécuniosité extrême, s'avise-t-il que le sol de Fontfroide recèlerait quelque mine d'argent sur laquelle il s'arrogerait volontiers des droits. Il ordonne des fouilles; les religieux protestent énergiquement contre ce qu'ils considèrent comme une atteinte à leur propriété. L'archevêque de Narbonne, Guillaume DE LA BROUE, qui a par deux fois déjà dû excommunier le vicomte AMALRIC, lui signifie une nouvelle excommunication pour le cas où il persisterait dans ses intentions. Mais la .menace ne l'arrête en rien et, sous les murs de d'abbaye, il organise un chantier dont il surveille lui-même l'exploitation. A la faveur de la nuit, les moines s'emparent des outils des ouvriers, qu'ils prétendent garder en gage; des désordres s'en suivent. L'abbé se réfugie dans le maquis de la procédure, se livre à ce qu'on nomme la dénonciation de nouvelle oeuvre qui, en droit, doit interrompre tous travaux jusqu'à décision du Sénéchal. Mais AMALRIC est plus fin procédurier que l'abbé qui risque de succomber dans les voies de droit. Celui-ci songe alors à un expédient plus décisif ; il ordonne à un de ses religieux de déposer dans la fouille les reliques du monastère. Leur présence plonge aussitôt AMALRIC dans un trouble profond, car on ne plaisante pas avec les saintes reliques dont la profanation est, même aux yeux d'un seigneur quelque peu sceptique et sans crupules un grave sacrilège.

Il faut donc renoncer à poursuivre en cet endroit les travaux, mais AMALRIC les ordonne quelques mètres plus loin. Les reli-, gieux, déconcertés, songent qu'il importe de renouveler ce qui, une première fois, a si bien réussi, et, tandis qu'autour des ouvriers la surveillance se relâche, ils se précipitent sur les gens du vicomte et, dans la mêlée qui s'en suit, glissent de nouvelles reliques dans la seconde fouille. La bataille fait rage cette fois, de part et d'autre il y a des blessés; pêle-mêle, moines et ouvriers tombent dans le trou, au milieu des reliques saintes, c'est un beau désordre, dans lequel les gens d'AMALRIC conservent l'avantage. L'abbé, comprenant le danger, ordonne la retraite et, pour la troisième fois, le vicomte subit l'excommunication (1).

(1) Cet épisode est rapporté avec toutes précisions, dans l'ouvrage de M. E. CAUVET, Etude historique sur Fontfroide, 1875, Liv. ni, Chap. Il, pages 188 et suivantes.


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Nous avons rapporté cet épisode car il dépeint assez les moeurs de ces temps, mais il ne peut être question de rappeler ici tous les faits importants qui marquent l'histoire de Fontfroide. Il est toutefois quelques figures qui émergent d'une façon telle qu'il est cependant indispensable de les nommer.

Peut-on oublier que c'est dans le recueillement du cloître de Fontfroide que deux moines, RODULPHE et Pierre DE CASTELNAU, se sont préparés à la mission, qu'en qualité de légats du Pape INNOCENT III, ils jouèrent dans la. lutte ardente de l'Eglise contre l'hérésie albigeoise. L'épopée de ce Pierre DE CASTELNAU est un des épisodes les plus farouches et les plus passionnants de notre histoire médiévale. On ne peut omettre de rappeler que cet ancien chanoine de Maguelone, partit de Fontfroide pour combattre les Cathares et trouver dans le delta du Rhône, au soir du 8 janvier 1208, cette mort mystérieuse qui devait en faire un martyr de la Foi et déchaîner dans le Languedoc tout entier une des guerres les plus farouches.

Un abbé de Fontfroide, Arnaud DE NOVEL, après avoir enseigné le droit à l'Université de Tolouse, devint, en 1306, chancelier de l'Eglise romaine, et, familier du pape CLÉMENT V, mourait cardinal.

Fontfroide, enfin, peut s'enorgueillir d'avoir donné un Pape à l'Eglise. C'est un neveu d'Arnaud DE NOVEL, lui-même, Jacques FOURNIER, comme lui d'ailleurs, originaire de Saverdun. D'abord moine en l'abbaye de Bolbonne, près de Toulouse, en 1310, il succède en qualité d'abbé de Fontfroide, à son oncle devenu cardinal. Durant six ans, il dirige l'abbaye; ses qualités exceptionnelles le font ensuite nommer évêque de Pamiers, puis de Mirepoix. En 1327, il devient cardinal; sa fidélité à la robe de Citeaux le fait appeler « le cardinal blanc » et le hasard veut que cette robe blanche, qu'il n'avait jamais voulu abandonner, devint l'insigne de sa dignité nouvelle. A la mort de Jean XXII, les cardinaux, réunis en Conclave, décidèrent individuellement de voter au premier tour pour un candidat dont les chances leur paraissaient nulles. Pris à leur propre jeu, ils donnèrent une majorité à l'ancien abbé de Fontfroide, auquel nul ne songeait sérieusement et qui, lui-même, était bien loin de s'attendre à pareille désignation. Jacques FOURNIER devint ainsi Pape en 1334, sous le nom de BENOIT XII, et l'Eglise n'eut pas à regretter cette élection imprévue.


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Citadelle de l'orthodoxie aux heures troubles du Moyen Age, Fontfroide vit son rayonnement matériel et moral marquer d'une forte empreinte toute la région méridionale. Puis, la règle cistercienne se relâche avec la longue série des abbés cômmendataires qui apparaissent dès 1476. Des noms illustres figurent encore cependant à la tête de l'abbaye; tout d'abord, trois NAIBONNE, héritiers directs d'ERMENGARDE, la bienfaitrice, et d'AMALRIC l'excommunié; puis s'y succèdent: Augustin TRIVULCE, d'une illustre famille, qui donna au Milanais des princes, à la France des maréchaux et à l'Eglise plusieurs cardinaux; Hippolyte D'ESTÉ, cardinal de Ferrare; Claude DE RÉBÉ, archevêque de Narbonne; trois LA ROCHEFOUCAULT, qui, d'oncle à neveu, la possèdent cinquante années, jusqu'à la mort de Roger DE LA ROCHEFOUCAULT, survenue en Hongrie, le 18 juin 1717, alors que cet abbé de trente-deux ans combattait les Turcs sous le nom de prince de MARCILLAC. Emmanuel DE COSSÉ-BRISSAC sera le dernier abbé de Fontfroide, et avec la Révolution c'est la fin de l'abbaye sept fois centenaire.

Les terres sont morcelées, l'abbatiale dépouillée de son mobilier au profit des églises du voisinage qui se partagent ses dépouilles. Le monastère est transformé en grange.

En 1858, les Cisterciens s'y réinstallent pauvrement; on n'est plus aux temps de foi ardente du Moyen Age et les donations sont rares. Un saint abbé se montre cependant le digne héritier des traditions cisterciennes les plus pures, et le Père JEAN, dernier abbé de Fontfroide, attire par ses vertus de multiples grâces et d'abondants bienfaits sur une maison trop lourde à la petite communauté. Puis la loi de 1901 chasse encore une fois les robes blanches du cloître, on peut craindre pour le monument.

Mais non. Il a le rare bonheur de tomber en des mains averties. Peu à peu les ruines se relèvent, tout reprend sa place, et Fontfroide s'offre encore à nos yeux dans le cadre admirable d'une époque miraculeusement ressuscitée.

Le plan de Fontfroide est, à peu de choses près, celui de toutes les abbayes cisterciennes. Les dépendances se trouvent enfermées dans une enceinte, suivant la règle qui prescrit que le monastère sera construit (si faire se peut) de telle façon qu'il réunisse dans son enceinte toutes les choses nécessaires,


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savoir: l'eau, un moulin, un jardin, des ateliers pour divers métiers, afin d'éviter que les moines n'aillent au dehors ; d'ailleurs, en ces solitudes, il importe d'avoir tout sous la main. Nous trouvons donc, groupés autour du cloître et de la salle capitulaire qui constituent, avec l'église, l'essentiel du monastère, les divers bâtiments, ateliers, cave, cellier, etc., nécessaires à la vie complète d'une communauté jadis nombreuse.

Sans doute des transformations successives ont quelque peu modifié les dispositions primitives, mais, pour peu qu'on ait l'habitude des monastères du Moyen Age, on retrouve, très exactement, la destination de tous ces divers locaux.

La sympiclité y est la règle absolue. Saint BERNARD l'a formellement exigée pour les maisons de son Ordre. Tout doit prêcher la pénitence et l'ascétisme; sans doute il convient de glorifier Dieu dans les monuments élevés pour son service, mais c 'est par la ligne seulement que ce but sera atteint. A cet égard, la grande abbaye cistercienne bourguignonne de Fontenay (celle qui, depuis la disparition des maisons-mères de Citeaux et de Clairvaux, doit être considérée comme l'abbaye-type), les trois abbayes-soeurs de Provence: Silvacane, sur les rives de la Durance ; Sénanque, dans les monts sauvages de Vaucluse, et le Thonoret, dans un vallon du Var, donnent d'impressionnants exemples de cette simplicité toujours grandiose.

A Fontfroide, la partie primitive, c'est-à-dire des XIIe et XIIIe siècles, constitue un ensemble si important qu'on peut dire que l'abbaye appartient toute entière à ce style, sauf quelques modifications de détails d'époque postérieure.

Une première cour, dans laquelle on accède par une porte monumentale ornée de belles ferroneries, est bordée à l'ouest par le mur de soutènement de la terrasse et des jardins, tandis qu'à l'est s'élève une façade de pierres rousses, ornée au rez-de-chaussée par quatre doubles baies romanes et, au premier étage, par une série d'ouvertures rectangulaires de petites dimensions, alternant avec dix fenêtres à meneaux du XIVe ou XVe siècle.

Le fond de cette première cour est occupé par trois grands arcades donnant accès dans une deuxième cour, avec laquelle, à l'origine, elle ne devait faire qu'une. Cette dernière contient, à l'est, un corps de bâtiments rectangulaires, dont les fenêtres 7


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géminées et la porte romanes indiquent l'ancienneté, mais ce bâtiment a subi au cours des siècles de multiples remaniements. En face de lui, prolongeant la façade de la première cour, un mur également primitif renferme la porte en plein cintre, donnant accès au vestibule des bâtiments claustraux, et une porte ogivale s'ouvrant sur une vaste salle très obscure, qui fut la cave du monastère.

Dans la première cour, entre les doubles baies romanes, une porte, ajoutée au XVIIe siècle, permet d'accéder dans une grande salle, longue de 46 mètres, large de 9, voûtée en cinq travées surbaissées, soutenues par de puissantes nervures se coupant à angle droit sans clef de voûte. Cette salle, où règne une demipénombre, est éclairée, vers l'ouest, par les baies dont il vient d'être parlé, vers l'est, par trois fenêtres s'ouvrant sur la cour d'honneur. La cheminée monumentale, qui orne le mur nord, provient du château de Montmorency, à Pézenas, d'où elle fut apportée, en 1909, pour décorer cette salle qui est, selon toute vraisemblance, l'ancien cellier du monastère.

Une porte, dans la dernière travée nord, permet de gagner un couloir voûté en demi-arceau contrebuté sur le mur ; celui-ci fait communiquer cette salle avec le vestibule, le cloître, l'église et les diverses dépendances du monastère. Le vestibule renferme un bel escalier droit conduisant, au-dessus de la cave de la deuxième cour, à une pièce obscure et basse, simplement éclairée par des ouvertures qui tiennent de la meurtrière. Cette vaste salle, aujourd'hui appelée « salle rose », à cause du beau dallage qu'elle renferme, contient une importante collection de coffres espagnols ; il est possible que primitivement elle ait été destinée au dortoir des convers.

La cour d'honneur et les constructions qui l'entourent, au nord et à l'est, datent des abbés commendataires. On y remarque, faisant face à un bassin environné de massifs soigneusements taillés, un beau logis du XVIIe siècle.

Le couloir qui longe l'ancienne cave conduit au cloître. Celuici, quadrilatère parfait, se trouve disposé, selon la règle, entre l'église, la salle capitulaire et le réfectoire. Il est conforme, dans son ordonnance générale, au type de tous les cloîtres cisterciens; toutefois, il offre, dans son exécution, une variété et une finesse de détails dont nous ne pouvons que nous réjouir mais que, fort certainement, aurait réprouvé saint BERNARD.


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Il date du XIIIe siècle. Ses travées n'ont pas toutes des dimensions identiques. Voûtées en arcs d'ogives, elles ne furent jamais surmontées d'un étage. Les galeries se composent d'arcs en tiers-point, bandés entre deux contreforts. Dans leur ouverture s'ouvrent, suivant le cas, trois ou quatre arcades de plein cintre, soutenues par des colonnes géminées de marbre blanc veiné. Les chapiteaux de ces colonnes, d'un galbe élancé et hardi, s'ornent de feuillages ciselés avec variété et finesse. Les bases des colonnes sont munies de griffes, elles reposent sur un bahut qui sert de dossier à des bancs de pierre longeant la claire-voie. Tout, dans ce cloître, respire l'élégance en même temps que la sobriété, il semble qu'on ait atteint le maximum d'effet avec le minimum de détails. Les tympans des arcatures ogivales sont frappés d'une large oculus (en certains cas on en remarque même trois, alors inégalement disposés). Les voûssures des baies, comme celles des oculi, sont finement moulurées.

Le faisceau des ogives et des doubleaux de la voûte des travées du cloître reposent, vers la claire-voie, sur trois colonnes groupées, et contre les murs, sur des culs-de-lampe, le tout selon la règle architectonique de Citeaux. Une des galeries de ce cloître offre pour les archéologues un vif intérêt. Il s'agit de celle qui, au sud, longe l'église. Celle-ci présente une série de quatre travées carrées et bombées formant presque coupole. Ce sont des voûtes du type si fréquent en Anjou qu'on désigne sous le nom de « voûtes Plantagenet ». Les nervures engagées dans sa maçonnerie sont au nombre de huit et y font surtout figure de moulures profilées sur des voussoirs saillants. La situation géographique de ces voûtes en fait une réelle curiosité archéologique.

La présence simultanée d'arcades et de supports romans inscrits dans les formerets ogivaux de voûtes gothiques se retrouve dans certains cloîtres d'Espagne, et notamment dans celui de la cathédrale de Tarragone. La similitude est tellement frappante que M. Marcel DIEULAFOY a pu écrire que « l'un n'était que la copie de l'autre ». Il est intéressant pour nous de savoir que le cloître de Fontfroide est antérieur à celui de Tarragone et qu'à moins de cinquante kilomètres de cette ville les moines de Fontfroide fondèrent, en 1149, l'abbaye de Poblet, apportant ainsi dans la péninsule ce modèle architectural, maintes fois imité par la suite.


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À l'est du cloître, et s'ouvrant directement sur lui, se trouve la salle capitulaire. C'est là un des lieux essentiels du monastère, il a donc été réalisé avec une harmonie parfaite. Une ouverture de plein ceintre, accostée de deux baies de même, permet d'y accéder. Quatre colonnes de marbre blanc supportent neuf voûtes d'ogive à gros boudin, séparées par des arcs en plein cintre surbaissés. Cette voûture est lourde et mal dégagée du style roman. La légèreté des colonnes qui la supportent fait avec elle un étrange contraste. Les arcs diagonaux de ces ogives primitives vont en s'amincissant vers les retombées et reposent contre les murs sur des colonnes engagées. Sur trois côtés de la salle règne un banc de pierre élevé sur une marche. Le jour pénètre par les baies du cloître, et, vers l'est, par trois ouvertures également de plein cintre.

La disposition de la salle capitulaire de Fontfroide est conforme à celle qu'on retrouve dans la plupart des abbayes cisterciennes. Le plan de l'église procède également de cette même tradition. Il présente une nef romane accostée de collatéraux en demi-arceau contrebuté sur le mur de la nef principale. Au XVe siècle, on a adjoint au collatéral méridional une rangée de cinq chapelles, dont il faut faire abstraction, pour reconstituer l'ordonnance primitive dé cette belle église. Un transept de trois travées sépare la nef du choeur et des chapelles adjacentes de l'abside. La forme pentagonale de ce choeur et des chapelles est très caractéristique dans le plan cistercien, dont les absides affectent généralement des lignes polygonales ou carrées.

La nef, divisée en cinq travées par des doubleaux retombant sur des colonnes jumelles engagées sur de gros piliers carrés, est voûtée en arc brisé, ce plein cintre « aigu », si fréquent dans les églises de l'école provençale ou méditerranéenne. Les colonnes des doubleaux ne descendent pas jusqu'au sol et s'arrêtent sur des corbeaux, à deux mètres du sol, détail architectonique également spécial à Citeaux.

Les voûtes du transept sont fort curieuses, elles présentent ces croisées d'ogives toriques qui constituent une adaptation précoce de ce qui constituera quelques aimées plus tard le style gothique. Il importe de signaler que c'est dans les monastères cisterciens de Flaran, en Gascogne, de Silvanès, en Rouergue, et de Fontfroide, en Languedoc, que semble être née la croisée d'ogives timidement esquissée, sans doute, mais ancêtre cepen-


Le Cloître de Fontfroide

d'après une lithographie de Thierry sur un dessin d'A. Dauzats,

vers 1830. Collection de l'auteur

Façade de l'église de Valmagne,

d'après un dessin de Laurens, vers 1830. Collection de l'auteur



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dant du mode de construction qui a trouvé son merveilleux épanouissement et son audacieuse adaptation dans l'Ile-deFrance.

Aucune fenêtre haute n'éclaire la nef (toujours selon la tradition cistercienne) ; seules, les huit baies romanes du collatéral nord, et les ouvertures de la façade et du mur du chevet éclairent l'église, claire cependant à cause de la blancheur de ses murs de pierre.

Tout le mobilier ancien de l'église a été dispersé à la Révolution, le grand vaisseau du XIIe siècle apparaît donc dans une nudité qui ajoute encore à sa majesté.

Le bras nord du transept conserve encore le large escalier qui permettait aux religieux de descendre directement de leur dortoir pour l'office nocturne. Ce dortoir se trouvait au-dessus de la salle capitulaire et de la sacristie. C'est un long vaisseau d'une vingtaine de mètres sur huit de large ; il y règne une demiobscurité, car il est simplement éclairé par six ouvertures dE plein cintre et une baie ogivale vers l'est, et par huit fenêtres, également romanes, vers l'ouest. Ce dortoir se compose de quatre travées, divisées par l'énormes doubleaux massifs, larges arcs transversaux, dont les retombées descendent à peine à un mètre du sol. Une simple charpente de bois repose sur ces arceaux, constituant une vouture très originale et du type qu'on retrouve justement dans le dortoir secondaire de l'abbaye de Poblet, en Catalogne (la filleule de Fontfroide), et dans l'église de l'ancienne abbaye de Lamourguier, à Narbonne.

Saint BERNARD avait prohibé le luxe et la décoration de ses monastères: « les sculptures et les peintures seront exclues de l'église; les vitraux uniquement de couleur blanche, sans croix ni ornement; il ne devra point être élevé de tour de pierre ni de bois pour les cloches d'une hauteur immodérée, et par cela même en désaccord avec la simplicité de l'Ordre... » La Constitution de Citeaux a été fidèlement respectée à Fontfroide. L'architecture seule constitue « la symbolique » de l'église, ce qu'André HALLAYS appelait, en parlant de Fontenay, « une symbolique linéaire ». A l'extérieur un simple campanile hexagonal et à deux étages domine seul le cloître, tandis qu'à la croisée de la nef et du transept s'élève une tour-lanterne d'un seul étage, édifiée en belle pierre rose.


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Plus heureuse que tant de ses soeurs, l'abbaye de Fontfroide se dresse toujours presqu'intacte au fond de sa gorge sauvage, entre les cyprès et les buis. Modèle parfait de l'oeuvre qu'un amateur avisé et délicat peut accomplir dans un édifice d'autrefois, elle apporte le miracle d'une restitution parfaite. La vie a repris dans les vastes logis abbatiaux; autour de la cour d'honneur, les grandes salles sont meublées d'objets précieux, parfaitement à. leur place en ces lieux; la lampe fidèle brûle toujours au sanctuaire; les (pierres de Fontfroide peuvent encore loyalement raconter leur glorieuse histoire.

X

Tandis qu'il faut aller chercher Fontfroide au coeur des Corbières, la grand'route conduit tout naturellement à Valmagne, dont les bâtiments monastiques s'élèvent sur le chemin qui mène de Mèze à Montagnac.

Elle aussi est une glorieuse fille de Citeaux. En 1138, Raymond TRENCAVEL, vicomte de Béziers, sa femme, Adélaïde, et plusieurs seigneurs, parmi lesquels Guilhem D'OMELAS, frère de Guilhem DE MONTPELLIEBR donnent à FOULQUES, abbé D'ARDOREL, monastère du diocèse de Castres, un territoire, au lieu dit Tortorière, afin qu'il y soit édifié un couvent. Le lieu était, déclare un document ancien, tout juste bon à y faire des parties de chasse, il ne présentait que des garrigues « où se réfugiaient quantité de bêtes sauvages ».

FOULQUES se mit courageusement à l'oeuvre; il entreprit de civiliser le pays et d'y construire le monastère qui devait être l'abbaye Notre-Dame de Valmagne. Les donations se succédant permettent l'édification du couvent qu'avait autorisé, en 1139, RAYMOND, évêque d'Agde. Tout d'abord, on y suit les règles de FONTEVRAULT; puis, malgré certaines difficultés, le pape ADRIEN IV autorise et sanctionne le rattachement à Citeaux. Ceci se passe en 1159.

Pas plus que pour Fontfroide, nous ne pouvons développer ici la chronologie des abbés, énumérer les phases diverses de l'histoire assez troublée de Valmagne. Sa vie est celle de bien des monastères au Moyen-Age. Un couvent existe depuis plus de cent ans, édifié dans le style particulier de l'Ordre, c'est-àdire avec beaucoup de simplicité, lorsqu'en février 1257, l'abbé Bertrand D'AURIAC obtient de Pierre-Raymond FABRI, évêque


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d'Agde, l'autorisation de faire construire une nouvelle église. A vrai dire, il ne réalisera pas entièrement ce rêve et ses successeurs auront la lourde charge de poursuivre l'édification de ce monument considérable, de style ogival, qui constitue la nouvelle église. Que de donations semblable entreprise dut nécessiter pour être menée à bien! Certes, l'abbaye est riche, elle contrôle d'autres monastères, possède à Montpellier un collège où de jeunes clercs peuvent s'instruire à l'Université. Valmagne, cependant, est en butte à tous les troubles de la guerre ; les Routiers la dévastent en 1361, et il importe de défendre ses biens, de fortifier ses domaines. La guerre de Cent ans ne l'épargne pas, il lui faut solliciter l'inféodation de ses terres les plus importantes et renoncer, bien à regret, à des droits de suzeraineté qui paraissent lui tenir très à coeur. En 1477, apparaissent les abbés commendataires, la famille de LAUZIÈRES la dirige pendant quatre-vingt-six ans, puis ce sont les guerres de la Religion. Vincent CONCOMBET DE SAINT-SÉVERIN s'y révèle un abbé bien singulier: il prend fait et cause pour les Réformés et rançonne le pays ; son abbaye restant fidèle au roi, il la prend d'assaut et les pires excès y sont commis, sinon sur son ordre, tout au moins avec sa complaisance.

Il faut de larges donations pour réparer les bâtiments qui croulent de toutes parts. L'abbé DE GUERS les trouve, semblet-il, en s'adressant à son beau-frère, Jean DE VEIRAC, baron de PAULHAN, dont les armes figurent à Valmagne, aux clefs de bien des voûtes. Les baux à besogne indiquent qu'à partir de 1580 l'abbaye devient un vaste chantier, on répare, on consolide, on reconstruit.

En 1658, un prélat italien, Victor DE SIRI, ne fait qu'y passer et bien vite lui succède Pierre DE BONZI, qui fera figure de grand abbé.

C'est d'ailleurs une physionomie curieuse. D'origine florentine, sa famille a déjà donné, de 1575 à 1673, cinq évêques et un coadjuteur au siège de Béziers. Pierre de BONZI est cardinal depuis 1672, son grand-oncle, Jean de BONZI, et son oncle, Dominique DE BONZI, l'ont été également. Depuis 1659, il possède la confiance de Louis XIV qui l'a connu à la Conférence de l'Ile des Faisans. Il a été tour à tour évêque de Béziers (il semble que de droit ce siège revienne à sa famille), archevêque de Toulouse, puis de Narbonne. Aumônier de la reine Marie-Thérèse


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d'AUTRICHE, en sa qualité de primat de la Gaule Narbonnaise, il préside de droit les Etats du Languedoc, et SAINT-SIMON dit qu'il est le véritable roi de cette province. Son habileté est immense, il a fait sa carrière dans les ambassades, à Florence, à Venise, à Varsovie (où le roi lui doit sa couronne), en Espagne. Tel est le prélat qui arrive à Valmagne en 1680. La règle cistercienne y semble, alors, bien oubliée, l'abbaye deviendra la maison de campagne de ce grand seigneur. On y reçoit largement, le grand ministre Louvois en sait personnellement quelque chose. Pendant dix-sept ans, Valmagne appartient à cet homme puissant, puis elle passe à son neveu, Armand-Pierre DE LA CROIX DE CASTRIES. Les réceptions et les fêtes continuent, l'oncle ayant été pour le neveu un protecteur utile, celui-ci est bien en cour. Les deux petits-fils de Louis XIV, le duc DE BERBY et le duc DE BOURGOGNE, séjournent à Valmagne qui, au bord des grandes routes, constitue une halte enchantée. LEFRANC DE POMPIGNAN pense bien ainsi, mais, à l'en croire, les religieux y songent fort peu à Saint-Bernard:

Nos moines sont de bons vivants, L'un pour l'autre fort indulgents; Ne faisant rien qui les ennuie, Ayant leur cave bien garnie; Toujours reposés et contents, . Visitant peu la sacristie; Mais quelque fois, les jours de pluie, Priant Dieu, pour tuer le temps (1).

La Révolution viendra chasser de Valmagne les sept derniers religieux qui vivent en communauté, sous la direction du prieur Dom DESBIEZ, tandis qu'au loin, M. le chanoine DE CHASTENET DE PUYSÉGUR, vicaire général du diocèse d'Albi, reçoit les revenus d'une abbaye qui semble ne l'avoir guère intéressé.

Vendue comme bien national après le morcellement de ses terres, l'abbaye est aménagée en vue de l'exploitation agricole qui l'environne. Jusqu'en 1838, elle appartient à la famille GRANIER-JOYEUSE; à cette date, acquise par le comte de TURENNE, elle est restée toujours depuis lors dans cette famille.

(1) LEFRANC DE POMPIGNAN a publié en 1742-1745, plusieurs éditions d'un Voyage de Languedoc et de Provence, d'où ces vers faciles sont extraits. Le poète consacre d'ailleurs plusieurs pages à sa visite de Valmiagne en septembre 1740.


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L'abbaye de Valmagne comprend deux parties très distinctes : un ensemble de bâtiments contemporains de la construction, c'est-à-dire des XIIe et XIIIe siècles, plus ou moins restaurés par la ■suite, mais ayant conservé le style roman primitif, puis une somptueuse église de style ogival du XIVe siècle, beaucoup plus semblable à une cathédrale qu'à l'église d'une abbaye cistercienne.

Sur la route, en venant de Mèze, on rencontre un corps de bâtiment dont la façade est percée d'ouvertures de plein cintre. Le rez-de-chaussée de cet édifice, aujourd'hui divisé, ne formait jadis qu'une seule salle voûtée sous quatre travées de larges croisées d'ogives, sans clef, séparées par des doubleaux. Au-delà d'une cour intérieure se trouve, toujours en rez-de-chaussée, une salle, malheureusement divisée, elle aussi, en trois, par des cloisons qui dissimulent l'ampleur du vaisseau, long de 27 mètres et large de 7 mètres 85. Une voûte en plein cintre aigu, supportée par trois larges doubleaux, s'élève à 6 mètres 10 ou 6 mètres 20, suivant la déclivité du sol. Cette belle salle devait être jadis de cellier.

Entre cette cour intérieure et le cloître se trouvent, une salle voûtée, restaurée en 1665, qui servait de cuisine, et, à côté, le réfectoire, aujourd'hui grand salon.

Le cloître ne déroge pas au type habituel des cloîtres cisterciens de cette époque. En forme de quadrilatère, il présente cinq travées par côté, ce qui, avec les travées d'angle, donne un développemnet de vingt-quatre travées. Chacune d'elles se compose d'une large arcature bandée entre deux robustes contreforts, vraisemblablement adjonction postérieure à la construction et destinée à soulager l'édifice de l'étage qui y a été fâcheusement ajouté. Entre ces contreforts se développe la claire-voie habituelle de quatre arceaux cintrés surmontés d'un large oculus. Les colonnes des piliers d'angle de chaque travée présentent seuls des chapiteaux ornés de feuillages relativement frustes. Entre les arcatures de la galerie on ne retrouve pas les fines colonnes géminées de Fontfroide; ce sont simplement ici deux colonnes massives, à peine dégrossies, engagées l'une l'autre et formant bloc.

Rares sont les travées qui n'ont pas subi, au cours des âges, des restaurations plus ou moins habiles. Des armes et des dates qui sont du XVIIe siècle, indiquent en plusieurs points diverses de ces réparations.


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Ce manque d'homogénéité et d'assez importantes différences dans les dimensions des travées n'altèrent cependant pas l'impression grandiose qu'impose l'aspect sévère de ce cloître que vient égayer le sourire d'une délicieuse fontaine.

Cette fontaine vaut à elle seule la visite de Valmagne. C'estun des uniques spécimens de ces lavabos qui s'élevaient habituellement dans les cloîtres pour permettre à ces rudes travailleurs qu'étaient les religieux, de faire leurs ablutions avant d'entrer au réfectoire ou d'aller à l'église. La fragilité de ces édicules les a fait disparaître à peu près partout. Fontfroide en possédait un, aujourd'hui démoli, mais dont le musée de Carcassonne conserve heureusement la vasque de marbre délicatement sculptée. Il en est de même de la fontaine de Saint-Denis, depuis 1789 au Musée des Monuments français, créé par LENOIR., et dont les vestiges ornent la cour de l'Ecole des BeauxArts de Paris. La vasque de Pontigny, en Bourgogne, orne un jardin public; les deux fontaines de Saint-Michel-de-Cuxa, en Roussillon, ont été victimes d'une de ces exportations si regrettables pour l'archéologie française. L'abbaye du Thoronét conserve encore le pavillon qui abritait son lavabo, mais cet édicule, en raison de sa lourdeur, est d'une absence d'élégance absolue.

Toute autre, certes, est la fontaine de Valmagne ! Exactement au centre de la galerie méridionale du cloître, en face de la porte du réfectoire, une galerie octogonale, communiquant directement avec le cloître par une baie ogivale, la renferme. Sur un stylobate, en sept travées, et à raison de trois par travée, s'élève une suite d'arcatures en tiers-point, supportées par des colonnes géminées, entre lesquelles une sculpture de pierre simule le feuillage. Les chapiteaux de ces colonnes sont simplement moulurés sous un tailloir commun. La hauteur de cette galerie s'harmonise exactement avec celle de la claire-voie des travées du cloître, disposition qui donne à l'ensemble un équilibre parfait. De chacun des angles de l'octogone s'élance, supporté par un pilastre engagé, un arceau dont la réunion forme une sorte de dôme à ciel ouvert. Non loin de cette jonction s'attachent huit autres arceaux qui convergent en une manière de pendentif que termine une pomme de pin.

La voûte de cet édicule est à jour, car il n'existe point de voûtains entre les nervures. Un rideau de vigne-vierge et de


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glycine recouvre le tout et on imagine le charme exquis de cette rotonde lorsque s'agitent, au murmure des eaux limpides, les grappes parfumées.

Le centre de la rotonde est occupé par un bassin, octogonal lui-même, qui reçoit l'eau d'une vasque supérieure, celle-ci alimentée par huit jets d'eau sortant de la bouche de huit têtes joufflues, dont la chevelure supporte le tailloir où repose une sorte d'obélisque.

Cette fontaine a été reconstruite en partie en 1635, ainsi que l'établit le bail à besogne, par lequel les frères HUGOLZ, maîtres fontainiers de Saint-Jean-de-Fos, reçurent 450 livres pour la refaire. Malgré ce, elle n'en demeure pas moins un des spécimens les plus précieux et toujours en place de fontaine monastique.

La salle capitulaire s'ouvre sur le cloître par une succession de cinq arcades romanes, dont celle du centre, légèrement outrepassée, forme porte. Ces baies reposent sur des colonnettes groupées six par six. Toute la fantaisie et toute l'élégance qu'on est surpris de ne pas trouver autour des chapiteaux du cloître, s'épanouissent dans cette partie de l'édifice. Les colonnettes sont diverses de forme, rondes, hexagonales, parfois canelées; plusieurs sont en marbre de couleur ; les larges feuilles d'eau des chapiteaux sont taillées avec habileté.

La salle, de dimensions beaucoup plus réduites que celle de Fontfroide, mesure huit mètres sur douze. La voûte en est surbaissée, reposant sur de larges croisées d'ogives primitives. On y a réuni des vestiges de sculptures parmi lesquels un certain nombre de fragments du jubée qui, nous en avons la certitude par un plan de 1772, occupait les deux premières travées de la nef de l'église.

Faisant obligatoirement abstraction dans cette étude succinte des dépendances secondaires de l'abbaye, nous en arrivons à l'église, qui constitue le deuxième groupe des bâtiments de Valmagne.

L'église est un édifice du XIVe siècle; avant cette date y avaitil une église à Valmagne? Oui, incontestablement. Où devait alors se trouver cette église? A l'emplacement de l'église actuelle, selon toute vraisemblance. Cette situation est logique, elle découle du plan ordinaire des abbayes cisterciennes; d'autre part, la présence d'un vestige de maçonnerie ancienne, avec


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la trace nettement visible d'une arcade romane, à l'angle nordouest du transept, vient la confirmer.

L'église de Valmagne est donc une réalisation ogivale du XIVe siècle, en un style hardi, peu conforme aux traditions de simplicité et de sévérité de l'ordre de Saint-Bernard. Le plan lui-même, basilical à collatéraux, avec transept, déambulatoire et chapelles rayonnantes, déconcerte en une région qui présente assez peu d'édifices de ce genre. On a dit que l'église de Valmagne était « une fleur exotique », l'épithète paraît fort exacte.

Ce grand vaisseau mesure 82 mètres sur 23. La nef a sept travées, le transept en présente cinq. Autour du déambulatoire s'ouvrent neuf chapelles. Les piliers de la nef sont de forme élipsoïdale, un faisceau de trois colonnes engagées s'y élèvent sur une base tout à fait caractéristique du XIVe siècle. Les chapiteaux sur lesquels reposent les nervures de la voûte sont simplement formés d'un double tore. Les piliers du choeur ont beaucoup plus d'élégance, les voûtes du déambulatoire y reposent sur un chapiteau formé d'une bague de feuillage qui embrasse tout le pilier, n'ayant sur sa face principale qu'un rôle décoratif. Les arcs qui séparent le choeur du déambulatoire sont d'inégale largeur et vont en se rétrécissant à mesure qu'ils s'approchent du centre. L'exécution de tous les détails de l'église est soignée. Une des chapelles de l'abside (la seconde à droite), renferme encore des restes de fresques dans lesquels nous croyons pouvoir distinguer une mise au tombeau. Les personnages sont vêtus à la mode du XVe siècle.

Une belle statue de marbre blanc orne la chapelle du chevet, elle provient d'une libéralité de la famille PAULHAN-VEIRAC, comme l'indiquent les armes, en partie martelées, qui figurent à sa base.

Enfin, détail à signaler, l'église aujourd'hui utilisée comme cave, ne reçoit pas toute la lumière qui lui était destinée. Quarante-neuf ouvertures devaient lui prodiguer à flot la clarté; à l'exception de deux, toutes les fenêtres sont aveuglées. D'aucuns ont pu croire qu'elles n'avaient même jamais été ouvertes, mais un certain Michel GOUDONNET, maître maçon de SaintPargoire, reçut, en 1625, cinq cent vingts livres pour les fermer. Il faut croire que c'est pour rétablir la solidité de l'édifice sérieusement compromise qu'on a dû se résoudre à supprimer ainsi toutes les ouvertures.


L'intérieur de l'église abbatiale de Fontfroide

La fontaine-lavabo dans le cloître de Valmagne



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Un narthex précède l'église; ce vestibule est fréquent dans les églises monastiques; à Valmagne, il présente cinq petites travées perpendiculaires à la nef, dont il occupe toute la largeur, y compris les collatéraux. Une porte ogivale, dont l'archivolte est faite de grappes de raisins, le fait communiquer avec l'église, tandis qu'une baie, également ogivale, s'ouvre sur l'extérieur, encadrée de deux ouvertures géminées, dont les arcs, en tiers-point très aigu, reposent sur des colonnettes groupées par trois.

La façade n'est pas sans présenter quelques analogies avec celle de Saint-Nazaire de Béziers. Deux tours rectangulaires encadrent le narthex, dont la toiture est en terrasse. Une rose, dont le remplage est occupé par une baie géminée, le couronnement presque flamboyant de celle-ci, lui-même en partie aveuglé, termine la décoration de cette façade.

Sur le bras méridional du transept, un petit clocher en forme de mitre s'harmonise mal avec semblable église. On s'attendrait à une flèche, on ne trouve que ce modeste pignon qu'un archéologue du siècle dernier proclamait « ignoble ». Sans doute l'intérieur de l'église avait fait mieux espérer, mais n'oublions pas que nous sommes dans un monastère cistercien. Les religieux du XIVe siècle ont commis un grand péché d'orgueil en construisant une telle église; ils ont voulu sans doue le racheter et par ce misérable clocheton, témoigner malgré tout de la « simplicité » cistercienne et de leur fidélité à la règle monastique.

Pierre DE GORSSE.

BIBLIOGBAPHIE. — Il ne peut être question ici d'une bibliographie complète. Bornons-nous à signaler :

Pour Fontfroide. — Etude historique sur Fontfroide, E. CAUVET, 1875. — Recherches historiques sur l'Abbaye de Fontfroide, A. FAURE, 1894. — Guide archéologique (à l'occasion du LXXIIIe Congrès de la Société Française d'Archéologie), Jules DE LAHONDÈS, 1906. Et, enfin, l'excellente petite monographie publiée en avril 1932, par le docteur Charles BOYER, de Carcas sonne.

Pour Valmagne. — Histoire, antiquité et architectonique de l'Abbaye de Valmagne, J. RENOUVIER, 1835. — Excursion d'artiste, une visite à l'Abbaye de Valmagne, L. TREMBLAI, g. d,


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Touchante histoire de Vincent Walcké,

perruquier beige, dans le Midi de la France

ou le forçat par erreur

(1826) (1)

par M. Louis-J. THOMAS.

Si les journaux du temps de la Restauration avaient ressemblé aux nôtres, on aurait pu lire au « Véridique, journal du département de l'Hérault », qui paraissait à Montpellier trois fois par semaine, dans son numéro du samedi 18 février 1826 :

« Jeudi, 16 février, sur des avis venus de Toulouse, on a arrêté à Montpellier le nommé Vincent WALCKÉ, criminel dangereux, évadé du bagne de Toulon. De promptes mesures ont été prises par l'autorité pour rendre cet audacieux fugitif aux travaux forcés, auxquels il avait tenté d'échapper. »

I

L'ARRESTATION DE VINCENT WALCKE.

1. — Vincent WALCKÉ, quant il fut arrêté à Montpellier, le 16 février 1826, arrivait, en effet, de Toulouse. Il était porteur d'un livret d'ouvrier, conforme au modèle officiel, et qui paraissait bien en règle. On y pouvait lire son signalement complet: son âge, — 28 ans ; — son lieu de naissance, — Zonnebecke, au royaume des Pays-Bas ; — sa taille, — 1 mètre 66 centimètres ; — ses signes particuliers, — teint coloré et barbe rousse; — enfin sa profession, — ouvrier perruquier.

Il était descendu, afin d'y trouver du travail de son métier, chez le maître-perruquier LOISETTE, qui avait sa boutique au faubourg de la Saunerie, près de l'hôtel du Tapis-Vert. Respectueux des lois et règlements, il était allé, aussitôt, chez le commissaire de police du quartier, César LAFOSSE, afin de faire viser son livret et d'obtenir la « carte de sûreté » qui lui servirait de permis de séjour. C'est pendant l'accomplissement de

(1) Archives Nationales, F7, 8482: dossier 7207 B2.


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ces formalités légales qu'il fut reconnu pour être le forçat évadé dont le signalement avait été envoyé de Toulouse. Il fut aussitôt arrêté et mis en prison.

2. — Le baron CREUZÉ DE LESSER, préfet de l'Hérault, averti de cette importante capture, prit aussitôt, d'accord avec l'administration pénitentiaire, les mesures qui convenaient pour restituer au bagne de Toulon ce voyageur indésirable.

Comme il y avait, justement, dans la prison de Montpellier un autre forçat qui attendait l'occasion de partir pour le bagne, on put, conformément aux règlements, constituer une « chaîne ». Les deux prisonniers, enchaînés l'un à l'autre, furent donc mis en route pour Toulon, le 24 février ; — à pied, accompagnés de deux gendarmes, qui les remirent aux mains de leurs camarades de la brigade voisine.

Ils allèrent ainsi, de brigade en brigade, de Montpellier jusqu'à Toulon, — marchant du même pas alourdi par les fers, partageant le pain grossier et la maigre pitance qu'on leur distribuait à l'étape ; partageant, au gîte, la même couche de paille ; satisfaisant ensemble « aux besoins les plus urgents de la vie... » Ils arrivèrent à Toulon le 12 mars.

3. — Le bagne de Toulon datait de 1748, du jour que l'ordonnance royale du 27 septembre de cette année avait supprimé le corps des galères et l'avait réuni à la marine royale. Les galériens, désormais Sans emploi, avaient été logés dans les bâtiments de l'arsenal et affectés aux plus rudes travaux du port, traînant au pied un lourd boulet qui, ralentissant leur marche, leur ôtait, sinon l'envie, au moins la possibilité de s'enfuir. Leur nombre fit établir bientôt d'autres bagnes à Brest et à Rochefort, qui subsistaient encore en 1826, puis à Lorient, à Cherbourg et au Havre, qui furent supprimés en 1789.

Le Code pénal de 1791 ajouta au châtiment des « condamnés à la peine des fers » les travaux forcés au profit de l'Etat, dans les trois bagnes de Toulon, de Brest et de Rochefort, sous la direction de l'administration de la marine. Le Code pénal de 1810 aggrava encore le sort des forçats, en ordonnant qu'ils seraient accouplés deux à deux, au moyen d'un anneau de fer rivé au pied et muni d'une chaîne, qu'on appelait la « manille ». Dès son entrée au bagne, le forçat était " marqué » au fer rouge, sur la chair de l'épaule. La marque avait été, longtemps, une fleur de lys, emblème de la justice du roi; depuis 1721, le


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galérien, puis le forçat, était marqué d'une lettre: l'initiale du mot désignant le crime pour lequel il avait été condamné. Le Code pénal de 1791 avait aboli la marque ; mais elle avait été bientôt rétablie, — comme tant d'autres usages et pratiques de l'ancien régime, — d'abord par l'arrêté des Consuls du 22 floréal an X, puis par la loi du 12 mai 1806.

Le forçat, après avoir été marqué, recevait l'uniforme du bagne: casaque, rouge, pantalon jaune, bonnet rouge s'il était condamné à temps, bonnet vert s'il était condamné « à perpétuité ».

11 y avait eu, en 1824, au bagne de Toulon, une terrible révolte de forçats; il avait fallu, pour la réprimer, employer la mitraille ; depuis lors, des canons chargés demeuraient braqués en permanence aux portes du bagne.

Malgré les précautions multiples et la rigueur de la surveillance, les évasions de forçats n'étaient pas rares. Dès qu'une évasion était constatée, on tirait par trois fois le canon d'alarme; le pavillon d'alarme était hissé tout en haut des bâtiments ; le préfet maritime, averti, alertait la gendarmerie ; le signalement du fugitif était communiqué aux autorités administratives des dix départements les plus proches ; des affiches informaient le public, promettant à qui arrêterait le forçat évadé une prime de 25 francs s'il était retrouvé dans le port, de 50 francs s'il était pris dans la ville, de 100 francs si la capture était faite au dehors. L'évadé ramené au bagne était puni d'un supplément de trois ans de fers, ou de la double chaîne s'il était déjà condamné à perpétuité.

4. — Vincent WALCKÉ, quand il arriva avec son compagnon de chaîne au bagne de Toulon, y fut reçu sans autre formalité que d'être aussitôt mis aux fers, pendant vingt-quatre heures, sur la galère désarmée Annibal, qui servait de prison aux condamnés à bonnet vert.

Le lendemain, on l'amena dans la cour du bagne, on le dépouilla de ses vêtements, et on le mit nu sur le chevalet de bois, où deux hommes vigoureux le frappèrent, à coups de poings, de toutes leurs forces, sur les épaules. Ce massage administratif avait pour objet de faire réapparaître la marque, qu'on ne voyait point sur sa chair, et qu'on le soupçonnait d'avoir fait disparaître par artifice pendant le temps de son évasion. Mais ce fut en vain; on eut beau redoubler les coups et prolon-


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ger l'expérience, aucune lettre révélatrice ne parut aux épaules de Vincent WALCKÉ.

Pour le punir de la déconvenue qu'il avait ainsi causée à ses gardiens, il fut soumis à la bastonnade, c'est-à-dire à des coups frappés sur les reins nus avec une corde goudronnée, du modèle officiel: 65 centimètres de long, 15 millimètres de diamètre, qui mettaient eu sang le patient et lui enlevaient des morceaux de chair ; — si bien -que le règlement prescrivait de ne pas donner plus de vingt-cinq coups à la suite.

Cependant, on recherchait, sur les registre du bagne, son nom, son signalement, son écrou et le procès-verbal de son évasion. Mais on ne trouvait rien. On faisait défiler devant lui les argousins et les gardes chiourmes : aucun ne le reconnaissait.

Le 14 mars, de guerre lasse, on en référa à l'administration maritime. Celle-ci en référa à l'administration civile, au souspréfet de Toulon, DUFEUGRAY, demandant ce qu'il fallait faire de ce forçat inconnu. Le sous-préfet décida que, puisqu'on ne trouvait aucune preuve, ni de son évasion, ni de sa culpabilité, il fallait le remettre en liberté. On lui ôta donc ses fers, on lui rendit ses papiers et ses nippes, — et on le mit dehors sans excuse, sans certificat, sans indemnité. Heureux devait-il se trouver de s'être tiré du bagne à si bon compte.

Pourtant, la triste aventure du perruquier belge avait fait quelque bruit dans Toulon, car les gens du bagne avaient bavardé. Quand le malheureux, désirant se mettre en règle avec les autorités avant de retourner à Montpellier pour y reprendre sa place, se présenta devant le commissaire de police, afin de faire viser son livret pour Marseille, étape obligatoire sur le chemin du retour, il trouva de bonnes âmes pour s'intéresser à lui, recueillir le récit pitoyable de son aventure, compatir à son malheur, et le conduire aux bureaux de « l'Observateur de Toulon et du Var, journal consacré aux sciences, lettres et moeurs, etc., » qui paraissait à Toulon le jeudi de chaque semaine.

C'était le mercredi 15 mars; le numéro de l'Observateur de Toulon et du Var du jeudi 16 mars 1826 put donc publier dans les « Variétés » de sa page 4 une note émue sur le malheureux sort de Vincent WALCKÉ, arrêté, conduit au bagne et brimé atrocement : « Il a été remis en liberté sans certificat qui atteste

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la méprise commise à son égard, et sans indemnité. Que de réflexions cet événement pourrait nous fournir! »

Le bon journaliste toulonnais ajoutait: « Ce malheureux, dénué de toute ressource, se recommande à la bienveillance des coeurs sensibles, pour lui fournir les moyens d'aller jusqu'à Montpellier, où il était placé. Mais comme il ne peut séjourner longtemps dans ce pays, nous invitons les personnes qui désireront contribuer à son soulagement, à se présenter avant le vingt du courant au bureau du journal, où les dons seront déposés. »

Il y avait des coeurs sensibles à Toulon. L'Observateur de Toulon et du Var put donc publier, au numéro du jeudi 23 mars 1826, dans ses « Variétés », la note suivante:

« Les Toulonnais se sont empressés de venir au secours du sieur WALCKÉ, dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, et dont le malheur donne lieu à reproduire contre notre législation des reproches si souvent répétés. Il est reparti pour Montpellier, d'où il avait été arraché par une méprise, qui pourrait au moins accuser d'imprudence les autorités qui l'ont commise. — La souscription en sa faveur s'est élevée à cent-trente francs. » (1).

Pendant que les citoyens de Toulon offraient ainsi à Vincent WALCKÉ le dédommagement de leur sympathie et le secours d'un viatique, le sous-préfet de Toulon faisait au préfet du Var son rapport sur l'incident. Le préfet du Var fit son rapport au ministre de l'Intérieur. Mais de Toulon ni de Draguignan, sous-préfet, ni préfet n'eurent l'idée d'informer Toulouse, qui avait mis les autorités aux trousses de Vincent WALCKÉ, ni Montpellier, qui l'avait arrêté, — ni Marseille, où l'on ne pouvait ignorer qu'il se rendît d'abord. Fallait-il tant de soins pour un aussi mince personnage?

5. — A pied, par petites étapes au long de la mer, Vincent WALCKÉ s'en allait de Toulon à Marseille, lesté des 130 francs dont la charité toulonnaise l'avait gratifié. Il avait serré précieusement, parmi ses papiers, le numéro de l'Observateur de

(1) Je dois la communication des extraits de l' « Observateur de Toulon et du Var», dont les collections sont devenues très rares, à la perspicace obligeance de M. Pierre Fontan, félibre majoral, conservateur du Musée Municipal de Toulon.


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Toulon et du Var du 16 mars 1826, qui, l'argent dépensé, lui servirait à faire la preuve honorable de cette charité toulonnaise.

Il arriva à Marseille le 22 mars. Là, toujours respectueux des lois et des règlements, il se présenta au commissaire de police, afin de faire viser son livret pour Montpellier, où il ne doutait pas que le maître-perruquier LOISETTE lui conservât sa place. — Le commissaire de police de Marseille avait déjà écrit sur le livret de Vincent WALCKÉ: « Vu pour Montpellier, 22 mars 1826 », lorsque, regardant plus attentivement l'ouvrier errant auquel il avait affaire, il le reconnut pour le forçat évadé que Toulouse avait signalé aux autorités de Marseille comme à celles de Montpellier, — comme à celles de tous les départements qui étaient entre la Haute-Garonne et le Var.

Mais la dénonciation reçue de Toulouse à Marseille signalait le forçat à barbe rousse et au teint coloré comme « évadé du bagne de Rochefort ». — C'est sous cette inculpation que le commissaire de police de Marseille fit aussitôt incarcérer Vincent WALCKÉ. Après quoi il adressa son rapport au préfet des Bouches-du-Rhône.

II

HISTOIRE DE VINCENT WALCKE.

1. — Le préfet des Bouches-du-Rhône était, depuis 1815, le comte Christophe DE VILLENEUVE-BARGEMONT ; il appartenait à cette famille de bonne noblesse provençale qui reconnaissait pour ancêtre l'illustre Romée DE VILLENEUVE. Ses trois frères étaient aussi, à cette date, préfets de CHARLES X: l'un dans la Somme, l'autre dans la Loire-Inférieure, le dernier dans Saône-et-Loire. Tous étaient remarquables, non seulement par leur dévouement aux Bourbons, mais par leur esprit philanthropique, leur souci des problèmes sociaux et les sentiments de charité chrétienne dont ils nourrissaient leur administration.

Christophe DE VILLENEUVE, obligé de garder Vincent WALCKÉ en prison en attendant les instructions qu'il avait de suite demandées au ministre de l'Intérieur, voulut du moins qu'on


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traitât le prisonnier avec douceur et ménagement. Il alla le voir lui-même plusieurs fois, le réconforta de bonnes paroles, l'interrogea longuement et avec bonté. — Et le malheureux raconta ainsi sa lamentable histoire:

2. — Vincent WALCKÉ était né à Zonnebecke en 1798, au temps que ce pays faisait partie de la République Batave, alliée de la République Française. Devenu sujet français en 1810, quand le royaume de Hollande, qui avait succédé à la République Batave, fut réuni à l'Empire par Napoléon, il fut, à seize ans, de la conscription de 1814 — celle des Marie-Louise — et incorporé au 21e léger. L'abdication de Napoléon et les traités de Vienne le firent à la fois sujet et soldat de S. M. le Roi des Pays-Bas, GUILLAUME Ier.

Il servait dans l'armée hollandaise, au 3e bataillon d'infanterie; il y était même devenu caporal, lorsqu'en 1817 l'ennui lui vint du métier des armes, et il commit la grave imprudence de déserter, en emportant ses effets militaires. Mais il fut pris bien vite et condamné, le 18 août 1817, par le conseil de guerre de Mons, d'abord à recevoir la bastonnade, puis à être chassé du régiment, comme indigne désormais de servir le roi des Pays-Bas.

Pourtant, il voulait encore servir, car il ne connaissait d'autre métier que celui de soldat. Il parvint donc, en 1820, en se faisant passer pour un déserteur français, à s'engager au bataillon n° 33 du dépôt colonial. Mais tandis qu'il s'y exerçait, en attendant son tour de départ pour les Indes, il fut reconnu par un sergent qui avait été de son ancien bataillon. Il fut aussitôt arrêté et traduit devant le conseil de guerre d'Arnheim. Le conseil de guerre dut constater qu'il n'avait commis aucun délit ; mais il rompit son engagement colonial, considéré comme nul à cause de sa condamnation « déshonorante » de 1817.

Libre, mais sans ressources, Vincent WALCKÉ s'avisa alors que, par bonheur, il avait, au cours de ses loisirs des dernières années, appris à raser la barbe et à accommoder les cheveux. Il résolut de s'expatrier, au moins pour un temps, et d'aller faire son « tour de France » comme compagnon-perruquier.

3. — Ce n'était pas, en 1821, un sort bien enviable que celui d'un « compagnon du tour de France », si séduisant que l'aient présenté dans leurs oeuvres romantiques George SAND OU Léon


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CLADEL, — ou Frédéric MISTRAL dans les récits poétiques de Calendaù. Les Français de ce temps, paysans ou bourgeois, avaient la crainte, ou au moins la méfiance du nomade. Le gouvernement et l'administration, tels que le Consulat et l'Empire les avaient organisés à leur image et selon leur esprit, tenaient les ouvriers sous l'étroite surveillance de la police, par l'obligation du livret, de la carte de sûreté et du permis de séjour. Les ouvriers des grands métiers qualifiés, charpentiers ou serruriers par exemple, trouvaient l'appui et le réconfort de puissants compagnonnages, comme ceux des Gavots ou des Dévorants. Mais Vincent WALCKÉ appartenait à un métier bien humble, et qui n'avait pas les mêmes moyens d'aider ses compagnons.

Il entra en France par le département du Nord, et obtint son premier livret d'ouvrier à Lille, en 1821. Au cours de cette année, il travailla successivement à Verdun, à Château-Thierry, à Epernay. Il passa à Reims la plus grande partie de 1822, et y prit son second livret, sous le n° 3487. En 1823, il travaillait à Paris, logé au n° 30 de la rue des Prêtres-Saint-Germain ; un nouveau livret d'ouvrier lui était délivré, sous le n° 7054. En 1824, il travailla à Rouen; en 1825, successivement à Chartres, à Tours et à Bordeaux.

A la fin de 1825, comme il allait de Bordeaux à Toulouse, il eut, en passant à Aiguillon, la malechance d'égarer son passeport. Il alla aussitôt déclarer sa perte à la mairie, où on lui délivra un nouveau passeport pour Toulouse, — sur papier libre, à défaut d'imprimé officiel.

4. — A Toulouse, au début de janvier 1826, il trouva du travail chez le maître-perruquier LEROY. Un soir, dans l'auberge où il prenait ses repas, il fit la connaissance d'un de ses voisins de table. C'était un nommé Pierre PERRIER, qui se présenta à lui comme un forçat libéré, mis en surveillance à Toulouse. Au cours de la conversation, Pierre PERRIER fit à Vincent WALCKÉ la proposition la plus étrange: n'osa-t-il pas lui demander qu'il lui prêtât son passe-port pour aller à Marseille où il avait affaire? Vincent WALCKÉ refusa avec la plus vive indignation. Sans doute il était déserteur de l'armée hollandaise, — et il ne l'avait pas laissé ignorer à Pierre PERRIER, auquel il avait montré, au cours de l'entretien, l'extrait, qu'il gardait sur lui, de la sentence du conseil de guerre d'Arnheim. Mais il était


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maintenant un honnête ouvrier perruquier, sobre, rangé, et qui, au cours de son tour de France, avait, depuis cinq ans, ramassé deux mille francs d'économies. Il ne voulait pas qu'on pût le trouver compromis avec un forçat libéré en rupture de ban.

Est-ce pour échapper aux sollicitations de Pierre PERRIER? Est-ce, seulement, pour voir des pays nouveaux? Il partit de Toulouse pour Montpellier, avec ses papiers bien en règle, à la fin de janvier 1826. A peine arrivé, et assuré d'avoir de l'ouvrage chez LOISETTE, il s'était hâté d'aller faire viser son livret et demander sa carte de sûreté chez le commissaire de police. C'est alors qu'il avait été arrêté, emprisonné, conduit à Toulon, enchaîné au bagne, battu, maltraité, — et enfin délivré et mis en route vers Marseille, où on l'avait arrêté de nouveau, sans qu'il sût pourquoi...

III LE PREFET VILLENEUVE

1. — Vincent WALCKÉ était dans la prison de Marseille depuis vingt-trois jours, lorsque le préfet VILLENEUVE, surpris de n'avoir pas encore reçu d'instructions de Paris, en réponse à sa demande du 25 mars, mais seulement un simple accusé de réception, écrivit de nouveau, le 13 avril, au ministre de l'Intérieur.

Dans cette lettre, le préfet rendait compte du long interrogatoire de Vincent WALCKÉ; il faisait un récit apitoyé de son voyage « à la chaîne » de Montpellier à Toulon, et des mauvais traitements qu'on lui avait infligés au bagne. « WALCKÉ, disaitil, est sûrement victime d'une erreur. » Le préfet proposait donc, en conséquence, qu'on accordât à la malheureuse victime de cette erreur, non seulement la liberté, mais aussi « une gratification d'une centaine de francs, en indemnité de ce qu'il a souffert. »

Il appuyait sa demande de cette considération, qui lui paraissait propre à hâter la décision ministérielle: « Sa position a fait du bruit, et elle a vivement intéressé. » Car on avait jasé autour de la prison de Marseille, en ce mois d'avril 1826, comme au mois de mars autour du bagne de Toulon.


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2. — Un mois tout entier s'écoula sans qu'aucune réponse vînt de Paris. Vincent WALCKÉ était prisonnier à Marseille depuis plus de six semaines, lorsque, le 10 mai, le préfet VILLENEUVE envoya au ministre de l'Intérieur — c'était alors M. DE CORBIÈRE — une dépêche télégraphique. « WALCKÉ, disait le préfet dans sa dépêche, se livre au plus violent désespoir. » Et il réclamait « avec instance » une décision télégraphique.

On n'usait encore, à ce moment, que du télégraphe à bras, du modèle inventé par les frères CHAPPE. Ce mode de transmission, coûteux, compliqué, et soumis aux caprices des intempéries, était généralement réservé aux communications graves et très importantes. C'est donc une preuve remarquable des bons sentiments du préfet VILLENEUVE, et de l'intérêt qu'il portait à son malheureux prisonnier, qu'il ait osé employer le télégraphe pour une affaire que CORBIÈRE et ses bureaux devaient trouver bien peu intéressante.

Pourtant, le ministère s'émut, et sa réponse télégraphique arriva dès le lendemain:

« Remettez le sieur WALCKÉ en liberté. Il n'aurait pas dû être arrêté à Marseille, puisqu'il avait été relaxé à Toulon. Comme il est étranger et que sa position n'est pas établie, savoir ce qu'il deviendra. »

Vincent WALCKÉ fut libéré le soir même. Mais la police de Marseille fut priée de le surveiller discrètement.

IV

L'ENQUETE ADMINISTRATIVE OU LA FUITE DEVANT LES RESPONSABILITES

1. — Si les bureaux du ministère de l'Intérieur n'avaient pas répondu plus tôt à la demande d'instructions que lui avait adressée, le 25 mars, le préfet des Bouches-du-Rhône, c'est qu'ils procédaient, comme il convenait, à une enquête administrative.

Ils avaient demandé des renseignements et des explications à Toulouse et à Montpellier.

De Montpellier, le 13 avril, le baron CREUZÉ DE LESSER a répondu au ministre. C'est pour protester qu'il, n'est en rien responsable des malheurs de Vincent WALCKÉ; il n'est inter-


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venu que sur des avis formels reçus de Toulouse, à la fois du maire et du préfet. C'est donc à Toulouse qu'il faut rechercher les responsabilités de l'accident.

Plus que du sort de Vincent WALCKÉ, CREUZÉ DE LESSER paraît préoccupé de la bonne gestion des finances de son département. Les agents de police de Montpellier qui ont arrêté Vincent. WALCKÉ réclament, en effet, la prime de cent francs, promise à qui s'empare d'un forçat évadé; cette prime lui paraît due, mais il ne croit pas qu'il soit régulier de la payer sur les fonds du département de l'Hérault...

2. — Il fallut une longue réflexion de quinze jours, et un rappel pressant du ministère, demandant une réponse « d'urgence », pour que le comte Victor DE JUIGNÉ, préfet de la Haute-Garonne, envoyât enfin son rapport, le 22 avril.

Lui aussi protestait qu'il n'était en rien responsable de la mésaventure de Vincent WALCKÉ. Il avait agi selon la loi et les règlements, sur un rapport formel de M. DE MONTBEL, maire de Toulouse. Ce rapport municipal se disait fondé sur les aveux du forçat évadé, aveux recueillis par un agent secret de la police, et transmis par lui sous serment. Voici comment ce rapport résumait les « aveux » de Vincent WALCKÉ :

Vincent WALCKÉ aurait raconté à l'agent de la police secrète de Toulouse qu'il s'était évadé du bagne de Toulon voilà sept ans, — donc, en 1819, — sur un navire hollandais, qui l'avait ramené dans son pays. Là, il s'était d'abord engagé dans l'armée, puis avait déserté, puis était venu en France travailler de son métier de perruquier. Il voyageait avec un faux passeport, sur papier libre. A Bordeaux, il avait volé cinq francs à un malade de l'hôpital, et une paire de souliers dans une boutique. A Toulouse, il avait oublié chez le maître-perruquier LEROY un livret d'ouvrier et certaines pièces « en langue allemande », documents précieux que l'agent secret s'était procurés et avait joints à son rapport. Le préfet de la Haute-Garonne joignait ces « preuves » de sa bonne foi — et ces fortes présomptions de la culpabilité de WALCKÉ — à la lettre qu'il adressait au ministre.

3. — Le 11 mai, en même temps qu'il donnait au préfet des Bouches-du-Rhône l'ordre télégraphique de mettre Vincent WALCKÉ en liberté, M. DE CORBIÈRE écrivait quatre lettres sévè-


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res à l'adresse des quatre préfets: de la Haute-Garonne, de l'Hérault, du Var et des Bouches-du-Rhône.

Blâme au préfet de la Haute-Garonne. —Pourquoi a-t-il si légèrement prescrit l'arrestation de WALCKÉ, et envoyé cet ordre d'arrestation et le signalement, sans enquête, et sur la simple dénonciation d'un agent subalterne? — Pourquoi, ayant signalé au préfet de l'Hérault un « évadé du bagne de Toulon », l'art-il, en même temps, par le lapsus le plus coupable, signalé à Marseille comme « évadé du bagne de Rochefort? » — CORBIÈRE ajoute ce sage avertissement: « Les administrateurs doivent être très prudents, quand ils n'ont pas de preuves formelles. »

Blâme au préfet de l'Hérault. — S'il avait pris la peine d'interroger, ou de faire interroger WALCKÉ après son arrestation, — comme l'a fait le préfet des Bouches-du-Rhône, — il aurait évité à ce malheureux le fâcheux voyage de Toulon.

Blâme au préfet du Var, — mais destiné, par dessus sa tête, à l'administration de la marine. — Les procédés du bagne de Toulon, dit le ministre, sont odieux...

Blâme, aussi, pour le généreux mais intempestif préfet des Bouches-du-Rhône. — Pourquoi, au lieu de garder Vincent WALCKÉ en prison, n'a-t-il pas, dès qu'il fut arrêté, demandé des vérifications à Toulon, où on l'aurait éclairé?

Après avoir fait ce reproche à M. DE VILLENEUVE, le ministre s'est sans doute souvenu qu'à Marseille Vincent WALCKÉ avait été signalé comme « évadé du bagne de Rochefort ». — C'est pourquoi il écrit aussi au préfet de la Charente-Inférieure, afin qu'il fasse entreprendre des. recherches à Rochefort. Car, à la réflexion, le ministre est repris de quelque méfiance. Il fait donc adresser au préfet des Bouches-du-Rhône les « aveux » et les documents annexes qu'il a reçus de Toulouse, et sur lesquels il prie M. DE VILLENEUVE d'interroger Vincent WALCKÉ...

4. — Le préfet du Var, vivement ému par le blâme du ministre, proteste avec indignation: l'administration civile, la seule dont il puisse être responsable, n'est pour rien, assure-t-il, dans les mauvais traitements dont peut se plaindre Vincent WALCKÉ ; les seuls coupables sont les gendarmes, — qui dépendent de l'administration militaire, — et les gens de l'arsenal, — qui dépendent de l'administration de la marine.


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Le préfet des Bouches-du-Rhône — sans relever l'injustice de la semonce qu'il a reçue — rend compte du nouvel interrogatoire qu'il a fait subir à Vincent WALCKÉ. — C'est bien à lui que s'appliquent les papiers — « en langue hollandaise » et non « allemande .)) — qu'on a envoyés de Toulouse; ils corroborent les premières déclarations faites spontanément par WALCKÉ sur ses mésaventures militaires. WALCKÉ, d'ailleurs, proteste qu'il n'a rien « avoué » à personne, pendant son séjour à Toulouse. Ce qui est dit dans ces prétendus « aveux » doit être la déformation calomnieuse des confidences qu'il a pu faire, maladroitement, et peut-être après boire, à son commensal de l'auberge, cet ancien forçat libéré, Pierre PERRIER, auquel il avait refusé de prêter son passeport, et qui, sans douteuse vengeait ainsi de ce refus.

V

VOYAGE DE VINCENT WALCKE DE MARSEILLE A NAMUR.

1. — Cependant, le sous-préfet de Rochefort avait informé le ministre qu'après enquête minutieuse on ne trouvait aucune trace de Vincent WALCKÉ au bagne de Rochefort. Cette réponse fournit aux bureaux du ministère l'occasion de terminer cette affaire ennuyeuse, et de se débarrasser du fâcheux. Des propositions furent soumises à M. DE CORBIÈRE: « Il paraît que WALCKÉ n'est pas plus forçat évadé du bagne de Rochefort qu'il ne l'était de celui de Toulon. Dans ce cas, puisqu'il est sujet du royaume des Pays-Bas, il y aurait peut-être lieu de l'expulser. » Cet avis des bureaux fut aussi celui du ministre, qui écrivit en marge du rapport: « Le diriger sur les Pays-Bas, avec itinéraire obligé et les secours, sans passer par Paris. »

L'expulsion mettait fin aux responsabilités de l'administration française. Le secours de route calmait tout scrupule de conscience. L'interdiction du passage par Paris évitait le danger de voir se perdre ou se cacher dans la foule de la capitale un particulier mal connu, peut-être suspect, et qui pouvait devenir dangereux.


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Des instructions conformes à ces vues furent, le 26 mai, adressées au préfet des Bouches-du-Rhône.

2. — Mais pendant que les bureaux de Paris se hâtaient ainsi, lentement, vers la décision qu'on leur avait demandée, et avant que cette décision parvînt au préfet des Bouches-du-Rhône, Vincent WALCKÉ avait disparu de Marseille, — laissant au commissaire de police qui avait mission de le surveiller ce mot:

« Marseille, 18 mai 1826. Je vous déclare comquoi que j'ai l'honneur de vous remercier de tous vos biens faits en vers moi. Je désire que vous me croyes dans l'innocence.

WALCKÉ Vincent. T. S. V. »

Et au dos :

« Monsieur, s'est avec peine et regret que je vous annonce que je suis obligé de partir de la ville de Marseille, ou je me trouve sans moyen pécuniere. Je vous prie de prendre ma position en considération. »

Sorti depuis huit jours de la prison de Marseille, Vincent WALCKÉ, ainsi reconnu innocent du crime d'évasion, se croyait libre d'aller où il voudrait. — Mais il était parti sans passeport, et sans visa sur son livret, violant ainsi les règlements et les lois qui plaçaient les voyageurs, et particulièrement les ouvriers, sous la surveillance constante de la police. Le préfet des Bouches-du-Rhône fut donc obligé de mettre aussitôt la gendarmerie à sa poursuite.

Le 5 juin, M. DE VILLENEUVE eut la satisfaction d'informer le ministre de l'Intérieur que Vincent WALCKÉ avait pu être arrêté « avant qu'il ait pu sortir du département des Bouchesdu-Rhône ». — Que serait-il arrivé s'il avait pu franchir la limite de ce département, et continuer son voyage dans d'autres circonscriptions administratives, où son passage n'aurait pu être signalé à la vigilance des autorités?

Vincent WALCKÉ fut donc ramené par les gendarmes à la prison de Marseille. Mais il n'y demeura que quelques jours, le temps de recevoir son passeport d'indigent, le secours de route de trois sous par jour qui lui était généreusement alloué, et l'itinéraire obligé qu'il avait ordre de suivre, de Marseille à la frontière belge, « sans passer par Paris ». Cet itinéraire le diri-


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geait par Aix, Avignon, Lyon, Mâcon, Dijon, Langres, Vitryle-François, Laon et Valenciennes, sur la ville-frontière de Bailleul, dans le département du Nord. Le préfet du Nord était averti, avec ordre de surveiller son arrivée et de s'assurer de son entrée dans le royaume des Pays-Bas.

3. — Vincent WALCKÉ mit plus d'un mois pour accomplir ce long voyage. Son passage à Bailleul, le 14 juillet 1826, fut aussitôt signalé au ministre de l'Intérieur.

Le long de la route, Vincent WALCKÉ essaya de travailler de son métier. On n'allait pas loin, avec trois sous par jour. Le pécule de deux mille francs, péniblement amassé pendant cinq années années de tour de France, dont il avait parlé à son commensal de Toulouse, était-il volé? dissipé? sournoisement dissimulé? Il était tout guenilleux, car ses effets avaient été saisis à Marseille lors de son emprisonnement. On avait promis de les lui envoyer à Bailleul ; mais il ne les revit jamais : sans doute se perdirent-ils en chemin.

Mais Vincent WALCKÉ ne pouvait plus travailler de son métier. Un tremblement des mains, conséquence des mauvais traitements qu'il avait subis au bagne, aggravé par les émotions qui avaient suivi, l'empêchait désormais de manier le peigne, les ciseaux et surtout le rasoir, sans danger pour la pratique. Et ce tremblement redoublait quand il parlait de ses malheurs...

Car il parlait, le malheureux; aux bonnes gens qui s'apitoyaient sur son sort, il racontait son histoire; il montrait l'Observateur de Toulon et du Var du 16 mars, qui rapportait sa mésaventure.

Pendant qu'il était à Lyon, le Journal du Commerce de la ville de Lyon et du département du Rhône, à la troisième page de son numéro du dimanche 18 juin 1826, publia l'article suivant :

« Un journal de Toulon fait mention d'un nommé WALCKÉ Vincent, garçon perruquier, natif de Zennebeck (Pays-Bas) qui a été arrêté à Montpellier comme forçat évadé. Le fait est que ce malheureux, qui a été victime d'une méprise bien cruelle, a reste vingt-quatre heures aux bagnes avant d'être rendu à la liberté, et après y avoir été conduit chargé de fers. Que de réflexions cette circonstance pourrait fournir ! Mais nous nous en abstiendrons pour implorer la pitié des âmes sensibles en


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faveur de cet infortuné qui se trouve en ce moment de passage à Lyon, où il séjournera jusqu'à mardi prochain, avec l'agrément des autorités, pour se rendre ensuite dans son pays,

» Dénué de toute ressource et atteint d'un tremblement continuel, qu'il a contracté dans les fers, ce malheureux se recommande à la charité publique.

» On peut déposer son offrande chez M. LACOLLONGE, perruquier, place Leviste, n° 1.

)) Nota, — Cet individu est porteur d'une lettre de M. le Maire de Marseille et de son passeport, qui attestent les faits. ))

Dans son numéro du vendredi 23 juin 1826, le même journal publiait cette note consolante :

« On dit avec raison que la charité des Lyonnais est inépuisable. L'appel que nous lui avons fait en faveur de ce malheureux victime d'une méprise bien cruelle qui l'a conduit innocemment parmi les forçats, a produit une somme de 64 francs, suffisante sans doute pour l'aider à regagner ses foyers. » (1).

Vincent WALCKÉ, au départ de Lyon, emportait, avec le produit de la collecte faite chez le maître-perruquier LACOLLONGE, le numéro du Journal du Commerce de la ville de Lyon du dimanche 18 juin, — afin de le montrer, en même temps que l'Observateur de Toulon et du Var, à ceux qui l'interrogeraient aux prochaines étapes.

Il arriva à Namur dans les derniers jours de juillet. Il était las et sans un sou vaillant. Il alla donc demander un gîte, et, si possible, de l'ouvrage chez le maître-perruquier Albert MARCHAND, rue du Marché-de-l 'Ange.

LE PLACET AU ROI

1. — Mais à Namur pas plus qu'en France, Vincent WALCKÉ ne pouvait plus vivre de son état: car l'affreux tremblement, dont il n'était point guéri, le privait toujours de l'usage de ses mains pour une besogne professionnelle.

Le bon perruquier Albert MARCHAND le gardait pourtant chez lui, par charité. Il le montrait à la clientèle curieuse et bavarde,

(1) Je dois la commnunication de ces deux extraits du « Journal du Commerce de la Ville de Lyon », aux recherches et à l'obligeance! de M. Claude Faure, directeur des Archives du département du Rhône»


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qui, toute émue, se faisait raconter l'histoire du malheureux Vincent WALCKÉ. Après l'avoir entendu, les bonnes gens, tout en s'apitoyant, le poussaient à se plaindre, et à réclamer un dédommagement. — Pourquoi ne s adresserait-il pas à son souverain, à S. M. GUILLAUME Ier, Roi des Pays-Bas, protecteur naturel de ses sujets dans la peine? — D'autres, pour lesquels le gouvernement de la Haye n'était plus en faveur dans le Hainaut, conseillaient à Vincent WALCKÉ de déposer, en sa qualité de Belge, une plainte aux autorités du pays contre l'abus de pouvoir des fonctionnaires du gouvernement français. — D'autres, enfin, lui conseillaient de s'adresser directement au roi de France.

C'est à ce dernier avis que se rangea Vincent WALCKÉ. Le 17 octobre 1826, il signait de son nom un placet, que, sur son récit naïf et véritable, un écrivain public de Namur avait rédigé, en style noble et pompeux, avec cette suscription:

« A Sa Majesté Charles XII, roi de France... »

Car le petit peuple de Namur, même lettré comme l'écrivain public, n'était pas très fixé sur le nombre des rois du nom de Charles qui avaient régné sur les Français.

La pétition racontait l'injustice subie, la maladie contractée, l'incapacité de travail survenue du fait de cette maladie et des suites de cette injustice; elle sollicitait du Roi de France une juste indemnité.

2. — Lorsqu'avec les lenteurs ordinaires des tranmissions de bureau à bureau le placet de Vincent WALCKÉ à CHARLES X parvint du Cabinet du Roi au ministère de l'Intérieur, il y suscita l'émotion la plus vive. — Non pas à cause de la nécessité où l'on allait se trouver de réparer enfin le tort causé à Vincent WALCKÉ; — non par crainte d'un blâme de Sa Majesté, à qui sans doute le personnel du Cabinet n'avait point personnellement communiqué le placet d'un pauvre ouvrier belge: — mais à cause des journaux de l'opposition, qui pouvaient avoir reçu sur cette affaire des informations de Namur, et être tentés de s'en servir contre le ministère.

Pour parer à une manoeuvre possible de l'opposition, il fallait au plus vite obtenir sur Vincent WALCKÉ et son histoire des renseignements plus précis, à Namur et à Toulouse.

M. DE CORBIÈRE, ministre de l'Intérieur, écrivit lui-même à son collègue des Affaires Etrangères, le baron DE DAMAS ; il le priait


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de donner d'urgence à M. DE BELLOCQ, chargé d'affaires de France à Bruxelles, l'ordre de faire prendre les informations les plus précises auprès des autorités de Namur.

La lettre adressée au préfet de la Haute-Garonne réclamait d'urgence des précisions sur l'incident de janvier, et disait: « Les nouvelles manoeuvres employées par la malveillance dans les journaux révolutionnaires peuvent faire penser qu'ils chercheront à profiter de ce qui est arrivé à M. WALCKÉ (on écrivait, maintenant, « monsieur » WALCKÉ). En prévision de ces manoeuvres, il faut avoir le procès-verbal authentique de la déclaration de l'agent secret, sur la dénonce duquel on a agi. »

3. — Deux lettres arrivèrent bientôt de Toulouse au ministère de l'Intérieur: l'une du préfet de la Haute-Garonne, l'autre du maire de Toulouse.

M. de JUIGNÉ dégageait, une fois de plus, la responsabilité de son administration: la police de Toulouse, disait-il, a fait son devoir; s'il y a des coupables dans la circonstance, ils sont à Montpellier, où Vincent WALCKÉ a été arrêté. — Mais il n'ajoutait rien à ce qui était déjà connu.

La lettre de M. DE MONTBEL, maire de Toulouse, était plus explicite. Elle précisait que, sur le rapport du commissaire de police DUNOGUÉ, il avait transmis, le 10 février, les éléments de ce rapport au préfet de la Haute-Garonne, puis aux maires de Montpellier et des autres villes sur la route de Toulon, en leur demandant d'interroger le fugitif, et de l'arrêter « s'il y avait lieu ». Et le maire de Toulouse, soucieux avant tout de dégager sa responsabilité, insinuait, lui aussi, que c'était à Montpellier qu'il fallait rechercher les coupables.

Mais il joignait à sa lettre un document décisif et qui donnait — enfin — la clef de toute cette affaire : un nouveau rapport du commissaire de police DUNOGUÉ, dans lequel ce fonctionnaire précisait l'origine des poursuites contre Vincent WALCKÉ. On avait agi, disait-il, sur la dénonciation de Pierre PERRIER, ancien sergent au 2e régiment d'artillerie, forçat libéré en surveillance à Toulouse, — et son indicateur,

4. — En même temps que les lettres de Toulouse arrivaient à Paris, par Bruxelles, des nouvelles de Namur.

M. DE BELLOCQ, dès qu'il avait été informé par son ministre, avait écrit au bourgmestre de Namur. Ce bourgmestre était le


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comte DE LA ROCHE-VIERZAC, émigré français du temps de la Révolution, qui s'était naturalisé sujet du roi des Pays-Bas, — homme sage et raisonnable, ami des pauvres gens et leur conseil. Justement, Vincent WALCKÉ l'était venu trouver, afin d'avoir son avis sur ce procès au gouvernement français, que des camarades chaleureux lui conseillaient d'entreprendre, mais auquel il n'osait pas se déterminer.

M. DE LA ROCHE-VIERZAC avait trouvé Vincent WALCKÉ « raisonnable » ; il l'avait mis en garde sans peine contre les mauvais conseils, et l'avait persuadé de se confier à la bonté bien connue du roi de France. — Mais il fallait procurer à Vincent WALCKÉ les preuves de cette bonté : une indemnité était nécessaire. « L'erreur, écrivait le sage bourgmestre de Namur, ne saurait justifier l'atrocité de la conduite des subalternes entre les mains desquels il est passé. »

VII L'INDEMNITE

1. — Le baron DE DAMAS, ministre des Affaires Etrangères, était du même avis que le bourgmestre de Namur: Vincent WALCKÉ méritait la bienveillance; il faudrait, pour lui rendre justice, lui accorder une pension, ou au moins un secours important; ce serait-là, écrivait-il à son collègue de l'Intérieur, le meilleur moyen d'éviter le scandale possible et de contrecarrer els manoeuvres des partis.

On partageait, au ministère de l'Intérieur, cette opinion, également favorable à Vincent WALCKÉ et à la sécurité politique du gouvernement.

Un rapport adressé au ministre le 23 janvier 1827, résumant les péripéties de l'affaire, reconnaissait que si les administrations civiles de Toulon et de Marseille n'encouraient aucun reproche, par contre on avait été bien léger à Toulouse; et quant à Montpellier, on y avait commis, en arrêtant Vincent WALCKÉ, une illégalité flagrante: « Si WALCKÉ fait un procès, il est sûr de le gagner. »


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2 — Vincent WALCKÉ ne fit pas de procès, mais il adressa à l'administration française le témoignage touchant de sa reconnaissance pour une indemnité qu'on avait trouvé le moyen de lui accorder à très bon compte.

Le directeur de la police, FRANCHET D'ESPEREY, avait été chargé par l'Intérieur de transmettre aux Affaires: Etrangères la demande d'enquête à Namur. Il se trouvait ainsi au courant de l'affaire. C'est pourquoi, en transmettant la demande et le dossier, il avait pris sur lui de faire offrir une indemnité de 200 francs à Vincent WALCKÉ. Les Affaires Etrangères avaient donc envoyé à Bruxelles 200 francs, en même temps que la demande de renseignements. Bruxelles avait transmis demande et argent au bourgmestre de Namur.

Le 11 décembre 1826, M. DE LA ROCHE-VIERZAC avait convoqué chez lui Vincent WALCKÉ, lui avait annoncé de palpables effets de la paternelle bonté du roi de France, et, contre reçu,' lui avait remis les deux cents francs. — « Ce pauvre malheureux, écrivait-il en rendant compte au chargé d'affaires de France à Bruxelles, a reçu le secours avec beaucoup de reconnaissance. Il en a fait sur-le-champ un bon emploi: il s'est rhabillé et défait de ses guenilles. J'espère qu'il se rendra digne de ce qu'on a fait pour lui...»

3. — Puisque Vincent WALCKÉ se déclarait satisfait, la paresse des bureaux ministériels se trouvait également satisfaite. En réponse aux généreuses intentions exprimées le 15 janvier 1827 par le baron DE DAMAS: « une pension, ou au moins un secours important, » les bureaux de l'Intérieur préparaient, au nom de M. DE CORBIÈRE, la réponse que voici: « Le ministre ne pense pas que le sieur WALCKÉ (on ne dit plus . « monsieur ») ait droit à une plus forte indemnité que celle qu'il a déjà reçue, et n'autorise, en conséquence, que le remboursement des deux cents francs qu'ont payé les Affaires Etrangères. »

Et l'on n'entendit plus jamais parler de Vincent WALCKÉ.

X

Le rapport adressé le 23 janvier 1827 au ministre de l'Intérieur, après avoir affirmé que Vincent WALCKÉ gagnerait sûrement le procès qu'il pourrait faire à l'administration française, ajoutait:

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« Depuis longtemps, la police générale a pu se convaincre qu'il n'y avait dans l'administration des bagnes rien de compatible avec l'humanité. Non seulement on doit désirer que cette partie honteuse de notre législation ne soit pas exposée aux yeux du public étranger; mais encore il serait peut-être utile de profiter de cette occasion pour engager le ministre de la Marine à s'en occuper sérieusement. »

Mais il fallut attendre bien longtemps pour que ces bons sentiments se traduisissent en actes. Cinq aimées écoulées, et au lendemain de la Révolution de Juillet, la loi du 28 avril 1832 supprima la marque infamante, mais laissa subsister les bagnes et leurs rigueurs. Quelque vingt ans plus tard, au lendemain du Coup d'Etat du 2 décembre, le décret du 27 mars 1852, puis la loi de 1854, remplacèrent les bagnes par la déportation, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.

En louant comme il convient cette réforme humanitaire, on ne peut, toutefois, que frémir à la pensée de ce qui serait advenu de Vincent WALCKÉ, si l'erreur dont il fut victime n'avait pu être reconnue qu'à son arrivée à Cayenne ou à Nouméa...

La lèpre en France par M. MARGAROT

Communication faite à la séance publique du 22 février 1932

Il y a quelques mois, une circulaire du ministre de la Santé publique a attiré l'attention des médecins sur un péril bien oublié en France depuis le Moyen Age. La lèpre, que beaucoup croyaient disparue de notre pays, existe toujours. La rareté et la dissémination des cas signalés ne sauraient prévaloir contre une constatation inquiétante. Il existe parmi nous des malades atteints d'une affection contagieuse, redoutable entre toutes par les mutilations horribles qu'elle entraîne. Ils peuvent transmettre le germe de leur infection et constituent un danger public.

Le mal ne répand pas encore la terreur, mais les pouvoirs publics ont jugé prudent de l'inscrire sur la liste des maladies dont la déclaration est obligatoire.


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La lèpre est une maladie infectieuse et contagieuse, due à la pullulation dans l'organisme d'un microbe, découvert par HANSEN et auquel on a donné le nom de ce médecin : le bacille de Hansen.

Je ne vous dirai rien de sa forme, ni des conditions biologiques de son existence et vous signalerai seulement sa grande ressemblance avec le germe de la tuberculose.

Le bacille de Hansen, introduit dans l'organisme suivant un mode de transmission que nous envisagerons dans un instant, se développe très lentement, semble-t-il, au moins au début.

Période d'incubation. — Dans toute maladie infectieuse, qu'il s'agisse de la lèpre, de la scarlatine ou de la fièvre typhoïde, la pénétration du germe dans le corps n'est pas immédiatement suivie du déclenchement des manifestations cliniques. Il s'écoule une période de durée variable, à laquelle on donne le nom de phase d'incubation. Cette période muette est habituellement de quelques jours. Elle dépasse rarement plusieurs semaines.

Dans la lèpre — et c'est là une des premières bizarreries de la maladie — elle est toujours fort longue, plus longue que celle de toutes les affections connues. Elle se prolonge pendant plusieurs mois et pendant plusieurs années. Les incubations de trois à cinq ans ne sont pas rares. On en cite qui auraient duré plus de vingt ans.

Période de début. — Après cette longue période de silence apparaissent les manifestations initiales. Elles sont souvent banales. Le sujet est fatigué, abattu, et présente souvent une tendance au sommeil. Il se plaint de douleurs vagues dans les membres, dans les articulations et dans la tête. Des démangeaisons, des fourmillements, l'agacent et l'inquiètent. L'appétit est mauvais, les digestions sont troublées.

La peau devient blâfarde, terne et se couvre parfois d'éruptions diverses mais banales, ne rappelant en rien les accidents de la lèpre. Elles sont habituellement fugaces.

Des poussées fébriles se produisent. Le sujet maigrit.

Tous ces symptômes, dont la nature est le plus souvent méconnue, évoluent avec des alternatives d'aggravation et d'amélioration. Ils sont rarement très accusés. Dans quelques cas, leur légèreté est telle que la phase d'incubation de durée


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longue mais incertaine et qu'elle-même n'a pas un début absolument précis, il est possible que les longues périodes d'incubation signalées aient quelquefois englobé l'incubation véritable et la période d'invasion proprement dite.

Des mois ou des années se passent. La maladie se précise. La période d'état qui commence en marque souvent le début apparent.

Période d'état. — De larges taches apparaissent sur le corps, rouges, brunes ou blanches. Celles-ci, marquées par une décoloration de la peau, sont souvent cerclées d'un liseré plus foncé.

Le plus souvent, ce sont des taches rouges, de la largeur de la main, qui apparaissent les premières. Leur coloration est rouge pâle, vineuse ou lilacée. Au bout de quelque temps, elles foncent et deviennent bronzées.

Les taches blanches leurs succèdent ou apparaissent d'emblée. Elles font avec elles et avec les taches brunes, des bigarrures révélatrices.

Ces éléments sont parfois un peu douloureux ou prurigineux, mais leur grande caractéristique est de présenter une insensibilité progressive qui est surtout nette pour les sensations de froid et de chaud.

Fugaces au début, elles deviennent persistantes dans la suite. On les trouve surtout sur le tronc. Elles existent aussi, quoique moins communément, sur la face et sur les extrémités.

La période des taches se prolonge pendant des mois. Elle est suivie d'une nouvelle phase au cours de laquelle la lèpre se manifeste par des accidents nouveaux et qui ne sont pas les mêmes suivant les sujets.

Chez les uns, la maladie atteint surtout la peau. Chez les autres, elle attaque le système nerveux.

Forme cutanée. — Lèpre tubéreuse. — Sur les téguments sains, ou plus communément sur des taches, on voit se développer des saillies assez singulières. La peau paraît à la fois soulevée et infitrée. Ces soulèvements ne sont pas isolés, mais confluent de manière à réaliser des bosselures de saillie variable et de consistance molle. Elles sont lisses, un peu huileuses et de coloration rose terne, violacée, bistre ou brunâtre. Leur aspect est souvent livide.


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Ce sont de véritables tubercules (d'où le nom de lèpre tuberculeuse ou tubéreuse, donnée à cette variété de l'affection) qui présentent en outre une particularité très importante. Leur surface est insensible au chaud et au froid.

Ils se disposent symétriquement sur diverses parties du corps, mais surtout sur le visage où ils s'agglomèrent, bosselant les sourcils, le nez, les joues, les lèvres, le menton, les oreilles et entraînant sur ces divers points la chute des poils.

Une chevelure intacte et souvent luxuriante contraste avec cette perte de tous les appendices pileux du visage. Les boursoufflures exagèrent la saillie des sourcils, élargissent le nez en l'aplatissant, rendent proéminente la région de la moustache et des lèvres. Avec un peu d'imagination on peut trouver que la face ainsi modifiée rappelle celle d'un lion. Aussi donne-t-on le nom de lèpre léonine à cette cariété de la maladie.

Les membres sont affectés par des lésions analogues.

Aux membres inférieurs, les bosselures créent parfois l'apparence de pattes d'éléphants; on note une véritable transformation pachydermique.

Le développement du bacille de Hansen dans les fosses nasales donne lieu à une forme spéciale de rhume de cerveau qui, après s'être traduit par des écoulements très riches en bacilles et à des saignements de nez, peut amener des perforations et des effondrements de cet organe.

Les yeux sont souvent atteints. La lèpre a pour eux une désolante prédilection. On peut observer tous les stades, depuis la simple présence de tubercules sur les conjonctives, jusqu'à des lésions très étendues.

Les organes internes ne sont pas à l'abri du développement des tubercules. En particulier, le poumon est atteint et l'on conçoit qu'en pareil cas le diagnostic soit très souvent difficile avec la tuberculose de l'appareil respiratoire. Cependant, dans la lèpre, en dépit des lésions souvent très intenses, l'état général se maintient bon pendant longtemps.

Ces diverses bosselures, situées sur la peau, dans les cavités ou dans la profondeur des organes, peuvent rester indéfiniment à l'état dans lequel nous les avons décrites. Habituellement, elles se ramollissent, suppurent et font place à des pertes de substance profondes, à des ulcères très creux, dont les bords


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sont tuméfiés et le fond sanieux. Il peut en résulter des mutilations.

La cicatrisation, quand elle se fait, entraîne des rétractions des tissus. Les cicatrices sont de mauvais aspect. Leur association avec des ulcères non guéris constitue un ensemble repoussant.

La lèpre cutanée tubéreuse évolue sous forme de poussées que séparent de longues rémissions. Elle dure des années. La survie est en général assez longue et atteint en moyenne 10 à 20 ans. La mort est d'ailleurs plus souvent le fait d'une affection intercurrente que de la lèpre elle-même.

Lèpre nerveuse. — Lorsque le bacille de Hansen porte ses ravages sur le système nerveux, il n'y a pas sur la peau des tubérosités, mais simplement des taches superficielles, avec production de soulèvements dé l'épidémie par un liquide séreux. Ce sont des bulles qui siègent sur les mains et sur les pieds et qui se reproduisent pendant des mois et des années, donnant aux téguments un aspect tacheté.

Cette variété serait celle dont Lazare aurait été atteint. Le nom de lèpre lazarine lui est resté attaché.

Le symptôme essentiel est la disparition de la sensibilité des membres. Ce n'est plus seulement le chaud et le froid qui ne sont plus sentis. L'insensibilité devient complète à tous les modes. Les malades ne sentent ni le contact, ni la douleur, ni les variations de température. Leurs téguments, n'étant pas avertis des contacts offensants, sont ainsi exposés à de graves accidents ■— en particulier à des brûlures.

Si l'on cherche les nerfs qui ont une situation superficielle, le nerf cubital, par exemple, on s'aperçoit qu'ils sont très augmentés de volume et roulent sous le doigt, sous la forme de cordons épais et bosselés, de renflements inégaux.

Ces lésions des troncs nerveux expliquent les troubles de la sensibilité que nous avons décrits.

Ils conditionnent en outre des troubles de la nutrition des extrémités. Les muscles s'atrophient, La main devient squelettique. Les doigts se recroquevillent, leur peau s'amincit. Ils finissent par tomber morceau par morceau. An bout de quelques années —car c'est toujours par années qu'il faut compter avec la lèpre — les mains et les pieds ne sont plus que des moignons informes. La face se dessèche, la peau se rétracte


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autour des saillies osseuses, laissant de larges ouvertures pour les yeux. Le masque devient immobile et devient ce que l'on a appelé le masque ou le facies Antonin.

Malgré ces horribles mutilations, la lèpre nerveuse est ordinairement moins grave que la lèpre tuberculeuse. Tandis que la première ne donne en général qu'une survie de dix à vingt ans, les malades atteints de lèpre nerveuse atteignent parfois un âge très avancé.

Etat mental des lépreux. — A côté des lésions qui dominent les unes sur la peau, les autres sur le système nerveux, il n'est pas inutile de signaler l'état mental très spécial de ces malades.

Ce sont des malheureux, bien sympathiques à tous égards, mais dont le caractese se trouve modifié de telle manière que l'on ne saurait incriminer uniquement le simple sentiment de tristesse que leur donne la connaissance de leurs infirmités.

Alors que leur intelligence garde toute sa vivacité, ils sont découragés, parfois apathiques. Plus d'une fois leur mélancolie les a conduit au suicide. Ils souffrent moins de leurs maux que du sentiment de répulsion qu'ils croient provoquer. Ce sont des hommes et ils glissent naturellement vers la méfiance et l'hostilité. Ils se montrent désagréables, sarcastiques. Leurs propos sont empreints d'une ironie méchante.

Bien peu atteignent à la perfection morale du lépreux de la Cité d'Aoste, dont les hautes qualités du coeur s'opposent en un contraste tout romantique aux affreuses plaies qui couvrent son corps.

Les malheureux, se sentant indésirables, ont des gestes de rancune, parfois même agissent en persécutés.

Ces réactions, pourtant bien compréhensibles, ont eu pour conséquence les opinions les plus fâcheuses sur leur compte.

Au Moyen Age, on les a souvent considérés, non seulement comme des êtres horribles, couverts de plaies immondes, mais comme des ennemis de la chrétienté, de véritables suppôts de l'enfer.

En 1321 naquit une grande peur qui conduisit aux pires excès les populations assez crédules pour ajouter foi à un bruit étrange. On se mit à raconter qu'un complot s'était formé à l'instigation des rois de Grenade et de Tunis. Les lépreux, d'accord avec les juifs, avaient projeté d'exterminer tous les chrétiens de France et d'Allemagne. Ils avaient reçu du Diable


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une recette magique où entraient les ingrédients de ces sortes de mixtures (têtes de couleuvres, de crapauds, cheveux de jeunes filles vierges, hosties transpercées, etc.).

Le mélange, jeté dans les puits et dans les fontaines, devait empoisonner tous ceux qui viendraient y boire.

La fureur populaire gagne les bourgeois et les nobles. C'est en vain que le roi PHILIPPE-LE-LONG essaye de résister au courant et fait tous ses efforts pour sauver les malheureux malades. Il ne réussit à sauver les juifs qu'en détournant sur les lépreux la colère de ses sujets. Ils sont considérés comme étant « au plus haut chef coupables de lèse-majesté et d'attentat contre la chose publique ». On confisque leurs biens, on en soumet un grand nombre à la torture, pour leur arracher des aveux et on les massacre un peu partout ». « La France, dit GERHARDT, devient un champ d'extermination. »

Vous voyez que le pronostic déjà très grave de la lèpre peut s'assombrir encore du fait de complications inattendues.

Si redoutable qu'elle soit, elle est surtout effrayante et, à tout prendre, elle est moins grave que beaucoup d'autres affections, la tuberculose en particulier.

D'autre part, à côté des formes sévères, il existe des cas relativement bénins et si peu apparents que les sujets peuvent circuler dans les rues sans attirer l'attention sur eux.

Transmission de la lèpre. — Nous connaissons les principaux aspects que la maladie peut revêtir. Essayons de voir comment l'organisme peu être atteint et comment le fléau se propage.

La contagion n'est pas douteuse, mais, en fait, au moins sous nos climats, elle est exceptionnelle. La lèpre est une maladie transmissible qui, dans certains régions, se répand avec une grande facilité. Dans quelques pays, elle est beaucoup plus contagieuse que la tuberculose. Au Moyen Age, elle semble avoir causé de véritables épidémies. A l'heure actuelle, si elle est très contagieuse dans certaines colonies, on peut dire qu'en France, en Angleterre, en Allemagne et en Autriche, les contaminations sont pratiquement inexistantes, alors que la tuberculose est des plus redoutables. Aucune hypothèse satisfaisante ne donne la raison d'un fait aussi paradoxal.

On a pensé que la transmission de la lèpre exigeait un hôte intermédiaire n'existant pas sous nos climats. Elle serait à ce point de vue comparable au paludisme que propagent les mous-


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tiques et dont la disparition est liée à celle de ces désagréables insectes.

On a cherché cet hôte intermédiaire supposé sans jamais réussir à le mettre en évidence. Aucun insecte, aucun acarien n'a pu être incriminé.

D'autre part, il semble établi, à l'heure actuelle, que la lèpre est propre à l'espèce humaine. En particulier, la lèpre des rats n'a rien de commun avec elle. Ce ne sont pas ces rongeurs qui la transmettent.

Un médecin anglais, grand voyageur en Orient, rend responsable de la contagion un animal de plus grande taille encore. Ce serait tout simplement la chèvre. Il fait remarquer que partout où la lèpre est très répandue, les chèvres sont en grand nombre.

En France, elle était fréquente au Moyen Age, où l'on consommait couramment la chair de cet animal. Le terme de boucherie ne vient-il pas de bouc? Elle aurait disparu depuis que nous mangeons du boeuf et du mouton.

Cette opinion assez singulière ne se vérifie pas mieux que les autres hypothèses. Force nous est d'avouer notre ignorance sur une contagiosité si variable, suivant les époques et les pays.

La défense contre la lèpre. — Une semblable incertitude, bien qu'elle ne nous empêche pas d'être rassurés, en ce qui concerne les contaminations autochtones, ne peut guère être féconde en conclusions précises touchant le moyen d'éviter la maladie.

Aussi bien le problème prophylaxique n'est pas nouveau. Il a été résolu de diverses façons à différentes époques.

Le titre même de cette causerie : « La lèpre en France » ne me permet pas de parler des réalisations lointaines. La lèpre africaine, américaine et asiatique serait certes un objet d'étude du plus haut intérêt, mais il faut savoir se borner.

Limité dans l'espace, je voudrois me limiter aussi dans le temps. Aussi m'excuserez-vous de ne pas remonter au déluge et de ne pas vous parler de la lèpre des Hébreux, ni de celle des Grecs, ni de celle des divers peuples.

Je ne vous dirai simplement que quelques mots de ce qui a été fait en France et aussi de ce qui reste à faire, sans même remonter aux origines possibles de la maladie dans notre pays.


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Toute controverse sur ce point me paraît vaine, car aucune conclusion précise ne peut être apportée. La lèpre est certainement d'existence très ancienne, mais c'est surtout après les Croisades qu'elle est devenue fréquente. Elle semble avoir été surtout un apport de l'Orient. Beaucoup de croisés sont revenus contaminés, et, à leur tour, ont répandu la maladie autour d'eux.

Au Moyen Age et jusqu'au XVIIe siècle la rélégation des malades dans des léproseries constituait le seul moyen des défense sociale.

On a prétendu avec raison que. des tuberculeux, des syphilitiques, des cancéreux, avaient été souvent parqués avec les lépreux. Il est certain que des erreurs de diagnostic ont été faites à toutes les époques. On en fait encore. Mais ces erreurs étaient peut-être moins fréquentes qu'on ne serait tenté de le croire.

Tout d'abord, les lépreux eux-mêmes, en maintes circonstances, vivant entre eux et connaissant leur maladie, ont protesté contre l'admission parmi eux de malades atteints d'autres affections, telles que la syphilis.

En second lieu, les sujets contaminés n'étaient isolés qu'après avoir été l'objet d'examens très attentifs de la part de techniciens avertis.

Des chirurgiens jurés étaient commis. Après avoir soumis le malade suspect aux épreuves de maladrerie, ils rédigeaient un rapport sur le vu duquel l'admission était ordonnée par les autorités civiles. On peut lire, dans Ambroise PARÉ, un de ces rapports et se rendre compte de la réelle valeur de l'examen clinique :

« Nous, chirurgiens, jurez à Paris par l'ordonnance de M. le Procureur du Roy, au Chastelet, donnée le 28e jour d'aoust de 1583 par laquelle avons esté nommé pour faire rapport scavoir si X... est lépreux. Partant l'avons examiné comme s'ensuit:

« Premièrement, nous avons trouvé la couleur de son visage couperosée, blafarde et livide et pleine de saphirs. Aussi avons tiré et arraché de ses cheveux et du poil de la barbe et sourcils et avons vu qu'à la racine du poil estait attachée quelque petite portion de chair. « Es sourcils et derrière les oreilles, avons trouvé des petits tubercules glanduleux; le frond ridé; son regard fixe et immobile ; ses yeux rouges, estincelans ; les nari-


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nes larges par dehors et estroites par dedans, quasi bouchées avec petites ulcères croûteuses ; la langue enflée et noire, et au dessus et au dessous avons trouvé petits grains, comme on voit aux pourceaux ladres. Les gencives corrodées et les dents décharnées et son haleine fort puante, ayant la voie enrouée, parlant du nez.

» Aussi l'avons veu nud, et avons trouvé tout son cuir crespy et inégal comme celui d'une oye maigre, plumée, et en certains lieux plusieurs dartres. Davantage l'avons picqué assez profondément d'une aiguille au tendon du talon, sans l'avoir à peine senty.

» Par ces signes, tant univoques qu'équivoques, disons que ledit X... est ladre confirmé.

» Par quoy sera bien qu'il soit séparé de la compagnie des sains, d'autant que ce mal est contagieux.

» Le tout certifions estre vray, tesmoings nos seings manuels Cy mis. » (Cité par CABANES. Moeurs intimes du passé.J

Le malade reconnu atteint de lèpre était, dans certaines villes, dénoncé au prône par le curé de la paroisse, qui procédait ensuite à sa mise hors du siècle.

Au jour fixé pour la cérémonie, le malheureux était conduit en procession à l'église, entouré de ses parents et de ses amis.

Revêtu du vêtement spécial qui devait être désormais le sien et la tête voilée, il entendait l'office des morts. Après quoi, on le conduisait au cimetière. Là, le prêtre lui mettait un peu de terre sur la tête, annonçait sa mort au monde et l'exhortait à la résignation.

Le cortège se dirigeait ensuite sur la maladrerie, à l'entrée de laquelle l'attendait le procureur syndic de la ville.

Le lépreux, interpellé, signalait sa situation et « réclamait comme habitant de la ville le droit de séjourner dans la léproserie pour y jouir des droits y attachés. » (CABANES).

Il prêtait serment de se soumettre aux règlements de la maladrerie et en franchissait ensuite la porte.

Très rapidement, il fut interdit de donner à la cérémonie le caractère de funérailles.

A partir du XIe siècle, « on célébrait, dit CABANES, la messe du jour ou celle du Saint-Esprit avec l'oraison pro infirmis... L'introït se composait de ce verset du psaume 97: « Sagittoe, » tuoe sunt mihi... humiliatus sum nimis. ))


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« L'épitre était formée par le chapitre V du quatrième livre des Rois qui rappelle la guérison de NAANAM par ELISÉE. L'Evangile était ouvert au passage où se trouve racontée la guérison du lépreux de Samarie. )) Le malade était ensuite conduit directement dans la retraite qui lui avait été assignée.

Comment vivaient les lépreux dans les maladreries ?

Parmi ces asiles, il. y en avait de toutes sortes. Certaines léproseries étaient très riches. Elles avaient des revenus, recevaient des legs. Rares étaient celles où les lépreux ne pouvaient subvenir à leurs besoins

En général, le malade apportait en arrivant son lit et un trousseau, du linge, des écuelles, ainsi qu'un godet d'argent ou un hannap.

Chacun avait sa maisonnette ou sa hutte dans l'enceinte de la maladrerie. Parfois, sa famille était admise à rester avec lui.

La plupart avaient un petit jardin auquel ils consacraient leur temps.

L'administration était assurée en général par un chanoine assisté de frères convers et de soeurs converses.

Les pensionnaires étaient bien traités, bien nourris et l'on raconte que plus d'une fois de faux lépreux ont réussi à se glisser dans certaines maladreries pour y trouver de quoi vivre sans souci du lendemain. Ces simulateurs n'ont pas manqué d'être reconnus en maintes circonstances. On les expulsait honteusement, non sans avoir exigé d'eux le remboursement de leurs frais de séjour.

Dans certaines léproseries, les malades constituaient une véritable république.

Ils étaient administrés par un économe auquel on donnait le nom de guidon. Il était élu par les lépreux qui se réunissaient, délibéraient. Les femmes votaient comme les hommes et il semble bien que la gestion de la communauté n'en ait pas été plus mauvaise.

Qu'ils fussent dans une maladrerie ou simplement parqués dans des huttes situées en dehors des villes ou des villages, les lépreux n'étaient pas immobilisés définitivement dans l'endroit qu'on leur avait enjoint d'habiter. Ils pouvaient aller et venir, mais à la condition d'être revêtus d'un habit spécial signalant leur affection et permettant aux gens de s'éloigner d'eux. La forme, la couleur et les insignes de ce costume ont variés suivant les époques et les pays.


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Dans la plupart des régions, ils devaient agiter des cliquettes pour signaler leur présence.

Défense leur était faite d'aller aux fontaines ou aux lavoirs, de regarder dans les puits, d'entrer au monlin, de pénétrer dans les auberges, les hostelleries.

Des interdictions analogues étaient faites à une catégorie de personnes, qu'on appelait cacous ou cagots, gens de race maudite, dans lesquels on a voulu voir des lépreux ou des descendants des lépreux. Mais ceci est peut-être une autre histoire.

Quoi qu'il en soit, il y avait au Moyen Age 2.000 léproseries. On n'en comptait plus une seule il y a quelques années.

A l'heure actuelle, cette affirmation n'est plus exacte. Il existe au moins deux refuges en France pour les lépreux: la léproserie de Saint-Louis, à Paris, et le sanatorium de Valbonne, dans le Gard.

L'un et l'autre ont d'ailleurs pour mission principale d'accueillir les victimes des maladies tropicales, c'est-à-dire les coloniaux lépreux qui constituent en France la grande majorité des sujets atteints.

La situation légale de ces léproseries n'a rien de spécial. Elles fonctionnent comme des hôpitaux ou des sanatoriums ordinaires. Les malades y entrent et en sortent librement.

Les pouvoirs publics, émus par les voeux émis à plusieurs reprises par plusieurs congrès de dermatologistes, n'ont mis en vigueur qu'une seule mesure, la déclaration obligatoire de la maladie par le médecin. Cette formalité accomplie, les lépreux ont le droit de participer à l'existence de tous et peuvent répandre la contagion autour d'eux.

Faut-il en conclure que nous soyons complètement désarmés contre le fléau? En aucune façon.

Il convient tout d'abord de ne pas s'exagérer le péril. Il n'y a certainement en France pas plus de 400 lépreux à l'heure actuelle. Que constitue ce chiffre à côté des 400.000 tuberculeux et des quatre millions de syphilitiques pour qui le droit de vivre de la vie commune se confond avec le droit de contaminer leur prochain?

Si la lèpre est malheureusement incurable, il existe des traitements suffisamment efficaces pour tarir les plaies suintan-


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tes, transformer la lèpre ouverte en lèpre fermée et réduire les chances de contagion.

Parmi les nombreux remèdes préconisés, un seul offre une valeur réelle, c'est l'huile Chaulmoogra, que l'on peut donner par la bouche, mais qui présente l'inconvénient d'être assez mal supportée par l'estomas. Depuis quelques années, on a substitué à l'ingestion des injections intramusculaires de dérivés éthyliques de ce produit .Elles sont un peu douloureuses, mais les résultats sont excellents.

Il est donc, jusqu'en un certain point, possible d'empêcher les lépreux d'être contagieux et de transmettre leur maladie.

Mais, me direz-vous, s'ils refusent de se soumettre à un traitement ou si, malgré le traitement, ils restent contagieux par suite de la gravité de la maladie? Il n'est pas douteux, en pareil cas, que des règlements plus sévères ne deviennent nécessaires, à la condition que, tout en sauvegardant la santé publique, ils ne portent pas trop atteinte à la liberté individuelle.

Déjà, Ambroise PARÉ demandait qu'à la rigueur des mesures on joignit quelque tempérament: « Je conseille, disait-il, que lorsqu'on voudra séparer les lépreux, on le fasse le plus doucement et amiablement qu'il sera possible, ayant mémoire qu'ils sont semblables à nous. »

A ce point de vue, on ne saurait mieux faire que d'appliquer en France les mesures prises en Norvège. Plusieurs congrès de dermatologistes en ont demandé l'adoption.

Dans ce pays, les lépreux sont tenus de se conformer aux règles d'hygiène habituelles qui interdisent le contact d'une personne saine avec une personne malade. Ils doivent, en outre, se soigner et pour cela se soumettre à dès visites régulières.

C'est seulement en cas de refus de leur part ou d'inobservation de ces règlements que l'on peut les contraindre à entrer dans les hôpitaux spéciaux, d'où il leur est loisible de sortir dès qu'ils sont blanchis, à la condition de continuer à se soigner.

Grâce à cette loi, la lèpre a disparu à peu près complètement de la Norvège.

En France, de nombreuses voix se sont fait entendre pour réclamer les même dispositions légales.


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Aussi bien, puisque après l'agréable exposé de M. Gaston PASTRE, j'ai eu le pénible devoir de vous parler de choses attristantes, vous voudrez bien que cela ne soit pas tout à fait inutile. Fort de votre appui, je vais demander à notre Académie de formuler un voeu en faveur de l'adoption rapide par notre pays d'une législation analogue à celle de la Norvège. C'est le meilleur moyen d'écarter un fléau, sans doute peu redoutable en ce moment, mais qui laisse entrevoir une menace pour l'avenir.

« Les Misérables « critiqués et refaits par Lamartine par M. LAFONT

Communication faite à la séance générale du 14 mars 1932

LAMARTINE a écrit et publié, en 1863, un roman, aujourd'hui à peu près inconnu, intitulé Fior d'Aliza. Nous n'avons pas de renseignements sur la composition de cet ouvrage autres que ceux que nous a donnés l'auteur. Mais ceux-ci sont assez curieux.

LAMARTINE ne s'y serait proposé rien moins que de refaire — à sa manière — les Misérables. L'oeuvre énorme de Victor HUGO venait de paraître en 1862. Les théories politiques et sociales développées dans cet ouvrage révoltèrent LAMARTINE. Il demanda à Victor HUGO de lui permettre de dire publiquement, en toute amitié, les réserves que lui inspiraient les « sérieuses divergences de doctrine » et de « combattre à armes cordiales le système ».

HUGO lui répondit:

« Nous nous aimons depuis quarante ans, et nous ne sommes pas morts. Vous ne voudrez gâter ni ce passé ni cet avenir, j'en suis sûr, faites donc de mon livre ce que vous voudrez : il ne peut sortir de vos mains que de la lumière ! »

LAMARTINE consacra donc aux Misérables cinq entretiens de son Cours de Littérature (LXXXIII à .LXXXVII), sous le titre : Considérations sur un chef-d'oeuvre ou le danger du génie.


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L'éloge magnifique de certaines qualités littéraires ne voila pas à HUGO la violence des critiques; mais il se contenta d'apprécier l'oeuvre de LAMARTINE en quelques mots: « Essai de morsure par un cygne », dit-il.

Dès le début de son étude, LAMARTINE prend nettement position:

« Je veux défendre la société, chose sacrée et nécessaire, quoique imparfaite, contre un ami. L'Homme contre la Société, voilà le vrai titre de cet ouvrage, ouvrage d'autant plus funeste qu'en faisant de l'homme individu un être parfait, il fait de la société humaine, composée pour l'homme et par l'homme, le résumé de toutes les iniquités humaines; livre qui ne peut inspirer qu'une passion, la passion de trouver en faute la société, de la renouveler et de la renverser, pour la refondre sur le type des rêves d'un écrivain de génie. »

Nous ne nous proposons pas d'énumérer toutes les critiques relatives à la thèse sociale de V. HUGO. Relevons simplement celles qui intéressent notre sujet,

Critique du titre : « Le titre du livre de V. HUGO est faux ; ses personnages ne sont pas les Misérables, mais les Coupables et les Paresseux. C'est le poème des vices trop punis peut-être et des châtiments les mieux mérités ». Si l'on passe en revue les principaux personnages du peuple, on ne voit qu'une « société de voleurs, de débauchés, de fainéants, de filles de joie et de vagabonds ». Et ceci:

« Dans tout cela, je vois bien l'écume ou la lie d'une société qui fermente, mais de vrais misérables sans cause, je n'en vois point, excepté les petits-enfants de THÉNARDIER couchés, par la charité d'un jeune bandit des rues, dans la voûte de l'éléphant de la Bastille. »

Critique du personnage de J. VALJEAN: « Il me semble que le héros de V. HUGO est bien mal choisi ou bien mal imaginé pour en faire l'objet d'un intérêt si tendre et le modèle de si patientes vertus à l'oeil de ses lecteurs. » Il est « au fond un très vilain homme, pervers, incorrigible... » M. DE L... est persuadé que M. V. HUGO ne donnerait pas sa fille en mariage au fils de J. VALJEAN.

Critique d'un vol invraisemblable: n'importe quel paysan eût donné à VALJEAN un morceau de pain pour sa belle-soeur et ses petits-enfants, sans qu'il dût aller le voler chez le boulan-


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ger. LAMARTINE connaît mieux les campagnards que le citadin HUGO. « On peut mourir de faim à la porte des palais, dit-il, jamais à la porte des chaumières. »

Les pénalités infligées au voleur sont romanesques: pourquoi cinq ans de travaux forcés « quand la loi de 1795 ne le condamnait qu'à un an de prison? »

Invraisemblance de la psychologie du condamné: il n'y avait rien dans son cas qui pût en faire « un assassin d'occasion du seul homme de Dieu qu'il eût rencontré », l'évêque de Digne. C'est là, ajoute-t-il, « le vice fondamental de cette étrange, morbide, sublime composition: « intéresser au crime, quand le crime n'est que passion, c'est le chef-d'oeuvre du paradoxe ; mais intéresser au crime quand le crime est atroce, c'est le crime du talent. »

Il joint l'éloge à la critique touchant « la biographie quelque fois un peu puérile, un peu niaise même; de l'évêque MYRIEL » et trouve que « tout cela a un charme, une vérité un peu exagérée, un peu ostentatoire, un peu déclamée, mais en réalité très touchante... » Mais il blâme nettement la religion de l'évêque, plus déiste que catholique et très indulgent pour le terroriste de 93, à qui il demande sa bénédiction au lieu de le confesser: « Cela n'est pas seulement peu chrétien, cela n'est pas très probe pour celui qui est chargé d'enseigner à Digne le catéchisme de Montpellier. »

Le même procédé de critique enrobée dans l'éloge apparaît dans l'appréciation générale : « Ce ne sont pas les lois ordinaires du roman conçu, médité, écrit par un écrivain consciencieux et humain; c'est le procédé d'un dieu de la plume, d'un possédé de la verve, qui se dit à soi-même : « A quoi bon composer du vraisemblable? à quoi bon faire naître la curiosité, l'intérêt, le sentiment, et les nourrir pour attacher mes lecteurs? Je n'ai pas besoin de ces procédés vulgaires: je suis moi, j'ai mon talisman, j'ai mes ailes au talon, je vais où je veux; qui m'aime me suive. »

LAMARTINE est sévère pour « l'épopée grotesque de quatre étudiants et de quatre grisettes » qui aboutit à la séduction et l'abandon de la pauvre FANTINE. « Le ramassis de quolibets, de calembours, de vulgarités saugrenues de cette partie carrée... ne mérite pas qu'on s'y arrête. » FANTINE est touchante : « Voilà la première véritable misère du roman. Mais la peinture en

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est chargée de couleurs mélodramatiques fausses... Le roman tourne à l'invraisemblance par l'atroce. »

Invraisemblable encore l'histoire des THÉNARDIER « introduits comme machine à drame dans le roman » et qui donnent lieu à « des scènes peu vraisemblables, tirées par les cheveux... »

Enfin, page 71, une véhémente critique de l'admiration de HUGO pour le mot de Cambronne: « il s'égare jusqu'à prendre l'ignoble pour le sublime. »

Ces critiques paraissent fort sensées. Malheureusement, le poète a voulu pousser plus loin sa démonstration ; il a essayé de refaire le roman de Victor HUGO. AUX personnages invraisemblables de celui-ci, il opposera, nous dit-il, « un vrai misérable de sa connaissance », qui eût mérité mieux que Jean VALJEAN d'être le héros de Victor HUGO.

Et voici le sujet du roman qu'il a l'intention de mettre en parallèle avec celui de Victor HUGO. Il nous donne, dans le même Entretien du Cours de Littérature, un véritable scénario auquel il apportera d'ailleurs, dans la rédaction définitive, quelques changements et quelques complications. Laissons parler le poète :

« Voici l'histoire de mon misérable à moi. Il existe encore et on la lira bientôt.

» Un jeune paysan est élevé, dans un hameau isolé des hautes montagnes, par un père vertueux et par une tante pieuse, avec une cousine du même âge, fille de sa tante. Les deux enfants grandissent en s'aimant, sans savoir ce que c'est que l'amour. La fille garde le troupeau, aidée du chien de la maison. Elle est d'une beauté virginale qui excite l'admiration de la contrée. Le garde des forêts la voit et il en est épris ; il la demande en mariage. On la lui refuse. Il fait susciter, par un avoué complaisant de la ville voisine un mauvais procès en dépossession aux pauvres gens, possesseurs de la chaumière, de quelques champs limitrophes et de quelques châtaigniers dont ils vivent. La maison presque seule leur reste ; ils y souffrent les extrémités de la misère.

» Un jour, la jeune fille laisse par inadvertance ses chèvres et ses chevreaux s'échapper pour aller marauder un brin d'herbe dans la partie du domaine qu'ils avaient l'habitude de paître. La bergère s'en aperçoit trop tard, lance le chien après les chevreaux pour les ramener dans ses limites; les gardes, aux


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ordres de leur chef, se découvrent, tirent sur le troupeau, tuent les chevreaux, cassent une jambe au petit chien, atteignent de grains de plomb égarés les vêtements et le cou de la jeune fille. Elle se sauve et se réfugie tout en sang dans la maison.

» Le jeune homme, qui travaillait tout près de là, croit qu'on assassine sa cousine; il saisit une carabine au râtelier de la cheminée, court au bruit, voit les meurtriers, fait feu et tue involontairement le chef des gardes entouré de sa bande. On s'empare de lui, on le traîne à la ville comme meurtrier d'un fonctionnaire public dans l'exercice de ses fonctions. On le juge, on le condamne à mort ; il marche au supplice des assassins, etc., etc.

» Qu'on se peigne ces quatre misères: l'amante dont on va faire mourir le sauveur dans l'ignominie; la tante qui va perdre sa fille unique ; le père qui va voir tuer son fils et son gagnepain par la mort du coupable involontaire ; le fils, enfin, couché sur la paille de son cachot, qui pense à sa cousine expirant de douleur, à sa tante, à son père, expirant de misère, de faim et de honte dans leur masure réprouvée des honnêtes gens, à sa propre mort, à lui, et à sa propre mémoire entachée d'un meurtre innocent.

» Un hasard l'arrache au bourreau ; sa peine est commuée en un bagne éternel.

» Voilà le misérable!

» ... Là tout le monde est malheureux, et personne n'est coupable; la société elle-même n'est qu'aveugle, et le juge, en rendant un arrêt consciencieux, ne fait qu'un acte de justice et de protection envers elle. Voilà une épopée digne du génie de Victor HUGO. VALJEAN n'est qu'une erreur de poète. »

« Voilà le misérable ! » LAMARTINE ne cache pas qu 'il a voulu refaire le roman de Victor HUGO sur des bases plus solides. Combien sa pâle idylle est éloignée de la vigoureuse épopée de Victor HUGO, on pouvait le deviner par ses autres récits, où s'avère une philosophie douce de personnages résignés, une psychologie superficielle et enfin l'aridité d'une imagination incapable de trouver des péripéties émouvantes et variées. Le chefd'oeuvre, c'est pour lui un drame où « tout le monde est malheureux, et personne n'est coupable. » Il est amusant de suivre cette imagination aux prises avec son sujet.


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Et d'abord notons quelques différences entre le scénario et la version définitive. « Il marche au supplice des assassins », dit le canevas, au sujet du meurtrier involontaire. Dans le livre, c'est la fiancée, qui s'est substituée à lui pour le faire évader.

« Un hasard l'arrache au bourreau, dit le canevas; sa peine est commuée en un bagne éternel ». Le hasard est exclu du dénouement du récit : le prince, convaincu de la fourberie dont les pauvres gens ont été victimes, leur rend leurs biens et commue la peine de mort en deux ans de galère.

Enfin, la véritable trouvaille, que le canevas ne laissait pas supposer, c'est le cadre italien: dans le canevas, nous avons vu un garde des forêts ; nous avons affaire maintenant au capitaine des sbires. Le jeune forçat s'appelait Baptistin; il a nom, maintenant Hyeronimo, tandis que l'Arioste fournira le poétique prénom de la sposa: FIOR D'ALIZA!

Pour jouer le rôle de l'évêque MYRIEL, LAMARTINE invente le moine HILARIO; mais il ne tire pas de ce personnage tous les effets qu'il se promettait. C'est Baptistin lui-même, à qui LAMARTINE a donné à lire les Misérables, qui fait le rapprochement entre l'évêque et le moine : « Il m'a rappelé, dit-il, ce vieux frère quêteur du couvent de la montagne, auquel je dois le miracle de charité qui m'a sauvé, le bonheur de retrouver mon père, ma tante et ma cousine. » Le « miracle de charité » ne se retrouve pas dans le récit, ou plutôt il est chez la jeune fille qui a décidé de prendre la place de son époux et de mourir à sa place. Les soins du frère se bornent à faciliter le mariage de deux amants et à leur faire restituer leurs biens dans la montagne.

Car, dans l'affabulation première, le mariage était certainement moins romanesque; LAMARTINE ne contentait de mettre en relief le jeune amant, « le forçat de l'amour que sa cousine attendait à la geôle de sa maison de détention pour le récompenser de tant de malheurs soufferts pour elle ». Dans le roman, c'est FIOR D'ALIZA qui passe au premier plan dans une suite d'événements romanesques : c'est le propre de LAMARTINE, quand son récit s'en va vers le dénouement d'y accumuler les péripéties dramatiques, fût-ce au prix de la vraisemblance. Voici donc ce qu'il a imaginé:

FIOR D'ALIZA, voyant son cousin emmené en prison par les sbires, a une subite inspiration: elle coupe ses cheveux, revêt


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les habits du jeune garçon, prend sa zampogne et, déguisée en pifferaro, s'en va vers Lucques avec le secret espoir de revoir son cousin et de le délivrer, s'il se peut. A l'entrée de la ville, elle s'évanouit en jouant ses plus beaux airs à la Madone du chemin. Une noce qui passe la recueille dans son chariot, la ranime et entre en ville aux sons de la musique du petit pifferaro. Et voyez le hasard merveilleux : cette noce est celle de la fille du bargello, ou geôlier de la prison où est enfermé Hyeronimo, qui épouse le porte-clefs de la prison ; il y a là une place vacante ; FIOR D'ALIZA l'obtient à force de prévenances et d'amabilités pour le bargello et sa femme. La voilà donc installée sous le même toit que son cousin ; elle lui fait deviner sa présence en jouant un des airs qu'ils ont jadis composés ensemble, puis elle lui apporte sa nourriture dans sa prison, en ayant eu soin d'abord d'écarter tout témoin. Elle se préoccupe ensuite de son évasion, surtout quand la condamnation à mort du meurtrier a été ratifiée par le prince. Le frère HILARIO est demandé comme confesseur par le condamné : le bon moine se chargera de marier secrètement, in extremis, les deux amants. La cérémonie a lieu à l'aube, dans la chapelle de la prison, devant les vieux parents venus dire un dernier adieu au condamné. Puis c'est la nuit de noces, et à l'aube, Hyeronimo s'enfuit par une fenêtre dont FIOR a descellé un barreau. FIOR D'ALIZA prend sa place dans le cachot, dissimulée sous le froc des pénitents noirs dont on revêt d'habitude les condamnés. On la mène au supplice, décidée à sauver, au prix de sa vie, la vie de son époux; mais Hyeronimo, qui n'a pas vu la jeune femme arriver au rendez-vous et qui a entendu les cloches du supplice, se précipite pour dévoiler la généreuse tromperie. L'exécution est suspendue par ordre de la duchesse; Hilario parvient à démontrer la fourberie du sbire qui voulait ruiner la pauvre famille: le prince commue la peine du meurtier en deux ans de galères. Sa jeune femme l'accompagne à Livourne, où il subit sa peine, et reste auprès de lui jusqu'à la naissance de leur enfant. Maintenant, elle est revenue dans la montagne, auprès de ses parents, et attend d'un moment à l'autre le retour de son cher Hyeronimo: voici justement les sons d'une zampogne; le beau garçon arrive et le poète s'en va, laissant ces braves gens à leurs touchantes effusions.

Où LAMARTINE a-t-il puisé les éléments de son roman!


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Nous avons vu que le choix d'un condamné à mort comme personnage principal venait probablement du désir de rivaliser avec l'auteur des Misérables. Le dévouement de FIOR D'ALIZA qui fait évader son époux en prenant sa place dans la prison a pu lui être inspiré par un événement survenu dans sa jeunesse et célébré souvent depuis; l'évasion de M. DE LA VALETTE, SOUS les habits de sa femme restée en prison: mais l'héroïsme de FIOR D'ALIZA est plus grand puisqu'elle accepte de jouer le personnage de condamné jusque sur l'échafaud.

La correspondance mystérieuse par la musique ou le chant, c'ect un souvenir de la fameuse légende qui montre BLONDEL retrouvant son roi en chantant devant toutes les prisons l'air favori de RICHARD COEUR DE LION. LAMARTINE l'a certainement lu dans Walter SCOTT. Mais il a pu le retrouver dan sun poème de Jules LEFÈVRE, intitulé Le Parricide. Naturellement, il n'a rien gardé, dans son idylle, de la couleur romantique et byronienne des vers de LEFÈVRE ; ce n'était plus la mode et ce n'était pas dans le goût actuel de LAMARTINE.

Voici le sujet: le parricide est en prison; on laisse pénétrer auprès de lui le prêtre qui console et prépare au supplice.

Il se présente :

« Je suis un desservant du prochain monastère Et des pardons du ciel l'humble dépositaire; J'arrive de sa part... » On ouvre au confesseur Et des portes sur lui se ferme l'épaisseur.

Le confesseur saisit sa lyre et en tire de tendres accents ; ils sont familiers au prisonnier qui reconnaît son amante :

Où suis-jef dit Edgard; oui, c'est elle, c'est toi! Venez, ma souveraine, approchez-vous de moi. Oui, je te reconnais à ta mélancolie, A ma Chanson d'amour, par ta bouche embellie.

FIOR D'ALIZA dira de même: « Je cherchai à me souvenir juste de l'air qu'Hyeronimo et moi avions composé ensemble, et, petit à petit, note après note, dans nos soirées d'été... Mais là s'arrête la ressemblance. Le reste du poème décrit l'exécution du parricide: le bourreau lui coupe le poing; il est ensuite écartelé.


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Il est vrai que FIOR ne se fait pas moine, mais porte-clefs ; elle vit ainsi à toute heure du jour et de la nuit non loin de son bien-aimé. Nous retrouvons un détail analogue dans un récit de l'Abeille littéraire, revue qui a déjà fourni à LAMARTINE certaine inspiration pour Geneviève. Ce récit est l'Amour en Prison, par Clémence ROBERT: Blanche est retenue en prison, comme otage, son père le gouverneur étant accusé d'avoir volé des papiers importants. Sa captivité est adoucie par la flûte dont joue un voisin; il s'appelle Rodolphe; c'est un avocat distingué de Nantes qui avait l'impossible pour suivre Blanche en prison, et, finalement, s'est fait nommer geôlier à prix d'or pour vivre auprès de sa bien-aimée. Il travaille également à prouver l'innocence du père de Blanche. Tant d'héroïsme lui gagne le coeur de la jeune fille.

On voit les points communs entre les deux récits : un amant (ou une amante) qui se fait employer dans une prison où est enfermé l'objet aimé; la musique qui établit la liaison entre les jeunes gens; la fourberie dévoilée et l'innocence triomphant avec l'amour.

Mais la source la plus jaillissante, ce sont encore les souvenirs de LAMARTINE. Les fils de l'intrigue, cueillis çà et là sont péniblement tissés : il y ajoute heureusement le charme de scènes et de paysages directement empruntés à la réalité italienne pendant les longs séjours du jeune diplomate à Florence et dans les environs. Le cadre et presque tous les personnages du roman se trouvent déjà dans des pages écrites par le poète quinze ans auparavant, le commentaire de la Première Harmonie. Il y rappelle ses promenades dans les montagnes voilées de châtaigniers, parmi les ermitages, des couvents, des hameaux, des maisons de chevriers isolées :

(( Je ne rencontrais sur les bords des sentiers que des spectacles de vie pastorale, de félicité rustique, de sécurité et de paix. Des paysages de Léopold ROBERT, des moissonneurs, des vendangeurs, des boeufs accouplés, ruminant à l'ombre, pendant que les enfants chassaient les mouches de leurs flancs avec des rameaux de myrte; des muletiers ramenant aux villages lointains leurs femmes qui allaitaient leurs enfants, assises dans un des paniers; de jeunes filles dignes de servir de type à Raphaël, s'il eût voulu diviniser la vie et l'amour, au lieu de diviniser le mystère et la virginité; des fiancés, précédés des


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pifferari, allant à l'église pour faire bénir leur félicité..; des frères quêteurs, le visage coloré de soleil et de santé, le dos plié sous des fardeaux de pain, de fruits, d'oeufs, de fiasques d'huile et de vin, qu'ils rapportaient au couvent-.. » Et voici le " site de la maison, bâtie à moitié dans le rocher », avec ses personnages que LAMARTINE a seulement poétisés: « J'écrivis les premières strophes de cette harmonie aux sons de la cornemuse d'un pifferaro aveugle, qui faisait danser une noce de paysans de la plus haute montagne sur un rocher aplani pour battre le blé, derrière la chaumière isolée qu'habitait la fiancée; elle épousait un cordonnier d'un hameau voisin... C'était une des plus belles jeunes filles des Alpes du Midi qui eût jamais ravi mes yeux... Elle m'apporta des raisins, des châtaignes et de l'eau glacée pour ma part de son bonheur; je remportai, moi, son image... J'espère qu'elle vit toujours dans son chalet adossé à son rocher, et qu'elle tresse encore les nattes de paille dorée en regardant jouer ses enfants sous le caroubier, pendant que son mari chante, en cousant le cuir à sa fenêtre, la chanson du cordonnier des Abruzzes.. » Souvenir vivant et véridique !

Je mettrai cette belle jeune fille, et sa maison, et le paysage de montagnes qui l'entoure, dans mon poème, — pensa LAMARTINE. Mais elle n'épousera pas un cordonnier, fi donc! ce n'est pas un métier poétique; du cordonnier je ne garderai que sa musique, le fiancé jouera de la zampogne et au lieu de souliers façonnera des cornemuses et cultivera le petit champ. Autour de ces personnages je grouperai des êtres, des scènes, des paysages que j'ai vus en Italie; la peinture de Léopold ROBERT m'a montré tout le parti qu'un poète pouvait en tirer, car Léopold ROBERT, c'est « la peinture poétique, le point de jonction entre la poésie écrite et la poésie coloriée. »

Une preuve que LAMARTINE avait longtemps regardé les tableaux de Léopold ROBERT avant d'écrire Fior d'Aliza, nous la trouvons dans ce passage du roman, où il décrit le char de la noce : a un magnifique chariot de riches paysans de la plaine du Cerchio, autour de Lucques, tout chargé de beau monde, en habit de noces, et recouvert contre le soleil d'un magnifique dais de toile bleue parsemé de petits bouquets de fleurs d'oeillets, de pavots et de marguerites des blés, avec de belles tiges d'épis barbus jaunes comme de l'or, et des grappes de raisins mûrs, avec leurs pampres, et bleus comme à la veille des vendanges »


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(Fior, p. 221). Ce ne sont pas là fleurs que LAMARTINE a vues sur le char italien, mais plutôt sur le front de la jeune fille qui danse autour du char du tableau de la Madonna dell' Arco : (( Elle a noué autour de ses cheveux, à demi-détachés, une couronne de fleurs sauvages d'un admirable éclat; on y reconnaît les bleuts, les oeillets rouges, les marguerites blanches, les pavots mêlés à des épis de folle avoine, toutes fleurs des hauts pâturages du Jura transportées par réminiscence sur le front de la fille des Abruzzes. » Ces fleurs, Léopold ROBERT leur a donné droit de cité dans un paysage italien, et LAMARTINE les y a, à son tour, transportées en y joignant la grappe mûre. Il n'y a qu'un poète pour avoir l'audace de confondre en une même saison les vendanges et la moisson.

Léopold ROBERT lui a aussi montré la beauté d'une jeune femme qui allaite son enfant ; LAMARTINE a vu dans la Corinne du peintre « une jeune mère qui presse son nourrisson amoureusement entre sa joue et sa mamelle, comme pour l'empêcher de troubler le silence des l'auditoire en l'endormant ». Il a appris de lui qu'on peut montrer la « même sensibilité communicative )) dans la peinture des animaux, et il y a la même émotion dans le tableau des Chevriers des Abruzzes pansant une chèvre blessée que dans l'épisode où LAMARTINE nous montre le petit chien Zampogna, la jambe de devant coupée par une balle, pansé par son maître : « Hyeronimo arrêta le sang que perdait Zampogna en entourant l'os de sa pauvre jambe coupée d'une terre glaise, et en retenant cette terre humide autour de l'os nu avec une bande arrachée de sa manche de chemise. »

Egalement la Madone, « toute couverte d'or et d'argent, de fleurs en papier et de poussière sous sa grille » sur le pilier creusé en niche de l'arche du milieu du pont, devant laquelle le pifferaro essaye ses plus beaux airs, rappelle la Madona dell' Arco; le char attelé de beaux buffles, sur lequel s'avance toute une noce, le petit bouvier de quinze ans, la belle sposa, les parents riches, le pifferaro qui chante devant le char à l'entrée dans la ville, sont déjà dans les Moissonneurs de L. ROBERT. Et tant d'autres scènes! Non que LAMARTINE les ait faites d'après les tableaux du peintre; il avait vécu assez longtemps en Italie pour copier d'après nature ce que ses yeux avaient vu; mais c'est qu'ils ont tous deux, peintre et poète, la même conception de l'oeuvre d'art. L'étude de LAMARTINE sur ROBERT ressemble à une apologie personnelle.


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LAMARTINE et Léopold ROBERT, ayant le même idéal et composant leurs tableaux d'après les mêmes modèles et les mêmes paysages, obtiennent de semblables résultats. De même que LAMARTINE aurait pu mettre en vers les Moissonneurs ou les Pêcheurs de Léopold ROBERT et en faire des poèmes analogues à son épisode des Laboureurs dans Jocelyn (1), de même Léopold ROBERT aurait trouvé ses tabeaux tout faits dans Fior d'Aliza: dès le début, la jeune femme qui allaite son petit: « son corset rouge à demi-délacé laissait l'enfant sucer le lait et le répandre de sa bouche rieuse comme un agneau désaltéré qui joue avec le pis de la brebis. » Ou ses jeux avec lui: « Elle s'assit à terre sous le grand chaâtaignier, et roulant avec des éclats de rire mutuels son bel enfant nu sur le lit de feuilles, elle jouait avec lui comme une biche avec son faon nouveau-né. »

Ce sont encore des estampes attendries, aux couleurs trop vives, à la sentimentalité un peu banale que les descriptions de la jeune fille se mirant ou lavant les toisons à la fontaine (p. 124) ; des deux adolescents se livrant à leurs danses rustiques (p. 127) ; de la jeune fille en travesti de pifferaro, jouant ses plus beaux airs devant la niche de la Madone (p. 216 et s.) ; la noce pittoresque et bariolée de riches paysans (p. 221) ; le passage du cortège, musique en tête dans les rues de la ville (p. 234) ; les colombes apprivoisées qui se. laissent nouer à la patte des fils bleus ou rouges par les beaux amoureux (p. 305), etc., etc.

Pour les peindre, s'il n'a pas de couleurs, le poète dispose d'un vocabulaire coloré, chatoyant, caressant aussi, précis parfois au point d'emprunter le vocabulaire italien quand le français n'y peut aller, et de phrases molles et caressantes, tout enguirlandées de comparaisons. C 'est trop fleuri, trop gracieux, trop attendri; dans cette bergerie des Abbruzes, pleine du bêlement des chèvres, comme le moindre loup serait le bienvenu! Il vient bien sous les traits du capitaine des sbires et veut manger le petit Chaperon rouge, mais les braves paysans sont incapable de haine ou même de rancune et se laisseraient égorger

(1) « Moi aussi j'ai chanté l'épisode des Laboureurs, dans mon opème domestique de Jocelyn; mais combien mon encre est pâte à côté de cette palette! " (Entretien XXXVII).


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sans protester.Le capitaine qui les a dépouillés de leurs biens et de leurs enfants n'est pas coupable à leurs yeux, mais seulement son conseiller, le scribe Nicolas DEL CALAMAYO; mais celui-ci a beau commettre horreurs sur atrocités, l'âme sans fiel des victimes reste sans colère contre le bourreau. Ils souffrent, dans leur tendresse pour leurs enfants, pour leurs chèvres et pour leur chien ; mais le lecteur est bientôt las de tant de gémissements : à toucher toujours la même corde, on la fatigue, et le lecteur s'ennuie.

Nous savions déjà que LAMARTINE était tout à fait incapable de décrire l'âme des méchants: rappelez-vous les traits invraisemblables sous lesquels il dépeint la corruption avant le déluge, dans la Chute d'un ange. Ici, il semble avoir fait la gageure de nous montrer une prison pleine d'innocents ; et qu'on ne voie pas là un choix fait à dessein pour dresser un acte d'accusation contre la société et ses juges. Au contraire, LAMARTINE s'érige en face de l'auteur des Misérables en défenseur de la société. Ni la société n'est coupable, ici, ni les prisonniers. Voyez plutôt : il y a dans cette idyllique prison, pleine du grincement des chaînes mais aussi du roucoulement des colombes, un vieillard qui s'est fait sauter le poignet de la main gauche d'un coup de hache, volontairement, pour exempter du service militaire son fils devenu ainsi soutien d'un père infirme: (( les juges l'ont condamné; c'était juste, mais quel est le coeur de père qui ne l'absout pas, et le coeur de fils qui n'adore pas ce criminel? » (p. 266). Il y a la femme d'un brigand pourchassé par les sbires : elle a pris le costume de son mari pour dépister les sbires et permettre à celui-ci de fuir, pendant qu'elle les attirait d'un autre côté en tirant des coups de fusil: « les juges ne purent pas moins faire que de la condamner, tout en l'admirant. » (p. 267). Il y a un homme qui a braconné dans les chasses du duc, pour nourrir sa femme exténuée par la faim, nourrice de deux jumeaux: on l'a condamné « pour l'exemple », mais le due, pendant qu'il retient le mari pour l'exemple dans la prison de Lucques, nourrit généreusement la femme et les enfants dans sa cahute. » (p. 269). Voilà de l'humanité! Voilà de la vraisemblance! Voilà comment aurait dû tourner l'histoire, si semblable en ses débuts, de Jean VALJEAN! Enfin, voici un récidiviste: il a d'abord volé une barque pour faire évader son frère, déserteur et prisonnier; emprisonné, il s'est enfui, avec


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la fille de son compagnon de chaîne, dont il s'était épris, mais tous deux ont été arrêtés et emprisonnés : « il n'y a rien à redire aux juges, ils ont fait selon leur loi, mais la loi de Dieu et la loi du coeur ne défendent pas d'avoir de la compassion pour lui » (p. 272). LAMARTINE refuse de connaître d'autre mobile des actions humaines que la passion des amants ou la tendresse des mères ou des épouses.

L'ambition, la cupidité, l'avarice, la haine, la jalousie, tous ces instincts mauvais qui grouillent dans le bas-fonds de l'âme humaine, il ignore systématiquement tout cela; bien plus, il criera à l'invraisemblance ou à l'immoralité, si un HUGO essaye d'aborder ce domaine. Encore s'il variait ses récits des mille façon dont les diversifie la vie humaine ! Mais ce sont toujours les mêmes aventures coulées dans le même moule: filles complices de l'évasion de leur amant, ou se sacrifiant à leur place ; parents payant d'un membre ou de leur liberté la vie de leurs enfants. Et pour sauver la moralité, les amants qui ont pu se rejoindre trouvent toujours à point nommé un bon moine qui bénit leur union.

Couleurs idylliques d'un rose trop monotonement tendre, événements romanesques et peu variés; c'est là le commun défaut de tous les romans de LAMARTINE. Celui-ci a de plus des défauts qui tiennent soit à la fatigue de l'âge chez l'auteur, soit à la trop grande hâte. L'intrigue n'est pas solide.

Maints personnages, maints épisodes ont déjà été utilisés dans ses précédents poèmes ou romans. Il y a de véritables lieux communs lamartiniens : deux enfants qui grandissent en s'aimant dans la solitude; un vieillard aveugle, comme le père DUTEMPS et GRATIEN ; un domaine partagé entre plusieurs héritiers, la fille orpheline adoptée par sa tante et s'éprenant de son cousin, nous avons vu cela aussi dans le Tailleur. La famille se nourrit des fruits d'un châtaignier mitoyen comme il y a un poirier mitoyen dans Geneviève. LAMARTINE s'imite lui-même jusque dans les détails: comparez la description que Claude fait de Denise à l'aveugle Gratien et la description qui est faite de la beauté de Fior d'Aliza à l'aveugle Antonio.

Enfin, le récit montre des oublis, des hésitations, des erreurs regrettables. Une fois survenu le nouvel épisode qu'on peut appeler l'Amour en prison, tout le reste disparaît: ainsi, ce capitaine des sbires, qui a poursuivi avec tant d'acharnement


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la ruine de la pauvre famille pour avoir plus facilement la belle jeune fille à sa discrétion, au moment où il semble qu'il n'a plus grand chose à faire pour cueillir le fruit, se désintéresse maintenant des événements: il ne fait plus parler de lui, dès qu'on a tué un de ses sergents et que le meurtrier est sous les verrous; il avait pourtant là une belle occasion de faire pression sur FIOR D'ALIZA en jouant avec la vie du meurtrier qu'elle aime. Mais Lamartine ne peut faire mouvoir tant de personnages à la fois : quand il a tiré ce qu'il voulait de ses marionnettes, il les remet dans la boîte et les y oublie.

Et les invraisemblances? Elles foisonnent. Que penser de ce jugement du meurtrier condamné à mort sans qu'on le fasse comparaître devant ses juges, et qui, pendant que son procès se déroule au tribunal, poursuit son dialogue d'amour avec sa maîtresse qui l'a rejoint? Et de cette évasion du prisonnier par une fenêtre dont FIOR D 'ALIZA a scié un barreau, nous ne savons trop quand ni comment, occupée qu'elle est tout le jour au service des prisonniers, aux conversations d'amour et aux airs jonés sur sa zampogne? Elle est bien bonne d'ailleurs de s'escrimer à scier un barreau, quand il lui est si facile de faire sortir son ami par la grande porte, dont elle a les clefs et qui n'est gardée que par des gendarmes endormis, comme il appert du chapitre neuvième, p. 371, où les moines et l'enfant de choeur entrent au petit jour dans cette prison de la belle au bois dormant, sans éveiller personne. Le père et la tante sont aussi là, entrés « par la porte extérieure de la chapelle donnant sur la cour. » Vraiment, dans une prison où le geôlier est aussi débonnaire, les époux auraient aussi bien pu inviter tous leurs amis à la cérémonie nuptiale !

Si Lamartine en prend ainsi à son aise avec l'armature même du récit, que sera-ce dans le détail? Page 181, le petit troupeau est tué par les balles des sbires : « la chèvre laitière était tombée morte du coup » avec ses chevreaux. Néanmoins, le poète entrant dans la chaumière longtemps après ces événements, y voit encore la chèvre blanche qui allaita Fior enfant (p. 116), et, de plus, des moutons et un âne (p. 126), le capitaine des sbires demande la main de FIOR D'ALIZA « pour mon fils que voilà et qui en est déjà aussi fou. », etc. Dans le reste du récit, le fils s'est volatilisé, le capitaine est garçon, il a quarante ans et c'est lui qui désire épouser la jeune paysanne.


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Le domaine appartient aux ZAMPOGNARI: comment se fait-il que le capitaine des sbires le revendique au nom des BARDI et des Cortaldo, famille alliée aux ZAMPOGNARI depuis le mariage de leur fille, la MAGDALENA, tante vivante de FIOR D'AALIZA, avec un ZAMPOGNARI? (p. 136). Lamartine ne daigne pas l'expliquer ; il pense que le lecteur acceptera la grimoire du scribe avec autant de facilité que ces braves paysans qui se laissent dépouiller sans chercher à savoir si c'est à tort ou à raison.

Mais il ne faut pas que l'on aille fureter sur ce sujet: la ruse grossière de CALAMAYO apparaîtrait trop vite au grand jour, on délivrerait HYERONIMO, et il n'y aurait plus de roman pour faire pleurer les âmes sensibles. P. 164, le père HILARIO se fait donner les papiers d'huissier pour les faire voir à Lucques à son ami le professeur de droit MANZI. Détail que le conteur oublie, car il ramène le moine dans la chaumière à la page 318, et il lui fait demander encore les papiers pour les montrer cette fois à son vieil ami de LUCQUES, le fameux docteur BARNABO. D'ailleurs, MANZI ou BARNABO, oublie ort bien son protégé ou ne se hâte guère de découvrir l'embûche qu'il flaire pourtant sous les grimoires de ce coquin de CALAMAYO, et laisse tranquillement HYERONIMO monter à l'échafaud.

Le récit est fait tantôt par l'oncle ANTONIO, tantôt par la veuve MAGDALENA, tantôt par FIOR D'ALIZA. Mais le poète oublie parfois à qui il a donné la parole; ainsi, p. 136, c'est ANTONIO qui parle, on est étonné de l'entendre dire: « Vous êtes bien, dit l'homme de loi à mon frère, ANTONIO, etc. ». Il y a des phrases incorrectes, des répétitions désagréables de mots, des étourderies ; par exemple : « JEPHTÉ... qui alla se pleurer elle-même sur les collines. » (p. 150). Il donne à la fille le nom de son père!

Il serait injuste de juger LAMARTINE romancier sur une telle oeuvre : le pauvre grand homme, pressé par les créanciers, n'a eu ni les loisirs, ni la liberté, de se mesurer sur le même sujet avec Victor HUGO. Néanmoins, FIOR D'ALIZA, en nous permettant de vérifier les démarches de son imagination et les procédés de son esprit, nous aide à comprendre pourquoi LAMARTINE, même dans la plénitude de son génie, n'aurait pu rivaliser avec l'auteur inégal, mais puissant, des Misérables.


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Les Scènes et les Expressions Languedociennes

dans les Comédies de Molière

par M. A-P. ALLIÉS

Communication faite à la séance générale du 25 avril 1932

« Si la nature a donné à MOLIÈRE son génie, c'est assurément son long séjour en province, notamment dans le Languedoc, qui a fait éclater sa verve. » Sa vie s'y est écoulée pendant douze ans. Elle durera quatorze années encore après son retour à Paris. Il a donc passé hors de la capitale presque la moitié de son existence dramatique. On peut juger la place considérable que « les campagnes » devaient occuper dans son souvenir et qu'il marqua dans son oeuvre.

Douze comédies sur les trente qui constituent son Théâtre portent, en quelque scène, une empreinte de notre Languedoc.

La comédie a ses origines dans les pays latins où s'exercent plus particulièrement la verve, la vivacité, l'action. Un esprit observateur, tel que celui de Molière, devait trouver un champ fécond dans le commerce du peuple méridional où le langage est si expressif, le geste si large et si prompt.

Les discussions entre femmes, leurs commérages sur le pas des portes, leur parler hardi, leurs tripotages, fixaient son attention: il notait ces expression de notre terroir que nous voyons apparaître, à peine déformées, dans la réplique de ses personnages.

La cour de la Grange des Prés, les salons, les hôtelleries, la boutique de Gély, la vie de la rue, autant de scènes offertes à ses yeux qui heurtaient son cerveau et s'y gravaient. Devant lui, défilaient, posaient sans s'en douter, les types de nombre de ses futures créations : il retenait leurs travers, leurs façons de parler, leurs railleries, leur vivacité.

Voyez Lucette gourmandant, dans le dialecte de Pézenas, le gentilhomme suborneur, traitre à sa parole. Considérez cette fureur, ce mouvement, ces poings sur les hanches, prêts à s'ouvrir sur la menace, ce torrent d'invectives, ne croit-on pas entendre une femme de chez nous « s'attrapant » en pleine rue avec une de ses voisines? Aujourd'hui, ce n'est pas un spectacle rare.


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Relisez entièrement cette scène, vous la savourerez. A quelques expressions près, qu'il a sans doute changées ou modifiées pour que son héroïne ne parle pas un patois piscénois trop correct et reste dans son rôle de « feinte gasconne », expressions qui ont pu aussi être dénaturées à la première composition d'imprimerie de la pièce, vous y verrez combien peu a changé notre parler populaire après trois siècles et demi; vous serez frappé surtout de l'impression que nos ancêtres avaient produite sur son esprit, du souvenir qu'il avait emporté de leur fréquentation.

Laissez-moi, ici, m'arrêter un instant.

Je ne partage pas du tout l'avis de notre éminent collègue M. Félix VIANEY, doyen de la Faculté des Lettres, qui semble douter de l'origine piscénoise du patois de Lucette. Les observations qu'il présente dans son discours prononcé en ce palais, il y a dix ans, à l'occasion des Fêtes du IIIe centenaire de la naissance de MOLIÈRE, sont troublantes pour quiconque n'a pas fréquenté notre pays. « MOLIÈRE,- a-t-il dit, n'a pas manqué de faire transformer par Lucette le v en b jusqu'à cinq fois en une ligne, et le mot aquo trois fois en pareil espace ? »

J'assure M. VIANNEY que les gens du peuple, à Pézenas, prononcent encore aujourd'hui de la même façon le patois que MOLIÈRE met sur les lèvres de Lucette. MOLIÈRE, qui s'est souvenu de la prononciation piscénoise, n'a pas transcrit le dialecte écrit mais celui qu'il avait entendu.

On ne dit pas : qué voulès, mais, comme Lucette, que boulès ; ou savi pas, mais ou sabi pas; s'acos vous, mais s'acos bous; bous sousténi et non vous sousténi.

La consonnance des mots de Lucette est la même de nos jours, bien que différant parfois par l'écriture de la pénultième, par exemple y eu par un u au lieu de yeou par ou.

L'observation de M. VIANEY, je l'avais déjà trouvée dans une étude de M. BRUN, parue, il y a quelque cinquante ans, dans les Mémoires de l'Académie de Vaucluse, en réponse à une communication du docteur Adelphe ESPAGNE, de Montpellier, au Congrès des Sociétés Savantes, à la Sorbonne, sur les Influences provençales dans la langue de Molière.

M. BRUN, rapprochant le langage de Lucette du dialecte employé par un poète toulousain du milieu du XVIIe siècle, GouDOULI, veut que MOLIÈRE ait trouvé dans la cité de Clémence


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ISAURE un collaborateur pour écrire le patois de la Piscénoise. Or, M. BRUN nous paraît ne pas avoir pratiqué le parler populaire de Pézenas, dont un grammairien local, Emile MAZUC, a immuablement fixé les règles et la prononciation. Il aurait appris que notre dialecte, s'il a, parfois, des ressemblances avec celui de GOUDOULI, est bien encore celui de nos jours, à quelques variantes près, certainement voulues par MOLIÈRE, comme nous l'avons dit. Le patois piscénois est une langue du pays même, au point que certaines de ses expressions, la façon de les prononcer, lui appartiennent en propre et différent absolument de la prononciation et de plusieurs des termes locaux de villes et villages immédiatement voisins, comme Tourbes, Béziers, Lézignan et Montpellier.

Le docteur ESPAGNE, plus près de Pézenas que le provençal BRUN, nous paraît avoir mieux connu notre dialecte: ses rapprochements ont une exactitude que nous pouvons vérifier de nos jours.

Si MOLIÈRE eut un collaborateur dans ce chapitre de M. de Pourceaugnac — ce qui n'a jamais été prouvé — ce ne fut certainement pas un Toulousain, mais plutôt un de ses amis de Pézenas, peut-être le spirituel barbier dont la boutique lui a fourni tant de modèles, tant de sujets d'observation qui ont donné naissance à ces amusantes anecdotes, mises à la scène et popularisées par la gravure depuis que, vers le milieu du XVIIIe siècle, l'acteur-académicien CAILHAVA les avait recueillies des petits-fils des contemporains.

Il est toutefois étonnant de lire avec quelle fidélité il avait reproduit notre idiome local, treize ans après avoir quitté notre pays, l'émaillant seulement de quelques mots ou tournures de phrases employés encore en d'autres lieux du Languedoc. Laissez-moi vous en donner un court extrait :

« Que té boli, infamé ! Tu fas semblan dé nous mé pas cou» nouissé ; é rougissés pas, impudent que tu sios, rougissés pas » dé mé beiré ? (A Oronte). Nous sabi pas, Moussu, s'acos bous » dount m'andit que bouillo espousa la filho, mais yeou bous » déclaré que yeou soun sa fenno, é qué y a zet ans, Moussu, » qu'en passen a Pézenas, el aouguet l'adresso, dambé sas » mignardisos, coumo sap ta pla faire, dé mé gagna lou cor, é » m'oubliget praque m'ouyen a l'y douna la man per l'es» pousa !

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» Abeire un marit tant cruel mesprisa touto l'ardou qué yeou » » ay per el, eme laïssa sensa cap de pieta abandounado a » las mourtelos doulous que yeou ressentisse de sas perfidos » accious.

» ... Tout Pézenas a bist nostré mariatgé ! »

La scène dure ainsi quatre pages du livre où l'on voit Lucette, accompagnée de ses enfants Françoun, Janet (des noms du pays), accabler Pourceaugnac et la Picarde qui veut le lui ravir.

Il nous suffit de parcourir les comédies de MOLIÈRE pour y trouver des expressions, des tournures de phrases isues de notre terroir.

Ainsi, le maître à danser dans le Bourgeois Gentilhomme traite le maître d'armes de grand cheval de carrosse. Combien ne nous arrive-t-il pas d'entendre la même expression: gran chiabal dé carrosso ? De même carogne, si souvent employé par MOLIÈRE dans ses pièces : la Jalousie du Barbouillé, le Mariage Forcé, George Dandin, Monsieur de Pourceaugnac, le Médecin malgré lui, le Malade imaginaire.

Quand Mascarille, du Dépit amoureux, s'écrie en parlant de Marinette : O la fine pratique ! nous entendons souvent les gens du peuple à Pézenas dire couramment d'une femme rouée: qu'ano pratico! Dans George Dandin, nous lisons: Cela est-il beau d'aller ivrogner toute la nuit ? En Languedoc, s'ibrougna, c'est s'ivrogner. Et lorsqu'on dit d'une femme ensorceleuse: « quano masco ! vieyo masco ! », on ne peut s'empêcher de rapprocher ces termes de la quinzième scène du Cocu imaginaire : « La masque, encore après, lui fait civilité », et de ceux d'Argan à Louison dans le Malade imaginaire : « Ah! ah! petite masque. »

Lucette, parlant des mignardisos de M. de Pourceaugnac, exprime bien un mot toujours prononcé chez nous qui signifie « fausses caresses », employées par un enjoleur. Et quand le gentilhomme limousin, ne pouvant se défaire de tous ces enfants suspendus à ses basques, s'écrie : « Diantre soit des fils de putain », nous nous souvenons entendre parfois une femme du peuple traiter quelque garnement de la rue de fan dé puto (enfant de putain ».

Nous relevons dans la bouche de Scapin une tournure de phrase usuelle à Pézenas, quand il dit: il va vous emmener


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votre fils en Alger. » Dans le peuple, on dit : « Anan en Ate » pour : nous allons à Agde.

Anselme, de l'Etourdi, s'écrie : « J'ai prou de ma frayeur en cette conjoncture. » En patois, quand on a assez d'une chose, on dit : n'ai prou.

L'adiussias de Scapin dans la scène du sac n'est autre que notre adissias (adieu) ; de même Pierrot de Don Juan, racontant à Charlotte la scène du sauvetage, commence ainsi son récit: Aga, expression familière au dialecte piscénois : Aga, c'est-à-dire : regarde, vois.

Si on voulait encore faire des rapprochements de noms, nous pourrions nous demander si le personnage de Mascarille ne vient pas du languedocien mascarat (barbouillé) et Sganarelle — celui du Médecin volant qui aime à boire — de ganaro, qui signifie dans notre idiome ivrognerie.

Nous venons de citer le Médecin volant. On a dit que la première représentation en avait été donnée à Pézenas le 8 novembre 1655, à l'hôtel d'Alfonce, devant les députés aux Etats du Languedoc, invités du prince DE CONTI. Si les registres manuscrits des Etats notent la réception assez cavalière, au seuil de la cour des délégués de cette Assemblée, parce que l'appartement « étoit en grand désordre pour la comédie du soir », il n'est pas mentionné que ce fut le Médecin volant. Nous confessons nos regrets de nous être fait par ailleurs l'écho d'un fait dont nous n'avons pu retrouver l'authenticité dans nos recherches ultérieures.

Nous pouvons, toutefois, sans crainte de nous tromper, rapprocher la scène où se déroule cette comédie de la disposition des lieux de la maison piscénoise, décrite par l'abbé D'EXPILI, quand il la visita en 1668. Nos présomptions ne peuvent aller plus loin.

Il est admis que MOLIÈRE a écrit cette pièce à Pézenas ou quand il rayonnait dans la région. C'est par elle qu'il a commencé sa satire des médecins, confinée avec le Médecin malgré lui et l'Amour médecin.

Pendant ses séjours à Montpellier, il vivait en plein foyer médical et suivait les discussions parfois homériques de l'Ecole de Paris avec celle de votre ville qui paraît bien en être sortie victorieuse. Il serait hors de propos d'entrer ici dans un débat qui a fourni plus d'un trait à l'observation de MOLIÈRE. Il a dû


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lire notamment la seconde Apologie de l'Université de Montpellier, parue sans nom d'auteur, en 1653, et qui lui a fourni le prétexte et les éléments du Médecin volant. Il n'est, pour s'en convaincre, que de relire attentivement l'Apologie et la comédie.

Bornons-nous aux scènes et expressions de notre Languedoc, telles qu'elles paraissent dans les comédies de MOLIÈRE. Voici une remarque frappante:

En 1656, l'année même de la représentation à Béziers du Dépit amoureux, un poète de cette ville, du nom de BONNET, faisait imprimer, à Pézenas, ses Poésies languedociennes. Il était l'auteur d'une pièce populaire, intitulée: Les amours de la Guimbardo, écrite en 1620. Retenons cette date. Elle figure dans un recueil de comédies allant de 1616 à 1657, réunies sous le titre de Théâtre de Béziers (Jean MARTEL, imprimeur).

On peut se demander si elle n'a pas inspiré à MOLIÈRE la scène délicieuse du Dépit où Marinette et Gros-René se quittent en se disant adieu. Les deux personnages: la Guimbarde et Dupont, s'expriment en des termes presque identiques:

— Adieu, chero Guimbardo, adieu sen de velours, Adieu, la tresse bloundo, adieu frount d'albastre, Gaouttetos de milhas, bonheur de moun bon astre...

(Adieu, chère Guimbarde, adieu sein velouté. Adieu la tresse blonde et le beau front d'albâtre. Adieu, joues de millas (galette du pays), astre de mon bonheur).

Eoutons maintenant le dialogue de Molière :

— Adieu, gros René, mon désir.

— Adieu, mon astre. — Adieu , beau tison de ma flamme.

— Adieu, chère comète, arc-en-ciel de mon âme !...

Le rapprochement des deux scènes n'est-il pas troublant et aussi les dates où elles ont été écrites: l'une en 1620, avant la naissance de Molière, l'autre en 1656 ?

Il semble qu'il y ait eu une identité plus étroite encore entre une pièce d'nn poète ouvrier de Pézenas et une scène de Don Juan. Au temps où Molière était en Languedoc, vivait dans notre ville un nommé Vital BEDÈNE, bourgeois, suivant les uns, cordonnier d'après les autres.


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On a supposé que les besoins incessants d'argent du prince DE CONTI pour ses dépenses luxueuses et ses débauches, sa caisse souvent vide l'obligeant à éluder le remboursement de ses dettes, notamment quand il paya MOLIÈRE avec une lettre de change tirée sur les Etats de Languedoc qui ne la réglèrent pas, avaient pu inspirer à un écrivain facétieux de Pézenas, à Vidal BEDÈNE, une petite comédie à douze personnages, intitulée: Le Secret de ne jamais payer, tiré du Trésorier de l'Epargne, par le Chevalier de l'Industrie. Elle fut publiée à Lyon en 1656. La scène est identique à celle de M. DIMANCHE, dans la comédie de Don Juan, que MOLIÈRE représenta douze ans plus tard.

Les personnages du Secret de ne jamais payer sont les créanciers d'un grand seigneur « menant un train de prince ». Ils viennent, chacun d'eux, présenter leur note : le tailleur, le médecin, le cordonnier, l'apothicaire, le serrurier, le boulanger, le chirurgien, le maître de danse, etc., et ils sont successivement éconduits par le valet qui les paie en bonnes paroles :

Allez, allez, maréchal, votre compte est petit. Ça ne mérite pas que Monsieur vous écoute.

Au charron:

C'est un compte de voix, dit-il, une chanson!

Le sellier est « Michel, fameux graveur » sur cuir; son maître n'a pas tout à fait tort, lui dit-il.

S'il était obligé de payer ce qu'il doit,

Il n'aurait rien pour lui : ce n'est pas ce qu'on croit.

Tu n'es que trop heureux, tu peux gagner ta vie.

Et le défilé continue:

MOLIÈRE a certainement connu à Pézenas ce Vital BEDÈNE. Il avait lu son Secret de ne jamais payer. Prenant son bien où il le trouvait, le transformant par le miracle de son génie, il en fit l'amusante scène au cours de laquelle Don Juan, Sganarelle ensuite, se débarrassent de leur créancier, M. Dimanche.

Souvenez-vous. Les empressements de Don Juan auprès de lui, sa façon de le traiter en ami, la volubilité de ses paroles qui ferme la bouche au créancier toutes les fois qu'il l'entr'ouvre pour formuler le but de sa visite, enfin, la façon dont il le recon-


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duit sans le payer jusqu'à la porte où il trouve Sganarelle qui lui doit lui aussi de l'argent, à qui il le réclame mais qui arrive à le pousser dehors, en faisant entendre seulement quelques exclamations. Cette scène est la copie arrangée par MOLIÈRE, avec toute la finesse de son esprit, de la pièce de Vital BEDÈNE.

Le long séjour du poète-comédien en Languedoc, surtout durant la période où siégeaient les Etats Généraux, s'est gravé en ses moindres détails dans sa mémoire. Après les traits que nous venons de citer, nous pouvons admettre qu'il a connu le langage de François BOSQUET, intendant du Roi aux Etats de Narbonne en 1645.

Voulant démontrer à l'Assemblée qu'elle avait un protecteur en Gaston D'ORLÉANS, frère de Louis XIII, nouveau gouverneur du Languedoc — ce qni était assez osé devant des gens qui n'avaient pas oublié la lâcheté du prince dans la révolte de MONTMORENCY — BOSQUET prononce ces paroles: « ... Quelque dure et inanimée que soit la statue de Memnon, elle ne peut être muette étant frappée par les rayons du soleil... »

Or, ne semble-t-il pas que MOLIÈRE s'est souvenu de l'exorde emphatique de ce discours, quand il fait dire à son grand benêt de Thomas Diafoirus, s'adressant à Angélique: « Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon rendoit un son harmonieux lorsqu'elle venoit à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés... » ?

Enfin, c'est encore un souvenir de CONTI à Pézenas écrivant au moment où, de la Grange-des-Prés, il faisait demander en mariage une des nièces de MAZARIN : « C'est le cardinal que j'épouse. » Nous retrouvons la même expression sur les lèvres d'Eraste s'adressant à Julie dans Monsieur de Pourceaugnac: « Ne croyez pas que ce soit pour l'amour de vous que je vous donne la main. Ce n'est que monsieur votre père, dont je suis amoureux, et c'est lui que j'épouse. »

Passés par le crible de son génie, les Précieuses ridicules, le Bourgeois gentilhomme, le Médecin malgré lui, George Dandin, furent des souvenirs de province.

A la Grange-des-Prés, CONTI, qu'il a longuement observé dans ses vices, dont il reçut plus tard des humiliations que l'auteur dramatique n'a ni oubliées, ni pardonnées, a bien pu lui donner


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le modèle de Don Juan, comme l'abbé ROQUETTE, qu'il y rencontre, celui de Tartuffe.

Ces deux hommes, posant devant un portraitiste comme MOLIÈRE, fourniraient à eux seuls une longue étude qui dépasserait les limites que nous nous sommes imposées. Nous arrêterpns ici nos citations qui rappellent les inflences languedociennes dans les comédies de Molière.

Pézenas y garde une place prépondérante. Les souvenirs de sa jeunesse y ont laissé une telle trace que l'Histoire ne sépare plus leurs deux noms.

Un fervent moliériste piscénois rappelait que dans ses cinquante ans de voyage, on lui avait dit maintes fois :

— Ah ! vous êtes de Pézenas, le pays de Molière !

Quel éloge ! Il suffit à immortaliser une cité.

La faute de La Vallière et les Médecins par M. OUY-VERNAZOBRES

Communication faite à la séance générale du 30 mai 1932

Quoique Mlle DE LA VALLIÈRE eût un penchant pour le Roi depuis longtemps, comme le savaient quelques-unes de ses amies, elle résista à ses attentions, à ses billets, à ses petits vers (où BENSERADE mettait la main!), à toute sa séduction.

Une nuit, il s'avisa de monter sur les toits et de pénétrer par une lucane dans la chambre de LA VALLIÈRE. Il n'eut pas plus de succès. Elle lui donnait, avec une belle sincérité, toute son âme, toute sa passion, mais rien de plus.

Cependant, comme il avait renouvelé ses visites clandestines, elle vit qu'il s'arrêtait, an passage, chez quelques autres demoiselle d'honneur ! Elle eut peur de le perdre... et elle se rendit.

Mais quelles luttes contre elle-même, quels reproches, que de larmes! Chaque fois que le Roi la retrouvait, il était obligé de la conquérir de nouveau. Jamais femme ne soutint de combat plus poignant, non seulement contre sa chair, mais contre son coeur, contre son esprit, contre toute la tendresse dont son être avait été pétri.


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Le lendemain de sa chute, elle ne se vit pas sur les marches d'un trône avec la foule des courtisans à ses pieds: elle se cacha la ligure dans les mains!

Elle aimait à rencontrer le Roi dans les ramées, mais s'il n'était pas seul, elle disparaissait.

Louis XIV, au contraire, avait du plaisir à organiser pour elle des fêtes où il savourait l'encens qu'on y brûlait en lui vantant sa beauté. Cela gênait terriblement LA VALLIÈRE.

— Ah! que n'êtes-vous un simple officier aux gardes! lui disait-elle avec tendresse.

Elle aimait Louis XIV pour son élégance et sa grâce; elle ne voulait pas savoir qu'il était le roi, et elle disait à son entourage, d'une façon charmante et naïve: « Il s'appelle Louis, je m'appelle Louise ».

Un jour, le roi, qui l'avait vu causer longtemps avec un jeune gentilhomme, lui demanda, avec une jalousie mal contenue, quel était ce beau cavalier. Elle répondit:

— C 'est mon frère.

— Mais, dit Louis XIV, j'ignorais son existence: vous ne m'avez jamais rien « demandé » pour lui.

Elle répondit simplement :

— Je ne suis pas la maîtresse du Roi.

On citerait ainsi cent anecdotes. Permettez-moi d'en donner encore une, parce qu'elle résume toute la délicatesse de son âme.

Une fois qu'elle tardait à venir à la rencontre de Louis XIV, quoiqu'elle l'eût aperçu de loin, il lui demanda:

— Pourquoi ne veniez-vous pas?

— Elle répondit avec une mélancolie touchante dans ses beaux yeux :

— Parce que j'avais peur de vous quitter ! Rappelons-nous cette phrase, pour la suite de notre étude;

toute LA VALLIÈRE est là-dedans.

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D'où lui venaient donc cette pudeur, cette fraîcheur d'âme, cette sensibilité affinée, ce don si complet de soi-même ? D'où viennent, aussi, les scrupules qui la torturent dans ses fautes? Quelques coups d'oeil sur son hérédité, puis sur son enfance, vont nous renseigner.


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Elle est née à Tours, en 1644. Son grand-oncle, en 1603, a besogné longtemps pour obtenir que les Bénédictins de N.-D. des Champs cédassent leur prieuré de Paris à des Carmélites qui voulaient venir s'y installer. Il doit être très religieux et il a, dans ce milieu, une grosse influence puisqu'on l'a chargé de ces interminables négociations. Cette atmosphère pieuse, dans laquelle il vit, rejaillit sur son entourage, dans sa famille, et, par ricochet, sur sa petite nièce.

Plus près de LA VALLIÈRE, nous voyons un oncle qui est chanoine, qui devient évêque de Nantes et qui n'est pas sans influence sur elle.

Elle a deux tantes, Elisabeth et Charlotte, qui se sont chargées de son éducation, car sa mère, déjà veuve en premières noces, était fort indolente. Or, ce sont deux Ursulines. Le père de LA VALLIÈRE meurt en 1654 — elle avait dix ans — et, l'année suivante, sa mère se remarie. Ce sont donc les deux Ursulines qui ont façonné cette âme.

Dans quel cadre vivait-elle ?

L'Hôtel de Crouzille, à Tours, où LA VALLIÈRE était née, avait son jardin contigu avec celui du Carmel de cette ville. Les cloches du couvent faisaient partie dela vie quotidienne de Louise, marquaient les heures, berçaient son petit esprit, et l'écho léger répétait souvent les psalmodies très douces, très voilées, des saintes filles qui vivaient à l'ombre des vitraux de la chapelle — où, du reste, LA VALLIÈRE allait souvent pour assister à certains offices.

On s'explique, ainsi, qu'elle soit une sentimentale et que le scrupule ait pénétré de bonne heure dans cette jeune conscience habituée à être fouillée en détail. Elle a une bonne santé. Elle grandit.

En 1660, à 16 ans, c'est un joli type de tourangelle, à la figure pâle, aux traits fins, aux yeux infiniment bleus, aux cheveux très blonds et bouclés, à l'air timide et ingénu. Une petite boiterie, dont je n'ai pu retrouver l'origine, ni la cause, ne lui enlève rient de son charme. Elle est alerte et vigoureuse. Aucune tare connue.

Nous voilà renseignés sur son physique et sur son moral.

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Il semblerait donc, qu'au moment où elle sera abandonnée par le Roi, elle prendra sa décision rapidement et que, avec la


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base morale si sérieuse que nous connaissons, son beau physique bien équilibré, elle va dompter sa passion, et se retirer, ou bien dans ses terres, au milieu de l'apaisante atmosphère de son enfance, ou bien dans un couvent, puisque, déjà deux fois en plein bonheur, elle a tenté de le faire, pour échapper à ses remords.

Eh bien! non. Et c'est là, pour les moralistes, pour les médecins surtout, un cas émouvant à examiner

Elle ne pouvait pas vivre sans voir le Roi, sans entendre sa voix, sans guetter ses regards. Pour cela, elle va souffrir le martyre.

Pendant sept ans, elle sera l'amie de la MONTESPAN pour entendre parler du Roi, pour monter dans son carrosse avec elle, à côté de lui, elle verra les tendres regards de Louis XIV à sa rivale, elle entendra leurs propos brûlants, elle sentira l'haleine de leurs baisers, elle tenaillera sa chair de toutes les jalousies, car elle aidera la MONTESPAN à arranger sa toilette, à être belle — elle priera le ciel de lui donner le courage de se retirer dans un couvent, et elle ne pourra pas s'y résoudre.

Son directeur, le P. CÉSAR, du Saint-Sacrement, le maréchal de BELLEFONDS, qui était une sorte de confident religieux; BOURDALONE, BOSSUET, surtout, avec sa magnifique éloquence, tout le monde la conseille, l'exhorte, prie le ciel de lui donner le courage de quitter la Cour, — et elle reste là, haletante, torturée.

On l'a voit, un jour, se baisser, comme une femme de chambre, pour arranger une guirlande au bas de la robe de la MONTESPAN causant avec le Roi, afin de pouvoir, furtivement, lever les yeux vers Louis XIV, comme un pauvre chien rudoyé prêt à lécher la main de son maître. On l'a peinte dans cette attitude!

En 1671, quatre ans après avoir été délaissée, elle écrivait au P. CÉSAR du Saint-Sacrement, qui l'avait mise en garde contre ses excès de mortifications corporelles: « Ah! mon père, ne me grondez pas de ce cilice ; c'est bien peu de chose. Il ne mortifie que ma chair, parce qu'elle a péché; mais n'atteint pas mon âme qui a plus péché encore. Ce n'est pas lui qui me tue, ce n'est pas lui qui m'ôte tout sommeil, tout repos, ce sont mes remords. C'est surtout le lâche désir d'en ajouter d'autres à ceux que j'ai déjà.

Et puis, ne les vois-je pas chaque jour? (Louis XIV et Mme DE MONTESPAN). Mes yeux ne suivent-ils pas leurs yeux? Ne


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suis-je pas assise à côté de ma rivale, tandis que lui est à côté d'elle aussi, mais loin de moi? N'ai-je pas vu? N'ai-je pas entendu? Ah! mon père, que Dieu me punisse si je blasphème; je ne sais pas ce qu'est l'enfer, mais je ne saurais en imaginer un plus terrible que celui qui est mon coeur, où il reste néanmoins, où il se complaît, car ne plus le voir serait un autre enfer auquel il ne s'accoutumerait point. »

Trois années passent, trois ans de cet enfer dont elle vient de parler. Elle est décidée à entrer au Carmel, mais il lui faut l'autorisation du Roi.

Elle remet chaque jour au lendemain cette démarche, sous prétexte de (( ne pas importuner le Maître », et elle écrit au maréchal DE BELLEFONDS ces mots où l'on trouve la vraie raison dé ses hésitations: « J'avance, je me donne du courage, et je crois que Dieu achèvera son ouvrage dans peu. Cependant, je crains, et tant que je serai en danger, je craindrai. Je connais ma faiblesse, et tant de meilleurs esprits ont tombé de plus haut que cela me fait trembler. »

Dans un livre récent, bien documenté, un prêtre de haute culture, l'abbé ERIAU, écrit, après avoir cité ces phrases : " Ou ces aveux et ces craintes ne signifient rien ou ils prouvent que, malgré sa conversion sincère, malgré son ardent désir de la vie parfaite, Louise redoutait une rechute aussi longtemps qu'elle resterait dans le monde Elle savait par expérience combien le roi était séduisant, Une parole de lui ou un geste ne suffiraientils pas à rallumer la passion qu'elle avait eu tant de peine à éteindre? »

Louis BERTRAND, dans son beau livre Louis XIV — où il est, du reste, exagérément dur pour LA VALLIÈRE — nous dit: « Le vrai, c'est que LA VALLIÈRE s'acharna pendant des années à reprendre le Roi. Et c'est pourquoi elle resta à la cour, y garda son appartement, alors que nulle charge ne l'y obligeait. »

C'est certainement la vérité. Cet espoir ne la quitta pas. Ce ne sera qu'après sa prise d'habit, derrière les grilles, derrière les verrous tirés, qu'elle abandonnera cette idée d'un retour possible du Roi !... encore ne savons-nous pas ce qui se passait dans les fonds secrets de son âme.

Elle écrit, en effet, au milieu de ses exaltations célestes, cette phrase lourde d'angoisses: « Il ne me reste qu'à perdre la mémoire de tout ce qui n'est pas Dieu; mais cette importune


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mémoire que je voudrais loin de moi me distrait à tous moments et me livre d'éternels combats ».

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Ah! pauvres moralistes, qui essayez de lutter contre les faiblesses de la chair, vous vous heurtez, ici, à l'éternelle loi qui pousse les êtres jeunes à se rejoindre!

Jules LEMAITRE, dans un livre plein de couleur, « En marge des vieux livres », nous raconte que Jean, le disciple aimé, était fiancé lorsqu'il suivit Jésus. La jeune fille en conçut un chagrin profond, et un jour qu'il passait dans Caphanaüm, elle s'approcha de lui pour l'empêcher de rester avec le Maître ; mais Jean la rejeta brusquement sur les dalles. Les disciples dirent alors que c'était une possédée et ils demandèrent à Jésus de la guérir. Mais le Christ, qui avait vu toute la scène et auquel rien n'avait échappé, leur dit doucement:

— Laissez-la. L'esprit qui la possède est présentement plus puissant que moi.

Je n'ai pu vérifier l'exactitude de ce détail. Mais, vraie ou fausse, l'anecdote n'en a pas moins un fonds d'exactitude biologique.

Dans l'étude des âmes, la physiologie vient, en effet, dire son mot — un mot qui croît en autorité à mesure que s'accentuent les découvertes sur le fonctionnement de la machine humaine.

« On a, écrit le docteur VOIVENEL, dans un de ses livres, la morale de sa chimie et la chimie de ses glandes à sécrétions internes . Et voilà, au point de vue social, une découverte bien grave.

Or, si ce théorème appelle des correctifs, il est certain que les fonctions psychiques, même les plus hautes, sont sous la dépendance des glandes endocrines.

De nombreuses expériences ont montré qu'elles sont également influencées par les glandes génitales: A ceux qui n'ont pas suivi de près cette question, il nous suffit de rappeler, en deux mots, qu'il existe des relations universellement connues entre le crétinisme et la dégénérescence du corps thyroïde, entre l'acromégalie et les altérations de l'hypophyse, entre la mollesse d'esprit et l'eunuchisme. Les expériences de STEINACH, de PÉZARD, de VORONOF, prouvent que des greffes de glande mâle bouleversent la mentalité des animaux castrés et aussi leurs formes extérieures.


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Des coqs castrés, dont la crête est farineuse, qui ont perdu tout désir de reproduction, qui n'ont plus leur cocorico sonore, leur allure batailleuse, leur autorité sur leur sérail, et sont tombés si bas que les fermières leur donnent des poussins à surveiller, ces coqs, dis-je, lorsque PÉZARD leur greffe de la glande mâle, montrent une crête rouge vif, chantent dès le lever du jour, et courent sur les poules en faisant le « passe-pied », c'est-à-dire le cercle autour d'elles, en baissant une aile et en jetant la patte, ce qui est leur plus belle manière de faire leur cour...

On conçoit donc facilement que la passion soit sous la dépendance des endocrines et que l'énoncé de VOIVENEL ne soit pas seulement une pensée amusante.

" Etre amoureux, dit le docteur Maurice DE FLEURY, cela consiste à ne plus pouvoir vivre loin de l'objet aimé, à souffrir quand il n'est plus là, à le revoir le plus souvent possible, à se sentir, quand on se quitte, plus amoureux qu'avant, plus intoxiqué que jamais. IL suffit d'avoir observé un alcoolique ou un morphinomane pour être frappé de l'identité absolue du processeur pathologique ».

Le docteur VOIVENEL va plus loin encore en disant que c'est une maladie qui nous enlève notre libre arbitre et nous rend le jouet des illusions : « ... La tension nerveuse baisse, comme baisserait le voltage d'une lampe électrique, l'oeil se ternit, la peau se décolore et perd sa souplesse, l'organisme se flétrit et s'affaisse. J'ai vu ainsi, comme neurologiste, de délicates jeunes filles se déssécher comme des fleurs. »

Ne voit-on pas apparaître, dans la pharmacopée actuelle, des remèdes qui visent à décongestionner les organes sexuels?... « Décongestif pelvien, sédatif général... », dit l'un d'entre eux, dans une annonce célèbre.

Est-ce que la vertu ne se débitera pas un jour... en ampoules ?

Au fonds, tout cela prouve que la volonté est souvent impuissante à calmer « la folle du logis », l'imagination, le rêve érotique, le besoin cérébral d'aimer, et que des sédatifs appropriés peuvent aider singulièrement à obtenir « la paix de l'âme ».

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La pauvre LA VALLIÈRE, pâle et douce, luttait donc contre elle-même, contre ses souvenirs, contre sa tendresse, de toutes


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ses forces. Et malgré ses cilices, ses mortifications, l'image du Roi revenait, séduisante, enjoleuse, ensorcelante. Elle ne pouvait chasser cette vision, et elle n'attendait qu'un mot de lui, qu'un regard, qu'un sourire... pour abandonner tout l'échafaudage de vertu si péniblement édifié.

Cela remet en mémoire l'appel angoissé, le cri de supplication que les grands musiciens ont jeté vers le ciel lorsqu'ils ont voulu interpréter la phrase finale du Pater : « ... Ne nous laissez pas succomber à la tentation... Délivrez-nous du mal... » Il n'y a plus que la musique pour nous faire comprendre ce déchirement des âmes qui ne veulent pas tomber !

On a dit que LA VALLIÈRE avait eu « l'obsession du repentir », « l'idée fixe » de l'expiation. VOIVENEL a bien prétendu que l'amour est " l'idée fixe » du sentiment. Mais, dans ce cas, une jeune fille, dont le fiancé a été tué et qui, inconsolable, se voue au célibat, cette jeune fille est la proie d'une idée fixe? Rappelons-nous l'histoire du dernier Abencerrage que CHATEAUBRIAND a racontée d'une façon magistrale.

— Va, retourne au désert!... dit à l'Abencerrage la jeune chrétienne qui ne peut l'épouser et qui, désormais, va passer son existence dans la tristesse.

Est-ce une idée fixe?

Dérivons un peu vers l'amour maternel.

Toutes les mères qui, pendant la guerre, ont perdu leurs fils et pour lesquelles le soleil n'a plus de clarté, pour lesquelles les roses n'ont plus de couleur, ont donc aussi, une idée fixe? Et, pour en revenir à LA VALLIÈRE, tous les coupables qui sont hantés du regret de leur faute?...

Alors, c'est toute la loi morale qui est remise en question? Je sais bien qu'on l'a niée, qu'on l'a fait dériver de l'éducation... mais toute notre civilisation est basée sur elle.

Si les scrupules obsédants sont une maladie de la volonté, on ne peut pas dire que le « moteur moral » de LA VALLIÈRE ait eu des râtés, quand on voit l'énergie farouche avec laquelle elle a châtié son corps. Jamais de feu, jamais de viande, coucher sur une paillasse sans draps, s'abîmer dans les oraisons et les offices, s'humilier de mille façons, remplir des besognes rudes, tout cela ne lui paraissait pas suffisant. Elle se levait deux heures avant tout le couvent pour commencer plus tôt ses mortifications; elle augmentait les jeûnes; elle portait un cilice ; elle cherchait toutes les occasions de se torturer.


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Alors, ses contemporains l'ont accusée de jansénisme, et l'on en a doctement discuté.

La tendre LA VALLIÈRE, torturée d'amour, se serait passionnée pour une doctrine sèche, poursuivant une vertu inaccessible et qui avait inventé un Christ aux bras levés pour bien symboliser qu'il était implacable aux pécheurs! Mais tous ces gens-là ne voyaient donc pas que LA VALLIÈRE était une simple femme qui aimait encore, qui souffrait terriblement, et qui fatiguait l'animal humain, épuisait la bête, faisait l'impossible pour oublier!

Ne pesons pas des riens dans des toiles d'araignées !

Voyons clair!

Elle cherche à creuser un trou dans sa mémoire, elle lutte avec acharnement pour effacer le souvenir de son bonheur. Admirons cette belle énergie et inclinons-nous devant la dureté de ses sacrifices.

Je n'en citerai plus qu'un seul. Ses enfants sont le fruit d'une faute. Elle en rougit. Elle se condamne à ne pas porter le nom de « mère » et ne se laisse appeler que « belle-maman ».

Un jour, elle refuse d'embrasser son fils qui, au parloir du Carmel, où il est entré, tend gentiment ses bras vers elle. L'insistance de la supérieure ne peut la fléchir.

Est-ce de la sècheresse de coeur? Ah! non, car tout aussitôt elle s'échappe, et elle va se jeter pantelante, éperdue, au pied de l'autel, en pleurant à gros sanglots sa faute lointaine dont l'enfant lui a rappelé l'horreur — et peut-être toute l'ivresse...

Comme on comprend bien, en pénétrant ainsi dans cette âme d'une sensibilité inaccoutumée, qu'elle ait choisi, dans sa détresse, dans son besoin de pardon, le nom de Soeur Louise... de la Miséricorde!

La Miséricorde ! Le pardon!

Elle les implora, les mendia, avec le même repentir saignant, chaque jour, à chaque heure, en poussant, comme on l'a vu, jusqu'à l'extrême, les mortifications déjà si dures de son cloître.

Et il n'y a pas de coeur qui ne soit ému en pensant que cela dura... pendant trente-six ans !


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Alexis ALQUIÉ (1812-1865)

par M. J. VIRES Professeur de Clinique Médicale

Communication faite à la Séance générale du 27 juin 1932

Professeur brillant, chirurgien habile, écrivain précis, historien érudit et philosophe, Alexis ALQUIÉ a honoré la Faculté de Médecine et a enrichi de l'apport de sa notoriété la cité Montpelliéraine.

« Lorsqu'un homme, sorti des rangs les plus infimes de la Société, a surmonté tous les obstacles, et, quarante années durant, a vaincu les nombreuses étreintes de la misère, s'est élevé aux premiers postes d'un état supérieur.,,, la vie de cet homme intéresse l'histoire. Elle est un exemple précieux à conserver aux générations futures et un modèle à présenter au génie dans l'infortune, au talent sans appui... » (Dr SURDUN). Lettre écrite à un médecin qui désire connaître la biographie d'Alexis Alquié. Montpellier. Imprimerie Ricard, frères, 1866.

Dans cette tentative d'évoquer, devant vous, Messieurs, cette personnalité, qui m'a parue originale et pleine d'attraits, veuillez trouver surtout un témoignage d'admiration et de gratitude, rendu à la mémoire d'un de nos grands prédécesseurs, par un médecin et par un Montpelliérain.

L'ENFANCE

Alexis ALQUIÉ naît à Perpignan, le 12 septembre 1812. Son père. Jacques ALQUIÉ ; sa mère, Pauline BACH. Jacques ALQUIÉ exerce la profession de maçon. Jean FAUCHÉ, menuisier, et François FARINES, cordier, témoins de la déclaration paternelle.

Quelques jours après la naissance d'Alexis, Jacques ALQUIÉ et Pauline, sa femme, quittent Perpignan, s'installent à Montpellier. L'existence est dure. Le père fabrique des chaussons, tond des mulets, fait commerce de bardes. La mère l'aide de son mieux, vend des objets hétéroclites, des herbes aromatiques.

Le jeune Alexis pousse dru, bruyant et magnifique. Bel enfant, aux traits fins, aux yeux noirs et ardents, à la chevelure


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de jais, abondante et bouclée. Il déserte volontiers la demeure paternelle, sise sur la place des Capucins, actuellement place du Marché-aux-Fleurs.

Jusqu'à l'âge de 11 ans, il vagabonde dans les rues, dépenaillé, effronté, espiègle, couvrant de dessins fantaisistes les murs des maisons voisines de la sienne

A 12 ans passés, Alexis s'exprime encore uniquement en langue catalane, et méprise l'alphabet. Comme il refuse d'épeler son A, B, C, son père le confie aux Frères des Ecoles Chrétiennes, puis, bientôt, à la discipline plus relevée, de MM. CROZALS, dont le pensionnat célèbre siégea longtemps rue Embouque-d'Or.

Et voici qu'en même temps qu'il prend un goût très vif au grec, au latin, au français, le gamin, rapidement transformé, devient attentif et curieux, fréquente les écoles gratuites destinées à l'enseignement des Beaux-Arts.

Il y apprend le dessin, la gravure, la peinture, la musique, avec M. VINCI.

Xavier FABRE, restaurateur et bienfaiteur de notre Musée, le remarque, s'intéresse à lui, lui reconnaît des qualités exceptionnelles de dessinateur, veut le pousser vers la carrière artistique.

LES CONCOURS

E 1832, Alexis ALQUIÉ devient bachelier es lettres.

Dès ce moment, il s'oriente définitivement vers la médecine.

Il gravit, étapes par étapes, et avec rapidité, les échelons de la carrière professionnelle et professorale.

C'est la série des concours, concours qui lui permettent de s'affirmer. Ceux-ci lui ouvrent des portes qui seraient restées inexorablement fermées.

En 1834, il entre à l'Ecole Pratique, le quatrième sur sept compétiteurs.

En 1835, premier prix de chirurgie, à Montpellier. Médaille d'argent et exemption des droits scolaires.

En 1835, aide-anatomiste, premier sur sept compétiteurs.

En 1838, il échoue pour la place de chef des travaux anatomiques.

En 1839, il est nommé, au concours, agrégé de chirurgie le premier sur cinq compétiteurs, avec une thèse sur ce sujet : De l'influence des constitutions, des tempéraments et des diathèses sur le caractère et le traitement des maladies chirurgicales (il a 27 ans).

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En 1839, il concourt pour la chaire de Pathologie Externe. Il n'est pas nommé.

En 1840, il va à Lyon concourir pour la place de Chirurgien en chef de l'Hôpital de la Charité. Concours difficile, renommé. ALQUIÉ n'obtient que la seconde place.

En 1845, il est nommé, à Montpellier, Chef des travaux anatomiques. Premier sur six compétiteurs.

En 1845, concours pour la chaire de Pathologie Externe. Sa thèse a pour titre : Apprécier les travaux de l'Académie de Chirurgie. Montpellier, RICARD, frères, 1845.

En 1847, il va à Paris concourir pour la chaire de Clinique chirurgicale. Sa thèse, du 16 mars 1848, est remarquable: Des anus contre nature, thèse soutenue publiquement à Paris, le 16 mars 1848. Paris.

En 1850, il est nommé professeur de Clinique chirurgicale à la Faculté de Montpellier, chirurgien en chef de l'Hôpital SaintEloi, titulaire de la chaire qu'ont illustrée, avant lui, SERRES et DELPECH.

Sa thèse a pour titre : De la certitude en chirurgie clinique et des secours qu'elle emprunte à la statistique. Thèse soutenue publiquement le 31 mai 1850. Montpellier, imprimerie RICARD frères, place d'Encivade, 1850.

Voilà une longue liste de concours divers et difficiles.

Notons qu'en 1838 ALQUIÉ avait soutenu sa thèse de doctorat en médecine sur le sujet suivant : Quelles sont les différences qui existent entre le sang artériel et le sang veineux ?

LES CONCOURS À LYON ET A PARIS

Deux fois, ALQUIÉ fait acte de candidat hors de Montpellier : à Lyon et à Paris.

Suivons-le à Lyon et à Paris.

A Lyon, 1839-40-41:

Au lendemain de son échec au concours pour la chaire de Pathologie Externe, en 1840, ALQUIÉ apprend que la place de chirurgien-major de l'Hôtel-Dieu de Lyon est vacante.

Il part seul, sans recommandations et dispute vaillamment ce titre de Chirurgien-major de l'Hôpital de la Charité, de longtemps envié, de tout temps recherché par l'élite des jeunes médecins lyonnais.


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Le concours s'ouvrit à l'Hôtel-Dieu de Lyon, le 23 novembre 1840. Sur les huit candidats inscrits, sept se présentèrent pour subir les épreuves : MM. ALQUIÉ, BOUCHACOURT, ANDRIEU, GROMIER, BOUCHET, DEVAY et TIRARD.

Les sujets des épreuves furent les suivants : 1re EPREUVE. —- Anatomie et Physiologie : Du nerf trisplanchnique.

trisplanchnique. EPREUVE. — Pathologie externe et accouchements : De la

péritonite puerpérale. 3e EPREUVE. — Médecine opératoire : De la ligature de l'artère carotide et de l'innommée. Faire la ligature de l'artère primitive, 4e EPREUVE. — Pathologie interne: Des maladies qui peuvent résulter d'une dentition difficile; des moyens de les prévenir et leur traitement. 5e EPREUVE. — Consultation: Examen d'une fillette de 12 ans ayant une grosseur au genou gauche avec rétraction de la jambe.

Le concours se termina par la victoire d'Antoine-Emmanuel BOUCHACOURT ; mais, comme à l'habitude, aucune appréciation ne fut enregistrée sur les mérites respectifs des candidats.

Le jury était composé de MM. BONNET, chirurgien-major de l'Hôtel-Dieu ; NICHET, chirurgien-major de la Charité ; BAJARD, GENSOUL, VIRICEL, anciens chirurgiens-majors de l'Hôtel-Dieu; MARTIN, CADET, CLIET, anciens chirurgiens-majors de la Charité; GUBIAN, CHAPEAU, MONFALCON, médecins de l'Hôtel-Dieu; POLINIÈRE, LEVRAT, anciens médecins de l'Hôtel-Dieu.

ALQUIÉ fut proclamé deuxième à l'unanimité.

ALQUIÉ ne quitte pas Lyon. Il y donne des leçons d'anatomie, de physiologie, de chirurgie.

Cet enseignement libre est très apprécié. ALQUIÉ se fait gloire d'enseigner la doctrine vitaliste. Il s'efforce d'exposer les grandes et fécondes notions qui sont la caractéristique et la marque spécifique de l'Ecole Montpelliéraine.

ALQUIÉ est très écouté. Il a de grands succès. L'avenir semble lui sourire. Il peut faire face aux exigences d'une existence simple, car il se contente de peu...

Un beau soir, la porte de sa modeste chambre s'ouvre. Deux voyageurs paraissent: c'est le père ALQUIÉ et sa digne compagne, qui viennent troubler le labeur silencieux de leur fils.


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Ne voyant pas Alexis, le concours fini, retourner à Montpellier, ils ont réalisé leur maigre fonds commercial, et, munis de quelques commandes de vins du Midi, sont venus, tout joyeux, surprendre cet enfant qu'ils croient trouver cheminant sur la route embellie de la fortune, enfin conquise...

La famille est donc réunie. Chacun s'en félicite, chacun est heureux. Le père et la mère sont promus maintenant marchands de vin. Leur cave est placée sur les bords du Rhône. Ils font des rêves d'or. Hélas! rêves de courte durée.

La crue du fleuve, cette crue terrible de 1840, emporte, avec les barriques de vin, les espérances et les vastes projets.

C'est le désastre. Devant le malheur, les modestes artisans et leur fils, sont admirables de fermeté et de probité. Ils vendent tout, meubles, habits, livres, linge, vaisselle...

Mais, quand ils quittent Lyon pour regagner Montpellier, ils ne laissent pas un sou de dettes.

Retour bien triste, retour bien décevant.

Accueil glacial des confrères et des collègues.

ALQUIÉ, éloigné, on n'avait pas à redouter un adversaire dont la ténacité ni connaissait pas d'obstacles. Lui, son échec, semble l'inciter à un effort plus marqué, rien ne l'arrête, rien ne le décourage, rien ne l'abat. Il travaille avec plus d'acharnement que jamais, de jour et de nuit. Pour ne pas céder au sommeil, il met ses pieds dans de l'eau sinapisée. Il n'a souvent à manger que du pain, à boire que de l'eau.

De cette période de sa vie, si amère et si douloureuse, peutêtre, ALQUIÉ a-t-il gardé, malgré sa grande générosité, une sorte d'âpreté dans l'appréciation, de sévérité dans le jugement, parfois de méprisant dédain pour les choses et pour les hommes.

A PARIS (1847-1848) :

Ce concours d'ALQUIÉ, à Lyon, avait montré qu'il était un redoutable concurrent.

A Paris, quand ALQUIÉ va concourir, en 1847, pour la chaire de Clinique Chirurgicale, vacante à la suite du décès de BÉRARD, il dégage la même impression, celle d'un jouteur incomparable.

Les preuves, elles éclatent dans les appréciations des journaux médicaux, dont les représentants avaient suivi toutes les phases de la lutte.


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La Gazette des Hôpitaux, la Gazette Médicale de Paris, l'Union Médicale, le Bulletin Général de Thérapeutique, nous apportent l'écho de ces jugements.

« M. ALQUIÉ, qui a exprimé le voeu, au début du concours de ne paraître pas trop indigne de la Faculté de Montpellier, se classe au premier plan. Erudition variée, grande assurance, élocution brillante, grande distinction, véritable talent de professeur, esprit pénétrant, parole élégante... »

L'Union Médicale : « Tout dans le concours est terne, languissant. Rien de spontané, d'individuel. Tout est coulé dans le même moule. Il n'y a d'exception à faire que pour le compétiteur qui n'appartient pas à l'Ecole de Paris, M. ALQUIÉ, agrégé de Montpellier.

» C'est un peu humiliant pour Paris, mais la justice et là vérité obligent à reconnaître que la palme des deux premières épreuves appartient jusqu'ici à M. ALQUIÉ. Les sympathies du public médical vont à MM. ROBERT et ALQUIÉ... »

C 'est LAUGIER qui fut nommé. Cette nomination fut accueillie par de véhémentes protestations, parce qu'elle fut le résultat d'un simulacre d'élection, faite d'avance, couverte de certaines formes et qu'elle parut être dictée par le népotisme.

L'OEUVRE. — L'ECRIVAIN, LE PHILOSOPHE.

Admirateur et défenseur des doctrines et des méthodes de l'Ecole de Montpellier, tout imprégné de la présence réelle et agissante, ou du vivant souvenir tout proche, de CHAPTAL, de GRIMAUD, de BARTHEZ, de CAIZERGUES, de DELPECH, ALQUIÉ condense, entre autres ouvrages, dans deux livres remarquables, la somme de ses réflexions et de sa philosophie médicale et chirurgicale.

L'un, c'est le fameux Précis de la Doctrine Médicale de l'Ecole de Montpellier, 1843, 4e édition, 1846.

L'autre, c'est La Chirurgie conservatrice et moyens de restreindre l'utilité des opérations, avec dessins lithographiques par l'auteur. Montpellier, RICARD frères, 1850.

Le Précis de la Doctrine Médicale de l'Ecole de Montpellier expose cette doctrine sur les plans successifs de l'histoire, de la philosophie et de la médecine pratique. C'est dire que ce


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livre soulève des difficultés considérables, toutes les difficultés inhérentes à la nature des sujets traités, aux multiples problèmes exposés, à l'effort de synthèse philosophique et historique auquel tend l'auteur.

ALQUIÉ résume, d'abord, tous les travaux antérieurement parus sur le même thème, particulièrement ceux de LORDAT, de Frédéric BÉRARD, ceux plus anciens de SAUVAGES, de FOUQUET, de BARTHÈZ, de GRIMAUD, résumé très complet, très exact, des principes élevés de la Science hippocratique.

Puis, appuyant ces démonstrations sur des références précises et des textes originaux, ALQUIÉ expose, successivement, l'histoire, l'esprit, la méthode, qui caractérisent la doctrine de l'Ecole de Montpellier.

Adoptant ensuite un plan qui pourrait être celui d'un livre consacré de nos jours à la Pathologie et à la Thérapeutique générales, il aborde l'étude des grandes notions qui, toujours, furent en honneur à Montpellier.

Ce sont alors, comme de vraies monographies, consacrées : à la nature médicatrice ; aux diathèses; aux cachexies ; aux causes multiples et variées des maladies ; aux symptômes ; aux méthodes de diagnostic, de pronostic ; aux méthodes thérapeutiques ; à l'auscultation et à la percussion ; à la révulsion, à la dérivation. Il pénètre toutes les questions de philosophie médicale et de médecine pratique.

C'est le premier travail, spécial et complet, didactique et synthétique, sur cette matière immense et singulièrement ardue

Sans doute, LORDAT avait écrit de profonds mémoires sur ces sujets, mémoires tous remarquables, de forme et de fonds, mais ils manquaient de liaison et d'homogénéité.

Sans doute, Frédéric BÉRARD avait donné le premier volume de son admirable et éloquente histoire de la Doctrine Médicale, mais il n'avait pas franchi les temps antiques.

Au moment où elle parut, l'oeuvre d'ALQUIÉ réalisait donc une mise au point, la première, et clairement ordonnée.

En effet, le Précis de la Doctrine Médicale de l'Ecole de Montpellier, synthétise de façon didactique toutes les grandes questions de philosophie médicale et de médecine pratique, que l'Ecole de Montpellier avait toujours exposées et défendues depuis les plus anciens fondateurs, Salernitains, Juifs et Arabes, et au temps des GUILHEM.


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Aujourd'hui, nous pouvons, avec le recul des ans, apporter le témoignage que cette oeuvre a victorieusement résisté à l'épreuve du temps et du progrès qui en est le satellite.

Je ne saurais relever que quelques notions, toujours debout, encore qu'elles soient peut-être aujourd'hui un peu trop méconnues.

I. — Avec CHAPTAL, F. BÉRARD, LESCELLIÈRE-LLFOSSE, DELPECH... ALQUIÉ montre l'unité de la Science de l'homme à l'état sain et à l'état pathologique.

Il fait sentir et prouve l'étroite liaison, l'interdépendance certaine, qui existe entre les diverses branches de la médecine, les mutuels rapports de chacune de ses branches, et comme conséquence inéluctable, la nécessité de les étudier toutes, lors même qu'on ne veut exceller que dans la connaissance et dans l'exercice d'une seule.

Le meilleur spécialiste sera celui qui aura fait les meilleures études générales, théoriques et pratiques.

II. — La distinction entre la pathologie interne et la pathologie externe, entre la pathologie médicale et la pathologie chirurgicale, est une distinction qui ne répond pas à la réalité des faits.

Elle ne vaut que pour faciliter l'étude et l'enseignement; mais, par nature, cette étude et cet enseignement ne sauraient être dissociés et séparés par une cloison définitive et infranchissable.

Le médecin praticien vise le même individu vivant, agressé par une cause morbifique. Il étudie le mode d'action de la cause et le mode de réaction, de défense de l'être vivant, agressé par elle.

La cause, qu'elle soit venue du dehors, ou du dedans, perturbe l'équilibre qu'est la santé, l'état hygide, desharmonise les fonctions, détruit leurs liens d'auto-régulation et de mutuelle interférence. Elle provoque des réactions, celulaires, humorales, fonctionnelles, anatomiques, structurales, physiologiques, parfois heureuses, parfois malheureuses, insuffisantes, tantôt dépassant la limite... et tuant par leur excès même.

Si, suivant une loi générale que développera plus tard le philosophe RENOUVIER, l'organisme vivant a tendance a reprendre l'état d'équilibre antérieur, qui est la santé, cet organisme


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fera effort pour se dresser contre la cause, tentera d'en arrêter la marche, d'en fixer l'invasion.

Cet effort est d'abord global, total, universel, le branle-bas de combat est complet, si le système nerveux, d'emblée, n'a pas été sidéré et annihilé.

A cette phase initiale, globale, totale, universelle, à cette étape d'affection générale, totius substantioe, succèdent des étapes de fixation, de localisation, de limitation, sur telles cellules, telles humeurs, tel appareil plus ou moins hautement différencié.

Chaque étape de dissociation, de localisation, traduit un effort heureux, et qui tend à la guérison, qui est un progrès vers cette guérison, vers cette harmonie qu'est la santé.

Lorsque l'homme est envahi par le virus typhoïdique, pneumonique, pneumococcique, tuberculeux, syphilitique... cet envahissement est plus ou moins rapidement diffusé dans l'organisme tout entier, quelle que soit la porte d'entrée.

Ce sont alors des états généraux, des affections, des infections générales, totius substantioe.

La nature médicatrice, pour arrêter cette invasion, s'efforce de la dissocier, de la diviser, de la fixer sur tel organe, tel tissu, tel appareil plus ou moins différencié, suivant une double orientation ; une orientation propre au virus qui est spécifique, et une orientation propre à l'homme malade, qui a, lui aussi, sa spécificité, sa physionomie personnelle, faite de ses prédispositions héréditaires et acquises, de son tempérament, de sa constitution, de son âge, de son être moral...

Si la nature ne peut réaliser cette dissociation, l'infection est bientôt victorieuse, la défense ne peut s'organiser, le pronostic est sombre, la guérison ne peut être obtenue.

Mais, si la nature localise à l'appareil digestif, par exemple, à l'appareil respiratoire, aux tissus lymphoïdes, l'infection typhoïdique, pneumococcique, tuberculeuse... elle met alors en activité et en valeur des défenses, non seulement générales et universelles, mais localisées et limitées. L'évolution de l'infection en est ralentie, arrêtée, bloquée quelquefois, les défenses s'organisent et ce précisent.

Ce sont réactions d'adaptation et de défense, non seulement d'ordre général, mais aussi d'ordre local.

Le champ de la défense, élargi et étendu au début, se limite, se resserre. L'infection, dissociée et rejetée en des territoires


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plus précis, a perdu et perdra de jour en jour de sa virulence et de sa nocivité.

Le pronostic devient moins sombre, la guérison peut être obtenue.

En conséquence, le médecin devra toujours faire oeuvre d'analyse, appliquée au malade et à la maladie. Il devra toujours dissocier, par progression croissante, en allant du simple au complexe, les éléments multiples qui provoquent là maladie et faire, pour l'homme malade, les mêmes dissociations analytiques.

Les éléments dissociés, symptomatiques, fonctionnels, anatomiques, étiologiques, pathogéniques, tirés du malade, tirés de la maladie... tous ces éléments, après hirarnisation, suivant leur relative importance... conduiront à l'indication thérapeutique,

Cette indication sera tantôt d'ordre médical pur, tantôt d'ordre chirurgical pur, tantôt elle suscitera la double intervention médicale et chirurgicale.

III. — Qu'on n'accuse pas Montpellier de rabaisser le chirurgien, rien ne serait plus inexact et plus injuste. S'il est, en effet, une Ecole qui a relevé la chirurgie, c'est bien l'Ecole de Montpellier.

Longtemps bornée à ce qu'elle a de purement manuel, longtemps et exclusivement abandonnée à des mains, servantes et mercenaires, la chirurgie ne semblait pas susceptible de comprendre les grandes et belles doctrines de la philosophie

médicale.

Réduite par les Arabes et les Arabistes à l'application aveugle d'emplâtres et de machines frustes, elle ne paraissait pas mériter l'attention des hommes de science et de génie.

Or, c'est dans l'Ecole de Montpellier que la chirurgie reçut une animation puissante et une impulsion digne d'elle.

C'est, en effet, dans notre Ecole, au XIVe siècle, au moment où elle était si rabaissée, que l'illustre GUY DE CHAULIAC, protestait avec éloquence contre l'empirisme grossier des hommes de son époque, relevait, par de brillantes leçons, la chirurgie méprisée et préludait ainsi à la composition de son immortel ouvrage, le seul guide des praticiens pendant plusieurs siècles.

C'est du cerveau, non des pieds de JUPITER, que sortit la déesse des Arts et des Sciences.


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Médecine et chirurgie ne doivent pas s'exclure. Ce n'est pas dans cette Ecole que se forma cette scandaleuse séparation.

L'idée de cette disjonction irrationnelle ne pouvait naître de la doctrine d'une Ecole, où l'homme vivant, sain et malade, est regardé comme un être harmonique, dans lequel tout concourt, tout conspire, tout agit, tout consent dans le même but.

Les maladies chirurgicales ne sont point purement locales et organiques. Les altérations qu'elles présentent ne sont point exclusivement limitées à la partie lésée. Elles sont, pour la plupart, la manifestation d'affections générales.

Les formes diverses sous lesquelles les lésions et les actes morbides peuvent se montrer et s'extérioriser, ne changent rien à leur fonds commun.

En conséquence, il ne peut pas y avoir chez l'homme malade deux êtres séparément affectés, ni deux sujets différents, du point de vue des indications thérapeutiques.

La tuberculose atteint les os, le rachis, les articulations, les plèvres, les poumon, la peau; toutes ces lésions ne sont pas autonomes, elles ont toutes même centre, c'est-à-dire un vice spécifique de l'organisme, transmis par hérédité ou acquis, source de tous les effets de même nature, comme des principales indications thérapeutiques.

La médecine et la chirurgie sont donc fondamentalement liées.

Le médecin est un chirurgien opérant, suivant le terme de F. BÉRARD. (Doctrine Médicale, 2e partie, page 113.)

Comme tel, il doit s'inspirer des mêmes doctrines et suivre les mêmes méthodes d'étude et de pratique chez tous les malades.

C'est ainsi que DELPECH avait toujours rejeté, comme inconcevable, la division absolue entre la médecine interne et la médecine externe, dans son Précis des maladies réputées chirurgicales.

Cette défense de l'unité de la science de l'homme fut, au XVIIIe siècle, l'occasion nouvelle pour Montpellier, de rappeler, comme GUY DE CHAULIAC l'avait fait au XIVe siècle, la chirurgie à sa dignité, dignité ailleurs anéantie.

C'est encore de Montpellier que surgit le grand LAPEYRONIE, qui mit sur le même rang la médecine et la chirurgie.


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« Un des hommes, écrit ALQUIÉ, qui sont éternellement l'honneur de leur profession et de leur pays, sortit de Montpellier : LAPEYRONNIE, créateur et fondateur de l'Académie de Chirurgie. »

En conséquence, en médecine comme en Chirurgie, le diagnostic qui conduit à la thérapeutique, n'est achevé, seulement, que lorsque le praticien a déterminé, et la nature des altérations organiques, et l'état de l'économie entière de l'être vivant.

Telle est la philosophie de l'Ecole de Montpellier.

Tel est ce Précis de la doctrine médicale, livre fondamental, et qui est bien la contribution personnelle d'ALQUIÉ à la philosophie de l'Ecole.

Cet apport, il le complète et le parachève.

A côté, en effet, de cette oeuvre de synthèse philosophique, il écrit un livre, une oeuvre thérapeutique pratique. C'est La Chirurgie conservatrice.

I. — De la Chirurgie conservatrice et des moyens de restreindre l'utilité des opérations. Un volume in-8°, avec lithographies, Montpellier, 1850.

Cet ouvrage, d'ordre didactique et théorique, est, en même temps, enrichi d'un nombre considérable d'observations cliniques, d'autopsies, de comptes rendus d'interventions chirurgicales.

ALQUIÉ a voulu signaler les abus trop répandus des interventions chirurgicales. En même temps, il s'est efforcé d'exposer les principes et de décrire les moyens et les règles qui permettent de les restreindre.

Il à voulu inspirer à la chirurgie une direction plus médicale, ne pas isoler la chirurgie dans l'unique technique opératoire et dans l'acte exclusivement chirurgical.

Le chirurgien est un médecin. A ce titre, il doit connaître son malade. Il doit faire l'analyse clinique étendue, telle que le comprend l'Ecole, en vue de dégager les éléments du diagnostic, du pronostic et de la thérapeutique.

Il doit passer, successivement, en revue les divers éléments tirés du malade et de la maladie, établir d'après ceux-ci les indications, les hiérarchiser, mettre en valeur les contre-indications, les remplir, en s'inspirant des méthodes thérapeutiques, en suivant, au total, une ligne de conduite, où tout est bien pesé, où


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chaque indication est remplie par une médication adéquate et en temps opportun.

Ce côté médical, intégralement exploré et étudié, lui permet de poser l'indication opératoire et l'incitation de l'intervention chirurgicale, ce qui revient à dire que le chirurgien doit faire tout l'acte médical, avant, pendant et après, l'intervention chirurgicale. Il n'est bien, comme le voulait DELPECH, qu'un médecin opérant.

Nous ne pouvons, ici encore, que détacher de ce travail quelques propositions susceptibles d'être méditées par les médecins d'aujourd'hui.

Pour ALQUIÉ, le diagnostic des maladies chirurgicales est généralement considéré d'une manière trop restreinte et pas assez médicale, La thérapeutique, par suite, est trop souvent mécanique et pas assez médicinale.

La réunion immédiate est trop peu connue et employée ; généralement mal faite. Elle nécessite des soins proe et post-opératoires.

Il s'élève contre l'abus trop répandu des opérations chirurgicales. Il recherche et expose les causes de cet abus. Les plus puissantes sont: l'imperfection des connaissances médicales, les erreurs de diagnostic, les spécialisations trop exclusives et trop personnelles, l'oubli de l'existence de maladies ou d'infirmités, utiles à l'organisme ou défensives pour lui.

Il prouve que l'on peut fort souvent prévenir ou éviter l'amputation des membres, à la faveur des soins médicaux et des ressources thérapeutiques, mieux connues de nos jours.

Il voudrait imposer à la chirurgie une direction plus médicale et beaucoup moins mécanique que celle dont la pratique des plus grands Maîtres, étrangers aux principes de l'Ecole Hipocratique, donne tous les jours de fâcheux exemples.

Dans cette Chirurgie conservatrice, comme dans la Clinique chirurgicale, ou Observations et Réflexions exposées dans des leçons publiques, faites à l'Hôpital Saint-Eloi, en différents mémoires, I volume in-8°, 600 pages, 1850, et restée manuscrite, ALQUIÉ proclame que la véritable chirurgie, la bonne chirurgie, est plutôt celle qui conserve que celle qui retranche, plutôt celle qui guérit, sans opération, que celle qui coupe et supprime.

La chirurgie conservatrice doit sacrifier rarement les parties du corps, en retranchant le moins possible; pratiquer peu d'opé-


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rations majeures; substituer à celles-ci les opérations légères on des moyens médicamenteux.

Elle exige surtout des connaissances médicales profondes, un diagnostic sûr et complet. Toujours vigilante à montrer l'abus journalier de la main, armée ou non d'un instrument, cette chirurgie signale les causes ordinaires de ces abus, afin d'apprendre à les prévenir.

Elle trace les règles et les principes qui permettent d'éviter les ressources mécaniques et les sacrifices douloureux. Enfin, elle enseigne, avec bonheur, les moyens propres à restreindre les interventions armées. Le chirurgien doit s'efforcer de n'être qu 'un médecin opérant.

« Pénétré de cette doctrine, que la nature médicatrice a des ressources, que le chirurgien doit chercher, connaître, mettre en valeur, en temps opportun, pénétré de cette doctrine, le médecin opérant place davantage sa confiance dans les ressources de l'économie vivante, que celui pour qui les phénomènes pathologiques sont des actes purement organiques, nécessairement et fatalement dangereux, locaux, isolés, particuliers, dont il faut débarrasser le sujet le plus promptement possible. Le médecin opérant pèse donc les droits respectifs de la nature et de l'art dans la curation des maladies chirurgicales. »

Telles sont les doctrines générales et philosophiques d'ALQUIÉ. Elles le classent au premier rang comme Professeur et comme Historien médical.

L'homme ne fut pas inférieur à l'an et à l'autre.

L 'HOMME

L'homme fut énergique, passionné, ardent. Dès le berceau, il se heurte à la misère. Il a de l'orgueil, de l'ambition. Les dures épreuves, celles causées par des soucis pécuniaires, celles infligées à son orgueil, par les insuccès des divers concours qui lui ferment longtemps la Faculté, les obstacles matériels et moraux, tenaces et successifs, ne le rebutent pas. Très fier, il se replie sur lui-même.

Pour assurer son existence, pour assurer celle de ses parents, il donne des leçons. Telle est la souplesse de son intelligence, la fertilité de son esprit, l'étendue et la variété de ses connais-


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sances, qu'il peut enseigner, tour à tour, et toujours avec un égal et grand succès, le dessin, la peinture, les mathématiques, le latin, la physique, la chimie, l'histoire naturelle.

Il fait des thèses pour quelques camarades, désireux d'être docteurs et non médecins.

Plus tard, quand il est devenu Chef des travaux anatomiques, Agrégé de chirurgie, il fait des cours d'anatomie, de physiologie, de pathologie médicale et chirurgicale, cours libres et cours officiels...

Au lendemain de son échec à la Chaire de Pathologie externe, en 1845, les Etudiants en médecine se portent en masse au domicile d'ALQUIÉ, et lui remettent une lettre, dans laquelle ils expriment leurs regrets sincères de son échec. " Une injuste décision vient de vous frapper. Si, dans ce jour, vos talents n'ont pas eu leurs justes récompenses, cette unanimité des sentiments, bien plus éloquente que nos paroles, sera appréciée par votre coeur.

» Depuis votre début dans la difficile carrière des sciences médicales, les étudiants vous ont suivi. Mais c'est surtout l'an dernier que ce sont montrés tous les talents qui font le professeur distingué, le praticien habile. Vous nous démontrâtes les plus hautes questions; partout, vous les abordâtes avec assurance et confiance. Vous sembliez n'être à votre aise que dans la haute philosophie chirurgicale.

» Dans votre concours, même érudition, même profondeur de vue, même jugement, vif et étendu. Nous vous y avons vu briller sans fard, toujours élevé, mais modeste, toujours simple, mais philosophe. Tous ces titres n'ont pu vous faire obtenir cette chaire que vous auriez si dignement remplie. Notre assiduité à vos leçons, cette réunion d'aujourd'hui, vous disent assez où vous appellent nos voeux. Vous avez été malheureux! A vous, notre estime ! à vous, nos sympathies ! »

Les rétributions modestes de ses élèves, son infime traitement, car les agrégés de cette époque avaient un traitement de 600 francs, porté, en 1846, à 1.800 francs. ALQUIÉ les verse entre les mains de ses parents. Ce précieux et maigre pécule doit fournir non seulement à la subsistance de la famille, mais encore à l'éducation du frère d'Alexis, Constant ALQUIÉ, qui peut ainsi devenir chirurgien militaire.


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« Aussi sobre que studieux, dit SURDUN, il sut s'affranchir des passions vulgaires qui, malheureusement, tentent toujours un peu l'étudiant en médecine. Les joyeuses libations, les gaies chansons, les classiques noces que tout jeune adepte d'ESCULAPE a plus ou moins cultivées, restèrent comme inconnues ou indifférentes aux moeurs simples, graves, un peu poétiques d'ALQUIÉ. »

Le travail d'abord, la vie des champs ensuite, la vie en plein soleil, en pleine lumière. « Là, dit encore SURDUN, il s'épanouissait, il respirait, il ouvrait son âme, si souvent opprimée, aux mystérieuses et bienfaisantes haleines de la nature. Il revoyait, avec un attendrissement et un attrait toujours nouveau, les sentiers, les prés, les futaies, que, dans son jeune âge, il avait fréquentés avec une abondante insouciance. Le lendemain de chaque lutte, un peu importante et le plus souvent terminée avec succès, les bois de Lavalette, les prés d'Arènes, la Piscine, ou tant d'autres charmantes et agréables propriétés des environs, étaient la récompense intime du jeune savant...

« Qui aurait reconnu dans ce front élevé, poli pair les veilles et l'étude, dans ces grands yeux pleins de méditation et de vastes conceptions, et dans ce maintien à la fois grave et doux, l'intrépide et joyeux vagabond d'autrefois? »

ALQUIÉ, s'il a passionnément aimé l'Ecole, n'a pas toujours eu pour ses représentants une égale déférence. Inquiet, peutêtre méfiant, il voyait trop souvent des intrigues et des combinaisons, dans ce qui n'est que la marche naturelle des événements.

Avant tout, ce qui le guide, ce qui le dirige, c'est l'honneur de l'Ecole, c'est le souci de n'accueillir, pour la représenter, que ceux qui s'en montrent dignes — non par les lois fatales d'une hérédité trop souvent invoquée mais par leur valeur personnelle, l'originalité de leur esprit, un coeur et une âme élevés. On peut lui reprocher l'âpreté de son caractère, la vigueur de son langage parfois brutal. On ne peut lui reprocher d'avoir failli à la parole donnée, à l'engagement pris. Il voulait juger en toute loyauté, sans se prêter au piston et aux intrigues.

L'Ecole, l'Hôpital, ses travaux, ses élèves, sa famille,, de brusques échappées en pleine nature, sous le ciel lumineux de notre campagne privilégiée, voilà toute la vie d'ALQUIÉ.

L'Ecole, il l'a aimée avec passion, il l'a servie avec gloire, il a laissé des oeuvres qui resteront des témoins toujours con-


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sultés et évocateurs d'une époque qui fut ardente et tumultueuse dans tous les domaines. Elles ne déparent pas celles des grands ancêtres qui, de siècle en siècle jalonnent cette admirable tradition qui a sept siècles d'existence.

L'Hôpital, il l'a aimé de la même passion, il a étudié le malade en homme de science et en homme de coeur ; il s'est penché sur la souffrance humaine et il a ressenti avec une exquise sensibilité, lui, l'enfant né des plus humbles milieux, les angoisses et les douleurs de l'homme atteint dans sa chair et dans son coeur.

Les malades hors de l'Hôpital, il les a servis plutôt qu'il ne s'est servi d'eux. Ses débuts furent longs et pénibles, limités à la, clientèle de la classe pauvre, la sienne; or, cette clientèle est parfois d'autant plus exigeante que sa rémunération est plus précaire. ALQUIÉ ne sut pas, il ne put jamais l'abandonner.

Issu du peuple, il en avait subi et les privations et les pauvretés, mais son coeur ne fut pas déchiré par la haine et, parvenu au sommet, il oublia le fiel de la primitive misère. Il s'était élevé jusqu'à la chaire qui est l'ambition de tous les travailleurs, l'échelon suprême, la chaire de clinique chirurgicale, qui l'égalait à SERRE et à DELPECH. Il en était fier. Mais il aimait aussi cette masse du peuple, grouillante de misère, d'ignorance, où, cependant, existent, en puissance, les forces du Beau et du Bien.

" Un secret et mélancolique attrait, dirigé par une bonté innée, l'amenait toujours de bon gré chez les malades pauvres. Il était donc charitable, mais de cette charité digne, élevée, intelligente, qui inspire toute la vie du médecin, qui l'expose si souvent et à son escient, à être généralement dupe... » (SURDUN.)

ALQUIÉ allait publier un nouveau livre, un grand ouvrage: la Nouvelle Méthode de de Taille ; il le dédiait pieusement à sa mère.

C'est le résumé critique de tout ce que la science possède sur le traitement des calculs et l'exposé d'une nouvelle méthode d'extraction avec le fixe-pierres.

Des planches magnifiques, dessinées par lui, étaient déjà livrées à l'imprimeur BOEHM. Tout était prêt.

ALQUIÉ cherchait un éditeur...

C 'est la mort qui vint.


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Au mois de juin 1865, il alla voir des malades à Mireval. Il y contracta une maladie qui se traduisit par des accès de fièvre. ALQUIÉ pensa qu'il avait pris le paludisme. La résine de quinquina parut produire d'abord d'excellents effets. En juillet, de nouveaux accès se produisent. Il sollicite un congé et part pour le Vigan.

Le séjour dans cette coquette ville, aux pieds des Cévennes, dans un site agréable et ombragé, lui est favorable. La fièvre disparaît, la santé revient, ALQUIÉ rentre à Montpellier et s'installe à sa campagne des Prés d'Arènes.

En septembre, ALQUIÉ retourne à Montpellier. A la suite de l'ingestion de boissons glacées, par une température caniculaire, ALQUIÉ, sa femme, sa fille, sont pris de vomissements et de troubles digestifs. ALQUIÉ ne peut résister; il est emporté, le 19 septembre 1865.

Telle fut la vie d'Alexis ALQUIÉ.

Aux noms dont s'enorgueillit notre Ecole, aux noms de DUGÈS, de LALLEMAND, de SERRES, de DELPECH, ajoutons celui de leur émule et de leur successeur. Avec le report des années, qui met toute chose en sa juste place, nul ne saurait contester sa maîtrise et nier son illustration. Il a bien mérité de la science médicale et de l'art médical, pour la plus grande gloire de l'Ecole et de la Cité.

2 juin 1932. VIRES.

PRINCIPAUX OUVRAGES DU PROFESSEUR ALQUIÉ

Précis de la doctrine médicale de l'Ecole de Montpellier, 3e édition, 1 volume in-8°, 1843. Traité élémentaire de Pathologie chirurgicale, 1 vol. in-8°,

1845. Mémoire sur les abcès multiples, couronné par l'Académie

royale de Médecine, en 1844. Etudes cliniques et anatomo-pathologiques des phénomènes de

l'encéphale, 1 vol. in-8°, 1844. Des Abcès par congestion, produits par la fonte des masses

tuberculeuses. Bulletin de Thérapeutique de Paris, 1835,

t. IX, p. 226. Sur l'entrée de l'air dans les abcès par congestion. (Bulletin de

Thérapeutique, Paris, t, IX, p. 259, et dans le Journal

de Toulouse, 1837.) 13


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Du Testicule scrofuleux et de son traitement à l'Hôpital SaintEloi. (Ibidem, t. VIII, p. 201, 1835.)

De l'Anévrysme variqueux. (Gazette médicale de Paris, t. v,

1837.) Vaste inflammation phlegmoneuse du cou, etc... (Journal des

Siences médicales de Montpellier, t. II, p. 341, 1834.)

De la réunion immédiate au moyen de la suture. Mémoire inséré

dans la Gazette médicale de Paris, t. IV, p. 606, 825,

246, 476. Mémoire sur la ligature des principales artères, où est proposée

une nouvelle méthode opératoire. (Gazette Médicale de

Paris, n° de mars 1841, p. 171.)

Des abcès viscéraux à la suite des grandes opérations. (Ibidem, t. IV, p. 236.)

Mémoire anatomo-pathologique sur les altérations du système osseux. (Gazette Médicale de Montpellier, 1841.)

Recherches ovologiques sur les fonctions de la matrice, sur le développement et la respiration du foetus, in-8°, 1845.

Analyse du mémoire de M. le Professeur Dubrueil sur les anévrysmes

anévrysmes l'aorte ascendante. (Gazette Médicale de

Montpellier, 1842.) Analyse de l'ouvrage de M. le Professeur Serres, sur l'art de

restaurer les difformités de la face. (Bulletin Médical,

mai 1842.) Apprécier les travaux de l'Académie de Chirurgie, 1845, 163 p. Comparaison de l'homme et des animaux sous les rapports de

l'anatomie, de la physiologie, de la pathologie, de la

thérapeutique, 1846.

Des anus contre nature. In-8°, 130 pages, avec planches lithographiées par l'auteur, 1848.

Revue générale et clinique du traitement des fractures. Mémoire publié dans le Bulletin de Thérapeutique, avec figures, 1848, t- I, p. 130, 333, 524 ; t. II, p. 550.

Analyse de l'ouvrage de M. Malgaigne sur les fractures. (Ibid., 1848, t. II, p. 553.)

Conclusions des recherches anatomo-pathologiques et cliniques sur les fonctions des principales parties du cerveau. (Inséré dans la Gazette Médicale de Montpellier, 15 mai 1860.)


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Du délire nerveux à la suite des fractures de la jambe, et de son traitement. (Bulletin Thérapeutique, 1849, t. XXXVI.)

Clinique chirurgicale, ou observations et réflexions exposées dans des lesçons publiques faites à l'Hôpital Saint-Eloi, ou en différents mémoires. 1 vol. in-8°, 600 p., 1852.

De la Chirurgie conservatrice et des moyens de restreindre l'utilité des opérations. 1 vol. in-8°, avec lithographies. Montpellier, 1850.

Clinique chirurgicale de l'Hôtel-Dieu Saint-Eloi, 1850-1858. 2 vol. in-8°, 600 pages chacun.

Traité élémentaire de pathologie, 1853-1856. 2 vol. in-8°, 600 p. chacun.

Annales cliniques de Montpellier. In-8°, 1853-1858.

Histoire de l'épidémie de suette miliaire de l'Hérault, de 1851. In-8°, 300 p.

Nouveau procédé de chéiloplastie, ou procédé de l'énucléation.

Etude médicale et expérimentale de l'homicide réel ou simulé par strangulation, 1864. In-8°, 136 pages.

Etude médicale et expérimentale de l'homicide par strangulation. (Supplément.) 1865.

PRÉCIS DE LA DOCTRINE MÉDICALE DE L'ECOLE DE MONTPELLIER

I. — Philosophie de l'Ecole de Montpellier. — II. De la vie et du principe vital. — III. Mode et phénomènes de l'unité vitale. — IV. Indépendance de la médecine d'avec les autres sciences ; de la maladie ; de sa nature, de ses caractères, etc. — V. Du siège des maladies et de l'anatomie pathologique. — VI. De la méthode analytique et les éléments des maladies. II. — De l'Etiologie ou des causes des maladies. — I. Classification et manière d'agir des causes; des diathèses; des prédispositions. — II. Des constitutions médicales et des épidémies, etc. — III. Des miasmes et virus; de la contagion et de l'infection- — IV. De l'hérédité des maladies.

III. — Des fièvres.

IV. — De la maladie et de la réaction.

V. — Symptomatologie ou des symptômes des maladies. VI. — Des sympathies. Des synergies. VII. — Nosologie et nomenclature des maladies.


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VIII. — De l'Humorisme et du Solidisme. IX. — Importance pratique de l'étude de l'incubation

morbide. X. — Importance de l'auscultation et de la percussion. XL — De la tolérance vitale. XII. — De la marche, des périodes, du type et de la terminaison des maladies.

XIII. — Des crises. Des jours critiques.

XIV. — Des rechutes et des récidives.

XV, — Nécessité de l'étude des systèmes et de l'érudition. XVI. — De l'importance clinique et du traitement de l'inflammation.

XVII. — De la séméiotique et de la valeur clinique des signes

dans les maladies. — I. Des signes tirés de l'observation du monde extérieur. — II. Importance sémiologique des phénomènes précurseurs des maladies. — III. Signes tirés de l'invasion des maladies. — IV. Des signes diagnostiques (cette partie de la Doctrine est extraite de la thèse du frère d'Alexis ALQUIÉ, le Docteur Constant ALQUIÉ). — V. des signes pronostiques,

XVIII. — Fondements de la thérapeutique. — I. Des indications

indications — II. Des remèdes et des médications. — III. Des méthodes thérapeutiques. XIX. — Importance clinique thérapeutique de la connaissance des altérations organiques vivieusement appelées siège des maladies. XX. — Du naturisme ou de la présence de la nature humaine dans les maladies.

Une enquête sur le Métissage Simio-Humain

par M. OUY-VERNAZOBRES

Communication faite à la séance générale du 28 novembre 1932

Un article, paru dans une revue médicale de Paris, sur les différences anatomiques constatées par VIALLETON entre les bassins de l'Homme et des Anthropoïdes, a provoqué un certain nombre de remarques qui peuvent se grouper ainsi ;


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1° Il existe peut-être, dans le monde, des métis insoupçonnés ;

2° Les études sur l'agglutination des sangs n'apportent-elles pas une présomption en faveur de la possibilité d'un métissage " pour les sangs se mélangeant intimement » ?

Ce sont ces deux groupes de suggestions que nous allons examiner.

x

Un correspondant inconnu m'a envoyé, le 8 juin, un journal contenant l'article suivant:

" La Haye, 7 juin. — Des indigènes ont tué, à Sumatra, dans le district de Rota, un animal du sexe féminin et en bas-âge, que les indigènes nomment Orangpendek, que l'on n'avait jamais vu auparavant, et qui était considéré jusqu'ici comme un peu légendaire par les colons. Il s'agirait donc bien de l'être cherché depuis si longtemps et formant le dernier échelon entre l'homme et le singe, le fameux « Missinglink ».

Il se pourrait également qu'il s'agisse d'un de ces êtres très primitifs, encore vivants, complètement retirés dans les bois. Le corps de cet animal a été apporté au contrôleur du district qui a constaté qu'il mesurait 43 centimètres de longueur, que sa peau n'avait pas de poils et que ses cheveux étaient d'un gris clair. "

Presque en même temps, un autre lecteur me rappelait que BRAU DE SAINT-POL LIAS avait écrit, dans son Voyage de France à Sumatra, en 1884, à propos d'un gorille tué à Edi: « Les indigènes les considèrent comme des êtres humains et les appellent « les ravisseurs de femmes ». Ils racontent que ce terrible habitant des forêts, lorsqu'il peut s'emparer d'une femme, l'emporte et en a des enfants. Et pour répondre à cette objection qu'on ne voit jamais ces enfants, ils ont cette légende: l'enfant nait sur un arbre. Quand il est assez fort, le père lui casse les quatre membres et le laisse au pied de l'arbre, jusqu'à ce que les sutures se fassent de telle sorte qu'il peut remonter à ce même arbre et en descendre, mais sans aller ailleurs (sic). »

J'ai immédiatement ouvert une enquête.

Par un hasard heureux, à ce moment-là, un médecin de Sumatra faisait un stage dans le service d'obstétrique du Professeur Paul DELMAS. Ce médecin me raconta que dans les forêts de Sumatra, où l'on n'a jamais pu pénétrer, il existe des êtres « à l'oeil humain », suivant son expression, qu'on ne peut attein-


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dre à cause de leur agilité et qui passent pour des métis SimioHumains. On les appelle Niams-Niams.

Il me mit en rapport fort obligeamment avec les contrôleurs des districts de Taloë et de Benkoëlen, auxquels j'adressai, le jour même, un certain nombre de questions très précises et une demande de photographies.

J'écrivis en même temps et dans le même sens au directeur du Muséum d'Amsterdam.

J'ai le regret de ne pouvoir apporter ici des documents sensationnels. Les contrôleurs de Sumatra et le directeur du Muséum d'Amsterdam n'ont pas voulu dévoiler le secrets de ce petit orangpendek de 0 m. 43 — pas même la taille d'un enfant de huit jours — qu'on nous représentait comme le « chaînon » ou comme un métis. Rien sur les Niams-Niams.

La question est donc réglée pour Sumatra : il n'y a rien de sérieux.

Mais, à ce moment, un colonial affirmait avoir vu, il y a vingt-cinq ans, alors qu'il pénétrait, un des premiers blancs, dans la région de la Sanga, des êtres qui n'étaient plus des singes. Il ajoutait même que « les mains postérieures étaient en train de devenir des pieds ».

Signalons tout de suite l'impossibilité d'une observation faite sous cette forme, les Simiens constituant une espèce fixée depuis des millénaires et qui n'est donc pas en période de transformation.

J'ai écrit immédiatement à l'administrateur et au médecin de ce territoire, en demandant des photographies, mais ils ont gardé... de Conrart le silence prudent.

On ne connaît, dans aucune contrée du monde, de métis Simi-Humains. Personne n'en a tué, personne n'en a capturé, persone n'en a photographié.

Tout ce que les voyageurs ont raconté sont des légendes nées dans l'esprit des hommes vivant à proximité des anthropoïdes, et l'on peut les assimiler à ce que l'on a appelé chez nous les loups-garous. Souvenons-nous que « la bête du Gévaudan » terrorisa toute une province et donna lieu à des descriptions fantastiques... il y a cent cinquante ans à peine !

On m'a objecté l'histoire de l'Okapi. L'okapi est un animal préhistorique, dont on a retrouvé les ossements, il y a déjà longtemps et que les paléontologues avaient reconstitué. Or, l'on


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a retrouvé, dans l'Afrique centrale, des okapis vivants, semblables à celui que les savants avaient ressuscité. Alors, on m'a dit qu'il peut exister des métis Simio-Humains inconnus, comme il y avait des okapis insoupçonnés.

Mais l'okapi était une espèce bien déterminée, on en avait trouvé des ossements, tandis que, dans notre cas,. il y a des anthropoïdes bien repérés, des rapts de femmes bien constatés, c'est-à-dire que l'on a devant les yeux des copulations bien certifiées — et que jamais on n'a vu la moindre trace de ces petits métis depuis qu'on explore la terre.

Il nous reste à examiner, maintenant, les expériences des laboratoires qui sont vraiment d'un intérêt passionnant.

Mais, avant de les abonder, je tiens à adresser mes plus chauds remerciements à M. le Professeur LISBONNE qui a mis, avec la plus parfaite amabilité, à ma disposition, son laboratoire et sa bibliothèque.

Tout le monde sait, d'après les données courantes popularisées par la transfusion, que le sérum d'un animal d'espèce déterminée peut agglutiner les globules rouges d'un animal d'une autre espèce (hétéroagglutination) et que, même entre hommes, les sangs ne se mélangent pas tous intimément : il y en a qui s'agglutinent entre eux (isoagglutination).

Cette agglutination des globules rouges est un de ces phénomènes admirables comme on en rencontre à chaque pas en physiologie. Il y a, dans les globules rouges agglutinables, une substance qui apparaît vers le quatrième mois de la vie foetale, et qui est stable pour toute la vie. On lui a donné le nom d'agglutinogène et on en distingue deux types: A et B.

Cette substance détermine dans le sérum sanguin un anticorps qu'on a appelé agglutinine, qui n'apparaît qu'après la naissance et subit des variations inexpliquées. Cet anticorps, dès qu'un sang étranger pénètre dans son réseau veineux, entre en action et l'agglutine ; mais il n'a aucun pouvoir sur ses propres globules rouges, ni sur ceux qui lui sont semblables. Quelle merveilleuse loi de défense !

On a utilisé la stibilité de l'agglutinogène pour diviser les sangs en quatre groupes :

La présence de l'agg. A détermine le groupe A, appelé aussi groupe II.

L'agg. B détermine le groupe B, appelé aussi groupe III.


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S'il y a les agg. A et B ensemble, c'est le groupe A-B ou I. L'absence d'agg. caractérise le groupe 0 (zéro).

Quant aux agglutinines, elles ont reçu les lettres a et B : c'est ce que l'on vend dans le commerce pour déterminer à quel groupe appartient le sang à examiner.

Voilà donc un shéma, aussi réduit que possible, d'une classification d'autant plus compliquée que les notations en varient d'une nation à l'autre.

Quels rapprochements peut-on faire entre les sangs de ces différents groupes et les sangs d'anthropoïdes ?

On a admis les indications des ethnographes et particulièrement de KLAATSCH, dont les études signalaient que le chimpanzé se rapprochait des races nordiques de l'ancien continent, que l'orang avait des affinités avec la race jaune, les Malais, les Indous, tandis que le gorille témoignait de certains rapprochements avec la race noire.

Puis, l'on a fait des études sur les sangs de ces divers anthropoïdes (1).

A l'Institut Pasteur, le docteur TROISIER a spécialement étudié le groupe II de l'Homme et le Chimpanzé (2). VORONOFF et ALEXANDRESCO (3), ainsi que d'autres auteurs, ont également apporté leurs observations qui, du reste, concordent toutes.

TROISIER a trouvé que 90 à 95 % des chimpanzés appartiennent au groupe II de l'Homme.

La pureté du sang des chimpanzés est donc à signaler puisque l'Homme, dans ce groupe II, ne figure que pour 50 %.

On sait, par d'autres études, notamment celles de LANDSTEINER, que les Orangs ressortissent au groupe III de l'Homme (race jaune, Malais, etc.), tandis que les gorilles appartiennent au groupe des nègres.

L'étude des sangs et l'ethnographie sont donc d'accord dans leurs conclusions;

Pour en revenir aux Chimpanzés et au groupe II, « il est impossible, dit TROISIER, de distinguer à coup sûr un homme II d'un de nos chimpanzés ». Et c'est ainsi qu'il a fait une injection de 40 ce de sang citrate à 3 % d'un jeune chimpanzé dans

(1) Voir toute une bibliogr. citée dans les Ann. de l'I. Pasteur, p. 378, 1928.

(2) Ann. de 11. Pasteur, 1928, p. 363, tome II. Communication au Congrès international de Microbiologie, Masson 1932.

(3) Ibid.


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la veine d'un homme II, sans aucune espèce d'incident immédiat ou tardif.

Antérieurement, FRIEDENTHAL avait injecté du sang humain à un chimpanzé sans accident.

La transfusion du sang est donc possible de Chimpanzé II à Homme II (1).

« De l'ensemble de ces données, dit TROISIER, on peut conclure à la similitude absolue entre le sang des chimpanzés et celui de l'Homme II. Sans que Ion puisse dire que cette notion soit d'une importance médico-légale quotidienne, elle ne devra pas être ignorée à l'occasion par les médecins légistes ».

Nous avons donc vu que 95 % des champanzés sont du groupe II. Les hommes très primitifs du centre de l'Australie, qui se servent encore d'outils de silex, et chez lesquels les mariages à l'extérieur sont impossibles par suite de leurs rites, ces Australiens, dis-je, ne donnent que deux types sanguins, comme les chmpanzés, la presque totalité II, le reste I. Tous les sangs du type III ne se trouvent que sur la côte, où il y a eu des mélanges étrangers.

Il ressort de tout cela que VON DUNGERN et HIRGSFELD ont pu dire que " la réaction d'agglutination est une réaction qui a pour raison d'être la conservation de l'espèce (hétéro-agglutination) ou la conservation de la race (iso-agglutination) [1].

Il faut s'arrêter un instant sur cette allégation qui est certainement hasardée.

On peut y trouver, en remontant dans des lointains fabuleux, le groupe de sangs auquel appartenait une trace dans sa pureté primitive', mais il ne faut pas exagérer et y voir, comme TROISIER, « que l'identité humorale et globulaire entre le Chimpanzé et l'Homme II vient apporter un appui à l'hypothèse phylogénique de l'ancêtre commun du Chimpanzé et de l'Homme », car, dans ce cas, nous serions plus proches du Chimpanzé II que de la race jaune (groupe III), ce qui est manifestement inexact. Un Français et une Française dont les sangs s'agglutinent

(1) Il faut signaler, en passant, que le docteur TROISIER, dans une lettre personnelle dit: « J'ai montré également que les cellules néoplasiques humaines pouvaient se greffier temporairement (2 mois), sur le chimpanzé ». 13 octobre 1932.

(1) Ann. I. Pasteur, 1930, p. 109.

(2) Ibid. 1928, p. 378.


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seraient moins proches que le Chimpanzé II, dont la transfusion sanguine est possible...

La vérité probable, c'est que, sont restées proches du groupe sanguin primitif les races qui ont été éloignées d'autres racés par des raisons géographiques et par des rites implacables. Mais l'agglutination n'a pas empêché les races humaines de se mélanger. On trouve, à chaque instant, des individus dont les sangs s'agglutinent et dont la fécondation est la règle journalière. Souvent les enfants n'appartiennent pas au même groupe que leur mère et l'éclampsie n'a pas d'autre cause que la lutte de deux sangs de groupes différents, si nous en croyons M. le Professeur Paul DELMAS (1).

Il nous reste à examiner si les individus appartenant à un même groupe de sangs sont, ipso facto, féconds entre eux.

La réponse est bien simple.

A l'Institut Pasteur, les docteurs DUJARRIC DE LA RTVIÈRE et OSSOVITCH ont mis en présence de globules d'hommes les sérums de vingt chevaux (2). Pour des globules appartenant soit au groupe A, soit au groupe B, l'agglutination a été positive à 80 %. (Remarquons, en passant, que ces auteurs recherchent actuellement si ces chevaux ne produisent pas des accidents sériques.) Mais, il en reste 20 % qui n'ont pas été agglutinés : les individus compris dans ces 20 % pourraient donc se métisser avec les chevaux, s'il suffisait d'appartenir au même groupe sanguin pour être interféconds...

Et si nous voulons revenir à l'idée précédemment exprimée du docteur TROISIER, sur l'hypothèse de l'ancêtre commun au Chimpanzé et à l'Homme, renforcée par l'identité humorale et globulaire, les chevaux et le groupe d'hommes dont les hématies ne s'agglutinent pas auraient entre eux un tronc commun...

x

Revenons aux anthropoïdes et examinons quelques tentatives de métissage en captivité.

Le docteur VORONOFF m'a fait connaître le fait suivant, dont je copie exactement le trécit :

(1) Voir dans AEsculape : « A la Cour de Philippe II : les vomissements de la Reine ».

(2) Annales I. Pasteur, 1930, p. 145.


— 203 —

« A une chimpanzée femelle, « Norah », à laquelle nous avons fait subir une ovariotomie complète, ce qui a fait naturellement suspendre ses menstruations, lesquelles chez les chimpanzées se produisent tous les mois, nous avons greffé, un an après, un ovaire pris à une femme de 36 ans, au cours d'une opération pratiquée par le docteur DARTIGUES, pour un fibrome. Deux mois après, la chimpanzée, privée de ses ovaires, mais munie d'un ovaire humain, a recommencé à avoir ses règles tous les mois. Vous avez lu son histoire. Les menstruations persistant grâce à la ponte mensuelle d'un ovule féminin, nous avons eu la pensée de féconder Nora avec le sperme humain, ce qui a été fait avec le concours du professeur IVANOFF, de l'Institut d'Endocrinologie de Moscou, spécialisé dans la fécondation artificielle des animaux, et qui travaillait à ce moment-là à l'Institut Pasteur. Les (règles furent suspendues aussitôt ; malheureusement la chimpanzée a avorté à trois mois et demi, fait qui a été vérifié par l'ablation de l'utérus, où le professeur RETTÉRER a trouvé des villosités caractéristiques de la grossesse ».

Ce fait nous émeut, n'est-ce pas, comme si l'on soulevait le voile qui cachait un coin de l'inconnu? Il est gros de conséquences, semble-t-il ?

Eh bien! non.

Les médecins nous ont habitués, depuis quelques années, à une habileté magique. Nous avons vu HÉDON et GILIS, à Montpellier, faire battre, les premiers, un coeuir d'homme après sa mort. Nous avons vu des thyroïdes simiennes, greffées sur des idiots, allumer la pensée dans la masse amorphe de leur cerveau, développer leur organisme et en faire des hommes qui ont combattu pendant la guerre dans les tranchées. Nous avons vu le grand CARREL enlever, d'un seul bloc, coeur, foie, estomac, intestins d'un chat, et, plongeant le tout dans une boîte remplie de solution RINGER, faire battre le coeur, faire respirer les poumons, faire continuer la digestion.

Dans le cas VORONOFF, cette grappe ovarienne de femme, placée dans un milieu favorable, comme les organes du chat dans la solution RINGER, a continué sa vie propre. Je dis bien sa vie propre. Dans les greffes masculines de VORONOFF, qui ont donné des résultats remarquables, le greffon, au bout de quatre, cinq, six ans, est abondamment pourvu de vaisseaux et a conservé ses formes et sa dimension, comme l'indique le professeur


— 204 —

RETTERER, dans les Annales pathologiques d'avril 1932. Cependant, au bout de ces quatre, cinq, six ans, il ne produit plus d'effets physiologiques et il faut refaire la greffe. Le greffon étranger a donc vécu, pendant tout ce temps, en conservant ses caractères originaux. Une branche de poirier, greffée sur un tronc de cognassier, donne des poires. La grappe ovarienne greffée sur Nora a conservé sa caractéristique d'organe de femme.

L'heure venue, un ovule s'est détaché, et un spermatozoïde d'homme, qu'on avait placé à côté, trouvant un ovule de son espèce, l'a fécondé.

La grossesse a suivi son cours jusqu'à ce que le cycle ait été interrompu, et la guenon est morte — peut-être, du reste, d'une toxémie occasionnée par sa grossesse. Mais, dans cette fécondation d'un ovule de femme par un spermatozoïde d'homme, il n'y a rien qui ressemble à un métissage.

IVANOFF, qui a obtenu des pourcentages remarquables de 90 % dans la fécondation artificielle des animaux, a inséminé trois guenons avec des spermatozoïdes humains: elles sont mortes stériles. Il avait fait subir à trois femmes l'insémination par des spermatozoïdes simiens: il n'y a pas eu de grossesse.

Et elles n'ont pas été enceintes, non plus, les malheureuses qui, dans un cirque allemand, s'accouplaient chaque soir avec un gorille, devant une salle pleine à craquer.

On objecte que ces chiffres de trois guenons, trois femmes, et les quelques expériences du cirque sont insuffisantes pour fixer une opinion. Mais il y a toutes les femmes enlevées en bordure des grandes forêts depuis des milliers d'année. Voilà une expérience colossale!

Or, le métissage entre les singes ravisseurs et l'Homme n'a jamais été constaté, vérifié, certifié, à aucune époque. On peut donc dire que la fécondation Simio-Humaine ne se produit pas.

Et nous nous trouvons, ainsi, en face d'une loi admirable: l'interfécondation n'est possible que dans les limites où les types formels ne doivent pas être bouleversés.

« La loi de fécondité limitée, dit VIALLETON, a apporté au monde vivant un ordre qui a toujours existé. » Il faut des cloisons étanches entre les espèces pour maintenir l'équilibre entre les mangeurs et les mangés.


— 205 —

Mais, dans l'application de cette loi, quel est le mécanisme qui fonctionne ? ?

L'agglutination des sangs? Nous avons vu que c'est insuffisant. Il y a bien d'autres choses, depuis le mystère de l'hérédité jusqu'aux inconnues du germe.

Pourquoi n'y a-t-il aucun appel des sens entre deux espèces différentes, et pourquoi le petit iroquet de la rue, qui est un sexuel toujours en quête d'une bonne fortune, passe-t-il indifférent devant la chatte en folie ?

Pourquoi le spermatozoïde féconde-t-il seulement l'ovule qu'il est destiné à féconder? Quelle force prohibitive vient le stériliser si l'ordre a été transgressé?...

... En tous cas, de cette enquête, — qui nous a prouvé la fécondation non réalisée de l'Homme et de l'Anthropoïde — une conclusion bien nette s'impose à nous: l'Homme et les Grands Simiens ne sont pas du même type formel.

L'anatomie nous le dit aussi.



ACADEMIE DES SCIENCES ET LETTRES DE MONTPELLIER

TABLE DES MATIERES

Année 1932

TABLE CHRONOLOGIQUE 1. — COMPTE RENDUS DES SÉANCES

a — Section des Sciences

11 janvier. — Souvenir de M. J.-B. Gèze (M. KUHNHOLTZLORDAT)

KUHNHOLTZLORDAT) 15

Amitoses dans les néoformations normales et néoplasiques

néoplasiques cellules des glandes sébacées (M. E. GRYNFELTT)

GRYNFELTT)

8 février. — Election 18

Prix de l'Association française pour l'avancement des

Sciences 18

Maîtres-couples linéaires et maîtres-couples cylindriques

(M. AMANS) 19

Note sur l'histologie du cancer expérimental du goudron

chez le lapin albinos (MM. E. GRYNFELTT et H.

HARANT) . 19

Sur la fluorescence de certains phanères cutanés (MM. J.

TURCHINI et J. BROUSSY) 20

7 mars. — Prix de l'Association française pour l'avancement

des Sciences . 22

Biologie et mécanique de la spirale logarithmique (M.

AMANS) 22

Sur la genèse et l'extension de la trame fibroïde dans les

adéno-fibromes mammaires (M. E. GRYNFELTT) 23

11 avril.— Sur un sens spécial de la mort chez l'animal

(M. MOYE) 24

L'influence des indétonants et antidétonants sur les diagrammes des moteurs à explosion (M. DE MORTILLET) 24 Sur les hélices élastiques de ' construction mixte (M.

AMANS) . 26


— 208 —

Réticulo-endothéliomes adventitiels et mycosis fongoïde

(M. E. GRYNFELTT) 26

9 mai. — Un nouvel appareil à ailes battantes (M. AMANS) 28 Quelques particularités de structure de la paroi malpighienne

malpighienne kystes épidermoïdes (M. E. GRYNFELTT) 28

13 juin. — La puissance nécessaire dans le vol par battements

au point fixe (M. AMANS) 29

Au sujet d'un procédé, supposé nouveau, de destruction

des mauvaises herbes (M. KUHNHOLTZ-LORDAT) .... 29 Le peronoplasmopara humuli (M. KUHNHOLTZ-LORDAT) 30 Les « cellules à manteaux. » dans les cancers de la maladie de Paget du mamelon (M. E. GRYNFELTT) 30

11 juillet. — Sur la stabilité automatique des avions (M. AMANS) 31

Sur la différenciation sébacée des cellules épidermiques dans les glandes normales et leurs épithéliomas (M. E. GRYNFELTT) 32

14 novembre. — Election du Bureau 35

Des divers modes d'avaler son chemin (M. AMANS) 35

Réflexions sur le traitement des plaies par les larves de

mouches (M. J. GRANEL) 36

Léiomyose télangiectasique de la cavité utérine (M. E.

GRYNFELTT) 37

12 décembre. — Observations sur la précédente communication:

communication: Des divers modes d'avaler son chemin » (M.

AMANS) . 38

Nouvelles petites planètes (M. HUMBERT) 38

Une belle relique pascalienne (M. HUMBERT) 39

La dégénérescence spumeuse des noyaux (M. E. GRYNFELTT) 39

Remarques histologiques sur la glande pulmonaire de

zonites algirus L. (M. J. TURCHINI) 42

b — Section des Lettres

18 janvier. — Difficultés en 1773-1774 entre le curé Lunaret

et son vicaire Cauvet, à Marseillan (M. L. THOMAS) 45 Réforme municipale à Béziers en 1620-1635 (M. DE

DAINVILLE) . . 45

15 février. — Propositions de candidatures: M. Arnal au fauteuil

fauteuil M. Maury ; M. Romieu au fauteuil de Mgr

Mignen; M. Guenoun au fauteuil de M. Viard 45

Les « Misérables » de Victor-Hugo, critiqués et refaits par

Lamartine (M. LAFONT) ......................... 46


— 209 —

7 mars. — Présence d'un cétacé dans le port de Sète (M. VALÉRY) 46

18 avril. — Contribution à l'étude du folklore méridional: l'invisible et le mystère (M. AMADE) 46

23 mai. — Recommandations écrites de Rossel d'Aubaruc, détenu pour fait de religion, pour l'éducation de son fils, 1694 (M. MERCIER-CASTELNAU) 47

20 juin. — Le château de Castelnau, commune de Castelnaude-Pégairolles

Castelnaude-Pégairolles [M. MERCIER-CASTELNAU] 47

21 novembre. — Election du Bureau 47

Evènements montpelliérains en 1832 (M. L. THOMAS) 48

12 décembre. — Voyage du Prince-Président dans l'Hérault

en 1852 (M.. L. THOMAS) 48

c — Section de Médecine

4 janvier. — Proposition de candidature: M. Conte, au fauteuil de M. Vedel 49

Le néo-malthusianisme en Angleterre au XXe siècle (M. L.

PILLEBOUE) 49

1er février. — A propos d'un livre récent sur le vin et l'hygiène

(M. Marcel GIRAUD) 51

7 mars. — Y a-t-il des sons perçus par les sourds-muets

(M. OUY-VERDAZOBRES) 53

4 avril. — Applications diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques

thérapeutiques épreuves de l'ammoniurie et de l'excrétion acide provoquées (MM. G. GIRAUD et P. MONNIER) . 57

6 juin. — L'hôpital militaire Saint-Louis à Montpellier (MM.

ARNAL et ROUFFIANDIS) 58

7 novembre. — Les fautes des filles... et les coupables (M.

OUY-VERNAZOBRES) 61

5 décembre. — Election du Bureau 64

Le système pénitentiaire belge et les aliénés (M. EUZIÈRE) 64

Séances Générales

25 janvier. — Souvenir de M. J.-B. Gèze (M. J. TURCHINI) .... 65

Association Guillaume-Budé 66

Touchante histoire de Vincent Walcké, perruquier belge dans le Midi de la France, ou le forçat par erreur

(M. L. THOMAS) . 66

Election de M. Conte (Section de Médecine) 67

13


— 210 —

22 février. — Amours de Goethe (M. G. PASTRE) 68

La lèpre en France (M. MARGAROT) 68

14 mars. — Elections de MM. Arnal, Guenoun, Romieu (Section des Lettres) et Granel de Solignac (Section des

Sciences) 68

Prix de l'Association française pour l'avancement des

Sciences 68

25 avril. — Congrès de la Fédération historique du Languedoc

méditerranéen et du Roussillon, à Perpignan 69

Scènes et expressions languedociennes dans les comédies

de Molière (M. A. P. ALLIÉS) 69

Centenaires montpelliérains (M. Louis THOMAS) 69

30 mai. — Réception de M. Granel par M. Turchini 71

Election de M. de Gorsse comme membre correspondant 71

La Vallière et les médecins (M. OUY-VERNAZOBRES) 71

27 juin. — Legs de M. Rives 72

Aménagement de la bibliothèque 72

Docteur Alexis Alquier (1812-1865), professeur à la Faculté de Médecine de Montpellier (M. VIRES) 72

18 juillet. — Congrès du Carbonio-carburante, à Milan 73

Fédération des anciennes Académies de Province 73

Remarques concernant certaines considérations sur la

Philosophie de la Science moderne (M. MOYE) 73

28 novembre. — Fédération des Académies de Province .... 74

Election du Bureau 74

Prix offerts par l'Académie . 74

Enquête sur le métissage simio-humain (M. OUY-VERNAZOBRES) 75

19 décembre. — Réception de M. Girard, par M. Humbert .... 76

Le Mazet (M. DEZEUZE) 76

2 — DISCOURS DE RÉCEPTION

Réception de M. Fr. GRANEL 77

Discours de M. Fr. GRANEL 77

Réponse de M. J. TURCHINI 83

Réception de M. GIRARD 86

Discours de M. GIRARD 86

Réponse de M. HUMBERT 88


— 211 —

3. — COMMUNICATIONS

Deux abbayes cisterciennes: Fontfroide et Valmagne, par

M. Pierre DE GORSSE 91

Touchante histoire de Vincent Walcké, perruquier belge dans le Midi de la France ou le forçat par erreur, par M. Louis-J. THOMAS 110

La lèpre en France, par M. MARGAROT 130

« Les Misérables », critiqués et refaits par Lamartine, par M.

LAFONT 143

Les scènes et les expressions languedociennes dans les comédies de Molière, par M. A.-P. ALLIÉS 159

La faute de La Vallière et les médecins, par M. OUY-VERNAZOBRES

OUY-VERNAZOBRES

Alexos Alquié (1812-1865), par M. VIRES 176

Une enquête sur le métissage simio-humain, par M. OUYVERNAZOBRES

OUYVERNAZOBRES



INDEX ANALYTIQUE

Aliénés. — Le système pénitentiaire belge et les aliénés (M. J. Euzàère) 64

ALLIÉS (A.-P.). — Scènes et expressions languedociennes dans les comédies

de Molière 69, 159

ALQUIER. — D'Alexis Alquier (M. Vires) 72

AMADE (J.). — Contribution à l'étude du folklore méridional: l'invisible

et le mystère 46

AMANS (Paul). .— Maîtres couples linéaires et maîtres couples cylindriques 19

— Biologie et mécanique de la spirale logarithmique , 22

— Sur les hélices élastiques de construction mixte 26

- Un nouvel appareil à ailes battantes .. 28

— La puissance nécessaire dans le vol par battement au point fixe 29

— Sur la stabilité automatique des avions 31

— Des divers modes d'avaler son chemin 38

— Observations sur la précédente communication « Des divers modes

d'avater son chemin » 38

Anatomie pathologique. — Voir Grynfeltt.

Archéologie. — Deux abbayes cisterciennes: Fontfroide et Vialmagne (M. P.

de Gorsse) 91

ARNAL. — L'Hôpital Saint-Louis, à Montpellier (en collaboration avec

M. Rouffiandis) 58

ARNAL (André). — Election au fauteuil de M. Maury 45, 68

Astronomie. — Nouvelles petites planètes (M. Humbert) 38

Aviation. — Voir Amans.

Bibliothèque 72

Botanique. — Voir Kühnholtz-Lordat.

Boutannet, ville inconnue (M. J. Dezeuze) 47

BROUSSY (J.). — Sur la fluorescence de certains phanères cutanés (en collaboration

collaboration M. J. Turdhini) 20

Bureaux de l'Académie . 1

— Election Sciences 35

— Elections Lettres 47

— Elections Médecine 64

— Bureau général 74

Carburant. — Voir Mortillet.

Castelnau. — Château de Castelnau (Aveyron) [M. G. Mercier] 47

Centenaire. — Evénements mont pelliérains en 1832 (M. L. Thomas) 48

— Centenaires mont pelliérains (M. L. Thomas) 69

Congrès. — de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et

du Roussillon 69

— ..... international du Carbonio carburante 73


— 214 —

CONTE (Abdon). — Election au fauteuil de M. Vedel 49, 67

DEZEUZE (J.). — Boutonnet, ville inconnue 47

— Le Mazet 76

Election de membres. — M. François Granel de Soligmac 18, 68

— M. André Arnel 45, 68

— M. Français Romieu 45, 68

— M. Elie Guenoun 45, 68

— M. Abdon Conte 49, 67

EUZIÈRE (J.). — Le système pénitentiaire belge et les aliénés 64

Fédérations des Académies de Province 74

Folklore. — Contribution à l'étude du folklore méridional : l'invisible et le

mystère (M. Amade) 46

GÈZE (Souvenir de M. J.-B.). — M. G. Kühnholdtz-Lordat 15

— M. J. Turchini 65

— Remplacé par M. Granel de Soligmac 18

GIRAUD (Gaston). — Applications diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques

thérapeutiques épreuves de l'amanonurie et de l'excrétion acide provoquées (en collaboration avec M. P. Monniter) 57

GIRAUD (Marcel). — A propos d'un livre récent sur le vin et l'hygiène 51

GIRARD (Edmond). — Discours dé réception 86

GOETHE. — Les amours de Goethe (M. G. Pastre) 68

GORSSE (P. de). — Election comme membre correspondant 46, 71

— Deux abbayes cistériennes : Fontfroide et Valmagne 91

GUENOUN (Elie). — Election au fauteuil de M. Viard 45, 68

GRANEL DE SOLIGNAC (François). — Election au fauteuil de M. J.-B. Gèze 18

— Réflexions sur le traitement des plaies par les larves de mouches 96

— Discours de réception 77

GRYNFELTT (Edouand). — Amitoses dans les néoformations normales et méoplasiques

méoplasiques cellules des glandes sébacées 17

— Note sur l'histologie du cancer expérimental du goudiron chez le lapinalbinos

lapinalbinos collaboration avec M. H. Harant) 19

— Sur la genèse' et l'extension de la tramé fibroïde dans les adénofibromes

adénofibromes 23

— Reticulo-endothélimes adventitiels et mycosis fongoïde 26

— Quelques pairticularités de structure de la paroi malpighienne des

kystes épidermoïdes 28

— Les « cellules à manteaux » dans les cancers de la maladie de Paget

du Mamelon 30

— Sur la différenciation sébacée des cellules épidermiques dans les glandes normales et leurs épithéliomas 32

— Leiomyose télangiectasique de la cavité utérine 37

— La dégénérescence spumeuse des noyaux 39

HARANT (Hervé). — Note sur l'histologie du cancer expérimental du goudron

chez le lapin albinos (en collaboration avec M. E. Grynfeltt) 19

Histologie. — Voir Turchini.

HUMBERT (Pierre). — Nouvelles petites planètes 38

— Une belle relique pascalienne 39

— Réception de M. L. Girard 88


— 215 —

KUHNHOLTZ-LORDAT (Georges). — Souvenir de M. J.-B. Gèze ..... 15

— Mise en valeur des étangs Littoraux .. 16

— Au sujet d'un procédé supposé nouveau de destruction des mauvaises

herbes 29

— Le péronoplasmora humuli 30

LAFONT (Aimé). — Les « Misérables », de Victor-Hugo, antiqués et refaits

par Lamartine 46

LAMARTINE. — Voir Lafont.

Legs. — Legs de M. Rives 72

Lèpre. — La lèpre en France (M. Margarot) 68

Malthusianisme. — Le néo-malthusianisme en Angleterre (M. L. Pilleboue) 49

MARGAROT (Jean). — La lèpre en France 68, 130

MAURY (Léon). — Remplacé par M. André Arnal 45

Mazet (Le). — M. F. Dezeuze 76

Mécanique. — Voir Amans.

Médecine militaire. — L'hôpital militaire Saint -Louis à Montpellier (MM.

Armai et Bouffiandis) 58

MERCIER (Gaston). — Recommandations écrites de Rossel d'Aubaruc, détenu pour fait de religion, pour l'éducation de son fils, 1694 47

— Château de Castelnau (Aveyron) 47

Métis. — Enquête sur le métissage simio-humain (M. Ouy-Vernazobres) .. 75

MIGNEN (Mgr). — Remplacé par M. François, Romieu 45

MOLIÈRE. — Scènes et expressions languedociennes dans les comédies de

Molière 69, 159

MONNIER (Pierre). — Applications diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques des épreuves de l'ammoniurie et de l'excrétion acide provoquées (en collaboration avec M. G. Giraud) 57

MORTILLET (Xavier de). — L'influence des indétonants et antidétonants sur

les diagrammes des moteurs à explosion 24

MOYE (Marcel). — Sur un sens spécial de la mort chez l'animal 24

— Remarques concernant centaines considérations sur la philosophie'

de la science moderne 73

OUY-VERNAZOBRES (Charles). — Y a-t-il des sons perçus par les sourdsmuets

sourdsmuets

— Les fautes des filles... et les coupables 61

— Mlle de la Vallière et las médecins 71, 167

— Une enquête sur le métissage simio-humain 75, 196

PASCAL. — Une belle relique pascalienne (M. Humbert) 39

PASTRE (Gaston). — Les amours de Goethe 68

PHILOSOPHIE. — Remarques concernant certaines considérations sur la philosophie et la science moderne (M. Moye) 73

PILLEBOUE (Léon). — Le néo-malthusianisme en Angleterre 49

Prix. — Prix de l'Association française pour l'avancement des Sciences 18, 26 68

ROMIEU (François). — Election au fauteuil de Mgr Mignen 45, 68

Roquefort (Fromage de) 50

ROUFFIANDIS. — L'hôpital militaire Saint-Louis à Montpellier (en collaboration avec M. Arnal) 58

Souds-muets. — Y a-t-il des sons perçus par les sourds-muets (M. Ch.

Ouy-Vernazobres) 63


— 216 —

THOMAS (Louis). — Evènements montpelliérains en 1832 48

— Voyage du Prince Président dans l'Hérault en 1852 48

— Touchante histoire de Vincent Walcké, perruquier belge, dans le Midi

de la France, ou le forçat par erreur, 1826 66 110

— Difficultés en 1770-1774 entre le curé Lumaret et son vicaire Clauvet

à Marseillan 45

TURCHINI (Jean). — Sur la fluorescence de certains phanères cutanés (en

collaboration avec M. J. Broussy) 20

— Remarques histotogiques sur la grande pulmonaire de zonites algirus

algirus 42

— Souvenir de M. J. B. Gèze 65

— Réception de M. Fr. Granel de Solignac 83

VALÉRY (Jules). — Un cétacé dans le port de Sète 46

VEDEL (Victor). — Remplacé par M. Conte 49, 67

VIARD. — Remplacé par M. Guenoun 45, 67

Vin. — A propos d'un livre récent sur le vin et l'hygiène (M. M. Giraud) .. 51

VIRES (Jean). — Docteur Alexis Alquier 72