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Title : Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie

Author : Société des antiquaires de Picardie. Auteur du texte

Publisher : Ledien fils (Amiens)

Publisher : A. CaronA. Caron (Amiens)

Publisher : Duval et HermentDuval et Herment (Amiens)

Publisher : Duval et HermentDuval et Herment (Amiens)

Publisher : J.-B. DumoulinJ.-B. Dumoulin (Paris)

Publisher : J.-B. DumoulinJ.-B. Dumoulin (Paris)

Publisher : A. ChossoneryA. Chossonery (Paris)

Publisher : A. ChossoneryA. Chossonery (Paris)

Publisher : A. PicardA. Picard (Paris)

Publication date : 1932

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32813317h

Relationship : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32813317h/date

Type : text

Type : printed serial

Language : french

Format : Nombre total de vues : 28473

Description : 1932

Description : 1932 (T44).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Picardie

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bpt6k54575467

Source : Bibliothèque nationale de France

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 03/12/2008

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MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES

DE PICARDIE

TOME XLIV;

AMIENS

Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ Musée de Picardie

IMPRIMERIE YVERT & C'e 46, Rue des Trois-Cailloux

PARIS

A. PICARD, Libraire-Éditeur 82, rue Bonaparte

±932





MÉMOIRES

DE LA

SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES

DE PICARDIE

TOME XLIV



MÉMOIRES

0E LA

SOCIETE DES ANTIQUAIRES

DE PICARDIE

TOME XLIV

AMIENS

Au SIÈGE DE LA. SOCIÉTÉ Musée de Picardie

IMPRIMERIE YVERT & Cie 46, Rue des Trois-Cailloux

PARIS

A. PICARD, Libraire-Éditeur 82, rue Bonaparte

1932



ADRIEN HUGUET

JEAN lit ÏUI iiiuiiim

Fondateur de Port-Royal en Acadie

Vice-Roi du Canada

1557-1615

CAMPAGNES, VOYAGES et AVENTURES d'un Colonisateur sous Heuri IV



INTRODUCTION

A. mi-chemin entre les villes d'Eu et de Saint-Valéry - sur-Somme, on rencontre un petit hameau entouré de haies vives et d'ormes à haute tige, caché à l'abri d'un pli de terrain, qu'on nomme Poutrincourt.

Les panaches des arbres gui l'emprisonnent ont ces tonalités sombres que donnent l'air salin. Gar ici le ciel est âpre et salubre. De fraîches haleines décèlent le voisinage de la mer.

Les maisons, avec leurs murs crépis et leurs toits roses, les étables basses. aux flancs jaunes, construites d'un mélange de paille et d'argile, tapies derrière les clos, aplaties, sur une même ligne, affleurent à peine le liseré bleuâtre des saules et les pans de verdure des buissons, et, de loin, semblent avoir été, de fraîche date, comme écrasées par le brusque passage d'un rouleau compresseur. Ce qui achève de donner l'impression d'un récent et brutal nivellement, c'est que les ypréaux et les peupliers qui surplombent ces habitations sont tous uniformément inclinés vers l'Est et qu'ils luttent vainement pour se redresser sous le souffle des vents dominants qui viennent du large.

Le village présente ce phénomène de dédoublement qu'on observe assez souvent en Picardie, quand le tracé en ligne droite d'une route nouvelle a laissé l'agglomération principale de côté pour relier plus directement deux villes entre elles.

Le chemin de grande communication a négligé le vieux Poutrincourt, composé d'une vingtaine de fermes


de petite culture, de chaumières d'ouvriers agricoles ou de serruriers groupées dans la partie basse du territoire, pour passer à deux portées de fusil au-dessus. Ce chemin longe l'ancienne falaise éboulée, dont une dépression de terrain à peine perceptible est aujourd'hui la seule trace. De rares constructions modernes s'élèvent maintenant sur la grand'route et se juxtaposent de façon assez disparate au noyau. originel échelonné sur le bord du marais conquis sur la mer, de telle sorte que les habitations s'éparpillent sur les deux lignes d'un are dont la route nouvelle figure la corde tendue.

Au milieu d'une prairie longeant la rue basse, dans une pullulation tumultueuse d'orties, d'herbes folles et de fleurettes sauvages, une ruine solitaire se dresse au-dessus des maisonnettes qui l'environnent comme un témoin muet du passé.

Quatre pans de murailles délabrées, bâties mi-parties de pierres blanches et de briques mêlées de galets taillés provenant des anciens cordons littoraux, frappent brusquement l'attention.

Le jour, les vaches d'un pâturage planté de pommiers et ombragé de saules vont s'allonger mollement à l'abri de ces murs branlants pour se garantir des ardeurs du soleil ; la nuit, les chouettes qui habitent les cavités sombres des ruines, animent le paysage de leur vol pesant et l'attristent de leur cri monotone où passe comme une plainte épouvantée.

Involontairement, on se reporte en imagination aux temps anciens pour essayer de reconstituer l'aspect primitif de la sévère construction dont la masse presque informe mais encore imposante se découpe en vigueur sur le ciel.

Là s'élevait, il y a quatre siècles, un manoir seigneurial avec une grosse tour en pierres grises, dans un enclos de quatorze journaux. Auprès du corps de logis s'éten-


daient quelques dépendances, le fournil, les écuries, les chenils, les étables, un colombier. Une fontaine restée légendaire dans le pays par la température glaciale de ses eaux coulait en silence dans le voisinage, en cherchant un passage à travers une cressonnière. Cent quatre-vingts journaux de terre, deux de bois, arrondissaient ce domaine.

Sous le règne de Charles IX, la gentilhommière alors remise à, neuf, abritait rarement sous son toit de tuiles rouges le châtelain du lieu.

Une ou deux fois par an, tout au plus, la solitude de Poutrincoùrt s'éveillait. On voyait aller et venir dans les cours des varlets à la livrée bariolée, des soldats en vertes chausses. Deux ou trois seigneurs mettaient pied à terre jetant la bride de leurs montures aux mains des domestiques. Des chevaux de guerre, des chiens tenus en laisse par les piqueurs envahissaient les écuries et les chenils. Des haquenées dont les caparaçons brodés étalaient les armoiries au lion de gueules sur champ de sable des Biencourt et Vécusson éeartélé des Balazar, remplissaient Vallée qui conduisait au manoir, portant des dames, des suivantes, des écuyers. Les gens du pays survenaient. On apportait des redevances en nature : oiseaux aquatiques et chapons ; le meunier de Poutrincoùrt présentait « le gâteau de royaume ». Le château abandonné se peuplait en un clin d'oeil d'un monde aristocratique, comme si quelque Belle au bois dormant avec toute sa cour avait été brusquement tirée de son sommeil magique par le tintamarre des laquais, le piaffement des coursiers et les clabaudages de la meute.

Tout respirait la joie, tout prenait un air de fête entre ces murs qu'égayaient extérieurement les pierres blanchâtres voisinant avec les galets noirs taillés et disposés en damiers et en losanges.

Il en était ainsi à chaque arrivée de Morimonà de


Biencourt, seigneur de Poutrincourt, et de Jeanne de Salazar, sa femme, et les documents de l'époque nous apprennent que ces visites étaient espacées selon la fantaisie des maîtres, sans observer aucune règle et sans distinction de saison.

On ne sait par quel sortilège, cette même maçonnerie à carrés noirs et blancs, avec ses effets si pittoresques et ses contrastes violents de couleurs claires et foncées prend aujourd'hui un aspect si mélancolique et si funèbre.

Quand, attiré par le mystère qui semble planer sur l'édifice, ou simplement séduit par le site romantique oh il sommeille, on s'approche pour interroger ces vestiges qui donnent une impression de force massive et de froide tranquillité, on reconnaît, à certains détails, les caractères de l'architecture du xvie siècle.

Sur la façade donnant vers la mer, voici, au bas d'une ouverture close par un remflage de briques, deux lourdes consoles de pierre qui supportaient l'entablement d'un balcon ou d'une loggia.

A cette hauteur, il était facile aux châtelains d'apercevoir, à la distance de moins de deux lieues, la ligne argentée de la Manche. C'est à cette fenêtre sans doute que le fils cadet du seigneur, laissant cirer ses regards sur l'immensité, à l'heure où les vents du large lançaient des chimères et des fantômes noirs sur les nuées écartâtes des couchers de soleil, se sentit attiré pour la première fois vers l'inconnu et conçut le désir imprécis de voguer sur quelque embarcation rapide et mystérieuse comme celles qu'il voyait passer à l'horizon, vers des mondes ignorés.

A l'intérieur, dans l'encoignure Nord-Ouest, l'escalier d'une tourelle est encore visible.

Les pieds-droits des vastes manteaux de cheminée oh flambaient en hiver les souches des vieux hêtres de


Lanchères existent toujours sur la muraille du côté Est, avec une maçonnerie de tuiles posées à champ qui supportait des plaques de fer armoriées.

Depuis l'an 1403, la seigneurie de Poutrincourt^ mouvante de Cayeux-sur-ller, appartenait à la famille de Biencourt.

Plusieurs membres de cette maison prirent le nom de Poutrincourt, entre autres Florimond, qui avait fait restaurer l'habitation et qui quittait de temps à autre son château de Saint-Maulvis pour venir y résider quelques semaines.

Le plus célèbre d'entre eux est sans contredit Jean de Biencourt, dit de Poutrincourt, fils de Florimond, l'un de ces hardis navigateurs qui multiplièrent, sous HenriIV et pendant la minorité de Louis XIII, les tentatives de pénétration en Amérique septentrionale.

Sa vie et ses aventures ont attiré l'attention des érudits locaux et des historiens de la colonisation de la Nouvelle France.

Les premiers ont surtout discuté sur le lieu de sa naissance. Le P. Ignace et le P. Lélong le disent né à Abbeville et parti de cette ville en 1604 pour l'Amérique (IV F.-C. Louandre, dans sa Biographie d'Abbeville et de ses environs, reproduit et adopte cette opinion. Prarond, dans ses Hommes utiles de l'Arrondissement d'Abbeville, ne s'étend pas davantage que ses prédécesseurs sur les faits et gestes de ce personnage. Il cite néanmoins en premier lieu Sangnier d'Abrancourt, autre historien abbevillois, qui le désigne comme « gentilhomme d'Abbeville » et, en second lieu, Formentin qui ne le dit prudemment qu'originaire du Ponthieu. Prarond constate que quelques auteurs, entre autres Vitet,dans son Histoire de Dieppe, le disent Normand, et, avec sa

(1) Le P. IGNACE, Histoire des Mayeurs d'Abbeville, p. 757,


circonspection ordinaire, il ajoute simplement : « Bien des présomptions autorisent Abbeville à le revendiquer pour un de ses hommes fameux y. ; mais ce scrupuleux historien se garde de tranche)- sans preuve ce point litigieux.

Quant aux origines de famille de l'explorateur, quant à ses voyages, il n'en est pas autrement question dans la bibliographie ^picarde.

De Belleval, dans son Nobiliaire de Ponthieu et de Vinieu, a dressé la généalogie des Biencourt. Il s'ezt inspiré des travaux exécutés en 1778, par l'archiviste Clabault ; publiés in extenso dans le tome III du Supplément du Dictionnaire de la Noblesse de La Chenaye-Desbois. Il a mentionné Jean de Poutrincourt à son degré, dans la descendance des Biencourt ; mais, cet auteur, généralement si soucieux de relevé)' le prestige de la noblesse du Ponthieu et du Yimeu,ne l'a même pas signalé comme le fondateur du Port-Boyal en Acadie ; il l'a abandonné à une province voisine : « Jean étant, dit-il, l'auteur de la bramhe des seigneurs de Marsilly, établie en Champagne, je ne m'en occuperai pas ici. »

En résumé, Jean de Poutrincourt n'a guère rencontré, dans son pays d'origine, si l'on met à part quelques discussions oiseuses et mal étayées sur le lieu de sa naissance, que l'indifférence et l'oubli. Sa biographie n'a été abordée que d'une manière insuffisante, sans recherches sérieuses dans les archives locales ou dans les grands dépôts de la capitale, sans une critique serrée des sources imprimées.

Le personnage a-t-il été plus heureux auprès des auteurs de la grande histoire et de l'histoire du Canada ?

Rameau, dans une Colonie féodale en Amérique (l'Acadie, 1604-1710), a donné une excellente biographie de Poutrincourt dans laquelle on rélève avec regret «quelques méprises assez graves. Il étudie avec science et


méthode la radiation des foyers de la civilisation immigrante au milieu des tribus de civilisation inférieure qui préexistaient sur le sol américain ; il fait ressortir la forme féodale donnée par leurs auteurs aux premières colonies agricoles.

M. de la Roncière, dans son Histoire de la Marine, mentionne les efforts des premiers colons et indique, en ce qui concerne Poutrincourt, d'utiles références à consulter.

Enfin, M. Lauvrière, dans La Tragédie d'un peuple, a résumé d'une façon très heureuse, en quelques pages d'une minutieuse exactitude, la carrière de Jean de Poutrincourt.

Les historiens américains ont consacré d'importantes études au colonisateur picard. Mais ils n'ont pu découwir le véritable mobile qui le poussait, la consistance exacte de ses projets, le secret de son attitude en certaines circonstances, parce qu'ils ignoraient d'où venait ce Français, quelle place il -tenait dans son pays, quels étaient ses antécédents. Faute de ces renseignements préliminaires, leurs suppositions ont manqué de bases et ont porté à faux.

On peut dire cependant que l'explorateur a excité une plus féconde curiosité chez ces auteurs qu'auprès des chercheurs et érudits de Picardie.

Donc, une partie importante de sa vie a été complètement négligée. On ne dit rien, ou presque rien, de ce qui a précédé son premier voyage en Acadie, et la plus grande partie de ce qu'on en dit est inexact.

Rameau, le premier, a avancé que Poutrincourt avait suivi le Roi « dans toutes ses guêtres » (1). Au contraire, Poutrincourt, d'abord ligueur, avait combattu longtemps Henri IV.

(1) Une Colonie féodale, p. 1.


vnl

Le même auteur a ajouté, ce qui est en contradiction avec le dire précédent, que Poutrincourt se rallia à la cause royale en 1590. Un réalité, sa soumission est de Juin 1593.

Rameau, qui a véritablement joué de malheur avec le colonisateur picard, dit encore : « Il vivait fort retiré à Saint-Just, avec sa femme Jeanne de Salazar et ses enfants, consacrant toute son économie et toute son industrie à lutter contre les difficultés de la mauvaise fortune... » (2). Il est impossible d'accumuler plus d'erreurs en moins de mots.

Poutrincourt n'habitait point Saint-Just lors de ses premiers voyages. Il ne possédait à cette époque en Champagne que sa terre de Ilarcilly. La baronnie de Saint-Just ne lui échut que dans la succession maternelle. Plusieurs actes authentiques qui le disent «demeurant à Guibermesnïl » en Picardie, après sa première expédition seront produits plus loin. Il ne se fixa définitivement en Champagne qu'après la vente de sa seigneurie de Guibermesnïl, qui eut lieu le 3 Juin 1614, et encore resta-t-il Picard de coeur, comme on le vetra par ses démarches auprès de l'évêque d'Amiens. Jeanne de Salazar n'était pas sa femme, mais sa mère. Enfin, il n'avait nullement à lutter contre les difficultés de la vie, car il était dans une situation de fortune assez prospère.

Benjamin Suite, dans une notice parue dans les Mémoires de la Société Royale du Canada, a donné le premier à Jean de Poutrincourt, un fils imaginaire nommé Jean, qui aurait été l'aîné, et qui l'aurait accompagné dans ses voyages, et qui serait mort en 1611. Il a fait de Charles de Biencourt, Vice-Amiral en Nouvelle France, deux personnes distinctes, comme l'a fait remarquer Gabriel Marcel (1).

(1) Une Colonie féodale, pp. 2 et 3.

(2) Factum du procès entre Jean de Biencourt et les Pères Biard et Massé, Paris, Maisonneuve, éd. 1887, p. 81.


Aucun document contemporain n'établit Vescistence de ce fils nommé Jean. Lescarbot, familier des Poutrincourt, dit dans sa Belation dernière, qu'en 1610, lors de son troisième voyage, Poutrincourt <.< s'avisa de renvoyer en France le baron de Saint-Just, son fils aîné, jeune gentilhomme fort expérimenté à la marine, et lequel à ceste occasion monsieur l'admirai (Montmorency) a honoré du tiltre de Vice-admiral en la mer du Ponant. » Or, le baron de Saint- Just, vice-amiral, n'est autre que Charles de Biencourt, ainsi qu'en témoignent la requête du procureur Quillaudeau à l'Amirauté de La Rochelle, et plusieurs sentences de ce tribunal (1).

Si nous sommes obligé de renvoyer dans le néant le fantôme d'un Jean de Biencourt premier fils du fondateur du Port-Royal, il nous faut, par contre, tirer de la tombe son second fils, prématurément enterré par quelques historiens. Jacques de Biencourt, dit de Salazar, ne fut pas tué à l'affaire de Méry, comme le fait a été avancé par un auteur de l'époque, et comme d'autres l'ont répété depuis. L'annuaire historique fondé en 1605 par l'imprimeur Jean Richer, continué par Olivier de Varennes et puis par Théophraste Renaudot, le Mercure François, dit qu'il fut fait prisonnier, ce qu'il faut tenir pour exact. Sept ans après la prise de Héry, ce gentilhomme épousait mie fille de la maison de Mornay, et il vécut assez longtemps pour se marier en secondes noces et avoir plusieurs enfants dont le dernier naquit en 1640.

Si Von accorde ici quelque attention à ces multiples erreurs, c'est qu'elles ont trouvé la plus singulière faveur et le plus confiant des accueils auprès des auteurs qui ont écrit postérieurement sur le même sujet, de telle sorte qu'elles sont considérées comme articles de foi et fréquem(1)

fréquem(1) départementales de la Charente-Inférieure, B.177.

2


ment rééditées. Il sera extrêmement difficile de les extirper du vaste champ des réalisations de l'histoire du Canada (1).

On peut dire que la biographie du personnage, telle qu'elle se dégage des nombreuses sources imprimées de l'histoire de la Nouvelle France, fourmille de contradictions et d'inexactitudes.

Les Archives départementales de la Somme contiennent quelques pièces restées jusqu'ici inutilisées sur Jean de Biencourt-Poutrincowt et sur la famille de Biencourt. Ces renseignements auraient difficilement attiré l'attention et les recherches d'écrivains plus qualifiés, et mieux placés pour parfaire leur documentation dans les dépôts de Paris. Toutefois, nous avons été assez heureux pour découvrir au Cabinet des Titres, quelques documents concernant le rôle de Jean de PoutrincouH durant les guerres de la IÀgue, et d'autres plus nombreux relatifs à sa vie privée et à sa famille. Les Archives nationales, la Bibliothèque nationale, Manuscrits français, Nouvelles acquisitions françaises et Collection Dupuy, les Archives départementales de la Charente-Inférieure et de la SeineInférieure, nous ont fourni des détails nouveaux sur les premières expéditions coloniales françaises en Amérique du Nord et sur les relations de Charles de Biencourt avec les Bochelais. Enfin, nous avons eu la satisfaction de trouver, dans la collection 500 Golbert, des lettres inédites de la Reine Marie de Médicis à nos colonisateurs.

Nous avons pensé qu'à l'aide de ces documents, et en utilisant plus amplement qu'on ne l'a fait jusqu'ici les écrits de Lescarbot, auxquels on a accordé trop peu créance, il était possible de suivre pas à pas Jean de

(1) M. J. SAINTOYANT, dans La Colonisation française sous l'ancien régime (Paris, 1929), donne encore Poutrincourt comme « gentilhomme de Champagne ». T. 1er, p. 161.


Poutrincourt dans son âpre et difficile carrière et de lui rendre un hommage qui lui manque encore. Tous les pionniers de l'expansion française au Canada ont été honorés en différentes circonstances. Poutrincourt a été constamment oublié.

De Monts, Ghamplain, l'apothicaire Louis Hébert, ses compagnons, ont leurs monuments au Canada. Poutrincourt n'a rien.

Washington Irving, voulant passer par des émotions délicates, se rendit en 1828 en pèlerinage à Palos, petit port d'Andalousie ou, Colomb fréta ses navires. Il eut une grande déception. La population du bourg ne connaissait même pas le nom de l'Amérique. Bien n'y rappelait l'expédition de 1492.

Si des imitateurs du célèbre auteur des Voyages de Colomb, si quelques Canadiens français en pieux déplacement au pays des ancêtres passaient en Picardie pour y chercher le nom de Poutrincourt, ils auraient un désappointement semblable.

Une ruelle obscure et déserte dans un petit port picard, c'est trop peu pour commémorer le souvenir du fondateur de la première colonie française en Amérique du Nord.

Les ruines chancelantes perdues dans un herbage du littoral ou elles achèvent de se désagréger et de disparaître sous les efforts des pluies et des vents corrosifs de la mer sont plus éloquentes. Mies parlent franchement d'abandon et d'oubli.



PI. i. - RUINES DU CHÂTEAU DE POUTRINCOURT, pi es de Saint-Valery-sur-Somme.



PREMIERE PARTIE

LA VIE TUMULTUEUSE

a un gentilhomme de .Picardie

à la fin du XVIe siècle



LES BIENCOURT seigneurs de POUTRINCOURT

Les vertus et les tares des ancêtres revivent plus ou moins obscurément en nous.

Les ascendants de Jean de Biencourt-Poutiïncourt ont droit à un instant d'attention. Leur renom militaire, le souvenir de leur mérite ont pu porter l'un de leurs rejetons particulièrement audacieux à les imiter et à enfanter des actions énergiques. Le penchant que quelques-uns ont montré pour les aventures, pour le mouvement et l'espace, leur mépris manifeste pour le danger et les misères d'une vie de hasards, ont pu influer sur la conduite de Jean de Poutrincourt et déterminer sa vocation de voyageur. Il a pu hériter de ces hommes qui furent agités d'un besoin impérieux de risque et d'imprévu, quelque chose de leur caractère, de leurs passions, de leurs qualités morales.

L'origine de la maison de Biencourt remonte à une haute antiquité.

Certains généalogistes la prétendent issue de celle de Rambures (1), l'une des plus anciennes

(1) C'est l'avis de La Morlière et de Le Carpentier.


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et des plus illustres de Picardie ; les autres la font descendre d'un cadet des sires de la Ferté-IezSaint-Riquier, issus eux-mêmes des comtes de Ponthieu de la première race, extraction non moins remarquable, puisque le plus ancien seigneur connu de la Fer té est Isembart, parent de Louis III, roi de France, qui vivait en l'an 879 (1).

Le Nobiliaire de Ponthieu et de Vimeu (2) ne se rallie à aucune de ces deux opinions, mais il reconnaît que la famille de Biencourt, « avec son origine incertaine et se perdant dans la nuit des temps, est d'une grande noblesse incontestable, et comme telle, digne de marcher de pair avec les meilleures et les plus anciennes maisons du Ponthieu. »

La famille de Biencourt tire son nom d'un village du Vimeu, du doyenné d'Oisemont, dont le seigneur était, en 1150, Ansel de Biencourt.

C'est à partir de cet Ansel que la filiation suivie de la maison de Biencourt est exactement établie par La Chenaye-Desbois, par Saint-Allais et par de Belleval (3).

Le fils d'Ansel, Amaury, fut père d'Hainfroy, allié à Mathilde de Fresnoy. Hainfroy se trouvait,

(1) Le Nobiliaire universel de Saint-Allais donne cette deuxième hypothèse comme la plus généralement adoptée.

(2) Le Nobiliaire de Ponthieu et de Vimeu, par le marquis de Belleval, Paris, 1S76, col. 174.

(3) Ce dernier est généralement d'accord avec La ChenayeDesbois. mais diffère assez sensiblement de Saint-Allais.


en 1191, devant Saint-Jean-d'Acre, avec le comte de Soissons, lors de la reprise de cette ville sur les Sarrasins par Philippe-Auguste et Richard Coeur de Lion; ce siège est considéré comme l'épisode le plus brillant des temps chevaleresques.

Son fils aîné, Guillaume, créé chevalier pour ses mérites militaires, laissa Robert, aussi chevalier, qui eut pour enfants Mathieu, seigneur de Biencourt en 1312, Jean et Vautier. De Jean de Biencourt, écuyer, naquirent Henri, Colart, Aleaume, Jean et Jeannette.

Colart de Biencourt, écuyer, seigneur de Martainneville, Manchecourt et Neslette, fut bailli d'Abbeville, fonction qui avait déjà été tenue en 1351 par Jean de Biencourt (1). De son mariage avec une fille de la maison de Haùdrechies, Colart eut plusieurs filles et deux fils : 1° Hugues, écuyer, seigneur de Biencourt, Manchecourt, Arry, Mayoc et de Poutrincourt, lieutenant du Sénéchal de Ponthieu, bailli d'Abbeville, de Crécy et de SaintValery (2). Il avait épousé Ade (ou Alix) Clabault.

(1) Nous avons publié dans les Mémoires de la Société d'Émulation d'Abbeville, t. X, une sentence inédite de ce bailli, ce qui a permis d'ajouter son nom à la liste donnée par de Belle val dans sa Chronologie d'Abbeville.

(2) On le trouve qualifié seigneur de Poutrincourt dans une transaction ou accord sur procès, qu'il fit, le 20 Mars 1403, avec Jean de Courcbelles, dit Luppart, écuyer, seigneur du PetitHamel-lès-Brutelles (aujourd'hui canton de Saint-Valéry), touchant la justice vicomtière que Hue de Biencourt réclamait sur un fief près de Poutrincourt, tenu de Jean de Courchelles,


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2° Nicole, dit Colart de Biencourt, écuyer, seigneur dudit lieu, Manchecourt et Poutrincourt, bailli de Waben, conseiller du Roi, fut seul héritier de Hue, son frère ; il épousa Luce Gentien, fille de Jean Gentien, général des Monnaies de France, et de Jeanne Baillet, et mourut avant le 28 Août 1414,

Du mariage de Colart de Biencourt et de Luce Gentien, naquirent plusieurs filles et trois fils : 1° Girard de Biencourt, premier du nom ; 2° Jean, écuyer, seigneur d'Arry-lez-Rue, l'un des cent hommes d'armes de la Grande Ordonnance, sous la charge d'Amanieu d'Albret, seigneur d'Orval, en 1448, marié à Michelle de l'Éclause, auteur de la branche de la Marche (1) ; 3° Adelin, écuyer, capitaine du château d'Ault en 1420.

à cause de sa terre du Petit-Hamel, lequel, de son côté, soutenait que Hue de Biencourt n'y avait que la basse-justice ; mais, par cet accord, il fut convenu qu'il y aurait justice vicomtière, sauf le ressort. (LA CHENAYE-DESBOIS).

(1) La branche des seigneurs de Portilesse, de la Marche, était représentée, au moment de la Révolution, par Charles de Biencourt, chevalier, marquis de Fortilesse, appelé le marquis de Biencourt, né le 7 Novembre 1747, fils de François, marquis de Fortilesse, Pôizat et autres places, et de. Marie-Perrette du Boueix de Villemort. Il avait débuté comme page de la Reine, le 1er Avril 1761 : il avait été officier aux Gardes françaises, il avait obtenu le brevet de colonel en 1776, s'était distingué dans la guerre de l'Inde et avait été pourvu du grade de maréchal de camp (9 Mars 1788). Il avait épousé en Juillet 1770 Marie-Jeanne Chauvelin, fille de Jacques-Bernard Chauvelin, conseiller d'État, morte en couches, lui laissant un fils : François-


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Girard de Biencourt, premier du nom, écuyer, seigneur de Biencourt, Poutrincourt, Manchecourt, des fiefs du Translay, etc., épousa Jeanne de Lanchères, veuve de Jean de Vaudricourt, capitaine du château de Mareuil pour les Anglais et les Bourguignons. Trois fils naquirent de ce mariage, outre les filles : 1° Girard, deuxième du nom, qui fut maïeur d'Abbeville en 1476, après Jean de Maupin, en suite de l'expulsion des Bourguignons. Il fut encore choisi par Louis XI comme maïeur

Marie (alias François-Armand) de Biencourt, né le 12 Février 1773.

Le marquis de Biencourt fut élu député de la noblesse aux Ëtats-Généraux par la Sénéchaussée de Guéret, le 21 Mars 1789. Il se montra d'abord dans la Constituante partisan des idées nouvelles et se joignit au Tiers-État. Mais, son mandat terminé, il rentra dans la vie privée. Il mourut le 23 Décembre 1824 au château d'Azay-le-Rideau, l'un des plus beaux de France, chef-d'oeuvre de la Renaissance, qui était devenu le domaine des Biencourt en 1788.

François-Armand, fils du marquis Charles, fut officier de la Garde de Louis XVI et l'un de ses plus braves défenseurs au

10 Août. A sa mort, survenue en 1854, le château d'Azay appartint au marquis Armand-Marie-Antoine, héritier du précédent et d'Amélie de Montmorency, fille du prince de Montmorency-Tancarville.

Le fils du marquis Armand épousa en 1858 Elisabeth de Fitz-James, petite-fille du pair de France, ami de Chateaubriand.

11 mourut il y a une vingtaine d'années, à Paris, après ses deux fils.

Le château d'Azay vendu à M. de la Roque La Tour est devenu depuis propriété nationale.

La maison de Biencourt est représentée aujourd'hui par Mme la vicomtesse de Poncins, née de Biencourt, nièce du dernier marquis.


de cette ville en 1479; 2° Jean, dit Jeannet,tige de la branche des seigneurs de Poutrincourt dont il sera reparlé plus loin ; 3° Miles.

L'une des filles de Girard II, Antoinette, porta le fief de Biencourt dans la famille d'Abbeville par son mariage avec Louis d'Abbeville, dit d'Yvregny, écuyer, seigneur d'Ercourt.

La terre dont ils avaient tiré leur nom patronymique étant passée dans la maison d'Abbeville, les Biencourt commencèrent à prendre couramment un autre nom de fief. Les noms ont une physionomie, comme les hommes ; il en est qui résonnent en fanfare, comme le son du cor. Celui de Poutrincourt avait de l'éclat et de l'harmonie ; il leur plut et devint usuel du vivant de Jean, dit Jeannet.

Jean, dit Jeannet, chevalier, seigneur de Poutrincourt, de Bachimont, du Petit-Hamel, de Fleury, Truyeau, etc., second fils de Girard Ier et de Jeanne de Lanchères, reçut en don de son père la terre de Poutrincourt et le fief de Bachimont, sis à Prouville en Ponthieu, par acte du 6 Février 1464. Il épousa, vers 1466, Antoinette Sarpe, fille aînée d'Enguerrand Sarpe, dit Cugnard, écuyer, seigneur de Saint-Maulvis en partie, d'Epaumesnil, etc., et d'Antoinette Boyer.

Les Sarpe s'étaient illustrés pendant la guerre de Cent-Ans. Enguerrand était fils de Jean Sarpe, écuyer, seigneur de Saint-Maulvis en partie, capitaine d'un des châteaux d'Airaines, qui défendit


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cette forteresse pour le Dauphin contre les AngloBourguignons, commandés par Jean de Luxembourg, en 1422. Après une résistance héroïque, Jean Sarpe et Coquart de Cambronne, capitaine de l'autre château, furent obligés de se rendre, avec ce qui leur restait de troupes, environ cent hommes et cent archers. Ils obtinrent des saufconduits pour Compiègne, le Crotoy, Gamaches et Saint-Valéry. Jean Sarpe alla s'enfermer dans le château du Crotoy avec Jacques d'Harcourt où il servit d'otage, l'année suivante lors de la reddition de la place aux Anglais (1).

Du mariage de Jean, dit Jeannet,et d'Antoinette Sarpe, vinrent trois fils : Jacques, Adrien et Nicole. Ce dernier fut religieux en l'abbaye de Saint-Riquier, et mourut à Paris le 5 Septembre 1500.

Jacques de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, d'Epaumesnil et de Saint-Maulvis, épousa en premières noces par contrat du 15 Octobre 1496, Adrienne de Blécourt, fille de Guillaume de Blécourt et de Guillaumette de la Bove ; en secondes noces, par contrat du 27 Décembre 1504, la fille de Charles de Haudecoustre, chevalier, seigneur de Lanchères ; en troisièmes noces, par contrat du 5 Septembre 1507, Claire de Vaux, fille de Pierre de Vaux, écuyer, seigneur de Hocquincourt et de Marguerite de Gribeauval, cette dernière fille de

(1) Chronique d'Enguerrand de Monstrelet, éd. Buchon, t. IV, p. 370.


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Charles de Gribeauval, maïeur d'Abbeville. Claire de Vaux fut inhumée dans l'église de Saint-Maulvis, en 1520.

Du premier lit, Jacques eut, entre autres enfants : Florimond, père de Jean de Poutrincourt ; Antoine, prêtre, curé d'Almanche, diocèse de Troyes ; Jacques, reçu chevalier de Saint-Jean de Jérusalem en 1545, et Jean, abbé de SainteMarguerite, ordre de Saint-Augustin.

Biencourt portait : de sable, au lion d'argent, armé, lampassé et couronné d'or.

Le blason mérite l'attention en tant que marque symbolique des vertus et des grandes actions d'une race. Si le lion est bien l'emblème de la vigilance, de la force et du courage, on peut dire que jamais ce noble animal n'occupa à plus juste titre le champ d'un écu.

. Le nom et les armes de Biencourt figurent dans la salle des Croisades du Musée de Versailles.


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FLORÏMONO de BLENCOURT

Florimond de Biencourt fut placé tout enfant auprès de Claude Ier de Lorraine, comte d'Aumale et de Guise, fils puîné de René II, duc de Lorraine, et il partagea l'éducation des fils aînés de ce prince.

Claude de Lorraine, qui s'était établi en France, avait rendu les plus grands services à François Ier. Il avait commandé les lansquenets du duc de Gueldre à Marignan, où il avait été couvert de blessures, et avait été assez heureux pour recouvrer la Basse-Navarre sur les Espagnols en 1521. Le Roi avait érigé en sa faveur la terre de Guise en duché et lui avait donné le gouvernement de Champagne.

Florimond fit son noviciat guerrier sous ce rude capitaine et sut s'en faire aimer. Il fut homme d'armes des ordonnances du Roi dans la compagnie de Guise dès 1526 (1), fut pourvu par lettres du 27 Octobre 1532 de l'office de l'un des cent gentilshommes de l'Hôtel, et pris part à la défense de la Picardie sous les ordres du duc, en 1536.

De cette longue et intime fréquentation naquit le fidèle attachement de Florimond et des siens à cette maison de Guise dont Claude Ier avait fondé la grandeur, qui joua un rôle si important dans les

(1) Chronologie d'Abbeville, par le marquis de Belleval, p. 483.


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événements politiques et militaires sous François Ier, •et qui, à la troisième génération, « ne pouvait plus monter qu'en escaladant le trône » (i).

Florimond de Biencourt épousa Jeanne de Salazar, dame de Marcilly-sur-Seine, Béton, Potangis et autres lieux,, issue d'une très ancienne famille originaire d'Espagne, illustre par les hommes de guerre et les hommes d'Église qu'elle a donnés à la France, et par ses alliances.

Les descendants.de Florimond se plurent à se réclamer de l'auréole qui entourait le nom de Salazar. Les fils et petits-fils de l'explorateur relevèrent ce nom et l'ajoutèrent à celui de Biencourt. C'est ce qui nous oblige à accorder en passant quelque attention au fondateur de cette maison et à ses fils.

Le premier des Salazar transplanté en France en 1428, se nommait Jean et venait du pays de Biscaye. Ce seigneur, en qui florissaient toutes les

(1) Lorsque Claude Ier de Lorraine, duc de Guise et d'Aumale, gouverneur de Bourgogne, accorda par provision donnée à Guise le 28 Août 1547 à Florimond de Biencourt la charge du gouvernement d'Aumale qui venait d'être érigé en duché par édit d'Henri II, il mentionna que c'était « en considération de ce que ledit duc l'avoit nourry dès son jeune âge, et des bons et grands services qu'il avoit fait tant à luy qu'à son flls, le duc d'Aubmalle. »

Florimond fut confirmé le 15 Février 1550 par Claude II de Lorraine, duc d'Aumale, dans cet emploi « qu'il avoit tenu et exercé du vivant du feu Sgr duc de Guise, jusques au jour de son trespas ». Claude Ier mourut en effet en 1550.

B. N. Cabinet des Titres. Carrés d'Hozier 92, f<>« 109 et 111.


PI. il. — ARMES DE LA FAMILLE DE BIENCOURT, d'après l'Histoire des Maïeurs d'AbbeviUe, par le P. Ignace

SIGNATURE DE JEAN DE POUTRINCOURT.

B. N. Pièces originales, D. 33S, n° 104.



. — a -

qualités chevaleresques et guerrières de la racé espagnole, se signala à la journée des Harengs, où il fut ramassé pour mort ; il suivit l'étendard de Jeanne d'Arc au siège d'Orléans, fit avec elle la campagne du sacre. Il prit part, sous les règnes de Charles VII et de Louis XI, aux batailles de Jargeau, Beaugency, Patay, Anthon, Saint-Denis, Paris, Muttenz et Montlhéry, et à seize sièges ou défenses de villes, savoir : Compiègne, Lagny, Saint-Vincent, Belleville-en-Beaujolais, Louviers, Pontoise, Séverac, Capdenac, Bourges, SaintAmand-de-1'Allier, Gaunat, Paris, Amiens, Beauvais et Gray. Il fit les campagnes de Bâle (1444), de Roussillon (1462), de Berry'(1465), de Catalogne (1468), de la Marche (1470), de Picardie (1471) et de Picardie (1475). (1)

Le siège de Beauvais est peut-être celui où il montra le plus de valeur. Salazar sortit d'Amiens, en 1472, pour inquiéter les troupes du duc de Bourgogne qui, de Roj^e, se portaient sur Beauvais. Il réussit à se jeter dans cette ville avec sa compagnie et soutint, avec la garnison et les habitants, les attaques furieuses de Charles le Téméraire au cours desquelles s'illustra Jeanne Hachette. Le lendemain d'un assaut, il se couvrit de gloire par un coup d'audace inouïe. Au cours d'une sortie, il

(1) Pendant son séjour à Amiens, son hôtel fut le théâtre d'un drame atroce. (Voir dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes (1925) l'étude de M. Antoine Thomas, Jean de Salazar et le guet-apens d'Amiens.)

3


-44bouleversa

-44bouleversa travaux des assaillants, pénétra jusque dans leur parc d'artillerie où il enleva quelques gros canons. Il eut la bonne fortune de reprendre l'un des « douze pairs » que Louis XI avait perdu à Montlhéry, ce dont il s'était toujours montré inconsolable. Salazar rentra criblé de blessures mais ramenant triomphalement ces bouches à feu auxquelles le roi attribuait une vertu talismanique. Le grand-maître de l'artillerie de Bourgogne avait trouvé la mort dans cette affaire.

Le siège que soutint Salazar à Gray, en 1477, lui fut fatal. Il fut surpris par les capitaines bourguignons Claude et Guillaume de Vaudrej' qui réussirent à incendier la ville. Il succomba à d'atroces brûlures, le 12 Novembre 1479, et fut inhumé dans l'église du prieuré de Macheret, dans sa seigneurie de Saint-Just-en-1'Angle qui devait, plus tard, échoir à son arrière-petit-fils, Jean de Poutrincourt.

Le rapide et pâle résumé qui précède ne donne qu'un bien faible reflet des glorieux états de services de ce valeureux chef de guerre que chérissait Louis XL Ce grand Roi avait trouvé, dans ce soldat indomptable, un fidèle et scrupuleux exécuteur de son impitoyable politique (1).

Salazar avait logé en 1436, avec les gens de Rodrigue de Villandrando, à Sully-sur-Loire, où

(1) Voir Jean de Salazar, par M. le chanoine Chartraire, et les Salazar en Picardie, par Adrien Huguet.


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était le château de Georges de la Trémoïlle, le favori de Charles VIL Cinq ans plus tard, le 31 Octobre 1441, avait été signé en ce même château, le traité de mariage par lequel Georges de la Trémoïlle, seigneur de Sully et de Craon, Grandchambellan de France, se faisant fort de Marguerite de la Trémoïlle, dame de Saint-Fargeau, sa fille bâtarde, arrêtait les clauses et conditions de l'union de cette demoiselle avec Jean de Salazar.

D'un premier mariage, le capitaine avait eu un fils, Louis, dit de Montaigne, seigneur d'Asnois.

De son union avec Marguerite de la Trémoïlle, morte en Décembre 1457, et inhumée au prieuré de Macheret, il eut quatre fils :

1° Hector de Salazar, chevalier, seigneur de Saint-Just, conseiller et chambellan du Roi, capitaine de cent hommes d'armes des ordonnances de Sa Majesté, capitaine de Sully (1476), gouverneur et bailli d'Auxerre (1493) (1).

2° Tristan, né en 1447, d'abord évêque de Meaux, archevêque de Sens le 25 Septembre 1474, qui assista, avec le cardinal d'Amboise, à la reprise de Gênes, le 29 Avril 1507 (2).

(1) Hector donna quittance à Jacques le Roy, trésorier général des Finances sur et deçà de la rivière de Seine, de la somme de cinq cents livres tournois pour « sa pension et entretennement au service du Roy la présente année». Du 18 Mai 1489. B. N. Cabinet des Titres. Pièces originales 2610, f° 103.

(2) Jean de Salazar, écuyer du roi Louis XI, par M. le chanoine Chartraire, et pièces originales 2609, f° 63.

Voir aussi le P. ANSELME, Histoire généalogique... de la maison


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3° Gallois (ou Galéas), né en 1449, seigneur de Ferrière, Vauders-les-Sièges, qui prit part à la guerre de Bretagne sous les ordres de Louis de la Trémoïlle, se rendit célèbre à la bataille de SaintAubin-du-Cormier les 27 et 28 Juillet 1488, fit la campagne de Gênes avec son frère l'archevêque, fut pourvu du commandement de cette ville par Louis XII, et qui mourut le 9 Février 1522 (3).

Jeanne de Salazar était née du mariage d'Hectoret d'Hélène de Châtelus, fille de Jean, sire de

de France, t. VII, p. 5, et LA CHENAYE-DESBOIS, Dictionnaire de la Noblesse. Ce généalogiste ne donne que trois fils à Jean de Salazar (il ne mentionne pas Lancelot). L'abbé Bouvier (Histoire de l'église de Sens) dit bien que ce seigneur eut quatre fils. Le P. Anselme, mentionne aussi une fille, Jeanne, alliée à Louis de Prie, seigneur de Busançois, grand-queux de France. Hector, l'aîné, Lancelot et Gallois se partagèrent la succession de leurs père et mère le 26 Septembre 1481. La terre de Saint-Just échut à Hector et à Gallois, avec toute justice, haute, moyenne et basse. Copie collationnée du partage fut délivrée le 30 Mai 1488, par Jean Bugnot, clerc notaire juré en la prévôté de Chantemerle. Pièces originales 2609, f° 93.

L'Inventaire sommaire des archives départementales de l'Aube cite un traité de seigneur de Salazar avec le chapitre de la Cathédrale de Troyes, relatif à Saint-Just, en 1487.

A Lancelot échurent, après la mort de Jean, son père, les terres de Marcilly, Béton et Potangy.

(3) Galéas fut inhumé en l'abbaye de Morigny-lez-Ëtampes, parce que son fils, Jean, après avoir été archidiacre de Sens et avoir failli succéder à Tristan sur le siège archiépiscopal, était devenu abbé du monastère étampois.

Commission des Antiquités et des Arts de la Seine-et-Oise, XXXIIe volume, OEuvres d'art dans les églises d'Etampes, p. 68.


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Châtelus, vicomte d'Avalon, chambellan du Roi et de Jeanne d'Aulenay d'Arcy (1).

Elle avait un frère, François, baron de SaintJust, et une soeur, Suzanne, cette dernière destinée à l'état religieux.

Leur oncle, Tristan de Salazar, qui survécut plus de trente ans à leur père Hector et qui les couvrit de sa protection, est l'une des grandes figures de l'épiscopat français. Né à Saint-Maurice-Trizouailles dans la vallée de Tholon, il occupa le siège archiépiscopal de Sens, de l'an 1474 à l'an 1519.

Cet archevêque contribua à donner une grande illustration au nom de Salazar (2).

(1) Le P. ANSELME, Histoire généalogique..., t. VIII, p. 870. Jean de Beauvoir, seigneur de Ckastellux. Chanoine CHARTRAIRE.

(2) Tristan de Salazar, qui s'était consacré à la restauration de la basilique de Sens fondée par saint Anastase, avait aussi fait bâtir l'hôtel de Sens, à Paris ; il mourut le 15 Février 1519.

« Tristan de Salazar termine dignement, dans la liste des prélats sénonais, cette période de relèvement où l'Église de France travaille avec énergie à réparer les ruines de toutes sortes amoncelées par le schisme et la guerre de Cent Ans. » Histoire de l'église... de Sens, par M. l'abbé Bouvier, t. II, pp. 463, 464.

Par son testament du 19 Juin 1517, l'archevêque demande à être mis en sépulture « dans le choeur de l'église métropolitaine de Sens, dessous la sépulture où estoit son effigie, qu'il avoit fait édifier et construire au côté de l'autel Saint-Pierre ». Cabinet des Titres. Pièces originales, 2610, f° 140.

Ce monument n'existe plus.

Voir Bibl. Nat., Estampes, p. c. II a., f° 51.

Pour le monument de la famille de Salazar décrit ci-dessus, voir notamment le beau dessin de Thorigny dans le Magasin pittoresque d'Octobre 1861, p. 333, portant ce titre : Restes du


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Florimond de Biencourt avait ainsi contracté une alliance des plus honorables et se trouvait apparenté aux maisons de Bourbon, de Saint-Simon, etc..

Les charges et les honneurs récompensèrent ce seigneur de son dévouement à la maison de Lorraine et des bons services qu'il avait rendus à François Ier. Le 6 Juillet 1544, il obtint des lettres de retenues en l'état de Conseiller et Maître d'hôtel ordinaire du Dauphin, duc de Bretagne, aux lieu et place de feu Louis de Ronssart, seigneur de la Possonnière, et il prêta serment en cette qualité le 10 du même mois, au bureau du prince tenu à Saint-Maur-des-Fossés, aux mains de M. de Lianmonument

Lianmonument Salazar sur un pilier de la cathédrale de Sens. Le Magasin dit que sur le monument funéraire figurait agenouillé le connétable de la Trémoïlle, aïeul maternel de l'archevêque. Cet aïeul, Georges de la Trémoïlle, n'était point connétable, mais grand chambellan de France, et premier ministre de Charles VII. Marguerite (appelée aussi Marie) était la fille naturelle de ce grand seigneur qui avait été l'un des familiers de la cour galante d'Isabeau de Bavière.

La Chenaye-Desbois donne pour armes aux Salazar : Ecartelé, aux 1 et 4 d'or à cinq fers de pique de sable posés en sautoir ; aux 2 et 3 de gueules à cinq étoiles en sautoir, et sur le tout d'argent à une aigle à deux têtes d'azur.

La Vraye et parfaite science des armoiries dit que Salazar porte : coupé d'argent et de sable à une bande engreslé brochant sur le tout coupée de l'un en l'autre.

Voir les armes de l'archevêque dans l'ouvrage de l'abbé Bouvier, cité ci-dessus.

Voir aussi, sur les Salazar, Dictionnaire de Moréri, éd. 1759, t. IX, p. 87.


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court, aussi conseiller et Maître d'hôtel du Dauphin (1). Il eut le brevet de l'office de bailli de Vermandois qu'exerçait du vivant du feu Roi le sire de Longueval, le 1er Mai 1547 (2).

Florimond fut envoyé en qualité d'ambassadeur auprès de l'empereur Charles-Quint, honneur redoutable qui demandait, chez celui qui en était le bénéficiaire, du jugement, du savoir et la plus grande prudence (3).

En 1537, les armées françaises passèrent ' de l'Artois au Piémont. Le Roi, après avoir pris Hesdin, Saint-Pol et Saint-Venant, licencia une partie de ses troupes et envoya des renforts vers les Alpes. Il s'avança lui-même dans la direction

(1) Carrés d'Hozier 90, f° 107. Henri, second fils de François Ier était devenu Dauphin par la mort de François, duc de Bretagne, en 1536. C'est donc à tort si, dans le Dictionnaire de La ChenayeDesbois, il est dit que Florimond était conseiller et Maître d'hôtel de François de France, duc de Bretagne, par provision du 6 Juillet 1544.

Il fut présent, le 13 Mai 1544, au mariage d'un des hommes d'armes des ordonnances sous sa charge, Jacques du Hamel, écuyer, seigneur du Hamel, d'Allery, de Bourseville et d'Aubigny, gentilhomme ordinaire du duc de Guise.

(2) Carrés d'Hozier 90, f° 108. Longueval «en avoit esté privé et deschargé pour certaines causes » dit le brevet ci-dessus. Il s'agit de son emprisonnement, sous l'accusation d'avoir été l'agent des trahisons de la duchesse d'Ëtampes, Anne de Pisseleu, demoiselle d'Heilly, ancienne maîtresse de François Ier.

(3) P. ROGER, Noblesse et Chevalerie du Comté de Flandre, d'Artois et de Picardie, p. 225.

L'auteur a tiré ce renseignement du Nouveau d'Hozier. Biencourt f° 52. Mais il a omis d'indiquer cette référence.


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de Lyon et manda, du village de Chavannes, sur la route d'Italie, le 23 Septembre, à Florimond de Biencourt, d'avoir à se rendre en cette ville, afin de se joindre au Dauphin Henri et au grandmaître de France, le futur connétable Anne de Montmorency :

« A Monsieur de Poutrincourt, gentilhomme de ma Chambre.

«Monsieur de Poutrincourt, j'envoie demain, mon filz le daulphin à Lyon et avecques luy mon cousin le grand-maître, pour donner ordre à toutes choses nécessaires pour le passaige de cette armée. A ceste cause, je vous prye partir le plus tost que vous pourrez avecques vostre compaignie, et vous rendre audit Lj'on en la meilleure diligence qu'il vous sera possible, affin de vous réunir à mondit filz et à mondit cousin, pour aider aux choses dont ils ont charge pour mon service, et m'asseurant que vous ne faillirez en ceste occasion à vostre diligence et dévouement accoustumez, je prieray Dieu, Monsieur de Poutrincourt, qu'il vous ait en sa garde.

« FRANÇOYS » (1).

On sait qu'avec ces troupes, Montmorency força le pas de Suse et déboucha dans les plaines du Piémont en Octobre.

(1) Cette lettre a été reproduite par Alcius Ledieu dans la Vallée du Liger, p. 3. L'original a figuré dans les archives du château d'Azay, s'il faut en croire le Magazin pittoresque d'Octobre 1861.


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Dès les premières années du règne d'Henri II, l'influence des Guise s'affirma et le crédit de Florimond augmenta.

Les chefs de cette grande maison étaient alors le duc Claude, général expérimenté et fin politique, le cardinal Jean, son frère, célèbre par son luxe et ses talents de diplomate ; mais les deux fils aînés de Claude, le duc François (alors comte d'Aumale) et le cardinal Charles, archevêque de Reims, abbé de Saint-Denis, de Saint-Valéry et de Fécamp, éclipsaient déjà leur père et leur oncle par leurs qualités brillantes, leur esprit, leur élégance, leur pouvoir de séduction, par cent autres facultés diverses qui faisaient que «les autres princes paraissoient peuple auprès d'eux.»

Les fiançailles de François de Guise, duc d'Aumale, avec Anne d'Esté, fille du duc de Ferrare et de Renée de France, furent célébrées à Moulins, en 1548, en présence d'Henri II et de la cour. La future épouse était la petite-fille de Louis XII ; Renée de France, seconde fille de ce Roi, d'abord promise à Charles-Quint, puis demandée en mariage par Henri VIII, avait fini par épouser Hercule II d'Esté, duc de Ferrare, fils d'Alphonse Ier et de Lucrèce Borgia.

Cette haute alliance, qui rapprochait encore les Guises de la maison royale, fut l'occasion d'un nouvel honneur pour Florimond. Il fut chargé de procuration, en 1549, pour épouser Anne d'Esté au nom du duc, son maître.


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M. de Poutrincourt, dans cette ambassade extraordinaire, déploya un luxe digne de la cour de Ferrare, patrie des lettres et de la magnificence, digne de cette grande ville italienne, l'une des résidences princières les plus brillantes du temps (1).

L'année suivante, il fut nommé gouverneur du duché d'Aumale.

En 1553, Florimond séjournait à Amiens, au moment où l'armée du Roi campait à Grandcourtlez-Miraumont, village « distant d'icelle ville de unze lieues ». Le 2 Décembre, prévoyant son départ, il donna procuration générale à sire Fremin Lecat, écuyer, seigneur de Fontaines, maïeur aux lieu et place de sire Adrien Vilain, écuyer, seigneur de Quiry (2), avec pouvoir particulier de « mettre à pris et enchérir les quatriesmes impositions darennes... », tant du bailliage d'Amiens que de celui du Ponthieu, ce qui montre qu'il possédait alors une forte somme d'argent à laquelle il cherchait un emploi fructueux (3).

(1) Le Nouveau d'Hozier, à l'article Biencourt (f° 52), dit qu'il « a fait plusieurs services signalés à la France, ayans esté ambassadeur vers l'Empereur Charles V, et depuis fut envoyé épouser par procuration la fille de Monseigneur le duc de Ferrare et de Madame Renée de France, pour Monseigneur le duc de Guise ».

(2) Ce maieur n'avait « peu exercer ledit estât ». Fremin Lecat fut peu après « lieutenant de courte robbe au bailliage d'Amiens. »

(3) Extrait des registres de l'échevinage : « Comparut en sa personne noble Me flouremont de biencourt, seigneur de poutraincourt, conseiller et Me dhostel ordre du Roy nore sire, de pnt estant en ceste ville d'Amyens. Et a re[cogneu] avoir fait


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Au printemps de 1554, Florimond servait en Artois sous les ordres du duc de Guise. Henri II venait d'envahir le Hainaut et le comté de Namur avec deux corps d'armée dont il s'était réservé le commandement en chef. Charles-Quint, malgré l'étendue de ses États n'avait pu lever autant de troupes que le Roi de France, mais il avait réussi, au prix de sanglants sacrifices, à sauver le Brabant des ravages de l'invasion. Les armées françaises traversèrent le Cambrésis et l'Artois et mirent le siège devant Renty qui commandait la frontière du Boulonnais. L'empereur y attaqua les troupes françaises dans l'espoir de faire lever le siège de cette ville. Mais le 13 Août, l'armée impériale fut repoussée et rejetée en désordre sur ses cantonnements. Le duc de Guise était à la tête d'une des ailes victorieuses de l'armée française. Florimond prit part à cette chaude action. Il y fut fait chevalier (1).

ses procureurs gx de fremin lecat, escuier, sr de Fonthaines et autres, Pour plaider en forme commune, eslire dom[ici]le et par spécial [pouvoir] aud. J. de fontaines de comparoir perdevant messeigneurs ordonnez par le Roy sur le faict des venditions, saisines et impositions et partout et ailleurs. Et illec pour et au nom dud. sgr comparant mettre à pris et enchérir les quatriesme imposODS darennes... tant de ce quy est du bailliage d'Amyens que de ponthieu, à telle so[mm]e et pour tel pris que led. sgr de Fontaines verra estre bon pour le proufîict dud. constituant, accepter la vendition et adjudicaon qu'il advisera, et passer telles lettres que requis en sera, et générallt...

« Passé Amyens le second jour de décembre Vc L iij, pard* Claude Woquest.

« (signé) : GROQUOISON. »

Archives municipales d'Amiens. Reg. F. P. 92, f° 147.

(1) Dictionnaire de la Noblesse.


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Cette même année, le gouverneur d'Aumale fut envoyé en Picardie pour s'opposer aux ravages des gens de guerre en cette province. Il réprima la turbulence des pillards et détrousseurs, et purgea la région des coupe-jarrets qui l'infestaient (1).

La perte de la bataille de Saint-Quentin, livrée le 14 Août 1557, obligea Henri II à envisager des mesures de défense exceptionnelles. Le 26 Août, il appela sous les armes le ban et l'arrière-ban du bailliage d'Amiens ; le commandement en fut confié à Guillaume du Caurel, chevalier, bailli d'Amiens, seigneur du Taisnil. Adrien Le Clerc, écuyer, seigneur de Bussy-lez-Poix, fut chargé du recouvrement de la contribution imposée aux personnes qui se trouvaient exemptes du service militaire par leurs emplois auprès de Sa Majesté ou pour toute autre raison. Cette contribution fut de six sols par livre de la valeur du fief. Florimond de Biencourt qui était alors « commissaire général des vivres et avitaillements es pays de Picardie, Boulonnois et Artois », versa la somme de trente livres tournois pour six fiefs, « sçavoir la terre de Pouictrincourt, le second nommé le fief de Saint(1)

Saint(1) 17 Janvier 1554. (Ancien style). Commission donnée à Saint-Germain-en-Laye par le Roi Henri II à Florimond de Biencourt « pour se transporter dans son pays de Picardie, s'informer des pilleries que les gens de guerre françois, escossois et Anglois avoient faits dans led. pays de Picardie, et remédier le plus commodément qu'il pourroit. » Contresigné Bourdin.

Cab. des Titres. Pièces originales.


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Mauvy, et les autres quatre scituez audict SainctMauvin, qu'il a déclairé valloir la somme de cent livres tournois (1) ».

Florimond rendit à cette époque les plus signalés services au duc de Guise. Ce général, débarqué à Marseille au retour de son expédition d'Italie, venait d'arriver en Picardie avec des forces considérables pour l'exécution d'une tentative hardie, depuis longtemps conseillée par Jean de Monchy-Sénarpont, baron de Vismes-en-Vimeu, gouverneur de Boulogne.

Le 30 Décembre 1557, le duc mandait aux échevins d'Amiens qu'il était urgent de « faire une grande provision et amas de blez et farine », « pour subvenir à la nourriture de l'armée »,et aussi « pour l'envitaillement des villes et places fortes de ceste frontière de Picardye », il leur ordonnait de « départir, imposer et lever sur tous et chacuns les gens d'Église, nobles, bourgeoys, manans et habitans... la quantité de deux cens muys de blé fourment, mesure de Paris... » Cet approvisionnement était l'une des pièces qu'il manoeuvrait sur un mystérieux échiquier dans la partie qu'il jouait et dont l'enjeu devait être le plus grand triomphe de sa carrière. Ce même jour, 30 Décembre, quarante transports, partis de l'embouchure de la Somme, escortés de cinq grands vaisseaux de guerre, passaient à Ambleteuse. Les. adversaires

(1) DE BEAUVILLÉ. Documents inédits, t. III, p. 402.

On trouvera plus loin la désignation de ces différents fiefs.


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du duc, cependant avisés de cet envoi, ne soupçonnaient pas encore ses projets (1). Dans son calcul, ces réserves de nourriture devaient être envoyées, en cas d'heureuse décision, en un lieu indiqué.

Le 12 Janvier, le duc écrivait aux maïeur et échevins d'Amiens :

« Messieurs, j'ay entendu par la lettre que

m'avez escripte, et parce que m'ont dict les

commissaires généraulx des vivres de ceste armée,

la dilligence dont vous usez au recouvrement des

deux cens muys de blé que je vous ay puisnaguères

envoyé la Commission et mesme au convertissement

convertissement blez en farines, en quojr il fault que je

me loue de votre devoir que je ne céleray point

au Roy, pour vous en sçavoir le gré que vous

méritez. Mais il fault, que je vous prie que à mesure

quelques farines sont empacquées vous les faictes

mener et conduire par eaue à Abbeville, es mains

du Sr de Potrencourt, qui les recevra et les fera

peu après envoyer... et quant aux fraiz du port

desd. farines, jusques aud. lieu d'Abbeville, dont

vous ferez ce service au Roy de faire l'avance.

Je vous en feray rambourser.

« A Calais, ce xne Janvier 1557 (2).

De la main du duc : « Votre bien bon amy,

« Le duc DE GUISE » (3).

(1) M. CH. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine française, t. III, p. 557.

(2) 1558 nouveau style.

(3) Archives municipales d'Amiens. E. E. 323, f° 97.


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Biencourt reçut cet approvisionnement en Février suivant. Mais déjà le but poursuivi par le duc était atteint. L'armée s'était attaquée aux forts qui défendaient Calais, et le 8 Janvier 1558, Guise avait contraint le gouverneur anglais, lord Wentworth, à capituler. Cet événement imprévu avait déterminé dans toute la France, une immense explosion de joie. Au mois de Mars, les farines restées en dépôt à Abbeville furent expédiées en sept cent onze pièces ou futailles à Calais par Florimond de Biencourt sous la garde de Gilles de Montpellé et de Jean Bétarde, facteurs des marchands munitionnaires ; une partie était endommagée parce que les blés avaient été « mouluz et les farines bultées et empacquées en extrême diligence, jour et nuict, par le commandement de Mgr de Guise. »

Malgré tous ses efforts, M. de Biencourt n'avait pu trouver à Abbeville un «lieu seur, propre et commode à les retirer à couvert », mais sa prévoyance n'était nullement en défaut, attendu que les farines avaient été mises à Amiens « en futailles non seiches », faute d'autres « à cause de la grant abondance de vin qui avoit esté en ladicte année », et que, de plus, pour comble de mauvaise chance, lesdites futailles avaient beaucoup souffert en navire, de Saint-Valéry à Calais. Certaines « s'estoyent entre-ouvertes par la tourmente et impétuosité de la mer » (1).

(1) Récépissé délivré par Florimond de Biencourt aux maïeur et échevins d'Amiens :


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Pendant les loisirs que lui laissaient ses campagnes et ses missions diplomatiques, Florimond, qui apportait nécessairement dans la gestion de ses affaires personnelles les principes d'ordre et d'équilibre qu'exigeaient ses fonctions de com«

com« flourimont de Biencourt, Chlr, seigneur de Poutrin' court, conseiller et me d'hostel ordinaire du roy, commissaire général des vivres et advitaillements de Picardye, Boullenois etArthois et de son armée, Certifions à tous à quy il appartiendra que les majeur, prévost et eschevins de la ville d'Amyens ont fourny livré en ceste ville, d'Abbeville, le nombre de sept cens onze poinssons de farines bulletées, pressées et empacquetées, iceulx provenant de deux cens muyd de blé froment mesure de Paris naguères et au mois de Janvier dernier à eulx ordonnez livrer pour le service du Roy par Monseigneur le duc de Guise, pair et grant chambellan de France, lieutenant-général de Sa Majesté en tous ses royaulmes et pays, Et sy ont encoires livré par l'ordonnance aussy de mondict seigneur le nombre de deux cens vingt et ung poinssons de farines estant de celles à eulx commandées de préparer au mois de May dernier par ledict seigneur Roy et monseigneur le connestable. Toutes lesquelles farines ont esté reçeues par Philippes de Meldeman, commis à ce faire.

« Faict audict Abbeville le xnime de febvrier mil cincg cens cinquante sept.

De la main de Biencourt : « A la charge que lesd. maïeur, pruvost et eschevin envoiront à Callais pour faire l'espal avec les municionere du contenu des poinçons plain de farine et quant il leur sera mandé.

« DE BIENCOURT ».

Archives communales d'Amiens, E. E. 323, 98.

Voir aussi E. E. 323, 99, Permission donnée par le Président Bourgeois, Louis Varlet, Seigneur de Gibercourt, député du duc de Guise, et Florimond de Biencourt, pour la vente du son provenant de la mouture de 200 muids de blé, signée des trois sus-nommés.


PI. m. — SIGNATURE ET SCEAU DE FLORIMOND DE BIENCOURT,

père de Jean de Poutrincourt.

Archives communales d'Amiens; Ms. EE 323, 99 et

B. N. Pièces Originales 338, quittance du 2 Janvier 1567.

SIGNATURE DE JEANNE DE SALAZAR, mère de Jean de Poutrincourt.

Minutes de Me Vauquet, étude de Me Truquin,

notaire à Abbeville, acte du 14 Mars 1577.



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missaire des vivres, administrait sagement ses domaines et s'occupait avec soin de ses intérêts. Il encaissait des gages et des pensions tant à la caisse du duc de Guise qu'à celle du Roi de France (1). Lors de ses ambassades, il touchait de grosses

(1) « Je Floremond de Biencourt, Sr de Poutraincourt, Me d'hostel ordinaire du Roy et gentilhomme de la Maison de monseigneur le duc de Guyse, confesse avoir eu et Receu comptant de dame Françoise Grineau, vesve de feu Me Jean Vyon, en son vivant trésorier et receveur général des Finances de mond seigneur le duc de Guyse, la somme de trois cens livres pour les gaiges et pension a moy ordonnée par led. monseigneur durant l'année finie le dernier jour de décembre l'an mil Vc cinquante et ung. De laquelle somme de IIIc livres je suis content et en ay quicté et quicte lad. Gryneau et tous autres. En tesmoing de ce, jay signé ce pnt. A Sainct-Germain en Laye le XXVIe jour de Mars l'an mil Vc cinquante deux.

« DE BIENCOURT. »

« Nous Florimond de Biencourt, Sr de Poutrincourt, Me dhostel ordinaire du Roy, confesse avoir eu et receu de Me Jean Môrin, Conseiller dud. Sr et Trésor 1 de ses officiers domestiques, la somme de sept-vingtz dix livres tz, en testons et autres pces léalles... a nous ordonnée pour noz gaiges à cause de nred. estât de Me dhostel, Pour le quartier de janvier, février et Mars mil VCLIX, de laquelle somme de VIIxxx livres nous en tenons quictes icelluy Trésorier et tous autres. Tesmoing noz seing et seel cy mis le xvne jour de May lan mil cinq cens soixante

c DE BIENCOURT. »

« Nous floremond de Biencourt, Escuyer, sr de Poutraincourt, conseiller et Me dhostel ordinaire du Roy et par luy commis et député à faire la monstre et reveu des compaignies des SrB le marquis de Conty, d'Estrées, conte de Retz et de Piennes, confessons avoir receu comptant de Me Jehan Lebeauclerc, commis à faire le payement d'icelles compagnies, la somme de cent livres tournois, En testons à xn sols pièces et viij sols monnoye, A nous ordonnée par Sa Malé pour noz fraiz et vac4

vac4


- 30sommes

30sommes le train de sa maison, pour sa suite et pour ses équipages, ce qui lui permettait, dans ces circonstances exceptionnelles, de faire bonne figure dans les cours où il était accrédité, de tenir le rang élevé que lui assignaient ces honneurs éphémères. Il pouvait même rivaliser de magnificence avec des ducs et des princes du sang, voire susciter leur envie « : Condé, chargé d'aller à la cour de Bruxelles ratifier au nom de François II le traité de Cateau-Cambrésis, n'obtint du cardinal de Lorraine qui gouvernait les finances, que mille écus pour frais de voyage, tandis qu'on prodiguait l'or à un simple gentilhomme expédié par les Guises auprès de l'Empereur » (1).

Ses affaires étaient prospères. Il montra l'aisance dans laquelle il vivait en s'appliquant à restaurer ses maisons seigneuriales, en arrondissant ses domaines.

Le 1er Juin 1532, il recevait investiture, en la ville de Saint-Valéry, par Philippe Durot, conseiller

caons davoir suyvant les leres de commission de Sad. Maté faict la monstre et reveue d'icelles compaignies pour ce quartier d'avril, may et Juing an Vc soixante six. De laquelle somme de cent livres nous tenons contans et bien payé et en avons quicté et quictons iceluy Lebeauclerc, commis susd. et tous autres. Tesmoing noz seing manuel et seel de nos armes cy mys le deuxiesme jour de Janvier lan mil cinq cens soixante sept.

« DE BIENCOURT. »

(Sceau portant un lion). Voir Sceaux du Ponthieu, par de Belleval, p. 77.

B. N. Cabinet des titres, Pièces originales, 338, fos 24 et 26.

(1) Henri MARTIN, Histoire de France, t. IX, p. 21.


- sien cour laie, bailli d'Hélicourt pour Alof Roùault, seigneur de Gamaehes, de tout un noble fief assis au village d'Épaumesnil, près de Saint-Maulvis, tenu et mouvant en plein fief et hommage de la seigneurie d'Hélicourt.

Le 12 Janvier 1552, il achetait de Christophe de Gomer, seigneur de Breuil-en-Brie et y résidant mais alors à Paris, le fief de Fresneville enclavé dans la terre de Breuil (1) ; le 7 Décembre 1556 de Jean de Buigny, seigneur de Cornehotte demeurant à Fluy, le fief noble de Bois-Rasoir séant à Saint-Maulvis, mouvant du duc d'Arschot (Philippe de Croy), seigneur d'Airaines ; vers 1560, des héritiers de Jean de Boulainvillers, la terre de Guibermesnil, mouvante de Fontaine-sur-Somme ; le 11 Juin 1561, Quentin d'Aigneville, écuyer, seigneur de Flamermont et de Belleperche, souscrivait une constitution de rente au profit de Florimond par actes devant MeB Jean Roussel et Nicolas Vauquet, notaires en Vimeu ; le 31 Octobre 1565, il se rendait acquéreur de Jean de Quefdelaville, demeurant à Saint-Maulvis, du fief Mabille sis à Saint-Maulvis. La déclaration de fiefs sujets au ban et arrière-ban du bailliage d'Amiens,

(1) Christophe de Gomer, écuyer, seigneur de Guignères en Beauvaisis, époux d'Isabeau Cuignet, issu d'une famille noble de Picardie. Son père était Charles de Gomer, seigneur de Breuilen-Brie, qui s'intitulait seigneur de Poutrincourt, Arrest et de plusieurs autres terres en Vimeu, et sa mère Jacqueline de Dompierre, près d'Abbeville.

B. N. Cabinet des titres.


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de 1557-1558, dont il a été parlé plus haut, le trouva ainsi en possession des fiefs et seigneuries de Poutrincourt, de Saint-Maulvis, de la Turgie, de Seret, du Bois-Rasoir, de Canesson, celui tenu du commandeur de Saint-Maulvis, le fief d'Amiette (ou Damiette), sis à Fresneville en Vimeu (1).

Jusqu'à sa mort, survenue en 1567, sa fortune ne fit que se consolider. Mais déjà, il avait pu concevoir de sérieuses craintes pour l'avenir, car il avait pu assister aux premiers chocs des longues guerres de religion qui devaient porter des coups si funestes à la grandeur de sa maison. Son fils aîné était disparu dans la mêlée sanglante de Dreux en combattant sous les Guises. Bientôt le second allait tomber dans la plaine d'Assay, entre Airvault et Moncontour, à l'avant-garde catholique. Bientôt les ravages de la guerre en Picardie allaient atteindre ses domaines et tarir les sources de revenus de sa veuve en ruinant ses censitaires.

(1) Biblioth. Nationale. Cabinet des Titres. Pièces originales 338 ; Dossiers bleus 95 ; Carrés d'Hozier 92 ; Cabinet d'Hozier 44 ; Nouveau d'Hozier 42 ; Cbérin 26.


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Jeunesse de JEiN de POUTRINCOURT

1557-1B77

Jean de Biencourt, dit de Poutrincourt, naquit du mariage de Florimond de Biencourt et de Jeanne de Salazar, en 1557.

On ignore le lieu exact de sa naissanceSon père avait fait construire en 1540, sur les terres de la seigneurie de Saint-Maulvis dite de l'Hôpital, « un magnifique château » que l'on voyait encore en 1710 (1). Un manoir existait déjà là en 1440, il est vrai. Le seigneur l'avait, en réalité, réédifié et embelli. Ce château était bâti sur six journaux d'enclos ; ses dépendances comprenaient un pré, appelé le Petit-Pré, qui «jouxtait» la butte voisine du chemin conduisant de Saint-Maulvis à Vergies, trente-quatre journaux de terre, dont quinze au lieudit le Val-de-Meige, six autres de prés et des droits de censives (2). Florimond en fit sa résidence (3).

Florimond de Biencourt et sa femme séjournaient aussi, selon les occurrences, en la maison seigneuriale de Poutrincourt, qui restait, à cette

(1) DE BELLEVAL, Fiefs et Seigneuries.

(2) L. P. LIMICHIN, Dictionnaire historique et archéologique de la Picardie (Société des Antiquaires de Picardie).

(3) Après sa mort, Jeanne de Salazar l'habita. Elle y demeurait encore en 1578, quand elle fit une donation à son fils Jean, le futur explorateur, -et à sa fille Claude.


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destination, constamment garnie de meubles en quantité suffisante. Ce n'était point ce qu'on appellerait de nos jours une résidence d'été, une « villégiature ». Le mot et la chose n'avaient point cours à l'époque. Les châtelains s'y rendaient « en quelque temps et saison que ce fût » (1).

La résidence ordinaire de Florimond et de Jeanne de Salazar était donc à Saint-Maulvis, petit village du Vimeu, qui ressortissait de la prévôté d'Oisemont, du bailliage et de l'élection d'Amiens. C'est là qu'ils avaient établi le siège et le centre de leurs affaires ; c'est là que se déroulaient les grands événements de leur existence ; c'est en l'église paroissiale du lieu qu'ils possédaient leur sépulture de famille.

(1) Poutrincourt, demeure d'occasion, doublait l'habitation principale de Saint-Maulvis sans jamais la remplacer totalement. Les dispositions prises par Jeanne de Salazar au mariage de son fils aîné, classent Poutrincourt au rang de logis secondaire. Le futur époux, aux termes du contrat qui précéda son union avec Renée de Famechon, accorde « au cas où ladicte damoiselle future espouse lui survive, qu'elle jouisse sa vie durante de la totallité de la maison seigneurialle et pourprins d'icelle seigneurie dudict lieu de Sainct-Maulvis, sytantestoit que la dame de Salzart fust déceddé,... durant le vivant de laquelle, lad. damoiselle future espouze se contentera à avoir la jouissance de la maison seigneurialle et pourpris de Poutraincourt, et après le décedz de lad. dame de Salzart, lad. damoiselle future espouze quictant la jouissance de lad. maison de Poutraincourt sans aulcune solempnité ne mystère (pour ministère) de justice, entrera en la possession et jouissance de lad. maison jardinaige et pourprains de Sainct-Maulvis... »

Archives départementales de la Somme. Reg. B. 64 et B. 640.


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Il y a donc lieu de supposer que Jean de Poutrincourt naquit à Saint-Maulvis, c'est-à-dire au domicile habituel de ses père et mère.

Le hasard d'un déplacement seul, aurait pu le faire naître au château de Poutrincourt, à Abbeville ou aux environs.

Pour ne négliger aucune des données qui peuvent contribuer à élucider la question, il convient de remarquer que Florimond de Biencourt résida à Abbeville au cours de l'année 1557 où Jeanne de Salazar lui donna son quatrième fils, Jean. Il en fut de même pendant les premiers mois de l'année suivante. Mais il y a fort peu d'apparence que sa femme l'ait accompagné, car il opérait alors comme commissaire général des vivres et avitaillements de l'armée du duc de Guise qui, après avoir séjourné dans la Basse-Picardie et le Boulonnais sous prétexte de ravitailler Doullens, Boulogne et Ardres, avait attaqué brusquement Calais le 1er Janvier 1558 et s'en était emparé en quelques jours, ainsi qu'on l'a vu au chapitre précédent.

La supposition des historiens d'Abbeville qui font naître Jean de Poutrincourt en la vieille cité des bords de la Somme, quoique insuffisamment étayée, n'est donc pas d'une invraisemblance absolue. Longtemps, des membres de la famille de Biencourt avaient habité la capitale du Ponthieu ou y avaient possédé des hôtels ; savoir : Hue de Biencourt, en!l385,_ qui non seulement


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avait la maison du Corbel (1), mais encore une autre demeure à la Poissonnerie (2) ; Girard de Biencourt, maïeur en 1477, qui demeurait en la rue du Castel ; sa veuve et ses filles, l'une mariée à Guillaume d'Abbeville, l'autre à Louis d'Abbeville, tous deux dits d'Ivregny, qui avaient des maisons (3) en tènements en la rue de l'Àbbesse et à la Planche aux No nains ; Thomas de Biencourt, dit Flameng, qui avait acheté l'hôtel de Beauvoir de Louis de Bournonville, comme époux de Claire de Beauvoir, et des consorts de Beauvoir, en 1488 (4). Enfin, le grand-père de Jean Poutrincourt lui-même, Jacques de Biencourt, possédait en 1501 une maison à Abbeville en la rue Docquet, tenue en deux tènements, l'un des frères et soeurs de l'Hôtel-Dieu d'Abbeville par vingt-deux sols parisis par an, et l'autre du Val de la même ville par huit sols, achetée par ses père et mère, Jean de Biencourt et Antoinette Sarpe (5).

(1) La maison du Corbeau était située en la rue du Pont à la Chaîne, tenait à la Maison de l'Epée et à celle de la Cloche, et touchait par derrière à l'église Saint-Georges. Elle est restée l'une des maisons remarquables de la ville d'Abbeville, si riche en vieilles demeures, et elle a son histoire.

E. PRABOND, Topographie d'Abbeville, t. Ier, p. 490 ; M. René CRUSEL, La Maison du Corbeau, dans le Bulletin de la Société d'Émulation d'Abbeville, 1922, n° 1-2, p. 84.

(2) DE BELLEVAL, Chronologie d'Abbeville, p. 209.

(3) Topographie d'Abbeville, t. III, pp. 135, 224, 225 et 498.

(4) Le 29 Mars 1488. Il revendit cette maison, tenue à cens de Louis d'Abbeville, dit d'Ivregny, le 27 Février 1490. Chronologie d'Abbeville, p. 80.

(5) Carrés d'Hozier. Biencourt, 100.


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Les noms de Biencourt et. de Poutrincourt étaient donc familiers aux Abbevillois.

Jean était jeune encore quand mourut son père.

Il fut d'abord destiné, en sa qualité de cadet, à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, comme son oncle Jacques (1), mais il ne devait jamais montrer la moindre hâte ni le moindre penchant à prononcer ses voeux. En présence de cette tiédeur, on se garda bien d'essayer de l'influencer. Un incident s'était produit dans la famille qui éloignait par avance toute idée de contrainte morale. L'un de ses oncles maternels, Annibal de Salazar, avait fait professsion à seize ans, mais quelque temps après, il avait déclaré qu'il avait agi sous la pression de ses tuteurs. Il avait obtenu une sentence de sécularisation le 24 Novembre 1563, à laquelle le cardinal de Ferrare, légat en France, n'avait pas été étranger ; il avait quitté l'Ordre et était entré au service du Roi (2).

Mme de Poutrincourt ne négligea rien de l'éducation militaire qu'il convenait de donner à son fils dernier né. Les leçons d'armes et de cheval tinrent, comme d'usage, la première place dans cet

(1) Jacques de Biencourt était entré dans l'Ordre en 1545, sous le magistère de Jean d'Omédès.

(2) Annibal de Salazar, fils de Louis de Salazar, enfant d'un premier lit de Jean de Salazar, fut chambellan du duc de Nevers et gouverneur de Clamecy. Né en 1527, il épousa Anne de Charny, et mourut en 1574.

Chanoine CHARTRAIRE. Jean de Salazar, Sens, 1923, p. 51.


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enseignement. A cette lente préparation du corps au rude métier de la guerre, on ajouta des études spéciales. Il fallait qu'un jeune seigneur destiné peut-être à l'Ordre célèbre, fût « bien institué ». Il fallait que le meilleur éloge qu'on pût porter de lui fut de dire qu'il était « fort adroit aux exercices ».

Il acquit en même temps quelques notions de pilotage, comme il se devait pour un gentilhomme qui pouvait être appelé à servir sur les galères de Malte. Il apprit donc à gouverner, à manoeuvrer les voiles, à sonder à la main ; son expérience dans les questions maritimes devait se révéler dans des circonstances critiques.

Où reçut-il cet enseignement expérimental en la navigation côtière ? On n'a aucune précision formelle à ce sujet, mais c'est très probablement sur le rivage picard où l'appelaient ses séjours à Poutrincourt.

Cette solide formation au noble métier des armes et cette prudente initiation aux multiples connaissances et devoirs de l'homme de mer, l'avaient admirablement préparé à professer les vertus de sacrifice, d'obéissance, de bravoure et de fidélité, qui, en temps de crise, devaient être portées, chez un gentilhomme accompli, jusqu'à l'héroïsme (1).

(1) Il nous serait très difficile de présenter le village de Poutrincourt, bien que fort voisin du littoral, comme un centre maritime quelconque. A l'époque où Jean de Biencourt partait pour son premier voyage d'exploration, on trouve cependant ce hameau en relations de navigation commerciale avec le port voisin, Saint-Valéry. Un marchand armateur nommé Louis du


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L'exemple du Grand Chevalier, son bisaïeul, du Chevalier sans reproche Louis II de la Trémoïlle, son oncle que Guichardin appelle «le premier capitaine du monde » (1), l'exemple paternel furent constamment mis sous ses yeux. La belle conduite de ses frères aînés dut aussi impressionner fortement l'âme chevaleresque de Jean de Poutrincourt encore enfant.

Louis, le premier, page de la Chambre du Roi, fut tué à la bataille de Dreux, le 19 Décembre 1562, dans le camp des royalistes, aux côtés de plusieurs gentilshommes du Ponthieu, notamment Louis d'Aumale, vicomte du Mont-Notre-Dame, chevaCrocq,

chevaCrocq, à Poutrincourt, livrait du bois à SaintValery « soubs la porte d'en bas, par vesseaulx ». Ce marchand faisait donc arriver des bois étrangers par le port de Saint-Valéry, ou, hypothèse non moins vraisemblable, il expédiait les bois coupés aux alentours de Poutrincourt,dans les futaies de Lanchères ou de Remaisnil, par la baie de Somme, au moyen de ces « vaisseaux routiers » dont se servaient les Hollandais dans leurs canaux, sortes de bateaux plats semblables aux gribanes. (Contrat avec Louis Lallemant, devant Me de Gamyes, du 1er Septembre 1608). Enfin, il convient de noter qu'il existait à Poutrincourt, à deux cents pas du manoir, un cours d'eau (ce que les gens du pays appelaient une course ou un haulè) qui allait se jeter dans le hable d'Ault, port de refuge des pêcheurs de ce bourg et du bourg de Cayeux, et, en cas de mauvais temps, des navires de commerce. Ce haule navigable en barque de faible tirant d'eau, figure sur les anciennes cartes, et notamment sur celles de Jaillot, de Lesperon, de Cassini, et, avec des proportions plus accentuées sur celle des Embouchures de la Somme, éditée par Eugène Henry en 1720. (1) Voir BRANTÔME, Vie des hommes illustres. Discours XII.


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lier de l'Ordre, chambellan du Roi, aussi royaliste, de Charles d'Ailly, vidame d'Amiens, baron de Picquigny, huguenot, de Charles et Louis de Monchy de Montcavrel, tous deux fils de François et de Jeanne de Vaux. La mère de ces derniers était la fille de Jean de Vaux, seigneur de Hocquincourt, et la nièce de Claire qu'avait épousée, en troisièmes noces, Jacques de Biencourt, père de Florimond.

La fin tragique de Louis resta entourée d'un certain mystère. Le corps du malheureux gentilhomme ne fut jamais retrouvé. Le duc de Guise fit explorer le champ de bataille, particulièrement les ravins qui avaient été si fatals aux gens de cheval. Sur son ordre, on retourna des monceaux de cadavres ; on fouilla les maisons du bourg de Tréon ; on leva la visière des bourguignottes des morts ; on scruta les faces sanglantes et tuméfiées des blessés. On ne put découvrir aucune trace du disparu.

Les père et mère de Louis refusèrent de croire à sa mort. Ils nourrirent l'espoir de le voir revenir sain et sauf. Par le testament mutuel qu'ils firent quelques années plus tard, ils ne disposèrent que conditionnellement de leurs biens, faisant des réserves pour le cas de retour de l'aîné.

Jeanne de Salazar, devenue veuve, essaya de tromper sa douleur maternelle en la berçant d'illusions ; elle se fit une sorte de devoir d'entretenir une croyance aveugle à la survie de Louis. Pendant


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de longues années, elle caressa cette consolante chimère. Au mariage de Jacques qui, en l'absence de son frère, bénéficiait du rang d'aînesse — c'està-dire quinze années après la bataille de Dreux — on envisageait toujours la rentrée de Louis au manoir paternel comme possible ; il était pris des arrangements particuliers « pour sa longue absence du pays » (1).

Charles de Biencourt, son autre .frère, trouva la mort, le 3 Octobre 1569, à la bataille deMoncontour, en même temps que plusieurs gentilshommes picards, entre autres Gilles de Belleval, écuyer,

(1) « Et pour ce qu'il seroit, incertain que Lois de Biencourt, frère aisné dud. Jacques et futur époux, seroit vivant ou non, pour sa longue absence du pais, le retour advenant dud. Lois de Biencourt pour lever et oster le doubte que lesd. sr et dame de Chauvincourt faisoient que led. Lois de Biencourt fut vivant, icelle dame de Salzart stipullante comme dessus a promis et ancoires promet et accorde par ces pntes, bailler, assigner, furnir et faire valloir le bien paternel et maternel dud. Jacques de Biencourt la somme de trois mil livres tournois de rente et assiette de fons, exemptes de touttes charges, 1res, condamnations, obligations et hipothèques, nonobstant toutes donations, lays testamentaires et tous aultres contratz, fait ou à faire à ce contraire, lesquels par ces pntes elle a révocqués et adnullés de manière que lesd. trois mil livres tournois de rente viennent quictes et franchement audict Jacques de Biencourt, à quy lad. dame de Poutrincourt stipullante comme dessus, a obligé, prostitué et hypothéqué ses terres de Marsilly et de Guibermesnil et généralement tous ses autres biens meubles, acquetz, conquetz et immeubles. »

Archives départementales de la Somme. Reg. B. 64, f° 192. Mariage de Jacques de Biencourt, du 11 Septembre 1577.


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seigneur de Tilloy (1), et Jean de Pont, seigneur de Cantepie-lès-Boisrnont (2).

Un autre deuil non moins cruel avait précédemment assombri l'existence de la châtelaine de Poutrincourt. Sa fille Jeanne avait été chargée, toute jeune, d'un service d'honneur auprès de Marie Stuart, grâce à la protection des Guises, qui tenaient de si près à la Reine, « voire de trop près pour elle, selon l'opinion de beaucoup », dit l'Estoile, et qui avaient soin de placer dans son entourage des personnes à leur dévotion (3). La faveur de la jeune femme de François II pouvait laisser espérer une haute alliance pour Jeanne de Biencourt. La mort l'avait frappée prématurément, au milieu des fêtes et des plaisirs de cette cour si

(1) Chronologie d'Abbeville, pp. 195, 341 et 408.

(2) Grand Nobiliaire de Picardie.

Le Discours de la Bataille et cruelz assaulz donnez entre MontContourt et Hervaulx, et de la très mémorable victoire obtenue (par la grâce de Dieu et de la bonne conduite de Monsieur). Le lundy troisième iour d'Octobre, M.D.L.XIX, ne donne aucun des noms ci-dessus dans la liste des officiers tués et blessés, mais on y lit : « Plusieurs soldats, tant de cheval que de pied, blessez que morts, de trois à quatre cents. »

(3) La première dame d'honneur de la Reine Marie Stuart était Antoinette de Bourbon, douairière de Guise. Venaient ensuite Anne d'Est, duchesse de Guise ; Louise de Brézé, duchesse d'Aumale. La gouvernante des filles était Claude de Pont, demoiselle du Mesnil.

Officiers et domestiques de la Reine Marie Stuart pour l'année 1560, dans Négociations, lettres et pièces diverses rotatives au règne de François II, publiées par Louis Paris, Paris, 1841, p. 744.


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brillante et si raffinée, dont la jeune Reine, par sa beauté, sa grâce et son esprit, rehaussait encore l'éclat.

Outre cette éducation, qui consistait, comme on Fa vu, dans des exercices corporels, dans l'équitation et dans le maniement des armes, Jeanne de Salazar fit enseigner à son fils dernier né l'histoire, la philosophie et les langues anciennes (1). Bagage plus rare encore dans la somme des connaissances d'un gentilhomme du xvie siècle, elle lui donna des maîtres de musique, de telle sorte, que Jean, adolescent, se servait agréablement du luth et du manicordion (2). La passion du jeune homme pour l'étude de cet art alla plus loin. Il s'essaya à composer des chants d'église, et peut-être aussi, dans ses longs séjours au manoir de Poutrincourt s'appliqua-t-il à improviser des airs de musique profane, afin de charmer la mélancolie de ces lieux plutôt solitaires, qui ne connaissaient d'autres harmonies que celle de la flûte des pâtres et le chant monotone de la mer voisine. Sans doute se réfugiat-il, tant qu'il resta en l'immédiate dépendance maternelle, dans ce délicat passe-temps qui lui

(1) Il est l'auteur d'une lettre en latin qu'il envoya au pape en 1607, dont il sera reparlé plus loin ; mais il est probable que son secrétaire Lescarbot l'aida dans cette rédaction.

(2) Cet enseignement était réservé aux seigneurs de bonne maison. Bassompierre, jeune, avait appris en Allemagne à jouer du luth et à danser. Le Noblesse française, par le vicomte d'Avenel, p. 44, et passim.


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permettait d'adoucir à Jeanne de Salazar l'amertume du veuvage (1).

Mme de Poutrincourt consacra des trésors de tendresse et de dévouement à l'éducation de son fils Jean. Elle reporta sur lui les élans de sa nature aimante et s'absorba dans une tâche qui pouvait être une source de joies et de souffrance.

Il semble bien, en effet, que dans l'amour et la sollicitude qu'elle voua à tous ses enfants, elle ait eu une certaine prédilection pour le benjamin qui portait son prénom, à qui étaient destinées toutes les seigneuries de Champagne qui lui appartenaient en propre, comme héritière des Salazar. Alors que Jacques, son autre fils, avait été placé tout jeune comme page du Roi Charles IX, Jeanne de Salazar s'appliqua à retarder, autant qu'il fut en son pouvoir, l'heure de se séparer de son fils cadet. Le projet de le destiner à l'Ordre de Malte avait été abandonné après que les chances de retour de Louis de Biencourt furent devenues, avec le temps, tout à fait illusoires. Le partage des biens de la famille avait été modifié, et Jean s'était vu cons(1)

cons(1) son exploration sur les côtes du Maine, il évoquait la douce mélopée des bergers de ses seigneuries, en face de la cacophonie des musiques indigènes. LESCARBOT. Histoire de la Nouvelle France, éd. 1612.

Le service divin au Port Royal en Acadie, « estoit ordinairement chanté en musique de la composition dudit sieur». Relation dernière de ce qui s'est passé au voyage du sieur de Poutrincourt en la Nouvelle France, depuis 20 mois en ça. Paris, Jean Millot, 1612.


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tituer un patrimoine. Le jeune homme ne porta jamais les hauts-de-chausses à trousses et les manches doublées de velours qui constituaient les particularités vestimentaires de la livrée des princes. Il ne vécut point à la cour sous la discipline des écuyers. Il n'abandonna les manoirs paternels de Saint-Maulvis et de Poutrincourt que pour prendre possession de la maison seigneuriale de Guibermesnil, et entrer aussitôt au service d'un prince de la maison de Lorraine, dans un de ces honorables emplois que les jeunes gentilshommes de la meilleure noblesse se disputaient.

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LE CAPITAINE LIGUEUR

' 1577-1600

LE SIÈGE DE BEAUMONT.

Le 13 Février 1577, Jean de Humières, lieutenant-général de la province de Picardie, réunissait au château d'Applaincourt près de Péronne, un nombre considérable de seigneurs picards et leur soumettait l'acte d'association de la Ligue. Cet acte, souscrit par le corps municipal de Péronne, fut signé, séance tenante, par cent quatre-vingttreize adhérents, parmi lesquels deux Biencourt, dont l'un était Jean de Poutrincourt (1). D'autres gentilshommes apportèrent leur adhésion par des actes séparés.

Les statuts de cette association, qu'Henri de

(1) L'acte a été publié par le P. Maimbourg, Histoire de la Ligue, pp. 527,538. Voir, sur le même sujet, la Ligue à Abbeville, par Ernest Prarond, t. Ier, p. LXXVIII. La liste des signataires est donnée par de Belleval dans sa Chronologie d'Abbeville, p. 468, et d'une façon plus détaillée par P. Roger dans Noblesse et Chevalerie du Comté de Flandre, d'Artois et de Picardie, p. 335. On y trouve A. de Biencourt et Jehan de BiencourtCette seconde signature est bien évidemment celle de Jean de Biencourt-Poutrincourt, jeune encore, mais qui devait jouer un rôle des plus actifs dans les guerres.


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Guise fit accepter dans les autres provinces, devaient devenir plus tard ceux de la Sainte-Union.

La famille de Biencourt, très attachée à la religion catholique, entraînée sur la pente des événements par son fidèle dévouement aux Guises qui devaient bientôt utiliser le mouvement au profit de leur ambition personnelle, était parmi les plus qualifiées pour donner un actif concours à la Ligue.

Jean de Biencourt-Poutrincourt entra au service du duc d'Aumale. Ce prince allait bientôt tenir une place importante dans les événements, comme général de la Ligue, gouverneur de Paris d'abord, comme gouverneur de Picardie ensuite.

Cette même année 1577, le duc d'Aumale était désigné comme lieutenant-général du duc d'Anjou pour aller prendre le commandement d'une armée sur la Loire.

Le duc, comme tous les grands seigneurs du temps, entretenait un train considérable ; il était constamment entouré de jeunes nobles qui formaient sa maison militaire. Jean de Biencourt tenait l'emploi d'écuyer, et on le trouve, dès cette époque, « ordinairement à la suite du duc », c'està-dire qu'il l'accompagne dans ses nombreux déplacements, chevauchant avec l'insouciance de ses vingt ans un beau destrier gascon sous poil gris, superbement harnaché, du prix de quatre-vingts écus d'or (1), et faisant tous ses efforts pour tenir

(1) Cabinet des Titres, Pièces originales, 338.


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bonne figure, concurremment avec quelques autres cadets de Picardie (1) au milieu de la brillante cavalcade qui entoure le prince lorrain.

Le fils de l'ancien gouverneur du duché d'Aumale occupait ainsi une place privilégiée auprès du jeune duc.

Celui-ci rentra bientôt en Picardie, suivi de Jean de Poutrincourt, pour conduire en Mars 1585, avec tous les gentilshommes ligueurs de cette province, la cardinal de Bourbon à Péronne, berceau de la Ligue et pour s'emparer de Doullens, en 1586.

On l'y retrouve en Avril 1587 et en Mars 1588, à la tête de beaucoup de noblesse du Ponthieu. « Il tient les champs » et défait la compagnie de gens de pied du capitaine Champignolle ; il fortifie Pont-Remy, s'approche d'Abbeville et s'empare des faubourgs Rouvroy et Docquet (2).

Cependant, le cadet de Biencourt n'était pas destiné à s'attarder longtemps dans une situation

(1) Entre autres François Le Roy, écuyer, seigneur de Moyenneville, la Motte et Bezencourt, deuxième fils de Nicolas et d'Antoinette de Hesdin.

(2) Journal de VEstoile, t. III, pp. 41 et 131.

L'Estoile donne des détails négligés par Prarond dans la Ligue à Abbeville, au sujet de la démarche de M. de Chemerault, grand maréchal des logis, faite auprès du duc d'Aumale de la part d'Henri III, pour lui demander les raisons de ces « remue-ments ». Comparer sa réponse à celle faite aux échevins d'Abbeville à la même date. La Ligue à Abbeville, t. Ier, pp. 321,328 et 329.


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obscure et subalterne. Il lui fallait des occupations plus actives, plus indépendantes, plus aventureuses, capables de donner un aliment à son intelligence et d'utiliser son goût pour les initiatives personnelles.

Si l'on rencontre Jean de Biencourt-Poutrincourt dans le sillage du duc d'Aumale jusque vers cette époque, on ne l'y retrouve plus quand le fils de Claude de Lorraine, devenu gouverneur de Paris par la grâce de l'échevin Roland, s'enfuit assez piteusement à Senlis (17 Mai 1589), et gagne ainsi... l'épée de connétable que lui décerne ironiquement la Satire Ménippée.

Tandis que le général en déroute se réfugie à Saint-Denis sans oser rentrer à Paris, tandis que les actions locales se multiplient sans marquer aucun avantage décisif de l'Union sur les royalistes, tandis que trois cents de ces gentilshommes picards tant de Montreuil que de Doullens et d'Abbeville, dont Humières avait chauffé le zèle, essaient de relever le prestige de la Ligue et se font massacrer à Bonneval en Beauce, Jean de Biencourt rentre dans la capitale, fait de fréquentes sorties avec la garnison, lutte avec ardeur pour ramener la victoire à la cause qu'il défend. Dans une de ces échauffourées qui se succèdent sans trêve, il est entouré d'ennemis, accablé par le nombre, ramassé sanglant et conduit sous bonne escorte au camp des religionnaires.

Les généraux de la Ligue ne peuvent se priver


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du concours de ce soldat valeureux qui,-.outre l'estime que lui vaut sa bravoure personnelle, jouit d'une considération facile à comprendre : la famille de Biencourt avait rendu de magnifiques services à la maison de Lorraine et s'était acquis l'affection et la reconnaissance des Guises.

Suivant l'usage en pareil cas, des conciliabules se tinrent entre des délégués des deux partis pour « arbitrer » les conditions de son élargissement. En semblable occurrence, il se trouvait toujours quelqu'un pour demander, en échange, la libération d'un ami prisonnier. Lorsque les négociations n'aboutissaient pas dans ce sens, la rançon, qui, pour un gentilhomme de la condition de Jean de Biencourt, pouvait être de quinze à seize cents écus soleil, était ensuite « modérée » dans la proportion d'environ moitié. La courtoisie voulait que les prisonniers reçussent, dans le camp adverse, « un honneste traitement » (1).

Au moment où l'armée royale, qui n'avait cessé de progresser depuis le combat de Tours, s'avance vers Paris et met le siège devant Pontoise (Juillet

(1) On ne connaît pas d'exemple plus typique et plus curieux de négociations de ce genre, que celui de Jean de Sacquépée, seigneur de Sélincourt, détenu à cette même époque par les échevins d'Amiens. Ceux-ci voulurent lui faire jurer l'Union pour lui rendre la liberté. Mayenne dut intervenir pour obtenir qu'il fut échangé contre le prédicateur Josse, prisonnier d'Humières à Compiègne.

Inventaire sommaire des Archives communales d'Amiens par M. Georges Durand, t. III, page 200.


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1589), Jean de Biencourt obtient facilement du trésorier-général de l'Union, Martin Rolland, autre victime de la Satire Ménippée, une somme de mille écus qui le dédommagera de ses pertes en armes et bagages dans le combat où il a été fait prisonnier et qui lui permettra de payer sa rançon (1). Mayenne a besoin de gentilshommes pour harceler la cavalerie huguenote qui pille la banlieue de Paris et pour la défense de Pontoise. Ses secours, d'ailleurs, arriveront trop tard pour cette dernière ville (2).

(1) Plusieurs personnages du nom de Rolland (ou Roland) jouèrent un rôle important pendant la Ligue. Il est souvent assez difficile de les distinguer les uns des autres. Celui qui était favori de Mayenne conseilla à ce prince de faire pendre les meurtriers de Brisson. A ce sujet, l'un des éditeurs de la Satire Ménippée dit : « On le fit éclievin après les barricades. Henri IV l'exila de Paris... Ce Roland n'est pas le même que le conseiller aux Monnoies. » (Ed. Gh. LABITTE, Note de la Satire Ménippée, Paris ,1841, pp. 165 et 232.) Cependant, l'échevin de 1588 est prénommé Nicolas dans l'Histoire nationale de Paris, par H. Gourdon de Genouilhac. L'Estoile parle souvent des deux Roland (notamment t. V, pp. 115 et 127). Les Mémoires de la Ligue, t. IV, p. 214 (note), en citent trois : « Nicolas Rolland, l'un des Trésoriers du duc de Mayenne, dont il avoit toutes les bonnes grâces. Il fut fait échevin par l'autorité du duc de Guise, immédiatement après que le Roi se fut retiré de Paris après les Barricades. Lui et son frère puîné, qui étoit Élu, furent chassés de Paris, lors que le Roi y entra. Il y avoit dans le même temps un autre Rolland, général des Monnoies... »

(2) « En la présence des notaires au Chastellet de Paris soubs signés, Jehan de Biencourt, escuyer, sgr de Poutraincourt, a confessé que noble homme Me Martin Roland, conseiller et trésorier général de l'Union luy a baillé et délivré ung man-


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L'assassinat d'Henri III et les prétentions au trône de France immédiatement affirmées par Henri de Navarre, prince protestant, ne firent que consolider Jean de Biencourt dans son attitude ligueuse. Ses scrupules de religion, aussi bien, que son dévouement à la maison de Lorraine, ne pouvaient que le maintenir au nombre des plus fidèles champions de la Sainte-Union.

Au printemps de l'année 1590, Henri IV, après un séjour à Mantes que les historiens ont expliqué de manières différentes, s'occupa des moyens d'entreprendre le siège de Paris. ■ L'occasion était moins favorable qu'immédiatement après la bataille d'Ivry. Le duc de Nemours, le nouveau gouverneur désigné par Mayenne, avait profité du répit que le Roi lui avait laissé, et il avait mis la ville en bon état de défense.

dément adressant à Me (blanc) Gobelin, Recepveur général des deniers provenans de la vente des biens des hérétiques, leurs fauteurs et adhérans, de la somme de mil escus sol, ordonné aud. sgr de Poutraincourt en considération des pertes qu'il a eues, que pour luy donner moyen de payer sa ranson, selon qu'il est déclairé par led. mandement datte du vingtiesme jour du présent mois de juillet, signé Roland. Duquel mandement led. sgr de Poutraincourt s'est tenu comptant et en quitte led. Sr Roland... Faict et passé en l'Estude des notaires soubsignés après midi, le vingt cinguiesme jour de juillet mil cing cens quatre-vingtneuf. — DE BIENCOURT. (Signatures de Me Desnots et de son confrère).

Cabinet des Titres. Pièces originales, 338, f° 103.

Le receveur des deniers de la vente des biens des hérétiques dont le prénom est resté en blanc est vraisemblablement Balthazar Gobelin, trésorier de l'Épargne.


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Dans l'impossibilité où il se trouvait de prendre la capitale de vive force, Henri de Bourbon songea à obtenir sa capitulation par la famine.

Au commencement d'Avril, il s'empara de Corbeil, de Lagny, poursuivit ses succès au cours du même mois en prenant Melun, Moret, Crécy, Provins, Montereau, Nogent-sur-Seine et Braysur-Seine.

Chaque jour fut alors marqué par des combats au Nord de Paris.

Enfin, au début du mois suivant, le Roi prit les ponts de Charenton et de Saint-Maur, « à coups de canon », comme il l'écrivait à la belle Corisandre le 14 Mai (1), lui assurant, en même temps, que ses ennemis lui « feront plus tost mal que peur. »

Il résolut alors de forcer l'Isle-Adam, ConflansSainte-Honorine et Beaumont-sur-Oise.

Le 16, il mit le siège devant cette dernière ville et il engagea quelques escarmouches où il se trouva aux prises avec des troupes commandées par Jean de Poutrincourt, alors l'un des mestres de camp de la Ligue.

Ce dernier parvint à se jeter dans le château de Beaumont dont il était gouverneur, s'y fortifia, mit la ville en état de défense, et fit contenance,

(1) On a fait remarquer à juste titre que le roi avait quelque peu « gasconne » en annonçant la prise de Charenton sous cette forme.


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dit un auteur du temps, « de la vouloir opiniâtrer » (1).

A cette date, le Roi écrivait à Claude Groulart, premier président au Parlement de Rouen transféré à Caen : « Je mande plusieurs de mes serviteurs, parce que j'espère combattre mes ennemys et prendre Paris. Qui me faict vous prier de tenir la main pour faire monter à cheval tous mes serviteurs et que l'on pourvoye par mesme moyen à la seureté des places qui tiennent pour mon service » (2).

Le château de Beaumont, l'un des plus forts de la région, s'élevait au sommet du bourg de ce nom qui étageait de façon pittoresque ses maisons dans la verdure et dressait non sans majesté son antique

(1) Discours de ce qui s'est passé en l'armée du Roy, depuis son arrivée devant Paris, jusques au neufiesme de Juillet 1590. A Tours, chez Jamet Métayer, imprimeur ordinaire du Roy. MDLXXXX.

« Ayant ainsi pourveu à cerner et environner Paris et SainctDenis, Sa Majesté voyant que les ennemis se pouvoient encores ayder de la rivière d'Oyse pour faire quelque magasin de Pontoise, elle résolut de leur oster cette commodité, et partant dudict Gonesse vint assiéger la ville et chasteau de Beaumontsur-Oyse où Potrincourt qui en estoit gouverneur pour la ligue, trouva moyen d'entrer et fit contenance de la vouloir opiniâtrer, toutesfois, il la rendit, comme fit aussi celuy qui tenoit le château de l'Isle-Adam et celui de Conflans. Sa dite Majesté fit de là une cavalcade jusques à Gisors... », p. 7.

(2) Lettres Missives, t. IV, p. 196. Post-scriptum du 17, à une lettre datée de la veille, du camp de Beaumont. Groulart est désigné dans la correspondance d'Henri IV sous le nom de La Court, seigneurie qui lui appartenait.


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église sur une terrasse au-dessus de l'Oise, «au flanc d'un coteau rapide, amortissement du plateau de Carnelle » (1). Il avait été bâti vers 1185 par Mathieu III, comte de Beaumont. Ses murs étaient « hauts, épais, très résistants » et, à leur sommet, percés d'archères et pourvus de créneaux. « La construction formait la moitié d'un polygone régulier de quatorze côtés. Il y "avait donc sept tourelles rondes. Leur forme les rendait plus solides; leurs flancs arrondis faisaient saillie en dehors des murailles de l'enceinte » (2). -

Pour prendre Paris par la famine, selon le plan si politique d'Henri IV, il fallait d'abord tenir tous les passages qui amenaient des vivres de la province. A cette fin, il était indispensable d'obtenir la soumission de Beaumont, comme"celle des autres villes sur l'Oise.

La résistance de Beaumont est l'une des plus caractéristiques parmi les opérations entamées autour de la capitale. Henri IV fait battre la muraille par des machines et de l'artillerie ; il l'attaque par la mine et par le pétard afin d'y faire brèche et de la prendre d'assaut. Poutrin(1)

Poutrin(1) ne subsiste aujourd'hui de ce château que de trop rares vestiges : « La muraille d'une partie de l'enceinte, les tourelles d'angles, encore très apparentes, le tout à demi enterré, soutiennent une plateforme transformée en verger. » M. Pierre DUBOIS, Excursion archéologique à Beaumont-sur-Oise, p. 3.

Sur l'ancien château de Beaumont, voir M6B de dom Grenier, collection de Picardie, 49, f° 301.

(2) Charles SIMON, Histoire de Beaumont-sur-Oise, pp. 23 et 24.


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court s'y défend avec fermeté, avec toutes les ressources de l'art militaire. Il repousse plusieurs offensives. Le. temps passe. Chaque jour qui s'écoule rend la venue des secours attendus plus vraisemblable, plus imminente.

Mais les canons arrivent plus nombreux se braquer sur la ville. La confiance des bourgeois affamés défaille. La garnison mal payée murmure. Poutrincourt exhorte les uns et les autres. Il se multiplie, parcourt les remparts, visite les corps de garde, électrise ses soldats par ses harangues, il admoneste la population ; il supplie et menace. Le gouverneur tient plusieurs semaines le Roi en échec, et celui-ci maugrée fort contre le capitaine ligueur qui lui fait perdre un temps précieux. Henri IV profite des loisirs que lui laissent les opérations pour tenir ses amis au courant de sa mauvaise fortune et pour pourvoir, comme il le dit lui-même aux échevins de Saint-Quentin dans une lettre datée devant Beaumont du 19 Mai, « à ce qui est le plus important et qui presse le plus » (1).

En se jetant avec cette impétuosité au travers des projets du Roi, en s' « opiniâtrant » dans sa défense, en poussant les hostilités à leur extrême limite, au moment même où tout pliait devant Henri IV victorieux, Jean de Poutrincourt révélait

(1) Lettres Missives, t. IV, p. 199. Voir également une lettre aux échevins de Metz, datée du Camp devant Beaumont, du 20 Mai, p. 200.


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déjà les traits essentiels de son caractère. Le goût des coups d'audace, une aptitude spéciale à concevoir et à réaliser des projets hasardeux, la persévérance, on pourrait même dire l'acharnement à poursuivre un but arrêté, telles sont les qualités dominantes solidement ancrées, dès cette époque, dans cette tête picarde.

Les vivres et munitions finissent par manquer aux assiégés. Des vieillards et des enfants succombent à la famine. Des chaleurs hâtives déclenchent une épidémie. Les soldats sont à bout.

Le Roi, connaissant l'extrémité à laquelle bourgeois et garnison en sont réduits, envoie à Poutrincourt une brusque sommation d'avoir à se rendre. Capituler ?... Que dirait monseigneur du Maine et que dirait Paris, qui ont placé leur confiance en M. de Poutrincourt ?... Il dépêche son lieutenant, le sieur de la Chaussée, accompagné de plusieurs officiers pour demander quelques jours de sursis. Il obtient temporisation.

Ce premier délai expiré, Poutrincourt députe une deuxième fois les mêmes ambassadeurs pour solliciter un nouvel ajournement. Ces négociations font germer un projet dans l'esprit du Roi. Il se met en tête de gagner Poutrincourt à sa cause. Il veut avoir ce chef déterminé dans son état-major. Sa Majesté témoigne le désir de voir en personne le tenace capitaine qui lui fait face avec tant d'obstination et de fermeté. Celui-ci se rend à son tour au camp royaliste, où il est reçu par le Béarnais...


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Entrevue redoutable, car Henri de Bourbon, esprit souple et charmant, possède un pouvoir de séduction qu'on dit irrésistible. Il a le don d'attirer les coeurs par son caractère ouvert, plein de rondeur et de franchise, par une bonne grâce faite à la fois de finesse et de bonhomie. Irrésistible, il l'est davantage encore dans l'abandon et le sansgêne d'un tête-à-tête imprévu, sous la tente, que dans le solennel apprêt d'une audience au palais, car sa familiarité guerrière, qui entraîne la confiance, se donne alors libre cours et s'épanche en une intarissable gaieté qui ne nuit jamais d'ailleurs à sa majesté naturelle. Résister à cet homme dans une entrevue où son large sourire, sa verve gasconne et son inaltérable bonne humeur savaient immédiatement créer une atmosphère de cordialité et de sympathie, était plus difficile que de lui tenir tête derrière les remparts d'une ville assiégée. Or, Poutrincourt allait avoir à subir un sérieux assaut.

Le Roi — qui ne se faisait pas faute, alors, d'acheter les villes qu'il ne pouvait prendre — se fait fort aimable et fort pressant, tente d'obtenir la reddition de la ville par d'alléchantes promesses. Il va même jusqu'à offrir au capitaine le comté de Beaumont en échange de sa soumission définitive (1).

Ce faisant, Henri IV mésestimait la valeur

(1) Marc Lescarbot, qui fut plus tard secrétaire de Poutrincourt, a formellement affirmé l'exactitude de cette promesse.


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morale de son adversaire. Il ignorait que Poutrincourt, ligueur loyal et déterminé, n'aurait consenti pour tout l'or du monde à violer le serment qu'il avait fait au château d'Applaincourt.

Le gouverneur conservait l'espoir d'être secouru. Il s'excusa, réclamant Une nouvelle temporisation de six jours, disant « qu'il avoit faict promesse à Monseigneur du Mayne de tenir ferme la place, et que, dedans le dict temps, l'armée du dict seigneur estoit forte et puissante pour faire lever le siège du Roy ».

Le capitaine quitta le camp et rentra dans Beaumont après avoir obtenu satisfaction : « Lequel temps avoit esté accordé au sieur duc (sic) de Poultraincourt ».

Ceci se passait aux environs du 20 Mai 1590 (1).

Le dernier délai expira sans que Poutrincourt reçut les secours espérés.

Ses parents et amis intervinrent. Ils joignirent leurs instances aux supplications des habitants et le persuadèrent de se rendre à composition.

Le vendredi 8 Juin, il s'y décida et traita des conditions avec les assiégeants (2). Il sortit fière(1)

fière(1) d'un bourgeois de Gisors, 1588-1617, publié par M. H. Le Charpentier et Alfred Fitan, Paris, 1878, pp. 32, 33, 34, 126.

Dans son Histoire de Beaumont, M. Ch. Simon a pris le « duché » de Poutrincourt au sérieux, p. 63.

(2) « Le vendredy 8e Juin 1590, le sieur de Potrincourt rendist au Roy, à faute de vivres et de munitions, la ville et chasteau de Beaumont-sur-Oise : qui fust une nouvelle espine


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ment à cheval, couvert de ses armes et la garnison défila, enseignes déployées, tambour battant, avec

au pied des Parisiens. » Journaux-Mémoires de Pierre de l'Estoile. Journal de Henri IV, t. V, éd. 1878, p. 26.

On peut discuter sur la date, car on lit dans la Chronologie Novenaire de Palma-Cayet : « Sur la fin de ce niesme mois de may, Poitrincourt rendit au Roy Beaumont-sur-Oise, et ce au mesme temps que le légat, l'ambassadeur d'Espagne et tous ceux de l'Union consultoient quel prétexte ils prendroient d'oresnavant, puis que M. le cardinal de Bourbon estoit mort à Fontenay en Poictou le 8 de May. » Mémoires relatifs à l'Histoire de France, Chronologie, t. I, p. 76.

L'Estoile note des délibérations auxquelles assistait dom Bernardin de Mendoce, ambassadeur d'Espagne, aux vendredis 1er et 15 Juin.

« Durant ce temps, après le siège de Beaumont que le Roy prit, il revint devant Paris, auquel Paris estaient grandes nécessités de vivres. » Journal d'un curé ligueur de Paris, publié par Edouard de Barthélémy.

Voir aussi Manuscrits de dom Grenier, Bibliothèque Nationale, Collection de Picardie, 49, f° 373, et le P. MAIMBOTJEG, Histoire de la Ligue, t. II, p. 282.

M. Henri Lebas, archiviste de la Société historique et archéologique de Pontoise et du Vexin, a bien voulu nous signaler, sur le siège de Beaumont en 1590, l'ouvrage de M. Henri le Charpentier, La Ligue à Pontoise. L'auteur y cite les Recherclies sur Beaumont de Douet d'Arcq, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, t. IV, 1855, p. 25, et le Discours de ce qui s'est passé..., auquel nous avons fait plus haut un emprunt.

Douet d'Arcq dit textuellement : « On lit dans l'Histoire de de Thou qu'en 1590, Poutrincourt rendit aux troupes d'Henri IV le château de Beaumont-sur-Oise, l'Isle-Adam et (Conflans) Sainte-Honorine... » Ceci laisse à croire que le même capitaine commandait les trois places. C'est une erreur de transcription, car de Thou dit exactement : « Ensuite on commença par mettre le feu à tous les moulins à vent qui étoient autour de Paris ; et de Poutrincourt rendit le château de Beaumont-sur-Oise. L'Isle-Adam et Sainte-Honorine au confluent de l'Oyse et de la Seine se soumirent aussi en même temps. » T. XI, p. 154, éd. de 1734.


- Sises- bagages. La garde de la ville fut confiée â M. de Marcilly (1).

Grâce à la possession de cette place, le Béarnais se trouvait maître du haut et du bas de la Seine ; des affluents ; de la Marne, par Charenton, Lagny, le pont de Gournay ; de l'Oise par Compiègne, Creil et Beaumont. Les vivres ne pouvaient plus parvenir par eau jusqu'à Paris. On s'aperçut bientôt des effets obtenus par ces opérations savantes et précises (2).

II LE SIÈGE DE PARIS.

Il est probable que Poutrincourt, en rendant Beaumont sous conditions, avait retenu la faculté de pouvoir gagner en toute sûreté la ville la plus

(1) Probablement Jean Damas, baron de Marcilly, seigneur de Sassangy, vicomte de Châlons, fils de Claude Damas, baron de Marcilly, et d'Anne de Renty. Il fut aussi gouverneur du château de Baffey et mourut en 1632.

A la même époque existait un autre gentilhomme du même nom, allié par les femmes aux Biencourt-Poutrincourt ; c'était Jean des Champs, seigneur de Marcilly, qui eut en 1600, avec le maître des Requêtes, Nicolas Chevalier, de fâcheux démêlés qu'a racontés Pierre de l'Estoile. Un Jacques des Champs, écuyer, seigneur de Vaux, avait épousé une Salazar. D'après des documents des Pièces originales, 2610, f° 181, cette Salazar, nommée Claude, aurait été la soeur de Jeanne de Salazar, mais d'après M. le chanoine Chartraire, Jean de Salazar, Sens, 1923, page 53, elle se nommait Louise (mariée à Robert des Champs) et aurait été sa petite-nièce, comme étant fille de François de Salazar, baron de Saint-Just.

(2) Mézeray, dans son Histoire de France, attribue la belle défense de Beaumont à Florimohd de Biencourt : « Au commencement de Juin, Florimond de Biencourt-Poutrincourt

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proche tenant le parti de la Ligue. La composition avait été des plus honorables et les stipulations de cette nature étaient fréquentes.

Le gouverneur de Beaumont se porta sans délai, avec les forces dont il disposait, vers la capitale. Si un sauf-conduit lui fit défaut — ce qu'on ignore — il sut déjouer l'étroite surveillance que l'armée royaliste exerçait autour de Paris, car il pénétra dans le cercle de fer qu'Henri IV resserrait chaque jour et rentra dans la ville.

Peu après, Jean de Biencourt et ses fidèles

rendit Beaumont-sur-Oise aux gens du Roy, par faute de munitions et de vivres, après avoir tenu vaillamment plus de cinq semaines. » L'erreur est facile à vérifier. Florimond était mort en 1567, c'est-à-dire depuis plus de vingt ans. L'auteur de la généalogie des Biencourt qui figure dans le Dictionnaire de La Chenaye Desbois s'est aperçu de cette méprise, et, tout en citant textuellement Mézeray, tombe dans une autre confusion en mettant ce fait d'armes à l'actif du fils aîné de Florimond, Jacques de Biencourt, exemple qu'a suivi Saint-Allais dans son Nobiliaire Universel. Mais le Journal d'un bourgeois de Gisors, très net et très précis dans tous les détails qui touchent aux événements de la Ligue dans le Vexin, dit que Beaumont était commandé * par le sieur de Pouttraincourt le jeune ». D'autre part, Lescarbot, dont la sûreté d'information est hors de suspicion puisqu'il fut secrétaire de Jean de Poutrincourt, est fort aflirmatif. Il écrit, dans sa Relation dernière de ce qui s'est passé au voyage du sieur de Poutrincourt en la Nouvelle France : <• Le Roy, le tenant en personne assiégé dans le chasteau de Beaumont, luy voulut donner le comté dudit lieu pour se rendre à son service; ce qu'ayant refusé, il le fit toutefois peu après gratuitement, voyant sa Majesté réduit à l'Église catholique romaine. » CIMBER et DANJOU, Archives curieuses de l'Histoire de France, lre série, t. V., de la page 380 à la 406e.


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lieutenants Pierre de la Chaussée et Regnesson recevaient de la Ligue, en espèces sonnantes, un témoignage de satisfaction pour les services qu'ils avaient rendus (1).

Cependant, l'or était devenu sans emploi dans cette immense agglomération où les vivres faisaient défaut. Immédiatement après la réduction des villes de Beaumont et de Saint-Denis, la farine disparut de l'étal des boulangeries ; les marchés se vidèrent de denrées : « La chair de cheval estoit si chère que les petits n'en pouvoient acheter » (2). Les riches n'étaient guère . plus heureux, ils se disputaient le pain d'avoine et de son, l'oing et les herbes crues.

Les horreurs de ce siège célèbre sont connues. L'histoire et la poésie ont proclamé d'une même

(1) «Nous, Jehan de Biencourt, Sr de Poutrincourt, Me de Camp d'un Régiment, Pierre de la Chaussée et Jean de Regnesson, enseigne de la Compagnie dud. sr de Poutrincourt, confessons avoir eu et Receu comptant de Me Guillaume Olivier, trésorier ordinaire des guerres et garnisons de l'Unyon la somme de dix-neuf escus sol. A nous ordonné pour nous ayder et entretenir au service de ceste cause et deffense de ceste ville de Paris, à raison de X esc. pour Me de Camp, V esc. pour lieutenant et IIII esc. pour enseigne, de laquelle première somme de XIX escus nous nous tenons pour contans et en quictons led. sr Olivier, Trésorier susd. et tous aultres par la pnte, signé de nostre main ce vingt-septième jour de Juing mil cinq cens quatre-vingt-dix.

« POUTRINCOURT, Me de Camp, REGNESSON, enseigne, Pierre DE LA GHOCÉE. » Cabinet des Titres, Pièces originales, D. 338, f° 104.

(2) Journal de l'Estoile.


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voix, l'une avec la précision et la sécheresse de la vérité, l'autre avec les ornements et le coloris de l'art, la faillite de l'or au milieu des souffrances des assiégés :

Bientôt le riche même, après de vains efforts, Éprouva la famine au milieu des trésors (1).

La situation devint bientôt intenable. La multitude affamée se déchirait et s'étouffait autour des « marmitées de chair de cheval, asne et mulet, qui estoit le manger ordinaire des pauvres », faute de pain. Le peuple appelait ces récipients immondes les « chaudières d'Hespagne » parce que c'était l'ambassadeur Mendoce qui avait pris l'initiative de ces distributions.

Les seigles et les blés nouveaux commençaient à mûrir, autour de Paris. Chaque jour, de pauvres gens, par milliers, se hasardaient à sortir de la ville, protégés par des troupes de la garnison commandées par le chevalier d'Aumale (2), par Vitry (3), par Gramont (4), par Jean de Poutrincourt, par Saint-Chamond-Lignerac et quelques autres pour aller faucher précipitamment, sous les

(1) La Henriade.

(2) Claude de Lorraine, dit le chevalier d'Aumale, abbé du Becq, frère du duc d'Aumale, le général de la Ligue, troisième fils de Claude d'Aumale et de Louise de Brézé. Il fut tué à Saint-Denis où il était entré par escalade à la tête de troupes françaises et de lansquenets, le 3 Janvier 1591.

(3) Louis de l'Hospital, marquis de Vitry.

(4) Antoine II, comte de Guiche et de Louvigny, fils de Philibert de Gramont et de Corisandre d'Andouins.


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boulets de l'armée maîtresse de Saint-Denis et des hauteurs voisines, une moisson hâtive « qui coûtait plus de sang que de sueurs » (1).

Au cours de ce siège, Jean de Poutrincourt acquit une belle renommée de loyauté et de vaillance.

Chose plus rare, au milieu du déchaînement des appétits et des passions effrénées qu'engendre la guerre, il fit preuve d'une retenue chevaleresque, qui tranche vigoureusement sur la licence des

(1) « Pendant le mois de Juillet, la saison estant de cueillir les grains et faire la moisson, qui estoit fort belle et en grande quantité tout autour de la ville de Paris, ceux de ladite ville, qui estoient fort pressés de faim, s'efforçoient d'aller couper, et sortoient aux despens bien souvent de leurs bras et de leurs jambes : car on ne voiioit autre chose tous les jours qu'hommes et femmes coutelassés en revenir. Il y avoit toutefois parfois des rencontres et escarmouches, où l'ennemi estoit battu à son tour : car le chevalier d'Aumale, Victri, Grandmont, Potrincourt, Lignerac et autres gentilshommes estans dans Paris, faisoient des sorties pour soutenir ces pauvres gens, qui se hazardoient d'aller couper quelques grains autour de la ville, qui estoit quelque soulagement de la nécessité, mais petit, eu esgard à la grande multitude du peuple. »

L'ESTOILE, Journal de Henri IV, t. V., p. 38.

♦ Le chevalier d'Aumalle, le sieur de Vitry et autres seigneurs qui estoient dedans Paris faisoient journellement plusieurs sorties à la faveur du canon : aucunes fois, il revenoient victorieux, et quelques fois on les rechassoit plus vite qu'ils n'estoient sortis. »

PALMA-CAYET, Chronologie novénaire, dans les Mémoires relatifs à l'Histoire de France, t. I, p. 96.

Voir Histoire de France, par Henri Martin.


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moeurs et la dépravation de quelques soudards de son entourage.

Toujours exposé au premier rang, s'offrant sans cesse comme volontaire pour les sorties les plus périlleuses, pour les coups de main les plus hardis, il ne montra aucune exigence déréglée auprès d'une population exténuée de privations et courbée sous la plus dure adversité ; il ne s'oublia jamais jusqu'à se livrer à aucune de ces violences, de ces exactions éhontées si souvent reprochées aux commandants de troupes en garnison, dont quelques autres officiers ligueurs ■— et non des moindres — se rendirent coupables. Il fut bientôt connu pour sa modération et sa sociabilité dans ses rapports avec l'habitant, pour sa belle humeur, pour son entrain communicatif.

Il devint l'une des idoles des plus « honnestes bourgeois », de ceux qu'on appelait les « catholiques zélés ».

Mais ce ne fut pas seulement dans le milieu combattit et turbulent des principaux piliers de F Union, des « factionnaires des Guises » qu'il se fit des amis. Ce ne fut pas exclusivement dans le monde des échevins, des présidents et maîtres des Comptes, où il connut entre autres l'Huillier, seigneur de Saint-Mesmin, dont il devint le commensal, qu'il sentit monter vers lui cette sympathie flatteuse. Il se concilia la confiance et les faveurs de la petite bourgeoisie par ses allures familières, par sa belle assurance qui relevait les courages.


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Le peuple parisien, que l'Estoile appelait alors « peuple sot et pippé », ce peuple léger, aussi prompt à oublier qu'à s'enthousiasmer, mais toujours ardent, généreux et sincère, toujours féru d'audace et de crânerie, « se cassoit ventre et poulmons » pour l'acclamer quand il passait à cheval, conduisant ses hommes à quelque service de garde ou à la défense de quelque faubourg attaqué par le Roi.

On citait Poutrincourt, en toutes circonstances, comme l'un des capitaines les plus populaires et les plus intrépides de la Ligue (1).

Un soir, au retour d'une de leurs périlleuses

(1) Les Mémoires de la Ligue ne l'oublient pas dans une distribution d'éloges et de lauriers aux principaux défenseurs de Paris, dont certains, comme le chevalier d'Aumale, sont accusés par l'Estoile, des pires déportements : les deux partis « venoient souvent aux mains, et s'escarmouchoient : de façon que si les uns se vantoient d'avoir la fleur de la France, et l'élite des Capitaines pour commander, et des soldats pour exécuter, les autres qui étoient peu en nombre ne leur cédoient rien, ne se montroient moindres en valeur ni hardiesse ; et en cette faim ne se rendoient pas seulement admirables et éternisoient leur nom ceux de Paris, mais aussi et principalement Monseigneur de Nemours, a qui la louange d'honneur (qui ne périra jamais) est due pour le travail, le soin, la diligence, la sagesse et la discrétion dont il a usé en la garde et défense de cette ville (comme aussi mérite avoir part à cette louange Monseigneur le Chevalier d'Aumale, un des plus vaillans Princes de l'Europe) et les sieurs de Vitri, Grandmont, Potrincour, et autres gentilshommes qui ont exposé leur vie à la défense d'icelle, et tous les jours ont fait des sorties et escarmouches... »

Mémoires de la Ligue. — Evénement au siège de Paris, t. IV, page 288.


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expéditions vers le village de la Villette, où ils s'étaient trouvés en contact avec les troupes de Fervaques, qui commandait à la Courtille (1), Poutrincourt et son lieutenant (2), accablés par les ardeurs d'un ciel caniculaire, s'avisèrent d'entrer dans un cabaret des faubourgs Saint-Martin pour s'y rafraîchir en mangeant une salade. Le cresson de jardin, seule verdure comestible alors en vente à Paris, est un régal « fort excellent sur un chapon », comme dit un auteur du temps (3). En l'absence de toute volaille, une poignée d'herbes crues, agrémentées d'un léger condiment, à supposer qu'elles fussent accompagnées

Du pain frais en toutes façons,

qui se vendait alors un écu la livre

Et du friand jus de la treille A couleur ambrée et vermeille,

pouvait encore passer pour un somptueux festin, en temps de famine.

Ce repas servi au pied levé, parmi l'encombrement des brocs et des gobelets d'étain, fut malen(1)

malen(1) Histoire universelle, t. III, p. 326.

(2) Probablement le sieur de la Chaussée.

(3) On trouvait encore à Paris une autre « verdure », mais elle était réservée au populaire : « Les pauvres mangeoient... des feuilles de vigne et autres herbes qu'ils trouvoient, encore étoient-elles fort chères ». Discours briefet véritable des choses les plus notables arrivées au siège mémorable de la ville de Paris..., par Pierre Corneio, ligueur, 1590. Cité par Capeflgue, Histoire de la Réforme, t. VI, p. 37.


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contreusement interrompu par une troupe de soldats du Roi de Navarre. Devant le nombre de leurs adversaires, les deux cavaliers jugèrent la résistance inutile. Ils se virent dans l'obligation de rendre leurs épées aux « maheustres » (1).

Notre mestre de camp avait, en la personne du Roi Henri, un adversaire généreux et chevaleresque. Cette fois encore, il ne languit pas longtemps en captivité.

C'eût été grand dommage pour une jeune Parisienne qu'il avait distinguée depuis peu, et dont il était fort aimé.

Poutrincourt n'avait été attiré ni par la naissance ni par la fortune de Claude Pajot, qu'on appelait familièrement Claudine, mais plutôt par sa grâce et ses qualités personnelles. Elle appartenait à une famille de robe assez en vue, qui comptait parmi ses membres le maître des Comptes Pajot, le secrétaire de la Chambre Nicolas Pajot, le conseiller au Grand Conseil Antoine Pajot et le Trésorier général de la Maison du Roi Charles Pajot. (2),

(1) «Le mercredi 11e juillet 1590, le capitaine Potrincourtet son lieutenant furent pris par ceux du Roy, comme ils mangeoient une salade en ung cabaret des fauxbourgs Saint-Martin. »

L'ESTOILE, Journal de Henri IV, t. V, p. 32.

(2) Le maître des Comptes Pajot mourut mystérieusement à Fontenay-le-Comte en Mars 1604. Journal de l'Estoile, t. VIII, p. 128. Le secrétaire de la Chambre fut emprisonné à la requête du maréchal de Brissac et élargi en Janvier 1605.

Il est vraisemblable que Poutrincourt connut, par le maître des Comptes, Nicolaï, fils du premier Président des Comptes,


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mais qui, tout en tenant une place assez considérable dans la bourgeoisie, n'était pas de celles qui avaient édifié d'immenses fortunes sur les ruines accumulées par les troubles politiques.

Claude Pajot pleurait la mort de son père et partageait courageusement les effroyables privations des Parisiens. Mais l'amour est plus fort que la douleur et que la souffrance. Aux jours les plus sombres du siège, alors que les habitants, torturés

la présidente Saint-André, le Président des Comptes Luillier (ou l'Huillier), fils du prévôt des marchands de 1576 ; « de bien près alliés », dit L'Estoile. Plus tard, deux des filles de Poutrincourt entrèrent dans la famille Luillier ; l'une épousa Charles Luillier, seigneur de Saint-Mesnrin, et l'autre Pierre Luillier, seigneur de Coulanges, tous deux fils de Charles Luillier, seigneur de Saint-Mesmin, et d'Anne Le Clerc ; ce Charles Luillier était fils de Nicolas Luillier, seigneur de Boulencourt et de SaintMesmin, lieutenant-civil en 1559, président des Comptes en 1567, prévôt des marchands en 1576, mort en 1582. Il avait épousé Charlotte du Livre, fille de Nicolas du Livre et de Marie de Drac. C'est lui qu'un pasquil de 1576 appelle « le porc SainctMesmin ».

Le frère aîné de Charles était aussi prénommé Nicolas. Il fut reçu président en la Chambre des Comptes en 1580, et épousa Louise Bourdet. Ils avaient encore un frère, Paul, chevalier de Malte, et deux soeurs, Anne, mariée à Jacques d'O, et Renée, qui épousa Jean Duret, médecin du roi.

Charles Luillier n'eut pas de postérité de son mariage avec Marie de Biencourt. Pierre, de son mariage avec Claude de Biencourt, n'eut qu'une fille, Edmée-Claude, mariée à Guillaume du Puis, seigneur du Mont-Gobert (Dictionnaire de Moréri).

Est-ce en raison de ses relations avec cette famille que Poutrincourt, en 1610, donna à un îlot du Port-Royal en Acadie le nom de la Roche l'Huillier î


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par la faim, étaient réduits à la dernière extrémité, Poutrincourt épousa une fille de cette bourgeoisie héroïque qui s'obstinait dans une résistance inébranlable. Le bonheur le plus pur semblait devoir être le couronnement du pacte sacré qui venait de lier ces deux existences sous de si lugubres auspices.

Claude était fille d'« honorable homme » Isaac Pajot, « bourgeois de Paris », décédé, et de « honorable femme » Catherine Gaude. Ce titre de « bourgeois de Paris », dans sa simplicité, empruntait aux circonstances une grandeur tragique.

Le contrat avait été passé ce même jour, 14 Août 1590, devant Mes Perrier et Fardeau, notaires au Châtelet, en présence de Hugues et de Jean Pajot, bourgeois de Paris, tous deux oncles paternels de la jeune épouse (1).

(1) « Furent présens noble homme Jehan de Biencourt, escuier, seigneur de Guibermesnil et Marcilly-sur-Seine, demourant ordinairement audict lieu de Guibermesnil, estant de présent en ceste ville de Paris, pour luy et en son nom, d'une part ;

« Et honnorable femme Catherine Gaude, vefve de feu honnorable homme Yzaac Pajot, vivant bourgeois de Paris, stipullant en cesté partye par Claude Pajot, tille dudict deffunct et d'elle, d'autre part ;

« Lesquelles partyes voluntairement recogneurent et confessèrent, recognoissent et confessent avoir faict, fisrent et font ensemble, de bonne foy et l'unes d'elles avec l'autre, les traitté de mariage, accordz, douaire, convenances, promesses et obligations qui ensuivent, en la présence de honnorable homme Jaques Pajot, bourgeois de Paris, et Jehan Pajot, aussy bourgeois de Paris, oncles de lad. fille, du costé paternel de lad. fille ;

« C'est assavoir ladicte vefve avoir promis et promet de


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Sur ces entrefaites, la soeur de Claude, nommée Catherine, épousa un gentilhomme qui appartenait

donner et bailler par loy et nom de mariage ladicte Claude Pajot, à ce présente et de son voulloir et consentement, audict sieur de Guibermesnil, qui, de sa part, l'a promis et promet prendre à sa femme et espouze le plus tost que faire se pourra et advisé et délibéré sera entre eulx, leurs parens et amys, sy Dieu et nostre mère sainte Ëglise se y accordent, aux biens, droictz, noms, raisons et actions quelzconques qui à chacune desdictes partyes peuvent competter et appartenir, qu'ilz promettent apporter ensemblement, pour estre ungs et commungs entre eulx, durant et constant, leurdict futur mariage, suivant la coustume de la ville, prévosté et viconté de Paris ; en faveur duquel mariage et pour à iceluy parvenir, ce qui ne se feroit autrement, a ledict seigneur de Guibermesnil doué et doue par ces présentes ladicte Claude Pajot, ce acceptant, de la moityé de tous et cliacuns ses biens, terres, héritaiges, seigneuries, meubles et immeubles que ledict seigneur a de présent, à luy appartenant, et qui se trouveront luy appartenir au jour de son décedz, sans aucune en réserver, pour en jouir par ladicte Claude Pajot, sa vye durant et le cours d'icelle seullement, laquelle future espouze, survivant son futur mary, emportera et prendra par précéput et advantaige, tous et chacuns ses habitz, bagues et joyaux servans à son usaige, sans souffrir estre mis en inventaire ne estre partaigez, sy bon ne luy semble ;

«A esté acordé que icelle future espouze, suravant sondict futur espoux, pourra eslire pour sa demeure, sa vye durant, l'une desdictes terres de Guibermesnil ou Marsilly, telle qu'il luy plaira choisir ;

« Et a esté déclairé aux partyes que ces présentes sont subjette à insinuation, et pour cest effect ont constitué leur procureur le porteur des présentes ;

« Car ainsy a esté le tout dict, convenu et accordé entre lesdictes partyes, en faisant et passant ces présentes, qui autrement n'eussent esté passées, accordées ny sorty aucun effet entre elles ; renonçant pour cest effet à toutes loix, coustumes, statuz et autres choses qui pourroient desroger à ces présentes...


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à une famille de magistrats originaire de Paris, Jean de la Mothe, seigneur de Mont-Bernard (1).

« Faict et passé après midy, l'an mil Ve IIIIXX dix, Le mardi XIIII 6 jour d'Aoust.

DÉ BIENCOUE. Claude PAJOT. Hugues PAJOT. J. PAJOT. Caterine GAUDE. PÉRIER. FARDEAU.

Archives de l'étude Fardeau, n° 224, f° 1111e LIIII.

On trouve un extrait analytique de ce contrat au Cabinet des Titres, Carrés d'Hozier, 30.708. Dossier 479, f° 77.

Ce contrat a été mentionné par Gabriel Marcel dans son édition du Factum du procès de Jean de Biencourt, sr de Poutrincourt, et les pères Biard et Massé, Jésuites..., Paris, 1887. Il n'a jamais été publié in extenso.

(1) Bertrand de la Mothe, écuyer, seigneur de Mont-Bernard, qui succéda à son père, Charles de la Mothe, dans la charge de conseiller au Grand Conseil, par provisions données à Paris, le 20 Février 1528, fut conseiller en titre le 15 Octobre 1529, et mourut le 14 Octobre 1558. Il avait épousé Marie Jourdieu, fille d'Antoine, secrétaire du Roi, et de Marie Prévost. Il eut deuk fils : 1° Charles, alias Prosper, écuyer, seigneur du Mont-Bernard, conseiller au Grand Conseil, qui mourut en Mai 1584. Il avait épousé Philippe Morlet du Museau, dame de Vaon, morte en 1600, laissant pour enfants, un fils, Prosper, écuyer, seigneur de Mont-Bernard et de Vaon, conseiller au Châtelet le 9 Mars 1602, premier échevin de Paris en 1623, mort en 1628, et une fille, Marie, qui épousa Jacques de Louviers, écuyer, seigneur de Vaulchamps ; 2° Antoine, auteur d'une branche établie à Mézin, qui épousa Madeleine de Nouailhan, fille de Jean de Nouailhan, par contrat du 18 Mai 1579. Il eut de ce mariage, trois enfants : Jean de la Mothe, écuyer, institué héritier universel par le testament de son père ; Prosper de la Mothe, et Marie de la Mothe.

La Chenaye-Desbois qui nous donne ces détails, ne mentionne pas le mariage de Jean de la Mothe avec Catherine Pajot, mais lui donne pour femme (en secondes noces, vraisemblablement), Marguerite de Castelièvre (Mariage du 12 Février 1614).


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Deux jours après le mariage de Poutrincourt, Henri IV accordait aux assiégés un sauf-conduit pour laisser sortir de la ville trois mille âmes, vieillards, femmes et enfants, et, presque aussitôt, l'arrivée du duc de Parme avec son armée, forçait le Roi à marcher à sa rencontre et à lever le siège de Paris (1).

Les jeunes époux ne purent goûter longtemps les délices d'un bonheur sans mélange. L'appel aux armes qui vibrait chaque jour dans Paris devait rappeler trop tôt à Claudine que l'heure de la séparation était proche. En effet, aussitôt les cérémonies hâtives de ces noces terminées dans le décor tragique et le fiévreux brouhaha du siège, Poutrincourt dut revêtir sa luisante armure de combat et repartir à la tête de ses hommes vers de nouvelles aventures. La mariée pouvait à bon droit maudire cette guerre fratricide et s'abandonner à de tristes pensées. Ce départ, après quelques heures d'une joie si douce, pouvait être éternel.

III COMBAT DE SURESNES.

Vers la mi-Octobre, le Roi chargea le vieux maréchal de Biron de se porter vers Buhy pour y rencontrer MM. de Villeroy père et fils, dans l'espoir de conclure un accord avec eux. Il s'agis(1)

s'agis(1) Journal de Henri IV, t. V, page 50.


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sait de décider d'Alincourt, fils de Villeroy (1), secrétaire du Roi, à rendre Pontoise dont il était gouverneur, tentative qui échoua, du reste, car d'Alincourt ne rendit, ou plutôt ne vendit Pontoise à Henri IV qu'en 1594.

Le maréchal quitta Buhy le lundi 15 Octobre en litière, et, le lendemain 16, rencontra Sa Majesté désireuse de connaître l'issue de ces pourparlers. Le Roi, en même temps, surveillait de près les mouvements de certaines troupes ligueuses, particulièrement remuantes, car on lui avait signalé le passage de munitions «tant de guerres que autres, que l'on voulloit porter à l'armée du sieur du Mayne » (le duc de Mayenne). Ses entreprises témoignaient alors d'une grande mobilité d'esprit : « Mesme estoit allé pour mitrailler la ville de Corbeïl, que ledit sieur du Mayne battoit. »

Henri IV apprit que des gens de guerre s'étaient audacieusement avancés jusqu'au village de Suresnes, « pour porter vivres en laditte armée du sieur du Mayne, et charger illecq vins ». S'agissait-il de s'emparer des muids transportés ou entreposés par la navigation fluviale, ou de s'assurer la posses(1)

posses(1) de Neufville de Villeroy, plus connu sous le nom de d'Alincourt (ou d'Alaincourt), capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances, fut employé dans les préliminaires du mariage du Roi avec Marie de Médicis, fut ambassadeur près du Saint-Siège, grand maréchal des logis et lieutenant-général au gouvernement du Lyonnais. Il a son historiette dans Tallemant des Réaux. Tome Ier, page 304.


-lésion de la production vinicole locale ? On l'ignore. Mais on sait que le Béarnais appréciait fort le vin suret des coteaux de Suresnes.

Il fit surveiller cette opération de ravitaillement et acquit ainsi la certitude que le hardi ligueur qui s'était chargé de cette dangereuse mission à la tête d'un régiment, n'était autre que son ancien adversaire de Beaumont, le sieur de Poutrincourt.

Le Roi estima que ce capitaine se trouvait par trop souvent sur son chemin. Il résolut de s'en débarrasser et de briser d'un seul coup cet obstacle.

Avec sa sûreté de jugement, son entrain et sa bonne humeur ordinaires, il organisa rapidement une de ces expéditions dans la conception desquelles il était passé maître, et qu'une exécution d'une précision et d'une promptitude foudroyantes rendait immanquables. Il comptait bien, en cette circonstance, traiter son adversaire « à la mode d'Ivry », comme il aimait à dire.

Assuré de la supériorité du nombre et ayant préparé minutieusement son attaque, Henri IV entra lui-même dans Suresnes et lança ses troupes contre le régiment de Poutrincourt.

Le choc fut rude. Le Roi bénéficia de l'effet de surprise. Les ligueurs plièrent en désordre.

Les gens du Roi s'étaient «tellement rués sur les compaignies dudict régiment » que celles-ci durent se retrancher précipitamment « dans l'église du lieu », dont elles « fermèrent l'huis ».


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L'église Saint-Lenfroy de Suresnes était un lieu de pèlerinage réputé, étant connue comme renfermant les reliques vénérées de son saint patron. Celles qu'elle avait reçues en 1222 avaient été perdues pendant les guerres, il est vrai, mais l'abbé de Saint-Germain avait eu la munificence de les remplacer en 1508 par un petit os de la jambe du même saint.

L'édifice méritait d'être ménagé. Il avait été restauré et agrandi du côté des fonts de 1534 à 1537. Le choeur, de construction récente, présentait dans son ornementation toute fraîchement fouillée par le ciseau, les caractères de la période de transition entre le style ogival tertiaire et celui de la Renaissance. Une chapelle, près du grand autel» destinée à recevoir le Saint-Sacrement, y avait été adjointe, une quarantaine d'années auparavant.

Mais la guerre ne respecte ni les reliques de la foi ni celles de l'art, et l'opulente architecture de SaintLenfroy n'était pas pour arrêter les poursuivants.

Les royalistes, encouragés par l'heureux résultat qu'ils venaient d'obtenir, firent sauter la porte par le pétard, entrèrent dans l'église et, voyant que les soldats de Poutrincourt se réfugiaient à l'abri du tir de leurs mousquets, les uns « dans la voulte » et dans « les galleries », les autres dans la tour du clocher, ils amassèrent de la paille dans le sanctuaire et y mirent le feu.

Les flammes s'élevèrent aussitôt en tourbillons, léchèrent les murailles, consumèrent les boiseries,

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et sortirent bientôt avec des nuages opaques par les lucarnes de la tour. Les compagnons de Poutrincourt étouffèrent comme renards au terrier. « Tellement, que les soldatz, de dedans montez au clocher, et voulte d'icelle, avoient été enfumez de telle sorte qu'ils estoient, ou la plus grande partie, mortz de telle façon. »

C'était le dénouement : « Enfin, ayant les gens du Roy, gaigné la dilte voulte, ils avoient tué le reste des dits soldatz ; lesquels il avoient jettez du haut des galleries de la dicte église et aucuns pris prisonniers en rançon. » .

Quand l'action prit fin, l'église Saint-Lenfroy était entièrement dévorée par le feu. Il n'en restait que des ruines fumantes qu'on devait plus tard utiliser en partie pour la reconstruire.

Certaines bases de murailles de l'édifice actuel, les chapelles latérales, les soubassements de la tour du clocher rappellent l'église primitive et portent encore les traces visibles de l'incendie que l'opiniâtreté de Poutrincourt avait attiré sur ce respectable monument (1).

Quand les royalistes amenèrent les officiers

(1) Abbé LEBCEUF, Histoire du Diocèse de Paris, Paris, 1757, t. VII, pp. 75-76; J. A. DULAURE, Histoire des environs de Paris, Paris, 1853 ; E. FOURNIER, Suresnes, Notes historiques, Paris, 1890 ; MALTE-BRUN, Géographie de la France, La Seine, p. 158. Tous ces auteurs mentionnent l'existence des vestiges de l'incendie. Aucun ne cite le nom de Poutrincourt. L'abbé Leboeuf place le fait à l'année 1577 ; cette date est celle où l'église fut


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capturés devant Henri IV, ils s'aperçurent que Poutrincourt avait glissé entre leurs mains.

Pendant que le Roi était ainsi occupé, le jour même, entre trois et quatre heures de l'après-midi, la ville de Corbeil était prise d'assaut par le duc de Parme (1).

Jean de Poutrincourt s'éloigna de l'Ile-de-France et du Beauvaisis, région où son activité s'était jusqu'alors exercée, et qu'il devait revoir plus tard, en des circonstances toutes différentes (2).

IV EN PICARDIE ET EN CHAMPAGNE.

Pendant que le jeune mestre de camp, en qui la Ligue mettait à si juste titre sa confiance, déployait cette ardeur batailleuse, son aîné, Jacques de

endommagée par la foudre. Edg. Fournier a rectifié en attribuant l'événement à 1590.

Le Journal d'un bourgeois de Gisors est le seul document connu donnant d'amples détails sur ce fait d'armes où le cadet de Poutrincourt, bien que complètement battu, s'acquit une nouvelle réputation de ténacité. Voir pp. 43 et 44.

(1) Journal de l'Estoile, t. V, p. 58.

(2) Il assista en Mars 1603 au contrat de mariage d'Adrien de la Fontaine, écuyer, seigneur d'Ancerville, près Beaumont en Beauvaisis, son cousin maternel, fils de Louis de la Fontaine, seigneur de Lesches, et d'Anne de Saint-Simon, grand'tante du duc de Saint-Simon, le célèbre auteur des Mémoires.

Cabinet des Titres. Pièces originales. Biencourt, f° 176. Mémoires de Saint-Simon, t. Ier, Appendice I, Généalogie.


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Biencourt, seigneur de Poutrincourt et de SaintMaulvis, ne restait pas inactif.

Saint-Allais, renseigné à des sources sérieuses (1), nous a laissé, de ce seigneur, un curriculum vitoe assez exact, mais qui sollicite quelques retouches indispensables : « Jacques de Biencourt, dit-il, fut d'abord page du Roi Charles IX, puis gentilhomme de sa Chambre. Il se trouva à la bataille de Saint-Denis, au siège de La Rochelle ; il accompagna le roi Henri III, lorsque ce prince alla prendre possession de la couronne de Pologne. » C'est en cette circonstance qu'il connut Antoine de Pluvinel, gentilhomme dauphinois, qui suivit le nouveau souverain en qualité d'écuyer en Pologne ; plus tard, Pluvinel, qui passait pour le plus habile homme de cheval de son temps, devint gouverneur du Dauphin (depuis Louis XIII), et sa fille, Gabrielle, épousa le fils de Jacques de Biencourt, Charles, seigneur de Poutrincourt (2).

De retour en France, Jacques fut « nommé capitaine de cinquante lances des ordonnances » (3).

(1) Il eut sans doute connaissance des travaux de dom Villevieille et il puisa sûrement au chartrier d'Azay-le-Rideau, aux archives de la branche de Biencourt de la Marche, aujourd'hui dispersées, mais conservées de son temps par le marquis de Biencourt.

(2) Carrés d'Hozier 92, f° 158.

(3) Il eut une commission de capitaine d'une compagnie de nouvelle levée de cinquante chevau-légers, donnée à Paris le 2 Avril 1585, où il est qualifié « le sieur de Poutraincourt l'aisné », signé Henri, et plus bas de Neufville.

Carrés d'Hozier, Biencourt, f° 143.


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« Au siège d'Angers, il fut chargé par le Roi de la conduite de cent gentilshommes de sa maison (1) ; il se signala à la bataille de Restre ». Il faut entendre ici qu'il concourut à l'expédition du duc de Guise, en l'année 1587, dans le Gâtinais Orléanais, qui fut marquée par la défaite des reîtres du burgrave de Dohna (ou d'Auna), à Vimory, près de Montargis, le 26 Octobre (2), et au bourg d'Auneau, entre Chartres et Dourdan, le 4 Novembre suivant. Cette action, au cours de laquelle le général allemand faillit être fait prisonnier, est considérée comme l'une des plus brillantes victoires remportées par le duc de Guise. Le bas-relief en marbre blanc qui orne le socle de son monument funéraire, en la chapelle d'Eu, rappelle ce fait d'armes. Cette sculpture représente le duc à cheval, à la tête de sa cavalerie, mettant en déroute les reîtres allemands du « baron d'Aune » (3). Jacques

(1) Le Nouveau d'Hozier, à l'article Biencourt (f° 54), dit qu'il avait pris part au siège d'Issoire et que le roi lui donna une compagnie de cent lances au voyage de Beaugency, «ayant eu toujours beaucoup d'assurance de sa fidélité, luy ayant fait l'honneur, au siège d'Angers, de lui donner la conduite des gentilshommes de sa maison, qu'il y envoya tous... »

(2) Copie de lettre envoyée par un gentilhomme de l'armée du Roy, contenant au vray ce quy s'est passé, depuis le parlement de sa Majesté de la ville de Paris jusqu'à la déroute des Reistres, Paris, 1587. — Voir aussi Le Théâtre de la France auquel est contenu la résolution sur chacun double, qui a retenu la noblesse de se ioindre à l'Union... Paris, Guillaume Bichon, 1589, p. 14.

(3) Voir la description de ce monument dans l'Eglise d'Eu et la chapelle du Collège, par M. l'abbé Legris, Paris, Champion, 1913, p. 142. L'auteur donne, page 143, un extrait des Mémoires je Philippe de Cheverny, sur la défaite des reîtres.


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de Biencourt « se comporta fort valeureusement » en cette occasion et fit cette charge que le marbre a perpétuée (1).

Il prit part, dans l'entourage du duc, à la journée des Barricades (12 Mai 1588) (2).

Parvenu à une époque de la vie où le jugement a pu s'épanouir en pleine maturité et où il n'est plus guère permis de conserver des illusions sur les hommes, il pouvait, en considérant la marche des événements, se livrer à des méditations assez décevantes. Il avait pris d'abord une part très suivie aux actions de guerre conduites par le duc de Guise, puis il avait vu, non sans quelque mélancolie, lui qui avait contribué au succès de la journée des Barricades, le Roi Henri III, éloigné de sa capitale par la violence de l'émeute, mourir tragiquement sans avoir pu y rentrer. Les horreurs de 1590 à Paris lui avaient été familières et, après la levée de ce siège, il s'était rendu compte que la Ligue, comme affaissée, montrait à nu son impuissance, tandis qu'Henri IV, en s'éloignant de Paris, voyait la victoire qu'il avait touchée du doigt, indéfiniment ajournée. Il avait senti que la lassitude qui commençait à pénétrer dans toutes les âmes, l'avait atteint, et, au moment où la conduite

(1) Nouveau d'Hozier, Biencourt, f° 54.

(2) Saint-Allais lui attribue ensuite le mérite de la défense de Beaumont. Nous savons que l'honneur d'avoir tenu tête au Béarnais, en cette occasion, revient, sans aucun doute possible, à son frère cadet, Jean de Poutrincourt.


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de Mayenne vis-à-vis des Seize affirmait de plus en plus l'intime liaison de la cause de la nationalité et du patriotisme à celle d'Henri IV, il avait obtenu licence de gagner la Picardie, où l'on ne cessait il est vrai de guerroyer, mais d'où le théâtre des actions décisives de ces luttes intestines s'était déplacé.

II mit, en arrivant, son épée au service des ligueurs du lieu, mais il attendit, sans impatience, que Mayenne le rappelât pour se lancer dans de plus éclatantes aventures.

A partir de cette époque, on ne rencontre plus guère les frères de Biencourt-Poutrincourt qu'à Abbeville ou aux environs où leurs efforts s'unissent et se confondent, où ils semblent veiller davantage à leurs intérêts particuliers qu'à ceux de l'Union.

A la fin de Décembre 1590, la prise du château de Gamaches par la garnison de Dieppe mit tout le Vimeu en effervescence. L'émotion gagna la capitale du Ponthieu où quelque soupçon flottait sur la fidélité à la Ligue de M. de Roncherolles, seigneur de Heuqueville, gouverneur de la place, et où l'on prit de nombreuses et rapides mesures de sûreté. Les plus importantes furent la nomination d'un capitaine du guet en la personne de Nicolas Briet, de la famille des seigneurs de Domquerel et de Formanoir, et la division de la ville en quatre quartiers commandés chacun par un gentilhomme.


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L'échevinage alerté, décida qu'on prierait MM. de Poutrincourt, ' de Cornehotte, Beauregard et de Ponthoile, de « vouloir eulx retirer en ceste ville », étant tous quatre reconnus pour bons ligueurs (1).

Jacques de Biencourt-Poutrincourt y consentit et resta sept mois à Abbeville, à la disposition de l'échevinage.

Les capitaines ligueurs, dans ces garnisons, contribuaient à la garde et poussaient des reconnaissances dans les alentours de la ville.

Les ducs de Mayenne et d'Aumale se tenaient alors en relations constantes avec les échevins des villes d'Amiens et d'Abbeville, remparts de la Ligue en Picardie.

Ils avaient des émissaires auprès d'eux et leur envoyaient de fréquents courriers. Faucon, maître d'hôtel de Mayenne, et Saint-Clercq, l'un de ses factotums, faisaient une navette ininterrompue entre le quartier général et les deux grandes cités picardes.

En Août 1591, le sieur de Poutrincourt, appelé en 1590 à Abbeville, et logé avec sa suite, comme on vient de le voir, en l'un des hôtels qu'y avait possédé sa famille, était prié par l'échevinage, à la demande de Mayenne, de quitter la ville et de rejoindre l'armée (2). Les gentilshommes se déro(1)

déro(1) PRAROND, La Ligue à Abbeville, t. II, page 256.

(2) Prarond, dans la Ligue à Abbeville, a noté la délibération prise à ce sujet, mais sans en donner le texte littéral.

« Du xxviè jour d'Aoust mil Ve quatre vingt onze, au Grand


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baient volontiers à l'emprise des chefs de la Ligue. Ceux du Beauvaisis s'étaient retirés à Beauvais, où l'échevinàge les voyait d'un mauvais oeil. Leur inaction paraissait suspecte. On lés traitait de « batteurs de pavés » (1).

Quelques mois plus tard, on retrouve Jacques aux côtés du duc d'Aumale, mais c'est aussi à Abbeville, et il assiste à une scène assez singulière.

En Décembre 1591, le gouverneur général de Picardie pour la Ligue crut s'apercevoir que Pierre de Roncherolles de Pont-Saint-Pierre, seigneur de Heuqueville, gouverneur d'Abbeville, voulait, d'accord avec le baron de Heuqueville, son frère, capitaine du Crotoy, livrer le château d'Abbeville aux partisans d'Henri IV. Le long séjour du duc de Nevers à l'entour de la place, les avertissements reçus de toutes parts « que la ville etoit vendue »,

Eschevihage, au son de la cloche, pardevant J. Beauvarlet, maïeur, pardevant messieurs Rohault, Sanson, Leaue, Briet, Duval, Susleau, Clément, De Poilly, Ducorroy, De Callongne, Becguin, Tillette, Lecomte, Lengles, Lamourette, Dubos, Viollette, Warré..., G. Lendormy, siéger, Tillette, procureur.

« Sur les lettres receues de Monseigneur le duc de Maienne par le sr de S' Clercq, par lesquelles ledict seigneur mande que l'on face entendre au sieur de Pouttraincort, cy devant réfugié en ceste ville, qu'il ayt à s'acheminer tout présentement en l'armée, et à ceste fin sortir de ceste ville, aussy sa suite. A esté délibéré que lad. lettre sera communiquée audit sieur de Pottraincort. »

Registre aux délibérations d'Abbeville. Archives municipales, fo» XI et XII. ..,---■■

(1) DUPONT-WHITE, La Ligue à Beauvais, Paris, 1846, p. 78.


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avaient persuadé le duc d'Aumale de la trahison du gouverneur.

Entouré de M. de Monthomer, seigneur de Frucourt, M. de Grouches, seigneur de GribovaL M. de la Chaussée d'Eu, seigneur d'Arrest, M. de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, il se rendit auprès du gouverneur et lui demanda de lui rendre les clés du château. Celui-ci refusa. Le duc d'Aumale et les gentilshommes de sa suite, se dirigèrent vers l'hôtel de ville, suivis de la multitude. Un capitaine ligueur, Grébault, qui, au dire d'un historien du temps, « ne faisoit la guerre qu'au paysan et à la vache », confirma les dires de ceux qui accusaient Pont-Saint-Pierre de trahison. Les troupes qui devaient occuper le château pour le Roi de Navarre, étaient déjà, affirmait-il, aux environ de Rue.

Les deux frères furent arrêtés avec le capitaine Castille, leur prétendu complice. Après quelques allées et venues et quelques pourparlers avec les échevins, Etienne Liault, Antoine Briet et le siéger Grégoire Le Devin, d'une part, M. de Framel, lieutenant du château, Mme Charlotte de Mouy, femme du gouverneur, d'autre part, ces deux derniers, pris d'épouvante, se sauvèrent, l'un vers la porte Docquet, l'autre vers la porte Marcadé, « ensemble leurs soldats et morte-payes ». On trouva que tout était disposé pour recevoir trois cents huguenots.

Accompagné de plusieurs échevins et des capi-


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taines ligueurs, le duc d'Aumale se porta au pied du château qu'on avait résolu de démanteler. Il frappa le premier coup avec un pic couvert de velours bleu, et, en quelques heures, la populace excitée abattit les tours et les murailles de cette antique et belle forteresse (1).

Jacques ne joua, dans cette scène étrange et pittoresque, qu'un rôle de figurant.

Les gentilshommes du Ponthieu et du Vimeu assistaient aux assemblées extraordinaires tenues en l'échevinage d'Abbeville, où s'était formé une sorte de comité de salut public à l'instigation du mâïeur, et où se réunissaient les trois ordres.

Ces assemblées s'étaient constituées pour «empescher les incursions de l'ennemy » et « l'oppression des paouvres laboureurs ». La première s'était tenue le 27 Novembre 1589 (2). MM. de Poutrincourt n'y assistèrent jamais jusqu'à l'année 1592. Mais le 1er Juin, on apprend que l'ennemi est à Franleu et qu'il tire « du costé de S* Wallery », et le 23, que «l'ennemy avoit faict entreprise... sur le Pont-Dremy ». Les environs de SaintValery occupés, c'est Poutrincourt au pillage ; les troupes royales à Pont-Remy, c'est la communication coupée avec Saint-Maulvis et Guibermesnil. Dès lors, on voit apparaître l'un des Poutrincourt. Simple coïncidence, sans doute, mais les décisions

(1) Chronologie d'Abbeville, p. 424.

(2) E. PRAROND, La Ligue à Abbeville, t. II, p. 185.


deviennent plus audacieuses. L'état d'esprit de l'assemblée vis-à-vis des chefs de la Ligue change.

L'assemblée du lundi 1er Juin présente un double intérêt. Outre l'épisode pour l'histoire des guerres civiles dans le Ponthieu et le Vimeu qu'elle évoque, elle est fort symptomatique quant à l'évolution des idées chez MM. de Poutrincourt. Tous les traits, tous les indices qui montrent les gentilshommes s'éloignant peu à peu de l'Union, faisant acte d'indépendance à l'égard de Mayenne, méritent l'attention, car ils concourent à éclairer sous toutes les faces ces puissantes physionomies et à les situer dans les événements (1).

La convocation, bien que n'ayant été faite qu'au son d'une cloche, avait réuni Messieurs de la noblesse, les échevins et quelques capitaines des troupes en garnison tant à Abbeville qu'à Saint-Valéry. Il faut citer parmi les premiers : MM. de Ligny, de Rambures, de Framel, lieutenant du capitaine d'Abbeville, Adrien de la Rivière, baron de Chepy, son gendre, Robert de Grouches, seigneur de Griboval, Oudart de Monthomer, seigneur de Frucourt, de Poutrincourt et, parmi les capitaines, Antoine de Monthomer, seigneur d'Escle et de Vieulaines, l'un des signataires de la Ligue au château d'Applaincourt, de Belleville et Christophe (2).

(1) Ernest Prarond a analysé cotte délibération dans la Ligue à Abbeville (t. II, p. 395) et en a donné quelques extraits qui, d'ailleurs, ne sont pas très exacts.

(2) Ernest Prarond a remplacé ce nom par un X. « Je suis forcé de représenter ainsi le nom de ce capitaine que je ne puis déchiffrer nulle part », dit-il.


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Josse Beauvarlet, maïeur, présidait.

« Ledict maïeur a proposé en la présente assemblée que l'ennemy est à Miannay, Tours, Franleux et autres villaiges des environs de ceste ville et que il tire du costé de Sainct-Wallery pour la conservation de laquelle le sieur d'Amerval, gouverneur, et les maïeur et échevins (1) dudict lieu, ont mandé quelques picques, pelles et hoiaulx, mesme que ledict capitaine Christofle, arrivant ce jour d'hier, a rapporté que ses soldartz et les autres de la garnison dudict St-Wallery, sont sur le poinct de se desbender, d'aultant que leur mois est escheu, et passé sont huict jours, n'y aiant moien de les retenir qu'en leur baillant argent, du moings par prest sur la monstre advenir, sans lequel il n'oseroit retourner, estant aussy nécessaire de renforcer ladite garnison. A esté délibéré, tant pour la conservation de ladite place de St-Wallery que de ceste ville, qu'il sera envoie aud. lieu de S^Wallery, des piques, pelles et hoiaulx quy ont esté retirez du siège de Rue, au chasteau de Noielles, et que l'on jectera dedans la compaignie des cappitaines d'Alinctun et Boypréaulx (2), et pour y entretenir les soldartz et

(1) Le gouverneur de Saint-Valéry était Godefroy d'Amerval, enseigne de M. de Rubempré en 1577, lieutenant de 50 hommes d'armes en 1583 ; le maïeur était Nicolas de Boullongne, seigneur du Hamel, domaine voisin de Poutrincourt.

(2) D'Alincthun et Boispréaux étaient les deux plus actifs capitaines à la solde de la Ligue dans le Ponthieu. En considération des services rendus par d'Alincthun, gentilhomme du


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leur donner moien de se maintenir quy leur sera paie, comme aussy ausdits cappitaines du Crocq (1) et Cristofle, la somme de IIIc escus par advance et laquelle leur sera déduicte sur leur prochaine montre et affin d'avoir moien de retenir les soldartz en ceste dicte ville pour s'en servir au besoing et la munir contre les entreprises sur icelle suivant les advertissements quy en viennent à toutte heure, qu'il sera paie aux gens de guerre y estans sçavoir pour homme de cheval la somme de XXX s. et X s. pour homme de pied, suivant l'appointement quy leur a esté fect en la ville de Beauvoys et aultres villes menassées de l'ennemy. » L'assemblée fait ensuite appel -à la caisse de maître Alexandre Gaillard, commis à la recette des

Boulonnais, et du dévouement montré par ses deux fils, Mayenne lui avait octroyé l'année précédente (15 Mars) : 1° les revenus de la terre de Ponches appartenant à Adrien de Boufflers, arrière grand-père du maréchal duc de Boufflers, représentant deux cents écus de rente ; 2° cinq cents écus à prendre sur la seigneurie d'Yvrench, appartenant à MM. Louis de Belloy, seigneur de Landrethun et de Pardaillan, qui tenaient le parti contraire. Chronologie d'Abbeville, p. 101. Sur les d'Alincthun, voir Recherches généalogiques de La Gorgue-Rosny, et Jean et Raoul Pocques, seigneurs d'Alincthun, par le baron de Calonne, Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, 3e série, t. VIII, page 506.

(1) Du Crocq, capitaine d'une compagnie d'infanterie à Abbeville, fut l'un de ceux qui facilitèrent la soumission de cette ville à Henri IV. Il reçut, de ce chef, deux cents écus de François Hosman (ou Hossoman), trésorier de l'Épargne.


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nouveaux impôts (1). Mais ce comptable objecte qu'il a reçu, de MM. les ducs de Mayenne et d'Aumale, des instructions impératives qui ne lui permettent pas de disposer, pour la destination qui lui est indiquée, des fonds reçus. L'assemblée insiste et répond que MM. les ducs de Mayenne et d'Aumale trouveront bon «ledict paiement, eu esgard à l'urgente nécessité ». Mais Gaillard ne peut « excéder sa charge ny désobéir », et il s'obstine dans son refus. L'assemblée passe outre, décide que les impôts seront perçus par un autre bourgeois, que les registres, cueilloirs et papiers de Gaillard seront mis entre les mains du nouveau receveur ; elle mande séance tenante Louis Viger et Paul Vert (2), débiteurs des impôts, « pour fournir promptement lesdictes sommes », et retient Gaillard prisonnier, « jusques à ce qu'il ait satisfait et fourny à ce ».

Cette décision témoigne d'un affranchissement complet. L'exemple des villes rompant à cette époque avec le passé monarchique, se rendant indépendantes de tous les pouvoirs, de tous les gouvernements, n'est pas rare. Mais, comme l'a fait observer un historien d'Henri IV, «la liberté consistait pour elles à ne fournir de soldats, à ne

(1) Alexandre Gaillard, bourgeois d'Abbeville, demeurant paroisse Saint-Georges.

La Taxe des pauvres à Abbeville, par M. de Galametz, page 180.

(2) Probablement Paul Yvert, demeurant paroisse SaintGeorges.


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payer d'impôts à personne, à ne supporter aucune des charges publiques ». C'est-à-dire que les communautés, comme le peuple en pareil cas, libres d'opter, se montraient toujours partisans du moindre effort. Ici, c'est une question d'égoïsme local qui meut l'assemblée, mais elle ne boude pas devant la peine et le sacrifice. La noblesse et l'échevinage mettent au-dessus de tout l'intérêt immédiat d'Abbeville. La question de défense de la place et de ses environs prime toute considération, y compris celle d'obéir au lieutenant général du royaume. Cette délibération, où M. de Poutrincourt formula un avis, est à rapprocher de celle prise un an plus tôt, lorsqu'il fut prié de quitter Abbeville sans délai, sur une injonction de Mayenne. L'autorité du chef de la Ligue sur les esprits paraît singulièrement diminuée (1).

Quand Jean de Poutrincourt prit la résolution de se rallier à Henri IV, la conversion du Roi était décidée.

Le 25 Avril 1593, le Béarnais avait envoyé au grand duc de Toscane qui lui servait d'intermédiaire auprès du pape, sa parole royale qu'il ferait profession publique de la religion catholique romaine, dans les deux mois qui suivraient la conclusion de l'accord qu'il négociait avec le duc de Lorraine.

(1) Archives municipales d'Abbeville. Registre aux délibérations de l'échevinage, f° LXVI.


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Le 15 Mai, le Roi annonçait à son Conseil qu'il devait mander auprès de sa personne, so.us deux mois, une réunion d'évêques et de théologiens, pour son instruction religieuse. Trois jours plus tard étaient expédiées les lettres de convocations à ces prélats et docteurs pour se réunir à la date du 15 Mai.

La conversion du Roi était certaine ; la nouvelle en était publique. Paris l'avait accueillie avec une grande joie et l'agitation populaire était extrême, car on entrevoyait enfin la cessation des troubles, la paix prochaine. Une forte majorité du clergé parisien, jadis si hostile à Henri IV, s'était même prononcée nettement en faveur de cette paix.

Jean de Poutrincourt informa Ludovic de Gonzague, duc de Nevers, de ses intentions.

Quelles raisons dictaient à l'ancien familier du duc d'Aumale le choix d'un prince d'origine étrangère pour transmettre sa soumission au Roi ?

Le duc de Nevers avait été gouverneur de Picardie. Comme chef des catholiques royaux, il avait guerroyé l'année précédente aux environs de Poutrincourt, assiégé et pris Saint-Valéry, en Décembre 1591. La châtellenie de cette ville ligueuse lui appartenait, comme mari d'Henriette de Clèves, de même que le pays et roc de Cayeux, dont relevait le fief de Poutrincourt. Le duc se trouvait être le seigneur suzerain des Biencourt pour leurs possessions aux alentours de SaintValery, à Poutrincourt et au Petit-Hamel.

S


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De plus, Ludovic de Gonzague était gouverneur de Champagne et Brie. Or, Poutrincourt possédait dans ce gouvernement, la seigneurie de Marcillysur-Seine.

Le capitaine ligueur ne pouvait choisir un meilleur et plus puissant intermédiaire pour s'accréditer auprès d'Henri IV.

Le duc s'empressa d'informer Sa Majesté de la soumission de Jean de Poutrincourt, et lui signala vraisemblablement l'importance de cette nouvelle recrue (1), car le Roi, qui n'avait pas oublié son adversaire du siège de Beaumont et de l'échauffourée de Suresnes, écrivait peu après à son fidèle correspondant :

« A mon Cousin le duc de Nivernois,

« Mon Cousin. Je suis très ayse de la résolution qu'a prinse le Sr de Poutrincourt. Je vous prie le confirmer en ceste bonne volonté, autant qu'il vous sera possible et l'employer en ce que vous cognoistrés estre le plus à propos pour mon service, comme par vostre prudence vous en sçaurés bien juger les occasions et l'heure et le temps. Quand à mon entreprise de ceste place, vous sçaurés que, Dieu mercjr, j'ay pris heureusement la ville, et suis en espérance de faire le semblable du chasteau, encores que le duc de Mayenne fera courir le bruit partout qu'il me lèvera le siège ou

(1) Les Mémoires de Nevers ne nous ont point conservé la lettre du duc.


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qu'il me donnera bataille, que pour cest efîect le comte Charles soit mandé avecques son armée, et que mardy dernier il ayt faict passer son canon au Pontdormy...

« Escript au camp de Dreux, le XXVe jour de Juing 1593.

« HENRY » (1).

Le royaume n'était pas pacifié. Poutrincourt pouvait rendre des services loin des bords de la Seine, de l'Oise et de la Somme, où il avait jusqu'alors combattu. Le duc de Nevers l'employa dans son armée qui guerroyait en Champagne et dans les Ardennes.' Il venait de prendre Rozoy (2) et il poussait des reconnaissances dans la direction de Mouzon (3). Bientôt son attention devait être attirée sur les entreprises du duc de Mayenne et du vicomte de Ta vannes en Bourgogne ; le 12 Juillet suivant, il recevait du Roi des instructions pour repasser l'Aisne et la Marne et rentrer par le Barrois dans la Bourgogne septentrionale, et pour disperser les forces adverses (4).

Henri IV, autant par politique que par bonté, se montra généreux pour tous les Ligueurs qui se soumirent dans les délais qu'il leur avait impartis. Il ne garda point rancune à ses anciens adversaires

(1) Lettres missives.

(2) Probablement Rozoy-en-Brie (arrondissement de Coulommiers, Seine-et-Marne).

(3) Bourg des Ardennes (arrondissement de Sedan).

(4) Lettres missives de Henri IV, t. III, p. 809 et suivantes.


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et l'on peut avancer qu'il n'en estima que plus haut

ceux qui l'avaient le plus rudement combattu.

Le Roi, comme l'a dit l'un de ses panégyristes,

Qui par le malheur même apprit à gouverner, Persécuté longtemps, sut vaincre et pardonner.

Henri IV, eut maintes occasions d'apprécier la valeur et le dévouement de Jean de Biencourt. Maintenu mestre de camp de six compagnies de gens de guerre et capitaine de l'une de ces compagnies, comme c'était l'usage, il fut fait gentilhomme ordinaire de la Chambre, Chevalier de l'Ordre du Roi, gouverneur de Méry-sur-Seine (1595), « honoré singulièrement de la confiance de Henri IV » (1). Ce prince conçut la plus haute estime pour ce nouveau serviteur et il lui en rendit témoignage plusieurs fois « par sa bouche », en disant « qu'il estoit gentilhomme indomptable à la fatigue, sans crainte aux hasards » et qu'il le tenait pour l'«un des hommes de bien et des plus valeureux de son royaume. » (2).

(1) Dictionnaire... de La Chenaye-Desbois. L'auteur parle de lettres du Roi à M. de Poutrincourt, des années 1593 à 1596, qui témoignent de l'estime de Sa Majesté pour le destinataire. Nous n'en avons trouvé aucune trace. Le M8 9281 Français de la Bibliothèque Nationale renvoie à ce sujet aux archives de la branche de Champagne. Si l'on en croit La Chenaye-Desbois, le dernier descendant de Jean de Biencourt-Poutriucourt fut Ange-Pierre-Louis de Biencourt de Poutrincourt, chevalier, né le 18 Août 1762, entré page chez MONSIEUR, frère du Roi, le 26 Juin 1776, et garde-maritime au Département de Brest en 1779. On ignore ce que sont devenus ses papiers.

(2) Marc LESCARBOT. Relation dernière...


LES DOMAINES DES BIENCOURT EN PICARDIE

Les ravages accumulés par les guerres de Religion, l'insécurité des campagnes pendant cette longue période de troubles avaient semé la désolation en Picardie.

Les Huguenots, et entre autres, le fameux Cocqueville dans le Vimeu, s'étaient montrés particulièrement acharnés dans cette oeuvre de dévastation. Non seulement ils s'étaient livrés aux pires excès sur les personnes, mais ils avaient systématiquement brûlé les fermes, les moissons, les parchemins, les titres des fiefs, les registres d'aveux des seigneuries et rendu extrêmement difficile la reprise de la vie normale.

A l'avènement d'Henri IV, les dernières convulsions de la Ligue, autour d'Abbeville, avaient achevé de ruiner le paj^s.

Les Biencourt s'étaient opposés autant qu'ils l'avaient pu à l'anéantissement des cultures dans cette région où ils possédaient la plupart de leurs fiefs. A partir de l'heure où l'Union agonisante avait montré nettement son impuissance à arrêter les armées royales victorieuses, ils n'avaient plus tiré l'épée que pour entraver les courses des capitaines normands et les maraudages des garnisons dans le plat-pays.


A l'issue de ces guerres civiles, les hameaux étaient déserts et les cultures abandonnées. A Poutrincourt et aux alentours, à Lanchères, à Pende, par exemple, « les terres estoient en friche, dès à long temps, tant à cause des prinses faictes de la ville de Saint-Wallery, par les armées des deulx partys, que de ce que les villaiges et maisons circonvoisines desdites terres auroient esté totalement rujrnées. » Nul ne se présentait pour relever ces ruines et relouer ces terres (1).

La noblesse de province sortit de ces luttes appauvrie et besogneuse. Comme le Roi, elle en était quelquefois réduite à porter des pourpoints

(1) Bail des terres de la Maladrerie de Saint-Valéry sises sur les terroirs de Pende et Lanchères-Poutrincourt, du 5 Mai 1599. Me Nicolas Moisnel, notaire. Registres aux délibérations de l'échevinage de Saint-Valéry, f° 145.

Des.habitations données à cens par le seigneur de Poutrincourt avaient été démolies par les gens de guerre.

Une maison édifiée sur quatre journaux de terre « sur le chemin de Lanchères à Sainct-Blymond », « tenue du sieur de Poultraincourt par les cens pour ce deubs et accoustumés », appartenait en 1586 pour moitié aux consorts Obry et pour l'autre moitié à Mariette Lefroid, femme de Claude Deléens. Celle-ci légua sa part, suivant testament dicté à Me Nicolas Moisnel, notaire à Saint-Valéry, le 10 Décembre 1586, à Louis Deléens. Par suite du décès du légataire et de son frère Clément, ladite moitié revint à Jean et Claude Bastel, cousins issus de germain de la testatrice, qui furent obligés de la vendre le 30 Avril 1605, « parce qu'ils ne pouvoient bonnement faire leur prouflict de ladicte moietié », la maison étant « réduicte en masure à cause des guerres quy ont régné ».

Acte devant Me Jean de Camyes, notaire. 1605, cote 119.


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troués au coude et des chemises déchirées. « Nous voyons, disait-il, nos sujets réduits et proches de tomber en une immense ruine pour la cessation du labour, presque générale, en tout nostre royaume... Les vexations auxquelles ont été en but les laboureurs leur ont fait quitter et abandonner non seulement leur labour et vacation ordinaire, mais aussi leurs maisons ; se trouvant maintenant les fermes, censés, et quasi tous les villages inhabitez et déserts ». (1)

Les effets des pertes subies par l'agriculture se firent sentir longtemps après le rétablissement de la paix. Il fallut le génie et la sollicitude de Sully pour réparer ces désastres ; il fallut la participation de la noblesse villageoise aux travaux des champs pour redonner à l'exploitation du sol un essor salutaire.

Les Biencourt possédaient de riches seigneuries, des revenus importants. Il semble que la gêne ne pouvait les menacer comme tant de pauvres hobereaux, du Ponthieu et du Vimeu qui avaient épuisé leurs finances et engagé leurs domaines pendant les hostilités. Dans quelle mesure le malheur des temps les avait-il touchés ? L'opu(1)

L'opu(1) de la Déclaration du 16 Mars 1595. FONTANON, t. II, p. 1191, cité par Poirson, t. III, p. 173. Voir aussi le Théâtre d'agriculture et Mesnage des champs, d'Olivier de Serres, et pour la crise agricole en Picardie, la Vie agricole sous l'ancien régime dans le Nord de la France, par le vicomte de Galonné, Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, t. IX, p. 5 .


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lence de Florimond s'était-elle muée pour ses héritiers, dans ces vingt-cinq dernières années, en une situation difficile ? Les dures nécessités de l'heure leur permettaient-elles encore de soutenir avec le même faste le rang que leur assignait leur naissance ?

Florimond de Biencourt avait été de ces gentilshommes français qui, dans leurs voyages en Italie, s'étaient grisés des douceurs d'une vie sensuelle et raffinée et qui en avaient gardé le goût. Il avait vécu en ambassadeur à cette cour de Ferrare dont les princes d'Esté avaient fait, par leur magnificence, l'une des plus brillantes de l'Europe. Il avait rapporté de ce séjour dans l'une des plus séduisantes villes d'Italie, des souvenirs de luxe, des visions de fêtes et de plaisirs qu'il n'avait pu chasser entièrement, de retour en France. Aussi, s'était-il laissé entraîner insensiblement, à la cour et dans ses terres, aux inconvénients d'une existence agréable et facile.

En rentrant de dures campagnes qui n'avaient rapporté que des fatigues et des blessures, était-il possible à ses fils, Jacques et Jean, de maintenir dans leurs demeures respectives restées debout au milieu de leurs terres en friches, un train et des dépenses de seigneur en vue ?

Il est indéniable que le malaise financier qui pesait sur la noblesse de Picardie, dès avant la pacification du royaume, ne se manifesta que fort discrètement chez les Biencourt.


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Un seul des deux fils de Florimond paraît réellement se trouver aux prises avec quelques difficultés. Or, c'est l'aîné, le plus favorisé dans les partages de famille par la coutume locale. Bientôt, même ,il sera acculé, par le malheur des temps plus encore que par son luxe et son imprévoyance, à frapper à la porte des prêteurs, gens exigeants et rapaces, d'un commerce désagréable et pénible.

Quant au second, Jean de Poutrincourt, sa position se révèle comme satisfaisante.

Il ne faut attacher aucune importance à l'embarras dans lequel il se trouvait, alors qu'il était encore écuyer du duc d'Aumale, quand il était obligé de souscrire des obligations à Jaspart d'Allonville, capitaine des gardes, ou à Bahuet, maître d'hôtel du duc (1), pour parfaire son

(1) « Jehan de Biencourt, escuier, Sgr de Guibermesnil en Picardye, près Abbeville, escuier de Monsgr le duc d'Aumalle, estant ordinairement à la suite dud. Sgr duc, confesse debvoir... à noble homme Richard Bahuet, Me d'hostel dud. Sgr duc d'Aumalle, à ce présent, ou au porteur, la somme de quatre vingtz escus d'or soleil pour vente et délivrance d'un cheval soubs poil gris gascon aiant crains, queue et oreilles, bon, loyal et marchand, que led. Sgr de Guibermesnil en a eu dud. Bahuet, tel qu'il est. »

Cabinet des Titres. Pièces originales. Du 7 Août 1581. Dossier 338. Biencourt f° 102.

Ce Bahuet fut aussi secrétaire du duc d'Aumale, car il figure avec ce titre dans la liste des habitants qui durent sortir de Paris, le surlendemain du jour où les Espagnols quittèrent la garnison. Journal de l'Estoile, 24 Mars 1594, t. VI, p. 335.


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équipement. Il n'était, en cette occasion, qu'une victime très légèrement atteinte par les inconvénients d'une vie pleine d'imprévu et par l'exemple fatal que le duc son maître ne cessait de lui donner sur ce point (1). Nous ne nous apitoierons donc point sur le dénûment apparent du gentilhomme.. Nous chercherons des indices plus sérieux de l'exact état financier de la famille en remontant aux différentes dispositions prises après la mort de Florimond de Biencourt entre ses héritiers.

Outre les terres, fiefs et seigneuries sur lesquelles pesaient les charges qui seront ci-après indiquées, Florimond laissait au jour de son décès plusieurs contrats de constitution de rente à son profit, consistant « en huit cens livres tournois de rente à prendre sur les biens et héritaiges de Monseigneur le duc d'Aumale, et en cinq cens soixante-et-onze livres seize sols aussy de rente à prendre et avoir sur les biens et héritaiges du sieur de Sénarpont » (2).

Florimond de Biencourt avait donc consenti des prêts perpétuels à ces deux grands seigneurs, dont les biens étaient immenses (3).

(1) Le duc était couvert de dettes avant la Ligue. Voir la Satire Ménippée, la vertu du Catholicon.

(2) Archives départementales de la Somme, B. 64, f° 190.

(3) Florimond de Biencourt avait prêté de l'argent au duc d'Aumale et à M. de Sénarpont, mais comme l'ancien droit, à l'exemple dû droit canon, prohibait le prêt à intérêt, les emprunteurs pour se procurer des fonds sans vendre leurs biens, avaient eu recours, comme c'était l'usage courant, à la rente constituée, qui avait été imaginée pour tourner la défense.


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D'autres rentes de moindre importance figuraient encore dans l'actif de communauté. Il suffira de mentionner celles souscrites par Nicolas Rouault, chevalier de l'ordre, seigneur de Gamaches, baron de Longroy, et par Jean de Riencourt le premier pour cent livres, le second pour quarantecinq livres de rente annuelle.

Le capital qu'avait exigé un chiffre de rentes de cette importance représentait, à lui seul, une somme bien supérieure au passif de la succession, lequel était évalué approximativement, lors du contrat de mariage de Jacques, à seize mille livres. Encore faut-il tenir compte que, dans ces seize mille livres, se trouvait comprise pour huit mille livres la somme nécessaire à la constitution d'une rente formant la dot de Françoise de Biencourt, femme de Robert de Milleville. De telle sorte que les dettes proprement dites, à l'ouverture de la succession de Florimond, ne devaient s'élever, semble-t-il, qu'aux environs de huit mille livres.

La veuve disposa des arrérages des rentes constituées jusqu'au mariage de son fils aîné (1).

(1) Ces rentes avaient été constituées durant la comunauté de biens d'entre Florimond de Biencourt et Jeanne de Salazar, car, lors du contrat de mariage de Jacques, cette dernière renonçant à ses droits d'acquêts s'engagea à remettre à son fils les lettres de constitution de rente « dans les proches huit jours après le mariage consommé. »

Archives départementales de la Somme. B. 64, f° 190.

L'une de ces constitutions de rente (de cinq cents livres) avait été contractée par Claude II de Lorraine duc d'Aumale, gouver-


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Jeanne de Salazar obtint, en effet, la garde noble et tutelle de ses enfants, c'est-à-dire qu'elle eut la faculté de jouir des biens, ou d'une partie des biens, appartenant aux mineurs, pendant un certain temps et aux charges prescrites par la coutume (1).

neur de Bourgogne, grand veneur de France, pardevant notaire royal de la prévôté de Vimeu le 22 Février 1564. Voir transport du 25 Octobre 1573 par Jeanne de Salazar à Jean de Béthisy et Antoinette de Biencourt, « de huit-vingt six livres treize sols et quatre deniers de rente » faisant partie des cinq cents livres tournois de rente ci-dessus. Moyennant ce transport, la dame de Béthisy tient sa mère quitte des deux mille livres tournois restant à lui verser « sur les promesses faites au traité de son premier mariage » avec défunt Jean d'Oflîgnies, seigneur d'Offignies ; « ladite rente de huit vingt six livres appartenant à Jeanne tant pour son droit de communauté que pour le légat universel à elle fait par Florimond. » Carrés d'Hozier 92, f°s 126 et 127.

(1) Elle obtint relief, en cette qualité, les 27 et 29 Septembre 1567, pour la seigneurie de Poutrincourt.

Elle administra les biens de la succession à Saint-Maulvis et passa différentes conventions pardevant les notaires d'Oisemont.

Le 30 Janvier 1572, institution pour mandataire de Louis Blondel, son receveur.

Le 19 Juin de la même année, constitution de procureurs généraux avec pouvoir de payer à Jean de Croy, comte de Roeux, chevalier de la Toison d'Or, tous les droits seigneuriaux et reliefs à lui dus à cause de la vente faite par son mari à Antoine de Monchy-Sénarpont, de trois cents livres de rente inféodée sur la terre de Saint-Aubin-Rivière, tenue de la seigneurie de Long, appartenant au comte de Croy, ainsi que les fruits de ladite rente aussi à lui dus, en raison de la saisie de cette rente par faute de droits et devoirs non faits.

Le 16 Octobre 1572, arrêté de compte avec Christophe de Riencourt, seigneur de Tilloloy et de Vaux, au sujet d'une re-


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Florimond de Biencourt et Jeanne de Salazar avaient fait un testament mutuel, le 17 Janvier 1565, par lequel ils avaient donné à Jean de

connaissance de rente passée pardevant les tabellions d'Aumale le 3 septembre 1562 par Jean de-Riencourt.

Le 10 Octobre 1574, pouvoir donné à Jean Poussemothe pour l'exécution d'un arrêt de la Cour en date du 2 Septembre, rendu à son profit contre Antoine de Monchy-Sénarpont.

Le 13 Octobre 1575, transport à Guillaume d'Ostove, et à sa femme, de cent livres de rente constituée par le seigneur de Gamàcbes au denier douze, pour demeurer quitte de la somme de douze cents livres dont elle leur était redevable pour le reste des promesses à eux faites par contrat de mariage.

Le 14 Mars 1577 bail consenti à Antoine Dupuis et à Noël Doré, de Fresneville, pour la coupe des bois dudit lieu, moyennant la redevance de trente livres cinq sols par journal.

Le 5 Septembre, pouvoir donné à ses gendres de la représenter au mariage de son fils aîné, Jacques, et, le 18, décharge aux mêmes de ce mandat.

Le 5 Octobre, même année, signature d'un titre nouvel pour buit livres tournois cinq sols huit deniers dé rente due par Mallart, de Sénarpont.

Le 28 Septembre 1578, régularisation d'une question d'intérêt avec Antoine Le Roy, dit Grénecaier, marchand à Saint-Maulvis. (Celui-ci, par contrat du 26 Juin précédent lui avait cédé ses droits sur deux écus quarante-six sols six deniers de rente à prendre sur Jacques Dumeige, meunier du moulin Féret). Transport de cette rente à Jeanne du Hamel, femme dudit Le Roy.

Le 4 Février 1580, titre nouvel accordé à Eustache Lenglet, débiteur d'une rente de huit livres six sols six deniers, donnée à Claude par acte du 13 Octobre 1575, comme on le verra plus loin.

Les minutes de ces actes sont conservées en l'étude de Me Jules Truquin, notaire à Abbeville. Nous avons pu les consulter un à un, grâce à l'extrême obligeance de leur détenteur actuel, à qui nous adressons tous nos remerciements pour l'excellent accueil qu'il a bien Voulu nous réserver.


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Biencourt-Poutrincourt, leur fils, la seigneurie de Marcilly-sur-Seine, en Champagne (1).

(1) Florimond de Biencourt et Jeanne de Salazar lèguent à Jacques, leur second fils, toutes les terres, fiefs et seigneuries échus aux testateurs de la succession de leurs prédécesseurs, et la terre de Presneville, acquise par les conjoints.

Ils lèguent à Charles, la terre de Guibermesnil, par eux naguère achetée.

Ils lèguent à Jean de Biencourt, leur quatrième fils « la terre et seigneurie de Marsilly-sur-Seine, assise au pais de Champagne, sans que ses autres frères et soeurs y puissent prétendre aucune part ou portion... et, en cas que led. Jacques leur succédant y voulut prétendre quelque part, lesdits testateurs donnent et lèguent aud. Jean de Biencourt le quint hérédital de tout ce qui étoit légué audit Jacques, les dons et légats faits auxdits trois fils respectivement, sous condition que si ledit Louis de Biencourt présumé mort, étoit encore vivant et retournoit cy après pour recueillir leur succession, il auroit et prendroit le legs fait audit Jacques, lequel auroit celuy fait audit Charles, et ledit Charles celuy fait audit Jean, auquel lesdits testateurs se réservent faire cy après autres dons et legs ; Ils lèguent à Anne et Françoise de Biencourt, leurs deux filles, savoir à ladite Anne une somme de 10.0001t. et à laditte Françoise une somme de 8.000 lt. à payer quand elles auraient atteint l'âge de 16 ans, ou plus tôt, s'ils prennent alliance de mariage. »

Ils lèguent à Claude, leur fille religieuse professe, cent livres tournois de rente sur la terre de Marcilly.

Quant au surplus de leurs biens, ils instituent héritier universel le survivant d'eux.

Ils nomment pour exécuteur testamentaire Jean de Béthisy, leur gendre, époux d'Antoinette.

Cet acte fut passé devant Nicolas Vaucquet, notaire en la prévôté de Vimeu, en présence de Jean Vaucquet, procureur d'office, et de Louis Blondel, receveur.

Un codicille du 6 Février 1567 déclare que depuis la confection de leur testament, les testateurs avaient allié par mariage leur fille Anne à noble homme Guillaume d'Offignies (pour d'Ostove),


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D'autres actes, dont la multiplicité et les dispositions entortillées pourraient soulever quelque étonnement, devaient se succéder. On essaierait en vain de découvrir, dans ces stipulations compliquées, l'indice d'une certaine gêne financière ; l'on aurait tort de croire que les parties se trouvaient embarrassées par l'insuffisance du patrimoine commun et obligées de recourir à des expédients. Il faut rechercher ailleurs la raison de ces nombreux testaments, donations et arrangements. La plupart des terres et seigneuries des Biencourt étaient, on le sait, situées en Vimeu. D'autres étaient en Ponthieu. La coutume du comté de Ponthieu, l'une des plus anciennes du royaume, consacrait le droit de primogéniture et de masculinité. A l'aîné mâle, ou à son défaut, à l'aînée des filles, appartenaient en ligne directe tous les meubles et tous les immeubles féodaux ou côtiers propres, ou d'acquêts. Les puînés n'avaient droit qu'à la jouissance pendant leur vie de la cinquième partie des biens de la succession de leurs père et mère. Devant ces rigoureuses disposeigneur

disposeigneur Clenleu « à laquelle ils avoient fait de grands dons et advancements ». Pour cette raison, ils révoquent les dons et legs qu'ils lui avaient faits par ledit testament.

Codicille reçu par Me Nicolas Vaucquet, en présence de Louis Ferrant et Pirmin Rifllart, de Saint-Maulvis.

Carrés d'Hozier 92. Une note des Dossiers bleus, 2273, dit à tort que le testament de Florimond et de Jeanne de Salazar n'est pas du 17 Janvier 1565.


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sitions, la règle était que les père et mère avantageassent leurs puînés au moyen de testaments et de donations. Les coutumes de la prévôté de Vimeu, comme celles de la sénéchaussée de Ponthieu, posaient d'une manière absolue le même principe d'indivisibilité, mais l'application en avait été fort tempérée, et, depuis la vérification de 1507, le manuscrit de ces coutumes ayant été déclaré perdu, un droit plus libéral avait été mis en pratique.

A travers les préoccupations des parties, s'avérait le souci persistant de corriger les effets pernicieux des coutumes, de favoriser le cadet et d'assurer à la fille restée à marier, une existence indépendante.

Rajustement d'autant plus difficile à réaliser que la situation de Claude, la fille aînée, posait des questions de droit canonique et de droit civil très délicates.

Claude avait prononcé des voeux en la célèbre abbaye de filles nobles de Poulangy, au diocèse de Langres, dont une cousine germaine de sa mère, Marguerite de Salazar, avait été abbesse de 1545 à 1560. Cette Marguerite, fille d'un second mariage de Lancelot de Salazar avec Marguerite des Vignes, avait abdiqué et était morte en 1563. Une de ses nièces, Claude de Roucy, fille de Nicolas, seigneur de Sainte-Maure, et de Barbe de Salazar autre fille de Lancelot née de son premier mariage avec Louise de Courcillon de Dangeau, lui avait succédé.


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Par sa naissance, elle avait été jugée digne de cet honneur, car elle descendait de Hugues de Roucy et de Richilde, fille du duc de Souabe et appartenait à la famille de l'évêque Brunon de Roucy, restaurateur du monastère au xe siècle. Cependant, Claude de Biencourt, sous son abbatiat, avait jeté le froc aux orties et était rentrée à Saint-Maulvis. Jeanne de Salazar, devenue veuve, engagea, en 1573, une procédure pour rendre sa fille apte à posséder. Elle y parvint, non sans difficulté (1).

(1) DE BEIXEVAL, dans son Nobiliaire, a pris Claude pour un homme, et La Chenaye-Desbois s'est aperçu qu'elle abandonna la profession religieuse mais il n'a pu en préciser les circonstances.

Claude réclama contre les voeux qu'elle avait prononcés plus de huit ans auparavant en la vieille abbaye fondée par sainte Salaberge, au temps de Dagobert IL Elle prétendit qu'elle avait fait profession en sa minorité et sans avoir connaissance de la gravité de ses engagements. Il est à remarquer que l'ancienne bénédictine n'invoquait pas l'âge porté par les canons. Le concile de Trente avait fixé cet âge à seize ans, mais l'Ordonnance d'Orléans de 1560 (article dix-neuf), l'avait mis à vingt ans pour les filles et à vingt-cinq pour les hommes. D'autre part, contrairement à l'usage qui voulait qu'une religieuse réclamant contre ses voeux demeurât par provision sous l'autorité de ses supérieures et en habit régulier, Claude était rentrée dans sa famille et avait abandonné le froc. La profession religieuse l'avait rendue incapable de recueillir aucune succession suivant l'ordonnance de François Ier donnée à Châteaubriant au mois de Mai 1532 ; spécialement, l'article xcv des coutumes du bailliage d'Amiens disait : « Religieux ou religieuses ayant fait profession en religion approuvée, ne succèdent à leurs père et mère, ne autres leurs parents ». Les biens à lui échoir devaient donc aller grossir la part de ses cohéritiers. Aux juges ecclésiastiques seuls

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Dès l'année 1575, en Octobre, elle lui fit une donation : 1° de cent trente-quatre livres dix sols de rente, 2° de l'usufruit d'une masure à Saintappartenait

Saintappartenait se prononcer sur la validité de ses promesses. La supérieure de l'Ordre, — c'était Claude de Roucy, abbesse de 1561 à 1583, — n'était pas juge en l'affaire, ruais elle y était partie, la profession solennelle étant un engagement irrévocable et réciproque contracté entre celui ou celle qui la fait et l'Ordre qui la reçoit. En droit civil, la mère devait être appelée comme partie à cette réclamation, 1° parce que l'Ordonnance d'Orléans sous l'empire de laquelle on se trouvait alors, exigeait par l'article dix-neuf le consentement des parents pour la profession religieuse des enfants. Jacques de Biencourt devait, lui aussi' être partie, parce que Claude se trouvait également son héritière et que sa rentrée dans le siècle le dépouillait des biens que sa profession lui avait procurés ; Jean, en raison de sa minorité, n'était pas qualifié pour intervenir.

Une déclaration fut passée devant notaire par laquelle Jeanne disait n'avoir su ni approuvé la prise d'habit de sa fille, qui, cependant, avait été qualifiée « religieuse professe » dans le testament de 1565, et une expédition fut adressée à Grégoire XIII.

Jeanne de Salazar, Jacques de Biencourt et Claude comparurent devant Mes Nicolas Vaucquet et Jean Vaucquet l'aîné le 13 Novembre 1573, à Saint - Maulvis : « Lesquelz ont juré et attesté pour vérité que damelle Claude de Biencourt, fille aisnée dud. feu seigneur de Poutraincourt et de ladicte dame, et soeur dudict Jacques de Biencourt, de présent majeur d'ans, a esté mise durant sa minorité et bas aage en l'abbaye de Polangy, prez Chaumont en Bacliigny, religion de femmes au pais de Gnampaigne, pour icelle estre instruicte et apprise tant à lire, escrire, qu'à la cousture et autres civillitez, et que c'est ainsy mineure et en bas aage, en l'absence tant dudict feu seigneur de Poutraincourt que ladicte dame, père et mère d'icelle Claude, est sans leur sceu et gré, l'abbesse, prieuse et religieuses de ladicte abbaie ont faict prendre l'habict à ladicte Claude, et comme ilz ont entendu lui faire faire le voeu et profession de relligion en leur abbaie, estant ladicte Claude fort joeusne et n'aiant con-


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Maulvis tenant à l'hôtel seigneurial, 3° d'une somme de cinq cents livres à prendre sur Jacques de Biencourt (2).

gnoissance de ce qu'elle faisoit et entreprenoit, pourquôy lesd. sgr et., (déchirure du feuillet) demeurât revocqué et retiré hors de ladicte abbaie et icelle fut venue avec eulx en leur maison avec aultres leurs enffans. Et affin que icelle Claude leur peult succéder avec aultres leurs enffans et posséder en son nom les dons et advanchemens que led. feu sgr et dame de Poultraincourt luy ont faict et que lad. dame à l'intention de luy faire, laquelle dame et sgr de Poultraincourt comparans ont dict et déclaré que ce n'a esté leur vouloir et intention que ladicte Claude fut relligieuse profes, comme aussi ladicte damelle Claude comparant en personne a dict, déclaire et affermé pardevant lesd. notaires, telle n'avoir esté son intention et volunté, et sy aûlcune chose en a esté par elle faict et passé, qu'elle n'avoit lors, pour son bas aage et minorité, jugement ne discrétion. Et pour ainsy le déclairer par eulx par devant Nostre sainct père le pape et par tout ailleurs où il appartiendra et besoing sera, et requérir par ladicte damelle Claude estre dispensée et absoulte de ses fect et promesses, sy accordées s'en treuvent avoir esté, par elle passées durant son bas,aage de minorité, et pour cest effect, faire ce qu'il apartiendra et besoing sera, lesd. comparans et chacun d'eulx en son regard ont fect leur réserves.»

Minutes de Me Truquin.

La minute, quoique diligemment recollée sur papier vers la fin du XVIIIe siècle, est en très mauvais état, et porte, en marge, d'une écriture de la même époque : Déclaration de regrès, ce qui est une indication inexacte. Le regrès était l'exercice du droit de rentrer en possession d'un bénéfice ecclésiastique que l'on avait résigné.

(2) La rente était à prendre sur les ci-après nommés, dans les proportions indiquées en l'acte : Christophe de Riencourt, écuyer, seigneur de Tilloloy et de Vaux ; Jeanne de Cocqueville ; Berthe de la Fosse, veuve de Jean de May, écuyer ; Jean et Guillaume de Cheppy ; les héritiers de Nicole Blondel ; Antoine


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Par un second testament, en date du 22 Octobre 1578, Jeanne de Salazar confirma le don fait à Jean, mais à la charge d'une rente viagère de cent livres au profit de sa soeur Claude, qui reçut en outre la jouissance de la maison dite du Pignon Blanc. C'était une « masure amazée, lieu, pourprins et tènement, scéant audict Sainct-Mauvis, tenant au chef-lieu et aux terres seigneuriales, réunis par puissance de fief à la table et domaine de la seigneurie dudit lieu », dont donation avait été faite précédemment à demoiselle Claude, « par lectres faictes et passées pardevant notaires et soubz le scel royal de la pruvosté de Vimeu le Xiije jour du mois d'Octobre de l'an mil Vc soixante et quinze » (1).

Au moyen de ce testament d'Octobre 1578, Jeanne de Salazar prit des dispositions pour le partage, entre ses enfants, de la quotité revenant

Callon, maréchal à Saint-Maulvis ; Pierre Boutté, laboureur à Andainville ; Jean Delhobel, Jean Regimbart ; Jacques de Gressen ; Pierre Malivoire ; Simon Bazin ; Eustacke Lenglet, Martin et Pierre Parmentier.

Jeanne de Salazar avait retrait par puissance de fief le tènement à Saint-Maulvis donné en usufruit à Claude, sur Regnault Blondel, et pour y parvenir elle avait remboursé ledit Blondel, « acquisiteur », de la somme de cinq cents hvres.

Minutes de Me Truquin.

(1) Archives départementales de la Somme. B. 64.


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à Charles de Biencourt, son fils, tué à la bataille de Moncontour, en 1569, mort par conséquent depuis le testament mutuel de 1565 (1).

(1) Il existe un extrait analytique — entaché de quelques inexactitudes — de ce testament aux Carrés d'Hozier 92, f° 129. avec l'indication de date 14 Mars 1577, qui est fausse. Nous ayons consulté la minute, en l'étude de Me Truquin, et nous donnons ci-dessous un résumé avec citations littérales des passages concernant Jean de Biencourt, au risque de ne pouvoir éviter quelques redites :

Jeanne, demeurant alors à Saint-Maulvis, « veult et ordonne que le partaige faict à ses enffans masles ait lieu et fortisse effect selon et ainsy que contenu est au testament mutuel par elle faict avec led. feu seigneur de Poutraincourt son mary, pard' notaires royaulx en ladicte prévosté le dix-septiesme jour de janvier mil cinq cens soixante et cinq... ». La mort de Louis « n'estant encoires résolue ny asseurée » et Charles étant « fine de vie par mort », la testatrice veut que Jean prenne pour son partage la seigneurie de Marcilly, « sans touttefois en ce comprendre cent livres de rente viagère » que le testament mutuel de 1565 attribuait à Claude, la fille aînée. Ce faisant, Jeanne de Salazar se contente d'appliquer les dispositions du testament mutuel, d'après lesquelles Marcilly devait, en cas de retour de Louis, appartenir à Charles, et en cas de non retour, à Jean. Par ce nouveau testament la dame de Poutrincourt lègue ladite seigneurie à Jean, à la charge des cent livres de rente viagère, mais déchargée de tous quints, portions héréditaires et autres assignations pouvant être réclamés par les autres frères et soeurs.

« Et s'il advenoit que Louis de Biencourt ne revint... d'aultant qu'il ne demeureroit plus que deux fils , la testatrice veut et ordonne que Jacques ne puisse prétendre à aucune part et portion dans la terre de Marcilly, ou autres terres léguées à Jean. »

Jeanne envisage ensuite le cas où Louis reviendrait et lui assigne la part à lui destinée par le testament mutuel, sans qu'il puisse rien réclamer sur les parts de ses autres frères. .


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Jacques de Biencourt, par son contrat de mariage de Septembre 1577, dont il sera reparlé plus loin, eut les domaines héréditaires de PoutrinLes

PoutrinLes de 1565 assuraient encore à Jean la seigneurie de Guibermesnil « en ce qu'elle se consiste au fief de Beaunay », c'est-à-dire, sans doute, la partie provenant de la famille de ce nom, qui détenait le fief au XIVe siècle. La veuve de Florimond donne et lègue aussi à Jean, « ce qu'elle a acquis audict Guibermesnil de la dame d'Offignies, et dont elle a esté saisie après le trespas de son dict feu mary » tant par droit de communauté que comme légataire universelle du seigneur de Poutrincourt, « soict que ledict Lois retourne ou non ».

Envisageant à nouveau l'éventualité du retour de Louis, pour faire la part de Jacques, elle donne à celui-ci, outre le partage fait à Charles maintenant décédé, 1° trois cent trente-trois livres tournois de rente sur plus forte somme due par le duc d'Aumale, 2° le fief séant à Epaumesnil « qu'elle a acquis en sa viduité duseigneur de Cheppy... ». Dans le cas où Jacques bénéficierait du droit d'aînesse, elle veut qu'il ait le fief d'Epaumesnil, avec la partie de rente à prélever sur le duc d'Aumale.

Revenant encore à Jean, elle ajoute : « Et en semblable, elle a cy-devant fait don et légalt audict Jahan de ladicte terre de Marcilly et de ladicte terre et sgrie de Guilbermesnil, tant ce quy a esté acquis du Seigneur d'Estournel que de ladicte dame d'Offignies, à la charge touteffois de paier et furnir par chacun an à compter du terme de St-Rémy prochain, selon que contenu est par les lettres-de donation entre vifs ce jourd'huy passées... par icelluy Jehan de Biencourt à ladicte damoiselle Claude de Biencourt... et à prendre sur le fief dudict Guibermesnil acquis de la dame d'Offignies, la somme de deux cents livres de rente... racheptable par ledict Jehan en paiant à la dicte Claude, sa soeur, à une fois, la somme de deux mil quatre cens livres ».

Suivent des dispositions en faveur des filles.

« Ce fut faict passé et recongneu.. le vingt-deuzièsme jour d'octobre l'an mil cing cens soixante dix-huict. »

Minutes de Me Jean Vauquet, l'aîné. Etude de Me Truquin, notaire à Abbeville.


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court et de Saint-Maulvis, ceux de Fresneville et de Rigauville.

Quelques jours avant la signature de ce contrat, le 25 Août, ce seigneur avait fait don à sa soeur Claude, «affin de luy donner meilleur moyen de vivre », de la somme « de deux mille livres tourhoiz de rente foncière, et icelle rente à prendre et avoir sur tous et chacuns les biens et héritages dudit seigneur... pour d'icelle joïr et proffiter du jour d'huy en avant pour toute la vie durant d'icelle damoiselle ». Aux termes de ce même acte, reçu par Me Jean Vaucquet l'aîné, en présence des nommés Louis Blondel, lieutenant, et Jacques du Hamel, marchand, de Saint-Maulvis, Jacques avait agréé, ratifié et déclaré tenir pour agréable la donation faite à sa soeur Claude, par la veuve de Florimond de Biencourt, de la masure amasée, vulgairement appelée le Blanc Pignon (1).

Le 22 Octobre 1578, Jeanne de Salazar fit donation à Jean de Poutrincourt de la seigneurie, de Guibermesnil en Vimeu. L'acte fut dressé par le même notaire, assisté de son confrère, Nicolas Vaucquet (2).

(1) Cet acte fut insinué au greffe du bailliage d'Amiens, à la requête. d'Antoine Grébert, procureur de Jacques de Biencourt, le 30 Octobre 1577. Archives départementales de la Somme, B. 64.

(2) Archives départementales de la Somme, B. 640. (Insinuations).

Les archives du notaire actuel d'Oisemont, successeur présumé de Mes Jean et Nicolas Vaucquet, ne remontent qu'à 1643.


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Ces différents arrangements ne parurent point suffisants à la dame de Biencourt pour assurer le sort de sa fille aînée.

Par acte du même jour, 22 Octobre 1578, voulant, comme elle le dit en cette occasion, montrer « le bon amour naturelle qu'elle a et dict avoir à noble damoiselle Claude de Biencourt, elle lui fait don de « soixante-six écus et deux tiers d'or soleil, à soixante sols pour écu ». Cette rente annuelle, perpétuelle et « héréditable », payable chaque année à la Saint-Rémy, est toutefois stipulée rachetable par la dame de Biencourt ou par ses héritiers, à la charge de payer à la demoiselle Claude la somme de huit cents écus.

Ces soixante-six écus et deux tiers de fente étaient à lever sur les revenus du fief d'Ofngnies, séant à Guibërmesnil, (petite terre voisine de Laboissière et de Brocourt), dont Jeanne de Salazar, le jour même, venait de faire donation à Jean de Poutrincourt, et qui se trouvait ainsi obligée, affectée et hypothéquée au paiement de cette rente.

L'acte spécifiait en outre que cette donation était faite sans préjudice de la somme de cent livres

(Lettre de Me Albert Rémy, président de la Chambre des Notaires d'Amiens, du 7 Juin 1924). Jean Vaucquet (ou Waucquel, ou Wauquet), mourut en 1593 et eut pour successeur, le 2 Avril, Jacques Vaucquet, son fils. Archives départementales de la Somme, B. 1, 13.


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de rente viagère léguée à Claude par ses père et mère, par le testament mutuel passé devant les notaires royaux en la même prévôté d'Oisemont, à la date qui a été indiquée.

Jean de Poutrincourt, en qualité de seigneur de Guibermesnil, comparait à cet acte, parce qu'il est besoin qu'il consente et accorde la donation. Il le fait « en tant quy luy touche ou peut toucher », et il est alors convenu que, si la demoiselle Claude « décedde sans délaisser enfans, ou enfans d'elle procréez en léal mariage, ladicte somme de soixantesix écus deux tiers retournera et appartiendra audit sieur de Guibermesnil, comparant, pour ce néantmoins qu'icelle damoiselle n'en ait fait vente ou engagement ou de partie d'icelle par nécessité » (1).

Une comparaison s'impose entre les situations respectives des deux frères, Jacques et Jean, après qu'ils furent entrés en possession des domaines à eux attribués. On verra que les effets si funestes de la coutume vis-à-yis des cadets avaient été considérablement atténués.

(1) Claude constituait pour son procureur un certain Jacques Lajeunesse.

Archives départementales de la Somme. Registre des insinuations, B. 640. Acte insinué à la requête de Claude de Biencourt le 2 Mars 1579.


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Jacques de Biencourt, par son contrat de mariage du 11 Septembre 1577, reçu par Me Simon Martin, notaire royal, avait donné à sa femme, Renée de Famechon de Chauvincourt, le douaire coutumier qui était « de la moictié de tous ses biens et héritaiges, fiefs, terres et seigneuries, présents et advenir, de tous ceulx qui luy pourroient escheoir tant de ligne directe que collatérale », soit durant le mariage ou après le décès.Mais au cas où des enfants existeraient au jour de ce décès, la veuve ne pourrait prendre aucun douaire sur ce qui aurait pu être échu au mari, de ligne collatérale. Il lui laissait aussi la jouissance de la maison seigneuriale de Saint-Maulvis avec des clauses restrictives pour le cas où sa mère, Jeanne de Salazar, lui survivrait, ainsi que «la plaine propriété et possession de tous les moeubles et conquets immeubles » qu'ils auraient faits ensemble. En cas d'existence d'enfants, cette donation devait se trouver réduite de moitié.

En laissant à son fils toutes les terres, fiefs, seigneuries et rentes appartenant au feu sieur de Poutrincourt, comme tous ceux acquis durant son mariage et depuis son veuvage, spécialement Poutrincourt, Saint-Maulvis, Fresneville, Epaumesnil et Rigauville (à l'exception de Guibermesnil appartenant à Jean), Jeanne de Salazar ne retenait « pour tous droits de douaires et autres choses quelconques », qu'une rente de douze cents livres tournois par an, payable de quatre mois en quatre mois.


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Une disposition particulière prévoyait le cas où Jeanne de Salazar résiderait avec les mariés et réduisait, en telle occurence, la rente annuelle à six cents livres.

Jacques demeurait chargé d'acquitter toutes les dettes.«auxquelles ladicte dame de Poutraincourt sa mère, et luy, seraient obligez, pourveu que lesdictes debtes n'exceddent la somme de seize mil livres, se tant il est deu. » En ces dettes et charges se trouvait comprise, comme on l'a vu, la somme de huit mille livres tournois pour la rente constituée à Françoise, épouse de Robert de Milleville, sieur de Huppy.

Par ce même contrat, les sieur et dame de Chauvincourt reconnaissaient Renée de Famechon, leur fille, comme héritière pour moitié de la terre de Chauvincourt, et des biens meubles qui leur resteraient après leur décès, et constituaient en dot à la future épouse à valoir sur cette succession, douze cents livres tournois de rente. Pour lui fournir cette somme, ils lui délaissaient la terre du Thuit avec les acquisitions environnantes, le tout situé sur les paroisses de Pormor (1), et Henneses (2) bailliage de Gisors, châtelienie des Andelys, pour huit cents livres tournois. Les quatre cents livres de surplus étaient à prendre sur la seigneurie de

(1) Port-Mort, canton des Andelys (Eure).

(2) Hennezis. canton des Andelys.


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Provemont (1). Renée recevait en outre la somme de dix mille livres tournois, la moitié baillée auparavant le mariage, l'autre moitié dans le délai d'un an (2).

* *

Peu après son retour de Pologne, au moment où il songeait à rejoindre le duc de Guise en Champagne qui s'opposait alors à la marche des troupes allemandes conduites par Guillaume de Montmorency, seigneur de Thoré, — c'est-à-dire au commencement d'Octobre 1575, — Jacques avait dû recourir à un emprunt de six cents livres tournois sous forme de constitution de rente pour faire face à ses dépenses de route. Il était marié depuis deux ans à peine et rentré de fraîche date à Saint-Maulvis, quand il s'était vu dans l'obligation de souscrire à M. de Bourbon-Rubempré une nouvelle rente représentant un capital de quatre cents écus, dont il négligea, d'ailleurs, d'acquitter les arrérages. Sa participation active aux guerres de religion étant achevée, mais pressentant que l'heure du retour à la terre était encore lointaine, il avait fait bail, en 1589, du revenu des seigneuries de Saint-Maulvis, Fresneville et Epaumesnil à un

(1) Canton d'Etrépagny (Eure).

(2) Archives départementales de la Somme, B. 64, registre, f0E 190 à 193. On trouve aussi un extrait informe de ce contrat de mariage à la Bibliothèque Nationale, Cabinet des Titres.


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bourgeois d'Abbeville, et, à cette occasion, ses affaires étant peu brillantes, la guerre ne lui ayant rapporté que des déboires, il s'était fait avancer mille écus sur les termes à échoir. Cousu de dettes criardes, il avait été contraint de prendre des dispositions pour apaiser les plus impatients de ses créanciers. A cette fin, la liste en avait été dressée dans le secret du cabinet notarial de Me Salomon Vaucquet, le 29 Janvier 1589.

Jacques en arriva même à vendre ses chevaux de labour, ses animaux de basse-cour, ses grains, et ses récoltes, et le produit de cette cession mobilière servit, à due concurrence, à désintéresser la mère même du preneur, qu'il avait trouvé le moyen de ranger au nombre de ses prêteurs. (1)

(1) Le 9 Octobre 1575, pardevant Jean Vaucquet, notaire, Jacques de Biencourt et Jeanne de Salazar reconnaissent que « pour leur prouffict et secourir à leurs affaires, spéciallement aux fraiz de voiage que ledict seigneur de Poutraincourt entend faire de bref au camp du roy nostre sire, et pour luy faire service » ils ont vendu et constitué à Perrette Bouchard, veuve de Martin du Bos, en son vivant seigneur de Hurt, la somme de cinquante livres tournois de rente annuelle, moyennant le prix de six cents livres tournois. La constitution est acceptée par Jean du Bos, seigneur de Tasserville, fils de Perrette. Les contractants de première part affectent tous leurs immeubles « spécialement la terre de Poutraincourt, tenue de Gayeu par soixante sols parisis de relief, autant d'aide, et vingt sols parisis de chambellage ». Les arrérages seront pris par la veuve'du Bos sur le censier de Poutrincourt.

Le 16 Décembre 1579, devant le même notaire, Jacques assigne à André de Bourbon, gouverneur des ville et château d'Abbeville, seigneur de Rubempré, la somme de trente-trois


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Quand Jacques alla de vie à trépas, le 22 Novembre 1603, sa situation embarrassée éclata au grand jour.

écus un tiers de rente annuelle et perpétuelle, l'achetable moyennant quatre cents écus.

Le 29 Janvier 1589, en l'hôtel de Salomon Yaucquet, notaire, Jacques fait bail à Pierre Delmedeman, bourgeois d'Abbeville, des seigneuries de Saint-Maulvis, Fresneville et Epaumesnil, soit en terres labourables, bois à coupe, censives en argent, grains, chapons, poules, pigeons, gants, muscadelles, avec l'hôtel seigneurial, ses dépendances, et la maison voisine occupée par Simon Bazin, le moulin de Saint-Maulvis alors tenu par Antoine Hanocque moyennant soixante-dix setiers de blé par an, le tout pour trois, six ou neuf ans, moyennant le fermage de mille trois cent trente-trois écus un tiers. Le preneur fera l'avance de mille écus. Le bailleur se réserve le corps de logis de Saint-Maulvis bâti en briques, la grande écurie et le bûcher, l'herbage de deux vaches pour la commodité d'un concierge, ainsi que la moitié des droits seigneuriaux dus en cas de vente, la moitié du jardin à poirées et la coupe des arbres et du bosquet dépendant du pourpris. Le preneur paiera les gages des officiers du seigneur en sus de son fermage et devra bailler, à sa sortie, un papier terrier desdites terres et seigneuries. A même et en déduction du fermage le preneur sera tenu de paier en l'acquit du seigneur, chaque année, la somme de cinq cent trente-trois écus un tiers d'arrérages de rentes, — dont le détail figure en l'acte, — aux créanciers ci après : la dame de Bachimont, les seigneurs de Soyécourt, de Rubempré, de la Mothe, de la Neufville, de Watteblerie, à la dame de Hurt, au prévôt de Vimeu, à l'archidiacre Pécoul, d'Amiens. En outre, le preneur devra payer : la première année en l'acquit du bailleur, au sieur de Soyécourt deux cent soixante six écus deux tiers pour arrérages en retard, au sieur de Rubempré cent trente trois écus, à Nicolas Alavoine, sieur de la Cotte, en compte, soixante six écus deux tiers ; la seconde année, à Brisseau et Boursier, marchands de soie à Paris, quatre cents écus, au sieur de la Cote, en compte, soixante-six écus |deux tiers ; et la troisième année, aux religieux de Saint-Pierre en Abbeville cent écus pour le racquit de vingt-cinq livres de rente ; à Antoine de Moyenneville, bourgeois d'Abbeville, cent-vingt écus, à Robert Bonnelles, marchand de chevaux à Abbeville quatre vingts écus, au sieur de la Cotte,


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Son fils Philippe, alors majeur, dut solliciter des lettres du Roi pour être autorisé à n'accepter cette succession que sous bénéfice d'inventaire. En pays de droit coutumier, les héritiers légitimes ou testamentaires devaient se plier à cette formalité.

cent soixante-six écus deux tiers, formant solde. Si le bail dure six ou neuf ans, le preneur devra, au commencement de chaque période, avancer mille écus au bailleur.

Par un autre acte du même jour devant Salomon Vaucquet, Jacques vend à Demeldeman, receveur et fermier desdites seigneuries : « Premièrement huict chevaulx de charue avec leurs harnachures, ung chariot monté sur quattre roues, deux charrues quattre binots, huict herches, et tous autres extensiles de labeur estant en la cour de la maison et hostel dudict SainctMauvilz, le tout moiennant la somme de deux cens escus sol. Item, trois vaches, quattre vaulx, vingt-huict pourceaulx tant grands que petits et une truie, moiennant soixante-six escus deux tiers... Item pour chacun septier d'avoine, au pris de trente-quattre solz. Item, chacun cent de waratz, tant de vesches que de bizailles, au pris de trois escus un tiers. Item chacun cent dej arbées et de bottes de foeurre d'avoine au pris d'un escu soleil. » L'acquéreur en versera le prix à Marguerite du Fay, sa mère, « sur et en tant moins de ce que ledict seigneur doibt à lad. dame du Fay... »

Jacques fait flèche de tout bois, et d'autres actes révèlent sa situation difficile : 1° ses baux à Soûlas et autres, passés les 24 Octobre et 5 Novembre 1593 par Renée de Famechon en vertu du pouvoir qu'il lui avait donné devant les notaires d'Etrépagny le 16 mai 1585, du fief de Saint-Maulvis, 2° son autre bail du 16 mars 1599 par lequel il loue à un cordonnier de Saint-Maulvis, en dépit des inconvénients de voisinage qui en résulteront, une maison dans l'enclos seigneurial, tenant à l'hôtel où il fait sa résidence, moyennant quatorze écus soleil... et une chemise à usage d'homme...! 3° son autre bail à Soûlas, du 13 février 1603, 4° sa vente, le 16 Juin 1603, de six journaux de terre à Saint-Maulvis, à l'église du heu, ce accepté par frère Martin Bourgeois, curé, et Charles Soûlas, lieutenant de la commanderie, moyennant trente-trois livres tournois, etc.

Minutes de Me Truquin.


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Grâce à ces lettres, il était sursis à toutes poursuites contre l'héritier, soit de la part des créanciers, soit de celle des légataires et fidéicommissaires, pendant le délai qui lui était accordé pour faire dresser inventaire.

Les lettres royaux, en date du 9 Janvier 1604, exposent que Philippe, qui résidait alors au château de Poutrincourt (1), avait présenté « humble supplication » à Sa Majesté japrès le décès de son père, « pour ce qu'il doubte que ledict deffunct fut et soit chargé de plusieurs et grosses debtes envers plusieurs personnes ». Pour cette raison, le suppliant ne s'était osé porter héritier simple du défunt et n'avait pu appréhender la succession (2).

(1) Registre baptistaire de Saint-Valéry, f° 115. Le 17 Décembre 1600, il était parrain d'une fille nommée Hélène, née du mariage de Nicole de Boulongne, seigneur du Hamel, près de Poutrincourt, contrôleur au grenier à sel, maïeur de SaintValery, et de Marie Le Sueur.

(2) « Pourquoy nous, ce considéré — disaient les lettres royaux — attendu ce que dit est, avons octroie et octroions par ces présentes que par bénéfice d'Inventaire deubment faict, il se puisse porter héritier dudict deffunct et prendre et apréhender la succession de tout et chacuns ses biens meubles et immeubles sans que pour le temps advenir il puisse estre contrainct de paier plus de debtes que ne montoit les biens contenus audict inventaire. »

Archives départementales de la Somme, B. 15, registre, f° 201.

La veuve de Jacques, Renée de Famechon, se remaria quelques années plus tard à Pierre Alorge, seigneur d'Hardevelle, conseiller du Roi, lieutenant-général et président au siège présidial de Gisors.

Acte passé aux Andelys avec son fils Charles, alors chevauléger. Archives départementales de la Somme, B. 77, f° 72.


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Des charges et obligations pesaient ainsi sur les domaines de Jacques, tandis que ceux, moins nombreux, de Jean, n'en étaient pas affectés. Ce qui pouvait seulement, dans une certaine mesure, gêner ce dernier, c'est que lors du mariage de son frère, Jeanne de Salazar, comme garantie des stipulations du contrat, avait « obligé et hypothéqué » les terres de Guibermesnil et de Marcilly qui lui appartenaient, à lui, tout au moins pour la plus grande partie, et qui, en tout cas, lui étaient destinées en totalité. Cette disposition avait été acceptée par les seigneurs de Béthisy, d'Ostove et de Milleville, beaux-frères de Jacques et de Jean, « de leur franche et libéralle volonté, en leurs propres et privés noms », et au nom de Jeanne de Salazar, mais Jean, n'avait ni comparu à ce contrat, ni accepté ou ratifié cet arrangement (1).

On ne trouve, sur la terre de Guibermesnil, patrimoine de Jean de Poutrincourt, que l'affectation et hypothèque mise par Jeanne de Salazar pour sûreté du paiement de la rente due à Claude.

Jean disposait librement des revenus et des biens et valeurs mobilières attribués à Claude Pajot, sa femme, lors des partages qui avaient suivi l'ouverture de succession des père et mère de cette dame. La masse des biens se composait d'immeubles, d'un certain nombre de rentes constituées sur des particuliers et sur l'Hôtel de Ville de Paris,

(1) Archives départementales de la Somme, B. 64, reg. f° 193.

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et d'une somme de dix-neuf mille cinq cent quarante-cinq livres en argent liquide (1).

Jean de Poutrincourt était en possession de la seigneurie de Guibermesnil en Vimeu, qui formait un domaine avantageux, bien que certaines terres eussent été en « larris ». Ces pâturages ne rapportaient que des cens assez modestes.

(1) Au sujet des rentes délaissées par les sieurs et dame Pajot, l'acte de vente suivant avait été dressé à Paris le 27 Janvier 1597 :

« Extrait d'un volume in-f° d'extraits de titres du Cabinet du Sr Haudiquer, vol. 15, p. 53 :

« Vente faite le 27 Janvier 1597 par noble Sgr Jean de Biencourt, escr, Sr de Guibermesnil, de Poitrincourt et de Marcilly, en partie, y demeurant, et de présent à Paris, rue de là Mortellerie, à l'enseigne de la Moufle, tant en son nom qu'à cause de Claude Pajot, sa fe, qu'ayant charge de Jean de la Mothe, escr, Sr de Montberard, et delle Catherine Pajot, sa femme, à hon. fe Perrette Barat, Ve de David Pochet, vivant écuyer de cuisine de M. le marquis d'Elbeuf, demeurante vieille rue Tixeranderie, parre S'Jean en Grève, d'une rente de 4 écus sol. 10 sols tournois, à prendre sur celle de 33 écus sol. un tiers d'écu, que ledit Sr de Poitrincourt a dit appartenir tant à luy qu'audit Sr de Montberard, à cause de leurs femmes, héritières seules de déftB honnestes personnes Isaac Pajot et Catherine Gaude, leur père et mère, auxquels lad. rente avait été vendue par Henry des Champs, ecr, Sr de Montmorin et de Vaux, par contrat passé devant Robinot et Carpentier, notaires à Cholet, le 17 Juin 1588, à prendre sur noble hoe, Me Louis Duret, avocat à la Cour. Cet acte passé devant Le Normant et Pajot, notaires à Paris, est marqué dans ce volume parmi les minutes dud. Pajot. »

Cabinet des Titres, Pièces originales, 338, f° 143.

Louis Duret, avocat, dont il est ci-dessus question, était le voisin et ami de Pierre de l'Estoile, l'auteur des Journaux et Mémoires. Il mourut en 1605. Sa femme se remaria à M. de Bênévent, sieur de Gérocourt, neveu de l'Estoile.


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Le village de Guibermesnil comptait une cinquantaine de feux et était de la paroisse SaintJean de Brocourt.

La seigneurie, mouvante de celle de Fontainesur-Somme, consistait en une maison seigneuriale (1) avec un enclos de quarante-quatre journaux plantés, quatre-cents journaux de terres labourables, soixante-douze de bois, deux de prés, et environ trois cents livres de censives, plus des droits de champart (2).

L'hôtel seigneurial était une de ces constructions anciennes avec un étage et de hauts toits de tuiles à croupes droites, comme il en reste encore quelques unes en Picardie, dont les lignes sobres, sévères et les justes proportions semblaient avoir été calculées par les maîtres maçons et charpentiers pour s'harmoniser aux contours et aux plans du paysage. Ses cheminées trapues, sa girouette en forme de pennon, sa « fenestre beauvoisienne » rompaient agréablement l'arête légèrement onduleuse du sommet des combles chaperonnés de faîtières en demi-cylindre. Ses teintes grises paraissaient avoir été tempérées à dessein pour s'associer au pâle éclat du ciel septentrional.

(1) Qualifiée « château » par Aldus Ledieu dans la Vallée du Liger. Cette construction aurait été démolie aux environs de 1860 et les matériaux auraient été transportés à Brocourt, pour servir aux fondations du château de M. de Brigode.

(2) DE BELLEVAL, Fiefs et seigneuries, p. 168. DE WITASSE, Géographie historique du département de la Somme, t. II, pJ 149, et LIMICHIN, Dictionnaire historique et archéologique de Picardie, t. II, p. 164.


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La cour était close par des bâtiments agricoles en torchis, couverts de chaume.

Lorsque le seigneur de Guibermesnil était revenu, en 1584, pendant ses campagnes, s'abriter quelques heures en sa demeure seigneuriale, prévoyant qu'il ne pourrait reprendre de sitôt ses labours, il avait donné à ferme cette seigneurie à un paysan nommé Jean Sauvalle. Le bail imposait au châtelain les réparations de la couverture de tuiles et des plombs du logement principal. Le preneur, par contre, avait la charge d' « entretenir les édiffices de la cour dudict hostel seigneurial de pel, verges, couvertures et sollinures », ce qui indique bien la nature de constructions des communs. Sauvalle avait été autorisé à faire sa demeure d' « une chambre haulte et des greniers » de la maison domaniale. Jean de Poutrincourt s'était réservé la partie principale de cet hôtel, « une estable à chevaulx et le jardin à poirées tenant à Jehan de Boulainvillers ». Ce partage, qui donnait à chacun son logement, et ses écuries, avec toutes facilités pour le locataire d'engranger et de se livrer à l'élevage, montre les proportions assez vastes de l'immeuble (1).

(1) On entendait par « pel, verges, couvertures et sollinures » la paille, les lattes, liens de bois vert et le mortier nécessaires à l'entretien du chaume et des « solins », fondation de maçonnerie s'élevant à un pied au-dessus du sol, sous les pièces de bois qui portent la cage d'une construction en charpente. Vocabulaire du chanoine Haigneré, au mot pel.


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L'argent est le nerf de la guerre, dit-on. La solde des ligueurs était irrégulièrement payée ; le renouvellement et l'entretien des équipements étaient coûteux. Le bailleur avait exigé du preneur l'avance de quatre années de redevance, soit deux mille huit cents livres. C'était vendre ses blés en herbe, sans doute, mais du moins le seigneur de Guibermesnil n'était pas réduit, comme son frère Jacques, à la nécessité de déléguer ses fermages à des prêteurs inquiets, ni à mettre à l'encan ses chevaux, voitures et ustensiles aratoires (1).

(1) Jean de Poutriiicourt avait fait bail ou promesse de bail à Jean Sauvalle par acte sous seings privés du 21 Octobre 1583. Cette convention fut réalisée pardevant Me Jean Vaucquet l'aîné, notaire à Oisemont, le 22 Avril suivant. « Noble seigneur Jehan de Biencourt, escuier, seigneur de Marcilly-sur-Seine et de Guibermesnil, de présent estant audict Guilbermesnil, parroisse de S. Jehan porte latin lez Brocourt, aagé de vingt-six ans ou environ, comme il a déclairé » donne à titre de ferme « l'entier revenu de ladicte seigneurie de la déclaration de laquelle ledict Sauvalle a déclaré estre certioré... sans aucune chose retenir ny réserver, sauf les droits seigneuriaulx et relief des fiefs et arrière fiefs d'icelle seigneurie... pour le temps et espace de six ans complets... auquel bail sont compris cinq journaux de bois à copper par chacun an, sauf que ledict Sauvalle pourra despeuiller en une seule fois le bois Ste-Cornille sans augmentation ni diminution du prix de ladicte ferme, encoires que ledict bois contienne plus de cinq journaux... à la charge de paier et advancer audict seigneur bailleur la somme de deux mil huict cens livres (soit 933 écus un tiers), de laquelle somme led. seigneur bailleur a congneut et confessé en avoir eu et reçeu dudict Sauvalle la somme de cinq cens escus dès ledict xxie d'Octobre... et le surplus, montant à quatre cens trente trois escus ung tiers, ledict Sauvalle les a paiez audict seigneur présents lesdicts notaires et tesmoins, en espèces... » Pour le surplus des six années de bail, Sauvalle s'engageait à payer,


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Jean avait, en Champagne, sa seigneurie de Marcilly-sur-Seine, village d'un demi millier d'habitants, situé près d'Anglure, dont ses alliés, les des Champs, possédaient, avec lui, une partie du fief. Ces cousins champenois, Henri, seigneur de Montmorin et de Vaux, Jean, seigneur de Marcilly en partie, et de Vaux, avaient conservé des relations avec les manoirs de Guibermesnil et de SaintMaulvis ; ils se trouvaient en ce dernier village, en mai 1581, lorsqu'ils vendirent, en présence de Jacques de Biencourt, au seigneur de Wathiemesnil, demeurant au Camp-Adam, près de Neufmarché, un cheval alezan moyennant cent écus d'or, payables « lorsque l'un d'eulx sera mort, prestre ou marié;.. » (1)

Enfin, il possédait encore quelques petits intérêts à Poutrincourt (2), dont il se disait seigneur en

pour deux récoltes deux cent trente trois écus un tiers en 1589 et en 1590, en deux termes, par moitié à la Saint Rémi et à la Saint-Jean « Pourra ledict preneur mectre pasturer ses vaches es dicts bois aagés de cinq ans et au dessus, et non aultrement ». Acte passé en la maison seigneuriale de Guibermesnil, en présence de Marc Grenet, laboureur audit lieu, et de Toussaint Lheureux, marchand à Sénarpont. Minutes de Me J. Tmquin,notaire à Abbeville.

(1) Acte devant Me Vauquet, du jeudi 4 Mai. Minutes de Me Truquin.

(2) Deux journaux de terre payaient dix sols. Guillaume Bastel, de Laleu, près de Lanehères, cède et délaisse

deux journaux en une pièce « tenue du sieur de Pouttraincourt » par cinq sols « par chacun journel au terme accoustumé », à Martin Moisnél, bourgeois et marchand à Saint-Valéry. Vente faite moyennant quarante-deux livres de deniers principaux, douze deniers au denier à Dieu, et vingt sols au vin du marché.


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partie, dont il ne cessa de porter le nom jusqu'à sa mort. Il profitait des obligations imposées au meunier de Poutrincourt pour garnir sa table de la sauvagine qui pullulait en hiver dans les marécages voisins, et sa cave des meilleurs vins de Guyenne, de Gascogne et de Poitou.

Le moulin à vent de Poutrincourt, source inattendue de ces plantureuses victuailles, était isolé sur les terres de la sole du même nom, vers Brutelles, à gauche du chemin montant à Saint-Blimont. C'était une solide construction, bien exposée, dont la porte de chêne massif possédait un guichet avec grille de fer forgé destinée à écarter, au besoin, les visites indiscrètes ou dangereuses. Il était ordinairement donné à bail pour trois, six ou neuf années, au choix des parties, moyennant une redeActe

redeActe Me Jean de Camyes, 10 Octobre 1608. Minutes de Me Machu, notaire à Saint-Valéry.

Voir aussi, mêmes minutes, mariage Depoilly-Huiart, du 9 Juin 1606, pour un demi journal.

Un enclos de quatre journaux dépendant du domaine non fieffé de Poutrincourt, tenant au chemin de Saint-Valéry à Ault, était donné à cens, le 5 Décembre 1606, moyennant neuf sols de redevance à la Saint-Remi, un chapon à Noël, avec autant de relief d'hoir à autre, autant d'aide, et le quint denier en cas de vente.

Acte devant Me Ph. Vaucquet. Minutes de Me Truquin.

A titre de comparaison, notons qu'une maison avec journal et demi de terre à Guibermesnil payait chaque année vingt sols parisis à la Saint-Remi à Jean de Poutrincourt.

Constitution de rente par Thomas Flouen à Pierre de Ribaucourt, d'Abbeville, du 14 Janvier 1578, sur une maison tenue de la seigneurie de Guibermesnil. Acte devant Me François Retart. Minutes de Me Truquin.


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vance en argent et en « bled de muyson » et, selon la coutume, à charge de délivrer aux bailleurs, « deux gâteaux de Roiaulme » la veille de l'an, et « six oyseaulx de rivière » (1). En outre, le meunier

(1) En 1604, Maraud Desgardin et Jean Clabault, meuniers des moulins de Sallenelles et de Lanchères, qui avaient sournoisement organisé une sorte de « trust » des moulins de la contrée, s'étaient rendus preneurs du moulin à vent de Poutrincourt. Ils cédèrent leur bail sous des conditions assez draconnienne* à Jean Lombard, aussi de l'état de meunier, demeurant au village « de Borsseville » (aujourd'hui Bourseville, canton d'Ault). Ils firent arrière-bail du moulin, « aveucq ses vestures et utencilles servans à ung mollin », « prins à titres de ferme du seigneur dud. Pouttraincourt » pour le temps restant à parachever « du bail fect par led. sieur de Pouttraincourt ausd. Desgardin et Clabault », « tel que de deulx ans du jour de mi-Mars prochain. » Toutefois, au cas où le preneur ne se trouverait bien audit moulin ou n'en ferait son profit, il fut convenu qu'il lui serait loisible de le remettre en la possession de Desgardin et Clabault, à la charge de rendre et payer à ces derniers, ou au bailleur, la somme de quarante livres par an, prix du loyer du moulin, payable par quartiers, et à chacun d'eux la somme de dix livres. « Et oultre, de rendre six oyseaulx de rivière aussy par chacun an, aud. sieur, le premier jour de l'an». Le souspreneur s'engagea entretenir le moulin de chevilles, « fiziaulx », (a) à pointes « moiaulx », lattes et « cottères ». En considération de cette cession, Jean Lombard versa à Desgardin et Clabault une somme de dix-huit livres. Pierre Lombard, meunier de Bourse ville, frère du cessionnaire, se porta caution du paiement du loyer, précaution utile, car Jean Lombard ne put continuer le bail.

Du 16 Novembre 1604, Minutes de Me Jean de Camyes, notaire à Saint-Valéry. Actuellement étude de Me Machu.

Voir autre arrière-bail du même moulin et d'un journal de terre par Clabault à Mathieu Desgardin, du 28 Décembre 1605. Même notaire.

a) Fuse ou fuseaux, partie de l'essieu autour de laquelle tourne la roue.


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de Poutrincourt était souvent dans l'étrange obligation : de délivrer une barrique de vin à son seigneur. On ne peut guère trouver l'explication de cette clause que dans la proximité du port de Saint-Valéry, qui était alors, en Picardie, le grand entrepôt des vins de Gascogne et de Poitou, et dans la difficulté où se trouvaient les châtelains de Saint-Maulvis, fervents appréciateurs du jus de la treille, de se procurer, dans ce coin du Vimeu, les crus réputés. Au début du xvne siècle, alors que la redevance du bail était stipulée payable en argent, la même clause recevait son effet et mettait quelquefois le meunier dans un singulier embarras (1).

(1) Nicolas Levasseur, maître chirurgien à Saint-Valéry, fondé de procuration pardevant notaire dudit lieu du seigneur de Poutrincourt, suivant acte du 22 Octobre 1609, avait chargé de recevoir « tout ce quy luy est deubt aud. villaige de Pouttraincourt. » Marand Desgardins, meunier, s'était obligé « vers ledit seigneur, par obligation passée pard* nottaire roial à Oysemont,. de luy délivrer une barrique de vin. Icelluy y a satisfaict et faict délivrance effectivement de lad. barrique de vin aud. Levasseur. Lequel a, par ces présentes, confessé avoir receu icelle et tout promptement icelluy en a faict délivrance à Martin Ferrant, receveur dud. sieur de Pouttraincourt, lequel pour ce présent et comparant, a confessé avoir receu icelle barrique de vin pour la mettre et conduire aud. lieu de S'-Maulvis, en la maison dud. heu, promettant d'en décharger led. Levasseur. » Les sieurs Levasseur et Ferrand prirent en décharge la valeur de la barrique, « se montant à XIII lt. », à valoir sur les termes de la redevance du moulin, qui était de vingt-et-une livres, annuellement.

Acte devant Me Jean de Camyes, notaire à Saint-Valéry, du 22 Décembre 1609 (cote 2), passé en présence de Robert Machart, ancien maïeur du lieu et de Nicolas du Flos.

Minutes de Me Machu, notaire à Saint-Valéry.


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A Saint-Maulvis, les meuniers s'acquittaient du « vin du bail » une fois pour toutes, mais en espèces. Ce vin, représenté par un écu d'or, était remis à la dame ou à la fille aînée du seigneur. Le gâteau de royaume, pétri avec la fleur de farine d'une mesure de blé, était présenté chaque année, le jour des Rois, avec un certain cérémonial. Le bail du moulin portait que le meunier devait « se faire accompagner d'un violon pour la récréation dudict jour ». Scène pittoresque, où le seigneur, la dame et leurs tenanciers suivaient à l'unisson l'antique coutume de divertissements intimes auxquels les pauvres étaient souvent associés et dont l'exemple venait de haut, puisque la reine de la fève était à pareil jour de l'Epiphanie, solennellement élue et fêtée au Louvre, par Henri III et par Henri IV, ainsi qu'on le voit dans le Journal de l'Estoile (1).

(1) Du 14 Mars 1852, bail du moulin d'Avesnes, à SaintMaulvis, à Fremin et Antoine Postel, le premier « estoeuffuier », le second « moulinier ». Du 18 Novembre 1588, bail du même moulin à Jacques Dumeisge, meunier du moulin Feret (la signature du meunier est suivie d'un moulin à vent sur pivot). Du 25 Janvier 1599 et du 31 Janvier 1603, baux à Antoine Hanoque du moulin de Saint-Maulvis. Du 16 Mars 1599 et du 4 Mars 1604, baux à Antoine Dumeisge ; le premier de ces baux contient la clause d'accompagnement de violon pour le service du gâteau. Actes devant Mes Jean, Salomon et Nicolas Waucquet.

Antoine de Biencourt eut de Thonette Dumeisge, de la famille des meuniers du moulin Féret, à Saint-Maulvis, un fils bâtard nommé Jacques, et une fille appelée Marguerite, mariée à Jean Fort. Voir une transaction passée entre celle-ci et le marchand Damonneville, le 28 Septembre 1578, devant Me Waucquet.

Minutes de Me Truquin.


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Les dispositions des coutumes locales, quant à la translation des héritages paternels et maternels avaient quelquefois un effet entièrement opposé à celui qu'on aurait pu en attendre. Soit que les aines, avantagés dans les conditions que nous avons sommairement rapportées, se laissassent entraîner à une vie oisive et à des habitudes dispendieuses, soit que les parents, corrigeant dans des proportions mal calculées le régime de la loi locale, instituassent les puînés et les filles pour légataires universels, il arrivait fréquemment que l'aîné se trouvait frustré en définitive. Ce renversement de la situation n'était pas rare ; l'historien d'Abbeville et du comté de Ponthieu l'a constaté (1)

On se trouve, chez les Biencourt, en présence d'un cas assez semblable. Jacques, entraîné sur une pente dangereuse par des dépenses trop lourdes, avait recouru aux combinaisons risquées et aux compromis onéreux. L'équilibre de ses finances s'était trouvé rompu. La pesée qu'on avait ensuite donnée sur la balance en faveur de Jean et des filles avait tout chaviré. L'aîné, à l'époque de sa mort, se débattait au milieu dés inconvénients d'une gêne assez grave et léguait à son fils une interminable perspective de tracas

(l) « La consécration de ce droit absurde de primogéniture blessait à tel point toutes les affections de famille que l'aîné, par une réaction injuste, se trouvait souvent dépossédé. »

F.-C. LOUANDRE, Histoire d'Abbeville et du comté de Ponthieu.


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et de procès. Le cadet se trouvait dans une situation aisée, florissante, autour de laquelle on ne découvre aucun symptôme inquiétant (1).

La calomnie qui s'est acharnée sur l'explorateur, qui l'a poursuivi durant toute sa carrière et qui ne l'a pas épargné dans la tombe, a posé comme première pierre à son branlant édifice de mensonges « la ruine de sa maison » qui l'aurait obligé à chercher dans des combinaisons rémunératrices, dans les voyages aventureux en Amérique du

(1) Philippe de Biencourt fut une victime des singularités de la coutume de Ponthieu. Les terres de Fresneville et d'Epaumesnil, régies par cette coutume, avaient été saisies réellement sur le seigneur de Poutrincourt, fils et héritier bénéficiaire de Jacques.Plusieurs difficultés s'élevèrent entre les créanciers opposants sur la question des hypothèques légales, et sur le privilège des dettes personnelles du défunt vis-à-vis de ses héritiers. Un arrêt rendu au Parlement le 9 Mai 1615, sans avoir égard aux lettres obtenues en chancellerie, tendantes à articuler et vérifier que les hypothèques légales, privilégiées de droit, les contrats de mariage, n'emporteraient point hypothèque selon les dispositions de la coutume de Ponthieu, décida « que les dettes pures, personnelles du défunt étaient affectées par privilège (sur la totalité desdites terres bien qu'elles fussent propres et non sur le quint seulement) aux dettes de l'héritier, et que la totalité desdites terres décrétées était également soumise aux reprises et conventions matrimoniales, etc., et ce, tacitement, conséquemment, malgré le débiteur et son héritier. »

Quand, au déclin du XVIIIe siècle,les officiers de la sénéchaussée de Ponthieu dressèrent leur réquisitoire contre la coutume locale, en suppliant le Roi d'accorder une Déclaration pour la réformation de ladite coutume ils introduisirent dans l'arsenal de jurisprudence qu'ils élevèrent à ce sujet, le cas de Philippe de Biencourt.


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Nord, des solutions positives, des expédients capables de le sauver d'un désastre.

Entreprise insensée, en ce cas !... Où voyait-on, en France, des voyageurs enrichis par leurs expéditions au Canada ? Les tentatives faites jusqu'à cette heure étaient des plus décourageantes.

Ces hypothèses hasardées, mises en avant comme faits incontestables, ne reposent sur rien. Jean de Biencourt, seigneur de Guibermesnil, ne se trouvait point dans la situation désespérée où l'on tient à le montrer. On ne découvre même chez lui aucune trace d'appauvrissement, encore moins de ruine. Les guerres de religion terminées, deux cents petits gentilshommes du Vimeu auraient pu, avec plus de raison, s'expatrier avant lui.

N'ont guère plus de fondement les affirmations comme celles de Rameau, malgré la forme grave et sententieuse dont l'art de l'écrivain a su les revêtir. Au dire de cet historien, lorsque Jean de Biencourt se réinstalla dans son manoir, la paix venue, il s'aperçut vite combien sa position était difficile. Les emprunts qu'il avait contractés le gênaient, et ses ressources étaient trop bornées pour qu'il put songer à entreprendre des travaux de culture !.. Quand il essayait de sonder l'avenir, quand il songeait au sort des générations qui devaient suivre, il se sentait inquiet et en arrivait à craindre que ses hoirs ne vinssent à déchoir dans


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les derniers degrés de cette noblesse obérée, acculée aux aventures, qui s'engageait par nécessité dans des emplois mercenaires, où sombrait toute indépendance.

« La perspective de nouveaux emprunts, •— ajoute-t-il encore — l'effrayait outre mesure !... » Si l'on se formait une opinion sur ces dires, on croirait que Poutrincourt était un petit hobereau acculé à la déconfiture, sans crédit, sans solvabilité, dont la vocation d'emprunteur aurait dépassé celle d'explorateur si la première n'avait été tempérée par une heureuse timidité !..

Il serait prudent d'attendre, pour ajouter foi à l'existence de ces dettes supposées, de ces hypothèques dont nul n'a jamais découvert la piste, que les actes d'obligation fussent retrouvés et produits à l'appui d'allégations qui, jusqu'à plus ample informé, demeurent invraisemblables et vides.


DEUXIÈME PARTIE

DÉCOUÏERTES, VICISSITUDES et COLilSâTii


PREMIER VOYAGE

1604 I

EN DÉCOUVERTE.

Les historiens du Canada, François-Xavier Garneau, Benjamin Suite, Francis Parkman, entre autres, ont consacré d'importants travaux aux premiers efforts des Français dans la colonisation de l'Amérique septentrionale. Ils ont enregistré sans réserve, faute de contrôle possible, la prétendue pénurie dans laquelle aurait vécu Jean de Poutrincourt avant ses voyages ; ils ont dit qu'il avait été poussé par l'idée de se constituer un vaste domaine féodal au-delà de l'Atlantique, afin de redonner à son blason dédoré l'éclat qu'il avait perdu.

M. Léon Gérin, en particulier, a publié en 1891, dans la Science sociale, une substantielle étude sur Les premières tentatives de colonisation du Canada.

Il a montré comment les Rois de France, François Ier tout d'abord, avaient cru trouver dans les établissements d'outre-mer un moyen d'accroître leurs richesses et leur puissance, et comment quelques gentilshommes, plus aventureux ou plus appauvris que les autres, caressaient


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l'espoir de se tailler de vastes seigneuries au sein des forêts vierges et de se refaire, par ce moyen, une suzeraineté nouvelle.

Cet exposé se distingue par des aperçus fort justes sur la noblesse française au temps du Roi Henri, et, en particulier, sur les raisons qui déterminèrent la vocation de colonisateur de Jean de Poutrincourt (1).

(1) Il y aurait peut-être quelques réserves à faire sur ce que l'auteur appelle <« l'instabilité » du pouvoir royal. « Le Roi de France, dit41, par goût et par nécessité, est avant tout un chef de guerre, le plus absolu à ses heures," mais aussi le plus instable des chefs de guerre. Sa fortune repose tout entière sur la pointe de son épée. C'est à la pointe de l'épée qu'il a conquis une à une les provinces de son royaume. Une défaite suffit pour anéantir son prestige, ébranler sa puissance ; et l'État, naturellement, partage l'instabilité de son chef... » En réalité, le pouvoir du Roi tenait sa force de l'hérédité, et non du sort des armes ; la monarchie française, était une monarchie traditionnelle et non une monarchie de conquête. Les Rois ont construit la France, province par province dans le cadre de la vieille Gaule, tantôt par les armes, tantôt aussi par les alliances, par la diplomatie, par l'acquisition de provinces des deniers du Trésor. Ils n'étaient pas forcés de faire la guerre pour se maintenir. L'un de nos plus grands Rois, Louis XI, ne la fit qu'à son corps défendant, ou quand il ne put faire autrement.

Enfin, quelques nuances du tableau s'appliqueraient mieux à la noblesse du siècle de Louis XIV qu'aux temps qui suivirent immédiatement les guerres de religion. Gomme le dit M. Louis Batiffol dans la Vie intime d'une Reine de France, «la cour, à l'époque du règne d'Henri IV, et dans les années qui suivent offre un mélange pittoresque de maison de grand seigneur, de demeure à mise en scène royale et d'intérieur bourgeois. Le . caractère très personnel du Roi lui a imposé un ton et une allure fort différents de ce qu'ils étaient sous les élégants Valois et de ce qu'ils seront sous le pompeux Louis XIV. »

11


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Les antécédents militaires du gentilhomme picard n'étaient pas connus quand parut cette étude, et cependant M. Léon Gérin a deviné que ce fondateur du premier établissement agricole français en Amérique du Nord était avant tout un soldat.

M. de Poutrincourt aurait pu, comme tant de ses voisins, vivre d'une vie tranquille.en cultivant ses terres grasses et meubles. De beaux blés ondoyaient dans ses champs. Ses troupeaux de boeufs et d'agneaux tondaient l'herbe rase et drue des friches de Guibermesnil. Sur ces collines calcaires et pierreuses, brûlées par le soleil, déferlaient les vagues sombres des genévriers dont les feuilles aromatiques abritaient et parfumaient les plantes dont se nourrissait un menu gibier délicat. Ses soixante-douze journaux de bois (1) lui fournissaient une chasse plaisante en quadrupèdes de plus grande taille, en bêtes de vénerie et en volatiles. Les poissons de rivière les plus succulents abondaient sur sa table et les oiseaux migrateurs capturés dans les « bassures » de Poutrincourt en relevaient les friandes magnificences (2).

(1) Environ vingt-neuf hectares.

(2) Sur les charmes de la vie aux champs sous Henri IV, voir Nicolas RAPIN, les Plaisirs du gentilhomme champêtre : Guy DU FAUR DE PIBRAC, Les quatrains avec les plaisirs de la vie rustique ; C. BINET, Les plaisirs de la vie rustique et solitaire ; Pierre DE VAISSIÈRE, les gentilshommes campagnards de l'ancienne France ; L. BATIFFOL, La vie intime d'une reine, p. 156.


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La Picardie est bonne nourrice. Ses labourages et ses pâturages des bords de la Somme et de la Bresle ont la luxuriance de ceux de Normandie. Ses enfants n'ont jamais montré grande inclination à émigrer.

M. de Poutrincourt mena quelque temps cette existence indolente et patriarcale sur les bords du Liger. Il en trancha la monotonie en s'offrant l'agrément annuel d'un voyage en ses terres de Champagne.

Mais M. de Poutrincourt n'était pas né pour suivre indéfiniment ses chevaux et ses boeufs creusant lentement leur sillon journalier. C'était un compagnon de fière et forte trempe. Il était de ces hommes d'audace et de risque qui, hors des combats, des sièges et de la vie errante des camps, sont pris d'un invincible ennui.

On savait qu'il aimait les périls. Ceux qui le connaissaient se figuraient mal ce grand animateur, ce grand imaginatif, retenu longtemps par les semelles de ses chaussures aux terres gluantes des labours. Au moment où il vivait obscurément dans ses seigneuries, la légende, qui ne prête qu'aux riches, lui attribuait des exploits fantastiques. On disait qu'il avait levé des hommes et organisé tout seul une sorte de croisade contre le Turc, et que, par un bien singulier avatar, il avait pris le turban ! (1) Brantôme, son contemporain, trouva

(1) Journal de VEstoile, 23 Décembre 1596 : « Le seigneur de Potrincourt, de ligueur, devint Turc et prit le turban. t>


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l'histoire invraisemblable et, consciencieusement, voulut interroger à ce sujet des soldats qui revenaient de Chypre. Ceux-ci, croyant se montrer bien informés, confirmèrent le fait à tout hasard, et l'auteur de la chronique des Grands Capitaines françois écrit sérieusement, en contant l'histoire du baron renégat de la Faj^e, passé au service du Grand Turc : « Comme de mesmes, un de ces ans, a faict ce brave M. de Potrincourt ; lequel, ayant commandé à un régiment aux guerres de la Ligue, et, elles finies, en ayant reffaict un autre et mené en Hongrie, et y mené bien la guerre pour les chrestiens, il s'alla révolter et renj^er, fust ou pour mescontentement ou d'esprit, ou par capriche, emmenant avec lui force braves des siens, qu'en un rien il fut faict et créé sollempnellement à Constantinople bascha, et envoyé pour tel en Chypre. J^ veu des soldatz et autres qui l'jr ont veu. A ceux qui vouloient demeurer avec luy, les apoinctoit bien ; aux autres qui s'en vouloient tourner en France, leur donnoit argent pour passer chemin. Du depuis, il est mort bascha de Damas en très grand' réputation, et fort aymé de son maistre (1) ».

Au moment même où certains le voyaient guerroyer dans les îles de la Méditerranée, d'autres assuraient l'avoir rencontré sur les bords de la mer

(1) OEuvres complètes de Pierre de Bourdeille seigneur de Brantôme, t. V. Grands capitaines françois, p. 389.


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septentrionale ! A l'heure où il rentrait de sa première expédition en Amérique,- « le bruit estoit par deçà de toutes parts, qu'il faisoit merveilles dedans Ostende pour lors assiégée, dès y avoit trois ans passez par les Altesses de Flandres » (1). On affirmait à Paris qu'il était entré au service des Provinces-Unies, et qu'il avait pris part à la longue résistance contre Spinola, signalée par des exploits si glorieux que les auteurs contemporains l'assimilèrent au siège de Troie!

La rumeur populaire le désignait sans hésitation pour se consacrer au service de quelque grande cause.

Mais l'histoire est plus belle encore que la fiction. Jean de Poutrincourt est l'homme d'un siècle batailleur et rude. C'est un preux des anciens temps, tel que le brave Rambures, Créqui-Canaples,. La Rivière-Chepy, que M. de Montluc estimait tant, indomptables capitaines picards, et tel que M. de Montluc lui-même. Comme les héros des romans d'aventures du moyen âge et de l'épopée chrétienne de Palestine, son imagination est hantée de visions de pays nouveaux, de chargements de nefs marchandes. L'Orient l'aurait enchanté, avec ses joyaux, ses étoffes rares, et ses galions somptueux. Ces croisades auxquelles le bruit public le destine, il y songe.

(1) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, éd. 1610, p. 472.


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Pourquoi s'épuiser à essayer de deviner les raisons qui le poussent à s'embarquer pour les régions inexplorées ? Ne suffit-il pas de l'écouter ? Voici ce qu'il dit dans sa lettre au pape Paul V : « Dieu n'at-il pas autrefois porté dans ses mains, et transporté sur les ailes des aigles, le peuple d'Israël jusqu'enla terre où coulait le lait et le miel ? Plein de confiance je veux consacrer toutes mes forces et mes facultés en vue de poursuivre avec ardeur et sans crainte la réalisation d'une si noble mission. Ce temps de paix m'y invite. Nous n'avons pas en ce moment d'autre occasion de mettre en valeur notre courage, à moins que ce ne soit pour combattre les Turcs. Mais il me parait préférable pour la foi chrétienne d'employer mes efforts vers les Indes occidentales... »

C'est à juste titre que M. L. Gérin a pu s'écrier : « L'esprit aventureux qui avait distingué à un si haut degré la noblesse française au moyen âge, lorsqu'elle portait ses exploits des rivages brumeux de l'Angleterre aux rochers arides du Jourdain, semble renaître pour chercher en Amérique un nouvel élan à son activité !.. » (1).

Tout prouve le caractère chevaleresque de la mission de Poutrincourt. Il était entraîné par son tempérament enthousiaste et combattif, par un

(1) Le gentilhomme français et la colonisation du Canada, Mémoires et comptes rendus de la Société Royale du Canada Ottawa, 1896, p. 65-94.


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furieux appétit de renommée. Mais le besoin de la gloire exclut-il forcément le désir du gain, et n'était-il permis à notre héros de songer en même temps à étendre la fortune de sa maison ? Comme le vieux Montluc, à qui l'on aime à le comparer et qui caressa les mêmes rêves, puisqu'il envoya son fils coloniser l'Afrique orientale, il « se plaisait aux aventures sans en dédaigner le profit, se passionnant d'un amour égal pour la guerre, mère de la gloire, et la terre, source de tous les biens» (1).

Le repos lui pesait. Quel meilleur emploi pouvaitil donner à cette activité dévorante qu'il avait montrée pendant les guerres, à cette passion immodérée du danger, qui l'avait lancé dans lès plus téméraires équipées ?

Il rêvait maintenant à d'autres exploits, sous de plus vastes cieux.

Il savait qu'il existait, au delà de cette mer qu'il avait souvent entendue mugir au loin, lorsqu'il s'accoudait aux terrasses du vieux manoir de Poutrincourt, des pays merveilleux, des îles mystérieuses, des terres nouvelles, avec des forêts vierges et des fleuves qui roulaient des métaux. Il en était arrivé, insensiblement, à voir en imagination se dérouler devant lui des savanes incultes, des futaies abattues, des terres subitement fertilisées et couvertes de moissons. Bientôt, il brûla du désir de s'embarquer, de naviguer, durant des

(1) Joseph LE GRAS, Biaise de Montluc, p. 15.


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semaines, sur des mers inconnues, d'aborder après de périlleuses odyssées sur les rivages d'une terre de promission. Il aspirait à la volupté de parcourir des solitudes où nul avant lui n'aurait pénétré, de mettre en culture des champs immenses, où s'étalerait, dans toute son exubérance et sa fécondité, la virginité de la nature.

Le sang espagnol, qui bouillait dans ses veines, l'entraînait vers des entreprises audacieuses. Il semblait que des générations d'aventureux ancêtres se fussent emparées de sa volonté. L'esprit belliqueux et pérégrinateur des Salazar revivait en lui. Il se sentait une âme de conquistador.

Jean de Poutrincourt n'ignorait rien des expéditions qu'avaient entreprises, en Amérique septentrionale, de précédents navigateurs.

Il avait cherché dans les livres les circonstances de leurs voyages, non pour y puiser des encouragements, mais pour former son expérience et acquérir cette « prudence usagère » qu'on trouve « es anciennes et modernes histoires », comme dit Amyot dans son avertissement aux Lecteurs des Vies des hommes illustres de Plutarque, car

Heureux celuy, qui pour devenir sage Du mal d'autruy fait son apprentissage.

Plus tard, il devait encore s'instruire de ce profitable sujet avec Lescarbot et, de cette commune étude, devait naître l'Histoire de la Nouvelle France.


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Il connaissait les voyages d'exploration et de colonisation de Jean Verrazzani, en 1523 ; de Jacques Cartier, en 1534 et en 1535 ; de François de la Rocque de Roberval, en 1542, et leur peu de succès.

Il est vrai que, malgré l'échec de ces essais de pénétration, des navires français appartenant plus particulièrement aux ports normands et bretons, avaient continué, depuis cette époque, de fréquenter les côtes de l'Amérique du Nord et de mouiller dans le golfe où venait se jeter le grand fleuve qu'avait remonté Jacques Cartier, c'est-àdire le Saint-Laurent. Les audacieux capitaines de ces barques faisaient des échanges avec les - indigènes. Ils rapportaient surtout des pelleteries d'une grande richesse, car cette contrée était abondamment pourvue de quadrupèdes aux belles fourrures. (1)

L'idée d'établir des comptoirs commerciaux dans l'Amérique septentrionale et d'y fonder des colonies reprit une nouvelle vigueur dès la fin des guerres de religion. Un Conseiller d'État et chancelier de Navarre, Michel Hurault, seigneur de Belesbat, n'avait cessé d'attirer l'attention publique sur ce sujet (2).

(1) Voir Voyages de Champlain, chapitre 1er, et les Animaux à fourrures du Canada, dans la Presse, de Montréal, 9 Janvier 1909.

(2) Michel Hurault, petit-fils par sa mère du chancelier Michel de l'Hospital, est l'auteur du Recueil des excellents et libres Discours sur l'Etat présent de la France (1598), un volume in-8°.


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Henri IV était favorable à la création de ces établissements coloniaux parce qu'il avait les yeux fixés sur les projets que dressaient vers les mêmes contrées les Anglais et les Hollandais, nos éternels rivaux sur la mer. Des marins de ces nationalités, avec une persévérance infatigable) ne cessaient de chercher un passage par le Nord de l'Amérique, vers l'Océan Pacifique. Les Anglais avaient audacieusement entrepris la colonisation de territoires qu'ils nommaient la Virginie, mais qui appartenaient en réalité à cette Nouvelle France où les navigateurs de François Ier avaient longtemps avant eux planté le drapeau national. Ils avaient poursuivi cette expérience avec quelque succès. La France qui avait précédé toutes les nations maritimes de l'Europe dans cette partie de l'Amérique, était maintenant menacée d'y être distancée.

Henri IV soumit à l'examen de plusieurs hommes d'une compétence particulière les projets d'étaII

d'étaII en 1592. Voyez Chronologie novenaire de Palma-Cayet, dans les Mémoires relatifs à l'Histoire de France, t. IV, p. 73.

Dans ses Discours, il avait indiqué à grands traits quelles ressources prodigieuses les colonies espagnoles et les possessions portugaises devenues la proie de l'Espagne depuis 1580, fournissaient à Philippe II. Il soutenait que la force des diverses puissances européennes ne consistait pas seulement dans les provinces plus ou moins nombreuses ou plus ou moins étendues qu'elles avaient en Europe mais dans les richesses infinies qu'elles tiraient des Indes orientales et de l'Amérique.

Voir les développements de Poirson sur ce thème, dans son Histoire de Henri IV.


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blissements coloniaux et les questions de commerce maritime unies à ces établissements par des liens étroits. « Aux idées que leur suggérèrent une observation attentive et la réflexion, ils joignirent les enseignements que l'histoire du moyen-âge et des temps modernes leur fournissait sur ce sujet ». L'exemple des cités maritimes et des colonies de Marseille, de Venise, de Gênes, leur servit d'enseignement. Champlain, l'un des navigateurs consultés par le Roi, le dit expressément dans ses Voyages.

Des idées nouvelles pénétrèrent ainsi dans la noblesse et dans la bourgeoisie et l'importance des colonies pour l'avenir de la France apparut à tous. Les ambitions se dirigèrent vers l'Amérique du Nord, de préférence aux Indes orientales, parce que les contrées du Nouveau Monde étaient plus connues, plus populaires, parce que la France avait à y défendre les intérêts de la grande pêche et de la traite des fourrures ; parce qu'il lui était plus facile d'y réussir, attendu que les Anglais et les Hollandais n'y avaient encore fondé aucun établissement considérable, et que les Espagnols, retenus dans le Sud, étaient hors d'état d'embrasser dans leurs projets l'étendue des deux Amériques (1).

(1) PoiRSON, Histoire du règne de Henri IV, t. III, p. 538 à 540.

Sur le Programme colonial de Henri IV, voir Histoire de la Marine, par M. de la Roncière, t. IV, p. 268.


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Les premiers essais favorisés par Henri IV dans des vues cependant si profondément politiques, avaient été déconseillés par Sully qui restait sceptique sur les aptitudes colonisatrices des Français (1).

Ces sondages trop timides avaient été désastreux. Il eut été fou de Concevoir des espoirs de fortune rapide après de telles expériences. Les longs tâtonnements, les travaux d'approche étaient inévitables ; les déconvenues, les risques, les accidents d'une vie tumultueuse étaient les bénéfices qu'on pouvait escompter à coup sûr. Les irrémédiables catastrophes étaient possibles.

Troïlus du Mesgouez, marquis de la RoçheHelgomarc'h, gentilhomme breton, parti avec une mission spéciale au Canada, avait échoué à l'île de Sable, et laissé cinquante hommes extraits des geôles normandes dans ce désert. Cinq ans plus tard, en 1603, une autre expédition, commandée par le capitaine Chef d'Ostel, n'avait retrouvé qu'onze de ces malheureux vivant à l'état sauvage et terrés dans le sol (2).

Le Normand, Pierre Chauvin, autorisé à faire le commerce au Canada avec privilège exclusif de l'échange des pelleteries, mais à la condition d'y

(1) Emile LAUVIUÈRE, La tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 9.

(2) C. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine française, t. IV, p. 318.


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établir au moins einq cents colons, avait déçu tous les espoirs (1).

Le même privilège fut accordé pour dix années au vice-amiral de Chaste.

Jean de Biencourt, fils de l'ancien gouverneur du duché d'Aumale, n'était point sans avoir eu quelques rapports avec le commandeur de Chaste, gouverneur de Dieppe durant les guerres civiles. Celui-ci s'était rallié de bonne heure, il est vrai, à la politique du roi de Navarre, tandis que Jean restait fidèle à l'Union (2). Les relations entre seigneurs séparés seulement par la rivière de Bresle, étaient fréquentes. M. de Poutrincourt put se tenir au_ courant des tentatives de pénétration

(1) Pierre Chauvin, écuyer, sieur de Tonnetuit, capitaine pour le roi en la marine, capitaine de deux compagnies de gens de pied, puis mestre de camp d'un régiment d'infanterie, gentilhomme de la Chambre, était originaire de Dieppe et habitait Honfleur. Il accomplit son premier voyage au Canada en 1600. P. et Ch. BRÉABD, Documents relatifs à la marine normande, page 66.

(2) Aymar de Chaste, chevalier de Malte, commandeur de Lormeteau, troisième fds de François, baron de Chaste, et de Paule de Joyeuse, avait rendu un service capital à Henri IV en lui ouvrant, sans condition, la ville de Dieppe dès le mois d'Août 1589, ce qui avait assuré au roi la libre communication avec l'Angleterre et rétabli une situation militaire fort compromise par les forces très supérieures de Mayenne.

Rameau, dans Une Colonie féodale, lui attribue un voyage au Canada qu'il n'accomplit jamais : « Nous arrivons tout de suite, dit-il, au départ de nos gentilshommes pionniers : de Monts, Pontrincourt et de Chaste... ». Le commandeur n'était pas du voyage de 1604. Il était mort en 1603.


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en Amérique du commandeur de Chaste, et, après la mort de celui-ci, de celles de son successeur, le sieur -de Monts.

Poutrincourt avait eu sous ses ordres, comme capitaine dans le régiment qu'il commandait, un sieur du Boullet, ou plutôt du Boullay, qui appartenait, croyons-nous à une famille originaire de Fatouville. Ce capitaine qui devait d'ailleurs l'accompagner dans ses expéditions d'outremer, le mit en relations avec de Monts et du PontGravé (1).

Pierre du Guast (ou du Gua), seigneur de Monts, né en Saintonge, avait été fait gentilhomme ordinaire de la Chambre par Henri IV, gouverneur de Pons, en Languedoc, puis gouverneur de Ronfleur (2).

(1) Pierre du Bosc-Douyn, sieur du Boullay (le Boulley ou Le Boulay est un nom assez répandu dans le département de l'Eure), demeurant à Fatouville-sur-mer, qui avait épousé Catherine de Meauvoisin, fit le voyage de Canada pour son propre compte en 1609-1610, comme conducteur du navire le François, de soixante tonneaux. Il emprunta une certaine somme à cet effet au sieur Pierre du Sausay. Il eut pour fils Claude du Bosc-Douyn, dit du Boulley, marié à Jeanne Dessilles, et François, sieur du Boulley, qui fit partie de l'expédition des Indes Orientales de 1619, à bord de l'Espérance, commandée par Robert Gravé. Le nom de Boulley est sujet à des variations orthographiques. Il est écrit La Boulaye dans la Relation dudit voyage.

P. et Ch. BRÉAED, Documents relatifs à la Marine Normande, p. 78, 220 et 224.

(2) Fils de Jean-Baptiste Balthazar de Monts, baron de Cabrerolles, capitaine d'une Compagnie d'arquebusiers, et de Delphine de Latenay. LA CHENAYE-DESBOIS. Voir aussi DE BEAUREPAIRE, Notes sur Pierre du Gua, dans la Normandie, numéro de Juillet 1893.


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Sa Majesté lui conféra le titre de Vice-Amiral et de lieutenant-général « aux païs, territoires, côtes et confins de la Cadie, à commencer dès le quarantième degré jusques au quarante-sixième. » (1).

Si cette délimitation avait été ainsi restreinte, c'est qu'on désirait éviter toutes contestations avec l'Angleterre et l'Espagne, et d'autre part, c'est que de Monts voulait prendre la précaution de ne fonder ses établissements coloniaux que dans des régions qu'il supposait tempérées. L'avis de Sully, hostile à ces entreprises, était du reste qu'on « ne pouvait retirer de grandes richesses des lieux situés au-dessus de quarante degrés » (2).

En réalité, le Roi avait l'ambition d'étendre bien davantage la domination française en ces contrées. Dans le privilège qu'il accorde en Décembre suivant à de Monts et à ses associés, pour la traite des pelleteries (3), sont désignés tous les pays dont Sa Majesté entend s'assurer la souverai(1)

souverai(1) du 8 Novembre 1603, publiée par Lescarbot dans son Histoire de la Nouvelle France, en tête du livre IV.

(2) (Economies royales, Citation de Poirson, t. III, p. 570. Sur le parti anti-colonial, voir Histoire de la Marine française, par M. de la Roncière, t. IV, p. 274, et GARNEAU, Histoire du Canada, édition Alcan, appendice LVI, t. I, p. 525.

(3) Le texte en est donné par Lescarbot. Défenses du Roy à tous ses sujets, autres que le sieur de Monts et ses associez, de trafiquer de pelleteries et autres choses avec les sauvages de l'étendue du pouvoir par luy donné audit sieur de Monts et ses associez, sur grandes peines. Voir aussi Archives Nationales, G. 11 1-48.


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neté. Ils s'étendent du quarantième degré jusqu'au cinquante-deuxième degré de latitude. Ils comprennent donc : 1° le littoral de l'Atlantique depuis le territoire situé au-dessus de la rivière des Traites jusqu'au fond de la baie de Fundy; 2° la presqu'île de l'Acadie ; 3° la côte méridionale de TerreNeuve ; les îles et les côtes du golfe SaintLaurent ; 4° le Canada, depuis l'embouchure du Saint-Laurent jusqu'au lac Ontario.

De Monts pouvait, au surplus, se croire détenteur d'un pouvoir discrétionnaire assez élastique en cette matière, puisque la commission même disait que le lieutenant-général, en la Nouvelle France, avait non seulement charge d'établir l'autorité du Roi en cette terre, mais encore d'assujettir à cette autorité « tous les peuples de ladicte terre et circonvoisins. »

Quand de Monts fut pourvu de cette sorte de délégation de souveraineté qui lui permettait de déclarer la guerre, de conclure la paix ou des alliances, de nommer pour la première fois tous les officiers de l'armée, de la justice, de la police, et de désigner ensuite au Roi ceux qui seraient nommés ; d'édicter des lois conformes, autant que possible, à celles de France ; quand il eut autorisation d'attribuer aux premiers immigrants les territoires à occuper ; de « départir telles parts et portions », « tels titres, honneurs, droicts, pouvoirs et facultés », « selon les qualitez, conditions et


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mérites des personnes du pays ou aultres » (1), Poutrincourt s'enflamma.

Il s'agissait de découvrir ou de reconnaître de nouveaux territoires, de les livrer à l'exploitation de l'agriculture, de défricher des forêts, de tracer des routes, de fonder des ports et des villes ; en un mot, de civiliser des contrées déshéritées, d'y introduire la foi chrétienne et d'y assurer la suprématie du nom français.

Poutrincourt apercevait tous les risques du projet qu'il avait mûrement et longuement étudié avec de Monts ; il en distinguait aussi tout l'éclat. Lescarbot le dit : « Le sieur de Poutrincourt étoit désireux dès y avoit longtemps de voir ces terres de la Nouvelle France et d'y choisir quelque lieu propre pour s'y retirer avec sa famille, femme et enfans. Il ne voulut pas être des derniers à en courir les dangers et à participer à la gloire d'une si belle et si noble entreprise » (2).

Henri IV lui donna l'autorisation d'accompagner de Monts. Il y joignit ses encouragements purement moraux. Les explorateurs « n'ayant point eu d'avancement du Roy » comme en avaient reçu les précédents chefs de missions, le succès apparaissait à certains fort problématique. « Les frais de la

(1) Archives Nationales. Colonies. CC 11 148. POIRSON, t. III, pp. 565 à 567.

(2) MARC LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, édition de' 1612.

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marine en telles entreprises sont si grands que, qui n'a les reins forts, succombera facilement » écrivait l'un de ceux qui allaient consacrer leur intelligence et leur volonté à cette oeuvre (1).

Le Roi ne prenait donc pas la charge des dépenses qu'allait occasionner la tentative d'établissement colonial. Il abritait cette abstention derrière plusieurs raisons : les essais patronés par ses prédécesseurs ayant toujours été lancés dans l'intérêt supérieur et aux frais de l'État, il était bon d'expérimenter le système de l'intérêt privé moteur de l'activité et de l'initiative des colonisateurs. La première méthode avait toujours échoué ; la seconde produirait peut-être des fruits. De plus, en associant les intérêts d'une Compagnie française à l'établissement colonial, le Roi donnait aux gentilshommes et commerçants français une profitable leçon d'économie politique ; la double collaboration des énergies et des capitaux, les efforts combinés et passionnés qui en seraient la conséquence, produiraient sans doute des résultats que d'autres peuples, les Hollandais par exemple, avec leurs vieilles associations en commandite, avaient depuis longtemps obtenus.

Le privilège accordé à de Monts, limité à une durée de dix ans, ne devait affecter que médiocrement la liberté générale du commerce. « Il était

(1) LESCARBOT.


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légitime et même indispensable (1), puisque, en donnant les facilités nécessaires pour fonder la puissance de la France dans l'Amérique du Nord, il fournissait en même temps le moyen de défendre et le commerce des pelleteries lui-même et la grande pêche, contre les entreprises des Anglais et des Hollandais, dès lors menaçantes ».

Plusieurs navires appareillaient tant au Havre qu'à Honfleur, quand de Monts écrivit à Poutrincourt « et envoya homme exprès » pour le tenir au courant de l'avancement du projet et le presser d'arriver (2).

De Monts était alors à Rouen où il essayait de parer aux difficultés que soulevait le Parlement (3)

(1) C'est -l'avis de Poirson mais non point celui du P. de Charlevoix. Le savant P. Jésuite a qualifié ce privilège d' « odieux monopole ». Rameau le trouve « fâcheux » au point de vue économique. Une colonie féodale, p. 22.

(2) Rameau dit que Poutrincourt reçut la visite de de Monts en 1602, puis en 1603, quand ce dernier se rendit à Paris. Une colonie féodale, pp. 3 et 4.

(3) Refus par cette cour d'enregistrer les lettres du Roi présentées le 13 Janvier 1604. Le Parlement craignait pour les intérêts de la religion catholique et pour la liberté du commerce. Lettre du Roi, du 17 Janvier faisant connaître que sur le premier point il avait donné des ordres pour « que quelques gens d'église, de bonne yye, doctrine et édiffication » se transportassent en ces pays avec le sieur de Monts pour « prévenir ce que l'on pourrait y semer et introduire de contraire à la profession ». Nouvel atermoiement de la cour de Rouen. Le Roi use de son autorité royale et donne des ordres qui n'admet-


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de Normandie, et où il réglait les conditions d'une association commerciale (1).

M. de Poutrincourt apporta son concours à de Monts. Il était chargé de réunir les armes et les munitions en quantité suffisante et de fournir des officiers et quelques soldats pour défendre au besoin l'établissement qu'on allait créer. Il engagea des hommes provenant d'un régiment de pied qu'il avait commandé (2).

Le 7 Mars 1604 (3), de Monts et Poutrincourt

tent ni discussion ni réplique. Députation par le Parlement de l'avocat général du Vicquet à la cour. La volonté du Roi est affirmée par une autre lettre du 25 Janvier que l'avocat général rapporte comme l'unique résultat de ses démarches et de ses remontrances.

Lettres missives de Henri IV, t. VIII, p. 897 ; Edouard GOSSELIN, Nouvelles glanes historiques normandes, 1873 : Ch. DE BEAUREPAIRE, Notes sur Pierre du Gua, dans la Normandie, Juillet 1893, p. 3.

(1) Le 10 Février 1604, suivant acte passé au tabelhonnage de Rouen, devant Mes Moisson et Ferment, il prenait des engagements envers les marchands de cette ville, de Saint-Malo, La Rochelle, Saint-Jean de Luz, et donnait procuration à Corneille de Bellois, marchand de Rouen, rue Grand-Pont, de recevoir les comptes particuliers de chaque associé. Lui-même versait deux mille livres pour l'équipage, les vivres et les munitions. Ses promesses étaient reçues et acceptées, en forme authentique par Samuel Georges, marchand de La Rochelle, tant pour lui que pour Jean Macain, son beau-frère, l'un des pairs et échevins de cette ville. Edouard GOSSELIN a publié l'acte de société in extenso. Précis analytique des Travaux de l'Académie de Rouen, 1871-1872, p. 331.

(2) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France.

(3) Date donnée par Lescarbot. Plusieurs auteurs disent le 7 Avril.


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levaient l'ancre au Havre et faisaient voile vers le Nouveau-Monde. Avec eux s'étaient embarqués « bon nombre de gens de qualité, tant gentilshommes qu'autres » (1).

Le navire était commandé par le capitaine Thimothée, du Havre.

Un deuxième navire, sous les ordres du capitaine Morel, de Honfleur, à bord duquel se trouvait François Gravé, sieur du Pont, dit du Pont-Gravé, qui habitait cette ville, devait partir trois jours plus tard. Il transportait les vivres, le matériel et les réserves nécessaires à une centaine d'hommes pour hiverner dans des contrées désertes.

Le bâtiment de du Pont-Gravé devait aborder au cap Canseau (ou Canso), surveiller les abords du canal que forment l'île Royale et l'île Saint-Jean pour écarter les navires qui auraient pu être tentés de venir faire la traite avec les sauvages au préjudice de M. de Monts, puis enfin longer la côte de l'Acadie dans la direction du cap de Sable pour retrouver l'expédition.

(1) Marc LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France. Les Voyages de Champlain ajoutent : « ... tant d'une que d'autre religion, prestres et ministres ».

On aura une idée du peu d'attention qu'ont accordée les historiens locaux à Jean de Pontrincourt par ce passage de Prarond, de l'Histoire de Cinq Villes : « A La Perte, près de Saint-Valéry, est une rue qui porte le nom de Jean de Pouirincourt. Ne pourrait-on pas voir là encore une preuve que £e voyageur partit d'un port de la Somme ?... » Impossible ! ■€e nom fut donné à la rue en 1838 par décision du Conseil municipal.


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Plusieurs autres navires cinglaient vers Tadoussac pour commencer la traite des pelleteries, mais de Monts, ancien compagnon de Chauvin, avait renoncé à se fixer en cette région voisine du Saint-Laurent, ayant gardé du climat le plus désagréable souvenir (1).

A bord d'un de ces navires partis de Dieppe (2) prenait passage un voyageur d'une trentaine d'années qui, l'année précédente, avait été chargé d'une mission d'exploration en Amérique du Nord. Sa tentative, menée avec les règles d'une précision savante, n'avait pas été sans avoir quelque résultat utile. Il avait remonté le Saint-Laurent avec du Pont-Gravé et s'était arrêté au havre de Tadoussac, à quatre-vingts lieues de l'embouchure du fleuve, près d'un campement d'Algonquins et d'Etchemins, et, laissant là son navire, il avait été reconnaître l'intérieur des terres et en avait dressé une carte et rapporté des renseignements circonstanciés. Cet explorateur qui, à cette heure encore, n'occupait dans l'expédition qu'un rang subalterne, avait séjourné près de deux ans et demi aux Indes occidentales, et se nommait Samuel Champlain.

La hâte de découvrir de nouvelles terres, le désir avide de courir la grande aventure, firent devancer

(1) Voyages de Champlain, éd. de 1830, t. 1er, p. 56. E. LAVISSE Histoire de France, t. VI, 2e partie, p. 83. M. LAUVRIÈRE, La Tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 10.

(2) Voyages de Champlain, t. Ier, p. 56.


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aux explorateurs l'époque la plus favorable aux départs pour ces régions. Ils s'embarquèrent « avant que l'hiver eust encore quitté sa robe fourrée », comme dit le premier historien de cette expédition (1).

Ils trouvèrent l'Atlantique barré par des bancs de glace contre lesquels ils faillirent se perdre.

Il paraît évident que les navigateurs, dans leur course hasardeuse, avaient été tout d'abord emportés trop au Nord, qu'ils avaient atteint les courants venant de la baie de Baffin, par les détroits d'Hudson et de Davis, qui répandent sur cette partie de l'Atlantique, en cette saison, avec leurs masses énormes de glaces, des brumes épaisses et une atmosphère hyperboréenne. Il faut les chaudes brises du Sud et les courants contraires venant en Juin du golfe de Mexique, pour dissiper le sombre aspect de cette mer et fondre les derniers barrages de glaces.

Le voyage fut long. Les vents avaient continuellement été défavorables, ce qui arrive peu souvent — fait observer Lescarbot — aux navigateurs qui partent en Mars pour Terre-Neuve. La nécessité d'éviter les glaces leur fit modifier leur route, mettre le cap sur cette même île de Sable où s'était perdu, vingt ans auparavant, Humpfroy Gilbert, où avait échoué en 1598 l'expédition de

(1) Marc LESCARBOT.


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Troïlus du Mesgouez (1). Les brumes les contraignirent à aborder sur ce rivage inhospitalier, à quarante-cinq lieues environ du Cap Breton et des côtes d'Âeadie.

Cette morne et sévère solitude n'avait rien qui put retenir ou fixer les explorateurs. L'eau douce y faisait à peu près défaut.

Ils renflouèrent, et, après une courte navigation, ils abordèrent le 6 Mai, c'est-à-dire au bout de deux mois de traversée, sur les côtes de la presqu'île acadienne, qu'on a appelée depuis NouvelleEcosse, à un endroit où les sinuosités du rivage dessinaient une sorte d'anse favorable à l'atterrissage.

A leur grande surprise, les explorateurs trouvèrent, en cette baie, un navire, du Havre commandé par un capitaine du nom de Rossignol, qui troquait là, avec les sauvages, des marchandises françaises contre la pelleterie. Ils confisquèrent le navire et prirent les hommes à leur bord (2).

Les voyageurs abandonnèrent bientôt cette baie qu'ils nommèrent le port du Rossignol (3) et de là, « côtoyant et découvrant des terres », ils arrivèrent en un autre point, à trois lieues au Sud, fort

(1) Histoire de la Marine Française, par. M. de la Roncière, t. IV, p. 317.

(2) Sur les suites de cette confiscation, voir Documents relatifs à la Marine normande, par Ch. Bréard, p. 102.

(3) Aujourd'hui Liverpool.


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commode pour y rader les deux vaisseaux. Ils résolurent d'y faire halte pour attendre l'arrivée de Pont-Gravé.

Ce lieu rocailleux, arrosé de deux petits cours d'eau, rempli de taillis et de bruyères, parut riant à ceux qui n'avaient pu chasser encore la lugubre impression qu'avait laissée chez eux l'île de Sable. Venant après cette plage aride, il prenait aspect de Paradis terrestre. Un banal incident du débarquement lui valut le nom qu'il porte encore aujourd'hui Il fut appelé le port du Mouton, parce qu'un mouton s'y étant noyé fut ramené à bord et mangé par les équipages.

Les explorateurs cabanèrent à la mode des sauvages; c'est-à-dire qu'ils dressèrent des abris autour de la cabane des chefs. Ils se hasardèrent à faire quelques voyages de découverte ; les plus déterminés pénétrèrent, avec une curiosité hâtive et fébrile, sous la. futaie couverte de feuilles nouvelles et peuplée d'oiseaux inconnus, et rencontrèrent enfin ces sauvages à demi-nus que Champlain leur avait décrits (1).

La chasse et la pêche devinrent l'unique occupation de l'expédition. Près du port du Mouton, se trouvait une garenne si peuplée de lapins que pendant plusieurs jours on ne mangea pas autre chose.

(1) Les Miggaamàck, appelés aussi Micmacs et plus communément Souriquois.


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On resta ainsi quelques semaines dans l'expectative. Les vivres diminuaient. On eut recours aux provisions trouvées dans la cale du navire de Rossignol. Cette réserve elle-même menaçait de disparaître et le navire du capitaine Morel ne paraissait point. De l'arrivée de ce bâtiment dépendait cependant le succès de l'expédition, puisqu'il contenait le matériel d'hivernage et les approvisionnements alimentaires pour plusieurs mois.

Les chefs conçurent dès lors une certaine inquiétude. Le deuxième vaisseau avait pu se perdre dans les eaux enchaînées des Terres-Neuves. Le secours qu'on attendait avec tant d'impatience était peut-être englouti par les solitudes avides et dangereuses de ces bancs glacés qui annoncent aux navigateurs l'approche des régions arctiques. L'anxiété gagna les hommes d'équipage.

Assiégé par le doute et la disette, le Vice-Amiral lui-même eut un moment de découragement. Il songea à rembarquer, Un conseil extraordinaire fut tenu par les explorateurs. « Il fut mis en délibération sçavoir si l'on retourneroit en France ou non ».

Il restait à peine la nourriture nécessaire à la traversée. La perspective du retour, dans ces conditions difficiles, apparaissait à certains comme la plus sage.

Poutrincourt s'éleva contre le projet d'un départ précipité, il « fut d'avis qu'il valoit mieux là mourir ».


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On chercha les moyens d'accomoder cette résolution héroïque avec la simple et prosaïque raison, et l'on décida d'envoyer une embarcation vers lecap Canseau, en longeant la côte, pour se mettre à la recherche du navire du capitaine Morel.

Les sauvages avec lesquels on était entré en relations, consentirent à s'engager dans ces recherches. Ils demandèrent simplement que, pendant leur absence, la colonie prit soin de leurs femmes et leur garantit des vivres.

Les familles sauvages avaient goûté avec délices à la cuisine des explorateurs. Les raffinements d'une chère plus délicate, les béatitudes qui suivent un copieux repas, les fumées d'un vin généreux, étaient des moyens de persuation très efficaces sur les indigènes. Rien ne causait plus de plaisir au grand Sagamos Membertou, vieillard chargé d'ans, qu'une bouteille de vin de Guyenne, car elle lui procurait, disait-il, le sommeil qui était quelquefois rebelle. Son repos était alors plein de rêves agréables.

Un Français, porteur de lettres repérant les points d'attache fut désigné pour accompagner les quelques sauvages qui partaient en découverte avec ordre de revenir dans le délai d'une semaine.

Au bout de quelques jours de navigation, les indigènes qui connaissaient tous les points de la côte favorables à rader les navires et qui les visitèrent tour à tour, eurent la satisfaction de trouver


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le vaisseau du capitaine Morel mouillé en la baie des Iles (1).

Ce navire avait abordé tout d'abord au Port aux Anglois, où il avait dû construire un bateau, puis à la rade de Canseau où il avait surpris trois bâtiments qui y étaient mouillés pour embarquer des pelleteries. Le sieur du Pont les dépouilla de leurs acquisitions et emmena les équipages prisonniers dans la direction du port Rossignol, à la recherche de de Monts. Mais nulle part les arrivants ne trouvèrent sur le rivage les croix attachées aux troncs d'arbres que le Vice-Amiral avait promis d'y laisser, chose qu'il n'avait pu faire en abordant, ayant de beaucoup dépassé le cap Canseau.

Les équipages furent accueillis avec joie, et de Monts traita humainement les prisonniers.

Le capitaine Morel et Pont-Gravé, après avoir déchargé les vivres, matériel et provisions, obtinrent congé de de Monts pour « se retirer en arrière », vers le fleuve Saint-Laurent, afin d'y faire la traite des fourrures (2).

(1) A quelques lieues à l'Est du port Rossignol. Les îles se nommaient l'île Verte, l'île aux Canes, l'île aux Anglois, les cinq Iles, l'île aux Perdrix ; voir les cartes de Charlevoix, t. I, p. 112.

(2) Lescarbot place avant l'arrivée de du Pont-Gravé une reconnaissance de Champlain dans une direction opposée à celle du havre de Canseau, au moment où l'on souffrait de la disette. « Tant demeura en cette expédition, — dit-il, ■— que sur la délibération du retour on le pensa abandonner». Cet égoïsme dans l'allégresse qui suit le danger disparu est un trait


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Les colons « assemblés en deux vaisseaux », levèrent ensuite les ancres « pour employer le temps et découvrir des terres tant qu'on pourroit, avant l'hiver ». On longea le littoral en se dirigeant vers l'Ouest, afin de gagner le Cap de Sable, distant de deux bonnes lieues de la baie du même nom, « en évitant les rochers et basseures » qui s'avancent à une lieue du rivage (1).

L'île aux Cormorans attira les explorateurs. Toute bruissante d'ailes agitées, elle était couverte de ces plongeurs d'un beau brun verdâtre empenné de blanc, qui, groupés sur le bord de la mer, voyaient arriver le navire sans la moindre crainte.

Une barque fut dirigée vers la côte et put accoster. Les matelots la remplirent des oeufs de ces palmipèdes.

Contournant le rivage, nos Français rencontrèrent plusieurs îles qui leur parurent d'un abord dangereux pour les vaisseaux, en raison des rochers qui se montraient à fleur d'eau. Elles

assez naturel du coeur humain ; cependant, ce détail est en contradiction avec les Voyages de Champlain. Ce dernier dit avoir pris passage à bord du navire de Pont-Gravé ; par conséquent, il ne pouvait avoir partagé les périls de l'expédition de de Monts avant l'arrivée du deuxième navire.

(1) Auprès de l'île aux Loups marins étaient l'île aux Canes, et auprès du lieu où devait s'élever plus tard le fort La Tour ; les îles Brûlées ; l'île du Bon Potage et l'île Verte. On rencontre ce groupe d'îles en quittant le cap de Sable pour aller vers la baie Sainte-Marie.


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étaient abritées de beaux arbres, pins, bouleaux, trembles, et peuplées d'une infinité d'oiseaux, tels queTcanards, oies, outardes, perroquets de mer, bécassines, mauves, alouettes de mer, hérons, goélands, et de quelques espèces de rapaces. Certains oiseaux, appelés « tangueux » étaient si lourds et si confiants qu'on pouvait les abattre à coups de bâton.

Les chaloupes, envoyées à la découverte, revinrent au navire chargées de ce gibier. Les Français étaient émerveillés de cette multitude de volatiles et de la facilité avec laquelle on les approchait et on les capturait sans qu'ils songeassent à s'envoler ou même à fuir.

Cet archipel reçut le nom d'îles aux Loups Marins parce que ses rochers donnaient aussi asile à ces poissons monstrueux. . Étant éloignés d'un quart de lieue de la côte, l'expédition découvrit l'île Longue « laquelle fait passage pour aller dedans la grande baie Française, ainsi nommée par le sieur de Monts » et arriva tout d'abord à la baie Sainte-Marie (1) dont « le terroir d'alentour est rouge comme sang », après avoir trouvé des mines, auprès d'une petite rivière qui reçut le nom de du Boulley (2).

La rade Sainte-Marie plut aux équipages qui résolurent d'y débarquer.

(1) Entre le cap de ce nom et l'île Longue.

(2) Voyages de Champlain, livre second, Ed. 1830, t. I, p. 67.


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« Cette baye, dit Lescarbot, est un fort beau lieu pour habiter, d'autant qu'on est là tout porté à la mer sans varier. Il y a là de la mine de fer et d'argent, mais elle n'est point abondante (1) ». La côte avait un aspect ravissant. Ressource précieuse, une eau douce et claire y coulait en ruisseaux et en cascades.

Cette page de l'Histoire de la Nouvelle France est belle comme une de ces légendes byzantines ou anglo-saxones que nos vieux poètes du moyen âge aimaient à mettre en vers. Voici que nos héros, comme saint Brandan, après avoir vogué longtemps vers l'Ouest inconnu, à la recherche d'une terre de promission, découvrent des îles merveilleuses qui ressemblent assez à l'île Rocheuse et à l'île aux Oiseaux de la pieuse odyssée narrée par le moine Benoît.

Séduits par les facilités d'accès de la rade et par l'aspect engageant d'une côte ombragée d'arbres semblables à ceux de Picardie et de Normandie, mais dont les rameaux étaient chargés de lianes

(1) Un autre gisement argentifère situé au nord de la baie de Fundy avait été découvert par le malouin Jean Sarcel de Prévert. M. Ch. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine Française, t. IV, p. 319. «Là, le Malouin Prévert, grand hâbleur, avait en 1603 cru trouver dû minerai argentifère ; cette fois, on y trouva du cuivre, d'où le nom des Mines ». LAUVRIÊRE, La Tragédie d'un peuple, T. I, p. 11. Les découvertes de Prévert sont longuement racontées dans la Chronologie septénaire de Palma-Cayet. Paris, 1612, p. 423. Rééditée dans la collection Michaud et Poujoulat, 2e partie du t. XII, p. 262 et suiv.


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flexibles, les navigateurs décidèrent d'y débarquer.

Ils y séjournaient depuis une huitaine de jours

quand un homme d'église parisien, du nom d'Aubry

qui avait pris part à l'expédition contre le gré des

siens, s'avisa d'aller en découverte dans les bois

avec quelques compagnons. Après plusieurs heures

de marche, il fit halte au bord d'un ruisseau dont

les eaux limpides le tentèrent et où il se désaltéra.

Ayant repris sa route avec ses amis, il s'aperçut

qu'il avait oublié son épée sur le gazon et retourna

en arrière ; mais il s'égara. La nuit vint sans qu'il

put retrouver sa route. Les explorateurs alarmés

sonnèrent de la trompe et tirèrent le canon pour

le guider. Vains efforts. Le mugissement de la mer

était tel qu'il couvrait tous les bruits et qu'il

«rechassoit en arrière le son desdits canon et

trompettes ». Après quatre jours d'attente et de

recherches, on partit sans l'avoir revu.

Les « découvreurs » entrèrent ensuite en la baie Française qui se nomme aujourd'hui baie de Fundy.

II PORT-ROYAL.

Le navire cinglait vers le septentrion sur une mer plus calme et des eaux plus limpides.

La baie de Fundy, à l'époque de l'année où l'on était parvenu, n'a ni les caprices, ni les colères de l'Océan. Seules, ses marées, qui sont les plus


PI. IV. — I.KS COTES ])K l/ACADIE.

Fragment d'une planche de l'Histoire, de la Xouvelle-Frnnre, par Marc I.esearbot (1609).



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fortes du globe, agitent tumultueusement ses flots lorsqu'elles sont favorisées par les vents.

Sa plus grande largeur est de moins de vingt lieues. Bien que la navigation y fut assez dangereuse nos voyageurs avaient perdu, entre ses bords échancrés d'anses profondes, cette impression d'isolement et d'abandon que donne l'immensité, L'horizon était bordé. maintenant par les découpures du cap et des forêts qui apparaissaient en lignes bleues dans un lointain vaporeux (1).

Des brises tièdes venant des Bermudes leur apportaient un air plus doux et gonflaient les voiles de souffles plus légers.

« De passage de l'île Longue, mettant le cap au Nord-Est, six lieues, il y a une ance où les vaisseaux peuvent mouiller à l'anchre quatre à cinq, six et sept brasses d'eau. Continuant au même vent deux lieues, l'on entre en l'un des beaux ports qui soit en toutes ces côtes, où il pourroit grand nombre de vaisseaux en seureté.

« L'entrée est large de huit cents vingt-cinq pas, et sa profondeur de deux brasses d'eau, à deux lieues de long, et une de large... »

Ainsi parle avec la compétence d'un capitaine pour le Roi en la marine, et non sans quelque

(I) «La baie'de Fundy a toujours ses marées, les plus considérables du globe, où la mer s'élève au moins à 25 mètres... ».. Une station sur les côtes d'Amérique, par M. Ed. du Hailly, Revue des Deux Mondes, 1er Oct, 1er Nov., 15 Dec. 1862, p. 890.

13


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admiration, Samuel Champlain devant le port de huit lieues de circuit où de Monts et Poutrincourt entrèrent et où ils s'empressèrent de jeter l'ancre.

Trois rivières venaient déverser leurs eaux dans ce havre. L'une d'elles, plus rapide que les autres, tirant à l'Est, avait près d'un quart de lieue de large à son entrée. Une île, plantée de pins, de pruches, de bouleaux, de trembles et de chênes en rétrécissait l'embouchure, mais le passage, au Nord, apparut propre à mouiller l'ancre, à l'abri de l'île, avec de cinq à neuf brasses d'eau. Le chenal, au Sud, sembla moins propice à la navigation.

Cette rivière était peuplée en abondance de plusieurs sortes de poissons. Le premier qu'y péchèrent les explorateurs fut une « équille » petit poisson « de la grandeur d'un esplan ». Cette circonstance fit que nos voyageurs qui, comme le remarque Lescarbot, distribuaient des noms « brusquement et sans grande délibération » appelèrent cette rivière F Équille ; mais elle fut dite plus tard du Dauphin.

Une autre île plantée, elle aussi, d'arbres familiers qui évoquaient les paysages de France, apparut bientôt.

Une conjoncture fortuite vint égayer le séjour de de Monts et de Poutrincourt en cette agréable contrée. Ils s'y livrèrent au plaisir de la chasse, et ils eurent la surprise de déloger d'une sapinière


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une bête sauvage inconnue, d'un brun fauve, de la taille d'un cheval, qui portait sur la tête un bois large et plat, comme le daim, mais un peu couvert de poil par le bas. C'était un élan, gibier rare en Europe, que les auteurs du temps décrivaient même fort diversement. Les chasseurs obligèrent la bête à se jeter à la nage, et elle traversa le port sans se forcer.

De Monts et Poutrincourt remontèrent la rivière à la voile jusqu'à quinze lieues, et, durant ce voyage ils virent succéder aux collines boisées du Nord, aux coteaux verdoyants du Midi, de vastes prairies ou poussait une herbe haute et drue.

Des ruisseaux d'eaux vives bondissaient des pentes arrondies vers le port où vers la rivière ou coulaient paisiblement entre les pelouses fleuries et rendaient « le lieu agréable, plus que nul autre du monde ». Les explorateurs y remarquèrent « de fort belles cheutes pour faire des moulins de toutes sortes ».

Ces paysages d'un exotisme atténué, ces cours d'eau s'enroulant comme des rubans de cristal autour des îlots forestiers, ces futaies épaisses où abondaient les essences communes en Picardie, donnaient à ce coin de l'Acadie un attrait particulier. Si ce pays merveilleux méritait le nom de Nouvelle France, c'était bien dans cette région privilégiée dont nos voyageurs n'avaient vu qu'une faible partie des commodités et des charmes.


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À peine avaient-ils pu deviner les magnificences de l'immense vallée, alors d'aspect sauvage, aujourd'hui couverte de pommiers, qu'on appelle la vallée d'Annapolis. Elle couvre plus de quatrevingts milles (cent vingt-huit kilomètres) le long de la partie Nord de la Nouvelle-Ecosse, et s'étend sur une largeur de quatre à cinq milles (six à douze kilomètres) entre de hautes collines (1).

On avait donné à la plus belle baie qu'on eût découverte le nom de baie Française. Après cet hommage à la patrie, les explorateurs jugèrent qu'il convenait de rendre un témoignage de fidélité et de respect à Sa Majesté. La France et le Roi ! Ces deux mots se confondaient dans les coeurs en un culte unique et puissant qui soulevait tous les dévouements et tous les enthousiasmes. «Ledit port,, pour sa beauté, fut appelé Port-Royal » (2).

(1) D'Annapolis à Windsor. Elle donne l'une des meilleures récoltes de pommes du monde. « La descendre, quand les fleurs répandent leur parfum dans l'air, ou quand les fruits sont en maturité, laisse une impression inoubliable ». Atlas du Canada, p. 14

(2) L'origine du nom du Port-Royal ne paraît point douteuse. Cependant, il s'est trouvé des esprits assez amateurs des circuits ingénieux de la pensée pour avancer que ce nouvel établissement colonial avait été « ainsi nommé peut-être pour rappeler Port-Royal des Champs ». C'est ce qu'on appelle chercher midi à quatorze heures. L'auteur de cette supposition et de ce rapprochement hasardeux n'est autre que le baron Charles Dupin. (Article sur la Force productive des nations, dans le Journal de l'Instruction publique, rue de Grenelle-Saint-Honoré, n° 45) : « (L'établissement) fut détruit en pleine paix par un


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Si les navigateurs n'avaient pu découvrir qu'une portion infine des beautés du havre, de la vallée et du territoire, ils n'en avaient pas aperçu non plus tous les inconvénients.

L'Acadie, où Poutrincourt rêvait de s'établir définitivement avec sa famille pour y développer une colonie, avait l'avantage d'être à portée de

bâtiment virginien que conduisait un jésuite français pour expulser probablement des Jansénistes qui n'avaient pas voulu subir le joug de leurs antagonistes... même aux confins du monde ». Une note qui accompagne un extrait de cet article dans les M6S de la collection Dupuy, 475, f° 31, (Bibliothèque nationale), fait justice de ces suppositions : « C'est digne du siècle — dit-elle •— et fort amusant de la part de M. Dupin ».

L'accusation portée contre un Jésuite français (le P. Biard), n'est pas du baron Dupin. Elle est tirée d'une des dernières éditions de l'Histoire de la Nouvelle France, de Lescarbot, qui a reproduit une requête rédigée par le procureur Guillaudeau au nom de Poutrincourt présentée à l'Amirauté de La Rochelle. Elle a été rééditée dans l'Histoire des Jésuites de l'abbé Pierre Quesnel, Introduction, pp. LXXV à LXXXVI.

Il est à peine besoin de faire remarquer que les Français qu'il s'agissait d'expulser, Charles de Bïencourt et ses hommes, n'étaient nullement jansénistes, à moins que, suivant la définition du cardinal Bona, on ne donne ce nom à « des catholiques qui n'aiment pas les jésuites ». Port-Royal des Champs n'avait pas à cette époque (1613), la réputation d'opposition à la Compagnie de Jésus qu'il s'est acquise depuis. C'était, en ce temps, un lieu « où l'on ne dogmatisait pas, où l'on ne cherchait querelle à personne, où l'on essayait seulement d'opérer son salut.» Ce ne fut guère qu'en 1635 que les jésuites s'occupèrent de Port-Royal, lorsque les religieuses de cette abbaye eurent choisi Saint-Cyran comme directeur. Voir Histoire générale du mouvement janséniste, depuis ses origines jusqu'à nos jours, par Augustin Gazier, Paris, 1922.


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Terre-Neuve, du grand banc des morues, « d'être plus rapprochée de l'Europe, d'être abordable en toute saison ». Il est vrai que « le développement de ses côtes, la fertilité de son sol la rendaient facilement colonisable », mais, géographiquement, elle était comme une impasse, « sans communication naturelle avec l'intérieur du continent ». En effet, «les grandes routes qui pénétrent au coeur de l'Amérique sont, au Nord et au Sud de la péninsule, la vallée du Saint-Laurent, la vallée d'Hudson. Entre les deux, l'Acadie est condamnée à l'isolement » (1).

Quant au Port-Royal, ses difficultés d'accès avaient échappé à Poutrincourt. On n'y pouvait entrer qu'un seul vaisseau à la fois et souvent même la poupe la première, en raison des courants et de la marée.D'autre part, les brouillards y étaient fréquents, bien que le climat fut tempéré et que l'hiver y fut moins rude qu'en beaucoup d'autres endroits de la côte (2).

Le choix du gentilhomme picard était fait : « Le sieur de Poutrincourt ayant trouvé ce lieu à son gré — dit Lescarbot — il le demanda, avec les terres y continentes, au sieur de Monts auquel le Roy avait baillé la distribution des terres de la Nouvelle-France, depuis le quarantième degré jusques au quarante-sixième ».

(1) E. SALONE. La Colonisation de la Nouvelle France, p. 21.

(2) Le P. DE CHARLEVOIX, Histoire de la Nouvelle France.


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De Monts octroya sans difficulté Port-Royal à Poutrincourt, à la condition toutefois qu'il s'y fixerait avec sa famille et plusieurs autres, comme il en avait manifesté l'intention, pour peupler et cultiver le pays. Poutrincourt prit immédiatement cet engagement.

Ce don devait être ratifié et confirmé plus tard par Henri IV. Des lettres patentes furent délivrées à Poutrincourt le 25 Février 1606 pour lui en assurer définitivement la possession (1).

Poutrincourt est donc le premier colonisateur qui prit l'engagement formel de peupler l'Acadie, et, de plus, il apparait comme un « initiateur » en tant que fondateur d'une colonie de laboureurs.

Henri IV avait dit à de Monts : « Vous devez surtout peupler, cultiver et faire habiter lesdites terres le plus promptement, le plus soigneusement et dextrement que le temps, les lieux et commoditez le pourront permettre » (2). Le Roi avait exprimé le désir de voir, dans les contrées qui allaient être soumises à son autorité, « establir... des colonies, et y commencer des républiques » (3). Poutrincourt entendait suivre à la lettre les instructions royales

(1) C'était la première cession d'un bien de famille privilégié ; ce que la loi canadienne sur les concessions fédérales a appelé depuis « homestead ».

(2) Commission reproduite par Lescarbot.

(3) Mercure françois, t. Ier, folio 294 r°. Cité par Poirson, t. III, p. 569.


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et donner la primauté, dans ses préoccupations, à tout ce qui pouvait concerner l'établissement d'une colonie agricole.

Son plan apparait à travers la ligne de conduite très nette qu'il adopte, que des déceptions traversent, mais qu'il poursuit d'une manière continue, invariable. Il est sous l'empire d'une idée dominante qu'a indiquée succinctement Lescarbot, idée née d'une étude sérieuse de la situation. De là, une absence d'hésitation, un enchaînement de pensées, une continuité d'action qui sont le propre des grands organisateurs.

Ses projets se dégagent des narrations quelquefois un peu diffuses de l'historien de son entreprise.

Pour quelles raisons Poutrincourt considère-t-il la fondation d'une colonie d'agriculteurs comme la condition essentielle d'une création coloniale ?

En premier lieu, c'est que les peuples sauvages de la Nouvelle-France se partageaient, comme le remarque Champlain, en deux catégories. Les uns, chez qui existait un commencement de civilisation, étaient sédentaires et « amateurs de labourage ». L'exploration de 1603 avait prouvé qu'ils prisaient les arts et l'industrie de l'Europe, qu'ils étaient animés en général de dispositions pacifiques, et disposés à nouer des relations avec les Français. Ceux-là avaient des villes et des villages fermés de palissades répartis sur de vastes étendues de territoire, comme il arrive toujours chez les peuples


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dans l'état de barbarie. Les autres, errants, vivaient de la chasse et de la pêche du poisson. Ces derniers, plus belliqueux, et particulièrement riches en fourrures — car ils allaient tendre des pièges fort loin, dans les forêts — faisaient volontiers l'échange de leur pelleteries avec les navigateurs (1). \

En deuxième lieuse'est que Poutrincourt, en étudiant le projet de colonisation s'était persuadé que les pêcheries et le commerce des pelleteries ne pourraient être fructueusement exercés en Acadié qu'après que la vie matérielle aurait été assurée aux colons. Les pêcheries et les fourrures né lui parurent même « qu'une ressource incidente ».

III

PROJETS.

Poutrincourt veut donc fonder un établissement agricole stable auprès d'un emplacement maritime disposé pour des traites nouvelles.

Jusqu'ici, les échanges avec les indigènes se sont faits au hasard des événements, dans les anses et les îles de la côte, à l'abri des criques du golfe du Saint-Laurent ou à quelques lieues en amont du

(1) Voyages de Champlain, chap. 1er.


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fleuve (1). Son but est de fixer, de diriger et de réglementer ce commerce vagabond sur un même point du rivage, défendu par un fort et placé sous la protection du pavillon français. Laboureurs et chasseurs indigènes trouveront leur compte dans les aménagements qu'il se propose d'établir.

Poutrincourt entend constituer sa colonie en lui donnant pour base une exploitation du sol par les denrées de première nécessité, ce qui va à rencontre de tous les systèmes connus, particulièrement de ceux employés par les premiers occupants dans l'Amérique méridionale.

Il y avait, pour cela, des raisons impérieuses : les Espagnols avaient trouvé dans l'Amérique du Sud des contrées fécondes, où l'existence était relativement facile, tandis que les nouveaux territoires qu'il s'agissait d'occuper et d'utiliser étaient sous un âpre climat, pauvrement peuplés, et ne pouvaient donner aux immigrants le vivre, le chauffage et les nécessités primordiales de l'existence qu'au prix d'un énorme labeur.

Les nouveaux colons devaient tout d'abord se ménager l'amitié des peuplades sauvages avec lesquelles ils allaient partager le sol, et s'assurer des

(1) « Avant les entreprises du sieur de Monts, à peine avoit-on ouï parler de Tadoussac ; ainsi les sauvages par manière d'acquis, voire seulement ceux des premières terres, venoient trouver les pêcheurs des morues vers Bacaillos (île du cap Breton), et là troquoient ce qu'ils avoient presque pour néant ». LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, éd. de 1618.


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alliances dans les "pays non occupés. A cet effet, les indigènes devaient être traités avec douceur et humanité, être exempts de toute servitude et de tout esclavage, et jouir de droits égaux à ceux des Français établis parmi eux.

Ainsi se trouverait inauguré en Amérique un système de colonisation basé sur des idées de justice, de charité et de fraternité, digne en un mot de la France et du Christianisme.

Telles étaient sur ce point capital les dispositions d'esprit de Poutrincourt dont le secrétaire écrivait : « Nous ne voudrions exterminer ces peuples ici, comme à fait l'Hespagnol aux Indes, prenant le prétexte des commandements faits jadis à Josué Gédéon, Saûl et les autres combattants pour le peuple de Dieu (1). Car nous sommes en la loi de grâce, loi de douceur, de piété, de miséricorde, sur laquelle notre Sauveur a dit : « Apprenez de moy que je suis doux et humble de coeur... »

(1) Lescarbot montre ici qu'il avait étudié l'histoire de l'établissement des Espagnols dans l'Amérique méridionale. On reproche au missionnaire Guamilla d'avoir dit que l'Amérique appartenait aux Espagnols au même titre que Chanaan aux Hébreux : « Le droit du glaive qu'ils avaient sur l'idolâtre Amalécite, nous l'avons sur les infidèles ». Lescarbot et Poutrincourt avaient cherché, comme on" l'a vu, des enseignements dans l'histoire de la découverte du Nouveau-Monde. C'était, du reste, une préoccupation commune à tous les explorateurs : « Ce continent merveilleux éveillait en France un tel sentiment de curiosité, qu'on se mettait fiévreusement en quête des relations de voyage parues à l'étranger... ». M. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine, t. IV, p. 312.


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L'explorateur, suivant l'intention du Roi, veut amener les indigènes à la civilisation et à la foi chrétienne par la persuasion et par une généreuse mansuétude, comme il le dira expressément, en 1608, au Saint-Père (1).

Poutrincourt compte donc développer l'agriculture en fondant une agglomération de laboureurs, un véritable village picard, entouré de domaines où l'on cultiverait les céréales et les plantes fourragères, où l'on élèverait du bétail avec les méthodes, voire même les routines de Picardie.

Fils d'un pays de cultivateurs, il fait passer le labourage avant l'exploitation des gisements de cuivre voisins dont les ingénieurs ont supputé les richesses. « C'est la première mine qu'il nous faut chercher -— écrivait Lescarbot — laquelle vaut mieux que les thrésors d'Atabalippa : et qui aura du blé, du vin, du bestial, des toiles, du drap, du cuir, du fer, et au bout des morues, il n'aura que faire d'autres thrésors, quant à la nécessité de la vie. Or, tout cela est, ou peut être en la terre que nous décrivons... » L'auteur de l'Histoire de la Nouvelle-France insistait sur ce point jusqu'à se répéter : « La plus belle mine que je sçache c'est du blé et du vin, avec la nourriture du bestail.

(1) Les esprits étaient favorables aux moyens pacifiques : « Dieu veuille que les nostres succèdent en Lacadie avec moins de barbarie et de cruauté que les Castillans et Aragonois ont faict aux Indes. Pour le moins l'intention du Roy est telle... ». Décade de Legrain, p. 407.


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Qui a de ceci a de l'argent. De mines nous n'en vivons point, et tel souvent a belle mine, qui n 'a pas beau jeu. »

Les vues de Poutrincourt sont larges et nettes, bien qu'elles n'aient pas l'envergure qu'atteindront plus tard celles de Champlain.

De Monts devait bientôt ébaucher une première application de ces idées à l'île Sainte-Croix. Seulement, il devait le faire d'une façon hâtive, en accordant une trop large part au hasard et à l'incertitude, méprisant sur ce point l'avis de Champlain et surtout, il devait montrer, dans cette combinaison heureuse de l'implantation et du développement parallèles de l'agriculture et du commerce, une fâcheuse préférence pour les résultats présents. Il devait tourner en effet, toute son attention à la traite, en négligeant la culture des terres qui devait assurer l'avenir et la solidité de son établissement.

Du Pont-Gravé, à cette même époque, était entièrement occupé à réprimer le commerce illicite des pelleteries, en vertu de l'édit du Roi, à pratiquer lui-même les échanges au bénéfice de la Compagnie, ou à préparer de nouvelles reconnaissances des côtes du continent américain, dans l'espoir d'y découvrir des havres d'un abord plus facile, ou des terres plus fertiles.

Poutrincourt avait choisi un territoire pour un établissement agricole, il avait adopté une ligne de conduite définitive et élaboré des projets fixes, que Champlain, lui aussi, cherchait encore sa voie.


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L'illustre explorateur, hanté de rêves plus' grandioses, poursuivi par le besoin d'élargir encore les découvertes françaises, tâtonne, louvoie, et ne s'arrête nulle part. Il continue ses recherches, attiré par le grand fleuve Saint-Laurent que néglige Poutrincourt, et où il finit par amener de Monts et du Pont-Gravé. Ce n'est que plusieurs années plus tard (1608) que Champlain jettera les fondements de Québec, et, continuant ses investigations vers le Nord, franchira les rapides, découvrira des lacs, s'approchera de la baie d'Hudson (1610) et, ramenant ses regards vers le Sud, concevra enfin ce grand rêve qui fait que son auteur « dépasse, à nos yeux, la mesure ' d'un aventurier hardi et d'un explorateur sagace, pour atteindre celle d'un véritable homme d'État et d'un fondateur d'empire. »

Champlain voudra réunir en une seule domination, par l'intérieur des terres, les divers établissements fondés par les Français dans l'Amérique du Nord et faire communiquer par les lacs et les fleuves le Canada avec la Louisiane et la Floride. « Plan gigantesque » auquel il consacrera sa vie (1) ».

Poutrincourt voue la sienne à une tâche plus modeste, plus ingrate, mais non moins méritoire et non moins difficile. Il y consumera ses forces et y sacrifiera sa fortune.

(1) Champlain, par M. Hanotaux, Paris, Sansot, 1912, p. 41.


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De Monts et Poutrincourt quittèrent Port-Royal et, mettant le cap au Nord-Est, longeant la côte, traversèrent une première baie, puis arrivèrent au cap des deux Baies, où ils trouvèrent une mine de cuivre. Plus loin, ils découvrirent le port aux Mines.

Les aventuriers crurent y voir des diamants et emportèrent « certaines pierres bleues transparentes, lesquelles ne valent moins que turquoises. »

Ils abordèrent enfin à l'embouchure d'une rivière «des plus grandes et des plus profondes » qui, découverte le 24 Juin, fut nommée la rivière Saint-Jean, en l'honneur du patron de M. de Poutrincourt, mais que les sauvages appelaient Ouygoudy (1). Le navire s'arrêta enfin, à vingt-cinq lieues au delà de Port-Royal, dans une île d'excellente situation que de Monts baptisa «île SainteCroix» (2).

Le chef de la mission résolut d'y séjourner, tout en explorant les environs.

Nos navigateurs passèrent à une grande baie où venaient se jeter trois rivières dont la plus grande, tirant vers l'Occident, était celle des Etchemins. En traversant quelques terres, on arrivait par là dans la rivière de Norembègue. Le lieu était des plus beaux, et le sol bien disposé pour la culture.

(1) C'est la baie actuelle de Passamaquoddy.

(2) Aujourd'hui Dochet-Isle dans le Maine ; « peut-être corruption de l'île à Doucet i>, dit M. Emile Lauvrière;


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Pendant ces explorations, Champdoré fut envoyé en la baie Sainte-Marie, avec un maître de mines que Champlain appelle maître Simon, et quelques hommes, pour tirer du minerai d'argent et de fer, ce à quoi ils s'occupèrent. Un jour, en allant pêcher, ils eurent la surprise de rencontrer, errant à l'aventure sur le rivage, l'ecclésiastique parisien Nicolas Aubry, qui, naguère, s'était perdu dans la forêt. Depuis plusieurs semaines, il vivait en solitaire, mangeant les fruits des bois et buvant aux sources, souffrant les privations les plus dures avec une résignation et un esprit d'abstinence digne d'un homme d'église.

De Monts faisait travailler au fort de l'île Sainte-Croix, où il avait établi son quartier général.

A l'automne, il fut y loger, « sous une belle et artificielle charpente, avec la bannière de France au-dessus. »

Sous le fort, entre l'escarpe et la plateforme où l'on avait placé le canon, le terrain avait été disposé en jardinages.

Vis-à-vis du magasin, s'élevait le logis destiné aux sieurs d'Orville, Champlain et Pierre Angibaut de Champdoré, et autres notables personnages de l'expédition.

Quant à Poutrincourt, il n'avait fait ce voyage « avec quelques hommes de mise », comme dit Lescarbot, que « pour y marquer son logis et reconnaître une terre qui lui fut agréable... » et non point pour hiverner.


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Il avait choisi Port-Royal. Rien ne le retenait plus pour l'instant en Acadie (1). Il laissa donc ses armes et munitions de guerre en l'île Sainte-Croix, à la garde de Monts,«comme une arrhe et gage de la bonne volonté qu'il avait d'y retourner », puis, après un cordial et émouvant adieu à ses compagnons d'aventures, il se rembarqua avec les gens qu'il avait amenés.

De Monts eut soin de renvoyer à la Compagnie, sous la conduite de Poutrincourt, une cargaison de pelleteries. Ces fourrures, jointes à la prise des vaisseaux confisqués sur les trafiquants, constituaient des bénéfices appréciables pour les associés.

Poutrincourt emportait une impression satisfaisante des résultats du voyage.

Avant l'entreprise de de Monts, « nul de nos mariniers n'avait passé Tadoussac, fors le capitaine Cartier », — dit Lescarbot. Quant à la côte de la Nouvelle-France, « nul n'avoit passé la baye de Campseau avant ce voyage pour faire pêcherie. »

L'expédition venait de découvrir et d'explorer tout le littoral septentrional de l'Acadie, depuis

(1) Le P. de Charlevoix, dans son Histoire de la Nouvelle France (p. 120), dit que de Monts et Poutrincourt eurent tort de jeter leur dévolu sur Sainte-Croix et Port-Royal pour leurs premiers essais de colonisation. Ils auraient dû s'arrêter selon lui à Caaceaux. « C'est la tête de l'Acadie et le lieu le plus propre pour recevoir dans toutes les saisons les secours de France ».

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la baie des Iles jusqu'à Port-Royal, en traversant la baie Française pour aborder aux Mines, à l'embouchure de la rivière Saint-Jean et à l'île Sainte-Croix. Elle avait ainsi défilé devant les ,côtes où devaient s'élever plus tard les ports et villes d'Halifax, Liverpool, Schelburne, Yarmouth, Digby et Annapolis.


DE GUIBERMESNIL A LA ROCHELLE

1604-1606 I

RETOUR EN FRANCE.

La traversée ne se fit point sans qu'un bâtiment de si faible tonnage ne courût quelques périls.

De violentes tempêtes l'assaillirent.

Dans la Manche, cette « mer Egée de l'Occident », si dangereuse aux navigateurs égarés, il faillit se briser sur les rochers du Casquet, hideuses pointes de granit où la Blanche nef, dit-on, se perdit.

A trois lieues de ces récifs, le capitaine Thimothée se prit de discussion avec Rossignol sur la question de fixer le point exact où l'on était parvenu. L'un soutenait que l'on doublerait fort aisément les Casquets. L'autre affirmait le contraire et assurait qu'il fallait dériver sur la droite route pour passer au dessous de l'îlot.

Des brumes épaisses empêchaient de savoir l'heure du jour et de reconnaître s'il était èbe ou flot. On allait dans l'incertitude. Le roc surgit bientôt si près du navire qu'en raison de la vitesse où l'on était entraîné, le naufrage apparut imminent. Il n'était plus de doute possible : le bâtiment allait infailliblement se briser!


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Il y eut une seconde d'affolement : « Lors, chacun de prier Dieu et de demander pardon les uns aux autres. »

Mais ce vieil écumeur de Rossignol ne partageait point les louables préoccupations de l'équipage. Dans sa haine pour Thimothée, il oublia sa détresse et se rua, le couteau en main, sur le capitaine en criant : « Tu ne te contentes point de m'avoir ruiné, tu me veux encore ici faire perdre » ! Il fallut maîtriser ce forcené.

Le maître de navire terrorisé, abasourdi, était sans ressort et paralysé.

Quelques passagers avaient mis pourpoint bas, dans l'intention de se jeter à la mer et de se sauver en grimpant sur le rocher. « N'y a-t-il plus d'espoir, demanda Poutrincourt au gabier de hune. —Non ! répondit l'homme de mer. — Amenez les voiles !.. » commanda l'explorateur.

Le bloc de granit gigantesque et lisse était là tout proche, formidable! Le ressac était d'une violence inouïe, et quand la vague brisait contre cette solide muraille, un fracas sinistre se propageait aux alentours.

Aidé seulement de deux ou trois matelots, Poutrincourt se rappelant opportunément les notions de pilotage qu'il avait acquises autrefois sur la côte de Picardie, abattit la voilure, au moment même où il ne restait plus entre le roc et le navire que l'exacte distance et la profondeur


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permettant encore de virer... Cette manoeuvre suivie d'un coup de barre vigoureux imprima au bâtiment un redressement inattendu. Il fut ainsi miraculeusement détourné du péril.

Quelques heures plus tard, en approchant de la roche nommée le Nid de l'Aigle, que les navigateurs avaient prise pour un navire, « ils Guidèrent l'aller aborder parmi l'obscurité des brumes. »

Enfin, le ciel s'éclaircit, le soleil se leva et la terre apparut. Les aventuriers, qui avaient failli s'égarer, coururent des bordées, vent debout, à l'abri de la côte, et arrivèrent sains et saufs au port.

Poutrincourt regagna immédiatement la Picardie.

De nombreuses et pressantes affaires le rappelaient au manoir de Guibermesnil. Il avait quelques procès en cours, comme c'était l'usage général, et Dieu sait si ces différends, avec les moeurs judiciaires du temps, étaient longs à régler ! Sa présence était requise par les procureurs et gens de chicane, pour la poursuite de ses intérêts selon les formes et règles sacro-saintes de la procédure.

En arrivant, il apprit qu'il avait « esprouvé la malice de certains qui le poursuivaient rigoureusement absent ». Mais ces adversaires sans scrupule devaient bientôt adopter une attitude entièrement opposée, c'est-à-dire plus conciliatrice. « Ils devinrent souples et muets à son retour »


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constate philosophiquement Lescarbot, trop familier avec les habitudes du palais, pour s'étonner outre mesure de ces revirements. (1)

Poutrincourt venait de vivre sous de lointaines latitudes, devant des horizons immenses. Il avait vu défiler sous ses yeux, comme dans un monde irréel, des territoires sans borne et sans possesseur, des domaines merveilleux sans seigneur et sans tenancier. Il ne lui était plus possible

(1) Les premières hostilités s'engageaient alors entre les commandeurs de Saint-Maulvis et la famille de Biencourt au sujet de leurs droits respectifs en cette paroisse. Vieille et tenace affaire qui avait déjà nécessité des sentences et arrêts les 18 Septembre 1427, 1er Septembre 1582 et 26 Janvier 1585, et qui ne reçut une solution que le 6 Mars 1606, en attendant la sentence définitive du Parlement de Paris qui devait mettre un terme à ces discussions le 10 Février 1700.

Il est à noter que Jean de Poutrincourt ne partit pour une nouvelle expédition qu'après avoir assisté au dénouement provisoire d'une affaire qui intéressait les prérogatives les plus chères de sa famille. Le droit d'établir une litre ou ceinture funèbre au dedans et au dehors de l'église où existait leur sépulture de famille, leur était contesté. Plus tard, cette litre et les armes de Biencourt durent être grattées. Bibliothèque d'Amiens, Histoire, 3594, n° 38.

On sait que l'église de Saint-Maulvis s'écroula en 1845. La société des Antiquaires de Picardie déplora cette perte sous le rapport historique, nomma une commission pour visiter les ruines et émit le voeu qu'elle fût reconstruite sur le plan ancien et en style ogival. Bulletin de la Société, t. II, pp. 249, 252 et 262.

En même temps que son oncle, Philippe de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, plaidait devant la sénéchaussée de Ponthieu. C'était contre les créanciers de son père pour obtenir la levée de la saisie des terres de Fresneviîle et d'Epaumesnil. (Sentence de Mars 1606).


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d'entrer sérieusement, avec les procureurs et avocats de son bailliage et des bailliages voisins, dans l'examen des étroites et mesquines questions qui le divisaient d'avec ses adversaires. Les limites d'un fief, d'un dixmage ou d'un champ, les obligations d'un censitaire, les dommages causés par un voisin sur ses héritages, des droits de préséance, telle était la matière ordinaire de ces coûteuses actions en justice. Elles n'apparaissaient déjà plus, à l'explorateur de la Nouvelle-France, que comme d'indignes sujets de discorde.

Ses visites aux temples de Thémis ne furent cependant point sans profit pour l'oeuvre qui occupait toute sa pensée. Dans les couloirs du Palais où se cuisinaient, avec une inviolable routine, les décisions et sentences qui ruinaient les plaideurs déterminés, il parla de son voyage et de ses découvertes. Son éloquence fut si entraînante et si persuasive, qu'il sut communiquer la fièvre des aventures et le frisson délicieux du danger à courir aux plus pacifiques des hommes de basoche. Prodige incroj'able ! Son zèle d'apôtre pour le peuplement de la Nouvelle-France s'exerça avec assez d'efficacité dans les salles d'auditoires pour y susciter des vocations inattendues.

C'est dans ce milieu paisible et terre-à-terre qu'il recruta un adhérent de marque pour son plus prochain voyage au Canada, en la personne d'un jeune avocat de talent, originaire de l'autre extrémité de la Picardie, du nom de Lesearbot.


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Un ami de ce dernier, Jean de la Rocque, licencié es lois, et son frère cadet, Antoine de la Rocque, seigneur du Tronquoy, manifestèrent l'intention de partir aussi pour l'Acadie, ou tout au moins d'y envoyer des hommes et réclamèrent des territoires pour les peupler. Les notaires Philippe Vauquet et Jacques Durot, d'Oisemont, où était le siège de la prévôté de Vimeu, bourg où habitaient les frères de la Rocque, les procureurs Jean Vauquet et Despréaulx, écoutaient Poutrincourt d'une oreille complaisante. Ce n'était pas la première fois, à la vérité, qu'on voyait fleurir dans la basoche et dans le barreau le zèle de l'exploration aventureuse, mais il fallait en chercher les exemples dans l'histoire espagnole, avec l'ancien notaire Rodrigo de Bastide, qui découvrit le Cap de la Vêla, et l'avocat Martin-Fernandez de Enciso, qui fut l'un des plus fidèles lieutenants d'Alonzo de Ojeda.

Peu après, Poutrincourt fut reçu par Henri IV.

Très entouré au Louvre et dans les appartements de Leurs Majestés, le gentilhomme picard dut tenir tête à d'innombrables curieux et faire face à de déconcertants interrogatoires.

Un ecclésiastique zélé lui demanda, entre autres choses, « ce qui se pourroit bien espérer de la conversion des peuples de la Nouvelle-France, et s'ils étoient en grand nombre ». Poutrincourt répondit évasivement, « mettant un nombre certain pour un incertain ».


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— Il y aurait, dit-il, le moyen facile « d'acquérir cent mille âmes à Jésus-Christ ».

— N'y a-t-il donc que cela ?.. demanda l'homme d'église déçu.

Poutrincourt en resta confondu. « N'y en auraitil que centième partie, disait-il à Lescarbot en lui narrant cette histoire, voire encore moins, qu'on ne devroit point la laisser perdre. Le bon Pasteur ayant d'entre cent brebis une égarée, laissa les nonante-neuf, pour aller chercher la centième... »

Le gentilhomme exposa à Sa Majesté les résultats de son exploration ; il lui fit le tableau du PortRoyal et de ses environs, en même temps qu'il lui confiait ses projets et ses espérances.

Le Roi, dont le regard embrassait l'avenir avec la sagacité et la largeur de vues d'un véritable homme d'État, suivait favorablement ces coups de sonde des voyageurs dans l'inconnu Canadien. Il interrogea le capitaine sur le commerce de pelleteries de Tadoussac, sur la surveillance qu'exerçait de Monts sur les côtes de Terre-Neuve et du cap Canseau, où les Bretons, les Normands et les Basques faisaient la traite des peaux et la pêche de la morue. Déjà, quelques plaintes étaient parvenues à Sa Majesté sur les incommodités qu'y rencontraient les pêcheurs. « L'envie et les crieries . ne cessent point — dit Champlain à ce sujet. Il ne manque en cour de personnes qui promettent que pour une somme de deniers l'on feroit casser la commission de de Monts ».


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La bienveillance d'Henri IV était détournée des entreprises du lieutenant-général en NouvelleFrance, « par quelques personnages qui estoient en crédit, qui avoient promis d'entretenir trois cents hommes audit pays. » Les prodromes d'un orage s'amoncelaient ; l'explorateur avait des envieux qui prétendaient mieux faire et qui circonvenaient Sa Majesté. Ces difficultés, s'ajoutant aux obstacles rencontrés dans l'ordre pratique, créaient une atmosphère défavorable autour de ces entreprises. Il fallait une foi inébranlable pour engager des fonds dans ces voyages. Ceux qui le faisaient étaient taxés de folie ; le Canada était « très décrié ». Lescarbot ne cesse de le répéter. Les tentatives de colonisation sur ce sol ingrat, sous ce climat âpre et dur, paraissaient irrémédiablement vouées à l'insuccès.

En attendant, on entravait le commerce de de Monts par de mesquines tracasseries. Les pelleteries débarquées à Saint-Malo avaient aussitôt « faict voicture » pour la ville de Paris, mais une sentence du maître des ports au bureau de Caen, du 13 Novembre 1604 avait prononcé la confiscation de ces marchandises, attendu que les droits n'avaient pas été payés. Un certain François Busse, garde à cheval des traites foraines, arrêta les charrettes à Condé-sur-Noireau et saisit les peaux de castors. Charles du Han, adjudicataire des cinq grosses fermes du royaume intervint. De Monts, resté en Acadie, n'eut d'autre interprête auprès


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de Sa Majesté, pour se plaindre de ces vexations, que Poutrincourt. Ses associés appelèrent de la sentence de Caen devant le Conseil d'État (1).

Au mois de Novembre qui suivit son retour en France, Poutrincourt assista au mariage de sa nièce Louise, fille aînée de son frère Jacques, avec Thésus de Belloy, écuyer, gentilhomme ordinaire de la Chambre, capitaine de cent hommes de pied au régiment de Navarre (2).

Le marié était fils de Jean de Belloy, seigneur de Rogean, Saint-Martin, Maineville, Dompierre, etc., chevalier de l'Ordre, conseiller et maître d'hôtel de Sa Majesté, gouverneur des ville et château du Crotoy, et de Louise Héroult. Jean de Belloy avait joué un certain rôle dans le Ponthieu durant les guerres de la Ligue. Absent de la forteresse du Crotoy en 1589, il y fut énergiquement suppléé par sa femme qui, menacée dans son gouvernement, refusa l'offre des maïeur et échevins d'Abbeville de se réfugier en cette ville avec ses enfants (3).

Jean de Poutrincourt, heureux de reprendre contact avec sa famille, trouva, le 23 Novembre, au manoir de Saint-Maulvis, nombreuse et brillante

(1) B. N. Manuscrits français, 12. 168, f° 12 r° et 230 r°.

(2) Louise de Biencourt mourut à Paris, âgée de 42 ans, en 1626, et fut inhumée le 23 Janvier, en la paroisse Saint-Nicolas des Champs. Cabinet des Titres. Pièces originales. Biencourt f° 148.

(3) BELLEVAL, Fiefs et seigneuries, p. 159. PRAROND, La Ligue à Abbeville, t. II, pp. 35 à 37.


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assistance. Il espérait exercer fructueusement son prosélytisme de colonisateur parmi cette noblesse brave et peu fortunée. Dans le grand salon, dont Renée de Famechon faisait les honneurs avec la politesse un peu surannée d'une douairière de Normandie respectueuse des prescriptions de la Civile honnesteté de son compatriote Mathurin Cordier, il rencontra autour du tabellion qui rédigeait méticuleusement les clauses et conventions matrimoniales, les deux frères de Louise de Biencourt, Philippe et Charles, messires Jean de Belloy, père du marié, Louis de Belloy son frère, gentilhomme servant de la reine Marie de Médicis, maître d'hôtel de Sa Majesté (1), Antoine de SaintQuentin, écuyer, seigneur de Soing (2), capitaine de cent hommes de pied au régiment de Picardie, Noël de Postel, écuyer, seigneur du Maisnil (3)

(1) Sur les fonctions de gentilhomme servant de la Reine, voir L. Batiffol, La Vie intime d'une Reine de France, pp. 154 à 156.

(2) Antoine et Jacques de Saint-Quentin demeuraient à Soing, et Didier de Saint-Quentin à Yironchaux, prévôté de Saint-Riquier. Mariage de Didier, Arclnves départ, de la Somme, B. 7S, f° CXV.

(3) Noël de Postel, écuyer, seigneur du Mesnil, allié à Françoise Bauquet, (ou Wauquet ?), père de Françoise, qui épousa, vers 1635, Jean Lallemant, lieutenant de la châtellenie de SaintYalery. La Gorgue-Rosny (Recherches généalogiques), le dit parent (peut-être père ou frère) de Philippe Postel, écuyer, seigneur du Mesnil et d'Ainval les Sénarpont, époux de Louise de Blottefière de Froyelles. Ces Postel, alliés aux Blottefîère, étaient de la famille des maïeurs d'Ahbeville ; Voir Nobiliaire de Ponthieu et de Viineu et Grand nobiliaire de Picardie.


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Jacques de Ribeaucourt, seigneur du Quesnoysous-Vauchelle (1), Etienne de Cresmelle, écuyer, seigneur du Gas, Antoine de Bérard, écuyer, seigneur de Ferrières, Jacques le Grand, écuyer, sieur des Masures (2), et, parmi les gens de robe, Christophe Despréaulx, d'abord procureur, puis lieutenant particulier en la prévôté de Vimeu (3), plus tard

(1) Jacques de Ribeaucourt, seigneur du Quesnoy, de Morival et de Famechon, devint plus tard le beau-frère d'Antoine de Saint-Quentin ci-dessus nommé. Ce dernier épousa, en 1614, la lille de Charles de Grambus, seigneur d'Yvrencheux, et de Françoise de Saint-Simon, qui se trouvait veuve en premières noces de François Mourette, avocat du Roi.

Jacques de Ribeaucourt, marié à Marie de Grambus, vers 1625, fut tué au siège de Hesdin, en 1639, en même temps que son frère François, et son neveu de Relleval, époux de Marguerite de Ribeaucourt, qui elle-même fut blessée d'un coup de pistolet à l'épaule, en se jetant devant son mari menacé par trois mousquetaires. Cette dame avait pris part aux opérations du siège vêtue en homme.

(2) On lit Masues. Un extrait de cet acte, dans les Carrés d'Hozier, 9, 2, f° 150, porte Maslèves. Les Le Grand, seigneur des Masures étaient des gentilshommes du Beauvaisis. Voir Notes pour le Nobiliaire du Beauvaisis, par le Dr Leblond, dans les Mémoires de la Société Académique de l'Oise, t. II, p. 837. Voir l'aveu et dénombrement « que faict et baille Jacques Le Grand, escuyer, sieur des Masures et de vergies en partie au greffe du bailliage d'Amiens » d' « ung Certain noble fief scitué aud. Vergies qui se consiste en un manoir, heu pourpris et ténement », relevant de la seigneurie de Quesnoy sous Airaines. Du 20 Mars 1601. Archives départementales. B. 349.

(3) LA GORGUE-ROSN'V, Recherches généalogiques, et de BELLEVAL, Chronologie d'Abbeville, p. 290 N.


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bailli de Tours-en-Vimeu, Jean Vaucquet, procureur de la même prévôté (1).

Jean de Poutrincourt narra, comme on s'en doute, tous les détails de son expédition en Acadie. Ses projets de colonisation excitaient une vive curiosité. Ce captivant sujet de conversation émerveilla sans les convaincre les convives du festin de noces. Les tranquilles gentilshommes campagnards considéraient ces voyages de leur aventureux compatriote au delà de l'Atlantique, dans les pajrs inconnus et sauvages, comme une admirable, mais dangereuse lubie.

L'année 1605 s'écoula sans que Poutrincourt put trouver une occasion propice pour retourner en Acadie.

En Janvier, un arrêt du Conseil d'État donna à de Monts pleine et entière mainlevée des vingtdeux balles de castors saisies par François Busse et autres officiers des traites. Le 31 Mars, l'explorateur obtint aussi un arrêt lui accordant mainlevée des marchandises et des balles saisies au bureau

(1) Contrat de mariage pardevant Philippe Vaucquet et Jacques Durot, notaires à Oisemont, passé à Saint-Maulvis, le 23 Novembre 1604. De Belleval le date à tort du 28. Nobiliaire, col. 161. Jean de Poutrincourt y est qualifié seigneur de Guibermesnil et de Marcilly, avec l'indication <- demeurant audict Guibermesnil ». Archives départementales de la Somme. B. 75, Registre. Autre copie, B. 644. On en trouve un extrait dans les Carrés d'Hozier, 92, f° 150.


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d'Avranches, mais « en payant les droits accoutumez » (1).

Au début de l'année 1606, Poutrincourt reçut un exprès de de Monts, rentré depuis peu en France avec son secrétaire, Jean Ralluau (2), lui offrant la lieutenance du gouvernement général aux pays, territoires, côtés et confins de l'Acadie. Il accepta, et fut pourvu de cette charge le 25 Février 1606 (3).

Cependant, un nouveau voyage se préparait.

Poutrincourt quitte avec regret son foyer illuminé par le joyeux rayonnement d'une nouvelle naissance, fâché d'une absence qui devait le priver des premiers sourires de sa fille Claude, et partit pour Paris. Il fut reçu, avec de Monts, par Henri IV qui voulut avoir de nouveaux détails sur l'expédition.

M. de Biencourt offrit au Roi une des pierres précieuses découvertes par Champdoré, et qu'il avait fait tailler et enchâsser. L'orfèvre qui s'était livré à ce travail indispensable avait évalué cette turquoise à quinze écus. De Monts présenta à la Reine une pierre toute pareille. Elles « furent fort

(1) Arrêt du Conseil du 20 Janvier 1605. Archives nationales, E 8a, f° 38 r°, et B. N. Manuscrits français, 18.168, f°s 12 r° et 230 r°.

(2) M. Ch. de Beaurepaire pense que l'explorateur fit la traversée à bord d'un navire hollandais.

(3) Il succédait à du Pont-Gravé, nommé au mois de Septembre précédent. Voir le P. G. FOURNIER, Hydrographie, Provisions de Canadas, Paris 1667, p. 255.


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bien reçues », non point tant pour leur valeur intrinsèque toute modeste, que pour leur lointaine origine et pour les espérances que ces trouvailles laissaient concevoir d'un pays si fortuné.

De Monts dut avouer que de cruelles déceptions l'avaient accablé durant l'hiver 1604-1605, à l'île Sainte-Croix.

Une neige de trois pieds de haut avait couvert le sol pendant cinq mois consécutifs. Le froid avait été si vif que le cidre et l'eau avaient gelé dans les tonneaux. Or, on n'avait pu découvrir dans l'île ni eau douce ni bois de chauffage. Trentesix colons atteints du scorbut, avaient succombé, l'effectif de la colonie s'était ainsi trouvé réduit de près d'un tiers (1).

De Monts avait employé le printemps de 1605 à explorer le rivage du pa3rs des Etchemins, situé plus au midi, dans l'espoir d'y trouver un port sous un climat plus clément. Ce voyage de découverte, mené au hasard et en hâte, n'avait point donné de résultats satisfaisants. Le gouverneur avait dû rentrer à Sainte-Croix, épuisé de fatigue, sans vivres, et avec la désolante perspective de retourner en France sur les bateaux pêcheurs du banc de Terre-Neuve.

L'arrivée de du Pont-Gravé, venant de Honfleur avec des vivres et du renfort l'avait tiré de cette

(1) De Monts avait élu domicile à Sainte-Croix avec centvingt hommes. M. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine, t. IV, p. 321.


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situation désastreuse. Il avait alors décidé de transporter l'habitation des Français sur le territoire de Port-Royal, malgré l'attribution qui en avait été faite à Poutrincourt, mais en réservant entièrement les droits du gentilhomme picard sur cette partie de l'Acadie. Son but principal avait été de fixer la colonie ambulante dans un site plus favorable. Il reconnaissait ainsi la supériorité du choix fait par Poutrincourt, mais il craignait, malgré cela, que le climat ne fut encore trop rude.

En son absence, les colons, sous la direction méthodique de du Pont-Gravé et de Champlain, avaient dû commencer à construire des habitations. On allait donc trouver à Port-Royal un aménagement assez confortable en bonne voie d'achèvement, La face des choses était avantageusement changée (1).

(1) L'Histoire de la Nouvelle France, par le P. de Charlevoix, estimée à juste titre, est souvent consultée et utilisée avec fruit. On sait que Chateaubriand lui a fait l'honneur de lui emprunter plusieurs de ses pages et de les transposer dans le Voyage en Amérique, les donnant ainsi comme le récit d'aventures personnellement vécues. Voir le Livre des Plagiats de M. Georges Maure vert. Quoiqu'il en soit, cet estimable ouvrage fourmille d'erreurs de détail. Ainsi, le P. de Charlevoix dit qu'en 1604, «l'automne approchant, M. de Monts passa en France». Il ajoute : «Il ne perdit point courage et fit un nouveau traité avec M. de Poutrincourt qui l'avait suivi en France. ». Page 118. C'est tout le contraire. Poutrincourt l'y avait précédé, et de Monts passa en Nouvelle France l'hiver 1604-1605.

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Le zèle de Poutrincourt n'avait nul besoin de cette peinture flattée pour être stimulé.

Cependant, le temps pressait. De Monts parlait déjà de partir sans donner à Poutrincourt « le loisir de pourvoir à ce qui estoit nécessaire ».

Le seigneur de Guibermesnil se souvint du jeune avocat de Vervins à qui il avait fait entrevoir, plusieurs années auparavant, tous les charmes d'un voyage en Amérique du Nord. Il tenait essentiellement à emmener Lescarbot, non point pour initier les indigènes aux beautés de la procédure française, certes ! non pour peupler la Nouvelle France d'avocassiers ainsi que l'était l'Afrique ancienne au dire de Juvénal, encore moins pour inculquer aux sauvages l'amour du pompeux alexandrin, attendu que, suivant l'opinion assez risquée de Malherbe, un poète ne rend point plus de services à l'État qu'un joueur de flûte, mais parce qu'il avait deviné, en cette recrue, un esprit réfléchi, scientifique et expérimenté. II savait qu'il n'était point suffisant d'amener des bras en Acadie ; il fallait aussi des cerveaux organisateurs.

« Il me demanda, dit Lescarbot, si je voulais être de la partie. A quoy je demandai un jour de terme pour lui répondre. »

Lescarbot avait été victime de l'incapacité ou de la vénalité de quelques juges. Il en avait gardé une sourde rancune contre les gens du Palais. « Désireux, dit-il encore, non tant de voir le païs...


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que de fuir un monde corrompu, je luy donnay parole » (1).

Poutrincourt le fit renoncer au barreau et le prit pour secrétaire.

II MARC LESCARBOT.

Marc Lescarbot, seigneur de Wiencourt et de Saint-Audebert du Presle (2) en Soissonnais, était avocat au Parlement.

Né à Vervins entre 1570 et 1575 (3), il possédait, comme il a été dit plus haut, quelques amitiés dans le Vimeu, notamment à Oisemont, c'est-àdire aux environs de Guibermesnil,. résidence ordinaire de Jean de Poutrincourt. Il était intimement lié avec Jean de la Rocque et avec Antoine de la Rocque, son frère, d'abord domicilié à Oisemont, puis bourgeois et marchand à SaintValery, qui s'intéressaient tous deux aux voyages et découvertes en Nouvelle-France.

(1) On a attribué à de Monts le mérite d'avoir déterminé la vocation d'explorateur de Lescarbot. Mais c'est incontestablement à Poutrincourt qu'il revient, puisque l'auteur de l'Histoire de la Nouvelle France le déclare lui-même.

(2) Hameau de Presles-et-Boves, aujourd'hui canton de Braisne, arrondissement de Soissons.

(3) Notice biographique d'Arthur Demarsy, publiée en 1868 à Compiègne, citée par Noël.


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L'idée colonisatrice rayonnait en plein Vimeu, autour d'Oisemont, capitale judiciaire de ce coin de Picardie. Les frères de la Rocque appartenaient, suivant leurs dires, à la famille de François de la Rocque, sire de Roberval, appelé par François Ier, — assure-t-on — le petit Roi du Vimeu, parti en 1541 avec cinq vaisseaux pour le Canada. Ils avaient retenu des domaines en Acadie, mais trouvèrent des raisons plausibles pour ajourner leur départ. L'un fut prévôt du Vimeu et l'autre se maria à Saint-Valéry, où il devint l'un de ces actifs marchands merciers qui détaillaient en cette ville les multiples denrées exotiques qu'apportaient les navires fréquentant ce havre (1).

(1) Jean de la Rocque, écuyer, licencié es lois, précepteur d'Henri de Valois comte de Lauragais, prévôt de Vimeu, du 9 Mai 1608 au 28 Avril 1636, d'après de Belleval, allié à Marguerite Mourette, fille de Thibaut Mourette, sieur de Saint-Eloi et des Planches, et de Jossine Le Boucher de Monval et de Frireules, était le frère aîné d'Antoine, écuyer, sieur du Tronquoy et du Bus-lez-Catigny, maïeur de Saint-Valéry en 1627, 1629 et 1632. Tous deux étaient fils de Pierre, homme d'armes des ordonnances du Roi et de Jeanne Libaulde, et petits-fils de Robert, dit Robinet, centenier de la légion de Picardie, allié à Hélène Le Francq. Ces de la Rocque, originaires du Vimeu, descendaient, d'après une généalogie de dom Grenier rapportée par La Gorgue-Rosny, de Baudoin, gouverneur du château de Reimbehen vers 1260, dont il soutint le siège contre les Anglais, et d'Antoinette de Moyenneville.

Les deux frères possédaient des domaines à Nibas, à Wailly et à Ochancourt, qu'ils partagèrent le 30 Mars 1615. Leur frère aîné, Roland, homme d'armes des ordonnances du Roi, mort en 1597, n'avait laissé de son mariage avec Antoinette Baude, demoiselle de la Croix, qu'une fille unique, Nicole, dont les biens étaient administrés « par les sieur et damoiselle de Hardenthum ». En effet, la v^uve de Roland de la Rocque s'était remariée à Pierre d'Anvin de Hardenthun, seigneur d'Ochan-


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Lescarbot tint bon. Il fut le compagnon fidèle de Poutrincourt en cette expédition de 1606-1607 ; il le seconda dans la fondation de sa colonie et se passionna, à partir de cette époque, pour les

court. (La Gorgue-Rosny dit à tort que Roland eut trois fils, morts sans alliance).

Le prévôt du Vimeu, qui habitait Oisemont, paroisse SaintMartin, visitait souvent son frère Antoine, maïeur de SaintValery. Il assista au mariage du dit Antoine avec Jacqueline Le Boeuf, veuve de Guillaume de Flocques, fille de feu Jacques et de Jacqueline Gorré, laquelle avait épousé en secondes noces Philippe de la Croix, archer des ordonnances du Roi. Le mariage d'Antoine eut lieu le 19 Juillet 1609. Minutes de Me de Camyes, notaire, cote 48, et Archives départementales de la Somme, E. 497.

La Gorgue-Rosny avance, mais sans preuve, que François de la Rocque, sire de Roberval, le voyageur de 1541, appartenait à cette famille. Lescarbot (chap. XXX, p. 410) le dit « gentilhomme du païs de Vimeu en Picardie, et le P. Fournier, (Hydrographie, éd. 1667, p. 246), le donne pour « gentilhomme picard». Cependant, Jean François de la Rocque semble bien appartenir « à une grande famille de Languedoc ». Abbé E. MOREL, Jean-François de la Rocque, seigneur de Roberval, Paris, Ernest Leroux, 1893, extrait du Bulletin de géographie historique et descriptive, 1892. L'auteur cependant, n'ose nier absolument la naissance de son héros en Picardie. Il dit textuellement : « J. F. de la Rocque aurait pu tout aussi bien naître en Languedoc. Son père n'était-il pas connétable de Carcassonne ? »

Faut-il ajouter créance au dire de La Gorgue-Rosny qui n'a fait, du reste, que rapporter l'opinion de plusieurs autres auteurs, et faut-il voir réellement dans cette parenté problématique l'origine des projets de colonisation des deux frères ? Lescarbot donna plus tard le nom du prévôt de Vimeu à une terre d'Acadie, voisine de Port-Royal. «J'ay appelé ce heu le Mont de la Roque, au pourtraict que j'ay faict du Port Royal en mon histoire, en faveur d'un mien amy nommé de la Roque, prévôt de Vimeu en Picardie, qui désiroit prendre là une terre et y envoyer des hommes ».


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voyages. « Il animoit les uns, il picquoit les autres d'honneur, dit le P. de Charlevoix ; il se faisoit aimer de tous, et ne s'épargnoit lui-même en rien. Il inventoit tous les jours quelque chose de nouveau pour l'utilité publique, et jamais on ne comprit mieux de quelle ressource peut-être, dans un nouvel établissement, un esprit cultivé par l'étude, que le zèle de l'État engage à se servir de ses connoissances et de ses réflexions. » Le premier, il étudia l'histoire naturelle de FAcadie, les moeurs, les croyances et le langage de ses habitants.

Lescarbot se fit l'annaliste des découvertes et des efforts de son protecteur et ami. Il nous a laissé, entre autres ouvrages, l'Histoire de la Nouvelle-France, contenant les navigations, découvertes et habitations faites par les Français es Indes occidentales, et les Muses de la Nouvelle-France. Son ouvrage principal, moins technique, moins précis sur les questions maritimes, hydrographiques et géographiques que les Voyages de Champlain, est d'un style plus clair, plus vivant, plus animé, malgré quelques passages diffus (1).

(1) Le lieutenant de vaisseau Noël a consacré à Lescarbot une notice intéressante dans le Bulletin de la Société Archéologique de Venins, tome Ier, p. 46.

Nous ne rapporterons pas ici la nomenclature des ouvrages de Lescarbot, mais nous accorderons quelque attention à ceux qui concernent la Nouvelle France.

Son troisième ouvrage est l'Histoire de la Nouvelle France.

« Le privilège accordé pour cette impression est du 27 Novembre 1608. On en connaît trois éditions.


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Poutrincourt donna rendez-vous à Lescarbot chez les sieurs Macain et Georges, marchands de La Rochelle, associés de de Monts, qui fournissaient l'équipage. Il partit pour cette ville en emmenant

« 1° Paris. — Jean Millot, 1609, petit in-8°.

« 2° Paris. — Jean Millot, 1611, et quelquefois 1612.

« 3° Paris. — Adrian Périer, 1618, alias 1617, même format

avec cartes.

« C'est la seconde édition de cet ouvrage qui a été réimprimée par la librairie Tross, à Paris, en 1866.

« Le recueil de vers intitulé Muses de la Nouvelle France et placé à la fin de l'ouvrage a été composé pendant son voyage en Amérique.

« Pierre Erondelle a donné en 1609, l'année même de sa publication en France, une traduction anglaise de cet ouvrage sous le titre de Nova Francia, or the description of thaï part of New France, which is one continent with Virginia. — London, G. Bishop, 1609.

« En outre, on a publié un extrait de l'ouvrage traduit en allemand, sous le titre : Nova Francia. History von erfûndung.

« Son quatrième ouvrage est de l'année suivante, 1610. II est intitulé : La conversion des Sauvages qui ont été baptisés en la Nouvelle France, cette année 1610, avec un récit du voyage du sieur de Poutrincourt. Paris, chez Jean Millot. Sans date, in-8°.

« En 1612, il publia la Relation dernière de ce qui s'est passe au voyage du sieur de Poutrincourt en la Nouvelle France depuis 20 mois en deçà, par Marc Lescarbot, advocat en Parlement. Paris. Jean Millot, M DC XII, in-4°. Cet ouvrage se rapporte à la fois aux deux précédents, et n'est, à proprement parler, que le récit détaillé du troisième voyage du sieur de Poutrincourt, dont le chapitre V du livre Vme de l'Histoire de la Nouvelle France ne nous donne qu'un léger aperçu. De plus, il doit faire suite à la Conversion des Sauvages, car la pagination commence à la page 379 ».

Cet ouvrage a été reproduit par L. Cimber et F. Danjou, dans Archives curieuses de l'Histoire de France, lre série, t. V, pp. 380 à 406. Il a été réimprimé tout récemment.

M. Ed. Piette a ajouté, en 1876, à la bibliographie dressée par M. Noël, un numéro, Bulletin de la Société archéologique de Vervins, t. IV, p. 25.


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des ouvriers nombreux, choisis avec soin, car « souz le nom de Poutrincourt, il se trouvoit plus de gens qu'on ne vouloit. »

D'autres ouvrages ou opuscules de Lescarbot ont échappé aux recherches des érudits de la Thiérache. Il sera parlé plus loin de sa traduction de saint Charles Borromée. Lescarbot dit. lui-même qu'il publia en arrivant à La Rochelle, sa poésie Adieux à la France. Louandre, dans sa Biographie d'Abbeville, p. 278, cite encore, entre autres : Lettre missive touchant la conversion du grand Sagamos de la Nouvelle France, sans date et sans nom d'éditeur.

A ajouter également : « La deffaite des sauvages Armouchiquois par le Sagamos Membertou. Paris, 1607 ».

M. Séraphin Marion, dans ses Relations des Voyageurs français en Nouvelle France, p. 16, dit que les Mémoires personnels de Lescarbot restent sans grande valeur en comparaison des exactes contributions de Champlain et des missionnaires Jésuites. Cette remarque doit s'appliquer surtout aux sujets abordés par Lescarbot depuis le voyage de Verrazzani jusqu'à ceux de Roberval et de La Roche. Elle convient moins au voyage de 1606, auquel Lescarbot prit part. Quant au récit qu'il a donné des voyages postérieurs, jusqu'à 1610, M. Marion les juge « confus ». Une analyse soigneuse permet cependant d'en tirer d'excellents renseignements. « Il ne travaillait guère que sur des correspondances des fondateurs et sur des confidences orales, parfois inexactes », dit-il. Relations, p. 33. Lescarbot tirait directement ses renseignements de Poutrincourt. Il est le seul à donner le texte intégral de la lettre adressée au Saint-Père en 1607 et différentes autres précisions à retenir. Il est le seul à fixer exactement la date du retour en France de Poutrincourt en 1611, etc., etc.. Le jugement de M. Séraphin Marion s'éloigne considérablement de celui de Noël, peut-être trop favorable : C'est par le tableau qu'il a tracé de la vie des peuplades indiennes « qu'on peut juger de la finesse d'observation et de la pénétration d'esprit » de Lescarbot. « Rien n'a échappé à ce pinceau si vif, si élégant, si français et si chrétien ». Il ajoute encore : « Tout ici est plein de renseignements précieux, marqués au sceau de la plus parfaite véracité. A la lecture de ce Kvre net, précis, naïf et quelquefois un peu crû, on goûte un charme puissant et qui captive les plus indifférents ».


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Lescarbot n'eut garde d'oublier le départ. Trois ou quatre jours plus tard, c'est-à-dire le VendrediSaint, il s'achemina à son tour vers Orléans, où il remplit, le dimanche, le devoir pascal, et il arriva à La Rochelle le 3 Avril 1606. Voyage long et pénible, que le charme des sites traversés ne parvint pas à embellir, mais qui, fait de compagnie, aurait pu avoir plus d'agréments. L'imagination de l'explorateur, celle plus vagabonde encore du poète, ne pouvaient plus se contenter déjà de ce pittoresque trop familier. Poutrincourt avait communiqué à l'homme de loi tout son enthousiasme, toute sa foi dans l'avenir de la Nouvelle-France.

Le jeune avocat allait quitter pour la première fois la mère patrie. Il avait espéré trouver dans l'éloignement comme un adoucissement à ses déceptions, à ses rancoeurs. Ce bon Français avait compté sans l'amour du sol natal qui couvait obscurément en lui, et qui, subitement, étouffa les ferments de désaffection que ses déboires y avaient parallèlement développés. La vue de l'Océan qu'il allait franchir le transporta d'émotion. A l'idée de laisser la France, son coeur filial éclata: «Bel oeil de l'univers, ancienne nourrice des lettres et des arts, secours des affligés, ferme appui de la religion chrétienne, très chère mère !.. », tels sont les mots qu'il trouva pour invoquer la patrie !

Un touchant et sincère adieu sort de sa plume de poète. Il l'écrit avec attendrissement, mais.


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aussi avec la sobriété et la coupe savante d'un disciple de Malherbe qui n'aurait pas entièrement rompu avec le dévergondage capricieux et abandonné de la pleïade qui, sans doute, avait charmé sa jeunesse d'étudiant, car il se laisse parfois entraîner à des négligences qui le rattachent aux rimeurs du temps de Ronsard, dont il a aussi les qualités lyriques ; il ne proscrit point, hélas ! le désagréable hiatus qu'avait rigoureusement conr damné le poète officiel d'Henri IV.

Lescarbot parle la langue du xvie siècle, . en arborant comme un étendard la marque latine originelle — car c'est un humaniste qui lit le latin, le grec et l'hébreu — mais il ne cherche point à l'enrichir de ces mots savants et étrangers qu'il aurait pu puiser dans sa vaste érudition, et qu'aimaient à employer les admirateurs de la Franciade.

Son Ode rend un rapide hommage à de Monts, mais ne tarit point de louanges quand elle s'adresse à Poutrincourt :

• ADIEU A LA FRANCE.

Ores que la saison du printemps nous invite

A scillonner le dos de la vague Amphitrite,

Et cingler vers les lieux où Phoebus chaque jour

Va faire tout lassé son humide séjour,

Je veux ains que partir dire Adieu à la France

Celle qui m'a produit, et nourri dès l'enfance ;

Adieu non pour toujours, mais bien sous cet espoir

Qu'cncores quelque jour je te pourray revoir,

Adieu donc douce mère, Adieu France amiable

Adieu, de tous humains le séjour délectable.


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POUTHINCOURT, c'est donc toy qui as touché mon âme,

Et luy as inspiré une dévote flame

A célébrer ton los, et faire par mes vers

Qu'à l'avenir ton nom vole par l'Univers :

Ta valeur dès longtemps en la France connue

Cherche une nation aux hommes inconnue

Pour la rendre sujette à l'empire François,

Et encore y assoir le throne de noz Rois :

Ains plus tôt (car en toy la sagesse éternelle

A mis je ne sçay quoy digne d'une âme belle)

Le motif qui premier a suscité ton coeur

A si loin rechercher un immortel honneur,

Est le zèle dévot et l'affection grande

De rendre à l'Eternel une agréable offrande,

Lui vouans toi, tes biens, ta vie, et tes enfans,

Que tu vas exposer à la merci des vents,

Et voguant incertain comme à un autre pôle

Pour son nom exalter et sa saincte parole.

Ces vers furent imprimés au débotté, le lendemain même du jour où le poète parvint à La Rochelle .

Poutrincourt, et son fils aîné, Charles, étaient arrivés en poste depuis peu avec de Monts. Ils étaient entrés aussitôt en contact avec les armateurs.

Les maisons Macain et Georges étaient parmi les plus recommandables de la ville. La famille Macain, particulièrement, dont le nom s'écrit indifféremment Maquin, Maquain ou Macaing, remontait au xive siècle et avait fourni plusieurs pairs à l'échevinage (1). Quelques-uns de ses membres possé(1)

possé(1) Samuel Macaing, aussi notable commerçant.


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daient des terres nobles. Certains s'étaient établis dans les villes voisines, voire en l'île de Ré (1).

Jean Macain avait été nommé pair en 1603, à la place de Jean Blondin, et était marié, depuis le 15 Décembre 1581, à Anne Georges, soeur de son associé. Les deux beaux-frères se livraient, au commencement du xvne siècle, à de nombreuses opérations commerciales dans la Nouvelle-France. Ils eurent aussi, pour associé, Michel Esprinchard, pair de La Rochelle, le compétiteur et rival de Pierre Tallemant à l'hôtel de ville (2).

Macain et Georges occupaient pour leur commerce, une maison en la rue de la Taulpinerie, autrement appelée Saint-Yon, que Macain avait prise à ferme de Jean Derin et de Samuel Mesnadde (3).

Nos voyageurs trouvèrent le Jonas, joli navire de cent cinquante tonneaux commandé par le capitaine Foulques, tout appareillé et « prêt à

(1) Nicolas Macaing était marchand au bourg Saint-Martin, en l'île de Ré. Archives départementales de la Charente-Inférieure, B. 178.

(2) Les Rochelais à Terre-Neuve, par M. Musset, p. 70 et la Joyeuse jeunesse de Tallemant des Réaux, par M. Emile Magne, t. I, p. 20.

(3) Les Rochelais à Terre-Neuve, par M. Musset, pp. 70 à 72. Ce Samuel Mesnadde étant décédé, ses enfants, nés de son

mariage avec Marie Huet furent placés sous la curatelle de Samuel Macaing. (21 Juin 1618). Registres de l'Amirauté de La Rochelle.


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sortir hors des chaînes de la ville ». Mais il fallut attendre un vent favorable.

On était dans l'octave de Pâques. Les explorateurs prirent patience en se dédommageant des abstinences du récent carême. Ils faisaient bonne chère, « si bonne chère qu'il leur tardoit qu'ils fussent en mer pour faire diète. »

Les matelots et les ouvriers, logés au quartier Saint-Nicolas, qui était celui des constructeurs de navires, visitaient toutes les tavernes, y faisaient bombance et y menaient « merveilleux tintamarre »■ (1), car ils avaient le gousset rebondi. Ils recevaient la solde de vingt sols par jour, qui était, pour l'époque, une bonne rémunération.

Les voyageurs pensaient partir le 8 ou le 9 Avril, mais le bâtiment eut une grave avarie qui remplit sa cale d'eau. On put faire « bagues sauves », mais on se trouva devant la nécessité de radouber le navire et d'embaucher un nouvel équipage.

Les pertes furent énormes. Le voyage parut compromis. Le capitaine Foulques, immobilisé, parlait sérieusement de rompre son engagement et de se mettre au service de marchands concurrents des Macain et Georges. On lui faisait sur le port des offres alléchantes dans l'espoir de le détacher de l'entreprise de de Monts. Il finit par ne plus paraître

(1) Il faut croire que le tintamarre était permanent au quartier Saint-Nicolas, car nous trouvons le même qualificatif de « merveilleux » qu'emploie Lescarbot, dans les documents cités dans la Joyeuse Jeunesse de Tallemant..., p. 8.


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à bord du bâtiment. « Quoy voyant, le sieur de Poutrincourt fit la charge de capitaine de navire, et s'y en alla coucher l'espace de cinq à six jours, pour sortir au premier vent. »

Si l'entreprise avait été rompue, quel retentissement, et quelles conséquences pour l'avenir ! « Nul ne se fust hazardé d'aller planter des colonies par de là, ce pays étant tellement décrié. » L'insuccès des précédents voyages, l'abandon de la partie par de Monts et Poutrincourt auraient découragé pour de nombreuses années toutes les bonnes volontés et toutes les initiatives.

« De Monts et ses associés soutinrent virilement cette, perte ». Leur persévérance mérite l'admiration. Le Canada les attirait invinciblement. « Si jamais ce pais-là est habité de Chrétiens et peuples civilisés, dit Lescarbot, c'est aux autheurs de ce voj^age qu'en sera deue la première louange. »

Les explorateur se préoccupèrent de trouver un homme d'église décidé à les accompagner pour l'administration des sacrements au cours du voyage. Un seul prêtre était demeuré en NouvelleFrance, et les colonisateurs, en arrivant devaient apprendre sa mort.

Faute de trouver un missionnaire dans le clergé Rochelais, Lescarbot se souvint de l'ancienne coutume des chrétiens « lesquels allans en voyage portoient avec eux le sacré pain de l'Eucharistie ».

Ces hommes aventureux étaient des catholiques sincères et fervents. Lescarbot demanda « si on


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voudroit leur faire de même qu'aux anciens Chrétiens. » Il émit l'espoir d'être autorisé à emporter le Saint Viatique à bord du Jonas. Le pieux avocat eut beau rappeler aux prêtres de La Rochelle l'exemple du frère de saint Ambroise, Satyrus, qui, « allant en voyage sur mer, se servoit de cette médecine spirituelle ». Il fut éconduit, ce qui lui donna sujet de grand étonnement et lui sembla chose bien rigoureuse.

Le 11 Mai, à la faveur d'un petit vent d'Est, le Jonas gagna la mer et aborda à La Palisse. Le 12, il revint à Chef-de-Bois. Enfin, le Samedi 13, veille de la Pentecôte, il faisait voile en pleine mer et perdait rapidement de vue les grosses tours de La Rochelle, puis les îles de Ré et d'Oléron.


DEUXIEME VOYAGE

1606-1607

I UNE FERME PICARDE EN ACADIE.

Lescarbot, à bord du Jonas, passait par toutes les surprises et toutes les émotions d'un homme à qui les voyages maritimes sont peu familiers.

Le frêle navire, en but aux assauts des vents du large, tantôt bondissait en équilibre sur la crête des vagues, tantôt plongeait de l'avant comme pour s'abîmer dans des gouffres d'écume.

Les vents du large sont aveugles et redoutablesOn dit que Colomb les craignait et que, les voyant venir, il montait sur la proue de sa caravelle et leur adressait les premiers versets de l'Évangile selon Saint Jean...

Il n'en fut pas de même à bord du Jonas. Si les souffles de l'Atlantique gonflèrent tumultueusement, à l'avant du navire, le manteau d'aventures de Jean de Poutrincourt, l'explorateur et ses compagnons restèrent fidèles, dans leurs invocations, ainsi qu'on le verra plus loin, à l'autre saint Jean, au Précurseur, patron du capitaine picard.

Quant aux matelots, ils montraient moins de piété, car ils insultaient les vents et les flots,


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juraient et sacraient comme des démons. Lescarbots justement scandalisé, nota, dans une heure de calme, ce trait sur ses tablettes, sous le titre : Dieu garde le bon JONAS :

Et m'étonne infiniment Que cet humide élément De ses eaux ne nous accable Veu que le nom vénérable De Dieu y est blasphémé D'un langage accoutumé Sans crainte de ses menaces. (1)

La gymnastique inquiétante du navire balancé sur ces vagues monstrueuses produisit une inévitable dépression sur le pur « terrien » qu'était l'avocat de Vervins.

Peut-être, en cette périlleuse occurrence, regrettat-il un instant la quiétude des prétoires où l'on ne connaissait d'autres luttes que celles de l'éloquence. Comment cet homme tranquille et prudent s'était-il laissé entraîner en pareils risques ? Il avait voulu fuir un monde perverti et chasser les pensées de révolte que l'injustice lui avait suggérées. Il venait de s'apercevoir qu'en voyageant on change de lieu, mais non d'idées ni de nature, qu'on acquiert sur mer de précieuses connaissances, mais qu'elles coûtent cher. Un poète l'a dit :

Amer savoir celui qu'on tire du voyage.

Il faut bien l'avouer, maître Lescarbot, face à face avec l'Océan, eut peur. Il le confesse avec une

(1) Les Muses de la Nouvelle France, p. 64.

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franchise qui lui vaudra peut-être l'indulgence : « C'estoit, dit-il, une chose appréhensive à ceux qui n'avoient accoutumé une telle danse, de se voir portez sur un élément si peu solide, et estre à tout moment (comme on dit) à deux doigtz près de la mort. »

Cependant le navire filait de J'avant. Dans les heures d'accalmie, les passagers se réunissaient sur le pont, où ils avaient le spectacle réjouissant des marsouins « qui environnoient le vaisseau par milliers», et qui a se jouaient de façon fort plaisante ». On interrogeait le ciel et la mer, on rêvait, on jasait et Lescarbot, redevenu loquace, parlait de Malherbe et de sa paraphrase du psaume VIII :

0 sagesse éternelle, à qui cet univers Doit le nombre infini des miracles divers Qu'on voit également sur la terre et sur l'onde !

Le 13 Mai, les voiles blanches d'une flottille de navires flamands allant en Espagne égayèrent pour un instant l'horizon du Jonas,

En vue des Açores, un bâtiment inconnu dont l'équipage composé de matelots anglais et flamands se disait Terre-neuvier, se montra plein d'une équivoque courtoisie et s'informa de la route et des desseins du Jonas. Les étrangers, satisfaits sur ce point, burent à la santé des explorateurs. Les Français leur rendirent la même politesse. Puis, les deux navires s'éloignèrent sur leurs routes respectives. De Monts et Poutrincourt eurent alors le loisir de bien considérer ce vaisseau.


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Ils virent qu'il était « tout chargé de mousse verte par le ventre et les cotez », ce qui indiquait qu'il tenait la mer depuis fort longtemps. Ils jugèrent « que c'estoient des forbans qui battoient l'Océan dans l'espérance de faire quelque prise ». Les flibustiers s'étaient approchés pour reconnaître les forces et les intentions du Jonas, et finalement, intimidés par la gueule des canons, ils avaient jugé prudent de prendre le large.

Jusqu'au 18 Juin, les voyageurs subirent l'offensive persistante des vents contraires. Des froidures et des brouillards intenses achevèrent de rendre la traversée difficile. La rencontre d'un navire de Honfleur, commandé par le capitaine La Roche, se rendant à Terre-Neuve, procura une heureuse diversion aux navigateurs énervés par la morne solitude de l'Océan et par les assauts impétueux que ne cessaient de leur livrer les éléments.

Le 22 Juin, on jeta la sonde sur une mer de brume, et l'on eut la joie de trouver fond. On était aux environs du banc de Terre-Neuve. La traversée touchait à sa fin.

Le 24, l'équipage fit « bourdonner les canons », tant en l'honneur de la Saint-Jean, « que pour l'amour du sieur de Poutrincourt, qui porte le nom de ce saint ».

Le 4 Juillet, de grand matin, les matelots du dernier quart jetèrent enfin le cri qui, pour nombre de passagers, au premier rang desquels il faut


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placer Lescarbot, fut comme un chant de délivrance. Du grand hunier partit la clameur tant désirée :

«Terre !.. Terre !.. »

« Et, estans encore loin, les plus hardis montoient à la hune pour mieux voir, tant que nous étions tous heureux de cette terre, vraye habitation de l'homme ». Les brises marines apportaient les arômes résineux des futaies de sapins des îles Saint-Pierre et Miquelon encore lointaines. Les hommes ne pouvaient les sentir, mais l'odorat plus subtil des animaux les percevait déjà : « Les chiens mettoient le museau hors du bord pour mieux flairer l'air terrestre » (1).

La baie de Canseau apparut le 8 Juillet. Des vents d'Ouest et du Sud-Ouest qui s'élevèrent le soir, des brumes qui durèrent huit jours entiers forcèrent les navigateurs à s'en éloigner et à louvoyer.

Ce fut une semaine lugubre.

Un calme perfide et menaçant avait succédé à la tempête. Le banc de brume était opaque. Cet espace inconnu était plus inquiétant que les ténèbres. Le Jonas s'enfonçait au hasard dans une ouate molle et diffuse. La pointe du mât de perroquet n'était plus visible et la vigie n'apercevait plus le tillac. Poutiïncourt et Lescarbot firent l'ascension du grand hunier pour mieux jouir de ce rare spectacle. C'était comme une

(1) LESCARBOT. Histoire de la Nouvelle France.


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nuit blanche et onctueuse qui tombait lourdement sur le pont. Le soleil qui d'abord avait apparu tout blafard avait fini par fondre et disparaître.

Le samedi 15 Juillet, changement de décor à vue.

Sur les deux heures de l'après-midi, le brouillard se dissipe ; le ciel s'éclaicit. La côte se distingue. On n'en est plus qu'à quatre lieues.

Deux embarcations se détachent du rivage. L'une, plus légère et plus rapide, semble gambader sur les vagues ; elle porte un élan peint sur sa voile. Elle est chargée de sauvages souriquois. L'autre est montée de matelots malouins qui font la pêche au port Canseau.

Les explorateurs ont ainsi des nouvelles de PortRoyal. Du Pont-Gravé l'avait quitté vingt jours auparavant, désespérant de voir arriver un navire de France et décidé à regagner Honfleur par ses propres moyens. Il avait laissé la garde de l'habitation à deux hommes de bonne volonté.

Le dimanche 23, au matin, les explorateurs entrent au port du Mouton. Dix-sept hommes sont débarqués pour se réapprovisionner d'eau douce et de combustible. Ils retrouvent intacts, sous bois, mais pleins de la mélancolie des choses abandonnées, les logements où l'expédition de de Monts avait séjourné un mois entier l'année précédente.

Le mardi 25, les navigateurs doublent le cap de Sable. Le mercredi, ils jettent l'ancre à l'entrée de Port-Royal.


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Deux coups de canon sont tirés du navire pour saluer le port. Mais déjà, le grand Sagamos Membertou, chef suprême des Souriquois, à qui l'approche du Jonas n'est point passée inaperçue, a fait prévenir les deux hommes qui gardent le fort bâti par les compagnons de de Monts. Les Français qui n'ont point reconnu d'abord la nationalité du bâtiment, chargent en diligence leurs canons à boulet, prêts à la résistance. Saluons ce trait de courage ignoré. Ces deux braves se nommaient La Taille et Miquelet.

Membertou, accompagné d'une de ses filles, se jette dans un canot d'écorces et fait force de rames vers le navire. Il identifie les arrivants. Loin de donner l'alarme, il fait des signaux joyeux à l'adresse du fort. La bannière blanche fleurdelisée flotte à la pointe du grand mât. Plus de doute !.. Trois canonnades éclatent sur les boulevards et saluent le pavillon français. Des mousquetades retentissent. Les trompettes du Jonas y répondent. C'est au milieu de cette bruyante allégresse que Poutrincourt montre à son fils la terre de PortRoyal.

L'explorateur trouvait son domaine colonial métamorphosé.

Un fort avait été construit, avec ses redoutes. Des bâtiments et un magasin s'élevaient auprès du bassin. Une enceinte palissadée protégeait ces édifices. Ce fortin avait reçu le même nom que la


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rade qu'il commandait, celui de Port-Rcyal. « Il occupait exactement l'emplacement actuel de la ville d'Annapolis » (1).

« Ce fut le premier établissement fixe formé par les Européens dans ces contrées septentrionales ; nous devons même ajouter qu'au Nord du golfe du Mexique il n'existait alors qu'un autre établissement européen, celui de Saint-Augustin, dans la Floride, qui appartenait aux Espagnols » (2).

Poutrincourt voyait ainsi la fondation de sa colonie amorcée. L'extrémité pénible en laquelle s'étaient trouvés réduits les colons pendant l'hiver 1604-1605, à la suite du choix malheureux de l'île Sainte-Croix par de Monts, avait favorisé ses projets d'installation au Port-Royal.

Le gentilhomme picard bénéficiait ainsi d'une sorte de compensation qui atténuait les déceptions de la traversée. Il lui restait à donner à cet établissement de fortune abandonné un caractère définitif, à assurer son habitabilité par la construction d'autres bâtiments de première utilité, par la

(1) II était exactement à Lower-Granville, banlieue d'Annapolis. Voir la Tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 12.

(2) RAMEAU, Une Colonie féodale, t. Ier, p. 8.

« Après San-Agustin, ce fut la première ville fondée dans l'Amérique du Nord ». M. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine..., t. IV, p. 321. Même remarque de M. Lauvrière, La Tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 10.


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recherche d'un certain confort et par l'exploitation agricole qu'il rêvait de fonder (3).

Le jeudi 27 Juillet, le Jonas entre dans le port avec le flot, non sans difficulté, carie vent s'oppose à sa marche.

Parti du manoir de Guibermesnil à la fin de Mars, Poutrincourt ne parvenait à Port-Royal qu'au bout de cinq mois révolus.

Ce retard énorme dérangeait tous ses calculs. Depuis qu'il avait dû se morfondre pendant une semaine dans la mer de brume, au moment de toucher terre, son impatience n'avait plus de bornes

On aura une idée de son esprit d'organisation par la promptitude avec laquelle il déploie, dès l'arrivée, son- activité.

Il procède cependant avec méthode et sans improvisation hâtive. Le vendredi, lendemain même du jour où il a abordé, il distribue le travail à son monde.

Son but étant de fonder une colonie agricole, il se trouve en face d'un double problème. Le terri(3)

terri(3) n'avait édifié que du provisoire, car la situation lui plaisait moins encore qu'à de Monts. « Le sieur de Pont-Gravé ne pensoit pas tout à fait du Port-Royal comme M. de Monts, les avantages que l'on y rencontroit le touchèrent moins que les inconvénients ne le rebutèrent. Mais M. de Poutrincourt n'en porta pas le même jugement ». Le P. DE CHARLEVOIX, Histoire de la Nouvelle France, t. Ier, p. 118. Pont-Gravé et Champdoré n'avaient rien fait pour la culture : « ilz n'eurent le temps commode pour y vaquer ». LESCARBOT, p. 503.


]. V. — HABITATION nu PORT-ROYAL. Extrait des Voyages du sieur de Champlain (1613).



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toire est mi-partie en prairies et en forêts. Le défrichage se divisera donc en deux sortes de travaux : l'essartage pour les bois ; le labourage pour les près.

Le système qu'il adopte est conforme aux usages de Picardie, mais entièrement différent de celui employé par les indigènes ; il partage la terre suivant le mode d'assolement triennal pratiqué dans le Vimeu. « Poùtrincourt met une partie de ses gens au labourage et culture de la terre ».

La cognée, la pioche et la bêche attaquent les arbres et les buissons. Les épines, les ronces et les fougères sont essouchetées et déracinées.

Dans les prés, en amont de la rivière du Dauphin et à deux lieues du Port-Royal, en la terre appelée plus tard la Prée-Ronde, on découpe le gazon par tranches d'un pied carré et de deux doigts d'épaisseur, qu'on laisse sécher au soleil pendant quelques jours. Les gazons sont ensuite disposés en fourneaux ronds placés en quinconce ; on dresse autour quelques fascines de branches et d'herbes sèches, puis les hommes y mettent le feu en prenant soin de l'attiser avec leurs fourches. Les cendres ainsi obtenues dont répandues sur le sol.

Ces travaux préliminaires sont suivis d'un labour peu profond. Ressource auxiliaire imprévue : on lâche les pourceaux qu'on a amenés. En fouillant et en retournant la terre, ils rongeront les racines qui ont pu échapper aux pics et aux socs ; ils dévoreront les insectes nuisibles.


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Les procédés de défrichement des indigènes sont plus sommaires et plus expéditifs : « Ils coupent les arbres à la hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur le tronc, et sèment leur bled entre ces bois coupez et par succession de temps, ostent les racines » (1).

« Dans la quinzaine » Poutrincourt fit exécuter un second labour plus profond que le précédent.

Les dernières radicelles, îes mauvaises herbes qui ont survécu sont définitivement extirpées. Il s'agit de donner le coup de grâce aux buissons, aux plantes malfaisantes qui ont quelque tendance à renaître sur le guéret.

Sans doute, ces labours auraient demandé à être plus espacés, mais il faut se plier à la loi des circonstances. Le temps presse !

Il faut interroger cette terre nouvelle ; savoir ce qu'on en peut espérer. Rien n'est négligé des ressources qu'on possède pour la décider à produire, abondamment. Elle est remuée, retournée et sondée jusque dans le sous-sol, où l'on découvre quelques couches d'argile. A la surface, « la terre de la Nouvelle-France est pour la plupart de sablons gras ».

Avec quelle patience et quel soin n'enfonce-t-on point la bêche et le soc dans ses entrailles : « Considérons-là donc, mettons la main dans son sein, et voyons si les mammelles de cette mère rendront du laict pour sustenter ses enfants ».

(1) Voyages de Champlain.


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Lescarbot met une confiance superstitieuse dans les procédés d'amendement en usage en Picardie.

On reconnait dans cette tranquille créance en la vertu de l'engrais le plus vulgaire, la litière souillée du bétail, une pensée de terroir commune à des générations de laboureurs.

L'auteur de l'Histoire de la Nouvelle-France croit à la promesse cachée en ces amas de paille dorée et brunie par le soleil, sous lesquels le purin, riche en sels féconds, circule en d'invisibles ruisseaux. Il professe à l'endroit du fumier, ornement des cours de fermes du pays natal, gage de productivité et de richesse, on pourrait dire « la considération " instinctive d'un paysan de vieille souche.

Il le nomme de son nom picard. Il emploie le mot disparu de la vieille langue française, mais resté vivant dans le dialecte de la mère province: « La terre, dit-il, fut améliorée du fien de nos pourceaux » ; le « fien » est l'espoir des moissons de demain ; il aidera à l'éclosion rapide des semences, il communiquera par son labeur mystérieux, aux tiges des céréales, la vigueur et la rigidité qui les feront triompher des gelées tardives du ciel canadien et des attaques des souffles malfaisants. Lescarbot a foi dans le pouvoir du « fien » de pourceau, considéré cependant comme le plus froid des amendements ; dans le « fien de cheval », réputé le père de la fertilité des terres labourables.

Bientôt, Poutrincourt a la satisfaction de trouver le sol suffisamment meuble et bien préparé.


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Il l'ensemence d'abord de graines du Vimeu, « de chanvre, de lin, de navettes, raifors et choux », quoi que la saison soit bien avancée pourlasemaille de quelques-unes de ces plantes (1).

A l'automne ,ce sera le tour de « notre blé françois, tant froment que seigle ». En attendant, les moutons empruntés aux larris qui dominent le Liger, tondent les prairies qui longent la rivière du Dauphin.

Huit jours plus tard, il constate déjà, avec la joie d'un savant qui se penche sur les creusets où s'élabore une découverte nouvelle, que son travail n'a pas été vain. Les premiers germes des grains de France apparaissent dans le sol américain.

Malgré les multiples incommodités de cette installation de fortune, malgré les mille préoccupations qui assiègent les colons, et peut-être en raison de la fièvre de l'organisation, qui décuple leurs ressources intellectuelles, l'esprit français

(1) On trouve ici réunies les plantes textiles, oléagineuses et potagères. La navette est une variété de navet à graines oléagineuses. La grosse navette est le nom vulgaire du colza.

Il faut remarquer qu'une science véritable aussi bien qu'une extrême prévoyance avaient présidé à ce choix. « La navette et le turneps sont les récoltes qui réussissent le mieux sur un défrichement de forêt » devait écrire deux cents ans plus tard Matthieu de Dombasle.

Les naveaux et raiforts concouraient à l'alimentation populaire. « Le reffort est fort cogneu d'un chacun ; car mesme le menu peuple s'en sert quasi partout pour viande, en le mangeant avec du pain et du sel... ». Les unes et les autres de ces plantes étaient utilisées en médecine.


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s'affirme et pétille. Rire et se distraire est un besoin qui nous suit sous toutes les latitudes. C'est grâce à cette inclination naturelle qu'en face du danger, dans la misère et dans la souffrance, les hommes nourris sur le sol des Gaules gardent leur bonne humeur, entretiennent entre eux, sans effort et sans recherche, une saine et salutaire gaieté.

Un ordre de la table, mis en avant par Champlain, se constitue. Il se nomme l'Ordre du Bon Temps. Lescarbot en rédige gravement les statuts. Les colons s'engagent à en respecter les prescriptions solennelles. Cette institution plaisante renouvelle et perpétue un rayonnement d'idées agréables, anime la vie commune des traits d'un badinage léger. Chacun est maître d'hôtel à son tour, et ce tour doit revenir tous les quinze jours. « Si bien que jamais, au déjeûner, on ne manque de saupiquets, de chair ou de poissons. Et aux repas de midi et du soir encore moins. »

Le fonctionnement des fourneaux de cuisine savamment dirigés par le maître queux François Addenin, attire invinciblement les indigènes : « En telles actions, avions touj ours vingt ou trente sauvages, hommes, femmes et filles, qui nous regardoient officier ».

Pendant que les colons organisaient ce confort, les hommes du bord qui avaient quitté le Jonas au port Canseau pour venir le long de la côte, avaient rencontré « miraculeusement » sur le chemin du Pont-Gravé qui s'était attardé dans les îles avec


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les cinquante hommes de son expédition (1). L'émotion avait été grande de part et d'autre. Le capitaine malouin était fort embarrassé pour regagner la France. Il avait rebroussé chemin et accompagné les matelots et passagers jusqu'au Port-Royal pour profiter du prochain retour en France du Jonas.

Le 31 Juillet, la troupe des retardataires arrivait à la colonie. La présence de du Pont-Gravé parmi les survenants causa une joie délirante aux colons. Dire les transports d'allégresse qui l'accueillirent « est chose qui ne se peut exprimer ».

Ces grands Français, soldats d'une même idée et d'une même cause se jetèrent dans les bras les uns des autres et s'étreignirent fraternellement. Réunis sur une terre encore ingrate, ils communiaient dans un même amour pour la patrie absente, dans un même espoir dans la patrie nouvelle.

(1) Ici Lescarbot n'est point d'accord avec de Thou, qui, dans le récit succinct qu'il a donné du voyage de 1607, dit que Poutrincourt, étonné de n'avoir point rencontré du PontGravé à Canseau, et soupçonnant ce qui était arrivé, avait envoyé Ralleau (probablement Ralluau) dans une chaloupe pour le rechercher et le ramener. Histoire universelle, t. XV, p. 14.

Si, eh arrivant, Poutrincourt n'avait pas aperçu du PontGravé voguant vers Canseau, c'est qu'en se croisant, ils s'étaient trouvés séparés par l'île Longue. En effet, « pour aller de PortRoyal à Canseau, on passe entre le continent et l'île Longue, au lieu que pour aller de Canseaux au Port-Royal, il faut prendre la pleine mer à cause des courants », dit de P. de Charlevoix. Histoire de la Nouvelle France, t. Ier, p. 118.


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Pendant un mois, les réjouissances succédèrent aux réjouissances. «Le sieur de Poutrincourt fit mettre un muid sur le cul ; l'un de ceux qu'on lui avoit baillé pour sa bouche ; et permission de boire à tous venans, tant qu'il dura. Si bien qu'il y en avoit qui se firent beaux enfants... »

Du Pont-Gravé put constater combien les semailles de Poutrincourt donnaient déjà de belles espérances. Les navettes et rabettes, les petites graines étaient levées et montraient le vert tendre de leurs feuilles minuscules.« Ce lui fut un sujet de faire son rapport en France de chose toute nouvelle en ce lieu-là » (1).

(1) Lescarbot profita du départ du Jonas pour écrire à ses amis de France. Nous avons trouvé une copie de la lettre suivante à la Bibliothèque Nationale :

« Du Port-Royal de l'Equille en la Nouvelle France, le 22 Août 1606.

« ... Ce port est le plus beau que l'on puisse imaginer... J'en ay faict quelques rhimes que Mons. de Réguisson ou en son abcence Monsieur de Baudin, vous communiquera avec la lettre que je luy escris plus ample que cette-cy... Monsieur de Poutrincourt a faict labourer un champ où il a semé de toutes sortes ; en espérance d'en faire autant d'icy à 15 jours et en un mois, brief en toutte saison, pour esprouver la terre.

« Les graines en huict jours sont jàfort eslevées de terre. Les Sauvages avoyent laissé il y a quelque temps des graines de bled, d'avoyne, de pois et de febves qu'on leur avoit donnés, et quoique cela fut tombé par mesgarde et en terre non cultivée néant moins à pris fort heureusement croissance et y sont des grains beaux et prest à moudre, comme nous avons veu au heu où estoyent les cabanes desdicts Sauvages. Nous pensions tout d'un train aller plus loing, mais ceux qui avoyent esté laissés icy ayant perdu leur barque au voiage de la descou-


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Le 28 Août, le Jonas appareilla. Du Pont-Gravé laissa sa barque et sa patache, dit adieu à ses amis et prit place dans le navire en partance avec ses cinquante hommes, non sans que Lescarbot n'eut adressé un poétique hommage aux rapatriés. (1)

verte de la terre, nous n'avons peu passer outre. Et néantmoins, je croy que nous yrons... faire la reconnaissance de la coste jusque au 40e ou 38e degrez.

« ... Je laisse à part les considérations d'état, premièrement le mal de terre. Secondement la fainéantise des Sauvages de ce quartier qui ne sont accoutumés au travail, or ceux qui sont à 60 ou 80 lieues d'icy travaillent et égratignent la terre, en sorte qu'ils en recueillent du mil et du blé d'Inde, tel que j'en ay quelquefois veu en France... »

Lescarbot avait pris beaucoup de goût à la culture des terres et des jardins. Il avait gagné le coeur des Sauvages par sa douceur et sa familiarité, il essayait de les instruire. Il écrivait : « Le Sagamos Membertou, qui foisoit le devin entre les villages, disoit que je ne retournerois jamais en France, ni le sieur Boullet (du Boullay), iadis capitaine du régiment du sieur de Poutrincourt ».

B. N. Collection Dupuy, 475, f° 8.

(1) Du Pont-Gravé se rendit à La Rochelle, et revint bientôt en Acadie sur l'un des navires de la Compagnie de de Monts. Il tomba par hasard sur YEspoir en Dieu de Honfleur, monté par Guillaume Chevalier et Henri Couillard, chargé de pelleteries pour le compte de Daniel Boyer et Corneille de Bellois, de Rouen. (Septembre-Novembre 1606). Il y eut procès devant le Conseil privé du Roi.

GOSSELIN, les Normands au Canada.


— 237 - II

A L'AVENTURE.

L'intention de de Monts était d'explorer les côtes de la baie Française et du continent depuis l'île Sainte-Croix jusqu'au delà de Malebarre, afin de « chercher un lieu bien habitable » et un « port convenable en bonne température d'air », car Port-Royal et Sainte-Croix ne lui donnaient point satisfaction « pour ce qui regarde la santé ».

« Voyant ses semailles faites et de la verdure sur ses champs », Poutrincourt, pénétré de l'immense importance des points maritimes pour le développement d'un établissement colonial, se chargea de cette mission. « Il voulut partir avant l'hiver. »

Ce voyage de découverte devait dépasser les côtes de la baie de Fundy et amener les navigateurs à longer les rivages de la province du Maine découverte en 1497, et à reconnaître les rivières de Penobscot, de Saco, et l'embouchure du Kennebeck, que sir John Gilbert, frère d'Humphrey Gilbert, ne devait visiter que l'année suivante, ce qui n'empêcha point l'Angleterre de se réclamer en temps opportun de prétendus droits de priorité ; ceux du New-Hampshire et du Massachussets, et à doubler le cap Cod où avait touché quatre ans auparavant le capitaine Barthélémy Gosnold,

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dans une expédition entreprise et patronée par Henri, comte de Southampton, ami et protecteur de Shakespeare. Cette presqu'île devait être colonisée quatorze ans plus tard par des rivaux plus entreprenants. Le Mayflower y débarqua en 1620 le premier groupe d'immigrants anglais.

Poutrincourt devait aborder dans des anses encore inconnues, au port de Catham et toucher à l'île dite aujourd'hui Martha's Vineyard ; il voguait ainsi le long des rivages où devait éclore plus tard une brillante civilisation, où devaient s'édifier les villes de Portsmouth, de Boston,- de Providence et de New-York.

Angibaut de Champdoré fut pris pour maître de barque. Champlain, Robert du Pont-Gravé, fils du capitaine malouin, Daniel Hay, Louis Hébert, apothicaire, étaient aussi de l'expédition.

Maître Lescarbot avait conservé un souvenir désagréable de la traversée. Il ne se sentit point le courage d'affronter à nouveau l'inconstance et les caprices de la mer.

Poutrincourt traverse la baie Française et aborde à l'île Sainte-Croix.

La barque met quatre jours à franchir les vingtcinq lieues qui séparent, à l'estimation de nos navigateurs, la rivière Sainte-Croix de la rivière Pemptegoet ou Pemetegoit (Pentagoet), après avoir longé l'île aux Oiseaux, les îles des RoisMages, Mouchibéqui, du petit Minant et des


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Monts-Déserts. Les explorateurs reconnaissent la côte de Norombega ou de Norembègue décrite par quelques pilotes. Ils traversent les îles et arrivent à Kinibeki, où la barque est en péril à cause des grands courants d'eau. Dans cette baie se jette le fleuve qui traverse le pays des Abénakis, grossi de la rivière Kiaibetsi et du trop plein du lac Keseben.

Le lieutenant de de Monts passe outre à la baie de Marchin qui porte le nom d'un capitaine sauvage, reconnaît l'île de la Tortue, entre dans la rivière du Sagamos Olmechim (ou Honemechin), reçoit la soumission des sauvages et leurs présents couteaux, haches, matachiaz, « écharpes, carcans et brasselets blancs et bleus faits de patenôtres ». Après échanges d'amitiés qui n'ont d'autre but que de se ménager là des alliances futures, on tend les voiles vers Chouakoet qui, l'année suivante, sera le théâtre de la guerre des Souriquois contre les Etchemins.

A l'entrée de la baie de Chouakoet, les voyageurs trouvent quelques terres cultivées. Ils remarquent du blé d'Inde que les sauvages sèment en Mai et récoltent en Septembre.

Les voyageurs rencontrent dans une île qu'ils nomment l'île de Bacchus, située à deux lieues de la baie, les premières vignes du pays. Les bords de la rivière de Chouakoet sont couverts de pampres & couchés sur les buissons et les ronces ».

Poutrincourt quitte la baie de Chouakoet le 2 Septembre et, côtoyant le rivage, jette l'ancre à


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l'embouchure des havres et des rivières, sur l'estran des îles sablonneuses. Il entre en relations amicales avec les Sagamos Marchin et Olmechim qui lui offrent un prisonnier souriquois.

L'expédition s'enfonce vers des rivages lointains, inexplorés. Poutrincourt est ébloui par des solitudes magnifiques et sauvages, par une alternance ininterrompue de décors merveilleux, insoupçonnés, inquiétants. Les îles succèdent aux îles, les baies aux lagunes, les fjords creusés par les anciens glaciers aux dunes, aux battures et aux promontoires. Pour la première fois, on rencontre des indigènes entièrement nus, au visage peint ; les uns viennent au devant des voyageurs dans leurs barques légères en écorces de bouleaux, hardis, belliqueux, armés d'arcs et de flèches ; les autres restent curieusement sur le rivage, invitant par signes les passants à venir à terre, et, déçus, suivent la barque sur le sable.

L'explorateur fait escale « en un certain point bien agréable lequel n'avoit pas été veu par le sieur de Monts ». Il est accueilli sur cette plage inconnue par une multitude de diables noirs qui tirent une atroce cacophonie de leurs fifres gigantesques, « sorte de flageollets longs, faits comme des cannes de roseaux, peinturés par-dessus. » Ces virtuoses tiennent à montrer aux étrangers l'excellence de leur art. Les plus adroits soufflent avec le nez ; mais Poutrincourt constate qu'ils jouent «avec moins d'harmonie que pourraient faire ses bergers ».


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Et les airs naïfs que les pâtres de Guibermesnil et de Poutrincourt modulent sur leurs pipeaux rustiques reviennent ressasser dans sa mémoire une chanson attendrissante.

Ce lieu bizarre et pittoresque semble retenir les voyageurs. Ils y séjournent et s'avancent jusqu'au village qui groupe ses cabanes rondes, couvertes de grosses nattes de roseaux et de paille de blé d'Inde, à l'abri d'une futaie voisine.

Les logements sont séparés les uns des autres selon les dimensions des terres que chacun cultive. On trouve là une société rudimentairement organisée, les éléments d'une civilisation inférieure, mais visible.

Une vieille de cent ou cent vingt ans sort d'une ajoupa et s'avance en ambassadrice, tenant des présents en ses mains osseuses. Elle jette aux pieds de Poutrincourt, en guise de bienvenue, un échantillon de toutes les richesses du pays, du maïs, du chanvre, des fèves, des raisins frais dont les naturels font peu de cas, mais que l'aïeule sauvagesse sait fort prisés par les puissants étrangers. Ce que voyant, les autres sauvages en apportent en abondance, et le chef se montre... accompagné d'Olmechim, ce qui jette quelque froid et un vague soupçon sur la franchise et la spontanéité de la réception. Que fait ici le Sagamos d'une tribu guerrière qui, pour parvenir eh ce lieu, a dû faire « une traite merveilleusement longue par terre ?.. »


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Estimant que de Monts viendra utiliser les avantages de cette côte à égale distance de Choiïacoet et de Malebarre, Poutrincourt y fait cultiver un vaste parc de terre, et, avant de s'éloigner, y sème du blé, y plante des vignes. Saluons ce geste généreux et prévoyant, qui, si de Monts n'en recueille point personnellement les fruits, pourra néanmoins servir utilement quelque autre explorateur naviguant sous le pavillon français.

Le mauvais temps et les difficultés d'approche empêchèrent l'embarcation de faire relâche à Malebarre, car « c'est une côte sablonneuse et une terre usurpée, comme le mont Saint-Michel. » Le havre ne fut visité qu'à l'aide de la chaloupe, le 2 Octobre, et Champlain fit le point.

Les voyageurs doublent le cap Batturier, à douze ou treize lieues de Malebarre et entrent dans un port à six brasses d'eau, dont ils doivent baliser l'entrée.

Force est aux navigateurs d'y séjourner quinze jours en raison d'une rupture du gouvernail et de l'épuisement des provisions de bouche.

Poutrincourt, « selon la louable coutume des chrétiens, fait planter une croix sur un tertre », et l'on campe à l'abri du signe de la Rédemption. On établit une forge et un four à cuire le pain.

On fait bonne chère, grâce à la chasse. Les alouettes de mer sont si nombreuses en ces parages que M. de Poutrincourt en tue vingt-huit d'un seul coup d'arquebuse. Dans les bois, dit Champlain:


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« veismes de petits oiseaux qui ont le chant et le plumage comme merles, mais hormis le bout des aisles qui sont orangées ».

Au bout de quelques jours, on remarque, dans les approches du camp, une grande assemblée de sauvages armés de piques, de massues, d'arcs et de flèches. Ils sont nus, à l'exception d'une petite peau de faon ou de loup marin qui leur couvre le bas des reins. Les femmes « bien proportionnées de leur corps » ne portent qu'un court jupon de peaux ou de feuillages ; leurs cheveux peignés avec soin, entrelacés à la manière du pays de Choùacoet, et parés « de plumes, de patenôtres et autres j olivetez » encadrent agréablement leur visage au teint olivâtre.

Le nombre des sauvages s'accroît d'heure en heure et atteint cinq à six cents. Poutrincourt s'avance avec une petite troupe d'hommes pour leur donner quelque terreur. Il fait « marcher devant lui un de ses gens jouant de deux épées et faisant avec icelles maints moulinets ». Quelques coups de feu tirés sur les arbres épouvantent cette engeance guerrière : « Quand ils virent que les balles de noz mousquets perçoient des pièces de bois épaisses, où leurs flèches n'eussent sçeu tant seulement mordre » — dit Lescarbot — ils se tinrent sur leurs gardes et ne se hasardèrent point à attaquer.

Leur attitude, cependant reste hostile. Il eut été prudent, — remarque notre guide fidèle — de


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« faire sonner la trompette au bout de chaque heure, comme faisoit le capitaine Jacques Cartier ». Poutrincourt se borne à prendre quelques précautions.

Cette tribu évidemment barbare, appartenait sans doute à la peuplade assez nombreuse des Manhattes qui déplaçaient leurs campements entre le lieu où est aujourd'hui New-York jusqu'aux rivières du Massachussets et du New-Hampshire ; il ne régnait chez elle qu'une civilisation infime et dégradée (1).

Comme il ne restait plus qu'une fournée de pain à cuire, Poutrincourt s'avança dans les terres « pour voir s'il ne rencontreroit pas quelques singularitez ». Au delà de la côte échancrée d'estuaires, il ne trouva que des blocs de roches, des marécages, une végétation pauvre, de maigres bouquets de pins, d'aulnes, d'érables et de sorbiers, un paysage rebutant. Plus loin, il ne vit que certains petits coteaux défrichés, ramifications des monts et des plateaux qui séparent les bords du Connecticut de l'Atlantique, et où les indigènes- faisaient la culture du blé. De très belles vignes y poussaient et « quantité de noj^ers, chennes, cyprès et peu de pins ». Au retour, le gentilhomme fut fort étonné de voir des sauvages, par troupes de vingt ou trente, s'enfoncer

(1) L'expédition était parvenue bien au delà du pays des Armouchiqnois, peuplade campée « entre Pentagoët et le Kinibequi », dit Charlevoix. T. Ier, p. 134.


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sous bois comme des ombres, ramper dans les herbes et les buissons. Des femmes semblaient fuir, emportant leurs nourrissons. Des cabanes avaient été abattues, leurs misérables meubles et les vivres emportés.

Quel coup de traîtrise préparaient donc ces chasseurs de fauves, qui, moins policés encore que les Souriquois et les Canadiens, n'adoraient, selon l'observation de Champlain, « ni le soleil, ni la lune, ni autre chose et ne priaient non plus que les bêtes », bien qu'ils eussent « parmi eux quelquesuns qu'ils disent avoir intelligence avec le diable » ?

Cette tribu pillarde avait simplement formé le projet de détruire l'expédition et d'hériter de ses dépouilles.

Poutrincourt donne l'ordre à ceux de ses gens qui cuisent le pain de rentrer à la barque pour passer la nuit. Mais ces hommes préfèrent, dit Lescarbot, s'attarder « à faire quelque tarte et galette », et n'obéissent point.

Au milieu de la nuit, un long cri d'angoisse se prolonge sous la futaie des cyprès rougeâtres.

La sentinelle à bord de la barque se dresse épouvantée et donne l'alarme : « Mon Dieu ! on tue nos gens !.. » Une grêle de flèches s'abat sur le pont.

Poutrincourt saute dans la chaloupe, suivi de son fils Charles, de Champlain, de Robert Gravé, fils de du Pont-Gravé, de Daniel Hay et d'une dizaine d'hommes.


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Une décharge de mousqueterie éclate. Quelques petites pièces de fonte, placées par nos aventuriers sur un tertre voisin, tonnent dans ces ténèbres d'enfer. A la lueur des coups de feu on voit plusieurs sauvages qui tombent. Les autres s'enfuient. Ils sont plus de trois cents. On s'avance, mais on ne découvre aucun cadavre. Les indigènes sont habiles à dissimuler leurs morts.

Poutrincourt juge inutile de continuer la poursuite dans la brousse.

Quatre hommes avaient été tués dans le camp des voyageurs. Deux avaient été blessés. L'un de ces derniers, le fils de du Pont-Gravé, avait eu trois doigts emportés par l'éclatement d'un mousquet bourré jusqu'à la gueule. Quant à l'autre, il eut été plus heureux pour lui qu'il périt en cette aventure, car il fut pendu quelques années plus tard à Québec, coupable de conspiration contre Champlain, son capitaine.

L'apothicaire Louis Hébert arrêta l'hémorragie de Robert Gravé à l'aide d'une terre ocreuse qu'il découvrit dans le voisinage, fort propre à «faire même opération que la terre sigillée » que les anciens tiraient autrefois des îles de Lemnos et de Stalimène.

Cet apothicaire était un bourgeois parisien que Poutrincourt et de Monts avaient arraché en 1604 à ses fourneaux et à ses mortiers des rives de la Seine, et qui, pris d'un zèle colonisateur étrange,


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se consacrait à étudier les plantes du pays, à découvrir toutes les ressources scientifiques qu'on pouvait y trouver. Les Souriquois l'avaient surnommé le ramasseur d'herbes (1).

On rendit les derniers devoirs aux malheureuses victimes. Leurs corps furent inhumés au pied de la croix, et la nuit se passa sans autre alerte.

Aux premières lueurs de l'aube blafarde d'Octobre, on s'aperçut que la croix avait été jetée bas. Les corps des Français montraient leurs blancheurs cadavériques sur le sol nouvellement creusé et foulé. Les sauvages étaient revenus en nombre pour voler les chemises de nos morts !

On les aperçut sur une hauteur voisine, se moquant des Français, tournant le dos à la barque et jetant du sable à deux mains entre les fesses, en manière de dérision, hurlant comme des chacals.

La croix fut relevée. On enterra de rechef les quatre corps dans leurs tombeaux profanés et ce port sinistre fut appelé... le port Fortuné (2).

(1) GARNEAU, Histoire du Canada ; FERLAND, Histoire du Canada ; RAMEAU, Une Colonie féodale ; abbé COUILLARDDESPRÉS, Louis Hébert, premier colon canadien et sa famille.

(2) Lescarbot seul a rapporté les circonstances de cette exploration d'une façon complète. On en trouve un résumé dans l'Histoire universelle de de Thou (t. XV, p. 16), qui semble avoir été inspirée par Poutrincourt en personne ; il donne des noms de chefs sauvages inconnus et rapporte certains détails pittoresques négligés par Lescarbot.

La Nouvelle France, d'Eugène Guérin (Paris, Arthur Fourneau, 1898), est le seul ouvrage moderne ayant accordé quelque attention à l'aventure du Port Fortuné, totalement oublié par Champlain qui, cependant, y avait assisté.


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Châmplain le trouva à quarante-et-un degrés un tiers de latitude (1).

Le lendemain, on hissa la voile de grand matin, « pour passer outre et découvrir de nouvelles terres », mais le vent contraire contraignit l'équipage à relâcher. Des sauvages se présentèrent pour faire des échanges. Ils offrirent du petun et quelques menus objets. La colère de Poutrincourt n'était pas apaisée ; il en fit prendre une demi-douzaine à l'aide de lassos fabriqués en toute hâte avec des mèches à mousquets et l'on emmena ces malheureux pour tourner le moulin à bras de Port Royal et défricher les bois comme « forçaires ».

On trouve, dans ces scènes d'exploration, tout le résumé de l'attitude des colons vis-à-vis des indigènes. La douceur répond à la douceur. La force ne s'oppose qu'à la ruse et à la violence.

A six ou sept lieues, on aperçut dans une sorte de mirage une côte imprécise, fuyante et vaporeuse qui parût une île nageant sur les flots. « Ayant eu plusieurs fois croyance de loing que ce fust autre chose », cette Délos nouvelle fut appelée « l'île Douteuse (2) ».

Les provisions de toutes natures commençant à

(1) Le Port Fortuné figure sur la Carte de la Nouvelle France, Voyages de Châmplain (1632), sur celle de la Rivière du Canada et cotes de l'Océan en la Nouvelle France, de Marc Lescarbot, et sur la Carie de l'Amérique septentrionale et partie de la Méridionale, planche 8 des Reproductions de Cartes, du XVIe au XVIIIe siècle, par Gabriel Marcel.

(2) Châmplain l'appelle la Soupçonneuse, ce qui ne donne pas la même idée de l'incertitude des navigateurs.


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manquer, on vira le cap au Nord pour regagner la baie Française. Une nouvelle avarie força les navigateurs à accoster aux îles de Norembègue. La barque faisait eau comme un panier.

On reste confondu devant l'indigence des moyens dont disposaient les organisateurs de ces longues et patientes expéditions. Hérissées de difficultés, elles présentaient réellement le minimum de chances de succès. L'outillage était rudimentaire et ridiculement insuffisant. La persévérance et l'ingéniosité ne pouvaient y suppléer que dans une bien faible mesure.

Au port Fortuné, Poutrincourt avait été obligé d'improviser une forge pour « racoutrer » les ferrures du gouvernail. Aux îles de Norembègue, comme plus tard à Port-Royal, il doit se faire « inventeur » pour calfater sa barque. Faute de brai, il recueille dans les bois des gommes et des scories de sapin, on « tire la quintessence, ce qui est métier inconnu à Champdoré » et, à l'aide de ces grossiers résidus, aveugle les fissures des bordages vermoulus de son embarcation. Le calfatage terminé, l'expédition fit voile vers Port-Royal.

Poutrincourt y rentra le 14 Novembre, après avoir « couru beaucoup de périls » (1).

(1) Le P. de Charlevoix dit que ce voyage « fut assez inutile ». T. Ier, p. 118. Il est vrai que de Monts ne crut pas devoir tirer parti des points de la côte que lui signalèrent Poutrincourt et Champlain. Cependant, en 1611, les colons du Port Royal furent fort heureux de savoir qu'on cultivait le maïs et le blé d'Inde aux pays des Etchemins et des Âbénaquis pour aller s'y réapprovisionner.


— 250 — III

LE THÉÂTRE DE NEPTUNE.

Les colons étaient rongés d'inquiétude. Cette longue absence les avait démoralisés.

Poutrincourt faisait figure de chef. Son autorité à Port-Royal était respectée. Il avait trouvé le secret de l'exercer avec douceur et bonhomie, ce qui est le véritable moyen de l'affermir. Il était aimé pour son caractère expansif, sa bravoure, sa belle humeur, et surtout pour cette qualité des forts que Lescarbot appelle « la débonnaireté ».

« Si mal lui fust arrivé, dit l'historien de la Nouvelle-France, nous eussions été en danger d'avoir de la confusion. »

Il fut reçu avec une joie et une solennité « toutes nouvelles par delà ».

Les facultés d'improvisation de Lescarbot, fouettées par l'allégresse générale, se déployèrent avec avantage.

Dès.que l'acastillage et la blanche voilure de la barque qui ramenait l'explorateur se profilèrent à l'horizon sur le liseré violet des bois dénudés qui bordaient la baie Française, l'avocat de Vervins organisa en grande fièvre sur le rivage, avec l'aide de ses compagnons, que son zèle électrisait, une réception triomphale. Lescarbot était poète. Le morceau de résistance du programme fut un grand


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dialogue en vers dont il régla en un clin d'oeil la distribution et qu'il appela modestement « une gaillardise ».

En quelques heures, le temps que mit la marée à ramener dans le havre le bâtiment de Poutrincourt dont les avaries avaient ralenti l'allure, il troussa ce morceau littéraire dont la naïveté de premier jet est relevée d'une pointe d'humour et de fantaisie qui n'est point sans charme, mais qu'on aurait tort de prendre dans son ensemble pour un chef d'oeuvre de goût et d'art poétique. L'auteur luimême n'était guère satisfait de sa rapsodie, car il fait cet aveu candide, qui est simplement une merveille : « Je prie le lecteur d'excuser si ces rimes ne sont si bien limées que les hommes délicats pourroient désirer. Elles ont esté faites à la hâte... »

Précaution superflue, maître Lescarbot !

... Le temps ne fait rien à l'affaire, aurait répondu « l'homme aux rubans verts ».

Telle quelle, l'oeuvre ressemble fort, comme facture, inspiration et métrique aux stances que Malherbe avait écrites au mois de Mars précédent » Aux dames, pour les demi-dieux conduits par Neptune, dans le carrousel des quatre éléments. Par sa mise en scène, ce divertissement se rattache aussi à ces promenades et danses qu'on appelait autrefois ballets ambulatoires et qui étaient une imitation de la pompe tyrrhénienne dont Appien d'Alexandrie a laissé la description, et qui rappellent,


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d'assez loin, en raison de la figuration des dieux de l'Olympe, des tritons et des sauvages, les réjouissances à la mode au précédent siècle (1), et celles, plus fastueuses, qui éblouirent, soixante ans plus tard, les courtisans de Versailles.

Au lieu de créer un décor approprié à la pièce, les acteurs de « ballets ambulatoires » s'accommodent des lieux environnants et se transportent, au fur et à mesure que l'action se déroule, aux endroits qui conviennent.

Ainsi procèdent les interprêtes de la « gaillardise » intitulée : Théâtre de Neptune en la Nouvelle-France, représenté sur les flots du Port-Royal le quatorzième de Novembre mil six cens six, au retour du sieur de Poutrincourt du païs des Armouchiquois (2).

Dès que Poutrincourt passe à bord de sa chaloupe pour descendre à terre, le canon tonne et les acclamations retentissent.

C'est alors que Neptune paraît, drapé d'un grand manteau bleu et chaussé de « brodequins », c'està-dire du cothurne tragique. Il a la chevelure et la barbe longues et chenues ; il tient en mains le trident légendaire. Il est assis sur un char « paré de ses couleurs ». Le char est trainé sur les ondes par quatre tritons et il s'avance avec majesté à la rencontre de la chaloupe qui se balance sur les flots.

(1) Gilbert CHINARD, L'Exotisme américain dans la littérature française au XVIe siècle.

(2) Les Muses de la Nouvelle France, p. 7.


PI. vi. — LE THÉÂTRE DE NEPTUNE. Poutriucourt au Port-Royal en 1606. Kxtrail du Théâtre <if Xeptune in Xeir-France, par llanïptl Talicr Hirhaidson.



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Cette embarcation est accrochée au véhicule du dieu des mers, et celui-ci salue Poutrincourt d'une harangue en vers alexandrins qui soulève discrètement le voile de l'avenir.

Le spectacle et le régal littéraire se poursuivent par l'entrée en scène des dieux marins, par les sixains du Triton, par les stances des Dauphins dont l'éloquence persuasive avait autrefois vaincu la résistance d'Amphitrite.

Une fanfare de trompettes éclate « hautement ». Les tritons soufflent dans leurs conques de nacre. Cependant M. de Poutrincourt — dissimulant mal son impatience derrière son étonnement — tient son épée à la main « laquelle il ne remit point au fourreau » avant la fin des discours.

Le char de Neptune s'écarte lentement et fait place à un canot monté par quatre Français déguisés en sauvages, porteurs de présents. Le premier, selon la généreuse et hospitalière coutume des Souriquois, offre un quartier d'élan, le second apporte de riches peaux de castors ; le troisième est chargé de matachiaz et de toutes les « jolivetez » à la mode dans le pays ; quant au quatrième, il ne tient en main qu'un harpon à pointe triangulaire.

. Fortune n'est pas toujours Aux bons chasseurs favorable...

Poutrincourt remercie Neptune « de ses offres au bien de la France » les tritons et les sauvages de leurs largesses et de leurs compliments de bien18

bien18


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venue. Il les invite à prendre le caracona (le pain) et le vin au Port-Royal.

La cérémonie n'est point terminée. L'intarissable faconde de Lescarbot ne fait point grâce à Poutrincourt des couplets que « la troupe de Neptune chante en musique à quatre parties ».

On prend la route du fort dont la façade est ornée de guirlandes de feuillage et d'inscriptions. C'est là que se déroule le dernier acte.

« Au surplus, pour honorer davantage le retour de notre action, nous avions mis au-dessus de la porte de notre fort les armes de France, environnées de couronnes de lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois ) avec la devyse du Roy :

DVO PROTEGIT VNVS

au-dessous celles du sieur de Monts avec cette inscription :

DARIT DEVS HIS QVOQVE FINEM

et celles du sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription :

INVIA VIRTVTI NVLLA EST VIA

toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers ! » Les trompettes sonnent de rechef ; les conques bruissent, et les canons, dominant par intervalles ce formidable concert, ébranlent les remparts aux cimes crénelées, à tel point qu'il semble « que


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Proserpine soit en travail d'enfant». Les coteaux d'alentour multiplient ces coups de tonnerre, « lesquels durent plus d'un quart d'heure ».

A l'entrée du fort Royal, un compagnon de gaillarde humeur attend Poutrincourt de pied ferme. L'homme déclame un morceau de Lescarbot où notre poète a mis toute la grâce primesautière, toute l'abondance de vocabulaire, toute la verve d'un Picard qui a lu Rabelais.

Après avoir long temps, Sagamos, désiré Ton retour en ce lieu, en fin le ciel iré A eu pitié de nous, et nous montrant ta face, Il nous a fait paroître une incroyable grâce. Sus donc, rôtisseurs, dépensiers, cuisiniers, Marmitons, pâtissiers, fricasseurs, taverniers, Mettez dessus dessouz pots et plats et cuisine, Qu'on baille à ces gens à chacun sa quarte pleine, Je les voy altérez sicvt terra, sine aqua. Garson dépéche-toy, baille à chacun son K. Cuisiniers, ces canars sont-ils à point à la broche ? Qu'on tue ces poulets, que cette oye on embroche, Voici venir à nous force bons compagnons. Entrez dedans Messieurs, pour vôtre bien venue, Qu'avant boire chacun hautement éternue Afin de décharger toutes froides humeurs Et remplir voz cerveaux de plus douces vapeurs.

C'est à cette allure d'abord fière et grave, puis familière, et enfin vive et dégagée que le chariot de Thespis, chargé de promesses gastronomiques et bachiques, fit sa triomphale entrée en NouvelleFrance.


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C'était le « premier drame donné sur le continent américain au nord des établissements espagnols », dit Harriette Taber Richardson. Il avait pour auteur un Picard, et avait été Composé en l'honneur d'un Picard (1).

Durant cette longue cérémonie, M. de Poutrincourt dut se contenir. Sa pensée toujours en éveil s'élançait ailleurs. Il était fort impatient de savoir en quel état se trouvaient ses cultures. C'est Lescarbot foulant aux pieds son amour-propre d'auteur, qui en fait l'aveu : « Aussitôt les réjouissances terminées le sieur de Poutrincourt eut soin de voir ses blés, dont il avoit semé la plus grande partie à deux lieues de nôtre Fort, en amont de la rivière du

(1) En. commémoration de cette première représentation dramatique, l'Association historique d'Annapolis Royal a fait apposer une plaque au fort Anne, ancienne forteresse de PortRoyal, le 2 Août 1926.

La cérémonie d'inauguration eut lieu sous la présidence du Lieutenant-Gouverneur de la Nouvelle-Ecosse.

Voici la traduction littérale de l'inscription :

Cette plaquette placée ici A. D. 1926, commémore le théâtre de Neptune à Port-Royal en Acadie 1606, la naissance du drame en Amérique du Nord.

A cette occasion, la pièce de Lescarbot a été réimprimée en français et en anglais sous ce titre : The Théâtre of Neptune in New France, Presented upon the waves of Port Royal the fourteenih day of November, sixleen hundred and six, on the reiurn of the sieur de Poutrincourt from the Armouchiquois Country, by Marc Lescarbot, The French text, With Translation by Harriette Taber Richardson.

Boston, imprimé par The Riverside Press pour Houghton Mifflin, C° de Park Street, près le Common, 1927.


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Dauphin ». Ses froments des abords du Port-Royal étaient « bien avancés », mais ceux semés en son absence, vers le 6 Novembre, levaient à peine.

L'installation qu'avait ébauchée du Pont-Gravé ne satisfaisait point Poutrincourt. Il rêvait de constructions plus vastes, plus commodes. Le beau temps, qui se prolongea, lui permit de les commencer avant l'hiver.

A l'aide de l'argile qu'il avait découverte dans le sous-sol, il fit fabriquer des briques et des tuiles. De nouveaux bâtiments « avec cheminées » s'élevèrent. Il fit édifier un moulin à eau sur l'un des ruisseaux qui cascadaient à travers ses champs, ce « qui fut fort admiré des sauvages ». Il fit dresser un fourneau pour la fonte des gommes de pin. « L'habitation » ainsi étendue prit forme de village.

Sa prévoyance s'exerça pour le réapprovisionnement. Plusieurs barriques de harengs et de sardines furent salées et pacquées tant pour la réserve d'hiver que pour expédier en France. Le charbon de forge « étant failli », il fit couper les rameaux des géants de la forêt, les disposa en pyramides dans une grande fosse, et, selon le procédé ordinaire, y mit le feu en faisant boucher toute ouverture quand la combustion fut suffisamment entamée. Une provision de charbon de bois fut ainsi constituée.


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L'hiver, une couche épaisse de neige vint protéger les blés, « lesquels ne laissèrent de croître ».

Le froid ne fut pas extrême, puisque le dimanche 4 Janvier, en allant voir les récoltes à deux lieues du port sur la rivière de l'Équille, les colons dînèrent fort gaîment au soleil, sur le sol couvert d'une ouate glacée. Le repas se termina même « en chantant en musique » et Lescarbot porta ce toast aux marchands de La Rochelle :

Ça, garson, de ce bon vin Du cru de Monsieur Macquin, Et buvons à pleine gorge Tant à luy qu'à Monsieur George. Ce sont des hommes d'honneur Et d'une agréable humeur, Car ils nous ont l'autre année Fournis de bonne vinée. (1)

Les hivers de 1607 et de 1608, au dire de Lescarbot, furent bien plus rigoureux. Cependant, quelques sauvages moururent de froid dans leurs cabanes mal calfeutrées. En Février et en Mars 1607, la petite colonie perdit quatre hommes de « la maladie du pays », et « du mal de bouche », c'est-à-dire du scorbut. Ces fléaux de la NouvelleFrance, mal connus et par conséquent difficiles à combattre, furent étudiés par Lescarbot et par le chirurgien. Le corps d'un nègre fut disséqué sur l'ordre de Poutrincourt pour faciliter les recherches scientifiques.

(1) Les Muses de la Nouvelle France, p. 62.


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Dès la fin de carême, les premiers souffles de tiédeur qu'apportèrent les vents du Sud fondirent les neiges et libérèrent à la fois les eaux prisonnières dans leur geôle de glace et les colons séquestrés entre les murs épais de leurs habitations. On se remit dès lors avec courage à cultiver la terre et à préparer les jardins.

Lescarbot montrait l'exemple du travail manuel. A la^prière de Poutrincourt, il consacrait «quelques heures de son industrie à enseigner chrétiennement son petit peuple » chaque dimanche « et quelquefois extraordinairement », pour « donner exemple de notre façon de vivre aux sauvages ». « Or, cela ne fut pas sans fruit... » (1). L'avocat ne pouvait suppléer au sacerdoce absent, comme on l'a fait exactement observer (2), mais ce n'était pas absolument un profane. En instruisant ses compagnons Français et indigènes des choses de la religion, il ne pénétrait pas en intrus dans un domaine étranger ; il possédait, en théologie, des connaissances étendues. Il avait étudié de près les questions touchant à la diffusion de la foi et à l'éloquence de la chaire, puisque — détail que les auteurs qui ont jugé avec tant de sévérité sa participation à l'évangélisation de la NouvelleFrance, ont omis de faire remarquer — il avait traduit avec une scrupuleuse exactitude La Guide

(1) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, p. 490.

(2) M. Georges GOYAU, Origines religieuses du Canada.


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des Curez et instructions des Pasteurs, oeuvre très __ utile et nécessaire à ceux qui désirent s'employer à la Prédication de la Parole de Dieu et à l'administration des Sacrements de la Confession et de l'Eucharistie, dressé par feu de saincle et heureuse mémoire, Charles Borromée, claire-lumière de l'Evangile en notre siècle.

Il avait eu, en menant à bonne fin cette traduction, la préoccupation constante de se maintenir, comme son illustre modèle, dans la plus exacte et la plus pure doctrine chrétienne, préoccupation doublée de la crainte d'aller « oublieusement aheurter aux rochers Capharéens, ou engouffrer au Carybde glouton de l'hérésie ». Cet ouvrage était depuis longtemps prêt à être publié lorsque le traducteur fit le voyage de Canada. Il avait obtenu l'approbation des docteurs régents en la sacrée Faculté de Théologie, à Paris — signée H. Le Maire et M. Aubry — le 12 Janvier 1601 (1).

IV

RUPTURE DE L'ASSOCIATION ROCHELAISE.

Poutrincourt, en prévision du retour, avait à peine achevé de faire construire deux grandes barques calfatées de l'enduit fabriqué à l'aide de

(1) La Guide des Curez... traduit par Marc Lescarbot, à Rouen, chez Romain de Beauvais, 1 vol. in-12, 1613.


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gommes de sapin, que le jour de l'Ascension, le Sagamos Membertou signala l'arrivée d'un navire français.

Du fort, quatre coups de canon et douze coups de fauconneaux saluèrent au large ceux qui venaient de si loin. Poutrincourt envoya Champlain et Daniel Hay à leur rencontre.

C'était une barque marchande de Saint-Malo, commandée par un jeune capitaine, nommé Chevalier.

Arrivé au fort, ce navigateur « bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt ». Avides de nouvelles de France, les colons s'assemblèrent, et ces lettres « furent lues publiquement ».

Hélas !.. les nouvelles étaient désastreuses. La cabale qui, circonvenant le Roi, l'avait indisposé contre de Monts, était triomphante. Le crédit du Vice-Roi était perdu. La société rochelaise était rompue (1).

(1) Ces événements n'étaient que les avant-coureurs de la catastrophe qui devait suivre à quelques semaines : la révocation du privilège de de Monts. Voici le texte de l'arrêt :

« Arrest du Conseil d'Estat de Sa Majesté portant révocation de plusieurs commissions obtenues par cy devant à la foule et oppression de ses subiets.

« Extraict des Registres du Conseil d'Estat.

« Sur les plaintes faictes au Roy en son Conseil, des grandes et continuelles recherches qui se font à présent sur ses subjects, en vertu de plusieurs commissions cy devant expédiées, dont ils sont extrêmement travaillez : De sorte qu'il n'y a nulle sorte de condition de personnes qui en soit exempte : Sa Majesté voulant pour le bien et utilité de son peuple (qu'elle désire


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Pour expliquer cette dernière décision, les armateurs objectaient que le commerce des fourrures avec l'Acadie n'était pas assez rémunérateur, « d'autant que, contre l'édit du Roy, les Hollandois, conduits, par un traître françois nommé La Jeunesse, avoient l'an précédent enlevé les castors et autres pelleteries de la grande rivière du Canada » (1).

Afin de sauver les frais du voyage, le navire devait s'arrêter à Canseau pour y faire la pêche.

Ce fut le coup de foudre pour les colons de PortRoyal. C'était l'anéantissement de toutes les espérances de Poutrincourt.

tant qu'il luy est possible de soulager) empescker le cours de telles vexations, A surcis et surçeoit toutes et unes chacunes les commissions extraordinaires et recherches cy après spécifiées, à sçavoir les commissions pour la recherche des usures ; celles de la recherche de l'employ qui s'est cy devant faict des deniers d'octroy qui se lèvent sur les villes, bourgs et communautez... : La permission accordée au sieur du Mont de retenir les castors, par le moyen de laquelle les marchands sont contraincts de les acheter de luy... le tout iusques à ce que par sadicte Majesté autrement en ait esté ordonné. Faict au Conseil du Roy tenu à Paris le dix-septiesme iour de Juillet, 1607.

« Signé FAYET. » Archives Nationales. A. D. + 143, n° 4.

(1) La Jeunesse n'était pas le seul Français qui eût ainsi trahi les intérêts du commerce national en s'associant avec nos rivaux. Le 1er Janvier 1606, le Rouennais Nicole de Bauquemare avait fait un accord avec trois marchands d'Amsterdam pour faire le voyage de Tadoussac et se livrer a la traite. Ch. DE BEAUREPAIRE, La Normandie, Juillet 1893.


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« Nous eûmes une grande tristesse, avoue Lesearbot, de voir une si belle et si sainte entreprise rompue, que tant de travaux et de périls passez ne servissent de rien et que l'espérance de planter là le nom de Dieu et la foy catholique s'en allast évanouie ».

Poutrincourt entrait dans la voie des déceptions et des amertumes. Ce n'était point de ces hommes que le premier coup du destin abat. La minute d'accablement passée, il releva la tête avec plus de courage encore, et fit front à la fortune adverse. L'idée d'abandonner à jamais la petite cité qu'il avait fondée ne lui vint pas : « Après que le sieur de Poutrincourt eut longtemps songé sur ceci, il dit que quand il devroit venir tout seul avec sa famille, il ne quitteroit point la partie ».

Les lettres de France annonçaient la naissance du duc d'Orléans. Il fallut, au déclin du jour, allumer des feux de joie, faire tonner canons et bombardes, et chanter le Te Deum !

Le capitaine Chevalier était un homme de sac et de corde. Son navire avait été chargé de ravitaillement pour la colonie, moutons et volailles. Rien n'arriva. Il prétendit que les animaux étaient morts au cours du voyage. Cette échappatoire ayant été accueillie avec incrédulité, il dit encore — relate Lescarbot — « pour plus ample résolution que l'on pensoit que nous fussions tous morts ».

Chevalier parla dès le premier j our de rembarquer.


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Poutrincourt ne put se résoudre à un retour si prompt. Il tint le capitaine «huit jours en espérance ».

A l'expiration de ce délai, le maître de barque, ne voyant aucun préparatif de départ, confia à ses hommes qu'il allait repartir à l'improviste et laisser-là les obstinés colons. Poutrincourt, avisé de ce projet, fit occuper la barque par des hommes armés. Sa pensée était de ne quitter Port-Royal qu'après la maturité des blés, car ses efforts avaient donné des résultats surprenants : « Dieu a béni nostre travail — constate Lescarbot — et nous a baillé de beaux froments, seigles, orges, avoines, pois, fèves, chanvres, navettes, et herbes des jardins : et ce, si plantureusement, que le seigle estoit aussi haut que le plus grand homme qui se puisse voir, et craignions que cette hauteur ne l'empeschat de grener. Mais il a si bien proufité qu'un grain de France, là planté, a rendu centcinquante épis tels que la Sicile et la Beauce n'en produisent pas de plus beau ».

Quinze jours plus tard, Poutrincourt envoya une barque à Canseau avec les ouvriers. Pour tromper l'impatience du capitaine de navire, il l'autorisa à passer à l'embouchure de la rivière Saint-Jean et à l'île Sainte-Croix pour faire des échanges. Lescarbot fut de ce court voyage. « Les sauvages ne donnèrent que leurs vieilles pannes pleines de poux, et tout ce qu'ils ne vouloient point,... trafic que je prise peu » dit le poète.


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A l'aide d'une grande barque, de deux petites et d'une chaloupe, la colonie fut évacuée sur Canseau. Champdoré et Lescarbot partirent le 20 Juillet. Ce dernier exhala ses regrets dans ses Adieux à la Nouvelle France :

Qui croira que le blé que l'on appelle d'Inde En cette saison-ci si hautement se guindé Qu'il semble estre porté d'insupportable orgueil Pour se rendre, hautain, aux arbrisseaux pareil. Ha ! que ce m'est grand deuil de ne pouvoir attendre Le fruit qu'en peu de temps vous promettiez de rendre !

Poutrincourt demeura onze jours après le dernier envoi d'hommes, attendant patiemment la maturité des blés. Il en fit faucher, il en arracha avec la racine « pour en montrer par deçà la beauté et démesurée hauteur... »

Il allait dire adieu à Port-Royal quand Membertou qu'on avait vu réunir ses hommes et partir en guerre quelques semaines auparavant contre les Armouchiquois, rentra victorieux. Sur la prière instante du Sagamos, Poutrincourt dût retarder encore son départ. Il reçut des présents et donna l'excédent de ses provisions en échange : de la farine et une barrique de vin. Membertou voulait offrir sa mine de cuivre au Roi de France. « Il faut, disait-il, que les Sagamos soient honnêtes et libéraux les uns envers les autres ».

Lorsque le moment de la séparation arriva, « ce fut pitié de voir pleurer ces pauvres gens,


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lesquels avoient toujours été tenus en espérance que quelques-uns des nôtres demeureraient auprès d'eux ».

Les Souriquois se montrèrent inconsolables. Poutrincourt dut leur promettre de ramener des familles françaises pour habiter le pays. Il leur confia la garde des bâtiments et des magasins, leur recommanda de respecter le moulin qu'ils avaient tant admiré ; puis il leur dit adieu comme à des amis.

« Ces détails sont d'apparence assez mesquins, et le théâtre de l'action est fort restreint — fait observer Rameau — mais dans la force d'âme et le ferme bon sens de ce gentilhomme si dévoué à son entreprise, dans l'attachement naïf de ses compagnons pour cette terre qu'ils avaient déjà fécondée,il y a certes autant d'intérêt et d'enseignement utile qu'en aucun récit épique de l'histoire des grands empires ».

Poutrincourt partit lui neuvième, le 11 Août, pour retrouver « son peuple » au port Canseau. Outre ses récoltes et ses barils de poissons, il emportait « une douzaine d'outardes prises au sortir des coquilles », un aiglon qui malheureusement brisa ses chaînes et se perdit en mer, des échantillons d'une sorte d'acier recueilli dans des roches vers la rivière Saint-Jean, et qu'il avait fait fondre en lingots, et quelques autres curiosités. Poutrincourt avait rêvé d'emmener en France la fille d'un Sagamos nommé Oagimont, souverain


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« d'îles confuses », peuplées de sauvages qui avaient contracté alliance avec Membertou dans la guerre contre les Armouchiquois. C'était une jolie sauvagesse « bien agréable », âgée d'environ onze ans. A maintes reprises Poutrincourt l'avait demandée à son père dans le dessein de la donner à la Reine, lui promettant chaque fois que durant toute son existence, « il n'auroit faute de blé ni d'autre chose», mais le Sagamos ne répondait que par des signes de dénégation, et « oncques il ne s'y est voulu accorder ».

Faute de cette princesse des îles lointaines, Poutrincourt emmenait un Souriquois.

Le 3 Septembre, on leva les ancres et l'on sortit du port Canseau.

Le navire était en vue des îles Sorlingues le 26 et, deux jours plus tard, les vents contraires le forcèrent à relâcher dix jours à Roscofî, en basse Bretagne.

Conduit ensuite « dextrement » à Saint-Malo par le maître de navire Nicolas Martin, Poutrincourt séjourna une huitaine de jours en cette ville, visita le Mont Saint-Michel en compagnie de son fils et de Lescarbot, et se rembarqua.

La traversée du groupe des îles anglo-normandes faillit encore lui être fatale. Entre les îles de Jersey et de Sark, dans les parages de Guernesey où les écueils multiplient traîtreusement leurs embûches sous les flots opaques, Poutrincourt égaré par l'incapacité de ses matelots, dut se mettre à la barre et affronter les difficultés d'une route


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sinistre, «de manière, dit Lescarbot, que nous passâmes le Raz-Blanchard (passage dangereux à de petites barques), et vinmes à l'aise, suivant la côte normande, à Honfleur ». Le ras de Blanchard, par ses courants irréguliers et violents, est en effet un passage dont le danger est proverbial : Si jamais tu passes le ras, si tu ne meurs, tu trembleras.

Il se rendit à Paris où il sollicita une audience de Sa Majesté. Il « présenta au Roy les fruits de la terre d'où il venoit et spécialement les blé, froment, seigle, orge- et avoine, comme étant la chose la plus précieuse qu'on puisse rapporter de quelque pays que ce soit. » Le blé de la NouvelleFrance était « magnifique et en aussi belle perfection que le plus beau de France... ». Lescarbot en parle avec amour et respect : « Il eut esté bien séant de le mettre entre les enseignes de triomphe en quelque église ».

Henri IV écouta Poutrincourt avec intérêt, reçut l'hommage du blé que lui présentait le gentilhomme, envoya les outardes à Fontainebleau, dans les « délicieux déserts » où il avait reçu si souvent la visite de la belle Gabrielle et où l'on achevait alors, après de longs travaux, la cour des Princes, la galerie des Chevreuils et celle des Cerfs, et où, peut-être, ces pauvres oiseaux eurent le sort du caribou de Saint-Germain (1).

(1) « Il avoit (de Monts) envoie au Roy l'année passée un animal nommé caribous qui estoit de haulteur et proportion d'une biche, toutesfois le corsaige le moins du monde plus gros, ayant la teste fort petite et les pieds excessivement larges et


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Le Roi eut même la condescendance d'examiner avec quelque curiosité un couteau de chasse « qui tranchoit comme un razoir », que le seigneur de Port-Royal avait fait faire avec les lingots d'acier de la rivière .Saint-Jean (1).

Le but du gentilhomme, en présentant ces échantillons des produits de la Nouvelle-France à Sa Majesté était de confondre les adversaires de la colonisation du Canada et de porter un coup décisif à leurs théories pessimistes, de montrer quelles richesses insoupçonnées le commerce pouvait en tirer par la fondation d'un empire en Amérique septentrionale.

Le duc de Sully resté adversaire de notre expansion coloniale, n'était pas étranger à l'annulation du privilège de la traite (2). Il avait soumis au Roi, pour l'obtenir, maintes requêtes des marchands chapeliers parisiens. Les navigateurs de SaintMalo, qui se targuaient d'avoir découvert le Canada, ceux de Bayonne, de Saint-Jean-de-Luz et autres

gros pour la proportion de l'animal, le poil estoit de gris roussâtre. On le laissa mourir dans les fossés de St-Germain en Laye, à faute d'eau ou d'autres commoditez ». B. N. Manuscrits Dupuy, 669, fo 31.

(1) Marc LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France.

(2) Sur l'hostilité de Sully, voir Appendice LVI à l'Histoire du Canada de Garneau, t. Ier, p. 525.

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villes du pays basque accablaient aussi Sa Majesté de sollicitations pour la liberté du trafic (1).

La démarche de Poutrincourt produisit une vive impression sur l'esprit du Roi. Elle eut un effet immédiat. Frappé des résultats que le gentilhomme lui exposa, convaincu par les preuves décisives qu'il lui mit sous les yeux, Henri IV se

(1) Le privilège avait été révoqué, au dire de de Monts, « parce qu'il le pleust ainsy à Monsieur le duc de Sully, sur le réquisitoire de quelques chapeliers de cette ville de Paris ».

Interrogatoire de de Monts dans son procès contre le marchand . rouennais Nicolas de Bauquemare, au sujet du nègre Mathieu Dagosta, qui avait appartenu à de Monts et qui s'était obligé à servir Bauquemare au Canada. DE BEAUREPÀIRE, La Normandie, Juillet 1893.

Exemple des doléances des navigateurs malouins et basques :

Les bourgeois de la ville de Saint-Malo remontrent à Sa Majesté, « qu'encores qu'ilz aient cy devant découvert par permission des Roys avec grande despense et au péril de leur vie les terres de Canada et pais adjacent, néanmoings ils estoient privez de la traite et commerce d'iceluy par aucuns qui avoient obtenu 1res d'introduction dudi commerce au préjudice des suppliants». Ils ajoutent qu'ils voient «par telles défenses le traûlcq s'anéantir entièrement en ladte ville ».

Une requête des maire et échevins, gens du conseil, bailli et jurants, manants et habitants de Bayonne, Saint-Jean de Luz, Urrugne, Hendaye, etc., demande « qu'il pleust au Roy leur permettre de naviger, négocier et traficquer aux contrées de Canada, (cap) Breton, Cadie et autres endroitz tout ainsy qu'ilz ont accoustumé par le passé » : ils supplient qu'il soit « faict défense au sr de Monts de les empescher et molester », « attendu que par leur navigation, ce royaume en reçoit de grandes commoditez et que mesme les Espagnolz, flamans et autres nations y traficquent librement... ».

B. N. Manuscrits français, 18. 176, f° 4, r°.


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décida pour une mesure transitoire capable de relever le courage de de Monts et de ses lieutenants, sinon de concilier définitivement les intérêts opposés de la Société et de la liberté du commerce. « Sur la présentation des fruits de la terre d'Acadie, il continua pour un an à de Monts et à ses associés le privilège de la traite des castors et autres pelleteries » (1).

(1) LESCARBOT, liv. II, p. 652, etc. Le Mercure François, t. I, fol. 295 à 297. PoiRSON, t. III, p. 590. «Le monopole supprimé le 17 Juillet 1607, fut prorogé sans condition du 7 Janvier 1608 au 7 Janvier 1609. Séraphin MARION, pp. 15 et 17.

Il nous a paru intéressant de rechercher cette décision mentionnée par les auteurs du temps, mais qui paraît inédite.

Arrêt autorisant le sieur de Monts et ses lieutenants à trafiquer et négocier pendant un an seulement avec les sauvages de la Nouvelle France. Cet arrêt vise une supplique de de Monts par laquelle l'explorateur demande qu'il « plaise au Roi de lui continuer l'habitation qu'il avoit ci-devant commencé » en Acadie, « afin que ses sujets puissent aller librement et sûrement traficquer ». De Monts offre « de s'y employer » efficacement, et compte parfaire son oeuvre, « moyennant quelque commodité ».

Le dispositif est ainsi conçu :

« Le Roy en son Conseil, ayans aucunement égard ausd. remontrance a permis et permet aud. sr de Montz ou ses lieutenants de pouvoir durant un an seulement traficquer et négocier avec les Sauvages de la Nouvelle France, et pour cest esffect Sa Mté a levé et osté la surcéance portée par l'arrest de son Conseil du 17e jor de Juillet dernier, pour ce qui concerne la permission dud. sr de Montz sur le faict des castors durant lad. année, et afin que personne n'en prétende cause dignorance sera le pnt arrest publié... Faict au Conseil du Roy tenu à Paris le XXIXe Mars 1608 ».

B. N. M*» français, 18.173, f° 194 v°.


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Néanmoins, Sa Majesté s'acheminait vers une autre combinaison, « celle d'une compagnie ouverte à tous » pour substituer l'association commerciale pure et simple à ce que le P. de Charlevoix appelle « un odieux monopole » que nul ne « devoit se flatter de conserver longtemps ».

Assez maigre fut la compensation que le Conseil du Roi accorda d'autre part à de Monts pour l'indemniser de ses pertes immenses, de trois ans d'efforts et de souffrances, et de cent mille livres de dépenses. Il fut autorisé à prélever six mille livres sur le produit du trafic des pelleteries.

Mais comment percevoir ce droit ?

« Quelle dépense lui eus-t-il fallu faire en tous les ports et havres — fait remarquer Champlain — pour recouvrer cette somme, s'informer de ceux qui auroient traitté..., sur plus de quatre-vingts vaisseaux qui fréquentent ces costes ? C'estoit lui donner la mer à boire !.. » (1).

(1) Voyages de Champlain.

« On lui fit beaucoup valoir cette gratification, qui dans le fond n'étoit rien». Le P. DE CHARLEVOIX, t. Ier, p. 119.

L'avantage accordé à de Monts était difficile à exercer, mais non point impossible comme le croyait Champlain ; l'arrêt du Conseil avait prévu et réglé le mode de prélèvement des six mille livres.

« Arrêt autorisant les habitants de Saint-Malo et de Bayonne à trafiquer librement avec le Canada, nonobstant les lettres précédemment obtenues par le sieur de Monts...

« Le Roy en son Conseil a permis et permet ausd. bourgeois et habitans de S'-Malo, Bayonne, bourgs et paroisses susnommées, et à tous ses autres sujets de traficquer librement


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Lescarbot, fixé à Paris dés son retour de la Nouvelle France en 1607, partagea son temps entre les rôtisseries de la rue aux Ours qui avaient fait les délices de sa vie d'étudiant, et les librairies. Il se lia avec plusieurs éditeurs-imprimeurs, entre autres Jean Millot, Jérémie Périer, libraire rue Saint-Jacques. C'est probablement par l'entremise de ce dernier qu'il connut Pierre de l'Estoile dont il devint l'ami. Il publia quelques pièces fugitives et notamment, en Décembre, La deffaite des Sauvages Armouchiquois, un de ces opuscules criés et vendus dans la rue, à Paris, en l'absence de journaux, que l'Estoile appelait «bagatelles» ou « fadèzes » et qu'il collectionnait précieusement (1). La défaite des Armouchiquois a figuré depuis dans les Muses de la Nouvelle-France.

esd. terre de Canada et pais adjacent... » nonobstant l'autorisation accordée à de Monts. « Et néantmoings, pour certaines considérations, Sa Majesté a ordonné et ordonne que pour aucunement le récompenser des frais et despens des voyages qu'il a faitz ausd. pais, il luy sera paie par lesd. habitans de S'-Malo, Bayonne... » etc. « la somme de six mil livres en la pnte année, laquelle sera départie et esgallée par les juges de l'admiraulté desd. villes de S. Malo et Bayonne sur les navires qui ont trasficqué en cested. année esd. pais, à proportion du port de chacun vaisseau. Et serons les marchans contrainctz au paiement de leurs taxes comme pour les deniers de Sa Majesté ».

« Faict au Conseil d'Estat du Roy tenu à Paris le VIe j. d'Octobre 1609».

B. N. M*" français 18.176, f° 4 r°.

(1) Il acheta la veille de noël 1607, La deffaite des Sauvages Armouchiquois par le Sagamos Membertou et ses alliez sauvages, en la Nouvelle France, au mois de juillet 1607. Où se peuvent


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Ses relations dans le monde des libraires quelque fructueuses qu'elles pussent être pour cet ami des belles-lettres, lui valurent une désagréable aventure et un emprisonnement.

Me Antoine Fusil, curé de Saint-Barthélémy, à Paris, qui entretenait les meilleures relations avec l'Estoile et avec Lescarbot, fut poursuivi en justice au Châtelet, en Novembre 1609, sur trois chefs d'accusation « à la suscitation des Jésuites ». Il avait fait imprimer un livre intitulé Le Mastigophore, contre un . nommé Vivien, leur « façiendaire », et s'était, de plus, attiré la rancune des Pères en leur refusant sa chaire pour leurs prédications. Les trois accusations portées contre cet ecclésiastique étaient d'hérésie, de sorcellerie et de paillardise.

Le livre fut désavoué par le curé. On lui reprochait sur le premier chef de favoriser les hérétiques et de recevoir « ceux de Charenton » ; sur le second d'avoir aidé à éteindre un incendie avec une chereconoitre

chereconoitre ruses de guerre desdits Sauvages, leurs actes funèbres, les noms de plusieurs d'entre eux el la manière de guérir leurs blessez. L'Estoile qualifie cette pièce de « nouvelle bagatelle ». Journal de Henri IV, t. IX, p. 36. En voici le début :

Je ne chante l'orgueil du géant Briarée Ni du fier Rodomont la fureur enivrée Du sang dont il a teint préque tout l'Univers Ni comme il a forcé les pivots des enfers, Je chante Membertou et l'heureuse victoire Qui lui acquit naguère une immortelle gloire.


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mise de femme. Il put se disculper assez facilement de ces imputations. Quant au troisième chef, il put établir qu'une fille de mauvaises moeurs avait été envoyée en son presbytère à point nommé, pour que sa présence y fut constatée par un commissaire. Ce curé était tenu par l'Estoile « pour honneste homme ».

Lescarbot était-il pour quelque chose dans la composition du livre désavoué ? On l'ignore. Dans tous les cas, l'Estoile note en fin Novembre : « Un avocat de mes amis, nommé Lescarbot, en peine et en prison, pour le Mastigophore de Fuzy, à la suscitation, ainsi qu'on le disoit, et par la trahison d'un imprimeur, nommé Langlois » (1).

Lescarbot n'était plus en captivité quand parvint à Paris, à la fin de l'année suivante, la nouvelle des premières conversions des sauvages au Port-Royal, dont il publia la relation.

Ses écrits enthousiastes sur le Canada ne passèrent point inaperçus. Ils furent commentés de diverses façons et suscitèrent même la verve des folliculaires qui écrivaient sous le nom de maître Guillaume, et qui affirmaient, non sans quelque apparence de raison : que de Monts et Poutrincourt « arrachaient les épines au Canada », c'est-à-dire qu'ils préparaient les voies et déblayaient le terrain à ceux qui devaient venir après eux.

Ces publications assez plates étaient rarement relevées de quelque esprit. Cependant, la fantaisie

(1) Journal de Henri IV, t. X, p. 88.


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la plus baroque s'y déchaînait. Les Merveilleuses aventures de maitre Guillaume en son voyage aux Indes, parues en 1610, parodiaient lourdement l'accent convaincu et les descriptions admiratives de Lescarbot : « ..Je... me trouvay au païs de Canadas, où Dieu sçay si ie vis de belles choses : Je vy des rivières retourner à leurs sources, des ours dans les fleuves, et les maquereaux perchez sur les arbres, ie vous promets que ie n'en vis iamais autant, encor que monsieur le prince des sots dit Angoulevents (1) en doit venir un de ces iours vous en contera le reste, ie le passeray sous silence, et vous diray seulement la bien venue qu'il me fit à mon arrivée... » (2).

La foi de Lescarbot dans l'avenir du Canada n'en fut pas atteinte. Il devait bientôt retrouver Poutrincourt à Paris songeant à organiser un nouveau voyage. Il le seconda dans maintes démarches, lui donna l'appui de sa plume et de son expérience, mais il refusa, cette fois, de repartir.

(1) Nicolas Joubert ou Imbert, sieur d'Angoulevent, valet de chambre et fou d'Henri IV.

(2) On trouve quelques-unes de ces publications de maître Guillaume à la Bibliothèque Nationale. Celle-ci y est classée à la Réserve, f. Y2, 3228.


TROISIEME VOYAGE

1608-1610

I

LE NONCE UBALDINI

De Monts résolut de profiter du privilège de trafic des pelleteries qui lui était concédé pour l'année 1608, et, à cette fin, s'assura le concours de Champlain, qui devint en la circonstance son lieutenant, et de Pont-Gravé.

Ce dernier partit d'abord pour Tadoussac. Champlain le suivit, et, quatre-vingts jours après avoir quitté Honfleur, le 3 Juillet, il ancrait son vaisseau dans un « étranglement » du fleuve SaintLaurent.

Au cours de ce voyage, Champlain jeta les fondations de Québec, explora les pays des Algonquins et des Montagnais, suivit ces tribus dans leurs expéditions guerrières, et parvint jusqu'aux bords du lac qui devait plus tard porter son nom.

De Monts, demeuré à Paris « polir quelques siennes affaires », faisait des démarches en cour, en vue d'obtenir la continuation de sa commission. Ses espérances et ses sollicitations furent vaines. Le Roi ne lui renouvela point le privilège exclusif


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du commerce de la Nouvelle-France. Le Vice-amiral dût substituer à la compagnie privilégiée une compagnie libre, et il s'occupa d'organiser un nouveau voyage.

Cette autre expédition, confiée à Champlain, ne parvint à Québec qu'à la fin de Mai 1610. Le grand explorateur, depuis longtemps hanté par l'idée de percer l'isthme de Panama, se mit alors à chercher un passage interocéanique par les lacs, en remontant le Saint-Laurent. Cette préoccupation l'obséda pendant les années suivantes (1612-1615), et il se lança en avant, vers l'Ontario, poursuivant avec une infatigable persévérance son espoir chimérique, c'est-à-dire « le chemin facile pour aller par dedans ledit pays, au royaume de Chine » (1).

De Monts, ruiné et découragé, devait renoncer bientôt à ses entreprises, et mourir de chagrin, dit-on, de n'avoir point vu le triomphe de son oeuvre.

Mais que devenaient les projets de Poutrincourt ?

A quoi en était la colonisation de l'Acadie ?

A part un essai malheureux de peuplement du Port-Royal, tenté par Champdoré en 1608, tout était en sommeil (2).

(1) Voyages de Champlain, t. Ier, liv. III, chap. II, M. Gh. DE LA RONCIÈRE, t. IV, p. 329.

(2) LESCARBOT, liv. II, ch. 48, p. 652, éd. 1609. Mercure François, t. Ier, pp. 296 à 297. PoiRSON, t. III, p. 590.

L'essai de Champdoré fut entrepris sans aucun doute avec l'assentiment de Poutrincourt, car Port-Royal était réservé


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Comment le zèle communicatif du gentilhomme picard se trouvait-il ainsi refréné ?

Ses démarches ne lui procuraient que déboires.

Dès le mois d'Octobre 1608, il adressait au pape Paul V un message qui prouve son intention fermement arrêtée de continuer son oeuvre sans désemparer. Cette lettre, qui respire à la fois l'enthousiasme le plus pur et la résolution la plus réfléchie, atteint, dans sa simplicité, aux sommets du pathétique.

Poutrincourt, en commençant, rappelle que le saint Évangile, d'après une révélation indiscutable de Dieu, doit être prêché dans le monde entier, à toutes les nations, avant la fin des temps. Il constate avec joie que le Ciel, dans sa miséricorde, a suscité des missionnaires animés d'une foi toute chrétienne, de courageux explorateurs, pour répandre les bienfaits de la religion et faire briller l'étendard chrétien jusqu'aux extrémités du monde connu, voire même en des régions nouvelles.

Modestement, il se met sur les rangs :

« Je soussigné, Jean de Biencourt, dit de Poutrincourt, partisan et défenseur à vie de la Religion,

à ce dernier. Au dire de Lescarbot, si l'expédition de 1608 s'arrêta à Québec, c'était pour laisser la possession de PortRoyal à Poutrincourt : « Et d'autant que le sieur de Poutrincourt a pris son partage sur la côte de l'Océan, pour ne l'empescher, et pour le désir qu'a le sieur de Monts de pénétrer dans les terres jusques à la mer occidentale,... il délibéra de se fortifier dans un endroit de la rivière de Canada que les sauvages nomment Kébec ». A la vérité, Cbamplain, chef de l'expédition, avait depuis quelque temps jeté son dévolu sur Québec.


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me déclare de Votre Sainteté, le très humble serviteur. Je me sens, si je ne me trompe, appelé aussi, parmi tant d'autres, à me dévouer pour la gloire du Christ et le salut des peuples... qui habitent ces régions inexplorées destinées à former une Nouvelle-France. Dans ce but, je vais abandonner mon domaine, la maison paternelle et emmener mon épouse, mes enfants, qui partageront les dangers à courir. Ainsi fit Abraham, le père des croyants, qui, sur l'ordre de Dieu, s'expatria pour habiter une région inconnue, mais désignée par le Ciel...

« ...En réalité, je ne recherche pas une contrée ou abonde l'or et l'argent. Loin de moi la pensée de m'enrichir des dépouilles de peuplades lointaines. Tout mon désir, la grâce de Dieu aidant, si je puis l'obtenir, avec une bonne traversée, est de gagner au Christ ces populations disséminées sur ces territoires que me concède un édit royal. Pour une moisson si abondante, les ouvriers sont rares. Les heureux de ce monde, avides d'amasser les biens terrestres, se désintéressent complètement d'une pareille entreprise qui ne concorde guère avec les aspirations mondaines. Par ailleurs, ceux qui ne sont pas favorisés de la fortune n'ont guère les moyens d'assumer cette charge. Alors, quoi ? Faut-il renoncer à défendre la cause religieuse et divine ?

« Aurions-nous, depuis six ans, supporté en pure perte tant de fatigues, affronté tant de dangers,


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surmonté, pour la réalisation de nos projets, tant de tortures morales ? Mais non !

« Pour ceux qui craignent Dieu, tout aboutit au bien ». Donc, très certainement, Dieu, pour l'honneur, la gloire de qui nous entreprenons ce travail d'Hercule, favorisera nos voeux... »

(Poutrincourt déclare son intention de rompre avec les procédés de colonisation et d'évangélisation pratiqués par les Espagnols. Il continuera les méthodes de douceur de Jacques Cartier).

« ...Il me paraît profitable, pour la religion chrétienne, de diriger nos efforts vers ces vastes contrées qui s'ouvrent sur les plages occidentales et d'en gagner les habitants à la connaissance du vrai Dieu. Ce n'est pas par la force des armes qu'il faut les amener à notre religion, mais bien plutôt par la persuasion et la prédication du dogme et de la morale. Voilà les moyens employés par les Apôtres aux premiers temps de l'ère chrétienne.

« ...Pourquoi faut-il que je me présente, moi si misérable instrument, pour diriger une telle croisade ?.. Aussi, j'implore la bienveillance de Votre Sainteté, après avoir tout d'abord invoqué la miséricorde du bon Dieu. Je vous prie, Très saint Père, au moment de mettre à exécution cette entreprise, de daigner accorder Votre paternelle bénédiction à votre indigne serviteur, à mon épouse, à mes enfants, à mes serviteurs et à mes compagnons d'expédition. J'ai l'assurance qu'elle sera profitable non seulement à la santé des corps,


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mais à celle de nos âmes; j'ajoute même à notre prospérité ainsi qu'à la réussite de nos projets. Que le Dieu infiniment bon et puissant, que Jésus notre Sauveur et notre maître, que le Saint-Esprit vous accordent un règne long et glorieux sur cet illustre et incomparable siège du prince des Apôtres. Puissiez-vous voir se réaliser (ce serait votre plus grande gloire et satisfaction), cette parole du prophète touchant le Christ : Tous les rois de la terre l'adoreront et toutes les nations lui seront soumises.

«De votre sainteté, j'ai l'honneur d'être le très humble et très dévoué fils.

« Jean DE BIENCOURT (1) ».

Le Saint-Père fit savoir à Poutrincourt qu'il était « fort joyeux » de voir entreprendre une telle oeuvre sous son pontificat, qu'il l'appuierait de toutes ses forces, et qu'il prierait Dieu pour sa prospérité « sur les corps des saints Apôtres ». Il chargeait son représentant diplomatique à Paris « de donner sa bénédiction à tous ceux qui se présenteroient pour habiter la Nouvelle-France » (2).

Poutrincourt demanda au nonce Robert Ubaldini de désigner un ou plusieurs prêtres pour cet apos(1)

apos(1) Histoire de la Nouvelle France, pp. 612 à 615. Traduction de M. l'abbé Grandsert du Castel.

(2) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France.


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tolat exotique et de leur conférer les autorisations et pouvoirs les plus étendus (1).

Robert Ubaldini avait été envoyé à la fin de Juillet de l'année précédente (1607), comme nonce à Paris, par Paul V, après entente avec M. d'Alincourt, ambassadeur de France auprès du SaintSiège (2). Dès son arrivée en la capitale, le nonce, logé à l'hôtel de Cluny, fut fort occupé à empêcher la publication des Apologies du Roi d'Angleterre contre les brefs du Pape, à faire saisir les libelles dans lesquels Sa Sainteté était pasquillée, et le cardinal Bellarmin critiqué (3). L'évangélisation du Canada tenait alors assez peu de place dans sa pensée.

(1) Relation dernière. On voit que Poutrincourt tenait à ce que ses prêtres fussent pourvus des pouvoirs nécessaires par la Papauté, « non qu'un évesque françois ne l'eust peu faire » fait remarquer la Relation dernière. Poutrincourt était-il fondé à traiter sans intermédiaire avec Ubaldini pour une question aussi importante que celle de la propagation de la foi en Nouvelle France ? « Je crois, répond Lescarbot, que ladite mission est aussy bonne de luy (qui est évesque) que d'un autre, encore qu'il soit estranger ». L'auteur ajoute prudemment : « Toutefois, j'en laisse la considération à ceux qui ont plus d'intérest que moy, estant chose qui se peut disputer d'une part et d'autre ». La véritable marche à suivre, en pareille occurrence, n'était pas nettement tracée. Une direction régulière ne devait être donnée à l'oeuvre des missions étrangères que par la fondation de la Congrégation de la Propagande due, quatorze ans plus tard (1622), au Pape Grégoire XV.

(2) Lettres missives de Henri IV, t. VII, p. 330. Le nonce y est appelé Uvaldini.

(3) Journal de P. de l'Estoile, t. IX, pp. 46, 70, 100 et 155.


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Poutrincourt et Lescarbot furent reçus en l'hôtel qu'avaient habité successivement la veuve de Louis XII et les légats. Ils initièrent le nonce et l'auditeur de la nonciature à la question et arrêtèrent avec eux certains détails.

Le nonce choisit un prêtre appelé Jessé Flèche, originaire de Lantages, doyenné de Bar-sur-Seine, au diocèse de Langres, et lui octroya permission « d'ouyr par delà les confessions de toutes personnes et les absoudre de tous péchés et crimes non réservés expressément au siège apostolique, et leur enjoindre des pénitences selon la qualité du péché ». Ce prêtre eut pouvoir de bénir les chasubles, étoles, manipules et autres ornements sacerdotaux, les parements d'autels et linges d'église « à l'exception des corporaliers, calices et patènes » dont la consécration est réservée aux évêques. Il reçut le titre de patrairche de la Nouvelle-France (1).

Poutrincourt, catholique fervent et convaincu, reconnaissait à la religion chrétienne un pouvoir civilisateur dont il entendait tirer des effets pratiques en faveur de sa colonie.

En donnant cette orientation nouvelle à l'expédition projetée, il savait aussi qu'il pouvait espérer attirer au profit de son oeuvre l'influence et les générosités d'une classe qui s'était alors complètement désintéressée des voyages au Canada : « les personnes pieuses de la cour ». Or, ceux qui avaient

(1) LESCARBOT. Relation dernière.


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supporté avec lui les pertes des précédentes entreprises, les marchands et armateurs, faisaient maintenant la sourde oreille ; il fallait se concilier une autre clientèle de bailleurs de fonds (1).

Aucun résultat sérieux n'avait encore été obtenu en Nouvelle-France quant à la conversion des indigènes,

De Monts, lors du premier voyage qu'il avait fait en Acadie avec Poutrincourt, avait cru faire preuve d'une largeur de vues méritoire en embarquant des prêtres catholiques et des ministres protestants. Cette neutralité imprévoyante n'avait engendré que le désordre. Les prêtres et les pasteurs étaient entrés en une rivalité ardente, en des controverses passionnées et étaient vite passés de l'échange des arguments à l'échange des coups : «Je vous laisse à penser si cela estoit beau à voir ; les sauvages estoient tantost d'un costé, tantost de l'autre, et les François, meslez selon leur diverse croyance, disoient pis que pendre de l'une et de l'autre religion... » (2).

(1) C'est ce qu'a fait judicieusement observer M. Léon Gérin dans la Science Sociale, année 1891, pp. 320 et suiv. : « La traite ne suffit pas à rembourser les marchands de leurs avances, et ils refusèrent d'en faire de nouvelles... Poutrincourt se décourage-t-il ? Pas du tout. Il semble avoir prévu ce contretemps et s'être prémuni en conséquence... ». La volonté du Roi était de poursuivre la conversion des sauvages. Ce but concordait avec les sentiments du gentilhomme, ainsi que le montre la lettre au Saint-Père.

(2) Voyages de Champlain, liv. Ier, chap. VIII.

20


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A la veille de partir de La Rochelle pour son voyage de 1606, Poutrincourt, accompagné de Lescarbot, avait tenté vainement, comme on l'a vu, une démarche pressante auprès de certains ecclésiastiques du lieu, pour les décider à entreprendre la conversion des infidèles et on lui avait conseillé de s'adresser aux Pères Jésuites.

Rien de plus naturel. La Compagnie s'était montrée animée d'un ardent prosélytisme en organisant depuis longtemps des missions dans toutes les parties du monde. Cependant, les voyageurs s'étaient montrés fort peu enclins à suivre cette suggestion. Au premier mot de « Jésuites » à embarquer, ils s'étaient empressés de répondre qu'ils ne le pouvaient faire, « le vaisseau ayant presque sa charge » !

Est-ce à dire que les Pères auraient tenu plus de place à bord que des prêtres séculiers ? Défaite puérile, qui ne donnait aucunement le fond de la pensée de nos colonisateurs.

A la vérité, et comme l'a dit très exactement le P. de Charlevoix, « M. de Poutrincourt étoit fort honnête homme et sincèrement attaché à la Religion Catholique, mais les calomnies des Prétendus Réformés contre les Jésuites avoient fait impression sur son esprit et il étoit bien résolu de ne les point mener au Port-Royal. » (2)

(1) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, lre éd., Liv. IV, pp. 516 et suiv.

(2) Le P. DE CHARLEVOIX, Histoire de la Nouvelle France, t. ]>r, p. 121.


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Des imputations malveillantes étaient répandues, en effet, avec persistance, contre les Jésuites.

L'attentat de Jean Châtel, suivi de l'expulsion prononcée par l'arrêt du 2 Décembre 1594, avait suscité une certaine animosité contre l'Ordre. Louis Dollé avait élevé des griefs véhéments contre la Compagnie devant le Parlement (1).

Le temps avait fait son oeuvre, il est vrai, et l'ordonnance de Septembre 1603 avait rappelé les Jésuites en France. Le P. Cotton était devenu le confesseur de Sa Majesté. Mais les meilleurs amis du Roi prétendaient qu'il n'avait pris ces dispositions bienveillantes que pour désarmer les partisans de la Société (2).

En réalité, l'intention bien nette d'Henri IV était de mettre fin à toutes les perturbations que n'aurait pas manqué d'amener la persistance d'une politique de sévices, et ensuite, autant que faire se pouvait, « d'asservir le génie de la Compagnie à ses desseins » (3).

(1) Plaidoier de M. Louis Dollé, avocat en la Cour de Parlement pour les curés de la ville de Paris, des 13 et 16 Juillet 1594, à Lyon, chez Ancelin, 1594, et dans les Mémoires de la Ligue, t. VI, p. 187.

(2) SULLY, (Economies royales, t. Ier, pp. 527 à 529. D'AUBIGNÉ, Histoire Universelle, part. II, col. 735. DE THOU, Histoire Universelle, t. VI, 1. CXXXII, p. 248. Voir aussi le Journal du circonspect de l'Estoile, qui donne assez bien le reflet de l'opinion moyenne de la bourgeoisie, aux 7, 11 et 14 Juillet 1594, aux 10 et 25 Janvier 1595.

(3) M. l'abbé BRÉMOND. Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. II, p. 86.


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Beaucoup de catholiques sincères n'en prêtaient pas moins une oreille attentive aux craintes et aux accusations propagées par le parti protestant. Poutrincourt était vraisemblablement de ceux qui accordaient quelque créance aux adversaires des Jésuites lorsqu'ils' accusaient les missionnaires de n'entreprendre les expéditions lointaines que par amour du lucre et pour se livrer à des entreprises commerciales sous le couvert de leurs travaux apostoliques (1).

(1) De Thou, en particulier, avait lancé de nombreuses critiques contre les méthodes d'évangélisation des Jésuites. Ceux-ci lui reprochaient d'avoir dit dans son Poème contre les parricides (imprimé à Paris en 1599), que les Pères faisaient servir à l'établissement de la foi dans le Nouveau-Monde « les moyens qui la discréditent en Europe ». Pièces concernant l'Histoire de J. A. de Thou, t. XV, p. 440.

Les questions soulevées par « la propagation de la foy catholique par les Jésuites en diverses parties du monde », faisaient déjà, lors du premier voyage de Poutrincourt, l'objet de discussions passionnées et même de libelles périodiques pour ou contre la Société. Voir Journal de l'Estoile, au 20 Mars 1607, t. VIII, p. 283.

Deux ouvrages du XVIIIe siècle, écrits en forme de pamphlets et avec un malveillant parti-pris, ont spécialement accumulé toutes les accusations portées de ce chef aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles contre les Jésuites. Voir Le problème historique, Qui des Jésuites ou de Luther et de Calvin, ont le plus nuit à l'Eglise chrétienne ? publié à Avignon sans nom d'auteur, en 1757 (attribué à l'abbé Mesnier), t. II, pp. 228, 237 etpassim. Sur les entreprises de « commerce maritime » et de « négoce » des Jésuites « dans les années qui suivirent immédiatement leur rappel en France », voir également Las Jésuites marchands, usurpateurs et leurs cruautés dans l'ancien et le nouveau Continent (anonyme), La Haye, 1759, pp. 59, 339 et 341.


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Ces reproches avaient pu d'autant plus facilement surprendre le jugement du gentilhomme qu'il était décidé à tirer parti, pour son profit personnel, des ressources de la Nouvelle-France. Il était parvenu à se persuader que l'oeuvre capitale de la conversion des sauvages, base indispensable de toute tentative de colonisation, amorcée par Lescarbot pendant l'occupation du Port-Royal, en 1606-1607, pouvait être poursuivie avec le seul concours de prêtres séculiers (1).

(1) La crainte d'une rivalité commerciale, tel devait être le fond de la pensée de l'explorateur.

Le P. de Gharlevoix le dit clairement : « Les Calvinistes de France ne cessoient de publier que les Jésuites n'alloient dans le Nouveau Monde que pour y dominer, et pour s'y enrichir ; et ils avoient persuadé des catholiques mêmes, qui craignoient de trouver dans ces Religieux de redoutables concurrents ». Histoire de la Nouvelle France, t. Ier, p. 124.

Parkman explique l'attitude ombrageuse de Poutrincourt vis-à-vis des Jésuites d'une autre façon : « Il appartenait, — dit-il, — dans l'Eglise, au parti gallican, qui regardait l'ordre des jésuites, fondé en Espagne et champion dévoué de la papauté, comme une des forces vivantes encore de la Ligue qu'on avait vaincue en portant Henri IV sur le trône, et comme un objet de crainte et de défiance ». Les Pionniers français dans l'Amérique, p. 208.

Cette remarque paraît manquer de fondement. On a vu plus haut que l'explorateur était un catholique fidèlement soumis, lui aussi, à l'autorité spirituelle de Rome. Il n'apparaît pas qu'il ait été jamais mêlé de près ou de loin aux luttes de l'ultramontanisme et du gallicanisme. De plus, pendant les guerres de religion, il avait été « guisard » irréductible et partisan dévoué de ces forces de la Ligue dont Parkman le fait, bien à tort, l'adversaire.


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M. de Poutrincourt, en vue d'organiser son troisième voyage, évita délibérément les Jésuites et s'aboucha, au cours de l'année 1608 avec «deux personnages », se mit d'accord avec eux « en tant qu'ils faisoient semblant de vouloir faire un grand appareil pour les Terres-Neuves » ; mais il fut dupé par les apparences (1).

Les promesses fallacieuses de ces associés, lui occasionnèrent des dépenses considérables et stériles, notamment l'engagement d'un équipage prêt dès 1609, et une perte de temps de deux années (2).

Au cours de ses démarches, il s'aperçut que l'influence qu'il avait volontairement négligé de se concilier, qu'il jugea « de mauvais augure », se mettait en travers de ses projets.

Le crédit des Jésuites grandissait, grâce au P. Cotton, « fort habile homme » dit l'Estoile, qui manoeuvrait avec souplesse dans les intrigues nouées autour de Leurs Majestés, « et autant versé en ceste estude, possible qu'en celle de sa théologie ». Le P. Cotton ne possédait à la cour ni la situation

(1) Il obtint alors d'un bourgeois parisien, Pierre Prévost, une avance de fonds de huit cents livres. Par transport fait au Ghâtelet de Paris le 15 février 1609, Poutrincourt délègue pareille somme à son créancier « à prendre sur les sieurs de Monts, Georges et Macain et ses autres associés ».

Acte mentionné dans un arrêt du Parlement de Rouen du 12 juillet 1633, Archives départementales de la Seine-Inférieure.

(2) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, p. 634 et suiv.


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ni l'ascendant qui devaient plus tard devenir l'apanage des confesseurs de Louis XIV. Il s'en tenait à toutes sortes de rôles moins considérables, moins visibles et moins protocolaires. « Prédicateur ordinaire du Roi, précepteur du Dauphin, casuiste, directeur ou catéchiste de qui voulait, toutes ces fonctions et d'autres encore s'étaient peu à peu comme greffées sur la curieuse et glissante mission qui l'avait amené dans ces parages ». Il faisait figure d'homme de cour et de diplomate, quels que fussent ses goûts intimes, « il quittait souvent son oratoire pour le cabinet de Villeroy » (1). Son emprise discrète sur le pouvoir s'exerçait encore ailleurs. Le chancelier de Bellièvre, Jeannin, Sillery, étaient devenus les soutiens de la Société.

Les Jésuites saisirent toute l'importance des projets de Poutrincourt et comprirent quels avantages il y aurait pour eux à s'attacher à l'oeuvre de colonisation et de christianisation du Canada. Ils surent, par leurs amis, le faire entendre à Henri IV qui entra dans ces vues et pria son confesseur de «faire un choix de missionnaires propres pour bien commencer ce saint oeuvre » (2).

(1) M. l'abbé BRÉMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, depuis là fin des guerres de religion jusqu'à nos jours, t. II, pp. 83 à 97.

(21 Le P. D'ORLÉANS, Le Père Coton, p. 154. Le P. BIARD, Relation des Jésuites, G. XI : « Le missionnaire Biard, fait remarquer Parkman, fournit l'assertion caractéristique que ce fut le roi qui eut l'initiative de cette résolution, à laquelle le P. Gotton n'eut qu'à obéir ». Cette solution lui permettait, ajoute cet historien, « de placer l'Atlantique entre lui et quel-


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Mais d'autres interventions non moins puissantes se produisirent : « les dames pieuses de la cour, et la reine elle-même, embrassèrent l'idée nouvelle avec un saint zèle et une ferveur destinée peut-être à suppléer à l'absence d'autres vertus » (1). Quelques Jésuites directeurs de consciences, se firent patronner par leurs pénitentes afin d'obtenir la faveur d'être désignés pour l'apostolat en Nouvelle-France. Mme de Guercheville, qui possédait l'amitié du Roi (2), était au nombre des dames qui

ques uns de ces amis affairés dont au fond il se défiait ». L'auteur s'inspire sans doute d'un passage de l'Bstoile où il est dit que « ceux qui n'aiment pas les Jésuites, ...les souhaittent aux Indes, à convertir les Infidèles ». Journal, t. VI, p. 217.

Les Pionniers français dans l'Amérique du Nord, traduction de la comtesse Gédéon de Clermont-Tonnerre, Paris, 1874, pp. 206-207.

Sur la politique d'Henri IV vis-à-vis des Jésuites, voir M. l'abbé Brémond, t. II, p. 86 : « Très méfiant, il entend bien les surveiller au moment même où il les embrasse ».

(1) PARKMAN, Les Pionniers français, p. 208.

La supposition ne paraît pas trop hasardée si l'on remarque que Mme de Verneuil et Mme de Sourdis se montraient parmi les plus empressées zélatrices. Une exception doit être faite en faveur de Mme de Guercheville dont la haute moralité a été universellement reconnue par les historiens.

(2) Cette dame jouera un rôle important dans les événements qui vont suivre.

Antoinette de Pons, marquise de Guercheville, fille d'Antoine, sire de Pons, comte de Marennes, et de Marie de Montchenu, dame de Guercheville, était veuve d'Henri de Silly, comte de la Roche-Guyon, mort en 1586, quand Henri IV la rencontra dans ses terres de Normandie où elle s'était retirée. Il en devint fort amoureux, au point de lui proposer de l'épouser. Elle lui résista avec tant de dignité et de persévérance qu'il renonça à la


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se passionnaient pour l'oeuvre sublime qu'elle entrevoyait derrière l'entreprise de Poutrincourt ; elle recommandait à l'attention du P. Cotton un Jésuite qui avait été « son père spirituel » et qui, grâce à cette haute protection, fut, d'ailleurs, l'un des missionnaires désignés.

Depuis que le P. Cotton avait reçu du Roi cette ouverture, il ne se donnait plus « aucun repos » ; il cherchait à vaincre les « contradictions infinies et les obstacles » qu'il rencontrait.

poursuivre de ses galanteries, et qu'il conçut pour elle un respect et une considération qui ne se démentirent jamais. Il finit par appuyer auprès d'elle les prétentions de Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, comte de Beaumont, qu'elle épousa en secondes noces le 17 février 1594. Le comte de Beaumont mourut gouverneur de Paris en 1620, Mme de Guercheville fut dame d'honneur de Marie de Médicis. Elle mourut le 6 janvier 1632.

Saint-Simon explique pourquoi elle conserva, mariée à M. de Liancourt, le nom de Guercheville : « G'étoit alors le fort des amours d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, qui s'appeloit encore Mme de Liencourt... La différence de Liancourt à Liencourt, qui n'en faisait point dans la prononciation, ne put satisfaire Antoinette de Pons ; elle ne put se résoudre à porter un nom semblable à celui de la maîtresse déclarée du Roi. Quoique toute puissante, elle lui en fit l'affront, pour n'être pas confondue avec elle par le nom, et elle n'épousa M. de Liancourt qu'à la condition qu'elle ne porterait jamais son nom... ». Mémoires de Saint-Simon, t. III, Appendice XIX, p. 480.

Sur Mme de Guercheville, voir Mercure françois, 1612, p. 473, Liste des dames ordinairement admises aux bals de Marie de Médicis ; E. THOISON, Madame de Guercheville, esquisse historique, Fontainebleau, 1891, in-8° ; L. BATIFFOL, Vie intime d'une reine de France, p. 139. Sur ses procès, Bibl. nat. mss Dupuy, 857, f° 125. *


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Ces difficultés, dont on ne connaît pas exactement la nature, provenaient certainement en partie du choix délicat que le célèbre prédicateur avait à faire parmi les nombreux Pères qui se présentaient volontairement pour cette mission difficile et périlleuse. «Le P. Cotton n'en prit néanmoins que deux, qui furent le Père Pierre Biart, qui enseignoit la Théologie à Lion, et le Père Enemond Massé, Champenois » (1).

Le Roi informa Poutrincourt de sa volonté. Le gentilhomme n'osa braver ouvertement les ordres du souverain ; il se confina dans des réponses évasives et dilatoires, mais sa résolution irrévocable n'en était pas moins prise intérieurement.

Les Jésuites se trompèrent sur celle-ci : « Le P. Biard se rendit au commencement de l'année à Bordeaux, où on l'avoit assuré que l'embar(1)

l'embar(1) P. D'ORLÉANS, Le P. Coton, pp. 154 et 156.

Le P. Biard, né à Grenoble en 1565 (ou 1567), auteur d'une Relation et de Lettres précieuses pour l'histoire de la colonisation du Canada, mourut à Avignon en 1662. Gabriel MARCEL, Factum... Lescarbot le dit « homme fort sçavant et Gascon de naissance ». Il se trompe sur ce dernier point. Son erreur vient de ce que le premier Président de Bordeaux lui avait fait « bon récit » de ce Père. Relation dernière... M. Séraphin Marion le croit « Lyonnais d'origine », probablement parce que le P. Biard était professeur de théologie à Lyon quand il fut désigné pour passer en Acadie, Relations des voyageurs... p. 32.

Le P. Enemond Massé, né à Lyon en 1574, mourut à Sillery en 1646.


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quement, devoit se faire. Il fut bien surpris de n'y voir aucun préparatif, et il attendit en vain une année entière » (1).

Le Roi, renseigné sur ces atermoiements, se mit fort en colère contre Poutrincourt (2).

Le gentilhomme, poussé dans ses derniers retranchements, vit Henri IV et lui donna l'assurance qu'il ne différerait pas davantage d'obéir à ses ordres (3).

Sa Majesté eut la bienveillance de se contenter de cette promesse encore un peu vague. Son confesseur fut de moins bonne composition. Sentant tout ce qui restait d'incertain sous les multiples mais imprécises protestations d'obéissance du gentilhomme, il résolut de l'aller trouver et de lui poser nettement la question de l'embarquement des deux Jésuites.

Dans la lutte courtoise qu'ouvrit cette entrevue, le colonisateur ne montra pas un esprit moins délié

(1) Le P. DE CHARLEVOIX, t. I, p. 122.

Vers cette époque, un nommé du Jarric, de Bordeaux, publiait un écrit disant que le Roi avait promis aux Jésuites d'envoyer de leurs gens au Canada avec deux mille livres de pension. LESCARBOT, éd. de 1617.

(2) Le P. D'ORLÉANS, Le P. Coton, p. 156. Voyages de Champlain, 1. III, chap. 1er : « Le roy... se fascha fort contre lui ». Le P. DE CHARLEVOIX, t. I, p. 122 : « Le Roy... fit de grands reproches à M. de Poutrincourt ».

(3) « Potrincourt assura Sa Majesté qu'elle seroit contente de luy, et partit là-dessus de Paris pour aller faire ses préparatifs ». Le P. Coton, p. 156. Voir aussi CHARLEVOIX, t. I, p. 122.


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que le fin controversiste, rompu aux luttes savantes de la discussion et de l'éloquence, et celui-ci « y perdit son escrime », comme dit l'Estoile. « Potrincourt receut civilement le Père, témoignant qu'il estoit prest d'obéir aux ordres de Sa Majesté, et de luy faire à luy ce plaisir ; mais il lui conseilla d'attendre son second voyage, où les choses seroient plus établies, et où il y auroit moins de risque à courre... Le P. Coton goûta cette raison et prit le parti d'attendre » (1).

II LOTISSEMENT DU PORT-ROYAL.

Cependant, Poutrincourt ne hâtait point ses préparatifs de départ.

Des raisons graves, d'impérieuses obligations de famille le retenaient maintenant en France. Jeanne de Salazar venait de s'éteindre, fort âgée, dans une de ses seigneuries. Le gentilhomme avait eu un devoir sacré à remplir : celui de lui fermer les yeux. Ses préoccupations de colonisateur passaient momentanément au second plan. Il avait la charge, après la mort de tous ses frères, de veiller fidèlement à ce que les dernières volontés de la défunte fussent exécutées.

(1) Le P. D'ORLÉANS, p. 156. « Une raison si frivole fut reçue du P. Coton comme une défaîte ; mais il ne jugea pas à propos d'insister », dit ce Père Jésuite.


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On s'étonne que Poutrincourt ait tant tardé â préparer son troisième voyage, après avoir si bien réussi à lasser la patience des Jésuites. On oublie que ce fils idolâtre venait de perdre subitement celle qui avait formé son coeur et sa volonté aux résolutions fortes. Si cuirassé et si préparé qu'il soit contre la douleur, un homme sent toujours un cruel déchirement, et comme l'effondrement d'une souveraine protection, lorsqu'il perd l'amour d'une mère. En voyant ce fantôme chéri s'en aller rejoindre dans le passé ceux de ses frères et amis disparus, il put se demander, absorbé par la gérance de nouveaux domaines éloignés des ports de mer et d'une communication difficile avec les villes maritimes qui armaient pour le Nouveau Mondé, s'il devait continuer à poursuivre le rêve ingrat qu'il avait formé.

Le décès de la veuve de Florimond de Biencourt l'avait rendu possesseur de la terre de Saint-Just, sur la Marne (1).

(1) Saint-Just, arrondissement d'Epernay, canton d'Anglure, (Marne), au confluent de la Seine et de l'Aube. « Les rivières de Seine et d'Aube rendent le lieu de cette baronnie autant agréable que fort avantageux à la défense.» LESCARBOT, Relation dernière...

Le château de Saint-Just avait été la résidence des Salazar. Les habitants de ce bourg, ceux de Bagneux, de Clesles et de quelques villages voisins, étaient tenus, autrefois, de faire guet en cette forteresse, usage qui tendait à s'étendre à la fin du XVe siècle. Extrait d'une sentence du 43e registre criminel de Paris, du 27 mai 1484, rendue entre Hector de Salazar et les habitants de St-Just, Baigneux et Glaesles... B. N. Cabinet des Titres, Pièces originales, 2609.


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Lorsque les affaires de la succession furent réglées, il se rendit dans les terres de Champagne qui lui avaient été attribuées. Il tenait en mains de plus amples ressources. Sa Majesté venait de lui conférer le titre de Vice-Roi du Canada (1).

Là, en Février 1610, il constitua un équipage, se pourvut du nécessaire, et «y ayant chargé un

(1) On n'a ni le texte ni la date de sa provision. Devant une semblable lacune, il serait facile de mettre en doute l'existence de cette vice-royauté ou de cette lieutenance générale, mais on sait, et un historien de l'Acadie, Moreau, l'a fait remarquer, que l'administration « n'était pas avare de titres avec les entrepreneurs de colonisation ». Faute du brevet original signé Henri et contresigné d'un secrétaire du Roi, on trouvera plus loin une lettre écrite plus tard, après la mort d'Henri IV, « au nom de la Reine-régente » par une dame du service d'honneur de Marie de Médicis, Mme de Guercheville, qui lui donne la qualité de ViceRoi sous laquelle il est désigné couramment à partir de cette époque.

D'ailleurs, Champlain, peu enclin à relever le prestige de Poutrincourt,' le cite, à la fin de ses Voyages, parmi ceux qui commandèrent en Amérique du Nord avec pleine et souveraine autorité : « En suitte, le marquis de la Roche de Bretagne, en l'an 1598, fut en ces terres de la Nouvelle France, comme lieutenant de sa Majesté, et en suitte le sieur Chauvin de Hondefleur, en Normandie, commandeur de Chaste et de Mont comme dit est, et le sieur de Poutrincourt... »

Champlain clôt cette liste des lieutenants-généraux et vicerois, eh ajoutant immédiatement que Madame de Guercheville « eut quelque département à l'Acadie », ce qui signifie, dans le sens qu'avait alors ce mot : partage de fonctions ou assignation d'une portion de territoire. Champlain, après avoir marqué soigneusement la différence, se nomme lui-même modestement le dernier.

Voyages, t. II, p. 363.


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bateau de meubles, vivres et munitions de guerre, voire tellement chargé qu'il n'y restoit. que deux doigts de bord hors de l'eau, il descendit le cours de la Seine ». Entreprise difficile, car, au dire des manuels de navigation de l'époque, le fleuve n'était apte à porter bateau qu'à partir de Nogentsur-Seine.

Les circonstances favorisèrent le départ ; « la rivière estoit enflée et ne se pouvoit plus tenir en son lit, à cause des longues pluies hivernales ».

La crue, suivie d'inondation, devint, en aval, un danger permanent : « Les flots le menaçoient souvent, les périls y estoient présents, mesmement es passage de Nogent, Corbeil, Sainct-Clou, Ecorcheveau, et autres, et où des bateaux périrent à sa vue, sans qu'il fust aucunement esmeu d'appréhension » (1).

Enfin, il parvint à Dieppe où quelques dévoués colonisateurs vinrent le rejoindre. Il mit à la voile le 25 Février 1610, (2) « avec nombre d'honnestes hommes et artisans ».

Parmi les passagers se trouvait Jessé Flèche, originaire de Lantages (3) qu'il emmenait « à ses dépens » pour la conversion des sauvages.

(1) Relation dernière...

(2) D'après l'Histoire de la Nouvelle France ; la Relation dernière dit le 26.

(3) Canton de Chaource, arrondissement de Bar-sur-Seine (Aube).


SÔÔ

Il faut aussi noter le départ de Claude de La Tour, accompagné de son fils, Charles-Amador, âgé de quatorze ans, dont la famille joua un rôle important dans la colonisation et dont la mémoire est encore vivante au Canada, conservée par de nombreux descendants par les femmes (1), de Robin, vicomte de Coulogne (2), qui avait engagé de fortes sommes dans l'entreprise, de de Jouy, de René Maheu, de Louis Hébert, de Charles de Biencourt, fils aîné du fondateur de Port-Royal, alors âgé de dix-neuf ans, de Jacques de Biencourt dit de Salazar, son second fils, âgé de huit ans.

La traversée dura plusieurs mois et fut fort mouvementée. Les « honnestes hommes » du départ se muèrent sur l'Océan en brigands dignes des galères royales. Ils conspirèrent pour se rendre maîtres du navire et « se faire piçoreurs de mer ». Poutrincourt parvint à dompter et à calmer les

(1) L'origine des La Tour est.fort obscure. Il en sera reparlé plus loin.

(2) Thomas Robin, écuyer, seigneur vicomte de Coulog ne et de Belair (paroisse d'Arçay, Cber), était fils de Jacques, sieur de la Prévotière. Il était, en 1604 — dit Gabriel Marcel — conseiller du Roi et receveur général de ses finances en la généralité de Berry. Par provisions du 15 février 1605, il fut nommé maître d'hôtel de la Reine Marguerite. Il avait acheté la terre de Belair de Claude de Thures, seigneur de Villeperdue. Il laissa un fils, Charles, qui fut capitaine dans le régiment de la Meilleraie.

On trouve une autre famille Robin, dont l'un, Claude Robin, échevin de Tours, est qualifié seigneur de Sigogne et de Montison. C'est sans doute ce qui a fait dire à Benjamin Suite que Thomas Robin était fils de M. de Sigogne, gouverneur de Dieppe.


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révoltés. Il leur pardonna même, « selon sa débonnaireté accoutumée », mais il dressa une information contre eux qu'il conserva, d'ailleurs, par devers lui.

Après que le navire eut subi une rupture de gouvernail et quelques autres avaries, après un inquiétant tête-à-tête, en pleine mer, avec des forbans, Poutrincourt parvint au banc des Morues le 11 Mai.

Il y fit escale « pour avoir le rafraîchissement de la pêcherie, soit des poissons, soit des oiseaux », puis il fit voile vers l'Ouest et aborda à l'île des Monts-Déserts, sur le rivage de Pemptegoët qu'ilavait exploré en 1606.

Jessé Flèche célébra la messe en une île qui fut nommée de l'Ascension « pour y estre arrivé ce jour-là » ; de cette île, on cingla vers le rivage des Etchemins avant d'entrer dans la baie Française, et l'on débarqua à Sainte-Croix (1).

Le seigneur du Port-Royal était attiré vers cette côte inhospitalière par une pensée de chrétien et de Français. Dans cette solitude désolée, dormaient depuis plusieurs années sous un tertre abandonné, ceux qui étaient morts dès le premier voyage de de Monts, ceux qui étaient tombés sous les coups

(1) Dans la Morale pratique des Jésuites, t. VII, p. 236, on lit d'après un extrait du Journal des Savants de février 1692 : « Le 15 juin 1615, le P. d'Olbeau (des Récollets) célébra à Québec la première messe qui ait jamais été dite au Canada ». On voit que la messe dite par Jessé Flèche est bien antérieure.

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du rude hiver de 1604-1605, à la suite duquel le poste de Sainte-Croix avait été déserté. Le ViceRoi retrouva, sous les herbes profanatrices, les tombes à demi disparues, marquées par d'humbles croix de bois. Les cèdres altiers dressaient autour d'elles les arceaux mouvants d'une sorte de crj^pte mystérieuse sous laquelle les cyprès distiques et les cyprès à gros fruits érigeaient comme des mausolées leurs vertes pyramides.

Rien de plus triste que ce cimetière de hasard, dont l'isolement, depuis de longs mois, n'avait été troublé que par la visite des oiseaux des bois, dont le silence n'avait été rompu, les soirs de tempête, que par le vol inquiet des cormorans et des mouettes tournoyant au-dessus des arbres en unissant leurs gémissements lugubres aux plaintes de l'Océan.

Poutrincourt assembla ses hommes, évoqua le souvenir de ces pionniers de la première heure, honora leur courage et leur sacrifice et « fit faire à haute voix des prières pour les trespassez ».

C'est à ces simples détails, c'est à ces attentions touchantes et délicates qu'on reconnaît les hommes de coeur et les véritables chefs (1).

(1) Lescarbot a consacré quelques vers au cimetière de SainteCroix :

Ile, je te salue, île de Sainte-Croix,

Ile, premier séjour de nos pauvres François

Je révère... Les cèdres odorants qui son^ à ton côté... Tes jardins étouffez parmi la nouvelle herbe Mais j'honore surtout, à cause de noz morts, Le lieu qui sainctement tient en dépost leurs corps...


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Le Vice-Roi reçut à Sainte-Croix une députation de sauvages qui vinrent se plaindre « qu'un certain Français arrivé là devant, entretenoit une fille sauvage promise en mariage à un jeune homme aussi sauvage ».

En pareil cas, les indigènes ne manquaient jamais de se réclamer de leur qualité de « sujets du Roi de France ». Ils répétaient avec une insistance naïve : « Nous sommes Français ». Poutrineourt se souvint « de la recommandation très expresse que le sieur de Monts lui avoit faite, de prendre garde à ce que tels abus ne se commissent point par delà, et principalement là paillardise entre un chrétien et une infidèle. Chose que Villegagnon avoit aussi fort, abhorrée étant au Brésil » (1). Il savait, du reste, que chez ces peuples

(1) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France. L'auteur mentionne qu'il fut avisé de ce fait par des lettres de Poutrincourt. Le Français dont Lescarbot tait si discrètement le nom n'était autre que Robert Gravé, fils de du Pont-Gravé. Il sera reparlé plus loin de la brouille qui survint entre le colonisateur picard et le navigateur normand à la suite de l'information dressée par ordre du vice-roi.

Lescarbot avait étudié soigneusement avec Poutrincourt l'histoire des précédentes tentatives de pénétration en Amérique. Le Vice-Amiral Nicolas Durand de Villegagnon, dans son voyage au Brésil en 1555, avait auprès de lui, pour interprète, un Normand qui refusa d'épouser une Indienne avec laquelle il cohabitait. Villegagnon lui infligea un châtiment qui décida l'interprète à fuir et à former un complot avec les Indiens contre la vie du Vice-Amiral. Villegagnon allait sauter avec « la SainteBarbe » placée au-dessous de son lit quand le complot fut découvert.


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aux moeurs très douces, les coutumes du pays, faute de lois écrites, préservaient la pudeur des femmes comme une chose inviolable et sacrée (1).

Poutrincourt délégua sa commission au vicomte de Coulogne, le 2 Juin 1610, pour l'information contre Robert Gravé, coupable de ces amours grossières et sacrilèges (2).

A peine arrivé, Poutrincourt exerçait ainsi une sorte de protectorat sur les Souriquois et les Etchemins. Les sauvages sentaient le besoin de s'unir en une coalition pacifique en vue de leur défense commune. Les peuplades protégées, sans aliéner leur indépendance et sans asservir l'autorité de leurs chefs électifs, les Sagamos — qui le prenaient d'ailleurs « d'un ton fort haut avec les

Nicolas BARRÉ, Discours sur la navigation du chevalier de Villegagnon en Amérique, Paris 1558 ; Copie de quelques lettres sur la navigation du chevalier de Villegagnon, Paris, 1557 ; Jean DE LËRY. Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, La Rochelle, 1578, etc.. Voir Histoire de la Marine, par M. de la Roncière, t. IV, pp. 15 et 17.

(1) Voir LESCARBOT, p. 649, Moeurs et façons de vivre des peuples de la Nouvelle France : « Les sauvages n'ont ni regards ni gestes impudiques... ». Du mariage, danses et chansons, et des vertus et vices des sauvages. Voir aussi CHARLEVOIX, t. I, p. 125 : « Les Français ne furent pas longtemps dans le pays sans s'appercevoir qu'on ne trouvoit pas bon qu'ils s'amusassent avec les personnes du sexe, qui de leur côté faisoient paroitre beaucoup de pudeur et de retenue ».

(2) Robert Gravé, fils unique de François Gravé, séjourna en Acadie jusqu'en 1618 et ensuite aux Indes orientales et mourut en mer en 1621.

Ch. BRÉARD, Documents relatifs à la marine normande.


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premiers trafiquants » — devenaient, en vertu d'une convention tacite, des alliés dont le concours pouvait être précieux au Vice-Roi. Ses ressources étaient ainsi décuplées.

Au Port-Royal, Poutrincourt trouva les habitations, les magasins et le moulin en entier et en bon état ; les toits seuls avaient souffert ou avaient disparu. Les meubles étaient encore « en la place où on les avoit laissés ». Les Souriquois avaient respecté toutes les constructions ; ils avaient fait mieux ; car ils avaient veillé à ce que les objets mobiliers ne. fussent même pas dérangés de la place qu'ils occupaient au départ des Français... Touchante sollicitude, qui montre à quel point le colonisateur de Port-Royal avait gagné le coeur et la confiance des Indiens.

Le premier soin de Poutrincourt fut de renouer les relations anciennes avec le grand Sagamos. Pour l'avenir de la colonie, il était nécessaire que l'entente avec le vieux chef sauvage restât parfaite.

Le gentilhomme, outre les raisons d'ordre matériel, qui le poussaient dans cette voie, était mû par une pensée d'une haute portée. Il rêvait d'entamer les conversions. « Il envoya chercher Membertou pour luy rafraîchir la mémoire » sur s l'enseignement de la religion chrétienne » qui lui avait été autrefois donné, « et l'instruire plus amplement ». Le Sagamos et les siens furent chaque jour catéchisés.


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La préoccupation dominante du maître fut ensuite de faire cultiver la terre et « de la disposer à recevoir les semences de blez pour l'année suivante ». Il avait amené les charrues et les animaux de ferme nécessaires. Le temps, cette fois, ne faisait point défaut pour ameublir et préparer le sol.

Poutrincourt procéda au lotissement des terres du Port-Royal et des environs, et les distribua à ses hommes qui reçurent des « billets terriens » signés de sa main. Ce fut «la première ébauche de l'organisation féodale des tenanciers européens dans le Nouveau Monde ».

Ayant rassemblé ses gens, il engagea ceux qui étaient mariés à amener leurs femmes et leurs enfants, et conseilla aux garçons d'aller en France chercher femme (1).

Ces dispositions préparaient l'installation des familles au Port-Royal et le peuplement définitif de la colonie.

Les calculs de Poutrincourt étaient exacts. Dans ce pays faiblement peuplé de naturels ne possédant que des moyens de travail rudimentaires, il apportait des procédés perfectionnés. Il substituait la charrue avec soc de fer des paysans

(1) RAMEAU, Une colonie féodale, p. 31.

Sur les conditions des premières concessions de terres, et sur les obligations censitaires imposées aux colons, voir Cinq ans de séjour au Canada, par Edward Allen Talbot, Paris, 1825, t. II, p. 31.


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picards à l'outil informe composé d'une pièce de bois dur que maniaient maladroitement les femmes indigènes dans leurs labours.

Il prenait possession de territoires facilement acquis, exempts de charges et les répartissait entre des colons amenés de France, possédant quelques connaissances agronomiques. Il constituait des fiefs régis conformément au droit français ; ainsi le voulait la commission du Roi donnée à de Monts ; il en encaisserait de faibles redevances, qui, jointes au produit de sa propre exploitation agricole, lui permettraient de vivre, en attendant de voir s'étendre la superficie de ses défrichements et s'accroître le nombre de ses censitaires. Le montant des droits féodaux serait d'abord très minime, mais il devait augmenter avec la prospérité et les progrès de la colonie. Les plus beaux résultats étaient à longue échéance.

Il eut le soin de se maintenir en perpétuelle liaison avec les sauvages du voisinage et entretint des relations fréquentes avec les indigènes de l'autre rive de la baie Française.

Il espérait ainsi établir la civilisation" au sein de cette société naissante et grâce à la commune collaboration de l'élément français avec l'élément autochtone, réaliser par l'exploitation méthodique des ressources locales en fourrures, par l'abondance des produits d'un sol vierge, de magnifiques et durables résultats. Le mot d'ordre, vis-à-vis des


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sauvages, était de vivre en bonne intelligence, d'éclairer et organiser. (1)

Quatre-vingts ans plus tard, époque à laquelle Port-Royal était devenu le lieu de résidence des Gouverneurs, on retrouvait trace des dispositions prises en 1610 par le fondateur de la colonie. On s'apercevait qu'au double point de vue climatérique et de la nature du sol, cet endroit était l'un des plus favorables de la Nouvelle France, pour un établissement agricole (2).

(1) C'était, à son aurore, la méthode aujourd'hui traditionnelle des pionniers de l'influence française dans notre empire extérieur. Un grand colonial, qui l'a appliquée avec fruit sur une vaste échelle, l'a résumée dans une formule saisissante : « Oui, dans l'expansion coloniale, comprise comme elle doit l'être, ce qui importe avant tout, c'est de ne pas commencer par laisser sous soi la Haine et la destruction, alors que toute l'oeuvre ultérieure devra être de Collaboration et de Construction. C'est là qu'il faut, autant que possible, « ne montrer la force que pour en éviter l'emploi ». La caractéristique de la conquête coloniale, c'est d'être une organisation qui marche.

Discours du Maréchal Lyautey à la pose de la première pierre du Musée Colonial de Vincennes, Novembre 1928.

(2) Les lotissements de l'explorateur sont relatés par La Motte-Cadillac et par de Meulles dans leurs rapports conservés aux Archives Nationales (Colonies), notés par Rameau.

Un mémoire du sieur de La Motte-Cadillac (1693), dit : « Le port-Royal est pour l'ordinaire le lieu où les Gouverneurs résident... Il y a des prairies de chaque côté de la rivière, qui sont inondées par les marées. Les habitants ont fait des levées, digues ou chaussées, affin que la mer ne puisse entrer, ils les laissent dessécher pendant deux ans ; au bout de ce tems-là, ils rompent et labourent ces terres ou marais, dans lesquels tout ce qu'on y sème produit merveilleusement, sans qu'il soit besoin d'y mettre jamais de fumier, il est aisé de voir que les pacag;es y sont beaux... »

Archives Nationales, G 11 D 10.


]»]. vu. — FIGURE DU FORT-ROYAL EN LA NOUVELLE-FRANCE. Extrait de ['Histoire de la Xoiivelle-France, par Marc Lesrarbot (1609).



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Mai 1610 marque donc une date importante dans l'histoire de l'Acadie. Cette contrée ne devait plus cesser, en effet, d'être habitée par des Européens. Le Port-Royal devait connaître encore des heures critiques, mais à aucun moment l'habitation qui venait d'être créée ne devait être abandonnée.

La colonie était fermement assise. Un vaste territoire, peuplé par deux grandes tribus était virtuellement placé sous l'autorité du pavillon français. Une bourgade était en formation qui devait devenir l'Annapolis moderne.

III

PREMIÈRES CONVERSIONS.

C'était jour de liesse au Port-Royal, le 24 Juin 1610, en la fête de la Nativité de saint-JeanBaptiste, patron de M. de Poutrincourt.

Les banderoles et les flammes multicolores ondoyaient et claquaient au sommet des bâtiments. La brise salée, en leur distribuant cette vie frémissante, faisait flotter des bouffées d'allégresse dans le ciel limpide.

Charles de Biencourt, baron de Saint-Just, fils de l'explorateur, « jeune homme de grande expérience et qui s'adonnoit du tout à la navigation », se multipliait, animait la colonie de son ardeur


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exubérante. Il semblait avoir hérité de l'enthousiasme vibrant et des dons merveilleux de Lescarbot, l'habile metteur en scène du voyage de 1606, le magicien, qui, au retour heureux de l'exploration au pays des Armouchiquois avait su tout animer, tout métamorphoser comme d'un coup de baguette.

Maintenant encore, les mâts et les voilures étaient convertis en arcs de triomphe, les armes étaient disposées en trophées et les pavillons drapés en faisceaux.

Des guirlandes parfumées jetaient leurs festons de verdure d'un arbre à l'autre ; des inscriptions s'étalaient sur la façade de la principale construction et sur le fronton de la chapelle. Des artilleurs étaient debout sur le parapet du fortin auprès de leurs fauconneaux, tenant leurs mèches allumées.

Devant le panorama marin dont la toile de fond montrait au loin les hauteurs du mont de la Rocque, et au pied de ses pentes verdoyantes, les habitations et les hangars groupés à l'embouchure de la rivière du Dauphin, les sauvages s'étaient assemblés en une troupe docile quoique parfois tumultueuse. La plupart avaient le corps presque nu, portaient un « pinial sur les épaules », et un « devantier frangé et bordé de plumes », avec la massue passée à la ceinture. Les guerriers étaient appuyés sur leurs boucliers « faict comme une porte arrondie par le haut », et tenaient l'arc à la main droite. Tous étaient parés de matachiaz et de colliers faits de coquilles marines; leurs bras


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étaient ornés entre le coude et l'épaule de cercles blancs et noirs, leurs cheveux pendaient sur leurs épaules ; ils avaient la tête couverte « d'un bonnet rouge avec des plumes noires », les pieds chaussés de mocassins sans ornement, taillés dans le cuir écru d'un élan (1).

Au premier rang se remarquaient le Sagamos Membertou et sa famille.

La confiance et la sérénité se lisaient dans les yeux et sur le visage basané de ces hommes simples et doux ; leur coeur naïf était plein d'une gloire très pure.

Jessé Flèche présidait la cérémonie ; l'or brillait non sans quelque magnificence sur le brocart de ses ornements sacerdotaux. Il était assisté de M. de Pontrinconrt, des colons et xle -l'équipage.

Le Vice-Roi avait jugé que l'événement qui se préparait était d'une haute portée pour l'avenir: des noeuds nouveaux et durables, l'unité des règles morales, allaient unir les Souriquois aux Français ; le lien religieux apparaissait au seigneur du PortRoyal comme le plus fort et le plus fécond entre ceux qui maintiennent les hommes en société.

Il convenait, en des circonstances si heureuses et si pleines de promesses, de déployer une certaine pompe. On avait choisi un jour propice entre tous, la fête que l'Église a consacrée à celui qui avait précédé le Seigneur en Judée pour rendre droits ses sentiers et qui baptisait dans le Jourdain.

(1) Le ms Dupuy 669, f° 31, B. N. donne cette description d'un sauvage souriquois en tenue d'apparat.


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Sous ce patronage, les colons allaient donc conférer pour la première fois le sacrement de baptême à des indigènes de la Nouvelle-France.

Le Sagamos Membertou avait voulu montrer l'exemple à son peuple. Membertou le patriarche ! Membertou le chef de tribu ! Membertou le sorcier !

La conversion de ce centenaire devait produire un effet moral d'autant plus saisissant sur les peuplades sauvages que sa réputation d'« autmoin », c'est-à-dire de nécromant, s'était étendue autrefois fort loin.

Membertou se vantait d'avoir souvent évoqué le démon, mais il avait abandonné ces pratiques dangereuses, parce que « cet Esprit des ténèbres ne lui commandait jamais que du mal ». Son instruction chrétienne venait d'être parachevée. Il avait fait un retour sur toute sa longue existence, « et renoncé au diable qu'il avoit servy » (1).

Si Membertou en imposait tant à ses compatriotes, c'était par cette vive intelligence qui lui valut d'être qualifié « homme d'esprit » par Charlevoix, et surtout par cette réelle expérience de la guerre que Lescarbot a assez appréciée pour donner au vieux sauvage le titre de « grand capitaine ».

Le Sagamos s'avança le premier. Sa gravité montrait qu'il savait « ce que c'étoit que le Christianisme » (2). Le patriarche lui posa les questions

(1) LESCARBOT, Relation dernière... CHARLEVOIX, Histoire de la Nouvelle France, t. Ier, p. 125.

(2) LESCARBOT, Relation, dernière.


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d'usage auxquelles il sut répondre. Trois colons portaient le bassin, l'aiguière et la salière. L'eau régénératrice coula sur le front du sauvage. Il reçut le prénom d'Henri, en l'honneur du Roi « que l'on cuidoit estre encore vivant ». Le couteau de Ravaillac avait fait son oeuvre funeste quarante jours auparavant.

Vingt autres Souriquois, choisis parmi l'élite des populations cabanées aux environs du PortRoyal, soigneusement triés entre ceux que Lescarbot avait éduqués au précédent voyage, lui succédèrent devant la cuve baptismale.

Actaudinech, fils cadet de Membertqu eut l'honneur d'être baptisé le deuxième et reçut le prénom de Paul, en souvenir de --Sa Sainteté.

La femme de Membertou fut appelée Marie, du nom de la Reine de France.

M. de Poutrincourt les tint sur les fonts.

Membertoucoichis, dit Judas, fils aîné du grand Sagamos, âgé de plus de soixante ans, fut nommé Louis, au nom du Dauphin, et fut tenu par M. de Biencourt, fils aîné de M. de Poutrincourt.

Les autres parrains, présents ou absents — mais dans ce dernier cas représentés par leurs mandataires — furent : Robert Ubaldini, nonce apostolique ; Nicolas des Noyers, avocat au Parlement, conseiller et maître des Requêtes de la Reine ; Philippe de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, neveu du Vice-Roi ; M. de Coulogne ; Jacques de


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Biencourt, dit de Salazar, fils du Vice-Roi ; de Jouy et René Maheu ; les marraines : Marguerite, Reine de France, première femme d'Henri IV; Mme Christine, fille aînée de France ; Mme Elisabeth, fille puînée de France ; Mme de Poutrincourt ; Catherine de. Coulogne ; Jeanne de Biencourt, fille du Vice-Roi ; Louise de Belloy, sa nièce ; Mmes de Dampierre ; de Sigogne ; Renée d'Ardanville et Anne de Grandmare.

Puis, le chant ample et sonore du Te Deum que saint Ambroise avait entonné sous l'inspiration divine au baptême de saint Augustin retentit sous les voûtes transparentes du feuillage. Des salves d'artillerie (1) troublèrent le calme solennel des collines d'alentour ; après quoi on servit un festin où les vins des coteaux qu'arrose la Marne firent pétiller le clair soleil de France au fond des coupes.

Enfin, les réjouissances ordinairement en usage chez les Souriquois commencèrent.

Au son des buccins et des conques, les jeux d'adresse et les exercices guerriers se succédèrent : le tir de l'arc, le lancement du javelot, les luttes courtoises, la course où excellaient les Souriquois agiles (2).

(1) C'est l'occasion pour Lescarbot de reparler des échos merveilleux : « Et furent les canons tirés avec grand plaisir, à cause des échos qui durent, audit Port-Royal, près d'un quart d'heure... » Relation dernière, pp. 386-387.

(2) LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, chap. : Des Danses et chansons, p. 649 ; Moeurs et façons de vivre des peuples de la Nouvelle France.


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La joie était à son comble. Une seule ombre plana sur ce beau jour, mais sans l'obscurcir tout-à-fait. Pouvait-on ne pas regretter que le capitaine Chkoudun, chef sauvage, eût refusé au dernier moment de se faire chrétien, «en ayant été détourné par mauvaises inductions »?

La porte était désormais ouverte à la christianisation de l'Amérique du Nord.

Comme l'a très expressément précisé Lescarbot, c'est à Poutrincourt que « toute la chrétienté doit ces prémices de l'offrande faite à Dieu de ces âmes abandonnées » (1).

(1) M. Georges Goyau, dans les Origines religieuses du Canada, conclut au caractère précipité des conversions de juin 1610. L'auteur remarque cependant avec raison que lors de l'expédition de 1606, « lé rôle de prédicateur, dans la petite colonie » fut exercé « par un ancien avocat au Parlement, Marc Lescarbot ». L'éminent historien donne ensuite un extrait de l'Histoire de la Nouvelle France montrant Lescarbot enseignant chrétiennement « son petit peuple », chaque dimanche, et quelquefois extraordinairement, « pour donner exemple de notre façon de vivre aux sauvages ».

Il n'est donc pas douteux que les indigènes, pendant l'occupation de 1606-1607, avaient profité de l'enseignement de Lescarbot, particulièrement le sagamos Membertou, grand ami de l'avocat picard. Il n'est pas moins certain que le prédicateur improvisé, traducteur de Saint Charles Borromée, auteur du Catéchisme de 1566, était qualifié, faute de prêtres sur les lieux, pour entamer cette initiation. La période d'instruction avaitelle été suffisante ? Non, si l'on s'en rapporte à ce qui se passe aujourd'hui dans nos possessions coloniales. Nos missionnaires exigent de leurs catéchumènes une présence régulière à leurs leçons pendant une durée de deux ans au moins, ce qui n'exclut pas un examen sévère sur l'étendue de leur instruction religieuse.

Lorsqu'il enregistre les premières conversions réalisées par


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D'autres cérémonies semblables, mais moins solennelles, devaient se succéder au Port-Royal les 14 et 16 Août, 8 et 9 Octobre et 1er Décembre 1610.

La vie spirituelle était sérieusement organisée dans la petite colonie. On y disait chaque jour des prières en commun (1).. Le service divin était célébré régulièrement avec accompagnement de chants et de musique. Lors de certaines fêtes, on se rendait en procession, au sommet du mont de la Rocque, où un calvaire avait été édifié.

Jessé Flèche en 1610, M. G. Goyau dit que Lescarbot, resté dans la métropole, signifiait alors implicitement à l'opinion publique, par ses brochures, qu'on n'avait nullement besoin des Jésuites en Acadie, « puisqu'en vingt-et-un jours, — pas un de plus, — un prêtre séculier avait fait vingt-et-un baptêmes... ». En effet, l'adresse ingénue de Lescarbot laisse percer dans l'Histoire de la Nouvelle France, la préoccupation de justifier l'évincement des Pères, car il partageait les préventions de Poutrincourt à leur égard, mais il n'eut ni la naïveté ni le désintéressement, dans sa Relation dernière, qui met tout au point, de montrer les résultats de 1610 comme un record de vitesse ; il eut soin de dire, au contraire, que l'on s'était borné, pendant ces quelques semaines, à « rafraîchir la mémoire », c'est-à-dire à achever l'éducation chrétienne de Membertou et des siens.

Le P. de Rochemonteix a jugé de même les conversions de 1610 : « C'était, en vérité, précipiter les choses... »

Le tricentenaire de l'événement que nous venons de relater à été célébré en 1910, à Sainte-Anne de Ristigouche, en présence des grands chefs de la tribu des derniers Souriquois et d'une considérable affluence.

Les descendants des Souriquois (ou Micmacs) sont catholiques et vivent en dix réserves des Provinces maritimes, dont la principale est Sainte-Anne de Ristigouche, en Gaspésie. Il paraît chez eux, en caractères alphabétiques, un journal mensuel, le Messager Micmac.

E. LAUVRIÈRE, t. I, pp. 20 et 27.

(1) Relation dernière.


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Sire Jessé Flèche montrait un zèle infatigable et l'exemple de grandes vertus. Il allait visiter les sauvages malades dans leurs cases et leur porter des secours. Il les soignait avec dévouement, s'ingéniait à adoucir leur misère. Il s'enfonçait quelquefois dans les solitudes, traversait les forêts « jusqu'à douze lieues loin pour baptiser les enfants des sauvages, au mandement qu'ils lui en faisoient ». Un néophyte nommé Acanoùanis, fait chrétien sous le nom de Loth, l'envoya chercher par son fils à la distance de vingt lieues pour avoir les prières des agonisants et solliciter la faveur d'être enterré au cimetière des catholiques.

M. de Poutrincourt, dans ses explorations - en chaloupe sur les côtes inconnues où il faisait la troque, parlait de Dieu et de l'immortalité de l'âme aux sauvages qu'il trouvait cabanes à l'embouchure des rivières ; il leur narrait en abrégé l'histoire du Christ, ses miracles, sa vie évangélique ; il retraçait devant ces êtres naïfs, à l'imagination impressionnable, la divine tragédie de la Passion et du Calvaire ; il leur disait que, s'ils voulaient se faire chrétiens, ils deviendraient ses frères ; il citait l'exemple de Membertou, ami des Français. Il recrutait des catéchumènes et ramenait au PortRoyal ceux qu'il pouvait convaincre : « C'est ainsi qu'au péril de sa vie, avec des fatigues et souffrances incroyables, il va chercher des brebis égarées pour les amener à la bergerie de Jésus-Christ et accroistre

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le royaume céleste » (1). « Voilà, ajoute encore Lescarbot, les irréprochables témoignages de son incomparable piété, aiguillon qui lui a fait entreprendre tant de travaux et de hazars, dont il a été si mal récompensé... Je relis souvent et avec plaisir entremêlé de regrets plusieurs lettres qu'il m'a écrites... »

Et l'ancien compagnon de Poutrincourt reproduit l'une de ces missives où le colonisateur de Port-Royal, dans le style familier de l'intimité, déplore l'absence de son zélé collaborateur au Port-Royal (2).

M. de Poutrincourt rappelait au traducteur de saint Charles Borromée la guerre commune qu'ils avaient entamée contre l'esprit du mal. Le ViceRoi, fort prudent en fait de surnaturel, ne combattait l'influence du démon, père du mensonge, que par les moyens enseignés par l'Église.

Il faut ajouter qu'il avait à lutter contre l'idée naïve que les sauvages se faisaient du mauvais ange et même contre les erreurs de certains de ses compagnons qui, sous l'empire des croyances superstitieuses qui avaient cours à l'époque et peut-être aussi sous l'impression qu'avait pu laisser chez-eux la lecture de certains ouvrages de démonologie contemporains, n'étaient pas éloignés d'ajouter foi aux faits surnaturels, aux grossières inventions que forgeait l'imagination des Indiens.

(1) LESCARBOT, Relation dernière.

(2) LESCARBOT, Ed. de 1617.


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Lescarbot raconte que Prévert, nourri dans son enfance des légendes cotentinoises (il était de Saint-Malo), aimait à rapporter à Champlain et à Poutrincourt une quantité de merveilles fabuleuses que la tradition perpétuait chez les indigènes. Il avait essayé de persuader le gentilhomme picard de l'existence du « gougou », espèce de diable bourreau des consciences, qui tenait un grand rôle dans les croyances des Souriquois. Ce démon luttait et se divertissait avec les hommes, et Prévert affirmait sérieusement « avoir veu un sauvage jouer à la croce contre un diable, et qu'il voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant à Monsieur le diable, il ne le voyoit point » (1).

L'historien de la Nouvelle-France a soin d'ajouter : « Le sieur de Poutrincourt, qui prenoit plaisir à l'entendre faisoit semblant de le croire pour lui en faire dire d'autres » (2).

Il nous montre ainsi que le propagateur de la foi chrétienne en Nouvelle-France était à l'abri des fausses opinions les plus communes et que la doctrine qu'il enseignait était certainement exempte des déformations les plus ordinaires de l'ignorance et de la superstition.

(1) Les hâbleries de Prévert sur le « gougou », qui prenait la forme d'une femme « mais fort effroyable », et qui faisait sa résidence dans une île, sont reproduites dans la Chronologie septénaire de Palma-Cayet, Paris 1612, p. 423.

(2) LESCARBOT, p. 402.


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Le chef de la colonie ne laissait conférer le baptême aux sauvages qu'après leur avoir donné ou fait donner une instruction qu'il jugeait suffisante, et quand ils paraissaient susceptibles de ne point retomber dans une vie d'ignorance et de désordre. Les conversions dans les villages très éloignés n'étaient acceptées qu'avec prudence et sagesse : « quel blâme et regret eût-ce esté de laisser ces pauvres gens sans pasteur ni autre secours ».

Les Souriquois imbus de la sève et de l'esprit de l'Évangile, se montraient extrêmement sensibles aux maux dont souffraient les compagnons de Poutrincourt, et faisaient tous leurs efforts pour en atténuer la rigueur (1).

(1) Lire dans la Relation dernière le récit plein d'une grâce charmante que fait Lescarbot de la conduite de Membertou et des siens pendant la disette du printemps. Ses fils étant allés à la chasse y firent « long séjour » sans grand résultat. Ils se souvinrent d'avoir entendu dire << que Dieu, qui nourrit les oiseaux du ciel et les bestes de la terre, ne délaisse jamais ceux qui ont espérance en lui », et ils se mirent à prier. Membertou envoya l'une de ses filles sur les bords du ruisseau du moulin. « Il n'eust été guères long temps en prières que voicy sa dite fille arriver, criant à haute voix : Noucliich ! Begbin péch' kmokg. Beggin eta pech'kmok ; c'est-à-dire : « Père, le haren est venu ; le haren certes est venu ».

Les fils de Membertou, en même temps, tuèrent un élan qu'ils partagèrent chrétiennement avec leurs frères les Français et un hasard providentiel les conduisit sur le rivage devant une baleine échouée. Lescarbot présente ces faits comme une sorte de miracle : « Et vit, par effect, le soin que Dieu a des siens... »


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Tous respectaient les croyances et les pratiques de piété des colons, même ceux qui n'étaient point encore initiés aux mystères du christianisme. Ceux-là accomplissaient de véritables prodiges pour mériter l'honneur d'être faits chrétiens. « Un vieillard tout décharné, n'ayant plus que les os », qui n'avait pu suivre la troupe d'un Sagamos venu au Port-Royal pour être catéchisé, fit des efforts inouis, « se porta en toute peine en plusieurs cabanes », arriva à l'habitation épuisé et mourant, mais tout heureux à l'idée qu'il allait être instruit . et baptisé.

L'humilité naturelle des indigènes les rendait craintifs devant les enseignements qui leur étaient donnés. Honteux de leur ignorance, pénétrés de leur indignité, ils envoyaient avec plus d'assurance qu'ils ne se présentaient eux-mêmes leurs enfants parés de leur innocence s'instruire auprès de Jessé Flèche, dans l'espoir de les voir s'évader de leur condition inférieure, et des ténèbres dont ils se sentaient enveloppés. Lorsque les mères s'apercevaient que leurs nouveaux-nés se trouvaient en danger de mort, elles se mettaient sur le seuil de leurs cabanes, au passage de nos gens et criaient : « Tagaria ! tagaria », c'est-à-dire : venez-çà, pour que leurs nourrissons fussent ondoyés.

Les sauvages convertis avaient cependant beaucoup de peine à abandonner certains de leurs antiques usages qui n'étaient pas compatibles avec la foi chrétienne. Ils comprenaient mal l'unité de


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l'amour conjugal, mais il y avait, dans cette ignorance, plus d'ingénuité que de dépravation. Les pères Jésuites que Charles de Biencourt amena en Acadie se montrèrent fort scandalisés de ce qu'un des premiers convertis leur présenta orgueilleusement ses sept concubines. Ce malheureux était resté fidèle à une vieille pratique de son pays. Il ne s'imaginait pas que ce qui est une preuve de richesse et de prospérité chez les Souriquois pût paraître une honteuse marque de turpitude aux yeux des Français (1).

Ils étaient fort attachés à l'horrible coutume — éclairée par ailleurs de l'illusoire et lointain reflet d'une charité mal comprise — qui leur faisait achever les malades ou les vieillards qu'ils croyaient condamnés, de même qu'à la forme traditionnelle de leurs funérailles, et renonçaient difficilement à être inhumés aux cimetières de leurs ancêtres.

D'une naïveté enfantine, ils avaient été volontairement laissés dans l'ignorance des subtilités de la théologie (2), aussi posaient-ils des questions

(1) Ces retours aux moeurs ancestrales sont constatés fréquemment dans nos missions actuelles. Voir le compte rendu de la Mission de Foumban des prêtres du Sacré-Coeur de SaintQuenlin au Cameroun français, numéro de janvier-février 1929, page 42.

(2) Conformément aux recommandations de l'ouvrage cher à Lescarbot, La Guide des Curez... chapitre Du scavoir requis en celuy qui annonce la parole de Dieu, p. 9.


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qui montraient la candeur de leur âme (1). Leur douceur n'avait d'égale que la mobilité de leur esprit que les faisait passer en un instant par les sentiments les plus divers.

D'après Lescarbot, les premiers catéchistes devaient, en conscience, conférer le baptême à ceux de ces déshérités que la grâce avait touchés ; ils pouvaient compter sur «la simplicité d'un peuple plus capable de posséder le royaume des cieux que ceux qui sçavent beaucoup et font des oeuvres mauvaises... »

Une certaine hâte apparaît dans la conduite de Poutrincourt, profitant du départ de son fils Charles, pour envoyer en France le premier extrait du baptistaire du Port-Royal. Derrière ce légitime empressement, on peut découvrir les traces d'un zèle suspect, mais il ne faut pas oublier les bienfaits de l'enseignement de Lescarbot au voyage précédent ; il ne faut pas méconnaître le dévouement de l'avocat picard qui fut « un grand apôtre de l'idée missionnaire » (2) ; il faut se rappeler la patience et la persévérance déployées ensuite pour maintenir ces premières acquisitions et pour les développer. Comme l'a dit La Bruyère, « les fruits mûrs mais laborieux de la prudence sont toujours tardifs » : à

(1) Lire dans la Relation dernière l'anecdote où rentre en scène le colon Montfort.

(2) M. Georges GOYAU. Les origines religieuses du Canada, dans la Revue des Deux-Mondes, mars 1924, p. 49.


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la fin de l'année 1610, après sept mois révolus d'opiniâtres efforts, le nombre des nouveaux convertis n'était encore que de cent vingt-et-un (1). Les baptêmes auxquels avait fait procéder Poutrincourt ne furent pas tous hâtifs et prématurés. Les Relations des Jésuites ont reconnu implicitement les résultats féconds et durables de la plupart des premières conversions : les fils de Membertou restèrent de fervents adorateurs du vrai Dieu, s'élevèrent au-dessus du niveau commun et l'un d'eux se dévoua plus tard pour accompagner un Jésuite dans une mission dangereuse ; lui -même pratiqua les principales vertus chrétiennes et eut une mort des plus édifiantes. Le reproche d'avoir précipité les conversions pour des fins profanes, qui fut lourd au coeur du bon catholique qu'était Poutrincourt, s'accorde mal avec les naïfs étonnements des dames de la cour qui regrettaient, du fond de leurs oratoires, la lenteur désespérante des progrès du christianisme au Canada. « Que si la conversion de ces peuples ne va pas par milliers, leur répondait Lescarbot, il faut penser que nul prince ou seigneur n'a jamais assisté ledit sieur de Poutrincourt... Il faut considérer Testât du pays, qui n'est si fréquent en hommes que nos villages de France... On pourroit faire plus grande moisson qui voudroit passer plus oultre ; mais il faut vouloir ce que l'on peut, et prier Dieu qu'il veuille

(1) LESCABBOT, Relation dernière.


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faire le reste, puisque les hommes ont cette entreprise tant à mépris ».

Si l'entreprise est tant décriée, c'est qu'elle est ardue, délicate, pleine d'embûches.

Poutrincourt la conduit avec une ardeur méritoire.

Exemple merveilleux de cette continuité de l'esprit français toujours égal à lui-même à travers les siècles, le Vice-Roi suit exactement, comme il s'y est engagé par sa lettre au Saint-Père, les méthodes de Jacques Cartier, premier explorateur de la contrée.

C'est par l'exemple que Poutrincourt émeut les sauvages et qu'il les amène à la foi.

« Jacques Cartier ne rêvait pas seulement de conquérir des territoires à la France : il voulait donner à l'Église de nouveaux fidèles, porter à des âmes ensevelies dans l'erreur, l'Évangile de la vérité. Sa lettre à François Ier est pleine de ce désir... » La missive de Poutrincourt à Paul V ne témoigne-t-elle pas des mêmes sentiments ? ...Ne s'arrête-t-elle pas longuement « à la nécessité dans laquelle nous sommes de répandre jusqu'aux extrémités de la terre la nouvelle du salut, au miséricordieux dessein qu'à Dieu de faire luire à la fois le soleil de son ciel et la splendeur de son verbe sur les hommes » ?

Comme Cartier, Poutrincourt faisait charpenter des croix gigantesques aux armes de France sur les rivages nouveaux où il abordait; il distribuait


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des crucifix aux sauvages ; faute de prêtres, il faisait lire les prières de la messe à ses colons sous la voûte des forêts par un avocat, comme le pilote de Saint-Malo les avait fait réciter par un matelot sur les bords du Saint-Laurent (1).

Poutrincourt inaugure réellement vis-à-vis de ces peuplades le système de douGeur et de persuasion que devaient reprendre ses successeurs, que Champlain devait adopter lui -même à Québec, et qui demeure la gloire de la colonisation française.

Les disciples de saint Ignace et de saint François-Xavier devaient bientôt travailler avec un zèle intrépide à répandre la parole évangélique en Nouvelle-France. Deux pères de la Compagnie de Jésus, quelques mois plus tard, allaient être introduits en la contrée par le fils aîné de Poutrincourt. Ils allaient apporter au sein de ces populations un programme et des procédés d'enseignement raisonnes. Les semences apostoliques de ces ouvriers de la première heure ne devaient porter, il est vrai, que des germes fragiles et précaires. Il était réservé à Henri de Lévis, duc de Ventadour, en organisant quinze ans après, avec les PP. Piat et Noyrot, la grande mission qui créa la maison de Notre-Dame des Anges, d'amener les équipes permanentes et les véritables moissonneurs. Leur oeuvre, dirigée avec un sens averti des réalités et

(1) Discours de M. le chanoine Janvier, dans le Mémorial des fêles franco-canadiennes, 1905.


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des conditions particulières de la vie des indigènes, profita des leçons du passé. Elle devait être interrompue par la perte de Québec, en 1629, reprise avec un élan merveilleux, après le traité de SaintGermain-en-Laye et poursuivie au moyen d'immenses et persévérants travaux, au milieu de fatigues et de périls incomparables qui ne firent que susciter de nouveaux enthousiasmes.

Des rangs de ces humbles religieux allaient sortir des saints et des martyrs, comme l'Orléanais Jogues, le Dieppois Antoine Daniel, le Normand Jean de Brébeuf, les Parisiens Gabriel Lallemant et Garnier, le Mendois Chabanel (1), l'Abbevillois Jacques Buteux, qui périrent les uns dans d'effroyables tortures, les autres dans de perfides guets-apens.

Poutrincourt les avait devancés dans la voie généreuse où ils étaient engagés. Le premier, il avait tracé, dans le champ inculte des consciences, les sillons où ses successeurs, touchés d'une grâce particulière, devaient cueillir à pleines mains les fleurs de la foi et de la prière. Le premier, il avait planté des croix, répandu la lumière évangélique et fait connaître l'Église du Christ. Le premier, comme l'a dit Lescarbot avec une éloquence puisée dans la sincérité de son émerveillement, il avait présenté au Seigneur l'offrande d'âmes abandonnées aux ténèbres et conquises à la vérité.

(1) L'Église a béatifié ces Pères Jésuites en 1925.


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Sur l'efficacité véritable et le mérite de son oeuvre au point de vue purement spirituel, il est difficile de se prononcer en toute connaissance de cause. Les rivalités entre compatriotes qui sont la trame de l'histoire de ces précoces essais de pénétration de l'influence française au Canada, ont tout embrouillé, tout compliqué et rendu là vérité malaisée à pénétrer.

C'est une tâche ardue que de départager les mérites et de rendre à chacun de ces hommes d'avant-garde la justice qui lui est due. Les jugements portés sur la valeur et les conséquences des efforts de Poutrincourt sont en général d'une excessive sévérité (1).

Un Jésuite ,1e P. de Charlevoix, a confessé cependant qu'une foi agissante et féconde, dominait sa pensée et ses actes. Il faut aller jusqu'à la conclusion que ce loyal aveu impose et reconnaître qu'en déployant ce zèle trop visible, il fut la victime d'une illusion sincère. A ce titre, un peu d'indulgence, à défaut d'admiration, pourrait être accordée au premier propagateur de la pensée chrétienne au Canada.

(1) L'abbé Faillon, cité par le P. de Rochemonteix, dit, p. 100 : « Les baptêmes que Lescarbot appelle un chef-d'oeuvre de la piété chrétienne, quoique les théologiens et notamment la Sorbonne les condamnent comme de vraies profanations, donnèrent lieu cependant à cet écrivain, en exaltant le prétendu zèle de Poutrincourt pour la cause de Dieu, d'insulter aux évoques et aux grands du royaume, comme n'en ayant pas fait autant pour la cause des infidèles ».


YOYAGE DE CHARLES DE BIENCOÏÏRT baron de Saint-Just

leio

DANS L'ATTENTE.

Le 8 Juillet 1610, Charles de Biencourt, baron de Saint-Just, mit à la voile pour retourner en France.

Il emportait un chargement assez considérable de pelleteries.

Son père lui avait remis en outre une lettre pour le Roi, par laquelle il rendait compte de son expédition et sollicitait quelques privilèges pour la traite des fourrures. Le jeune homme était aussi porteur d'un extrait du baptistaire du PortRoyal (1).

Il devait ramener au plus tôt des « vivres et marchandises propres au commun usage, tant de luy et des siens que des sauvages », c'est-à-dire les

(1) Lescarbot nous en a gardé une copie : « Extrait du Registre de baptême de l'Eglise du Port Royal en la Nouvelle France, le jour sainct Jean-Baptiste, vingt-quatrième de Juin...» Histoire de la Nouvelle France, p. 638.


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menus objets le plus souvent employés pour les échanges avec les Indiens (1).

Poutrincourt enjoignit à son fils d'être de retour dans les quatre mois, c'est-à-dire avant l'hiver. Il le conduisit dans une pinasse, en longeant les côtes, l'espace de cent lieues.

Le Vice-Roi, arrivé dans les parages du promontoire de la Hève, « laissa aller à la garde de Dieu ledit sieur de Saint-Just, son fils » et mit le cap en arrière vers l'embouchure de la rivière, où il aborda. (Au port de la Hève, aujourd'hui Halifax).

Il était à la recherche d'un certain capitaine sauvage appelé Martin, qu'il ne rencontra pas, d'ailleurs, mais qui, prévenu du désir de Poutrincourt, suivit le rivage à sa piste, avec quarante

(1) Voici quelles étaient les conditions de la troque à cette époque pour les objets les plus usuels : un castor pour une hache ; un castor pour une demi-douzaine de couteaux de chasse ; un castor pour une livre de verroteries ; une peau pour un peigne; une peau pour un miroir ; une peau pour un chaudron ou une grande marmite : une peau d'orignac pour un balandran.

Plus tard, on donna pour dix peaux de castor un fusil ; pour un castor une livre de poudre ; pour un castor quatre livres de plomb.

On trouve des listes entières de marchandises avec leur valeur en peaux de castors aux Archives nationales, C 11, D 1, F. 33, mais pour une époque postérieure à celle qui nous intéresse.

D'après Lescarbot, les objets d'échange les plus recherchés, à ce moment, étaient les « chaudières grandes, moyennes et petites, les haches, couteaux, robes, capots, camisoles rouges, biscuits ». Histoire de la Nouvelle France, p. 559.


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hommes, et l'alla trouver au cap de Sable. Poutrincourt engagea avec succès les préliminaires de sa conversion.

Le Vice-Roi continua sa route pour le retour, mais il essuya, aux abords du cap Fourchu, un coup de vent de terre d'une violence inouïe qui l'éloigna considérablement de sa route. Il fut huit jours sans vivres et sans autre eau douce que celle qu'il recueillait quelquefois dans les voiles. Il s'était cru porté, par la tempête, jusqu'à la côte de Floride, mais grâce à sa « petite boussole », il put rectifier sa course désordonnée et aborder à l'île Sainte-Croix, où son arrivée fut signalée au capitaine Oagimont. Il reçut les secours empressés de ce Sagamos, traversa la baie Française et rentra au Port-Royal après un voyage des plus accidentés qui n'avait pas duré moins de cinq semaines.

• L'un de ses premiers soins fut de demander des nouvelles du chef surnommé Martin. Celui-ci avait tenu sa promesse. Il avait été baptisé durant l'absence du Vice-Roi. Ce nouveau converti ayant été frappé de dysenterie huit jours après la cérémonie qui l'avait fait chrétien, montra pendant sa maladie une extraordinaire piété : « C'est une chose digne de mémoire, dit Lescarbot, que cet homme mourant avoit toujours le sacré nom de Jésus à la bouche ». Sa fin fut celle d'un juste.


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La vie laborieuse de la colonie continua, telle que l'avait réglée le Yice-Roi. Les bâtiments furent réparés, les, fortifications renforcées ; un puits fut creusé dans le fort.

La disette se fit sentir durement en hiver. Le retranchement des vivres parmi la minuscule population du Port-Royal où la présence d'une demi-douzaine d'aventuriers sans aveu créait un noyau trouble et suspect autour duquel se manifestaient toujours les premiers sj^mptômes d'impatience et de mécontentement, occasionna « quelques mutineries et conspirations ». On eut recours à la chasse et à la pêche, mais il fallait franchir de grandes distances dans les bois pour avoir quelque chance d'abattre des grignaces ou élans. Six de ces quadrupèdes alimentèrent la colonie en Novembre et Décembre. Le poisson était abondant, mais il fallait en restreindre la consommation, de même que celle des coquillages et des anguilles, par crainte de dysenterie. Les sauvages qui absorbaient cette nourriture sans pain, succombaient souvent à la maladie.

On eut recours à « quelques racines que les sauvages mangeaient au besoin, lesquelles sont bonnes comme truffes ». L'une de ces racines, appelée chiben ou chiquebi, fut importée en France sous le nom de topinambour.

Les privations de l'hiver furent adoucies grâce à une température plus clémente,- qui attira le


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poisson dans les rivières en amont du Port-Royal (1) L'état sanitaire resta satisfaisant (2).

Le printemps ramena le dégel et les beaux jours sans qu'on eut la moindre nouvelle du baron de Saint-Just. Les quatre mois de délai donnés par Poutrincourt à son fils étaient depuis longtemps écoulés.

On parvint ainsi en Mai. La provision de farine était épuisée et l'on fit, dans la première semaine, la dernière cuisson de pain.

(1) Lescarbot fournit d'amples renseignements sur cette pêche. Le ruisseau nommé de Liesse par M. des Noyers, avocat au Parlement, le plus rapproché de la Grande baie française (son embouchure était sur la rive gauche de la baie du Port-Royal) se mit à fournir tant de poisson, qu'il fallut aller quérir du sel à la colonie pour en faire provision. Le passage ne dura que six semaines, mais la sardine se montra en abondance dans un autre cours d'eau, et plus tard, le hareng voyagea en colonnes serrées dans un troisième dont les eaux alimentaient le havre (la rivière d'Hébert et la rivière de l'Orignac). « Quand le hareng fut venu les sauvages (selon leur bon naturel) firent des feuz et fumées en leur quartier pour en donner avis aux François, ce qui ne fut négligé ; et est cette chasse beaucoup plus certaine que celle des bois ».

Quant à la rivière de l'Equille (ou du Dauphin) elle fournit des esturgeons et des saumons aux colons.

Relation dernière.

Sur la fréquentation des rivières d'Acadie par les poissons à l'époque où ils commencent à frayer, voir CHARLEVOIX, t. I, p. 127.

(2) Le grand air et la vie rude tenaient les colons en bonne santé. Un Parisien nommé Bertrand, « tourmenté de la goutte », ne se portait bien qu'au Port-Royal.

Relation dernière.

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Chaque jour, on interrogeait anxieusement l'horizon, sphinx impénétrable et muet, dans l'espoir de voir apparaître la voile qui allait apporter les nouvelles et les secours de France.

Poutrincourt songeait, non sans regret, au préjudice qui lui était causé. La cargaison arriverait trop tard pour le commerce. La saison était passée où les sauvages descendaient des forêts de l'intérieur avec leurs fourrures pour faire l'échange à l'embouchure des rivières (1).

II

DÉMARCHES A LA COUR.

Vingt jours après son départ du Port-Royal, Charles de Biencourt était encore au banc des Morues. La rencontre de plusieurs navires français lui avait fait dépasser le temps prévu pour cette première escale.

Les nouvelles de France étaient des plus troublantes et elles avaient fort tempéré la joie qu'il avait de retourner en la mère-patrie. Il avait appris la mort tragique du Roi avec horreur et en avait conçu quelques alarmes, car il redoutait des agitations.

(l)En Octobre et en Novembre, on commençait la chasse des castors et des élans, et elle durait une partie de l'hiver. CHARLEVOIX, t. Ier, p. 127.


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Le dimanche premier Août, il quittait la banc de Terre-Neuve. Le 21, après une excellente traversée, il entrait au port de Dieppe.

Le fils de Poutrincourt se rendit aussitôt à Paris. - Le jeune navigateur possédait une maturité de jugement au-dessus de son âge. A l'époque de la vie où d'autres ne rêvent que plaisirs, réjouissances et folles équipées, il venait de mener loin du sol natal une existence de travail et de privations qui l'avait prématurément assagi. Il avait passé les plus beaux jours de ces dernières années à la culture des terres d'une solitude sauvage, à prendre contact avec les indigènes, à essayer de pénétrer dans leur intimité. Il avait consacré les longues soirées des hivers canadiens à l'étude de la géographie, de l'hydrographie, des mathématiques, à se pénétrer du manuel intitulé Guidon, stile et usance des marchands qui mettent à la mer (1), et à apprendre les langues locales. Il rentrait avec .un passé d'explorateur et des connaissances en l'art de la navigation dont de vieux capitaines, blanchis à leur banc de quart, auraient pu tirer vanité. Il mûrissait de graves projets qui, dans sa pensée, devaient concourir à la grandeur de la patrie et assurer celle de sa maison. Inaccessible aux passions juvéniles et aux orgueilleuses présomp(1)

présomp(1) livre est mentionné dans l'arrêt du Parlement de Rouen de juillet 1633, dont il sera reparlé plus loin. Il avait été imprimé à Rouen en 1608.


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tions de la vingtième année dont il possédait cependant tous les enthousiasmes, Charles était, suivant l'expression imagée de Lescarbot, de ces singuliers mortels marqués du signe du destin, qui portent, comme certains arbres rares des pays qu'il avait visités, le fruit en même temps que la fleur.

En arrivant à Paris, le baron de Saint-Just se trouvait partagé entre les préoccupations d'un découvreur de terres dont les horizons nouveaux ont élargi les vues, d'un vieil hauturier, rompu aux roueries de la mer, et les timides appréhensions d'un adolescent qui va, pour la première fois, affronter l'honneur redoutable d'être présenté à sa souveraine.

Charles échafaudait de belles espérances sur cette entrevue.

Appelé au Louvre, le jeune visiteur, ébloui par un luxe auquel sa vie d'isolement le rendait étranger, fut introduit dans le « cabinet » où Marie de Médicis se tenait ordinairement. C'était un salon encadré de boiseries peintes « d'arabesques délicates à couleurs tendres », encombré de bibelots, de coffrets, de coupes d'agate, garni d'un beau tapis d'Orient rapporté par l'ambassadeur de France en Turquie, M. de Brèves, dont le fils devait épouser plus tard la fille de Charles de BiencourtChauvincourt, où douze chaises et douze fauteuils de velours cramoisi s'offraient à la nombreuse compagnie.


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L'accueil qu'il reçut de la Régente lui parut du meilleur augure pour le résultat de sa mission. La Reine, naturellement hautaine et distante, car elle n'avait, au dire de ses historiens, «rien de caressant dans les manières » et « aucune gaieté dans l'esprit », montra néanmoins cette grâce avenante et cérémonieuse qu'elle savait avoir dans certaines circonstances. Elle possédait, de fait, une véritable « industrie et dextérité à gagner les coeurs et s'acquérir les volontés et affections des personnes lorsqu'elle y vouloit employer ses cajoleries et les charmes de ses belles paroles » disait Sully. « Courtoisies, promesses, caresses et bonnes chères » étaient d'autant plus puissantes et pleines d'efficacité « qu'elles estoient moins communes et ordinaires » (1). Elle « fut merveilleusement réjouie » en apprenant la conversion des sauvages et fut heureuse d'en lire le récit public dans un écrit de Marc Lescarbot que le jeune explorateur lui présenta en même temps qu'un extrait authentique du registre baptistaire du Port-Royal (2).

(1) Louis BATIFFOL, La vie intime d'une reine de France au XVIIe siècle, pp. 45, 62, 70 et 71.

(2) La Conversion des Sauvages qui ont été baptizés en la Nouvelle France cette année 1610 : avec un bref récit du voyage du sieur de Poutrincourt, signé Marc Lescarbot. Paris, J. Millot, s. d. in 8°. On trouve un exemplaire de cette pièce rare à la Bibliothèque Nationale, Lk 12, 726.


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Peut-être se targuait-il, en mettant directement sous les yeux de la Régente des preuves irrécusables du zèle de Jessé Flèche, de la convaincre facilement « que le ministère des Jésuites n'étoit pas nécessaire pour la conversion des Infidèles (1) ». Peut-être se flattait-il aussi d'obtenir les « défenses » réclamées par son père, pour la traite des castors, « cuidant que la considération de la religion lui pourroit faire aisément accorder cela » (2).

Si telles étaient ses espérances, il dut éprouver bientôt quelque déception.

Le Roi avait dit peu de temps avant sa mort au duc de Guise et à quelques amis : « Quand vous m'aurez perdu, vous autres, vous connoîtrez lors ce que je valois ». Et Sully, en apprenant que son maître venait d'être frappé d'un coup de couteau s'était écrié : « S'il meurt, la France va tomber en d'étranges mains !.. » Hélas ! Poutrincourt allait vérifier à son détriment la valeur de ces paroles prophétiques.

Tout le mois de Septembre se passa en visites inutiles ; mais l'arrivée du jeune colonisateur n'était pas passée inaperçue. L'attention du P. Cotton était éveillée. Le Jésuite avait perdu, il est vrai, par la mort du Roi, quelque chose de son crédit ; cependant, il avait toujours l'amitié de quelques

(1) GHARLEVOIX, t. Ier, p. 122.

(2) C'est l'opinion de Lescarbot qui dut recevoir sur ce point, les confidences du jeune homme.


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hommes d'État, de plusieurs dames de la cour, et notamment de celle que son historien, le P. d'Orléans, appelle « l'illustre marquise de Guercheville ». Son pouvoir près de la Régente était encore considérable.

Les Jésuites s'agitaient depuis qu'ils savaient que Biencourt avait eu la faveur d'obtenir plusieurs audiences. L'occasion était belle. Selon l'expression de Lescarbot, «ils ne manquèrent pas de l'empoigner par les cheveux... » Ils prétendaient bien, cette fois, ne plus être exclus du voyage que le jeune homme allait entreprendre.

Le nonce Ubaldini se donnait beaucoup de mouvement ; il entretenait des relations étroites avec le P. Cotton et poursuivait avec lui des buts communs dans le plus parfait accord ; il avait soutenu ardemment le point de vue du confesseur de Sa Majesté lors de la condamnation par le Parlement du livre du Jésuite Mariana. Quand ce même Parlement avait fait saisir l'ouvrage du cardinal Bellarmini, le plus grand docteur de la Compagnie, De la Puissance du souverain Pontife sur le Temporel, il avait menacé de quitter la nonciature avec éclat. Grâce à lui, le P. Cotton était devenu « le représentant officieux du Saint-Siège ». Pendant tout son séjour à Paris, Ubaldini « eut la sagesse d'user largement de ses services » (1).

(1) L'abbé BEÉMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux, t. II, p. 83.


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Tous deux comptaient parmi les conseillers intimes de la Régente. L'ami du nonce n'eut aucune peine à faire révoquer les pouvoirs naguère donnés à Jessé Flèche et à les faire transmettre aux mains des PP. Biard et Massé, protégés de la marquise de Guercheville (1).

Cependant, Charles de Biencourt n'avançait guère dans ses démarches. Au commencement d'Octobre, le Roi partit de Paris avec la Reine sa mère pour passer cinq ou six jours à Monceauxen-Brie, sans avoir donné réponse aux sollicitations du jeune voyageur. L'intention de Leurs Majestés était de prendre quelque repos en cette agréable résidence, avant de s'acheminer vers Reims où Louis XIII devait bientôt être sacré et couronné.(2) Le P. Cotton était du voyage, car il devait pro(11

pro(11 le rôle du nonce Ubaldini à Paris, voir LE VASSOR, Histoire de Louis XIII, t. Ier, p. 128 et suiv., t. IV, p. 59 et 60 ; sur son rôle dans l'élection de Grégoire XV, voir les Mémoires du maréchal d'Estrées ; voir aussi les Lettres du cardinal de Richelieu, t. Ier, pp. 198, 573, 664 ; t. II, pp. 325, 326, 455, 456 et passim.

Ubaldini obtint le chapeau de cardinal en 1617, et eut pour successeur à Paris Guy de Bentivoglio, internonce à Bruxelles. Il tomba en disgrâce auprès d'Urbain VIII qui avait succédé à Grégoire XV en 1623, fut enfermé au château Saint-Ange pour avoir trempé dans le complot des Espagnols et mourut de chagrin.

(2) « Le 2 d'octobre, le Roi partit de Paris... Le 11 dudit mois, Leurs Majestés partirent de Monceaux et arrivèrent à Reims le 14.» Mémoires de Pontchartrain, Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, t. XVI, p. 422.


PL vin. — ARMES DE LA FAMILLE DE BIENCOURT.

Fronton de la Salle des Cartes au Château de Mesnières-en-Bray.

Extrait du Château de Mesnières, par M. l'abbé H. Bourgeois.



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noncer, la veille de la cérémonie, en la cathédrale, un sermon sur la divine institution du sacre et de l'onction des Rois de France, et sur le sacrement de la Confirmation que Sa Majesté devait recevoir par les mains du cardinal de Joyeuse (1).

Biencourt suivit la cour à Monceaux, résidence préférée de Marie de Médicis, dont le château, oeuvre du Primatice, avait été acheté par Henri IV en 1596, dans la succession de Catherine de Médicis, et qu'il avait donné à la Reine après la mort de Gabrielle d'Estrées.

Le 2 Octobre, Biencourt apprit de la Régente elle-même que le nouveau privilège demandé par son père pour la traite des castors ne lui était pas accordé. Le refus était toutefois si bien enveloppé de louanges à l'adresse des colonisateurs, de remerciements et de vagues promesses, qu'il fut accueilli sans amertume. Biencourt sut en même temps que là volonté de la Reine était de lui donner deux Jésuites pour seconder son père dans la christianisation de la Nouvelle-France.

Pendant les allées et venues de Biencourt à Paris et à Monceaux, les dames de la cour, qui avaient gagné leur cause, ou plutôt celle des Jésuites, ne pensaient plus qu'à l'équipage des missionnaires. Ce fut à qui se chargerait de leur éviter les préoccupations matérielles du voyage.

(1) Journal de l'Estoile, t. XI, p. 21.


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Le zèle pour l'évangélisation du Canada agissait avec la même ardeur que lors du départ de Poutrincourt au début de l'année.

Les Pères Biard et Massé se préparaient à partir. «La Reyne leur fit donner cinq cens écus. La marquise de Verneuil fit leur chapelle, Mme de Sourdis leur fournit des linges et la marquise de Guercheville ajouta à cela tout ce qu'une charité soigneuse peut suggérer à un bon coeur » (1).

Charles de Biencourt « voyant que cette affaire tiroit en longueur, et qu'il falloit aller secourir son père... print congé de la Royne » (2). Il s'achemina vers Dieppe, où il avait des affaires pressantes à traiter avec ses associés. Il était porteur de plusieurs lettres à l'adresse de Poutrincourt, lettre du Roi, lettre de la Reine, en réponse à la missive envoyée du Port-Royal par le Vice-Roi ; lettre de Mme de Guercheville et lettre du P. Cotton pour le même objet.

Les lettres du Roi et de la Reine régente étaient ainsi conçues :

«A Monsieur de Biencourt-Poutrincourt,

«Monsieur de Poutrincourt, j'ay eu à plaisir

d'entendre le bon progrès que vous avez fait par

de là, principalement en la conversion de ces

sauvages, ainsi que vostre fils m'a rapporté ;

(1) Le P. D'ORLÉANS.

(2) LESCARBOT, Relation dernière.


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continuez à y rendre tout bon devoir et vous asseurez que comme l'effect de vostre entreprise tournera à la gloire de Dieu et à ma réputation, i'aurai souvenance de vos services pour les faire recognoistre aux occasions qui se présenteront ; ainsi que vous mande la Royne madame ma mère, priant Dieu, Monsieur de Poutrincourt, qu'il vous ait en sa saincte et digne garde.

« Escript à Paris, le premier iour d'Octobre 1610. Signé : Louis.

Contresigné : BRULART. »

« A Monsieur de Biencourt-Poutrincourt,

« Monsieur de Poutrincourt, vostre fils m'a rendu vostre lettre du XI Juillet et faict entendre le bon devoir que vous rendez par delà, tant en vostre charge, que par la conversion de ces barbares, à nostre saincte Religion, de quoy i'ay eu à plaisir d'estre informée.

« Vous ferez encore service plus agréable au Roy mon fils, et à moy, de continuer d'autant plus que bientôt vous aurez par de là des pères Jésuites qui vous seconderont en ce bon dessein, duquel il ne peut réussir que beaucoup d'avantage à la gloire de Dieu et à la réputation de ceux qui sont authours de vostre entreprise, pour laquelle j'employeray touiours volontiers l'authorité du Roy mon dict sieur et fils, et sa bonne volonté à vous faire gratifier sur le faict du commerce dont


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m'escrivez, autant que le bien de son service le pourra permettre, ainsi que vous dira vostre dict fils. Priant Dieu, Monsieur de Poutrincourt, qu'il vous ait en sa saincte et digne garde.

« Escript à Paris, le 2e jour d'Octobre 1610. Signé : MARIE.

Contresigné : BRULART » (1).

La lettre de Mme de Guercheville était fort amicale, mais très pressante quant au bon accueil à accorder aux Jésuites en Nouvelle-France.

«A Monsieur de Biencourt-Poutrincourt, Vice-Roy du Canada, au nom de la Reine régente.

« Monsieur de Poutrincourt,

« J'ai reçu un singulier plaisir d'avoir appris par vostre lettre l'heureux succès de vostre voyage, et le bon commencement de la conversion des âmes, que i'espère qui s'augmentera de plus en plus à la grand' gloire de Dieu. C'est par vostre moyen que ce bon oeuvre se commence, dont la rémunération sera grande envers celuy pour lequel vous prenez cette peine ; car l'on ne perd un verre d'eau qui se donne pour son amour.' Prenez donc et renforcez votre courage qui s'employé en une chose si digne d'un gentilhomme d'honneur.

(1) Bibliothèque Nationale, nouvelles acquisitions françaises, n° 9281.

Voir aussi le Factum publié par G. Marcel.


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Je croy que vous serez grandement consolé par l'arrivée de deux pères Jésuites qui vont travailler à la vigne de Dieu dont l'un a esté mon père spirituel : ce seroit chose superflue les vous recommander, congnoissant vostre zèle, et néantmoins ie ne me sçaurois empescher pour l'affection que ie leur porte et la très louable entreprise que je leur voy faire : ie vous supplie donc avoir soing d'eux comme leurs vertus le méritent et vous asseurer que ie m'employeray de bon coeur aux occasions ou i'auroy le moyen de vous pouvoir servir. Priant Dieu, Monsieur, quil vous accompagne tousiours et vous assiste de sa très saincte grâce, et demeureray

« Vostre humble à vous faire service, « Signé : Anthoinette DE PONT.

« De Paris, iour S* Michel » (1).

Ces lettres étaient pleines de promesses qui n'engageaient pas beaucoup les signataires.

Livré à ses réflexions solitaires sur la route de Normandie, le jeune voyageur, essayant de récapituler les gains acquis, dut reconnaître que jamais ambassade n'avait eu plus piteux résultat que la sienne. Il n'avait rien obtenu de ce que son père désirait davantage : une aide efficace, des privilèges pour la traite. On lui avait imposé ce qu'il redoutait le plus : les Jésuites au Port-Royal.

(1) Ibid.


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Parvenu à Dieppe, Biencourt conclut un arrangement avec deux commerçants huguenots, l'un nommé du Jardin, était armateur, et l'autre Abraham du Quesne, originaire, dit-on, de Blangysur-Bresle, à une lieue de Biencourt, était capitaine de vaisseau pour le Roi en la marine du ponant (1).

Les deux négociants se chargeaient de rééquiper le navire, à la condition d'entrer comme associés dans l'entreprise.

Bientôt, les deux pères Jésuites arrivèrent, précédés de leurs bagages, pensant qu'on n'attendait plus qu'eux pour mettre à la voile. Biencourt leur avait donné rendez-vous à Dieppe, au 24 Octobre. Le courroux des huguenots éclata violemment en voyant à quelle sorte de passagers ils avaient affaire. Ils déclarèrent sans ambages à Biencourt qu'ils ne voulaient aucunement aider à fonder une colonie au profit du roi d'Espagne, « qu'ils nourriroient volontiers toute autre sorte d'hommes, Capucins, Minimes, Cordeliers, Récollets etc., mais, quant à ceux-ci, qu'ils ne vouloient point... qu'ils ne permettroient point qu'ils fussent du voyage ». Biencourt et Robin de Coulogne leur firent observer que telle était la volonté de la Reine, et qu'il fallait se soumettre. A quoi les deux Diep(1)

Diep(1) dernier est le propre père du fameux du Quesne, plus tard lieutenant-général des armées navales, vainqueur de Ruyter et l'un des plus grands hommes de mer que la France ait produits. Abraham du Quesne fils naquit cette même année 1610.


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pois répondirent « que si la Royne vouloit qu'ils y allassent, on leur rendist leur argent » (1).

La perspective qu'ils ouvraient ainsi était fort décevante, car, comme le dit de façon pittoresque le P. Biard, «faute d'argent, les sieurs Biencourt et Robin estoyent contraincts de passer sous leur barre » (2).

Les Jésuites en référèrent au P. Cotton qui se démena à la cour. Ordre fut envoyé sur le champ à M. de Sigongne, gouverneur de Dieppe, d'interposer son autorité. Seulement le prestige de ce seigneur était mince (3). C'était au surplus un

singulier personnage. On disait à Paris où il était fort connu que «le gouvernement d'un haras de garses et guildines lui eust esté plus propre que

(1) LESCARBOT, Relation dernière.

(2) Relation des Jésuites... Réimpression de Québec, 1858, t. Ier, p. 27.

(3) Charles-Timoléon de Beauxoncles, chevalier, seigneur de Sigongne, fut gouverneur de Dieppe en 1603, à la mort de son père. Il mourut le 16 Avril 1611, et eut pour successeur M. de Villers-Oudan, qui avait servi la Ligue en Picardie, spécialement à Amiens. M. de Luné, un ancien ligueur lui aussi, avait refusé ce gouvernement.

M. de Sigongue avait épousé Marguerite du Fau. Une dame de. Sigongne avait été marraine aux baptêmes du Port-Royal de juin 1610. C'était probablement la femme de ce gouverneur. Un pasquil fort scandaleux intitulé les Comoedians, qui courut à Paris en 1603, contenait quelques allusions fâcheuses à la vertu de Mme de Sigongne.

Journal de l'Estoile, t. VII, —. 329 ; t. VIII, pp. 104 et 169; t. XI, pp. 103 et 107.


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celui d'une telle ville ». Les marchands se moquèrent de son intervention (1). Les deux Pères, voyant que M. de Sigongne ne pouvait se faire obéir, se retirèrent à leur collège de la ville d'Eu (2).

Charles de Biencourt rongea son frein, et, pour parler comme Lescarbot, put « se curer les dents, lui et sa troupe », en attendant les événements (3).

Mme de Guercheville, piquée des procédés peu courtois des armateurs, se mit à la tête d'une souscription à la cour. Elle réunit rapidement une somme importante qu'elle envoya au P. Biard, ce qui permit à ce religieux d'acheter la part des deux Dieppois dans l'association, moyennant trois mille huit cents livres.

Le montant des sommes recueillies était assez élevé pour permettre de prêter aux associés une somme de sept cent trente-sept livres, et d'avancer

(1) Jean de Laët rapporte un mot trop dur pour être cité ici. Ces marchands n'auraient accepté d'emmener des Jésuites qu'à la condition de conduire tout l'Ordre hors de France.

(2) Le P. D'ORLÉANS, Le P. Coton : Le P. DE CHARLEVOIX, Histoire de la Nouvelle France.

Les Jésuites avaient été rappelés à Eu quelques années auparavant. Le 3 mai 1607, à Fontainebleau, le Roi avait signé des lettres patentes qui autorisaient le rétablissement des Pères en cette ville. Le 1er juin suivant, ces lettres avaient été publiées à Eu, et les classes du collège avaient été rouvertes à la demande des habitants.

Gh. BRËARD, Histoire du Collège d'Eu, p. 32.

(3) LESCARBOT, Ed. de 1617.


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celle de douze cent vingt-cinq livres afin de compléter l'armement et la cargaison du navire (1).

Dans le but de procurer à l'oeuvre des Jésuites une puissance et une stabilité plus grandes au Canada, la marquise voulut que l'argent qu'elle donnait aux missionnaires leur profitât : « Pour leur rendre ce revenu plus aisé, elle jugea à propos qu'on le prist sur les marchandises qui font le négoce du pays... » Initiative imprudente et qui devait nuire infiniment à la réputation des Pères ! Au dire des Jésuites, elle les poussa à s'intéresser d'une façon trop directe au côté matériel de l'entreprise. « Son zèle la porta trop loin ; et l'on peut dire que le Père Cotton la laissa trop faire » (2).

Un traité de commerce fut passé à Dieppe le jeudi 20 Janvier 1611 pardevant Me Thomas

(1) Voir, sur les préliminaires du voyage de 1611, Le P. BIARD, Relations des Jésuites, t. Ier, p. 27 ; LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, 1618,1619 ; Relation dernière. CHAMPLAIN, Voyages, t. Ier ; Jean DE LAET, Histoire du Nouveau Monde, pp. 51 à 63, chapitre intitulé Sauvages de la Nouvelle France ; Le P. D'ORLÉANS, Le P. Cotton ; Le P. DE CHARLEVOIX, Histoire de la Nouvelle Ftrance, t. Ier, p. 123. Voir aussi Lettre du P. BlARD au T. R. P. Claude Aquaviva, général de la Compagnie de Jésus, à Rome (Dieppe, 21 janvier 1611) et maintes autres lettres curieuses tirées des archives de Rome et publiées par le R. P. Auguste CARAYON, jésuite ,sous le titre : Première mission des Jésuites au Canada, Paris, 1864. Voir encore Francis PARKMAN, Les pionniers français... Paris, 1874, pp. 211 à 216 ; RAMEAU, Une colonie féodale, p. 33 ; M. Georges GOYAU, les Origines religieuses du Canada, Revue des Deux-Mondes, 1er mars 1924. M. E. LAUVRIÈRE, La tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 28.

(2) Le P. D'ORLÉANS, Le P. Cotton, p. 158.

24


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Levasseur, notaire. Les deux Jésuites y étaient parties contractantes tant en leur nom personnel qu'au nom de « la Province de France de la Compagnie de Jésus ».

Aux termes de cet acte d'association, la moitié du produit de la traite des pelleteries en NouvelleFrance revenait aux PP. Biard et Massé, et l'autre moitié restait à Biencourt et à Bobin.

Ainsi , la perspective tant redoutée de Poutrincourt n'avait pu être évitée. Les Jésuites se trouvaient dorénavant participer avec lui au commerce du Canada. Ils n'étaient pas ses concurrents, c'est vrai ; ils étaient ses coassociés, ce qui lui était plus préjudiciable encore, à son estimation.

La concession que Biencourt leur accordait ainsi au Port-Boyal était énorme (1).

Éconduit à Paris, Biencourt était joué comme un enfant à Dieppe. Sa mission en France s'achevait en débâcle (2).

(1) « Par suite, écrivait le P. Biard, les Jésuites seront maîtres de l'entreprise ». Lettre de Port-Royal, du 31 janvier 1612., Voir GARNEAU, app. LXV.

(2) Cet acte servit plus tard de machine de guerre contre les Jésuites, car il offrait une base aux accusations répétées des protestants qui prétendaient que les Pères n'entreprenaient les missions étrangères que dans un but commercial.

En 1614, quand ce contrat fut connu par suite du procès intenté par Poutrincourt aux deux Jésuites, il souleva les protestations et l'indignation plus ou moins sincères des ennemis de la Compagnie de Jésus. Les Pères en rejetèrent la responsabilité morale sur la marquise de Guerchevillè. Le P. de Cbarlevoix a fait mieux ; il lui en a attribué la responsabilité effective : «...après quoi, dit-il, elle fit avec M. de Biencourt un Traité de Société, par lequel la subsistace des Missionnaires devoit être prise sur le


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Cependant, le temps pressait. Ces retards étaient ruineux.

Quand Biencourt voulut appareiller, le maître de navire Jean Dosne (1) et le pilote David de

produit de la pêche et du'commerce des pelleteries. L'auteur de la vie du P. Cotton prétend que ce S. Homme laissa un peu trop en cette occasion Madame de Guercheville suivre les mouvements de sa générosité. Mais M. de Champlain, qui avoit alors plus de part que personne aux affaires de l'Acadie n'est pas de même avis... ». Mme de Guercheville passa plus tard un contrat avec M. de Poutrincourt, mais Charlevoix confond ce traité avec celui passé à Dieppe dont les PP. Biard et Massé étaient les seuls signataires avec Biencourt et Robin de Coulogne. L'appréciation de Champlain s'applique à Ce dernier contrat qui, dit-il, << a fait tant semer de bruits, de plaintes et de crieries contre les PP. Jésuites... ». Voyages, Liv. III, chap. Ier, p. 132 de la réimpression de 1830. :. . ■

Jusqu'au xvmesiècle, les adversaires des Jésuites ne cessèrent de leur jeter à la face le contrat de.1611.

Il fut invoqué notamment en 1626 '-par l'auteur des Noies publiées contre l'Apologie ou Défense .pour les Pères Jésuites, par le sieur Pelletier. En 1643, il fut reproduit à la fin d'un livre intitulé Seconde Apologie pour V Université de Paris, imprimé par le mandement de M. le Recteur, donné en Sorbonne le 6 octobre 1634. On le trouve in extenso au tome VII de la Morale Pratique des Jésuites d'Antoine Amault, 1716, p. 53, et dans le Recueil de Pièces concernant l'histoire de Louis XIII... Paris, Montalant, 1717, t. IV, p. 355. L'auteur de l'Histoire des Jésuites, Soleure, 1740, en annonce la publication «-dans le second tome du recueil de pièces servant de preuves à cette histoire, comme un monument aussi authentique que singulier de là cupidité et de l'avarice des religieux ». Mais ce volume de preuves n'a jamais paru. L'ouvrage imprimé à la Haye en 1759, les Jésuites marchands, usurpateurs, et leurs cruautés dans l'Ancien et le Nouveau Continent, lui fait une publicité de choix, pp. 59 à 61. Enfin, il est résumé dans le Problème Historique, ouvrage cité plus haut haut, t. II, p. 236.

Lescarbot l'avait lui-même publié dans son Histoire de la Nouvelle France, édition de 1617, page 665.

(1) Jean Dosne ou Done, d'après- un Arrêt du Parlement de Rouen du 12 juillet 1633 ; Jean Doué, d'après le Factum.


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Bruges, soudoyés peut-être par leurs coreligionnaires, car ils étaient protestants, osèrent soulever à leur tour des difficultés au sujet des deux religieux ; ils craignaient, disaient-ils, d'être morigénés dans la traversée à cause de leurs croyances. Le P. Biard dut jurer au capitaine et à son compagnon qu'il ne les inquiéterait pas.

III

Au PORT-ROYAL.

Le 26 Janvier, la Grâce de Dieu mit à la voile par une forte brise Sud-Est qui porta nos voyageurs droit à l'île de Wight (1).

Ils y perdirent vingt jours.

Enfin, ils purent lever l'ancre. La traversée fut longue, car ils eurent toujours à combattre des vents contraires. Le 19 Avril, ils étaient sur le grand banc des Morues où se trouvaient des navires de Dieppe et de Saint-Malo. Le 29, ils passaient entre les bancs et l'île de Sable, et cinglaient, l'espace de douze lieues, « parmi des glaces hautes comme des montagnes ».

Au sortir des banquises, ils rencontraient un navire de de Monts commandé par Champlain.

(1) Factum publié par G. Marcel.


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Enfin, le 21 Mai, ils mouillaient à l'entrée du Port-Royal (1).

Ils trouvèrent la colonie en pleine activité, avec un moral excellent, sans malade, mais fort dénuée de vivres.

L'arrivée du navire ranima tous les courages. Aussitôt, une canonnade et une fanfare éclatèrent et rassemblèrent les vingt-trois colons devant l'habitation. L'ivresse joyeuse qui les envahissait chaque fois que parvenaient des nouvelles de France, faisait oublier en un instant les souffrances et les privations d'un interminable hiver, rendait dociles et confiants les plus insoumis et les plus désespérés. Le bonheur mettait des sourires sur toutes les lèvres, des larmes d'attendrissement dans tous les yeux. Anciens et nouveaux fraternisaient et s'interrogeaient avec une familiarité fiévreuse. Selon la touchante expression de Lescarbot, tout se terminait dans la joie : « Là-dessus, allégresse et réjouissances ».

La première question que posa Poutrincourt à son fils fut pour s'informer de la santé du Roi .Le jeune homme apportait la nouvelle — vieille d'une année — de l'assassinat d'Henri IV. Elle fut accueillie avec un frisson d'horreur. « Chacun se print à pleurer, mesmes les sauvages, après

(1) Charlevoix note l'arrivée au 12 juin (t. Ier, p. 123). Rameau dit le 22 juin, sans indication de source. On trouve la date du 21 mai dans la Relation dernière.


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avoir entendu ce désastre, dont ils ont fait le dueil fort longtemps, ainsi qu'ils eussent fait d'un de leurs plus grands Sàgamos » (2).

Le Vice-Roi, quel que fut son étonnement de voir débarquer deux Jésuites, accueillit les nouveaux venus avec civilité. C'était un homme de bonne éducation, un esprit élevé, qui savait se plier aux circonstances, faire la part du mauvais sort, et dominer au besoin la tyrannie des événements. Les missionnaires étaient deux hommes instruits et pieux ; il crut qu'il pourrait s'accommoder avec eux, et que leurs lumières seraient une ressource de plus dans la colonie. « M. de Poutrincourt en usa toujours honnêtement avec eux » (1).

Au surplus, tout était prévu pour le cas où le Vice-Roi aurait été tenté de leur réserver un mauvais accueil. Les deux Jésuites étaient porteurs de lettres du Roi et de la Reine, obtenues à Monceaux deux ou trois jours après le départ de Charles de Biencourt, qui, jointes à celles qui avaient été apportées par celui-ci, devaient achever d'édifier Poutrincourt. Le Vice-Roi était prié, à deux reprises, d'accorder faveur et assistance aux Pères. La Reine lui faisait savoir qu'elle avait cette affaire « fort à coeur ».

(2) Relation dernière.

(1) CHARLEVOIX, t. Ier, p. 123.


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'« À Monsieur de Biencourt-Poutrincourt,

« Monsieur de Poutrincourt, Maintenant que ces bons pères Jésuites s'en vont vous trouver pour essayer sous l'autorité du Roy, monsieur mon fils, d'establir par delà nostre saincte religion, ie vous écris cette lettre afin que vous leur départiez pour l'effect de ce bon oeuvre toute la faveur et assistance qui dépendra de vous, comme en chose que nous avons fort à coeur, et nous tiendrons à service très agréable, Priant Dieu, monsieur de Poutrincourt, qu'il vous ait en sa saincte et digne garde.

« Escript à Monceaux le VIIe jour d'Octobre 1610,

Signé : MARIE..

« Contresigné : BRULART ».

La recommandation du P. Cotton n'était pas moins expresse :

« Monsieur, Voicy l'accomplissement d'une partie de nos désirs, car d'une part la Royne est résolue de vous maintenir le département qui vous a esté accordé, et de l'autre elle vous envoyé deux de nos pères, le P. Pierre Biart et le P. Evemond Massé, pour vous aider et servir au faict de la conversion des âmes : tous deux bons religieux, sçavants et zélez, qui ne respirent que la gloire de Dieu et de vous servir en particulier ; je vous les recommande


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tant qu'il m'est possible, et vous promets en eschange, outre la récompense que vous en aurez devant Dieu, d'estre vostre solliciteur en ceste cour envers et contre tous ceux qui pourront vous servir et qui désireront de vous nuire. Le père Evemond a esté mon compagnon long temps, et est fort aimé et cognu en ceste Cour : il me fera librement sçavoir tout ce que vous pourrez désirer de celuy qui est

« Vostre serviteur très humble et très affectionné en N. S.

« Pierre COTTON, de la Compagnie de Jésus.

« A Monceaux sur le chemin de Rheims où l'on va pour le sacre du Roy Loys 13, le Vj. Octobre 1610.

« Et au-dessus est escript, A Monsieur, Monsieur de Poutrincourt, Viceroy de la Nouvelle-France en Canada. »

L'arrivée avait surpris les colons au moment où ils s'apprêtaient à célébrer la fête de la Pentecôte. Anciens et nouveaux se réunirent afin de rendre grâce à Dieu de l'heureux événement, et tous gravirent en procession le mont de la Rocque.

La première heure de joie écoulée, Poutrincourt et son fils examinèrent ensemble la situation. Le jeune homme amenait trente-six colons, ce qui


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portait à cinquante-neuf le nombre des Français au Port-Royal (1).

L'équipage de la Grâce de Dieu, en raison de son séjour à l'île de Wight et de ses cinq mois de traversée, avait consommé une partie des approvisionnements qu'il apportait (2). Au surplus, pendant les discussions intempestives de Dieppe, le contre-maître du navire, qui avait charge

(1) Il est vraisemblable que Mme de Poutrincourt, avec plusieurs de ses enfants, était de ce voyage : « Madame de Poutrincourt est la première femme européenne qui soit passée dans l'Amérique du Nord, — dit Rameau — ce qui devait, dans le dessein de son mari, mettre le dernier sceau à sa création coloniale ». Une lettre du P. Biard, du 31 janvier 1612 témoigne de la présence de cette dame en Acadie. Auguste CARAYON, Première mission des Jésuites au Canada, Paris, 1864. Au témoignage de Suite, M. de Biencourt aurait aussi amené Marie Rollet, femme de Louis Hébert. Mémoires de la Société Royale du Canada, vol. II, p. 34. « Les deux premières Françaises qui foulèrent le sol de la Nouvelle France sont donc Mme Louis Hébert et Mme de Poutrincourt. Ce fait est assez important pour mériter une mention spéciale. Que de gentilshommes furent moins courageux qu'ellesll... Honneur à ces femmes héroïques = Honneur à cette châtelaine qui ne craignait pas d'échanger un château et ses domaines contre les grands bois de l'Acadie et une misérable cabane de bois brut ». M. l'abbé COUILLARD-DESPRÉS, Louis Hébert, p. 17.

(2) Champlain dit même que pendant le voyage « les Pères eurent grande disette de -vivres » ; mais le Factum prétend que ces religieux « firent bonne chère » au dépens d'un naïf garçon nommé Jean du Bue, de Dieppe, qui « estoit bien garny de rafraîchissements, comme sont iambons, langues de boeuf, gordianes, beurre et sucre... ». Entre ces assertions si différentes, l'histoire impartiale doit se tenir dans une prudente réserve.


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d'enruner le blé, avait profité des embarras de Biencourt pour en détourner frauduleusement une grosse quantité à son profit.

La récolte du Port-Royal s'annonçait, il est vrai, riche et plantureuse ; mais ces premières cultures, après l'abandon des terres pendant plusieurs années, n'avaient pas été très étendues.

Il apparut immédiatement à Poutrincourt que les futures moissons, jointes aux subsistances qui arrivaient de France, seraient insuffisantes à assurer l'alimentation de sa colonie, et il décida sur le champ de renvoyer ceux des colons qui n'étaient pas décidés à se fixer avec leurs familles en Acadie.

Les « défenses », qu'il avait réclamées à la cour pour le trafic des pelleteries ne lui étaient pas accordées. Au dire, de Lescarbot, si un privilège temporaire lui avait été concédé, la peau de castor qui valait dix livres en France, ne se serait vendue que la moitié. Le bénéfice aurait été aussi considérable pour le consommateur que pour le détenteur du monopole.

Déjà, des navires français et étrangers étaient venus sur la côte des Etchemins pratiquer librement la troque. Le succès leur avait souri. Des sauvages qui étaient fidèlement dévoués au ViceRoi, lui en avaient apporté la nouvelle.

Ces navires « avoient enlevé tout ce qui estoit de bon au pays pour le commerce des castors et autres pelleteries, lesquelles fussent venues es-


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mains du sieur de Poutrincourt, si son fils fust retourné par de là, au temps qui luy avoit esté enjoint. Et d'avantage en eust sauvé plus de six mille écus que les sauvages ont mangé durant l'hiver, lesquels ils fussent venus troquer audit Port-Royal, s'il y eust eu les choses qui leur sont nécessaires... » (1)

Poutrincourt mesurait toute l'étendue de sa perte, due aux tergiversations des deux armateurs dieppois ennemis des Jésuites.

Le Vice-Roi résolut de profiter de l'arrivée de la Grâce de Dieu pour tenter une expédition au pays des Etchemins et des Armouchiquois, sur l'autre rive de la baie Française. Il avait pu constater, lors de l'expédition de 1607 que le maïs et la fève étaient cultivés par les Armouchiquois en assez grande quantité. Le blé venait chez-eux avec des tiges grosses comme des roseaux et avait un goût « sucrin » ; il comptait s'en procurer un certain approvisionnement au moyen d'échanges afin d'augmenter ses réserves en subsistances.

Les Etchemins, ses protégés, revinrent sur ces entrefaites se plaindre du capitaine Le Coq, de Honfleur, qui les avait pillés et qui avait tué l'une de leurs femmes. Ils priaient le Vice-Roi de leur en faire raison, « attendu qu'ils estoient François ». Ils signalaient en même temps la présence sur leur côte de trois autres navires qui se livraient à la pêche et à la troque.

(1) Relation dernière.


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« Le sieur de Poutrincourt n'eut la patience de faire descharger le vaisseau nouvellement arrivé, ains à l'instant même, alla ancrer devant les navires ». Sa hâte ne le servit guère ; car, quand il parvint dans ces parages, Le Coq, prévenu, avait déjà mis à la voile (1). Mais trois navires restaient encore mouillés dans les anses du rivage. Il fit mander les trois capitaines. Deux se soumirent et lui prêtèrent obéissance immédiate. Un navire malouin voulut faire quelque rébellion, mais Poutrincourt le cerna et s'en empara. Aux trois maîtres de navire, il fit reconnaître l'autorité de son fils, comme vice-amiral es mers du ponant, et « selon sa débonnaireté accoutumée » les relâcha, après leur avoir fait promettre de ne plus venir sans leur charte-partie (2).

A bord du vaisseau malouin se tenait Robert Gravé, recueilli par le capitaine. On se souvient

(1) Faisaient alors les voyages du Canada et de Terre-Neuve de nombreux capitaines de Honfleur, notamment Emmanuel Le Coq et Guillaume le Coq le jeune (ou Lecoq), maître de la Lanterne. P. et Ch. BRÉARD, Documents relatifs à la marine normande, pp. 114 et 115, et passim.

(2) Rameau, résumant cet incident, dit que Poutrincourt put tirer d'eux quelques subsides en nature. « Nous voyons par cette circonstance, dit-il, que Poutrincourt jouissait encore de certains privilèges commerciaux, et entre autres d'un droit de quint sur les vaisseaux qui commerçaient dans les parages du Port-Royal ». C'était sans doute l'un des avantages du « département » qui lui avait été accordé et dans lequel la Reine avait bien voulu le « maintenir », comme le disait la lettre du P. Cotton qui qualifiait ce précaire pouvoir de « vice-royauté ».


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qu'une plainte avait été portée contre lui par les sauvages pour le rapt d'une de leurs filles. Ce jeune homme avait été arrêté, mais il s'était évadé, avait passé l'hiver avec les indigènes, dans la plus grande misère, et tentait de s'échapper grâce au navire de son compatriote.

Il fut, par l'intercession du P. Biard, l'objet d'une mesure de clémence (1).

(1) Le P. Biard a consigné ces faits dans sa Relation, p. 30.

On lit d'autre part dans la Relation dernière : « Le père Biart dit la messe... et particulièrement fit recongnoistre sa faute à un jeune homme qui avoit passé l'hyver parmi les hommes et les femmes sauvages, lequel demanda pardon à qui il appartenoit et receut la communion de sa main ». Lescarbot est fidèle, comme on voit, à sa résolution de taire le nom du fils d'un des premiers compagnons de Poutrincourt.

A cette occasion, surgit le premier conflit entre les autorités spirituelles et temporelles. Le Factum, qui cite, entre autres témoignages recueillis contre Robert Gravé, ceux de Jacques Bariart, Hamon de Launay, Alain Clément, Bernard Réau et François Le Pelletier, dit que le P. Biard jugea tout d'abord « que tel homme méritoit d'estre bruslé, que cela faisoit un grand tort au christianisme, et à l'avancement de la foy entre les sauvages. Toutesfois, ayant entendu dire que le père dudit du Pont avoit pris femme en Espaigne, il fut tout appaisé... » Factum, p. 25. On va voir avec quelle légèreté les adversaires se jetaient à la face les reproches les moins fondés. En réalité, du Pont-Gravé avait épousé une fille de Honf leur, Christine Martin. Il n'eut, de ce mariage, qu'un fils, Robert, et une fille, Jeanne, qui épousa un officier d'infanterie, Claude de Godet des Marets. L'évêque de Chartres, Paul Godet des Maretz (ou des Marais) était son petit-fils, P. et Ch. BRÉARD, Documents relatifs à la marine normande, p. 94.

Cependant, le P. Biard intercéda pour le jeune Gravé et obtint son pardon, dit Parkman. Mais bien que le P. Jésuite ne tarisse pas d'éloges sur la considération dont Poutrincourt


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Poutrincourt, voyant ainsi Port-Royal ravitaillé, se décida à retourner en France afin de vendre ce qu'il avait pu recueillir de pelleteries, et s'approvisionner en nouvelles marchandises de troque.

Ce fut vers la fin de Juin (1) qu'il quitta l'Acadie, c'est-à-dire peu après l'arrivée de son fils, à qui il remit le commandement pendant son absence ; il laissait dans l'habitation vingt hommes et les deux missionnaires.

« C'était encore bien peu de monde et il n'en avait point hiverné davantage l'hiver précédent, mais la médiocrité des approvisionnements faisait une loi impérieuse de ne point conserver un plus nombreux personnel » (2).

l'entourait, celui-ci ressentit un certain dépit de l'intervention des Jésuites : « Mon père, disait-il, je connais mes devoirs, et je vous.demande de ne pas vous en mêler ; j'ai l'espérance d'entrer au paradis avec mon épée, comme vous avec votre bréviaire ; montrez-moi la voie du ciel, moi je me charge de vous guider sur la terre ».

PARKMAN, Les Pionniers Français, p. 220. Voir aussi LESCARBOT, 1617, p. 669 ; BIARD, Relation, G XIV, et lettre du P. Balthazar, dans CARAYON, Première mission des Jésuites au Canada, p. 9.

(1) Rameau note ce départ « dans le courant d'août 1611 », mais c'est une erreur. Ghamplain, de son côté, dit que Poutrincourt repartit à la mi-juillet et qu'il arriva en France sur la fin du mois d'août, ce qui est également inexact, car il était à Paris le 10 août. Lescarbot, dans la Relation dernière dit que Jessé Flèche se rembarqua avec le vice-roi en juin. Gameau indique la date du 17 juin.

(2) RAMEAU, Une colonie féodale... p. 37. L'auteur cite Auguste Garayon, Première mission des Jésuites au Canada.


LES JÉSUITES EN ACADIE

±S±±-±S±2

Poutrincourt était en France au commencement d'Août 1611.

Il se rendit à Paris et vit le jeune Roi, notamment à Saint-Germain le mercredi 10, dans les appartements de la Reine, où il donna des nouvelles du Port-Royal (1).

A quoi s'occupait donc là M. de Poutrincourt ? Se contentait-il de discourir au milieu des groupes par pure gloriole et de s'offrir la vaine satisfaction d'étonner les courtisans et les curieux en se ravalant au rang d'amuseur ?

Non point !.. On avait vu rentrer non sans curiosité le voyageur intrépide dont les lointaines aventures défrayaient la chronique. On le harcelait de questions. Il répondait sans forfanterie, avec sa simplicité coutùmière. Dans ses paroles mesurées passait la flamme de la foi. On l'écoutait parce qu'on admirait sa confiance, parce qu'on parta(1)

parta(1) Le mercredi 10 août 1611 », après son entretien avec M. de Souvré son gouverneur, le Roi « va chez la Reine, où il rencontre le sieur de Poutrincourt qui racontoit des nouvelles de Port-Royal où il se tenoit au Canada ». A. LÉO-LEY-MARIE Le Canada pendant la jeunesse de Louis XIII, dans Nova Francia, vol. 1, n° 4, p. 165. Journal du médecin Jean Héroard.


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geait ses espoirs, parce qu'on découvrait en lui une âme virile, pétrie pour l'action. Tout à son oeuvre, il prêchait en faveur du peuplement du Port-Royal. Ses démarches, à Paris, eurent d'assez heureux résultats (1). Ses affaires l'occupèrent jusqu'à la

(1) L'explorateur put-il s'entendre avec la vieille dame de Guercheville pour le plus grand bien de la civilisation de l'Acadie ? Au contraire, se heurta-t-il immédiatement aux difficultés que devaient lui susciter sa mésentente avec les Jésuites, amis et protégés de la marquise ?

L'accord entre les deux parties est contesté par Gabriel Marcel dans son Introduction au Factum : « A Paris, dit-il, Poutrincourt n'obtint pas grand succès. Il lui fut impossible de s'arranger avec Madame de Guercheville, bien que Ferland assure qu'il lui fit « avancer 400 écus qu'il employa pour envoyer des provisions et des marchandises à Port-Royal ». Cours d'Histoire du Canada, t. Ier, p. 83 (a).

« Si cette assertion est exacte, continue Gabriel Marcel — cette avance n'aurait été, de la part de la marquise, que le prix d'une nouvelle concession de Poutrincourt, car le navire du capitaine l'Abbé et du sieur Imbert, dont l'armement coûta 4.000 livres à Poutrincourt, « non compris ce qui était chargé dedans le bâtiment » emportait au mois de décembre 1611 le père Gilbert du Thet à Port Royal.

«M. H. Harrisse, Bibliotheca Americana veluslissima, p. 83, affirme, nous ne savons sur quelle autorité que Madame de Guercheville devint l'associée de Poutrincourt (6). Cela est complètement impossible, puisqu'elle obtint de De Monts qu'il lui rétrocédât tous ses droits sur la Nouvelle-France, et, pour employer les expressions mêmes du P. Biard, « elle impêtra lettres de sa Majesté régnante, par lesquelles donation luy fut faite de nouveau de toutes les terres, ports-et havres de la Nouvelle France... hormis seulement le port Royal ».

Lescarbot affirme lui aussi la conclusion d'une association entre Poutrincourt et Mme de Guercheville (éd. 1617, p. 674) : * ...les Jésuites qui avoient intérêt à l'affaire lui firent associer pour quelque somme la dame marquise de Guercheville ». Une autre preuve de l'existence de la convention se trouve dans une


36B

fin de l'année. Il ne put assister au mariage de son

neveu Philippe, avec la fille d'Antoine d'Ardres,

baron de Grésecques, bailli d'Ardres (1). Il armait

lettre du fils de Poutrincourt, écrite de Port-Royal, après l'arrivée du navire du capitaine l'Abbé qui lui apportait la nouvelle de la conclusion de l'accord mais sans lui en donner les clauses : « Un mal a esté que ne m'avez rien mandé touchant l'association avec Madame de Guercheville ».

a) Ferland, en la circonstance, n'a fait que répéter ce qu'a dit Champlain.

b) L'autorité en question, c'est la Relation des Jésuites. Le P. Biard écrit : «Mme de Guercheville fit une association avec les sieurs de Potrincourt, le sieur Robin et les Jésuites, « pour le secours du Canada ». En ce contrat, le sieur de Potrincourt se réserve Port-Royal et ses terres et dit n'entendre point qu'il entre en division, ny communication des autres seigneuries, caps, Havres et provinces qu'il donne à entendre d'avoir audit pays outre Port-Royal. Or, Madame la Marquise somma ledit sieur de Poutrincourt de produire les papiers et instruments par lesquels il constast de ces siennes appartenances et domaines si grand ; il s'excusa disant qu'il les avoit laissés en la Nouvelle France ». Le Jésuite ajoute que de Monts rétrocéda à la marquise tous les droits et actions qu'il possédoit en la Nouvelle France. Relation des Jésuites, Québec, 1858, p. 38.

(1) Le contrat de mariage fut passé le 1er décembre 1611, et par cet acte, Philippe de Biencourt déclarait « lui appartenir de la succession de ses père et mère, dont il était jouissant et possessant, les terres de Poutrincourt, Saint-Maulvis, Fresneville, Epaumesnil, Ghauvincourt et leurs dépendances ». Françoise d'Ardres apportait en dot <' une maison, chambre, pourpris et ténement... assise aux faux bourgs de Paris, hors la porte St Germain, nommé l'hostel du Champ-Renard, tenant d'un costé à l'hostel du Luxembourg », plus une somme de trois mille livres de rente. La soeur de la mariée, Louise, qui épousa Gabriel de Pierre-Vive et à qui échut plus tard la seigneurie de Lincheux, assistait au contrat, ainsi que le seigneur de Chantemerle.

Arch. départementales de la Somme, B. 77. On trouve également copie de cet acte aux Archives nationales, Y. 152, f° 124.

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— S6ë -

alors un bâtiment à Dieppe, sous le commandement du capitaine l'Abbé et de Simon ImbertSandrier, son intendant, lequel arriva au PortRoyal le 23 Janvier 1612.

Pendant que Poutrincourt multipliait ses efforts à Paris pour trouver des appuis moraux et pécuniaires, des événements fort regrettables, qui devaient bientôt compromettre l'avenir de la colonie, se déroulaient au Port-Royal.

Charles de Riencourt, qui y commandait, avait paru, dès l'arrivée des Jésuites, se désintéresser de l'oeuvre de christianisation. Il était acclimaté aux usages des indigènes, et initié à leur langage. Il aimait à s'entretenir avec eux, mais lorsqu'il s'agissait des choses de la religion, il se sentait subitement « le gosier tari et la langue nouée ». C'était l'une des formes de l'hostilité qu'il marquait délibérément aux Jésuites.

Les deux missionnaires s'efforcèrent de pénétrer les premiers secrets de la langue du pays, mais, en raison de l'attitude de Riencourt, ils ne trouvèrent personne parmi les Français qui voulût leur faciliter cette étude. (1)

Les religieux eurent bientôt à subir les effets de la mauvaise humeur du gouverneur et de la froideur des colons. Ils virent leur apostolat

(1) Le P. DE CHARLEVOIX. « Pontgravé, qui étoit plus qu'aucun autre en état de leur rendre ce service, n'osant pas avoir trop de communication avec eux, de peur d'aigrir M. de Pou. trincourt avec lequel il n'étoit pas bien ».


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entravé. Les conversions précoces avaient cessé, et les sauvages, en général, restaient en dehors de l'influence des Pères. A peine purent-ils, en plusieurs fois, baptiser quelques enfants moribonds, quand ils furent avertis assez tôt. (1)

Néanmoins, le Sagamos Membertou rechercha leur amitié. Rien ne pouvait venir plus à propos pour encourager les missionnaires. Le crédit du chef pouvait donner aux PP. Biard et Massé un secours efficace, mais ils ne jouirent pas longtemps de cet espoir.

Pendant les chaleurs de Septembre (1611), Membertou fut atteint de dysenterie. En peu de temps, il fut réduit à l'extrémité. Ses proches le portèrent au quartier des Français et le père Evemond Massé s'empressa de l'accueillir en sa demeure. En vain prodigua-t-il au Sagamos les soins les plus charitables ; on s'aperçut bientôt que le vieux chef touchait à sa dernière heure. Lui-même en eut la certitude, et, courageusement, prit ses dispositions ultimes et, de sa propre inspiration, demanda les derniers sacrements qu'il reçut avec de très grands sentiments de piété.

Ce vieil ami des Français pria M. de Biencourt qui l'allait visiter chaque jour, de faire transporter son corps, dès qu'il aurait cessé de vivre, dans la bourgade des Souriquois, afin d'y être inhumé avec ses ancêtres.

(1) Relation des Jésuites. Le P. DE CHARLEVOIX, t. Ier, p. 129.


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Biencourt qui ne vit aucun inconvénient à donner cette dernière satisfaction à Membertou, lui en fit la promesse. Seulement, quand il en parla au père Biard, celui-ci s'opposa formellement à ce dessein.

Au chevet même du moribond, s'engagea, sur ce sujet douloureux, une âpre discussion. Le Jésuite représenta à ses deux interlocuteurs le scandale que causerait une telle inhumation. Membertou, qui était chrétien, ne pouvait plus, selon l'opinion du Père, aller reposer au cimetière des Infidèles. Biencourt répliqua qu'il avait donné sa parole, qu'il ne lui convenait point de la rétracter, qu'au reste, il n'y avait qu'à bénir l'endroit précis du cimetière Souriquois où le Sagamos recevrait la sépulture. Le missionnaire s'y refusa, à moins que ne fussent exhumés auparavant tous les corps des sauvages. Biencourt s'entêta, et Membertou, qui se voyait soutenu par le gouverneur, persista dans sa demande et ne voulut plus rien entendre.

La mobilité d'esprit des indigènes les rendait incapables de se fixer. Quand le jeune homme se fut éloigné, le Jésuite parvint à retourner l'opinion du Sagamos et à vaincre sa résistance.

Ce sauvage converti prématurément, avec ceux

de sa tribu, expira dans des sentiments de foi et

de confiance en Dieu, qui auraient fait honneur à

un ancien chrétien (1).

(1) Le P. DE CHARLEVOIX, t. Ier. p. 130 : voir aussi Relation des Jésuites par le P. Biard, et le Factum, de G. Marcel, p. 25. Lescarbot indique la mort de Membertou à la date du 18 septembre 1611. Histoire de la Nouvelle France, éd. 1617.


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On lui fit des obsèques telles qu'on aurait pu faire pour le commandant lui-même. Il laissa après lui d'unanimes regrets aussi bien parmi les Souriquois que parmi les Français.

A la suite de ces incidents, l'entente entre les Jésuites et le gouverneur fut irrémédiablement rompue.

Avec toute sa précoce expérience, Biencourt ne sut pas conserver — quand il fut livré à ses propres inspirations — ce tact et cette mesure qui distinguaient le Vice-Roi. Il lui manquait, dans ces traversées difficiles, le prestige de l'âge, l'autorité que donne tout un long passé d'honneur et de services rendus à la patrie.

L'arrivée du vaisseau du capitaine l'Abbé, loin de dissiper le regrettable malentendu, ne fit que l'aigrir.

Une interminable discussion s'éleva d'abord quand on procéda à l'inventaire du chargement.

Simon Imbert, en rendant compte du voyage au gouverneur lui apprit que, pendant la traversée, le jésuite Gilbert du Thet, au cours d'une conversation dans la chambre du capitaine l'Abbé sur l'assassinat du Roi, s'était écrié « que c'estoit un grand coup... que sans cela la chrestienté estoit perdue !.. »

Ces paroles, ainsi rapportées, avaient sans doute été fort exagérées. Le mieux aurait été de dédaigner ces bas racontars. Il en fut question dans un conseil où s'étaient assemblés le gouverneur, Louis Hébert


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et ïmbert, et les trois Jésuites. On accusa le père Biard lui-même d'avoir laissé échapper au cours de la discussion quelques propos trop confiants dans la puissance et les destinées de l'Espagne, qui, seule, pouvait — aurait-il dit — porter des secours efficaces à la colonie.

Les Jésuites nièrent ces propos. L'enquête se termina du reste en leur faveur.

Le patriotisme du jeune et présomptueux Biencourt ne demandait qu'à s'alarmer. Le gouverneur prit prétexte de la virulence du débat pour rompre la délibération sans conclure. Il consigna ses griefs contre les Pères dans une lettre qu'il se proposait d'envoyer au Vice-Roi par le navire du capitaine l'Abbé, lequel devait lever l'ancre dans la seconde quinzaine de Mars 1612 (1).

Sur ces entrefaites, les Jésuites manifestèrent le désir de s'éloigner pour reconnaître les pays voisins.

A vrai dire, leur apostolat ne pouvait guère s'exercer avec fruit au Port-Royal ou dans les environs immédiats. Le patriarche Jessé Flèche avait amené à l'Église toutes les âmes qu'il avait été possible de toucher sans entamer de lointains voyages.

La presqu'île acadienne comptait trois mille cinq cents Souriquois, mais le Port-Royal, par sa

(1) Factum publié par G. Marcel. Ce document, rédigé en vue d'un procès par Poutrincourt, présente invariablement les faits d'une manière défavorable aux Jésuites.


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situation géographique, se prêtait mal au rayonnement de l'idée évangélisatrice. De l'autre côté de la baie Française, cinq mille Etchemins, que Poutrincourt avait souvent visités et qui se disaient sujets du Roi de France, attendaient encore les premières semences de foi.

Biencourt refusa aux religieux l'autorisation de s'écarter et les priva des moyens de transport pour aller à la découverte du pays, en appuyant ce refus sur un motif injurieux. Il craignait, affirma-t-il que le père Biard profitât de son éloignement pour machiner quelque mauvais coup contre la colonie et contre le pouvoir du Roi de France en ces contrées.

Ces procédés discourtois exaspérèrent le père Biard. Mais son ingéniosité lui fournit le moyen de faire partir secrètement le père Massé avec son autre compagnon, et il les chargea de l'exécution de son projet. C'est probablement au cours de cette expédition que le père Massé, au dire de Lescarbot, essaya de « vivre en sauvage ».

Vivre en sauvage !.. Le procédé était nouveau, sans doute, et bien fait pour frapper d'étonnement l'avocat de Vervins, mais il était destiné à se répandre avec succès.

Le père Massé qui, d'ailleurs, devait donner sous la vice-royauté du duc de Lévis-Ventadour, la mesure de ses qualités et de son zèle apostoliques, inaugurait ainsi le système que devaient bientôt


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adopter tous les missionnaires. En 1622, le frère Sagard habita une cabane d'écorces au milieu des indigènes. Plus tard, le père de Brébeuf s'enfonça chez les Hurons pour partager leur existence et s'initier à leurs usages ; les pères Davost, Daniel, de la Noue, Buteux, suivirent cet exemple qui devint la règle chez les apôtres de la Compagnie de Jésus. Dans les régions rebelles à l'évangélisation, la confiance des sauvages ne naissait que dans cette intimité.

Les Jésuites arrivaient au Canada avec un programme arrêté par les théologiens de leur société Des spécialistes, s'inspirant des enseignements des plus célèbres Pères de leur ordre, d'un Joseph d'Acosta, par exemple, dont l'Histoire morale et naturelle des Indes était alors très répandue, élaboraient des plans, rédigeaient des manuels d'action missionnaire fortement étudiés. Ces ouvriers apostoliques, pourvus d'une solide doctrine, nantis de précieux enseignements de leurs techniciens, pouvaient considérer avec une certaine pitié les timides travaux d'un Jessé Flèche (1).

Un nouveau plan du pays et des cartes géographiques qu'ils levèrent sur les lieux furent tout le fruit de ce voyage (2).

(1) M. Georges GOYAU, Les Origines religieuses du Canada, et les Martyrs de la Nouvelle France, pp. 28 et 64.

(2) Louis, fils de Membertou, avait servi de guide au P. Massé.


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Quant aux conversions en masse que les dames de la cour avaient escomptées, il n'en était plus question.

Poutrincourt l'avait dit à Paris au père Cotton, et Lescarbot l'avait redit et répété dans ses écrits; la colonie n'était pas suffisamment assise pour devenir sans délai un foyer puissant de propagation. Il était trop tôt pour recueillir auprès des sauvages tous les fruits que l'amitié et la confiance naissantes qu'ils témoignaient aux Français pouvaient laisser espérer : « Quand il y aura de plus amples moyens, écrivait Lescarbot à l'adresse des dames zélatrices impatientes, M. de Poutrincourt pourra envoyer des hommes aux terres plus peuplées, où il faut aller fort et faire une grande moisson pour l'amplification de l'Église. Mais il faut, premièrement, bastir la république, sans laquelle l'Église ne peut estre ; et pour ce, le premier secours doit estre à ceste république, et non à ce qui a le prétexte de piété, car, cette république estant establie, se cera à elle de pourvoir à ce qui regarde le spirituel » (1).

Les trois Jésuites se déplurent dans cette ambiance hostile, dans cette inaction où leur zèle se consumait vainement et manifestèrent le désir de retourner en France avec le navire du capitaine l'Abbé.

Biencourt les arrêta, leur disant que le Roi l'avait obligé de les emmener au Canada contre son gré, qu'il se trouvait maintenant responsable

(1) Relation dernière.


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de leurs personnes et qu'il ne les laisserait point partir sans qu'il n'eut reçu de nouveaux ordres de la cour. Il ajouta qu'au surplus leurs supérieurs ecclésiastiques ne les avaient point rappelés et qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle obédience.

Ce refus mit le supérieur de la Mission dans une violente colère.

Le gouverneur aurait pu abriter son refus derrière d'autres motifs. Il aurait pu faire remarquer que le départ des Pères devait priver la colonie de tout secours religieux et replonger les nouveaux convertis dans l'ignorance et l'impiété, mais il préférait expliquer son attitude à ses gens en disant que ce subit projet des Jésuites dissimulait d'exécrables desseins, qu'il avait découvert que leur intention véritable était de passer en Espagne.

Les Pères résolurent de s'embarquer à la dérobée sur le navire qui se disposait à faire voile pour la France.

Le 13 Mars 1612, ils se rendirent furtivement à un quart de lieue de l'habitation, au lieu nommé la Charbonnière, où le capitaine l'Abbé devait les prendre. Mais la Tour et Valentin Pajot, fils d'un notaire de Paris qui avait suivi au Canada la fortune de son parent ou allié Poutrincourt (1), éventèrent cette combinaison.

(1) Le Faclum le dit fils d'un notaire, Champlain le qualifie « domestique des Jésuites », ce qui semble concorder assez mal. Il faut noter qu'il y avait à La Rochelle des Pajot qui se livraient au commerce maritime, notamment Abraham Pajot. Arch. dép. B. 181.


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Les Jésuites parvinrent néanmoins jusqu'au havre où le vaisseau était ancré et prirent place à bord sans le congé du gouverneur qui, apprenant ce coup d'audace, mit le capitaine aux arrêts en lui donnant l'ordre de renvoyer immédiatement les Missionnaires à terre. Ceux-ci refusèrent d'obtempérer. Un certain Jean Pointel reçut commandement de les ramener. Les Jésuites s'enfermèrent dans la cabine du commandant du navire et firent savoir qu'ils excommunieraient tous ceux qui mettraient la main sur eux. Pointel effondra la porte de la chambre à coups de hache au milieu d'un inexprimable désordre, car l'équipage voulait se mêler de l'affaire, et parvint à se saisir du père Massé, qu'il conduisit à terre. Quant au père Biard, couché « le ventre en haut, derrière le coffre de ladite chambre », il ne finit à la longue par se départir de cette position défensive pleine de prudence mais incommode, que pour lancer par écrit une sentence d'excommunication contre Biencourt et le capitaine l'Abbé (1). Mandé par le gouverneur, le père Massé, qui s'était montré en général plus modéré que son supérieur (2), prit néanmoins une attitude de révolte : « Etant venu devant moy avec son bonnet carré — écrivait Biencourt — je luy demandai pourquoi il s'ingéroit

(1) Reproduite dans le Factum.

(2) Le P. de Rochemonteix dit cependant qu'il était d'une « nature impétueuse et emportée ».


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de s'en aller sans mon congé, estant en ce pays sous ma charge, il me réplicqua qu'il ne me cognoissoit en rien, et qu'il avoit plus de puissance et authorité du Rojr en ce pays que moi, et qu'il m'excommunioit ». Hébert, avec quelques hommes de bord, tentait pendant ce temps d'avoir raison du père Biard qui traitait Biencourt absent de voleur et qui déclarait qu'on le démembrerait pièce à pièce avant qu'il ne consentit à vider les lieux. La résistance de l'obstiné Jésuite se prolongea jusqu'à ce que le maître de bateau, Michel Bihoret, parvint, moitié par force, moitié par persuasion, à le ramener à terre.

Dès qu'il eut remis le pied dans la colonie, le père Biard jura solennellement que lui et ses pères ne diraient plus la messe devant des excommuniés (1).

Les Jésuites tinrent parole. A partir de ce jour, ils refusèrent les secours de la religion à Biencourt et à ses colons.

Cependant, le bâtiment du capitaine l'Abbé emportait les lettres que les Pères avaient confiées à l'équipage à l'adresse de leurs supérieurs et de leurs protectrices, dans lesquelles ils narraient les faits récents encore sous le coup de l'irritation, en les présentant tout naturellement sous le jour le plus avantageux.

(1) Factum, p. 54. Voir aussi Lescarbot, éd. de 1617, pp. 677 et suiv.


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Une lettre à mots couverts du père Biard à la marquise de Guercheville, datée du 10 Mars 1612, qui partit vraisemblablement par ce courrier et dont Poutrincourt devait plus tard avoir connaissance par le plus grand des hasards, révèle les projets des missionnaires (1).

Biencourt, de son côté, écrivait à son père, fardant les événements selon les besoins de sa thèse, forgeant une version où il apparaissait irréprochable, et le mettait en garde contre les Jésuites : « Veuillez, lui disait-il, vous deffier d'eux le plus que pourrez » (2).

A l'entendre, les Pères avaient fait preuve d'un zèle intolérant, s'étaient mêlés d'affaires étrangères à la conversion des sauvages, avaient voulu s'immiscer dans le gouvernement de la colonie et dans le commerce, bien qu'ils fussent ignorants de la langue du pays et qu'ils fussent étrangers aux pratiques de la traite (3).

Ces lettres devaient avoir, en France, les plus fatales répercussions pour l'avenir de Port-Royal.

Les colonisateurs rencontraient assez de difficultés sur les lieux mêmes où ils voulaient fonder la domination française sans que de nouveaux obstacles à là réalisation de leurs projets leur fussent suscités à Paris.

(1) Factum... p. 60.

(2) Factum... p. 54.

(3) Gabriel MARCEL, Introduction au Factum.


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Les navigateurs normands du Pont-Gravé et Groult avaient promis, le 9 Octobre 1611, de reconnaître l'autorité de Biencourt, en l'absence du sieur de Poutrincourt son père. Mais que valait cet engagement ? Les termes de la commission donnée par le seigneur Amiral au jeune homme étaient assez vagues ; il avait pouvoir « de commander à toutes sortes de personnes et visitter leurs vaisseaux » (1).

Ce qui lui manquait, c'était le moyen de faire respecter par la force ce mandat trop discuté.

La côte des Etchemins était fréquemment visitée par des navires normands, rochelais ou basques, qui faisaient la troque, et dont la grande préoccupation, dans ces parages, était de se soustraire à l'autorité du Vice-Amiral.

Le 24 Avril 1612, se trouvant à l'un des havres de cette côte, Charles de Biencourt eut la visite de Guillaume Chevalier, commandant d'une barque de Saint-Malo, et de Jean de la Salle, dit Lévy, capitaine d'un vaisseau du même port nommé le Pigeon Blanc.

Robert Gravé était à bord d'un de ces bâtiments, ce qui éveilla la méfiance du Vice-Amiral, car il connaissait le tenace ressentiment que nourrissait ce jeune homme contre les Poutrincourt, depuis que, par ordre du Vice-Roi, il avait été l'objet d'une information pour le rapt d'une sauvagesse.

(1) Arrêt du Parlement de Rouen du 12 Juillet 1633.


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Le Vice-Amiral s'étant rendu dans la cabine de Chevalier, celui-ci le reçut fort courtoisement et s'empressa de lui offrir des rafraîchissements. Mais Biencourt remarqua que le Malouin et ses matelots, tout en le faisant boire avec ses gens, se tenaient en armes. Le Vice-Amiral ne voulut se laisser prendre à ce piège. Il quitta le navire trop hospitalier et passa à bord du capitaine Salomon Level, de Dieppe.

Chevalier en profita pour appareiller et mettre à la voile sans congé, sans même avoir présenté sa charte-partie, comme il l'avait promis.

Biencourt lui fit commandement d'apporter sa commission. Le capitaine refusa en jurant et sacrant, disant qu'il n'obéirait point et que le Vice-Amiral n'avait qu'à faire tirer sur lui, s'il voulait.

Le gouverneur ordonna de pointer une pièce à bord du capitaine Level, mais, au moment où le coup partait, une mèche allumée tomba accidentellement sur un baril de poudre dans la propre barque du Vice-Amiral, amarrée aux sabords du capitaine dieppois. Une formidable explosion fit couler le canot, brûlant en même temps plusieurs sauvages et les capitaines de la rivière de Norembègue (1).

(1) Faetum... sur le capitaine Guillaume Chevalier, voir GOSSELIN, Nouvelles glanes historiques normandes, Rouen, 1873, p. 30, et P. et Gh. BRÉARD, Documents relatifs à la marine normande, pp. 85, 86.


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Le Vice-Amiral fit dresser procès-verbal de ces faits dès le lendemain, pour l'envoyer en France (1).

Ces incidents montrent combien était peu respectée l'autorité de Biencourt dans le ressort de sa charge de Vice-Amiral.

Des nuages avant-coureurs de l'orage, s'ammoncelaient à l'horizon : guerre ouverte entre missionnaires et laïcs ; la colonie divisée contre elle-même comme ce roj'aume de l'Évangile que le Seigneur a condamné à périr ; obstacles élevés devant les entreprises commerciales du Vice-Roi par la concurrence audacieuse des armateurs normands, gascons et basques, tels étaient les sujets de doute et de découragement qui assombrissaient l'avenir.

Ces multiples obstacles se joignant à ceux que la nature hostile dressait en si grand nombre devant les colonisateurs, n'allaient-ils pas compromettre définitivement le succès de leurs plans ?

(1) Ce certificat, en date du 25 avril 1612, fut signé de plusieurs capitaines de navire et des colons présents, Plastrier, Le Pelletier, Bernard Marot, maître de navire de la Rochelle dont on retrouvera le nom plus loin. David du Mesnil, Jean Maschelart, David de Bruges, Morant, François Baceler, Michel Janson, Charles do Saint-Estienne, fils de Claude de La Tour, Jacques Féret et Jean de la Taille, Factum, p. 32.


TROISIÈME PARTIE

HEURES DE DÉTRESSE

26


SUPRÊME ÉPREUVE

1612-161S

Poutrincourt déployait en France une activité prodigieuse.

Il projetait un nouveau voyage avec un chargement d'objets d'échange pour le Port-Royal. Informé des incidents qui avaient jeté le désordre et propagé l'insoumission dans la colonie, il fit tout d'abord de pressantes démarches auprès des autorités ecclésiastiques pour faire déclarer nulle l'excommunication lancée par les Jésuites.

Pendant qu'il y travaillait en présentant requête à cette fin et en fournissant les explications qui lui étaient parvenues, le P. Biard, devinant que Poutrincourt utiliserait les amitiés agissantes qu'il possédait à la cour, envoyait autant de lettres au P. Cotton que les passages de navires le permettaient, en épiloguant sur les incidents du 13 Mars. Il tournait du mieux qui lui était possible la face des événements à son avantage et renseignait exactement le savant P. Jésuite sur les difficultés insurmontables que rencontrait Biencourt pour asseoir solidement son autorité de Vice-Amiral sur les côtes de la Nouvelle France.


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Selon lui, l'oeuvre des missionnaires avançait doucement. Les sauvages qui, d'abord, les « fuyaient et craignaient », maintenant les désiraient. Il commençait à apprendre la langue du pays et travaillait avec Massé à un petit catéchisme « en sauvageois », mais Biencourt ne lui suscitait que des difficultés. Le Père ne tarissait point sur ce sujet (1).

Comme il arrive souvent dans les différends où l'amour-propre et de grands intérêts sont engagés, les adversaires en présence avaient perdu, dans la violence de leurs disputes, la notion du juste et de l'injuste.

Peu à peu, se répandit le bruit que les Jésuites emmenés en Acadie par Biencourt, subissaient d'atroces traitements et mouraient de misère et de faim. Au dire des Poutrincourt, les Pères « publioient partout en France » que leurs confrères d'Acadie étaient des martyrs, « qu'on les avoit voulu tuer ». Ces nouvelles ainsi propagées étaient d'autant plus dangereuses qu'elles contenaient un fond de vérité : les missionnaires partageaient les privations et les souffrances des colons ; l'hiver apportait à ces pionniers, avec son cortège habituel de neiges, de glaces et de froidure, son contingent d'épreuves et de dénûment.

Semés avec une dextérité surprenante, ces propos ne parurent tout d'abord qu'une vague rumeur

(1) Relation du P. Biarcl.


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sans consistance, puis, si l'on en croit l'auto-apologie de l'explorateur, ils prirent corps, s'insinuèrent dans les milieux qu'il était urgent d'atteindre, grandirent tout-à-coup et pénétrèrent jusque dans les appartements de Leurs Majestés, où ils eurent un écho retentissant, car la Reine exprima tout son mécontentement au chancelier Nicolas Brulart, marquis de Sillery.

Celui-ci, dès qu'il rencontra M. de Poutrincourt, l'informa avec toutes les précautions oratoires désirables — c'était un homme « d'une grande douceur et d'une grande patience », affirme Tallemant des Réaux, — des imputations qui circulaient avec persistance contre lui.

Notre colonisateur saisit cette occasion pour prendre une contre-offensive et se plaindre de ce qu'il appelait « les impostures des Jésuites » ;M1 rétablit aux yeux du chancelier, les faits sous le jour favorable où les lui avait présentés le baron de Saint-Just, son fils, fit saisir au ministre les multiples ramifications de la trame mystérieuse sous laquelle on tentait, croyait-il, de l'accabler, parla haut et s'éleva avec fermeté contre les prétentions inavouées mais visibles, selon lui, des missionnaires qui étaient de l'évincer définitivement du Port-Royal.

Instruit de la gravité des menaces qui pesaient sur son oeuvre, persuadé que la guerre qui lui était déclarée était une guerre sans merci, Poutrincourt fit les mêmes confidences à l'évêque d'Amiens,


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Geoffroy de la Marthonie. Malgré ses voyages au Canada et ses séjours en Champagne, Poutrincourt considérait ce prélat comme son évêque diocésain. Il porta également ses déclarations devant plusieurs autres princes de l'Eglise. (1)

Quoi qu'il fit, la lutte était inégale.

Elle ne s'était pas simplement confinée dans les feintes et les habiletés de la procédure, sur la question de fixer les droits de chacun dans la liquidation de l'association commerciale rompue ; elle s'était étendue sur un terrain plus dangereux, semé d'embûches, creusé de mines, où il se sentait en infériorité. On discutait des affaires de la Nouvelle-France dans l'entourage de la Régente. C'était là qu'allait se jouer la partie décisive.

La cour, pendant la minorité de Louis XIII, agitée par mille cabales, entraînée dans un tourbillon vertigineux, offrait moins de stabilité que les flots de la mer. L'autorité éparpillée entre dix influences rivales ne se trouvait nulle part. Les ministres, les favoris, les grands, formaient des ligues et des contre-ligues dont les adhérents, sans conviction, s'entre-dévoraient. Poutrincourt était peu préparé à se mêler à ces intrigues sans frein, à ces poussées de compétitions, à ces conflits d'appétits et d'orgueils, cortège ordinaire des minorités royales. Ah ! s'il avait pu en appeler directement au Roi !... Ah ! si Henri IV avait été

(1) Factum, p. 65.


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vivant !... Hélas ! son héritier n'était encore qu'un enfant sans volonté, retiré depuis deux ou trois ans seulement des mains des femmes, que son gouverneur, M. de Souvré, initiait aux secrets passionnants de l'art de la fauconnerie, et que son précepteur, Fleurance Rivaut, qui venait de succéder à Vauquelin des Yveteaux et à Nicolas le Fèvre, guidait dans les premières études du rudiment.

Enveloppé dans ce qu'il appelait « les fils invisibles de ténébreuses machinations », notre colonisateur ne sut se défendre. Il perdit la confiance de la Reine et tomba en disgrâce.

Le plan d'action dressé contre lui ne pouvait cependant se développer plus avant sans montrer ses lignes principales. L'acharnement de ses adversaires en révéla bientôt les contours.

La fortune de Poutrincourt, après tant d'essais infructueux, de voyages insuffisamment productifs, après tant d'avances de fonds écrasantes, était considérablement entamée. Le gouffre du Canada avait englouti la majeure partie de son avoir. Le colonisateur se débattait dans d'inextricables difficultés pour trouver les moyens de secourir son fils. (1)

Cette position, qui le rendait extrêmement vulnérable, était connue de ses concurrents. Ils résolurent de l'exploiter à fond.

(1) Le sieur de Poutrincourt avait « fait de grandes pertes », dit Lescarbot. Ed. 1617, p. 662.


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Au mois d'Août 1612, un certain René Le Coq, sieur du Sausay (1), tendit un piège sournois à Poutrincourt. Il le vint trouver, et, avec les mille démonstrations d'une politesse exagérée, se dit envoyé du P. Cotton pour lui proposer une combinaison qui devait le tirer de ses embarras financiers et aplanir toutes les difficultés.

Poutrincourt n'eut pas le courage de repousser le tentateur, mais, prudemment, vit le P. Cotton avant de s'embarquer dans l'affaire. Le Jésuite ne désavoua point du Sausay. Il écouta le visiteur avec déférence et intérêt, ne le dissuada pas de traiter l'opération, ne l'encouragea pas davantage, mais se tint, autant qu'il est permis d'en juger, dans une expectative avisée et circonspecte. Le seigneur du Port-Royal tira, de cette entrevue,

(1) René Le Coq, sieur de la Saussaye, d'après les lettres inédites de Marie de Médicis qu'on trouvera plus loin ; du Sausay, d'après le Factum.

Un Pierre du Sausay, Sieur de Sienne, riche bourgeois de Honfleur, avait épousé Marie de Brinon, veuve en premières noces de Jean Préard, et en secondes noces de Pierre Chauvin ; son nom figure dans un très grand nombre de contrats maritimes passés à Rouen et à Honfleur, de 1608 à 1625 ; il prêtait à la grosse aventure aux maîtres de navire qui armaient pour TerreNeuve et le Canada, et notamment aux Le Coq, qui avaient eu maille à partir avec M. de Biencourt. Il appartenait à une famille qui paraît originaire de la Manche ; la Sienne est une petite rivière qui coule près de Regnéville, P. et Ch. BRËARD, Documents relatifs à la Marine normande, pp. 105, 109, 113, 115, 119 et 132. Quelle relation existe-t-il entre ces deux personnages ? On l'ignore.


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des conclusions conformes à son désir et crut de bonne fois que le Père était le promoteur de l'arrangement.

Un. généreux marchand avança des fonds à Poutrincourt qui les confia à du Sausay, et celui-ci promit de se mettre à la tête d'une expédition pour porter secours au Port-Royal ; le prêteur providentiel était l'instrument qui devait servir à couler définitivement le gentilhomme-négociant. Du moins, du Sausay l'espérait.

Le navigateur normand eut-il un instant l'intention de tenir son engagement ? Il serait difficile de le dire, mais ce qui est certain, c'est qu'au moment de partir il renonça subitement au voyage, et toute la combinaison s'écroula.

Que s'était-il passé ?

Le P. Gilbert du Thet venait de rentrer inopinément d'Acadie. Ce retour coïncidait avec la décision prise par la cour de confier une mission en Amérique à du Sausay. Ce dernier était chargé, entre autres choses, de remettre une lettre de la Reine à Charles de Biencourt qui ne laissait aucun doute sur la disgrâce du Vice-Amiral.

Cette lettre disait :

« Monsieur de Biencourt,

« Outre la charge que j'ay donnée au sieur De la Saulsaie dict le Cocq présent porteur, estant de par de là, faire prendre garde et avoir en recommandation les Pères Pierre Biard et Enemond


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Macé et le frère Gilbert du Tet, Jésuites, je vous ay bien voulu escrire celle-cy pour vous dire que je seray bien aise que vous les favorisiez, en tout ce qu'il vous sera possible, soit qu'ils voulussent davantage séjourner où vous estes, passer plus oultre, ou s'en revenir, ayez en donc soing, comme de personnes que j'affectionne tant pour leurs mérites et piétés, que pour aultres bonnes considérations, asseuré que Je me ressouviendray de la faveur, assistance et bon traictement qu'ils recevront de vous à ma recommandation.

« Priant sur ce Dieu... etc.

« A Paris, le VII* Aoust 1612.

« A Monsieur de Biencourt, commandant pour le service du Roy Monsieur mon fils, en l'absence du Sr de Poitrincourt son père, au port Royal de Nouvelle France de Canada ». (1)

Tout aussitôt du Sausay avait décidé d'agir au Canada sans le concours de Poutrincourt.

Le malheureux explorateur, entraîné sur une pente fatale, se vit bientôt aux prises avec du Sausay (2). Il voulut esquiver toute discussion

(1) B. N. Cobert, 500, f<> 67.

(2) Poutrincourt mit Lescarbot, alors en Suisse, au courant de ses embarras par une lettre datée à Paris du 15 Mai 1613 :

« Le P. Coton me fait rechercher par un nommé du Saulsay pour renouveler l'amitié et secourir nos gens. Je m'y accorde volontiers, veu la nécessité où ils étoient. Ils me mettent un marchand en mains, auquel ma femme et moi nous obligeâmes par corps pour la somme de sept cent cinquante livres. Ils sup-


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avec le personnage qui l'avait joué, se retourna vers le P. Cotton. Celui-ci fut introuvable. Poutrincourt appela l'ancien confesseur du Roi au Châtelet, pardevant le lieutenant civil de Paris, pour le faire condamner à représenter du Sausay, toujours détenteur de l'argent avancé pour l'embarquement. Mais le P. Cotton, qui « avoit le don d'oubliance », dit Poutrincourt, déclara nettement ne point connaître ce du Sausay. (1)

Cependant, du Sausay, que les Jésuites appelaient La Saussaye, venait de changer ses batteries et organisait avec les Pères le plus formidable armement pour la Nouvelle-France qu'on eût encore vu. (2)

Le scénario d'ailleurs supérieurement combiné par du Sausay, avec une rouerie de paysan norposent

norposent Marquise en avoir donné autant par un écrit signé de sa main. Ledit Du Saulsay prent l'argent et s'oblige de faire le voyage. Mais comme il étoit prêt à partir, voici arriver ledit Gillebert (du Thet), qui renverse l'affaire, en sorte que Du Saulsay fut contremandé, le secours abandonné et mon argent perdu... »

LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, éd. 1617, p. 679.

(1) Factum, p. 68.

(2) Du Sausay, adversaire de Poutrincourt et La Saussaye, « lieutenant des Jésuites » ne sont qu'une seule et même personne. LESCARBOT, éd. de 1617.

Une annotation de G-. Marcel au Factum dit que, d'après Ch. Bréard, Le Coq et du Sausay sont deux personnages différents. Ces auteurs n'ont pas eu connaissance, semble-t-il, des lettres inédites de la Reine qui ne laissent aucun doute sur l'identité de René Le Coq, sieur du Sausay.


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mand, se déroula avec une précision mathématique comme si son auteur avait eu le don de divination et comme si l'infortuné protagoniste du drame avait obéi à la baguette d'un metteur en scène invisible.

Poutrincourt, qui venait de perdre le titre de Vice-Roi octroyé à Condé le 13 Novembre 1612, (1) ne songeant qu'au misérable état où les pauvres Français devaient être réduits au Port-Royal, bravant les dangers qu'il sentait instinctivement naître sous ses pas, partit pour Dieppe dans l'intention de faire radouber la Grâce de Dieu qui avait servi au transport des Jésuites en Acadie.

Il était à peine arrivé sur les quais de ce port que, sur le vu d'on ne sait trop quel grimoire, il fut arrêté à la requête de son créancier nommé Le Moine et conduit sous bonne escorte en prison.

Celui que l'histoire a placé au même rang que de Monts et que Champlain comme «père des colonies françaises en Amérique du Nord », celui dont le nom est inscrit au livre d'or des premiers

(1) Le 8 octobre précédent, Charles de Bourbon, comte de Soissons, gouverneur de Dauphiné et de Normandie, s'était vu nommer lieutenant-général du Roi au Canada. Il mourut le 1er novembre suivant sans jamais s'être occupé de colonisation. Henri de Bourbon, prince de Condé (père du Grand Condé) eut la place vacante. Le Vice-Royauté de Canada passait à des « vice-rois fainéants » comme les qualifie M. E. Salone. La Colonisation de la Nouvelle France, p. 29.

Le titre de Vice-Roi de la Nouvelle France devait être donné quelques années plus tard (1625), au duc de Lévis-Ventadour.


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pionniers de la civilisation au Canada, l'irréprochable gentilhomme au coeur loyal, fut jeté pour dettes au fond d'une misérable geôle, dans le voisinage d'une bande de malfaiteurs et de criminels.

Qui nous dira les mortelles angoisses que dut endurer ce soldat d'élite entre les quatre murs et dans l'atmosphère malsaine de quelque casemate, parmi cette tourbe de flibustiers et de gens sans aveu qui grouille dans les bas-fonds de la population des ports de mer, alors que toutes les forces de son être, son amour paternel comme sa passion de colonisateur, l'appelaient vers les souffles du large, vers les vastes horizons du Canada ?

Il manquait à cette grande figure de Français, il manquait à cet homme des temps antiques, l'auréole de cette injuste et suprême humiliation.

Poutrincourt aigri, le coeur ulcéré, se crut traqué par d'imaginaires agents secrets des Jésuites et accusa ouvertement ces derniers d'avoir provoqué cet odieux emprisonnement. (1)

(1) « Les pères, qui ont des gens disposez de toutes parts, le firent arrester prisonnier pour retarder un si bon oeuvre... et pour couvrir mieux leur tragédie, ils la jouent sous le nom et à la requeste d'un nommé le Moine ». Factum... p. 69.


PIRATERIE

1613-1614

Pendant que Poutrincourt se trouvait ainsi immobilisé, Mme de Guercheville, qui s'était brouillée avec lui depuis qu'il était entré en lutte avec les Pères, entamait des pourparlers avec de Monts et achetait les terres qu'Henri IV lui avait concédées en Nouvelle France,

En même temps, elle recueillait patiemment des fonds, avec l'appui de la Reine, tant à la cour que dans les principales villes du royaume, et armait un navire à Honfleur monté par cent vingt hommes d'équipage.

Ce bâtiment, chargé à profusion de munitions de guerre et d'approvisionnements de bouche, devait prendre à son bord le P. Gilbert du Thet, rentré en France pour être mis à la tête de cette expédition, avec le P. Quentin et le P. Charles Lallemant, et huit autres Jésuites qui formaient son conseil. (1)

(1) Le P. Ch. Lallemant est l'oncle du P. Gabriel Lallemant qui fut brûlé vif par les Iroquois en 1649 et qui a été béatifié le 20 Juin 1925.

Voir le P. DE CHARLEVOIX, t. Ier, p. 159.


— §94 —

Le zèle patriotique et le désintéressement absolu de Mme de Guercheville dans ces entreprises si difficiles et si pleines de périls étaient des plus méritoires. « Nous avouons, — dit Rameau, — ne ressentir qu'un étonnement mêlé d'admiration, à la vue de cette grande dame de la cour, qui, par dévouement pour une idée, se jette de propos délibéré dans les risques et les embarras d'une oeuvre nationale ; elle ne pouvait en espérer ni profit ni gloire : en commerce, elle n'entendait rien et d'aucune ambition, que devait-elle attendre ? Elle ne pouvait viser aux spéculations coloniales, car elle n'avait point dessein d'aller établir une seigneurie en Acadie ; et ces pauvres colons luttant péniblement pour leur vivre, pas plus que ces sauvages inconnus, ne pouvaient guère servir sa renommée ».

Il apparaît comme certain que la marquise n'avait d'autre visée que de seconder puissamment une grande oeuvre, celle des messagers de la foi et de la patrie. Comme l'a dit M. Gabriel Hanotaux, « elle avait le souci d'étendre au loin le renom de la France et la gloire du Christ ». (1)

On ne peut que regretter plus profondément encore que des germes de divisions si vivaces aient été jetés et entretenus entre des âmes d'élite comme Mme de Guercheville, Jean de Poutrincourt et les Pères de la Compagnie.

(1) Les commémorations ■franco-américaines, Champlain, p. 34.


— 395 —

L'un des buts de l'expédition était de retirer les Jésuites du Port-Royal et de fonder un autre établissement. (1)

Poutrincourt, dont les efforts étaient complètement annihilés, ne parvint à force de requêtes et de suppliques, à être relaxé du « tortionnaire emprisonnement » qu'il subissait, que le 16 Janvier 1613, au moyen d'une sentence rendue par Me Adrien Soj^er, lieutenant-général au bailliage de Caux. (2)

Il sortit de prison ruiné, mais non découragé.

Il prit aussitôt les mesures conservatoires qui s'imposaient. Il voulut sauver la fortune de sa femme du naufrage où allaient bientôt disparaître ses seigneuries de Picardie. Une sentence rendue au Châtelet de Paris le 9 Mars 1613, prononça la

(1) CHAMPLAIN, livre III, ch. Ier.

(2) Adrien Soyer, lieutenant-général au bailliage de Caux, avait succédé, en Novembre 1584, à Philippe Le Roux, décédé, et avait embrassé de bonne heure le parti du Roi de Navare Il avait connu de Monts à Dieppe, alors que celui-ci était sous les ordres du commandeur de Chaste (1589-1590) et Chauvin, qui avait guerroyé en 1591 aux environs de la même ville pour Henri IV. Il avait reçu commission royale du 12 Octobre 1589 « pour informer des pertes, dégâts et ruines souffertz par les habitants de plusieurs paroisses et villages circonvoisins de Dieppe, à l'occasion du passage et séjour de l'armée des rebelles au siège qu'elle a tenu à Arques et devant Dieppe et de l'armée royale ».

Archives départementales de la Seine-Inférieure, série C, n°s 2286 et 2288.


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séparation de biens d'entre lui et Claude Pajot. Cette dernière renonçait à la communauté d'acquêts. (1)

Ces tablatures n'entamaient en rien la foi de Poutrincourt en l'avenir du Canada. Sa volonté se raidissait devant l'obstacle et puisait une nouvelle force dans la résistance.

(1) « Du Samedy 9e de Mars 1613.

« Sentence rendue au Châtelet de Paris le samedi 9e mars 1613 entre dame Claude Pajot femme autorisée par justice au refus de Jean de Biencourt, sieur et baron de Saint-Just, demanderesse en séparation de biens d'une part et led. Sr de Saint-Just, défendeur d'autre, par laquelle sentence lad. demanderesse ayant conclu ou qu'en conséquense de ses conventions matrimonialles il lui fut adjugé la somme de 1800 lt. par forme de pension alimentaire jusqu'à ce que douaire ait lieu et à ce que led. s. son mari fut condamné à faire remploy au profit de laditte dame de la somme de 19.545 lt. qu'il avoit reçue des biens de laditte dame à elle écheus après le décès des ses feuz père et mère, et après avoir vu l'enqueste faite le 21 de novembre de l'an 1612 par Jean des Marestz commissaire aud. siège à la reqte de lade demanderesse et le contrat de mariage desd. parties du 14 d'août 1590 passé devant Peiïer et Fardeau notaires aud. Châtelet, et l'acte de renonciation faite par ladite demanderesse à la communauté d'entre elle et led. deffendeur son mary le deux mars 1613, la Cour dit que la demanderesse est séparée quant aux biens d'avec led. sr son mari pour jouir des biens a elle apartenans et atendu la renonciation par elle faite à la communauté, délivrance luy est faite de ses conventions matrimoniales en conséquence de quoy ledit deffendeur condamné àlui laisser la moitié des terres et seigneuries de Guibermesnil et de Marcilly qu'il possédoit lors de leur contrat de mariage pour en jouir par elle sa vie durant, et condamne en outre led. deffendeur à rendre et restituer à ladte demanderesse le prix de ses propres aliénés depuis leur contrat de mariage. Cette sentence signée Drouart. »

Carrés d'Hozier, Biencourt, f° 202.


- 3§? -

L'intrépide colonisateur sollicita des fonds de toutes parts, « tantôt parmi ses amis et connaissances, tantôt parmi les gens que l'élévation de leur esprit et leur patriotisme intéressaient à nos colonies... D'autres fois, il s'adressait à des négociants auxquels il offrait un intérêt dans son commerce de pelleteries et dans les privilèges de traite qu'il possédait encore autour du Port-Royal ». (1)

Il se trouvait considérablement distancé dans ses apprêts par l'expédition de Mme de Guercheville, dont du Sausay était l'organisateur et le commandant, avec La Motte Le Villin comme lieutenant.

Le navire des Jésuites mit à la voile à Honfleur le 12 Mars 1613. Malgré l'extrême activité que Poutrincourt déploya, il ne put appareiller qu'en Mai suivant. (2)

(1) RAMEAU, Une colonie féodale, p. 49.

(2) La date du 5 Avril qui a été donnée est douteuse. Lescarbot, éd. de 1617, p. 678, dit que Poutrincourt ne parvint à expédier des secours de la Rochelle qu'en Mai 1613, un mois et demi après le départ de du Sausay. Lettre de Poutrincourt à Lescarbot. Voir RAMEAU, Une Colonie féodale, p. 43.

La date de Mai 1613 paraît confirmée par les dispositions d'un contrat du 2 Mai de ladite année : André de Gayardon, procureur du sieur de Poutrincourt, bourgeois du navire la Grâce de Dieu, de la ville de Dieppe, et Jean Dosne, maître dudit navire, confessent par cet acte avoir reçu de Georges et Macain la somme de quatre-cent vingt Kvres sur ce vaisseau, allant au Port-Royal à grosse aventure de 25 pour cent, parce qu'ils sont tenus de mettre les castors provenant de la traite, au retour, entre les mains des deux Rochelais.

Arrêt du Parlement de Rouen, du 12 Juillet 1633. Archives départementales.

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Du Sausay relâcha tout d'abord au havre de la Hève, où les Jésuites s'empressèrent d'arborer les armes de la marquise de Guercheville. Puis, le navire aborda au Port-Royal.

La rigueur du climat avait rendu les communications difficiles, mais le brusque printemps canadien venait de fondre les neiges tardives et de déchaîner comme une avalanche des flots de verdure parmi les prairies et les cultures.

Depuis que les premières tiédeurs d'un ciel plus limpide avaient ranimé le village en léthargie et débloqué les colons de leurs abris d'hiver, Biencourt s'était éloigné pour rester en relations avec les sauvages qui, dans l'extrême détresse où il se trouvait, pouvaient lui être d'un immense secours.

Du Sausay et ses hommes débarquèrent, et n'ayant rencontré sur leur chemin que l'apothicaire Hébert avec deux colons et les P. P. Biard et Massé, visitèrent de fond en comble l'habitation déserte. Ils en firent autant de la chapelle qu'ils vidèrent de ses ornements provenant de la duchesse de Verneuil et des objets du culte. Ils exhibèrent à Hébert des lettres de Sa Majesté à Biencourt qui devaient éclairer ce dernier sur la défaveur où il était tombé :

v

« Monsieur de Biencourt,

« Ayant donné charge au Sr de la Saulsaye René le Cocq lors qu'il partit de ces quartiers pour


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faire son voiage de la Nouvelle France, de passer par le Port Royal et là y prendre les Pères Pierre Biard et Enemond Massé, Jésuites, qui si estoient retirez, Pour iceux emmener et conduire plus outre avec leur confrère Gilbert de Thet, pour servir au lieu où je luy ay commandé en ce qui leur sera du bien de la Religion Catholique, Je vous ay sur ce fait celle-cy à ce qu'icelle receue vous ayez pour cet efîect à remettre lesd. personnes entre les mains dud. le Cocq, ensemble leurs meubles, hardes et équipage.

« En quoy m'asseurant que vous n'apporterez aucune remise ny difficulté pour quelque cause que ce soit, je ne la feroy plus longue que pour prier Dieu, monsieur de Biencourt, qu'il vous tienne en sa garde.

« Escrit à Paris, le 1111e Janvier 1613 ». (1) Puis, les nouveaux colons se rembarquèrent aussitôt avec les PP. Biard et Massé, tous deux heureux de pouvoir abandonner enfin le PortRoyal, théâtre de leurs déceptions. (2)

(1) B. N. 500 Colbert, 89, f° 119.

(2) Faclum... pp. 70 et 71. Ce document ajoute que les arrivants consommèrent ou emportèrent tous les vivres de réserve. Ceci est contredit par les Jésuites et par Ghamplain, qui affirment que du Sausay se contenta de présenter les lettres de la Reine à Hébert « pour relascher les Pères », et que ceux-ci, en partant « retirèrent leurs commoditez du pays et laissèrent quelques vivres audit Hébert... » GHAMPLAIN, Voyages, liv. III, ch. Ier.


- 4ÔÔ -

Du Sausay fit voile vers l'Est de l'île des Monts Déserts, stoppa à l'entrée de la rivière de Pemetegoëlt, à quarante-quatre degrés et un tiers de latitude, en un lieu qui plut aux Jésuites. Ils le nommèrent Saint-Sauveur, et après mûre réflexion, le choisirent pour y fonder leur établissement (1).

Le capitaine du Sausay, « peu expérimenté en la cognoissance des lieux », dit Champlain, commença ses travaux d'installation et s'y fortifia.

Le Jonas, de quatre-vingts tonneaux, commandé par Charles Fleury (2) qui amenait des vivres en abondance, des munitions et dix pièces de canon, se présenta devant Saint-Sauveur. A défaut de magasins assez vastes pour recevoir cet énorme approvisionnement, du Sausay pria le capitaine Fleury d'attendre en rade (3).

Deux postes français rivaux se trouvaient ainsi assez près l'un de l'autre. Les derniers arrivants espéraient bien que leur établissement deviendrait

(1) A l'ouest du détroit de Soames, au sud de l'île. GARNEAU.

(2) Flory, d'après quelques auteurs, notamment Rameau, p. 40.

Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France, éd. de 1617, p. 682, dit que le capitaine de marine Charles Fleury était d'Abbeville. Ce détail est cependant fort douteux. Il existait alors plusieurs maîtres de bateaux du nom de Floury dans la baie de la Somme, mais ils étaient de Saint-Valéry. Voir Saint- Valéry de la Ligue à la Révolution, par Adrien Huguet, p. 939, 972, etc..

(3) Précis analytique des travaux de l'Académie de Rouen, année 1871-1872, p. 349. Voir aussi M. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine, t. IV, p. 323.


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en peu de temps si important et si prospère, qu'il éclipserait facilement l'ancien. Mais le choix peu judicieux de son emplacement recelait un danger tout proche et d'autant plus redoutable qu'il était totalement insoupçonné des nouveaux colons. Une circonstance fortuite vint, peu après, déchaîner l'invisible épée de Damoclès qui les menaçait.

Les Anglais qui, peu d'années auparavant, vers 1606, avaient fondé leur premier comptoir en Amérique du Nord sur les côtes de la Virginie, exploraient les environs sur l'ordre de leur commandant, Thomas Dale, celui que Champlain appelle « le Mareschal ». Une flottille venait même à la pêche de la morue à seize lieues seulement de l'île des Monts Déserts.

Un jour, surpris par les bruines et jetés à la côte de Pemetegoët par un vent violent, les pêcheurs furent accueillis par les sauvages qui les prirent pour des Français et qui leur apprirent, le plus innocemment du monde, l'existence de Saint-Sauveur.

Les Anglais ne pouvaient que considérer avec une curiosité envieuse les récents établissements français du voisinage (1). Ils s'inquiétèrent donc « de cette nouvelle colonie de Sagamos et de Patriarches qui s'estoit venue planter en ces quartiers-là ». (2)

(1) CHAMPLAIN, Voyages, liv. III, ch. Ier.

(2) Faclum... pp. 70, 71.


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Les forces militaires de ce nouveau poste n'étaient-elles pas dans le cas de porter atteinte à la sécurité de la bourgade virginienne ? Tel était l'objet de leurs craintes. Ils étaient quatre cents, tant soldats que colons, aux Virginies. Leur supériorité numérique sur leurs adversaires éventuels était énorme. Mais on sait à quelles mesures de précaution les Anglais sont capables de recourir quand ils peuvent soupçonner que leur sûreté est en péril. Les canons de Saint-Sauveur ayant donné à réfléchir aux officiers de la marine britannique, « ils esquipèrent un vaisseau pour les venir recongnoistre ».

Le Jonas attendait toujours dans la rade de Saint-Sauveur avec la plus grande partie de ses approvisionnements dans sa cale. Le capitaine Fleury, impatient, avait fait en vain deux sommations à du Sausay, à Massé et à du Ronsseray d'avoir à recevoir les marchandises et munitions qu'il apportait. La seconde fois, il avait signalé la présence d'un navire anglais équipé en guerre. L'avis fut méprisé. «A quoi il lui fut répondu par ceux qui étoient avec le sieur de la Saussaj^e, qu'ils ne connaissaient" tel avertissement, qui éloit pour faire peur aux petits enfants. » (1)

Fleury n'avait pas insisté. Les colons de SaintSauveur, vingt jours plus tard, purent constater que l'information désintéressée du capitaine de navire avait son prix.

(1) GOSSELIN, Les Normands au Canada, dans le Précis analytique de l'Académie de Rouen, 1871-1872, p. 349.


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A la mi-Juillet 1613 (1), parut le navire The Treasurer, commandé par le capitaine gallois Samuel Argall et le lieutenant Guillaume Turnel, monté par soixante hommes et portant quatorze canons.

Le luxe de munitions et d'artillerie des Jésuites était bien insuffisant devant le déploiement de forces des Virginiens ! Derrière le vaisseau d'Argall, dix autres montraient au loin leurs blanches envergures.

Le croiseur virginien, sans aucun avertissement préalable, entama le combat, bombarda le Jonas, tua plusieurs hommes de l'équipage, se rendit maître du vaisseau à l'abordage, s'empara du capitaine Fleury blessé, ainsi que de toute la cargaison (2). Charles Fleury et la Motte furent conduits par Argall à bord de la capitainesse anglaise. (3)

Une lutte d'artillerie s'engagea ensuite avec le fortin de Saint-Sauveur. Elle fut courte. « Gilbert du Thet fut tué d'un coup de mousquet et.le reste furent pris, excepté Lamets (4), et quatre autres qui se sauvèrent ». (5). L'équipage français décimé

(1) Gosselin, dans les Normands au Canada, trompé semblet-il par la date du retour du capitaine Fleury à Rouen (août 1614), place l'incident au 20 Juillet 1614. C'est vraisemblable ment 20 Juillet 1613 qu'il faut lire.

(2) GOSSELIN, Les Normands au Canada, p. 350. (31 LESCARBOT, éd. 1617, p. 682.

(4) Pilote de du Sausay.

(5) GHAMPLAIN, Voyages, éd. 1830, t. Ier, p. 139.


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se réfugia dans les bois. La contenance de du Sausay fut des moins brillantes ; il prit la fuite, abandonnant dans sa précipitation jusqu'à son coffre et jusqu'à la commission royale donnée à la marquise de Guercheville.

Argall incendia le poste, emmena les PP. Biard, Quentin et Lallemant et les autres prisonniers, et, feignant de prendre les Français pour des flibustiers, sous prétexte qu'ils étaient dépourvus de papiers, et le P. Biard pour un Espagnol, il les menaça de mort.

Mais les Jésuites, « par des raisons puissantes » apaisèrent les Anglais. Les missionnaires purent établir que «tous leurs hommes estoient gens de bien et recommandez par Sa Majesté très chrétienne ». Les vainqueurs se montrèrent alors plus accommodants, et, fêtant joyeusement leur facile victoire, « par après firent disner lesdits Pères à leur table ». (1)

(1) CHAMPLAIN, Liv. III, ch. Ier, p. 140. Voir encore, entre autres sources, Relations de la Nouvelle France, par le P. Biard, ch. XXV. Nostre prime par les Anglois, p. 46 ; Histoire du Nouveau Monde, par Jean de Laët, p. 51 ; Histoire de la Nouvelle France, par Lescarbot, dernières éditions ; Une colonie féodale, par Rameau, p. 44 ; Introduction au Factum... réimprimé par Gabriel Marcel, p. 70 ; Histoire de la Marine Française, par M. de la Roncière, t. IV, p. 323 ; La tragédie d'un peuple, par M. E. Lauvrière, t. Ier, p. 30.

D'après le Factum, les Anglais n'auraient pas eu l'initiative de l'attaque. Cette version peu connue n'est présentée ici que pour mémoire, car elle est en contradiction avec la déclaration du capitaine Fleury faite sous le serment, et par conséquent plus digne de foi.


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En interrogeant adroitement les trop confiants Jésuites, les Anglais n'eurent guère de peine à deviner la singulière rivalité des deux postes français voisins. Ils découvrirent le ver rongeur qui minait l'oeuvre des sujets du Roi Louis XIII en Acadie.

Ils puisèrent, dans cette situation trouble, l'audace de pousser plus loin leurs projets de destruction des possessions françaises. Grâce à ces rivalités funestes, ils comptaient poursuivre sans risque et dans l'impunité leurs actes de piraterie ; ils espéraient que leurs procédés déloyaux, s'ils étaient portés par hasard, par l'une de leurs victimes jusqu'au Roi d'Angleterre, ne seraient jamais confirmés par le témoignage de l'autre, pourvu que la mésentente entre Français se prolongeât. Ce honteux calcul ne devait cependant pas éviter plus tard à Argall, lorsqu'il rentra en Angleterre, un désaveu et un emprisonnement.

Divide ut règnes ! Cette maxime est vieille, et Machiavel lui-même ne l'a pas inventée. Louis XI et la reine Catherine connurent d'heureux succès diplomatiques pour l'avoir suivie. Depuis, on a accusé bien souvent l'Angleterre de l'avoir appliquée avec profit. Comment les colons de la Virginie n'auraient-ils pas cherché à utiliser la division qu'ils venaient de découvrir entre les deux colonies de la Nouvelle France ? Pourquoi ne se seraient-ils pas emparés de cette arme fourbie par leurs adversaires pour la retourner astucieusement contre eux ?


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L'attaque de nos postes en pleine paix n'en reste pas moins devant l'histoire un odieux acte de flibusterie qu'aggrave le double mobile de la jalousie et du pillage : « C'était le commencement de la politique anglaise en Amérique et ailleurs.» (1).

Encouragé par ce premier succès, Thomas Dale, gouverneur de Jamestow, capitale de la Virginie, assembla son Conseil colonial, et, se rendant compte de la faiblesse des forces françaises au Port-Royal, résolut d'aller à la côte d'Acadie raser toutes les forteresses et demeures, prétendant que tout le pays lui appartenait jusqu'au quarante-sixième degré (2).

Argall fut mis à la tête d'une nouvelle expédition, avec trois vaisseaux, dont The Treasurer. Il emmena avec lui le capitaine Fleury qu'il voulait rendre témoin du désastre des colonies françaises.

Argall retourna d'abord à Saint-Sauveur où il abattit la croix plantée par les Jésuites, la remplaça par une autre où était gravé le nom du Roi de la Grande-Bretagne et incendia l'habitation de du Sausay ; puis il aborda à Sainte-Croix. L'année précédente, Biencourt ayant appris que le capitaine Plastrier (3) avait été fait prisonnier

(1) M. E. LAUVRIÈRE, La Tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 31.

(2) CHAMPLAIN, liv. III, ch. Ier.

(3) Jean Plastrier, marchand de Honfleur, fils de Jean et de Madeleine Chauvin, soeur de Pierre Chauvin de Tonnetuit. Documents sur la marine normande, par Ch, et Paul Bréard,


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à Sainte-Croix par un navire anglais et avait été relâché sous la promesse de cesser tout commerce avec le Pemetegoët, s'était empressé d'ériger sur le rivage de cette île un gigantesque calvaire aux armes de France, comme marque de prise de possession. Argall renversa cet emblème, détruisit tout ce qui rappelait le nom français et se porta ensuite sans tarder devant Port-Royal. Le capitaine Fleury, à peine remis de ses blessures, fut abandonné sur l'une de ces plages, l'histoire ne dit point laquelle (1).

On ne signalait aucune menace de guerre entre la France et l'Angleterre, et Poutrincourt, tout en ayant eu la prudence de créer et d'entretenir plusieurs ouvrages de défense, ne nourrissait que des sentiments pacifiques et confiants. Les habitants, qui savaient qu'aucune hostilité ne divisait les deux grandes nations, ne redoutaient rien de leurs voisins. Aussi étaient-ils tous occupés à leurs travaux de labourage, à plus de deux lieues de là, vers le haut de la rivière, au lieu nommé plus tard la Prée Ronde, où les défrichements et les cultures s'étaient étendus.

(1) Dépossédé de son navire, il ne put rentrer en France que le 26 Août 1614. Le lendemain, il se présenta devant l'Amirauté de Rouen ; il fit son rapport dans lequel son attitude et la participation qu'il prit à Saint-Sauveur, sont affirmées sous la foi du serment. GOSSELIN, Les Normands au Canada, p. 350. L'auteur comme on l'a fait remarquer plus haut, a fait une erreur d'une année. La déposition de Poutrincourt à l'Amirauté de La Rochelle sur ces mêmes événements est du 18 Juillet 1614.


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Biencourt était allé, ce jour-là, avec quelques compagnons à la découverte, vers l'île Longue.

On ne peut reprocher au jeune gouverneur d'avoir exagéré les mesures de précautions. La présence connue des Anglais dans les environs aurait dû lui donner la prudence de poser au moins une sentinelle sur les hauteurs et de laisser quelques canonniers dans la petite citadelle avec des munitions.

Rien de semblable.

Le flottille britannique s'approche donc et ne rencontre aucune résistance. Les remparts demeurent muets et déserts. Tout semble abandonné.

Les hommes d'Argall débarquent et commencent par démolir un petit fort bâti par Biencourt ; ils s'emparent de tous les vivres, pillent l'habitation, font main-basse sur toutes les munitions de guerre et toutes les marchandises qu'ils trouvent dans le fort et les magasins et enlèvent jusqu'aux bois de charpente qu'ils transportent dans leurs vaisseaux.

Ensuite, ils mettent le feu à ce qui reste.

Pour parfaire leur oeuvre de destruction, ils brisent avec une masse de fer les armes de France et celles de Poutrincourt gravées sur le flanc d'un rocher.

Cette rafle fructueuse ne peut satisfaire la rapacité des Virginiens. Ils s'avancent vers un bois situé à une lieue de l'habitation, « où il y avoit un


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grand nombre de pourceaux qui se nourrissoient de glands ». Ils les trouvent à leur convenance et propres au saloir. Qulques-uns chassent ce troupeau indocile vers le havre, non sans que les échos fameux du Port-Royal ne retentissent de multiples grognements,

Dom pourceau criait en chemin Gomme s'il avait eu cent bouchers à ses trousses.

Avec peine, ils embarquent ce butin, tandis que d'autres détrousseurs se rendent dans une grande prairie où ils savent qu'on met les chevaux et les poulains. Ce bétail leur plait comme l'autre. Il est bridé. Les fouets claquent et les Anglais, à califourchon sur les bêtes, les conduisent à la file indienne aux navires. Ils se pressent et plaisantent, ces dignes gentlemen. Ils se croient à la foire de Horncastle.

Argall poursuit ce ravage méthodique jusqu'aux labourages, dans l'intention d'anéantir les semailles et de faire prisonnier les colons qu'il sait sans armes et qu'il croit sans défense.

Heureusement, les laboureurs ont perçu les clameurs des pourceaux ; ils voient approcher la bande de pillards et battent en retraite sur la colline voisine, armés de leurs outils aratoires, résolus à se défendre jusqu'à la mort. Cette attitude courageuse arrête l'élan des agresseurs.

Craignant d'être abandonnés par la marée, les hommes d'Argall, vainqueurs du bétail et plus


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heureux que les Gaulois à Rome, puisqu'ils emportent les oies du Capitole, ne jugent pas à propos d'attaquer cette autre catégorie d'adversaires. Ils retournent au Port-Royal où ils ont la satisfaction de voir les flammes achever de ruiner ce qui subsiste des édifices, et se rembarquent en laissant la colonie française dans la dernière des désolations.

Les Souriquois avaient accoutumé de se communiquer les nouvelles d'importance en allumant « des feuz et fumées » qui se répondaient au loin, de colline en colline. Les sauvages des bords de la mer annonçaient ainsi chaque année l'arrivée des harengs à leurs frères de l'intérieur. Biencourt, dont l'attention avait été d'abord attirée par la vue des colonnes de fumée noire qui tournoyaient audessus du Port-Royal, et qui avait été ensuite averti par les siens, rentra avec sa suite avant que la flottille n'ait eu le temps de s'éloigner. En un clin d'oeil, il se rendit compte de l'étendue du désastre. Les canons devaient désormais rester muets faute de munitions. Il n'était pas en force pour attaquer les Anglais sur mer. Le gouverneur eut un instant l'intention de les attirer à terre par ruse et de les envelopper, mais il dut renoncer à cet impraticable dessein. Il fit lancer une chaloupe et proposa à l'Anglais un duel ou un combat « tant pour tant ». La solution offerte était chevaleresque et bien française.


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Argall, « jeune homme brutal et emporté » dit Bancroft (1), mais « rusé comme un renard » ajoute Fiske, sollicita un sauf-conduit pour descendre à terre, lui deuxième, en toute sûreté, chose qu'il obtint, mais ce n'était point pour vider l'affaire en champ clos. Le capitaine gallois demanda à être mis en présence de Biencourt. Il s'enferma avec lui durant près de deux heures, et lui fit, de gentilhomme à gentilhomme, les plus graves et les plus singulières confidences. Il déclara tout d'abord « qu'il avoit regret de ce qui s'étoit passé », que toute la responsabilité de l'action retombait sur le P. Biard et ses compagnons, « que ces pervers avoient suscité le général de la Virginie à envoyer exécuter ce malheureux acte », en disant faussement que les gens du Port-Royal s'étaient emparés d'un navire anglais, que le fondateur de la colonie allait revenir avec trente canons; que la France allait envoyer des colons en si grand nombre que les Anglais seraient chassés de Jamestow et du territoire.

En essayant d'aggraver par ces prétendues révélations les divisions, hélas ! trop profondes, qui élevaient les Poutrincourt contre les Jésuites, l'Anglais révélait à tout oeil non prévenu toute l'astuce de sa conduite. Ce plan abominable avait les meilleures chances de succès. Il ne restait plus

(1) History ofthe United States, I, ch. V, cité par M. Lauvrière, La Tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 30. '


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maintenant aux Français ulcérés qu'à s'accabler mutuellement d'accusations et d'injures, ce qui ne pouvait qu'atténuer la responsabilité des Virginiens en colorant leur brigandage d'une apparence d'excuse.

Après avoir jeté le plus grand trouble dans l'esprit de Biencourt par ces odieuses inculpations que celui-ci écouta d'une oreille trop complaisante, et auxquelles la présence de Biard prisonnier à bord d'un des vaisseaux anglais semblait donner quelque vraisemblance, Argall leva l'ancre avec son butin et fit force voile vers la Virginie (9 Novembre 1613).


SUR LES RUINES

1614-1618

Les Anglais avaient-ils été guidés dans leur sauvage agression ? Ce point ne paraît pas douteux. Sans le secours d'un indicateur exactement informé, l'expédition n'aurait pu avoir un succès si foudroyant.

Sur qui doit peser la responsabilité de cette félonie ? Quel est le traître qui livra ainsi nos colonies naissantes au ravage de nos implacables adversaires ? Les avis sont partagés suivant qu'on s'en rapporte aux documents émanant des Poutrincourt ou à ceux provenant des Jésuites.

D'après les premiers, le P. Biard, dans le but de se venger des injures qu'il avait souffertes de Charles de Biencourt aurait livré lui-même le Port-Royal aux Virginiens. Ce religieux les aurait guidés en personne, les aurait conduits au milieu des bois, où se trouvait dissimulée, à une lieue de l'habitation, la réserve de bétail, puis, par un inconcevable raffinement de perfidie, les aurait menés jusqu'aux labourages, afin de les aider à jeter le filet sur les colons eux-mêmes.

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Comme on l'a vu plus haut, nos laboureurs s'étaient réfugiés sur la colline voisine, d'où ils contemplaient avec amertume la ruine de leurs espérances.

Les Anglais auraient alors envoyé le P. Biard en parlementaire, pour exhorter les Français à quitter Biencourt et à passer aux Virginiens. La menace d'un de ces hommes résolus, qui se nommait La France, aurait vite révélé au Jésuite l'inutilité d'une telle tentative.

— Partez, lui aurait crié ce déterminé colon, ou je vous casse la tête avec ma hache !

C'est sous cette forme que les habitants de Port-Royal accréditèrent le récit de ces événements.

Les Poutrincourt, aveuglés par leur ressentiment, oubliaient d'accuser leurs véritables bourreaux pour tourner toute leur rancune contre les missionnaires.

Mais la version jésuitique contredit ce réquisitoire du tout au tout. Argall aurait été conduit par « un sauvage qu'il print par force, les Français ne le voulant enseigner ».

Quant à l'apostrophe du compagnon de Poutrincourt réfugié sur la colline, elle est rapportée par Champlain dans des termes entièrement différents.

« Un François meschant et desnaturé, qui estoit avec ceux qui s'estoient sauvez dans les bois, approchant du bord de l'eau, cria tout haut, et demanda à parlementer ce qui lui fut accordé, et lors il dit : Je m'estonne qu'ayant avec vous un


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Jésuite Espagnol, appelé le père Biart, vous ne le faites mourir comme un meschant homme qui vous fera du mal si le laissez faire. » Et l'illustre explorateur ajoute : « Est-il possible que la nation françoise produise de tels monstres d'hommes détestables, semeurs de faussetez calomnieuses, pour faire perdre la vie à ces bons Pères ? » (1).

Entre ces deux versions complètement opposées, et affirmées de part et d'autre avec la même fermeté convaincue, il semble bien difficile de faire un choix judicieux.

Dans l'impossibilité où l'on se trouve de départager ces dires intéressés, une constante réserve dans la déduction s'impose avec force. Après un examen sérieux de la question, il semble difficile d'admettre qu'un Français, un religieux comme le P. Biard, qui était un savant et un apôtre plein d'abnégation, ait pu commettre une si noire trahison.

Comment croire que le P. Biard se soit fait le complice des Anglais, alors qu'on le voit traité si durement par ses prétendus amis ? Ce ne fut qu'après une périlleuse odyssée de neuf mois, après un séjour aux Açores à fond de cale, que ce religieux, conduit à Douvres par le capitaine Turnell, fut délivré grâce à une intervention de M. des Buisseaux, ambassadeur de France en Angleterre, et qu'il put. rentrer et ~se retirer au collège des Jésuites d'Amiens.

(1) CHAMPLAIN, Voyages, réimp. de 1830, t. Ier, p. 143.


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C'est cependant l'opinion qu'a adoptée, après plusieurs auteurs étrangers (Purchas, Parkman, entre autres), un érudit français, M. Gabriel Marcel.

« Il faut noter, dit-il, que la narration du Jésuite est en pleine contradiction avec celles de Poutrincourt et des écrivains anglais contemporains, qui sont d'accord pour affirmer que la rancune persistante de Biard contre Biencourt encouragea les ennemis à attaquer Port-Royal et Sainte-Croix. Les deux partis le regardaient comme un traitre»(l).

Poutrincourt était absent. Son fils n'assista qu'à une faible partie du drame du Port-Royal. N'ont-ils pu se tromper l'un et l'autre avec la plus entière bonne foi ?

Gabriel Marcel, s'inspirant essentiellement de l'important document qu'il a réédité, a accordé créance entière à l'autoapologie des Poutrincourt : « sans hésitation, dit-il, nous ne craignons pas d'attribuer à la haine des Jésuites, qui veulent déposséder Poutrincourt, l'échec de notre colonisation en Acadie, et, si nous ne sommes ni en forces ni en nombre pour résister aux Anglais qui se sont établis dans notre voisinage, c'est à leurs visées étroites, à leur ambition, à leur soif de gouverner, que nous le devons. » Il fait suivre ce réquisitoire d'une condamnation formelle et générale contre la Compagnie de Jésus. Il est impossible de

(1) Introduction au Factum.


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ratifier cette sentence passionnée. L'ordre célèbre, si loué et si attaqué, ne saurait être condamné sans plus ample informé.

En admettant qu'une défaillance individuelle puisse être considérée comme établie — ce qui n'est pas, en l'espèce — il ne faudrait encore voir dans le P. Biard amadoué par les Anglais, que la victime de propos imprudents exploités avec le grossissement de circonstance par ceux qui les avaient provoqués, afin de dresser les colons français les uns contre les autres.

Enfin, un cas particulier, fut-il dûment admis, ne saurait rayer définitivement de l'histoire l'immense tâche accomplie, spécialement dans toute l'étendue de la Nouvelle France, pendant les trois derniers quarts du xviie siècle, par les Pères de la Compagnie de Jésus (1).

(1) Les historiens anglo-saxons sont en général favorables aux Jésuites. Ils attribuent à l'influence de nos missionnaires l'avènement de la civilisation au Canada et le notable adoucissement des moeurs des sauvages. Pour George Bancroft, auteur de l'Histoire des Etals-Unis, la force entière de la colonie canadienne reposait sur les missions, et il rattache à la Compagnie de Jésus, « les origines de toutes les villes renommées dans les annales de l'Amérique Française ». Il faudrait vouloir ignorer les Relations des Jésuites, monument qui occupe, au dire d'un étranger comme Francis Parkman, « une place importante comme documents authentiques et dignes de foi » : il faudrait répudier cent autres témoignages, celui de Champlain, celui de la Mère Marie de l'Incarnation, des Trois-Rivières, qui les avaient vus à l'oeuvre, pour nier le courage, la force de résistance, l'héroïsme constant de ces merveilleux pionniers : « Presque tous


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La justice distributive du P. de Charlevoix est plus conforme à la raison et à la vérité. Cet historien de la Nouvelle-France a fort bien déterminé les causes de la ruine du Port-Royal, des déceptions de de Monts et de l'échec des Jésuites à SaintSauveur : « Dans le vrai, dit-il, tout le monde eut tort ; les uns par trop de défiance, les autres par l'envie de retirer d'abord plus qu'ils n'avançaient ; ceux-ci, faute d'expérience ; ceux-là, pour ne s'être pas donné le temps de connaître le pays. M. de Monts vouloit trouver dans son privilège exclusif des fonds assurés et présens pour fournir aux frais de son établissement ; et sans exclusion il en auroit eu de suffisans dans le commerce, s'il eût commencé par s'établir en lieu sûr, et où il fût plus à portée des secours de France. M. de Poutrincourt ayant obtenu le domaine du Port-Royal, n'avoit rien de mieux à faire que d'y ensemencer assez de terrain pour s'assurer que ses gens ne manqueroient jamais du nécessaire, et s'il avoit été dans son Fort avec trente hommes bien armés, Argall n'auroit pas même eu l'assurance de l'y attaquer.

les historiens, dit M. Séraphin Marion, auteur canadien, ont rendu hommage aux surhumaines vertus de ces premiers apôtres de la civilisation chrétienne au Canada ». L'oeuvre considérable de la Compagnie de Jésus en Amérique est un fait hors de doute. « Quand il s'agit du Canada, on en revient toujours à cette formule : Les bons serviteurs de la France y ont été les bons serviteurs de Dieu ». Les Martyrs de la Nouvelle France, par MM. Georges Rigault et Georges Goyau, pp. 24 et 27.


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Le sieur de la Saussaye, après avoir pris possession du Port de la Haive, ne devoit pas aller plus loin... Mme de Guercheville, de son côté, fit mal de ne point confier son entreprise à quelqu'un qui eût déjà quelque connoissance du pays » (1).

Charlevoix ne dit rien de Champlain. Mais l'attitude du grand explorateur, à bien la considérer, n'apparaît-elle pas incompréhensible, en certaines circonstances ? Les Français au Canada ne s'aimaient plus, ne s'aidaient pas. Ils s'ignoraient. A l'occasion, leurs efforts pouvaient se contrarier.

Quand le rôle de Champlain à Québec se précisa, quand sa personnalité s'imposa, il aurait dû confondre les intérêts de sa colonie avec ceux du Port-Royal, rester tout au moins en liaison avec les colons, et même, comme le dit Garneau, « travailler ensemble pour assurer la grandeur de la patrie commune », car leurs intérêts étaient identiques. On ne signale rien de semblable.

Champlain, dans ses Voyages, résume en six lignes les expéditions de Poutrincourt, et sur quel ton dédaigneux ! « ...Le sieur de Poutrincourt s'en retourna. Mais laissons le aller... ». Le fondateur de Québec devient plus explicite pour narrer les démêlés des Biencourt avec les Jésuites, seulement, c'est pour donner tort au jeune gouverneur en toutes occasions, et c'est pour accuser le père

(1) Histoire de la Nouvelle France, t. I, p. 139.


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d'avoir conservé quatre cents écus sur l'apport de la marquise ! (1).

Champlain donne de longs et minutieux détails sur l'exploration au pays des Armouchiquois qu'il fit sous les ordres de Poutrincourt alors lieutenant de de Monts, mais il ne nomme pas une seule fois son chef (2). Mentionnant l'accident survenu à un sauvage qui fut humainement soigné, au dire de Lescarbot, « par le chirurgien du sieur de Poutrincourt » et sur les instances de ce dernier (3), il s'arrange pour taire le nom du colonisateur picard : « nostre chirurgien le pansa» (4). Quant au drame du Port-Fortuné, où la bravoure et le sang-froid du commandant de l'expédition éclatèrent, il n'en souffle pas mot, ou plutôt, il jette en passant un voile mystérieux sur l'événement, sur le lieu même où il se déroula : « Il fut nommé le Port-Fortuné pour quelque accident qui y arriva (5) ». Grâce à ce silence calculé, on ignorerait, sans Lescarbot, que le seigneur du Port-Royal dirigeait cette exploration.

Quelle amertume couvait donc au coeur de l'ancien compagnon de Poutrincourt, au moment où

(1) Voyages, t. Ier, p. 136.

(2) Voyages, Livre II, cliap. III à V.

(3) LESCARBOT, p. 562.

(4) Voyages, t. I, pp. 102 et 102.

(5) Ibid. p. 121.


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il écrivait ses Voyages ? Comme autrefois l'intrépide Pedro-Alonso Nino, embarqué en sous ordre sous Christoval Guerra, avait-il, durant l'expédition de 1606, souffert en secret de sa position subalterne ?

Plus tard, lorsque trente années de labeur eurent mûri son expérience, Champlain eut une satisfaction que Poutrincourt n'avait pu lui donner. Un gentilhomme considérable, le commandeur Isaac de .Razilly, chef d'escadre, auteur d'un programme naval que Richelieu avait fait sien, voulut servir sous les ordres de ce simple capitaine de navire parce qu'il le reconnaissait plus compétent en matière coloniale. Champlain ne tarit point d'éloges sur M. de Razilly. « Monsieur le Commandeur a toutes les qualités... » (1).

Si l'on s'en rapportait seulement aux Relations des Jésuites, qui, au dire de M. Séraphin Marion, ne reflètent pas, quelles que soient leur sincérité et leur valeur documentaire, «la physionomie entière de la Nouvelle-France », mais n'en donnent qu'un profil: le progrès du catholicisme avec ses labeurs et ses luttes ; si l'on en croyait les historiens qui s'en sont tenus à cette source, on en conclurait

(1) M. DE LA RONCIÈRE, t. IV, p. 639 : M. LAUVRIÉRE, t. I, p. 57.


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que les ruines du Port-Royal, après les ravages d'Argall, auraient enseveli à jamais les rêves de Poutrincourt (1).

En réalité, cette histoire passionnante de la fondation d'une colonie française où s'avère de façon si éclatante l'esprit de persévérance du génie national n'en arrive qu'à ses plus poignantes péripéties.

Il faut croire que les Poutrincourt, ces coeurs cuirassés d'un triple airain, étaient inaccessibles au découragement, car, après ce désastre sans exemple d'une colonie « où l'on avoit dépensé plus de cent mille écus » (2), devant la menace perpétuelle que créait ce précédent, aucun projet d'abandon du Port-Royal ne fut même envisagé. Le malheur se heurtait à la volonté de fer des Poutrincourt comme à une forteresse inexpugnable.

(1) Chaniplain ne dit plus un mot de notre colonisateur après les ravages d'Argall. Charlevoix dit que « celui qui y perdit davantage fut M. de Poutrincourt, qui, depuis ce tems-là ne songea plus à l'Amérique », (T. Ier, p. 138) : mais il note ensuite (p. 408), que Poutrincourt fit l'année suivante un autre voyage au Port-Royal pour s'y rétablir, et il ajoute que la crainte des Anglais et le découragement « le portèrent à y renoncer entièrement ». Pour quelques auteurs modernes, et non des moindres, l'oeuvre nationale de Poutrincourt est bien terminée après le passage d'Argall : « Abattu, découragé, Poutrincourt dit adieu à ce pays où il s'était complu à placer ses meilleures espérances ». MOREAU, Histoire de l'Acadie Française, p. 97.

(2) CHARLEVOIX, t. Ier, p. 137.


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Le premier moment de stupeur écoulé, Biencourt s'aperçut qu'en définitive Port-Royal n'était ni tout-à-fait détruit ni complètement abandonné.

Le moulin, situé sur le petit cours d'eau du fond de la baie, voisin de la rivière du Dauphin, avait échappé à l'incendie grâce à sa situation au-delà d'un bras de mer protecteur. Les grains et farines qu'il contenait avaient été préservés.

Des armes et quelques bestiaux, dissimulés par ■un hasard providentiel aux recherches des pillards, avaient été sauvés et restaient aux malheureux colons.

Les semailles étaient intactes et contenaient en germe des richesses prochaines.

Les sauvages se montrèrent les fidèles amis des Français dans cette dure adversité. Ils apportèrent des élans, des grignaces, dont une partie fut salée ou fumée. Biencourt se mit en chasse et parvint à grossir ces réserves de vivres.

Le moulin servit d'abri provisoire. Avec une hâte fiévreuse, car on connaissait maintenant les brusques variations de la température canadienne, on mit à profit les dernier beaux jours d'automne pour élever des abris de fortune, mais suffisamment calfeutrés pour se défendre contre le froid et la neige. Tout fut utilisé pour ces travaux avec la plus minutieuse parcimonie. Un effort opiniâtre, soutenu par une volonté farouche, remit l'habitation sur pied : l'existence même des colons en était le prix.


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L'hiver approchait. Jamais les Français du Port-Royal n'avaient été menacés de telles épreuves. Jamais ils ne s'étaient trouvés si vulnérables aux rigueurs de la terrible saison ; jamais ils n'avaient été si dépourvus et si exposés au dénûment, à la disette, à la maladie, accompagnement douloureux de l'hiver sous ce froid climat.

Quelque sombre pressentiment alla-t-il, en France, avertir Poutrincourt de la sinistre position de son fils et du péril de la colonie ?

Plus heureux à La Rochelle qu'à Dieppe, ses patients efforts furent couronnés d'un plein succès. Il s'assura du concours de plusieurs armateurs de ce port, parvint à fréter un navire de soixante-dix tonneaux, la Prime de la Tremblade (1), et s'embarqua le 31 Décembre 1613 (2).

(1) La Prime, c'est-à-dire la première. En langage maritime, on appelait voyage de prime la première expédition de l'année au banc de Terre-Neuve. Le petit port de La Tremblade, sur la Sendre, était alors fort réputé pour la construction des navires.

(2) Ces détails, qu'on rencontre dans l'Histoire de la Nouvelle France de Lescarbot, se trouvent confirmés par les renseignements inédits ci-après, provenant des archives départementales de la Seine-Inférieure, ce qui montre une fois de plus l'excellence de la documentation du vieil historien de la colonisation de l'Acadie.

Un contrat, en forme de transaction, du 20 septembre 1613, avait heureusement mis fin aux différends qui s'étaient élevés entre M. de Poutrincourt et MM. Georges et Macain.

Un accord avait été fait entre les deux marchands rochelais et Sorreau, le 18 Octobre suivant, pour l'équipement d'un vaisseau destiné au Port-Royal.

Un autre accord avait été passé le 6 Novembre 1613 (quelques jours avant l'incendie de l'habitation par Argall) entre Samuel et Jean Macain, au nom de Biencourt, d'une part, et Jean Baudouin, d'autre part, pour le fret du vaisseau la Prime, destiné


42è

Il aborda au Port-Royal trois mois après, le 27 Mars 1614 (1).

Les colons avaient passé un hiver atroce.

Après avoir consommé les vivres échappés en si petite quantité à la rapacité d'Argall, ils en avaient été réduits, de Novembre à la fin de Mars, à manger

à faire le voyage du Canada. Aux termes de ce contrat, les deux commerçants de la Rochelle avaient avancé de leurs deniers la somme de neuf cents livres.

Un troisième accord était intervenu le 23 Décembre suivant, entre lesdits Georges et Macain et François Sorreau, pour aller retrouver Biencourt au Port-Royal.

Enfin, le 24 du même mois, une quatrième convention entre Biencourt et Louis Hébert, d'une part, et Georges et Macain d'autre part, était conclue. Ces derniers s'engageaient à équiper et avitailler à leurs dépens le navire la Prime, à envoyer au Canada « les marchandises demandées par ledit Biencourt et dont ils avoient avec luy arrêté le compte ». Le lendemain 25 était dressé « estât de la carquaison dud. vaisseau » et « autres estats dud. jour, de la facture des marchandises et victuailles chargées audit vaisseau ».

Un contrat du 26 terminait ces longues et difficiles tractations. Il était passé « entre led. Sr de Poutrincourt, led. Hesbert, stipulant pour led. de Biencourt, et lesd. Samuel Georges et Macain ». Le 31, la Prime faisait voile pour le Canada.

Dans ces actes, le vaisseau est appelé la Prime d'Alvert (ou â'Arvert), du nom d'une petite localité très voisine de la Tremblade.

Plus tard, il fut dressé « facture et état » des castors et orignacs rapportés par le navire frété le 18 Octobre 1613. Sa date, 18 Juin 1614, nous fournit approximativement celle du retour en France de ce vaisseau. Un mémoire en forme de compte fut établi entre Poutrincourt et Georges et Macain le 9 Août 1614.

Arrêt du Parlement de Rouen de Juillet 1633. Archives du Palais de Justice actuellement conservées aux Archives départementales, aimablement mises à notre. disposition par M. Le Gacheux, archiviste.

(1) Une lettre de Poutrincourt à Lescarbot dit le 17 Mars. Sa plainte à l'Amirauté de la Rochelle dit le 27 Mars.


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des racines, des herbes, des bourgeons d'arbres. Quand les gelées de l'hiver eurent durci la terre et que le froid eut rendu la chasse impraticable, ils furent contraints d'aller sur les rochers arracher les maigres végétations qui s'y attachaient pour en faire leur nourriture.

Plusieurs moururent d'épuisement. D'autres tombèrent malades.

C'est dans cet état de dépression lamentable que Poutrincourt trouva ses amis. Son arrivée mit un terme à leur long supplice.

Le spectacle des souffrances des colons avait trop frappé les matelots de l'équipage de la Prime pour que l'explorateur ne songeât à invoquer plus tard leur témoignage. C'est ce qu'il fit à sa rentrée en France, devant les juges de l'Amirauté de La Rochelle (1).

Pendant ce temps, le désordre et l'insoumission se développaient dans le voisinage et les dépendances du Port-Royal (2).

(1) Requête de Poutrincourt à l'Amirauté de la Rochelle, du 18 Juillet 1614, présentée par P. Guillaudeau. LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, éd. 1617, pp. 684 à 690.

(2) On trouve trace dans l'arrêt du Parlement de Rouen de 1633 des « articles baillés par Gourdet et consorts pour faire ouyr ceux qui pourraient rapporter de la déprédation à eux faicte en la rivière Saint-Jean en l'année 1614 », et « du procès verbal faict en Canada par Têterel et Le Cordier, le 23 Juillet » de la même année, ainsi que d'une « autre information faicte à Honfleur les 22, 23 Septembre et 1er Octobre audict an». L'examen de ces affaires se prolongea au siège de Honfleur jusqu'au 6 Mars 1617, puis une enquête fut entamée sur les mêmes faits au Châtelet de Paris le 9 dudit mois.

Arch. dép. de la Seine-Inférieure.


LE MYSTERE DE MERY

1618

Poutrincourt profita des vents propices qui soufflèrent avant la fin du printemps de 1614 pour regagner la France.

Il ramenait Louis Hébert, l'un des premiers colons acadiens, qui revenait avec la ferme intention de réunir de nouvelles ressources et de retourner au Canada avec sa famille tout entière (1).

Le fondateur du Port-Royal, satisfait d'avoir redonné une vitalité nouvelle à sa colonie, quittait donc l'Acadie plein d'espoir, laissant de nouveau à son fils aîné la lourde charge de poursuivre l'oeuvre à laquelle il venait de consacrer les dix années les plus fécondes de son âge mûr.

Son esprit n'était point sans inquiétude sur les événements qui se déroulaient en Champagne où se trouvaient ses nouvelles seigneuries.

Au commencement de l'année, le prince de Condé, les ducs de Nevers, de Mayenne, de Bouillon et de Longueville avaient brusquement quitté la cour, et, en Février suivant, s'étaient trouvés

(1) Abbé COUILLARD-DESPRÉS, Louis Hébert, Montréal, 1918, et Rapport des Fêtes du IIIe centenaire de l'arrivée de Louis Hébert au Canada, 1617-1917, Montréal, 1920.


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réunis en cette province où ils poussaient les villes à entrer dans leur parti, et, suivant l'expression imagée des historiens du temps, « à lever l'étendard de la révolte ». Les princes étaient à Soissons en fin Mars, au moment même où Poutrincourt atteignait Port-Royal, et ils avaient eu, au commencement d'Avril, des conférences avec de Thou. Condé exigeait des places fortes et de l'argent pour lui et pour ses partisans. L'ambition de ce prince pouvait, non sans quelque raison, inquiéter l'explorateur qui avait le gouvernement d'une ville voisine de sa baronnie de Saint-Just, celle de Méry-sur-Seine.

Le traité de Sainte-Menehould, du 15 Mai, n'avait pu procurer à la Reine régente le repos auquel elle aspirait et qu'on lui avait cependant fait paj'eràunsihaut prix. Les États-Généraux qui en furent la suite, n'eurent aucun résultat pratique, parce que chacun des trois ordres se consacra dans un étroit égoïsme à la défense de ses intérêts propres. Moins de six mois après la clôture, Condé, par un manifeste où il se déclarait ouvertement l'adversaire du parti ecclésiastique et ultramontain, prétendait que les États n'avaient porté nul fruit parce qu'ils avaient été « corrompus et opprimés», et adjurait la France entière de le suivre pour soustraire le jeune Roi à l'influence pernicieuse de ses conseillers.

Si Poutrincourt avait été, comme on l'a prétendu, un partisan avéré du gallicanisme, il aurait sans


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doute répondu à un appel flattant ses sentiments intimes. Le fondateur du Port-Royal se trouva tout naturellement orienté vers le parti de l'ordre, c'est-à-dire du côté où était effectivement le Roi.

Au mois d'Août 1615, Louis XIII et la cour prirent la route de Bordeaux, où devait se célébrer le mariage espagnol, non sans avoir eu le soin de confier au maréchal de Bois-Dauphin la charge de couvrir Paris et de surveiller les rebelles.

Condé et ses amis entrèrent en campagne en Septembre avec cinq ou six mille hommes, dans l'intention de marcher vers la Guyenne et d'empêcher, ou tout au moins de différer, le mariage du Roi. Concini, maréchal sans expérience et sans capacité, était désigné pour les contenir en Picardie. Bois-Dauphin, général médiocre et vieilli, devait leur tenir tête sur l'Oise et en Champagne.

Le prince réussit à tourner à l'Est et à passer l'Aisne à Soissons, la Marne à Château-Thierry, mais il ne rencontra que résistance et hostilité dans toutes les villes de la Seine. L'inébranlable fidélité de ces places à la cour obligea Condé à se rabattre sur Méry, dans l'intention d'y franchir le fleuve, alors qu'il n'y avait même point de pont convenable dans le pays pour, cette opération. Une sécheresse persistante et rare en cette saison rendit possible un projet qui, en toute autre circonstance, aurait paru insensé.

Au mois d'Octobre, Méry ouvrit ses portes.

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A Méry, les princes se réunirent et entrèrent en conseil sur la réponse qu'ils devaient faire à la déclaration du Roi faite à Poitiers, dès le 10 Septembre.

A Méry, Condé, renversant les rôles, publia le 14 un manifeste par lequel il sommait les partisans de la cour d'entrer dans le parti, sous peine d'être déclarés criminels de lèse-majesté.

Enfin, à Méry les troupes et le canon passèrent la Seine à gué (1).

Ce concours de circonstances attira l'attention de la cour sur la petite cité champenoise.

En s'éloignant de cette ville pour passer l'Yonne, les princes y laissèrent le sieur de Lameth avec une garnison.

Ce gouverneur, au moyen de courses journalières de cavalerie dans les environs, incommoda fort le trafic de la Seine et porta l'inquiétude jusqu'à Troyes (2).

(1) o Enfin, il y eut une petite villette appelée Méry-sur-Seine, qui lui ouvre les portes ; il n'y a point de pont, mais lors les rivières étoient si basses de tous côtés, qu'on les passoit partout à gué ».

Mémoires de Paul Phélypeaux de Pontchartrain, collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. XVII, p. 110 ; Le Mercure François, t. IV, p. 251.

(2) On ignore lequel des deux Lameth. C'est probablement Louis, comte de Lameth, vicomte de Laon, seigneur de Pinon, l'ancien gouverneur de Coucy, auteur de la Lettre du sieur de Lanxet, gouverneur de Coucy, contenant sa réunion au parti catholique, à un gentilhomme de la suitle du Roy de Navarre, à


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Poutrincourt, qui venait d'être requis par la Reine de soutenir dans la région champenoise, par son influence et par son épée, l'autorité royale méprisée, qui avait reçu ensuite commandement exprès de reprendre Château-Thierry et Méry, où Monsieur le Prince avait mis garnison (1), ne put supporter que cette dernière place qu'il avait jadis commandée, dont le nom venait d'être mis en vedette par les événements, restât aux mains des adversaires de la cour. Il considéra son honneur, engagé à la reprise de cette ville.

Arrivé en sa maison seigneuriale de Saint-Just, il prit contact avec la noblesse des environs, rassembla des moyens d'action et, se laissant entraîner par son caractère hasardeux, il résolut, avec son esprit de décision coutumier, de s'emparer de Méry par coup de main.

Le capitaine d'aventures réapparaissait derrière le colonisateur prudent. A la vérité, Poutrincourt restait l'homme du Port-Royal, car, au fond du coeur, il espérait bien que, lorsqu'il aurait rendu Méry à la Reine, il lui serait octroyé quelque

Paris, chez Rolin Thierry, plutôt que son frère, Charles, IIe du nom, comte de Bussy, seigneur du Plessier-sur-Saint-Just, gouverneur des ville et château de Mézières, plus connu sous le nom de Bussy-Lameth, qui s'est rendu célèbre par sa belle conduite en l'île de Ré, en 1627, et par sa longue défense de Coblentz et de Hermenstein, dont il soutint le siège pendant deux ans et trois mois.

(1) LESCARBOT, éd. de 1617, p. 693.


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récompense qu'il entrevoyait déjà sous la forme d'un puissant secours pour son oeuvre d'outre-mer. Comme tous les premiers colonisateurs, il brûlait pour cette oeuvre d'un feu dont il était l'esclave, d'une passion irrésistible et tyrannique pareille à celle que donnent les poisons enivrants qui ramènent sans cesse leurs victimes à leur rêve décevant comme à une nécessité de l'existence.

Depuis que l'armée des princes avait quitté la Champagne, c'est-à-dire vers la fin d'Octobre, le marquis de La Vieuville, gouverneur de Reims et lieutenant de Roi en Champagne, le marquis d'Andelot (1), également lieutenant de Roi en la province, mais du côté de Langres, avaient levé chacun plusieurs compagnies tant de pied que de cheval. La Vieuville, avec trois cents chevaux, cinq cents hommes d'infanterie et deux pièces de canon tirées de Reims, inquiétait les receveurs de la taille que le maréchal de Bouillon avait établis à Neufchâtel-sur-Aisne.

Le marquis de La Vieuville, personnage artificieux et dévoré d'ambition, se rendit avec ses troupes à Troyes et traita avec les habitants afin d'obtenir du secours pour reprendre Méry. La capitale champenoise promit quatre canons, des

(1) Charles de Coligrty, marquis d'Andelot, fils puîné de Gaspard II de Coligny, sieur de Châtillon, amiral de France, tué à la Saint-Barthélémy, frère de François de Coligny, sieur de Châtillon.


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munitions pour cinq cents coups, et neuf cents bons compagnons de la milice bourgeoise troyenne, sous la conduite des échevins (1).

Poutrincourt, informé des projets du marquis de La Vieuville, résolut de le devancer. Il entra en pourparlers avec les capitaines des garnisons de Provins, de Bray-sur-Seine et de Nogent-surSeine, qui, sur le vu.des lettres de Sa Majesté qu'il leur montra, consentirent à mettre plus de la moitié de leurs effectifs à sa disposition sous le commandement d'un lieutenant, et obtint le concours de deux gentilhommes du voisinage, MM. de Saint-Sépulcre et de Rouilly.

Le jeudi 4 Décembre, il se mit à la tête de ses gens et d'une partie de la milice provinciale et fut occuper, avec M. de Saint-Sépulcre, le village de Mesgrigny (2), situé au bout de la chaussée de Mérjr, à environ demi-lieue de cette ville, où il avait donné rendez-vous aux troupes de Provins qui devaient arriver par la vallée de la Seine. Ces compagnies, qui avaient passé par Rouilly pour se renforcer en cours de route, ne tardèrent pas à apparaître dans la plaine marécageuse plantée d'arbres-aquatiques qui s'étend en amont de Romilly, et à faire leur jonction avec le gros des forces de Poutrincourt.

(1) D'après le Mercure François. Mille cinq cents hommes d'après une autre source qui sera reproduite plus loin.

(2) La gare de Méry est aujourd'hui à Mesgrigny. ARDOUINDUMAZET, L'Aube, 2le série, p. 62.


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Cette petite armée était pourvue de deux pièces de canon.

La ville de Méry, qui confine à la Champagne Pouilleuse, assise auprès d'une des boucles de la Seine, se composait alors de deux parties distinctes, la ville haute et la ville basse, séparées par un bras d'eau. La ville basse n'était pas défendue ; il n'y avait, entre ces deux quartiers, que des fortifications de fortune, des barricades établies avec des tonneaux.

Méry est aujourd'hui une bourgade d'un tout autre caractère, bâtie d'une façon plus régulière, mais dans le plan qu'impose la grande courbe du canal de la Haute-Seine et les berges du fleuve qui la limitent au Midi. Les rues étroites et tortueuses de l'ancien Méry ont été remplacées par des voies rectilignes lors de la reconstruction de la ville après l'incendie de la campagne de 1814.

Poutrincourt occupa la ville basse sans coup férir.

Le marquis de La Vieuville ne tarda pas à se présenter à son tour devant Méry avec les forces imposantes qu'il avait levées à Troyes, renforcées par le régiment du marquis de Renel (1), et avec son artillerie.

(1) Louis de Clermont d'Amboise, marquis de Renel, gouverneur, bailli et capitaine de Chaumont en Bassigny, mestre de camp d'un régiment de cavalerie, époux de Diane de Pontallier, puis d'Anne de Vergy, fils de Louis de Clermont d'Amboise, 1er du nom, gouverneur de Chaumont et de Vitry, tué le 3 novembre 1615, en voulant empêcher la jonction de six cents reîtres à l'armée des Princes.


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Il se mit à bombarder la ville. Au huitième coup qu'il tira, Lameth demanda composition !

Les pourparlers avec les assiégés furent courts. Ceux-ci consentirent immédiatement à abandonner la place ; il fut convenu qu'ils sortiraient le lendemain avec armes et bagages, tambour battant, suivant la cérémonie observée en telles circonstances.

La prise de Méry avait « esté bien tost faite », comme le remarque un auteur du temps. L'on ne peut guère s'empêcher de s'étonner d'une si courte défense, de la disproportion des quantités de poudre et de munitions jugées nécessaires (de quoi tirer cinq cents coups), avec les moyens réellement employés, et l'on se demande comment un accord put intervenir avec tant de rapidité entre des belligérants si bien décidés à combattre.

Pour essayer de l'expliquer, il faut d'abord remarquer la situation singulière d'une garnison investie au Nord-Ouest vers Saint-Oulph, dans la direction de Clesles et de Saint-Just, par des troupes du parti de la cour (celles de La Vieuville), et du côté opposé, c'est-à-dire en amont, vers la ville basse, par d'autres troupes du même parti, sans que la moindre entente et sans qu'une indispensable liaison existât entre ces deux corps d'attaque. On peut supposer que le manque d'unité dans la marche des assiégeants n'avait pas échappé à un homme de guerre expérimenté comme Lameth, et qu'il voulut tirer profit de la


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position anormale de ces deux groupes qui, s'ignorant l'un l'autre, ne pouvaient que se contrarier dans l'action. Les forces qui le cernaient, environ deux mille hommes avec de l'artillerie, étaient trop imposantes pour qu'il put espérer résister longtemps avec de faibles moyens et derrière « des murailles qui ne vallaient guère ». N'était-il point préférable qu'il traitât avec l'un des deux camps, le plus fort, et qu'il essayât d'en tirer des conditions avantageuses ? Il fallait, pour parvenir à ce but, négocier avec un seul des groupes de combattants, à l'exclusion et même à l'insu de l'autre.

Poutrincourt, « ne sçachant ce qui se passait de l'autre côté », et se défiant des grandes troupes qu'il voyait apparaître autour de Méry, ne voulut rien laisser au hasard. Il tint conseil la nuit, avec ses amis. On décida d'attaquer le lendemain matin.

A. l'aube, M. de Réaux (1), désigné par le marquis de La Vieuville pour occuper Méry, entra dans la haute ville où il trouva M. de Lameth, à cheval, à la tête de ses troupes, prêt à sortir. Cela se passait, répétons-le, « sans le sceu dudit Poutrincourt et des autres » qui s'armaient pour l'attaque.

Celui-ci parut bientôt, dans un appareil guerrier qui ne laissait aucun doute sur ses intentions,

(1) Gentilhomme champenois. Un seigneur de ce nom, Gabriel des Réaux, époux de Guillemette de Marolles, était fixé depuis son mariage (1612), à quelques lieues de Méry, à Coclois (aujourd'hui canton de Ramerupt).


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couvert d'une rondache, l'épée nue dans la main gauche et le pistolet en la main droite, suivi de ses amis.

M. de Lameth descendit alors de cheval, demanda à parler à M. de Rouilly, l'un des lieutenants de Poutrincourt, traversa le cours d'eau dans un bachot et parvint dans la basse ville. Il tint un conciliabule avec ce gentilhomme, l'informa de la composition survenue entre M. de La Vieuville et lui, et se retira.

MM. de La Vieuville et de Lameth, les deux ennemis de la veille, en affectant l'un et l'autre d'ignorer Poutrincourt, semblaient s'être entendus pour le duper et pour prendre vis-à-vis de lui l'attitude la plus outrageante. Voulait-on l'acculer à un éclat ? Si tel fût le plan de ses compétiteurs, il réussit à merveille.

Poutrincourt fut pris soudain d'une sorte de frénésie, rendit la main à son cheval, piqua des deux, et cria : « Vivent le Roi et Poutrincourt !.. » tandis que sa monture entrait dans la rivière jusqu'au poitrail en faisant jaillir des flots d'écume. Entraînant ses gens à sa suite, le gouverneur de Méry traversa le canal au galop, franchit les barricades et se rua dans la ville. Les hommes des garnisons de Provins et de Nogent, suivirent (1).

(1) Le Mercure François, année 1615, t. IV, pp. 380 et suivantes. Ce récit complète très heureusement la Lettre à l'habitant de Troyes dont il sera parlé plus loin.


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Au même moment se présentait pour passer la porte le capitaine de La Salle, conduisant la compagnie du marquis de La Vieuville.

— « Qui m'aime me suive ! » s'écria Poutrincourt fonçant sur lui. « Tue ! Tue !... »

Le seigneur de Saint-Just lâcha un coup de pistolet. La Salle poussa le même cri de : « Tue ! tue ! » Ce fût le signal d'un terrible massacre.

Les troupes de La Vieuville, rangées à la porte, semblaient s'attendre à cette attaque. Elles se tenaient de pied ferme, mousquets en mains et mèches allumées. Une formidable arquebusade coucha sur le sol Poutrincourt et une centaine de ses gens.

La mêlée dura peu, car les soldats des garnisons de Provins, de Bray et de Nogent, sur lesquels comptait le gouverneur de Méry, ne bougèrent pas. Ils se tinrent en bataille, immobiles, dans une rue voisine.

Pendant cette scène, Lameth, qui était encore dans la ville, demeurait impassible, lui aussi, comme la statue de l'Indifférence, «rangé à un coing de rue, avec ses gens et son bagage ».

Jean de Poutrincourt avait été tué sur le coup.

Ainsi se termina cette noble et belle carrière.

Le fondateur du Port-Royal en Acadie après « s'estre trouvé en diverses belles actions », remarque le Mercure François, après avoir connu mille périls sur des mers lointaines, après avoir triomphé


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des vents, de la tempête, des maladies exotiques et des ruses des sauvages, mourut à cinquante-huit ans, « auprès de son giste », criblé de balles françaises.

On verra que ses ennemis s'efforcèrent de le peindre sous les couleurs d'un séditieux, voire même d'un révolté, parce qu'il fut tué par les gens de son parti. Mais dans son dernier cri : « Vivent le Roi et Poutrincourt !... » il avait pris soin d'affirmer, avec l'éloquence du désespoir suprême, son indéfectible attachement au souverain, qui, pour tous les hommes de son temps, incarnait bien réellement la patrie.

Ce résultat, après une échauffourée rapide comme l'éclair, aurait dû, semble-t-il, stupéfier jusqu'aux plus déterminés adversaires du seigneur de SaintJust, et arrêter immédiatement toute effusion de sang.

Il n'en fut rien ! Un ordre barbare circula dans les rangs des soldats de La Vieuville. Les meurtriers de Poutrincourt, préoccupés du soin d'effacer à jamais les circonstances troubles de leur forfait, commandèrent de passer au fil de l'épée tous les partisans du gouverneur de Méry qui avaient survécu à la fusillade. Les vainqueurs étaient décidés à ne laisser échapper aucun témoin capable d'attester l'horrible vérité.

Quel est le gentilhomme qui se déshonora de sang-froid par ce lâche procédé ? On l'ignore.


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L'écheveau de mensonges tramés autour de cette tragédie lamentable n'a jamais été démêlé (1).

Les hommes de Poutrincourt venaient de passer la rivière à gué, avec de l'èau jusqu'au ventre. On palpa les chausses des soldats inconnus. Les prisonniers dénoncés par l'humidité de leurs habits furent froidement mis à mort : « On n'a jamais ouy parler d'un tel fait !... » s'écriait le lendemain, avec une légitime indignation, un spectateur échappé à la tuerie.

(1) Le La Vieuville qui dirige toute cette affaire dans la coulisse, et dont la fourberie se masque avec une réelle habileté, n'est autre que le surintendant des Finances de 1623, Charles Ier, qui fut grand fauconnier après la démission de son père, et qui eut, après lui, la lieutenance-générale de Champagne et de Rethelois. Il fut créé duc en 1651 et mourut en 1653.

Son père, Robert, vicomte de Parbus, était mort en 1612. Henri IV le tenait en assez médiocre estime, si l'on s'en rapporte à une anecdote de Tallemant des Réaux au sujet de sa réception de chevalier de l'ordre en 1599. Mais Saint-Simon fait faire la même réponse par Henri IV à M. de la Frette. Mémoires, t. XVI, p. 57.

Le rival de Poutrincourt à Méry était un homme astucieux, capable de toutes les bassesses et de toutes les félonies pour parvenir, si l'on en croit Henri Martin, qui, de plus, le dit « expert en intrigues, violent, brouillon, inconséquent, sans tenue ni dignité » Histoire de France, t. XI, pp. 195 et 204. Au cours de sa carrière mouvementée, il montra que son ambition pouvait le conduire jusqu'au crime. Il fut condamné par contumace pour meurtre, en 1631. Richelieu le fit dégrader de l'Ordre du Saint-Esprit. Rentré en France après la mort du ministre et de Louis XIII, il se fit réhabiliter. Mémoires de Saint-Simon, t. XIX, pp. 343 à 345. Les sires de La Vieuville, par M. le Dr A. Lapierre, dans les Travaux de l'Académie Nationale de Reims, année 1928-1929, p. 194.


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Par ces moyens impitoyables, les ennemis du colonisateur de l'Acadie espéraient obtenir le silence autour des circonstances abominables de ce drame qui, dans tous ses détails, sue la trahison et le crime !

Livré et trahi, il ne manquait plus à Poutrincourt pour la consécration plénière et définitive de son martyre, que d'être renié par ses partisans. Il le fut avant le premier chant du coq : les gens des garnisons de Nogent, de Provins et de Bray étaient demeurés terrifiés sur place ; ils affectèrent d'ignorer Poutrincourt et se réclamèrent du régiment de Navarre pour avoir la vie sauve. A ce prix, ils ne furent que dévalisés, pour la plupart. Quelques-uns purent s'enfuir. L'un de leurs lieutenants, rentré dans ses quartiers, fit un récit honnête et sincère de ces faits à un habitant de Troyes qui le transmit par lettre à Paris. Cet écrit fut imprimé sur le champ et vendu dans la rue comme ces « bagatelles » que collectionnait Pierre de l'Estoile et comme il était d'usage à cette époque où les journaux n'existaient pas. Il demeure, malgré ses réticences et ses hésitations, l'un des documents les plus précieux pour l'histoire de cette prise de Méry (1).

(1) Voir Appendice.

A côté de cette relation impartiale, il est bon de placer le type même de la version tendancieuse et malveillante qu'offre un écrit de Pierre Boitel. L'auteur, visiblement influencé, narre les faits sous le jour le plus défavorable à Poutrincourt, avec une emphase et un grossissement — accompagnés d'un appel pompeux aux principaux héros de l'Iliade, — qui en disent long sur sa sincérité


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La mort de Poutrincourt frappa les imaginations. Les amis du défunt s'inquiétèrent. Quelques-uns, grâce aux parcelles de vérité qui transpirèrent, crûrent deviner que le mystère dont les témoins se plaisaient à entourer l'événement, cachait un lâche attentat. Jacques de Biencourt, fils de Poutrincourt, échappé aux égorgements, propagea cette version.

Plusieurs récits imprimés circulèrent. Ces publications, mieux que la Lettre à l'habitant de Troyes, répandirent la nouvelle à Paris où elle produisit grand bruit. Le Mercure François l'enregistra et la colporta dans les provinces (1).

Amis et adversaires tentèrent donc d'accréditer, chacun de son côté, les versions les plus contradictoires. Mais la plupart des auteurs contemporains rendirent un juste hommage à la mémoire de ce valeureux et intrépide gentilhomme en louant sa

(I) La mort de Poutrincourt fut mentionnée par l'avocat Waignart dans ses Manuscrits, conservés à la bibliothèque d'Abbeville. Cet annaliste, né en 1571, mort en octobre 1631, qui eut le mérite de composer quatre gros volumes in-folio où il a consigné Les Choses remarquables qui sont arrivées en tous les royaumes de l'Europe, et où, il a dessiné de sa main les armoiries des personnages qui paraissaient dans ses oeuvres, s'est borné à reproduire à peu près textuellement la relation du Mercure François. Prudemment, l'avocat d'Abbeville s'est abstenu de mentionner regorgement de sang froid des soldats aux chausses mouillées. Le Mercure avait flétri cet acte de sauvagerie en des termes modérés : « Il se trouva peu d'actions militaires semblables à celle-là... s>

Voir M8 de Waignart, tome III, f° 1067, col. 2.


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fin héroïque, en le considérant comme ayant donné sa vie pour le service de l'État. Jean de Laët, suivant l'expression figurée de l'époque, le dit «mort au lict d'honneur». D'autres affirment simplement qu'il «termina glorieusement une vie qu'il n'avoit cessé de rendre utile à son Prince et à sa Patrie ».

L'étrangeté même des détails demeurés mystérieux ouvrit un vaste champ à l'imagination surexcitée. Des rumeurs singulières se firent jour. Quand vibre la corde séduisante du fabuleux, sait-on jamais jusqu'où peut aller la crédulité de la foule ?

Les récits les plus invraisemblables furent ceux qui trouvèrent meilleure créance. La mort de Poutrincourt se trouva ainsi entourée d'un halo de légende. L'assassinat d'Henri IV, quelques années auparavant, avait déterminé une poussée intense de merveilleux. Il s'était trouvé des astrologues qui l'avaient prédit en France, en Espagne et en Allemagne. A l'heure fatale où le couteau de Ravaillac s'enfonçait dans la poitrine du Roi, une jeune fille en extase avait suivi toutes les péripéties du meurtre et avait vu mourir la victime comme si elle avait assisté à la scène ; au même moment, le taureau des armoiries de Béarn s'était précipité du haut des remparts dans les fossés du château de Pau !..

Les événements les plus surprenants, la mort des hommes prédestinés étaient prévus par révélation


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ou par quelque phénomène avant-coureur (1). On découvrit donc après coup, des augures qui avaient annoncé à l'avance le trépas du colonisateur à l'occasion de « ces horribles mouvemens ». On affirma qu'un prodige était apparu dans la région parisienne, au village de Pantin, quelques jours auparavant, pour « préméditer l'événement » (2).

La dépouille mortelle de Poutrincourt fut transportée à Sâint-Just où elle reçut les honneurs funèbres et la sépulture (3).

En mémoire de l'explorateur, ses enfants firent élever à l'endroit même du meurtre un monument expiatoire qu'on appela la Croix de Poutrincourt.

Cette croix subsistait encore à la fin du xvinc siècle (4). Elle a disparu depuis (5).

(1) Des Visions et Prodiges nocturnes qui ont souvent prédit et assigné le jour de la mort des hommes, dans le t. Ier, partie II, du Recueil de dissertations .anciennes et nouvelles sur les apparitions, les visions et les songes, par l'abbé Lenglet-Dufresnoy, p. 40.

(2) Pierre BOITEL DE GAUBERTIN, Histoire mémorable.

(3) LESCARBOT, éd. de 1617, donne son épitaphe.

(4) LA CHENAYE-DESBOIS.

(5) Lettre de M. Marchand, maire de la ville de Méry, du 4 juillet 1925 : « Son emplacement n'est pas connu et aucun souvenir n'en est gardé ».


PL ix. — LA PAGE DES MANUSCRITS DE WAIGNART RELATANT LA MORT DE JEAN DE POUTRINCOURT. Bibliothèque d'Abbeville.



CHARLES DE BIENGOURT

Vice-Amiral EN LA NOUVELLE FRANCE

1618-1623 I

BlENGOURT ET LES ROCHELAIS

Accablé par la nouvelle foudroyante de la mort de son père, Charles de Biencourt devina dans quel immense abandon moral il allait désormais se débattre. Un avenir de douleur et d'anxiété lui apparut. Il n'eut cependant point la tentation de regagner la France où il aurait retrouvé sa mère, son frère Jacques (1), et ses soeurs. Pour lui,

(1) Jacques de Biencourt, IIIe du nom, épousa par contrat du 1er octobre 1622, Françoise de Mornay d'Ambleville, fille de Jean de Mornay, chevalier, seigneur d'Ambleville, de Guérard en Brie, de Reuilly et de Jeufosse, et de Guillemette Luce. CARRÉS D'HOZIER, 92, f° 203. Mariage devant Me Louis Le Harenger, notaire à Magny, comté de Ghaumont. Françoise de Mornay était née avant le mariage, et fut légitimée, avec ses frères, Bertin et Léonidas, le 23 avril 1621. Jean de Mornay était le cinquième fils de Nicolas, seigneur de Villarceaux, bailli et gouverneur du duché de Berry, chevalier de l'Ordre, gentilhomme de la Chambre, et d'Anne Luillier, dame de Guérard-enBrie, fille d'honneur de la Reine Catherine. La famille de Mornay, originaire de Berry, s'était établie au XVe siècle dans le Vexin français, où les terres d'Ambleville, de Villarceaux, de Labbéville et de Montchevreuil lui étaient venues par alliances. Elle avait produit au XIIe et au xme siècles, des hommes illustres dont les vies furent publiées par René de Mornay de la Villetertre, prieur de Saint-Germain-en-Laye.

30


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les séductions du vieux monde avaient perdu leur charme. Les appels de la famille s'étaient éteints ou devenaient rares et lointains (1).

Voir Mémoires de Saint-Simon, t. Ier, p. 106. Le P. ANSELME, Histoire généalogique, t. VI, p. 294.

Françoise de Mornay mourut en 1624 et il fut dressé inventaire après son décès le 25 novembre, par Mes Matliurin Perrier et Jean Cothereau, notaires au Châtelet de Paris, en présence de Claude Pajot et noble homme Me Jean de Cramoisi, avocat au Parlement, subrogé tuteur du mineur Charles de Biencourt. La vente des meubles eut heu le mercredi 8 janvier 1625 par le ministère de Jacques Le Bel, huissier et sergent à verge au Châtelet, en vertu d'une ordonnance du lieutenant-civil du 9 décembre 1624, à la requête de Jacques de Biencourt, chevalier, baron, de Saint-Just, tant en son nom que comme ayant la garde noble du mineur avec Claude Pajot, sa mère. Nouveau d'Hozier, Biencourt, f° 22.

Jacques épousa en secondes noces, par contrat du 20 janvier 1630, Jacqueline Guillaume de Marsangis (d'après le Cabinet des Titres), ou de Margangis (La Chenaye-Desbois), fille de RobertGuillaume-Robert, chevalier et de Jacqueline Lunel.

Du premier ht, il eut : Charles, chevalier, seigneur de Foissy, qui épousa, par contrat du 29 novembre 1647 Edmée de Trémelet fille de Jean-Edmée de Trémelet, seigneur de Gumery et de Marie de Raoul.

Du second ht : 1° Gabriel, dit de Salazar, chevalier, seigneur de la Motte et de Foissy, etc., né le 18 décembre 1631, baptisé en l'église Saint-HiJaire de Sens, capitaine au régiment de Longueville, qui fut assassiné dans une dispute de chasse par Hubert et Jean-Baptiste de Potangis. Il avait épousé Marie de Trémelet, soeur d'Edmée. 2° Jacques, chevalier, seigneur de Chigny, baptisé en l'église Saint-Hilaire le 12 avril 1634, marié deux fois et mort sans enfant ; 3° Marguerite, mariée à Laurent Nugault, chevalier, seigneur de Saint-Aubin ; 4° Jeanne, baptisée le 24 février 1638, et 5° Claudine, baptisée le 7 avril 1640, mortes sans alliance.

Jacques s'était retiré dans le bailliage de Fens, dès 1635. Nouveau d'Hozier, Biencour', f° 22.

(1) De son mariage avec Claude Pajot, Jean de Poutrincourt avait eu au moins six filles :

1° Jeanne, alias Louise de Biencourt, mariée à Charles Vion, chevalier, seigneur de la Fie, mort le 29 septembre 1640, âgé de


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L'isolement dans lequel il avait vécu dès son enfance, le rapide séjour qu'il avait fait à la cour, lui avaient fait mesurer toute la distance qui le séparait des coutumes européennes, des mensonges et des platitudes de la vie civilisée.

soixante-neuf ans, laissant un fils, Charles, seigneur de la Fie. Le mari de Jeanne était fils de Jacques de Vion, chevalier, seigneur de Gaillon, Huanville, Bécheville et de la Fie, et de Marie de Foret ; il était d'une famille dévouée à la maison de Lorraine, et son père avait suivi Henri, duc de Guise, à son entreprise sur Naples.

2° Marie, mariée par contrat du 27 août 1620 à Jacques du Bourg, chevalier, seigneur de Chariol, homme d'armes de la compagnie du duc d'Orléans, d'où : 1° Charles du Bourg, seigneur de Blives et de Méry-sur-Seine, cornette de cavalerie au régiment de Gêvres, marié à Jeanne d'Argilliers, et 2° Renée, mariée à Eustache Picot, baron de Sompuis.

Marie épousa en secondes noces Charles Luillier, seigneur de Saint-Mesmin.

3° Claudine, mariée à Pierre Luillier, frère de Charles.

4° et 5°, deux filles mortes à Chigy, sans alliance.

6° Une autre, morte jeune.

Les noms et les alliances sont empruntés à La ChenayeDesbois, qui fait de Jeanne et de Louise une seule et même personne.

On trouvera plus loin, en appendice, les noms par ordre de naissances.

Le registre de catholicité de Guibermesnil (Saint-Jean-deBrocourt), mentionne l'existence d'une Louise de Biencourt (marraine de Louise du Titre), le 20 septembre 1598. Cette même Louise de Biencourt fut encore marraine le 3 septembre 1600 (baptême de Louis du Viel), et le 6 Février 1610 (baptême de Louise Imbert, fille de Charles). Il s'agit, vraisemblablement, d'une fille aînée de Jean de Biencourt-Poutrincourt, ce qui porterait à sept le nombre des filles. On ne connait, pour cette époque, aucune autre dame de ce nom, hormis la fille de Jacques, devenue depuis six ans Mme de Belloy, quand eut lieu le baptême de 1610.


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Les rigueurs de l'exil avaient trempé son coeur comme le froid trempe l'acier. Il se sentait attaché aux fortes émotions des entreprises coloniales et maritimes, à la séduction de l'imprévu, de la nouveauté et des grands spectacles de la nature, à la lutte perpétuelle du colon dénué de tout contre la nature réfractaire. Il n'aurait point quitté l'habitation en ruines du Port-Royal et ses cultures ingrates pour tout l'or du Pérou. Il décida donc de poursuivre l'oeuvre paternelle.

Lors de la nomination du prince de Condé à la Vice-Royauté du Canada, différentes sociétés de commerce pour la Nouvelle-France, qui avaient leur siège principal ou des comptoirs particuliers à Rouen, à Saint-Malo, à Honfleur, à La Rochelle, se faisaient en Amérique du Nord une concurrence effrénée. Leurs vaisseaux se canonnaient sur les côtes de l'Acadie, tandis que les armateurs, en maintenant la lutte sur le terrain du droit, plus consistant, mais aussi trompeur que celui des flots, engageaient des procès ruineux devant tous les degrés de la juridiction du royaume.

Condé avait l'avantage inappréciable de posséder pour « lui seul, à l'exclusion de tous autres », le privilège de trafiquer, avec les sauvages depuis Québec et le long du fleuve Saint-Laurent, à cent vingt-cinq lieues de longitude et à trente-cinq lieues au-dessus de Tadoussac. Ce trafic était devenu une source de bénéfices énormes ; les négociants de Saint-Malo le savaient si bien qu'ils commen-


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cèrent par attaquer le privilège exclusif du prince ; mais, déboutés de leurs prétentions, ils se virent dans la nécessité de s'entendre avec les autres sociétés pour continuer leur commerce.

Samuel Georges pour les Rochelais, Lucas Legendre pour les Rouennais, Guillaume Decaen pour les Dieppois, du Pont-Gravé et Groult pour les Malouins et les Honfleurais, traitèrent avec le Vice-Rôi et en obtinrent, moyennant mille livres par chaque compagnie, une concession spéciale.

Ces traités particuliers furent suivis d'un pacte d'union entre toutes les sociétés qui avaient obtenu une concession. Les compagnies de Rouen, de SaintMalo et de La Rochelle, confondirent leurs intérêts dans la proportion d'un tiers pour chacune. Mais les Rochelais, préoccupés de maintenir à leur prospérité commerciale son essor séculaire, et se sentant par ailleurs protégés par l'amiral de Montmorency et par Charles de Riencourt, son vice-amiral, tentèrent de se créer une situation privilégiée.

A cette fin, ils s'entendirent avec du Pont-Gravé et Groult pour organiser des expéditions distinctes, qui ne devaient point entrer dans l'association générale. Ils se procurèrent, moyennant finance, des passeports spéciaux et envoyèrent des navires à leur compte, au mépris des conventions signées avec le prince et les quatre autres compagnies. Ces agissements frauduleux furent l'occasion d'une scission éclatante. Les compagnies lésées, celles de


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Rouen et de Saint-Malo, se séparèrent des Rochelais et portèrent leurs doléances au conseil privé du Roi. Ils obtinrent gain de cause. Les Rochelais se retirèrent de l'Association générale et, à partir de ce moment, s'organisèrent pour trafiquer isolément avec les habitants de la NouvelleFrance (1).

Dès avant cette rupture, les Rochelais avaient pris la précaution de s'assurer la coopération de Biencourt dont l'autorité, sur les côtes deTAcadie, pouvait appuyer puissamment leurs visées dominatrices.

De son côté, le vice-amiral n'avait pas oublié ce qu'il leur devait. L'arrivée inespérée d'un vaisseau de La Rochelle au Port-Royal, en Mars 1614 lui avait sauvé la vie. Il était d'autant plus porté à servir les intérêts des marchands de ce port qu'en leur marquant sa reconnaissance, il trouvait tout profit.

Déjà, au mois d'Avril 1614, il s'était remis au trafic, et avait profité d'une escale de du PontGravé au Port-Roj^al pour passer « un écrit » avec ce navigateur, le 13 Avril, par lequel tous deux s'étaient engagés à partager par moitié les castors qu'ils traiteraient. Mais cet accord profitable ne fut pas de longue durée. Lomeron, le second de Biencourt, s'étant arrogé le droit de visiter, le

(1) GOSSELIN, les Normands au Canada, dans le Précis analytique de l'Académie de Rouen, p, 347.


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22 Avril, le vaisseau de Gravé ancré au Port-Royal, et de dresser procès-verbal de cette visite, la brouille était survenue (1).

Ensuite, le 16 Février 1615, avait été passé un contrat entre Jean Macain et Samuel Georges, d'une part, agissant pour le compte de Biencourt, et François Sorreau, de la Tremblade, d'autre part, pour l'armement de la Prime à destination du Port-Royal. Une déclaration desdits Macain et Georges, du 18 du même mois, mentionnait que la valeur des marchandises, victuailles et autres choses chargées par eux à bord de ce vaisseau s'élevait à la somme de quatre mille quatre-vingtsix livres douze sols, d'après l'inventaire qui en avait été fait.

Le 4 Novembre de la même année, Jean Prou, Arnoult Derliaiq et consorts, de La Rochelle, bourgeois du navire la Fortune, passaient un acte en cette ville avec David Lomeron, secrétaire et mandataire de Biencourt, pour l'affrètement de ce bâtiment qui, bientôt, devait courir de singulières aventures dans les mers du Canada et devenir la terreur des armateurs malouins.

Un autre contrat intervint, le 28 du même mois, au tabellionnage de La Rochelle entre Louis

(1) Autre procès-verbal fait par Lomeron, au même lieu, le 3 janvier 1615, au sujet de « plusieurs parolles et discours tenus par ledit Gravé », mentionné dans l'Arrêt du Parlement de Rouen du 12 juillet 1633.

Archives départementales de la Seine-Inférieure.


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Hébert « lieutenant et procureur » de Charles de Biencourt, d'une part, Jean Macain et Samuel Georges, d'autre part, touchant la traite des pelleteries au Canada.

La maison Macain et Georges était demeurée l'animatrice du commerce des Rochelais en Nouvelle-France.

Devant le même tabellionnage était conclu un autre accord, le 5 Janvier 1616, entre Lomeron et Sorreau, touchant « la tradition » (c'est-à-dire la transmission) de la Fortune audit Sorreau, pour faire le voyage du Canada, avec des marchandises d'échange. Comme la rivalité des Rochelais et des Normands entraînait une effrayante animosité entre les maisons de négoce, et comme il importait pour les premiers que l'autorité de Biencourt s'affermit, Sorreau avait reçu mission d'armer son navire comme pour la course et de ne point ménager les adversaires ; il avait obtenu tous pouvoirs « mesme pour se défendre et attaquer (sic) des navires de Normandie ou autres lieux qui ne vouldroient reconnaître ledit de Biencourt vice-admiral. »

La lutte commerciale avait revêtu dès cette époque un caractère d'âpreté qui allait jusqu'aux hostilités ouvertes. Les belligérants, au milieu des actes de violence auxquels ils se livraient, ne perdaient point de vue le « côté négoce », de l'entreprise, car on voit que le 16 du même mois, une reconnaissance était souscrite par Lomeron


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au nom de Biencourt, aux sieurs Macain et Georges pour la somme de huit mille cinq cent cinquantehuit livres qu'ils avaient avancée, et qui avait été employée pour la traite des pelleteries par le navire la Fortune « à courir les risques, moyennant douze et demi pour cent ».

L'action du Vice-amiral en faveur du grand port de l'Aunis se précisa de pluTen plus.

La guerre entre les sociétés rivales continua, chacune s'autorisant de son prétendu privilège spécial, donnait la chasse aux navires des autres. La société Legendre, de Rouen, s'empara du bâtiment Rochelais le Soleil commandé par le capitaine Camus qui faisait la traite des castors. A titre de représailles les armateurs de La Rochelle lancèrent de nouveau le vaisseau le Fortune à la poursuite des Normands sous l'autorité de Lomeron et de Sorreau, mandataires de Biencourt.

Le Vice-Amiral confisqua le navire normand Y Ange-Saint-Michel, commandé par le capitaine Jean Martin, et poursuivit en France les instances nécessaires pour se le faire adjuger de bonne prise (1).

Les Rouennais et les Malouins à qui l'insécurité des mers canadiennes était si préjudiciable, se

(1) L'Ange Saint-Michel fut capturé dans des circonstances relatées en un procès-verbal dressé par Charles de Biencourt le 24 avril 1616, et transmis en France.

Arrêt du Parlement de Rouen du 12 juillet 1633. Archives départementales de la Seine-Inférieure.


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défendirent en s'appuyant sur le terrain judiciaire. Une sentence d'Amirauté, du 31 Août 1616, permit à Legendre et à ses associés de se saisir « à leurs périls et dangers » du navire la Fortune, et « autres barques et navires » que les sieurs de Biencourt et David (neveu de Samuel Georges) et François Sorreau, de la Tremblade, pourraient essayer de renvoyer à La Rochelle « ensemble leurs biens et marchandises, jusques à la somme de vingt mille livres » (1).

Les juridictions maritimes sanctionnant ces représailles, c'était la guerre ouverte, la guerre acharnée entre les compagnies de commerce rivales sur la côte de l'Acadie. Il est certain que l'action du Vice-Amiral en Nouvelle-France était devenue dès ce moment, assez productive. Les résultats qu'il obtenait avec le concours des Rochelais, commençaient à le dédommager des longs déboires qui avaient jalonné les entreprises paternelles.

Aux bénéfices de la traite s'ajoutaient ceux de la pêche. Le 16 Octobre 1616, Lomeron, le fidèle agent commercial de Biencourt, cédait à Georges et Macain tout « le poisson vert » (morue non desséchée), rapportée par la Fortune, moyennant trois mille quatre cents livres (1).

(1) Le résumé de ces débats se trouve dans un Arrêt du Parlement de Normandie, du 12 juillet 1633, conservé aux Archives départementales de la Seine-Inférieure, consulté par Gosselin pour ses Normands au Canada.

(1) Contrat mentionné dans l'arrêt du Parlement du 12 Juillet 1633.


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Charles de Biencourt nolise des navires pour son propre compte à La Rochelle, par l'entremise de son secrétaire et mandataire, David Lomeron, dont le nom est donné à l'un des forts bâtis par les Français sur la côte de l'Acadie, et se livre à un trafic fructueux (1). Ses relations avec les grandes maisons rochelaises, lui permettent de s'adonner à des opérations de commerce maritime avec succès.

Il n'est pas sans avoir certaines difficultés avec quelques armateurs ou « bourgeois », comme on disait alors, au sujet des vaisseaux que ceux-ci construisaient, équipaient de leurs agrès et apparaux et qu'ils frétaient ou louaient ensuite pour faire voyage suivant les conditions d'une charte-partie généralement dressée pardevant notaire.

Le 11 Février 1617, Georges et Macain, suivant contrat passé à La Rochelle avec David Lomeron, avaient baillé à celui-ci, pour le compte de Biencourt, la somme de trois mille deux cents livres « pour achapter marchandises propres à faire la traitte des pelleteries dans le navire le Pélican ». Une deuxième avance, celle-ci de deux mille sept centvingt livres, « pour le même navire », constaté

(1) Rameau a cru, sur le dire de Nicolas Denys (Description historique des côtes de l'Amérique), que Lomeron, agent de Biencourt à la Rochelle, était l'un de ses colons au Port-Royal. Une colonie féodale, p. 54, voir M. LATJVRIÈRE, t. Ier, p. 37. La vérité est qu'il fit le voyage comme commerçant.


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par acte du 14 Mars, fut faite par les mêmes. Enfin, une troisième mise, de six mille quatre centcinquante livres, cette fois, relatée dans un acte du 29 Mai, fut jugée nécessaire.

Cette somme de plus de douze mille trois cents livres, jetée dans le commerce du Port-Royal en moins de quatre mois, montre que les échanges de Charles avec les sauvages se faisaient alors sur un pied très considérable.

C'est sans doute à la suite d'un affrètement consécutif à cet apport de fonds que Biencourt entame un procès en 1617 contre « les bourgeois » du navire nommé le Petit Pélican, Pierre Garât, Samuel Debresne, la veuve d'un marchand nommée Marie Papor, et aussi contre Thomas et Joseph Depicassary, Joseph Rouillac (ou Rouillar), qui tentent, au cours de l'instance, de se séparer des précédents.

David Lomeron, représentant le Vice-Amiral, comparait en Mai devant l'Amirauté de La Rochelle, avec l'assistance du procureur Honoré Thomas. Au cours de la première audience, les Depicassary et Rouillac « disent qu'ils ne deubvent estre appeliez en ceste cause pour n'y avoir aucung intérest, ains seulement ledit Garât... ». Quant à Garât, qui ne comparait que par procureur, et Debresne qui se présente en personne, ils essaient d'une échappatoire et prétendent « que lad. instance ne peut, ne deub estre intantée soubs le nom du sieur de Biencourt, pour ce qu'ils n'ont


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point fect affaire n'y traicté aucune chose avecq luy, ains seullement avecq led. Lomeron, lequel seul doibt demeurer partie ».

A quoi Lomeron répond « que tout ce qu'il a fect avecq lesd. défendeurs a esté des ordres et comme ayant charge dud. sieur de Biancourt, selon mesme qu'il paraît par la charte-partie. et autres actes conservés au registre du notaire... » etc.

Debresne demeure d'accord qu'il a traité avec Lomeron comme faisant ordinairement les affaires du sieur de Biencourt, et bientôt les parties ne sont plus guère divisées que sur le point de savoir si « le navire dont est question estoit bon, bien estanche et capable de faire voiage adprès, lorsqu'il partit de ladite ville... »

Le demandeur persistant dans ses conclusions, le juge, « sans préjudice des droits des partyes... ordonne que le navire sera visité par maîtres charpentiers et autres hommes... ». A cette fin, il désigne Abraham du Laq, maître de navire, Joseph Foret, maître charpentier, pour le demandeur, Jean Bouhier, autre maître de navire, et Moïse Bonamy, autre charpentier, pour les défendeurs, afin de faire rapport de jugement (1).

(1) Archives départementales de la Charente-Inférieure, B 177, registre de 179 feuillets, f° 71 v°.

Cette sentence non datée, se trouve entre celles du 6 mai et du mardi 9 mai 1617 : « Du lundy douziesme de Juing mil six cents dix-sept, pardev 4 de Mirande, juge ordinaire de l'admiraulté. — De Charles de biencourt, escuier, sr baron de S. Just, Vice adm" 1 en la Nouvelle France, comparant, et Jehan Macaing,


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Les ordonnances et déclarations sur la marine rendent bientôt moins fréquentes les difficultés de cet ordre ; elles prescrivent qu'aucun navire

l'un des pairs de cette ville, subsist. par David Lomeron, secrétaire dud. sieur, et led. Macaing en sa personne, comparant par he Thomas, contre Pierre Garât... etc. » Remise à une date ultérieure. Même registre, f° 82 v°.

Le magistrat siégeant dans cette affaire était Jean de Mirande, écuyer, sieur de Pragnies, conseiller du Roi, lieutenant et juge ordinaire de l'amirauté de Guyenne au siège de La Rochelle, Poitou, Saintonge, îles et côtes adjacentes.

Autre audience non datée, même registre, f° 85 v°, où les défendeurs sont qualifiés « bourgeois du navire le Petit Pélican » au sujet des réparations urgentes à faire à ce bâtiment.

Du lundi 14 août 1617, pardevant Me Pierre Guillaudeau, avocat, « De Charles de Biancourt, etc.. demandeur en requête appointée le neufviesme du présent mois, comparant par Thomas... », etc. contre les sus-nommés. Marie Papor agit tant pour elle que pour Gabriel Dubut. Les défendeurs font valoir leurs moyens. Même registre, f° 124 v°.

Du 17 août, pardevant le même Guillaudeau, pour l'absence du juge ordinaire, cinquième audience. Il sera donné défaut contre Marie Papor qui a reçu une seconde assignation à elle baillée par Goullard, si elle ne se présente sous trois jours, « lesquels passez sera faict droit... ». P° 126.

Nous n'avons pu trouver la sentence définitive, ni en ce registre, ni dans le B 178. Les suivants font défaut.

Ces sentences sont d'une lecture extrêmement difficile. Il ne serait pas fait mention ici de ce détail, s'il ne justifiait quelques erreurs de noms dans l'Inventaire sommaire. On y ht, page 125, Charles de Beaucourt pour Biencourt, et David Coueron, pour Lomeron. Ce dernier nom est d'ailleurs rétabli sous sa forme exacte, p. 148 : « Samuel Georges et David Lomeron, marchands, contre Jean Pétreson, bourgeois du navire le Saint-Jean-deLuz ».

Nous avons pu avoir communication de ces documents fort importants, car ils fixent la situation exacte de Biencourt à cette période obscure de son existence, grâce à la complaisance de M. Estienne, archiviste de la Somme, et de M. A. de Vaux, son collègue de la Charente-Inférieure. Nous leur adressons ici l'expression de notre vive gratitude.


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marchand ne pourra prendre charge avant qu'il n'ait été constaté par procès-verbal dressé par officier-marinier, constructeur et charpentier du port de départ, que ledit navire, est en bon état de navigation, suffisamment armé, et muni des pièces de rechange nécessaires, eu égard à la longueur du voyage, chose que l'Amirauté ne pouvait ordonner qu'après l'ouverture d'une instance.

Pendant que Biencourt soutenait ces procès devant l'Amirauté de La Rochelle, celle de Rouen s'occupait des différends entre armateurs rochelais et normands. Un décret de prise de corps était décerné à ce siège contre Lomeron et Sorreau le 16 Août 1617, et un autre contre Pierre Georges et Davestrais.

Une sentence rendue par le siège de Rouen le 28 Avril 1618 (confirmée le 19 Mars 1619), condamna solidairement Georges et Macain à « rendre et restituer aux marchands de Rouen et de SaintMallo six cents quarante-deux peaux de castors », et ce « sans préjudice des autres marchandises que lesdits marchants prétendoient ».

Une autre sentence du 20 Juillet 1619 « portait estimation des castors mentionnés en ladite sentence du 28 Avril 1618 », et le 3 Décembre de la même année, une transaction intervenait à SaintMalo entre nos deux Rochelais et les marchands et armateurs de ce port.


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Le siège d'Amirauté de la Rochelle de son côté, décerna le 10 Août 1619, un décret de prise de corps contre Gravé et son équipage (1).

II

CRI DE DÉTRESSE

Les entreprises de l'Angleterre en Amérique n'échappaient pas à l'oeil sagace du jeune ViceAmiral. Les efforts faits de toutes parts pour les entraver étaient vains. Les galions de La Rochelle étaient bien parvenus à désarmer, aux Açores, la flottille de l'amiral John Smith, considéré comme l'auteur de la ruine de notre colonie en Acadie ; les Malouins et les Basques avaient bien protesté et lutté contre les empiétements des Anglais à Terre-Neuve, mais « rien ne pouvait enrayer l'essor de la puissance britannique au Nouveau Monde (2) ».

Biencourt, du haut du fort Lomeron ou du cap de Sable, voyait passer les convois d'immigrants de . nos rivaux dont quelques-uns s'arrêtaient sur les côtes méridionales de l'Acadie pour se réapprovisionner d'eau douce et rongeait son frein dans l'impuissance.

(1) Jugement et actes énoncés en un arrêt du Parlement de Rouen du 12 juillet 1633, — Archives de la Seine-Inférieure.

(2) M. GH. DE LA RONCIÈRE, t. IV, p. 331.


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« Du Port-Royal retentit alors un cri de détresse... *> (1). C'est aussi un cri d'alarme et d'angoisse patriotique. Biencourt, avec une claire vision du lendemain redoutable et sombre qui se prépare, prévoit l'encerclement de nos colonies. Il n'a guère d'appui à la cour, sauf son cousin Charles, l'écuyer du Roi, mais il a des accointances à l'hôtel de ville de Paris, grâce aux de Loynes et aux La Mothe de Mont-Bernard, ses alliés par les Pajot, ce qui lui donne quelque espoir d'y être écouté :

« Messieurs,

« Comme ainsi soit que la société des hommes s'entretienne par un mutuel secours, j'ay pensé vous rendre un agréable service si je vous donnois advis de chose qui importe grandement au bien de vostre ville, laquelle il est notoire être une bonne partie de l'an sustentée de l'abondance de ce pays. Feu mon père, Monsieur de Poutrincourt, et moy avons, depuis quatorze ans en ça, fait nos efforts d'être utiles à la France en ce regard et planter icy le nom François et par mesme voye le nom de Dieu. Jà tous ces peuples se disposoient à recevoir le saint baptesme quand la mort funeste de mon dict feu sieur et père arriva, ayant esté lâchement tué pour le service du Roy au siège de Meri-sur-Seine il y a trois ans — ce qui a reculé l'oeuvre en commencé. Mais si cela doit être regrettable, nous avons

(1) Ibid., p. 333.

3i


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aussi à regretter que le nom françois peu à peu s'évanouira ici si l'on n'y rende ordre de bonne heure, et vous seront les molues (la grande manne de vostre ville et de l'Europe que ce pays vous donne gratuitement), tributaires au gré de l'Anglois qui nous traite hostilement par de ça, en a même chassé les Jésuites et iceux menés captifs avec leur équipage, brûlé nos habitations, et cet été a encore pris un navire de Dieppe. Cependant il peupe puissamment la Virginie et la Vermude ou il envoyé des colonies tous les ans et naguères est icy passé une flotte de cinq cents hommes avec nombre de femmes de la dite nation, laquelle s'est pourvue d'eau douce et de bois en mon voisinage. Il y a un conseil particulier pour la Virginie en Angleterre et des écoles à Londres pour faire instruire les naturels dudit pays et ja promettent bien icy aux Anglois que quand ils auront ce qui est au delà ils auront aisément le deçà. Ce n'est chose messieurs, qu'il vous faille mépriser. Vous êtes les pères du peuple, c'est à vous à pourvoir à ce qu'on ne lui arrache le pain de la main. Il faut donc prévenir le dessein de l'Anglois, puisque nous le voyons de loin. Et pourvoir à ce que ce pays soit plus tôt habité de François et garni de deux ou trois forts, le long de cette cote pour leur assurance et conserver la liberté de la pêcherie de de ça qui vaut tous les ans un million d'or à la France. Une petite dépense fournira à cela, Messieurs. Il faudroit un ou deux navires allansetvenans qui conduiroient


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gratuitement ceux qui voudraient venir icy et quelque petits fonds pour nourir quelque temps les plus pauvres. Comme il faut faire la première dépense, moyennant quoy on pourroit retirer icy vos mendians valides et soulager beaucoup de familles grevées de trop grand nombre d'enfans, voire mettre à l'aise plusieurs qui gémissent en secret et n'osent faire paroitre leur nécessité. Que si les peuples barbares vivent au milieu des terres pourquoi ne vivront point ceux à qui Dieu a donné l'invention de tant de métiers et qui ont la France voisine pour leur fournir les choses nécessaires ausditz mettiers et à la vie..

« La terre est ici bonne au labourage, Messieurs, la chasse y est abondante et le poisson à foison. Et ne voudroy point avoir fait échange du Pérou à cette terre si une fois elle etoit sérieusement habitée. Faites donc, Messieurs, quelque petite dépense et ayez la gloire d'avoir icy planté le nom de Dieu et premiers établi ce pays ici et vous servez de nous tandis que vous le pouvez faire. Nous avons découvert toutes ces cotes au péril de nos vies. Elles nous sont toutes cogneûes. Et avons l'intelligence et l'usage du langage de deçà. Souffrirezvous que pour peu de choses le nom François soit ainsi honni par toute la terre. Vous qui avez la navire pour marque des trophées navales de vos ancestres, laisserez-vous perdre cette gloire et n'ayderez-vous point aux navigations de la Nouvelle-France qui vous rendra un jour abondamment


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l'usure de vostre despense. Car outre la grande manne de ses poissons, ses bois et prés se rempliront bientost de bestiaux qui vous fourniront abondance de cuirs, graisses et chairs et lactages, d'où votre peuple aura le soulagement comme aussi les bois de deçà vous fourniront des navires, de cendres et secours de bastimens que vous faites venir de Suéde, Danemark ou Moscovie avec une navigation plus longue et périlleuse que celle cy.

« J'aurais beaucoup de choses à vous dire ci-dessus, Messieurs, lesquelles je laisse pour ne vous être ennuyeux et vous dire que si ce pays a été méprisé jusques icy, ça esté par ignorance et par la malice des marchands. On dit : « Il y a longtemps qu'on parle de Canada et on n'en voit aucun fruit. » Je respons qu'il y a longtemps que nous ne sommes point assistés et est aisé de parler entre oisifs ou assis dans une chaire. Seulement je vous représente l'Anglois, vous laissant à considérer ses desseins, et sur ce je prie Dieu,

Messieurs,

« Vous donner accroissement de toute prospérité, « Votre très humble serviteur,

« POUTRINCOURT.


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« De Port-Royal en la Nouvelle-France, le 1er Septembre 1618.

«A Messieurs,

« Messieurs les Prévost des marchands et Eschevins de la ville de Paris. » (1).

Le premier échevin de Paris est alors Jacques de Loynes.

Le conseil échevinal de la grande ville ne reste point sourd à cette invite, mais la réponse est longue à venir et l'impatience du Vice-Amiral en la Nouvelle-France est à une dure épreuve.

Le contrôleur général du commerce, François du Noyer de Saint-Martin, s'occupe alors de fondre les petites compagnies maritimes et de négoce dans la Royale Compagnie de la navigation et commerce pour les voyages de long cours es Indes, pesche de corail en Barbarie, establissement de collonnie es Nouvelles-Frances.

Des circulaires royales adressées dans toutes les villes les invitent à s'intéresser à cette grande entreprise. La Royale Compagnie doit employer les deux tiers de ses vaisseaux à la garde des lignes commerciales, du Spitzberg, de la NouvelleFrance.

(1) B. N. Relation du Brésil, Collection Dupuy, 475.

Gabriel Marcel a reproduit cette lettre avec le Factura et il a fait remarquer qu'elle avait paru auparavant <1 ans la Collection de documents relatifs à l'Histoire de la Nouvelle France, publiée, par le gouvernement, canadien. Introduction, page 8^


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Le 25 Octobre 1622, Messieurs de l'hôtel de ville de Paris écrivent aux villes maritimes du royaume:

« Nous avons considéré que ce que nous pourrions faire de nostre part, encores que soyons résolus de faire un effort pour un si louable et généreux dessein, seroit trop peu de chose pour une si grande entreprise. C'est pourquoy nous avons différé iusques à présent de rien avancer, et avons iugé à propos de vous faire sçavoir auparavant quelle est nostre intention afin que pareillement nous puissions estre faits certains de la vostre, et que tous unanimement portez d'un mesme zèle et affection, à la gloire de Dieu et de son Église, au service du Roy et au bien général et particulier de tous les peuples, nous fassions valoir lesdits arrests et commissions, pour faire un grand amas tant de deniers comptans, vaisseaux, munitions de guerre et bouche, marchandises de toutes sortes, et autres choses qui pourront estre nécessaires tant pour les voyages de long-cours que pour les collonnies, afin d'employer les gens inutiles, faire vivre les pauvres, participer aux fruicts et aux mérites de la conversion des sauvages... Bref augmenter les droicts du Rojr par l'apport et transport de toutes sortes de marchandises, et enrichir nos concitoyens et les vostres : A quoy nous ne manquerons de notre part de contribuer de tout nostre pouvoir... » (1).

(1) B. N. Manuscrits français, 17.329, f°216.


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Les bénéfices futurs de la Royale Compagnie doivent contribuer à embellir Paris et ses alentours, à créer un canal de cette ville à Rouen, etc. Tel est le programme développé par le contrôleur général du Noyer devant les États de Nantes, à la fin de 1622 et au commencement de 1623.

Alors siège à l'Hôtel de ville comme premier échevin, Prosper de la Mothe de Mont-Bernard, conseiller au Châtelet, cousin de Jean de la Mothe, beau-frère de Jean de Poutrincourt (1).

Charles dé Biencourt, dans son lointain exil, garde encore des relations avec un autre ami dans la capitale. Il correspond avec Marc Lescarbot, et l'entretient de ses travaux au Port-Royal ainsi qu'en témoignent les dernières éditions de l'Histoire de la Nouvelle-France. Toutefois, l'avocat picard n'intervient plus dans les affaires de l'Acadie depuis la dernière réimpression de son livre, en 1619.

Ses ouvrages ne donnent maintenant qu'un pâle reflet de la vie coloniale au Port-Royal. Ces entreprises de « coureurs des bois » sont « bien loin de Poutrincourt, de Lescarbot et leurs compagnons », comme le constate Rameau (2). L'histoire de la naissance du peuple Canadien garde toujours ce caractère d'héroïsme aventureux qui charmait l'abbé Ferland (3), mais elle perd déjà quelque chose

(1) Ce Prosper mourut en 1628, laissant un fils, Baltha?ar, reçu chevalier de Malte le 25 décembre 1659.

(2) Une colonie féodale, p. 61.

(3) Histoire du Canada, par l'abbé J.-B. FERLAND^


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de la « simplicité antique » que lui communiquait la lente implantation de la religion par des moyens de douceur et par l'exemple des moeurs patriarcales.

Les dangers qu'avait courus Lescarbot, le souvenir de la vision dantesque du Raz Blanchard un soir de tempête dans le périlleux embouquement des îles de la Manche lors du retour de 1607, lui avaient fait renoncer à toute entreprise maritime, mais il avait conservé le même amour des déplacements.

Il avait visité, depuis, une contrée où les voyageurs courent aussi de grands hasards, mais où le risque des traversées océaniques est lointain. Il avait parcouru la Suisse en compagnie de Pierre de Castille, fils du célèbre ambassadeur de Louis XIII, et, séduit par les magnificences de la nature alpestre, il avait raconté ses émotions avec verve et enthousiasme.

Marc Lescarbot avait épousé à Paris, en 1619, âgé de près de cinquante ans, Françoise de Valpergue (1). Cette dame appartenait à une famille originaire du Piémont, dont une branche s'était fixée depuis longtemps en Soissonnais et en Amiénois. Elle était fille de Charles de Valpergue, qui s'était distingué au siège d'Amiens par Henri

(1) Affidation du jeudi 1er août, et mariage du 3 septembre. Jal, dans son Dictionnaire, et Arthur Demarsy, dans sa notice, ont donné un extrait de l'acte de mariage.


PL x. — L'ACADÉMIE DE CHEVAL DE M. DE PLUVINEL.

Le Roi Louis XIII apprenant à voiler en courbette.

Gravure en taille douce de Crispin de Passe extraite du Manège royal, par Pluvinel,

publiée dans l'Album E. Lavisse et Parmentier, Armand Colin éd.



■ PI. xi. — CHARLES DE BIEKCOURT, ÉCUYER DU ROI.

Fragment d'une gravure en taille-douce de Crispin de Passe, extraite de Y Instruction au Roy, par M. de Pluvinel.



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IV (1), et petite fille de Georges, chevalier de l'Ordre, qui avait assisté aux siège et bataille de Saint-Quentin (2). Son oncle, Philippe de Valpergue (ou Vaupergue), demeurait ordinairement au château de Toutencourt, de sorte que Lescarbot conservait ainsi, par sa femme, des attaches de famille en Picardie (3).

(1) Il avait servi aussi dans le Soissonnais sous les ordres du duc de Nevers, en 1590. Lettres missives de Henri IV. Lettre du camp devant Saint-Quent'n, du 10 décembre. T. III, p. 310.

(2) Lettre au Roy, en tHe de La Victoire du Roy contre les Anglois au siège de la Rochelle, par Marc Lescarbot, escuier, sieur de Wiencourt et Sainct-Audebert, advocat au Parlement, Paris, 1629.

(31 D'après l'Histoire des Chevaliers de Malte de l'abbé de Vertot, Valpergue portait : fascé d'argent et de gueules à une tige de trois branches de chanvre d'argent brochant sur le tout. Georges de Valpergue, seigneur dudit lieu, chevalier de l'Ordre et gentilhomme de la Chambre, capitaine et gouverneur du Castelet, prévôté de Saint-Quentin, grand-père de la femme de Lescarbot, aurait eu trois fils : 1° Philippe (appelé aussi Jean), écuyer, seigneur de Fay, Gournay et Bazencourt, gentilhomme servant ordinaire du Roi, guidon de la compagnie du comte de Chaulnes, capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances dudit seigneur, fixé en Picardie, allié par contrat du 19 février 1571, reçu par Me Fouache, notaire, à Adrienne d'Ailly, dame de Villebon et de Varennes, fille de Louis, seigneur de Varennes, veuve en premières noces sans enfant de Colard d'Estouteville, seigneur du Mesnil-Simon, de Montdoucet et de Villebon ; 2° Charles, et 3° François.

Les documents que nous avons consultés au Cabinet des Titres, donnent à Charles de Valpergue un fils, François, mort sans postérité, et deux filles : Jeanne et Françoise, cette dernière femme de Marc Lescarbot.

Pièces originales, 2924 ; Dossiers bleus, 656, Cabinet d'Hozier, 327, Carrés d'Hozier, 620 ; Chérin, 203 : Nouveau d'Hozier, Valpergue, fos 5 et 24 ; Archives départementales de la Somme, B 65, f° IIe X. LA CHENAYE-DESBOIS, aux mots Ailly et Estouteville.


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Bien qu'il n'eût gardé que mémoire assez pénible de ses démêlés avec l'Océan, ou peut-être à cause même de l'espèce d'inquiétude que lui causait la simple vue d'un navire, Marc Lescarbot, loin de tout danger, avait senti naître en lui l'orgueilleuse ambition de se parer du titre d'officier de marine !... Grâce au crédit de Charles de Biencourt auprès de l'Amiral de Montmorency, il avait pu réaliser ce désir. Il avait acheté une charge de tout repos, celle de commissaire pour la marine, qui lui procurait une vague apparence d'homme de mer et qui lui donnait mission de surveillance sur les ateliers de construction et les ouvriers des ports et magasins, d'examen des livres de recette et de dépense, et d'inventaire des prises (1).

Sa recherche de la quiétude d'esprit qui facilite l'inspiration poétique, l'éloignait des ports de mer et des grandes villes. En 1629, lors de la publication de La Chasse aux Anglais, Lescarbot habitait Presle-la-Commune, en Soissonnais. C'est de là qu'est datée sa dédicace au Roi.

A l'Académie de cheval à la mode italienne de M. de Pluvinel, et en son hôtel de la rue Froidmantel dont le salon avait une jolie vue sur le petit jardin du Louvre, on s'entretenait volontiers

(1) Jal a mentionné un état de paiement des pensions et appointements des officiers de marine, du 23 décembre 1619, signé : Louis, et plus bas : MONTMORENCY, établissant que les gages de Lescarbot s'élevaient à deux cents livres.


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des affaires de la Nouvelle-France. Charles de Biencourt possédait dans ce milieu, un sien cousin, M. de Poutrincourt-Chauvincourt, écuyer de l'Académie royale, qui l'avait représenté au mariage de son frère Jacques, en compagnie de Jean Le Maître, seigneur de Hardivillier (1). M. de PoutrincourtChauvincourt avait eu l'heur d'être distingué par Louis XIII encore enfant, — au moment où le jeune Roi commençait à s'intéresser aux chiens, aux chevaux, aux faucons et à un sauvage appelé « le petit Canada » — M. de PoutrincourtChauvincourt avait été le maître d'équitation du monarque et de son frère, Gaston d'Orléans. "

Parmi les amis de M. de Pluvinel et de M. de Poutrincourt, on comptait entre les plus assidus, M. René de Menou d'Aulnay de Charnisay, gentilhomme tourangeau, homme de cheval consommé, écuyer du Roi, qui avait été gouverneur du duc de Mayenne, et son jeune fils, Charles de Menou d'Aulnay, le futur colonisateur de l'Acadie.

Un essaim de dames de bel esprit encadrait Gabrielle de Pluvinel, fille du sous-gouverneur de Louis XIII, et tourbillonnait dans les élégants appartements de la noble demeure, entre autres Madeleine de Souvré, accompagnée du maréchal, son père, gouverneur du jeune Roi ; Anne de Boulogne, fille d'un capitaine au régiment de Cham(1)

Cham(1) d'Hozier 92, f<> 203.


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pagne, gouverneur de Nogent-le-Roi. La première épousa en 1614 le fils du maréchal de Bois-Dauphin, le marquis de Sablé ; l'autre, en 1621, François Le Charron, seigneur de Saint-Ange, premier maître d'hôtel de la Reine Anne, fils d'un trésorier général de l'extraordinaire des guerres. Toutes deux devaient se retirer plus tard, sous l'influence de l'abbé de Saint-Cyran, à PortRoj^al, et la seconde devait y faire profession en 1654.

L'élément masculin de cette société aristocratique se retrouvait à chaque séance de l'Académie où sa Majesté montait à cheval. M. de Poutrincourt-Chauvincourt tenait la cravache où le caveçon.

C'est à tort si quelques historiens du Canada ont dit que le Vice-Amiral en Nouvelle France avait regagné la métropole en 1621 et tenu une Acadé-. mie à Paris. Ils ont confondu Charles de Biencourt, baron de Saint-Just, avec Charles de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, de Saint-Maulvis et de Chauvincourt, fils de Jacques et de Renée de Famechon.

Ce dernier avait d'abord été homme d'armes de la compagnie des Chevaux légers du Roi (1610) (1). Il s'était marié à Marguerite d'Ardres, baronne de Crésecques, le 14 Août 1612, et il était écuyer de

(1) Archives départementales de la Somme, B 77, f° LXXII.


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la Grande Ecurie du Roi bien avant 1621 (1). Il avait obtenu un brevet de Sa Majesté dans ces fonctions le 22 Avril 1619.

M. de Poùtrincourt-Chauvincourt accompagna Louis XIII dans le voyage de Normandie, Poitou et Guyenne de 1620. Il apprit en cours de route que M. de Pluvinel resté à Paris, était à toute extrémité et se fit octroyer par le Roi un brevet daté à Poitiers du 1er septembre, contresigné Bordier, portant, entre autres dispositions, qu'advenant le décès de M. de Pluvinel, il serait pourvu de sa succession à l'Académie Royale. Au moment où Sa Majesté apposait sa signature sur ce parchemin, le Directeur de l'Académie était déjà mort. M. de Poùtrincourt-Chauvincourt succéda à M. de Pluvinel avec un don annuel de six mille livres tournois (2).

Son portrait a été gravé dans les différentes

(1) Il portait déjà le titre d' « écuyer ordinaire de la Grande Ecurie » quand il comparut, avec Théséus de Belloy, son beaufrère, au contrat de mariage de son cousin, Charles de Tronville, seigneur de Briquemesnil, avec Gabrielle de Coeuret, dressé par Martin Livault et François Bergeron, notaires à Paris, le 30 janvier 1617.

Archives départementales de la Somme, B 79, f° 17 v°.

(2) Un maître d'équitation picard à Paris sous Louis XIII, conférence faite par Adrien Huguet à la séance des Rosati Picards du 19 mai 1928. Journal d'Amiens, des 6 et 7 juin 1928.


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attributions de sa charge par un maître de la taille douce, le célèbre Ciïspin de Passe (1).

Ce Charles de Biencourt (2) resta toute sa vie étranger à la Nouvelle-France ; il épousa en secondes noces Gabrielle de Pluvinel, filleule du roi,

(1) Crispin de Passe, dit le Jeune, d'une famille de graveurs hollandais (1540-1629), auteur des gravures de Y Instruction au Roy en l'exercice de monter à cheval, par Antoine de Pluvinel, Paris, Rocolet, 1627. Voir figures 6, 7, 10, 12, 14, 19, 33, 39, etc.

L'une de ces planches montre M. de Poutrincourt portant la lance du Roi au grand tournoi de bague de la Place Royale du 17 mai 1620.

h'Instruction au Roy eut plusieurs éditions. Celle ci-dessus mentionnée fut faite par les soins des disciples et amis du maître d'équitation décédé, et elle porte une Adresse au Roy, de René de Menou de Charnisay, dans laquelle il réprouve une précédente édition qui ne répondait pas exactement au texte de Pluvinel. « Voyant le livre qui se publie, si esloigné du sens et de la suffisance de celui duquel je chéris la mémoire, j'ay estimé devoir plustot manquer à la prière qu'il m'avoit faicte, que de souffrir davantage Yostre Majesté estre abusée ».

(2) La source de la confusion signalée ci-dessus provient d'une note de l'édition Alcan de l'Histoire du Canada par F.-X. Garneau. Voir appendice LXIX (Liv. I, chap. I, n° 78), t. Ier, p. 529 : <■ Biencourt, âgé de 22 ans, remplaça son père à PortRoyal, et maintint sa seigneurie jusqu'en 1621. Il avait pour lieutenant Charles de La Tour, qui le remplaça : il a dû quitter l'Acadie vers cette époque, car en décembre 1621, il était Directeur de l'Académie Royale de Paris. Il mourut, dit-on, vers 1638. »

Cette erreur a été souvent rééditée.

Sur Charles de Biencourt, écuyer du roi, voir Inventaire et description de tous les biens communs « entre Charles de Biancourt, chevallier de l'Ordre du Roy, escuyer commandant la Grande Ecurie, tenant l'Académie de Sa Majesté en son chasteau des Thuilleries... demeurant à Paris, au pavillon des dites Thuilleries... et deffuncte dame Marguerite d'Ardres ». Du vendredi 18 avril 1636, devant Pierre de Beaufort et Michel de Beauvais, notaires.

Carrés d'Hozier, Biencourt, f° 162.


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fille du célèbre écuyer, veuve de Robert Marion, baron de Druy, et mourut à Paris en 1645.

Son contrat de mariage avec Gabrielle de Pluvinel fut dressé en présence de Me François de Machault, conseiller du roi en sa cour de Parlement, de Jacques de Biencourt, seigneur de Grande-Maison, de Ménélaûs (autrement dit Maulvis) de Biencourt, seigneur de SaintMaulvis en partie, devant Mes de Beaufort et de Beauvais, notaires au Châtelet de Paris.

Carrés d'Hozier. Biencourt, f° 158 et Chérin, 528, f° 28.

Il résulte de ces références que l'attribution de cette alliance à Charles de Biencourt baron de Saint-Just, est entièrement erronée.

La fréquence du prénom Charles>dans la famille de Biencourt a multiplié les méprises. Il a été aussi question d'un autre mariage. Les revers de fortune qui frappèrent les descendants de Jean de Poutrincourt auraient été le point de départ de nombreux procès, particulièrement contre Charles de Biencourt, le cadet de ses fils, à l'occasion de la terre de Saint-Maulvis. On lui attribue pour femme, Marie de Benneville qui, l'accusant d'impuissance, aurait bien voulu de ce fait, obtenir la séparation d'avec son mari, mais qui aurait entendu conserver la terre de Saint-Maulvis qu'il lui avait apportée en mariage ; d'où procès. Or, Charles de Biencourt n'était pas le cadet des fils de l'explorateur, mais l'aîné, et la terre de Saint-Maulvis lui était totalement étrangère. Voir le contrat de mariage de Jacques de Biencourt que nous avons analysé plus haut et voir aussi Nobiliaire de Ponthieu et Fiefs et seigneuries de Ponthieu et de Vimeu par de Belleval. On ne voit pas à quel titre Marie de Benneville aurait pu taxer Charles de Biencourt Xiik du fondateur de PortRoyal) d'impuissance. Cette dame était mariée à François de Gaudechart, marquis de» Querrieu. Elle aurait été d'ailleurs mal fondée à élever le même reproche contre son légitime mari, car elle en eut quatre enfants.Voir Monographie du village de Querrieu, par Alfred Gosselin, dans le tome VIII des Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie. Les factums que nous avons consultés à la Bibliothèque Nationale n'intéressent pas la branche des Biencourt, seigneurs de Marcilly, c'est-à-dire les colonisateurs de la Nouvelle France. L'un, intitulé Mémoire pour messire Charles de Biencourt... fils aine et héritier de feu messire Charles de Biencourt... messire Louis-Charles de Bien-


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Il laissait des enfants de ses deux mariages (1).

La Vice-Royauté du fastueux protecteur de Charles de Biencourt, l'Amiral de Montmorency, ne fut point favorable à la colonisation de la Noucourt...

Noucourt... messire Jean-Séraphin de Biencourt, contre dame Marie-Geneviève de Benneville, veuve et commune en biens de messire François de Gaudechard... (signé : de Laurière), montre clairement que les trois plaideurs sont les fils de Charles de Biencourt, grand bailli d'Ardres et de Guînes, qui avait épousé en 1677 Marie-Sérapliique-Louise Chevalier, qui, lui-même, était fils de Charles de Biencourt, seigneur de Poutrincourt, Vercourt, Chauvincourt, écuyer de la Grande Ecurie, cousin germain et homonyme du Vice-Amiral en la Nouvelle-France.

On trouve aussi un Mémoire de Marie- Geneviève de Benneville contre Charles de Biencourt (le même personnage que ci-dessus) et dame Charlotte de Biencourt, veuve de messire François d'Orléans. Ces factums, qui figurent dans la Bibliographie de M. Henri Macqueron sous les numéros 9344 et 9647, sont, du reste, d'une époque postérieure d'un siècle à celle qui nous occupe.

(1) Du premier lit étaient nés : 1° Antoine de Biencourt, baron de Crésecques, seigneur de Poutrincourt, grand bailli d'Ardres et du comté de Guînes, qui épousa Marie :'d'Espinoy et fut père de Charlotte, femme de François d'Orléans, comte de Rothelin ; 2° Roger, archidiacre de Tours ; 3° Marie, religieuse.

De son second mariage, il laissait trois filles encore en bas âge : 1° Angélique, qui épousa Adrien de la Grandille, seigneur et patron de Doudeauville (ou d'Oudeauville), d'une famille normande ; 2° Anne, qui devint comtesse de Brèves, par son mariage avec Camille de Savary, colonel d'un régiment d'infanterie, petit-fils d'un des plus avisés diplomates de Richelieu, François Savary, comte de Brèves, qui fut ambassadeur à la Porte et à Rome, et qui rapporta d'Orient plus de cent volumes turcs et persans, aujourd'hui conservés à la Bibliothèque Nationale. 3° Marie, qui mourut fille.

Sa femme donna naissance à un fils posthume, baptisé en la


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velle France. Le duc se vit débordé par les empiétements de la marine britannique. Au lieu de concentrer ses efforts pour le peuplement de cette terre, il prit des dispositions qui eurent pour résultat d'en entraver le développement (1).

paroisse Saint-Rock à Paris le 28 mars 1645, qui fut nommé Charles, dont le parrain fut Antoine de Biencourt, fils aîné du père défunt, et la marraine Anne de Boulogne, épouse de messire François Le Charron, seigneur de Saint-Ange.

Charles II de Biencourt, seigneur de Poutrincourt et de SaintMaulvis, fut grand bailli d'Ardres et du comté de Guines. Il épousa la fille de Nicolas Chevalier, seigneur de Vaumontel, mourut le 18 janvier 1704 et fut inhumé en l'église des Dominicains à Paris.

Carrés d'Hozier, 92 ; et Chérin, 528.

Gabrielle convola en troisièmes noces et épousa en 1649 Pierre de Poix, écuyer du Roi. Amie de l'abbé du Vergier de Hauranne et de la soeur Sainte-Eugénie (Anne de Boulogne), elle penchait vers le jansénisme ; l'une de ses filles, Catherine Marion de Druy, entra comme religieuse au couvent de PortRoyal.

Histoire de l'Abbaye du Port-Royal, t. Ier, pp. 496, 519, T. II, pp. 156, 166, 274, 380, 394, etc. Vies intéressantes et édifiantes des Religieuses de Port-Royal, T. II, p. 400. Lettres de Mess. Jehan du Vergier de Hauranne, Lyon 1679, t. IV, pp. 25, 26, 29, etc.

Le dernier descendant de Charles, écuyer du Roi, fut CharlesNicolas de Biencourt,- marquis de Poutrincourt, chevalier de Malte, né en 1771, capitaine de cavalerie, mort sans alliance au château de Mesnières-en-Bray, près de Neufchâtel (SeineInférieure), le 12 décembre 1833. Il était fils de Louis-CharlesMichel de Biencourt. Au château de Mesnières, le plus beau de Normandie, la porte de la Salle des Cartes, dans l'aile droite, est encore surmontée des armoiries de Biencourt, sculptées vers 1766.

(1) M. CH. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine, t. IV, p. 334.

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Les navires se firent plus rares sur les côtes de l'Acadie et les opérations de Charles de Biencourt périclitèrent.

On voit l'activité commerciale se ralentir.

Les armements s'échelonnent en un inquiétant decrescendo de 1618 à 1621.

Un bâtiment auquel on a donné le nom du Vice-Amiral en Nouvelle-France, le Charles, appareille pour le Canada le 20 Janvier 1618, et Georges et Macain avancent sur ce voyage trois mille cinq cents livres.

Le 13 Février, la barque Marie est frétée pour la même destination ; une obligation est souscrite au profit des mêmes commerçants.

Le navire le Plaisir est avitaillé le 24 Janvier

1619 avec une mise de fonds de trois mille livres par les mêmes pour faire sa droite route au premier vent favorable vers le Port-Royal. Ce bateau, rentré en France chargé de castors à l'automne, fait une deuxième fois voile pour le Canada la même année, comme il résulte d'un contrat de fret du 28 novembre souscrit par Lomeron au nom de Biencourt. Le contrat fut déclaré résolu par un acquit du 29 Octobre 1620.

Un autre contrat de fret est passé le 2 Octobre

1620 pour le Jean, par Lomeron, toujours au même nom.

Le 29 Janvier 1621, c'est le Lis qui va partir pour la traite après un versement de six mille livres par Macain et Georges. Une obligation


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est contractée par Lomeron pour Biencourt au profit des deux armateurs à la grosse aventure sur le Jean et le Lis, le 9 Février 1621.

Les multiples opérations effectuées entre Georges et Macain, d'une'part, et Biencourt, d'autre part, depuis 1613 jusqu'à 1621 sont régularisées au moyen d'un compte dressé le 24 Mars de cette dernière année (1).

Puis, c'est le silence au Port-Royal.

Avec les vingt-cinq hommes de sa troupe, Biencourt en arrive à mener une existence errante et lamentable dans la société des Souriquois dont il partage les occupations périlleuses, les fatigues et les privations. Sa colonie décimée ne reçoit plus d'autres recrues que des matelots évadés des cales des terre-neuviers, des volontaires en rupture de bord, débarqués aux ports Canseau et de la Hève. Ces hommes avaient introduit au PortRoyal des habitudes nouvelles, plus indépendantes, plus vagabondes, moins laborieuses, moins tempérantes, moins réservées dans les rapports avec les filles sauvages.

Les lotissements n'étaient cependant point désertés. Les terres ne restaient pas incultes et la continuité de l'occupation et des travaux agricoles se maintint sans éclipse jusqu'à l'arrivée en Acadie du commandeur de Razilly en 1632. Les

(1) Archives dép. de la Seine-Inférieure. Arrêts du Parlement de 1633.


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bâtiments ruinés par Argall, le moulin transformé en habitation n'abritaient pas toujours ces jeunes Français robustes, en lutte contre l'adversité, contre le climat, contre les maladies, épris d'aventures. Comme le dit Rameau, le manoir du seigneur de Port-Royal était souvent « un campement mobile sous les voûtes de la forêt ».

Biencourt, miné par la misère et l'épuisement, mourut en 1623. Il était à peine âgé de trenteet-un ans (1).

On n'a pas manqué de rendre les Jésuites responsables de cette fin prématurée (2). On les a même accusés d'avoir soudoyé les colons pour attenter à la vie de Biencourt (3). Ces accusations ne reposent sur aucun fondement.

Les dernières éditions de l'Histoire de la Nouvelle France, mentionnent les menaces à l'adresse du Vice-Amiral d'un aventurier nommé Merveille, qui, armé d'un pistolet amorcé, se disait absous par avance du meurtre qu'il voulait perpétrer. (4)

(1) RAMEAU, Une colonie féodale, p. 55 ; M. LAUVRIÈRE, La Tragédie d'un peuple, t. Ier, p. 35.

(2) LA CHENAYE-DESBOIS.

(3) On trouve aux Nouvelles acquisitions françaises, Ms 9281, f°24, cette note anonyme : « Quelques uns prétendent que les Révérends pères finirent par empoisonner le sieur de Poutrincourt, mais on sait le contraire, et s'ils attentèrent à la vie de quelqu'un, ce fut à celle de son fils qui, en effet, ne paraît pas avoir survécu à l'abandon du Canada ».

(4) LESCARBOT, Ed. de 1617, p. 676.


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Il est probable que c'est cet épisode d'un voyage à la rivière Saint-Jean, relaté par Lescarbot, qui a donné naissance à la version d'un crime mystérieux qui aurait suivi de plus de huit ans le geste homicide du forban Merveille.


LA TOUR ET D'AULNAY

Successeurs des Poutrincourt.

En mourant, Charles de Biencourt laissa la colonie du Port-Royal aux mains de Charles de Latour (ou La Tour). (1) Celui-ci prétendit que le

(1) Les uns voient dans les La Tour les descendants d'une vieille famille noble, les autres les considèrent comme des aventuriers de basse extraction. Le Mémoire instructif de Menou d'Aulnay dont M. LAUVRIÈRE donne un extrait (t. Ier, p. 41), s'exprime ainsi : « Le sieur de Poutrincourt mena avec lui le sieur Claude Turgis, natif du faubourg Saint-Germain, maçon de son métier, qu'il fit soldat de sa compagnie, lequel avait un fils nommé Charles Turgis qu'il donna à son fils le sieur de Biencourt pour lui servir de valet de chambre, lequel Turgis se fit nommer Saint-Etienne et à présent Latour... ». M. LAUVRIÈRE fait remarquer qu'il y a peut-être quelque exagération dans ce réquisitoire dressé par un ennemi de La Tour.

Si Turgis dit La Tour n'était qu'un maçon du faubourg SaintGermain, c'était assurément aussi un imposteur d'une remarquable envergure et un généalogiste assez averti, capable de colorer ses usurpations d'une trompeuse apparence d'authenticité et d'honorabilité. Les véritables Saint-Etienne de Turgis appartenaient à une famille estimée : Un gentilhomme nommé Aymé de Saint-Etienne, seigneur de Turgis, épousa Jacqueline de Ghauinont, fille d'Antoine, seigneur de Saint-Chéron. Le P. ANSELME, Histoire généalogique, T. VIII, p. 893. Une Blanche de Turgis épousa un Gontaut au xvie siècle. Ibid. t. IV, p. 125. Le même ouvrage mentionne d'autres alliances des Saint-Etienne et des La Tour, mais sans qu'il soit possible de les rattacher aux colons canadiens.

Le Cabinet des Titres (pièces originales), donne quelques renseignements sur l'ascendance d'un Claude de Turgis. Mais existe-t-il une relation quelconque entre ce Claude de Turgis et le compagnon de Poutrincourt ? Pierre de Turgis, écuyer et


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défunt lui avait transmis, à sa dernière heure, ses droits et son autorité (2).

Louise de Berthonvillers eurent Michel, sieur de la Maillolière, fief à Villers-Saint-Paul (arrondissement de Senlis), qui épousa Jeanne de Barnault (1548) : de ce mariage naquirent Claude et Balthazar de Turgis. C'est sans doute en raison de cette filiation qu'on a dit que les aventuriers canadiens étaient originaires du Beauvaisis.

Charles prenait le titre de seigneur de Saint-Deniscourt. Il n'existe qu'une localité de ce nom, en France, et elle est en Beauvaisis, c'est un village assez voisin de Saint-Etienne sur le Grand-Thérain. Les recherches que nous avons faites pour retrouver les noms des seigneurs de Saint-Deniscourt au début du XVIIe siècle ne nous ont pas donné de résultat précis. Toutefois, nous savons que François de Courcelles, écuyer, était seigneur de Saint-Deniscourt en partie. Cession de la tierce partie du fief noble Taulpin à Pierre Martin, laboureur, du 27 novembre 1550. Autre acte du 4 mars 1556. Arch. dép. de la Somme, B 342. Déclarations et dénombrements.

Enfin, il convient d'ajouter qu'un Mémoire pour Mre Charles de Saint-Estienne, chevalier, seigneur de la Tour (et autres) contre Monsieur le duc de Vendosme, André Le Borgne, sieur du Coudray, et le marquis de Chenry, que nous avons consulté aux Archives nationales (Colonies, Cil, D 1), prétend que Claude, « ayeul des demandeurs » gentilhomme d'une naissance distinguée, avait rendu des services importants à l'Etat comme capitaine de vaisseau quand il vint s'établir en Acadie avec M. de Poutrincourt »

Ce travail était remis à l'imprimeur quand parut le livre de M. l'abbé Couillard-Desprès, Charles de Saint-Etienne de la Tour, dont le but est de laver la mémoire de La Tour des accusations portées contre lui. Nous n'en avons eu connaissance que par le compte rendu de NovaFrancia. L'auteur de cet article, M. Emmanuel de Cathelineau, estime que, malgré ses mérites incontestables, l'ouvrage de M. l'abbé Couillard-Desprès n'apporte pas « la preuve documentaire et indiscutable » que Charles de La Tour appartient à la famille des Saint-Etienne, seigneurs de Turgis.

(2) Il l'affirme dans une lettre datée du fort de Lomeron, du 25 juillet 1627, dans laquelle il se plaint des mauvais traitements des Anglais. Il écrit : « Attendant quelque secours de France


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La seigneurie de Port-Royal était vaste. L'habitation délabrée conservait les traces trop sommairement réparées des ravages qui l'avaient atteinte dix ans auparavant, mais les cultures étaient d'un rendement satisfaisant, les ressources en bois de toutes sortes, les richesses inexploitées paraissaient inépuisables.

Le succès aurait pu sourire à La Tour s'il avait su grouper de nombreuses familles pour former une population stable de laboureurs, de chasseurs de fourrures et de trafiquants. Hélas ! les colons étaient pour la plupart des coureurs d'aventures mal disciplinés, d'une moralité incertaine. Une main vigoureuse devait se faire sentir pour les maintenir dans l'obéissance, dans la sujétion au travail.

D'imminents dangers étaient suspendus sur la colonie.

En 1621, les Anglais résolurent de faire valoir leurs prétentions sur l'Acadie. Sir William Alexander, qui devait bientôt devenir comte de Stirling,

quy par la grâce de Dieu nous est arrivé, et receu l'honneur d'avoir commandé l'enseigne et la lieutenance du feu sieur de Poutrincourt iusques à sa mort, Lequel, par son testament, il m'a fait la faveur de me constituer en son lieu et place et laissé la place et l'esquipage dont je me suis acquitté pour le service de Vostre Majesté le plus dignement qu'il m'a esté possible sans que depuis quatre ans qu'il est mort j'aye receu aulcun secours, ny soulagement de personne, au contraire j'ay esté et suis poursuivy jusques à la mort par ceux de la grande rivière qui se disent françois... »

B. N. Collection Dupuy, 475, f° 38.


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obtint de Sa Majesté britannique la concession de toute la contrée érigée en une sorte de principauté sous le nom de Nouvelle Ecosse (1). Un vaste plan de colonisation, conçu avec cet esprit d'organisation et de méthode, positif à l'excès, qui distingue nos voisins d'outre-Manche, divisait le territoire en fiefs destinés à être concédés à des gentilshommes auxquels on devait conférer le titre de baronnet.

L'année suivante (1622-1623), sir William Alexander tenta une prise de possession qui jeta le trouble et l'inquiétude dans l'esprit de Charles de La Tour. Ce compagnon de Poutrincourt, tout jeune encore (il avait à peine vingt-sept ans), fit preuve de décision et d'énergie. Il envoya son père, Claude, en France, sur un des bateaux de pêche qui fréquentaient le littoral, afin de solliciter une commission régulière de Sa Majesté, ratifiant la délégation de commandement que Charles de Biencourt lui avait soi-disant laissée.

Le 25 Juillet 1627, Claude fit voile vers la France, chargé d'une lettre de son fils à l'adresse du Roi (2).

Richelieu s'efforçait alors de remédier aux fâcheux échecs de colonisation des Compagnies au Canada en constituant une nouvelle Société, au capital de trois cent mille livres, qui devait, en l'espace de quinze ans, transporter et établir en Nouvelle

(1) Charte du 10 septembre 1621.

(2) Nous en avons donné plus haut un extrait.


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France quatre mille Français catholiques et leur délivrer des terres. Le Roi gratifiait la Compagnie dite des Cent associés, du monopole des cuirs et pelleteries à perpétuité et de toutes les autres branches de commerce pour quinze ans, la grande pêche exceptée. Un article assimilait aux Français de France, non seulement les colons et leur postérité, mais les indigènes qui embrasseraient le christianisme. C'était ce qu'on a appelé depuis « une solennelle abjuration par la France des préjugés de race et de couleur », mais c'était surtout la reconnaissance des méthodes de colonisation inaugurées par Cartier, suivies par Poutrincourt et Champlain.

La constitution de la Compagnie fut confirmée par édit du Roi, donné au camp devant La Rochelle, au mois de Mai 1628 (1). Un arrêt de vérification fut rendu par le Parlement de Bordeaux le 4 Juillet 1629. (2).

On ne sait si Claude fut favorablement accueilli à la cour. Ce qui est certain, c'est que son voyage eut un certain résultat puisqu'il se rembarqua, pourvu de vivres pour Port-Royal et Québec, avec M. de Roquemont (3), amiral de la Compagnie

(1) Archives départementales de la Gironde, Edit pour coloniser le Canada. 1 B 22, reg. f° 156.

(2) Archives départementales de la Charente-Inférieure. Jugement de l'Amirauté du lieutenant Jean de Mirande, B 187, f° XXVII.

(3) Claude de Roquemont, écuyer, sieur de Brison.


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des Cent Associés. Le vaisseau qui les ramenait fut pris en mer après un dur combat qui dura quinze heures, par sir David Kirke et ses frères. La Tour fut conduit en Angleterre (18 Juillet 1628).

L'odyssée de Claude à Londres est encore aujourd'hui assez mal connue et reste entourée de l'auréole nuageuse de la légende. Elle a donné naissance à un nombre prodigieux de récits, de nouvelles, de drames et même de tragédies en vers. (1)

On assure que La Tour fut fort bien traité par les Anglais. Selon leur adroite tactique, lorsqu'ils voulaient obtenir quelque chose d'un prisonnier, ils l'entourèrent d'attentions, le comblèrent de politesses, l'admirent à leur table comme autrefois le P. Biard, vécurent avec lui sur un pied d'égalité, entretenant soigneusement autour de leurs relations une atmosphère d'abandon et de familiarité propice aux confidences.

Cet aventurier ambitieux était non seulement un homme de volonté et d'audace, mais encore un intrigant pourvu d'une intelligence précise et claire. Il savait s'adapter à tous les événements et tirer au besoin quelque ressource ou profit des revers de fortune. Hélas ! c'était aussi un carac(1)

carac(1) renvoie aux récits de Halliburton, Ferland, Béamisch, aux chroniqueurs de l'Amérique du Nord, et au poème de M. Gérin-Lajoie.


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tère égoïste et vénal, capable de mettre l'univers à l'encan pour sortir avec avantage d'un mauvais pas.

La Tour, dans ses conversations avec sir William, montra tous les avantages qu'on pouvait recueillir de l'exploitation de l'Acadie (1) et fit étalage de sa connaissance de la contrée. Le noble Anglais l'écouta avec complaisance et l'encouragea à se livrer. Au'bout de peu de temps, il ne restait plus à Claude qu'à passer, du conseil désintéressé à l'aide efficace grassement rétribuée. Sir William se hasarda à faire des offres discrètes que l'autre accepta sans vergogne.

En pareille occurrence, les Anglais, qui aiment ne laisser aucune place à l'imprévu, ne craignent pas de donner bonne et due forme à la félonie et de faire grossoyer régulièrement le contexte de la trahison si savamment préparée. L'affaire fut traitée comme un marché entre honnêtes gentlemen. Le 30 Avril 1630, par devant Josué Mainet, notaire à Londres, Claude passait un accord avec le lord, et s'engageait à entrer au service du Roi d'Angleterre. Il stipulait tant en son nom personnel que « pour son fils Charles, absent ». Claude et Charles de La Tour reçurent le titre de chevaliers baronnets, le 12 Mai 1630.

Claude vécut dans ce pays accueillant comme dans un rêve. Il eut l'audace et l'adresse d'extraire

(1) Mémoire de William Crowne cité par M. l'abbé Azarie Couillard-Després.


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de cette situation insolite tous les avantages et toutes les jouissances possibles. Il épousa, paraît-il, une des dames d'honneur de la Reine Henriette, proche parente du comte de Stirling, membre de la Chambre des Lords.

L'alliance illustre qu'il avait contractée, son titre de baronnet, le plaçaient au plus haut rang de la noblesse de race en Angleterre, « avec préséance sur les nobles, comtes et marquis du royaume ». (1) Denys affirme même que Charles Ier lui conféra l'Ordre de la Jarretière !

Cependant, dès 1628, sir William avait envoyé un certain nombre de familles écossaises en Acadie, et elles avaient débarqué au Port-Royal, « non pas au même lieu où s'était établi Poutrincourt » fait observer Rameau, mais à l'Ouest de la rade (où est aujourd'hui Grenville), presque vis-à-vis de l'Ile aux Chèvres. Les Anglais y bâtirent le Scotch Fort.

Les Français durent se reporter dans le haut de la vallée ou dans des postes de la côte.

Au dire de d'Aulnay, le jeune La Tour « courut les bois avec dix-huit ou vingt hommes, se mêlant avec.les sauvages et vivant d'une vie libertine et infâme, comme bêtes brutes, sans aucun exercice de religion, n'ayant pas même soin de faire baptiser les enfants procréés d'eux et de ces pauvres misérables femmes, au contraire les abandonnant à

(1) Remarque de M. l'abbé Azarie Couillard-Després.


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leurs mères, comme encore à présent font les coureurs des bois ». Charles était devenu, vers 1626, le père d'une fille nommée Jeanne. Son mariage fut plus tard l'un des premiers consacrés par les Récollets, et sa fille, légitimée par acte authentique, épousa un Français, Martin d'Arpentigny (1).

À cette même époque, les directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France faisaient équiper des vaisseaux pour le Cap Breton et pour l'Acadie. Le sieur Tuffet, de Bordeaux, l'année même où le

(1) La Tour et ses compagnons ne vivaient pas absolument dans un état voisin de la sauvagerie ; ils tenaient registre des événements survenus et des actes accomplis par le chef ; procèsverbal en était dressé et transcrit « en ung Cahier en papier, signé en la marge du premier feuillet et en plusieurs autres endroits : Charles DE ST- ESTIENNE, ne varietur, et à la fin, de Charles DE ST-ESTIENNE, ST BONNET, Jean DEMAGNY, Nicolas LARGILLIER et Jean DAVID ». Ce registre fut produit devant l'Amirauté de La Rochelle en 1632. Il est regrettable, pour l'histoire de l'Acadie, qu'il ne nous ait pas été conservé. La Tour produisit en même temps tout le chartrier de la colonie ; l'édit de La Rochelle de 1628 ; l'arrêt de vérification en la cour de Parlement de Bordeaux du 4 juillet 1629, signé DUFAU ; une commission obtenue par les Directeurs et associés de la Nouvelle France de la Chancellerie de Bordeaux du 6 mars 1632, signée du chevalier de La Rocque, l'arrêt du Conseil d'Etat en date à La Rochelle du 26 janvier 1628, avec la commission au bas, pour l'exécution dudit arrêt, signé par le Roi et plus bas Cornuel ; des exploits de du Camp, sergent royal en l'Amirauté de Bordeaux, des 27 et 28 janvier 1630 ; etc. etc.

Archives départementales de la Charente-Inférieure, B 187, f" XXVII.


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père de La Tour passait le contrat qui authentL quait sa trahison, c'est-à-dire en 1630, embarquait des ouvriers et des artisans avec trois Récollets, sous la conduite du capitaine Marot, de Saint-Jean de Luz. Marot abordait au cap de Sable où il trouvait Charles de La Tour avec ses volontaires, et lui remettait des lettres «par lesquelles l'on mandoit audit De La Tour de se maintenir toujours dans le service du Roy, et de n'adhérer ni condescendre aux volontés de l'Anglois... » (1).

L'acte passé en Angleterre par Claude n'avait reçu qu'un commencement d'exécution. L'aventurier et sir William étaient revenus en Acadie avec l'espoir d'achever leur oeuvre. Trois semaines avant l'arrivée de Marot, ils avaient fait des tentatives auprès de Charles pour l'entraîner dans le camp des Anglais. Ces avances avaient été repoussées. Le poste avait même été attaqué, mais Charles de La Tour avait victorieusement résisté dans un combat qui, au dire de Denys, « dura tout le jour et toute la nuit ». (2).

(1) GHAMPLAIN, t. II, p. 349.

(2) Nous jetons un regard d'ensemble sur ces événements. M. Lauvrière les a vus, dans le détail, d'un oeil moins favorable au fils La Tour, et il met nettement en doute cette héroïque résistance. « Inconsciemment, le bon Denys el l'honnête Champlain, qui, habitant à des centaines de milles ou de lieues du Cap de Sable, ne surent de cette affaire que ce que les Latour voulurent bien leur en dire, collaborèrent, ingénuement, à la diffusion de cette merveilleuse légende. »


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Charles expédia en France, par l'un des navires de Tuffet, des lettres à l'adresse des directeurs de la Compagnie. Son émissaire, Krainguille,. réussit à s'introduire à la cour et à s'y faire écouter. Il revint porteur d'une commission royale en forme de lettres patentes, du 8 février 1631, confirmant, par provision, Charles de La Tour dans son commandement (1).

Grâce à la fermeté, à la persévérance du jeune homme à qui Biencourt avait confié l'avenir de sa colonie, il n'y eut aucune interruption dans l'occupation française en Acadie. L'histoire s'en étonne à bon escient, mais il parvint à résister « aux bourrasques » de l'invasion anglaise et à se maintenir au cap de Sable et au Port Lomeron sans secours. (2). Menait-il déjà double jeu ?... En ce cas, le miracle n'aurait été qu'une criminelle fourberie.

Lorsque le traité de Saint-Germain-en-Laye, conclu en 1632, eût reconnu formellement cette contrée de l'Amérique septentrionale comme possession française, et que le commandeur Isaac de Razilly fut chargé par Richelieu de recevoir des

(1) Le registre B 187, des Archives départementales de la . Charente Inférieure, f° 19, donne par erreur la date du 4 février 1631.

(2) «...Je ne sais comment l'ancien valet de chambre de Biencourt, Charles Turgis de Saint-Etienne, dit La Tour, parvenait à résister... » M. DE LA RONCIÊRE, Histoire de la Marine, t. IV, p. 635.


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mains des Anglais la côte de l'Acadie, et notamment Port-Royal, cet officier supérieur de la marine eut la satisfaction de trouver devant lui des compatriotes lorsqu'il débarqua à la Hève en Août 1632.

L'oeuvre des Poutrincourt leur avait survécu. Leurs patients et héroïques efforts n'avaient pas été vains.

Les volontaires de La Tour continuèrent de mener leur vie remplie d'accidents imprévus et sauvagement mouvementée sous la conduite de leur chef, en se livrant au commerce des fourrures pour le compte de la Compagnie de la Nouvelle France.

Au commencement de l'année 1632, Charles de La Tour revint en France pour recruter des engagés. Le 6 Mars, il faisait publier à La Rochelle qu'il offrait « à tous ceux qui voudraient choisir pour retraite le climat de l'Acadie, des terres et des prés grandement fertiles ». (1)

Mme de Poutrincourt lui intenta à ce moment un procès devant le Parlement de Paris, pour « restitution de 70.000 livres et de toutes terres et bâtiments qui avaient appartenu à son fils ». Ces prétentions tardives furent soutenues par un

(1) RAMEAU, Une colonie féodale, p. 72.

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procureur du nom de Picault, auteur d'un Mémoire en date du 16 Décembre 1633 (1).

Cette action judiciaire qui semble avoir eu peu de consistance, ne fut probablement engagée qu'à l'instigation des adversaires de La Tour. On se démande même si ce n'est pas une machine de guerre organisée de toutes pièces par d'Aulnay. On ne la trouve mentionnée que dans le Mémoire instructif des choses que le sieur de La Tour à faites en la Nouvelle France, dont l'auteur est ce même Charles de Menou d'Aulnay qui fit preuve de préventions marquées vis-à-vis du jeune colonisateur, et on n'en connait pas l'issue. (2).

La Tour avait alors d'autres démêlés avec Bernard Marot, le maître de navire de Saint-Jeande-Luz.

On sait par le récit de Champlain que, lors du voyage de 1630, le « moyen vaisseau » de Tufîet, armé par le négoce bordelais et venu sous la conduite de Marot, « ne fit ni traite ni pêche » et s'en retourna à vide, ce qui occasionna une grosse

(1) Histoire de l'Acadie française, par MOREAU, et La Tragédie d'un peuple, par M. LAUVRIÈRE, t. Ier, p. 37.

(2) Le procureur qui soutint l'instance au nom de Mme de Poutrincourt était l'homme de d'Aulnay, et il était appointé par lui. C'est aux Mémoires de ce même procureur que d'Aulnay s'en réfère pour contester aux La Tour le propriété du nom de Saint-Etienne qu'ils prenaient pour patronyme. Picault figure au testament de d'Aulnay pour une certaine somme à lui due. Voir La Tragédie d'un peuple, t. Ier, pp. 41 et 501.


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perte à l'armateur. « Marot demeura là avec le grand vaisseau, pour essayer à faire quelque chose pour payer le voyage », ajoute l'explorateur, qui accorde des regrets prolongés à cette malheureuse opération et blâme non moins longuement ces mesures précipitées et inconsidérées. (1).

Marot essaya de prendre sa revanche. Il obtint un congé pour la pêche à la morue à bord de la Soubadine, avitaillée par Jean Real, marchand de Bayonne, les sieurs Deguerroux, marchand basque, et Jouannet d'Harenedel, la veuve Jouannet d'Harenedel le jeune, de Saint-Jean-de-Luz, Pierre Goise (ou de Goise) et quelques autres (2).

Le banc de Terre-Neuve était le but avoué du voyage, mais d'autres objectifs étaient poursuivis.

Marot eut le tort de se mettre en contravention avec les «édits et desclarations de Sa Majesté et arrest de cours souveraines » qui défendaient tout commerce « en led. païs de la Nouvelle France, à peine de confiscations de vaisseaux et marchandises ». Il ne put échapper à l'active surveillance de La Tour qui le surprit trafiquant et troquant des marchandises tant au port de la Hève qu'aux fort Louis et port de La Tour et en plusieurs autres endroits de la côte.

(1) Voyages de Champlain, t. Ier, pp. 351 à 354.

(2) Passeport du 12 mars 1632, signé ARMAND, cardinal de Richelieu, et plus bas MARTIN, scellé de cire rouge aux armes de Son Eminence. Archives de la Charente-Inférieure, B 187 ; fos XXVI et XXVII.


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Charles de La Tour s'empara du bâtiment de Real, avec ses canons, armes et marchandises, après un violent combat dont Marot sortit écloppé, fit dresser inventaire de son chargement en présence de Real et du capitaine, et renvoya la Soubadine à La Rochelle pour la faire déclarer de bonne prise.

Marot, tout grièvement blessé qu'il était, parvint à s'évader du navire. A La Rochelle, le procureur de La Tour requit son arrestation et celle de Real et de Deguerroux, pardevant l'Amirauté.

Marot fut, en effet, saisi au corps et conduit dans les prisons de ce port. Une instance civile et criminelle s'engagea contre lui, sans préjudice de l'action qu'il intentait lui-même à La Tour (1).

(1) « Du samedi 4 septembre 1632 :

« Jean Real, marchand de la ville de Bayonne, tant pour lui que pour ses consorts, avitailleurs du navire nommé la Soubadine, de Saint-Jean de Luz, demandeurs en requête appointée ledit jour par Mgr de Villemonté, contre Charles de Saint-Etienne, seigneur de La Tour : '.■ Partyes oïes, ordonnons qu'ils eshront domicile et constitueront procureur... le tout à lundy huit heures du matin, ...et sera amené au havre de ceste ville, le navire dont est question suivant que de désir du jugement donné par mond seigneur de Villemonté, intendant... donné acte aux partyes respectivement de ce qu'elles ont affermez par serment ». F0 XVIII.

Le lundi 6 septembre, l'affaire est remise au samedi et il est « enjoinct ...aud. sieur de la Tour de faire toute diligence et faire ancrer au havre de'ceste ville le vesseau dont est question. » F° XIX.

« Dudict jour, quatre heures de relevée, pard* Mons. le juge de l'Admirauté ». Il est donné défaut contre le demandeur.

« Et sur ce que led. seigneur de la Tour nous a dict... que led. Sr de la Tour et Compagnie entendent desnoncer et poursuivre


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A peine Marot était-il sous les verrous, en compagnie de Joannys Dalguerdy, charpentier du navire la Françoise, de Saint-Jean-de-Luz, et de quelques autres, qu'il présenta requête pour être

pour raison des contraventions faict.es, tant par led. Real, Bernard Marot et autres, aux Editz et desclarations de Sa Majesté et arretz de cours souveraines qui inibent et desfendent en led. pais de la Nouvelle France, à peine de confiscation de vesseaux et marchandises, au préjudice desquels arretz et éditz et déclarations signifiées, il auroit esquippé led. navire nommé la Soubadine et icelluy chargé des marchandises qu'on a accoustumé de traicter et trocquer avec les sauvages, et avecg icelluy navire auroit esté au port de la hève et négotié avecg les sauvages, mesme avecg les nommés Sigip Architras, Heridé Cuistecq... et autres, en cuirs et pelleteries, mesme seroit allé en le port de la Tour en la susdite coste traiter aussy avecg les sauvages qui y habitent, qui auroit occasionné ledit sieur de la Tour, en vertu de lettres patentes de Sa Majesté, du qûatriesme febvrier 1631, de se saisir et emparer dud. vaisseau nommé la Soubadine, avecg les canons, armes et marchandises estant en icelluy, dont, du tout, il auroit faict bon et fidel inventaire en présence desd. Real et Marot... Lequel navire, led. sieur de la Tour auroit conduict et amené devant ceste ville où il est à présent... partant led. sieur de la Tour nous a requis vouloir confisquer au profict de lad. Compagnie led. vaisseau, canons, armes et marchandises ... Et que lesd. Real, Marot, Deguerroux soyent pris au corps et amenez pardevant nous pour prendre leurs auditions, et, ce faict, menez es prisons... Nous avons, aud. sieur de la Tour, donné acte de ses dire, déclaration et réquisition cy-dessus, pour servir ce que de raison, et ordonné que lesd. Real, Marot, Duguerroux et François se représenteront pardevant nous, en personne, à demain, sept heures du matin, pour ...procéder à leurs auditions... etc. «Registre de l'Amirauté, f° XX.

Copie de ce jugement fut signifié auxdits Real, Marot, Deguerroux (ou Vigneroux), et François au domicile de leur procureur, Me Paul Guillaudeau.

Le même jour, Real comparaissait en personne, et l'affaire était remise au lendemain, dix heures du matin.

Le 7 septembre 1632, Jean Real comparaît en personne, assisté du procureur Taillourdeau, contre Charles de Saint-


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relâché. La Compagnie de la Nouvelle France, qui était intervenue dans l'instance, n'y mit pas grande opposition. Raoul Luillier, l'un des Directeurs, laissa faire, et Arnould Dumais, marchand de

Etienne, seigneur de la Tour, de Warsé, et fait tout le possible pour « cinder, éluder ou empescher » la poursuite de 1' « instance criminelle que led. sieur de la Tour avoit déclarés former ». Il fait toutes protestations ponr « que les qualitez prises par le sieur de la Tour ne luy puissent nuir ne préjudicier... »

Le procureur de La Tour se cantonne dans sa requête <■ d'adjudication de bonne prise dud. vaisseau, canons, armes et marchandises » etc. et demande qu'il plaise au tribunal « de luy permettre de faire appréhender au corps lesd; Marot, Deguerroux » et consorts « qui se sont évadez de son vaisseau » de procéder à l'audition de ce maître de navire quand lui-même aura mis entre les mains du lieutenant de l'Amirauté « tant sa commission » que les titres et ses droits sur le fort Louis et le port de La Tour « lieu de son habitation ». Il demande aussi que le jugement à intervenir soit exécutoire nonobstant opposition ou appellations quelconques « sans préjudice de ce que led. Real et consorts disent que led. défendeur ne tient pas telles exceptions », etc. La tactique du marchand de Bayonne est de prétendre que son navire n'a été frété que pour la pêche, que l'autorité de La Tour ne s'étend pas sur la pêche aux morues, et qu'il entend se pourvoir devant le gouvernement du Brouage. La déclaration de prise aurait été tardive, n'ayant eu heu « que plus de quinze jours après l'arrivée » et après « plaintes réitérées », « ayant toujours retenu led. Marot, sauf depuis deux jours à cause d'une grande blessure qu'il a », etc., etc.

Le Tribunal donne acte aux parties de leurs dire, déclaration et protestations pour leur valoir et-servir ce que de raison : ordonne que le registre de l'Amirauté et autres pièces du procès « seront communiqués au Procureur du Roy, et en cas d'absence à Me Pierre Guillaudeau, plus ancien advocat au siège présidial » pour être fait droit selon qu'il appartiendra ; enjoint à La Tour « de faire amener s'il est possible dans le jour au havre de ceste ville le vesseau dont est question... ». Il autorise également La Tour « à faire amener sans sequandalle » Marot, Deguerroux et François pardevant l'Amirauté.

Archives départementales de la Charente-Inférieure. Registre de l'Amirauté, B 187, du f° XVIII au f« XXIII.


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Libourne, l'un des associés, déclara ne pas s'y opposer sous la condition que le prisonnier serait tenu de donner caution juratoire (1).

La Tour n'avait pas oublié les services éminents que lui avait rendus Marot lors des événements de 1630. Tout en soutenant avec ardeur ses intérêts et ceux de la Compagnie par l'entremise du procureur Hélie Macquay, il eut la générosité de demander lui-même par lettre missive du 18 Septembre, l'élargissement provisoire de Marot, après déposition. L'Amirauté de La Rochelle fit droit à ses conclusions. (2).

(1) Archives départementales de la Charente-Inférieure, B 187, du f<> XXVI au f° XXX.

(2) « Veu la lettre missive de Charles de St Estienne, escuier, sieur de la Tour, escripte à Me Hélie Macquay, son procureur, le 18 du présent mois de septembre par laquelle il prie led. Macquay pour lui de consentir l'élargissement de Bernard Marot prisonnier es prison royalles de cette ville, attendu qu'il a baillé sa confession, à la charge de se représenter, La requeste présentée par led. Marot aux mesmes fins signée Taillourdeau procureur dud. Marot, Respondue le 18e dud. mois de septembre signifiée par françois sergent Royal le mesme jour et an que dessus aud. S' Estienne au domicile dud. Macquay, Le Registre expédié en lad. cause, par lequel est ordonné que premier que fre droit de l'élargissement requis par led. Marot, Le tout seroit communiqué au procureur du Roy pour, Luy ouy, estre ordonné ce qu'il appartiendrait en date du mesme jour et an que dessus, signé Blanchet, commis du greffier, Je déclare ne vouloir empescher que que led. Marot ne soit eslargi desd. prisons en baillant caution, constituant procureur et élisant domicilie. Fait ce 20e de septembre 1632. « TAILLOURDEAU.

« Soit fait comme il est requis par le supléant et consenti par le procureur du Roy. Fait les jour et an que dessus.

« DE MIRANDE. »

Manuscrit annexé au Registre de l'Amirauté^ Archives départementales de la Charente-Inférieure, B 177.


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Charles de La Tour, dans ses réquisitions et pièces de procédure s'intitulait alors « grand sagamaux des Souriquois, Eteschemins, Pentegoix et Quinibais, et lieutenant-général pour Sa Majesté en la Nouvelle-France ». (1).

Il comparut en personne devant l'Amirauté, au cours du procès ; on trouve sa signature en marge du registre des sentences de l'Amirauté. Cette juridiction eut d'ailleurs à statuer sur plusieurs autres affaires qu'il porta devant elle. Il eut de nombreuses contestations non moins fâcheuses avec d'autres colons Acadiens (2).

La Tour abandonna les visées agricoles de Poutrincourt pour se consacrer exclusivement au trafic des pelleteries. Son entreprise prit une grande extension grâce à la paix qui régnait entre la France et l'Angleterre ; ses profits d'une année ont été évalués à la somme de cent à cent cinquante mille livres. Il fit une fortune colossale. (3).

Le fort de La Tour ou Jemsek, situé à vingtcinq lieues de l'embouchure du fleuve Saint-Jean était solidement établi.

(1) Archives de la Charente-Inférieure B 187 du 6 septembre 1632, XIX, et du 7 septembre f° XXI.

(2) Archives de la Charente-Inférieure, B 188, (1634), etc. Ses démêlés avec Marot, alors maître du navire La Marie du

Lion, n'étaient pas terminés.

(3) MOREAU, Histoire de l'Acadie^et M. l'abbé COUIIXAKDDESPKÈS, Observations sur l'Histoire de l'Acadie, p. 51.


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Après la mort du commandeur de Razilly, des lettres du 10 Février 1638 intervinrent pour aplanir les difficultés surgies entre Charles de Menou d'Aulnay et La Tour. L'indépendance de ce dernier vis-à-vis de son adversaire était complète. Il pouvait ordonner « de son économie et peuplade comme il jugerait à propos ». Il y avait deux lieutenants gouverneurs en Acadie, La Tour et d'Aulnay. (1).

Ce dernier avait repris le plan de Poutrincourt, établi deux grosses fermes, peuplé de familles françaises la vallée du Port-Royal et restauré l'ancien moulin du colonisateur picard auquel il avait annexé une scierie. Ses efforts en Acadie furent féconds. Il peut être considéré comme le véritable héritier et continuateur des méthodes de Jean de Poutrincourt. Il a trouvé dans l'historien Moreau, qui a particulièrement utilisé les titres de sa famille, un apologiste convaincu. (2).

Le rôle de La Tour, en tant que successeur immédiat des Biencourt était terminé. Son action comme co-gouverneur de l'Acadie, colonisateur et exportateur était à peine commencée. Sa rivalité avec d'Aulnay devait lui réserver dans l'avenir bien des amertumes et couper son existence aventureuse de bien singulières tribulations. Sa conduite

(1) La lettre du Roi, datée de Saint-Germam-en-Laye, a été publiée par M. l'abbé Couillard-Desprè's, Op. cit. p. 1.17.

(2) Histoire de l'Acadie, Paris, 1873.


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est très diversement appréciée et laisse malheureusement place à des accusations trop fondées. (1)

Poutrincourt avait consacré son âge mûr à poursuivre une tâche grandiose, la fondation de la première colonie française en Amérique du Nord, entreprise qui, par sa portée et ses conséquences, doit être rangée parmi les faits les plus considérables de l'histoire moderne.

Études, expérience, trésors d'activité et d'intelligence, fortune patrimoniale et avenir de ses fils, il avait mis tout sans compter au service de cette cause.

Cependant, le succès ne répondit point à toutes les espérances qu'il avait formées.

Pouvait-il en être autrement ?

Les difficultés qu'il avait rencontrées étaient immenses. Le courage, l'ingéniosité, la persévérance, ne pouvaient suppléer à l'infirmité et à la pénurie des moj^ens dont il disposait. Le gouvernement français, durant la minorité de Louis XIII,

(I) Voir La Tragédie d'un peuple, par M. LAUVRIÈBE, ch. IV, Le Borgne, La Tour et Consorts, pp. S4 et suiv.

Le présent travail était sous presse quand parut l'ouvrage convaincant de M. Lauvrière : Deux traîtres d'Acadie et leur victime; Les Latour père et fils et Charles d'Aulnay, dont les conclusions sont particulièrement accablantes pour les deux aventuriers. — Paris, Pion, 1932.


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n'avait pris aucune part directe à ses efforts. Notre colonisateur était resté livré à ses seules ressources et aux subsides parcimonieux de ses associés. Ce gentilhomme formé pour la guerre avait dû, pour se maintenir, s'improviser tour à tour laboureur, ingénieur, architecte, administrateur et trafiquant.

L'oeuvre qu'il parvint à édifier contre vents et marées n'en eut pas moins des résultats durables et bienfaisants.

L'opinion des principaux historiens du Canada, fort concluante sur ce point, est à retenir :

« Poutrincourt, dit Garneau, peut être regardé comme le véritable fondateur de Port-Royal et de l'Acadie elle-même dont sa persévérance assura l'établissement ». (1).

Benjamin Suite n'est pas moins affirmatif : « Poutrincourt avait accompli à Port-Royal, à la date de 1613, plus que Champlain lui-même n'avait pu faire à Québec... Après de Monts, tous les travaux, de 1606 à 1613, furent son oeuvre et celle de ses fils.- En outre, de 1614 à 1623, l'occupation de l'Acadie était due à la famille de Poutrincourt ». (2). En effet, dès 1610, Poutrincourt avait fondé une colonie agricole en pleine activité. Il avait mis deux peuplades indigènes sous l'influence française sans avoir tiré un seul coup de

(1) Histoire du Canada, édition Alcan, t. Ier, p. 70.

(2) Mémoires et comptes-rendus de la Société' Royale du Canada : Ottawa 1885.


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mousquet. Dès 1617, son fils Charles avait créé le plus grand comptoir d'échanges de pelleteries en relation avec nos ports de l'Atlantique.

Pour M. Léon Gérin, « le baron de Poutrincourt, seigneur de Port-Royal en Acadie, est bien l'exemplaire le plus remarquable... du gentilhomme colonisateur ». (1).

A ces témoignages autorisés, il convient d'ajouter celui de l'historien français qui a étudié avec le plus de curiosité attentive et fructueuse l'action des Biencourt en Amérique.

" «... Si les circonstances les avaient mieux servis, — écrit M. Lauvrière, — si leur nation les avait mieux compris, ils étaient hommes à faire de FAcadie une forte et riche colonie, digne de leur premier protecteur, Henri IV. Ce n'en fut pas moins à cette date, dit justement Lescarbot, « la plus courageuse de toutes les entreprises que « nos François ont faites pour l'habitation des « Terres-Neuves d'outre l'Océan, et le moins aydée « et secourue ». Pour cet auteur, Poutrincourt est le preux de la Nouvelle-France. « Les Français, — ajoute-t-il, — ne doivent pas oublier le nom trop méconnu de ce premier organisateur, énergique et valeureux, de la première colonie française, l'Aca die» (2).

(1) La science sociale en histoire, extrait de la Revue trimestrielle canadienne, Montréal, 1926, p. 25.

(2) La tragédie d'un peuple, t. Ier, pp. 33 et 35.


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Un satiriste contemporain de ces essais laborieux disait que de Monts et Poutrincourt avaient consumé leurs forces à arracher les épines au Canada. A quoi Lescarbot répondait : « Ces épines ne sont qu'oeillets et roses à ceux qui se résolvent à ces actions héroïques pour se rendre recommandables à la mémoire des hommes ». (1). L'image de part et d'autre n'était pas moins exacte que pittoresque. Ce que n'avait pas prévu le libelliste parisien qui exerçait ainsi sa verve ironique au détriment des colonisateurs, c'est que le gentilhomme picard avait jeté sur le terrain défriché une belle semence qui devait germer et croître.

La petite graine confiée au sol pierreux s'est développée et elle a dressé vers le ciel des tiges robustes. L'arbre s'est élevé, il a étendu largement ses rameaux, et c'est sous son tronc puissant, c'est à son ombre protectrice que l'influence française s'est implantée en Amérique du Nord.

Poutrincourt a songé, le premier, à utiliser la fertilité et la richesse du sol du Canada. Les exploitations qu'il a fondées s'étendirent et se perfectionnèrent grâce aux travaux de drainage et d'endiguement de d'Aulnay et plus tard de de Meules, qui utilisèrent et poursuivirent les labourages et lotissements du début. Il a donné ainsi l'essor à une production agricole qui ne fut dépassée, avec le temps, que par la production

(1) LESCARBOT, pp. 476-477.


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manufacturière, tant l'industrie prit d'extension dans cette vaste contrée.

Poutrincourt a déclenché le mouvement de l'émigration des Picards au Canada, qui se recommande par le nombre et la fécondité. Les effets multiples de ces apports de population furent appréciés de bonne heure en Nouvelle France, car, dès 1664, lorsque M. de Tracy (1) et le vicaire apostolique, M. de Laval, supplièrent le Roi d'envoyer des familles pour le peuplement, ils mirent la Picardie au rang des trois provinces qu'ils estimèrent les plus propres à répondre à leurs espérances, parce que les populations de ces pays élus étaient plus laborieuses, plus propres à la culture des terres et plus religieuses que celles voisines des ports où se faisaient d'ordinaire lès embarquements (1).

(1) Alexandre de Prouville, marquis de Tracy, lieutenantgénéral des armées du Roi, Vice-Roi en Amérique du Nord.

(1) Le P. DE CHARLEVOIX, t. Ier, p. 380.

Parmi les premiers Picards transplantés au Canada, il faut citer un Amiénois qui donna grande tablature à Champlain. C'était un nommé Le Bailly (ou Le Baillif), « grandement vicieux » et « perfide à son Roy et à sa patrie ». Il passa au service des Anglais, et Champlain le trouva dans le camp ennemi à la reddition de Québec.

D'autres représentent la Picardie de façon plus avantageuse, le P. Jean de Quen, d'Amiens, né en 1600, fils de Nicolas, marchand, et de Antoinette Delewarde, parti en 1635 pour les missions, mort victime de son dévouement au service des pestiférés ; le P. Buteux, d'Abbeville, martyrisé par les Iroquois en 1652. Bulletin de la Société d'Emulation d'Abbeville, 1927, p. 381. D'autres encore, tout en demeurant dans la métropole, s'occupèrent de l'expansion française en Nouvelle France.


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L'oeuvre de Poutrincourt se prolonge dans tous les domaines au delà des premiers résultats apparents. La marche qu'il a imprimée aux âmes en quête d'un idéal religieux est considérée en Nouvelle-Ecosse comme l'ouverture d'une ère nouvelle. Les baptêmes qu'il a fait célébrer sont regardés, — ainsi qu'en témoigne la commémoration de leur troisième centenaire en Gaspésie, — comme la

Jacques Samson, d'Abbeville, plus connu sous le nom de P. Ignace, carme déchaussé, se consacra à l'établissement des Carmélites en sa patrie, détermina une jeune veuve, Mme de la Peltrie, à fonder un couvent d'Ursulines à Québec, qui prit un grand développement. Le P. René Rouault, fils du seigneur de Gamaches, donna aux Missions du Canada, en 1626, la somme nécessaire à la création du collège de la même ville.

Le Manuscrit 9279, Nouvelles acquisitions françaises, f° 39, à la Bibliothèque nationale, donne des listes de Picards émigrés au Canada. M. le Dr Lomier les a publiées utilement dans Nova Francia, en les complétant à d'autres sources, notamment à l'aide du Dictionnaire.... de l'abbé Cyprien Tanguay, Montréal 1871-1886, et auprès de M. A. G. Doughty, archiviste du Canada.

Nous relevons, pour le XVIIe siècle, les noms suivants : Catherine de Belleau, fille de François, écuyer, seigneur de Cantigny, de Warmel (commune de Mézières-en-Santerre) et de Pommeroy, née en 1639 à Pommeroy, ferme dépendant de la paroisse de Saint-Agnan (commune de Grivesnes, arrondissement de Montdidier) détruite à la fin du xvne siècle ; Catherine de Belleau épousa Jean-Baptiste Morin, dit Rochebelle, mort Conseiller au Conseil supérieur de Québec en 1694 ; Anne d'Hocquincourt, de la paroisse de Brocourt (paroisse de Jean, de Poutrincourt) ; Claude Delaunay, de la paroisse Saint-Jean-desPrès, d'Abbeville ; Nicolas Samus, chirurgien ; Henri Bezard, porteur du surnom populaire de Lafleur, le principal personnage du Théâtre des Comédiens en bois d'Amiens ; Pierre Croteau ; Louis Jacques ; Jean-Baptiste Lefebvre ; Aubert de la Chesnaye ; Joseph Hébert ; Nicolas Choquet ; Nicolas Pache ; Jean Guilbert ; Cottin, tous d'Amiens, ou de villages voisins ; Pierre Hogues, de Bellifontaine (commune de Bailleul) ; Pierre Blanchet, de Rosières ; Martin Démellier, d'Ault ; Julien Mous-


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naissance même de cette organisation religieuse canadienne dont le rôle fut si considérable au cours des siècles, puisque, pour un historien comme J.-B. Ferland, elle sauva le Canada, « colonie catholique fondée par la France... quand la France eut disparu ».

seau, de Vïlleroy (canton d'Oisemont), François Le Maître, dit La Morille, etc.

Beaucoup de noms de personnages et de lieux nous sont revenus du Canada défigurés et méconnaissables. Un travail de vérification pour mettre ces renseignements en valeur, quelques recherches pour rétablir l'exactitude des noms, seraient nécessaires.

Ainsi, Picard Alexandre, qui habitait Québec en 1758 est porté originaire de « Miny-Saint-Georges, diocèse d'Amiens ». C'est évidemment de Mesnil-Saint-Georges, arrondissement de Montdidier qu'il s'agit. Davejuy Paul, originaire de Raindeville est probablement né (en 1642) à Rainneville (canton de YillersBocage, ancienne prévôté de Beauquesne) ; du Bos Charles, de Bouverène, était vraisemblablement de Beuvraignes, canton de Roye. De La Houssoye, et non de La Houssaye était l'un des fils de Louis-François de La Houssoye, écuyer, seigneur de Neuvillette et de Gouy, et de Françoise-Louise Chabot. C'était apparemment Nicolas-François, écuyer. Il était donc originaire de Maizicourt (canton de Bemaville) et non de Méricourt (près d'Hornoy).

« Charlotte de Coguenne de Bezonville, fille d'Aloy et d'Honorée Quintal », est en réalité Charlotte de Coppequesne, fille d'Aloph, écuyer, seigneur de Bazonville, et d'Honorée de Nointel. Aloph, fils de Gilles et d'Anne Tillette de Mautort, fille d'un maïeur d'Abbeville, était d'une famille du Vimeu alliée aux Pocholles, seigneurs de Cornillon et du Hamel, villages voisins de Poutrincourt.

Il est probable qu'Aloph eut plusieurs filles du nom de Charlotte, car on trouve une transaction passée entre Françoise de Coppequesne, fille d'Aloph et d'Honorée de Nointel, et Gilles de Coppequesne, son frère, et Phillebert de Coppequesne, son beau-frère, suivant acte devant Me Jean Beauvisage, notaire royal à Gamaches, le 10 septembre 1667, au sujet de la succession de Charlotte de Coppequesne.


PL XII. — LES ÉCHANGES COMMERCIAUX.

(Fin du xvue siècle).

D'après une gravure de VHistoire de l'Amérique du Nord,

par de Bacqueville de la Potherie (1722).



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Poutrincourt et ses compagnons ont été les premiers à parler de notre nation aux aborigènes, à faire retentir les échos des collines qui bordent les péninsules et les archipels de la mer Atlantique au Sud des Terres-Neuves, des accents de la langue française. Marc Lescarbot, modeste ouvrier de la pensée, la propageait parmi les sauvages. Et, lorsqu'il s'est agi de fêter en Amérique du Nord le souvenir d'une manifestation littéraire et dramatique inaugurale importée de l'Ancien Continent, c'est encore l'esprit créateur de Poutrincourt qu'on a honoré derrière les rimes indigentes de Lescarbot.

Notre idiome national, objet de ce juste hommage, le sentiment français qui en est inséparable, et dont on devine la pénétration timide et hésitante à la suite de nos hardis novateurs, se sont depuis affirmés et perpétués dans ces régions. Aujourd'hui encore, comme le disait Barrés dans la préface de la Littérature Canadienne de Paul Mainfray, les mères continuent d'endormir les enfants avec des chansons de la vieille France. Les patois picards et normands chantent toujours leur lente mélopée dans les parlers populaires ; on les retrouve avec leurs naïvetés et leurs archaïsmes dans les histoires de ftfollets qu'on raconte aux longues veillées d'hiver dont Hénon, dans Maria Chapdelaine nous a révélé la rustique poésie.

Grâce à ces initiateurs, la langue harmonieuse de Ronsard et de Malherbe s'y est implantée de bonne heure ; elle s'y est enracinée avec une vigueur

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inébranlable ; les transformations politiques de 1763, la substitution de la législation anglaise aux anciennes coutumes ne l'ont pas atteinte. Ce n'est point là un vain résultat d'amour-propre national. Il a eu des conséquences et des répercussions lointaines. Chose remarquable, c'est dans les contrées de langue française que le développement si rapide de la population du Canada s'est affirmé avec le plus de puissance. Les derniers recensements montrent la supériorité débordante de notre élément sur l'élément britannique.

Poutrincourt et ses compagnons ont ainsi fait naître des liens intimes et indissolubles entre deux grands pays que l'Atlantique sépare. Ils ont, en s'établissant dans cette contrée, en y amenant des familles entières, en indiquant le chemin à leurs successeurs, créé des affinités de races qui ont résisté aux événements politiques, aux influences de la domination anglaise ; ils ont jeté les bases premières des amitiés franco-américaines qui, dans des heures tragiques, se sont plus d'une fois muées en une étroite et touchante fraternité d'armes.

Les noms ignorés de Jean de Poutrincourt et de Charles de Biencourt devraient être inscrits en lettres d'or au fronton de nos gloires provinciales, sans aucun doute ; mais tous deux ont droit à une consécration plus complète et plus haute encore, car ces hommes, pétris de toute les qualités dominantes de notre race, furent avant tout de grands Français.


APPENDICE

i

ENFANTS DE JEAN DE POUTRINCOURT ET DE CLAUDE PAJOT, DANS L'ORDRE DES NAISSANCES;

1° CHARLES, né en 1591 ou au commencement de 1592.

2° DIANE, née à Guibermesnil en Janvier 1598.

3° JEANNE, née au même lieu en Avril de l'année suivante.

4° autre JEANNE, née en Août 1600.

5° JACQUES, deuxième fils, né en Mars 1602.

6° CATHERINE, née en Mai 1603.

7° CLAUDE (OU Claudine), née en Janvier 1606.

8° CHARLOTTE, née en Août 1608.

Sept enfants, sans aucun doute possible, naquirent à Guibermesnil en Picardie, en dix ans, de 1598 à 1608. Les preuves suivantes sont dédiées aux nombreux auteurs qui font de Jean de Biencourt un gentilhomme champenois :

«Le huictième jour de Janvier en l'année que dessus (1598) a esté baptisé une fille à Jehan de Biencourt, escuier, nomée Dienne, le parrain Flourimon de Biencourt et la marraine Dienne de Maillot. »


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«Le quinziesme jour de Apvril en l'année que dessus (1599) a esté baptisé unne fille à Jehan de Biencourt, escuier, nomée Jeane, le parrin chire dom Le Vuasseur et la marrine sapience du Gru. »

« Le xiie d'Aust (1600) a esté baptisé une fille à Jehan de Biencourt, laquelle a esté nommée Jehanne par son parrain Jehan d'Esquincourt et ses marrines Jehanne Pruvost et Françoise d'Esquincourt. »

« Le xxie de Mars (1602) a esté baptisé un fils à Jehan de Biencourt, escuier, nomé Jacques, par ses parrin et marrine, assavoir Jacques de Biencourt, Anthoine d'Esquincourt et Jenne d'Aplaincourt. »

Les d'Esquincourt demeuraient à Brocourt. Voir Nobiliaire de Ponihieu.

« Le dernier jour du dit mois (de Mai 1603) a esté baptisé une fille à Jehan de Biencourt, laquelle a esté nommée Catherine par ses parrin et marrine, assavoir sire Philippe de Sélincourt et Jeanne Lovy et Marguerite Lovy. »

Philippe de Sélincourt, curé de Saint-Jean de Brocourt, était «prebtre religieux de l'abbaye de Saint-Pierre lez Sélincourt. »

« Prime, le ine jour du mois de Janvier (1606) a esté baptisé une fille à Jehan de Biencourt, laquelle a esté nomée Claude par son parrin et sa marraine, assavoir Jacques de Gricourt et Jehanne de Vismes. »


— 513 —

« xne d'Ault (1608) a été baptisé une fille à (Jehan) de Biencourt, escuier, laquelle (a esté nommée) Charlotte par ses parrin et marrine, (assavoir Vie) tor (?) Le Cofre et Jeanne... »

Extrait des registres de catholicité de Saint-Jean de Brocourt. Archives départementales de la Somme. -

Le village de Guibermesnil, quoique possédant son église du xve siècle, avec ses fonts baptismaux du xie siècle, était alors attaché au prieuré-cure de Saint-Jean de Brocourt. Il fut par la suite érigé en cure.

II.

LA PRISE ET CAPITULATION DE LA VILLE DE MÉRY-SUR-SEYNE. AVEC LA DEFFAITE DU SIEUR DE POITRINCOURT, ET SA MORT, ET GOMME LE TOUT EST ARRIVÉ, ET LES NOMS DE CEUX QUI Y ONT ASSISTÉ, ET AUTRES PARTICULARITEZ REMAR

QUABLES.

A Paris, chez Abraham Savgrain, rue S. Jacques au dessus de S. Benoist.

M. DC. XV. Avec permission.

« Ceste-cy sera pour vous apprendre la prise de Merry qui a esté bien tost faicte, & laquelle ce brasse, il y a quelque quinze iours au plus. le vous


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en diray quelques particularités. C'est que Monsieur de Poitrincourt demeurant au chasteau de SainctJust, Monsieur de Sainct Sepulchre, Monsieur de Rouuilly, ont pris intelligence, & ont parlé aux Capitaines des garnisons de Prouins et Nogent, pour auoir de leurs soldats ce qu'ils pourroient pour le seruice du Roy à la dite prise de Mery, à quoy les Capitaines se sont accordez, et ont donné la moitié & plus de leurs soldats soubs la conduite d'un Lieutenant de la garnison de Nogent, avec plusieurs volontaires des habitans de Nogent, & partirent tous Ieudy dernier bié-délibérez pour aller à Rouuilly, prendre, en passant ces gents, & ce trouver au rendez-vous avec les gents desdits sieurs de Poitrincourt, & Sainct-Sepulchre, au village de Maigrigny, qui est au bout de la chaussée de Mery, ils estoient asseurer d'autres trouppes qui dévoient partir de Troyes, et qui estoient en bon nombre. Mais ceux-cy desdits sieurs de Poitrincourt, Sainct-Sepulchre, et Rouuilly, On tient qu'ils auoient enuie de surprêdre la ville auparauât que les trouppes de Troyes fusesnt venues avec leur Canon, c'estoit le dessein dudit Poitrincourt, afin de s'en rendre Gouuerneur, comme il a esté autres fois : Mais il en est arrivé autremêt, combien que ne soyons qu'à cinq petites lieues dudit Mery, nous ne pouuions sçauoir nouuelles certaines de ce qui se passoit, auparauant la Prise, mon frère qui est demeurant à Troyes m'escriuit au vray de Jeudy dernier, ce qu'on faisoit audit


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Troyes pour ledit siège de Mery, disant que ledit iour de Jeudy il estoit sorty dudit Troyes quatre pièces de canon auec des munitions pour tirer cinq ces coups, soubs la conduite des Echevins et plus de mil cinq cents hommes dé ladite Ville aussi, auec les trouppes du Marquis de Rénel, fils de celuy qui a esté tué il y a quelque temps, celles de Monsieur d'Andelot et autres du pays aussi, Monsieur le Marquis de la Vieuville avec ses trouppes, qui est Lieutenât de Roy du costé de Rheims, et estoiêt bon nombre, & tous ce trouuerent Vendredy dernier audit Mery, je ne sçay si vous y auez esté pour en sçauoir l'assiette, la Ville qu'on appelle la haute Ville est du costé de Sainct-Just close de murailles et fossez ou il ny a point d'eau, murailles qui ne vallent gueires. C'est le costé ou estoient les trouppes de Troyes avec le canon et celles des Seigneurs que ie vous ay dit cy-dessus, la basse-Ville est du costé de leurs chaussées et prairies ceste basse Ville est vne mesme place que nostre basse Court qui est en prise de tous costez comme nous sommes, en laquelle ledit sieur de Poitrincourt ce logea sans résistance auec lesdits sieurs de Rouuilly, S. Sepulchre, & les Garnisons de Nogent & Prouins, car Monsieur de Lamet ne faisoit garder ladite basse-Ville.

« Ledit de Poitrincourt se défilant des grandes trouppes qui estoyent de l'autre costé, auoit enuie d'y entrer, & se rendre le Maistre, or eux estans en ladite basse-ville, ne sçachant ce qui se


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passoit de l'autre costé, la composition dudit sieur de Lamet (après auoir tiré 7. ou 8. coups de Canon) se faict auec Monsieur de la Vieu-ville, Lieutenant de Roy, sans le sceu du dit de Poitrincourt, et les autres. Assauoir que ledit de Lamet, et ses gens sortiroient avec armes et bagage sauuez, tambour battant, & faict la cérémonie gardée en telle affaire, le dit sieur de Lamet demande à parler à Monsieur de Rouuilly qui estoit en la basse-ville, il y passe et y estant passé dans vn bachot, ledict sieur de Poitrincourt se fascha, son dessein ne reûissant comme il desiroit. Et estant fâché de ceste composition sans luy, dit à ses gens qui m'aymera qui me suyue et passe l'eau à pied luy et ses gents, l'eau n'est grande que jusques au genoux, il s'en va à la haulte-ville qui n'est fermée de murailles du costé de ladite basse-ville, ains seulement de quelques vaisseaux, outre dedans, disant viue le Roy et Poitrincourt, et ces mots, tue, tuë, sur les gens de Monsieur de la Vieu-ville, qui entroyent tous à cheual, tant gens d'armes que Carabins qui ont esté les Maistres, les soldats de Nogent & de Prouins, qui y ont entré tost après par la porte, que ledit de Poitrincourt, pensoit qu'ils le seconderoient & aultres aussi, se sont tenus en bataille en vne rue sans bouger, qui ont eu vne peur d'estre taillez en pièces, s'ils se fussent aduouez dudit de Poitrincourt, ce qu'ils n'ont faict, ains du Régiment de Nauarre, c'est ce qui les a sauuez, encores y en-il qui ont esté deualisez,


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plusieurs ont fuy voyant vne charge si rude, ledit sieur de Poitrincourt, y a esté tué, qui est bien plaint, & tous ses gens (fors ceux qui se sont peu sauuez) tant à la chaude que de sang froid, mesmes que ils tastoyent à leurs chausses, si elles estoient mouillées, & les tuoyent, c'estoit pour cognoistre les soldats dudit de Poitrincourt, on dict qu'il y en a bien esté tué 100. les autres disoient d'auantage, on n'a iamais ouy parler d'un tel fait, mesme à la veuë dudit sieur de Lamet qui estoit encores dâs la ville râgé à un coing de rue auec ses gens et son bagage, ie vous apprends ce que dessus après l'auoir ouy dire au Lieutenant qui auoit mené les soldats de Nogent et Prouins, qui l'a ainsi racompté à nostre Capitaine où i'estois, tellement qu'a présent Mery est en l'obéissance du Roy.

« A Prouins ce 6. Décembre 1615. » Bibliothèque d'Amiens ; Histoire, 2705-2.

III.

HISTOIRE MÉMORABLE DE CE QUI S'EST PASSÉ EN FRANCE, TANT EN FRANCE, QUE AUX PAIS ESTRANGERS. . . SOUBZ LE RÈGNE DE LOUIS LE JUSTE, par P. B. sieur DE GAUBERTIN, Paris, 1618.

« Il semble qu'en cette exécution, & qu'en ce désir de guerre, ceux de Troyes soient originaires de la vaillance de ses anciens Troyens ; qui secondez


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du Dieu Mars, mirent en desroute plusieurs fois l'armée des Grecs. Que le Marquis de la Vieville soit leur Hector, & que le sieur de Poitrincourt, qui change ses opinions comme vu Prothée, qui se métamorphose, soit l'inconstance mesme de Paris.

« Ainsi le Marquis de la Vieville, estabry conducteur de ce dessein, & chef de cette petite troupe, mais grande de courage, conjure sa valeur a la conqueste d'vn bien perdu. Et assisté de gens, de canon, & du courage d'vne légion de courageuse Noblesse, il marche vers la ville de Mery, contre laquelle il fait tonner deux canônades, à l'instant il députe le sieur des Reaux pour sommer le Gouuerneur à la redition de la place.

« Les sieurs de Poitrincourt, de Saint-Sepulchre et de Roiiilly, qui faisoient escorte à ceux de Troye, donnent leurs opinions pour battre la ville. Entendent que le Gouverneur differeroit à se rendre, qu'il recherchoit des conditions insupportables, & délibèrent de l'assaillir furieusement, fons leurs approches, & disposent de tout ce qui estoit nécessaire pour bloquer diligemment la place.

« Le Gouverneur Lamet, qui se veoid investi de toutes pars, recongnoist que c'est à bon escient qu'on veut ioûer à quitte ou à double, & qu'à tout perdre il n'y a qu'un coup périlleux, souhaitte de capituler avec le Marquis de la Vieville, qui donne charge au sieur des Réaux de ratiffier la


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Capitulation & résoudre l'appointctement en signant les Articles, & delà en aduertissant le sieur de Poitrincourt, qui fit paroistre à cet aduertissement, que soubz vne surface de bonne mine, il recelloit vn grand corps de mauuais jeu.

« Animé de ie ne sçay quel mespris, exécute des effects qui manifestoient son père, d'intégrité fait tirer deux voilées de ses petites pièces au millieu de la Ville, pour esclorre vn nouueau desordre en la naissance de son despit.

« Il deuide vne fizée de desseins, & auorte des nouuelles confusions soubs les atteintes des orages de son canon, ceux de la Ville qui s'estoient rendus conçoivent le mespris du Marquis de la Vieville, blasment ses effects, & censurent rigoureusement sa sincérité, croyans que ce fust luy qui fist iouer le ressort d'vne mauuaise volonté.

« Cependant que le marquis de la Vieville modéroit l'intempérance de Pointrincourt, il luy fit promettre qu'il cesseroit ses furies. Mais comme il fut party pour aller en son quartier, attendant de receuoir les Clefs de la Ville de la part de Lamet, il fut adverty que le sieur de Pointrincourt s'estoit saisi de la Ville, au préjudice du Roy, & qu'il s'estoit rendu Maistre.

« Monte à cheval et auance ses trouppes pour refréner les desseins de ce nouueau séditieux, qui au milieu de ses rages, blasphemoit & attestoit en ses sacrilèges qu'il estoit légitimement gouverueur


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de Mery, qu'il y-vouloit perdre la vie, & que les admonitions de tout le monde ne luy feroient point obstacle. A la fin comme Ion vit que sa rébellion fomentoit de mauvais présages, qu'il y auoit désir beaucoup de desordre parmi la ville, la nécessité contraignit la loy, & le destin voulut que sa furie tombast au pied du trespas.

« Ces horribles mouuemens auoient esté préméditez en l'augure d'vn prodige qui aparut vn peu devant auprès de Paris, au village de Pantain, proche de Gondy. » (1).

(1) Pour Bondy.


PL XIII. — CARTE DE L'ACADIE.



ADDENDA

Page 3 6, après la ligne 8, ajouter :

4° Lancelot, né en 1454, seigneur de Marcilly, Béton et Potangis, écuyer du Roi, mort en 1515, époux en premières noces de Louise de Courcillon, et, en secondes noces, de Marguerite des Vignes.



INDEX ALPHABÉTIQUE DES NOMS PROPRES

Abbesse (rue de 1'), 36. ABBEVILLE (Guillaume d'), 36.

— (Louis d'), 8, 36. Abbeville, V, VI, 5, 7, 8, 9, 26, 27,

28, 31, 35, 36, 48, 49, 83 à 88, 90 à 92, 97, 101, 105, 114, 121, 122, 131, 135, 199, 200, 400, 442, 506, 507, 508.

— (Hôtel-Dieu d'), 36. Abénaquais (pays des), 239, 249. ACANOUANIS (Loth), 317. Açores (les), 222, 415, 460. ACOSTA (Joseph d'), 372.

ACTAUDINECH, 313, 320, 324.

ADDÈNIN (François), 233. AIGNEVILLE (Quentin d'). 31. AILLY (Ch. d'), baron de Picquigny, 40.

— (Adrienne d'), 469.

— (Louis d'), 469. Ainval-lez-Sénarpont, 200. Airaines (Somme), 8, 9, 31. Airvaux, 32, 42.

ALAVOINE DE LA COTTE (Nicolas), 122.

ALBRET (Amanieu d'), sire d'Orval, 6.

ALEXANDER (William), comte de Stirling, 484, 488, 489, 491.

Algonquins (pays des), 162, 177.

ALINCOURT (d'), V. Villeroy.

ALINCTHDN (d'), 89, 90.

ALLONVILLE (Jaspart d'), 101.

ALORGE (Pierre), seigneur d'Hardevelle, 124.

Ambleteuse, 25.

Ambleville, 445.

AMBOISE (cardinal d'), 15.

AMBROISE (saint), 219, 314.

AMERVAL (Godefroy d'), 89.

Amiens, VIII, 13, 22, 23 à 28, 31, 34, 50, 84, 109 115 116, 122, 194, 201, 347, 415, 468, 506, 507, 508, 517.

AMYOT (Jacques), 148.

ANASTASE (saint), 17.

ANCELIN, 287.

Ancerville, 79.

Andainville, 112.

ANDELOT (Ch. de Coligny, marquis d'), 432, 515.

Andelys (les), 119, 124.

ANDOUINS (Corisandre d'), 53, 64. V. Gramont.

Ange Saint-Michel (T), nav., 453.

Angers, 81.

ANGIBAULT, V. Ghampdoré.

Anglois (port aux), 168.

Anglure 130, 297.

ANGOULEVENT (Nicolas Joubert, sieur d'), 276.

ANJOU (duc d'), 47.

Annapolis, 176, 190, 227, 256, 309. Voir Port-Royal.

Anne (fort), 256.

ANNE D'AUTRICHE, 472.

ANSELME (le P.), 15,17, 446,482.

Anthon, 13.

ANVIN DE HARDENTHUN (Pierre d'), 208.

APPIEN d'Alexandrie 251.

APPLAINCOURT (Jeanne d'), 512.

Applaincourt, 46, 59 88.

AQUAVIVA (Claude), général des Jésuites, 349.

Arçay (Cher), 300.

ARDANVILLE (Renée d'), 314.


— 524 —

ARDOUIN-DUMAZET, 433. ARDRES (Antoine d'), baron de

Crésecques, 365. •— (Françoise d ), femme de

Philippe de Biencourt, 365.

— (Louise d'), femme de Gabriel

de Pierre-Vive, 365.

— (Marguerite d'), première

femme de Ch. de Biencourt,

472, 474. Ardres, 35, 365, 476, 477. ARGALL (Samuel), 403, 405, 407 à

412, 414, 418 422, 424,

425, 480. ARGILLIERS (Jeanne d'), 447. Armouchiquois (pays des), 244,

252, 267, 272, 310, 359,

420. ARNAULT (Antoine), 351. ARPENTIGNY (Martin d'), 490. Arques (Seine-Inférieure), 395. Arrest (Somme), 31, 86. Arry-lès-Rue, 5, 6. ARSCHOT (duc d'), V. Croy.- Arvert, 425.

Ascension (île de 1'), 301. Asnoy, 15. Assay, 32. ATABALIPPA, 184. Aube (riv.), 297.

AUBERT DE LA CHESNAYE, 507.

AUBIGNÉ (Agrippa d'), 68, 287. Aubigny, 19. AUBRY (M.), 260.

— (Nicolas,) prêtre, 172, 188. AUGUSTIN (saint), 314. AULNAY D'ARGY (Jeanne d'), 17. AULNAY DE CHARNISAY (René d'),

471, 474.

— (Charles), fils du précédent,

471, 482, 489, 494. 501,

502, 505. Ault (Somme), 6, 39, 131, 132,

507. AUMALE (Charles de Lorraine duc

d'), 47 à 49, 64, 84, 85, 86,

87, 91, 93, 101, 102, 103,

114.

— (Claude de Lorraine, chevalier

chevalier 64, 65, 67.

AUMALE (duchesse d'), 42.

— (Louis d'), 39. Aumale, 11. 12, 22, 24, 48, 105. AUNA (d'), V. Dohna. Auneau, 81. Auxerre, 15. Avallon, 17.. AVENEL (vicomte d'), 43. Avesnes (moulin d'), 134. Avignon, 288, 294. Awanches, 203.

Azay-le-Rideau (château d'), 7, 20, 80.

BABOU DE LA BOURDAISIÈRE

(Isabéau). V. Sourdis. Bacaillos (Baccalaos), 182. V.

Ile Royale et Terre-Neuve. BACELER (François), 380. BACHIMONT (la dame de Lâmiré

de), 122. Bachimont, 8. Bacchus (île de), 8. Baffey, 61. Baffin (baie de), 163. Bagneux (Marne), 297. BAHUET (Richard), 101. Baie Française, Y. Française. BAILLET (Jeanne), 6. Bailleul (Somme), 507. Bâle, 13.

BALTHAZAR (le P.), 362. BANCROFT (George), 411, 417. Bar-sur-Seine, 284, 299. BARAT (Pérette), 126. BARIART (Jacques), 361. BARNAULT (Jeanne de), 483. BARRÉ (Nicolas), 304. BARRÉS (Maurice), 509. BATRHÉLEMY (Edouard de), 60. BASSOMPIERRE (François, baron

de), maréchal de France,

43. BASTEL (Claude), 98.

— (Guillaume), 130.

— (Jean), 98.

BASTIDE (Rodrigo de), 196. BATIFFOL (Louis), 141, 142, 200,

293, 337. Batturier (cap), 242.


— 525 —

BAUDE DE LA CROIX (Antoinette),

208. BAUDIN (de), 235. BAUDOUIN (Jean), 424. BAUQUEMARE (Nicole de), 262,

270. BAUQUET (Françoise), 200. Bayonne, 269, 270, 272, 273,

495, 496, 498. Bazencouri, 469. BAZIN (Simon), 112, 122, BÉAMISCH, 487.

BEAUCOURT, pour Biencourt, 458. BEAUFORT (Pierre de), notaire,

474, 475. Beaugency, 13, 81. BEAUMONT (Mathieu comte de),

55.

(Gh. du Plessis-Liancourt,

comte de), 293. Beaumont-sur~Oise, 53 à 63, 76,

79, 82, 94. BEAUNAY (famille de), 114. Beaunay (fief de), 144. BEAUREGARD (de), 84. BEAUREPAIRE (Gh. Robillard de),

154, 160, 203, 262, 270. BEAUVAIS (Pierre de), notaire,

474, 475. BEAUVAIS (Romain de), libraire,

260. Beauvais, 13, 85, 90. BEAUVARLET (Josse), 85, 89. BEAUVILLÉ (de), 25. BEAUVISAGE (Jean), notaire, 508. BEAUVOIR (de), V. Chastellux. Beauvoir (hôtel de), 36. BEAUXONCLES (de), V. Sigongne. Bécheville, 447. BECQUIN (Nicolas). 85. Bélair (Cher), 300. BELESRAT (Michel Hurault de),

149. BEIXARMIN (Robert, cardinal),

283, 339. BELLEAU (François de), 507.

— (Catherine de), fille du précédent,

précédent, Belleperche, 31.

BELLEVAL (de), 4, 5, 11, 30, 33, 36, 46, 87, 109, 127, 199, 201, 202, 208, 475.

— (François de), 201.

— (Gilles de), 41. BELLEVILLE (de), 88. Belleville-en-Beaujolais), 13. BELLIÈVRE (Pomponne de), chancelier, 291.

Bellifontaine (Somme), 507. BELLOIS (Corneille de), 1.60, 236. BELLOY (Jean de), 199, 200. BELLOY (Louis de), seigneur de

Landrethun, 90. ■— (Louis de), seigneur de Beaumery,

Beaumery,

— (Thésus de), 199, 447, 473. BÉNÉVENT DE GÉROCOURT, 126.

BÈNEVILLE (Marie-Geneviève du Perron de Benneville ou de), 475, 476.

BENOIT (moine), 171.

BENTIVOGLIO (cardinal Guy de), 340.

BÉRARD (Antoine de), seigneur de Ferrières, 201.

BERGERON (François), 473.

Bermudes (îles), 173.

Bemaville (Somme), 508.

BERTHONVILLERS (Louise de),483.

BERTRAND, colon, 333.

BÉTARDE (Jean), 27.

BÉTHISY (Jean de), seigneur de Campvermont et de Mézières - en - Santerre, 104, 105 106, 125.

Béton, 12, 521.

Beuvfaignes (Somme), 508.

BEZARD (Henri), 507.

BIARD (le P. Pierre), VIII, 177, 291. 294, 323, 326, 340, 342, 345 à 352, 354, 355, 357, 361, 362, 364, 365, 367, 368, 371, 375 à 377, 382, 383, 388, 398, 399, 404, 411 à 417, 487.

BICHON (Guillaume ),81.

BIENCOURT (Addenin de), 6. — (Adrien de), 9.


— 526 —

BIENCOURT (Aléaume de), 5.

— (Amaury de), 4.

— (Ange-Pierre-Louis de), 96.

— (Angélique de), fille de Charles,

Charles,

— (Anne de), femme de G.

d'Ostove, 105, 106.

(Amie de), comtesse de Brèves,

Brèves, 476.

— (Ansel de), 4.

— (Antoine de), frère de Florimond,

Florimond, 134.

— (Antoine de), baron de Crésecques,

Crésecques, de Charles, 476, 477.

— (Antoinette de), femme de

Louis d'Abbeville, 8.

— (Antoinette de), femme de

Jean de Béthisy, 104, 106.

— (Armand-Marie-Antoine de),

7, 80.

— (Catherine de), 511, 512.

— (Charles de), fils de Florimond,

Florimond, 41, 106, 113, 114.

— (Charles de), baron de SaintJust,

SaintJust, IX, X, 177, 215, 245, 300, 309, 313, 322, 323, 329, 330, 333, 342, 345 à 354, 356 à 360, 362, 365 à 371, 373 à 380, 382, 383, 388, 389, 398, 399, 406, 408, 410 à 413, 416, 423, 424, 425, 445, à 464, 467, 470, 471, 472, 475, 476, 478 à 483, 485, 492, 504, 510, 511.

— (Charles de), marquis de

Fortilesse, 6, 7.

— (Charles de), seigneur de

Poutrincourt et de Ghauvincourt, écuyer commandant la Grande Écurie, 80, 124, 200, 336, 461, 471 à 475, 477.

— (Charles de), fils posthume

du précédent, époux de Marie Chevalier, 475, 476, 477.

BIEN COURT (Charles de), fils du précédent et de Marie Chevalier, 475.

■— (Charles de), seigneur de Foissy, fds de Jacques et de Françoise de Mornay, 446.

■— (Charles-Nicolas de), dernier marquis de Poutrincourt, 477.

— (Charlotte de), fille de Jean

de Poutrincourt, 511, 512, 513.

— (Charlotte de), fille d'Antoine,

comtesse de Rothelin, 476.

— (Claude de), religieuse bénédictine,

bénédictine, 105, 106, 108 à 117, 125.

— (Claude ou Claudine de),

fille de Jean de Poutrincourt, 70, 203, 447, 511, 512.

— (Claudine de), fille de Jacques

et de Jacqueline de Marsangis, 446.

— (Colart de), 5.

— (Diane de), 511.

— (Florimond de), III, IV, V,

10 à 35, 40, 61, 62, 100 à 102, 105 à 107, 110, 111, 113 à 115, 118, 297.

— (François de), marquis de

Fortilesse, 6. ■— (François-Armand de), 6, 7, 80.

— (Françoise de), femme de M.

de Mïlleville, 103, 106,119.

— (Gabriel de), dit de Salazar,

446.

— (Girard de), 6, 7, 8.

— (Girard II de), 7, 8, 36.

— (Guillaume de), 5.

— (Haimfroy de), 4.

— (Henri de), 5.

— (Hugues ou Hue de), 5, 6, 35.

— (Jacques, fds de Jeannet de),

9, 10, 36, 40.

— (Jacques de), fils du précédent,

précédent, 37.


— 527 —

BIENCOURT (Jacques de), seigneur de Poutrincourt, fils de Florimond, 41, 44, 62, 79 à 91, 100, 103, 105, 106, 110, 111, 113 à 115, 117, 118, 120 à 125, 130, 133, 135, 136, 199, 447, 472, 475 512.

— (Jacques de), dit de Salazar,

fils de Jean de Poutrincourt, IX, 300, 313, 314, 442 445, 471, 511 512.

— (Jacques de), fils du précé-.

dent, 446.

— (Jacques de), seigneur de

Grande-Maison, 475.

— (Jacques, bâtard de), 134.

— (Jean de), bailli d'Abbeville,

5.

— (Jean de), fils du précédent,

5.

— (Jean de), abbé, 10.

— (Jean de), fils de Nicole, 6.

— (Jean dit Jeannet de), 8, 9,

36.

— (Jean-Séraphin de), 476.

— (Jeanne de), fille de Florimond,

Florimond,

— (Jeanne de), fille de Jean de

Poutrincourt, 314, 446, 447, 511, 512, (autre Jeanne de), 511, 512.

— (Jeanne de), fille de Jacques

et de Jacqueline de Marsangis, 446.

— (Jeannette de), 5.

— (Louis de), 32, 39, 40, 41, 44,

106, 113, 114.

— (Louis-Charles de), 475.

— (Louis - Charles - Michel dé),

477.

— (Louise de), fille de Jean de

Poutrincourt, 446, 447.

— (Louise de), fille de Jacques,

199, 200, 314, 447.

— (Marguerite de), fille de

Jacques dit de Salazar, 446.

— (Marguerite, bâtarde de),134.

BIENCOURT (Marie de), fille de Jean de Poutrincourt, 70, 447.

— (Marie de), religieuse, fille de

Charles et de Marguerite d'Ardres 476.

— (Marie de), fille de Charles et

de Gabrielle de Pluvinel, 476.

— (Mathieu de), 5.

— (Ménelaiis ou Maulvis de),

époux de Françoise Baudry, puis de Catherine du Castel, 475.

— (Michel-Charles-Louis de),

477.

— (Miles de), 8.

— (Nicole dit Colart de), 6.

— (Nicole de), fils de Jeannet, 9.

— (Philippe de), seigneur de

Poutrincourt, 123,124,136 194, 200, 313, 365.

— (Robert de), 5.

— "(Roger de), archidiacre de

Tours, fils de Charles, 476.

— (Thomas dit Flameng de), 36.

— (Vautier de), 5.

— vicomtesse de Poncins, 7. BIENCOURT (famille de), III, V,

VI, X, 3 à 10, 35, 47, 50, 93, 97, 135, 194, 4'/5.

Biencourt (village de), 4, 7, 8, 346.

BIHOREL (Michel), 376.

BINET (C), 142.

BIRON (maréchal de), 74.

BISHOP (G.), 211.

Blanchard (le raz), 268, 467.

Blanc-Pignon (le), 112, 115.

Blanche Ne/" (la), 191.

BLANCHET, 499.

— (Pierre), colon, 507. Blangy-sur-Bresle, 346. BLÉCOURT (Adrienne de), 9.

— (Guillaume de), 9. Blives, 447.

BLONDEL (Louis), 104, 106, 115. —■ (Nicole), 111.

— (Renaud), 112. BLONDIN (Jean), 216. BLOTTEFIÈRE (Louise de), 200.


— 528 —

BOIS-DAUPHIN (maréchal de), 429,

471. Bois-Rasoir, 31, 32. BOITEL DE GAUBERTIN (Pierre),

441, 444, 517. BONA (cardinal), 177. BoNDY, 520. Bon-Potage (île du), 169. BONNELLES (Robert), 122. Bonneval-en-Beauce, 49. Bordeaux, 294, 295, 429, 486, 490. BORGIA (Lucrèce), 21. Bos (Jean du), seigneur de

Tasserville, 121.

— (Charles du), colon, 508.

— (Martin du), seigneur de

Hurt, 121. Boston (Massachussets), 238, 256. BOUCHARD (Perrette, 211, 122. BOUEIX DE VILLEMORT (Marie de),

6. BOUFFLERS (Adrien de), 90. ■— (Louis-François, maréchal de)

90. BOUHIER (Jean), 457. BOUILLON (Henri de la Tour

d'Auvergne, duc de), 427,

432. BOULLAY (Claude du Bosc-Douyn.

dit du), 154.

— (François du Bosc-Douyn.

dit du), 154.

— (Pierre du Bosc - Douyn),

sieur du), 154. BOULLEY (capitaine du), 154, 170,

236. Boulley (rivière du), 170. BOULLONGNE (Hélène de), 124.

— (Nicolas de), 89, 124. BOULOGNE (Anne de), 471, 472,

477. Boulogne-sur-mer, 25, 35. BOURBON (Antoinette de), 42.

— (cardinal de), 48, 60.

— (famille de), 18.

V. Condé et Soissons. BOURBON-VENDÔME, V. Rubempré.

Rubempré. (Louise), 70.

BOURDIN, 24.

BOURG (Jacques du), 447.

— (Charles du), fils du précédent,

précédent,

— (Renée du), 447. BOURGEOIS (le président), 28.

— (Martin), 123. Bourges, 13.

BOURGOGNE (Charles le Téméraire

duc de), 13. Bourseville (Somme), 19, 132. BOURSIER, marchand de soie, 122. BOUTTË (Pierre), 112. BOUVIER (abbé), 17, 18. BOYER (Antoinette), 8.

— (Daniel), 236. BOYPRÉAULX (de), 89. Braine, 207. BRANDÀN (saint), 171. BRANTÔME (Pierre de Bourdeille,

seigneur de), 39, 143. Bray-sur-Seine, 53, 433, 438,

441. BRÉARD (Charles), 153, 154, 164,

304, 348, 360, 361, 379,

387, 390, 406.

— (Paul), 153, 154, 360, 361,

379, 387, 406. BRÉBEUF (le P. Jean de), 327, 372. BRÉMOND (l'abbé), 287, 291. 292,

339. BRETAGNE (Ch. duc de), 18, 19.

— (Henri, duc de), 19, 20.

V. Henri II. Breton (cap), 164, 1S4, 270, 490. Breuil-en-Brie, 31. BRÈVES (François Savary. comte de), 336, 476.

— (Camille), petit-fils du précédent,

précédent, BRÉZÉ (Louise de), 42, 64. BRIET (Antoine), 85, 86.

— (Nicolas), seigneur de Donquerel,

Donquerel, BRIGODE (de), 127. BRINON (Marie de), 387. Briquemesnil, 473. BRISSEAU, 122. BRISSON (Barnabe), 51 .


— 529 —

Brocourt (Somme), 116, 127, 129,

447, 507, 512, 513. Brouage (le), 498. BRUGES (David de), 351, 352, 380. Brûlées (îles), 169. Brutelles (Sommé), 5, 130. Bruxelles, 30, 340. Bue (Jean du), 357. BUCHON, 9. Buhy, 74, 75. BUIGNY-GORNEHOTTE (Jean de),

31, 84. BUISSEAUX (des), 415. Bus-lès-Catigny, (commune d'Arrest),

d'Arrest), BUSSE (François), 198, 202. BUTEUX (le P. Jacques), 327, 372,

506.

CABREROLLES (de), V. Monts.

Caen, 54, 198, 199.

Calais, 27, 28, 35.

GALLON (Antoine), 111, 112.

CALONNE (Jean de), S5.

— (baron de), 90, 99. CALVIN, 288.

GAMBRONNE (Coquart de), 9. Camps-Adam, 130. Campseau, V. Canseau. CAMUS (capitaine), 453. CAMYES (Jean de), notaire, 39, 98,

131, 132, 133, 209. CANADA (le. petit), sauvage, 471. Canada (Vice-royauté du), 156,

298, 344, 356, 371, 391,

448, 506. Canes (île aux), 168, 169. Canesson, 32. Canseau (cap), 161, 167, 168, 197,

— (port), 168, 189, 224, 225,

233, 234, 262,. 264, 265,

266, 267, 479. Cantepie-lès-Boismont, 42. Cantigny (Somme), 507. Capdenac, 13. CAPEFIGUE, 68. CARAYON (le P. Auguste), 349,

357, 362. Carcassonne, 209.

Gamelle, 55.

CARPENTIER, notaire, 126. CARTIER (Jacques), 149, 189, 244,

281, 325, 486. Casquets (les), 191. CASSINI, 39. Castel (rue du), 36. CASTELIÈRE (Marguerite de), 73. CASTILLE (capitaine), 86. — (Pierre de), 468. Caieau-Cambrésis, 30. Catelet (le), 469. Catham (port de), 238. CATHELINEAU (Emmanuel de),

483. CATHERINE DE MÉDICIS 341,

405, 445.

CAUREL (Guillaume du), 24.

Cayeux-sur-mer, V. 39, 93, 121.

Cekt-Assoriés (Cle des), 486, 487.

CHABANEL (le P.), 327.

CHABOT (Françoise Louise), 508.

CHAMPDORÉ (Pierre- Angibaut de), 188, 203, 228, 238, 249, 265, 278.

GHAMPIGNOLLE (capitaine), 48.

CHAMPLAIN (Samuel), XI, 149, 151, 161, 162, 165, 168, 169, 170, 174, 180, 181, 185, 186, 188, 197, 205, 210, 212. 230, 233, 238 242, 245, 246, 247, 248, 249, 261, 272, 277, 278, 285, 295, 298, 319, 326, 349, 351, 352, 357, 362, 365, 374, 391, 394, 395, 399, 400, 401, 403, 404,

406, 414, 415, 417, 419, 420, 422, 486, 491, 494, 495, 503, 506.

Champ-Renard (hôtel du), 365. CHAMPS (Henri des), seigneur de

Montmorin et de Vaux,

126, 130.

— (Jacques des), 61.

— (Jean des), seigneur de Marcilly,

Marcilly, 130.

— (Robert des), 61. CHANTEMERLE (seigneur de), 365.


— 530 —

Chaource (Aube), 299.

Charbonnière (la), 374.

Charenton, 53, 61, 274.

Chariol, 446.

CHARLES BORROMÉE (saint), 212, 260, 315, 318.

CHARLES Ier d'Angleterre, 489.

CHARLES VII, 13, 18.

CHARLES IX, III, 44, 80.

CHARLES LE TÉMÉRAIRE, 13.

CHARLES-QUINT, 19, 21, 22, 23.

Charles de Biencourt (le), navire, 478.

CHARLEVOIX (le p. de), 159, 168, 178, 189, 205, 210, 228, 234, 244, 249, 272, 286, 289, 295, 304, 312, 328, 333, 334, 338, 348, 349, 350, 351, 353, 354, 366, 367, 368, 393, 418, 419, 422, 506.

CHARNY (Anne de), 37.

CHARTRAIRE (chanoine), 14, 15, 17, 37.

Chartres, 81.

CHASTE (Aymar de), 153, 154, 298, 395.

— (François, baron de), 153. CHATEAUBRIAND, 7, 205. Châteaubriant, 109. Château-Thierry, 429, 431. CHATEL (Jean), 287. CHATELUS (Hélène de), 16.

— (Jean de), 16. CHATILLON, V. Coligny. GHAULNES (comte de), 469. CHAUMONT (Antoine de), 482.

— (Jacqueline de), 482. Chaumont-en-Bassigny, 110, 434,

445. CHAUVELIN (Jacques-Bernard), 6.

— (Marie), 6.

CHAUVIGNY (Marie-Madeleine de).

V. La Pelterie. CHAUVIN (Madeleine), 406. CHAUVIN DE TONNETUIT (Pierre),

152, 153, 162, 298, 387,

395, 406.

CHAUVINCOURT (de). V. Famechon.

Famechon. 118, 119, 365, 472. Chavannes, 20. Chef-de-Bois, 219. CHEF D'OSTEL, 152. CHÉMERAULT (de), 48. CHEPPY (Guillaume de), 111.

— (Jean de), 111.

— (Seigneur de), 114.

— V. La Rivière et Grouches. CHEVALIER, maître de navire de

S'-Malo, 261, 263. CHEVALIER (Guillaume), maître de navire de Honfleur, 236, 378, 379.

— (Nicolas), maître des requêtes,

requêtes,

— (Nicolas), seigneur de Vaumontel,

Vaumontel, ■— (Marie - Séraphique - Louise),

fille du précédent, 476, 477. CHEVERNY (Philippe de), 81. Chèvres (île aux), 489. CHEVRY (marquis de), 483. Chigny, 446. Chigy, 447.

CHINARD (Gilbert), 252. CHKOUDUN, sagamos, 315. Cholet, 126.

CHOQUET (Nicolas), colon, 507. Clwuakoët (pays de), 239,242,243. CHRISTINE DE FRANCE, 314. CHRISTOPHE (capitaine), 88, 89,

90. Chypre (île de), 144. CIMBER ET DANJOU, 62, 211. Cinq Iles (les), 168. CLABAULT, VI.

— (Alix), 5.

— (Jean), 132. Clamecy, 37. CLÉMENT, 85.

— (Alain), 361. CLERMONT D'AMBOISE (Louis de),

434, 515. V. Renel. CLERMONT-TONNERRE (Comtesse

Gédéon de), 292. Clesles (Marne), 297, 435.


— 531 —

GLÈVES (Henriette de), 93. Cloche (maison de la), 36. Cluny (hôtel de), 283, 284. CobleiUz, 431. • Coclois, 436. CbcQUEVlLLE (de), 97. ■— (Jeanne de), 111. Cod (cap), 237. GOEURET (Gabrielle de), 473. COLIGNY (François de), seigneur de Châtillon, 432.

— (Gaspard II de), amiral, 432.

Voir Andelot. COLOMB (Christophe), XI, 220. Compiègne (Oise), 9, 13, 50, 207. CONCINI, 429. CoNDÉ (Henri II de Bourbon,

prince de), 391, 427, 428,

429, 430, 431.

— (Louis de Bourbon, prince

de), 30.

— (Louis II de Bourbon, prince

de), 391. Condé-sur-Noireau, 198. Conflans-Sainte-Honorine, 53, 54,

60. Connecticut (fleuve), 244. Constantinople, 144. CONTY (marquis de), 29.

COPPEQUESNE DE BAZONVILLE

(Aloph de), 508.

— (Charlotte de), 508.

— (Gilles), père du précédent,

508.

— (Gilles de), 508.

— (Phillebert de), 508.

— (Françoise de), 508. Corbeil, 58, 61, 75, 79, 299. Corbel (maison du), 36. COKDIER (Mathurin), 200. Cormorans (île aux), 169. CORNEHOTTE (de), 84. GORNÉIO (Pierre), 68. Cornillon-lez-Lanchères, 508. CORNUEL, 490.

COTHEREAU (Jean), notaire, 446. COTTIN, d'Amiens, colon, 507.

COTTON (le P. Pierre), 287, 290, 291, 293 à 296, 338 à 340, 342, 347 à 349, 351, 355, 356, 360, 373, 382, 387, 389, 390.

Coucy, 430.

COUÉRON (pour Lomeron), 458.

COUILLARD (Henri), maître de navire, 236.

COUILLARD-DESPRÈS (abbé Azarie), 247, 357, 483, 488, 489, 500, 501.

COULOGNE, V. Robin.

Coulommiers, 95.

COURCELLES (François de), seigneur de S*-Deniscourt, 483.

COURCHELLES (Jean de), 5.

GOURCILLON DE DANGEAU (Louise de), 108, 521.

Courlille (la), 68.

CRAMOISI (Jean de), 446.

Craon, 15.

CRÉSECQUES (baron de), V. Ardres

Crésecques, 472.

Crécy, 53.

Crécy-en-Ponthieu, 5.

CRÉQUY-CANAPLES, 145.

CRESMELLE (Etienne de), seigneur du Gas, 201.

CRESSEN (Jean de), 112.

CRISPIN DE PASSE, le jeune, 474.

CROCQ (capitaine du), 90.

— (Louis du), 38, 39. CROQUOISON, 23. CROTEAU (Pierre), colon, 507. " Crotoy (Le), 9, 85, 199. CROWNE (William), 488.

CROY (Jean de), comte de Rceux, 104.

— (Philippe de), duc d'Arschot,.31.

d'Arschot,.31. (René), 36. CUIGNET (Isabeau), 31. Cuignières, 31.

DAGOBERT II, 109. DAGOSTA (Mathieu), 270. DALE (Thomas), 401, 406.


— 532 —

DALGUERDY (Joannys), 497. DAMAS (Jean), V. Marcilly. Damas, 144. Damiette (fief), 32. DAMONNEVILLE, 134. DAMPIERRE (Mme de), 314. DANGEAU (de), V. Gourcillon. DANIEL (le P. Antoine), 327, 372. DANJOU, V. Cimber. Dauphin (rivière du), 174, 229,

232, 256, 257, 310, 333,

423. V. Equille. DAVELUY (Paul), colon, 508. DAVESTRAIS, 459. DAVID, 454, 490. Davis (détroit de), 163. DAVOST (le P.), 372. DEBRESNE (Samuel), 456. DECAEN (Guillaume), 449. DEGUERROUX,495, 496,497, 498. DELAUNAY (Claude), 508. DELEENS (Claude), 98.

— (Clément), 98.

— (Louis), 98.

DELEWARDE (Antoinette), 506. DELHOBEL (Jean), 112. DEMAGNY (Jean), 490. DEMARSY (Arthur), 207, 468. DEMELDEMAN (Pierre), 122, 123.

V. Meldeman. DEMELLIER (Martin), colon, 507. DENYS (Nicolas), 455, 489. 491. DEPICASSARY (Joseph et Thomas),

456. DEPOILLY-HUIART, 131. DEQUEN (Nicolas), 506.

— (le P. Jean), 506. DERIN (Jean), 216. DERLIAIQ (Arnould), 451. DÊSGÀRDIN (Marand), 132, 133.

— (Mathieu), 132. DESNOT, notaire, 52. DESPRÉAULX, procureur, 196,201. DESSILLES (Jeanne), 154. Deux-Baies (cap des), 187. Dieppe, V, 83, 153, 162, 299,

335, 342, 346, 347, 349, 351, 352, 357, 366, 379, 391, 395, 397, 424, 462.

Digby (Nouvelle-Ecosse), 190. Dochel-Isle (Maine), 187. Docquet (faubourg), 48, 86.

— (rue), 36.

DOH'NA (burgrave de), 81.

DOLLÉ (Louis), 287.

DOMPIERRE (Jacqueline de), 31.

DOMPIERRE (de), 199.

DORÉ (Noël), 105.

DOSNE (Jean), 361, 397.

Doudeauville, 476.

DOUET d'ARCQ, 60.

DOUGHTY (A. G.), 507.

Doullens, 35, 48, 49.

Dourdan, 81.

Douteuse (île), 248.

Douvres, 415.

DRAC (Marie de), 70.

Dreux, 32, 39, 40, 41, 95.

DROUART, 396.

Druy, 475.

DUBOIS (Pierre), 55.

DUBOS, 85.

DUBUS (Gabriel), 45S.

DUCORROY, 85. DUFAU, 490.

DULAURE(J. A.), 78. DUMAIS (Arnould), 498. DUMEIGE (Antoine), 134.

— (Jacques), 105.

— (Thonette ou Antoinette),

134.

DUPIN (baron Charles), 176, 177.

DUPONT-WHITE, 85.

DUPUIS (Antoine), 105.

DUPUY, X, 177, 236, 269, 293, 311, 465, 484.

DUQUESNE. "V. Quesne,

DURAND (Georges), 50.

DURAND DE VILLEGAGNON, viceamiral, 303, 304;

DURET (Jean), 70.

— (Louis), 126.

DUROT (Jacques), 196, 202.

— (Philippe), 30. DUVAL, 85.

DUVERGIER DE HAURANNE. V. Saint-Cyran.


— 533 —

ECLAUSE (Michelle de 1'), 6.

Ecorcheveau, 299.

ELBEUF (Cli. de Lorraine, grand

écuyer de France, marquis

d'), 126. ELISABETH DE FRANCE, 314. ENCISO (Martin-Fernandez de),

196. Epaumesnil (Somme), S, 9, 114,

118,120,122,136,194,365. Epée (maison de 1'), 36. Epemay, 297. Equille (riv. de 1'), 174, 235, 258,

333. V. Dauphin. Ercourt (Somme), 8. ERONDELLE (Pierre), 211. ESCLE (seigneur d'), 88.

ESCODBLEAU DE SOURDIS. V.

Sourdis. Espérance (Y), navire, 154. ESPINOY (Marie d'), 476. Espoir en Dieu (Y), navire, 236. ESPRINCHARD (Michel), 216. ÈSQTJINCOURT (Françoise d'), 512.

— (Jean d'), 512. ESTE (Alphonse d'), 21.

— (Anne d'), 21, 42.

— (Hercule d'), 21, 22, ESTIENNE, archiviste de la Somme, 458.

ESTOURNEL (Antoine d'), 114. ESTOUTEVILLE (Colart d'), 469. ESTRÉES (d'), 29.

— (Gabrielle d'), 268, 293, 341.

— (Maréchal d'), 340. ËTAMPES (duchesse d'), 19. Etchemins (les), peuplade, 162,

187, 204, 239, 249, 301, 304, 358, 359, 371, 378, 500.

Etrépagny (Eure), 120, 123.

Eu, I, 81, 348.

FÂCHE (Nicolas), colon, 507. FAILLON (l'abbé), 328. FAMECHON DE CHAUVINCOURT

(Philippe de), bailli de

Gisors, 41, 119.

— (Françoise de Malleterre,

femme de Philippe de), 41, 120.

— (Renée de), 34, 118, 123,

124, 200, 472. FARDEAU, notaire, 71, 73, 396. Falouville-sur-mer, 154. FAU (Marguerite du), V. Sigongne. FAUCON, 84. FAUR DE PIBRAC, 142. FAY (Marguerite du), 123. Fay, 469. FAYET, 262. Fécamp, 21.

FÉRET (Jacques), colon, 380. Férct (moulin), 105, 134. FERLAND (abbé), 247, 364, 365,

467, 487, 508. . FERMENT, notaire, 160. FERRANT (Louis), 107.

— (Martin), 133. FERRARE (cardinal de), 36.

— (duc de), 21, 22, 100. Ferrare, 22, 100. Ferrières, 15. FERVAQUES, 68.

FISKE, 411.

FITAN (Alfred), 59.

FITZ-JAMES (Edouard duc de), 7.

— (Elisabeth de), 7. Flamermont, 31.

FLÈCHE (Jessé), patriarche de la Nouvelle France, 284, 299, 301, 311, 317, 321, 338, 340, 362, 370, 372.

FLEURY (Charles), capitaine de navire, 400, 402, 403, 404, 406, 407.

Fleury, 8.

FLOCQUES (Guillaume de), 209.

FLOS (Nicolas du), 133.

FLOUEN (Thomas), 131.

FLOURY (capitaine), V. Fleury.

Fluy, 31.

Fonlaine-sur-Somme, 31, 127.

Fontainebleau, 268, 348.

FONTANON, 99.

Fontenay-en-Poitou, 60.

Fontenay-le-Comte, 69.


— 5'34 —

FORET (Marie de), 447.

— (Joseph), 457. FORMENTIN, V. . FORT (Jean), 134. Fortilesse, 7.

Fortune (la), navire, 451, 452, 453, 454.

Fortuné (port), 247, 248, 249, 420.

FOUAGHE, notaire, 469.

FOULQUES (capitaine), 216, 217.

Foumban (mission de), au Cameroun, 322.

Fourchu (cap), 331.

FOURNIER (E.), 78, 79.

— (Le P. Georges), 203, 209. FRAMEL (Louis de), 86, S8. FRAMETZ. V. Framel. Française (baie), 170, 176, 190,

238, 250, 301, 307, 331,

333, 359, 371. V. Fundy. FRANÇOIS Ier, il, 12, 18, 19, 20,

109, 150, 208, 325. FRANÇOIS II, 30, 42. François (le), navire, 154. FRANÇOIS, sergent royal, 499. FRANÇOIS-XAVIER (saint), 326. FRANÇOIS, 497, 498. Françoise (la), navire, 497. Franleu (Somme), 87, 89. FRÉARD (Jean), 387. Fresneville, 31, 32, 105, 106, 115,

118, 120, 122, 136, 194,

365. Froidmantel (rue), 470. Froyelles (Somme), 200. FRUCOURT (Oudart de Monthomer,

Monthomer, de), 86. Fundy (baie de), 156, 171, 172,

173, 237.

Voir Baie Française. FUSIL (Antoine), curé de Paris,

274, 275.

GAILLARD (Alexandre), 90, 91. GAILLON (seigneur de), 447. GALAMETZ (comte de), 91. GAMACHES, Y. Rouault. Gamaches (Somme), 9, 31, 83, 507, 508.

Gannat, 13.

GARÂT (Pierre), 456.

GARNEAU (François-Xavier), 140, 155, 247, 269, 350, 362, 400, 419, 474, 503.

GARNIER (le P. jésuite), 327.

GAUBERTIN, V. Boitel.

GAUDE (Catherine), 71, 126.

GAUDECHART, V. Querrieu.

GAYARDON (André de), 397.

GAZIER (Augustin), 177.

Gênes, 16, 15, 151.

GENTIEN (Jean), 6. . ■— (Luce), 6.

GEORGES (Anne), 216.

GEORGES ET MACAIN, 160, 211, 215 à 217, 258, 290, 397, 424, 425, 451 à 455, 459, 478, 479.

GEORGES (Pierre), 459.

— (Samuel), 424, 449, 454, 458. GÉRIN-LAJOIE, 487.

GÉRIN (Léon,) 140, 141, 142, 146,

285, 504, GÈVRES (de), 447. GIBERC'OURT (de), 28. GILBERT (Humphroy), 163, 237.

— (John), 237. Gisors, 54, 79, 124. GOBELIN (Balthazar), 52. GODET DES MARAIS (Claude), 361.

— (Paul), 361. GoiSE (Pierre), 495. Go MER (Ch. de), 31.

— (Christ, de), 31. Gondy, pour Bondy, 520. Gonesse, 54. GONTAUT (de), 482. GORRÉ (Jacqueline), 209. GOSNOD (Barthélémy), 237. GOSSELIN (Alfred), 475. GOSSELIN (Edouard), 160, 236

379, 402, 403, 407, 450, 454. GOULLART, 458. GOURDET, 426. GOURDO'N DE GENOUILHAC, 51.

Goumay, 61. Gournay, 469. Gouy, 508.


— 535 —

GOYAU (Georges), 259, 315, 316, 323, 349, 372, 418.

Grâce de Dieu (la), navire, 352, 357, 359, 391, 397.

GRAMBUS (Charles de), 201.

GBAMONT (Antoine de), 64, 65, 67.

— (Philibert de). 64. Grande-Maison, 475. GRANDMARE (Anne de), 314. Grand-Pont (rue), 160. GHANDSERT DU GASTEL (abbé),

282. GRAVÉ (Robert), 154, 245, 246,

303, 304, 360, 361. ■— (Jeanne), fille du précédent,

361. Gray, 13, 14. GRÉBAULT, 86. GRÉBERT (Antoine), 115. GRÉGOIRE XIII, 110, m. GRÉGOIRE XV, 283, 340. GRENET (Marc), 130. GRENIER (dom), 55, 60, 208. Grenoble, 294.

Grewoille (Nouvelle-Ecosse), 489. GRIBEAUVAL (Ch. de), 9.

— (Marguerite de), 9. • GRIBOVAL, V. Grouches. GRICOURT (Jacques de), 512. GRINEAU (Françoise), 29. Grivesnes (Somme), 507. GROUCHES (Robert de), seigneur

Griboval, 86, 88. GROULART (Claude), 54. GROULT, 378, 449. GRU (Sapience du), 512.

GUAMILLA, 183.

GUELDRE (duc de),-11.

Guérard-en-Brie, 445.

GUERCHEVILLE (Antoinette de Pons, marquise de), 292, 293, 298, 339, 340, 342, - 344, 345, 348, 349, 350, 351, 364, 365, 377, 390, 393, 394, 397, 398, 404, 419, 420.

GUÉRIN (Eugène), 247.

Guernesey (île de), 267.

GUERRA (Christoval), 421.

Guibermesnil (hôtel seigneurial de), 45, 127, 128, 129, 130, 193, 228, 511.

— (Seigneurie de), 31,41, 71,72,

87, 101, 106, 115, 117, 118, 125, 126, 129, 137, 202, 206, 396.

— (village de), VIII, 87, 115,

127, 129, 131, 142, 207, 241, 447, 511, 513.

GuiCHARDIN, 39.

GUICHE, V. Gramont.

GUILBERT (Jean), colon, 507.

GUILLAUDEAU (Paul), 497.

GUILLAUDEAU (Pierre), IX, 177, 426, 458, 498.

GUILLAUME (maître), 275, 276.

Guines, 476, 477.

GUISE (Charles, duc de), 338.

— (Claude Ier, comte d'Aumale

et de), 11, 12.

— (Claude II, duc de), 12, 19,

21, 22, 23, 49, 64.

— (François, duc de), 21, 22,

23, 25, 26, 27, 28, 29, 35, 40, 46, 47, 51.

— (Henri, duc de), 81, 82, 120,

447. Guise, 12. Gumery, 446.

HACHETTE (Jeanne), 13. HAIGNERÉ (chanoine), 128. HAILLY (Ed. du), 173. Halifax (Nouvelle-Ecosse), 190,

330. HALLIBURTON, 487. HAMEL (Jacques du), 19.

— (Jacques du), 115.

— (Jeanne du), 105. Hamel (le), 89, 508. Hamel (le Petit), 5, 6, 8, 93. HAN (Ch. du), 198. HANOCQUE (Antoine), 122, 134. HANOTAUX (Gabriel), 186, 394. HARCOURT (Jacques d'), 9. HARDEVELLE (Pierre Alorge, seigneur d'), 124.

HARDIVILLIER (de), V. Le Maître.


— 536 —

HARRISE (H.), 364.

HAUDECOUSTRE (Cli. de). 9.

HAUDIQUER, 126.

HAUDRECHIES (famille de), 5.

HAURANNE (de), V. Saint-Cyran.

HAY (Daniel), 238, 245, 261.

HÉBERT (Joseph), colon, 507.

HÉBERT (Louis), colon, XI, 238, 246, 247, 300, 357, 369, 376, 398, 399, 425, 427, 451. 452.

Hébert (rivière), 333.

Hélicourt (Somme), 31.

Hendaye, 270.

Hennezis (Eure), 119.

HÉNON, 509.

HENRIETTE D'ANGLETERRE, 489.

HENRI II, 12, 21, 23, 24.

HENRI III, 48, 51,52, 80, 82,134.

HENRI IV, V. VII, 51 à 62. 67, 69, 74 à 76, 79, 82, 83, 85, S6, 90 à 97, 134, 141, 142, 150 à 153, 155 à 159, 176, 178, 179, 196 à 198, 203, 214, 261, 265, 268 à 277, 285, 287, 289, 291 à 296, 298, 313, 314, 329, 334, 338, 341, 348, 353, 3S5, 393, 395, 430, 440, 443, 468, 469, 504.

HENRI VIII, 21.

Hermenstein, 431.

HÉRIDÉ-CUISTECQ, 497.

HÉROARD (Jean), 363.

HÉROULT (Louise), 199.

HESDIN (Antoinette de), 48.

Hesdin, 19, 201.

HEUQUEVILLE (baron de), 85, 86. V. Roncherolles.

HOCQUINCOURT (Anne d'), 507.

Hocquincourl, 9.

HOGUES (Pierre), colon, 507.

HONEMECHIN, V. Olmechin.

Honfleur, 153, 154, 159, 161, 204, 225, 236, 268, 277, 298, 359, 360, 361, 387, 393, 397, 406, 426, 447.

Hôpital (terre de 1'), 33.

Homcastle, 409.

Hornoy (Somme), 508. HOSPITAL (de 1'), V. Vitry. HOSSOMAN (François), 90. Huanville, 447. Hudson (baie d'), 186.

— (détroit d'), 163. HDET (Marie), 216. HUMIÈHES (Jean de), 46, 49, 50. Hurt, commune de Gayeux, 121.

IGNACE (saint), 326.

— (lo Père), V. 507.

Ile Royale, V. Bacaillos et Royale.

Iles (baie des), 168.

IMBERT (Nicolas),V. Angoulcvent.

— (Charles), 447.

— (Simon), 364, 365, 369, 370. IRVING (Wasingthon), XL ISABEAU DE BAVIÈRE, 18. ISEMBART, 4.

Isle-Adam, 53, 54, 60. Issoires, SI. Ivry, 52, 76.

JACQUES Ier, roi d'Angleterre, 283.

JACQUES (Louis), colon, 507.

JAILLOT, 39.

JAL (Auguste), 468, 470.

Jameslow (Virginie), 406, 411.

JANSON (Michel), 380.

JANVIER (chanoine), 326.

JARDIN (du), 346, 348.

Jargeau, 13.

JARRIC (du), 295.

Jean (le), navire), 478, 479.

JEANNE D'ARC, 13.

JEANNIN (le président), 291.

Jemsek (fort). V. La Tour (fort).

Jersey (île de), 267.

Jeufosse, 445.

JOGUES (le P.), 327.

Jonas (le), navire de la Rochelle, 216, 219, 220, à 224 226, 228, 233, 234, 236.

Jonas (le), navire, 40, 402, 403.

JOSSE (le prédicateur), 50.

JOUANNET D'HAREMEDEL, 495.

JOUBERT (Nicolas), V. Angoulevent.


— 537 —

JOURDIEU (Antoine et Marie), 73. JOUY (de), 300, 314. JOYEUSE (François), cardinal de, 341.

— (Paule de), 153. JUVÉNAL, 206.

Kébec, 279, V. Québec. Kennebec, 237, 239. Keseben (lac), 239. Kiaitbetsi (rivière), 239. Kinibequi, 244, 500. KlRKE (David), 487. KRAINGUILLE, 492.

L'ABBÉ (capitaine), 364, 365,

366, 369, 370, 373, 374,

375, 376. Labbéville, 445. LABITTE (Ch.), 51. Laboissière, 116. LA BOULAYE, V. Boulay. LA BOVE (Guillaumette de), 9. LA BRUYÈRE, 323. LAC (Abraham du), 457. LA CHAUSSÉE (Pierre de), 57, 63,

68. LA CHAUSSÉE D'EU (Laurent de)/

86. LA CHENAYE-DESBOIS, VI, 4, 6,

18, 19, 23, 62, 96, 109,

154, 444, 446, 447, 469,

480. LA CHESNAYE (Aubert de), 507. LA CROIX (Peulippe de), 209. LAET (Jean de), 348, 349, 404,

443. LAFAYE (de), 144. LA FERTÉ (sires de), 4. LA FIE, 447. LAFLEUR, colon, 507. LA FONTAINE (Adrien de), 79.

— (Louis de), 79.

LA FOSSE (Berthe de), 111. LA FRANCE, colon, 414. LA FRETTE (de), 440. Lagny, 13.

LA GORGUE-ROSNY (de), 90, 200, 201, 208, 209.

LA GRANDILLE (Adrien de), seigneur de Doudeauville, . 476.

La Haye, 288, 351.

LA HOUSSOYE (Louis-François de) 508.

— (Nicolas-François de), 508. La Hève, 330, 398, 419, 479, 493,

495. LAJEUNESSE (Jacques), 117.

— trafiquant, 262. Laleu, 130.

LALLEMANT (le P. Ch.), 393, 404.

— (le P. Gabriel), 327, 393.

— (Jean), 200.

— (Louis), 39.

LA MARTHONIE (Geoffroy de),

VIII, 384, 385. LA MEILLERAIE, 300. LAMETH (Charles de), comte de

Bussy, 431.

— (Louis, comte de), vicomte

de Laon, 430, 435, 436,

437, 438, 515, 516, 517,

518. LAMETS, pilote, 403. LA MORILLE, colon, 508. LA MORLIÈRE (chanoine de), 3. LA MOTHE (de), 122. LA MOTHE DE MONT-BERNARD

(Antoine de), 73. •— (Balthazar de), 467.

— (Bertrand de), 73.

— (Charles de), 73.

— (Charles-Prosper de), 73.

— (Jean de), fils d'Antoine), 73,

126, 461, 467.

— (Marie de), fille de CharlesProsper,

CharlesProsper,

— (Marie de), fille d'Antoine, 73

— (Prosper de), 1er échevin de

Paris, 73, 461 467.

— (Prosperde),filsd'Antoine,|73. LA MOTTE-CADILLAC, 308.

LA MOTTE-LE-VILLIN, 397, 403. LAMOURETTE, 85. LANCHÈRES (Jeanne de), 7, 8. Lanchères (Somme), 9, 39, 98, 130, 132.


— 538 —

LANDRETHUN, V. Belloy.

LA NEUFVILLE (de), 122.

LANGLOIS, imprimeur, 275.

Langres, 108, 284.

LA NOUE (le P. de), 372.

Laon, 430.

Lantages, 284, 299.

Lanterne (la), navire, 360.

La Palisse, 219.

LA PELTERIE (Marie-Madeleine de

Chauvigny. veuve de

M. de), 507. LAPIERRE (Dr A.), 440. LA POSSONNIÈRE, V. Ronsard. LARGILLIER (Nicolas), 490. LA RIVIÈRE (Adrien de), baron de

Chepy, 88.

— (François de), dit le capitaine

Chepy, 145.

LA ROCHE (capitaine), 223.

LA ROCHE-GUYON (Henri de Silly, comte de), 292.

LA ROCHE-HELGOMARC'H (Troïlus du Mesgouez, marquis de), 152, 164, 212, 298.

La Rochelle, IX, 80, 160,177, 211 212, 213, 215, 216, 219, 236 258, 286, 304, 374, 380, 397, 407, 424, 425, 426, 447, 449, 451, 453 à 456, 458, 459, 460, 469, 486, 490, 493, 495, 499.

LA ROCQUE (chevalier de), 490.

LA ROCQUE (Antoine de), seigneur du Tronquoy, 196, 207, 208.

— (Baudouin de), 208.

— (Jean de), prévôt du Vimeu,

196, 207, 208.

— (Nicole de), 208.

— (Pierre de), 208.

— (Robert ou Robinet de), 208.

— (Roland de), 208, 209.

LA ROCQUE LA TOUR (de), 7, 208, 209.

LA ROCQUE DE ROBERVAL (François de), 149 208, 209.

La Rocque (le mont de), 209, 310, 356.

LA RONCIÈRE (Gh. de), VII, 26, 151, 152, 155, 164, 171, 183, 204, 227, 278, 304, 400, 404, 421, 460, 477, 492.

LA SALLE dit Lévy (Jean de), 378.

LA SALLE (capitaine de), 438.

LA SAUSSAYE, V. Sausay.

LATENEY (Delphine de), 154.

LA TAILLE (Jean de), colon, 226, 380.

LA TOUR (Claude de), 300, 374, 380, 482, 485 à 489.

— (Charles-Amador de), fils du

précédent, 300, 380, 474,

482 à 502. •— (Jeanne de), 490. Le Tour (les fort et port), 169.

495, 497, 498, 500. La Trernblade, 424, 451, 454. LA TRÉMOÏLLE (Georges de), 15,

18.

— (Louis de), 16, 39.

— (Marguerite de), 15, 18. La Turgie, 32.

LAUNAY (Hamon de), 361.

LAURIÈRE (de), 476.

LAUVRIÈRE (Emile), VII, 152, 162, 171, 187, 227, 316, 349 404, 406, 411, 421, 455, 480, 482, 491, 494, 502, 504.

LAVAL (de), vicaire apostolique, 506.

Y. Bois-Dauphin et Sablé. La Vêla (cap de), 196 .

LA VIEUVILLE (Charles, marquis, puis duc de), 432 à 440, 515, 516. 518, 519.

— (Robert de), 440. LAVISSE (E.), 162. LEAUE, V. Liault.

LE BAILLIF, colon, 506. LEBAS (Henri), 60. LEBEAUCLERCQ (Jean de). 29, 30. LE BEL (Jacques, 446. LEBLO'ND (Dr), 201. LE BOEUF (Jacques), 209. ■— (Jacqueline), 209.


— 539 —

LEBOEUF (abbé), 78.

LE BORG'NE (André), sieur du

Coudray, 483, 502. LE BOUCHÉE DE MONVAL (JOSsine),

(JOSsine), LE CACHEUX (Paul), archiviste,

425. LE GARPENTIER, 3. LECAT, sieur de Fontaine, 22, 23. LE CHARPENTIER (Henri), 59, 60. LE CHARRON DE SAINT-ANGE

(François), 472, 477. L'ËCLAUSE (Micbelle de), 6. LE CLERCQ (Anne), 70. LE CLERCQ DE BUSSY (Adrien), 24 LE COCQ (capitaine), 359.

— (Emmanuel), 360.

— (Guillaume), 360.

— (René), V. Sausay. LE COFFRE (Victor, 513. LECOMTE, 85.

LE CORDIER," 426. Le Crotoy, 9, 85, 199. LE DEVIN (Grégoire), 86. LEDIEU (Alcius), 20, 127. LE FEBVRE (Nicolas), 386. LEFEBVRE (Jean-Bapitste), côlon,

507. LE FRANCO (Hélène), 208. LEFROID (Mariette), 98. LEGENDRE (Lucas), de Rouen,

449, 453, 454. LEGRAIN (J.-B.), 184. LE GRAND (Jacques), seigneur des

Masures, 201. LE GRAS (Joseph), 147. LEGRIS (l'abbé), 81. LE HARENGER (Louis), 445. LELONG (le P.), V. LE MAIRE, 260. LE MAÎTRE DE HARDIVILLIER,

471. LE MAÎTRE (François), colon 508. LE MOINE, 391, 392. LENDORMY, 85. LENGLES (Louis), 85. LENGLET-DUFRESNOY, 444. LENGLET (Eustache), 105, 112. LE NORMAND, notaire, 126.

LE PELLETIER (François), 361, 380.

LE ROUX (Philippe), 395.

LE ROY (Jacques), 15.

LE ROY DE MOYENNEVILLE (François), 48.

— (Nicolas), 48.

LE ROY, dit Crénacaïer (Ant.), 105

LÉRY (Jean de), 304.

LESCARBOT (Marc),. IX, X, 43, 44, 58, 62, 96, 145, 148, 155, 157, 158, 160, 161, 163, 168, 171, 174, 177, 178, 179, 180, 182, 183, 184, 188, 189, 194, 195, 198, 206 à 224, 228, 231, 233, 234, 236, 238, 243, 247, 248, 250 à 256, 258, 259, 263, 264, 265, 267, 268, 269, 271, 272, 275, 276, 278, 279, 282, 283, 284, 286, 289, 290, 294, 295, 297, 302, 303, 304, 309, 312, 314, 315, 316, 318, 319, 320, 322, 323, 324, 327, 330, 331, 333, 336 à 339, 342, 347, 348, 349, 351, 353, 358, 361, 362, 368, 371, 373, 376, 386, 389, 390, 397, 400, 403, 404, 420, 424, 425, 426, 431, 444, 467 à 470, -480, 481, 504, 505, 509.

Lesches, 79.

LESPERON, 39.

LE SUEUR (Marie), 124.

L'ESTOILE (Pierre de), 42, 48, 51, 60, 61, 63, 65, 67, 69, 70, 74, 79, 101, 126, 134, 143, 273, 274, 275, 283, 287, 288, 290, 292, 296, 341, 347, 441.

LEVEL (Salomon), 379.

LE VASSEUR (Nicolas), 133.

LEVASSEUR (Thomas), notaire, 349, 350.

— (dom), 512.

LE VASSOR (Michel), 340. LEVIS (Henri de), V. Ventadour.


— 540 —

LEYMARIE (A. Léo), 363. LHEUREUX (Toussaint), 130. L'HOSPITAL (chancelier Michel

de), 149. L'HOSPITAL. V. Vitry. LIANCOURT (de), 18, 19.

— (Charles du Plcssis, comte de

Beaumont seigneur de), 293.

(Mme de), V. d'Estrées. LIAULT (Etienne), 85, 86. LIBAULDE (Jeanne), 208. Libourne, 499.

Liesse (rivière de) 333. Liger (le), riv., 143, 232. LIGNERAC (de), V. S'-Chamond. LIGNY (de), V. Rambures. LlMICHIN (L.-P.), 33, 127. Lincheux, 365. Lis (le), navire, 478, 479. LIVAULT (Martin), 473. Liverpool (Nouvelle-Ecosse), 164,

190. LIVRE (Charlotte du), 70.

— (Nicolas du), 70. LOMBAHD (Jean et Pierre), 132. LOMERON (David), 450 à 460,

478, 479. Lomeron (le fort), 483, 492. LOMIER (Dr), 507. Londres, 211, 462, 487, 488. Long, 104.

Longue (île), 170. 173, 234, 40S. Longroy, 103. LONGUEVAL (de), 19. LONGUEVILLE (Hanri d'Orléans,

duc de), 427. LORRAINE (Charles III, duc de),

92.

— (Charles de), archevêque de

Reims, 21. ■— (Jean, cardinal de), 21, 30.

— (René II, duc de), 11.

— (maison de), 18, 20,32,42,45,

47, 50, 52, 65, V. Aumale,

Elbeuf, Guise et Mayenne.

LOUANDRE (P.-C), V, 135, 212.

Louis III, 4.

Louis XI, 7, 13, 14, 15, 141, 405.

Louis XII, 16, 21, 284.

Louis XIII, V, 80, 313, 339, 340, 342, 343, 354, 363, 385, 386, 389, 405, 428, 429, 430, 440. 468, 470 à 474, 485, 486, 502.

Louis XIV, 141, 291.

LOUIS XVI, 7, 96.

Louis XVIII. V. Provence (comte de).

Louis (fort), 495, 498.

Loups-Marins (îles aux), 169, 170.

LOUVIERS (Jacques de), 73.

Louviers, 13.

LOUVIGNY, V. Gramont.

LOVY (Jeanne et Marguerite), 512.

Lower- Granville (Nouvelle-Ecosse), 227.

LOYNES (Jacques de), 461, 465.

LUCE (Guillemette), 445.

LUILLIER (Anne), femme du seigneur de Villarceaux, 445.

— (Anne), femme de Jacques

d'O., 70.

— (Catherine), V. Saint-André.

— (Charles), seigneur de SaintMesmin,

SaintMesmin, 70.

— (Charles), fils du précédent,

70, 447.

— (Edmée-Claude), 70.

— (Nicolas), 70.

— (Paul), 70.

— (Pierre), seigneur de Coulanges,

Coulanges, 447.

— (Raoul), 498.

— (Renée), 70. Luillier (la Roche), 70. LUNÉ (de), 347. LUNEL (Jacqueline), 446. LUTHER (Martin), 288. LUXEMBOURG (Jean de), 9. Luxembourg (hôtel de), 365. LYAUTEY (maréchal), 308. Lyon, 20, 287, 294.

Mabille (fief), 31.

MACAIN (Jean), 216,424 457,458.

— (Nicolas), 216.


— 541 —

MACAIN (Samuel), 215. 216. — V. Georges. MACHART (Robert), notaire, 133. MACHAULT (François de), 475. Macheret, 14, 15. MACHIAVEL, 405. MAGfiu(Paul), notaire, 131, 132,

■ 133. MACQUAY (Ëlie), procureur, 499. MACQTJEBON (Henri), 476. MAGNE (Emile), 216. Magny, 445.

MAHEU (René), 300, 314. MAILLOT (Diane de), femme de

François d e Riencourt, 511. MAIMBOURG (le P.), 46, 60. MAINE (duc du), V. Mayenne. MAINET (Josué), 488. Mainevilk, 199. MAINFRAY (Paul), 509. MAISONNEUVE, VÏII. Maizicourt (Somme), 508. Malebarre, 236, 242. MALHERBE (François de), 206,214,

222, 251, 509. MALIVOIRE (Pierre), 112. MALLART, 105. MALLETERRE (Françoise de), 41,

120. Malte (île de), 38. MALTE-BRUN, 78. Manchecourt-lez-Abbeville, 5, 7. Manhattes (pays des), 244. MANSFELD (Charles, comte de),

95. Mantes, 52. Marcadê (porte), 86. MARCEL (Gabriel), VIII, 73, 248,

294, 300, 344, 352, 364,

368, 370, 377, 390 404,

416, 465. MARCHAND, maire de Méry-surSeine,

Méry-surSeine, MARCHIN, sagamos, 239, 240. Marchin (baie de), 239. MARCILLY (Claude de), 61. •— (Jean Damas, baron de), 61. ■— V. Champs (des).

MarciUy-sur-Seine, VI, VIII, 12, 41, 71, 72, 94, 106, 113, 114, 125, 126, 129, 130, 202, 396, 475, 521.

MAREN'NES (comte de), V. Pons.

MARESTZ (Jean des), 396.

Mareuil (Somme), 7.

MARGANSIS, V. Marsangis.

MARGUERITE DE FRANCE, reine de Navarre, 300, 314.

MARIANA (Jean), jésuite, 339.

MARIE DE L'INCARNATION (Révérende-Mère), 417.

MARIE DE MÉDICIS, X, 75, 200, 267, 293, 298, 313, 336 à 344, 346, 354, 355, 360 363, 384, 385, 387, 388, 389, 393, 398, 428, 431.

MARIE STUART, 42, 43.

Marie (la), navire, 478.

Marie du Lion (la), navire, 500.

Marignan, II.

MARION (Robert), baron de Druy, 475.

— (Catherine), fille du précédent,

précédent,

MARION (Séraphin), 212, 271, 294, 418, 421.

MAROLLES (Guillemette de), 436.

MAROT (Bernard), 380, 491, 494, 495, 496, 497, 498, 499.

MARSANGIS (Jacqueline, Guillaume de), 446.

— (Robert-Guillaume de), 446. Marseille, 25, 151. Martainneville, 5.

Martha's Vineyard (île de), 238. MARTIN (Christine), femme de du Pont-Gravé, 361.

— (Henri), 30, 65, 440.

— (Jean), maître de navire, 453.

— (Nicolas), maître de navire,

267.

— (Pierre), 483.

— (Simon), notaire. 118.

— secrétaire, 495.

— chef sauvage. 330 331. MASCHELART (Jean), 380. MassachusseU, 237, 244.

36


— 542 —

MASSÉ (le P. Enemond), VIII, 294, 322, 326. 340, 342, 345, 346, 350, 351, 354 355, 356, 367, 371, 372, 375, 383, 388, 389, 398, 399, 402. MATTHIEU DE DOMBASLE, 232. MAUPIN (Jean de), 7. MAUREVERT (Georges), 205. MAUTORT (Amie Tillette de), 508.

MAY (Jean de), 111.

MAYENNE (Ch. de Lorraine, duc de), 50 à 52, 57, 59, 75, 83 à 85, 88, 90 à 92, 94,.95, 153. •— (Henri, duc d'Aiguillon, puis duc de), ûls du précédent, 427, 471.

Mayfhwer (le), navire, 238.

Mayoc, 5.

MEAUVOISIN (Catherine de), 154.

MELDEMAN (Philippe de), 28. V. Demeldeman.

Melun, 53.

MEMBERTOU (le grand sagamos), 167, 212, 226, 236, 261, 265, 267, 273, 305, 310, 312, 313, 315 à 317, 320, 324, 367, 368, 372. — (Marie), 313.

MEMBERTOUCOICHIS (Louis, dit Judas), 313, 320, 324, 372.

Menant (île du Petit), 238.

MENDOCE (Bernardin de), 60, 64.

MENOU D'AULNAY, V. Aulnay.

MERVEILLE, 480, 481.

Méricourt (Somme), 508.

Méry-sur-Seine, IX, 96, 428 à 444, 447, 461, 513 à 520.

MESGOUEZ (Troïlus du). V. La Roche.

Mesgrigny, 433, 514.

MESNADDE (Samuel), 216.

MESNIER (l'abbé), 288.

Mesnières-en-Bray, 477.

MESNIL (David du), 380.

Mesnil, 200.

Mesnil-Sainl- Georges, 508.

Mesnil-Simon, 469.

MÉTAYER (Jamet), 54. Metz, 56.

MEULES (de), 308, 505. Mexique (golfe du), 163, 227. MÉZERAY, 61, 62. Mézières, 431. Mézières-en-Santeire, 507.

V. Béthisy. Miannay, 89.

MlCHAUD ET POUJOULAT, 171.

Miggaamàck (les), peuplade.

V. Souriquois. MILLEVILLE (Robert de), seigneur

de Huppy et d'Estreniont,

103, 105. 119, 125. MlLLOT, (Jean) 44, 211, 272, 337. Minant (île du Petit), V. Menant. Mines (port aux), 187, 190. MlQUELET, colon. 226. MIRANDE (Jean de), seigneur de

Fragnies, 457, 458, 486,

499. MOISNEL (Martin), 130.

— (Nicolas), 90. MOISSON, notaire, 160. Monceaux-en-Brie, 340, 341, 354,

355, 356. MONCHY-MONTCAVREL (Ch. de), 40.

— (François de), 40.

— (Louis de), 40. MONCHY-SÉNARPONT (Antoine de)

gouverneur de Boulogne, 102, 104, 105.

— (Jean de), 25, 102. Monconlour, 32, 41, 42, 113. MONSTRELET (Enguerrand de), 9. Mont de la Rocque. V. La Rocque. Monîagnais (pays des), 277.

MONTALANT, 351.

Montargis, 81. MONTCHENU (Marie de), 292. Montehevreuil, 445. Montdidier, 507, 508. Monter eau, 53. MONTFORT, colon, 323. MONTHOMER (Ant. de), 88.

— (Oudart de), 86, 88. Montlhéry, 13, 14.


— 543 —

MONTLUC (Biaise de), 145, 147. MONTMORENCY (Amélie de), 7.

— (Anne de), connétable, 20. :— (Guillaume de), seigneur de

Thoré, 120.

— (Henri, amiral de) IX, 378,

449 470, 476. MONTMORENCY - TANCARVILLE

(prince de), 7. MONTPELLÉ (Gilles de), 27. Montréal, 149, 427, 504, 507. Montreuil-sur-mer, 49. MONTS (J.-B. du Guast, seigneur

de), 154.

— (Pierre du Guast, seigneur

de), XI, 153, 154 à 162, 166, 168 à 170, 174. 175, 178, 179. 182. 185 à 189, 197, 198, 202 à 204, 206, 207, 214 215, 217, 218, 222, 225 à 228, 236, 237, 240, 242, 246, 249. 254, 261, 262, 268, 270 à 272, 275, 277, 278, 279, 285, 290, 298, 301, 303, 307, 352, 364, 391, 393, 395, 418, 420, 503, 505.

Monts-Déserts (îles des), 238, 239, 301, 400, 401.

MORANT, 380.

MOREAU, 298, 422, 494, 500, 501.

MOREL (capitaine), 161, 166, 167, 168.

— (abbé E.), 209. MORÉRI, 18, 70. Moret, 53. MORIN (Jean), 29.

— (Jean-Baptiste), dit Rochebelle,

Rochebelle, Morival, 201. MORLET DU MAISEAU (Philippe),

73. MORNAY (Françoise de), femme

de Jacques de Biencourt,

445, 446. ■— (Nicolas de), seigneur de

Villarceaux, 445.

— (Jean de), fils du précédent,

seigneur d'Ambleville, 445.

— (Bertin de), fils du précédent,

445.

— (Léonidas de), 445. MORNAY DE LA VILLETERTRE

(René de), 445. MORNAY (famille de), IX. Morlellerie (rue de la ),126. Morues (banc des), 301, 334, 352,

V. Terre-Neuve. Mouchibéqui (île de), 238. Moufle (enseigne de la), 126. Moulins, 21. MODRETTE (François), 201.

— (Marguerite), 208.

— (Thibaut), 208. MODSSEAU (Julien), colon, 507,

508. Mouton (port du), 165 225. MOUY (Charlotte de), 86. Mouzon, 95. MOYENNEVILLE (Ant. de), 122.

— (Antoinette de), 208. MUSSET, 216. Muttenz, 13.

Nantes, 467. NEMOURS (duc de), 52. Neslette, 5.

Neufchâtel-en-Bray, 411. Neufckâtel-sur-Aisne, 432. Neufmarché, 130. NEUFVILLE (de), V. Villeroy. Neufvillette, 508. NEVERS (Louis de Gonzague, duc de), 85, 93 à 95, 469.

— (Charles, duc de), fils du

précédent, 427.

— (duc de), 37, 67. New-Hampshire, 237, 244. New-York, 238, 244. Nibas, 208.

NICOLAÏ, Me des comptes, 69.

— premier président, 69. Nid de l'Aigle (le), 93. NINO (Pedro-Alonzo), 421. NOËL, lieutenant de vaisseau, 207,

210, 211, 212. Nogent-sur-Seine, 53, 299, 433, 437,438,441,514,515 à517.


— 544 —

NOINTEL (Honorée de), 508. NOIROT (le P.), 326. Norembèque (pays de), 239, 249.

— (rivière de), 187, 379. Notre-Dame-des-Anges, 326. NOUAILHAN (Jean de), 73.

— (Madeleine de), 73. Noyelles-sur-mer, 89.

NOYER DE SAINT-MARTIN (François du), 465, 467. NOYERS (Nicolas des), 313, 333, NUGAULT DE S'-AUBIN (Laurent), 446.

0 (Jacques d'), 70.

OAGIMONT, sagamos, 266, 331.

— (fille du sagamos), 267. OBRY (famille), 98. Ochancourt, 208, 209. OFFIGNIES (Jean d'), 104, 106.

— (dame d'), 114. Oflîgnies (fief d'), 116. Oiseaux (île aux), 171, 238. Oisemont, 4, 34, 104, 117, 129,

133, 196, 202, 207, 208,

508. OJEDA (Alonso de), 196. OLBEATJ (le P. d'), 301. Oléron (île d'), 219. OLIVIER (Guillaume), 63. OLMECHIM, sagamos, 239,240,241. Olmechim, rivière, 239. OMEDÈS (Jean d'), 37. Ontario lac), 156, 278. Ordre du Bon-Temps, 233. Orignac (riv. de 1'), 333. ORLÉANS(Gaston d'), 263,447,471.

— (le P. d'), 291, 294 à 296, 339,

342, 348, 349.

— (François d'), comte de Rothelin,

Rothelin, Orléans, 13, 109, 110,213. ORVAL (d'), V. Albret. ORVILLE d'), 188. Oslende, 145. OSTOVE (Guillaume d'), seigneur

de Glenleu, de Mattignon

et Hardenton, 105, 106,

107, 125.

Ollawa, 146, 503. Ours (rue aux), 272. Ouygoudy, riv. 187. V. Saint-Jean.

PAJOT (Abraham), 374.

— (Catherine), 72, 73, 126.

— (Charles), 69.

— (Claude), femme de Jean de

Poutrincourt, 69, 74 à 125, 126, 314, 357, 396, 446, 493, 494.

— (Hugues), 71, 73.

— (Jacques), 71, 73.

— (Isaac), 71, 126.

— (Jean), 71, 73.

— (Nicolas), 69.

— (Valentin, colon, 374.

— Me des comptes, 69.

— notaire, 126, 374.

— famille, 461.. PALMA-CAYET, 60, 65, 150, 171,

319.

Palos, XI.

Panama (isthme de), 278.

Pantin (Seine), 444, 520.

PAPOR (Marie), 456, 458.

PARDAILLAN (de), V. Belloy.

PARIS (Louis), 42,

Paris, X, 6, 13, 17, 25, 28, 47, 49 à 55. 57, 59, 60, 62, 63, 65, 67, 68, 71, 80, 82, 93, 101, 122, 125, 126, 145, 159, 198, 203, 211, 268, 272, 275, 276, 282, 293, 295, 297, 306, 319, 335 à 337, 339 à 341, 343, 345, 347, 349, 351, 362, 363, 364, 365, 366, 373, 377, 389, 390, 395, 396, 399, 426, 429, 441, 442, 446, 461, 465, 466, 467, 468, 469, 473, 474, 475, 476, 493, 513, 520.

PARKMAN (Francis), 140, 289, 291, 292, 349, 361, 362, 416, 417.

PARME (Alexandre Farnèse, duc

de), 74, 79. PARMENTIER (Martin), 112.


— 545 —

PARMENTIER (Pierre), 112.

Passamaquoddy (baie de), 187.

Patay, 13.

Pau 443.

PAUL V, pape, 146, 184, 212, 279

à 283, 285, 313, 325. PÉCOUL, archidiacre, 122. Pélican (le), navire, 455. PELLETIER, 351. PELTRIE (Mme de la), 507. Pende (Somme), 98. Penobscot (rivière de), 237. Pentagoët ou Pemetegoët, 238,

244,301,400,401,407,500. Perdrix (île aux), 168. Péronne, 46. PERRIER, notaire, 71, 73, 396,

446. PERRON (du), V. Béneville. Petit-Hamel, 5, 6, 8, 93. Petit-Pélican (le), navire, 456,458. Petit-Pré, 33. PHILIPPE-AUGUSTE, 5. PHILIPPE II, roi d'Espagne, 150. PIAT (le P.), 326. PICARD (Alexandre,) colon, 508. PlCAULT, procureur, 494. PICOT de SOMPUIS (Eustache),447. PIENNES (de), 29. PIERRE-VIVE (Gabriel de), 365. PIETTE (Ed.), 211. Pigeon Blanc (le), navire), 378. Pignon Blanc (maison du), 112,

115. Pinon, 430 . PISSELEU (Anne de), 19. Plaisir (le), navire, 478. Planche-aux-Nonains (la), 36. PLASTRIER (Jean), 380, 406. Plessier-Saint-Just, 431. PLON, 502. PLUVINEL (Antoine de), 80, 470,

471, 473, 474. — (Gabrielle de), 80, 471, 474,

475, 477. POCHET (David), 126. POCHOLLES (famille de), 508. POCQUES (Jean et Raoul), 90.

V. Alincthun.

POILLY (de), 85.

POINTEL (Jean), 375.

PoiRSON (A.), 99, 150, 151, 155, 157, 159, 179, 271, 278.

Poissonnière (la), 36.

Poix (Pierre de), 477.

Poizat, 6.

Pommeroy (Somme), 507.

PONCHARTRAIN (de), V. Pontchartrain.

Ponches, 90.

PONCINS (vicomtesse de), 7.

PONS (Antoine de), 292.

Pons, 154.

PONT (Claude de), 42. — (Jean de), 42.

PONTALLIER (Diane de), 434.

PONTCHARTRAIN (Paul - Phélipeaux de), 340, 430.

PONT-GRAVÉ (François Gravé, sieur du Pont, dit), 161, 162, 165, 168, 169, 185, 186, 203, 204, 205, 225, 228, 233, 235, 236, 245, 246, 257, 277, 303, 361, 366, 377, 449, 450, 451, 460.

Pont-Rémy, 48, 87, 95.

PONT-SAINT-PIERRE (de), V. Roncherolles.

Pont-à-la-Chaîne, 36.

PONTHIEU (comtesse de), 4.

PONTHOILE (François de SaintBlimont, seigneur de), 84.

Pontoise, 13, 50, 54, 60, 75.

Porte-Ottomane, 476.

Port-Fortuné, 247, 248, 249, 420.

Port-Mort (Eure), 119.

Port-Royal-en-Acadie, VI, IX, 44, 70, 176, 178 à 190, 197, 205, 209, 225 à 229, 234, 235, 237, 248, 249, 250 à 266, 269, 275, 278, 279, 286,289,300,305,306,307, 309, 311, 313, 314, 316, 317, 318, 321, 323, 329, 331 à 334, 337, 342, 345, 347, 350, 353, 357, 358, 359, 360, 362, 363, 364,


— 546 —

365, 366, 370, 377, 382, 384, 387, 388, 389, 391, 395, 397, 398, 399, 406 à 414, 416, 418, 419, 420, 422 à 427, 428, 429, 431, 438, 449, 450, 451, 455, 456 461, 465, 467, 475, 478, 479. 480, 482, 484, 486, 489, 493, 501, 503, 504.

Porl-Royal-des-Champs, 176, 177, 472, 477.

Portsmouth, 238.

POSTEL (Antoine et Fromin), 134.

— (Françoise de), 200.

— (Noël de), seigneur du Mesnil,

Mesnil,

— (Philippe de), 200. POTANGIS (Hubert et Jean-Baptiste de), 446.

Potangis, 12, 521. Poulangy (abbaye de), 108, 110. POUSSEMOTHE (Jean), 105. POTJTRINCOURT (Mme de), V. Pajot

Pajot et Salazar

(Jeanne de). Powiriiicourl (château de), II, III,

IV, V, 33, 34, 35, 43, 45,

124, 147.

— (moulin de), III, 131, 132,

133. ■— (seigneurie de), V, 5. 7, 8, 31, 32, 89, 93, 104, 114, 115, 118, 119, 121, 126, 130, 365, 472, 476.

— (village de), I, 38, 39, 87, 89,

93, 98, 124, 126, 130, 241,

508. PRAROND (Ernest), V, 36, 46, 48,

84, 87, 88, 161, 199. Prée-Ronde, 229, 407. Presles-et-Boves, 207, 470. PRÉVERT (Jean Sarcel de), 171,

319. PRÉVOST (Marie), 73.

— (Pierre), 290. PRIMATICE (le), 341.

Prime d'Arvert (la), navire, 425.

Prime de la Tremblade, navire,

424, 425, 426, 451.

PROU (Jean), de la Rochelle, 451. PROUVILLE (Alex, de), marquis de

Tracy, 506. Prouville-en-Ponthieu, 8. Provemont (Eure), 120. PROVENCE (comte de), 96. Providence (États-Unis), 238. Provins, 53, 433, 437, 438, 441,

514, 515, 516, 517. PRUVOST (Jeanne), 512. Puis (Guillaume du), seigneur du

Mont-Gobert, 70. PURCHAS, 416.

Québec, 186, 246, 277, 278, 279,

301, 326, 327, 365, 419,

448, 486, 503, 506, 507,

508.

QUEFDELAVILLE (Jean de), 31

QUEN (Nicolas de), 506.

— (le P. Jean de), d'Amiens,

506. QUENTIN (le P.) Jésuite, 393, 404. QUERRIEU (Pierre-François Ier de

Gaudechart, marquis de),

475, 476. QUESNE (Abraham du), 346, 348. QUESNE (du), lieutenant général

des armées navales, 346. QUESNEL (Pierre), 177. Quesnoy-sous-Airaines, 201. Quesnoy-sous— Vauchelle, 201. Quinibais, Voir Kinibeki. QUINTAL (de), pour Nointel, Voir

Nointel.

RABELAIS (François), 255. RALLUAU (Jean), 203, 234. RAMBURES (Ch. de), 88, 145.

— (Jean de), seigneur de Ligny,

88.

— (famille de), 3.

RAMEAU, VI, VII, VIII, 137,153,

159, 227, 247, 266, 306,

308, 349, 353, 357, 360,

362, 394, 397, 400, 404,

455, 467, 480, 487, 489, 493.

Ramempt, 436.


— 547 —

RAOUL (Marie de), 446. RABIN (Nicolas), 142. RAVAILLAC, 313, 443. Raz-Blanchard (le), 268, 467. RAZILLY (le commandeur Isaac de), 421, 479, 492, 501. Ré (île de), 216, 219, 431. REAL (Jean), 495, 496, 497, 498. RÉAU (Bernard), 361. RÉAUX (Gabriel de), 436.

— (de), 436, 518. REGIMBART (Jean), 112. RÉGNESSON ou Réguisson (Jean

de), 63, 235. Régneville, 387. Reinneville (Somme), 508. Reimbehen-lez-Nibas, 208. Reims, 21, 340, 356, 432, 515. RÉMY (Albert), notaire, 116. RENAUDOT (Théophr.), IX. RENÉE DE FRANCE, 21, 22. RENEL (Louis de Clermont-d'Amboise, marquis de), 434, 515 RENÏY (Anne de), 61. Renly, 23.

RETART (François), notaire, 131. RETZ (de), 29. Reuilly, 445.

RIBAUCOURT (François de), 201. ■— (Jacques de), 201.

— (Marguerite de), 201.

— (Pierre de), 131. RICHARD-COEUR-DE-LION, 5. RiCHARDSON(Harriett Taber),256. RICHELIEU (cardinal de), 340,

421,440,476,485,492,495. RICHER (Jean), IX. RIENCOURT (Christophe de), 104,

111.

— (Florimond de), 511.

— (Jean de), 103, 105. RIFFLART (Firmin), 107. RIGAULT (Georges), 418. Rigauville, 115, 118. RIVAUT (Fleurance), 386. ROBERVAL (de), V. La Rocque. ROBIN (Charles), 300.

ROBIN (Claude), 300. ■— (Jacques), sieur de la Prévôtière, 300.

ROBIN DE COULOGNE (Catherine), 314.

— (Thomas), 300, 304, 313,

346, 347, 350, 351, 365. ROBINOT, notaire, 126. ROCHEBELLE, 507. ROCHEMONTEIX (le P. Camille de),

316, 328, 375. Rocheuse (île), 171. >

ROCOLET, 474. Rogean (Somme), 199. ROGER (P.), 19, 46.

ROHAULT, 85.

Rois Mages (îles des), 238. ROLAND (échevin), 49.

— (Martin), 51.

— (Nicolas), 51, 52.

— (élu),. 51.

ROLLET (Marie), 357 .

Rome, 349, 476.

Romilly, 433.

RONCHEROLLES (Pierre de), seigneur de Pont-Saint-Pierre 83, 85, 86.

V. Heucqueville. RONSARD (Louis de), seigneur de la Poissonnière, 18.

— (Pierre de), fils du précédent,

214, 509.

RONSSERAY (du), 402.

ROQUEMONT (Claude de), sieur de

Brison, 486. Roscoff, 267. Rosières (Somme), 507. ROSSIGNOL (capitaine), 164, 166,

191, 192. Rossignol (le port), 164, 168._ ROTHELIN (comte de), V. Orléans.

ROUAULT (Aloph), seigneur de Gamaches, 31.

— (Nicolas), 103, 105, 507.

— (René), fils du précédent et de

Françoise Mangot, 507. ROUCY (Brunon de), 109.

— (Claude de), 108, 110. ROUCY (Hugues de), 109.

— (Nicolas de), 108.

Rouen, 55, 159, 160,- 236, 260, 290, 335, 351, 378, 379,


— 548 —

387, 397, 400, 402, 403, 407, 425, 426, 447, 449, 450, 451, 453, 459, 460, 467.

ROUILLAC (Joseph), 456.

RouiLLY (de), 433, 437, 514, 515, 516, 518.

Rouilly, 433, 514.

ROUSSEL (Jean), notaire, 31.

Rouvroy (faubourg), 48.

Royale (île), 161. V. Bacaillos.

Royale (place), 474.

Roye (Somme), 13, 508.

Rozoy-en-Rrie, 95.

RUBEMPRÉ (André de BourbonVendôme, seigneur de), 89, 120, 121, 122.

Rue (Somme), 86, 89.

Sable (cap de), 161, 169, 225, 231,

491, 492. — (île de), 152, 163, 165, 352. SABLÉ (Philippe - Emmanuel de

Laval, marquis de), 472. Saco (rivière de), 237. SACQUÉPÉE DE SÉLINCOURT (Jean

de), 50. SAGARD (frère), 372. Saint-Agnan (Somme), 507. SAINT-ALLAIS (Nicolas Viton de),

4, 62, 80, 82. Saint-Amant-de-V'Allier, 13. SAINT-ANDRÉ (Catherine L'Huillier,

L'Huillier, de), 70. SAINT-ANGE (Le Charron de), 472. Saint-Ange (château), 340. SAINT-AUBIN, V. Nugault. Saint- Aubin-du- Cormier, 16. Saint-Au bin-Rivière, 104. Saint - Audebert -du- Presle, 207,

469. Saint-Augustin-en-Floride, 227. Saint-Barthélémy (paroisse), 274. Saint-Benoît, à Paris, 513. Saint-Blimont (Somme), 28. SAINT-BONNET, 490. SAINT-CHAMOND-LIGNERAC,64,65. SAINT-CHÉRON (de),V. Chaumont. SAINT-CLERCQ, 84, 85. Saint-Cloud, 299.

SAINT-CYRAN (Jean Duvergier de

Hauranne, abbé de), 177,

472, 477. Saint-Denis, 13, 21, 49, 54, 63,

64, 65, 80. Saint-Deniscourt (Oise), 483. SAINT-ETIENNE (Ch. de), V. La

Tour. •— (Aimé de), seigneur de Turgis,

482. Saint-Far geau, 15. Saint-Georges (église), 36, 91. Saint- Germain-en-Laye, 24, 29,

268, 269, 327, 363, 445, 492, 501.

Saint-Germain (abbaye de), 77, 445.

— (faubourg), 482.

— (porte), 365. Saint-Hilaire-de-Sens (église), 446. Saint-Jacques (rue), 273, 513. Saint-Jean-des-Prés, d'Abbeville,

507. Saint-Jean d'Acre, 5. Saint-Jean de Brocourt, 447, 513, Saint-Jean-de-Luz, 160, 269, 270,

491, 494, 495, 496, 497.

— (navire), 458.

Saint - Jean - en - Grève (paroisse),

126. Saint-Jean (île), 161.

— (rivière), 187, 190, 264, 266,

269, 426, 481, 500. Saint-Just, VIII, 14, 15, 297, 428,

431, 435, 438, 439, 444.

472, 514, 515. Saint-Laurent (fleuve), 149, 156,

162, 168, 181, 186, 277,

278, 326, 448. Saint-Leufroy-de-Suresnes (église),

77, 78. Saint-Malo, 160, 198, 261, 267,

269, 270, 272, 273, 319,

326, 352, 378, 447, 449,

450, 459. Saint-Martin (faubourg), 68, 69.

— 199.

Saint-Maulvis (château de), V, 118, 122, 123, 199.


— 549 —■

Saint-Maulvis (commanderie de), 32, 123, 194.

— (moulin de), 122, 134.

— (seigneurie de), 8, 9, 24, 25,

32, 33, 87, 115, 118, 120,

122, 123, 365, 472, 475.

— (village de), 10, 31, 34, 35,

87, 104, 105, 107, 109, 110, 111, 112, 113, 115, 120,

123, 133, 134, 194, 202.

Saint-Maur-des-Fossés, 18, 53.

Saint-Maurice-Trizouailles, 17.

Saint-Michel (mont), 242, 267.

Saint - Nicolas - des -Chanips (paroisse), 199.

Saint-Nicolas (quartier), 217. Saint-Oulph, 435. Saint-Pierre-en-A b beville (prieuré)

122 . Saint - Pierre - de - Sélincourt

(abbaye de), 512. Saint-Pierre et Miquelon(\les),224. Saint-Pol, 19. SAINT-QUENTIN (Antoine de), 200,

201.

— (Didier de), 200.

— (Jacques de), 200. SaintrQuentin, 24, 56, 469. Saint-Riquier (Somme), 200. Saint-Roch (paroisse), 476. Saint-Sauveur (Pentagoët), 400 à

403, 406, 407, 418. SAINT-SÉPULCRE (de), 433, 514,

515, 518. SAINT-SIMON (famille de), 18, 79.

— (Anne de), 79.

— (Françoise de), 201.

•— (Louis de Rouvroy, duc de), 79, 293, 440, 446.

SAINT-SOUPLIS, V. Watteblérie.

Saint- Valery-sur-Somme,l,'XI, 5,9, 21,27,30,38,39,45,87,88,89, 93,98,124,130,131,132,133, 161,200,207,208,209,400.

Saint- Venant, 19.

Saint- Vincent, 13.

Saint-Yon (rue), 216.

Sainte-Anne-de-Ristigouche (Gaspésie), 316.

Sainte-Cornille (bois), 129.

Sainte-Croix (île), 185, 187, 188, 189, 190, 204, 227, 237, 238, 264, 301, 302, 303, 331, 406, 407, 416.

SAINTE-EUGÉNIE (soeur), 477. V. Boulogne.

Sainte-Honorine, V. Conflans.

Sainte-Marie (baie), 169,170,188.

— (rade), 170. Sainte-Maure, 108. Sainte-Meneliould, 428. SAINTOYANT (J.), X. SALABERGE (sainte), 109. SALAZAR (Annibal de), 37.

— (Barbe de), 108.

— (Claude de), 61.

— (François de), 17, 61.

— (Galéas de), 15.

— (Hector de), 15 à 17, 297.

— (Jean de), 12, 13.

— (Jeanne de), femme de Florimond

Florimond Biencourt, IV, VIII, 12, 16, 33 à 36, 40 à 44, 103 à 107, 109 à 113, 115, 116, 118, 119, 121, 125. 296.

— (Lancelot de), 108, 521.

— (Louis de), 15, 37.

— (Louise de), 61.

— (Marguerite "de), 108.

— (Suzanne de), 17.

— (Tristan de), 15 à 18.

— (famille de), III, 44,148, 297. SALONE (E.), 178, 391. Sallenelles-lez-Pendé, 132. SAMSON (Jacques), dit le P.

Ignace, V, 507. SAMUS (Nicolas), 507. SANGNIER D'ABRANCOURT, V. SANSON (Louis), 85. SARCEL (Jean), V. Prévert. Sark (île de), 267. SARPE (Antoinette), 8, 9, 36.

— (Enguerrand), 8.

— (Jean), 8, 9. SATYRUS (saint), 219. SAUGRAIN (Abraham), 513. SAUSAY (René Le Coq, sieur du),

387 à 390, 397 a 400, 402 à 404, 406, 419.


— 550 —

SAUVALLE (Jean), 128, 129.

SAUZAY (Pierre du), 154, 387.

SAVARY, Y. Brèves.

Schelbume (Nouvelle Ecosse), 190.

Scotck-Fort, 489.

Sedan, 95.

Seine (fleuve), 297. 299.

SÉLINCOURT (Philippe de), 152.

Sélincourt, 512.

Sénarpont, 105, 130.

Senlis, 49, 483.

Sens, 17, 18, 446.

Seudre (rivière), 124.

Séret, 32.

SERRES (Olivier de), 99.

Séverac, 13.

SHAKESPEARE (William), 238.

SIENNE (Pierre du Sauzay, sieur

de), V. Sauzay. Sienne (la), rivière, 387. SIGIP-ARCHITRAS, 497. SIGONGNE (Ch. Timoléon de

Beauxoncles, seigneur de)

300, 347, 348.

— (Marguerite du Fau, dame de)

314, 347.

— (Robin, seigneur de), 300. SIIXERY (Nicolas Brûlart, marquis de), chancelier, 291, 343, 344, 355, 384.

Sillery, 294.

SIMON (Charles), 55, 59.

— (maître des mines), 188. SMITH (John), amiral, 460. Sommes (détroit de), 400. Soing, 200.

SOISSONS (comte de), 5. SOISSONS (Charles de Bourbon,

comte de), 391. Soissons, 207, 428, 429. Soleil (le), navire, 453. Soleure, 351. SOMPUIS (baron de), 447. Sorlingues (îles), 267 . SORREAU (François), 424, 425,

451 à 454, 459. SOTJABE (duc de), 109.

— (Richilde de), 109. Soubadine (la),navire,495,496,497. SOÛLAS (Charles), 123.

Soupçonneuse (île), 248.

SOURDIS (Isabeau Babou de la Bourdaisière, veuve de François d'Escoubleau de), - 292, 342. ■

Souriquois (les), peuplade, 165, 226, 239, 245, 247, 266, 267, 304, 305, 311, 313, 314, 316, 319, 320, 322, 367, 370, 410, 500.

SOUTAMPTON (Henri, comte de), 237.

SOUVRÉ (Gilles de), maréchal de France, 363, 386, 471.

— (Madeleine de), marquise de

Sablé, 471. SOYÉGOURT (François de), 122. SOYER (Adrien), lieutenant général au bailliage de Caux,

395. SPINOLA (Ambroise, marquis de),

145. STIRLING (comte de), V. Alexander.

Alexander. (Maximilien de Béthune,

duc de), 99, 152, 155, 269,

270, 287, 337. Sully-sur-Loire, 14, 15. SULTE (Benjamin), VIII, 140,

300, 357, 503. Suresnes, 75 à 79, 94. Suse (pas de), 20. SUSLEAU (François de), 85. TABER RICHARDSON (Harriett),

256. Tadoussac, 162, 182, 189, 197,

262, 277, 448. TAILLOURDEAU, procureur, 497,

499. Taisnil, 24.

TALBOT (Edward-Allen), 306. TALLEMANT DES RÉATJX, 75, 216,

217, 384, 440.

— (Pierre), 216.

TANGUAY (l'abbé Cyprien), 507. Tasserville-lez-St-Blimonl, 121. Taulpin (fief), à St-Demiscourt,

483. Taulpinerie (rue de la), 216. TAVANNES (vicomte de), 95.


— 581 —

Terre-Neuve (banc de), 156, 163, 166, 178, 197, 204, 223, 290, 301, 334, 335, 352,

387, 424, 460, 495, 504, 509.

TÊTEREL, 426.

THET (le P. Gilbert du), 364, 369,

388, 389, 390, 393, 399, 403.

THOISON (E.), 293. Tholon, 17.

THIERRY (Rolin), 431. THIMOTHÉE (capitaine), 161, 191,

192. THOMAS (Antoine), 13.

— (Honoré), procureur, 456,

458. THORIGNY, 17. THOU (Jacques-Auguste de), 60,

234, 247, 287, 288, 428. Thuit (le), 119. THURE'S (Claude de), seigneur de

Villeperdue, 300. TILLETTE (Jacques), 85 .

— (procureur), 85. TILLETTE DE MAUTORT (Anne),

508. Tilloloy, 104. Tilloy, 42.

TITRE (Louise du), 447. Tixerandrie (rue de la), 126. TOSCANE (duc de), 92. Tours-en-Touraine, 50, 54, 300. Tours-en-Vimeu, 89, 202. Toulencourt, 469. TRACY (Alexandre de Prouville,

marquis de), 506. Translay (le), 7.

Tréasurer (le), navire, 403, 406. Tremblade, V. La Tremblade. TRÉMELET (Jean-Edmée de), 446.

— (Edmée), femme de Ch. de

Biencourt. 446.

— (Marie de), femme de Gabriel

de Biencourt, 446. Trente (concile de), 109. Tréon, 40.

Trois-Rivières (les), 417. TRONVILLE (Ch. de), 473. Tross, 211.

Troyes, 430, 432, 434, 437, 441, 442, 514, 515, 517, 518,

TRUQUIN (Jules), notaire, 105, 111, 112, 113, 114, 123. 130, 131, 134.

Truyeau, 8.

TUFFET, 490, 492, 494.

TURGIS, V. La Tour.

— (Balthazar de), 483.

— (Blanche de), 482.

— (Claude de), 482, 483.

— (Michel de), seigneur de la

Maillolière, 483.

— (Pierre de), 482. TURNELL (Guillaume), 403, 415.

UBALDINI (Robert), nonce à Paris, 282, 283, 313, 339, 340. URBAIN VIII, pape, 340. Urrugne, 270.

VAISSIÈRE (Pierre de), 142. Val-aux-Lépreux d'Abbeville, 36. Val du Meige, 33. VALOIS (Henri de), comte de

Lauraguais, 208. VALPERGUE (Charles de), 468.

— (François de), 468, 469.

— (Françoise de), 468, 469.

— (Georges de), 469.

— (Jeanne de), 469. VALPERGUE (Philippe de), 469. VARENNES (0. de), IX. Varennes, 469.

VARLET DE GIBERCOURT, 28. VASSEUR (le), V. Le Vasseur. Vauders-les-Sièges, 15. VAUDREY (Claude et Guillaume

de), 14. VAUDRICOTJRT (Jean de), 7. VAUPERGUE. V. Valpergue. VAUQUELIN DES YVETEAUX, 386. VAUQUET (Jacques), 116.

— (Jean), 106,110,114,196,202.

— (Jean), l'aîné, 110, 114, 115,

116, 121, 129, 130, 134.

— (Nicolas), notaire, 31, 106,

107, 110, 115, 134.

— (Philippe), notaire, 131, 196,

202.


— 552 —

— (Salomon), 121,122,123,134. VAUX (Glaire de), 9, 10, 40.

— (Jean de), 40.

— (Jeanne de), 40. ■— (Pierre de), 9.

— (de), archiviste de la Charente-Inférieure,

Charente-Inférieure,

Vaux, 104.

VENDÔME (duc de), 483.

Venise, 151.

VENTABODR (Henri de Lévis, duc de), 326, 371, 391.

Vergies, 33, 201.

VREGY (Anne de), 434.

VER'NEUIL (Cath.-Hemïette de Balzac d'Entragues, duchesse de), 292, 342, 398.

VERRAZZANI (Jean), 149, 212.

Versailles, 10, 252 .

VERT, V. Yvert.

Verte (île), 168, 169.

VERTOT (abbé), 469.

Vervins, 206, 207, 221, 250, 371.

VlCQUET, 160.

VIEL (Louis du). 447.

VIEULAÏNES (seigneur de), 88.

VIGER (Louis), 91.

VIGNES (Marguerite des), 108,521.

VILAIN (Adrien), seigneur de Quiry, 22.

VILLANDRANDO (Rodrigue de), 14.

VILLARCEAUX (de). V. Mornay.

Villebon, 469.

VILLEGAGNON (Nicolas Durand de), 303, 304.

VlLLEMONTÉ (de), 496.

VILLEMORT (Marie de), 6.

VILLEROY (Nicolas de Neufville, seigneur de), 74, 75, 291.

— (Charles de), seigneur d'Alincourt,

d'Alincourt, 75, 283. Villeroy (Somme), 508. Villers-Bocage, 508. VILLERS-OUDAN (de), 347.

Villers-Saint-Paul, 483. Villette (la), 68. VILLEVIEILLE (dom), 80. Vimory, 81. Vincennes, 308. VIOLETTE, (Nicolas) 85. VION (Ch.), seigneur de la Fie, 446.

— (Ch.), fils du précédent, 447.

— (Jacques), seigneur de Gaillon,

Gaillon,

— (Jean), 29.

Vironchaux, 200.

VISMES (Jeanne de), 512.

Vismes-en- Vimeu, 25. VITET, V.

VITRY (Louis de l'Hospital, marquis de), 64, 65, 67. Vitry, 434. VIVIEN, 274.

Wa6e?i, 6.

TFAIGNART (Pierre), 442.

Wailly, 208.

Warmel (Somme), 507.

WARRÉ, 85.

Warsé, 498.

WATHIEMESNIL (de), 130.

WATTEBLERIE (Antoine de S'-

Souplis, seigneur de), 122. WAUQUET OU Waucquet, V. Vauquet.

Vauquet. (lord), 27. Wiencourt, 207, 469. Wight (île de), 352, 357. Windsor (Nouvelle Ecosse), 176. WITASSÈ (Gaétan de), 187. WOQUEST (Claude), 23. V. Vauquet.

Vauquet. (Nouvelle Ecosse), 190. YVERT (Paul), 91. Yvrench (Somme), 90. Yvrencheux (Somme), 201. YVRIGNY (d'), V. Abbeville.


TABLE DES MATIERES

Introduction.. .. 1

PREMIÈRE PARTIE

La vie tumultueuse d'un gentilhomme de Picardie à la fin du xvie siècle.

Les Biencourt, seigneurs de Poutrincourt 3

Florimond de Biencourt 11

Jeunesse de Jean de Poutrincourt 33

Le Capitaine Ligueur.

I. Le siège de Beaumont 46

IL Le siège de Paris 61

III. Combat de Suresnes 74

IV. En Picardie et en Champagne 79

Les domaines des Biencourt en Picardie 97

DEUXIÈME PARTIE Découvertes, vicissitudes et colonisation.

Premier voyage.

I. En découverte 140

IL Port-Royal 172

III. Projets 181

De Guibermesnil à La Rochelle.

I. Retour en France 191

IL Marc Lescarbot ' 207

Deuxième voyage.

I. Une ferme picarde en Acadie 220

IL Al'aventure .. 237

III. Le « Théâtre de Neptune » 250

IV. Rupture de l'association Rochelaise 260


— 554 —

Troisième Voyage.

I. Le nonce Ubaldini 277

II. Lotissement du Port-Royal 296

III. Premières conversions 309

Voyage de Charles de Biencourt, baron de Saint- Just.

I. Dans l'attente 329

IL Démarches à la cour .. 334

III. Au Port-Royal 352

Les Jésuites en Acadie 363

TROISIÈME PARTIE Heures de Détresse.

Suprême épreuve 382

Piraterie 393

Sur les ruines 413

Le mystère de Méry 427

Charles de Biencourt, Vice-Amiral en la Nouvelle France.

I. Biencourt et les Rochelais 445

II. Cri de détresse 460

La Tour et d'Aulnay, successeurs des Poutrincourt .. 482

APPENDICE

I. Enfants de Jean de Poutrincourt et de Claudine

Pajot, par ordre de naissances 511

II. La prise et capitulation de la ville de Méry-surSeyne

Méry-surSeyne

III. Histoire mémorable 517

Addenda 521

Index alphabétique 523