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Titre : Mémoires de la Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher

Auteur : Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher. Auteur du texte

Éditeur : (Blois)

Date d'édition : 1902

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344401101

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344401101/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : Nombre total de vues : 7572

Description : 1902

Description : 1902 (VOL16).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5505165f

Source : Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher, 2008-266892

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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MEMOIRES

DE LA SOCIÉTÉ

DES

SCIENCES & LETTRES

DE LOIR-ET-CHER

SEIZIÈME VOLUME.

PREMIÈRE LIVRAISON. — 31 MARS 1902

SOMMAIRE.

Liste des Membres de la Société.

Victor Hugo et son père le général Hugo à Blois, par

M. Loris BELTON.

BLOIS

IMPRIMERIE C. MIGAULT ET Cie

1902



MÉMOIRES

DE LA

Société des Sciences et Lettres

DE LOIR-ET-CHER



MÉMOIRES

DE LA SOCIÉTÉ

DES

SCIENCES & LETTRES

DE LOIR-ET-CHER

XVIe VOLUME

1902

BLOIS

IMPRIMERIE C. MIGAULT ET Cie

1902



MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ DES SCIENCES ET LETTRES

DE LOIR-ET-CHER,

1902. — Ier Trimestre.

LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ.

MEMBRES DE DROIT. MM. Le Vice-Recteur de l'Académie de Paris. L'Inspecteur d'Académie du département de Loir-et-Cher.

MEMBRES HONORAIRES. MM. Rousseau, O. ancien Trésorier général de Loir-et-Cher. Sainsère,C. , Conseiller d'État, ancien Préfet de Loir-et-Cher. Duréault, O. ancien Préfet de Loir-et-Cher.

MEMBRES DU BUREAU. MM. Trouillard, A. , Archiviste départemental de-Loir-et-Cher, Président. Belton, I. P. , Avocat à Blois, Vice-Président. Rebsomen, Avocat à Blois, Secrétaire. Renou, Architecte de la ville de Blois, Vice-Secrétaire. Cauchie, Pharmacien à Blois, Trésorier.


— 6 —

MEMBRES DU COMITÉ DE PUBLICATION.

MM. Belton, I. P. ||, Avocat à Blois. Dufay, A. ||, Bibliothécaire de la ville de Blois. Trouillard, A. , Archiviste départemental de loir-et-Cher.

MEMBRES TITULAIRES.

MM. Alix, I. P. , Directeur d'école primaire à Blois. Badaire, A. , ancien Maire de Blois. Beau, Architecte départemental, à Blois. Belenet (Louis de), à Blois.

Bodros, Directeur des Contributions indirectes, à Blois. Brosset J , Organiste de la Cathédrale de Blois. Cancalon, (Dr), I. P. y, à Blois. Chauvelin (Mis de), C. *, château de Rilly, par Chaumont-surLoire.

Chaumont-surLoire. ancien No taire, à Blois. Croizier (Abbé), I. P. ||, Curé de Vineuil. .Croy (de), Archiviste-Paléographe, château de Monteaux. Dr Daubas, Inspecteur départemental du Service des Enfants

assistés. Dr Doutrebente, A , Directeur de l'Asile des Aliénés, à Blois. Dufresne, A. ||, Professeur au Collège municipal de Blois. Fandeux, Notaire à Blois.

Dr Filloux, à Contres. Grenouillot, A. , Architecte, à Blois. Guignard (Ludovic), à Chouzy. . Hardel (Abbé), Curé-Doyen de Droué. Heim, C. , Préfet de Loir-et-Cher. Dr Houssay, à Pont-Levoy. Joulin, Juge au Tribunal civil de Blois. Laurentie, Avocat près la Cour d'Appel, 15, rue de la Planche,

Paris. Ledoux, A. , Chef de Division, à la Préfecture de Loir-et-Cher.


~ 7 —

Lion, Propriétaire, à Blois.

Migault, Imprimeur, à Blois.

Dr Paterne, à Blois,

Person (de), A. ||, Agent général et Trésorier de la Caisse d'Epargne de l'arrondissement de Blois.

Petit (Abbé), Vicaire de la Paroisse N.-D. de Saint-Vincent de Paul, à Biois.

Ragu, C. , ancien Sous-Chef de bureau à l'Ecole Polytechnique, à Blois.

Renou A. ||, Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs, à Blois.

Soubiran, A. ||, Secrétaire général de la Préfecture de Loir-etCher

Storelli, château de la Gourre, par Blois.

Thibault, A. ||, Céramiste, à la Chaussée-Saint-Victor.

Trouessart, Architecte, à Blois.

Vezin, O. , Professeur départemental d'Agriculture, à Blois.

MEMBRES CORRESPONDANTS.

MM. Arnould, ancien Directeur de l'Enregistrement, à Troyes. Bournon, Archiviste-Paléographe, 12, rue Antoine-Roucher, ;\

Paris. Caignard, Conservateur du Musée Monétaire, à Paris. Collier, Conseiller de Préfecture. Couette, ancien Instituteur, à Orchaise.

Croeheton, Directeur de l'École Primaire supérieure d'Onzain. Gazier, Professeur à la Faculté des Lettres de Paris. Gélinet, Capitaine d'Infanterie. Goll, Conseiller de Préfecture. Hu, à Pont-Levoy. Huard, à Tunis.

Jacob, Homme de Lettres, à Nancy.

Labounoux, Professeur spécial d'Agriculture, à Romorantin. Dr Lutter, Médecin de la Maison centrale de Clairvaux. Marcot (Général), commandant l'Ecole militaire de Saint Cyr. Rochas d'Aiglun (Colonel de), Ecole Polytechnique, à Paris.


- 8 —

Roussel, Archiviste départemental de l'Oise.

Saintmont, Rédacteur à la Préfecture d'Indre et-Loire, à Tours.

Sergent, Capitaine d'Infanterie, à Paris.

Soyer, Archiviste départemental du Cher.

Vallois, Secrétaire de la Société des Antiquaires du Centre.

Zeller, Professeur à la Faculté des Lettres de Paris.


VICTOR HUGO

A BLOIS

D'après les lettres de Victor Hugo, conservées à la

Bibliothèque de Blois

Et divers documents inédits

PAR Louis BELTON

La Bibliothèque municipale de Blois possède 40 lettres de Victor Hugo, adressées par lui, de 1822 à 1826, au général Hugo, son père, qui s'était retiré à Blois. En 1885, lors de la mort du grand poète, j'ai signalé à la Société des Sciences et Lettres et à la Municipalité Blésoise, l'existence de ces précieux manuscrits, dont la plupart ont été publiés depuis, sans indication d'origine, dans la Correspondance de Victor Hugo.

J'en tire aujourd'hui un certain nombre de renseignements sur les débuts littéraires de Victor Hugo, sur sa famille, son mariage, ses enfants, ses amis ; d'autres documents inédits, que j'ai pu consulter, m'ont fourni quelques notes assez curieuses sur le père de Victor Hugo, son séjour à Blois, son second mariage, ses relations avec ses fils, et aussi avec la Société Littéraire de Blois, dont il était membre, ainsi que ses deux fils, Victor et Abel.

L. B.


— 10 —

I Le général Hugo à Blois

Après ses campagnes, le général Hugo, père du poète, s'était retiré à Blois, où il avait acheté le beau domaine rural de Saint-Lazare, situé route d'Oucques, à un kilomètre de la ville, et qu'il habita pendant quelque temps. L'acquisition, faite d'abord sous le nom d'un tiers, ne fut régularisée à son profit que le Ier mai 1822, par acte devant Me Pardessus, notaire à Blois (1). Dès le 16 janvier 1823, et par acte devant Me Naudin, notaire, il revendait ce domaine à M. Gay, médecin.

En quittant sa propriété de Saint-Lazare, le général alla habiter, rue du Foix, n° 73 (aujourd'hui n° 65), une maison appartenant à sa seconde femme (2).

Pendant son séjour à Blois, le général Hugo reçut de son fils Victor Hugo un certain nombre de lettres qui ont été conservées à la Bibliothèque de Blois.

En 1822, ces lettres sont adressées : A Monsieur le général Hugo, à sa terre de Saint-Lazare, près Blois ; à partir de 1823, l'adresse est ainsi indiquée: grande rue du Foix, 73.

(1) Le château et le domaine de Saint-Lazare sont aujourd'hui convertis en maison de santé, et annexés à l'Asile départemental d'aliénés. Ils comprenaient à cette époque une grande maison de maître, logement de closier et de jardinier, bâtiments d'exploitation, pressoir garni de ses ustensiles, cour, basse-cour, jardins, promenades, charmilles, bosquets, vignes et terres labourables le tout en un seul clos entouré de murs, et contenant 9 hectares 72 ares 48 centiares. L'acquisition en fut faite moyennant un prix de 36,000 francs.

(2) Madame veuve d'Almeg avait acheté cette maison des époux Hadou,par acte devant Me Vosdéy, notaire à Blois, du 10 février 1816. Le général y joignit le 29 juin 1823 (adjudication devant Me Pardessus, notaire), une petite maison voisine qui portait le n° 71, et qui, après sa mort, fut vendue à sa veuve, moyennant 1720 francs acte devant M*.Pardessus, notaire, du 25 juillet 1830).


La Maison du Général Hugo Rue du Foix, à BLOIS



— II —

Victor Hugo fit quelques courtes apparitions, dans cette maison de la rue du Foix, située au pied de la côte que surmonte la butte des Capucins, et qu'il a chantée dans ses Feuilles d'automne (I) :

« Cette maison

« Qu'on voit bâtie en pierre et d'ardoise couverte,

« Blanche et carrée, au bas de la colline verte,

« Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,

« S'épanouit charmante entre ses deux vergers ;

« C'est là. — Regardez bien. — C'est là le toit de mon père.

« C'est ici qu'il s'en vint dormir après la guerre. »

(I) La première partie du morceau contient une description fort connue de la ville de Blois, que nous ne pouvons résister au plaisir de reproduire ici :

Louis, quand vous irez dans un de vos voyages, Voir Bordeaux, Pau, Bayonne, et ses charmants rivages, Toulouse la Romaine, où, dans des jours meilleurs J'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs, Passez par Blois. — Et là, bien volontiers sans doute, Laissez dans le logis vos compagnons de route. Et tandis qu'ils joueront, riront ou dormiront, Vous, avec vos pensers qui haussent votre front, Montez à travers Blois cet escalier de rues Que n'inonde jamais la Loire au temps des crues ; Laissez-là le château, quoique sombre et puissant, Quoiqu'il ait à la face une tache de sang; Admirez en passant cette tour octogone Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone; Mais passez. — Et sorti de la ville, au midi, Cherchez un tertre vert, circulaire, arrondi, Que surmonte un grand arbre, un noyer ce me semble, - Comme au cimier d'un casque une plume qui tremble. Vous le reconnaîtrez, ami, car tout rêvant, Vous l'aurez vu de loin sans doute en arrivant. Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre, Que la ville étagée en long amphithéâtre, Que l'église, où la Loire et ses voiles aux vents Et ses mille archipels plus que ses flots mouvants, Et de Chambord là-bas au loin les cent tourelles, Ne fassent pas voler votre pensée entre elles. Ne levez pas vos yeux si haut que l'horizon. Regardez à vos pieds. — Louis, cette maison. Qu'on voit bâtie en pierre


— 12 —

Et plus loin encore :

« Une maison à Blois ! riante quoique en deuil !

« Elégante et petite, avec un lierre au seuil,

« Et qui fait soupirer le voyageur d'envie,

« Comme un charmant asile où reposer sa vie;

« Tant sa neuve façade a de fraîches couleurs,

« Tant son front est caché dans l'herbe et dans les fleurs. »

Après un pareil tableau tracé de la main du maître, nous ne tenterons pas de donner une description de la maison du général Hugo. Son petit parc, planté d'arbres magnifiques, se trouve aujourd'hui comme enclavé dans les dépendances de l'ancienne Recette générale. Quand on se promène sur les terrasses du boulevard de l'Ouest (actuellement boulevard Daniel-Dupuis), on le voit d'en haut émerger au-dessus des clos voisins comme un bouquet de verdure. Près de la maison on remarque deux beaux arbres (des peupliers, je crois), qui furent plantés par le général Hugo, à la naissance de ses petits enfants.

C'est dans cette maison de la rue du Foix que mourut, le 9 octobre 1823, à l'âge de trois mois, Léopold, le premier né de Victor Hugo.

Victor Hugo y fit, au printemps de 1825, un séjour d'une quinzaine de jours. Nous en parlerons dans un autre chapitre de ce travail.

Intérieurement, la maison du général Hugo comprenait :

Au rez-de-chaussée, une cuisine, garnie des ustensiles nécessaires, notamment d'un rôtissoir à l'ancienne mode, avec ses cordes et poids.

— Un cabinet servant de chambre de domestique ;

— Un salon orné de diverses gravures encadrées de bois doré, représentant des faits militaires, des vues des


- i3 -

bords de la Neva, les portraits des généraux Kléber et Desaix, des portraits de famille, etc.

— Et le cabinet de travail du général, garni de ses livres et papiers.

Au premier étage était un autre salon, la chambre à coucher du général, éclairée au midi, et ornée, comme le salon du rez-de-chaussée, de deux vues de la Neva ; une autre chambre et un cabinet de bains.

Au second étage, une chambre à coucher et deux cabinets.

L'écurie, à la mort du général, ne contenait que des débarras ; un cénacle à côté renfermait un tombereau démonté et un équipage de limon. Sous la remise étaient une carriole et une charrette. Une calèche, que le général avait achetée 1900 francs, avait été cédée par lui à son fils Abel.

Dans la cave il y avait 114 bouteilles de vin rouge.

Le cabinet de travail du général Hugo, placé au rez-dechaussée de sa maison, renfermait ses livres et ses papiers. Les murs étaient ornés d'un télescope, d'une lunette en cuivre, d'un baromètre et de six tableaux.

Sa bibliothèque était de peu d'importance. Elle comprenait principalement des ouvrages historiques et des voyages. Voici la liste des principaux volumes dont elle se composait, et dont la plupart auront sans doute été feuilletés par Victor Hugo :

Lettres choisies de Voltaire, 4 vol. Histoire d'Espagne, 10 vol. Histoire de l'Univers, 11 vol. Anecdotes historiques, 2 vol. Mémoires historiques, 2 vol. Vie de Cromwell, 2 vol. Tacite, 3 vol.


- 14 -

OEuvres de Falconer, 6 vol. in-8°.

Lettres sur la Chine, I vol.

Cicéron, les devoirs de l'homme, I vol.

Etude de l'homme, 2 vol.

Siècle littéraire de la France.

Guide du voyageur en Espagne.

Dictionnaire historique des généraux français, 9 vol.

L'âme des bêtes, 2 vol.

Dictionnaire historique, 6 vol.

La magie blanche, 1 vol.

Vie de Richelieu, 2 vol.

Recherches sur la France, 2 vol.

Esprit des nations, 2 vol.

Mémoires de Grammont, 2 vol.

L'espion des cours, 6 vol.

Traité de l'opinion, 7 vol.

Mémoires du cardinal de Retz, 3 vol.

De la gloire de l'aigle.

La campagne d'Espagne, 4 numéros brochés.

L'Enfer des peuples anciens.

Biographie moderne.

Mémorial de l'officier.

Manoeuvres de cavalerie.

Dictionnaire espagnol-anglais.

Vie de Joseph II, 1 vol.

Mémoires d'Olivier d'Argent.

Dictionnaire de santé.

Dictionnaire espagnol-italien.

Éléments de statistique, 1 vol.

La Ruche pyramidale, 3 vol.

Dictionnaire des inventions.

L'Astronomie en 22 leçons, 1 vol.

Dictionnaire des arts et métiers, 5 vol.

Dictionnaire dramatique, 3 vol.


Histoire de Louis XIV, 7 vol.

Histoire du grand Pompée, 2 vol.

Moeurs des Israélites, 1 vol.

Mémoire sur l'Histoire, 5 vol.

Histoire des Celtes, 2 vol.

Histoire de Russie, 6 vol.

Histoire romaine, 20 vol.

Siège de Namur, 1 vol. petit in-f°.

Description de la Gaule-Belgique.

Mémoires de Guittard, 3 vol. in-4°.

Dictionnaire français-latin, grand in-40.

Histoire de France, 3 vol.

Valmont de Bomare, 13 vol. in-8°

Histoire naturelle de Jorat, 2 vol. in-8°.

Guerres de l'empereur Justinien, 1 vol. in-f°,

Contrat social, 1 vol.

OEuvres politiques de Horsberg, 1 vol.

Annales politiques, 2 vol.

Les loisirs du chevalier d'Eon, 7 vol.

Annales de Saint-Pierre, 2 vol.

Le droit des gens, 3 vol.

Institution d'un prince, 4 vol.

Des corps politiques, 2 vol.

Puissance de l'Europe, 9 vol.

Ministères de Mazarin et Richelieu, 7 vol.

Odes d'Horace, 2 vol. in-12.

3 Codes brochés.

OEuvres de Lucain, 1 vol.

Paradis perdu, 3 vol.

Iliade d'Homère, 2 vol.

Un Hiver, poème, 1 vol.

Voyage en Hanovre, 1 vol.

Voyage en Italie, 1 vol.

Voyage en Corse, 2 vol.


— 16 —

Voyage de Candide, 2 vol.

Le Voyageur français, 7 vol.

Tableaux géographiques, 2 vol.

Voyage en Grèce, 2 vol.

Et 20 autres volumes de Voyages.

Mémoires de l'ancien et nouveau Paris.

Histoire de Maurice de Saxe, 4 vol.

Esprit du chevalier Folard, 1 vol.

Annuaires militaires, 1821 et 1822.

Commentaires de César, 2 vol.

Charles XII, 1 vol.

Campagnes de France et en Italie, 5 vol.

Commentaires sur Végéce, 2 vol.

Mémoires du général Loille.

3 vol. des Victoires et Conquêtes.

Défense des places, par Carnot.

Dictionnaire de Boiste, et plusieurs autres dictionnaires et grammaires.

Almanach impérial.

Et un certain nombre de brochures et cartes (1).

II y avait en tout environ 600 volumes qui, à la mort du général, furent estimés 286 fr. 50.

Ce qui nous frappe et nous étonne le plus, en parcourant la bibliothèque du général Hugo, c'est l'absence complète des oeuvres de son fils (2). En 1828, Victor Hugo était déjà célèbre, et son bagage littéraire important. Il avait déjà publié :

Odes et Poésies diverses. — Juin 1822. Han d'Islande. - Février 1823.

(1) Inventaire après le décès de M. le comte Hugo (Pardessus, notaire, 3, 4, 5, 6 juin 1828).

(2) A moins que les oeuvres de Victor Hugo n'aient été comprises dans ce que l'inventaire que nous avons consulté appelle dédaigneusement un lot de brochures


- 17 -

Nouvelles Odes. — Mars 1824. Bug-Jargal. —Janvier 1826. Odes et Ballades. — 1826.

Cromwell (Décembre 1827), que Victor Hugo avait dédié à son père, et qui parut quelques mois seulement avant la mort du général. Peut-être Victor Hugo avait-il parcouru la vie de Cromwell en 2 volumes qui faisait partie de la bibliothèque de son père.

Dans le cabinet du général se trouvait, parmi ses papiers, une liasse relative à ses services militaires. Voici ses états de services que nous avons pu reconstituer à peu près intégralement :

6 Floréal an VIII. Armée du Rhin. Nommé un des six capitaines-adjudants aux adjudants généraux.

26 Septembre 1806. Chef de bataillon au 2e régiment d'infanterie légère du royaume de Naples.

23 Février 1808. Colonel du même régiment.

20 Août 1809. Maréchal de camp des armées du roi d'Espagne.

24 Juin 1810. Aide de camp du roi d'Espagne.

21 Novembre 1814. Maréchal de camp des armées françaises.

23 Mai 1825. Lieutenant général.

Deux autres liasses étaient relatives à la défense de la place de Thionville, en 1814 et en 1815. C'était là son principal fait-d'armes et le plus honorable. En 1814, il ne rendit la place que le 20 avril, quatorze jours après l'abdication de Napoléon. Aux Cent Jours, il reprit le commandement de la même place, et les Prussiens n'y entrèrent que le 20 septembre, trois mois après Waterloo.

Les papiers du général contenaient aussi les brevets de ses décorations. ll était :

2


_ ,8 -

Depuis le 2 juin 1808, commandeur de l'ordre royal des Deux-Siciles au royaume de Naples.

Depuis le Ier Novembre 1814, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.

Depuis le 14 Février 1815, officier de la Légion d'honneur.

On sait que le père de Victor Hugo avait suivi la fortune de Joseph Bonaparte, le frère aîné de Napoléon, depuis son élévation au trône de Naples, en 1806, jusqu'à sa chute du trône d'Espagne en 1813. Joseph l'avait comblé d'honneurs et de dignités. Non seulement il en avait fait son aide de camp, mais il l'avait créé comte et gouverneur de plusieurs provinces. A la chute de son maître, le général Hugo perdit tout, y compris la plus grande partie de sa fortune et de véritables châteaux en Espagne. Jusqu'à la fin de sa vie il fit d'inutiles efforts pour se faire rembourser les cédilles hypothécaires du roi Joseph ; il n'en tira jamais un centime et mourut endetté.

Outre sa maison de Blois, le général Hugo possédait en Sologne une petite propriété, appelée la Miltière, située communes de Pruniers et de Lassay ; il l'avait acquise, avec la locature de Laudinière, par acte devant Me Pardessus, du 12 décembre 1823 (1). Cette propriété était garnie des meubles indispensables, et le général y allait parfois passer quelques jours au milieu des marais de la Sologne, dans une solitude absolue.

Eugène Hugo, le second fils du général, y fit un court séjour à une époque voisine de la mort de son père.

Victor Hugo lui-même, au cours d'un voyage qu'il fit à Blois, au printemps de 1825, alla s'y reposer quelques jours. La Correspondance nous donne une bien jolie

(1) Voir page 21.


- 19 -

lettre, à Paul Foucher, datée de la Miltière, « ce mardi 9 ou 10 mai 1825 :

« Je suis pour le moment dans une salle de verdure atte« nante à la Miltière; le lierre qui en garnit les parois jette « sur mon papier des ombres découpées dont je t'envoie « le dessin, puisque tu désires que ma lettre contienne « quelque chose de pittoresque (1). Ne va pas rire de ces « lignes bizarres tracées sur l'autre côté de la feuille. Aie « un peu d'imagination, suppose tout ce dessin tracé par « le soleil et l'ombre, et tu verras quelque chose de char« niant. Voilà comme procèdent les fous qu'on appelle des « poètes. »

Le 12 mai, Victor Hugo écrivait, de la Miltière, une autre lettre à M. Foucher, son beau-père ; il était en Sologne avec sa femme, sa fille, sa petite Didine, et Madame Foucher.

Le général Hugo était né à Nancy, le 15 septembre 1773. Sa première femme (2), la mère du poète et de ses frères Abel et Eugène, s'appelait Sophie-Françoise Trébuchet. Elle mourut vers le milieu de l'année 1821 (3).

La première femme du général avait obtenu contre lui un jugement de séparation de corps, à la date du 3 février 1818. Le général avait été condamné à lui payer une pension annuelle de 3,000 francs.

Peu de temps après la mort de celle-ci, le général Hugo épousa, sans contrat de mariage, devant l'officier de l'état

(1) A travers les lignes de la lettre manuscrite sont tracés de grands traits en circonvolutions bizarres.

(2) Ils s'étaient mariés en brumaire an VI. Le contrat réglant les conditions civiles de leur mariage avait été passé devant Me Cabal, notaire à Paris, le 25 brumaire an VI.

(3) Le 20 ou 21 juin.


— 20 —

civil de la commune de Chabris (Indre), Marie-Catherine Thomas y Saëtoni, veuve de M. Anaclet d'Almeg (I).

En 1810, le général Hugo avait été nommé comte de Siguenza par Joseph, roi d'Espagne, et lieutenant général par Charles X, en 1825. Sa fortune était médiocre {2). Il vivait principalement des arrérages de sa pension militaire, laquelle était de 4,000 francs (3). Il avait eu des charges assez lourdes, et, bien qu'il n'eût pas payé exactement la pension de sa première femme, après la séparation, il avait pourvu à ses besoins, ainsi qu'à ceux de ses trois fils, alors à Paris.

Six mois environ avant sa mort, vers le mois de juin 1827, il alla s'installer à Paris (4), où il paraît s'être occupé d'affaires financières. Il s'y fit même meubler un appartement complet (5). Il y mourut le 29 janvier 1828. Il est ainsi qualifié à l'époque de son décès :

« Le comte Joseph-Léopold-Sigisbert Hugo, lieutenant « général des armées du Roi, chevalier de l'ordre royal et « militaire de Saint-Louis, officier de l'ordre royal de la « Légion d'honneur, commandeur et dignitaire de plusieurs « ordres étrangers, l'un des administrateurs de la Société « d'avances mutuelles sur garanties (6), membre du co(1)

co(1) à Blois, dans sa maison de la rue du Foix, le 21 avril 1858.

(2) Il avait failli s'enrichir en Espagne; mais la chute du roi Joseph, en 1813, ruina sa fortune, sinon ses espérances, car toute sa vie il poursuivit, sans aucun succès, le recouvrement de ses créances en Espagne.

(3) 3800 francs, déduction faite du prélèvement de 5 °/° pour les Invalides.

(4) Il demeurait rue Monsieur, n° 9, dans la même maison que son fils Abel.

(5) Cet appartement comprenait chambre à coucher, cabinet de travail, salle à manger, salon, cabinet de toilette, chambre de domestique. La note du tapissier s'éleva à 3.792 fr. 65 qui n'étaient pas encore payés à son décès.

(6) Nous savons d'autre part qu'au moment de sa mort, le général travaillait à l'administration de la Banque Lambert. Etait-ce le même établissement sous deux noms différents ?


— 21 —

« mité de l'association paternelle des chevaliers de Saint« Louis ».

Il fut inhumé à Paris, au Père Lachaise. Sa veuve et ses enfants lui firent élever un monument composé d'une pyramide de marbre blanc veiné, posée sur un socle de même marbre, le tout portant huit pieds de haut ; une inscription gravée en creux rappelait les services du général. Le monument était entouré d'une, grille' avec des flammes aux quatre coins, et des palmettes entre les barreaux (I).

En mourant, le général laissait à ses héritiers une situation assez embarrassée. Ses fils Abel et Victor acceptèrent la succession sous bénéfice d'inventaire (2) ; Eugène était à Charenton. Le mobilier fut vendu aux enchères publiques: celui de la maison de Blois produisit 3,25 5 fr. 65 ; celui de la Miltière 681 fr. 04. Le domaine de la Miltière fut vendu 20,020 francs, et la petite maison de la rue du Foix, que le général avait annexée à celle de sa femme, .1,720 francs (3).

La liquidation fut pénible et dura fort longtemps. Elle ne paraît pas s'être terminée avant l'année 1845, c'est-àdire 17 ans après la mort du général (4). Ses fils, Abel et

(1) Ce monument, dont le journal l'Illustration (numéro du 30 mai 1885), a donné la gravure, se trouve au cimetière du Père Lachaise, 27e division, chemin Monvoisin.

- Là reposent le lieutenant général comte Hugo et la comtesse _Hugo, père et mère de Victor Hugo ; le vicomte Eugène Hugo, son frère ; Charles et François-Victor, ses fils et son petit-fils ; Georges, fils de Charles Hugo. Madame Victor Hugo (Adèle Foucher) est inhumée dans le cimetière de Villequier (Seine-Inférieure), avec les membres de la famille Vacquerie.

(2) Acte au Greffe du Tribunal civil de Blois, du 29 août 1829.

(3) P. 10, note 2,

(4) En décembre 1829, à l'époquedes répétitions d'Hernani, Victor Hugo, dans une lettre à M. de Saint-Valéry (correspondance 18151835, p. 86), fait part des ennuis que lui cause cette liquidation :

« Mes affaires privées toujours fort embrouillées, l'héritage de mon


— 22 —

-Victor, aidés des conseils d'un éminent jurisconsulte, Duvergier (I), leur ami depuis 20 ans, eurent beaucoup de peine à lutter contre les prétentions excessives de la veuve du général et les exigences légitimes de certains créanciers, qui attendirent pendant bien des années la fin de cette interminable liquidation.

Une réclamation, qui du reste ne paraît pas avoir eu de suite, était faite à la succession du général Hugo dans des conditions assez curieuses. La veuve et les enfants du général Marie de Fréhaut réclamaient 5o,ooo réaux, argent d'Espagne, valant en monnaie française 13,492 francs, pour les causes d'une reconnaissance souscrite par le général Hugo au général Marie, le 4 février 1813. Voici quelle était l'origine de cette prétendue créance :

A l'époque où les armées françaises étaient en Espagne, le général Hugo avait acheté du général Marie de Fréhaut une propriété dite le Couvent des Trinitaires déchaussés, à Madrid, moyennant une somme considérable qui avait été payée en grande partie, et sur laquelle le général Hugo redevait 5o,ooo réaux.

Or, le général Marie possédait cette propriété sans aucun titre. Il en résulta que le général Hugo, son acquéreur, en fut dépossédé sans indemnité à la suite des événements politiques survenus en Espagne,- à la fin de 1813. Sa succession ne devait donc rien à celle du général Marie ; bien plus, le général Hugo s'était toujours regardé comme créancier des sommes par lui déboursées pour cette acqui«

acqui« non liquidé, nos biens d'Espagne accrochés par Ferdinand VII, « nos indemnités de Saint-Domingue retenues par Boyer, nos sables « de Sologne (la Miltière), à vendre depuis 23 mois, les maisons de Blois « que notre belle-mère nous dispute... par conséquent rien, ou peu « de chose, à recueillir dans les débris d'une grande fortune, sinon « des procès et des chagrins... Voilà ma vie... »

(1) Célèbre jurisconsulte, auteur de la Collection des Lois, et d'une édition du Droit Civil Français, continuation de Toullier.


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sition, et, en l'année 1825, il avait fait, de concert avec ses fils Abel et Victor, des démarches restées infructueuses pour se faire rembourser cet argent.

Le général Hugo avait l'amour des lettres. Non seulement, comme tous les vieux militaires, il aimait à écrire ses mémoires et à parler de ses faits d'armes, mais il s'exerçait volontiers sur des sujets purement littéraires et poétiques.

Voici la liste des manuscrits trouvés dans les papiers du général après sa mort; elle est loin de comprendre tous ses ouvrages :

La duchesse d'Alba (1820).

Le tambour Robin (1823). . L'Ermite (ou le Solitaire) du Lac.

L'épée de Brennus.

Perrine, ou la Nouvelle Nina, anecdote napolitaine.

L'Intrigue de Cour, comédie en 3 actes.

La Permission, anecdote.

Variante des Amants ennemis (1824).

Joseph ou l'Enfant trouvé (1825).

Essai complémentaire sur le commandement des places de guerre et autres.

Minutes (antérieures à 1826) de la défense militaire des nations, et de leurs grands intérêts maritimes et coloniaux.

D'autres écrits, trouvés dans les papiers du général, étaient relatifs à la défense de la place de Thionville, dont il avait été nommé commandant supérieur après son retour d'Espagne.

Enfin, le général préparait un ouvrage, et il avait recueilli des notes sur les pensions des veuves de militaires.

Plusieurs de ses ouvrages ont été imprimés, notamment


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ses Mémoires et sa Défense de Thionville. Ses papiers comprenaient différents traités avec plusieurs libraires et imprimeurs: ainsi, le 12 juillet 1819, il faisait un traité avec M, Aucher-Éloy, imprimeur à Blois, relativement à la vente de ?oo exemplaires du Souvenir historique du blocus de Thionville. Le 3 septembre 1822, il traitait avec Ladvocat, libraire à Paris, pour l'impression de ses Mémoires. Enfin, une convention intervenait entre lui et M. Delaforest, libraire à Paris, le 28 mars 1825, relativement à un ouvrage intitulé : l'Aventurière tyrolienne (1).

(1) On lit dans le journal des Goncourt(t. II, p. 198; 18 mai 1864):

Méry nous raconte la vente qu'il conclut, au prix de 600 francs,

« d'un roman du général Hugo, le père de Victor Hugo, qui s'ap«

s'ap« LA VIERGE DU MONASTÈRE ».


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II

La belle-mère de Victor Hugo

La mère de Victor Hugo, Sophie-Françoise Trébuchet, était morte le 27 juin 1821. Un peu plus de deux mois après, le 6 septembre 1821, le général épousait à Chabris, département de l'Indre, Marie-Catherine Thomas y Saëtoni, veuve de M. Anaclet d'Almeg.

La mère n'avait jamais quitté ses fils et mourut entre leurs bras. Le généra], au contraire, n'avait fait depuis longtemps dans sa famille que de rares apparitions (1). Il faut bien penser que les fils ne virent pas avec satisfaction, alors qu'ils étaient encore plongés dans leur douleur, le remariage précipité de leur père. Néanmoins les lettres de Victor, en 1822, ne font montre, à l'égard de son père, que de sentiments soumis et affectueux ; mais il est longtemps avant de se décider à parler de sa belle-mère. C'est son mariage avec Mademoiselle Foucher qui finit par rompre la glace. Le 19 novembre 1822, il écrit : « Veuille bien, je te « prie, dire à notre belle-mère combien nous sommes « reconnaissants de tout ce qu'elle a bien voulu faire pour « hâter notre fortuné mariage. » Dans la même lettre, la jeune femme de Victor Hugo exprime à sa belle-mère les mêmes sentiments.

Plus tard, les liens se resserrent à l'occasion de la naissance et de la mort du premier né de Victor Hugo, qu'on

(1) Le général faisait à ses fils une petite pension mensuelle. Le 8 août 1822, Victor dit qu'au moment où il écrit « on lui apporte l'argent d.u mois .». .Le 13.septembre, il dit : « Nous sommes au 13, « mon cher papa, et je n'ai pas encore reçu notre mois. —Ton exac«- titude à prévenir les besoins de tes fils me rend certain que la « négligence ne vient que des messageries. Mais je t'en avertis, cher « papa, sûr que tu t'empresseras de faire cesser notre gêne. »


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avait envoyé à Blois, et que la grand'mère avait soigné avec dévouement. Les lettres de cette époque sont très affectueuses. Un petit nuage s'éleva cependant, mais qui fut promptement dissipé. Le général avait cru que Victor Hugo n'avait pas apprécié à sa juste valeur le dévouement avec lequel avait été soigné le petit Léopold. Le 6 août 1823, Victor Hugo écrit :

« Ta lettre m'a causé un véritable chagrin, et il me tarde « que tu aies reçu celle-ci pour m'en sentir un peu soulagé. « Comment donc as-tu pu supposer un seul instant que « tout mon coeur ne fût pas plein de reconnaissance pour les « bontés dont ta femme a comblé notre Eugène (1) et notre « Léopold ? Il faudrait que je ne fusse ni frère, ni père, « pour ne pas sentir le prix de ce qu'elle a fait pour eux, « cher papa, et par conséquent pour moi. Si c'est à toi « principalement que se sont adressés mes remercîments, « c'est que notre père est pour nous la source de tout « amour et de toute tendresse, c'est que j'ai pensé qu'il te « serait doux de reporter à ta femme l'hommage tendre et « profond de ma gratitude filiale, et que dans ta bouche « cet hommage même aurait bien plus de prix que dans la « mienne.

« Je t'en supplie, mon cher et bon père, ne m'afflige plus « ainsi : je suis bien sûr que ce n'est pas ta femme qui aura « pu me supposer ingrat et croire que je n'étais pas sincè« rement touché de tous ses soins pour ton Léopold. Et « comment, grand Dieu ! ne serais-je pas vivement attendri « de cette bienveillante sollicitude qui a peut-être sauvé « mon enfant (2) ? Cher papa, je te le répète, hâte-toi de

« (1) Eugène, frère aîné de Victor Hugo, était en ce moment malade à Blois.

(2) Le général Hugo et sa femme, à la demande pressante de Victor Hugo, avaient envoyé précipitamment une nourrice pour le petit Léopold (V. page 55).


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« réparer la peine que tu m'as si injustement causée au « milieu de tant de joie, et qui m'a paru bien plus cruelle « encore dans un moment où mon âme s'ouvrait avec tant « de confiance à toutes les tendresses et à toutes les féli« cités ».


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III

La " Société Littéraire " de Blois

En 1822, il y avait à Blois en formation une Société littéraire qui n'eut qu'une existence éphémère, mais qui fut l'aïeule de la Société des Sciences et Lettres de Blois, fondée en 1832. Le général Hugo, qui se piquait de littérature, en faisait naturellement partie. Victor Hugo, qui était à Paris, et qui bien qu'âgé de 20 ans seulement, avait déjà une certaine influence, fut chargé de faire des démarches pour obtenir l'autorisation administrative. On verra par la lettre suivante que ce n'était pas chose facile en 1822:

« Paris, 4 juillet 1822.

« Mon cher papa,—

« Je mettais à suivre la demande de la Société autant « d'activité que le bureau des Belles Lettres y mettait de « lenteur. Enfin, il y a quelques jours, M. de Lour« doueix (I) m'annonça qu'il fallait m'adresser aux bureaux « de Monsieur Franchet (2), c'est à-dire à la police géné« rale ; il me demanda en outre la liste des membres que « je ne pus lui donner: puis il ajouta que, du reste, puis« qu'elle était recommandée par moi, la Société de Blois « était sans doute composée de manière à ne pouvoir in« quiéter le gouvernement. Je crus devoir lui en donner « l'assurance, et il me dit que très probablement, dans le « moment de trouble où nous sommes (3), l'approbation

( I ) Éditeur de la Galette de France.

(2) Directeur de la police.

(3) L'année 1822 fut l'année des complots : conspiration de Belfort, affaire des quatre Sergents de la Rochelle, affaire du général Berton.


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« de l'autorité dépendait de la composition de la Société.

« Je me rendis, d'après,son indication, aux bureaux de « la direction de la police, où l'on me promit de faire des « recherches. Hier j'y suis retourné, et le chef de bureau « auquel a dû être renvoyé la demande (qui est, je crois, a celui de l'ordre), m'a déclaré l'avoir cherchée en vain et « n'en avoir jamais entendu parler. Il paraît donc qu'elle « s'est égarée de l'un à l'autre ministère. Il m'a conseillé « d'en faire expédier sur le champ une autre, accompagnée de la liste de MM., les membres et des statuts ; car c'est " d'après ces pièces que doit décider le ministre, lequel, « m'a-t-on dit, accorde très difficilement ces sortes de « demandes dans l'instant de crise où nous sommes (I).

« Je m'empresse de te rendre fidèlement compte de tous « ces détails, cher papa, afin que tu te consultes sur ce qu'on « veut faire. Tu me trouveras toujours prêt à te seconder « de tout mon faible pouvoir. »

Comme cette affaire tenait au coeur du général, Victor Hugo ne la perd pas de vue. Dans sa lettre du 26 juillet, il écrit :

« Je renouvelle mes démarches pour la Société de « Blois. »

Et, le 8 août :

« J'ai reçu, en même temps que ta dernière lettre, un " paquet de M. le Secrétaire de la Société de Blois. J'aurai « l'honneur de lui répondre directement dès que les nou« velles démarches que je viens d'entreprendre m'auront « donné un résultat quelconque. Il est tout simple, cher « papa, que j'apporte beaucoup de zèle à cette affaire : tu y « prends intérêt. »

(1) Voir la note 3, page 28.


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Tant de zèle et de démarches ne suffirent pas pour faire réussir la demande de la Société Littéraire; le gouvernement ne se sentait pas assez fort, paraît-il, pour autoriser les savants et littérateurs de province à se réunir au nombre de plus de 20. Dans sa lettre du 31 août, Victor Hugo rend compte de l'insuccès de ses efforts :

« Mon cher papa,

« Il y a longtemps que j'aurais répondu à ta bonne et " chère lettre, si je n'avais désiré te marquer en même « temps le résultat définitif de mes démarches pour la « Société de Blois. Il n'est pas tel que tu le désirais, et « c'est une peine qui se mêle au plaisir de t'écrire. Tu sais « que le dossier de la Société fut renvoyé (selon l'usage, à ce « qu'il paraît), dans les bureaux de la direction générale de " la police. Après plusieurs démarches dans ces bureaux, « j'obtins enfin il y a quelque temps cette réponse de « M. Franchet (1), que le gouvernement ne jugeait pas à « propos d'accorder en ce moment aucune autorisation de « ce genre ; que d'ailleurs la Société de Blois n'étant com« posée en ce moment que de quatorze membres pouvait « se passer de cette autorisation, laquelle ne lui devien« drait nécessaire qu'autant qu'elle en porterait le nombre « au-delà de VINGT; cette réponse me fut donnée comme « irrévocable. Sentant néanmoins ce qu'elle avait de peu de « satisfaisant pour la Société, j'ai voulu avant de te l'en« voyer, remonter jusqu'au Ministre de l'Intérieur, qui n'a « fait que confirmer d'une manière définitive la réponse du « directeur de la police. Je me hâte donc, bien à regret, de » t'en faire part. Je pense du reste, mon cher papa, que la « Société ne doit pas se décourager. L'obstacle opposé par « le gouvernement passera avec les événements qui le font

(1) Voir la. note 1, page 2.


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« naître, et d'ailleurs si jamais M. de Chateaubriand arrivait « au ministère, je ne désespérerais pas de le faire lever, pour « peu que tu le désirasses encore. J'aurais alors, par le « moyen de cet illustre ami, un peu plus de crédit. Veuille, « je te prie, mon cher papa, transmettre tous ces détails à « M. le Secrétaire de la Société, auquel j'aurais eu l'hon« neur d'écrire, si, selon mon vif désir, j'avais eu de « bonnes nouvelles à lui annoncer. Pour ne rien te cacher, t je te dirai très confidentiellement que MM. les députés, « qui s'étaient chargés d'appuyer la demande, ne l'ont fait « que très faiblement. Pour moi, j'ai fait bien des pas et « des démarches inutiles ; mais je n'en aurais, certes, « aucun regret, si j'avais réussi. »

Victor Hugo ne s'occupait pas seulement des intérêts de la Société Littéraire, mais encore de ceux de ses membres. Un M. de Féraudy, dont le nom est encore connu à Blois, en faisait partie. Le 9 janvier, Victor écrit à son père :

« Mille choses aimables à M. de Féraudy, auquel j'ai « écrit. Dis-lui que l'article sur ses fables a paru dans le « numéro de La Foudre, du 3o novembre, lequel contenait « aussi un article sur tes Mémoires. Le 3e volume est plein « d'intérêt ; je vais en rendre compte dans l'Oriflamme. »

Du reste, les trois frères s'intéressaient à la Société Littéraire et en particulier à M. de Féraudy, l'un de ses membres. Le 19 mars 1823, Eugène étant à Blois, écrit à Paris à son frère Abel :

« Mon cher Abel,

« Un des amis de papa, M. de Féraudy, et l'un des « membres de la Société Littéraire formée à Blois, dont " papa avait été élu président, et dont tu avais été nommé » membre correspondant, ce Monsieur, dis-je, ayant appris


- 32«

32« que tu pourrais avoir auprès de quelques « journaux, a paru désirer que tu lui fisses insérer quel« ques-unes de ses fables dans les feuilles où tu travailles.

« Ayant également entendu parler des facilités que tu « parais avoir auprès du théâtre de l'Odéon, il te prie « également de lui rendre le service de présenter au Comité " de ce théâtre une pièce en un acte, dont je t'enverrai le « manuscrit.

« Avec les titres dont je viens de te parler, il était, « impossible que ce Monsieur pût s'attendre à quelque « refus de ma part. Ami de papa, et membre d'une Société « Littéraire dont je t'ai entendu te féliciter d'être membre, « c'était sans doute te faire plaisir à toi-même que. de me " charger auprès de toi de sa commission.

« Ce Monsieur a déjà publié un recueil de fables (I), " dont le Journal des Débats a rendu compte il y a un an ; « il compte en publier un nouveau volume. Il est membre « de la Société Littéraire qui avait tenté de s'organiser à « Blois, et dont toi et Victor faisiez partie ; ses fables ne te « laisseront aucun doute sur son esprit et son talent. »

Il paraît que M. de Féraudy, non content d'aspirer à l'honneur d'être joué à l'Odéon, sollicitait également les récompenses que décerne l'Académie ; le 27 mars 1824, Victor Hugo écrit :

« Mon cher papa, — Remercie, de grâce, M. de Féraudy « de sa trop aimable lettre qui nous a apporté un mot de « toi. Dès que j'aurai quelques détails des opérations de « l'Académie, je m'empresserai de lui en faire part; et je « désire bien vivement qu'ils soient conformes à ses justes « espérances. »

(1) L'Annuaire du département de Loir-et-Cher (année 1820) avait publié 6 fables de M. de Féraudy.


33

IV

Les premiers éducateurs de Victor Hugo Ses amis de Blois

Une lettre du 13 juillet 1825 nous donne quelques renseignements sur un Monsieur de la Rivière, qui fut l'un des premiers maîtres de Victor Hugo. Cette lettre, quoique un peu longue, est charmante d'un bout à l'autre: nous la citons presque en entier :

« Mon cher papa,

« C'est avec un véritable regret que je me vois contraint « de t'envoyer la lettre et la note ci-incluses. Ces deux « pièces ont besoin d'une petite explication que voici. Ces « jours derniers, mon vieil et respectable maître, M. de la « Rivière, se présenta chez moi: j'étais sorti. Il dit avoir « quelque chose de pressant à me communiquer. Je « m'empressai de me rendre chez lui, comme je le « fais toujours chaque fois que je suppose qu'il peut " avoir besoin de moi. Cet excellent homme m'exposa « alors que sa position, que son âge et celui de sa femme « rendaient plus gênée chaque jour, l'obligeait de me « rappeler une dette sur laquelle il s'était tu jusqu'à pré« sent, pensant que ta fortune ou la nôtre ne nous per« mettaient pas d'y faire honneur. Mais la nécessité « l'emportant sur son excessive délicatesse, il s'est vu enfin « forcé à cette démarche. Cette dette est celle de 486 fr. 80 « qui se trouve expliquée dans la note ci-jointe (1). Je me « suis parfaitement rappelé qu'à la mort de ma mère nous

(1) Cette note ne se trouve plus avec la lettre.

3


- 34«

34« effectivement trouvé ce mémoire dans ses papiers ; « mais je pensais qu'Abel s'était chargé du soin de te l'en« voyer, et depuis j'avais totalement oublié cette dette que « je croyais éteinte, avec le petit nombre d'autres modiques « dettes que ma mère à laissées, et dont la majeure partie « fut dans le temps acquittée avec le produit de son argen« terie et de ses robes. Je savais aussi que tu avais fait « honneur aux autres créanciers, et je croyais que M. de la « Rivière était de ce nombre.

« Comme le besoin était pressant, je pris l'avis de ma « femme ; et, de son consentement, je m'empressai d'en" voyer à M. de la Rivière une somme de deux cents francs « que j'avais disponible, et que je réservais pour m'acheter " une montre. Cette somme, mon cher papa, servira à te « décharger d'autant sur le total de la dette. C'est une fort « légère privation que je m'impose en renonçant à cette « montre, et je puis le faire sans me gêner. D'ailleurs je « sais, excellent père, que tu es loin d'être riche, et puisque « je suis pour une part dans la dépense faite par M. de la « Rivière, ces 200 francs seront ma cotisation personnelle, s Ne songe donc plus qu'au reliquat de 286 fr. 80.

« Il est absolument inutile que je te dise, cher papa, « combien une créance de ce genre est sacrée. Le peu que « nous savons, le peu que nous valons, nous le devons en « grande partie à cet homme vénérable, et je ne doute pas « que tu ne t'empresses de le satisfaire, d'autant plus qu'il « en a besoin. Il ne subsiste que du produit d'une petite « école primaire dont le modique revenu diminue de jour « en jour, l'affaiblissement progressif de ses organes et de « ses facultés lui faisant perdre par degrés tous ses élèves. « Il a attendu dix ans (1) avec une délicatesse admirable,

(1) Madame Hugo était morte le 27 juin 1821, mais c'est en 1815, à l'âge de 13 ans, que Victor Hugo avait été enlevé aux soins de M. Larivière, et placé à la pension Cordier.


« et c'est le seul reproche qu'on lui puisse faire, car je suis « sûr que tu aurais fait cesser l'objet de sa réclamation si « tu l'avais connue plutôt (sic). C'est ce que je lui ai dit, « en l'engageant à m'envoyer en hâte son compte pour te « le faire parvenir ; tu le trouveras ci-inclus, avec la lettre « qu'il m'a écrite. Je vais m'occuper de chercher l'ancien « mémoire détaillé, et si je le trouve dans le peu qui nous « reste des papiers de ma mère, je te l'enverrai sans perdre « de temps. En attendant, tu peux considérer sa note « comme authentique. »

Voici les renseignements que donne sur le père Larivière, l'auteur de Victor Hugo raconté (I) :

Après l'installation de Madame Hugo et de ses fils dans dans la maison de l'impasse des Feuillantines, la mère s'inquiéta de commencer leur instruction (1809).

« Ils n'avaient pas, surtout Victor, l'âge du collège ; elle « les envoya d'abord à une école de la rue Saint-Jacques, « où un brave homme et une brave femme enseignaient « aux fils d'ouvriers la lecture, l'écriture et un peu d'arith« métique. Le père et la mère Larivière, comme les appe« laient les écoliers, méritaient cette appellation par la « paternité et la maternité de leur enseignement. Çà se « passait en famille. La femme ne se gênait pas, la classe « commencée, pour apporter au mari sa tasse de café au « lait, pour lui prendre des mains le devoir qu'il était en « train de dicter, et pour dicter à sa place pendant qu'il « déjeûnait.

« Ce Larivière, du reste, était un homme instruit, et qui « aurait pu être mieux qu'un maître d'école. Il sut très « bien, quand il le fallut, enseigner aux deux frères le « latin et le grec. C'était un ancien prêtre de l'Oratoire.

(1) Tome Ier, p. 35 et suiv.


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« La Révolution l'avait épouvanté, et il s'était vu guillo« tiné, s'il ne se mariait pas ; il avait mieux aimé donner sa « main que sa tête. Dans sa précipitation, il n'était pas « allé chercher femme bien loin ; il avait pris la première « qu'il avait trouvée auprès de lui, sa servante. »

En 1811, Madame Hugo partit pour l'Espagne, avec ses trois fils, laissant sa maison des Feuillantines aux soins de Madame Larivière. Lorsqu'ils revinrent, en 1812, ils ne retournèrent pas à l'école, mais M. Larivière vint leur donner des leçons.

Victor avait 13 ans lorsqu'on l'enleva, en 1815, aux soins de M. Larivière pour le faire entrer à la pension Cordier.

C'est au temps où il était encore aux mains du père Larivière que Victor Hugo avait fait ses premiers vers : «. le vent d'alors était à la poésie ; tout le monde faisait des « vers ; Eugène en faisait, le père Larivière en faisait, il « n'avait pas gêné ses deux écoliers, qui avaient commencé « chez lui (1) ».

Il n'est pas sans intérêt, pour nous Blésois principalement, de relever dans la correspondance de Victor Hugo les noms de quelques amis avec lesquels il avait conservé à Blois des relations. Dans sa lettre du 13 juillet 1825, il nomme Madame Brousse, morte plus que centenaire vers 1880, et Madame Poulvé, sa fille, qui fut la belle-mère du général Bastoul, et mourut, quelques années après sa mère, dans sa maison du quai du Foix.

A propos de la Société Littéraire, nous avons nommé M. de Féraudy (2), qui sollicitait la protection de Victor

(1) Victor Hugo raconté..., t. Ier, p. 165.

(2) La famille de Féraudy a habité Blois pendant longtemps et y a conservé des relations. Nous croyons que M. de Féraudy, de la Comédie-Française, le spirituel Pégomas, de Cabotins, fait partie de cette famille.


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Hugo pour faire éditer ses fables et faire jouer un acte à l'Odéon. M. de Féraudy vint plusieurs fois les voir à Paris, et se chargeait des commissions du fils pour le père et réciproquement. Au mois de novembre 1823, Victor écrit à son père :

« Je t'écris à la hâte ces quelques mots ; M. de Féraudy « attend ma lettre et le paquet ; ma femme se dépêche de « terminer ce qu'elle envoie à ses bons parents de Blois ; « j'espère que tu en seras content, et je me tais, parce que « je craindrais, en louant le talent de mon Adèle, de « paraître vouloir rehausser son présent. Nous aurions bien « voulu t'envoyer ceci encadré ; mais M. de Féraudy nous « ayant fait quelques observations sur la difficulté du « transport, tu sens qu'une délicatesse impérieuse nous a « interdit de t'offrir ce beau dessin dans toute sa splendeur. « Au reste, M. de Féraudy s'est chargé de la commission « avec une grâce toute parfaite, et je te prie de lui réitérer « à Blois, tous nos vifs remercîments. »


38

V

Victor Hugo

Publication de ses premières OEuvres

lies OEuvres du général Hugo

La correspondance que nous avons sous les yeux ne contient, malheureusement pour nous, que bien peu de renseignements sur les oeuvres' et les projets littéraires de Victor Hugo. — Sans se faire d'illusion sur la valeur littéraire du général, Victor Hugo l'associe à ses projets, reçoit et sollicite ses conseils et s'inquiète de ses productions :

« J'attends avec impatience ton poème (I), (Lettre du « 4 juillet 1822), et les conseils que tu m'annonces, et je « te remercie vivement de toute la peine que je te cause ; « ils pourront m'être fort utiles pour ma seconde édition (2) « à laquelle je vais bientôt songer, car celle-ci s'épuise « avec une rapidité que j'étais bien loin d'espérer. Crois-tu « qu'il s'en vendrait à Blois ?

« Le papier me manque pour parler de mes grands « projets littéraires »

C'est là une bien grande perte pour nous. Dans la lettre du 26 juillet :

« J'attends toujours bien impatiemment ton poème (1) « et je ferai des exemplaires du Journal de Thionville « l'usage que tu m'indiques. »

(1) Ce poème du général Hugo était intitulé : La Révolte des Enfers.

(2) Du Ier vol. des Odes et Ballades.


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Et il ajoute en post-scriptum :

« Dans ma prochaine lettre, je te parlerai de tous les « travaux auxquels le bonheur va me permettre de livrer « un esprit calme, une tête tranquille, un coeur content. « Tu seras peut-être satisfait ; c'est du moins mon plus « vif désir. »

La lettre suivante — dans celles que nous possédons — est du 8 août 1822. — Victor Hugo oublie d'y parler de ses projets littéraires ; mais il s'étend quelque peu sur les oeuvres du général :

« Les exemplaires de l'intéressant Journal de Thionville, « que tu destinais à l'Académie des Sciences et au rédacteur « du Dictionnaire des Généraux français, sont déjà par" venus à leur destination

« Je me hâte d'en venir à ton ingénieux poème ; il me « tardait de te dire tout le plaisir que j'ai éprouvé à le lire. « Je l'ai déjà relu trois fois, et j'en sais des passages par " coeur. On trouve à chaque page une foule de vers « excellens, tels que: Et vendre à tout venant les pardons « que je donne, et des peintures pleines de verve et d'esprit, « comme celle de Lucifer prenant sa lunette pour observer « l'ange. Plusieurs de mes amis, qui sont en même temps " de nos littérateurs les plus distingués, portent de ton « ouvrage le même jugement que moi. »

Et en post-scriptum :

« Encore un mot, cher papa ; malgré l'heure de la poste « qui me presse, je ne puis m'empêcher de te dire combien « il m'a semblé remarquable que tu aies mis si peu de « tems à faire ton joli poème. »

Le 31 août 1822, il marie agréablement ses préoccupations littéraires avec celle du général :

« Je pense que tu lis à Blois les journaux qui parlent de


- 40 —

« mon recueil ; si tu le désires, je t'enverrai ceux qui me " tombent entre les mains. Je lis et relis ton joli poème de " la Révolte des Enfers. Parle-moi, je te prie, de ce que ce tu fais en ce moment. Tu sais combien cela m'intéresse ce comme fils et comme littérateur. »

Le 18 septembre :

" Je t'enverrai incessamment tous ceux que j'ai pu me ce procurer des journaux qui ont parlé de mon Recueil. Il ce continue à se bien vendre, et, dans peu les frais seront " couverts. C'est une chose étonnante dans cette saison. »

Le 29 juillet 1823 :

ce Je te fais envoyer la Muse Française, recueil littéraire " à la rédaction duquel je participe. Je te remettrai à Paris " la 2e édition de Han d'Islande. »

Le 4 octobre 1823, la lettre de Victor Hugo à son père, nous apprend que les Mémoires du général sont sous presse :

" Ma femme, qui est souffrante et qu'on purge, désire " beaucoup lire tes Mémoires avant tout le monde. Désir " de femme est un feu qui dévore. J'ai fait prier Ladvocat (1) " de m'envoyer les feuilles à mesure qu'elles s'impriment, " Ecris-lui, si tu en as le tems, pour qu'il presse les " envois. »

La lettre du 2 décembre 1823, écrite par Madame Victor Hugo, donne quelques renseignements sur les dernières oeuvres du poète :

ce M. de Clermont-Tonnerre ,2 a été charmant pour lui. « Victor ayant fait une ode sur la guerre d'Espagne (3), il

(1) Célèbre éditeur.

(2) Ministre de la marine.

(3) Liv. 2, ode VII. Novembre 1823


. — 41 —

" l'a engagé à la remettre à Monseigneur le duc d'Angou" lème (I), qui doit venir à une fête que va lui donner le " Ministre de la marine.

" Mon Victor vient de rendre à Ladvocat (I) un nouveau " volume d'odes qu'il vient de faire. Il en a vendu la " propriété pour deux ans, ainsi que celle de son premier " volume, deux mille francs, mais qui ne doivent lui être " payés que dans l'année prochaine. Nous désirons ne pas " tomber encore dans une banqueroute (2).

Le 19 janvier 1824, Victor écrit à son père :

« Je ne saurais te dire quel plaisir nous font les lettres « de Blois, et, si je n'étais accablé de mes prochaines pu" blications, j'y répondrais bien plus longuement et bien " plus promptement ; mais les soins à donner à mon « nouveau Recueil qui s'imprime, outre l'affaire de mes « banqueroutiers et les démarches sans nombre qui se « disputent mes instants, m'ôtent la douceur de t'écrire « aussi fréquemment. que l'exigerait mon attachement " profond pour toi et ta femme ».

Le 27 mars 1824, le Recueil a paru, mais le général Hugo ne l'a pas encore reçu :

" II me paraît, écrit Victor Hugo, ... que tu n'as pas " encore reçu mes nouvelles rapsodies. Pourtant le libraire

(1) Fils aîné du comte d'Artois, et le héros de la guerre d'Espagne.

(2) Au cours de l'année 1820, Victor Hugo s'était trouvé dans un grand embarras d'argent par suite de la banqueroute de son libraire. Le 15 mars, il écrivait à son père pour le prier de lui procurer 300 francs, sur un billet de son libraire qui n'avait pas été remboursé à l'échéance. Ces 300 francs étaient dus à M. Foucher, lequel était absolument sans argent. Le général envoya deux traites de 050 francs. — Le 24 mai, Victor Hugo écrit : « Je t'écris à la hâte, " bon et cher papa, au milieu des ennuis que me donne la banque" route de mon libraire. Garde-toi un peu pour la vente de tes Mé" moires, de l'extrême confiance de notre bon Abel. C'est lui qui m'a, « bien involontairement, il est vrai, poussé dans cette galère. »


— 42 -

« Ladvocat s'était chargé de te faire passer un exemplaire te vélin sur lequel j'avais écrit un mot. Mande-moi si tu " l'as reçu.

" Je t'écris encore aujourd'hui provisoirement entre deux « courses indispensables, et, je t'assure, fort ennuyeuses« Il n'y a rien, pour absorber toute une vie, comme la " publication d'un méchant livre.

ce M. de Clermont-Tonnerre, avec qui j'ai déjeuné avantce hier, m'a chargé de t'écrire que M. le duc d'Angoulême lui « avait parlé de toi, et de tes Mémoires, qu'il a lus avec le " plus haut intérêt, et qu'il regrettait que tu n'eusses pas « été employé dans la dernière guerre d'Espagne. "

La femme du général n'avait pas reçu son exemplaire du dernier Recueil de Victor Hugo. Le poète s'en explique en ces termes dans sa lettre du 19 juin 1825 :

« Tu ne m'étonnes pas en m'apprenant que ta femme " n'a pas reçu son exemplaire. J'avais remis à Ladvocat le « paquet à son adresse, avec beaucoup d'autres, pour qu'il « les mît à la poste. Tu connais la négligence de ce libraire. « Partant pour la campagne, j'ai dû me reposer sur lui de « ce soin, et j'ai déjà reçu plusieurs plaintes comme la « tienne. Le messager qui va porter cette lettre à la poste ce à Paris va être chargé en même tems d'un petit mot " sévère pour Ladvocat, et de l'ordre de réparer sur-le" champ cet oubli. Si j'en avais ici un seul exemplaire, je " l'enverrais directement à ta femme. Mais j'espère que " Ladvocat sera soigneux cette fois. »

" Je suis heureux que mon Ode (1) t'ait fait quelque " plaisir. Son succès ici passe mes espérances. Elle a été " réimprimée par sept ou huit journaux. Je vais la pré" senter au Roi. »

(I) Le Sacre de Charles X. Liv. 3, ode IV.


_ 43 -

C'est sans doute à la suite de la présentation de son Ode au Roi que Victor Hugo écrit, le 3 juillet 1825 :

« Le Roi m'a fait annoncer qu'il avait ordonné qu'on « ajoutât à toutes les faveurs dont il m'honore un envoi ce de porcelaines (1). C'est me combler. »

(1) Il s'agit probablement de porcelaines de la manufacture de Sèvres.


— 44 —

VI

Le mariage de Victor Hugo

En 1822, Victor Hugo avait 20 ans, et il était amoureux. On lui a promis une pension de mille francs ; il se croit assez riche pour se mettre en ménage, ce Je doute, écrit-il " à son père (1) le 26 juillet 1822, pour ce qui concerne la " pension que je viens d'obtenir de la maison du roi, qu'on « me rappelle le trimestre de juillet; alors elle ne courrait " que du Ier octobre, ce qui remettrait mon bienheureux « mariage à la fin de septembre. C'est bien long, mais je " me console en pensant que mon bonheur est décidé. « Quand l'espérance est changée en certitude, la patience « est moins malaisée. Cher papa, si tu savais quel ange tu « vas nommer ta fille ! »

Dans une lettre du 31 août, Victor Hugo annonce que son bonheur est proche, et demande ses papiers :

« Tout annonce que mes affaires avec l'intérieur vont « enfin se terminer, et que mon bonheur va commencer, " Mais il me faudra mon acte de naissance, et mon extrait " de baptême. Je m'adresse à toi, mon bon et cher papa ; « ne connaissant personne à Besançon (2) je ne sais corn" ment m'y prendre pour obtenir ces deux papiers. Ta " bonté inépuisable est mon recours, car, si j'attendais « encore, je tremblerais qu'ils n'apportassent du retard à « cette félicité qui me semble déjà si lente à venir. Moi " qui connais ton coeur, je sais que tu vas te mettre à ma " place ; pardonne-moi de te causer encore ce petit em(1)

em(1) général Hugo, retiré à Blois. 2) Victor Hugo est né à Besançon, le 26 février 1802.


-45 -

« barras. Tu nous avais envoyé il y a quatre ans nos actes

« de naissance ; mais en prenant nos inscriptions de droit,

nous avons dû les déposer au bureau de l'école, suivant

" la loi, et la loi s'oppose à ce qu'on les restitue. Tu me

« rendrais donc bien heureux en me procurant cette pièce

« avec mon extrait de baptême, nécessaire pour l'église,

« comme tu sais. »

Lettre du 13 septembre

Victor Hugo a reçu la parole du Ministre que sa pension allait lui être assignée sous peu de jours. Il a donc fait la demande officielle, et remis à M. Foucher une lettre du général, " Tu as dû recevoir sa réponse, écrit-il à son père " le 13 septembre, nous n'attendons plus que ton consentement légalisé.

" Si je n'ai pas été baptisé à Besançon, écrit Victor " Hugo, je suis néanmoins sûr de l'avoir été, et tu sens « combien il serait fâcheux de recommencer cette céré« monie à mon âge. M. de Lamennais, mon illustre ami, " m'a assuré qu'en attestant que j'ai été baptisé en pays " étranger (en Italie), cette affirmation accompagnée de la " tienne suffirait. Tu sens combien de hautes raisons « doivent me faire désirer que tu m'envoies cette simple « attestation. »

Victor Hugo n'est riche que de bonheur et d'espérances, comme le prouve la phrase qui suit :

« Nous sommes au 13, mon cher papa, et je n'ai pas " encore reçu notre mois. Ton exactitude à prévenir les ce besoins de tes fils me rend certain que la négligence ne « vient que des messageries. Mais je t'en avertis, cher ce papa, sûr que tu t'empresseras de faire cesser notre t gêne. »


-46Dans

-46Dans lettre suivante, du 18 septembre, Victor Hugo remercie le général de l'attestation qu'il lui a envoyée, relativement à son baptême, et le prie de mettre autant de célérité à lui faire parvenir son consentement notarié. « Je désirerais bien vivement, dit-il, que mon mariage « pût avoir lieu vers le 7 ou le 8 octobre, pour un motif " impérieux (entre tous les motifs de coeur qui, tu le sais, « ne le sont pas moins) c'est que je quitte forcément l'ap« partement que j'occupe le 8 octobre. J'ai donc prié « M. et Mme Foucher de faire commencer la publication " des bans dimanche prochain 22, elle se terminera le " dimanche 6 octobre. Mais ces bans doivent être éga« lement publiés à ton domicile, et il faut que le 6 octobre " on ait reçu à notre paroisse de Saint-Sulpice la notifi« cation de la complète publication des bans à Blois, ce « qui ne se pourrait faire qu'autant que tu serais assez « bon pour racheter un ban à ta paroisse. Le rachat coûte « cinq francs ici ; on m'assure qu'il doit être moins cher « encore à Blois. Tu sens, mon cher papa, combien est « urgente la nécessité qui me fait t'adresser cette instante " prière. Il s'agit de m'épargner l'embarras et la dépense " de deux déménagements coup sur coup dans un moment " qui entraîne déjà naturellement tant de dépense et d'em" barras ; il s'agit de plus encore, c'est de hâter mon et bonheur de quelques jours, et je connais assez ton coeur ce pour ne plus insister.

« Je suis tout à fait en règle; j'ai fait lever, sur l'extrait « de naissance déposé à l'École de Droit, une copie no" tariée qui vaut l'original. Quand ton consentement me « sera parvenu, je pourrai remplir toutes les formalités « civiles. Le papier que tu m'envoies aujourd'hui suffira " également pour les formalités religieuses.

" Les nom et prénoms de ma bien-aimée fiancée sont : " Adèle-Julie Foucher, fille mineure de Pierre Foucher,


— 47 —

ce chef de bureau au ministère de la guerre, chevalier de la ce Légion d'honnenr, et d'Anne-Victoire Asseline. Ces « renseignements te seront nécessaires pour la publication « des bans. »

Il est entendu que le général n'assistera pas à la cérémonie, et Victor Hugo, tout en regrettant son absence, ne fait pas d'insistances trop vives pour l'engager à venir. — Non seulement il ne vient pas, mais il ne contribue pas aux frais de la noce :

« Il est malheureux encore, cher papa, que cet accident « (qui t'empêche d'assister au mariage) te prive de contri« buer aux sacrifices que vont faire M. et Madame « Foucher. Je ne doute pas qu'il n'y ait que l'absolue « nécessité qui puisse l'imposer cette économie, et je suis « sûr que ton coeur en sera le plus affligé. Tâche cepen« dant de nous envoyer le plus tôt possible le mois arriéré ; « tu sens combien je vais avoir besoin d'argent dans le « moment actuel. Je te supplie encore, bien cher papa, de « faire ton possible pour continuer à mes frères Abel et

« Eugène leur pension Pour moi, je ne t'importunerai

« pas de mes besoins. A dater du Ier octobre, ma pension « me sera comptée; l'autre ne tardera pas sans doute, et « quoique ce moment-ci m'entraîne nécessairement à « beaucoup de frais, en redoublant de travail et de veilles, « je parviendrai peut-être à les couvrir. Le travail ne me « sera plus rien désormais ; je vais être heureux.

« Permets-moi en finissant, mon bien cher papa, de te « rappeler combien sont importantes toutes les prières que « je t'adresse relativement à l'envoi de ton consente« ment légal, à la publication et au rachat des bans dans ta « paroisse

En post-scriptum :

« M. et Madame Foucher sont bien sensibles à tout ce


- 48 -

ce que tu leur dis d'aimable. Tu sauras un jour quel pré« sent ils te font quand je t'amènerai ta fille. »

Malgré des recommandations aussi pressantes, les pièces n'arrivèrent pas en temps utile ; peut-être le général n'avaitil pas voulu racheter un ban à sa paroisse ? — Le 3 octobre, Victor lui écrit « de faire au moins en sorte que le certificat « de publication des bans lui arrive vendredi matin, « 11 octobre, avant 11 heures. Le jour du mariage, dit-il, « est fixé au samedi 12, et toutes les raisons que je t'ai « détaillées déjà empêchent qu'il ne soit retardé d'un « jour. »

Que pensait le général, et que pensait-on dans la famille du mariage de Victor Hugo? Une lettre du colonel Hugo à son frère le général, en date du 9 octobre, va nous renseigner sur ce point :

« J'avais fait à Victor quelques observations sur ses « projets futurs de mariage, je lui disais qu'il était bien « jeune encore pour songer à s'établir, que ta position ne « te permettait pas de faire de grands sacrifices dans cette « circonstance, et que, par conséquent, il ferait bien « d'attendre qu'il eût obtenu une bonne place qui le mette « à même de pouvoir vivre honorablement avec son épouse. « De manière qu'il m'a répondu ce qui suit :

« Je te remercie, cher oncle, des conseils que tu me « donnes, et de l'intérêt que tu me témoignes à l'occasion « de mon très prochain mariage avec la fille de M. Foucher, « Mademoiselle Adèle Foucher. Tous les aimables inquié« tudes (sic) que tu me témoignes pour mon avenir cesse« ront quand tu sauras qu'avant deux mois j'aurai près de « 3,000 francs de revenu par moi-même, tant du produit « de mes ouvrages que la pension qui est attachée au titre « de membre de la seconde académie du royaume (1). Tu

(1) L'Académie des Jeux Floraux.


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« sais, mon cher oncle, qu'en 1820, après avoir remporté « trois prix successifs, j'ai été nommé membre de l'Aca« démie des Jeux Floraux. La pénurie de la cassette royale « m'avait empêché jusqu'ici de toucher ma pension, mais « j'ai tout lieu de croire qu'à dater du 1er octobre elle me ce sera comptée. »

« Tu vois d'après cela, mon cher ami, continue le « colonel, qu'avec de la conduite et des moeurs aussi « douces que celles de Victor, il peut par la suite avoir « une très belle existence. Il paraît que son futur mariage « est un mariage d'inclination, et que Mademoiselle « Foucher est très bien élevée : or, il faut laisser aller la « chose et faire des voeux pour qu'ils soient heureux. »

Le mariage fut donc célébré le 12 octobre. Le 19, Victor Hugo écrivait à son père, lui faisait part de son bonheur en ces termes d'une ardeur toute juvénile:

« Mon cher papa,

« C'est le plus reconnaissant des fils et le plus heureux » des hommes qui t'écrit. Depuis le douze de ce mois je « jouis du bonheur le plus complet, et je n'y vois pas de « terme pour l'avenir. C'est à toi, bon et cher papa, que je « dois apporter l'expression de ces pures et légitimes joies. « C'est toi qui m'as fait ma félicité ; reçois donc pour la « centième fois l'expression de ma tendre et profonde grâ« titude.

« Si je ne t'ai pas écrit dans les premiers jours de mon « bienheureux mariage, c'est que j'avais le coeur trop plein « pour trouver des paroles ; maintenant même tu m'excu« seras, mon bon père, car je ne sais pas trop ce que j'écris. « Je suis absorbé dans un sentiment profond d'amour, et « pourvu que toute cette lettre en soit pleine, je ne doute « pas que ton bon coeur ne soit content. Mon angélique

4


— 50 -

« Adèle se joint à moi, et, si elle osait elle t'écrirait, mais « maintenant que nous ne formons plus qu'un, mon coeur « est devenu le sien pour toi. »

Dans sa lettre du 19 novembre, Victor Huge, après quelques mots respectueux, cède la plume à sa femme :

« Mon cher papa, écrit Madame Adèle Hugo, c'est la « plus heureuse des femmes qui vous doit tout son bonheur, « ce bonheur que sans vous elle désirerait encore (1), c'est « votre fille qui a mis sa destinée entre les mains du plus « noble des hommes, qui voudrait vous rendre sa recon« naissance. Dieu sait que ce n'est pas la gloire qui entoure « son talent qui me le fait admirer, mais bien cette âme si « pure, si élevée, que vous connaissez à peine (2) et à « laquelle la mienne est consacrée. Il n'est rien de moi « qui ne soit pour lui, pour mon Victor, pour votre digne « fils

« J'ai vu, mon cher papa, s'écouler le plus beau jour de « ma vie sans avoir connu l'auteur de ce beau jour... »

(1) Allusion aux démarches que le général avait faites pour hâter le mariage.

(2) Victor Hugo n'avait fait qu'entrevoir son père. Il avait 5 ans quand sa mère le conduisit en Italie, à Avellino, dont le général avait été nommé gouverneur (Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, t. I, p. 32). Il fallut repartir presque aussitôt. Joseph, nommé roi d'Espagne, y appelait le général Hugo. En 1811, Madame Hugo se rendit à Madrid avec ses enfants, mais à leur arrivée, le général était absent, et Victor, placé au collège des nobles, ne vit son père qu'un instant (Ibid., p. 115).

Au retour d'Espagne, pendant que le général défendait Thionville, Victor fut placé à la pension Cordier. Les guerres ne laissaient pas au général le temps de s'occuper de ses enfants. Plus tard, il en avait perdu l'habitude.

A 18 ans, Victor Hugo « ne voyait plus absolument que sa mère. Il « voyait moins que jamais son père, qui deux ou trois fois l'an, tout « au plus, venait passer un jour ou deux à Paris. Dans ces rapides « passages, le général ne logeait même pas chez sa femme » (Ibid., « t. Il, p. 232).


— 51 —

VII

Naissance de trois enfants Léopold, Léopoldine et Charles

Mort à Blois du petit Léopold l'aîné des enfants de Victor Hugo

Séjour à Blois, en 1825

Le général avait promis de se rendre à Paris pour la naissance du premier enfant de Victor, dont il devait être le parrain. Ce dernier fait allusion à cette promesse dans un billet du 5 mars 1823 :

« Ton absence nous prive d'une des joies les plus vives « que nous avions éprouvées dans la félicité de notre « union, celle de te voir. Il nous semble que maintenant « le mois qui nous donnera un enfant sera bien heureux, « surtout parce qu'il nous rendra notre père. »

Et plus loin :

« Ma femme continue à se porter aussi bien que sa si« tuation le permet ».

Quelques jours après, au bas d'un billet de sa femme terminé par une signature avec paraphe d'une belle rotondité, Victor Hugo ajoute :

« Mon cher papa,

« Je crois que c'est pour te donner une image de son « ventre toujours croissant que mon Adèle a fait si forte« ment saillir les rondeurs de sa signature. Je vois avec un


- 52 —

ce gentiment bien doux approcher l'heureuse époque qui « nous réunira tous auprès d'un berceau. »

Le 27 juin 1823, après avoir donné des nouvelles d'Eugène, Victor Hugo continue ainsi :

« Je suis heureux, cher papa, de reposer tes idées sur « des sujets moins tristes en t'entretenant aujourd'hui de « l'heureux moment qui doit en amener un autre égale« ment heureux pour moi, ton retour. Ma bien-aimée « Adèle accouche dans cinq semaines environ. Viens le « plus tôt qu'il te sera commode. Il me sera bien doux que « mon enfant reçoive de toi son nom, et c'est pour moi un « sujet de joie innocente de penser qu'il m'était réservé, à « moi le plus jeune de tes fils, de te donner le premier le « titre de grand-père. J'aime cet enfant d'avance, parce qu'il « sera un lien de plus entre mon père et moi. »

Et Madame Hugo ajoute quelques mots à la lettre de son mari :

« Mon cher papa,

« J'ajoute un mot à ce que dit mon Victor pour vous « réitérer la prière de hâter votre arrivée, le plutôt (sic) que « vos affaires vous le permettront. J'entends par affaires « vos commodités et celles de notre belle-mère, à la santé « de laquelle nous nous intéressons bien vivement, et que « je désire embrasser en même temps que mon petit « enfant ; nous comptons tous, mon cher papa, que vous « serez à Paris à la fin de juillet. S'il en était autrement, « j'en aurais beaucoup de chagrin, car son grand-père doit « le voir un des premiers. Ainsi, cher papa, nous vous « attendons dans cinq semaines au plus tard. »

L'enfant est né avant la fin de juillet ; le 24 juillet, Victor Hugo annonce l'événement à son père :


— 53 —

« Mon cher papa,

« Si je ne t'ai pas encore annoncé moi-même l'événe« ment qui te donne un être de plus à aimer, c'est que j'ai « voulu épargner à ton coeur de père les inquiétudes, les « anxiétés, les angoisses qui m'ont tourmenté depuis huit « jours. La couche de ma femme a été très laborieuse, les » suites jusqu'à ce jour ont été très douloureuses ; l'enfant « est venu au monde presque mourant, il est resté fort « délicat. Le lait de la mère, affaibli par la grande quantité « d'eau dont elle était incommodée, et échauffé par les » souffrances de la grossesse et de l'enfantement, n'a pu « convenir à une créature aussi faible. Nous avons été « contraints, après des essais qui ont presque mis ton « petit-fils en danger, de songer à le faire nourrir par une « étrangère. Tu peux te figurer combien j'ai eu de peine « à y déterminer notre Adèle, qui se faisait une si grande « joie des fatigues de l'allaitement. Ce qui a pu seulement « la décider, ce n'est pas le péril que sa propre santé eût « couru réellement, mais celui qui eût menacé l'enfant. « Elle a donc sacrifié courageusement à l'intérêt de son « fils son droit de mère, et nous avons mis l'enfant en « nourrice. Nous avons été assez heureux pour trouver « dans ce cas urgent une fort belle nourrice habitant notre ce quartier, et, quoique ces femmes soient fort chères à « Paris, l'instante nécessité, et la facilité d'avoir à chaque « instant des nouvelles de ton Léopold m'ont fait accepter « cette charge avec joie.

« Maintenant enfin, après tant d'inquiétudes et d'indé« cisions, je puis te donner de bonnes nouvelles. Mon « Adèle bien aimée se rétablit à vue d'oeil, et nous avons « l'espoir que le lait sera bientôt passé. L'enfant, fortifié « par une nourriture saine et abondante, va très bien, et


- 54 —

« promet de devenir un jour grand-père comme toi (1).

« Tu vois bien, bon et cher papa, que je t'ai dérobé ta « part dans des anxiétés que tu aurais certainement ressen« ties aussi cruellement que moi. Voilà la cause d'un « silence que tu approuveras peut-être après l'avoir blâmé, « Ta joie à présent peut être sans mélange comme la nôtre « qui s'accroît encore bien vivement par l'idée de te serrer « bientôt dans nos bras.

« Adieu, notre excellent père, viens vite, remercie-moi, « je t'ai donné il y a neuf mois une fille qui t'aime comme « moi, nous te donnons maintenant un fils qui t'aimera « comme nous. Et qu'y a-t-il de consolant dans la vie, si « ce n'est le lien d'amour qui joint les parents aux « enfants ? »

Mais les peines et les tracas n'étaient pas terminés. La belle nourrice qu'on avait choisie pour allaiter le petit Léopold ne valait rien sous aucun rapport. Après un essai malheureux de 4 ou 5 jours, Victor Hugo s'adressa à son père, le 27 juillet :

« Mon cher papa,

« Je me félicitais de n'avoir plus que d'excellentes « nouvelles à te mander, lorsqu'un événement imprévu « m'oblige à recourir à tes conseils et à ton assistance. La « nourrice à laquelle il a fallu confier notre enfant ne peut « nous convenir. Cette femme nous trompe, elle parait « être d'un caractère méchant et faux : elle a abusé de la « nécessité où nous étions de placer cet enfant; nous « l'avions d'abord crue bonne et douce, maintenant nous « n'avons que trop de raisons pour lui retirer notre pauvre « petit Léopold le plus tôt possible. Nous désirerions

(1) Le pauvre père était mauvais prophète, car l'enfant mourut à Blois. le 9 octobre, comme on va le voir.


— 55 —

« donc, mon Adèle et moi, après avoir pris la résolution

« de le retirer à cette femme, que tu nous rendes le service

« de lui trouver à Blois ou dans les environs une nourrice

« dont le lait n'ait pas plus de quatre ou cinq mois, et

« dont la vie et le caractère présentent des garanties suffi«

suffi« D'ailleurs nous serions tous deux tranquilles,

« sachant notre Léopold sous tes yeux et sous ceux de ta

«femme. C'est ce qui nous a décidés à le placer à Blois

« plutôt que partout ailleurs.

« Il est inutile, cher et excellent père, de te recommander

« une prompte réponse. La santé de ton petit-fils pourrait

« être altérée du moindre retard. Je te demande pardon

« pour tous les soins que nous te donnons ; je sais qu'ils

« sont doux à ton coeur bon et paternel. »

Et, en post-scriptum :

« Il est urgent que la nourrice que tu aurais la bonté de « nous procurer, s'il est possible, ait promptement l'enfant « que je ne vois pas sans inquiétude entre les mains de « cette femme. Tâche de l'amener avec toi, et en tout cas « réponds-moi courrier par courrier, car mon Adèle est « très inquiète et n'a plus d'espérance qu'en toi qu'elle sait « si bon et qu'elle aime tant ».

Le général fit toute la diligence possible en un cas si pressé ; il trouva une nourrice, et l'expédia à Paris, où elle arriva dès le 2 août, au matin. Le 3 août, Victor Hugo le remercie avec toute l'exubérance de sentiments dont témoigne sa correspondance à 20 ans :

« Mon cher papa,

« Pour pouvoir t'exprimer ici ta joie et la reconnaissance « dont nous pénètrent (sic) ta lettre, il faudrait qu'il fût « possible en même temps de dire tout ce qu'il y a de


— 56 —

« sentiments tendres et de touchante bonté dans ton coeur « paternel. Ainsi tu veux entrer encore plus que moi dans « mes devoirs de père, et en effet le premier sourire comme « le premier regard de ce pauvre petit Léopold te sera dû. « Je voudrais épancher ici tout ce que ta fille et moi « ressentons d'amour pour toi, notre excellent père, mais « il faudrait répéter ici tout ce qui remplit nos entretiens « depuis deux jours, et je me borne à ce qui n'excède pas « la limite de ce papier.

« A la réception de ta lettre, mon coeur était trop plein « et je voulais te répondre sur le champ, mais un avis sage « l'a emporté sur mon impatience, et j'ai attendu que ce « que tu avais si bien préparé fut exécuté pour pouvoir, en « l'exprimant notre vive reconnaissance, te donner en « même temps, des nouvelles de ton Léopold, de la nour« rice et de mon Adèle.

« Ta nourrice est arrivée hier matin, bien portante et « gaie; elle nous a remis ta lettre, et tes indications ont « été suivies de tout point. Tout le monde a été enchanté « d'elle et de son nourrisson. Nous avons, dans la même « matinée, retiré ton pauvre enfant de chez sa marâtre, et « il a parfaitement commencé toutes ses fonctions. Je ne « sais si c'est une illusion personnelle, mais nous le trou« vons déjà mieux ce matin. »

Madame Hugo ajoute un mot à l'adresse de son beaupère :

« Depuis que nous avons cette nourrice, j'espère

« élever mon petit Léopold, qui vous devra une seconde « vie. Et combien nous serons heureux de pouvoir visiter « en même temps et notre enfant et vous, nos chers « parents. »

Le 6 août, tout va de mieux en mieux :


- 57«

57« continue à aller ici de mieux en mieux, mère, « enfant, nourrice. »

On attend le grand-père avec impatience: « Ainsi, cher et excellent père, que nous te revoyions « bientôt, et rien ne manquera à nos joies. Réponds-moi « promptement, de grâce, et viens, si tu peux, plus « promptement encore. »

Le général vint à Paris, avec sa seconde femme, et, en revenant à. Blois dans les premiers jours de septembre, il emmena avec lui l'enfant et la nourrice. Le voyage se fit sans encombre ; dès son arrivée à Blois, le général en rendit compte à son fils, qui lui répondit le 13 septembre :

« Mon cher papa,

« Ta bonne et précieuse lettre pouvait seule nous con« soler du départ de notre père et de notre fils. Les tendres « soins que ta femme a prodigués pendant la route à son « pauvre petit fils, nous ont attendris et touchés profon« dément. »

Sur la même feuille, Madame Victor Hugo écrit à sa belle-mère pour lui faire les recommandations nécessaires en pareil cas :

« Ma chère maman,

« Depuis votre départ, je n'ai cessé de penser à mon « Léopold, et cette pensée est inséparable des bontés que « vous avez pour ce cher enfant, et de toutes celles que « que vous avez pour nous ; et, si je suis à plaindre d'être « loin de lui, il est bien heureux d'être près de vous. J'ai « été charmée de sa bonne conduite pendant le voyage, « j'espère qu'il a continué d'être aimable et de vous sou« rire, car il serait bien ingrat s'il en était autrement. J'es-


— 58 —

« père aussi que sa nourrice ne vous a donné que des « sujets de contentement ; c'est une bonne femme, qu'il « faudra je crois surveiller pour la propreté. J'ai oublié de « faire emporter à la nourrice une petite brosse pour sa « tête, il yen a à Paris de fort commodes en chiendent, « S'il n'y en a pas à Blois, je vous en enverrai une. Dites« moi aussi, chère maman, si vous pouvez vous procurer « de la Biscote, nourriture, dit-on, très saine et surtout « légère pour les enfants; dans le cas où de la bouillie, ou « bien une petite panade au sucre ne lui conviendrait pas, « je lui en enverrais. Croyez-vous aussi qu'il ne serait pas - « bon de le mettre dans son berceau les jambes un peu en « l'air, ce qui lui donnerait des forces et lui ferait plaisir ; « car j'ai remarqué qu'il ne disait jamais rien démailloté, « et criait très fort lorsqu'il sentait ses petites jambes en « prison : cela n'empêcherait pas de le couvrir, lorsqu'il « ferait froid. Je ne me permets de vous dire tout cela que « parce que je sais que vous en agirez suivant votre volonté « et pour le bien de notre fils. »

Le 4 octobre (1823), nouvelle lettre de Madame Victor Hugo ; on comprend toute la sollicitude de la jeune mère séparée de son enfant :

« Mon cher papa,

« Paul (1) est arrivé enchanté, et m'a enchantée par ce « qu'il m'a dit de mon Léopold ; je ne parle pas des soins « si attentifs de sa grand'mère, parce qu'ils sont tels que « je renonce à mon droit de mère. Je suis ravie quand je « pense que dans deux mois je vous verrai, ainsi que ce « cher enfant qui nous est si précieux, et qui vous coûte « tant de peines et de sollicitudes. Je suis triste seulement

(1) Paul Foucher, auteur dramatique et journaliste, frère de Madame Hugo.


- 59 —

« de penser que je ne serai que très secondaire dans sa « tendresse, puisque je ne suis que sa seconde mère, et que « je n'aurai pas même le droit d'être jalouse.

« Je voulais vous consulter pour faire vacciner notre « fils. Je crois que le temps est favorable, et il est impor« tant qu'il le soit. Au reste, que tout cela soit selon votre « volonté.... . »

Malgré un mal au doigt qui le faisait souffrir et lui rendait l'écriture très difficile, Victor Hugo ajoute sur la même feuille :

« Mon cher et bon papa,

« Il y a trop longtemps que je ne me suis entretenu « avec toi pour ne pas sentir le besoin de te témoigner « aussi moi-même combien je suis profondément touché « de toutes les bontés dont notre Léopold est comblé par « toi et par son excellente grand'maman. La première lettre « que je puis écrire avec ma main convalescente doit être « pour toi, cher papa. J'ignore comment je pourrai te rendre « tous les sentiments de reconnaissance et de tendresse « que je voudrais t'exprimer; mais cette impuissance même « fait mon bonheur. Puisse un jour, ton petit-fils, digne « de toi, te payer, ainsi que la seconde mère qu'il a trou« vée en ta femme, par tout ce que l'amour filial a de plus « tendre et de plus dévoué. Voilà des sentiments qu'il me « sera aisé de lui inspirer.

« Nous espérons que ce pauvre petit chevreau (1), « continue à se bien trouver de ce nouveau régime. Paul « nous a dit tous les soins et toutes les caresses que tu lui « prodigues, ainsi que sa grand'mère et toute ta maison.

(1) Le petit Léopold avait été mis sans doute au régime du lait de chèvre.


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« Ce récit a ému Adèle jusqu'aux larmes, c'est te dire « l'impression qu'il a produit sur moi. »

Malgré les soins dont il était entouré, le pauvre petit Léopold allait fort mal. A peine la lettre précédente étaitelle partie, qu'arrive de Blois une lettre du général donnant de mauvaises nouvelles : Victor Hugo écrit aussitôt à son père (le 6 octobre) :

« Mon cher papa,

« L'impatience d'avoir des nouvelles de son Léopold a « porté ma femme à décacheter hier la lettre que tu écrivais « à son père. Tu peux juger de sa désolation et de ses « inquiétudes.

« Pour moi, bon et excellent père, je me confie avec « une tendre confiance aux sollicitudes maternelles de ta « femme. Dis-lui, répète-lui cent fois que nul être au « monde ne sent plus profondément que moi tout ce qu'elle « fait pour ce pauvre enfant qui sera encore plus à elle « qu'à moi.

« Nous espérons, puisque ta lettre permet encore « d'espérer, nous espérons, puisque ta femme a eu la « secourable pensée de s'adresser au ciel, nous espérons « enfin parce que vous êtes là, vous ses bons parents, ses « protecteurs, ses sauveurs.

« Envoie-nous promptement de ses nouvelles, cher papa, « nous espérons, mais nous sommes résignés ; c'est une « force qui vient du ciel. Adèle attend ta réponse avec « courage ; je ne t'embrasse pas pour elle, elle veut le faire « elle-même »

Et Madame Hugo écrit sur la même feuille :

« Ma chère maman,

« Je viens d'apprendre une nouvelle désolante pour « nous. Mon pauvre petit est donc bien mal ? Et quel mal


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« vous-même n'avez-vous pas ? Si je pouvais partir de suite « pour Blois, j'irais vous relayer dans vos soins maternels, « mais moi-même je suis très souffrante, et ai besoin d'être « soignée. Je n'écouterais pas encore tout cela, si le « médecin ne s'y opposait très expressément, malgré tout « je partirais suivant votre conseil pour mêler nos larmes, « ou pour l'embrasser encore une fois, ce pauvre enfant, « Quel droit n'avez-vous pas, chère maman, à notre ten« dresse, et comment notre Léopold n'est-il pas guéri, « soigné par une si tendre mère ? Adieu, j'embrasse mon « bon papa, et vous, chère maman, que j'aime tant ! »

« ADÈLE. »

Les parents affligés avaient bien compris que leur enfant était perdu. Il mourut en effet le 9 octobre, à 3 heures du soir (1). A la lettre qui lui annonçait ce malheur, Victor Hugo répond comme suit, le 13 octobre :

« Cher papa,

« Je n'accroîtrai pas ta douleur en te dépeignant la « nôtre ; tu as senti tout ce que je sens, ta femme éprouve « tout ce qu'éprouve Adèle. Non, je ne veux pas t'attrister « de toute notre affliction; si tu étais ici, excellent père,

(1) Voici l'acte de décès de Léopold Hugo :

« L'an mil huit cent vingt-trois, le dixième jour du mois d'octo« bre, à 10 heures du matin, par devant nous, Denis Gault, officier « de l'état-civil de la commune de Blois, département de Loir-et« Cher, sont comparus : M. François-Jules Benoist, profession de « licencié de droit, domicilié à Blois, et Me François-Charles-Henry « Lemaignen, profession d'employé, domicilié à Blois.

« Lesquels nous ont déclaré que le neuf dudit mois d'octobre, à « 3 heures du soir, Léopold-Victor Hugo, âgé de trois mois, né à « Paris, demeurant à Blois, département de Loir-et-Cher, fils de « M. Victor-Marie Hugo, membre de l'Académie des Jeux Floraux, « et de dame Adèle Foucher, son épouse, domiciliés à Paris, est dé« cédé en notre commune, et en la maison de M. le général Hugo, « rue du Foix. »


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« nous pleurerions ensemble et nous nous consolerions en « partageant nos larmes.

« Tout le monde est ici plongé dans la stupeur, comme « si Léopold, comme si cet enfant d'hier, cet être mala« dif et délicat, n'était pas mortel. Hélas ! il faut remercier « Dieu qui a daigné lui épargner les douleurs de la vie. « Il y a des moments où elles sont bien cruelles !

« Notre Léopold est un ange aujourd'hui, cher papa, « nous le prierons pour nous, pour toi, pour sa seconde « mère, pous tous ceux qui l'ont aimé pendant sa courte « apparition sur la terre.

« Il ne faut pas croire que Dieu n'ait pas eu son dessein « en nous envoyant ce petit ange sitôt rappelé à lui. Il a « voulu que Léopold fût un lien de plus entre vous, « tendres parents, et nous, enfants dévoués. Mon Adèle, « au milieu de ses sanglots, me répétait hier que l'une de ses « douleurs les plus vives était de penser à celles que toi et « ton excellente femme avez éprouvées.

« Ce n'est pas à ta lettre que je réponds ; j'ai appris la « fatale nouvelle de Madame Foucher. Dans le premier « moment, elle avait caché les deux lettres, de peur « qu'Adèle ne les lût; elle n'a pu les retrouver depuis.

« Du reste, elle m'a dit tout votre chagrin, toutes vos « tendres et pieuses intentions pour que la trace de ce cher « petit ne s'efface pas plus sur la terre, qu'elle ne s'effacera « dans nos coeurs. « Adieu, bon et cher papa, console-toi de mon malheur, « C'était hier (12 octobre), l'anniversaire de notre « mariage. Le bon Dieu nous a donné une leçon en nous « ramenant à ce doux souvenir de joie au milieu d'une si « vive douleur. »

Victor Hugo acceptait courageusement le coup terrible que lui portait la mort de son premier né. Il signe : ton fils résigné. Le 16 octobre, il écrit de nouveau au général :


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« Notre désolée mère commence à se consoler un peu. « Pendant que je t'écris ceci, elle s'occupe à dessiner « quelque chose qui fera plaisir à ses chers parents de « Blois; car l'un de ses sentiments les plus vifs est sa ce tendresse et sa reconnaissance pour vous. »

Dans une lettre du mois de novembre, il revient sur son malheur, et sur le dessin que sa femme préparait pour ses parents de Blois.

« Comment se porte ta femme ? Console-la en notre

« nom de notre malheur Mon Adèle est toujours

« bien souffrante. Ce coup n'a pas contribué à la remettre, « Cependant, elle a éprouvé une grande douceur à faire « quelque chose pour toi, mon excellent père, et pour la « grand'mère de son Léopold. Elle ne prend pas en ce « moment la plume pour vous parce qu'elle tient encor « (sic) le crayon »

Madame Hugo ne tarda pas à devenir grosse de nouveau : le 27 mars 1824, Victor Hugo écrivait à son père :

« Ma femme avance dans sa grossesse sans se por« ter aussi bien que. je le voudrais. Nous ne sommes « cependant pas inquiets : mais, tout en m'affligeant, je « ne puis cependant m'empêcher d'approuver la défense « que lui ont faite les médecins d'aller en voiture. Cela « nous prive d'un bien grand bonheur que nous nous pro« mettions pour le printemps (1), mais qui, nous l'espérons, « n'est que retardé de six mois. »

Le second enfant de Victor Hugo fut sa fille Léopoldine (2). On a vu plus haut que Madame Hugo dessinait

(1) Le 19 janvier précédent, Madame Hugo avait écrit à sa bellemère :

« Nous nous faisons une fête d'aller vous voir au printemps. « Comme nous allons nous embrasser ? »

(2) Léopoldine Hugo épousa M. Charles Vacquerie, fit périt malheureusement avec lui, en 1823, peu de temps après son mariage.


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agréablement. Victor Hugo, lui aussi, maniait habilement le crayon, et, au commencement de 1825, il s'occupait de faire le portrait de sa petite Léopoldine. Le 19 février 1825, Madame Hugo écrit au général :

« Mon cher papa,

« J'attendais toujours pour vous écrire que mon mari « eût fini le portrait de ma Didine ; mais, comme ma fille « remue toujours, et que Victor exige un modèle tranquille, « il est long à le terminer

« Ma fille se porte très bien, et n'a pas encore de dents ; « elle est très gaie, et nous amuse beaucoup ; il me tarde « bien de vous la remettre entre les bras, aussi comptons« nous partir, si cela arrange vos projets, dans deux mois ; « nous nous faisons une si grande fête de vous voir que « je voudrais que ce fût demain. Au surplus, mon cher « papa, écrivez-nous quand il vous sera commode de « nous recevoir.

« Mon Victor vous embrasse, embrasse la marraine de notre Didine (1) »

Victor Hugo écrit, au bas de la lettre de sa femme :

« J'ajoute un mot, cher papa, à la lettre de notre « Adèle .... Je voulais, comme elle te le dit, t'envoyer le « portrait de Léopoldine dans ma plus prochaine lettre, « mais mon désir de te le donner ressemblant me l'ayant « déjà fait deux ou trois fois recommencer, je ne veux pas « tarder plus longtemps à solliciter de tes nouvelles

« Adieu, bien cher et bien excellent père, je m'occupe « en ce moment de ramasser de la besogne pour notre « séjour à Blois, qui nous promet tant de bonheur.

(1) On voit que la seconde femme du général Hugo fut la marraine de Léopoldine.


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« Notre Didine est charmante. Elle ressemble à sa mère, « elle ressemble à son grand-père. Embrasse pour elle sa « bonne marraine. »

Appelé à Paris par ses affaires, le général prévint la visite de son fils ; la lettre précédente se croisa avec une autre du général qui annonçait sa prochaine arrivée à Paris. Victor Hugo lui répond aussitôt (le 27 février) :

« Mon cher papa,

« Tu as vu que nos lettres se sont croisées : je désire que «notre lettre t'ait fait autant de plaisir que la tienne nous « en a fait. Elle ne pouvait nous apporter de plus agréable « nouvelle que celle de votre prochaine arrivée ; et j'espère « presque, en décrivant celle-ci, qu'elle ne te trouvera pas « à Blois.

« Tu ne saurais croire quelle fête nous nous faisons de « te présenter notre Léopoldine, toujours petite, mais « toujours bien portante et si gentille !.... Elle vous « aimera tous deux comme nous l'aimons ; nous ne « saurions en dire davantage. »

Le voyage à Blois eut lieu au printemps de 1825. Victor Hugo, sa femme et Didine partirent par la malleposte.

Au moment où « Victor Hugo allait monter dans le coupé de la malle, où sa femme et sa fille étaient déjà installées (dit l'auteur de Victor Hugo, raconté par un témoin de sa vie, t. Ier, p. 26), un commissionnaire accourut tout essoufflé et lui remit une grande lettre cachetée de rouge qui venait d'arriver chez lui, et que son beau-père lui envoyait en toute hâte. C'était un brevet de chevalier de la Légion d'honneur.

« A Blois, le général était à la descente de la voiture. Victor Hugo, sachant le plaisir qu'il ferait à son père, lui


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tendit aussitôt son brevet, et lui dit : — Tiens, ceci est pour toi.

« Le général, charmé en effet, garda le brevet, et, en échange, détacha de sa boutonnière son ruban rouge qu'il mit à celle de son fils.

« Le surlendemain, il reçut le nouveau chevalier avec le cérémonial d'usage.

« Les jeunes mariés virent la maison blanche et carrée épanouie entre ses deux vergers dont il est question dans les Feuilles d'Automne (1). Le général avait de plus, en Sologne, une terre de dix-huit cents arpents (2), qui fut l'objet d'une excursion. Un corps de logis, d'un seul étage, n'avait de curieux qu'un balcon de pierre, seul reste d'un vieux château, d'où l'on avait sous les pieds un étang

(1) La maison du général Hugo, rue du Foix, 73 (aujourd'hui 71), appartient aujourd'hui à M. Baratte. (Voir le premier chapitre de ce travail).

12) Il me semble que l'auteur de Victor Hugo raconté, etc., exagère singulièrement l'importance de la terre que le générai possédait en Sologne. Il avait acheté, le 12 décembre 1823, par acte devant Me Pardessus, notaire à Blois, moyennant 31,000 fr., une petite propriété, appelée La Miltière, située communes de Pruniers et de Lassay. Elle consistait, d'après l'acte, en : maison de maître, grange, cénacles, un enclos appelé le parc de la Miltière, distribué en jardin anglais et entouré de fossés, contenant environ 5 hectares, et en 100 hectares de terres, prés et taillis. Après la mort du général, la Miltière fut revendue péniblement 20,000 francs.

Du reste, Victor Hugo lui-même ne semble pas avoir considéré la Miltière comme un séjour enchanteur. Nous lisons dans une lettre qu'il écrit à son père, le 19 juin 1825 :

« Mon cher papa, « C'est de la campagne où je suis allé passer quelques jours chez « un ami qui demeure à deux lieues de Paris, que je te réponds. Je « regrette bien que tu y sois toi-même (à la campagne) en ce moment. « Les chaleurs successives, la solitude et le dénuement de la Miltière me « font trembler pour ta chère santé. Il me semble que tu aurais dû « retarder ce voyage, quelque important qu'il pût être, et ne pas « t'aventurer seul dans cette saison, au milieu des déserts de la « Sologne. Tu sais comme moi combien les pays humides et sablon« neux exhalent de miasmes morbifiques dans les grandes chaleurs, « et mon Adèle te reproche tendrement de nous donner l'inquiétude « de te savoir là-bas. »


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poissonneux entouré d'ifs et de chênes. Au delà, ce n'étaient plus que sables, marais, bruyères plantées ça et là de chênes et de peupliers. »

Cette visite, assez longue, que Victor Hugo fit à son père au printemps de l'année 1825, est mentionnée dans plusieurs lettres intéressantes ; il y est question de Blois et de Chambord, pour lesquels le poète manifeste une admiration sans bornes.

« Je suis ici, écrivait-il le 28 avril à Alfred de Vigny (1), « dans la plus délicieuse ville qu'on puisse voir. Les rues « et les maisons sont noires et laides, mais tout cela est jeté « pour le plaisir des yeux sur les deux rives de cette belle « Loire; d'un côté, un amphithéâtre de jardins et de ruines, « de l'autre une plaine inondée de verdure. A chaque pas « un souvenir.

« La maison de mon père est en pierres détaille blanches, « avec des contrevents verts, comme ceux que rêvait « J.-J. Rousseau ; elle est entre deux jardins charmants, au « pied d'un coteau, entre l'arbre de Gaston (2) et les clochers « de Saint-Nicolas. L'un de ces clochers (3) n'a point été « achevé et tombe en ruine. Le temps le démolit avant que « l'homme l'ait bâti. »

Le 7 mai, Victor Hugo écrit de cette ville historique et pittoresque, à M. de Saint-Valéry (4) :

« J'ai visité hier Chambord. Vous ne pouvez vous figu« rer comme c'est singulièrement beau. Toutes les magies, « toutes les poésies, toutes les folies même sont représentées

(1) Correspondance, p. 22.

(2) L'ormeau que, suivant la tradition, Gaston d'Orléans avait fait planter sur la butte des Capucins.

(3) La tour nord. — Elle fut restaurée une première fois vers 1846, et couverte d'une pyramide de pierre dite bonnet de coton, remplacée dernièrement par un élégant clocher couvert en ardoises.

(4) Correspondance, p. 48.


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« dans l'admirable bizarrerie de ce palais de fées et de

« chevaliers. J'ai gravé mon nom sur le faîte de la plus

« haute tourelle; j'ai emporté un peu de pierre et de

« mousse de ce sommet, et un morceau du châssis de la

« croisée sur laquelle François Ier a inscrit les deux

« vers :

« Souvent femme varie « Bien fol est qui s'y fie. »

« Ces deux reliques me sont précieuses. »

Cette visite de 1825, la plus longue qu'il eût faite à son père, avait laissé à Victor Hugo de profonds et agréables souvenirs. Près de 40 ans après, il la rappelle et en décrit toutes les circonstances dans une lettre écrite de Guernesey à M. Queyroy, qui lui avait envoyé son ouvrage sur les Rues et Maisons du vieux Blois. Nous copions ici, malgré sa longueur, cette lettre très belle et très intéressante, dans laquelle Victor Hugo fait revivre avec un singulier bonheur et une remarquable intensité de coloris la ville de Blois telle qu'il la vit, le 17 avril 1825 :

Hauteville-House, 17 avril 1864.

Monsieur, je vous remercie. Vous venez de me faire revivre dans le passé. Le 17 avril 1825, il y a 39 ans aujourd'hui même, (laissez-moi noter cette petite coïncidence intéressante pour moi), j'arrivais à Blois. C'était le matin. Je venais de Paris. — J'avais passé la nuit en malleposte, et que faire en malle poste? J'avais fait la ballade des Deux-Archers ; puis, les derniers vers achevés, comme le jour ne paraissait pas encore, tout en regardant à la lueur de la lanterne passer à chaque instant des deux côtés de la voiture des troupes de boeufs de l'Orléanais se dirigeant vers Paris, je m'étais endormi. La voix du conducteur me réveilla. — Voilà Blois! me cria-t-il. J'ouvris les yeux et je


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vis mille fenêtres à la fois, un entassement irrégulier et confus de maisons, des clochers, un château, et sur la colline un couronnement de grands arbres et une rangée de façades aigues à pignons de pierre au bord de l'eau, toute une vieille ville en amphithéâtre, capricieusement répandue sur les saillies d'un plan incliné, et à cela près que l'Océan est plus large que la Loire et n'a pas de pont qui mène à l'autre rive, presque pareille à cette ville de Guernesey que j'habite aujourd'hui. Le soleil se levait sur Blois.

Un quart d'heure après, j'étais rue du Foix, n° 73. Je frappai à une petite porte donnant sur un jardin : un homme qui travaillait au jardin vint m'ouvrir. C'était mon père.

Le soir, mon père me mena sur un monticule qui dominait sa maison (1) et où est l'arbre de Gaston ; je revis d'en haut la ville que j'avais vue d'en bas; l'aspect, autre, était, quoique sévère, plus charmant encore. La ville, le matin, m'avait semblé avoir le gracieux désordre, et presque la surprise du réveil ; le soir avait calmé les lignes. Bien qu'il tît encore jour, le soleil venait à peine de se coucher, il y avait un commencement de mélancolie ; l'estompe du crépuscule émoussait les pointes des toits : de rares scintillements de chandelles remplaçaient l'éblouissante diffusion de l'aurore sur les vitres ; les profils des choses subissaient la transformation mystérieuse du soir ; les roideurs perdaient ; les courbes gagnaient ; il y avait plus de coudes et moins d'angles. Je regardais avec émotion, presque attendri par cette nature. Le ciel avait un vague souffle d'été.

La ville m'apparaissait, non plus comme le. matin, gaie et ravissante, pêle-mêle, mais harmonieuse : elle était

(1) La butte des Capucins.


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coupée en compartiments d'une belle masse, se faisant équilibre. Les plans reculaient, les étages se superposaient avec à propos et tranquillité. La cathédrale, l'évêché, l'église noire de Saint-Nicolas, le château, autant citadelle que palais, les ravins mêlés à la ville, les montées et les descentes où les maisons tantôt grimpent, tantôt dégringolent. Le pont avec son obélisque, la belle Loire serpentant, les bandes rectilignes des peupliers, à l'extrême horizon Chambord indistinct, avec sa futaie de tourelles, les forêts où s'enfonce l'antique voie dite « ponts romains » (1) marquant l'ancien lit de la Loire, tout cet ensemble était grand et doux. Et puis mon père aimait cette ville.

Vous me la rendez aujourd'hui.

Grâce à vous, je suis à Blois. Vos vingt eaux-fortes montrent la ville intime, non la ville des palais et des églises, mais la ville des maisons (2). Avec vous, on est dans la rue ; avec vous on entre dans la masure : et telle de ces bâtisses décrépites, comme les logis en bois sculpté de la rue Saint-Lubin, comme l'hôtel Denis Dupont, avec sa lanterne d'escalier à baies obliques suivant le mouvement de la vis de Saint-Gilles, comme la maison de la rue Haute (3), comme l'arcade surbaissée de la rue Pierre-deBlois, étale toute la fantaisie gothique, ou toutes les grâces de la Renaissance, augmentées de la poésie du délabrement. Être une masure, cela n'empêche pas d'être un bijou. Une vieille femme qui a du coeur et de l'esprit, rien n'est plus charmant. Beaucoup des exquises maisons dessinées par vous sont cette vieille femme-là. On fait

(1) Victor Hugo fait allusion aux Ponts-Chartrains, qui passaient pour être un ouvrage du temps des Romains.

(2) Les Rues et Maisons du vieux Blois, eaux-furies de M. A. Queyroy.

(3) Cette maison a été démolie, mais d'importants fragments en sont conservés dans la cour du Château, sous la galerie de la chapelle.


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avec bonheur leur connaissance. On les revoit avec joie, quand on est comme moi, leur vieil ami. Que de choses elles ont dites, et quel délicieux rabâchage du passé ! Par exemple, regardez cette fine et délicate maison de la rue des Orfèvres, il semble que ce soit un tête à tête. On est en bonne fortune avec toute cette élégance. Vous nous faites tout reconnaître, tant vos eaux-fortes sont des portraits. C'est la fidélité photographique, avec la liberté du grand art. Votre rue Chemonton est un chef-d'oeuvre. J'ai monté, en même temps que ces bons paysans de Sologne, peints par vous, les grands degrés du Château, la maison à statuettes de la rue Pierre-de-Blois est comparable à la précieuse maison des musiciens de Weymouth. Je retrouve tout.

Voici la Tour d'Argent, voici le haut pignon sombre au coin des rues des Violettes et de Saint-Lubin. Voici l'hôtel de Guise, voici l'hôtel de Cheverny, voici l'hôtel Sardini avec ses voûtes en anse de panier, voici l'hôtel d'Alluye avec ses galantes arcades du temps de Charles VIII, voici les degrés de Saint-Louis, qui mènent à la cathédrale. Voici la rue du Sermon, et, au fond, la silhouette presque romane de Saint-Nicolas ; voici la jolie tourelle à pans coupés dite oratoire de la reine Anne. C'est derrière cette tourelle qu'était le jardin où Louis XII goutteux se promenait sur son petit mulet.

(Suivent des considérations sur le bon roi Louis XII et sur Gaston d'Orléans. Puis, Victor Hugo continue : )

Toutes ces figures, et Henri III et le duc de Guise, et d'autres, y compris ce Pierre de Blois qui a eu pour gloire d'avoir prononcé le premier le mot transubstantiation, je les ai revues, Monsieur, dans la confuse évocation de l'histoire, en feuilletant votre précieux recueil. Votre fontaine de Louis XII m'a arrêté longtemps. Vous l'avez reproduite comme je l'ai vue, toute vieille, toute jeune,


charmante. C'est une de vos meilleures planches. Je crois bien que la Rouennerie en gros constatée par vous, vis à vis l'hôtel d'Amboise (1), était déjà là de mon temps. Vous avez un talent vrai et fin, le coup d'oeil qui saisit le style, la touche ferme, agile et forte, beaucoup de naïveté, et ce don rare de la lumière dans l'ombre. Ce qui me frappe et me charme dans vos eaux-fortes, c'est le grand jour, la gaieté, l'aspect souriant, cette joie du commencement qui est toute la grâce du matin. Des planches semblent baignées d'aurore. C'est bien là Blois, mon Blois à moi, ma ville lumineuse. Car la première impression de l'arrivée m'est restée. Blois est pour moi radieux. Je ne vois Blois que dans le soleil levant. Ce sont là des effets de jeunesse et de patrie.

Je me suis laissé aller à causer longuement avec vous, Monsieur, parce que vous m'avez fait plaisir. Vous m'avez pris par mon faible, vous avez touché le côté sacré des souvenirs. J'ai quelquefois de la tristesse amère, vous m'avez donné de la tristesse douce. Etre doucement triste, c'est là le plaisir. Je vous en suis reconnaissant. Je suis heureux qu'elle soit si bien conservée, si peu défaite, et si pareille encore à ce que je l'ai vue il y a quarante ans, cette ville à laquelle m'attache cet invisible écheveau des fils de l'âme, impossible à rompre, ce Blois qui m'a vu adolescent, ce Blois où les rues me connaissent, où une maison m'a aimé, et où je viens de me promener en votre compagnie, cherchant les cheveux blancs de mon père et trouvant les miens.

Je vous serre la main, Monsieur,

VICTOR HUGO.

(1) L'enseigne : Rouennerie en gros, était sur l'hôtel d'Amboise lui-même.


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Le 3 novembre 1826, Victor Hugo eut un fils. Le jour même, il annonce au général cet heureux événement :

« Mon Adèle est accouchée cette nuit, à cinq heures « moins vingt minutes du matin, d'un garçon fort bien « portant (1). Cette pauvre amie a cruellement souffert, « Je t'écris en ce moment près de son lit ; elle se trouve ce assez bien, cependant elle croit avoir quelque fièvre, et « je lui recommande de ne point parler.

« Nos bons parents recevront sans doute avec bien de la « joie ce nouveau venu qui vient remplacer le petit ange « que nous avons si douloureusement perdu il y a trois « ans. Votre bonheur ajoute au nôtre.

« Je ne t'en écris pas davantage aujourd'hui, cher papa: « embrasse pour nous ta femme, fais part de la naissance « de ton petit-fils à mes amis de Blois, MM. Brousse, de « Féraudy, de Béthune, Driollet, etc., Mesdames Brousse, « etc »

Et, en post-scriptum :

« Est-ce que vous n'arriverez pas bientôt à Paris ? Nous « vous attendrions pour le baptême. Ce serait double « fête. »

(1) Charles-Victor Hugo, auteur de romans historiques et panthéistiques.


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VIII La maladie d'Eugène Hugo

D'après l'auteur de ce Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie » (t. III, p. 113), c'est pendant la nuit même qui suivit le mariage de Victor que se déclara définitivement la terrible maladie à laquelle succomba Eugène Hugo, le second fils du général.

Le 20 décembre 1822, Victor écrivait à son père :

« Mon cher papa. — C'est auprès du lit d'Eugène malade, « et dangereusement malade, que je t'écris. Le déplorable « état de sa raison, dont je t'avais souvent entretenu, empila rait depuis plusieurs mois d'une manière qui nous alar« mait tous profondément, sans que nous puissions y « porter sérieusement remède, parce qu'ayant conservé le « libre exercice de sa volonté, il se refusait obstinément à « tous les secours et à tous les soins. Son amour pour la « solitude, poussé à un excès effrayant, a amené une crise « qui sera peut-être salutaire, du moins il faut l'espérer, « mais qui n'en n'est pas moins extrêmement grave et le « laissera pour longtemps dans une position bien « délicate. Abel (1) et Madame Foucher t'écriront plus « de détails sur ce désolant sujet. Pour le moment, je me « contente de te prier de nous envoyer de l'argent. Tu « comprendras facilement dans quelle gêne ce fatal événe« ment m'a surpris ; Abel est également pris au dépourvu, et et nous nous adressons à toi comme à un père que ses et fils ont toujours trouvé dans leurs peines et pour qui les « malheurs de ses enfants sont les premiers malheurs. Du

(1) Le fils aîné du général Hugo.


« moins, dans cette cruelle position, avons-nous été heu« reux dans le hasard qui nous a fait prendre pour médecin « une de tes anciennes connaissances, le docteur Fleury. « Adieu, bon et cher papa, j'ai le coeur navré de la triste « nouvelle que je t'apporte. Notre malade a passé une « assez bonne nuit, il se trouve mieux ce matin, seulement « son esprit qui est tout à fait délirant depuis avant-hier « est en ce moment très égaré. On l'a saigné hier, on lui « a donné l'émétique ce matin, et je suis près de lui en « garde-malade. Adieu, adieu, la poste va partir, et je n'ai « que le temps de l'embrasser en te promettant de plus « longues lettres d'Abel et de M. Foucher.

« Ton fils tendre et respectueux.

« VICTOR. »

Dans cette triste circonstance, le général vint à Paris et fut obligé d'y passer quelque temps. Victor Hugo ne connaissait pas son père (voir note, p. 50). Ce fut à cette époque qu'il le vit et le connut. « Comme la gelée blanche « au soleil, l'amertume du fils s'évapora aux rayons de la « bonté de cet homme excellent. Il comprit la grandeur « de ces soldats qui avaient fait voir à toutes les capitales

« le drapeau de la France » (Victor Hugo raconté,

etc. t. III, p. 23).

Puis, la santé d'Eugène s'améliorant un peu, le général l'emmena chez lui, à Blois, dans le but de hâter sa convalescence. Le 5 mars 1823, Victor Hugo écrit à son frère (chez le général Hugo, son père, grande rue du Foix, Blois) :

« Ta lettre, mon bon et cher Eugène, nous a causé une « bien vive joie. Nous espérons que l'amélioration de ta « santé continuera au gré de tous nos désirs, et que tu « auras bientôt retrouvé, avec le calme de l'esprit, cette


-76»

-76» et cette vivacité d'imagination que nous admirions « dans tes ouvrages.

« Dis, répète à tous ceux qui t'entourent, combien nous « les aimons pour les soins qu'ils te donnent. Dis à papa « que le regret d'être éloignés de lui et de toi est rendu « moins vif par la douceur de vous savoir ensemble. Dis« lui que son nom est bien souvent prononcé ici comme « un mot de bonheur, que les mois qui nous séparent de « votre retour vont nous sembler bien longs. Dis-lui pour « nous tout ce que ton coeur te dit pour lui, et ce sera « bien.

« Ton frère et ami,

« VICTOR. »

Et, sur la même feuille de papier, Victor Hugo écrivait au général :

« A papa,

« Mon cher papa,

« Ton absence nous prive d'une des joies les plus vives « que nous ayions (sic) éprouvées dans la félicité de notre « union, celle de te voir. Il nous semble que maintenant « le mois qui nous donnera un enfant sera bien heureux, « surtout parce qu'il nous rendra notre père Eugène « reviendra aussi, et reviendra sûrement content et guéri.»

Eugène était mieux portant. Le 19 mars il écrivait de Blois à son frère Victor pour lui faire diverses recommandations. Puis il revient à Paris, et, au mois de mai, il se trouvait dans la maison de santé du Dr Esquirol. Le 24 mai (1823), Victor écrivait à son père :

« Mon cher papa,

« J'ai remis hier à Eugène ta lettre qui l'a touché autant « qu'affligé. Sa douleur de ne pouvoir te revoir à Blois « n'a été un peu calmée que par l'espérance que je lui ai


— 77 —

« donnée de te revoir à Paris dans deux mois. Ce terme lui « a semblé bien long. Je dois te dire, cher papa, que je ne « l'ai plus trouvé aussi bien. On a pour les malades, chez « M. Esquirol, des soins infinis, mais ce qui est le plus « funeste à Eugène, c'est la solitude et l'oisiveté auxquelles « il est entièrement livré dans cette maison. Quelques « mots qui lui sont échappés m'ont montré que dans et l'incandescence de sa tête, il prenait cette prison en hor« reur, il m'a dit à voix basse qu'on y assassinait des « femmes dans les souterrains et qu'il avait entendu leurs « cris. Tu vois, cher papa, que ce séjour lui est plus « pernicieux qu'utile. D'un autre côté la pension (dont « M. Esquirol doit t'informer) est énorme, elle est de « 400 francs par mois. D'ailleurs, le docteur Fleury pense « que la promenade et l'exercice sont absolument néces« saires au malade. Je te transmets tous ces détails, mon « cher papa, sans te donner d'avis ; tu sais mieux que moi « ce qu'il faut faire. Je crois néanmoins devoir te dire « qu'il existe, m'a-t-on assuré, des maisons du même « genre où les malades ne sont pas moins bien soignés « que là et paient moins cher. Il parait qu'on n'a pas assez « caché à Eugène qu'il fût parmi des fous ; aussi est-il très « affecté à cette idée que j'ai néanmoins combattue hier « avec succès. »

Eugène ne resta qu'un mois chez le docteur Esquirol ; le prix élevé de la pension ne permit pas de le laisser plus longtemps dans cette maison. On va voir qu'il fut transféré dans un asile public, pour être traité aux frais de l'État.

Le 27 juin (1823), Victor écrit de Gentilly :

« Mon cher papa,

« Eugène, après un séjour de quelques semaines au « Val-de-Grâce, vient d'être transféré à Saint-Maurice,


- 78«

78« dépendant de l'hospice de Charenton, dirigé par « M. le docteur Royer-Collard. La translation et le traite« ment ont lieu aux frais du gouvernement : il te sera « néanmoins facile d'améliorer sa position, moyennant « une pension plus ou moins modique; on nous assure « que cet usage est généralement suivi pour les malades « d'un certain rang. Au reste, le docteur Fleury a dû « écrire à l'un de ses amis, qui sera chargé d'Eugène dans « cette maison, et M. Girard, directeur de l'École vétéri« naire d'Alfort, a promis à M. Foucher, qui le connaît « très particulièrement, de recommander également les « soins les plus empressés pour notre pauvre et cher « malade, et d'en faire son affaire. M. Foucher, Abel et « moi comptons t'écrire incessamment de nouveaux détails et sur ces objets, ainsi que sur la santé, toujours dou« loureusement affectée de notre infortuné frère Au

« reste, l'état de sa raison, comme j'ai eu l'occasion de « l'observer dans mes fréquentes visites chez le docteur « Esquirol et au Val-de-Grâce, ne subit que des variations « insensibles. Toujours dominé d'une idée funeste, celle « d'un danger immédiat, tous ses discours, comme tous « ses mouvements, comme tous ses regards, trahissent cette « invincible préoccupation ; et je crains que les moyens « dont la société use envers ces malades, la captivité et l'oi« siveté ne fassent qu'alimenter une mélancolie dont le seul « remède, ce me semble, serait le mouvement et la distrac« tion. Ce qu'il y a de cruel, c'est que l'exécution de ce « remède est à peu près impossible, parce qu'elle est « dangereuse.

« Je t'envoie ci-incluse une lettre de M. le Dr Esquirol « qui n'éclaircit rien et n'ajoute rien à mes idées person« nelles, à mes observations particulières sur notre « Eugène ; je crois l'avoir déjà écrit la plupart de ce que « te dit le docteur, auquel j'avais déjà exposé tous les faits


— 79 —■

« qu'il présente. Il est vrai que le malade a fait chez lui « un bien court séjour. Mais je pense que cette maison lui « était plus nuisible qu'utile. M. Hatzemberger a envoyé « chez M. Foucher les 400 francs que demande le « Dr Esquirol pour un mois de pension, et M. Foucher a « prévenu ce dernier qu'ils sont à sa disposition. »

Le 1er juillet (1823), Victor Hugo envoie à son père le reçu de M. Esquirol par son cousin Adolphe Trébuchet, qui allait à Blois :

« Nous n'avons pas encore, dit-il, pu voir notre pauvre « Eugène à Saint-Maurice ; il faut une permission, et il « est assez difficile de l'obtenir. Abel a du reste obtenu en « attendant de ses nouvelles qui sont loin malheureuse« ment d'être satisfaisantes. Il est toujours plongé dans sa « même mélancolie, il a pendant quelque temps refusé « toute nourriture ; mais enfin la nature a parlé, et il a « consenti à manger. Le traitement qu'il subit n'exige pas « encore, à ce qu'il paraît, un supplément de pension ; « quand cela sera nécessaire, on nous en avertira. »

Du 3 août :

« La santé d'Eugène continue de se soutenir physique« ment; mais il est toujours d'une malpropreté désolante. « Le Val-de-Grâce n'a envoyé avec lui, à Charenton, « qu'une partie de son linge : nous nous occupons de « rassembler le reste pour le lui faire porter. Ce qui me « contraria vivement, c'est l'extrême difficulté de voil« notre pauvre frère à Saint-Maurice. »


— 80 —

IX

Voyage en Suisse

On connaît le voyage que Victor Hugo fit en Suisse avec Charles Nodier, et dans lequel on avait espéré comprendre Lamartine. Il est question de ce projet de voyage dans une lettre du 31 juillet 1825 :

« Cher papa,

« Nous apprenons pour la première fois avec regret que « tu vas bientôt peut-être venir à Paris ; c'est que nous en « partons, et tu conviendras qu'il est dur d'en partir quand « tu vas y arriver.

« Notre excursion en Suisse s'exécute. Mardi, à 5 heures « du matin, nous roulerons vers Fontainebleau. J'ai été « horriblement souffrant toute la semaine d'un torticoli ; « mais je suis mieux, et le voyage achèvera de me « remettre.

« Les libraires paient notre voyage, et au delà. Ils me « donnent 2,25o francs pour 4 méchantes odes. Je ne crois « pas que Lamartine puisse être de la partie; il vient « d'être nommé secrétaire d'ambassade, à Florence. Nodier « est des nôtres. »

D'après l'auteur de Victor Hugo raconté , c'était

l'éditeur Urbain Canel qui faisait les frais de ce voyage, à la condition que les voyageurs lui rapporteraient un ouvrage qu'on intitula provisoirement : « Voyage poétique « et pittoresque au Mont-Blanc et à la vallée de Cha« monix ». Victor Hugo devait donner 4 odes, Lamartine 4 méditations, Taylor les dessins et Nodier le texte.


- 81 -

On voyageait dans deux voitures. Victor Hugo emmenait avec lui sa femme et sa petite-fille.

La première pose se fit à Saint-Point, chez Lamartine, qui les reçut à bras ouverts, mais ne les accompagna pas au delà des limités de son domaine.

Le voyage eut lieu sans accident. On visita Genève, Lausanne, Chamonix. Mais le livre ne parut jamais, bien que Victor Hugo en ait écrit un fragment, sur le trajet de Sallenche à Chamonix (1).

(1) Publié dans le 1er vol. de Victor Hugo raconté , p. 43.


— 82 —

X Victor Hugo, protecteur de sa famille

Si, à 20 ans, Victor Hugo était loin d'avoir atteint la fortune, s'il attendait, pour se marier, de pouvoir justifier d'un revenu de 3,000 francs, comprenant le produit de ses ouvrages et la pension du ministère, il avait déjà de très belles relations que son père, le général, et son oncle, le colonel, songèrent plus d'une fois à mettre à profit.

Dans les temps du mariage de Victor, le colonel Louis Hugo, alors employé au recrutement à Tulle, lui avait écrit de s'informer près de M. Foucher, qui était chef de bureau au ministère de la guerre, « s'il pensait que sa « mission à Tulle ne serait pas un titre d'exception pour « sa mise à la retraite, quoique n'ayant pas atteint ses « cinquante ans d'âge. » Victor Hugo répondit : « Il est très « vrai que MM. les colonels employés dans les conseils de « recrutement ne sont pas considérés comme en activité ; « il est très vrai également que le désir d'éteindre les « demi-soldes fait qu'on s'empresse de mettre à la retraite « tous les officiers qui remplissent les conditions deman« dées, quelque jeunes qu'ils puissent d'ailleurs être encore. « M. Foucher pense donc que ce qu'il y aurait de mieux à « faire pour toi, ce serait de réclamer de l'activité. Il m'a « dit du reste que le Ministre était très satisfait de tes ser« vices à Tulle, et qu'il se pourrait, grâce à cette considé« ration, que la règle générale de mettre à la retraite tous « les officiers qui peuvent y être mis, souffre une exception « à ton égard. Je termine ces détails, mon meilleur oncle, « en te priant, si tu fais quelques démarches, de te servir « de moi comme de toi-même. Je serai heureux de te « rendre quelque petit service. »


— 83 —

Le 19. octobre 1822, Victor Hugo écrit à son père : « M. Foucher s'occupe des intérêts de mon oncle Louis au « ministère de la guerre. »

Le 27 juin 1823, Victor Hugo s'entretient avec son père des intérêts que celui-ci avait en Espagne :

« Quant aux biens d'Espagne, dit-il, je ne doute pas « qu'une réclamation de toi ne fût bien accueillie, et je la « présenterais moi-même au Ministre des affaires étran« gères (1); seulement j'appréhende que la décision de cette « affaire dépende moins de mon illustre ami que de M. de « Martignac, qui est l'homme de M. de Villèle. »

Le général avait le plus grand désir d'être rappelé à l'activité. Madame Hugo y fait allusion dans sa lettre du 19 janvier 1824 :

« Je vous envoie une note de la part de papa (2). Victor « désirerait bien que vous fussiez employé; c'est, dit-il, « la seule chose qu'il désire. Ce bon Victor vous aime « tant! »

Lettre du 19 janvier 1824 :

« M. le Marquis de Clermont-Tonnerre, avec qui j'ai « déjeuné dernièrement, m'a chargé de mille choses « aimables pour toi ; il est tout disposé à te servir et je « voudrais que tu employasses tes amis, parmi lesquels il « en est de si puissants, pour obtenir au moins une « inspection générale. »

Du 27 juin 1824 :

« Malgré les efforts de M. Foucher et toute la bonne « volonté du général Coetlogon, nous n'avons pas réussi « cette fois. Ta demande était arrivée trop tard, et le duc

(1) M. de Chateaubriand, qui venait de succéder à M. de Montmorency, après avoir représenté la France au congrès de Vérone.

(2) M. Foucher.


- 84«

84« avait depuis quelque tems retenu les « inspections générales peur des officiers généraux de « l'armée d'Espagne. J'ignore, cher papa, si cet événement « est un malheur réel ; ce n'est pas un échec pour tes vieux « et glorieux services, puisqu'il est hors de doute que ta « demande l'eût emporté, s'il y eût eu concurrence; mais « les places étaient déjà promises au prince. Il me semble « d'ailleurs que cela augmente encore les chances pour la « promotion de lieutenants généraux de la Saint-Louis ; « et qu'avec l'appui de M. de Clermont-Tonnerre (je ne « puis plus dire malheureusement : et de M. de Chateau« briand (1), il sera très possible à cette époque de te faire « arriver à ce sommet des dignités militaires où tu devrais « être depuis si longtemps parvenu. »

Et, en post-scriptum :

« Si mon illustre ami revient aux affaires, nos « chances triplent. Nos rapports se sont beaucoup resserrés « depuis sa disgrâce, ils s'étaient fort relâchés pendant sa « faveur ».

Cette fois, les espérances ne devaient pas être trompées. Le père de Victor Hugo fut promu lieutenant général, non pas, il est vrai, à la Saint-Louis 1824, mais dans les premiers mois de l'année 1825. — Victor Hugo fait allusion à cet événement dans sa lettre du 19 juin 1825 :

« Les journaux de Paris ont annoncé ta promotion de « la manière la plus flatteuse ? Que t'importe un oubli « qu'ils font si fréquemment? Que t'importe la jalousie? « II suffit de ton nom et de ta réputation pour mériter « l'envie. Résigne-toi, mon cher père, à cet inconvénient « de toute position élevée. »

(1) Chateaubriand avait quitté le ministère le 6 juin 1824.


— 85 —

On voit que les éloges de la presse parisienne, sur la promotion du général, n'étaient pas sans quelques restrictions.

Dans la même lettre, en post-scriptum :

« Je recois à l'instant une lettre d'Emile Deschamps (1), « où je lis : M. le général Hugo nous a bien fait plaisir en « devenant lieutenant général. — Y aurait-il quelque « moyen de lui faire parvenir nos félicitations, et l'hom« mage de mon respect ? »

Ce n'est pas seulement pour les membres de sa famille que Victor Hugo s'employait, comme il est naturel; profitant de ses hautes relations, les compatriotes Blésois, les amis de son père, s'adressaient volontiers à lui.

« II m'est malheureusement impossible, écrit-il le « 10 octobre 1825, de rien faire pour le professeur dont « tu m'envoies une lettre. J'ai beaucoup moins de crédit « qu'on ne m'en suppose ; et j'ai dû dernièrement employer « le peu d'influence que je puis avoir sur M. l'Evêque « d'Hermopolis (2), pour obtenir une bourse à l'un de nos « cousins Trébuchet. Le succès n'est même pas encore « décidé. Tu sens que toutes mes forces doivent être « dirigées vers ce but, si important pour notre malheureux « oncle Trébuchet et que je ne pourrais occuper le Ministre « d'une autre affaire sans nuire à la sienne. — Qui trop « embrasse mal étreint. »

(1) Poète et collaborateur de Victor Hugo à la Muse française. (2) Frayssinous, Ministre de l'Instruction publique.



TABLE

Pages

I. Le général Hugo à Blois 10

II. La belle-mère de Victor Hugo 25

III. La Société Littéraire de Blois 28

IV. Les premiers éducateurs de Victor Hugo. —

Ses amis de Blois 33

V. Victor Hugo. — Publication de ses premières

oeuvres. — Les oeuvres du général Hugo... 38

VI. Le mariage de Victor Hugo 44

VII. Naissance de trois enfants: Léopold, Léopoldine

Léopoldine Charles. — Mort à Blois du petit Léopold, l'aîné des enfants de Victor Hugo.

— Séjour à Blois en 1825 51

VIII. La maladie d'Eugène Hugo 74

IX. Voyage en Suisse 80

X. Victor Hugo protecteur de sa famille 82


BLOIS, IMPRIMERIE C. MIGAULT ET Ce — 12.9 79



BRISACIER

D'azur ait lion d'or, au chef de même chargé de trois trèfles d'azur

Nous donnons ici ces armes telles qu'elles sont gravées sur la pierre fondamentale du maître autel de l'Eglise des Minimes de Blois (aujourd'hui au Musée), posée par le doyen de St-Sauveur, Laurent de Brisacier, le Ier Septembre 1632.

On remarquera que le chef est soutenu d'une burelle de que ne

mentionne aucun nobiliaire.

(Dessin relevé par M. A, THIBAULT et note du même).


UNE FAMILLE BLÈSOISE

I

La Camille de Brisacier

« La famille de Brisacier est encore plus recommandable par le mérite personnel et la probité reconnue de ceux qui en ont porté le nom, que par la noblesse de ses aïeux, qui, de père en fils; ont possédé le titre de Trésorier de France dans la généralité du Berry leur patrie (1) ».

Suivant un document de style et d'allure bizarres conservé aux Archives nationales, la famille de Brisacier serait d'origine Polonaise (2).

(1) Histoire manuscrite du Monastère de la Visitation de Blois, t. II, p. 419. (Conservée au Monastère de la Visitation du Mans, qui nous l'a très gracieusement communiquée.

(2) JOANNES DE BRISACIER

Ex antiqua Polonias familia oriundus

Educatus in famulitio nobili

Francisci Ducis Andegavensis

Henrici II régis filii

Avus Equitum Cataphractorum turma;

Sub Marescallo Cossceo

Epistathmus

Vir strenuus

Et robore virium insignis

Cui ob singularem fortitudinem


— 90 —

Le premier en date dans cette pièce est un Jean de Brisacier, marié en 151 à Perrette Le Bourcier, et

In proelio memoria celebri

Dionysiis in campis anno

Labbari Regii portandi

Honos habitus est.

X

D. O. M.

Rollandus de Brisacier

Paternis arlibus institutus

Cum se ad militiam accingerct adolescens

Ab armis ad Aulae negotia traductus

Aulhore I). Rusoeo de Beaulieu Regi a secret, interior.

Sub ejus mandatis

Industriam explicuit fidem probavit

Hinc apud Bituricenses vel Thesaurarius Francise AErarii Praefectus

In provinciali munere tantum enituit

Ingenio, labore, continentia

Ut selectum e multis

Ad Aulse ministeria rursus evocaret

Quando primum rebus publicis admotus est

Episcop. Luxoniensis, postea Cardinalis de Richelieu

Virtutis exactor et censor acerrimus

Qui multiplicibus officiis expertus Rollandum

Constantem, probum pecuniae contemplorem

Eum Marchioni d'Efliat

Supremam fisci procurationem suscipienti

Primo loco commendavit

Quem iis moribus per sexennium tenuit

Ut muneris asperitatem humanitate temperaret

Et quod iis temporibus novum,

Nulli invisus, nihil ditatus decederet

Sed beatum fecerunt

Quantum vivo licet esse

Conscientia vitae bene collocatae

Animus in Deum pius, sibi quietus, adversus alios lenis

Familia patri quam simillimae

Amicorum non ficta charitas

Et anni ad septuagesimum secundum suaviter producti

X

Obiit in Christo Redemptore an. MDCXXXVIII

X

Liberi Rollandi de Brisacier Ex unice dilecta conjuge


- 91 —

capitaine de cuirassiers sous les ordres du maréchal de Cossé. Il s'illustre au combat livré en 1267, dans les plaines de Saint-Denis; entre catholiques et protestants et eut l'honneur d'y sauver le drapeau royal.

Son fils Jean II de Brisacier était, par brevet de 1583, chambellan de François, duc d'Anjou, fils de Henri II. Il épousa Marie Morin.

Rolland de Brisacier, fils de Jean II, et né en 1566, fut instruit par son père. Il se préparait, dans son adolescence, au métier des armes, quand il fut envoyé à la Cour et placé sous la direction de Rusé, seigneur de Beaulieu, secrétaire particulier du Roi. Nommé trésorier de France, à Bourges, il s'y distingua par son intelligence et son intégrité. Appelé de nouveau à la Cour par Richelieu alors évêque de Luçon, ce dernier le recommanda très particulièrement au marquis d'Effiat, surintendant des finances. Il mourut en 1638 après avoir eu les titres et charges de « Conseiller du Roi en ses Conseils d'Etat et privé et son maître d'hôtel ordinaire ».

De son union avec Françoise du Laurens devaient naître sur la paroisse Saint-Solenne, de Blois, douze enfants :

Francisca du Laurens

Quae proprias matronis dotes

Mirabili prudentia exornavit

Superstites

Carol ? Johan ? Guillelm ? Laurent ? Nicola ?

Anna Maria

Quos indoles ab honesta queeq : promptà

Pietate et obsequiis contendens

Cum parentum indulgentia

P0er omnes Règni ordines et vitse genera

Cu ignitate ispersit.

uillelmus Rgi a onsiliis ecretiorib. Hoc onumentum oni uravit.

Arch. at. Sé. M. . . o3)


2

I. L'aîné, Charles (né en 1616), écuyer, Conseiller du Roi en ses conseils, épousait Marie Le Lorrain ; il succédait à son père dans la place de trésorier de la généralité du Berry et prenait en 1649 le titre d'intendant de la police et des finances pour le roi à Monaco (?).

2. Le second fils, Jean, sera jésuite et se rendra célèbre par ses polémiques avec les jansénistes (1603-1668).

3. Anne (1605-1662), épousa en premières noces Claude Riollé, écuyer, sieur des Ormeaux, Capitaine au régiment de Vaubrecourt et se remaria avec Pierre Crye, conseiller du Roi, maître de la Chambre des Comptes de Normandie. Elle eut une filleappelée Françoiseet son légataireuniversel fut René de Brisacier, trésorier général de France à Bourges (1).

4. Guillaume, conseiller d'Etat, trésorier du Roi à Bourges, sieur de Monriche, épousa Madeleine de Garsaulan (né en 1607) (2). Il était père de Mathieu, né vers 1630 et secrétaire des commandements de la Reine. Ce Mathieu eut une vie très agitée. Il obtint de Jean III, roi de Pologne, des lettres patentes datées de 1676, qui reconnaissent sa parenté avec la famille de Brisacier « issue d'une ancienne race de Pologne et lui permettent d'écarteler ses armes. Mathieu en conséquence espérait se faire nommer duc et pair en France, se ruina en vaines tentatives et alla mourir à Florence, sans avoir pris d'alliance ».

(1) L'épitaphe de cette dame Crye est au Musée de Blois. V. Le Loir-et-Cher historique, 1898, p. 43.

(2) On conserve encore au Monastère de la Visitation du Mans, un grand tableau représentant la Visitation de la Sainte Vierge, portant cette inscription: Mic. Corneille inv. pinxit. Donné en 1650 par M. de Brisacier de Monriche à sa chère soeur, et un autre tableau de Saint Joseph, portant même inscription. Ces deux peintures viennent de l'ancien couvent de la Visitation, de Blois. — Le 16 avril 1671, un M. de Brisacier habite à Blois, rue de la Porte-Saint-Jean, une maison avec porte cochère (Note de M. Thibault). S'agit-il de Guillaume ?


— 93 —

5. Gabrielle (née en 1608).

6. Laurent fut le doyen de Saint-Sauveur (1609-1690).

7. Marie entra à la Visitation de Blois et en fut supérieure (1613-1686).

8. Henri (né en 1615).

9-10. Charles et Nicolas, deux jumeaux (nés en 1616). Nous pensons que ce Nicolas s'identifie avec un Nicolas de Brisacier, chevalier, aide-de-camp des armées du Roy, comte de Hombourg, capitaine et gouverneur de la ville et du château de Sierck près de Thionville et grand bailli d'Allemagne. Il serait mort en 1674 « malheureusement tué dans sa maison d'Honbourg, par les ennemis (1) ».

« Il avait pendant sa vie toujours été fort bien en cour : mais Monsieur son fils ne sut pas s'y maintenir si heureusement, car par de mauvais conseils il s'attira l'indignation du Roy qui le fit arrêter à la Bastille avec Madame sa mère... Les malheureux n'ayant point ou peu de véritables amis, toute la terre parla d'eux avec mépris... »

Marie de Brisacier, dont nous venons de parler, alors religieuse à la Visitation de Blois, s'affectait beaucoup des épreuves que ressentaient sa belle-soeur et son neveu. L'Histoire de la Visitation de Blois continue en ces termes :

« Dans le temps qu'il nous est permis de faire des pénitences au Réfectoire, elle se mettait une corde au col et allait à chaque table se mettre à genoux, priant les soeurs de se souvenir dans leurs prières des pauvres captifs. Enfin Dieu l'exauça en quelque manière car après quatorze mois de détention, l'affaire n'ayant pas été trouvée si criminelle qu'on le disait, ils furent délivrés et leur honneur un peu rétabli mais non pas leurs biens. Ils vinrent ensuite chercher leur consolation auprès de cette chère soeur pour

(1) Histoire manuscrite du Monastère de la Visitation de Blois, t. I, p. 191.


— 94 —

laquelle ils avaient tant de vénération qu'ils la regardaient comme leur véritable mère... (i) ».

11. Philippe (né en 1619).

12. François (né en 1621).

— Charles eut lui-même huit enfants, dont six nés sur la paroisse Saint-Solenne, Guillaume, inscrit en 1637 sur les registres de Saint-Honoré et les deux suivants :

Jacques-Charles, qui sera supérieur du Séminaire des Missions étrangères pendant de longues années (16421736) ; son frère René, écuyer, conseiller du Roi, trésorier de France à Bourges, maître des requêtes ordinaire de la Reine, seigneur de la Mahaudière et de Pont-Levoy en partie (2), épousera Marguerite Huard qui lui donnera, cinq enfants nés à Blois, paroisse Saint-Solenne, où il avait habité successivement rue de la Juiverie, rue du PetitChastel et rue du Marché (3).

1. Charles (né en 1668).

2. Nicolas, plus tard prêtre, docteur de Sorbcnne (né en 1670).

3. Marguerite, religieuse du Monastère de la Visitation de Blois (1672-1752).

4. Marie-Magdeleine (née en 1676).

5. René Mathias, écuyer, conseiller du Roi et trésorier général de France à Bourges, visiteur des Ponts et Chaussées de la Généralité, seigneur du Masne, des Chapelles et autres lieux (né en 1682) (4).

Au même degré que Jacques-Charles et René, nous

(1) Histoire de la Visitation, eod. loc.

(2) Il possédait une métairie à Villeberfol, près de Conan; d'autres de Brisacier possèdent des terres à La Chaussée (1620) et le tiers de la grande dîme de Villejoin (1686). (Notes de M. Thibault).

(3) Il était parent du mineur Léon de la Loue, fils de Léon de la Loue, chevalier, seigneur du Portail et de feue Cécile-Jeanne Dupuy. (Note de M. Thibault).

(4) V. Inventaire des Archives Dép. du Cher, tome II, série C, 686, 759, 994, 1071.


— 95 -

pouvons rappeler ici le nom de Marie-Françoise, épouse de François Leroux, sieur de Villeray, lieutenant-colonel au régiment d'Espagny.

— Les armes de cette famille, d'après l'armoriai de d'Hozier (i) et de Bernier (2), se composaient ainsi : D'azur à un lion d'or et au chef d'argent chargé de trèfles d'azur.

Nous allons dans les chapitres suivants rappeler les souvenirs de plusieurs membres de cette famille, en réveillant du passé leur figure énergique ou originale, heureux d'ajouter une page inédite à la série de nos biographies locales. Nous remercions de grand coeur avant de commencer tous ceux qui nous ont aidé de leur précieux et très aimable concours.

(1) Armoriai de la généralité de Bourges. — Bib. Nat., M. Fr.; 32198. — V. Dictionnaire de la Noblesse (1771), tome III, v° Brisacier. — D'Hozier désigne cette famille sous le nom de ce Brisacier » sans mettre la particule: à l'époque, ce détail préoccupait peu les familles nobles, aussi nous les désignerons tantôt sous le nom de ec Brisacier », tantôt sous celui de « de Brisacier », qu'il nous suffise de savoir qu'ils appartenaient à la noblesse.

(2) Histoire de Blois, p. 61.


- 96 -

II

Jean de Brisacier

( 1603-16686

Jean de Brisacier naquit à Blois, paroisse Saint-Solenne, le 9 juin i6o3, de Roland de Brisacier, trésorier de France à Bourges et de Demoiselle Françoise du Laurens (i). Nous manquons de renseignements sur la première partie de son existence : tout ce que nous savons c'est qu'il entra chez les Jésuites en 1619.

« II enseigna les Humanités et la Philosophie, et fit les quatre voeux.

« II se mit ensuite à la prédication et fit une mission à Castres où il montra beaucoup de courage et de ferveur (2) ».

Puis, s'il faut l'en croire, il aurait suivi les armées, sans doute en qualité d'aumônier militaire, assistant en 1641 au siège d'Aire sur la Lys (3) et gardant pour toujours de cette vie des camps la passion des coups d'épée et l'humeur belliqueuse.

(1) 1603. — Le lundy 9° jour de juing feut ne Jehan, lilz de Roland de Brisacier, conseiller du Roy, trésorier de France et général de ses finances en la généralité de Languedoil, estably à Bourges et de Damoiselle Françoise Dulaurens et feut baptisé le 18° jour de septembre en suivant. Son parrain feut Jehan Bouïer, sieur de Fontaines, conseiller du Roy et contrôleur général en l'audience- de la chancellerie de France, sa marraine Damoiselle Marie Melissant, femme de noble Homme Me Claude Mallier, aussy conseiller de Sa Majesté et trésorier de France et général de ses finances à Orléans (Paroisse Saint-Solenne, reg. paroissiaux, copie de M. Trouëssar-,-.

(2) Bibliothèque générale des Auteurs de France, par Dom J. Liron, 1719, tome 1er.

(3) ce Je n'ai pas oublié parmi le bruit des canons et de la guerre ce que m'a appris saint Jérôme ». — Le Jansénisme confondu, par le P. de Brisacier, II" partie, p. 43 et IVe partie, p. 2.


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Il gouverna ensuite le collège d'Aix et vers cette époque fut désigné pour aller solliciter à Rome la censure du livre d'Antoine Arnauld : « De la fréquente communion (1) ». Ce n'était qu'une très légère escarmouche livrée contre le jansénisme. Nommé prédicateur au collège de Blois, il allait ferrailler avec plus de fracas contre les amis de Port et contre Port-Royal lui-même, se rendant célèbre non seulement dans notre contrée, mais encore en France. Nous voulons parler de ses démêlés avec M. Jean Callaghan (ou Mac Callaghan), curé de Cour-Cheverny. qu'il accusait de jansénisme (2).

Qu'était ce Callaghan ? Il est assez difficile dans cette histoire de démêler la vérité ; les discussions furent âpres et vives ; des deux côtés on se jeta à la tête les insinuations les plus malveillantes. Le P. de Brisacier cherchait à rabaisser Callaghan et les amis de ce dernier s'efforçaient de l'anoblir. C'était du reste l'heure où le jansénisme luttait désespérément contre mille attaques et surtout contre les vigoureux assauts des Jésuites.

Né en Irlande, Callaghan était allié aux familles les plus anciennes de ce pays, aux Muskry et aux Hamilton (3). Il s'était retiré de son pays, dépité d'avoir vu à son exclusion un cordelier monter sur un trône épiscopal d'Irlande (4) et le hasard l'avait amené à Quimper où les Jésuites l'avaient recueilli à la porte de leur collège ce tout nud, tout gueux,

(1) Histoire de Port-Royal, par Jean Racine (OEuvres complètes, édit. de 1807), tome VI, p. 299.

(2) M. Callaghan était curé de Cour-Cheverny et non de Cour-surLoire ainsi que l'indique Fournier dans son Essai sur Blois, p. 177.

(3) V. Arnauld : « L'innocence et la vérité défendues contre les calomnies et les faussetés que les Jésuites ont employées en divers libelles pour déchirer les vivants et les morts et décrier la doctrine sainte de la Pénitence et de la Grâce et que le P. Brisacier a recueillies dans son livre censuré par Monsieur l'Archevêque de Paris », p. 56. — Bib. Nat., D. 3938.

(4) Histoire générale du Jansénisme, par Dom Gerberon, auteur janséniste, tome Ier, p. 512.


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comme un pauvre hère (1) » : là il fut « nourri et entretenu cinq ou six ans durant en qualité de noble valet, correcteur et balieur (2) ».

ce C'est faux », s'écrie messire Antoine Arnauld pour le défendre et à sa voix se joint celle de Callaghan ; ce Callaghan s'est rendu à Nantes et jamais à Quimper. Il a été chez les oratoriens... »

En tous cas chacun est d'accord pour dire qu'il prit ses grades de docteur en théologie à la Sorbonne et qu'ensuite il vint à Cour-Cheverny pour y être curé.

Madame Anne Hurault de Cheverny, épouse du marquis Charles. d'Aumont, lieutenant général des armées du Roi en Allemagne, était propriétaire de la terre et du château de Cheverny (3). Le curé de la paroisse, ecclésiastique vertueux, ayant désiré se décharger ec d'un poids aussi pesant qu'est la conduite d'une grande cure, pria la Dame de cette terre (Madame d'Aumont), qui est une veuve signalée en piété, de lui adresser quelque homme de bien entre les mains duquel il put remettre sa cure (4) ». La marquise négocia l'affaire. Elle s'adressa à M. l'abbé Callaghan qu'elle avait vu « auprès d'un ecclésiastique son beau-frère et au lieu où il s'était retiré (5) ». Ce lieu n'était autre que l'abbaye de Port-Royal-des-Champs, où Madame d'Aumont avait pris sa retraite deux ans après la mort de son mari. Ce prêtre en question s'y trouvait avec Messieurs Singlin et de Rebours (6). Notre Irlandais

(1) Arnauld, op. cit., p. 37, rapportant des détails donnés par le P. Brisacier.

(2) Balayeur.

(3) Cette dame mourut le 19 décembre 1658, à Port-Royal et y fut enterrée suivant son désir (Nécrologe de l'Abbaye de Port-Royal. Amsterdam, 1723, p. 487).

(4) Arnauld, op. cit. p. 9.

(5) Eod. loc. p. 10. Il s'agit ici de l'évêque d'Avranches.

(6) Supplément au Nécrologe de l'Abbaye de Port-Royal, 1735, p. 626.


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quitta donc Port-Royal en 1650 pour se rendre à CourCheverny, tandis que sa protectrice assurait généreusement une pension au curé démissionnaire.

« Comme il enseignait à son peuple les voies du ciel et les règles de l'Evangile qui ne sont pas aussi larges que les Jésuites voudraient le faire croire, son zèle, sa science et sa piété lui acquirent une grande réputation, mais elles le mirent en même temps en butte aux injures et aux calomnies des Jésuites qui firent tout en usage pour perdre ce Janséniste. Ils déchiraient sa foi et sa conduite par des impostures les plus fausses et les plus outrageantes (1) ».

Le P. de Brisacier prêchait le carême de 1651 à SaintSolenne et le 29 mars, il montait en chaire pour traiter de l'évangile de Saint Jean, chapitre VII, qui porte ces mots : « Il y avait grand murmure parmi le peuple touchant sa personne. Les uns disaient : c'est un homme de bien, les autres: non, c'est un séducteur. » Il établissait un moyen de reconnaître si le ce Docteur nouveau venu » était un vrai ou un faux prophète, un hérétique ou un séducteur, « J'ai dit, je l'avoue, écrivait plus tard le P. de Brisacier, qu'il fallait éviter les faux prophètes, les repousser avec vigueur et leur cracher au visage (2) ».

« Tout cela venait de ce que les principaux habitants de Blois, qui avaient des maisons de campagne ou du bien à Cheverny, étaient en état d'en faire la comparaison avec les sermons du P. de Brisacier, d'une manière peu avantageuse pour le Jésuite (3) ».

(1) D. Gerberon, op. cit. p. 484.

(2) Rapporté par Arnauld, op. cit. p. 23. D. Gerberon, eod. loc. parle d'un autre sermon du 20 mars.

(3) OEuvres complètes d'Arnauld, Paris, 1779, tome 30e. Préface historique et critique, p. II. — Cette préface contient avec forces détails toute l'histoire du P. de Brisacier et du Curé de CourCheverny ; nous résumons ce récit.


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Ce ne fut pas tout : on mit en circulation un pamphlet ayant pour titre : Callaghanus natione Hybernicus Chiverniensis curio, an Satyrus ille qui nuper in lucem prodiit. Ce libelle latin était un dialogue entre deux personnages allégoriques Philémon et' Armide et renfermait des apostrophes tellement injurieuses à l'adresse du malheureux Janséniste de Cour-Cheverny, que nous ne pouvons résister à en transcrire un passage :

« Que dites-vous bête brute ? Vous êtes docteur de Sorbonne ! (i) Armide, Callaghan est Docteur de Sorbonne, Callaghan Docteur de Sorbonne ! O chose, non seulement indigne à voir et à ouïr, mais incroyable, mais extraordinaire, mais semblable à un prodige et à un monstre ! Callaghan est Docteur de Sorbonne ! Un correcteur des Jésuites est du nombre des Sorbonistes ! Un goujat de Quimper est maître en Sorbonne! La il est tout sale et tout crasseux, et ici il est vêtu selon la dignité du Docteur : là il est bourreau (2) et ici il est juge : là il porte des verges et ici la fourrure : là il est en robe courte et ici en robe longue ; là il est dans la poussière et ici dans le soleil...

« Qu'y a-t-il donc, ô âne insigne (si vous ne voulez plutôt être un mulet d'Auvergne) qui vous donne droit de prétendre que vous n'êtes pas une bête d'Arcadie parce qu'on vous a permis de couvrir vos grandes oreilles d'un bonnet de Docteur en Sorbonne. ..

« ... Est-il possible... que la Religion l'ait condamné d'hérésie, que la mer l'ait vomi de son sein après un naufrage, que Paris n'ait pu souffrir cet esprit inquiet et turbulent et qu'il ne se soit trouvé que le Blésois qui non seulement ait. fourni un riche héritage à son gosier avide

(1) Rapporté latin et traduction par Arnauld, op. cit., p. 40 et s. — Quid ais bellua ? Doctor es Sorbonicus ?...

(2) Allusion à sa charge de correcteur des élèves, et plus loin à ses fonctions de balayeur.


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et altéré, mais ait aussi servi de théâtre où il exerçât ses carnages et ses boucheries...

« Quoi, Armide, n'y a-t-il point à Blois de feu et de chaînes... N'y a-t-il point de potences et n'y a-t-il point de bourreau ?... »

Quel avait été l'auteur de ce pamphlet ee diffamatoire, farci d'injures », de cette « pièce monstrueuse? (1) »

Jean de Brisacier se défendit d'y être pour quelque chose. Il écrivait le 1er août à son imprimeur : « Il court depuis peu dans ce pays-ci un petit livre en latin... ce n'est pas de moi... Si c'est d'un ami, je le remercie de sa bonne volonté, mais non de l'effet, car il me fait un tort notable en prenant ma répartie, » et le père ajoutait que M. Callaghan pourrait bien l'avoir composé pour l'attribuer aux Jésuites et pour les rendre odieux.

Quoi qu'il en soit, Arnauld cite le nom de l'auteur : ce serait le Père Vavasseur, ce petit régent de grammaire du collège de Blois » (2). Mais il ne suffisait pas de composer le texte il fallait l'imprimer sans éclat : La Saugère, maître imprimeur à Blois (3), renvoya au mois de juillet 1651, chez Gyp, imprimeur à Vendôme, le fils de ce dernier. Ce jeune homme, sous prétexte de relier quelques livres, imprima, à l'insu de son père, le fameux libelle. « Ce qui me fit douter, déclarait Gyp l'année suivante, c'est qu'on envoyait de temps en temps des écoliers de Blois... » (4).

Dom Gerberon complète encore, par quelques détails les actes agressifs dont le P. de Brisacier se serait encore rendu coupable envers M. Callaghan (5) :

(1) D. Gerberon, op. cit., p. 484.

(2) Il avait eu déjà des démêlés avec Mgr Godeau, évêque de Vence. (V. OEuvres complètes d'Arnauld, tome 30, préface p. III).

(3) François de la Saugère, imprimeur et libraire (1637-1670). V. le Loir-et-Cher historique, 15 août 1894, col. 244 et s.

(4) Arnauld, op. cit., p. 314, La Saugère.

(5) Op. cit., p. 484.


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« Il y en a qui disent (ce qui ne se pourrait croire d'aucun autre que d'un Jésuite aussi emporté que ce père) qu'il suborna une de ses dévotes et lui commanda, en vertu d'obéissance et sous peine de péché mortel, d'aller à CourCheverny et d'y exciter le peuple contre leur curé, en publiant hautement qu'il était hérétique et qu'étant déjà aux portes de l'enfer, il lâchait d'y attirer les autres.

« Je ne puis taire ici ce qu'un très honnête homme d'Orléans, appelé M. de Saint-Mesmin, m'a dit autrefois, au sujet de M. de Calaghan. M'étant rencontré avec ce gentilhomme auprès de cette ville, il me raconta qu'entendant dire tant de choses si désavantageuse de la catholicité de ce curé et de sa conduite, qu'il ne les pouvait croire : il voulut voir lui-même ce qui en était. Et qu'à ce dessein il alla à Cour-Chiverni où il demeura quelque temps, assistant à tous les sermons et à toutes les instructions de ce Pasteur, et qu'après avoir bien observé toutes choses, il avait reconnu que tout ce qu'on disait de la doctrine et de la conduite de M. Calaghan, était de pures calomnies ».

M. Calaghan se décida à lancer une réponse « et l'écrivit lui-même d'un style très modeste », nous disent ses amis; un autre qualificatif ne pouvait tomber de leur plume.

Il y prenait le pseudonyme de Philopater Irenoeus.

Les détails nous manquent sur cet ouvrage venant en riposte au pamphlet de Calaghanus... Satyrus, tandis que M. Lombard du Trouillas, prêtre provençal qui vivait à Cheverny pour « travailler au salut des âmes » avec le fameux curé, mettait au jour une s. Réponse au sermon du P. Brisacier, jésuite, du 29 mars », que le pape Innocent X devait condamner le 23 avril 1654 (1).

Le Père de Brisacier ne tarda pas à reprendre l'offensive : il composa un volume solidement argumenté, et rempli de

(1) Dict. des Livres Jansénistes, tome III, p. 463.


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discussions théologiques fort touffues, qui parut avant la fin de l'année, à en juger par la lettre suivante, écrite par lui, le 1er août, à son imprimeur et dont nous avons déjà cité un passage :

« Si ce livre n'est achevé avant la Notre-Dame de

Septembre (1), il ne saurait paraître avant la Toussaint, autrement sa naissance ne serait pas fortunée et son débit ne vous serait pas utile à cause des vacances de Paris et des vendanges de Blois qui dépeuplent les villes... (2). »

Cet ouvrage avait pour titre : « Le Jansénisme confondu dans l'avocat du sieur Callaghan : par le P. Brisacier de la compagnie de Jésus : avec la défense de son sermon fait à Blois, le 29 mars I65I, contre la réponse de PortRoyal (3).

Dans la riposte qu'Antoine Arnauld devait opposer à cet ouvrage, il débute par résumer le livre du père Jésuite et les ce impostures » qu'il contenait. Nous ne donnerons à notre tour qu'un aperçu de cette liste pour offrir une idée du livre en question. (Le texte en italique est la correction d'Arnauld).

Impostures contre M. Calaghan.

I

« Que ce docteur de Sorbonne (qui est sorti d'une des plus illustres familles d'Irlande) est de la lie du peuple, quoiqu'il veuille passer pour gentilhomme. P. Br. Part. 20, Réf., p. 80, 382. I Lett. 392 et suiv. »

Puis il s'agit des histoires de Quimper, de l'évêché ravi à M. Calaghan, etc., dont nous avons déjà parlé : et Arnauld continue.

(1) La Nativité, 8 septembre.

(2) Cité par Arnauld, eod loc. p. 51.

(3) Bib. nat., II, 3935, édité chez « Florentin Lambert, au cloître des Jésuites devant Saint-Paul, 1651 ». C'était la maison professe des Jésuites à Paris.

2


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..... XI

« Qu'il est entré dans la cure de Cour-Cheverny aux dépens de son prédécesseur qui s'en trouve trompé. P. Br. Adv. 13. Réf. 22. Son prédécesseur vit avec lui avec une union et une amitié de frère. »

XIII

« Que quand il ordonne un chapelet pour pénitence il exige un Pater conjointement avec l'Ave sur chaque grain. P. Br. I Part. 16 Réf. 2. Lett. »

XX

« Que sa conduite a rendu quantité de ses paroissiens désespérés, affolés... Tout le bourg sait combien cette calomnie est horrible. »

XXI

« Qu'il est un Pontife du diable et une porte d'enfer par les pénitences extravagantes, indiscrètes et déraisonnables qu'il impose. »

XXV

« Qu'on peut appeler M. Calaghan fou sans l'offenser. »...

Au cours de son livre il cite le trait suivant : Une fille de Tour-en-Sologne avait porté sa main armée d'une pierre à la bouche du curé de l'endroit en le frappant violemment : le sang avait coulé dans la galerie de l'église et dans le cimetière. Le curé de Tour supplia instamment M. Callaghan de confesser cette personne et de lui enjoindre la pénitence qu'elle devait faire. La coupable se rendit à Cour-Cheverny et là, M. Callaghan lui ordonna patécrit daté du 12 janvier 1651, de faire amende honorable à Dieu et à tous les paroissiens de Tour « se tenant à genoux trois dimanches consécutifs à la porte de ladite église et


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demandant pardon à Dieu et à tout le peuple entrant dans l'église ».

Le Père de Brisacier critique cette façon d'agir, trouvant ce qu'un prêtre privé n'a pas le pouvoir, sans commission spéciale, d'imposer une pénitence publique, prérogative réservée aux seuls Prélats dont la juridiction passe jusqu'au tribunal extérieur (1) ». En cela il se trompait, car ce ceux qui pèchent publiquement doivent être repris publiquement (2) ».

Si le Père de Brisacier s'était borné à poursuivre de sa plume un peu trop acérée le curé de Cour-Cheverny, il n'y aurait peut-être eu que demi mal : mais il attaqua la question de plus haut et s'en prit à Port-Royal tout entier.

L'abbé de Saint-Cyran fut spécialement combattu dans sa doctrine : le P. de Brisacier racontait à son sujet que M. Callaghan l'avait reçu dans son presbytère, qu'il l'avait ce traité comme un roi... qu'il y avait des viandes si abondantes que tout Cour et Blois en pouvaient être nourris et que néanmoins c'eût été jouer les habitants de Cour de dire que ces gelées, ces blancs-mangers et ces ragoûts étaient pour eux... (3) ».

Il discutait la théologie de M. Jansénius, évêque d'Ypres. Il avançait que les passages des Conciles et des Pères d'où les Jansénistes avaient accoutumé de tirer leurs preuves étaient des règles mortes et des brides à veaux (4).

Il traitait les religieuses de Port-Royal de filles impénitentes, d'incommuniantes, de fantastiques, il les appelait: ce les A sacramentaires, les callaghanes, les vierges folles

(1) P. Brisac, op. cit., IVe partie, p. 22.

(2) Concile de Trente, sess. 24, c. 8 de reform.

(3) P. de Brisacier, op. cit., III partie, p. 13.

(4) V. à ce sujet D. Gerberon, op. cit., p. 484. — Brides à veaux, sottes raisons, sots raisonnements... Locution qui vient de ce que les veaux ne se bridant pas, les brides à veaux ne sont rien. (Dict. de la langue française de Littré).


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et tout ce qu'il vous plaira : l'original en sera à Port-Royal et la copie à Cour-Cheverny, sous la direction du sieur Callaghan. .. (1) ».

Le livre du P. de Brisacier, écrit sous l'influence d'une « colère que le bon droit ne légitime jamais », mit en révolution le parti janséniste.

ce On l'accueillit à Port-Royal comme une bonne fortune. Les Jésuites avaient pour eux la vérité : ils oublièrent que ceux qui la soutiennent ne doivent pas la présenter sous la forme d'un pamphlet. Arrivés à leur point culminant, ils se sentaient appuyés ; mais en face des controverses qui s'élançaient sur eux, ils aimèrent mieux laisser au sarcasme qu'à la raison le soin de venger l'Église et leur Institut. Le sarcasme dépassa toutes les bornes et le Jansénisme confondu fut plutôt un triomphe pour cette cause qu'un succès pour les Jésuites... (2) »

Madame la marquise d'Aumont intervint au nom des Religieuses de Port-Royal et s'adressa à Jean-François de Gondi, archevêque de Paris « qui eut, dit le Nécrologe de Port-Royal, la bonté de nous accorder sa protection en des occasions très importantes (3) ».

Le Père de Brisacier se présenta devant lui, paraît-il, avec des lettres de la Cour et la protection des premières personnes du Royaume et de l'Église, « Cet homme qui dans son libelle affectait l'arrogance et la fierté la plus révoltante s'humilia profondément à ses pieds le ventre contre terre, offrit toutes les satisfactions qu'il jugerait à propos d'exiger pourvu que son livre ne fût pas censuré ».

Ces démarches furent impuissantes et Mgr de Gondi, qui briguait à la même époque le chapeau de cardinal,

(1) Le Jansénisme confondu... IVe partie, p. 6.

(2) Histoire de la Compagnie de Jésus, par M. Crétineau-Joly, tome IV, p.34 et s.

(3) P. 124.


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« crut être obligé à des ménagements envers la vérité (1) ». Il écouta madame d'Aumont et condamna, le 29 décembre 1651, le livre du P. de Brisacier « comme injurieux, calomnieux », déclarant « lesdites religieuses de Port-Royal pures et innocentes des crimes dont l'auteur a voulu noircir la candeur de leurs bonnes moeurs et offenser leur intégrité et religion, de laquelle nous sommes assurés par une entière certitude... défendons à toutes personnes de lire, vendre ni débiter le dit livre sous peine d'excommunication. .. (2) ».

Le décret de Mgr de Gondi fut publié ce le septième jour de cette année 1652 presque dans toutes les églises paroissiales de Paris et affiché au coin des rues, malgré le sieur Hallier (3) et les Jésuites qui avaient remué tous leurs amis pour détourner ce coup et faire que M. l'archevêque ne donnât pas ce décret, ou pour empêcher du moins que ce décret ne fût publié. Le sieur Chapelas, curé de SaintJacques de la Boucherie, le sieur Olier, curé de SaintSulpice, le sieur Abely, curé de Saint-Jost, qui étaient de complot avec Hallier et les Jésuites, ne le voulurent pas publier au jour marqué et ordonné. Mais M. l'archevêque les obligea de le publier le dimanche suivant qui était le 14e jour de janvier. Il est vrai que le sieur Abely déclara en le publiant que ce décret ne donnait aucune atteinte à la doctrine du P. Brisacier, tant ce pauvre docteur était enfariné et entêté du molinisme » (4).

« Tous les gens de bien s'attendaient que le Père Brisacier serait désavoué par sa compagnie et que pour ne

(1) Crétineau-Joly. op. cit., eod. loc.

(2) D. Gerberon, op. cit., p. 513 et s.

(3) François Hallier, docteur en théologie de la Faculté de Paris, théologal de Chartres, prit une part active dans les querelles du Jansénisme ( 1595-1658).

(4) D. Gerberon. Hist. du Jansénisme, t. II, p. 68 et s. Voy. aussi Vie de M. Olier, par Faillon, t. II, p. 185 (note 7 du 9e livre).


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pas adopter par son silence de si horribles calomnies, elle lui en ferait faire une rétractation publique, puis l'enverrait dans quelque maison éloignée pour y faire pénitence. Mais bien loin de prendre ce parti, le Père Paulin, alors confesseur du Roi et de la Cour, à qui on parla de ce livre, dit qu'il l'avait lu, qu'il admirait surtout sa modération et sa retenue (1).

Un jour on se plaignait à un père Jésuite du livre le Jansénisme confondu comme étant trop violent, il répondit « que c'était le premier livre du P. de Brisacier et qu'il eût été trop cruel d'étouffer un premier enfant » (2).

Le P. de Brisacier, la veille du jour où l'archevêque de Paris publiait son décret d'interdiction, écrivait une ce lettre d'importance sur le livre du Jansénisme confondu » (3).

Les Jansénistes reprirent l'offensive et la lutte devint encore plus vive et plus impétueuse : les ripostes enflammées volaient dans l'air et les pamphlets succédaient aux pamphlets, suivant la tactique de l'époque. On n'avait pas alors la ressource de la presse quotidienne si favorable à l'injure périodique (4).

(1) Hist. de P. R., par Racine, loc. cit., p. 301.

(2) OEuvres complètes d'Arnauld, t. 35-36, p. 115.

(3) « Composée par le Révérend Père de Brisacier » et datée de Blois, du 6 janvier 1652.

(4) Nous consignons en note les divers titres de ces ouvrages par ordre d'apparition :

Défense de la censure que Monseigneur l'Archevêque de Paris a faite du livre du P. Brisacier, jésuite, pour la Justification du monastère de PortRoyal, contre une Lettre imprimée et publiée sous ce titre : Lettre d'importance sur le livre du Jansénisme confondu composé par le Révérend Père Brisacier. Avec un extrait des principales injures, impostures et calomnies dont ce livre est rempli.

Extrait des principales injures, faussetés, etc., du Jansénisme confondu et du sermon du P. Brisacier du 21 mars 1651.

L'innocence et la vérité défendues contre les calomnies et les faussetés que les Jésuites ont employées en divers libelles pour déchirer les vivants et les morts et décrier la doctrine sainte de la Pénitence et de la Grâce et que le P. Brisacier a recueillies dans son livre censuré par Monsieur l'Archevêque de


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Dans cette mêlée où l'on se lançait les in-4° à la tête, nous voyons le célèbre Antoine Arnauld prendre la plume et riposter par trois fois au P. de Brisacier (1).

Paris intitulé le Jansénisme confondu (par Antoine Arnauld). (OEuvres complètes d'Arnauld, édit. de 1779, tome 30, p. 1).

Les preuves authentiques des qualités de correcteur et balieur, exercées par le sieur Callaghan, curé de Chivemy, dans la ville de Quimper-Curentin ès années 1626 et 1627. Pour servir de réponse à la lettre du sieur Callaghan et aux autres impostures des Jansénistes, imprimé de 8 ou 10 pages, par le P. de Brisacier (publié à Blois en mai 1652).

Réfutation d'un écrit nouvellement publié à Blois par le P. Brisacier pour servir de réponse... (OEuvres complètes d'Arnauld, tome 30, p. 4.31).

L'innocence et la vérité reconnues dans les preuves invincibles de la mauvaise foi du sieur Jean Callaghan Hibernois, curé de Cour Chiverni, pour servir de recouse au livre intitulé : L'innocence de la vérité défendue, et à tous les autres mensonges de Port-Royal (par le P. de Brisacier).

Les Jansénistes reconnus Calvinistes par Samuel Desmarets, docteur et premier professeur de théologie en l'Université de Groningue et ministre ordinaire du Temple académique (par le P. de Brisacier).

Fraus calvinislaruni retecta : sive, calechismus de gratia ab herelicis Samuelis Marezii corrvptelis vindicalus a Hieronymo ab Angelo forti. (Lettres en réponse à l'ouvrage précédent).

V. aussi les ripostes d'Arnauld-reprises et disposées avec un plan différent dans sa Morale pratique, VIII, chap. XI. (OEuvres complètes, tome 35-36, p. 110 et s.)

(1) Nous venons de donner dans une note précédente le titre des oeuvres d'Arnauld. Nous en extrairons les deux traits suivants :

Les Jésuites de Blois sollicitaient d'un certain prêtre Irlandais « coureur de pays », qui était « demeuré malade à un faux bourg de Blois », de leur donner une attestation contre M. l'abbé Callaghan au sujet de sa naissance.

« Cet ecclésiastique menait une vie scandaleuse. Au mois d'avril 1652, étant ivre, il outragea de paroles et de coups, publiquement à la Porte-Chartraine, une très honnête femme ; deux ou trois jours après, étant dans le même état, il dit à un ecclésiastique d'honneur et de vertu que tous les prêtres de France étaient des diables. L'ecclésiastique lui ayant répondu modestement qu'il ne les connaissait pas bien, il lui donna un démenti avec tant d'insolence, que le portier du château en présence duquel cet entretien se passa l'eût frappé rudement s'il n'en eût été empêché par le même ecclésiastique. » (V. OEuvres complètes d'Arnauld, t. 3o, pages 422 et 435). Le même prêtre, après avoir donné à M. de Souvigny, prêtre de Blois, des détails sur la naissance de M. Calaghan, se rétracta ensuite devant lui.

ce Je n'ai que faire aussi de rapporter ce qui est connu dans Blois qu'ils ont fait tous leurs efforts pour enlever Saint-Lazare, prieuré de Saint-Benoît, et qu'un Jésuite, nommé le P, Corlieu, a puissamment


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Pascal quelques années plus tard devait rappeler ces souvenirs dans sa ce onzième lettre écrite aux Révérends Pères Jésuites » et stigmatiser la calomnie en la personne de notre compatriote (ij.

Mais au lieu d'anticiper sur les événements, continuons à parler de nos deux héros ! Le curé de Cour-Cheverny, voyant que la censure de Mgr de Gondi n'avait pas calmé son adversaire, s'adressa à l'évêque de Chartres dont Blois dépendait alors. Il partit le 6 février i652, pour aller se plaindre à Mgr Jacques Lescot et lui demander de châtier le coupable. M. Callaghan vit l'official M. Féron, puis enfin l'évêque qui lui conseilla de sacrifier son ressentiment en cette rencontre, que sa première réponse et ses lettres l'avaient assez justifié (2).

Quant au Père Jean de Brisacier, il fut nommé recteur du collège de Blois, immédiatement après son sermon du 9 mars 1651 et devait occuper ce poste jusqu'en 1654.

Vers cette époque (avril 165I), l'Assemblée générale du

sollicité les anciens chanoines réguliers de l'abbaye de Bourgmoycn avant que la réforme y fut établie : leur offrant telles pensions qu'ils eussent voulu, à condition de lui livrer cette abbaye et que l'affaire se trouva une fois si avancée, que deux Jésuites y entrèrent sous prétexte de régler la maison. Mais ayant voulu commencer ce règlement par la saisie du temporel, un jeune frère, fort et résolu, prévoyant bien ce qui en arriverait, si ces gens-là s'en rendaient une fois les maîtres, il les menaça de les traiter de la main, s'ils ne se retiraient et ainsi sauva ce monastère pour la réforme qui y fut établie peu de temps après ». (OEuvres complètes d'Arnauld, tome 30,

p. 99).

(1) Lettres provinciales, 18 août 1656.

(2) OEuvres complètes d'Arnauld, loc. cit. Appendice lettre de M. Calaghan du 13 février 1652. Dans cette lettre, nous relevons ce passage concernant l'église de Cour-Cheverny : « Je fis ôter certaines quenouilles que l'on mettait à l'Eglise avec des observations qui me semblaient superstitieuses... Je changeai une messe haute de Saint Sébastien qui se chantait tous les dimanches avant celle de paroisse, en une messe basse, afin que j'eusse plus de temps pour instruire le peuple... (p. 409) ». Il répondait ainsi en détails au P. de Brisacier qui l'accusait d'avoir bouleversé les habitudes pieuses de sa paroisse. V. aussi l'Histoire d'un ivrogne de Cour-Cheverny, p. 347.


— III —

clergé avait déféré au Saint-Siège les cinq fameuses propositions extraites de l'Augustinus. Les docteurs Loisel, Hallier et Lagault furent chargés de représenter le clergé de France dans les discussions qui allaient s'ouvrir auprès du Saint-Siège et le Père de Brisacier les accompagna comme mandataire des Jésuites de Paris.

Peu de temps après, nous le voyons ce visiteur de la Province du Portugal où il adoucit l'esprit du roi qui était mal disposé (1) ».

Rentré en France, ses supérieurs le placent à la tête, du collège de Rouen.

Pendant son séjour en cette ville, nous allons le retrouver aussi agressif qu'à Blois contre les Jansénistes.

ce Un des principaux curés de Rouen, Charles du Four, abbé d'Aulney, trésorier de la cathédrale et curé de SaintMaclou, qui avait lu les Petites Lettres, fit en présence de son Archevêque en un synode de plus de huit cents curés un discours fort pathétique sur la corruption qui s'était depuis peu introduite dans la morale. Quoique les Jésuites n'eussent point été nommés dans ce discours, le Père Brisacier qui était alors recteur du collège des Jésuites à Rouen, n'en eut pas plutôt avis que sa bile se réchauffa, il prit la plume et fit un libelle en forme de requête, où il déchirait ce vertueux ecclésiastique avec la même fureur qu'il avait déchiré les religieux de Port-Royal. »

Les curés prirent la défense de leur confrère auprès de l'Archevêque qui renvoya l'affaire à l'Assemblée du Clergé, qui se tenait pour lors à Paris. Les curés de Paris firent appel à ce sujet à leurs confrères de province et les curés de Blois et Romorantin, entre autres, adhérèrent à la requête des curés de Rouen.

ce Comme tous ces extraits des curés avaient achevé de

(1) Dom Liron, op. cit.


112

convaincre tout le monde de la fidélité des citations de M. Pascal, les Jésuites prirent un parti tout contraire à celui qu'ils avaient pris jusqu'alors. Ils entreprirent de défendre ouvertement la doctrine de leurs auteurs : c'est ce qui leur fit publier le livre de l'Apologie des Casuistes, composé par le Père Pirot... (1657). N'ayant pu obtenir de privilège pour l'imprimer, on n'y voyait ni nom d'auteur ni nom d'imprimeur, mais ils le débitaient publiquement dans leur collège; ils en distribuèrent eux-mêmes plusieurs exemplaires aux amis de la Société tant de Paris que dans les provinces. Le Père Brisacier le fit lire en plein réfectoire dans le collège de Rouen : il avait plus de raison qu'un autre de soutenir ce bel ouvrage, puisqu'on y renouvelait contre les religieux de Port-Royal et contre leurs directeurs, les mêmes impostures dont il pouvait se dire l'inventeur. (1) »

En ce qui concerne le débat personnel entre le curé de Saint-Maclou et le P. de Brisacier, tout se termina heureusement. M. Charles du Four retira le procès criminel engagé par lui devant l'officialité de Rouen et le jésuite signa une déclaration où il reconnaissait « que lui et ses confrères honoraient les sieurs curés de Rouen et le sieur du Four en particulier et les estimaient personnes d'une probité recommandable et d'une doctrine très catholique ».

Après avoir dirigé le collège de Rouen, le Père de Brisacier fut nommé supérieur de la maison professe de Paris, « l'une des premières places de la Société en France (2) ».

Il continua le reste de sa vie à dire ponctuellement la messe tous les jours, confessant et donnant des absolutions et ayant sous sa direction les directeurs mêmes de la plus grande partie des consciences de Paris et de la Cour (3).

(1) Histoire de Port-Royal, par Racine, pp. 359 et 363.

(2) Arnauld, op. cit., tome 30, p. 5.

(3) Racine, Histoire de Port-Royal, p. 301.


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Vers la fin de son existence, il reprit la mission de Castres : « Mais les forces lui manquant, il se retira à Blois où il mourut le dixième de septembre, l'an 1668, âgé de 65 ans (1) ».

Lorsqu'il revint dans son pays natal, le P. de Brisacier ne pouvait plus reprendre les hostilités avec son ancien adversaire; celui-ci étant décédé le 19 janvier 1664 et s'étant fait enterrer à Port-Royal (2).

(1) Dom J. Liron, Bibliothèque générale des Auteurs de France, tome Ier.

(2) Supplément au Nécrologe de Port-Royal, p. 626.


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III

Laurent de Brisacier

(1609-1690)

Nous rencontrons en Laurent de Brisacier les caractères d'une personnalité blésoise éminente. Il naquit à Blois, le 2 août 1609, de Roland de Brisacier et de demoiselle Françoise du Laurens (1) : il était donc frère du Père Jésuite et oncle paternel de Jacques Charles, le supérieur du Séminaire des Missions étrangères.

Il est regrettable que les souvenirs de ce personnage ne soient pas plus nombreux : mais ceux que le temps a respectés nous montrent en Laurent de Brisacier, à la fois le gentilhomme très haut placé en cour, et en même temps, le prêtre blésois dévoué aux intérêts religieux de sa ville natale.

A vingt-deux ans, il était bachelier en théologie, et sa soeur Anne de Brisacier, veuve de Claude Riollé, écuyer, sieur des Ormeaux et capitaine au régiment de Vaubrecourt, lui demandait d'accepter la tutelle de sa fille mineure Fran(1)

Fran(1) — Le segond jour de Aoust fut baptisé Laurens, fils de Roland de Brisacier, escuier, consr du R. et trésorier général de France au bureau des finances, estably à Bourges et de Dlle Françoise du Laurens, ses p. et m., et fut son parrain Laurens de Gaumont, sr du Saulsay aussi escuyer et conser du Roy et trésorier général de France au bureau des finances estably à Paris, et sa marraine Marguerite Lasus, fille de feu Pierre Lasus, aussy conser du R. et trésorier général de France à Orléans, quand il vivait.

(Reg. parois. S. Solenne, copie de M. Trouëssart).


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coise, conjointement avec Charles de Brisacier, son frère, trésorier général à Bourges (1).

Peut-être à cette époque, touchait-il déjà les quatre mille livres, revenu que lui rapportait son titre d'abbé de NotreDame de Flabémont en Bassigny (2), ou bien encore les 3,000 livres de rente de l'abbaye des Alleux (3).

En tous cas, le 1er septembre 1632, il était désigné par le chapitre et par le Roi, pour être doyen de Saint-Sauveur (4). C'était la plus haute charge, ecclésiastique de notre ville : alors surtout que Blois n'avait pas d'évêque, le doyen de Saint Sauveur était chef du clergé blésois.

Ce tout jeune homme de vingt-trois ans, élevé si tôt à de si hautes fonctions, avait déjà dû faire preuve d'une intelligence et d'une valeur peu ordinaires, pour mériter semblable dignité.

Le jour même de sa nomination, l'abbé Laurent de Brisacier, répondant à une désignation expresse faite par le roi Louis XIII, posait « au nom et à la place » de Sa

(1) (20 mars 1631). — Comm. par M. Thibault.

(2) Flabémont, abbaye de Prémontrés dans le district de la paoisse de Saint-Julien au duché de Bar, sur un ruisseau qui, un peu plus bas, se jette dans la Saône à une lieue et demie au levant d'hiver de la Marche et à trois vers le couchant de Darney : diocèse de Toul, bailliage et recette de la Marche, intendance de Lorraine, parlement de Paris. Cette abbaye a été fondée en 1140 par Hugues, comte de Vaudemont. Elle vaut environ 4,000 livres à son prélat.

(Dict. universel de la France, par Robert de Herseln).

(3) Les Alleux, paroisse du Haut Poitou, diocèse et intendance de Poitiers... Il y a une abbaye de l'ordre de Saint Benoît fondée en 1128 par Giraud de Sala, fondateur de plusieurs autres monastères. Elle est en commende et rapporte environ 3,000 livres de rente à celui qui en est pourvu par le Roi : sa taxe en cours de Rome est de 120 florins. (Dict. universel, de Herseln).

(4) Gallia Christiana, VIII, col. 1349.


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Majesté, la pierre de fondation du maître autel de l'église des Minimes de Blois (1).

Marie de Médicis avait déjà posé la première pierre du bâtiment conventuel (2) et Louis XIII voulait, à l'exemple de sa mère, donner à cette maison des Minimes une marque spéciale de bienveillance en s'intéressant à l'érection de leur maître autel.

Celui que le souverain avait désigné pour le remplacer en cette circonstance, était déjà son aumônier et devait recevoir un peu plus tard d'autres marques spéciales de confiance de la part de la reine Anne d'Autriche, restée veuve en 1643, avec un fils, alors âgés de quatre ans, le futur roi de France.

Le jeune prince était élevé avec grand soin par sa mère.

(1) Cette pierre porte l'inscription suivante :

En tête de l'inscription se trouvent gravées les armes de la famille de Brisacier et au bas, au milieu du mot CHARITAS on voit un coeur surmonté d'une croix et percé de trois dards, emblème des Minimes.

Cette pierre fut « sauvée du désastre de l'église des Minimes, démolie depuis la Révolution de 1793 ». Elle resta longtemps dans un jardin de la rue Bretonnerie, scellée à un petit mur et heureusement à l'abri des intempéries; le musée de Blois la conserve aujourd'hui.

(V. à ce sujet, Dupré, Mélanges historiques, tome II, p. 457 et s. — Sem. Relig. 1878, p. 678, et A. Joulain, Sem. Relig. 1894, p. 397).

(2) Bernier, Hist. de Blois, p. 60.


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Mazarin se réservait la politique du royaume, mais dirigeait aussi l'éducation du souverain, dans les limites toutefois que la reine lui imposait, lui laissant le choix du précepteur. Le cardinal avait nommé à ce dernier poste l'abbé Hardouin de Péréfixe de Beaumont, que la faveur royale n'allait pas tarder à placer sur le siège épiscopal de Rodez, tandis que la reine désignait pour être confesseur de son fils, le R. P. Paulin, jésuite, ancien recteur du collège de Blois (1).

Nous savons que l'abbé Laurent de Brisacier fut ce précepteur de Louis XIV pendant une absence de M. de Péréfixe (2) ». A quelle époque peut-on placer cet événement de l'existence de notre compatriote ? Peut-être en 1649 vers le mois d'avril. Mgr de Beaumont venait d'être sacré évêque (18 avril 1649). « Etait-ce scrupule pastoral et désir de s'astreindre à la résidence ; était-ce fatigue et besoin de rétablir sa santé épuisée, le surlendemain de son sacre, l'évêque de Rodez adressait une lettre à Mazarin pour lui demander d'être relevé de son

service auprès du roi Nous ne savons point que

Mazarin ait fait droit à une requête si bien motivée à l'époque où elle lui avait été adressée... . (3) ». Est-il téméraire de supposer que le choix du Cardinal tomba sur le doyen de Saint-Sauveur pour permettre au prélat fatigué de jouir d'un légitime repos ?

L'abbé de Brisacier avait encore la confiance royale lorsqu'il ce fut envoyé à Rome pour les affaires du Roi et chargé par la reine Anne d'Autriche d'accomplir un voeu que cette princesse avait fait à Notre-Dame de Lorette

(1) Voyez Etudes Religieuses, des RR. PP. Jésuites : Le Premier Confesseur de Louis XIV, par le P. Chérot, années 1891 et 1892, et le Loir-et-Cher historique (article résumé des précédents) 15 avril 1894.

(2) Hist. manusc. de la Visitation de Blois, tome II, p. 419.

(3) Etudes littéraires, octobre 1891, pp. 238, 239.


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pendant la maladie du Roi, y faisant au nom de Sa Majesté la fondation d'un office solennel tous les ans dans cette église, le jour de Saint-Louis. Il s'acquitta aux applaudissements de tous de ces divers emplois honorables desquels s'étant retiré il vint finir ses jours dans son doyenné de Blois (1) ».

Si la Cour appréciait ses hautes qualités, Blois savait reconnaître ses mérites et nous le voyons à deux reprises représenter le clergé du bailliage de Blois aux Etats généraux du Royaume convoqués à l'occasion des troubles de la Fronde en 1649 et en 1651, époque à laquelle il devait être déjà Conseiller d'Etat.

« Ces deux projets d'Assemblées nationales échouèrent par suite de circonstances politiques : mais l'élection du doyen Laurent de Brisacier n'en fut pas moins un témoignage de la haute confiance et de l'estime de son ordre (2) ».

Son élévation hâtive au poste ecclésiastique le plus élevé de Blois, avait dû susciter des jalousies parmi le chapitre. Il eut des procès avec ses confrères qui durèrent jusqu'à sa mort, s'il faut en croire la mention de la Gallia Christiana : Ad mortem usque cum capitulo litigavit.. . (3).

Malgré ces préoccupations qui devraient l'enchaîner à Blois, l'abbé de Brisacier maintient des relations suivies avec Paris, et nous le rencontrons la même année, nommé directeur au Séminaire des Missions étrangères à Paris, participant activement aux débuts de cette maison et aux premiers efforts de ses fondateurs.

Le voici maintenant à Blois, en 1673, où il ce s'emploie pour les affaires des cordonniers » de la ville, et bientôt son zèle éclairé va se porter sur une maison naissante, celle des Nouvelles Catholiques, où les jeunes filles et les dames

(1) Hist. manusc. de la Visitation de Blois, loc. cit.

(2) A. Dupré, Mélanges hist., eod. loc.

(3) Loc. cit.


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■converties trouvent un asile et des enseignements pour leur foi naissante.

ce Au mois d'août 1684, M. l'abbé Laurent de Brisacier eut la bonté de demander au Roi de quoi réparer la maison du Puy du quartier et y faire une chapelle dont mondit sieur de Brisacier fut prié de mettre la première pierre, où il fit mettre cette inscription :

« Le 20 nov. 1684, fut posée cette première pierre par messire Laurent de Brisacier, abbé de N.-D. de Flabémont en Bassigny, doyen de Blois, conseiller du Roy Louis Le Grand en S. C. et cy devant son précepteur, pour servir à la construction de la chapelle de la maison des N. C, establies en ce lieu par led. seigneur Roy, sur son propre domaine qu'il a fait rebâtir par sa libéralité royale. »

« Le 13 juin 1689, M. l'abbé de Brisacier, en vertu de la commission à lui donnée le 16 may audit an par Mgr l'évêque de Chartres, fit la bénédiction de la chapelle en la forme prescrite au rituel de mondit seigneur. Après la bénédiction on para magnifiquement ladite chapelle et mondit sieur abbé y célébra solennellement la messe à diacre, sous-diacre et chappiers, et après l'Évangile il y eut prédication par le R. P. Voysin, recteur des Jésuites, sur le sujet de laditte bénédiction...

ce ... Le 21 octobre 1689, le tableau de la Sainte Famille fut posé à l'autel de notre chapelle et auparavant béni par M. l'abbé de Brisacier, qui l'avait fait faire à Paris par M. ( ), peintre audit Paris. Il a coûté 150 livres

payées par ledit sieur de Brisacier des deniers du Roy qu'il a touchés. »

Durant les années 1684 et 1685, les abjurations des nouvelles converties furent faites entre les mains du doyen de Blois, Laurent de Brisacier, quelquefois même dans l'église collégiale de Saint-Sauveur ; on s'explique ainsi l'intérêt


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qu'il ne cessa de porter jusqu'à sa mort (15 février 1690) à l'OEuvre des Nouvelles Catholiques (1).

Cette existence noblement et glorieusement remplie, prenait fin le 15 février 1690.

Il fut enterré à Blois, très probablement dans les caveaux de Saint-Sauveur, bien que nous n'ayons à ce sujet aucun renseignement, en tous cas, dans un monument élevé par son neveu Jacques-Charles, supérieur du Séminaire des Missions étrangères, ainsi qu'en témoigne l'inscription d'une plaque de marbre blanc, récemment déposée au Musée de Blois et qui devait par la disposition de sa bordure semée de larmes et par le texte lui-même, composer le bas d'une autre épitaphe.

AN. SAL MDCXC DIE FEBR. XV

Jacobus Carolus de Brisacier, Blesaeus Sacerdos,

Ex fratre Primogenito filius,

eiusdem in abbatia successor,

Regina; christmae Mariae Theresias Austriacae

Aconcionibus et eleemosynis,

Parisiensi Missionum ad exteros seminario

Praposhus,

Hoc sui erga optimum Patruum,

de se in omnibus optime meritum

grati ac Reverentis animi monumentum

Moerens posuit (2).

(1) A. Develle. Les Nouvelles Catholiques, Paris, 1885, pp. 16, 26 et 51, en note.

(2) L'an du salut 1690, le 15 février.

Jacques-Charles de Brisacier, prêtre de Blois,

fils du frère aîné,

successeur du même dans l'abbaye,

prédicateur et aumônier de la reine très chrétienne Marie-Thérèse,

supérieur du Séminaire des Missions étrangères à Paris, l'âme chargée de tristesse, le coeur plein de reconnaissance et de respect, a élevé ce monument à la mémoire de son éminent oncle paternel, envers lequel il est très obligé.


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Son coeur fut déposé dans la chapelle du Séminaire des Missions étrangères à Paris, comme l'apprend cette épitaphe :

D. O. M.

Hase in oede reconditum est cor

Clarissimi ac venerabilis viri

Laurentii de Brisacier, Blesensis Presbyteri,

Régi a consiliis

Ludovici magni studiorum olim Praefecti

Abbatis Sanctse Mariae de Flabemont.

Ecclesias Sancti Salvatoris Blesensis Decani

Et Seminarii hujus moderatoris antiqui.

Qui gravis occubuit multis Brisacius annis

Vitam egit meritis et pietate parem. Blesas corpus habent ubi partem degerat oevi.

Hie, ubi cor semper vixerat, urna tegit.

Dum vixit, domus haec fuit illi causa laboris

Magna sui : sedes ipsa quietis erit (1).

(1) « Dans ce bronze est renfermé le coeur du très illustre et vénérable sieur Laurent de Brisacier, prêtre de Blois, conseiller du Roi, autrefois préfet des études de Louis le Grand, abbé de Sainte-Marie de Flabemont, diacre de l'église Saint-Sauveur de Blois et ancien directeur de ce Séminaire.

« Brisacier se coucha dans le tombeau chargé d'années ; sa vie s'écoula également remplie par la piété et les mérites. Blois a son corps, Blois où s'était écoulé une partie de sa vie ; et là où son coeur avait toujours vécu, une urne le renferme ; tant qu'il vécut, cette maison fut pour lui une cause de labeurs ; elle sera aussi le siège de son repos ». — (Arch. Nationales, MM. 320, feuille détachée).


122

IV

Marie de Brisacier

(1613-1683)

Fille de Rolland, Marie naquit à Blois et fut baptisée à Saint-Solenne, le 21 mai 1613.

Elle entra comme religieuse au Monastère de la Visitation et fit profession le 14 septembre 1634. Sainte Chantai à l'un de ses passages à Blois disait à la fondatrice de ce couvent, la mère de Monthouz, en parlant d'elle : « Prenez soin de bien cultiver cette nouvelle plante, car ce sera un jour une excellente supérieure ». Nommée supérieure, en effet, à deux reprises différentes, elle s'occupa de la fondation du couvent de Loudun où elle sut se faire apprécier des huguenots, très nombreux en ce lieu. Puis elle fit bénir la chapelle du couvent de Blois, due en grande partie à la générosité de la famille Ardier (1). Elle mourut le 24 mai 1086.

(1) Une plaque de cuivre conservée au Musée de Blois rappelle la pose de la première pierre de cet édifice et le nom de « dame Louise Ollier, veuve de feu messire Paul Ardier... vicomte de Beauregard... »


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V

Jacques Charles de Brisacier

(1642-1736)

Si jamais la volée des cloches de Saint-Sauveur dut être joyeuse, ce fut bien le 18 octobre 1642. Songez donc ! on baptisait le neveu du doyen. Messire le doyen du chapitre, Laurent de Brisacier, « protonotaire du Saint-Siège apostolique, conseiller et aumônier ordinaire du Roy », conférait, en effet, les cérémonies du baptême à son neveu Jacques. C'était un fils de Charles de Brisacier et de demoiselle Marie Le Lorrain. Près du doyen, se tenait un important personnage, « messire Jacques Charron, conseiller du Roi en ses conseils d'Etat et privé, maître des eaux et forêts du Comté de Blois et intendant des turcies et levées de France », qui servait de parrain à l'enfant et de compère à la gentille marraine demoiselle Michelle du Noyer, femme de François Roger, écuyer, sieur de La Mothe (1).

L'enfant grandit et s'instruisit peu à peu à Blois, montrant une intelligence vive et précoce.

Doué d'un talent de parole peu ordinaire, il prêcha « avec applaudissements devant la reine dès l'âge de vingttrois ans (2) ».

Il avait alors sans doute le titre d'aumônier de la Reine

(1) Reg. paroiss.de Saint-Sauveur à la date. (Copie de M. Trouëssart).

(2) A. Launay, Histoire générale de la Société des Missions étrangères (Paris 1894), p. 528. Cet ouvrage érudit et attrayant, justement récompensé par l'Académie Française, nous a donné la plus grande partie des notes qui suivent. Nous devons à la très


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dont il s'intitule plus d'une fois au cours de son existence.

La même année, le dimanche 23 mai 1665, il vient apporter les accents de cette précoce éloquence dans sa ville natale et se fait entendre dans la chapelle de la Visitation où l'on célébrait des fêtes religieuses en l'honneur de la canonisation de Saint François-de-Sales : « Il mit la dernière main et couronna l'oeuvre des éloges de notre saint avec applaudissements de l'auditoire qui admira la force et la vivacité d'esprit dans un prédicateur commençant (i) ».

Ses goûts le portèrent vers les travaux apostoliques des missions et il s'intéressait de très près à la Société des Missions étrangères, alors à ses débuts, et dont il ne devait pas tarder à partager les labeurs (2). L'occasion vint où son talent d'orateur allait être mis à contribution par ses supérieurs : Madame Marie-Madeleine de Wignerod, duchesse d'Aiguillon, nièce de Richelieu et protectrice généreuse des Missionnaires, mourait au mois d'avril 1675. On demanda à l'abbé Jacques-Charles de payer « une partie de la dette de reconnaissance que la Société avait contracté envers elle en prononçant dans la chapelle du Séminaire son oraison funèbre (3) ». Il le fit en termes

aimable obligeance de l'auteur d'avoir pu glaner quelques lignes inédites dans les Archives du Séminaire, et nous l'en remercions ici de grand coeur. — V. aussi D. Jean Liron, Biblioth. générale des Auteurs de France, p. 330.

(1) Hist. de la Visit. de Blois, t. II, p. 110.

{2) Un des principaux fondateurs de la Société des Missions étrangères fut Mgr Pallu, dont un portrait intéressant se trouve conservé dans le grand salon de l'évêché de Blois.

(3) A. Launay, op. cit. p. 237. Le R. P. Launay parle à ce sujet de Jacques-Charles de Brisacier comme n'étant alors qu'un ami du Séminaire. M. de Brisacier faisait déjà partie de la Société des Missions étrangères à en juger parle titre de l'exemplaire de l'oraison funèbre en question conservé à la Bibliothèque Nationale : « Oraison funèbre pour Madame la duchesse d'Aiguillon prononcée à Paris dans la chapelle du Séminaire des Missions étrangères, par un ecclésias-


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éloquents et choisis à la date du 13 mai, nous n'en détachons que. deux passages :

« Pleurez, sauvages du Canada, s'écriait-il, dans une touchante apostrophe, pleurez, captifs de Tunis et d'Alger, peuples de Siam, du Tonquin, de la Chine, de la Cochinchine et du Japon, si vous n'avez pas vu votre bienfaitrice, vous avez senti ses secours durant sa vie...

« Parlez ici costes de Barbarie, parlez soldais de Candie, parlez peuple de Lorraine : parlez provinces de France, parlez Picardie, Champagne, Touraine, Berry, Blésois, Gastinais : je vous prends tous tant que vous êtes à témoins des secours que vous avez reçus par les soins de Madame d'Aiguillon. Vous allez voir, Messieurs, qu'elle s'est opposée à tous les fléaux de la justice divine : à la persécution contre la foi en Barbarie, à la guerre eu Candie, en Lorraine et en Champagne : à la peste dans la Picardie et à la famine dans le Blésois, dans le Gastinais, dans le Berry et dans la Touraine... (1).

En 1681, M. l'abbé de Brisacier jusque-là directeur du Séminaire des Missions étrangères, en fut nommé supérieur. C'était le début d'une longue et brillante administration, « la plus longue de toutes celles qui ont gouverné le Séminaire et qui fut marquée par des faits extrêmement importants pour la Société (2) ».

Il s'occupa d'envoyer des missionnaires en Perse, à Hamadan et à Ispahan où l'on réclamait des auxiliaires. Il donna à ces partants des conseils sur le détachement des

tique du même Séminaire, le 13 mai 1675. Paris 1675 [Bib. nat. L 17 n (168)]. Il avait pris pour titre de son panégyrique : O millier magna est fides tua (Matth. 15).

(1) Oraison funèbre, pp. 5 et 25. Le 12 août de la même année, Fléchier prononçait lui aussi dans la chapelle des Carmélites de la rue Chapon, à Paris, l'oraison funèbre de Madame d'Aiguillon et rendait hommage à sa générosité pour les missionnaires. (Recueil de ses oraisons funèbres, Paris 1760, pp. 112 et 113).

(2) A. Launay, p. 269.


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richesses, l'obéissance aux supérieurs et la prudence dans les rapports avec les infidèles, suivis d'avis très pratiques pour une contrée peu connue des prêtres de la Société, habitués plutôt aux peuplades de l'Asie orientale (1).

« Il signala également ses débuts par la construction d'un nouveau séminaire dans les jardins qui s'étendaient entre la rue de Varennes et la rue de Babylone. L'église fut bâtie la première. Sur l'invitation de Louis XIV, toujours désireux de manifester sa bienveillante sympathie aux missions étrangères, l'Archevêque de Paris, François de Harlai, posa la première pierre le 24 avril 1683 ».

« Tous les prêtres du séminaire, revêtus de surplis, rangés sous la grande arcade qui joignait les deux cours, reçurent le prélat, accompagné des évêques de Dax, de Gap et de Laon... M. de Brisacier fit à l'Archevêque un compliment qu'il dit parfaitement bien et qui fut fort goûté. L'Archevêque répondit par un petit discours en trois points... Après la cérémonie, Mgr de Harlai s'entretint avec les directeurs et les dames de charité : apercevant son petit neveu, âgé de dix ans, venu avec sa mère, il l'appela, et s'adressant au supérieur « lui demanda s'il l'accepterait pour porter le surplis dans son séminaire», à quoi gravement M. de Brisacier répondit : « qu'il ne fallait pas une autorité moindre que celle de Sa Grandeur poulie faire admettre dans une maison comme la nôtre ». Le procès-verbal de la cérémonie fut dressé et envoyé dans toutes les missions : une médaille commémorative fut frappée et offerte au Roi, aux ministres, à plusieurs hauts dignitaires du Clergé et à tous les amis de la Société ».

« M. de Brisacier accompagna la remise de cette médaille à l'Archevêque de Paris des paroles suivantes : « Monseigneur, nous sommes ici pour vous rendre de

(1) A. Launay, op. cit., p. 267.


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très humbles actions de grâces des nouvelles obligations que nous avons à Votre Grandeur. Il semble que vous les consommâtes hier toutes par l'audience favorable que Votre Grandeur nous ménagea auprès du Roi. Jamais Prince ne rendit plus obligés des sujets qui s'estimaient infiniment indignes d'un si grand honneur, et jamais prélat ne fit mieux voir le crédit qu'il a sur l'esprit du plus grand de tous les princes. Agréez donc, Monseigneur, que pour répondre autant qu'il est en nous à vos bontés, nous vous donnions cette faible marque de notre reconnaissance. Si Votre Grandeur pouvait prendre nos coeurs, elle y verrait des sentiments qui sont au-dessus de toutes nos expressions ».

Un mois après cette cérémonie, M. l'abbé de Fermanel apportait au Séminaire le coeur de Mlle de Bouillon pour qu'il y fût inhumé. Mlle de Bouillon avait donné des aumônes au Séminaire et lui avait prodigué ses faveurs (i). C'est ce qui explique la remise de la plus noble partie d'elle-même à cette maison.

Pour rappeler les souvenirs édifiants de la défunte, il fut convenu que M. de Brisacier serait chargé de prendre la parole. « Les administrateurs du Bureau d'Evreux par reconnaissance avaient fait faire un service solennel pour Mlle de Bouillon ». M. de Brisacier se rendit à Evreux et là, le 30 août 1683, prononça l'oraison funèbre « en présence de Monseigneur l'Évêque y officiant pontificalement et de tous les Corps de la ville ».

Il rappelait que Mlle de Bouillon avait fondé dans le Séminaire des Missions étrangères une messe à perpétuité pour la conversion des infidèles, puis il continuait par un éloquent et original appel au coeur dont le Séminaire avait désormais la garde :

(1) A. Launay, op. cit., pp. 53 et 55.


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« O coeur que la nature a fait grand et que la grâce a rendu parfait ; coeur dont la mort a si saintement couronné la vie : coeur de chrétienne, coeur de vierge, coeur d'épouse, vous êtes digne d'être imité de tous les coeurs. Heureuse cette maison de Paris, dont j'ai l'honneur d'être et dont vous êtes devenu le glorieux partage par la préférence de votre choix ! Vous êtes le riche présent d'un amour tendre pour les Missions étrangères, le cher monument d'une infinité de bienfaits et le précieux gage d'une protection éternelle... »

Puis en parlant des missionnaires, il continuait : « Vous serez l'heureux lien qui les attachera pour toujours à votre illustre maison (1) ».

Les administrateurs du Bureau d'Evreux ordonnèrent l'impression de ce discours « pour satisfaire les personnes à qui le souvenir de MIle de Bouillon est toujours fort cher et qui seront bien aises de la reconnaître dans ce portrait que l'on a trouvé assez fidèle ». L'éloge est modeste, mais l'abbé de Brisacier était humble et dut s'en contenter.

Le 24 mai 1686 mourait à la Visitation de Blois, la mère Marie Hieronyme de Brisacier, tante de M. l'abbé de Brisacier. Ce dernier écrivait à l'un de ses amis trois jours après en lui donnant les détails suivants :

« Je recommande à nos SS. sacrifices ma tante de la Visitation de Blois dont j'appris hier soir la mort arrivée vendredi matin après trois mois et plus de maladie », et il ajoutait un peu plus loin : « Le Roi part le 4 ou 6 du mois prochain pour les bains de Barèges. Mon oncle fait état de le prévenir à Blois... (2) » Il s'agit évidemment du doyen de Saint-Sauveur.

(1) Oraison funèbre de Mlle de Bouillon (Rouen 1683). — Bib. Nat , Ln 27 2625, pp. 51 et 59.

(2) Arch. des M. E., vol. p. 59. Les Archives du Séminaire conservent environ six cents lettres de M. de Brisacier, volumineuse corres-


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La Société des Missions étrangères avait fondé un séminaire à Siam, dont le roi Phra-Naraï appréciait fort les directeurs et parmi eux M. Vachet, prêtre plein d'expérience des hommes et des choses de cette contrée.

Le roi de Siam, désireux d'établir des relations avec Louis XIV et la France, envoya des ambassadeurs à Paris en demandant à M. Vachet de les accompagner.

Le 27 novembre 1684, après un assez long voyage, les Siamois furent reçus par les ministres et par le roi dans la galerie des glaces du château de Versailles.

« On les fit assister en spectateurs au diner du roi qui ordonna à leur interprète de bien leur expliquer toutes les curiosités du jardin et du palais et de les amener à Versailles le mardi suivant pour voir l'opéra de Roland (1) ». Ce second ordre ne laissa pas d'embarrasser M. Vachet qui jugeait fort peu ecclésiastique d'aller au théâtre et de plus redoutait le scandale que le spectacle pouvait produire sur les Siamois, étrangers aux coutumes d'Europeetenclins à leur donner une mauvaise signification plutôt qu'une bonne. Dans son incertitude, il interrogea M. de Brisacier qui se montra aussi perplexe que lui et il fut résolu qu'on s'adresserait à M. Tronson, le grave et saint supérieur de Saint-Sulpice. Celui-ci n'y trouva aucune difficulté et « répondit tout net que M. Vachet ne devait avoir aucune répugnance à obéir au Roi en ce point (2) ».

Le jour de la Fête des Rois, les ambassadeurs assistèrent à la messe solennelle célébrée dans l'église du Séminaire et y dînèrent avec plusieurs gentilshommes et amis de la maison.

Les envoyés Siamois retournèrent dans leur pays,

pondance d'une administration très chargée. — Faire état = se proposer de... (Littré).

(1) Sans doute le Roland de Grimault, tragédie lyrique.

(2) A. Launay, op. cit. p. 315 et s.


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accompagnés de l'ambassade de Louis XIV à Phra-Naraï, et dont le chef était le chevalier de Chaumont. Ces réprésentants de la France furent accueillis avec joie et honneur à Siam et lorsqu'ils repartirent pour rentrer en France, ils emmenaient avec eux une ambassade siamoise chargée de resserrer encore les liens de l'alliance française.

Au mois de juillet 1686, les nouveaux ambassadeurs étaient à Brest et ne devaient pas tarder à atteindre Paris, où ils furent reçus avec tous les honneurs dus à leur qualité.

« Au Séminaire des Missions étrangères, M. de Brisacier souhaite la bienvenue au chef de l'ambassade avec la chaleur communicative et l'exquise politesse qui le distinguait :

« Monseigneur,

« Un mérite aussi universel et aussi universellement reconnu qu'est le vôtre devrait être publié en toutes sortes de langues : et nous souhaiterions pouvoir assembler ici les différentes nations de l'Europe pour honorer votre grand roi dans vos Excellences ; de même que ce puissant prince a honoré à Siam, par la députation des divers pays de l'Orient, notre incomparable monarque dans la personne de son ambassadeur extrordinaire.

« Mais sans former inutilement de vains désirs et sans rien emprunter des royaumes étrangers, souffrez, Messeigneurs, que quelques prêtres de cette maison qui vont vous complimenter après moi, se partagent entre eux pour louer en plus d'une manière les talents et la conduite que tout le monde admire en vous, et qu'ils emploient en peu de paroles, ce que l'hébreu a de savant, ce que le grec a de poli, ce que le latin a de grave et ce que le siamois doit avoir d'agréable à votre égard, pour rendre séparément et diversement à vos éminentes qualités les profonds respects qui leur sont dus, et pour répondre à l'honneur de votre


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visite et aux marques de vos bontés par les témoignages sincères d'une estime et d'une reconnaissance éternelles (1) ».

Nous ne rappellerons pas ces flots variés d'éloquence : nous nous contenterons de dire que M. de Lionne, fils du Ministre de Louis XIV et compagnon de M. Vachet, fit un discours en siamois.

« Un somptueux repas offert par Madame de Miramion et servi au réfectoire du Séminaire termina ce solennel et prolixe accueil ».

Mais Madame de Miramion ne se contenta pas de cette générosité passagère, elle offrit ses religieuses de la Sainte Famille pour aller à Siam instruire les femmes et tenir des écoles. M. de Lionne eût accepté volontiers si M. de Brisacier ne l'en eût dissuadé, lui répondant avec sagesse « d'attendre que les choses eussent plus de consistance ».

Le 23 décembre 1686, M. l'abbé de Brisacier écrivait à son ami M. de Fermanel, chargé à Rome des intérêts du Séminaire, en le chargeant d'un service personnel :

« Je n'ai rien à vous écrire, Monsieur, si ce n'est à l'occasion de mon cousin mort à Florence (1). M. le Grand Duc a eu la bonté de faire écrire par son Secrétaire d'Etat à M. Zipoli qui fait ses affaires en France qu'il cherchât ma tante pour lui donner avis de la part de S. A. de tout ce qui s'est passé à l'égard de son fils, et pour l'assurer qu'on aura grand soin de ses intérêts. Je crois que je prendrai la liberté de vous adresser la procuration pour retirer les meubles des mains de l'exécuteur testamentaire et un billet séparé pour recevoir du Grand Duc la cassette du défunt, après en avoir fait un inventaire secret dont vous pourrez m'envoyer copie. Je dis tout cela dans la confiance

(1) A. Launay, op. cit. p. 326.

(2) Il s'agit de Mathieu de Brisacier, sieur de Montriche. (Voyez plus haut, p. 92).


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que j'ai de votre charité et supposé que nos affaires ne souffriront rien de quelques jours de voyage... S'il arrive néanmoins que vous ne puissiez absolument quitter Rome sitôt, il faudra un peu attendre, car vous jugez bien qu'en cette affaire nous avons besoin d'un homme aussi sûr, aussi intelligent et aussi charitable que vous l'êtes... (1) »

M. de Brisacier donnait par ailleurs des sages conseils aux Directeurs du Séminaire de Québec dont l'évêque s'était démis de ses fonctions (1688). Mgr de SaintValier, succédant à Mgr de Laval, avait eu quelques difficultés dans son nouveau diocèse. M. de Brisacier recommandait à ses confrères la soumission : « Quoi qu'il arrive, écrivait-il, tenez-vous si unis avec l'évêque, les jésuites, avec les MM. de Saint-Sulpice qu'on ne puisse vous entamer par nul endroit, car si on vous divise, vous êtes perdus (2) ».

Le Séminaire de Québec allait deux ans après subir les épreuves de la guerre. Le 17 octobre 1690, une flotte britannique vint attaquer la ville et y causer des ravages. M. de Brisacier s'efforça de venir en aide à ses confrères du Canada dont les finances avaient été ébranlées par ce pénible état de choses ; il leur écrivait :

« Nous n'avons pu vous envoyer ces quatre cents livres qu'en priant Mme de Maintenon de nous les faire obtenir : nous voudrions pouvoir vous en envoyer davantage, les besoins de nos missions nous en empêchent, nous prierons le Seigneur qu'il daigne nous venir en aide. »

Les services du Séminaire de Paris étaient hautement appréciés par le gouverneur du Canada, M. de Frontenac.

« Vous avez à Paris un séminaire des Missions étran(1)

étran(1) du M. E., vol. 10, p. 316. (2) A. Launay, op. cit., p. 338.


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gères, écrivait-il à un de ses amis, qui a aidé le nôtre de son crédit et de son argent : si vous voyez M. de Brisacier qui en est supérieur, vous lui présenterez mes hommages et lui direz que j'ai eu l'honneur de le rencontrer plusieurs fois chez M. de Seignelay... »

M. de Brisacier se préoccupait aussi à ce moment des progrès des missions de Perse, entravées par l'incurie du roi du pays. A sa demande, Louis XIV écrivit de Versailles, le 24 juin 1688, une lettre au roi de Perse pour réclamer sa protection toute spéciale au nom des Français missionnaires. La parole du souverain fut entendue et nos religieux recouvrèrent une paix relative.

Vers cette époque, Louis XIV avait encore les yeux sur notre compatriote : Dangeau, dans son journal, nous le rapporte en ces termes : « Mars 1690 — Samedi 25, à Versailles. — Le roi a donné à M. Brisacier une petite abbaye dans Blois qui ne vaut que 1.000 livres de rente : elle était à M. de Brisacier son oncle. » De quelle abbaye est-il ici question ? Y a-t-il erreur sur le nom de ville? Nous ne savons.

M. de Brisacier n'avait pas que les bonnes grâces du Roi, il avait su gagner la confiance de l'influente Mme de Maintenon. Nous verrons au cours de ce récit plus d'une fois encore le nom de l'illustre fondatrice de Saint-Cyr, rapproché de celui du supérieur du séminaire des Missions étrangères. Celle-ci honora toujours l'abbé de Brisacier « de sa confiance, elle qui savait faire un si juste discernement du mérite (1). »

Mme de Maintenon le tenait en profonde estime, elle le visitait quelquefois et lui demandait souvent conseil sur le système d'éducation qu'elle imposait à Saint-Cyr. Elle le

(1) Hist. manuscrite du monastère de la Visitation de Blois, tome II, P. 419.


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pria de revoir, de concert avec M. Tiberge, également directeur et supérieur du Séminaire, mort en 1730, les constitutions de la maison qu'elle fondait. Lorsqu'elle voulut attacher à cet établissement, en qualité de confesseurs extraordinaires, « quelques ecclésiastiques d'un mérite et d'une piété reconnus », son choix tomba sur MM. de Brisacier et Tiberge (1).

Par reconnaissance, sans doute, pour sa bienfaitrice, nous voyons l'abbé de Brisacier assister au sacre du nouvel évêque de Chartres, Mgr Godet des Marais, dont Mme de Maintenon avait apprécié pour son école de Saint-Cyr la discrète et prudente direction et qu'elle avait réussi à élever jusqu'au trône épiscopal de Chartres, dont Saint-Cyr dépendait alors.

M. de Brisacier écrivait à M. de Quemener, le 11 novembre 1 592 :

« Mgr de Chartres fut sacré hier à Saint-Cyr et la cérémonie fut fort touchante. Mme de Maintenon fit la dépense du repas d'une manière digne d'elie. Nous y étions M. Tiberge et moi... »

D'ailleurs toute la correspondance de M. de Brisacier témoigne de l'intérêt réciproque que Mme de Maintenon et lui se portaient: nous en recueillerons entre autres deux passages qui montrent dans leur texte et même dans leur style, les rapports très amicaux entre ces deux personnages :

« Nous étions, écrit M. de Brisacier, nous étions hier à Saint-Cyr où Mme de Maintenon nous avait invités à nous trouver avec Mgr l'évêque de Chartres, pour y recevoir Mgr le Nonce que nous promenâmes dans toute la maison et qui parut très édifié du chant et de la modestie des Dames et des Demoiselles à vêpres. »

(1) A. Launay, op. cit., p. 528.


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« Dans l'entretien qu'il eut avec Mme de Maintenon, elle lui parla très avantageusement de notre oeuvre et de ceux qui la conduisent et surtout de M. notre Supérieur qu'elle dit avoir la meilleure part au bon ordre de Saint-Cyr... » (Janvier 1697).

« Mme de Maintenon lui a écrit un billet daté d'hier, par lequel il me paraît qu'elle se porte bien, nous irons la voir dans quelques jours à Saint-Cyr (22 oct. 1703) (1). »

Et lorsque Mme de Maintenon, émue des idées exprimées par Mme Guyon dans son fameux livre, veut avoir une consultation sérieuse sur ces doctrines nouvelles, elle s'adresse au grand Bossuet, et aussi à l'abbé de Brisacier et à son meilleur ami, M. l'abbé Tiberge (2).

Le supérieur des Missions étrangères est un habitué de Saint-Cyr: il y va souvent (23 déc. 1702, 2 avril 1703, 26 mai, 8 sept. 1704). Mme de Maintenon est malade : il en parle à ses amis (18 juin, 16 juillet, 3o juillet 1703) : il va passer trois jours à Saint-Cyr (27 août 1703). Mais sa profonde modestie laisse dans l'ombre les compliments ou les marques de faveur dont il doit être certainement l'objet (3).

Nous allons maintenant voir le zèle de M. de Brisacier attiré vers des préoccupations d'ordre spéculatif où il aura à lutter pour soutenir les doctrines sages et orthodoxes dont son esprit ne se départira jamais. Nous voulons parler de la question des Rites.

« La question des Rites est certainement la plus célèbre de celles qui furent agitées dans les missions d'ExtrêmeOrient : elle passionna de vigoureux esprits, elle souleva de longues polémiques (4). »

(1) Arch. des M. E., vol. 12, p. 304, et vol. 16, p. 260.

(2) Lettres de Mme de Maintenon — édition La Baumelle, tome III, p. 267.

(3) Arch. des M. E., vol. 15, p. 910, et vol. 16, pp. 89 à 710 à la date.

(4) A Launay, op. cit., p. 280.

4


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Sans nous étendre sur cette question assez complexe, résumons-la aussi brièvement que possible.

Le débat portait sur trois points principaux : le culte de Confucius, les honneurs rendus aux morts et les noms donnés à Dieu par les Chinois.

Le culte rendu à Confucius était l'apanage des mandarins et des lettrés. Il consistait en sacrifices d'animaux immolés en l'honneur du célèbre philosophe ; le culte des ancêtres se célébrait avant la sépulture, en face du cadavre et aux jours anniversaires sur les tombeaux. La question se posait ainsi : les chrétiens devaient-ils prendre part à ces diverses cérémonies? Oui, disaient certains missionnaires, rassurés par le dire de lettrés chrétiens affirmant qu'il fallait regarder ces honneurs comme des actes purement civils auxquels les ignorants du peuple seuls donnaient une interprétation superstitieuse. Non, disaient d'autres missionnaires, en s'appuyant sur l'idée générale de superstition attachée à ces démonstrations. Enfin on discutait fort sur le nom convenable à adopter pour désigner le vrai Dieu dans la langue chinoise: serait ce Tien, Changti, King Tien ou Tien Tchou ?

Les Jésuites tenaient pour la tolérance des cultes de Confucius et des ancêtres, et adoptaient les expressions Tien et King Tien. Les Dominicains et les Franciscains étaient presque tous d'un avis opposé.

L'affaire fut portée à Rome sous Innocent X, en 1645, et n'était pas encore tranchée en 1693 quand Mgr Maigrot, vicaire apostolique de la Société des Missions étrangères, lança son célèbre mandement qui condamnait les sacrifices offerts à Confucius et ordonnait de se servir du terme Tien Tchou pour désigner Dieu. Cette ordonnance fit grand bruit et suscita même des troubles parmi les chrétientés de Chine. Mgr Maigrot porta la question à Rome, et délégua pour hâter la solution,


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M. Charmot, procureur de la Société et ardent adversaire des rites chinois. C'est avec M. Charmot, qu'à ce sujet, M. de Brisacier correspondra fréquemment, appelant de tous ses voeux une décision que le Saint-Siège retardait d'année en année (1).

M. de Brisacier s'inquiétait fort de hâter la fin de ce débat et employa toutes sortes d'influences pour agir sur le Souverain Pontife, ainsi qu'en témoigne le billet suivant, que Madame de Maintenon lui écrivait le 29 septembre 1699 :

« Je donnerai à M. le comte de Toulouse le mémoire que vous m'envoyez. Le Roi ne parle point sur les affaires que vous avez avec les ministres, il ne désire en cela qu'une décision du Saint-Siège pour finir des disputes qui blessent la charité. Quant à moi, qui ne dois être comptée pour rien, surtout en pareille matière, je garde le silence qui me convient. Mais si j'avais à prendre parti, vous ne pouvez douter que ce ne fut le vôtre (2) ».

Le 27 juillet 1700, il avertit M. Charmot qu'il priera Madame de Maintenon de mettre le cardinal Janson dans leurs intérêts. « Grâce à Madame de Maintenon, le roi a demandé au Pape la prompte solution de la question des rites, écrivait-il toujours au même, le 14 juin 1701. Il s'effraye des Jésuites : les Jésuites ne cherchent qu'à empêcher le jugement, tout est à craindre d'eux et de leurs amis Je m'étonne que les Jésuites trouvent du soutien... (3). »

Mêlé à la lutte dont les engagements les plus vifs se livraient à Rome, M. l'abbé de Brisacier ne tarda pas à

(1) Voyez entre autres les lettres du 23 fév., 30 mars, 3 mai, 17 mai, 25 mai, 13 juillet de l'année 1700. — Arch. M. E., vol. 14, pp. 273 à 465.

(2) A. Launay, op. cit., p. 399.

(3) Lettres des 9 et 30 août 1701. — Arch. M. E., vol. 15, pp. 293 et 311.


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en ressentir les atteintes. Un libelle italien parut dans lequel on le calomniait.

« Je n'y suis pas mal accommodé, écrit-il à M. Charmot, par rapport à Madame de Lionne. Mais, grâce à Dieu, je n'en suis nullement touché, la calomnie est trop invraisembable pour être crue par personne (1). »

M. de Brisacier devait mourir sans avoir eu la consolation de voir son avis prévaloir : Benoît XIV mettait fin le 9 août 1742 seulement, à cette grave question, par une bulle énergiquement motivée et sanctionnée (2).

La Société des Missions étrangères n'avait pas encore de règlement en 1700, ayant vécu un peu au hasard de la Providence ; mais ayant déjà des Missions développées et solidement fixées en Chine, au Tonkin, en Cochinchine et à Siam, elle sentit le besoin d'avoir une règle uniforme et complète, basée sur la pratique de bientôt quarante années.

L'élaboration de ce règlement fut confiée à quatre prêtres distingués de la Société et parmi eux Charles de Brisacier et M. Tiberge.

« Ces deux derniers dirigeaient presque exclusivement la maison. On leur avait offert l'épiscopat ; tous les deux avaient refusé. Ils seraient, pensaient-ils, plus utiles à l'Eglise en travaillant pour l'Extrême-Orient, qu'en gouvernant un diocèse (1700) (3). »

L'année suivante une triste nouvelle arrivait au Séminaire de Paris : le 15 novembre 1701, le feu avait dévasté le séminaire de Québec, auquel s'était déjà intéressé M. de Brisacier : tout était devenu la proie des flammes.

(1) Lettre du 4 oct. 1701. — Arch. M. E., vol. 15, p. 332.

(2) Sur cette question des rites, M. Cordier, dans la Bibliotheca sinica, cite 119 ouvrages traitant uniquement ce sujet, et il en existe encore d'autres (A. Launay, op. cit., p. 396). La Bibliothèque municipale de Blois en possède 16 volumes inventoriés au Catalogue de Théologie, pages 215 et s.

(3) A Launay, op. cit., p. 414.


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« Ce désastre consterna les directeurs du Séminaire de Paris qu'il atteignait directement, puisqu'ils avaient la haute direction sur l'administration temporelle. M. de Brisacier l'écrivit aussitôt à Madame de Maintenon », ainsi qu'il avait coutume dans ses grandes préoccupations.

Accompagné de M. Tiberge, il se rendit à Versailles, faire part de cet accident au ministre Pont-Chartrain. Celui-ci se montra très affecté : « Ce n'est pas un malheur particulier, répétait-il, c'est un malheurpublic, il est nécessaire que le Roi y remédie (1). » Et le Roi donna 14,000 livres pour subvenir aux premiers besoins.

Une autre question, aussi grave, aussi redoutable que la question des rites chinois, portant sur la pureté de la foi, agitait également la Société des Missions étrangères, « le Jansénisme ».

« En 1717, il fut avéré que trois directeurs de la Société partageaient les erreurs jansénistes; aussitôt que M. de Brisacier, alors supérieur, sut ses collaborateurs dans de tels sentiments, et qu'après les avoir vivement pressés par ses arguments, ses sollicitations et ses prières, il eut la pleine conviction de ne pouvoir toucher leur coeur, ni éclairer leur esprit; il prit un parti qui est resté le grand honneur de sa longue administration et le plus important service qu'il ait rendu à la Société. »

« De concert avec M. Tiberge. il s'adressa au Souverain Pontife, en le priant d'exclure de la Société les évêques et les prêtres qui refuseraient de souscrire à la bulle Unigenitus. » Innocent XIII agréa cette demande : et les trois directeurs « obéirent aux ordres qui leur furent donnés'; mais leur soumission avait été trop tardive pour que la Société pût les conserver : ils se retirèrent dans leur famille, et de leur passage au Séminaire, il ne reste qu'un

(1) Eod. loc, p. 447.


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souvenir, regrettable si l'on considère leur conduite, honorable et digne si l'on examine la conduite de de Brisacier et de Tiberge. Il ne dépend pas toujours des supérieurs d'empêcher le mal de s'insinuer dans leur maison, mais ordinairement, il dépend d'eux de l'extirper; c'est leur devoir : de Brisacier et Tiberge l'accomplirent. »

« En même temps qu'ils procédaient ainsi avec énergie contre des membres coupables, de Brisacier et Tiberge, toujours fermement unis dans l'accomplissement d'un devoir rigoureux mais nécessaire, envoyaient les ordres de Rome aux évêques et missionnaires et déclaraient leur volonté bien arrêtée de regarder, comme exclus de la Société, tous ceux qui ne donneraient pas leur signature. (Lettre du 5 octobre 1724). »

«Tous s'empressèrent de souscrire la formule demandée ...»

Quatre ans plus tard, « la Société se vit de nouveau en butte à la même accusation. De Brisacier et Tiberge y répondirent par le simple et bref exposé des faits. C'était la meilleure démonstration de leur innocence et, cette fois, ce fut la dernière (1). »

Ce fut aussi un des derniers actes de la vie si bien remplie de l'abbé Jacques-Charles de Brisacier. Il mourait en effet le 23 mars 1736, âgé de 96 ans. « Aucun supérieur du Séminaire des Missions étrangères n'eut une administration aussi longue et remplie par tant d'événements divers. Directeur en 1676, il fut élu quatorze fois supérieur, de 1681 à 1694; de 1700 à 1720 et de 1724 à 1736; recevant tous les trois ans le renouvellement de sa charge (2). »

Mais si nous avons retracé les grands faits accomplis au

(1) Voy. A. Launay, op. cit., pp. 489 à 495.

(2) A. Launay, op. cit., p. 527.


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Séminaire des Missions étrangères, sous son supériorat, il ne faudrait pas croire que son oeuvre se bornât aux limites que ces fonctions lui traçaient. Il avait trop de zèle pour ne pas chercher à se répandre au dehors.

Il se donne tout particulièrement à la maison de refuge des femmes perdues, fondée par Madame de Miramion, qui s'intéressait d'ailleurs généreusement aux travaux des missionnaires. Le 26 mars 1696, il pleure sa mort : « Elle était la mère de nos missions et l'âme de toutes les bonnes oeuvres. » Il s'occupe de procurer des indulgences à cette maison (lettres des 23 février 1705, 17 et 21 mai 1712), et va y prêcher deux retraites (lettre du 6 avril 1705) : celle des dames de Madame de Miramion dure sept jours, et celle des pauvres femmes en dure cinq ; « nous finîmes samedi dernier la première, nous commençons dimanche matin la seconde... (1). »

En outre il donnait ses sages conseils aux couvents de la Visitation. « Plusieurs de nos monastères ont fait expérience de son zèle et de sa capacité dans la conduite, en qualité de supérieur ou de directeur (2). » Le 23 janvier 1689, à la Visitation de Blois, il recevait la confession générale de la soeur Anne-Marie de Vimeur de Rochambeau, et la préparait à mourir (3).

Les directeurs du Séminaire accompagnaient, de temps à autre, des séminaristes dans des missions en province. « La régénération des chrétiens de France devenait ainsi une préparation à la conversion des païens de l'ExtrêmeOrient (4). » C'est ainsi que nous voyons M. de Brisacier donner de nombreuses retraites, surtout à Paris, mais

(1) Arch. M. E., vol. 13, p. 49 ; — vol. 17, pp. 63, 105, 109 ; — vol. 18, p. 167.

(2) Hist. manusc. de la Visitation de Blois, tome II, p. 419.

(3) Eod. loc.

(4) A. Launay, op. cit., p. 154.


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aussi à Chartres, à Châlons, à Laon (24 avril 1684) et aux environs de Blois.

A ce sujet, nous avons un témoignage du supérieur des Missions étrangères, consigné dans une enquête solennelle, ouverte par Mgr de Noailles, à l'occasion du projet d'érection d'un évêché à Blois. Divers témoins sont entendus : le Ier mars 1696 se présente le grand Bossuet et le 17 du même mois, le témoignage que l'Archevêque de Paris recueille après avoir interrogé l'Évêque de Meaux, est celui de l'abbé de Brisacier. Sa parole fait autorité, il répond aux diverses questions posées et rappelle que « dans les environs de Blois et principalement dans la ville appelée maintenant Menars-la-ville, et que les habitants de Blois ont surnommé la petite Genève, il a semé la parole de Dieu avec quelques autres ouvriers évangéliques, en prêchant des missions (1). »

« Par ses vertus, ses talents, son exquise politesse, il acquit le respect et la confiance des grandes dames et des seigneurs de la cour, dont beaucoup le prirent pour directeur de leur conscience (2) ».

« Il se rend à la cour à l'occasion de la naissance du duc de Bretagne (3), il va faire visite à la princesse des Ursins (4) et pleure la mort du Dauphin et de la Dauphine (5).

« Un désintéressement parfait dans le plus grand crédit auprès des puissances lui fit refuser plus d'une fois

(1) ... « Ipse in locis Blesis adjacentibus ac praecipue in oppido quod nunc vocetur Menars-la-ville, quodque Blesenses incolae vulgo nominant Genevam minorem, missionis peragendae causa cum aliis aliquot operariis evangelicis verbum Dei disseminavit... » (Recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du Clergé de France, tome II, col. 125 et 126.)

(2) A. Launay, op. cit., p. 528.

(3) Lettre du 30 juin 1704, Arch. M. E., vol. 16, p. 604.

(4) Lettre du 22 juin 1705, Arch. E. M., vol. 17, p. 179.

(5) Lettre du 23 fév. 1712, Arch. M. E., vol. 18, p. 97.


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l'épiscopat. La mémoire le rendra d'autant plus respectable qu'étant digne des honneurs il les a évités (1). »

Cette modestie, jointe à « un génie supérieur », mérita ce chaleureux éloge écrit par de Mgr de Villeroi, évêque de Chartres, au cardinal Cavallerini (20 août 1696), et dans lequel l'auteur unit les deux amis, MM. Tiberge et de Brisacier, dans une même pensée, rendant hommage « à leur piété, leur capacité et leur détachement ; et je puis assurer Votre Eminence qu'ils ont préféré les intérêts des Missions étrangères aux dignités de l'Eglise... Ils viennent quelquefois nous aider à Saint-Cyr pour perfectionner et

affermir l'importante maison de Saint-Louis Mais

l'amour qu'ils ont pour l'oeuvre des Missions étrangères fait qu'ils n'y viennent que le plus rarement qu'il leur est possible.

« J'ose dire à Votre Eminence, Monseigneur, que je ne crains point de me donner auprès d'elle pour leur caution, ne connaissant pas dans l'Eglise de France d'ecclésiastiques plus remplis de talents, de mérites et de zèle que M. l'abbé de Brisacier et M. l'abbé Tiberge (2) ».

A cet ensemble de mérites l'abbé Jacques-Charles de Brisacier joignait ceux du coeur, et garda toujours vis-à-vis des membres de sa famille un sincère attachement. Nous détachons simplement de sa correspondance les pages suivantes :

« Me voici enfin de retour de Blois, Mr, où j'ai laissé mon frère assez bien rétabli d'une attaque de tête et qui l'oblige à se ménager désormais davantage, ayant 69 ans complets. (Lettre du 10 oct. 1703) ».

(1) Hist. manuscrite du mon. de la Visitation de Blois, tome II, p. 419.

(2) A. Launay, op. cit., p. 529.


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« Blois, 13 sept. 1704.

« Le lieu d'où cette lettre est datée vous fera connaître où nous sommes. M. l'abbé de Brisacier a eu une affaire de famille importante, où il a désiré que j'entrasse avec lui et je n'ai eu garde de lui refuser. Elle n'est pas agréable. Lui et moi la recommandons à vos prières ». — (Lettre écrite pendant les vacances du Séminaire par son secrétaire).

« On m'a apporté vos lettres qui accompagnent le transsumptum de ma pension sur Flabemont, dont je vous suis très obligé. Je suis un peu en peine de mon neveu l'abbé (1), qui depuis trois semaines qu'il est à Plombières pour ses infirmités ne m'a pas écrit un mot. Sa santé a été bien dérangée depuis 4 mois, mais il espère que les eaux le guériront ». (3 juin 1712).

« Mon frère m'écrit de Blois qu'il y a chez les Jésuites un Père à grande barbe revenant de Pondichéry, et disant qu'il apportait des habits de leurs Missions de ces pays-là pour les montrer au Roi en passant par Paris, à quoi il a ajouté qu'il était inutile que nous envoyassions désormais des missionnaires aux Indes, parce qu'ils ne pourraient plus entrer dans la Chine «. (13 août 1712).

« Mon neveu l'abbé a repassé par ici depuis trois jours, aussi incommodé qu'il était, il est allé à 6 lieues d'ici, à la la campagne, se mettre au lait de vache chez un de ses amis ». (22 août 1713) (2).

L'abbé de Brisacier joignait à ses attributions celle d'abbé de l'abbaye de Flabémont en Bassigny, dont il avait sans doute hérité de son oncle, et sa correspondance nous montre qu'il s'y rendait de temps à autre, contrairement aux habitudes de l'époque, en pareil cas. Mais l'impossi(1)

l'impossi(1) de Brisacier.

(2) Arch. des M. E., vol. 16, pp. 247, 718. — Vol. 18, pp. 185, 267, 555.


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bilité où il se trouvait, vu la distance et ses occupations, de faire ce qu'il regardait comme un devoir, fut sans doute cause du désir exprimé dans une de ses lettres d'échanger son abbaye pour une autre plus rapprochée (1).

« Deux mois avant sa mort, M. de Brisacier pria qu'on le déchargeât du supériorat (1736). Lorsqu'il reçut les derniers sacrements, il adressa aux directeurs réunis autou r de son lit un « discours fort touchant » ; il ne laissait rien, comme il l'avait désiré « ni bien ni dettes » (2). Ses funérailles furent présidées par l'Archevêque de Sens, son corps fut déposé dans la crypte de l'église du Séminaire où il resta jusqu'à ce que la Révolution jetât au vent ses cendres vénérées (3) ».

(1) Lettres du 3 juin 1693 et du 7 mars 1707. Arch. M. E. vol. 12, p. 39, et vol. 17, p. 479.

(2) Il avait fait une donation au Séminaire des Missions étrangères de 170 livres de rente. Arch. M. E. vol. 17, p. 555. Après sa mort, son mobilier fut inventorié (V. Arch. Nat. MM. 513).

(3) A. Launay, op. cit., p. 530.


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VI

Anne-Charlotte de Brisacier

(1647-1700)

Née à Blois de Charles de Brisacier, elle fut baptisée à Saint-Solenne le 3 février 1647.

Sa mère la confia à sa tante Marie de Brisacier, religieuse de la Visitation de Blois, dès l'âge de 9 ans. Elle se sentit la vocation religieuse et fit profession dans le même couvent le 9 mars 1657, suivant avec fidélité la règle de son ordre malgré sa santé très délicate. La veille de Noël 1699, au cours d'une douloureuse maladie, Mgr de Bertier, évêque de Blois, vint lui apporter les consolations de la religion « pour lui marquer la considération qu'il avait pour elle et pour Monsieur son frère », c'est-à-dire le Supérieur des Missions étrangères, et elle rendait le dernier soupir le 11 février 1700.


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VII

Nicolas de Brisacier

(né en 1670)

Nous savons peu de chose sur Nicolas de Brisacier. Fils de René de Brisacier, il fut baptisé paroisse Saint-Solenne de Blois, le 5 juin 1670.

Si nous énumérons ses titres et qualités, nous voyons qu'il fut docteur de la maison et société de Sorbonne, abbé de Flabemont, prévôt de la cathédrale d'Usez, prieur commendataire de Saint-Pierre de Mareuil, près Amiens, et du prieuré de Segrets, grand vicaire de Toul.

Il fut reçu directeur honoraire du Séminaire des Missions étrangères et y demeurait lorsque son oncle y mourut. Il s'occupa de régler sa succession (1).

En 1717, il publie une lettre adressée à l'abbé général des Prémontrés, M. Hugo, pour venger la mémoire de son oncle contre les injures que ce dernier lui avait adressées dans les Annales de l'Ordre des Prémontrés.

Quelques années auparavant, en 1711, le Ier juin, l'abbé Nicolas prononçait dans l'église de l'abbaye de Saint-Loup, près d'Orléans, l'oraison funèbre de Mme Louise-Charlotte de Châtillon, abbesse de Saint-Loup (2).

(1) Arch. nat., MM. 513.

(2) Bib. nat., Ln 27 4108.


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VIII Marguerite de Brisacier

(1672-1752)

Les registres de Saint-Solenne mentionnent son baptême à la date du 14 février 1672. Fille de René de Brisacier et de dame Marguerite Huart, demeurant à Blois, « rue du Petit Chatel », elle eut pour parrain Me Jacques Belot, conseiller au siège présidial de Blois.

Dame Marguerite Huart mourait en 1683, laissant son mari chargé de six enfants et la petite Marguerite âgée de onze ans. Cet enfant fut placée à la Visitation de Bourges. Mais ses tantes du couvent de Blois la réclamèrent comme élève et pensionnaire. Après qu'elle y eut passé deux ans, elle fut demandée par son père « qui la produisit dans les meilleures compagnies de Bourges ». Elle revint ensuite à Blois pour y prendre l'habit de Visitandine (1688) et son existence s'écoula, affligée de maladies nombreuses.

La mort vint mettre un terme à ses douleurs, le 28 avril

1752.

André REBSOMEN.




LA MUSIQUE

de la Garde Nationale de Blois

1789

LA Garde nationale parisienne fut improvisée dans la journée du 10 juillet 1789, des éléments de la milice bourgeoise ; elle s'organisa peu à peu dans toutes les communes de France.

La musique de la Garde nationale fut organisée à Paris par Bernard Sarrette ; quarante-cinq musiciens provenant du dépôt des gardes françaises en formèrent le noyau.

Au mois de mai 1790, la municipalité de Paris la prit à sa charge et en porta l'effectif à soixante-dix-huit musiciens, mais les embarras financiers de la commune, ayant fait supprimer la garde soldée, Sarrette retint près de lui les artistes et obtint du Conseil municipal, en juin 1792, l'établissement d'une École de musique.

Chose étrange ! Sarrette organisa la musique de la Garde nationale, il fut le fondateur du Conservatoire national de musique de Paris, le dirigea pendant vingt ans..... et n'était pas musicien, mais seulement un organisateur (1).

(1) Sarrette et les Origines du Conservatoire national, par Constant Pierre, page 18.


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Ce préambule était nécessaire pour établir le point de départ de la formation des musiques dans toutes les communes de la Nation.

Nous trouvons les premières traces d'organisation dans la ville de Blois, au mois de mars 1791 ; le registre des Délibérations du Directoire du District nous les fournit:

« Le 5 mars 1791, le Conseil municipal tenant, M. le « Maire expose que MM. de la Garde nationale lui ont « fait part du projet qu'ils avoient de former un corps de « musique et qu'à cet effet ils ouvraient un projet de « souscription pour l'achat des instruments nécessaires à « cet établissement ; que le corps municipal étoit prié de « vouloir bien se faire inscrire pour une somme quel« conque.

« Sur quoi, ouï le Procureur de la Commune, le Conseil « municipal de Blois, considérant tout le prix de cet éta« blissement, arrête que le Receveur des deniers communs « verserait ès mains du résorier de la Garde nationale « une somme de cent cinquante livres. »

Forts de cet appui, MM. de la Garde nationale organisèrent le corps de musique.

A son début, la musique de la Garde nationale comprit seulement douze musiciens ; sept étaient appointés à 100 livres par an, chacun, et cinq amateurs prêtaient gratuitement leur concours ; soit dit en passant, cette réunion de douze musiciens formait nécessairement un ensemble un peu maigre ; la pénurie d'artistes en était la cause, très probablement.

On désigna pour être chef de musique, M. Selleron le jeune (1), bon musicien, professeur de flûte qui, avant la Révolution, était greffier de la maréchaussée.

(1) Selleron (Sébastien-Pierre), né à Blois, en 1751, de feu Nicolas Selleron et de Françoise Vaillant, célibataire, propriétaire, mourut à


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Le sous-chef nommé fut M. Barbier, qui avait été maître de chapelle de la Cathédrale pendant vingt-six ans, de 1765 à 1791 (1).

Sept musiciens titulaires : MM. Huguet aîné (clarinettiste), Jolly, Huguet jeune, Henrion (clarinettiste), Combe fils et Bonnin fils (ce dernier bassoniste). M. Barbier étant rétribué, figurait dans ce nombre.

Les cinq amateurs étaient MM. Porcher-Linger, Houdin, Amaury, Giroust fils et Blanchon.

Giroust était un musicien Orléanais, réfugié à Blois pendant la Terreur.

Menonville (2), organiste du temple Décadaire, faisait aussi partie de la musique de la Garde nationale et y jouait le basson.

Le 8 floréal de l'an V, l'Administration fixe ainsi les traitements des musiciens de la Garde nationale :

Blois le 17 décembre 1807, âgé de 56 ans, en son domicile, rue des Trois-Marchands. (Acte de décès, Etat civil de Blois).

En 1790, lorsque le Directoire du District fut établi, M. Selleron fit partie de cette administration départementale.

En 1792, devenu suspect et accusé de receler des armes, il eut à subir une perquisition le 13 août de cette année, par suite d'une dénonciation. — Ce jour, à 8 heures du soir, quatre commissaires se présentèrent à son domicile rue Bourreau et le sommèrent d'ouvrir tous les cénacles de sa maison ; recherche faite, on trouva, au grenier, vingt fusils à un coup, deux à deux coups et... un canon sans fût! — Le sieur Selleron déclara que ces armes provenaient du greffe ; examen fait, il fut reconnu que ces fusils étaient hors de service (beaucoup de tapage pour rien ! ). Ils furent déposés dans les galetas de l'Hôtel-de-Ville. (Registres municipaux de Blois).

M. Jules Laurand, parent par alliance de la famille Selleron, possède le portrait de ce musicien, jouant de la flûte.

L'orthographe de son nom est écrite différemment sur les registres, tantôt avec une S, Selleron, tantôt avec un C, Celleron.

(1) Barbier (François) décéda à Blois, rue du Lion-Ferré, le 12 messidor, an XII (1804), âgé de 61 ans. L'acte mortuaire porte qu'il était né à Foulloy (Somme), diocèse d'Amiens, en 1743 ; il est qualifié de « pensionnaire ecclésiastique ».

(2) Organiste de la Cathédrale de 1792 à 1805. Il toucha ensuite le grand orgue de la Cathédrale d'Orléans et mourut dans cette ville.


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Les sept musiciens qui sont salariés auront 700 livres de traitement annuel, ce que ces citoyens acceptent.

Ils se soumettent aussi à faire le service de la musique chaque fois que les circonstances l'exigeront et qu'ils seront requis par l'Administration (1).

Il est convenu que lorsqu'ils manqueront par leur faute une séance commandée, on fera une retenue de 10 livres chaque fois.

1794

Le 24 vendémiaire, an III (15 octobre), il est fait lecture au Conseil général d'une pétition des citoyens musiciens

(1) Voici le relevé de quelques fêtes civiques auxquelles la musique de la Garde nationale prit part.

FÊTES DE LA RÉVOLUTION

25 mai 1796 (5 prairial, an IV). — Fête de la Reconnaissance et de la Victoire, qui eut lieu aux Allées, où était dressé l'autel de la Patrie.

3i mars 1797 (10 germinal, an V). — Fête de la Jeunesse. — A 9 h. 1/2, les membres du Département et des Tribunaux se rendent à la Maison commune, devant laquelle sont rangées les troupes d'infanterie et de cavalerie; à 10 h. 1/2, le cortège se rend à l'autel de la Patrie et le président, après avoir prononcé un discours, invite les jeunes gens qui auront seize ans dans le cours de l'année à s'inscrire sur le registre civique.

Les citoyens devaient ensuite faire entendre des hymnes patriotiques, mais la musique de la Garde nationale fit défaut.

30 avril 1797 (10 floréal, an V). — Fête des Époux. — L'Administration municipale, les Corps constitués, la Garde nationale et la musique se rendent à l'autel de la Patrie à 8 h. 1/2.

Le président prononce un discours, des couronnes civiques sont distribuées aux citoyens et citoyennes qui s'en sont rendus dignes, pendant que la musique de la Garde nationale exécute plusieurs airs d'hymen et des chants civiques ; le cortège retourne ensuite à la Maison commune.

28 juillet 1792. — Fête du 9 thermidor. — Elle a lieu à 8 h. 1/2. A la suite d'un discours prononcé devant l'autel de la Patrie élevé sur la place du Château, le président prend une torche qu'il enflamme et, accompagné des autres autorités, s'élance aux sons d'une musique guerrière vers l'autre extrémité de la place où s'élevait un trône surmonté des emblèmes de la tyrannie avec un cahier portant en tête « Constitution de 1793 » et y met le feu aux cris répétés de : haine aux tyrans !


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de la Garde nationale, tendant à être payés de leurs travaux dans toutes les circonstances où ils sont appelés dans les fêtes publiques.

Vu l'arrêté du District en date du 18 fructidor dernier, qui autorise la municipalité à payer ceux des dits musiciens qui réclament salaire ;

Vu la déclaration faite au bas de la pétition par les citoyens Selleron le jeune, Porcher fils aîné, Trinquart fils, Roux et Houdin, qu'ils offrent de continuer le service de la musique sans exiger aucun traitement ;

Le Conseil général arrête qu'il serait accordé un traitement aux musiciens de la Garde nationale, lequel demeure présentement fixé à trois mille livres par an, laquelle somme sera répartie entre les citoyens ci-dessous désignés :

1 Sellier,

2 Godet fils,

3 Combe le jeune,

4 Jolly,

5 Menonville,

6 Barbier,

7 Henrion,

8 Huguet,

9 Huguet le jeune, 10 Bonnin fils,

qui sont les seuls musiciens qui réclament salaire.

Ledit traitement, à partir du Ier vendémiaire, sera payé aux musiciens, par trimestre.

1796

A la séance du 22 février 1796 (3 ventôse, an IV), il est donné lecture d'une pétition du citoyen Selleron le jeune, chef de musique de la Garde nationale, lequel, après avoir exposé l'état de détresse où l'a réduit la Révolution et l'intention où il est de se rendre utile à ses concitoyens en leur faisant part de ses faibles talents dans la musique ; il


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prie l'Administration de vouloir bien lui accorder le lieu occupé par la ci-devant Société populaire de Blois (1), pour donner le cours à ses élèves, dont le nombre s'accroît chaque jour et pour y faire la répétition gratuite pour la musique de la Garde nationale, de même que des concerts pour les amateurs, s'obligeant à ne rien changer à la construction intérieure de la dite salle. — Vu la pétition ci-dessus mentionnée, l'Administration reconnaissant que la demande faite par le citoyen Selleron ne peut sous aucun rapport nuire à l'intérêt de la nation ; qu'au contraire elle ne peut que stimuler le goût des citoyens qui désireraient s'instruire dans cette partie agréable des arts; considérant qu'on ne peut qu'encourager le zèle du citoyen Selleron dont les talents sont connus ; considérant que quoique le local demandé par le citoyen Selleron soit destiné à la tenue des séances du Conseil d'administration de la Garde nationale, rien ne s'oppose à ce que le citoyen réclamant y donne ses leçons en observant de ne nuire en rien aux dites séances ; considérant enfin qu'il s'oblige à ne rien changer aux dispositions de la dite salle l'Administration, ouï le rapport, et la Commission du Directoire exécutif entendue,

ARRÊTE,

Que le citoyen Selleron le jeune est autorisé à se servir du local occupé par la ci-devant Société pour donner ses leçons aux citoyens qui désireront apprendre la musique ainsi que les concerts et faire les répétitions de la Garde nationale, en observant néanmoins de ne rien changer audit local.

La séance du Directoire de la Commune, du 18 messidor, an IV (7 juillet 1796), nous fournit plusieurs détails

(1) Une des salles de l'ancien Hôtel-Dieu, aujourd'hui le Théâtre.


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intéressants sur le nombre et le traitement des musiciens de la Garde nationale à cette époque.

« Vu la pétition des citoyens Henrion, Saillier et autres « musiciens de la Garde nationale, expositive qu'il leur « est dû trois quartiers de leur traitement courant depuis « le Ier vendémiaire (23 septembre) jusqu'au 30 prairial « suivant (19 juin); que ce traitement avait été fixé pour « dix musiciens à 3.000 livres par an, cette fixation faite « au 1er vendémiaire de l'an III, et demandant le paiement « de ce qui leur est dû. »

« L'Administration, considérant que la réclamation des « pétitionnaires est juste en ce qui concerne ceux des mu« siciens jugés dans le cas d'être salariés, mais qu'il ne « s'en trouve pas dix dans ce cas ; — considérant que le « 23 nivôse dernier (13 janvier) il a été délivré mandat au « profit des dits musiciens, du trimestre échu le 30 fri« maire précédent (21 décembre) et qu'ils doivent s'imputer « la faute de n'en avoir pas touché le montant; que « d'ailleurs, ils ont encore la liberté de se présenter chez « le receveur pour toucher le mandat qui leur a été délivré « en assignats de cent francs et au-dessous ; qu'il résulte « de là que leur traitement ne leur est dû que depuis le « 1er nivôse (22 décembre) ; — considérant qu'il n'y a que « six musiciens que l'Administration estime dans le cas « d'être salariés ; que par conséquent il est nécessaire de « procéder à une nouvelle fixation de leur traitement et de « prendre des mesures pour leur faire payer de ce qui leur « est dû ; a arrêté : ouï l'un de ses membres faisant « fonction de commissaire du Directoire exécutif, que le « nombre des musiciens jugés dans le cas d'être salariés « est réduit à six ; que leur traitement est fixé à 25 livres « par mois chacun, ce qui forme pour les six salariés « 150 livres par mois; que le traitement sera payé sur le


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« pied cy-dessus fixé, à partir du 1er nivôse (22 décembre) « en mandats ou promesses de mandats (1). »

1797

Le 2 février 1797 (13 pluviôse, an V), les citoyens Guérin, Mauguin, Griot et Magnien, tous quatre, musiciens attachés à la septième demi-brigade, demandent, par une pétition, à être autorisés à donner un concert pour le 14 courant et qu'à cet effet, il leur soit accordé la salle basse du Château (2).

L'Administration, ouï le Commissaire du Pouvoir exécutif, arrête que les pétitionnaires sont autorisés à donner un concert le 14 février et à cet effet, de disposer de la salle du Château, d'après le consentement qu'ils ont des citoyens composant la Société du Bal qui y est établie. ., de répondre de tous les objets qui s'y trouvent et à la charge par les pétitionnaires de payer deux sols pour livre du produit de chaque billet d'entrée, au profit des pauvres et en conformité de la loi.

Le 8 messidor, an V. — La Municipalité prend ce jour un arrêté portant que dans les fêtes civiques, la musique de la Garde nationale précédera toujours les autorités.

Le 26 messidor, an V, fut célébrée en grande pompe la fête Nationale du 14 juillet ; la musique de la Garde nationale apporta son concours très apprécié.

Le 3o vendémiaire, an V. — Célébration d'une pompe funèbre pour la mort du général Hoche... la musique exécutait des airs lugubres et patriotiques.

(1) Le même jour, le traitement du tambour-major est fixé à 3o francs, du caporal à 28 francs et celui des six tambours à 25 francs par mois et en mandats.

(2) La salle basse du Château servant aux concerts et réunions est celle qui est située à gauche de la grande porte d'entrée de la partie de Gaston.


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Le 9 brumaire, an VI. ■— Le citoyen Selleron le jeune, chef de la musique de la Garde nationale de Blois, est nommé par l'Administration, officier public chargé de la rédaction des états civils à la mairie de Blois.

Nous trouvons l'ordre de la cérémonie des séances décadaires qui se tenaient au Temple décadaire (Eglise cathédrale de Blois), auxquelles la musique prenait part; en voici le programme :

Le cortège se formait à la Maison commune et partait en ordre à 10 heures du matin.

La cérémonie commençait par la lecture des actes de mariage, naissance et décès.

On publiait ensuite les lois, instructions du Gouvernement, jugements des administrateurs civils et judiciaires et l'on donnait lecture de quelques pages de morale.

Des élèves récitaient la Déclaration des Droits de l'Homme; venait ensuite un discours sur l'instruction publique.

Ces différentes lectures étaient précédées et suivies d'airs patriotiques exécutés par le corps de musique de la Garde nationale et M. Menonville, l'organiste du grand orgue du temple Décadaire.

La séance se terminait .par la célébration des mariages.

La cérémonie faite, l'Administration municipale retournait dans le même ordre et musique en tète, à la Maison commune.

28 brumaire, an VI.— Samedi 18 novembre 1797.— Il est donné lecture d'une lettre adressée à l'Administration municipale par le citoyen Raoux, artiste, domicilié à Paris, en date du 19 brumaire, expositive qu'il a délivré pour le compte de la dite Administration et en vertu de ses ordres, dans la première décade de l'an III, une paire de cymbales pour la musique de la Garde


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nationale de la dite commune; que n'en ayant pas été payé depuis ce temps, malgré les réclamations qu'il a faites, il renouvelle sa demande et prie l'Administration de lui délivrer mandat de la somme de cinquante francs, prix convenu. La demande est accordée.

5 frimaire, an VI. — Le citoyen Henrion, au nom des musiciens de la Garde nationale, expose que lui et ses camarades sont dans la plus grande détresse et prient l'Administration de leur faire délivrer mandat pour le paiement de leur traitement des mois de messidor, thermidor et fructidor de l'an V : le Conseil arrête qu'on délivrera 175 livres pour le paiement des dits musiciens.

11 pluviôse, an VI (1797). — Il est donné lecture d'une pétition du citoyen Selleron le jeune, officier de musique de la Garde nationale sédentaire de Blois, exposant qu'il lui est dû une somme de quatre-vingts francs, montant d'un basson qu'il a dans le temps, et du consentement de l'Administration, prêté au citoyen Menonville (organiste du Temple décadaire) et musicien de la Garde nationale — que cet instrument qui est très endommagé, se trouve actuellement entre les mains du citoyen Bonin, musicien de la dite Garde nationale: — pourquoi il invite l'Administration à prendre sa demande en considération et de lui faire délivrer mandat de cette somme. Le Conseil accorde cette demande.

13 pluviôse, an VI (1797). — Les citoyens Huguet frères, musiciens de la Garde nationale, ayant été invités à assister à la célébration de la fête Décadaire tenue le 10 courant; les dits citoyens, malgré cette invitation qui leur a été faite en qualité de musiciens soldés de la Garde nationale sédentaire en cette commune, n'ont aucunement comparu ; — qu'il est à propos que l'Administration donne, en la personne des citoyens Huguet frères, un


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exemple de sévérité à ceux qui, par leur conduite, témoignent du mépris pour les institutions républicaines.

L'Administration adoptant ces vues, arrête ce qui suit :

Article premier. — Les citoyens Huguet frères, musiciens soldés de la Garde nationale, sont, à partir de ce jour, rayés du tableau des musiciens.

Article 2. — Il leur sera retenu, sur leur traitement, la somme de dix francs chacun, pour n'avoir point comparu à la fête Décadaire.

Article 3. — Le citoyen Huguet aîné remettra sur-lechamp, au secrétariat de l'Administration, la clarinette dont il se sert.

Le 7 messidor, an VI, le citoyen Chottard-Duplessis (1), musicien de la Garde nationale, demande à être payé d'une somme de vingt-cinq francs qui lui est due pour trois mois de traitement en qualité de musicien de la dite garde.

Même demande le 17 messidor, du citoyen Bonnin fils, réclamant soixante-quinze francs pour neuf mois de traitement.

Le 27 messidor, les citoyens Huguet frères, Joly, Barbier, Combe, Henrion et Boursier, tous musiciens de la Garde nationale, réclament trois cent cinquante francs, pour leurs traitements dus du Ier vendémiaire au Ier messidor; l'Administration accorde ces différents paiements aux artistes pétitionnaires.

Par suite de l'arrêté pris contre les frères Huguet le 13 pluviôse, an VI, relaté plus haut, ces deux musiciens avaient été exclus de la musique de la Garde nationale ; admettons que leur talent faisait faute au corps de mu(1)

mu(1) était, au moment de la Révolution, bénéficier et serpent de l'église Cathédrale. Ses appointements s'élevaient à 800 livres. Sur sa demande de pensionnaire ecclésiastique, le Conseil du Directoire, par arrêté du 12 novembre 1792, lui accorde une pension viagère de 200 livres, (Arch. Départ. L. 203).


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sique, puisque le 29 floréal, an VII, l'Administration procède à leur réintégration par la délibération suivante :

Sur la représentation qui a été faite par le citoyen Selleron le jeune, officier (1) de musique de la Garde nationale sédentaire de Blois, qu'il n'avait point à répondre à l'invitation qui lui a été faite de se trouver à la réunion décadaire du 30 courant, et qu'il est indispensable de compléter le corps de musique afin de donner plus de pompe aux fêtes des réunions décadaires; l'Administration, considérant que les frères Huguet dont les talents (d'instrumentistes) sont connus, ne se sont retirés de la musique nationale que pour des motifs qui n'existent plus aujourd'hui : qu'il importe de les rappeler ;

Considérant qu'il est nécessaire de leur fixer un traitement convenable qui puisse les dédommager de leurs peines ;

L'Administration arrête de rappeler les citoyens Huguet en qualité de musiciens ; qu'à cet effet, son arrêté du 13 pluviôse, an VI, demeure rapporté et qu'ils jouiront du traitement des autres musiciens.

1799 — AN VIII

5 pluviôse, an VIII. — Paiement de cinquante francs sur cent cinquante francs qui sont dus au sieur Bonnin, musicien de la Garde nationale.

4 messidor, an VIII. — Mandat de 400 livres délivré aux citoyens Henrion, Barbier, Boursier et Combe, musiciens de la Garde nationale, pour deux ans de traitement.

Le 18 thermidor, an VIII, la Garde nationale avait un tambour-major, un tambour-maître et six tambours ; ils se partageaient entre eux un traitement de 120 livres, plus le produit des publications faites à son de caisse,

(1) Chef de musique.


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Pendant la durée du premier Empire, la musique de la Garde nationale subsista comme musique municipale de la ville; le 20 février 1807, l'Administration la réorganisa. Elle prit le nom de Musique militaire de la Mairie de Blois; les éléments de l'ancienne musique de la Garde nationale se joignirent à de nouveaux citoyens musiciens.

En 1812, la ville possédait cinq tambours de l'ancienne Garde nationale et un tambour-major pour faire les publications officielles, le service des fêtes publiques et les rappels dans les temps de la conscription ; quatre petits fifres leur avaient été joints.

Pendant les cent jours, le 9 mai 1 815, nous trouvons une lettre du chef de musique, M. Deval père, relative à une réorganisation de la dite musique ; en voici la teneur :

Blois, 9 mai 1815. MONSIEUR LE MAIRE,

« La musique militaire de la Mairie de Blois se trouvait, par la démission de quelques amateurs et par l'absence de quelques autres, réduite à un petit nombre; elle vient de s'organiser au complet et par des règlements, qu'un chacun des membres qui la composent a volontairement adoptés, le service se trouve assuré.

« J'ai l'honneur, Monsieur le Maire, de vous en adresser l'état, en vous priant de leur continuer votre bienveillance en les faisant jouir de l'exemption dont ils ont toujours joui depuis son institution qui date du 20 février 1807.

« Messieurs les amateurs se conformeront en tous points aux ordres qu'il vous plaira de leur donner ; à cet effet j'ai l'honneur de vous prier de me faire parvenir ces ordres assez à tems pour que je puisse les transmettre à mes collègues.

« Je vous prie d'agréer l'assurance du respect avec le-


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quel j'ai l'honneur d'être, Monsieur le Maire, votre très humble et très obéissant serviteur.

« DEVAL père,

« Chef de la Musique militaire de la Mairie de Blois. »

Le 23 septembre 1815, le roi Louis XVIII, par une Ordonnance rendue ce jour, réorganisa l'Armée française et la Garde nationale de France.

Le 11 janvier 1816, une deuxième Ordonnance publiée, détermina l'uniforme des soldats de la Garde nationale.

Le costume des musiciens était un peu fantaisiste ; il se composait d'un schako avec plaque fleurdelisée et plumet blanc ; épaulettes en argent, veste bleue à collets et parements rouges, pantalon blanc et guêtres blanches, épée de ville avec poignée dorée.

Après la Révolution de 1830, le roi Louis-Philippe réorganisa une fois de plus la Garde nationale par toute la France par la loi du 22 mars I83I, mais cette loi ne contenait aucune disposition relative aux corps de musique. Celle de la Garde nationale de Blois s'était maintenue tant bien que mal au milieu des vicissitudes publiques.

Le 10 juin 1831, une pétition rédigée par les musiciens de la Garde nationale fut adressée aux Président et Membres du Conseil de recensement de la Garde nationale blésoise, exposant leurs craintes sur la nouvelle organisation en compagnie de la musique.

« Ils supplient ces messieurs, afin d'éviter la désunion que pourrait attirer la formation de leur corps, telle qu'ils l'ont conçue, de vouloir bien maintenir leur organisation primitive, sujette toutefois à la réélection des chefs.

« Ils pensent n'avoir rien fait jusqu'à présent qui puisse attirer quelques reproches et osent croire qu'on voudra bien faire droit à leur demande. »


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Cette pétition est signée par 29 musiciens. Le chef de musique était M. Sautière, maître de musique à Blois.

M. Capt, professeur de violon au Collège, offre ses services en qualité de simple musicien de la Garde nationale comme [gagiste, aux appointements de 100 francs par an. Il jouerait la trompette à clefs ou la première clarinette, au choix du nouveau chef de musique.

M. Porche, amateur de musique influent, appuya la demande de M. Capt ; il dit dans sa lettre que « la musique « de la Garde nationale est maintenant pourvue de tous « ses instruments ; elle n'a plus de dépenses à faire pour « l'avenir. La ville peut bien faire le sacrifice de 100 francs « par an pour attacher à son corps de musique un profes« seur qui y serait aussi utile et qui, désirant rester étranger « à l'administration, ne pourrait en rien porter ombrage à « ceux qui ont quelques droits à l'administrer ; il désire de « plus, être exempté du logement militaire; il peut contri« buer pour beaucoup à l'amélioration de nos concerts. »

Malgré ce chaleureux appui, l'Administration municipale refusa d'accorder l'allocation demandée.

Pour compléter la loi du 22 mars 1831, une Ordonnance datée du 31 juillet même année, fut rendue par le Roi, portant création de sapeurs porte-haches et de musiciens près des légions et bataillons de la Garde nationale.

Afin de se conformer à cette décision, le Maire fit appel aux musiciens de la ville, afin de reconstituer un orchestre militaire, car le corps de musique de la Garde nationale de la Restauration n'existait plus qu'à l'état de souvenir; les dissensions, la mésintelligence l'avaient réduit à cet état.

Un projet d'organisation fut élaboré : nous le transcrivons à titre documentaire :

Aujourd'hui, 3o juin 1832, devant nous, Maire de la ville de Blois, se sont présentés les 25 musiciens dont les noms suivent:


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MM. Bouillié, Walbin père, Bonnet jeune, Seguin, Fessoirat, Chrétien, Chevalier, Bernard Brunet, Recordeau, Halbert, Macé-Lorin, Bonnet aîné, Sautierre, Choinard, Chesnay, Cailler, Scarguel, Lesieur, Godeau, Lefebvre, Chabault, Wilhem Brun, Pasquier, Marais, Moulte, tous formant le corps de musique de la Garde nationale de cette ville, lesquels désirant changer les bases de leur organisation, nous ont présenté le projet suivant :

PROJET

Les membres composant la Commission de musique de la Garde nationale de Blois, assemblés sous la présidence de M. Wilhem, après avoir mûrement examiné la position dans laquelle se trouve le corps de musique, ont reconnu et l'expérience leur a démontré, que l'organisation ancienne ne pouvait plus être continuée, ont résolu d'adopter les bases suivantes :

ARTICLE 1er. — Les titres de Commissaire en chef et de Maître de Musique sont supprimés.

ARTICLE 2. — Le corps de musique sera administré par une Commission qui délèguera des pouvoirs à l'un de ses membres; celui-ci sera reconnu pour chef de musique.

ARTICLE 3. — Le chef de musique sera délégué pour trois mois ; à l'expiration de ce laps de temps, il pourra refuser la réélection du trimestre suivant.

Il sera, pendant tout le temps de son exercice comme organe de la Commission, seul chargé de la direction de la musique et sera rapporteur près d'elle. Les insignes de son grade seront ceux d'un sergent-major.

ARTICLE 4.. — MM. Sautierre et Capt recevront une indemnité de chacun cent francs par an, tant que ces fonds seront mis à la disposition de la Commission par l'autorité.

ARTICLE 5. — Sont abrogés toutes dispositions contraires


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au présent arrêté qui se trouveraient consignés dans l'ancien règlement.

Voulant faciliter à MM. les Musiciens une organisation qui fasse cesser toutes dissensions, nous avons mis aux voix chacun des articles du projet ci-dessus ; tous les articles ayant été adoptés à une grande majorité, nous les avons déclarés définitifs pour être observés à l'avenir.

Il a été ensuite procédé, au scrutin secret, à la nomination des six personnes qui devront composer la Commission administrative du Corps de Musique et parmi lesquelles sera pris le chef de musique.

Le dépouillement du scrutin donna les résultats suivants ;

Nombre de votants : 26.

MM. Moulte obtint 25 suffrages;

Wilhem — 24 —

Chrétien ... — 19 —

Pasquier... — 18 —

Cailler — 16 —

Bonnet aîné — 14 —

En conséquence les six personnes dénommées ci-dessus ont été par nous proclamées membres de la dite Commission.

En foi de quoi, nous avons rédigé le présent en l'hôtel de ville de Blois, les jours mois et an que dessus.

Il faut admettre que le projet de réorganisation de la musique du 30 juin 1832 ne subsista que peu de temps (si tant est qu'il ait été mis en vigueur !), puisque nous trouvons dans les archives de la Mairie une lettre adressée par le maire d'Orléans au maire de Blois; ce dernier demandait certains renseignements pour former une musique.

Dans la réponse envoyée par le maire d'Orléans, datée du 31 mars 1836, celui-ci explique que dans cette ville « pour reconstituer la musique de la Garde nationale qui

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« était menacée de dissolution, un projet de règlement, « dont la copie est jointe à la lettre, fut rédigé par M. le « chef de Légion. »

Ce règlement avait été mis en vigueur à Orléans, le 1er janvier 1836. Le chef de musique touchait un traitement de 350 francs; une indemnité de 4 francs par prise d'armes était allouée à quelques musiciens gagistes.

En l'année 1844, l'élection d'un chef amena à la direction de la compagnie de musique M. Lefebvre (Athanase-Nicolas,, qui devait la diriger pendant 35 ans, jusqu'en 1879. Excellent musicien, connaissant bien les instruments d'harmonie militaire, ce bon et digne homme sut maintenir à un rang honorable sa Société.

Elle prit part, pendant cette période, à deux concours de musique (Angoulême et Orléans 1876).

La musique apportait son concours à toutes les prises d'armes de la Garde nationale et plus tard, à celles des Sapeurs-Pompiers lorsque la Garde nationale disparut.

Le Gouvernement républicain de 1848 l'avait encore réglementée et peu après, en 1853, une nouvelle ordonnance de l'Empereur Napoléon III en lit autant. Que de transformations cette institution a subies, depuis sa création !. ..

Après la guerre de 1870, un nouveau règlement (le dixième au moins) fut élaboré et son titre de musique de la Garde nationale fut changé en celui de musique municipale de Blois.

La Municipalité accordait une subvention annuelle pour rétribuer une certaine quantité de musiciens, ainsi que le chef.

Quatre musiciens étaient gradés : chef, sous-chef, sergent-major et fourrier.

Il n'y avait pas d'uniforme proprement dit ; on portait le vêtement noir civil avec un képi obligatoire.


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Ce règlement porte la date du 24 octobre 1873.

M. Lefebvre mourut à Blois, le 28 décembre 1879, laissant de vifs regrets parmi ses musiciens, « ses chers camarades », comme il aimait les appeler. Le procès-verbal des séances de la Commission du 9 janvier 1880 contient un éloge biographique du regretté chef.

Le 18 janvier, la musique municipale procéda à l'élection d'un nouveau directeur. Quarante votants étaient présents; M. Cauchie (1) réunit trente-cinq suffrages.

Une nouvelle Municipalité surgit à l'Hôtel de Ville ; M. Cauchie qui, par sa franche rondeur n'eut pas l'heur de lui plaire et aussi par certains tiraillements intérieurs, semait ses efforts et sa bonne volonté entravés, se retira, ainsi qu'un bon nombre de sociétaires, à la suite d'une séance orageuse qui se tenait pour le renouvellement des membres de la Commission; ce fut le 13 janvier 1882.

Trois semaines après, le Maire confia l'organisation d'une nouvelle harmonie à un violoniste de bonne volonté nommé Coquand ; ce musicien recruta tant bien que mal une vingtaine d'instrumentistes, mais malgré son désir de bien faire, cette réunion dura seulement deux années ; finalement la musique municipale de Blois qui réunissait trop d'éléments épars et inhabilement dirigés, mourut de sa belle mort l'an de grâce 1885 !

Paix à ses cendres et à son souvenir ! Il y aura cette année dix-sept ans que la ville de Blois ne possède plus de musique d'harmonie.

Blois, 1er janvier 1902.

JULES BROSSET, Organiste de la Cathédrale.

(1) Directeur de la Société Philharmonique et professeur de violon




Phototypie A. Bergeret & Cie. — Nancy

L'ABBÉ BOURGEOIS.


ANTHROPOLOGIE PRÉHISTORIQUE

LES

Silex du Tertiaire de Thenay

ET

L'OEuvre de l'Abbé BOURGEOIS

IL n'est possible de juger les hommes que lorsque le temps a permis aux passions de se dissiper, aux personnalités de disparaître; alors il ne reste devant l'opinion que la simple exposition des faits qu'il sera plus facile aux spectateurs d'apprécier sans être inconsciemment influencés par des controverses nombreuses apportant souvent un élément d'erreur.

L'abbé Bourgeois rentre dans ces conditions. Le temps écoulé depuis sa mort permet de parler de lui plus facilement et d'examiner, d'une façon impartiale, la portée de sa découverte et l'exacte valeur qui, maintenant, peut lui être attribuée.

Sa vie scientifique, encore à écrire, l'est implicitement dans les Annales de la Science contemporaine.

L'abbé Bourgeois a, le premier, posé la question de l'Homme Tertiaire, à une époque où l'on considérait néces-


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saire la présence d'un os fossile pour formuler l'existence d'un type disparu; et, c'est un point énorme, d'avoir donné le jour à une question d'une si capitale importance : l'apparition de l'homme sur la terre, et d'être le novateur véritable et indiscuté d'une notion scientifique maintenant partout enseignée.

Par ce litre qui lui donne droit à la reconnaissance de la science, il mérite plus qu'un opuscule succinct qui n'est en somme qu'une série de renseignements documentaires ; car, en exhumant ce passé, toujours d'actualité pour nous, je n'ai en vue que de rendre un simple hommage au savant et manifester, sur les lieux mêmes où il émit ses idées, l'exacte expression de la vérité qui a fini par se dégager des discussions qu'elle suscitait depuis près de quarante ans.

Pouvais-je me trouver dans de meilleures conditions locales ?

Non seulement ses cendres reposent sous les dalles de la chapelle de Pont-Levoy, à côté de celles des abbés bénédictins, ses antiques prédécesseurs, mais son esprit plane toujours sur l'École qu'il a dirigée, par les souvenirs scientifiques et les sympathies qu'il y a laissés, par les collections géologiques et paléontologiques qui, sans doute par une respectueuse attention, sont restées dans l'ordre provisoire où il les avait classées.

De même que le lieu, les circonstances m'y invitaient et me furent favorables.

L'Ecole d'Anthropologie, qui possédait déjà une série de silex tertiaires que Broca avait achetés après la mort de l'abbé Bourgeois, désirait compléter ses collections et se faire une opinion définitive sur le gisement préhistorique de Thenay.

Elle chargea de ce soin les professeurs Mahoudeau et Capitan.


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Capitan, dont la compétence est indéniable, et Mahoudeau, qui en préhistoire était un élève de l'abbé Bourgeois et son compatriote vendomois, se trouvaient tout indiqués pour ces recherches.

J'eus l'avantage de les assister et tiens à les remercier ici de leur enseignement si sympathique et si complet qui me permit, sur le terrain et pièces en main, de combler une lacune de mon esprit et d'avoir une opinion précise, basée sur des preuves matériellement indiscutables.

Aussi puis-je maintenant, appuyé sur ces données qui sont la dernière expression de la science et après plusieurs années d'observations et de recherches personnelles, reprendre cette question au point de vue historique, depuis son origine jusqu'à ses conclusions, en condensant, aussi rapidement que possible, tous les matériaux qui ont servi à la reconstitution de cette étude.

Une nouvelle série d'échantillons des terrains et de silex pseudo-travaillés, analogues à ceux que nous avons rencontrés en 1900, seront à côté des pièces les plus probantes de la fouille Mahoudeau, un nouvel appoint pour le complément de ce travail.

De plus, il était nécessaire pour le mieux comprendre, de s'en rapporter aux termes et aux intentions de l'abbé Bourgeois, car il pouvait se produire quelque confusion.

Ainsi c'est à Pont-Levoy que furent créés les termes éocène, miocène, pliocène, les différents étages du tertiaire. Aux dépens de l'éocène et du miocène, on a fait depuis l'oligocène, terme qui ne se trouve que dans les études les plus récentes sur la question.

Bien que la plupart des travaux de l'abbé Bourgeois soient aujourd'hui presque introuvables, j'ai réussi à me procurer les brochures qui manquaient à ma collection et dont certains passages sont reproduits in extenso.


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Louis-Alexis Bourgeois naquit le 28 avril 1819, aux Moulins d'Artins, en Vendomois.

Tout enfant, il présentait une intelligence si précoce et des dispositions si particulières pour l'étude que ses parents jugèrent utile de les cultiver. Il quitta le moulin de son père pour les bancs du Séminaire où, dès l'âge de 20 ans, à la suite d'excellentes études, d'élève passé maître, il enseignait la philosophie, puis l'histoire.

Appelé en 1851 à la chaire de Philosophie de l'Ecole de Pont-Levoy, il en devenait le Directeur en 1869 et y restait jusqu'à sa mort, le 19 juin 1878.

L'abbé Bourgeois est une des personnalités marquantes de la science contemporaine.

Si Boucher de Perthes créa la Préhistoire, l'abbé Bourgeois, qui depuis de longues années s'était consacré à l'étude des terrains, en émettant son hypothèse de l'Homme Tertiaire, la compléta par celle de la géologie préhistorique à laquelle il donna un essor considérable.

Dès le début de sa carrière, l'abbé Bourgeois, imitant en cela les chercheurs du XVIIIe siècle, curieux des problèmes de la vie, se sentait attiré par un attrait particulier, vers l'étude de la nature et sa voie fut vite trouvée. Là encore il se spécialisa.

Emerveillé des splendeurs de cette grande vie qu'éclaire le soleil, réfléchissant, avec le bon sens qui le caractérisait, que la vie ne consistait pas uniquement dans ce que l'on découvre à la surface de la terre, il comprit, en face de ces grandes lois, de la biologie qui ne sont qu'une immense succession de faits toujours nouveaux dans ce cycle inin-


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terrompu des êtres animés, qu'avant d'en étudier les phénomènes chez les êtres doués de mouvement, il fallait en chercher le principe jusque dans la mort, qui est le livre de vie.

Et quand il eut bien étudié la structure de la Terre, infime satellite émanant d'un autre satellite, fragment d'un monde astral incommensurablement grand, il préféra l'étude de la nature inanimée qui, pour lui, était remplie d'enseignements.

Demandant à ces terrains violentés par une suite de cataclysmes sans fin, qui vont des premières éruptions volcaniques, consécutives aux premiers refroidissements du globe, aux grands diluviums quaternaires, les documents précieux des flores et des faunes disparues, dont les espèces si souvent dissemblables des nôtres nous indiquent des conditions biologiques tout autres que les conditions actuelles, et nous reportent à des périodes indéfiniment lointaines et trop obscures encore pour nous permettre de formuler, non l'âge du monde, mais l'âge de la vie sur la terre, l'abbé Bourgeois se donna tout entier à cette science si féconde des êtres disparus, niée encore à la fin du XVIIe siècle et qui illustra Cuvier.

Après avoir analysé, entraîné par ses éludes sur la paléontologie, qui est la base de l'histoire des êtres, il refit la synthèse des espèces vivantes dont il retrouvait les chaînons jusqu'aux origines primordiales ; et c'est poussé par cette étude puissamment attrayante et d'un enseignement philosophique incomparable qu'il fut logiquement amené, par les découvertes nombreuses dont Boucher de Perthes venait d'indiquer l'origine, à formuler que ces instruments primitifs, appartenant à des races perdues dans la nuit des temps, pouvaient être le fait d'un être encore plus ancien que ceux qui se servaient de ces outils rudimentaires, puisqu'il les avait rencontrés dans des couches géologiques


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sous-jacentes à celle où on les trouvait d'habitude, et parlant plus anciennes, et qu'il les avait considérés comme travaillés.

C'est alors qu'au Congrès d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques de 1867 (session de Paris), il annonça sa découverte. Etonné de ce que le plus grand nombre des savants présents niait le travail de l'homme ou restait dans la neutralité, il reporta la question devant le Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques 16e session), qui se réunit à Bruxelles en 1872.

L'objet de sa communication ne portait plus comme précédemment le titre : L'Homme Tertiaire, mais celui : Sur les silex, considérés comme portant les marques d'un travail humain, découverts dans les terrains miocènes de Thenay.

Impassible au milieu de la polémique scientifique suscitée par son hypothèse, il publiait en 1877, dans « La Revue des Questions scientifiques », un dernier travail qui est le résumé le plus complet de ses vues :

La Question de l'Homme Tertiaire (Louvain 1877), et qu'on peut en quelque sorte regarder comme son testament scientifique, car il mourut l'année suivante, plus convaincu que jamais. Il avait persisté à accumuler de nouveaux matériaux pour lui permettre de manifester plus nettement ce qu'il croyait être la vérité.

L'abbé Bourgeois, écrasé par de nombreuses occupations, écrivait peu. Il ne publia que de courtes monographies, quelques rapides communications aux Congrès et aux Sociétés savantes, toujours relatives à l'archéologie préhistorique.

Outre La Question de l'Homme Tertiaire (3 brochures), il laissa :

1° Notice sur le Diluvium de Vendôme (extrait du Bul-


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letin de la Société Archéologique de Vendôme. — Vendôme, Lemercier, 1865)..

2° Notice sur la grotte de la Chaise (En collaboration avec l'abbé Delaunay, Revue Archéologique. —Paris, Librairie académique, Didier, 1865).

3° Une Sépulture de l'âge du bronze dans le département de Loir-et-Cher (Revue Archéologique. — Paris, Didier, 1875).

4° Notice sur les instruments de pierre du GrandPressigny (Vendôme. — Lemercier, sans date).

5° Grotte sépulerale de Villehonneur, Charente (Extrait de : Matériaux pour l'histoire primitive et naturelle de l'homme. — Paris, Reimvald, 1877).

Toutes ces communications, qui n'ont plus maintenant qu'un intérêt relatif, furent alors fort appréciées comme étant autant de matériaux nouveaux destinés à édifier les bases de la préhistoire.

D'une simplicité qui allait jusqu'à l'humilité, d'une douceurqui était celle des forts, d'une patience qui n'avait d'égale qu'une grande bienveillance pleine de charité, tel était l'abbé Bourgeois.

Son humilité n'avait rien de celle que l'on remarque chez certains esprits mesquins qui se targuent volontiers de la modestie de leur origine pour mieux montrer le chemin qu'ils ont parcouru ; elle était vraie, simple et aimable.


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La franche jovialité dont était empreint son caractère, détente nécessaire à un esprit toujours tendu par un labeur opiniâtre, faisait que, dans les rares instants de repos imposé par sa santé, il était un causeur aimable, plein d'érudition, mais dont la conversation enjouée savait faire disparaître de la science ce qu'elle avait d'aride ou de trop abstrait.

L'abbé Bourgeois était plein de mansuétude pour les enfants confiés à sa direction. L'expérience, qui est le fruit des années, lui avait enseigné qu'il faut avoir vécu pour les comprendre. Tout en appliquant une juste sanction quand ils avaient encouru son blâme, il les couvrait encore de sa paternelle indulgence et en profitait, avec un tact exquis et une bonhomie pleine de finesse, pour enseigner aux maîtres, dont le zèle intempestif devenait plus souvent nuisible qu'utile, que la patience et le jugement sont les qualités primordiales que doit posséder tout éducateur de la jeunesse. En cela, il était encore un moderne, s'indignant de l'odieuse férule des anciens pédagogues et trouvant que l'exubérance de l'adolescent est fatalement nécessaire à son éducation physique et conforme aux lois naturelles de la bonne physiologie.

Aussi ses judicieux conseils, ses paternelles remontrances, l'esprit de pondération et de justice qui présidait à sa vie, le faisaient aimer autant qu'estimer.

Sa politesse exquise, sa conduite pleine d'une dignité dont il ne se départit jamais, même dans la lutte scientifique qu'il avait entreprise, en faisaient un homme qui, malgré sa modestie, savait garder sa personnalité sans jamais l'imposer.

En contact permanent, par ses communications, avec les plus illustres savants des deux mondes, écouté par les Congrès, faisant partie du Conseil supérieur de l'Instruction publique où l'avait désigné sa célébrité, il resta toujours


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lui-même, tel qu'il fut dans son intimité, bon et doux, aussi simple avec les humbles qu'avec la pléiade de savants qui connaissaient sa compétence et venaient de tous côtés discuter avec lui et échanger des idées.

Sa bonne foi, a-t-on prétendu, fut surprise, et l'on crut qu'il fut dupe de pièges banals dans lesquels l'industrie intéressée des ouvriers cherchait à le faire tomber ; on s'appuya sur ce fait passé dans la région à l'état de légende, pour trouver des arguments contre lui.

Des commissionnaires plus industrieux, plus intelligents qu'honnêtes, devinrent, dit-on, assez habiles pour tailler le silex et trouver sous ses yeux des instruments enfouis avant sa venue et dont le fini et la taille récente ne pouvaient tromper un observateur aussi sagace qu'était l'abbé Bourgeois.

Par suite de ses nombreuses occupations, ne pouvant être partout, il avait établi une division du travail et faisait recueillir indifféremment tous les silex dans lesquels il choisissait lui-même, sans s'occuper de la valeur morale des commissionnaires qu'il avait appris à connaître.

Il y a, à ce sujet, un malentendu, résultat d'une confusion qu'il est nécessaire d'éclaircir, et une erreur facile à rectifier. Pour la réfuter, il n'y a qu'à considérer les silex eux-mêmes et la façon de procéder, dont on use en étudiant une coupe géologique.

Etant donné cette couche, qu'il faut avoir vue sur place pour la bien connaître et dont la morphologie varie dans tous les points où on la rencontre, il aurait été admis que des chercheurs peu scrupuleux auraient fait pénétrer dans cette argile, à l'aide d'un instrument, des silex taillés ; qu'ils auraient refermé cette ouverture artificielle et amené l'abbé Bourgeois à les inviter à faire une tranchée au point voulu pour lui offrir les silex travaillés, si bien conformes à ses désirs.


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Or, de deux choses l'une, ou les silex insidieusement glissés appartenaient au néolithique très fréquent alors dans la région, ou ils faisaient partie de cette zone de silex tertiaires de l'argile de la craie, et il faut un oeil plus exercé et plus expérimenté que n'était celui de manoeuvres intelligents, mais ignorants, pour y trouver non seulement une forme vague d'instrument, mais l'existence de retouches, si insignifiantes fussent-elles, qui puissent légitimer l'utilisation de l'instrument.

La nature des silex est loin d'être la même et la confusion n'est pas possible, car même en admettant qu'on ait pu enfouir un silex tertiaire sans altérer l'aspect de la surface, il est impossible de le placer dans cette couche d'une plasticité remarquable sans qu'un oeil observateur et consciencieux s'en fût aperçu. Supposons qu'au lieu d'être un silex tertiaire ce fut un instrument néolithique, la supercherie était évidente et trop manifeste pour être un instant discutable.

Que le fait ait existé, je n'en veux pas disconvenir, je l'ai entendu citer, non par la rumeur publique, mais par mon père lui-même, médecin de l'abbé Bourgeois, en contact fréquent avec lui et qui tout en ne partageant pas ses opinions sur l'ancienneté de l'homme, suivait de très près ses recherches, s'y intéressait et connaissait encore mieux que lui les intermédiaires qui le servaient.

De là à en inférer que le fait, s'il s'est produit une fois, se soit renouvelé plusieurs, je ne le pense certainement pas.

L'abbé Bourgeois, toujours préoccupé de ce grave problème qui le passionnait, se tenait trop sur la réserve pour ne pas s'entourer des précautions les plus élémentaires d'une saine observation.

S'ensuit-il que, pour ne pas refuser les silex qu'on pouvait lui donner, — en admettant encore qu'il y en ait eu


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(car le fait répété gratuitement par l'opinion peut parfaitement être resté à l'état intentionnel), il eût été forcément dupe d'une erreur grossière, je ne le crois pas, car ce serait mettre en défaut les qualités psychiques du professeur de philosophie distingué qui avait fait ses preuves, d'admettre, un seul instant, que l'erreur fût devenue chez lui une habitude et qu'il ait eu en plus la déloyauté systématique ou la maladresse de bâtir sur une base aussi instable.

Tous les silex de la collection de l'abbé Bourgeois à l'Ecole d'Anthropologie sont authentiques.

Sa probité scientifique fut, au contraire, un des grands traits de son caractère et ceux qui l'ont connu intimement peuvent témoigner de la franchise avec laquelle il avouait ses insuccès et ses regrets en constatant l'incertitude de la science.

A mon avis, et après avoir expérimenté le fait, je crois que celte anecdote qui eut cours doit rentrer dans celles auxquelles on ne peut accorder aucune confiance et qu'il serait imprudent de continuer à lui supposer quelque crédit".

Quant à l'abbé Bourgeois, mettant au premier rang l'esprit d'observation qui pour lui primait tout, il ne reculait jamais devant les difficultés des solutions longues à venir, affichant hautement ce qu'il pensait, l'enseignant avec la puissance que lui donnait son crédit scientifique et étonnant par son honnêteté de savant convaincu ceux qui, devant la hardiesse de ses idées, pour eux nouvelles, l'avaient un instant cru en désaccord avec ses principes religieux.

Voilà l'homme qui dans l'intimité vivait si effacé et qui, sans autre prétention qu'une loyauté scientifique indiscutable, remua le monde savant et pensa imposer à la science cette vérité acceptée depuis, que l'homme était certainement antérieur à l'époque qu'on lui avait jusqu'alors assignée, et


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qu'il fallait en rechercher l'origine jusque dans les terrains tertiaires.

En fait, les terrains quaternaires n'existent pas en tant que terrains propres ; ils ne sont que des remaniements du Tertiaire, à tel point que les géologues ont adopté pour eux le terme de pléistocène. Ce ne sont pas des terrains distincts ni définis et leur formation s'effectue tous les jours, de la même façon que les boues à globigérines remplissent tous les jours le fond des mers d'une couche infinitésimale de calcaire qui, avec la série des temps, continuera la puissance si considérable des terrains secondaires.

Dès l'aurore des temps tertiaires, les reptiles gigantesques tels que le Brontosaure du secondaire et l'Atlantosaure qui mesuraient jusqu'à 40 mètres avaient disparu, laissant la place aux Mammifères qui apparaissaient avec les premiers Marsupiaux et dont le nombre sans cesse croissant rendait aux premiers, moins aptes à se nourrir, des conditions d'existence difficiles, pour ne pas dire impossibles.

Parmi les autres espèces mammaliennes contemporaines des reptiles dans cette période incertaine, qui n'est plus le Crétacé et qui n'est pas encore le Tertiaire, les Primates existent déjà à l'éocène inférieur, époque à laquelle les Prosimiens sont connus en Europe et en Amérique. Ce sont déjà plus que des Primates simiens, mais les Proto-hominiens eux-mêmes qui font leur apparition avec les Homonculidés de l'Amérique méridionale.

Il est difficile de s'étendre sur la faune Hominienne pendant la période Aquitanienne, car la paléontologie est pleine de lacunes au sujet des Primates en tout ce qui touche aux terrains oligocènes.

On voit donc que, si déjà au miocène les Primates ont fait leur réapparition, rien ne s'oppose à ce qu'il ait pu exister à l'époque ultérieure de l'oligocène un Primate


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hominien dont le type n'aurait pas encore été trouvé. Au fond et en dehors du point de vue spécial et erroné devant lequel il s'était placé, l'abbé Bourgeois partait d'un point absolument logique, car qu'y avait-il d'impossible à ce que l'homme, espèce dont on ne trouve pas de traces au tertiaire, alors que nous avons beaucoup d'échantillons d'autres formes mammaliennes, eût appartenu à ces terrains.

Que de fois avec le temps, l'hypothèse d'aujourd'hui est devenue le lendemain une réalité ; il n'en fut pas de même pour celle de l'abbé Bourgeois.

En homme de devoir, il avait accepté la lourde charge d'être directeur de l'Ecole de Pont-Levoy. Il sut l'assumer, abandonnant à regret des travaux qu'il ne pouvait continuer, trop souvent obligé de se produire, alors que sa modestie et ses goûts de travail désiraient la solitude la plus complète. C'est arrivé à l'âge du repos, à une période où il allait ramasser et condenser les matériaux épars d'un labeur opiniâtre, ébauchés à grands traits, auxquels les exigences de sa profession l'avaient obligé à renoncer, à cette période de la vie, où le travailleur, après avoir semé, récolte la moisson souvent ingrate de la science, que la mort vint le surprendre le 19 juin 1878, au moment où, encore plein d'énergie, il s'apprêtait à classer sa collection de Pont-Levoy.

Il n'avait que 59 ans, dont près de 40 s'étaient écoulés dans le professorat ou à la direction de l'Ecole ; il laissait le souvenir d'un homme de bien et les regrets unanimes qu'une mort prématurée ait privé la postérité du travail scientifique qu'on était en droit d'attendre de sa laborieuse carrière.


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L'abbé Bourgeois, examinant un jour la superposition des couches géologiques dans un chemin creux de Thenay, trouva dans une argile marneuse verdâtre des fragments de silex noir, non roulés, présentant des arêtes vives et des retouches. Bien qu'étonné de les trouver dans une couche aussi ancienne, il eut l'idée que ces fragments pouvaient être des instruments fabriqués par l'homme à une époque extrêmement reculée. Alors, suivant les indications de Boucher de Perthes, il chercha à la surface et trouva bientôt des silex présentant l'aspect de silex travaillés par la main de l'homme et qui avaient dû servir à « couper, percer, râcler ou frapper ».

Trouvant quelque analogie entre ceux de la surface et ceux qui provenaient de la couche inférieure, après un mûr examen, il leur reconnut les caractères d'une taille intentionnelle, c'est-à-dire :

Retouche,

Entailles symétriques,

Entailles artificielles,

Cônes de percussion (rares),

Traces de percussion et d'usure,

Action du feu.

Sa surprise s'accrut quand il vit la répétition fréquente de ces formes qu'il avait rencontrées dans la marne, mais il en resta là.


+-PLANCHES I ET II : Silex tertiaires de Thenay (grandeur naturelle). Mémoire de l'abbé Bourgeois. Compte rendu du Congrès International d'Anthropologie et d'Archéologie Préhistoriques de Bruxelles, 1872.



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Deux ans après, examinant plus attentivement ces échantillons, il s'affermit dans son idée, tout en ne se cachant pas qu'il allait, par la soudaineté de sa déclaration, étonner le monde savant et personnellement occasionner une révolution religieuse en essayant de faire priorer une hypothèse scientifique sur les données confuses de la Genèse biblique.

La présence de ces débris présumés de l'industrie humaine au-dessous des couches à Mastodonte et à Dinothérium était un fait inouï, mais qui ne pouvait l'arrêter, car fort de son honnêteté, convaincu de ses assertions et conscient de sa valeur scientifique, il continua ses recherches. Après de nombreuses et laborieuses fouilles, quand il fut bien convaincu de la similitude des caractères des silex, il émit l'hypothèse que l'homme, dont les restes jusqu'ici n'avaient été trouvés que dans les alluvions quaternaires, pouvait appartenir à une époque beaucoup plus reculée et que les silex taillés recueillis dans le terrain tertiaire de Thenay pouvaient être les vestiges de son industrie.

C'est en 1867, au Congrès d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques de Paris, qu'il lut un mémoire dans lequel il donna la constitution géologique du sol de Thenay, renfermant les pièces sur lesquelles il basait sa théorie.

Il s'agissait maintenant de savoir à quel terrain il avait affaire.

L'aspect de ces terrains, situés immédiatement au-dessus de la craie, le dernier étage secondaire, ne laissait pas de doute.

Ces silex provenaient donc du terrain tertiaire, ainsi que le prouve l'étude approfondie et détaillée qu'en fit l'abbé Bourgeois et dont l'exactitude a été vérifiée à chaque nouvelle fouille qu'on eut occasion de faire depuis.

Dans la région, les terrains tertiaires reposent sur une


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couche épaisse d'argile à silex qui provient du crétacé (craie à Spondilus spinosus) immédiatement sous-jacent.

Cette argile est éocène.

L'oligocène, qui lui est supérieur, a normalement trois étages dont il ne reste, dans la région Pont-Levoy-Thenay qui nous intéresse, que l'Aquitanien. Le Sannoisien et le Stampien font défaut et n'ont laissé aucune trace.

Or, au début de l'époque oligocène, la mer, après avoir pénétré par le bassin de Paris jusqu'au Plateau central, s'était retirée à l'époque aquitanienne en laissant de vastes lagunes qui, grâce à l'immense végétation d'alors rendant les eaux douces plus abondantes, devinrent plus tard des lacs.

Un des plus grands, qui allait de l'Ile-de-France et l'Orléanais, par le Berry et le Nivernais, le Forez et la Limagne, jusqu'au Languedoc et en Guyenne, fut celui auquel on donna le nom de Lac de Beauce.

Mais ce lac, dont les eaux étaient sursaturées d'acide carbonique, se déposa peu à peu, laissant, au lieu de ses eaux tranquilles, plusieurs couches de calcaire régulièrement stratifiées et dont l'épaisseur varie de 0m 50 (forage artésien des Bordes), à 8 mètres (La Charmoise), à 4 mètres à Thenay, dans la coupe de l'abbé Bourgeois.

1° Calcaire lacustre de Beauce

Plus ou moins compacte, cette masse de calcaire présente deux assises :

1° L'inférieure comprend :

Un lit de marne et d'argile ;

Un lit de marne et de nodules calcaires.

2° La supérieure :

Une couche de calcaire compacte.

A en juger par l'énorme quantité d'eau et les nombreux


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débris végétaux et animaux qui ont été charriés par la grande Loire qui devait traverser ce lac, les rives devaient en être très boisées, et cette forêt d'une végétation luxuriante, avec une température plus chaude que la nôtre, d'après ce que nous pouvons en juger par les débris de flore équatoriale, était habitée par de grands mammifères auxquels ce climat chaud et humide convenait.

Non seulement la flore nous montre côte à côte des plantes équatoriales et celles de nos régions ; la faune était aussi variée ; outre des mollusques terrestres et lacustres et quelques crocodiliens, derniers vestiges des grands sauriens du Secondaire, elle possédait des vertébrés supérieurs dont la forme prédominante s'accentua pendant toute la durée des temps tertiaires.

Elle était représentée par deux carnassiers plantigrades : un tapir, un suillien ; par un ruminant : l'Amphitragulus elegans ; un gros pachyderme, rhinocéros sans cornes, l'Acérotérium.

Cependant remarquons à cette époque l'absence totale de Proboscidiens, dinothérium, mastodonte qui ne font leur apparition qu'à l'époque de la grande Loire.

2° Sables de l'Orléanais (0m 25 à 0m 50)

Le lac de Beauce, une fois desséché et converti en une nappe de calcaire, fut traversé de l'est à l'ouest par un large cours d'eau antérieur à la Loire et dont les rives, patsuite des conditions climatériques, n'étaient pas moins boisées que celles du lac. A en juger par les débris granitiques qu'il roulait dans son lit, ce fleuve devait prendre sa source dans le plateau Central ; il était d'une étendue et d'un débit incomparables, à ce que nous constatons maintenant, et existait à l'état de divagation, laissant dans les bas-fonds et les remous de ses rives des sables fluviatiles


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granitiques arrachés aux flancs des montagnes d'où provenaient ses affluents et de nombreux débris fossiles et silicifiés, témoins matériels et indéniables de la flore et de la faune d'alors.

Celle-ci était encore plus nombreuse, plus variée. Outre quelques-unes des espèces précédentes, on y remarquait plusieurs amphycions, entre autres l'Amphycion giganteus (le chien gigantesque de Cuvier) ; plusieurs rhinocéros : R. Brachypus, R. Anchiterium ; plusieurs suilliens : Anthracotherium, Paloeocherus ; plusieurs ruminants : Hyoemoschus crassus, Amphimoscus Pontileviensis, le chevrotin découvert par l'abbé Bourgeois.

Mais ce qui la caractérisait surtout, c'était la présence de deux dinothériums: D. Cuvieri et D. Bavaricum; trois mastodontes : M. Augustidens, M. Tapiroides, M. Pyrenaïcus.

Aux Primates simiens qui, comme le Neopithecus, le Dyopithecus, le Pliopithecus, avaient depuis longtemps déjà fait leur apparition, il faut ajouter un gibbon, Hylobates antiquus, et on voit par ces conditions d'existence que la vie d'un Primate hominien, au milieu de tous ces animaux avec lesquels il était lié par les mêmes analogies biologiques, était loin d'être une utopie.

Cette faune terrestre, déjà plus nombreuse, vivait dans le même élément chaud et humide qu'on constatait à l'époque précédente, et présentait en outre une faune aquatique riche en poissons, mollusques, tortues et crocodiliens.

3° Faluns de Touraine (1 — 10m)

Mais sous l'influence d'un relèvement des rivages voisins ou de nouveaux continents en surrection, la mer profitant du vaste estuaire de la Loire primitive fit irruption dans son bassin, l'inonda jusqu'en Sologne, laissant, lorsqu'elle


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seretira, ces épaisses couches de sables généralement connus sous le nom de Faluns de Touraine et qu'on trouve non seulement dans l'Indre-et-Loire, à Manthelan, mais encore en Loir-et-Cher, dans la région qui s'étend de PontLevoy à Thenay et à Contres et va jusqu'aux portes de Blois. Ces derniers comptent parmi les plus anciens en date et sont loin d'avoir une structure homogène.

Cette mer dite Helvétienne ou de la Molasse, non seulement couvrit la région nord de la France, en isolant l'Armorique du continent, mais pénétra jusqu'au delà du Rhin, inondant une grande partie de l'Europe occidentale, notamment la Suisse qui lui doit son nom.

Elle subit de nombreuses fluctuations, tour à tour s'avançant ou se retirant, car on remarque des couches successives de faluns marins, de faluns lacustres qui se reconnaissent aisément à leur difformité de conformation et à leur manque d'homogénéité.

De plus, en certains endroits, ils ont complètement entraîné et remanié les sables de l'Orléanais, immédiatement sus-jacents au calcaire lacustre de Beauce. Au nord du Pont-Rateau, à Thenay, on rencontre dans un espace restreint des fossiles des grands proboscidiens, des coquilles de grande ostrea et toute cette foule d'autres fossiles des faluns mêlés aux silex de l'abbé Bourgeois, arrachés par le courant à leur lieu d'origine.

Ces faluns, dont les couches inférieures étaient souvent recouvertes par une mer chaude, riche en tests siliceux d'invertébrés, subirent les modifications suivantes : il arriva que la silice se déposa, les pénétrant et formant en cenains points des grès compacts d'une dureté égale à celle du calcaire lacustre de Beauce et qui comme lui sont utilisés dans la construction actuelle, après l'avoir été dans l'industrie primitive, car les traces d'un atelier de fabrication de meules, dont il reste un certain nombre d'échantillons


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à Thenay, existent encore dans une des falunières S. S. E. de Thenay, en amont de l'étang du Roger.

En résumé, il ne faut voir dans les débris des fossiles mammifères, qu'on trouve à toutes les hauteurs de la couche des faluns, qu'un remaniement des sables de l'Orléanais. On trouve en plus un mammifère du genre du gong, l'halithérium. Parmi les nombreux poissons, dont il ne reste que les dents, était un grand squale, Carcharodon megalodon ; puis de nombreux mollusques, bryozoaires, polypiers, dont les débris plus ou moins brisés ou agglomérés forment des couches d'une si forte puissance.

La meilleure preuve qu'en certains endroits, la mer des faluns a détruit les sables de l'Orléanais et a immédiatement reposé sur le calcaire lacustre de Beauce, c'est qu'on le voit criblé de trous de pholas dimidiata qu'on retrouve avec les coquilles souvent intactes, et que le Falun le superpose sans autre transition.

Le tertiaire moyen ou Miocène qui comprend le Burdigalien, époque pendant laquelle la Loire charriait les sables de l'Orléanais et l'Helvétien ou étage à faluns n'est pas complet dans nos régions où le Pliocène ou tertiaire supérieur, qu'on retrouve en Italie et en Sicile, manque également.

Aussi des faluns de la mer Helvétienne, nous passons directement aux dépôts quaternaires du Plateau, aux alluvions sableux rougeâtres du quaternaire ou mieux Pléistocène.

On ne peut pas dire qu'il existe des fossiles spéciaux dans ces sables limoneux, mais à 12 kilomètres N.-N.-O. de là, dans la brèche limoneuse de Vallières, l'abbé Bourgeois avait rencontré l'hyène et le grand chat des cavernes, le rhinocéros à narines cloisonnées, le grand cerf et le renne.

De nouvelles découvertes ont nécessairement changé


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ces données qui proviennent en partie du travail de l'abbé Bourgeois et sont l'exacte expression de la paléontologie locale à cette époque.

Les faunes se sont plusieurs fois renouvelées et nous n'avons que des idées vagues sur leur succession.

Maintenant que nous connaissons le terrain, revenons au fait.

C'est au-dessous du calcaire solide de Beauce qu'est situé le principal gisement des silex que l'abbé Bourgeois regardait comme taillés.

Pour s'en assurer une seconde fois, il fit creuser un puits qui, traversant les faluns, le calcaire de Beauce et la marne, lui permit de trouver les silex qu'il avait déjà rencontrés par hasard. Le gisement était bien incontestable et fut d'ailleurs incontesté.

Il trouva de haut en bas :

6° Calcaire de Beauce, à l'état de marne avec nodules de calcaire sans silex ;

5° Marne plus argileuse où on rencontre des ossements de rhinocéros à quatre doigts. Silex travaillés rares ;

4° Marne avec nodules calcaires. Silex travaillés au sein même de ces nodules ; ■

3° Argile verdâtre ou jaune, contenant des nodules calcaires décomposés et de petits cailloux roulés d'origine crétacée ;

C'est le principal gisement des silex travaillés.

2° Marne avec quelques silex travaillés, à la partie supérieure et se confondant d'une manière insensible avec l'argile à silex :

1° Argile à silex. Sans silex travaillés probablement.

Ces silex taillés, trouvés à la limite du calcaire de Beauce,


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près du rivage crétacé « semblent, écrit l'abbé Bourgeois, « appartenir à un atelier de fabrication, mais ne sont ni « dans la position originelle, ni dans leur intégrité primi« tive. Ils possèdent des éclats à arêtes vives, sont quel« quefois roulés et présentent toutes les transitions « jusqu'aux retouches ».

Les comparant aux silex nombreux qu'on rencontrait sur le sol, l'abbé Bourgeois fut encore plus frappé des analogies morphologiques ou industrielles qu'ils présentaient à son avis avec ces derniers, qu'il ne l'avait été lorsqu'il les avait remarqués pour la première fois dans le chemin creux de Thenay.

Il s'agissait maintenant de savoir comment avaient été fabriqués ces silex.

« Ils l'ont été bien probablement par le procédé ordi« naire, pense-t-il, car on trouve des marteaux de plus ou « moins grande dimension, avec traces de percussion, mais « de rares cônes ». Bien qu'il ne supposât pas, comme G. de Mortillet, que le feu était employé pour diviser ces blocs, il voyait dans ces silex craquelés, brûles, une preuve que leurs auteurs avaient connu le feu.

Comme beaucoup de ces instraments avaient été déformés par une cause qu'il assimilait à un agent igné, il lui fallait admettre que l'homme ou un autre être mal défini avait eu cet élément en sa possession.

Dans son esprit, on voyait là les vestiges d'un incendie d'habitations lacustres à l'époque dite par lui de l'acérothérium. A ce sujet, l'abbé Bourgeois, loin de s'appuyer sur Sylvestre de Sacy qui avance que la chronologie biblique n'existe pas, commit, en se basant sur la Bible, une erreur chronologique énorme et émit une hypothèse qui est loin d'être en harmonie avec les opinions acceptées de nos jours.

Pour l'abbé Bourgeois, l'Age de la pierre, loin d'être le


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début d'une civilisation primitive, serait au contraire une déchéance industrielle chez des populations nomades qui auraient perdu par suite de circonstances ambiantes, climatologiques ou autres, le sens général de la civilisation et seraient tombées dans un état de dégradation qui les faisait voisines de l'animal auquel chaque jour elles disputaient leur proie.

Sur ce fait, il s'exprime très nettement et n'a rien écrit ultérieurement qui permette de croire que ses opinions avaient changé sur ce sujet. En 1863, à la suite des découvertes de Boucher de Perthes, il avait été étudier les terrains d'Amiens et d'Abbeville, et avait trouvé dans des alluvions quaternaires, auxquels on donnait alors le nom de terrains diluviens, des silex absolument semblables à ceux rencontrés sur le plateau de Pont-Levoy.

C'est alors qu'il fit part à la Société Archéologique du Vendomois de son opinion personnelle. (Bulletin de la Société Archéologique du Vendomois, 1863, p. 81).

Dans une communication portant le titre de :

« Simple causerie sur les découvertes relatives à l'Homme fossile », il s'exprime ainsi :

« Il résulte du fait que nous signalons (l'existence de « silex taillés à Saint-Acheul, à Pont-Levoy, etc.), une « conséquence, assez étrange : c'est que l'Europe, au « moment de la grande catastrophe, était habitée par des « hommes déjà descendus à l'état sauvage. Cependant il « n'y a rien là qui doive nous étonner, quand nous consi« dérons qu'il existe entre la création de l'homme et le « déluge un espace de 1656 ans, et même un temps beau« coup plus long, si nous adoptons, comme il est permis de « le faire, le texte des Septante.

« Pendant ce temps-là, les familles qui se sont éloignées « du centre de la civilisation pour marcher à l'aventure « dans des régions inconnues ont dû promptement oublier


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« les traditions religieuses, artistiques et même indus« trielles, obligées qu'elles étaient de lutter contre la fero« cité des animaux, la stérilité du sol et les rigueurs du « climat, et dès lors elles sont tombées rapidement dans la « barbarie.

« Nous voyons le même phénomène se produire après le « déluge. Les savantes études faites depuis quelques années « sur les constructions lacustres de la Suisse, prouvent que « les premiers habitants de l'Europe en étaient réduits à « des instruments de silex : c'est /'Age de pierre. Ensuite « un mouvement de retour vers la civilisation commence à « se produire : c'est l'Age de bronze. Puis vient enfin l'Age « de fer, dans lequel on constate un progrès marqué. ....

« L'homme, sans doute, a été créé perfectible, et le pro« grès est conforme aux intentions de Dieu ; mais il n'est « pas une loi nécessaire de l'humanité, la science nous le « dit comme la religion ».

Mais, abstraction faite de son opinion sur la valeur de ces silex quaternaires et à propos des vestiges d'incendie des habitations lacustres auquel il attribue le fait, il est bon de citer un autre point de vue qui prouve qu'il y avait une autre façon d'envisager la question.

Boucher de Perthes a signalé, avant tout le monde, des silex votifs accumulés dans d'anciennes sépultures. Se basant sur l'opinion de P. Leguay, de Paris, qui dit que pendant la période de la Pierre polie (1), on jetait des silex travaillés dans le bûcher où on incinérait les cadavres, l'abbé Bourgeois crut aussi que c'était à la même cause qu'il fallait attribuer les modifications subies par les silex qu'il trouva. Quel que fut le mode d'ignition qui avait produit le craquelage, il était cependant indéniable pour lui que ces silex remontaient à la plus haute antiquité, en

(1) C'est surtout l'époque du bronze et du fer,


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n'e s'appuyant exclusivement que sur les notions données par la paléontologie elle-même.

L'homme du lac de Beauce vivait au milieu d'une faune qui a disparu presque totalement et que remplacent successivement dans les sables de l'Orléanais le singe antique, hylobates antiquus, les dinothériums, les mastodontes du Tertiaire, prédécesseurs de la faune quaternaire citée plus haut, et dont les débris sont si mélangés qu'il est bien difficile d'évaluer la chronologie qui a présidé à ces variations si complexes. Implicitement, l'abbé Bourgeois était bien convaincu que cet être, quel qu'il fut, homme dégénéré ou précurseur de l'homme, possédait assez d'intelligence pour faire, du feu, et était l'auteur intentionnel des craquelages constatés chez la plupart des silex du tertiaire.

Après le Congrès de 1867, où Worsaae, entre autres, se prononça pour l'abbé Bourgeois, celui-ci, après cinq ans de nouvelles recherches assidues, porta de nouveau la question devant le Congrès d'Anthropologie et d'Archéologie Préhistorique de Bruxelles, en 1872.

La Commission, nommée à la hâte à la fin de la session, jugea consciencieusement, mais insuffisamment, au dire de l'abbé Bourgeois, quoiqu'elle reconnut là l'oeuvre d'un être intelligent. Sur quinze membres, neuf se décidèrent pour un ou plusieurs silex. Trois réservèrent leur opinion, faute de preuves suffisantes : deux ne virent aucune trace humaine. Un seul, Van Beneden, ne se prononça pas. En somme, presque tous les savants compétents de l'Europe, sauf Evans, Stenstrup et Arcelin, reconnurent la main de l'homme.

Quatrefages, qui ne devenait officiellement affirmatif qu'après le Congrès de Bruxelles, émit cette idée que l'homme avait vu le temps miocène, une partie du pliocène et une grande partie enfin des temps tertiaires. D'ailleurs,


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il fit plus en manifestant publiquement son idée dans son livre sur l'Espèce humaine.

Quelques années plus tard, G. de Mortillet tirait des conclusions analogues dans le Préhistorique.

Cette généralisation de la question amena nécessairement un grand nombre de contradictions.

« Mais pourquoi — répondit l'abbé Bourgeois à quelques« unes d'entre elles — s'étonner d'un un horizon si lointain. « Les géologues frémirent quand, les terrains en main, on » signala à Elle de Beaumont des débris de l'industrie « humaine. Il se renferma, comme eux, dans une inertie « totale et ce fut le temps qui jugea ».

Après le Congrès de Bruxelles en 1872, l'abbé Bourgeois offrit ses silex au musée de Saint-Germain.

M. Bertrand, qui en était conservateur, vint les étudier sur place. On fit une grande fouille à Thenay et M. Abel Maître, inspecteur des restaurations du musée, passa au crible plusieurs milliers de silex, sans bulbe de percussion, mais paraissant avoir subi l'action du feu.

Il se résume ainsi :

« Les rognons de silex [ont éclaté sous l'influence d'un « changement brusque de température. Les arêtes sont sans « éraillures, mais comme elles sont minces, elles s'ébrè« client facilement dès qu'elles sont rencontrées par un « corps dur. Elles n'affectent pas régulièrement le silex et a sont disposées à droite ou à gauche du tranchant ».

M. Abel Maître, n'ayant trouvé lui-même ni percuteurs ni bulbes de percussion, conclut enfin à l'absence totale de taille ou de retaille.

M. Bertrand pensa à un être insuffisant pour briser des rognons de silex, qui, brûlés par un incendie volontaire des rives boisées, auraient été ensuite roulés au bord du lac, où ils forment une couche de 0m 70, couche trop énorme pour qu'on y voie une série d'outils.


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Non seulement les partisans de l'homme tertiaire (en dehors de la question de Thenay) s'appuyaient sur l'existence de silex craquelés, mais encore sur des os qu'on disait avoir été incisés ou rayés, pour en retirer la chair.

De même, des rayures et des lignes pointillées trouvées sur des fragments d'humérus et des côtes d''Halitérium furent attribuées par Delfortrie, de Bordeaux, aux dents en scie du Carcharodon Megalodon qui, lorsqu'il comprimait seulement au lieu de séparer, laissait une empreinte de pointillés. Ces fragments, provenant des terrains tertiaires de Chazay-le-Henri, près Pouancé (Maine-etLoire), avaient été trouvés par l'abbé Delaunay, de PontLevoy.

Des ossements semblables, venant des terrains miocènes de Monte-Aperto, furent remis au Professeur Capellini de Bologne, qui les soumit au Congrès de Buda-Pesth, comme preuve également de l'Homme-Tertiaire.

L'abbé Bourgeois fut le premier à abandonner cette idée et à voir dans les os trouvés par l'abbé Delaunay et dans les moulages qui lui furent communiqués par Capellini, de simples rayures de squale.

Depuis on en a fait, et c'est plus probable, le résultat d'impressions géologiques.

Sans être transformiste, dans le sens absolu qu'on donne actuellement à ce mot, l'abbé Bourgeois était un penseur indépendant qui ne s'appuyait pas sur la lettre même et s'indignait quand, par un esprit religieux faussement compris, on dissimulait des faits notoires, gros de difficultés et dont la solution n'était pas préparée ou annoncée par les textes.

On ne peut nier qu'il connaissait les travaux de Darwin. Son opinion se faisait déjà sur ce fait, car les réflexions qu'il émet à propos des trouvailles paléonthologiques du


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calcaire de Billy sont de nature à laisser croire qu'il regrette de n'avoir pas trouvé les formes intermédiaires.

Et si des impressions intimes, des mots, on passe aux faits, si à côté de cette assertion qu'on devine entre les lignes, on parcourt sa collection de l'École de Pont-Levoy, on remarque que ce n'est pas d'une façon quelconque qu'il a successivement aligné la dentition du dinothérium, celle du mastodonte et celle de l'élephas et on voit là, bien nettement, un ordre méthodique, car à côté des dents qui avoisinent celles du stegodon, il ne manque que celle du stegodon même qu'il n'avait pas trouvée, pour avoir le passage du dinothérium, le premier terme de la série des grands Proboscidiens à l'élephasqui en est le dernier.

Telle est l'impression qu'a fait sa collection au savant géologue préhistorique que j'aurai encore l'occasion de citer, M. d'Ault du Mesnil, président de la commission des monuments mégalithiques au ministère des Beaux-Arts.

En résumé, l'opinion intime de l'abbé Bourgeois fut que ces silex ne sont pas l'oeuvre'd'un homme, mais d'un précurseur de l'Homme.

Ce précurseur, qui, pour ses partisans, devait être un anthropoïde, reçut aussitôt de G. de Mortillet seul, le nom d'anthropopithèque. On admit alors l'existence d'un anthropoïde à Thenay, comme on avait admis précédemment celle d'anthropoïdes similaires auteurs des silex du Puy-Courny et de Lisbonne.

C'est alors qu'après le Congrès de Lisbonne, en 1884, eut lieu la même année celui de Blois.


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Un certain nombre de membres de l'Association pour l'avancement des sciences, se transportant à Thenay, étudièrent le gisement et engagèrent là une double question : celle de l'âge des couches, celle de la nature des silex.

Je n'ai pris des deux séances qui eurent lieu, l'une à Pont-Levoy, le 8 décembre 1884, et l'autre à Blois, deux jours après, que les points principaux.

Il s'agissait, tout d'abord, de fixer bien exactement la nature des terrains. M. d'Ault du Mesnil fit l'exposé des coupes qu'il avait lui-même surveillées.

La première tranchée fut faite près de l'ancien puits de l'abbé Bourgeois et donna les mêmes résultats :

1° D'abord une couche de terre végétale de 0m 40 et dans laquelle on trouve généralement des instruments néolithiques.

2° Une couche d'alluvions anciennes sous forme d'argile rougeâtre, provenant du remaniement des sols tertiaires, ayant de nombreuses poches d'altérations et pré sentant le type de Saint-Acheul. Un cordon argileux de 0m 10 sépare les alluvions quaternaires de la marne.

3° Le calcaire de Beauce, plus ou moins altéré, situé au-dessus de la marne, et divisé en plaquettes par des lits d'argile brune ou rouge et caractérisée par le Tapirus Poirieri et l'Acérotérium.

4° Une assise de marnes grises avec nodules calcaires traversées par des veines d'argile brune jaunâtre dépendant du calcaire solide.

5° Des argiles verdâtres (0.70-1.00) possédant trois couches :

1° Argile sableuse brune jaunâtre avec quelques

silex 0m 20 ; 2° Argile verdâtre avec silex nombreux om 0m 30 ; 3° Argile plastique verte à rognons ; silex rares 0m 50.

4


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Ces argiles sont empâtées de silex à angles émoussés, et c'est dans cette dernière couche que furent trouvées les pièces de l'abbé Bourgeois.

6° La marne grise.

Les silex que renferment ces argiles ont subi des altérations profondes. Ils sont éclatés, craquelés, fendillés, veinés de calcaire, très altérés. Les eaux météoriques saturées de carbonate de chaux pénètrent dans les dépôts argileux et forment un infiltrat calcaire qui se retrouve dans la fente des silex et qui a également altéré les couches qui les renferment.

Puis ces éléments calcaires se sont dissous et ont amené la disparition des agents organiques. En tout cas, ce sont les preuves d'un dépôt longtemps exposé.

Quant à ces silex, ils sont loin d'être spéciaux à ces couches, car on les retrouve dans d'autres, en plus ou moins grande quantité.

La partie la plus inférieure de la base des assises, la marne gris-jaunâtre, est le premier terme de la série Aquitanienne, et de même nature que la marne d'en dessus à nodules calcaires.

Le calcaire et la marne sont de l'Aquitanien ; l'argile verte et la marne grise qui sont le résultat de cette lacune qui a représenté l'Eocène et une partie du Miocène, sont miocènes d'après la moyenne des auteurs (i i.

Mais la série n'était pas complète; il a fallu ouvrir deux autres tranchées près de la route de Contres et on a trouvé là, à la base des faluns, deux à trois lits de cailloux, dans lesquels on recueillit une grande quantité de silex éclatés, craquelés, identiques à ceux de l'argile verte.

(i) J'ai tenu à garder la terminologie dont on s'est servi alors au sujet de ces terrains, car depuis on a rattaché les argiles du Miocène à celles de l'Eocène pour en faire l'étage Oligocène.


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Tout près de là, la série est plus complète; au PontRateau, à la Bernarderie, et sur le flanc du coteau, route de Choussy, on retrouve les sables de l'Orléanais et les Faluns:

En résumé, les lits d'argile de Thenay, contenant les silex, sont en place et ne peuvent être considérés comme une formation alluviale de récents remaniements. Les argiles miocènes reposent bien sur des marnes blanches, au-dessous desquelles existe la craie blanche à Micrasler.

Nul doute à avoir, que ces silex aient passé de la craie dans l'argile ; mais ce qui paraît extraordinaire, c'est que l'on n'ait pas su plus tôt que leur distribution rendait leur provenance humaine impossible.

En admettant même que ces couches d'argile fussent éocènes (actuellement oligocènes), il faudrait remonter l'homme avant l'apparition du lac de Beauce, ce que l'examen des terrains ne permet pas d'admettre.

Et ce n'est pourtant pas un fait indifférent au point de vue géologique d'établir la nature exacte de ce gisement dont l'abbé Bourgeois, de bonne foi, venait en 1872 et 1877, les pièces en main, faire du Miocène.

Un autre point a encore frappé dans la discussion, c'est la relation qui existe entre la perméabilité des terrains.

Jusqu'au calcaire de Beauce inclusivement, les couches supérieures sont perméables ; mais les argiles grises ne l'étant pas, retiennent les eaux de filtration qui sont au maximum de concentration et pourraient agir sur les couches sous-jacentes. Chargées d'acide carbonique, d'acides organiques, elles rencontrent le calcaire de Beauce, chargé de parties silicieuses, le désagrègent en formant la marne, dégagent la silice et descendent jusqu'à l'argile verte où elles réagissent.

On peut expliquer bien simplement la double formation de la partie supérieure de cette couche. Tout en admettant


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que l'argile ait formé le fond du lac, où se soit déposé le calcaire de Beauce, ce lac reçut le détritus des hauteurs ; les silex et la craie qui s'y dégagèrent furent entraînés sur les argiles vertes, englobées par une couche inférieure, première couche de calcaires et bientôt recouvertes par d'autres débris ou silex. Quand vinrent les sables de l'Orléanais et les faluns, si surchargés d'eau, il se produisit des changements moléculaires et ces silex furent remplis à haute pression. Lorsque cette charge diminua et que la région fut exondée, il se produisit un effet instable dans le silex, une sorte de « tendresse de la pierre ».

A l'émergence complète, le lavage se fit mieux. Les nodules siliceux, complètement dégagés et qui ne se trouvaient plus en équilibre de pression, subirent des poussées réciproques, se broyèrent et, toujours lavés, formèrent une couche à noyaux, à formes multiples, résultat des pressions intérieures, des chocs extérieurs.

De ce lavage continu, il s'ensuivit une altération de l'équilibre des couches, des brisures des points de support, des tassements, et enfin l'usure des arêtes des noyaux qui simula le fini des silex taillés. Leur teinte noire ne vient pas du niveau qu'ils auraient pris dans la craie, car on trouve dans la même tranchée les trois silex colorés, mais de l'action des eaux, chargées d'acide carbonique, des détritus acides, qui, se réduisant, laissent du carbone infinitésimalement divisé.

La question du terrain étant nettement élucidée, il restait encore à étudier le craquelage.

Carthaillac, d'après Mortillet et le Dr Pommerol tendent à admettre que ces silex ont passé par le feu et, ce qui le prouverait pour eux, c'est la décoloration consécutive à la surchauffe et les retouches intentionnelles, bien qu'ils les avouent très rares.


■— 201

La discussion porta sur dix échantillons qu'avait apportés M. Pommerol, car on dut écarter ceux de l'abbé Delaunay, dont la provenance n'avait rien de certain.

Ces silex d'un'vernis plus ou moins brillant, avec facettes planes ou curvilignes, n'ont pas de retouches, mais des arêtes intactes ou ébréchées. C'est dans ces arêtes qu'on vit le travail d'un primitif.

Ils offrent certaines particularités ; ils sont fendus, fissurés, craquelés : ce craquelage consiste en un enchevêtrement de lignes, correspondant à des fentes plus ou moins profondes et la cassure n'est pas la même que dans la percussion.

Le fissurage est complet où incomplet ; ces silex y étant prédisposés et offrant des surfaces de facile séparation, dues à l'absorption capillaire des liquides calcaires saturés. Ils sont souvent fissurés à un tel point qu'ils peuvent faire un cloisonné et se briser sous la main. Si les silex roulés et polis sont l'exception, beaucoup sont brisés, anguleux, et ont éclaté avant leur dépôt, par suite de l'agitation des eaux.

Un seul des dix échantillons présenta une bulbe, et quand bien même il y en aurait eu plusieurs, n'en voyonsnous pas qui sont de facture accidentelle ?

S'il est rare de voir des cônes de percussion produits

par une roue de voiture comme sur un silex du musée de

.Bordeaux, il l'est moins de rencontrer dans des éboulis de

montagne des fragments qui ont la forme de cassure des

silex de Thenay.

Les traces d'oxydation sont dues à un séjour éventuel à l'air avant le dépôt du calcaire de Beauce, et c'est l'influence de l'atmosphère qui donne la couleur laiteuse.

Les traces métalliques que l'on rencontre sont également dues à ce que pendant que le calcaire de Beauce recouvrait l'argile, celle-ci a été le théâtre de phénomènes filoniens de


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l'époque sidéralithique ; on y rencontre, du reste, fréquemment des traces de cuivre.

Maintenant, quel pouvait être ce feu invoqué comme cause du craquelage? Etait-ce l'incendie d'une vaste forêt, allumé par un anthropoïde tertiaire, habitant les bords du lac, comme le feront plus tard ses descendants? Or, on devrait retrouver des débris carbonisés qui restent longtemps ; un seul galet aggloméré a été signalé dans ces conditions et encore, est-il plus que douteux ! Et comment expliquer que, dans un mètre carré, on trouve les deux types de silex ? Etait-ce la foudre qui ne vitrifie qu'un point absolument local? Etait-ce une source d'eau bouillante qui aurait jailli dans le lac et causé ainsi ce craquelage ? Elle eût vite perdu de sa chaleur à ce contact et du reste ce fait paraît inadmissible, car l'altération de la densité du silex n'a guère lieu qu'à 1,500°.

C'est encore, la physique en main, qu'on peut élucider la question du feu.

Les hautes températures réduisent à l'extrême le fer du silex et on obtient une coloration rosée parfaitement distincte au microscope.

En dehors de ces causes physiques de la non existence du feu, il y a des causes rationnelles.

Pourquoi chercher l'hypothèse d'un feu intentionnel sur un terrain immense ? Pourquoi, d'un autre côté, avoir brûlé tant de silex pour en avoir utilisé si peu ; et encore, il paraît bien peu croyable que l'homme ait brûlé pour les mieux tailler des silex auxquels le feu enlève la résistance qui est une des qualités fondamentales de l'outil. De plus, on s'est refusé à admettre l'incendie, en s'appuyant sur un fait très judicieux, c'est que l'ensemble des dépôts a été apporté par des cours d'eaux et a formé dans un lac, comme plus tard le calcaire lacustre de Beauce, la marne et les eouches à silex.


■— 203 —

Si l'homme avait fait son apparition à cette époque et fut devenu assez habile pour faire du l'eu, il y aurait eu certainement plus d'espace entre ces deux dépôts.

Une autre raison qui n'est pas sans valeur est tirée de la paléontologie. Il semble assez difficile de croire que l'homme ait vécu avant la mer des faluns.

Tous les animaux tertiaires qui lui ont succédé ont disparu et il serait le seul resté !

Il faudrait, en effet, d'autres preuves que ces silex, même en admettant qu'on les soumette atomes les expériences de laboratoire dont ils sont susceptibles.

Il ne faut, plus compter sur l'Halithérium de l'abbé Delaunay, ni sur le Baloenolus de Cappellini. Que ce soient des dents en scie de squale, des dents pectinées de Sargus ou de simples impressions géologiques, ce qui semble le plus ressortir, tous ces os incisés sont aujourd'hui sans valeur.

. Il ne restait de discutable que ces silex pseudo-taillés, et je ne parle que des silex de l'abbé Bourgeois, car j'estime qu'on ne doit citer que pour mémoire un silex plus défini qu'on trouva en faisant la tranchée du Coudray, en 1884, et qui ne peut se comparer aux silex en litige.

Les conclusions du Congrès formulées par Rabourdin, furent brèves et simples.

« On aurait peut-être pu croire à des foyers isolés, mais « on a trouvé des silex brûlés sur une telle étendue, et avec « une telle continuité, qu'il faut invoquer la cause géolo« gique. une cause physique qui nous est inconnue et qui « relève des travaux de laboratoire.


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Or, ces travaux de laboratoire qui étaient indiqués par les conclusions du Congrès de 1884 ne devaient avoir lieu qu'en. 1900, d'après la nouvelle initiative des Professeurs Mahoudeau et Capitan, qui vinrent eux-mêmes recueillir sur place les matériaux d'étude qui leur étaient nécessaires pour juger, en dernier ressort, une question si capitale pour les sciences anthropologiques.

Grâce aux principales coupes géologiques de M. d'Ault du Mesnil que nous reproduisons, ainsi que les parties les plus intéressantes de leur travail, il fut facile de se retrouver exactement.

La coupe I a été prise à 3o mètres du Pont-Gallet, sur la rive gauche du ruisseau et sur le bord sud de la route qui va de Thenay à Monthou (Coudray-Vigne Bourreau-Janvier). Elle a été faite à côté d'un emplacement, déjà fouillé par l'abbé Bourgeois qui, un peu plus haut, dans la direction de l'Est, avait fait creuser le puits dont il est fait mention au Congrès de 1867.

Des éboulements ayant comblé cette tranchée, il fallut en ouvrir une autre sur le talus de là route joignant à angle droit celle de M. d'Ault du Mesnil. C'est là qu'on recueillit une grande quantité des silex tertiaires de la 2e assise de l'Aquitanien inférieur, principal gisement des silex tertiaires de l'abbé Bourgeois.

Il fallait autant que possible se rapprocher des conditions primitives d'observation et d'expérience.

C'est près de la marnière Appolinaire Chaumais, également fouillée par l'abbé Bourgeois, que fut faite à 3oo mètres sud delà route du Coudray, à peu de distance de l'étang du Roger, dans la marnière Bled, la seconde tranchée représentée par la coupe IL

Bien que profonde, cette tranchée n'a pu être continuée jusqu'à l'argile à silex qui serait, d'après les données de


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l'abbé Bourgeois, 3 mètres au-dessous de la 2° assise représentée par les couches d'argile.

Moins bien développée que dans la tranchéeduCoudray, cette assise argileuse diffère légèrement. Comme dans la précédente, les silex y sont abondants, mais plus rapprochés, plus volumineux et plus massés.


I

I

COUPE N° I. — Tranchée ouverte près du chemin du Coudray (Thenay)

EPAISSEUR PÉRIODES ETAGES CARACTÈRES GÉOLOGIQUES des

COUCHES

Pléistocène. 0m 40

Quaternaire. Argile sableuse rouge, à

Moyen. mètre

Lacune.

| assise, Calcaire de Beauce solide. Poches d'altération. j o"'5o

0m 90

3e assise. Marne grise avec nodules calcaires. à

1m 20

Lacune. ;

argile sableuse rouge et Les silex sont fendillés,

3e lit. jaune avec silex. brisés, anguleux. 0m 20

Le carbonate de chaux

Argile verdatre avec silex pénètre dans les fis- 0m30

2e assise. abondants. Lires du silex.

Principal gisement des

Ier lit. Argile plastique verte avec 0m 50

silex très rares. Bourgeois.

Ire assise! Marne grise avec nodules calcaires.


COUPE N° II. — Marnière de M. Gabriel Bled (Thenay)

PÉRIODE ÉTAGE CARACTÈRES GÉOLOGIQUES des

COUCHES

4e assise Calcaire de Beauce solide. Surface percée de trous de pho- 0m 80

4e assise lades. Poches d'altération.

1 mètre

3e assise Marne grise avec nodules calcaires a divers degrés d'altération.

d'altération. 50

Lacune.

Vemules noirâtres, d'anArgile

d'anArgile sa parence charbonneuse. 0m 05

2e lit. bleuse à

Silex abondants. Silex rouges et bruns et

noirs, présentant des

2e assise éclats anguleux, craArgile

craArgile verte quelés, émiettés. 0m 30

très pure. Principal gisement des si- à

Silex peu nombreux,; lex travaillés de l'abbé 0m50

niais plus gros. Bourgeois.

Marne grise avec gros rognons de silex généralement peu Ire assise décortiques.


COUPE N° III. — La Bernarderie (Thenay)

ÉPAISSEUR

PERIODES ETAGES CARACTÈRES GEOLOGIQUES des

COUCHES

0m75

Quaternaire. Pléistocène. Terre végétale. à

0m80

0m30 4e assise Calcaire de Beauce solide, plus ou moins fragmenté. à

0m40

3e assise Marne grise avec nodules calcaires abondants, surtout à à

la partie supérieure.

Lacune.

0m15

3e lit. Argile sableuse brun jaunâtre. à

0m20

2e assise

Argile blanchâtre. 0m40

2e et 1erlit. Silex très fragmentés. à

Nombreuses granulations d'ocre rouge. 0m60

Marne grise. Rognons de silex irréguliers, très gros, gé3e assise neralement jaune clair.


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TABLEAU IV. — Série complète des assises géologiques (Thenay)

RECONSTITUEE PAR M. D'AULT DU MESNIL

PÉRIODES ÉTAGES CARACTÈRES GÉOLOGIQUES

Quaternaire. Pléistocène. Alluvions sableuses rougeâtres.

Pliocène. Manque.

La partie supérieure du miocène manque.

Faluns, sables siliceux carcarifères,

Helvétien. silex éclatés, craquelés.

... Sables de l'Orléanais, silex craqueAquitanien.

craqueAquitanien. éclatés.

Calcaire de Beauce so4e

so4e lide, poches d'altération.

d'altération.

Marnes grises, zone d'al3e

d'al3e tération.

Lacune

Argue verdatre a silex

abondants.

Altérations puissantes'

opérées par les agents

atmosphériques.

2e assise Silex fendillés, brisés,

craquelés.

Principal gisement des silex travaillés de

l'abbé Bourgeois.

Marnes grises avec noassise

noassise calcaires.

La partie inférieure de l'oligocène manque.

L'argile à silex constitue le fond et Eocène bords du bassin tertiaire de

la région. Conglomérats de silex

verdis.

Crétacé. Craie.


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Leur coloration et leur état physique ne sont plus les mêmes. Plutôt noirâtres dans la tranchée du Coudray, ils sont dans la marnière Bled, tantôt bruns, jaune clair, tantôt rougeâtres, ce qui est leur teinte dominante.

L'infiltration calcaire, ayant dû être plus considérable, ils sont profondément fissurés, craquelés et décortiqués et même un certain nombre d'entre eux superficiellement craquelés s'écrasent dans une légère pression.

De plus, l'argile de cette marnière présente un fait intéressant. Elle est striée de veines noirâtres presque horizontales qui parfois même s'accumulent en formant une cuvette dans laquelle on trouve les mêmes silex.

De ces stries noirâtres pouvant éveiller l'idée d'un dépôt charbonneux, il a été prélevé un certain nombre d'échantillons dont l'analyse chimique nous donne plus loin la valeur exacte.

La coupe III, faite d'après les indications de M. d'Ault du Mesnil, pour relever la stratigraphie du tertiaire, au lieu dit la Bernarderie, à 800 mètres N. du Coudray, 50 mètres dit Pont-Rateau, à l'angle des routes de Contres et de Choussy, a présenté également un aspect tout différent des deux coupes précédentes.

L'argile de la deuxième assise n'est plus verte, mais blanchâtre, impure, pleine de granulations d'ocre rouge. Les silex abondants et rouges, tantôt d'un aspect sphéroïdal, tantôt irréguliers et alors extrêmement fragmentés ne présentent plus que de petits échantillons totalement inutilisables.

Enfin le tableau IV, qui sert de repère général ainsi que la figure schématique des terrains, indique la série complète des assises géologiques de la région Thenaysienne telle que l'a reconstituée M. d'Ault du Mesnil, d'après ses nombreuses observations.




— 311 —

L'étude des assises faites, il restait à examiner chimiquement les échantillons des terrains et les nombreux silex provenant de ces fouilles différentes et que la sagacité seule du préhistorien devait juger retouchés ou non par un travail intentionnel. Ces silex étaient au nombre de 2,500.

Le professeur d'anthropologie préhistorique de l'Ecole d'Anthropologie de Paris, Capitan, dont la compétence en cette matière est indiscutable, en élimina d'abord les 3/5, craquelés ou fragmentés, se brisant au moindre choc comme ceux de la marnière Bled, ou s'effritant comme ceux de la Bernarderie.

Ces deux gisements présentaient dans l'ensemble l'aspect de minéraux soumis à des actions physico-chimiques actives.

Bien qu'il y eût des ressemblances avec les modifications déterminées par le feu sur les silex, déjà MM. Camour (Rev. Archéol., Déc. 82) et d'Ault du Mesnil, au Congrès de Blois, avaient éliminé la question du feu. Même en admettant son existence, rien ne prouvait que ce fut un feu intentionnel humain ou un feu naturel attribué soit à des combustions spontanées d'herbes sèches, de forêt, soit à la foudre.

M. Adolphe Carnot, l'éminent directeur de l'Ecole Nationale des Mines, à qui MM. Mahoudeau et Capitan demandèrent son opinion sur la cause des craquelages des silex et sur la nature des dépôts noirâtres de l'argile, émit une opinion en tous points conforme à celle de M. d'Ault du Mesnil, en attribuant, comme le prouve la note suivante, aux seules variations atmosphériques le craquelage des silex de Thenay.

« Quelques essais faits au laboratoire m'ont paru « démontrer que l'hypothèse de l'action du feu était « contredite par l'examen des échantillons présentés. « Les silex rouges, bruns ou blonds, trouvés au milieu


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« des argiles vertes dans la carrière de M. Bled et dans « la marne grise à la Bernarderie, changent de couleur « et prennent un aspect porcelanique sous l'action du feu ; « les silex noirs de la couche dite de l'abbé Bourgeois « (tranchée de la route du Coudray) changent aussi de « couleur mais plus lentement. Ces silex étant craquelés, « sans avoir subi les changements d'aspect et de couleur » que produit le feu, paraissent donc n'avoir pas été « chauffés.

« D'autre part l'argile verte qui les entoure est hy« dratée et n'a subi aucune calcination.

« Enfin les matières que l'on y rencontre et que l'on « pouvait considérer comme des résidus charbonneux.. « témoins de feux allumés par l'homme, ou d'incendies « accidentels, ne se sont pas comportées comme du char« bon, mais se sont dissoutes dans l'acide chlorhydrique: « j'ai pu y reconnaître, par leurs caractères chimiques. « des oxydes de fer, de manganèse et de cobalt.

« Ces oxydes métalliques hydratés ont dû se déposer « pendant et après le dépôt des argiles vertes, au milieu « desquelles ils forment des ninules plus ou moins régu« lières.

« Les agents naturels me paraissent fournir une expli« cation suffisante des faits en ce qui concerne les argiles « vertes et les matières vertes. Quant aux silex qui se « trouvent disséminés en grande quantité dans les argiles « de Thenay et qui y sont très fréquemment fendus ou « craquelés, leur état me semble devoir être attribué à « des actions atmosphériques. Le froid peut, en effet. « produire de semblables fissures sur des pierres profon « dément imprégnées d'eau, comme le sont, en général, « les pierres de carrières et comme pouvaient l'être ces « silex, vraisemblablement restés jusque-là, à l'abri de « l'air et dans un terrain très humide.




« II me semble donc que tous les faits observés trou« vent leur explication par des causes naturelles, sans « que l'on ait besoin de recourir à l'hypothèse d'un « homme-tertiaire. »

Souvent même, les esquillements qui se produisent dans les silex par le fait d'agents physiques, qu'ils soient dus au feu ou au soleil, à la rétraction ou à la dilatation, peuvent avoir lieu également dans les couches géologiques.

Dans la série de Mahoudeau, il y en a environ une centaine, qui ont une surface grenue donnant l'illusion de l'écrasement.

Sauf examen ou comparaison minutieuse, on peut également voir un broyeur, dans un silex absolument naturel, qui fait partie de ma collection de silex tertiaires.

Pas mal d'autres silex plus ou moins fragmentés ou craquelés (bien que résistants) et dont la brisure est due à la longue exaudation qui va de Féocène au début de l'oligocène, brisés dans le cours même dont les bords écaillés sont souvent écrasés, ce qui les a fait passer pour avoir été retouchés intentionnellement, ont été éliminés et d'une trentaine de pièces paraissant retouchées, il n'en est resté que sept qui auraient pu donner le change.

I° L'une d'elles munie d'une pointe naturelle peut être considérée comme un perçoir.

2° Une autre est le type du racloir moustérien à dos muni de son cortex et dont le bord tranchant présente des retouches.

3° La troisième, dont le petit éclatement du bord convexe donne l'idée des retouches régulières qu'on trouve chez les grattoirs, peut passer pour tel.

4° Une autre, par ses fragments allongés et détachés, présente par ses éraillures une vague forme de couteau néolitique.

5


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5° Une cinquième à bords concaves également éclatés, par son type fréquemment rencontré dans les pièces paléolitiques et néolithiques, semble être une pièce indiscutable.

6° et 7° Puis enfin, deux autres silex à pointes naturelles, retouchés sur les bords, et la pointe même de l'un d'eux donnant une vague idée de pointe du moustier, retouchée d'un seul côté, peut être un instrument ayant servi à entailler.

Ces quelques types pris dans la masse prouvent qu'on peut rencontrer dans les couches argileuses de Thenay des silex de forme industrielle connue, mais qui manquent totalement de ce caractère distinctif, le bulbe de percussion.

Ce sont d'ailleurs, des fragments de silex généralement brisés et analogues à ceux qui se trouvent roulés dans les alluvions fluviales et qui, comme Arcellin l'a déjà démontré, peuvent prendre toutes les formes industrielles possibles.

Mais peut-on voir des formes industrielles et systématiques étant connu l'aspect général, avant d'avoir étudié minutieusement les bords. Ceux-ci sont granuleux, écrasés, comme s'ils avaient été longtemps appuyés et pressés d'une façon continue contre un corps dur. Ils présentent des esquilles concaves tantôt sur un côté, tantôt sur les deux, une série d'éclatements consécutifs et réguliers identiques à ce qu'on trouve sur des pièces authentiquement retouchées.

Il y aurait donc eu, d'après la théorie générale de Rutot, une première esquille due à l'usage, et une seconde due à la remise en état de l'instrument ébréché, comme cela s'est fait avec les outils de fortune. (Le Campignien, Capitan, Salmon, d'Ault du Mesnil.)

Cette théorie des outils de fortune paraîtrait logique dans toute autre condition qu'à Thenay où nous savons que pendant cette si longue période qui va de l'éocène au début de


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l'oligocène, les silex de la craie soumis à toutes les. altérations physico-chimiques de toutes sortes qui simulent un travail intentionnel et sans remonter aux périodes géologiques, nous pouvons procéder par analogie en observant ce qui se passe sur les plages, dans le lit des rivières ou le long des pentes ravinées où le processus d'écaillement des bords avec retouches naturelles et façonnement accidentel de toutes les formes similaires des instruments connus se retrouvent journellement.

Enfin, partant de ces observations connues, Capitan a pu. réaliser expérimentalement par la simple pression toutes les séries de retouches et surtout par des pressions lentes, progressives, continues, opérer sur un silex dont l'arête vive repose sur un plan bien horizontal de sable fin ou d'argile.

Le silex, possédant encore son eau de cristallisation, perd en peu de temps son- tranchant par une série de fines retouches, si longtemps considérées comme la caractéristique du travail intentionnel.

Eh dernière analyse, la question se résumerait à ceci :

Les silex de Thenay, qui paraîtraient bien hypothétiquement avoir servi à scier, couper, percer, racler, piquer et auraient été rejetés inutilisables après quelques retouches, ne répondent à aucun type industriel voulu, car « au« cun criterium matériel, indiscutable, réellement scienti« fique ne permet de différencier les éclats de ceux que « produisent des causes absolument naturelles. »

« Et dans l'état actuel de nos connaissances, dit en«

en« Capitan, vouloir reconnaître sur les silex de The« nay la preuve d'un travail intentionnel indiscutable cons« titue une erreur de méthode, résultant d'une insuffisance « d'observations. »

Tel est en somme le dernier mot de cette brillante hypothèse si soutenable en apparence et qui, après avoir suscité


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de si nombreuses polémiques, tombe d'elle-même devant l'observation sérieuse et consciencieuse des faits physicochimiques et mécaniques qui se passent tous les jours à la surface de la terre.

Et que reste-t-il de la théorie de l'abbé Bourgeois si séduisante et si grosse d'avenir à l'époque où seul, sans autre appui qu'une conviction inébranlable et une loyale bonne foi, il osait l'émettre ? le souvenir d'une lutte scientifique vaillamment entreprise, dont la vérité inflexible a décidé et le souvenir sympathique du savant modeste qui, consacrant toute sa vie à l'idée, mourut sur la brèche toujours convaincu de la taille intentionnelle de ses silex (1) et cherchant toujours des preuves à l'appui de sa conviction.

Pour compléter ma collection systématique des instruments préhistoriques trouvés dans la région, il était nécessaire, pour se placer au point de vue chronologique, de prendre quelques échantillons de l'argile du Tertiaire de l'abbé Bourgeois, surtout de choisir parmi les silex de cette couche ceux qui se rapprochaient le plus, non des formes industrielles généralement connues, mais des conditions vraisemblables de taille intentionnelle.

A part une fouille que je fis à ciel ouvert, à 0m 20 de profondeur, dans un champ avoisinant le ruisseau au N.-O. de la marnière précitée et où la couche argileuse était faiblement recouverte par les terres de labour et dans laquelle je trouvai la plus grande partie des échantillons

P. 17. 1887.


[champ Gauron], les deux autres tranchées furent (ailes à quelques mètres de celles du Coudray et de la marnière Bled. Leur aspect et l'examen nouveau des silex n'affermit pas ma conviction qui était déjà faite sur ce sujet, mais me permit de faire quelques réflexions personnelles et d'apporter mon contingent d'observations.

Il est difficile d'être inédit après l'étude si complète de Mahoudeau et Capitan, qui l'ont envisagé sous tous les points. Dans les grandes lignes, je n'ai pu que constater ce que nous avions déjà remarqué en 1900. ■

Au point de vue général, les silex du champ Gauron sont plus roulés que ceux des autres tranchées et présentent davantage de traces ferrugineuses.

Quelques-uns d'entre eux présentent des conchoïdes de percussion dus aux chocs qu'ils ont reçu dans leur parcours et chez beaucoup d'autres plus volumineux, on remarque un fossile, généralement un fragment de polypier, autour duquel s'est déposé l'acide silicique avant d'être englobé dans la craie.

Comme couleur, nous avons déjà vu que ces silex souvent d'un brun noir sont colorés d'une teinte qui varie du rouge cerise au violet améthyste pâle.

Cette teinte, sur laquelle j'attire simplement l'attention pour la particularité du fait et sans en tirer aucune déduction, se rencontre également chez des silex craquelés qui ont passé par l'action du feu, c'est une des conséquences même de leur déshydratation.

Quant aux silex déshydratés,' on n'en rencontre jamais dans la couche argileuse de l'abbé Bourgeois.

Outre des échantillons rosés que j'eus en main, j'ai eu occasion de constater à la suite d'un feu qu'un berger avait allumé dans une falunière toute la série colorée des fragments siliceux de grès faluniques sur lesquels il avait appuyé les tisons.


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Il se trouve donc assez fréquemment que la coloration et le craquelage sont souvent réunis dans le même type.

Il est inutile de revenir sur le craquelage des silex de la craie, mais voici à ce sujet une série de silex quaternaires trouvés dans une station néolithique située à l'est du dolmen de la Pierre-à-Minuit à Pont-Levoy et qui, avant que le lieudit le Bois-Rouillé ne fût défriché, ont à plusieurs reprises subi l'action du feu des charbonniers.

Le fait du feu est indéniable, car dans ce terrain sablonneux on remarque, les jours de pluie, quand la terre a été récemment remuée, de larges surfaces noirâtres, et les silex qu'on trouve dans cette zone ou son prolongement, car il faut tenir compte de l'apport de la charrue, présentent toutes les teintes de déshydratation, de coloration et toutes les variétés de craquelage, non plus sur des silex enfouis sous terre, mais sur des échantillons plus ou moins déshydratés et depuis longtemps à la surface.

Voilà donc encore une preuve qu'il y a deux processus différents de craquelage, le premier dû à une disjonction moléculaire produite par un agent igné, ce que nous constatons les pièces en main, que ce soit le feu, comme dans les silex de la station néolithique du Bois-Rouillé, ou le .soleil qui donne un craquelage conchoïde fréquemment constaté en Afrique ; le second dû à une disjonction moléculaire produite dans un milieu chimique altérant par l'autopression des couches géologiques supérieures.

Enfin aux pièces de la collection de l'École d'Anthropologie (Fouille Mahoudeau 1900), je joins quelques échantillons qui me sont personnels, sur l'authenticité desquels, en tant que travail pseudo-intentionnel, il serait peut-être permis de discuter s'ils n'étaient autre chose que de simples échantillons ne répondant comme les précédents à aucun instrument défini, et choisis avec soin en plusieurs endroits parmi des milliers de silex de la couche


PLANCHE III : Silex tertiaires de Thenay, avec retouches qui paraissent intentionnelles. Silex craquelé (grandeur naturelle). Collection personnelle (Fouille 1901).



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argileuse de l'abbé Bourgeois qui, partout où on la rencontre, donne l'impression d'une couche géologique.

Qu'on joigne à cela un certain nombre d'autres pièces d'une forme que ne précise que la tournure d'esprit ou l'auto-suggestion du préhistorien, on pourra peut-être trouver des percuteurs, des nucléus, des lames présentant à leur base des conchoïdes de percussion (mais sans plan de frappe), mais sur lesquels on n'aura plus le droit d'hésiter dès qu'on se sera fait une idée définitive sur l'inspection directe des couches et sur le contact fréquent du plus grand nombre possible de ces silex.

Dr François HOUSSAY.



Nouvelles Notes

SUR LES PROTESTANTS BLAISOIS

EN lisant la très intéressante étude de notre collègue, M. Belton, qu'il intitule modestement: Notes sur l'histoire des Protestants dans le Blaisois (1), j'ai pensé à rassembler ce que je pouvais moi-même avoir suite sujet. Pour moi, la modestie est de rigueur, car ce ne sont véritablement que des notes, sans aucune liaison, c'est-à-dire des extraits pris un peu partout, notamment dans les liasses des anciennes justices conservées aux Archives de Loir-et-Cher, mais, en tout cas, inédites, et qui n'ont d'autre intérêt que de compléter, par le document ou l'anecdote, le travail de M. Belton.

Les troupes protestantes de Condé étant entrées à Blois le 5 février 1568, après dix jours de siège, mirent la ville au pillage et dévastèrent tous les couvents et toutes les églises. Une des plus maltraitées fut la collégiale de SaintSauveur, comme il appert par le document suivant (2) :

(1) Tome XI des Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, 1886. — Tirage à part, de la même année, auquel je me réfère.

(2) Extrait du Cartulaire mss. de D. Verninac, n° 489, T. III. f° 138 ; Bibliothèque d'Orléans.


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« Sur la requête ce jourd'hui, dixième jour de mai 1568, |à] nous Simon Riollé, conseiller du Roi nostre sire, lieutenant général, magistrat criminel du bailliage de Blois, faite par les vénérables doien, chanoines et chapitre de l'église de Saint-Sauveur de Blois, tendante afin qu'il soit par nous informé, sçavoir : qu'ils disent que, durant les derniers troubles, l'église de Saint-Sauveur, leur chambre du trésor (1) entièrement, leurs enseignemens, titres et papiers auroient été brûlés et déchirés par ceux que l'on dit de la Religion prétendue réformée, après leur avoir été cette ville de Blois rendue par composition, avons ordonné qu'il sera par nous et notre greffier informé de et sur ce que dessus, suivant les articles que lesdits de Saint-Sauveur bailleront par écrit; et pour voir procéder à la jurande des témoins qu'ils nous entendent présenter, que le procureur du Roi en ce bailliage et tous les fermiers, rentiers et autres qui sont redevables auxdits de SaintSauveur seront appelles à son de trompe et cri public par les carrefours de cette ville et fauxbourgs de Blois par un des sergens roiaux dudit bailliage, à ce que nul n'en puisse prétendre cause d'ignorance, et à certain lieu, jour et heure, attendu la qualité de la matière.

Et le lundi 24e jour dudit mois ensuivant, heure de huit heures du matin, au Palais roial de Blois, par devant nous lieutenant susdit, se sont comparus lesdits sieurs de Saint-Sauveur par Mre Antoine Descartes, chanoine et prévôt de ladite église, assisté de Me François Puzelat, leur procureur, qui nous ont dit avoir, suivant la permission susdite, fait donner assignation a cedit jour, lieu et heure audit procureur du Roi et à toutes et chacunes les personnes qui sont fermiers, rentiers et qui tiennent aucunes choses desdits de Saint-Sauveur pour voir procéder au fait de

(1 ) Trésor : archives.


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l'information, preuve et vérification que lesdits de SaintSauveur entendent faire de la rompture, brisement, brûlure et démolition qu'ils maintiennent avoir été faits de ladite église de Saint-Sauveur, de la chambre du trésor d'icelle et de tous et chacuns leurs litres, papiers et enseignemens, comme ils ont fait apparoir par l'exploit de Jean Bordier, sergent, François Doreau, commis du trompette de ladite ville, en datte du 21e jour de ce mois et an, nous requérant défaut desdits procureur du Roi et autres appelles s'ils ne comparent; et aiant attendu ladite heure de huit heures sonnées, et que lesdits appelles ne sont comparus ne aucuns pour eux, avons contre iceux donné défaut auxdits de Saint-Sauveur et néanmoins pris et reçu le serment de honorables hommes Antoine Spire, Jean Dhonneur, Guillaume Habert, le père Durant, Christophle Durant, René Lejau, Nicolas Leroy et Philbert Labbé, témoins ajournés à cedit jour, lieu et heure par ledit Bordier, sergent, comme il est apparu par son exploit du 23e desdits mois et an, et, sur la requête desdits de SaintSauveur, avons continué l'assignation pour voir et visiter en quel état est ladite église et trésor au 27e jour de cedit mois et an, heure de midi attendant une heure, sur les lieux. Fait les jours et an que dessus ; signé L. Texier et paraphé, et S. Riollé avec paraphe.

Information faite par nous, Simon Riollé, conseiller du Roi notre sire, lieutenant général juge et magistrat criminel du bailliage de Blois, pour et à la requête des vénérables doien, chanoines, chapitre de l'église collégiale Saint-Sauveur de Blois à l'encontre du procureur du Roi en ce bailliage et les fermiers et rentiers desdits de SaintSauveur, sur le brûlement fait de la chambre du trésor de l'église dudit Saint-Sauveur, ensemble de leurs titres, enseignemens et papiers y étans ; à quoi faire avons


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vacqué, appelé avec nous Liephard Texier, greffier ordinaire du bailliage de Blois, ainsi qu'il ensuit :

Le lundi 24e jour de mai 1568, honorable homme Antoine Spire, tailleur de l'écurie de la Roine demeurant à Blois en la basse-cour du châtel dudit lieu, âgé de 55 ans ou environ, jure de dire vérité; enquis, ouï et examiné sur les articles, plaintes desdits de Saint-Sauveur, dépose que au mois de février l'an dernier (1) à certain jour qu'il n'a réduit en mémoire, la ville de Blois fut rendue et mise ez mains de ceux que l'on dit de la Religion prétendue réformée qui avoient le siège et canon devant icelle par les sieurs de Monterud et de Richelieu commandant pour la Majesté du Roi audit Blois, de façon que les compagnies desdits de Monterud et de Richelieu, ensemble lesdits de Saint-Sauveur et autres ecclésiastiques, furent contraints de sortir et eux absenter comme firent grand nombre des habitans dudit Blois, loiaux serviteurs de sadite Majesté, catholiques, combien que la plupart eussent jà paie rançon aux dits de la Religion prétendue réformée qui, pour ce, ne délaissèrent à brûler les églises entièrement, les maisons desdits ecclésiastiques, piller et voler leurs meubles ; et même dit avoir vu qu'ils se sont transportés en l'église dudit Saint-Sauveur assise en ladite basse-cour, prez dudit châtel de Blois, laquelle ils rompirent et ruinèrent comme les chapelles, chambre du trésor et autres bâtimens, de façon qu'il ne demeura aucuns soliveaux ne autres bois ; et outre ce, vit qu'ils rompirent, déchirèrent et brûlèrent les papiers dudit trésor et en prenoient et emportoient à qui bon sembloit où ils vouloient et faisoient un fourneau d'un lieu appelé le vieil trésor en ladite église où ils brûloient lesdits papiers, titres et enseignemens. Est tout ce qu'il a dit sçavoir.

(1) Il ne faut pas oublier que l'année commençait encore à Pâques; par conséquent, février est de 1568 nouv. style.


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Honnête personne Guillaume Habert, concierge du châtel de Blois, y demeurant, âgé de 28 ans ou environ, jure de dire vérité ; enquis et examiné sur lesdits articles dit et dépose que ceux de la Religion aiant pris cette ville de Blois et occupant icelle contre l'autorité du Roi et aiant tenu le siège et battu icelle avec le canon par quelque tems, les compagnies étant dans laditte ville pour les roi sous Messrs de Monterud et de Richelieu et les ecclésiastiques et gens d'église, ensemble plusieurs habitans dudit lieu qui ne sçurent eux sauver et sortir, furent pris à rançon par lesdits de la Religion nouvelle, lesquels, non contens de ce, brûlèrent et démolirent entièrement les églises, monastères et maisons des chanoines, religieux, prêtres et entièrement celles des ecclésiastiques ; et entré autres brisèrent, rompirent et démolirent l'église dudit Saint-Sauveur assise en la basse cour dudit châtel, ensemble les chambres et trésor d'icelle et où ils ne délaissèrent aucuns soliveaux ne autres bois, brûlèrent et déchirèrent et brisèrent lesdits titres et papiers et autres enseignemens desdits de Saint-Sauveur qui étoient audit trésor et en jettèrent les pièces par ladite église ; desquels à chacun qui vouloit en emportoit où bon leur sembloit et faisoient du vieil trésor d'icelle église un. fourneau à brûler lesdits enseignemens et autres choses ; ce qu'il, déposant, voioit étant audit lieu. Et est ce qu'il en sçait.

René Lejau, huissier de la salle de Monseigneur, frère du Roi, demeurant en la cour basse du châtel de Blois, âgé de 50 ans, ou environ, jure de dire vérité; de ce enquis, ouï et examiné sur lesdits articles, dépose que, au mois de janvier dernier, ceux de la Religion que l'on dit réformée assiégèrent avec le canon cette ville de Blois qui enfin leur fut rendue par composition par les seigneurs de Monterud et de Richelieu qui gardoient icelle pour la Majesté du Roi ; après laquelle réduction, les soldats étant


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sous la charge desdits sieurs sortirent (1) et pareillement aucuns particuliers habitans et gens d'église dudit Blois qui se pouvoient sauver encore ; depuis, lesdits de SaintSauveur étant absens et fugitifs, fut la dite église de SaintSauveur, comme en pareil (2) les autres églises et monastères dudit Blois, rompue, brisée et démolie, ensemble la chambre du trésor de ladite église où étoient les papiers, titres ou enseignemens desdits de Saint-Sauveur qu'ils rompirent et déchirèrent et jettèrent les uns par ladite église de Saint-Sauveur, desquels en emportoit qui vouloit ainsi qu'il, déposant, leur a ouï dire depuis qu'ils sont retournés ; auparavant et dès lors lui déposant vit lesdits papiers, où aiant partie d'iceux rompus et brûlés par pièces tant à travers les bouriers (3) de ladite église que chambre du trésor et ailleurs ; et vit, étant dans ladite basse-cour, brûler ladite église et chambre, et voioit aller et venir en icelle église lesdits de la Religion où il alla voir ce qu'ils faisoient. Pareillement est ce qu'il a dit sçavoir du contenu ez dits articles.

Honnête personne, Christophle Durant, garde clefs du châtel de Blois, demeurant en la basse-cour d'icellui, âgé de 52 ans ou environ, jure de dire vérité; enquis, ouï et examiné sur le contenu desdits articles, dépose que durant que ceux de la Religion prétendue réformée furent saisis de cette ville de Blois qui leur fut rendue par composition par les sieurs de Monterud et de Richelieu au mois de février dernier, lui, déposant, étant en ladite basse-cour où est assise l'église de Saint-Sauveur, il vit par plusieurs et diverses fois aller et venir lesdits de la Religion en ladite

(1) Berg. et Dupré (Hist. de Blois, T. I, p. 78) disent qu'ils furent « entièrement massacrés. » Voy. plus loin les dépositions de Lucc Durant et de Nicolas Leroy, et, plus haut, celle de A. Spire.

(2) Comme en pareil : de même que. (3) Bouriers : débris, ordures.


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église qu'ils rompirent et ruinèrent, ensemble les chambres du trésor de ladite église, et esquelles aiant trouvé lesdits papiers, titres et enseignemens, brûlèrent grande partie d'iceux et le reste le déchirèrent et brisèrent, qu'ils jettoient par ladite église et autres lieux avec les immondices et débris desdits dégâts et en emportoient et prenoient chacun ce qu'il vouloit sans qu'aucuns en eussent osé parler ; et quant au regard desdits de Saint-Sauveur, n'y eussent pu donner ordre parce qu'ils ne se osoient montrer et se sauvoient, les uns après avoir paie rançon, comme faisoient autres habitans dudit Blois, et les autres le mieux qu'ils pouvoient, de sorte que un seul des prêtres, chanoines et religieux dudit Blois ne se osoit en façon du monde montrer, ains cacher le plus étroitement et sûrement qu'ils pouvoient. Et est tout ce qu'il a dit sçavoir.

Luce Durant, tailleur d'habillemens, demeurant à Blois en la basse-cour du châtel dudit lieu, âgé de 36 ans ou environ, jure de dire vérité ; enquis et examiné sur lesdits articles, dit et dépose que le jeudi 5e jour de février dernier (1) cette ville de Blois fut par les srs de Monterud et de Richelieu, lors gouverneurs pour le Roi audit Blois, rendue à ceux de la Religion prétendue réformée qui avoient par quelque tems auparavant icelle assiégée de canons ; et dez que lesdits de la Religion étant dans laditte ville firent sortir les soldats qui y étoient sous lesdits sieurs de Richelieu et de Monterud avec lesquels se sauvèrent quelques uns des habitans dudit Blois ; et depuis furent les gens d'Eglise et autres habitans dudit Blois contraints eux sauver et absenter de jour et de nuit, les uns après avoir paié rançon, les autres auparavant, le mieux qu'ils pouvoient, et même lesdits de Saint-Sauveur. Et non con(1)

con(1) de Blois, I. 77, dit le 7 février. Jean Dhonneur, qui dépose plus loin, donne aussi la date du 5 février.


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lens de ce, brûlèrent et démolirent entièrement les églises, monastères et maisons des ecclésiastiques, entr'autres brisèrent et démolirent l'église dudit Saint-Sauveur assise en la basse-cour du châtel de Blois et le trésor d'icelle église où ils trouvèrent les titres et enseignemens d'iceux de Saint-Sauveur qu'ils brûlèrent et déchirèrent et emportèrent une partie des morceaux par ladite église et les aucuns en emportoient où bon leur sembloit sans que personne en eût osé parler, et faisoient servir le vieil trésor de ladite église de fourneau à faire brûler lesdits titres, et ne délaissèrent aucun bois tant en ladite église que chambre du trésor. Dit sçavoir ce que dessus pour avoir été lors et après tant en ladite église que basse-cour dudit châtel; et autre chose dit ne pouvoir déposer.

Du 27e jour dudit mois et an, honorable homme sire Nicolas Leroy, marchand bourgeois de Blois, âgé de 59 ans ou environ, jure de dire vérité ; enquis, ouï et examiné sur lesdits articles, dépose que au mois de février dernier, ceux que l'on dit de la Religion prétendue réformée s'étant emparés de cette ville de Blois par la composition qu'ils firent avec les sieurs de Monterud et de Richelieu lors commandans pour le Roi en cette villede Blois, les soldats desdits seigneurs furent contraints sortir, et par même moien, aucuns des habitans dudit Blois, entr'autres les gens d'Eglise, se échapoient et sortoient le plus secrètement que faire le pouvoient, les uns après avoir paié rançon, les autres auparavant. Et depuis, non contens de ce, brûlèrent, rompirent tous les temples et églises et maisons des monastères dudit Blois. Il sçait qu'ils rompirent l'église dudit Saint-Sauveur et treuvèrent les titres et enseignemens du chapitre d'icelle église ou (1) trésor d'icelle, lesquels titres ils brisèrent par pièces et les jet(1)

jet(1) : au.


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toient par dessus les maisons et murailles circonvoisines de ladite église, et en vit plusieurs, lui déposant, rompus en la rue des Violettes où il demeure, qui est au bas et au dessous d'icelle église ; et outre et depuis étant en ladite église, il y a vu plusieurs papiers brisés et rompus par les fanges (1) et autres endroits d'icelle et même parla chambre du trésor qui est rompue. Et est ce qu'il dit sçavoir ; ainsi signé : Roy: Guilbert Labbé, menuisier, demeurant en la rue des Violettes, au bas et dessous l'église de Saint-Sauveur de Blois, âgé de 35 ans ou environ, jure de dire vérité ; enquis, ouï et examiné sur lesdits articles, dépose que depuis que la ville de Blois fut commandée et détenue par ceux de la Religion prétendue réformée au mois de février dernier par la composition qui en fut faite entr'eux et les sieurs de Monterud et de Richelieu, commandans audit Blois pour le Roi, ceux de ladite religion brûlèrent et démolirent entièrement les églises et monastères dudit Blois et maisons des ecclésiastiques ; lesquels entr'autres rompirent et démolirent l'église de Saint-Sauveur dudit Blois et les chambres du trésor d'icelle et autres lieux, sans y avoir laissé aucuns bois ; et d'icelle chambre du trésor prirent tous les papiers, titres et enseignemens desdits de SaintSauveur qui y étoient, et iceux furent brûlés au vieil trésor d'icelle église qui leur servoit de fournaise ; et ce qu'ils ne faisoient brûler les déchiroient et jettoient tant par ladite église que par dessus les murailles, et en jettoient grande quantité en ladite rue des Violettes et en fut amassé par le fils dudit déposant un petit livre de compte qu'il a rendu auxdits de Saint-Sauveur, lesquels n'eussent sçu donner ordre ni empêcher lesdits de la Religion, au contraire auroient été contraints d'eux absenter et fouir (1), les uns

(1) Fanges: ce mot doit ici probablement s'entendre pour décombres, ordures, comme bouriers ci-dessus. (2) Fuir.


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après avoir paié la rançon et les autres auparavant. Et est ce qu'il a dit sçavoir ; lecture faite de sa déposition, y a persisté et dit ne sçavoir signer.

Honorable homme, Jean Dhonneur, concierge de Mr le Marquis de Villars, demeurant en la basse-cour du châtel de Blois, âgé de 60 ans ou environ, jure de dire vérité : de ce enquis et examiné sur lesdits articles, dépose que, au mois de janvier dernier, cette ville de Blois fut assiégée par ceux de la Religion prétendue reformée, étant icelle détenue par les seigneurs de Monterud et de Richelieu qui y commandoient pour le Roi, lesquels leur rendirent icelle par composition le 5 février ensuivant après l'avoir tenue assiégée et canonée quelque tems; et despuis que lesdits de la Religion furent entrés en ladite ville, firent brûler et entièrement rompirent et démolirent toutes les églises et monastères dudit Blois, entr'autres l'Eglise S. Sauveur assise en ladite basse-cour, ensemble la chambre du trésor de ladite église où ils trouvèrent les papiers, titres et enseignemens desdits de Saint-Sauveur, les aucuns qu'ils faisoient traîner par ladite basse cour et autres qu'ils tiroient (1) sur le maître des enfans de choeur dudit Saint-Sauveur ; et depuis vit plusieurs papiers rompus tant à travers icelle église que ailleurs ; et n'eût été possible d'y donner ordre, même par lesdits de Saint-Sauveur qui furent contraints d'eux absenter comme firent autres habitans dudit Blois. Et est ce qu'il dit sçavoir.

Et ledit jour, heure d'une heure après midi, nous lieutenant général susdit avec notre dit greffier, à la requête des dits sieurs de Saint-Sauveur comparans par lesdits Descartes et Puzelat, et absence desdits procureur du Roi,

(1) Phrase obscure; peut-être mauvaise copie de D. Verninac. Ne faudrait-il pas lire : sur le logis du maître ? Le maître des enfants de choeur demeurait sur la basse cour, en face de l'église.


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fermiers et rentiers, sommes transportés en ladite église et chambre du trésor d'icelle, lesquelles église et chambre du trésor avons trouvé brûlées sans qu'il y ait en icelles aucun bois ni chevrons, même en ladite chambre du trésor, et outre y a par ladite chambre et église grande quantité de petits morceaux de papiers déchirés et rompus des titres et enseignemens desdits de Saint-Sauveur qu'ils disent être ceux qui étoient dans la chambre dudit trésor, dont leur avons donné acte pour leur servir et valoir en tems et lieu ce que de raison. Fait les an et jour que dessus, signé : Riollé et L. Texier, avec paraphe.

La présente copie a été par moi, Jacques Darnault, huissier au bailliage et siège présidial, y demeurant, paroisse de Saint-Honoré, soussigné, collationnée à son original, à laquelle elle s'est trouvée conforme, en vertu de commission en forme de lettre de compulsoire donnée à Paris, en datte du 17e jour de décembre 1672, signée : par le Conseil Lebene, et scellée ; et à la requête de vénérable et discrète personne Mre Mathurin Guilly, prêtre, docteur en théologie et chanoine en l'église Saint Sauveur de Blois y nommé par icelle, en la présence de Me Anthoine Recoüart, comparant par Me André Remonneau son procureur, pour servir et valoir audit sieur Guilly au procès qu'il a au Grand Conseil, tout ainsi que son original, le tout ainsi qu'il est plus amplement porté par mon procèsverbal de compulsoire en datte de ce jourd'hui 3e jour de janvier 1673. Signé : Darnault. »

Les Commissaires envoyés pour faire exécuter l'édit de pacification (1) avaient, par leur ordonnance du 7 juillet 1599, dit (2) que les protestants de Blois auraient la

(1) Edit de Nantes, 3 avril 1598.

(2) Belton, p. 21.


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liberté d'exercer librement leur culte à Blois, mais dans l'un des faubourgs dépendant de la justice du roi. Or le lieu qu'ils avaient choisi, n'en dépendait pas ; il était de la justice de Saint-Jean-en-Grève.

Le même jour, 7 juillet, Eléazar Yvonnet, procureur fiscal du prieuré de Saint-Jean, remontre à messieurs les députés par S. M. pour l'exécution de l'édit que, suivant les articles 8 et 11 dudit édit, le territoire de Saint-Jean doit être conservé en ses droits et franchises ; et par conséquent, il s'oppose à la fondation d'un temple protestant sur ce territoire.

Les protestants ripostent par la requête suivante :

« A monsieur le lieutenant-général du bailliage de Blois,

« Vous supplient humblement ceulx de la Religion reformée de la ville de Bloys disant qu'ils vous ont cydevant faict nomination d'une grange, chambres et jardins assis près les fourneaulx d'Angleterre appartenant à dame Anne Mauger veuve de deffunct noble homme Claude Ribier pour faire audict lieu l'exercice de leur religion par manière de provision, attendant qu'ils eussent trouvé lieu plus commode pour ledict effect ; laquelle nomination auriez receue aussy par manière de provision. Et d'aultant que lesdicts suppliants ont trouvé ung jardin assis au Haut Bourg, appartenant à Mre Jehan Dutemps advocat au siège présidial de Bloys; leur estre plus commode et duquel ils ont le consentement, Ce considéré, ils vous supplient recepvoir la nomination qu'ils vous font dudict jardin, tant pour l'exercice de la dicte Religion que pour la sépulture de leurs morts. Et néantmoings d'aultant que ledict jardin n'est en estat convenable ils vous supplient aussy, en attendant qu'ilz aient rendu ledict lieu commode qui sera dans six mois, leur estre permis continuer l'exer-


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cice dans ladicte grange; et vous ferez bien et justice ».

Signé: Dutemps, M. Depouzay, Delagarde, Gribelin, Plaisant, Langloys, Souesve, Maupas, Festeau, Morin, Deigne.

« Soit communiqué au Procureur du Roy. Faict ce dix septiesme juillet m. Ve iiijxx dix-neuf ».

Signé : Daguier.

Puis, réquisition du procureur pour que le prieur soit entendu — « Soit fait ainsi qu'il est requis etc., le 20 juillet ». Signé : Daguier. — Assignation du même jour au prieur à comparoir le lendemain au palais, pour répondre aux fins de ladite requête, etc. (1).

Je ne sais comment l'affaire s'arrangea ; en tout cas, les protestants eurent gain de cause, puisqu'ils obtinrent la permission de bâtir leur temple sur ce territoire (2), où il resta jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes, époque à laquelle il fut démoli :

« En 1685 fut abbatu le prêche où s'assembloient les Calvinistes de Blois et des environs. Il étoit près le jeu de paume, au haut Bourg Saint-Jean, un peu au-delà de la porte Clouseaux. Cela arriva le 26 octobre audit an 1685 » (3).

Les deux commissaires royaux, envoyés dans le Blaisois en 1611 pour assurer la parfaite exécution de l'Edit de Nantes, reçurent du clergé et des échevins de Blois deux cahiers de remontrances auxquels ils répondirent le 29 novembre (4).

(1) Arch. L.-et-Ch., B, Baill. de Blois, an. 1599.

(2) Mais ce ne peut pas être le 10 juillet, trois jours après l'ordonnance, comme le dit M. Belton, puisque la requête des protestants n'est que du 17. — V. La Réforme en Blaisois, p. de Felice, p. LIX.

(3) Arch. de la Mairie de Blois ; par. Saint Honoré, reg. n° 56, tables, an. 1685.

(4) Belt., pp. 28 et 32.


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Le mercredi 7 décembre 1611, pardevant le lieutenantgénéral Guillaume Ribier assisté des magistrats, juges et conseillers, comparaissent les échevins et les représentants du clergé, qui disent que, suivant la résolution prise en la chambre de ville en novembre dernier, ils ont rédigé un (1) cahier d'articles et demandes touchant la Religion prétendue réformée, pour l'exécution de Ledit de pacification, et requièrent que ce cahier soit registré au greffe du bailliage et à celui de la maison commune.

Sur ce, Me François Baillé, ancien avocat du roi, dit qu'il n'est pas nécessaire que ce cahier soit registré, mais simplement déposé au greffe du bailliage, où les échevins et ecclésiastiques en pourront prendre copie, si bon leur semble ; requérant que ces articles soient en outre communiqués au Sr Vigner, ministre de cette ville et aux plus anciens de ladite religion. — Il est ainsi ordonné (2).

Il est à noter que, dans cette délibération, il n'est pas fait mention de la réponse des commissaires.

A Châteaudun, les réformés de la ville et des environs avaient choisi, pour y bâtir leur temple et leur cimetière, un lieu situé dans le censif de la prieuré-cure de SaintLubin. Le curé exigea d'abord la constitution d'un vicaire homme vivant et mourant et le bailli de Dunois lui donna raison.

Mais les protestants en appelèrent au tribunal de Blois, et leur avocat Me Jehan Dutens (3), à l'encontre du bailli de Dunois, invoqua « l'article treiziesme du Cahier respondu par Sa Majesté le dernier jour d'aoust 1602 ». Par sentence du 8 mars 1613, corrigeant le jugement dont est appel,

(1) Il y avait, en réalité, deux suppliques : M. de Félice (La Réforme en Blaisois) les donne tout au long.

(2) Arch. L.-et-L., B, Baill. de Blois, an. 1611.

(3) C'est le même que nous venons de voir. Je respecte les diverses écritures de son nom qu'il avait lui-même adoptées.


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il est dit : « que les appelans demoureront dispensez de bailler aucun vicariat des héritages dont il est question, par eulx acquis ou eschangez au dedans du censif dudict inthimé, en luy payant à l'advenir le droict de cens à luy deub, chacun an, pour ce regard, tant et s'y longuement que lesdicts héritages demoureront en la communaulté d'jceulx appelans ; et encore à la charge de payer à jcelluy inthimé le droict d'indamnité selon le dire d'expers et gens à ce cognoissans dont les partyes conviendront dans huictaine, allias en sera par nous nommé d'office ; pour estre les deniers qui en proviendront employez par ledict inthimé en achapt d'héritages qui apartiendront à jamais à la prieuré dudict Saint-Lubin (1) ».

La grande affaire pendante durant un demi-siècle, qui était de fixer le nombre des églises protestantes dans le Blaisois (2), ne fut résolue qu'en 1658.

« Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre. A nostre amé féal consr lieutenant-général au siège présidial de Blois, le sieur de Grymauldet, à tous autres nos justissiers et officiers qu'il appartiendra, Salut. Par arrest de nostre Conseil d'Estat, dont l'extrait est cy attaché soubz le contre scel de nostre chancellerie, donné sur les contestations meues pour raison de l'exercice de la Religion prétendue refformée en nos villes de Blois, Romorantin et Mer, Nous avons ordonné qu'avant de faire droict sur le partage intervenu entre les commissaires exécuiteurs de l'édict de Nantes dans la Généralité d'Orléans au subiait du temple dans les faubourgs de Blois, que le sindic du dioceze de Chartres sera assigné en nostre dict

(1) Arch. L.-et-Ch., B, Baill. de Blois, an. 1613.

(2) Belt., p. 33-36.


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conseil, pour, ce fait, estre dit et ordonné ce qu'il appartiendra. Et vuidant le partage en ce qui concerne l'exercice public de la dite R. P. R. esdites villes de Mer et de Romorantin, a déclaré celle de Mer premier lieu de bailliage. Ce faisant, que le temple qui y est construit sera desmolly dans un mois pour tout dellay, sauf ausdits de la R. P. R. d'emporter leurs mattériaux et d'en faire construire un autre dans les fauxbourgs dudit lieu, suivant l'esdit de mil cinq cens soixante et dix-sept, au lieu qui leur sera par vous désigné, les ecclésiastiques et eschevins de ladite ville apellez. Et à faute par les ditz de la R. P. R. de faire ladite démolition dans ledit temps, pouront les habittans catholiques y procedder aux frais et despans desditz de la R. P. R. Et a l'esgard de la ville de Romorantin, faisons deffenses ausditz de la R. P. R. d'y continuer l'exercice d'jcelle du jour de la signiffication dudit arest, et que dans un mois le temple construit audit lieu sera par eux desmolly, leur permettant aussy d'emporter leurs matériaux ; autrement, ledit temps passé, sera proceddé à ladite démolition par les habittans catholicques aux frais et despans de ceux de la R. P. R. A ces causes, nous vous mandons par ces présentes signées de nostre main, chacun endroy soy, d'exécuter et faire exécuter ledit arrest selon sa forme et teneur ; de ce faire nous vous donnons pouvoir, authorité, commission et mandement spécial. Enjoignons au gouverneur et nostre lieutenant général, etc., etc. Car tel est nostre plaisir.

Donné à Paris, le xxiiie novembre, l'an de grâce mil six cens soixante-huit, et de nostre règne le vingt-sixe. Signé : Louis. Et plus bas, par le Roy, Phelipeaux, et scellé du grand sceau de cire jaune » (1).

Le 17 décembre, ordonnance du lieutenant-général René

(1) Arch. I..-et-Ch., B, Baill. de Blois, an. 1668.


Grymauldet, portant publication dudit arrêt à Mer et à Romorantin.

Le samedi 22 décembre, requête des protestants de Mer, demandant que, vu' la saison qui ne leur permet pas de reconstruire tout de suite leur temple, il leur soit permis de faire l'exercice public de leur religion dans une grange ou autre lieu couvert au faubourg de Mer, signée Henry Sacrelaire, pasteur de l'église prétendue réformée de Mer.

Le même jour, Grymauldet se rend à Mer, où il reçoit « nobles hommes » Pierre Jurieu, ministre de la religion prétendue réformée de la ville de Mer et des environs (1), Gabriel Bourdon l'aîné, Gentien Maria, sieur de la Chabinière, Estienne Hêmes et Guillaume Rousseau, représentant ceux de R. P. R. qui persistent en leur requête. Remise au lendemain pour assigner les ecclésiastiques et échevins.

Le lendemain 23, comparaît Messire Guillaume Rousseau, prieur de Mer, qui dit qu'en fait d'ecclésiastiques, il n'y a que lui, Messire Sébastien-Leroux, son vicaire, et Messire Georges Baudoin, ci-devant prieur, qui dessert l'HôtelDieu ; ces deux derniers sont en train de confesser dans l'église; quant aux échevins, il n'y en a pas. Les députés des protestants sont aussi présents. On se donne rendezvous à l'issue de la grand'messe.

(1) C'est le fameux Jurieu, jeune alors, dont voici la signature :

Les amateurs de graphologie n'auront pas de peine à y lire le caractère du violent polémiste, du fougueux adversaire de Bayle.

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A 3 heures, réunion générale : Grymauldet demande qu'on désigne un endroit dans les faubourgs. Les catholiques exposent que la ville a cinq portes et une fausse porte. L'une appelée la porte des Benoists, au delà de laquelle il n'y a aucuns bâtiments, et seulement le grand chemin qui conduit à Beaugency ; la deuxième, la porte de Moncellereux, à cent pas de laquelle il y a des maisons qui continuent pendant un quart de lieue, appelées le hameau de Barreau, etc. La troisième, la porte des Louaz, à quelque petite distance de laquelle il y a des maisons appelées les Perroux, la rue aux Dutens, la rue aux Fortineaux et Cinq-Mars. La quatrième s'appelle la fausse porte de Touvoye, au delà de laquelle il y a deux maisons et un moulin. La cinquième, la porte des Retz ou, autrement, du Pontlevis, à cent pas de laquelle il y a des maisons qui continuent environ un quart de lieue et sont appelées les hameaux des Retz, les Ormeaux, le Heaulme et Lasneré. La sixième et dernière est la porte des Groix qui conduit en la paroisse d'Aunay, au delà de laquelle y a plusieurs maisons qui se joignent et font le seul faubourg de Mer, appelé les Groix.

Le lieutenant-général décide que le temple sera construit au faubourg des Groix et remet la séance au lendemain. On commencera par aller au temple qu'on est en train de démolir, pour en prendre les mesures, puis on ira choisir un endroit propice, dans ledit faubourg.

Le lendemain, à 8 heures du matin, tout le monde étant présent, Grymauldet fait toiser les murs du temple et du cimetière qui y est attenant. Protestation des réformés qui disent que le cimetière doit rester dans la ville, où il est, bien que le temple soit transféré ; qu'il est notoire que dans bien des endroits où le temple est éloigné, d'une ou deux lieues, le cimetière est quand même dans la ville, témoin Paris, Tours, Orléans et Beaugency, et que d'ailleurs leur


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cimetière ne peut nuire à personne, étant tout proche des murailles de la ville et derrière les maisons. Les catholiques répliquent que bien qu'il ne soit pas question du cimetière dans l'arrêt « sa translation est implicitement sous-entendue, en ce que l'enterrement des morts est une suitte et conséquence de l'exercice public de ladite religion qui est interdit par ledit arrest ». Vu le grand nombre de la R. P. R. si leur cimetière restait dans la ville, « il arriverait que leurs enterrements se feraient en mesme temps que ceulx des catholiques, à la confusion de l'église catholique, etc. »

Le lieutenant-général décide que, pour le cimetière, les parties se pourvoiront au Conseil de Sa Majesté (1). Cependant il ordonne de toiser le temple et le cimetière. Le temple mesure 80 pieds de long sur 40 de large et le cimetière 22 toises 1/2 de long sur 17 de large.

De là on se rend dans le faubourg des Groix, et l'on constate que les maisons s'étendent à droite et à gauche de la rue sur une longueur de trois cents pas. Là-dessus, les ecclésiastiques disent que, dans ces conditions, on ne peut bâtir le temple en ce faubourg « sans incommoder leurs fonctions ecclésiastiques et principallement les processions qui se font très souvent, tant de l'église parroissialle de Mer en celle d'Aulnay, et de celle d'Aulnay en celle de Mer, que des autres processions qui se font tous les premiers dimanches des mois autour des murailles, etc. » Les protestants répliquent qu'on leur choisisse alors un endroit derrière les maisons.

Grymauldet dit que l'arrêt porte en termes exprès que l'endroit sera désigné dans les faubourgs de la ville. Or, comme il n'y a que ce faubourg, il y va choisir incontinent un endroit. Les protestants lui indiquent alors le lieu appelé le Tripot « dans lequel s'est fait autrefois l'exercice

(1) V. Mer et son église réformée, de Félice, p. 58.


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de la dite religion (1) «. Les catholiques disent qu'il vaut mieux aller à l'extrémité du faubourg, par ce que le Tripot est à proximité du chemin et des processions, etc.

A la fin, impatienté, le lieutenant-général choisit luimême une pièce de terre appartenant à Louis Guymet (2) et à Jean Baignoux, notaire, à cause de Marie Guymet, sa femme, contenant un arpent, du censif du sr de Villegomblain, à cause de sa seigneurie du Pont-auxThioins, joignant d'amont à la rue aux Loups, d'aval à Jacques Huetteau ; abutant de galerne à la traite qui va du faubourg des Groix à ladite rue aux Loups, et de solaire sur le chemin du Mardeau. On construira le temple au coin du vent de galerne et d'amont, entre les deux traites, et il sera laissé autour du bâtiment dix pieds pour le tour d'échelle. Cette terre est à cinquante ou soixante pas de la dernière maison de galerne, et à l'extrémité du faubourg du vent d'amont ; de sorte que l'endroit désigné est à six ou sept vingts pas de la rue du faubourg, du côté d'aval, et quatre-vingt-cinq pas du chemin du Mardeau, du côté de solaire.

Les protestants, vu la saison et leur pauvreté, demandent deux ans pour construire le temple, et, en attendant, qu'il leur soit permis de faire l'exercice de leur culte au Tripot, « qui se consiste en une grange et cour ». Malgré les protestations des catholiques, le lieutenant-général leur accorde le Tripot ; seulement il ne leur donne que six mois pour bâtir le temple.

Les anciens du temple étaient Gabriel Bourdon, Gentien Maria, Me Jean Dutens et Jacob Chabin.

(1) « Le premier temple (détruit en 1568) était en dehors des murs

de la ville (peut-être dans le faubourg des Groix) Il faut arriver

à l'année 1600 pour trouver la mention d'un second temple Où

les protestants de Mer s'étaient-ils réunis dans l'intervalle ? Nous l'ignorons. » (Mer et son égl. réf., p. 36). Probablement au Tripot.

(2) V. Mer et son église réformée, de Félice, p. 40, note 4.


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La Municipalité de Blois (1) redoutait les troubles dont les protestants pouvaient être l'occasion, sinon la cause. Le cas, en effet, se présentait assez fréquemment. « L'occasion », il est probable qu'ils le furent, d'abord, plus souvent qu'ils ne l'auraient voulu. Si l'Edit de Nantes était pour les combler de joie, il mécontentait vivement le clergé, et irritait, non pas les catholiques, mais la populace catholique.

Il faut dire que les adeptes des nouvelles doctrines ne se recrutaient point, à Blois, parmi le populaire, mais parmi les bourgeois, marchands et maîtres de métiers, surtout des métiers les plus relevés, les intellectuels de ce temps-là. Le souvenir, non évanoui encore, des grandes guerres, des massacres atroces, laissait dans l'âme des masses le vague sentiment que le calviniste était non .simplement un dissident religieux, mais un ennemi autant politique que confessionnel.

Le dimanche 5 février 1606, Claude Leroy, « homme de bras », rencontrant près le cimetière de Saint-Solenne des protestants qui se rendaient au prêche, se mit à leur jeter des pierres en les injuriant grossièrement. Arrêté et mis en prison sur réquisition du procureur du roi, il est traduit devant le tribunal pour être jugé quelques jours après.

Là, « Josias Barantin, ou nom et comme procureur sindic des habittans de la ville de Bloys, faizans profession de la religion prétendue réformée... dict qu'en la poursuitte par luy faicte contre ledict Roy il a moyen de le faire juger et condampner aux paynes portées par les édictz, mesmes le faire punir par corps, affin de servir d'example aux contravantions qui se font souventes foys par le commung peuple ausditz édictz ; néantmoings parce que

(1) Belt., p. 42.


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l'intantion desditz de la religion ne tand à aultre fin que de vivre en repos soubz l'obéissance de Sa Majesté et n'estre molestez en la liberté de leur religion qui leur est octroyée par lesds édictz, préférans tousiours la douceur à la rigueur, déclare que, estant faict deffances audict Roy, ensemble à Francoys Chaillou, compagnon dudt accuzé, et qui s'est treuvé chargé comme luy par les informations, de plus uzer à l'advenir de semblables voyes de faict et d'iniures pour raison desquelles il est accuzé, consent qu'il soit eslargy desdictes prizons et les partyes renvoyées sans despans attandue sa pauvreté aucunement recongneue et sans tyrer à conséquence envers les aultres. »

Le lundi 25 avril 1622, le lieutenant-général du bailliage de Blois, Jacques de Villoutreis, sur la demande des habitants, accorda la permission de faire un feu de joie, à l'après-souper, pour fêter le succès des armes du Roi sur les rebelles. Il s'agissait probablement de l'affaire du 16 avril où Louis XIII avait taillé en pièces ou plutôt massacré les troupes protestantes de Soubise, retranchées dans l'île de Rié. Il y avait foule sur la place du palais où l'on était en train d'édifier le tas de bourrées, quand, sur les 6 heures, le lieutenant-général arriva, accompagné du sr Delorme, receveur de la ville. Juste à ce moment, une vingtaine de garçons de 12 à 15 ans en pourchassaient un autre à coups de pierre et de bâtons.

En voyant apparaître le magistrat, ils se sauvèrent mais pas assez vite cependant pour que deux d'entre eux ne fussent appréhendés par Delorme. Le battu, interrogé par Villoutreis, lui dit qu'il est protestant et que sa religion est le seul motif qui lui attire ce mauvais traitement. Déjà la veille une centaine de garnements avaient poursuivi de même, à travers tout le Bourgneuf, un pauvre diable qui ne leur avait échappé qu'en se réfugiant au poste de la Porte-Côté. Le lieutenant-général veut faire un exemple.


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Il fait mener chez lui les deux garçons arrêtés et envoie quérir leurs pères. Après une sévère admonestation, il déclare qu'il va faire incarcérer les coupables. Ceux-ci, fondant en larmes, se jettent à ses genoux ; plusieurs personnes de qualité qui se trouvent là sollicitent leur pardon. Le magistrat finit par l'accorder, mais à la condition que les pères les châtieront chez eux.

Apprenant cela, un soldat de garde à la porte du Pont osa critiquer, en termes assez vifs, la conduite du lieutenantgénéral et dit que s'il avait reçu l'ordre de lui mener ses enfants, il ne l'aurait pas fait et qu'il n'aurait jamais voulu les fouetter pour un semblable motif.

Villoutreis, ému de ces propos, dès le matin du lendemain se rend à la porte du Pont. Il voulait, en outre, « pourveoir « à une infinité de plaintes des désordres qui se faisoient « et commettoient ès parroisses les plus proches de ceste « ville, par les soldats du régiment commandé par le « sr vicomte d'Hostel et aultres gens de guerre. » Le soldat de garde de la veille, qui était encore au poste, veut faire l'entendu, et, malgré le magistrat qui lui ordonne à plusieurs reprises de se taire, il se mêle obstinément à l'enquête.

« —Vous parlerez quand je vous interrogerai, dit enfin Villoutreis impatienté. Si je vous parle ainsy, ce n'est pas sans raison.

— Je sçais bien pourquoi vous me dites cela, répond l'homme, c'est parce que j'ay dict hier au soir que je ne vouldrais pas souffrir que mes enffans fussent fouettez.

— C'est donc vous qui tîntes hier au soir des propos séditieux en ce corps de garde ? »

Le soldat baisse la tête. Le lieutenant-général ordonne alors à Charles Roger, l'un des sergents de la porte, de lui enlever son épée et de le conduire à la prison, où il lui fait subir un interrogatoire.


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C'est un savatier, nommé Jehan Cohier, âgé de 40 ans. Il nie à peu près tout, en fort bons termes, du reste. Quand il apprend que ce malheureux est père de six enfants, le magistrat l'élargit.

Les protestants blaisois étaient généralement des gens paisibles, dont la conduite ne pouvait en rien exciter la mauvaise humeur des catholiques. Mais, j'y reviens, à Blois, comme partout, le peuple, extrêmement impressionnable et hors d'état d'apprécier les origines et les causes de la guerre civile, les faisait solidaires des bandes huguenotes qui, tantôt sur un point du territoire, tantôt sur un autre, bataillaient contre les troupes royales.

Le siège de la Rochelle ne pouvait manquer de causer ici une grande effervescence ; tous les premiers mois de 1628 furent troublés. Et lorsqu'on apprit l'arrivée de la formidable flotte envoyée par l'Angleterre au secours des assiégés, des rixes qui dégénéraient en véritables batailles se livrèrent tous les soirs, dans les rues de Blois. L'autorité dut intervenir et le juge de police fit afficher l'ordonnance que voici :

« De par le Roy et Monseigneur Conte de Bloys, Monsieur le Bailly ou Monsieur son lieutenant.

Sur la plainte faicte par plusieurs habitans de ceste ville que tous les soirs, ou quartier de la Grand'Fontaine et du Change s'excitent des noises et querelles, par ung nombre d'enfans et jeunes gens, tant catolicques que de la religion prétendue réformée, qui s'assemblent et tenant les rues en troupes avec basions, s'injurient les uns les autres, se batent et se frapent et y en a quelques uns de blessez et offancez, dont pourroit arriver plus grandes rumeur et sédition s'il n'y estoit pourveu.

Ce requérant le procureur du Roy, deffances sont faites a toutes personnes de quelque estât, qualité, condition, aage et profession de religion qu'il soient de s'assembler


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et tenir les rues avec basions et cordes, de s'attaquer et esmouvoir par parolles picquantes et jnjurieuses, se mal faire ny mal dire les uns aux autres, se batre, fraper ny exéder ; enjoinct aux pères et maistres de retenir leurs enfans et serviteurs et les empescher à l'avenir de commettre tels désordres, à peine du fouet contre les enffans et de punition contre leursds pères et maistres. Et sera la présente ordonnance publiée à son de trompe et coppie affichée au Change et à la Grand'Fontaine. Faict le 15 may 1628.

LECONTE. COURTIN »

Dans les campagnes, les deux confessions vivaient généralement en bonne harmonie. Les excès, d'un côté comme de l'autre, étaient extrêmement rares ; et l'aventure suivante peut être regardée comme une unique exception.

Au matin d'un des premiers jours de février 1637, Jacques Fouassier et Etienne Voisin, vignerons de Mer, passant dans une rue de cette ville, aperçurent en un jardin François Corbie,entrain de faire ses façons : c'était un ami, on entra. Très intrigué de voir un petit endroit en friche, Fouassier en demanda la raison.

— C'est, répond Corbie, que là est enterré le père Belleton (1).

— Bah ! donne-donc un coup de piouche dessus, nous allons le voir.

Corbie s'y refuse, scandalisé.

« Quoy voyant, ilz luy disrent qu'il leur donnast sa piouche et qu'ils le veroient. Et de faict, prirent lad. piouche et d'jcelle ouvrirent lad. fosse et descouvrirent le cercoeur, et après l'avoir descouvert, le rompirent où ils

(1) « Les protestants avaient l'habitude d'enterrer leurs morts soit dans leurs caves, soit dans leurs jardins. » Mer et son église réf., p. 228.


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virent le corps dudict Belleton presque tout consumé. Dont ensuite, trois ou quatre heures après du mesme jour et le lendemain ils s'en sont ventés comme d'une action faicte exprès, en ces termes : Nous avons veu la carcasse du corps de Belleton, et qu'ils avoient levé un esclat de son cercoeur ».

Or, le défunt, Pierre Belleton, qualifié marchand (1), était un protestant considéré dans l'église de Mer. Pourquoi sa sépulture était-elle dans un jardin ? Les religionnaires n'avaient-ils point de cimetière lors de son décès ? En tout cas, rien ne peut excuser l'acte ignoble des deux catholiques. Les fils du défunt, Pierre et Etienne Belleton, les appelèrent en justice, devant les juges de Blois, où, bien qu'assistés de vénérable et discrète personne frère Thomas Ravenel, docteur en théologie de la Faculté de Paris, prieur de Mer, ils présentèrent une piteuse défense. Je n'ai pu trouver le jugement.

Il paraît que dans cette même église de Mer, entre les membres du même troupeau, la concorde ne régnait pas toujours, non plus que la charité évangélique. Dans le courant d'octobre 1657, Michel Dreux, fermier dans la campagne merroise, accusa, en plein consistoire, Gabriel Bourdon, ancien de l'église, de receler les meubles et les grains qu'il évalue à plus de 3.000 livres, volés chez lui récemment par les gens de guerre.

Devant le tribunal Bourdon se défend énergiquement, prétendant que Dreux n'est que l'instrument dont se servent ses ennemis: Etienne Lenoir, Pierre Dutemp la Varanne, Michel Hême, François Rousseau, l'huissier Gentien Maria et le sergent Jacques Rousseau, pour avoir prétexte de le déposer de sa dignité d'ancien. Il ajoute qu'ils sont allés trouver l'abbé de Citeaux (2), à qui appartenait la

(1) Il était, je crois, meunier.

(2) Le Petit-Citeaux, dans la forêt de Marchenoir.


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ferme de Dreux, pour l'engager à le poursuivre aussi, lui, Bourdon, en offrant à l'abbé de faire tous les frais.

Admirons, en passant, ces bons huguenots qui n'hésitent point à frayer, non pas avec un simple papiste, mais avec un moine, et, qui pis est encore, un abbé, c'est-à-dire un des piliers de la moderne Babylone, la grande prostituée. Eh quoi, frayer ! Bien mieux ! Tâcher de le suborner pour en venir à mettre dedans un corréligionnaire, un frère en Calvin !

Le juge demande à Dreux de se rétracter et de reconnaître Bourdon pour homme de bien et d'honneur.

— « Quand il m'aura rendu mes bleds et tout ce qui m'appartient, répond Dreux, je le recongnoistrai pour tout ce qu'il voudra ».

Sur ce, le juge les renvoie dos à dos.

M. Belton (1) nous parle d'un certain Beauvais, dit Le Mercier, convertisseur dont le zèle intempérant, loin d'entretenir la concorde, n'arrivait le plus souvent qu'à susciter des troubles (2). Est-ce à l'intervention de ce personnage qu'il faut attribuer les désordres consignés dans le procès-verbal suivant :

« L'an mil six cent soixante, le 24e may, seroient venues par devers nous plusieurs personnes a nous inconnues de la religion prétendue réformée, a ce qu'ils disoient, se

(1) Belt., p. 43.

(2) Dom Liron, dans sa Bibliot. génle des Auteurs Chartrains, 1719 (v° PAPIN), appelle ce personnage de Beaumais : « Ecrit du sr Papin, receveur général du domaine de Blois, ancien de la religion prétendue reformée en ladite ville et député au synode de Loudun, tenu l'an 1659; ensuite de la conférence qu'il eut chez Monsieur Droüillon de la Morigonnerie avec le sieur de Beaumais, dit le Mercier, en présence de plusieurs personnes des plus qualifiées de la ville de Blois. Cet écrit fut imprimé à Blois, chez François de la Saugère, l'an 1660, avec la réponse du sr de Beaumais. »


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pleignant de ce que, cette nuit, plusieurs personnes attroupées auraient de force et violence rompu et brisé quantité de barres de fer de la porte de leur temple, cassé les vitres, emporté des tapis et déchiré les bibles et autres meubles qu'ils avoient, et que, si ne venions promptement, il arriverait sédition ; ce qui nous auroit obligé, nous, consr du Roy et lieutenant général criminel des bailliage, présidial et gouvert de Bloys, de nous transporter viste aud. lieu où leur temple est, sans greffier, attendu que la matière requérait prompte célérité, assisté seulement de nostre laquais et des nommés Guimont, Petit, et la femme de Grimaut, tous trois de la Religion prétendue réformée. Où estant aurions en effect veu et remarqué grand désordre fait aud. lieu; premièrement, la couverture rompue d'jceluy temple, en quelques endroits, les vitres cassées, les livres déchirés et des feilles d'jceux espars ça et là, six barres de fer de porte rompues, les autres forcées, lesd. portes toutes ouvertes, les serrures aussy rompues à aller du cimetière au temple, et celle de derrière la chaire, plusieurs pierres dans led. temple qui y ont esté jettées, comme aussy un tapys, que l'on disoit avoir esté emporté ladite nuit et qui a esté jetté en un jardin proche de là, une boiste des ausmones aussy qui estoit de manque. Dont et de tout ce que dessus avons dressé le présent procès-verbal pour servir et valoir ce que de raison en temps et lieu ; et ordonné qu'il sera communiqué au procr du Roy, pour avoir, à sa diligence, révélation des faits cy dessus, bris, fractures et vols de nuit, attendu la matière pressante, et pour éviter la sédition populaire; lequel [procès]-verbal avons fait insérer au greffe criminel de ce siège, pour y avoir recours quand besoing sera.

M. DE VANÇAY. Soit montré.


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Je requiers pr le Roy estre plus amplement informé du contenu au procès-verbal cy-dessus et m'estre permis à cette fin d'user de quérimonie. A Blois, le xxiiije may 1660.

BAUDRY.

Permis d'informer et d'user de quérimonie. Fait à Blois,

ce 24e de may 1660.

M. DE VANCAY. »

Suit l'ordonnance du lieutenant-général, du même jour : « De par le Roy, de l'ordonnance de Monsieur le Bailly de Blois ou Monsieur son lieutenant.

Sur ce qui nous a esté remonstré par ceux de la relligion prétendue réformée de cette ville qu'au préjudice des ordonnances du roy rendues en leur faveur et particullièrement de l'eddict de pacification par lequel il est permis a tous les subjectz de Sa Majesté de professer ouvertement et librement lad. relligion ; Et encore par une contravention aux deffences par nous nouvellement rendues, plusieurs gens mal affectionnez et a eux incongneuz, s'attroupent journellement pour les jncommoder en leur temple, jetter des pierres en jcelluy et mesme la nuict dernière un grand nombre sont montez par dessus les murailles, ont rompu, brisé et enlevé les barres et serreures qui servoient de fermeture a toutes les portes, tant dud. temple que cimetière, entré dans jcelluy temple, deschiré les livres qui y estoient, emporté les tapiz de table et de cheze, rompu les vitres et ardoises de la couverture, lesquelz désordres et voyes de faict ne sont que pour exciter sédition, requéraient y estre pourveu en attendant qu'ilz puissent avoir lumière de ceux qui les ont commis ;

Nous, ouy et requérant le procureur du roy en ce comté et bailliage, avons faict très expresses et jtératives jnliibitions et deffences a touttes sortes de personnes soubz quelque pretexte que ce soit de troubler et empescher ceux de


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la dicte Relligion de cette ville dans les exercices publiez d'jcelle qui leur sont accordez par l'édict de Nantes, de jetter des pierres dans et sur leur temple, d'y entrer, rompre et faire dommages aux portes et murailles d'jcelluy et du cimetière, à peine d'estre déclarez refractaires aux édictz et ordonnances et perturbateurs du repos publicq et d'estre procéddé extraordinairement contre les coupables. Et enjoinct à tous pères et mères de retenir leurs enffans et faire en sorte que par eux directement ou jndirectement il ne soit contrevenu à la présente ordonnance qui sera imprimée et affichée, leue et publiée partout ou besoing sera et exécuttée nonobstant oppositions ou appellations quelconques et sans préjudice d'jcelle. Faict à Blois et donné de nous, René Grymauldet, escr, sr de la Croiserie, consr du Roy en ses conseils, lieutenant général du bailliage et gouvernement de Blois, commre et exécuteur et l'édict de pacification le xxiiije may 1660. »

GRYMAULDET. BAUDRY. »

Si dans les incidents que nous venons de voir, les protestants sont « l'occasion », plus ou moins involontaire, de troubles, il n'est peut-être pas téméraire de les considérer comme « la cause », dans le fait qui suit :

« L'an mil six cens quarante-cinq, le deuxiesme jour de janvier, Par devant nous Mathurin Picard, conser du Roy et de Monseigneur le duc d'Orléans, comte de Blois, juge et magistrat au baill. et siège présidial de Blois, sont comparuz en nostre hostel, Nicolas Moisy, Jean Brillon et Daniel Dupin, marchands jurez drappiers de cette ville, lesquels nous ont dict et remonstré que de tout temps et de coustume immémoriale, le corps des marchands drappiers de cette ville et faulxbourgs gardent et solemnisent la feste de sainte Avoye, ainsy que les autres, festes commandées par l'Eglise, et faict ledict jour de sainte Avoye


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faire et dire le service divin accoustumé ; en conséquence de quoy les marchands dud. corps sont objez (1) comme aux autres festes commandées de tenir leurs bouticques fermées le jour auquel eschet la feste de la dicte saincte Avoye, pour témoignage du respect et de l'honneur qu'ils luy doivent comme leur patronne et protectrice. Au préjudice de quoy, lesd. marchands jurez ayans eu advis que les marchands dud. corps de la religion prétendue réformée avoient, au grand mespris de lad. feste cejourd'huy arrivée, leurs bouticques touttes ouvertes, se seraient lesd. jurez adressez vers eux et les auraient par plusieurs fois requis de fermer leurs bouctiques comme faisans membres de leur corps, et par consequant objez à l'observance de la coustume et status d'jceluy ; à quoy lesd. marchands de la rel. prét. réf. ayans reffuzé de satisfaire, auroient lesd. jurez esté contraincts de nous venir faire leurs remonstrances, et présenter leurs plaintes, nous requérant y vouloir pourvoir et en ce' faisant, nous transporter en la grande rue de cette ville où demeurent lesd. marchands de la rel. prét, réf., pour, là estant, ordonner sur leurs plaintes et remonstrances ce que nous adviserions bon estre. A quoy inclinant, sommes, à la requeste desd. marchands jurez, transporté en lad. grande rue, assisté de Louis Crouin et Nicolas Gallet, deux de nos huissiers, où estans en présence desd. mes jurez marchands, ayant trouvé les bouticques des nommez Avice, Chartier, la veufve Girard, Beschardière et Baignoux, tous marchands de lade religion prétendue réformée, touttes ouvertes, et leurs marchandises exposées en vente et estallées sur leursd. bouticques, Nous les avons enquis pourquoy, au préjudice des status de leurd. corps, ils avoient leurs bouticques ouvertes et ne gardoient ce jourd'huy, comtne les autres marchands de leur corps, lad.

(1) Obligés.


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feste de sainte Avoye. Et nous ayant tous lesd. marchands de lad. rel. prêt. réf. faict responce qu'ils n'estoient pas catholicques, par conséquant pas objez de garder lad. feste, mais seullement les marchands drappiers catholicques, nous leurs avons enjoinct, ayant esgard au service divin qui alloit estre cellébré pour le corps desd. marchands drappiers en l'église des Pères Jacobins de cette ville et pour éviter scandalle, de fermer présentement leurs bouticques. Sur laquelle injonction nous aiant respondu qu'ils l'alloient faire, non pour le respect de lad. feste mais pour le nostre et pour satisfaire à l'injonction que nous leur en faissions, Nous, attendu le mespris faict par les susds marchands de lad. religion prétendue réformée de lad. feste et de leur contravention aux status de leurs corps, Avons jceux marchands condamnez en chacun vingt sols d'amende, payable par prison, saisie et exécution de leurs biens avec injonctions que nous leurs avons faictes de tenir à l'advenir aux festes leursdittes bouticques fermées, mesmes à celles de sainte Avoye, chacun an à tel jour et mois qu'elle escherra, soubs plus grande paine, le tout nonobstant oppositions ou appellations quelconques et sans préjudice d'jcelle. Et commis pour nostre greffier pour ce que dessus de la personne dud. Crouin qui a faict le serment au cas requis.

N. MOISY. BRILLON.

PICARD. CROUIN. GALLET.

Ne crions point à l'intolérance : en 1645, le mot était à peine connu et la disposition d'esprit qu'il indique l'était peut-être encore moins. D'ailleurs, les jurés drapiers ne se montrent point ici intolérants. Où ils le seraient, c'est s'ils exigeaient que les réformés assistassent à l'office de sainte Avoye, comme ils l'auraient pu faire, puisque c'était un article de leurs statuts. Mais ils se bornent à protester


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contre l'ouverture des boutiques, faite un jour férié, contrairement aux prescriptions desdits statuts. Ils se plaignent d'un manquement aux lois de la corporation, et aussi, — car il n'est pas défendu de croire que « le respect et l'honneur » de leur sainte patronne n'était pas le seul mobile qui les poussait — de concurrence déloyale, ni plus ni moins. Notons aussi que la réponse assez aigre des réformés n'était point pour disposer en leur faveur le juge qui, pourtant, s'est montré bénin en les condamnant seulement à vingt sols d'amende.

On avait appelé l'Edit de Nantes édit de pacification, et c'était avec raison. Par contre, on pourrait dire, que celui qui le révoqua fut un édit de guerre et de haine, sinon d'intention, au moins de fait. On verra tout à l'heure quel ignoble système de délations et de persécutions il inaugura; pour l'instant, je me tiens où je suis, c'est-à-dire aux métiers jurés. Les maîtres catholiques, pour la plupart, voyant que l'édit établissait en leur faveur le monopole, se montrèrent, alors, d'une absolue intolérance et s'acharnèrent à expulser les maîtres suspects de protestantisme.

Le 5 décembre 1689, Benjamin Baignoux, jeune homme appartenant à l'une des plus considérables familles du Blaisois, demande à faire chef-d'oeuvre pour être reçu maître-orfèvre. Les jurés s'y opposent en alléguant plusieurs raisons, plus ou moins fondées, tirées des statuts de de la communauté. Mais leur grand argument, celui sur lequel ils font le plus de fond pour l'exclure, c'est que « estant né dans la relligion prétendue reformée, il doibt encore justiffier s'il a faict abjuration, et s'il a faict ses Pasques dans l'églize de sa paroisse ; faute de quoy, quand il n'y aurait que ces moyens, il ne peut pas espérer d'entrer dans la maistrise d'orphèvre. »

Baignoux réfute toutes leurs objections, et, sur le dernier point, il répond : « Pour ce qui est de l'abjuration,


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elle est notoire, l'ayant faict en cette ville en la paroisse St-Solemne, qu'il offre rapporter ; et pour le certificat de ses Pasques, ce n'est point leurs intérests » (1).

Il ne faudrait pas trop s'indigner des prétentions des maîtres orfèvres ; en 1689, ils ne permettaient à un ouvrier de gagner sa vie qu'à la condition qu'il eût fait ses Pâques ; en 1902, c'est le contraire qu'ils exigeraient. D'où je conclus que, pour apprécier équitablement ces gens-là et leurs actes, il convient de se reporter à l'époque où ils vivaient, et de faire la part des coutumes et des moeurs qui étaient, probablement, ce qu'elles pouvaient être.

S'il y eut jamais un homme bon, humain, généreux, ce fut assurément messire Jacques Moüe, qui fut curé de Saint-Victor pendant cinquante-quatre ans, et qui légua toute sa fortune à des oeuvres charitables, notamment à l'hôpital de Blois. Or, le 13 octobre 1663, il porte plainte contre un de ses paroissiens, Pierre Toucherait. Celui-ci convient que le jour de N.-D. de septembre, étant obligé d'aller au moulin, il avait fait son méteil, en mélangeant six ou sept boisseaux d'orge avec du blé ; mais c'était après le service divin et il ne causa aucun scandale. Le curé réplique que Toucheron est de la religion prétendue réformée, que tout le monde l'a vu opérer, et qu'au surplus « il est relaps dans les faits de sa requeste » (2). Je ne sais comment le juge se prononça.

Les processions solennelles, réglementées par la police, devaient, plus encore que les fêtes patronales, amener de fréquents conflits entre les catholiques et les protestants, qui traitaient le Saint-Sacrement d' « idolle » (3).

Le 30 juin 1648, les échevins de la ville de Blois assignent devant le tribunal Suzanne Poulin, veuve Jacques

(1) Arch. L.-et-Ch., B, Baill. de Blois, an. 1689.

(2) Arch. L.-et-Ch., B, Baill. de Blois, an. 1663.

(3) Belt., p. 79.


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Cordier, et Marie Gousset, veuve Paul Girard (1). « Les deffanderesses ont dit qu'elles n'ont aucune cognoissance de l'estat auquel estoient les draps tandus devant leurs maisons ny lorsqu'ilz y ont esté mis, ny quand ilz en ont esté ostez, et encore moings des prétenduz coupures et desgatz que les demandeurs disent y avoir esté faites, et sont prestes à s'en purger par serment, et n'y avoir contribué directement ou indirectement ; ou contraire (2) ont, par ung soing purement pollitique, envoyé leurs enffans et domestiques les jours dont est question hors leurs maisons, avant lesdites tantures, de crainte qu'ilz donnassent occasion, par quelque légèreté de jeunesse, à aucun scandale durant la cérémonie. Et à ce moyen, et joint les termes exprès du troise des articles particuliers de l'Esdit de Nantes qui oblige les officiers des lieux, par leur auctorité, au soing desdites tantures, sans que ceux de la religion qu'elles professent puissent estre obligez à aucune autre chose qu'à souffrir ladite tanture devant leurs maisons il n'y a pas lieu, sauf correction, de leur faire procès sur ce subject qui n'en est qu'une deppendance, ny moings encore à leur vouloir imposer pour l'advenir les soings de ladite tanture, puisque c'est non seullement contre le respect deub à l'auctorité dudit Esdit, mais encore d'une périlleuse conséquence, pour ce que ceux de ladite religion estans plus particulièrement obligez de se tenir esdits jours renfermez et en modestie, à cause que le reste du peuple est en l'émotion d'une particulière dévoltion contraire à leur croyance, s'ils estoient contrainctz de veiller à la conservation des tantures, oultre que ce soing seroit contraire à leur conscience, leurs actions pouroient estre mal interprétées ou par zèle contre leur religion ou par

(1) Belt., p. 69 et passim.

(2) Au contraire.


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aversion contre leurs personnes, dont les inconvéniens ne sont pas moindres que d'une rumeur populaire, judicieusement préveue par l'Esdit pour entretenir la paix entre les peuples; Et, à ce moyen, requièrent estre renvoyées, etc. » (1).

Je n'ai pu trouver la décision du juge.

D'après l'Ordonnance, tous les maîtres de métiers devaient assister à la procession du Saint-Sacrement, portant des cierges et des flambeaux. Les maîtres protestants n'y assistent point, naturellement, mais ils ne songent point à manifester contre elle. Si leurs grands pères avaient jadis embrassé les doctrines de Calvin avec une ardente conviction, la plupart d'entre eux ne demeuraient Calvinistes que par habitude, par héritage, et peut-être aussi, un peu, par genre, pour se distinguer du commun. Au fond, ils sont aussi peu protestants que catholiques ; ils ne fréquentent guère plus le temple que l'église, et ne se soucient point d'accepter des charges dans le consistoire, laissant les fonctions et les dignités à une douzaine de bourgeois zélés. C'est ce que Bossuet appelait alors des incrédules, La Bruyère des esprits forts, et que Veuillot eut naguère appelé Ses libres penseurs.

Le pis, c'est que leur exemple devient contagieux : les maîtres catholiques finissent par montrer fort peu d'empressement à figurer aux processions. A celle de 1673, les corporations tout entières des chirurgiens, des apothicaires, des drapiers, presque toute celle des tonneliers, et trentre-deux maîtres d'autres corps faisaient défaut. Ce fut un énorme scandale.Tous les délinquants se virent condamner « à trois livres d'amende vers Sa Majesté, et pareille somme applicable au proffit des pauvres de l'hospital général », sauf huit d'entre eux « dont nous avons restreint

(1) Arch. L.-et-Ch., B, Baill. de Blois, an. 1648.


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l'amende et l'aumône à la moitié, comme estans des mestiers moins considérables que les autres cy-dessus. » De plus, le maître menuisier Habert, qui avait refusé d'obéir à l'ordre du lieutenant particulier lui enjoignant « de porter le baston de son mestier à la teste de son corps », est condamné aussi en six l. d'amende.

Mais, après la Révocation, le juge se montra beaucoup plus sévère. Les catholiques, devenus prudents, jugèrent à propos de ne pas persévérer dans ces velléités d'indépendance ; il n'y eut que quelques « nouveaux convertis » qui regimbèrent ; on ne les ménagea pas.

Le 10 juin 1689, le procureur du roi expose au tribunal, que, malgré l'ordonnance portant injonction « à tous les maîtres des arts et métiers de cette ville de se trouver le jour d'hier à la procession du Saint-Sacrement avec des cierges et flambeaux, comme il s'est de tout temps pratiqué, les nommés Ledet, chandelier, Fillonnière, drapier (1), Isaac Garnier, droguiste, Gousset et Texier, orfèvres, Viet, Chartier, dit Chaumarque et Girard, orlogeurs, Benjamin Grimault, Pierre Grimault et Eusice Bruère, sergettiers, et Paul Guimont, cordonnier, tous nouveaux convertis, sauf ledit Ledet, ne s'y sont point trouvés et n'ont point donné d'excuse ». Il requiert 30 l. d'amende contre chacun d'eux.

Fillonnière et Garnier sont condamnés en chacun 20 l., Gousset, Viet et Chartier, 15 l., Texier et Girard, 10 1., Guimont et Ledet, 6 1., les deux Grimault et Bruère, 3 l., et enjoint d'assister à la procession, sous peine d'interdiction de la maîtrise.

Le 18 juin 1692, pour les mêmes motifs, le procureur du roi requiert contre Charles Dufour, Isaac Gribelin, Nicolas Texier, Pierre Gousset, orfèvres, Garnier, dro(1)

dro(1) p. 69.


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guiste, Viet, Chartier, Girard, orlogeurs, Fillonnière, drapier, Pierre Grimault, Benjamin Grimault, Bruère, sergiers, Athon, tailleur d'habits, qui n'ont point assisté à la procession cette année, et plusieurs d'entre eux les années précédentes Le procureur signale, en outre, deux maisons qui, le jeudi de l'octave, n'avaient point été tendues par les propriétaires, l'une au carroy du Puits-duQuartier, appartenant aux chapelains de Saint-Sauveur (!), et l'autre à la veuve Bordier. Les chapelains et la veuve sont condamnés en 6 l. d'amende, les deux Grimault et Bruère, 6 l., Athon, 3 l., et tous les autres, 10 l.

Ces nouveaux convertis-là, évidemment, étaient restés huguenots de coeur et n'avaient abjuré que pour n'être pas contraints de s'expatrier.

La foi qui n'agit pas, est-ce une foi sincère ?

Un point intéressant que je n'ai vu signalé nulle part, c'est que, aussitôt la reprise de Blois par les catholiques sur les protestants, le 11 juillet 1562 (1), la plupart des enfants de ceux-ci, peut-être tous, furent rebaptisés à l'église catholique. Abraham Vauquer, un des ancêtres de la dynastie d'orfèvres-graveurs et peintres en émail de ce nom, qui s'illustra sous le règne de Louis XIV, est dans ce cas. Il avait huit mois lorsque, le 3 août 1562, on l'apporta à l'église Saint-Honoré pour lui administer un nouveau baptême.

Après la révocation de l'Edit de Nantes, la justice, déclarant illégitimes les mariages des protestants convertis, leur ordonna de les faire valider par l'autorité ecclésiastique. Je ne sais si cette mesure fut générale; mais elle était strictement observée par le bailli de Menars.

(1) Henri Martin (Hist. de France) dit le 4 juillet.


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« Du treize août 1700.

« Le procureur de Mgr demandeur, etc., contre Jacques Moreau, de Saint-Mars, Etienne Marchand, Claude Piger, de Menars-la-Ville ; Jacques Lemaire, d'Aunay ; Daniel Mariete, dud. lieu, tous nouveaux catholiques, appelez pour veoir déclarer leurs prétendus mariages nuls et clandestins, deffendeurs par Thibault. Et encore contre Deffontaine et Judit Hême, le sr Etienne Roger et Elizabeth Billoreau ; Feron, chapelier et Suzanne Billoreau ; Jacques Archenault, le jeune, et Suzanne Bruère ; Samuel Bruère, le jeune, et Magdeleine Cosson, tous nouveaux catholiques, assinez aux mêmes fins, deffendeurs par Lardier. Nous ordonnons, avant de faire droit, que les deffendeurs se retireront devant Monseigneur l'Evesque de Blois pour estre réhabilitez dans leurs prétendus mariages en raportant un certifficat de monseigneur, dans quinzaine. »

« Du sept septembre 1700.

« Le procureur de Mgr demandeur, contre des Fontaines, Féron, Roger et Bruère, deffendeurs par Lardier ; et Jacques Moreau, Estienne Marchand, Claude Piger, Jacques Lemaire et Daniel Mariete deffendeurs par Thibault. Nous, partyes ouïes, à faute de, par les deffendeurs, avoir satisfait à nostre apointement du treize aoust dernier, de s'estre retirez vers Monseigneur l'évesque de Blois pour rapporter un certifficat de la réabilitation de leurs mariages, en conséquence, lesavons séparez d'avec leurs femmes et deffences à eux d'y habiter a peine de trois cents livres d'amende contre chacun du contrevenans, et de satisfaire par eux entièrement à la déclaration du Roy des mois de mars et juin derniers et que pour la validité ou jnvalidité de leur mariage, ordonnons qu'ils se retireront devant mondit seigneur l'évesque ; ce qui s'exécutera, etc. ».

Je ne sais si tous les « contrevenans » finirent par se


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soumettre ; mais ce qui est certain, c'est que, lorsque le régime des persécutions fut passé, beaucoup d'entre eux, ou du moins leurs enfants, retournèrent à la Réforme. Parmi les protestants qui, en 1778, adressent requête au même bailli de Menars pour faire enterrer leurs parents, je relève le nom de Pierre-Samuel Bruère, marchand à Mer, fils d'un des « nouveaux catholiques » de 1700 (1).

De par l'édit du 22 octobre 1685, les protestants qui n'abjurent pas sont emprisonnés (2) et leurs biens saisis. Beaucoup prennent le chemin de l'exil ; pour ceux-là, s'ils sont arrêtés, ce n'est pas la prison, mais les galères, et les galères à perpétuité (3).

Le 8 octobre 1698, Samuel Girault et Marie Patté, sa femme, laboureurs, accompagnés de Marie Coulmeux et Anne Coulmeux, âgée de neuf ans, tous du village de Roche, près Marchenoir, sont arrêtés à Lille, au moment où ils se préparent à franchir la frontière. Mis en prison, ils abjurent entre les mains du jésuite Hyérosme Leduc. Ils n'en sont pas moins condamnés, le 29 novembre, par arrêt du Parlement de Tournay, « Samuel Girault aux galères à perpétuité, Marie Patte à être rasée et recluse pour le reste de ses jours dans l'hospital général le plus proche du lieu de sa résidence, leurs biens acquis et confisquez au proffit de Sa Majesté ». Marie Coulmeux, mise en liberté, retournera dans le lieu de sa résidence, pour y vivre comme les autres sujets de Sa Majesté de la religion catholique, apostolique et romaine. Anne Coulmeux sera mise dans l'hôpital général le plus proche du village de Roche, pour être élevée et instruite en un métier convenable à son état (4).

(1) Arch. L.-et-Ch., B, Justice de Menars.

(2) Belt., pp. 03, 72, 74.

(3) Edits du 31 mai 1685 et du 7 mai 1686. Mer et son égl. réf., p. 170.

(4) Mes archives.


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Pauvres martyrs ! Et ils avaient abjuré ! Peut-on imaginer justice aussi monstrueuse, sentence aussi atroce !

Ne crions pas; c'était la loi. — Et, aujourd'hui que nous assistons à la revanche de la Révocation, nous savons de reste qu'un despote n'est jamais en peine de trouver des lois qui justifient son despotisme : il n'a qu'à les faire.

Presque tous nos protestants blaisois qui émigrèrent allèrent en Hollande ; Blois avait de nombreuses et fréquentes relations commerciales avec ce pays (1), et cette affluence d'émigrés ne les ralentit pas, au contraire. Ceuxci y trouvaient un moyen tout naturel de correspondre avec les parents, les amis restés au pays, pas plus catholiques romains qu'eux, quoique nouveaux convertis.

Le dimanche 9 janvier 1689, à neuf heures du matin, le procureur du roi va trouver le lieutenant-général Jacques Belot, et lui apprend qu'un hollandais, caché dans le château, a de fréquentes communications avec les nouveaux convertis de la ville. Sans différer, tous deux se rendent sur les lieux.

— Quels gens logez-vous au château ? demandent-ils au concierge, Jean Gournay, qui les reçoit à la porte.

— Personne.

— Personne ? dit le lieutenant-général ; je suis sûr qu'un quidam hollandais loge ici, et si vous ne me le représentez pas, je vous fais arrêter sur l'heure.

Gournay, tout penaud, convient qu'en effet, depuis huit jours, il loge un de ses amis nommé Raffort.

On entre en la chambre du concierge qui ouvre sous le porche et l'on voit sur la table où la nappe est mise, une

(1) Au XVIIe siècle, les Hollandais, comme les Anglais, venaient à Blois pour y apprendre la langue française. En 1660, il y avait, dans cette ville, au moins deux interprètes pour la langue hollandaise : Simon Fesneau et Henry Anqueulle.


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pinte de vin avec trois verres, plus, assis dans un coin, le sr Ferrand, jardinier des jardins bas. Interrogé par les magistrats, celui-ci dit qu'un homme à lui inconnu, qui buvait avec eux, s'est sauvé par un escalier dérobé sitôt qu'il les aperçut. Gournay finit par avouer que ce Raffort est là depuis quinze jours : sa femme, survenant, dit trois semaines et ajoute qu'on lui a donné une chambre à lui et à la vieille domestique qui l'accompagne.

Interrogée à son tour, la domestique répond que son maître l'a prise à Orléans, il y a environ trois semaines; qu'à son arrivée à Blois, il a acheté du vin qu'elle débite pour lui.

Toutes ces dépositions ne sont pas pour dissiper les soupçons du lieutenant-général ; de nouveau il intime à Gournay l'ordre de lui amener ledit Raffort.

A ce moment arrivent le sieur Alexandre Richard de la Grandmaison, fourrier des logis de la maison du roi, et Prosper Gallois ; ils annoncent que, passant dans les fossés ils viennent d'y trouver gisant un inconnu qui leur a dit s'être précipité d'une fenêtre du château, en les priant de le sauver. Aussitôt Belot fait appeler son greffier et un huissier, et descend avec eux dans le fossé.

Un homme est là, étendu par terre, qui lui dit s'appeler Gilbert de Racphorst, chevau-léger de la garde du roi, « n'avoir que des méchantes raisons à lui dire, et qu'il apréhende des décrets. » C'est le quidam hollandais ; comme il est blessé, on le transporte dans sa chambre où on le fouille. On trouve dans ses poches onze louis et des papiers, entre autres le certificat de son abjuration du 3 avril 1681 et des lettres de naturalité délivrées en 1685 à Gilbert van Racphorst, sieur de Boisblanc. La domestique finit par avouer qu'il y a quinze ans qu'elle le sert, et un mois qu'ils sont à Blois ; ils ont demeuré neuf ou dix ans à Paris, trois ou quatre ans à Billancourt, près de Sèvres,


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où la femme de Racphorst demeure encore. Il l'a quittée et s'est sauvé à Blois pour échapper à la justice, ayant blessé en duel un de ses amis. La domestique dit ne rien savoir de ses fréquentations à Blois, vu qu'elle est occupée toute la journée à vendre du vin.

Ces explications semblent louches aux magistrats qui ne croient point à l'histoire du duel. Mais je n'ai pas pu savoir ce qu'ils firent de Racphorst.

Pourtant, il est juste de dire que sa présence à Blois n'avait rien d'extraordinaire. S'il était d'origine hollandaise, son père avait jadis habité Blois (1), et sa mère, Marie de Mallerac, était fille d'un huissier de Blois.

Je pourrais allonger de plus de cinquante noms la liste donnée par M. Belton des spoliations dont furent victimes, de 1690 à 1716, les protestants blaisois émigrés, et aussi, hélas ! la liste des spoliateurs, ou tout au moins des délateurs intéressés. Je me bornerai à citer les plus marquants.

Pierre de Cosne, écuyer, sieur du Mesnil, en la paroisse de Verdes. C'est un de ceux qui partirent les premiers.

Damoiselle Louise de Meaussé, fille de messire Louis de Meaussé, chevalier, seigneur de la Rainville et de dame Elisabeth Bigot. Ses soeurs, dame Suzanne de Meaussé, femme de Jean de Blondelot, et damoiselle Anne-Marguerite de Meaussé, réclament ses biens qui leur sont accordés le 7 juin 1693.

René de l'Estang, écuyer. Sa soeur, Catherine de l'Estang, femme de Jacques Bigot, chevalier, seigneur de la Rainville, réclame ses terres de Villevesque, le Moureau, Villandry, Chauguérin et Molaville, toutes en Dunois, et les obtient le 5 mars 1694.

(1) On l'y appelait Gilbert Raffort, ou Varafort, mais il signait Glysbert van Racphorst; vers 1655, il était établi marchand à Calais.


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Damoiselle Elisabeth du Voisin, fille de messire Daniel du Voisin, chevalier, seigneur de Vittanval et de dame Marie de Courcillon. Sa soeur, Louise du Voisin, veuve de messire Jean Legrand, chevalier, seigneur du Petit-Bosc, réclame sa terre de Brétigny en Dunois; elle lui est accordée le 7 juin 1692.

Elle était partie avec messire Jean Guischard, chevalier, marquis du Perray et sa femme, dame Catherine de Courcillon, dont les seigneuries du Tertre et du Breuil, en la paroisse de Lignières, furent mises en séquestre.

Dame Marie Bazin, veuve de Samuel Bothereau, écuyer, sieur d'Aulnière, et son fils Théodore Bothereau. Ses gendres, messire Jacques du Vignau, chevalier, seigneur des Vories, et messire Jean-Charles de Forge, chevalier, seigneur de Germinon, capitaine de cavalerie, réclament leurs biens, et les obtiennent le 15 mai 1693.

Dame Anne de Monginot, veuve de messire DavidLouis du Plessis, chevalier, seigneur de la Perrine. Son frère, François de Monginot, écuyer, sieur du Griffay, capitaine, commandant un bataillon du régiment du Maine, réclame ses biens et les obtient le 30 décembre 1693.

Simon Cuper et Anne Cuper, femme de N. Bidon, enfants de Simon Cuper, « maistre orlogeur », et de Anne Chartier, réclament les biens de leurs frères, Pierre et Abel, « sortis du royaume pour le fait de la religion », et les obtiennent le 2 novembre 1692.

Les damoiselles Pain de la Pommarinais, et leur oncle, le sieur Baignoux, ministre de la R. P. R. Leurs maisons, contigües, mises en séquestre, sont expropriées pour la construction du palais épiscopal de Blois. Le 9 mars 1694, il est nommé deux experts pour en estimer la valeur.

Enfin, il est encore un nom que je ne puis passer sous silence, un nom qu'on est douloureusement surpris de rencontrer à cette place, celui de Papin. La transcription


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que je fais ici d'un document authentique, pourrait me dispenser de tout commentaire. « Du vingt uniesme février 1690.

A Monsieur, Monsieur le lieutenant-général des bailliage et gouvernement de Blois.

« Suplie et vous remontre humblement Isaac Papin, sieur des Coudrais, cy devant prestre de l'églize Anglicanne, fils et héritier de Mre Isaac Papin, vivant sieur des Coudrais, consr du roy, receveur du domaine de ce comté de Blois et de Madeleine Pajon, ses père et mère, qu'ayant ci devant exersé. le ministerre de la religion prestendue reformée dans laquelle il est nay, tant en Engleterre, Hollande, Allemagne qu'autres provinces, en ayant reconnu les erreurs, il est repassé en ce royaume où jl a fait abjuration de la ditte religion et autres exercices de Calvin entre les mains de Monsieur l'Evesque d'Ameaux (1), ainsy qu'il apert par son certificat du quinziesme janvier dernier cy attaché. Et comme il est venu en cette ville pour y faire sa demeure actuelle et dessirant se mettre en pocession des biens qui luy sont escheus de la succession de son père et par le dellais que sa mère luy en a fait et à ses soeurs dont les partages ont esté faits entre elles et le sieur Henry Dufourg, fondé de sa procuration devant Malescot, notre, les 15 octobre et 4 novembre 1685, il a besoin de vostre permission.

« Et d'autant que Marie, Margueritte, Madeleine et Jeanne Papin, ses soeurs, se sont retirées hors le royaume au mespris des déclarations de Sa Majesté par son Edit du mois de décembre dernier, registre en parlement le neuf dud. mois et en ce siège le sept janvier dernier, a ordonné que

(1) De Meaux, Bossuet. Il est superflu de dire que le certificat signé de Bossuet n'est plus « cy attaché. »


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les biens dellaissez par ceux de la religion prestendue réformée qui sont sortis ors de son royaume appartiendront à leurs plus proches parents; qu'elles ont laissé et leur appartient le lieu des Coudrais, paroisse de Chitenay et autres biens qu'ils ont partagez ensemble par les actes susdattez et qui ont esté donnez en mariage à la ditte Marie Papin avec le sieur Louis Scoffier, par acte passé devant led. Malescot, notre, le 19 mars 1677, et qu'elles n'ont point de plus proche parant que le supliant qui est leur frère, auquel appartient leurs biens suivant ledit esdit. »

Suit l'énumération des biens qui appartiennent à lui et à ses soeurs: La closerie des Coudrais, à Chitenay (1); le tiers de la métairie de Lejumeau, la moitié d'une maison de la rue Porte-Chartraine, 20 livres de rente rachetable de 400, une maison en Vienne près le petit arrivoy, 25 livres de rente rachetable de 500, 25 autres livres de rente rachetable de 500, 25 autres livres de rente rachetable de 500, une maison sise à Mer, dans laquelle demeure la dame Depuysiers et toutes les sommes de deniers et effets mobiliers.

« Veu la requeste cy dessus, l'acte d'abjuration fait par led. sr Papin et Jeanne Viaud (2), sa femme, entre les mains du sr Evesque de Meaux, en l'église des Pères de l'Oratoire de la rue Saint-Honoré, à Paris, le xbe janvier dernier » Accordé.

C'est une impression des plus pénibles, c'est de l'écoeurement qu'on éprouve à voir un homme de valeur descendre assez bas pour se faire le délateur de ses soeurs, à seule fin de s'emparer de leurs biens. L'acte est tellement ignomineux, qu'on est forcé de se demander si vraiment le mobile qui le dicta est bien tel qu'il n'aurait pu naître que

(1) Isaac Papin vendit la closerie des Coudrais le 8 janvier 1700 à Charles Bezard, me chirurgien à Chitenay.

(2) C'est : Jeanne Viard.


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dans le cerveau du plus vil coquin, et si, au contraire, Isaac Papin n'avait pas le louable dessein, en revendiquant l'héritage de ses soeur?, de le leur conserver, sous le couvert d'une possession fictive, empêchant ainsi qu'il ne fut dispersé à l'enchère publique.

Viendrai-je, moi millième, apprécier la révocation de l'Édit de Nantes ? Je ne suis certes pas de ceux qui l'approuvent et qui, dans un esprit de scepticisme académique, seraient tentés de qualifier les dragonnades d' « opération de police » un peu rude. Mais, malgré moi, il me vient à l'esprit le souvenir d'une autre grande spoliation accomplie un siècle plus tard, par le Pouvoir, sur d'autres émigrés, spoliation intéressée et complète, celle-là, car elle n'attribuait pas aux parents délateurs, plus ou moins malhonnêtes, la totalité, ni même la moitié des biens confisqués. Et j'en conclus que l'histoire n'est qu'un perpétuel recommencement et que les gouvernants, quels qu'ils soient, sont toujours disposés à imputer à crime l'opinion de ceux qui ne pensent pas comme eux.

ADRIEN THIBAULT.


LES BRETONS A BLOIS

A LA FIN DU Ve SIÈCLE

LA PRISE DE LA VII LE PAR LES FRANCS. L'HISTOIRE ET LA LÉGENDE.

S'IL fallait ajouter foi à certain récit légendaire, Blois aurait été, vers la fin du Ve siècle, sous la domination bretonne. Voici ce qu'on lit dans le Liber de compositione castri Ambaziae (livre de la construction du château d'Amboise) : « Clovis, le grand roi catholique, la dixième année de son règne, en revenant du pays des Saxons, arriva rapidement sur les bords de la Loire pour chasser les Bretons, qui, établis dans la place forte de Blois, ravageaient la région entre Tours et Orléans, se cachaient dans les bois et assassinaient les voyageurs. Les Bretons furent battus et obligés de fuir ; après sa victoire, le roi des Francs détruisit Blois qu'il rebâtit peu après dans un endroit plus élevé et plus convenable. Il y établit ses soldats et lui donna le même nom. Il aima beaucoup cette ville, car il l'avait magnifiquement construite » (1).

(1) Publié dans les Chroniques d'Anjou par Marchegay, Salmon et Mabille (Société de l'Histoire de France), t. I, p. 23 : Clodoveus, rex magnus catholicusque, qui, anno decimo regni sui, Britones ab oppido Blesis qui ripas Ligeris inter Turonim et Aurelianim impugnabant,


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Mais les faits rapportés par l'auteur du Liber ne peuvent être acceptés qu'après sévère contrôle (1).

Le chroniqueur — ou pour parler plus exactement, le compilateur — écrivait au milieu du XIIe siècle : il était moine bénédictin de l'abbaye de Pontlevoy ; renseignement fort précieux, comme nous allons le voir tout à l'heure.

Son Liber de compositione castri Ambaziae n'est qu'un recueil de traditions populaires fort curieuses, mais assemblées sans critique, et qui prétendent expliquer l'origine d'un certain nombre de villes et de châteaux dont nos aïeux ne connaissaient pas l'histoire (2).

Essayons de démêler la vérité. D'abord, notons une erreur du chroniqueur :. la dixième année du règne de Clovis correspond à 491 ; or, le roi mérovingien était à cette époque païen et non catholique, sa conversion ne datant que de la bataille dite de Tolbiacus (496).

Quant à l'expédition de Clovis dans la Saxonia, il faut sans doute l'identifier avec celle qui fut dirigée contre les Thuringiens. Ces Thuringiens, apparentés aux Saxons, furent en effet soumis en 491.

Ce qui est vrai, c'est qu'à la chute de l'empire Romain

nemoribusque occultantes viatores interimebant, cum sibi a Saxonia revertenti ostensum esset, festinus descendit, Britonibus fugatis et peremptis, Blesim delevit. Paalo tamen altius in competentiori loco castrum illud restauravit, suosque ibidem posuit, eodemque nomine vocavit, illud nempe diligens, utpote quod multum pulchrum fecerat nimis exaltavit. — V. le même texte dans le Spicilegium d'Achery, in-f°, t. III, p. 570.

(1) Bergevin et Dupré, Histoire de Blois, tome I, chapitre I, ont admis sans discussion le fait rapporté par le chroniqueur. — L. de la Saussaye, Histoire du Château de Blois, p. 48, est plus circonspect ; il remarque que le fait « n'est rapporté que par un seul chroniqueur du XIe siècle (sic) ». D'ailleurs, il a mal compris le passage, puisqu'il dit que les Bretons avaient détruit Blois, ce qui est un contre-sens:

(2) V. à ce sujet l'Introduction aux chroniques des comtes d'Anjou par Emile Mabille (Société de l'Histoire de France, 1856-1871), p. XLII-XLVI.

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d'occident (476), une grande partie de l'ouest et du centre de la Gaule appartenait aux Armoricains, de plus en plus mêlés de Bretons émigrants ; et l'Armorique d'alors, ce n'était pas seulement la presqu'île actuelle de Bretagne, mais encore la seconde Lyonnaise, la troisième Lyonnaise, la quatrième Lyonnaise ou Senonaise (dont dépendait notre territoire), la première et la seconde Aquitaine (1).

Vers 468, à la prière de l'empereur Anthémius, 12,000 Bretons, commandés par leur roi Riothimus, allèrent s'établir dans le Berry pour prévenir les attaques du roi des Visigoths, Euric, qui songeait à conquérir toute la Gaule et à la détacher de l'empire Romain. Riothimus fut vaincu (2) ; mais il n'est pas téméraire de supposer que des bandes bretonnes se maintinrent dans la vallée de la Loire, par laquelle elles étaient venues.

Ainsi le fait même de la domination bretonne à Blois, rapporté par le compilateur du XIIe siècle, est parfaitement admissible et concorde bien avec les données de l'histoire générale.

La date de 491, correspondant au retour de Clovis du pays des Saxons ou plus exactement des Thuringiens, peut aussi être acceptée ; car nous savons par l'histoire générale que c'est avant 497 que Clovis s'avança jusqu'à la Loire et établit définitivement sa domination dans le pays compris entre ce fleuve et la Seine.

La tradition populaire recueillie par le religieux de Pontlevoy contient donc une part de vérité, et il est très possible que la place forte de Blois, soumise aux Bretons et dépendant de l'Armorique, ait passé, vers l'an 491, sous la domination franque.

Quant à la reconstruction de Blois par Clovis et à

(1) Cf. P. Viollet, Hist. des Inst. polit, et adm. de la Fr., t. I, p. 178-179.

(2) Ibidem, p. 181-182.


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l'affection de ce roi pour notre ville, il ne faut voir là qu'une flatterie du chroniqueur à l'égard des comtes de Blois. L'abbaye de Pontlevoy leur devait beaucoup : rien d'étonnant à ce que le moine ait pris plaisir à leur faire croire que « le grand roi Clovis ait magnifiquement construit et beaucoup aimé leur capitale ».

JACQUES SOYER.


LA GALERIE DE HENRI IV dans les Jardins du Château de Blois

EN lisant les articles, assez nombreux depuis quelques années, qui ont parlé des anciens jardins du château de Blois, j'ai été surpris de voir que personne, autant que je m'en souvienne, ne parlait d'un bâtiment dont l'étendue et la riche décoration devait grandement contribuer à leur ornement. J'ai pensé que cet oubli provenait de ce que le dessin, ou plutôt le Croquis, que Félibien nous a laissé de cet édifice, était peu connu, n'ayant jamais été publié, autant que je sache, et la collection des vues de M. Mieusement, dans son ouvrage si intéressant : Blois passé et présent, n'en ayant non plus rien donné. — Le dessin que je joins à cette note pourra combler cette lacune et faire connaître davantage la belle construction due à Henri IV : il reproduit, au double de l'original, et aussi fidèlement que j'ai pu le faire, le curieux croquis de Félibien.

L'emplacement de cette galerie est encore indiqué nettement, pour la partie de gauche au moins, par la vue actuelle de l'Éperon ; le pavillon central devait se trouver sur le tracé actuel de l'avenue Victor-Hugo, et la partie droite de ce pavillon devait se prolonger sur les terrains occupés aujourd'hui par la fabrique de chaussures. — (Je pense que les fortes consoles en saillie sur le mur de terrasse dominant la rue de l'Eperon peuvent être un dernier reste


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de cette construction, et qu'elles devaient porteries poutres soutenant les planchers du premier étage ; les traces d'une console semblable subsistent aussi, de l'autre côté de l'avenue, à l'entrée de la manufacture, sur le mur de la maison voisine, près de la loge du concierge, et indiquent la continuation de la galerie à droite du pavillon central).

Jusqu'à l'époque de la construction de cette galerie, les jardins bas du château n'avaient été séparés des jardins hauts que par un talus gazonné et par un berceau de charpente ombrageant une longue allée le long de ce talus. La galerie de Henri IV, élevée à la place de ce berceau, fut édifiée en 1600. Construite entièrement en belles pierres de taille, elle était ouverte sur le jardin bas par une longue suite d'arcades séparées par des trumeaux auxquels étaient adossés des pilastres.

Au milieu du bâtiment, et légèrement en avant-corps sur les parties latérales, s'élevait un pavillon central, dominant la construction et couvert par un dôme surmonté d'un lanternon. Aurez-de-chaussée, l'arcade placée dans l'axe de ce pavillon était flanquée de quatre colonnes, deux de chaque côté, décorées de branches de laurier entourant le chiffre de Henri IV surmonté de la couronne royale. Entre les colonnes, se trouvait réservée une niche, surmontée d'un cartouche portant un petit fronton triangulaire, et au-dessous de laquelle la plinthe était richement décorée.

Le croquis de Félibien semble reproduire avec exactitude l'aspect de l'édifice, tel qu'il l'avait sous les yeux, en 1681, car, au premier étage de ce pavillon, les quatre colonnes qui entourent la fenêtre centrale sont représentées simplement épannelées, et sur le tympan du fronton triangulaire qu'elles supportent il a indiqué les bossages destinés à recevoir une décoration sculptée et non exécutée. Ce bâtiment, en effet, ne fut jamais terminé : durant sa construc-


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tion, on fit remarquer au roi que son emplacement eût été bien mieux choisi au sommet du coteau dominant la Loire, entre le château et le couvent des Capucins ; les galeries, comprenant vingt-quatre arcades de chaque côté du bâtiment central, quarante-huit en tout, étaient déjà construites et avaient nécessité une dépense de cinq cents écus, lorsque, à la suite de cette observation, les travaux furent suspendus et jamais repris. Félibien remarque que les galeries se terminaient par des pierres d'attente, indiquant un prolongement non exécuté, sans doute des pavillons latéraux.

Le dessin joint à cette note indique seulement le commencement des galeries latérales, que le croquis de Félibien montre dans tout leur développement. On voit entre chaque arcade les pilastres rustiques avec refends, dont il a été fait mention ci-dessus; ces pilastres (Félibien dit: des colonnes, mais il doit faire erreur, je crois), ces pilastres s'élevaient seulement jusqu'à la naissance des arcs, et étaient surmontés de niches ovales contenant des bustes. Au-dessus des niches, il semble qu'on avait ménagé un emplacement destiné à recevoir un motif sculpté, le dessin indiquant à cet endroit ce qui paraît être des pierres en bossage. Un double bandeau, régnant sans interruption tout au long de chacune des ailes, sépare le rez-de chaussée du premier étage ; celui-ci est percé d'une fenêtre dans l'axe de chacune des arcades, et ces fenêtres, dépassant la petite corniche de l'entablement, sont surmontées de frontons triangulaires, richement décorés, qui se découpent sur la toiture. Entre les fenêtres sont des tables saillantes avec encadrement mouluré.

Il est probable que la galerie du premier étage, éclairée par ces fenêtres du côté des jardins bas, se trouvait au

niveau du jardin haut et ouverte en arcades de ce côté ?

Il eût été intéressant d'avoir également une vue de cette


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façade postérieure : Félibien ne la donne pas et son texte ne contient aucune indication à son sujet. — Son croquis indique, au rez-de-chaussée du pavillon central, une porte en anse de panier assez singulièrement placée sur le côté : elle donnait sans doute accès à un escalier dont le noyau aurait été dans l'axe du pavillon ; le départ de l'escalier ayant lieu à droitede cet axe, son arrivée au premier étage aurait été à gauche, ce qui motiverait cette irrégularité.

Ce beau bâtiment présente, au premier étage, quelque analogie avec celui de la galerie des Cerfs du palais de Fontainebleau, construite également durant le règne de Henri IV, et dont le style sobre, élégant, les belles proportions, la fermeté, la sobriété des sculptures, et particulièrement la disposition des lucarnes dépassant l'entablement qui soutient la toiture, pouvait donner une idée, sans doute assez exacte, de l'aspect que présentaient jadis les galeries du jardin royal de Blois. — Félibien n'indique pas le nom de l'architecte auteur de ce beau travail, mais il note que l'es sculptures étaient dues au ciseau d'un artiste Blésois, nommé Boyer, sous les ordres duquel travaillait un nommé Robelin, de Paris. (Aux registres de la paroisse SaintHonoré de Blois on trouve, à la date du 7 septembre 1602, le baptême d'une fille de Jacques Boyer, maître sculpteur, et d'Anne Chappelain ; le parrain était Julien Autissier, maçon de Paris. Les registres de la même paroisse indiquent encore la naissance d'une autre fille, des mêmes, à la date du 26 janvier 1616).

Ce magnifique bâtiment a été détruit à l'époque de la

Révolution comme tant d'autres, hélas ! qui décoraient

notre ville. Il est question aujourd'hui, d'élever, à peu près au même point, la gare du tramway d'Herbault ; il est à craindre que le nouvel édifice ne nous dédommage pas de la disparition de la belle galerie de Henri IV, car les constructions utilitaires, quelque soin que l'on prenne pour


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leur donner de belles proportions et y ajouter même quelques ornements, ne sauraient rivaliser avec les fantaisies luxueuses ayant pour but principal l'agrément, n'en déplaise au savant Directeur du journal de l'Union des Architectes et des Artistes industriels, qui, dans le numéro du 16 janvier dernier, critiquait une brochure écrite par le distingué professeur de décoration à l'École des BeauxArts.: dans cette brochure, l'auteur disait, entre autres choses, que la construction utilitaire, très estimable en raison des services qu'elle rend, était forcément étrangère à l'art; et il me semble qu'il avait parfaitement raison. L'Antiquité et le Moyen-Age, ainsi que la Renaissance et même une époque encore plus voisine de nous, n'astreignaient point l'architecte à satisfaire les exigences compliquées du confort moderne; il avait ses coudées franches ; il songeait avant tout à la beauté de l'oeuvre à créer et lui sacrifiait tout. — Sans aller bien loin, nous admirons, et tout le monde admire l'escalier de François Ier, et personne n'en voudrait cependant pour son usage personnel ; on ferait clore les baies ouvertes à tous les vents : ce serait plus confortable, mais affreux. Les théâtres romains étaient de splendides édifices, mais aussi combien grande était leur simplicité comparée aux complications des salles modernes. — Il faut le reconnaître, le simple, seul, peut être vraiment beau. — De nos jours, l'architecte doit subir les exigences de nos besoins compliqués, mais cela ne saurait l'empêcher de regretter les temps où l'on élevait, pour le simple plaisir des yeux et l'agrément de la promenade, des bâtiments nobles et élégants, et aussi peu utilitaires que celui dont je suis heureux de présenter le croquis et dont on ne saurait trop regretter la destruction.

A. TROUËSSART.


du chasteau de Blois

isw^wGtjnice.



DESCRIPTION DE MONTFRAUT

PRÈS CHAMBORD

En 1327

MONTFRAUT était un manoir bâti sur la rive de la forêt de Boulogne, à une lieue et demie de Chambord. En avril 1233, la maison de l'Aumône (Hôtel-Dieu) de Blois, à qui il appartenait alors, le céda à Gautier d'Avesnes, comte de Blois, pour une rente de huit muids de froment. C'est à peu près tout ce qu'on sait de Montfraut.

En parcourant les oeuvres d'un ménestrel ignoré du commencement du XIVe siècle, nous avons remarqué un passage concernant cette antique demeure seigneuriale que nous transcrivons ici. Mais il est tout d'abord à propos d'en présenter l'auteur, Watriquet de Couvin.

Les oeuvres de Watriquet ont été publiées par Aug. Scheler, sous le titre : Dits de Watriquet de Couvin, etc. (Bruxelles, 1868, in-8, XXXIV- 523 p.), d'après le manuscrit 11255-27 de la Bibliothèque Royale de Belgique, et le Codex 14968 du fonds français de la Bibliothèque Nationale de Paris, codex qui date du XIVe siècle, de l'époque même de l'auteur des poésies. Ces poésies, datées, vont de 1319 à 1329.


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Watriquet dit de lui-même dans son Tournoi des Dames :

D'autre mestier ne sai user Que de conter biaus dis et faire, Je ne me mesle d'autre affaire. Watriquet m'apelent aucun De Couvinz, et presque chascun, Et suis sires de Verjoli.

Dans son fabliau des Trois chanoinesses de Cologne il énumère ses titres :

Watriqués Sui nommez jusqu'en Areblois (1) Menestrel au conte de Blois Et si a monseignor Gauchier (2) De Chastillon.

Enfin, dans le Dit de l'escharbotte :

Sui Watriqués Brasseniex De Couving.

De quel Couvin s'agit-il ? D'aucuns opinent pour Couvains dans le département de l'Orne, arrondissement d'Argentan. D'autres, et M. Scheler est de ce nombre, sont pour Couvin, du pays wallon, en Belgique. Nous sommes aussi de ce dernier avis. D'abord le prénom de Watriquet, alias Watriquin, diminutif de Walter, Gauchier, Gautier, indique une provenance picarde ou wallonne. De même,

(1) Ce mot reste à éclaircir. C'est peut-être une forme corrompue pour Arabois, pays d'Arabie.

(2) Né en 1260, mort en mai 1329, le jour de l'Ascension, d'après le v. 138 du Dis du Connétable de France du même Watriquet. D'après les tableaux généalogiques de Du Chesne (Maison de Chastillon), ce devait être le grand-oncle de Guy de Châtillon, alors comte de Blois.


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et plus encore la langue parlée par le poète : roy des Franchois, la tour de Couchi, li vins de Clamechi, wardecors (corset) (1), etc., etc. De plus, Watriquet se nomme Brasseniex ; or Brassenel, Brasseneau, Brassine sont des noms de famille existant encore au pays de Couvin, en Belgique.

Si l'auteur est belge ou tout au moins picard, son témoignage sur Montfraut peut-il avoir de l'intérêt et de la valeur historique ? La question ne laisse pas que d'être utile à poser. Elle est facile à trancher. Le ménestrel nous dit avoir été témoin oculaire de ce qu'il raconte, avoir vu ce qu'il décrit. Nous savons même l'année de la présence de Watriquet à Montfraut : 1327. C'est là très probablement qu'il composa son Dit de la Cigoigne qui se termine par ces mots :

Ci faut (2) li diz Que Watriqués de la cigoigne Fist droit a la cave (3) a Bouloigne L'an XXVII, a. l. malin L'endemain de la Saint Martin (4).

Dans une autre pièce, Le Mireoirs aus princes, ce poète révèle encore sa présence dans le pays blaisois :

En l'an que Dieu mort compara (5)

(1) Dans le Dit des trois dames de Paris.

(2) S'arrête, fallit.

(3) Il faut entendre une grotte dans la forêt de Boulogne.

(4) A ce texte le manuscrit f. fr. 2123 de la Bibliothèque Nationale, aussi du XIVe siècle, donne cette variante :

Ci faut li diz Et la rime de la Cigoigne Fait droit à la cave à Bouloigne, Par Watriquet dit de Couvin Qui point ne boit d'iaue con vin.

(5) Acquit.


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Mil et CCC. et XX. et sept,

Fu fais cilz dis enz ou recept (1)

De Marchenvoie (2), lez la tour

Qui belle est et de riche atour,

En une petite oratoire ;

Pour mieux avoir de Dieu mémoire

Fu fais en lieu net et discré,

Plaisans, gracieus et secré.

Le texte que nous publions, édité par Scheler, a été collationné pour la présente réédition, sur le meilleur des manuscrits des poésies de Watriquet, Bibl. Nat. de Paris, f. fr. 14968, feuillets 126 v° à 139 r°.

Li Tournois des Dames

(EXTRAIT) (3)

En l'an de grâce greigneur (4)

Mil et. CCC. Nostre Seigneur

Vingt et sept, ou milieu d'octembre,

A Montferraut (5), si qu'il me membre (6),

En Blesois (7) iere (8) avec le conte,

Devant cui je contai maint conte,

(1) Etant dans la retraite, le gîte. On lit dans une charte de 1309, de Philippe le Bel : C'est à savoir en complans, en garcages, en gardes, en receps, en ventes, en rentes... Ce mot désigne ici un château, une demeure.

(2) Probablement Marchenoir, arrondissement de Blois.

(3) Scheler, p. 231.

(4) Greigneur est un comparatif.

(5) Le ms. 11255-27, de Bruxelles, donne exactement cette orthographe.

(6) Ainsi qu'il m'en souvient.

(7) Blerois, ms. 11255-27.

(8) J'étais.


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Maint biaus examples et maint dis,

Fais de nouvel et de jadis.

Biaus est ce liex a deviser (1), 10. C'on i puet d'assez près viser

Grands praieries et vingnobles ;

Bons y est li pays et nobles,

Li hostiex riches et massis

A. ij. liues de Loire assis 15. Qui court entre Biausse et Soloigne (2) ;

La haute forest de Bouloigne (3)

Ou il a mains (4) parfons detours (5)

Li avironne (6) tout entours,

Si a tant de cers et de pors

20. Dains et chevriaus qu'il n'est depors

Ne deduis (7) qui ou pays faille (8),

Ne je ne sai forest qui vaille

Pour chacier tant com cele fait

Car bestes saillent si a fait (9) 25. De tous costez, quant on y chace

Que tant en est plaisans la chace

Et li deduis biaux a oïr

Que chacuns s'en puet esjoïr ;

Cers et senglers y a sans nombre. 30. Et qui voudrait trouver bel ombre (10)

(1) Ce lieu est beau à voir.

(2) Beauce, Sologne, dont le primitif semble être salix.

(3) Boulogne, de betula, mot gaulois qui a donné Bedonia, la Boulogne, rivière de la Loire-Inférieure. Bologne de Benonia n'a pas de rapport avec ce mot.

(4) Maint, ms. 14968.

(5) Profonds défilés.

(6) Construction avec le datif, autour de lui.

(7) Ouverture de chemin et cachette.

(8) Manque. (9] A souhait.

(10) Ombre était du masculin.


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En esté, au douz jolif (1) tans, Voist ou parc, tans est delitans (2), Et plains de si grant melodie En avril quant li bois verdie

35. Que nulz croire ne le porroit

Qui le douz rossignol (3) orrait (4) Chanter en icelle saison D'avril ; toute fait la maison Et le parc du son retentir,

40. Et de haut chanter, sanz mentir, Vaincre se lairoit (5) a envis De l'orieul (6) et du mauvis (7) ; De chanter n'a onques sejour Toute nuit, et quant voit le jour

45. Au matin et l'aube esclairie,

Lors renforce son chant et crie : « Fier, fier, occhi, occhi, occhi ! » Li mauvais respont : « Vez le chi Opprimes le temps qui m'agrée

50. Et la saison plus desirée D'amie et de loial ami. » Je ne sai d'autrui, mais a mi Semble de l'ostel et de l'estre (8) Ce soit fins paradis terrestre,

55. Tant est de melodie plains. Li cochevis amoureus plains

(1) Jolis, ms. 14968.

(2) Rempli de délices.

(3) Roussignol, ms. 14968.

(4) Écouterait.

(5) Lairont, ms. 14968.

(6) Aureolus, par agglutination, le loriot.

(7) Grive mauvis, ou bien alouette huppée.

(8) Atrium, cuisine, foyer, âtre.


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Et souspirs va souvent nonchant (1) Devant sa femele. En son chant De douz langage, a haute alaine

60. Crie : « Or suis hors de la vilaine Saison froide laide d'yver Qu'en terre muerent tout li ver » (2). Ainssi se deduit et envoise ; Et puis i refont si grant noise

65. Cil autres oiselés menus

Qu'il n'est hons joenes ne chanus. (3)

Grand deduit n'i poist avoir,

Et bien i paie son devoir

Li chardonnereuls (4), bien s'i vent (5)

70. De chanter menu et souvent, Le col tendu, les becs as nues, Les mesenges n'i sont pas mues, Les losturgnes (6) ne li pinchons Ainz chantent seur les espinchons (7),

75. Et seur les branches jour et nuit N'est nus qui tiex deduis anuit (8), S'il a de Dieu amer envie Puisqu'il li donne espace et vie De cognoistre et savoir, c'est somme (9),

80. Que Diex tout ce a fait pour homme, Ne n'est riens qui ne s'incline (10) Et li roitiaus (11) onques n'i fine

(1) Triste.

(2) Ly ver. ms. 14968. Muent tous les vers.

(3) Hommes jeunes ou vieux.

(4) Chardonnereul. ms. 14968.

(5) Y paie de sa personne.

(6) Oiseau inconnu.

(7) Sur les arbres à épines.

(8) Une pareille retraite ennuie.

(9) En vérité.

(10) Qui ne si accline. ms. 14968.

(11) Roitiel, roitelet.


— 284 —

De chanter yver et esté.

Mais qui n'a en la sale esté 85. Encor n'a nulle riens veu

Car il n'est pas d'omme seu

Ne de nulle autre creature

C'on puist recouvrer telle pointure (1)

Qu'en la grant chambre et en la sale 90. Qui n'est pas petite ne sale

Pour asseoir plenté de gent (2).

Li dois (3) est besantez (4) d'argent

Et pointurez de vermillon,

Et tant fait bel ou paveillon 95. C'uns rois ne devrait pour manoir

Souhaidier nul autre manoir (5)

Que Montferraut (6) dont je parole (7).

La estoie ainssi qu'a l'escole

De celui qu'a mon mestier 100. Mainte fois n'a eu mestier (8),

En la saison froide diverse

D'yver, que la feuille reverse (9)

Des bois, des vingnes, des vergiés.

La estoie ensi assegiés (10) 105. Comme uns gourpilz (11) en sa tesnière

Ne du feu en nulle manière

(1) Trouver telle peinture.

(2) Quantité de monde.

(3) Discus, table à manger, ou plutôt plafond.

(4) Semé de besants. « Le label au mainsné d'argent l'on besanta. » (Berthe aux grands piés).

(5) Qu'unr oi ne devrait pas souhaiter pour demeure d'autre manoir.

(6) Monferraud, ms. 11225-27, de Bruxelles.

(7) Je parle, parolo.

(8) M'a rendu service. (9) Tombe.

(10) Accroupi. (11) Renard.


— 285 —

Esloignier point ne me vouloie Et si vous di bien que j'avoie Souvent et menu achoison 110. De mangier crasse venoison (1).

120. Un jour estoie apres disner

Alez, pour moi esbanoier (2)

Ou paveillon haut apoier

En une tornelle petite

De verrières painte et escripte (3), 125. Belle et gente et de riche atour ;

Si vi. i. tournoi tout entour

Pourtrait et paint en la verrière,

Dont j'oi merveille moult très fiere,

Combien que li veoirs fust biaus ; 130. Car cis tournois et cis cembiaus (4)

Dont ci vous sui avamparliers (5),

De dames contre chevaliers

Estoit touz ordenez et fais ;

Mais merveilles estoit li fais 135. Et orribles a esgarder,

Car si mal couvrir et garder

Chascuns chevaliers se savoit

Que force pooir n'avoit (6)

De soi desfendre vers sa dame. 140. A euls serait honte et disfame

S'en disoie la verité (7),

Tout estoient a grant vilté

(1) J'avais ordinairement peu de facilité de manger du gibier de chasse.

(2) Pour se divertir.

(3) Synonyme de peinte.

(4) Tournois, cf. Du Cange, v. Cambellum.

(5) Dont je vous ai précédemment parlé avec intérêt.

(6) N'avait de pouvoir.

(7) Si je disais.

5


— 286 —

Et au destroit nus et tenus (1),

Et si très maubailli (2), que nus 145. A paines le saroit conter.

Il se lessoient desmonter

Si vilment jus (3) de leur destriers

Que li aucun par leur estriers

Se trainoient a la terre ; 150. Ce sembloit une mortel guerre.

Cil qui plus fier erent com roy (4)

Ne metoient en euls conroy

De desfendre ne achoison (5),

Ainçois franchoient prison (6) 155. Ou il se laissoient morir.

Et quant ainssi vi seignorir (7)

Celles qui obeir devoient

Et qu'ensi leur seigneur avoient

Aterré et au dessouz mis, 160. Grant merveille a mon coeur en mis ;

Et i pensai moult longuement

Que ce pooit estre et comment

Une dame sans autre esfort

Metoit à outranche .i. si fort 165. Chevalier et desconfisoit ;

Cet oevre moult m'esbahissoit

Comment ce pooit avenir.

Las de chercher à s'expliquer la scène, le poète se couche et se repose. Survient une belle dame, gracieuse « de cors,

(1) Mis et tenus en mauvaise posture.

(2) Malmenés.

(3) Auprès.

(4) Ceux qui, plus courageux, étaient avec le roi.

(5) Ne se mettaient ni en état ni en mesure de se défendre.

(6) Mais se rendaient en prison.

(7) Avoir le dessus, faire les maîtres.


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de membres et de vis », qui lui demande quel il est, et le sujet de ses pensées. Il répond, faisant allusion au vitrail :

190. « Par foi, dame, ce sont merveilles

Telles qu'ains si grandes ne vi,

Comment ont tel fait assouvi (1)

Ces dames qui en gardecors (2)

Sans armeures ont les cors 195. Fors seulement que d'un escu (3).

Moult en ai le cuer irascu (4)

Trespensé (5) et moult esmari (6),

Car chascune a chi son mari

Mis a merchi et abatu 200. Des chevaus, et si bien batu

Qu'il ont tout prison franchie (7).

Qui saroit que ce senefie

Volentiers dire li orroie (8) ».

Son interlocutrice qui est la Vérité en personne, lui explique que la scène est une allégorie représentant la lutte de l'esprit contre la chair et le triomphe de celle-ci.

Il est de toute probabilité que cette description de vitrail est elle-même une fiction de poète, tout comme les autres récits qui terminent le Tournoi des Dames : la parabole du pont périlleux, celle des deux mortuaires de bestes, celle du lyon et de l'aignel et comment l'aignel estrangle le lyon, la fable enfin de la rivière qui est hors de son chanel.

(1) Exécuté.

(2) Corset. Ailleurs wardecors dans le dit des Trois Dames de Paris.

(3) Fors que, construction irrégulière.

(4) Fâché.

(5) Soucieux.

(6) Triste.

(7) Ils ont tous été en prison.

(8) Je l'écouterais.


- 288 —

Il n'en reste pas moins qu'il semblait utile de faire mieux connaître la description du pavillon de Montfraut à Chambord, écrite en 1327, par le ménestrel Watriquet de Couvin, et non mentionnée jusqu'ici par les historiens blaisois.

F. UBALD D'ALENÇON.


UN SAINT DU BLESOIS

VICTOR, ÉVÊQUE DU MANS

SON IDENTITE

UN lectionnaire du XIVe siècle, provenant de l'église de La Chaussée et conservé aujourd'hui aux Archives Départementales de Loir-et-Cher (1), nous apprend que le patron de cette paroisse, saint Victor, était un évêque du Mans.

L'hagiographe, plus au courant des miracles de son personnage que de sa vie publique, ne nous dit pas quels furent son prédécesseur et son successeur au siège épiscopal ; il se contente de renvoyer le lecteur au Catalogue

des évêques Manceaux : « Quis (sic, pour cui)

autem successerit, vel quem habuit successorem, noverunt melius qui pontificum Cenomannensium perlegerunt catalogum » (2).

Plusieurs érudits ont suivi son conseil, mais, leurs

(1) Sérié G, 1249. — Ce manuscrit sur parchemin comprend 9 leçons, 2 hymnes en l'honneur du saint, l'un formant 6 strophes, l'autre 5, et une antienne.

(2) Il est bon d'ajouter qu'il n'est guère mieux informé sur sa vie privée. II ne sait rien de sa naissance et de sa famille : « Unde autem fuerit oriundus vel a quibus paventibus certum non habemus; sed,

nobilem se mente exhibens, exemplar extitit ». Cet hagiographie

n'est qu'un faiseur de phrases banales et souvent ampoulées.

6


— 290 —

patientes recherches n'ont point abouti ; pas la moindre mention du nom de Victor dans le Catalogue. Ils en ont conclu bien vite que la liste épiscopale était incomplète et qu'aux évêques du Mans connus jusqu'à ce jour, il fallait ajouter Victor (1).

A l'heure présente, la plupart des listes des évêques de la Gaule Romaine et Franque ont été minutieusement étudiées et critiquées; et l'on s'est aperçu qu'en général il y avait plus à retrancher à ces listes qu'à y ajouter.

Outre le Catalogue des évêques Manceaux, un ouvrage connu sous le nom d'Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium peut encore nous fournir quelques renseignements ; c'est une source à laquelle il faut puiser avec beaucoup de précaution, car il a été naguère rigoureusement démontré que ces Actus n'ont été rédigés qu'au IXe siècle, par un clerc de l'évêché, qui était un imposteur et un faussaire (2).

Cependant, pour l'un des premiers évêques, l'ouvrage nous fournit exceptionnellement une date précise : la date de la mort indiquée, selon le mode romain, par le mois,

le jour et les consuls de l'année : « Obiit ergo predictus

predictus beatus Victurius kalendas septembris, plenus dierum, Fausto juniore et Longino bis consulibus. Meruit

(1) Telle est l'opinion de Naudin dans son étude intitulée : Vie de saint Victor, évèque du Mans, patron de la paroisse de La ChausséeSaint-victor, près Blois, Blois, 1853. Ce travail n'a rien de scientifique; c'est simplement l'éloge d'un saint, composé par un fervent catholique. — Dupré a repris l'avis de Naudin dans sa Notice sur la paroisse de La Chaussée (Blois, 1866), où il a mal publié le lectionnaire. — Dans une plaquette intitulée : Deux nouveaux évêques du Mans (Nantes, 1886), A. de Martonne, alors archiviste du département de la Mayenne, a étudié à son tour la question, mais sans arriver à résoudre le problème.

(2) v. Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 54° année, 1893? p. 634, 656, 657 : Julien Havet, Questions mérovingiennes, les actes des évêques du Mans (étude posthume et malheureusement inachevée).


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autem in pace migrare et ad Xpistum pervenire, et inter

catervas sanctorum Dei collocari ». Faustus et

Longinus sont les consuls de l'année 490. L'indication fournie par le compilateur des Actus doit être exacte, car la formule de la date consulaire est très correcte (1).

Ainsi, l'évêque du Mans, Victurius, est mort le premier septembre de l'année 490. Il est qualifié de beatus et l'écrivain nous dit plus bas qu'il « mérita de prendre place au milieu des Saints ».

Or, les anciens martyrologes ne connaissent qu'un seul saint évêque du Mans : saint Victurius ou Victorius, honoré le premier septembre (2).

La fête du saint blésois était aussi célébrée le premier septembre, comme nous l'apprend le nécrologe de l'abbaye de Pontlevoy, manuscrit du XIIe siècle, conservé à la Bibliothèque Communale de Blois (3).

Sans aucun doute, saint Victor, honoré près de Blois, est bien Victurius, évêque du Mans, mort en 490.

Mais, objectera-t-on, les noms ne sont pas les mêmes ; il y a une sensible différence entre les noms latins Victor et Victurius. Cette objection ne peut avoir de valeur quand on sait que l'o long latin accentué et l'y bref accentué se prononçaient d'une façon presque identique et que dans la langue française, l'une et l'autre voyelles sont devenues la diphtongue eu (4).

Les noms de la paroisse Saint-Victor sont, dans les

(1) J. Havet, ibidem, p. 677. Havet conjecture très judicieusement que ce renseignement si précis a été pris sur l'épitaphe même de Victurius. — Longinus avait déjà été consul en 486 et Faustus en 483. V. les fastes consulaires dans Bouché-Leclercq, Manuel des institutions romaines, 1886, p. 612.

(2) J. Havet, ibidem, p. 679, note.

(3) Aux mots kalendas septembris, folio 57.

(4) Cf. seniorem = segneur (seigneur) ; honorent = oneur (honneur) ; lupum = leu (loup) ; gula = gueule.


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textes latins du moyen âge, Sanctus Victor (1), Sanctus Victurius (2) ; dans les textes français La Chauchiée Saint Videur (3), Saint Videur sur Loire (4).

La confusion entre les noms Victurius, Victorius et Victor a dû se faire de bonne heure dans le latin vulgaire, à l'accusatif du moins ; et il n'est pas étonnant que certains hagiographes aient usé de cette confusion pour augmenter la liste des premiers évêques du Mans : les uns ont écrit Victorius, les autres Victurius, Victurus, Victor; puis, les noms étant différents, on a différencié les personnages. Cependant, la critique historique ne peut admettre que l'existence d'un seul d'entre eux.

De plus, si nous connaissons exactement le jour et l'année de la mort de Victurius, nous savons encore d'une façon très précise qu'il fut enterré au Mans, dans une église qui lui était consacrée, puisqu'en 832, l'empereur Louis Le Pieux confirme la possession de cette église à l'évêque Aldric, sous le nom de monasterium sancti Victurii, in quo ipse domnus Victurius requiescit in corpore (5).

Je ne chercherai pas quels furent le prédécesseur et le successeur de Victurius sur le siège épiscopal, car la série chronologique donnée par le Catalogue des évêques du Mans et répétée par les Actus est manifestement fausse : « L'évêque mort en 496 ou 497 est le second de cette série, et l'évêque mort en 490 en est le sixième ; le succes(1)

succes(1) dép. de Loir-et-Cher, H, abbaye bénédictine de Marmoutier, prieuré de Villeberfol (acte de 1096).

(2) Forme à remarquer ; elle se trouve dans le Pouillé du diocèse de Chartres, (XIIIe siècle), publié par B. Guérard dans le Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres (Documents inédits de l'Histoire de France, tome I, p. CCCXXXVI). — Dupré n'a pas indiqué cette forme importante dans sa notice sur La Chaussée.

(3) Bibl. de Blois, Arch. Joursanvault, n° 716 (acte de 1371).

(4) Arch. Nat., KK, 897, f° 51 (acte de 1407, nouveau style).

(5) J. Havet, loco citato, p. 685.


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seur aurait précédé de quatre rangs son prédécesseur ! » (1). En résumé et pour conclure : le saint blésois, nommé Victor, évêque du Mans, honoré autrefois le premier septembre, n'est autre que Victurius, évêque du Mans, qualifié de beatus et mort le 1er septembre 490. Contrairement à la légende locale (2), saint Victor fut enterré au Mans et non point dans la paroisse qui porte aujourd'hui son nom.

JACQUES SOYER.

(1) Idem et ibidem, p. 677.

(2) D'après cette légende, Victor se serait enfui de son diocèse pour revenir vivre en solitaire sur les bords de la Loire, près de Blois ; il y serait mort et aurait été enterré à l'emplacement de l'ancienne église paroissiale de Saint-Victor. L'auteur du lectionnaire

s'exprime ainsi : « Et locum quem vivus amaverat exuviarum

suarum presentia voluit ditare » [Lectio VIIIe].



TABLE DES MATIERES

DU SEIZIÈME VOLUME.

Pages Liste des Membres de la Société, 5

Belton (Louis). — Victor Hugo et son père le général

Hugo à Blois, 9

Brosset (Jules). — La Musique de la Garde nationale

de Blois, 149

Dr Houssay. — Les Silex du Tertiaire de Thenay

et l'oeuvre de l'abbé Bourgeois, 169 Rebsomen (André) — Une famille blésoise : les de Brisacier,

Brisacier,

Soyer (Jacques). — Les Bretons à Blois à la fin du

Ve siècle, 268

Un Saint du Blésois : Victor,

évêque du Mans. Son identité, 289 Thibault (Adrien) — Nouvelles Notes sur les Protestants

blaisois, 221

Trouëssart (A.) — La Galerie de Henri IV dans les

jardins du château de Blois, 272

F, Ubald d'Alençon. — Description de Montfraut, près

Chambord, en 1327,1 277

Blois, imprimerie C. MIGAULT et Ce, rue Pierre-de-Blois, 14