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Titre : Annuaire des cinq départements de la Normandie / publié par l'Association normande
Auteur : Association normande. Auteur du texte
Éditeur : Association normande (Caen)
Date d'édition : 1904
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb326969501
Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb326969501/date
Type : texte
Type : publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 56239
Description : 1904
Description : 1904 (A71).
Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie
Description : Collection numérique : Fonds régional : Haute-Normandie
Description : Collection numérique : Bibliothèque numérique de Rouen
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5455149g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-115088
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/12/2008
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ANNUAIRE
DES CINQ DÉPARTEMENTS
DE LA NORMANDIE
PUBLIÉ
PAR L'ASSOCIATION NORMANDE.
71e ANNEE
1904
CAEN |
HENRI DELESQUES i
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fine au Canit, :ti
ROUEN
LESTRINGANT
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Rue Jeanne-d'Arc, H
ANNUAIRE
NORMAND
NOTA. — Le Conseil administratif a dû procéder à la radiation de plusieurs membres qui n'ont point acquitté leur cotisation, peut-être parce qu'ils étaient absents quand on s'est présenté à leur domicile. Les noms de ces membres seront réintégrés sur la Liste dés qu'ils auront envoyé au Trésorier la rétribution dont ils sont redevables.
MM. les Membres de l'Association dont les noms seraient mal orthographiés ou omis sur la présente Liste sont priés d'en donner avis (franco) à M. BATAILLE, trésorier de l'Association, rue des Croisiers, 12, à Caen, ou à M. DE LONOUEMARE, sous-directeur, place Saint-Sauveur, 19, à Caen.
NOTA. — Pour faire partie de l'Association Normande, il faut en adresser la demande, soit à M. DE VIGNERAL, soit à M. DE LONOUEMARE, ou à M. BATAILLE, trésorier de l'Association, et prendre l'engagement de payer 5fr. par année, contre la remise du volume de l'Annuaire, composé d'environ 500 pages.
ANNUAIRE
DES CINQ DÉPARTEMENTS
DE LA NORMANDIE
PUBLIÉ
PAR L'ASSOCIATION NORMANDE ^__
7/ ANNÉE
1904
CAEN
HENRI DELESQUES Rue au Canu, 3-i
ROUEN
LESTRINGANT Rue Jeanne-d'Arc, 44
STATUTS DE L'ASSOCIATION NORMANDE
L'Association Normande s'est constituée par un règlement, dont voici les principales dispositions :
« ARTICLE I". L'Association Normande a pour « but d'encourager les progrès de la morale pu« blique, de l'enseignement élémentaire, de l'in« dustrie agricole, manufacturière et commerciale, « etc., dans les départements formés de l'ancienne « province de Normandie; elle ne fait et n'autorise « rien qui puisse être en opposition avec les prin« cipes de la liberté commerciale; elle revendique « tous les hommes de talent appartenant à la pro« vince, et s'honore de leurs travaux. »
« ART. II. L'Association Normande étend ses « soins à tous les points de la province, sans « acception de localités : le chef-lieu de l'admi-
VI STATUTS.
« nistration qui la dirige est fixé dans la ville de « Gaen, qui est la plus centrale. »
« ART. III. Le nombre des membres est illimité. « Pour faire partie de l'Association, il faut être « présenté par trois membres, avoir signé son « adhésion aux statuts, et avoir été proclamé dans « une séance du conseil. L'opposition de la moitié « plus un des membres du conseil présents à la « réunion empêche la nomination. »
« ART. XVIII. Dans toutes les circonstances où « il y a lieu de délibérer, les membres absents « peuvent exprimer leur opinion par écrit. »
« ART. XIX. Le résultat de toutes les réunions « est consigné dans des procès-verbaux qui sont « transcrits sur un registre spécial. »
« ART. XX. Chaque année, une réunion géné« raie a lieu, pendant Télé, dans une des villes de « la province qui aura été désignée dans la séance « générale de l'année précédente. Tous les associés « sont convoqués à cette séance générale, qui dure « plusieurs jours, s'il est nécessaire. Des lettres de « convocation renferment l'indication des princi« paux objets qui doivent être mis en délibération « dans cette assemblée. »
STATUTS. VII
« ART. XXI. Dans la séance générale annuelle, « le directeur et les inspecteurs rendent compte « des travaux de l'Association durant l'année ; ils « présentent le tableau des progrès obtenus dans « les diverses parties de la province, et proposent « leurs vues d'amélioration. Les commissions char« gées de travaux spéciaux font aussi leurs rapports, « et le trésorier présente l'état des recettes et des « dépenses. »
« ART. XXII. Chaque associé paie une cotisation « annuelle de 5 francs : le produit de cette coti« sation et les offrandes qui peuvent être faites « forment les revenus actuels de l'Association. »
Dans sa séance du 2 février 1833, Y Association Normande a décidé la rédaction d'un « Annuaire « qui ferait connaître, sous tous les rapports, l'état « des départements de la Normandie, leurs res« sources, leurs besoins, et les améliorations qu'ils « réclament et dont l'introduction est possible ».
ASSOCIATION NORMANDE
COMPOSITION DU BUREAU
Directeurs :
Directeur général, M. le comte Christian DE VIGNERAL, colonel d'état-major, à Ry (Orne).
Sous-Directeur, M. DE LONGUEMARE, place Saint-Sauveur, 17, à Caen.
Secrétaires :
M. POCHON, avoué prés la Cour d'appel de Caen, rue de
l'Académie, 40, à Caen ; M. DUBOURG (René), conseiller d'arrondissement, rue
de l'Académie, 10 bis, à Caen.
Archiviste :
M. Emile TRAVERS, ancien conseiller de préfecture, rue des Chanoines, 18, à Caen.
Trésorier :
M. P. BATAILLE, rue des Croisiers, 12, à Caen.
X ASSOCIATION NORMANDE.
CONSEIL PERMANENT
MM. Le comte DE VJGNERAL, directeur de l'Association; DE LONGUEMARE, sous-directeur ; POCHON et René DUBOURG, secrétaires ; le Préfet du Calvados ; le Préfet de la Seine-Inférieure ; le Préfet de la Manche ; le Préfet de l'Eure ; le Préfet de l'Orne ; Emile TRAVERS, archiviste; BATAILLE, trésorier;
GUÉRARD-DESLAURIERS, ingénieur civil, à Caen; LE JAMTEL, avocat, Conseiller d'arrondissement,
à Tilly-sur-Seulles; LE BLANC-HARDEL, ancien imprimeur, trésorier
honoraire de l'Association ; LE FÉRON DE LONGCAMP, rue de Geôle, 51, à Caen; BIRÉ (Octave), avocat à la Cour d'appel de Caen,
maire de Bretteville-le-Rabet, rue Pasteur, à
Caen.
D'après une disposition réglementaire, le Directeur est autorisé à inviter à assister aux réunions du Conseil vingt membres de l'Association, à son choix. Les membres du bureau central et les inspecteurs font de droit partie du Conseil*.
Commission pour la publication de l'Annuaire :
MM. DE LONGUEMARK, POCHON, R. DUBOURG, É. TRAVERS.
Cette Commission, renouvelée chaque année, est chargée de classer les articles destinés à paraître dans l'Annuaire, après qu'ils ont été agréés par le Conseil administratif.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES
CALVADOS
Inspecteur divisionnaire: M. POUPION, à Vire.
ARRONDISSEMENT »E BAVEUX
Inspecteur: M. ANQUETIL.
Canton de Balleroy.
M. BROOLIE (le prince Raymond DE), au château de Vaubadon, par Balleroy.
Canton de Bayeux.
MM.
ANQUETIL, avocat, rue St-Floxel, 2:1, à Bayeux.
BASLEY, docteur-médecin, à Bayeux.
BONNECHOSE (DE), propriétaire, à Monceaux, par Bayeux.
BUOT (Eugène), conseiller municipal, à Bayeux.
DESMAZURES, propriétaire, à Cussy, par Bayeux.
DESNOYERS, propriétaire, à Bayeux.
ETIENNE (Henri), docteur en droit, à Bayeux.
FERMAL, avoué, rue des Cuisiniers, 34, à Bayeux.
FOY (le comte Fernandl, maire, au château de Barbeville, par Bayeux.
GÉRARD (le baron Maurice), député, conseiller général, au château de Barbeville. par Bayeux.
XII LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
GOUDIER (l'abbé), vicaire-général honoraire, à Bayeux. GUISLE (Albert), chapelier, rue St-Martin, 9, à Bayeux. JUVIONY (DE), membre de la Société française d'Archéologie, à
Bayeux. LÉLU (Emile), propriétaire, à Bayeux. LE MOUTIER, ancien notaire, à Bayeux. PAYAN (Octave), ancien imprimeur, à Bayeux. SEIGLE (Edmond), clerc d'agréé, rue de Grémel, à Bayeux. VITASSE, professeur d'agriculture, à St-Martin-des-Entrées. par
Baveux.
Canton de Caumont.
M. DUTERQUE, professeur d'agriculture, à Anctoville, par Villers-Bocage.
Canton d'Isigny.
MM.
BOUTROIS, docteur-médecin, à La Gambe.
DEMAONY (François), conseiller général et maire d'Isigny.
GUÉRIN (l'abbé), curé de Gartigny-l'Épinay, par Lison.
Canton de Ryes.
MM.
BONVOULOIR (le comte Didier DE), à Magny, par Ryes.
DAUGER (le baron Gustave), au château d'Esquay-sur-Seulles, par Bayeux.
GOS6ET (Gustave), à Gommes, par Port-en-Bessin.
JOHET-DESCLOSIÉRES (Gabriel), maire de Longues, par Ryes.
LESOAUDEY DE MANNEVILLE, au château de Lescure, par Port-enBessin.
CALVADOS XIII
Canton de Trévières.
Inspecteur : M. LE TUAL DE LA HEUDRIE. MM.
LE TUAL DE LA HEUDRIE, statuaire, ancien maire à Trévières.
HERVIEU (Albert), négociant, au Breuil, par Littry.
VAULOGÉ (Jean DE), conseiller d'arrondissement, maire de Tour.
ARRONDISSEMENT DE €.4EN
Canton dé Bourguébus.
Inspecteur : M. DE SAINT-QUENTIN.
MM.
DURSUS, propriétaire, à Garcelles-Secqueville, par Bourguébus. SAINT-QUENTIN (le comte DE), sénateur, président de la Société
d'Agriculture et de Commerce de Caen, au château de Garcelles,
Garcelles, Bourguébus.
Cantons de Caen.
MM.
BATAILLE, trésorier de l'Association, r. des Croisiers, 12, à Caen.
BEAUREPAIRE (M1,e Marie DE ROBILLARD DE), rue Bosnières, 25. à Caen.
BELLECOUR (Emile), directeur de la société d'assurances La Caennaise, rue des Carmélites, 29, à Caen.
BELLENGONTRE, président honoraire au tribunal civil, rue Isidore-Pierre, 1, à Caen.
BIGOT, professeur à la faculté des sciences, r. de Geôle, 28, à Caen.
BOISSAIS, avocat, rue St-Martin, 84, à Caen.
CARBONNET, rocailleur, rue Richard-Lenoir, 13, à Caen.
CLAMORGAN (DE), ancien notaire, rue de Geôle, 31, à Caen.
DAMECOUR, ancien notaire, rue Guilbert, 21, à Caen.
XIV LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
DAON, vérificateur des poids et mesures, rue de l'Arquette, 20.
à Gaen. DUBOURG, ancien juge au tribunal civil, r. Bosnières, 40, à Gaen. DuBouHG(René), conseiller d'arrondissement, rue de l'Académie,
10 bis, à Caen. ÉNOUF, rue du Havre, 6, à Gaen. GBNTY (Tony), avenue de Gourseulles, 13, à Gaen.
GUÉRARD-DESLAURIERS (Charles), ingénieur civil, place de la Mare-Saint-Julien, 11, à Gaen.
GUILLOUAHD, avocat, professeur à la faculté de droit, rue des Gordeliers, 9, à Gaen.
HAIN, ancien président à la Gou r d'appel, r. Bosnières, 29, à Gaen.
HETTIER (Charles), docteur en droit, directeur de l'Assurance Mutuelle, rue Guilbert, 27, à Caen.
LAIR, ancien notaire, rue Sadi-Garnot, 1, à Gaen.
LAVINAY (Auguste), rue Frémentel, !) bis, à Caen, et a Mouen.
LE BLANG-H.VHDEL, ancien imprimeur-libraire, rue de la Monnaie, 11, à Caen.
LE COURTOIS DU MANOIR, rue Singer, 17, à Caen.
LECOUVREUR, propriétaire, rue de Bayeux, 92, à Gaen.
LE FÉRON DE L< NGCAMP, docteur en droit, r. de Geôle, 51, à Gaen.
LE FÉRON DE LONGOAMP (Henri), rue de Geôle. 51, à Gaen.
LEI'OURNIEH. conseiller àla Cour, rue de rÉglise-St-Julien,àCaen.
LONGL'EMAKE (DE|, place St-Sauveur. 17rf à. Gaen.
MESXII., rue des Chanoines, à Caen.
OSSEVILLE (le comte D'I, rue des Carmes, 44, à Gaen.
PARIS (Eugène), licencié en droit, rue St-Martin, Oit, à Gaen.
PLESSIS, directeur d'assurance, rue des Carmélites. 38, à Gaen.
POCHON, avoué, rue de l'Académie, 10, à Caen.
PRÉEL (Robert), rue Isidore-Pierre, 13, à Caen.
RAVÈNEL, rue des Carmélites, 18, à Caen.
REVILLIASC (le comte René DE), rue des Carmes, 9. à Laen. et au château du Molay.
ROGER, rue Guillaume-le-Conquérant, à Caen.
SIMON, rue d'Auge, 37, à Caen.
TINARD, ancien négociant, rue Basse, 33, à Caen, et à Gléville.
TRAVERS (Emile), ancien conseiller de préf., rue des Chanoines, 18, à Gaen.
CALVADOS. XV
VALORI (le comte DE), propriétaire, rue Galibourg, ti, à Gaen.
Canton de Douvres.
Inspecteur: M. DE FO-RMIGNY DE LA LONDE. MM.
FOHMIGNY DE LA LONDE (DE), au château de La Londe, par Gaen. GUILLEMETTE, professeur, à La Délivrande. MALEISSYE (le comte Léon DE), au château de Mathieu.
Canton d'Évrecy.
MM.
AIONEAUX (le vicomte D'I, à Éterville, par Maltot. ARTOIS, instituteur, à Esquay-Notre-Dame, par Évrecy.
Canton de Tilly-sur-Seulles.
Inspecteur : M. LE JAMTEL. MM.
LE HARDY (Gaston), propriétaire, ancien maire de Rots, par Bretteville-l'Orgueilleuse.
LE VICOMTE DE BLANOY, au château du Juvigny, par Tilly-surSeulles.
LE JAMTEL, avocat, conseiller d'arrondissement, maire de Tillysur-Seulles, et rue Guillaume-le-Gonquérant, 9, à Caen.
Canton de Troarn.
MM.
BÉQUET (Emile), propriétaire, boulevard St-Pierre, 66. à Gaen. GAUVIONY (Charles DE), propriétaire, àVaraville, par Bavent.
XVI LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton de Villers-Bocage.
Inspecteur: M. MARGUERITTE.
MM.
DUVIVIKH, ancien percepteur, à Épinay-sur-Odon, et à Lisieux,
place Thiers, 18. MARGUERITTE, huissier, à Villers-Bocage.
ARRONDISSEMENT DE FALAISE
Inspecteur: M. ABEL LEGLERC.
Canton de Bretteville-sur-Laize.
Inspecteur: M. BIRÉ. MM.
AUBIONY (D'|, marquis d'Assy, à Ouilly-le-Tesson. par Langannerie.
Langannerie. (Octave), avocat, maire de Bretteville-le-Rabet, et rue
Pasteur, à Caen. DECOUR, propriétaire, à Bretteville-le-Rabet, par Langannerie. PAULMIER (Charles), conseiller général, député, à Saint-Germain-le-Vasson,
Saint-Germain-le-Vasson, Langannerie.
Cantons de Falaise.
Inspecteur: M. ERNAULÏ D'ORVAL.
MM.
ANQUETIL, avoué, à Falaise.
BARBÉ (Noé), manufacturier, conseiller d'arrondissement, à
Falaise. BARBOT, docteur-médecin, à Falaise. BOTREL, entrepreneur, à Falaise. BOUILLARD, architecte de la ville de Falaise. GARDON, avocat, à Falaise.
CALVADOS. XVI!
CLIQUET, manufacturier, président du tribunal de commerce, à
Falaise. DURAND (Léonce), propriétaire, à La Hoguette, par Falaise. ERNAULT D'ORVAL, ancien pharmacien, à Falaise EYRAGUES (le marquis D'), propriétaire, à Falaise. GKSLIN-MALLET, manufacturier, à Falaise. JUQUIN (l'abbé), curé de Fresné-la-Mère, par Falaise. LA FHESNAYE (le baron Henri DE), ancien officier de marine, à
Falaise. LE CHARPENTIER (Georges), propriétaire, à Falaise. LECLEKG (Abel), vétérinaire, à Falaise. LE CLEKC (Raymond), maire de La Hoguette, par Falaise. LE COUTURIER (Jules), tanneur, à Falaise. LEMARCHANU (Victor), agent d'affaires, à Falaise. LENTAIGNE (Edouard), ancien magistrat, à Falaise. LE SASSIER-BOISAUNÉ (Henri), propriétaire, à Falaise. LEVAVASSEUR, pépiniériste, conseiller d'arrondissement, à Ussy. MALFILATRE, naturaliste, place Saint-Gervais, à Falaise. MONTAUZÉ, imprimeur de la Lanterne Falaisienne, à Falaise. OILLIAMSON (le marquis D'), à St-Germain-Langot, par Ussy. OURSEL, propriétaire, à Guibray-Falaise. PIGQUOT (Amaury DE), maire de Rapilly, par Pont-d'Ouilly. RKGNAULT, imprimeur, directeur du Journal de Falaise. SKRAN (le comte Harold DE), au château de La Tour, maire de
St-Pierre-Canivet, par Falaise. ÏROLONOE (l'abbé), curé de Villy, par Falaise. VERSAINVILLE-ODOAHD (le marquis DE), maire de Versainville,
par Falaise.
Canton de Morteaux-Couliboeuf.
Inspecteur : M. le comte DE VENDEUVRE.
MM.
DUSSEAUX, au Château de Pont, à Vendeuvre. par Jort. LAGRANGE DE LANORE (Paul), conseiller général au château de Blocqueville, à Morteaux-Couliboeuf.
b
XVIII LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
LAURENT (Paul), propriétaire, au château de Sassy, par Jort.
SAILLARD, à Vendeuvre, par Jort.
VE.NDEUVRB (le comte Robert DE), maire de Vendeuvre, par Jort.
Canton de Thury-Harcourt.
Inspecteur: M. PAGNY.
MM.
GROISILLES (DE), propriétaire, à St-Rémy.
DENIS (Henri), propriétaire, à Groisilles, par Thury-Harcourt.
HARCOURT (le duc D'), au château d'Harcourt, et rue de Varenne,
47, à Paris, VII«. PAGNY, propriétaire, à Thury-Harcourt.
ARRONDISSEMENT 1>E LISIEUX
Inspecteur : M. GROULT.
Cantons de Lisieux.
MM.
AUBERT, maire de St-Désir-de-Lisieux.
BECCI, banquier, à Lisieux.
BESNOU (Charles), place Thiers, 20, à Lisieux.
BEZAULT, avoué, à Lisieux.
BOIVIN-CHAMPEAUX (Paul), avocat à la Cour de cassation et au
Conseil d'État, conseiller général, maire de Moyaux. DELARUE (Jules), notaire, à Lisieux. DESOOURS-DESACRES, avocat, au château d'Ouilly-le-Vicomte, et
rue du Bac, 34, à Paris, VII». DESPORTES, avoué, à Lisieux. DESPORTES, juge suppléant, à Lisieux. DIEUZY, notaire, à Lisieux. DUCHESNE (Paul), sénateur, à Lisieux. DUVIVIER, ancien percepteur, place Thiers, 18, à Lisieux.
CALVADOS. XIX
ELISABETH, instituteur, à Courtonne-la-Meurdrac.
FAUVEL, principal du Collège, à Lisieux.
FLEURIOT, ancien président du tribunal de commerce, membre
du Conseil général, à Lisieux. GILLOTIN (M"e), propriétaire, à Lisieux. GROULT (Edmond), fondateur des musées cantonaux, avocat,
docteur en droit, à Ouilly-le-Vicomte, par Lisieux, LESIGNE, docteur-médecin, à Lisieux. LEVILLAIN, docteur-médecin, à Lisieux. MICHEL, avoué honoraire, à Lisieux. PAPON (Alexandre), rue du Point-de-Vue, 16, à Lisieux. PETIT (Charles), propriétaire, à Lisieux. POLLIN DE BOISLAURENT (Guillaume), propriétaire, à Lisieux. PUOHOT (Charles), boulevard de Pont-1'Évêque, à Lisieux. SAMSON (Jean), manufacturier, à Lisieux. SORTAIS, ancien horloger, à Lisieux. TARGET, ancien ministre plénipotentiaire, à St-Désiré-de-Lisieux,
et avenue d'Antin, 25, à Paris, VIII».
Canton de Livarot.
Inspecteur : M. DE LYÉE DE BELLEAU. MM.
LYÉE DE BELLEAU (Ch. DE), au château de Belleau, par Fervaques.
Fervaques. (DE), au château du Mesnil-Germain, par Fervaques. NEUVILLE (le comte Louis DE), au château de Livet, par Livarot. NEUVILLE (le comte Joseph DE), au château de Neuville, par
Livarot.
Canton d'Orbec.
MM.
COLBERT (le marquis DE), ancien député, à St-Julien-de-Mailloc,
par La Ghapelle-Yvon. Du MERLE (le comte), propriétaire, à La Vespièrc, par Orbec, LEBARBÉ, notaire, à Orbec.
XX LISTE GÉNÉRALE 1>KS MEMBRES.
Canton de St-Pierre-sur-Dives.
Inspecteur: M. BÉQUET.
MM.
LEMIÈHE, pharmacien, à St-Pierre-sur-Dives.
TOUFFAIBE (l'abbé), curé de Thiéville, par St-Pierre-sur-Dives.
VENDEUVRK (M"e Elisabeth DE), à St-Pierre-sur-Dives.
ARRONDISSEMENT DE POI\T-L,'EVE«»lIE
Inspecteur : M. NÉRON.
Canton de Cambremer.
M. WITT (Conrad DE), propriétaire, ancien député, au château du Val-Richer, maire de St-Ouen-le-Pin, par Cambremer.
Canton de Dozulé.
Inspecteur : M. LOISEL. MM.
CIVILLE (le comte DE), au château de Longueval, à Cresseveuille, par Dozulé, et rue des Carmélites, à Caen.
LOISEL, notaire, à Dozulé.
SERBAT (Emile), mai ru de Brucourt, par Dives.
YANVILLE (le comte Raymond D'), au château de Grangues, par Dives.
Canton d'Honfleur.
Inspecteur : M. BRÉARD. MM.
BALLE, secrétaire de la Chambre de commerce et professeur au
Collège, à Honfleur. BLANCHET (Gustave), négociant, à Honfleur.
CALVADOS. XXI
BOUDIN, principal du Collège, à Honfleur.
BRÉARD (Paul), notaire, à Honfleur.
LA PIQUERIE (DE), pharmacien, à Honfleur.
MONTREUIL, négociant, à Honfleur.
RENOULT (Henri), négociant en coquillages, côte de Grâce,
à Honfleur. SoREL(Mm" G.-Hugues), à Honfleur.
Canton de Pont-l'Évêque.
inspecteurs : MM. DE VAUQUELIN et BERTOT.
MM.
BERTOT, notaire, à Pont-l'Évêque.
DELAMORINIÊRE (Emile), propriétaire, à St-Étienne-la-Thillaye, par Beaumont-en-Auge.
FLANDIN, ancien député, au château de Betteville, à Pont-l'Évêque, et avenue d'Antin, 29, à Paris, VIII».
FLANDJN (Ernest), conseiller général, député, au château de Betteville, à Pont-1' Évêque, et avenue d'Antin, 29, à Paris, VIII».
FLOQUET, entrepositaire, à Pont-l'Évêque.
NÉRON, au château de Pierrefltte, par Pont-l'Évêque, et avenue Hoche, 15, à Paris, VIII».
OZANNE, notaire honoraire, maire de Pont-l'Évêque.
VAUQUELIN DE LA BROSSE (DE), au château de Drumare, à Surville, par Pont-l'Évêque.
Canton de Trouville.
Inspecteur: M. LECOURT. M. LECOURT, ancien notaire, à Trouville.
XXII LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
ARRONDISSEMENT DE VIRE
Inspecteur : M. POUPION.
Canton d'Aunay-sur-Odon.
MM.
DENIS, maire de Brémoy, par Le Mesnil-Auzouf.
GAILLARD, conseiller général, maire de Danvou, par St-Jeanle-Blano.
St-Jeanle-Blano. maire d'Aunav.
Canton du Bény-Bocage.
M. LELANDAIS, agriculteur, maire de La Graverie.
Canton de Condé-sur-lVoireau.
Inspecteur: M. BLANCHARD.
MM.
BLANCHARD (Henry), notaire honoraire, à Gondé-sur-Noireau. BOISNE (Mme veuve Eugène), à Condé-sur-Noireau. DOUBLET, instituteur, à Condé-sur-Noireau. HAVARD (Albert), fllatcur, à Condé-sur-Noireau. PELIER-DUVEROER (Georges), à Condé-sur-Noireau.
Canton de Saint-Sever.
Inspecteurs: MM. DE PETIVILLE et LECOCQ.
MM.
ASSELIN, pépiniériste, maire du Mesnil-Robert, par Landelles. BROUARD, ancien maire de Beaumesnil, par Landelles. DELAEOSSE (Jules), député, à Pontfarcy. LEGOGQ, juge de paix, à St-Sever. LEGENDRE (Martial), maire de St-Sever.
CALVADOS. XXIII
PETTVILLE (DE), ancien conseiller général, à St-Sever.
THOMAS (Jules), receveur-buraliste, à Glinchamps, par St-Sever.
Canton de Vassy. Inspecteur: M. EMILE BALLE.
MM.
AIGNEAUX (Maurice D'), propriétaire, au château du Désert, par
Le Bény-Bocage. BALLE (Emile), propriétaire, à Burcy, et p. St-Thomas, 14,àVire. LEMASSON (Jules), avocat, à Vassy.
Canton de Vire.
Inspecteur: M. GILBERT.
MM.
BALLE (Charles), place St-Thomas, 18, à Vire.
BALLE (Henri), rue de l'Hospice, 80, à Vire.
BERGER (Charles), manufacturier, à St-Martin-de-Tallevende,
par Vire. BRIZARD, marchand de nouveautés, à Vire. CANU, marchand de vins, à Vire.
CHÉNEL, conseiller général, ancien député, maire de Vire. DROUET (Charles), avocat, à Vire. DUBREUIL, chef de gare, à Vire. ENO, directeur du « Bocage », à Vire. FORTIN, marehand de beurre, à Vire. Fortin (Pierre), cultivateur, à St-Germain-de-Tallevende. FOUCAULT fils, avoué, à Vire. GAUTIER (l'abbé), supérieur du séminaire, à Vire. GILBERT, avocat, à Vire. •
GRAVERON (Pierre DE), au château de Maisoncelles-la-Jourdan,
par Vire. HAVARD, avoué, adjoint au maire, à Vire. HUET, notaire honoraire, à Vire. HUET (Prosper), agriculteur, à Couloncés, par Vire.
XXIV LISTE GÉNÉRALE DBS MEMBRES.
JOUBEHT, propriétaire, à Vire.
LAHONT, juge d'instruction, à Vire.
LEMOINE (Edmond), architecte, à Neuville, par Vire.
MALLET (Georges), négociant, à Vire.
OLIVE, sous-inspecteur de l'Enregistrement, à Vire.
PICARD (René), à St-Martin-de-Tallevende, par Vire.
POUPION (Achille), ancien greffier du tribunal civil, à Vire.
ZIMMERMANN, propriétaire, à Vire.
MANCHE
ARRONDISSEMENT ©AVRANCHES
Canton d'Avranches.
MM. COBRAYB DU PARC, propriétaire, à Avranches. LAURANCE, capitaine des pompiers, à Avranches. LECHEVAUER (Octave), propriétaire, rue de la Constitution, à
Avranches. MAUDnrr(Sosthénes), conseiller général,àSt-Martin-des-Champs,
par Avranches.
Canton de Ducey.
Inspecteur : M. RAULIN. M. RAULIN (Henri)-, vice-président de la Société d'Agriculture d'Avranches, à Juilley, par Ducey.
Canton de Granville.
Inspecteur ; M. DE LOMAS. MM. LOMAS (DE), propriétaire, à St-Nicolas, par Granville. POTIER DE LA VARDE (Léonor), au château de Lez-Eaux; àSt-Pair.
Canton de Pontorson.
M. PODLARD aîné, maître d'hôtel, au Mont-St-Michel.
Canton de Vil^edieu.
Inspecteur : M. HAVARD. MM.
HAVARD (Adolphe), fondeur de cloches, à Villedieu. LOYER (Ëmilien), propriétaire, à la Trinité, par Villedieu. TÉTREL, maire de Villedieu.
XXVI LISTE GENERALE DES MEMBRES.
ARRONDISSEMENT DE CHERBOURG
Inspecteur : M. NOËL. MM.
CHÏVRÉ (DE), propriétaire, à Gonneville.
MILCBNT (Charles), propriétaire, au château de Flamanville, et
rue Piccini, 4, à Paris, XVI». NOËL, capitaine de frégate en retraite, rue Grande-Vallée, 25,
à Cherbourg. THÉRY. président du Tribunal civil à Cherbourg.
ARRONDISSEMENT DE COUTANCES
Canton de Bréhal.
Inspecteurs : MM. DE MANEVILLE et FRÉMIN.
MM. FRÉMIN (Léon), propriétaire, à Bricqueville-sur-Mer, par Bréhal. LESCAUDEY DE MANEVILLE (Marcel), propriétaire, au château du
Mesnil, à Bréhal, et rue Brizeux, 15, à Rennes. MAHEUT (Georges), propriétaire, à Cérenoes.
Canton de Cerisy-la-Salle.
Inspecteur : M. VARIN DE LA BRUNELIÉRE. MM. MONS (DE), propriétaire, à Savigny, par Belval. THOMAS, propriétaire, maire d'Ouville, par Coutances. VARIN DE LA BRUNELIÈRE, maire de Notre-Dame-de-Cenilly, par Cerisy-la-Salle.
Canton de Coutances.
Inspecteur : M. BÉRENGER. MM. BADIN (Paul), boucher, rue Geoffroy de Montbray, à Coutances. BENNEHARD, négociant, rue Tancréde, 19, à Coutances.
MANCHB. XXVII
BÉRENGER, architecte des monuments historiques, rue QuesnelMorinière, 19, à Coutances. ■ CHEVALIER (Charles), avocat, ancien député, à Coutances. CONRAIKIE (Georges), avoué, à Coutances. DAIREAUX ICharles) fils, imprimeur, maire de Coutances. DANIEL, pharmacien, à Coutances. DELARUE (Jules), notaire, à Coutances.
DOUBLET, ancien juge de paix, rue St-Martin, 15, à Coutances. DUPÉROUZEL. avocat, à Coutances.
GUÉRARD (Mgr), évêque de Coutances et Avranches, àCoutances. LAURENT, rue du Pont de Soulles, 81, à Coutances. LEMARE (Albert), négociant, à Coutances. LE NOURRY, maître d'hôtel, à Coutances. LE TONNELIER (Eugène), notaire, à Coutances. PIQUOT-LETENNEUR, rue de la Poissonnerie, 7, à Coutances. ROBIN-PRÉ VALLÉE, reeeveurdesdomaines en retraite, àCoutances. YVON (Alexandre), négociant en vins, à Coutances.
Canton de Gavray.
Inspecteur: M. GUERNIER. MM. GRAVERON (Henri DE), au château de Ver, par Gavray. GUERNIER, notaire, à Gavray.
GUENON-DESLONGGHAMPS (Charles), propriétaire, à Hambye. LEGAPLAIN, notaire, à Hambye. LECAUF, propriétaire, à Gavray.
Canton de Lessay.
Inspecteur: M. LÉON FAUVEL.
M. FAUVEL (Léon), notaire, à Less&y.
Canton de Montmartin-sur-Mer.
Inspecteur : M. DAN LOS. MM.
DANLOS (Jules), docteur-médecin, à-Montmartin-sur-Mer. LEOOUBIN (Henri), fabricant de chaux, à Hyenville, par Orval.
XXVIIf LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton de Saint-Malo-de -La-Lande.
Inspecteur: M. LEFOURNIER. MM.
BONTÉ (Eugène), docteur-médecin, à Montsurvent, par St-Malode-La-Lande.
St-Malode-La-Lande. (Jules), conseiller général et maire de St-Malo-deLa-Lande.
St-Malo-deLa-Lande. (Charles), propriétaire, à Gouville. LE CABPENTiER(Gasimir-Alexandre),propriétaire, à Linverville. LEFOURNIER, conseiller à la Cour d'appel de Caen.
Canton de Salnt-Sauveur-Lendelin.
Inspecteur: M. STANISLAS MICHEL DE MONTHUCHON. MM.
MICHEL DE MONTHUCHON (Stanislas), propriétaire, au château
de Monthuchon, par Coutances. MICHEL DE MONTHDCHON (Louis), propriétaire, au château de
Monthuchon, par Coutances.
ARRONDISSEMENT DE MORTAIN
Canton de Barenton.
M. ACHARD DE LA VENTE (Joseph), à St-Cyr-de-Bailleul, par Barenton.
Canton d'Isijçny.
Inspecteur: M. DE ROBILLARD DE BEAUREPAIRE.
MM.
CRUCHET, notaire honoraire, au Buat, par Isigny-le-Buat. GuftRiN (Charles), propriétaire, au Mesnil-Thêbault, par Isigny.
HANCHE. XXIX
Canton de Morlain.
Inspecteur: M. POULLAIN.
MM.
AMAND (François), ancien notaire, à Mortain. BORHOMÉE (Henri), sous-préfet, à Mortain. DAVID (Louis), juge au tribunal civil, à Mortain. DELATOUCHE (Edmond) fils, agriculteur, à La Haute-Barre, à
St-Glément, par Mortain. DELAUNAY, avoué, maire de Mortain. GALLIC, professeur au collège, à Mortain. HÉMERV (Félix), avocat, à Mortain.
LAMUSSE (Jules), procureur de la République, à Mortain. LKDOS (Edouard), notaire à Mortain. LE GRAND (Anatole), maire de Romagny, par Mortain, et rue
de l'Arcade, 22, à Paris, VIII*. MATHIEU (Charles), imprimeur-libraire, à Mortain. MOULIN (René), propriétaire, à Mortain. POULLAIN (Henri), avoué honoraire, à Mortain. SÉGUIN, receveur des finances, à Mortain.
Canton de Saint-Hilaire-du-IIarcouêt.
MM.
BRÉHIER (Julien), propriétaire, à St-Hilaire-du-Harcouët.
LE GRAND, (Arthur), député, conseiller général, maire de Milly,
par St-Hilaire-du-Harcouët, et rue Chauveau-Lagarde, 18, à
Paris, VIII". ROBILLARD DE BEAUREPAIRE (Joseph DE), maire du Mesnillard,
par St-Hilaire-du-Harcouët.
Canton de Saint-Pois.
Inspecteur: M. D'AURAY DE SAINT-POIS. MM.
AURAY DE SAINT-POIS (le comte D'), maire de St-Pois. CARVILLE, (Ernest DE), à Bois-Yvon, par Villedieu-les-Poëles.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton du Teilleul.
M. ROUGÉ (le comte DE), au château de St-Symphorien, par St-Hilaire-du-Harcouët.
ARRONDISSEMENT DE SAINT-LO
Inspecteurs: MM. LEPINGARD et GUILLOT.
Canton de Carentan.
Inspecteur: M. LEPELLEïIER. MM.
ARTU, docteur-médecin, à Carentan.
GLÉRAUX, greffier de paix, à Carentan.
DAMEUVB, docteur-médecin, à Carentan.
DELOEUVRE, épicier, à Carentan.
DOMBREVAL, propriétaire, à Carentan.
ENQUEBECQ, directeur de l'école primaire supérieure, à Carentan.
ÉTASBE (Jean-Baptiste), quincaillier, à Carentan.
GIFFARD, maître d'hôtel, à Carentan.
GOSSEUN (Frédéric), imprimeur, à Carentan.
GUILLOUF, directeur du la tuilerie Lupelletier, à Carentan.
HOTIN (Alfred), négociant, à Carentan.
LEBRUN (Hyacinthe), propriétaire, à Carentan.
LECANU (Jules), pharmacien, à Carenlan.
LECUYER (E.), propriétaire, à Carentan.
LECUYER (Jules), maire de-St-André-de-Bohon, par St-Eny.
LEORAND père, ancien greffier, à Carentan.
LEPELLETIER (Théodore), négociant en beurres, à Carentan.
LEPOULTEL, curé-doyen, à Carentan.
LETOURNEUR, propriétaire, à Carentan.
CHAMBON, maître de l'hôtel d'Angleterre, à Carentan.
MADELAINE (Louis), cultivateur, aux Veys, par Carentan.
MELLET (Joseph), directeur des phosphates de Normandie, à
Carentan. RENOUF (Léonor), ancien notaire, à Carentan.
MANCHE. XXXI
Canton de Saint-Lô.
MM.
DIEU (Alfred), avocat, à St-Lô. ,
GUILLOT (Gaétan), rue du Rempart, 1, à St-Lô, et rue Grevaux,
5, à Paris, XVI«. LEPINGARD (Edouard), ancien chef de division à la préfecture,
à St-Lô. ROBIN (Nestor), agriculteur, à St-Lô. YOUF (Léon), constructeur de machines agricoles, à St-Lô.
Canton de Tessy.
MM.
LEMÉLOREL, propriétaire, à St-Vigor-des-Monts, par Pontfarcy. LESAGE père, propriétaire, à Tessy.
Canton de Torigny.
MM.
CANTJ (Charles), propriétaire, à Torigny. DUFOUR (Robert), à Torigny.
ARRONDISSEMENT DE VAL.OGNES
Inspecteur : M. ERNEST MILGENT.
Canton de Barneville.
M. DENIS, notaire, conseiller général, à Barneville.
Canton de Bricquebec.
Inspecteur: M. DE LA MARTINIÉRE. MM.
DOYNEL DE FRANCQUEVUAE, propriétaire, à Bricquebec.
XXXII LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
LA MARTINIÈRE (DE), député, à Bricquebec, et boulevard Malesherbes,
Malesherbes, à Paris, VIII». LE MARCHAND, propriétaire, à Rauville-la-Bigot, par Sottevast.
Canton de Montebourg.
Inspecteurs: MM. le comte DE PONTGIBAUD et VRAC.
MM.
ADRIEN (Albert), propriétaire, à Montebourg. ANFRAY (Alexandre), propriétaire, à Montebourg. CAUCHON (l'abbé), curé d'Ozeville, par Montebourg. GUQUEMELLE (Placide), propriétaire, à Montebourg. GODEFROY (l'abbé), curé de St-Marcouf, par Montebourg. LECOUFLET, propriétaire, à Fresville, par Montebourg. VRAC (Eugène), maire de Montebourg.
Canton de Qnettehou.
Inspecteurs: MM. DU MESNILDOT et FLOQUET.
MM.
B18SON (Auguste), maître de l'hôtel de Normandie, à St-Vaastla-Hougue.
St-Vaastla-Hougue. MESNILDOT, maire d'Anneville-en-Saire. FLOQUET, pharmacien, à St-Vaast. GRENDÏR (l'abbé), curé de St-Vaast. HAMELIN (Hilaire), maire de St-Vaast. MALARD, sous-directeur du laboratoire maritime du muséum
de Paris, à St-Vaast. PATRIX (l'abbé Léopold), vicaire de St-Vaast.
Canton de Sainte-Mère-Église.
MM.
BÊROT (Clément), agriculteur, allies ville, p, Ste-Marie-du-Mont, LÉCUYER (Alfred), conseiller général, maire de Ctrquebut, par Blosville.
MANCHE. XXXIII
Canton de Valognes.
Inspecteur: M. FAUVEL.
MM.
BRAFIN (Jules), avoué honoraire, à Valognes. BRBTEL (Adolphe), négociant en beurres, à Valognes. BRETEL (Eugène), négociant en beurres, à Valognes. FAUVEL (Arthur), greffier du Tribunal de lr« instance, à Valognes. MILCENT (Ernestl, propriétaire, à Brix, par Sottevast. PARFOORU (DE), au château de Servigny, à Yvetot, par Valognes.
ORNE
Inspecteur divisionnaire : M. le duc D'AUDIFFRET-PASQUIER.
ARRONDISSEMENT DALENÇON
Canton d'AIençon.
Inspecteur : M. DUVAL.
MM.
AVELINE, avoué, maire, à Alençon.
BEAUREGARD (DE), château d'Aché, à Valframbert, par Alençon.
DELAUNAY (Edouard), caissier de la trésorerie générale, rue de
Tisons, 71, à Alençon. DESVAUX (l'abbé), curé de Damigny, par Alençon. DUVAL, archiviste départemental, rue de Gazault, 47, à Alençon. Hus, négociant, conseiller municipal, à Alençon. LANGLAIS, professeur départemental d'agriculture, à Alençon. LEBOUCHEK, pharmacien, à Alençon. LECLÈRE (Adhémard), résident de France au Cambodge, à
Alençon. LEGUERNEY, conseiller municipal, à Alençon. LETACQ (l'abbé), chapelain des Petites-Soeurs des pauvres,
à Alençon. LEURSON, agent voyer en chef en retraite, à Alençon. RICHER (l'abbé), aumônier de la Providence, à Alençon.
Canton du Mèle-sur-Sarthe.
M. ROEDERER (le comte), président du Comice agricole, conseiller général, au château du Bois-Roussel, par Essay.
OBNK. XXXV
Canton de Sées.
Inspecteur : M. PRÉBOIS.
MM.
BAHDEL (Mgr), évèque de Sées.
CHESNEL-GESLIN, propriétaire, à Sées.
HOMMEY, docteur-médecin, conseiller général, à Sées.
HOMMEY fils, docteur-médecin, à Sées.
LOUTREUIL, manufacturier, 17, rue Prestcliistinka, maison de la
princesse Galitzin, à Moscou (Russie). POTIER DE GOURCY, propriétaire, à Sées. PRÉBOIS (Paul), notaire, à Sées.
ARRONDISSEMENT DARGENTAN
Canton d'Argentan.
Inspecteur : M. GERMAIN-LACOUR.
MM.
DESHAYES, notaire, à Argentan.
GERMAIN-LACOUR, maire de Moulins-sur-Orne, par Argentan.
HÉUE, notaire, à Argentan.
HOMMEY, avocat, à Argentan.
MORAND, propriétaire, à Argentan.
MOULINET, avocat, à Argentan.
PICHON (Léopold), propriétaire, à Argentan.
SOUQUET DE LATOBR, propriétaire, à Moulins-sur-Orne, par
Argentan. VIGAN (Jules), maire de Commeaux, par Argentan.
Canton de Briouze.
M. GIBAULT LA PIAMÉE, au Ménil-de-Briouze, par BriouzeSaint-Gervais.
XXXVI LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton d'Écouché.
MM.
CHAMPAGNE (le marquis DE), au château de Mesnil-Jean, par
Écouché. DESCOURS, notaire, à Rânes. PRINOAULT, agent voyer en retraite, à Écouché.
Canton d'Exmes.
Inspecteur: M. DEGAUX.
MM.
DECAUX, conseiller général, à Villebadin, par Exmes. LEMESLE (Emile), négociant, à St-Pierre-la-Rivière. SAINT-PIERRE (le marquis DE), au château de la Vente, à Sillien-Gouffern,
Sillien-Gouffern, Le Bourg-St-Léonard, et rue Faubourg-StHonoré,
Faubourg-StHonoré, à Paris, VII1«.
Canton de La Ferté-Fresnel.
M. MAUSSION (Thomas DE), colonel d'infanterie de marine, à St-Évroult-Notre-Dame-du-Bois.
Canton du Met-lerault.
Inspecteur : M. CORBIÈRE. M. CORBIÈRE (Henri), propriétaire, au château de Nonant-le-Pin.
Canton de Mortrée.
Inspecteur : M. LÉGER.
MM.
AUDIFFRET-PASQUIER (le duc D'I, ancien président du Sénat, propriétaire, au château de Sassy, par Mortrée. Du MOULIN DE LA BRETÈCHE (Alexandre), au château de l'ercey.
ORNE. XXXVII
LEOER, maire de Vrigny, au château de Vrigny, par Mortrée,
et rue d'Artois, 0, à Paris, VII». PÔRIQUET, sénateur, au château de Blanchelande. SÊVRAY (l'abbé), prêtre habitué, à Mortrée.
Canton de Putanges.
Inspecteur : M. le comte CHRISTIAN DE VIGNERAL.
MM.
ANGOT DES ROTOURS (le baron Jules), au château des Rotours, par Putanges, et avenue de Villars, 9, à Paris, VIII».
GUIBOUT (Eugène), propriétaire, à Champcerie, par Bazochesau-Houlme.
LE ROY-WHITE, au château de Rabodanges, par Putanges.
MENEUT, juge de paix, à Putanges.
VIONERAL (Christian DE), colonel d'état-major, à Ri, p. Putanges.
Canton de Trun.
Inspecteur: M. CANIVET. MM.
CANIVET (Auguste), propriétaire, au château de Chambois, et
boulevard Magenta, 11, à Paris, Xe. GAUCHET, docteur-médecin, maire de Chambois.
Canton de Vimoutiers.
Inspecteurs: MM. le baron DE MACKAU, PERNELLE et BOYER. MM.
BOYER, pharmacien, à Vimoutiers.
DESPREZ (Léonard), à Orville, par Ticheville.
FOUBERT DE PALLIÈRES (Roger), au château de Folval, à
Ticheville. LANIEL (M» 1» Eugène), à Vimoutiers. LANIEL (Henri), manufacturier, à Vimoutiers. LANIEL (M»« Henri), à Vimoutiers.
XXXVIII MSTE OÉNERAI.K DES MEMBRES.
LEC/EUR, pharmacien, à Vimoutiers.
MACKAU (le baron DE), député, au château de Vimer, par
Vimoutiers. *
PERNBIXE, propriétaire, ancien maire de Vimoutiers. QUINSONAS (le comte DE), au château de Vimer, par Vimoutiers. RENOUARD (M1»» Gharlemagne), au château du Renouard, par
Vimoutiers.
ARRONDISSEMENT DE DOMFMNT
Inspecteur: M. SALLES.
Canton de Domfront.
Inspecteur: M. LÉONCE LÉVESQUE.
MM.
RARRABÉ, docteur-médecin, maire de Domfront.
COUSIN, propriétaire, à Domfront.
GALLOT, avocat, juge suppléant, à Domfront.
GUÉRIN (Constant), propriétaire, à Domfront.
HAMARD (Jean), propriétaire, à St-Bosmer-les-Forges.
LAGHÊVRE, notaire, à Céaucé.
LÉVESOUE (Léonce), avoué, à Domfront.
LÉVESQUE, docteur-médecin, conseiller général, à Domfront.
PERRET, directeur de la ferme-école du Saut-Gontier, à Domfront.
SAVARY (Georges), caissier à la recette des finances, à Domfront.
SCHALCK DE LA FAVERIE (Mm«), femme de lettres, à Domfront, et
avenue de la Grande-Armée, 83, à Paris, XVI». SENEN, directeur du Journal de Domfront, à Domfront.
Canton de La Ferté-Macé.
Inspecteur: M. W. CHALLEMEL.
MM.
BARBÉ (l'abbé), professeur au Petit-Séminaire, à La Ferté-Macé. BLANZAY (Jules DE), maire de Tessé-la-Madeleine.
ORNE. XXXIX
BOBOT-DESCOUTURES, manufacturier, à La Fertê-Macé.
CHALLBMEL (Wilfrid), propriétaire, à La Ferté-Macé, et rue Madame, 31, à Paris, VI*.
FOULON, rue de La Barre, 34, à La Ferté-Macé.
GAUTIER, notaire, à La Ferté-Macé.
GERVAIS (Eugène), voyageur de commerce, à La Ferté-Macé.
LA RAILLÈRE (Marc DE), à Pont-Chapelle, par La Ferté-Macé.
LE BALLEUR, adjoint au maire de Tessé-la-Madeleine.
LEFEBVRE (Jean-Baptiste), directeur de la manufacture de M. Salles, à La Ferté-Macé.
LÉVEIIXÉ (l'abbé), supérieur du Petit-Séminaire, à La Ferté-Macé.
MEYNAERTS, organiste, professeur de musique, rédacteur de l'Écho, à La Ferté-Macé.
SALLES (Francis), manufacturier, à La Ferté-Macé.
VAUCHER, docteur-médecin de l'établissement thermal de Bagnoles, par Tessé-la-Madeleine.
Canton de Fiers.
Inspecteur: M. SALLES. MM.
APPERT (Jules), à Fiers,
BUFFARD (Jules, conseiller municipal, à Fiers.
CABROL (Jean), négociant, conseiller d'arrondissement, à Fiers.
CHATEL, maire de St-Georges-des-Groseillers, par Fiers.
LELIEVRE (Auguste), ancien président de la Chambre de commerce, à Fiers.
LESUEUR (Emile), conseiller d'arrondissement, à Fiers.
LÉVESQUE, imprimeur, à Fiers.
LOUVEL (Charles), caissier à la Banque de France, à Fiers.
SOTTANO, Imprimeur, à Fiers.
MOREL (Albert), notaire, à Fiers.
MORIN (Henri), licencié en droit, à Fiers.
SALLES (Julien), notaire honoraire, conseiller général, maire de Fiers.
XL MSTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton de Messe!.
MM.
GÉVELOT, député, à Dieufit, et rue d'Athènes, 14, Paris, IX". ADIGARD, avocat, conseiller d'arrondissement, à la Ferrière-auxÉtangs.
Canton de Passais.
M. HUBERT, à Torchamp, par Domfront.
Canton de Tinchebray.
M. BANVILLE (le vicomte DE), conseiller général, château du Rosel, par Montsecret, et rue du Regard, 14, à Paris, VI*.
ARRONDISSEMENT DE MOBTACSNE
Inspecteur : M. DE BRÉBISSON.
Canton de Laigle.
Inspecteur : M. FOULON.
MM.
BOHIN père, manufacturier, au Moulin-à-Vent, à Laigle. BOHDJ (Benjamin) fils, manufacturier, à Saint-Sulpice-surRille,
Saint-Sulpice-surRille, Laigle. FOULON (Eugène), architecte, à Laigle.
Canton de Longny.
Inspecteur : M. HENRI LE FÉRON DE LONGGAMP. MM.
BRÉBISSON (René DE), au château de Forges, par Longny, et rue
de Flore, 17, au Mans. Du BUISSON (Emile), à Longny.
ORNR. XLI
LE FÉRON DE LONGCAMP (HENRI), à Moulicent, par Longny, et rue de Geôle, 51, à Gaen.
Canton de Mortagne.
Inspecteur : M. ROQUIÉRE. MM.
AVRIL, avoué, à Mortague.
BALLU, conservateur des hypothèques, à Mortagne.
DELAUNAY, notaire, à Mortagne.
ERNULT-DESCOUTURES, greffier en chef du] Tribunal civil, à Mortagne.
FILLEUL (Georges), propriétaire, rue des Tailles, à Mortagne.
GUERNET (Alfredl, propriétaire, Grande-Rue, à Mortagne.
HUET (Jean), receveur d'assurances, rue du Mail, 10, à Mortagne.
LEROY, docteur-médecin, à Mortagne.
PIGHARD, négociant, à Mortagne.
ROQUIÈRE (Octave), juge, à Mortagne.
VANSSAY (le vicomte DE), au château de Saint-Denis-sur-Huisne, par Mortagne. »
Canton de Moulins-la-Marche.
M. FLEURY, sénateur, à Auguaise, par N.-D. d'Aspres, et rue de Turin, 10, à Paris, VIII*.
Canton de Noce.
M. TOURNOUER (Henri), archiviste-paléographe, président de la Société historique de l'Orne, château de Saint-Hilaire-desNoyers, par Noce, et boulevard Raspail, 5, à Paris, VII*.
Canton de Pervenchères.
M. DUPRAY DE LA MAHÉRIE, conseiller général, au château de La Ferriére, à Pervenchères.
EURE
ARRONDISSEMENT DES ANDELYS
Inspecteur : M. BENARD.
Canton des Andelys.
Inspecteur : M. LÉON COUTIL. MM.
BEZANÇON, docteur-médecin, aux Andelys, et rue de la Pépinière,
23, à Paris, VIII'. BOUCHERON-SÉGUIN, notaire, aux Andelys. CARON (Ferjus), libraire-éditeur, aux Andelys. COULOUMA, imprimeur, directeur du Journal des Andelys, aux
Andelys. COUTIL (Léon), artiste peintre, aux Andelys. DOBIONY, propriétaire, aux Andelys. DUPAS fils, à Hennezis, par les Andelys. MICHEL (Alfred), avoué, maire des Andelys.
Canton d'Écos.
MM.
AUBRY, curé-doyen d'Écos.
BÉNARD, notaire honoraire, à l'Abbaye du Trésor, par Écos.
COQUAND, propriétaire, maire de Fourges, par Gasny.
COUTURIER (Charles-Eugène), juge de paix, à Écos.
DELAPLACE, instituteur, à Giverny, par Vernon.
DUVERDY (Maurice), propriétaire, au Bois de Becquet, à Fourges,
par Gasny. GILBERT (François), fabricant d'engrais chimiques, à Ste-Geneviève,
Ste-Geneviève, Vernon. GUILLET (Lucien), au château de Ste-Geneviève-les-Gasny, par
Vernon.
BORE. Win
HERVÉ (Clément), conseiller général, à Chateau-sur-Epte, par
les Thilliers-en-Vexin. JOLY (Aymar), propriétaire, à Bus-St-Remy, par Écos. LBORIP (Louis-Victor), propriétaire au Chesnay-Haquest, par
Écos. ,
LUCAS (l'abbé), curé de Dampsmesnil, par Écos. PBBROT (Oscar), notaire, à Écos. VILLARD (Jacques), propriétaire, au château de Fours, par Écos.
Canton d'Étrépagny.
MM.
DORÉ-LETAILLEUR, à Gamaches, par Étrépagny. LE GOUTEULX DE CANTELEU (le comte), conseiller général, à Étrépagny.
Canton de Fleury-sur-Andelle.
M. DEFONTENAT, agriculteur, à Houville, par Écouis.
Canton de Gisors.
Inspecteur : M. LE BRET.
MM.
GAFFIN (Amédée), agriculteur, à Gisors.
DELMAS (Léonce), aviculteur, à Gisors.
LE BRET, caissier de la Caisse d'épargne, à Gisors.
MÉNÉTRIER, ancien notaire, à Gisors.
OLIVIER (l'abbé), curé-doyen de Gisors.
PASSY (Louis), membre de la Chambre des députés, à Gisors.
Xtlt LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
ARRONDISSEMENT DE BERNAY
Inspecteur : LE RENARD-LA VALLÉE.
Canton de Bèaumesnil.
Inspecteur : M. DE BAUDICOURT. MM.
BAUDICOURT (DE), maire de Saint-Pierre-du-Mesnil, au château du Blanc-Buisson, par la Barre, et boulevard Saint-Michel, 91, à Paris, V:
GASTTNE (le docteur), à la Barre-en-Ouche.
Canton de Beaumont-le-Roger.
M. TURQUET, agriculteur, à Écardenville-la-Gam pagne, par Beaumont-le-Roger.
Canton de Bernay. MM.
AMELTNE, ancien agent voyer, à Bernay.
BOHEL, ancien professeur, à Bernay.
CAUCHEPIN, quincailler, à Bernay.
GORDIER, pépiniériste, à Bernay.
DAUOER (le comte), au château de Menneval, par Bernay.
DURAND, avocat, à Bernay.
LA LONDE (Philippe DE), avocat, à Bernay.
LE RKNARD-LAVALLÉE, jugé au Tribunal civil, à Bernay.
LESENS, propriétaire, à Bernay.
MIGNON (Louis), avocat, à Bernay.
MIONON (Victor), greffier du Tribunal de commerce, à Bernay.
PIQUENARD, artiste peintre, à Bernay.
SAUVAGE, notaire, à Bernay.
SÈMENT (Pierre), ancien négociant, à Bernay.
Canton de Brionne.
Inspecteur : M. JOIN-LAMBERT. MM.
AMELOT, imprimeur, à Brionne.
BosouERARD, horloger, à Brionne.
EURE. XLV
BOUCHON père, à Nassandres.
BOUCHON fils, à Brionne.
DURBT (Charles), manufacturier, à Brionne.
GIVON, receveur municipal, à Brionne.
HUE (Georges), conseiller municipal, à Brionne.
JOIN-LAMBERT , membre du Conseil général, à Livet-surAnthou,
Livet-surAnthou, Brionne. LETAILLEUR (Paul), à Harcourt. MESLIN, directeur de l'école communale, à Brionne. TRÉFOUEL, percepteur en retraite, à Brionne.
Canton de Broglie.
M. FOUQUET, député, à Montreuil-l'Argillé, et boulevard Haussmann, 161, à Paris, VIIIe.
Canton de Thiberville.
MM.
COUTURIER, propriétaire-éleveur, à St-Germain-la-Campagne. PORÉE (l'abbé), curé de Bournainville, par Thiberville. SAYVES (le marquis DE), maire, au château de St-Germain-laCampagne, et rue Barbet-de-Jouy, 18, à Paris, VIIe.
ARRONDISSEMENT DÉVBEUX
Inspecteur: M, PETIT.
Canton de Conches.
Inspecteur : M. PAUL LETAUD. MM.
CAILLE-DE-SAINT-PIERRE, négociant, à Conches.
CLERMONT-TONNERRE (le marquis DE), au château de Glisolles,
par La Bonneville. DELARUE (Eugène), propriétaire, à Conches. GEOFFROY DE GRANDMAISON, au château de Nagel, par Conches. GOUJARD, agriculteur, à Gaudreville, par La Bonneville.
XLV1 LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
LAILLBR, banquier, à Conches.
LETAUD (Henri), ingénieur, à Conches.
LETAUD (Paul), maître de forges, à Conches.
MAHB (Albéric DE), au château d'Orvaux, par Conches.
PARENT DU GHATELET, directeur-fondateur de la Colonie de
Nagel, au château de Nagel, par Conches. PIJON, maire de Champ-Dolent, par Conches. ROBIN père, propriétaire, à Conches.
Canton de Dam ville.
Inspecteur: M. le marquis DE CHAMBRAY.
M. CHAMBRAY (le marquis DE), au château de Chambray, à Gouville, par Damville.
Cantons d'Évreux.
Inspecteur: M. RÉGNIER. MM. BESOTER, archiviste du département de l'Eure, à Évreux. CHAMPIGNY (le marquis DE), au château de Normanville, par
Évreux. ESPINASSE-LANOEAC (le marquis DE L'), à Boisset-les-Prévanches,
par Pacy-sur-Eure. GAZAN (Vulgis), ingénieur, inspecteur du matériel des chemins
de fer de l'Ouest, à Huest, par Évreux. GUILLEMARE (Ernest), propriétaire, rue de la Petite-Cité, 29, à
Évreux. IZARN (Pierre), rue Victor-Hugo, à Évreux. LE QUESNE, directeur de la République de l'Eure, place Sepmanville,
Sepmanville, à Évreux. LHOPITAL (Joseph), président du Syndicat agricole, au château
d'Angerville-la-Campagne, par Évreux. MEUNDÏR (Mgr).évêque d'Évreux. NOUVEL, propriétaire, au château de la Ronce, à Jouy-sur-Eure,
par Évreux. PETIT (Léon), juge suppléant, conseiller d'arrondissement, rue
Du Meilet, 14, à Évreux. BÉGIUER-(Louis), propriétaire, rue Du Meilet, 9, à Évreux.
EURE. XLVII
ROSTOLAN (le comte Félix DE), au château du Buisson, à Guichainville,
Guichainville, Évreux. SALLES, conseiller de préfecture, à Évreux. TARDIVEAU, directeur du Courrier de l'Eure, à Évreux. TYSSANDIER (Léon), avocat, à Évreux.
Canton de Nonancourt.
MM.
PERRON, propriétaire, à La Madeleine-de-Nonâncourt, par
Nonancourt. SÉNICOURT (l'abbé), curé d'Illiers-l'Évêque.
ARRONDISSEMENT DE LOUVIERS
inspecteurs: MM. le comte DE BOURY et ANGÉRARD.
Canton d'Amfréville-la-Campagne.
Inspecteur: M. LEROY. MM.
BOURY (le comte Charles DE), conseiller général et député, au
château d'Amfréville-la-Campagne. DELAQUÊZE, propriétaire, au Thuit-Signol, par Amfrévilie-la-G. DUMONTIER, maire, à Vraiville, par La Haye-Malherbe. HERMIER, adjoint au maire, à Amfréville-la-Campagne. LEROY (Charles), à Tourville-la-Campagne, par Amfréville-la-C. LESIEUX, propriétaire, à Vraiville, par La Haye-Malherbe. MANSARD, agriculteur, à St-Cyr-la-Campagne, par Elbeuf.
Canton de Gaillon.
Inspecteur: M, VERNIETTES. MM. BOURDON, propriétaire, à Gaillon. ■ J
XLVIII LISTE GENERALE DES MEMBRES.
BRUN, directeur de la Colonie des Douaires, à, Gaillon. CARBONNOER, agriculteur, à Gaillon. CANU (l'abbé), curé de St-Aubin-sur-Gaillon, par Gaillon. CAUET, instituteur comptable, à la Colonie des Douaires, à
Gaillon. COVILLE, conseiller d'arrondissement, maire, à Ste-Barbe-surGaillon,
Ste-Barbe-surGaillon, Gaillon. DROUIN (l'abbé), curé d'Aubevoie, par Gaillon. FOUGHKR, conseiller d'arrondissement, maire, à Heudrevillesur-Eure,
Heudrevillesur-Eure, Acquigny. GUILBERT, chef de culture à la Colonie des Douaires, à Gaillon. HÉBERT (Emile), maire, à Muids, par St-Pierre-du-Vauvray. LAMBERT, à Gaillon.
MOONAY, agriculteur, à Saint-Aubin-sur-Gaillon, par Gaillon. MONNIER (Léon), conseiller général, maire, à Gaillon. ORFORD (le chanoine), curé de Muids, par Saint Pierre-duVauvray.
Pierre-duVauvray. maire, à Vieux-Villez, par Gaillon. PILLET-WILL (M"" la comtesse), au château de Courtmoulins, à
Sainte-Barbe-sur-Gaillon, par Gaillon. VERNIETTES (Lucien), notaire, à Gaillon.
Canton de Louviers.
Inspecteur : M. ANGÉRARD.
MM.
ABRAHAM, rédacteur en chef du Journal de Louviers, à Louviers.
ALLOROE, notaire, à Louviers.
AMETTE (Eugène), propriétaire, à Heudebouville, par Louviers.
ANGÉRARD, notaire honoraire, avocat, à Louviers.
BARBE, propriétaire, à Incarville, par Louviers.
BÉNEUIL, professeur à l'école primaire supérieure, à Louviers.
BERTIN, président de la Société d'agriculture, à Saint-Pierredu-Vauvray.
Saint-Pierredu-Vauvray. docteur-médecin, à Louviers. BRETON (Paul), manufacturier, à Louviers. BURY (M"«), à Louviers.
EURE. XUX
GOLLIONON (Maurice), rédacteur au journal VIndustiiel, à Louviers.
CROUZET, fondeur de cloches, adjoint au maire, à Louviers.
DANAIS, fabricant de meubles, magistrat consulaire, à Louviers.
DELAMABE (l'abbé René), rue du Faubourg de Rouen, à Louviers, et au grand séminaire de St-Sulpice, à Paris, VIe.
GILLOT, professeur à l'école primaire supérieure, à Louviers.
HAVARD, quincaillier, président de l'Union commerciale, à Louviers.
HÉBERT, commissaire de la marine en retraite, bibliothécaire et conservateur du Musée, à Louviers.
HUVEY (M1»»), propriétaire, à Louviers.
JEUFFRAIN (André), manufacturier, à Louviers.
JEUFFRAIN (Paul), manufacturier, à Louviers.
LANGLOIS (Léon), cultivateur, à Louviers.
LE BOSSÉ, avoué, à Louviers.
LEDANOIS, directeur de l'Ecole primaire supérieure, à Louviers.
LEFEBVHE (le chanoine), archiprétre, à Louviers.
LEFEUVRIER, sous-directeur des contributions indirectes, à Louviers.
MALLET, avoué, à Louviers.
MARCHANDISE, maître d'hôtel du Mouton d'Argent, à Louviers.
MOUCHARD, propriétaire, à Louviers.
PÉTEL (Raphaël), agriculteur, maire, à Surville, par Louviers.
PÉZIER, avoué, à Louviers.
PHILIPPE, propriétaire, rue du Neubourg, à Louviers.
POUSSIN, manufacturier, à Louviers.
RAPI», pharmacien, magistrat consulaire, à Louviers.
REGNAULT, directeur de l'Émaillerie normande,' à Louviers.
REVEKT, directeur d'assurances, à Louviers.
ROGER, maître d'hôtel du Grand Cerf, à Louviers.
ROPERT, receveur des tinances, à Louviers.
SAINT-AMAND, notaire, à Louviers.
THILLAIS (Eugène), agent d'assurances, rue Saint-Jean, 21, à Louviers.
THOMAS, juge de paix, à Louviers.
VÉDY, manufacturier, magistrat consulaire, à Louviers.
d
L LISTE GENERALE DES MEMBRES.
VERLET, statuaire, rue de l'Hôtel de Ville, 28, à Louviers. WERLÉ, receveur de l'hospice, à Louviers.
Canton de Neubourg.
MM.
DUMONTIER, notaire, au Neubourg.
FOUCHÉ, professeur de l'Université en congé, à Épréville (prés le Neubourg).
Canton de Pont-de-1'Arche.
MM.
BOIJTRV (Gésaire), maire de Montaure.
GONNORD, maître de l'hôtel de Normandie, à Pont-de-1'Arche.
GUTTIN (l'abbé), curé de Montaure.
HERVEY, conseiller général, à Notre-Dame-du-Vaudreuil.
MILLIARD (Eugène), cultivateur, à Montaure.
MILLIARD (Henri), agriculteur, à Montaure.
ABRO\I>I*SE'IIE.\T l>F. PO\T-AI IIIIHKR
Canton de Bourgtheroulde.
Inspecteur: M. BOULET.
M. BOULET (Emmanuel), président du Syndicat agricole et du Club français du chien de berger, au château de Bosc-Rogeren-Roumois, par Bourgtheroulde.
Canton de Pont-Audemer.
Inspecteur: M. MONÏIER. MM. GASTINE, notaire, à Pont-Audemer.
EURE. M
GRÉGOIRE (Maurice), avocat, à Pont-Audemer.
GRUEL, manufacturier, à Pont-Audemer.
HÉBERT (l'abbé), supérieur du séminaire, à Pont-Audemer.
LABOS, caissier de la caisse d'épargne, à Pont-Audemer.
LA VENANT (l'abbé), curé-doyen de Pont-Audemer.
LEGENDRE, avocat à la Cour d'appel de Paris, aux Préaux, par
Pont-Audemer. LUARD, château de Mont-Dézert, à Tourville, p. Pont-Audemer. MANN, industriel, à Pont-Audemer. MONTIER, avocat, maire de Pont-Audemer. MOREL, avoué, à. Pont-Audemer. NOLENT, propriétaire, à Pont-Audemer. RAOOT, juge suppléant au tribunal civil, à Pont-Audemer. SAINT-VICTOR (DE), avoué, à Pont-Audemer. SIMON (l'abbé), professeur au séminaire, à Pont-Audemer. TURGIS, manufacturier, à Pont-Audemer.
Canton tic Routot.
Inspecteur: M. LE REFFAIT. M. LE REFFAIT, propriétaire, à Rougemontiers, par Routot.
Canton de St-Georjçes-du-Vièvre.
M. HUE, pharmacien, à Lieurey.
SEINE-INFÉRIEURE
Inspecteurs divisionnaires : MM. le comte D'ESTAINTOT et GEORGES DE BEAUREPAIRE.
ARRONDISSEMENT »E DIEPPE
Canton de Bacqueville.
Inspecteur: M. ALFRED GUÉRILLON. MM. BLONDEL (Pierre), à Luneray.
BOURDON (Edgar), industriel, à Gueures, par Luneray. DUPONT, notaire, maire de Bacqueville. FURON (Amédée), à Brachy. FURON* (Gustave), à Royville, par Bacqueville. GUÉRILLON (Alfred), à Brachy. GUÉRILLOX (Victor), à Brachy.
LE PRINCE, au château de Lamberville. par Bacqueville. MÉNARD, docteur-médecin, à Bacqueville. PROUIN, propriétaire, à Bacqueville.
ROULAND. conseiller général et député, à Bertreville-St-Ouen, par Bacqueville.
Canton de Bellencombre.
Inspecteur : M. ROCHETTE.
M. ROCHETTE, conseillerd'arrondissement.maire de Bosc-le-IIard
Canton de Dieppe.
MM. DOMBREVAL (Emile), juge d'instruction, à Dieppe.
SEINE-INFÉRIEURE. Mil
LEBOURGEOIS, avocat, à Dieppe.
LECORBEIIAER (Edouard), Grande-Rue, 40, à Dieppe.
GALLERY DE LA.SERVIÈRE, rue Gambetta, 33, à Dieppe.
Canton de Longueville.
Inspecteur : M. LE VERDIER. MM.
ESTAINTOT (vicomte Raoul »'), au château de Montpinçon. à Heugleville-sur-Scie, par Auffay.
LE VERDIER (Pierre), avocat, conseiller d'arrondissement, au château de Belmesnil, par Bacqueville, et boulevard Cauchoise, 47, à Rouen.
Canton d'Offranville.
M. HUSSON, docteur-médecin, à Offranville.
Canton de Tôtes.
Inspecteur: M. NEPVEU. MM.
LANGRENAY, cultivateur, à Tôtes.
NEPVEU (Jules), ancien conseiller général, à Ste-Geneviéve.
par Auffray. RAIMBOUVILLE (DE), conseiller d'arrondissement, à Gonneville,
par Longueville.
ARRONDISSEMENT DU HAVRE
Canton de Bolbec.
MM.
GARON (Emile), propriétaire, rue de Gruchet. à Bolbec.
LISTE GENERALE DES MEMBRES.
LACAILLE, suppléant du juge de paix, à Bolbec. MULLEH, propriétaire, à Bolbec.
Canton de Fécamp.
Inspecteur: M. LE BORGNE fils. MM.
DELAUNAY (Ernest;, conseiller général, à Fécamp.
DUFOUR, docteur-médecin, à Fécamp.
LE BORGNE (Augustin), négociant, maire de Fécamp.
LE BORGNE (Augustin) fils, r. Charles Le Borgne, 12. à Fécamp.
Cantons du Havre.
MM.
BAILHACHE, syndic de faillites, rue Dicquemare, 41, au Havre. BIETTE, négociant en vins et spiritueux, rue Caroline, 15. au
Havre. LENNIER, conservateur du musée d'histoire naturelle, rue
Bernardin-de-Saint-Pierre, 2, au Havre.
Canton de Lillebonne.
MM.
LEMAJTRE (Emile), manufacturier, à Lillebonne. LANGER (Gustave), propriétaire, à Lillebonne.
Canton de Saint-Romain-dc-Colbosc.
M. HOUDETOT (le marquis DE), château d'Applemont, à SaintLaurent-de-Brévedent, par St-Romain.
SEINE-INFÉRIEURE. LV
ARRONDISSEMENT DE NEUfCHATEL.
Inspecteur : M. THUREAU-DANGIN.
Canton de Blangy-sur-BresIe.
MM.
CARON-ROINARD, à Réalcarap, par Foucarmont.
DELAHAYE (Paul), à Rétonval, par Foucarmont.
DÉZON (Paul), docteur-médecin, à Blangy.
FRANCONVILLE (Barthélémy), au Colle-Sainte-Beuve, par Foucarmont.
Foucarmont. aux Essarts-Varimpré, par Foucarmont. OBRON, cultivateur, à Gampneuseville, par Nesle-Normandeuse.
Canton de Forges-les-Eaux.
MM.
MALICORNE, conseiller général, à Forges. PHILIPPART fils, à Haussez, par Forges. THOMAS (Edouard), au Fossé, par Forges.
Canton de Gournay.
M. MOINET, à Dampierre. par Gournay-en-Bray.
Canton de Londinières.
MM.
DEIXIENNE père, maire de Saint-Valery-sous-Bures, par Londiniéres.
Londiniéres. (Paul), à Londiniéres.
HOUSSAYE, cultivateur, à Fresnoy-Folny, par Londiniéres. SIMON (Jules), maire de Bures, par Loudinières. VASSELIN, cultivateur, à Groixdalle, par Londiniéres.
I.VI LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton de Neufchâtel.
Inspecteur : M. DUBOO. MM.
BAZIN, maître d'hôtel du Grand-Cerf, à Neufchâtel.
BERTIN (l'abbé), curé de Saint-Saire, par Neufchâtel.
BISSON, notaire, à Neufchâtel.
BOTTIAU, docteur-médecin, à Neufchâtel.
BRIANCHON (Ernest), à Esclavelles. par Neufchâtel.
BRIET, avoué, à Neufchâtel.
COCAGNE (Oscar), avocat, à Neufchâtel.
COEURDEROY, directeur de l'Écho de la Vallée de Hray, à Neufchâtel.
DÉZON (Élie), avoué, à Neufchâtel.
DUBOC, avocat, à Neufchâtel.
FRITSGH, agent voyer d'arrondissement, à Neufchâtel.
GAHEAU, maître d'hôtel du Lion-d'Or, à Neufchâtel.
HEDDE (Joseph-Isidore), principal clerc de notaire, à Neufchâtel.
LEBLOND (Paul), propriétaire, à la Grâce-de-Dieu, à Neufchâtel.
LECOINTE, cultivateur, à Mortemer, par Neufchâtel.
LEFÉBURE, vétérinaire, à Neufchâtel.
LEHEURTEUR, architecte d'arrondissement, à Neufchâtel.
MICHAUT, rentier, à Neufchâtel.
NIQUET, avoué, à Neufchâtel.
PÉGNEAUX (Edouard), propriétaire, à Neufchâtel.
RASSET, entrepositaire, à Neufchâtel.
RIDEN, professeur à l'école municipale de dessin, à Neufchâtel.
ROINARD, vétérinaire, président du Comice agricole, à NeuvilleFerrières, par Neufchâtel.
THIEURY (l'abbé), curé-doyen de Neufchâtel.
THUREAU-DANGIN (Jean), propriétaire, à Bouelle, par Neufchâtel.
Canton de Saint-Sacns.
Inspecteur : M. LE BRETON. MM. CHEVEREAUX (Henri), agriculteur, à Bosc-Mesnil, par St-Saëns. DELAUNAY (Edmond), secrétaire de la Mairie, à St-Saëns.
SEINE-INFÉRIEURE. l'VII
ARRONDISSEMENT DE ROUEN
Canton de Clères.
M. FAUVEL, (Gabriel), cultivateur, à Monville.
Canton de Duclair.
Inspecteur: M. MAILLARD. MM. BIGOT (Jules-Frédéric), agriculteur, à Saint-Paër, par Duclair. DENISE (Henri), conseiller d'arrondissement, à Duclair. MAILLARD (Léonide), docteur-médecin, conseiller général, à
Duclair. PESCIIABD (Prosper), notaire, à Jumiéges. ROBERT (Georges), à Saint-Martin-de-Boscherville.
Canton d'Elbeuf.
Inspecteur: M. ERNEST FLAVIGNY.
MM.
BLANQUART (l'abbé), curé de La Saussaye, par Elbeuf.
GABOBRG (Georges), rue St-Jean, 63, à Elbeuf.
FLAYIQNY (Ernest), propriétaire, à St-Aubin-Jouxte-Boulleng.
LENOBLE (Emile), fabricant de draps, r. de Caudebec. à Elbeuf.
NOYELLE (Armand), notaire, à Elbeuf.
OLIVIEB (Pierre), fabricant de draps, rue du Cours, à Elbeuf.
PION (Paul), teinturier, président de la chambre de commerce,
rue de l'Hospice, à Elbeuf. WALLET (Théoph.), négociant en draperies, r. Robert, à Elbeuf.
LVHI LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
Canton de Grand-Couronne.
M. SPALIKOWSKI (le Dr Ed.). anthropologiste, au Petit-Couronne, par (irand-Couronne.
Canton de Pavilly.
Inspecteur: M. PIHET. MM.
BAGNEUX (le comte Adalbert DE), à Limésy.
ÉPINAY (Joseph D'), maire de Pavilly.
FIQUKT, pharmacien, à Pavilly.
FOUQUET, à Pavilly.
PIIIET, éleveur, adjoint au maire, à Pavilly.
REVERSÉ, huissier, à Pavilly.
SANSON (Adrien), à Butot, par Cany.
SEYEB, maire du Mesnil-Panneville, par Pavilly.
Cantons de Rouen.
Inspecteur: M. CHAULES DE BEAUREPAIRE. MM.
ALLAHD (Christophe), avocat, rue St-Nicolas, 32, à Rouen.
ALLAHD (Jean), rue Etoupée, :■$$, à Rouen, et château de Senneville-sur-Fécamp. par Fécamp.
BÉAI REFAIRE (Charles DE), avocat, rue de l'École, lit. à Rouen.
BEAURERAIRE (Georges DE), avocat, rue d'Ecosse, 11. à Rouen.
BEAUHEPAIRE (Joseph DE), rue Beflïoy. 24, à Rouen.
BRIXON (Raoul), docteur-médecin, directeur de l'Ecole de médecine et de pharmacie, rue de l'Hôpital. 1, à Rouen.
GASOARD. pharmacien chimiste, directeur du musée SaintLouis, à Bihorel-lés-Roucn, par Rouen.
LA SERRE (DE), inspecteur des forêts en retraite, rue Befl'roy, 24, à Rouen, et rue du Bac, il!), à Paris, VII».
LE BRETON, directeur du musée céramique, rue Thiers, 25 bis, à Rouen.
LE TAILLANDIER (Alfredl. rue Guy de Maupassant, à Rouen, et au Matré. Barentin.
SEINE-INFERIEURE. LIX
NIKL (Eugène), vice-consul du Brésil, rue Herbière, à Rouen.
QUÉNAULT, président de chambre à la Cour d'appel, rue Beauvoisine, 52, à Rouen.
TOUGAHD (l'abbé), chanoine honoraire, au petit séminaire du Mont-aux-Malades, à Rouen.
ARRONDISSEMENT I»'l VETOT
Canton de Caudebec.
M. ANISSON-DUPERRON, ancien député, conseiller général, maire de St-Aubin-de-Grétot, par AUouville.
Canton de Doudeville.
M. BIARD (François), propriétaire, à St-Laurent-en-Caux.
Canton de Fauville.
MM.
LANGE, à Fauville, et rue Fromentin, 7, à Paris, IXe. QUESNEL (Gustave), propriétaire, à Ricarville, par Fauville.
Canton de Fontaine-le-Dun.
M. MONTFOHT (le comte DE), au château de Crasville-laRoquefort, par Fontaine-le-Dun, et boulevard Beauvoisine, à Rouen.
Canton de Valmont.
MM.
ALLARD (Jean), château de Senneville-sur-Fécamp, par Fécamp, et rue Étoupée, 33, à Rouen.
LX LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES.
FIQUET (l'abbé), curé de St-Pierre-en-Port.
LE GRAND, à Contremoulins, par Fécarap.
LACHÈVKE, propriétaire, au château de Briquedalle, par Sassetotle-Mauconduit.
Sassetotle-Mauconduit.
Canton d'Yerville.
M. DÈVE (Théodule), au Saussay, par Limésy.
Canton d'Yvetot.
MM.
DAMBOISE, propriétaire, à Ste-Marie-des-Ghamps, par Yvetot. LA FAULOTTE (Jacques DE), au château du Bois-Himont, par
Allouville. SELLE, propriétaire, à Auzebosc, par Yvetot.
LISTE GÉNÉRALE DES MEMBRES. LXI
MEMBRES CORRESPONDANTS
VILLE »E PARIS
Inspecteur divisionnaire : M. F. LE BLANC.
MM.
BLONDEL, industriel, rue Ordener, 1, XVIII 8.
CORBIÈRE (Ernest), rue du Sentier, 10, IIe.
COMMDJES (le comte Arthur DE), avenue Kléber, 80, XVIe.
FONTAINE (André), rue Froidevaux, 10, XIVe.
GERMINY (le comte DE), rue d'Amsterdam, 41, VIIIe.
GOULE (Paul), rue Cemuschi, 12, XVIIe.
HIRSCH, professeur à l'École nationale des ponts et chaussées et
au Conservatoire des arts et métiers, rue Castiglione, 1, Ier. JOINT-LAMBERT, rue de Penthièvre, 24, VIIIe. JORRÉ, avocat, rue de Bourgogne, 28, VIIe. LAIR (Jules), directeur des Entrepôts, rue Croix-des-PetitsChamps,
Croix-des-PetitsChamps, Ier. LANGE, rue Fromentin, 7, IXe, et à Fauville (Seine-Inférieure). LE BLANC, ancien imprimeur-libraire, rue Demarquay, 18, Xe. LEFÈVRE-PONTALIS (Eugène), rue de Phalsbourg, 13, XVIIe. LEMAITRE (Alfred), ancien notaire, villa d'Alésia, 27, XIVe. LEMUET (Léon), boulevard des Capucines, 9, XVIe. MORAND DE LA PERRELLE, lieutenant-colonel d'infanterie de
marine en retraite, membre de l'Institut des actuaires, rue de
Rennes, 144, VIe.
LXH MEMBRES CORRESPONDANTS.
DÉPARTEMENTS ET ÉTRANGER
MM.
BAHEZRE DE LANLEY (François), à Uzel, près l'Oust, et rue
St-Guillaume, 3, à St-Brieuc (Côtes-du-Nord). BEAUMONT (Élie DE), ancien magistrat, rue Allent, 15, à SaintOmer
SaintOmer BRÉARD (Charles), avenue de Villeneuve-l'Étang, 13, à Versailles. FRAPOLLI (Joseph), propriétaire, au Vézinet (Seine), et à
Quinéville (Manche). LAMBERTIE (Baymond), négociant, rue Ausone, 25, à Bordeaux. LANOLOIS, notaire, à Tours (Indre-et-Loire). LAVOIX (Félix), conseiller à la Cour d'appel, rue de l'Abbayedes-Prés,
l'Abbayedes-Prés, à Douai (Nord). LE NORDEZ (Mgr), évoque de Dijon (Côte-d'Or). LOUTREUIL, manufacturier, rue Prestchistinka, maison de la
princesse Galitzin, à Moscou (Kussie). MAROUET (P.), ancien conseiller de préfecture, rue Assalit, 6, à
Nice (Alpes-Maritimes). PONTGIBAUD (le comte DE), à Pontgibaud (Puy-de-Dôme). SAILLARD, procureur de la République, à La Hoche-sur-Yon
(Vendée). ÏRIOER (Robert), conseiller d'arrondissement, au Mans (Sarthe).
COMPTE
DES
RECETTES ET DES DÉPENSES
DE L'ANNÉE 1903
Présenté au Conseil d'administration de l'Association.
CHAPITRE PREMIER.
RECETTES.
En caisse au 31 décembre 1902 . . . $58 fr. » Recouvrements sur 1902 et années antérieures 2.184 50
Recouvrements sur 1903 2.981 »
Subvention du Gouvernement .... 2.660 »
Id. du département de l'Eure . 1.000 »
Total des recettes . . . 9.683fr. 50 CHAPITRE II.
DÉPENSES.
Frais de bureau de la Direction ... 60 »
Honoraires du trésorier 500 »
Traitement du concierge de la salle des
séances . 50 »
Abonnement à la Gazette des Campagnes 6 50 Cotisation à la Société des Agriculteurs
de France 20 75
Souscription au monument de Formigny. 10 »
A reporter 647 fr. 25
I,X1V COMPTE DU TRESORIER.
Report. . . . 647 fr. 25
Ports A'Annuaires, de programmes, d'affiches, de lettres, etc 237 35
Frais de distribution des Annuaires et de
recouvrement des cotisations ... 87 35 Impression de l'Annuaire et diverses . 2.541 55 ! Impressions relatives au Congrès 268 55
l Primes en espèces. . . . 2.565 »
Congrès I Coupe d'argent 165 »
de / Médailles 474 10
Louviers j Indemnité à M. le Sous-Di| recteur pour l'organisation
du Congrès 300 »
\ Frais divers 442 30
Total des dépenses. . 7.728 fr. 45
BALANCE.
Recettes9.683 fr. 50
Dépenses7.728 45
Kn caisse au 31 décembre 1903 . . . 1.955fr.05 Fonds de réserve2.747 fr. 70
Certifié conforme aux écritures :
Caen, le 31 décembre 1903.
Le Trésorier, P. BATAILLE.
71e CONGRÈS
DE L'ASSOCIATION NORMANDE
POUR LES PROGRÈS DE L'AGRICULTURE DE L'INDUSTRIE, DES SCIENCES ET DES ARTS
SESSION DE 1903
TENUE
A LOUVIERS (Eure)
DU 23 AU 27 SEPTEMBRE
1" JOURNEE, MERCREDI 23 SEPTEMBRE
Comme l'affirme le Journal de Rouen, auquel nous empruntons ces lignes, « On peut, sans crainte d'être contredit, qualifier de grandiose et d'enthousiaste la réception qui a été faite mercredi aux membres de l'Association Normande. A neuf heures du soir, le conseil municipal au complet, ayant à sa tête son maire. M. Thorel. sénateur, et ses deux adjoints, MM. Thiberge et Crouzet, précédé par l'Harmonie, et escorté par la Compagnie des sapeurs-pompiers en grande tenue et par de nonibreux porteurs de torches
1
2 SESSION TENUE A LOUVIEfcS, EN 19Ô3.
et de ballons lumineux, arrivait place de la gare en même temps que les membres de la Société d'études diverses*de Louviers, et recevait les congressistes <>.
M. le comte de Boury, député, avait également tenu à venir au-devant d'eux. Ceux-ci sont fort nombreux: nous remarquons, outre M. de Longuemare, sous-directeur, MM. Dubourg et Pochon, secrétaires, M. Bataille, trésorier, MM. de Longcamp, Groult, Régnier, Foulon, Canivet, Anquetil, Coutil; Salles, Lerenard-Lavallée, Simon, comte d'Osseville, etc., inspecteurs ou membres du conseil de l'Association Normande.
M. Thorel, sénateur, prononce alors les paroles suivantes :
Monsieur le Président, Messieurs,
« Au nom de la ville de Louviers et du conseil municipale vous souhaite la bienvenue. Nous vous remercions d'avoir bien voulu choisir la ville de Louviers pour tenir votre Congrès annuel.
« Le souvenir de la visite faite par votre Association à notre ville et des belles fêtes qui furent données à cette occasion est resté vivace à Louviers. Vous pouvez compter aujourd'hui sur la même réception cordiale de la population.
<i Nous apprécions tous les services rendus par votre Association, qui a été une des premières à s'intéresser au développement de l'industrie et au progrès de l'agriculture. Depuis, de nombreuses sociétés se sont fondées tlans le même but, car on a
lre JOURNÉE, 23 SEPTEMBRE. 3
compris la nécessité où l'on se trouve à notre époque d'appliquer la science à l'agriculture.
« Vous verrez, au cours de vos travaux et de vos excursions, que les cultivateurs de notre région ont su profiter des leçons qui leur ont été données ».
M. de Longuemare, sous-directeur, remercie M. le Maire des paroles aimables qu'il vient de prononcer. Aucun des membres de l'Association présents aujourd'hui n'a eu le plaisir d'assister aux fêtes de 1858, mais les archives en gardent le souvenir. M. de Caumont, directeur et fondateur de l'Association, avait été profondément touché de l'accueil qui avait été fait alors aux membres de l'Association Normande, et il s'était plu à répéter que jamais réception n'avait été aussi cordiale qu'à Louviers. « Je suis heureux, ajoute M. do Longuemare, de constater qu'à quarante-cinq ans de distance, les sentiments de la ville de Louviers pour l'Association Normande n'ont paschangé.Maintenantcommealors, vous avez compris notre but, approuvé nos efforts, je vous en exprime notre vive reconnaissance; nous répondrons de notre mieux à votre sympathie et j'espère que, si aujourd'hui nous ne sommes pas des inconnus pour vous, demain, nous serons pour tous des amis ».
Le cortège s'est mis ensuite en marche. En avant, la musique municipale, dirigée par M. Fontbonne, sous-chef de la musique de la garde républicaine, puis les membres de l'Association Normande, les membres de la Société d'études diverses de Louviers et le conseil municipal, MM. Thorei, sénateur,comte
4 SESSION TÉNl)Ë A LOOVlËRS, Ëf) 1903.
de Boury, député, de Longuemare, sous-directeur de l'Association Normande, etc.
Les sapeurs-pompiers, le fusil sur l'épaule, encadraient le cortège.
En tête et en queue marchaient les porteurs de torches et de lanternes vénitiennes étagées en pyramides, les enfants coiffés de chapeaux formant lanternes vénitiennes, bref, tout l'appareil des retraites aux flambeaux.
Au son des pas redoublés et enveloppé dans la fumée des feux de bengale, le cortège a suivi la rue Grande, les rues de la Laiterie, duNeubourg, Dupontde-l'Eure, Saint-Louis et il est entré à l'hôtel de ville par la porte de la rue des Pompiers.
On a aussitôt pris place dans la grande salle de l'hôtel de ville qui s'est remplie de curieux.
La séance d'inauguration a commencé. M. Thorel, maire, fatigué et très souffrant, s'était excusé de ne pouvoir y assister.
Sur la demande de M. de Longuemare, sousdirecteur, M. le comte de Boury a pris la présidence.
Etaient présents: MM. Thiberge et Crouzet, adjoints au maire de Louviers ; MM. Angérard, président, Barbe, vice-président, et Mallet, secrétaire de la Société d'études diverses de l'arrondissement de Louviers; MM. Bontemps, Havard, Poulard, Sahnon et plusieurs autres conseillers municipaux de Louviers; M. Hébert bibliothécaire, conservateur du musée, plusieurs membres de la Société d'études diverses et les membres de l'Association Normande.
M. de Longuemare a pris la parole et a, en quelques mots, retracé le but de l'Association Nor-
1" JOURNÉE, 23 SEPTEMBRE. 5
mande. Remontant à ses origines, il a expliqué comment M. de Caumont avait été le rénovateur de l'Archéologie en France, et comment, à côté de la grande Société d'Archéologie qui rayonne sur tous les départements, il avait voulu qu'il y eût en Normandie une association spéciale, comment enfin il avait été amené à donner à cette Société une compétence plus étendue, compétence qui devait comprendre, à côté du culte des vieux monuments, l'étude des questions agricoles et industrielles.
M. de Longuemare explique ensuite la façon dont seront divisées les séances et quel est le but de ces enquêtes auxquelles se livre l'Association Normande dans ses Congrès annuels. •
Après un exposé du programme des diverses excursions et séances auxquelles le Congrès se propose de prendre part et qui promettent d'être d'autant plus intéressantes que des membres les plus distingués de la société doivent s'y rencontrer, M. de Longuemare présente les excuses de M. le comte de Vigneral, directeur de la Société, qui ne pourra venir à Louviers que samedi, puis il rend un sympathique hommage à M. de Boury.qui, comme président du syndicat d'Amfréville-la-Campagne et du comice agricole de l'arrondissement de Louviers, montre tout l'intérêt qu'il porte à l'agriculture ; à M. Angérard, président de la Société d'études diverses, à l'initiative duquel on doit l'organisation de ce Congrès, et il termine en remerciant de nouveau la ville de Louviers de la réception enthousiaste qu'elle a faite à l'Association Normande.
Vu l'heure tardive de l'arrivée des congressistes à
6 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
la gare de Louviers et par conséquent de cette première séance, aucune communication n'était inscrite à l'ordre du jour. M. le Président donne cependant la parole à M. Groult, inspecteur de l'Association Normande, fondateur des musées cantonaux. M. Groult prend alors la parole en ces termes :
Messieurs et chers Collègues,
J'ai eu l'honneur, à plusieurs reprises déjà, de vous entretenir de l'oeuvre des musées cantonaux ; mais c'est aujourd'hui seulement que j'ai l'avantage de vous présenter, dans une salle voisine mise gracieusement à ma disposition par M. Thorel, sénateur, maire de Louviers —■ ce dont je le prie d'agréer mes sincères remerciements—, un noyau, ou plus exactement une partie de la section agricole du futur musée cantonal de cette ville. Voulez-vous me permettre de vous y servir de cicérone ? La salle est petite : ma tâche sera courte.
Je tiens tout d'abord à remercier mon excellent coopérateur, M. Védy, géologue, juge au tribunal de commerce de Louviers, et notre distingué collègue, M. Angérard, avocat, président de la Société d'études diverses à Louviers. Ils ont, l'un et l'autre, travaillé avec une ardeur au-dessus de tout éloge à la création du futur musée cantonal.
J'appellerai en premier lieu votre attention sur les collections de blé de M. Portois, grainetier à Louviers. Les mérites de ces échantillons seront indiqués aux cultivateurs par le président de la Société d'agriculture ou le professeur départemental
i" JOURNÉE, 23 SEPTEMBRE. 7
d'agriculture. J'ai tenu à les mettre à la place d'honneur dans cette salle afin de montrer en quelle haute estime je tiens l'agriculture qui nous fait tous vivre. Le blé est d'ailleurs l'emblème du bon grain que nous semons dans les musées cantonaux.
Je vous présenterai ensuite les spécimens d'engrais du Bureau des Études sur les Engrais, 6, rue du Conservatoire, à Paris, et de la Société des Scories Thomas, 5, rue de Vienne, à Paris; vous les trouverez sur la table au fond de la salle.
La première de ces deux maisons a exposé en outre une série de photographies représentant les travaux d'exploitation de la potasse dans les mines de Strassfurt et la très belle carte coloriée servant à indiquer la répartition des aliments dans la plante d'avoine aux époques les plus importantes de son développement. Vous remarquerez que cette carte a pour auteur le professeur Arthur Lindell, de Mustiala (Finlande). N'est-ce pas le cas de rappeler ce mot souvent répété : « C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la lumière ».
On a placé çà et là les très remarquables photogravures représentant, sur des os de rennes, des spécimens de dessins ou de sculptures d'artistes préhistoriques, des harpons, des marteaux, des haches, puis un délicat collier destiné à servir de parure à quelque jolie femme, dont la poussière même a disparu "depuis des siècles. L'identification en a été faite par M. Bigot, professeur de géologie à la Faculté des sciences de Caen. Je suis heureux de lui en exprimer ici ma sincère gratitude. Ces photographies m'ont été adressées ,'du musée cantonal du
8 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Mas d'Azil (Ariège) par la veuve de mon regretté coopérateur, M. Tibule Ladevèze, juge de paix de ce petit canton perdu dans les Pyrénées. Je rends à sa mémoire un hommage de sympathies attristées, car il fut un de mes coopérate.urs dévoués de la première heure.
Maintenant, je vous présente, avec tout le respect qu'ils méritent, les savants tableaux d'études tellurigwes^JdeM. Delaplace, instituteur à Giverny (Eure). Ces tableaux, qui couvrent à eux seuls près de la moitié de la salle, sont extraits d'une petite brochure très instructive, intitulée : Emploi des engrais chimiques simples en complément du fumier, mélangés selon la nature des terrains, dans la Commune de Giverny (Eure). M. Delaplace indique qu'il a obtenu le concours de M. Lemeland, chimiste à Evreux, pour l'analyse du sol, et de M.Bourgne, professeur départemental d'agriculture à Evreux, pour les conseils pratiques. Grâce à cette remarquable étude tous les cultivateurs de Giverny sont maintenant instruits de l'espèce et de la quantité d'engrais qu'ils doivent placer dans leurs terres, avec l'indication de l'époque où ils doivent les utiliser pour en obtenir le meilleur rendement. On ne saurait trop féliciter M. Delaplace et souhaiter que son exemple trouve de nombreux imitateurs.
J'arrive enfin aux très remarquables cartes agronomiques qui m'ont été si aimablement adressées par M. Camille Fouquet, le savant député de Bernay,
(1) J'emprunte ce mot à M. de Caumont, comme ceux de « cartes agronomiques » dont il est également l'auteur.
1™ JOURNÉE, 23 SEPTEMBRE. 9
qui dépense sans compter son savoir et son temps, pendant les loisirs que lui laisse la politique, à la confection de ces cartes si intéressantes. M. Camille Fouquet les offre gratuitement à tous les cultivateurs de sa région qui lui en font la demande.
Vous admirerez enfin la très savante et très belle carte agronomique coloriée, de Sées (Orne).
L'initiative en a été prise de concert par mon excellent correspondant M. Loutreuil, manufacturier à Moscou qui en a payé tous les frais, et M. le Dr Hommey père, conseiller général du canton. Elle a été dressée par M. le Dr Joseph Hommey pour la géologique et M. Langlois, professeur départemental d'agriculture, pour la partie agronomique, avec la collaboration de M. Canel, alors professeur, aujourd'hui principal du collège de Sées.
C'est pour moi un grand honneur d'avoir pu reproduire dans l'Annuaire de l'Association Normande de 1903, qui vient de Vous être distribué, le programme détaillé des cartes agronomiques du savant directeur de l'Ecole des mines, M. Adolphe Carnot.
Mais je tiens à rappeler ici que la première idée de ces cartes si utiles appartient à M. de Caumont, l'illustre fondateur de notre Société. Vous pouvez trouver ses savantes communications à ce sujet dans nos Annuaires des années 1842, 43, 45, 53, 54, 57, 65 et 69. J'ajoute que M. de Caumont, prêchant d'exemple, a publié dans l'Annuaire de 1857 la topographie tellurgique destinée à servir de base à la carte agronomique de sa propriété de Montfreule (Calvados).
La lumineuse netteté du programme de M. Adolphe Carnot ne tardera pas à assurer dans tous les
10 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
cantons de France la rapide exécution de ces cartes qui, selon l'expression de M. Risler, directeur honoraire de l'Institut agronomique, « produiront des millions et des millions ». J'ose espérer que MM. les Professeurs départementaux d'agriculture s'imposeront la très belle mission d'établir, chaque année, la carte d'un des cantons (1) de leurs départements respectifs. Ils y seront aidés par les anciens élèves de l'Ecole des mines, de l'Institut agronomique et de l'Ecole polytechnique qui les habitent. Ces savants d'élite trouveront ainsi une nouvelle et excellente occasion d'utiliser leurs studieux loisirs.
Messieurs, j'ai fini. J'espère,en terminant, que vous voudrez bien me permettre de rappeler le but et la définition des musées d'espèces nouvelles qui se fondent d'après mes programmes :
« Les musées cantonaux sont les temples de la science et du progrès.
« L'institution naissante a obtenu des médailles d'or aux expositions universelles de 1889 et 1900 et les votes de félicitations des conseils généraux de 48 départements.
« Ces musées ressemblent à une société de secours
(1) Les frais d'impression de ces caries pourraient être couverts par les Sociétés et Syndicats agricoles. Mais il suffirait c[ue îleux exemplaires manuscrits en soient faits : l'un pour être expédié à la Société nationale d'Agriculture, 18, rue liellechasse, à Paris, qui les centralise et désigne naturellement comme rapporteur, pour les prix à distribuer, M. Adolphe Oarnot ; l'autre pour être affiché au musée cantonal ou à la mairie du chef-lieu de canton étudié, afin d'y être consulté par les cultivateurs de ce canton.
l'e JOURNÉE, 23 SEPTEMBRE. 11
mutuels où chacun apporte, comme mise de fonds, son savoir et sa bonne volonté. Ils ont pour but d'éveiller le goût des arts et de vulgariser toutes les connaissances utiles dans une région déterminée. On y trouve, grâce aux notices explicatives qui accompagnent chacun des objets exposés, des renseignements sur l'anthropologie, l'hygiène, l'agriculture, l'industrie, l'histoire naturelle de la région et sur les colonies françaises. On y voit la photographie des monuments du canton avec leur date; des notices biographiques sur l'es hommes illustres de l'arrondissement, le tableau d'honneur des soldats et des marins du canton morts pour la Patrie, la liste des bienfaiteurs du canton ».
J'ose espérer, Messieurs et chers Collègues, que, de retour chacun dans votre région, vous vous souviendrez de ces petits musées et spécialement des cartes agronomiques que je me permets de recommander à votre patriotique sollicitude.
Je fais appel à tous les hommes de bonne volonté: il y en a beaucoup parmi nous; l'histoire, reconnaissante, inscrira leur nom au Livre d'Or des musées cantonaux.
M. de Longuemare remercie M. Groult de cette intéressante communication. C'est avec raison, ajoute-t-il, que l'attention du Congrès a été appelée sur les cartes agronomiques. Dans ce département de l'Eure, on ne saurait oublier en effet que l'un des promoteurs de ces cartes est le député de Bernay, M. Fouquet, ainsi que M. Grouet l'a justement rappelé. M. Fouquet, au Congrès qui s'est tenu à
12 SESSION TENUE A LOUV1ERS, EN 1903.
Brionne il y a peu d'années, avait lui-même présenté les cartes faites par lui et démontré leur utilité.
Avant que cette réunion ne se termine, M. de Longuemare tient à réparer un oubli et présente les excuses de plusieurs membres de l'Association Normande qui ne pourront assister au Congrès, notamment de MM. Lefèvre-Pontalis et E. Travers, directeur et directeur-adjoint de la Société française d'Archéologie, retenus loin de nous par des deuils récents. M. le comte de Boury, député, se lève alors et remercie l'Association Normande de l'honneur qu'elle lui a fait en l'appelant à présider cette première séance du Congrès. Lui aussi, comme président du Comice agricole de Louviers, il tient à souhaiter la bienvenue à une société dont le rôle dans la province est si important et si apprécié.
La séance est levée à 10 heures.
2* JOURNEE, JEUDI 24 SEPTEMBRE
SÉANCE DU SOIR.
Enquête Industrielle, Scientifique et Archéologique.
Cette séance avait réuni à l'hôtel de ville un public encore plus nombreux que la veille; M. de Longuemare préside, ayant à ses côtés, MM. de Boury, député, Hervé, conseiller général, Thiberge et Crouzet, adjoints, et les mêmes personnes qu'à la séance précédente.
Au début de la séance, M. de Longuemare fait observer qu'étant donné le grand nombre de travaux dont les manuscrits lui ont été soumis et l'importance de ces travaux eux-mêmes, il va être forcé de modifier un peu les usages établis pour les enquêtes ordinaires, et donner la parole successivement aux personnes qui se sont fait inscrire, sans poser dans l'ordre du programme les questions qui y figurent.
14 SÉANCE TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Cela est d'autant plus nécessaire que bon nombre des auteurs des mémoires ne peuvent assister qu'à une séance.
Il donne donc la parole à M. le chanoine Porée, qui répond à la 16* question.
2" JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 15
UNE VIEILLE DESCRIPTION
DU
CHATEAU DU VAUDREUIL
Il m'est tombé sous les yeux, il y a quelques années —, et je me suis alors'empressé de l'acquérir—, une épître en vers burlesques que l'on avait dû écrire vers le milieu du XVIIIe siècle : c'était une description du château du Vaudreuil. L'intérêt qu'elle .offrait, je suis le premier à le reconnaître, n'était pas de premier ordre ; mais on sait si peu de chose de ce qui fut la résidence somptueuse des Girardin, des Bailleul, des Portail, qu'un appoint, si léger qu'il soit, n'est pas à dédaigner. D'ailleurs, la présence de l'Association Normande à Louviers m'est une occasion propice de faire connaître ce morceau poétique, ce badinage si bien dans le goût du XVIIIe siècle, dû à la plume de l'un des familiers du château, l'abbé Pérégrin. Quel personnage s'est caché dans ce pseudonyme ? Je ne sais. Sans doute quelque mince assembleur de rimes, ignoré même de ses contemporains. Mais si cette supposition atténue mes regrets, elle ne les fait pas disparaître ; quelque jour peut-être, nous saurons ce qu'était cet abbé Pérégrin.
16 SESSION TENUE A LOUVlERS, EN 1903.
La pièce est intitulée : « Description du château et des jardins du Vaudreuil appartenant à M. le Président Portail, en vers libres, par M. l'abbé Pérégrin, secrétaire perpétuel de l'Académie du Vaudreuil. Dédiée à M. le Président Portail, seigneur dudit lieu ».
Et une note, placée en marge du manuscrit, ajoute : « C'étoit une plaisanterie de campagne ; on avoit institué une académie dont les assemblées se tenoient devant tout le monde, dans le salon de compagnie ».
Vient ensuite l'épître dédicatoire : « Monsieur. C'est au dieu des jardins qu'on doit l'hommage de la description du plus beau que l'on puisse voir en Europe ; à ce titre, vous ne pouvez refuser la dédicace que j'ai l'honneur de vous présenter. Les différentes fleurs répandues dans vos magnifiques parterres auroient dû m'inspirer celles que je dois semer dans le corps de ce petitouvrage ; mais la débilité de mon âge et la foi blesse de mes sens ont empêché que leurs odeurs parviennent jusques à mon nez. Recevez cet enfant posthume de mon loisir septuagénaire et métromanique. Heureux s'il vous plaît et vous donne des marques sincères du respect et du dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc. ».
Deux présidents Portail furent seigneurs du Vaudreuil. Le premier, Antoine Portail, était un grave magistrat, nommé sous la Régence avec M. de Lamoignoii, président de la Chambre de justice créée par édit de mars 1716 pour examiner tous les comptes des finances depuis le 1°' janvier 1698, et
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 1?
punir les malversations ; il devint premier président du Parlement de Paris, mais il s'aliéna sa compagnie par son zèle à faire enregistrer la bulle Unigenitus. Il appartenait à l'Académie française quand il mourut, à l'âge de 63 ans, en 1736.
Son fils, Jean-Louis Portail, président à mortier, avait épousé Antoinette Aubéry de Vastan, fille du prévôt des marchands de Paris. L'avocat Barbier, très au courant de la chronique scandaleuse de son temps, raconte les aventures qui amenèrent, en 1746, la séparation des époux. Madame de Portail se retira pendant quelque temps au couvent du Calvaire du Marais (1) ; on ne la revit plus au Vaudreuil. Quant au président, il paraissait se résigner aisément à son sort. Son caractère gai, enjoué, ami des divertissements, ses séjours prolongés au Vaudreuil attiraient au château une nombreuse et galante compagnie. Dans ses Mémoires, Madame de Genlis a laissé le récit de quelques-unes de ces fêtes auxquelles jeunes seigneurs, dames titrées, gens de robe et gens de lettres se donnaient rendez-vous. On y venait de Louviers, dont Portail était gouverneur, de Rouen, de Paris ; on y lisait des vers, on y jouait des proverbes.
La poésie de l'abbé Pérégrin nous semble donc bien dans la note et convenir à la société brillante et d'esprit léger qui fréquentait au Vaudreuil après 1750.
(1) Journal de Barbier, IV, 139.
18 SESSION TENUE A LOOVIERS, EN 1903.
Voici cette pièce :
O vous de l'Hélicon habitantes lyriques
Terpsichore, Apollon, Pégaze,
Muses sérieuses et comiques,
Inspirez mes vers et ma phrase
Pour chanter au plus dignement
Ce que dessous le firmament
On ne vit onc séjour plus charmant
En jardins, rives, prés et champs ;
Ce que jamais sous les étoiles
Ne virent les Pérars, les Amboiles (1)
De plus décoré, plus riant,
De plus beau, de plus amusant,
Ce qui nous donne à tous dans l'oeil:
C'est, tu l'entends, c'est leVaudreuil.
Arrive donc, ma chère Muse, Car je suis sot comme une buze, Et tout gros de versifier Sans toy je ne puis accoucher.
Déjà l'aurore renaissante Avoit essuyé ses beaux yeux ; Déjà sa première servante Avoit tressé ses blonds cheveux ; Phébus avoit fait sa toilette, Lavé ses mains, la bouche nette, Son char attelé de juments Soit espagnols ou bien normands,
(1) Une note du manuscrit nous apprend que Pérar était un valet de chambre, et Ainboile le chevalier d'Ormesson, peut-être d'Ormesson, seigneur d'Amboile, intendant des finances et conseiller d'État en 1755 (Voir le Journal de Barbier, VI, 175).
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 19
(Qu'importe à la présente affaire ;) Bref, tout étoit en lumière Au Pont de l'Arche et à Louviers, A la Forêt, Poses et Vauvray. Quand je descends de la montagne Le pont de Morte-Eure (1) je gagne; Là se présente à mes regards Une allée, comme les remparts, Longue de plus de mille toises ; Une autre au milieu la croise; Pièces d'eaux, canal et vivier Si grands qu'on pourroit s'y noyer ; Brochets, grenouilles et serpents Et autres poissons sont dedans. Ensuitte à vos yeux se présente La grille, et une cour brillante Entourée de fossés pleins d'eau ; Après cela, quoy de plus beau ? A chaque côté de la porte, Soit que l'on entre ou qu'on en sorte, Des Cerbères aboyant tout haut, Fesant oua, oua, oua, oua, voieau ; Aux deux côtés des édifices, Appartements, cuisine, offices, Salle à manger, commodité, Chambre â coucher, billard, grenier ; Icy cabinet de musique, Là, pour soulager la colique, Là pour jouer au biribi, Cabinet où l'on fait pipi ; Miroirs, bergères, tabouret, Rien n'y manque jusqu'au balet.
(1) Kn note: «-C'est la rivière d'Eure qu'on appelle, à ce bras, Morte-Eure ».
20 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Partout vous voyez un parterre,
Statues sur pieds d'estaux,
"Vases, treillages et berceaux,
Buis découpés, gazons tout verts.
Puis vous voyez sur le revers,
Par devant, derrière et à gauche,
Parc tout en bois, sans mont ni roche,
Le tout entouré de verdure
Et du fleuve qu'on appelle Eure.
A vos yeux se présente une isle
Où dut régner jadis Cypris,
Car elle est charmante et gentille
Entourée de roses et de lys.
Mais j'aperçois de l'oeil la Motte (1)
Dont la vue n'est, ma foy, pas sotte:
Là Corydon, Amaryllis,
Nitilis, Damon et Chloris,
Sémiramis avec Amynte
Sur l'herbe en cidre y boivent pinte.
Ce charmant couvent, l'Hermitage (2),
Où dans grande dévotion,
L'on peut sans voeux ni sans veuvage
Y faire sa profession.
Hiver, automne, été, printemps
(1) En note: « C'est un petit château, au bout du parc, de l'autre côté de la rivière ».
(2) En note : « Petit bosquet ainsi appelé et fermé, à la porte duquel est une petite statue dermitte ». — « L'Hermitage que M. le Président a fait pour la femme d'un de ses amis, est un petit salon rond et tournant, dont la porte d'entrée, faisant un demitour à droite, se trouve en face d'une allée qui conduit à un bosquet inconnu ». Voyage a"Antoine-Nicolas Duchesne au Havre et en Haute-Normandie, en 1762, dans Société de l'Histoire de Normandie, Mélanges, 4e série, 1898, p. 248.
2* JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 21
L'on s'y promène en tous les temps ;
Les quatre saisons à leur tour (1)
Y logent le folâtre Amour.
Là, le matin avant l'aurore
On voit jouer Zéphyr et Flore ;
Icy le passage du bac,
Amphitrite y est dans un sac (2)
Que forment deux bras de rivière ;
Vue par devant, vue par derrière,
De quelque côté que tourniez
De l'eau vous êtes entourés.
Dans la prairie cochons et vaches.
Autres petits troupeaux qui marchent,
Bondissant d'un air enfantin,
Vous procurent plaisir divin.
Vous y voyez là pêche et chasse,
Pluye en été, l'hiver la glace.
Le tout abondant en. gibier,
Cerf, biche et buze et loup-cervier,
Crapauds volants, blaireaux, coqs-d'Inde,
Hiboux, corbeaux ; oeilltts des Indes,
Fleurs de pêchers, acacias,
Baguenaudiers et catalpas ;
Noix, oignons, prunes et citrouilles,
Cresson, orangers et fenouilles.
Mais, ce qui tout cela surpasse,
On y voit aussi la carcasse
De plusieurs cerfs que l'on occit
(1) En note: « Les quatre saisons sont un bosquet partagé en quatre parties, où dans chaque partie sont plantés les arbres et arbrisseaux de chaque saison ».
(2) En note : « La statue d'Amphitrite est à une pointe où est la jonction des deux bras de la rivière d'Eure ».
2£ SESSION TENUE A LOUV1ERS, EN 1903.
Dans :1a forêt qu'on voit d'icy (1 ) ; Et, ce qui doit jetter envie,' Surtout l'illustre Académie Des sciences et beaux-arts protégée Par le seigneur haut justicier.
Icy doit s'arrêter ma plume. Muse, je sens que je m'enrhume ; Tu connais ma débilité, ' Pour un goutteux c'en est assés (2).
Si l'abbé Perégrin donna libre carrure à sa verve poétique et burlesque, il est aisé de voir qu'il ne se préoccupait guère des archéologues et des curieux d'aujourd'hui qui lui sauraientinfiniment gré d'avoir donné à sa « description » des touches moins fantaisistes et des lignes plus nettes. Nous allons essayer d'y suppléer dans une certaine mesure, car les données relatives à l'architecture du château du Vaudreuil sont demeurées jusqu'à ce jour d'un vague vraiment décourageant.
Lorsque, le 22 décembre 16.T7, Claude Girardin, conseiller, secrétaire du roi, eut acheté, au prix de 240.000 livres, le domaine du Vaudreuil, il entreprit aussitôt de reconstruire le château qui tombait en ruines. Girardin, ami du surintendant Fouquet, passionné pour les arts somptuaires et aimant à protéger les artistes, voulut faire grandement les choses. Il s'adressa à Antoine Le Paultre, « archi(1)
archi(1) note : « Ce sont des (êtes de cerfs aux écuries et aux
(2) En note: «L'abbé Perégrin se donnoitpour être goutteux», basses-cours ».
2" JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 23
tecte, ingénieur des bastimens du Roy et controlleur général des bastimens de Monsieur le Duc d'Orléans » (1).
Un plan du XVIIIe siècle conservé aux Archives de l'Eure, dont je dois l'indication à l'obligeance de mon érudit confrère et ami, M. L. Régnier, permet de se faire une idée exacte de la disposition originale du château du Vaudreuil. Au lieu de reproduire le plan tant de fois suivi d'un corps principal flanqué de deux ailes en retour, Le Paultre imagina de mettre en regard une double construction symétrique, comprenant deux longues ailes reliées par un ample pavillon central. L'ensemble encadrait une cour rectangulaire traversée du nord au midi par une vaste percée qui ouvrait aux regards un horizon presque infini. Ce château géminé, accompagné de terrasses à balustres et de parterres découpés à la française, était élevé sur un terreplein défendu par de larges fossés remplis d'eau courante (2).
En avant et en arrière du château et sur la droite, vers Saint-Étienne-du-Vauvray, au milieu d'immenses pelouses gazonnées, des statues profilaient leurs blanches silhouettes, notamment deux groupes en pierre de Vernon dus au ciseau du grand Puget
(1) Antoine Le Paultre, né le 15 janvier 1631, mort en 1691.
(2) « L.3 vieux château consiste en deux ailes de bâtiments détachées l'une de l'autre, placées chacune sur une partie du flanc d'un plateau long de trois cents pas et large de deux
cent cinquante un peu plus élevé que la chaussée et entouré
d'eau courante ». Roussel : Les Trois Grâces de la Normandie. Rouen, 1816, in-8», p. 29.
24 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
que Claude Girardin avait réussi à attirer au Vaudreuil et à garder près de lui d'octobre 1659 à juillet 1660. L'une de ces statues, Hercule terrassant l'hydre de Lerne, que j'eus la bonne fortune de retrouver à La Londe en 1882, est aujourd'hui au Musée de Rouen. Quant à l'autre oeuvre de Pierre Puget, Cybèle couronnant Janus d'olivier, elle garde encore son irritant mystère.
Le parc du Vaudreuil occupait toute l'île formée par les deux bras de l'Eure.
Une longue chaussée de neuf cents pas conduisait au château. De chaque côté, de longues avenues (1) flanquées çà et là de pièces d'eau, de hautes futaies divisées en compartiments, formaient de gigantesques berceaux de verdure avec de ravissantes perspectives. On citait notamment « une étoile très belle de soixante arpents plantés et percés à plaisir. C'étoit feu M. Lenostre, premier jardinier du Roy, qui en avoit tracé le plan » (2).
Un avocat de Rouen, Roussel, qui avait vu dans
(1) Six rangs de grands arbres formaient avenue à l'approche du château (Roussel, p. 27). Le même auteur ajoute : « La partie à gauche de la chaussée jusqu'au château renferme, comme celle que l'on vient de quitter (celle de droite), plusieurs pièces d'eau stagnante et limpide : elle renferme également six rangs de grands arbres et des parties fort belles couvertes de gazon : mais elle n'en présente pas d'aussi étendues qu'à droite, parce qu'elle est formée par le bras de la rivière que couvre le grand pont », p. 29.
(2) Paul Goujon : Histoire de la châtellenie et haute-justice du Vaudreuil, dans Recueil des travaux de la Société libre de l'Eure. Évreux, 1863, in-8°, p. 444.
2" JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 25
sa splendeur le parc du Vaudreuil, au temps de Louis XVI, en décrit plusieurs particularités, notamment « un vaste cloître de maison religieuse, à double rang d'arbres artistement taillés et d'une forme parfaitement semblable aux cloîtres en pierre qui ont survécu aux ravages de la destruction. L'intérieur de ce cloître offrait une belle pelouse presque toujours verte, tant le sol est fertilisé par l'abondance des eaux et tant il est riche par luimême. Pour seconde pièce, on trouvait une grande étendue de terrain couverte de gazon qui, depuis le château jusqu'à la rivière vis-à-vis, dans une distance longue de six cents pas et large de trois cents, était absolument vide, excepté d'un piédestal, convenable à la majesté du lieu, sur lequel reposait un énorme Hercule armé de sa massue (1). Ce vide avait été pratiqué pour que de tous les appartements de la partie à droite du château, rien ne gênât la vue du côté de la plaine de Saint-Étienne » (2).
Le château occupait à peu près le centre de l'île. Au«delà, le parc prolongeait ses immenses avenues, ses massifs de grands arbres coupés par un vaste étang de plus de quatre cent cinquante pas de circonférence.
(1) Sur le plan conservé aux Archives de l'Eure, on voit, à l'extrémité d'une longue pelouse de gazon bordée d'avenues d'arbres, un vaste demi rond-point au milieu duquel se trouve un massif de maçonnerie ou piédestal ; c'est évidemment l'emplacement qu'occupait l'Hercule de Puget. L'affirmation de Roussel est exacte.
(2) Roussel, p. 28.
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Vers l'extrémité de l'île tombait une cascade de cinq degrés de chutes qui se déchargeait dans un bassin près duquel on avait établi une pêcherie.
Les dépenses occasionnées par la construction du château, le luxe de ses installations, les oeuvres d'art qui s'y trouvaient réunies ruinèrent le propriétaire. Imitant les fastueux caprices de son ami le surintendant Fouquet, Girardin avait dépensé au Vaudreuil 350.000 livres en bâtiments et en acquisitions ; il avait dû contracter des emprunts ; enfin, il fut forcé de vendre sa terre, le 4 septembre 1699.
Elle passa successivement aux mains des Girard de la Cour des Bois, des Bailleul, des Portail, des Conflans.
Mal entretenu, rarement habite, le château était tombé dans le plus triste état.
Vers 1759 (1), le président Jean-Louis Portail faisait construire, en dehors de File, un nouveau château, de proportions plus modestes et d'habitation plus commode, que l'on appelait YOrangerie : c'est le château actuel.
« Quoique ce château, écrivait Roussel en 1816, soit de bon goût et d'un genre de construction agréable et commode ; quoiqu'il soit pourvu de tous les bâtiments accessoires et nécessaires à une grande maison ; quoiqu'il soit situé entre le bois et
(1) Le président Louis Portail mourut le 30 janvier 1773. « Du grand parc, nous sommes passés au petit où M. le Président étoit. Il a eu la complaisance de nous montrer le château de l'Orangerie, son séjour ordinaire, recherché et voluptueux ». Voyage d'Antoine-Nicolas Duchesne au Havre et en Haute-Normandie en 1762, p. 248.
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un beau parterre au delà duquel un verger s'étend en pente douce jusqu'à la rivière, il n'en est pas moins vrai qu'il ne répond pas à l'importance et à la réputation de la terre du Vaudreuil... Il présente une très belle maison de campagne, et c'est sous ce rapport qu'il faut le considérer. Mais le vieux château, tout bizarre qu'il est avec sa forme gothique — n'oublions pas que l'avocat Roussel écrivait au commencement de la Restauration — et son dos chargé de longues mansardes éclairées par d'étroites fenêtres en forme de lucarnes, se présente d'une manière bien autrement noble et imposante. A cet avantage, il joint celui de solides fondements éprouvés par des siècles et de menacer fièrement son jeune frère du milieu des eaux » (l).
De cet ensemble que décrivait Roussel, il ne reste que les quatre pavillons légèrement en saillie qui formaient les extrémités des ailes du château de Claude Girardin. Un large exhaussement de terrain, très visible en arrière des pavillons actuels, doit marquer la place du corps central de chacun des
(1) Roussel, p. 35. — Dans un manuscrit du fonds Montbrel de la Bibliothèque de Rouen (ms. Y, 191. Nottes et remarques sur toutes les villes de la Haute-Normandie, éerit entre 1776 et 1780, on lit: « Ce lieu n'est pas habitable en hiver à cause des débordements de l'Eure qui n'ont point de bornes et inondent une partie des allées. Les bâtimens du château ne répondent point à la magnificence du parc qui contient plus de 300 acres ; mais les intérieurs sont très logeables. Le Président faisait son habitation de l'Orangerie, éloignée de prés d'un quart de lieue du château. Il y a plus de mille orangers dans cette serre ». P. 224.
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deux châteaux parallèles ; les fondations de l'angle nord-ouest apparaissent môme encore à fleur de terre. Les larges fossés pleins d'eau qui baignaient les murs extérieurs sont aujourd'hui comblés, mais leur périmètre est parfaitement reconnaissable.
Néanmoins, plusieurs points demeurent obscurs ; les deux pavillons du fond semblent d'époque postérieure à ceux de l'entrée, et bien que des arrachements visibles en arrière montrent bien qu'ils se rattachaient à une construction disparue, ces deux pavillons ne correspondent pas, à première vue, à l'espacement indiqué sur le plan conservé aux Archives de l'Eure. Seraient-ils une amorce du grand château que le duc de Coigny se proposait de construire, et qui aurait présenté un corps principal avec deux ailes en retour, faisant face à l'entrée du côté de la route du Vaudreuil? (1) Il est bien difficile de l'affirmer. Tout ce que nous avons pu faire, c'est de serrer d'un peu plus près qu'on ne l'a fait jusqu'ici les termes du problème que présente la construction de l'ancien château du Vaudreuil, dans l'espoir que les chercheurs studieux et érudits de la contrée de Louviers, les possesseurs de plans ou de dessins inédits nous aideront à en trouver la solution.
(1) « Les rois de la première race avaient au Vaudreuil un palais dont on ne trouve plus de vestiges, mais qui sera bientôt remplacé par un magnifique château que fait bâtir en ce moment M. le duc de Coigny » (L'Ermite en province, Lettre datée du 1" juin 1823), Jouy, OEuvres complètes, tome XIII, p. 73.
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M. de Longuemare remercie M. le chanoine Porée de son intéressante communication qui sera insérée au Bulletin. Il donne la parole à M. l'abbé Blanquart, curé de la Saussaye.
LE «BETHLEEM»
D'AUBEVOYE
Parmi les noms de lieu que le monde chrétien emprunta à la Palestine, celui de Bethléem, pour la fréquence de son emploi, occupe sans doute le premier rang. Un village de Wurtemberg, un autre de Belgique, un troisième du canton de Berne, dans la Confédération helvétique, puis, aux États-Unis, plusieurs villes, une foule de bourgades et de hameaux l'ont successivement adopté. A cette liste, il convient de joindre celle des établissements religieux qui s'honorèrent de porter un si beau titre, une maison de moniales de l'ordre de Saint-Augustin, près de Mons en Hainaut, un couvent de Clarisses, à Gand, et l'abbaye bénédictine de Ferrières en Gàtinais non loin de laquelle, sur le territoire de Chàteau-Landon, les Templiers tinrent jadis un fief pareillement désigné. Enfin, on sait qu'à la suite des irrémédiables désastres qui causèrent la perte du jeune royaume de Jérusalem les évêques de Bethléem-Ephrata, chassés de leur siège, vinrent
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chercher un refuge et fixer leur résidence dans l'hôpital à eux légué par la sage prévoyance des ducs de iN'evers, à Pantenor, un quartier suburbain de Clamecy, dorénavant appelé le faubourg et la Maison-Dieu de Bethléem.
Tout autres furent, à Aubevoye fi), les origines de l'église ou chapelle de Bethléem dont la création est due à un oncle paternel de Henri IV, ce cardinal de Bourbon que les Ligueurs lui opposèrent un moment, après l'avoir proclamé roi sous le nom de Charles X. Archevêque de Rouen de 1350 à 1590, le prélat, qui faisait élever, dès 1563, près de son château de Gaillon, les murs de la future Chartreuse de Notre-Dame de Bonne-Espérance, devenue plus tard la Chartreuse de Bourbon-lez-Gaillon (2), voulut posséder, aux portes de sa seigneuriale demeure, une fidèle image de l'humble et pauvre étable de Judée. Voici comment les faits sont racontés par un des rédacteurs du cartulaire (3) :
« La piété de notre fondateur luy ayant inspiré le dessein de hastir, auprès de son chasteau de Gaillon, une église semblable à celle que sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin, avoit fait hastir à Bethléem, au mesme endroit où est né le
(1| Aubevoye, canton de Gaillon (Eure).
(2) Millin: Antiq. nat., t. IV, xxxvm, La Chartreuse-lez(juillon (sic). — F. Alaboisselte: La Chartreuse de Bourbonlez-Gaillon ; les pages 43-'i7 sont consacrées à l'église et aux vignes de Hetliléem.
(3) Doni Calliste Glarentin, coadjuteur et garde des archives .en 1705.
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Sauveur du monde, il envoya un architecte en la terre sainte pour en lever le plan et en prendre la grandeur, la hauteur et la figure. L'architecte étant de retour, il se trouva quil n'avoit pas bien pris ses mesures et qu'on ne pouvoit pas s'en servir pour faire l'édifice désiré.
« Cet accident ne refroidit point la dévotion de notre fondateur. Il y renvoya une seconde fois et, le voyage ayant mieux réussi, il fit bastir, suivant les modèles qu'on avoit apportez, sur la coste, près les murs du parc du chasteau, laquelle regarde la Chartreuse, cette église que l'on nomme Bethléem et qui a donné le nom au triège dans lequel elle est, c'est-à-dire aux terres des environs ».
Il ajoute en marge :
« Dom Tranquille dit cela un peu autrement dans son Histoire, partie 2, chapitre iv (1). C st à sçavoir que notre fondateur envoya son architecte par deux fois en la terre sainte pour y prendre les longueurs, largeurs et formes des bastimens et églises qui sont restés sur pied, dont il apporta plusieurs crayons, et c'est peut-être sur ces crayons qu'on a basti l'église de Bethléem (2) ».
Ces deux citations me paraissent demander quelques mots de commentaire.
(1) Cette histoire du monastère dont il est parlé en plusieurs endroits du Gartulaire et qu'aurait écrite, vers 1660, un des religieux, dom Tranquille Le Maître, ne nous a pas été conservée.
(2) Gartulaire de la Chartreuse de Bourbon-lez-Gaillon (Arch. de l'Eure, H. 1144).
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Remarquons d'abord le curieux incident qui obligea l'architecte du cardinal, probablement Pierre Marchant, précédemment chargé de préparer et diriger les travaux du grand monastère (1), à recommencer son voyage en orient. Il est singulier de rencontrer à Nuremberg une tradition semblable, aux apparences légendaires, à propos de la Via dolorosa pour laquelle le patricien Martin Koetzel se serait vu, lui aussi, dans la nécessité de réitérer, en 1472, sa visite à Jérusalem dans le but d'y relever des mesures une première l'ois égarées (2).
A peine est-il besoin de rectifier certaines expressions que l'on aurait tort de prendre au pied de la lettre. Bâtie en simples moellons, avec chaînes d'encoignures en pierre, la modeste chapelle d'Aubevoye que volontiers, en raison de sa médiocre structure
(1) « Pius ac religiosus fundator, summopere hetus do eonvenientia loi'i et utilitate, nil cunctabundus, honiinem in arte architectonica versatum. nomine PETIU'M MEBCATOKEM, quani primura jussit acccrsiri. Cui cum sermonem fecisset du construenda domo nionastica, eaque amplissima, juxta niorem antiquum Cartusiensis instituti, ipsum eliam operis propositi curain agere vuluit et suscipere magisteriuin ». b\ A. H., Alrnoe et regalis Borboniensis Cartusioe rentra yestarum collectio, l(i!X) (Bibl. de Louviers, ras. 18). Cet architecte appartenait-il à la famille des habiles maîtres d'oeuvre Guillaume, Charles et Louis Marchant qui travaillèrent durant le XVIe et le XVII" siècle ? Nous n'avons sur ce point aucun indice.
(•■il A. Darcel : Excursion en Allemagne, p. !(1: K. Charton : Nuremberg, dans le Tour du Monde, 18M. 1er trimestre, p. 40; Le saint sépulcre et ses imitations au moyen âge, dans Saint François et la terre sainte, septembre 189(5, p. 210211.
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et dun précoce dépérissement (1), on croirait avoir
(1) Un acte important, daté de 1598, fait déjà connaître son état de lamentable abandon, conséquence des troubles de la Ligue : « Charles de Bourbon, archevesque de Rouen, primat de Normandie, à tous ceux qui ces présentes lettres verront ou orront, salut. Veu par nous la donation ci-devant faite à nos dévots religieux et orateurs de la' Chartreuse, près de notre chasteau de Gaillon, par notre très cher et honoré oncle, cardinal de Bourbon, que Dieu absolve, de la petite église ou chapelle construite et édifiée par notée dit feu sieur et oncle près les murs de notre parc, et de quelques terres et dépendances d'icelle, de laquelle, de son vivant, ils ont joui et possédé et entretenu honnestement laditte chapelle d'ornements pour y célébrer le saint sacrifice de la messe, où souvent ils s'y transportaient à cette fin. Néantmoins, l'injure du temps et la pauvreté de leur maison auroit esté si grande que les religieux de laditte Chartreuse, ayant esté contraincts de se retirer en d'autres maisons de leur ordre, auroient pour quelque temps délaissé la jouissance de laditte chapelle et de faire cultiver si peu de terres qui dépendoient dudit lieu, qui auroit occasionné quelques particuliers d'en demander pour quelque temps l'usufruit à feu notre très cher cousin, aussi cardinal de Bourbon, dernier décédé, lequel de présent nous avons confirmé sans avoir esté averti que laditte chapelle et lieu appartint auxd. religieux qui n'auroient voulu empescher laditte confirmation, craignant de nous desplaire ; mais d'autant que, depuis que ledit lieu est tombé en autre main que auxdits religieux, il est devenu en ruine et pauvre estât et rendu profane au lieu d'estre conservé pour un lieu de dévotion, comme l'intention de notre dit feu sieur et oncle estait. A ces causes, nous voulons lesdits religieux estre remis en la. jouissance et possession de laditte chapelle et nous confirmons le don qui leur en a esté fait, et, de notre autorité, leur en avons fait et faisons derechef don par ces présentes, sans qu'autres que lesdits religieux se puissent dire propriétaires de laditte chapelle et dépendances d'icelle par lettres qu'ils pourroient avoir impétrées et obtenues de nous au
3
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préexisté au sanctuaire souterrain dont elle serait devenue l'abri, si le cartulaire n'avait relaté l'acquisition par voie d'échanges, en avril 1578, des terpréjudice
terpréjudice religieux, lesquelles nous ne voulons leur nuire ou préjudicier en aucune manière que ce soit, ains les cassons et annulons par ces présentes comme ayant esté obtenues par surprise et sans le consentement desdits religieux, lesquels nous voulons et entendons estre seuls possesseurs et propriétaires de laditte chapelle et ses dépendances et que ceux qui ont jouy des dépendances de "ce lieu et l'ont laissé du tout tomber en décadence ayent à faire faire les réparations qui y sont nécessaires de présent et, à faute de ce faire, il y soit pourveu comme de raison. En tesmoin de quoy, nous avons signé ces présentes de notre propre main, fait contresigner par l'un de nos secrétaires et y apposer le grand seau de nos armes. En notre maison et chasteau de (iaillon, ce jourd'huy vingtseptiesme de may mil cinq cens quatre-vingts dix et huit. Ainsi signé : Charles de Bourbon. Et, sur le repli : Par Monseigneur : De la Vigne, avec paraphe, et sellé (sic) du grand seau de cire rouge. — Confirmation faite le 27 may 15!I8 par Mgr Charles de Bourbon, 8M du nom, de la donation de l'église de Belhléem et de ses dépendances faite par le cardinal de Bourbon, notre fondateur, en lô&J ». Cartulaire de la Cltartrense de Bourbonlez-Gaillon, p. 102-103 (Archives de l'Eure, II. 1144).
A la lin du XVIIe siècle, une des chapelles latérales, grâce auxquelles le plan du petit monument affectait la forme de croix latine, menaçait ruine ; on décida de la supprimer : « Il y avoit autrefois deux chapelles aux deux costés de l'église, il n'y a plus que celle de la main gauche. Cela vient que, du temps (jue le R. 1'. dom Placide estoit prieur, la chapelle de main droite estoit fort en ruine et serait tombée sans les estayes qui la souslenoient. On estoit en peine de ce qu'on devoit faire. Les avis estoient différens. Les uns voulaient qu'on la répara[t], les autres qu'on l'abbatit. On attendit la visite pour terminer le différent. Estant venue en lbt)0, les Pères visiteurs qui estoient les ItH. PP. dom Ch.-Er. Maurin, prieur de Paris, et dom
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rains où elle devait être érigée (1), est absolument dépourvue d'ornementation et de caractère. Elle n'eut jamais la prétention de rappeler les harmonieuses dispositions de la basilique constantinojustinienne, ni l'ampleur de ses nefs peuplées d'un quadruple rang de colonnes monolithes. Les désirs du cardinal se limitèrent à obtenir une copie de l'étable de Bethléem, telle qu'on la voyait au XVIe siècle et depuis le moyen âge, sinon depuis
Hugues de Suremair, prieur de Valprofonde, estant requis de le terminer, ils voulurent voir la chapelle. Je les y menoy et ayant remarqué qu'il auroit fallu la relever de fond en comble, ils dirent qu'il falloit l'abbatre, ce qui fut fait en 1690, cette visite ayant commencé le 16 février 1690 et fini le 7 mars.
« Lorsqu'on abbatit cette chapelle, on trouva des reliques dans l'autel et, avec ces reliques, une attestation par laquelle il paroit que cet autel avoit esté sacré le 23 décembre 1584 par un évesque qui avoit permission de l'évesque d'Évreux.
« En mesme temps que l'on démolit cette chapelle on en osta la pierre bénite que l'on donna au curé de Vironvé. On osta aussy en mesme temps les reliques des deux autres autels, mais on y laissa les deux pierres bénites qu'on a aussi ostées depuis, sçavoir. celle de l'autel du milieu qu'on osta le 2 juillet 1709 et que l'on mit à l'autel du nouveau chapitre le 8 juilletsuivant et, le 30 aoust suivant, j'alloy à Bethléem avec dom coadjutéur et nous ostames la pierre bénite de l'autel de main gauche que nous levasmes et emportasnies et, peu de temps après, on acheva de démolir les deux autels ». Ibid., p. 101.
(1) Extraits du tabellionage de (laillon ; actes passés devant Pierre CoefneretOrsin Anceaume: « On voit par ces six contrats que, dés l'an 1578, notre fondateur eut le dessein de faire bastir l'église de Bethléem et que, pour ce sujet, il fit acquisition de 3 acres, 3 vergées de terre de différents particuliers à qui il donna en eschange 7 acres, 3 vergées, qui est plus du double ». Cartulaire delà Chartreuse, p. 105 (Archiv. de l'Eure, H. 1144).
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l'époque lointaine où on l'enclava dans le sous-sol de l'église Sainte-Marie de la Nativité, telle enfin qu'elle s'y voit encore. Ses instructions ont été scrupuleusement suivies (1) ; le plan des deux cryptes est parfaitement conforme et, abstraction faite des revêtements de marbre qui décorent les murailles de l'une, des nombreuses lampes d'argent qui l'éclairent, l'aspect général est sensiblement le même. De part et d'autre les dimensions, comme l'orientation de l'est à l'ouest, sont identiques. L'absidiole où, là-bas, sous la table d'autel, brille l'étoile radiée d'argent sur laquelle court l'inscription connue Hic DK VIKGI.NE MARIA JÉSUS CHRISTUS NATUS EST et l'anfractuosité de la crèche dont l'ouverture s'appuie à une colonne isolée se retrouvent ici. Des trois entrées, deux seulement subsistent. L'un des deux escaliers tournants et convergents, celui du nord, a été muré et l'on n'en aperçoit plus que l'amorce; l'autre correspond toujours à un portail extérieur, traduction libre des portes qui s'ouvrent dans le transept de la basilique, au-dessus duquel une pierre encastrée garde en relief les armoiries des Bourbon-Vendôme
(1) Voici ce qu'écrivait un auteur contemporain : « Le sieur archevesque et cardinal de Bourbon fit commencer et du tout
achever la grande église ou monastère des Chartreux 11 lit
aussi édifier auprès de ladicte Chartreuse une petite église à la forme de l'église de Bethléem où Jésus-Christ fut nay » (Taillepied : Recueil des antiquité* et sintjularitez de la ville de Rouen, Houen, Martin le Mesgissier, 1610). M. N. Périaux, citant ce passage dans l'introduction qu'il adonnée au Mercure de Gai lion réimprimé pour les Bibliophiles normands, a mal à propos identifié cet oratoire extérieur avec l'église sa voisine.
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timbrées des insignes cardinalices. Il y manque cependant aujourd'hui l'emmarchement semi-circulaire qui descendait autrefois vers cette baie.
A l'intérieur de la crypte, beaucoup plus bas que les croix de consécration et à soixante centimètres environ du sol, on distingue, dans les parois latérales, de petites cavités ou alvéoles rondes qui auraient contenu, si mes conjectures ne me trompent, des fragments de la roche crayeuse où a été creusée l'étable bethléémite.
N'est-ce pas ainsi, selon M. Rohault de Fleury, que des fac-similé des clous de la Passion, dans la confection desquels on avait fait entrer un peu de limaille d'un clou authentique, devenaient des reliques proposées à la vénération des fidèles? (1)
D'ailleurs, Mgr X. Barbier de Montault signale dans le trésor de plusieurs églises des reliquaires qui contenaient « de la pierre du lieu où naquit le Christ» et à Sainte-Marie-Majeure, sous l'autel de la confession, l'urne de porphyre renfermant des morceaux de tuf calcaire tirés de l'étable de Bethléem (2). Dans l'intention du prélat fondateur, les incrustations dont il sagit devaient achever l'assimilation du petit sanctuaire normand à la vénérable grotte de la Nativité.
La dévotion si répandue à la sainte enfance du
(1) Mém. sur les instrum. de la Passion, Paris, 1870, p. 181. Cf. Rocea: Sur les reliques de la vraie croix, Rome, 1609; Richa: Chiese florentine, Ibid., 1757, p. 171, etc.
{2) Dans l'église de Neuvy (Indre), un tombeau du Christ, détruit en 1806, montrait de même quelques pierres du saint sépulcre.
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Christ et ses touchantes manifestations ont revêtu les formes les plus variées, Bambino «le l'église de ÏAra-Coeli, à Rome, « repos de Jésus » ou herceaux-reliquaires destinés à enchâsser des parcelles de la roche sacrée ou du bois de la crèche (1), scènes figurées du presepe chères aux populations de Naples et de la Sicile, groupes sculptés qui reçoivent, dans la région du nord, le nom prestigieux de « Bethléems ». Cependant, jusqu'à nos jours, il ne semble pas que l'on ait songé, ailleurs qu'à Aubevoye, à une exacte reproduction du lieu de l'auguste naissance. La restauration et réouverture de cet unique sanctuaire le 24 novembre 189o(â), après tout un siècle d'oubli, a pu contribuer à en suggérer la pensée. En 1899, à Brookland, près de Washington, le Commissariat de terre sainte faisait pratiquer, sous l'église conventuelle nouvellement construite, une représentation de la sainte crypte l'A). De pareilles grottes, pour lesquelles notre Bethléem, préalablement visité, a servi de type, ont dû
(1) Niflle-Anciaux : Les repos de Jésus et les berceauxreliquaires, Namur, 18HI, in-8°. (14 p., pi. et tin. (Extrait du t. XVIII des Annales de lu Société archéologique de Namur). V. aussi, sous le même titre, une brochure de M. le comte Charles Lair (Kxtrait du Bulletin Monumental, année 18!K)|. Une étole conservée à Poitiers, à en croire l'inscription qui lui est annexée, donnerait par sa longueur la mesure précise de la crèche.
I'2) Sur l'initiative de M. le curé d'Aubevoye et par les soins de M. et M» Mignot, propriétaires de l'endos de Bethléem et du domaine de la Oéquinière. La crypte seule a été rendue au culte.
(3) Saint François et la terre sainte, 18;»!*. p. ïVii».
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être exécutées, dans les années suivantes, à Immensée (Tell's Kapelle, Schwyz) et, en France, à PontChâteau (1). Je n'en ai pu trouver d'autres exemples. Pourtant, comme le fait justement ressortir l'auteur d'une étude sur le saint sépulcre et ses imitations au moyen âge. « c'est un attrait basé sur la nature des choses et qui a existé de tout temps de voir reproduits auprès de soi, par une image ou imitation, les monuments qui sont au loin l'objet d'un culte spécial. Les chrétiens n'ont pas agi autrement au sujet des sanctuaires de Palestine qui ont été et qui sont particulièrement visités et vénérés comme les principaux lieux de pèlerinage sanctifiés par Notre-Seigneur et la Vierge Marie. Ce qu'ils ont trouvé de plus vénérable, leur zèle s'est efforcé d'en faire des fac-similé; ils ont voulu par là transporter en occident, dans leur propre patrie, les souvenirs qui faisaient revivre à leurs yeux la personne sacrée du Sauveur et de sa mère. C'est cette pratique pieuse qui a fait élever des calvaires sur les rochers et sur les collines, des Scala sancta, des églises de l'Ascension, des stations du chemin de la croix dans les oratoires, sur les voies publiques et sur les murailles des églises, des chapelles de Lorette pour représenter la sainte maison de Naza(1)
Naza(1) dois ces deux derniers renseignements à l'obligeance de M. l'abbé Drouin, curé d'Aubevoye.
Si l'on en juge par une vue générale du pèlerinage de PontGhâteau (Loire-Inférieure), publiée par la France Illustrée, année 1899, p. 45, le calvaire du bienheureux de Montfort n'offrirait qu'un rappel très conventionnel des divers lieux saints de Palestine.
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reth » (1). Tels furent, durant les trop courts séjours où, s'arrachant au tourbillon des affaires et aux soucis de la Cour, il venait cfiercher le repos et le recueillement dans son « désert » (2) de Gaillon, les sentiments qui incitèrent le cardinal de Bourbon à réaliser sa louable entreprise.
(1) -te saint sépulcre de Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses imitations au moyen âge, dans Saint-François et la terre sainte, 1896, p. 209.
(2) Ce terme était familier au vieux cardinal et à ses successeurs : «Haecipsa planicies a regiaGallionis bellicitormenti jactu distat, cui pius fundator hanc suam eremum adjacere semper voluit etexpetivit...» Alm. etreg. Borb. Cartus. rer.gest. collect., p. 25 et26 (Ms. 18, Bibl. de Louviersl. Quelques-unes de leurs lettres sont datées: « du désert archiépiscopal de Gaillon ».
M. de Longuemare remercie M. l'abbé Blanquart de la communication qu'il a bien voulu faire et qui sera insérée dans l'Annuaire ; puis il donne la parole à M. Charles Leroy qui lit le travail suivant dont l'importance et l'intérêt n'échapperont à personne:
PAYSANS NORMANDS
AU XVIIF SIÈCLE
lre PARTIE. — LA VIE RURALE.
AVANT-PROPOS
C'est en nous inspirant des savants travaux de MM. Léopold Delisle, Albert Babeau et Baudrillart (1), que nous avons entrepris ce modeste ouvrage, dans lequel, sans avoir la prétention d'approcher de leurs remarquables études, nous avons tenté de faire, pour une petite partie du territoire normand, ce qu'ils ont si magistralement fait soit pour la Normandie dans son ensemble, soit pour la France entière.
Comme ces savants auteurs, nous avons pensé qu'à « côté de l'histoire de ceux qui dirigent les hommes, il en est une moins importante par
(1) Léopold Delisle : Étude sur la condition de la classe agricole en Normandie au moyen âge; — Albert Babeau: La vie rurale dans l'Ancienne France; — Baudrillart : La Normandie. Passé et présent.
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ses actes et ses résultats, mais non moins digne d'attention : c'est celle des hommes qui sont dirigés. Les guerres, les traités, les révolutions, les lois ont une influence profonde sur le sort de ces derniers ; mais ils n'en existent pas moins par euxmêmes, en dehors des événements dont ils subissent les conséquences, avec leurs qualités morales et physiques, leurs passions héréditaires ou propres, leur aptitude au travail et au progrès » (1 ). C'est ce qui fait qu'en dehors de l'histoire politique d'un pays ou d'une région, il est utile, sinon nécessaire, d'étudier ce que le savant publiciste anglais Herbert Spencer a appelé l'histoire naturelle de la société.
Il nous a donc paru intéressant, laissant de côté les grandes lignes de la vie publique de ceux qui vécurent, au XVIIIe siècle, dans le canton actuel d'Amfreville-la-Campagne, de décrire leur habitation, leur mobilier, leur vêtement, leur alimentation; de voir de quelles ressources ils pouvaient disposer, d'étudier leur manière de vivre, de retracer leurs coutumes et leurs usages, de rappeler les fêtes auxquelles ils prenaient part, d'esquisser leur caractère et leurs croyances; en un mot, de pénétrer dans leur intérieur et de rechercher quelle pouvait être leur vie journalière et réelle. Tel est l'objet de notre travail. Ce sont là, nous semble-t-il, des questions pleines d'intérêt, mais parfois fort difficiles à résoudre. Si l'on juge la situation des habitants des campaIl I A. Babeau : La vie rurale, p. 3.
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gnes aux XVIIe et XVIIIe siècles sur ce qu'en ont écrit quelques auteurs contemporains; si l'on s'en tient aux appréciations de La Bruyère, de SaintSimon, de René d'Argenson et de tant d'autres; si l'on veut, se basant sur leurs dires, appliquer à la France entière ce qui ne peut et ne doit s'appliquer qu'à certaines contrées déterminées, on arrive à des conclusions souvent différentes, parfois même absolument contradictoires et l'on ne peut se faire qu'une idée absolument inexacte de la vie rurale à cette époque. Les récits des contemporains, qui ne sont la plupart du temps que la reproduction des bruits parvenus à leurs oreilles, fourmillent d'exagérations, dans un sens ou dans l'autre, suivant l'impression du moment. Fréquentant peu les habitants des campagnes, vivant habituellement à Paris ou à Versailles, ils ne semblent avoir vu les paysans qu'à travers les verres grossissants d'une loupe ou d'un microscope. Suivant les uns, dans les villages, au dernier degré du dénuement matériel se joignait la plus affreuse misère morale; suivant les autres, on manque de termes assez forts pour exalter la prospérité des campagnes. Saint-Simon, en 172?), ne voit dans tous les villages qu'un peuple de gueux, et Lady Montagne, en 1739, voit partout le règne de la richesse et de l'abondance (1).
Sans rejeter, d'une fayon absolue les témoignages des écrivains contemporains, nous avons pensé
(1) Voy. L. Manesse : Les paysans et leurs seigneurs avant 1789, p. 2'tH.
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qu'il existait des sources plus certaines et plus authentiques où il était bon de puiser, et c'est en nous aidant des archives, des minutes de nos anciens tabellionages et de quelques registres domestiques et documents originaux, que nous avons eu le bonheur de retrouver, qu'il nous a été possible de reconstituer d'une façon approximative, il est vrai, mais appuyée sur des données sérieuses et irrécusables, quelle était la vie du paysan du canton actuel d'Àmfreville-la-Gampagne au cours du XVIIIe siècle.
Grâce aux nombreux inventaires que nous avons consultés, aux non moins nombreux contrats de mariage que nous avons feuilletés, aux actes de vente et aux baux que nous avons analysés, quelque monotone, quelque aride que fût cette étude, après avoir parcouru toutes ces paperasses plus ou moins lisibles, rédigées dans un style que ne couronnerait certainement pas l'Académie Française, les images sont devenues précises et les objets ont peu à peu revêtu une forme et une couleur tout à fait spéciales. Il nous a semblé voir le paysan au coin de son foyer, au milieu de ses meubles, avec les vêtements qu'il portait; nous avons parcouru par la pensée les différentes pièces de son habitation, ses étables, ses écuries, son « pourpris », son verger, les dépendances de sa petite propriété. Ses ustensiles, ses instruments de travail nous ont fait connaître ses habitudes, ses moeurs, son degré de richesse ou de pauvreté, et nous n'avons point regretté le temps que nous avions passé à ces recherches, au premier abord si fastidieuses. Puis,
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jugeant peut-être un peu témérairement les autres sur nous-même, nous avons pensé qu'il serait agréable à quelques-uns, et notamment aux habitants du canton d'Amfreville-la-Campagne, de vivre un peu de cette vie de ceux qui nous ont précédé sur le territoire normand.
Certes, un pareil sujet eût gagné à être traité par une plume plus compétente et plus autorisée que la nôtre, mais nous espérons que Ton voudra bien nous tenir compte de l'effort. Ce travail, nous devons le dire, n'était point tout d'abord destiné à l'impression; les encouragements qui nous sont venus de divers côtés, notamment lors du Congrès de l'Association Normande à Louviers, en septembre 1903, nous ont décidé à le livrer au public. Puisse-t-il recevoir un accueil favorable ! Puisse la critique lui être légère ! Et si cette évocation d'un passé déjà lointain peut intéresser le Lecteur, ce sera pour nous la meilleure et la plus douce des récompenses.
Tourville-la-Campagne, novembre 1903.
CHAPITRE PREMIER L'habitation. — Le mobilier.
Si nous nous transportons par la pensée près de deux siècles en arrière, quelle était alors la situation privée des habitants du canton actuel d'Amfreville-
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la-Campagne? quelle était leur manière de vivre au cours du XVIIIe siècle ?
Et tout d'abord en quoi consistait l'habitation ?
« On connaît généralement mieux la demeure des étrangers que la maison de ses pères », dit M. Allard (1). Cela tient à ce que les voyageurs n'ont eu garde d'oublier de décrire dans leurs récits les habitations qui avaient frappé leurs regards et que fort peu d'auteurs se sont occupés de rechercher comment le paysan français était logé jadis. Nous allons essayer de combler cette lacune pour le pays dont nous nous occupons.
L'habitation d'un peuple varie avec son degré d'aisance, ses moeurs, ses occupations. Si le nomade, à la vie errante, s'abrite sous une tente facilement transportable, si le charbonnier ou le bûcheron, vivant au milieu des bois, s€ loge sous une hutte de branchages, il faut à l'homme des champs une tout autre demeure. Profondément attaché au sol qu'il cultive, il a besoin d'une habitation plus solide et plus stable. D'autre part, sa maison diirère essentiellement de celle de l'habitant des villes. Pour le citadin c'est un atelier ou une boutique, pour le paysan ce n'est guère qu'un abri. « L'artisan ou le marchand passe ses journées dans sa demeure, le paysan n'y rentre qu'à la nuit ». En outre, et c'est là une des différences les plus sensibles de leurs caractères, si le citadin consacre la majeure partie de ses économies à embellir sa
(1) Paul Allard : Paysans cauchois à la fin de l'ancien régime. Kouen, 18i)5.
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maison, s'il est fier de son pignon sur rue, le campagnard cherche sans cesse à agrandir son petit patrimoine, et c'est avec satisfaction qu'il regarde mûrir au soleil, sur le champ qu'il vient d'acquérir, les récoltes, fruit de son labeur.
« Les habitations rurales ne se distinguent point par leur architecture. L'architecture est l'apanage de la richesse, et si le. paysan, dans notre histoire, n'a pas toujours été malheureux, il a rarement été riche » (1). Dans les campagnes, ce n'est donc que dans les églises, les châteaux et les manoirs, quelquefois, mais rarement, dans les fermes que l'on peut trouver des traces d'architecture; on en chercherait en vain dans les chaumières. Édifiant pour son besoin et sa commodité, le paysan a été de tous temps son propre architecte; il n'a point recherché le confort et l'élégance; il a construit comme construisaieiit ses aïeux, comme ont construit eux-mêmes ses descendants; son habitation n'est pas plus d'une époque que d'une autre, elle était au XVIIIe siècle ce qu'elle était cent ou deux cents ans auparavant, et à peu de chose près ce qu'elle était encore au siècle dernier. Nous avons sur ce point des données irrécusables et de nombreuses maisons du pays en sont un témoignage certain.
La demeure du paysan, restée dans une même contrée ce qu'elle était jadis, varie cependant avec les régions. L'habitant des campagnes a généralement construit avec les matériaux qu'il avait sous
(1) A. Babeau: La vie rurale, p. 13.
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la main. C'est en vain que Ton aurait cherché autrefois dans la campagne du Neubourg des habitations ayant quelque analogie avec les lourdes maisons en granit du Morvan ou des environs de Fiers, ou bien encore avec les larges chalets des Vosges; on n'y aurait point trouvé non plus de logis construits en brique et couverts en ardoises aux teintes sombres, comme, il en existait dans les Ardennes, ni de ces constructions en pierre blanche, aux toits aplatis recouverts de tuiles creuses qui étaient l'apanage des gens du Midi (1). On n'y aurait point vu, comme dans le pays de Caux, « pardessus les fossés plantés de grands arbres, les maisons aux pignons élevés, aux soubassements de pierre et de silex, aux poutres apparentes, ou les petits manoirs en brique, largement chaînés de pierre, qui depuis la Renaissance et les guerres de religion, depuis le XVIIe et .le XVIIIe siècle ont abrité tant de générations rustiques » (2). Notre paysan n'ayant la plupart du temps que fort peu de cailloux à sa disposition, ne les a guère employés que pour former la base et les assises de sa maison. Pour le reste il a pris l'argile et le bois que lui fournissait la contrée ; au chaume de son champ, il a demande la toiture. Toutefois, avec ces matériaux, presque toujours seuls employés, l'aspect a varié avec les époques et le degré d'aisance du propriétaire.
Il) Voy. A. Babeau : La vie rurale, p. 15. {'i) Paul Allard : Paysans cauchois à la fi» de l'ancien régime, p. 1.
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L'habitation du manant du moyen âge était une pauvre cabane grossièrement construite de terre, d'argile, de lattes, de perches entrecroisées, dont les interstices étaient remplis avec du foin, de la paille ou des genêts; à l'entrée se trouvait une porte massive, parfois formée de deux pièces, dont la partie supérieure, unique ouverture du logis, laissait pénétrer un peu d'air et de lumière ; presque nulle part il n'existait de fenêtres, le verre à vitre était peu répandu et coûtait d'ailleurs fort cher.
Avec les progrès de la civilisation, la maison s'agrandit; elle fut toujours bâtie de terre et couverte de chaume, parfois les murs furent de pierre maçonnée d'argile jusqu'à une petite hauteur audessus du sol, parfois aussi des poteaux solidement enfoncés en terre et reliés par de grosses traverses de bois formèrent une sorte de charpente rustique dont les intervalles furent comblés avec de la terre mêlée de paille. La maisonnette prit un aspect plus riant; elle eut même un air d'aisance avec sa cuisine et sa chambre aux petites fenêtres; ce ne fut plus la cabane enfumée du vilain, et, tout humble qu'elle était, ce fut la demeure du laboureur dont elle abritait la famille ; ce ne fut plus la manse servile qui retournait au seigneur après la mort du paysan, ce fut la ferme aérée et solide que le villageois pouvait transmettre à ses enfants.
Au XVIIIe siècle, l'on peut ramener à deux types principaux les habitations rurales de la contrée qui nous occupe. Ces habitations, toutes situées dans-de vastes enclos plantés d'arbres fruitiers, clos d'épais murs de terre couverts de paille, sur lesquels fleu-
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rissent au printemps les iris et les plantes grasses, sont groupées autour de l'église dont le clocher les domine; parmi elles on peut distinguer les plus simples, celles des laboureurs, des artisans et des nianouvriers, les autres constituent les demeures des gros bonnets de l'endroit, si nous pouvons nous exprimer ainsi, c'est-à-dire du receveur du seigneur du lieu, du grand propriétaire foncier ou de l'hôtelier.
Les demeures du laboureur, de l'artisan ou du manouvrier sont à peu près semblables, elles constituent la masure, véritable type de la maison du paysan, dont les dépendances varient avec le degré de richesse ou de pauvreté de celui qui l'occupe, mais dont l'aspect général est toujours le même. Cet aspect a d'ailleurs si peu varié que dès l'année 1583 Philibert Hegelmon, dans sa Colombien ou Maison rustique, écrivait déjà :
Entre ces deux jardins est la maison petite Où le rusticq clousier et sa famille habite; Le four n'est pas loin et; un peu à cartier Est l'étable et pressoir, la grange et colombier.... Au milieu du basti et devant est la cour (1).
Il est facile de se figurer ce qu'est la cour-masure au XVIIIe siècle ; il en reste de nombreux exemples et les vieilles habitations du pays fournissent des renseignements à cet égard. Dans une cour, entourée de murs de bauge, qu'accompagne une ligne de grands ormes, l'on pénètre par une large
(1) Philibert Hegelmon : La Colombière, p. 7.
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porte à deux battants, abritée des intempéries par une couverture en chaume que supporte une robuste charpente, et flanquée d'une ouverture plus petite, le pot huit, qui sert de passage aux piétons; plusieurs corps de bâtiments s'offrent alors aux regards, ils sont généralement isolés à cause des dangers des incendies auxquels le chaume des toitures fournissait une proie facile.
L'aspect de la cour est au XVIIIe siècle et, nous pourrions ajouter, est encore de nos jours ce qu'il était jadis et tel que l'avaient conçu Ch. Estienne et Jean Liébault dans leur Agriculture et maison rustique (1) ; le principal corps de logis, la maison construit en terre, couvert en chaume, est toujours tourne vers le midi, et cette règle est si générale, comme d'ailleurs on peut s'en rendre compte encore aujourd'hui, que les habitations bordant un chemin du côté du nord, n'ont sur la rue que fort peu d'ouvertures, à peine une petite fenêtre, un judas, permettant à la ménagère, curieuse et avide de connaître ce qui se passe, de voir aller et venir les gens le long du chemin et de guetter l'arrivée du messager, du marchand ou du porte-balle qui, à cette époque, vient apporter dans lès campagnes les produits de l'industrie des villes.
« Il ne se peut voir rien de plus sauvage que la demeure de nos païsans », dit l'abbé de Marolles (2). Cette phrase vraie pour certaines provinces fran(1)
fran(1) Kstienne ut Jean Liéhault: Agriculture et maison rustique. Rouen, Louys Du Castel, 1GÔ0, p. 3, Vi et 14. (2| Mémoires de Michel de Marolles, 1755.
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gaises, ne peut partout recevoir son application. Dans la campagne du Neubourg, sans être luxueuse, l'habitation de l'ouvrier avait ses <> petites commodités » ; elle comprenait en général deux pièces : la cuisine et la chambre ; celle du laboureur en comportait un plus grand nombre. Dans l'une comme dans l'autre les différents « aitres » sont situés au rez-de-chaussée ; les étages sont inconnus. De la cour plantée de pommiers et surtout de poiriers au commencement du XVIIIe siècle, on entre directement dans la cuisine, vaste pièce où se trouve la cheminée au large manteau. Près de cette cuisine une petite pièce servant de desserte ou de laiterie. De la cuisine on passe dans les chambres en enfilade, se commandant toutes, les corridors étant fort rares à cette époque, ou ayant un accès direct sur la cour. Sur le tout règne un grenier auquel on accède au pignon de la maison par un escalier droit, sorte d'échelle de meunier, que protège contre la pmie un toit avancé, le « capet » ou « cupitret ».
À la suite de la maison ou dans la cour, suivant l'importance de l'exploitation ou la richesse du propriétaire, un ou plusieurs bâtiments : grange, cave, chartil, étable et écurie, devant lesquels s'amoncelle le fumier, fournil et toit à porcs. Ces deux dernières constructions se trouvent dans presque toutes les masures, et leur raison d'être s'explique facilement: l'absence presque complète de boulangers dans les campagnes rend alors nécessaire le « four à cuire pain », dont souvent la butte s'arrondit au pignon de la maison et dont la bouche
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s'ouvre dans la cheminée de la cuisine ; quant au toit à porcs, il sert de domicile au goret, destiné à remplir le « lardier » ou saloir ; la viande de porc étant, comme aujourd'hui, l'une des bases les plus importantes de l'alimentation rurale.
Dans les demeures plus fortunées, dans les fermes des manoirs, nous trouvons le pressoir et le colombier.
Toutes les hahitations d'alors possèdent, du reste, des bâtiments d'exploitation; tout le monde est plus ou moins cultivateur. Tisserands en toile, manouvriers même, commis aux aides, sergents, notaires, curés ou prieurs font valoir quelques acres ou quelques vergées de terre et voient s'ajouter le produit de leur exploitation agricole aux salaires de leur métier ou aux bénéfices et aux émoluments de leur charge ou de leur profession.
Il existe aussi un second type d'habitation rurale, plus soigné, plus riche, plus confortable que celui que nous venons de décrire très sommairement. La demeure du commis aux aides, du receveur ou de l'hôtelier est généralement construite en colombage sur assises de pierre ; elle est souvent couverte en tuiles. Au-dessus du rez-de-chaussée, sous lequel règne une cave souterraine, s'élève un étage, parfois en retrait, le long duquel un couloir couvert, sorte de balcon, permet d'accéder aux chambres ; il existe à Tourville-la-Campagne une maison de ce genre qui fut jadis « l'hostellerie du Soleil d'Or ...
Telle est, brièvement décrite, l'habitation de nos villageois au XVIIIe siècle. À cette habitation si exi-
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guê, parfois fort insalubre, avec son aire de terre battue ou son pavage rudimentaire, le paysan attachait un prix infini; il en était la plupart du temps le propriétaire. Souvent c'était là qu'il était né, là qu'il espérait mourir, c'était son domaine et il pouvait en disposer. « Charbonnier est maître chez lui », dit le proverbe. Notre paysan entendait être chez lui souverain seigneur: il pouvait, d'ailleurs, refuser l'entrée de son logis à quiconque se présentait sans y être légalement autorisé, et seuls les commis aux aides ou les sergents de justice pouvaient y pénétrer sans son autorisation. Cette maison c'était plus encore: c'était le patrimoine qu'il avait reçu de ses parents et mille souvenirs joyeux ou tristes s'y rattachaient, c'était parfois le premier acquêt de son mariage et nul n'avait le droit de l'en dépouiller. Cette maison, c'était pour lui un symbole et une espérance : un symbole parce qu'elle était la représentation de la famille et du foyer domestique; une espérance parce que, lorsque accablé sous le poids des impôts et des tailles il se laissait aller à penser à l'avenir et qu'il songeait aussi aux franchises lentement obtenues par ses ancêtres, il pouvait voir dans son droit de propriété, légalement établi, reconnu et respecté, le prélude et, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l'aurore de son indépendance et de son émancipation.
Après avoir décrit l'habitation, pénétrons dans l'intérieur.
La cuisine, la « maison », dans laquelle nous entrons tout d'abord, est fort sombre, peu d'ouvertures y laissent pénétrer le soleil et si les
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carreaux ne sont plus faits de nattes de jonc, comme ils Tétaient encore au XVIe siècle dans certaines provinces, les vitres sont épaisses et leur centre en fond de bouteille fait plus que de tamiser la lumière du jour. La salle fort basse n'a ni plancher ni plafond, sous les pieds la terre battue, sur la tête le plancher du grenier avec ses poutres et ses solives saillantes, auxquelles on croche le paquet de chandelle (1) ou d' « oribus », et c'est alors un peu, en Normandie, comme aux environs de Dole où l'on dut, lors d'un voyage de Louis XIV, creuser le sol de l'une de ces demeures rustiques pour que le lit d'une des princesses du sang pût y tenir (2).
Ce qui frappe, lorsque l'on pénètre dans le logis, c'est le foyer, « lieu sacré que révéraient les anciens parce qu'il était le siège du feu et le centre autour duquel se groupait la famille » (3). L'âtre, un peu relevé au-dessus du sol, est pavé de pierres plates ; la cheminée est énorme ; large, haute, profonde, elle peut abriter sous son vaste manteau une ou deux personnes de chaque côté du feu. Cette cheminée, avec sa plaque historiée, « c'est la pierre angulaire, la base même de la maison et lorsque l'incendie ou la ruine ont passé par là, sa masse noircie s'élève encore au milieu des débris qui l'entourent, comme le dernier témoin de l'existence
(1) 1 à 2 livres de chandelle en plusieurs paquets croches au plancher (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 9oct. 17W).
(2) Mémoires de Mllc de Montpensier, IV, 360.
(3) A. Balieau: La vie rurale, p. 33.
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de la demeure. La cheminée c'est plus encore, c'est l'indice de la fixité du domicile, c'est la preuve de l'existence d'une famille » (1). Et cela est si vrai que jusqu'à la Révolution, certains droits communaux, droits de pacage et de pâturage, comme à Tourville-la-Campagne sur la bruyère de Soulenger, ne sont reconnus qu'aux possesseurs de feux (2) ; le feu ou foyer sert en outre de base aux recensements et à la répartition des charges locales.
Sous le large manteau de la cheminée, la famille s'assemble devant le feu de bois qui pétille sur les grands landiers, souvent couronnés par des pots a feu où réchauffe la potée de soupe (3) ; c'est là que la ménagère file sa quenouille et fait tourner son rouet, pendant que le chef de la maison, revenu de son travail, fait sécher ses vêtements et que le vieillard, tout en tisonnant avec les pinces ou pincettes, réchauffe ses membres que l'âge a glacés, et raconte à ses petits-enfants les histoires et les légendes du temps passé.
A la cheminée sont accrochés les lourds ustensiles de fer ou de cuivre servant aux besoins du ménage : les grils ou rostiers, les poêles à frire, l'écumoire de cuivre ; dans le fond pend l'indispensable crémaillère, la « crémaillëe », destinée
(1) A. Babeau: La vie rurale, p. 33.
(2) Charles Leroy: Tourville-la-Campagne et ses seigneurs, p. 57.
(3) « Quatre chenets dont deux grands à écuelle » (Notariat de Tourville-la-Campagne, Inv. du 24 octobre 1783. — 2 landiers à escuelles (Ibid., Inv. du 21 avril 1756).
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à soutenir la marmite de fer ou d'airain ; autour de la cheminée ou sur le relai qui s'avance dans la pièce on place les pots de terre, les gobelets d'étain, les chandeliers de bois, de fer ou de cuivre, « chandeliers à brochettes, » ou « chandeliers dits martinets « (i ), la bassinoire d'airain, la lanterne de corne à carcasse de bois ou de fer blanc (2) ; on y met encore la broche à rôtir que l'on croche aux crampons des landiers ; dans certaines maisons on trouve en outre la cuisinière ou « chapelle », et un ou deux réchauds de fer ou de cuivre, et quelques casseroles ou « bassines à queue », un soufflet (3), des mouchettes avec leur porte-mouche ttes (4).
(1) « 2 chandeliers de cuivre. 1 chandelier de fer » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 28 octobre 1751): « 3 chandeliers dits martinets, 2 chandeliers à brochettes » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 12 avril 1774) : « 1 chandelier à brochette de fer » (Ibid., Inv. du 30 avril 1783) : « 1 petit chandelier de bois à manche » (Ibid., Inv. du 31 janvier 1731): « 1 petit chandelier d'airain » (Ibid., Inv. du 27 octobre 1706) ; « 1 chandelier à crochet » (Ibid., Inv. du 27 octobre 17131.
(2l « 1 lanterne de bois et corne » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 21 juin 1758, 21 novembre 1758); « 1 lanterne de fer blanc et corne » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 30 avril 1783) : « 1 lanterne de fer blanc » (Not. de Tourville-laCampagne. Inv. du 7 mars 1778): « 2 lanternes de fer blanc à corne (Ibid., Inv. du 10 mai 1730) ; on trouve aussi des « lanternes en verre et plomb » (Inv. du 30 avril 1783).
(3) « Une chapelle et 3 broches à rostir, un petit vieux soufflet, trois réchauds » (Inv. du 27 octobre 1700); « une écumoire de cuivre, 2 bassines à queue, un réchaud de cuivre » (Inv. du 15 juillet 1718).
('i) « 1 paire de mouchettes de fer » (Not. de Tourville-laCampagne, Inv. du 28 juillet 1701) ; « 1 paire de mou-
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C'est également sur le manteau de la cheminée que, malgré les ordonnances qui lui en interdisaient l'emploi, le paysan suspendait son vieux fusil ou son mauvais pistolet, armes des plus médiocres et souvent plus redoutables pour celui qui s'en servait que pour celui qui en affrontait les coups (1).
En la cuisine à point bien ordonnée
est aussi convenable
D'avoir un banc et une vieille table.
La table occupe le centre ou l'un des côtés de la pièce ; elle est généralement carrée, elle a une dette ou tiroir; parfois elle est montée sur son « escarissure » soutenue de colonnes et se tire par les deux bouts (2) ; elle est de chêne, de noyer, de hêtre ou de « sap »; le long de la table s'allonge le banc à dossier et les bancelles laites de bois massif; autour de l'àtre sont rangés les autres sièges: escabeaux ou escabelles de bois, quelques chaises foncées de
ehettes et porte-mouchettes de cuivre » (Ibid., Inv. du 1'.) mai 1741).
(1) « Sur le manteau de la cheminée 1 fusil avec sa plaeque » (Xot. de Toiirville-la-Gampajîne, Inv. du 18 décembre 1748) ; « un mousqueton » (Not. de Tourville-la-GampaKiie, Inv. du 28 juillet 1769): « 1 fusil monté très mauvais et une pique » iXot. de Tourville-la-Gampagne, Inv. du \'i décembre 1780); « 1 fusil avec sa platine de cinq pieds de longueur « (Ibid., Inv. du 28 septembre 17:23) : « 2 vieils fusils » (Ibid., Inv. du 12 mars 1720i : « 1 fusil monté, cinq sols » (Ibid., Inv. du 33 juillet 1715).
(■■il « 1 grande table carrée montée sur son escarissure soutenue de neuf colonnes, laquelle se tire par les deux bouts » iXot. de Tourville-la-GampaKiie, Inv. du 24 septembre 1701).
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paille ou de jonc, parfois un « vieil fauteuil ». On y place également le banc ou chaise à sel (1), meuble à base carrée où Ton renferme précieusement la provision de sel, cet assaisonnement si nécessaire et dont le prix atteint alors un prix exorbitant.
Le vaisselier ou palier accroché à la muraille, avec ses faïences ornées, assiettes et saladiers, que l'on voit apparaître au milieu du XVIIIe siècle, ses quelques verres qui remplacent les pots de terre ou de bois d'antan, ses plats, ses timbales, ses cuillers d'étain, et ses fourchettes de fer ou de laiton (2) soigneusement écurées, jette une note gaie sur l'intérieur si sombre de la demeure (3).
L'ameublement se complète par le « chouquet » ou billot et le « hansard à couper viande » et, chez les gens plus aisés, par « l'armoire à quatre guichets », grand buffet carré aux larges battants (A) ; enfin il est bien rare de ne pas rencontrer la maie, la « moye à pestrir », et la huche dans laquelle l'on
(1) « Une chaise à sel dans laquelle trouvé une livre de sel » (Not. de Tourville-la-Gampagne, Inv. du MO juin 1102).
(2) « 12 fourchettes de letton » (Not. de Tourville-la-Campagno, Inv. du 12 mars 1720).
(3) « 1 palier sur lequel il y a 7 plats, 12 assiettes, 2 escuelles, 10 cuillers, 2 salières, 1 gobelet, 1 chopine, 1 pot, le tout d'estain, et 12 fourchettes de fer » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 3 décembre 1700).
(4) « Une armoire à quatre guichets dans laquelle il y a8 cuillers, etc. » (Xot. de Tourville-la-C.anipagne. Inv. du l.'i juillet 1718); « 1 armoire à quatre battants dans laquelle il y a le nécessaire de la maison » (Ibicl., Inv. du 10 juin 1762).
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enferme les provisions du ménage. Cette huche, où la ménagère resserre le pain bis qu'elle a pétri de ses mains, s'ouvrira au premier appel de l'indigent; si pauvre que soit l'habitant de la maison, ce ne sera pas en vain que le miséreux frappera à sa porte, et il s'en ira, emportant, avec le morceau de pain largement taillé dans la miche, quelques fruits du verger; le paysan est secourable et chez lui, comme l'a dit Jean-Jacques Rousseau, la huche et le fruitier sont toujours ouverts.
De la cuisine, si nous passons dans la chambre, l'aspect n'est plus le même ; là, point de cheminée ; aux murs quelques mauvaises gravures (1); aux fenêtres des rideaux de « toile peinte »; sous les pieds, quelquefois un pavage en brique ou des pavés épais, la plupart du temps le sol battu.
« Le meuble fondamental et nécessaire de la chambre, et par conséquent de la maison, c'est le lit: il se présente avec un luxe relatif qui montre quelle importance on y attache: c'est pour ainsi dire le sanctuaire de la vie domestique » u2j. Le lit. dans lequel le paysan goûte un repos bien gagné, est un des meubles les plus soignés et les plus coûteux de la maison et, comme l'a très judicieusement fait observer M. Babeau, dans les ménages peu
(1) « 9 tableaux avec leurs cadres » (Xot. de Tourville-la• iampagne, Inv. du •->:! juillet 177:5): « :î petits cadres » (Ibid., Inv. du Yi janvier 17$S|: « :î grands tableaux, ~i tableaux moyens représentant des pots de (leurs, 7 autres petils et moyens à cadre doré. 7 petits cadres de buis peint » (Ibid., Inv. du 11 janvier 1781|.
("-ii A. Babeau : La vie rurale, p. 44.
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aisés sa valeur égale ou dépasse celle du reste du mobilier. Le bois de lit, le châlit, est de chêne ou de noyer, rarement de sapin, parfois des sculptures ornent ses frontons : il ' s'en trouve à quatre piliers (1). Bien que nous ayons trouvé la trace de quelques lits fermés ou couches closes, en général le lit n'est point placé dans une alcôve, il s'avance au milieu de la pièce avec ses rideaux plus ou moins riches. Dans les plus humbles demeures il comprend une paillasse, un lit de plume, un traversin, un ou deux oreillers, une courtepointe et une couverture de laine ; chez les gens plus fortunés, il se compose d'une paillasse, d'un sommier de cuir couvert de toile, d'un matelas couvert de toile blanche ou rayée, d'un lit de plume ou de duvet, d'un traversin de coutil et de deux oreillers remplis de plume, d'une ou deux couvertures en laine blanche et d'une courtepointe de toile peinte ; sur le tout la ménagère placera, pendant la journée, une housse de tiretaine rayée, de toile peinte ou même de brocatelle; les rideaux sont de serge verte, d'étoffe rougè ou de toile peinte (2). Après un inventaire dressé le 30 juin 1702 (3) en « l'hostellerie de Madame SainteCatherine », un de ces « loge à pied et à cheval » qui, comme l'auberge du « Pélican Blanc » ou celle du « Soleil d'Or », s'échelonnent le long
(1) « 1 couche de bois de chêne à quatre piliers » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 11 janvier l?:il).
(2) Voir pour les (-toiles employées au dessus de lit et au tour de lit, l'Appendice : Dots de villageoises.
(3) Notariat de Tourville-la-Campagne.
62 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
des chemins, la conduire dans cette hôtellerie est des plus confortables ;. les lits sont amplement garnis, il en est qui, en dehors de la paillasse, ont deux matelas en laine, un matelas de bourre, deux lits de plume, un traversin, deux oreillers, une couverture en laine blanche et deux courtepointes en toile peinte. Pour peu que matelas et lits de plume soient rebondis, nous vous laissons à penser quel échafaudage cela peut faire et nous croyons que dans ces circonstances, un escabeau est très utile, sinon nécessaire. A côté du lit se trouve le coffre.
Cofire garny d'une serrure,
Coffre autant plus soeuf que basme (1),
Coffre le thrésor de la dame,
Coffre plein de doulees odeurs,
Coffre où sont mis les parements (2).
Ce meuble, généralement sculpté, qui fait de nos jours l'objet des recherches et de l'admiration des collectionneurs et des antiquaires, se retrouve dans tous les ménages.
Etrange destinée que celle du coffre, mobilier primitif rappelant la vie nomade, que le Moyen âge, après l'avoir conservé dans les manoirs et les palais, a légué aux chaumières el que les amateurs vont rechercher aujourd'hui jusque dans les écu|1|
écu|1| suave que baume.
\2\ Laquerrière: Description des maisons de Rouen. Masons.
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ries et les étables pour le remettre à la place d'honneur qu'il occupait jadis dans les châteaux et les demeures princicres !
Le coffre ou « bahut » a d'ordinaire, dans la contrée dont nous nous occupons, de trois à cinq pieds de long; il est de chêne, de poirier «ou de noyer finement gravé, profondément fouillé, avec ou sans pieds ; il est garni d'une serrure (1) ; on en trouve aussi en cuir bouilli, en cuir de Cordoue avec des clous dorés (2). Il est destiné à renfermer le linge, les vêtements, les titres de propriété, les « escriptures » et quelquefois les économies, quand le laboureur ne préfère pas les cacher dans quelque coin de son grenier ou les enfouir dans le sol de sa maison ou de son jardin.
Dans la chambre un autre meuhle aux grandes proportions attire le regard, c'est l'armoire de chêne, fermant à clef ; les battants en sont souvent sculptés, la corniche richement ouvragée ; les fer(1)
fer(1) 1 coffre de bois de chêne » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du "> février 1700) : « 2 coffres fermant à clef dont un ancien » tlbid., Inv. du 30 octobre 1700); « 1 coffre de viron trois quarts en bois de chônc dont, aux deux bouts de la devanture, il y a deux pilastres en forme de colonnes » (Ibid., Inv. du 14 septembre 1740). Dans presque tous les contrats de mariage la future apporte un coffre ou un demi-coffre (V. Appendice: Dots de villageoises).
(2) « 1 bahut en cuir rouge garny de clous jaunes » (Not. de Tourville-la-Campagne. Inv. du 30-juin 1702); « 1 bahut couvert de cuir rouge fermant à deux serrures » (Ibid., Inv. du 7 juin 1731); « 2 petits bahuts couverts de cuir noir » (Ibid., Inv. du lô juillet 1718); « 1 bahut couvert de cuir rouge » (Ibid., Inv. du 2 août 1756).
64 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
rures do cuivre ou de fer forgé, soigneusement écurées, sont fourbies el luisantes.
Elle est solidement montée,
Sa serrure est en fer forgé,
Et de sa corbeille sculptée
Pas une rose n'a bougé.
Dans ses rosaces se marie
L'églantine aux fleurs du pommier,
Et la tourterelle apparie
Son rêve au rêve du ramier(l).
C'est dans cette armoire, d'une solidité que le temps a respectée, que, comme dans le coffre, on resserre le linge et les vêtements de la famille : les draps de toile de lin ou de chanvre, les nappes fines fleurant la bonne lessive, les serviettes, les chemises, les mouchoirs, les fichus, les « coélfes », qui composent l'apport en mariage de la paysanne, les vêtements soigneusement plies; quand on l'ouvre il en sort une odeur d'iris ou de lavande qui remplit la pièce de son parfum pénétrant.
Dans tous ces mobiliers de campagne, le plus grand luxe cependant réside dans la propreté et dans le soin que Ion met à les entretenir. La ménagère tient ses meubles soigneusement fourbis et cirés et le cuivre étincelle à côlé des teintes sombres du vieux bois ; quant aux objets de luxe proprement dits, on n'en trouve que fort rarement, on peut même dire qu'on n'en rencontre pas ; d'autres, d'une utilité incontestable, sont également pres(1)
pres(1) Cainpiorl.
2* JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 65
que inconnus. Si certains ménages possèdent une table ronde recouverte d'un tapis de droguet ou d'étamine, ou d'un morceau de point de Hongrie ou de toile peinte, s'il existe chez quelques-uns des chaises ou des fauteuils recouverts de tapisserie ou de point de Hongrie (1), ce n'est que dans les manoirs ou les grandes fermes que se peuvent voir les horloges « sonnant les Jieures » (2). Le miroir est aussi un objet de grand luxe ; de 1700 à 1735 nous n'avons trouvé aucun inventaire qui en fît mention et, à partir de cette époque, fort rarement on comprend dans rénumération du mobilier le miroir de verre ou de métal (3),
(1) « 2 morceaux de tapisserie autour de la chambre » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 24 septembre 1701) ; « 1 tenture de chambre de tapisserie droguet, 4 carreaux de tapisserie pour mettre sur des chaises » (Ibid., Inv. du 27 octobre 1706) ; « 1 grand fauteuil de tapisserie brodée, 6 chaises de brocatelle, 3 tabourets de brocatelle, 12 chaises couvertes d'étoffe rouge » (Ibid., Inv. du 15 juillet 1718); « 4 tabourets avec leurs pieds de bois de chesne couverts de moncadé » (?) ; « 1 tenture de tapisserie de point d'Hongrie, 1 chaise ancienne couverte de tapisserie » (Ibid., Inv. du 11 janvier 1731).
(2) Toutefois, vers la fin du XVIIIe siècle on trouve quelquefois des horloges chez les laboureurs. « 1 horloge avec sa bouette » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 28 octobre 1751); « 1 horloge en bois » (Ibid., Inv. du 12 octobre 1782) ; « 1 horloge montée » (Ibid., Inv. du 14 novembre 1783); « 1 horloge en fer et cuivre garnie de ses poids » (Ibid., Inv. du 3 décembre 177H).
(3) « 1 petit miroir » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 18 avril 1858); « 1 miroir avec son cadre de bois de plaquage » (Ibid., Inv. du 25 novembre 1702); « 1 glace à bordure doxée » (Ibid., Inv. du 12 janvier 1783); « 1 petit mirouer » (Ibid., Inv. des 10 avril 1782, 22 mai 1784, 16 novembre 1772).
5
66 SESSION TENUE A LOUVlERS, EN 1903.
Mirouer de crystal précieux, Mirouer d'acier bien esclarcy, Mirouer de verre bien bruny, D'une riche chasse garny (1).
D'ailleurs, Florian n'a-t-il pas dit :
Un enfant élevé dans un pauvre village Revint chez ses parents et fut surpris d'y voir Un miroir (2).
Si le mobilier du paysan augmente peu à peu, si les enfants ajoutent quelques ustensiles et quelques meubles à ceux que leur ont transmis leurs parents, « la vie intérieure, la vie intime se borne au strict nécessaire, on réserve ses dépenses extraordinaires pour la vie extérieure, pour les fêtes religieuses ou communales, on les réserve surtout pour les vêtements qui permettent d'y figurer avec honneur » (3).
CHAPITRE II
Le Vêtement.
Plus encore que le mobilier, le vêtement subit l'influence du climat, du degré d'aisance, des progrès de l'industrie, des facilités de communication, des coutumes et des usages. Au contact des habi(1)
habi(1) — LaquLTric'Te: Les maisons de Rouen.
(2) Florian: Fables, L'enfant et le miroir, livre II, fable vin.
(3) A. Babeau: La vie rurale, p. 63.
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tants des villes, le paysan a modifié son costume, les traditions locales se sont peu à peu effacées et dans beaucoup d'endroits elles ont fini par disparaître. Si dans quelques contrées elles se sont maintenues, si quelques costumes ont triomphé du temps et se sont perpétués jusqu'à nos jours, constituant une sorte de vêtement national, comme en Bretagne, où les hommes portent encore le hautde-chausses, la veste du XVIIIe siècle et le chapeau aux larges bords, où les femmes revêtent la jupe, le fichu, la guimpe et le tablier de jadis et se coiffent comme se coiffaient leurs arrière-grand'mères, il en est autrement, dans la majeure partie de la Normandie et notamment dans le canton d'Àmfreville-la-Campagne, où les costumes modernes ont fini par détrôner les. vêtements d'autrefois, et c'est en vain que l'on y chercherait aujourd'hui un seul homme ou une seule femme habillés comme l'étaient leurs ancêtres d'il y a deux cents ans.
Quel était donc le coslume de ce pays au XVIIIe siècle ? Comment s'habillait-on ? Quelles étaient les étoffes employées ? Les vieilles estampes, les renseignements fournis par Jes contrats de mariage et par les inventaires dressés soit chez les riches cultivateurs, soit chez les fermiers et les laboureurs, soit même chez les manouvriers, nous permettent d'en avoir une idée à peu près exacte.
Le costume du paysan normand n'a jamais présenté beaucoup de différence avec celui du paysan français en général. A part quelques exceptions, principalement dans les contrées maritimes, ce costume offrait peu de particularités.
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Sur une chemise de toile de lin ou de coton, le paysan portait une sorte de gilet, la <> brassière » (1), ou camisole d'étolt'e, le haut-de-chausses ou culotte courte, et revêtait le justaucorps, espèce de veste qui s'ajustait à la taille et descendait jusqu'aux genoux. Quelques-uns portaient au cou une sorte de cravate ou collerette plissée, une « fraise » de toile de Laval, et l'on pouvait dire d'eux ce que disait une chanson picarde d'un élégant de village :
Ce piaffe a de belles cauches bleues, Une belle baïette (2); Il a dell'pou re dans les caveux (3), A son cou une frasette (4).-
Sous Louis XV, le costume se modifie, évoluant toutefois avec beaucoup moins de rapidité que de nos jours ; les vieillards conservent les anciennes traditions etles modes de leur jeunesse, et cen'estguère que lorsqu'une génération est disparue que les variations dans l'habillement deviennent sensibles. Le
(1) Appelée aussi quelquefois « bavaroise ». « 1 bavaroise de froc blanc » (Not. de Tourvillela-Campagne, Inv. du 30 octobre 1774| ; « 1 veste de froc en façon de bavaroise » flbid., Inv. du 15 décembre 1780); « 1 vieille bavaloise » (Ibid., Inv. du 8 avril 1730) ; « 2 vieilles barbanoises dont une sans bras et l'autre avec bras » (Ibid., Inv. du 20 février 1751) ; « 1 vieille bavaroise d'étoffe blancbe » (Ibid., Inv. du 11 décembre 1739).
Nous avons également trouvé l'indication de sous-vestes. « deux habits d'étophe, 2 vestes, 3 souvestes » (Not. d'Amfreville-la-Campagne, Inv. du 8 janvier 1784).
(2) Culotte.
(3) Cheveux.
(4) Petite fraise.
2* JOT'RNÉE, 24 SEPTEMBRE. 60
justaucorps fait cependant place à la « casaque » et à la « veste courte- ou à pans des maquignons » ; la culotte proprement dite détrône le haut-de-chausses. L'habit, « la veste », était de drap, de toile, de coutil, de froc, d'espagnolette, de pinchina, de bouge, de ratine, de droguet, de velours, de bouracan, de serge de Verneuil, quelquefois de futaine, de camelot, de panne, de molleton, de grain d'orge ou de peluche (1), il était généralement doublé de sergette (2). La nuance variait du bleu au gris, au gris de fer, au violet, du brun au rouget et à l'écarlate (3), de la couleur noisette (4) à la couleur d'ardoise (o), de la couleur de biche (6)
(1) Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 4 juin 1710 (froc), 22 mai 1784 (espagnolette). 27 octobre 1713 (froc de Bernay), 22 mai 1784 (froc hleu), 30 avril 1783 (futaine), 18 juin 1774,
14 juillet 1786, 4 octobre 1781, 13 février 1726. 10 mai 1730, 21 avril 1756, 8 mars 1740 (pinchina), 18 juin 1774, 30 octobre 1774, 14 juillet 1786, 27 octobre 1706 (panne), 3 décembre 1700 (serge), 17 avril 1713 (droguet), 18 juin 1774 (velours de Gênes),
15 décembre 1780, 2 août 1750, 6 juin 1758, 14 décembre 1736 (ratine), 14 juillet 1786 (molleton), 10 mai 1730 (bougran, serge de "Verneuil), 4 août 178(5 (grain d'orge bleu).
(2) Not, de Tourville-la-Campagne, Inv. du 10 mai 1730.
(3) « 1 habit d'étoffe violette » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 30 octobre 1700); « 1 habit écarlate » (Ibid., Inv. du 3 décembre 1700); « 1 habit de drap brun et rouge » (Ibid , Inv. du 15 juillet 1718).
(4) « 1 habit couleur de noisette » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 8 mars 1740).
(5) « 1 habit couleur d'ardoise » (Not, de Tourville-la-Gampagne, Inv. du 20 mai 1730).
(6) « 1 devant de veste couleur de biche » (Not, de Tourvillela-Campagne, Inv. du 12 avril 1774).
70 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
à la couleur de musc (1) et au poil rie souris (2).
La camisole était de toile, d'impériale ou de basin, on en trouve aussi de drap assorti à l'habit ou bien encore d'étoffe spéciale, comme le « fort en diable », dont on faisait parfois des costumes entiers.
Pour le haut-de-chausses ou la culotte on employait le drap, la toile Manchette, la toile peinte, la panne ; la couleur s'assortissait avec celle de l'habit.
En dehors de ces vêtements, le campagnard avait un ample manteau de drap, généralement écarlate, quelquefois bleu (3), qu'il jetait sur ses épaules les jours d'hiver ou de pluie.
S'il travaillait souvent tête nue, il possédait cependant un chapeau, un « caudebec » à larges bords, garni d'un galon ou de boutons de fil d'argent, si ses moyens lui permettaient cette fantaisie (A). Quant au bonnet de coton, ce légendaire « casque à mèche » dont Béranger a coiffé le roi d'Yvetot, il n'était pas encore bien répandu, il ne devait l'être d'ailleurs qu'après l'installation complète de l'industrie du tissage du coton en Norman(1)
Norman(1) 1 habit couleur de musc » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 24 septembre 1701).
(2) « 1 habit et veste couleur poil de souris » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 2ô mai 173->).
(3) « 1 manteau d'écarlate » (Not. de ïourville-la-Gampagne, Inv. des 24 septembre 1701. 30 juin 1702,12 avril 1774) : « 1 manteau bleu de gros drap » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 22 septembre 1752).
('H « 1 bord d'argent de chapeau » (Not. de Tourville-laCampagne, Inv. du 22 avril 1774).
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die. Il n'en est nullement question dans les inventaires, de la majeure partie du XVIIIe siècle, et ce n'est que dans ceux dressés après le décès de vieux prêtres que nous avons relevé des « coefï'es de nuit » dans la garde-robe du deffunt.
Dans cette énumération que nous venons de faire des vêtements du paysan, on s'étonnera peutêtre de ne point trouver la blouse, la « plaude ou blaude » bleue, la belle blouse empesée avec ses broderies blanches au col et aux épaules, qui disparaît aujourd'hui devant les « confections >> à bon marché. Si nous n'en avons pas parlé c'est que son usage ne s'était point encore généralisé et que dans nos campagnes elle ne devait faire son apparition qu'à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe (1).
Notre description du costume masculin ne serait pas complète si nous ne consacrions quelques lignes à la chaussure. « Je ne sais, disait Voltaire, comment il est arrivé que dans nos villages où les impôts sont lourds il n'y a guère un colon qui n'ait un habit de drap et qui ne soit bien chaussé et bien nourri ». Bien nourri, cela pouvait être vrai quelquefois, nous verrons dans le chapitre suivant quelles étaient les bases de l'alimentation, mais bien chaussé, c'était tout autre chose. La chaussure habituelle du paysan consistait dans des sabots de noyer, de hêtre, d'aulne ou de bouleau ; nous avons aussi trouvé la mention de « galo(1)
galo(1) 1 plaude de toile » (Not.de Tourville-la-Campagne, Inv. du 24 février 1782) ; « 1 plaude {Ibid., Inv. du 4 avril 1786).
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ches» (1). Si le campagnard avait quelques paires de bas de toile ou de laine, s'il avait même des houseaux de cuir ou d'étoffe, il ne possédait, la plupart du temps, qu'une seule paire de souliers, ce n'est que fort rarement que les inventaires en portent deux ou trois paires, encore est-ce dans les maisons de gros cultivateurs ou de marchands. Et si le paysan, avec cette unique paire de souliers, trouvait le moyen de se chausser convenablement, c'est qu'il avait un soin extrême de sa chaussure et qu'il ne mettait que dans les grandes occasions ces « gros souliers de vache », ces « souliers plats à trois semelles » fortement garnis de clous.
Plus riche, plus éclatant, plus pittoresque était le costume de la villageoise, et si la mode lui At subir quelques modifications, il résista longtemps aux influences extérieures et se maintint à peu près intact jusque vers la première moitié du XIXe siècle; tant il est vrai, comme l'a dit Viollet-le-Duc, que « si l'on parle souvent des caprices de la mode, rien n'est cependant moins capricieux, car la mode est toujours la conséquence d'un usage antérieur ».
Au travail ou dans son intérieur, la paysanne ne portait qu'un jupon de laine ou qu'une « cotte » de toile et un corps ou corselet de coutil et une casaque ou brassière de coton sur sa chemise de grosse toile ; mais les jours de fête son costume était remarquable, sinon par le choix des étoffes, du moins par le choix des couleurs.
Il) La galoche était une sorte de soulier â semelle de bois.— « 1 paire de galoches avec' boucles de liard » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 3 décembre 1776).
2' JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 73
L'éearlate semble avoir été la couleur favorite des Normandes et jouait le principal rôle dans leur habillement, où quelquefois même elle était employée à l'exclusion de toutes autres nuances. Le plus ordinairement, cependant, le « casaquin » ou « juste » était écarlate, les « cottes » ou jupes d'étoffe gris bleu ou violette, ou bien encore rayée noir et blanc.
Les manches du « juste » descendaient jusqu'au poignet et la partie inférieure de la taille était renfermée sous le jupon qui se serrait par dessus. La plupart des femmes portaient, sur le juste ou casaquin, un large fichu en pointe, plissé dans le cou et retenu par des épingles ; ce fichu était, chez les plus aisées, de soie à effilés et à bordures, il fut aussi de cretonne, de crépon ou d'indienne fi). Autour du cou la paysanne mettait une guimpe ou une collerette de lingerie dont la blancheur faisait ressortir les carnations du visage (2)."Le costume se complétait par un tablier ou « devantier » à poches et à bavette, moulant la taille ; ce tablier était -de soie noire, d'étamine ou de gros de Tours (3). Les bas étaient généralement de laine
{1) « 1 fichu d'indienne » (Not. de Tourville-la-Campa^ne, Inv. du 23 juin 1763) : « 1 fichu rayé blanc et rouge » (Ibid., Inv. du 4 octobre 1781 ) (Voy. aussi Appendice: Inventaires de marchands).
(2) « cols de mousseline » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 12 avril 1774) (Voy. Appendice: Inventaires de marchands).
(3) « Tabliers d'étamine » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 10 mai 1730, 16 novembre 1772); « 2 tabliers toile
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noire, quant à la chaussure elle consistait dans des souliers découverts avec boucles de métal (1), ou des sabots faits avec une certaine élégance. Enfin, comme le paysan, la villageoise avait un manteau, une grande mante, « un capot » (2), souvent à capuchon, « à coqueluchon », et qui parfois recouvrait tout le costume.
Les étoffes les plus généralement employées pour les vêtements dont nous venons de parler sont la serge, Fétamine, la faillette, le bouge, la flanelle, l'indienne, le camelot, la breluche, le froc, le crépon, la siamoise, le pinchina, le damas, quelquefois aussi, le brocart, la popeline ou la calmande (3).
rouge, 3 tabliers bleus » (Ibid.. Inv. du 32 novembre 1781); « tabliers île siamoise » (Ibid., contrat du 24 octobre 1740).
(1) Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 3 mai 172K — « 1 paire de souliers avec boucles d'argent » (Ibid., Inv. du
22 novembre 1781).
(21 « 1 capot de camelot » (Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 23 juin 1763, 10 mai 1730. 8 mars 1740); « 1 capot » ( Ibid., Inv. du 28novembre 1732) : « 2 capots » (Ibid., Inv du23 novembre 1781) ; « 1 capot de camelot doublé de molleton blanc avec un crochet et une porte d'argent, vendu 16 1. 1 s.; 1 capot aussi de camelot non doublé, aussi de molleton, avec son crochet et sa porte aussi d'argent, vendu 27 1. 18 s. » (P. V. de vente de meubles du ti mai 1781, Mute], sergent royal).
(3) « Flanelle » (Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. des
23 novembre 1781, 4 octobre 1781): « troc de Bacqueville » (Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 8 mars 1740) ; « indienne » (Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 12 avril 177'i, 25 octobre 1774, 'i octobre 1781) : « siamoise » (Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 12 avril 1774, 3 mai 1738) ; « siamoise flambée » IXot. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 12
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 75
La coiffure est caractéristique ; si la paysanne, vers la fin du XVIIIe siècle, a porté le bonnet de coton, dont se coiffent encore, dans notre contrée, quelques femmes très âgées, elle ne le mettait que dans son intérieur; si des villageoises déjà vieilles portaient des « coeffes » ou cornettes de toile très simples, des « pierrots », dont elles laissaient tomber les barbes sur leurs épaules; si les veuves, délaissant le grand bonnet dont nous allons parler, jetaient un voile noir, « une Thérèse », sur une coiffe basse et simple (1), les autres, et surtout les élégantes, se coiffaient tout autrement. Elles avaient de grands bonnets de toile ou de batiste dont le fond brodé s'élevait en pyramide au-dessus de leur tète, et auxquels s'attachaient de longues barbes garnies de deux ou trois volants ou de dentelles ; et, disons-le en passant, ce bonnet si spécial que l'on retrouve dans tous les coins du pays normand, avec son même aspect général, sa même disposition en hauteur, rappelant le hennin des grandes dames de jadis, valait bien la coiffe en
avril 1774) ; « (''tamine » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 2 décembre 1700, 8 août 1756) : « serge » (Not. de Tourvillela-Campagne. Inv. du 3 décembre 1700) ; « faillette » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 25 octobre 1774, 3 août 1750): « calmande » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 28 octobre 1751, 25 octobre 1774, 4 octobre 1781); « pinchina » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 20 juin 1758); « brelucbe » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 13 novembre 1732, 20 juin 1758).
(1) « 1 couverture de coell'e noire à faire le deuil ■> (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 23 juin 1763) (Ibid., Inv. du 20 juin 1758) (Ibid., Inv. du 8 mars 1740).
76 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
auréole des Boulonnaises, le grand noeud des bonnets d'Alsace, le chapeau de paille des Bourbonnaises, les coiffes bretonnes si variées, le madras des Bordelaises, les chapeaux en assiette du Velay et les coiffes minuscules des Artésiennes ; et l'on regrette presque qu'il n'ait pas, comme ces diverses coiffures, résisté aux envahissements du modernisme et qu'il ait disparu devant les chapeaux surchargés de rubans et de fleurs aux tons plus ou moins criards.
Si du « chapitre des chapeaux » nous passons à la parure, nous trouvons que les bijoux portés par les femmes dans la région qui nous occupe, les bijoux normands par excellence, étaient: les bagues, « les teurs » (1), les larges anneaux d'oreilles, les épingles d'or reliées deux à deux par une chaînette de même métal, les ceintures à boucles d'argent ou de métal (21, la croix d'or ou Jeannette, supportée
(1) On donnait le nom de « teurs » tantôt à l'alliance, tantôt à une chaînette. — « 1 bague et 1 teurs d'argent » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 9 avril 1770): « 2 teurs et une bague d'argent » (Ibid., Inv. du 23 juin 1763) : « !> bagues » (Ibid., Inv. du 20 juin 1758); « 1 teurs de fil d'or et d'argent » (Ibid., Inv. du 13 décembre 1740) : « 1 teurs d'argent et 1 foy » (Ibid., Inv. du 14 septembre 1740) : « 1 teurs de fil d'or, 1 teurs de lil d'argent » (Ibid., Inv. du 31 mai 1743) : « 1 petit teurs à fil d'or et d'argent, 1 teurs d'argent et 1 foy d'argent » (Ibid., Inv. du 26 mars 1740) : « 1 bague d'argent » (Ibid., Inv. du 2a juillet 1762).
(2) « lTne ceinture d'argent pour femme, une ceinture de soie avec boucle de métal » (Not. de Tourville-la Campagne, Inv. du 12 avril 1774); « 1 boucle à ceinture d'argent » (Ibid., contrat de mariage du ô février 1742) ; « une ceinture d'argent vendue 10 1. 10 s. » (P. V. de vente du 6 mai 1782, Mutel, sergent royal).
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par un ruban de velours noir, ces joyaux auxquels on a donné le nom d' « esclavage », ces croix normandes, composées de plusieurs pièces relevées en bosse, ornées de cabochons, de pierreries, de « diamants d'Alençon » montés avec recherche (1), ces « Saint-Esprit » (2) entourés d'un guillochage des plus curieux, qui, après avoir été importés des villes dans les campagnes, ont fini par être délaissés par les villageoises et furent souvent recherchés par les femmes « qui donnent ou suivent la. mode » (3).
(1) « Une moyenne croix d'argent avec son ruban » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 23 juin 1763); « 1 croix d'argent » (Ibid., Inv. du 20 juin 1758) ; « 1 croix d'or de moyenne grandeur » (Ibid., Inv. du 13 décembre 1740) ; « 1 petite croix d'or » (Ibid., Inv. du 14 septembre 1740) ; « 1 croix d'or, 1 croix d'argent » (Ibid., Inv. du 31 mars 17i3); « 1 petite croix d'or à bossettes » (Ibid., Inv. du 26 mars 1749) ; « 1 petite croix d'argent, 2 autres croix d'argent » (Ibid., Inv. du 25 juillet 1762) ; « un ruban garny en or avec une rosette pour mettre sur une pièce de corps à femme, vendu 7 1. 6 s. » '(P. V. de vente de meubles du fi mai 1782, Mutel, sergent royal).
(2) Voy. Masson de Saint-Amand : Mém. statist. de l'Eure, an XII, p. 53.
(3) Pour le détail du costume féminin, voy. aussi Appendice: Dots de villageoises.
78 SESSION TENUE A LOUVlERS, EN 1903.
CHAPITRE III L'Alimentation.
Sans mentir quand une chère année Stérile en blé nous est du ciel donnée, C'est en ce temps qu'un esclave enchaîné Parmi les Turcs n'est pas plus mal mené
écrivait Poumerol (I). En effet, si le paysan pouvait se procurer au dehors les étoffes nécessaires aux vêtements qu'il portait, si les colporteurs, voyageant à travers les campagnes, avaient leurs balles garnies de draps, de sergeon, de cotonnades fabriqués dans les villes, ce n'était que du sol arrosé de ses sueurs que le villageois pouvait tirer sa nourriture. Son alimentation, dont les éléments principaux restent généralement les mêmes, varie avec la contrée qu'il habite, la richesse du sol, l'abondance des récoltes. Plus grossière que dans les villes, elle est aussi plus incertaine ; la saison des semailles, le temps de la moisson ont-ils été favorables'.' c'est l'aisance ; la récolte est-elle mauvaise? c'est la misère et la disette. Aussi est-ce avec une légitime appréhension que le laboureur, alors que le blé mûrit, alors qu'il s'apprête à le récolter, voit l'horizon s'assombrir, les nuages
11) Poumerol: Discours sur une promenade, 1631. Fournier: Var. hist., VI, p. 158.
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s'amonceler, l'orage se déchaîner; il redoute la grêle qui dans un jour détruira le travail de toute une année. La situation du paysan d'autrefois était sous ce rapport des plus précaires ; vivant souvent au jour le jour, il ne pouvait en général conserver l'excédent de ses récoltes et il n'avait point les ressources nécessaires pour faire venir de loin le blé qui lui manquait ; d'ailleurs eût-il pu le faire, les difficultés des communications, les entraves apportées à la liberté du commerce des blés ne lui permettaient guère de s'approvisionner au dehors. Une mauvaise récolte dans une région y amenait fatalement la misère.
« Que de fois, dit M. Babeau, dans les années de disette, le paysan et la paysanne, assis au coin du feu, sur des escabelles, comme le bûcheron et la bûcheronne du conte de Perrault, se sont-ils dit avec douleur qu'ils ne pouvaient plus nourrir leurs enfants ! que de fois ils ont gémi en voyant leur huche dégarnie, leur saloir vide, leurs maigres récoltes épuisées ! (1) » Au XVIIe et au XVIIIe siècle, à certaines époques et dans certaines régions, le pain manqua et la famine fit d'épouvantables ravages.
En Bretagne, en t680, ce n'est que gens qui n'ont pas de pain, qui couchent sur la paille et qui pleurent (2). En 1694, principalement dans le Pays de Caux, le peuple meurt de faim, le blé manque encore plus encore que l'argent, on est réduit à man(1)
man(1) Babeau: La vie rurale, p. 100.
(2) Mme de Sévigné : Lettre du 9 juin 1680.
80 SESSION TENUE A LOOVIERS, EN 1903.
ger de l'herbe (1). En 1731,1768,1771, 1775,1779, la famine se fait encore sentir dans le Pays de Caux, les marchés de Caudebec etd'Yvetot sontpillés, des soulèvements populaires sont à craindre et d'Argenson écrit : « ce peuple normand est fort méchant » (2). En HoS, à Rouen et dans une grande partie de la Normandie, les plus aisés ont de la peine à avoir du pain pour leur subsistance, le commun du peuple en manque totalement, il est réduit, pour ne pas mourir de faim, à se former des nourritures qui font horreur à l'humanité (3).
Plus heureux ou moins malheureux que le paysan des autres régions, l'habitant de la campagne du Neubourg trouvait dans la fertilité du sol des ressources précieuses, les mauvaises récoltes étaient rares (4) et le paysan de nos plaines, plus prévoyant et plus pratique que bien d'autres, eut peu à souffrir de la disette; son grenier et sa grange étaient généralement bien garnis et sa huche ne manqua
(1) Paul Allard : Paysans cauchois, p. 10.— De Boislille: Correspondance des intendants avec les contrôleurs généraux, n° 1189, p. 3l!)-aJ0.
(2) D'Argenson: Mémoires, VI, p. 206.
(3) Baudrillart: La Normandie. Passé et présent, p.84.
(4) En 1788, à la suite d'une enquête faite sur les dommages causés aux récoltes par les orages, la municipalité de SaintGeorges-du-Theil (Le Gros-Theil) répond que « bien que la récolte ne soit pas aussi bonne qu'à l'ordinaire, le malheur des pays voisins mérite une préférence particulière pour les dons de Sa Majesté » et que la paroisse, « quoique ayant beaucoup de diminution dans ses récoltes, pourra supporter sa perte » (Charles Leroy : Le Gros-Theil pendant la Révolution française, p. 8).
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guère de ce pain bis et grossier fait avec le froment récolté sur ses terres. S'il y eut des années de disette, si l'on dut manger du pain de seigle, d'orge ou d'avoine, comme Mme de Maintenon en mangea elle-même à Versailles, si l'on fut même obligé de se nourrir de farine de gland ou de racines de fougère, si la disette fut parfois terrible, comme au Gros-Theil où, pendant l'épidémie de 1775, les malades mangeaient la paille de leur lit, comme l'écrivait le curé de cette paroisse (1), ce furent là, fort heureusement, des exceptions, et en général le pain le plus mauvais fut fait de seigle ou d'orge, rarement d'avoine.
La nourriture habituelle de nos paysans fut toujours des plus simples et ce n'était que dans de rares occasions que l'on se livrait à de véritables agapes. Cette nourriture était cependant plus agréable et plus variée que celle des habitants du Vermandois, qui, en 1789, se composait « de pain trempé dans l'eau salée que ce n'est pas la peine de dire qu'on y mest du beurre (2) », ou que celle des habitants du Maine où le menu peuple n'avait, pour soutenir la rigueur de ses travaux, qu'une soupe au pain bis de mauvaise qualité, dont le sel faisait tout l'assaisonnement (3).
Que mangeait-on dans le canton actuel d'Àmfreville-la-Campagne ? que buvait-on ?
(1) L'abbé G. Heullant : Monographie de la paroisse de Saint-Georges-du-Theil, p. 139.
(2) Ed. Fleury: Bailliage de Vermandois, p. 120.
(3) A. Bellée et V. Duchemin : Cahier des paroisses du Maine, l, 73.
6
82 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
« Normands bouillieux », mangeurs de bouillie, disait-on jadis; faut-il en conclure que nos paysans ne mangeaient que de la bouillie, ou tout au moins que ce mets était leur principale nourriture ? Certes non ; sans doute le pain et la soupe formaient la base de leur alimentation; sans doute, dans chaque ménage, l'on pouvait voir, tous les jours, chauffer dans la marmite de fer ou d'airain, la soupe au lard, la soupe au lait ou le potage aux légumes assaisonnés de beurre et parfois de pur sel, cette épicc frappée d'un impôt des plus lourds et sur la circulation de laquelle les agents de la gabelle exerçaient la plus rigoureuse des surveillances ; mais après la soupe les laboureurs complétaient leurs repas, soit avec le lard du pot-au-feu, soit avec les légumes de leur jardin : fèves, poireaux, oignons et choux.
Parfois à leur dessert pour leur donner courage, Ils ont avec cela la pièce de fourmage (1).
Dans les années abondantes ils trouvaient une autre ressource dans les fruits de leur verger.
Si le lait servait à faire la bouillie, employé seul il était, comme il l'est encore aujourd'hui, un des éléments les plus importants de l'alimentation rurale ; le paysan, s'il ne buvait pas toujours du lait pur, se régalait de lait caillé, de « mattes » et de « caillebottes », dans lesquelles il émiettait son pain, et il fallait qu'il lut dans la plus affreuse des
(Il Cl. Gauchut.
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misères pour ne pas posséder une vache ou une ou deux chèvres qu'il nourrissait sur les pâturages communs. On en trouve dans presque tous les inventaires, comme presque partout on rencontre la « baratte à beurre ». Le beurre entrait donc pour une grande part dans la nourriture ; le fromage apportait aussi son appoint ; de même les oeufs cuits dans cette poêle à longue queue que l'on voyait appendue près de la cheminée. Le paysan possédait, en effet, quelques poules, quelques « gélines » qui picoraient sur le fumier ; il avait quelques dindons, « copins, berlots ou picots » qui faisaient la roue dans la cour, quelques oies, « jars ou pirotes », quelques canards, « malarts, bourres et bourrettes » qui prenaient leurs ébats sur la mare.
Nous savons que les gélines, oies, dindons et canards étaient souvent destinés à l'acquit des redevances seigneuriales stipulées dans les aveux, ou bien devaient figurer sur la table des riches bourgeois d'Elbeuf ou de Rouen, mais il arrivait que de temps en temps on tordait le cou à quelques-uns de ces volatiles. Où se fût-on procuré sans cela la plume dont étaient garnis les lits, les traversins et les oreillers? À quoi eût servi la « broche à rostir » que l'on voit figurer dans presque tous les inventaires ?
« Nous n'avons pas, selon le voeu de l'un de nos rois, tous les dimanches le morceau de lard et la poule au pot », disent les Cahiers de Normandie (1). Nous doutons que, malgré les progrès incontesta(1)
incontesta(1) Les Cahiers de 1789 en Xonnandie, II, 417.
84 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
bles de l'alimentation, le voeu du roi gascon soit réalisé de nos jours ; en tous cas, il ne pouvait l'être au XVI11L' siècle, où l'on mangeait moins de viande qu'aujourd'liui. Mais faut-il nécessairement conclure de là que nos paysans se nourrissaient presque exclusivementde légumes? Faut-il accepter sans réserve, du moins en ce qui concerne notre région, ces mots mis par Voltaire dans la bouche des paysans, dans sa « Requête aux magistrats » : « Est-il quelqu'un qui ignore que nous ne mangeons jamais de viande? » ÎN'ous ne le pensons pas; cela pouvait être vrai dans certaines régions, mais fort heureusement, dans la campagne du JNeubourg la nourriture était tout autre. La présence des fourchettes dans les ménages, et ce fait est révélé par les inventaires, indique d'une façon certaine que l'on consommait des aliments solides. D'ailleurs, au XVIIIe siècle, dans les inventaires que nous avons parcourus, il est presque toujours fait mention d'un « lardier » de pierre ou de grès, bien garni de lard, et dans chaque cour il existait une loge ou toit, où s'engraissait lentement le porc destiné à 1 alimentation de la lamille. Si l'on ne mangeait pas tous les jours de cette viande, du moins le lard chaud devait fumer sur la table une ou deux fois la semaine (1).
(1) M. liaudrillart, en parlant des ouvriers <jui, au XVI'siècle, travaillaient dans les monastères, dit : « Je suis frappé, en parcourant ces sortes d'engagements, de voir figurer pour les ouvriers agricoles le pain, le vin même, la bière, le cidre, le lard, les pois, le fromage, en certains cas la viande trois fois
2e JOURNÉF, 24 SEPTEMBRE. 85
Une autre question se présente à l'esprit. En dehors du lard mangeait-on d'autre viande? Le veau, le boeuf et le mouton entraient-ils dans l'alimentation ordinaire? La réponse est plus embarrassante. Nous n'avons sur ce point que des indications assez vagues. Le territoire compris dans le canton actuel d'Amfreville-la-Campagne n'était point un pays d'élevage et à cette époque la contrée n'était point, comme elle l'est aujourd'hui, sillonnée de voies de communication nombreuses et faciles ; les chemins, généralement mal entretenus, n'étaient guère, comme ailleurs, que « cavées et ravines » (1 ), les voitures étaient souvent obligées, même sur les grandes routes, « de prendre par les terres des laboureurs voisins » (2), le transport des bestiaux ne se pouvait faire qu'avec difficulté. Aussi croyons-nous que la seule viande de boucherie consommée dans la région provenait des animaux élevés dans les fermes du pays. Nous devons cependant ajouter que non seulement dans les villes, comme à Elbeuf, dans les bourgs, comme à Bourgtheroulde et au Neubourg, mais encore dans quelques localités rurales, notamment au Gros-Theil, il existait des marchés fréquentés où des bouchers venaient débiter du boeuf, du veau et du mouton. Les archives, municipales du Gros-Theil nous fournissent à cet égard des renseignements précis et
par semaine, viande fraîche ou gelée; quelquefois les poules, toujours les oeufs et le poisson, s'y rencontrent dans de notables proportions » (La Normandie. Pansé et présent, p. ;i">).
(1) Archives de la Seine-Inférieure, Ç. 2133.
(2) Archives de la Seine-Inférieure, G. 2163.
86 SESSION TENUE A LOUVJERS, EN 1903.
nous savons qu'à la fin du XVIIIe siècle dix bouchers se rendaient au marché du Gros-Theil, la plupart durant l'année entière et les autres pendant quelques mois seulement (1). D'autre part, les registres de la fabrique de Tourville-la-Gampagne pour l'année 1735 font mention de l'achat de 207 livres de viande à 3 sols 3 deniers la livre, pour la nourriture des ouvriers qui travaillaient alors à l'église (2).
A ces divers éléments de l'alimentation : légumes, laitage, lard, viande de boucherie et volailles, nous devons ajouter le poisson : poisson de mer frais ou conservé et poisson d'eau douce, que les pêcheurs de la « Rivière de Seine » venaient vendre dans les campagnes voisines (3).
En Normandie, et particulièrement dans notre région, la nourriture, tout en restant très simple, était généralement copieuse. Le Normand a presque toujours été considéré comme un grand mangeur et, s'il faut en croire Lepecq de la Clôture qui vint dans ce pays et notamment au Gros-Tbeil sous le règne de Louis XVI, les deux tiers des paysans
11) Charli-s Leroy: Le Gros-Theil pendant la Révolution française, p, 101. note "2.
|2| Charles Leroy : Tonrnille-la-Campat/ne et ses seigneurs. Louviers. Lambert. 1898. p. W. Nous avons aussi trouvé dans îles registres domestiques de nombreux achats de viande de boucherie à des prix variant de 2 s. H d. à :! s. :Sd. la livre.
(!i) « 1 baril de harengs » (Xot. de Tourville-la-Campagne, Inv. des 2 août 1750. 12 avril 177V). Xous trouvons aussi différents achats de harengs dans des livres domestiques de 1729 à 1780. Kn 17(ïl ils sont portés à 8 sols la douzaine.
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 87
étaient des laboureurs opulents aimant à étaler à l'envi les germes de magnificence dans la parure et dans la bonne chère; « ils sont même devenus gourmands! » ajoute-t-il(l). Il estvraide dire que Lepecq de la Clôture, en qualité de médecin, était peut-être partisan delà diète. Quoi qu'il en soit, la richesse du sol, les moyens de culture plus perfectionnés que dans d'autres campagnes, permettaient à nos paysans de vivre à l'ordinaire assez largement, et l'esprit de prévoyance, qui est l'une des qualités du caractère normand, fit qu'ils n'eurent que rarement à souffrir de la disette.
Le paysan qui, d'après certains auteurs dont le tort a été selon nous de trop généraliser, le paysan qui n'aurait jamais mangé de viande ne buvaitil que de l'eau? Si le Beauceron, jusqu'à nos jours, n'a guère eu d'autre boisson, il n'en est pas de même du Normand. L'usage du cidre et du poiré remonte en Normandie à une époque fort reculée ; les inventaires dressés au cours du XVIII 0 siècle, même dans les plus humbles demeures, font mention quelquefois de « cervoise » (2), toujours de petit cidre ou boisson, souvent de cidre pur, plus souvent encore de poiré. Au commencement du XVIIIe siècle le poiré paraît être la boisson habituelle, mais peu à peu et au fur et à mesure que l'on s'avance vers le XIXe siècle, il tend à céder la place au cidre proprement dit qui est devenu et est resté la boisson commune du pays.
(1) Baudrillarl : La Normandie. Passé et présent, \>. 92.
(2) « 1 fust de cervoise » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 3 décembre 1700).
88 SESSION TENUE À t.OUVIERS, EN 1903.
Nous ajouterons que chez les gens aisés et chez les hôteliers, il n'est pas rare de trouver deux ou trois barriques de vin ; l'on rencontre aussi, mais plus rarement, une certaine quantité d'eau-de-vie ; le Normand, s'il était « gr"and beuveur en ses festoiements et grandes chieres », s'il faisait un « trou » au milieu du repas, préférait au vin et à l'eau-devie le pur jus des pommes de son pourpris et de sa masure.
Telle était, dans ses grandes lignes, l'alimentation ordinaire des habitants de notre région ; nourriture saine et substantielle qui leur permettait de travailler ferme le sol fécond qu'ils exploitaient. Cette alimentation prenait d'ailleurs dans certains cas, peu fréquents il est vrai, des proportions beaucoup plus grandes, et lorsqu'ils se réunissaient soit pour des repas de noces, soit pour des agapes de confréries, soit même à l'occasion des fêtes locales ou des grandes fêtes religieuses, nos paysans pouvaient mériter l'épithote de « hombanciers » qu'on leur a si généreusement octroyée, et notre tableau serait incomplet si nous passions sous silence ces repas des grands jours.
Si nos villageois ne suivaient point à la lettre les savantes indications du « Cuisinier françois », de Lavaranne ; s'ils ne savouraient pas les soles frites avec assaisonnement de jus d'orange, s'ils ne se délectaient pas de barbues à la Dieppoise, s'ils ne faisaient pas figurer sur leur table, le mercredi des Cendres, le turbot, ce « roi du carême », s'ils laissaient aux riverains de la Seine les matelotes d'anguilles, « ces ondines de rivière », que les « ouyvets »
2' JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 89
du Roumois aimaient à manger lorsqu'ils se rendaient à la Bouille ; si l'alose de Seine, au sujet de laquelle un prélat du XVIIIe siècle s'écriait : « ma mitre pour une alose ! » était réservée aux bourgeois de Rouen ; si l'éperlan, qui figure dans les armoiries de Caudebec-en-Gaux n'arrivait pas jusque dans la plaine, ils avaient à leur disposition des mets plus nourrissants et non moins savoureux.
Dans les réunions joyeuses d'alors, après le potau-feu, potage et boeuf bouilli, on servait le veau en tranches minces bien rôties sur le gril, « en grimblettes », et la langue de boeuf assaisonnée au beurre roux ; le gigot de mouton ne manquait pas non plus les jours de grandes « màqueries », mais, dans ces occasions, c'était surtout le triomphe de la volaille, poulardes et « coqs d'enge » étaient portés en triomphe les jours de grands repas, et la fricassée de poulet constituait pour ainsi dire un mets national. Dindons, « copins, berlots et picots -> rôtissaient en plein vent les jours de foire, comme à la Saint-Gorgon à Canteleu, où l'on se rendait de fort loin à la ronde ; canards et canetons, sans avoir la saveur et la délicatesse de leurs congénères de Duclair, sans être assaisonnés à la rouennaise, faisaient bonne figure sur la table de chêne de la ferme lorsqu'ils y apparaissaient flanqués de navets ou de petits pois. Le cochon de lait, doré par la cuisson, donnait le nom de « Repas du Cochon » au festin de certains trésoriers d'église ; puis, en dehors du cochon de lait rôti dans son entier, la gent porcine fournissait encore le bou-
90 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
din (1), le hatelet et ce mélange de graisse et de lard, devenu de nos jours un mets des plus populaires et connu sous le nom de « hatignolles ». Le mou et le coeur de boeuf, « la courée », étaient aussi fort recherchés de nos aïeux.
Les entremets étaient nombreux et variés et si nos campagnards ne mangeaient point de « terrinée ou tord goule », mélange de riz, de lait, de cannelle et de sucre, régal des habitants d'Honfleur, ils savaient préparer le « fromage au geai ou à la pie » et la « jonquette », sorte de crème faite de lait bouilli, d'oeufs, de sucre et de caramel.
Le dessert, en dehors des fruits, pommes, poires, noix, etc., se composait d'un grand nombre de gâteaux. Alors que Bonsecours avait ses « norolles », Oissel ses « petits pains », Rouen ses « mirlitons », ses « dariolles » et ses « craquelins », alors qu'en Basse-Normandie on mangeait les « fouaces à maçon », qu'à Honfleur on préférait les « biscuits à l'anis »; tandis qu'Argentan était déjà réputé pour ses « sablés » et le pays de Bray pour ses « flammiches », tandis que le Cotentin voyait le triomphe des '<■ galettes de sarrazin », dans la campagne du Neubourg les paysans savouraient avec délices, en les arrosant de gros cidre, les « douillons », les « bourdes », les « galots y, et les « cochelins » enfermant dans leur pâte dorée quelques poires ou quelques reinettes; ils mangeaient aussi de ces pâtisseries connues sous le nom de « leuvée », de « galette à la
|1| « l'n boudiiiici- do fer lilanc » (Not. de Tourville-laCampagne. Inv. du 33 juillet 1773).
2* JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 91
fouée », de « galuchon », de « miche » ou brioche commune.
Il va sans dire que dans ces repas qui se prolongeaient fort avant dans la nuit et se terminaient au bruit des chansons, l'on buvait ferme; le cidre pur, le « gros bère », emplissait les verres et l'on n'avait garde d'oublier au bon moment le verre d'eau-devie traditionnel, le « trou normand ».
Trois jours de frairie, hola! maître queue Tes brocs et tes pots en tiennent moins qu'eux,
Mais chut ! la romance roucoule. La grasse commère est baisée au cou Et le maître cidre à pleins pichets coule.
L'air saoul, mais sans perdre la boule,
Les fermiers roses font un trou
a dit le poète Ch.-Th. Féret (1).
Nous avons dit plus haut qu'il est fort rare de trouver dans les inventaires la mention d'une certaine quantité d'eau-de-vie ; il ne faut pas en conclure que la consommation de ce spiritueux était nulle ou presque nulle ; la tradition est là pour affirmer le contraire. Sans doute on n'en buvait pas tous les jours, mais on y goûtait assez souvent ; des registres domestiques, que nous avons entre les mains et qui remontent à 1720, portent des mentions d'achat de ce liquide ; d'un autre côté, le paysan normand était déjà « bouilleur de cru », « crutier », et distillait une partie de sa
(1) La Normandie exaltée.
92 SESSION TENUE A UOL'VIF.RS, EN 1903.
récolte de fruits; s'il dissimulait sa provision d'eaude-vie, c'était sans doute pour échapper, dans la mesure du possihle, aux prétentions du fisc Dès le XVIe siècle, en effet, Feau-de-vie de cidre, que les vinaigriers d'Alençon furent les premiers à distiller, F « eau ardente », triomphe dans maints celliers normands : Estienne et Liehault, dans leur « Maison rustique », indiquent la façon de la fabriquer, et Paumier en parle dans son « Traité du cidre ». Malgré l'édit de 1680, malgré d'autres édits en réglementant la vente et la circulation, malgré les tentatives de monopolisation des fermiers des aides, appuyés sur les ordonnances des 6 et 13 janvier et 14 août 1699, 9 mars 1703 et 11 mai 1712, la consommation s'en était répandue et le « Calvados » venait, dans les grands repas, creuser l'appétit des « màqueurs » rassasiés.
Où la charge rompt l'essieu Le maître voit l'heure exacte, Il faut faire un trou morbleu ! Dans la bedaine compacte, Allons le coup du milieu. Il propose ainsi l'entracte ! (1)
Mais, et nous ne saurions trop le répéter, ces grands repas ne se renouvelaient pas fréquemment; ce n'était que dans des occasions exceptionnelles qu'on se livrait à ces agapes: la nourriture journalière, saine et copieuse, présentait un grand caractère de simplicité et ne comportait point tous ces raffinements.
(1) Ch.-Th. Férct: La Xormandie exaltée.
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 93
Avant de terminer ce chapitre surl'alimentation, il nous reste à rechercher quelle était la façon de manger. Chacun avait-il son assiette ou bien puisait-on tour à tour avec sa cuiller ou sa fourchette dans la marmite placée sur la table au milieu des convives ?
Sur un des bas-reliefs de l'un des plus connus des monuments rouennais, de 1' « hôtel du Bourgtheroulde », parmi les scènes de bergerie ou les épisodes de la vie champêtre sculptés au XVe siècle, l'on voit au premier plan plusieurs bergers réunis dans un paysage rustique. « L'un debout dans la campagne, la houlette à la main, veille sur des moutons qui pâturent. L'autre assis joue de la musette. Mais regardez de plus près. L'un des pâtres, qu'on reconnaît à sa panetière, est agenouillé et plonge une longue cuillère dans une sorte de grande « jatte » placée sur un tronc d'arbre, tout en flattant d'une main son chien qui « fait le beau ». Regardez encore. De l'autre côté, une jeune paysanne, cornette en tète, également agenouillée, tend, elle aussi, une cuillère vers un jeune berger, qui, à en juger par la liberté de ses... gestes, semble occupé à toute autre chose... qu'à prendre sa nourriture !
«■ La scène est naïve. Elle reproduit un détail de moeurs anciennes. Par la façon dont est placée l'écuelle dans ce bas-relief si curieux, par la simultanéité entre les deux scènes, on voit que tel était jadis l'usage de prendre les repas, de « manger la soupe », car c'est ainsi que l'on procédait surtout pour les aliments liquides, les laitages ou les
94 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
crèmes, les « niattes » que les gourmets normands ont toujours tenues si vivement en honneur » (1).
Au Moyen âge, si les convives avaient des écuelles pour certains aliments et si l'on se servait de « tailloirs » ou tranches de pain qui furent ensuite remplacés par des assiettes pour les aliments solides, il est certain que pour les soupes et les aliments liquides on faisait tout honneinent comme les bergers de l'hôtel du Bourgtheroulde et chaque convive plongeait tour à tour sa cuillère dans le plat ou dans la marmite.
Cette coutume, qui se perpétua assez longtemps dans la meilleure société (2), ne devait point disparaître de sitôt dans les campagnes.'
Peu à peu dans les villes l'usage des assiettes s'était développé, mais on n'en continuait pas moins à puiser dans le plat avec sa propre cuiller pour remplir son assiette, et cette mode se maintint longtemps et dura jusqu'au commencement du XIXe siècle.
En 1655, Nicolas de Bonnefons, valet de chambre du roi, dans ses « Délices de la Campagne », s'élève contre cette façon de procéder et recommande
(1) 0. Dubosc: La Gamelle collective. Journal de Rouen du 9 août 1903.
(3) Le marquis de Coulanges, le « délicieux Goulanges », écrivait :
Jadis le potage on mangeait Dans le plat sans cérémonie, Et sa cuillère on essuyait Souvent sur la poule bouillie.
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1 emploi d'assiettes creuses (1). En 1695, Antoine de Courtin, dans sa Civilité, dit qu'il ne faut pas manger le potage au plat, mais en mettre proprement sur son assiette », et il ajoute: « il faut essuyer sa cuillère quand, après s'en être servi, on prend quelque chose dans un plat, car il y a des gens si délicats qu'ils ne voudraient pas manger du potage où vous l'auriez mise après l'avoir portée à votre bouche ».
Toutefois, vers la fin du XVIIe siècle, la grande cuillère, placée près de la soupière, notre « louche » actuelle, fait son apparition. « On a inventé aux tables une grande cuillère pour la commodité du service », dit La Bruyère (2).
« Tout cela, écrit M. G. Dubosc (3), était raffinement de gens riches, de grands seigneurs ; partout ailleurs, dans le peuple et dans la bourgeoisie, on mangeait comme les bons bergers de 1' « hôtel du Bourgtheroulde » et bien souvent la main..., la fourchette du père Adam, remplaçait cuillère et fourchette » (4).
Pierre Saliat n'écrit-il pas en 1537 : « Quand il y aura des sauces, l'enfant y pourra tremper sa chair
(1) « On pourra se représenter du potage ou s'en servir à soymème ce que chacun eu désirera manger, sans prendre cuillerée à cuillerée dans le plat, à cause du dégoût que l'on peut avoir les uns des autres de la cuiller qui, au sortir de la bouche, puisera dans le plat ». Nicolas de Bonnefons: Délices de la Campagne.
(2) Caractères ; Le Distrait.
(3) Journal de Rouen, 9 août 1903.
(4) « Ne mets la main au plat jusqu'à ce que l'on ait pris ce que l'on voudra ». Jean Sulpice : Civilité, 1483,
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après les autres. Que si les autres y trempent leur pain, il y pourra aussi tremper honnêtement et sans tourner de l'autre côté, après qu'il l'aura trempé de l'un ni le gadrouiller dans le plat. Et n'y doit point tremper de grandes pièces ou morceaux de pain « à la rustique », ne ceulx auxquels il aura une fois mordu, ny y retourner trop souvent, car tout cela n'est pas moins deshonnete que sot et dissolu ». En 1613, Claude Hardy (1) recommande à l'enfant de mettre le dernier la main au plat et de ne point tremper ses doigts dans la sauce comme le font les gens de village.
Au XVIIIe siècle, l'usage de « manger à la gamelle » est encore en vigueur dans les campagnes et même dans certaines classes de la bourgeoisie. Nous lisons dans « Les Règles de la Bienséance et de la Civilité chrétienne » publiées à Rouen en 1752: « Il est incivil de prendre du potage dans le plat pour le manger et d'en tirer chaque fois avec sa cuillère ce qu'on en veut porter à sa bouche... » ("2). Nous trouvons la même recommandation dans les autres Civilités publiées à cette époque et jusqu'en 178-2.
Ainsi donc nous pouvons dire que nos paysans mangeaient leur potage en puisant tour à tour avec leur cuillère dans l'écuelle commune ; nous pensons qu'il en était de même pour les légumes tels que fèves et pois. Ce n'était que dans les grandes
(1) Civilité.
[2} Les Règles de la Bienséance et de la Civilité chrétienne. Rouen, J.-F. Behourt, 1752, p. 104.
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circonstances que chacun se servait d'une assiette individuelle. Quant aux aliments solides, on devait généralement les mettre sur son pain et les « manger sur le pouce ». D'ailleurs cette habitude s'est conservée jusqu'à notre époque dans certaines provinces de France ou de l'étranger, en Bretagne, en Auvergne, en Italie, où l'on voit encore les villageois puiser tour à tour avec leur cuillère dans la soupière, et il n'est pas rare non plus de voir, notamment dans les champs pendant la moisson, nos paysans manger la salade en piquant tour à tour leur fourchette dans le saladier, et boire soit dans le même verre, soit même « à la régalade » en portant l'un après l'autre à leur bouche le goulot de la bouteille.
CHAPITRE IV
Les Divertissements. — Les Veillées. — Les Fêtes.
« Le paysan d'autrefois, dit M. Babeau, est plus sociable et plus gai que celui d'aujourd'hui ; le village qu'il habite forme une sorte de grande famille reliée par les liens de voisinage sinon de parenté (1). Et il ne faudrait pas croire que la rigueur des temps est si excessive qu'elle lui enlève
(1) La vie rurale, p. 203.
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tout plaisir et ne laisse aucune trêve à ses fatigues. Il a dans les dimanches et dans les tètes religieuses, alors très n'oinhreuses et chômées, des jours de repos ohligaloire. Ces jours-là, les villageois se réunissent à l'église ou dans les alentours; après les offices viennent les assemIdées communales, dans lesquelles on discute les intérêts de la paroisse, puis les colloques, les jeux et la danse.
Après s'être occupé des affaires de la communauté, chacun cherche un délassement aux travaux de la semaine. Sous l'oeil des vieillards qui jugent les coups les jeux s'organisent; les jeunes gens, en des poursuites mouvementées, jouent aux harres ou à la halle qu'ils s'efforcent de lancer avec adresse ; les hommes se sont emparés de la houle et des quilles (1), les fermiers et les propriétaires se mêlent aux inanouvriers dans ces luttes ardentes mais pacifiques; et tandis que les femmes se promènent ou, assises sous les grands arhres, font retentir les échos de leurs havaidages, les jeunes filles organisent des rondes joyeuses. Les enfants, et même des jeunes gens, prennent part à des jeux plus enfantins : la marelle, la cligne-musette, le cache-cache Nicolas, le colin-maillard, la queueleu-leu sont en honneur et tous y rivalisent d'entrain et de gaieté.
Ces jeux ne tardent pas à cesser lorsque apparaît le ménétrier du village. Dans les campagnes, la danse est le premier des plaisirs. « Le paysan si
(1) « I*n jeu de boules » (Xot. de Tourvillela-Campagne, Inv. du 30 juin 17(W. Hôtelier).
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lourd, si gauche, si emprunté, trouve dans la danse une agilité, un aplomb, un entrain qu'on ne lui soupçonnerait point. Il y rencontre l'oubli de ses peines, l'étourdissement du mouvement, la satisfaction de l'amour-propre. Il a pris les leçons de ses aines, du ménétrier ou du maître de danse ambulant qui parcourt les bourgs et les villages avec sa pochette » (1). D'ailleurs, le bal champêtre est installé sur un moelleux gazon, sous le dais verdoyant des grands arbres, dans l'ambiance des frondaisons vivifiantes, et dans de telles conditions la danse constitue une gymnastique admirable et parfaitement hygiénique sous tous les rapports; si l'esprit se délasse, le système musculaire se développe merveilleusement en des mouvements cadencés, le sang se purifie par de larges absorptions d'air pur fréquemment répétées, et cette humble danse des campagnes, si décente dans sa joyeuseté, met du rose aux joues, un franc sourire aux lèvres, une flambée de saine gaieté dans les yeux. •
Au XVIIIe siècle, tout est prétexte à la danse. Ce plaisir, qui tient une place si importante dans les distractions mondaines, est si bien une des manifestations des sentiments du moment que les peuplades les plus primitives possèdent des danses pour tous les actes de la vie. C'est en dansant qu'ils manifestent la joie d'une naissance, d'un mariage, d'une heureuse récolte. C'est aussi en dansant que nos paysans manifestent leur joie. On danse surtout aux noces, on danse aussi aux fêtes de village où
(1) A. Babeau: La vie rurale, p. 2U9. Arthur Young, I, 221.
100 SESSION TENUE A LOUVIÉRS, EN 1903.
do toutes parts on « court comme au feu ». Les fêtes communales sont la plupart du temps des l'êtes patronales : on y fête le patron du village, et les réjouissances durent jusqu'au lendemain, les assemblées ont toutes leur « record », ce joiu--là peu d'étrangers s'y rendent et l'on s'amuse en famille. Certaines fêtes locales présentent un caractère particulier : à la Haye-du-Theil, où il y a deux assemblées, lune le lundi de la Pentecôte et l'autre le jour Saint-Michel ; la première, appelée les « Troques », jouit alors d'une grande réputation, le sacré s'y mêle au profane. On y fait un feu de joie que le prêtre, entre vêpres et complies, vient processionnellement allumer. Des rondes s'organisent autour du foyer et chacun s'efforce de prendre quelques charbons éteints qu'il emportera dans sa demeure; ces charbons sont en effet considérés comme un précieux talisman et celui qui en possède n'a, dit-on, rien à craindre de l'orage ou des maléfices.
Chaque saison de l'année, chaque grande fête religieuse donnait d'ailleurs lieu à des réjouissances ; on l'était les aguignettes, les Rois, Pâques, le niai, la Saint-Jean, la rentrée des moissons et surtout Noël.
Noël était la fête populaire par excellence. La naissance d'un Dieu dans une étable, entre le bumf et l'une, voilà un tableau qui parlait de lui-même aux âmes ingénues et ne demandait pas grand effort d'imagination pour être compris. Puis, la caravane des rois mages, Gaspar, Melchior et Balthazar, avec leur cortège de serviteurs, de chameaux chargés d'or, d'encens et de myrrhe, venant
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de pays inconnus par de là les mers, sous la conduite d'une étoile flamboyante, suffisait à émerveiller et à satisfaire ce besoin de non vu, d'idéal qui nous empoigne tous, docteurs ou ignorants.
Noël ! Femmes, enfants, vieillards, maîtres et domestiques, prêtres et laïques l'attendaient avec impatience et s'y préparaient de longue date. Si nos paysans ne pouvaient, comme les citadins, assister à ces mystères, véritables représentations tbéâtrales, naïves et grandioses que l'on jouait dans les villes et qui, après avoir eu, au Moyen âge, un succès des plus vifs, avaient peu à peu disparu, ils avaient dans quelques paroisses la « Fête des Bergers » où l'on se rendait des pays environnants.
Plusieurs semaines à l'avance, les garçons du village et les hergersse réunissaient pour organiser la cérémonie; on élisait un maître chargé de, recueillir les offrandes destinées a l'achat d'un pain bénit somptueux et des chandelles destinées à l'illumination. La veille de Noël, à minuit, alors que la vieille église resplendissait dans l'ombre, le cortège s'avançait au milieu des fidèles accourus.
Garçons et bergers, revêtus de leur costume traditionnel : limousine rayée à pèlerine ou à capuchon, chapeau de feutre à larges bords, houzeaux aux jambes, sabots aux pieds, houlette à la main, partaient des fonts baptismaux et s'avançaient dans la nef. Derrière eux, vêtus de riches manteaux, le front ceint de couronnes de cuivre ou de papier doré, marchaient les rois mages portant soit un sceptre, soit des emblèmes: encens, myrrhe ou pièce d'or. Dans le choeur, suspendue à un fil de
102 SESSION TF.NUF. A LOUVIFRS, F.N 1903.
fer, une lumière isolée figurait l'étoile miraculeuse.
Au milieu des chants d'allégresse, les bergers allaient offrir un mouton ou un agneau paré de rubans h l'Enfant-Dieu couché dans une croche: les garçons portaient le pain bénit sur une civière richement ornée et resplendissante de lumières. Apres la bénédiction du pain bénit et l'offrande de l'agneau, qui avait lieu au moment de l'adoration, un jeune homme, figurant l'ange, entonnait un chant de Noël auquel répondaient le choeur des bergers et des assistants, et quand le chant avait cessé, quand la messe nocturne était dite, le cortège se reformait et redescendait la nef avec le même cérémonial. La lanterne à la main, chacun regagnait sa demeure, on se réunissait en famille pour faire le « réveillon » : assis sur des escabelles autour de l'àtre où se consumait lentement la bûche de Noël, on mangeait le boudin grillé sur le « rotier » et l'on vidait les pichets de <■ pommé sans eau » ou de « poiré doucereux » pour arroser les chansons qui ne tarissaient guère. Nombreuses en effet sont. en Normandie, les chansons de Noël, et leur texte naïf, simple et parfois empreint de philosophie, pourrait composer un ample recueil.
Le jour de Noël la fête religieuse se continuait à la messe et aux vêpres; c'était alors seulement que Ton partageait le pain bénit. Puis garçons et bergers, sous la présidence du curé, faisaientun copieux repas pendant que les autres habitants, rentrés chez eux, continuaient la fête fort avant dans la nuit; on se séparait enfin, en pensant aux « aguignettes » qui devaient bientôt arriver.
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La fête des « aguignettes » présentait un caractère tout autre que celle de Noël. Son origine, de nature différente, remonte au paganisme.
« Au gui l'an neuf! » disaient les druides en distribuant le gui sacré aux vieillards demeurés dans les huttes des villages, aux femmes et aux enfants qui n'avaient pu assister à la cueillette. Et lorsque le druidisme eut disparu devant le christianisme, lorsque les siècles eurent passé, alors que dans le peuple l'origine du cri ne fut plus connue, que sa signification même fut ignorée, on n'en continua pas moins' à répéter au début de l'année l'ancienne invocation des Gaulois. Avec les pays et les parlers, les mots eux-mêmes furent dénaturés : Guillaneu ! disait-on dans le Maine et dans l'Anjou, Aguillano ! dans le Midi, pendant qu'en Normandie on chantait les aguignettes.
Sans rechercher quelle était la coutume suivie dans-notre région au Moyen âge, ce qui sortirait du cadre que nous nous sommes tracé, nous allons rapporter les renseignements que nous avons recueillis sur cet usage qui s'est d'ailleurs perpétué jusqu'à nos jours.
Cette sorte de quête de maison en maison s'est faite depuis fort longtemps dans les villages comme dans les villes. Primitivement, ce n'étaient pas seulement les enfants, comme aujourd'hui encore, qui s'en allaient ainsi de porte en porte solliciter en chantant quelque don. Les petites gens, les domestiques, les bas officiers chantaient les aguignettes et récoltaient dans ces quêtes les victuailles qui, la nuit venue, leur servaient à faire bombance.
104 SESSION TENUE A I.OUVIERS, EN 1903.
Au XVIIIe siècle, seuls les enfants et les miséreux parcourent ainsi les campagnes. Ils s'en vont par les chemins du village, entre les haies ou les murs recouverts de frimas, de maison en maison, de ferme en ferme. Emmitouflés dans de chauds vêtements, chaussés de gros sabots, ils font résonner sous leurs pas le sol glacé. On devise et l'on chante le long du chemin, on suppute les cadeaux que l'on va recevoir, on s'indique les « bonnes maisons ». Arrivés devant une cour, le plus fort pousse le pothuit qui grince sur ses gonds, et l'on traverse la cour au milieu des pommiers blancs de givre. A la porte de la maison, la chanson commence :
Aguignette.
Miette! miette. J'ons des miettes dans not' pouquette Pour les jeter à vos poulettes. Si elles pondent de gros oeufs, La maîtresse donnez m'en deux ! Aguignolo.
La porte s'ouvre, la fermière apparaît et met dans le panier des chanteurs, aux mains et au nez rougis par le froid, à la mine éveillée, quelques oeufs, quelques noix ou quelques « pommes de migeot ». La bande joyeuse entonne un nouveau couplet et repart vers d'autres maisons car elle a fort à faire pour visiter avant la nuit toutes les demeures du village.
A peine avait-on fini d'entendre les derniers chants des aguignettes que, la veille et le soir de
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l'Epiphanie, les échos retentissaient des chansons des rois.
La fête des rois c'est la vraie fête normande. De tout temps on l'a célébrée avec un véritable cérémonial, et si, aujourd'hui, dans notre région elle a perdu son véritable caractère, si les gâteaux offerts par les boulangers à leurs clients n'ont plus de fèves, si la fête se réduit à un grand repas, au XVIII 6 siècle la tradition s'était maintenue. Le tirage au sort des parts se faisait de la façon si bien décrite par Estienne Pasquier lorsqu'il parle de la fête des Rois, ' « laquelle nous solemnisons avecq'une infinité de desbauches de bouche, qui emportent ordinairement quant et soy plusieurs sortes de hontes et pudeurs. Et faut néanmoins que ceux qui en furent les premiers introducteurs fussent gens de lettres par toutes les rencontres qui se trouvent en ce déduit. Nous commençons dès la vueille, non de prier Dieu, mais de faire bonne chère. Celuy qui est le maistre du banquet a un grand gasteau, dans lequel y a une febve cachée, gasteau, dis-je, que l'on coupe en autant de parts qu'il y a de gens conviez au festin, cela fait on met un petit enfant sous la table, lequel le maistre interroge sous ce nom de Phebi', comme si ce fut un qui, en l'innocence de son âge, représentast une forme d'oracle d'Apollon; à cest interrogatoire l'enfant respond d'un mot latin Domine : sur cela le maistre l'adjure de dire à qui il distribuera la portion du gasteau qu'il tient en sa main, l'enfant le nomme ainsi qu'il lui tombe en la pensée, sans acception de la dignité des personnes, jusqu'à ce que la part
106 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
est donnée à celuy on est la fcbve et par ce moyen il est réputé Roy de la compagnie, encores qu'il fust le moindre en authorité. Et ce fait, chascun se desborde à boire, manger et danser » !i).
En Normandie, il existait en outre une pieuse coutume, le premier morceau de gâteau était mis de côté et destiné aux pauvres, c'était la « part à Dieu ». On la remettait au premier miséreux qui frappait à la porte et celui qui la recevait venait s'asseoir à la table du festin.
■. Lorsque la fève était découverte, celui qui l'avait ! couvée dans sa part de gâteau était proclamé roi, on buvait du gros « bcre » en son bonneur et chaque fois qu'il portait son gobelet à sa bouche tous s'écriaient enchu'ur: « le Roi boit Me roi boit! ». Des chansons de circonstance clôturaient le repas.
La fête des rois était aussi l'occasion d'autres réjouissances. Autrefois comme aujourd'hui, dans nos campagnes, les domestiques avaient congé et les maîtres « ne les laissaient point chômer les rois ». Dans certaines paroisses on allumait aussi des feux de joie, « des bugrées », et l'on dansait des rondes à la lueur du foyer; dans d'autres, enfants et jeunes gens faisaient dans les champs une promenade nocturne, une « bourguelée » à la lueur des « brandons », des « coulines » et des « fltimbarts », sorte de torches de paille Iressve que l'on portait allumées au bout d'un bâton et que l'on passait sur les branches et les troncs des arbres
111 Ksliomic l'usinier : Les Rerherch.es de la Frunre, édition cl.'Kill. p. 417.
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en accompagnant cette action d'une sorte d'incantation :
Taupes et mulots Sors de ton clos Ou je te mets le feu sur le dos.
La fête se continuait le dimanche de l'octave de l'Epiphanie par la célébration des rois morts que l'on fêtait avec non moins d'entrain et de gaieté, et il fallait de bien graves préoccupations, de véritables catastrophes pour interrompre cette habitude de fêter les rois, si invétérée chez nos paysans qu'ils auraient souffert de nombreuses privations
Pour ne faillir ne perdre la coustume De célébrer et festiner les Roix.
Des Rois jusqu'à Pâques nulle grande fête ne vient interrompre la monotonie de la vie rustique, à peine fait-on attention aux jours gras, et durant le carême on fait pénitence. Mais quand les cloches célèbrent dans leurs envolées sonores les joyeux Alléluia de la Résurrection, le paysan revêt ses plus beaux habits, Pâques est l'une des plus grandes fêtes de l'année et il ne manque pas de la célébrer dignement. Pâques c'est aussi, c'est surtout la fête des auxiliaires du curé de la paroisse : bedeau ou sacristain et « clergeots » voient arriver avec joie le retour du renouveau, de Pâques neuves. La cueillette des oeufs, le « Pâqueret », c'est pour eux les étrennes et pas un n'oublie la coutume.
108 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
A l'origine, en Normandie, et notamment flans les paroisses dont nous nous occupons, les vieux registres des fabriques en font foi, la cueillette des teufs de Pâques, le « Paquage », se faisait au profit des églises. Les trésoriers ou marguilliers allaient de maison en maison recueillir les offrandes en nature, que l'on vendait ensuite aux enchères: le produit de cette vente était versé dans le trésor de la fabrique. Peu à peu cet usaire fut abandonné; mais le sacristain et les clercs ne le laissèrent point tomber en désuétude, et ils se mirent à quêter pour leur compte.
Les « cueilleux » d'o'ufs de Pâques s'en allaient à. travers les ruelles des villages, puis poussant le « pothuit », entrant dans la masure, ils pénétraient dans la maison, et tandis que le bedeau aspergeait eonscicnciensemenHesmurs de la salle, la fermière puisait dans sa provision d'o-ufs el en mettait quelques-uns dans le panier des quêteurs. Les clercs entonnaient alors de leurs voix enfantines les chansons de quête d'allures frustes et un peu nidimentaires, mais dont les images naïves ont une grâce pénétrante. Puis de cour en cour, de, hameau (>n hameau, la tournée continuait : chaque demeure, riche ferme ou humble chaumière, recevait successivement la visite des « cueilleux » qui, le panier rempli sous le bras, rentraient le soir chez eux en lançant aux échos de la plaine les refrains de leurs chansons.
Si Pâques marque l'arrivée des beaux jours. « si l'hiver est déjà derrière », c'est siirlont le mois de mai qui est le temps de l'amour et des tleurs.
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De tout temps le premier mai a été l'occasion de l'êtes et de manifestations, qui n'affectaient pas comme de nos jours un caractère de revendications sociales... Aux siècles passés, il n'était guère question de luttes de classes dans les campagnes, et si nos paysans chômaient, c'était seulement pour revendiquer leur droit au repos et au plaisir et pour célébrer le retour du printemps qui ramenait avec lui tout un cortège embaumé de fleurs et les rustiques réjouissances qu'empêchaient les heures moroses de l'hiver.
Alors que jadis à Paris les clercs de La Basoche s'en allaient processionnellement couper dans la forêt de Bondy des arbrisseaux verdoyants qu'ils revenaient planter dans la cour du palais de justice, où il y avait le soir représentation d'une cause amusante, spectacle attrayant qui attirait les Parisiens; alors que dans le Dauphiné la fête des mais était l'objet de cérémonies étranges; alors qu'à Évreux, les chanoines, suivis du peuple, s'en allaient couper des palmes dans les bois et qu'au retour de cette sortie on se jetait à la ligure du son en guise de confetti, dans nos campagnes les réjouissances du premier mai comprenaient, au XVIIIe siècle comme au Moyen âge, la plantation solennelle d'un arbuste arraché àla forêt voisine et des danses publiques; ou bien encore, notamment à Tourvillela-Campagne, les trésoriers de la Fabrique plaçaient une couronne garnie de fleurs au bout d'une perche fixée dans l'if séculaire du cimetière (1).
(1) Cette coutume existe encore aujourd'hui, et le 5 mai, jour
110 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
En outre une coutume galante, dont il reste encore aujourd'hui quelques traces, voulait que pendant la nuit du trente avril au premier mai les amoureux plantassent sous la fenêtre de leurs fiancées des branches d'arbres ornées de rubans. Ces branches, ces « mais », étaient choisies avec soin; ils emportaient avec eux une signification qui ajoutait à la bonne renommée de celle qui en était l'objet ou pouvait lui causer un grave préjudice. Un jeune homme négligeait-il de fleurir la fenêtre de sa promise, les commentaires les plus désobligeants allaient leur train. Au lieu d'y déposer une gerbe parfumée de lilas ou même une branche de bouleau, y plaçait-il un bouquet d'aubépine, c'était le signe certain d'une rupture, parce que, disait-on, celle dont il avait voulu faire sa compagne avait le caractère difficile et « pointu comme une épine ». Y mettait-il une branche de sureau, de « sue », cet hommage ironique voulait dire que la jeune fille avait le « bras creux » et détestait le travail, en un mot que c'était une « calleuse » (lj. Aussi, quand arrivait le renouveau, certaines jeunes filles craignaient-elles de trouver à leur fenêtre le bouquet d'épines ou la branche de sureau qui les eussent exposées aux rires et aux moqueries et s'efforçaientelles de se montrer ardentes à l'ouvrage, peu coquettes et d'humeur toujours égale.
Comme le mois de mai, juin avait sa grande fête
de la fête de saint Ouen, patron de la paroisse, on place une couronne fleurie sur l'if du cimetière. (Il Paresseuse.
2e JOURNÉE, 24 SKPTEMBRE. 111
populaire, la Saint-Jean. Filles et garçons enroulaient autour d'un cercle quelques feuillages et quelques fleurs et attachaient cette couronne primitive à une corde tendue au-dessus de la rue et le soir venu les danses s'organisaient au-dessous de la « couronne de saint Jean ». Ces danses étaient plutôt des rondes, c'est-à-dire de véritables danses chantées sans accompagnement d'instruments ; le rythme y était marqué d'une façon particulière et c'est sur lui que se réglaient les jeunes gars et les jeunes filles formant la ronde, pour balancer leurs bras en avant ou en arrière, pour s'avancer vers le centre ou s'écarter vers la circonférence, ou tourner avec plus ou moins de rapidité. Généralement un seul chanteur lançait le couplet et tous les autres reprenaient en choeur le refrain de ces chansons pittoresques. Quand on avait bien dansé et bien tourné, on jetait sous la couronne des bourrées de brindilles ou d'ajoncs et l'on faisait un feu de joie ou « caudiot » (1) autour duquel on dansait encore jusqu'à ce qu'arrivât l'heure du repos.
Vers la fin de juin arrivent les travaux des champs, on ira bien encore le dimanche aux assemblées, on dansera sous l'orme, mais ce n'est qu'aprèsla moisson et lorsque sera accompli ce « grand acte de la vie rurale qui est pour ainsi dire le dernier tableau de tout un drame de travail qui depuis des siècles se joue chaque année », que se réuniront les paysans en de grandes réunions, prétextes à plantureux repas, ce n'est que lorsque la dernière gerbe sera
(1) Du latin gaudium.
112 SliSSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
rentrée dans la grange que l'on fêtera la « repassée d'août », la passée d'août, ou mieux, d'après Ducange, la pareie d'août. Ce sera alors la véritalde fête de l'homme des champs ; si la récolte est lionne, s'il y a « pommes au pommier », on mangera bien, on boira ferme, on chantera à plein gosier à la fin de ce repas plantureux.
Mais la moisson finie, l'automne s'avance à grands pas, le mauvais temps empêche les réunions champêtres, c'est alors que s'organisent les veillées, qui durant l'hiver réuniront aulour du foyer les habitants de la maison et leurs proches voisins, on ira chez l'un et chezl'aulre tour à loin', et là, à la lueur vacillante du foyer et de la chandelle, au bruit des rouets et des métiers, pendant que les vieillards raconteront les légendes des sorciers, des enchanteurs et des fées; le dimanche, on fera une partie de dominos ou de trictrac \\). on redira les vieux noëls ou les ariettes d'autan, entre deux chansons s'ébaucheront des projets de mariage, et au printemps, lors du renouveau, le village comptera quelques ménages de plus.
(1)1 trictrac garni d'ivoire (N'ot. de Tourville-la-Oanipaene, Inv. du A") septembre 17(i"ii.
2* JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 113
CHAPITRE V Moeurs et Coutumes. — Croyances et Superstitions.
« Frivolité, sécheresse, élégance railleuse, hardiesse spirituelle, voilà les traits sous lesquels nous nous représentons volontiers les moeurs du XVIIIe siècle. La société d'alors, telle qu'on l'imagine, tomhe en ruines sous les festons et les guirlandes qui la décorent. De la famille il ne reste, dit-on, que le mot; le mariage est l'association de deux indifférences... Les enfants poussent comme ils peuvent, bientôt ils deviennent gênants, les parents s'en débarrassent » (1).
Si tel était, à la fin de l'ancien régime, le spectacle que présentait un petit inonde spécial de privilégiés, il y ayait, au-dessous de la brillante corruption de la Cour, dans les profondeurs de la nation, tout un peuple honnête, laborieux, force et grandeur véritables du pays ; chez les bourgeois et les artisans des villes et plus encore chez les habitants des campagnes d'inépuisables trésors de vertus roturières se conservaient intacts à l'abri du foyer domestique (2).
Quesnay fils écrivait d'ailleurs: « En pénétrant dans les maisons des laboureurs, on peut admirer encore la droiture, la foi conjugale, une religieuse
(1) Lectures pour tous. Paris, Hachette, 6e année, novembre 1903, p. 115.
(2) Lectures pour tous^ loc. cit.
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114 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
simplicité » (I), et les auteurs du XVIIIe siècle, s'ils avaient à censurer la corruption des villes, ne manquaient pas de mettre en opposition les moeurs simples et vertueuses des campagnes.
« La réalité, dit M. Babeau, et nous partageons son avis, la réalité ne confirme pas toujours ces antithèses; elle nous fait voir des familles vertueuses dans les cités comme dans les villages; elle ne nous montre pas dans toutes les familles rurales toutes les vertus édifiantes dont l'idylle les a parées, mais elle nous permet de constater chez beaucoup d'entre elles le maintien des traditions de sagesse, de patience, de travail et de foi religieuse qui, dans les époques sombres de leur existence, avaient été leur force et leur soutien » (2).
On a beaucoup médit des Normands, et nous verrons par la suite ce qu'il faut penser de la réputation qu'on leur a faite, mais ce qu'on ne peut nier, c'est que chez nos paysans l'amour de la famille, le respect dû aux parents s'étaient conservés. Au XVIIIe siècle, la famille reste groupée sous l'autorité du père qui en est le chef incontesté. Il est le maître et il sait se faire respecter ; s'il lui arrive quelquefois d'être un peu vif dans ses réprimandes, s'il est même brutal vis-à-vis de ses enfants, ceux-ci ne l'en aiment pas moins, car ils savent et ils comprennent que s'il agit ainsi, c'est pour maintenir le bon renom de la famille, c'est pour faire d'eux des gens honnêtes et laborieux.
(1) Encyclopédie, xiv-39, v° Fermiers.
(2) A. Babeau : La vie rurale, p. 240.
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C'est également en maître que le chef de famille agit vis-à-vis de sa femme; malgré les efforts du clergé, il est resté sur ce point un peu comme les peuples primitifs, et trop souvent il ne la considère que comme son humble servante. Sans doute nos paysans ne vont pas, comme les Berrichons, jusqu'à déplorer « l'inutilité presque entière de cette moitié de l'espèce humaine » (1), mais, au XVIIIe siècle, la femme n'a pas toujours au foyer domestique la place à laquelle elle a légitimement droit, et quand il y a une grande réunion, alors que le maître est placé au haut bout de la table, la femme est reléguée à l'autre bout, à peine prend-elle part au festin, son rôle est de servir les convives.
Aussi, contrairement à ce qui se passe dans les villes, le mariage pour les filles de la campagne, loin d'être le début de leur émancipation est alors le commencement d'une vie d'assujettissement qui met fin à la liberté relative dont elles ont joui jusque-là. Il faut renoncer à la danse, aux jeux, aux divertissements avec les garçons (2). La femme ne doit plus danser qu'avec son mari, qui n'est pas toujours d'humeur à se livrer à ce plaisir.
Toutefois, les noces n'en étaient pas moins les plus grandes réjouissances de la famille, et l'on s'y préparait longtemps à l'avance. Nous regrettons de ne pouvoir reconstituer d'une façon même approximative le cérémonial suivi pour les fiançailles et
(1) Collection des procès-verbaux de l'assemblée provinciale du Berry, n-164.
(2) A. Babeau : La vie rurale, p. 247.
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le mariage ; comment se faisait la demande ? comment se passaient les noces? Y simulait-on, comme dans certaines contrées, cet enlèvement qui avait été le mariage des peuples primitifs ! Les renseignements nous faisant défaut, nous ne saurions rien dire de précis à cet égard, mais, ce que nous savons, c'est que le mariage, dans bien des cas, était devenu un véritable contrat. Le père et la mère recherchaient surtout dans celle qui devait être leur bru des qualités solides ; ils la voulaient forte, laborieuse, économe et possédant une fortune assortie à celle de leur fils. De son côté, la jeune fille, lorsqu'il s'agissait de choisir un époux, de « s'établir », comme on disait alors, préférait souvent aux avantages physiques une bourse bien garnie ; elle aimait mieux un homme ayant du bien au soleil, fût-il beaucoup plus âgé qu'elle, qu'un beau garçon qui n'avait rien et elle eût volontiers chanté cette chanson picarde :
De gros Guillot je ne veux poent, J'ai bien plus quère gros Leurent Qui a deux journeux de terre, Eune vaque et deux juments Et six glennes pondoères (1).
Il arrivait que les âges n'étaient pas toujours aussi bien assortis que les dots, les mariages de raison étaient beaucoup plus fréquents que les mariages d'inclination.
(1) Gazier : Lettres à Grégoire sur les Patois de France. p. 268.
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Le mariage comportait deux cérémonies bien distinctes, l'une les fiançailles, les « accords », qui se passaient en présence des parents les plus proches et des amis intimes; l'autre, les noces où l'on conviait tous ses parents et ses amis.
On connaît le célèbre tableau de Greuze, « L'accordée de village », le peintre a su reproduire d'une façon magistrale la scène du contrat et l'émotion naïve et sincère qui s'en dégage ; la mère retient encore par la main sa fdle aînée qu'elle va marier, le père tend les bras à l'honnête garçon qui va devenir son gendre. Les fiancés semblent embarrassés de leur bonheur, tandis que les enfants s'attristent d'une séparation prochaine ou admirent le spectacle rehaussé par la présence du notaire qui rédige le contrat, « pour parvenir au traité de mariage qui, au plaisir de Dieu, sera fait et célébré en face de notre mère sainte Église catholique, apostolique et romaine, aux usages et coutume du pays de Normandie ». Le tabellion constate dans son acte la promesse réciproque des futurs de se prendre pour légitimes époux, il décrit les apports en mariage de la future et stipule le douaire et le préciput auxquels elle aura droit. Puis le contrat signé, l'on se met à table et l'on boit à la santé des « promis ». Le jour des accords, la jeune fille fait son apprentissage de maîtresse de maison et doit servir à table.
Quelques jours après, c'est le mariage, les parents et les amis se sont réunis; de la demeure de la fiancée, on se rend, aux sons du violon, à l'église où le prêtre va consacrer l'union.
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Après la bénédiction nuptiale, le cortège, toujours aux sons du violon, se rend chez le marié, « le bruinent ». C'est là que doit avoir lieu le repas. Le nouveau chef de famille reçoit chez lui, et comme il doit faire les honneurs de sa maison et veiller à ce que chacun ne manque de rien, il ne prend que peu de part au festin et s'occupe à remplir les verres des convives. La place d'honneur appartient à la mariée, elle a auprès d'elle ce que nous appellerions aujourd'hui sa demoiselle d'honneur, sa « Courtinièrc », qui ne la quitte pas. Le repas se poursuit au milieu des propos un peu gaulois des invités et quand arrive le dessert, le plus jeune des assistants se glisse sous la table et prend ou feint de prendre les jarretières qui ont été données à la « bru » par ses compagnes. On coupe ces jarretières en morceaux et chacun en pare son habit. Enfin, quand le repas a pris fin, quand on a bien mangé, bien bu et bien chanté, Ton se livre au plaisir de la danse. Il arrive aussi qu'au dessert, des jeunes gens qui n'ont point été invités se présentent dans la salle du festin pour demander le « riballet », ils chantent des couplets de circonstance et ils offrent un bouquet à la mariée qui, en retour, les invite à s'asseoir à la table, on se serre un peu, les nouveaux convives mangent de la galette arrosée de gros « hère » et viennent ensuite renforcer le groupe des danseurs.
Enfin, la danse finie, les jeunes filles mettent la mariée au lit, non sans opposition de la part des garçons qui font en outre subir mille épreuves au « brument » avant de lui permettre de rejoindre la bru.
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Le lendemain les jeunes époux s'installent dans leur ménage et constituent une nouvelle famille ; ils sont maintenant « hors de pain et pot », ils cessent d'être nourris par leurs parents. « A partir de ce moment, la vie sérieuse commence, c'est la lutte incessante pour l'existence, en attendant la lutte pour la conquête de l'aisance que tous ne sont pas assez heureux pour entamer » (1). Pendant que le mari s'occupe au dehors, la femme s'occupe à la maison, prépare les repas, soigne les bestiaux, file sa quenouille, élève les enfants. Ceux-ci au XVIIIe siècle, du moins dans la contrée qui nous occupe, sont assez nombreux, les paysans en général ont S ou 4 enfants, souvent plus, et la moyenne de cinq âmes pour un foyer, qui sert de base aux recensements, est parfois au-dessous de la réalité. Chez les fermiers, lorsque les enfants arrivent en âge, ils aident le père dans les travaux des champs et lui permettent ainsi de se passer d'auxiliaires étrangers ; mais aussi nous devons constater que chez les manouvriers, alors que les enfants sont en bas âge, la vie est pénible et la misère règne souvent au foyer, dans ces temps où l'assistance publique n'existe point, ou pour ainsi dire point, dans les campagnes.
Nous avons dit plus haut que l'on avait beaucoup médit des Normands, on les a parfois représentés comme des gens égoïstes, chieaniers et processifs ; on s'est plu à exagérer leurs défauts sans faire ressortir leurs qualités.
(1) A. Babeau: La vie rurale, p. 252.
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Il y avait chez notre paysan du XVIIIe siècle une faculté de compréhension assez étendue, beaucoup de chaleur dans la discussion de ses intérêts privés, un calme et une ténacité remarquables dans celle des intérêts publics. Ne se laissant pas emporter par l'engouement, il savait résister aux entraînements et opposer la force d'inertie aux ordres de l'autorité quand il trouvait qu'ils lui étaient préjudiciables. Il avait par-dessus tout, sous des dehors un peu frustes, cette qualité peu brillante mais solide que l'on appelle le « bon sens». Sans avoir la taciturnité des peuples du nord, ni la loquacité des méridionaux, il savait exposer avec netteté, souvent avec adresse, toujours avec logique, les idées qu'il avait conçues ; avec beaucoup de finesse dans le caractère, ses relations était réservées et ce n'était pas facilement qu'il livrait ses secrets. Quant à l'humeur processive, cette imputation semble au premier abord pouvoir se justifier ; il était des paysans pour qui la parole donnée était lettre morte ; s'ils ne disaientpas: « verba volant, scripla marient », ils se servaient d'une expression plus grossière, empreinte de ce mépris de la femme dont nous parlons plus haut, et savaient répondre à ceux qui n'invoquaient que les engagements verbaux : « Les écrits sont des mâles, les paroles sont des femelles ». Nous aimons à croire que cette façon de se dégager et de répudier les engagements pris n'était qu'une exception regrettable; il est certain d'autre part que notre villageois n'aimait point à être lésé dans ses intérêts ; s'il avait des droits, il savait les faire valoir. Voulait-on le dépouiller, il n'hésitait pas à
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avoir recours aux tribunaux, quelque puissant que fût son adversaire.
Si l'extérieur avait quelque chose de rude, le coeur était généralement bon, et nos paysans, avec le respect de la famille dont nous avons parlé, avec le culte des morts qui leur faisaient orner pieusement, aux Rameaux et à la Toussaint, les tombes de ceux qui n'étaient plus, avaient des moeurs assez sévères ; les scandales étaient rares dans nos campagnes, où tout se passe au grand jour, où les maisons sont pour ainsi dire de verre ; s'en produisait-il, une sévère répression arrivait aussitôt, et l'opinion publique stigmatisait celui ou celle qui avait causé ce scandale.
On a reproché aux habitants de nos campagnes un défaut malheureusement trop répandu aujourd'hui : nous voulons parler de l'ivrognerie. L'alcoolisme, qui semble régner en maître dans certaines contrées et fait en Normandie de si terribles ravages, avait-il beaucoup de fidèles? Nos paysans du XVIIIe siècle s'adonnaient-ils à la boisson? Nous avons vu que dans les grandes circonstances, dans les repas de noces ou de confréries, dans les fêtes de la famille, on buvait ferme: les.Normands sont « grands beuveurs en leurs festoiements et grand chières se font par boyre », disait un géographe du XVIe siècle (t), et sous Henri II on comptait à Rouen 91 tavernes (2). A cette époque, comme
(1) Voyez Baudiïllart : La Normandie. Passé et présent, p. 23.
(2) H. Leroy : L'alcoolisme, sa prévention et sa répression en droit pénal. Paris, Rousseau, 19(10, p. 48,
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au XVIIe siècle, l'ivrognerie paraît avoir été surtout l'apanage de la bourgeoisie, l'ivresse était alors de bon ton ; ce n'est que vers le XVIIIe siècle qu'elle descend dans le peuple et se pénètre dans les campagnes (1). Mais nous croyons pouvoir dire que nos paysans, lorsqu'ils se livraient au plaisir de boire, buvaient surtout du cidre ; s'ils consommaient parfois du vin, l'eau-de-vie ne régnait pas en souveraine maîtresse et l'alcoolisme était loin d'être aussi répandu que de nos jours.
Enfin et pour nous résumer, nous pensons que malgré leurs défauts nos paysans étaient restés « gens forts et hardis en bataille, courtois en parler, honnestes en habits, piteux de cueir et vivant bien avec les autres nascions » (2), et que l'on pouvait dire d'eux ce que le Dr Rigby disait du paysan français en général : « Travail, contentement et bon sens sont les principaux traits de son caractère » (3).
Le caractère un peu brusque du paysan s'était en effet modifié à la longue sous des influences diverses et plus particulièrement sous celle du clergé des campagnes.| Nos villageois étaient profondément attachés à la religion de leurs pères et ils n'étaient pas sourds aux observations de leur curé. Catholiques pratiquants (4), ils ne faisaient
(1) H. Leroy: L'alcoolisme, p. 49. — Tainc : Origines de la France contemporaine. L'ancien régime, p. 401.
(2) Le Livre des propriétés et des choses, pablié sous Charles V. Voy. Baudrillart : La Normandie. Passé et présent, p. 23.
(3) Dr Rigby's : Letters from France, p. 147.
(4) En 1775, l'abbé Godivier, curé du Gros-Theil, écrivait à son archevêque qu'il existait dans sa paroisse 1300 âmes dont
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pas d'actes un peu importants sans appeler les bénédictions du ciel sur ce qu'ils allaient entreprendre. Les testaments, les contrats de mariages sont placés sous l'invocation de la Sainte Trinité et commencent par ces mots : « In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti » ou « In nomine Domini ». Au bord des chemins, dans les carrefours, ils dressaient des croix et des statues, buts de nombreux pèlerinages. L'église était le centre des joies et des douleurs de la paroisse ; les cloches sonnées en volées annonçaient les baptêmes, les premières communions, les grandes fêtes religieuses et les processions où tout le monde se rendait en foule ; venaient-elles à tinter le glas funèbre, chacun se signait pieusement.
Les villageois aimaient leur église et s'intéressaient à tout ce qui la concernait ; ils s'efforçaient de l'embellir et nombreuses sont les fondations faites à cette époque au profit des fabriques, des chapelles et des confréries. Nombreux aussi sont les legs faits « pour la rémission de leurs péchés » par les paysans qui se voyaient sur le point de descendre dans la tombe. D'ailleurs, quand il s'agissait de messes, de funérailles, de services religieux, le villageois, lui qui souvent récriminait contre la dîme, lui qui connaissait si bien le prix de l'argent, payait sans marchander. Il vivait, du reste, la plupart du temps en fort bonne intelligence avec son curé ; celui-ci, issu du peuple et plus instruit que ses
800 « paschalisants ». — Monographie de laparoisse de SaintGeorges-du-Theil, par l'abbé G. Heullant, p. 139.
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paroissiens, savait comprendre leurs aspirations et leurs besoins, il savait se mettre à leur portée et les guider de ses conseils dans leur lutte incessante contre le pouvoir central, contre la noblesse et même contre le haut clergé. Aussi son influence était grande, ses décisions étaient respectées et souvent il lui était donné de remplir avec succès l'office de juge et de médiateur, comme le faisait l'abbé Godivier, curé du Gros-Theil, dont nous parle M. l'abbé Heullant.
« Dans son manoir presbytéral, il rendait la justice à sa façon, mais toujours avec une grande droiture, apprenait-il que quelque méfait eût été commis dans la paroisse? Vite il mandait chez lui les personnes accusées ou même soupçonnées... Là, il interrogeait en vrai juge d'instruction, instruisait la cause, puis punissait les coupables. C'étaient dos aumônes qu'il fallait verser pour les pauvres, ou parfois des coups de cravache qu'il administrait lui-même d'une façon bien exercée, paraît-il. Quoi qu'il en soit de cette forme sommaire de procédure, il faut reconnaître que l'abbé Godivier a su éviter bien des procès et est parvenu à faire réparer bien des injustices... L'abbé Godivier ne se contentait pas d'exercer la justice, il faisait la police ; il veillait surtout à ce que la loi concernant la fermeture des cabarets pendant les offices fût observée, et maintes fois on l'a vu s'absenter du choeur en surplis et en étole, sortir par la grande porte, entrer au cabaret de l'hôtel du Cheval-Blanc et verbaliser contre les délinquants. Aussi les rares jeunes gens qui enfreignaient la loi avaient-ils
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l'oeil ouvert et l'oreille au guet, et, à la moindre alerte, s'échappaient-ils par la poterne du fond de la cour... » (1).
Malgré son influence, le clergé du XVIIIe siècle n'avait pu détruire certaines pratiques empreintes de superstition que le clergé rural du Moyen âge et même du XVII 0 siècle avait, sinon partagées, du moins souvent tolérées et même encouragées.
Le paysan, peu éclairé, croyait que l'eau bénite avait plus de vertu si elle était conservée dans un vase d'une forme déterminée, et que les charbons provenant des feux de la Saint-Jean étaient un préservatif contre le tonnerre ; il pensait qu'il existait des maléfices pour rendre les bestiaux malades, les juments stériles et pour porter à toutes les actions de la vie un tel malheur que rien ne pouvait réussir aux infortunés que le sort avait frappés. La branche de buis que le prêtre plaçait sur la croix du cimetière lors de la procession des Rameaux, passait pour un instrument de calamités entre les mains des gens malintentionnés, et l'on consultait les sorciers pour conjurer le mauvais sort et se procurer un talisman.
Nous ne saurions rappeler tous les préjugés issus de ces croyances populaires, mais il est une coutume, qui s'est d'ailleurs perpétuée et que nous ne pouvons oublier de mentionner. Le paysan, dont la religion n'est pas toujours désintéressée, ne manquait pas d'invoquer certains saints pour des causes
(1) L'abbé C. Heullant : Monographie de la paroisse de Saint-Georges-du-Theil, p. 137-138.
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déterminées. Dans notre contrée, comme dans le centre de la France (1), on appelait « mal de saint » la maladie dont un saint pouvait guérir, et l'on faisait des pèlerinages à certaines statues déterminées. Ces pèlerinages pouvaient être faits soit par le malade lui-même, soit par quelqu'un de sa famille, soit même par un étranger, que l'on payait à cet effet. La condition essentielle pour que he pèlerinage fût efficace était que tous les frais du pèlerin et les honoraires de la messe que l'on faisait dire le jour du pèlerinage fussent payés avec de l'argent provenant de la charité publique. Nous avons relevé parmi les saints les plus en honneur dans notre contrée au XVIIIe siècle : saint Ursin, dans l'église de La Haye-du-ïheil, pour la guérison de la « quinte » ou toux des enfants et des douleurs d'entrailles, saint Loup, à la chapelle du manoir de Chantelou, pour la guérison des fièvres, saint Félix et saint Auct (dont on avait fait saint Chaud) à Elbeuf, pour celle des sueurs et faiblesses, saint Eutrope, à Surtauville, pour celle de l'hydropisie ; on invoquait aussi saint Clair, à Thuit-Signol, pour les maladies d'yeux, saint « Mein » (2), à Criquebeuf, pour les ulcères et blessures aux mains, sainte Véronique, au Bec-Thomas, pour les pertes, même d'argent, saint Martin, à Saint-Martin-laCorneille, pour le « carreau », saint Mamert, à Caudebec-les-Elbeuf, pour les maladies des femmes, saint Nicolas, à Saint-Didier-des-Bois, contre les
(1) A. Babeau: La vie rurale, p. 289.
(2) Probablement saint Méen.
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fièvres, saint Gilles, à Saint-Aubin-Jouxte-Boulleng, contre la peur, saint Vincent, à Freneuse, pour la guérison des convulsions, saint Onuphe, à Tostes, pour celle des douleurs rhumatismales, saint Sec('?), au Neubourg, pour les enfants chétifs ; on priait saint Cyr, à Saint-Gyr-la-Campagne, et saint Laurent, à Bourgtheroulde, pour délivrer les enfants des maux qu'ils avaient sur le visage, et Ton s'adressait à saint Maur, à La Saussaye, pour la délivrance des agonisants.
CHAPITRE VI
L'Instruction — Les Lumières.
Malgré les efforts du clergé, beaucoup de villageois étaient jusqu'au XVIIIe siècle restés rebelles à toute culture intellectuelle ; « la vie matérielle les dominait au point de laisser peu de place aux impressions morales. Fatigués par le travail, ils ne voyaient rien au delà de l'horizon restreint du territoire où s'était passée leur existence. Les enseignements supérieurs rencontraient aussi des obstacles dans les traditions mal définies et dans les préjugés héréditaires qui s'étaient perpétués dans les
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campagnes alors que depuis longtemps ils avaient disparu dans les villes » (1).
Comme Fa fait remarquer M. Baheau (2), les traditions se perdent et se conservent mieux qu'ailleurs dans les campagnes qui n'ont aucune histoire propre, leurs annales n'ayant généralement point été recueillies. D'anciens usages subsistent sans qu'on en connaisse encore le sens et l'origine, certaines dénominations de lieux rappellent des faits totalement oubliés. Les champs dans lesquels travaillent les laboureurs portent des noms dont la véritable signification leur échappe fort souvent. Combien en est-il qui savent pourquoi tels triages s'appellent « le Querville, Hermafosse ou le Perrcy », pourquoi tels autres sont désignés sous les noms de « Mont de Fourches, le Champ de la Mort, la Moutte ou le Champ Dolent? » (3) Les traditions orales ne remontent guère qu'à la troisième ou à la quatrième génération, encore faut-il qu'il s'agisse de calamités
(1) A. Babeau : La vie rivale, p. 297.
(2) Ibid., p. 298.
(3) Querville, Qucrcus — villa (commune deTourville-la-Campagne). — Hermafosse, Hermès — fossa (commune de Tourvillela-Campagne). — Le Perrey tire son nom d'une voie romaine qui passait à cet endroit (commune de Thuit-Simcr). — Le mont de Fourches (commune de Tuurvillc-la-Campagne) indique la présence d'un gibet ou fourches patibulaires. — Le champ de la Mort (commune de Saint-Uermain-de-Pasquier) rappelle un combat sanglant. — Le champ Dolent (commune de Thuit-Anger) a la môme signification. — La Moutte (commune de La Haye-du-Theil| indique qu>n cet endroit se trouvait jadis une motte ou forteresse.
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publiques ; les événements heureux s'effacent bien plus vite de la mémoire.
Des usages antiques, inspirés par d'anciennes croyances religieuses ou issues du paganisme, s'étaient transmis de générations en générations, subissant avec le temps des transformations multiples et perdant peu à peu leur sens primitif.
En dehors du gui l'an neuf et des feux de la SaintJean, dont nous avons parlé, nos paysans avaient conservé d'autres traditions celtiques. Telle est la vénération pour les fontaines et les arbres sacrés que le christianisme avait mis sous le patronage de saints et vers lesquels on se rendait en pèlerinage. Telle est aussi la vénération ou la crainte qu'inspiraient les légendes concernant les pierres druidiques, «menhirs ou dolmens » qui existaient dans la région.
Nos paysans croyaient aussi aux fées, aux lutins et aux sorciers ; comment d'ailleurs n'auraient-ils pas cru à la sorcellerie alors que les magistrats les plus éclairés témoignaient de cette croyance en condamnant jusqu'au milieu du XVIIe siècle ceux qui étaient accusés de se livrer à ces pratiques ?(1) et ils étaient persuadés qu'il existait des sorciers, qui allaient au sabbat et avaient le pouvoir de jeter des sorts.
Cette crédulité les faisait s'adresser à des « guérisseurs » plutôt qu'aux médecins lorsque quelqu'un d'entre eux était malade. Ces guérisseurs avaient des remèdes pour toutes les affections ; il leur suffi) A. Babeau ; La vie rurale, p. 301.
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fisait de prononcer certaines paroles mystiques et de faire usage de talismans; il existait aussi des pratiques spéciales et des prières appropriées pour guérir les animaux, et il n'est pas rare de retrouver dans quelques greniers ou dans le fond des placards, des exemplaires jaunis par l'usage du « grand ou du petit Albert », contenant les « secrets » propres à ces guérisons.
Ces petits livres, apportés par les colporteurs, étaient bien accueillis dans les campagnes ; peutêtre l'étaient-ils mieux que les autres brochures qu'ils portaient dans leurs balles ? Les livres sont rares dans les villages à cette époque, les inventaires dressés chez les laboureurs n'en font presque jamais mention, et lorsqu'il s'en trouve, les titres ne sont malheureusement pas toujours indiqués. La bibliothèque du paysan était très rudimentaire ; les mieux montées ne devaient comprendre que quelques livres de piété, quelques ouvrages de médecine on de chirurgie (1), quelques alnianachs et un ou deux recueils de cantiques et une civilité ("2j ; et il n'y a pas lieu d'en être surpris
(1) « La médecine des pauvres » (Xot de Tourville-laCampagne, lnv. du 12 juin 1702): « plusieurs livres réclamés par le sieur Picard, tuteur, pour lui appartenant comme étant médecin » |Xol. de Tmirville-la-Campagne. lnv. du 12 avril 177'i) : « (i petits livres de très peu de valeur » (Not. de Tourville-la-Cam pagne, lnv.'du 1" février 17"iit) ; « 5 vieux livres de piété » (lnv. du lli novembre 1772).
(2) Dans un inventaire dressé après le décès d'un marchand, nous trouvons : « (5 petits livres de piété, 5 petites pensées chrétiennes, 6 livres tant psautiers qu'instructions chrétiennes' 12 petits livres tant civilités que catéchismes, 8 petits livres de
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puisqu'à cette époque, chez les gens instruits, nous ne trouvons que fort peu de livres. Chez les curés il n'y a point d'ouvrages de littérature (1), et chez
cantiques, 2 douzaines do eUéchismes, ô paires d'heures » (Not. de Tourville-la-Campagne, 19 janvier 1770).
(1) « 1 petit livre couvert en parchemin, intitulé « Ganones et Décréta Concilii Tridentini ; 1 autre in-4° relié en veau, intitulé Méditations de Bennei'y (?) ; 1 autre petit in-4°, intitulé Les lié petits prophètes traduits en français ; 1 dictionnaire latin couvert en veau ; 1 autre in-12 couvert en veau, en deux parties, intitulé Catéchisme de Montpellier; une bible latine; 1 vol. in-12 intitulé Sermones, tome Vil ; 1 vieux dictionnaire français in-4° sans commencement ni fin ; 1 vieux rituel d'Évreux;
1 catéchisme de Rouen couvert en parchemin ; actes de l'assemblée générale du clergé de France ; if anciens « Étrennes mignonnes » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 13 février 1775 après le décès de M" Lefebvre, prêtre). — « Une tablette à sept étages sur laquelle trouvé les livres ci-après, consistant en : 28 tomes in-4° de l'histoire ecclésiastique de M. l'abbé Fleury ; 4 bréviaires in-4» du diocèse d'Évreux ;
2 vol. in-4° des heures de Concile Jean Genius (?) ; 1 vol. in-4° de la Bible en françois ; 1 vol. in-4» des Méditations de Bennites (?) ; 8 vol. in-12 de Théologie morale ; 4 vol. in-12 des Homélies, de M. l'abbé Monmorel ; 1 vol. in-12 des indulgences et jubilés ; 1 vol. in-12 des Conférences du diocèse de La Rochelle ; 2 vol. iu-12 de la Théologie de T... ; 3 vol. in-12 des sermons du Père Cheminel ; 1 vol. in-12 de l'histoire de la Bible; 1 vol. in-12 du catéchisme des Ordinands ; 2 vol. in-12 des sermons de la Roche : 4 vol. in-12 des prônes de Jolly ; 2 vol. in-12 des prônes du dimanche: 5 vol. in-12 des conférences de Paris, le tout couvert en veau et basane ; 35 vol. de différents formats couverts en parchemin ou basane d'aucune valeur » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. après le décès de Me Toutain, curé de Tourville-la-Campagne, 10 juin 1762). — « La Théologie morale de Grenoble en 8 vol. in-12 ; 5 vol. d'antiphonié du diocèse d'Évreux, in-12 ; le catéchisme de Montpellier, in-8" ; 5 vol.
132 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
les gens de loi, « les praticiens », il n'y a guère que la « Coutume » et des « commentaires de la coutume » (1).
Cependant l'instruction commençait à se répandre dans les campagnes. Dans la plupart des paroisses il existait de « petites écoles » où l'on apprenait à lire, à écrire et à compter. Ces écoles,
d'homélies, même format ; le Chrétien inconnu ; l'Instruction pour les dimanches de l'année ; Pratique des Sacrements : Concile de Trente, en 2 vol. : Conduite des confesseurs ; Instruction catholique ; Médecine des pauvres ; Pensées de Paschal ; Instructions pour le sacrement de Pénitence, tous in-13 reliés en veau ; 1 dictionnaire latin-françois ; abrégé des plus illustres du tiers ordre de saint François ; 4 livres contenant toutes les parties de la philosophie, manuscrits in-8° : 1 petite Imitation en latin; plusieurs autres mauvais livres au nombre de 15 » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. après le décès de M« Delhonime, curé de Saint-Didier-dcs-Bois, ••&"> novembre 171*2). — « 1 petite tablette à livres dans laquelle se trouvent : La vie des Saints, en 4 vol. in-ld ; 1 petit Parc Royal in-'i" :
I otisinal in-'t° ; 1 tome du Bréviaire d'Évreux couvert en veau qui est la partie d'été : 17 vol. couverts en veau, de différentes grandeurs ; 4 vol. in-4° ; '-l vol. in-8° » (Xot. de Tourvilie-laCampagne, Inv. après le décès de M' Le Boulenger, prêtre,
II janvier 1731).
(1) La coutume de Basnage en 2 tomes en veau ; Idem, celle de Kibault, en un tome en parchemin : 1 autre livre intitulé les Ordonnances, Édits et Déclarations sur le fait des Tailles ; 1 autre en veau intitulé Recueil des Édits, Déclarations et Arrêts rendus en faveur des curés et vicaires perpétuels ; 1 autre en veau intitulé Abrégé des matières bénéfîciales à l'usage de l'Église gallicane ; 1 autre en veau intitulé Traité des hypothèques de Basnage ; quelques autres livres de Dévotions réclamés par la d"« veuve comme lui appartenant (Not. de Tourville-laCampagne, Inv. après le décès de Mc Le Camus, avocat à La Harengère, 'il octobre 17(M>).
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que le clergé ou quelques seigneurs avaient fondées, étaient au XVIIIe siècle fort souvent entretenues par les habitants. Le traitement du maître d'école était prélevé sur les revenus du Trésor et de l'Église, et dans bien des cas les habitants, « le général » de la paroisse, en déterminaient le montant (I). Dans beaucoup de paroisses, comme nous l'avons dit, il existait de « petites écoles », mais elles étaient la plupart du temps réservées aux garçons et nous n'avons trouvé que fort peu d'écoles destinées aux fdles. A Amfreville-Ia-Campagne, Me Georges Puchot, écuyer, seigneur et patron d'Amfreville et autres lieux, et Mme Catherine Michel, son épouse, « pénétrés de douleur de l'ignorance des fdles et femmes n'ayant personne pour les instruire », donnèrent en 1717 une « petite maison ou masure » sise à Amfreville-la-Campagne, pour y loger une maîtresse d'école qui devait y
(1) En 1706, à Tourville-la-Campagne, un sieur Pillon remplissait les doubles fonctions de chantre et de maître des « petites écoles » ; il lui était alloué par la fabrique de l'église, pour ces deux emplois, une somme annuelle de 15 livres. Charles Leroy : Tourville-la-Campagne et ses seigneurs, p. 45.
A Gros-Theil, le 13 août. 1752, le général des habitants, réuni sous la présidence du curé, alloue au maître d'école une somme annuelle de 30 livres. En outre, il est décidé qu'il sera payé à ce maître d'école 0 sols par mois pour les enfants qui ne seront pas en état d'écrire, 12 sols pour ceux qui écriront, 15 sols pour ceux qui apprendront l'arithmétique. L'école commencera à !) heures du matin et finira à 4 heures du soir. Le maître doit en ojitre apprendre aux enfants les prières et le catéchisme, et aussi à répondre la messe. Enfin, tant qu'il fera ce qui est raisonnable pour son état, il sera exempté de tailles.
134 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
tenir les « petites écolles des filles seulement ». Cette maîtresse devait être prise parmi les « maîtresses d'écoles charitables de l'Institut de feu le R. P. Barré, définiteur de l'ordre des Minimes, établi à Rouen, rue de l'Épée, et non ailleurs. Les fondateurs assurent une rente de 110 livres pour le traitement de cette maîtresse d'école à la charge de tenir les petites écoles soir et matin les jours ouvrables seulement et d'apprendre gratuitement aux filles et aux femmes qui le désireraient, à lire, à écrire et à prier Dieu, et de leur apprendre le cathéchisme ». La maîtresse pouvait admettre aussi à son école les filles des paroisses circonvoisines, « sans cependant négliger celles des paroisses du seigneur fondateur » (1).
Ces efforts restaient parfois stériles, les détracteurs de renseignement primaire étaient encore nombreux et si tous n'allaient pas jusqu'à vouloir, comme Rétif de la Bretonne, qu'il y eût une maîtresse d'école dans tous les villages, à la condition qu'elle n'apprît pas à lire aux filles (2), beaucoup craignaient qu'en apprenant aux paysans autre chose qu'à lire le catéchisme et à signer leur nom, ils ne devinssent processifs lorsqu'ils sauraient lire ce qui se trouvait dans les contrats. Toutefois, malgré ces obstacles, le désir de s'instruire se manifestait un peu partout et nous avons trouvé dans les nombreux actes qu'il nous a été donné de consulter, la 'preuve que la plupart de nos paysans
(1) Mot. d'Amfreville-la-Campagne, 27 juin 1717.
(2) Rétif de la Bretonne: Les Gynoyraphes, 1777, I, 83.
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savaient au moins signer leur nom d'une façon assez régulière, ce qui témoigne qu'ils avaient mis à profitles leçons d'écriture qu'ils avaient reçues (1). Il en était d'ailleurs parmi eux dont l'instruction était plus complète et qui étaient aptes à remplir les fonctions de syndic, de marguillier, de trésorier ou de collecteur où les appelait la confiance de leurs concitoyens.
Mais, et c'est là un principe indéniable, les pénibles travaux des champs sont peu compatibles avec les travaux de l'esprit, il n'existe point de littérature dans les campagnes. Si quelques artisans nés au village ont pu av&)ir des conceptions assez élevées en mécanique, si d'autres, ouvriers habiles en leur métier, ont délicatement sculpté ces bahuts et ces armoires qui font notre admiration, il en est bien peu parmi nos villageois qui aient produit quelque ouvrage littéraire ou quelque poésie véritablement dignes de ce nom.
Cependant nombreux sont les chants que l'on pouvait entendre dans les campagnes ; en dehors des Noëls, dont la plupart remontent au Moyen âge et que la tradition avait conservés en en dénaturant parfois les paroles, en dehors des chants religieux qui se transmettaient de générations en géné(1)
géné(1) possèdent des écritoires : «1 petite écritoire de cuir bouilli {Not. de Tourville-la-Gampagne, Inv. du 18 j uin 1774) ; 1 écritoire de corne (Ibid., Inv.du 18 avril 1758); 1 écritoire sans cornet (Ibid., Inv. du 14 juillet 1786); 1 petite écritoire couverte en CMIT noir (Ibid., Inv. du30avril 1783) ; 1 écritoire (Ibid., Inv.du 15 décembre 1780); 1 écritoire de faïence » (Ibid., du 3 décembre 1776). — Voy. aussi Appendice: Inventaires de Marchands.
136 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
rations, il existait des chansons sentimentales ou satiriques. Et ces chansons naïves dans leur forme rustique, ces chansons à la rime peu riche, aux vers boiteux, le paysan aimait à les redire, et lorsqu'à gorge déployée il en lançait les gais refrains aux échos d'alentour, il oubliait, pour un instant, les misères de l'existence.
CHAPITRE VII
L'Aisance.
Après avoir rapidement passé en revue les difl'érents éléments de la vie matérielle et morale des habitants du canton actuel d'Amfrcville-la-Campagne au XVIIIe siècle, il nous reste pour terminer cet aperçu à donner quelques renseignements sur leur situation de fortune et leur degré d'aisance.
Notre paysan était-il riche ? était-il aisé ? était-il pauvre ?
A la sueur de ton visage Tu gagneras la pauvre vie
dit la légende mise au bas d'une estampe d'Holbein. « Né pour la peine », telle est la devise qui surmonte une gravure du commencement du XVIIIe siècle représentant un homme de village au
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milieu de ses instruments de travail, de ses bestiaux et de ses champs (1).
Cette estampe satirique dépeint sous des couleurs assez sombres l'existence du paysan, qui ne pouvait reposer en paix que lorsqu'il avait acquitté les impôts et les charges dont il fut trop longtemps accablé.
La condition du villageois du XVIIIe siècle, malgré sa précarité, est meilleure cependant que celle de ses ancêtres ; car, il ne faut pas l'oublier, le sort du paysan fut parfois aussi misérable qu'il est possible de l'imaginer. Il fut un temps où les moyens de culture étaient insuffisants, où la moitié de la terre restait inculte, où la partie cultivée ne donnait pas, à beaucoup près, ce qu'elle pouvait rendre; de là des disettes épouvantables. Des
(1) Cette gravure a été fort bien décrite par M. Babeau (La vie rurale, p.123). « Né pour la peine », c'est ladevi.sequi surmonte une vieille estampe, où le dessinateur a représenté un « homme de village » de la fin du règne de Louis XIV. Ce campagnard, vêtu d'une veste et d'une culotte, porte des bas troués et des sabots. Un fléau est appuyé sur son épaule, tandis qu'une houe et une pioche fourchue sont accrochées sur son avant-bras. Il s'est levé dès l'aurore, comme l'indique le coq perché sur son manteau, avec cette mention : « Réveille-matin de campagne », et il jette du grain à ses poules. Sa journée est d'un petit prix, dit la légende en parlant de la poule ; plus loin on voit le cochon, méprisé et nécessaire ; la vache, si précieuse pour l'homme puisque par son moyen l'on boit et mange; les rûchesj où s'abrite l'abeille. Chacun a part à ses travaux, dit-on. Dans le lointain, le vigneron pioche, le cultivateur laboure, le clocher du village pointe au-dessus du versant du coteau ; enfin l'on aperçoit la chaumière, à la porte de laquelle se présente le collecteur et dont le pignon porte cette inscription : « But des gens de campagne, tailles payées. »
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étendues considérables de landes et de bruyère ne produisaient rien, les courages plutôt que les bras manquant pour les défricher. Les chemins étaient dans un état déplorable, les communications impossibles ; les douanes intérieures paralysaient l'échange des denrées et le blé venait-il à manquer dans une province, on n'en pouvait faire venir de quelques lieues de là (1).
Avec le progrès de la civilisation, la situation s'était peu à peu modifiée ; les moyens de culture s'étaient perfectionnés, la disette était plus rare, et toutefois notre paysan, comme ses ancêtres, ne manquait de faire valoir ses doléances. S'il connaissait peu quel avait été le sort de ses aïeux, « l'homme de campagne » du XVIIIe siècle appréciait le sien et en voyait surtout les mauvais côtés ; sans percevoir nettement les améliorations que le temps avait apportées à sa condition sociale, il voyait surtout le présent et se plaignait, souvent avec juste raison, des corvées qu'il devait faire, des droits féodaux et des impôts qu'il devait acquitter. Il savait cependant que sa petite propriété était bien à lui et qu'il en était le maître, aussi travaillait-il pour rendre sa situation meilleure et multipliait-il ses efforts pour y parvenir, « dans la pensée instinctive que son labeur ne serait pas stérile, malgré l'excès des impôts, malgré les redevances féodales, malgré les effets nuisibles des règlements et des usages » (2).
(1) L. Manesse : Les paysans et leurs seigneurs, p. 259.
(2) A. Babeau : La vie rurale, p. 125.
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Nous pouvons diviser les habitants de nos campagnes au XVIIJo siècle en plusieurs catégories. Au haut de cette échelle sociale, nous placerons les grands propriétaires fonciers, les gros fermiers et certains marchands ; au bas les manouvriers, les ouvriers agricoles, les artisans ; entre les deux, ceux qui composent la majeure partie de la population et en constituent la classe moyenne : les laboureurs.
Le manouvrier, le journalier ou l'artisan étaient souvent propriétaires de la petite masure où ils habitaient, ils avaient, et les inventaires en font foi, un mobilier aussi important que celui des laboureurs, et comme beaucoup de ceux-ci ils possédaient quelque bétail, généralement une vache et un porc (1). Sans doute, parmi ces manouvriers, il en était, comme il en est encore de nos jours, dont la situation était des plus précaire, leur mobilier était aussi restreint que possible, d'aucuns ne possédaient que leurs vêtements et un mauvais lit, et dans les années de disette, lorsqu'ils avaient eu à payer le commis des aides et le collecteur d'impôts, il ne leur restait rien ou presque rien; mais, et nous avons été heureux de le constater, cette situation constitue plutôt une exception et les indigents étaient assez rares dans cette contrée privilégiée où le manque de blé ne se fit sentir qu'à des intervalles assez éloignés, et où l'homme laborieux était assuré de trouver du travail.
Le laboureur, vivant un peu au jour le jour com(1)
com(1) 1 vache, 1 génisse, 1 bourrique, 1 porc » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. Coquerel, tisserand en toile).
140 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
me le manouvrier, était généralement propriétaire ; il cultivait avec sa famille les champs que lui avaient laissés ses pères et quelques acres de terre qu'il tenait en location ; il était heureux quand il parvenait à augmenter son petit patrimoine. Dans sa maison, sous sa remise, « sa loge », étaient déposés ses instruments de travail : sa faux avec ses battements, ses faucilles, sa houe, son pic, sa pioche, sa serpe, sa hache, sa scie, « son sciot », sa bêche, son louchet, son fléau, son « sas à passer farine », ses fourches et ses râteaux, son boisseau « mesure du lieu », sa charrue montée, ses herses, son rouleau, son banneau, sa charrette ou gribanne et son van; il avait une ou deux vaches, une cavale ou un cheval, ou bien encore quelque « beste asine », quelquefois des moutons ou « bestes à laine » ; il possédait en outre un ou deux porcs et quelques volailles.
Il eût vécu tranquille s'il n'eût été harcelé par les tailles, les corvées, les aides, et dans bien des cas on pouvait lui appliquer, comme au manouvrier, cette légende placée au pied de l'estampe dont nous parlons plus haut :
Tous les jours au milieu d'un champ, Par la chaleur, par la froidure, L'on voit le pauvre paysan Travailler tant que l'année dure, Pour amasser par son labeur De quoy payer le collecteur.
Et pour améliorer son sort, il eût fallu, comme le disait Mirabeau, qu'on eût « retiré de dessus son
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territoire ces vampires errants, appelés porteurs de contraintes, archers de corvées... » (1), car si l'impôt n'absorbait pas en entier le produit des récoltes et du travail, du moins il le réduisait dans de trop fortes proportions et rendait l'épargne difficile (2).
Toutefois, notre paysan ne se laissait point abattre, il maugréait bien contre les droits féodaux et les dîmes, contre les mauvais chemins, contre les entraves apportées à l'agriculture ; il voyait d'un mauvais oeil les agents chargés de lui réclamer les impôts ; mais il n'en continuait pas moins à travailler pour arriver à conquérir l'aisance à laquelle il aspirait.
Tous n'arrivaient pas à cette aisance, but de leurs efforts ; en dehors des obstacles que nous venons de signaler, il en était d'autres, et bien que nous soyons partisans de la petite propriété parce qu'elle est, selon nous, une source de prospérité pour un pays, nous devons reconnaître que les morcellements de la propriété, tels qu'ils se faisaient alors jusqu'à l'infini, arrivent à un résultat souvent opposé. Chacun des enfants voulait avoir son lot non seulement dans chacune des pièces de terre laissées par les parents, mais encore dans la masure paternelle, de là des divisions et des subdivisions qui faisaient que les biens de presque tous les laboureurs se composaient de nombreux champs dont les plus grands atteignaient rarement une vergée et que les plus petits ne contenaient que
(1) Le marquis de Mirabeau: L'ami des hommes, I, 127.
(2) A. Babeau : La vie rurale, p. 129.
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quelques perches. On conçoit que dans ces conditions la culture devenait difficile et improductive, et c'est ce qui explique que beaucoup durent vendre le petit lopin de terre qui leur était échu en partage, reprendre le métier de serviteurs à gages qu'avaient exercé leurs pères et aller chercher fortune ailleurs (1).
Nombreux furent ceux qui émigrèrent vers les villes où ils devinrent laquais, coureurs, valets de pied et de chambre, palefreniers, piqueurs, perruquiers, tailleurs, limonadiers, aubergistes, gargotiers ou décrotteurs (2) ; nombreux furent ceux qui, après s'être engagés comme soldats, auraient cru déroger en se livrant au travail des champs après avoir porté l'épée ou le mousquet ; nombreux aussi furent ceux qui, attirés par le luxe et la vie facile des cités, désertèrent les villages ; mais plus nombreux encore furent ceux qui préférèrent l'air pur et salubre des campagnes à l'air vicié des villes, restèrent dans leur "pays natal, et s'efforcèrent d'améliorer leur situation par leur travail et leur industrie.
11 n'était point en effet interdit au paysan d'élever ses espérances au-dessus de sa condition. Si on l'a comparé au boeuf ruminant auquel il suffit d'avoir l'estomac plein pour ronger tranquillement son frein, il relevait quelquefois ses cornes et donnait en regimbant sous l'aiguillon, de rudes coups qui pouvaient faire de larges blessures. D'ailleurs cet
(Il Voy. Appendice : Salaires.
(2) Les intérêts de la France mal entendus, 1706, I, 57, 79.
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animal, s'il avait la patience, n'avait pas l'esprit épais et pesant du boeuf, 11 était capable d'intelligence, s'il avait les moyens de la développer (1).
Cela était loin de lui être impossible, grâce au contact perpétuel du clergé avec les villageois. Une fois dégrossi, civilisé, instruit, le paysan pouvait tout comme un autre arriver aux charges publiques, et si les derniers mainmortables que l'on a vus en France pouvaient s'instruire, quitter la profession de leurs ancêtres et devenir prêtres ou médecins, à plus forte raison les hommes libres, et nos paysans étaient de ce nombre, pouvaient le faire.
A. la longue, ils parvenaient ainsi à arrondir leur petit domaine, et dans la région qui nous occupe, favorisés par la fertilité du sol, il ne leur était pas impossible d'amasser quelques économies ; ils arrivaient à doter leurs filles, dont l'apport en mariage, en dehors des vêtements de « filletage », c'est-à-dire des vêtements qui composaient la garde-robe de jeune fille, comprenait: un trousseau généralement composé d'une douzaine de tous linges, soit : 12 draps, 12 chemises, 12 napperons et 12 serviettes de toile ; un lit de coutil, un traversin, un ou deux oreillers remplis de plume, une couverture de laine, plusieurs habits de laine ou de toile et un grand coffre de bois fermant à clef, renfermant les coiffes, les fichus et les menus linges ; parfois même ils leur constituaient en dot une vache, des moutons,
(1) L. Manesse : Les paysans et leurs seigneurs, p. 260.
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quelques pièces de terre ou une petite somme d'argent (1).
Ce dernier cas est moins rare qu'on pourrait le croire, bien que l'argent monnayé soit en général peu commun dans les campagnes, où les économies sont employées à augmenter le patrimoine. D'ailleurs si les inventaires ne l'ont presque jamais mention d'argent comptant, il n'en faudrait cependant pas conclure qu'il n'en existait point et que le défunt était pris au dépourvu : il était trop prévoyant pour cela. Si Ton voit figurer peu d'argent monnayé dans les inventaires, la raison en est bien simple : il était si facile de le faire disparaître, et, disons-le en passant, cette façon de procéder s'est perpétuée jusqu'à nos jours, soit que l'on veuille se faire la part plus belle, soit qu'on essaie de tromper les exigences du fisc, rares, bien rares sont ceux qui déclarent exactement le montant des deniers dépendant de la succession, et nombreux sont ceux qui commettent ce que, dans le langage du Palais, l'on a appelé « le péché de la veuve ».
Avec l'esprit de patience et la ténacité qui leur étaient propres, nos paysans, grâce à une épargne soutenue, et tout en se plaignant fort, étaient capables d'arriver petit à petit à la conquête de l'aisance. Sans sortir des occupations manuelles, et sans nous occuper des professions libérales, nous les voyons exercer des métiers qui viennent accroître leurs ressources. Beaucoup d'entre eux demandent à
(1) Nous donnons en Appendice quelques-uns de ces apports en mariage pris dans des contrats de différentes époques.
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l'industrie un supplément de revenus ; les uns sont « fileurs de coton », comme au Gros-Theil, d'autres travaillent pour les drapiers d'Elbeuf ou de Louviers, chez d'autres enfin la femme et les filles filent pour elles-mêmes, et quand l'hiver ne permet plus de se livrer aux travaux des champs, le bruit du rouet se mêle au tic-tac du métier à tisser (1). Il en est qui, plus industrieux et plus adroits, sans pour cela renoncer à l'agriculture, exercent un métier ; ils sont charrons, maréchaux ferrants (2), menuisiers, tonneliers, maçons, cordonniers, cabaretiers, meuniers, etc.
Les gros fermiers et les grands propriétaires dont il nous reste à nous occuper rivalisent de luxe ou
(1) « 2 métiers à toile garnis de leurs ustensiles » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. Laloyer (laboureur) du 30 octobre 1700) ; 2 métiers à toile (Ibid., Inv. du 20 août 1700). — Dans la majeure partie des inventaires, il est fait mention d'un rouet à filer la laine ou le lin, et l'abbé Godivier, curé du Gros-Theil dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, écrivait que ses paroissiens étaient tous « fileurs de coton » (L'abbé C. Heullant : Monographie de la paroisse de Saint-Georges-du-Theil, p. 139).
(2) Le maréchal ferrant a d'ordinaire un attirail important, dit M. Babeau (La vie rurale, p. 148). Nous donnons ci-dessous la nomenclature des outils de l'un de ces artisans :
« 1 enclume avec son chouquet, 1 chouquet sur lequel il y a une bigorne, 1 chouquet sur lequel il y a deux outils de fer pour le métier de maréchal, 3 marteaux de fer, 2 petits et 1 gros, 2 paires dé tenailles de fer, le marteau et les tenailles à ferrer, 4 limes (1 plate, 1 ronde, 1 demi-ronde, 1 à trois carres), 1 morceau de fer, 2 fers à cheval neufs, 1 tillard, 2 houes neuves. 1 hache, 1 meule, 1 établi, le soufflet de la forge » (Not. de Tourville-la-Gampagne, Inv. Fouquet, forgeron, 1708).
(Voy. aussi Inventaires de Marchands, III).
10
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du moins d'aisance avec les bourgeois. Il en est qui ont dans leurs écuries et leurs étaliles, o, ti et jusqu'à 10 chevaux, 8 ou 10 vaches, un troupeau de moutons, des truies et des porcs, sans compter les volailles qui peuplent la basse-cour ; ils ont sous leurs hangars des charrettes, des charrues, des herses, des banneaux ; leurs greniers et leurs granges sont remplis de grains et de fourrages. Dans leurs caves s'alignent les muids pleins de cidre ou de poiré ; leur mobilier est des plus complets, leur garde-robe bien montée, ils ont des bijoux et de l'argenterie, ils « sont plus aisés et plus pécunieux que beaucoup de seigneurs » (1).
(1) « 1 table à liotte dans laquelle y gobelets d'argent dont un marqué Marie Picard et les deux autres sans marque ; 'i vieilles tasses d'argent dont une marquée François Picard et l'autre F. Picard, 11 cuillères et 11 fourchettes d'argent, 1 autre petite cuillère, 1 gobelet d'argent non marqué, 1 salière d'argent, 1 écuelle d'argent, 1 grande cuillère soupière de cornaiHe... (nombreuse vaisselle d etaiu)... li chevaux, ô vaches, 8T> bestes à laine et :iô agneaux... 1 camion monté, une charrette, "-i charrues, 7 herses, etc., poules et poulets d'Inde... 11"/!'.' livres 10 sols en argent » (Xot. de Tourville-la-Campagne, 1:2 avril 1774, Inv. après le décès de Picard, laboureur).
« 'i cavalles, 2 pouliches et harnais :S0U 1., 1 bourrique, divers outils 1<S 1., 5 vaches dont la veuve a [iris une à son choix, reste 'i vaches et 'i gelasses 1ÔO 1., '.*> bestes à laine :>o0 1., ■ 1 truie -.20 1.. 8 porcs <SÔ 1., les futailles 30(1 1. : :> muids de cidre KHI 1.. 'i charrues complètes lô I., 'i herses lil) sols, charrette, char et baiiueau 711 I. Total de l'estimation avec le mobilier de maison '.Xiil livres •> iNot. de Tourrtlle-la-Canipagnc, Inv. llelluin (fermier), 1" juillet 17 10).
« 1 petite tasse d'argent marquée J.-P. Lenoble, 1 autre tasse d'argent de moyenne grandeur, marquée Georges Lenoble, 1 autre tasse d'argent façon de gondole, 1 autre tasse de tom-
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 147
Enfin, à côté des cultivateurs et des artisans, il était un personnage d'importance : c'était l'hôtelier ou aubergiste ; il portait perruque et sa garderobe était généralement bien montée (1). S'il était des hôtelleries des plus primitives, comme celle de « La Croix-Blanche » au Gros-ïheil, où les lits ne comprenaient que la couche avec une paillasse, un lit de plume et un mauvais traversin, où toute la vaisselle consistait dans deux plats, quatre assiettes, six cuillères d'étain et quelques pots en terre (2), il en était d'autres, comme l'hôtellerie de « Madame Sainte-Catherine », dont nous avons parlé, où les paliers supportaient 36 assiettes, 28 plats, 36 cuillères, 6 salières, 8 chopines et 2 aiguières d'étain, 3 tasses d'argent, de nombreux plats de faïence, où les coffres et les armoires contenaient des draps de
bac, 1 autre petite tasse ronde d'argent, marquée au nom de Marie Guillebert, 2 cuillers et 2 fourchettes d'argent marquées L. L. N., 1 petite montre et chaînette d'argent » (Not. de Tourville-Ia-Campugne, Inv. du 35 mai 1739. Lenohle (laboureur), receveur do Monseigneur le Président de la Londe pour la seigneurie de Tourville-la-Ganipagne).
« 1 cheval brun, 1 cheval rouge, 1 cheval gris sale, 1 cheval noir, 1 cheval rouge, 1 cheval gris, 4 vaches, 2 génisses » (Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 11 décembre 173!)).
La vente faite après le décès d'un propriétaire cultivateur suivant procès-ver)lai de Mutel, sergent royal, du (i mai 1782 et jours suivants, s'élève à 4578 1. ô sols 11 deniers (Documents particuliers). La liquidation mobilière de la succession de ce cultivateur accuse un actif de 21849 1. 17 s. 10 d. 11 possédait en outre de nombreux immeubles (Documents particuliers).
(1) Not. de Tourville-la-Campagne. Inv. du 30 juin 1702. « La perruque du dcffunct ».
(2) Inv. sous signatures privées, 1698.
148 SESSION TENUE A LOUV1ERS, EN 1903.
lit et du linge de ménage en grande quantité, où la cave renfermait 8 muidsde vin, lâmuids et 2 pipes de cidre et plusieurs petils fûts d'eau-de-vie (1).
CONCLUSION
i Le paysan dont nous nous sommes occupé au cours de cette étude était-il heureux ? Telle est en ce moment la question qui se pose à notre esprit.
Pour bien juger de l'état d'un peuple, il faut, a-t-on dit, le comparer à celui des pays voisins. Nous avons vu quelle était la situation de nos villageois, jetons un rapide coup d'oeil sur celle des habitants des autres contrées.
Si en général sous Louis XV et Louis XVI le paysan fut constamment moins malheureux qu'auparavant, pourtant dans certaines contrées la misère fut grande. Nous avons rappelé les disettes qu'eurent à supporter quelques parties de la Normandie, comme le Cotentin et le pays de Caux, mais ces famines, heureusement assez rares, ne furent point aussi terribles que celles qui sévirent dans d'autres régions.
Le duc d'Orléans disait au Roi en lui présentant un morceau de pain de fougère : « Sire, voilà de quel pain se nourrissent vos sujets! » (2) En 1739,
(1) Not. de Tourville-la-Campagne, Inv. du 30 juin 1702.
(2) Vicomte G. d'Avenel : Paysans et ouvriers depuis 700 ans, p. 175.
En 1687, on fit bouillir de la racine de fougère avec de la farine
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l'évêque de Chartres, parlant des Beaucerons, écrit que les hommes mangent de l'herbe comme des moutons et crèvent comme des mouches. Massillon, en 1740, écrit de Clermont au Ministre : Le peuple vit dans une misère affreuse, sans lits, sans meubles; la plupart même, la moitié de l'année, mangent du pain d'orge et d'avoine qui fait leur unique nourriture ! et il estime que les nègres des colonies sont plus heureux! Nous pourrions multiplier les exemples et invoquer d'autres témoignages relatifs à l'état des provinces françaises, ils viendraient, dans la plupart des cas, confirmer ceux que nous venons de citer.
Si de France nous passons à l'étranger, la situation est pire encore : Voyons ce que dit Voltaire des habitants des tristes campagnes de la Westphalie : « Dans de grandes huttes qu'on appelle maisons, on voit des animaux qu'on appelle hommes qui vivent le plus cordialement du monde avec d'autres animaux domestiques. Une certaine pierre dure, noire et gluante, composée à ce qu'on dit d'une espèce de seigle, est la nourriture des maîtres de la maison », et il ajoute : « Qu'on plaigne après cela nos paysans !» Cl) Le savant historien anglais Macaulay fait entre l'Angleterre et la Normandie un parallèle tout à l'avantage de notre province (2), et le Dr Rigby, surpris du progrès de l'agriculture dans notre région, s'écrie dans un élan d'enthoud'orge
d'enthoud'orge d'avoine (A. de Boislile : Mémoires des Intendants, 1,783).
(1) Voltaire : Lettres de Juillet 1750.
(2) Macaulay : Hist. d'Angleterre, tëdit. Montegut, I, 308-
150 SESSION TENUE A I.OUVIEBS, EN 1903.
siasme : « Quel pays ! quel sol fertile ! quel peuple industrieux !» (1)
Nous pouvons donc conclure que nos villageois étaient sinon plus heureux, du moins moins malheureux que hien d'autres. Malgré les crises nombreuses qu'ils avaient traversées, ils n'avaient point désespéré; se mettant courageusement à l'oeuvre, ils avaient fini par triompher et par acquérir une certaine aisance. Ce n'était point « ces animaux noirs, livides et farouches, mâles et femelles, que La Bruyère voyait attachés à la terre, qu'ils fouillent et remuent avec une opiniâtreté invincible, ayant à peine une voix articulée et une face humaine » (2), c'étaient des hommes conscients de leurs droits, sachant les faire respecter, travaillant ferme et jouissant dans bien des cas de cette prospérité relative qui faisait dire à Voltaire : Il n'y a guère de royaume dans l'univers où le cultivateur, le fermier, soit plus à l'aise que dans quelque province de France (3).
Et notre villageois, tranquille du côté matériel de l'existence, eût été heureux s'il ne lui eût manqué deux de ces droits que devait lui donner la nuit mémorable du 4 août 1789 : la liberté et l'égalité ; la liberté de conscience et la liberté de pensée ; l'égalité devant l'impôt et devant la loi !
(1) Dr Rigby's : Letters f'rom France.
i'-i) Les Caractères
[■i) Voltaire : Siècle de Louis XIV, cli. xxx.
2' JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 151
APPENDICE
I. — Dots de villageoises au XVIIIe siècle.
1" juillet 1700 (laboureurl. — Un Met garny do traversain, couverture de laine et d'un tour de tapisserie de droguet, 4 habits, 1 noir, 1 rouge, 1 gris de lin, un autre blanc et ses habits de flllage, un coffre et un detny coffre fermant à clef, 8 de tout linge, une vache, GO livres payables par les parents un an après les épousailles (Not. de Tourville-la-Campagno).
4 juillet 1700 (manouvrier). — Un lit garny de plume, traversain et couverture, trois habits d'étoffes de divers couleurs, deux de filletage, avec ses autres habits de filletage, 6 draps, 6 nappes, 6 serviettes, 8 chemises avec, tous ses menus linges, coeffes, mouchoirs et autres, 1 coffre de bois de chesne fermant à clef, 50 livres payables en 2 ans | Xol. de Tourville-la-Campagne).
11 juillet 1701 (laboureur). — 8 pièces de tout linge, 1 lict garny, couverture de laine et traversin, 1 housse, 2 habits d'étoffe (1 noir et 1 de couleur), 1 habit de toile de coton avec ses habits de nlletage, 1 coffre fermant à clef. 1 vache, 24 livres argent (Not. de Tourville-la-Campagne).
13 octobre 1701 (laboureur). — 4 draps, 4 nappes, 4 serviettes, 1 vache, 3 habits d'étoffe, 1 noir et 2 de couleur, 1 habit de toile de coton, ses habits de filletage, 1 coffre fermant à clef, 1 couverture à teste bleue avec la somme de 50 livres, 1 lit de coutil emplumé, 1 traversin, couverture de laine, 1 housse en tapisserie droguet, 6 draps, 6 nappes, 6 serviettes, 1 babit noir, 1 autre habit rouge, 350 livres payables dans un an, 5 pièces de terre contenant ensemble une acre (Not. de Tourville-laGam pagne).
152 SES8ION TENUE A L0UVIER8, EN 1903.
6 avril 1704 (laboureur). — 1 lict fourny de couverture en leine, traversain, oreillers, 8 de tous linges, 2 habits en drap, 2 habits en toile de coton, 2 demy-coffres fermant à clef, 1 vache, 1 génisse, 200 livres en argent (Not. de Tourville-laCampagne).
14 décembre 1704 (manouvrier). — 1 lit et traversain de coutils emplumés.l couverture de laine blanche, 8 draps,8 nappes, 8 serviettes, 8 chemises, 5 habits dont 2 d'étoffe (1 noir et 1 rouge) et 3 de toile de coton, 1 grand coffre fermant à clef avec ses autres habits de filletage (Not. de Tourville-la-Campagne).
28 décembre 1704 (manouvrier). — 1 lit fourni de couverture et traversin, 1 housse en tapisserie droguet, 2 habits d'étoffe, une demi-douzaine de linge, 1 coffre fermant à clef, 50 livres argent (Not. de Tourville-la-Campagne).
il novembre 1710 (laboureur). — 1 lit de plume garny de traversain, oreillers, couverture de leine et 1 tour de lit d'estoffe, 12 draps, 12 nappes, 24 serviettes, 12 chemises, 4 habits d'estoffe de diverses couleurs, les habits de filletage, 1 coffre et 1 demycoffre fermant à clef, 1 vache et 1 génisse d'un an. fi bestes à leine, 3 vergées et demie de terre (Xot. de Tourville-la-Campagne).
3 février 1712 (laboureur). — 1 lict de plume en coutil, traversin, oreillers, couverture de laine, tour et ciel de lit, 12 draps, 12 nappes, 24 serviettes, 12 chemises. 4 habits d'étoffe avec ses habits de filletage et menus linges. 1 coffre et 1 demy coffre fermant à clef, 1 vache, 1 génisse, 1 demy quarteron de bestes à laine, lô perches de terre en deux pièces (Not. de Tourville-laCampagne).
29 janvier 1713 (laboureurl. — 1 douzaine de tous linges, G paires d'habits d'étoffe, 1 coffre fermant à clef, 1 vache, 1 lit fourny de traversin et oreillers de coutils remplis de plume, 1 couverture de laine, 1 tour de lit d'étoffe. 2 plats, 4 assiettes, 1 chopinc d'étain, 1 masure sise à St-Nicolas-du-Bosc, 1 vergée de terre même paroisse, 1,")0 livres en argent (Not. de Tourvillela-Campagne).
2' JOURNER. 24 SEPTEMBRE. 153
26 septembre 1713 (rouetier). — 1 lit de plume en coutil, traversin, couverture, oreiller, un tour de lit d'étoffe verte, 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 4 habits d'étoffe, ses habits de filletage, ses linges et tabliers, 1 coffre fermant à clef, 1 vache,
5 vergées et demie de terre (Not. de Tourville-la-Campagne).
9 décembre 1713 (manouvrier). — 1 lit emplumé en coutil, traversin, couverture de laine blanche, 1 tour de lit de tapisserie droguet, 3 habits d'étoffe de diverses couleurs, 2 de toile de coton, ses habits de fille, 8 draps, 8 nappes, 12 serviettes, 12 chemises, ses menus linges, 1 coffre fermant à clef, 1 vache, 1 vergée de terre (Not. de Tourville-la-Campagne).
14 mai 1714 (manouvrier). — 1 lit de plume en coutil, 1 traversin, 1 couverture de leine, ses habits, 4 d'étoffe de diverses couleurs, 1 autre en toile de coton, ses autres habits de filletage, Alliage et ménage, 6 draps, 6 nappes, 6 serviettes et 6 chemises, ses menus linges, 1 coffre fermant à clef, 60 livres en argent (Not. de Tourville-la-Oampagne).
20 mai 1714 (laboureur). — 1 lit de coutil fourny de plume, traversain et oreillers, 1 couverture de leine blanche, 1 housse, 1 coffre de bois fermant à clef, 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 12 chemises, 4 habits (1 habit noir et trois autres de diverses couleursl, 1 habit de coton, ses habits de fllletage, 1 vache, 300 livres en argent payables en un an (Not. de Tourville-laCampagne).
13 juin 1714 (manouvrier). — 1 lit garny de plume, traversin, couverture de laine blanche, 1 coffre fermant à clef, 12 chemises,
6 draps, 4 nappes, 4 habits (2 d'étoffe et 2 d toile de coton). 1 moy à pestrir avec son couvertoir, 1 paire d'armoire à 2 huis. 1 pipe et 1 poinçon, 2 assiettes, 4 cuillères)?), 1 salière. 1 tasse. le tout d'étain commun, créance de 60 livres payable à raison de 68 sols par an (Not. de Tourville-la-Campagne).
2 décembre 1714 (laboureur). — 1 tour de lit de serge de Caen, 1 lit, traversin et 2 oreillers, le tout en coutil, garni de plume, 12 chemises, 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 12 mouchoirs, 6 habits d'étoffe (1 noir, 5 de couleur), 1 coffre et un
154 SESSION TENUE A I.OUVIERS, EN 1903.
demy coffre de bois de chesne fermant à clef, une vache, 13 bestes à laine (6 moutons et 7 brebis), ses habits de fillotage (Not. de Tourville-la-Campagne).
31 mai 1715 (laboureur). — 1 lit, traversin et oreillers de coutil emplumés, 1 tour de lit de couleur, 1 couverte de laine blanche, 18 draps, 24 serviettes. 1 bahut de cuir rouge, 1 coffre fermant à clef, 0 habits d'étoffes de diverses couleurs dont 1 noir. 6 tabliers, ses habits de filletage, 1 vache, 1 génisse d'un an, 700 livres en argent (Not. de Tourville-la-Campagne).
15 juin 1715 (laboureur). — 1 lit. traversin et oreillers de coutil emplumés. 1 couverte de laine blanche. 1 housse de tapisserie. 1 ciel de lit de toile, 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 12 chemises, ses menus linges, 6 habits d'étoffes de diverses couleurs dont 1 noir, 2 babils de toile de coton, ses habits de filletage, 1 grand et 1 demy-coffres fermant à clef, 1 vache, 1 génisse d'un an. 300 livres en argent iNot. de Tourville-laCampagne).
8 janvier 1710 llaboureuri. — 1 lit de plume en coutil, traversin, couverture de laine. 1 tour de lit tapisserie droguet, 4 habits d'étoffe, 2 de toile de coton, 12 draps, 12 nappes. 12 serviettes, ses menus linges, 4 tabliers (1 d'étoffe, 3 de toile). 18 chemises, 20 aunes de'toile, 1 capot de drap gris. 1 jupe rouge, 1 tasse d'argent, 1 coffre fermant à clef. 1 vache, 3 bestes à laine, 100 livres argent (Xot. de Tourville-la-Campagne).
10 février 1720 (laboureur). — 1 lit. traversin garni de plume, 1 couverture de laine blanche, 1 tapisserie, 1 grand coffre fermant à clef dans lequel sera mis 10 draps, 10 chemises, (5 nappes, 10 serviettes, 0 habits complets (4 d'étotfe, 1 violet, un de blanc sale, 1 blanc, 1 noir), les deux autres de toile, l'un à fleur et l'autre de gros coton, 6 mouchoirs. 12 coëffes, 3 paires de brassières (1 d'étoffe. 2 de toile), son autre petit linge de filletage, 1 génisse d'un an (Xot. de Tourville-la-Campagne).
1!) février 1722 (laboureur). — 1 lit garni de plume, 1 matelas de laine, traversin et oreillers de coutil emplumés, 1 couverte de laine blanche, 1 tour de lit d'étoffe couleur d'olive, 20 draps.
2* JOURNEE. 24 SEPTEMBRE. 155
18 nappes, 24 serviettes, 30 chemises, 8 habits d'étoffe de diverses couleurs, dont 1 noir, 2 habits de toile de coton, 1 armoire à 4 battants fermant à clef, 1 vache tout au moins de la somme de 40 livres (Not. de Tourville-la-Campagne).
26 mars 1722 (laboureur). — 1 lit, traversin et oreillers de coutil emplumés, 1 couverte de laine blanche. 6 draps, 0 nappes, 6 serviettes, 12 chemises, 1 housse de tapisserie, 3 habits d'étoffe complets au nombre desquels il y en a un noir, 3 habits de toile de coton, ses habits journaliers, un grand coffre fermant à clef, 1 demy coffre idem, 1 vache, 150 livres en argent (Not. de Tourville-la-Campagne).
1" février 1723 (manouvrier). — Une demi douzaine de tous linges comme draps, serviettes, nappes et chemises avec six habits de diverses couleurs, ses autres linges déjà à son usage et ses habits de tilletage, 1 coffre fermant à clef, 1 lit garny (Not. de Tourville-la-Campagne).
20 mai 1726 (manouvrier). — 1 lit garny de traversin, oreiller, housse de tapisserie, couverture de laine blanche, 1 coffre et
1 demy fermant à clef. 8 de tous linges comme draps, nappes, serviettes, chemises, 3 habits d'étoffes de différentes couleurs, ses habits de tilletage, linges, langes et bardes à son usage (Not. de Tourville-la-Campagne).
16 avril 1727 (laboureur).— 1 lit, traversin, 2 oreillers, 1 matelas, 1 couverture de laine blanche. 1 tour de lit d'étoffe, 8 habits de drap de diverses couleurs, 6 de toile de coton. 2 douzaines de tous linges, 2 coffres de bois de chêne fermant à clef,
2 vaches, 1 quarteron de bustes à laine (moitié moutons, moitié . brebis), ses menus linges et habits journaliers (Not. de Tourville-la-Campagne).
30 novembre 1727 (journalier). — 1 lit garni de traversin, lit de plume, oreillers, couverture de laine blanche, 1 housse de tapisserie, 6 draps, 6 nappes, 6 serviettes, (i chemises, 3 habits d'étoffes de diverses couleurs, 1 portion de cour-masure (Not. de Tourville-la-Campagne).
156 SESSION TENUE A Î.OL'VTERS, EN 1903.
12 septembre 1738 (manouvrier). — 1 lit et traversin de coutil emplumés, 1 couverte de laine blanche non neuve, 6 draps, 6 nappes, 0 serviettes, 1 grand coffre fermant à clef, 1 moye à pestrir, 4 paires d'habits 13 d'étoffe : 1 noir et 2 bleus, et 1 de toile de coton), les tabliers, coiffes et mouchoirs à son usage, 1 marmitte, crémaillée, chaudière de fer, 1 poêle à.frire, 1 table ronde. 1 bassin d'airain, 8 cuillers, 1 tasse et 1 salière d'étain,
1 rouet, 1 chaise à fond de paille, 1 cuve à faire la buée, 1 grande corbeille, 1 serpe, deux tenailles et 2 marteaux de fer, 1 fût de
2 muids et 1 baril de 50 pots (Xot. de Tourville-la-Campagne).
13 janvier 1729 (laboureur). — 1 couche avec 1 lit, traversin et oreillers de coutil. 1 couverte de laine blanche, 1 tour de lit d'étoffe de couleur olive, 18 draps, 18 nappes. 18 serviettes, les chemises à son usage, 4 habits d'étoffe, 1 de toile de coton, 1 grand coffre fermant à clef, 1 bahut à 2 serrures, 1 armoire à 2 huissets. 1 table ronde, 2 plats. 2 assiettes, 1 écuelle, 1 salière, (i cuillères, le tout d'étain, 3 tonneaux de futailles, 'i chaises à fond de paille, 2 landiers de moyenne grandeur, 1 vache IXot. de Tourville-la-Campagne).
."> niai 172!) (laboureur). — 1 lit et traversin de coutil emplumès, 1 couverture de laine blanche, 1 housse de tapisserie, H de tous linges, draps, nappes, serviettes et chemises, 6 habits d'étoffe dont un noir, 2 de loile de coton, menus linges et langers à son usage, ses habits journaliers, fillage et filletage, 1 moyen coffre de trois quarts fermant à clef. l.'iO livres en argent (Xot. de Tourville-Ia-Campagnei.
17 juin 1733 (laboureur). — 1 lit et traversin de coutil empluniés. 1 couverte de laine blanche. 1 tour de lit de tapisserie en équerre. 8 draps. 8 nappes. 12 serviettes, 12 chemises, (i habits \ d'étoffe dont un noir, 2 de toile de coton), menus linges et habits journaliers. I grand coffre fermant à clef, 1 vache estimée 30 livres, 200 livres en argent (Xot. de Tourville-la-Campagne).
2 février 1730 (manouvrier). — 1 lit et traversin de coutil em plumés, 1 couverte de laine blanche, (i draps, fi nappes, 6 serviettes, il chemises, 4 habits d'étoffe (1 noir, 3 de diverses couleurs). 1 habit de toile de coton. 1 grand coffre fermant à clef
2" JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 157
de viron trois quarts, ses habits journaliers, menus linges, coiffes et mouchoirs, 1 grand rouet à filer laine, 1 chaise à fond de paille, 2 cuillères d'étain(Not. de Tourville-la-Campagne).
27 octobre 1735 (laboureur). — 1 lit garni de traversin et oreillers de coutil emplumés, 1 couverte de laine blanche, 1 tour de lit de serge, 24 draps, 24 nappes, 36 serviettes (18 en doubloeuvre, 18 en toile blanche), 24 chemises, 10 habits (8 d'étoffe dont 1 noir, et 2 de toile de coton), ses menus linges comme coiffes, mouchoirs et fichus, ses linges, hardes et-habits journaliers, 3 coffres (2 grands et 1 petit fermant à clef), 1 vache, 1.000 livres en argent, 2 acres, 30 perches de terre labourable (Not. de Tourville-la-Cam pagne).
12 mai 1739 (domestique). — 1 lit, traversin et oreillers emplumés, 1 couverture à lit de laine blanche, 1 tour de lit d'étoffe, 1 vache, 8 habits (0 d'étoffes de diverses couleurs et 2 de toile de coton), 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 48 coiffes, 12 chemises, 24 mouchoirs tant fichus que de toile, 1 grand coffre fermant à clef, 1 doublier, 12 napperons (Not. de Tourville-laCampagne).
24 octobre 1740 (laboureur). — 1 lit et traversin de coutil emplumés, 1 couverte de laine blanche, 1 housse de tapisserie en équerre, 6 draps, 6 nappes, 6 serviettes, 6 chemises de toile de lin, trois habits d'étoffe (1 corps de drap, 1 corps rouge et 1 de pinchina, 3 jupes rouges, 1 jupe blanche), 4 tabliers (2 d'étoffe et 2 de siamoise), 2 casaques (1 de grenade et 1 de toile de coton), ses menus linges comme coiffes et mouchoirs, ses habits journaliers, 1 habit noir (casaque et jupe), 1 grand coffre fermant à clef, 1 vache, 150 livres en argent (Not. de Tourville-la-Campagne).
16 mars 1743 (marchand). — 1 lit et traversin de coutil garni de plume, 1 couverture de leine blanche, 1 demi tour de lit de tapisserie, 8 draps de toile, 8 nappes, 8 serviettes de toile de ménage, 4 habits d'étoffes de diverses couleurs, 2 de coton, 8 chemises de toile de ménage, ses habits et menus linges de fillage, 1 coffre de bois de chêne fermant à clef (Not. de Tourville-la-Campagne).
158 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
17 juillet 1743 (marchand). — 1 lit et traversin de coutil empluniés, 2 oreillers, 1 couverture de leine blanche, 1 tour de lit d'étoffe, 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 12 chemises, 5 habits d'étoffe dont 1 noir, les autres de diverses couleurs, 3 habits de toile de coton, 1 grand coffre fermant à clef. 1 quaisse fermant à clef, ses menus linges comme coefl'es et mouchoirs, ses habits journaliers, linges et langers à son usage, 1 vache. 600 livres en argent (Not. de TourvilIe-la-Campagne).
27 février 1745 (journalier").— 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 12 chemises, 3 habits (2 d'étoffe dont 1 noir et 1 de toile de coton), 1 lit et traversin de coutil empluinés, 1 couverte de laine blanche, 1 tour de lit de serge verte, 1 tasse d'argent, 1 plat, 4 assiettes et 1 écuelle d'élain (Not. de Tourville-laCampagne),
14 juillet 1740 (laboureur).— 1 lit et traversin de coutil emplumés, 1 couverte de laine blanche, 1 housse ou tour de lit en équerre, 8 draps, 8 nappes, 8 serviettes, 3 habits d'étoffe de différentes couleurs, 2 de toile de coton, 1 grand coffre fermant à clef, ses menus linges, coeffes et mouchoirs, ses habits journaliers, 228 livres en argent (Not. de Tourville-la-t^ampagne).
10 octobre 1751 (journalier).— 1 lit et traversin de coutil emplumés, 1 couverture de lavne blanche. 1 tour de lit en esquaire de serge bleue, 8 draps, 8 nappes, 8 serviettes, 12 chemises, 5 corps de différentes couleurs, 1 casaque noire, 2 de toille de cotton, 5 juppes d'étoffe dont une noire et les autres de diverses couleurs, 2 juppes de toille de cotton, ses menus linges comme coefl'es et mouchoirs et habits journaliers, linges et langres à son usage, 1 grand coffre fermant à clef, 1 quaise façon de bahut dans laquelle sont ses menus linges. ? tabliers dont 3 d'estoffe, 3 rayés et 1 de toille à fleurs, l fer à dresser linge. 100 livres en argent iXot. de Tourville-la-Campagnei.
17 octobre 1751 Ijournalieri. — 1 lit et traversin de coutil garnys de plume, 1 couverture de layne blanche, 1 deniy tour de lit damassé, 8 draps, 8 nappes, 12 serviettes, 14 chemises, le tout de toille de ménage, 4 habits d'estoffe, sçavoir: 1 noir et les autres de diverses couleurs, 2 habits de toille de cotton, 1 grand
2* JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 159
coffre et 1 deray-coffre, le tout ferniint à clef, 18 coiffes, 6 mouchoirs, ses autres habits journaliers, 20 livres en argent (Not. de Tourville-la-Campagne).
29 janvier 1764 (laboureur).— 1 lit et traversin de coutil remplis de plume, 1 tour de lit, 12 draps, 12 nappes, 12 serviettes, 12 chemises, 5 .habits d'.étolïe, 2 de toile de coton, 1 croix d'or (Not. de Tourville-la-Campagne).
30 janvier 1764 (journalier). — 45 ,perches de terre, 1 lit de coutil et 1 traversin emplumés, 1 couverture de laine blanche, 1 tour de lit, 8 draps, 0 nappes, 6 serviettes, 8 chemises; ses menus linges, 4 habits d'étoffe dont un noir, ses habits journaliers, 1 caisse fermant à clef (Not. de Tourville-la-Campagne).
27 novembre 1764 (manouvrier). — 80 livres, 5 livres pour avoir des meubles, 6 draps, 6 nappes, 6 serviettes, 1 lit et traversin de coutils remplis de plume où lad. future couche actuellement, 1 couverture layne blanche, 1 moyen coffre, 3 habits d'étoffe de couleurs, 6 chemises, menus linges qui sont meubles de filletage (Not. de Tourville-la-Campagne).
II. —Prix d'animaux domestiques au XVIII» siècle.
' Nous donnons ci-après quelques prix d'animaux domestiques tels que nous les avons trouvés dans les actes et registres que nous avons parcourus.
CHEVAUX
1703. — 1 cavalle de poil bay brun, 1 cheval de médiocre taille de poil bay clair, avec un pie de devant blanc, 1 autre cheval bay brun sans marques, 1 cavalle baye sans marques,
1 cheval de poil rouan, 1 austre noir marqué en teste, 1 cavalle baye avec un pied blanc derrière, 1 cavalle grise qui a les oreilles coupées, 1 cheval bay à longue queue sans marques,
2 chevaux d'attelage bay s, 3.000 livres (Notariat de Tourvillela-Campagne, vente du 11 décembre 1703) : il s'agit ici de chevaux de luxe.
160 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
1740. — 1 cavale de '12 ans, 40 livres, 1 cavale de 6 ans, 40 1. (Not. de Tourville-la-Canipagnc, 8 mars 1740), 2 chevaux avec leurs en harnachements, 50 1. (Ibid., 13 décembre 1740).
1742. — 1 cavale sous poil noir et son enharnachement, 30 1. (Ibid., 28 septembre 1742).
1744. — 3 chevaux et leurs enharnachements, 210 1.
1753. — 1 cavale, 24 1. (Ibid., 23 mars 1753). *
1758. — 1 cavale, 50 1." (Ibid., 10 mai 1758).
1770. — 3 chevaux équipés, 570 1. (Inv. s. s. p.).
1782. — 1 cheval entier, 15 1., 1 cheval entier, 200 1., 1 cheval entier, 91 1., 1 cheval entier, 49 1. (P. V. de vente de meubles du 6 mai 1782, Mutel, sergent royal).
VACHES
1740. — 1 vache, 15 1. (Xot. de Tourville-la-Campagne, 8 mars 1740). 1 vache, 12 1. (Ibid., 13 décembre 1740). 1744. — 2 vaches, 50 1. (Ibid., 19 novembre 1744).
1753. — 1 génisse, 10 1. (Ibid., 23 mai 1744).
1754. — 1 génisse d'un an, 18 1., 1 vache, 151. (Ibid., 26 juillet 1754).
1758. — 1 génisse d'un an, 20 1. (Ibid., 10 mai 1758).
1776. — 1 génisse, 30 1., 1 génisse, 30 1., 1 petite vache, 60 1., 1 génisse, 18 1., 1 vache, 721., 1 vache, 90 1., 1 vache, 80 1., 1 vache, 80 1., 1 vache, 100 1., 1 vache, 60 1. (Inv. s. s. p.).
1782. — 1 vache, 58 1.10 s., 1 vache, 52 1. 10 s. 1 vache, 76 1. (P. V. de vente de meubles du 6 mai 1782. Mutel, sergent royal).
ESPÈCE POKCINE
1727. — 1 cochon de lait, 32 sols (Registres domestiques).
1740. — 1 truie et 1 petit porc, 15 1. (Not. de Tourville-laCampagne, 13 décembre 1740).
1744. — 1 petite truie et 5 porcs de lait, 13 1. (Ibid., 19 novembre 1744).
1776. — 1 coche. 2 porcs de lait, 4porrs, 115 1. (Inv. s. s. p.).
1782. —2 petits porcs, 28 1. 5 s., 1 truie, 34 I. 5s., 1 truie, 30 1., 1 porc, 34 1. 9 s., 1 truie, 48 1. 5 s. (P. V. de vente de meubles. Mutel, sergent royal.
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 161
ESPÈCE OVINE
1728. — 1 mouton, 10 1. (Reg.dom.).
1730. — 22 moutons, 200 1. (Reg. dom.).
1734. — 52 moutons, 400 1. (Reg. dom.).
1742. — 6 brebis tant mâles que femelles, 36 1. (Not. de Tourville-la-Campagne, 28 sept. 1742), 2 moutons gras. 28 1. 10 s., 2 agneaux gras, 1!) 1. (Reg. dom.).
1766. — 2 moutons, 24 1., 2 moutons, 25 1.10 s., 2 agneaux mâles, 10 1. 4 s. (Reg. dom.).
1767. — 2 moutons, 21 1., 1 mouton, 12 1. 10 s. (Reg. dom.).
1768. — 14 moutons, 801. (Reg. dom.).
1769. — 16 moutons, 1001., 20 moutons, 1351., 11 moutons, 90 1. 15 s., 38 moutons dont 3 brebis, 4621. 10s., 6agneaux, 751., 10 moutons, 55 1., 2 moutons gras, 22 1. (Reg. dom.).
1770. — 9 moutons. 36 1. (Reg. dom.).
1771. — 24 moutons à 20 1. la paire, 10 moutons à 22 1. 10 s. la paire, 6 moutons à 19 1. 10 s. la paire, 10 moutons à 24 1. la paire, 32 moutons à 22 1. la paire (Reg. dom.).
1772. — 30 moutons à 24 1. la paire, 104 moutons à 26 1. la paire (Reg. dom.).
1773. —8 moutons, 1201. 12 s., 12 moutons, 1741., 10 moutons à 25 1. la paire, 14 moutons à 26 1. la paire (Reg. dom.).
1774. — 18 agneaux à 10 1. pièce, 6 agneaux, 48 1., 3 agneaux, 21 1.
III. — Inventaires de marchands.
I
(13 janvier 1750, Tourville-la-Campagne).
Dans la boutique :
3 briques de savon, 150 paires de sabots de différentes grandeurs, 2 paires de cizeaux à tailleur, viron 3 aulnes de coutil gris, 1 aulne de bougran noir, 1 pièce de grosse toile bise de
11
ljfc>2 SESSION TENUE A LOUV1ERS, EN 1903.
filasse de 14 aulnes, 1 pièce de thoille de doubleuvre blanche de 2*1 aulnes, 4 pièces de ruban bis, 2 pièces de ruban de fil bleu, du nombre desquelles il y a un petit rouleau de ruban de.layne rouge, toutes lesd. pièces non fournies, cinq mille et demy d'espingue, 2 pacquets de demy tresse en Testât qu'ils sont, 2 pacquets de ruban de fil blancq, 2 pacquets de pi ligue de buis et 1 pièce de ruban nieslé, en Testât qu'elle est, 1 petit plat de terre dans lequel il y a viron 5 à G livres de plomb, 1 petite quaize dans laquelle il y a plusieurs pièces de ruban de soye de différentes couleurs, 1 paquet de vrilles de huit, 4 tire bouclions G agraires de col, 2 petits pacquets de crochets et portes de 1er, G bagues de cuivre, 1 petit plat de plomb de viron 4 livres, 1 lot de sizeaux à couturière avec quelques fourchettes de fer et 0 vrilles, 1 pacquet de lacets de soye.l pacquet de til, layne et soye, avec 2 pièces de ruban de layne de diverses couleurs, 1 petite bouette dans laquelle il y a des lunettes, boucles et boutons de tombac, 1 petit pacquet de til de soye de différentes couleurs et un pacquet de pè'gne de buis, 1 pacquet de chantepleure au nombre de 12, 1 quasette longue dans laquelle il y a des boucles et boutons de tombac et autres eschantillons, 10 mains de papier au pot avec 1 petit pacquet de plume, S escrittoires de cuir bouilly, 1 pacquet de couteaux à manche de bois, 1 rame de papier à lettre et \iron une demi rame, 1 petit pacquet de boucles de 1er, 1 pièce de ticlius de 8 fichus de fil et col ton de couleur brune, 1 autre pièce de ticlius de G de cotton blancq à bord rouge, 4 ticlius de toille rouge meslèe, 4 fichus de pareille sorte, ï austres fichus de cotton en bleu et rouge meslè, 18 austres fichus de pareille estoll'e de différentes couleurs, 1 pacquet de ticlius de cotton en différentes pièces et de différentes couleurs et grandeurs au nombre de G8, 7 petits morceaux de thoille blanche de plusieurs sortes et eschantillons quy fait en tout le nombre de 14 aulnes, 1 pacquet de thoille de mousseline qui sont restant de pièce au nombre de 15 morceaux, tant unie que rayée, qui composent en total la quantité de 52 aulnes, 1 morceau de thoille blanche de lin contenant 15 aulnes, 4 pièces de siamoise dont une de 12 aulnes, 1 de 4, 1 de 2 aulnes M/4 et 1 de ô aulnes 1 2, toutes de différentes couleurs, 3 pièces de thoille blanche dont une de 18 aulnes de grosse thoille, 1 autre
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 163
pièce de 23 aulnes à peu près pareille, 1 autre pièce de 14 aulnes de thoille fine, 1 morceau de thoille de cotton de 6 aulnes et demy, 1 morceau de thoille bise de grosse thoille de 7 aulnes,
2 pièces de bazin de 18 aulnes rayé, 1 pièce de fichus au nombre de 6 de siamoise, 8 aulnes et demi de siamoise brune, 10 fichus de diverses couleurs et 2 cravattes de siamoise, 4 fichus de soye de différentes couleurs et eschantillons, 4 paires de bas à 2 fils au mettier ^.) usage d'homme, 1 pacquet de
3 paires de bas fins, 4 bonnets de layne fine couleur chamois, 1 pacquet de bonnets de 4 un peu plus communs, 2 paires de bas jaune et brun, 7 paires de rentures de bas de différentes couleurs et eschantillons, 6 paires de bas à famé de différentes couleurs et eschantillons, 6 paires de bas à enfant de différentes couleurs, 10 paires de bas à homme de différentes couleurs et eschantillons, 2 paires de bas à homme bruns, 4 bonnets double de layne de différentes espèces et couleurs, 4 paires de rentures et 2 petites paires de bas à enfant blancqs, 5 fichus bleus en une pièce, 3 fichus à petits carrés rouge et blancq meslé de bleu, 1 petite pièce de 7 fichus rouges bruns, 3 autres fichus rouge bruns, 2 aulnes de thoille fine de thoille baptiste, 2 aulnes de thoille fine ou viron aussy de baptiste, 4 aulnes en 2 pièces aussy de thoille baptiste, 5 aulnes de thoille blanche ou viron en 2 pièces de baptiste, 4 aulnes de thoille baptiste en 2 pièces et un petit morceau de linon de sept quarts, 1 pièce de thoille baptiste de 4 aulnes, 1 petite pièce' de mousseline de 3 aulnes, 1 austre pièce de 4 aulnes, 1 austre pièce de mousseline fine de 4 aulnes, 3 aulnes de mousseline double, 2 aulnes de mousseline à fleurs, 1 austre pièce de mousseline forte de 3 aulnes, 2 aulnes de mousseline rayée, 1 petite pièce de 3 aulnes de mousseline commune, 5 aulnes de thoille de mousseline, 4 aulnes et demy- de mousseline fine, 3 aulnes de mousseline, 1 petite pièce de linon de 3 aulnes,
1 autre petite pièce de 2 aulnes, 1 austre petite pièce de 4 aulnes aussy de linon, 2 aulnes et un quart de linon rayé à petite rayeure, 2 aulnes et demy rayé à grande rayeure double, 3 aulnes dé linon, en plusieurs bouts remassé et attaché avec
2 petits morceaux de 1 aulne 1/2, 3 aulnes de linon, en deux morceaux, un lot de boutons de vestes et chemises, bleus et
164 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
blaneqs, 6 paires de bas à homme et femme de diverses couleurs, 12 petits restants de pièces de dentelle de différentes façons, grosses et fines, 1 pacquet de til à coudre de différentes couleurs au nombre de 12 pièces ou viron, 4 couteaux à manche de corne de cerf, 1 couteau de chasse (?) argenté par les 2 bouts, 10 mauvais sciots de fer, 4 paires de gants de chamois, 1 lot de ferraille, vieils cizeaux à tailleur, 1 vieil fusil avec sa placque, 1 culotte de peau toute neuve, viron 2 livres de til à coudre escru, 4 peaux de mouton à faire des culottes, 1 lot de fers à cheval au nombre de viron 00 fers, 3 petits lots de clous de quatre vingt à latte et à soulliers, 4 poires à poudre (Not. de Tourville-la-Gampagne).
11 (1!) janvier 1770.)
Environ 100 lacets de til, environ 200 aulnes de ruban bis et bleu, environ 250 aulnes d'autres rubans blancs, environ 40 aulnes de ruban de layne rouge et blanc, 4 pièces et demie de laisse à coëll'e, environ 4.S pièces de til à grand tour, les petites comprises à raison de deux pour une, 09 pièces til eu soye de diverses couleurs, 40 paires de jarretières de fil, 15 paires de pongnets dr cotton, 20 paires en til, environ 50 aulnes de ruban de til, 12 paires de petits lias de laine. 2 bonnets, 60 peliles paires de lias un peu plus grands, 1 paire de renturc, lti paires de chaussons, 11 paires de ivnlures, 2 paires de bas à femme, 2 autres paires de bas à femme, environ un quartron de cordonnet, ti pingnes de corne et 12 de buis et 7 de bois, environ l'i'i aulnes de ruban de layne rouleau rouge et blanc, 4 douzaines de lacets de til, environ 10 douzaines de boutons de til. 1 douzaine d'étuits, environ 20 aulnes de ruban de soye, environ 15 aulnes de rubans de soye de diverses couleurs, environ 10 à 1K aulnes de ruban de soye moray C?l, environ 30 aulnes de padoux (?) de soye, 1 quartron de til de soye, 5 paires d'heures, 5 petiles pensées chrétiennes, 0 petits livres tant sauptiers qu'Instructions de la jeunesse, 2 petits livres tant civilités que cathéchimmes et autres, 8 petits livres de cantiques,
2' JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 165
2 douzaines de cathéchimmes et Besées (?), environ 47 aulnes de grosse toille, environ 7 aulnes de velours de Guène, environ 9 aulnes de bougran, environ 20 livres de chandelle, environ une somme de potterie de la valeur de 4 livres, environ 6 livres et demye de baleine, environ 5 livres de savon, environ 6 douzaines de moulles de bois, environ 1/2 livre de fil de différentes
couleurs, environ 4 livres de vieux environ 1 livre de pion,
1 environ 1 once de poudre, environ 1 pezée de clou de différentes façons, environ 1 boisseau de fesves (Not. de Tourvillela-Gampagne).
III
[S décembre 177G).
(Maréchal et Marchand).
1 quarteron de poivre, 1 petit lot de portes et crochets de fer, 1 once de pierre de vitriol, 1 petite pièce de fil noir, 4 noix à broche de bois, 19 cordes à rouet, une demi livre de ry, 1 once de plomb à tirer, trente éguilles à coudre, 8 aulnes de ruban de fil bleu, 3 petits morceaux d'alun, 1 poids de fer pesant 1/2 livre, 3 petits lisseaux de fil, 18 boutons blancs de fil brodés,
4 pierres bleues. 3 dés à coudre, 11 boutons de fil rousset,
5 passe-lassets, 3 douz. de moules de bois de boutons à habit et veste, 1 quarteron d'amidon blanc, 2 onces d'azur bleu, 4 à 5 livres de chandelle, 11 pièces de ruban et fil de laine de plusieurs couleurs et largeurs contenant le tout environ 50 aulnes,
3 petites pièces de fil blanc à fleurs, 16 lacets de fil de couleurs, 1 lot de cuir à faire des semelles à soulliers, avec plusieurs petits morceaux de coutil, 1 pince à réparer des boutons
80 livres de caboches, 2 chantepleures de cuivre. 1 paire de balances de cuivre avec son bancard.
Dans la forge : 1 soufflet avec sa monture, 1 enclume de fer montée sur une bille de bois, 3 bigornes, 4 marteaux à devant. 9 autres marteaux à main, 1 étoc de fer, 2 étampes, 1 tranche et 2 broches, 1 cizeau à froy, 1 petit marteau, 14 paires de tenailles, 2 tizonniers, 9 couteaux de forge avec 3 anneaux,
166 SESSION TENUE A t.OUVIERS, EN 1903.
ô cercles de fer à pipe, un taras à charron, 2 seaux ferrés, 1 enclume de potain, 1 poids de 26 livres attaché au soufflet, 8 morceaux de fer neuf formant environ 80 livres, 1 lot de bandes à charrettes, 2 bouts de chaînes, le tout pesant 130 livres, 1 lot de vieille ferraille, 10 boisseaux de charbon, 3 filières, 8 taros et 1 clef à tourner les écrous, 2 planes, 1 virebrequin, 5 limes et 1 râpe à bois. 1 bissac de cuir dans lequel 10 livres de clou, 1 paire de flammes, 1 cizeau et 1 gouge, 1 pioche, 3 paires de tricoises, 5 boutoirs, 1 hrochoir. 1 bec d'anne, 1 par damié (?), 1 petite tille, 1 corps d'essieu, 3 vieux terriers, 1 compas, environ 5 livres d'assier, un ponsond rond, 1 paire de morailles, 1 bride à brevages I?), 46 fers neufs de différentes grandeurs, 1 grande egohine, 30 clefs très vieilles, une râpe à soc, 1 varlope à fer, 1 bancard, 1 petite romaine, 1 vieille hache, 2 vieux tabliers: 1 à forgé et l'autre à ferré, 2 vieux râteaux de fer sans manche, 1 vieille scie démontée, 1 vieille traitoire à ferrerdes roues. Un gros livre bouquin intitulé : « Le Parfait maréchal » (Not. de ïourville-la-Canipagne).
IV. — Gages et salaires.
Nous avons relevé les chiffres ci-dessous dans des registres domestiques et nous les donnons tels que nous les avons trouvés, sans avoir égard à la valeur de l'argent.
GAGES ANNUELS
Domestiques de ferme. — 172.V1726. — 70 livres l'an. —30 1. et 2 paires de sabots.
1730. — 57 1. (avec un congé de 3 semaines au mois d'août).
1730. — KX) sols le mois.
1732. — 42 1., 1 paire de souliers, 24 sols de deniers à Dieu.
1764-1765. — 601., 2-4 sols de vin et blanchi.
1760-1767. — 60 1., 24 sols de vin.
1767-1768. — 48 1.
2e JOURNÉE, 24 SEPTEMBRE. 16?-
Bergers. — 1725-1736. - 501.
1727. — 50 1., 2 chemises et la nourriture de 2 moutons.
1728. — 60 1. et nourriture de 6 moutons.
1729. — 63 1. 1731. — 60 1.
1764. — 52 1., 30 sols de vin pour la laine, 2 s, par mouton vendu, 24 sols de denier à Dieu.
1765. - 66 1. et 24 s. de vin. 1766-1767. — 75 1.
1768-1769. - 95 1., 36 sols de vin et blanchi.
Charretiers. — 1729. — 60 1. et 1 chemise.
1731. — 65 1.
1732. — m 1.
1758. — 80 1. et 1 paire de souliers. 1767. — 681., 36 s. de vin et blanchi.
1769. — 90 1.. 10 sols de vin par tonneau de cidre vendu. 1772. — 100 1., 3 1. de vin et 10 s. par tonneau de cidre vendu.
Vachers. — 1758. — 12 1. et 1 chemise.
1759. —151., 15 1. etl paire de houzeaux et 1 paire de culottes. 1763. — 12 1., entretenu de sabots, 1 chemise et 1 culotte.
Servantes. — 1770. — 20 livres, 3 aulnes de toile de niasse et entretenue de sabots, 24 s. de vin.
1771-1773. — 36 livres, 1 fichu, 24 sols de vin et entretenue de sabots.
SALAIRES JOURNALIERS
Batteurs en grange. — 1725. — 12 s. 1727. — De la St-Martin à la Madeleine, 42 1.
1730. — 6 s. et nourri.
Journaliers. — 1725. — 10 s.
1727. — 5 s. et nourri. — 7 s. et nourri.
1729-1730. — 5 et 7 s. et nourri. — 12 s.
1731. — 7 s. et nourri.
1735. — 6 s. et 7 s. et nourri.
1761-1768. — 6 sols en hiver, 8 s. en été et nourri.
1769. — 9 s. et nourri.
168 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903. .
laboureurs. — 1725. — 13 s.
Tailleurs d'habits. — 1760. — 10 s. par jour et nourri.
Tonneliers. — 1727. — 12 s.
Couvreurs en chaume. — 1727. — 14 s. 1730. — 12 s., 10 s. 1732. — 12 s. et 10 s.
Faucheurs et scieurs de blé. — 1728. — 14 s. — 15 s.
1760. — 15 s.
1760. — 10 s. — 14 s. — 15 s.
Charpentiers. — 1735. — 14 s.
1760. — 10 s.
1768. — 15 s. et nourri à l'exception du pain.
M. de Longuemare se fait l'interprète de tous et remercie M. Leroy d'avoir bien voulu donner à l'Association Normande les primeurs de son intéressante étude, dont l'importance n'échappera à personne.
M. Léon Coutil, des Andelys, prend ensuite la parole; en quelques mots il présente les projections lumineuses qui vont passer sous nos yeux. Plus de quatre-vingts projections nous montrent les armes, les objets gallo-romains, les vieux monuments et les vieilles maisons de Pont-de-1'Arche. de Louviers, de Gaillon, etc., dont nos confrères pourront demain et vendredi apprécier l'intérêt.
Cette séance, si bien remplie, est levée à 11 heures.
2e JOURNÉE, JEUDI 24 SEPTEMBRE
EXCURSION
à l'abbaye de Bonport, à Pont-de-l'Arche et à Poses.
COMPTE RENDU
Par M. Louis RÉGNIER,
Inspecteur de l'Association.
Voir l'abbaye de Bonport. les églises de Pont-del'Arche, de Léry et de Notre-Dame-du-Vaudreuil, le barrage et les écluses de Poses, tel était l'objectif de la première excursion de l'Association Normande aux environs de Louviers. Ce programmé avait de quoi séduire. Aussi les excursionnistes furent-ils nombreux, — une quarantaine environ, dont plusieurs dames, qvie les promenades annuelles de la Société d'Études diverses de l'arrondissement de Louviers avaient familiarisées avec l'archéologie et avec les archéologues, en dépit des soi-disant beaux esprits qui volontiers rabaissent l'une à de ridicules occupations et font des autres l'objet d'interminables plaisanteries.
Le trajet de Louviers à Bonport se fit allègrement et gaîment, malgré un brouillard assez intense qui dérobait aux regards les riantes perspectives de la vallée. Les beautés de la forêt de Bord, autrement
170 SESSION TENUE A I OtlVlERS. EN 1903.
dite forêt de Pont-de-1'Arehe, les échappées que procurent de nombreux percements, la majesté des magnifiques plantations de hêtres dont la vue, suivant la remarque de M. Legrelle, « console un peu les vieux normands de la disparition croissante des futaies à corneilles du pays de Gaux » (1), tout cela fut à peine soupçonné, et la descente sur Pont-del'Arche et la vallée de la Seine ne se présenta pas avec son charme habituel. Le soleil parut pourtant comme nous approchions de Bonport, mais il ne parvint pas rhi premier coup à dissiper la brume, et ceux de nos confrères qui n'avaient pas dans leurs souvenirs la vision ensoleillée de ce vaste panorama durent admirer quasi de confiance la situation, ravissante et majestueuse tout a la fois, du célèbre monastère.
L'abbaye de Bonport.
Tout le monde connaît la tradition qui se rattache à l'origine de Bonport. Richard Cuuir-de-Lion, chassant dans ces parages, poursuivait un cerf avec une telle impétuosité que son cheval s'élança dans la Seine à la suite de l'animal. Le péril était grand. Cependant, le roi put regagner la rive, et, pour remercier la Providence, peut-être même pour accomplir un voeu fait au moment du danger, il
(1| Arsène Legrellc, Pont-de-l'Arche, dans la revue la Normandie, 9e année, p. ;i(18 (numéro de juin ISil'il. Ce charmant article, dans lequel l'auteur a consacré deux pages gracieuses à la flore de Pont-de-1'Aivhe, était destiné au tome second — non paru — de l'ouvrage intitulé: Les Environs de Iiouen.
EXCURSION. 171
fonda, à l'endroit même où il avait abordé, une abbaye de religieux cisterciens à laquelle il donna, par reconnaissance, le nom significatif de NotreDame de Bonport. On a prétendu fixer le fait au 4 octobre M 90, mais la cbronologie des événements contemporains rend cette date inadmissible, et il faut se contenter de dire que l'abbaye de Bonport fut fondée en H89 ou 1190.
Bonport a perdu, partie à la Révolution, partie dans la première moitié du XIXe siècle, sa haute et vaste église, son cloître et quelques-uns de ses bâtiments conventuels. Mais tout ce qui subsiste a eu la bonne fortune d'écboir à des mains respectueuses, et ces restes vénérables sont aujourd'hui entretenus avec un soin qui fait plaisir à voir. M. Lenoble, l'heureux propriétaire de la vieille abbaye, a même restauré plusieurs parties des bâtiments fâcheusement modifiées au XVIIIe siècle par des religieux devenus, eux aussi, avides de confort, et dont l'esprit trop académique ne comprenait plus la grandiose beauté des constructions d'autrefois. La salle capitulaire a retrouvé ainsi sa voûte, ses colonnes, ses baies si élégantes. Nos confrères purent, d'ailleurs, apprécier l'exactitude et la fidélité de ces « restitutions » sobres et bien entendues, comme aussi admirer la piété avec laquelle sont recueillis et conservés tous les fragments et débris d'importance diverse que des terrassements, voire même de simples travaux de jardinage, font journellement retrouver.
M. Lenoble a, depuis quelque temps, un autre titre à la reconnaissance des archéologues: c'est la
172 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 190&.
manière dont il a encouragé et facilité les recherches d'un jeune ecclésiastique, vicaire dePont-del'Arche, que la vue de tous ces débris si suggestifs avait enflammé d'une louable ambition, celle de reconstituer par la description et par le dessin le magnifique ensemble du Bonport d'autrefois. M. l'abbé Chevallier a su mener à bien, autant que le permettaient les débris et les documents existants, cette tâche à la fois attrayante et difficile; il en a tiré un livre qui paraîtra bientôt et dont le manuscrit, présenté par l'auteur au concours d'archéologie ouvert par la Société libre d'Agriculture de l'Eure en 1901, a obtenu le prix biennal fondé par M. Lucien Fouché.
M. Lenoble voulut bien nous faire lui-même les honneurs de sa belle habitation et des restes de l'abbaye, dont nous pûmes à loisir examiner tous les détails; mais il tint à laisser à M. l'abbé Chevallier le soin de nous donner sur chaque partie du monastère les renseignements historiques et archéologiques qui convenaient. Nous vîmes ainsi successivement : les débris de l'église, qui, hélas ! n'est plus représentée que par la seule partie inférieure des murs et des piliers, fragments encore intéressants, d'ailleurs, et relativement bien conservés, sauf au déambulatoire, où tout a disparu ; — les vestiges du cloître, reconstruit pour la troisième fois au XVIII" siècle ; — le splendide réfectoire, vaste salle voûtée de 30 mètres de long sur 10 de large, qui a surtout contribué à la réputation moderne de Bonport, et qu'embellissait jadis une élégante chaire de lecteur, dont il reste fort heureusement
EXCURSION. 173
quelques précieux vestiges, juste assez pour permettre à M. l'abbé Chevallier d'en donner dans sa monographie une authentique reconstitution ; — la cuisine, d'une si curieuse structure, un des rares spécimens conservés de ces anciennes cuisines monastiques dont le plus beau type en France est la fameuse tour dÉvrault, à Fontevrault ; — la salle voûtée qui était sans doute le noviciat et que M. Lenoble a transformée en un musée où l'on voit avec intérêt des tombes plates, dont une faite de carreaux émaillés, des effigies funéraires en relief, des chapiteaux, bases, clefs de voûte, fragments divers ornés de sculptures ; — enfin, l'ancienne bibliothèque, située au premier étage et de si grand air avec ses hautes boiseries de la fin du XVIIe siècle. Notre visite se termina par les appartements du rez-de-chaussée, aménagés avec beaucoup de goût par M. Lenoble. On y admire une série de beaux bahuts des XVe, XVIe et XVIIe siècles, de jolis meubles du temps de Louis XV et de Louis XVI, des tapisseries anciennes de fabrication flamande, etc. Une petite salle a conservé un revêtement de boiseries du XVIII'' siècle qui prouve que les religieux de cette époque, s'ils ne savaient plus apprécier l'art des ancêtres, avaient toujours le sentiment d'un luxe de bon aloi et d'une richesse bien ordonnée.
Il y avait une heure que nous étions à Bonport, une heure trop rapidement écoulée. Nous dûmes prendre congé çle M. Lenoble, et M. de Longuemare se fit notre interprète à tous en remerciant l'aima-
174 SESSION TENUE A I.OUVIERS, EN 1903.
ble propriétaire de Bonport de son accueil et de sa courtoise bienveillance.
A mi-chemin entre l'abbaye et Pont-de-1'Arche, il fallut mettre de nouveau pied à terre pour jeter un coup d'u'il aux travaux d'un puits artésien creusé tout près de la Seine et destiné à fournir d'eau potable la ville de Pont-de-1'Arche. Il est situé à cinq cents mètres en aval du pont, dans un terrain appartenant à M. Lenoble. Le forage, entrepris par MM. Ihimont, Gondin et (>', atteignait alors une profondeur de 150 mètres. Commencé déjà depuis trois mois, il avait été ralenti considérablement parla traversée de grès et de silex très durs, d'une épaisseur de huit mètres. Finalement, l'eau n'a jailli que plusieurs semaines après, à la profondeur de 197 mètres. Cette eau a une température de 17 degrés.
M. Gondin, l'un des entrepreneurs, qui se trouvait là lors de notre passage, nous fournit avec complaisance d'intéressantes explications, auxquelles M. Maurice Hervey, conseiller général de Pont-de-l'Arche, ingénieur distingué, voulut bien ajouter les siennes.
Nous empruntons les détails qui suivent à un compte rendu de l'excursion publié dans le journal l'Industriel de Louviers à la date du 30 septembre :
« Le forage est fait à l'aide d'un trépan ou cylindre de fer taillé en forme de gouge. Le trépan, suspendu par un cable et actionné par une locomobile, frappe le fond de ses mille kilos et s'ouvre un chemin actuellement dans de l'argile grise que l'eau des couches supérieures délaie. Quand le trépan,
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par ses coups répétés, s'est enfoncé d'un mètre et demi environ, on retire les déblais avec une cuiller, cylindre creux de 4 mètres de longueur et de 0m20 de diamètre, muni d'une soupape à sa partie inférieure pour retenir les déblais dans leur ascension. En une minute, la cuiller a descendu et remonté les ISO mètres du puits.
« Ce forage est intéressant également au point de vue géologique,, car les entrepreneurs ont fait dresser le tableau et les épaisseurs des trente-quatre couches de terrain qu'ils ont traversées. Ce tableau devrait être imprimé et placé dans la salle de classe, ainsi qu'à la mairie. »
Pont-de-1'Arche.
Cette petite ville a conservé son caractère d'autrefois, ses rues étroites, ses vieilles maisons tassées les unes contre les autres comme au temps où l'enceinte fortifiée restreignait l'espace habitable,et une partie de cette enceinte elle-même, dont les courtines et les tours découronnées soutiennent encore, du côté de la Seine, le petit coteau sur lequel est assise l'église paroissiale, élégante dans son inachèvement. Les coins pittoresques, ces perspectives un peu désordonnées qui retiennent le peintre et le touriste, abondent dans cette agglomération compacte, où l'on compte les habitations vraiment modernes, où dominent encore les maisons en pan de bois. Aucune d'elles, d'ailleurs, ne peut se targuer d'une valeur
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artistique bien réelle, car la sculpture y est rare.
A l'église, par contre, elle règne en souveraine : elle s'étend partout, autour des fenêtres, sur les trois faces des contreforts, le long des corniches, sur les murailles elles-mêmes; elle couvre tout, menue, délicate, — d'une délicatesse peut-être excessive et outrée, — mais composée avec un goût, un charme, une variété qui, lion gré mal gré, conquièrent l'esprit le plus critique. Toute cette ornementation, — nous parlons de l'extérieur, — est exclusivement de style gothique, mais de ce gothique de la première moitié du XVIe siècle qui a dépouillé ce que pouvait avoir d'un peu sec l'architecture du temps de Louis XI et de Charles VHI pour se parer de formes nouvelles, plus douces, plus harmonieuses à l'oeil. Cet art rajeuni caractérise ici la façade méridionale, seule partie de l'édifice qui se laisse contempler de près. La façade occidentale et le côté nord, à peu près inaccessibles dès le temps même de la construction, n'ont pas reçu le même luxe de décoration. Quant à l'extrémité orientale, à l'abside, elle est restée incomplète. Ce n'est pas, d'ailleurs, le seul point où les bâtisseurs de l'église aient abandonné à leurs héritiers le soin de terminer l'oeuvre commencée.
Il est bien regrettable que, pour tout ce qui est relatif aux travaux de construction, on ne possède aucun document écrit, à part une brève mention relevée par André Pottier dans un vieux registre de la fabrique depuis disparu: « 1518. Roger Le Mercier a continué l'ouvrage et le pilier
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de la porto neui've » (1). Il s'agit sans doute du portail principal, qui regarde le midi et au-dessus duquel on voulut élever une tour qui a été à peine commencée. Un projet d'achèvement, avec flèche en pierre, dressé en 1877 par M. Simon, architecte à Rouen, n'est guère satisfaisant. On en peut dire autant de tout le projet de restauration et d'achèvement de l'église présenté parle même architecte. Ce projet témoigne d'une étude fort superficielle du monument (2).
Les travaux considérables entrepris depuis queU ques années à l'extérieur de l'église sont confiés à M. Lefort, architecte du département de la SeineInférieure, qui a le souci de faire oeuvre plus sérieuse. Il s'est aperçu avec raison des analogies qui unissent Saint-Vigor de Pont-de-1'Arche aux parties les plus caractérisées de Saint-Vincent de Rouen, et c'est à cet édifice qu'il a judicieusement emprunté les éléments d'une restitution des projets primitifs que n'aurait pas désavouée, dans son ensemble, le maître de l'oeuvre du XVIe siècle. J'aurais toutefois préféré, pour ma part, un remplage à formes arrondies dans les fenêtres latérales de l'abside, et, à la façade méridionale, des gables à couronnement moins allongé.
C'est à l'initiative de M. le chanoine Philippe, curé-doyen de Pont-de-1'Arche, que l'on doit l'exé(1)
l'exé(1) Monuments français inédits, avec texte par André Pottier, 1839, t. II, p. 30.
(2) M. Simon a restauré, de 1870 à 1883, les deux travées du bas-rôté voisines du portail el le portail lui-même.
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cution de ces beaux travaux. Le zèle infatigable du vénéré pasteur mérite en cela d'être loué sans réserves : il est entièrement justifié par l'excellence des résultats. Pourquoi faut-il que la gratitude des archéologues et des amis de nos monuments s'arrête au seuil de l'église ? Tous ceux qui, depuis quelque temps, ont visité l'église de Pont-de-1'Arche, les membres de l'Association Normande en particulier, savent à quoi nous faisons allusion : à ce groupe de marbre blanc de Notre-Dame-des-Arts, remarquable en soi, mais si déplorahlement placé au milieu de la grande et riche contre table en bois de 1642, dont il détruit l'harmonie au double point de vue de la couleur et des proportions ; à cette installation de l'éclairage électrique pour illuminations — idée bien singulière, vraiment ! — qui a nécessité le percement de centaines de trous dans la même superbe boiserie ; à cette sculpture grotesque — je ne trouve pas d'autre expression ! — figurant la Crèche, que l'on a installée dans une porte condamnée qu'il eût bien mieux valu rouvrir et restaurer, car elle est charmante ; à cette banale statue du Sacir-Coeitr qui est censée orner le trumeau du portail ; à ce vulgaire chemin de croix, oeuvre du même ciseau dont on a forcé le talent; à ces vitraux, oeuvre de pacotille s'il en fut jamais, dont le coloris brutal hurle dans l'abside à côté d'une fine et délicate grisaille de M'à-2. Est-ce là encourager l'art? Est-ce là l'aimer et l'honorer ? On accepte avec raison pour l'oeuvre extérieure, pour la partie architecturale, la direction d'un praticien habile et homme de goût, — peut-être parce qu'il est impossible de l'aire autre-
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ment, — et, à l'intérieur, non seulement on s'affranchit de tout contrôle, mais on repousse, on dédaigne tout conseil pour se livrer à tort et à travers aux caprices d'une imagination puérile et bizarre
Les vitraux de Pont-de-1'Arche sont connus, peut-être même ont-ils plus de réputation qu'ils n'en méritent. Leur étude, néanmoins, offre un réel intérêt, car ils appartiennent à la dernière époque de l'art du peintre verrier. Les fenêtres les plus anciennes ne sont pas antérieures à 1580 ou 1590 (1), et le plus grand nombre fut placé seulement dans la première moitié du XVIIe siècle. Il y a là de très curieux exemples de la manière dont les artistes entendaient alors la décoration translucide.
Après la visite de l'église, les excursionnistes allèrent prendre leur part du déjeuner qui leur avait été préparé à Xhôtel de Normandie. Chemin faisant, ils passèrent devant le monument élevé en 1868 à la mémoire d'un homme dont le nom et le souvenir ne laisseront jamais l'Association Normande indifférente, Hyacinthe Langlois. On sait tout ce que doit l'archéologie du moyen âge à cet artiste érudit qui en fut dans notre province l'un des plus actifs initiateurs. Non loin de la petite place où s'élève son buste en bronze, on voit encore
lll M. l'abbé Chevallier a lu les mots quatre vingt parmi Jes fragments d'inscription gothique restés au bas du vitrail représentant la Mort de la Vierge, dans le bas-côté nord. (Guide du touriste et de l'archéologue au Pont-de-VArche, p. 48.)
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la maison où il naquit en 1777; lia façade en a été complètement modernisée, mais une reproduction agrandie du médaillon de Langlois par David (d'Angers) la signale suffisamment aux regards. Par contre, F arrière-façade n'a pas été retouchée; sa construction en pan de bois demeure visible rue de l'Abreuvoir ou de l'Abbaye-sam-Toile, et subsiste telle que l'a reproduite, page 87, Y Album de dessins d'E.-H. Langlois publié à Rouen en 1876.
Nous avions le plaisir de compter parmi nos convives M. l'abbé Chevallier, et nous applaudîmes fort aux paroles par lesquelles M. de Longuemare tint à remercier notre nouveau confrère d'avoir guidé l'Association Normande avec tant d'obligeance et de savoir dans sa visite à Bonport et à Pont-de-1'Arche.
En quittant la table, nos confrères firent quelques pas sur le pont pour admirer le gracieux et pittoresque tableau de la petite ville avec ses maisons rangées sur la grève, ses remparts aux pierres assombries par le temps et son église toute parée, au contraire, d'une nouvelle jeunesse. Le vieux pont, démoli en 1836 et 18.T7, ajoutait jadis à l'ensemble sa silhouette vénérable et réveillait une foule de souvenirs. A l'autre extrémité, sur la rive droite, un château petit, mais bien fortifié, et disparu, lui aussi, défendait cet important passage.
Le barrage et les écluses de Poses.
A une heure et demie, nos voitures se remettent en marche pour nous conduire à Poses. On prend
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le chemin du bord de l'eau, sous un ciel gris, qui reste menaçant et que ne percent qu'à grand'peine les rayons trop rares d'un soleil anémique. 11 nous faut remonter jusqu'à Léry pour franchir la rivière d'Eure. Plus loin, nous retrouvons la Seine, à l'extrémité d'une plaine dont la traversée serait fort banale si l'on n'avait devant soi le haut et majestueux promontoire de la Côte des DeuxAmants. Cette montagne aux flancs abrupts, et bien connue par sa légende touchante et dramatique, domine de 130 mètres le barrage et l'écluse de Poses, ou, pour parler plus exactement, le barrage de Poses et les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts. Poses, en effet, s'étend à plat le long de la rive gauche de la Seine, et Àmfreville, comme son surnom l'indique, se cache au pied des collines rocheuses de la rive droite.
Nous abordons le barrage à son extrémité méridionale, sur la rive gauche, et, par la passerelle de service, ordinairement interdite au public, nous gagnons l'extrémité opposée, en examinant au passage les différentes parties de cette très importante et très remarquable construction. M. Jacob, conducteur de première classe de la navigation de la Seine, affecté au barrage et à l'écluse de Poses, qui nous avait obligeamment accordé les autorisations nécessaires, voulut bien nous expliquer succinctement le mécanisme de tout ce que nous avions sous les yeux.
A cet endroit, la Seine est partagée en deux bras, séparés par l'extrémité aval de l'île de la Mouchouette. C'est le bras principal, celui de la rive
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gauche, que ferme le grand barrage. L'autre bras, le bras écluse, est coupé par une ligne d'ouvrages qui comprennent, en allant du sud au nord, c'est-àdire de la rive gauche à la rive droite : d° la grande et la petite écluse, de construction récente ; 2° un petit barrage et une écluse hors d'usage inaugurés en 1852. Tous ces ouvrages, depuis la rive de Poses jusqu'à celle d'Amfreville, s'étendent sur une longueur de 336 mètres, égale à la largeur du fleuve à cet endroit, y compris la pointe de l'île de la Mouchouette.
Le barrage de Poses, justement admiré des ingénieurs, fut la première application d'un système aussi simple que pratique imaginé en 1878 par M. Anatole Caméré, alors ingénieur ordinaire du 2e arrondissement (3'' section) de la navigation de la Seine, en résidence à Vernon (ii. Dans ce système, le bief, — dont la longueur atteint ici 40 kilomètres, depuis l'écluse de Notre-Dame-de-la-Garenne, — est fermé par des rideaux composés de lames de fer articulées entre elles par des charnières, et qu'il est facile d'élever ou d'abaisser en les enroulant sur un axe, au moyen d'un treuil. L'invention de ces rideaux articulés constituait un très grand progrès sur les aiguilles de bois autrefois en usage, dont le maniement était difficile et la hauteur forcément limitée.
(!) M. Jules-Edouard-Anatole Caméré fut nommé, en 1X83, ingénieur en chef de la 3e section, avec résidence à Paris, et en 1897, inspecteur général des ponts et chaussées. Cet habile ingénieur, né à Paris le 1« septembre 1838, est mort à Cannes le 27 décembre 1900. Il était, depuis 1893, officier de la Légion d'honneur.
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Aussi l'idée de M. Gaméré a-t-elle été depuis appliquée un peu partout. La ville de Genève, par exemple, a copié le barrage de Poses, en trouvant dans la retenue la force motrice nécessaire à sa lumière électrique.
Le barrage comprend d'abord un pont supérieur en fer porté par d'énormes piles dont les fondations descendent jusqu'à la craie, à9m50 au-dessous de l'étiage. A ce pont sont fixés des montants mobiles en fer s'appuyant au fond de l'eau sur un socle en maçonnerie et portant à leur partie inférieure les rideaux articulés, puis, à mi-hauteur, une passerelle de service qui traverse les piles et forme ainsi, d'un bout à l'autre du barrage, une galerie de circulation ininterrompue. Des treuils montés sur rails s'y déplacent à volonté et servent à enrouler et à dérouler les rideaux articulés. Ces treuils sont actionnés par l'électricité obtenue à l'aide de la chute d'eau.
Lorsqu'il y a lieu d'ouvrir le barrage, — par exemple en cas de crue ou quand la rivière charrie des glaces, — on commence par enrouler tous les rideaux pour les fixer sur les montants au-dessous de la passerelle ; puis on relève les montants, qui à leur tour sont fixés horizontalement sous le pont supérieur. Quand le barrage est relevé, tous les éléments qui le composent sont hors de l'eau, ce qui en rend la vérification facile.
Ce barrage a permis de réaliser sur la section de la Seine qui s'étend depuis Notre-Dame-de-laGarenne, le tirant d'eau de 3m20 indispensable aujourd'hui à la navigation.
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Dans le sens horizontal, l'ouvrage comprend, toujours du sud au nord : deux passes profondes navigables dont le pont supérieur (17 mètres au-dessus des basses eaux) est plus élevé que dans le surplus du barrage (14m57); deux passes surélevées de déversoirs, et trois passes profondes non navigables. La longueur totale du barrage entre les culées est de 239m76, mesurée à la tête amont des six énormes piles qui séparent les passes. Ces piles mesurent 4 mètres d'épaisseur sur 22m50ou 21 mètres de longueur, suivant les cas.
La construction, entreprise à la fin de 1878, ne fut terminée qu'en 1885, après avoir été entravée à diverses reprises par des crues nombreuses et considérables, notamment par celle de 1882, qui a dépassé à Poses le niveau de toutes les crues connues et menaça même, un instant, l'existence du village. Les travaux furent exécutés pour la maçonnerie et la charpente par la maison Moreau et Vincendeau, de Paris, et pour la partie métallique par MM. Th. Joly, César Jolly et Delafoy. d'Argenteuil. Les dépenses de la première partie se sont élevées à3.U2.349f. 86. et celles delà seconde à793.432 f. 03, au total: 3.905.781 f.89.
Peu de temps après avoir commencé les travaux du barrage, on s'aperçut de la nécessité de reconstruire l'écluse d'Amfreville-sous-les-Monts ; mais, au lieu de la refaire à la même place, le long de la rive droite, on préféra l'établir en pleine rivière, près de l'extrémité aval de l'île «le la Mouchouette. Cette situation offrait à l'accès des bateaux plus de facilité et de sécurité; elle avait, en outre, l'a van-
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tage de laisser intact le petit port de l'embouchure de l'Andelle, très utile au déchargement des charbons destinés aux usines de la vallée. De plus, on décida de construire deux écluses, une grande et une petite, et d'élever en aval une digue ou jetée assez longue pour protéger le chenal contre le courant venant du barrage. Les travaux, commencés par M. Charles Grosjean, entrepreneur à Pontailliersur-Saône (Gôte-d'Or), furent terminés par M. Conrad Zschokke, ingénieur-entrepreneur à Paris. Ils durèrent de 1880 à 1885 et coûtèrent 3.101.303 fr. 19.
Quatre hommes sont employés au barrage et trois à l'écluse, sous la direction de M. Jacob, conducteur de première classe delà navigation de la Seine, en résidence à Amfreville-sous-les:Monts.
De même que la manoeuvre des différentes parties du barrage, l'ouverture et la fermeture des vannes et des portes de l'écluse se font au moyen de l'électricité.
Nous pûmes voir sortir de la grande écluse un convoi de huit bateaux qui s'y trouvait au moment de notre arrivée. L'opération est fort intéressante à suivre, avec un pareil nombre de bateaux. Il y a là toute une stratégie parfaitement raisonnée et fort simple en elle-mfine.... : il ne s'agissait que de la trouver !
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Léry.
Mais il faut repartir. Nous sommes en septembre, et nous devons nous hâter pour voir avant le coucher du soleil les deux églises de Léry et de NotreDame-du-Vaudreuil.
Saint-Ouen de Léry est une des premières églises rurales qui aient provoqué l'intérêt des artistes et des archéologues, à une époque où, de tous les monuments du moyen âge, les grandes cathédrales gothiques seules paraissaient dignes de quelque attention. Avant 1825, cette modeste église avait déjà eu trois fois les honneurs de la gravure et de la description : Hyacinthe Langlois, les anglais Cotman et Turner, puis les auteurs des Voyages pittoresques et romantiques dans /'ancienne France, s'en étaient successivement occupés ; mais l'édifice devait attendre jusqu'à nos jours une étude sérieuse et vraiment utile. Notre cicérone aimable et autorisé de Bonport et de Pont-de-1'Arche, M. l'abbé Chevallier, a donné, Tannée dernière, dans le Bulletin Monumental, une monographie de l'église de Léry. Nous ne referons, pas ici ce travail définitif, d'après lequel l'église de Léry, « bâtie d'un seul jet vers le milieu du XII 1' siècle, probablement entre les années 1130 et 1160, » serait un édifice de style normand, où l'influence française ne se montre que dans le profil des nervures de la voûte. Ces conclusions, est-il besoin de le dire, nous paraissent tout à fait plausibles.
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Les gros piliers circulaires de la nef, une tour centrale formant lanterne, un portail assez riche surmonté d'un triplet, telles sont les particularités les plus apparentes de cette église, dont le choeur et le transept possèdent seuls des voûtes en pierre. Des travaux considérables, entrepris il y a une trentaine d'années, ont renouvelé maladroitement les bas-côtés de la nef et donné à la façade une jeunesse nouvelle qui, tout bien considéré, n'inspire pas trop de méfiance. L'étude de M. l'abbé Chevallier est accompagnée d'un plan, d'une vue extérieure montrant la tour, le choeur et le croisillon sud, d'une coupe longitudinale et d'une vue de la très élégante croix de pierre érigée dans la première moitié du XVIe siècle en avant de l'église, et qui n'a pas peu contribué à la renommée de l'édifice pendant la période romantique.
M. l'abbé Belliostc, curé de Léry, nous fit avec beaucoup de courtoisie les honneurs du monument. Grâce à son aimable intervention, nous pûmes, ajoutant au programme, jeter un coup d'oeil sur des restes de constructions civiles qui s'élèvent au centre du village et dont peu de personnes jusqu'ici soupçonnaient l'existence.
Les religieux cisterciens de l'abbaye de Bonport possédaient autour de leur monastère, dans un rayon assez étendu, — aune journée de marche au plus, — un certain nombre d'hôtels ou manoirs, centres d'exploitations agricoles qu'ils dirigeaient eux-mômes. Le Clos-Bonport, à Léry, était une de ces fermes monastiques, auxquelles on donnait, dans l'ordre de Citeaux, le nom de granges. Les
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religieux tenaient cette propriété de la munificence du roi Richard, leur fondateur.
L'enclos a été morcelé, mais l'ancien logis et la grange subsistent et dépendent aujourd'hui d'une ferme voisine. La grange a été remaniée ; l'intérieur n'offre pas de colonnes, mais de puissantes chandelles de bois.
Le logis s'élève au fond de la cour. Il a subi, lui aussi, des mutilations. L'étage qui surmonte le rezde-chaussée est actuellement incomplet, et la toiture n'a plus sa hauteur primitive. La construction est soignée, comme toujours ; elle comprend des assises alternées de silex noir taillé avec une régularité parfaite, et de pierre de taille bien choisie. Deux portes s'ouvrent côte à côte dans la façade principale. Les fenêtres, aujourd'hui presque toutes bouchées, sont nombreuses, aussi bien au rez-dechaussée qu'à l'étage. Larges, entourées de biseaux, elles conservent pour la plupart leurs meneaux en forme de croix.
Malheureusement, ce qu'il y avait de plus curieux peut-être n'existe plus. C'était une sorte d'abside, large de 4 mètres, qui s'ouvrait à mi-longueur d'une pièce assez vaste, de plan barlong. A quoi cela pouvait-il. servir ? Le problème est difficile à résoudre. 11 ne faut songer ni à une chapelle, ni à un oratoire, car, loin d'être orienté liturgiquement, l'édicule faisait saillie vers l'ouest.
Les bâtiments du Clos-Bonport paraissent remonter au XIV" siècle. Ils doivent être contemporains de cet élégant manoir de la Reine Manche qui s'élevait non loin de là, dans le village même de Léry,
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et dont les dessinateurs du rè^ne de Louis XVIII nous ont conservé les derniers souvenirs. Ce qui en subsiste est, en effet, à peu près insignifiant.
Notre-Dame-du-Vaudreuil.
Au départ de Léry, le groupe des excursionnistes se partagea en deux. Quelques-uns de nos confrères allèrent examiner, à Saint-Cyr-du-Vaudreuil, la culture des raisins en plein air et en serre créée par M. Marc et poursuivie par M. Ghappuis. Cette visite a fait l'objet d'un rapport de M. René Dubourg, secrétaire général de l'Association, dans la séance tenue à Louviers le samedi 26 septembre.
Les archéologues, fidèles à l'itinéraire tracé, se dirigèrent versFéglise de Notre-Dame-du-Vaudreuil. Au milieu de ce petit bourg, ils saluèrent en passant la statue érigée en 1890 à Edgar Raoul-Duval, député de l'Eure, l'un des membres les plus éloquents et les plus en vue des assemblées parlementaires de 1871 à 1887.
Le Vaudreuil doit être cité parmi les localités les plus anciennes du département de l'Eure. Il comprenait autrefois deux paroisses, dont la Révolution a fait deux communes distinctes. L'ancien château n'existe plus. Il avait été naturellement plusieurs fois reconstruit depuis l'époque mérovingienne. Célèbre par l'exil de Frédégonde, par les entrevues de Philippe-Auguste et de Richard Coeur-de-Lion, par les séjours du roi Jean le Bon, par les splendides jardins, création fastueuse de Claude Girardin, qui
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s'y ruina sous Louis XIV, enfin par ce groupe d'Hercule terrassant l'hydre, oeuvre magnifique de Puget qui, miraculeusement retrouvée et sauvée, t'ait aujourd'hui l'orgueil du musée de Rouen, cette résidence si riche en souvenirs a été abandonnée au XVIIIe siècle pour une habitation bâtie sur un autre emplacement et mieux appropriée aux moeurs du temps. Toute cette histoire du Vaudreuil, si pleine de mouvement et de vie, a été écrite avec talent par un enfant du pays, M. Paul Goujon.
L'église Notre-Dame, la seule des deux anciennes paroisses qui mérite une visite, offre plus d'un point de ressemblance avec l'église de Léry. Comme à Léry, la nef et les bas-côtés sont séparés par de lourdes arcades sans ornements, appuyées sur de gros piliers monocylindriques, et comme à Léry, ces trois vaisseaux n'étaient pas destinés à recevoir des voûtes (le berceau qui surmonté aujourd'hui la nef est en plâtre et moderne, ainsi que la corniche intérieure et les colonnes en encorbellement). Les bras du transept sont voûtés dans l'une et l'autre église, mais au Vaudreuil il n'y a que des voûtes d'arête. La tour, qui s'élève aussi sur le carré, a beaucoup moins d'importance qu'à Léry — l'étage supérieur manque depuis longtemps — et ne forme pas lanterne; la voûte inférieure, sur nervures, est moderne dans son état actuel. C'est dans les parties orientales que l'on remarque les différences les plus sensibles entre les deux édifices. D'abord, le plan n'est plus rectangulaire, mais comprend une étroite travée et un hémicycle, respectivement recouverts d'une croisée d'ogives et d'un quart de
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sphère. Kn outre, deux absidioles s'ouvraient jadis surles croisillons. Tous cescaractèresannonceraient une période assez reculée du XI1° siècle, si l'abside n'était garnie intérieurement d'arcatures en tierspoint. Toutefois, la présence de l'arc brisé dans cette partie de l'église n'eut assurément pour cause que la fantaisie de l'architecte, et, sans ouvrir ici une discussion archéologique, nous sommes d'avis de ne pas considérer ce fait comme un argument décisif en faveur de ceux qui seraient tentés d'attribuer l'édifice à une date postérieure à 1150.
La charmante et délicate contretable en bois du maître-autel, du temps de Louis XIII, semble, au premier abord, une réduction de celle de Pont-deTArche. Quelques jolis fragments de vitraux du XVIe siècle brillent encore aux fenêtres, et d'élégantes statues du XVIIIe siècle le disputent en intérêt à des sculptures plus anciennes dont l'attrait consiste surtout dans l'origine qu'à tort ou à raison on leur attribue (1).
Nous examinâmes tout cela aux dernières lueurs du jour. Bientôt, après un coup d'oeil donné à l'abside, assez bien restaurée, — mieux que la nef, — et au portail, pastiche roman de 1858 surmonté d'une rose du XVI 0 siècle assez élégante (2), nous
(1) L'une d'elles, tout au moins, celle qui représente la Trinité, proviendrait, dit-on, de la cuapelle du château du Vaudreuil et
•aurait été peinte en 1355 par Jean Gosie, peintre du roi Jean. Par malhuur, ni les documents invoqués, ni l'oeuvre elle-même ne se prêtent sans réplique à une pareille identilicaiion.
(2) On lit dans la Normandie illustrée, 1.1, 2' partie: Eure, p. 35 : « Le portail de l'église de Notre-Dame-du-Vaudreuil
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reprîmes le chemin de Louviers par la rive gauche de l'Eure, c'est-à-dire en traversant successivement les villages populeux de Saint-Gyr-du-Vaudreuil et d'incarville, et enfin le long faubourg Saint-Germain, par lequel nous avions quitté la ville dix heures auparavant.
offre un beau modèle du style roman orné. » L'auteur de ces lignes, Raymond Bordeaux, a évidemment fait confusion avec le portail de Léry. En 1852, date de la publication de l'ouvrage, l'église deNotre-Danie-du-Vaudreuil avait pour entrée une large baie en plein cintre à moulures gothiques, datant seulement du XVI» siècle.
3e JOURNÉE, VENDREDI 25 SEPTEMBRE
ENQUETE AGRICOLE
La région de Louviers, par la nature de son sol, par les habitudes de sa population, est moins exclusivement agricole que celle de Neufchâtel où l'Association tenait l'an dernier la 70e session de ses Congrès provinciaux. L'enquête agricole a, pour cette raison, été moins suivie et moins complète; mais elle n'a pas été moins intéressante, car un certain nombre de mémoires ont été lus par leurs auteurs et ont donné lieu â des observations nombreuses dont tous pourront faire leur profit.
Nous ne nous attacherons pas dans le résumé de cette enquête à suivre l'ordre du questionnaire de l'Association, quelques-unes des questions qui y étaient inscrites étant restées sans réponse, mais nous ferons en sorte de grouper les différents mémoires de la façon la plus pratique, et de les relier entre eux pour la plus grande commodité des lecteurs.
A cinq heures, les congressistes étaient réunis à l'hôtel de ville. M. de Longuemare, sous-directeur do l'Association, après avoir offert la présidence
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à M. le Sous-Préfet, donne aux nombreux assistants, avec clarté et précision, les explications qui peuvent leur être nécessaires pour suivre avec fruit les travaux du Congrès. Puis M. le SousPréfet donne la parole à M. Delaplace, instituteur à Giverny, qui, dans une conférence très intéressante, expose les résultats obtenus dans sa commune au sujet de l'emploi des engrais complémentaires, et indique comment on peut, par l'analyse des différents terrains, établir, par commune, des cartes indiquant d'une façon précise à chaque cultivateur quelle nature et quelle quantité d'engrais chimiques il doit donner aux différentes parcelles qu'il cultive, suivant la nature de la récolte que ces parcelles doivent produire.
Nous ne saurions mieux faire que de reproduire ici cette conférence.
3* JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 195
LES ENGRAIS DE COHHERCE
Messieurs,
»
J'aborde sans préambule l'une des plus grosses questions agricoles du temps présent : celle relative aux engrais.
Elle se résume en peu de mots : « Sans engrais, pas de récolte abondante ; sans récolte abondante, pas de bénéfice ».
Seuls, les cultivateurs pénétrés de cette vérité peuvent se procurer l'aisance, triompher de la crise agricole que nous traversons en ce moment et s'assurer réellement l'indépendance sociale qu'on leur reconnaît.
C'est donc à ceux qui considèrent que le fumier est l'engrais unique par excellence, à ceux qui emploient peu ou point d'engrais complémentaires, ou les emploient mal, que je'serais heureux de l'aire reconnaître toute l'efficacité des engrais de commerce.
Chacun sait que le bétail d'une ferme ne produit pas une quantité suffisante de fumier pour fumer convenablement toutes les terres en sole.
De plus, ce fumier est généralement mal fait, il n'est pas arrosé de purin, pas abrité du soleil ni
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de la pluie, le blanc s'y développe et il perd la moitié de ses qualités. Déjà pauvre naturellement, il le devient davantage. Qu'on songe qu'un fumier bien fait, — ce qui est beaucoup plus rare qu'on ne devrait l'espérer, — renferme seulement dans 1.000 kil.,
en moyenne 2 à 3 kil. d'acide phosphorique, S à 6 kil. d'azote, autant de potasse, et 7 à 8 kil. de chaux. Ce serait en réalité le roi des engrais, mais à condition qu'il soit appliqué à une dose suffisante et qu'il ait été l'objet de soins particuliers. Gomme il n'en est pas ainsi, le bon rendement des récoltes exige le complément apporté par les engrais de commerce (1).
Si on compare en effet les engrais chimiques au fumier, en tenant compte seulement d'un sac de 100 kil., on trouve :
14 à 20 kil. d'acide phosphorique, et 45 à 55 kil. de chaux,
dans les « Scories Thomas » ;
15 à 16 kil. d'azote, dans le nitrate de soude ;
et 45 à 50 kil.'de potasse, dans le chlorure de potassium. Remarquez, Messieurs, que je ne combats nulle(1)
nulle(1) fumier de ferme est l'image du sol. Si les terres de la ferme sont pauvres en potasse, le fumier lui-même (résidu des récoltes antérieures) présentera cette pauvreté relative: il sera forcément impuissant à corriger le sol.
3* JOURNÉK, 25 SEPTEMBRE. 197
ment l'emploi du fumier, mais je veux seulement faire constater l'insuffisance de sa production et de ses effets, la nécessité de lui adjoindre les engrais chimiques complémentaires, si l'on veut, fournissant au sol les éléments nécessaires qui lui manquent, ou y sont en proportion trop faible (1), supprimer les jachères et les sols infertiles.
En trop d'endroits encore quelques cultivateurs hésitent à se procurer des engrais. — Je dirai que cette hésitation est un peu due aux préjugés ; — plus encore aux tromperies dont les cultivateurs ont été victimes en achetant des engrais composés; et enfin, parce que la majeure partie des intéressés ignorant la composition de leurs terrains, ne sachant par suite quels sont les engrais convenables et les doses à employer pour les diverses cultures, achètent sans raisonner un engrais que l'on répute excellent et que l'on dit avoir un fort dosage. Trop souvent d'ailleurs le prix d'achat du sac sert seul de guide alors que ce devrait être la composition chimique de l'engrais, composition appropriée au but poursuivi : tel engrais réussit bien dans un certain sol et est inefficace dans un autre.
Ce n'est qu'en connaissant d'une part la composition de son sol et les exigences en éléments nutritifs de la récolte que l'on veut faire, d'autre part la teneur en principes utiles d'un certain engrais, que l'on peut juger s'il convient et dans quelles proportions il faut l'employer.
(1) Voir la note précédente.
198 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Je ne m'attarderai pas à démontrer la fausseté du préjugé de ceux, d'ailleurs peu nombreux, qui affirment que l'engrais ruine le sol.
On comprend facilement que c'est au contraire la plante qui appauvrit constamment la terre en y puisant tous les matériaux de sa constitution, exportés ensuite de la ferme par la vente de la récolte.
Un engrais môme mauvais ne peut porter atteinte à la richesse du sol ; un lion engrais, non seulement augmente la récolte, mais encore, par le supplément de principes utiles non immédiatement employés, enrichit le sol.
Les cultivateurs devenus pessimistes à la suite de l'emploi irraisonné des engrais chimiques peuvent se classer en trois catégories :
1" Ceux à qui des maisons peu consciencieuses ont vendu des produits sans aucune valeur fertilisante ;
2° Ceux qui, sur les affirmations trompeuses de certains commis voyageurs, ont acheté des engrais composés, véritables panacées agricoles qu'on leur donnait comme propres à appliquer à toutes les terres et à toutes les cultures;
3° Ceux qui, croyant connaître la composition de leurs terrains, — alors qu'il faut pour cela en faire une analyse chimique sérieuse, — se sont procuré des engrais qu'ils ont appliqués la plupart du temps sur des sols où les éléments apportés étaient en quantités suffisantes et où, au contraire, ceux qui manquaient n'étaient pas ainsi fournis.
Quelques-uns n'ont éprouvé par suite qu'une
3* JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 199
perte d'argent, d'autres un pur échange de fonds, la valeur de l'excédent produit égalant à peu près le prix de l'engrais acheté. — Rendus perplexes, les uns et les autres en ont conclu que l'emploi des engrais était un coup de commerce préconisé par quelques gens adroits devant en tirer de gros bénéfices, etqu'onenreviendraitbientôtàl'unique emploi du fumier tel que l'avaient toujours fait nos pères.
Pour être rémunérateur, l'emploi des engrais chimiques doit être fait d'une façon rationnelle et pour cela se baser sur les divers points suivants :
1° Composition chimique du sol indiquant les éléments utiles qui lui manquent et qui doivent par suite lui être fournis par les engrais chimiques employés en complément du fumier.
2° Nature et propriétés physiques de ce même sol, d'où découle le choix de la forme sous laquelle l'élément utile doit être apporté. Suivant les cas, on fournira :
l'acide phosphorique, par les superphosphates ou les scories ;
la potasse, par le chlorure, le sulfate ou la kaïnite ;
l'azote, par le nitrate de soude, le sulfate d'ammoniaque ou un engrais organique.
3° Exigences nutritives de la récolte qui va être faite.
On doit en outre faire intervenir également dans le calcul de la formule de fumure, le stock de matières fertilisantes pouvant rester disponible à
200 SESSION TENUE A I.OUVIER8, EN 1903.
la suite de la culture précédente et de la fumure qui lui a été donnée.
On voit donc bien qu'il ne saurait être question d'engrais composés, dont l'achat ne devrait jamais être fait.
Que penserait-on en effet d'un docteur, en médecine donnant à tous ses malades un même remède guérissant à la fois les maux de tête et de dents, les douleurs d'estomac et les cors aux pieds ?
Évidemment on en rirait.
C'est cependant ce que veulent faire les marchands d'engrais composés qui se soucient peu du résultat qui sera produit, mais qui envisagent seulement le côté vénal de la fourniture.
Je dirai même, sans avoir l'intention de froisser la susceptibilité de quelques bons cultivateurs qui, réussissant très bien avec telle ou telle espèce d'engrais le recommandent à leurs amis, — qu'on ne doit jamais employer à la légère un engrais dont plusieurs se contentent. — On doit avant tout s'assurer s'il convient au cas dans lequel on se trouve, et de plus, s'il est le plus avantageux en la circonstance.
11 est évident qu'en apportant au sol un engrais composé on lui fournit à la fois tous les éléments nécessaires à la végétation des plantes : acide phosphorique, azote, potasse et chaux. Mais il est évident aussi qu'on n'apporte nullement ces divers éléments dans la proportion nécessaire, puisqu'on ne tient compte ainsi ni de la quantité qui se trouve déjà dans le sol, ni de celle qui est nécessaire pour l'obtention de la récolte que l'on a en vue. On peut
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 201
fort bien apporter, sans nécessité, un élément que le sol renferme déjà en quantité suffisante, d'où une dépense inutile. — Par contre, on peut ne pas donner assez d'un ou plusieurs autres dont le sol est très pauvre et dont la récolte à grand besoin, d'où une efficacité très faible de l'engrais. Enfin on s'expose encore à fournir les principes utiles sous une forme chimique qui n'est justement pas celle convenable à la nature du terrain. — Car les quatre éléments : acide phosphorique, azote, potasse et chaux se rendent sous formes différentes, selon la nature du sol.
Voyons maintenant l'effet produit sur les plantes par ces quatre éléments :
L'Azote est un gaz provenant: 1° des nitrates de soude, on le.dit azote nitrique; 2° de la distillation de la houille, on le dit azote ammoniacal ; 3° des déchets d'équarrissage et on le dit azote organique. L'azote pousse surtout au développement herbacé et empêche les feuilles de jaunir. Employé seul, il peut entraîner la verse, la coulure et, en rendant les tissus mous, facilite la pénétration des parasites.
L Acide Phosphorique n'est autre qu'un gaz de la même nature que la vapeur blanche, acide phosphoreux, qui se produit lorsqu'on frotte une allumette pour l'enflammer.
Il est d'origine animale ou minérale.
On le rencontre : dans les phosphates d'os, les phosphates minéraux et les phosphates métallurgiques:
Son rôle est de fortifier la plante pour lui donner
202 SESSION TENIF. A LOUVIERS, EN 1903.
de beaux et bons fruits et activer la maturité. L'acide phosphorique augmente en sucre la richesse de la betterave, il rend plus rigide „la paille des céréales et diminue ainsi la verse, il donne à l'herbe des prés cet arôme que chacun connaît.
Ses bons effets se font non seulement sentir sur les fruits et les grains, mais aussi sur les races d'animaux consommant une nourriture ayant fructifié sous l'action d'une grande quantité d'acide phosphorique.
L'acide phosphorique est l'agent le plus important, puisque toutes les terres en sont pauvres, les plantes y puisent le peu y existant : il ne faut donc pas craindre d'en apporter pour chaque récolte.
La Potasse et la Sonde, connues de tout le monde, sont extraites de la cendre des végétaux. Les engrais chimiques qui renferment de la potasse la donnent au sol sous forme de nitrates, de carbonates, de sulfates, etc. La plante reste chétive quand elle ne peut puiser dans le sol assez de potasse.
La potasse augmente le développement, la saveur et la maturité. Les arbres, les légumineuses et les fourrages en réclament beaucoup.
La Chaux est nécessaire à toutes les plantes. Il faut donc amender, l'hiver, les terres qui en sont dépourvues et ce par les marnages.
Le sol devient plus meuble, plus perméable, moins froid et facilite la décomposition de certains sels utiles à l'accroissement de la plante.
Tels sont les bons effets de ces éléments.
Ce sont eux qu'il faut restituer au sol après cha-
3* JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 203
que récolte, en vue de nouvelles semailles, en maintenant le plus grand équilibre possible dans cette restitution.
On doit donc tenir compte :
1° De la composition chimique du sol;
2° De sa nature et de ses propriétés physiques ;
3" Des exigences de la récolte à faire ;
4° Et des matières fertilisantes restant disponibles après la précédente fumure.
Pour cela, le fumier est incomplet. Si on double sa mise, l'équilibre n'est pas rétabli, car en voulant apporter la quantité nécessaire des éléments dont il est pauvre, on fait un apport trop grand de ceux qu'il possède suffisamment.
Il faut donc compléter le fumier par des engrais chimiques.
C'est à chaque cultivateur d'acheter séparément les doses voulues d'engrais phosphaté, azoté, potassique et sulfaté, nécessaires pour la fumure d'un certain terrain devant porter une certaine récolte ; mais comment peut-il savoir les engrais qui lui sont nécessaires et les quantités dont il a besoin ? S'il fallait, dans chaque cas, qu'il fasse l'analyse de son terrain et qu'il se renseigne auprès d'un agronome sur ce qu'il doit faire, il y aurait pour lui, à la fois, dépense assez considérable et perte de temps très notable. Par suite, tout cultivateur semblerait devoir être condamné à l'éternelle routine, s'il n'y avait pas un moyen lui permettant de se procurer immédiatement et sans frais tous les renseignements utiles.
Ce moyen le voici :
204 SESSfON TENl'E A I.OUVIERS, EN 1903.
Si grande que soit une commune, tout le monde sait qu'elle ne renferme jamais qu'un certain nombre de natures de terres, dont la composition et les propriétés sont nettement différentes. Lorsqu'un cultivateur saura que son champ fait partie de telle nature de terre, et que cette dernière doit, dans le cas qui l'occupe, être traitée de telle façon, il aura en mains tout ce qu'il faut pour une bonne réussite. Le problème qui semble être d'abord si compliqué se réduit donc à faire exécuter l'analyse physique et chimique de chaque nature de terre, à dresser pour chacune d'elles, suivant les conseils d'un chimiste agronome compétent et de M. le Professeur départemental d'agriculture, un tableau des fumures à fournir pour chaque culture, et à mettre tous ces tableaux bien en vue, à la libre disposition des intéressés, à la mairie ou à l'école.
Notre commune de Giverny renferme à première vue dix natures de terres différentes, pour lesquelles il conviendrait de prélever un échantillon au lieu dit:
1° Les Aj'oux, terrain d'alluvion ;
2° d° terrain plus siliceux (q. q. prêles) ;
3° Aux Grands Jardins, terre graveleuse reposant sur le cron ;
4° Derrière l'Eglise, terre graveleuse reposant sur la marne ;
5° Aux Bruyères de Giverny, sol pierreux (terre à seigle) ;
6° Au Coin des Brosses, argilo-siliceux (sous-sol glaiseux, rougeâtre) ;
7° Aux Bosses, terre franche ;
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 205
8° La Fontaine de Falaise, terre d'éboulis calcaire;
9° Le Marais Communal, terrain tourbeux ;
10° L'Amsicourt, terrain graveleux.
Chaque échantillon de terre étant analysé avec soin, les renseignements suivants seraient portés sur chacun des 10 tableaux correspondants (Voir à la mite de la Conférence).
Pour faciliter l'achat des engrais en évitant les tromperies malheureusement encore trop fréquentes, le tableau suivant serait également affiché :
Cours des matières fertilisantes à la date du
1° Prix de l'unité des divers principes fertilisants, c'est-à-dire le prix d'un kilo de chacun d'eux, suivant son origine :
! dans les scories ; ... V — le superphosphate minéral ;
ACIQG 1 _
... < — — d os (gras
phosphonque } ,.
f ou dissous) ;
1 — le phosphate naturel.
idans le chlorure de potassium ; — le sulfate de potasse ; — la kaïnite ; — le carbonate ou le nitrate de potasse.
I dans le nitrate de soude ; \ — le sulfate d'ammoniaque ; Azote / — je sang desséché ;
f — la viande desséchée ; ' — la corne torréfiée.
206 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
2° Prix des 100 kilos des principaux engrais chimiques, suivant litrage.
Enfin, pour que les cultivateurs connaissent bien les garanties à exiger du vendeur et sachent se défendre contre les marchands malhonnêtes en profitant des droits qui leur sont conférés par la loi, un tableau renfermera un » Extrait de la Joi du 4 février 1888, concernant la répression des fraudes dans le commerce des engrais » et un « Extrait du décret prescrivant les procédés d'analyse à suivre pour la détermination des matières fertilisantes des engrais » (1).
L'analyse de ces dix échantillons de terre et la confection de ces dix tableaux, d'après les conseils d'un chimiste et de M. le Professeur départemental d'agriculture, correspondent évidemment à une certaine dépense, mais celle-ci est bien peu élevée eu égard aux nombreux services qui, par la suite, seront ainsi rendus à tous les cultivateurs. C'est pour l'avenir une augmentation assurée de bénéfices produits par une exploitation rationnelle du sol ; car chacun doit se pénétrer de celte vérité que : « Jeter au hasard les engrais dans une terre sans faire l'examen de l'un et de l'autre, c'est imiter l'aveugle qui prend indillÏTcmment tous les chemins, — heureux s'il rencontre le bon ».
Or, n'y aurait-il pas dans le village une personne assez désintéressée, n'ayant que le seul désir d'être
(il inutile d'indiquer au tableau les méthodes d'analyses: il faut être chimiste de profession jiour bien faire ces analyses.
3* JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 207
utile à la cause agricole et à ses concitoyens, prête à faire ce sacrifice de quelques louis ?
Ne serait-elle pas sage la municipalité qui prendrait à la charge de la commune une dépense dont le résultat devrait profiter à ceux qui ont au budget communal la plus large part contributive ?
Ces deux hypothèses se réalisant, mais ne donnant pas les 125 francs nécessaires pour ces analyses, j'organiserai une tombola, ou un tir à la cible, ou une fête scolaire quelconque, dont les produits seront destinés à parfaire cette somme (1).
Nous reproduisons ici un des 10 tableaux établis par M. Delaplace, pour faire voir de quelle façon pratique il a appliqué les idées énoncées dans sa conférence et les a mises à la portée de tous.
Ces tableaux sont à la disposition des habitants de Giverny,'dans une des salles de la maison commune, où chacun peut les consulter. Ils permettent ainsi, à chaque cultivateur, de se rendre compte, sans effort, de ce qu'il doit donner à sa terre pour en obtenir les rendements les plus rémunérateurs ; il lui suffit en effet de se reporter au tableau correspondant à la région de la commune dans laquelle se trouvent les parcelles qu'il cultive, et de rechercher sur ce tableau le genre de récolte qu'il désire faire.
(1) Le concours de tir a eu lieu le 15 juin 1Ô02 (550 fr. de prix en espèces et en nature ont été offerts .par les cultivateurs et les personnes notables de Giverny).
Le bénéfice fait à ce concours a servi à payer les frais d'analyses des 10 échantillons de terre.
COIN DES BROSSES
Argilo-Siliceiix, sous-sol glaiseux rou^eâlre. S°" A, IV° 466. — M. F. LEGUAY.
ANALYSE PHYSICO CHIMIQUE ANALYSE CHIMIOUE
ENGRAIS A EMPLOYER sur 1,000 parties. sur 1,000 parties de terre fine.
Cailloux / Galcaires Q (J0 \ ,«■••,
et ) ' 2/ 78 ( ^uper. nimeral
Graviers. / siliceux- 2/». 78 \ Acide phosphorique 57!) Phosphatés, j ou
f Scories.
Terre fine 075,22 • \
1,000,00 Azot(J ' 1,(580 Azotés : Tous.
1,000 parties de terre fine contiennent :
Sable et argile 521 Potasse !)72 Potassiques : Tous.
Calcaire et matières solubles dans les acides, oxyde de
• Chaux 781 Sulfatés : Plâtre et marne.
Humus 52
Terre pauvre en humus, en calcaire, en potasse et en acide phosphorique. Elle gagnerait à recevoir des fumiers de ferme ou des engrais verts et à être marnée.
N° 8. — Tableau de Fumure pour les diverses Cultures. Dose à l'hectare sans fumier.
PHOSPHATÉS AZOTÉS POTASSIQUES SULFATÉS
Printemps Automne Printemps Automne Printemps Automne Printemps Automne
Blé » 500 Scories 150 N. S. 150 Sang » 150Ch.ouS.P. » (S 200 Plâtre
K Avoine de print... 350 S. P. » 150 itl. » 125Cn.onS.P. » 200 Plâtre £ »
ou-iOOScor ^
Seigle » 400 Scories » 300 Sang » 15UÇh.au S.P. » S 200 Plâtre
Orge de printemps. 200 S. M. » 150 N. S. » 125Ch.0oS.P. » 200 Plâtreo »
ou400Scor
Pommes de terre.. 400Scories » 150 id. » 175 id. » 300 id. »
Betteraves fourr. ..400 id. » 150 Sang » 175 id. » » »
et250N.S.
\ Artif1"» Trèfle.. » » » » » » 400 id. »
.1 f » Luzerne. 300Sc.Fév. » » » 150 Gh. P. » 400 id. »
s- \
S ( » Sainfoin. 200 id. » » » 75 id. » 400 id. »
°* 1
/Naturelles 400Sc.Hiv. » 150 N. S. » 100 id. » 400 id. »
Fin Mars
Vigne » » » M M J) M >J
Dans toutes les pièces de terre marnées on remplacerait les scories par des superphosphates employés à poids égal.
210 SESSION TENUE A L0UV1ERS, EN 1903.
Nous y joignons le tableau dans lequel sont établis les différents équivalents de fumier et la manière de les employer ; et nous y ajoutons l'appréciation de cette conférence par le distingué professeur d'agriculture du département de l'Eure.
FUHIER MELANGE
Richesse moyenne en éléments nutritifs par 1.000 kilos.
S 20 kilos scories.
20 » sup. minéral.
20 » os dégélatinés.
20 » os gras.
15 » phosp. natur.
Q I 30 » nit. de soude.
:_, \ 24 » suif, ammon.
Azote : 4 k. 7 ^ < 35 à 40 sans desséché.
i-5 I 35 à 40 viande D.
> \ :i) a 40 corne T.
Q, , 12 kilos clil. potasse.
'a \ 12 » suif, potasse.
Potasse : 5 k. 2 / 45 » kaïnite.
J 10 » carb. potasse.
f 15 » nitr. potasse.
Chaux : 3 k. 8 j 10 » plâtre.
La composition des fumiers varie avec la nature des terres cultivées, l'alimentation des animaux, l'espèce et l'âge même de ces animaux.
NOTA. — En employant environ 3.000 kilos de fumier à l'hectare, tous les 3 ans, si on emploie un demi fumier et un demi engrais, on déterminera par une soustraction, sur les
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 211
tableaux ci-annexés, la dose des 4 éléments d'engrais à apporter en complément du fumier.
PROCÉDÉ
Soit à faire en 3 ans :
1° Une récolte de betteraves de 30.000 kilos par hectare ;
2» Une récolte de blé de 30 hectolitres avec la paille correspondante ;
3° Une récolte d'avoine de 30 hectolitres avec la paille correspondante.
Les exigences des plantes à semer étant à l'hectare :
BETTERAVES BLÉ AVOINE
Acide phosphorique. 36 + 33 + 15 = 83
Azote 99 + 76 + 37 =212
Potasse 180 + 40 + 30 = 250
Chaux 36 + 15 + . 10 = 61
DEMI FUMIER Période triennale, 15.000 kilos par hectare
/ 300 scories.
V 300 super, minéral.
Acide phosphor.. 45 ^ / 300 os dégélatinés.
g ) 300 os gras.
5 ( 200 phosp. naturel.
^ ; 470 nitrate de soude.
^- V 350 sulfate ammon.
Azote 70 1/2 ^ j 600 sang desséché.
6 l 575 viande D. g ( 525 corne T.
j / 150 chlor. potasse.
>> l 150 sulfate potasse.
Potasse 78 p ) 650 kaïnite.
§ j 150 carbon. potasse.
f 170 nitrate de soude.
Chaux 49 1/2 j 150 plâtre.
212 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
DEMI ENGRAIS
Période triennale en respectant la richesse du sol :
Acide phosphorique 38 83 kilos.
Azote 141 1/2 212 »
Potasse 172 250 »
Chaux ' 11 1/2 61 »
MODE D'EMPLOI. — Les Phosphatés seront, autant que possible, enfouis par un labour; cependant les superphosphates donnent encore de très bons résultats pour les céréales lorsqu'on les enfouit seulement à la herse. — Les phosphates minéraux, les scories et les superphosphates ne s'emploient en couverture que sur les herbages et les prairies artificielles.
Les Potassiques seront, eux aussi, et autant que possible, enfouis par un labour ; mais ils donnent encore presque tout leur effet pour les céréales lorsqu'on les enfouit seulement à la herse. — Les sels de potasse ne s'emploient en couverture que sur les herbages et les prairies artificielles.
Les Azotés seront enfouis, autant que possible, au labour lorsqu'il s'agit du sang desséché quelle que soit la culture faite; au labour léger ou au hersage s'il s'agit de nitrate de soude ou de sulfate d'ammoniaque employés pour les céréales de printemps.
Le sulfate d'ammoniaque pourra être enterré indifféremment à la charrue ou à la herse pour les céréales d'automne ; le nitrate de soude sera répandu en couverture au printemps sur les blés et sur les herbages naturels.
Le Plâtre pourra toujours être enterré lorsqu'on
3' JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 213
l'associe à d'autres engrais pour des cultures diverses, mais qu'il soit employé seul ou non, il est mis en couverture sur les prairies artificielles et les herbages.
MÉLANGES. — On peut, en vue de faciliter les épandages, ou de n'en faire qu'un seul, mélanger ensemble en les brassant sur l'aire de la grange toutes les matières premières dont l'emploi est recommandé.
Sulfate d'Ammoniaque. — Toutefois il ne faut jamais mélanger ensemble des scories ou de la chaux avec du sulfate d'ammoniaque. Il se produirait une décomposition ayant pour effet de mettre l'ammoniaque en liberté, et comme ce principe est volatile, il serait entièrement perdu pour le cultivateur. Si on veut employer ces deux matières premières pour une même culture, on répandra les scories avant le labour et le sulfate d'ammoniaque après, se contentant de l'enfouir à la herse.
Il faudra éviter aussi de laisser longtemps en contact à l'air de la chaux ou des scories auxquelles on aurait mélangé des engrais azotés de nature organique: sang, corne, etc., lorsque ceux-ci sont humides.
Si on mélange des nitrates de soude avec du superphosphate, on sèmera l'engrais au plus tôt, sous peine d'avoir à regretter une perte d'azote et d'avoir à semer alors un mélange devenu pâteux.
Les engrais potassiques, chlorure, sulfate et kaïnite, peuvent se mélanger sans inconvénient à tous les autres engrais.
214 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Conservation: En attendant l'emploi, emmagasiner les sacs dans un lieu bien sec.
Précautions : S'opposer absolument à ce que les bestiaux puissent lécher les sacs contenant ou ayant contenu du nitrate de soude.
Appréciation du Professeur d'Agriculture du Département.
« La conférence de M. Delaplace expose d'une façon très nette les vues dans lesquelles doivent entrer les cultivateurs.
« Il ne s'agit pas de renoncer au fumier de ferme qui restera toujours l'engrais par excellence de toutes nos terres ; nous n'en ferons même jamais assez ; — mais il s'agit d'ajouter parfois quelque chose en vue d'obtenir, par lui, dans nos terres, des récoltes plus abondantes, laissant plus de bénéfices.
« Ce mot: bénéfices, est le seul but de la culture: pour accroître nos bénéfices, nous sommes tous amenés aujourd'hui à faire usage des engrais chimiques. On en consomme maintenant des quantités énormes et cette consommation s'accroît très vite: ce n'est sans doute pas pour le plaisir de faire vivre les fabricants que les cultivateurs risquent de telles dépenses; c'est parce qu'ils y ont intérêt!
« Mais le bénéfice ne peut exister que lorsqu'on emploie tel ou tel engrais selon les circonstances, à la condition de se les procurer à un prix raisonnable (au cours) et en évitant les vols et les fraudes dont trop souvent le cultivateur a été la victime.
« Mon voeu le plus ardent à faire en faveur des
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 215
cultivateurs serait de les voir apprécier cette conférence, et de les voir organiser chacun chez eux des essais sérieux : chaque fois que l'un d'eux emploiera un engrais nouveau, je lui demande de laisser dans la pièce un petit coin sans en mettre : plus tard, il tirera lui-même la conclusion. »
« BûURGNE. »
Cette conférence est la preuve du bien que peut faire dans sa commune un instituteur aimant l'agriculture et s'en occupant avec intelligence, elle justifie en tout point les idées émises sur ce sujet dans un court mémoire que nous reproduisons, par M. Delachaussée, instituteur en retraite à Vaux-sur-Eure.
« Pour peu que l'on jette un regard sur l'enseignement en France, on s'aperçoit que l'on fait tout ce qu'il faut pour arriver à une diffusion sans bornes des grandes études au préjudice de certaines études spéciales, entre autre celle de l'agriculture, de laquelle découle pourtant la sève vitale du pays.
« Cependant c'est par l'enseignement agricole primaire, qui serait aussi facile que fécond, surtout pour enrayer la dépopulation de nos campagnes, qu'il faudrait commencer. Permettez-moi de vous donner mes idées là-dessus.
« Pour arriver aux meilleurs résultats possibles, il serait de toute nécessité, d'abord de laisser à l'instituteur toute sa liberté d'action, toute son indépendance, sans toutefois qu'il en résulte aucun préjudice pour l'enseignement général de sa classe.
216 SESSION TENUE A LOUVIERS. EN 1903.
« L'instituteur doué de quelque intuition agricole, autre que celle de ses connaissances acquises à l'école normale, aura devant lui un vaste champ ouvert dont il saura assurément tirer un grand parti, mieux qu'il ne le ferait d'une parcelle de terre concédée pour faire un champ d'expériences, c'est toute la plaine de sa commune. C'est à travers cette plaine qu'il promènera ses élèves le jeudi ; c'est sur chaque champ qu'il fera une leçon pratique de circonstance, soit sur la nature du sol, soit sur la récolte qu'il porte, soit sur les deux. De cette leçon sortiront la composition du sol, les moyens de remédier à ses défauts, et les plantes qu'il peut produire le plus avantageusement ; leur rotation : c'est la théorie des assolements. Ensuite, il aura mille occasions de leur parler des instruments aratoires, en suivant les différentes opérations agricoles au printemps, à l'été, à l'automne; il fera remarquer ceux qui produisent le meilleur travail ; il leur en fera connaître les constructeurs, le prix, etc.. il leur en donnera le plus de détails possibles afin de les intéresser davantage. Quant aux bestiaux de fermes, ils seront nombreux et souvent beaux et lui fourniront des sujets intéressants pour ses leçons. Les bénéfices qu'on en peut tirer mériteront toutes ses explications sur les espèces de choix, sur les soins à leur donner, sur la nourriture. Au sujet des bénéfices, un cultivateur de ma contrée me disait mardi dernier qu'il était parvenu à produire des moutons d'un an valant 100 fr. Ce prix dit assez ce qu'on peut espérer de l'élevage qui, du reste, est à l'ordre du jour.
« La question des engrais doit aussi être traitée à
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l'école primaire aux divers points de vue de leur composition, de leurs effets et de leur prix. Ce produit, qui est devenu d'un usage indispensable, n'a pas toujours les qualités désirables. Pourquoi l'instituteur ne renseignerait-il pas sur la manière de les composer après achat des matières premières? Ce serait là une heureuseinnovation àintroduire chez les cultivateurs.
« Voilà un faible exposé de ce que pourrait faire l'instituteur pour retenir les enfants à la campagne, mais il y a à côté un autre lien que l'attrait des villes ne devrait pas briser: c'est que la vie des champs, c'est la santé et que la santé est une fortune et la plus grande de toutes. Or, cette vie des champs n'est-ce pas celle du cultivateur. Quel beau rôle pour l'instituteur de démontrer aux enfants que la profession par excellence, c'est celle de cultiver la terre. D'abord, c'est la vie de famille et la vie en famille qui plus elle est nombreuse plus elle est riche. C'est une ruche minuscule par ses membres, mais qui tous travaillent en commun, non seulement pour le bien commun de la famille, mais pour la grande famille qu'est la France.
« Pour me résumer, je demanderai à l'instituteur qu'il fasse aimer l'agriculture par les jeunes générations, qu'il les attache à leurs devoirs agricoles, qu'il leur en fasse comprendre les douceurs et les avantages, qu'il leur inculque enfin les éléments, mais seulement les éléments des sciences qu'ils auront plus tard à appliquer.
«C'estainsiquecomprenaitl'enseignementde l'agriculture à l'école primaire, un des premiers et des plus distingués professeurs départementaux, le regretté
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Louis Gossin, dont je m'honore d'avoir été l'élève ».
Ce mémoire a donné lieu à de très intéressantes observations présentées par M. Delaquèze, agriculteur à Thuit-Signol, et M. Neuville, professeur à l'école d'agriculture du Neubourg. Ces Messieurs ont fait ressortir que les efforts des instituteurs devaient tendre à faire aimer par les enfants confiés à leurs soins le travail de la terre. Si celui-ci n'est pas, en apparence du moins, aussi facile et aussi rémunérateur que celui de l'industrie, il a l'avantage de laisser à l'individu plus d'indépendance, et d'être meilleur pour la santé. Si tous les instituteurs comprenaient comme ceux que nous venons de citer la beauté et l'importance de leur mission, peut-être verrionsnous s'arrêter l'exode des populations rurales vers les villes, exode qui entraîne fatalement la dépopulation et la dégénérescence de la race.
M. Touzé, instituteur à Ailly, de son côté, parle de l'enseignement agricole et remet un mémoire sur cette question.
' M. Milliard, cultivateur à Montaure. revenant sur la question des engrais, donne d'excellents conseils pour la préparation et la conservation des fumiers, si souvent négligés; il insiste sur la nécessité d'employer des engrais complémentaires. Enfin il recommande l'emploi des machines agricoles, et invite le cultivateur à les choisir avec soin. La meilleure manière de faire, ce choix est encore d'aller voir travailler celles qui existent dans le voisinage, et de s'enquérir auprès de leurs détenteurs de leurs avantages et de leurs inconvénients. On ne saurait aussi
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trop répéter aux cultivateurs qu'une machine est un ouvrier, muet il est vrai, mais enfin un ouvrier, et que si l'on veut en être bien servi, il faut avoir pour elle autant d'égards que pour l'ouvrier dont elle tient. la place; il faut la ménager, l'entretenir convenablement, et ne pas la laisser, comme on le fait |trop souvent, exposée à toutes les intempéries, au lieu de la remiser soigneusement quand on n'a plus besoin de ses services.
M. Boulet, président du Club français du chien de berger et du Syndicat agricole de Bosc-Roger-enRoumois, fait ensuite la communication suivante sur les vaches laitières.
Les bonnes vaches laitières.
« Mesdames, Messieurs,
«' Beaucoup de cultivateurs vendent leur lait à la ville ou font du beurre qu'ils portent au marché. — Le seul moyen pour eux de faire des bénéfices est d'avoir des vaches qui produisent beaucoup de lait et beaucoup de crème. Vous me direz que ce n'est pas toujours facile à les obtenir. C'est aussi mon avis ; mais cependant je crois qu'en allant de temps en temps se remonter en bonnes génisses chez des éleveurs sérieux dans le Cotentin, qui est le pays par excellence pour les vaches laitières et beurrières, et d'y acheter des taureaux de choix, on arriverait à avoir des vaches produisant beaucoup plus et desquelles par conséquent on retirerait plus de bénéfices.
t A ce propos, je crois devoir vous signaler [a pro-
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duction d'une vache de race normande du Cotentin, que je possède depuis 3 ans à Bosc-Roger, et si certains d'entre vous désiraient, comme renseignement, la voir traire pendant un ou plusieurs jours, je leur en donne avec grand plaisir l'autorisation.
« Cette vache est née dans la Manche en 1897, elle m'a donné pendant sa dernière période de lactation, de juilletl902àavril 1903: 4.982litres de lait,cequiafait une moyenne de 18 litres par jour pendant toute la durée de sa période de lactation 1902-1903 et une moyenne de 13 litres 1/2 par jour pendant toute l'année.
« Pendant son meilleur mois, qui a été du 13 août au 13 septembre,elle adonné en 31 jours 981 litres 1/2 de lait, soit une moyenne de plus de 31 litres par jour.
« Cette année elle a eu son veau le 12 juillet et sa production augmente encore sur l'année dernière. Je vous apporte le relevé de ce qu'elle a donné de lait quotidiennement pendant le mois d'août :
l"août 32 litres
. 2 - 33 —
3 — 35 — 1/2
4 - 35 —
5 — '37 —
6 — 36 —
7 — 36 —
8 - 34 —
9 — 36
10 - 34 — 1/2
11 - 35 —
Areporler. 383 litres
Report.. 383 litres
12 août 34 —
13 — 34 —
14 - 34 -
15 _ 33 —
16 - 33 —
17 — 33 —
18 — 33 — 1/2
19 _ 34 —
20 — 34 —
21 _ 33 — 1/2
22 — 34 —
.1 reporter. 753 litres
3* JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 22l
Report,. 753 litres
23 août 33 — 1/2
24 — 34 —
25 - 33 — 1/2
26 — 34 —
27 — 33 —
A reporter. 921 litres
Report.. 921 litres
28 août 34 — 1/2
29 — 33 — 1/2
30 — 32 — 1/2
31 — 33 — 1/2
Total.. 1.055 litres
Soit, en 31 jours, 1.055 litres ou une moyenne de 33 litres par jour.
« Si je vous communique ces renseignements, c'est pour vous donner une preuve vivante et montrer à ceux qui ne voudraient pas le croire sans l'avoir vu, ce qu'on peut obtenir avec des animaux sélectionnés de bonne race.
« Il y a des vaches qui donnent beaucoup de lait mais peu de crème et par conséquent peu de beurre. Il y en a d'autres, et celle dont je vous parle en est la preuve, qui donnent beaucoup de lait fournissant beaucoup de crème, car avec sa traite d'un jour écrémée à la main, on peut obtenir 1.250 à 1300 grammes de beurre, et écrémée à la centrifuge environ 1.500 grammes, soit 1 kilog. 1/2 de beurre par jour.
« Je crois donc que les cultivateurs d'une même commune, ou d'un môme rayon, qui ne peuvent acheter pour eux seuls un taureau de bonne race, auraient grand avantage à se grouper pour former entre eux des associations qui leur permettraient d'acheter en commun des taureaux de choix, de familles laitières et beurrières. Non seulement ils
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amélioreraient leurs animaux, mais ils y trouveraient des bénéfices sérieux en tirant plus de profit de leurs étables qui, dans notre contrée, sont, avec les pommes, les principales ressources de la ferme.
< N'oublions jamais que c'est par la mutualité et la solidarité que nous arriverons à améliorer notre situation ».
Il nous semble intéressant d'ajouter à cette communication les résultats obtenus par la méthode danoise des traites répétées, méthode découverte par M. Hegelund, conseiller officiel pour l'industrie laitière en Danemark.
Voici ces résultats :
Une vache venait de vêler, et bien qu'en bon état et bien nourrie elle ne donnait que 3 litres et demi de lait par jour. M. Hegelund la fit traire huit fois par jour, soit toutes les trois heures.
Le résultat ne se fit pas attendre : au bout de 48 heures, la quantité de lait augmentait déjà considérablement, au bout de huit jours, elle atteignait 10 litres en vingt-quatre heures.
Agréablement surpris de ce changement, mais désireux de continuer l'expérience, M. Hegelund fit cesser tout à coup, au bout de trois semaines, le régime spécial et la vache ne fut plus traite que trois fois par jour, comme le reste du troupeau.
La production du lait n'en fut pas diminuée, et, pendant plusieurs mois, elle continua à donner ses 10 litres de lait par vingt-quatre heures.
De plus en plus surpris, M. Hegelund choisit dans ses étables une autre bête qui donnait 6 litres de
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 223
lait ; pendant trois semaines il la fit traire sept fois par jour, le résultat ne se fit pas attendre, et la production atteignit bientôt 14 litres 1/2,.pour se maintenir à ce chiffre pendant quatre ou cinq mois.
Voulant en avoir le coeur net, il prit une troisième vache qui avait vêlé au mois de février et qui, au commencement d'avril, donnait environ 9 litres de lait, ce qui en faisait une excellente laitière.
Il la fit traire huit fois par jour, et peu après la quantité de lait émise par la vache atteignait le chiffre énorme de 16 litres par 24 heures, et deux mois et demi après l'époque où l'on avait cessé de la traire huit fois, pour reprendre les trois traites habituelles, la production quotidienne se maintenait encore à 15 litres par jour.
Les expériences étaient assez concluantes pour permettre à M. Hegelund de divulguer son procédé, qui est maintenant enseigné et pratiqué régulièrement à Vécole de laiterie de Ladelund.
La pratique que nous recommandons n'est du reste pas absolument nouvelle, car elle est depuis longtemps appliquée dans le duché d'Oldembourg, en Allemagne, où pendant les trois ou quatre jours qui suivent le vêlage, on trait la vache à fond toutes les deux heures, puis, pendant les trois semaines suivantes, cinq fois par jour, pour revenir ensuite aux habitudes du pays.
Dans certaines fermes de Hollande, on procède autrement. Toutes les deux heures, pendant les cinq ou six jours qui suivent le vêlage, on met à la vache un yeauun peu affamé, de façon qu'il puisse téter à fond, puis, à partir du sixième jour, on trait la bête
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huit fois par 24 heures, et on continue de la sorte pendant quatre et quelquefois cinq semaines.
Les résultats sont aussi étonnants que ceux obtenus en Danemark au point de vue de l'augmentation dans la production du lait.
C'est vraisemblablement après avoir eu connaissance de ces faits que le conseiller Hegelund a préconisé sa nouvelle méthode, qui est la suivante :
D'abord, et c'est une des principales recommandations, donner à manger aux vaches avant de les traire, afin de ne pas les déranger inutilement pendant l'opération, mais également, et surtout par raison de propreté, car les poussières du foin se répandant au milieu de l'atmosphère viennent bientôt tomber sur le lait, le salissent et risquent d'y déposer des ferments qui le -font rapidement tourner ou aigrir.
Puis, avec un linge de colon bien sec, frotter le pis de chaque vache afin de le nettoyer.
Le conseiller Hegelund attache une très grande importance au nettoyage à sec, affirmant que l'habitude de laver le pis des vaches est absolument funeste et suffit à elle seule pour causer une foule de maladies.
Il ajoute que le linge de coton sec enlève bien mieux qu'un lavage toutes les saletés qui recouvrent le pis, avec cet immense avantage, que le frottage à sec laissant intacte la couche légèrement graisseuse qui sert en quelque sorte d'isolant, l'éclatement de la peau du trayon n'a pas lieu comme lorsqu'on procède au lavage.
Il serait intéressant de savoir si la production du beurre augmente en raison de celle du lait, ce qui
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 225
peut encore paraître douteux, d'autant plus que le rapport de M. Hegelund n'en parle aucunement.
A l'occasion des vaches et de leur nourriture, il est donné connaissance d'un rapport de M. Meurdrac, instituteur à la Meunière. Celui-ci, rappelant les désastres occasionnés par la sécheresse de 1893, et les différentes cultures essayées pour y porter remède, dit le peu de résultats donnés par la culture de la consoude rugueuse du Caucase, et recommande en ces termes la culture du polygonum sakhaliense.
« La culture du polygonum m'a donné de meilleurs résultats que celle de la consoude ; dès la seconde année un seul pied atteignait une hauteur de 3 mètres et se multipliait par toutes sortes de rameaux garnis de feuilles longues, larges et— ce qui était l'essentiel — complètement dépourvus de piquants.
Chevaux, vaches, chèvres, lapins, tous les animaux en étaient friands.
En présence de cette expérience concluante, mon opinion était faite et toutes les consoudes, fussentelles du domaine d'Arrouet ou de l'empire des tzars, étaient irrémédiablement condamnées dans mon esprit et, par suite, le polygonum gagnait d'autant.
Ce que je pensais en 1895, je le pense encore aujourd'hui
Mais, dira-t-on, où planter ce fameux polygonum? A cela je répondrai qu'il n'y a pas de terrain spécial à affecter à la culture de ce fourrage ; car, ayant eu fréquemment l'occasion de visiter des fermes, il m'a été donné de voir des coins de cour abandonnés pour toute culture, sauf pour celle des orties qui attei15
attei15
226 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
gnaient une taille gigantesque et promettaient aux voisins, ou tout au moins à leurs mains, un souvenir cuisant. Pourquoi ne mettrait-on pas au rebut, la seule place qui leur convienne d'ailleurs, les orties si encombrantes et ne les remplacerait-on pas par le polygonum qui pousserait tout naturellement et donnerait son abondante autant que délicieuse récolte?
Cette culture pourrait être faite avec fruit.
Certes, nous n'avons pas à nous plaindre du rendement des fourrages depuis dix ans, mais ce qui est arrivé en 1893 peut se reproduire. Depuis 50 ans, le mont Pelé semblait éteint et cependant combien terrible fut son réveil.
En 1900, les cultivateurs ne voulaient pas ramasser les pommes sous leurs arbres, tant la récolte était abondante, et préféraient en faire l'abandon à qui voulait bien se charger de ce soin. Qu'advint-il en 1902 et en 1903 t
Outre le premier avantage que présente le polygonum il enoffreencoreun autre, c'est que, si on le plante dans les coins de cour, comme je le disais plus haut, il sera à proximité de la ménagère qui, ayant été occupée toute la journée et rentrant en toute hâte pour préparer son diner, aura pu oublier decueillir de l'herbe pour ses lapins. Croyez-vous que tout sera perdu pour cela? Non, le polygonum est là et ses larges feuilles, cueillies à pleines mains, fourniront une ample provision pour les malheureux affamés.
Je dirai pour terminer que le polygonum peut aussi être cultivé comme plante ornementale. Il donne des fleurs rappelant celles de la véronique, mais de cou-
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 227
leur blanche, et qui atteignent une longueur de 0m 08 à 0m 09 centimètres.
hemiscuit utile dulci du poète latin pourrait trouver son heureuse application dans cette culture ».
La parole est alors donnée à M. Emmanuel Boulet, président du syndicat de Bosc-Roger. Celui-ci, fort des résultats obtenus par le syndicat qu'il dirige avec tant de compétence, a montré à tous quels avantages les petits agriculteurs d'une même commune, ou d'une même région, peuvent retirer d'une entente entre eux pour l'acquisition d'animaux reproducteurs de choix. Il serait à désirer pour ces petits agriculteurs qu'ils pussent également acheter des machines perfectionnées, dont ils se serviraient à tour de rôle pour leurs cultures ou leurs récoltes. Ils pourraient ainsi économiser la main-d'oeuvre devenue si rare et si chère, et aussi, par l'emploi de moyens plus puissants, obtenir des rendements plus rémunérateurs. Après M. Boulet, M. Bertin, horticulteur à Saint' Pierre-du-Vauvray, président d'un syndicat local, parle lui aussi des avantages que procure ce genre d'association à ses adhérents. M. Bertin est un mutualiste, convaincu, et il cherche, avec succès, à faire partager ses idées sages et généreuses par tous les auditeurs. Les résultats obtenus par son syndicat, fondé cependant depuis peu, sont encourageants. Le syndicat s'occupe de la destruction des animaux et insectes nuisibles par tous les procédés connus, il en expérimente de nouveaux ; il a su se faire des enfants du pays d'utiles auxiliaires, pour le hannetonage notamment; il leur a appris à respecter l'oiseau, le
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destructeur d'insectes par excellence, il aide à la propagation des espèces utiles, de la mésange surtout, en leur fournissant des nids artificiels, très judicieusement combinés. Enfin, le syndicat s'occupe de la vente et de l'exportation des produits obtenus par ses membres, principalement des fruits.
Cette partie de l'arrondissement.de Louviers voit en effet se pratiquer en grand la culture des fruits et des légumes, qui sontexpédiésàPariseten Angleterre.
A Gaillon, l'établissement Périnelle et Theuret cultive spécialement les poires des espèces suivantes: Beurré William, Beurré Clairgeau, Doyenné du Comice, Passe Crassane, pour l'exportation et la vente sur le marché anglais. Voici d'ailleurs les explications fournies par M. Theuret, l'un des fondateurs de la maison et directeur des cultures :
Notre établissement a été fondé en 1891-1892 dans un terrain en culture de blé que nous avons trouvé assez difficilement dans cette localité, vu la grandeur d'un seul morceau dont nous avions besoin pour la mise en culture de 116.000 poiriers et environ 10.000 cognassiers, lesquels ont été plantés comme sous-produit entre les poiriers qui forment aujourd'hui le jardin actuel.
Ces poiriers sont tenus en forme de cordons et greffés, obliques et verticaux en contre-espaliers et fuseaux, en espèces allant le mieux au commerce français et anglais, ce qui, pour la recherche de ces espèces, nous a pris plusieurs années d'études avant de risquer notre entreprise.
3* JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 229
La superficie de terrain plantée en poiriers est de 90.000 mètres carrés environ. Elle a été défoncée par tranchées de 0m60 de profondeur sur une largeur de lm35 pour les fuseaux et lm75 pour les • contre-espaliers.
Les lignes d'arbres sont plantées du nord au midi, ce qui les fait profiter des premiers rayons solaires et des derniers, et pendant deux heures environ ils se trouvent ombragés mutuellement au moment des plus grands coups de soleil, quelquefois préjudiciables au fruit à une certaine saison.
Nous sommes placés au pied d'un grand coteau et de la maison centrale qui nous garantissent des vents de l'ouest et un peu du nord-ouest.
La distance entre les fuseaux sur leurs lignes est de lm20 et il y a 3 mètres entre chaque ligne.
Les arbres ont été plantés en écussons d'un an et en cognassiers qui ont été greffés l'année suivante.
Les contre-espaliers doubles sont plantés à 0mo0 sur la ligne et à 0m60 entre les deux lignes.
Comme ces contre-espaliers exigent des armatures nous avons employé des fers T d'une moyenne force pour le milieu et d'une force supérieure pour les deux extrémités, qui servent de contre-boutants et de clefs pour la tension des fils de fer n° 16, qui sont au nombre de huit fils sur une longueur de 200 mètres. Il nous fallait donc des jambes de support assez résistantes.
Chaque poirier a été muni d'une baguette de 2 centimètres carrés, qui a été attachée sur les fils pour la direction des jeunes sujets. Malheureusement nous avons été obligés de les enlever pour lutter contre la
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chêmatobie qui déposait ses oeufs sur toutes les baguettes d'espalier et qui infectait nos cultures; cela donne un bien plus mauvais aspect à nos arbres et les rend plus difficiles à conduire.
Les espèces que nous cultivons sont la William, le Doyenné du Comice, la Passe Crassane, le Beurré Clairgeau. Nous possédons en outre la plupart des variétés qui existent, à titre d'expérience.
Toutes les formes que nous avons adoptées ainsi que leurs distances ont été faites en plantation combinée; c'est-à-dire que le fuseau rapportant beaucoup et s'épuisant de même, arrivé à un certain âge, nous espérons faire subir un rabattage ou recépage, pour rajeunir le sujet, à tous les trois arbres sur le rang, ce qui fera un arbre sur trois de rajeuni, qui ne rapportera rien, il est vrai, mais par sa nouvelle vigueur on pourra lui faire prendre une forme plus grande que la première. Vu bout de trois ou quatre ans il commencera à reproduire, nous arracherons alors les trois fuseaux qui. jusqu'à ce moment, auront produit, ce qui les mettra sur la ligne à 4m8l) les uns des autres et toujours 3 mètres entre.
Nous espérons, par ce moyen, transformer nos plantations fuseaux en plantations de petites pyramides, sans interruption de récolte. Naturellement pour cette transformation il ne faut pas attendre que les fuseaux actuels soient complètement usés.
Nous opérerons de la même manière pour les contre-espaliers, c'est-à-dire que nous rabatterons un arbre sur deux, que nous formerons en candélabre et arracherons les deux non rabattus
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 231
trois ans après, ce qui les mettra à 1m80 les uns des autres sur la ligne du contre-espalier et toujours 3 mètres entre.
Nous avons joint à nos cultures de poiriers surtout des cassis, au nombre de 20.000, que nous cultivons entre nos arbres. Comme il reste un espace entre nos poiriers et les cassis, nous pouvons donc, avec des outils conduits par un cheval, l'entretenir ainsi que notre culture de poiriers.
Il est vrai que ces plantations ne durent pas longtemps mais elles n'exigent pas beaucoup de soins.
Notre but, en créant ce jardin fruitier, était d'obtenirunebonneetgrandeproductionenfruitsde premier mérite comme grosseur et qualité, défaire vite par une installation économique et pratique, et de remplacer l'intermédiaire par le producteur luinuèine, enfin de pouvoir entrer en lutte avec la concurrence étrangère, qui s'accentue de plus en plus sur tous les produits français, car notre culture est destinée spécialement à l'exportation.
Mais pour arriver à une production en rapport avec nos capitaux avancés, il nous a fallu beaucoup de recherches et d'études, comme nature du sol, comme engrais et comme outillage aratoire; outillage que nous avons créé et perfectionné nousmème pour le mettre en rapport avec notre genre de culture.
Malheureusement, au début de nos plantations, nous avons eu beaucoup à lutter d'abord contre les vers blancs qui ont commencé par nous faire un tort considérable; les arbres étant, jeunes en ont beaucoup souffert et sont restés presque à
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Fétat latent pendant deux ou trois années, ce qui nous a nui beaucoup pour la forme et la fructification.
Ensuite la chématobie, dont le pays était envahi, est venue nous paralyser à nouveau, malgré tous nos soins par l'emploi de la glu inaltérable, produit de notre maison, (nie nous avons employée jusqu'à trois fois dans le même moment, lors dé la montée de l'insecte, ce qui nous donnait un travail énorme à cause de la quantité d'arbres; et pour faciliter cette opération nous avons dû enlever toutes les baguettes de nos arbres en contre-espalier, pour éviter sur le bois le dépôt des oeufs de l'insecte, ce qui est cause aujourd'hui que nos arbres n'ont plus l'aspect et la'forme que nous leur avions donnés primitivement. Cependant, nous avons obtenu de bons résultats, tous nos arbres n'ont pas de trous aux feuilles cette année, comme les années précédentes où ils étaient même dépourvus de leurs feuilles comme en plein hiver.
Nous avons eu également à lutter contre les gelées printanières qui enlevaient nos récoltes au moment de la floraison; pour cela, nous avons fait faire un genre de paillassons en forme de balais, système trouvé par nous-même. Sur une longueur d'environ 6.000 mètres, nous les avons accrochés sur les contre-espaliers par une S en fil de fer ; ils étaient disposés de manière que les premiers rayons du soleil ne viennent pas frapper les fleurs ou les fruits qui pouvaient être atteints de la gelée.
Mais, après renseignements et nouvelles recherches, nous avons employé le procédé de M. Lestout,
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de Bordeaux, par foyers à formation de nuages artificiels, au moyen desquels nous sommes parvenus à garantir une partie de nos fruits.
Ces foyers sont des boîtes en bois de 25 centimètres carrés, rempliesd'unecompositionferme imitant lapoixetquinesedétériore pas d'une année sur l'autre. Quand arrive le 15 mars, nous faisons distribuer ces caisses tout autour des cultures à protéger, aune distance de 6 à 10 mètres; ceci fait, nous attendons les événements, et suivons la marche du thermomètre une partie de la nuit, principalement à partir de deux heures du matin. Si le thermomètre vient à descendre, entre trois à quatre heures du matin, à 2°, on peut être certain- d'une gelée blanche ; à ce moment-là, il faut donc se préparer et attendre une heure avant le lever du soleil pour allumer les foyers du côté où vient la bise, afin que tout le nuage soit emporté sur ce que l'on veut préserver.
Mais, si à quatre heures du matin le thermomètre descendait à 0°, il faudrait allumer les foyers deux heures avant le lever du soleil, car on peut être certain qu'à ce moment il y aura forte gelée qui descendra à 3° et 4°. Par conséquent, comme la gelée sera plus forte, il faut allumer plus tôt; pour cela, il faut que tout soit prêt. Un bidon d'essence est placé avec les torches, et si celui qui veille voit du danger il donne l'alarme, un homme passe, verse quelques gouttes d'essence sur le foyer, un autre arrive avec une grosse torche et y met le feu qui s'enflamme au bout de quelques minutes, ce qui fait qu'en rien de temps tout se couvre
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d'une fumée épaisse et dense que les rayons du soleil ne peuvent pas pénétrer. Comme le contact du froid au chaud et de l'obscurité à la lumière est supprimé, quand bien même les végétaux seraient atteints de gelée, ils dégèleraient lentement comme ils ont gelé. Malgré nos efforts, cette année, nous avons été impuissants contre les o° de froid que nous avons eu à subir, car nous ne pouvons protéger que 3 à 4° au plus.
L'extinction des foyers se fait aussi vite que l'allumage, au moyen d'une boite que l'on jette sur les foyers et qui forme étouffoir.
On ne doit éteindre les foyers que quand le thermomètre, qui est placé dans les cultures à préserver, est monté à o°. Un foyer dure environ 6 heures allumé, on l'éteint ,et le rallume suivant les besoins.
Chaque foyer coûte pris à Bordeaux, 0 fr. 80.
Il revient rendu à environ I fr. 30.
Nous nous en servons également pour nos plantations de tomates dans les premiers jours du mois de mai.
La principale chose est de bien veiller chaque matin, soi-même. Il y a bien des avertisseurs électriques, mais ils peuvent se déranger et laisser geler la récolte. Si quelquefois le thermomètre descend aux chiffres et aux heures mentionnés ci-devant et que le temps vienne à se couvrir une heure avant le lever du soleil, inutile d'allumer, le mal sera presque nul.
Nous avons fait entrer connue fumure dans toutes nos cultures des engrais commerciaux, mais nous
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 235
n'avons pas pour cela délaissé le fumier qui y entre toujours en première ligne.
Après beaucoup d'expériences, que nous poursuivons chaque année, en ajoutant les engrais chimiques au fumier nous obtenons des résultats satisfaisants.
Pour le dosage, tout dépend de la culture et du terrain ; c'est une expérience que Ton acquiert, mais par une longue pratique.
Nous mettons à l'hectare pour les arbres : 50 mètres cubes de fumier de cheval,
200 kilos de superphosphate,
100 kilos de chlorure de potassium,
800 kilos de plâtre, le tout employé en novembre, puis nous donnons un bon labour, et au dernier labour du printemps, soit en avril, nous répandons à nouveau 500 kilos de superphosphate minéral, et avec cette fumure nous obtenons de bons résultats.
Il est vrai que la fumure est forte, mais il faut faire observer qu'entre les arbres nous faisons un sous-produit qui aime bien l'engrais (ce sous-produit, c'est la tomate, dont nous allons parler ciaprès).
Nous comptons approximativement que ces arbres, pour une année ordinaire de fruits, rapporteraient de 8 à 10 poires chacun, selon leur vigueur; nous récoltons en plus la merise, le cassis, la prune, la pomme à couteau, la pomme à cidre et le raisin.
Il y a quelques années, cependant, nous étions loin d'arriver à nos prévisions, mais sans nous décourager, l'espoir ne nous faisant pas défaut, nous
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avons eu l'idée de créer dans notre terrain une autre culture destinée à nous fournir des sousproduits. Après plusieurs essais différents de légumes même de fleurs pour porte-graines, que nous avons cultivées pour la maison Fargeot de Paris, nous avons adopté la tomate, ce qui nous a demandé, et-nous demande encore aujourd'hui, de nouvelles études, un travail minutieux et continu.
Cette année notre culture de tomates ne couvraitplus que 2 hectares, tandis qu'il y a quelques années nous avions 7 hectares de tomates en rapport, soit un total de oOO.OOO pieds, munis pour l'attachage au raphia de 83.000 métrés de fil de fer, fixé sur 3o.000 tuteurs en bois de châtaignier au moyen de pitons, et distancés sur le rang de 2 à 3 métrés.
Ces 500.000 pieds de tomates peuvent fournir oOO.000 kilos de fruits que nous destinons également à l'exportation dans les villes du nord de l'Angleterre.
Pour l'élevage du jeune plant nous possédons 250 châssis.
Culture de la tomate. — Nous semons sur couche à fin février et repiquons également sur couche avant la plantation et nous passons le plant deux fois au sulfate de cuivre.
Dans les premiers jours de mai nous commençons la plantation ; le plant doit être arrosé avant l'arrachage. Nous plantons en ligne, chaque pied à 0m30 de distance et les rangs écartés à 0m 80 les uns des autres.
Aussitôt que la végétation se fait sentir nous opérons un premier pinçage, qui se borne à ébour-
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geonner toutes les pousses des aisselles jusqu'à la première feuille qui commence à se faire voir, et à partir de ce moment on passe tous les 5 ou 6 jours pour renouveler la même opération. Seulement comme la première fleur donne naissance à plusieurs branches nous n'en gardons que 2 et nous opérons de la même manière sur les deux branches du premier pinçage, sauf qu'il ne faut laisser qu'une seule branche pour former la branche de prolongement qui cherche toujours à se développer. Aussitôt le bouton formé on continue cette opération sur les deux branches, jusqu'à la deuxième fleur et là nous l'arrêtons sur une feuille au-dessus de la dernière fleur. Vous avez donc laissé sur chaque pied S fleurons dont deux sur chaque branche, en plus de celle qui a fait bifurquer les deux branches mères, au total 5.
On peut laisser davantage de fleurs, cela dépend du climat et comment on désire arriver à une maturité plus ou moins précoce ; plus vous laissez de fleurs sur votre pied, plus vous arrivez tard à cueillir. Chaque fleur indiquée ci-dessus vous met en retard de 15 jours pour cueillir. C'est la première qui fait se concentrer la sève dans le pied le plus tôt possible ; mais vous avez moins de fruits, il est vrai. Nous finissons cette opération à la moitié du mois d'août, après avoir passé autour de la plante 5 à 6 fois.
Les années ordinaires, nous commençons la cueillette du 10 au 15 août.
Pendant le cours de ces opérations il ne faut pas négliger les sulfatages qui sont répétés 4 fois, afin
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de pouvoir lutter contre les champignons qui infestent cette plante et la détruisent en 48 heures.
Nous avons inventé un pulvérisateur à un cheval qui passe entre les rangs, les tuteurs ayant été coupés de longueur. Avec ce système nous économisons beaucoup de main-d'oeuvre.
Notre liquide de pulvérisation se fait dans la proportion de "2 kilos de sulfate de cuivre par hectolitre d'eau et deux kilos de chaux.
Nous faisons dissoudre d'abord le sulfate de cuivre avant de précipiter la chaux dans le bain.
En même temps on procède également à la mise en place des tuteurs dont il est parlé ci-devant. Comme il leur faut une\:értaine résistance, au lieu de les enfoncer au marteau, nous avons inventé un outil spécial avec lequel l'homme, d'un seul coup de pied, enfonce sans fatigue le tuteur à la profondeur qu'il désire. Aussitôt les tuteurs en place, on place les (ils de fer qui sont enroulés sur de grosses bobines de ô0 à 00 kilos. Un homme tire sur le fil de fer qui force la bobine à se dérouler d'elle-même ; une fois rendu au bout du rang, il attache le fil de fer et, à son retour, il passe le fil de fer sur les pitons qui se trouvent fixés à chaque tuteur, et tous à la même hauteur, ce qui nous épargne de fixer par une attache le fil à chaque tuteur par un autre fil. Ensuite nous procédons à l'attachage de la tomate.
Après la récolte la même opération s'opère en sens contraire pour ramasser le matériel.
Comme les rangs sont à 0m80, tous les binages se font avec des chevaux. Ce qui fait qu'à partir du semis nous sommes obligés de passer quinze
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fois autour de la plante avant de récolter les fruits.
Malheureusement le terrain de notre localité n'est ni assez chaud, ni assez léger; c'est un terrain moitié argileux, ce qui nous donne plus de mal.
Aussitôt la récolte enlevée nous donnons un petit labour, nous transportons les fumiers, qu'il ne faut pas négliger en hiver, et donnons un second labour plus profond en mars et avril pour enterrer le fumier. Vers la moitié d'avril nous répandons 500 kilos de superphosphate minéral par hectare et nous faisons passer la herse pour mélanger l'engrais avec le sol, puis ensuite le rouleau. Au moment de la plantation nous donnons un troisième labour moins profond.
Nous employons le superphosphate quinze jours ou trois semaines avant, il se trouve dissous par une certaine humidité du sol et les spongioles de la plante le trouvent prêt à utiliser. Le superphosphate avance la maturité de la plante, d'au moins quinze jours.
Après toutes ces opérations arrive la cueillette des fruits qui n'est pas le plus petit travail, et ensuite l'emballage tout spécial de notre maison que nous avons perfectionné et qui se fait dans des boites à claires-voies appelées cageots, de 0m70 de longueur sur 0u'3o de largeur et J)m12 de hauteur, que nous faisons fabriquer mécaniquement par une machine à clouer, inventée par M. Theuret, et quipeut non seulement faire nos boites mais clouer toutes autres choses, telles que cageots, boîtes, panneaux, voitures d'enfants, etc.
240 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Notre emballage est fait avec tous les soins les plus minutieux, les plus petits détails n'y sont pas omis. Les cageots sont munis à l'intérieur de papier de journal, de papier de soie, et rembourrés avec des fibres de bois; les fruits sont placés à la main par couches et par rangs d'égale grosseur. Des rouleaux en fibres entourés de papier de soie ornent l'intérieur du cageot, soutiennent le fruit et en font, ressortir la beauté. Cependant nos plaques ouatées sont encore supérieures, car le fruit dans la ouate est admirable et logé plus confortablement.
Les rouleaux ainsi que les plaques ouatées sont fabriqués par des machines dues à notre initiative et dont le système a été trouvé par nous-mêmes, ce qui nous épargne beaucoup de main-d'oeuvre, nous fait gagner du temps et nous revient beaucoup moins cher que la fabrication première faite à la main.
Le succès de notre marque, qui aujourd'hui est une des premières sur les places de Londres et du nord de l'Angleterre, dépend de la persistance avec laquelle nous avons cherché les moyens les plus pratiques et les plus avantageux pour notre culture d'abord, et pour le perfectionnement de notre emballage. Dans ce but, nous nous sommes rendus souvent à Londres pour étudier sur place les différentes formes de caisses, paniers, cageots, etc., que les producteurs et marchands expédient sur ce marché, le plus important de l'univers.
Le résultat de ces études a été de nous fixer sur le genre de matériel que nous avons adopté et que
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ces Messieurs de la Commission ont vu dans nos magasins.
15.000 de ces cageots font, au moment de nos récoltes, la navette entre Gaillon et les principales villes d'Angleterre et de France.
Ainsi que l'indique le mémoire de M. Theuret, une partie des membres du Congrès se sont rendus le jour de l'excursion à Gaillon, sous la conduite de M. Dubourg, un des secrétaires de l'Association, dans les cultures de MM. Périnelle et Theuret, et ont pu juger par eux-mêmes de l'importance de cet établissement et de l'ingéniosité avec laquelle M. Theuret a créé de toutes pièces le matériel nécessaire aux besoins de sa culture et de son commerce.
Sa dernière invention, la machine à clouer, qui lui sert à fabriquer ses cageots, est une véritable merveille. Nous ne pouvons résister au désir de reproduire ici quelques détails sur son fonctionnement.
« Cette invention consiste en une machine avec laquelle on peut enfoncer d'un seul coup tous les clous destinés à relier les planches de panneaux, cageots ou caisses de voitures d'enfants, etc., etc., avec leurs traverses.
« Les machines â clouer qui existent actuellement ne peuvent enfoncer qu'une rangée de clous à la fois, de6à8 clous au maximum, et à un endroit déterminé de la machine. L'ouvrier est donc obligé de manoeuvrer lui-même le panneau à clouer sur le plateau de la machine pour amener la partie à clouer en face des marteaux. La manipulation est ainsi relativement lente.
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« Avec cette machine, combinée en vue d'une grande production de pièces identiques, les liteaux ou les planches devant constituer le panneau sont disposés avec leurs traverses dans un châssis spécialement construit à cet effet. Au moyen d'un chariot animé d'un mouvement de va-et-vient horizontal, le châssis, ainsi garni des planches a clouer, est amené sur le plateau de la machine après s'être chargé des clous nécessaires répartis aux endroits où ils doivent être enfoncés au moyen d'un dispositif approprié.
« Le marteau descend pour enfoncer les clous de ce châssis. Pendant que le marteau se soulève, le deuxième châssis est amené par le chariot sur le plateau de la machine, chassant celui qui vient d'être cloué et qui tombe hors de ses glissières. Le marteau recommence son opération pendant que le chariot retourne chercher un troisième châssis, et ainsi de suite.
« Lefonctionnement de la machine est donc continu et, partant, très rapide. — L'ouvrier n'a qu'à préparer dans chaque châssis les planches ou liteaux coupés de longueur et à alimenter le distributeur de clous, opération rendue peu fréquente par un dispositif spécial. Le fonctionnement de tous les organes est automatique.
« La machine fait de 4 a 5 évolutions a la minute, et donne, par conséquent, 4 ou 5 panneaux cloués. Chaque panneau renfermant 250 clous, on arrive à un total de 1.000 ou 1.250 clous à la minute et plus.
c Les clous sont jetés pêle-mêle dans le trieur, dont le mouvement de rotation les promène en les étalant
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jusqu'à ce qu'ils aient pris la position verticale qui leur permet d'être déversés dans les distributeurs.
« La position verticale des clous est maintenue par des aimants au-dessus des planches à clouer.
« En résumé, l'invention consiste en une machine à clouer les panneaux de caisses, de cageots, de voitures d'enfant, etc., etc., comprenant un bâti à glissières horizontales et à glissières verticales ; un marteau mû par cames glissant dans les glissières verticales pour enfoncer les clous dans le panneau placé sur une table ou chariot mobile entre les glissières horizontales ; un distributeur de clous avec trieur disposé pour distribuer, dans les positions respectives nécessitées par la constitution du panneau, les -clous qui sont saisis verticalement par des aimants qui les amènent sous le marteau; enfin des cylindres analogues à ceux des laminoirs montés sur la machine pour y faire passer le panneau cloué.
« La marche du tout ne demande, malgré l'enfoncement de 1.000 à 1.200 clous, que la force d'un 1/4 de cheval vapeur.
« De plus la machine n'est pas encombrante proportionnellement au travail rendu.
« La machine est de grand rendement: on peut lui demander d'enfoncer 10 clous dans un 1/4 de minute comme elle peut en enfoncer 300, sans aucune diffi; culte. Pendant le temps qu'un homme mettra pour enfoncerdeux clous, la machine s'alimenterade clous, les triera, les placera, en enfoncera 300. Conséquemment, si pendant une heure un homme enfonce 480 clous, la machine en enfonce 72.000 et plus. En outre la machine rivera lesclous et l'homme ne les rivera pas. »
244 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Après la visite de l'établissement Périnelle et Theuret, toujours guidés par M. Dubourg, les mêmes membres de l'Association, se séparant momentanément des autres excursionnistes, ont été visiter la culture de vignes de M. Chapuis à Notre-Dame-duVaudreuil, dont ilsont pu, malgré lesmauvaiseseonditions climatériques de l'année, apprécier les résultats.
Dans un espace de terrain assez restreint, entouré de murs pour la majeure partie, sont cultivées deux cents variétés de raisins. Les murs où sont palissées la plupart des vignes offrent un développement d'environ 250 mètres en longueur, sur une hauteur moyenne de 2'"25, et ne présentent aucune disposition particulière. Pour mettre les vignes à l'abri des gelées tardives, une toile peut être tendue devant les murs au moyen d'un système de tringles assez ingénieusement combiné.
C'est par une culture et une taille spéciales, dont on trouvera plus loin la description, que M. Marc et après lui M. Chapuis ont pu arriver à obtenir la maturité parfaite, malgré le climat de Notre-Damedu-Vaudreuil, très sujet aux gelées tardives, de plus de deux cents variétés de raisins, sélectionnées en quarante années sur environ sept cents qui ont été successivement cultivées.
Parmi ces variétés M. Chapuis recommande plus particulièrement :
Pour leur précocité :
Madeleine Angevine, Blanc.
Roi des précoces, Noir.
3" JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 245
Madeleine royale, J
Chasselas Vibert, ( Blancs.
Chasselas blanc, précoce, )
Chasselas de Saumur, Violet.
Duc de Magenta, Noir.
Pour leur fertilité et leur rendement:
Gradiska, )
Foster White's Seedling, *
Frankenthal de Hambourg, Noir.
Chasselas rose, royal, j
Chasselas de Tours, '
Admirable de Courtilier, Blanc.
Grosse perle de Malaga, ) -. .
_ , ,f ° Noirs.
Boudalès, l
Enfin les nouveautés de mérite obtenues dans l'établissement:
Avenir national, Rouge.
Triomphe du Vaudreuil, Rose.
Chasselas de l'Eure, précoce, / ._ .
Noirs. Maréchal de Mac-Mahon, '
Muscat Schlumberger, i _,
m ... »T , Blancs.
Treille Normande, '
Voici maintenant, extraits d'une brochure publiée par M. Chapuis, les procédés de culture et de taille par lesquels on obtient les résultats admirables que les membres de l'Association ont pu constater, ainsi que les membres du jury de l'Exposition d'horticulture qui a eu lieu à Caen le 3 octobre, exposition qui a valu à M. Chapuis une médaille de vermeil grand module.
246 SESSION TENUE A l.OUVIERS, EN 1903.
CULTURE DE LA VIGNE EN NORMANDIE
Au centre de la Normandie, à plus de 100 kilomètres nord-ouest de Paris, dans une vallée, au milieu d'une plaine absolument plate, mais dont le sol est composé d'un terrain argileux et très fort, j'obtiens la maturité régulière de deux cents des plus belles et des meilleures variétés de raisins de table, au moyen d'un mode de taille et de pincement qui n'ont rien de commun avec la théorie de tous les auteurs en viticulture.
En raison de la force du sol de cette région, la vigne pousse d'une façon prodigieuse; mais, en revanche, cette surabondance de sève est extrêmement nuisible à la maturité parfaite du raisin.
C'est la question de modérer cette vigueur que j'ai étudiée et que je suis parvenu à résoudre à l'aide d'une combinaison d'opérations qui permet à la sève de se répartir sur une surface plus étendue des ceps.
Pour atteindre ce résultat, j'ai dû m'écarter sensiblement des méthodes suivies soit à Tbomery, soit ailleurs, ainsi que je me propose de l'expliquer.
Les avantages de mon procédé, dont la simplicité fait le mérite, permettent à mes produits de pouvoir rivaliser avec ceux obtenus dans les contrées réputées les plus favorables à la culture de la vigne.
3" JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 247
I
a) Disposition et formation des treilles. — Les plates-bandes destinées à la formation de mes treilles ne subissent aucun défoncement et ne sont jamais fumées.
Au moment de planter, je prépare la surface du sol en remuant le terrain à la profondeur d'un fer de bêche ; je place ensuite mes vignes immédiatement près du mur en les enterrant jusqu'au collet des racines.
La distance à observer entre les vignes est subordonnée à la hauteur des murs et à la forme qu'elles doivent recevoir.
Pour les murs qui excèdent 2 mètres d'élévation, je plante les vignes à 0mo0 d'intervalle pour en former des palmettes verticales (fig. 6) avec une série de coursons de chaque côté du cep.
Pour les murs inférieurs à la hauteur ci-dessus, 0m60 d'écartement sont nécessaires entre chaque vigne pour être conduite obliquement sur un angle de 4o degrés avec une seule série de coursons en dessus (fig. 7).
La forme par cordons horizontaux (fig. 8) est celle que j'adopte spécialement pour occuper l'espace des murailles demeuré libre au-dessus des ouvertures des maisons d'habitation et autres bâtiments accessoires; je plante pour cette circons-
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tance les vignes appartenant aux variétés les plus vigoureuses.
La figure \ offre le sarment préparé pour le bouturage, le seul mode de multiplication que j'emploie; je l'exécute dans le courant de novembre.
La figure 2 représente le plan du sarment racine extrait de la pépinière au bout de deux ans pour être transplanté et rabattu au point AA, formant environ 0m25.
Je ferai observer qu'aucune culture n'est jamais introduite sur la plato-bande de mes treilles: j'en recouvre toute la surface, aussitôt la plantation terminée, par unpaillisde fumier, pour garantir les racines des atteintes de la sécberesse pendant l'été.
Par la suite, mes plates-bandes se trouvent transformées en un chemin très ferme qui favorise l'écoulement des eaux pluviales et permet aux racines courant près de la surface de jouir de la bienfaisante chaleur produite par les rayons du soleil.
La propreté du sol est entretenue au moyen de légers sarclages pratiqués en temps opportun pour détruire l'herbe.
J'organise ensuite les murs par des treillages en fil de fer galvanisé que j'établis en lignes horizontales à 0"M2 d'intervalle, dans le but d'opérer le palissage de très bonne heure, afin que les grappes reçoivent dès leur naissance l'abri offert par la proximité du mur.
ô) Eboiirgennnement, pincement et palissage de In vigne. — La figure 3 présente la vigne à sa première année de transplantation ayant développé
Fig. 1. — Sarment pour le bouturage.
Fijj. "J. — Sarment enraciné.
Fig. :i. — Vigne à sa première anlire ili' transplantation.
Fig. 7. — Cep dirigé en cordon oblique.
ig. 4. — Résultat iii' la taille précédente.
Fig. ">. — Bourgeon latéral pincé au ras de la première grappe apparue.
Fig. H. — Cep dirigé en paltuettc verticale.
Fig. 8. — Cep dirigé en cordon horizontal.
3e JOURNÉE, ?5 SEPTEMBRE. 249
les bourgeons BBB et C, par suite du rabattement à 0m25.
Les bourgeons latéraux BBB sont pinces sur la cinquième feuille qui apparaît ; le bourgeon terminal C, destiné au prolongement successif du cep, est palissé dans cette direction à mesure qu'il se développe et n'est jamais pincé. Le courant principal de la sève, qui est toujours très intense vers le bourgeon terminal en voie d'accroissement, occasionne la sortie de faux bourgeons DDD, qui naissent à la base des yeux primitifs G ; je les pince aux points EEE, à une ou deux feuilles selon leur vigueur.
Le palissage des bourgeons BBB s'opère aussitôt que leur consistance ligneuse permet de les attacher au treillage. À la taille d'hiver suivante, je fais le rabattement des bourgeons latéraux aux points FFF, sur deux yeux bien constitués à leur base. Cette opération produira la formation et l'établissement des coursons HHH. Je supprime entièrement les faux bourgeons DDD à leur point d'origine; le bourgeon de prolongement est taillé ensuite sur une longueur proportionnée à sa force qui varie de 1 mètre à lm50.
La figure 4 donne le résultat dé la taille précédente: au retour de l'été de la. seconde année, je surveille attentivement le départ de la végétation pour faire la suppression (ébourgeonnement) de toutes les productions inutiles: je ne conserve qu'un seul bourgeon sur chaque courson HHH, sans tenir compte que ce soit l'un ou l'autre des deux yeux du courson qui fournisse le bourgeon.
250 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Le bourgeon terminal de prolongement est traité comme je l'ai indiqué précédemment.
Des que les bourgeons latéraux sont suffisamment développés pour y apercevoir les grappes, je les pince immédiatement au ras de la première grappe que présente le bourgeon au point I (flg. îî). Les grappes ne succédant jamais aux vrilles, je pince les bourgeons qui produiraient ces dernières au ras de la première qui apparaît. Je supprime radicalement aussi à l'état herbacé le faux-bourgeon qui repousse ensuite, et de même pendant toute la saison, de sorte que les bourgeons fructifères n'ont qu'une très faible longueur et ne portent invariablement qu'une seule grappe, et quatre feuilles au plus : l'une à l'opposé de la grappe et les trois autres au-dessous ; les faux bourgeons qui poussent à l'aisselle de ces feuilles sont eux-mêmes pinces d'abord sur une feuille, et s'il arrive que la sève ne semble pas vouloir se ralentir d'une manière suffisante, je retranche en une seule fois toutes les feuilles des faux bourgeons.
cl Inrhion minutaire et cisi'lar/c. — La floraison ('tant arrivée, je supprime trois centimètres de l'extrémité des grappes; puis, à l'aide d'un brin «le jonc, je les attache au treillage dans une position ascendante. A cette époque, je fais l'incision annulaire en opérant au-dessous de ,1a première feuille qui précède la grappe: l'avantage de cette opéralion consiste à augmenter le volume des grains el à avancer de quinze jours la maturité.
Lorsque les grains ont acquis la grosseur de
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 251
petits pois, je procède au ciselage : ici l'intelligence doit suppléer aux instructions, pour que ce travail soit exécuté convenablement, étant donné que les variétés de raisin n'offrent pas toutes le même caractère. Ordinairement je retranche trois grains sur cinq pour les espèces susceptibles de donner de très gros raisins, et quatre sur cinq pour celles ne produisant que des grains ordinaires, serrés et formant des grappes compactes.
Le ciselage est, sans contredit, l'opération la plus recommandable pour obtenir de heauxraisins mûrissant toujours bien et se conservant plus longtemps.
A l'approche de la maturité du raisin, j'enlève des fragments de feuille, jamais des feuilles entières, afin que la lumière et les rayons du soleil arrivent directementsurles grappes sans pour cela les mettre entièrement à découvert. Les raisins noirs et les roses sont d'autant plus beaux et pruinés qu'ils se trouvent convenablement abrités par leurs feuilles.
II
a) Sttr la coulure des raisins. — La coulure des raisins est un inconvénient fort grave dont on n'a pas encore réussi à expliquer la cause d'une manière positive.
En attendant chacun cherche à découvrir divers moyens pour atténuer cette affection qui, en viticulture, cause de si grands préjudices.
A cet effet, je me permettrai de signaler le résultat de mes essais.
Je cultive depuis quinze ans la variété de raisin
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dite Parc de Versailles. La vigueur de cette variété est exceptionnelle, mais elle jouit de la réputation d'être très sujette à la coulure. Néanmoins, la beauté de ses produits la maintient dans toutes les collections.
Mon opinion étant que la surabondance de sève influe sérieusement sur la coulure du raisin, je traite cette espèce d'une façon toute particulière.
En voici les détails: indépendamment de la taille très longue que je fais subir à cette variété, je rabats les sarments latéraux sur trois et quatre yeux chaque année, ce qui me produit des coursons très longs, bifurques, éloignés du cep. En procédant ainsi, j'entrave la marche de la sève et je crée des Obstacles à sa circulation, ce qui contribue à ralentir sensiblement son courant vers les grappes.
Les vignes soumises à ce traitement depuis huit ans font l'ornement de ma collection et l'admiration des visiteurs par la beauté de leurs grappes et le volume des grains.
En 188o et 1887, plusieurs de ces grappes figuraient à l'Exposition d'horticulture de la Société de la Seine-Inférieure ; toutes dépassaient le poids d'unkilogramme, avec des grains mesurant jusqu'à 0m0l2 de circonférence.
b) Sur les propriétés du pincement et sur la taille d'hiver. — Le pincement exécuté de très bonne heure sur la vigne contribue au grossissement des yeux de la base des sarments et fait que le débourrage a lieu plutôt au printemps.
Le pincement précoce des bourgeons refoide aussi
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la sève sur les grappes qui l'accompagnent et en hâte la formation; la floraison, par conséquent, se trouve plus avancée ; en outre, ce pincement développe plus rapidement les feuilles, qui atteignent de plus grandes dimensions et abritent les grappes contre les intempéries des saisons.
Je fais la taille de mes vignes tous les ans en novembre, aussitôt après la récolte du raisin ; le peu de sève qui reste encore arrive sur l'aire de la coupe et empêche qu'elle se dessèche.
Les sarments latéraux continuent à être taillés sur deux yeux ; j'allonge de deux et quelquefois trois mètres, dans une année, le prolongement du cep sans préjudice pour l'accroissement des coursons établis sur la partie inférieure.
Lorsque la vigne est parvenue au sommet du mur, je la rajeunis par un sarment de remplacement formé à la base du cep par un bourgeon pris sur l'un des coursons; je palisse le bourgeon le long de la tige ; puis, la deuxième année, je ravalle à cet endroit.
c) Sur le soufrage et le sulfatage de la vigne. — Je préserve mes treilles de l'oïdium tous les ans par l'emploi de la fleur de soufre que je répands sur toutes les parties herbacées de la vigne, à l'aide d'un soufflet fabriqué à cet usage.
J'applique le soufrage à trois époques différentes: au début de la végétation, aussitôt après l'ébourgeonnement; ensuite, quelques jours avant la floraison des grappes, et la troisième fois immédiatement à la suite du ciselage des grains.
254 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Pour combattre le niiklew, maladie non moins redoutable que l'oïdium, je me sers d'une dissolution de sulfate de cuivre, à raison d'un kilogr. par 200 litres d'eau, à laquelle j'ajoute 2 kilogr. de chaux dissoute séparément.
Je projette ce mélange sur mes vignes avec une seringue à pomme, percée de trous très fins; je répète cette opération autant de fois que pour l'oïdium, en faisant précéder lesbassinages de quelques jours aux soufrages.
d) Sur la greffe de la vigne. — Parmi les différentes espèces de greffes usitées pour la vigne, je citerai celle en écusson comme étant très avantageuse à pratiquer au point de vue de sa très grande solidité et de sa vigueur. J'ai souvent obtenu, au moyen de cette grelfe, un développement de o à (i mètres de végétation.
En outre, elle offre fous les avantages des autres modes. De plus, ce genre de greffe est le seul qui permet au même cep de porter plusieurs variétés de raisin, ce qui, quoique d'un intérêt secondaire, n'en est pas moins un mérite. L'époque que j'ai reconnue la plus favorable pour écussonner la vigne est la première quinzaine de juillet.
e) Sur la culture de la vigne sous verre sans chauffage. — Pour répondre aux demandes de plusieurs personnes au sujet de la vigne cultivée sous verre sans chaulfage, je m'empresse de leur témoigner combien il est regrettable de voir cette pratique aussi négligée dans nos contrées. La vigne, ainsi traitée, n'exige guère plus de soins qu'à l'air
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libre et offre, en compensation, l'assurance d'une récolte régulière ehaque année.
A l'abri des intempéries et des brusques variations de la température, les raisins obtenus sous verre mûrissent près de deux mois plus tôt.
Ces divers avantages, auxquels il est permis de joindre celui de la conservation intacte des raisins, qui demeurent protégés contre les ravages exercés par les oiseaux et les mouches, me font un devoir d'insister auprès des propriétaires, amateurs de jardins, pour la construction d'une serre à vigne, dont la faible dépense est largement compensée par la satisfaction qu'ils y trouveront.
Les soins à donner à la vigne cultivée sous verre consistent:
1° À faire l'obscurité de la serre à partir de la fin de janvier jusqu'au débourrage des yeux de la vigne, au moyen d'une toile appliquée à l'extérieur sur toute la surface vitrée ; couvrir de paillassons toutes les nuits, jusqu'à la floraison des grappes, et bassiner légèrement, deux fois par jour, les boutonsà fruits pour en bâter le développement. Aussitôt entr'ouverts, on supprime les bassinages et on ôte la toile pour que la lumière arrive librement aux vignes ; on donne de l'air pendant le jour, lorsque la température extérieure n'est pas trop froide.
2° Quand les bourgeons apparaissent, on ne bassine que deux fois la semaine ; on s'en abstient complètement au moment de la floraison ; à cette époque, la plus critique pour la fécondation des grappes, on ouvre tous les châssis pendant le jour, afin d'établir l'aération indispensable à la noue du
256 SESSION TENUE A l.OUVIERS, EN 1903.
raisin ; on arrose une fois la semaine les racines de la vigne lorsqu'elles sont plantées dans l'intérieur de la serre.
L'eau employée aux besoins de la vigne devant être de la même température que celle de la serre, on y tiendra constamment un vase plein pendant la durée des opérations.
La vigne astreinte à la culture sous verre, même sans être chauffée, se fatigue vite et ne peut offrir longtemps une récolte satisfaisante.
Frappé de cet inconvénient, après avoir étudié cette question importante, je suis parvenu à obtenir les meilleurs résultats, permettant le repos de la vigne et une récolte constante tous les ans.
Voici comment je procède : j'établis, sur une ligne parallèle à la devanture de la serre, à 0m60 du mur d'appui, une série de tuteurs en fer, d'une hauteur de 3 mètres et espacés entre eux de O^tiO, que j'enfonce dans le sol en regard des trous pratiqués dans le mur pour l'introduction des ceps. Je plante ensuite, à UU11() de chaque côté des tuteurs, deux pieds de vigne de même espèce.
Au bout de trois ans, les vignes ayant acquis la force nécessaire pour produire le raisin, j'en introduis un cep sur deux dans la serre, en lui conservant toute sa longueur de bois.
J'opère le rabattement des autres à 0"'3() du sol, et, au printemps, je ne laisse croître qu'un seul bourgeon sur ces dernières ; je palisse ce bourgeon au tuteur. Il va sans dire que les vignes introduites dans la serre sont littéralement chargées de grappes. Les raisins étant récoltés, je retire les ceps qui
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ont produit et je les remplace par ceux dirigés sur les tuteurs.
Ces opérations se répètent chaque année; les vignes, ainsi traitées, n ont nullement à en souffrir.
Après le récit des visites à Gaillon et à NotreDame-du-Vaudreuil, revenons a la séance du vendredi qui fut terminée par la lecture de l'intéressant mémoire ci-dessous, faite par son auteur M. Boulet, fondateur et président du Club français du Chien de berger.
M. Boulet est de ceux qui, comme M. Menault, inspecteur général de l'agriculture, et M. Samat, directeur d'un journal cynégétique connu, auxquels nous empruntons ces lignes, croient que :
« Le chien est le premier ministre du berger, il exécute tous ses commandements, il rappelle les délinquants à l'ordre, avertit de la voix celui-ci, mord quelquefois celui-là. Il est ministre, préfet de police et garde-champêtre.
i Pour remplir tant de fonctions, il importe qu'il soit intelligent. 11 l'est essentiellement, et ce n'est pas d'aujourd'hui.
« Toussenel, ami aussi fidèle que le chien, et non moins intelligent, a compris tout ce que l'homme doit à cet excellent animal.
t Au commencement, dit-il, Dieu créa l'homme, et le voyant si faible, il lui donna le chien.
f ' Il chargea le chien de voir, d'entendre, de courir pour l'homme.
17
258 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
« Le chien qui est le plus docile, partant le plus intelligent de tous les animaux, n'eut garde de désobéir à la volonté de Dieu. Il se fit le serviteur dévoué de l'homme.
« Le chien est, dans toute société fondée sur la propriété individuelle comme la nôtre, le gardien vigilant et le défenseur héroïque de ce qui s'appelle l'ordre public et la propriété.
« Le chien est la plus belle conquête que l'homme ait jamais faite, n'en déplaise à M. de Buffon ; le chien est le premier élément du progrès de l'humanité.
€ Sans le chien, l'homme était condamné à végéter éternellement dans les limbes de la sauvagerie. C'est le chien qui fait passer la société humaine de l'état sauvage a l'état patriarcal, en lui donnant le troupeau; sans le troupeau, pas de subsistance assurée, pas de gigot ni de rosbif à volonté, pas de laine, pas de burnous, pas de temps à perdre; par conséquent, pas d'observations astronomiques, pas de sciences, pas d'industrie; c'est le chien qui a fait à l'homme ces loisirs.
« Peut-être arrivera-t-on à faire adopter cette idée au berger que son chien ne doit avoir d'autre mission que de garder le troupeau, le surveiller, réprimer ses écarts, et seconder son maître dans la conduite de bêtes dont on connaît la stupidité.
t Le berger doit se convaincre, en outre, que tous les chiens ne sont pas bons à cette besogne qui demande une intelligence au-dessus de la moyenne. Il doit reconnaître que toutes les qualités que possède son collaborateur ne pourraient lui être donnéespar le dressage. L'intelligence, l'entente des manoeuvres
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qu'il doit exécuter, l'amour des bêtes qu'il mène lui sont innés, c'est de ses ancêtres qu'il les tient, car c'est par une longue descendance que se sont transmises ces facultés dont l'origine est dans le dressage primitif, mais qui se sont développées naturellement en lui, parce que tous ses ancêtres les ont possédées et qu'on s'est efforcé de diriger leurs aptitudes toujours dans le même sens ».
Nous laissons maintenant la parole à M. Boulet :
Communication de M. Emmanuel Boulet, président du « Club français du Chien de berger ».
Mesdames, Messieurs,
Le Cluh français du Chien de berger a été fondé en 1896.
Il a pour but d'encourager par tous les moyens possibles l'amélioration, l'élevage et le dressage de nos races françaises si utiles de chiens de berger, collaborateurs indispensables delà ferme, en même temps que fidèles gardiens; et de récompenser les meilleurs bergers :
1° En organisant alternativement, suivant ses ressources, dans différentes contrées, des Concours de chiens de berger au travail et des Expositions ;
2U En vulgarisant, par la gravure, les plus beaux types de chiens, en y ajoutant la description de chaque variété, afin de faciliter le choix des reproducteurs et renseigner les éleveurs ;
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3" En invitant ses adhérents à faire inscrire leurs élèves bien typés au L. 0. F. (Livre des Origines Français), 40, rue des Mathurins, à Paris, afin de faire connaître aux amateurs les. chiens de race suivie ;
4° En sollicitant toutes les Sociétés d'agriculture et les Comices agricoles à récompenser, dans leurs assises annuelles, les chiens de berger et de bouvier ;
o" En récompensant les bergers qui ont le plus d'années de bons et loyaux services chez les mêmes maîtres ou dans la même exploitation ;
(5° En engageant les Sociétés d'agriculture à nommer une Commission chargée d'inspecter les bergeries de leur circonscription et de récompenser les bergers dont les troupeaux seront trouvés les mieux soignés et les bergeries les mieux tenues.
Cette Société, si elle réunit beaucoup d'adhérents, est appelée dans l'avenir à rendre de grands services. Vous connaisse/ le proverbe qui dit: « Tant vaut le berger, tant vaut le troupeau », et cet autre <> 11 n'y a pas de bon troupeau sans bon berger et pas de bon berger sans bon chien ». C'est absolument vrai, et s'ils comprenaient bien leurs intérêts, tous les propriétaires de fermes, tous les agriculteurs possesseurs de troupeaux, tous les bergers soucieux d'améliorer leurs races de chiens, adhéreraient au « Club >• qui peut être pour tous un puissant auxiliaire.
.\ous avons mis la cotisation annuelle à o francs seulement, afin de permettre à tous d'y souscrire et nous avons la satisfaction de constater que notre
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appel a été entendu, puisque parmi nos membres actuels il y a des bergers, des agriculteurs et des propriétaires de toutes les parties de la France. Depuis l'an dernier nous avons même reçu un certain nombre d'adhésions de l'étranger.
La Commission spéciale du Club, chargée en 1897 d'élaborer les points à adopter pour les deux races de Brie et de Beauce, était composée de douze membres, parmi lesquels il y avait: MM. Jules Bénard, Arthur Brandin, C. Bizouerne, T. Prieur, C. Triboulet, agriculteurs éleveurs ; Milne-Edwards, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris; E. Menault, auteur de l'excellent ouvrage Le Berger; S. Thiculent, qui avait bien voulu s'enquêter au marché de la Villette, etc.
C'est vous dire que les points ont été étudiés et décidés avec compétence, et c'est d'après ces points que nous jugeons maintenant dans les Expositions.
La Commission a admis, pour le début du Club, afin d'aider les Expositions à être garnies, plusieurs couleurs dans chaque race, tout en reconnaissant que pour la garde des troupeaux la couleur préférée devait être la plus foncée, c'est-à-dire la plus noire, qui, au crépuscule, se distingue beaucoup mieux des moutons que les couleurs fauves et grises. C'est pourquoi dans les Expositions, les chiens de berger de couleur noire, à qualité égale, doivent toujours être classés avant ceux d'autres couleurs.
L'utilité des Concours au travail a été reconnue dés la première année et beaucoup de Sociétés d'agriculture, du nord au midi de la France, nous
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ont demandé des renseignements et le patronage du Club pour en organiser.
Ces Concours sont une excellente leçon de chose dont profitent les bergers moins expérimentés, comme l'a souvent dit, dans ses remarquables conférences, M. Ernest Menault, inspecteur général de l'agriculture.
La régie du marché aux bestiaux de la Villette a également reconnu de suite l'utilité de ces Concours et a très généreusement, voté des fonds pour fonder des prix qui sont décernés chaque année, en son nom, dans nos réunions. Car si un troupeau bien conduit, bien soigné, se développe mieux, fertilise davantage le sol et donne de meilleurs gigots, un gigot froissé, meurtri, déchiré par un chien trop mordant perd beaucoup de sa valeur !
C'est pourquoi les agriculteurs « moutonniers », les commissionnaires en bestiaux et la boucherie en gros de Paris encouragent nos Concours qu'ils voudraient voir se multiplier de plus en plus.
Il y en a déjà eu d'organisés dans les départements de : Eure-et-Loir, Seine-et-Oise, Hérault, Pas-de-Calais, Gard, Haute-Garonne. Cher, Seineet-Marne, Aude, Somme, Seine. Indre, Meurtheet-Moselle, Oise, et le 13 juin dernier dans l'Eure, à Evreux. Pour stimuler les bergers et dans l'intérêt de l'agriculture, nous espérons en allonger la liste.
L'an dernier, à l'Exposition canine des Tuileries, à Paris, il y avait une collection magnifique de chiens de la race de Beauce, noirs et feu (bas rouges), exposés par un berger M. Leroux. Cette
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année,à l'Exposition canine des Tuileries également, il y avait des types noirs admirables de la race de Brie, exposés par M. Eugène Thome et par Mlle Elisabeth Raoul-Duval.
Le lot exposé par M. Eugène Thome, composé de 2 mâles et 3 femelles, était absolument remarquable. Il y avait aussi de très beaux types noirs marqués de feu, de la race de Beauce, exposés par M. Camille Triboulet, agriculteur éleveur, et par un berger M. Villain.
En voyant cela nous nous demandons pourquoi les agriculteurs et les bergers ne tirent pas meilleur parti de leurs chiens ? Car au lieu d'acheter des Colleys et d'envoyer notre argent en Angleterre, il serait, il nous semble, plus rationnel de faire de nos chiens de Brie et de Beauce — qui sont deux races bien distinctes susceptibles de satisfaire tous les goûts et qui sont, sans conteste, aussi intelligents, sinon plus, que leurs congénères d'outreManche — des animaux pouvant les remplacer, de façon à faire profiter notre élevage national des sommes importantes envoyées tous les ans à l'étranger.
Pourquoi le Colley a-t-il été si recherché ?
Pourquoi a-t-il eu ses petites et grandes entrées dans les salons et les hôtels princiers?
Pourquoi a-t-il été payé des prix si élevés ?
Simplement parce que les Anglais, qui ont la science de l'élevage innée, ont su en faire un compagnon propre et soigné et qu'ils ont su le faire aimer en l'adorant eux-mêmes.
M. Panmure-Gordon, banquier à Londres, pré-
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sident du Kenncl-Club Écossais, avec lequel j'ai le plaisir d'être en relations, est un éleveur passionné de Colleys, il en vend tous les ans à des prix variant entre 5.000 francs et 7.500 francs, il en a même vendu un 12.500 francs en 1896 pour l'Amérique.
Ce n'est pas que je pense qu'aucun de nos chiens de Brie ou de Benuce atteindra jamais ces prix fantastiques, qu'on ne peut du reste trouver que dans les pays de milliardaires: mais nos chiens de berger qui se payaient, il y a dix ans, de 20 francs à 80 francs, se paient couramment aujourd'hui de 100 francs à 300 francs et même davantage suivant leur beauté. J'ai eu l'occasion, depuis la fondation du Club, d'en faire vendre par des bergers au prix de P500 francs et deux fois au prix de 7o0 francs. Les acheteurs ont été enchantés et m'ont beaucoup remercié. Si les acheteurs étaient contents, je vous laisse à penser si les vendeurs l'étaient aussi ? Au mois de mai dernier, à l'Exposition canine de Paris, Mnuxtarhp briard noir a été vendu 1.000 francs. Un amateur a offert 3.000 francs de C>/mnn, 1er prix et prix du Ministère de l'agriculture, le plus beau chien de Brie paru jusqu'à ce jour. C'est un commencement et nous pensons que les bergers qui auraient des reproducteurs bien typés pourraient tirer profit de leurs chiens, à la condition de s'en occuper, de les bien soigner et en prenant certaines précautions dès leur naissance. Comme par exemple : ne laisser que trois ou quatre petits à la mère en la nourrissant bien. — Éviter les puces et surtout les poux/jui empêchent les jeunes de dormir et de
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se développer, en les poudrant tous les quinze jours avec de la poudre de pyrêthre fraîche. — Éviter les vers qui sont les pires ennemis des chiots en leur faisant avaler tous les quinze jours, le soir, 10 centigrammes de santonine dans un peu de lait et le lendemain, dès le matin, une cuillerée à dessert d'huile de ricin. —Éviter, l'anémie (qui se reconnaît à la pâleur des gencives) en leur donnant de la viande crue coupée par petits morceaux, trempés dans de l'huile de foie de morue.
Les chiots nés de parents sains et vigoureux, élevés au grand air, en liberté, bien soignés et bien nourris, n'ont pas d'anémie.
Pour faciliter la dentition et la bonne ossature, il est bon de donner aux chiots, de deux à dix mois, chaque jour dans leur soupe, une cuillerée à café de poudre d'os (phosphate de chaux).
Il faut toujours un pansage quotidien et un logement propre et sec, à l'abri de la pluie et du grand froid. Le meilleur est une vaste niche montée sur quatre pieds, dont le fond, placé au moins à 0m20 de terre, doit être facilement démontable pour le nettoyage complet qui doit être fait très minutieusement chaque semaine, afin de détruire les nids d'insectes et les parasites.
Je me permets de donner ces conseils pensant que certains bergers ou agriculteurs pourront peut-être en tirer profit, parce que depuis 35 ans j'ai fait naître et j'ai élevé environ 2.000 chiens et que ces moyens m'ont toujours réussi.
En résumé, pour l'élevage du chien, on peut je crois appliquer ces préceptes : Du grand air, de la
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liberté, pas de vers, pas de poux, pas d'anémie... pas de maladie !
Points de la race de Brie.
Tête: Garnie de poils formant moustaches et sourcils laissant
.l'oeil à découvert ou le voilant très légèrement. ' Poil du corps: Long, laineux mon frisé, plutôt plat). Oreilles : Droites si elles sont coupées, droites recourbées du
haut si elles sont laissées naturelles. Ergoté double aux deux pattes île derrière. Oueue entière formant le crochet à l'extrémité, l'aille: 0">55 à 0»65. Chien solide, bien charpenté. Couleurs: Gris noir ardoisé ou noir parsemé de quelques poils
blancs: fauve gris fer: gris fauve.
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE.
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Points de la race de Beauce.
Tôte: A poil ras.
Poil du corps: Plutôt gros, court, presque ras.
Oreilles: Droites si elles sont coupées, droites recourbées du
haut si elles sont laissées naturelles. Ergoté double aux deux pattes de derrière. Queue entière formant le crochet à l'extrémité. Taille :0»C0 à 0™70.
Chien solide, bien charpenté, bien musclé. Couleurs: Noir avec ou sans taches feu ou fauves à la tète et
aux pattes; fauve:-gris; gris avec taches noires. (Les chiens marqués de feu aux quatre pattes sont dénommes
« Bas rouges »).
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M. de Longuemure parle ensuite des ravages causés par les limaces, vers, pucerons, aux jeunes semis de légumes : cette année étant particulièrement pluvieuse, ces ravages ont été considérables. Or M. de Longuemare s'est trouvé amené à essayer un insecticide en poudre dit « Protecteur I.efèvre », du nom de son inventeur M. Lefôvre. au Moulin-Neuf, Presles (Seine-et-Oise). Cette poudre une fois semée a complètement détruit sur terre et en terre tous les insectes et les semis se sont conservés indemnes. L'heure étant trop avancée, il ne peut être donné que sommairement communication du mémoire de M le Dr Autefage sur le lait pasteurisé dans son usine, mais voici dans son ensemble ce mémoire intéressant au double point de vue agricole et industriel. C'est avec plaisir que nous voyons à Louviers, cette année, comme à Neufchàtel l'an dernier, se développer cette industrie nouvelle : elle est pour notre production laitière, si atteinte par la mévente des beurres, un débouché précieux, que nous espérons voir grandir de plus en plus.
LTsine dn » Lait Français Pasteurisé » do docteur Autefage, à Louviers.
Si on mesure l'importance d'une usine à la quantité de matière préparée, au nombre d'ouvriers employés, celle-ci ne mérite pas les honneurs de ce rapport, tout modeste soit-il.
Mais il paraîtra intéressant peut-être de faire savoir que l'usine du lait pasteurisé du Dr Autefage, par-
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tage avec deux autres seulement en France, le soin de fournir, à Paris notamment, du lait stérilisé en ilacons de verre pour l'allaitement des enfants ; et est unique en France à préparer et exporter du « lait pasteurisé et stérilisé » en boîtes de fer blanc.
Le « lait pasteurisé et stérilisé » du D1 Àutefage futun des premiers laits stérilisés qui, dès 1893, fut employé à Paris pour l'allaitement artificiel des enfants ; c'est-à-dire au début du mouvement scientifique qui porta les médecins à prescrire le lait stérilisé dans l'allaitement artificiel des enfants.
Qu'on le veuille ou non, l'allaitement artificiel au biberon, avec ou sans lait stérilisé, s'étend de plus en plus ; et l'allaitement mixte, celui qui consiste pour la mère à s'aider du biberon, est aujourd'hui général.
Il faut reconnaître que les pratiques nouvelles de la stérilisation du lait en sont cause, puisque dans tous les milieux on entend des mères déclarer presque orgueilleusement qu'elles élèvent leur enfant au lait stérilisé. Ces mères, autrefois, eussent été confuses d'avouer qu'elles ne rélevaient pas au sein.
Évidemment il faut réagir et proclamer l'excellence de l'allaitement maternel. Mais tant de médecins — tous les médecins autant dire — ont proclamé les bienfaits du lait stérilisé ! ! À l'Académie de médecine, tant de fois on a conseillé le lait stérilisé à défaut du lait maternel, qu'il faut bien convenir de ce qu'on ne peut nier, à savoir ;
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que le « lait stérilisé est le succédané du lait maternel ». M. Budin. professeur à l'École de médecine de Paris, a déclaré en pleine Académie que 30 à oO.OOO enfants de t jour à t an, meurent tous les ans en France, qui ne mourraient pas s'ils étaient élevés au lait stérilisé.
(Test assez dire l'importance de cette industrie. Malheureusement pour se généraliser la pratique du lait stérilisé se heurte à des difficultés de plus d'un ordre. Kn Normandie et dans les pays grands producteurs de lait, il sera difficile longtemps encore de persuader d'avoir à stériliser du lait sortant du pis de la vache, qui se trouve à la portée de toute nourrice ; ailleurs c'est le prix du lait stérilisé: seuls la création d'une usine d'une certaine importance, c'est-à-dire la préparation en quantités notahles, et un déhouché comme celui de Paris, le rendent pratiquement accessible aux petites bourses, à cause du transport réduit. Paris et les très grands centres sont donc seuls à portée d'avoir du lait stérilisé à un prix abordable, c'est-à-dire à 0 fr. o0 le litre.
Heureusement on construit de petits appareils de ménage à préparer du lait dit stérilisé, gui ne l'est pas absolument partout, mais qui suffit pendant la plus grande partie de l'année. Mais pendant la période des grandes chaleurs, c'est-à-dire au munient des plus grands dangers, au moment précis où on attend rie lui la vie de l'enfant, ce lait dit stérilisé n'est pas suffisamment stérilisé, disent les professeurs les plus compétents, et peut être dangereux pour la fausse sécurité qu'il donne à la
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nourrice. C'est pour parer à cet inconvénient très sérieux qu'on prépare les laits absolument stériles dans des usines assez importantes. Ce lait se conserve indéfiniment et atteint le but qu'on se propose, à savoir : la sauvegarde absolue du nourrisson.
Paris consomme environ 4 à 5.000 litres de ce lait industriellement préparé. Ce qui se consomme ailleurs est insignifiant. Paris, d'après la statistique, a vu la mortalité infantile diminuer des trois quarts depuis l'usage du lait stérilisé.
Le lait, préparé dans des boîtes de fer blanc dans l'usine du lait français de Louviers, répond à un autre besoin, à savoir : l'exportation dans les pays chauds où le lait est si rare qu'un troupeau de 20 chèvres, au Congo, à notre connaissance, produit à peine 2 litres de lait par jour. Là surtout le lait est l'aliment ou plutôt le médicament indispensable à l'Européen, plus ou moins atteint d'affections paludiques. Pour la plupart le lait c'est le salut. Sans doute on use beaucoup de. lait condensé dans ces pays, mais le lait condensé, s'il a l'avantage du bon marché, a l'inconvénient de n'être que de la confiture de lait à côté du lait naturel stérilisé tel qu'il est préparé à Louviers. Le lait condensé est sucré au point de devenir insupportable à l'estomac malade ; ou, différemment, s'il est étendu d'eau en suffisante quantité, de n'être que de l'eau sucrée étendue d'un peu de lait.
Ce lait pasteurisé, stérilisé en boîtes, préparé à Louviers, s'exporte actuellement à la Côte d'Afrique, à Madagascar, au Transwaal, en Indo-Chine, au
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Siam, au Tunkin, au Brésil, au Japon, niais surtout clans nos colonies de la Côte d'Afrique.
Pareille extension présage-t-elle un développement en proportion ?
Il est certain que nos colonies de la Côte d'Afrique s'ouvrent à peine et se développent à pas de géants. Et le lait y est nécessaire plus que le pain, la viande, le vin et surtout l'alcool.
Installée à Murât (Cantal; dès 1892, l'usine du lait français pasteurisé du D' Autefage fut transportée à Louviers en avril 1893. Là fut vraiment créée cette usine avec des appareils suffisants pour préparer 2.000 à 4.000 litres de lait par jour, et dans des bâtiments suffisamment spacieux pour l'emmagasinage d'une quantité de lait assez considérable en boites surtout. Le lait y est préparé sous-pression à l'autoclave avec des procédés spéciaux inventés et appliqués par le Dr Autefage lui-même.
Disons en leiminant et en souhaitant, pour le bien de ceux qui fournissent du lait et de ceux qui le préparent, une extension toujours grandissante de cette industrie souveraine, que c'est encore et toujours l'illustre et immortel Pasteur qui est l'initiateur de cette industrie.
M. le comte de Boim député, a clos la séance en demandant à l'Association Normande d'émettre un voeu contre le projet de captation des eaux de Fontaine-sous-Jouy et de Cailly par la ville de Paris. Ce v oeu est adopté à l'unanimité.
L'ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 7 heures 1/2.
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 273
La journée consacrée au travail devait se terminer de façon fort agréable pour tous: à neuf heures, les membres de l'Association se sont rendus au square du Champ-de Mars où les avait conviés la municipalité à la fête de nuit organisée en leur honneur. L'Harmonie municipale, dirigée par son chef, M. Fontbonne, a fait entendre les plus brillants morceaux de son répertoire. A mentionner, la décoration très coquette du jardin et le bel effet produit par les étoiles, rosaces, écussons et cordons lumineux au gaz acétylène dus a l'initiative de M. Lhermitte, de Louviers.
48
3* JOURNEE, VENDREDI 25 SEPTEMBRE
Visite des Monuments
et de quelques Établissements industriels de
Louviers, et excursion à Âequigny.
Dès huit heures un quart du matin, les membres de l'Association Normande visitaient la vieille église de Saint-Germain-Louviers (1); puis ils étaient très cordialement reçus par un d'entre eux, M. Jeuffrain, qui leur faisait visiter son tissage de drap et leur en expliquait le fonctionnement.
Les congressistes arrivaient ensuite à l'établissement Breton et fils, où M. P. Breton,-entouré de ses directeurs, les accueillait fort aimablement et leur faisait parcourir ses vastes et presque luxueuses salles de travail. Tous pouvaient se croire transportés dans les halls d'une véritable exposition industrielle à cause de la beauté et variété des machines, de l'intelligente organisation qu'on constate à chaque pas, de l'ordre et de la propreté qui régnent par(1)
par(1) église a été ('(instruite sur l'emplacement d'une chapelle où, d'après M. Léopokl Marcel, s'appuyant sur une chronique de Guillaume de Jumiège, les Francs seraient venus implorer le ciel avant de livrer hataille à Rollon, chef des Normands (876).
276 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
tout. Pendant près d'une heure et demie, et grâce aux intéressantes explications de M. Breton, de M. Eugène Poitevin et des directeurs, les membres de l'Association ont pu se rendre compte des diverses transformations subies par la laine brute avant d'être livrée au commerce sous forme de drap, en même temps que de la prospérité de ce bel établissement qui occupe 1,200 ouvriers.
Sauf la lilature, les visiteurs ont vu sous leurs yeux la laine se transformer en tissu. Ce sont d'abord les opérations nécessaires à la formation de la chaîne, c'est-a-dire l'ensemble de fils parallèles qui s'étendent dans la longueur du tissu et entre lesquels-passera la navette qui croisera la trame dans la largeur du tissu.
Pour la formation de la chaîne, la première opération est l'ourdissage qui dispose les fils parallèlement les uns aux autres, soit mécaniquement, soit à la main. Dans le premier cas, les fils en bobine tires par la machine viennent s'enrouler sur un cylindre et sont groupés par couleurs, si le tissu est de la nouvcauié. Dans l'ourdissage a la main, le lil sortant d'un groupe de bobines s'enroule autour de tambours verticaux que l'ouvrier manoeuvre lui-même. Puis la chaîne passe a l'encollage, c'est-à-dire dans un bain de colle afin de donner au fil une résistance suffisante pour pouvoir être tisse; en sortant du bain, la chaîne glisse entre deux rouleaux de feutre qui enlèvent l'excédent de colle. Une étuve chauffée a la vapeur amène la dessiccation.
Une ouvrière procède ensuite au nouage de la chaîne, chaque fil étant rattaché aux lisses ou laines qui doivent les faire mouvoir dans le métier à tisser.
3° JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 277
Une bonne ouvrière peut nouer 1,500 fils à l'heure.
La chaîne étant sur le métier, le tisseur n'a plus qu'à travailler. Mais le métier lui-môme travaille dans des conditions différentes suivant le dessin de tissu; les lisses se soulèvent par séries différentes pour laisser passer une ou plusieurs navettes dont le fil perpendiculaire à la chaîne constitue la duite et forme la trame. La description du métier à tisser et l'explication du rôle des cartons percés inventés par Jacquart ne sont d'ailleurs plus à faire.
M. Breton possède des métiers de divers systèmes, anglais, français et allemands, dont la vitesse est variable suivant le type et la largeur du tissu : ils battent 100 à 120 coups à la minute, ce qui fait autant de passages de navette.
Après le tissage, la pièce de drap passe aux épinceteuses qui enlèvent aves des pinces les noeuds et corps étrangers, puis aux rentrayeuses qui, par un travail minutieux et délicat, remédient aux défauts du tissage.
En outre, toute une série d'apprêts se succèdent: c'est le dégraissage dans lequel un bain de soude enlève la colle qui a servi pour donner de la résistance au fil de la chaîne ; c'est le foulage, dans lequel le drap passe pendant deux ou trois heures entre des rouleaux savonneux, ce qui amène une sorte de feutrage du drap et une diminution dans la longueur et la largeur de la pièce.
Après un lavage à l'eau pure, c'est le séchage à l'essoreuse ; le drap tourne une demi-heure ou une heure dans des essoreuses qui font 900 tours à la minute et le débarrassent de son humidité par l'effet de la force centrifuge.
278 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
M. Breton possède en outre une machine d'invention récente: c'est lasuppeuse remplaçant l'essoreuse. Le tissu se déroule lentement au-dessus d'un tuyau portant dans toute sa longueur une fente de 2 millimètres de largeur. I.e vide étant fait dans le tuyau par une pompe pneumatique, l'air extérieur traverse le tissu pour combler le vide intérieur et assèche ce tissu.
Les tissus drapés, c'est-à-dire ceux qui doivent avoir une surface unie et homogène, passent à la lainerie où des cardes lissent, avec leurs milliers de pointes, le duvet qui est à la surface du drap et qui couvrira le croisement des fils. Autrefois on se servait uniquement de chardon cardère, aujourd'hui, on emploie aussi pour lés draps ordinaires des fils métalliques très fins qui opèrent à sec tandis que le cardage au chardon se fait sur des draps mouillés.
La tondeuse égalise les filaments tirés à. la surface par le cardage. Cette tondeuse se compose de deux lames tranchantes : l'une droite et fixe, l'autre enroulée en spirale ; cette dernière, qui fait 350 tours par minute, constitue la branche mobile des ciseaux et, glissant sur la lame immobile, elle coupe les filaments qui se sont redressés dans le glissement du drap sous la lame immobile.
Le lustre du drap est donné par la presse et par le décatissage à la vapeur.
Cette visite des ateliers de MM. Breton a beaucoup intéressé les congressistes, aussi M. de Longuemare, sous-directeur du Congrès, remercie-t-i! chaleureusement M. Paul Breton, au nom de tous ses collègues. A l'occasion de cette visite. M. Breton a remisa tous sesouvrierset employés une importante gratification.
3" JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 279
Cette délicate attention, faite au nom de l'Association Normande, a vivement touché les membres de cette société.
C'est presque en courant, à cause de l'heure déjà avancée, qu'ils ont pu cependant remarquer les beautés architecturales de l'église Notre-Dame de Louvirrs. M. Régnier, membre de l'Association Normande, qui avait publié sur cette église une monographie, a bien voulu donner à ses collègues les explications les plus intéressantes.
Puis la visite.au cloître de la prison, ancien couvent de Franciscains, cloître dont le préau n'est autre que la rivière elle-même, a pris quelques instants trop courts.
Enfin les congressistes ont visité l'importante collection de géologie de leur collègue M. Védy et celles non moins intéressantes de M. Hébert, commissaire en retraite de la marine, qui, au cours de ses nombreux voyages dans toutes les latitudes, a recueilli beaucoup d'objets indigènes. Ils ont enfin admiré les magnifiques meubles et tapisseries de Mme Castillon. Citons parmi les objets les plus dignes d'intérêt : un bureau secrétaire ayant appartenu à Marie-Antoinette, un missel aux armes de Georges d'Amboise, archevêque de Rouen, une couronne de fruits en faïence attribuée» Bernard Palissy. un reliquaire du XIIe siècle, et surtout de magnifiques tapisseries, etc.
A une heure et demie, les voitures d'excursion étaient rangées place du Parvis, et à deux heures les congressistes arrivaient au château d'Acquigny, appartenant àMme la comtesse du Manoir.
Notre collègue M. Régnier a bien voulu nous donner de cette visite le compte-rendu suivant :
EXCURSION A ÀGQUIGNY
Cette excursion, ou pour mieux dire cette promenade, eut plus de succès encore que celle de la veille. Le soleil, il est vrai, s'était mis de la partie; la distance était courte, l'heure propice, le chemin agréable; enfin, les curiosités qu'on allait voir, bien que fort peu étudiées, jouissaient de la plus légitime réputation.
I
Assis au bord de l'Eure, encadré d'un ravissant paysage, le château d'Acquigny a, dans son aspect, quelque chose d'imprévu qui attire et retient. On a maintes fois écrit sur cette belle résidence, mais sans paraître, semble-t-il, en soupçonner la valeur artistique. Et cependant la construction du château d'Acquigny fut assurément l'une des plus curieuses manifestations de l'architecture civile au milieu du XVIe siècle. Bâti par Anne de Laval, baronne d'Acquigny, femme de Louis de Silly, seigneur de la Roche-Guyon, il ne
EXCURSION.
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fut commencé — il importe tout d'abord de le constater — qu'après la mort de ce dernier, arrivée le 2 mars 1J5S7. Le style, en effet, ne rappelle en rien celui des châteaux élevés sous François Ier et même sous Henri [I. Aucun d'eux, il est permis de l'affirmer, - à l'exception peut-être de Vallery, — n'avait jusqu'alors revêtu un caractère aussi résolument novateur. Une simplicité extrême dans l'ensemble, tout en pierre de taille soigneusement choisie, une sobriété non moins frappante dans les détails, des baies uniquement encadrées de pierres saillantes à légers refends, des angles appareillés de la même façon, sans l'intervention d'aucun pilastre, toute l'ornementation réservée pour l'entablement du bâtiment et celui des lucarnes, pour l'allège des fenêtres etpourune charmante tourelle qui étage sa double Ingyia au-dessus d'une trompe, à l'angle intérieur des deux corps d'hôtel : tels sont les traits essentiels de la construction. Assurément, rien de semblable ne pourrait être cité en Normandie, ni peut-être même dans toute la France,— Vallery mis à part,— entre les années 1oo7 et io~2, dates du veuvage et de la mort d'Anne de Laval ; et si la dame du lieu, qui gardait le culte du souvenir conjugal, n'avait fait répéter partout dans les frises les trois lettres L, A, S, accompagnées d'une foi qui ne laisse aucun doute sur leur interprétation, on songerait bien plutôt au règne de Henri III qu'à celui de François II ou de Charles IX.
Mais, il faut le dire, nous ne voyons plus Acquigny tel qu'il a été conçu: les larges douves dans lesquelles affluaient les eaux de l'Eure ont été com-
282 SESSION TENUE A LOUV1ERS, EN 1903.
blées, les appuis des fenêtres partout abaissés, les deux p.»rtes ouvertes sous la tourelle fâcheusement modifiées, sans compter que deux pavillons Louis XV sont venus agrandir de façon peu gracieuse le manoir d'Anne de Laval. Les heureuses proportions d'autrefois sont donc perdues, et il en résulte une impression de lourdeur qui ne permet d'apprécier qu'après réflexion la juste pondération de l'ordonnance primitive. Ces remaniements, si regrettables qu'ils soient, ne nous empêchent pas, heureusement, de constater un fait piquant, à savoir que les fenêtres et les lucarnes paraissent n'avoir jamais été garnies de croix de pierre. Le château d'Acquigny aurait donc été l'un des premiers en France à donner l'exemple de l'abandon d'une tradition lointaine et toute nationale (i).
Malgré cela, il semble bien difficile d'attribuer le château à un architecte étranger. Si le constructeur d'Acquigny a longuement étudié les livres de ses confrères italiens, s'il y a puisé, selon toute apparence, l'idée de ces linteaux appareillés à claveaux d'une longueur inégale et de ces lucarnes coupant l'entablement, il faut, à notre avis, reconnaître la main d'un compatriote dans l'arrangement général, dans l'harmonie et la logique des
(1) Les châteaux de Saint-Germain et de la Muette avaient îles fenêtres sans meneaux dès la lin du règne fie François I", mais ces fenêtres étaient en hriques. et les conditions par conséquent exceptionnelles. Plus significatif serait le théâtre commencé par Henri II à Saint-Germain et dont les fenêtres nous sont montrées par Du Cerceau privées de remplages.
ExcuasioN. 283
formes, dans l'ornementation, composée et distribuée avec ce goût, ce sentiment de la mesure et de l'équilibre qui furent à un si haut degré le partage des architectes français du milieu du XVIe siècle. Aussi, pour notre part, nous résignerons toujours malaisément à ignorer un nom auquel cette seule création suffirait à donner le lustre le plus mérité. ' •
A l'intérieur, l'oeuvre du XVIe siècle ne se retrouve plus que dans l'escalier, formé de volées rectilignes se développant autour d'un massif carré, avec alternance de berceaux et de voûtes d'arête, et dans une ou deux salles dont les voûtes, d'une élégante simplicité, se montrent, autant que le reste, affranchies de toute tradition gothique. Mais, à côté de ces témoignages si curieux d'une transformation architectonique dont on ne,saurait trop étudier les origines et le développement, le château d'Acquigny présente une importante série d'oeuvres d'art, — peintures et sculptures, — non moins dignes d'attention. Madame la comtesse du Manoir, absente, avait bien voulu nous permettre et nous faciliter, d'une manière infiniment gracieuse, l'examen de ces rares et précieux objets.
La sculpture est représentée surtout par deux bustes de marbre blanc, images de grandeur naturelle d'un gentilhomme et d'une dame du temps de Louis XIII. Le costume, la coiffure, sans aucun apparat, indiquent un magistrat et une veuve. L'exécution, large et sobre, est d'un maître. Comment ne pas reconnaître dans ces figures les devix bustes sculptés par Jacques Sarazin pour le tombeau
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rie Robert Le Roux, seigneur fie Tilly, conseiller au parlement de Normandie, et de Marie de Bellièvre, son épouse, morts, le mari en 1638, la femme en 1642, et inhumés tous deux aux Célestins de Rouen, tombeau qui fut plus tard transporté dans l'église d'Acquigny, où on le voit encore, ruiné, saccagé à la Révolution, mais montrant toujours les niches ovales qui encadraient les effigies des défunts? Cette identification paraissait si sûre, à défaut même de tout témoignage local, que celui qui écrit ces lignes n'hésita pas à en prendre la responsabilité lorsqu'il eut pour la première fois sous les yeux, en compagnie de ses confrères de l'Association Normande, ces deux superbes morceaux qu'il croyait depuis longtemps anéantis. Est-il besoin de dire que les souvenirs recueillis par Madame la comtesse du Manoir et par son neveu, notre savant et distingué confrère M. le baron d'Esneval fl), confirment absolument cette manière de voir?
Quelques meublesméritent aussi d'être examinés, entre autres deux beaux bahuts ou buffets de la seconde moitié du XVI 0 siècle, en ébène, d'un style assez énigmatique et vraisemblablement de provenance étrangère fils se trouvaient, dit-on, à Fontainebleau lorsqu'ils ont été donnés par Napoléon Ier au comte du Manoir, aïeul du dernier propriétaire).
Quant aux peintures, plusieurs sont de premier
(1) Nous devons à M. le baron d'Esneval un certain nombre de renseignements dont nous sommes heureux de le remercier ici avec reconnaissance.
EXCURSION. 285
ordre. 11 y a là toute une série de portraits de famille des XVII1-' et XVIIIe siècles, dont la liste peut avoir son utilité :
1° Pierre Le Marchand de Bardouville, seigneur de Villers-le-Chambellan, reçu en 1687 conseiller au parlement de Normandie. - La tradition de famille qui veut que ce personnage se soit fait peindre par Rigaud, trouve sa confirmation dans les écrits de Van Hulst, le biographe du peintre, qui cite au nombre des portraits exécutés en 1693 celui de « M. Le Marchand, de Rouen ».
2° Anne-Marie-Madeleine de Canouville, morte en 1741, après avoir épousé en premières noces (1684} Robert Le Roux d'Esneval, quatrième du nom, vidame de Normandie, baron d'Esneval et d'Acquigny, ambassadeur en Portugal et en Pologne, mort en 1693, et en secondes noces (1700) Charles-François de Montholon, seigneur du Vivier et d'Aubervilliers, premier président du parlement de Normandie, mort en 1703. — Copie. L'original est en la possession de M. le baron d'Esneval, au château de Beauvoir, commune d'EeallesAlix (Seine-Inférieure).
3U Catherine Grossin de Saint-Thurien, morte en 1737, seconde femme de Pompone Le Roux de Tilly, vicomte de Comblisy, colonel du régiment de Luxembourg, mort en 1713. — Très beau et attribué, de tradition, à Largillière.
4" Madeleine Le Roux de Tilly, femme de Maximilien-Constantin Anzeray,marquisdeCourvaudon, président au parlement de Normandie, morte vers 1715, petite-fille de Claude Le Roux, qui acquit en
286 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
16561a baronnie d'Acquigny.— Ce splendidc portrait est attribué à Largillière, comme le précédent, avec lequel il offre plus d'une analogie.
5° Élisabeth-Marie-Madeleine Le Roux d'Esneval, femme de Robert-François Roulais, seigneur de Catteville, conseiller au parlement de Normandie, reçu en 1693.
6" Anne-Robert-Claude Le Roux d'Esneval, vidame de Normandie, baron d'Esneval et d'Acquigny, marquis de Grémonville, président au parlement de Normandie, connu sous le nom de président d'Esneval, mort en 1766.— En pied,revêtu de la simarre rouge. C'est le seul personnage représenté en pied. Tous les autres portraits sont en buste et ovales.
7° Pierre-Robert Le Roux d'Esneval, baron d'Esneval et d'Acquigny, président au parlement de Normandie, dit \c président d'Acquig ny,mori an 1788.— Copie moderne. L'original est cbez Mademoiselle de Rellegarde, au château de Grémonville (SeineInférieure).
8° Françoise-Catherine Clerel de Rampen, femme du précédent, morte en 17o3. — Copie du temps. L'original est au château de Grémonville.
9° Probablement Marie-Marthe Le Marchand de Bardouville, fille de Pierre Le Marchand de Bardouville (voir nu 1 , mariée en 1714 à Anne-RobertClaude Le Roux d'Esneval (n" 6j, morte en 1768.
Parmi les portraits modernes, il faut citer tout particulièrement celui de la comtesse du Manoir (Zénaïde Le Roux d'Esneval], morte en 1881, par Paul Baudry.
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En pénétrant dans le château par l'entrée principale, sous la tourelle, on voit, entre les deux portes, un fragment de sculpture intéressant. C'est un dais de style flamboyant, fort riche, et terminé non par une pyramide, mais par une sorte de petite plate-forme sur laquelle se détache en relief un écu découpé dans le goût de la Renaissance et portant un chevron, avec un croissant en chef et trois molettes d'éperon, deux et une. Ce détail prouve que le dais occupait une position horizontale, de façon à ce que l'écu se présentât verticalement et face au spectateur. Le dais provient donc d'un tombeau et abritait un gisant. Certains disent que cela vient de Louviers, d'autres de l'église d'Acquigny ou du prieuré de Saint-Mauxe, dans la même paroisse. Dans ce cas, l'on est tenté d'y voir un débris du tombeau de Nicolas Le Vavasseur, abbé de Conches et prieur d'Àcquigny, mort à Acquigny le 1er novembre 1525 et inhumé dans l'église. La Gaiïia christiana, qui nous révèle ces faits, ne nous dit pas s'il s'agit de l'église paroissiale ou de l'église du prieuré, aux trois quarts démolie en 1752; l'ouvrage ne dit même pas, — et rien, fût-ce une crosse surmontant l'écu, ne vient suppléer à son silence, — si un mausolée quelconque fut érigé au prieur-abbé. Notre supposition est donc, à la vérité, très gratuite, d'autant plus que l'on ne trouve nulle part la moindre figuration des armoiries de Nicolas Le Vavasseur, malgré la présence dans les vitraux de Couches d'une effigie d'abbé de la première moitié du XVIe siècle, qui peut être la sienne comme aussi celle de
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■son neveu du même nom, Jean Le Vavasseur (1). Il est peut-être préférable de s'arrêter à un rapprochement que veut bien nous suggérer M. Gustave Prévost. Lu croissant peut passer pour une brisure. A ce compte, les armoiries seraient celles de la famille de Pommereuil (de gueules au chevron d'or, accompagné de trois molettes du même), dont l'un des membres les plus marquants, Robert, capitaine de Pont-de-1'Arche, se serait fait, dit-on, inhumer en iM'd dans l'abbaye de Bonport. Le dais d'Acquigny provient-il du tombeau de Robert de Pommereuil'.' On comprendra tout à la fois notre réserve sur ce point et la nécessité de signaler l'analogie des armoiries (2).
Il
Le Petit Château est une construction très simple et sans intérêt architectonique, bâtie vers la fin du règne de Louis XV par le président d'Acquigny, Pierre-Robert Le Roux d'Esneval, qui aimait à y faire de pieuses retraites, accompagné d'un seul
(1) Nous n'osons invoquer comme un argument l'analogie apparente de l'écu d'Ae<[uiguy et des armoiries portées deux siècles plus tard par une famille de négociants et d'échevins rouennais, les Le Vavasseur: d'azur au chevron d'argent, accompagné de trois étoiles du même.
i'-i) L'épitaplie de Uobert de Pommereuil a été retrouvée à Louviers. disent les auteurs du Dictionnaire historique de l'Eure (t. I", p. llô, art. Amfreeille-sur-lton); mais la présence du tombeau de ce personnage à Bonport, avant la Kévolution, n'est signalée par aucun document manuscrit ou imprimé,.
EXCURSION. 289
domestique. Cette habitation est, en effet, contiguè par son extrémité à l'église paroissiale, et, du premier étage, le président pouvait assister à la messe célébrée dans une chapelle construite par ses soins au chevet de l'édifice, et même suivre, sans être vu, les offices paroissiaux.
Cette partie du Petit Château, au-dessous de laquelle se trouve la sacristie, a été laissée à peu prés dans l'état où elle était alors. « On voit encore, dit l'historien d'Acquigny, M. l'abbé Lebeurier, un petit oratoire où le vénérable président, prosterné aux pieds du Crucifix, et les yeux attachés sur une tête de mort, méditait les vérités éternelles. Cette tête est celle de Dom Rigobert Lévesque, mort en odeur de sainteté le 1-4 novembre 1(579, entre les bras de l'abbé de Rancé. »
L'église olfre le témoignage éclatant de la piété, de la munificence et du goût du président d'Acquigny. Non seulement il agrandit l'édifice à plusieurs reprises, par des adjonctions diverses, mais il en renouvela complètement la façade et la tour, et l'on peut dire que la décoration intérieure est tout entière son oeuvre. Un de nos compagnons d'excursion regrettait les objets d'art d'autrefois que ces travaux avaient fait disparaître. Un tel sentiment, que légitiment trop souvent de nos jours des reconstructions inutiles ou de prétendus embellissements, trouve ici une compensation dans l'indéniable beauté de tout ce que nous avons sous les yeux. Le style Louis XV, naturellement, règne partout ; mais quel homme de goût ne préférerait ces charmantes compositions, documents artistiques au premier
19
290 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
chef et témoignages vécus d'une époque bien déterminée, aux détestables pastiches gothiques qui menacent d'être pour nous, longtemps encore, la rançon de la juste réhabilitation des monuments du moyen âge? On composerait l'album le plus attrayant et le plus instructif de tous les motifs, nombreux autant que variés, qui forment, dans une harmonieuse unité, la décoration de l'église d'Acquigny. Le décrire serait difficile, les énumérer déjà laborieux, mais nous ne pouvons cependant ne pas rappeler d'un mot ce qui frappe le plus le visiteur: les boiseries de revêtement proprement dites, depuis la tribune de la façade jusqu'aux stalles, au dossier desquelles on peut encore admirer une figure en lias-relief de la Foi, échappée on ne sait comment au vandalisme révolutionnaire ; les autels, depuis l'autel majeur et l'autel de la chapelle absidale ou chapelle du Saint-Esprit, oeuvres très originales, très -délicates, et cependant d'un grand elfet, jusqu'à ceux des petites chapelles, entre lesquels l'autel de la chapelle des fonts se l'ait remarquer par son tabernacle aux saintes huiles, avec une inscription ad hoc ; la décoration particulièrement caractéristique de l'are triomphal et de l'arc qui encadre la chapelle du Saint-Esprit ; l'élégante tribune donnant du Petit Château dans cette dernière chapelle : les petites crédences aux emblèmes de sainte Cécile et de sainte Catherine d'Alexandrie placées au-dessous des statues de ces deux saintes, elles-mêmes très dignesd'altention, malgré leur exécution un peu lourde ; les bas-reliefs, en plâtre comme ces statues, qui servent de retable ou
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d'antependium aux autels des petites chapelles (Baptême de Jésus; Saint François de Sales donnant à sainte Chantai la règle de l'Ordre delà Visitation; Saint Robert dans son ermitage ; le Christ descendu de la croix) ; les curieuses peintures en camaïeu qui couvrent les murs de ces mêmes chapelles ; les tableaux sur toile, dont quelques-uns sont des oeuvres excellentes (la Descente du Saint-Esprit^après Lebrun; la Vierge à l'Enfant; Saint Robert; la Vierge et l'Enfant apparaissant à saint Dominique et à sainte Catherine de Sienne, l'une des rares peintures religieuses de Jean-Baptiste Huet (1782), si connu comme peintre d'animaux et de pastorales) ; les reliquaires, etc., etc.
L'architecture de l'église est, pour la majeure partie, quelconque; mais on voit néanmoins avec plaisir, à l'intérieur, la chapelle en rotonde, surmontée d'un lanternon, qui accompagne la nef du côté sud, et, à l'extérieur, la façade occidentale, spécimen agréablement proportionné du style Louis XVI, avec deux bustes-médaillons en pierre de saint Mauxe et de saint Vénérand, les saints martyrs d'Acquigny, et un bas-relief en plâtre de la Mort de sainte Cécile, inspiré de la sculpture en marbre exécutée par ,Clodion, vers 1776, pour le jubé de la cathédrale dé Rouen. Peut-être, de plus, un groupe surmontait-il jadis le portail, dans l'encadrement de la grande baie semi-circulaire.
Inutile de dire que la générosité du président d'Acquigny s'était manifestée aussi par le don d'ornements liturgiques, de vases sacrés et même d'ornements pontificaux dont il avait obtenu l'usage
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dans retendue de la paroisse pour les évêques étrangers au diocèse qui venaient le visiter. Tout était magnifique dans l'église d'Acquigny avant la Révolution. Mais la tourmente était proche, et la plupart de ces richesses ne tardèrent pas à disparaître. Le document qui suit,— minute d'une lettre adressée à l'ex-évèque constitutionnel Thomas Lindet par Fun des administrateurs du district de Louviers, — montre les agents du vandalisme officiel éblouis par les précieux objets qu'ils sont chargés d'anéantir.
23 nivôse, 2e année (1).
Cn Robert- Thomas Lindet. député du département de l'Eure.
Sans cesse occupé â faire sortir les matières précieuses qu'un ci devant seigneur fanatique cuniuloit (sic) à glands frais dans le temple que son goût et sa passion le portoient à décorer avec luxe, je t'adresse trois superbes hochets du culte, que. d'accord avec les représentants du peuple Lacroix. Legendre et Louchet, j'ai enlevé du dépôt qui les recéloient.
Sublimes colifichets inventés pour tromper et abuser le peuple, ils entreront dans le creuset national et répareront par ce moyen les torts qu'ils ont faits.
L'église d'Acquigny, où ils ont été pris, a déjà fourni à
la République 128 marcs 7 onces 1 gros, qui. joints aux
&i marcs 'i onces 1 gros, poids des objets que je t'envoye,
forme un total de 152 mares 3 onces cinq gros.
Je t'invite à faire hommage à la Convention nationale de
(1) la janvier 1/iM,
EXCURSION. 293
ces magnifiques bijoux et à rassurer que ses décrets sont reçus et exécutés avec un anthousiasme (sic) vraiement républicain et que les administrés de ce district ne voient leur salut que dans ses travaux (1).
Dans une petite chapelle au nord du choeur, ordinairement fermée, on' voit le mausolée de Robert Le Roux de Tilly et de Marie de Bellièvre dont il a déjà été question. Mais l'architecture subsiste seule, avec les traces de la barbarie qui, en 1793 ou 1794, arracha de leur place les emblèmes héraldiques, les délicieuses statues d'enfants aujourd'hui dans l'église du Mesnil-Jourdain, les deux épitaphes, dont l'une a trouvé un asile au musée d'antiquités de Rouen, et l'inscription commémorative de la translation de 1779, ramenée par un heureux hasard au château d'Acquigny. Tout à l'entour, des cadres vides renfermaient les autres épitaphes rapportées de Rouen avec les cercueils et les corps qu'ils renfermaient. Au milieu de ce déchaînement de passions brutales dont nous voyons les tristes fruits, la conservation des bustes semble quasi miraculeuse. Peut-être la vénération que le pays gardait à la mémoire de M. d'Acquigny suffit-elle à les préserver. Mais nous reviendrons sur cet intéressant tombeau.
L. RÉGNIER.
(1) Non sit;né. — Arch. de l'Eure: Domaines nationaux.
294 SES8I0N TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
De retour à Louviers, les membres de l'Association Normande ont admiré la magnifique chasuble de l'époque de I .ouis XIV qui se trouve à l'hospice de Louviers et qui provient du couvent Saint-Louis, ainsi que de précieuses dentelles anciennes également conservées à l'hospice ; puis, vu l'heure avancée, les congressistes sont forcés de se diviser en deux groupes.
L'un va visiter les divers ateliers de l'Eniaillerie Normande, où la fabrication des pièces à émailler et l'émaillage lui-même les intéressent fort. La Société qui exploite l'Emaillerie Normande, fondée par M. Régnant Renaud, a ses établissements place du Champ-de-Mars. C'est une nouveauté en France. En effet, l'émaillage sur fer et tôle est une industrie étrangère, et même, pour quelques parties de la fabrication, l'Emaillerie Normande doit embaucher des ouvriers autrichiens ou allemands.
Les ustensiles fabriqués par la maison Regnault et C" sont tous en tôle emboutie, c'est-à-dire sans soudure Une machine, pareille à un marteau pilon, des cend lentement sur une plaque de tôle et, par la pression seule, à froid, elle transforme cette plaque en vase de quelques centimètres de profondeur. Un autre passage, sous une machine analogue, peut doubler la profondeur du vase ou en modifier l'ouverture.
Les ustensiles, terminés par leur passage sous d'autres machines, sont livrés à l'Emaillage. Ils sont trempés dans un bain spécial blanc, que l'on appelle masse et qui, passé au four, noircit et s'attache étroitement au fer. C'est sur ce premier vernis que s'applique l'émail, par un nouveau bain dans lequel sont trempés les ustensiles qui passent alors au four
3e JOURNÉE, 25 SEPTEMBRE. 295
pendant huit à dix minutes et en ressortent d'un blanc éclatant..
Des ouvriers y appliquent des filets ou y peignent des fleurs ; ce travail est suivi d'un nouveau passage au four, mais très court.
Pour simplifier l'application des peintures ornementales sur les ustensiles, on utilise un procédé pareil à celui de la décalcomanie. Sur du papier recouvert d'une couche de gélatine, sont imprimés les ornements ou les fleurs. En trempant ce papier dans l'eau, la couche de gélatine se détache de lui en conservant le décalque, et il suffit alors de l'appliquer sur l'émail ; dans le passage au four, la gélatine s'évapore, laissant la peinture qui fait Corps avec l'émail.
L'autre groupe se rend chez M. Danais, qui veut bien lui faire visiter son importante fabrique de meubles. M. Danais donne sur cette fabrique les renseignements suivants :
Essences des bois employés par la fabrique Danais :
Peuplier. . . 350 mètres cubes
Hêtre . . . 1.000 —
Noyer . . 100 —
Merisier. . . 100 —
Chêne ... 500 —
provenant des départements de l'Eure et la SeineInférieure et d'Autriche-Hongrie.
Vingt ouvriers sont employés à la préparation aux machines outils des derniers perfectionnements actionnés par une machine à vapeur force de 70 chevaux.
296 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
30 ouvriers en opèrent le montage et 18 le vernissage.
Le salaire varie de 4 fr. à 7 fr. selon l'âge et la capacité de l'ouvrier, le travail étant fait à tâche.
Les meubles fabriqués dans la maison sont principalement des meubles classiques tels que lits, armoires, commodes, tables de nuit, buffets de divers genres, tables carrées et rondes; indépendamment de ces articles la maison fait d'autres meubles innovés par elle, tels que consoles de style, vitrines gothiques, chambres normandes.
Ces produits s'écoulent dans une douzaine de départements de la France et à l'étranger: Madagascar, Nouvelle-Calédonie et l'Angleterre. Ce dernier pays prend surtout la chambre normande.
La maison fabrique environ annuellement comme classiques :
1.200 lits de divers modèles et essences de bois 1.000 armoires — —
500 commodes — —
1.500 buffets — —
3.500 tables carrées et rondes.
Les meubles innovés sont toujours demandés en très grande quantité.
Parmi les visites faites par les membres de l'Association Normande, nous ne saurions oublier le Musée de Louviers sur lequel une note spéciale est insérée après les procès-verbaux des séances.
4» JOURNÉE, SAMEDI 26 SEPTEMBRE
EXCURSION
à Aubevoye, Bethléem, Gaillon et. la Colonie des Douaires.
Malgré les fatigues des jours précédents, tous les membres de l'Association Normande étaient de nouveau réunis, samedi matin, à huit heures, place du Parvis. Au nombre d'une soixantaine parmi lesquels une dizaine de dames, ils se dirigeaient en voiture vers Gaillon, où ils arrivaient à neuf heures et demie.
Immédiatement reçus par le commandant Huguet, l'aimable commandant du bataillon d'infanterie qui y tient garnison, ils visitaient en détail l'ancien château des archevêques de Rouen, aujourd'hui transformé en caserne, après avoir été une maison centrale de détention.
Le porche d'entrée construit par Georges d'Amboise, le beffroi de l'horloge, le pavillon de Pierre Delorme, la chambre du cardinal d'Amboiseont particulièrement attiré l'attention des congressistes ; signalons aussi la visite aux anciens cachots, construits en forme d'oubliettes, visite qui ne manquait pas de pittoresque. Eclairés par des soldats porteurs de fanaux, les visiteurs ont ainsi descendu dans ces oubliettes dont le sol est à 6 mètres au moins au-dessous du fond des fossés qui entourent le château. M. l'abbé Drouin,curéd'Aubevoye,ancienaumônierde
298 SESSION TENUE A L0UV1ERS, EN 1903.
Gaillon, veut bien d'ailleurs nous envoyer sur le château de Gaillon la note ci-jointe qui trouve sa place ici :
Courte notice sur Gaillon.
Le château de Gaillon s'élève sur un promontoire que domine au nord-est et à l'est la vallée de la Seine. Au sud, est modestement assise à ses pieds la petite ville de Gaillon. Au sud-ouest et à l'ouest se voient les charmants vallons que traversent les routes de Louviers et le chemin montueux qui se dirige vers la Colonie des Douaires.
De ce point culminant, la vue s'étend, au midi, sur une vaste plaine qui conduit à Vernon ; au nordest, à trois lieues de distance, on aperçoit les Andelys et les imposantes ruines du ChâteauGaillard ; à l'est s'écoule la Seine, dont les sinuosités se déroulent immenses au pied du magnifique rideau qui les horde. Ce coup d'oeil est ravissant.
A l'origine, c'est-à-dire au XIIB siècle, Gaillon était une forteresse entourée, comme tous les châteaux féodaux, de murailles avec tours crénelées et fossés profonds dont, en faisant dernièrement des travaux pour la canalisation des eaux, on retrouvait des vestiges dans la principale rue de la ville, à la hauteur de la fontaine de Saint-Jean.
L'importance de cette place de guerre était considérable. Nous en avons la preuve dans les efforts des puissants seigneurs, des rois d'Angleterre et de France pour se l'approprier.
En 1193, Richard Coeur de Lion cède le château
4* JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 299
à Philippe-Auguste, mais il le regrette bien vite, car, dès Tannée suivante, il cherche à le reprendre par la force. Dans la lutte son cheval est tué sous lui et lui-même gravement blessé.
Gaillon demeure la propriété des rois de France jusqu'en 1262. À ce moment saint Louis le cède à Eude Rigaut, archevêque de Rouen, en échange de 4.000 livres tournois et de quelques moulins situés dans la ville archiépiscopale.
A partir de cette époque, sans perdre encore son cachet de château fortifié, il devient la résidence préférée des archevêques de Rouen et nous y voyons séjourner successivement les personnages les plus considérables du royaume, des princes et des rois : en décembre 1263, saint Louis ; en 1265, le légat du pape; en 1269, l'évêque d'Albano, représentant en France du souverain pontife ; en 1320, le roi Philippe le Long.
Pendant un siècle et plus, les archevêques demeurent paisibles possesseurs du domaine qu'avait légué saint Louis à son conseiller et ami ; ils font des acquisitions successives pour arrondir leur chatellenie et possèdent à Gaillon tous les privilèges des seigneurs de leur temps, par exemple, celui de vendre le vin de leurs vignes avant les habitants du pays qui ne pouvaient vaquer à ce négoce tant que l'archevêque n'avait pas écoulé le sien.
Mais au commencement du XVe siècle (1424) les Anglais reviennent victorieux sur la terre de Normandie, et c'est alors que le duc de Bedford ordonne de raser le château de Gaillon et de ne laisser debout que l'habitation personnelle des archevêques.
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L'ordre fut suivi d'effet et pendant de longues années les prélats ne se virent entourés que de ruines. Ce n'est qu'après l'expulsion de l'ennemi par Charles VII que l'archevêque Guillaume d'Estouteville songe, en 1454, à reconstruire son manoir. II y fait travailler pendant sept années, de 1456 à 1463. Mais en réalité, c'est à Georges d'Àmhoise, ministre de Louis XII, à ce prélat illustre, légat du pape, ami des arts, que revient cette gloire. C'est à sa louange qu'un poète, très versé dans le genre admiratif, a dit en contemplant son ouvrage :
Trop aimable Gaillon, ta beauté sans seconde
Te doit bien mettre au rang des merveilles du monde.
Par les comptes particuliers de la construction, nous savons que les ouvriers ne mirent la main à Fu'uvre qu'à « la Saint-Michel 1501 » et hien que le château de Gaillon ait pu être considéré comme terminé à l'époque de la mort du cardinal d'Àmhoise (25 mai 1510), il parait que plusieurs travaux de décoration, au moins intérieure, restaient encore à faire lorsque la mort enleva ce grand ministre à la France. Nous trouvons dans les archives de Rouen qu'au commencement de 1516, Gilles de Tilques, trésorier de Monseigneur Georges d'Amboise.paya cent livres à Nicolas deGastilte,hûchier, « pour parfaire les chaires de la chapelle de Gaillon » ; ce qui confirme bien ce que nous venons d'affirmer.
Que coûta cette merveille, « maison la plus superbe qu'il y ait en France, après les maisons royales », dit son historien? Les registres des
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dépenses donnent le chiffre de 153.600 livres 15 sols 10 deniers. Mais rappelons-nous que les artistes sculpteurs recevaient alors 7 sous 6 deniers par jour pour leur salaire, les maçons 4 sous 6 deniers, et les manoeuvres, qu'on désigne quelquefois sous le nom de forts hommes, 1 sou 4 deniers ou 2 sous. Il faudrait tenir compte de ces données pour calculer ce qu'à l'époque actuelle, avec le prix excessif des journées de travail des ouvriers, auraient coûté ces merveilleux travaux.
En 1505, la construction battait son plein, Louis XII vint cependant passer la fête des rois à Gaillon avec son ministre. Dans l'espace de huit ou neuf années, Georges d'Amboise ne visita ses ouvriers qu'une douzaine de fois et mourut avant l'achèvement de l'oeuvre à laquelle il avait mis la plus grosse part de ses revenus.
Après lui, Charles IX et sa mère Catherine de Médicisy sont reçus en 1566 et y séjournent quelque temps. Des fêtes splendides sont données en leur honneur et plusieurs pièces de théâtre sont jouées dans le grand pavillon du parc qui deviendra le pavillon de la Ligue après le cardinal de Bourbon. C'est dans ses murs que fut ourdi le fameux complot qui devait coûter la vie au voluptueux Henri III. Ce roi vint passer à Gaillon l'été de 1578, et après lui, ce château reçut Henri IV en 1590, 1596 et enfin en 1603, cette fois en compagnie de Marie de Médicis.
Nous y trouvons Louis XIII en 1617, le jeune Louis XIV le 20 février 1658, avec sa mère Anne d'Autriche et le cardinal Mazarin.
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Le successeur du cardinal de Joyeuse, François de Harlay, veut encore embellir sa demeure princière, il y fait édifier de nouvelles constructions, dessiner des jardins splendides, et afin d'attirer à lui les savants de l'époque, il institue une académie et établit à Gaillon la fameuse imprimerie d'où sortira le Mercure de Gaillon.
Toutes les richesses entassées dans ce palais, dont nous pouvons nous faire maintenant une idée plus exacte par la découverte récente que nous venons de faire de l'inventaire « et estimation des meubles du château de Gaillon, appartenant à Monseigneur le Cardinal de la Rochefoucauld, et dressé en 1790 », toutes les dépenses considérables affectées à l'embellissement de ce beau domaine, rendaient jaloux les rois eux-mêmes. Plusieurs fois, Henri IV tenta de se l'approprier.
Mais le moment n'était pas venu où il devait échapper à ses légitimes propriétaires. Avant de disparaître, le château de Gaillon reçoit encore la visite du célèbre Franklin en 178o, celle de Louis XVI en 1786 et quelques années après, le 20 août 1792, la Convention décrète que cette demeure, qui avait été saisie comme bien du clergé, sera mise en vente.
Alors viennent les acquéreurs qui se débarrassent des statues, des marbres, des curiosités de toutes sortes qu'ils s'empressent de vendre.
Les pierres les plus curieuses furent rachetées au compte de l'État et transportées à Paris, où elles décorent maintenant le palais des Beaux-Arts. Les stalles de la chapelle furent données à la basilique
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de Saint-Denis et plusieurs églises des environs purent s'enrichir des dépouilles d'un château qui fut si longtemps l'une des plus belles constructions du commencement du XVI 1' siècle.
Il ne reste sur place, de ce chef-d'oeuvre du style Louis XII, que bien peu de choses : le pavillon d'entrée, la chapelle basse, une tour d'escalier, le cabinet de travail de Georges d'Amboise, une galerie gothique reliant la chapelle aux appartements du cardinal, et le mur de soutènement du côté de la vallée.
Ce sont ces ruines qu'ont pu visiter, le 26 septembre dernier, les membres de la Société Normande en excursion dans notre contrée. Chacun les a contemplées à loisir et si nous en disons ici quelques mots, c'est uniquement pour répondre à la prière qui nous a été adressée, mais notre travail, fort abrégé et fait un peu en hâte, ne fera que redire ce que chacun sait déjà et a pu connaître par lui-même.
Sous Louis XII, l'architecte était encore le maître maçon, le tailleur de pierre, l'appareilleur du Moyen âge. S'il n'était pas peintre et sculpteur comme en Italie, du moins souvent en même temps que le maître de l'oeuvre il était sculpteur ou plutôt « tailleur d'images », comme ses prédécesseurs. Nous avons les noms de ces hommes aussi modestes qu'habiles qui ont édifié Gaillon: ils s'appelaient Pierre Fain, Guillaume Senault, Pierre Delorme, etc., etc., tous français. Du reste, malgré ce qu'on a pu écrire, il n'y avait à Gaillon que des
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ouvriers français si on excepte trois italiens dont deux depuis longtemps établis en France, et à ces derniers n'ont été confiés que des sculptures et des bas-reliefs mais jamais la direction de l'oeuvre.
Le pavillon d'entrée ne nous montre aucune des lignes anguleuses et sèches du style gothique. Le chapiteau, qu'on ne connaissait plus depuis Charles VI, réapparaît. Le pilastre retrouve sa place et permet aux arabesques de se répandre sur sa surface plane et allongée. On voit renaître l'entablement et l'arc aigu est complètement sacrifié. C'est le règne du plein cintre et à Gaillon surtout de l'arc en anse de panier. Ce sont partout des arabesques, des médaillons et des losanges puissamment fouillés qui ornent les cintres de la porte et les murs du pavillon d'entrée du château. Les colonnes, elles aussi, y remplissent bien leurs fonctions, mais elles ne font cependant office que de piliers, ne se détachent point en entier des murailles, n'ont pas les proportions normales, et le chapiteau qui les couronne est une oeuvre de fantaisie qui n'a de corinthien que les volutes de l'ancien temps. Telle est l'ornementation de cet ancien corps de logis qui a perdu toute son élégance en ne conservant pas sa toiture qui doublait certainement sa hauteur totale.
La chapelle basse, qui n'est conservée qu'en partie, a ceci de très particulier que, par une transformation hardie, les nervures gothiques de la voûte, soigneusement conservées, au lieu de recevoir directement sur leurs reinsdes remplissages bombés,
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portent des dalles horizontales qui constituent un véritable plafond de pierre.
C'est probablement à Gaillon que se trouve la première application de ce système de voûtes plates avec nervures et croisillons d'ogive. On cite à Gaen un exemple de ce genre au porche de l'église de Saint-Ftienne-le-Vieux, qui date du commencement duXVIu siècle, mais est-il antérieur à notre chapelle de Gaillon dont on taillait les pierres en 1503 et dont Pierre'Fain, originaire de Rouen, fut l'architecte?
Nous voyons dans les années suivantes, à SaintJacques de Dieppe, trois chapelles élevées aux frais du célèbre armateur Jean Ango. Elles sont construites sur le même type, dans un genre plus orné, mais elles sont certainement d'une date plus rapprochée de nous.
La même remarque s'applique aux belles chapelles de Saint-Pierre de Gaen, construites entre 1518 et 1545. Il ne serait donc pas téméraire de dire que c'est à la chapelle de Gaillon que fut inauguré par Pierre Fain ce genre de construction de voûtes plates portées sur croisillons gothiques.
La tour d'escalier, qui est actuellement la tour de l'horloge, a été élevée par l'archevêque Guillaume d'Estouteville entre 145b' et 1403. File est le seul vestige des travaux entrepris par ce prédécesseur de Georges d'Amboise. A sa partie basse, elle a (Hé conservée telle qu'elle avait été construite ; mais à son sommet elle a été retouchée par Pierre Delorme, un autre architecte de notre palais, quand il a édifié le logis qui portait son nom et qui venait se couder par un angle obtus à la portion de l'ancien
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château de Guillaume d'Estouteville. La guirlande de pierre qu'on trouve, faisant corniche (hélas bien mutilée) à la naissance de la toiture, est la preuve de cette assertion.J
Le cabinet de travail de Georges d'Amboise, qui servait de cuisine quand le château de Gaillon (de 1816 à 1901) était transformé en maison centrale de détention, n'a plus rien qui rappelle son ancienne splendeur. 11 apparaît du dehors, comme une tour ronde faisant saillie à l'angle des murs de l'ancien palais. Toujours imposant dans sa niasse et par son élévation, il a perdu son élégant couronnement. Quelques sculptures des fenêtres seules sont là pour redire son âge et ce que devait être le fini de ses motifs d'ornementation.
Sous cette tour, si solidement plantée, ainsi que sous les voûtes de la chapelle se trouvent, à une profondeur considérable, de très vastes souterrains construits avec soin et très régulièrement voûtés. Il n'y a rien là des oubliettes des anciens châteaux féodaux et nous n'y saurions reconnaître que d'immenses cachettes destinées à «enfermer, en cas d'émeute ou de révolution, les plus précieuses richesses que contenait le manoir de Gaillon, richesses que la France entière connaissait, dont les envieux devaient être nombreux puisqu'on en trouvait jusque sur les marches du trône. La galerie gothique qui reliait la chapelle au cabinet du cardinal longeait à l'est « la grand'maison » en son entier. Elle était ouverte sur la vallée et offrait une admirable vue. Elle a été aveuglée pour les besoins du service de la maison centrale, mais, à
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cela près, elle demeure intacte avec ses nervures de pierre et ses remplissages de brique. On retrouve là les lignes anguleuses et sèches du gothique à sa dernière période et presque rien de l'ornementation du style Louis XII. Quant au mur de soutènement c'est une oeuvre puissante du tailleur de pierre ; il plonge ses racines jusque dans les anciens fossés du château et s'élève à une assez grande hauteur, mais il ne faut y chercher ni sculpture ni aucun agrément de la belle époque qui l'a vu construire.
Voilà tout ce qui reste à Gaillon des belles oeuvres de ses anciens châtelains. Les acquéreurs de biens nationaux, les transformations du manoir en maison de force et de détention n'ont pas aidé à la conservation des chefs-d'oeuvre qui y avaient été entassés. Ce vaste palais d'autrefois est maintenant une caserne d'infanterie, où les jeunes recrues jouissent d'un admirable point de vue et de l'air le plus pur. Nous formons, en terminant cette notice, le voeu le plus ardent pour que jamais les besoins d'un service quelconque ne fassent oublier le respect que notre âge doit à ces reliques précieuses qui nous rappellent un grand ministre, un illustre cardinal et surtout un ardent ami des arts.
Après la visite du château de Gaillon, les congressistes se sont rendus à l'église pour admirer le groupe en marbre des trois anges situés au-dessus du tabernacle, le christ de grandes dimensions provenantde la Chartreuse.les statues en bois de sainte Véronique et de saint Bruno et divers autres objets d'art.
Après le déjeuner à l'hôtel du Soleil d'Or, les voi.
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tures se dirigeaient vers Aubevoye où, grâce à l'amabilité de M"" Mignot, ils ont pu visiter la chapelle de Bethléem située sur la colline et de laquelle les avait entretenus M. l'abbé Blanquart, dans une précédente séance. Nous renvoyons donc à cette communication pour tous détails sur la chapelle.
De là, les membres de l'Association Normande se rendaient à l'église d'Aubevoye où ils étaient reçus par M. l'abbé Drouin. Celui-ci voulait bien leur remettre une étude très complète qu'il a fait paraître sur cette église (1). Après avoir admiré surtout la porte d'entrée, remarquable par ses fines sculptures du XVIe siècle, les voyageurs, trop pressés à leur gré, remontaient en voiture pour se rendre à la colonie pénitentiaire où on les attendait depuis longtemps déjà.
M. et M'"'' Brun accueillent les membres de l'Association Normande avec leur amabilité ordinaire et tiennent à leur servir de guides dans la colonie qu'ils vont rapidement parcourir.
La visite des réfectoires, dortoirs, services de manutention, ateliers et magasins divers, ferme, musée, etc.. permet d'apprécier l'ordre et la propreté qui régnent partout, et ce qu'on peut attendre d'une habile direction et d une organisation bien comprise.
A leur départ connue a leur arrivée, la fanfare de l'établissement se fait entendre et tous sont heureux de féliciter les jeunes musiciens. Puis M"'c Brun ne veut pas laisser partir ses visiteurs sans leur offrir une collation préparée par ses soins, et c'est
(1) Paris, de Soyc cl iils, cditeurs, l»!l.">. Abbé Drouin: Essai sur L'eyLisv a" Aubevoye, in-8» de 31 p.
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de grand coeur que tous lèvent leurs verres remplis du bon cidre mousseux de Gaillon, en l'honneur du directeur de la Colonie des Douaires et de M"" Brun qui le seconde si biendans son oeuvre de relèvement et de moralisation.
Nous avons pu avoir communication d'un article sur la Colonie des Douaires paru dans la Vie Populaire sous la signature de M. Henry de Forge II résume trop bien ce que les membres de l'Association ont vu pour que nous ne tenions à le reproduire en entier:
« Sur un large plateau en haut d'une longue côte bordée de champs en pleine culture, dans un gai décor normand, à 3 kilomètres de Gaillon, s'étend toute une petite cité, avec un gai clocher d'église, une belle iivenue, des fermes, des ateliers, des jardins.
C'est là que vivent, loin du bruit des grandes villes, à la campagne, des garçons de 12 à 20 ans que le tribunal a renvoyés pour quelques années dans une maison de correction à la suite d'une faute sérieuse ou d'un état constant de vagabondage.
En cette belle campagne ils ont ce qui donne à l'àme la plus saine des nourritures : le spectacle de la nature, le mouvement régulier des saisons, les horizons où il y a beaucoup de bleu. Ils ont les besognes pénibles et régulières de la terre comme celles qui vivifient l'esprit.
Pour tous, le même remède, remède unique, remède souverain : le Travail. Et tous le bénissent, car il est la distraction continuelle, l'occupation de
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l'esprit qui chasse les souvenirs pénibles, la certitude aussi d'un petit pécule de 300 à 400 francs réalisés quand viendra l'âge de reprendre rang dans la vie. Il est surtout la raison qui fait pardonner la faute et permet de relever la tête.
Tout est fait par la main-d'oeuvre des enfants et il faut admirer leur extraordinaire entrain vers des besognes souvent difficiles. On voit qu'ils sont contents de travailler et, peu à peu, ils sentent que c'est dans ce travail quotidien que se trouve le secret de l'honnêteté.
Tous les enfants des Douaires, sans exception, apprennent un métier, réparti suivant les dispositions de chacun et les besoins de la colonie, qui ne com'pte pas moins de 340 élèves et de 53 employés.
Voici, dans des ateliers clairs, bien aérés, bien chauffés, des menuisiers, des peintres,des forgerons, des cordonniers, des boulangers, des tourneurs, des charrons; et, auprès,des maçons travaillent avec des charpentiers à édifier un vaste hangar. Plus loin sont d'immenses écuries d'une propreté méticuleuse, des étables, une bergerie, une porcherie, une vaste ferme avec une liasse-cour.
Partout, semblable à une ruche, ce petit inonde va, vient, s'agite, accomplissant la tâche qui lui incombe.
Des contremaîtres dirigent chaque équipe. Ce sont des sujets choisis, offrant les meilleures garanties morales et possédant des connaissances professionnelles. Il leur faut un tempérament spécial, tout de fermeté et de patience, pour accomplir, sans se lasser, petit à petit, chez les enfants sou-
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vent rétifs confiés à leur garde, l'oeuvre délicate d'obéissance, de sagesse et de raisonnement.
Les enfants sont menés militairement, mais sans rigueur. Tout est organisé à des heures fixes, sans abus, sans fatigue.
Beaucoup de mouvement au grand air, beaucoup de travail, beaucoup de sommeil, des séances d'école matin et soir et pas d'heures oisives. Telle est la règle. Les dimanches et jours de fêtes ils ont des distractions intelligentes, joyeuses ou touchantes et la promenade dans les environs.
Ainsi va la vie de la maison, vie active et bien faite pour fortifier corps et esprits.
Continuellement, les enfants sont dehors, la plupart occupés à l'exploitation des 320 hectares sur lesquels s'étend la colonie.
Une part est faite aux arts d'agrément : c'est la récompense des meilleurs sujets. Une excellente musique étudie aux heures de récréations et donne des concerts fréquemment: elle fournira au régiment des virtuoses très recherchés.
Paris a pu les juger à l'Exposition de l'enfance à travers les âges.
La discipline est sévère, mais raisonnée. Au moindre manquement, l'enfant est réprimandé ou puni, et, pour les fautes graves, mis en cellule, où il n'a d'autre distraction que de piocher des livres d'école. J'ai visité ce « carcere duro » qui n'a de pénible que l'isolement, car les punis couchent sur un lit de camp avec des fournitures. Un grand poêle placé au milieu du vestibule donne une bonne chaleur.
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Le sursis est appliqué à cette ymnition, quand il n'y a pas eu récidive. Il faut tenir de très près ces petits bonshommes aux natures renfermées, têtues, butées, longues à se plier, parce qu'ils ont vécu libres, indépendants, comme les chiens errants qui se refusent à porter un collier.
Le dortoir est fait de cases étroites, confortables, fermées à clef; chacun chez soi, c'est le mieux. Cet isolement nocturne, me disait le directeur, est la moitié de la moralisation.
Les réfectoires, parés d'ornements symboliques, d'affiches, de tableaux d'honneur, sont d'une propreté éblouissante. La cuisine y est substantielle et suffisante.
11 faut penser à l'avenir et ne pas donner à ces enfants un bien-être meilleur que celui des enfants d'ouvriers.
Le matin, au lever, soupe chaude et un morceau de pain ; les jours de fête, du café au lait. A onze heures, soupe et pitance de légumes. La viande est donnée deux fois par semaine, et le dimanche les jeunes colons achètent avec leurs lions points un ragoût de viande et du café. A la Noël, au l1'janvier, il est fait une distribution de gâteaux et de jouets. Le soir, une pitance de légumes. Le pain est donné à discrétion.
Dans de vastes salles d'école, cinq instituteurs avec des surveillants moniteurs font des cours variés, suivant les âges.
Une fois par semaine, on fait aux élèves des conférences instructives avec projections et, tous les ans, une vingtaine d'enfants obtiennent le certi-
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ficat d'études primaires. Rien, dans la tenue des surveillants ou des enfants, n'évoque l'idée de « colonie pénitentiaire ». En 1894, l'Administration générale au ministère de l'intérieur a même donné aux surveillants un uniforme spécial fait pour mieux marquer la différence qui existe entre les colonies et les maisons de détention.
Cette tenue est semblable à celle des employés de l'Assistance publique. La maison n'est pas une prison, mais une école.
Pour le travail, un bourgeron et un pîintalon de treillis blanc avec un béret bleu et des guêtres comme les chasseurs alpins. Les jours de repos, un coquet petit uniforme en drap gris bleu, rappelant celui des bataillons scolaires d'antan.
Une chapelle réunit tout le inonde le dimanche. Point de longues oraisons, mais des conseils pratiques, faits sur un ton de belle humeur par un aumônier intelligent. Le catéchisme a lieu trois fois par semaine, et la première communion tous les ans. Cette année, l'évoque d'Évreux est venu donner la confirmation aux Douaires, et cette cérémonie laissa une vive impression.
A l'infirmerie confortable, enfouie sous les plantes grimpantes, les malades trouvent quelques gâteries.
Enfin, sur un petit théâtre, édifié dans la salle d'honneur, les enfants jouent la comédie, chantent et disent des monologues, les dimanches d'hiver. Le personnel assiste à ces représentations avec les familles.
Par tous les moyens, on fait de leur vie une vie
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saine, active et intéressante, une vraie vie d'écolier et d'écolier à la campagne, au grand air pur.
A tous ces enfants, on apprend à aimer avant tout la terre, que le travail sait féconder et qui est la meilleure éducatrice, dans sa simplicité et sa grandeur.
Faire d'eux des paysans, c'est les rendre à leur destinée véritable et donner des bras à l'agriculture qu'on abandonne trop.
Mais l'oeuvre délicate de relèvement moral ne s'arrête pas là. A ces déshérités de la vie, il faut une famille. Et comment la leur donner, comment leur en faire sentir les bienfaits, puisque l'arrêt du juge, implacablement, les a séparés de leurs parents, les a exilés pour un temps de leur foyer? Cette famille, hélas ! est souvent pour euxle danger. Trop de mauvais exemples, mis sous leurs yeux, ont été généralement la cause de leur faute. Le père alcoolique ou la mère immorale n'a eu aucun soin d'eux, n'a pas été capable même de leur donner le morceau de pain quotidien ; mieux vaut — c'est triste à dire — qu'ils en soient séparés. Il est rare que le tribunal envoie dans une maison de correction un enfant qui possède des parents honorables. Ces pauvres petits, en franchissant le seuil des Douaires, n'ont donc rien à regretter. Le directeur me rappelait, avec un sourire de satisfaction, l'expression dont s'était servi un visiteur après avoir vu la colonie : « Ces enfants sont des privilégiés », et cela est vrai.
Pourtant, il reste à quelques-uns tel ou tel parent dont le souvenir peut leur être doux : c'est une
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grande soeur honorablement mariée, une vieille grand'mère qui fut bonne. Et l'administration des Douaires, très au courant des dessous de la famille de chacun de ses protégés, qui ouvre toute la correspondance, ne manque pas d'entretenir le plus possible ces relations qui peuvent être pour l'enfant une joie et une raison de rester sage. Les dimanches, sans restriction, les parents sont autorisés à venir aux Douaires voir leur fils. La correspondance est permise, et le directeur, M. Brun, en prend connaissance attentivement afin de pouvoir rappeler à l'enfant à l'heure propice :
« Té ! mon gars : le papa a écrit ce matin, j'ai vu cela, il te dit d'être bien sérieux. La maman se fait du mauvais sang à cause de toi ! Il faudra écrire tantôt ».
Mais, au fond, la véritable famille de ces infortunés n'est pas dans ce père trop faible, dans cette mère insouciante qui les abandonna. Elle est dans le directeur lui-même, et c'est là le côté touchant de cette oeuvre. « Directeur d'une Colonie pénitentiaire », oh ! le mot affreux qui évoque, n'est-ce pas, tout de suite, un garde-chiourme galonné ?
Non ! le directeur de Colonie pénitentiaire est tout autre chose, car c'est sur lui, sur lui seul que repose la délicate besogne du relèvement moral des enfants.
Il faut à ces gamins, tour à tour vicieux, indifférents, arriérés ou intelligents, quelqu'un qui soit à la fois leur ami, leur père et leur maître, quelqu'un dont ils aient peur et qu'ils aiment, à qui ils disent tout; quelqu'un qui ne se lasse jamais d'eux,
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môme quand ils font les fortes têtes ; quelqu'un, enfin, qui vive avec eux, qui partage leur vie, eurs travaux. Ce quelqu'un est le maître absolu de la Colonie ; c'est l'homme qu'ils appellent « Mon Directeur ». Ce titre renferme en lui la pensée intime de celui qui le prononce: c'est son guide, son soutien, son protecteur vigilant, prudent autant que prévoyant.
Et des résultats merveilleux sont obtenus quand cet homme sait prendre ces petits parias, leur parler sur le ton enjoué ou sévère, quand il les connaît en détail et trouve, pour les réprimander, le mot qui porte. Continuellement, le directeur est au milieu de ces enfants. Il veille à ce que tout marche bien, à ce que rien ne manque; et, à toute occasion, il accomplit, par la conversation quotidienne, l'oeuvre salutaire en ces petits esprits butés, en ces coeurs déjà aigris.
Il faut entendre M. Brun, avec son accent méridional, lorsqu'il rend sa visite matinale aux ateliers, se faisant ouvrir toutes les portes, donnant partout le coup «l'oeil du maître, s'arrêtant devant chaque enfant, lui dire le mot amical qui réconforte ou la gronderie paternelle, mais juste, qui le corrige. Il en a vu passer sous ses yeux, ainsi, plus de 4.000, 4.000 âmes d'enfants qu'il eut à refaire ! mais il connaît mieux que personne la psychologie.
De chacun, il a su se faire des amis. « C'est là ma plus grande récompense » me disait-il avec un certain orgueil.
Et, quand le séjour à la Colonie est écoulé, c'est comme un ami, comme un père, qu'on le quitte.
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Jamais il n'a rappelé la faute en termes amers. Tout est effacé grâce à lui.
Le hasard nous a fait assister, ce matin-là, au départ pour rengagement militaire de quatre jeunes gens. L'engagement est pour eux la suprême récompense, et le régiment achève l'oeuvre de la Colonie. Il est rare qu'un enfant des Douaires ne fasse pas un excellent soldat. Plusieurs déjà morts à l'ennemi ont leurs noms en lettres d'or sur une plaque de marbre au réfectoire, et une grande cérémonie a lieu, en leur souvenir, le 2 novembre.
Ces grands garçons pleuraient, émus de partir. Pourtant la nuit passée — la dernière nuit — dans lamaison pénitentiaire, ils avaientdû rouler bien des idées, bien des souvenirs, bien des rêves ! Ils allaient être libres enfin. Nous les regardions, ces gaillards aux muscles solides, à la figure franche, à l'air heureux. L'un était ouvrier tourneur, l'autre menuisier, le troisième musicien, le quatrième boulanger. Celuici, pourtant, avait volé, cet autre avait tué, mais rien ne restait plus de la faute. L'enfant délictueux et criminel était peu à peu devenu un homme.
Jamais ils n'oublient la maison de leur enfance ; ils y retournent volontiers, sûrs d'y trouver bon accueil, bons conseils, et ils reçoivent au régiment de temps en temps un petit mandat fort apprécié. L'oeuvre continue au delà des murs des Douaires.
Les anciens pupilles sont suivis dans leur carrière. On s'occupe de leur trouver du travail, de les marier ; après en avoir fait de braves gens, on cherche à en faire des gens heureux.
Un refuge est établi depuis 1896 pour les anciens
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pupilles sans travail et les soldats en convalescence. Les réfugiés étaient, lors de ma visite, au nombre de 1 ; parmi eux, deux militaires, retour de Chine. Ils avaient entretenu avec leur directeur une correspondance très suivie pendant leur pénible campagne ; et l'un d'eux, sur les bras duquel brillaient des galons de sous-officier, nous disait, d'un air heureux et fier :
« Je n'avais qu'un désir, revoir ma Colonie, cette institution (sic) où j'étais entré mauvais et chétif et d'où je suis sorti bon et fort ».
On ne peut mieux résumer l'oeuvre accomplie.
Depuis la création, il y eut 269 hospitalisés.
11 en est ainsi, du moins, aux Douaires, grâce à l'homme de coeur qui les dirige. N'ayant pas d'enfants lui-même, il n'a pas craint d'adopter tous ceux-là et de leur donner toute son affection.
Il entretient avec les anciens de longues et régulières correspondances. Mmc Brun, que les enfants appellent « Ma Directrice », s'associe à ses travaux et, maman très douce, c'est à elle bien souvent que l'on envoie les mauvaises têtes, les incorrigibles.
Elle trouve de bonnes raisons pour les convertir; et, dans la pensée de ces pauvres petits qui pour la plupart ne connaissent rien de l'amour filial, un sentiment durable d'attachement et de reconnaissance se forme à l'égard de ces deux êtres qui consacrent ainsi leur vie au relèvement de l'enfance coupable, estimant recevoir la meilleure récompense quand ils ont la fierté de voir un de leurs petits sauvages, assassin ou voleur auparavant, devenir sous leurs mains un honnête homme. »
4e JOURNÉE, SAMEDI 26 SEPTEMBRE
SÉANCE DU SOIR
La séance est ouverte à huit heures et demie sous la présidence de M. le comte de Vigneral, directeur de l'Association Normande.
M. Boulet, propriétaire et président du Syndicat de Bosc-Roger, lit l'étude suivante sur le Roumois au point de vue historique et géologique :
LE ROUMOIS
ESSAI MSTOMQUE ET ARCHÉOLOGIQUE
Le Roumois, tel que nous le connaissons, n'a pas toujours été resserré dans ses limites actuelles ; il n'est plus aujourd'hui qu'un démembrement de l'ancien Roumois, ou pays de Rouen (pagus Rotomagensis), dont le nom apparaît dans l'histoire à l'époque franque. Le Roumois n'est pas et n'a jamais été une circonscription officielle, soit politique, soit administrative, soit religieuse; c'est une dénomination populaire s'appliquant à une région déterminée, et qui a traversé toutes nos crises politiques et administratives et est encore vivace au sein de nos populations.
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Nous venons de dire que le Roumois actuel n'est qu'une fraction de l'ancien Roumois (pagus Rotomagensh), mentionné pour la première fois dans les chroniques de l'époque franque ; qu'était-ce que ce pagus Rotomagensis, et d'abord, qu'est-ce qu'un pagus, dont dérive le mot actuel pays? Il nous semble nécessaire de nous arrêter un instant sur ce mot pour en bien établir la véritable signification.
D'après nos plus illustres géographes, Samson, Dom Martin, B. Guérard, Desnoyers, etc., l'origine du mot pagus est gauloise, bien que le mot luimême soit latin; à l'arrivée de Jules César dans les Gaules, les Romains les trouvèrent divisées en cités icirilatesi et en pagi (\)ays] : les premières comprenaient les peuples les plus importants, la seconde qualification s'appliquait aux moindres agglomérations, ou peuples clients des premiers: c'était une division politique et administrative que les conquérants conservèrent; il n'en fut plus tout à l'ait de même après que les Francks, ayant chassé les Romains de la Gaule, se furent établis en maîtres dans le pays. Les cités (civitates) furent conservées et reçurent comme administrateur un duc ou un comte; la cité de Rouen eut un comte, dont il est fait assez souvent mention dans Grégoire île Tours et les autres chroniqueurs de cette époque. L'administration ecclésiastique qui se créait alors se moula également sur la cité antique: la Neustrie qui comptait sept cités eut sept évèques, et Rouen comme métropole eut un archevêché ; cette division a subsisté jusqu'à la Révolution de 1789, mais si les cités subsistèrent après la conquête franque, il
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n'en fut plus de même pour le pagus, quij)erdit son caractère officiel et fut remplacé par d'autres dénominations qui reçurent des administrateurs spéciaux; dès lors ce ne fut plus qu'une locution populaire désignant une étendue de terrain assez vague et portant le plus souvent le nom de la localité dont elle paraissait dépendre.
Voici du reste en quels termes un savant professeur, M. Gheruel, définit le pagus: « La France, qui a vu si souvent se modifier les divisions politiques adoptées par les divers gouvernements, a conservé au milieu de ces variations fréquentes les vieilles circonscriptions gauloises des pays (pagi). Pourquoi cela ? c'est que les dénominations spéciales affectées à certaines contrées ou pays ont leur raison dans la constitution géologique du sol. Le bon sens des paysans a ici devancé la science. Il a distingué par un nom particulier chaque étendue offrant le même aspect, ou la même culture. Ces régions physiques forment un tout réel que mutilent souvent les circonscriptions administratives. Les différences géologiques ont pour corollaires des changements dans l'aspect du pays, dans la végétation, dans la culture, dans la forme même des habitations, dans leur disposition isolée ou par groupes, et c'est à ces différences qu'on a donné le nom de régions naturelles. Fondées sur la constitution même du sol, ces divisions en pays ont survécu à toutes les crises politiques et persisté jusqu'à nos jours (Discours prononcé à l'ouverture du Cours de géographie, à la faculté des lettres de Paris, 1838, p. 6).
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Revenons au Roumois ; ce pays faisait partie de la cité de Rouen, qui, nous l'avons dit plus haut, était administrée par un comte : cette cité comprenait outre le Roumois, le pays de (-aux (pagus Calètensis), le Talou (pagus Taloyiensis); le pays de Rrai {pagus lïracencis); ces divers pagi (pays) bornaient le Roumois. Il était aussi borné par la Seine depuis l'Àndelle jusqu'à Elbeuf ; d'Elbeuf à la Risle en suivant la plaine du Neubourg, il était limité par l'Évrecin, pays d'Évreux ipayus Ebroiceiisis). La Risle le séparait du Lieuvain, pays de Lisieux i payas Lixovieiisis). Il est à remarquer que cette partie de l'ancien Roumois, qui se trouve resserrée entre la Seine et la Risle, ue faisait pas partie de l'ancienne cité de Rouen; d'après M. Leprevost elle ne lui aurait été annexée que sous Dioclétien ; selon d'autres auteurs, elle aurai! élé réunie à l'archevêché de Rouen, lors de sa création, pour en rehausser le prestige el l'étendue en sa qualité de Métropole de la Neushïe: quoi qu'il en soil, cette circonstance heureuse nous permet de délimiter d'une l'ai;on certaine le lUiunuiis actuel, puisqu'il a l'ail partie du diocèse de Uouen jusqu'à la Révolution. Or, c'est l'humble rivière i\w Puchol à Elbeuf qui servait de division aux deux diocèses. la partie à gauche de ce ruisseau, c'est-à-dire la paroisse Saint-Etienne, faisait partie du diocèse de Rouen el par conséquent du Roumois, la rive droite ou paroisse SaintJean relevait de l'évèehé d'Evreux et se trouvait par là même dans l'Evrecin.
Au cours des siècles celte portion de l'ancien pays de Rouen a seule conservé le nom de Roumois,
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bien que la ville de Rouen qui lui a donné son nom ne s'y trouve même plus comprise; c'est ce qui fait que des lexicographes qui n'avaient pas compulsé les sources de notre histoire et qui ne jugeaient que par ce qu'ils avaient sous les yeux, ont pu écrire des choses comme celles-ci : « Le Roumois (Rotomagemis agger), petit pays de l'ancienne France, aujourd'hui compris dans les départements de la Seine-Inférieure et de l'Eure, tirait son nom de la ville de Rouen, qui n'en faisait cependant pas partie ».
Il y a bien des erreurs dans ce peu de lignes; d'abord le mot agger n'est jamais employé dans les chroniques pour désigner un pays, c'est toujours le mot pagus qui est usité, ensuite dire que la ville de Rouen n'a jamais fait partie du pays de Rouen est une énormité dont nous venons de faire justice plus haut. Nous nous sommes abstenus dans cette note de faire aucune citation empruntée aux chroniqueurs des temps primitifs de notre histoire nationale, c'eût été faire étalage d'une trop facile érudition, nous préférons renvoyer les personnes que cela pourrait intéresser aux ouvrages spéciaux qui suivent :
TOUSSAINT-DIPLESSIS : Description géographique et historique de la Haute-Normandie. In-4°, 1740, tome II ;
Aug. LEPREVOST : Anciennes divisions territoriales de la Normandie, dans Y Annuaire historique pour 1838;
Aug. LEPREVOST : Dam les mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tome XI ;
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L'abbé COCHKT : La Seine-Inférieure historique et archéologique, page "2'à.
Il ressort de cette note, que j'ai pu vous communiquer grâce à la collaboration de MM. Drouet et Frété, quelc Roumois actuel &\a forme d'un triangle irrégulier, comme il est facile de s'en rendre compte sur une carte géographique, limité d'un côté par la Seine depuis l'embouchure du Puchot jusqu'à l'embouchure de la Risle; d'un autre côté par la Risle depuis Valleville (limite de l'Evrecin) jusqu'à son embouchure; et enfin par une ligne brisée confinant l'Evrecin, partant de l'embouchure du Puchot à Elbeuf et passant par les Ecameaux, le Tbuit-Agron, le Thuit-Simer, le Gros-Theil, iSaint-Paul-de-Fourqucs, Calleville et Valleville (hameau de Brionne), où cette ligne rejoint la Risle.
Donc une partie du quartier Saint-Étienne d'Elbeuf et toutes les communes situées dans le triangle indiqué ci-dessus l'ont partie du Roumois.
Dans les anciennes géographies cl dans les vieux ulniaiiachs. la plupart de ces communes étaient désignée* par leur nom actuel Miivi de: " en Roumois ». Comme du reste cela existe encore dans l'Annuaire de l'Eure de l!)03, édité à Evreux. par M. Hérissey, pour les communes de Rerville, Boscreguoult, Rose-Roger, Cauverville et Eprevillc. — Je suis heureux d'ajouter que depuis les temps les plus reculés le lloumois a toujours été réputé pour ses pommes et son cidre; et je suis convaincu qu'en soignant leurs plantations de pommiers et en choisissant-bien les espècespour les remplacements,
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les propriétaires et les agriculteurs du Roumois récolteront toujours l'un des meilleurs crus de Normandie.
M. Régnier, notre érudit confrère d'Evreux, lit ensuite un rapport sur l'architecture dans l'arrondissement de Louviers pendant les XIIe, XIIIe, XIV" et XV' siècles. Après lui M. Barbe. d'Incarville, viceprésident de la Société d'études de Louviers, donne lecture du travail suivant :
LE PATOIS NORMAND
Le patois n'est pas, comme on Ta cru longtemps, un français corrompu, c'est au contraire un français conservé par la tradition.
L'étude du patois normand est en particulier pleine d'intérêt parce que le dialecte normand a brillé au Moyen âge d'un vif éclat. Le patois d'aujourd'hui est formé des débris du langage de ces grands écrivains normands, poètes ou philosophes, qui attirèrent alors l'attention de toute l'Europe civilisée, ont pesé d'un grand poids dans la formation de notre langue française, et affirmé la prédominance de la langue d'oïl. Avec l'autorité de Littré, on peut constater qu'un bon normand qui dit: « je m'ai bleché (blessé) en prenant une mêle dans l'aumaire », parle un français plus pur que l'académicien disant: je me suis blessé en prenant une nèfle dans l'armoire. Cela nous venge un peu des plaisanteries des vaudevillistes. Mais, à côté de ces satisfactions d'amour-propre pour la petite
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patrie, il en est d'autres que nous réserve l'étude du patois normand.
Permettez-moi de vous citer quelques noms de lieux, pris dans les environs et à Louviers même, dont l'étymologie eût été plus rapidement trouvée si l'on n'avait oublié la prononciation et les formes normandes.
Prenons d'abord une ville voisine :
Pont-de-l'Arche.
Voici ce que l'on trouve dans les mémoires et notes de M. Le Prévost sur le département de l'Eure :
« Ce nom, qvii a reç,u toutes les consécrations de l'histoire, n'en est pas moins un contresens dans le latin des cartulaires et des chroniques comme dans le latin du Moyen âge et dans celui du temps présent. Voilà huit siècles au moins que l'on écrit : Pons arco 1, Pons arclius, Pons archiir, Ponsarchoe, Pons arche ou archie, Pons archas ou arcatus, sans que rien n'indique laquelle des vingt-deux arches d'un pont historique aurait eu le privilège d'imposer son nom à la ville forte.
« Ce n'est pas qu'il n'y ait eu des tentatives de redressement; on lit quelquefois Pons de arcis, Pons archaruni, Pont des arches et aussi Pont des archers ou archiers. Un historien anglais dit: Pontde-1'Arche guerroise (guerrière).
« Le véritable nom est dans un diplôme d'Henri II : Pons arcis me», Pont de ma citadelle, disait-il dans un acte de 1160 ».
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M. de Duranville dans son Essai historique et archéologique sur la ville de Pont-de-l'Arche (documents supplémentaires), accepte cette dernière forme, mais il ajoute : « Si le nom Pons arcis est celui qui traduit le plus exactement le nom Pontde-l'Arche, quant à la correspondance des syllabes, il faut toutefois reconnaître que le mot Arche n'a jamais signifié citadelle ». M. de Duranville manquait de conviction. Le pont, on le sait, était défendu sur la rive droite de la Seine par une citadelle, en latin arx, en vieux français arce (Ducange).
Les clercs normands qui transcrivaient l'acte de Henri II écrivaient en effet Pons arcis ou Pont-del'Arce, mais, habitués à donner an c doux ou à l's le son chuintant du ch, ils prononçaient Pons archis en latin et Pont-de-l'Arche en français, comme ils disaient un machon pour un maçon, un chou perché pour un sou percé.
Pont-de-l'Arche signifie donc Pont de la citadelle, car, bien qu'en ait pensé M. de Duranville, arche en normand signifie citadelle, et aucune des virtgt-deux arches du pont n'a imposé son nom à la ville forte.
Les habitants de Pont-de-1'Arche ont été qualifiés de l'épithète malsonnante de « carnags ».
Il est bien certain qu'il y avait là de la part de nos pères une idée malicieuse, cependant il n'y avait au fond rien d'injurieux.
Le pont de Pont-de-1'Arche, avec ses vingt-deux arches, formait sur la Seine une sorte de barrage qui rendait très difficile le passage des bateaux. 11 fallait pour le halage à ce point un grand nombre
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de chevaux et d'hommes. Un vitrail de l'église nous montre le curieux tableau des habitants balant un bateau. (Vêtait en clfet eux qui avaient le privilège de haler les bateaux qui s'en allaient montant.
Or, ce droit s'appelait (la Curne de Sle Palage) droit de chanalage ou plutôt de charnage ou carnage en normand. On disait donc le carnage de Pont de-F Arche et puis les carnages de Pont-de-1'Arche.
La Chapellc-dit-liois-des-Faux.
M. Le Prévost admet, d'une manière générale, que les pays dans le nom desquels entre le mot chapelle, ont pris ce nom de l'église fondée par le premier propriétaire.
Notre commune aurait pris son nom, d'après lui, d'une chapelle située à Rmmesnil, hameau assez éloigné du village et dont le patronage appartenait à l'abbaye de La Oroix-Sainl-Leufroy.
Qu'une paroisse s'appelle La Ohapelle-du-Boisdes-Faux parce que son église est située à Bromesnil, c'est une raison, peut-être, quand on n'en a pas d'autre. C'est sans doute faute de mieux que l'abbé Caresme s'est rangé à cette opinion.
Je crois qu'il y a là une erreur provenant de ce que le mot chapelle n'a été examiné que dans son sens restreint de petite église dédiée au culte catholique.
Chapelle, capella, est un diminutif de cappa ou capa, chape.
Chape a une foule d'acceptions : il signifie
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couverture, d'où chapeau et chaperon, chapelle d'alambique. Enveloppe, manteau, d'où le vêtement sacerdotal chape.
Tout ce qui étreint une chape de ciment, le supplice de la chape de plomb.
Enfin prison (La Ourne). Froissart parle de la chape d'Orthez. Le mot français échappé vient de là. Echappé de prison est un pléonasme. La chape et la fosse étaient des prisons souterraines, il nous est resté l'expression un cul de basse-fosse. La chape était une prison voûtée.
Ceci établi, j'emprunte une partie de ce qui va suivre à » la chasse à la haye » de M. Peigné Dclaeourt auquel je renvoie pour les détails.
Avant d'être un art noble, la cbasse était, pour le seigneur qui se la réservait, un moyen, comme aussi la pêche, de fournir à l'approvisionnement de sa maison et de se préserver des bêtes fauves, comme les loups, renards et autres, qui foisonnaient dans les forêts. Les floches et les épieux étaient peu efficaces, aussi les pièges tenaient une grande place dans la vénerie antique.
Sur les passages fréquentés par les animaux, on creusait une fosse que l'on recouvrait d'une chape de branches ou de gazon qui cédait sous leur poids et les-précipitait au fond du piège.
Pour que le succès de la chasse ne fût pas subordonné au caprice des animaux qui pouvaient modifier leurs coulées, les seigneurs firent installer dans leurs forêts des haies angulaires très largement ouvertes à la base et ne laissant au sommet qu'une étroite ouverture devant laquelle on creu-
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sait une fosse et une chapelle qui, comme lestrapes, pouvait se relever automatiquement. M. Peigné Delacourt a découvert dans les bois de La HayeLecomte, près Louviers, les vestiges très reconnaissablés d'une de ces haies.
Le gibier, effrayé par les huées, les cris des valets, s'engageait dans ces haies et au bout se trouvait la chape ou chapelle dans laquelle il tombait (1).
La vieille expression chape chute, qui signifiait aubaine, me paraît avoir bien plutôt pour origine la prise procurée par la chute de la chape que la trouvaille d'un manteau tombé à terre.
La chapelle est donc une fosse, une prison, un piège, et la chapelle du bois des faux est une chapelle à prendre le gibier, située dans un bois planté de faux ou en français de hêtres, fau ou fou vient de fagus et signifie hêtre en patois normand. La chapelle du bois des faux est donc « le piège du bois des hêtres». Il appartenait au seigneurd'Acquigny.
A l'appui de ce que je viens de dire, j'ajouterai qu'un grand nombre de communes ou de lieux dits du département de l'Eure partent des noms d'origine cynégétiques.
Dix-sept ou dix-huit portent le nom de La Haye avec le nom du propriétaire.
La Haye-Le-Comte (de Louviers), La Haye-Malherbe, La Haye-Aubrée, Les Haies-Melines ou Aymelines, etc., etc.
Il y a treize ou quatorze chapelles accolées au nom du seigneur.
(1| D'où l'expression : au bout du fossé, la culbute.
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Il y a également dix-sept lieux dits qui portent le nom de fosse. Autour de Louviers, les fosses, les fosses reposes. Plus loin près de Louversay, la fosse à loup, nom assez caractéristique pour qu'il soit inutile d'en dire pl*s,
Écot.
A Louviers, on a l'habitude de donner aux beaux boulevards qui entourent la ville le nom d'Écot. Mais c'est à tort que prenant ce nom pour celui de la nymphe, on l'écrit Écho, c'est une faute d'orthographe. Autour des boulevards, il peut se trouver un écho, mais il n'y en a pas partout, il n'y en a pas plus qu'ailleurs. Écot est tout simplement un arbre, une avenue d'arbres. Ici encore on a pris le nom normand pour un nom français. Dumeril appelle Éscot un boulevard planté d'arbres. Écot est resté dans la langue héraldique pour désigner un arbre taillé, Écot, boulevard, doit donc s'écrire Écot.
La rue aux Mouches.
Dans son remarquable ouvrage sur les rues de Louviers, M. L. Marcel, à l'art rue aux Mouches, débute ainsi : « M. l'abbé Caresme, curé de Pinterville, nous communique cette hypothèse que la rue aux Mouches pourrait provenir de la dénomination Moucel. Il y avait à Louviers un espace de terrain appelé Le Haut-Moucel et Le Bas-Moucel (dans une note l'auteur constate la substitution de lu à l'n
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qui est fréquente dans la langue vulgaire' ». En patois normand et môme ailleurs, elle est en effet très fréquente, mon se prononce très souvent mou, moutaure, moutier, moussaux, etc.,en anglais moût se dit mount, Moncel l'ait donc moucei, et avec la prononciation chuintante du c, on arrive àmouchel, très près de mouche ; mais si, au lieu du diminutif moncel, on prend le nom lui-même, mont ou plutôt mons, qu'on écrivait comme en latin. On arrive, en appliquant les règles de la prononciation normande à mous et à mouch ; de là à écrire mouche, il n'y a qu'un pas qu'on doit forcément franchir.
Ce mot mouche m'amène à parler du nom propre Mouchard, très répandu autour de nous et qui a en français la signification d'espion. Je suis heureux de dire qu'il n'y a rien dans l'hérédité de nos concitoyens qui motive cette signification fâcheuse.
Dans les pays montagneux, on appelle les habitants montagnards. Cette désinence ard indique une action habituelle ou fréquente, braillard, vantard, etc.
Chez nous nos collines, plus modestes, portent le nom de monts ou mons, et les habitants s'appelaient monsards ou mousards et l'on prononçait mouchard. Ceux qui habitaient des endroits moins élevés recevaient les noms de Moncel, Moucei, Mouchel. Les pays de Montaure (Moutaure; et La Haye-Malherbe qui sont les points culminants de l'arrondissement sont habités par de nombreuses familles Mouchard.
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La place du Pilori.
La place du Pilori a fait verser des flots d'encre, doit-on l'appeler place du Pilori ou place du puits Lory?
Les actes des notaires au XVII Ie siècle contiennent les deux leçons.
Il y avait autrefois sur cette place un puits qui a. été remplacé il y a environ 35 ans par une bornefontaine, et un pilori ou poteau de justice seigneuriale qui figure sur le plan de Louviers, dressé par Bachelet en 1748, et disparut vraisemblablement à la Révolution.
Autrefois comme aujourd'hui, bien des gens considéraient comme une marque d'infériorité l'usage du patois, et tenaient à faire voir qu'ils avaient été montrés en réagissant contre les formes du langage populaire.
On ne doit pas dire un cat, aussi disaient-ils un chat, mais par analogie, un chaillou, une charotte. Gomme il est vulgaire de dire not' vot' pour notre, votre, pour arrondir les consonances, ils disent une routre, une allumettre, une suitre, et cet usage est ancien, car j'ai lu sur un vitrail de Pont-del'Arche
Pont-del'Arche Funiière? bourgeois a donné cette
« virtre ». J'ai entendu dire des jours de carte, parce qu'on doit dire menteur et non menteux.
A Louviers, dans le langage populaire on dit un pis pour un puits. Le pis Maigret, le pis Cornier, etc. Les gens instruits, les clercs de notaire entre autres, ne pouvaient donner à cette place où i]
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existait un puits et un poteau sans doute peu employé, d'autre nom que celui de Puits Lory. Pourquoi l'écrivaient-ils par un y, sans doute parce qu'au XVIIIe siècle on en mettait partout. Cette orthographe n'a pas prévalu.
Le coin du Barbot.
Une place disparue située près de l'endroit où la rue de la Laiterie joint la Grande-Rue, s'appelait le coin du Barbeau (?) ou la pcscherie du Barbeau.
M. Léopold Marcel s'exprime ainsi dans les Rues de Louviers (page 189) : « La partie de la GrandeRue, depuis la place d'Kvreux jusqu'à la rue SaintJean 'aujourd'hui rue de Quatrc-Moulins) et la rue de la Laiterie, a été pour nous l'objet de nombreuses recherches à cause de la dénomination de coin du Barbeau, attribué autrefois à cette section de rue. Elle a conservé même jusqu'à nos jours cette dénomination dans le langage populaire ».
Il cite comme documents: 1" une sentence rendue à Louviers en l.">9lî où il est question d'une maison assise en la paroisse Notre-Dame, en la rue Marins [cette rue qui longeait le rempart a disparu lors de l'ouverture de la porle de la Société;, proche les murailles et le coin du Barbeau /sic); "2" une petite place vuide (ltfêtf) située rue de la pcscherie du Barbeau.
L'endroit en question, situé au bord de rue de la Laiterie, devait recevoir les eaux de cette rue, de la rue du Neuhourg dont la pente est très accentuée, et de la rue Martus ; ces eaux allaient se déverser
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dans la rivière en amont du pont des quatre Moulins. Dans les temps Ravalasse elles formaient là un amas de boue et de vase qu'on n'enlevait jamais et formaient de cette place, de ce coin, un varvot ou barbot.
Le mot barbot nous a donné barboter, varvot est encore employé pour désigner im endroit fangeux. L'abbé Decorde (Patois du pays de Bray) appelle barbot une place de peu d'étendue où il y a de l'eau et de la vase.
On comprend que ces eaux, qui avaient traversé toute la ville, que seules elles nettoyaientf puisque le balayage public était inconnu, ces eaux, chargées de détritus et d'ordures ménagères, faisaient de ce coin un endroit très propice à la pêche, le poisson devait y être très abondant, et les pêcheurs le fréquentaient, d'où son nom de pêcherie du barbot. Il va de soi qu'un cabaret se soit installé en cet endroit, même bien avant l'an 1594, où Nicolas Primoy était maître du Barbeau, et qu'on ait pris pour enseigne parlante un poisson, le barbeau, et alors, par une sorte de jeu de mots très usité dans les enseignes et même en blason, le coin du Barbot soit devenu le coin du Barbeau.
Dans tous les cas, c'est la place qui a imposé son nom à l'auberge et non l'auberge à la place.
Écrivait-on malgré cela barbeau poisson ou barbot cloaque ?
Larousse indique barbot comme fausse orthographe de barbeau et cite à l'appui un vers de Berchoux.
D'un autre côté, tous les actes signalés par
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M. Léopold Marcel ne sont pas des originaux; il prend soin de nous dire que ses citations ont été tirées d'un mémoire imprimé à l'occasion d'un procès, en 1785, à Rouen. A-t-on cru rectifier une faute en écrivant Barbeau ? Toujours est-il que la vraie orthographe est Barbot, mot normand.
Jean de Chambrât/.
Enfin, pour terminer, je serais heureux de conserver à notre pays un compatriote dont on a voulu faire un flamand ?
M. Le Métayer-Masselin, après avoir décrit les magnifiques pierres tombales de l'Eure et surtout du Bec, constate avec regret que Jean de Chambray est l'unique artiste de son genre que l'on puisse authentiquement citer.
Et il donne un extrait d'une lettre de l'abbé Caresme : « La chronique du Bec ne consacre qu'une ligne à l'habile sculpteur qui a si bien gravé la tombe de l'abbé Guillaume : nota, quod Johannes de Chambray fccit tombam Domini Guillelmi abbatis: et soluta sunt quadragenta scuta, ut patet in cartulario per quictantiam in fardello signato
per On n'a jamais pu découvrir ailleurs une
mention quelconque de ce Jean de Chambray. 11 paraît que son nom a été mal écrit dans la chronique et qu'il faut lire Jean de Cambrai. Ce serait un artiste flamand.... ». Les contemporains de Jean de Chambray devaient en effet l'appeler de Cambray parce que le ch se prononce dur dans le normand comme dans le latin. Mais les moines du Bec, qui
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étaient instruits, savaient ce qu'ils faisaient en écrivant Chambray. Chambray est le nom d'un village près de Vernon, pays de carrières de pierres. Les belles tombes gravées sont assez nombreuses dans notre région pour qu'on puisse admettre que ceux qUi les faisaient étaient des artistes locaux.
Je crois donc que Jean de Chambray était de Chambray de l'Eure et nom de Cambrai (Nord), et que nous pouvons nous honorer de l'avoir pour compatriote.
Après M. Barbe, M. l'abbé Guttin, curé de Montaure, un botaniste distingué, a parlé de trois variétés de plantes qu'il avait étudiées. Nous regrettons que le manuscrit de ce travail ne nous ait pas été remis au moment où s'imprime l'Annuaire. Notre collègue M. Montier,de Pont-Audemer, lit ensuite le mémoire suivant sur la céramique normande et notamment sur l'industrie des poteries d'Infreville:
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ETUDES DE CERAMIQUE NORMANDE
I
Les Potiers d'Infreville, près Bourgtheronlde.
Les potiers d'Infre ville, — commune limitrophe de Bourgtheroulde, — auraient, d'après une tradition dont un érudit normand, Raymond Bordeaux (1), s'est fait l'écho, mérité de partagre au XVI 1" siècle la gloire des potiers de Manerbe et du Pré-d'Auge, et fabriqué aussi les épis de toiture et les girouettes de colombier qui couronnaient les pignon^ de nos rustiques manoirs et les aristocratiques colombiers de nos hobereaux de province.
J'ai voulu essayer de retrouver les titres de cette industrie locale et tirer de l'oubli les noms de ces ouvriers dont aujourd'hui nous apprécions, mieux que leurs contemporains, les mérites artistiques.
(1) Bulletin du bouquiniste, 15 mai 186d, p. 295. « Les poteries d'Infreville où l'on faisait autrefois, avec une originalité cha rmante, les épis ou etocs, ne fabriquent plus depuis longtemps que des pots à fleurs et des tuyaux. C'est au hameau de la Poterie que se trouvaient établies ces poteries. »
Jacquemart, dans son ouvrage les Merveilles de la Céramique i'-îe partie, p. 273), écrit ceci: « Dans le département de l'Eure, Infreville, Armentières, Châtel-la-Lune, unissaient cette fabrication (celle des épisi à celle des terres vernissées, mais c'est surtout dans le Calvados, à Manerbe, et particulièrement au Pré-d'Auge, que les faïences à relief atteignaient une perfection voisine des oeuvres de Palissy ».
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Jusqu'alors nous ne connaissions aucune oeuvre qui pût être indiscutablement attribuée à cette fabrication, et nous ignorions même le nom de ces potiers. Les anciens du pays n'ont conservé le souvenir que d'une poterie produisant des pots à fleurs, des poêles à lait, des pots allant au feu, des plats et des soupières, et qui a cessé d'exister il y a une quarantaine d'années.
La première difficulté à résoudre consistait à trouver les noms des potiers qui avaient travaillé dans cette paroisse à partir du XVIe siècle: les registres de catholicité, les archives du notariat de Bourgtheroulde pouvaient sur ce point me fournir des indications; une l'ois en possession de ces noms, il n'y avait plus qu'à fouiller les musées, les collections locales pour chercher des pièces donnant les signatures de potiers dont nous avions les noms dans les registres de l'état civil. C'est à cette recherche des pièces fabriquées à Infreville que je convie les antiquaires normands, en les priant de noter les noms de potier qu'ils pourraient relever sur des objets ne portant point l'indication du lieu de fabrication. Je vais faire connaître, afin de guider les chercheurs, les résultais auxquels je suis parvenu.
I. — Un aveu de la Londe en 11573 porte celte déclaration: « et sont les potiers travaillant aux fourneaux de la paroisse d'infreville, à cause de leurs droitures et usages de prendre leur terre à faire pot dans la dite forêt de la Londe, sujets de fournir pour l'usage de iuon château et manoir seigneurial tous les pots et autres terres de leur façon».
340 SESSION TENUE A LOUV1ERS, EN 1903.
Les archives du notariat de Bourgtheroulde m'ont fourni quelques noms de potiers :
6 juin 1393.— Robert Herniier, potier à Infreville, demeurant à Bourgtheroulde.
23 juin 1613. — Clément Vitcoq, potier à Infreville.
23 juillet 1633. Pierre Perinelle, potier, demeurant en la paroisse d'Int'reville.
Les registres de catholicité de la province remontent jusqu'en 1347, mais j'ai dû constater, là comme ailleurs, qu'au XVI*' siècle la profession des parties intéressées n'est jamais indiquée. Le prêtre qui dresse l'acte donne les nom et prénoms du défunt, ou du nouveau-né, les nom et prénoms de ses parents, le nom des témoins, et garde le silence sur la profession des paroissiens qui comparaissaient devant lui.
C'est dans un acte du 28 mai 1693 que je trouve pour la première fois l'indication d'un potier à Infreville. Il s'agit de l'inhumation de Catherine Lefebvre, femme de Guillaume Yideoq ou Vilteeoq. pottier. Au reste, nous allons suivre cette famille très nonihreuse des Vittecoq, tous potiers* [tendant près de 130 ans.
I(i93, 4 juin.— Naissance d'une fille de Pierre Beaucher, potier, et de sa femme née Duval.
22 août.— Naissance d'une fille de Pierre Quesné, potier.
23 septembre.— Décès d'un fils de Gavel, potier, 1697, 6 février.— Décès de Anne Duval, femme
en premières noces de Michel Videcoq, potier, et en secondes noces de Pierre Beaucher.
4e JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 341
10 février. — Bans de Thomas Mulot et de Marie Videcoq, fille de feu Louis Videcoq, potier.
23 mars. — Baptême d'un fils né du mariage de Antoine Lavoisé et de Catherine Videcoq, nommé Louis par Louis Videcoq, fils de Nicolas et de Louise Leclerc, et par Catherine Videcoq, fille de feu Nicolas Videcoq et de Marguerite Boette (?) tous potiers dit l'acte.
3 avril. — Décos d'Anne Boismare, femme de Guillaume Videcoq, pottier, âgée de 20 ans.
10 avril. — Baptême de Michel, fils de Michel Lavoisé, potier, et de Catherine Gavel.
2$ juillet. — Baptême de Claude Videcoq, fils de Jacques Vidcoq, potier, et de Magdeloine Boette.
.5 août.— Pierre Beancher d'Infreville, chef pottier de son métier, se marie avec Michelle Durand et appose sa marque: une croix inscrite dans un cercle. Est-ce sa marque de fahrique, le sigillum du potier ?
/.'5 août..— Médard Vittecoq, potier, fait inhumer sa femme née Jacqueline Leclerc.
En cette année, nous trouvons deux noms nouveaux de potiers : Gratien du Buisson (6 septemhre) qui avait épousé Marie Vittecoq ; Antoine Lavoisé, pottier, époux de Catherine Vittecoq.
1698. — En 1698, nous retrouvons Nicolas Vittecoq, pottier, époux de la demoiselle Leclerc ; Michel Casin, pottier (6 février), puis Guillaume Vittecoq, chef pottier, fils de feu Médard Vittecoq et de défunte Jacqueline Leclerc, qui épouse Anne Romi, et enfin Pierre Quesné. pottier. Voici donc deux chefs potiers connus: Pierre Beaucher et Guillaume Vittecoq,
342 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
ils appartenaient, on l'a vu, à deux familles alliées.
1699,29 mars.— Joaeliiin du Buisson fait enterrer sa fille.
1700. — Pierre Beaucher, potier, fait baptiser son fils Pierre.
1701.— Nous constatons la naissance d'enfants de Lavoisé, potier, de Jacques Vittecoq, potier, de Michel Lavoisé, potier.
Passons à 1737: nous retrouvons de nouveaux noms, mais nous voyons toujours reparaître les descendants des Vittecoq ou Videcoq.
1743. — Nous voyons désignés comme potiers : François Grimouin, potier, qui perd une fille ; Claude Vittecoq, potier, marié avec Marie Lorrain.
? / Juin. — Anne Romi, veuve de Guillaume Vittecoq, est inhumée et son mari signe son acte de décès.
Nous trouvons encore : Michel Bourdonné, Michel Vittecoq, Guillaume Vittecoq qui épouse Marie-Anne Vittecoq, fille de feu Nicolas et de feu Catherine Bourgalley '10 novembre' 1. Son père Guillaume Vittecoq, potier, signe à l'acte de mariage avec Médard Vittecoq son frère, pnttirr aussi, et encore avec Claude,' et Nicolas Vittecoq, cousin germain de la dame Anne Vittecoq, tous pot tiers. Toute la famille Vittecoq signe l'acte, sauf le vieux Guillaume qui ne fait qu'une croix.
174"i.— En 174"). nous rencontrons encore un Guillaume Vittecoq qui signe l'acte d'inhumation de sa femme, née Marie Harang (lo janvier). François Harang, potier, signe l'acte de baptême du fils qu'il a eu de Marguerite Bouette ; Bourdonné,
4* JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 343
pottier, épouse Marie Adam, et Guillaume Pottier, veuf de Marie-Anne-Vittecoq, épouse en secondes noces Marie-Barbe Lecordier (6 mai).
1747, 3 septembre. — Guillaume Vittecoq, potier, fait baptiser sous le nom de Guillaume-ProsperMédard, le fils que vient de lui donner Anne Vittecoq, son épouse. Gardons ce nom de GuillaumePro.sper en notre mémoire, car nous aurons tout à l'heure à examiner une pièce de céramique signée de son nom, et c'est la seule pièce qui puisse jusqu'alors être authentiquement attribuée àlnfreville.
1751, 6 novembre. — Claude-Charles Vittecoq, potier, est parrain.
.23 novembre. — Mention d'un nouveau pottier, Guillaume Boismare. Un des descendants de ce Boismare, potier lui-même, alla travailler à la poterie de Châtel-la-Lune, chez François-PhilippeGuillaume Quéruel, ety mourut le 14 mars4839(1).
1763.— Le registre de 1763 nous donne le nom de Pierre-Paul-Victor Vittecoq, potier, et celui de 1765 signale un nommé Anyron, potier.
De 1773 à 1787, nous trouvons cités comme potiers:
En 1773, François Élie, Etienne Lesueur qui épouse Catherine Beaucher ; Michel Bourdonné, François Grémouin ;
En 1775, Pierre Cochois, Guillaume Feré qui épouse une fille Leroy ;
En 1777, nous retrouvons Guillaume-Prosper
(1) Notes sur la poterie de Châtel-la-Lune, par Henri Quevilly, publiées par l'abbé Porée.
344 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Vittecoq, qui avait précédemment épousé la fille Caillouel, Pierre Duhamel, fils de Anne Vittecoq et de Pierre Duhamel, et enfin Pierre Sénécal.
II. — Le dépouillement auquel nous venons de nous livrer, dans les archives notariales et dans les registres de l'état civil, nous a donné comme chefs potiers, dos 159o, Robert Hermier, mais il nous faut aller jusqu'en 1697 pour trouver le nom d'un nouveau chef potier. C'est celui de Pierre Beaucher et, en 1698, celui de Guillaume Vittecoq, fils de feu Médard Vittecoq et de défunte Jacqueline Lebret, qui épousa, le 29 août, Anne Romi.
Voilà donc deux chefs d'industrie potière connus et dont les ateliers ont dû produire, en même temps que la poterie commune à l'usage des paysans, les épis de toiture et les girouettes vernissées et émaillées imitant la spécialité des fours du Pré-d'Auge et de Manerhe.
III. — Il nous reste maintenant à retrouver quelques-unes des pièces produites par notre poterie d'Infreville.
Au cours d'une visite au musée de Bernay mon attention fut attirée par une fontaine (n° 216) que le brillant de son émail couleur prune et l'originalité de son décor ne permettaient pas de classer parmi les pièces sorties des ateliers du Pré-d'Auge ou de Chàtel-la-Lune. Le registre indiquait bien que la pièce était un don de M. Gouellain, mais ne disait rien de l'endroit où elle avait était recueillie. En l'examinant de plus près, je relevai au col du vase
Poteries d'Infreville (Eure).
Musée de Bernay.
Musée de Bernay.
Collection de M. Leroux.
4« JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 345
cette inscription gravée à la pointe dans la terre molle :
F. PAR GUILLAUME PROSPER VITTECOQ.
1773Ce
1773Ce de Vittecoq fut pour moi un trait de lumière ; cette famille des Vittecoq m'était connue comme l'une de celles qui avait donné de nombreux potiers à Infreville; il ne s'agissait plus que de rechercher dans les registres de catholicité si en 1773 existait dans cette paroisse un potier du nom de Guillaume-Prosper Vittecoq. En me reportant au dépouillement des actes de l'état civil que j'avais dressé, je trouvai, au 3 septembre 1747, la naissance de Guillaume-Prosper Vittecoq, fils de Guillaume Vittecoq, potier, et de Anne Vittecoq, son épouse, et je rencontrai ensuite ce même Guillaume-Prosper Vittecoq, mari de la demoiselle Caillouel, présentant le 5 octobre 1778 un fils à baptiser.
L'auteur de la fontaine du musée de Bernay est donc sûrement identifié. Guillaume-Prosper Vittecoq avait vingt-six ans quand il signait sa fontaine. Si cette pièce n'est pas un chef-d'oeuvre, elle n'est pourtant pas sans mérite. Le couvercle de la fontaine manque, l'anse de gauche a également disparu, mais il est facile de reconstituer par la pensée les parties brisées.
En arrière, la face est plate et coupée perpendiculairement; sur la face antérieure bombée l'ou-
346 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
vrier a disposé au centre une grosse fleur de lys courte et trapue accompagnée, à droite et à gauche, de deux autres fleurs de lys disposées en éventail, puis deux fleurs de marguerites posées verticalement sur la panse. Au-dessus, un motif de branchages entrelacés est surmonté de trois autres fleurs de lys séparées par des godrons droits. Quatre masques d'hommes sans barbe, dont trois seulement subsistent, complètent la décoration: deux à la hauteur des anses formées d'une torsade de deux cordons, deux autres vers le milieu de la panse. Le socle est décoré des mômes marguerites que le corps de la fontaine.
Tous ces reliefs ont été estampés et plaqués ensuite sur la pièce à décorer. Cette décoration, lourde et bizarre, est recouverte d'un émail profond violacé, produit par un mélange de vert et dé pourpre manganèse. Et cependant l'oeuvre ne choque pas l'oeil; ces fleurs de lys, ces marguerites ont été estampés dans des creux d'un usage banal à la poterie; mais leur groupement est original: c'est un travail d'artisan rural, mais qui sait utiliser avec intelligence le petit nombre d'éléments décoratifs dont il dispose. Avant la décadence de la fabrication des épis de toiture, Infreville faisait certainement travailler des modeleurs comme ceux du Pré-d'Auge. Les moules qui ont fourni les grosses fleurs de lys de notre fontaine ont dû en produire pour la décoration des épis d'Infreville, car nous voyons par les produits de Malicorne (Sarthe) que cet emblème royal se répétait constamment sur les épis ou poinçons vernissés. Cet
4e JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 347
usage devait être général dans toutes les poteries du royaumeTelle qu'elle est, cette fontaine qui ne révèle qu'un souvenir lointain de l'ancienne fabrication artistique des épis, a du moins le mérite de nous faire connaître l'oeuvre d'un potier d'Infreville et de tirer de l'oubli une dynastie de potiers, qui ont eu leur heure de célébrité locale.
Je dois à l'obligeance de M. le chanoine Porée la communication d'une note qu'il avait prise sur la collection de M. Ridel (de Vimoutiers) avant sa dispersion (1). Or dans cette note je lis la mention d'une autre fontaine vernissée vert clair, décorée sur la panse de fleurs de lys très en relief (comme sur la fontaine précédente), et d'un crucifix aussi en relief avec l'inscription suivante, ainsi disposée:
PROS PERT
M'A FAIT
VlTTE
COQ
EN I780
C'est donc une seconde pièce à attribuer à notre potier d'Infreville ; de nouvelles recherches nous révéleront certainement d'autres oeuvres de ce potier et de ses prédécesseurs.
Il reste encore dans le pays quelques fontaines de l'ancienne fabrication: M. Leroux, notaire à Bourgtheroulde, M. Leduc, agent voyer du même
(1) La vente de celte importante collection eut lieu à l'hôtel Drouot à Paris les 23 et 'ii mars 1896 par le ministère de Me Chevallier, commissaire-priseur.
348 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
canton, possèdent chacun une fontaine de décoration identique, et qui diffère de celles que nous venons de décrire.
La fontaine de M. Leroux est de terre jaunâtre zébrée de touches brunes et vernissée ; elle lui a été donnée il y a déjà longtemps par un vieillard d'Infreville dont les parents l'avaient acquise à la poterie. J'insiste sur l'origine certaine de cette pièce, parce qu'il en existe une autre, sinon identique, mais de même terre et de même décor au musée de Bernay, et que si l'une provient, — ce qui est certain, — des ateliers d'Infreville, il en sera de même pour l'autre, sans discussion possible.
Il suffit de les comparer, en plaçant à côté l'une de l'autre leurs reproductions photographiques.
La fontaine du musée de Bernay est complète dans ses parties essentielles, pourtant le bulbe qui couronnait l'anse de droite du col a disparu. Elle est en forme d'urne avec col cylindrique, terminée par un couvercle formant coupole ajourée. Le col comme la panse de l'urne sont décorés de tiges, de feuilles et de fleurs de marguerites, dont les plus grandes possèdent douze pétales. Ces décors estampés et appliqués ensuite sur les flancs de la fontaine sont en terre blanche, colorée en jaune ambré par le vernis de plomb qui la recouvre. Les anses du col sont formées de boudins enroulés en console avec trois boutons. Celles existant de chaque côté de la panse sont formées de deux consoles placées l'une au-dessus de l'autre de façon à dessiner trois boucles. Enfin, quatre nervures plates chargées d'une palme et recourbées de façon à former cou-
4e JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 349
pôle, couronnent la fontaine et supportent un amortissement en forme de boule pointue.
Sur la panse de cette pièce typique, on lit: Pierre J. crni/er en deux lignes. C'est probablement le nom du propriétaire pour lequel elle avait été fabriquée. L'i du nom Crinier est oublié par le potier.
La fontaine de M. Leroux est quasi identique à la précédente. Même forme générale, même motif et même décor de marguerites blanches, même émail, même terre vernissée. Enfin M. Leduc, agent voyer à Bourgtheroulde, possède une troisième fontaine venant également d'Infreville, et à peu près identique aux deux précédentes. On peut donc voir dans la pièce du musée de Bernay le type de la bonne période de fabrication de notre poterie d'Infreville.
Je possède aussi dans ma collection une fontaine provenant, selon la tradition, des poteries d'Infreville. Ce décor diffère de celui des fontaines précédemment étudiées. Sa forme aussi est moins élégante. C'est une pièce en terre grisâtre, émaillée d'un jaspe manganèse, une sorte de cruche à deux anses, décorée de fleurettes en relief et de petites figures d'un enfant emmaillotté dans ses langes; sur la panse de la fontaine on compte jusqu'à quatorze figurations de ce type de bébé. Le trou du robinet est pris à même une tête d'homme coiffée d'un haut bonnet. Ce même motif se retrouve posé sur l'anse de chaque côté de la fontaine. Le couvercle primitif est perdu et a été remplacé par un couvercle moderne. Ne peut-on pas supposer que cette fontaine aux bébés aurait servi de cadeau lors de
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la naissance d'un nouveau-né ? Sa décoration semble justifier cette hypothèse.
En résumé, à la fin du XVIe siècle, nous trouvons de nombreuses familles de potiers installées à Infreville : Hermier (6,juin to9o) est, à cette date, le chef d'une poterie ; en 1oo4, un Nicolas Vittecoq faisait baptiser un fils nommé Nicolas Vittecoq comme lui. Le 7 décembre 1557, ce même Nicolas Vittecoq avait un nouveau fils : je serais porté à croire que dès cette époque les Vittecoq, qui écrivaient alors leur nom Videcoq, avaient commencé leur fabrication, et que si nous ne trouvons un chefpotticr de ceite famille, Guillaume Vittecoq, qu'en 1098, il aurait été cependant le continuateur d'une ancienne lignée de potiers. Ge serait donc à Hermier, dont nous trouvons la mention en 1595, à Beaucber, chef potier en 1097, enfin a Guillaume Vittecoq ^ 1008; que reviendrait l'honneur d'avoir tourné et éniaillé ces épis de faîtage qui terminaient nos manoirs elles colombiers féodaux où fréquentaient les bandes de pigeons pillards, véritable fléau des récoltes de nos laboureurs (I).
La fabrication de la poterie a continué à Infrevillc jusque vers l'année 1800. Dans le rôle des imposi(1)
imposi(1) musée ilu Vieux-Honileur possède un épi qui' je crois être d'Infreville, mais je ne saurais être aftinii.itif. Il ilill'ère de forme et surtout d'émail avec ceux du Pré-d'Augr qui l'accompagnent de chaque côté: mais cette pièce, provenant de la collection Kidel, ne porte sur elle aucune indication de l'endroit où elle avait été récoltée. M. Klandin, au château de Betteville, prés l'ont-l'Évèque, en possède un autre de même style provenant aussi de la collection Ridel.
4° JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 351
tions pour 1790 je relève les potiers dont les noms suivent : Armand Duhamel, Etienne Lesueur, François Élie, Guillaume Lebarron, Jacques Sénécal, Jacques Lesueur, Jean Le Monnier, Louis Caritté, Pierre Sénécal, Pierre Cochois, Pierre Lesueur, Pierre Fleurant, Jean Duhamel, Pierre Desmarre, Pierre Lemonnier, Pierre Surbled, Pierre Lefieux, et parmi les propriétaires non domiciliés, Jean Lesueur, propriétaire à Infreville. Celui-ci n'auraitil pas été le patron de la poterie dans laquelle ses cousins et neveux travaillaient comme ouvriers?
A la fin du XVIIIe siècle la poterie d'Infreville se bornait à fabriquer les poteries domestiques, les écuelles, les soupières, les poêles à lait, etc. ; depuis longtemps, elle avait répudié toute prétention artistique.
Sa disparition vers 1860 était la conséquence forcée du progrès industriel : nos ateliers ruraux de poterie ne pouvaient lutter sur les marchés avec les grandes manufactures qui, outillées industriellement et disposant de gros capitaux, fournissaient à meilleur marché les produits céramiques que nos paysans du Roumois et du Lieuvin avaient jusqu'alors demandés aux fabriques locales d'Infreville, de Chàtel-la-Lune et des environs de Lisieux.
M. Angerard dépose sur le bureau trois manuscrits de M. Veuclin qu'il analyse en ces termes:
Le premier a pour titre : Les anciennes confréries funéraires dites « Charités », existant dans l'archidiaconé deLouviers avant ou en 1789.
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Il est extrait d'un ouvrage de M. Veuclin sur les Charités de Normandie, qui a obtenu le prix de Blosseville, décerné en 1889 par la Société libre d'agriculture, arts, sciences et belles-lettres de l'Eure.
M. Veuclin donne d'abord le texte des statuts de la Charité de la paroisse de Noire-Dame de Louviers, approuvée le 7 janvier 1450, puis il mentionne des donations faites à cette Charité par Mathurin Frigard le 6'' jour de janvier 1738, par dame Gabrielle Bernard, épouse de Charles-Alexandre Grout, lieutenant, le 8 décembre 1750.
La Charité de la paroisse Saint-Germain de Louviers est fondée en 1424;
Celle de la paroisse d'Ailly, le 12 novembre 1643 ;
Celle d'Alizay en 1648 ;
Celle d'Auifreville-la-Campagne, réglementée en 1587, obtint en 1633 une bulle d'indulgences ;
Celle d'Anifreville-sur-Iton existait déjà en 1606:
Celles d'Autheuil, de Canappcville, de Crosville, de Criquebeuf-sur-Seine. de Daubeuf-la-Campagne, sont aussi très anciennes ;
Celle de la paroisse du Gros-Theil, remontant au XIVe siècle, obtint une bulle d'indulgences en 1614;
La Charité de la Harengère aurait été fondée en 1773; celle d'Hectoinare en 1669; celle de Heudebouvillc antérieurement à 1710; celles d'Heudreville-sur-Eure et de Marbeuf au XVIII" siècle ;
Celle du N'eubourg date de 1411, elle refusa en 1793 de donner sa croix d'argent à la nation ;
Celle de Pitres date de 1663 et celle de ThuitSignol de 1677.
M. Veuclin n'a pas de renseignements sur la
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fondation des autres Charités existant dans la plupart des paroisses de l'arrondissement de Louviers.
Le second manuscrit déposé sur le bureau du Congrès a pour titre : Les Confréries du Rosaire et de la Vierge dans l'archidiaconé de Louviers.
Il constate l'existence ancienne de ces confréries dans les paroisses d'Ailly, de Feuguerolles, de Marbeuf, du Neubourg, de Pont-de-FArche, de Pitres, de Tosny et de Villez-sur-le-Neubourg.
Le troisième manuscrit, dont communication a été donnée au Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne en 1896, a pour objet une étude sur une fondation faite par M. et Mme Elie de Beaumont, à Canon, « les Bonnes-Gens », et qui paraît être la première société fondée pour l'encouragement au bien dans le royaume de France. M. et Mme Élie de Beaumont, seigneurs de Canon, près Caen, ont institué en 1775 une fête des Bonnes-Gens, avec distribution de quatre médailles décernées sous les titres: A la bonne fille. — A la bonne mère. — Au bon chef de famille. — Au bon vieillard.
La dernière fête dont il soit fait mention fut célébrée le 10 septembre 1785.
Le manuscrit de M. Veuclin contient plusieurs photographies, dont une donne la reproduction des quatre médailles décernées chaque année aux litres ci-dessus indiqués.
M. Angérard • fait observer que deux coins au moins sont antérieurs à la fondation de la fête des Bonnes-Gens de Canon, ceux de la bonne mère et de la bonne fille, tous deux de Duvivier, qui les a gravés pour le mariage de Louis, Dauphin de
23
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France, avec Marie-Thérèse d'Espagne, célébré en 1745.
Ce dernier manuscrit de M. Veuclin est fort intéressant. Bien que la Société d'Encouragement fondée à Canon n'intéressât que les habitants de quatre communes, elle n'en est pas moins une indication précieuse sur les préoccupations des esprits libéraux de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Communication est ensuite donnée de l'étude suivante de M. Le Clerc, professeur de dessin, secrétaire de la Société du Vieux-Honfleur, sur le mouvement régionaliste en Normandie:
4e JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 355
LE MOUVEMENT REGIONALISTE EN NORMANDIE
HONFLEUR ET SES MUSÉES
Le mouvement régionaliste qui s'affirme aujourd'hui d une manière si générale et si intense a pris en Normandie, pour point de départ et pour centre, la petite ville de Honfleur si chère aux artistes et aux écrivains. Il en est résulté chez celle-ci un ensemble d'utiles fondations, que nous croyons intéressant de faire connaître en détail.
Musée des Beaux-Art s.
(Collection de l'École normande et honfleur aise).
La vogue de Honfleur auprès des artistes date de l'époque où le paysage historique fut définitivement supplanté par le paysage de plein air, c'est alors que Jouqkind, Ysabey, Corol, Troyon, Dauhigny, Français, etc., se donnèrent rendez-vous dans le vieux port normand.
L'influence de cette colonie de peintres ne tarda pas à se faire sentir. Parmi les gens du cru des artistes se révélèrent tels : Hamelin, Dubourg, Renouf, Eugène Boudin (ces deux derniers sont, on le sait, arrivés à la célébrité). D'autre part, le désir vint aux Honfleurais de posséder un musée de peinture, satisfaction leur fut donnée en 1869 par le peintre" Alexandre Dubourg qui, avec l'appui de
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la municipalité, installa dans la salle des mariages de
Fhôlel de ville une collection de quarante tableaux dont vingt étaient prêtés par la ville de Rouen qui ne pouvait à cette époque les exposer chez elle faute de place.
Le petit musée honfleurais mit environ douze ans à remplir tout entière la salle qui lui avait été affectée ; c'est alors que l'on décida de lui bâtir, dans les combles de l'hôtel de ville, un local spécial. Celui-ci fut inauguré en 1886 à l'occasion du Congrès provincial de l'Association Normande. Peu de temps après, Rouen réclama le retour de ses tableaux, ce renvoi produisit un vide important dans les collections, mais il fut rapidement comblé grâce à la générosité de M. le baron Alphonse de Rotschild et de M. Paul Leroi, rédacteur en chef de la revue l'Art, qui firent au musée de nombreux dons.
Après le décès de M. Alexandre Dubourg, la conservation du musée l'ut confiée à un autre artiste honfleurais M. Léon Le Clerc Sous la direction de celui-ci, les collections ont été considérablement augmentées. En I8'.tit elles avaient complètement rempli les cinq salles qui leur étaient affectées, il fallut reprendre la salle des mariages et celle-ci est maintenant devenue trop petite.
Le musée de peinture de Honfleur est, après celui de Caen, le plus important du Calvados.
L'école honfleuraise surtout y est brillamment représentée par de nombreuses oeuvres des peintres Eugène Boudin, Renouf, Dubourg, Hamelin, Marie Coignet, Marais, Voisard-Margerie, Léon Le Clerc.
4e JOURNÉE, 26 SEPTEMBRE. 357
Une salle tout entière a été récemment consacrée aux croquis d'Alexandre Dubourg; une autre salle, contenant plus de cent cinquante dessins, pastels et aquarelles de Boudin,, va être bientôt ouverte.
Société normande d'Ethnographie et d'Art populaire.
La Société normande d'Ethnographie et d'Art populaire « le Vieux Honneur » a été fondée en 1896 par le conservateur du musée de peinture M. Léon Le Clerc. Elle a pour but:
D'inciter au respect pour les vestiges du passé ayant un caractère d'originalité ;
De protéger les monuments et les sites;
D'assurer le groupement et la conservation des costumes, bijoux, meubles, objets d'art domestique, livres, etc.;
De rechercher, recueillir les traditions, les légendes, les chants, le parler local, etc. ;
De mettre en relief les gloires inconnues ou oubliées ;
D'aider à la création de fêtes locales destinées à rappeler sous une forme populaire les éléments pittoresques de notre ancienne vie provinciale;
De former à Honfleur un musée d'histoire, de marine, d'art, d'industrie de la ville et du pays normand ;
En un mot, de relier le présent au passé en don-
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nant en exemple constant, en enseignement vivant aux nouvelles générations, tout ce qui a échappé au temps et rappelle la part des ancêtres dans l'oeuvre commune du génie français.
Bien que ce programme soit très chargé, la Société a tenu toutes ses promesses. Des sa fondation, deux membres de l'Académie française, MM. Albert Sorel et André Theuriet, ainsi que l'historien normand M. Ch. Bréard, voulurent bien lui accorder leur patronage.
Le premier soin de la nouvelle association fut de rappeler le grand passé maritime du vieux port normand en publiant un ouvrage de M. Ch. Bréard : Le vieux Honfleur et ses marins. D'autre part des relations avec le Canada furent renouées (1).
En 1898, l'honorable Adélard Turgeon, ministre de la colonisation et des mines de la province de Québec, vint officiellement saluer Honfleur. La réception que lui fit la Société normande d'Ethnographie, de concert avec la municipalité, eut son écho dans toute la France et au Canada, lequel, pour manifester sa reconnaissance, donna le nom de Honfleur à l'un de ses nouveaux cantons.
A la même époque, le vieux Honfleur obtint de la ville la cession de l'ancienne église Saint-Étienne, pour y établir un musée des illustrations locales, puis il fut décidé d'organiser pour l'inauguration
(1) L'on sait que les marins honfleurais prirent une grande part à la colonisation du Canada, et que sous la conduite de Samuel de Champlain, parti de Honfleur en 1608, ils fondèrent la ville de Québec.
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du futur musée un congrès et une exposition de la tradition aux pays normands.
Ces importantes manifestations eurent lieu l'année suivante avec un succès qui dépassa tout ce que Ton avait pu espérer. L'exposition bâtie sur la place Thiers se divisait en deux grands corps de bâtiments, l'un, le plus important, consacré à l'ethnographie et à l'art populaire, l'autre aux beaux-arts. La section d'ethnographie se subdivisait en divers groupes consacrés à la vie maritime, à la vie urbaine et à la vie rurale ; des reconstitutions d'intérieurs avec manequins rendaient plus saisissante encore cette vision de l'ancienne Normandie, l'on remarquait surtout : la maison du paysan, l'école de veillée, le départ pour le baptême, une ancienne chapelle votive, la boutique d'un marchand, etc. L'exposition, qui dura deux mois, fut visitée par 100.000 personnes environ.
Le congrès et les fêtes populaires qui se déroulèrent en même temps obtinrent un succès analogue. Linauguration du musée Saint-fitienne, la procession de la Recouvrance, la fête normande canadienne, l'assemblée de village, etc., attirèrent les promeneurs en foule : jamais Honfleur n'en avait vu une telle affluence*.
Les principales manifestations de la Société « le Vieux Honfleur »,qui ont suivi l'exposition, ont été :
En 1900.— Fête à la mémoire de Pierre Berthelot, pilote et cartographe des Indes Orientales, né à Honfleur en 1600.
En 1901.— Fondation de la maison du vieux Honfleur (musée d'art populaire normand).
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Publication d'un ouvrage de M. Ch. Bréard : Vieilles rues et vieilles maisons d'Honfleur.
En 1902. — Fondation du musée et de l'école des marins de la Basse-Seine.
En 1903. — Achèvement de l'aménagement du musée Saint-Étienne.— Ouverture d'une exposition de photographie consacrée au musée normand.
Pour l'année 1904, une grande fête normande canadienne est en préparation.
Musée Saint-Étienne.
Ce musée a été installé dans l'ancienne église Saint-Étienne, fondée au XIVe siècle. Cette église, désaffectée à la Révolution, devint successivement un magasin de la marine, un théâtre, une bourse de commerce, et enfin un entrepôt des douanes.
L'ancien monument a été entièrement restauré par les soins de la Société « le Vieux Honfleur » et sous l'habile direction d'un honfleurais, M. Georges Ruel, architecte à Rouen. Le porche, le clocher, ont été reconstruits, à l'intérieur, on a édifié une curieuse tribune fermée, qui contient la salle de la bibliothèque et des archives. -
Le musée Saint-Étienne est entièrement consacré à l'histoire locale. Au fond se dressent les bustes du corsaire Jean Doublet, du commandant de vaisseau François Motard, de l'amiral Hamelin, de l'armateur Lacoudrais, du constructeur de navire Augustin Normand, de l'économiste Le Play, puis, à côté, se trouvent les portraits peints de Jean de
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Vienne, premier gouverneur de Honfleur, de Pierre Berthelot, pilote royal des Indes, du marquis de Matharel, dernier gouverneur de Honfleur, de l'amiral Motard, des plaques commémoratives consacrées aux grands voyages des Honfleurais au Brésil, au Canada, à Terre-Neuve, aux Indes, une autre plaque rappelle le fameux voyage de découverte du capitaine Binot Paulmier, de Gonneville, une autre encore consaere la mémoire du général Chauvel, baron de l'Empire.
Aux murs sont accrochés de nombreux plans, vues, estampes, montrant les différents aspects de Honfleur, enfin l'on a réuni quantité de fragments sculptés, des pierres tombales, des canons, des boulets, etc., trouvés dans la ville et ses environs. Dans le musée Saint-Étienne ont lieu des « veillées », réunions très suivies où l'on organise des causeries, des lectures, des auditions se rattachant aux traditions et à l'art populaire.
Maison du vieux Honfleur. — Musée normand d'Art populaire.
Ce musée est installé dans une vieille maison de bois du XVIe siècle à laquelle on a rendu entièrement son aspect ancien.
Au rez-de-chaussée se trouve reconstituée une ancienne boutique de marchand, avec étal sur rue. Là sont entassées les marchandises les plus diverses, les étoffes, les rubans, les broderies, les fichus, les
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coiffes, les ustensiles domestiques, les poteries, les vanneries, etc., etc.
Sur le comptoir s'étalent les livres de compte, les vieilles mesures, les anciennes balances, les quinquets.
Une petite salle à côté renferme trois épis du Pré-d'Auge d'une rare beauté.
Le premier étage tout entier est consacré aux objets d'art religieux et au costume. Signalons de belles chasubles du XVIe siècle, des statues du XVe et du XVIe, des curieuses torches de confréries de charité, de riches costumes Louis XIV, Louis XV, Louis XVI et Empire.
Au second étage on a reconstitué trois intérieurs anciens :
4° La maison d'un bourgeois avec salle et chambre à coucher; les meubles sculptés, les tentures, les objets divers qui ornent cet appartement forment un ensemble des plus artistique;
2° L'atelier d'un artisan. C'est une vieille imprimerie. Une presse monumentale et curieuse se dresse au milieu de la vaste pièce tapissée d'affiches, d'images populaires. Des meubles rustiques, des instruments de travail, se dressent le long des murs ;
3° La maison d'un marin. Cet intérieur très pittoresque est d'une saisissante vérité. Rien n'y manque, pas même les habitants : un vieux loup de mer se chauffe devant la cheminée, une petite fille joue près d'un berceau tandis que la mère vaque aux soins du ménager.
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Le musée Saint-Étienne et la maison du vieux Honfleur sont déjà très connus des étrangers. Pour les mois d'août et septembre de cette année on a enregistré 2.000 entrées, non compris celles des membres de la Société accompagnés de leur famille.
Nous ne parlerons que pour mémoire de l'école des marins de la Basse-Seine, dont l'importance s'accentue chaque jour. L'on se flatte de l'espoir de voir cette école dotée très prochainement d'un bateau modèle envoyé par l'État.
M. de Vesly termine la séance, qui est levée à 11 heures 1/2, en faisant une conférence sur les légendes de la forêt de Louviers et les fouilles qu'il a dirigées dans les forêts de Bord, de Pont-de-1'Arche et du Rouvray, et qui lui ont permis de ramener au jour les vestiges de plusieurs habitations romaines et surtout celle d'un temple ou « fanum ».
Nous sommes heureux de publier ci-dessous cet intéressant travail. Disons cependant, pour que le procès-verbal de cette dernière séance soit complet, que M. le comte de Vigneral, directeur de l'Association Normande, qui présidait, a tenu à remercier toutes les personnes présentes de leur assiduité aux réunions, et a exprimé encore une fois toute sa satisfaction pour la façon dont la ville de Louviers avait répondu à l'appel de l'Association.
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CAUSERIE SUR
LES FORÊTS DE BORD ET DE LOUVIERS.
Quel vaste sujet d'études qu'une forêt?— Le poète écoute les bruits de la forêt et les note. Il chante son réveil que claironne le printemps et les feuilles jaunies que le vent emporte. Le peintre fixe sur la toile les fines colorations de la feuillée que traverse le rai de soleil et pique des taches lumineuses sur les chemins ombreux. Le botaniste classe les plantes que mai fait fleurir sur les marges des routes ou au fond des clairières. L'archéologue veut plus encore. Il cherche sur les gazons les pas des ancêtres, recueille de la bouche de l'aïeule les légendes populaires, et creuse le sol pour lui arracher les secrets qu'il recèle.
C'est cette dernière tâche que je me suis donnée pour les forêts de Bord et de Louviers, mais je ne traiterai ici que des légendes et des fouilles que M. Victor Quesné et moi avons pratiquées.
Les Légendes.
Elles sont curieuses ces légendes sur les arbres vénérés, sur le culte rendu par nos aïeux à la végétation de la forêt, au renouveau du printemps. Aussi les ai-je notées au hasard de mes courses à travers la campagne.
1° FORÊT DE BORD. Le Chêne de saint Nicolas.—
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En sortant de Caudebec-lès-Elbeuf par un vieux chemin qui suit, engrande partie,la route romaineet après avoir gravi la côte de la Malle, on rencontre le petit hameau de la Vallée voisin de la forêt de Bord et dépendant des communes de Tôtes, de la Haye-Malherbe et de Montaure (Eure).
Là, existe un arbre vénéré connu sous le nom de chêne de saint Nicolas.- Il se voit sur une petite place ménagée dans les coupes de la forêt et non loin de la maison forestière de la Vallée.
Cet arbre n'offre aucune curiosité végétale. Il a été planté là, pour remplacer un sujet très âgé, tombé sous la cognée du bûcheron. Une petite statuette du saint évoque de Myre, taillée dans un morceau de bois par un des enfants du pays, est encastrée dans une cavité du tronc que clôt un petit grillage.
Jusque-là, rien que d'ordinaire; car, ainsi que nous l'apprennent les Annales bénédictines, plusieurs saints prélats, pour dissiper les pratiques superstitieuses qui s'attachaient aux arbres, y plaçaient des reliques ou des images des saints (1).
L'intérêt que présente à l'étude le chêne de saint Nicolas réside dans les coutumes grossières qui se renouvellent chaque année au printemps, lors de l'assemblée du pays.
Cette fête champêtre se tient sur la place du Malis ou delà Malice (2), à 200 mètres environ de l'arbre vénéré.
(1) I). Grenier, ch. CLV, p. 303,
(2) A 1 époque mérovingienne le mot MALLVM signifiait assemblée, tl'était un endroit où la population se réunissait une ou
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Les beaux gars, les paysannes accortes s'y rendent de deux lieues à la ronde. Pendant que les danses battent leur plein et que l'orgue de barbarie entraîne les chevaux de bois dans une course tournoyante, les jeunes filles désireuses de se marier s'échappent dans la forêt.-Elles s'en vont par groupes à l'arbre de saint Nicolas, et là, accroupies àl'entour d'unepetitemare appelée trou de saint Nicolas, elles ne cherchent ni à se mirer dans son eau troublée, ni encore moins à en boire, car c'est précisément au contraire qu'elles s'efforcent.
Il faut renoncer à décrire les grivoiseries qui accompagnent cette coutume rustique, dernier vestige du plus grossier paganisme.
Le grand privilège qui s'attache au Hêtre de saint Ouen, quoique se rapportant aussi à l'hyménée, est beaucoup plus noble à décrire.
L'arbre de saint Ouen est planté dans un tricge de la forêt de Bord dépendant du territoire delà commune de Léry (Eure). La tradition rapporte que lors d'une de ses visites pastorales, saint Ouen se serait reposé
deux fois par an. On y rendait la justice, on procédait i des ventes, à des marchés. Le tout se terminait par des réjouissances.
La place de la Malice, le mont Mal, les lieux dits Malis, sont évidemment des réminiscences de cette coutume qui, du reste, s'est perpétuée jusqu'à nos jours dans les assemblées de nos villages. J. Drouet: Recherches sur Uygate, Histoire de Caudebec.
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en cet endroit, à l'ombre d'un arbre, objet du culte des idolâtres.
J'ai recueilli de la bouche d'un vieillard une autre version: Saint Ouen, revenant de visiter son ami saint Éloi, se serait arrêté en cet endroit au pied d'un hêtre.
Cette version paraît assez vraisemblable. Saint Éloi et saint Ouen s'étaient liés d'une étroite amitié à la cour'de Clotaire II et tous deux furent appelés, en 640, à prendre possession d'un évêché : Eligius eut celui de Noyon; Audamus celui de Rouen. Or, rien ne s'oppose à ce que ces saints prélats se soient visités (1).
D'un autre côté, saint Ouen et saint Romain se partagent, dans le diocèse de Rouen, l'honneur d'avoir renversé le culte des faux dieux (2), et on sait que l'idolâtrie des arbres résista jusqu'à la fin du VIIIe siècle aux prédicateurs de l'Évangile comme aux décrets des empereurs convertis et aux ordonnances des Carlovingiens.
Saint Valéry, pour sanctifier un gros arbre de la montagne de Lenceray (aujourd'hui Saint-Valerysur-Somme), y attacha des reliques et demanda à être enterré au pied comme en un lieu consacré à la religion des apôtres (3).
Rien donc d'étonnant que le zélé archevêque de Rouen ait stationné à Léry pour détruire les pra(1)
pra(1) A. Tougard: Les saints du diocèse de Rouen (4« édition, p. 12).
(2) « et subversit altaria perigrini cultus » (Graduel
de l'office de saint Romain).
(3) Act. SS. Benedict., chap. H, p. 88.
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tiques du paganisme et donné sa bénédiction à l'ombre d'un hêtre auquel il aurait attaché des reliques.
Je dis : au pied d'un hêtre, car l'arbre qui l'a abrité de son épais feuillage est disparu depuis longtemps. Celui qui est aujourd'hui le but du pèlerinage n'est pas un vétéran de la forêt. Il ne mesure que lm20 environ de circonférence, mais il est orné d'un petit tabernacle où est placée l'image de saint Ouen.
Cette icône est revêtue d'habits épiscopaux qui se trouvent renouvelés chaque année, grâce à une croyance populaire : « La jeune fille qui se présente la première, le jour de la fête du saint, pour parer la statue d'ornements nouveaux, doit trouver un mari dans l'année ».
Pendant que je prenais ces notes, une pauvre femme, une jeune mère, s'agenouillait éplorée au pied de l'arbre vénéré. Elle présentait, aux regards du saint, un enfant encore aux langes, dont le visage pâle était bosselé par la saillie des os. Le pauvre petit tremblait la fièvre, et sa mère, en d'ardentes prières, implorait le saint, lui demandant de guérir son enfant.
En regardant le pauvre petit, déjà touché par la mort; en voyant cette mère affolée sous la douleur, je me sentis ému et une prière, cette aumône de l'âme, vint sur mes lèvres.
Lorsque la pauvre femme eut achevé ses dé votions, elle se releva et je la vis prendre un petit rameau d'une couronne qui entoure le tronc de l'arbre un peu au-dessous du sanctuaire.
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Cette couronne tressée de buis, de genêts et de rameaux de sapins, est solennellement bénie le jour des Pâques fleuries par le clergé de Léry qui se rend en procession à l'arbre de saint Ouen. Les brins qui composent cette couronne préservent les nouveaux-nés de la fièvre. Aussi la pauvre mère, après s'être emparée de ce talisman précieux, le plaça-t-elle sur son enfant et s'éloigna presque souriante, pleine de foi et d'espérance.
, Le Hêtre au Crucifix ou Arbre du Trésor. — Les forêts de Bord et de Louviers formaient, au Moyen âge, une immense silve que les moines de Bonport ont essartée pour créer leurs fermes de la plaine de Tôtes.
Dès qu'on a traversé le village qui a donné son nom à la vaste plaine, la route décrit une grande courbe pour s'engager dans le Fond du Trésor. C'est au creux de cette gorge que se trouve le hêtre au crucifix, un arbre à légende.
La tradition veut que sa cime abrite un crucifix doré, mais placé en un point si élevé qu'on ne peut l'apercevoir. Un seul est visible : c'est le petit crucifix argenté, fixé sur une croix de fer et placé dans une cavité creusée dans l'écorce de l'arbre, niche que la végétation a rétrécie et qui a fait l'écorce prisonnière.
L'arbre du trésor est le rejeton, la cépée d'une souche qui mesure plus de 2 mètres de diamètre ;
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lui-même atteint 3m80 de tour. Il paraît être un témoin pour les forestiers qui ne pourront le conserver longtemps, car malgré les soins dont ils l'entourent, nul printemps ne fera plus éclore ses bourgeons ni reverdir son feuillage, l'arbre est mort et sera bientôt livré aux bûcherons.
La légende y perdra du mystérieux puisqu'elle rapporte que l'administration forestière ayant vendu, il y a bien longtemps de cela, le hêtre au crucifix, les ouvriers ne purent l'abattre. C'est en vain qu'ils le frappaient de leurs cognées, leurs outils cassaient, les coins se brisaient, les dents des scies s'émoussaient sur l'écorce de l'arbre.... Depuis cette époque, il fut respecté de tous et l'objet de la vénération des habitants des paroisses environnantes qui viennent, chaque année, le jour de Pâques fleuries, apporter des rameaux pour orner le tronc de l'arbre séculaire.
H. Langlois, qui a consacré quelques pages à la forêt de Pont-de-1'Arche ou de Bord, a décrit, en un style idyllique, la belle perspective entrevue à travers les clairières des sauvages et verdoyants trièges du Val-de-Seilles et du Crucifix. Le savant antiquaire s'est particulièrement étendu sur le récit du crime de la Croix-Sablier et sur l'emplacement où ce drame, qui rappelle le thème qui a servi à l'auteur Au Juif Polonais, se serait passé.
Un calvaire avait été dressé dans ce canton de la
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forêt, mais était tombé en ruines. H. Langlois et M. de Duranville voulaient le voir relever; leurs voix ne furent pas entendues, et l'histoire de la Croix-Sablier est à peu près complètement oubliée des habitants de Pont-de-1'Arche (1).
Je termine les légendes en narrant celle de SaintLubin-de-l'Épine, par laquelle j'aurais dû commencer mes récits, puisque tout le monde, à Louviers, connaît et sç, rend à l'assemblée de SaintLubin.
C'est là, à quelques pas, à l'orée de votre belle forêt et frileusement blottie dans un pli de terrain, que s'élève la ferme de Saint-Lubin.
L'attention du voyageur n'est pas sollicitée par l'aspect extérieur des constructions, quoique les murs de l'enclos soient solidement construits et que les bâtiments aux charpentes apparentes, aux toits couverts de tuiles, diffèrent des habitudes des métairies normandes.
Là, cependant, existait avant la Révolution le prieuré de l'Épine ou de l'Épinay, fondé par Raoul de Tancarville, dans le courant du XIIe siècle, comme dépendance du prieuré de Lierru. Le généreux fondateur donna au célèbre Guillaume d'Évreux, son ami, une portion des landes qui avoisinaient la forêt de Louviers, pour y établir une maison de son ordre (2).
(1) H. Langlois : Revue de Rouen, 1835, et L. de Duranville : La ville de Pont-de-VArche et l'abbaye de Bonport, 1856.
(2) Gharpillon et abbé Caresme : Dictionnaire des communes de l'Eure.
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Les bâtiments claustraux sont transformés en granges, et la chapelle elle-même n'est plus qu'un vaste grenier où s'entassent les récoltes du fermier. Il méritait une destination moins vulgaire ce petit sanctuaire de Saint-Lubin que des mains pieuses ont élevé, restauré et agrandi jusqu'à tracer sur le sol un plan cruciforme.
Le portail a été élevé dans les premières années du XVIe siècle et le chevet ou choeur a été édifié à la même époque par Jean de Challenge, prieur de Lierru.
Le XVIIe siècle a ajouté deux ailes à la partie centrale et primitive et complété la symétrie du plan.
Une forte épine blanche ombrage de ses rameaux le petit portail qui disparait sous cette végétation luxuriante (lj. C'est l'arbre vénéré de saint Lubin. Une petite porte, tracée en anse de panier, donne accès dans le sanctuaire.
L'ornementation en est sobre : on n'y voit ni choux, ni crochets; seule, une large gorge, dans laquelle court une branche de feuillage et de fruits, encadre l'ouverture. Au-dessus, une baie à meneaux ilamboyanls troue le tympan et éclaire l'édicule qui ne reçoit plus de lumière que des fenêtres du chevet découpées en lobes cordiformes. A l'intérieur, la l'orme polygonale du chevet est fortement accusée parlesnervures prismatiques des voûtes descendant dune clé sculptée aux armes des
(1) Cette épine peut avoir 150 ans d'existence (note de M. II. (jadeau de Kervillej.
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Challenge (\), dont l'écu décore également les supports des statues delà Sainte Vierge et de saint Lubin.
Un autel rustique ou table de pierre soutenue par deux colonnettes à facettes et à arêtes hélicoïdales forme le seul mobilier respecté par la tourmente révolutionnaire. Les statues de saint Laurent et de saint Gorgon, enlevées à la décoration de la chapelle, y sont déposées ainsi que le reliquaire de saint Lubin, buste moderne d'une polychromie barbare et d'une conception bizarre; car pour l'affecter à l'usage de reliquaire, un trou ovoïde a été ouvert sur le sommet du front et la cavité a été recouverte d'un verre qui laisse voir un fragment d'os incinéré (2).
Tous les hagiographes ont écrit la biographie de saint Lubin, mais ce que n'ont écrit ni le P. Géry, ni Godescart, ni H. de Riancey, dans la Vie des Saints, c'est la légende, toute locale, que racontent les paysans des environs de Louviers. La voici : « Saint Lubin vivait dans un ermitage de la forêt. Un jour il se rendit au marché de la ville pour acheter du poisson, le seul mets qu'il ajoutât à ses repas frugaux. A son retour, étant très fatigué, il s'endormit au pied d'une épine et son sommeil dura sept années. Lorsqu'il se réveilla, il trouva les poissons contenus dans son panier aussi frais qu'ils étaient avant son sommeil ».
(1) De gueules à trois molettes d'or posées 2 et 1.
(2) « Le corps de saint Lubin fut inhumé dans l'abbaye de Saint-Martin-du-Val, prés de Chartres. Pendant les guerres de religion, sa sépulture fut violée ainsi que plusieurs autres, les ossements brûlés et dispersés ». — P. Géry.j
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C'est en mémoire de ce miracle et pour louer Dieu que saint Lubin aurait fondé la modeste communauté de l'Épine, dont la chapelle jouirait depuis lors d'une grande vénération.
Jadis, on venait de fort loin en pMerinage au petit sanctuaire. Un saint qui, pendant sept années, avait dormi sur la terre, à la face des étoiles, sans être atteint ni de douleurs ni de rhumatismes, devait bien guérir les mortels qui en étaient affligés! Cependant, saint Lubin n'est pas seulement un guérisseur de sciatiques, et le pMerinage qui a lieu chaque année à son ermitage contient bien d'autres enseignements.
C'est au mois de mars (1) que s'accomplit cette dévotion, lorsque le soleil fait monter la sève et gonfler les bourgeons aux branches des arbres et que les brises tièdes, chassant les frimas, ramènent les chants d'oiseaux et les nids dans les buissons.
Tout Louviers se rend à Saint-Luhin. C'est la première assemblée de l'année ; aussi, des environs sont accourus de nombreux pèlerins. La route, dont les lacets se déroulent au flanc du coteau, est des plus pittoresque. Les promeneurs s'arrêtent et stationnent pour jouir du magnifique panorama de la vallée d'Eure. Les vieux plaisantent et se gaudissent devant les boutiques où se débitent des figues et des raisins secs, tandis que les jeunes gens
(Il Le propre de saint Lubin est fêté le 14 mars par le martyrologe français, mais, depuis quelques années, le pèlerinage est fixé au dimanche de la Passion.
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aguichent les filles, flirtent et essaient tle se faire accepter pour danser, toute la saison, aux assemblées des villages voisins. Les couples arrivent ainsi, en discutant les clauses d'un doux contrat d'amour, à la ferme de Saint-Lubin.
Pour cette cérémonie, les gerbes qui encombraient la chapelle ont été transportées dans les celliers voisins. Les pailles et les fourrages ont été entassés dans les greniers. Les murs jadis ornés de peintures et aujourd'hui couverts de moisissures disparaissent sous les branches de feuillages coupées dans la forêt, et la foule des pèlerins peut accomplir ses dévotions jusqu'au moment où un orchestre champêtre fera entendre les premières mesures des quadrilles en vogue '
J'ai cherché, avec le mythologue, le sens caché de la légende de saint Lubin, car on ne saurait s'attarder à l'interprétation vulgaire qu'en donne le peuple.
Il faut constater tout d'abord, d'après les fouilles faites en 1870 aux « vieilles maisons » par l'abbé Cochet et les explorations archéologiques entreprises dans les forêts de Bord et de Louviers ainsi que sur le plateau de Tôtes, que toutes les pentes aujourd'hui boisées des vallons tributaires de l'Eure et de l'Iton étaient couvertes de constructions gallo-romaines.
Les conquérants des Gaules avaient établi en ces lieux d'importantes factoreries et leurs villas, incendiées lors des invasions du Ve siècle, ont été restaurées et habitées par les Francs, contemporains du moine Lubin.
N'est-il pas admissible que cet ermite qui, pen-
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dant sa vie, jouissait déjà d'une grande réputation de sainteté, ait vu sa mémoire vénérée tout d'abord aux confins d'une forêt au centre de laquelle venaient de s'établir les conquérants nouvellement convertis au christianisme'-' Son nom môme a remplacé celui de divinités du paganisme car il se trouve, dans la chapelle de l'Épine, une statue d'évoqué, — celle de saint Lubin sans doute, — taillée dans une branche d'arbre.
La tête mitrée et les mains soutenant la dalmatique ont été taillées par le ciseau du sculpteur, tandis que les autres parties de l'image se perdent et se confondent dans l'écorce rugueuse de l'arbre qui a été conservée.
En regardant cette image, dos que la curiosité de l'archéologue eut été satisfaite, je compris la vigueur des assauts supportés par l'Église et son-héroïsme à se défendre du sabéisme et de tous les schismes où le culte du vrai Dieu se trouvait mélangé à des pratiques orientales, druidiques ou gnostiques.
La légende qui fait dormir le saint pendant sept années à l'abri d'une épine, cet arbrisseau dont les blanches fleurs ouvrent leurs corolles aux premiers sourires du printemps ; la fête qui se célèbre lorsque le clair soleil caresse la terre et que la terre Se constelle de primevères et de pâquerettes, sont les symboles de la résurrection et du réveil de la nature.
N'est-ce pas là le secret des mystères qui se célébraient dans les nuits d'Eleusis, à la lueur des torches, par tout ce peuple de laboureurs et de bergers, fils pieux de la Grèce?
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Le poète des Symboles répondra avec des rimes d'or (1):
Car voici le printemps et les fêtes fleuries,
L'air brille, le narcisse embaume les prairies,
La vigne a répandu déjà ses larges pleurs,
Et tout n'est que chansons, rires, festins et fleurs.
Peiséphoné, sortant de l'ombre souterraine,
Contemple de nouveau la lumière sereine;
Et, comme elle, émergeant de la terre des morts,
Le jeune dieu se dresse et dévoile son corps.
La dévotion à saint Lubin a substitué les pratiques chrétiennes au culte des faux dieux. La primitive chapelle élevée par les Francs sur l'emplacement du sacellum antique a été pillée et brûlée par les Normands. Leurs hordes saccagèrent tout le pays compris entre Pont-de-1'Arche et Chartres, et c'est après la conversion des pirates du Nord au christianisme et leur installation définitive en Neustrie, que la mémoire de saint Lubin toujours vénérée par les populations de la vallée de l'Eure, fut de nouveau honorée dans le sanctuaire construit par l'abbé de Lierru dans les landes voisines de Louviers.
Telle me paraît être la vérité tirée de la légende de saint Lubin. Je serais un présomptueux de dire que j'ai trouvé le sens caché du mythe. Je n'ai d'ailleurs voulu, par cette étude, qu'inciter touristes et archéologues à visiter un des coins les plus curieux et les plus pittoresques de la forêt de Louviers.
(1) Maurice Boucher: Les symboles, Culte de Bacclius.
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Les Fouilles archéologiques. Le Fanam des Buis.
Il ne faudrait pas croire que la collection des légendes et la reconnaissance des lieux vénérés ne soient que prétextes à excursions et à délassements littéraires? Il en va tout autrement. Et d'abord ces arbres, ces sources, ces fontaines, tous ces lieux, objets d'un culte ou de superstitions, sont voisins de ruines antiques.
C'est ainsi que j'ai remarqué que les vieilles maisons de la forêt de Bord, ou ruines de villas antiques, se trouvaient à quelques mètres du chêne de saint Nicolas.
Il en est de même de la chapelle de Tôtes, objet d'un curieux pèlerinage à saint Onuphre (I), au Genetay et à Sainte-Venise près Rouen (2), etc....
J'ai de plus observé que toutes ces stations antiques étaient situées sur les coteaux, à la naissance d'un vallon dans lequel courait un grimpet ou sentier conduisant à la plaine. Cette constatation n'est d'ailleurs pas nouvelle, car Homère a cité les plus anciens sanctuaires du mont Ida comme offrant une semblable topographie (3).
(1) V. Normandie littéraire, année 1902.
(2) Pèlerinages célèbres où se vendaient des amulettes phalliques. Hercule Grisel : Les Fastes de Rouen. Léon de Vesly, Mémoire lu au Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne.
(3) Cf. Perrot et Chipriz : Histoire de l'art, t. VII, p. 66.
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C'est ainsi qu'avec M. Victor Quesné nous avons pu établir avec précision nos chantiers de fouilles dans les forêts de Bord et de Louviers. Je ne mentionnerai que pour mémoire les recherches faites aux vieilles maisons (côté de la vallée), à la mare du Têt et sur le sommet du Val-Asselin, et je m'arrêterai avec complaisance aux fouilles faites à la Butte des Buis (forêt de Louviers). C'est que les études entreprises là ont non seulement provoqué un mouvement de curiosité, mais fait accomplir un progrès à la science archéologique. Je suis fier de pouvoir le dire aujourd'hui que des maîtres tels que MM. Babelon, Père de la Croix, Camille Jullian, Maurice Prou, etc., ont proclamé la valeur de ces travaux qui ont rencontré, en Allemagne, l'approbation du savant Hatner, conservateur du musée de Trêves.
Fanum des Buis. — La butte des Buis tire son nom de l'arbrisseau verdoyant qui pousse en abondance sur cette motte. Elle est située dans la forêt de Louviers, sur le territoire de cette commune, au sud du vallon suivi par le chemin de fer venant d'Elbeuf et non loin de la halte de Tôtes. Les officiers qui ont dressé la carte de l'état-major ont placé leurs instruments en cet endroit pour donner son altitude qui est de 118 mètres. Voilà qui permet d'être précis. Les dimensions de la hutte étaient: longueur, 26 mètres; largeur, 26 mètres; hauteur maxima, 2m70.
M. V. Quesné et moi l'attaquâmes par deux tranchées transversales, l'une allant de l'est à l'ouest;
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l'autre du nord au sud. Apres un cheminement de 2,no0 environ, nous découvrîmes les murailles. Nous les contournâmes et constations que la construction que recouvrait la hutte des Buis présentait un carré parfait de 13 métrés de côté.
Un point était donc acquis: la régularité du plan.
Nous observâmes de plus que la muraille d'enceinte était revêtue d'une couche d'un gypse coloré, d'aspect rosé, mais dont la tonalité disparaissait bientôt à l'air, laissant à la muraille une couleur d'un gris particulier.
Des que la muraille de circonvallation fut mise à .jour, on poursuivit les tranchées dans l'intérieur, et bientôt apparurent les fragments d'un dallage formé de larges pierres plates débitées à la scie, mesurant environ 8'"60 de longueur sur 0m10 de largeur. Ces pierres reposaient sur un massif d'argile battue. Continuant l'investigation, les ouvriers rencontrèrent une muraille, et nous ne tardions pas à nous assurer qu'elle était tracée parallèlement à celle de l'enceinte et présentait également un carré parfait de 4m3o de côté. Nous constations aussi que cette muraille était revêtue, à l'intérieur comme à l'extérieur, d'une couche d'un gypse de 0m02o environ d'épaisseur, et que ce revêtement portait des traces de peintures d'un ton rouge brun.
Au milieu des débris, on trouvait des plaques du revêtement, tantôt coloré en rouge, en vert, en noir bleu, etc., et tous ces fragments portaient des filets tracés en une couleur différente. Ainsi, sur le noir, les filets étaient tirés en rouge; sur le rouge, ils étaient blancs, ou plutôt d'un jaune clair, etc.
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Lorsque l'intérieur fut à peu près déblayé, on observa que le pavement de la chambre intérieure, que nous appellerons désormais la CELLA, était formé par une couche de marne pilonnée ; qu'au milieu, des dalles de pierre, disposées en un carré de 1 mètre de côté (0m985 exactement), avaient supporté un feu violent, puisque la terre, en dessous, était rougie comme celle voisine des foyers.
Jusqu'alors nous n'avious trouvé aucune médaille. C'est en soulevant les dalles de ce foyer que la première monnaie fut découverte dans les interstices du pavage. Elle était trop fruste pour pouvoir être lue, mais en poursuivant le déblaiement de la cella, un grand bronze de Marc-Àurèle fut trouvé, et les travaux successifs amenèrent la découverte de plus de soixante médailles dont nous reparlerons.
Nous avons employé peut-être un peu hâtivement le mot CELLA, puisque jusqu'alors l'indication d'un FANVM ou petit temple n'a pas été justifiée. En effet, ce furent les découvertes successives qui nous amenèrent à donner la qualification de petit temple ou sacellum à la construction gallo-romaine de la butte des Buis.
Nous allons donc énumérer les découvertes que nous y avons faites.
OBJETS DIVERS
1" Haches ou outils en silex. — Les premiers objets intéressants trouvés lors du creusement des tranchées de circonvallation, furent des haches néolithiques. Nous en avons recueilli onze. L'une de
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ces hachettes, qui est fragmentée, présente une disposition assez curieuse. Elle porte une entaille qui permit de s'en servir comme d'un coup de poing ou comme une molette destinée à écraser le grain.
Nous n'hésitons pas à classer les hachettes ou outils trouvés à la butte des Buis parmi les offrandes votives faites à la divinité protectrice du lieu. Dans le sanctuaire de la forêt de Saint-Saëns, fouillé par notre ami et collègue M. Gaston Le Breton, plusieurs hachettes en silex avaient été recueillies.
2° Un petit couteau de sacrificateur dont le manche, terminé en pied de biche, est en bronze plaqué sur un morceau de fer, prolongement de la lame. Celle-ci était incurvée ainsi que l'indique le fragment qui subsiste encore et mesure C'OBo de longueur. La lame entière pouvait avoir 0m080 et le couteau complet environ 0"'16.
3° Deux fibules en bronze ont été recueillies, l'une est d'un modèle assez commun, mais la plus petite, avec ses incrustations d'argent, est d'un élégant travail.
4° Une petite cupule en bronze, des baguettes du même métal, assez semblables à celles employées par les peintres verriers pour sertir les plombs des vitraux, ont été également trouvées à la butte des Buis.
Monnaies. — La plupart des 62 monnaies recueillies sont des moyens et petits bronzes, dont quelques-uns étaient saucés. L'inventaire qui en a été dressé par M. Drouet, membre de la Commission
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des antiquités de la Seine-Inférieure, montre que la série commence par un as consulaire coupé et à tête de Janus, pour se terminer à Constantin II (340 ans ap. J.-C).
Objets en fer. — C'est en assez grande quantité que les clous ont été trouvés. La plupart étaient de fortes dimensions, avec une tête en pointe de diamant. Beaucoup étaient semblables à ceux désignés dans le commerce sous le nom de clous à bateau. Il y en avait également de recourbés pour suspendre des objets. Enfin des petites cupules en fer, percées d'un trou et traversées par une fiche de fer, paraissaient avoir servi d'ornements aux ais de la porte.
Poteries, verroteries. — Il a été trouvé peu de débris de poteries. Les fragments en terre noire, recueillis près de l'entrée du fanum, paraissaient avoir appartenu à un grand vase ayant contenu les médailles, car toutes celles-ci étaient groupées aux alentours.
Plusieurs fragments d'une fiole (?) en verre très fin et irisé ont été trouvés ; mais il a été impossible de reconstituer le vase auquel ces fragments avaient appartenu.
Quelques scories de verre ont aussi été trouvées et, sans nul doute, avaient été employées dans la décoration du fanum.
Matériaux de. construction. — Le mur extérieur ayant été dérasé jusqu'au niveau du pavage, il était impossible de savoir si ce mur ne s'élevait pas à une grande hauteur, formant le mur d'enceinte d'une construction rectangulaire dont la partie centrale eût été l'atrium. Heureusement, la décou-
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verte du soubassement d'une colonne placée à l'angle nord-est est venue lever tous les doutes. Ce socle ou base, de forme tronc conique, en pierre des carrières de Louviers, portait en son milieu une cavité pour recevoir le support, lequel devait être en bois et cylindrique. Les dimensions en étaient difficiles à préciser et pour plusieurs causes. La première, c'est que la pierre, extraite d'un banc très tendre, était effritée ; la seconde, c'est qu'un fragment, conservé par nous, avait été détruit par la maladresse d'un ouvrier qui s'en était servi comme d'un billot pour emmancher sa pioche. Fort heureusement l'humidité et le temps, qui ont fait disparaître la plupart des peintures, n'avaient pas altéré les zones tracées sur la face sud de la cella, et je pus relever la largeur d'un pilastre tracé en noir bleu. Elle était de 0u'41o. Ces constatations permettaient dès lors d'affirmer que la construction des Buis était un sanctuaire périptère, c'est-à-dire que la cella était entourée d'un portique formé de colonnes de près de 0"'42 de diamètre. Les éléments de la construction étaient connus, il ne s'agissait plus que de les assembler et de les combiner pour tenter une restauration.
C'est l'oeuvre que j'ai entreprise et c'est l'essai que j'ai l'honneur de mettre sous les yeux des membres de l'Association Normande (1).
(1) Dans la grande «aile de l'hôtel de ville de Louviers se trouvaient exposés les dessins exécutés par M. de Vesly et qui ont tiguré, sous le n» 4034, au Saion des Champs-Elysées de 1895.
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Je n'entreprendrai pas ici le développement d'une étude plus intéressante pour l'architecte que pour l'archéologue et je me contenterai de discuter les différents points d'un problème dont je crois être l'un des premiers à donner la solution.
Et d'abord, la construction carrée découverte aux Buis, dans les fouilles faites par M. V. Quesné et moi, est-elle un petit sanctuaire, un sacellum ou fanum ? Jadis, il eût été difficile de répondre affirmativement. Aujourd'hui la thèse est plus aisée à soutenir puisque les preuves abondent pour démontrer à quelle destination étaient affectées les constructions sur plan carréC'est
carréC'est l'hypothèse de M. de Gaumont, qui, en 1870, écrivait (1) : « On a signalé comme restes d'anciens Lemples, dans un certain nombre de localités, des constructions carrées, au centre desquelles des fondations de même forme paraissent indiquer une cella ; mais cette affirmation me parait douteuse, et même, dans beaucoup de cas, ne pouvoir être admise, car cette disposition avait été adoptée pour des constructions civiles et publiques ». Enfin, l'organisateur des Congrès archéologiques concluait à des études plus précises.
Son voeu n'a pas été stérile : les temples carrés de Champigny-les-Langres ont été découverts depuis (2). M. Naëf a fouillé celui d'Harfleur, déjà
(1| Abécédaire, 2e édition, p. 241.
(2) Bull, de la Soc. >iat. des Antiq. de France, 4e trim. 1892, p. ait>-224.
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cité par À. Fallue (1), et Ta décrit avec soin et précision (2). M. Le Breton a exploré un sanctuaire carré dans la forêt de Saint-Saëns et M. de la Serre a accompli un« oeuvre semblable dans la forêt de La Londe (3). Enfin, dès 1864, l'abbé Cochet n'hésitait pas à désigner par petit temple carré une des constructions trouvées dans les dépendances de la villa de Sainte-Margueritesur-Mer (4).
La qualification de Fanum ou petit temple ne peut donc être refusée à la construction galloromaine des Buis.
Peut-être pourrait-on objecter contre la qualification de temple la pauvreté des matériaux employés dans la construction ? les murailles sont construites avec des silex à parements taillés et noyés dans un bain d'argile. Il ne s'y rencontre pas de tuiles plates pour régulariser les assises ; enfin, les peintures n'ont reçu pour ornements que des filets, des perles et des pirouettes. Une faut pas s'égarer. Les constructeurs de l'époque galloromaine ne sont pas allés loin pour chercher les matériaux nécessaires à leurs constructions, je parle bien entendu de l'édification des édifices modestes, de ces petites chapelles champêtres
(1) Uém. de la Soc. des Antiq. dé Sormandie, t. Xlî, p. llî130.
(2) Le sanctuaire romain d'Harfteur, Havre, Micaux, éilit., i894.
(8) Bull, de la Commission des antiq. de la Seine-Infé' figure. Histoire d'Elbeuf, par H, Saint-Deuis, p. 51. (4) La Heine-Inférieure historique et archéologique, p. 83.
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comme était celle des Buis. Tous les matériaux étaient empruntés aux carrières voisines et souvent même extraits du sol sur lequel ils étaient bâtis. C'est le cas pourl'édicule des Buis.
Les silex des murailles proviennent des bancs de la craie qui affleure le sol ; l'argile qui formait le mortier a été extraite dans des fosses distantes à peine de 300 mètres. Le bois de charpente a été fourni par les forêts qui environnent Louviers; et c'est également de cette localité que proviennent les pierres tendres employées au soubassement des colonnes. Seules, les pierres taillées pour les pavements ont été débitées à la scie dans des roches dont les carrières sont éloignées.
Les tuiles ont été confectionnées à Montaure, localité voisine et où, depuis un temps immémorial, se fabriquent des briques et des poteries.
La charpenterie devait être en grande quantité dans le sanctuaire des Buis. C'est une hypothèse qui est appuyée par la masse de détritus qui formaient un véritable mortier. Ce compost était tellement dur que les racines des arbres et les radicelles des broussailles en formaient un tout compact, inextricable, que ne pouvait attaquer le fer des pioches et des cognées des ouvriers. Il faut avoir disputé à ce sol composite les objets qu'il recelait pour se rendre compte des difficultés vaincues.
Le bois de charpente jouait d'ailleurs un rôle important dans les constructions romaines, et notamment dans celles dites « à la mode toscane ». A Pompéi, l'atrium toscan, rencontré dans un grand nombre de maisons, et presque le seul en usage,
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avait sa toiture soutenue par quatre poutres se croisant à angles droits (lj.
Batissier (2) n'hésite pas à affirmer que le plus grand nombre des églises construites dès que le christianisme fut triomphant, étaient en bois. « Il suffit, dit-il, de lire les anciens historiens, et surtout Grégoire de Tours, pour être frappé de la rapidité avec laquelle les basiliques étaient achevées et de la multiplicité des incendies qui les détruisaient de fond en comble. Il est difficile de dire si ces monuments étaient entièrement en charpente, ou si leur plafond seulement était en bois, comme dans les basiliques latines ».
Après ces citations, on peut admettre que la toiture du fanum des Buis était en charpente. Il reste à démontrer que les colonnes étaient en bois ainsi que les architraves et autres parties de l'entablement. Et d'abord, il n'a été trouvé dans les fouilles qu'un fragment d'un annelet en pierre tendre formant le stylobate d'une colonne. Aucune autre pierre ou silex taillé en tambour n'a été découverte.
Par conséquent, toute hypothèse de colonnes formées avec des matériaux taillés suivant le galbe d'un fût doit être écartée : il ne reste plus qu'à examiner la maçonnerie ou appareil dit emplecton. Un sait qu'à l'ompéi les fûts des colonnes étaient formés de matériaux de petit appareil, assemblés en cylindres, qu'on recouvrait d'une couche de
(1) De Caumont: Abécédaire, op. cit.
(2) Mazois : Les Maisons de l'ompéi.
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stuc pour obtenir le galbe des colonnes ; enfin, que ce revêtement était coloré. Or, cela a déjà été dit, aucun silex, aucune pierre autre qu'un annelet n'ont été trouvés portant la trace d'une taille conique ou cylindrique ; et parmi les nombreux fragments de stucs colorés qui ont été recueillis, aucun ne présentait le galbe d'une colonne, puisque tous étaient parfaitement plans. On peut donc conclure que les colonnes du sacellum des Buis étaient en bois. Quant aux différentes parties de l'entablement le moindre doute ne saurait s'élever au sujet des matériaux qui les composaient. Vitruve, dans les chap. II et vu du livre IV, dit formellement (pour les petits temples) :
« Les parties du dessus sont faites de charpenterie à laquelle on donne divers noms, selon les différents usages qu'elle a, etc ».
Le fanum des Buis avait été construit suivant les règles données par Vitruve. C'est ainsi qu'on remarquera notamment l'écartement des colonnes milieu qui est supérieur à celui des colonnes d'angle.
Il ne reste plus, pour compléter la description du petit édicule découvert en août 4894, qu'à mentionner la technique des peintures qui recouvraient toutes ses surfaces. Le mortier qui devait les recevoir ayant été bien tassé et lissé, une peinture d'un ton rouge, variant du brun au vermillon et au rouge Saturne, était étendue sur toute la surface à décorer. C'est sur ce champ qu'étaient peints les pilastres, les bandeaux, les listels, etc.... Les pilastres étaient d'un ton noir bleu, les bandeaux recevaient une teinte verte ou gris perle. Pour les
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listels on employait un jaune clair dit jaune de Naples. Sur toute cette architecture figurée, des perles, des oves, des filets étaient dessinés avec des couleurs contrastantes. C'est ainsi que sur le noir bleu et le vert, les filets étaient tracés avec du rouge, tandis que sur cette teinte, les ornements étaient de couleur claire.
Avec le toit composé de tuiles plates et courbes de deux couleurs différentes, jaune clair et rouge vif, on peut juger de l'effet décoratif que présentait le petit sanctuaire des Buis.
J'ai essayé de le faire renaître de ses ruines, ainsi qu'il est apparu à M. Quesné et à moi, lorsque la pioche des terrassiers découvrait les parements colorés des murailles et que nous évoquions l'époque lointaine où la fumée de l'encens enveloppait l'idole et que le feu du sacrifice dévorait les victimes.
Depuis la découverte du fanum des Buis, j'ai fouillé, avec M. Quesné, un autre petit temple à Criquebeuf-sur-Seine (canton de Pont-de-f Arche, arrondissement de Louviers). Et seul, j'ai exploré la forêt de Bouvray qui a livré trois petits fana.
Tous ces travaux ont justifié nos premières hypothèses et complété les études faites jusqu'à ce jour. C'est pourquoi j'ai tenu à les exposer dans ce congrès de Louviers, puisque le Fanum des Buis s'élevait à deux kilomètres de cette ville.
5" JOURNÉE, DIMANCHE 27 SEPTEMBRE
Concours d'animaux, d'instruments et de produits agricoles.
Dès le lever du soleil, et arrivant de toutes les directions, les producteurs, agriculteurs, constructeurs, etc., installaient à la place qui leur avait été désignée ce qu'ils désiraient présenter au jugement des divers jurés de l'Association Normande et du Comice agricole de l'arrondissement.
Grâce au parti qu'on peut tirer des beaux boulevards de Louviers dans l'organisation d'un concours agricole, l'installation était totalement terminée vers neuf heures du matin, et les membres du jury pouvaient commencer leur tournée. Sur la place de la République étaient réunies les expositions des diverses maisons de construction de machines et instruments agricoles.
A noter particulièrement l'exposition de la maison Lhermite, avec ses semoirs à charrue, son extirpateur « le Cultivateur • ; celle de la maison Tricheur frères, avec sa collection de machines, sa houe-sarcleuse « la Lovérienne », son extirpateur à leviers
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indépendants ; celles des maisons Grégoire, de Louviers, et Provost, de Vernon.
Très remarquée aussi l'exposition de voitures de la maison Legrand, d'Elbeuf,'et Bouquet, de Louviers.
Sur le boulevard de l'Ouest est installée l'exposition des chiens de berger et celle des chevaux parmi lesquels quelques beaux spécimens de chevaux de trait ont retenu l'attention des membres du jury.
Le boulevard du Nord était réservé à l'exposition des animaux de l'espèce bovine, aux moutons et à l'espèce porcine. Nous publions ci-après le rapport de M. Dubourg, secrétaire de l'Association Normande, sur ce concours et la liste des récompenses.
Signalons auparavant l'exposition des produits agricoles et horticoles fort intéressante.
Une mention toute particulière pour la riche collection de dahlias comprenant 63 variétés et celle de pois comprenant plus de 80 variétés, de la maison Fontaine, de Bourg-Achard; pour l'intéressante et coquette exposition de céréales et betteraves de M. Portois, de Louviers ; pour les miels exposés par M. Langlois, d'Ailly, et les travaux de maréchalerie de la maison Chanteux, de Louviers
Un concours de maréchalerie, organisé sur le même boulevard, et un autre de labours, qui a eu lieu près de la route de Rouen, ont réuni bon nombre de concurrents.
A midi, les travaux du jury étant terminés, tous les membres de l'Association Normande et du Comice se sont réunis dans un banquet à l'hôtel du GrandCerf, sous la présidence de M. de Vigneral, directeur général de l'Association, entouré de MM. de Boury,
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député, président du Comice agricole, et Crouzet, adjoint, représentant le maire de Louviers.
Au dessert, M. le comte de Boury a, en quelques paroles charmantes, remercié M. le comte de Vigneral de son dévouement aux questions agricoles, et ce dernier a répondu en des termes empreints de la plus grande cordialité, disant sa reconnaissance pour l'accueil fait à l'Association Normande dans la ville de Louviers.
Rapport sur le concours d'animaux.
Le concours de bestiaux n'avait réuni qu'un nombre assez restreint d'animaux.
La région de Louviers n'est pas une région d'élevage. Le sol s'y prête peu. Les bois et forêts en occupent une partie ; la propriété, très morcelée, ne permet pas la présence dans la môme main d'un grand nombre d'animaux; enfin, la culture la plus répandue est, avec cel le des fruits et des légumes très développée, la culture des céréales; on trouve même une culture industrielle, celle du chardon à carder, dont le placement dans les usines du pays est facile et rémunérateur. De tout cela résulte pour l'arrondissement de Louviers une infériorité notable sur beaucoup d'autres parties de la Normandie, et l'explication du petit nombre de concurrents.
Il n'y avait que dix taureaux, dont deux seulement de moins d'un an ; aucun ne dépassait la moyenne habituelle de nos concours, presque tous étaient au-dessous.
Les vaches, plus nombreuses et plus belles, ont
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bénéficié d'un certain nombrede prix supplémentaires que permettait de créer la suppression de ceux réservés a la seconde catégorie de taureaux. Un petit nombre, deux ou trois seulement dans chaque catégorie, étaient vraiment remarquables, le reste, plus ordinaire, était mal présenté et, en général, manquait de condition. Faisaient cependant exception les vaches de M. Breton, qui, malgré leur peu de valeur individuelle, composaient un bel ensemble et ont ainsi valu à leur propriétaire la grande médaille de vermeil.
Les espèces ovine et porcine étaient mieux représentées, aussi le jury a-t-il. malgré les prix supplémentaires mis à sa disposition, exprimé le regret de ne pouvoir récompenser tous ceux qui l'auraient mérité.
En résumé, concours bien ordinaire pour les taureaux et pour les vaches ; bon pour les porcs et les moutons surtout.
DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES
A cinq heures a eu lieu, sur la place de la République et sous la présidence de M. le Sous-Préfet de Louviers, entouré de M. de Longuemare, sous-directeur de l'Association Normande, de M. Thorel, sénateur; de M. de Boury, député, de la municipalité, des membres de l'Association Normande et des membres du Comice agricole, la distribution des récompenses à tous les lauréats.
M. le Sous-Préfet de Louviers prend le premier la parole en ces termes :
« MESSIEURS,
« M. le Préfet de l'Eure m'a fait l'honneur de me déléguer pour représenter l'administration préfectorale aux fêtes organisées par ,1a ville de Louviers à l'occasion du concours agricole. Il m'a chargé, en même temps, d'exprimer ses regrets à M. le Président de l'Association Normande, de n'avoir pu répondre à l'aimable invitation que cette Association lui avait adressée.
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« Le concours agricole, dans son ensemble, tant au point de vue des animaux, des produits agricoles que du matériel agricole, m'a paru mériter tous les éloges, mais je laisserai à plus habile que moi, à plus expert dans la matière, le soin de constater et de louer comme il convient, l'état prospère de l'agriculture dans l'arrondissement et dans la région normande.
« Certains redoutaient, avec une apparence de raison, il faut en convenir, que la tenue d'un concours à Louviers, à quelques mois du splendide concours régional d'Evreux, était entreprise hardie et périlleuse; et bien, Messieurs, vous reconnaîtrez avec moi que. malgré cette circonstance, le concours organisé par l'Association Normande et le Comice agricole de l'arrondissement, a eu un éclat tout particulier, par son importance, par le choix des animaux et la qualité des produits exposés.
« Ces résultats, nous les devons à l'heureuse action stimulante de l'Association Normande, aux agriculteurs d'élite groupés dans votre Comice, dans vos syndicats, dans vos associations.
« Sans doute, les encouragements ne vous font pas défaut, le Parlement, le Gouvernement de la République secondent sous toutes les formes vos mâles efforts. L'Etat, le Département, vous le savez, accordent à vos sociétés d'agriculture de larges subventions, témoignant ainsi de l'intérêt profond qu'ils portent aux travailleurs des campagnes.
« Il m'a été donné bien des fois, dans ma carrière administrative, à l'occasion de concours agricoles, de présider des distributions de récompenses dans
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diverses régions, et c'est toujours avec empressement que j'ai saisi les occasions qui m'étaient offertes pour adresser aux cultivateurs quelques conseils que je jugeais utiles.
t La lutte pour la vie devient, à notre époque, vous le savez bien, de plus en plus âpre; l'individualité, sauf de rares exceptions, ne saurait affronter le combat avec quelques chances de succès ; l'évolution économique qui s'accomplit depuis trente ans dans l'industrie, dans le commerce, menace l'agriculture. La moyenne et la petite culture sont les plus gravement atteintes par ce mouvement que rien, sachezle bien, ne saurait entraver. Le seul moyen qui vous permet de résister est l'association, le groupement.
« Messieurs, l'Association Normande m'a appelé à l'honneur de présider une des conférences tenues à Louviers, pendant le Congrès: il m'a été donné d'entendre la lecture de nombreux et fort intéressants rapports, d'écouter avec grand intérêt des orateurs traitant avec compétence et talent des questions intéressant l'agriculture, et tous, en se plaçant à divers points de vue, constataient que l'union, le groupement étaient nécessaires pour mener à bien leur tâche ardue.
« C'est avec confiance qu'on peut affirmer, aujourd'hui, que les syndicats et les associations seuls, même dans votre si plantureuse Normandie, permettent aux moyens et petits cultivateurs de lutter sur les marchés avec la concurrence coloniale et étrangère. « Groupez-vous donc !
« J'ai la satisfaction de déclarer ici qu'un certain nombre de syndicats existent dans l'arrondissement,
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que des associations, des sociétés de secours mutuels contre la mortalité du bétail se sont fondées dans quelques rares communes, mais le mouvement est lent et les adhérents sont relativement peu nombreux.
« Cultivateurs, mettez à profit les lois du 21 mars 1884 et du l"r juillet 1901. Syndiquez-vous, associezvous !
t Ces lois, dans le but de favoriser l'essor de l'esprit d'association et pour faciliter leur usage, suppriment toutes les formalités inutiles. Une seule condition est exigée pour la création des syndicats : la publicité, formalité nécessaire pour justifier de leur qualité de « syndicats professionnels •.
« Convaincu que le groupement d'individus exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes et ayant pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles, était moins une arme de combat qu'un instrument de progrès matériel, intellectuel et moral, le législateur n'a pas craint de leur donner la capacité civile.
« Le syndicat constitue une personne morale, distincte de l'individualité des membres qui le composent, capable d'acquérir, de posséder des biens propres, de prêter, d'emprunter, d'ester en justice, etc.
« Ces associations professionnelles peuvent, par suite, créer et multiplier d'utiles institutions, telles que: caisses de retraite, de secours, de crédit mutuel, sociétés coopératives, etc.
t Dans son souffle de libéralisme, la loi va jusqu'à autoriser les syndicats régulièrement constitués à
5e JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 399'
se grouper, à se concerter pour la défense de leurs intérêts économiques.
« Vous voyez, j'en suis convaincu, le profit que vous pouvez tirer de ces lois de liberté, de ces lois qui témoignent à un si haut degré la confiance des pouvoirs publics dans la sagesse tant de fois attestée des travailleurs. Permettez-moi d'ajouter que ces lois ont les profondes sympathies de l'administration et d'assurer les fondateurs qu'ils trouveront auprès de nous le meilleur accueil pour tous les renseignements qu'ils auront à se procurer, trop heureux pour ma part si, dans ma modeste sphère d'action, je pouvais contribuer à faciliter la création de ces utiles associations dans l'arrondissement de Louviers.
« Excusez-inoi, Messieurs, d'avoir été aussi long, vous me pardonnerez en songeant que les occasions de m'entretenir devant un public aussi choisi, me sont rarement données.
« Cultivateurs, vous avez hâte d'applaudir à la proclamation des noms des lauréats du concours, permettez-moi de me joindre à vous et de leur adresser, au nom du Gouvernement de la République, mes vives et sincères félicitations ! »
M. de LongUemare se lève à son tour et prononce le discours suivant :
MESSIEURS,
« Il y a quarante-cinq ans l'Association Normande se réunissait pour la première fois au milieu de vous,
' 400 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
et déjà M. de Caumont constatait que la ville de Louviers était « une de celles où l'on avait le mieux compris le but de la Société, l'esprit qui l'animait », que là plus que partout ailleurs, ses efforts avaient été encouragés et secondés par les pouvoirs publics.
« Ce que disait en 1858 notre illustre fondateur, je suis heureux de le répéter aujourd'hui, et c'est nn devoir pour moi d'adresser de sincères remerciements à tous ceux qui ont contribué au'succès de ce Congrès.
€ L'expression de notre gratitude ira d'abord au Ministère de l'Agriculture, et je prie M. le Sous-Préfet de la lui transmettre officiellement; nous tenons à constater que sa sympathie ne nous fait jamais défaut, et nous n'oublions pas que la subvention qu'il nous accorde depuis soixante-dix années, nous permet dedistribuer de nombreuses récompenses aux lauréats de nos concours agricoles, à ces cultivateurs méritants que vous allez applaudir dans quelques instants. Je dois également, dans cet ordre d'idées, remercier le Conseil général de l'Eure qui lui aussi a tenu à s'associer à nos efforts.
« Je veux ensuite assurer de notre reconnaissance M. le sénateur Thorel, maire de Louviers, qui nous a si aimablement sollicités de venir dans cette ville où nous devions trouver un cordial accueil, et M. le comte de Boury, député, dont le dévouement à la cause agricole est connu, et qui, après avoir été lui aussi l'un des initiateurs de ce Congrès, a tenu à être des nôtres complètement et à prendre part à tous nos travaux. Nous avons été heureux d'ailleurs d'affermir dans cette circonstance l'esprit d'étroite solidarité qui nous unit au Comice agricole dont il est
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le président autorisé, et d'associer nos efforts aux siens pour la défense d'intérêts qui nous sont également chers. Vous ne me pardonneriez pas non plus, n'est-il pas vrai, d'oublier M. Angerard, notre inspecteur, qui a réalisé des miracles de zèle et d'activité. Grâce à lui l'organisation laborieuse de ces assises n'a rien laissé à désirer, tout a été prévu, même dans les plus petits détails, et chacun de nous sait combien c'est là tâche ingrate et difficile.
« En constatant tous ces dévouements, n'avais-je pas raison de rappeler les paroles de M. de Caumonl et de dire qu'aujourd'hui comme naguère la ville de Louviers avait compris la mission que nous venions remplir et nous avait admirablement secondés?
« Oui, Messieurs, nous avons trouvé parmi vous non seulement le coeur qui accueille, mais aussi l'esprit d'initiative qui vivifie, l'intelligence qui comprend et rend facile la tâche à accomplir. Nous avons de plus eu la preuve que dans tout l'arrondissement, les enseignements de, l'Association Normande n'avaient pas été oubliés et que l'on apprécie son oeuvre. Le nombre des concurrents qui ont sollicité la visite du jury chargé de visiter les exploitations agricoles, suffirait à le démontrer. J'ajoute que dans le rapport qui nous a été remis à cette occasion, une chose nous a frappé, je veux parler des progrès réalisés et de la bonne tenue générale des exploitations visitées, à tel point que le jury ayant trouvé insuffisantes les récompenses mises à sa disposition, nous avons dû les augmenter. Or, Messieurs, parmi les détails de cette bonne tenue des fermes, il en est un qui est à remarquer, détail vulgaire peut-être,
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402 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
mais combien important : je veux parler de l'organisation de la fumière et de la conservation du purin.
« En 1858, lors de lapremièrevisitedel'Association Normande, la situation à ce point de vue était déplorable ; presque nulle part n'existaient les fosses à purin et dans le Congrès on avait beaucoup insisté sur leur utilité. M. Durieu, inspecteur divisionnaire de l'Eure (1), M. Brane (2), M. Blanchetière (3), M. Mabire, alors maire de Neufchatel, avaient fait verbalement ou envoyé les communications les plus intéressantes sur ce sujet, et VAnnuaire de 1859 les a longuement reproduites. De même l'année précédente, à Alençon, M. de Vigneral et M. de La Sicotière s'étaient préoccupés de cette question. Or, si dans beaucoup de régions on n'a pas tenu compte de ces observations, il semble qu'ici on doit constater le contraire.
< Mieux avisés que d'autres, les agriculteurs de cet arrondissement ont compris que si les engrais chimiques ou engrais commerciaux étaient utiles souvent, ils ne devaient cependant être considérés que comme des engrais complémentaires; que la base de la fertilisation du sol devait toujours être le fumier de ferme, mais bien entendu le fumier soigneusement fait, renfermant toutes les matières qui en font la qualité, c'est-à-dire convenablement arrosé par les purins qu'il produit, et qu'il doit conserver,
(1) Note sur les moyens pratiques d'obvier à la déperdition des purins dans les campagnes.
(2) Les fumiéres et leur utilité.
(3) De la déperdition des purins.
5° JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 403
car ils en sont la partie la meilleure et la plus active.
« Les engrais complémentaires, eux, fournissent soit de l'azote comme lenitratede soude, soit de l'acide phosphorique comme le superphosphate, soit de la potasse, soit même de l'azote et de la potasse comme le nitrate de potasse ; mais le bon fumier renferme tous ces éléments, et tandis que pour certaines cultures il faut des engrais chimiques appropriés, à dose convenable et a l'exclusion d'autres, le fumier, au contraire, est bon à toutes sans qu'il soit besoin de dosage spécial.
t Loin de moi cependant la pensée de dire que les engrais chimiques ne sont pas utiles, ils apportent, évidemment, des éléments fertilisants de premier ordre, mais laissons-les dans leur rôle d'adjuvant, de complément qui leur appartient, et donnons le principal rang au fumier de ferme.
« Ces réflexions n'étaient peut-être pas absolument inutiles depuis que nos cultivateurs, plus instruits, lisent beaucoup, depuis que les syndicats ont fait des efforts très louables pour répandre l'usage des engrais chimiques, depuis surtout que, de toute part, nous sommes sollicités par des industriels quelquefois peu consciencieux. La mode s'est un peu emparée du mouvement: on a fait de l'engrais chimique une panacée universelle. Or, combien ceux-ci n'ont-ils pas donné de déboires ! quelquefois on les a employés sans discernement, quelquefois, au lieu de s'adresser au syndicat qui offre toute garantie, on s'est confié à un marchand de passage. On a payé fort cher des produits très médiocres, ou tout au moins coûtant un prix hors de proportion avec leur valeur réelle, c'est-à-dire
404 SESSION TENUE A LOUVlERS, EN 1903.
avec leur dosage, et l'on s'est étonné des maigres résultats obtenus.
« Aquila faute, sinon aux agriculteurs eux-mêmes, qu'ils reviennent donc au fumier de ferme comme base de toute fumure, qu'ils emploient les engrais chimiques comme complément, qu'ils les emploient à bon escient, qu'ils se méfient de certains vendeurs peu scrupuleux, et ils verront que les résultats seront tels qu'ils sont en droit de les attendre.
' Le sol de notre province est loin d'être épuisé, aux agriculteurs intelligents d'en tirer le meilleur parti possible, à eux de maintenir sur le terrain agricole, comme d'autres la maintiennent sur le terrain industriel, la réputation de la patrie normande. Mais qu'ils se rappellent que si, à notre époque, il faut beaucoup demander à la science et aux méthodes nouvelles, il faut aussi prêter l'oreille aux leçons du passé, et ne pas trop oublier les méthodes anciennes. L'avenir est aux laborieux, aux initiatives jeunes ; mais il est surtout aux éclectiques qui ne se laisseront pas trop éblouir par l'inconnu brillamment présenté, et sauront, en pensant à l'avenir, profiter des leçons du passé ».
Lecture est ensuite donnée du rapport suivant, de M. Angerard, au nom de la Commission chargée de la visite des fermes.
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Rapport sur la visite faite par la Commission de VAssociation Normande des fermes inscrites pour concourir en vue des prix à distribuer.
La Commission était composée de :
MM. Larcier, maire de Crosville-la-Vieille.
Mounier, conseiller général, maire de Gaillon. Mansard, propriétaire à St-Cyr-la-Campagne. Delaquéze, propriétaire à Thuit-Signol. Boutry, maire de Montaure. Raphaël Pétel, maire de Survilly. Et M. Angerard, inspecteur de l'Association Normande, à Louviers.
Quatorze demandes de visite avaient été adressées à la mairie de Louviers; les quatorze fermes ont été successivement visitées par la Commission, les 2, 3 et 4 septembre 1903. Cinq ont été jugées hors pair, et les délégués pour leur visite expriment le regret de n'avoir pas la possibilité de récompenser : MM. Hellot, de Montaure, Albert Mettais, d'Amfreville-laCampagne, Léon Langlois, de Louviers, et Charles Auzoux, de Feuguerolles, dont les exploitations présentaient aussi un ensemble remarquable soit comme cultures soit comme animaux.
406 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Des cinq fermes auxquelles ont été attribuées les récompenses, trois ont plus particulièrement réuni les suffrages, et la Commission eût désiré leur donner un prix à peu près égal.
Celle de M. Frédéric Olivier, au Troncq, réunit deux anciennes fermes ; elle est d'une surface de 160 hectares.
La culture en 1903 y était répartie ainsi :
42 hectares en blé, 35 h. en avoine, 5 h. 50 en colza, 6 h. en lin, 6 h. en betteraves, 3 h. en pommes de terre, 6 h. en trèfle, 9 h. en luzerne, 12 h. en divers fourrages, 10 h. en maïs, plan de colza et autres, 25 h. en prairies.
Il y a sur la ferme 20 vaches laitières, 3 taureaux, 11 génisses, une troupe de 344 moutons, une autre de 156 agneaux, et 6 truies pour l'élevage de jeunes porcs.
Les écuries renferment 13 chevaux pour la culture. 4 poulains, et 2 chevaux pour le transport du lait à Elbeuf (15 kilomètres) ; ces derniers sont logés séparément par mesure d'hygiène.
En outre du régisseur, de sa femme et de sa fille, il y a un personnel de 13 personnes attaché à l'exploitation, dont 3 charretiers, 6 hommes à toutes mains, 2 bergers, un vacher et une femme de service.
Les bâtiments de la ferme, très bien disposés, sont neufs.
La laiterie est installée en sous-sol ; le lait est tenu constamment à une basse température et est expédié chaque matin à Elbeuf pour la vente, mis dans des flacons en verre.
Un bâtiment spécial et fort bien aménagé est
5' JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 407
consacré à l'élevage des poules. Il existe sur une des cours des anciennes fermes un grand colombier.
Les étables à vaches sont très bien tenues ; elles sont aérées par des châssis s'ouvrant de haut en bas pour que l'air passe au-dessus des animaux. La même disposition est.observée pour l'aération des écuries.
Le purin des unes et des autres est recueilli dans chaque bâtiment par une canalisation le conduisant à une fosse située près des fumiers, qui sont séparés des bâtiments par un large espace de dix mètres.
Une pompe à eau est établie dans les écuries et dans les étables pour les besoins du service.
Les hommes de la ferme prennent leur repas en commun dans une salle de réfectoire ; le pain nécessaire à l'alimentation est cuit à la ferme.
Un ordre parfait règne dans toute l'exploitation, qui est tenue avec"une propreté remarquable. L'outillage est très complet et tenu avec soin.
Le jury a décerné à M. Séjournant, le régisseur de la ferme, les plus grands éloges.
La Commission décide d'attribuer à M. Frédéric Olivier la plus haute récompense dont elle dispose: la coupe en argent.
M.Henri Milliard exploite à Blaquetuit, commune de Montaure, une ferme de 60 hectares, en quatre soles.
En 1903, il a ensemencé 10 hectares en blé, 14 h. en avoine ; les betteraves occupent 8 h., les luzernes 7 h., les légumineux 8 h. ; il y a 11 h. d'herbages, dont 5 h. ont été créés par M. Milliard depuis six ans.
Le travail est assuré par 2 charretiers, 1 vacher,
408 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
1 berger, une femme de service, et par des journaliers pendant la saison des récoltes.
Le matériel de culture est au complet avec tous ses perfectionnements; M. Milliard s'en occupe plus particulièrement et y attache une grande importance.
Les étables renferment 1 taureau, 17 vaches laitières, 4 génissons; il y a dans les écuries 7 chevaux et 1 poney.
Toute la production disponible en lait est vendue à un industriel qui le prend toute l'année.
Les fumiêres sont bien tenues ; elles sont séparées par une fosse à purin sur laquelle est installée la pompe pour la distribution sur les fumiers.
La Commission a visité un troupeau de 225 moutons et de 40 agneaux. Les moutons ont été jugés remarquables.
Le jury, n'ayant pas une seconde grande récompense à donner, propose de décerner à M. Milliard une médaille de vermeil.
M.Paul Breton,a Louviers,section deSaint-Lubin" une ferme aujourd'hui de 45 hectares, qui comprendra 60 hectares dans quelques semaines.
Son chef de culture, M. Brinon, dirige la visite des bâtiments de la ferme, construite il y a quatre années.
En 1903, il a été fait 4 hectares de blé, 9 h. d'avoine, 6 h. de bourgogne et de vesce, 2 h. de sarrasin ; quatre hectares ont été ensemencés en seigle, carottes, orge, fèves, le surplus de la ferme a été occupé par les betteraves et les pommes de terre.
Il a été créé douze hectares d'herbages.
5e JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 409
Il y a quant à présent cinq chevaux dans les écuries; les étables contiennent 12 vaches à lait, 3 génissons, 3 veaux.
Un troupeau de 72 brebis et de 12 agneaux occupe la bergerie très bien comprise ; en avant du corps principal, au sud, et tenant au bâtiment, sur lequel s'ouvre une baie, il a été construit un hangar couvert, sablé, qui permet, les jours de mauvais temps, de sortir les moutons au grand air et de les parquer ainsi sans aucun parcours.
Le poulailler est installé avec un soin tout particulier, les couveuses sont bien comprises.
Les granges, les greniers sont fort bien tenus. Le matériel pour la culture est au complet et en parfait état.
La fumière est à trois mètres des étables, mais un peu loin des écuries. La fosse à purin est installée au milieu de la fumière qui est bétonnée, avec conduites pour ramener dans la fosse à purin celui non employé à la suite de l'arrosage.
Le jury a plus particulièrement remarqué le bel ensemble de vaches qui lui a été présenté. Les génisses ont obtenu aussi son approbation. Il a félicité M. Brinon du soin apporté par lui à la sélection de ces animaux.
Actuellement le personnel de l'exploitation comporte, en outre du régisseur et de sa femme, 2 charretiers, 1 vacher et 3 hommes à toutes mains.
La Commission décerne à M. Paul Breton une médaille de vermeil ex-oequo avec M. Milliard.
M. Débus, à Amfreville-la-Campagne, exploite une
410 SESION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
ferme de 65 hectares dont, en 1903, 16 h. étaient en blé,13h. en avoine, 3 h. en betteraves, 5 h. en herbe.
Il a 10 vaches très belles, 5 génissons, 5 chevaux, 1 bidet, 2 poulains, un troupeau de 230 brebis et 170 agneaux.
Il emploie pour le travail de sa ferme, 1 charretier,
1 berger, 1 vacher et une femme.
L'écurie est bien tenue, ainsi que les étables; le jury constate qu'une partie du purin des fumiers est perdue ; les fumières cependant sont bonnes.
Les animaux présentés ont paru mériter des éloges particuliers ; aussi le jury décerne-t-il à M. Débus une médaille d'argent.
M. Paul Labelle, propriétaire à Saint-Pierre-duVauvray, possède à Louviers la ferme du Bu ; les terres comprennent 100 hectares et sont presque toutes situées sur la commune de Saint-Etienne-duVauvray, dans les terrains caillouteux du plateau, les plus difficiles à cultiver.
La ferme a donné, en 1903, 22 hectares de blé, 22 h. d'avoine, 5 h. de pommes de terre, 3 h. de betteraves, 15 h. de bourgogne ; 33 h. sont en jachères ou surcharges.
L'exploitation est confiée à M. et Mme Madary, qui méritent des éloges, que leur donne le jury, pour le soin et la bonne entente qu'ils apportent à leur travail. Ils sont secondés par 2 charretiers, 1 berger,
2 hommes à toutes mains et une femme de service.
Il y a sur la ferme 10 vaches, 1 taureau, 9 veaux, 6 chevaux, 1 poulain, et un troupeau de 300 moutons dont 80 agneaux.
5* JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 411
Le jury regrette de trouver dans une si belle exploitation des animaux reproducteurs défectueux
Les fumiers sont bien traités ; les écuries, les étables, la bergerie sont tenues avec grand soin et une propreté remarquable. La sellerie, plus particulièrement, a mérité une mention pour l'ordre qui y règne.
La cour de la ferme est vaste, les bâtiments nombreux et bien disposés ; de nouveaux sont en construction pour servir notamment de bergerie, de remise pour les racines et les pommes de terre.
La Commission décerne à M. Paul Label le une médaille d'argent ex-oequo avec M. Débus.
Elle décerne en outre des éloges à M. Hellot, de Montaure, à M. Albert Mettais, d'Amfreville-laCampagne, et à M. Léon Langlois, de Louviers, dont les exploitations sont parfaites, — à M. Charles Auzoux, de Feuguerolles, dont le troupeau de moutons est superbe.
Les autres exploitations visitées ont chacune leur mérite, mais elles ne rentrent pas pour la plupart dans le cadre tracé par l'Association Normande.
Les récompenses suivantes sont ensuite décernées.
ASSOCIATION NORMANDE
CONCOURS PROVINCIAL
de LOUVIERS (Eure)
DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES
LE DIMANCHE 27 SEPTEMBRE 1903
LISTE DES LAURÉATS
TENUE DES FERMES
Prix d'honneur, coupe d'argent, M. Frédéric Olivier, propriétaire exploitant; et médaille d'argent, grand module, M. Séjournant, directeur de culture, au Troncq.
2e prix, médaille de vermeil, grand module, offerte par la Société des Agriculteurs de France, M. Henri Milliard, cultivateur à Blaquetuit, commune de Montaure.
3e prix, médaille de vermeil, grand module, offerte *par la Société des Agriculteurs de France, M. Paul Breton, de Louviers, propriétaire exploitant à SaintLubin.
414 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
4e prix, médaille de vermeil, grand module, M. Débus, propriétaire, à Amfreville-la-Campagne.
5e prix, médaille de vermeil, grand module, M. Paul Labelle, de Louviers, propriétaire exploitant au Bue.
6e prix, médaille d'argent, M. Hellot, cultivateur, à Montaure.
7° prix, médaille d'argent, M. Albert Mettais, propriétaire, à Amfreville-la-Campagne.
8e prix, médaille d'argent, M. Léon Langlois, cultivateur, à Louviers.
9e prix, médaille d'argent, M. Charles Auzoux, cultivateur, à Feuguerolles.
COLONIE DES DOUAIRES (M. BRUN, Directeur)
Diplôme d'honneur pour la tenue exceptionnelle de l'établissement.
Médaille d'argent, grand module, offerte par la Société des Agriculteurs de France, M. Guilbert, chef de culture à la colonie.
CONCOURS D'ANIMAUX
RACE BOVINE
1re classe. — Taureaux de race normande âgés d'un un à deux ans.
1" prix (non décerné).
2e prix, 150 fr., M. Evrard, à Chambray.
3" prix, 100 fr., M. Langlois, à Boscherville.
5e JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 415
4e prix créé, 75 fr., M. Hellot, à Montaure. 5e prix créé, 25 fr., M. Eugène Lenfant, à SaintEtienne-du-Vauvray.
2e classe.— Taureaux de race normande âgés de six mois à un an.
Pas de prix.
Mention honorable, M. Joret, au Neubourg.
3e classe. — Vaches laitières de race normande.
1erprix, 200 fr., M. Andriveau, au Neubourg.
2e prix, 150 fr., M. Pattey, à Fontaine-la-Soret.
3e prix, 100 fr., M. Charles Langlois, à Boscherville.
4e prix créé, 80 fr., M. Débus, à Amfreville-laCampagne.
5° prix créé, 75 fr., M. Eugène Lenfant, à SaintÉtienne-du-Vauvray.
6e prix créé, 50 fr., M. Labelle, ferme du Bue, à Louviers.
6e prix ex-sequo, 50 fr., M. Breton fils, à Louviers.
8° prix créé, 25 fr., M. Amédée Gondard, à Incarville.
9e prix créé, 20 fr., M. Virgile Hellouin, à Louviers.
10e prix, mention honorable, M. Labelle, ferme du Bue, à Louviers.
11e prix, mention honorable, M. Breton fils, à Louviers.
4* classe. — Génisses de race normande.
1" prix, 200 fr., M. Larcier, à Crosville-la-Vieille. 2e prix, 150 fr., M. Pattey, à Fontaine-la-Soret.
416 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
3' prix, 80 fr., M. Langlois, à Boscherville.
4e prix créé, 75 fr., M. Breton fils, à Louviers.
5" prix créé, 50 fr., M. Hellot, à Montaure.
6" prix créé, 25 fr., M. Débus, à Amfreville-laCampagne.
7" prix, mention honorable, M. Dumontier, au Neubourg.
8" prix, mention honorable, M. Langlois, à Boscherville.
Prix de bandes.
1er prix, médaille de vermeil, grand module, offerte par la Société des Agriculteurs de France, M. Breton, à Louviers.
2" prix, médaille d'argent, grand module, offerte par la Société des Agriculteurs de France, M. Langlois, à Boscherville.
3e prix, médaille d'argent, M. Labelle, à Louviers.
4e prix, médaille de bronze, M. Hellot, à Montaure.
5e prix, mention honorable, M. Hellouin, à Louviers.
ESPÈCE OVINE
Béliers de race française. Prix unique, 50 fr., M. Letourneur, à Quittebeuf.
Béliers de race étrangère.
1"prix, 50 fr., M. Lebugle, à Jouy-sur-Eure. 2e prix, 25 fr., M. Defontenay, à Houville.
5' JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 417
Brebis de race française.
Pas de premier prix.
2e prix créé, 30 fr., M. Labelle, ferme du Bue, à Louviers. 3e prix créé, 20 fr., M. Bonnet, aux Planches,
Brebis de race étrangère.
1er prix, 50 fr., M. Henri Milliard, à Montaure. 2e prix créé, 25 fr., M. Lebugle, à Jouy-sur-Eure.
Prix de bandes.
Prix unique, 100 fr., M. Letourneur, à Quittebeuf.
Mention très honorable, M. Pelnier, à Louviers, ferme de La Haye-le-Comte, pour ses chèvres (hors concours).
KSPÈCK PORCINE
Mâles.
1" prix, 50 fr., M. Letourneur, à Quittebeuf, pour un verrat de race normande.
2" prix, 30 fr., M. Lenfant, à Saint-Étienne-duVauvray, pour un verrat de race normande.-
3e prix, 20 fr., M. Désiré Sébastien, àFeuguerolles, pour un verrat de race étrangère.
4e prix, 10 fr., M. Cavelier, à Pont-de-1'Arche, pour un verrat de race étrangère.
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418 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Femelles.
1er prix, 50 fr., M. Letourneur, à Quittebeuf, pour une truie de race normande.
2e prix, 30 fr., M. Désiré Sébastien, à Feuguerolles, pour une truie de race étrangère.
3e prix, mention honorable, M. Cavelier, à Pontde-1'Arche, pour une truie de race étrangère.
4e prix, mention honorable, M. Mignot.
ANIMAUX DE BASSE-COUR
Volailles et lapins.
Médaille de vermeil, Mmc Letourneur, à Quittebeuf.
Médaille d'argent, M. Portois, à Louviers.
Médaille de bronze, M. Vosceur, à Montaure.
Médaille de bronze, M. Bourgeois, à Louviers, pour sa variété de poules japonaises.
Mention honorable, M. Moul, à Acquigny, pour sa collection de cobayes.
Pigeons.
Médaille d'argent, M. Collet, à Pacy-sur-Eure, pour ses différentes races de pigeons voyageurs. Médaille de bronze, M. Foucquet, à Louviers. Mention honorable, M. Dupin, à Pinterville.
5" JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 419
INSTRUMENTS AGRICOLES
Médaillé de vermeil, grand module, M. G. Lhermitte, à Louviers, pour l'ensemble de son exposition et pour sa propagation de machines agricoles dans la région.
Médaille de vermeil, MM. Tricheur, pour l'ensemble de leur exposition.
Médaille de vermeil, M. Grégoire.
Médaille de vermeil, M. Prévost, constructeur, à Vernon, pour sa batteuse à moteur.
Médaille d'argent, grand module, M. Lequeu fils, à Louviers. pour ses pompes à chapelets.
Charrues.
Médaille d'argent, grand module, Mv Guérard, à Saint-Etienne-du-Vauvray.
Médaille d'argent, grand module, M. Dugord, à Iville.
Médaille de bronze, M. Guillemet, à Reuilly.
Médaille de bronze, M. Mailloux, avec mention pour sa cabane de berger.
Carrosserie.
Médaille de vermeil, M. Louis Bouquet, à Louviers.
Médaille de vermeil, M. Isidore Legrand, à Elbeuf, pour sa carrosserie et son charronnage.
Médaille d'argent, grand module, M. Delafosse, à Louviers, pour ses travaux de serrurerie.
420 SESSION TENUE A LOUVIERS, KN 1903.
Médaille d'argent, MM. Picq et Vacquerie, à Louviers, pour leur construction de canots.
Médaille de bronze, M. Gustave Bouquet, pour sa brouette.
Le jury adresse ses félicitations à M. Cauchepin, de Bernay, pour ses semoirs Zimmermann présentés hors concours.
Médaille d'argent, M. Brault, à Vernon, pour son exposition d'instruments vétérinaires à l'usage de la castration des animaux.
PRODUITS AGRICOLES
Produits agricoles proprement dits.
Médaille de vermeil, grand module, M. Portois, grainetier producteur, à Louviers.
Médaille de vermeil, M. Fontaine, à Bourg-Achard.
Médaille d'argent, grand module, M. Langlois, à Louviers.
Médaille d'argent, M. Onézime Martin, à SaintCyr-la-Campagne.
Médaille de bronze, grand module, M. Servant, à Saint-Cyr-du-Vaudreuil.
Médaille de bronze, M. Plaisance, à FontaineHeudebourg.
Médaille de bronze, M. Baron, à Louviers.
Mention honorable, M. Dufl'ay du Lac, à Vernon.
Mention honorable, M. Perdout, à Crasville.
Mention honorable, M. Labelle, à Louviers.
5* JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 421
Mention honorable, M. Damelincourt, à Heudebouyille, pour sa culture de gaudes.
Mention honorable, M. Douté,à Fontaine-Bellenger.
Mention honorable, M. Hélant, à Montaure, pour sa culture de lin.
Cultures spéciales.
Rappel de diplôme d'honneur, M. Chapuis, à Notre-Dame-du-Vaudreuil, pour sa culture de raisin à air libre.
Médaille d'argent, Mme Chapuis, pour son concours donné aux cultures de son mari.
Médaille de vermeil', MM. Périnelle et Theuret, à Gaillon, pour leur culture spéciale de fruits pour l'exportation.
Prix spéciaux décernés aux instituteurs.
Médaille d'argent, grand module, M. Meurdrac, instituteur à la Heunière.
Médaille d'argent, M. Delachaussée, instituteur eir retraite, à Vaux-sur-Eure.
Cidre. '
Médaille d'argent, grand module, M. ArthurLiard, à Sacquenville.
Médaille d'argent, M. Baron, à Fontaine-Heudebourg.
Médaille de bronze, M. Delachair, à Evreux.
422 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Médaille de bronze, M. Hue, au Neubourg. Mention honorable, M. Louis Liard, à Sacquenville.
Eaux-de-vie de cidre.
Médaille d'argent, grand module, M. Baron, à Fontaine-Heudebourg.
Médaille d'argent, M. Pétel, à Surville. Médaille de bronze, M. Delachair, à Evreux. Mention honorable, M. Lesueur, à Louviers.
Miel et hydromel.
Médaille d'argent, grand. module, M. Leclerc, à Ecquetot.
Médaille d'argent, M. Marquais, à Ailly.
SERVITEURS AGRICOLES.
Diplôme d'honneur et 50 fr., M. Jean-Baptiste Dumoutier, pour 58 ans de services chez M. Duval, à Saint-André-de-1'Eure.
kO fr., M. Croix-Frédéric Alline, pour 49 ans de services chez M. Thézard, à Ailly.
35 fr., M. Vandrille Braguet. pour 42 ans de services chez M. Albert Defontenay, à Hauville.
30 fr., M. Albert Boutellier, pour 33 ans de services chez Mme veuve Brière, à Ailly.
30 fr., M. Emile Delas, pour 30 ans de services chez M. Basile Mouchard, à Montaure.
25 fr., M. Désiré Couillard, pour 27 ans de services chez M. Delapille, à Louviers.
5* JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 423
25 fr., M. Pierre-Louis Saunier, pour 27 ans de services chez MM. Dagommer et Delacour, à Ailly.
25 fr., M"e Angéline Déchande, pour 27 ans de services, chez M. Martin, à Ecquetot.
25 fi:, M. Henri Raillot, pour 26 ans de services chez M. Heullant, à Tostes.
20 fr., M. Joseph Duboc, pour 25 ans de services chez Mme veuve Doutté, à Quatremare.
20 fr., M. Henri Theroude, charretier, pour 25 ans de services chez M. Poussin, à Fontaine-Bellenger.
20 fr., M. Louis Guénier, pour 24 ans de services chez Mme veuve Cirette, à Vraiville.
ENSEIGNEMENT AGRICOLE
ET
RÉCOMPENSES DIVERSES
Médaille de vermeil, grand module, M. Dupré, directeur honoraire d'école primaire, aux GrandesVentes (Seine-Inférieure), pour son Histoire d'une commune autrefois et aujourd'hui.
Médaille de vermeil, grand module, M. Touzé, instituteur à Ailly, pour son enseignement agricole et pour ses fondations philanthropiques.
Diplôme d'honneur, M. Delaplace, instituteur à Giverny, pour son enseignement agricole et pour ses études sur les engrais.
Médaille de vermeil, M. Delachaussée, instituteur en retraite, à Vaux-sur-Eure, pour son exposition de produits agricoles et ses herbiers.
424 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Médaille d'argent, grand modale, M. Meurdrac, instituteur à la Heunière. pour son enseignement agricole et pour ses travaux sur des questions rurales.
Médaille d'argent, M. Emile Livet, instituteur à Daubeuf-en-Vexin, pour son enseignement agricole et pour son exposition de produits agricoles et de minéraux.
Médaille d'argent, M. Duchemin, instituteur à Trouville-la-Haule, pour son enseignement agricole.
Médaille d'argent, grand module, M. Veuclin, publiciste à Mesnil-sur-FEstrée. pour ses travaux historiques.
Mention honorable, M. Auzoux-Mutel, à Louviers, pour sa compilation historique.
5* JOURNÉE, 27 SEPTEMBRE. 425
BANQUET
Le soir, à 7 heures, un banquet nombreux et admirablement servi a réuni les membres de la municipalité, les congressistes, les lauréats et les notabilités de la ville. Au dessert, M. l'Adjoint, remplaçant M. Thorel, maire, souffrant, a porté un toast à l'Association Normande.
M. le Sous-Préfet a ensuite pris la parole et porté le toast au chef de l'Etat. M. de Longuemare, malgré un violent mal de gorge, a répondu en ces termes :
« MESSIEURS,
« Heureusement que pour exprimer les sentiments du coeur il n'est pas besoin de longues phrases, car vous vous apercevez trop que j'ai laissé ma voix sur les bords de la rivière d'Eure, bords charmants, il est vrai, mais quelquefois un peu trop couverts de brouillards. Ces sentiments, vous les connaissez, je vous les ai déjà exprimés. Je souhaite que notre bonne étoile nous ramène prochainement dans cette ville de Louviers à laquelle je lève mon verre et que je salue comme le faisait naguère M. de Caumont, en répétant comme lui : Vive Louviers à la fière devise !
« Vive Louviers le franc ! Honneur aux francs bourgeois de Louviers, hommes francs du collier,
426 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
c'est-à-dire travailleurs et industrieux ; francs, c'està-dire courageux comme leurs pères du XVe siècle, aux coeurs francs et chauds, c'est-à-dire à l'accueil cordial, accueil que nous n'oublierons pas. Vive Louviers le franc 1 »
Après M. de Longuemare, M. le comte de Boury dit encore aux membres de l'Association, et en particulier au sous-directeur, quelques paroles empreintes d'une affectueuse cordialité. Puis on se hâte pour aller admirer le feu d'artifice et les brillantes illuminations qui terminent ainsi dignement les fêtes du 71e Congrès de l'Association Normande.
MEMOIRES
LE
MUSÉE DE LOUVIERS
ET LA BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE
Par M. E. HÉBERT,
Conservateur.
Un de nos concitoyens, M. Edouard Lasnon, ayant légué à la ville de Louviers ses magnifiques collections céramiques, ses meubles anciens, tableaux et objets d'art, ainsi qu'une somme de 200,000 francs pour la construction d'un musée, la ville, sur les plans de M. Roussel, architecte, fit construire le musée actuel qui fut inauguré en 1888.
Avant cette date, les tableaux et collections que l'on possédait étaient renfermés dans deux salles de l'hôtel de ville.
Depuis lors, notre musée s'est augmenté des dons de différentes personnes, notamment des collections de MUe Vignon, de M. Lalun, architecte, d'une collection archéologique de M. Roussel, architecte, d'une collection de gravures offerte par M. Bertmot, graveur, etc., etc.
La ville doit encore à la géaérosité de M. Raoul
428 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Verlet, sculpteur, allié à une famille de notre ville, une reproduction en plâtre de son Orphée aux Enfers, dont l'originaljléc.ore l'une des places de Paris.
Nous possédons enfin quelques tableaux, une statue et un buste donnés par l'État.
Mais si, grâce à ces généreux donateurs, notre musée peut faire bonne figure parmi les musées de province, il faut convenir qu'il est bien pauvre en ce qui concerne la peinture et surtout la sculpture, et il serait bien à désirer que le Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts nous fît quelques envois sur les achats faits annuellement par ce département pour les nrnsées provinciaux.
Un catalogue des collections du musée a été fait en 1888, mais il s'y trouve bien des lacunes et le conservateur se propose de le refaire, aussi complet que possible, quand il aura terminé le catalogue de la bibliothèque.
La bibliothèque de Louviers a été inaugurée en 1835; M. Bréauté, directeur de l'école communale, fut nommé bibliothécaire et s'occupa, avec la collaboration de MM. Léopold et Eugène Marcel, de la rédaction du catalogue qui fut édité en 1843. A cette époque, la bibliothèque ne comptait guère que 2,000 ouvrages. Ce nombre s'accrût d'année en année, et bientôt, les salles devenant trop petites, on fut obligé de placer les volumes par deux ou trois rangs sur les tablettes, ce qui était fort incommode.
En 1888, le musée-bibliothèque ayant été
MÉMOIRES. 429
construit, M. Saint-Martin, successeur de M. Bréauté, put installer dans la nouvelle salle les volumes qui se trouvaient trop à l'étroit dans l'ancien bâtiment.
Il restait à faire le catalogue qui, depuis 1843 et malgré les suppléments qui avaient été apportés à différentes dates, était loin d'être à jour. Un catalogue manuscrit, par nom d'auteur, avait été commencé par M. Bréauté et continué par M. SaintMartin, mais ce catalogue, où l'ordre alphabétique n'était pas rigoureusement suivi, était bien incomplet et rendait les recherches difficiles. Il fut abandonné par le bibliothécaire actuel qui commença, en juin 1899, le catalogue sur doubles fiches, méthodiques et alphabétiques, et termina ce travail en janvier 1903.
Le bibliothécaire copie maintenant ses fiches pour en faire un volume, en réservant entre chaque subdivision méthodique des espaces en blanc pour une vingtaine d'années. Ce volume pourra plus facilement être consulté par les personnes qui fréquentent la bibliothèque, c'est un travail qui demandera encore une année.
La bibliothèque renferme 20,636 volumes ou brochures, l'ancien fonds provient en grande partie de l'abbaye de Bon-Port, de la chartreuse de Gaillon et des couvents de Saint-François et de SainteBarbe. Elle possède 56 incunables, 28 manuscrits, ainsi que les archives laissées par M. Léopold Marcel, M. Lalun, architecte, et M. Huet, ancien président du tribunal de Louviers. Ces archives ont été classées et cataloguées séparément par le bibliothécaire actuel.
430 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Il entre en moyenne 200 livres par an, provenant d'achats, de dons particuliers ou d'envois du Ministère de l'Instruction publique.
La dépense annuelle d'achats de livres et de reliures s'élève à environ 1,200 fr. ; il y est pourvu par un crédit de la Municipalité de 600 fr. et par une pareille somme provenant de souscriptions d'abonnés autorisés à emprunter des livres.
Le règlement autorise, moyennant une cotisation de 12 fr. par an, le prêt des livres pour une durée de trois mois au maximum.
Le nombre de souscripteurs est de 50 à 60, ce chiffre paraît faible pour une ville de 10,000 habitants et notre bibliothèque compterait certainement un plus grand nombre de lecteurs si le public connaissait les immenses richesses qu'elle contient et surtout les facilités exceptionnelles qui lui sont données pour en jouir et en profiter.
INAUGURATION
DU MONUMENT DE FORMIGNY
COMPTE-RENDU
Par M. ANQUETIL
Il y a cinq siècles la France était dans une situation terrible.
Sur nos campagnes françaises, les troupes d'Angleterre s'étaient abattues comme une nuée de sauterelles dévorantes, et partout s'étendait la domination britannique, réduisantla France, divisée et ruinée par les factions politiques, à n'être plus que le royaume de Bourges.
Quand les gens de guerre eurent abandonné la partie, la résistance patriotique s'improvisa, et l'on sait comment une pauvre paysanne des marches de Lorraine, comment Jeanne d'Arc en fut l'âme, comment elle réveilla les énergies endormies, groupant autour de son étendard, soit sous les murs d'Orléans, soit dans les champs de Patay, nobles et manants prêts à mourir pour la défense du sol français. Seule la Normandie, malgré d'incessants soulèvements, malgré les héroïques tentatives de
432 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
ses patriotes de toute extraction, devait encore subir quelque temps le joug anglais qui se faisait chaque jour plus pesant. Le 10 novembre 1449, Rouen avait rejeté la domination anglaise qui y régnait depuis trente ans, mais le joug étranger s'étendait encore sur toute la Basse-Normandie et sur cette presqu'île du Cotentin, que vise toujours la cupidité anglaise, comme le meilleur point de débarquement pour ses incursions en France.
D'un seul coup, la victoire de Formigny, en 1450, changea cette situation humiliante. Venant après toute une série de succès partiels, cette journée du 15 avril 1450, gagnée par les efforts combinés du connétable de Richemont et du comte de Clermont, mit fin à cette épouvantable guerre de Cent Ans, délivra à tout jamais la Normandie et la France de la domination anglaise. Sur la lisière du grand marais constitué par les incursions de la mer jusqu'au pont de Surrain, dans un petit vallon où coulent de minces ruisseaux qui vont gagner l'océan voisin, dans un petit coin ignoré du pays bessin, à quelques lieues de Bayeux, se joua le sort de notre pays et se termina glorieusement le duel féroce de deux nations qui, depuis un siècle, ensanglantait l'Europe.
Qu'est-ce qui, jusques aujourd'hui, signalait cette grande date et cette décisive victoire sans laquelle
la France n'existerait peut-être plus ? Pas
grand'chose. Une petite chapelle que la piété du comte de Clermont, devenuduede Bourbon, fitélever à Formigny, sur le champ de bataille; une colonne.
MÉMOIRES. 433
commémorative élevée, le 25 août 1834, sur l'accotement droit de la grande route, par le grand archéologue Arcisse de Gaumont, notre modèle et notre maître.
Pieusement restaurée et entourée d'une grille protectrice par la commune d'Aignerville, sur le territoire de laquelle elle se trouve, cette borne, hier encore, était dans un état de délabrement et d'effritement déplorables. Aussi, le Comité permanent de la Société française pour la conservation des Monuments historiques avait-il, dès 1883, sur l'initiative du regretté M. Georges Villers, le promoteur sinon le principal instigateur du monument à élever aux vainqueurs de Formigny, décidé de la remplacer par une pyramide de granit. Ce projet, nous ne savons pour quelles causes, n'eut pas de suite. En 1898, le Conseil municipal de la commune de Formigny, dont était membre M. Villers, songea à remplacer la colonne en ruine par un monument plus digne de célébrerla défaite des troupes anglaises. Des ouvertures furent faites en son nom, à la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, et par M. Villers et par le sculpteur Le Duc. M. Rauline, maire de la commune, dans une .lettre du 20 mai 1899, et son conseil municipal, par une délibération du o juin suivant, demandèrent officiellement la collaboration de cette Société. Le 17 octobre suivant, un Comité d'études fut constitué. Il comprenait le bureau de la Société : présidents, vice-présidents, secrétaires, trésorier, archiviste, Messieurs les maire, adjoint et curé de Formigny, M. Maurice Gérard, conseiller général, et M. de
28
434 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Vaulogé, conseiller d'arrondissement (4). Ce Comité élabora un règlement aux termes duquel la partie administrative et financière était réservée à la municipalité de Formigny, tandis que l'action de publicité, les rapports avec la presse, l'organisation de correspondants délégués chargés de provoquer les souscriptions, constituait l'oeuvre de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres.
Ce ne fut guère que le 3 avril 1900 que le projet prit consistance, au cours du banquet qui eut lieu à Trévières, à l'occasion de la révision. Ce jour-là, en présence de M. le préfet Bret, de M. Leneveu, souspréfet de Bayeux, du général de Perini, des Conseillers généraux et d'arrondissement, des Maires du canton et de nombreuses notabilités, l'honorable maire de Formigny sollicita le concours de tous pour le projet, conçu par sa commune, patronné par la
(1) Ce Comité ('tait ainsi composé:
Président: M. G. Joret-Desclosières, président de la Société des Sciences, Arts et Bulles-Lettres de Bayeux;
Vice-PrésideHt: M. le baron Maurice Gérard, député du Calvados, conseiller général de Trévières ;
Membres: MM. G. Villers, président bonorairede la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, conseiller d'arrondissement : de Vaulogé, conseiller d'arrondissement de Trévières ;
MM. Rauline, maire: Léger-Hébert, adjoint; l'abbé Caquenée, curé, — délégués delà commune de Formigny ;
MM. Anquetil et Londel, vice-présidents; Garnier, secrétaire; l'abbé Leliévre, secrétaire honoraire ; Dodeman, vice-secrétaire; Valette et de Gomiecourt, archiviste et vice-archiviste; Verdier, professeur au Collège, — délégués de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux;
Trésorier: M. Thieulin, receveur municipal.
MÉMOIRES. 435
Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, de remplacer les piètres témoins de la victoire nationale de 1450 par un monument plus digne et des vainqueurs etde leurs descendants tout à la fois.
« Pour réaliser cette oeuvre patriotique, disait-il dans son toast, et mener à bonne fin cette entreprise, nous avons besoin du concours de tout le monde et nous espérons que l'honorable représentant du Gouvernement de la République dans le département nous favorisera de sa bienveillante protection ».
Et le compte-rendu officiel, le même dans tous les journaux, à quelque opinion qu'ils appartinssent, constate que : « M. le Préfet a répondu que *son concours était tout acquis à cette oeuvre patriotique ».
Dans une pensée d'union patriotique, le Comité d'études plaça son action sous le patronage de la représentation élective du Calvados, sénateurs, députés; conseillers généraux et d'arrondissement de l'arrondissement de Bayeux^ de l'Administration départementale ; du Clergé ; de la Marine ; de la Magistrature ; de l'Université, et aussi des notabilités de l'arrondissement de Bayeux.
Avaient accepté de patronner la souscription et l'oeuvre du Comité (par ordre de date d'adhésion) :
MM. Turgis, Tillaye, Duchesne-Fournet, sénateurs ; Baron Gérard, Laniel, Le Bret, Le Pauhnier, de Saint-Quentin, de Witt, députés ; Mgr l'Évêque de Bayeux ; Les abbés Labutte et Goudier, vicaires généraux ;
436 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
MM.
Bret, préfet du Calvados ;
Leneveu, sous-préfet de Bayeux ;
Zévort, recteur à Gaen ;
Demagny, comte Foy, Guernier, Goubot, conseillers généraux ;
Comte G. de Bonvouloir, Demagny, Dubourg, Pagny, vicomte Portalis, comte de Revilliasc, comte du Manoir, conseillers d'arrondissement;
Vice-amiral Dièulouard, préfet maritime à Cherbourg ;
Delmas, ancien sous-préfet ;
Ch. Joret, membre de l'Institut;
Léopold Delisle, administrateur de la Bibliothèque nationale, membre de l'Institut;
Achille Leclerc, ingénieur, président du Conseil général de la Vendée ;
Laïuy, avocat, maire de Bayeux ;
S. Lefrançois, ingénieur;
H. Omont, administrateur-adjoint de la Bibliothèque nationale ;
Docteur ïillaux, de l'Académie de Médecine ;
J. Le Sénécal, président honoraire à la Cour de Rouen;
Galliot, conseiller à la Cour de Caen;
Comte de Vallerand, conseiller honoraire à la Cour des comptes ;
Ch. Laurent, directeur général de la comptabilité au Ministère des finances ;
Marquis du Fresne de Beaucourt;
Docteurs Basley et S. Le Paulmier;
Pain, avocat, ancien maire de Bayeux ;
MÉMOIRES. 437
MM.
Devillers, président de la Chambre des avoués de Bayeux;
Vardon, président de la Chambre consultative des arts et manufactures;
Buot, président du Tribunal de commerce de Bayeux;
Le Hartel, conseiller municipal de Bayeux ;
Morlent, adjoint au maire de Bayeux ;
J. Bertot, architecte à Paris ;
A. Simon, procureur de la Bépubligue à Saint-Lo ;
A. Christophle, député, ancien gouverneur du Crédit foncier ;
Le marquis de Balleroy ;
G. Lavalley, bibliothécaire à Caen;
De Longuemare, sous-directeur de l'Association Normande ;
Gasté, professeur à Caen ;
Canonville-Deslys, à Rouen ;
Le baron du Charmel ;
Lefè^re, président de la Chambre des notaires de Bayeux;
Tesnières, président des Antiquaires de Normandie ;
Hettier, président de l'Académie des Beaux-Arts de Caen ;
E. Travers, directeur adjoint de la Société française d'Archéologie ;
Decauville-Lachênée, bibliothécaire adjoint à Caen ;
Le prince R. de Broglie ;
Le comte Raymond de Germiny ;
438 8E8S10N TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
MM. '
Le comte Lecourbc ;
Le baron 0. Saillard ;
Ch. Canivet ;
Labbey, propriétaire à Couvains.
Le 25 avril 1900, le Conseil général du Calvados, « considérant que la bataille de Formigny, qui réveille chez nous des sentiments de fierté locale et nationale, a eu pour résultat de délivrer notre belle et vaillante Normandie du joug de l'étranger, qui, depuis plus de trois cents ans, pesait sur ceux dont les pères victorieux avaient,-quatre siècles auparavant, conquis l'Angleterre », votait 100 fr. pour le monument, s'excusant de ne pouvoir faire plus.
Les souscriptions, recueillies lentement, mais sans interruption, par le Comité d'études, s'élevèrent, en deux années seulement, malgré des obstacles de plus d'un genre, à la somme de 19.375 fr. 3."i, dont 5.500 fr. provenant de la générosité de la famille Gérard.
Le bronze du monument commandé à M. J-e Duc était prêt; on n'attendait plus que le piédestal pour fixer la date de l'inauguration.
Le 15 avril 1903, jour du 453e anniversaire de la bataille, le Comité réuni à Formigny, après avoir réglé les mémoires de l'architecte et des entrepreneurs, décida, en présence du monument qui venait d'être mis en place, que l'inauguration solennelle en serait faite le lundi de la Pentecôte, 1er juin ensuivant. Et avant de lever la séance, M. Rauline, maire de Formigny, et M. Joret-Desclosières, président du Comité d'études, adressèrent,
MÉMOIRES. 439
de FoTmigny même, à M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, une lettre officielle d'invitation. Dès le principe, d'ailleurs, le Comité et la municipalité avaient fait toutes les démarches nécessaires pour demander à M. Chaumié de bien vouloir présider cette fête organisée par une société savante, et destinée à perpétuer le souvenir d'un des plus glorieux événements de notre histoire nationale.
C'est ici que doit prendre place la description du monument reproduit dans la photogravure placée en tête de ce compte-rendu, monument vraiment digne des glorieux souvenirs qu'il consacre, et que le Comité d'études et la municipalité de Formigny ont pu, grâce à la générosité de plus de 1.500 souscripteurs, grands ou petits, et au désintéressement patriotique de M. Le Duc, ériger à la gloire des libérateurs de la Normandie.
Il est vraiment beau ce monument !
Sur un terrain suffisamment élevé au-dessus des routes de Paris à Cherbourg et de Trévières à Vierville, dominant le carrefour, en face du calvaire et de la mairie de Formigny, un piédestal en granit, d'une forme sévère et pourtant gracieusement orné, supporte le groupe admirable de la France couronnant les vainqueurs, groupe en bronze, de dimensions monumentales et d'un superbe caractère, dû au talent si apprécié de notre éminent compatriote le sculpteur Albert Le Duc.
La bataille est terminée ; l'ennemi est en fuite et les troupes françaises vont prendre, avant de le poursuivre, un repos bien gagné ; le connétable de
440 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Richemont, ayant conservé encore une partie de son armure, ses vêtements mis en lambeaux parles rudes péripéties de Faction qui vient de finir, confie au comte de Clermont la garde du camp.
Les mains des deux guerriers se rencontrent et s'étreignentsur l'écu de France, image de la Patrie; le jeune lieutenant général des armées du roi, encore revêtu de son armure complète, étend son épée devant ce symbole sacré qu'il jure de protéger et de défendre envers et contre tous.
Et, en arrière des deux guerriers, s'élevant dans une idéale et gracieuse attitude, la France, la patrie qu'ils viennent de délivrer de l'invasion étrangère, soutient au-dessus de leurs têtes la couronne de lauriers qu'a méritée leur victoire, leur montrant en même temps, de sa main droite toujours armée de l'épée victorieuse et vengeresse, que là-bas, vers Cherbourg, il reste encore des Anglais à expulser du royaume de saint Louis.
Ce groupe magnifique repose sur un piédestal en granit exécuté par M. Legorgeu, de Vire, sur les plans de notre distingué architecte départemental, M. Nicolas, et sur les modèles de plâtre faits d'après ces plans par la maison Jacquier de Caen.
Au-dessus d'un soubassement en granit s'élève le dé octogonal, couronné d'ogives avec fleurons de la plus grande élégance, supportant une corniche aux lignes harmonieuses sur laquelle repose le groupe de bronze.
Sur la face principale, au-dessous de l'inscription Glorioe Maiorum, est un bas-relief en bronze oeuvre du sculpteur Le Duc, représentant une des
Monument inauguré à Formigny
le 1er Juin 1903,
A LA GLOIRE DES VAINQUEURS
DU
15 AVRIL 1450.
MÉMOIRES. 441
scènes principales de la bataille: le connétable de Richemont donne à Pierre de Brezé l'autorisation d'attaquer l'ennemi vers le Vieux-Pont de Surrain, pendant que Jeanne d'Arc, apparaissant dans le ciel, exhorte et soutient les combattants.
Les deux faces latérales, plus étroites, portent les inscriptions suivantes :
D'un côté :
A la gloire des vainqueurs de Formigny, Il 15 avril 1450, n Arthur de Bretagne, comte de Richemont, Jehan de Bourbon, comte de Glermont, Il lieutenant du Roi.
De l'autre :
Élevé II par souscription || avec le concours || de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres II de Bayeux : || Gabriel Joret-Desclosières, président ; Il baron M. Gérard, député, vice-président ; Il P. Rauline, maire de Formigny; I! G. Villers, Anquetil, Garnier, Il vicomte de Vaulogé, Hébert, Thieulin. Il Auguste Nicolas, architecte. Il A. J. Le Duc, sculpteur. Il 1903 (1).
Il nous faut maintenant rendre compte de la patriotique cérémonie de son inauguration.
C'est le 1er juin 1903, lundi de la Pentecôte, par une magnifique journée ensoleillée, qu'ont eu lieu, au milieu d'un concours immense de population, évaluée par certains à douze ou treize mille personnes, les fêtes de l'inauguration solennelle du
(1) Les barres indiquent les lignes.
442 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
monument érigé par les Normands à la gloire immortelle de leurs aïeux vainqueurs dans la journée impérissable du 15 avril 1430.
Pour la circonstance, la jolie commune de Formigny avait revêtu ses plus beaux atours ; toutes les routes qui y accèdent avaient été converties en longues avenues bordées de sapins, coupées de ci de là d'arcs de triomphe, de guirlandes de verdure où les roses tricolores mettaient une note un peu crue, mais si gaie !
A l'entrée des quatre routes de Baveux, Trévières, Isigny et Vierville, quatre arcs de triomphe portaient les inscriptions suivantes : Honneur et Patrie
— J4Ô0, Formign;/, 1903 — Aux Souscripteurs
— A la gloire de nos aïeux.
Les maisons aux blanches façades où flottent les trois couleurs disparaissent sous les festons de lierre, de buis, de chêne, de laurier, piqués de pivoines, de roses de Bengale, de glycine. C'est un véritable enchantement ! Bois, futaies, enclos, vergers, courtils, tout a été mis au pillage.
La chapelle Saint-Louis est gracieusement décorée. Le presbytère est paré de guirlandes semées de roses blanches, jaunes et rouges. Sur un élégant portique élevé à l'entrée se détachent les mots suivants : Gloire aux vainqueurs !
L'intérieur de l'édifice, contemporain du fait d'armes célébré en ce jour, est entièrement orné de guirlandes de verdure et de fleurs sur lesquelles se détache une profusion de drapeaux français, sous lesquels se montrent les armes de Mgr Amette, l'évêque de Baveux, qui doit présider lagrand'messe.
MÉMOIRES. 443
Vers 9 heures 1/2, le prélat descendait au presbytère ; bientôt le clergé arrivait en procession, et après avoir répondu par quelques paroles aimables au discours de bienvenue du maire de Formigny, le sympathique M. Rauline, Mgr Àmette prenait place sous le dais et se rendait processionnellement, escorté de M. le Maire, de M. Hébert-Léger, adjoint, des membres du Conseil municipal, et d'une foule nombreuse et respectueusement sympathique, à l'église paroissiale où l'attendaient, dans le choeur, les membres du Comité d'études avec leur président, M. Joret-Desclosières. Inutile de dire que l'église était trop petite pour contenir l'immense affluence qui s'efforçait d'y trouver place, et que bon nombre d'assistants ont dû rester debout pendant toute la cérémonie, et que beaucoup de personnes n'ont pu y pénétrer.
Le prélat, assisté de M. Labutte, vicaire-général, doyen du chapitre, et de M. le chanoine Marescot, ancien curé de Formigny, présida la messe chantée par M. Poisson, doyen de Trévières, et à laquelle assistait un nombreux clergé venu de toutes les communes environnantes. Durant cette cérémonie, l'Orphéon Bayeusain, sous l'habile direction de M. Le François, a fait entendre un Kyrie, un Gloria, le Credo en plain-chant, un Sanctus et un A g nus Dei avec accompagnement d'orchestre, parfaitement interprétés. On a entendu avec grand plaisir les soli exécutés par M"e de Jerlin, des Concerts Lamoureux de Paris, qui a chanté avec un admirable talent Y Ave Maria pendant l'Offertoire ; par M"e D... pendant la première invocation de YAgnus
444 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Dei, et par Mme H... de Baveux, dont la voix, d'une pureté exquise, a traduit avec goût et sentiment le Grattas agimus. A l'Élévation, exécution pleine de charme et de grâce, par la même, du magnifique Panis Angeliciis de Th. Dubois, accompagné sur le violon par M. Marchai, le distingué directeur de la Société Philharmonique de Bayeux. Tous ces chants ont été accompagnés avec plein succès par un groupe d'amateurs et d'artistes bayeusains, dont le talent si apprécié est toujours disposé à rehausser l'éclat de nos solennités musicales.
Après l'Évangile, Mgr Amette est monté en chaire et, au milieu de la respectueuse attention de tous, a prononcé le magnifique discours suivant :
MES FRÈRES,
Cette fête est la fête du patriotisme et de la reconnaissance nationale. A ces deux titres, il convenait que la religion y eût sa place et une place d'honneur. Vous l'avez compris et vous l'avez voulu, Messieurs du Comité et de l'Administration municipale de Formigny ; je vous en loue et je vous en remercie.
Citoyens désireux d'exalter les héros du patriotisme, vous avez voulu vous incliner tout d'abord devant le Dieu qui commande d'aimer sa patrie et qui récompense le sang versé pour elle. Français jaloux de glorifier les aïeux à qui nous sommes redevables de notre indépendance nationale, vous avez tenu à faire remonter votre gratitude jusqu'au « Christ qui aime les Francs » et qui ne l'a jamais montré avec plus d'éclat que dans les événements dont la victoire de
MÉMOIRES. 445
Formigny a été le glorieux couronnement. Vous vous êtes souvenus que ceux dont votre monument perpétuera la mémoire étaient des soldats chrétiens, et vous avez voulu montrer que vous êtes chrétiens comme eux. Vous vous êtes rappelé qu'au matin de la bataille, avant de marcher à l'ennemi, l'un des vainqueurs de la journée, le connétable de Richemont, était allé entendre la messe : vous suivez son exemple et vous venez au pied de l'autel assister au même sacrifice.
Cette religieuse population applaudit à votre pensée et s'y associe en foule. Pour rehausser l'éclat de cette cérémonie, vous avez fait appel au concours d'artistes de notre chère cité de Bayeux, qui dut, elle aussi, sa délivrance aux vainqueurs de Formigny. Encore une fois, Messieurs, à vous et à tous, je dis hautement: Merci !
Dieu, ai-je dit, commande d'aimer sa patrie et récompense le sang versé pour elle. 11 n'est pas inutile de le rappeler en face de certaines théories internationalistes ou humanitaires, qui ne tendent à rien moins qu'à discréditer le patriotisme et le noble métier des armes.
Ah ! sans doute, la religion chrétienne l'enseigne, et elle a été la première à l'enseigner dans le monde, tous les hommes, quels que soient le coin de terre qui les porte et le pan de ciel qui les abrite, quelles que soient leur race et leur langue, tous les hommes sont frères, et ils doivent s'aimer par-dessus les frontières qui les séparent. Mais Dieu, qui commande cette charité pour tous, veut qu'on y observe un ordre et qu'elle s'exerce d'abord envers les plus proches. Père commun de l'humanité, Il a établi entre certains
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hommes des liens plus étroits d'où résultent des devoirs particuliers. Il a créé la famille et II y a prescrit l'amour paternel et la piété filiale. Il a créé aussi la Patrie, qui n'est que la famille agrandie, et il fait du patriotisme un devoir sacré. En cela, comme en tout le reste, Jésus-Christ s'est montré notre maître et notre modèle: Il a aimé l'humanité tout entière qu'il était venu sauver ; mais comme 11 a aimé sa Mère d'une tendresse sans égale, Il a aimé son pays d'un amour de prédilection, témoin les larmes qu'il versait sur Jérusalem et sur les malheurs qui devaient châtier son ingratitude.
La religion commande donc le dévouement à la Patrie, et elle veut que ce dévouement aille au besoin jusqu'au sacrifice de la vie. Sans doute encore, elle prêche la paix entre tous les peuples ; elle enseigne que la guerre est un fléau et elle prie Dieu de nous en préserver, comme de la peste et de la famine. Mais elle enseigne aussi qu'il y a des guerres justes et inévitables. Plus que personne. l'Eglise souhaiterait qu'il y eût dans le monde un tribunal, d'autorité assez haute et d'impartialité assez assurée pour trancher par des sentences unanimement acceptées et pacifiquement exécutées, les dill'érends qui s'élèvent entre les nations. Mais tant que ce tribunal n'existera pas, — et comment le constituerait-on jamais en dehors de l'autorité qui parle au nom de Dieu? — l'Eglise reconnaît que les peuples peuvent et doivent parfois recourir aux armes pour sauvegarder ou pour revendiquer l'intégrité de leur territoire, leur indépendance nationale, l'honneur de leur drapeau. Et au soldat qui combat et qui meurt pour ces grandes choses, la
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religion promet au ciel une palme dont l'éclat ne le cède qu'à la palme du martyr qui verse son sang pour son Dieu.
Voilà comment notre Dieu, qui est le Dieu de la charité universelle et le Dieu de la paix, est aussi le Dieu du patriotisme et le Dieu des armées !
Entre toutes les patries, il en est que Dieu semble honorer d'une prédilection spéciale, et nous avons bien le droit de dire que la nôtre est de celles-là. « Vive le Christ qui aime les Francs ! » Ce vieux cri de nos pères est justifié. Oui, le Christ aime la France : Il l'aime depuis le jour où elle est née d'un acte de foi en Lui, sur le champ de bataille de Tolbiac. 11 l'a choisie alors pour être dans le inonde son apôtre et son soldat, et qui ne sait tous les nobles « gestes que Dieu a accomplis par elle » à travers les siècles ? Aussi est-Il intervenu plus d'une fois dans son histoire pour sauvegarder son existence nationale et son orthodoxie catholique. Jamais II ne l'a fait plus visiblement que pendant cette guerre de Cent Ans dont la bataille de Formigny a marqué le terme.
A aucune époque la France n'avait paru plus près de sa perte. Le léopard anglais régnait en maître sur presque toutes nos provinces. Encore quelques coups d'épée, et le fils dégénéré de saint Louis, le souverain faible et indolent qui n'était plus que le roi de Bourges, allait perdre les derniers lambeaux de son royaume... Celui qui se faisait proclamer déjà roi d'Angleterre et de France s'appelait alors Henry VI; mais moins d'un siècle plus tard il devait s'appeler Henry VIII; il devait entraîner ses peuples dans le schisme et l'hérésie..... Soumise à ce joug étranger, que fût devenue la
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fille aînée de l'Eglise ? Dieu voulut la préserver
d'un tel malheur et vous savez ce qu'il fit : Il suscita Jeanne d'Arc et la France fut sauvée.
Ah ! qu'il a donc été bien inspiré l'artiste qui a conçu et exécuté le monument de Formigny, en faisant planer au-dessus du champ de bataille, l'image de l'héroïque pucelle d'Orléans ! La libération de la France qui s'est achevée ici, c'est à Orléans qu'elle avait commencé et c'est Jeanne d'Arc qui l'avait inaugurée. Elle était venue, l'humble villageoise inspirée de Dieu, rendre le courage avec la confiance au roi de France et à ses soldats. D'Orléans, miraculeusement délivrée, elle l'avait conduit de victoire en victoire au sacre de Reims... Elle eût voulu poursuivre et achever son oeuvre: ses historiens nous disent que de Reims elle avait jeté ses regards sur la Normandie, et qu'elle rêvait, après avoir enlevé Paris à l'ennemi, de lui arracher aussi notre belle province. Mais les intrigues humaines entravèrent le dessein divin : bientôt trahie, livrée aux ennemis qu'elle avait vaincus, Jeanne ne devait voir la Normandie que pour y mourir. Ce qu'elle n'avait pu faire par ses armes, elle le fit par son martyre. Comme le supplice de Jésus avait achevé la rédemption du monde, le supplice de Jeanne acheva la délivrance de la France. Après l'avoir brûlée, les Anglais ne connurent plus que des défaites. Moins de vingt ans après, Richemont, avec Clermont, leur portait ici le dernier coup. Jeanne d'Arc le connaissait le vaillant connétable. Un jour elle l'avait vu, fléchissant le genou devant elle, sollicitant l'honneur de combattre à ses côtés, et il avait partagé sa gloire à Patay. Nul doute que du haut du ciel elle ne le suivît
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du regard, alors qu'il livrait à Formigny la suprême bataille, et qu'elle ne priât Dieu de bénir son armée. Aussi bien Richemont était-il de ceux qui reconnaissaient comme elle que, si « les hommes bataillent, c'est Dieu qui donne la victoire ». Après son triomphe, il allait en pèlerinage au Mont-Saint-Michel remercier l'archange qui avait parlé à Jeanne d'Arc et l'avait appelée au secours de la France. Et nous, mes frères, dans notre Eglise de Bayeux, depuis 450 ans, au jour de l'Assomption de la Très-Sainte Vierge, nous chantons 1' « Antienne de la Recouvrance », rendant grâces à Dieu et à Marie pour la Normandie redevenue française.
Unissons-nous tous aujourd'hui dans ce même sentiment d'action de grâces. Remercions Dieu d'avoir fait la France si belle et de nous l'avoir donnée pour patrie. Remercions-le d'avoir fait d'elle la grande nation chrétienne et catholique, et de l'avoir gardée telle depuis plus de quatorze siècles. Et prions-le de la conserver, dans l'avenir, digne de son passé.
Pour que la France reste grande et glorieuse, nous voulons, nous, qu'elle reste chrétienne. Nous le voulons, parce que nous estimons que telle est sa mission providentielle et son tempérament national : or, un peuple qui abjure sa mission providentielle et qui renonce à son tempérament national est un peuple perdu. C'est un astre dévoyé, sorti de son orbite, et voué à toutes les catastrophes. Nous voulons que la France reste chrétienne, parce que l'expérience nous apprend que, seule, la foi chrétienne peut lui donner et lui garder les vertus qui font les peuples heureux et forts, unir tous ses enfants dans la vérité et la charité.
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En la voulant chrétienne, nous ne demandons d'ailleurs pas à la France de renoncer à aucun progrès, nous ne lui demandons pas d'abdiquer le régime de son choix ; la Religion bénit et au besoin provoque tous les progrès légitimes ; elle n'est incompatible avec aucune organisation politique et sociale, pourvu que la justice soit sauve et la liberté respectée. Prions donc, mes frères, prions avec ferveur et avec confiance pour que notre patrie demeure chrétienne et que Dieu continue par elle les gestes de sa main !
Depuis la fin de la messe jusqu'à l'heure indiquée pour l'inauguration solennelle du monument, une foule immense n'a cessé d'affluer, par tous les moyens de transport : de Bayeux, d'Isigny, de Gaen, de Lisieux, de l'ort-en-Bessin, d'Arromanches, de Grandcamp, de tous les villages de la cote, de toutes les communes du Bessin,— de partout. Et tout ce monde de se répandre dans les prés et les herbages, d'y dételer leurs chevaux auxquels ils donnent Ja pâture, puis de se diriger vers le carrefour où aura lieu la cérémonie. C'est la note gaie des assemblées normandes, qui vient se marier heureusement à la pompe oflicielle. Le champ de la l'été est envahi.
Figurez-vous un immense quadrilatère d'un seul tenant, fermé sur ses quatre faces par des haies vives, épaisses, touffues, hautes de six pieds et couronnées d'arbres séculaires en pleine floraison, et d'où l'on domine tout le pays environnant. L'herbe rase et reverdie par l'orage de la veille a
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des tons d'émeraude qui tranchent agréablement sur la blancheur des tentes dressées dans ce décor champêtre d'un effet saisissant et vraiment pittoresque.
La foule, qui circule sur la route de Paris à Cherbourg, salue avec respect le premier pasteur du diocèse, se rendant à pied, accompagné de M. le Vicaire Général, de M. le Doyen de Trévières, de M. l'abbé Dupart-Deschamps, le zélé curé de Formigny, et d'un nombreux clergé, à la chapelle Saint-Louis, où Sa Grandeur a récité solennellement un de Profundis pour le repos de l'àme des défenseurs de la France, morts dans la journée du • lo avril 1450 ; une assistance nombreuse et pieusement recueillie joint ses prières à celles du clergé.
A & heures, au milieu d'une affluence innombrable, M. le Maire de Formigny, M. le Président du Comité d'études, les membres du Conseil municipal, du Comité et de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, se sont rendus à la gare, escortés des pompiers de Trévières et de Colombières, précédés de leurs tambours et clairons avec leur drapeau et la bannière de leur Société de secours mutuels, l'Orphéon Bayeusain et la Musique municipale de Bayeux avec leurs bannières, pour recevoir officiellement les personnages officiels: MM. les sénateurs Tillaye et Duchesne-Fournet, M. Charles Joret, de l'Institut, M. Germain LefèvrePontalis, de la Société des Antiquaires de Normandie, M. de Longuemare, de la Société française d'Archéologie et de l'Association Normande, M. Marquez, conseiller général de la Seine, l'Association
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des anciens combattants de 1870-1871 et la Société des vétérans de terre et de nier de l'arrondissement de Bayeux, avec leurs étendards.
Après le discours de bienvenue de M. le Maire de Formigny, le cortège s'est rendu sur l'estrade préparée au carrefour des routes, en face du monument.
Aucun représentant officiel du Gouvernement n'assistait à cette cérémonie, présidée par M. le sénateur Tillaye, ayant à sa droite Mgr Amette, évèque de Bayeux, et M. Desclosières, président du Comité d'études; à sa gauche, M. Charles Joret, de l'Institut, vice-président, et M. Marquez, conseiller général de la Seine.
Sur l'estrade étaient: M. Duchesne-Fournet, sénateur du Calvados ; plusieurs conseillers d'arrondissement ; les orateurs qui ont pris la parole ; M. l'abbé Labutte, vicaire-général ; M. Le Duc, artiste statuaire ; M. Boivin-Champeaux, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation; la municipalité de Formigny ; les membres du Comité d'études ; les membres de la Société des Sciences, Arts et BellesLettres de Bayeux, et plusieurs représentants de délégations savantes et militaires; M. l'abbé Marescot, chanoine; M. Deschamps, curé de Formigny, et plusieurs de ses collègues, les représentants de la presse, etc., etc. (lj. La séance ayant été déclarée ouverte, M. Joret(1)
Joret(1) le baron Maurice Gérard, qui venait de perdre son père, s'était excusé, par lettre, de ne pouvoir prendre part à cette cérémonie où sa place était cependant toute marquée.
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Desclosières, président du Comité d'études et de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, dans un remarquable discours, a résumé les grands souvenirs de la victoire de Formigny; à plusieurs reprises, ses paroles vibrantes de patriotisme ont été couvertes de chaleureux applaudissements; en terminant, l'honorable président a remis officiellement le monument à M. le Maire de Formigny. Voici le texte de son discours :
Discours de M. Desclosières, président delà Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
MES CHERS CONFRÈRES, MESDAMES, MESSIEURS,
Au nom du Comité d'études et de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, nous avons l'honneur de remettre à la municipalité de Formigny, le monument commémoratif de la glorieuse bataille du 15 avril 1450.
Nous le confions à la garde de la commune et l'invitons à surveiller sa perpétuelle conservation.
Dans quelles conditions ce monument a-t-il été conçu ?
Comment a-t-il été exécuté ?
Quelle est sa véritable signification historique ?
Répondons le plus brièvement possible à ces trois questions, sans oublier que de nombreux et éloquents orateurs attendent leur tour de parole.
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I. — Comment ce monument a-t-il ètè conçu ?
Répondant à un persistant souvenir resté vivace au coeur de nos populations rurales, le savant antiquaire Arcisse de Caumont avait à ses frais, le 25 août 1834, érigé sur le territoire d'Aignerville, une borne commémorative, au lieu même où s'était accompli le plus grand effort du combat. Après lui, l'idée d'honorer les vainqueurs avait été reprise par notre érudit compatriote Georges Villers, que la mort nous a ravi et qui eût été si heureux d'assister à cette fête. Le projet languissait lorsque le distingué statuaire M. Le Duc, auquel notre pays doit le monument des Mobiles du Calvados et la statue d'Alain Chartier, offrit d'ériger à Formigny même une statue équestre du connétable de Richemont, dont le grand modèle en plâtre était déjà exécuté. Celte intention, soumise à la Société des Lettres de Baveux, rencontra des objections. Le connétable n'était pas le seul vainqueur à Formigny et Clermont, le lieutenant, du Roy, devait être associé à sa gloire. M. Le Duc se rendit à cette juste observation et composa le petit modèle du beau groupe que vous avez aujourd'hui sous les yeux. Nous acceptâmes le projet le 4 juillet 1000, ici même, dans la cour de la mairie, et il fut décidé que l'exécution serait tentée à l'aide d'une souscription publique.
IL — Comment a-t-il ètè réalisé ?
M. Le Duc, aidé de la collaboration de son ami M. l'architecte départemental Nicolas, sans perdre un
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instant, poussait les exécutions successives du grand modèle en plâtre du groupe, et du piédestal, des opérations de la fonte, de la construction du socle en granit, de la mise en place. De son côté, le Comité, faisant appel à la générosité des particuliers et des communes, se mit en mesure de réunir les 22.000 fr. nécessaires pour couvrir les devis. Ai-je besoin de rappeler, la souscription l'atteste, que dès le premier jour une généreuse réponse nous vint de l'opulent donateur dont le canton de Trévières porte le deuil et dont la mairt libérale s'ouvrait à toutes les oeuvres privées et publiques ? Sa mort, hélas ! trop récente nous prive de l'honneur de voir surgir à nos côtés son cher fils et les membres de sa famille, dont nous regrettons vivement l'absence. L'exemple donné par M. le baron Gérard fut suivi par d'autres généreux souscripteurs, par le Conseil général du Calvados, d'autres villes : Caen, Paris, Saint-Lo, Carentan, des Sociétés savantes, de nombreuses communes, et il offre ce spectacle touchant de modestes souscriptions à 0 fr. 10, 0 fr. 25, 0 fr. 50 c. Le résultat souhaité fut obtenu.
Merci à tous ces généreux souscripteurs.
Et le 15 avril dernier, date anniversaire de la bataille, nous avons pu procéder à la mise en place et à la réception du monument.
III. — Quelle est sa véritable signification historique ?
Glorification des deux héros de la fameuse journée, il porte en lui-même un haut enseignement.
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Pourquoi la France écrasée en 1415 à la journée d'Azincourt, triomphait-elle en 1450 à Formigny? Dans ce triomphe, nous devons reconnaître autre chose que les hasards de la stratégie et ce qu'on appelle la fortune de la guerre. En 1415, la France, divisée en deux factions qui se disputaient le pouvoir, sans gouvernement, livrée au plaisir et à la débauche, ruinée financièrement, sans armée régulière, devait être fatalement vaincue. Quatre grandes forces morales et politiques, qui assureront en tout temps la prospérité des nations, la relevèrent :
Le bon sens, la prévoyance, l'habile action diplomatique réunis dans Alain Chartier, secrétaire et ambassadeur de Charles VII.
Le courage, entretenu par la foi dans le succès et l'espérance de la récompense finale, personnifié par la merveilleuse et providentielle mission de Jeanne d'Arc.
Le bon ordre dans l'administration des finances, assuré par l'argentier du roi Jacques Coeur, créant dès 1440, un trésor de guerre et mettant à la disposition de Charles VII deux cent mille écus d'or pour reconquérir la Normandie. Enfin, la forte organisation de l'armée, poursuivie avec constance depuis 1426 par le connétable de Richemont, créateur de l'infanterie française.
Ces quatre forces assurèrent le succès. Et ce sont bien elles que résume historiquement ce monument, en la personne du connétable auquel elles profitèrent ainsi qu'à la France.
Au connétable de Richemont qui, blessé, prisonnier des Anglais en 1415, en la journée d'Azincourt, se
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releva vainqueur, en 1450, aux champs de Formigny-
A ce moment, la boîte scellée contenant deux pièces de monnaie neuves au millésime de 1903 et le procès-verbal de la séance d'inauguration, rédigé sur parchemin et signé des principaux personnages présents, ayant été glissée sous le bronze du monument, le voile tricolore qui couvrait le groupe est arraché par l'artiste lui-même. La foule peut alors contempler cette oeuvre magistrale, et M. Rauline, maire de Formigny, prend la parole :
Discours de M. Rauline, maire de Formigny.
MESSIEURS,
Avant de répondre à notre honorable président, permettez-moi de vous exprimer les regrets et les excuses de plusieurs de nos compatriotes qui, pour des causes diverses, n'ont pu assister à cette cérémonie.
Je ne peux citer ces noms: sénateurs, députés, conseillers généraux, maires et autres, se sont excusés ; je ne voudrais cependant pas taire ceux de M. le docteur Turgis, président du Conseil général, sénateur du Calvados, que la maladie retient aujourd'hui loin de nous; du sympathique député de cet arrondisse. ment qu'un deuil trop récent empêche de s'associer aujourd'hui à cette fête patriotique ; je suis certain que
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c'est pour lui une grande privation. -Je ne pourrais oublier l'honorable conseiller général du canton d'isigny, dont la vieillesse est accablée par un deuil si cruel.
A tous nous adressons l'expression de nos sincères regrets.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
C'est avec la plus grande déférence et la plus sincère reconnaissance que la commune de Formigny reçoit aujourd'hui, de vos mains, ce monument symbolisant cette journée du 15 avril 1450 et devant perpétuer ce glorieux fait d'armes si important par ses conséquences.
Le promoteur de cette oeuvre était l'homme lettré qui s'était consacré corps et biens à l'histoire de son pays, celui qui. tout en rêvant aux conséquences de ce fait historique, aimait à parcourir les sentiers tortueux de ce village. J'ai nommé M. Villers.
Il est. hélas! disparu, mais il nous légua celui sur lequel il comptait pour mener à bonne fin son projet. Vous avez été, M. le Président, la véritable pierre angulaire de cette oeuvre; c'est grâce à votre bienveillant concours que la commune de Formigny est aujourd'hui dotée de ce superbe bronze.
Déjà, en 1834, le célèbre archéologue M. de Caumont. voulant perpétuer le souvenir de cette mémorable journée, fit élever une borne commémorative sur le coteau surmontant cette vallée, jadis arrosée du ■ sang de nos aïeux.
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Avec le temps tout passe, mais le patriotisme ne passe pas; il survit à tous les âges, surmonte tous les obstacles: aussi les années, les dégradations ayant déformé le travail de M. de Caumont, fut-il décidé de perpétuer ce fait historique par un monument plus durable.
En 1882, un projet fut élaboré, certaines circonstances vinrent entraver cette idée qui ne reçut pas son exécution.
Se voyant sur le déclin de sa vie, le savant bayeusain, dont la modestie n'avait d'égal que le patriotisme, lança à nouveau l'idée qu'il poursuivait. Hélas ! que pouvions-nous faire, petite commune rurale, sans éléments, n'ayant pour nous que la gloire laissée par nos aïeux ?
Le patriotisme surmonta nos hésitations et, par une lettre en date du 20 mai 1899, nous sollicitions le concours de ces sociétés qui se consacrent à étudier les sciences et à honorer les arts. Cette société répondit à notre appel et sur votre initiative, M. le Président, un Comité d'études et de patronage fut vite constitué.
La tâche était difficile, mais confiant dans le patriotisme normand, nous n'avons jamais désespéré.
La difficulté artistique fut vite résolue ; tout le monde sait avec quelle inspiration l'habile statuaire Le Duc, notre concitoyen, conçut l'idée de ce superbe bronze que nous admirons aujourd'hui, s'assurant la collaboration de M.Nicolas, architecte du département du Calvados: ils firent des prodiges dans la réalisation des moyens d'exécution. Le concours absolument gratuit de ces artistes leur fait honneur, et nous verrions avec plaisir leur talent et leur désintéressement récom-
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pensés sous une autre forme que la reconnaissance publique.
Ces premières résolutions prises, il nous manquait encore quelque chose, je dirai même le principal : tout le monde sait avec quelle générosité certains bienfaiteurs et certaines assemblées donnèrent l'élan à cette souscription nationale.
L'obole du pauvre et la générosité du riche, la patriotique souscription des communes et des conseils généraux, la bienveillante participation de certaines sociétés, ne tardèrent pas à nous procurer les fonds nécessaires à la réalisation de notre projet.
Aujourd'hui, ce monument est l'oeuvre de plus de quinze cents souscripteurs. Érigé sur de telles fondations, cimenté du sang de ces nobles chevaliers du XVe siècle, ce monument rappellera aux générations futures ces deux années 1450-1903.
Après le discours de M. le Maire, chaudement applaudi par toute l'assistance, M. Germain LefèvrePontalis a lu, au nom de la Société des Antiquaires de Normandie, le remarquable discours suivant, souvent interrompu, lui aussi, par de nombreux applaudissements :
Discours de M. Germain Lefèvre-Pontalis, au nom de la Société des Antiquaires de Normandie.
MESSIEURS,
L'impressionnante et superbe commémoration qui nous assemble aujourd'hui autour du symbole de la
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victoire de Formigny, en nous faisant à tous, ici présents au pied de ce fier monument, un même coeur et une même àme, impose à ceux qui doivent vous entretenir de cette épisode de l'histoire française et normande, une tâche d'honneur dont je sens tout le prix en même temps que tout le poids.
En m'associant à la célébration d'un anniversaire, dont la vieille terre historique du Bessin a gardé si fortement le culte, la Société des Antiquaires de Normandie me confie une mission qui m'honore autant qu'elle m'émeut. A son voeu de prendre ainsi la parole en son nom, je ne vois pas de meilleure réponse que de vous parler de vos aïeux, de redire aux Normands d'aujourd'hui, aux fils de ce sol et de ce pays, ce que furent leurs grands ancêtres normands d'autrefois, les précurseurs de ceux dont vous venez de saisir les rudes coups d'épée, les charges victorieuses, au cours de cette journée qui immortalise le renom du bourg de Formigny, du champ de bataille trempé de sang où se décida le triomphe de la cause nationale et l'expulsion d'un envahisseur abhorré.
Évoquons donc ensemble, Messieurs, sous le même ciel qui les vit naître et agir, dans ce même cadre de pays qui les trouva jadis à l'oeuvre, évoquons leur caractère et leur vie.
Tout vient de vous être dit sur la bataille même de Formigny, sur l'action du 15 avril 1450. Parles mêmes chemins, les mêmes points, les mêmes gués, les mêmes cultures qu'autrefois, vous venez de suivre pas à pas, entre Trévières, Aignerville et le ruisseau du Val, la marche et les hauts faits du comte de Clermont et du connétable de Richemont ; cavaliers, canonniers etar-
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chers, vous venez de voir tous les combattants à leur place, au travers de la grande route de Carentan, échelonnés sur les pentes du ruisseau, dans les courlils des maisons du bourg, derrière le talus des vergers, devant la forteresse improvisée qui vit la dernière convulsion de la lutte, à l'heure de 1 assaut enthousiaste qui remplaça par l'étendard de France la bannière anglaise abattue.
Mais ce n'est pas sur les héros du 15 avril, célèbres ou inconnus, que je voudrais ici attirer votre attention et votre souvenir. Je voudrais, dans un appel commun, plus vaste et plus large encore, étendre votre hommage sur leurs précurseurs, sur les combattants indomptables et tenaces, trop peu glorifiés encore, qui ont préparé, amené, rendu possible le jour libérateur de Formigny, ceux dont l'énergie quotidienne, la résistance têtue à l'invasion étrangère ont su, pendant des ans et des ans, maintenir sur le sol normand le sentiment passionné de l'indépendance et de la tradition nationale.
Ces combattants des campagnes normandes, ces partisans et guerroyeurs intrépides qui, du Cotentin au pays de Caux, du Mont-Sainl-Michel à la forêt d'Edu. luttèrent sans défaillance et sans relâche pour la liberté de leur pays, j'ai depuis longtemps pratiqué leurs exploits, vécu de leur vie. un peu crié leur histoire. Je voudrais en faire revivre devant vous quelques traits essentiels et quelques figures symboliques.
Non. vos aïeux n'attendirent pas les opérations de guerre du printemps de 1450 pour courir sus à l'envahisseur. Leur résistance a de plus hautes et de plus anciennes annales, et son livre de sang s'ouvre à chaque feuillet pour y noter une victime et un héros.
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Dès l'heure la plus oppressive de la conquête étrangère — commencée par le débarquement du roi anglais Henri V sur la plage de Touques, un fatal dimanche d'août 1417, continuée par la prise de Caen, de Bayeux, de Rouen, l'entrée en possession de Paris et de tout le gouvernement de la France — même au moment le plus désespéré de la cause française, alors que sur toutes les villes fortes flottait l'étendard anglais, les campagnes normandes — c'est un fait que je suis heureux d'avoir acquis désormais à l'histoire — n'avaient jamais cessé d'abriter des compagnies d'hommes libres armés, de partisans recrutés, soit parmi d'anciens combattants réguliers, soit parmi de simples habitants du pays, gens de métier, petits gentilshommes vivant de la terre, compagnies franches dont l'organisation, l'action, les opérations constituent toute une force souterraine qui possède elle aussi ses annales et ses fastes.
Groupés en bandes, ne possédant ni lieux forts, ni enceintes, n'ayant à eux que les routes, les bois et les landes, ces partisans ont des retraites, des armes, des dépôts secrets qui les font vivre. Des retraites, les halliers, les carrières, les ravins creusés au fond des forêts leur en ménagent. Parmi leurs frères sédentaires demeurés dans les bourgs, les hameaux et les écarts, ils ont des complicités et des intelligences que n'effrayent pas les terribles pénalités de la loi anglaise.
Des armes, ils en trouvent, ils savent où en prendre : les soldats anglais en ont pour eux. Des chevaux, l'ennemi en possède qu'ils lui enlèvent; à certains moments n'apparaissent-ils pas aussi bien montés que leurs adversaires, par pelotons de cavaliers défilant en
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ordre? Des vivres, des approvisionnements, les villages leur en fournissent au fond de leurs invisibles abris. Leurs blessés, ils les font soigner dans de sûres cachettes, abbayes, presbytères ou chaumières, où ni soins ni dévouement ne leur manquent. Des recrues, chaque affaire leur en amène de nouvelles. Du courage, ils n'ont à en chercher nulle part : leur réserve est en eux-mêmes, dans leurs coeurs et dans leurs bras.
Dans les compagnies qui bataillent ainsi sans trêve, toutes les classes sociales se trouvent confondues. On y trouve des cultivateurs, des journaliers, des bûcherons, des pêcheurs de rivière, des chasseurs de profession, des carriers, des tanneurs. Ils coudoient des commis de marchands, des sergents forestiers, des. clercs de procureurs. Des moines, des religieux y ligurent aussi, qui ont sauté les murs de leur couvent pour courir aux armes. Des gentilshommes du pays, fidèles à la cause française, qui savent la guerre, qui l'ont pratiquée en hommes du métier, leur font autant de chefs tout trouvés. Unis par la même passion d'aventures et de dangers, ils ont sacrifié leur gagnepain, leur terre ou leur château pour braver la conquête, qualifiés de brigands par la justice anglaise, préférant l'existence périlleuse du proscrit à la paix d'une soumission qu'ils renient. Aussi se défendent-ils pied à pied, risquant leur vie chaque jour, dans les bois qui entourent leur village, derrière les haies de leurs champs, à la vue de leur clocher natal et de leurs biens confisqués !
C'est à eux tous que s'adressait, en son véhément langage, le poète populaire, vibrant de l'émotion dé son temps, le grand Olivier Basselin, le maître foulon
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du Val de Vire, lorsqu'il jetait au vent, en strophes virulentes :
Entre vous, gens de village, Qui aimez le roi français, Prenez chacun bon courage Pour combattre les Anglais !
Prenez chacun une houe, Pour mieux les déraciner, Afin qu'on les esbaffoue, Autant qu'en pourrez trouver.
Ne craignez point de les battre, Ces « Goddem », panses à pois, Car un de nous en vaut quatre, Au moins en vaut-il bien trois.
Par Dieu, si je les empoigne, Puisque j'en jure une fois, Je leur montrerai sans hoigne De quel pesant sont mes doigts.
Voyons-les donc à l'oeuvre, ces « gens de village », si fortement mis en scène par le poète, ces manieurs de houe qui savent « déraciner » l'oppresseur.
A l'autre extrémité du pays normand, vers les frontières où la contrée de Caux se confond avec la Picardie, saluons les hardis chefs de bande, Fréminot Le Vasseur, Robin Crevin, Jeannin Galet, qui tiennent la campagne au long du pays de Bray, entre la forêt d'Eu et les approches de Beauvais.
Dans le Vexin, voici la forêt de Lyons, la grande et sombre forêt aux hautes futaies de hêtres, coupées de landes, de clairières aux pentes abruptes, plongeant à
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pic dans les vallées de l'Andelle, de la Lieure et du Bray ! Quels merveilleux abris, quelles retraites inaccessibles elle présente ! C'est là que, dès le début de l'invasion, s'est cantonné le boiteux Tabary, petit villageois difforme, improvisé capitaine, dont les soldats de fortune, au cours du siège de Rouen, ont mené si rude guerre aux détachements anglais. C'est là que, quelques années plus tard, se défend encore, trois ans durant, avec une bande d'hommes d'élite, un écuyer de la région, Jeannequin de Villers, combattant, blessé, soigné par un religieux de l'abbaye de Mortemer, remis sur pied et retournant de force, à peine valide, à la vie d'embuscade.
Sur les bords de la Seine, dans le dédale des îles et des chenaux, des berges noyées, des coudes et des anses du ileuve, des bandes sont aux aguets, utilisant les canots de pêche, les chalands, les lourds bacs de charge, passant d'une rive à l'autre les compagnies en quête d'exploits. Hn vain, le pouvoir anglais fait-il ramasser dans les parcs toutes les embarcations de rivières, pour arrêter toute traversée clandestine de troupes, il en demeure toujours assez de cachées sous les berges, de noyées entre deux eaux pour servir aux intrépides qui veulent passer d'un bord à l'autre. Audessus du contluent de l'Hure, dans les bois du Pontde-1'Arche, se tient un partisan redoutable, Pierre le Bigourdais, enfant du pays, du village de la HayeMalherbe; près de Louviers. C'est de là que, dans un accès d'audace inouïe, il traîne une conspiration qui devait rendre Rouen à la cause nationale, et qui. si la chance l'avait servi, avançait de vingt ans la libération de la capitale du duché de Normandie.
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Nous voici maintenant de l'autre côlé de la grande artère vitale du fleuve, face aux blanches falaises de Tancarville et de Harfleur. En Lieuvin, entre PontAudemer et Lisieux, recueillons les hauts faits de la forte Compagnie franche de Guillaume Halley et de Guillot le Vôtre, militairement organisée, qui, des bois épais de Cormeilles comme centre, tient, des années durant, tout le pays sous sa loi. — Autour de Bernay, c'est Roger Christophe, charpentier de son état, des environs de Fauguernon, qui apparaît aussi à la tête de bandes solides qui livrent aux Anglais de la région de vrais combats en règle.— Dans le Perche, autour de Laigle et du Merlerault, ce sont de petites armées paysannes, sous Jean Havau, sous l'écuyer Perrot le Saige, cette dernière assez puissante, assez bien commandée pour offrir aux Anglais de la garnison de Bonsmoulins une bataille rangée, près du village de Planches, grand combat historique demeuré inconnu jusqu'ici des annales officielles, et qui mériterait, lui aussi, quelque commémoration symbolique de la valeur et de l'entrain des volontaires normands d'alors.
Pays d'Auge, campagne de Caen, pays Virois, terre du Bessin ! Voici, courant leurs chemins creux, l'énigmatique « bâtard de Mixoudin », qui résume la résistance au début de l'invasion. Voici Robert de Carrouges, Guillaume de Brèvedent, jeunes écuyers qui mènent leurs hommes se joindre aux armées françaisesencore en ligne sur la frontière du Maine. Voici le vieux Colin le Vaillant, vieux gentilhomme de La Ferrière-Hareng, en bocage Virois, qui abandonne son manoir et tient les bois de la forêt l'Evêque, préparant l'attaque de la garnison anglaise de Torigni. Voici le
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borgne de Noce, le bàlard de Douville, dout les tètes tombèrent sous la hache à Lisieux.
Dans la contrée qui s'étend entre Carentanet SaintLo, à Tribehou, par exemple, les partisans sont en telle force que des guets nocturnes doivent être organisés par l'autorité anglaise, qui oblige les habitants à s'y rendre en armes. Autour de Bayeux, la domination étrangère est tellement abhorrée que le lieutenant du vicomte anglais de la ville, signalé pour la répression sans pitié qu'il exerce contre les partisans, voit détruire par d'invisibles mains tous les biens qu'il possède au dehors des murs de la cité. Quels appuis, quels dévouements sublimes ces derniers combattants de l'indépendance rencontraient-ils autour d'eux? Messieurs, je vous en fais juges, écoutez et gravez ce trait dans vos mémoires :
A Bayeux, le 29 avril de l'an 1424, une femme du village d'Esquay-sur-Seulles, convaincue d'avoir porté aide et assistance aux ennemis du roi d'Angleterre, est enterrée vive au pied du gibet de la ville. Retenez et honorez le nom de cette martyre, de cette humble fille du sol normand, victime de son courage de femme et de son amour du pays natal. Elle s'appelait Thomasse Raoul.
Quelle semence de haine, quelle moisson de vengeance future les oppresseurs de la Normandie mirent en terre avec elle, dans le sol du Bessin qui devait voir leur défaite suprême et leur expulsion de France, le jour que nous célébrons ici devait le faire entendre, vingt-cinq ans plus tard, aux soldats de Thomas Kyriel, dans les vergers de Formigny, vers le lieu du combat auquel une légende sanglante a conservé,
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à travers les siècles, le nom si significatif et si terrible de la « Saignerie des Anglais ! »
Mais, voici qu'un grand frisson a passé sur les courages ! Jeanne d'Arc a paru, a renouvelé toutes les énergies, surexcité tous les coeurs. De la traînée d'héroïsme qui se prolonge sur ses pas, de ses cendres jetées à la Seine du haut du pont de Rouen, une légion nouvelle de héros surgit à présent, moins inconnus que ceux que je viens de faire défiler sous vos yeux, mais dont le souvenir s'agrandit de la force de leurs oeuvres, de toute la hauteur de leurs grandioses entreprises.
C'est toi d'abord, pauvre chanteur populaire, obscur et héroïque Philippe Le Cat, qui conspirais en promenant de village en village ta harpe et tes complaintes, qui voulais arracher à l'étranger l'imprenable forteresse de Cherbourg, qui en savais les points faibles et en instruisais les partisans d'alentour, qui péris victime de la répression anglaise, sans avoir pu réaliser ton rêve !
Place, maintenant, au grand chef de l'insurrection en masse du pays d'Auge et du Bessin, à Jean de Chantepie, seigneur de Pontécoulant et de la Gondonnière, près Jurques, qui osa jeter contre les remparts anglais de Caen, en bandes immenses régulièrement armées, toutes les communes normandes soulevées d'un même élan. A la fin de l'automne de 1434, par les routes de Bayeux, de Vire et de Falaise, trois véritables armées paysannes marchent sur Caen. C'est au faubourg de Vaucelles que se porte l'assaut. A ce poste de péril, Chantepie trouve la mort, et ses troupes la défaite. Par milliers, dans les jours noirs de décembre, sur la terre mordue par la gelée, les cadavres couvrent le sol, tandis qu'à grande angoisse chacun
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regagne le village d'où l'on était parti plein d'espoir, ses armes rustiques à la main.
Avec Jean de Chanlepie, évoquons à présent, à l'autre bout de la Normandie, les trois chefs de l'insurrection qui fait germer du sol, l'an suivant, dans le pays de Caux, d'autres armées pareilles. Voici Charles des Marets, petit écuyer rural, disent les uns, ouvrier terrassier, disent les autres, en tout cas grand preneur de villes anglaises. Voici Jean de Grouchy, seigneur de Montérollier, près Tôles, surnommé le Père des Cauchois. Voici, enfin, conducteur de vingt à soixante mille paysans, Le Carruyer, paysan comme eux, au nom rustique s'il en fût. Ce que l'attaque de Caen venait d'être pour les gens du Bessin, l'assaut de Caudebec le fut pour leurs frères d'outre-Seine. Défaite après dix victoires, dispersion, routes jonchées de mourants. Mais l'idée libératrice était semée. Ici au moins, Dieppe e( Ilarfleur restent françaises. Marlleur, où la statue de Grouchy, chaque année, rappelle le souvenir des héros soulevés à sa voix.
Rn Basse-Normandie, cette année même, a reparu l'éternelle insurrection. Cette l'ois, c'est un Virois qui la conduit. Jean Bocliier. capitaine des communes, qui devient en quelques jours la terreur du nom anglais. Dans le rude hiver de 1435-1436, plus rude encore que le précédent, par deux pieds de neige qui couvre le Bocage, Bochier est partout, partout actif et partout menaçant. Dans tous les bourgs, la croix rouge anglaise, en forme de croix de Saint-André, le symbole détesté du joug étranger, disparaît des édifices, des écussons, des poitrines où la crainte l'imposait. F,es insignes de France, partout, refleu-
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rissent comme des roses de Noël ! Bochier et ses bandes s'avancent jusqu'au delà de Saint-Lo, sur la route de Coutances, vont attaquer Granville. Nul désastre final, cette fois, ne paraît les avoir fauchés. Jean Boschier, capitaine des communes, disparaît dans la légende, comme son compatriote, son ami sans nul doute, le grand Olivier Basselin.
Messieurs, j'en arrive à ce grand nom qui résume tout l'héroïsme, tout le décor de la vaillance normande, qui l'ennoblit et la poétise à la fois. Olivier Basselin, le maître foulon des Vaux de Vire, le gai chansonnier, l'entreprenant compagnon, le fier poète dont la noble figure, dégagée des traditions ridicules qui le rabaissaient au niveau d'un plat rimeur bachique, se dessine à présent, de pair avec celle d'Alain Chartier, comme une des plus pures gloires de l'histoire de Normandie.
De ses vallons aux flancs de granit tapissés de bruyères, de son moulin à drap où bientôt, je l'espère, s'élèvera un monument digne de lui et de son rôle, Basselin, entre deux poésies légères, pleines de charme et de tendresse, appelle aux armes ses compagnons du Val de Vire, prend les armes lui-même et marche à son rang, soldat improvisé, dans les bandes de Jean Bochier. Il est de cette rude campagne qui mène l'armée viroise jusqu'au delà de Saint-Lo. C'est sur cet épisode qu'il compose sa chanson célèbre, si longtemps travestie, enfin rendue à son vrai sens :
En la compagnie de Bochier Venus sommes au Val de Vire En pèlerinage à Saint-Gire.
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Ce pèlerinage au rendez-vous de Saint-Gilles, sur la route de Saint-l.o à la mer, c'est la marche armée des communes normandes, qui lui inspire, dans une autre pièce célèbre, l'apostrophe finale, naïve, touchante et passionnée :
Nous prierons Dieu de bon coer fin Et la douce Vierge Marie Qu'ils mettent les Anglais à fin ! Dieu le Père aussi les maudie !
Tel était, Messieurs, le souhait violent et légitime qui passait d'un même souffle sur toute la Normandie, quand se prépara, mûrement organisée par le roi Charles VII, ses hommes de guerre et ses hommes d'Etut, la journée libératrice dont le souvenir exaltant nous rassemble aujourd'hui.
Si Clermont et Richemont y firent merveille, n'oublions pas leurs vaillants, leurs admirables prédécesseurs. Vous venez de les voir en action, entretenant, pendant les pires années de notre histoire, le culte de l'indépendance, résistant à toutes les défaillances, préparant la voie à de plus heureux successeurs, nés de leurs souffrances et de leur sang.
Les ennemis d'autrefois — les ennemis éternels du génie de notre race, toujours dressés devant nous sur tous les pays du monde — ont à jamais repassé la mer ; plus jamais, la Normandie ne les reverra toucher le sol natal. Si, cependant, leur désastre final se décida sur les bords du ruisseau de Formigny, si, cependant, la place où nous nous tenons aujourd'hui fut appelée à voir un jour, par quelque beau couchant d'avril, le geste fraternel et chevaleresque des deux
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chefs de l'armée de délivrance, s'étreignant avec émotion après leur victoire, souvenons-nous que c'est à ces héros obscurs, dont nous venons de voir défiler les rangs pressés, que nous devons en partie ce triomphe et cette liberté, à ces héros tombés au coin des carrefours de vos cavées, derrière les talus de vos haies, derrière les buissons de vos landes.
Unissons-les donc dans un même hommage, dans un même élan de grave et éternelle reconnaissance, celui qu'un pays doit à tous ses fils morts pour lui, dans ces luttes renaissantes et fatales que chaque siècle voit éclore à nouveau sous de nouvelles formes, dont la liste n'est pas près d'être close, et où chaque vie d'homme, qui sait mourir en homme, scelle et enracine plus fortement encore les traditions d'énergie et de sacrifice qui font les peuples libres !
C'est alors que l'Orphéon Bai/ewsain, le choeur des Dames et la Société Philharmonique de Baveux ont exécuté, sous la direction de M. William Marie, la belle Cantate, composée spécialement pour la circonstance, sur les paroles de M. Emmanuel de Montcorin, par M. W. Marie, cantate dont nous sommes heureux de reproduire ici les stances si belles et si patriotiques :
Peuple français, à qui la destinée N'épargne pas les troubles anxieux, Viens célébrer l'héroïque journée Où jadis la victoire^a sauvé nos aïeux !
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Les vaincus d'Azincourt ont pu rompre la chaîne
De leurs triomphants ennemis ; Ils attendent les temps de liberté prochaine
Que Jeanne d'Arc leur a promis.
Les temps féconds par qui le Ciel s'épure Et dont l'aube semble approcher,
Perdus jadis par la'débauche impure Et reconquis par le bûcher.
Au fond des coeurs que soutient l'espérance
Couve et grandit un invincible feu :
Boutez, Français, les Anglais hors de France !
Dieu le veut ! Dieu le veut ! Dieu le veut I Dieu le veut !
Dieu le veut !
Dieu le veut ! mais hélas ! le meurtre et l'incendie
Jettent encore au loin l'effroi ! Dans tes champs dévastés, terre de Normandie,
La France n'est plus à ton Roi !
Sur tous les fronts la terreur se révèle, Tout est sanglot, tout est douleur,
Et c'est en vain que la saison nouvelle A blanchi les pommiers en fleurs.
Après la nuit, n'est-il donc plus d'aurore? Au fond des coeurs l'espoir n'est-il qu'un jeu? Car la voix tremble en soupirant encore : Dieu le veut ! Dieu le veut ! Dieu le veut !
Oui, c'est là le cri de la revanche,
Clermont le répète à son tour Et dans Formigny même, où l'Anglais se retranche
Attaque dès le point du jour.
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Ils sont un contre trois, mais qu'importe le nombre Quand on a dit vaincre ou mourir !
Pourtant ils vont plier devant la force sombre, S'il n'est renfort pour secourir.
Dieu le veut ! cette fois encore, en notre histoire,
Changeant la déroute en succès, Richemont apparaît pour rendre la victoire
Et la Normandie aux Français.
Au fond des coeurs que soutient l'espérance Couve et grandit un invincible feu : Boutez, Français, les Anglais hors de France ! Dieu le veut 1 Dieu le veut ! Dieu le veut ! Dieu le veut ! Dieu le veut !
Les soli ont été admirablement interprétés par M"e de Jerlin.
Malgré les efforts aveugles d'un conducteur de tramway, qui paraissait vouloir faire entrer le sifflet de sa machine dans le concert des voix et des instruments, l'effet de cette cantate a été magnifique et toute l'assistance a applaudi chaleureusement l'élan enflammé qui termine la dernière strophe.
M. Marquez, un normand de Coutances, l'incomparable président du Bouais-Jan, en même temps vice-président du Conseil général de la Seine, dernièrement (1er février 1904) armé chevalier de la Légion d'honneur, délégué par ses collègues, a pris ensuite la parole au nom de la ville de Paris ; dans un spirituel discours, maintes fois interrompu par de frénétiques applaudissements, il a montré la
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Normandie occupant à Paris une place chaque jour plus importante, et Paris s'associant fie grand coeur à la fête organisée par le patriotisme normand.
Discours de M. Marquez, délégué du Conseil général de la Seine.
MESDAMES,
MESSIEURS,
Ces temps derniers, un grave journal de la région constatait avec une pointe d'amertume bien excusable, que Rouen, avec ses cent dix mille habitants, allait cesser d'être capitale de la Normandie, et. que déjà Paris s'apprêtait à revendiquer ce titre glorieux, au nom des deux cent mille normands qui l'habitent.
Je suis heureux de pouvoir calmer les alarmes de cette feuille, trop prompte à s'émouvoir, en lui affirmant qu'il n'est nullement question, ni à la Chambre des députés, ni au Sénat, de déposséder Rouen au profit de Paris.
Bien plus, c'est le contraire qui est la vérité, et l'antique Lutèce, quoi qu'elle fasse, est à la veille d'être réunie au duché de Normandie.
En voici des preuves irréfutables :
Aujourd'hui, le Conseil municipal de la VilleLumière et le Conseil général de la Seine, comptent sept normands pur sang, et hier encore, le maire de Paris, préfet du la Seine, était un vrai normand, qui pendant de longues années a magistralement administré le premier département de France, et vous
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avez le droit de le revendiquer comme un des plus illustres enfants de votre pays.
Ce n'est point tout : les bureaux de cette même préfecture sont occupés, à tous les degrés de la hiérarchie, par nos compatriotes qui y font bonne figure.
Dans les ministères, les académies, les facultés, les grandes administrations publiques, la magistrature, l'armée, la haute banque, le haut commerce, ce sont toujours des normands qui en détiennent les postes les plus éminents et les plus enviés.
Partout en un mot, notre race conquérante a su prendre une place prépondérante dans les arts, les lettres, les sciences, l'industrie, et préparer pour un jour prochain l'annexion de Paris à la Normandie.
Ne vous étonnez plus maintenant de voir le Conseil général de la Seine, représenté ici — bien modestement, il est vrai — par un des siens, normand de naissance et demeuré normand de coeur.
Cette assemblée a voulu, en me désignant pour assister à cette cérémonie patriotique, montrer les sentiments de solidarité qui l'unissent à la province et particulièrement à la Normandie.
Je suis heureux et fier de saluer en son nom la mémoire glorieuse des héros de Formigny et la terre normande où s'est accompli naguère cet exploit héroïque qui mit fin à la plus effroyable des tueries.
Cette lutte terrible durait depuis un siècle, ensanglantant la France et ruinant notre belle et riche contrée, base des opérations militaires de l'ennemi; se poursuivant avec des alternatives de revers et de succès.
Crécy, Poitiers, Azincourt en sont les phases douloureuses, et si la lutte fratricide des Armagnacs et
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des Bourguignons paralyse les efforts de Duguesclin, avec Dunois, La Hire, Xaintrailles, apparaissent des jours moins sombres, un moment ensoleillés de gloire et de radieuse espérance par Jeanne la Lorraine.
Mais c'est au connétable de Richemont et à ses nobles et vaillants compagnons d'armes que devait échoir l'honneur impérissable de chasser l'Anglais de notre cher et bien aimé pays.
Grâce à ces preux, vieillis dans les alarmes, comme dit notre grand poète, la France pacifiée put goûter les bienfaits d'une paix féconde, reprendre à la tête des nations son rôle civilisateur, dédaigner des lauriers teints de sang, préparer dans le calme et le recueillement la Renaissance, cette aurore des temps modernes qui brille sur le vieux monde d'un éclat incomparable, montrer aux nations déconcertées et stupéfiées, son étonnante vitalité, et crier bien haut à ses ennemis que le finis Galliw était tout à la fois un mensonge, une impiété, un blasphème.
Gloire à la mémoire des héros de Formigny, libérateurs du territoire !
Honneur à ceux qui ont bien mérité de la Normandie, en organisant cette grandiose manifestation et payé aux vainqueurs de 1450 une dette sacrée de reconnaissance.
Honneur à l'éminent artiste dont l'oeuvre admirable perpétuera aux générations futures l'héroïsme des ancêtres !
J'invite tous ceux qui ont au coeur l'amour du pays normand à répéter avec moi ce cri de nos pères :
En avant la Normandie !
Pour la France ! et pour la République !
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M. P. de Longuemare, parlant au nom de la Société française d'Archéologie et de l'Association Normande, s'est exprimé en ces termes :
Discours de M. P. de Longuemare, délégué de la Société française d'Archéologie et de l'Association Normande.
MESSIEURS,
Sur l'une des places de la ville de Bayeux s'élève la statue d'un normand passionné pour nos gloires nationales, d'un érudit qui avait su comprendre le charme et la beauté de nos vieux monuments, d'un philanthrope qui voulut son pays prospère et ne se désintéressa d'aucune de ces questions vitales d'où dépendent la richesse et le bien-être d'un peuple. Elle est bien là, dans cette ville de Bayeux, cité aux vieilles traditions de sapience et de patriotisme, l'image de Caumont, lui, le savant voué au culte du passé, Je patriote ardent pour lequel le souvenir fut un sacerdoce. Et aujourd'hui, en ce jour consacré aux souvenirs glorieux, au moment où nous inaugurons ce chef-d'oeuvre dû au ciseau habile d'un artiste éminent et qui perpétuera la mémoire d'un acte héroïque, devait-on oublier que M. Caumont voulut, lui aussi, commémorer ce fait historique. Qu'il eut l'initiative d'un monument plus modeste et que grâce à lui, non loin de la chapelle du comte de Clermont, alors en ruine, s'éleva sur ce coteau une colonne destinée à rappeler la sanglante bataille, décisive et libératrice.
Vous ne^ l'avez pas pensé, Messieurs. Vous avez
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voulu qu'en cette journée, Caumont fût présent au milieu de vous, présent dans la personne des sociétés qu'il a fondées, iilles de son génie créateur, fidèles dépositaires de sa pensée, continuatrices de ses oeuvres. Et c'est pourquoi je viens, moi aussi, m'incliner devant ce monument [au nom de celui qui n'est plus, au nom des sociétés qui lui doivent leur existence féconde.
C'est d'abord la Société des Antiquaires de Normandie qui groupa en 1823 autour de Caumont des hommes tels que l'abbé de La Rue, Auguste Le Prévost, Léchaudé d'Anisy, de Magneville et, plus tard, Georges Villers, le conseiller Renaud, Julien Travers, Eugène de Beaurepaire, pour ne parler que de ceux qui ne sont plus. La Société des Antiquaires qui eut pour directeurs : Guizot, La Sicotière, Charles de Beaurepaire, les cardinaux de Bonnechose et Thomas, le comte de Contades, Darcelle, G. Le Vavasseur, Ed. Corroyer. Siméon Luce, Passy, Léopold Delisle, Jules Lair, Gaston Paris, le comte de Lasteyrie, et tant d autres. Ne semble-t-il pas, Messieurs, qu'en, ce moment, en citant ces noms au hasard, je lis une page de l'Annuaire de l'Institut? Or, ces savants éminents furent toujours heureux et fiers de diriger les travaux d'une société dont le renom s'est étendu au delà de la Normandie, par delà nos frontières, et qui, en Angleterre, en Espagne, au Danemark, en Autriche, en Belgique, en Amérique, compte de nombreux membres correspondants.
C'est ensuite la Société française d'Archéologie. On sait ce que Caumont fut pour nos vieux monuments ; n'a-t-il pas, suivant l'expression heureuse de Léon
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Gautier (1), « redonné la vie à l'archéologie nationale? » N'est-ce pas lui qui fut, comme l'a dit le comte de Montalembert (2), « l'un des auteurs et des principaux instruments de cette heureuse régénération en faveur du Moyen âge... n'est-ce pas lui qui a rappelé en quelque sorte à la vie l'art de cette époque? 11 a tout vu, tout étudié, tout deviné, tout décrit. Il a plus d'une fois parcouru la France pour sauver ce qui a pu être sauvé, pour découvrir non seulement les monuments, mais, qui est plus rare encore, les hommes qui pouvaient les aimer et les comprendre ». Ces hommes, nous les trouvons à la Société française d'Archéologie, continuateurs des traditions du maître et ayant à leur tète MM. de Gougny, Léon Palustre, l'éminent auteur de la Renaissance en France ; le comte de Marsy, érudit d'une courtoisie exquise, homme de coeur s'il en fût, aimé et respecté de tous ; enfin M. Eugène Lefèvre-Pontalis, directeur, et M. Emile Travers, directeur-adjoint, dont tous connaissent les travaux, et qui, s'ils n'avaient été retenus l'un et l'autre par des deuils cruels, auraient dû occuper cette place. Avec de tels hommes, la Société française d'Archéologie est devenue ce que la rêvait son fondateur ; son influence incontestée s'étend sur la France entière.
C'est enfin l'Association Normande, cette société si chère à M., de Caumont qui avait tenu à favoriser tout spécialement sa province en confiant des intérêts de nature fort diverse à un groupe d'hommes aux connaissances variées, aux compétences différentes, et qui
(1) Revue des questions historiques.
(2) Discours lu au Congrès archéologique de Troyes (1853).
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sauraient, suivant l'heure, |trouver parmi eux îles spécialistes puui* traiter les questions littéraires comme les questions agricoles, favoriser les heaux-arts, encourager l'industrie. Telle qu'il l'a laissée, cette société subsiste aujourd'hui, pleine de vie et d'activité. Ses congrès aunuels sont toujours aussi suivis et réunissent tous ceux qui s intéressent à la prospérité de la province. Là, comme à la Société française d'Archéologie, les successeurs de Caumont portent des noms connus et non tombés dans l'oubli ; ils s'appelèrent de Glanville, de lioissy, de Yigneral, E. de Beaurepaire. Voici, Messieurs, une partie de l'oeuvre de Caumont, la seule dont j'ai reçu mission de vous parler. Voici les Sociétés que vous avez conviées à Formigny en celte heure réservée au passé. Héritières des traditions de leur fondateur, conservant fidèlement comme lui l'amour du • sol et de la patrie normande, heureuses de recueillir tous les souvenirs glorieux, fîères de. les perpétuer, elles oui répondu avec empressement à l'appel de leur soeur de Bayeux, elles ont tenu à s'associer à cette fêle en y étant spécialement représentées. Or, chose vraiment touchante, par une suite de circonstances qu'il serait trop long de rappeler, mais auxquelles il m'est permis de faire allusion, M. de Caumont, se survivant en quelque sorte, a été lui-même l'un des plus généreux souscripteurs au monument de Formigny, et, celte fois encore, la Société française d'Archéologie, sa mandataire fidèle, a été heureuse de la part très large qu'elle prenait ainsi à l'érection de ce monument cher à tous les coeurs français.
Vous me pardonnerez, à moi qui représente ici les
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sociétés qu'il a fondées, d'avoir rappelé la mémoire et les oeuvres de M. de Caumont au moment où nous voyons son idée première réalisée de façon grandiose, admirablement idéalisée.
A vous, Messieurs, en revient tout le mérite, et nul ne le contestera, car sans vous, rien n'aurait été fait ; cependant, n'était-ce pas un devoir de reporter quelque peu notre pensée sur l'auteur de la modeste colonne si bien remplacée maintenant. Ne pouvons-nous pas nous dire que si lui-même nvavait pas eu la fidélité à ce souvenir historique, l'initiative d'en consacrer la mémoire, peut-être l'oubli régnerait en ces lieux; et, songeant à ces choses, je ne puis m'empêcher de me rappeler la devise gravée sur la médaille qui fut offerte à M. de Caumont, en 1861, laborieuse devise qui semble avoir été celle de toute sa vie : « Semons, marchons toujours, récoltera qui pourra ».
Enfin, M. le sénateur Tillaye, qui avait le patriotique honneur de présider cette inoubliable cérémonie, où le Gouvernement, comme le dit si finement, dans la préface de son travail sur Formigny, notre éminent concitoyen et membre de l'Institut J. Lair, « par excès de courtoisie diplomatique, n'a pas paru », a élevé la voix au nom de l'Association des Combattants de 1870-1871.
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Discours de M. Tillaye, sénateur du Calvados, au nom des Combattants de 1870-71.
MESDAMES, MESSIEURS,
M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, retenu par d'autres devoirs de sa haute fonction, nous a exprimé tous ses regrets de ne pouvoir se rendre aujourd'hui à Formigny pour présider cette imposante et patriotique cérémonie. C'est à cette circonstance imprévue que je dois le grand honneur d'occuper une place qui lui revenait de droit, le monument de Formigny ayant été érigé sous les auspices de la Société des Sciences, Arts et BellesLettres de Bayeux, et grâce au zèle infatigable de son distingué président M. Desclosières.
Cet honneur, dont je sens tout le prix, m'impose une obligation qu'il m'est bien doux de remplir : c'est de saluer, après les brillants orateurs que vous venez d'entendre, les vainqueurs de Formigny, les héros de la mémorable journée du 15 avril 1450, ceux qui, obscurs et illustres, depuis les grands chefs jusqu'au plus humble des soldats, ont participé au plus brillant l'ait d'armes de cette douloureuse époque — ils ont, non seulement affranchi du joug de l'étranger notre chère Normandie, mais ils ont encore, par cette victoire, assuré la libération entière du territoire français.
Comment oublier de tels hommes et ne pas iixer
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ici même, par un monument digne de leur vaillance, le souvenir de ces grands guerriers?
Honneur à tous ceux qui en ont eu la pieuse pensée !
Honneur aux artistes éminents qui l'ont si heureusement traduite !
Aujourd'hui, nous admirons leur oeuvre, mais notre pensée va plus loin et à côté des vainqueurs de Formigny, ce sont tous nos héros qui se lèvent et nous apparaissent dans la vision radieuse d'une épopée sublime. C'est avant ceux-ci, Jeanne d'Arc, la grande Lorraine, dont ils ont continué et achevé l'oeuvre libératrice?
Ce sont, après eux, les glorieuses phalanges républicaines de Jemmapes et de Valmy qui, à leur tour, chassèrent l'étranger de notre sol envahi !
C'est encore, et plus près de nous, la grande image du patriote vaillant qui, dans nos derniers malheurs, sauva par son indomptable énergie l'honneur de la France, notre chère patrie !
Ainsi se trouvent réunis, pour se donner la main à travers les siècles, les héros de Formigny et ceux qui, à toutes les époques de notre histoire, ont défendu pied à pied le territoire envahi et lutté pour l'indépendance de notre grand pays.
Aussi, votre place était-elle au pied de ce monument, sous les plis de vos drapeaux, combattants de l'année terrible, vétérans de nos armées de terre et de mer, vous qui n'oubliez pas, vous sur lesquels n'ont aucune prise les souffles de désespérance ni les clameurs de ceux qui renient la Patrie !
Pour vous et pour tous, ce monument est et sera une leçon vivante du patriotisme le plus pur sur cette terre normande, où les coeurs sont fidèles au culte des aïeux ?
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L'heure avancée n'a pas permis à M. Charles Lemire de lire le discours au nom de l'Association des Écrivains et Publicistes militaires, maritimes et coloniaux.
Aussitôt après la cérémonie solennelle d'inauguration a commencé, dans la cour de la mairie, le concert donné par les trois Sociétés musicales de Bayeux.
La Musique Municipale a joué l'ouverture de « Vercingétorix », de GafFot; les « Saltimbanques », de Ganne, et a clos le concert par une Muette de V. Turine, « Si tu voulais ».
La Société' Philharmonique a fait entendre la « Marche du Prophète », de Meyerbeer, et la valse « Espana », de Waldteufel.
h'Orphéon liayeusain a chanté deux choeurs : « Gloire à la France », de Bazin, et « Sur les Remparts », de Saintis ; puis, avec le concours de l'orchestre, le « Choeur des soldats de Faust », de Gounod.
Par ailleurs, ont lieu des jeux divers, des courses vélocipédiques, des lancements de ballons et une fête foraine, pour occuper, délasser et délecter la nombreuse assistance qui est venue prendre part à cette fête normande du souvenir.
Au champ de la fête, « dans ce temple de la gastronomie placé sous le vocable de Pantagruel et de Gargantua, s'engouffrent, dit notre spirituel compatriote Marquez, des milliers de paysans accablés de faim et de soif. Repus et satisfaits, le ventre plein, le gosier congrûment humecté, ils en sortiront le
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soir seulement, à l'heure du feu d'artifice, prédisposés à voir trente-six chandelles romaines ».
À 6 heures 1/2 a eu lieu le banquet officiel, auquel ont pris part une centaine de convives. Il a été un peu précipité pour permettre aux invités de prendre le train de 8 heures, mais il a été admirablement organisé et servi par les soins de M. Huchez, de Bayeux.
Au Champagne, comme d'usage, les toasts se succèdent : toasts de MM. Joret-Desclosières, Rauline et du sénateur Tillaye qui, faisant une discrète, — mais significative, — allusion à « l'absence de représentants officiels du Gouvernement », a porté la santé du chef de l'Etat, M. Emile Loubet, et bu à la France et à la République.
De fait, il n'y avait à Formigny ni ministre, ni délégué d'aucun ministre, ni préfet, ni sous-préfet, ni fonctionnaire de quelque ordre ou de quelque rang que ce soit, — à moins que l'on ne compte parmi les fonctionnaires les agents et employés de la commune de Formigny.
En un mot, personne ne représentait le Gouvernement.
Et pourtant, dès le principe, le Comité d'études et la municipalité de Formigny avaient fait toutes les démarches nécessaires pour demander à M. le Ministre des Beaux-Arts de bien vouloir présider une fête organisée par une société savante, et destinée à perpétuer le souvenir d'un des plus glorieux événements de notre histoire nationale...
Et, le 15 avril 1903 (comme nous l'avons dit plus haut), jour de la réception du monument par le
488 SESSION TENUE A LOUVIERS, EN 1903.
Comité et de la fixation définitive de la date de l'inauguration, une lettre officielle d'invitation avait été adressée, de Forraigny même, à M. le Ministre, par M. le Maire de Formigny et M. le Président du Comité d'études.
Depuis lors, de nombreuses démarches ont été faites à Paris pour appuyer et renouveler cette invitation et prendre une date agréable à M. le Ministre. Enfin, par lettre du 28 mai, M. Chaumié, ministre de l'Instruction publique et des BeauxArts, éprouve le très vif regret de ne pouvoir accéder au voeu qui lui a été exprimé au nom de la municipalité de Formigny et du Comité d'études, étant lui-même appelé à Toulouse, et le chef de son cabinet se trouvant dans l'impossibilité de quitter Paris à la date du 1er juin. — En même temps des invitations par lettres personnelles avaient été adressées à M. le Préfet du Calvados et à M. le Sous-Préfet de Baveux.
A ces invitations, on n'a voulu faire que des réponses dilatoires, évasives... et en définitive personne n'est venu.
On aurait dit qu'un mot d'ordre avait été donné, et que tout ce qui, de près ou de loin, touche à l'administration, aurait eu la consigne de s'abstenir.
Nous avons entendu expliquer cette attitude par diverses raisons qu'il ne nous appartient pas d'approfondir ; car, suivant M. Jules Lair, « un hommage rendu aux braves gens qui délivrèrent la patrie en 1450, ne pouvait être considéré comme une provocation ni même comme un manque d'égards
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à, l'adresse d'un pays où, tous les ans, on renouvelle, dans la salle des gardes de Windsor, un drapeau blanc fleurdelisé et un drapeau tricolore, souvenirs de nos défaites à Blenheim et à Waterloo ».
Ces abstentions ont paru regrettables dans une fête qui, en dehors de tout parti politique, réunissait tous les coeurs français dans un même élan de réjouissance nationale et de patriotisme.
Le soir, les promeneurs, après s'être largement réconfortés sous les tentes des restaurateurs, se répandent par le village pour jouir de la vue de la fête de nuit admirablement réussie.
Parmi les guirlandes de verdure et les gerbes de fleurs, se détachent lampions, verres de couleur et ballons lumineux. La mairie, l'estrade des musiciens, l'église, le presbytère, la chapelle, coquettement agencés, attirent tous les regards. Les habitations particulières, où chacun, suivant ses goûts et ses moyens, y a été de son illumination particulière, offrent un spectacle des plus originaux. Tous sont unanimes à se récrier sur le gracieux et pittoresque tableau que leur offre le village en liesse. Ces illuminations nombreuses et superbes font le plus grand honneur au zèle des habitants de la commune de Formigny.
Soudain, le monument commémoratif, jusque-là resté dans l'ombre, apparaît grandiose dans des auréoles lumineuses de diverses couleurs. Une immense acclamation salue l'oeuvre admirable du sculpteur Le Duc, l'âme de la foule s'élève à la hauteur de la conception du maître, et la fibre patriotique vibre, intense, dans cet éclatant hommage à
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l'héroïsme des ancêtres si magnifiquement célébré.
On tire ensuite un splendirle feu d'artifice fourni par M. Couillard, de Bayeux. La pièce allégorique, représentant, sous les lettres R F, la date du 15 avril 1450 entourée de lauriers, soulevé un tonnerre de bravos.
Mais, voici qu'un roulement de tambours annonce la dernière partie de la fête, la retraite aux flambeaux, ce final si populaire, qui groupe dans une joyeuse phalange, musiciens, pompiers, habitants et visiteurs. L'énorme cortège part de la mairie pour se rendre près de l'église, revient sur ses pas, et redescend jusqu'à la vieille chapelle Saint-Louis, pour revenir enfin se disloquer à la mairie. L'exécution de « la Marseillaise », chantée par l'assistance, clôture cette cérémonie.
Telle a été cette fête patriotique si bien organisée par M. P. Rauline, maire de Formigny, que l'on doit hautement féliciter de l'initiative, du zèle, de l'intelligente activité et du tact exquis dont il a fait preuve en la circonstance, et qui ont été couronnés d'un si grand et si magnifique succès. Il a su, a écrit un de ses invités, avec un art inconnu de bien des gens, contenter tout le monde, — ce qui n'est pas facile.
La grandiose manifestation du 1er juin 1903 est la preuve éclatante que le virus mortel des doctrines internationalistes n'a pas encore entamé le bon sens normand, ni la mentalité des vrais français. Les uns et les autres, répondant à l'appel de la municipalité de Formigny et du Comité d'études, étaient venus, unanimes, payer, en ce jour qui fut
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si beau, la dette de reconnaissance de la France envers ceux qui l'ont sauvée. Nationale et patriotique, telle a été la fête de l'inauguration du monument élevé à la gloire des ancêtres, illustres ou inconnus, dont le sang généreux délivra notre sol de la souillure de l'étranger. Pour nos populations démocratiques, qui y ont manifesté hautement leurs sentiments patriotiques et leur culte du souvenir, les bonnes relations du présent n'ont pas atténué le souvenir d'un glorieux passé, un souvenir qui nous est doux, qui nous rend fiers. Et quand même le temps effriterait le granit du piédestal, quand même il renverserait le bronze qui le surmonte, dans tous les coeurs normands restera écrite, ineffaçable, la date immortelle du 15 avril 1450. Gloire aux aïeux !
BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRE D'UNE COMMUNE. GRANDES VENTES AUTREFOIS ET AUJOURD'HUI, par V. Dupré, in-8° Jésus de 300 pages, 1901. Dieppe, imprimerie Dequen.
L'Association Normande a décerné à M. Dupré, directeur honoraire d'école, officier de l'Instruction publique, une médaille de vermeil pour son ouvrage intitulé l'Histoire d'une Commune. Grandes Ventes autrefois et aujourd'hui.
Nulle récompense n'était mieux méritée, cet ouvrage se recommande en effet par la clarté de son plan et l'abondance des documents recueillis. On peut y suivre le développement d'une commune rurale à travers les siècles. C'est là la meilleure façon d'écrire l'histoire ; car l'histoire générale ne peut être faite qu'à l'aide de ces histoires particulières sérieusement documentées.
Ajoutons que l'auteur ne perd aucune occasion de profiter des événements et des faits pour en tirer des leçons de morale civique et de patriotisme, ce qui augmente de beaucoup la valeur de l'ouvrage.
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FORMIGNY. ÉTAT DU BESSIN APRÈS LA DESCENTE DE HENRI V EN NORMANDIE. RÉVEIL DE L'ESPRIT FRANÇAIS. BATAILLE DE FORMIGNY ET SES CONSÉOUENCES, par M. E. Anquetil, correspondant du ministère des beaux-arts, vice président de la Société des sciences, arts et belles-lettres de Bayeux, inspecteur de l'Association Normande, etc. Bayeux; Saint-Ange - Duvant, 1903, in-8° raisin.
Le travail de M. Anquetil sur Formigny constitue incontestablement l'étude la plus sérieuse et la plus- complète qui ait été publiée jusqu'à ce jour sur le grand fait d'armes du 15 avril 1450.
Remontant, dans un résumé tracé de main de maître, aux origines de la guerre de Cent ans, l'auteur nous rappelle les deux débarquements successifs d'Henri V de Lancastre en Normandie, la conquête de cette province par les Anglais, la prise de Bayeux et des autres villes fortes, le régime de confiscation et de terreur imposé par les conquérants, puis la surexcitation croissante causée par leurs exactions; les insurrections, d'abord rares et isolées, puis plus fréquentes et tendant de plus en plus à un soulèvement général; enfin le réveil du patriotisme français, la glorieuse intervention de Jeanne d'Arc, l'organisation de l'armée française, les succès remportés par elle et par les chefs de partisans, enfin la reprise de la plupart des villes normandes et l'État de notre pays au commencement de l'année 1450.
Puis vient le récit détaillé de la bataille de Formigny; nous ne l'analyserons pas : il faut le lire
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en entier, et le lire avec la carte sous les yeux, ou mieux encore avec cette connaissance du pays que l'auteur possède à fond, et qui permet à nos compatriotes de suivre son récit comme s'ils assistaient réellement à la glorieuse action qui arracha notre province au joug de l'étranger.
Les conséquences de la victoire de Formigny, la'reprise de Bayeux, de Caen, de Vire, de Cherbourg, l'expulsion définitive des Anglais, sont racontées avec une grande précision et font vivement ressortir l'importance capitale de la célèbre bataille qui illustra à jamais le territoire de notre Bessin.
Après l'indication complète des nombreux documents historiques consultés par l'auteur, on trouve, en appendice, de fort intéressants détails sur les monuments commémoratifs de la bataille : la chapelle Saint-Louis fondée par le comte de Glermont par acte d'avril 1486 ; la borne monumentale érigée le 25 août 1834 par les soins de M. Arcisse de Caumont; la tapisserie du château de Fontainebleau; les tableaux de l'église paroissiale de Formigny, de la salle des Pas-Perdus du Palais de Justice de Bayeux, des galeries de Versailles et du musée de Bayeux; enfin les médailles frappées en mémoire et en réjouissance de l'expulsion des Anglais, et les armes diverses trouvées sur le champ de bataille et conservées dans différentes collections publiques ou privées.
Le mémoire de M. Anquetil est un véritable monument élevé « à la gloire de nos aïeux », selon l'épigraphe choisie par l'auteur et reproduite sur le piédestal du monument de Formigny ; c'est une
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oeuvre de science et de patriotisme qui a droit aux meilleurs suffrages de tous ceux qui ont le culte des souvenirs du passé, de la grandeur de la France et de nos gloires nationales. C. GARNIER.
Tirage sur beau papier, avec deux photogravures représentant le monument de Formigny, la chapelle Saint-Louis dans l'état ancien et Fétat actuel, et un plan de la bataille, avec légende, in-8° raisin, 5 francs.
La bataille de Formigny et ses conséquences, avec une vue du monument et un plan de la bataille (extrait), 1 fr. 75.
En vente : à Paris, chez Champion ; à Caen, chez L. Jouan ; à Bayeux, chez les principaux libraires et l'auteur.
HISTOIRE DE VIMOUTIERS, par A. Pernelle, in-8° de 212 pages, 1903. Vimoutiers, imprimerie H. Catois.
Notre collègue M. A. Pernelle, ancien maire de Vimoutiers, vient de faire paraître une intéressante histoire de Vimoutiers. C'est encore une monographie locale écrite avec grand soin et qui doit aider puissamment ceux qui plus tard voudront écrire une histoire de la Normandie.
M. Pernelle prend l'histoire de Vimoutiers depuis son origine sous les ducs normands, à l'époque où des guerres perpétuelles entre seigneurs rivaux ensanglantaient le sol de la province, et il la conti-
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nue jusqu'aux sombres journées de la guerre de 1870.
Nous félicitons notre collègue d'avoir ainsi élevé un monument durable en l'honneur de la vieille cité, dont il a été de longues années l'administrateur éclairé et intègre.
JEANNE D'ARC EN PICARDIE ET EN NORMANDIE (1430-1431). — LE CONNÉTABLE DE RICHEMONT A PARIS ET A FORMIGNY (1431-1450), album commémoratif de la délivrance avec 3 cartes et 18 gravures, par Ch. Lemire, correspondant du Ministère de l'Instruction publique, lauréat de l'Institut, etc. Leroux, éditeur, 28, rue Bonaparte, Paris.
L'album de M. Charles Lemire et la notice qu'il renferme sont en quelque sorte le complément de la notice de notre collègue M. Ànquetil sur l'inauguration du monument de Formigny. Nous ne saurions trop féliciter M. Lemire de l'heureuse idée qu'il a eue, ni trop le remercier d'avoir bien voulu permettre aux membres de l'Association Normande présents à Louviers, d'apprécier la publication dont il est l'auteur.
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE
Station pomologique de Caen.
La Station pomologique qui vient d'être créée dans le département du Calvados et dont le siège est à Caen, 82, rue de Geôle, a pour objet l'étude de toutes les questions relatives à l'industrie du cidre; elle a pour but de venir en aide aux cultivateurs et aux fabricants en les éclairant sur les moyens pratiques d'obtenir dans leurs caves un cidre possédant le maximum de qualités marchandes.
Elle étudiera les meilleures façons de faire la récolte des fruits, la fabrication du cidre et sa fermentation; elle recherchera les meilleurs procédés de conservation de ces produits, et les moyens de les prévenir contre les maladies auxquelles ils sont sujets.
Depuis longtemps déjà, les pays cidriers étrangers possèdent des stations cidricoles, et en ont constaté les excellents résultats.
Il était bon que la France ne restât pas en arrière, et c'est grâce au concours du Ministère de l'Agriculture, du Conseil général du département
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du Calvados et de la ville de Caen, que vient d'être créée la première Station pomologique française.
Avec les moyens d'action dont il dispose, le nouvel établissement se livrera à des travaux de recherches poursuivis au laboratoire et dans les cidreries; il s'attachera surtout à l'oeuvre de propagande et de vulgarisation par des consultations gratuites, des analyses, des conférences publiques et des essais de démonstration.
La station est ouverte tous les jours, de 9 heures à 11 heures et de 3 heures à 5 heures, au public qui pourra venir y chercher tous les renseignements dont il peut avoir besoin et y apporter les échantillons de fruits, de cidres et d'eaux-de-vie à analyser.
Les analyses faites présentent toutes les garanties que peut donner un établissement officiel, et sont payées au tarif accoutumé des laboratoires similaires.
Caen, le 10 novembre 1903.
Le Directeur de la Station pomologique,
G. WARCOLLIER. Vu et approuvé :
Le Préfet du Calvados,
F. BRET.
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 499
Depuis la fondation de là Station pomologique, M. Warcollier, directeur de cette station, a fait à diverses sociétés, et notamment à la Société d'agriculture et de commerce de Caen, des communications concernant les questions cidricoles. Ces questions intéressant au plus haut point la région normande, nous avons pensé qu'il serait utile de les insérer dans ['Annuaire. M. Warcollier a bien voulu se prêter à notre désir et nous remettre ces diverses communications que nous reproduisons ci-dessous :
Le sucrage des cidres.
Je voudrais attirer l'attention sur la situation faite aux consommateurs de cidre par la série de mauvaises récoltes de fruits de 1901, 1902 et 1903.
La disette de pommes, générale dans les départements cidriers français, a obligé à consommer les quelques tonneaux de cidre que l'on avait gardés jusque-là dans les caves, et la rareté de la matière première a fait monter les cours dans de larges proportions.
Cet état de choses est tout à fait désastreux pour la cidrerie et lui fait perdre une partie de la clientèle qu'elle avait pu se créer avec beaucoup de travail et de difficultés. Comme conséquences, le vin et la bière viennent concurrencer le cidre sur nos tables : c'est ainsi que, dans une partie du nord de la France, là où le cidre avait déjà conquis une large place dans la consommation courante, il se voit, cette année, remplacé par la bière de
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ménage, que l'ouvrier peut se procurer à bien meilleur marché.
Nous ne voulons pas rechercher ici par quels moyens nous devons essayer de remédier à cet état de choses et lutter contre cette crise périodique, ni voir comment il serait possible d'obtenir une production constante de pommes, de moûts ou de cidres ; mais nous voulons seulement nous demander ce que nous devons faire pour parer dès aujourd'hui, dans la mesure du possible, au manque de fruits.
Que vont faire les propriétaires, fermiers et cultivateurs pour assurer à leur personnel une boisson convenable et hygiénique, et que vont boire, cette année, les populations agricoles de nos campagnes, petits cultivateurs aux ressources modestes, et les ouvriers de nos villes ?
On va nécessairement faire des boissons plus ou moins fortes, ou plutôt plus ou moins faibles; mais l'addition possible d'eau à un cidre donné a une limite qu'on ne peut dépasser, si l'on veut conserver au liquide produit le nom de boisson alcoolique et nutritive.
Or, il est un moyen qui nous est offert pour augmenter la richesse alcoolique des cidres : c'est le sucrage.
Le sucrage bien compris et fait dans le but, non de créer de toutes pièces des boissons alcooliques quelconques, mais d'améliorer les cidres de faible composition, est une opération recommandable à tous les points de vue.
Elle est licite ; elle économise l'achat de fruits ; elle permet d'augmenter le nombre d'hectolitres fabri-
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qués, dont elle accroît en même temps la richesse alcoolique et, par suite, la durée de conservation.
Le sucrage s'impose donc aujourd'hui, d'autant plus que l'année 1903 n'est pas seulement une année de disette de fruits, mais une année qui fournit en même temps des fruits peu riches. A cause des mauvaises conditions climatériques de l'été et de l'automne, les pommes sont aqueuses, peu riches en sucres; les densités des moûts sont plus faibles que dans les bonnes années moyennes, et les cidres produits auront, de ce fait, une richesse alcoolique moins grande. Il faudra donc apporter, pendant la fabrication, tous les soins nécessaires pour ne pas laisser perdre les matières premières de la pomme; il faudra veiller tout particulièrement à épuiser les marcs d'une façon complète, afin d'enlever tous les principes solubles qu'ils renferment.
D'après la nouvelle loi du 28 janvier 1903, appliquée depuis le 1er septembre dernier, le sucre destiné à la fabrication du cidre n'est plus soumis à aucun règlement. On peut acheter la quantité de sucre que l'on désire, sans avoir besoin d'autorisation; plus de contrôle, plus de déclaration, plus de surveillance.
Une circulaire de la Direction des contributions indirectes prévient que le sucrage pourra s'effectuer en dehors de toute intervention des employés, mais elle dit qu' « il convient que les intéressés « n'ignorent pas que, en dépassant ostensiblement « les limites fixées par le règlement de 1885, ils s'ex« poseraient à voir la dénomination de cidre refusée « à leurs produits, qui deviendraient, à l'égard de
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« l'impôt, de simples solutions alcooliques ».
Or, ce règlement de -1885 fixait à 10 kilogrammes de sucre par 3 hectolitres de pommes la quantité que le cultivateur pouvait employer pour le sucrage de. ses cidres. Nous verrons tout à l'heure qu'en pratiquant le sucrage comme nous allons l'indiquer, nous n'avons aucune crainte de dépasser des limites, qui, en réalité, n'existent plus aujourd'hui.
Le sucre qu'il convient d'employer est le sucre cristallisé n° 3, qui vaut actuellement environ 25 fr. 75.
Ce sucre est soumis à un droit de consommation de 25 fr., ce qui fait qu'on peut se le procurer dans le commerce au prix d'environ 0 fr. 55 le kilogramme.
La quantité de sucre à employer variera suivant la richesse (alcoolique à obtenir; on la calculera en se basant sur ce fait qu'il faut environ t kilogr. 700 de sucre pour augmenter de 1° la richesse alcoolique d'un hectolitre de cidre.
Nous pourrons rechercher la quantité de sucre à ajouter en nous basant, d'une part, sur le volume des pommes employées ou sur leur poids, et, d'autre part, sur la quantité de moût habituellement écoulée des pressoirs employés en pratique courante.
Pour prendre un exemple extrême, calculons, si vous le voulez, quelle quantité de sucre nous devrons ajouter au moût produit par 20 barattées de pommes pour obtenir un tonneau de 1.500 litres de cidre à 3° d'alcool.
L'expérience de tous les jours et des essais contrôlés nous ont appris qu'après 3 ou 4 près-
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sions nous pouvons retirer de la pomme 75 % de son poids en pur jus : cela veut dire que 1.000 kilogr. de pommes peuvent nous fournir 750 kilogr. de pur jus ou sensiblement 720 litres, en admettant que la densité du moût soit seulement de 1.045. Les 20 barattées de pommes dont nous parlons donneront donc sensiblement 400 litres de pur jus qui, fermentes, produiraient un cidre marquant 6° d'alcool.
Or, de ces 400 litres, nous voulons faire 1.500 litres de boisson en ajoutant 1.100 litres d'eau. L'addition d'eau faite, en opérant un épuisement méthodique des marcs, nous avons un liquide marquant seulement 1°6 d'alcool, taux tout à fait insuffisant pour une boisson alcoolique convenable. Pour amener le titre alcoolique de cette boisson à 3°, il faudra donc ajouter une quîintité de sucre telle qu'elle élève le degré alcoolique du liquide de 1°4 : cette quantité de sucre à ajouter est de 2 kilogr. 400 par hectolitre, soit, pour les 1.500 litres, 36 kilogr., qui coûteront 19 fr. 80 environ, dépense bien minime si l'on considère la plus-value apportée au liquide produit.
Gomment opérer le sucrage, à quel moment devrons-nous ajouter le sucre? Le sucrage peut se faire au moment de la mise en tonneau. On dissout le sucre dans cinq fois son poids d'eau pure tiède, ou de petites eaux provenant du dernier rémiage ; on a ainsi un sirop qu'on laisse refroidir et qu'on ajoute au moût.
Comme le cidre obtenu serait pauvre en acidité et en tanin, il sera bon d'ajouter une certaine quan-
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tité d'acide tartrique, environ de 30 à 40 gr., et une dose de tanin de 10 gr. ; ces quantités étant comprises par hectolitre. L'acide, dissous dans le rémiage, sera "ajouté directement au moût; le tanin sera dissous dans l'eau ou dans un peu d'alcool en veillant à ce qu'il ne se forme pas de grumeaux, et, quand sa dissolution sera complète, on l'ajoutera au contenu du tonneau.
On ne devra pas oublier que dans la fabrication du cidre, la plus grande propreté est de rigueur, et que les eaux destinées aux rémiages devront toujours être des eaux d'alimentation de bonne qualité ; on devra donc rejeter avec soin les eaux malpropres, les eaux ferrugineuses ou trop calcaires, sinon on s'exposera à produire des cidres malades, de couleur anormale et de mauvaise conservation.
Pour terminer, je voudrais vous faire une remarque très importante.
S'il est entendu que l'on doit conserver le nom de cidre au produit naturel extrait de la pomme, il devrait être logiquement défendu de vendre, sous le nom de cidre ou sous des qualificatifs où entre le mot cidre ou ses dérivés, des produits faits de toutes pièces, dans lesquels il n'entre rien du jus de la pomme, et qui ne peuvent donner que des liquides n'ayant du cidre que l'apparence.
Le producteur de fruits et le fabricant de cidres sont donc intéressés à défendre leurs produits naturels contre cette concurrence déloyale, qui, si elle se continue longtemps, peut nuire à la bonne réputation et au renom des cidres de Normandie.
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 505
Sélection des variétés des pommes à cidre.
Il est un sujet qui intéresse au plus haut point la prospérité d'une des branches de votre agriculture normande : je veux parler de la production des pommes à cidre.
Au moment où la Station pomologique va être installée chez elle et va pouvoir entreprendre des travaux suivis sur le cidre, sa fabrication et sa conservation, j'ai cru qu'il était de mon devoir de vous faire connaître dans quel esprit les recherches allaient être dirigées dans l'étude de l'amélioration de nos vergers, et j'ai pensé qu'il était même nécessaire que la pratique et la science puissent travailler de concert pour arriver à une solution convenable de la question.
Je dois ajouter aussi que je tenais à remercier, d'abord, la Société d'agriculture et de commerce de Caen pour la part active qu'elle a prise à la création de la Station pomologique, et, plus particulièrement, votre très distingué président M. de Saint-Quentin, et votre président honoraire M. Tillaye, qui ont défendu, avec tout leur talent et leur autorité, la cause cidrière au Parlement.
Ce serait vous faire injure que de vouloir vous montrer la place du pommier dans la ferme normande : vous connaissez son importance capitale ; le cidre est en effet ici la boisson nationale. Il est donc juste que l'étude d'une boisson qui joue un si grand rôle dans l'alimentation et l'hygiène de
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nos populations rurales, et dont la consommation ne demande qu'à s'étendre en dehors des pays de production, arrête un instant votre attention et nos efforts.
Voyons donc, aussi brièvement que possible, quels progrès il reste à réaliser dans la production des pommes à cidre dans le Calvados.
La pomme, vous le savez, n'est pas consommée en nature ; pour être utilisée, elle doit être transformée en cidre. Il est donc naturel de penser que le fruit du pommier a dû être cultivé de tout temps en vue de la production du meilleur cidre, et qu'aujourd'hui, après plusieurs siècles de culture raisonnée, nous possédons enfin des variétés nous fournissant un cidre irréprochable.
Malheureusement il n'en est pas ainsi, et cela est dû en grande partie à ce que, depuis longtemps déjà, sans écouter les sages conseils de praticiens éclairés, on a planté dans les vergers des variétés quelconques qui ne se recommandaient par aucune supériorité à l'attention des cultivateurs.
On a pris souvent les plus productives, sans s'occuper de leur valeur réelle ; on a dit une pomme est une pomme, et avec ces fruits venus de partout, on a fait un cidre que le consommateur a dû accepter, faute de mieux.
Mais les temps sont changés, et nous pensons qu'aujourd'hui il faut renverser le problème et dire : si nous voulons que le cidre conserve son rang à côté du vin et de la bière et vienne même légitimement les concurrencer sur le marché et sur la table, il faut fournir au consommateur —
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qui a le droit dïmposer son goût, puisque c'est lui qui paie — une boisson hygiénique, agréable, d'un prix abordable et peu variable; cette boisson devra, de plus, être transportable et avoir toutes les qualités d'une liqueur de garde.
Et alors, nous nous apercevons que, pour faire un cidre recherché du consommateur, nous ne pouvons pas nous adresser à un certain nombre de variétés de nos vergers, parce qu'elles ne fournissent que des fruits de qualité tout à fait inférieure.
Un tri s'impose donc dans nos vergers, d'où il faut rejeter impitoyablement certaines variétés par trop défectueuses. Si quelques trouées sont faites parmi les innombrables variétés que nous possédons, sera-ce un mal ? Nous ne le croyons pas.
En effet, quand on étudie les variétés de pommes à cidre cultivées, on est étonné, surpris, du nombre très grand qu'elles présentent, plusieurs milliers. Comment arriver à les bien connaître et comment baser une étude scientifique sérieuse sur de pareils éléments aussi dissemblables ? Les bonnes variétés sont perdues dans le flot montant des médiocres.
Doit-on craindre qu'avec un nombre restreint, limité de variétés, on ne puisse arriver à faire de bon cidre ? Nous ne le croyons pas, au contraire.
Il faut donc en quelque sorte se limiter, admettre pour l'instant une dizaine de variétés de chaque saison, par exemple; et nous croyons que cela serait largement suffisant.
Est-ce que le vigneron, pour faire ces crus si réputés du Bordelais, de la Bourgogne et de la Champagne, possède une multitude de cépages?
508 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE.
Non, il y en a un qui forme la base du cru, et deux ou trois autres qui viennent compléter le premier.
La comparaison n'est peut-être pas tout à fait exacte, car on peut objecter que, tandis que les cépages renferment individuellement tous les éléments constitutifs d'un bon vin, nous n'avons justement pas de pomme idéale qui, à elle seule, peut faire un bon cidre. Cela est vrai, mais on peut admettre sans crainte de se tromper qu'une dizaine de variétés bien mélangées et choisies d'une façon rationnelle donneraient des résultats tout à fait satisfaisants dans la pratique cidricole.
On s'explique très bien pourquoi nous avons tant de variétés médiocres dans nos vergers.
Vous savez comment, encore aujourd'hui, on greffe dans certaines régions. On cherche dans le verger un arbre fertile dont on ne connaît ni le nom, ni l'origine, ni la valeur des fruits ; on y détache un greffon qu'on met sur un jeune arbre qu'on vient de planter et dont on a rasé la tête, et tout est dit.
Dans d'autres cas, il arrive que des agriculteurs amateurs de progrès, désireux d'améliorer la valeur des variétés, font des semis pour créer de nouvelles espèces ; ils étudient les sauvageons produits et les laissent se développer sans les greffer. Quand ils s'aperçoivent que les sujets obtenus sont mauvais, ils les font disparaître et ils ne gardent que les bons.
Malheureusement, leur exemple n'est pas toujours suivi, ei il arrive souvent que des cultivateurs achètent ou élevait des sauvageons qu'ils
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 509
ne greiFent pas ; ils ont de beaux arbres, à tige bien droite, bien vigoureux, mais qui ne produisent que des fruits petits et de peu de valeur.
L'on voit de la sorte les vergers s'emplir de variétés qui n'auraient jamais dû y entrer, mais qu'on y garde parce qu'elles produisent des récoltes convenables qu'on vend souvent au même prix que les bonnes variétés.
D'autres fois, on plante des arbres greffés qu'on ne connaît pas ; on les croit de premier choix si on les juge sur l'apparence, sur leur vigueur excessive. Ils se développent superbement ; on attend pendant de longues années des récoltes qui ne viennent point, et, à la fin, on s'aperçoit qu'ils sont indéfiniment stériles.
Les pratiques que nous venons de signaler et que nous avons prises au hasard parmi tant d'autres, font que nos vergers renferment un nombre très grand de variétés médiocres, que nous pourrions supprimer sans aucune crainte ; et alors se pose le problème de la recherche des meilleures variétés.
Cette étude est absolument nécessaire à faire, si nous voulons entreprendre des travaux sérieux sur la fabrication du cidre.
Il nous faudra donc, pour une région déterminée, opérer le dénombrement de ses variétés et apprendre à en connaître la valeur ; de cette façon, nous trouverons les fruits d'élite que nous cherchons.
Une grande difficulté, qui rend le problème extrêmement difficile et pénible, résulte decefaitque les mêmes variétés cultivées dans des communes presque voisines ne sont pas connues sous le même
510 NOOVELLE8 DE L'AGRICULTURE.
nom : l'établissement de la synonymie des variétés s'impose donc préalablement.
Pratiquement, comment arriver à connaître les variétés d'une région, et comment apprécier leur valeur réelle ?
Nous pensons qu'un moyen serait d'ouvrir une enquête sérieuse, éclairée, basée sur des observations bien faites. On pourrait recourir à l'obligeance des propriétaires, des cultivateurs, des instituteurs et de tous les amis de la pomologie.
C'est cette enquête que nous voudrions entreprendre.
Un questionnaire détaillé serait adressé aux intéressés, en centralisant tous les résultats obtenus pour une région bien limitée, nous pensons qu'on parviendrait, au bout de peu de temps, à connaître les meilleures variétés à conserver.
Ce que nous proposons n'est point une étude nouvelle à entreprendre ; nous possédons déjà des renseignements précieux, épars, qui, coordonnés, augmenteraient beaucoup de valeur. Des sociétés savantes, des hommes dévoués, travaillent depuis longtemps, un peu partout, à cette tâche si importante; les résultats acquis sont des plus encourageants et ont fait faire déjà les plus grands progrès à l'industrie cidriere.
Dans le Calvados, je vous citerai M. Truelle, de Trouville, qui, depuis plus de âo ans, poursuit avec ses seuls moyens, sans relâche, l'amélioration des variétés du pays d'Auge principalement.
L'intérêt que présente une pareille étude ne peut YOUS échapper, et vous pouvez vous rendre compte
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 511
des services qu'elle pourrait rendre dans nos campagnes. Le cultivateur embarrassé quand il doit faire des plantations, aurait là immédiatement les noms des variétés à cultiver, variétés à la fois régulièrement fertiles, vigoureuses, rustiques, bien adaptées au sol et fournissant des jus riches.
Enfin, à un point de vue plus général, la sélection des variétés aurait comme conséquence de fournir des récoltes plus égales; nous aurions moins d'années d'abondance, mais aussi- moins d'années de disette, causes qui paralysent en quelque sorte l'industrie cidrière, l'empêchent de progresser, et qui éloignent en même temps la clientèle, qui n'aime pas ces variations brusques dans les prix des cidres que nous constatons tous les jours.
L'intérêt que présente la sélection des variétés est donc de la plus haute importance, et nous pensons que l'appel que nous adressons pour faciliter son étude sera entendu, et que des travaux que nous allons entreprendre ensemble sertira le plus grand bien pour la cause cidricole, si intimement liée à la prospérité et à la santé des populations normandes.
512 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE.
La stérilisation et la conservation des moûts de pommes (1).
MESSIEURS,
Lors de votre dernière assemblée générale du mois d'avril dernier, plusieurs membres de votre Association ont fait remarquer l'intérêt que présente la conservation des moûts de pommes. Sur la proposition de votre distingué président M. Legludic, vous avez bien voulu me désigner pour faire un rapport sur cette question.
C'est donc de la stérilisation et de la conservation des moûts de pommes que je vais avoir l'honneur de vous entretenir un instant.
Mais, avant d'aborder l'étude pratique de la question, et avant de voir si sa réalisation est possible au point de vue économique, je voudrais tout d'abord vous dire en deux mots ce que nous devons entendre par stérilisation des moûts, et ensuite vous montrer tous les avantages que procurerait une telle pratique appliquée aux moûts de pommes.
La stérilisation des moûts a pour but de priver ces liquides des germes vivants qu'ils peuvent contenir. Il s'agit d'empêcher les microorganismes de se développer d'une façon absolue et d'exercer leurs fonctions physiologiques normales, même si
(1) Rapport présenté au Congrès pomologique d'Amiens.
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 5l3
on les place dans les conditions les plus favorables à leur développement ; en un root, il faut réaliser leur destruction radicale.
Mais est-ce bien là ce que nous voulons obtenir quand nous parlons- de la stérilisation des moûts de pommes ?
Assurément non. Nous nous plaçons ici à un point de vue tout à fait pratique, et nous cherchons à empêcher, dans un liquide altérable comme le moût de pommes, le développement des organismes inférieurs qu'il peut renfermer et qui en provoqueraient l'altération, mais sans nous préoccuper de savoir si les germes sont détruits. Autrement dit, nous opérons la pasteurisation des moûts et non leur stérilisation. Un moût pasteurisé pourra donc renfermer des germes vivants et cependant rester intact, tant que les conditions de sa conservation ne seront pas modifiées.
Mais pourquoi, direz-vous, recourir à la pasteurisation? il serait cependant plus sage et plus sûr d'appliquer à la conservation des moûts une méthode parfaite comme la stérilisation.
La raison, la voici : c'est que, pour stériliser un liquide, on est obligé d'employer un traitement brutal, la chaleur par exemple. On chauffe le liquide à une assez haute température qui assure la destruction de tous germes, mais qui, en même temps, produit le plus souvent dans le liquide chauffé des modifications regrettables : une altération très sensible des qualités organoleptiques du liquide, un goût de cuit qui apparaît fatalement au delà d'une certaine température, et qui suffit à faire
3b
514 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE.
écarter l'emploi de la chaleur comme moyen de conservation des substances alimentaires.
Pratiquement nous devons donc rechercher un moyen de stérilisation qui nous mette à l'abri des dangers que je vous signale, ot c'est justement par un traitement ménagé des moûts, par une pasteurisation rationnelle que nous devrons essayer de trouver la solution du problème qui nous préoccupe. Il existe bien d'autres moyens de stérilisation des liquides que l'emploi de la chaleur; nous les étudierons aussi, et nous serons amenés, comme conclusion, à rechercher parmi tous ces procédés celui qui, appliqué à la stérilisation des moûts de pommes, donnera les meilleurs résultats pratiques et économiques.
Les avantages que procurerait une telle pratique appliquée aux moûts seraient extrêmement nombreux, et je voudrais vous en l'aire connaître les principaux.
Au Congrès international pour l'étude des fruits de pressoir et de l'industrie du cidre qui eut lieu à Paris en 1900, M. Lechartier, le savant doyen de la Faculté des sciences de Rennes, vous disait :
« 11 faudrait trouver le moyen pratique et éco« nomique de concentrer les moûts de pommes « filtrés, sans modifier leur saveur, de manière à « leur donner la propriété de se conserver sans u altération. Ces moûts additionnés d'eau seraient « ensuite mis en fermentation en temps utile pour « permettre de livrer le cidre dans les conditions « identiques à celles où l'on se trouve dans les « premiers mois de l'année.
NOUVELLES DE L* AGRICULTURE. 515
« Les difficultés commencent, pour la cidrerie, « deux ou trois mois après le jour où le brassage « est terminé. »
Comme vous le pensez, Messieurs, la stérilisation des moûts nous permettrait, précisément, de faire le cidre au moment voulu, de satisfaire la clientèle, qui devient chaque jour de plus en plus difficile et qui, si elle n'est pas satisfaite, se trouve attirée par le vin et la bière qui sont pour le cidre des concurrents redoutables. Il faudrait que la cidrerie fût capable, à toute époque de Tannée, de fournir des cidres doux là où on les lui demande, et des cidres plus ou moins parés dans les régions habituées à consommer le cidre fait; le goût du consommateur doit être le seul critérium pour la vente.
D'autre part, vous savez combien les récoltes annuelles de pommes sont inégales, si bien qu'on a pu dire avec justesse qu'il y a environ une bonne année sur deux.
Nous avons donc tantôt des excédents de pommes, tantôt des déficits. Or, quand la récolte des pommes est très forte comme en 1900, on fait vite les cidres de première saison et on les fait mal ; ils servent en partie, le plus souvent, à renourrir les vieux cidres, mais des excédents qu'en fait-on ?
On en est souvent embarrassé, car il faut réserver le matériel des caves pour les cidres de troisième saison, qui sont les meilleurs ; alors on brûle ces premiers venus, on en fait de l'alcool. C'est une mauvaise méthode qu'il faut, à notre avis, rejeter.
5l6 NOUVELLES DE L'AGRICULTURË.
Avec la stérilisation des moûts, les excédents d'une année d'abondance seraient conservés pour l'année de disette. On régulariserait ainsi la production ; on créerait un stock disponible de matières premières.
Pour conserver et traiter ces moûts stériles, on pourrait peut-être penser à l'installation de caves industrielles ou de celliers coopératifs. Comme conséquence enfin de cette pratique, le commerce serait plus facile, les prix plus stables et la clientèle plus constante, parce qu'elle saurait qu'on pourrait lui fournir des produits sensiblement les mêmes tous les ans, et presque aux mêmes prix.
A un autre point de vue, la stérilisation rendue pratique serait une source de perfectionnements dans la fabrication du cidre. En effet, aujourd'hui, aussitôt que les pommes sont broyées et que le jus sort du pressoir, il est nécessaire de le faire fermenter rapidement; on est limité sur le temps à employer, si l'on ne veut pas voir le moût envahi par des fermentations secondaires. Au contraire, du jour où l'on pourra conserver le moût, on pourra faire de la cidrification rationnelle et faire accomplir à l'industrie du cidre des progrès aussi considérables que ceux qui ont été faits par l'industrie de la bière.
C'est ainsi que le problème de l'emploi des levures sélectionnées pourrait alors être résolu avec chances de succès. Si, jusqu'ici, on a eu des résultats peu satisfaisants, si les levures sélectionnées ne sont pas encore entrées dans la pra-
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 517
tique ordinaire de l'industrie cidricole, c'est que l'on a ensemencé le plus souvent des moûts non stériles avec des levures quelconques, sans se préoccuper de connaître exactement l'origine de ces levures, leur valeur, et de savoir si le bouquet qu-'elles développent s'harmonise avec celui du cru. Les travaux de M. Kayser ont montré la voie à suivre pour arriver à la solution du problème, mais celui-ci est encore loin d'être résolu.
En Allemagne, la question est plus avancée: les grandes cidreries de Francfort ne travaillent que des pommes soigneusement lavées, débarrassées de leurs impuretés, et le moût est en partie stérilisé et ensemencé avec des levures spéciales provenant du laboratoire de l'école de Geisenheimsur-le-Rhin.
La stérilisation des moûts aurait aussi pour conséquence d'améliorer les cidres au p>int de vue de leur qualité et de leur conservation.
Par cette pratique, il serait peut-être possible de faire disparaître le goût de terroir que possèdent certains cidres; cardes expériences répétées faites sur des moûts de raisin semblent montrer que ce goût provient des levures et non du moût. Il serait possible aussi, dans le même ordre d'idées, de fixer des crus connus et même d'en créer, en faisant fermenter des moûts de choix donnés avec des levures de cru bien étudiées.
Avec l'emploi des moûts stériles, les maladies qui envahissent les cidres disparaîtraient, puisque les germes, causes de ces altérations, seraient dé-
518 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE.
truits et n'entreraient pins en jeu. Certains fabricants embarrassés n'auraient plus quelquefois la tentation d'employer des antiseptiques prohibés, ce qui les expose à des pénalités graves et au discrédit des consommateurs.
D'autre part, la cidrerie, qui aujourd'hui est pratiquement incapable de faire ses mélanges convenables de variétés au moment de la fabrication, aurait alors l'avantage de faire des mélanges de moûts de diverses provenances et de diverses richesses. Elle pourrait de la sorte réaliser notamment le sucrage des moûts faibles par les moûts riches, prendre des moûts de crus réputés pour en améliorer de moins bons, réaliser avec plus de sûreté la fabrication des cidres mousseux et champagnisés.
Enfin, à un point de vue plus général, la stérilisation des moûts aurait comme conséquence l'extension du rayon commercial, le développement de débouchés et de marchés nouveaux. En effet, ce qui fait que les liquides servant à l'alimentation se sont toujours consommés, en règle générale, là où on les produit, c'est qu'ils renferment des microbes, des germes qui leur font subir, en un temps souvent assez court, des transformations variées qui leur ôtent toute valeur au point de vue alimentaire. Si nous parvenons à tuer ces germes, nous voyons tout d'un coup les conditions économiques des transactions modifiées. La production de ces liquides, comme le cidre par exemple, reste toujours limitée à un rayon donné ; mais la consommation grandit, la zone d'alimen-
NOUVEU.ES DE L'AGRICULTURE. 519
tation s'étend, et la vente devient possible dans tous les pays du monde. Or, l'industrie du cidre abesoin, plus qu'aucune autre, de développer ses débouchés.
Vous savez tous que nos exportations de cidres sont presque nulles, et vous savez aussi que l'étranger vient nous acheter nos pommes pour fabriquer des cidres qu'il vend partout. Il serait plus logique, au point de vue économique, de lui vendre nos moûts tout préparés et de les faire voyiiger.
Avec les moûts stérilisés, il y a possibilité d'exportations lointaines, en fûts, sans wagons ni bateaux frigorifiques.
Je voudrais enfin attirer spécialement votre attention sur un débouché nouveau, qui est appelé, je crois, à un avenir certain : c'est la consommation en nature des moûts stérilisés.
Cette industrie a pris, je crois, naissance en Suisse. Depuis 1896, elle vend dans le commerce ce qu'on appelle les vins sans alcool, et les cidres et poirés sans alcool. Ce sont des moûts filtrés, stérilisés par la méthode de Tyndall, c'est-à-dire par chauffage discontinu à 50°-60°. La société suisse de Meilen vend ses cidres et poirés sans alcool 0 fr. 45 la bouteille de 70 centilitres. Ces produits sont aujourd'hui recherchés en Suisse, dans l'Amérique du Nord, dans les pays anglo-saxons, où l'on consomme le jus de raisin sous le nom de « Grapejuice » ou de « Non-alcoholic ivine ». Leur consommation ne fera que s'accroître, surtout dans ces pays où prospèrent les associations et les ligues antialcooliques, les sociétés et les restaurants de tempérance.
520 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE
Ce serait une industrie à créer en France : les moûts ainsi préparés et rendus gazeux par l'acide carbonique pourraient remplacer avec avantage les nombreux sirops et liqueurs de fantaisie que Ton consomme partout pendant les chaleurs de l'été. Dans le midi de la France on consomme déjà les moûts de raisin stériles, et l'on peut affirmer, sans craindre de se tromper, que les moûts de pommes ne tarderaient pas à trouver aussi beaucoup d'amateurs. L'Angleterre serait aussi pour nous un débouché tout indiqué ; les moûts de raisin y entrant en franchise, il est logique de penser que la même faveur serait accordée aux moûts de pommes.
D'après ce que je viens de vous dire, vous avez pu vous faire une idée de l'importance de l'étude de la stérilisation, et vous comprenez sans peine qu'une telle pratique ne serait réalisable qu'en industrie : le cultivateur, le paysan ne pourraient songer, pour l'instant, à réaliser une telle entreprise. La question ne peut leur être cependant indifférente, car ils ne doivent pas oublier que tout progros qui développera l'industrie du cidre favorisera ses débouchés, et aura pour conséquence d'amener une demande plus grande de pommes en même temps qu'une augmentation des prix. Ils seront donc conduits à sélectionner leurs variétés pour produire meilleur et vendre plus cher.
Maintenant que nous savons ce que c'est que la stérilisation, voyons par quels moyens pratiques nous allons essayer de résoudre ce problème.
Pour vous donner une idée de la variété des
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 521
procédés qui ont été préconisés, je crois utile de vous montrer ce qui a été tenté en vinification et en brasserie ; vous comparerez avec ce qui a été fait en cidrerie, et vous verrez le chemin qui nous reste à faire pour pouvoir lutter avantageusement et prendre un rang honorable au milieu des autres industries de fermentation. Nous diviserons, si vous le voulez bien, les méthodes de stérilisation en quatre classes :
1° Les méthodes mécaniques, comme la filtration, le turbinage, le soutirage, le collage, etc. ;
2° Les méthodes physiques autres que la chaleur, comme le froid, l'électricité ;
3° Les méthodes chimiques ou antiseptiques ;
4° L'action de la chaleur.
Je dirai quelques mots seulement des trois premières classes, car elles ne produisent, en général, qu'une stérilisation imparfaite. Elles sont employées le plus souvent pour retarder la fermentation pendant un temps plus ou moins long; mais elles seraient incapables de produire ce que nous cherchons, c'est-à-dire une pasteurisation à longue durée et pour ainsi dire illimitée.
Parmi les méthodes mécaniques, il en est que vous pratiquez tous les jours, ou plutôt que vous devriez pratiquer pour conserver vos cidres : ce sont les soutirages. Les soutirages, employés seuls, sont incapables de séparer tous les germes qui existent dans un liquide ; car, si bon nombre de germes sont entraînés avec les dépôts, il en reste encore assez pour rendre cette pratique illusoire.
Le collage associé au soutirage serait plus effi-
522 NOUVELLES DE L'AGRICULTTRE.
cace; mais bien peu de germes encore sont détruits ou emportés, même si l'on facilite le collage par l'addition de substances inertes. En Angleterre, il existe une pratique que l'on conseille : c'est l'écurnage. Pendant la fermentation tumultueuse, à mesure que le chapeau se forme, on l'écume : on enlève ainsi beaucoup d'impuretés ; mais cette pratique n'a, au point de vue où nous nous plaçons, aucun intérêt, et ne peut donner à elle seule aucun résultat. C'est une pratique pour ainsi dire préparatoire à la stérilisation. Le lavage des pommes, qui est à conseiller, agit de la même façon : il permet de faire disparaître de la surface des fruits de nombreux microor^anismes sous forme de spores, comme des bacillus subtilis, des mucors, pénicilliums, dématiums, bactéries, etc.
D'autres méthodes, comme la filtration sur tissus, n'ont pas donné les résultats qu'on en attendait; la filtration à la chausse même encollée laisse passer les levures et les bactéries. La filtration sur papier serait meilleure, mais donne souvent des échecs. Ces procédés, bons en euxmêmes, offrent de grandes difficultés en pratique; car les moiits renferment beaucoup de matières en suspension et sont, par leur nature même, difficiles à filtrer. Pour arriver à un résultat sérieux, il faudrait opérer une série de filtrations sur des filtres à mailles de plus en plus serrées pour arriver à des filtres arrêtant les microbes. L'industrie n'a pas encore aujourd'hui résolu entièrement le problème.
En Italie, on a conseillé le turbinage des moûts
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE, 523
en utilisant la force centrifuge, comme on le fait dans l'écrémeuse, et M. Forti, dans des moûts de raisin, a pu enlever en deux opérations 90 % des germes. Il est à prévoir qu'avec les moûts de pommes, dont la viscosité est très grande, on ne puisse arriver, comme pour le moût de raisin, qu'à une stérilisation toute relative.
On a tenté l'emploi de filtration sur porcelaine poreuse ou sur pâte de cellulose ; mais on a rencontré de telles difficultés en pratique, que ces procédés sont peu employés. On leur reproche surtout leur débit faible ; ils demandent un nettoyage répété, et ils changent en partie les propriétés physiques des liquides filtrés; de plus, avec des moûts très chargés de matières pectiques, l'opération devient tout à fait impossible, et sa lenteur empêche toute application industrielle.
L'usage du froid n'est pas à conseiller au point de vue de la stérilisation des moûts, car les basses températures ne tuent pas les levures. M. Pictet a montré que les microbes ne sont pas détruits à une température de 200° au-dessous de zéro, et, plus récemment, M. d'Arsonval a montré que l'air liquide à -190° est incapable de tuer les microbes ; la levure est seulement engourdie. Il a même pu prendre des microbes, les refroidir à -190° dans l'air liquide, puis les réchauffer brusquement à 30° audessus de zéro, et répéter dix fois de suite l'opération sans que les microbes en aient souffert. Non seulement les microbes ne sont pas détruits par le froid, mais on a même signalé un champignon qui pousse sur les viandes des bateaux frigorifiques.
524 N0UVELI.E8 DE L'AGBICULTURE.
Pratiquement, pour que le froid stérilise les moûts, il faudrait faire durer son action pendant tout le temps de la conservation des liquides: au point de vue économique, l'opération serait sans doute difficile à réaliser.
Les fortes pressions ne sont pas à conseiller comme moyen de stérilisation : elles ne produisent aucun effet. M. Regnard a soumis la levure à des pressions de 600 et de t.000 atmosphères; à sa sortie de l'appareil à compression, la levure a donné une fermentation active. Melsens a essayé jusqu'àS.OOO atmosphères sans obtenir aucun résultat.
On avait pensé aussi à employer l'électricité; on a essayé les courants alternatifs, les courants continus ; mais, jusqu'ici, on n'a obtenu aucun résultat sérieux. Dans les cas où on a eu stérilisation, l'électricité n'est intervenue que par des effets chimiques; les produits de la décomposition des sels en solution, par leur action chimique, interviennent seuls et tout revient à une question d'antiseptiques.
Nous dirons peu de chose des méthodes chimiques. Beaucoup d'antiseptiques sont dangereux au point de vue hygiénique, et vous savez que la plupart d'entre eux sont prohibés, en particulier les 'luorures, borates, l'acide salicylique, la saccharine, le formol. Pour d'autres dont on a conseillé parfois l'usage, comme le chloroforme, le sulfure de carbone, l'essence de moutarde, l'emploi n'en serait licite qu'à la condition qu'on ne les retrouve plus dans les moûts soumis à la consommation ou
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE. 525
du moins dans des proportions limitées et admises par la loi; aussi, en pratique, je crois qu'aucun fabricant de cidre n'a eu l'idée de les employer.
Un seul antiseptique est employé couramment en vinification, c'est l'acide sulfureux : son emploi est vieux comme le vin. Mais, pour produire une stérilisation absolue des moûts avec l'acide sulfureux, il faut en employer des doses assez fortes, dont il est difficile ensuite de se débarrasser, car une partie reste souvent combinée au moût luimême : il faut recourir à des barbotages de gaz inertes, et, malgré tout, l'acide sulfureux ne peut être chassé entièrement.
Il en est de même avec les procédés se rattachant aux précédents, comme celui préconisé par M. Andrieu, qui traite la vendange par le métabisulfite de potasse. Ce procédé apporte dans le moût des doses connues et limitées d'acide sulfureux, et opère la fermentation du moût traité avec des levures acclimatées à l'acide sulfureux. En résumé, l'emploi de cet antiseptique n'est pas à conseiller pour opérer la stérilisation absolue des moûts.
Au lieu de stériliser les moûts, on a songé à stériliser les vendanges par des gaz ou par des lavages antiseptiques. Ce procédé ne pourrait s'appliquer aux pommes, car on contaminerait nécessairement les fruits en les transformant ultérieurement en moût.
Il nous reste donc maintenant à voir si les méthodes qui emploient la chaleur vont nous donner de meilleurs résultats.
526 NOUVELLES DE L* AGRICULTURE.
De nombreux travaux ont été faits sur la stérilisation des moûts de raisin par la chaleur. Nous n'étudierons pas ici le principe de la méthode de chacun des auteurs, ni la description des appareils et la pratique des opérations; cela nous conduirait trop loin et n'aurait qu'un intérêt relatif. Nous citerons seulement ces travaux pour vous montrer quelles longues et patientes recherches la question du chauffage des moûts a demandées. Je vous ferai remarquer en passant, que les stérilisations obtenues sont le plus souvent imparfaites, et qu'elles sont réalisées, dans la plupart des cas, pour opérer ultérieurement des fermentations avec des levures sélectionnées, ou pour retarder la fermentation pendant un temps plus ou moins long, ou bien encore pour détruire en partie des germes de maladies.
Parmi ces procédés couramment employés, citons ceux de MM. Kayser et Barba, Miroy, Pierre Andrieu, Rosenstiehl, Kùhn, Malvezin.
A cette pratique de la stérilisation des moûts s'en est jointe une autre, qui est celle de la concentration des moûts et des vins. A cet effet, de nombreux appareils ont été construits et ont déjà donné de bons résultats. On peut citer, dans cette voie, les travaux de MM. Paul, Ross, Martinand, Mathieu, Sébastian, Garrigou, Baudoin et Schribaux.
Maintenant que nous savons ce qui a été fait en vinification, il est naturel de nous demander si, en cidrerie, nous sommes aussi avancés, et si des efforts sérieux ont été tentés dans cette voie. En
NOUVELLES DE L'AGRICOLTUBE. 527
France, nous trouvons quelques travaux, mais pas d'applications industrielles. Des essais de stérilisation de moûts ont été tentés au laboratoire par MM. Boutteville et Hauchecorne ; mais ils ne semblent pas avoir été couronnés de succès. M. Lechartier a étud ié la congélation et le chauffage des cidres, mais sans s'attacher à la stérilisation des moûts.
M. Descours-Desacres a de même étudié la concentration par le froid, appliquée aux cidres et aux moûts.
A l'étranger, je vous ai signalé l'industrie prospère de la fabrication des cidres et poirés sans alcool de la Société de Berne.
Les difficultés que l'on a rencontrées dans la réalisation de la solution du problème sont assez grandes et tiennent surtout à la nature même du moût et à sa composition.
Tout procédé qui voudra réussir devra réaliser les conditions suivantes : détruire les levures et les bactéries en suspension, ne pas modifier le goût et la saveur du moût ni sa limpidité, ne pas altérer sa composition chimique et avoir un prix de revient faible.
Or, comme vous le savez, le moût de pommes a une composition très complexe : il renferme notamment des substances oxydables qu'on désigne sous le nom de tanins, et des matières pectiques de composition peu connue et dont le rôle est encore inconnu. Quand le moût est chauffé vers 60°-70°, il prend très nettement un goût de cuit désagréable et persistant ; il perd sa saveur et son goût originels, et sa couleur est modifiée. Sa stérilisation
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sera donc rendue difficile ; on aura à redouter, par l'emploi d'une température un peu élevée, des modifications au point de vue organoleptique.
Tout cet ensemble de conditions de stérilisation à remplir et de changements dans la composition des moûts à redouter, fait qu'il est difficile de dire à quelle température on doit chauffer le moût pour le rendre stérile.
Pour se rendre compte, il faut se livrer à une expérimentation conduite d'une manière rationnelle, et il est à prévoir que les résultats pourront varier avec la composition des moûts, avec les appareils et avec les conditions de l'expérience.
C'est ainsi que, pour stériliser un moût très acide, il faudra chaulfer à une température moins élevée que pour stériliser un moût d'une acidité plus faible. De même, un moût riche en tanin est plus faible à stériliser qu'un moût pauvre, car le tanin agit comme antiseptique.
Le temps de l'expérience interviendra aussi : un moût chauffé à une température donnée pourra ne pas être stérile au bout de 10 minutes et l'être au bout de 15 ou 20.
En Suisse, voici de quelle façon on stérilise les moûts : on emploie le procédé dit discontinu, imaginé par Tynda.ll et qui consiste à chauffer à plusieurs reprises à une température relativement basse, 60°, en espaçant les chauffages successifs de 24 heures ; en opérant ainsi, le moût n'est pas altéré et la stérilisation parfaite est obtenue.
Pour expliquer que le chauffage à basse température amène la stérilisation, on admet que le
NOUVELLES DE L'ACRicULtutte. 529
premier chauffage détruit les microbes adultes et ne respecte que les spores; celles-ci germent ensuite et la deuxième chauffe les détruit. Mais l'explication vraie doit être la suivante : le premier chauffage hydrate la spore, c'est-à-dire la rend plus humide, et elle est dès lors plus facile à tuer.
Les études de la stérilisation dont nous parlons ont été faites par M. Mûller-Thurgau. Les moûts obtenus sont clairs, limpides, et ne rappellent en rien nos moûts de pommes de Normandie. Gela tient à ce que les variétés de pommes employées ne ressemblent en rien aux nôtres, et que certaines d'entre elles ont des propriétés défécantes et clarifiantes remarquables.
A l'analyse, un moût de poires a donné :
Densité, 1055;
Alcool, 0 ;
Extrait °/„, 14.40;
Sucre0/», H.52;
Acidité •/„. 0.54.
Le moût ne contenait aucun antiseptique ou substance étrangère. Pour rendre le produit plus agréable pour certains consommateurs, on le rend mousseux par l'addition d'acide carbonique gazeux.
En France, à notre connaissance, il y a eu peu d'essais tentés sur une échelle un peu vaste. M. Rosenstiehl a fait breveter un appareil pour la stérilisation des moûts de pommes. Il opère par chauffes successives entre 45° et 55°, à l'abri de l'air et en présence d'acide carbonique pour éviter le goût de cuit. Il produit ainsi une stérilisation assez parfaite, mais d'une durée limitée. Quelques
34
530 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE.
essais ont été faits, il y a quelques années, dans une cidrerie du pays d'Auge ; mais nous ne croyons pas que les résultats aient été bien satisfaisants, car les essais n'ont pas été poursuivis.
La concentration des moûts n'a pas été tentée, à notre connaissance, avec les appareils servant aux moûts de raisin, ni par les procédés de concentration par le froid ou glaçage, préconisés par M. Mathieu, ni par ceux de concentration à chaud.
Au point de vue économique, nous ne croyons pas que les résultats seraient satisfaisants. D'ailleurs, nous pensons qu'en pratique on se heurterait à des difficultés sérieuses, à cause de la grande quantité de matières pectiques existant dans les moûts, et de plus, il est probable que l'on n'arriverait pas à une stérilisation parfaite sans goût de cuit.
Ce que je viens de vous dire vous montre, Messieurs, que le problème de la stérilisation des moûts de pommes n'est pas encore résolu aujourd'hui; il se recommande donc impérieusement à notre étude.
A ce propos, je crois devoir vous signaler les propositions faites par un inventeur, M. Kûhn, qui désire faire des essais de stérilisation de moûts de pommes avec son appareil.
Son procédé a été appliqué avec succès à la stérilisation des moûts de raisin, du lait et de la bière. Il serait donc intéressant de voir si, avec le moût de pommesj on obtiendrait des résultats aussi satisfaisants. Par cette méthode, quand le moût est rendu stérile, un dispositif spécial de transvasement
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aseptique permet de le transvaser sans contamination dans des fûts, muids ou foudres stérilisés par la vapeur.
La stérilisation obtenue est parfaite, car les fûts peuvent voyager pendant les plus grandes chaleurs à de grandes distances, ou rester à 1,'étuve à 30" pendant de longs mois sans éprouver aucun changement. C'est un procédé tout à fait industriel.
On peut remarquer en passant que le moût étant chauffé à plus de i00°, les oxydases du cidre qui provoquent le noircissement seraient détruites, et que les moûts traités ne seraient sans doute plus sujets à cette maladie.
Il reste à signaler que le prix du traitement appliqué aux moûts de raisin ne dépasse pas 0 fr. 15 par hectolitre. Je dois ajouter que M. Kiihn est tout disposé à faire en grand des essais de stérilisation de moûts de pommes à l'aide de son appareil. Ces essais seraient faits dans une cidrerie de Normandie, sous le contrôle scientifique de la station pomologique.
Ces essais seront intéressants à plusieurs points de vue : ils nous montreront si la stérilisation industrielle des moûts est pratique et économique, et si la cidrerie peut en tirer profit; d'autre part, nous souhaitons que ces essais aient aussi pour résultat d'amener d'autres industriels et inventeurs à expérimenter avec leurs appareils, pour qu'enfin, grâce au concours et au savoir de tous, nous puissions faire réaliser de nouveaux progrès à la cidrerie, et lui fournir de nouveaux débouchés.
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Je ne veux pas plus longtemps abuser de votre temps et de votre bienveillance, Messieurs. J'ai terminé; mais, au lieu de donner une solution convenable à la pratique de la stérilisation des moûts de pommes, je n'ai pu, à mon regret, que poser Ja question : il reste à la résoudre.
J'ai cru vous montrer toute son importance et les avantages qu'elle pouvait procurer. Elle mérite véritablement d'attirer toute votre attention; aussi, je ne doute pas que vous n'apportiez tous vos efforts pour provoquer et faciliter des recherches sur ce sujet.
C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient de donner l'exemple et de contribuer à faire sortir la cidrerie de sa routine. Vous devez avoir à coeur d'élever le niveau de votre industrie, car vous y trouverez une source de satisfaction personnelle et des avantages matériels considérables.
De la conservation des cidres.
Un sujet déjà traité et qui le sera probablement encore prochainement, est celui qui a trait à la conservation des cidres, car il n'en est pas qui ait en cidrerie une importance plus grande.
Le problème que nous nous proposons de résoudre est le suivant : trouver les moyens convenables de conserver le cidre intact, avec toutes ses qualités,
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depuis le jour où la fermentation tumultueuse est achevée et où le cidre a été soutiré pour la première fois, jusqu'au moment où ce liquide arrivera dans le verre du consommateur.
Avant de rechercher avec vous par quels moyens pratiques nous pourrons essayer d'arriver à la solution du problème qui nous préoccupé, je voudrais vous présenter tout d'abord quelques considérations dont nous devrons nécessairement tenir compte dans notre étude.
Ce qui complique le problème et le rend plus difficile à résoudre, c'est, tout d'abord, que nous n'aurons pas à envisager la conservation d'un liquide type appelé cidre, mais que nous devrons nous occuper de nombreux cidres qui ne se ressemblent en rien et qui présentent chacun une aptitude propre à la conservation : chaque cru, chaque canton, chaque terrain a, sous ce rapport, sa caractéristique et son allure.
Tous ces cidres déjà si nombreux ont une composition qui varie chaque année, suivant la nature des fruits qui ont servi à leur fabrication, et suivant les proportions de ceux-ci dans le mélange. Chaque année, la maturation des fruits se produit dans des conditions différentes et sous des influences climatériques variables : année sèche ou pluvieuse, chaude ou froide, ciel nuageux ou soleil brillant, conditions et facteurs dont nous ne connaissons pas encore toute l'importance, mais qui font du problème physiologique de la maturation du fruit celui qui règle tous les autres dans la fabrication du cidre et sa conservation.
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De plus, nous ne livrons pas ces cidres à un consommateur bien défini, toujours le même, mais à une foule de personnes qui ont chacune leur goût, et qui viendront nous demander le cidre qui leur plaît, et celui-ci seulement.
Nous devrons donc fabriquer au goût du consommateur; car, si nous ne le faisons pas, il s'éloignera de nous, changera au besoin sa boisson journalière, abandonnera le cidre pour se tourner vers le vin et la bière, qui ne cherchent qu'à agrandir leur rayon de consommation et leur puissance d'action.
Il sera donc nécessaire de pouvoir conserver les cidres qui nous seront demandés : cidres doux, cidres complètement fermentes ou parés, cidres tout à fait secs ; et alors il est à prévoir que ces divers cidres ne se conserveront pas tous avec la même facilité, qu'ils demanderont des soins de nature probablement différente, toutes choses qui ne simplifieront pas le travail que nous aurons à accomplir.
Enfin, et comme pour ajouter aux difficultés à surmonter, il ne nous sera pas toujours donné de pouvoir vendre nos cidres quand ils posséderont leur maximum de qualité et de valeur marchande. Non, le consommateur ne viendra les chercher dans nos caves qu'au moment précis où il voudra les consommer. Il nous faudra donc conserver nos produits pendant plusieurs mois, pendant une année, pendant plus longtemps peut-être encore, et courir le risque de les voir, si les moyens de conservation ne sont pas parfaits, baisser de qualité, perdre leur goût initial, leur corps, leur couleur, leur clarté.
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Les conditions dans lesquelles s'effectue la vente des cidres et que nous ne pouvons pas modifier à notre gré, ont donc, comme vous le voyez, une répercussion très grande sur le mode de conservation de ces produits, et c'est là aujourd'hui, il faut le dire, une cause de difficultés très grandes pour l'industrie cidrière.
Je n'insiste pas sur l'importance que nous devons apporter à la bonne conservation des cidres : vous avez tous compris que, sans elle, pas de produits convenables, pas de vente possible, pas d'acheteurs, pas de bénéfices.
Au contraire, imaginez que nous soyons arrivés à donner à nos cidres une conservation parfaite et de longue durée, voyez l'essor que prend alors l'industrie cidrière. La clientèle, satisfaite, se fait plus nombreuse et plus fidèle, car elle a une boisson irréprochable à toute époque de l'année; les grandes villes comme Paris, qui ne boivent pour ainsi dire pas de cidre, augmentent leur consommation dans de larges proportions; les pays éloignés des centres de production ne craignent point de payer un bon prix une boisson agréable et rafraîchissante ; en un mot, là consommation s'accroît, entraînant avec elle la prospérité des pays cidricoles.
 un autre point de vue, le problème de la conservation des cidres résolu, nous n'aurions plus ces grandes quantités de cidres que nous perdons chaque année parce qu'ils deviennent durs acides, en se transformant peu à peu en vinaigres; nous ne serions plus obligés de changer ces cidres
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malades en alcool, ce qui serait préférable au point de vue économique.
Enfin, si nous pouvions conserver nos cidres pendant plusieurs années, nous n'aurions plus à redouter ces mciuvaises récoltes, comme celles de 1902 et 1903. Les réserves de nos caves nous permettraient d'attendre sans crainte la bonne récolte qui devrait les remplir, et la cidrerie ne courrait pas le danger, comme aujourd'hui, de manquer de matières premières. Cette regrettable alternative où elle se trouve tous les trois ou quatre ans de ne pas avoir de pommes, paralyse ses moyens, lui enlève toute confiance pour le lendemain, et l'empêche de se consacrer d'une façon plus sérieuse à l'étude raisonnée et scientifique des problèmes qui l'intéressent. Au lieu de s'établir définitivement chez elle, la cidrerie reste campée sans savoir vers quel chemin elle doit s'engager.
Il serait peut-être intéressant, avant d'aller plus loin, de comparer le cidre aux autres boissons fermentées, et de nous demander pourquoi il a une durée de conservation aussi limitée, aussi faihle, comparativement à celle du vin.
En bonne année normale, quand les conditions de la récolte ont été convenables, le vin se conserve bien et pendant assez longtemps; comment se fait-il que le meilleur cidre ne puisse, en règle générale, avoir une durée de-conservation aussi longue ?
Tout en faisant la part des méthodes de fabrication, qui sont bien supérieures en vinification qu'en cidrification, il faut avouer que la cause
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principale de ce fait est due à ce que le cidre, par sa nature même, se prête mal à une longue conservation; tandis que le vin contient 9 à 11 % d'alcool, le cidre, même sans addition d'eau, ne dose souvent que 6 à 8 % ; il est riche en extrait et il contient constamment des sucres, des matières pectiques et albuminoïdes, substances fermentescibles, aliments tout désignés pour les fer' ments de maladies.
Le cidre, par sa nature, sa composition, son mode de conservation, se rapproche plutôt de la bière que du vin, et il aura de la bière l'instabilité et la durée de conservation toute limitée.
Après vous avoir montré la complexité du problème à résoudre, voyons par quels moyens nous allons chercher à conserver nos cidres pendant le plus long temps possible.
Nous ne pourrons pas avoir ici la prétention d'étudier la question dans tous ses détails, le sujet est trop vaste; nous voulons seulement vous indiquer les principes des méthodes à suivre, nous réservant pour une autre fois de vous parler des détails tout à fait pratiques.
Nous prenons donc le cidre au moment où il a subi la fermentation tumultueuse dans de bonnes conditions, le chapeau s'est bien formé, le cidre a été soutiré entre deux lies.
Il s'agit maintenant de réaliser une bonne fermentation secondaire et d'éviter tous les accidents de fabrication qui nous guettent : fermentation trop rapide, maladies diverses, acescence, noircissement, etc. Gomment y arriver ?
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Il nous faut tout d'abord rechercher quelles sont les conditions qui favorisent une bonne fermentation secondaire. D'après ce que je vous ai dit et d'après ce que la pratique vous a appris, la fermentation secondaire sera bonne quand elle sera excessivement lente, aussi lente que nous le désirerons ; la fermentation idéale serait celle qui s'arrêterait au moment où le cidre a subi un degré d'atténuation en rapport avec le goût du consommateur et qui laisserait le liquide limpide, sans matières en suspension, sans microorganismes capables de le troubler et de le déprécier, sans diastases pouvant y provoquer des changements chimiques, sans pectase qui coagule la pectine, et sans oxydases qui amènent le noircissement du cidre. Il faudrait en un mot, si l'on peut s'exprimer ainsi, que le cidre restât fixé indéfiniment à l'état où on l'a laissé.
Les études qui ont été faites sur les boissons fermentées laissent supposer que la fermentation secondaire des cidres, comme celle des vins et des bières, n'est pas l'oeuvre d'une seule famille de levures, mais que, comme le dit M. Duclaux, plusieurs corporations d'ouvriers se succèdent pour accomplir le travail. Celles qui ont commencé disparaissent la tâche achevée ; elles meurent, tombent au fond des vases et sont remplacées par de nouvelles qui subiront le môme sort. Si la fermentation est bonne, il arrivera un moment où toutes les levures auront disparu et où le liquide s'éclaircira ; mais bien souvent en pratique, voici ce qui se passe : la fermentation secondaire se
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continue insensiblement, sans arrêt, le liquide reste en mouvement et les levures y vivent et s'y développent ; des bulles d'acide carbonique se dégagent constamment, entraînant les matières en suspension qui continuent à flotter dans le liquide trouble.
Si rien ne vient contrarier le phénomène, le cidre continue à mûrir, il perd son sucre et se pare insensiblement ; s'il restait en cet état, nous aurions un cidre sec, et il n'y aurait que demi-mal. Malheureusement, la levure n'est pas seule présente dans le liquide; elle est accompagnée de nombreux microbes qui attendent le moment d'apparaître à leur tour. La levure, lasse de travailler dans un milieu appauvri, fatiguée, usée, sans air, a perdu sa vigueur; son règne est fini, les ferments acéti prennent alors possession du cidre. Celui-ci, qui était sec, devient dur, perd ses qualités, et un beau jour, on s'aperçojit qu'il est devenu imbuvable. Telle est l'histoire commune de bien des cidres que vous fabriquez.
Que devons-nous faire pour empêcher un pareil accident de se produire ?
Une étude un peu rapide des phénomènes qui se succèdent va nous donner les moyens d'y remédier.
Considérons un cidre qui fermente très lentement dans un tonneau, tout à fait à l'abri de l'air; plâçons-le dans une cave très froide, à 0°. Que vat-il se passer? La levure peu vigoureuse, peu active, gênée par la température basse, va se trouver paralysée et va tomber au fond du vase, entraînant avec elle les particules des substances
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de toute nature qui flottaient dans le liquide ; il se produit un collage naturel et le cidre s'éclaircit ; dans certains cas, et suivant la nature des cidres, on remarque une vraie cassure; de véritables ocons de matières pectiques et albuminoïdes se forment, s'agglomèrent, tombent en enrobant tous les microorganismes présents dans le liquide et constituent des lies ; tout est devenu tranquille, c'est le moment de soutirer. Si on ne le fait pas, qu'arrive-t-il ?
Imaginez que la température de la cave ne soit pas constante et s'élève : le liquide s'échauffe ; la levure, seulement engourdie, reprend une activité nouvelle et la fermentation se rétablit; des bulles d'acide carbonique se dégagent, traversent toute la masse du liquide, entraînant avec elles les particules de lies auxquelles elles sont accrochées ; le liquide se trouble et tout esta recommencer.
D'autres influences sont capables de provoquer dans les cidres au repos des phénomènes analogues.
Considérons le même cidre que précédemment ; imaginez qu'il se produise une brusque dépression barométrique, comme cela arrive par les temps d'orage ou de tempête. Que va-t-il se produire ? La pression atmosphérique baissant, l'acide carbonique dissous dans le liquide ne peut rester en solution, il se dégage alors brusquement, entraînant avec lui tout le dépôt. Vous connaissez tous ce phénomène, et vous dites que les grands vents font travailler les cidres et sauter les bondes.
Prenons enfin un dernier exemple. Supposez
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que le tonneau où l'on a placé le cidre au repos soit mal fermé, que l'air puisse y pénétrer. Voyons ce qui va se passer. Il va s'établir des échanges continus entre le cidre et l'atmosphère. Le cidre va absorber les gaz de l'air, et, ce qui est intéressant pour nous, absorbera de l'oxygène et l'atmosphère recevra de l'acide carbonique.
Les échanges de gaz se continueront, par simple phénomène physique, jusqu'à ce que les quantités de gaz dissous dans le cidre soient en rapport avec. les proportions de ces gaz contenus dans l'atmosphère; le cidre s'enrichira en oxygène et perdra peu à peu son acide carbonique.
Mais la levure qui sommeillait dans le cidre va se réveiller sous l'action de l'oxygène, va se reproduire, bourgeonner, donner des cellules actives qui vont recommencer une nouvelle fermentation et entraîner au sein du liquide toutes les lies qui s'étaient déposées.
Si nous laissons les phénomènes dont je viens de vous parler se produire plusieurs fois de suite, nous risquons de compromettre sérieusement le cidre obtenu.
C'est qu'en elfet, les matières en suspension qui, au début, s'aggloméraient bien, se déposaient avec facilité en vertu de la pesanteur, éprouvent des changements de nature à la fois physique et chimique probablement. Elles diminuent de volume, sont plus sèches, plus pulvérulentes ; elles sont devenues incapables de se réunir; elles forment des particules impalpables, si fines qu'elles ne se déposeront plus et resteront indéfiniment en suspension
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dans le liquide devenu louche. Le cidre obtenu est trouble; à la dégustation, les particules en suspension agissent sur le palais, le cidre a perdu toute qualité. Les organismes vivants du milieu ont vite fait de s'en emparer; il est souvent trop tard pour y remédier et toutes les poudres du monde, même les reconstituants, améliorateurs, bonificateurs les plus réputés n'y pourront rien. Un cidre malade, quoi qu'on en dise, est inguéris.sable; on peut le prolonger, mais je ne connais point de cure merveilleuse pour le sauver et lui rendre ses qualités initiales.
Pour que les divers accidents que je viens de vous signaler ne puissent se produire, il nous faudra donc poursuivre la fermentation secondaire à une température basse absolument constante, à l'abri de l'air. D'où nécessité de caves parfaites et emploi de vases bien fermés.
La cave est, en cidrerie, un instrument aussi important que la cuve ou le foudre, et il semble qu'en pratique on y ait attaché une bien minime importance. Ce qui frappe quand on visite la cidrerie en Allemagne et en France, dit M. Alwood, directeur d'une station agricole en Virginie, c'est qu'en France il n'y a pas, sauf de rares exceptions, de bonnes caves; on y attache peu d'importance. En Allemagne, au contraire, la cidrerie et les exploitations agricoles ont des caves bien installées, à température basse et constante.
Sachez donc que, sans bonnes caves, pas de soutirages possibles, pas de conservation convenable des cidres.
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L'importance du logement est à son tour capitale pour la bonne réussite du produit fabriqué.
Je ne puis faire ici l'étude comparative des divers récipients employés pour la conservation, parler de leurs avantages et de leurs inconvénients. Je veux seulement rappeler qu'il faut veiller à ce qu'ils soient d'une extrême propreté, et dire que très souvent les mauvais goûts des cidres sont apportés par de mauvais fûts. Nettoyez vos fûts, les bons moyens ne manquent pas; ce qui vous manque le plus, c'est un peu de bonne volonté pour les appliquer.
Je voudrais maintenant vous dire un mot du rôle que joue en pratique la dimension des vases employés pour les fermentations.
À première vue, les dimensions des fûts employés semblent quelconques; en y réfléchissant, on peut dire, je crois, que ce n'est pas à tout hasard que, par exemple, dans le pays d'Auge, on se sert de tonneaux d'environ quinze hectolitres.
Ces fûts, d'assez grandes dimensions, et cependant facilement transportables, se défendent mieux que les petits contre les variations de température des mauvaises caves, car réchauffement ou le refroidissement est toujours lent à se produire dans une grande masse de liquide. Des petits fûts, placés dans des conditions identiques, subiraient à chaque instant de telles variations de température, qu'ils ne donneraient souvent qu'un cidre bien inférieur.
Quels que soient les vases employés pour opérer la fermentation secondaire, il est de toute
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nécessité de pouvoir contrôler cette fermentation d'une façon journalière et continue. Il faudra que la cuve soit munie d'une ouverture permettant de prélever de petits échantillons dans un verre à essais. Ces échantillons serviront à prendre la température du liquide et sa densité; le thermomètre nous montre si la fermentation s'effectue à température normale et le densimètre nous indique à chaque instant la richesse en sucre du milieu.
Ce contrôle de fabrication est indispensable à faire pour le cidrier, et celui qui le néglige ne sait ce qu'il fait, d'où il vient et où il va. Le thermomètre et le densimètre sont des instruments aussi nécessaires pour lui que le broyeur et le pressoir.
L'observation de l'échantillon dans le verre est intéressante à son tour; elle nous permet de voir si le liquide s'éclaircit, si des flocons de matières s'y forment, et s'ils sont l'indice d'un commencement de clarification ; dans certains cas, une étude microscopique sommaire nous renseigne sur la nature des levures présentes et sur leur pureté ; un simple dosage d'acidité, fait à propos et au moment voulu, quand on a une fermentation trop rapide, nous dit si cette fermentation est normale ou si elle est provoquée par des levures ou par des ferments de maladies, etc.
Ces quelques exemples pris au hasard vous montrent bien que vous ne devez rien laisser à l'imprévu, et que de votre contrôle dépendra la valeur de vos produits.
Un moyen indispensable et commode pour surveiller la marche de vos fermentations est
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l'emploi des bondes. Choisissez les plus simples, les plus faciles à nettoyer, celles mêmes que vous pourrez fabriquer. Une bonde sera bonne quand elle empêchera tout contact du cidre avec l'air, et vous permettra de voir la vitesse du dégagement des bulles d'acide carbonique.
Quand la fermentation sera tout à fait terminée et que cet acide carbonique, qui en est le témoin fidèle, ne se dégagera plus, changez ces bondes devenues inutiles et qui laisseraient pénétrer l'air dans le foudre ; remplacez-les par un appareil fournissant au foudre l'acide carbonique qui va lui manquer. L'emploi des bondes carboniques est tout indiqué. Mettez, si vous le préférez, vos fûts en communicatiozi avec un réservoir à acide carbonique, que le commerce livre aujourd'hui couramment et dont l'emploi est si peu coûteux. Ces pratiques vous semblent peut-être superflues, parce que vous n'êtes pas convaincus de leur efficacité. L'exemple de nos voisins d'Allemagne qui les emploient couramment dans leurs travaux de cave, vous montre cependant le chemin à suivre. Opérez des essais; comparez les résultats obtenus avec ceux que vous avez dans la pratique courante, et votre conviction sera vite faite.
Quand on emploie des ustensiles en bois, il faut se mettre en garde contre l'évaporation continue des liquides, qui. se produit lentement à travers les pores du bois. Il faut remplir constamment les fûts pour remplacer le liquide perdu par évaporation ; en un mot, il faut pratiquer l'ouillage. L'ouillage avec des liquides est toujours dangereux, car il
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oblige à introduire un liquide de composition forcément différente de celui du fût, et il provoque au sein de la masse des mouvements toujours regrettables : il vaut mieux, à notre avis, préférer l'ouillage à l'acide carbonique, si facile et qui ne présente aucun danger.
Un facteur important qui fait varier la vitesse de l'évaporation est la surface des fûts, et vous comprenez que de deux fûts de même forme, celui qui est le plus petit perdra proportionnellement plus par évaporation que celui qui est gros, car relativement à son volume sa surface est plus grande. Dans la pratique courante, où l'on ne fait pas toujours le plein des tonneaux, on a plus de chances de conserver le cidre dans des grands foudres que dans des petits.
On a conseillé, pour empêcher l'évaporation des fûts de bois, de les suilfer ou de les badigeonner avec des vernis spéciaux. Ces pratiques nous semblent dangereuses, et nous n'oserions vous les conseiller ; elles sont loin de valoir l'emploi de l'acide carbonique que nous avons préconisé tout à l'heure.
Quand nous aurons opéré la fermentation secondaire à température basse, constante, et à l'abri de l'air, serons-nous assurés de pouvoir obtenir enfin des cidres parfaits et de longue conservation ?
Assurément non; il ne faut pas oublier, en effet, que nous avons laissé pour l'instant dans les cuves de fermentation les levures, les microorganismes de toute espèce qui s'y trouvent naturellement.
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Tous ces êtres vivants sont disséminés dans toute la masse du liquide si celui-ci n'est pas limpide ; ou bien se trouvent dans les lies constituées par toutes les matières qui se sont précipitées et qui ont entraîné, dans les mailles du réseau qu'elles ont formé, les levures et les organismes qui peuplaient primitivement le milieu.
Tous nos efforts devront donc tendre vers ce double but : faire disparaître du cidre fabriqué les êtres vivants qui s'y trouvent et les matières pectiques et albuminoïdes des lies qui servent d'aliments à ces organismes.
Ici commence pour nous l'ère des difficultés sérieuses ; car, des moyens que nous emploierons, aucun n'est par lui-même partait et suffisant ; ce sera à nous de combiner les divers procédés possibles, suivant la nature du cidre et selon le produit à obtenir.
Tel procédé réussira avec tel cidre et ne réussira pas avec tel autre, car, comme je vous l'ai dit, il n'y a pas un seul cidre, mais un très grand nombre de variétés de cidres ; la science est bien mal renseignée encore aujourd'hui sur la nature des réactions qui se passent au sein des liquides fermentes comme le cidre ; elle connaît à peine la composition des matières pectiques, mucilagineuses et tanniques qui entrent en jeu; nous ignorons surtout à quel état physique exact ces substances se trouvent : leur état colloïdal, qui n'est ni celui de la dissolution complète, ni celui de la suspension à l'état de particules définies dans le liquide, ne nous est pas encore familier. Nous savons seule-
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ment qu'elles sont à un état d'équilibre instable et qu'une influence minime, telle par exemple que l'absence ou la présence d'une quantité infinitésimale, indosable presque, d'un sel donné, peut instantanément les faire passer à l'état de dissolution complète ou les précipiter en masse. Une cause toute physique, un abaissement de température relativement faible, peut provoquer les mêmes effets. C'est vous dire que nous ne savons pas le détail de tout ce qui se passe ; nous connaissons seulement ce qu'il y a de plus gros dans le phénomène. Mais, dans tous les cas, nous sommes incapables aujourd'hui de produire ce cidre idéal dont je vous parlais au début, qui, une fois limpide, serait à jamais fixé et serait en quelque sorte une boisson morte, par opposition au cidre que nous obtenons journellement, qui subit à chaque instant des mutations variées et qui est une boisson vivante.
Parmi les procédés que nous pouvons employer pour débarrasser nos cidres des lies et des microorganismes qu'ils renferment, citons tout d'abord les soutirages. Il faudra nécessairement les pratiquer quand le liquide sera tout à fait au repos, ne pas choisir le moment des basses pressions barométriques, journées de pluie, de tempête ou d'orage. Opérer par un temps clair, beau, froid, le baromètre indiquant une haute pression. Rejeter, si c'est possible, les longues tuyauteries, toujours difficiles à nettoyer, sources continuelles d'infections. Si la disposition des locaux le permet, recourir simplement à l'usage du siphon. Éviter la présence de l'air en emplissant à l'avance le fût
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qui doit contenir le cidre, avec de l'acide carbonique. Avoir un dispositif quelconque permettant de suivre la marche du soutirage, afin de pouvoir s'arrêter aussitôt que le liquide n'est plus limpide, car si l'on soutire trouble, l'opération est compromise. Lorsqu'on se sert de pompes, ne pas mettre le cidre en contact avec des organes en fer, et veiller à ce qu'il ne soit ni aéré ni battu.
Quand on opère le soutirage des grands récipients, des citernes en verre de grande hauteur, par exemple, il faut se mettre en garde contre une difficulté que je tiens à signaler.
Imaginez que l'on veuille soutirer le contenu d'une citerne dont la hauteur soit relativement élevée, S à 6 mètres, par exemple, voici ce qui va se passer. Pendant le soutirage, le liquide restera clair un certain temps ; mais il arrivera un moment, bien que la hauteur du liquide soit encore de plusieurs mètres dans la cuve, où le contenu de celle-ci se troublera sans cause apparente. Qu'est-il arrivé ? Pour expliquer ce fait, qui est dû à un phénomène purement physique et indépendant de la volonté de l'opérateur, considérons la couche de liquide la plus près du fond de la cuve ; comparons-la à la couche de liquide de la surface, et voyons à quelles influences de pression elles sont soumises individuellement.
La couche de la surface reçoit la pression atmosphérique, tandis que la couche du fond reçoit la pression atmosphérique augmentée de la pression due à la hauteur du liquide, qui est ici de 5 à 6 mètres, ce qui correspond à une demi-atmos-
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pliure. Si on vide la cuve, l'équilibre de pression est rompu pour cette couche inférieure, puisque la hauteur de liquide diminue ; l'acide carbonique dissous se dégage en formant des bulles qui partent des lies et qui les entraînent avec elles. Le phénomène est le même que celui qui se produit quand on ouvre brusquement une bouteille de cidre gazeux ; la masse du liquide est tout entière mise en mouvement. Il faudra donc prendre, dans le cas du soutirage des cuves profondes, certaines précautions pour éviter l'accident dont je vous parle.
Dans le cas où la fermentation a été faite sous pression d'acide carbonique, les soutirages isobarométriques sont tout indiqués pour éviter toute perte de gaz dissous.
Une règle générale à observer lorsqu'on opère un soutirage, est de le pratiquer à une température pins basse que celle à laquelle la fermentation a eu lieu ; on évite ainsi tout dégagement d'acide carbonique. Pour obtenir ces températures basses, l'emploi de la glace est à recommander; le jour où la cidrerie aura à sa disposition de bonnes caves, des glacières ou des appareils frigorifiques, elle pourra conduire à volonté les fermentations, les arrêter, opérer les soutirages dans les meilleures conditions.
On a tenté l'emploi d'un autre procédé pour clarifier les liquides, c'est le turbinage. Jusqu'à présent, l'industrie n'a pas fourni d'appareils satisfaisants; les turbines ont l'inconvénient d'aérer les liquides soumis à leur action ; il faudrait ima-
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giner des dispositifs spéciaux retenant les lies et les microbes et protégeant le cidre contre toute action de l'air. Il est probable qu'avec des appareils bien constitués on arriverait à de très bons résultats, et qu'après deux ou trois turbinages successifs, le cidre serait limpide et pratiquement stérile.
Les collages, qui constituent un autre moyen de clarification, sont employés depuis longtemps en France, mais c'est surtout en Allemagne et en Suisse qu'on les pratique avec le plus de succès; ils peuvent réussir avec les cidres de ces pays, mais il faut avouer qu'avec les nôtres, ils donnent en général des résultats médiocres. Certains praticiens peuvent obtenir parfois de bons collages, mais ceux-ci sont dus le plus souvent au hasard, car telle substance employée au collage d'un cidre et donnant toute satisfaction, pourra très bien conduire à un échec, si on l'essaie sur un autre cidre. Gela ne doit point nous étonner, puisque dans les divers cidres les substances à précipiter ne sont ni de même nature, ni dans les mêmes proportions, ni dans le même état physique. Pour chaque cidre, il faudrait déterminer la substance propre au collage et sa proportion à employer.
En pratique, pour arriver à une solution convenable, il serait nécessaire de faire de nombreux essais toujours longs et pénibles. Si le collage réussit bien avec certains cidres secs, il ne donne aucun résultat avec les cidres encore doux, car il est bien connu que les matières sucrées sont un obstacle à une bonne clarification. Quand un
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collage réussit bien, c'est toujours aux dépens de la qualité du cidre. En France on préconise parfois l'emploi du tanin, du cachou, des écorces de chêne pour opérer le collage, sans se demander si le tanin qu'on ajoute est de même nature que le tanin de la pomme; aussi il arrive souvent des accidents, le cidre tanisé noircit abondamment s'il a une acidité faible, et il est impossible de lui faire perdre ensuite cette couleur noirâtre qui lui ôte toute valeur marchande.
Une substance employée au collage, pour être bonne, doit enlever au cidre toutes les matières qu'on désire faire disparaître, mais elle doit respecter toutes celles qu'on veut y laisser. Or, on peut dire que parmi les défécants que l'on emploie couramment, aucun ne satisfait à cette loi essentielle.
En Allemagne, où l'on fabrique presque exclusivement les cidres secs, on les colle généralement tous. Les cidres allemands sont si bien collés, si bien débarrassés de toutes les substances susceptibles d'être enlevées, qu'ils sont d'une limpidité merveilleuse. S'ils sont bien présentés en bouteille, en revanche, ils ne contiennent plus rien pour contenter le palais, ils sont pâles, sans corps, ils ont perdu toutes les substances qu'ils auraient dû garder; à la dégustation ils sont généralement inférieurs à nos cidres.
En Angleterre, M. Lloy, qui a fait des essais suivis sur le collage, conseille de l'abandonner tout à fait. Il a essayé, comme défécants, des matières azotées, le sang, le lait, l'albumine, le
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blanc d'oeuf, puis des substances voisines telles que la gélatine, la colle de poisson, et il a vu que, dans tous les cas, les cidres collés étaient bien inférieurs comme qualité aux cidres non collés.
Pour nous, dans l'état actuel de la science, le collage est un moyen peu facile à manier, dangereux même à employer dans la pratique courante, car il expose souvent à des échecs.
Un autre moyen de collage, qui demande aussi de nouvelles études, et qui serait susceptible de donner de bons résultats, s'il était bien connu, est le collage naturel obtenu en mélangeant des moûts de nature différente ou les cidres provenant de ces moûts. Il se produit quand les cidres sont convenablement choisis (ce qu'en pratique nous ne savons pas encore faire) une défécation naturelle parfaite qui n'appauvrit pas le cidre, mais qui le laisse limpide et lui conserve ses qualités. Ce procédé est appliqué de préférence pour opérer la défécation des moûts, plutôt que celle des cidres ; les Allemands l'emploient en mélangeant le jus de cormes au jus de pommes; les Suisses ajoutent au moût de pommes le jus de certaines poires. En France, nous pourrions obtenir des résultats semblables en mélangeant des moûts de pommes de différente nature, ou bien en faisant des mélanges de pommes et de poires ou des mélanges de cidre et de poiré, tout en veillant à ce que le goût du cidre ne soit ni influencé ni dénaturé. M. Truelle a fait sur ce sujet quelques essais qu'il serait intéressant de reprendre.
Disons maintenant un mot d'une méthode gêné-
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raie qui est susceptible aussi d'applications dans la conservation des cidres, nous voulons parler de la filtration.
Pour réussir, la filtration ne doit s'adresser qu'à des cidres déjà clarifiés en partie, qui ont subi par exemple plusieurs soutirages. Dans ces conditions seulement, les filtres, tout en ayant un débit convenable, peuvent, sans trop l'appauvrir, donner au cidre le brillant cherché.
En France, la filtration n'est pas encore entrée dans la pratique journalière; quelques cidreries seules l'emploient couramment. Si la filtration a peu de succès, c'est qu'on lui a demandé souvent un travail qu'elle ne pouvait fournir: on a voulu filtrer sans aucune façon préparatoire des cidres troubles en pleine fermentation, non soutirés. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les filtres aient donné de mauvais résultats dans de pareilles conditions. Ceux qui ont laissé passer le liquide avec facilité, n'ont rien retenu des matières en suspension et, en sortant de l'appareil, le cidre, toujours trouble, a continué de fermenter comme avant l'opération. Ceux qui ont donné un liquide limpide en ont fourni quelques litres seulement, puis n'ont plus rien laissé passer ; il s'est produit un colmatage d'autant plus serré que la pression était plus forte et que les pores du filtre étaient plus petits.
Nous n'étudierons pas les divers filtres, filtres en tissus, drap, molleton, filtres à manches encollées, à pâte de cellulose, à amiante, à charbon, à bougie de porcelaine poreuse, etc. Tous peuvent rendre seryice fquand on sait les employer. Mal-
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heureusement, ils ne peuvent servir que lorsque le gros travail de clarification est déjà opéré. Le filtre idéal serait celui qui fournirait un liquide limpide, avec un débit convenable, qui en même temps stériliserait le cidre en retenant tous les microbes qu'il renferme et qui lui laisserait toutes ses qualités.
Jusqu'à présent, il n'est pas de filtre qui, je crois, satisfasse à toutes ces conditions. Si le liquide obtenu est limpide, il a généralement perdu du corps et de la bouche.
Cette difficulté sera presque impossible à surmonter, car elle ne tient pas aux filtres employés, mais à la nature des cidres eux-mêmes. 11 nous sera toujours difficile, en règle générale, d'avoir à la fois du beau et bon cidre.
Lorsque l'on fera des essais de filtration, il faudra toujours spécifier, quand on le pourra, la composition du cidre employé, sa provenance, son mode de fabrication, sa teneur en matières pectiques et en tanin. Ces renseignements seront précieux, car, dans des expériences de ce genre, chaque cidre se comportera à sa façon. C'est dire qu'il sera toujours difficile ensuite de généraliser les résultats obtenus dans une foule de cas particuliers.
Il est inutile d'ajouter que, dans la filtration, il faudra comme dans les pratiques que nous avons signalées, éviter tout contact de l'air.
A l'étranger, on se sert couramment de filtres, mais les cidres, avant la filtration, son généralement soutirés un grand nombre de fois ou collés.
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On emploie, en Allemagne, en Angleterre, des filtres à pâte de cellulose, filtre Otto-Fromme, par exemple.
Il est un autre procédé de conservation dont l'étude a déjà été abordée sans être toutefois définitivement résolue. C'est le procédé de concentration à froid ou de congélation.
Le regretté M. Lechartier a étudié l'action du froid sur les cidres, et, il y a quelques années, M. Descours-Desacres a entrepris des essais pratiques très intéressants. Il s'agirait, par ce procédé, de concentrer les cidres sous un petit volume, de les enrichir ainsi en alcool, en sucre, en extrait, et de les conserver à cet état. Au moment de la consommation, une simple addition d'eau leur rendrait leur volume et leur valeur primitifs. Cette méthode, outre la conservation des cidres, procurerait une économie sérieuse dans le logement, qui serait réduit dans de grandes proportions. Nous nous garderons bien de porter un jugement prématuré sur ce procédé avant que des essais nombreux nous aient permis de le juger en toute sûreté.
La cidrerie pourrait peut-être utiliser le froid de bien d'autres façons, en refroidissant ses caves, par exemple. Nous ne savons pas si, économiquement, elle peut le faire ; mais, si cela était possible, nous sommes persuadé que le problème de la conservation des cidres serait définitivement résolu.
La concentration à chaud, qui rend déjà des services pour les vins, n'a jamais été employée pour les cidres ; il serait peut-être intéressant de faire
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des essais pratiques et de voir si nous pouvons en tirer parti.
Je ne puis terminer cette étude rapide et forcément incomplète, sans vous parler de la pasteurisation, qui consiste à soumettre les cidres à l'action de la chaleur, de façon à tuer ou à paralyser les microbes qui vivent dans le milieu et à mettre celui-ci à l'abri de toute altération ultérieure.
Des essais de laboratoire ont été faits d'abord par M. Lechartier, qui a constaté qu'à 60°, le cidre chauffé prend nettement un goût de cuit, mais que cette altération peut presque entièrement disparaître par une nouvelle fermentation.
Pratiquement, la pasteurisation n'est pas connue en cidrerie. Des essais ont été faits par M. Rosenstiebl en chauffant le cidre à 60° sous pression d'acide carbonique; mais nous ne croyons pas qu'ils aient été poursuivis.
D'autres inventeurs emploient des pasteurisateurs pour le chauffage des vins, mais nous n'avons pas connaissance qu'ils aient entrepris des essais sur les cidres ou que ces essais aient été couronnés de succès. Si quelques expériences ont été tentées, elles sont complètement ignorées du public et ne peuvent entraîner sa conviction.
Pour résoudre la question et savoir si la pasteurisation des cidres est réellement possible et peut donner des résultats appréciables au point de vue de la conservation, il faudrait que des expériences publiques sérieuses fussent entreprises, et qu'un jury compétent étudiât les résultats fournis. Tant que ces expériences ne seront pas faites au
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grand jour, il sera impossible de se faire une idée exacte de la valeur des nouveaux procédés, qui, pour être acceptables, devront réaliser les conditions suivantes : paralyser les microbes et les empêcher d'agir, ne pas modifier le goût et la saveur du cidre ni sa limpidité, ne pas altérer sa composition chimique et avoir un prix de revient peu élevé.
Il est inutile de dire que la pasteurisation des cidres ne devra se faire que sur des liquides déjà presque limpides, et qu'elle devra, par conséquent, toujours être précédée de soutirages, ou, si c'est possible, de filtration.
Nous serons bref sur les moyens chimiques qu'on a préconisés pour conserver le cidre. Tous les antiseptiques qui doivent gêner les microbes dans leur développement sont, pour la plupart, défendus par la loi, car ils sont en même temps des poisons pour l'organisme humain. Si quelques-uns peuvent être employés cependant, ce sera à la condition qu'on ne les retrouve plus au moment où le cidre sera consommé; en pratique, leur emploi sera difficile à cause des dangers qu'il y aurait de les confier à des mains inhabiles.
Toutefois il en est un que l'on emploie couramment et qui peut rendre de grands services : c'est l'acide sulfureux.
C'est lui qui agit quand vous méchez vos fûts en brûlant une mèche soufrée, c'est lui encore qui est le principe actif de tous les bisulfites employés couramment pour le lavage des locaux et des ustensiles.
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M. le docteur Cathelineau dit obtenir de bons résultats en faisant des soutirages répétés du cidre dans des fûts méchés et en répétant les opérations jusqu'à ce que la fermentation soit arrêtée ; il a pu conserver ainsi des cidres doux pendant assez longtemps.
On a conseillé d'appliquer au cidre le procédé préconisé par M. Andrieu pour le traitement des vins blancs. On traiterait le cidre avec des doses connues de métabisulfite de potasse et l'on produirait ainsi à volonté des cidres doux ou secs ; cette méthode aurait de plus l'avantage de préserver le cidre du noircissement. Nous ne savons pas ce qu'en pratique cette méthode peut donner, et nous serions heureux de la voir appliquer afin d'en connaître exactement la valeur.
Parmi les divers procédés que je viens de signaler comme étant susceptibles d'être employés pour conserver vos cidres, il en est certains dont seule l'industrie cidrière peut tirer parti. Le cultivateur qui ne dispose souvent que d'une installation rudimentaire, qui ne sait pas se servir de l'association, ne peut penser pour l'instant à en profiter.
Mais il est cependant un instrument merveilleux, que cultivateurs ou cidriers vous pouvez employer avec succès pour conserver vos cidres, c'est la propreté.
Malheureusement, vous ne savez pas vous en servir car on fait mal le cidre, particulièrement dans les campagnes ; on se sert encore d'eaux malpropres, on laisse les fruits sur la terre se souiller d'impuretés ; on ne nettoie presque jamais à fond
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le broyeur, le pressoir, les baquets, les cuves, servant à la préparation des moûts ; la fermentation, qui est capitale dans la fabrication du cidre, se fait seule, sans secours ni contrôle.
Dans sa Microbiologie de 1883, M. Duclaux a écrit, à propos de la brasserie, une phrase qui lui a été vivement reprochée. « Aucune industrie, disait-il, n'a plus d'intérêt à remplacer par un laboratoire, la cuisine mal tenue dans laquelle elle a presque toujours opéré jusqu'ici ». Ce qu'il disait de la brasserie, on peut le dire er-^ore de la cidrerie d'aujourd'hui. Mais, pour la brasserie, on n'a plus le droit de parler ainsi de nos jours. « La « propreté s'est introduite dans presque toutes « les usines ; elle est même devenue luxueuse, et « particulièrement l'industrie de la bière com« mence à pouvoir être donnée en exemple aux « autres industries de fabrication des substances « alimentaires.
« Cet effort vers la propreté est dû à ce que, « dans ces industries plus qu'ailleurs, la propreté « est un outil au moins aussi indispensable, on le « reconnaît maintenant, que la cave à malter, la « cuve-matière ou la chaudière à cuire. C'est « Pasteur qui a introduit dans la pratique cet ins« trument nouveau, en donnant au mot propreté « un sens inconnu ou méconnu jusque-là. Cotte « notion nouvelle a fécondé et transformé la prati« que industrielle. Avec elle, la science a pris « possession des usines où on pratique la fermen« tation, et il est sûr qu'elle n'en sortira pas ».
La voie nouvelle est donc tracée pour la cid/ ,-
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rie, il faut espérer qu'elle va s'y engager résolument, et que, dans un avenir prochain, nous pourrons enregistrer à son actif des progrès aussi marqués que ceux qui ont couronné les efforts des autres industries de fermentation.
Quelques questions eldrleoles. — Création de vergers d'études. — Fabrication et emploi des pommes sèches à la ferme.
J'ai eu l'honneur de parler, il y a quelque, temps déjà, des progrès à réaliser dans la production des fruits de pressoir dans le département du Calvados, et je me suis préoccupé à ce moment-là, tout particulièrement, de la sélection des variétés de pommes à cidre.
Je demandais alors à ceux qu'intéressent ces questions de bien vouloir entreprendre tout d'abord l'étude de la synonymie de nos variétés, afin de pouvoir en opérer, autant que cela est possible, le dénombrement exact.
La Société d'agriculture de Caen a bien voulu donner suite à l'appel que je vous adressais, et des questionnaires détaillés furent envoyés, dans les deux cantons d'Évrecy et de Villers-Bocage, à toutes les personnes qui pouvaient nous renseigner utilement sur nos variétés.
Je vous donnerai prochainement les résultats
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complets de cette enquête; mais je dois vous dire dès aujourd'hui qu'ils n'ont pas répondu entièrement à notre attente ; car, sur environ 250 questionnaires qui lurent envoyés, il ne nous en a été retourné que 20 seulement-, 13 pour le canton de Villers-Bocage et 7 pour celui d'Évrecy. Quoi qu'il en soit, nous nous proposons de reprendre bientôt cette étude, et nous espérons que vous voudrez bien nous aider un peu plus activement dans la tâche que nous avons entreprise.
Cette enquête pomologique devait être complétée par des expositions de pommes dans les deux cantons. Malheureusement, la récolte a été tellement faible cette année, qu'il nous a été impossible de mettre ce projet à exécution. Il n'y a là qu'un contretemps fâcheux que la prochaine récolte fera heureusement disparaître.
Des expositions de fruits, nous pensons retirer le plus grand bien pour l'avenir de la culture du pommier; mais, de l'avis même des praticiens, elles sont insuffisantes par elles-mêmes pour nous renseigner exactement sur la valeur de toutes nos variétés; elles doivent être complétées par l'établissement de vergers d'études.
Ces vergers sont, en effet, indispensables pour poursuivre l'étude raisonnée et scientifique des variétés à cultiver.
Ils permettraient de suivre pas à pas le développement de l'arbre, sa fertilité, sa vigueur, sa rusticité, son adaptation au sol, sa récolte, la proportion de jus fournie par le fruit, la valeur de ce jus et celle du cidre produit.
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En répétant ce travail pendant un temps assez long, on éliminerait certaines influences qui masquent les caractôresjle la variété, influences variables et capricieuses, comme celle de saisons et du climat. En un mot, gràce^au verger d'études, on pourrait écrire l'histoire complète de chaque variété.
Les espèces locales reconnues aujourd'hui les meilleures prendraient place dans ce champ d'expériences; là, elles seraient soumises à un contrôle sévère et prolongé, et celles qui auraient conservé tous leurs caractères et leur valeur seraient définitivement classées cqmme bonnes, et leur culture serait encouragée.
Le verger servirait encore à recevoir les bonnes variétés des autres régions cidricoles, ayant acquis une célébrité méritée dans leur pays d'origine. Ces variétés seraient suivies avec soin; on ne les adopterait pas par vogue, mais seulement parce qu'elles conserveraient, dans leur pays d'adoption, tous les caractères qui les faisaient rechercher dans leur contrée naturelle.
D'autre part, on pourrait réserver dans le verger un certain nombre d'arbres pris parmi les plus jeunes. On aurait ainsi de véritables porte-greffes qui permettraient de faire des distributions de greffons de choix aux cultivateurs désireux de créer de nouvelles plantations.
Dans une région déterminée possédant un verger, l'agriculteur ne serait plus embarrassé pour faire un choix de variétés. Il serait aussitôt renseigné et dépenserait ainsi moins de temps et moins d'argent.
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A un autre point de vue, les vergers d'études seraient en même temps des vergers d'expériences. On y étudierait d'une façon rationnelle l'influence des fumures sur la végétation des arbres,et en présentant de véritables leçons de choses au cultivateur, on pourrait espérer entraîner sa conviction et le décider à donner des soins appropriés à ses arbres.
Les vergers serviraient aussi à faire des essais de traitements de défense contre les parasites animaux et végétaux. Il faut avoir parcouru les vergers normands pour se rendre compte du peu de soins qu'en général on apporte aux arbres fruitiers, et il faut avoir vu, cette année, les ravages de l'hyponomcute du pommier dans le pays d'Auge, pour se faire une idée exacte des progrès énormes qui-restent à réaliser dans la culture et l'entretien des arbres. Et l'impression ressentie est encore plus forte quand on voit à quels résultats merveilleux sont arrivés les agriculteurs du Canada et des États-Unis, grâce à leurs vergers d'études et à leurs fermes expérimentales. Ces pays neufs, qui sont devenus nos maîtres en arboriculture fruitière, nous inonderont prochainement de leurs fruits, des nôtres, j'allais dire, puisque tous les ans ils achètent en Normandie des quantités énormes de pépins de nos variétés, qu'ils font germer chez eux et qu'ils élèvent ensuite. Il faut donc vous attendre à voir, dans un temps plus ou moins rapproché, des bateaux d'outre-mer apporter en Normandie ces vieilles variétés dont vous êtes encore si fiers, mais qui. à ce moment-là, ne vous appartiendront plus.
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Il est donc de toute nécessité que des traitements insecticides de toute nature soient entrepris sans retard dans nos vergers, et nous sommes convaincu que, par une entente générale dans tout le département, on arriverait en peu de temps à se débarrasser des parasites qui aujourd'hui déciment nos plantations.
Aussi, nous pensons que les associations agricoles du département devraient faire tous leurs efforts pour encourager la lutte, et cela en organisant, par exemple, des concours de pulvérisateurs ou autres instruments qui servent à la destruction des parasites, ou bien encore en mettant gratuitement à la disposition de leurs adhérents les appareils et les insecticides nécessaires. Les frais d'achat des appareils seraient bien faibles en comparaison des résultats qu'ils permettraient d'obtenir. Mais, pour réussir dans cette voie, il est de toute nécessité qu'il y ait oeuvre commune, entente générale; c'est pourquoi nous pensons que l'Union des Sociétés d'agriculture du Calvados ferait travail utile en mettant dès aujourd'hui à l'étude les moyens à employer pour arriver à une solution pratique et rapide de la question.
Mais, en dehors de l'action des pouvoirs publics, des sociétés d'agriculture, des syndicats, il faut surtout compter sur l'action personnelle, sur l'effort individuel, et ceux-ci demandent naturellement à être encoumgés, protégés et défendus.
Il faut donc encourager le cultivateur, l'amener presque malgré lui dans la voie du progrès, et pour cela il est un moyen qui donnerait, à notre
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avis, de bons résultats et que vous employez depuis longtemps dans vos associations : c'est l'établissement de concours avec prix. Nous voudrions que, chaque année, il puisse être organisé un concours de bonne tenue de vergers.
On récompenserait les plants présentant les meilleures variétés et remarquables par les soins de toute nature donnés aux arbres.
On stimulerait ainsi le zèle et l'activité des cultivateurs; tout le monde y gagnerait, et l'on n'entendrait plus parfois certains propriétaires se plaindre avec raison du peu de soins apportés par leurs fermiers à l'entretien de leurs plantations.
Pour terminer, je crois devoir vous dire un mot d'une question qui mérite encore d'attirer votre attention; je veux parler de la fabrication et de l'emploi des pommes sèches à la ferme.
Vous savez combien nos récoltes de pommes sont inégales et combien nous souffrons des années de disette : l'année 1903 en est une preuve.
Sommes-nous désarmés complètement contre de pareilles conditions économiques, et ne pouvons-nous rien contre un pareil état de choses? Il faut avouer que jusqu'à présent, nous n'avons rien fait pour y remédier, et pourtant nous avons un moyen très pratique à notre disposition : c'est de faire des réserves de pommes dans les années d'abondance. Quand la récolte est très forte, comme en 1900, et que les cours tombent, il serait sage à ce moment-là de pratiquer la dessiccation des fruits.
On ne connaît pas, en Normandie, les évapora-
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teurs à fruits, et voici ce que, dès 1882, M. Jolly écrivait : « Aujourd'hui, dit-il, dans toute ferme (des États-Unis) un peu importante, il y a un évaporateur, comme il y a un tarare ou une faucheuse mécanique. Dans les années de grande abondance, on a l'immense avantiige de ne pas envoyer forcément sur les marchés et de ne pas sacrifier, dans les bas cours, une marchandise précieuse. On peut l'emmagasiner et l'expédier au loin au moment propice de la vente et sous une forme très réduite, puisqu'on lui laisse sa valeur intrinsèque en ne lui ôtant que sa partie aqueuse, qu'on lui rend au moment de l'utiliser. Enfin, on décuple le nombre des acheteurs, et on augmente beaucoup le produit des fermes placées loin des grandes villes ».
Vous voyez donc que, là encore, nous nous sommes laissés dépasser, mais nous serions sages de profiter de l'exemple et d'imiter sans retard nos devanciers. Il y a d'autant plus d'intérêt à le faire que nous recevons tous les ans d'Amérique des quantités assez considérables de fruits évaporés; il serait donc logique d'enrayer ces importations et de nous réserver la vente et le bénéfice de ces produits. J'ajoute comme remarque que les fruits desséchés peuvent se conserver plusieurs années, et qu'ils peuvent être consommés ou vendus au moment le plus favorable pour le producteur.
La question de la dessiccation présente donc un grand intérêt, et il serait à désirer que des essais pratiques de dessiccation fussent entrepris et encouragés; on rendrait service aux cultivateurs peu fortunés et aux populations ouvrières de nos cam-
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pagnes qui ressentent le plus les conséquences des mauvaises récoltes de pommes.
Telles sont ces questions dont l'importance n'échappe à personne et dont l'étude s'impose.
Il faut espérer que les résolutions prises par les sociétés ne se traduiront pas seulement par des voeux platoniques, mais que ces voeux seront suivis à bref délai par des actes.
Sur l'anthonome du pommier.
Parmi les parasites animaux qui causent au pommier des dégâts sérieux, l'un des plus redoutables est l'anthonome ou charançon du pommier (Anthonomus pomorum). Les régions essentiellement cidricoles, comme la Normandie, ont parfois à souffrir notablement des ravages de cet insecte, et en 1889, on a pu estimer qu'en France, les pertes causées par l'anthonome s'étaient élevées à plus de 60 millions de francs.
En vue d'attirer l'attention des cultivateurs sur un ennemi aussi dangereux, nous allons brièvement résumer ce que l'on connaît de ses moeurs et énumérer les moyens de destruction les plus propres à assurer sa disparition dans nos plantations. A cet effet, nous reproduirons en partie une circulaire adressée par le Ministère de l'agriculture aux départements producteurs de cidre.
Description de l'insecte. — L'anthonome a 4 millimètres de longueur, son corps est ovale, allongé,
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fortement convexe ; sa coloration est brun noirâtre, et il est couvert d'un duvet grisâtre. Les antennes sont coudées, les élytres, plus larges que le corselet, sont traversées par une bande claire comprise entre deux bandes brunes; à la naissance des élytres on voit un point rond assez visible.
Moeurs. — L'anthonome apparaît sur les pommiers vers la fin de mars au plus tôt, et vers le commencement de mai au plus tard, suivant la température.
Il se promené sur les branches et les jeunes rameaux et passe facilement d'un arbre à l'autre en volant. Les femelles se portent alors sur les boutons à fleurs prêts à s'épanouir; elles les perforent pour déposer un oeuf dans chacun d'eux. Huit jours apros la ponte, l'éclosion de l'oeuf se produit et la jeune larve ronge les étamines du bouton à fleur, qui s'arrête dans son développement, se flétrit, prend une teinte rousse et l'apparence d'un clou de f/iro/fc.
Les larves vivent quinze jours et se transforment en nymphes dans les boutons roussis, d'où sortent, au bout de huit jours environ, les insectes adultes. Ceux-ci, qui ne se reproduisent qu'au printemps de l'année suivante, restent quelque temps sur les feuilles des pommiers, puis deviennent de plus en plus rares; on ne sait pas encore exactement où ils passent l'été. En hiver, on trouve une certaine quantité d'anthonomes dans les fissures des écorces de pommiers ainsi que dans les feuilles et les herbes sèches qui sont au pied des arbres. Il est probable que les autres anthonomes cherchent un
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abri dans les écorces d'autres arbres que les pommiers, sous les pierres, dans les fentes des murs, dans les haies, etc.
Le charançon du pommier n'est donc nuisible qu'au moment de la floraison, lorsqu'il se reproduit ; pendant le reste de son existence, il ne cause aucun dommage appréciable. Il peut attaquer quelquefois les boutons à fleurs du poirier; mais lorsque cet arbre présente des boutons roussis, les dégâts sont généralement produits par une autre espèce d'anthonome, très voisine de celle du pommier, et qui a les moeurs de cette dernière.
Dans l'état actuel de nos connaissances sur la biologie de l'anthonome, cet insecte ne peut être atteint utilement que pendant la période d'activité qui précède la ponte et pendant son état larvaire. On peut aussi en détruire une certaine quantité pendant le repos hivernal.
Les expériences faites jusqu'à ce jour, afin d'essayer la valeur des procédés proposés pour la destruction de l'anthonome, permettent de donner aux cultivateurs des indications suffisantes pour qu'ils puissent entreprendre avec succès la lutte contre les attaques de l'insecte.
Ces indications sont les suivantes :
1° Pendant l'hiver, le tronc et les branches des pommiers et des poiriers doivent être badigeonnés soigneusement avec un fort lait de chaux, qui sera projeté de préférence à l'aide d'une pompe aspirante et foulante munie d'un pulvérisateur, afin d'atteindre les petites branches. Cette opération a pour but de détruire les mousses et les lichens, et
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de faire détacher les vieilles écorces qui servent de refuge aux anthonomes et à beaucoup d'autres insectes nuisibles.
Le lait de chaux pourra être remplacé par une solution de sulfate de fer à 20 % ou par le mélange deBalbiani: chaux, 120 kilog., naphtaline, 60kilog., huile lourde de houille, 20 kilog., eau, 400 lit.
Le badigeonnage peut être fait depuis le mois de décembre jusqu'au commencement de mars.
2° Dans les premiers jours de mars, on devra ramasser avec soin et brûler les détritus (feuilles sèches, ajoncs, ronces, joncs, etc.), accumulés intentionnellement bu accidentellement au pied des pommiers; les détritus servent, en effet, comme les écorces, de refuge aux anthonomes. On pourra avantageusement placer de nouveaux détritus, au mois de mai, autour du tronc des arbres, où ils joueront le rôle de fagots d'appât, mis en usage par les forestiers pour certains insectes.
3° On surveillera avec soin l'apparition de l'anthonome sur les pommiers,' et, dès que les insectes seront assez nombreux, on procédera au secouage des arbres comme on le fait pour le hannetonage. A cet effet, on pourra employer une bâche en toile de dix mètres de côté environ, qui sera fendue jusqu'à son centre, où l'on percera un trou de 0rao0 de diamètre ; aux bords de ce trou, on coudra un sac sans fond de 0m60 de longueur, fendu sur le côté, de telle sorte que la fente se continue avec celle de la bâche. Cet appareil est posé sur le sol, au-dessous d'un pommier, par la fente qui va du centre à la périphérie; on rapproche les bords de
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la fente, de manière à rétablir la continuité de la bâche, puis un attache au moyen d'une corde le sac autour du tronc de l'arbre. A défaut de cet appareil, deux grands draps de lit posés sur le sol, de manière que leurs bords se recouvrent, pourront rendre le même service.
Lorsque le sol est ainsi recouvert d'une toile destinée à recueillir les insectes, sur toute la surface au-dessus de laquelle se trouvent les branches, tandis qu'un ou deux aides, armés de longues gaules dont l'extrémité est munie d'un crochet, impriment également des secousses brusques aux branches, pendant ce temps, d'autres ouvriers, avec des brosses ou des balais de chiendent, balayent la toile et sont bientôt aidés par ceux qui procédaient au secouage, celui-ci ne durant pas longtemps. Les insectes avec les débris tombés sont réunis en tas et jetés avec une pelle à main dans un sac, puis on passe à un autre arbre. Lorsque le sac est plein, on en brûle avec soin le contenu.
Le nombre d'anthonomes qu'on récolte ainsi est considérable : il est en moyenne par arbre de 150 insectes qui, si on ne les détruisait pas avant la ponte, feraient avorter plus de 500 Heurs.
On devra secouer d'abord les variétés de pommiers à floraison précoce, un peu plus tard, celles de seconde saison, pour terminer par les variétés tardives. Si les anthoiiomes sont très nombreux, il sera utile de secouer les mêmes arbres à quelques jouis d'intervalle. L'opération sciera de préférence le matin par un temps calme et couvert. Autant que possible, tous les cultivateurs d'une même
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région, dans un rayon d'au moins deux kilomètres, devront faire le secouage des arbres le même jour.
4° Si le secouage n'a pu être fait en temps opportun et si l'on reconnaît sur lesj>ommiers un grand nombre de boutons roussis, on pourra, vers la fin de la floraison, secouer légèrement les arbres en frappant sur les branches pour recueillir sur une toile les boutons flétris et les insectes qui en sortent, afin de les brûler. Cette opération pourra toujours être utilement pratiquée comme complément du secouage des arbres avant la floraison; si elle n'a aucune influence sur la récolte de l'année, elle est importante puisqu'elle a pour résultat de détruire les insectes qui compromettront la récolte de l'année suivante.
5° Tous les oiseaux insectivores et leurs nids devront être protégés d'une manière plus efficace qu'on ne le fait généralement par une application rigoureuse de la loi et des arrêtés préfectoraux.
tî° On devra se garder de détruire les nuées de petits moucherons que l'on voit parfois au printemps voler au-dessus des pommiers. Ces mouches, ennemis naturels de l'anthonome, sont des ichneumonides, parmi lesquels le Pimpla graminelloe et le liracon variator; elles pondent leurs oeufs dans le corps des larves de l'anthonome ; de petites larves éclosent et dévorent aussitôt l'hôte qui leur servait d'abri.
Ajoutons pour terminer que dans les cas où l'anthonome menace de faire de grands, ravages dans les vergers, il sera bon, afin de lutter d'une
574 NOUVELLES DE L'AGRICULTURE.
façon efficace et pratique, de constituer des syndi cats d'anthonomage comme on a créé déjà des syndicats de hannetonage.
La constitution de ces syndicats serait facile à réaliser et leur fonctionnement serait facilité grâce au projet de loi que le Ministre de l'agriculture vient de déposer, projet de loi modifleatif de celles du 21 juin 1865, 25 décembre 1888, et 13 décembre 1902. Il complète la loi de 1865 sur les associations syndicales et rend obligatoire la destruction des rongeurs, insectes, cryptogames, et en général tous parasites nuisibles à l'agriculture, pour tous les cultivateurs, lorsque la majorité des propriétaires ou possesseurs de la moitié au moins de la surface des terrains ravagés auront résolu de faire la guerre aux parasites.
Il porte enfin que des subventions pourront être accordées aux syndicats qui se constitueront dans ce but.
Tels sont les moyens pratiques qui peuvent être actuellement préconisés pour la destruction de l'antlionome; nous ne doutons pas que les cultivateurs sauront en profiter et qu'ils auront à coeur de s'affranchir de la dîme élevée que prélèvent sur leurs récoltes les parasites de leurs vergers.
NECROLOGIE
M. L'ABBÉ GÀULIER,
Membre de l'Association Normande.
M. l'abbé Gaulier est mort à La Ghapelle-Mo.ntligeon, le 5 septembre 1903, des suites d'une maladie qui datait de plusieurs années. M. l'abbé Letacq, à Alençon, lui a consacré dans le Journal d'Alençon un article auquel nous empruntons la notice suivante :
« M. Gaulier fut un prêtre laborieux et érudit. L'amitié de M. de Contades, dont il avait été le voisin à la Sauvagère et à Lonlay-le-Tesson, ne fut pas sans exercer une sérieuse influence sur la direction de ses études. M. Gaulier a laissé sur l'histoire locale une série de travaux intéressants et variés, réédité des ouvrages aujourd'hui introuvables, et publié de volumineux manuscrits : à tous ces titres sa mémoire ne saurait manquer de survivre. Collaborateur de MM. de Contades et Gustave Le Vavasseur pour la Bibliographie dit canton de Briouze, auteur de quelques notes sur les curiosités archéologiques d'Argentan et des environs, il s'était surtout consacré à l'histoire du Perche, son pays natal.
576 NÉCROLOGIE.
Au début, il entreprit de réimprimer dans une série de brochures les scènes et dialogues de la vie percheronne, de l'abbé Fret. On sait le succès qu'eut autrefois le Diseur de vérités, Almanach du Perche et de la Basse-Normandie (1838-1844, en tout sept volumes), où, sous une forme plaisante, l'auteur s'efforce de populariser d'utiles vérités morales et religieuses. M. Gaulier en a fait paraître une dizaine de livraisons, la première en 1873 avec une notice sur l'auteur.
Des travaux sur des sujets divers l'occupèrent ensuite. Nous citerons une Vie de sainte Apolline, une Notice historique sur la Chapelle et le Pèlerinage de N.-D. de Pitié, à Lonyny; des biographies documentées de Madame de la Peltrie, originaire d'Alençon, fondatrice des Ursiilines de Québec en 1639, et de la Bienheureuse Marie d'Armagnac, comtesse du Perche et patronne de la ville de Mortayne ; ces dernières lues aux séances publiques de la Société historique de l'Orne, à laquelle il appartenait depuis sa fondation.
Collaborateur de la Normandie monumentale, il a donné à cette splendide publication bon nombre de notices sur les églises et les manoirs du Perche qui témoignent de sa science archéologique.
Sous le titre de Départ pour l'exil en 1792 et Dix ans d'exil, il a fait imprimer en deux volumes les mémoires de l'abbé Marre, vicaire à SainteCroix de Mortagne en 1768, exilé pour la foi, et mort curé de Feings en 1849, à l'âge de 86 ans. C'est, pour employer l'expression à la mode, de l'histoire vécue ; ce récit vif et alerte, sans recherche
NÉCROLOGIE. 577
et sans prétention, est une des pages les plus curieuses des annales de la Révolution dans l'Orne.
En 1896, M. l'abbé Gaulier fonda une revue historique trimestrielle, La Grande Trappe de Mortagne, bientôt remplacée par Canada, Perche et Normandie, où il a reproduit quelques documents assez rares sur l'histoire de la Trappe, entre autres la fondation des Trappistines par Dom Augustin de Lestranges, et sur l'émigration percheronne pendant le XVIIe siècle. Mais sa santé devenait de plus en plus chancelante ; il fallut renoncer à l'étude; aussi ces périodiques n'eurent qu'une durée éphémère.
Comme on le voit par cette énumération, les publications de M. l'abbé Gaulier représentent une somme de travail considérable, et nul ne saurait méconnaître les services qu'il a rendus à l'érudition ».
M. FRÉDÉRIC MALBRANCHE (1819-1903), .
Inspecteur divisionnaire de l'Association Normande, Par le Chanoine PORÉE.
Le 31 décembre 1903, s'éteignait, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, un homme de bien, respecté entre tous, et dont la longue carrière avait offert un modèle achevé de droiture, de modestie sincère et d'infatigable labeur : nous voulons parler de M. Frédéric Malbranche, greffier honoraire du Tribunal de commerce de Bernay.
37
578 NÉCROLOGIE.
Il était né à Bernay, le 11 décembre 1819. Ses études faites au collège de sa ville natale, il s'était rendu à Paris où, après avoir été reçu bachelier es lettres et bachelier en droit, il avait été attaché à l'étude de Me Legendre, avoué de première instance.
Une ordonnance royale du 8 septembre 1846 le nomma greffier du Tribunal de commerce de Bernay ; il devait remplir cette charge jusqu'au 2 juin 1882.
Avec quelle compétence et quelle distinction il s'acquitta de ces fonctions, M. le président E. Rousseau et M. le greffier Mignon Font dit au jour des obsèques. Malbranche fut l'un des premiers à répondre à l'appel fait en 1870 pour fonder l'Association des greffiers de commerce de France. D'abord nommé membre de la commission, puis président en 1873, il devint président honoraire en 1880. A cette occasion, ses collègues reconnaissants lui offrirent une médaille d'argent et un bronze d'art, le Moïse de Michel-Ange.
Les connaissances aussi variées qu'approfondies que possédait notre confrère, l'activité et la rectitude de son esprit, comme aussi l'amabilité de son caractère, ne pouvaient manquer d'attirer sur lui l'attention des autorités administratives et les suffrages de ses concitoyens. Nous le voyons conseiller municipal pendant vingt-huit années consécutives, secrétaire de la délégation cantonale, membre de la commission administrative de l'hospice, du conseil de perfectionnement du collège, de la commission administrative de la bibliothèque municipale, etc.
NÉCROLOGIE. 579
De 1862 à 1866, il procède au classement de la bibliothèque de Bernay, en rédige et en fait imprimer le catalogue ; en même temps, il entreprend le classement et l'inventaire des archives communales, travail considérable, ardu et tout désintéressé, qui lui vaut à plusieurs reprises les félicitations du Ministre de l'Instruction publique.
Lorsque, dans sa séance administrative du 9 mars 1863, le bureau de l'Association Normande décida de tenir sa session annuelle à Bernay au mois de juillet suivant, M. de Gaumont désigna M. Malbranchè comme secrétaire de la commission d'organisation. On se souvient encore de l'éclat extraordinaire, de l'entrain superbe au milieu desquels les fêtes agricoles et scientifiques se poursuivirent durant plusieurs jours. Une plaque commémorative l'ut inaugurée sur la maison natale d'Auguste Le Prévost. Dans l'une des séances, M. de Gaumont remercia chaleureusement M. Malbranche, commissaire général du Congrès, et annonça que le Conseil administratif lui avait décerné une médaille de vermeil. A la suite du Congrès, M. Malbranche fut nommé inspecteur divisionnaire de l'Association Normande.
Une section de la Société libre de l'Eure pour l'arrondissement de Bernay avait été établie sous la présidence de M. le duc de Broglie de l'Académie française. Dans la séance du 28 février 1864, M. Malbranche fut élu secrétaire ; il en tint les fonctions jusqu'au 25 mai 1872. On ne saurait oublier l'attachement dévoué qu'il témoigna à cette société. Non seulement il prenait part aux séances, mais
580 NÉCROLOGIE.
il leur donnait de temps en temps, trop rarement au gré de ses amis, un attrait exceptionnel par ses communications, dont il aimait à puiser le sujet dans l'histoire locale.
Déjà, il avait publié en 1861 une Notice sur l'Hospice de Bernai/, et une autre en 1869 sur le Couvent des pénitents de Bernai/. Il lut à la Société de l'Eure, de savants rapports sur les biographies des évêques anglo-normands, Boger-le-Grand et Guillaume de Long-Champ, par le premier président, Boivin-Champeaux, et sur notre étude sur Y Abbaye du Bec au XVIIIe siècle. Ajoutons encore la notice sur le poète livrant, dont il publia les oeuvres ; la Causerie à propos de quelques enseignes du Vieux Bernai/; un Procès de chasse au XVIIIe siècle; Languet du Gergg, abbé commendataire de Bernai/ ; l'abbé Bessin, curé de Plainville, l'ami de Delille. Ce fut sa dernière publication ; elle parut en 1889.
Toutefois, l'espèce de retraite où le confinait l'état de sa santé ébranlée par de graves accidents ne l'empêchait pas de poursuivre ses études favorites. M. Malbranche, depuis de longues années, avait recueilli une énorme quantité de notes et de documents. De 1890 à 1898, il composa tout une série de mémoires relatifs à l'histoire locale; nous citerons les plus importants : La sépulture de Judith de Bretagne; Simples notes pour servir à l'histoire des Cordeliers de Bernai/; Notices sur les Dames Augustines du couvent de lu Comté, et sur les religieuses hospitalières de l'hospice de Bernai/ ; Dictionnaire topographique et historique de l'arma-
NÉCROLOGIE. 581
dissement de Bernay, énorme manuscrit de 905 pages; la Société, populaire de Bernay en il'90; Recueil de documents pour servir à l'Histoire de Bernai/ pendant la Révolution, en deux parties formant ensemble 790 pages; le Conventionnel Jean-Michel Du rot/; Epigraphie campanaire du canton de Bernay; Quelques mots de sigillographie concernant notre histoire locale; Notes sur les cachets et devises. Tous ces travaux sont demeurés manuscrits; quelques-uns mériteraient d'être publiés.
Un décret du Président de la République, en date du 12 juillet 1899, avait décidé que l'honorariat pourrait être conféré aux greffiers des tribunaux de commerce; M. Malbranche fut le premier à bénéficier de cette disposition, et le 25 novembre suivant, un décret présidentiel le nommait greffier honoraire.
Une autre distinction eût dû être accordée à cet homme d'honneur et de bien que l'honorabilité et la durée des services rendus, la dignité de la vie mettaient au premier rang de ses concitoyens. M. Malbranche y songeait-il lui-même ? Il n'en parla jamais. Il se remémorait cette grande parole de nos livres saints qui convenait si bien à son caractère modeste et désintéressé : Mourons dans la simplicité de notre vie : Moriamur in simplicitate nostra.
Il demeura donc jusqu'à la fin dans le silence et le recueillement de sa laborieuse retraite, entouré de ses livres, toujours affable à ses amis, conservant au milieu de ses pénibles infirmités le calme
582 NÉCROLOGIE.
et la sérénité du sage et du chrétien. Et il a quitté ce monde, soutenu par les convictions de sa foi, consolé par les espérances, et les grâces d'une religion à laquelle il était profondément attaché, achevant dans une sainte mort une longue carrière, dignement remplie et vraiment admirable par les hautes leçons qu'elle nous a laissées.
TABLE DES MATIERES
Statuts de l'Association v
Liste générale des Membres ix
Compte des Recettes et des Dépenses de l'année
1903 Lxm
SESSION TENUE A LOUVIERS EN 1903
1K JOURNÉE, MERCREDI 23 SEPTEMBRE
Réception des Membres de l'Association. . . 1
2e JOURNÉE, JEUDI 24 SEPTEMBRE
Enquête industrielle, scientifique et archéologique 13:
Une vieille description du château du Vaudreuil (M. le chanoine Porée) 15
Le « Bethléem » d'Aubevoye (M. l'abbé Blanquart). 29
Paysans normands au XVIIIe siècle (M. Charles Leroy) ......... . . 41
Excursion à l'abbaye de Bonport, à Pont-del'Arche et à Poses (M. Louis Régnier). . . 169
584 TABLE DES MATIÈRES.
3" JOURNÉE. VENDREDI 25 SEPTEMBRE
Enquête agricole 193
Les engrais de commerce (M. Delaplacel 105
Les bonnes vaches laitières (M. Boulet) 210
Culture des poires (M. Theuret) 228
Culture de la vigne en Normandie (M. Chapuis) . 24(5
Communication de M. Emmanuel Boulet, président du « Club français du Chien de berger » . . . . 250
L'Usine du « Lait Français Pasteurisé » du docteur Autefage, à Louviers 2(i8
Visite des monuments et de quelques établissements industriels de Louviers 275
Excursion à Acquigny (M. Louis Régnier). . "^80
4* JOURNÉE, SAMEDI 26 SEPTEMBRE
Excursion à Aubevoye, Bethléem, Gaillon et
la Colonie des Douaires 297
Enquête archéologique 3iy
Le Roumois, essai historique et archéologique
(M. Boulet) 319
Le Patois Normand (M. Barbe) 325
Les Potiers d'Infreville, prés Bourgtheroukle, étude
de céramique normande (M. Montierl 338
TABLE DES MATIÈRES. 585
Honfleur et ses musées, le mouvement régionaliste en Normandie 355
Causerie sur les forêts de Bord et de Louviers (M. de Vesly) 364
5e JOURNÉE, DIMANCHE 27 SEPTEMBRE
Concours d'animaux, d'instruments et de produits agricoles 391
Distribution des récompenses 395
Liste des Lauréats 413
Banquet 425
MÉMOIRES
Le musée de Louviers et la bibliothèque municipale, par M. E. Hébert 427
Inauguration du monument de Formigny, compte-rendu par M. Anquetil 431
BIBLIOGRAPHIE . 491
NOUVELLES DE L'AGRICULTURE 497
Station pomologique de Caen. — Le sucrage des cidres. — Sélection des variétés des pommes à cidre. — La stérilisation et la conservation des moûts de pommes. — De la conservation des cidrps. — Quelques questions cidricoles. Gréa-
586 TABLE DB8 MATIÈRES.
tion de vergers d'études. Fabrication et emploi des pommes sèches à la ferme. — Sur l'anthonome du pommier.
NÉCROLOGIE
M. l'abbé Gaulier 575
M. Frédéric Malbranche 577
L'Imprimeur gérant: H. DELESQUES.
CONGRÈS DE L'ASSOCIATION NORMANDE A FLERS (Orne)
E1V 19 04
La 72° session du Congrès provincial aura lieu du 24 au 28 août, à Fiers (Orne).
Des programmes et des affiches indiqueront les dates de l'ouverture et de la clôture du Congrès.
INDICATION DES VILLES
Dans lesquelles se sont tenus les Congrès agricoles et industriels de l'Association Normande, depuis l'année 1X33.
18*5. — Caen.
1834. — M.
1835. — Kvrpux. 1830. — Aleni-on. 1837. — Saint-Lo. 1888. — Ponl-Audemer.
1839. — Avram-lii's.
1840. — Dieppe.
1841. — Gherbourg.
1842. — P.ouen.
1843. — Mortagiie.
1844. — Goutanres.
1845. — Neufehàtel. 1840. — Argentan.
1847. — Garenlan.
1848. — Bernav.
184!l. — Pont-l'Evéque.
18ô(i. — Fécamp.
1851. — l.isieux.
1852. — Dom front.
1853. — Les Andelys.
1854. — Avranches.
1855. — Gaen. 1850. — Gournay.
1857. — Alenron.
1858. — Louviers.
1859. — Vire. 186(1. — Cherbourg.
1861. — L'Aigle.
1862. — Elboîif. y&o%. — Berna v. i864. — Falaise.
1865. — Coutances.
1866. — Le Havre.
1867. — Pont-Audemer.
1868. — Fiers.
1869. — Isignv.
187(1. — Mortàin.
1871. — Caen.
1872. — Eu.
1873. — Damville.
1874. — La Ferté-Macé.
1875. — Granville. 187(i. — Baveux.
1877. — St-Valery-en-Caux.
1878. — Vernon. 18711. — Argentan.
1880. — Vahiglles.
1881. — Orhi'c.
1882. — Bulbec. 188:!. — Bernav.
1884. — Vimoùtiers.
1885. — Goutarircs.
1886. — Honileur.
1887. — Saint-Saens.
1888. — Gonclies. 188"). — Secs.
1890. — Avranelies.
1891. — StPierre-sur-Dives. 18'.t2. — Bacqueville.
1893. — Les Andelvs.
1894. — Alem-on. 189.5. — Garehtan.
1896. — Vire.
1897. — Pavillv.
1898. — Brionne.
189*1. — La Ferté-Macé.
1900. — Moutebourg.
1901. — Falaise.
1902. — Neufchàtel.
1903. — Louviers.