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Titre : Revue française de psychanalyse : organe officiel de la Société psychanalytique de Paris

Auteur : Société psychanalytique de Paris. Auteur du texte

Éditeur : G. Doin et Cie (Paris)

Éditeur : Presses universitaires de FrancePresses universitaires de France (Paris)

Date d'édition : 1960-11-01

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34349182w

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34349182w/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 73850

Description : 01 novembre 1960

Description : 1960/11/01 (T24,N6)-1960/12/31.

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5446774n

Source : Bibliothèque Sigmund Freud, 8-T-1162

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 01/12/2010

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TOME XXIV

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1960

N° 6

REVUE FRANÇAISE

DE

PSYCHANALYSE

REVUE BIMESTRIELLE

SOMMAIRE

HOMMAGE A MAURICE BOUVET

(14 juin 1960 — Ancienne chapelle de l'Hôpital Sainte-Anne)

Allocution de S. NACHT 675

Allocution de R. de SAUSSURE 677

Henri SAUGUET. — La carrière de Maurice Bouvet 679

André GReEN. — L'oeuvre de Maurice Bouvet 687

Conrad STEIN. — Le Maître 705

Michel FAIN et Pierre LUQUET. — La pensée de Maurice

Bouvet 709

Pierre MARTY. — Maurice Bouvet familier 711

Allocution de Sven FOLLIN, vice-président de la Société

médicale des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine 713

Allocution de Henri EY, secrétaire général du Groupe de

l'Évolution Psychiatrique 717

Allocution de Francis PASCHE, président de la Société

Psychanalytique de Paris 719

Michel de M'UZAN. — Quelques remarques sur les écrits

de Maurice Bouvet 721

Maurice BOUVET. — La clinique psychanalytique. La

relation d'objet 723

Bibliographie des textes psychanalytiques de M. Bouvet.. 791

SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS 795

PRISSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

REVUE BIMESTRIELLE

Organe officiel de la

Société Psychanalytique de Paris

Section française de l'Association Psychanalytique Internationale

COMITÉ DE DIRECTION

Marie BONAPARTE - Maurice BOUVET - Michel CENAC - S. NACHT

Francis PASCHE - R. DE SAUSSURE - Marc SCHLUMBERGER

Rédacteur en chef : Serge LEBOVTCI

Rédacteurs : Jacques A. GENDROT - Pierre MARTY - Henri SAUGUET

Secrétaire : Anne BERMAN

Les manuscrits, la correspondance, et, en général, toutes les communications concernant la revue, doivent être adressés à :

La Société Psychanalytique de Paris, 187, rue Saint-Jacques, Paris (5e). RECOMMANDATION AUX AUTEURS

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La terminologie doit respecter les prescriptions internationales des différentes disciplines, spécialement pour les abréviations, les symboles et les unités.

Les références, conformes à celles de /'Index Medicus, figureront de préférence en fin d'article et dans l'ordre alphabétique des auteurs. Elles peuvent être tolérées en bas de page, si elles se réduisent à quelques unités.

La référence d'un article doit comporter, dans l'ordre suivant :

— nom de l'auteur (en petites capitales) et initiales des prénoms ;

— titre dans la langue (sauf si caractères non latins):

— titre de la revue (en italique) non abrégé (la rédaction se réserve de l'abréger selon la World

List of Scientifîc Periodicals, Oxford, 1952) ;

— l'année (éventuellement la série), tome, numéro du fascicule (avec date) ;

— première et dernière pages.

La référence d'un livre doit comporter dans l'ordre suivant :

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— titre dans la langue (en italique):

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Prix du présent numéro : NF. 7 »

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MAURICE BOUVET (1911-1960)


HOMMAGE A MAURICE BOUVET

Notre ami Maurice Bouvet est mort le 5 mai 1960, à Paris.

L'inhumation a eu lieu le 10 mai au cimetière d'Ussel (Cantal).

De très nombreuses marques de sympathie nous ont été témoignées, soulignant encore l'étendue de l'affection et de l'admiration dans lesquelles on tenait notre ami.

La Société psychanalytique de Paris a rendu un hommage à Maurice Bouvet le 14 juin, à l'hôpital Sainte-Anne.

PSYCHANALYSE

43



Allocution de S. NACHT

Directeur de l'Institut de Psychanalyse

Quelques semaines déjà se sont écoulées depuis que la nouvelle de la mort de Maurice Bouvet s'est abattue sur nous avec la brutalité que prend souvent le malheur.

L'émotion qui nous a tous saisis si vivement a fait place à une tristesse qui ne cesse de s'approfondir, à un regret toujours croissant d'une perte que nous savons irréparable.

La psychanalyse perd en lui un maître, et nous, nous perdons en lui l'ami sûr, discret, loyal qu'il était pour chacun de nous. Il avait cette vraie courtoisie qui vient du coeur et qui refuse la haine : aussi ne lui ai-je pas connu d'ennemi.

Nul ne s'étonnera que ses malades soient inconsolables d'avoir perdu un médecin dont le dévouement et la bonté leur étaient infiniment précieux. Et ses élèves regrettent un maître admiré, qui se montrait parfois exigeant mais qui les guidait avec sûreté, tant dans l'apprentissage de notre métier que dans le domaine de la pure recherche.

Ses collègues avaient en lui un contradicteur toujours affable mais ferme dans la défense de ses idées. Ses travaux ont été pour chacun de nous une source de stimulation féconde.

Mais je laisse à d'autres le soin de vous dire tout à l'heure ce que fut son oeuvre et la place qu'elle occupe dans les travaux psychanalytiques.

Pour ma part, je dirai simplement combien j'ai toujours apprécié l'intégrité dont témoignait son souci rigoureux de ne rien avancer qui ne fût le fruit de son observation. Et j'ai de tout temps été sensible à la forme que prenait sa pensée, au cheminement parfois difficile d'un style qui rappelait par certains de ses aspects celui de Marcel Proust. Je me rappelle le lui avoir dit un jour, et ce compliment lui fit plaisir parce qu'il le savait sincère.

Personne n'eut plus que lui le scrupule de ne dire que ce qu'il ressentait profondément comme vrai.

Ceux dont il était l'ami savent combien son amitié, malgré son apparente réserve et sa discrétion, était chaleureuse, fidèle, et pleine


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de délicatesse. C'est tout cela que j'ai connu de lui. Et il a été aussi pour moi le compagnon de lutte le plus sûr, dont l'appui fut sans défaillance dans des circonstances parfois difficiles.

Il est parti sans bruit, avec cette même discrétion qui a caractérisé toute sa vie.

La mort efface parfois à tout jamais certains visages avec une rapidité déconcertante. Parfois, au contraire, elle leur restitue une vérité et un relief que le quotidien nous dérobait en partie.

Bouvet nous a quittés, mais son passage au delà du temps nous le rend plus présent que jamais ; la « distance », aurait-il dit, éclaire le meilleur de lui-même et nous le rend plus proche :

Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change

Ce vers célèbre que nous avons souvent lu, ou écouté d'une oreille plus ou moins distraite, comme il retrouve toute sa bouleversante résonance lorsque nous évoquons celui que nous aimions tous !


Allocution de Raymond de SAUSSURE

Vice-président de l'Association Psychanalytique Internationale

A l'heure où vous allez commémorer le souvenir de notre collègue Maurice Bouvet, je voudrais, au nom du Comité de l'Association internationale de Psychanalyse vous exprimer notre sympathie pour le deuil qui vient de vous frapper et vous assurer que notre Comité ressent et partage la grande perte que vous avez faite en la personne de ce jeune maître.

Le rayonnement de l'oeuvre de Maurice Bouvet s'étend bien au delà de la France, tous les psychanalystes de pays romans aimaient à l'entendre et à le lire. Ils n'étaient pas les seuls, en Angleterre et en Amérique, ses travaux étaient souvent cités et ils le seront de plus en plus.

En effet, au cours de ces dernières années, Bouvet a écrit une série de travaux du plus haut intérêt que d'autres évoqueront ce soir avec plus de détails. Son originalité a consisté à éclairer la multiplicité des études psychanalytiques sous le jour des relations humaines, marquant ainsi que l'essentiel des troubles névrotiques était dû à une désadaptation sociale.

Assurément que les thèses fondamentales de sa doctrine se trouvent déjà dans l'oeuvre de Freud, mais il avait opéré, avec le génie qui lui était propre, une nouvelle synthèse singulièrement pénétrante en décrivant pour chaque névrose les traits caractéristiques de la relation d'objet. Il joignait à une observation minutieuse un souci de clarté qui lui permettait d'enrichir tous les sujets qu'il abordait, même lorsque ceux-ci avaient déjà fait l'objet de nombreuses études. Sa dialectique serrée le contraignait à faire état à l'avance de toutes les objections qu'on pourrait lui faire et à approfondir chacune de ses pensées dans toutes les directions où elles demeuraient fécondes.

Dans ses démonstrations si rigoureuses et méthodiques, rien n'était laissé au hasard, chaque mot était pesé, chaque idée longuement mûrie. Sa pensée ne s'éparpillait pas au gré de sa fantaisie, il la comparait consciencieusement avec celle d'autrui, rendant justice à tous ses


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devanciers et formulant des nuances précises pour serrer de plus près cette réalité psychologique sur laquelle il s'est penché avec tant d'attention. Aucune vanité, seul le souci de la vérité le poussait à affirmer des points de vue nouveaux.

Tous ses travaux ont été remis sur le chantier un grand nombre de fois afin que chacune de ses phrases devienne l'expression exacte de son observation. A ce souci de la vérité s'ajoutaient l'élégance et la précision de son style, style qui lui était très personnel et qui reflétait les qualités de son esprit de recherche.

A cause de ses dons exceptionnels, Maurice Bouvet laissera un grand vide dans le cercle de ses amis de Paris comme dans le monde des psychanalystes. Nous avons perdu en lui un clinicien remarquable, un thérapeute efficace, un orateur écouté, un ami fidèle. Sa mort nous afflige tous. Permettez-moi, au nom des associations que je représente, de présenter à ses collègues de Paris notre profonde sympathie.


LA CARRIÈRE DE MAURICE BOUVET

par HENRI SAUGUET

Frappé à la veille de son départ pour Rome où il devait présenter son rapport intitulé Dépersonnalisation et relations d'objet, au XXIe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes, Maurice Bouvet est mort le 5 mai 1960. Son absence au Congrès le privait du succès qui l'attendait ; elle nous enlevait la joie de lui témoigner publiquement notre amitié et notre estime pour l'oeuvre admirablement équilibrée et longuement mûrie dans laquelle se retrouvaient, une fois de plus, toutes les qualités par lesquelles il s'était imposé dans notre famille psychanalytique en moins de dix ans.

Ce deuil affecte profondément notre groupe. Aussi nous voici réunis pour un dernier adieu à l'ami qui nous quitte. Mon propos se limitera à l'évocation des grandes lignes de sa carrière.

Maurice Bouvet est né le 14 août 1911, à Eu dans la Seine-Maritime. Son père d'origine picarde, sorti dans un rang brillant de l'École Polytechnique, fit une carrière d'officier d'artillerie. En garnison à Clermont-Ferrand, il épousait une jeune fille de la région. Le petit village d'Ussel dans le Cantal, où se trouvait la maison maternelle, devint ainsi le foyer permanent de ses parents, le lieu de tous les départs et celui de tous les retours;

De la Normandie et de la Bretagne où se déroula sa première enfance, il gardait un souvenir émerveillé ; aussi aimait-il y retourner.

C'est à Clermont-Ferrand, au collège Massillon, qu'il poursuit ses études classiques : il se révèle et restera, durant toute sa scolarité, un excellent élève. C'est aussi dans cette ville qu'il commença ses études médicales. Dès lors, les concours toujours brillamment passés jalonnent sa carrière médicale. Externe en 1931, interne en 1932, il est plus particulièrement l'élève des Prs Chaumerliac et Jean Castaigne. Avec ce maître, il complétera sa formation clinique par la pra-


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tique des techniques de laboratoire et de l'expérimentation ; celles-ci lui serviront plus tard lors de l'élaboration de sa thèse.

Attiré par la pathologie mentale, il vient à Paris, passe le concours de l'Internat des Hôpitaux psychiatriques en 1936. Il y sera l'élève de Mlle Cullère, de Sengès, de Xavier Abely, de Laignel-Lavastine et indirectement de Guiraud, inspirateur de sa thèse. Celle-ci, intitulée Troubles du métabolisme azoté et lésions nerveuses, est récompensée par une médaille d'argent.

En 1939, il passe le Médicat des Hôpitaux psychiatriques et l'année suivante devient Chef de Clinique dans le service du Pr LaignelLavastine. Il appartiendra comme membre correspondant à la Société médico-psychologique et comme membre titulaire au Groupe de l'Évolution psychiatrique.

Dès 1942, il entre en fonction dans le cadre des Hôpitaux psychiatriques : il est intérimaire dans la Seine à Moisselles, puis à Clermont-del'Oise de 1943 à 1945. Tout en assurant son service, il garde un contact avec la Clinique des Maladies mentales et poursuit sa formation psychanalytique. Au terme de celle-ci, il quitte le cadre des Hôpitaux psychiatriques et s'engage entièrement dans la pratique psychanalytique.

*

L'activité psychiatrique de Maurice Bouvet qui s'étend de 1936 à 1946 s'inscrit dans une période privilégiée de notre discipline. Henri Ey se révèle déjà l'animateur qui marquera toutes les générations de l'internat. Les disciplines proches, telles que la neurologie, les branches importantes telles que la phénoménologie et la psychanalyse sont accessibles aux jeunes particulièrement sensibles à la nécessité d'un enrichissement de la psychiatrie classique. L'occupation elle-même favorisera en quelque sorte ce renouveau psychiatrique. Cette effervescence aboutira aux « Journées psychiatriques » de 1945.

Par sa thèse, Maurice Bouvet articule sa formation médicale solide à son devenir psychiatrique. Thèse d'expérimentation abordant le problème de l'encéphalite psychosique azotémique, son travail s'insère dans l'ensemble d'un mouvement en faveur d'une conception plus dynamique de la neurophysiopathologie mentale que les travaux contemporains finiront par imposer. L'ensemble de ses publications dont l'éventail est largement ouvert souffrira des conditions de presse imparties du fait de la guerre. Mais ceux qui ont travaillé à ses côtés gardent de Maurice Bouvet un souvenir profond ; son enseignement a marqué leur formation psychiatrique.


LA CARRIERE DE MAURICE BOUVET 681

La période psychanalytique de Maurice Bouvet s'étend de 1942 à 1960. C'est avec Parcheminey qu'il fait son analyse didactique, avec Leuba et Nacht qu'il assure ses cures contrôlées. En 1946, il est élu membre adhérent, en 1948 membre titulaire. Distingué par ses collègues, il est appelé en 1949 à siéger à la Commission d'Enseignement. Au Bureau de la Société psychanalytique de Paris, il est trésorier de 1949 à 1953, puis vice-président en 1954 et 1955 et enfin président en 1956.

C'est aussi durant la décennie, qui suit la fin de la guerre que la psychanalyse reprend son essor et reconquiert sa place dans l'ensemble du mouvement psychiatrique : reconstitution du groupe psychanalytique, reprise des activités de la Société, des Congrès de Langues romanes et des Congrès internationaux, création de l'Institut de Psychanalyse et du Centre de Consultations et de Traitements psychanalytiques qui lui est adjoint. Quinze à vingt membres actifs assurent cette lourde tâche de faire face partout à la fois aux besognes matérielles, à la formation des jeunes, comme au travail scientifique. Maurice Bouvet assume sa part : analyse didactique, contrôles, fonction d'enseignement dont la relation hebdomadaire d'une cure, conférences, travaux personnels à la Société, rapports au Congrès de Langues romanes, rapport de discussions au Congrès international, etc. C'est là une activité bien remplie par laquelle il gagnera toujours davantage l'estime de ses collègues, l'admiration des candidats, la consécration par tous de l'authenticité et de la maîtrise de son témoignage.

L'analyse de son oeuvre sera faite dans quelques instants. Je n'en retiendrai que les idées directrices. Qu'on aborde ses travaux par leur aspect clinique, le principal, par leur aspect théorique ou technique, ces différentes voies conduisent à la notion de relation d'objet qui en est la pierre angulaire. Si dans l'ensemble ce chapitre des relations objectales est connu — ne pourrait-on pas dire que toute la psychanalyse en traite, directement ou indirectement — il revient à Maurice Bouvet d'en avoir approfondi la connaissance, d'en avoir étendu le concept à une classification clinique claire et ordonnée faisant droit à toutes les acquisitions antérieures sans les dénaturer, d'en avoir enfin tiré les conséquences techniques sur la manière dont cette relation pouvait être manipulée, tant dans la cure type que dans ses variantes. Cette démarche qui se veut logique pour tendre à une psychothérapie


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rationnelle, dans le sens où Fenichel l'entendait, puise l'essentiel de son argumentation dans le vécu réciproque qui caractérise l'univers de la relation psychanalytique et dans lequel la verbalisation seule assure les partenaires de l'activité profonde, obscure, des processus de maturation du Moi.

C'est ainsi que la notion de distance, d'aménagement de la relation, de rapprocher, de structure génitale opposée à structure prégénitale, de résistance au transfert et de résistance de transfert, etc., sont autant de notions auxquelles il a donné et redonné une vie. L'accueil que ses propositions ont reçu est éclatant : certaines sont du domaine courant dans notre groupe, témoignant par là même du succès qu'elles ont connu pour la vérité qu'elles contenaient.

Pour réaliser son destin, Bouvet eut à vaincre les résistances que rencontre toute vocation psychiatrique et psychanalytique. Autrement permanentes et pesantes furent les entraves que lui apportait la maladie. Depuis 1940, sa vision était très réduite. D'autres limitations survinrent plus tard. Chez cet homme de caractère, cette compagnie indésirable ne parvint pas à altérer son besoin de se cultiver, son intérêt pour les êtres et les choses. Sa connaissance de la littérature analytique était étendue — il se faisait lire et traduire l'essentiel qu'il savait reconnaître.

Le domaine des arts ne lui était pas aliéné — expositions, concerts, théâtres, voyages, lui permettaient de garder un contact satisfaisant avec toutes les manifestations de l'homme pour en avoir une intelligence intime et sensible.

L'intérêt qu'il portait à son travail quotidien était notoire : animé par le souci de mieux comprendre ses cas, il prenait des notes, sa journée terminée, cherchait des références, élaborait une compréhension du problème qui se posait à lui et laissait mûrir son hypothèse de travail. Lorsqu'il en parlait, lorsqu'il rapportait une observation, que l'on partageât ou non son opinion, on ne pouvait qu'être frappé de la fidélité avec laquelle il relatait les propos de son patient, témoignant par là de la sensibilité de son accueil et du respect qu'il avait pour son patient.

L'homme et l'oeuvre m'apparaissent étroitement unis. Surmontant l'adversité d'une maladie lancinante qui le frappe en pleine jeunesse, Maurice Bouvet laisse une oeuvre qui lui survivra. Avec lui nous perdons


LA CARRIÈRE DE MAURICE BOUVET 683

un clinicien remarquable nourri de l'expérience psychanalytique de ses devanciers, familier de toutes les implications théoriques de sa discipline et animé par un esprit de recherche authentique. Ce qu'il nous communiquait de son expérience, il le croyait vrai pour l'avoir observé, pour l'avoir confronté avec d'autres témoignages, pour l'avoir soumis au contrôle des concepts théoriques issus eux-mêmes de la pratique. Sa démarche clinique qui l'incite à saisir et à transmettre la réalité des contenus du Moi le situe parmi les tenants d'une phénoménologie psychanalytique par laquelle il se définit et se distingue des autres.

Son style, enfin, si particulier et si évocateur par ses qualités littéraires, était au service du double but qu'il poursuivait : atteindre et exprimer l'ineffable de l'autre, mais aussi le confronter, dans son enchaînement dramatique d'une relation à autrui, à l'ensemble des connaissances mobilisées par le travail analytique en vue d'une élaboration raisonnée et par là communicable et démonstrative.

Pour être consacrée à ce qui est à la fois simultané et successif, mouvement, évolution dans l'univers vécu de l'autre, son oeuvre n'en est pas moins marquée par un dessein d'ordonnance architecturale dont les traits essentiels sont l'unité, la continuité, l'équilibre.

Seul un psychanalyste rompu à la pratique de son métier, profondément imprégné des connaissances théoriques que celui-ci requiert, dont la culture déborde le cadre de sa profession, pouvait nous laisser un héritage aussi harmonieusement construit et par ce fait assuré de sa permanence. Maurice Bouvet était cet homme-là et notre affliction est grande de ne plus le compter parmi nous.



L'OEUVRE DE MAURICE BOUVET

par ANDRÉ GREEN

Honneur au prince sous son nom ! La condition de l'homme est obscure. Et quelques-uns témoignent d'excellence. Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, j'ai entendu parler de toi de ce côté du monde et la louange n'était point maigre. Ton nom fait l'ombre d'un grand arbre. J'en parle aux hommes de poussière sur les routes ; et ils s'en trouvent rafraîchis.

SAINT JOHN PERSE, Eloges, III.

L'analyse didactique est le temps préalable, fondamental, de la maîtrise ultérieure d'un champ de relations : celui qui lie l'analyste et l'analysé. Comme telle elle est toujours inéluctablement la rencontre avec un Maître. Par delà l'image que fut pour moi Maurice Bouvet au cours de cette cruciale expérience et de son dénouement, je parlerai de son enseignement. De celui qui gît maintenant déposé dans le témoignage de son oeuvre.

I

Les travaux psychiatriques de Bouvet qui inaugurent son entrée dans le métier indiquent son intérêt pour tous les secteurs de la pathologie mentale.

Sa thèse de médecine (1939) sur les troubles du métabolisme azoté dans les maladies mentales fait preuve de son besoin de rigueur, de son honnêteté intellectuelle et du tempérament de chercheur qui trouvera son plein emploi ultérieurement en psychopathologie. Ses premières publications (1939-1945) — cependant toujours signées en second et où rien ne se devine de ses préoccupations ou de ce qui sera plus tard son style — s'étendent des démences aux névroses, prenant au sérieux la pathogénie organiciste des maladies mentales et considérant avec attention les tâtonnements d'une psycho-chirurgie alors naissante. Cette période fut celle pour lui de la traversée du pont qui


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unissait la pathologie médicale d'où il était issu, et dont la psychiatrie n'était qu'une province, à la psychopathologie qui s'annonçait comme une terre promise dont il se rapprochait chaque jour au fur et à mesure de l'approfondissement des problèmes. Ces quelques années d'apprentissage l'auront pourtant marqué de façon indélébile, d'une part en lui donnant le sens d'une réalité psychiatrique qu'on ne pouvait jamais ignorer sans tomber dans la spéculation abstraite et désincarnée, d'autre part en lui faisant connaître les limites et la stérilité d'une conception étroitement organogénétique des maladies de l'esprit. Nul ne peut, sans distordre la vérité, lui reprocher d'avoir ignoré la grande psychiatrie, ce qui serait se condamner à la vision étriquée d'une psychopathologie aux dimensions du cabinet ou de s'être tenu à l'écart du mouvement des idées, ce qui serait renoncer à l'envisagement théorique de l'expérience pratique qui constitue l'essentiel de notre activité. Encore fallait-il que l'un et l'autre s'accordent mutuellement dans une vision unique qui permette à la pratique d'aller jusqu'au point où elle se transcende en une connaissance des lois de l'esprit dans sa totalité et à la théorie de cesser d'être un jeu verbal acrobatique où les idées se battent uniquement entre elles, trahissant la mission du savoir, de formulation communicable du travail de la pensée dans l'expérience thérapeutique intersubjective.

II

L'oeuvre psychanalytique (1948-1960) de Bouvet se présente comme un ensemble d'une grande unité auquel il n'aura manqué que peu de chose — le labeur de quelques années supplémentaires — pour atteindre à un large recouvrement de l'expérience issue de l'analyse. Nous serons obligés de renoncer — en raison des limites qui nous sont imposées — à examiner certaines de ses interventions éclairantes aux rapports des uns ou des autres (sur le caractère névrotique (Diatkine et Favreau), sur le rôle de la motricité dans la relation d'objet) (Marty et Fain), sa participation à des colloques (sur l'interprétation prégénitale, sur la terminaison du traitement ou les critères de guérison, sur l'utilisation technique du matériel onirique) et même ses courtes communications auxquelles nous nous référerons sans y faire toujours nommément allusion dans le corps du texte telles celles sur la névrose obsessionnelle, sur la résistance et le transfert, ou sur le transfert, le contre-transfert et la réalité (avec Marty et Sauguet). Nous nous tiendrons donc à l'essentiel, à ce qui ressort des grands textes qu'il produisit


L'OEUVRE DE MAURICE BOUVET 687

et qui forment entre eux les piliers d'un édifice presque achevé. Cette oeuvre possède, en effet, son manifeste théorique : « La relation d'objet » paru dans La psychanalyse d'aujourd'hui (1956), ses études cliniques, avec les deux entités que le temps lui donna l'occasion d'approfondir à l'occasion des rapports aux Congrès des Psychanalystes des Langues romanes, sur La névrose obsessionnelle (1952) et La dépersonnalisation (1960) et enfin ses écrits techniques : La cure type (1954), que tout le monde connaît par la diffusion de l'Encyclopédie médico-chirurgicale, les études Sur la résistance et le transfert, enseignement à l'Institut de Psychanalyse, prémices probables de certaines parties d'un ouvrage de technique psychanalytique qu'il devait écrire avec Nacht et enfin Les variations de technique qu'il étudia pour la discussion sur ce thème au Congrès international de Psychanalyse de 1957. Sa manière doit enfin se retrouver dans la publication prochaine du Cas Jacques qu'il exposa plusieurs années durant lors d'un séminaire dont les participants gardent encore le souvenir vivant.

Je viens de dire que la relation d'objet était la clé de voûte de l'ensemble. Le hasard veut que ce soit sur la question du deuil qu'elle naquit pour la psychanalyse. Déjà Freud dans les trois essais sur la théorie de la sexualité avait laissé entrevoir une voie, mais c'est à proprement parler avec Deuil et mélancolie que l'on peut à bon droit pressentir le germe d'une conception originale. Et n'est-ce pas précisément à ce propos que Freud et Abraham se rencontrèrent, le génie du maître étant venu compléter le travail du disciple. On sait comment, par la suite, Abraham développa cette hypothèse féconde et les extensions que Melanie Klein lui fit subir ensuite. La conception des relations d'objet a donc d'anciennes et nobles racines mais il appartint à Bouvet de lui donner, avec la forme personnelle qu'il lui imprima, son équilibre, sa mesure, son efficacité. Il est significatif que le texte où il développe sa thèse porte en fait en titre principal La clinique psychanalytique, la relation d'objet n'en étant que le sous-titre. Toute cette oeuvre se veut en effet proche de la sémiologie des désordres mentaux. « Il est impossible de donner ici même dans ses grandes lignes — y annonce-t-il en premier — un aperçu quelque peu complet des apports de la psychanalyse à la connaissance des troubles de la vie de l'esprit. » C'est pourtant cette gageure qu'il va soutenir avec succès. Il est peu de textes psychanalytiques qui d'un seul souffle donnent un panorama aussi cohérent d'une conception personnelle héritée de


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Freud et englobant une aussi large zone du champ de la psychiatrie. Ayant fait justice de la critique selon laquelle la psychanalyse méconnaîtrait le rôle des facteurs congénitaux ou organiquement acquis qui interviennent dans la maladie et écarté l'idée que cette discipline dissoudrait la clinique psychiatrique en lui substituant pour chaque malade une somme de particularités strictement individuelles, Bouvet dépasse ces objections par la théorie qu'il défend. Tout individu, enfant ou adulte, sain ou malade, atteint de difficultés intérieures mineures ou profondément aliéné, se spécifie par le style général de ses relations avec autrui. C'est dans cette direction qu'il nous faut rechercher les caractéristiques des entités syndromiques psychiatriques comme les déterminations les plus individuelles. Cette différenciation est le résultat d'un ensemble de relations entre certaines variables. Le sujet est l'agent et le patient d'une histoire, d'un dialogue ou mieux d'un rapport de forces et de valeurs entre des objets extérieurs et un monde intérieur d'objets internalisés. Pour restituer toute sa vie à ce cadre, il ne faut pas concevoir cet échange comme une suite de transactions se déroulant paisiblement mais se reporter à la phénoménologie supposée de l'être à sa naissance avec son contexte bio-psychique. Les investissements originels sont sous-tendus par l'hédonisme et la satisfaction des besoins permettant l'écoulement de l'énergie psychique sous la forme des décharges instinctuelles et motrices. Le sujet et ses objets ne se constituent qu'aux points d'impact de ces rencontres qui leur confèrent bilatéralement l'existence. Ce paradis primitif est en réalité fictif et ne permet guère de réalisations durables tant par l'intervention précoce des instances interdictrices externes, puis ultérieurement internes, que de la résistance du monde extérieur qui ne s'accorde pas aux impératifs du désir, sources premières du cycle des conflits propres à chaque étape du développement. La projection est en oeuvre dès les origines. Qu'elle soit consécutive à la frustration ou émanation directe des forces vives qui habitent le sujet, l'essentiel est qu'elle impose une distorsion grave à la vision du monde, concevant celui-ci comme d'autant plus dangereux que le sujet s'y sent vulnérable et désarmé, occupé à bloquer toute son énergie en une représentation terrifiante de son environnement. Force lui est donc de s'amputer de son désir, d'user de voies dérivées, de substituts et de compromis pour sauver ce qu'il peut du plaisir projeté dont le conflit interdit la jouissance. Ces compromis doivent encore se plier aux exigences du réel — si difficilement cernable que soit cette notion pour la connaissance, son usage est inéluctable. Sa loi se fait sentir, à bien examiner les


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choses, jusque dans les aliénations les plus profondes de l'univers psychotique et ne s'abolit à proprement parler qu'avec la mort. Les solutions temporaires des conflits ne sont possibles qu'à l'aide de l'intervention d'activités du Moi, les mécanismes de défense, que Bouvet aida à mieux comprendre sous le jour qui permet d'en appréhender la synthèse entre les élaborations internes et les mesures externes visà-vis de l'objet, j'ai nommé les instruments de la relation à distance, La distance « exprime, précisément, l'écart qui existe entre les relations objectales d'un sujet donné à un moment donné telles qu'elles sont vécues consciemment par lui et ce qu'elles seraient si la défense abrasée, le fantasme inconscient qui les sous-tend devenait conscient avec ses impulsions instinctuelles et ses projections ». On comprend aisément que la structure du Moi est fondamentale dans cette situation selon qu'il témoigne d'un état d'inachèvement archaïque, submergé par la peur liée tant à l'insuffisance de sa prématurité que par la projection destructrice qui exclut tout rapport libre avec des objets dont il se sépare encore mal, oscillant « de la consubstantialité à l'éviction absolue », ou se révèle, au contraire, suffisamment assuré de sa cohérence et de sa force ayant franchi le cap des époques où naguère la dévoration était la base primitive de tout échange que le sujet s'y trouve dévorant ou dévoré dans toute approximation avec l'objet, pour établir désormais avec lui une relation évoluée. C'est donc finalement en fonction — conformément aux vues de Freud — de la fixation et de la régression, ce dernier terme entendu avec toute la complexité qui doit lui être accordée, que la relation d'objet se spécifie, modelée essentiellement par les conflits inconscients de base, qui lui donnent sa forme. C'est ce qu'exprime la distinction désormais classique en structures prégénitales et structures génitales.

Les structures prégénitales orales et anales, qu'elles soient caractérielles, névrotiques ou psychotiques, se caractérisent par un attachement possessif et exclusif à l'objet, celui-ci n'étant pas seulement le pôle d'une communication, mais un complément indispensable à l'intégrité narcissique du sujet, tel que sa perte aboutit à une déperdition énergétique et une dévalorisation déstructurante du Moi. Toute tentative de « rapprocher » diminuant la distance et privant le sujet de l'aménagement qui rend cette rencontre tolérable déclenche les réactions de panique par la mise en jeu de la projection dont nous avons vu les caractères. De là découle une affectivité profondément tumultueuse constituée d'émois orageux, absolus, sans nuance. L'ambivalence domine ces liens, l'amour étant vécu sous sa forme la plus

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dangereuse de passion destructrice et la haine n'allant pas sans un attachement dont l'apparence erotique n'est que la forme la plus superficiellement déguisée d'un besoin vital profond. L'univers du prégénital est tellement infiltré de la vision intérieure qui est sienne que toute représentation propre du réel est désormais impossible tant la marge est mince entre la projection du sujet et la réalité des objets qui l'entourent, de sorte que de cette rencontre ne peut sortir que ce que le prégénital y avait préalablement figuré : danger, affolement, terreur, destruction. Le coït, rapprocher où la distance se réduit au minimum, retour des expériences fusionnelles primitives, a l'avant-goût d'une descente aux enfers.

Les structures génitales sont le fait des sujets qui sont parvenus à un degré suffisant de maturité pulsionnelle et relationnelle et offrent une image opposée des précédentes. L'objet autonomisé, existant en tant que tel, est lieu d'échange, de liens, de dialogue. Sa perte est ressentie selon la valeur qui lui est attachée mais n'est pas vécue comme une. catastrophe à laquelle on ne survit que diminué. Le rapprocher ne provoque ni angoisse, ni nécessité d'aménagements appauvrissants. De ces relations le sujet tire sinon toujours le meilleur, du moins ce qu'il est permis, d'en attendre, selon les possibilités inhérentes à la situation. La vie relationnelle s'étend sur une gamme étendue d'émois et d'affects, plus riches, plus vrais et surtout plus mobiles. La nuance, la liberté de mouvement et cette réciprocité allusive quasi ludique perceptible dans le contact humain n'y font pas défaut. Quelles que soient les entraves, la communication y reste heureuse. Si le sujet, comme tout sujet, projette ses fantasmes dans le monde, ceux-ci sont vécus et appréhendés comme tels et ne faussent pas radicalement la vision du réel.

On voit par ce résumé que la relation d'objet s'efforce de préciser structuralement comment le conflit de base fixe le sujet dans une forme relationnelle où les rapports entre lui et les objets — y compris les objets internalisés, Surmoi et Idéal du Moi — sont régis par certains modèles. Cette conception ne remplace ni ne résume à elle seule le champ de la nosographie. La distinction entre névroses, perversions, psychoses garde sa valeur car ces formes expriment des états différents du Moi. Cependant cette nouvelle formulation a le souci de rendre compte de l'articulation des divers secteurs de la pathologie mentale par l'étude différentielle des relations d'objet.

Les états névrotiques tels qu'ils sont ici présentés font mesurer le chemin accompli depuis Freud. Nous ne nous attarderons pas sur la


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névrose obsessionnelle sur laquelle nous devons revenir tout spécialement. Disons seulement que Bouvet y décrit excellemment les modalités par lesquelles coexistent les deux moitiés du Moi obsessionnel qui nous invitent à départager soit entre des objets différents, soit entre diverses phases de l'échange avec le même objet — la relation morte — momifiée pourrait-on dire par l'aménagement distanciateur — et la relation vivante tout habitée des angoisses de la prégénitalité.

Les phobies et l'hystérie de conversion constituent le pôle opposé à l'obsession. Bouvet adhère ici à la thèse de Federn sur la dichotomie entre le Moi obsessionnel et le Moi hystérophobique. Le premier se trouve entraîné de bonne heure à faire face dans le conflit, à « tenir », à maîtriser la situation au moyen de certaines défenses spécifiques dont l'isolation est le modèle, qui permet une fixité des investissements, aménagés ultérieurement par les procédés bien connus du déplacement, des formations réactionnelles, de l'annulation, etc., dont la mise en jeu a pour but le maintien dans un cadre possible des affects et des émois archaïques auxquels nous avons fait allusion. Par contre le Moi hystérophobique plus inconsistant, plus flou, plus lâche, aux investissements labiles et éphémères ne se maintient que grâce à l'usage systématique de ses procédés préférés : le refoulement, la fuite, la mobilité, le changement, l'érotisation superficielle de tous ces objets pour éviter l'érotisation complète de l'objet génital avec lequel il ne peut accepter de rapprochement. Ces caractéristiques sont valables pour la série qui va du caractère hystérophobique à la névrose phobique et l'hystérie de conversion.

Néanmoins, Bouvet, en accord avec nombre d'auteurs dont Melanie Klein et Glover, apporte un correctif à la thèse classique sur les phobies. S'il était généralement admis que dans la phobie il n'existe pas de modification de structure de la libido — c'est-à-dire de régression préoedipienne — mais un simple refoulement sur un état pulsionnel parvenu à la génitalisation, cette situation n'est pas toujours respectée. De telles névroses existent où la phobie prend un aspect simple, limité, cohérent mais il en est d'autres et, dit Bouvet, c'est le cas le plus fréquent, où une structure prégénitale est manifeste. C'est ce qu'on a pu appeler des phobies « orales ». Quant à l'hystérie de conversion, sans prendre position de façon définitive, il semble donner sa préférence à la thèse qui voit en elle une régression également prégénitale.

Pour ce qui est de la perversion, l'auteur souligne la nature fréquemment défensive du symptôme pervers et, reprenant le travail de Nacht, Diatkine, Favreau, eux-mêmes s'étant appuyés sur la notion de relation


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à distance, confirme leur point de vue. Il prend garde cependant d'assimiler la perversion à la névrose avec l'explication, dont il admet la portée surtout verbale, de Pérotisation de la défense. A moins de concevoir avec Glover cet aménagement — la libidinisation — comme une tentative pour sauvegarder le sentiment de la réalité par une limitation de la peur déstructurante maintenant convertie et retenue dans le cadre du secteur érotisé.

Dans le champ des relations d'objet psychotiques, la déficience du Moi est patente, celui-ci se faisant l'allié du Ça contre la réalité qu'il refoule et remplace comme Freud le soutient. Fluidité des limites, succession mal contrôlée des investissements auto- et hétéro-érotiques, micro-refoulements du monde extérieur, sensibilité extrême à la dépersonnalisation contre laquelle non seulement il se défend mal mais qui le laisse appauvri et diminué, c'est ainsi que se présente le Moi que la régression instinctuelle ne suffit pas à définir dans son imperfection. Une fois de plus c'est son état qui donne la clé de la structure d'ensemble, les symptômes n'étant que des manifestations de couverture. Ainsi de certains états d'apparence névrotique où cette superstructure fragile laisse apercevoir des failles considérables. C'est pourquoi il convient d'être prudent devant toute névrose dont le tableau n'est pas franc, l'existence d'une structure ou d'une évolution psychotique du Moi restant toujours possible. Dans les états psychotiques caractérisés le fonctionnement de l'activité défensive prend cette forme d'inadéquation qui donne le visage de l'aliénation, dans l'identification projective du délire par exemple. Les défenses psychotiques sont bien des défaites, comme le pense Federn. Mais ce qui selon Bouvet est à retenir de ces constatations c'est l'inéluctabilité des relations objectales, même dans les états régressifs les plus archaïques.

Ainsi l'originalité de cette conception est de présenter l'ensemble des désordres de la vie de l'esprit dans un tableau où toutes les parties sont agencées harmonieusement dans l'ensemble d'une explication unificatrice. Bouvet le dit bien mieux que moi dans une de ces phrases longues et nuancées où l'on peut suivre comme sur une carte le voyage de sa pensée « et c'est ici que la cohérence de la théorie psychanalytique des troubles mentaux apparaît le plus clairement, en ce sens que cette théorie, malgré les difficultés auxquelles elle ne pouvait échapper dans l'étude des psychoses et celle des perversions comme je l'ai écrit plus haut, a su montrer que le même problème essentiel se présentait toujours à l'homme, qu'il soit bien portant ou plus ou moins profondément atteint, les situations étant évidemment spéciales dans chaque cas,


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sans que pourtant il y ait de différence radicale, de hiatus absolu dans les diverses formes mentales qui vont des troubles les plus simples et les mieux localisés de relations au monde jusqu'aux formes les plus graves et les plus étranges d'aliénation et ce malgré l'abord difficile, les complications infimes des mécanismes en cause et des réactions secondaires par quoi le sujet doit s'adapter aux difficultés résultant tout autant de conditions physiologiques et anatomiques spéciales innées ou intercurrentes que des impacts d'un vécu pour lui insupportable de lui-même ou en fonction des difficultés préexistantes avec lequel il l'abordait ».

Cette conception se présente comme métapsychologie postfreudienne :

— au point de vue topique : elle centre le problème sur les différents aspects structuraux du Moi, comme Freud s'y arrêta lui-même à la fin de sa vie, dont l'oeuvre de ses proches et continuateurs prolonge la pensée ;

— au point de vue économique : elle s'efforce de toujours apprécier — peut-être mieux que cela ne le fut jamais encore — la valeur quantitative et énergétique des forces en présence dans le conflit au moment de la régression et de la fixation ;

— au point de vue dynamique et génétique, après Freud l'intérêt se porte légitimement — et sans pour autant négliger en rien l'importance du complexe d'OEdipe qui reste le complexe nucléaire de toutes les névroses et les psychoses — sur les conflits liés aux premières phases du développement. Elle éclaire originalement tous les problèmes sur la génétique des stades sans renoncer en rien aux thèses freudiennes pour lesquelles il n'est pas de structuration du Moi hors de l'évolution libidinale.

Nous nous arrêterons maintenant brièvement sur les deux grandes études cliniques qui ont illustré ces conceptions. Tandis que Le Moi dans la névrose obsessionnelle est l'occasion pour Bouvet d'édifier la première ébauche de sa théorie personnelle de la relation d'objet, La dépersonnalisation en est la forme jusqu'à ce jour la plus achevée. Le lecteur en mesurera l'écart, en appréciant l'enrichissement de la pensée au fur et à mesure de son développement. Selon son habitude Bouvet n'aborde pas le problème de La névrose obsessionnelle dans son rapport de 1952 sans une longue réflexion préalable, comme en témoignent deux publications antérieures, en 1948 et 1950, sur l'aspect


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homosexuel du transfert dans la névrose obsessionnelle masculine et l'envie du pénis dans la névrose obsessionnelle féminine. Le mérite de ce rapport est grand. Rares sont les écrits depuis Inhibition, symptôme, angoisse où les problèmes de l'obsession soient si approfondis. La névrose obsessionnelle est examinée sous tous les angles que la relation d'objet implique du rapport entre le sujet et ses symptômes, ses défenses, ses images et surtout avec l'objet transférentiel : l'analyste. Bouvet y montre tout ce dont nous venons de faire état sur l'archaïsme de ces relations, le rôle des projections, le danger tout aussi égal de l'introjection de l'objet et dont les effets ne peuvent être que pernicieux, et dont le rejet s'impose après une tentative de rétention, que de sa perte qui le décomplète. Il découvre derrière les représentations les plus superficiellement oedipiennes le personnage phallique, « être dispensateur de toutes' les certitudes et par là même indispensable, tout aussi bien que figure de mort ». L'évolution de la relation transférentielle par l'abandon — sous l'effet de l'interprétation — des aménagements de la relation à distance et le désengrenement du Moi des projections primitives permet la rupture du cycle infernal des introjections agressives et des réjections appauvrissantes, l'installation d'introjections conservatrices ouvrant la voie à une maturation tardive de l'activité pulsionnelle bloquée, maintenant au service d'un Ego en voie de génitalisation. L'appréciation à tout moment de l'analyse de la relation d'objet et de ses aménagements permet la compréhension simultanée de la signification du matériel et de la position transférentielle, indique ce qui peut et ce qui doit se faire dans le travail analytique pour s'orienter vers l'aboutissement favorable de la cure d'une affection réputée de plus en plus rebelle à la psychanalyse, la liquidation de la névrose de transfert étant contemporaine de l'installation d'un mode de relations intersubjectives moins régressif. Un des mérites et non des moindres de ce travail est, comme nous y avons fait allusion plus haut, de montrer les liens étroits entre la névrose obsessionnelle et la psychose. Sans doute peut-on à cette occasion rappeler la discussion qui s'éleva, après l'exposé du rapport, sur la force ou la faiblesse du Moi dans cette affection. Bouvet y apporte une réponse nuancée. Faiblesse ? à coup sûr et il n'est que de mesurer la complexité et l'importance de l'aménagement pour assurer la distance protectrice. Force ? on pourrait le croire à songer au combat vaillant que livre le Moi obsessionnel, mais force toute relative en ce qu'elle ne mérite ce qualificatif que face à la relation hystérique — à niveau égal de régression du Moi — avec laquelle nous avons montré les différences. Ainsi se comprend la


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nature de l'obsession comme défense contre la dépersonnalisation — maîtrise parce qu'elle en éloigne le danger bien souvent, mais esclavage parce que le résultat est bien précaire et que le sujet reste à la merci de cette éventualité, à laquelle il succombe parfois franchement, mais dont il pressent toujours le danger allusivement.

Voici venu maintenant le moment où nous devons aborder le travail qui précéda de peu sa disparition, véritable somme qu'il est impossible de résumer sans en réduire la richesse, réalisation d'un projet qui lui fut cher depuis bien longtemps et auquel il consacra son énergie de ces deux dernières années : Dépersonnalisation et relation d'objet, rapport qui domina nos séances du Congrès de Rome, malgré l'absence du principal protagoniste, qui devait suivre nos discussions depuis Paris. Ne s'engageant personnellement sur le terrain qu'après avoir dressé le bilan des travaux psychanalytiques sur la question, il précise une sémiologie assez hésitante ou par trop partielle avant lui, définit l'unité du syndrome et se met en devoir d'y déceler une structure assez générale pour en recouvrir les aspects les plus particuliers et une étiologie pouvant convenir à l'ensemble des manifestations. Une des originalités de ce rapport est de faire revenir la dépersonnalisation dans un cadre dont elle fut écartée, étant depuis ces dernières années évocatrice de psychose. Bouvet en limite la description à ce qu'il a pu lui-même en connaître — c'est-à-dire analyser personnellement. Il distingue 3 types : les crises aiguës de dépersonnalisation au cours des névroses, la dépersonnalisation chronique décompensation d'une névrose grave, et enfin la névrose de dépersonnalisation. Dans le premier cas, il s'agit d'états névrotiques à symptomatologie variable mais à fixations prégénitales marquées dont l'analyse arrivant près du terme les amène pour ainsi dire à toucher le fond de la névrose avec la crise de dépersonnalisation maintenant vécue au cours du rapprocher transférentiel dans le cadre contrôlé, soutenu de l'analyse et dont l'issue prend la valeur d'une renaissance après reviviscence et élucidation du conflit le plus ancien. Ici se justifie l'assertion à laquelle nous faisions plus haut allusion de la signification défensive de certains symptômes contre la crise de dépersonnalisation. Dans la deuxième éventualité, dépersonnalisation chronique au cours d'une névrose, il s'agit de l'un de ces exemples de faillite de ces mêmes défenses névrotiques usées pour ainsi dire par la prolongation et l'aggravation du conflit de base qui cèdent laissant à découvert un Moi profondément délabré, vivant dans une atmosphère de brouillard, d'étrangeté au sein d'un réel modifié, nuageux, sans relief, hostile. Enfin vient la névrose


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de dépersonnalisation proprement dite que le cas Colette illustre. Il se présente à nous comme une « sixième psychanalyse » aux cinq précédemment écrites par Freud, pouvant tout aussi bien entrer dans la légende sous l'appellation de « la jeune fille à l'araignée ». L'exégèse de cette cure a permis à l'auteur de dégager la signification du syndrome. Les grandes lignes de la relation d'objet prégénitale s'y retrouvent, nous y avons suffisamment insisté pour les indiquer seulement : apparition de la crise lors d'un rapprocher avec un objet narcissique aussi indispensable que redouté de par la projection. L'aménagement défensif est symptomatique du niveau de régression ; s'y retrouvent les caractéristiques orales souvent vécues sur un mode sado-masochique. Parmi les mesures contre-dépersonnalisantes spéciales figure « la barrière », baisser de rideau entre le sujet et le monde qui permet le tamisage des affects et des émois, mais bien différemment que dans l'obsession, c'est un véritable filtre massivement neutralisant contre l'orage désorganisateur. Si l'obsession permet de se rendre compte de l'importance de l'agressivité anale refoulée, celle-ci est bien faible face à celle qui se déploie dans la régression orale qui explique que la dépersonnalisation intervienne pour en éviter l'émergence, ici encore plus cruellement redoutée de par la faible structuration de l'Ego. La résurgence de la crise est cependant commandée par la nécessité d'une nouvelle relation narcissique ultérieure aussi indispensable au sujet que la crise sera inéluctable lors du rapprocher. Ce n'est pas seulement contre ce danger présent que la dépersonnalisation protège mais également contre un bouleversement plus durable et plus complet de la relation d'objet : le délire. Il est en effet classique de souligner l'absence de délusion chez le dépersonnalisé. Mais c'est au prix d'un effort constant pour en écarter l'éclatement. Le dépersonnalisé est donc dans un état de menace et de quête perpétuelle d'un objet narcissique sans lequel il se sent décomplété, insatisfait, avide et avec lequel il ne peut s'accommoder ou s'accoupler sans risquer sa propre désagrégation. Bouvet situe le niveau de cette régression à la phase orale au moment privilégié où l'enfant est en voie de séparation d'avec l'objet maternel, où achève de se constituer la distinction du Moi et du non-Moi. Car plus qu'un symptôme, plus qu'une défense la dépersonnalisation est un état du Moi. Le conflit de la dépersonnalisation se joue à un moment fécond de l'histoire des identifications. Le sujet séparé de la mère, la dyade fusionnelle étant scindée, son autonomie de fraîche date ne se survit pleinement que si cette étape est franchie harmonieusement, à l'aide de l'identification maternelle par l'introjection de l'objet. Au moment de


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cette séparation se produit normalement la défusion pulsionnelle qui entraîne une décharge des instincts agressifs et une mise en suspension temporaire de l'activité libidinale. Dans les cas normaux le réinvestissement suit cette défusion par une libidinisation secondaire. Lorsqu'une blessure narcissique survient ou si l'insatisfaction se prolonge ou si encore la décharge agressive n'est pas suivie pour une raison quelconque du réinvestissement objectai, l'imago destructrice se fige et se réifie, inhibant le processus des identifications ultérieures. La régression ramène le sujet à l'indifférenciation primitive donc à la recherche renouvelée de la dépendance, cependant redoutée maintenant du fait même de la fixation à l'imago agressive qu'est devenu l'objet maternel, puisqu'à ce stade régressif toute relation passe par son canal. C'est ce conflit archaïque qu'il s'agit de dénouer et que Bouvet était en voie de résoudre. Par son retentissement thérapeutique, s'attaquant à ses formes difficiles, le travail de l'auteur apportait un message d'espoir. Loin de se restreindre, le champ de la psychanalyse s'étend là où il paraissait conjectural de s'aventurer.

Les écrits techniques que nous envisagerons maintenant pour terminer suivent de très près les conceptions cliniques dont nous venons de parler. Quoi d'étonnant puisque ces conceptions sont elles-mêmes filles de la relation thérapeutique.

La cure type (1954), qu'Henri Ey demanda à Bouvet d'écrire pour l'Encyclopédie de Psychiatrie, est à mon avis un des exposés les plus vivants, les plus complets qui se puisse donner à un observateur extérieur de ce qui se déroule dans l'enclos analytique. Ce type de travaux est assez rare, certains psychanalystes, pour des raisons assez diverses, n'aimant guère donner une vue précise et concrète de leur activité.

Nous retrouvons ici l'accent, où il convient de relever l'influence de Nacht, mis tout au long de l'oeuvre, sur le rôle du Moi, parce que rien n'est accessible à l'analyse qui ne passe par lui et qu'il n'est aucun résultat escompté qui ne le concerne directement. L'auteur montre comment les règles techniques, à condition de se préoccuper de l'esprit plus que de la lettre, rigoureusement appliquées, sont les conditions les plus indispensablement vraies à créer cette situation sur laquelle la réflexion philosophique pourrait utilement se pencher comme situation humaine exemplaire. Celle où le sujet s'adressant à un autre, invisible miroir vivant de lui-même, laissant venir à soi et avec une bonne foi


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dont la trahison le surprendra, ce qui l'habite au plus sombre de lui, garde cependant, toujours divisé qu'il est, son pouvoir de connaissance sans lequel il n'est aucune désaliénation possible, pose son regard sur son interrogation, y amorce sa délivrance, qu'enfin l'interprétation de l'autre précipite et mue en conscience. On pourra évaluer dans ce que l'auteur indique des entretiens préliminaires tout ce qu'il doit à sa formation psychiatrique. Non seulement il recommande l'exercice de l'observation, retrouvant dans ces quelques rencontres limitées la différenciation en structures génitales et prégénitales, mais il se montre partisan de la pose d'un diagnostic ferme et ne conseille d'arrêter la décision de recommander le traitement qu'après avoir soigneusement pesé les éléments du pronostic. La prudence s'impose ; le monument que représente l'édifice constitué par toute organisation caractérielle ou toute construction pathologique est l'équilibre que le patient a péniblement trouvé spontanément à son conflit et qu'on ne peut songer à le lui faire abandonner sans supputer raisonnablement les chances que l'on tient, à lui donner les moyens d'en espérer de meilleur. L'analyse commencée, avec elle débute la reproduction des séquences sur lesquelles l'auteur insiste, résistance-transfert-interprétation.

J'ouvre maintenant la parenthèse pour me tourner vers ces textes inédits auxquels je faisais allusion plus haut que les élèves de l'Institut de Psychanalyse ont eu le privilège de connaître avant le public, sur les résistances et le transfert.

En harmonie avec ce qu'il décrivit pour la clinique psychanalytique, Bouvet classe les résistances en deux grandes familles. Les résistances de transfert et les résistances au transfert.

Les résistances de transfert sont l'élaboration spécifique du Moi hystéro-phobique, résistances du « trop ressentir », du « trop éprouver ». Elles se présentent sous forme d'abréactions émotionnelles fugaces, d'orages affectifs sans lendemain, de cataclysmes qui drainent une énergie psychique considérable, ou trouvent une issue hors de la cure sous forme d'agir dans le transfert. Ces résistances ont pour fonction d'empêcher toute prise de conscience qui permette de joindre ce qui se déroule ici maintenant à ce qui fut autrefois là-bas et dont seul l'éclairement réciproque permet de rompre l'automatisme inconscient de répétition qui enchaîne le sujet dans ses conduites névrotiques. La réduction ne peut en être obtenue qu'en rétablissant les capacités d'auto-observation du Moi et en montrant les avantages que le sujet recherche dans cette position où il s'absorbe tout entier à vivre en se refusant à comprendre.


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Les résistances au transfert, élaboration spécifique du Moi obsessionnel ou résistances du « trop comprendre », englobent tous les aménagements classiques de la technique obsessionnelle, laquelle vise à isolationner la situation transférentielle, à intellectualiser, rationaliser mais ne rien revivre qui ne soit contrôlé par la compréhension à une distance telle qu'elle ne peut en aucune manière atteindre le sujet de l'intérieur. La réduction ne peut en venir à bout qu'en indiquant ce que le sujet cherche ainsi à éviter d'un engagement trop directement personnel dans ses relations actuelles avec l'analyste pour échapper à toute reviviscence — au sens strict — des émotions d'autrefois dont déjà il avait appris à se rendre maître par les mêmes procédés qu'il utilise aujourd'hui.

Au delà de ces deux grands types, Bouvet étudie la technique générale de l'analyse des résistances. Suivant les indications de Freud il recommande d'observer la loi de superficialité en n'interprétant qu'au plus près du Moi. Mais surtout il excelle à montrer la multiplicité des significations du matériel selon le moment transférentiel. Il n'est guère de formule qui se révèle propre à une application stéréotypée, les situations apparamment superposables se révélant en fait répondre selon le niveau génital ou prégénital qu'elles indiquent à des moments opposés. Ici encore seule la référence à la relation d'objet permet mieux que tout autre critère de découvrir le moment fécond et le registre spécifique du conflit en cause. Les effets de l'analyse des résistances aident à la mise au jour de la situation conflictuelle en rétablissant, mais cette fois dans le transfert, les possibilités de décharge, maintenant résolutives grâce à l'interprétation et la prise de conscience subséquente.

Quant au transfert, Bouvet montre l'impossibilité d'une conception autre qu'extensive, comprenant dans sa définition tout aussi bien le transfert de défenses que le transfert d'affects et d'émois. Cette extension n'a pas que cette valeur pour ainsi dire « spatiale », elle concerne aussi le déroulement dans le temps puisque selon l'auteur c'est dès la première rencontre et même parfois avant celle-ci — par ce que le sujet sait de l'analyste qu'il va consulter — que s'ébauche le transfert, d'abord vague et flottant, puis découvrant son vrai visage dès que prend forme la névrose de transfert dont la résolution est la condition indispensable de la désaliénation. Ici encore s'opposent transfert génital et transfert prégénital, le second souvent plus fréquent que le premier. Il ne faudrait pas croire cependant que l'OEdipe est négligé. Ce qui est visé est précisément d'en rendre l'analyse efficace en remontant à ses racines. Ne peut-on en voir pour preuve cette idée de Bouvet du retour en fin de


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cure du conflit oedipien même lorsque la régression avait entraîné le sujet dans la prégénitalité et que l'analyse en avait été correctement faite, comme si à la suite du travail thérapeutique il trouvait plus de force à aborder ses conflits d'adulte.

La psychanalyse est peut-être la seule des conceptions défendues en psychiatrie qui accorde tout son prix dans le processus de guérison aux réactions affectives du médecin devant le transfert du patient. J'ai nommé le contre-transfert, dont on ne dit jamais assez l'importance. Toutes les tentatives de domination peuvent y figurer, de la séduction narcissique à la favorisation du masochisme du malade, jusqu'aux rêves de toute-puissance du thérapeute dans le désir d'une cure absolue, inconsidérément entreprise lorsque le malade ne peut faire les frais sans danger d'une telle rupture d'équilibre.

Le champ de l'interprétation est maintenant défriché après ce qui vient d'être précisé. Rappelons seulement combien Bouvet trouvait contestables certaines techniques récentes de l'hic et nunc sans référence au passé, ce qui était pour lui la négation même de l'analyse du transfert.

Revenons à la cure type. Les chemins de la vérité se dégageant progressivement, les voies de l'identification à l'analyste sont maintenant ouvertes. Il est bien évident qu'il ne s'agit pas ici de la personne de l'analyste qui ne pourrait être en cause que grâce à un contre-transfert complice de la névrose du patient, mais de son image au terme d'une course qui fut celle du transfert, tel qu'elle apparaît dans son essence sous la forme d'un Moi idéal supposé lui-même ne pas avoir besoin d'identification.

L'analyse terminée répond à certains critères ; par delà ceux que l'on met en avant, se dessine une caractéristique générale : évolution du sujet vers des relations d'objet de type génital, étant bien entendu que ce terme déborde largement la vie psycho-sexuelle qui en est le modèle, mais ne se limite pas à elle et concerne l'ensemble des rapports du sujet avec ses objets.

Dernière étape de ce tour d'horizon, trop long pour le temps dont je puis disposer, trop court pour vous dire seulement ce que je crois être l'essentiel, nous nous arrêterons très rapidement sur les variations de technique (1957). C'est peut-être dans ce travail que se révèle le mieux la maîtrise de Bouvet dans les situations les plus inhabituelles des analyses les plus difficiles. Les conceptions de distance et de relations d'objet y prennent une valeur singulièrement précieuse. N'admettant pour seule référence qui en justifie l'adoption que celle de la


L'OEUVRE DE MAURICE BOUVET 701.

variation propre à l'épanouissement ou la liquidation de la névrose de transfert, il y décrit une série de cas cliniques où les paramètres des variations utilisées trouvent leur explication dans la compréhension des problèmes posés par le malade. Ce qui une fois de plus nous rappelle le sens de la vraie rigueur, application de l'esprit des règles plus qu'observance rigide de la lettre, tout aussi bien que nécessité inéluctable de références fixes en dehors desquelles il n'est plus d'analyse.

III

Telle est cette oeuvre. J'ai dû, pour vous la présenter moins comme une série de contributions partielles à l'édifice de la psychanalyse que comme une conception d'auteur, vous ramener à certaines vérités déjà acquises avant Bouvet tout autant que faire état de certains aspects qui ne lui appartenaient pas en propre. Tout ce qui dans cet ensemble découle de Freud, Bouvet en était conscient, se voulant en stricte continuité avec la pensée du fondateur de la psychanalyse. Les anastomoses que l'on peut déceler dans cet exposé avec tel auteur contemporain sont le témoignage d'une communauté de vues dans l'évolution de la pensée psychanalytique post-freudienne. Sur de nombreux points Bouvet se trouvait en accord avec Federn, Fenichel, Anna Freud, Reich, Glover, Bergler, pour ne citer que les plus connus. Mais qu'il rendît compte de données déjà classiques ou qu'il se rencontrât avec l'un de ces auteurs sur certain point, il jaillissait de l'exposé de Bouvet un éclairement nouveau qui en faisait saisir la place à telle ou telle articulation de sa conception personnelle qui vaut par sa vision d'ensemble, sa perspective du trouble mental, son abord du patient.

La théorie de Bouvet des relations d'objet se présente à mon avis comme un effort de clinique totale, d'unification de la connaissance qui forme la base de notre savoir appuyé sur la sémiologie, comme de celle qui se dégage péniblement de l'inconscient par le travail analytique ; l'envisagement du sujet est multiple comme ses objets et aussi les divers angles sous lesquels il est observé : dans ses relations sociales, dans ses noeuds familiaux, dans ses investissements préférentiels. On y retrouve les matrices directrices les plus profondes dans les formes inconscientes du conflit, revécu transférentiellement, l'aménagement que le sujet apporte dans sa relation à distance, la typologie spéciale de ses résistances, ses capacités d'identification et ses réinvestissements externes à la suite du traitement. La façon dont Bouvet en rend compte se définit en termes de mouvement. C'est ce qu'il précisa tout dernière-


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ment encore en complétant le « rapprocher de rapprochement » par son complément « le rapprocher d'étirement ». Il retrouve ainsi les formes les plus élémentaires de la vie sous ses élaborations les plus spirituellement humaines. A mon sens ces écrits — je pense avoir aidé à le faire comprendre — marquent la réintégration de la psychiatrie et de la psychanalyse dans le même champ, ouvrant ainsi des perspectives fécondes à ces deux disciplines.

Connaissance, cette oeuvre est aussi action et en rend fidèlement compte. Ce que nous admirions dans les écrits techniques, c'était la justesse clinique qui faisait passer dans le texte ce qui se jouait entre nos patients et nous dans le secret du cabinet sans que la formulation écrite altérât quoi que ce soit de ce que nous en vivions et sans que la théorie forçât l'observation. A évoquer les articles techniques, en les lisant comme en les exposant tout à l'heure devant vous, j'ai senti combien il était difficile de faire partager le sentiment que ces travaux renvoyaient aussi à un être chez qui la densité généreuse s'alliait à l'aiguisement spirituel pour former une matière humaine de haute qualité, don précieux pour le colloque analytique. Sa parole se retrouve dans la communication écrite, soucieuse d'éviter tout excès dans l'interprétation des faits, de rejeter par avance une objection tendancieuse, d'adoucir toute lumière trop crue par sa compagne de mystérieuse pénombre et d'éclairer l'opacité sur laquelle butte la compréhension par la lueur qui permet à nouveau la progression de la pensée dans le texte touffu.

J'ai bien le sentiment de n'avoir pu rendre complètement par cette brève introduction l'entière fécondité de cette oeuvre témoin de la richesse de celui qui l'élabora et qui faisait voir en son auteur un des chefs de file de sa génération.

Si dès aujourd'hui ces travaux ont eu une influence sur ses pairs et sur ses élèves, seul le temps donnera sa juste place à leur auteur parmi les compagnons et les disciples de Freud. Maintenant il repose dans sa terre provinciale, mais il figure côte à côte avec les vivants sur les rayons des bibliothèques. Le mal nous l'a arraché mais il s'y est soustrait par ces textes qui sont maintenant nôtres. Bouvet a triomphé de sa mort.


LE MAITRE

par CONRAD STEIN

Maurice Bouvet est mort. Nombreux sont ceux qui ont perdu un maître et plus d'un élève ressentira à travers son deuil ce que la mort de cet homme a d'exemplaire.

En celui qui a été privé d'un être cher ou d'un idéal, le travail du deuil vise, dit Freud, à l'acceptation de la réalité de sa perte et à son remplacement. Ce travail est d'autant plus long et douloureux que ce qui a été perdu était plus précieux et irremplaçable. Ainsi celui dont le deuil consécutif à la mort de Maurice Bouvet aura été bref et accompli au prix d'un travail pénible sans excès, pensera que ce qu'il a perdu ne lui était ni trop cher ni trop indispensable. Mais, réalisant l'intensité et la netteté de la survivance en lui de la parole du maître disparu, sans que cette présence provoque de douleur, il sera amené à comprendre qu'il a peu perdu parce qu'il lui est beaucoup resté.

La pesée du deuil qui reconnaît et comble une perte aboutit, dans la mesure où elle ne se résout pas dans la réaction négative de l'oubli conscient, à conserver le souvenir du défunt comme un appauvrissement, comme une ombre douloureuse évoquée non sans un certain sentiment de culpabilité et de besoin de réparation. Ce travail est nécessaire dans toute la mesure où la mort a mis fin à ce mode de relation où l'amour visait à posséder l'autre pour en user comme d'une partie de soi-même sans laquelle on ne serait rien. Mais si le deuil proprement dit aboutit à combler tant bien que mal une perte, il s'y manifeste aussi une autre action qui révèle un enrichissement. Au delà du plaisir perdu d'un échange fructueux, au delà de la facilité de vouloir imiter un maître dans le but fallacieux d'être à son image, cette action aboutit à l'enrichissement d'un héritage qui dans le dépassement de la relation effective de l'élève au maître, assure sa continuité. Cette action qui, au delà du deuil, dégage une permanence positive et ne laisse comme tristesse que le regret de ce qui se trouve achevé, se réalise dans toute la mesure où la relation transformée par la mort n'était pas de possession mais permettait de vivre dans leur traduction en soi les


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effets du verbe agissant de l'autre, reconnu comme un sujet, ce qui était et ce qui restera, par son effet accéder à un degré de conscience plus élevé.

Maurice Bouvet dans ses rapports avec ses élèves engageait d'une manière quasi exclusive à ce deuxième type de relation. Sa mort leur fera ressentir combien il était en cela exemplaire. Son enseignement n'offrait aucune prise à la relation de dépendance réciproque qui est celle du maître et de l'esclave, de celui qui impose sa norme et de celui qui la subit, de celui qui par son don exige le lien de la réciprocité. Et pourtant son autorité était très grande. Elle était fondée sur le respect.

Ceux qui ont assisté à son séminaire de cures psychanalytiques contrôlées ne peuvent pas manquer d'en avoir été fortement impressionnés. La manière dont il donnait ses indications quant à la conduite d'une cure était le reflet de leur contenu. Il n'est pas possible de tenter l'exposé de son enseignement qui dans toute la variété de ses nuances, dépasse le contenu des écrits scientifiques. Mais ce qu'il faut souligner, c'est que dans cette concordance, il n'apparaît à son élève ni comme un père, ni comme un ami, ni comme un patron, mais bien plutôt comme un modèle du psychanalyste après la cure achevée, modèle de référence idéale et non pas d'imitation, parce qu'en son respect de l'autre il ne se prêtait à aucun de ces liens de possession qui caractérisent à un certain degré les relations humaines les plus habituelles.

Le psychanalyste est précisément celui qui doit et peut se placer en dehors de ces relations habituelles. Seul l'authentique respect de la personne du sujet qui se soumet à la cure autorise le psychanalyste à l'engager, par l'effet de la technique psychanalytique, dans une relation de dépendance la plus aliénante qui soit. Le patient la vivra sur ce mode d'une manière strictement unilatérale et la position de son analyste lui permettra d'en épuiser peu à peu les effets pour enfin assumer son destin propre pour son compte, libéré de son analyste. Le lien à ce dernier sera devenu celui purement intérieur de la présence de l'idéal de son destin propre qui, en vérité, n'a plus rien à voir avec le personnage réel de l'analyste. C'est en ce sens que Bouvet a dit que le sujet analysé n'avait plus d'autre besoin d'identification que celui de l'identification à une personne réputée, elle, n'en avoir pas besoin. C'est parce qu'il excellait à donner à l'autre le support de cette image idéale de soi qu'il était maître dans l'art qui seul peut conduire le patient à la reconnaître, maître dans l'art de lui faire parcourir de nouveau à l'âge adulte, mais cette fois-ci avec succès, le chemin de la plus profonde


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dépendance, celle-même dont il a voulu décrire la problématique à propos de la relation clinique de dépersonnalisation.

Tout ce qui peut être perdu par la mort du psychanalyste est rendu caduc à la fin de l'analyse. De même., les effets de l'enseignement exemplaire de Maurice Bouvet restituent, une fois le deuil achevé, le maître dans son immortalité.

PSYCHANALYSE

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LA PENSÉE DE MAURICE BOUVET

par MICHEL FAIN et PIERRE LUQUET

Si l'oeuvre de Bouvet ne vise pas à un bouleversement de la théorie et de la pratique psychanalytiques, il n'en est pas moins certain que ses conceptions ont modifié la conscience que beaucoup d'entre nous avaient de leur propre position thérapeutique et théorique. C'est une oeuvre essentiellement vivante et féconde.

Sa pensée reste imprégnée de la clinique d'où elle est née. Il comprend, il explique et après lui nous comprenons et expliquons mieux. Si sous cet aspect sa pensée montre ses racines psychiatriques, c'est cependant dans la pratique psychanalytique qu'elle s'est épanouie avec vigueur.

Son oeuvre, c'est la cure psychanalytique, son instrument, la relation d'objet. Il cherche à saisir cette dernière dès son premier contact avec le patient, il sent les difficultés qui en émanent et oriente alors sa technique, elle deviendra son critère de guérison. Aux aménagements que fait subir le patient à ses désirs d'approche du thérapeute, aménagements traduisant son mode personnel de composer avec sa peur et sa culpabilité, se rencontre la disponibilité, l'absence de distance se manifestant dans une compréhension totale et cependant dosée de Maurice Bouvet, le psychanalyste.

Cette attitude évite de s'éloigner, au cours de l'activité interprétative de l'aire limitée où projection et réalité peuvent être perçues et clivées, et dans la théorie, de glisser dans le champ de la pure spéculation. Cette proximité, au plus haut degré, faisait partie de Bouvet. Elle résultait d'une absence de peur de pénétrer dans l'univers de la prégénitalité. Elle éclairait son style, lui évitant toute sécheresse abstraite sans jamais tomber dans la facilité du pittoresque. Sa façon d'exposer évite les deux écueils principaux rencontrés au cours des analyses, le trop vécu et le trop pensé. Dans un premier temps il montre une participation entière aux phénomènes qu'il décrit et s'infléchit ensuite dans un mouvement de saisie global qui le mène à une conclusion synthétique, concrète et efficace. La pratique et la théorie sont pour lui « la même chose ». Sans perdre un fragment du réel vécu, sa pensée atteint l'essentiel et le transcende. C'est ce qui faisait de son enseignement une valeur. La clarté s'attache à sa préhension concrète, et son langage permet de saisir les richesses dissimulées dans certaines formes de pensée sponta-


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nément difficiles. Cette possibilité de transmettre aux autres ce qui constitue l'essentiel à un moment donné reste évidemment liée à sa vue pénétrante des possibilités relationnelles de chacun.

Maurice Bouvet a illustré tout cela en montrant comment l'impavidité restait le plus sûr garant de la liberté d'autrui tout en assurant l'appui fondamental nécessaire dans les passages critiques.

Une des autres qualités maîtresses de la pensée de Bouvet est la rigueur, l'inverse de la rigidité. Dans son combat pour la réalité psychanalytique, il n'entend se laisser dévier par rien d'accessoire, comme le fit Freud. Son dépouillement est l'expression de la seule passion que sa retenue laisse passer en public, celle de son métier. Cette rigueur éclaire son effort continu vers la définition d'un Idéal du Moi psychanalytique et fournit ainsi une référence valable pour apprécier de l'intérieur la frontière entre la variation technique et une attitude contretransférentielle. Cette rigueur équilibre sa proximité de son patient et lui donne son sens utile. Elle cerne d'un trait précis ce qui est psychanalytique, le dynamisme affectif et relationnel dans ce qu'il a de structurant, d'autres disciplines obéissant à des méthodologies différentes. Ce faisant, il décrit dans le champ concret de la relation d'objet, une séméiologie, un diagnostic, un pronostic et des règles de technique. Il précise les moments efficaces de la cure, indique les leviers qui agissent dans ces périodes fécondes.

Un mot sur son courage — et nous ne parlons pas ici de son courage physique, mais de celui qui imprégna son labeur. Il est partout, dans l'acceptation de malades très difficiles, dans sa possibilité d'assurer un conseil requis, jamais refusé, dans son attitude scientifique.

Si son oeuvre est celle d'un pionnier, parcourant des chemins obscurs sur lesquels, peu, auparavant, s'étaient aventurés, elle est aussi celle d'un homme prudent, qui sait se taire lorsqu'il estime ne pas dominer parfaitement une question.

Tout cela donnait à Maurice Bouvet une forte personnalité, une allure, une présence qu'il n'est pas possible de séparer de sa pensée. S'il a été échu à quelques-uns d'entre nous de parler aujourd'hui de lui, cela n'est pas dû à quelque compétence à propos de son oeuvre, mais au fait d'une approche plus personnelle sur des modes d'ailleurs différents. Tout naturellement nous avons parlé de lui au présent en élaborant ces quelques mots tellement son image bienveillante, sa voix cordiale, son sourire affectueux nous ont accompagné. Il s'est fait en nous la place qu'il souhaitait, à mi-chemin de notre coeur et de notre esprit.


MAURICE BOUVET FAMILIER

par PIERRE MARTY

Angélique, rude, enthousiasmant, distant, menant durement et son coeur et son corps, exigeant de lui davantage que des autres, il aimait à la fois qu'on rende hommage à sa puissance et que l'on accepte aussi sa profonde douceur, que l'on soit lui sans le lui dire et surtout que l'on partage ce qu'il disait son « émotion devant la vie, devant les forces élémentaires de la nature ». « J'ai toujours — écrivait-il — aimé la vie de la même façon violente et absolue, réagissant intensément à cette sorte de respiration du monde. »

On savait autrefois, à la maison familiale de Saint-Loup, aux vacances, qu'il demanderait tout de suite le fusil et les cartouches. Il serait inutile de l'interroger longtemps. Aimable, il resterait discret sur sa vie de Paris, ses études, sa carrière, ses succès sans doute, puisqu'il n'avait pour ainsi dire jamais eu que des succès. Il fallait qu'on ait pensé au chien qui l'accompagnerait, qui le précéderait, et sur le choix duquel, étant expert, il se montrerait comme souvent difficile. Il partirait sur la planèze d'Ussel, dans les vallons aussi, laissant là les siens qui rêvaient pourtant toujours de le retenir, intéressé seulement par la capture du gibier dans ce qu'elle était une manifestation probante de son art de la course, de son intelligence du rapprocher.

Plus jeune déjà, évitant le gravier bruissant, il arrivait par le détour dans le pré gras du petit matin sans que jamais sa fine silhouette ne puisse porter sur l'eau, sans que rien de lui accrochant quelque lumière ne transparaisse, posé, réfléchi mais ardent, sachant exactement d'instinct, puis d'habitude, où se trouvait la truite, près de la souche, un peu plus bas. Sans hâte, imperceptiblement, il posait la mouche sur un remous de l'Allagnon. La suite était automatique.

Contempler, observer, suivre, approcher, comprendre, se rendre maître enfin, c'était une passion puissante et puissamment canalisée qui paraissait maintenant dans son amour pour le travail et dans l'inépuisable activité du thérapeute, du clinicien et du théoricien, à travers la réserve modèle, l'apparence de perfection, d'austérité secrète. Il


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en avait profondément toujours été ainsi, et maintenant, dans le resserrement cruel du champ de son action, l'énergie concentrée sur l'étude des relations humaines l'avait conduit au dessin de lignes simples et précises de connaissance, à l'édification d'une admirable échelle originale et précieuse de mesure qui recoupait en un sens nouveau particulièrement maniable les données classiques, et dans laquelle il voyait la possibilité d'une espèce d'éternité dont il nous avouait avoir senti l'approche.

Quelquefois le soir à la maison, souvent très tard au café, nous parlions de ce que l'un de nous écrivait, dans cette atmosphère calme, sereine et fraternelle, mais attentive, que sa présence magistrale et que sa parole rigoureusement précise, sans faiblesse, imposaient. On le sentait là, comme en séance publique, exclusif et charmeur.

Nous aurions sans doute aimé de sa part plus d'expressions de gaieté, non que son coeur ne fût souvent riche de joies mais qu'il gardait celles-ci trop pudiquement à notre gré, comme la chaude tendresse qui l'imprégnait tellement.

C'était ainsi mieux dans une action commune que nous sentions le plus heureusement notre intimité.

En septembre dernier, j'étais pour la dernière fois près de lui à quelques corridas de toros. Tout son passé de la montagne, toute sa vie profonde renaissaient encore dans notre même allégresse lorsque la dynamique harmonie de la relation du matador et de la bête, éloignant le tragique vers une instance intellectuelle où le danger n'existait plus, rendait magnifiquement devant nous le plaisir vigoureux d'une fusion acharnée de la violence et de l'amour en une artistique maîtrise de l'homme.

D'autres intérêts plus prosaïques nous attendaient à nos voyages. Dans un humour masqué, de la même voix grave et sérieuse, il ne laissait rien de sa noblesse pour annoncer solennellement l'heure de l'apéritif ou comparer les mérites respectifs des différents plats de coq-au-vin que nous avions goûtés. Nous aimions ces voyages, ces séjours.

Nous nous réjouissions à l'avance d'être à Rome avec lui et de le voir enfin libre de l'immense tâche qui l'accaparait entièrement depuis si longtemps et qui nous l'avait déjà trop pris.

Nous pourrions sans doute enfin laisser un peu vagabonder ensemble nos esprits.

Il aimait évoquer devant nous cette image : le vol puissant d'un oiseau dans l'azur, brutalement interrompu d'un coup de feu.


Allocution de Sven FOLLIN

Vice-président de la Société médicale des Hôpitaux psychiatriques de la Seine

Rendre hommage à Maurice Bouvet, c'est dire d'abord ma reconnaissance et rappeler quelques souvenirs.

Je crois pouvoir me dire le premier en date de ses élèves. Encore jeune interne des Hôpitaux psychiatriques, les circonstances me placèrent à ses côtés, à la clinique de Sainte-Anne, pendant la période de mars à novembre 1940, alors que médecin-chef des Hôpitaux psychiatriques nouvellement promu, il y était chef de clinique. Solidarité de circonstances, intérêt et intensité de travail, chaude et cordiale amitié, caractérisent la vie que nous menions à cette époque en commun dans le petit groupe de la salle de garde autour de Maurice Bouvet.

Je ne rappellerai pas nos angoisses communes dans la période tragique de juin 1940, mais seulement le labeur et la vigilance médicales dont Maurice Bouvet donnait l'exemple auprès d'une cinquantaine de malades, épuisés par leurs épreuves, qui nous étaient confiés en délire subaigu, voire d'authentiques délires aigus. J'ai le souvenir que la plupart guérirent — expérience publiée d'ailleurs à l'Académie de Médecine et faisant la matière de la thèse de notre amie, Mlle Gravejal. Je rappellerai à cette occasion la solidité de la formation médicale de base de Maurice Bouvet, son souci de l'état organique des malades et son intérêt de la recherche dans ce domaine dont sa thèse inaugurale est un exemple. J'ai même le souvenir d'avoir « expérimenté » avec lui sur quelques lapins et quelques chats.

Mais sa préoccupation principale était la clinique. Et Maurice Bouvet nous a donné l'exemple d'une clinique précise et de recherches exactes dans ce domaine. Ce souci, il le manifestait dans tous les domaines, dans notre science et dans notre pratique, non sans quelques heurts parfois avec notre grand patron, plus soucieux de pittoresqueMais c'est ainsi que sous le pittoresque du « Fou », faisant de la saine clinique. Bouvet découvrait l'Homme.


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Je garde encore présents à la mémoire, les conseils qu'il me donnait pour l'examen d'un schizophrène : « Il faut prendre du temps. Ce n'est qu'après un long moment que les symptômes importants apparaissent. Il est à peine nécessaire de parler, il n'y a pas lieu de craindre le silence. Il faut savoir quitter son bureau pour s'asseoir plus près du malade, etc. » Conseils particulièrement rares pour l'époque — j'en puis témoigner — mais fondamentaux pour cette authentique clinique psychiatrique dont Maurice Bouvet avait le souci dans la ligne de l'enseignement de notre maître commun, Henri Ey.

Cette science des signes devient ainsi le contraire de la séméiologie qui pétrifie le masque de la maladie et révèle l'homme souffrant au sein même de son angoisse. Elle devient science du dialogue, science de la relation.

Maurice Bouvet n'avait pas encore entrepris son analyse. Mais il s'intéressait à l'apport freudien. Nous en discutions souvent ensemble. On sait que c'est à cette époque que sa vision commençait à baisser, qu'il dut être opéré. Et peu après, la vie nous sépara, laissant intacte notre amitié.

Le rappel de ces souvenirs n'est pas indifférent à l'oeuvre de Maurice Bouvet. Il n'y a pas de rupture entre ses origines essentiellement cliniques et son oeuvre de maturité, essentiellement psychanalytique, ses travaux de clinique psychanalytique en témoignent. Plus encore, si Maurice Bouvet a pu devenir le théoricien de la relation d'objet, c'est que dès le début de son expérience psychiatrique, et en tout cas dès 1940, il était à la recherche d'un mode de communication avec le malade, du sens profond de ses relations personnelles avec lui. Son oeuvre sur la relation d'objet dépasse d'ailleurs le cadre de la psychanalyse au sens strict. Lorsque Maurice Bouvet écrit : « Le Moi veille à ce que le compromis résultant du jeu de ces pulsions et ces interdictions soit en harmonie avec la réalité extérieure, encore faut-il qu'on la complète en ajoutant que le monde est pour chacun ce qu'il en appréhende en fonction de son propre état intérieur et qu'il s'y meut par rapport à la vision qu'il en a. » Il rejoint les acquisitions de toute la phénoménologie contemporaine. Par là, Maurice Bouvet restitue sa réalité propre au sujet malade au sein même de la communication par où il se découvre. Cette idée implique (même si Bouvet ne l'a pas toujours clairement explicitée) que le déchiffrage du texte où se noue la


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relation ne peut être hypostase de la forme linguistique, mais que le texte renvoie à un drame relationnel particulier qui définit la problématique d'une personne comme sujet. On comprend dès lors que Bouvet ait été amené à saisir la mobilité évolutive de la relation d'objet en tant qu'elle est mouvement d'aménagement du réel et simultanément transformation de soi vécue par le malade et dont sa dernière étude sur la dépersonnalisation est un modèle.

Même si on n'approuve pas telle ou telle de ses formulations, tel ou tel point théorique énoncé d'ailleurs par lui avec une rigoureuse prudence, on ne peut manquer d'être saisi de la profonde vérité qu'il nous révèle dans cette phénoménologie de la dépersonnalisation que toute expérience clinique psychiatrique tant soit peu vigilante ne peut que confirmer. Et ce n'est pas le moindre mérite de l'oeuvre de Maurice Bouvet que de nous montrer l'aliénation dans son mouvement, dans ses transformations, c'est-à-dire comme un moment où la conscience de soi à la fois se déstructure et se restructure, c'est-à-dire aussi comment elle donne prise, au sein même de l'aliénation la plus angoissante et la plus grave, à une relation thérapeutique désaliénante.

Il fallait pour cela non seulement la connaissance et l'expérience étendues de Maurice Bouvet et plus précisément dans le domaine de cette psychiatrie « lourde » des Hôpitaux psychiatriques, mais aussi son courage humain. Seule, je crois, sur ces bases, l'authentique présence humaine de la disponibilité pour le malade, permet en effet de comprendre le drame du dépersonnalisé dans cette action rassurante et restructurante de sa personne.

C'est parce que Maurice Bouvet avait toutes ces qualités, à la fois de chaleur humaine et de rigueur scientifique, qu'il laisse parmi nous une place qui sera difficilement comblée. Mais son oeuvre reste comme une acquisition essentielle de la psychiatrie, médecine de l'esprit, science de la désaliénation de l'homme malade.



Allocution de Henri EY

Secrétaire général du Groupe de l'Évolution psychiatrique

Maurice Bouvet dont pour nous, réceptacles de son souvenir, l'absence est ce soir la plus poignante présence, serait heureux, est heureux de cette assemblée qui, nous unissant autour de lui et par lui, l'arrache à sa mort. L'Évolution psychiatrique à laquelle il appartenait si profondément, prend sa place dans cette veillée de deuil, et je dois ici pour elle témoigner de son unanime douleur. Maurice Bouvet était pour nous un collègue idéal, si nous entendons par là qu'il incorporait en lui-même l'idée fondatrice de notre Société. Il participait à son esprit, même si sa santé le tenait, hélas ! trop écarté de nos travaux. Sa pensée était une des formes privilégiées de notre commune recherche. Cet esprit de l'Évolution psychiatrique n'était-ce pas celui-là qui animait sa pratique et sa doctrine de l'acte psychothérapique lorsque, tentant de sonder et d'éclairer la profondeur des troubles psychiques, il ne perdait pas de vue la physionomie clinique de leur opacité, ni les relations par quoi la relation, pathologique objectale, la nostalgie des objets perdus, ne cesse jamais de se réfracter chez nos malades dans le chancellement de leur monde et le lieu corporel de leur existence ? Comment ne pourrais-je pas évoquer sans l'émotion qui me la fit aimer, sa merveilleuse exposition psychopathologique de la névrose obsessionnelle, au terme de laquelle je lui dis à lui-même ce que je ne puis maintenant répéter qu'aux autres, que j'avais entendu de sa bouche de psychanalyste une vérité mesurée et accordée à celle du psychiatre ? Oui, l'idée que représentait Maurice Bouvet, l'idée qui la consumait, c'est l'idée même dont vit notre Société, celle d'une pathologie totale de l'homme malade, qui permet et exige cette perpétuelle synthèse en quoi s'affirme toute science de l'homme dont l'analyse ne décompose les éléments que pour les recomposer, ne découpe l'être que pour déjouer ses illusions.

Ce psychiatre psychanalyste rigoureux, ce mathématicien de l'inconscient, je le vois à l'orée de sa carrière en 1936, encore souriant de cette assurance que la maladie ne put jamais affaiblir. Il venait


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d'être reçu premier à l'Internat, il allait être reçu premier au Médicat des H.P., et il se vouait alors à des études neurophysiologiques expérimentales. Je le connus à cette époque de nos premières et fréquentes conversations, avide de savoir et d'action. Il se cherchait, et plus tard il se trouva quand la lumière de son existence venant à se retirer de son regard, il n'eût plus d'yeux que pour les splendeurs et les énigmes des profondeurs aveugles, et que, gagnant en clairvoyance ce que son esprit perdait en pouvoir de recueillir la clarté du monde, il devint ce qu'il fut : le plus habile à éclairer l'ombre de ces objets qui sont comme les traits de feu, mais obscurs, de l'âme humaine. Sa contemplation devint son espérance, comme elle était déjà foi et charité.

Il me semble que, peut-être, ce soir Maurice Bouvet eût consenti à ce que je dise maintenant en forme d'adieu et pour lui apporter l'ultime témoignage de mon estime et de mon affection, ce que fut pour moi notre rencontre. Je veux dire qu'il fut mon élève. C'est là une de mes plus chères fiertés. Les rapports de maître à élève, entre nous n'étaient pas de ceux qui se calculent en profits ou se mesurent en services rendus. Ils n'étaient point de ceux qui se satisfont de l'avantageuse copie de l'un par l'autre. Mais plutôt de ceux qui se nouent seulement à la même hauteur et jamais dans la même identité de pensée. Nous avons somme toute peu travaillé ni même parlé ensemble au cours de ces dernières années, et seulement comme en sous-entendant notre implicite accord, nous entendant sans jamais nous approuver. C'est cette profonde relation de nos esprits restés en haleine et hors de tout enchaînement qui fondait notre sympathie. C'est elle qui forme le sens et le fond du respect que, comme tribut de cet hommage commun, je porte à sa personne, à son oeuvre et à son esprit.

14 juin 1960.


Allocution de Francis PASCHE

Président de la Société Psychanalytique de Paris

Ce psychanalyste qui n'est plus nous apparaît, certes, comme étant parmi les plus grands, pourtant ce n'est pas par un commentaire de plus, une attestation de plus sur la valeur de son oeuvre que je voudrais clore cette cérémonie, mais en vous livrant les quelques réflexions que m'inspire cet hommage.

N'avons-nous pas à nous féliciter de ce que notre émotion se soit manifestée avec tant de force et pourrait-on dire, d'abandon, ce qui prouve au moins que les sentiments ne sont en aucune manière réduits ni même altérés par un apprentissage et une pratique que l'on dit stérilisants, et surtout de ce que ce « métier impossible », même quand il est exercé avec la plus extrême rigueur, ne prive celui qui s'y voue ni de l'amitié, ni du respect, ni de l'admiration les plus vifs et les plus fidèles et qu'il en est d'autant plus digne qu'il observe plus exactement silence et réserve, qu'il se consacre plus exclusivement à cette tâche étrange de se dérober sans cesse pour tenir d'autant mieux les engagements qu'on a pris et, pour rendre l'un des plus grands services qu'un être humain puisse rendre aux autres, qu'il parvient le mieux à refuser jusqu'à son sourire, son regard et ses bonnes paroles, enfin, et plus encore, à taire la révélation des péripéties de sa laborieuse et trébuchante ascension vers l'accomplissement jamais atteint mais toujours visé de sa propre personnalité ?

Or, voici que cet homme si bien caché, et dont l'oeuvre a toujours gardé le ton de l'objectivité, disparaît ; aussitôt surgissent de multiples images de lui, toutes différentes et toutes vraies, brandies par les amis, les élèves, les disciples, sans oublier les images plus secrètes restées dans le coeur de ceux de ses proches qui ont gardé le silence — et de leur juxtaposition se compose une présence qui a la force convaincante de la vie même.

Eh bien, nous avons ici, me semble-t-il, l'illustration de ce que doit être notre lot. Si nous méritons d'avoir une influence, si nous devons être proposés en exemple, si nous valons d'être connus, ce doit


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être à titre légendaire, après. C'est à cette condition que nous pouvons le mieux aider autrui de notre vivant à s'acheminer vers sa vérité propre et par conséquent vers ce monde idéal de relation humaine qu'a si bien décrit et tant contribué pour sa part à faire approcher à ceux qu'il avait pris en charge, notre camarade, notre ami, le maître de tant d'entre nous : Maurice Bouvet.


QUELQUES REMARQUES

SUR LES ÉCRITS

DE MAURICE BOUVET(1)

par MICHEL DE MUZAN

Il peut paraître déplacé de parler du style de Maurice Bouvet, du moins au sens littéraire du mot, l'auteur ayant évidemment eu autre chose en vue dans son oeuvre qu'une réussite esthétique. Néanmoins, je ne crois pas me tromper en accordant une valeur spéciale à une manière d'écrire remarquable en soi, et dont on ne laisse pas d'être frappé alors même que toute l'attention se porte sur le contenu de l'oeuvre.

Entre la personne de Maurice Bouvet, telle que nous l'avons tous connue, et cette « écriture » qui caractérise autant sa recherche que son action pédagogique, il y a à première vue un contraste surprenant. D'un côté —- et là, je livre bien entendu une impression toute personnelle qu'une plus grande familiarité eût peut-être enrichie — une courtoisie, une discrétion un peu conventionnelles qui, prolongeant dans la vie la réserve psychanalytique, donnaient le sentiment que les mots, ici, étaient encore une espèce de silence. De l'autre, une abondance, une ampleur, une générosité qui ne garde rien par devers soi et ouvre au lecteur ou à l'auditeur — en l'occurrence c'est tout un — le champ entier d'une pensée qui ne révèle pas seulement son objet, mais le mouvement de sa propre élaboration. On dira que cette opposition est banale, et que par la force même des choses, aucun analyste n'y échappe. Sans doute, mais dans le cas de Maurice Bouvet, elle est singulièrement renforcée par certains traits du langage dont le rôle apparaît significatif même à la lecture la moins grammaticale. Chacun a remarqué les longues phrases formant parfois tout un paragraphe, les nombreuses propositions attachées les unes aux autres et donnant l'impression d'une sorte de train d'idées presque indéfini, la sinuosité d'un discours, enfin, par quoi l'attention est à la fois retenue et déroutée. Dans cette organisation particulière qui, si elle alourdit la lecture, favorise la richesse de l'exposé, les divers éléments — description des phénomènes, référencés érudites, relation de cures, réflexions techniques de l'auteur et pensées de l'analysé — forment même visuellement un bloc qu'il

(1) Ce texte a été écrit depuis la cérémonie du 14 juin 1960.


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faut prendre comme tel, sans chercher à en disjoindre les parties ou à y introduire un ordre factice après coup. Bien loin qu'il faille le surmonter, ce désordre apparent doit en effet être maintenu dans la lecture, si l'on veut conserver ce qu'il apporte de plus original, le style d'une pensée assez sûre d'elle pour laisser voir ses va-et-vient, ses allers et retours, ses arrêts et ses digressions ; assez ferme pour ne pas s'égarer dans le vaste réseau d'associations où elle se meut ; assez puissante pour rassembler des éléments aussi hétérogènes que ceux qui sont donnés par le savoir, l'expérience, l'imagination, l'intuition, et les faire entrer dans un ensemble véritablement organique.

Du reste, tous ceux qui ont participé aux séminaires de Maurice Bouvet ont spontanément ressenti cette unité profonde que la prolifération, l'entremêlement constant des motifs, risquaient jusqu'à un certain point de masquer. Ce qui, du moins à une première lecture, pouvait créer une impression de pesanteur, voire d'opacité, paraissait aussitôt léger, fluide, et d'une limpidité toute naturelle, exceptionnelle si l'on pense à la complexité des sujets traités. En sorte que l'expression verbale fournissait immédiatement la clé de ce que les écrits ne livrent pas toujours tout de suite, et qui explique en grande partie leur forme : c'est qu'ils s'adressent au lecteur, comme à un auditeur, non point interpellé ou seulement invité à comprendre, mais associé dès le début au projet d'ensemble qui non seulement tient compte de sa présence implicite mais encore lui offre un rôle littéralement constituant. Il faut voir là, dans cette relation originale de l'auteur et du lecteur qui transforme radicalement l'activité didactique, l'apport le plus personnel de l'enseignement de Maurice Bouvet, qui est celui d'un maître, au sens plein et presque traditionnel du terme.

On peut maintenant se demander si le contraste dont j'ai parlé tout à l'heure n'est pas plus apparent que réellement fondé. Ce que la personne de Maurice Bouvet exprimait directement, on sentait d'instinct que ce n'était pas un silence ordinaire, imposé par la froideur ou l'indifférence, mais une manière silencieuse de parler, de « comprendre » l'interlocuteur au double sens du mot, de ménager toutes ses possibilités et, si l'on peut dire, de lui réserver sa place. Mais ses écrits ne témoignent-ils pas du même souci ? Il est certain en tout cas que leur composition, le vaste espace couvert par leurs phrases ondoyantes servent à merveille cette sorte de communication qui se passe non pas exactement entre les lignes, mais sous les mots. Et en fin de compte, le langage qui s'y affirme, comme préoccupé de tout embrasser et de tout dire, est peut-être aussi un moyen de préserver, au centre même du discours, une zone utile de silence.


La clinique psychanalytique La relation d'objet

par M. BOUVET

Il est impossible de donner ici, même dans ses grandes lignes, un aperçu quelque peu complet des apports de la psychanalyse à la connaissance des troubles de la vie de l'esprit. Sans doute l'une de ses acquisitions les plus connues est-elle celle de la dissociation du groupe des phobies-obsessions en deux espèces cliniques différentes : celle des phobies et celle des obsessions répondant à une psychogenèse dissemblable, tout au moins en ce qui concerne les types les plus tranchés de ces formes de pensée anormale, car l'on sait bien maintenant et depuis longtemps qu'il existe au long de l'évolution de la névrose obsessionnelle une phase phobique qui ne manque guère.

L'influence des études psychanalytiques sur la psychiatrie est à la fois plus importante et moins évidente qu'on ne pourrait le croire a priori, car si cette influence peut être considérée comme décisive, c'est moins dans l'isolement de tableaux cliniques singuliers qu'il faut la chercher que dans le sens particulier qu'elle confère aux troubles, dans la compréhension qu'elle nous permet d'avoir de la signification des activités inadaptées de la vie de l'esprit qu'il faut la trouver.

Et ici l'apport de la psychanalyse est d'une importance considérable ; ainsi si la clinique psychanalytique n'est pas originale dans sa description « immédiate » des désordres de la vie psychique, et si nulle part ses descriptions ne diffèrent radicalement de celles qu'ont pu établir les cliniciens éminents de la psychiatrie classique, c'est au moment de la « compréhension » qu'elle jette une vive lumière sur le fait psychopathologique.

N. D. R. — Ce texte est extrait de : La psychanalyse d'aujourd'hui, vol. I, Paris, Presses Universitaires de France, 1956, pp. 41-121.

Le Comité de Direction de la Revue française de Psychanalyse a jugé que ce texte qui représente une véritable synthèse de la pensée de Maurice BOUVET, méritait de figurer dans ce numéro qui lui est consacré.

PSYCHANALYSE 46


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Prenons pour fixer les idées un exemple simple. Chacun sait combien est à la fois difficile et facile le diagnostic différentiel entre la psychonévrose obsessionnelle et les névroses obsessionnelles symptomatiques de la schizophrénie, c'est affaire de cas particulier. Dans les formes extrêmes le doute n'est pas permis, dans les cas limites la différenciation de prime abord est presque impossible. L'on ne peut pas dire que dans l'ensemble la psychanalyse ait complété de façon substantielle la description clinique des symptômes immédiatement constatables, dont la séméiologie a été parfaitement fixée par la psychiatrie clinique. Par contre, la psychanalyse en précisant les interrelations entre les éléments du syndrome dans chaque cas particulier, en les groupant par séries ayant une signification différente, soit par exemple la série des troubles proprement obsessionnels, et celles des phénomènes de dépersonnalisation, en les hiérarchisant dans chaque série, en montrant leur signification foncière, tel comportement d'apparence délirante, trouvant sa justification dans un effort désespéré pour éviter les conditions susceptibles de déclencher la crise de dépersonnalisation, et n'étant de ce fait qu'un procédé de défense, alors qu'en d'autres circonstances il sera avant tout l'expression d'une projection délirante, pour citer un exemple, permet de jauger avec quelque précision : le degré de solidité du Moi, notion qui résume pratiquement les possibilités d'adaptation du sujet, élément fondamental du diagnostic et du pronostic. Au Moi extrêmement fragile d'une schizophrénie même latente se présentant sous le masque d'une psychonévrose obsessionnelle s'oppose en effet le Moi à structure beaucoup plus serrée, beaucoup plus cohérente d'une névrose obsessionnelle vraie, même si elle s'accompagne de phénomènes de dépersonnalisation, qui à vrai dire, ne manquent presque jamais, ou jamais si on les cherche de façon attentive, pas plus d'ailleurs que dans toute psychonévrose grave. Nous ne pouvons ici entrer dans les détails, mais il est facile de comprendre que ce diagnostic si important résulte de la constatation de la prédominance d'une série symptomatique par rapport à l'autre, de l'articulation dans le temps des deux séries : les obsessions sont-elles capables de mettre le sujet à l'abri de l'angoisse de dépersonnalisation qu'il n'a connue que dans des circonstances exceptionnelles ou, au contraire, n'apparaissent-elles que comme une tentative pour sortir d'états de dépersonnalisations fréquents ou même subintrants.

Peut-être m'objectera-t-on qu'il s'agit ici beaucoup plus de psychopathologie que de clinique et que par les exemples que j'ai pris, je montre précisément que la psychanalyse, si elle a apporté une psycho-


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genèse, ce que non seulement personne ne songe à nier, bien loin de là, mais ce à quoi l'on n'a que trop tendance à accorder une importance exclusive, quand on cherche à caractériser la manière qu'a la psychanalyse de se représenter les désordres de la vie mentale (et j'aurai l'occasion de revenir sur ce point si important) qu'elle se montre impuissante à apporter le moindre enrichissement à la clinique psychiatrique réelle, car établir une théorie psychologique sans en montrer l'articulation avec des conditions organiques, c'est construire sur le sable. De fait, la théorie analytique ne néglige nullement le facteur anatomophysiologique et si l'analyse n'a pas eu, hormis des points de détail, à parfaire une description symptomatique, que les études psychiatriques anciennes avaient poussée à un tel point d'exactitude, qu'il n'y avait guère plus grand-chose à faire, elle nous a donné la conception générale nécessaire, le schéma qui nous permet de comprendre dans l'actuel la structure d'une personnalité, et de préjuger dans l'avenir des possibilités d'adaptation, et ce en se plaçant sous l'angle de vision le plus pratique, j'allais écrire le plus prosaïque qui soit : celui des relations sociales du malade.

Il n'est pas nécessaire de rappeler que le trouble de l'esprit au sens le plus large du terme a un aspect social inévitable. En fin de compte, quelle que soit la conception que l'on ait de sa nature, de sa pathogénie, de son étiologie, l'on ne peut pas oublier qu'il aboutit à une viciation des rapports du sujet à son environnement, et que cette qualité essentielle lui confère un cachet spécial.

Évidemment ce qui peut décevoir les médecins qui ne sont pas familiarisés avec la pratique de la théorie psychanalytique, c'est à vrai dire cette multiplicité de travaux le plus souvent à portée limitée, parce que dans un souci d'objectivité leurs auteurs ont hésité à conclure de l'étude de quelques observations à. un mécanisme d'ensemble, avec d'autant plus de raison d'ailleurs que la psychogenèse d'un même symptôme répond souvent à des mécanismes différents, et que d'ailleurs elle garde toujours dans le détail un caractère individuel, là plus qu'ailleurs, il n'y a que des malades. Aussi peut-on avoir le sentiment que la psychanalyse est plus une collection d'observations qu'une: science avec ses lois générales.

Par ailleurs, précisément l'application des lois générales de la théorie analytique de l'activité psychique à un cas clinique, donne souvent à une lecture superficielle l'impression d'une fragmentation abusive de la vie de l'esprit en instances, en pulsions, en activités défensives ; en réalité, ce n'est là que l'effet de la difficulté qu'il y a à fixer « un moment » d'une activité protéiforme et à aspects simultanés, où des fonctions


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essentielles mais différentes sont en action au même instant, où des tendances instinctuelles qui poussent à l'action tout aussi bien que d'autres de sens contraire et freinatrices s'affrontent sans cesse avec une force variable, valorisées qu'elles sont les unes et les autres par les sollicitations externes ou internes. La variété des mécanismes d'adaptation est extrême; c'est ainsi qu'à un moment donné par exemple, une tendance instinctuelle passe au premier plan non parce qu'elle exprime un besoin réel, mais uniquement pour en combattre une autre ressentie temporairement comme plus dangereuse que la précédente, des tendances passives par exemple ne se trouvant activées que pour faire taire des tendances actives. Si on ajoute à cela que tout est dynamisme, variation d'équilibre entre ces activités, ces tendances contradictoires, et que la description si parfaite qu'elle soit d'un moment peut n'être plus valable l'instant d'après, on conçoit que l'on puisse éprouver une impression pénible de mouvant, d'insaisissable, d'artificiel, mais ceci ne dépend-il pas de l'objet même de cette discipline, qui est une activité dont personne ne songe à contester les variations dans le temps. Cependant, toutes ces descriptions sont nécessaires, elles ne sont arbitraires que dans la mesure où l'exposition nécessite un isolement des différents aspects d'une activité qui est évidemment une, celle de l'esprit, et les mécanismes qu'elles rappellent ont une réalité que l'expérience clinique quotidienne montre palpitante; on y fait état de fonctions dont l'entremêlement détermine tout aussi bien la vision intérieure que le sujet a du monde, que les activités qu'il y exerce.

Et c'est précisément le meilleur titre de gloire de la clinique psychanalytique d'avoir pu, par l'accumulation de ces travaux minutieux, caractériser avec exactitude le style de ces relations avec autrui qui définissent le trouble mental dans son aspect le plus original, et à vrai dire essentiel.

Je voudrais ici rappeler quelles précisions sur la structure des relations objectales, sur leur genèse, dans chaque état psychopathologique, la psychanalyse a apportées et quels services éminents elle nous rend lorsque face à face au malade, surtout dans les cas limites, nous devons en quelques instants, le situer et fixer le pronostic de son affection avec le moins d'approximations possibles, tout aussi bien qu'adopter une ligne de conduite ferme en choisissant rapidement le genre de thérapeutique qui semble devoir lui convenir le mieux, sans nous abuser sur les espoirs que nous pouvons avoir, ni négliger les dangers personnels ou sociaux que son état peut entraîner.


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Aussi me semble-t-il nécessaire d'apporter quelque éclaircissement sur la théorie psychanalytique des relations d'objet avant d'en décrire la structure dans chaque espèce nosographique, étant bien entendu que je ne puis ici qu'esquisser et non pénétrer dans l'intimité des dites relations, faute de place, et aussi sans regret puisqu'aussi bien le détail des mécanismes importe peu et que seule une vue synthétique du problème peut donner une idée de ce qu'est la psychanalyse clinique, car il s'agit bien de clinique et de clinique pure, même quand la description va plus loin que les simples constatations de l'observation immédiate, si pénétrante soit-elle et que la « mise en place » permet une définition exacte de la structure du trouble.

Mais avant d'aller plus loin, je voudrais écarter une source de malentendus, graves d'ailleurs, qui aboutit à ce paradoxe qui fait de la psychanalyse, qui s'est intéressée plus que tout autre aux traductions psychiques les plus immédiates des activités organiques, le plus souvent une thèse purement psychogénétique. Freud qui fut d'abord un neurologiste, ne pouvait pourtant guère édifier un système psychologique cohérent qui ne trouvât quelque part son articulation avec les activités organiques, et il en précisa la nature. Des facteurs organiques congénitaux peuvent intervenir, affirme-t-il, dans la fixation de certaines énergies instinctuelles à un stade de leur évolution qui devrait être normalement dépassé ; par exemple, une érogénéité particulière congénitale de la zone anale peut être un élément décisif de la fixation libidinale sur cette zone spéciale et dans la forme propre à cette époque de la vie que l'on nomme stade sadique anal du développement. Il revient plusieurs fois sur l'hypothèse d'une qualité particulière organiquement conditionnée des activités instinctuelles, qu'il fit entrer en ligne de compte dans la discussion des causes pouvant expliquer l'apparition de tel type de névrose chez un sujet donné. Et Federn, élève de Freud, ne croit-il pas que l'Ego préschizophrénique se caractérise par une fluidité particulière, originaire de sa libido (ce terme désignant toutes les énergies instinctuelles assurant la cohérence de l'être et tendant à maintenir son contact avec les objets du monde extérieur et plus singulièrement dans l'activité génitale). Ainsi la psychanalyse ne méconnaît nullement la part des caractéristiques organiques, congénitales du sujet dans la pathogénie des troubles psychiques. Il ne s'agit pas là d'une clause de style. Freud s'est efforcé de cerner ce qui revient aux conditions purement physiologiques, et si ses thèses sur ce point ne sont guère que des hypothèses, l'on peut en dire autant des notions de constitution, de terrain, auxquelles la typologie s'efforce


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de donner une base scientifique. Et si je suis revenu, à la fin de cette introduction, sur ce problème, auquel j'ai déjà fait allusion, c'est qu'imaginer une psychanalyse qui nie l'organogenèse, c'est enlever toute valeur à la clinique qui en est issue, parce que c'est dénier toute logique à la pensée qui la fonde.

Ainsi la psychanalyse a apporté à la clinique une description satisfaisante des relations du sujet au monde, et par là a contribué grandement à nous rendre compréhensibles les troubles de cette relation générale, que l'on désigne classiquement en psychanalyse sous le terme de relation d'objet. La théorie analytique de cette relation a ceci de particulier qu'elle est à la fois génétique et dynamique, et qu'elle implique une sorte de parallélisme entre l'état de maturation plus ou moins avancé des activités instinctuelles et la structure du Moi chez un sujet donné à un moment donné, l'ensemble de la personnalité tendant sans cesse à une adaptation de plus en plus adéquate au monde extérieur tant que l'involution ne fait pas sentir son action ; cet état pouvant régresser ou progresser à chaque instant sous l'influence des circonstances extérieures et des conflits intérieurs qu'elles peuvent réactiver.

Elle est dynamique puisque à chaque instant l'ensemble de la personnalité peut régresser ou progresser mais aussi parce que par ailleurs, elle se représente les relations objectales comme un écoulement d'énergie instinctuelle, mouvement contrôlé et aménagé par le Moi vers des objets extérieurs, et qu'elle admet des variations non seulement quantitatives mais qualitatives dans cette relation énergétique, mais elle est aussi génétique, non seulement parce qu'elle décrit l'évolution normale des relations objectales, mais parce qu'elle démontre que la forme que prennent les pulsions et le Moi dans leur régression, les ramène, grosso modo, à un état qui fut celui d'une phase de l'évolution que tout sujet connaît. Cette régression, ce retour en arrière est facilité par le fait qu'une partie importante des intérêts instinctuels est restée fixée aux objets et aux modalités de satisfaction qui caractérisaient le stade d'organisation auquel la régression tend à s'arrêter. C'est la fixation qui est en sorte un arrêt d'évolution. Une telle fixation affaiblit la partie de la personnalité qui est en évolution, et toute difficulté dans l'exercice du type de relation objectale plus évoluée déclenche facilement l'abandon de ce type de relation : donc la régression.

Nous pouvons ici citer en exemple ce qui se passe dans la psycho-


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névrose obsessionnelle. Au moment où l'évolution pubertaire met le sujet en présence des problèmes particuliers à l'activité génitale, toute sa personnalité se retrouve en face des difficultés liées à la phase génitale de l'enfance que tout le monde connaît sous le nom de complexe d'OEdipe, mais alors qu'autrefois cette première poussée génitale s'apaisant, le sujet avait pu entrer dans cette phase d'oubli que l'on nomme période de latence, son développement intellectuel pouvant se poursuivre hors des conséquences d'un conflit aigu, ici, la poussée génitale ne cédant plus, le conflit subsiste, et le sujet de « régresser » a un type d'organisation qu'il avait dans son enfance partiellement dépassé et qui correspondait à une forme particulière de ses besoins instinctuels et de son Moi : le stade sadique anal de son développement. J'aurai l'occasion d'y revenir. Qu'il me suffise de dire ici que la réalité du schéma analytique se démontre fort aisément de par la confrontation de ce que l'observation directe nous montre chez l'enfant de cet âge et chez l'obsédé. La structure de leurs personnalités dans son ensemble est identique, compte tenu de l'accumulation des connaissances par l'adulte et d'une maturation de ces processus intellectuels, ce qui n'influe en rien sur la structure d'ensemble de sa personnalité.

J'ai délibérément choisi de prendre pour exemple de la régression dans les relations objectales la phase de début de la névrose obsessionnelle. L'on sait en effet qu'il est classique de dire qu'elle apparaît à la puberté ; mais il convient de remarquer que d'une manière analogue, peuvent s'expliquer les poussées évolutives de cette affection ; peut-être le déterminisme n'en apparaît-il pas de prime abord, mais à bien y regarder, l'on s'aperçoit qu'elles s'expliquent par une rupture de l'état d'équilibre entre les énergies instinctuelles et les satisfactions ne serait-ce qu'approximatives que pouvait leur offrir la vie du sujet, que le primum movens du déséquilibre se retrouve dans le monde intérieur ou à l'extérieur, le résultat est le même, la régression s'installe ou plutôt devient plus évidente, l'obsession faisant son apparition, car en réalité elle n'a jamais cessé complètement de faire sentir son action. L'enfant qui doit devenir obsédé en effet et qui, avant que le conflit pubertaire réactivant les problèmes de l'OEdipe ne fasse sentir son action, paraissait avoir un rapport normal avec son environnement présentait des particularités caractérielles qui étaient tout autant de manifestations du type spécial de la relation objectale obsessionnelle ou en termes génétiques sadique anale (fixation), il en est de même de l'obsédé déclaré entre ses crises.

Quand une nouvelle crise éclate, c'est que ses relations d'objet


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spéciales, quoique peu pathologiques en apparence à travers lesquelles le malade arrivait à satisfaire à ses besoins instinctuels primordiaux, deviennent pour une raison ou une autre incapables d'assurer l'écoulement des énergies instinctuelles suivant les modalités qui lui sont propres : atténuation, endettement des émotions liées au besoin instinctuel, alors l'obsession fait son apparition. Malgré son caractère étrange, elle est d'une structure analogue à l'ensemble de la relation d'objet obsessionnelle.

L'aspect génétique de la théorie des relations d'objet psychanalytique apparaît encore plus clairement quand on essaie de comprendre les rapports que la clinique psychiatrique et descriptive a depuis longtemps montrés intimes entre la psychonévrose obsessionnelle et les phobies d'une part, et les psychoses plus spécialement la schizophrénie et la mélancolie d'autre part.

Si l'on consulte en effet les descriptions classiques, l'on constate qu'il est noté que des phénomènes obsessionnels peuvent de façon transitoire occuper le premier plan du tableau clinique au début et à la fin des poussées évolutives des deux psychoses sans que l'on ait pu en fournir la raison; l'on sait que de son côté la psychanalyse s'est intéressée particulièrement aux syndromes obsessionnels symptomatiques de psychoses latentes qui soulèvent des problèmes techniques particuliers. Que nous apportent ces derniers travaux qui vérifient le bien-fondé de la théorie ?

Là encore la psychanalyse nous permet de comprendre, et les parentés nosographiques et les particularités évolutives, grâce à sa théorie des relations d'objet.

Les relations d'objet pathologiques de la phobie appartiennent à un mode relationnel plus évolué, plus adulte que celles de la névrose obsessionnelle; elle représente dans sa forme pure une régression au stade oedipien de l'évolution qui est plus proche de l'état adulte que le stade sadique anal de celle-ci auquel régresse le sujet dans la névrose obsessionnelle, et les relations psychotiques à leur tour peuvent être ramenées à une régression, à des stades encore plus archaïques de l'évolution.

Ainsi il est normal que la phobie précède l'obsession, le sujet s'engageant progressivement dans la régression, atteignant à des niveaux d'organisation de plus' en plus infantiles, de même qu'il est inévitable que l'obsession, niveau relationnel plus élevé, marque le début ou la fin des crises psychotiques, qui correspondent à des stades d'organisation très archaïques.


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Ainsi définie, la relation objectale, telle que la conçoit la psychanalyse dans une perspective dynamique et génétique, une échelle naturelle des écarts pathologiques de cette relation d'objet se dessine, qui correspond sans artifice, aux faits tels que l'observation directe permet de les appréhender, et qui rend compte de leur enchaînement, inexplicable par la seule description, en en mesurant assez aisément le degré de réductibilité, ces troubles se montrant d'autant plus aisément rectifiables, qu'ils répondent à des niveaux de relations d'objet génétiquement plus récents et inversement ; aux stades les plus évolués de cette structuration lente et progressive de la personnalité, le Moi se montre en effet d'une qualité presque adulte, tandis qu'à ses étapes les plus anciennes, il est profondément diffluent, sans limites définies, et cela se retrouve dans les états pathologiques de l'adulte.

Voici les caractéristiques essentielles des relations d'objet aux différents stades de l'évolution. On peut les condenser en quelques lignes, et leur rappel nous permettra de mieux situer les différentes structures pathologiques, telles qu'en fin de compte la clinique psychanalytique les appréhende.

On distingue trois types essentiels de relations objectales que l'on désigne par référence aux intérêts prédominants de l'enfant, aux différentes phases du développement où elles sont en action.

Les relations d'objet de type oral correspondent aux premiers mois de la vie, le centre d'intérêt de l'enfant étant sa bouche tant en ce qui a trait au nourrissage qu'au plaisir.

Les relations d'objet de type sadique anal dominent de la première à la troisième armée et correspondent aux manifestations pulsionnelles qui s'expriment à travers les processus d'excitation et les contraintes de l'éducation à la propreté.

Les relations d'objet de type génital se développent à partir de la troisième année et s'élaborent pendant toute la seconde enfance, puis à travers les premiers conflits prépubertaires et pubertaires et en réalité poursuivent leur évolution pendant la majeure partie de la vie génitale de l'individu. Le centre d'intérêt de l'enfant dès le début de cette phase reste fixé sur ses organes génitaux.

Les deux premiers types de relations objectales sont dits prégénitaux, par opposition aux relations d'objet génitales. Il existe en effet une différence essentielle entre les relations de type prégénital et les relations de type génital. Cette différence peut se décrire de divers points de vue, tant de celui des rapports entre la stabilité de la structure du Moi et la possession ou la perte de l'objet, que de celui du style des


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rapports du sujet et de l'objet, les sujets appartenant à chacun des deux groupes nouant avec le monde qui les entoure des rapports essentiellement différents.

Voici les caractéristiques fondamentales qui séparent les prégénitaux des génitaux, c'est-à-dire les sujets ayant des relations objectales du premier type, de ceux ayant des relations d'objet du second, ainsi que je l'ai écrit ailleurs (I).

Les prégénitaux sont des individus ayant un Moi faible, plus ou moins d'ailleurs selon qu'ils se classent dans le groupe des Oraux ou des Anaux, les relations prégénitales en effet pouvant être du type des relations caractéristiques de la première phase du développement, phase Orale, ou de la deuxième phase, phase Anale. La stabilité, la cohérence du Moi dépendent étroitement de la persistance de relations objectales avec un objet significatif. La perte de ces relations, ou de leur objet, ce qui est synonyme, puisque l'objet ici n'existe qu'en fonction de ses rapports avec le sujet, entraîne de graves désordres de l'activité du Moi, tels que phénomènes de dépersonnalisation, troubles psychotiques. Le sujet s'efforce de maintenir ses relations d'objet à tout prix, en utilisant toutes sortes d'aménagements dans ce but, changement d'objet avec utilisation du déplacement, ou de la symbolisation, qui par le choix d'un objet symbolique arbitrairement chargé des mêmes valeurs affectives que l'objet initial, lui permettra de ne pas se trouver privé de relation objectale. Pour lui, le terme de « Moi auxiliaire » est pleinement justifié.

Les génitaux, au contraire, possèdent un Moi qui ne voit pas sa force et l'exercice de ses fonctions dépendre de la possession d'un objet significatif. Alors que pour les premiers la perte d'une personne importante subjectivement parlant pour prendre l'exemple le plus simple, met en jeu leur individuaUté, pour eux cette perte, pour si douloureuse qu'elle soit, ne trouble en rien la solidité de leur personnalité. Ils ne sont pas dépendants d'une relation objectale. Cela ne veut pas dire qu'ils puissent se passer aisément de toute relation objectale, ce qui d'ailleurs est pratiquement irréalisable, tant les relations d'objet sont multiples et variées, mais simplement que leur unité n'est pas à la merci de la perte d'un contact avec un objet significatif. C'est là ce qui du point de vue du rapport entre le Moi et la relation d'objet les différencie radicalement des précédents.

(I) BOUVEX, Intervention dans un Colloque sur l'interprétation prégénitale (Rev. fr. de Psy., oct.-déc. 1953).


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Quant au style des rapports entre le sujet et l'objet, il s'oppose trait pour trait dans les deux groupes.

Les prégénitaux, qu'ils soient oraux ou anaux, nourrissent avec leurs objets des rapports extrêmement étroits, non seulement parce que cette relation leur est indispensable comme on vient de le voir, mais aussi parce que la maturation imparfaite de leurs pulsions le leur impose. Fixés pour une certaine part, régresses pour une autre, leurs besoins instinctuels se présentent globalement avec la violence, le manque de nuance, l'absolu des désirs et des émois du tout petit enfant. Même si toute une technique d'adaptation masque superficiellement ce caractère archaïque de la relation, il n'en reste pas moins qu'au fond, rien n'est changé. On le voit bien dans la relation AnalysteAnalyse, dans le transfert, quand précisément le sujet est en état de renoncer à ces moyens habituels d'aménagement du contact avec autrui. Ils éprouvent des émotions d'une violence cataclysmique, que ce soit dans un sens ou dans un autre. Ils ignorent les sentiments en demi-teinte. Le déchaînement de l'orage affectif n'est pas conditionné par l'importance de la réponse de l'objet. Il peut être provoqué par la plus petite manifestation de ce dernier. Il répond à la loi du tout ou rien. La variabilité de leurs sentiments est extrême et explicable par l'ambivalence, c'est-à-dire le mélange de sentiments positifs et négatifs au même instant, qui ne fait jamais défaut, ils passent de l'amour le plus absolu à la haine la plus totale avec une extraordinaire facilité.

Quant à la profondeur de leur attachement ou en termes plus techniques, à la stabilité de leurs investissements, elle se présente de façon différente selon les cas. Très stables chez les sadiques anaux, les investissements paraissent au contraire d'une "grande mobilité chez les oraux. Mais ce qui est plus important, et pour tout dire crucial, ce sont les particularités de la relation objectale, la structure interne de cette relation, car elle marque plus que tout autre chose le caractère régressif de leur rapport.

Pour tous ces sujets l'objet significatif n'est qu'un « objet », c'est-àdire qu'il n'est nécessaire que dans la mesure où il remplit une fonction, que la satisfaction instinctuelle peut être obtenue par le sujet usant de l'objet, sans qu'entre en considération le plaisir de l'objet, ses convenances, son besoin, son consentement.

Et comme les tendances affectives positives, du fait de la régression, ont repris « leur forme » agressive et destructrice, l'on devine que les rapports du sujet à l'objet expriment toutes les modalités d'un désir de possession brutal, inconditionnel, versatile, mais il faut ajouter que


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si telle est la structure intime de cette relation, elle ne s'exerce jamais dans toute sa pureté, sauf peut-être dans certaines conduites perverses sadiques, pour l'excellente raison qu'interviennent la culpabilité et la peur. Et ici nous voudrions montrer un autre aspect de problème de la relation objectale sur laquelle on n'a peut-être pas assez insisté. J'ai choisi de le traiter ici parce que c'est précisément dans les relations d'objet prégénitales qu'il se manifeste avec le plus de relief.

Lorsque l'on parle de relations objectales d'un point de vue analytique, l'on raisonne le plus habituellement comme suit.

Le sujet essaie d'établir une sorte de compromis entre son monde intérieur et la réalité extérieure, de manière à se procurer le maximum de satisfactions instinctuelles (Ça), en évitant l'angoisse qui résulterait d'un conflit intérieur entre les dites tendances et les forces inhibitrices inconscientes qu'il porte en lui et qui s'opposent à certaines réalisations instinctuelles (Surmoi). C'est le Moi qui est chargé de réaliser un compromis entre les pulsions émanées du Ça et les interdictions issues du Surmoi. Il doit en outre veiller à ce que la résultante de ce compromis soit en harmonie avec les données de la réalité extérieure.

Et cette formulation est si exacte qu'elle s'applique même à des états qui semblent à première vue ne pas lui répondre, car s'il est classique de dire que le névrosé fait taire ses instincts au profit de la réalité, alors que le pervers les lui impose, et que le psychotique les y projette, ce qui est en première analyse parfaitement vrai, il n'en reste pas moins, qu'en étudiant les choses de plus près, l'on s'aperçoit que d'une certaine manière tous ces sujets tiennent compte de la dite réalité : les pervers en modérant le plus souvent leurs désirs de possession régressive par exemple, les psychotiques en recréant la réalité à leur façon dans la mesure où ils ne peuvent la supporter telle qu'elle est.

Mais pour qu'elle devienne complètement compréhensible, cette formule générale du rapport objectai : le Moi veille à ce que le compromis résultant du jeu de ces pulsions et de ces interdictions soit en harmonie avec la réalité extérieure, encore faut-il qu'on la complète en ajoutant que le monde est pour chacun ce qu'il en appréhende en fonction de son propre état intérieur et qu'il s'y meut par rapport à la vision qu'il en a. Cette manière de voir évite les oppositions trop radicales entre les névroses, les perversions et les psychoses, et permet de serrer l'interjeu continuel qui, quelle que soit la forme pathologique de la relation, unit le sujet à ses objets ; le névrosé c'est vrai renonce à certaines formes de satisfaction par crainte du monde, mais pourquoi le craint-il si ce n'est parce qu'il transforme cette réalité relativement simple en un


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monde fantastique, subconsciemment du moins, et le psychotique a des conduites persécutives délirantes pour la même raison. Quant au pervers, il renonce à l'acte génital entre autres raisons parce que cet acte est vu par lui, d'une manière qui lui est propre et ne répond pas à sa réalité objective. Ce qui différencie cliniquement parlant, radicalement les uns des autres, c'est la différence de la structure du Moi dans chaque cas et de ses modalités d'adaptation. Toujours est-il que la projection, par laquelle le sujet transforme un monde banal en un univers personnel avec lequel il se mesure, intervient dans tous les cas, et aussi d'ailleurs, bien que d'une manière beaucoup plus fine et beaucoup plus limitée, chez le normal.

En se plaçant dans cette perspective, l'on comprend mieux l'étrange dialogue qu'est la relation d'objet, dans sa forme prégénitale. Ici en effet la projection est suffisamment intense pour remanier complètement la réalité, et en faire par exemple un monde affolant, dangereux où chaque objet du désir est ressenti comme chargé des mêmes pouvoirs et des mêmes intentions que le sujet, ce qui revient à dire que toute réalisation vraie entraînerait ipso facto un danger mortel.

Quand nous parlons de réalisation vraie nous voulons dire ceci : une décharge instinctuelle authentique avec toute l'expansion émotionnelle qui doit normalement l'accompagner ; l'exemple le plus simple de ce que peut être une réalisation instinctuelle formelle ou apparente est fourni par l'acte génital. Tous les sujets ayant des relations objectales anormales, qui l'accomplissent, ne peuvent y trouver les satisfactions instinctuelles pleines et entières qu'il devrait contenir. Il faudrait développer plus avant ce point de vue. Qu'il me suffise de faire remarquer que bien souvent cet acte est apparemment accompli normalement et que ce n'est qu'à la fin d'une analyse réussie, que les sujets s'aperçoivent de l'énorme différence entre ce qu'ils croyaient autrefois être la joie sexuelle et ce qu'ils éprouvent maintenant. L'obsédé qui inconsciemment désire s'annexer pour le posséder en se l'assimilant l'objet significatif, le ressent, cet objet, comme semblable à lui, susceptible de l'annexer, de l'assimiler lui, sujet, au point de lui faire perdre toute individualité et toute vie, et si l'objet est pris en dedans de soi, il peut devenir un être distinct, animé d'une vie propre, contaminant et transformant malgré lui celui qui l'a absorbé. Lorsqu'une analyse est assez profonde, dans toute névrose grave avec régression prégénitale de l'ensemble de la personnalité, l'on assiste à l'objectivation de projections de ce genre, qui restées inconscientes jusqu'ici semblent à ce moment entraîner une conviction quasi délirante, et la différence


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entre psychose et névrose ne paraît point alors, devoir se maintenir.

Ainsi la projection ne manque jamais et la réalité telle que la vit le patient est toujours une réalité transformée et si l'on veut saisir le déterminisme foncier et vivant des relations objectales, il est nécessaire de ne jamais perdre de vue que lui, et nous, risquons de ne pas parler de la même chose quand nous prononçons le mot de réalité. Et pourtant malgré cette identité fondamentale des relations d'objet pathologiques et singulièrement des plus pathologiques d'entre elles : les relations prégénitales, il existe une différence certaine entre les relations objectales des névroses, des psychoses et des perversions, nul ne songerait à le nier. Alors que le névrosé donne le pas à la réalité, le psychotique à son monde intérieur; le pervers, lui, s'accommode le plus souvent de l'exercice de ses désirs instinctuels sous la forme qui lui est permise, dans un secteur très limité, tout en gardant lui aussi un contact suffisant dans l'ensemble avec le réel.

Cette différence tient essentiellement aux structures dissemblables du Moi, dans chacun de ces cas particuliers : la force ou la faiblesse du Moi est différente. Disons simplement, car ceci reviendra inévitablement plus loin, qu'entre en jeu ici une qualité particulière du Moi, alors que le Moi névrotique et le Moi pervers témoignent d'une structure, qui leur permet de conserver une certaine vision de la réalité objective, le Moi psychotique ne le peut pas.

Je ne puis ici entrer dans le détail de ces différentes structures dans la pathogénie desquelles interviennent certainement d'ailleurs, des facteurs organiques, mais je puis dire, d'une manière très générale que les Moi névrotique et pervers peuvent user de procédés d'adaptation qui limitent l'intrusion projective du monde subjectif dans le monde réel, alors que le Moi psychotique n'est plus en état de le faire. Les défenses des premiers sont plus efficaces de ce point de vue que les défenses du second, qui d'ailleurs n'est pas pour autant démuni d'activités adaptatives ou défensives, le premier terme trouvant sa justification dans le fait que le Moi se défend de laisser émerger en lui, c'est-à-dire dans la conscience, certains désirs instinctuels, dont l'imminence détermine l'angoisse, souffrance dont la cause est inconnue au sujet. Il s'agit là, évidemment, d'un jeu à première vue purement interne. Mais lorsque l'analyse progressant, le sujet peut accepter sans trop d'angoisse, en abandonnant précisément ses défenses, de revivre, dans le cadre de la relation d'objet Analyste-Analysé, les désirs instinctuels qu'il se défendait de laisser émerger à sa connaissance, alors on s'aperçoit que dans cette situation vécue réellement qu'est la situation analytique, toute


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simple et parfaitement définie, il projette une vision intérieure qui la transforme plus ou moins mais toujours, dans un sens inquiétant, et qui plus est, qu'il faisait, dans les situations extra-analytiques, ce qu'il faisait pour elle, à la différence près que ses défenses l'empêchaient de percevoir et ses pulsions et ses projections. Mais en fin de compte tout se passait foncièrement comme si les défenses n'existaient pas, et il prenait tout autant de précautions que si la projection était une réalité vraie. Si cette projection, dont le travail analytique a comme objectif important de dessiner les contours, n'existait pas, toutes ces précautions interposées entre le sujet et ses objets importants seraient inutiles, et dans les faits, le comportement névrotique ne serait pas ce qu'il est : aménagé, restreint, inadapté, car il n'est adapté qu'à la situation inconsciemment projetée.

Ces aménagements dans la relation objectale, on peut les désigner sous le nom d'instruments de la relation à distance. Cette notion de distance, que j'ai largement développée pour aider à la compréhension des relations obsessionnelles (1), est applicable aux relations objectales des névroses du type hystérique, et d'ailleurs à celles des perversions et des psychoses (2). Elle exprime précisément l'écart qui existe entre les relations objectales d'un sujet donné à un moment donné, telles qu'elles sont vécues consciemment par lui, et ce qu'elles seraient si, la défense abrasée, le fantasme inconscient qui les sous-tend devenait conscient avec ses impulsions instinctuelles et ses projections. La distance est évidemment variable à tout moment, plus longue ou plus courte spontanément en fonction tout autant des circonstances extérieures que de l'état interne, elle diminue au fur et à mesure que l'analyse progresse. A tout instant elle correspond à ce que le sujet peut supporter de rapprochement à l'objet, compte tenu de la transformation de celui-ci par la projection. Dans tous les cas de relation d'objet prégénitale, il existe une distance considérable dans les relations objectales, dans la mesure où la régression et la fixation combinées des pulsions instinctuelles, ont pour conséquence une projection intense, que l'état régressif du Moi, c'est-à-dire son retour à des formes d'activité archaïque rend possible.

L'état régressif du Moi est en effet nécessaire, il va d'ailleurs de pair avec l'archaïsme des pulsions pour que la réalité objective du seul

(1) BOUVET (M.), Rapport Conférence des Psych. de Langue romane, Rev. fr. Psy., 1953.

(2) NACHT, DIATKINE, FAVREAU, Rapport au Congrès int. Genève 1955 : Le Moi dans la relation perverse (Rev. fr. de Psy., 1956, 4, 457-478).


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fait des perceptions dont elle est l'origine, ne l'emporte pas. Toute la pseudo-objectivité dont ces sujets sont capables n'empêche, comme je vais essayer de le démontrer à propos de la névrose obsessionnelle, qu'ils vivent réellement leurs relations objectales « vivantes » comme si elles étaient vraiment ce que la projection, pourtant totalement inconsciente, les fait. C'est pour cela que dans tous ces cas le maintien du sens de la réalité est en vérité purement apparent, et qu'il y a une différence radicale sur le plan du vécu affectif entre cette réalité telle qu'ils la perçoivent et ce que ressent un sujet ne présentant pas de régression foncière de son Moi : pour eux, en dehors de leurs symptômes le visage du monde est celui que reconnaît chacun, les traits sont les mêmes, mais l'expression est totalement déformée.

Cette distance est pratiquement telle que l'apparence de relations objectales normales peut être conservée, et c'est ainsi que, grâce à ces aménagements de la Relation objectale, le Moi névrotique, contrairement au Moi psychotique, peut conserver un certain sens de la réalité objective. Un excellent exemple d'un résultat de ce genre nous est fourni par le Moi obsessionnel, et l'on pourrait aboutir à des constatations identiques avec le Moi pervers et quoique de façon apparemment moins nette avec le Moi phobique (1). ou hystérique. Bien entendu, le fait serait encore plus frappant dans les névroses de caractère.

L'Obsédé, on le sait, semble présenter deux secteurs bien différents dans cette partie de sa personnalité que l'on nomme son Moi. Dans le secteur apparemment régressif : le secteur Animismo magique de Nünberg, pour ne citer qu'une des nombreuses qualifications qui lui furent données, l'activité du Moi est entièrement archaïque, la croyance en la toute-puissance de la pensée, par exemple, y est de règle ; dans l'autre secteur, le plus important en général, le Moi semble régi par les lois de la pensée logique, et ici les relations objectales être parfaitement normales. Mais si l'on étudie le secteur rationnel du Moi dans une relation qui est entièrement soumise à l'investigation analytique, la relation Médecin-Malade, le transfert, l'on s'aperçoit que cet échange demeure objectif et parfaitement objectif en apparence, tant qu'une des modalités de l'activité défensive, l'isolation qui consiste à détacher un ensemble de ses connexions naturelles affectives et idéiques fait sentir son action (2). Le malade se conduit avec docilité, il essaie de comprendre

(1) BOUVET (Maurice), Intervention sur le rapport, Diatkine et Favreau : Le caractère névrotique, Cong. des Psy. de Langues romanes pour 1955 (Rev. fr. de Psy., 1956, 1-2).

(2) BOUVET, Cours sur la névrose obsessionnelle, Institut de Psy., 1953.


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son thérapeute et lui témoigne de la considération, un intérêt normal, il le prend exactement pour ce qu'il est : un médecin. Mais dès que l'isolation est abandonnée, le sens de la réalité dans la même relation se perd en grande partie, la projection entre en jeu, et ce fantasme inconscient progressivement se dégage qui oblitère une appréhension objective de la situation, tout au moins dans une large mesure et à certains moments presque complètement, mais non complètement toutefois.

Au cours d'expériences de dépersonnalisation vécues, dans le transfert par exemple, le malade ne s'abandonne pas aux conduites que le remplacement total de la situation réelle par la situation projetée impliquerait. Il n'empêche cependant que cette marge entre la conduite délirante et la conduite du sujet est très minime et que parfois même, sous une forme atténuée, elle risque d'être franchie, je pense ici à un Obsédé schizoïde qui me demandait d'interrompre la séance tellement il avait peur de moi. Et cette persistance d'un contact avec le réel ne se maintient-elle pas grâce à des mesures de distance qui, pour si inapparentes qu'elles soient, subsistent encore : l'utilisation dans ce but de la neutralité, maintes fois éprouvée du médecin, l'on sait qu'il n'en sortira pas, puisque dans des rapports affectivement intimes, sexuels par exemple, tout un jeu psychologique reste employé tant que le fantasme inconscient n'est pas vidé de son angoisse.

Il est facile de comprendre à la fois comment une certaine vision en apparence objective de la Réalité peut être maintenue, et comment cette vision objective n'est pourtant qu'une fausse objectivité.

Grâce à la perfection d'une Isolation, qui prive les relations dites rationnelles de l'Obsédé de toute signification affective, les processus de la pensée logique ne sont gênés en aucune manière. Dans cette relation inerte, et qui profondément ne lui apporte ni satisfaction, ni peine, le sujet fonctionne comme un automate parfaitement monté. Il a les réponses adéquates, parce qu'il n'est nullement engagé, et c'est bien grâce à l'activité adaptative de son Moi, notation en termes de relations objectales ou défensives, notation en termes d'équilibre intérieur, que l'adéquation de sa vision et de ses réponses peut se maintenir puisque tout dépend de l'efficacité et de la perfection des processus d'isolation, et d'ailleurs d'autres mesures de défense complémentaires.

Mais il n'y a là que « fausse Objectivité », car une véritable objectivité nécessiterait une perception du contenu affectif de ces relations avec le monde extérieur. La preuve en est « le sentiment d'Incomplétude affective » qui gâte toute la vie de l'Obsédé et qui nous paraît être une

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conséquence indirecte de l'Isolation. A force de vivre dans un monde purement formel, sans vie, sans contenu, où il pose des actes purement formels, le sujet perçoit le vide immense qui l'entoure.

Et ce vide pourtant n'est qu'apparent, que l'Isolation se montre moins active comme dans la relation de transfert (Analyste-Analysé) et alors les affects et les émois apparaissent avec leur énorme densité.

La distance trop longue que réalisait l'Isolation parfaite fait place à une distance trop courte, où l'angoisse devient à peine supportable, tant les remous provoqués par le déchaînement des affects et des émois, liés aux processus instinctuels inconscients sont traumatiques. Par voie de conséquence, l'on peut en conclure que la situation foncièrement vécue reste la situation projetée, puisque ce n'est qu'au prix d'une distance motivée par cette projection latente qui lui fait perdre, à cette réalité, tout relief affectif que le monde est objectivement appréhendé ; il vaudrait d'ailleurs mieux écrire, apparemment objectivement appréhendé.

L'on pourrait aboutir aux mêmes constatations en considérant les relations d'objet des Phobiques graves, des pervers, ou des autres psychopathes prégénitaux.

Telles sont les caractéristiques d'ensemble des relations d'objet des sujets ayant subi une régression ou atteints d'une fixation prégénitale importante : Étroite dépendance du Moi et de ses objets. Violence et absence de mesure des affects et des émois. Amour possessif et destructeur des objets qui ne sont vraiment que des objets. Intervention continuelle d'une projection qui est faite à l'image du sujet, au mépris de toute réalité. Maintien d'un certain sens de la Réalité, au prix d'une défense mutilante, déclenchée par la projection inconsciente et qui réalise l'énorme distance entre le sujet et l'objet qui est justement nécessaire à la conservation d'une pseudo-objectivité.

Si je me suis si longuement étendu sur les Relations objectales prégénitales, et si j'y ai inclus les éléments essentiels de la Relation d'objet, et plus spécialement insisté sur l'universalité de la projection et sur sa limitation, et par là sur le maintien d'une certaine objectivité, apparente seulement grâce à des défenses mutilantes, c'est que la Relation objectale prégénitale est vraiment la relation pathologique, d'une part, quelles que soient ses variétés, et que, d'autre part, la Relation génitale, pour tout dire, est sans histoire.

Elle est, il faut bien l'avouer une limite, dans toute sa plénitude, plus une limite vers laquelle tout sujet tend, qu'une réalité qu'il expérimente.


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Mais donnons, par opposition à ceux de la précédente, les caractéristiques essentielles de ce type de Relation d'objet. Comme nous l'avons déjà dit, le Moi a ici une stabilité qui ne risque pas d'être compromise par la perte d'un Objet significatif. Il reste indépendant de ses objets.

Son organisation est telle que le mode de pensée qu'il utilise est essentiellement logique. Il ne présente pas spontanément de régression à un mode d'appréhension de la réalité qui soit archaïque, la pensée affective, la croyance magique n'y jouant qu'un rôle absolument secondaire, la symbolisation ne va pas en étendue et en importance au delà de ce qu'elle est dans la vie habituelle. Le style des relations entre le sujet et l'objet est des plus évolués.

Les affects et les émois sont nuancés, allant de sentiments à peine esquissés à la passion notoire. Ils sont, si nous pouvons parler ainsi, justifiés : le sujet réagit en fonction des réponses de l'objet et de son état intérieur et avec mesure. Les variations affectives sont en rapport avec celles de l'objet, le plus souvent du moins : elles n'obéissent pas à la loi du tout ou rien.

La profondeur de ces investissements est variable : il n'y a pas à proprement parler d'objet significatif, au sens d'objet jouant le rôle de « Moi auxiliaire », mais il y a des objets d'importance très variable, allant depuis l'objet d'amour unique jusqu'à l'objet de sympathie superficielle. Au surplus, les investissements sont plus mobiles que dans le cas précédent, ce Moi qui supporte les tensions suscitées par des sentiments violents sans fuir l'objet, est par contre capable de passer d'un objet à un autre.

Et surtout, les pulsions qui l'animent étant génitalisées, c'est-à-dire ayant subi cette maturation que représente le passage de la forme prégénitale à la forme génitale, ne prennent plus ce caractère de besoin de possession incoercible, illimité, inconditionnel, comportant un aspect destructif. Elles sont véritablement tendres, aimantes et si le sujet ne s'y montre pas pour autant oblatif, c'est-à-dire désintéressé, et si ses objets sont aussi foncièrement des objets narcissiques que dans le cas précédent, il est ici capable de compréhension, d'adaptation à la situation de l'autre. D'ailleurs, la structure intime de ses relations objectales montre que la participation de l'objet à son propre plaisir à lui est indispensable au bonheur du sujet. Les convenances, les désirs, les besoins de l'objet sont pris en considération au plus haut point.

Enfin la projection ne joue qu'un rôle extrêmement minime et passager dans la vision que le sujet a du monde, vision qui est à la


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limite de l'objectivité complète quoiqu'il n'y ait aucune méconnaissance de la valeur affective des objets : les aménagements dans la relation objectale n'interviennent que d'une manière très modérée, et la distance dans la relation objectale est très courte, car la relation apparente ne masque pas ici une relation foncière d'un style différent. La réalité « objective » est ici réellement perçue.

Comme on le voit, ce tableau est un peu théorique et il serait faux de croire, par exemple, que dans certaines circonstances ou dans un secteur déterminé, la projection ne joue pas son rôle ou que les défenses soient limitées au point de ne jamais gêner le sujet, sans quoi des sujets appartenant à ce genre ne présenteraient pas de symptômes, mais dans l'ensemble il est foncièrement exact. L'opposition entre les deux types de relation se sent fort bien dans la pratique de l'analyse, et très vite l'on fait le départ entre un prégénital et un génital. Avec les premiers, le contact affectif n'est pas direct, facile, de plain-pied ; avec les seconds, il est rapide, riche, varié, stable, et s'il peut être d'opposition, de timidité ou de peur, il a toujours une plénitude et en même temps une légèreté, une fluidité, une mesure qu'il n'a pas dans le premier cas. C'est ici, quand on a affaire à une névrose oedipienne vraie, ce qui montre bien que les relations de ce type peuvent être accompagnées de ratés de la relation objectale dans un secteur limité, qu'une analyse même apparemment trop conceptualisée, peut évoluer de façon favorable. Les activités régressives du Moi y étant insignifiantes et la pensée rationnelle très vivante et toute imprégnée d'affectivité, la communication y est pleine de sens et d'effets, du reste il s'agit d'un monde qui est le nôtre, de conflits qui se comprennent aisément et qui cèdent relativement facilement. L'action continue de la régression et de la projection ne vient pas rendre impossible tout contact affectif profond et imposer une distance qu'il est extrêmement difficile de réduire (1).

L'étude des relations objectales, dont nous n'avons jusqu'ici montré que l'ossature, leur connaissance est loin de n'avoir qu'un intérêt théorique, elle permet : un diagnostic de structure, de situer l'ensemble d'une personnalité par rapport à une échelle de valeurs réelles, en allant au delà des données immédiates de la symptomatologie et de l'anamnèse. Et c'est en cela peut-être que la clinique psychanalytique complète le plus heureusement la clinique psychiatrique traditionnelle, car ce diagnostic de la structure d'une personnalité

(1) BOUVET, MARTY, SAUGUET, Com. Congrès int. de Psy., Genève, 1955 (à paraître Rev. fr. de Psy.).


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implique un pronostic et des indications thérapeutiques. Qu'il s'agisse d'une phobie, d'une dépression subaiguë, d'une poussée obsessionnelle, d'une perversion ou même d'un état atypique prépsychotique, la connaissance des rapports du sujet et du monde, ou si l'on préfère, de son « environnement », permet, par le dégagement à travers son récit, spontané ou à peine dirigé par des questions très simples, de mesurer la gravité de son affection, en rendant saisissables et exprimables ses capacités d'adaptation, en même temps que le départ entre l'accident et le continu, s'insérant solidement dans la « forme » de la personnalité, devient perceptible.

Évidemment, la clinique psychiatrique entre des mains expertes, peut aboutir aux mêmes résultats, l'intuition permettant au thérapeute de faire coïncider sans opérations discursives l'expérience qu'il vit actuellement avec celles qu'il a déjà vécues, mais la possibilité de se référer en cas d'hésitation, à des normes simples, est d'un grand secours, et celle de la formulation en quelques phrases adéquates, justificatives de la dite intuition, est une garantie d'objectivité et de réduction d'une erreur personnelle. D'ailleurs comme toujours, l'intuition est beaucoup plus sûre quand elle s'est longuement imprégnée d'une représentation rationnelle de son objet.

Voici deux agoraphobes, qui l'une comme l'autre ont comme trouble unique cette impossibilité de sortir seule dans la rue. L'une et l'autre ont peur de faire une crise nerveuse, l'une et l'autre réagissent à cette peur par une anxiété extrêmement vive. Pour l'une comme pour l'autre, la réclusion dans leur appartement n'est pas entièrement une garantie de tranquillité. Toutes deux ont une vie sexuelle insatisfaisante : la première a renoncé à un mariage d'inclination, la deuxième l'a fait, semble-t-il. Le contact affectif que l'on a avec l'une et avec l'autre semble bon. Mais dès le prime abord, la première semble plus nuancée dans l'expression de ses émotions, plus dégagée, plus libre; la seconde, plus contenue, plus observatrice, davantage sur ses gardes, éludant sans cesse les questions précises. Une différence sociale importante pouvait expliquer cette différence de comportement.

Néanmoins, l'impression de contention, d'absence de liberté, de surveillance de soi que donnait l'entretien avec la seconde, laissait à penser que ses échanges avec autrui étaient étroitement contrôlés, comme s'ils appartenaient à un type de relations objectales, radicalement anormales, ou en termes psychanalytiques, radicalement archaïques. L'expérience montra que cette impression répondait à la réalité : la première était capable de relations d'objet génitales, la seconde:


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n'avait que des relations d'objet prégénitales. La première guérit facilement de sa phobie, la seconde eut les plus grandes difficultés à y arriver et à surmonter l'anxiété liée à l'extraordinaire avidité orale qui était la sienne ; car, alors que la première était en mesure de s'adapter aux frustrations inévitables de la vie, en se procurant, grâce à la variété et à la souplesse de ses relations émotionnelles arrivées à maturité et gênées seulement par une culpabilité en rapport avec la réactivation d'un complexe d'OEdipe bien formé, sous l'influence des frustrations perpétuelles que lui apportait un mariage malheureux, sans que pour autant l'ensemble de ses relations affectives soit modifié dans sa structure, des satisfactions substantielles autant que sublimées, la seconde, qui avait souffert d'un arrêt d'évolution de la majeure partie de son potentiel affectif, et qui réagissait à tout échange émotionnel comme si elle était réduite à la condition d'un nourrisson affolé par la privation, la peur, la haine, ne pouvait s'adonner librement à une quelconque extériorisation de son besoin d'union intime à un objet quel qu'il soit sans éprouver une angoisse intense, témoin de sa peur inconsciente d'être détruite, image en miroir de son désir de s'incorporer autrui, auquel elle n'avait pu autrefois donner libre cours, dans une atmosphère de bonheur et de paix (sa mère ne lui avait-elle pas raconté bien souvent que, tout bébé, elle pleurait des nuits entières, et que plus tard elle s'était montrée anorexique).

La structure des relations objectales était différente, ainsi qu'on pouvait le deviner à l'occasion de l'examen, dans le contact direct entre ces patientes et le médecin. Tout observateur averti aurait senti une différence, mais elle n'était pas très marquée. Il y avait une nuance imperceptible qu'il était à la fois difficile de rendre et de ne pas exagérer. Par quoi se traduisait cette « distance » que la seconde patiente mettait entre son médecin et elle : par une absence de chaleur ou même de vie dans le regard, par une très légère répétition de mouvements automatiques des mains, par une recherche dans son discours, mais surtout elle rendait l'atmosphère lourde, tendue, même quand le contenu de sa réponse ne justifiait aucun embarras ; même dans ses gestes à l'entrée ou à la sortie, on la sentait vraiment distante.

Dans cette étude des relations d'objet pathologiques, il ne sera pas fait, à chaque instant, état des mécanismes élémentaires qui interviennent pour permettre au sujet de s'adapter à un monde que la projection de façon plus ou moins marquée, transforme en un univers particulier ; d'une part, parce qu'ils peuvent tous être employés dans chaque forme pathologique cliniquement isolable, soit, par exemple,


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la régression dans certaines formes de phobie, où elle devrait être classiquement absente ; d'autre part, parce que j'ai choisi de présenter de façon aussi immédiatement proche de la clinique que possible, les apports de la psychanalyse, en me tenant éloigné de la description systématique des dits mécanismes, qui sont trop connus des praticiens de l'analyse, et qui, pour les médecins non familiarisés avec sa technique, ne ferait que surcharger des descriptions déjà difficiles à suivre. En voici néanmoins la liste arrêtée par A. Freud, dans son livre sur Le Moi et les mécanismes de défense (1) :

1) Le refoulement (exclusion du Moi conscient, qui se traduit par un oubli apparent) d'une situation du passé particulièrement traumatique. Seul le refoulement raté, c'est-à-dire imparfait, conditionne des relations objectales pathologiques ;

2) La régression, sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir bien des fois, précisément parce qu'elle me paraît plus générale qu'on ne le dit;

3) L'isolation, opération par laquelle une représentation mentale quelconque est isolée de son contexte affectif ou associatif ;

4) L'annulation rétroactive, procédé qui permet de supprimer ce qui a été : pensée, geste, en utilisant un acte ou une pensée à qui arbitrairement a été conféré un pouvoir magique;

5) Le retournement contre soi : une pulsion primitivement dirigée sur l'extérieur est ramenée au sujet ;

6) La transformation en son contraire : transformation, par exemple, d'une agression en auto-punition ;

7) L'introjection qui consiste à s'incorporer tout ou partie d'un objet significatif ;

8) La projection, par quoi le sujet transfère dans le monde extérieur quelque chose qui vient de lui : intention instinctuelle, élément d'un conflit, imago ;

9) La formation réactionnelle, par quoi le comportement est diamétralement opposé à la forme primitive de l'énergie instinctuelle, exemple la surpropreté remplaçant un attrait excessif pour les choses sales ;

10) La sublimation, évolution heureuse d'une certaine partie de l'énergie instinctuelle désexualisée en formes utilisables dans la réalité.

(1) Le Moi et les mécanismes de défense, trad. par Anne Berman, Paris, P.U.F., 1949.


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Ces mécanismes essentiels d'aménagement, ces instruments de la relation objectale, sont utilisés soit isolément, soit en combinaison, dans un comportement défensif concret, à travers lequel, bien entendu, s'obtiennent certaines satisfactions instinctuelles, dérivées des désirs instinctuels purs, inconscients : satisfactions substitutives des désirs, refoulés qui peuvent être obtenues sans angoisse.

Si l'on ajoute que ces comportements défensifs ont chez chacun une forme propre, quoiqu'ils soient réductibles aux mécanismes précédemment énumérés, l'on aura le schéma général de l'adaptation du Moi à la réalité extérieure, en égard à l'état intérieur du sujet, dans la conception analytique.

Et ce sont précisément les lois générales de cette relation concrète avec le monde qui constituent l'objet de ce travail, étude que je m'efforcerai de développer, en ne faisant allusion qu'aux plus importants de ces mécanismes d'adaptation dans un cas donné.

Ainsi, nous avons esquissé le profil de la relation d'objet, il nous reste maintenant à en montrer la structure dans chaque grand groupe morbide. Il y a déjà été fait allusion à maintes reprises.

Nous passerons donc rapidement en revue les névroses, les perversions, les psychoses, et chemin faisant, il nous sera facile de situer des formes intermédiaires à ces trois départements tels que les névroses de caractère.

Il nous faut remarquer d'ailleurs que l'essentiel a été dit et que pour situer ce qu'il nous reste à montrer par rapport au schéma général, c'est surtout sur les modalités spéciales des instruments de la relation à distance, autrement dit de la défense du Moi, ou encore des procédés d'adaptation employés par le Moi, que nous aurons à insister.

LES ÉTATS NÉVROTIQUES

Nous n'envisageons seulement ici que le cas des deux grandes névroses : la névrose obsessionnelle et la névrose phobique ou hystérique. Les névroses actuelles, en effet, sont d'existence bien discutée, et il ne semble pas que Freud lui-même y ait ultérieurement attaché une grosse importance. Sans doute consistent-elles en troubles névrotiques très légers, éclatant à l'occasion de circonstances de vie exceptionnelles, sans pour cela avoir la pathogénie purement organique que Freud leur assignait tout d'abord.


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LA NEVROSE OBSESSIONNELLE

En cherchant des exemples cliniques, nous avons à diverses reprises insisté sur la structure de la relation objectale dans la névrose obsessionnelle à propos des séries symptomatiques du rapport de la névrose obsessionnelle et des espèces psychopathologiques voisines, de la régression, de l'importance de la projection, de la conservation du sens de la réalité. Il nous faut maintenant dresser un tableau d'ensemble des relations d'objet dans cette affection.

Comme je l'ai déjà noté, les relations objectales ici sont calquées sur celles qui étaient normales au stade sadique anal de l'évolution, et je ne saurais mieux faire, pour donner une idée exacte de ce qui se passe, que de situer la névrose obsessionnelle par rapport à ce stade, et en montrant l'évolution de la personnalité et les différents moments de cette évolution; et comme il s'agit d'une régression, le meilleur moyen est de prendre les choses suivant l'ordre naturel de leur déroulement.

Ainsi que je l'ai déjà écrit, c'est quand la poussée pubertaire se déclenche que le sujet mis en présence de difficultés actuelles qui réactivent le conflit de la phase génitale de l'enfance, voit apparaître le plus souvent les premières manifestations caractéristiques de sa maladie (régression), mais il est vrai qu'il présentait déjà certains traits caractériels qui montraient qu'une grande partie de ses instincts était restée fixée aux zones érogènes et aux types d'expression instinctuelle normalement en action au stade sadique anal (fixation). Pour comprendre ce qui se passe alors de façon concrète, il faut précisément ne pas perdre de vue ce mélange de régression et de fixation.

Les traits caractériels auxquels je viens de faire allusion et qui prouvent cliniquement l'existence d'une fixation, sont la traduction d'une relation d'objet obsessionnelle aménagée sans doute un peu dans le style de la partie « morte » ou pseudo-objective de la relation objectale de l'obsédé confirmé. Toujours est-il que, si le rapport de l'enfant à caractère anal avec le monde était dépouillé de toutes ses superstructures, des sophistications adaptatives du Moi, l'on se trouverait en présence de la relation d'objet, qui est plus, directement visible d'emblée dans l'obsession, et qui se retrouve derrière la relation « morte », dans le transfert par exemple, lorsque l'isolation a cessé, c'est-à-dire d'un échange prégénital typique, tel que nous l'avons décrit avec sa nécessité absolue et ses dangers puisque l'amour y est de l'absorp-


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tion et que la projection fait l'objet d'amour aussi destructeur et aussi puissant que le sujet.

Voici ce que représente la fixation. Dès qu'un sujet est resté, dans une grande partie de sa personnalité, fixé à un stade prégénital, lorsque va se poser pour lui la question du rapport génital, il va, du fait de la fixation d'une grande partie de sa personnalité à un stade antérieur, se trouver dans la nécessité de courir un danger absolument insurmontable puisque le rapport génital normal et complet, l'amour, quelle que soit la façon dont on s'y représente la participation du Moi, que ce soit d'enrichissement ou d'appauvrissement, est par essence un rapproché au cours duquel le sujet renonce aux limites de sa personnalité pour se fondre un instant avec autrui. Qui dit fixation, dit que proportionnellement à l'importance de cette fixation, le rapport amoureux est un danger mortel plus ou moins grand, et qui, à la limite, est absolu. Il ne faut pas confondre ici rapport génital et rapport amoureux, le rapport génital en effet, s'il est décapité de son contenu affectif, s'il ne représente plus l'expérience de l'amour, n'est plus dangereux, et l'on verra plus loin comment un obsédé arrivait, par une scission entre affects et émois d'une part, et rapport sexuel d'autre part, à avoir des activités génitales, qui ne représentaient plus aucun danger pour lui, mais en contre-partie n'offraient plus aucun intérêt. D'une manière générale, tout sujet ayant une fixation prégénitale, encore plus que tout sujet ayant des difficultés oedipiennes, n'a qu'une sexualité par quelque côté réservée, seuls, les procédés qui rendent l'expérience moins cruciale, diffèrent.

Et ceci m'amène tout naturellement à envisager l'articulation de ces conséquences de la fixation avec la théorie classique du complexe d'OEdipe et la régression.

L'on sait que la formulation la plus simple du complexe d'OEdipe est la suivante : le sujet mâle ne peut s'opposer à son père et désire le remplacer auprès de sa mère, et lorsque l'on parle de causes de régression, l'on envisage avant tout celles qui résultent des difficultés de la lutte avec le père, l'on suppose que les deux images parentales sont foncièrement différenciées, l'on insiste moins sur celles qui résultent des angoisses dont la relation avec la mère est la cause.

A vrai dire, s'il n'y a pas de fixation, la situation est bien celle que l'on décrit classiquement, et les angoisses ayant la mère pour origine propre restent relativement légères. Il faut bien avouer d'ailleurs que celles dont le père est l'origine si elles peuvent rendre impossible le rapport génital ou se traduire par d'autres symptômes, ne sont


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guère difficiles à lever, bien que leurs effets apparemment soient semblables à ceux qui se développent lorsqu'il y a fixation, et que leur réduction soit, dans la très grande majorité des cas, une chose simple.

Mais quand il y a fixation, c'est-à-dire quand la majeure partie de la personnalité répond à une structure prégénitale : Moi faible, et pulsions de rapprochement à caractère destructeur, projection, la situation est toute différente; la partie, la quantité de personnalité qui a évolué vers la structure qui aboutit à la relation objectale génitale telle que nous l'avons décrite, est très réduite. Ici on ne peut qu'employer un langage approximatif, une petite partie du sujet commencerait à s'orienter vers un type d'organisation supérieur, si bien qu'en arrièreplan, la relation objectale prégénitale domine et que le rapport sexuel complet devient le danger inexprimable que l'on sait. Le rapport avec la mère devient en soi, même si le père n'existait pas ou plutôt si un conflit avec lui ne se posait pas, une source d'angoisse inextinguible, à cause de la culpabilité soulevée par la sauvagerie instinctuelle et les besoins de possession destructeurs, et la crainte d'une punition en talion, par une partenaire que la projection dote des mêmes caractéristiques que le sujet.

Au surplus, les processus d'identification nécessaires avec le père se révèlent ici presque impossibles, car qui dit identification dit coalescence quel que soit son mode et comme, de par la fixation, ce sont des formes très primitives d'identification qui sont là accessibles au sujet, le sujet retrouve dans ses tentatives d'introjection du père, les mêmes difficultés que dans son rapport avec la mère, ce que l'on décrit en affirmant que les personnages parentaux ne sont pas différenciés, et qu'à travers une forme oedipienne, le sujet a un rapport binaire avec un personnage phallique. Voici comment s'articulent dans les faits fixation et régression : la petite partie du Moi, qui en avant-garde allait vers un style d'organisation plus adapté, plus objectif, ne peut que retourner au type d'organisation où la majeure partie du sujet était restée fixée; mais en réalité, les choses sont encore infiniment plus complexes, et il faudrait insister sur l'allégement de la situation relationnelle, du seul fait que le père y était mêlé comme objet distinct (action médiatrice du père, Lacan).

Quand la régression intervient, l'ensemble de la personnalité est donc ramené à un mode d'organisation sadique anale.

C'est ainsi que la libido (autrement dit la tendance qui pousse les êtres à multiplier leurs contacts non seulement avec d'autres êtres


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vivants, mais aussi avec des objets quels qu'ils soient, qui sont chargés par déplacement ou symbolisation d'une signification affective), a repris les caractères de la libido prégénitale, ce qui confère aux rapports objectaux, sur quoi nous avons assez insisté en étudiant la relation d'objet prégénitale, des caractères spéciaux.

Quant au Moi, il semble divisé en deux secteurs différents. L'un rationnel qui paraît donner toutes les marques de la pensée objective, et l'autre régressif, qui constitue la part du Moi, qui est celle qui entre en jeu dans l'obsession.

Si ce que j'ai dit tout à l'heure de l'intervention parfaite d'un procédé de défense spécial, l'isolation, qui protégerait le caractère apparemment objectif des relations dans le secteur dit rationnel, est exact, isolation qui, en fait, désaffective complètement la relation d'objet, il est naturel d'admettre a priori que la partie régressive du Moi qui participe à l'obsession est de fait celle qui répond à la relation vivante du malade, puisque la partie rationnelle avait pour objectif la relation dite objective, parfaitement isolationnée affectivement, c'est-à-dire une relation morte.

Et de fait, le passage d'un type de relation à l'autre, d'une relation morte à une relation vivante avec le même objets se voit de façon quasi expérimentale dans la relation analyste-analysé, le transfert. Il arrive, en effet, que le thérapeute soit l'objet d'obsessions caractérisées, comme ce fut le cas chez cette patiente qui développa dans sa relation avec moi toute une série d'obsessions de propreté des mains, des organes génitaux, de la zone anale, dès que la relation objective et isolationnée devint vivante. Il n'est pas rare d'ailleurs que des obsessions caractéristiques n'apparaissent pas dans le transfert, mais la pensée qui y est employée prend alors tous les caractères de la pensée affective au milieu de laquelle se développe l'obsession. Dans ce secteur régressif du Moi, qui de fait s'étend à tout ce qui devient relation objectale vivante, qu'elle soit typiquement obsessionnelle ou pas, la situation est exactement semblable à celle du Moi de l'enfant au stade sadique anal.

La pensée de l'enfant à ce stade est un mélange curieux et en proportions variables, selon les moments, d'une pensée rationnelle, avec ses catégories logiques, sa vision objective du monde qui s'installe et d'une pensée archaïque avec son fondement affectif, sa croyance en la toute-puissance magique de la pensée et ses conséquences, son animisme, sa projection continuelle qui s'éteint.

Et ce secteur régressif du Moi que l'on a appelé de tous les noms


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que suggère un trait saillant du mode de pensée archaïque, présente cette incertitude des limites, cette tendance aux identifications fugaces et puissantes, cette dépendance étroite des objets qui appartiennent au Moi du petit enfant et en même temps la fermeté, la rigueur, la logique, la rigidité même que l'on retrouve dans le Moi de l'adulte.

Puisque la physionomie générale de la relation objective ou pseudoobjective de l'obsédé nous est connue, et que l'isolation affective est son essentiel secret alors que la relation vivante se montre immédiatement plus complexe (l'on sait tout ce que l'on a écrit sur la pensée régressive) et plus intéressante puisque vivante, et représentant une décharge instinctuelle, qui, grossièrement parlant, n'existe pas dans la première, essayons de montrer la hiérarchie des défenses par laquelle cette relation est aménagée, ou la manière dont la distance y est maintenue, grâce à des instruments allant de l'emploi de procédés logiques : vérifications, précautions, minutie, contrôle, jusqu'aux procédés manifestement magiques de l'annulation rétroactive, sans surcharger cette tentative de description d'une nomenclature qui ne présenterait qu'un intérêt très restreint, et prenons comme exemple une obsession quelconque, puisque c'est dans cette forme spéciale de la relation vivante qu'on peut le mieux saisir le jeu psychologique complexe, grâce à quoi l'obsédé arrive à maîtriser son obsession.

Un homme d'une quarantaine d'années vint me trouver parce qu'il souffrait d'obsessions religieuses extrêmement pénibles. Il avait souvent la représentation mentale d'une image religieuse, celle du Christ ou de la Vierge Marie, en même temps que des injures lui venaient à l'esprit. Il prononçait alors une oraison jaculatoire, telle que « Mon Dieu, je suis un misérable pécheur », conduite logique pour un catholique ; mais bientôt, il se servit de mots n'ayant plus aucun sens apparent, des néologismes ayant la valeur d'une formule incantatoire (magie) qui effaçait la pensée qui avait surgi avec la vision (annulation rétroactive : ce qui avait été n'était plus). Ces procédés de défense secondaire continuaient à être efficaces. Mais d'autres l'avaient moins été : il avait dans le même temps ce qu'il appelait des obsessions motrices. Il croyait à chaque instant voir des hosties sous ses pas et craignait de marcher sur elles. Le moyen le plus simple de se mettre à l'abri de ce sacrilège, consistait à éviter avec une grande attention de mettre le pied sur tout ce qui pouvait simuler une tache blanche, et ainsi il était tranquille, mais bientôt l'idée qu'une hostie pouvait s'être glissée entre son pied et sa chaussure s'imposa à lui. Le procédé de défense secondaire, simple, logique, était là aussi de mise, il suffisait de vérifier si l'objet


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sacré ne se trouvait pas au contact du pied. Le sujet le fit d'abord avec succès, puis comme dans tous les cas de ce genre, les vérifications de se multiplier par séries de plus en plus longues. Le mouvement d'abord destiné à le protéger contre la réalisation de la pulsion obsédante, devint le thème d'une véritable obsession ; son caractère défensif primitif se serait encore davantage effacé si le sujet avait oublié sa motivation initiale, mais l'évolution n'alla pas si loin. Il gardait sa signification, tout en perdant de son efficacité, puisqu'en fin de compte, la série de vérifications, impuissante à juguler la pensée obsédante du sacrilège, devait être close par le recours à une défense supplémentaire : recours magique, cette fois, à une autorité supérieure représentée par un personnage parental encore vivant, sa mère. Il pensait, ou disait, pour venir à bout de son angoisse : « Ta mère t'a dit de faire comme si rien n'était, de ne pas faire attention à ces pensées absurdes »; et alors le calme revenait.

Tous ces procédés de défense sont dits secondaires, parce qu'ils prennent naissance à partir de l'obsession constituée, qui est elle-même une défense, mais nous verrons plus tard pourquoi. Pour le moment, je voudrais essayer de rendre compte de ce phénomène : de l'inefficacité de tout moyen de défense, au bout d'un certain temps et de sa transformation en obsession. La psychanalyse classique s'était contentée de constater que chez l'obsédé la pulsion instinctuelle n'était pas jugulée par l'action défensive, et que, un désir de possession agressive, par exemple comme celui qui s'exprime ici par le désir de marcher sur l'hostie, s'affirmait malgré la manoeuvre destinée à le dominer : La vérification, si bien que cette manoeuvre elle-même devait être coiffée d'une autre qui vînt à bout des désirs instinctuels qui, à l'insu du sujet, l'avaient envahi : c'est ce que l'on appelle le transfert des charges affectives ; ici le procédé de défense ultime est le recours à l'argument d'autorité, alors que chez le phobique la simple mesure d'évitement le met à l'abri du désir angoissant.

Je pense que l'on peut trouver une explication satisfaisante de ce phénomène essentiel dans le développement d'une symptomatologie obsessionnelle, car ce procédé de défense supplémentaire subit à son tour la contamination par l'affect lié au désir instinctuel, et ainsi de suite, si bien que le sujet peut, dans les cas extrêmes, être condamné à l'immobilité absolue, d'autant plus que la dite contamination se fait, non seulement dans le sens linéaire, si je puis m'exprimer ainsi, mais aussi latéralement, de proche en proche, par ce que nous avons dit de la relation d'objet prégénitale, par opposition à la relation d'objet


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génitale qui est celle du phobique simple. Dans la relation d'objet prégénitale, en effet, le Moi ramené à l'organisation infantile, ne peut, sous peine d'ébranlement de son assise (1), consentir à l'abandon de son objet significatif, alors que le Moi phobique non régressif (relation génitale) a la possibilité, par suite de la maturation de sa structure et de la fluidité de ses relations d'objet, de passer d'un objet à un autre qui ne soit pas relié au précédent par un lien symbolique quelconque.

Mais l'obsession, ai-je dit, est elle-même un procédé de défense et mérite le nom de défense primaire. En quoi l'est-elle ?

Ce cas nous fournit un excellent exemple de ce que l'on veut dire par là. Dans son analyse, il s'était toujours comporté de la façon la plus objective qui soit dans sa relation avec moi : il restait d'une indifférence souriante, et si une isolation imparfaite ne l'empêchait pas de ressentir une très légère sympathie, de circonstance, du moins l'affirmait-il, il ne lui arrivait pas de vivre des sentiments francs à mon endroit. Il avait, d'ailleurs, un moyen tout personnel de maintenir cette isolation, et des raisons tout à fait valables de le faire, et les voici. Le moyen consistait à jouer sur les mots. Ainsi, s'il se sentait sur le point d'être irrité par moi, il qualifiait ce mouvement de léger agacement provoqué par la rigidité technique, et comme je lui faisais remarquer qu'une telle réaction rentrait dans le groupe des réactions agressives, il le niait avec une énergie farouche, car s'il l'eût admis, il se fût engagé dans la prise de conscience de violents sentiments d'opposition dont j'aurais été l'objet, et il n'y tenait à aucun prix.

La raison en était qu'il était parfaitement incapable de le supporter. A l'endroit d'une personne de son entourage, oh combien significative ! il eut un jour une violente explosion de colère, qu'il ne fit d'ailleurs pas paraître, et il connut, pour la première fois, de son aveu, les affres de la dépersonnalisation. Tout était changé, il n'était plus lui-même, il se sentait transformé, sa pensée n'avait plus de consistance, il se croyait sur les bords de la folie ; plus de suite dans les idées, plus de raisonnement, plus de but, un sentiment d'étrangeté pénible obscurcissait tout ce qu'il percevait de ce qui l'entourait. Il n'aurait pas su dire exactement ce qui se passait, mais tout était étrange.

Ainsi il s'efforçait, par un jeu purement arbitraire de sa pensée, car enfin pour tout le monde l'agacement ou l'ironie est de la classe des manifestations agressives, de s'opposer à l'irruption d'affects et d'émois violents dans sa relation avec moi, de peur de connaître cette

(1) BOUVET, Rapport sur la névrose obsessionnelle, loc. cit.


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terrible angoisse qui accompagne ces expériences de dépersonnalisation, au cours desquelles, l'on a l'impression que le Moi est sur le point de sombrer dans le délire. Si douloureuse que soit l'obsession, elle n'avait jamais provoqué de tels bouleversements, alors que la production, dans une relation humaine concrète, que ce soit dans l'analyse ou au dehors, d'affects et d'émois qui étaient loin d'avoir une forme aussi primitive, je ne dis pas d'ailleurs une intensité différente que ceux inclus dans l'obsession, pouvait les déclencher.

De ce simple point de vue clinique, l'obsession apparaissait donc bien comme une défense, autrement dit un aménagement des relations objectales, qui permettait à certaines tensions de se décharger au moindre frais.

Dans le cas particulier, fait simple en vérité, il faut d'abord remarquer que les personnages impliqués dans l'obsession étaient des personnages symboliques, et que, malgré tout ce que, par un certain côté, ce sujet leur attribuait de réalité, et quelle que soit la peur que l'offense entraînât un châtiment, il avait sur leur existence un doute profond. Il prenait, en effet, une position violemment agressive quand il discutait croyance avec certains de ses amis ecclésiastiques, et il accordait aux personnes divines autant de réalité que d'inexistence, ce qui en faisait un objet de choix, sur lequel déverser avec beaucoup de remords et de restrictions d'ailleurs, des tensions instinctuelles, qui ne pouvaient s'exercer sur un objet réel, et qui pouvaient se détendre sur des objets idéaux, assez réels pour que ça veuille dire quelque chose, et assez inconsistants pour que ce soit moins dangereux.

Et c'est pour cela qu'il préférait adresser à des interlocuteurs divins des injures au premier ou au deuxième degré, car en fin de compte, la pensée directement blessante s'était trouvée remplacée par la simple coïncidence d'un mot comme considération, et d'une image divine, la première syllabe de ce mot remplaçant l'injure, que d'éprouver des sentiments agressifs contre moi ou tout autre.

Le déplacement des activités pulsionnelles sur un objet symbolique, ici franchement figuré, mais qui, dans d'autres cas, peut être relié à l'objet primitif de l'agression par une série de déplacements qui font que la liaison n'est plus apparente, est avec la symbolisation, l'un des mécanismes essentiels qui président à la genèse de l'obsession, et l'on voit que, par là même, ces deux caractéristiques lui confèrent une valeur défensive : l'obsession, relation objectale emménagée ou à distance, peut donc bien être considérée comme un mécanisme de défense primaire, d'autant plus que le sujet ne voit plus ce en quoi elle exprime


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des sentiments qui lui sont propres. Mon malade, par exemple, n'établissait aucune liaison entre sa position religieuse consciente et ses obsessions religieuses, et elles lui apparaissaient comme un corps étranger.

Mais pourquoi, la difficulté en effet ne fait que reculer, ne pouvait-il supporter un échange affectif, le plus souvent agressif d'ailleurs, avec un être humain réel ; pourquoi, par exemple, lorsqu'en venant à sa séance il avait été empoisonné par une vision de moi et la syllabe « con », ne voulait-il pas voir le rapport qu'il percevait si bien entre l'image du Christ et un terme de ce genre. Il affirmait n'avoir avec moi que des rapports de bonne compagnie et d'ailleurs s'arrangeait pour qu'ils demeurent tels. Pourtant, il ne perdait pas une occasion, sous couvert de sincérité, d'objectivité, de me tenir tête, sur le plan théorique, ou quant à la qualification qu'il convenait de donner à ces rares mouvements de transfert. Il était avide de renseignements, s'efforçait d'obtenir de moi des conseils qui l'aideraient à lutter contre son symptôme, et qui fussent devenus des ordres, dont la portée eût été analogue à celle de ceux que lui donnait sa mère. Il détestait ce qu'il croyait être mon assurance, comme il ne pouvait supporter la conviction de ceux qui avaient la foi du charbonnier. Or, son père précisément, avait une foi très simple, et d'ailleurs, jeune homme, il avait eu envers lui une attitude systématique d'opposition doctrinaire. Il supportait mal l'ingérence de son père dans ses études, fut un fort mauvais élève, et me reprochait sans cesse mes analyses de résistance comme si je lui faisais des reproches sur son manque d'application. Il se plaignait du découragement et de l'écoeurement que lui apportait son échec relatif dans l'analyse, de la même manière qu'il conservait un souvenir extrêmement désagréable de ses études secondaires.

Autrement dit, l'analyse progressant, l'isolation cédant, ses relations avec moi apparaissaient comme calquées sur celles qu'il avait avec ce père, avec qui ses rapports dans les dernières années furent tous de compréhension et de camaraderie, ce qu'il avait vivement souhaité que deviennent les nôtres.

Des rêves vers cette époque montrèrent clairement qu'il avait voulu se faire le chevalier servant d'une femme et la protéger contre un homme. C'étaient des rêves rappelant des jeux enfantins à thème de Far-West.

Il avait donc peur de moi comme il avait eu peur de son père, et se permettait envers moi la forme d'agression qu'il s'autorisait de ressentir envers lui. Sa peur de moi et des êtres humains réels expliquait

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et son isolation, et la limitation de ses décharges instinctivo-affectives à des êtres symboliques à la réalité desquels il croyait à demi. La relation ici comportait une bien plus grande distance qu'une relation réelle, et dans cette relation il ne risquait pas un contact rapproché, qu'il ne pouvait soutenir, parce qu'il n'avait pu surmonter un conflit oedipien, dont la réalité était démontrée, par exemple par son rêve de cow-boy, et dont l'analyse ne put être poussée à fond parce qu'il prit soin d'interrompre son traitement avant que ce ne fut possible (1). S'il eût continué après une évocation très superficielle d'un conflit oedipien mal abordé et retrouvé à travers des rêves et des fantasmes et sans doute de par la prise de conscience de toutes les significations d'une homosexualité ambivalente que quelques-uns des rêves qu'il avait déjà donnés, montraient certaines, il eut vécu dans des fantaisies très chargées d'affectivité, l'essentiel de ses désirs inconscients de réjection, mais aussi de possession, d'annexion dans le transfert, son analyste devenant alors la personnification de la mère de la toute petite enfance, figure tout autant mythique que réelle. C'est en effet à ce niveau que son échec à résoudre normalement son OEdipe, dont l'expérience vécue était d'ailleurs complètement refoulée, que la régression, aidée par la fixation, et j'y ai assez insisté, avait ramené ses désirs d'union redevenus de ce fait tout chargés d'un besoin d'amour destructeur au sens le plus littéral du terme : Dilacération, mandication. Et ce n'est qu'après un long exercice de ses besoins de plus en plus ressentis comme réels que des angoisses liées à la transformation de l'analyste en un être aussi dévorant que lui, s'étant dissipées, il aurait pu alors revivre son OEdipe tel qu'il l'avait éprouvé, les refoulements cédant et voir ses besoins instinctuels prendre une forme pleinement génitale.

J'ai pu savoir néanmoins qu'il avait une position ambivalente envers ses deux parents d'une part, et que, d'autre part, il avait des relations de type anal avec sa femme, dont la beauté lui causait des préoccupations que lui-même jugeait absurdes et maladives, et qui témoignaient de sa tendance à la traiter plus comme un objet que comme un autre sujet. Il s'angoissait en effet en remarquant la moindre flétrissure sur son visage, et se demandait comment plus tard il arriverait à concilier son besoin de fidélité, qui lui apportait une stabilité et une cohérence relative de son Moi, avec sa hantise de la contrainte qui l'envahissait par instant. Sa sexualité conjugale était formelle, embar(1)

embar(1) devait d'ailleurs deux mois après cette interruption demander à reprendre son analyse.


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rassée et extrêmement restreinte, il s'en rendait d'ailleurs fort peu compte.

C'est le propre de la relation d'objet prégénitale d'avoir ce caractère à la fois de nécessité absolue, et de contrainte étouffante. La dépendance du Moi envers l'objet en est la cause et elle est à ce point redoutée dans la réalisation, que le sujet s'arrange pour ne pas y être engagé à fond : Celui-ci dissociait les émois et les affects amoureux des plaisirs sexuels, il avait remarqué, qu'avant son mariage, ses quelques aventures se déroulaient toujours selon le même schéma, amoureux d'une façon démesurée, heureux ou malheureux à l'extrême, il constatait avec étonnement, que toute cette tempête affective, dont il gardait un fort mauvais souvenir, s'évanouissait dès qu'intervenaient des réalisations sexuelles qui ne lui apportaient que ce qu'il appelait un plaisir purement physique, alors que la relation objectale génitale, si elle peut être angoissante, parce qu'interdite, ne se révèle pas indispensable à la cohérence de la personnalité. Un sujet de ce type, qui aurait eu de mauvaises relations conjugales, n'aurait pas éprouvé les phénomènes de dépersonnalisation dont celui-ci avait souffert en prenant dans son for intérieur une attitude violente de réjection à l'égard de sa femme, tout au moins n'ai-je jamais constaté de cas de ce genre.

Ainsi n'ayant pu s'affirmer dans son opposition à son père et son attachement à sa mère, à la phase oedipienne de son évolution, ce qui eût correspondu à l'établissement d'une structure et à un style de relations d'objet génitales donc normales, il n'avait plus que la ressource, pour maintenir ses relations objectales, de se réfugier dans des relations régressives de type anal, que son contact demeurât apparemment normal avec des êtres humains, au prix d'une défense extrêmement serrée (isolation) ou bien qu'il se montrât manifestement pathologique, parce que moins aménagé, et par là, d'ailleurs, dynamiquement plus valable avec des personnages symboliques (obsessions).

L'avantage d'une telle régression, comme le fait justement remarquer Glover (1), n'est pas seulement d'éviter au sujet les difficultés inhérentes à l'OEdipe, mais aussi de ramener le sujet à un mode de contact parfaitement éprouvé et sûr. Le déplacement, la symbolisation, multiplient les objets significatifs, les rendent plus accessibles et resserrent les liens entre le sujet et le monde des objets, liens qui lui sont indispensables. Mon malade entretenait avec ses objets religieux:

(1) GLOVER, A development study of the obsessional neurosis, Int. J. of Psa., XVI,


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des rapports continuels, puisque les pensées obsédantes de ce genre venaient à tout moment le troubler, peut-être, mais aussi lui imposer un contact permanent où il pouvait détendre toutes sortes de pulsions instinctuelles. Le fantasme de l'hostie se projetait tout aussi bien sur la surface polie par l'usure de l'accélérateur de sa voiture que dans un rais de soleil ou l'éclat d'une surface chromée ; et l'image de la Vierge s'imposait, à la réflexion d'un interlocuteur, tout aussi bien qu'à l'audition d'une prière, ou à la lecture d'un texte où ce terme n'était pas employé dans une acception religieuse.

Multiplication des relations objectales, qui savent ainsi être présentes à tout moment, presque continuelles, voici l'un des avantages de la technique relationnelle obsessionnelle, qui satisfait ainsi au besoin de relations étroites qu'éprouve le sujet condamné à la relation d'objet prégénitale. N'ayant pu accéder à des relations génitales, relations objectives normales, il redoute les bouleversements profonds qu'entraînerait l'abandon de ce mode de relations sadiques anales et dont l'ébranlement de la structure du Moi est l'expression. Ce dont d'ailleurs il a l'expérience. Les troubles de ses fonctions essentielles qui assurent la cohérence du sujet, s'ils se produisent quand la relation est trop rapprochée, se reproduisent dans une forme analogue quand le modus vivendi ne peut continuer et que la relation s'étire outre mesure. Il n'est guère d'obsédé qui, un jour ou l'autre, ne l'ait éprouvé, et il semble bien que si ces états s'aggravaient et persistaient, la porte serait ouverte à la psychose. D'ailleurs Abraham l'a bien noté, le sujet, qui ne peut se maintenir sur le mode sadique anal de relations objectales, voit ses activités relationnelles régresser de façon vertigineuse et tend à verser dans la psychose.

Quant à l'autre, nous l'avons envisagé indirectement plus haut en montrant le bénéfice que le sujet tirait de l'obsession, qui remplaçait une relation directe rendue impossible de par la transformation agressive des instincts de rapprochement du fait de la régression et de la fixation combinées avec un objet humain par une relation symbolique avec un objet idéal. Si l'on ajoute à ceci tout l'aménagement de la relation proprement obsessionnelle, que constituent les procédés de défense secondaire, il est facile de s'apercevoir que l'ensemble de l'architecture relationnelle, si elle tend à multiplier les contacts, aboutit à une fragmentation, une pulvérisation, un émiettement des affects et des émois liés aux besoins instinctuels régresses qui se montrent si violents dans la relation prégénitale dépouillée de ses aménagements, réduite dans sa distance. Le patient évite alors ces ébranlements de toute sa person-


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nalité qui se traduisent encore par des phénomènes de dépersonnalisation, nous en avons précédemment donné un exemple. Ainsi la relation d'objet obsessionnelle évite le double écueil de la relation prégénitale, qui devient angoissante, tout aussi bien si elle cesse que si elle est trop étroite. Nous l'avons vu, elle devient en effet continuelle de par la multiplication des liens relationnels, et il est à peine besoin de faire remarquer qu'elle s'étire au gré du sujet, de par l'effet des aménagements que toute sa technique d'adaptation lui permet de faire jouer au gré de son état et de ses besoins.

En un mot, le sujet a à sa disposition un ensemble de procédés qui lui permettent une adaptation continuelle dans toutes ses relations d'objet, qu'elles soient mortes ou vivantes. Il peut éviter tout aussi bien les dangers d'une distance trop grande que ceux d'une distance trop courte à l'objet.

Au delà, comme en deçà de la distance optima, il risque des dangers mortels. Au delà, parce qu'il court le risque de perdre des contacts qui lui sont d'autant plus indispensables, que sa personnalité, son Moi, est alors ramené à une faiblesse infantile ; en deçà, parce que la régression pulsionnelle, et d'ailleurs l'infantilisme du Moi combinés, qui aboutit à une transformation foncière de la réalité par la projection en un monde terrifiant et destructeur, ne l'autorisent pas sans une angoisse de dislocation à consentir à un « rapproché » réel.

LES PHOBIES ET L'HYSTÉRIE DE CONVERSION

Les phobies

Le style de la relation objectale dans la deuxième grande forme de névrose de transfert est tout à fait différent de ce qu'il est dans le groupe des névroses obsessionnelles, ce qui ne veut pas dire d'ailleurs que la projection n'y joue pas son rôle, d'une importance fort variable selon les cas, comme nous le verrons plus loin, qu'une distance n'y existe pas, qui résulte de l'aménagement, que l'exercice de l'activité défensive du Moi contre la forme brute des désirs instinctuels ne s'y établisse pas entre le sujet et l'objet de son désir, en permettant à la relation objectale de s'installer et de se maintenir, de façon concrète, à la mesure de ce que le sujet peut supporter d'un rapprochement foncier avec l'objet plus ou moins transformé par la projection. Ce qui différencie radicalement ce type de relation objectale, d'un point de vue structural, du type précédent, c'est la nature particulière du Moi de ces sujets, et par là le style différent de la défense qu'il emploie


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pour, à travers cette distance, conserver des relations objectales réelles, compte tenu des difficultés que lui impose la projection.

Mais ici nous pensons qu'il faut dissocier le groupe des phobies, en tenant compte des enseignements de la clinique.

Il est classique d'affirmer que les phobies et l'hystérie constituent des névroses oedipiennes, c'est-à-dire que les troubles qui les caractérisent représentent des perturbations de la relation d'objet, résultant de conflits surgissant à la dernière phase du développement instinctuel et de la maturation du Moi, ou en d'autres termes, représentent des « ratés » de la relation génitale proprement dite ; ceci est vrai dans une certaine mesure mais ne l'est pas toujours. Si, comme dans toute névrose, une évolution normale semble avoir été stoppée par l'impossibilité où s'est trouvé le sujet de résoudre le dernier des conflits structurants de l'enfance, celui dont la liquidation parfaite, si l'on peut s'exprimer ainsi, aboutir à cette adaptation si heureuse au monde que l'on nomme la relation d'objet génitale et qui donne à tout observateur le sentiment d'une personnalité harmonieuse, et à l'analyse, la perception immédiate d'une sorte de limpidité cristalline de l'esprit, ce qui est, je le répète, plus une limite qu'une réalité, cette difficulté de résolution de l'OEdipe bien souvent n'a pas tenu aux seuls problèmes qu'il posait, mais tout autant à une fixation importante, parfois essentielle, des forces instinctuelles, à une organisation prégénitale orale essentiellement dans le cas présent et corrélativement à une structuration du Moi, restée archaïque, correspondant à ce stade, ce qui explique mieux que le drame oedipien l'incapacité du sujet à dominer une situation difficile, mais qu'il abordait déjà vaincu d'avance. La fixation dans ces cas me semble jouer un rôle tout aussi important que la régression, quelles qu'aient été les causes de cette fixation, qu'elles fussent organiques ou psychogènes, ou le plus souvent un mélange des deux.

D'ailleurs, dans les cas où il n'existe pas de fixation importante, le tableau clinique est dans les formes les plus pures tout à fait différent de celui que l'on observe dans les cas de fixation massive.

Ici il s'agit vraiment d'un conflit limité, ne s'accompagnant en aucune manière d'anomalies de la structure du Moi, pas plus que de cette immaturité instinctuelle, qui fait que les besoins de rapprochement ont ce caractère destructeur qu'ils tiennent de la persistance des caractéristiques de la libido, de la phase orale du développement où l'amour et l'incorporation anéantissants vont de pair, même si devant le bouleversement de l'OEdipe, une fantasmatisation cruelle du rapprochement sexuel revient au jour, la régression remettant en honneur les formes de


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rapprochement sexuel de l'oralité et par là conférant au coït, autre forme de rapprochement, un caractère sadique, cette régression n'est qu'une régression de zone érogène, des intérêts et des formes d'expression se retrouvent, et non une régression de structure de l'instinct de rapprochement (libido) qui n'a pas, à proprement parler, ces caractéristiques prégénitales qui font que l'amour est réellement la destruction, et l'ensemble de la personnalité est intact, même si l'angoisse joue un rôle important dans la vie du sujet.

Tel était le cas de la première des deux agoraphobes auxquelles j'ai fait allusion précédemment, elle en était arrivée à ne pouvoir faire un pas hors de chez elle. Son symptôme allait en s'aggravant progressivement depuis des années. Bien entendu, la présence auprès d'elle de son mari, envers qui elle avait des sentiments ambivalents, lui rendait ses sorties faciles. Le contact affectif était excellent, nuancé, simple, direct. Par la suite, elle se montra à la fois craintive, gaie et enjouée ; son transfert fut immédiatement très positif et très vif.

L'analyse retrouva à travers un amour d'adolescence où sa mère joua un rôle d'interdictrice impitoyable : elle l'empêchait pratiquement de sortir, et la tançait vertement quand elle rentrait en retard, pour avoir rencontré le jeune homme avec lequel pendant des années elle pensa se marier, un complexe d'OEdipe très net, parfaitement formé.

Elle avait d'ailleurs, au moment de l'analyse, de l'admiration et une affection sans bornes pour son père et considérait sa mère comme une personne impossible, qu'elle rendait plus ou moins responsable de la maladie qui saisit brusquement son père au cours de son traitement. Elle insistait sur sa patience, sa compréhension, sa bonté, et réservait toute son animosité à sa mère. Il faut ajouter qu'elle s'était laissée imposer par dépit un mari qui m'a semblé extrêmement renfermé et d'une agressivité certaine. Il jouait manifestement auprès d'elle un rôle maternel. Sa vie sexuelle conjugale était, de ce fait, comme je l'ai dit, presque inexistante, elle s'en était contentée. En dehors de cela, elle témoignait d'une grande activité professionnelle et semblait réussir fort bien dans le métier qu'elle s'était choisi.

Le transfert, quoique très violent, resta toujours contenu par une correction spontanée qui lui faisait percevoir le caractère légèrement artificiel du sentiment qu'elle éprouvait.

Au bout de quelques mois, malgré l'impossibilité où elle était, étant donné son âge, de réorganiser son existence, elle vit disparaître son agoraphobie.


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J'ai rapporté ce cas particulièrement simple pour montrer qu'ici le symptôme phobique s'était développé en fonction d'une interréaction réciproque d'un OEdipe évidemment non entièrement liquidé, et de circonstances extérieures particulièrement frustrantes (je crois me souvenir d'ailleurs qu'elle était devenue anxieuse dès son mariage névrotique), pour illustrer ce fait que la relation d'objet pathologique en rapport avec une névrose strictement oedipienne, ou tout au moins sans fixation vraie importante, se développait dans un secteur très limité, sur une personnalité ayant dans l'ensemble accédé à des relations et à une structure que l'on peut qualifier de génitales.

Toutes ces relations objectales aussi bien professionnelles qu'amicales semblaient parfaitement normales. Je pourrais d'ailleurs citer ici le cas encore plus significatif d'une femme que j'ai eu l'occasion de connaître, dans des relations extra-analytiques pendant de nombreuses années. Elle avait une phobie assez singulière au premier abord. Il lui était impossible de consommer un aliment préparé avec une cuiller en bois, et son premier soin, en arrivant en vacances chez sa mère était de faire disparaître les ustensiles en bois dont celle-ci se servait dans ses préparations culinaires. Elle ne pouvait manger une glace qui était présentée sur un bâtonnet de bois. Mais si son mari le retirait, alors elle n'avait plus aucun empêchement. Quand elle me racontait ceci, je lui demandai si elle n'était pas frigide, et elle me dit alors, en ne cachant pas son étonnement, qu'elle souffrait d'une frigidité totale (manifestement hystérique). Cette femme avait un caractère particulièrement heureux, des relations objectales très directes, très simples, infiniment nuancées et fort objectives. Il est inutile d'ajouter que dans un cas comme celui-ci, le simple évitement de la situation phobogène la mettait à l'abri de l'angoisse, et qu'elle se montrait d'une sensibilité adaptée, fine et profonde.

Ainsi ces phobies, qui se développent en fonction de difficultés strictement oedipiennes et sur une personnalité arrivée au stade génital de l'évolution, se caractérisent par leur aspect circonscrit, la simplicité de la défense qui permet d'éviter les situations angoissantes et la forme harmonieuse de la personnalité totale. L'ensemble des relations objectales en dehors de celles qui intéressent directement le conflit névrotique et se condensent dans la situation phobogène, reste parfaitement normal, le Moi est stable, la gamme des affects et des émois variée et adaptée. La projection là aussi intervient, dans le sens très général où j'ai employé ce terme. Dans le cadre de la phobie, l'objet est transformé


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et l'imagination oblitère la réalité, mais son action se limite à ce secteur étroit (1).

A l'opposé, et c'est je crois cliniquement le cas le plus fréquent, il existe des phobies qui se développent dans un contexte clinique tout différent, et qui répondent autant à une fixation importante prégénitale qu'à une régression qui ramène la partie de la libido évoluée à une organisation de ce type sous l'influence évidemment du danger que constitue le rapport génital intégral, inconsciemment perçu par le seul fait de la fixation comme une menace pour l'intégrité du sujet. Ici les phobies sont multiples, à marche extensive, s'accompagnent souvent de phénomènes de dépersonnalisation, et l'ensemble des relations objectales est soumis à des procédés d'aménagement qui établissent une distance pathologique entre le sujet et l'objet, et comme chez l'obsédé tout rapprochement substantiel entre le sujet et l'objet reste impossible, même en dehors des relations strictement génitales. Mais alors que chez l'obsédé les procédés de défense du Moi sont aisément perceptibles, chez l'hystérique et le phobique il n'en est pas de même. Comme Federn l'a bien noté, il ne s'agit plus ici d'un Moi précocement entraîné à se défendre de l'angoisse, en utilisant tous les moyens que le jeu psychologique ambigu de la pensée sadique anale met à sa disposition ; ni un essai de maîtrise rationnelle, ni une tentative de domination magique de la relation objectale n'entrent en jeu ; le Moi irrémédiablement faible, inconsistant, mal structuré aux limites incertaines ne peut que se garer du contact intime angoissant par des mesures de fuite, d'évitement, et quand dans une situation de transfert par exemple, où spontanément ce contact devient direct, la personnalité tout entière est submergée par un orage affectif démesuré que le sujet ne peut assumer. C'est l'effet d'un effondrement passager des procédés d'adaptation habituellement employés (défenses) ; le Moi doit faire face à des affects prégénitaux, tels que je les ai décrits au début de cet article, affects d'une violence extrême, d'une inadaptation foncière, exprimant un désir de possession d'une agressivité sans limite où bien entendu il n'est guère question de l'individualité de l'objet et d'un quelconque de ses besoins. Dans un tel moment cet objet du désir destructeur, de cette avidité qu'aucune réalisation ne peut apaiser, se présente au sujet avec les mêmes caractéristiques qu'il possède, lui, et en fin de compte,

(1) Ici projection est utilisée pour caractériser l'addition d'une imago inconsciente à l'objet de réalité et non avec la signification qui est celle que Freud a donnée à ce terme dans le cas particulier et qui correspond à la projection de l'ensemble d'un conflit dans une situation extérieure, rendue méconnaissable par le déplacement.


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nous nous retrouvons devant les mêmes dilemmes qui gisaient soigneusement enfouis sous les superstructures de la névrose obsessionnelle, et comme ici le Moi n'a à sa disposition que la fuite, l'orage se résout dans un oubli ou un éloignement qui peut atteindre l'intensité d'un refoulement. La relation objectale va donc être maintenue constamment à une distance convenable par l'emploi de toutes les modalités de l'évitement ou de la fuite depuis les déplacements, les travestissements, les projections au sens freudien du terme, de la technique phobique jusqu'au refoulement des expériences même actuelles, en passant par tout le jeu mouvant et anarchique des changements d'objet, de positions affectives, des identifications paradoxales et transitoires, qui contribuent à donner à l'hystérique ou au phobique grave cet aspect de plasticité, de versatilité et de déséquilibre. En bref, alors que la relation obsessionnelle garde à travers tous ces avatars une stabilité frappante, la relation objectale ici est toute de discontinuité : successions de paroxysmes coupés de silences relatifs, lorsqu'elle se noue avec un objet significatif bien défini. Elle semble d'autant plus inconsistante et mouvante, allant des plus grands épanchements, des plus grandes extases, des découvertes radieuses, au désintérêt le plus total, en quelques jours, parce qu'elle est compliquée par la fréquence des changements d'objets, mais cette anarchie est beaucoup plus apparente que réelle. Si, en effet, pour ce Moi, faible, passif, cette relation, dans sa démesure même est insoutenable, et qu'il lui faille à tout prix s'en soulager par la fuite, l'oubli ou l'éloignement, du fait de la faiblesse de la personnalité, elle reste indispensable. Comme dans toute relation prégénitale, le sujet est étroitement dépendant de ses objets, qui méritent dans ce type de relation immaturé, plus que partout ailleurs, le nom d'objets narcissiques, dans la mesure même où leurs présences constituent une réassurance narcissique indispensable. Seulement alors que chez le compulsif, un aménagement minutieux peut, à travers toutes les ressources du jeu arbitraire d'une pensée qui utilise une dialectique tout aussi bien rationnelle que magique, permettre que se poursuive indéfiniment un contact avec un objet significatif inchangé, comme une série de variations peuvent être construites sur le même thème, ici tout est mis en oeuvre dans l'ordre de la fuite, pour qu'un contact qui, par bouffées, se révèle étroit, tellement étroit, que l'existence propre du sujet, son individualité est en danger, étant donnée la forme oralement agressive du désir inconscient et la projection en miroir de ce même désir chez l'autre, pour qu'un éloignement nécessaire intervienne, qui sans rompre la relation indispensable la rende moins dangereuse.


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En fin de compte, en effet, la relation n'est jamais foncièrement rompue, à travers la profusion des changements d'attitudes et d'objets, et à travers les prises de distance plus stables des mesures contre-phobiques, on la retrouve intégralement vivante, faite de besoins et de peurs. Il ne saurait, on le comprend aisément, être question ici d'une zone de relations « mortes ». L'établissement de celle-ci, en effet, exige des possibilités de maîtrise active de la réalité, par la mise en oeuvre des instruments de la pensée, dont le Moi hystérique se montre bien incapable, alors qu'au contraire, il lui faut tout le champ des relations objectales possibles, pour pouvoir user du seul moyen qui lui reste d'éviter l'angoisse d'un rapprochement substantiel, tout en échappant à la perte du contact, puisque le changement est une de ses armes de prédilection.

L'on aura peut-être l'impression d'une description confuse, et pourtant elle répond bien à la réalité, puisque le sens commun avait depuis longtemps admis que les amours passionnées sont des feux de paille, mais cette impression s'appuie à coup sûr sur l'étonnement que l'on aura à voir décrites comme étant identiques, les relations objectales en apparence si dissemblables que celles de certain caractère phobique, des phobiques graves, des hystériques de conversion.

Et pourtant elles ont toutes la même ossature : la stabilisation de l'organisation de la personnalité tout entière dans une structure prégénitale analogue, se rapproche beaucoup de celle du stade oral de l'évolution, et le Moi y a bien, comme Federn l'a montré, partout cette impuissance foncière à faire autre chose que de s'exclure de problèmes qu'il ne peut dominer, comme un enfant qui s'en remet aux autres du soin de régler ses difficultés.

Ceci dit, il n'en reste pas moins que sur cette structure fondamentale qui est, répétons-le, proche de celle que semble avoir le Moi de l'époque orale, constatation qui n'implique nullement que, seuls des facteurs psychogènes soient en cause, pour expliquer une fixation à cette période, se développent effectivement des modalités d'aménagement de la relation objectale qui, tout en ayant ce caractère commun de réaction de fuite ou d'évitement, ont une allure propre, qui confère à la relation d'objet, dans chacune de ces variétés, un cachet particulier.

C'est ainsi que le phobique utilise plus spécialement l'évitement d'une situation phobogène que la projection chargée des significations de la relation d'objet angoissante, cette transformation d'un conflit interne en une situation extérieure dangereuse étant elle-même une mesure d'évitement d'exclusion du Moi, évitement qui, dans les cas


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de phobies graves, avec retour de la personnalité à un stade d'organisation prégénitale, cas que nous envisageons ici, se révèle d'ailleurs inefficace, la régression pulsionnelle vraie et la labilité de la structure du Moi entraînant une multiplication des symptômes phobiques et une extension progressive de chacun d'eux, symptômes qui, associés à ceux souvent moins apparents ou plus dissimulés par le malade, résultant des déficiences propres du Moi (dépersonnalisation) vicient la totalité des relations d'objets.

Le sujet essaie d'éviter toutes les situations phobogènes et elles peuvent être innombrables, qui vont des transpositions de la relation objectale primitivement angoissante, et la totalité de ces relations d'objets peut de proche en proche se trouver contaminée par l'extension en tache d'huile, à travers déplacement et symbolisation du caractère angoissant, à toutes les situations utilisées, qui par analogies de plus en plus lointaines, ont quelque caractère commun avec la situation conflictuelle.

Mais de plus, les relations objectales, en dehors de tout développement proprement phobique, présentent cette même tendance à l'aménagement par l'évitement ou la fuite, quand elles deviennent « trop rapprochées ». C'est ainsi qu'un de nos patients, phobique grave, tenta trois fois vainement au cours de son analyse, d'avoir des relations sexuelles avec une femme, qui précisément l'intéressait de par des caractéristiques pour lui maternelles, qui lui facilitaient la projection d'une imago maternelle à qui ses fixations orales conféraient un caractère dévorant, la projection, au sens large du terme, jouant à plein, quoique inconsciemment, comme dans toutes les relations objectales prégénitales. Il prenait du champ chaque fois que la courbe de ses relations avec elle devenait asymptote au rapport génital, et ceci en fonction des orages affectifs intenses et anarchiques qui traversaient ses relations avec elle tout aussi bien que des phénomènes de dépersonnalisation qu'il éprouvait à son contact, mais seulement à ce moment précis. Comme dans ses relations avec les hommes, il éprouvait des angoisses reproduisant celles suscitées par une peur de castration par son père, peur non seulement en rapport avec une rivalité oedipienne et génitale, mais aussi avec la transposition sur ce désir des relations de style oral non surmontées avec la mère, en fin de compte, il finissait, selon son expression, par avoir peur de l'ensemble du genre humain. Il renforçait d'ailleurs ces aménagements circonstanciels, qui intervenaient quand ces relations objectales atteignaient avec l'un ou l'autre sexe un certain degré d'intensité, quel que soit leur sens, de mesure d'évitement per-


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manent, telle l'occlusion des paupières quand il parlait à quelqu'un, de l'atténuation continuelle de l'expression de ses sentiments dans ses propos, et d'une manière plus générale, la fuite de toute relation intime. Dans ses rapports conjugaux, par exemple, il renonçait à tout désir sexuel avec sa femme. Il n'empêche d'ailleurs que ses relations, pour si sophistiquées qu'elles fussent n'en étaient pas moins indispensables, et que tout essai de les rompre mettait en jeu l'unité de sa personnalité.

Je devrais aussi ajouter pour être complet, que la même nécessité de conserver une distance, et l'obligation de se soustraire à un contact étroit par la fuite frappaient les dérivés les plus symboliques de sa relation d'objet conflictuelle, ici la relation à la mère. C'est ainsi que, pour des raisons que je ne puis détailler, l'obtention du brevet de pilote représentait pour ce sujet la réalisation symbolique d'un rapport intime avec l'objet maternel. Il passa sans encombre le premier examen nécessaire, accomplit les heures de vol prescrites, mais pour obtenir son brevet il lui fallait atteindre une certaine altitude, il n'y arriva jamais. Lorsqu'il était à quelques mètres de la hauteur nécessaire il était saisi d'une angoisse inexprimable et craignait d'avoir l'impulsion de se jeter hors de la carlingue. Le « rapproché » était trop grand même d'une façon symbolique.

Il était loin d'être inintelligent, mais la structure archaïque de son Moi se traduisait par une crédulité extrême à tout ce qui avait un caractère occulte. Il n'était pas éloigné de croire à l'envoûtement, à toutes les pratiques magiques, il était un fervent de l'écriture automatique et des messages venant de l'au-delà, croyait au déplacement des objets sous l'influence des esprits, à tel point que bien des psychiatres l'avaient considéré comme un délirant. Là aussi il avait voulu approcher l'objet de son désir, c'est-à-dire cette puissance inconnue impersonnelle au pouvoir illimité, et s'était adonné à l'occultisme pour sonder le mystère ; mais dès qu'il crut percevoir un contact précis, il eut peur de se voir détruit moralement et physiquement et renonça à une relation étroite avec ce mystérieux que l'analyse lui montra, selon sa propre expression indispensable pour lui, puisqu'il se sentait entouré de partout et délivré de la solitude, mais tout autant effrayant et oppressant, l'occulte n'était-il pas un des masques de l'Imago maternelle.

Hystérie de conversion

A vrai dire il peut paraître tout à fait étonnant de voir étudiées ici les relations d'objet dans l'hystérie de conversion en même temps que celles des phobiques graves, et ceci parce que l'hystérie de conver-


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sion est considérée classiquement et par l'ensemble des auteurs, depuis Freud, comme une névrose essentiellement génitale, ce qui revient à dire que la description de ses relations d'objet devrait trouver sa place auprès de celle des phobiques simples, dont nous avons brossé le tableau plus haut, et il devrait bien en être ainsi si précisément les caractèresstructuraux du Moi hystérique n'évoquaient irrésistiblement une régression, à un stade d'organisation qui, assurément, ne peut qu'être éloigné de celui du Moi contemporain des relations d'objet à proprement parler génitales, l'infantilisme extrême du Moi hystérique ne pouvant faire de doute pour personne.

Ce n'est pas qu'ici il soit question de prétendre à une solution de ce problème, mais simplement de le soulever.

Pour éviter toute confusion, nous exposerons successivement la thèse classique et les arguments en faveur de l'existence d'une régression et d'une fixation orale importante quoique partielle dans l'hystérie de conversion.

La thèse classique. — Elle fait de l'hystérie l'expression d'un conflit strictement oedipien et des particularités de la relation d'objet de ces sujets, la conséquence d'une régression de la personnalité à la phase génitale infantile du développement. C'est ainsi que l'hystérique exprime dans ses symptômes de conversion, à l'aide de moyens d'expressions non génitaux, un conflit génital. C'est ce que signifie le symptôme majeur de la conversion, qui requiert une érogénéité spéciale du corps, rendant chacune de ses parties susceptible d'exprimer une excitation génitale, ainsi que la transformation antérieure d'un objet réel, par projection, en un objet sexuel infantile. C'est ainsi que les traits essentiels du caractère hystérique : la versalité, la facticité et la tendance à l'érotisation diffuse de toutes les relations objectales, sont les manifestations des déplacements que la culpabilité oedipienne impose à l'hystérique, dans son contact avec le monde. Il ne peut accepter une relation génitale authentique, et cherche dans la multiplicité et l'artificialisme de ses investissements une pseudo-relation sexuelle. Le théâtralisme, le besoin d'un objet valorisant, d'ailleurs changeant, et la tendance aux identifications brutales et massives, tout autant que momentanées, expriment le besoin de compenser chez la femme l'absence d'un pénis au désir duquel elle est restée attachée.

Et il est certain que les analyses d'hystériques démontrent à l'évidence le bien-fondé de cette thèse, et il est hors de question de mettre en doute la détermination oedipienne de l'hystérie, pas plus d'ailleurs que des phobies quel que soit leur degré de gravité, pour ne pas dire


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de toute névrose, car, quelle que soit l'importance de la fixation qui intervienne dans une névrose donnée, le conflit oedipien y est toujours abordé, mais de discuter de l'éventualité d'une fixation et d'une régression ici orale.

L'argument thérapeutique de la résolution d'un symptôme, par l'exposition d'un conflit génital, est ici, plus qu'ailleurs, de faible portée, étant donné l'extrême suggestibilité de ces malades et leurs possi ilités infinies d'identification à l'analyste qui doit les guérir de leurs symptômes, et qui leur offre, du fait de l'existence même de la relation médecinmalade, un modèle privilégié.

Arguments en faveur d'une régression et d'une fixation prégénitale. — Ces arguments sont tirés tout aussi bien de la structure même de la relation d'objet que de celle du Moi. La relation d'objet de l'hystérique de conversion présente en effet les caractères essentiels d'une relation d'objet prégénitale. Elle est à la fois indispensable et insupportable dans son ensemble. Nous n'avons pas l'expérience d'analyse de névrose de conversion, mais outre que Freud lui-même a souligné la parenté de l'hystérie de conversion et de la phobie qu'il appelle l'hystérie d'angoisse, il est tout à fait clair que les deux polarités essentielles du caractère hystérique tel qu'il est décrit par tous les auteurs même non psychanalystes : la fragilité des relations et leur recherche effrénée, répondent à ce que nous savons de la relation d'objet prégénitale écrasante et indispensable.

Dans son traité général sur la Théorie psychanalytique des névroses, Fenichel note que la subordination de l'estime de soi à la possession d'un objet significatif témoigne en général de la régression de la personnalité au stade oral de l'évolution.

Or, la relation objectale hystérique est caractérisée par la nécessité impérieuse d'une liaison avec des objets valorisants, aspect clinique, qui répond bien à la « nécessité » de la relation d'objet prégénitale.

Par ailleurs, les auteurs insistent sur la facticité des investissements hystériques et leur variabilité. L'hystérique ne peut accepter une relation objectale génitale réelle. Il fuit toute relation objectale qui tend à devenir génitale, et par contre, génitalise toutes les relations objectales. Autrement dit, comme le phobique régressif, il use au maximum de toutes les modalités de déplacement qui lui permettent d'instaurer une distance suffisante : « Ni trop près, ni trop loin entre ses objets et lui. »

Les procédés d'aménagement de la distance dans la relation sont ici, comme chez le phobique, toutes les variétés d'évitement, depuis la réticence, la répression, le déplacement, jusqu'au refoulement et la


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conversion qui exclut, comme je l'ai dit plus haut, le conflit du Moi psychologique.

Si nous ajoutons que dans ces relations objectales, la projection joue un rôle primordial, nous aurons un tableau complet d'une modalité de relation prégénitale.

Effectivement dans ce moule, s'expriment des affects et des émois d'une extrême violence, quoique de brève durée. Peut-être même le théâtralisme des hystériques donne-t-il cette impression d'exagération quasi volontaire d'insincérité presque consciente, plus parce que l'absence de mesuré, le passage rapide de l'amour à la haine, la fragilité de la motivation, l'abandon brusque de l'objet font illusion et empêchent l'observateur, désorienté par ces brusques changements de style prégénital, de saisir l'essence de cette relation, où l'intolérance à la frustration est de règle et l'avidité affective illimitée, de principe.

Il est vrai qu'en cette description des affects et des émois, nous sommes obligés de nous référer à l'expérience que nous avons des phobiques graves, présentant au cours d'une analyse des conversions transitoires, et non à des cas de sujets traités pour une hystérie de conversion typique.

Quant à l'étude de la structure du Moi, elle offre un terrain encore plus sûr. Tous les auteurs insistent sur le caractère chaotique, le manque de stabilité, la perméabilité du Moi de tels sujets passifs, subissant des orages affectifs qu'ils ne contrôlent pas, changeant d'orientation de jour en jour, sans projet, sans défense contre les avatars de la vie, les hystériques, selon l'expression de Federn (1), s'en remettent aux autres du soin de régler leurs problèmes, et vivent au jour le jour. Ils semblent n'avoir aucune personnalité propre, et si la présence d'un objet valorisant peut être expliquée par l'impossibilité où ils sont de surmonter la blessure narcissique de l'absence du pénis, elle peut tout aussi bien témoigner de l'immaturité d'un Moi, qui a sans cesse besoin, pour retrouver un semblant de cohérence, de la présence d'un « Moi auxiliaire ». C'est sans doute ce qui rend compte de leur facilité à s'identifier brusquement à toute personnalité qui les frappe, tout aussi bien qu'à jouer un rôle dans lequel, pour un temps, ils se structurent, si je puis m'exprimer ainsi. Bien des auteurs d'ailleurs, ont été frappés de certaines possibilités sensitivo-sensorielles de ces malades, qui peuvent faire preuve d'un « flair » étonnant, possibilités qu'ils considèrent comme des indices d'immaturité notoire. Cette acuité perceptive, qui dépasse

(1) FEDERN, Hysterie und Zwang in der Neurosenwahl, Int. Ztschr. und Imago, p. 3, 1940.


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les limites de la moyenne normale, serait l'apanage d'une structure primitive.

Ainsi, bien des arguments tirés de la nature de la relation d'objet et de la structure du Moi, donnent à penser que si un conflit de l'époque génitale infléchit toute l'organisation de la relation d'objet, des fixations prégénitales y aident considérablement, fixations qui facilitent singulièrement l'échec devant la dernière grande épreuve normale : le conflit oedipien.

Freud qui, dans l' Introduction à la psychanalyse, recueil de conférences faites durant les années 1911-12-13, affirme l'absence de régression dans l'hystérie, se montre singulièrement plus réservé en 1926 dans Angoisse, inhibition et symptômes (1), comparant la genèse de deux phobies d'animaux (du Petit Hans structure hystérique, de l'Homme aux loups, structure obsessionnelle), n'écrivait-il pas : au reste, s'agit-il seulement d'un remplacement de la représentation corrélative au désir originel par une expression régressive (au niveau du Moi) ou plutôt d'une réelle dégénérescence régressive de ce désir relevant de la phase génitale au niveau du Ça. C'est ce qui ne me paraît pas facile d'élucider.

D'ailleurs, l'existence d'une régression orale vraie dans l'hystérie a retenu l'attention de nombreux auteurs. Il n'en reste pas moins qu'il existe des phobies simples, limitées comme je l'ai écrit plus haut, se développant sur des personnalités, qui ne présentent aucun des traits du caractère hystérique, se révèlent parfaitement cohérentes et stables, et ont des relations d'objet de style génital, et que d'après le témoignage de ceux qui ont l'occasion de voir beaucoup d'hystéries de conversion, il arrive que très souvent le syndrome fonctionnel se développe sur un sujet, en apparence du moins, parfaitement sain et bien adapté. Je ne puis parler de ces derniers cas que par ouï-dire.

Cela reviendrait-il à dire que l'on s'engage dans la voie du démembrement de la nosographie analytique ? Je ne le crois pas, mais je pense que ces constatations nous poussent à déplacer l'accent du symptôme à la structure et à la qualité du Moi. Peut-être est-ce un mince résultat, puisqu'en dernière analyse, une caractérologie analytique, inspirée de ce que nous savons sur le Moi se bornerait à distinguer un Moi génital d'un Moi prégénital et, à ce niveau, un Moi oral d'un Moi anal ; mais l'importance pratique d'une telle distinction me paraît

(1) FREUD, Inhibition, symptômes et angoisse, trad. fr., Presses Universitaires de France, p. 25.

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déjà substantielle, ne caractérise-t-elle pas en effet deux types de relations au monde si différents, les relations prégénitales et les relations génitales, qu'il me paraît essentiel de les opposer.

Des difficultés surgissent soulevées par cette manière de voir : comment expliquer que l'hystérique, dans sa réaction à l'OEdipe, n'utilise pas les techniques de défense du stade sadique anal du développement, d'une part, comment évite-t-il les écueils de la régression orale complète, qui domine un tableau psychotique d'autre part.

A vrai dire, on ne peut ici que formuler des hypothèses. Il convient tout d'abord de remarquer que l'activité génitale a une gestalt qui se rapproche étrangement de celle de l'oralité. Freud lui-même avait comparé le rapprochement sexuel à l'allaitement et nous trouvons trace de cette perspective dans l'oeuvre de Bergler, qui note que l'homme dans sa fonction génitale renverse sa situation infantile de passivité par rapport à la femme ; ensuite il faut noter que l'hystérique ou le phobique grave, et l'on sait la parenté étroite des structures phobiques et hystériques, puisque Freud qualifiait la névrose phobique d'hystérie d'angoisse, loin de rompre ses relations d'objet, comme le psychotique, avec tout ce que cette formule a d'approximatif, est sans cesse conduit à en avoir de nouvelles, dans la mesure même où il ne peut se réaliser totalement dans aucune ; peut-être qu'intervient ici un facteur congénital : le Moi hystérique est pauvre par rapport au Moi sadique anal. Il demande à l'extérieur de quoi le protéger contre l'angoisse, alors que ce dernier trouve en lui-même de quoi le rassurer ; mais il est riche, en comparaison des Moi psychotiques, que ce soit par suite de l'intervention de facteurs organiques ou à cause de la gravité des conflits des toutes premières phases de l'existence (discussion de l'étiologie de la fixation), ces derniers s'engagent facilement sur la voie d'une régression totale, qui pour le premier n'est toujours que partielle comme le montre précisément la faculté qu'il a de chercher sans cesse à renouer des relations d'objets, sur un mode qui n'oblitère pas complètement son sens de la réalité.

Je devrais maintenant pour être complet aborder l'étude des relations d'objet dans les caractères névrotiques et les névroses de caractère, et d'ailleurs, ainsi que l'on n'a pas manqué de le remarquer, j'ai omis de parler des relations du caractère phobique ; mais je me trouverais ici en présence d'un développement parallèle à celui que j'ai décrit à propos du caractère anal, préexistant à la névrose obsessionnelle : le caractère phobique utilise comme les névroses hystériques et phobiques les mêmes procédés d'aménagement de la relation. Il fuit tout ce qui


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peut évoquer de près ou de loin la situation conflictuelle. L'évitement sous toutes ces formes est le procédé d'aménagement de choix depuis le déplacement jusqu'au refoulement mais, grâce aux renoncements qu'un tel système de défense implique, il n'existe pas à proprement parler de symptôme de premier plan. Néanmoins, si les circonstances veulent qu'un « rapproché » s'impose au sujet, ou qu'un procédé de défense vienne à manquer, ou que des modifications du jeu des forces: intérieures : poussée instinctuelle, redoublement de célérité du Surmoi, cet état d'équilibre instable peut céder et le symptôme faire son apparition. C'est, par exemple, ce que j'ai montré à propos de la névrose obsessionnelle.

Les relations d'objet y sont ce qu'elles sont dans les névroses correspondantes, à cette différence près qu'elles y sont encore beaucoup plus « aménagées » que dans les formes symptomatiques, d'une part par suite de la généralisation « préventive » si je puis m'exprimer ainsi, des procédés de défense ou d'adaptation d'ailleurs renforcés à toutes les relations objectales, et ceci d'autant plus facilement que les conflits primordiaux sont « gelés » dans des formations ou des traits de caractère dont l'ensemble forme précisément cette cuirasse de défense dont les défauts sont très rares, en ce sens qu'elle ne permet aux relations objectales que de prendre une ampleur compatible avec la tranquillité du sujet, une grande partie de l'énergie instinctuelle s'épuisant dans le maintien du compromis que constitue chacune des parties de cette armure, les besoins instinctuels à satisfaire au dehors sont assez limités, et les dépenses d'énergie qu'ils doivent satisfaire assez minces. C'est ainsi que Diatkine et Favreau ont pu parler d'une relation inverse entre l'importance des défenses narcissiques et des symptômes, l'importance des uns étant inversement proportionnelle à celle des autres ; notation sur laquelle il y aurait beaucoup à dire si l'on voulait la généraliser. Car ainsi que je l'ai montré dans le cas cité d'obsession, le symptôme peut, lui aussi, être rangé dans le cadre des défenses, dans la mesure où il intéresse les relations avec un objet idéal beaucoup moins réel qu'un objet humain par exemple.

Si l'on admet que les névroses de caractère témoignent d'une précocité et d'une importance spéciale des conflits, l'on ne doit pas s'étonner que ce groupe réponde à des relations d'objet non seulement névrotiques, mais psychotiques. Les psychoses, dans la génétique freudienne des relations régressives, ne correspondent-elles pas à une fixation très importante et très précoce des relations objectales ; et c'est ainsi que l'on peut sans difficulté placer à côté des névrosés de caractère phobique,


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hystérique ou obsessionnel des névroses de même structure cycloïde et schizoïde. Les relations objectales des névroses de caractère psychotique ne sont-elles pas témoins d'une régression aux tout premiers stades du développement.

LE MOI ET LA RELATION D'OBJET PERVERSE

La relation névrotique au monde, si elle est la mieux connue, du seul fait que ses états névrotiques constituent l'indication majeure de la thérapie analytique, n'est pas la seule sur laquelle la théorie freudienne ait apporté des éclaircissements substantiels. Comme je l'écrivais, en précisant le plan de cet exposé, ses apports sont aussi considérables en ce qui concerne les perversions et les psychoses, mais évidemment ici nos connaissances sont moins profondes. Les relations du Moi névrotique à son environnement nous sont plus familières que les relations du Moi pervers et du Moi psychotique, et de ces deux, le Moi pervers nous est peut-être le plus accessible. Ceci sans doute parce qu'il est extrêmement fréquent que la perversion soit, dans une certaine mesure, associée à la névrose, tout au moins en ce qui intéresse les perversions mineures, si je puis m'exprimer ainsi ; car la grande perversion criminelle sadique ne se prête guère à l'observation analytique ; tout au plus, comme dans l'observation rapportée dans le rapport de Nacht, Diatkine et Favreau au Congrès international de Psychanalyse de Genève, 1955, est-elle parfois matière à un simple examen par un psychiatre, de formation analytique. Aussi né m'y attarderai-je pas, et me contenterai-je de souligner que dans le cas présent la structure du Moi et de ses relations d'objet ne paraissait ni simple, ni sans connexion avec ce que nous sommes habitués à voir. Il s'agissait pourtant d'un sujet hospitalisé à la section des aliénés dangereux d'un hôpital psychiatrique, qui avait commis deux meurtres dont le dernier dans des conditions qui ne laissaient aucun doute sur la nature perverse de son passage à l'acte et sur la forme régressive des appétits qu'il y avait satisfaits : son homicide ne s'était-il pas accompagné d'impulsions cannibaliques réalisées et d'orgasme, et le contraste ne pouvait manquer de retenir l'attention, entre cette réalisation sadique caractérisée, et la vie habituelle de ce sujet qui se montrait bien adapté et socialement et sexuellement. Tout au plus pouvait-on retenir dans sa biographie deux traits particuliers : le plaisir qu'il prenait à sentir l'odeur du sang des blessés qu'il transportait (il était brancardier pendant la guerre 14-18) et l'habi-


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tude qu'il avait de boire régulièrement un verre de sang aux abattoirs, dans un but thérapeutique, prétendait-il.

Comme le font remarquer les auteurs, ce cas, où le passage à l'acte fut exceptionnel et l'adaptation générale apparemment satisfaisante, n'est pas sans analogie avec les perversions sado-masochiques prises dans leur forme habituelle. Ces sujets-là non plus ne se font pas traiter par la psychanalyse, mais des éclaircissements plus substantiels ont pu être obtenus sur leur cas, et les auteurs de noter d'une part, que ces malades se complaisent tout autant dans des fantasmes conscients que dans des réalisations, que bien souvent d'ailleurs, les dites réalisations sont empreintes d'un caractère ludique, et en tout cas extrêmement pauvres et stéréotypées, par rapport à un fantasme inconscient de destruction totale, tant et si bien que même dans ces formes pures, le passage à l'acte a tous les caractères d'un comportement défensif, tout à la fois d'interdiction et de satisfaction, soigneusement élaboré, empreint du besoin de maintenir une certaine distance entre le désir sous sa forme primitive et son objet, et par là déjà une certaine parenté structurale se révèle entre l'organisation générale du Moi pervers, et celle du Moi névrotique précédemment étudié ; à la différence qu'une conscience directe du désir régressif de possession, sous une forme atténuée, est spontanément possible dans un cas (fantasmes conscients), alors qu'elle ne l'est pas dans l'autre, c'est là évidemment le trait clinique essentiel de la personnalité perverse.

Parler de distance entre l'objet et la forme inconsciente du désir, évoque tout naturellement la notion de projection au sens où je l'ai constamment employée au cours de ce travail. Autrement dit est-ce que, comme dans les névroses, la projection transforme l'objet du désir en un être analogue au sujet, ou du moins tel que serait le sujet, s'il pouvait prendre directement conscience de la nature de son fantasme de destruction ?

N'ayant personnellement jamais observé de pervers, je ne puis répondre nettement à cette question, mais si l'on considère que la perversion n'est pas une libération pure et simple d'activités pulsionnelles sous une forme archaïque, mais qu'elle a un caractère défensif, autrement dit, qu'elle n'est utilisée qu'en tant que substitut à des relations érotiques normales, que la crainte de la castration, en particulier par la femme, revêtue de toutes les significations d'une imago régressive de la mère, ce qui est l'opinion générale, y est toujours présente, l'on peut répondre par l'affirmative. Ici aussi, comme chez les névrosés, la relation objectale est aménagée, en une distance soigneusement cal-


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culée, du sujet à l'objet, à cause d'une projection qui transforme l'objet en un être semblable au sujet. Cette structure relationnelle est la conséquence de l'action combinée d'une fixation et d'une régression aux stades prégénitaux du développement, et si l'on ajoute à cela que cette relation, sans réalisation entière possible parce que destructrice et de l'un et de l'autre, reste néanmoins indispensable de par la labilité et la dépendance du Moi, liées à la prégénitalité, ne retombe-t-on pas dans le schéma général, que nous avons vu, semble-t-il, si bien s'appliquer aux névroses. Ce qui n'empêche pas que la relation perverse, conserve son originalité, de par l'exceptionnelle possibilité de décharge instinctuelle, que permet la réalisation perverse.

Et cette possibilité qui constitue la caractéristique essentielle de l'organisation perverse du Moi, qu'elle soit liée au passage à l'acte lui-même, ou qu'elle s'effectue à travers l'érotisation de l'angoisse, demande une explication particulière.

Dans leur rapport, Nacht, Diatkine et Favreau admettent que cette possibilité d'érotisation toute particulière de la défense que constitue la perversion, est liée, d'une part, à l'intensité de la fixation prégénitale, d'autre part, à l'indulgence d'un Surmoi particulièrement adouci.

De toute manière, la réalisation perverse, même si elle permet au sujet de retrouver des satisfactions déjà ressenties, lors des expériences vécues autrefois, ne constitue qu'un rapport approximatif à l'objet, et défend le sujet contre le rapproché du rapport génital au sens le plus plein du terme. Telle est l'explication analytique générale de l'érotisation de la défense dans la perversion. Comme on le voit, elle ne dépasse guère le niveau d'une constatation, mais comme le font remarquer les auteurs, les études anatomo-cliniques sont impuissantes à mieux résoudre ce problème.

Dans ce bref chapitre sur le Moi pervers et ses relations d'objet, je me suis efforcé comme ailleurs, d'indiquer les traits généraux de ce qui m'a paru spécifique d'une forme de relation d'objet et de notre connaissance dans un domaine particulier. C'est ainsi que je n'ai pas envisagé les mécanismes propres au fétichisme, pas plus que les significations des différentes formes de l'homosexualité.

J'ai aussi laissé de côté les perversions liées à des états névrotiques, où la satisfaction fantasmatique remplace le plus souvent le passage à l'acte et où évidemment toutes les variantes névrotiques de défense ou d'aménagement de la relation objectale se donnent libre cours, en particulier tous les travestissements et tous les déplacements du jeu


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fantasmatique, fuite pure et simple de l'objet réel, utilisation de la distance spatiale dans le fantasme.

Ces cas, qui prouvent l'existence d'une étroite relation des organisations perverses et névrotiques de la psyché, ne font que démontrer qu'il n'y a pas de différence de nature entre le Moi pervers et le Moi névrotique, et que le problème reste toujours le même : aménager la relation d'objet. Mais il reste un aspect de la question sur lequel je désirerais attirer l'attention. Comme Glover (1) l'a fait remarquer dès 1933, l'existence d'une perversion favorise la conservation d'un certain sens de la réalité. Elle représente une tentative périodique de lutte contre l'introjection et la projection d'angoisse par libidinisation excessive. Parfois, celle-ci est dirigée contre les parties du corps du sujet ou de l'objet menacés de destruction. D'après cet auteur, la « libidinisation est une des cures primitives de la peur, car elle annule les déformations imaginaires de la réalité issues de la peur ». C'est par conséquent, si j'ai bien compris la pensée de cet auteur, dans la mesure précisément où l'épuisement des tensions instinctuelles régressives et des conflits qui les accompagnent en une relation d'objet significative, limitée au système de la perversion ou même de la toxicomanie s'effectue, qu'est pour le reste permise, une vision apparemment objective de la réalité.

Je me demande si à travers des mécanismes différents, les choses ne se passent pas un peu comme dans la psycho-névrose obsessionnelle, où la relation « objective » est soustraite aux tensions instinctuelles régressives et angoissantes, mais par là même dévitalisée. J'ai connu un cas où un masochisme érogène permettait un libre exercice d'une activité fort bien adaptée, en apparence du moins, mais là aussi au prix d'un appauvrissement certain de la valeur affective de l'ensemble des autres relations objectales. Ceci rejoint d'ailleurs ce que Nacht et ses collaborateurs ont souligné, en notant le contraste entre la qualité sadique des activités sexuelles de certains pervers, et l'aménité de leurs relations d'objet en général. Ils ont d'ailleurs insisté sur les modifications du style des relations objectales dans leur ensemble, des homosexuels, même lorsqu'ils étaient satisfaits de leur état et dépourvus de toute angoisse.

(1) GLOVER, Rapport entre la formation des perversions et le développement du sens de la réalité (Int. J. of Psa., XIV, 1933).


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STRUCTURE DU MOI ET RELATIONS D'OBJETS PSYCHOTIQUES

Les relations d'objet et la structure du Moi dans les psychoses nous sont encore moins bien connues dans leur ensemble que les relations d'objet névrotique et même, quoiqu'à un moindre degré, que les relations perverses. Ceci tient au fait que les psychotiques, moins que les pervers, se prêtent à l'investigation et au traitement analytique, exception faite pour les schizophrènes qui, comme chacun sait, sont actuellement l'objet de psychothérapies d'inspiration analytique ou d'analyses véritables et dont la relation objectale nous est plus familière.

Pour ne citer qu'un exemple, Freud a dû établir la théorie de la paranoïa sur la seule analyse « sur pièces » du cas Schreiber, et il ne semble pas que depuis une observation complète de malade de ce type ait été rapportée. Quant aux analyses détaillées d'épileptiques, elles sont extrêmement rares.

Mais il n'en reste pas moins que Freud avait su marquer la différence essentielle qui sépare les formes franches des névroses des états psychotiques avérés, en une formule saisissante qu'il est à peine besoin de rappeler. Les névroses sont caractérisées avant tout par un refoulement de l'instinct, les psychoses par un refoulement de la réalité. Alors que, de prime abord, dans les premières, un certain sens de la réalité est maintenu, dans les secondes, la perception de celle-ci est oblitérée de façon telle, du moins lorsqu'elles sont indiscutables, que toute relation objectale en est bannie. Tel est du moins ce qui se passe au moment où s'installe la maladie, et il faut ajouter que ce refoulement de la réalité, ce désinvestissement des objets extérieurs, peut, dans les cas où une restructuration des relations objectales sera rapidement ébauchée, rester ignorée et ne se faire sentir que par la marque qu'elle peut imposer à la reprise des rapports objectaux. Un véritable refoulement de la réalité fait place à un refoulement de l'instinct, et lorsque de nouvelles relations objectales se nouent, elles sont, à un simple examen, immédiatement ressenties par l'observateur, comme très éloignées des relations névrotiques ; chacun sait toute la différence qui existe entre le contact que peut avoir avec le monde un névrosé, même très gêné par ses symptômes, et celui que peut établir un paranoïaque ou un schizophrène. Pour les seconds seulement on parlera d'aliénation.


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Sans entrer dans les détails, rappelons donc, avec Renard, que Freud considérait qu'à la phase de leur installation, les psychoses passaient par une période de refoulement du monde extérieur et de repli narcissique de la libido objectale, refoulement entretenu par un contre-investissement dynamique toujours nécessaire, de par l'existence d'incitations perceptives, jamais absentes, et qui dans le monde extérieur, trouvent leur origine, tout aussi bien que du fait de l'accumulation des énergies instinctuelles cherchant obscurément une voie de décharge objectale, sans parler de la persistance de certaines fonctions de la psyché, de certaines instances, pour employer une terminologie analytique, qui exigeraient une reprise de contact avec le monde. Ce refoulement est d'ailleurs complété par une régression qui tendait à ramener le sujet à un état où le monde extérieur lui était indifférent, ce qui lui ferait faire, si elle réussissait, l'économie d'un tel refoulement, d'une telle négation, d'un monde extérieur présent, et par certains côtés instinctuellement attirant. C'est d'ailleurs en fonction des dépenses énergétiques exigées par le maintien de ce refoulement que s'expliqueraient les libérations instinctuelles, qui s'expriment dans les activités délirantes, interprétatives ou hallucinatoires, quels que soient leurs thèmes et leur degré de structuration. C'est en ce sens que l'on peut dire que dans les psychoses, le Moi est l'allié du Ça. Il ne dispose plus des énergies nécessaires pour tamiser et organiser les courants instinctuels, occupé qu'il est à maintenir une inacceptation de la réalité.

Bien entendu, des phénomènes annexes se développent, qui sont en rapport avec le surinvestissement narcissique du Moi, et par conséquent avec cette phase de refoulement du monde extérieur dont je parlais plus haut, hypocondrie et mégalomanie qui interviennent pour leur part, dans la reprise de contact avec le réel, véritable reconstruction objectale, foncièrement viciée comme en témoignent les délires de tout genre, contact avec l'environnement, qui est évidemment bien différent du contact névrotique, tout au moins dans sa physionomie générale, car l'étude des formes de transition le prouve surabondamment, et celle de l'évolution d'une psychose donnée le confirme. A ses phases de rémission, des modes relationnels névrotiques brochent sur le tableau clinique, et l'accession à des relations moins archaïques peut se créer (symptômes de restitution) comme j'y ai insisté, en faisant allusion aux rapports de la technique relationnelle obsessionnelle, avec les autres modes de relations objectales placées plus ou moins haut sur l'échelle des rapports régressifs au monde.

Telle est dans son ensemble la théorie freudienne des psychoses.


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Mais pour si satisfaisante qu'elle soit, elle n'en comporte pas moins un point obscur et d'une importance capitale, c'est le suivant : Pourquoi le sujet est-il tellement sensible aux invitations de la réalité extérieure qu'il la refoule, alors que dans les névroses, il se défend avant tout contre certaines appétences instinctuelles, et garde avec la réalité un contact souvent apparemment suffisant ?

En restant sur le plan purement psychologique, et en ne mettant en aucune manière en discussion l'existence de processus organiques, dont l'influence sera ici, plus que dans les névroses fréquemment évoquée, il faut bien dire que cette question ne semble pas avoir reçu de réponse vraiment suffisante ; car, parler des différents caractères prépsychotiques, en insistant sur les difficultés du contact qui les marque, le futur mélancolique ne pouvant toucher agressivement à autrui, le préschizophrène renonçant à tout contact, et le futur paranoïaque ne pouvant admettre que d'aimer et non d'être aimé, ne fait que reculer la difficulté. Par contre, invoquer la profondeur de la régression semble nous apporter une réponse plus satisfaisante ; car nous pouvons facilement comprendre qu'un retour à certaines formes très anciennes d'organisation de la psyché entraîne une tendance au retrait du monde objectai, que la fixation et la régression combinées transforment par projection en un univers dangereux, et à la recherche des satisfactions auto-érotiques et narcissiques de la prime enfance. Pour une régression à un stade donné, son importance, le fait qu'elle intéresserait une partie plus ou moins grande de la personnalité, expliquerait alors qu'elle aboutisse à une névrose ou à une psychose, comme c'est le cas pour la régression orale partielle dans l'hystérie, totale dans la mélancolie et la schizophrénie. Mais nous devons nous contenter d'être descriptif, en profondeur s'entend, sans vouloir aller au delà d'une assimilation des relations psychotiques, aux relations objectales des phases précoces du développement, et insister sur l'analogie qui existe entre les psychoses de persécution et le stade sadique anal, la schizophrénie et le stade oral, première manière, la mélancolie et le stade oral, deuxième manière. Nous ne pouvons aller plus loin, car nous nous retrouvons ici encore, comme chaque fois qu'il s'agit de fixation, processus qui, on le sait, est en majeure partie, pour ne pas dire totalement, responsable de la régression, devant le problème du facteur organique, sur lequel nous n'avons que peu de données ; mais n'en est-il pas de même dans les névroses graves ? Car même si, comme Federn pour la schizophrénie, on fait intervenir une certaine qualité congénitale de la libido du Moi, pour expliquer la rupture des relations objectales, l'on ne fait que serrer


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le problème d'un peu plus près et le cerner, sans mieux le résoudre définitivement. Ceci dit, l'apport de la psychanalyse dans la compréhension des psychoses est loin d'être négligeable. Les psychoses en effet, tout comme les névroses, se définissent en termes de relations d'objet, tout aussi bien à leur phase de début, qu'à celle de restitution des rapports objectaux. Elles ont leurs procédés d'adaptation, leurs défenses, qui tendent sans cesse à maintenir une distance toujours en danger, ici plus qu'ailleurs, d'être déréglée, entre le sujet et ses objets, qu'ils soient fantasmatiques ou réels. Mais ces défenses ont ici ceci de particulier que, autant que des défenses, « elles sont des défaites », c'est-à-dire, qu'autant que protections efficaces, elles sont la conséquence de déficits graves.

Car là comme ailleurs, le problème qui se pose au sujet est de maintenir des relations d'objets compatibles avec les transformations que l'immaturité des pulsions impose par projection secondaire à une réalité qui n'a plus rien ici de commun avec ce que l'on est convenu d'appeler de ce nom.

Et ce problème réclame une solution si impérieuse qu'il ne peut être différé, et que même dans les stupeurs psychotiques, comme Renard l'a si judicieusement rappelé, la relation tend à se rétablir dans la catatonie par des satisfactions auto-érotiques, dans la mélancolie par des réinsertions délirantes, certes, mais des réinsertions dans le monde des objets externes. Dans les autres psychoses, d'ailleurs, la chose est évidente, et il n'est guère besoin d'insister sur les multiples relations objectales que le persécuté noue avec son environnement. Et Renard (1) de nous rappeler que Freud, dans ses derniers travaux, réservait la qualification de névrose narcissique à la seule mélancolie, parce que c'est la seule, et encore à sa phase de début, où des investissements objectaux, allégeant le Moi psychique, soient impossibles, qu'ils soient fantasmatiques, appartenant au Moi corporel, ou externes. Cette « hypocondrie morale » où le Moi psychique est son propre objet, ne constitue-t-elle pas la forme la plus achevée de la réfraction de toutes les énergies pulsionnelles sur le sujet lui-même, et ne se caractérise-t-elle pas par l'angoisse la plus extrême, celle du monde de la solitude absolue, où ne reste plus aucun objet, sauf soi, sur qui déverser l'énergie instinctuelle qui ne saurait se tarir qu'avec la vie.

Ainsi, le psychotique, tout comme le névrosé, doit à tout prix

(1) RENARD, La conception freudienne de névrose narcissique (Rev. fr. Psy., juill.-sept. 1955, p. 415)-


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maintenir ou récupérer au mieux les relations objectales qui lui sont nécessaires, sur le plan dynamique et économique, pour éviter la rupture de ses relations objectales, qui le mettent dans un état de tension insupportable, ce que S. Lebovici (1) n'a pas manqué de rappeler dans une conférence récente. La situation de ce point de vue est en soi comparable à la situation névrotique ; et c'est ici que la cohérence de la théorie psychanalytique des troubles mentaux apparaît le plus clairement, en ce sens que cette théorie, malgré les difficultés auxquelles elle ne pouvait échapper dans l'étude des psychoses et d'ailleurs des perversions, comme je l'ai écrit plus haut, a su montrer que le même problème essentiel se présentait toujours à l'homme, qu'il soit bien portant, ou plus ou moins profondément atteint, les situations étant évidemment spéciales dans chaque cas, sans que pour autant il y ait de différence radicale, de hiatus absolu dans les diverses formes mentales, qui vont des troubles les plus simples et les mieux localisés des relations au monde jusqu'aux formes les plus graves et les plus étranges d'aliénation et ce malgré l'abord difficile, les complications infinies des mécanismes en cause et des réactions secondaires par quoi le sujet doit s'adapter aux difficultés résultant tout autant de conditions physiologiques et anatomiques spéciales innées ou intercurrentes que des impacts d'un vécu pour lui insupportable de lui-même ou en fonction des difficultés préexistantes, avec lequel il l'abordait.

Le Moi psychotique a donc à maintenir ses relations objectales avec un autre, quel qu'il soit, intériorisé ou extérieur, comme le Moi névrotique et le Moi pervers, seulement il doit opérer dans des conditions infiniment plus difficiles, et c'est là ce qui distingue sa structure et ses relations au monde, de celles dans lesquelles se trouvent les deux précédents. Il doit faire face à des déficits profonds qui, d'une manière générale et approximative, le ramènent, ce Moi, aux formes qu'il avait connues, ou mieux, qu'il avait dépassées au cours d'une évolution normale, apparemment du moins, avant que n'éclate la psychose. Je dis bien apparemment, car le raisonnement que je me suis efforcé de poser au sujet du Moi et des relations d'objet névrotique, me paraît, a priori, valable pour les psychoses dont je n'ai pas d'expérience, sauf par un cas d'analyse contrôlée de schizophrénie indéniable encore en cours : à savoir que l'adaptation est beaucoup plus apparente que réelle, et qu'au fond, avant que n'éclate l'affection confirmée,

(1) S. LEBOVICI, une obs. de Psychose infantile. — Étude des mécanismes de défense (à paraître dans Evolution psychiatrique).


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elle n'est réalisée que grâce à des mesures de défense qui comportent des renoncements plus ou moins grands aux décharges instinctuelles valables, suivant l'importance et l'archaïsme de la fixation, quelle que soit la perfection apparente de l'adaptation.

L'étude des caractères névrotiques ou d'une manière générale prémorbides, nous montre que ces renonciations sont antérieures à toute manifestation pathologique franche, de la même manière que celle des états compensés, qu'ils soient névrotiques ou psychotiques (Diatkine et Favreau), nous permet de saisir dans quelle mesure cette adaptation est fonction de circonstances extérieures spéciales, qui la facilitent, soit qu'elles soient particulièrement stables et coutumières, soit qu'elles se montrent complémentaires et spontanément adaptées aux modes relationnels propres au sujet.

Ces déficits, qu'ils soient acquis ou congénitaux, qu'ils interviennent très précocement ou non, qu'ils soient en rapport plus spécialement avec des agressions organiques du système nerveux ou avec des incapacités à surmonter des conflits très primaires, et ici les deux ordres de causalité s'interpénètrent, comme les auteurs les plus classiques le soutiennent (discussion de l'étiologie de la fixation), amènent la personnalité à un état de régression à la fois du Moi et des pulsions, qui se traduit par ce refoulement de la réalité où Freud a vu le mécanisme fondamental des psychoses et qui évidemment ne peut s'instaurer que si le Moi est dans l'incapacité d'utiliser d'autres moyens de défense ou d'adaptation. C'est pour l'expliquer que Federn a supposé une sorte de qualité particulière de la libido, congénitale d'ailleurs, une fluidité spéciale, qui la rende plus facilement compréhensible dans la schizophrénie du moins. Car ce refoulement est bien un moyen de défense, tout autant que l'expression d'un déficit, un déficit par rapport à la structure du Moi adulte, peut-être pas par rapport au Moi archaïque, état auquel la régression concomitante au refoulement, a ramené le Moi, autant que les. activités instinctuelles d'ailleurs, car le Moi du tout petit enfant, pour n'envisager que le cas de la schizophrénie, le mieux connu actuellement, puisqu'en fonction de ses caractères spécifiques, le schizophrène est plus que d'autres psychotiques accessible à l'investigation et à la thérapie analytique, et par ailleurs nous savons que l'on tend à rattacher sa structure à l'étape orale la plus précoce du développement, le Moi du tout petit enfant, dis-je, est bien à la fois mal différencié de son environnement et aisément pénétrable par lui ; n'est-il pas foncièrement indifférent à une réalité qu'il ne reconnaît et qui donc n'existe pour lui que quand il en a besoin. Il la désinvestit tout


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aussi facilement qu'il s'y confond. Il l'introjecte tout autant qu'il la rejette ; il la fait mauvaise ou bonne, agressive ou bénéfique, par projection de ses propres états affectifs, et y réagit ensuite comme si elle était réellement bonne ou mauvaise, dans une série de réactions en chaîne qui se ferment en un cercle vicieux.

Cette facilité aux introjections et aux réjections, cette activité projective perpétuelle et globale, cette facilité aux investissements et aux désinvestissements, et, pour l'enfant, le désinvestissement le plus radical est le sommeil, qui est bien un véritable refoulement de la réalité extérieure, nous les retrouvons dans la schizophrénie, et avec des variantes explicables par la profondeur atteinte par la régression, en fonction de la situation, des points de fixation dans les autres psychoses.

Pour en rester à la schizophrénie, tous les auteurs y ont décrit les différents mécanismes que je viens de rappeler, et ont insisté sur l'alternance rapide des phases d'investissement et de désinvestissement des objets extérieurs, même à la période de réintégration des relations objectales ; il y a comme de micro-refoulements de la réalité, qui, joints à la succession également rapide des phases d'introjection et de réjection, apparaissent comme autant de processus défensifs destinés à régler une relation prégénitale avec un objet que l'activité projéctive permanente et globale revêt des mêmes caractéristiques instinctuelles que le sujet lui-même, et par là, rend dangereux, puisqu'en fonction de la régression pulsionnelle, les activités érotiques propres au sujet revêtent un caractère destructif. Lors des phases de désinvestissement trop marqué, des satisfactions plus précisément auto-érotiques viennent remplacer celles obtenues à partir de l'objet externe ; on ne peut, en les comparant à ces dernières, que les qualifier de plus spécialement auto-érotiques, puisque celles obtenues à partir de l'objet externe ne sont évidemment que narcissiques, et que l'on sait les relations étroites entre les deux ordres de satisfaction.

Cette relation prégénitale où la variabilité des investissements, comme dans toutes les relations orales, n'empêche que le contact à l'objet reste étroitement indispensable. J'en ai eu l'expérience dans l'analyse dont j'ai parlé plus haut d'une schizophrénie atténuée, où j'ai pu saisir sur le vif la qualité défensive des alternances des introjections et des projections, des investissements et des désinvestissements, ainsi que l'étendue et la profondeur de la transformation subie par la réalité en fonction de l'importance de la régression pulsionnelle d'une part, et des activités projéctives de l'autre. Tout rapprochement substantiel devenait destructeur, et pour le sujet et pour autrui, et le


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repli narcissique ne pouvait être évite, précisément que par ce double mouvement de rapproché et d'écart, qui seul permettait au patient de maintenir des relations d'objet externe. Je dois d'ailleurs ajouter que dans ce cas, il n'y avait pas de phénomène hallucinatoire caractérisé, et que l'instauration de relations génitales satisfaisantes semble avoir renforcé un contact avec la réalité, qui n'avait jamais été entièrement perdu, à ma connaissance du moins.

Que ces procédés de défense soient en même temps témoins d'un défaut du Moi, n'a guère besoin d'être démontré. Il faut que ses limites soient fluentes, pour que ce jeu rapide des introjéctions et des réjéctions puisse s'établir ; il est nécessaire que ses activités perceptives et ses possibilités de synthèse soient amoindries pour que la réalité soit dans son ensemble directement transformée par la projection, pour que la conviction délirante s'installe qui entraîne des passages à l'acte, discrets certes, dans le cas auquel je fais allusion, mais directement liés à une identité symbolique non discutée entre sperme, selles et argent, pour ne citer qu'un exemple. Dans ce cas, où l'activité inconsciente s'exposait d'emblée sans aucune résistance à l'analyse, il ne s'interposa que fort tard une réflexion critique entre le comportement et sa motivation symbolique parfaitement consciente. Mais là où cet aspect déficitaire est encore plus sensible, c'est quand intervient le phénomène de dépersonnalisation qui est bien une défense, puisqu'en présence d'une situation critique, le meilleur moyen d'y échapper est bien de ne plus s'y trouver, mais aussi l'expression d'un déficit, en même temps d'ailleurs que le témoin de la nécessité absolue du contact, pour que la structure du Moi ne soit pas ébranlée. S'il était besoin de chercher un argument pour affirmer le caractère nécessaire de l'investissement objectai dans la relation prégénitale, même psychotique, il suffirait de penser à l'épreuve terrible qu'est pour le patient l'attaque de dépersonnalisation. Le sujet dont je cite l'observation n'en présenta qu'une, un jour précisément où il était plein de pensées agressives à l'endroit de sa maîtresse perçue à travers la projection comme un être dangereux et maléfique ; mais pour m'en tenir à mon propos, je dirai que l'attaque de dépersonnalisation précipite l'émiettement du Moi, l'altération du sentiment de soi et celle du sentiment de réalité, expression d'une fragilité particulière de la cohérence du Moi, car le normal ne fait d'expérience de dépersonnalisation que dans des conditions spéciales d'épuisement et de surmenage, et d'ailleurs l'éprouve de façon limitée et rapidement maîtrisée ; elle plonge le sujet pour un temps dans une atmosphère où le contact avec le réel est vraiment perdu, où les fantasmes inconscients se dévelop-


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pent en toute liberté, sous forme de pseudo-perceptions, de sentiments d'irréalité, d'étrangeté, de significations indicibles, de sensations cénesthésiques étranges, de perte de l'identité. En bref, le sentiment de soi, et le contact avec le monde y sont pour un temps oblitérés, et de telles expériences, si elles sont un moment où la réalité est refoulée, dans le même temps ouvrent la voie à la projection directe des activités inconscientes de tout ordre dans la réalité, et n'est-ce pas là, ramassées en un instant les deux caractéristiques essentielles des psychoses telles que Freud les a définies, le refus de la réalité et l'injection directe dans ce qu'il en reste des contenus inconscients ; et comme de tels symptômes correspondent manifestement à un reflux narcissique de la libido et à un désinvestissement des objets externes, n'est-ce pas plus spécialement en voulant les expliquer que Federn élabora son concept de libido congénitalement fluide, ne peut-on pas se poser la question de leurs rapports avec le refoulement de la réalité, que Freud place à la base de toutes les psychoses.

J'ai étudié, à propos de la relation d'objet psychotique, les relations objectales dans la schizophrénie, et fait allusion à celles de la mélancolie. Je devrais maintenant insister sur celles de la paranoïa, et aussi de l'épilepsie, mais outre que leur structure est moins connue, les expériences cliniques sur ces sujets étant ou nulles, ou fort rares, je ne crois pas que leur description, de ce fait surtout théorique (paranoïa), ou incertaine (épilepsie), nous apporte beaucoup de nouveau par rapport à la thèse générale que je désirerais maintenant soutenir.

CONCLUSIONS

Ainsi dans ce travail, je me suis efforcé de présenter la « Clinique psychanalytique » en me plaçant d'un point de vue très général, et en évitant avec soin de rappeler des mécanismes particuliers, pour n'envisager que la « somme » de l'expérience analytique. Je l'ai exposée sous l'angle qui me paraît le plus fécond en pratique et d'ailleurs le plus apte à donner une vue d'ensemble de l'apport psychanalytique en pathologie mentale : celui de l'étude de la structure du Moi et de ses relations d'objet dans les grands groupes pathologiques où interviennent concurremment, et avec une importance relative impossible à préciser actuellement, et des facteurs organiques, et des facteurs psychologiques. Ces derniers sont en rapport avec les réactions d'un sujet plus ou moins bien armé au départ, à un vécu banal ou particulièrement traumatisant,


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réactions qui, à leur tour, ont influé sur les possibilités d'adaptation au vécu ultérieur, des réactions inadaptées entraînant des réponses de l'environnement, réponses agressives le plus souvent, qui ont aggravé l'écart entre le sujet et le milieu. Je me suis efforcé, autant que faire se pouvait, d'éviter les considérations pathogéniques et, restant sur un plan clinique, de décrire les rapports au monde du sujet malade, vus à la lumière des concepts analytiques. J'ai cru devoir insister, non seulement sur la clinique et la phénoménologie des relations objectales et de la structure du Moi, mais aussi sur leur génétique. L'idée de ce travail m'est venue d'une étude strictement clinique sur la névrose obsessionnelle, étude entreprise sans idée préconçue, et qui m'a semblé secondairement pouvoir être poursuivie dans le même esprit dans toutes les formes psychopathologiques. Et il m'est apparu très clairement qu'il y avait là une manière d'appliquer le schéma freudien de la vie de l'esprit à toutes les formes morbides, qui rende compte de leur organisation, de leur évolution, de leur devenir thérapeutique, de leur intrication. J'ai d'ailleurs été confirmé dans cette opinion par des travaux récents dont j'ai pu avoir connaissance, en France s'entend. C'est ainsi, par exemple, que la notion de distance dans la relation d'objet m'a paru être utilisée d'une manière habituelle et s'appliquer assez bien aux faits constatés, tant en ce qui concerne les différents types pathologiques qu'en ce qui intéresse l'évolution d'un cas donné et même l'étude des rapports de transfert au cours d'une séance d'analyse (1). Que par ailleurs, la description structurale des relations objectales, telle que je l'ai rappelée au début de ce travail, en insistant plus particulièrement sur l'importance de la projection, était de nature à nous rendre plus accessible la vie réelle des états pathologiques dont nous avons à connaître, car il semble bien que les troubles liés à des difficultés purement oedipiennes, sans fixation et régression importantes, et qui se déroulent par conséquent dans un cadre de relations à proprement parler génitales (ce terme servant à désigner une manière d'être relationnelle générale, et non seulement des relations sexuelles), pour si bruyante que puisse être leur symptomatologie soient d'une structure toute différente et se rapprochent beaucoup plus de ce qu'Henri Ey appelait « difficultés psychologiques normales », que des grands états de souffrance psychique, auxquels je faisais plus haut allusion. Ceci est si vrai, qu'un symptôme identique, si évidemment il n'est pas en lui-même révélateur

(1) Pierre MARTY, Michel FAIN, Importance du rôle de la motricité dans la relation d'objet (Rev. fr. de Psy., janv.-juin 1955, p. 205).

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d'une structure donnée, se montre d'une gravité tout à fait différente suivant le style de la relation d'objet dans laquelle il s'inscrit, telle la phobie.

Qu'un schéma général soit applicable à l'ensemble des troubles mentaux n'empêche que, selon leur type, ils gardent leur individualité, et que la relation perverse ou psychotique ait une physionomie spéciale différente de la relation névrotique. J'espère avoir suffisamment marqué leur individualité ; mais ce sur quoi je voudrais insister en terminant, c'est sur une sorte de parenté qui unit les groupes pathologiques les uns aux autres, en cas de non-évolution d'une partie du Moi, celle de la gravité du pronostic, autrement dit de la difficulté de sédation du trouble ou d'abandon de la relation objectale pathologique et qui ne nous est sensible précisément que par les thèses que j'ai développées ici. N'ai-je pas constaté que la persistance anormale des défenses névrotiques, et donc des troubles, qu'il s'agisse de névroses à grande ou à faible symptomatologie, s'expliquait par le besoin du sujet d'échapper à des expériences de dépersonnalisation (1), cataclysme analogue à celui qui rejette le schizophrène hors de la réalité, ou aggrave le fossé qui le sépare d'elle. Il semble que dans tous ces cas où la régression et la fixation dominent, seules les capacités réactionnelles du Moi changent, mais qu'un trouble profond et essentiel de sa structure, en rapport précisément avec la régression et la fixation, leur soit commun.

Sans doute peut-il paraître inexplicable que, dans une névrose de caractère ou une névrose symptomatique, ces possibilités de réaction soient très supérieures à celles d'une schizophrénie, alors que le conflit essentiel et la fixation sont dans les deux cas, extrêmement profonds, ce dont témoignerait la gravité des expériences de dépersonnalisation dans tous les cas ; autrement dit, comment peut-on comprendre que dans les névroses, le Moi ait eu la possibilité de se forger une défense capable dé lui épargner le plus souvent l'expérience de dépersonnalisation, alors qu'il n'en est pas de même dans la schizophrénie.

Là encore, l'importance de la fixation doit être la cause déterminante, quel que soit le facteur, que ce soit le vécu ou le congénital qui la conditionne. D'ailleurs la variété des formes cliniques, depuis la névrose de caractère la mieux défendue, jusqu'à la psychose et les variations des niveaux relationnels et de la structure du Moi chez un même sujet, spontanément, ou sous l'influence de la thérapeutique, le confirme.

(1) BOUVET, intervention à propos du rapport de DIATKINE et FAVREAU : Sur le caractère névrotique (Rev. fr. Psy., 1956, 1-2).


LA CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE 787

L'évolution d'une analyse, dans un cas où une fixation prégénitale importante intervient, peut se schématiser ainsi : les défenses réduites, la dépersonnalisation apparaissent contemporaines du rapproché « transférentiel régressif » ; puis, dans les cas heureux, le conflit prégénital résorbé, des conflits plus superficiels étant réévoqués, le sujet débarrassé de ses angoisses de fixation, les retrouve en général de façon beaucoup plus concrète, en mettant fin à des refoulements qui s'étaient maintenus jusqu'ici, l'angoisse de dépersonnalisation semble dissoute ; et si le phénomène d'étrangeté se reproduit, il n'est plus qu'une impression curieuse, comme il arrive que le normal en ressente, dans des conditions exceptionnelles, de fatigue par exemple. Tout se déroule sur le plan habituel des rapports adultes. J'ai rappelé ce raccourci de certaines évolutions thérapeutiques, pour montrer combien facilement la théorie analytique des relations objectales s'applique au mouvant des faits constatés dans la clinique à proprement parler analytique, puisque cette clinique c'est la thérapeutique analytique elle-même.

Lorsqu'on arrive en effet à la conclusion d'une analyse de prégénital, l'on s'aperçoit que la relation d'objet tend à perdre ses caractères régressifs, et qu'elle en vient à atteindre au niveau génital. Tous les paramètres qui m'ont servi à définir les deux grands types de structure du Moi et de ses relations d'objet, varient en même temps. J'ai déjà montré que le phénomène de dépersonnalisation perdait ses caractères angoissants, et qu'il ne déclenchait plus une. altération profonde du sentiment de soi ; j'ajouterai que les limites du Moi s'affermissent, et que le sujet voit avec étonnement cesser ces phénomènes d'identification brutale et automatique, qui se traduisent parfois par des modifications cénesthésiques stupéfiantes, telles que la perception immédiate de la douleur évoquée par la torture infligée sur l'écran dans la scène d'un film.

Parallèlement, le sujet acquiert une indépendance de plus en plus grande à l'endroit de ses objets d'amour. Parallèlement aussi, le rapproché génital s'enrichit, les instincts libidinaux perdent leur caractère agressif, et le partenaire d'objet devient un sujet, un autre, avec lequel un échange substantiel et souple devient possible.

Il reste à savoir si de tels résultats sont définitifs, et il faut bien avouer qu'ici une observation valable nous fait souvent défaut ; mais ce qui est sûr, du moins dans mon expérience, c'est que seules paraissent correspondre à une restructuration de la personnalité totale, à une reprise d'évolution, les analyses où, quand une fixation importante existe, sont surmontées ces angoisses primitives, qui précisément


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marquent la non-évolution des conflits primordiaux, dont la fixation est comme une cicatrice, encore curable.

De fait, rien de ce genre n'intervient dans les névroses oedipiennes qui semblent d'ailleurs de moins en moins fréquentes ; car ici ne se posent plus ces problèmes si complexes de la relation d'objet prégénitale, et en particulier cette évaluation si importante de la « distance » qui, du fait de l'opérateur, peut et doit être « réglée » entre lui et son malade (1). Mais ceci est une autre histoire.

(1) BOUVET, MARTY, SAUGUET, Com. Cong. int. de Psy., Genève, 1955. Rev. fr. Psy., t. XX, n° 4, 1956.


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DES TEXTES PSYCHANALYTIQUES

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19541955

19541955 au colloque :

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Participation à la discussion de :

A propos d'un cas d'hypertension artérielle, par M. FAIN,

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XXIe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes, Rome,

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Cours de l'Institut de Psychanalyse (ronéotypés) :

RÉSISTANCE; CLINIQUE.

TECHNIQUE GÉNÉRALE SUR L'ANALYSE DES RÉSISTANCES. TRANSFERT.



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Présidente d'honneur : Mme Marie BONAPARTE, 7, rue du Mont-Valérien,

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794 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

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MEMBRES ADHÉRENTS

Mme BACKES M., 16, rue de Djemila, Hydra, Alger (Algérie), 66.49.33.

Dr BARANDE R., 4, rue Marbeuf, Paris (8e), ELY 76-36.

Dr BAYET R., 234, rue J.-B.-Charcot, Courbevoie (Seine), DEF 14.92.

Mlle BERMAN A., 50, rue Pergolèse, Paris (16e), KLE 91.37.

Mlle BREUER E., 5, rue d'Arcole, Paris (4e), DAN 86.59.

Dr COURCHET J.-L., 22, place Malesherbes, Paris (17e), MAC 04.88.

Dr DALIBARD Y., 12, square Delambre, Paris (14e), ODE 47.07.

Mme le Dr DAUPHIN A., 24, rue Gay-Lussac, Paris (5e), DAN 59.30.

Mme le Dr DREYFUS-MOREAU J., 16, rue de Sèvres, Paris (7e), LIT 96.44.

Mme le Dr ELIET J., 53, rue de la Tour, Paris (16e), TRO 67.58.

M. FAVEZ G., 29, rue Descartes, Paris (5e), DAN 98.77.

Mme FEIBEL Ch., 7 West, 96th Street, New York, 25, N.Y. (U.S.A.).

Dr GARCIA BADARACCO J., Juncal 1082, Buenos Aires (Argentine).

Mme JONES L., 22, rue Delambre, Paris (14e), ODE 51.40.

Mme KESTEMBERG E., 6, rue Friant, Paris (14e), LEC 65.32.

Dr KESTEMBERG J., 6, rue Friant, Paris (14e), LEC 65.32.

Dr KOURETAS D., 20, rue Homère, Athènes (Grèce).

Mme LEBOVICI R., 3, avenue du Président-Wilson, Paris (16e), KLE 17.16.

Mme le Dr LEULIER H., 7, allée des Bocages, Le Vésinet (S.-et-O.), 966.00.12.

Dr MARETTE Ph., 11, rue de Bellechasse, Paris (7e), INV 45.91.

M. MAUCO G., 1, square Alfred-Capus, Paris (16e).

Mme MCDOUGALL J., 55, rue de Grenelle, Paris (7e), BAB 32.83.

Dr NODET Ch.-H., Hôpital psychiatrique Saint-Georges, Bourg-en-Bresse

(Ain), 3.88. Mgr le prince PIERRE DE GRÈCE, 7, rue du Mont-Valérien, Saint-Cloud (S.-et-O.). Dr QUIJADA H., Apartado de Correos del Este, 5394, Caracas (Venezuela). Dr RACAMIER P.-C, Prémontré (Aisne), 2 ou 4. M. SAMI MAHMOUD ALI, 3, rue des Fatimites, Quartier Grec, Alexandrie,

(République Arabe Unie). M. SHENTOUB S. A., 24, rue Raynouard, Paris (16e), JAS 62.28. Dr WASSEF W., 4, rue Baehler, Le Caire (République Arabe Unie). Mme WILLIAMS M.-C, I, villa d'Eylau, Paris (16e), POI 39.28. Mme le Dr ZAMORA DE PELLICER C, Monte Esquinza, 42, Madrid (Espagne). Dr ZIWAR M., 20, rue Saray el Gesira, Zamalek, Le Caire (République Arabe

Unie).

MEMBRES AFFILIÉS

Dr BARAJAS CASTRO R., Cerro de San Francisco 328, Mexico 21, D.F. (Mexique). Dr BOULANGER J. B., 2156 Ouest, Sherbrooke Street, Montréal 25 (Canada),

tel : WE 2.4562. Dr CARCAMO C. E., Callao 1565, Buenos Aires (Argentine). M. CHENTRIER Th., 768, Côte Sainte-Catherine, Montréal (Canada). Mme GUEX G., 54, avenue de Beaumont, Lausanne (Suisse). Mme LECHAT, 137, avenue Albert, Jovest (Br. 6) (Belgique), tel : 44.07.03. Dr ZAVITZIANOS G., 69, Chester Place, Apt. 4B, Englewood, New-Jersey

(U.S.A.).


INDEX

ABRAHAM K., 187-205. Anal (caractère), 187-205 ; (relation objectale), 137-168.

Base (de névrose), 81-122.

BERGLER E., 41-79 ; 81-122.

BOUVET M., 451-604 ; 721-788 , (bibliographie) 789-791 ; (hommage à) 675-720.

CANESTRELLI, 359. Caractère (anal), 187-205. CHASSEGUET-SMIRGEL J., 634. Clinique (psychanalytique), 721-788. Congrès (langues romanes), 355. Cure (psychanalytique, début), 5-18.

DAVID Ch., 19-39. Début (de la cure), 5-18. Dépersonnalisation, 365-408 ; (et relations d'objet), 451-604. DIATKINE R., 225-240, 447.

Enseignement (de la psychanalyse),

225-240. Éthologie (humaine), 241-297. EY H., 715.

FAIN M., 163, 707.

FOLLIN S., 711. FORNARI F., 625, 641.

GREEN A., 651, 685. GRUNBERGER B., 137-168.

Jumeau (névrose du), 169-185.

LAB P., 649. LACOMBE P., 169-185. LEBOVICI S., 225-240, 447. LOPEZ D., 619. LOW-BEER M., 420.

LUQUET P., l60, 707.

MARTY P., 709.

M'UZAN (de) M., 19-39,630,658,719.

NACHT S., 5-18, 225-240, 675. Névrose, 81-122; (du jumeau), 169185.

Objet (relation), 721-788 ; (relation et dépersonnalisation), 451-604.

Objectai (relation anale), 137-168 ; (relation paranoïde), 301-332.

OEdipe (inversion), 301-332.

Oral (régression), 41-79.

PALMA DI TOMASI A., 613, 669. Paranoïde (relation), 301-332. PASCHE F., 361, 717. PERROTTI N., 365-408, 663. Psychanalyse (enseignement), 225240.

225240. (clinique), 721-788 ;

(cure), 5-18. Psycho-somatique (recherche), 19-39.

Recherche (psycho-somatique), 19-39.

Régression (orale), 41-79.

Relation (d'objet), 451-604, 721-788; (objectale anale), 137-168 ; (objectale paranoïde), 301-332.

ROUART J., 647.

RUSSEL C. et W. M. S., 241-297.

SAUGUET H., 679.

SAUSSURE (de) R., 446, 449, 677.

SERVADIO E, 659.

STEIN C, 164, 301-332, 656, 703.

Symptôme (régression orale), 41-79.

Technique (début de cure), 5-18. Théorie (dépersonnalisation), 365408.

TOLENTINO I., 428, 645.

TOMASI DI PALMA A., 613, 669.

TOSQUELLES F., 434.

ZACCARIA GAIRINGER L., 413. ZAPPAROLI G. C, 621.



TABLE DES MATIÈRES

DU TOME XXIV

N° 1

MÉMOIRES ORIGINAUX PAGES

S. NACHT. — Sur la technique du début de la cure psychanalytique 5 M. de M'UZAN et Ch. DAVID. — Préliminaires critiques à la recherche

psychosomatique 19

E. BERGLER. — I. Symptômes et signes de la régression orale 41

— II. Les neuf points de base de chaque névrose 81

Les Livres 123

Les Revues 127

Communiqué (XXIIe Congrès international de Psychanalyse) 133

N° 2

MÉMOIRES ORIGINAUX

B. GRUNBERGER. — Étude sur la relation objectale anale 137

P. LACOMBE. — Le problème du jumeau monozygote tel qu'il transparaît dans une compulsion masochique de duper (Concept d'une névrose sui generis du jumeau) 169

Texte classique

K. ABRAHAM. — Compléments à la théorie du caractère anal 187

Les Revues 207

Communiqué (Le XXIIe Congrès international de Psychanalyse) .... 222

N° 3

MÉMOIRES ORIGINAUX

S. NACHT, S. LEBOVICI et R. DIATKINE. — L'enseignement de la psychanalyse 225

C. RUSSEL et W. M. S. RUSSEL. — Essai sur l'éthologie humaine .. 241 C. STEIN. — Inversion sado-masochique du complexe d'OEdipe et relation d'objet paranoïaque 301

Les Livres 333

Les Revues 335

Institut de psychanalyse. — Compte rendu des activités de l'année

scolaire 1958-1959 343

Société Psychanalytique de Paris 345


7Q8 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE

PAGES

Le XXIIe Congrès international de Psychanalyse 347

Communiqués 349

Nécrologies 350

Nos 4.5

LE XXIe CONGRÈS

DES PSYCHANALYSTES DE LANGUES ROMANES

(Rome, 7, 8, 9 avril 1960)

P. LUQUET, Le Congrès de Rome 355

Allocutions prononcées à l'ouverture du Congrès

Pr CANESTRELLI (Rome) 359

F. PASCHE, Président de la Société Psychanalytique de Paris 361

Rapport de N. Perrotti. Aperçus théoriques de la dépersonnalisation

Présentation du rapport 365

Discussion du rapport 413

Interventions de : L. ZACCARIA GAIRINGER, M. LOW-BEER, I. TOLENTINO,

TOLENTINO, TOSQUELLES, R. de SAUSSURE, S. LEBOVICI et R. DIATKINE.

DIATKINE.

Rapport de M. Bouvet. Dépersonnalisation et relations d'objet

Allocution de R. de SAUSSURE à l'ouverture de la séance 449

Présentation du rapport 451

Discussion du rapport 613

Interventions de : Mme TOMASI DI PALMA, DAVIDE LOPEZ, G. C ZAPPAROLI, F. FORNARI, M. de M'UZAN, Mme CHASSEGUET-SMIRGEL,

M. FAIN, I. TOLENTINO.

Discussion libre autour des deux rapports 647

Interventions de : J. ROUART, P. LAB, A. GREEN, C. STEIN, M. de M'UZAN, E. SERVADIO.

Réponse de N. Perrotti 663

Mme PALMA DI TOMASI : Allocution de clôture du Congrès.

N° 6

HOMMAGE A MAURICE BOUVET

Allocutions de S. NACHT, Directeur de l'Institut de Psychanalyse 675

et de R. de SAUSSURE, Vice-président de l'Association Psychanalytique Internationale 677

H. SAUGUET. — La carrière de Maurice Bouvet 679

A. GREEN. — L'oeuvre de Maurice Bouvet 685

C. STEIN. — Le Maître 703

M. FAIN et P. LUQUET. — La pensée de Maurice Bouvet 707

P. MARTY. — Maurice Bouvet familier 709

Allocutions de Sven FOLLIN, Vice-président de la Société médicale des

Hôpitaux psychiatriques de la Seine 711


TABLE DES MATIERES 799

PAGES

Henri EY, Secrétaire général du Groupe de l'Évolution psychiatrique.. 715

F. PASCHE, Président de la Société Psychanalytique de Paris 717

M. de M'UZAN. — Quelques remarques sur les Écrits de Maurice

Bouvet 719

M. BOUVET. — La clinique psychanalytique. — La relation d'objet... 721

Bibliographie des textes psychanalytiques de M. Bouvet 789

Liste des Membres de la Société Psychanalytique de Paris 793

Le gérant : Serge LEBOVICI.


1961. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France) ÉDIT. N° 25 774 Dépôt légal : 1-1961 IMP. N° 16 514

IMPRIMÉ EN FRANCE