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Titre : Bulletin de la Société des beaux-arts de Caen

Auteur : Société des beaux-arts (Caen). Auteur du texte

Éditeur : A. Hardel (Caen)

Date d'édition : 1893

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327243331

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327243331/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Format : Nombre total de vues : 5473

Description : 1893

Description : 1893 (VOL9).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Basse-Normandie

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5444430t

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-125560

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 03/01/2011

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BU.LLETIN

DE LA

SOCIÉTÉ DES BEAUX-ARTS

DE GAEN





PREMIÈRE PARTIE

PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1891 PRÉSIDENCE DE M. TESNIÈRE, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la séance précédente est adopté.

M. le Président communique une lettre de M.Gasté, s'excusant de ne pouvoir assister à la réunion, et faisant connaître qu'il n'a pas encore obtenu de Mm* la Supérieure des Ursulines les renseignements annoncés sur l'origine des tapisseries dont il a été question dans la séance de juillet.

Au nom du Conseil d'administration, le Secrétaire lit un rapport sur les comptes présentés par le Trésorier dans la séance du Conseil d'administration du 4 novembre, des recettes et dépenses pendant le dernier exercice, et sur son exposé de notre situation financière. Conformément à ses conclusions, la Société donne décharge à M. Laumonier de ses opérations, et le remercie des soins qu'il a bien voulu apporter, dans l'exercice de ses délicates fonctions, à la gestion de nos finances.


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En novembre 1890, l'avoir de la Société atteignait 9,157 fr. 50 : il est aujourd'hui de 9,444 fr. 85.

Le budget de l'exercice 1892, s'élevant en recettes et dépenses à 2,170 fr., est arrêté dans les termes suivants, conformément aux propositions du Conseil d'administration :

RECETTES.

1° Cotisations 1.500 fr.

2° Subvention du Conseil général 400

3° Intérêts des fonds déposés à la banque

Bellamy, , 270

TOTAL 2.170 fr.

DÉPENSES.

1° Impressions 1.000 fr.

2° Acquisitions de livres 400

3° Abonnements à la Revue de» DeuxMondes, à la Grande Revue (Paria et SaintPétersbourg J, à la Gazette des Beaux-Arts, h Y Art, à Y Artiste, à Y Art pour tous, à la Revue de l'Art chrétien et à la Revue d"Art dramatique 309

4° Reliure 50

5° Société de Gravure française 52

6° Éclairage et chauffage 25

7° Allocation au concierge 175

8" Frais généraux et dépenses imprévues. 159

TOTAL 2.170 fr.


■ — 7 —

Ce budget est supérieur, en recettes et en dépenses, de 45 francs à celui de l'année courante.

L'article 1er des recettes (cotisations) a été porté de 1,400 à 1,500 fr. ; par contre, l'article 3 (intérêts des fonds) a dû être ramené de 325 fr. à 270 fr., conformément aux produits de l'année courante, le taux d'intérêt étant diminué.

U en résulte une augmentation de recettes de 45 fr., qui a été attribuée h l'article 8 des dépenses, Frais généraux et dépenses imprévues, porté de 114 à 159 fr.

Le Secrétaire fait connaître qu'il a proposé, dans la dernière séance du Conseil d'administration, d'ouvrir en 1892, entre tous les artistes nés ou domiciliés en Normandie, un concours de dessins, aquarelles, pastels et photographies, dont le sujet consisterait en reproductions de monuments, sites ou paysages d'un des départements normands ou d'objets d'art qui y sont conservés, qui concernent l'histoire de la province, les grands hommes qu'elle a produits, etc.

Conformément à ses propositions, le Conseil d'administration a décidé de demander à la Société d'approuver en principe ce projet, et de le renvoyer, pour la rédaction définitive du programme, à la commission de peinture et arts du dessin.

Après une discussion à laquelle prennent part notamment MM. Drouet, Joly, Laumonier,Liégard,Prempain, M. le Président et le Secrétaire, ces conclusions sont adoptées. M. Cariez donne lecture d'un mémoire intitulé « Le


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drame lyrique moderne et les théâtres secondaires de province ».

M. Du SAUCEY , professeur à l'École nationale de musique de Caen, est nommé membre de la Société.

La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,

Armand BÉNET.


SÉANCE DU II DÉCEMBRE 1891 PRÊSIBENCE DE M. TESNIÈRE, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures 1/4.

Le procès-verbal de la séance précédente est adopté.

M. Laumonier, trésorier, s'excuse de ne pouvoir assister à la séance, et transmet l'envoi dé la Société de Gravure française.

M. le Président fait connaître que le Gouvernement espagnol, désirant célébrer avec éclat le quatrième centenaire de la découverte de l'Amérique, prépare diverses fêtes et solennités dont quelques-unes, par leur caractère international, intéressent particulièrement la France : telles sont, notamment, les expositions qui s'ouvriront à Madrid le 12 septembre 1892, et le Congrès des Américanistes qui se tiendra à Huèlva du 1er au 6 octobre suivant.

L'une des expositions, dite Historique Américaine de Madrid, a pour but de présenter de la manière la plus complète l'état où se trouvaient les différentes contrées du Nouveau-Continent avant l'arrivée des Européens, au moment de la conquête, et jusqu'à la première moitié du xvir siècle. Elle comprendra tous objets, modèles, reproductions, plans, dessins, etc., se rapportant aux peuples qui habitaient alors l'Amérique, à leurs coutumes et à leur civilisation, et tous ceux ayant


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trait aux navigateurs, aux premiers colons et à la conquête elle-même.

L'autre exposition , dite Historique Européenne de Madrid, sera également rétrospective ; elle comprendra les objets d'art appartenant à la période comprise entre le commencement du xv siècle et la moitié du xvir siècle, pouvant donner une idée du degré de civilisation qu'avaient atteint les nations colonisatrices à l'époque de la conquête.

M. le Président, après avoir donné lecture du programme, engage les membres de la Société à seconder les efforts du comité établi à Caen, dont il a été appelé à faire partie.

L'ordre du jour appelle l'élection des membres du bureau et de 3 membres du Conseil d'administration.

Sont successivement nommés :

Président MM. TESNIÈRE.

Vice-Présidents CARLEZ et GASTÉ.

Secrétaire BÉNET.

Vice-Secrétaires PREMPAIN et LIÉGARD.

Bibliothécaire-archiviste. LEGENTIL.

Bibliothécaire adjoint. . DECAUVILLE-LACHÊNÉE.

Trésorier LAUMONIER.

Membres du Conseil d'administration pour 3 ans, en remplacement de MM. Le Duc, Le Roy et d'Osseville, sortants et non rééligibles, MM. LANDRY, LANGLOIS et JACQUOT.


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MM. LAUFFRAY, notaire, et RAVENEL, propriétaire, à Caen, sont élus membres de la Société. La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,

Armand BÊNÈT.


SÉANCE DU 12 FÉVRIER 1892

PRÉSIDENCE DE M. TESNIÈRE, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière réunion est adopté.

Le Secrétaire dépose sur le bureau les publications des Sociétés correspondantes reçues pendant le mois, et signale particulièrement, dans la Grande Revue (Paris et Saint-Pétersbourg), un compte rendu, par Arsène Houssaye, du Mémoire sur Marie Joly qui a été publié dans le Bulletin de la Société par notre confrère M. Lumière.

La correspondance comprend notamment les circulaires ministérielles relatives à la 16* réunion annuelle des Sociétés des Beaux-Arts des départements,qui aura lien à Paris du 7 au 10 juin 1892.

Le Secrétaire, après avoir rappelé que,dans la séance de novembre, la Société a décidé, sur sa proposition, d'ouvrir en 1892 un concours de dessins, aquarelles et photographies, présente le projet de programme arrêté par la commission de peinture et arts du dessin, avec approbation du Conseil d'administration. La Société, après lecture et discussion de chaque article, arrête l'ensemble dans les termes suivants :

1. La Société des Beaux-Arts de Caen ouvrira, en


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1892, un concours de dessins, fusains, pastels, aquarelles, gouaches et photographies.

2. Tous les artistes nés, ou domiciliés dans un des cinq départements de Normandie, sont admis à y prendre part.

3. Les sujets choisis par les concurrents devront se rapporter à la Normandie (monuments, sites, paysages, objets d'art, portraits de personnages, costumes, etc., etc.).

4. Le nombre des oeuvres à présenter n'est pas limité ; aucune dimension n'est imposée.

• 5. Sauf les photographies, chaque oeuvre devra être remise sous verre.

6. Chaque envoi devra contenir l'indication des sujets représentés et une devise qui sera répétée sur un pli cacheté, renfermant les nom et adresse de l'auteur.

7. Les prix consisteront dans deux médailles d'or, l'une de 300 fr. pour les dessins, aquarelles, etc., l'autre de 200 fr. pour les photographies; il sera en outre décerné, s'il y a lieu, dans chacune de ces deux catégories, plusieurs médailles de vermeil, d'argent et de bronze.

8. La Société se réserve le droit de reproduire dans son Bulletin les oeuvres récompensées.

9. Le Jury sera composé du Président et du Secrétaire de la Société, et de cinq membres nommés en assemblée générale, sur la proposition du Conseil d'administration.

10. Les envois devront être adressésyraneo, avant le 31 mai 1892, au Secrétaire de la Société des Beaux-Arts, au pavillon des Sociétés savantes, à Caen


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M. Pasteâu signale la manière insuffisante et incomplète dont les volumes nouvellement acquis sont mis à la disposition des sociétaires ; M. Joly appelle également l'attention de rassemblée sur les inconvénients que présente le « roulement » des publications.

Après discussion, la question est renvoyée au Conseil d'administration, qui est chargé d'apporter à ce service les améliorations désirables.

MM. BÊLCOUR, directeur d'assurances, BRUEL, archiviste de la ville, CAUTRU, avocat à la Cour d'appel, LB BoÙCHER,étudiantendroit,dèLAPEscHARDiÈRE(Urbain), propriétaire, TESNIÈRE, avocat, à Caen, sont élus membres de la Société.

La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,

Armand BÊNËT.


SÉANCE DU II MARS 1892

PRÉSIDENCE DE M. CÀRLEZ, VICE-PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la séance précédente est adopté.

Le Secrétaire communique les excuses de M. Tesnière, président, empêché d'assister à la séance, et rend compte des mesures prises par le Conseil d'administration en ce qui concerne le roulement des publications, suivant le renvoi qui lui a été fait par la Société, dans sa dernière réunion.

M. Laumonier lit 1 une note sur les deux tableaux de Jean Restout, conservés à l'église de Vaucelles : La Samaritaine, copie d'Annibal Carrache, et Jésus instruisant Marthe et Marie, copie de Coypel.

M. Legentil signale deux articles, l'un d'Arsène Houssaye, dans la Grande Revue (Paris et SaintPétersbourg J, sur le Mémoire de M. Lumière consacré à Marie Joly,qui a été publié dans notre Bulletin, l'autre de la Chronique des arts et de la curiosité, concernant Le Mortier de Mare-Aurèle, nouvelle illustrée photographiquement par notre confrère M. Magron.

M. Cariez donne lecture d'un mémoire biographique sur Nicolas Le Vavasseur, de Bernay, successivement maître de chapelle à Lisieux et organiste à l'église Saint-


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Pierre de Caen, qui tient une bonne place parmi les compositeurs de musique normands du xvir siècle. La séance est levée à 9 heures 1/4.

Le Secrétaire,

Armand BÉNET.


SÉANCE DU 13 MAI 1892 PRÉSIDENCE DE M. TESNIÈRE, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la séance précédente est adopté.

Le Secrétaire dépose les publications reçues depuis la dernière réunion, et signale particulièrement la Revue normande et percheronne, récemment fondée à Alençon.

M. Gasté soumet à l'assemblée, de la part de M— Eudes-Deslongchamps., un émail qui serait, d'après une inscription, le portrait de Greuze par lui-même.

M. de Beaurepaire communique une gravure qu'il vient d'acquérir pour la collection Mancel et qui, en dehors de son très bel état de conservation, présente pour l'histoire locale un intérêt tout spécial. Il s'agit des individus condamnés en raison de leur participation à l'émeute des grains en 1813, et qui avaient été enfermés à Beaulieu. A la Restauration, le duc de Berry les fit remettre en liberté, au milieu d'une démonstration solennelle dans le goût de l'époque, dont notre scène fut le théâtre : au lever du rideau, au lieu de la Partie de chasse de Henri IV, portée au programme, on vit les malheureux, agenouillés et suppliants, tournés vers la loge du duc, qui, d'un


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geste, fit tomber leurs chaînes. C'est cet épisode que l'artiste a retracé.

M. le Président remercie M. de Beaurepaire de sa curieuse communication.

La Société procède, conformément aux propositions du Conseil d'administration, à la composition des jurys des concours de dessins, fusains, aquarelles, pastels et photographies.

L'ordre du jour amène la discussion de la proposition de M. Landry, antérieurement prise en considération, tendant à l'organisation d'excursions artistiques dans le département, sous le patronage de la Société.

M. Vallée, au nom de M. Landry, empêché d'assister à laséance, expose l'économie du projet; il faitconnaître, avec les principaux itinéraires proposés, les avantages que pourraient en retirer les membres de la Société et leurs familles.

Après une discussion à laquelle prennent part, entre autres, M. le Président, MM. Langlois et Liégard, le projet est mis aux voix et adopté.

Mme EUDES-DESLONGCHAMPS, MM. JAMES, négociant, LEFORT, avoué honoraire, MAURION DE LARROCHE, chirurgien-dentiste, docteur MOUTIER, professeur à l'École de médecine, RETOUT, propriétaire, etTASSET, professeur à l'École nationale de musique, à Caen, sont nommés membres de la Société.

La séance est levée à 9 heures 1/4.

Le Secrétaire,

Armand BÉNET.


SÉANCE DU 10 JUIN 1892

PRÉSIDENCE DE M. TESNIÈRE, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la séance précédente est adopté.

Le Secrétaire dépose sur le bureau les publications reçues pendant le mois.

M. le Président constate le succès du concours de dessins, fusains, aquarelles, pastels et photographies ouvert par la Société, et de l'exposition publique qui en a été la conséquence. Il rend compte ainsi qu'il suit des opérations du jury :

« Les ouvrages envoyés au concours ouvert par la Société ont été exposés à l'Hôtel de ville,du 5 au 8 juin ; malgré ses proportions nécessairement restreintes, cette exposition a été accueillie aveq faveur par le public nombreux qui l'a visitée. L'aquarelle, le fusain, trop négligés autrefois, ont reconquis la place qui leur appartenait; la photographie a fourni un nombreux contingent très apprécié comme exécution technique et comme sentiment artistique.

« Les jurys spéciaux se sont réunis le samedi 4 juin. Ils étaient composés, avec le Président et le Secrétaire de la Société :

« Pour la peinture et les dessins,

« De MM. Laumonier, Gasté, Ravenel, de Beaurepaire, Decauville-Lachênée ;


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« Pour la photographie,

« De MM. Clément, Levassorl, Laumonier, Huart, Levard.

« M. Levard, absent, s'était fait excuser.

« Sur la demande des jurys, les prix fixés par le programme du concours ont été partagés : pour la photographie, en deux médailles d'or de la valeur de 100 fr.; pour l'aquarelle, les dessins et fusains, en trois médailles d'or, l'une de 200 fr. pour le fusain, et deux médailles d'or de 100 fr. chacune, l'une pour la figure, l'autre pour le paysage.

« La Société s'associera, je n'en doute pas, à l'expression de gratitude que nous adressons d'abord à l'administration municipale, toujours empressée à nous accorder son concours ; aux membres de la commission qui ont pris part aux travaux d'installation des ouvrages, à l'organisation et à la surveillance du service pendant les jours d'exposition : à MM. Laumonier et Ravenel, à M. Magron, qui s'est particulièrement attaché à l'organisation de l'exposition de photographie, et dont la coopération a été si utile ;

« Enfin, je devrais dire, avant tout, à notre dévoué et infatigable Secrétaire, le premier et le dernier à l'oeuvre, auquel appartient la meilleure part du succès. Vous apprécierez le rapport d'une impartialité aussi sûre que délicate qui va vous être présenté, et dontvous adopterez, je n'en douté pas, les conclusions, dictées par .un sentiment artistique si vrai et tout personnel. »

Le Secrétaire donne ensuite lecture du rapport sur les oeuvres des lauréats (1).

(1) Cf. plus loin, le texte de ce rapport.

&■


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Conformément à la demande du jury, la Société décide de porter de 300 à 400 fr. la valeur du prix partagé entre les fusains et les aquarelles.

Sur la proposition de M. le Président, un tableau d'Eugène Girardet (médaille de vermeil à l'Exposition de 1883) et la Conscription au Maroc, lithographie d'après Bida, par Le Roux, sont désignés pour la tombola annuelle, qui doit être tirée dans la séance de juillet. La liste des numéros attribués à chacun des membres sera établie comme par le passé; le sort désigne la lettre L pour en commencer la série.

M. le Président propose ensuite d'offrir au Musée de la ville, où il sera à la disposition de tous, un des tableaux les plus intéressants que possède la Société, le Fond d'un Parc, de M. Bougourd, de Pont-Audemer, qui figura à l'Exposition Caennaise des Beaux-Arts en 1883: cette libéralité sera d'autant plus utile que le paysage moderne est insuffisamment représenté dans les collections de la ville.

La proposition est adoptée, et M. Tessier, membre du conseil municipal, remercie la Société de cette donation, qui vient se joindre heureusement à celle de la succession Le Dart.

M. Gasté communique des extraits de vies de Jourdaine de Bernières, fondatrice des Ursulines de Caen, concernant les tapisseries conservées dans ce monastère.

Le Secrétaire fait observer qu'il serait utile d'avoir des renseignements complémentaires sur les dates et les auteurs de ces chroniques, pour en déterminer la valeur historique réelle.

2


- &> —■

MM LEBRET, maire de Caen, professeur à la Faculté de droit, BIGOT, chargé de cours à la Faculté des sciences, VINCENT, professeur d'équitation, sont élus membres de la Société.

La séance est levée à 9 heures 1/4.

Le Secrétaire,

Armand BÉNET.


SÉANCE DU 8 JUILLET 1892 PRÉSIDENCE DE M. TESNIÈRE, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la séance précédente est adopté.

M. le Président donne lecture d'une lettre de M. le maire de Caen, remerciant la Société du don qu'elle a bien voulu faire au musée municipal du tableau de M. Bougourd, Au fond d'un pare.

Il communique ensuite la lettre de M. le marquis de Croisier, président du congrès des Américanistes, invitant la Société à envoyer des délégués.

Le Secrétaire donne lecture des lettres de remercîments adressés par M. Lebret, maire de Caen, professeur à la Faculté de droit, et par M. Vincent, professeur à l'école de dressage, élus dans la dernière séance membres de la Société.

Il communique ensuite :

Un extrait du Journal de Rouen, concernant les beaux fusains de M. Fréchon, qui ont obtenu à notre dernier concours la plus haute récompense ;

Une lettre de notre ancien collègue M. Du Boscq de Beaumont, adressant un extrait du tabellionage de Bayeux, du 1er juin 1759, fixant le prix des portraits de Lesseline, élève de Nattier et peintre estimé de Caen au xviir siècle. — C'est une vente par Bauquet de


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Grandval, lieutenant général criminel au bailliage de Bayeux, agissant au droit de dame Marie-MadeleineCharlotte Lhonoré, son épouse, à Pierre Lesseline, bourgeois de Caen,y demeurant, paroisse Saint-Pierre, d'une terre sise à Missy, hameau de la Guerre, et à Noyers. Prix : 15.300 livres .... « pour vin de la présente vente, ledit sieur acquéreur a promis faire et donner le portrait audit sieur de Grandval, estimé à la somme de 420 livres, duquel portrait il le saisira le plus tôt possible »;

Un extrait de l'Inventaire des archives de l'Université de Caen, qu'il publie sous les auspices du département et de la ville, concernant la collection de tableaux de Ségrais, décorant la salle de l'ancienne Académie des Belles-Lettres de Caen, qui s'assemblait dans sa maison, rue de l'Engannerie, et qui furent donnés au xviii 0 siècle à l'Université par M. et Mm 0 d'Orcher, sur l'initiative du comte et du chevalier de Mathan (t. I, p. 266);

L' « Etat des meubles et effets, tant vases sacrés qu'argenterie, linges et ornements de la sacristie et église qu'autres meubles de la maison des Ursulines de Caen », ne portant aucune mention des tapisseries dont il a été question dans la dernière séance, et sur lesquelles il a cru devoir demander des renseignements complémentaires.

M. Gasté répond que M. Marty-Laveaux en a parlé à propos de la translation de Sainte Théodore, qui eut lieu en 1658. Le Secrétaire attire ensuite l'attention de la Société


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sur le Monument des Mobiles du Calvados, à propos de la fête qui doit être donnée le lendemain au cirque pour son achèvement, c'est-à-dire pour son entourage seul. Le monument est donc considéré comme terminé.

L'auteur, notre collègue M. Le Duc, a protesté énergiquement contre l'animal fantastique qui surmonte le monument, et qui ne ressemble en rien à la belle maquette que tous ont pu voir — ont pu admirer — dans la cour de la mairie, quand on essayait de corriger un peu Uejivoi du « praticien ». Il n'est pas probable qu'il soit possible maintenant de faire exécuter l'oeuvre originale; mais le Secrétaire demande à la Société de faire une démarche pour que la maquette soit conservée et placée dans une collection publique.

Cette communication donne lieu à une discussion à laquelle prennent part MM. Lumière, Decauville, Joly et M. le Président.

M. Decauville donne lecture d'un mémoire intitulé : « Notes sur la photographie pressentie et entrevue dès 1760 parle normandTiphaignede La Roche »(1) : dans son roman de Giphantie,l'auteur a deviné les découvertes du xix° siècle, même la photographie en couleurs.

M. Gasté signale, à la bibliothèque municipale, une tragédie : « Charlotte Corday ou la Judith Moderne », publiée à Caen en 1797 : il donne lecture de la préface et d'amusants fragments.

L'ordre du jour appelle le tirage de la tombola,annuellement organisée entre les membres de la Société. M. Legentil regrette d'y voir figurer la lithographie de

(1) Cf. p. 29.


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Le Roux d'après Bida, intéressant spécimen d'un art disparu, dû à un Caennais.

Le n» 1, tableau de Girardet (médaille de vermeil à l'Exposition de 1883), est attribué à M. Brunet,sculpteur; le n° 2, La Conscription au Maroc, lithographie de Le Roux, est gagné par M. Tesnière, président.

M"e Alice LE PERRIER, professeur de dessin à Caen, est élue membre de la Société.

La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,

Armand BÉNET.


APPENDICE AUX PROCÈS-VERBAUX

Programmes des Concerts donnés en 1892

I

Concert du 15 Janvier 1898, salle de la Bourse

f™ PARTIE

i. Ouverture do la Grotte de Fingal MENDELSSOIIN.

(Orchestre.)

2. Gavotte-Duchesse SUDESSI.

(Orchestre.)

3. Pastorale, pour harmonium C. LORET.

M. MARYE.

4. Chants tziganes, pour violon SARASATË.

M. DU SAUCEY.

ÎA. Sonnet d'Arvers / _ _ > G. BIZET. B. Romance de Nadir, des Pécheurs de perles. )

M. CORBEL.

6. Flirtalion, pour instruments à cordes STECK.

*• PARTIE

). Czardas, n° 1, pour orcheslre MicnELS.

I A. Purgatoire ) _

2. 1 } PALADILHE. / B. Chanson napolitaine )

M. CORBEL.

3. Valse de concert, pour piano WIENAWSKI.

M"e MÉRffiL.

4. Rêve d'un ange, berceuse pour violon, avec quatuor. SINSOILLIEZ.

M. DU SAUCEY.

o. Les Gnomes, scène caractéristique EILENBERG.

(Orchestre.)

L'Oreheatre dirigé par M. ROVS8EL.OT

Le Piano d'accompagnement tenu par H. A. MARYÇ


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II CONCERT DU 29 AVRIL 1892, SALLE DE LA BOURSE

1. Philémon et Baucis GOUNOD.

A. Ouverture pastorale.

D. Mélodrame.

c. Danse des Bacchantes.

Piano, orgue et instruments à cordes.

2. Duo des Noces de Figaro MOZART.

M 110 Alice TUÉVENEAU et M. P. V...

3. Sonate pour violoncelle et piano SAINT-SAENP.

MM. SOUDRY et DUPONT.

4. Arioso à'Hérodiade MASSENET.

M. P. V...

5. L'Abbaye de Moutiers, pour harmonium LEBEAU.

M. Arthur MARTE.

6. Pensée d'automne MASSENET.

M" 0 Alice TUÉVENEAU.

". Trio pour piano, violon et violoncelle NIELS GADE.

MM. DUPONT, nu SAUCEY et ROUSSELOT.

8. Lalla-Roukh, air Félicien DAVtn.

M! 1° Alice TUÉVENEAU.

9. Résignation, pour violon Ch. DANCLA.

M. DU SAUCEY.

ÎA. L'Heure du mystère SCUUMANN. B. Le Plongeur WIDOR.

M. P. V... 11. Airs de ballet du Roi s'amuse (Orchestre) .... LÉO DELIBER.

1. Gaillarde. 4. Lcsquercardc.

2. Pavane. 5. Madrigal.

3. Scène du Bouquet. 6. Passe-pied.

7. Final.

1/Oreheatre dirigé par H. ROUSSELOT

Le Piano d'accompagnement tenn par H. A. MARTE


DEUXIÈME PARTIE

MÉMOIRES ET DOCUMENTS DIVEES

NOTES

•av

SUR LA

PHOTOGRAPHIE PRESSENTIE & ENTREVUE DÈS 1760

Far le Normand TIPHAIGNE de LÀ BOCHE (1)

PAR

Abel DEGAUVILLE LA.GHÊNÉE

MESSIEURS,

Dans le dernier concours ouvert au mois de juin dernier, notre Société, en créant une section spéciale pour la photographie, à côté des dessins, pastels et aquarelles, vient de lui donner droit de cité parmi les Beaux-Arts.

En effet, cette science,qui n'avait longtemps été qu'un passe-temps agréable, par suite des récents perfectionnements, de l'emploi judicieux qu'on a pu en faire,

(1) Lues à la séance du 8 juillet 1892.


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et surtout des phases nouvelles dans lesquelles une heureuse application vient de la faire entrer,est devenue un art véritable.

Du jour où, s'identifiant avec la pensée d'un auteur par le choix des sujets, leur groupement heureux, il peut arriver à reproduire les scènes les plus remarquables d'un ouvrage, le photographe n'est plus un opérateur, c'est un véritable artiste.

Depuis longtemps, Messieurs, vous en êtes convaincus; car, parmi nous, nous possédons un maître en ce genre, dont à notre dernière exposition vous avez pu de nouveau admirer les oeuvres ; je nommerais bien M. Magron, si je ne craignais de blesser sa modestie.

Les illustrations du livre, en nous reproduisant l'action, la mise en scène, l'entourage, en un mot tous les détails qui font revivre, pour les yeux et l'intelligence, les passages les plus saillants d'un ouvrage, sont bel et bien du domaine de l'art, et, à ce titre, notre Société doit porter un vif intérêt aux progrès de la photographie.

Jusqu'ici, le voyageur, l'archéologue, le peintre luimême,admirant un magnifique paysage, un monument, une scène intéressante, eussent désiré en conserver un souvenir durable ; mais, pour certains,une connaissance imparfaite du dessin, l'absence de temps nécessaire et mille autres causes encore étaient un obstacle à l'accomplissement de ce désir ; aujourd'hui chacun peut, à peu de frais, le réaliser.

Les facilités données par la photographie sont encore un appoint pour l'art; car, par ce moyen, nous arrivons


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à la vulgarisation des beautés de la nature et du travail des hommes.

L'étude des richesses d'art du monde entier se trouve ainsi à la portée de tous, et le goût dans les arts ne peut qu'en profiter.

Avec l'aide de la photographie, il n'est fait, si fugace qu'il soit, qui ne puisse être saisi instantanément avec la plus grande vérité, ce qui permet au peintre, au sculpteur même, de reconstituer une scène qui eût pu leur échapper à cause de la brièveté du temps pendant lequel il s'est accompli.

Parlerai-je du bonheur qu'elle fait éprouver à tous par la reproduction si fidèle des traits de ceux qui nous sont chers et que, sans son concours, il eût été difficile de conserver matériellement.

Mais là encore ne se bornent pas les mérites de cet art nouveau ; de tous côtés les sciences s'en emparent. Il a, pour ainsi dire, créé l'étude de ces infiniment petits qui, saisis dans leurs détails les plus minutieux et considérablement agrandis, peuvent, au moyen d'habiles projections, devenir visibles d'une manière permanente pour les savants. Ceux-ci peuvent donc se livrer à un examen sûr et approfondi.

La justice elle-même y a recours pour les constatations des fraudes et des falsifications, qui, sans la photographie, seraient presque impossibles à reconnaître. Je n'en aurais pas fini, si je voulais détailler toutes ses applications.

Maintenant que je crois avoir établi qu'une Société des Beaux-Arts peut s'intéresser à la photographie, il


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serait peut-être bon de remonter aux débuts de cet art, de faire connaître ses origines, de rappeler ceux qui l'ont entrevu ou même qui n'ont fait que le soupçonner: c'est ce qui fait l'objet de la note que j'ai l'honneur de vous soumettre.

Je n'entrerai pas dans l'examen des découvertes de Niepce de S'-Victor et de Daguerre : ce travail a été fait maintes et maintes fois. Je ne veux non plus enlever une parcelle, quelque petite qu'elle soit, à leur gloire ; tel n'est pas mon but.

Permettez-moi donc de vous signaler un de leurs précurseurs peu connu. Ce ne fut pas, à beaucoup près, l'inventeur du daguerréotype et de la photographie ; il fut loin de la pratique, car il serait impossible de mettre à exécution ce que, pour le moment, j'appelle sa vision. Mais, dans un de ses ouvrages, il émit quelques idées qui, à l'époque où elles parurent, purent passer pour des fantaisies sans conséquence, de pures utopies, et qui cependant, lues attentivement, indiquent bien une prescience, une vague intuition des lois fondamentales de la photographie. En un mot, il trouva l'oeuf qui pouvait être fécondé et qui, malheureusement, fut abandonné.

L'auteur, dans sa double vue, comme vous allez le voir, prévoyait une perfection vers laquelle s'acheminent les savants de notre siècle, et que nous ne désespérons point de voir apparaître prochainement.

En 1729, naquit à Montebourg, diocèse de Coutances, Charles-François Tiphaigne de La Roche. Nous pensons qu'il commença ses premières études dans son


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pays; mais, de bonne heure il vint à Caen, suivit les cours de la Faculté de médecine, et y reçut son diplôme de docteur.

Toutes les recherches .faites, et surtout une excellente notice sur lui, écrite au point de vue bibliographique par le regretté M. Georges Mancel, alors bibliothécaire de la ville, ne nous procurent aucuns détails sur sa vie privée. Exerça-t-il la médecine? Je ne vois son nom figurer nulle part parmi ceux des médecins de Caen ; tout ce que j'ai pu savoir, c'est qu'une partie de son temps s'écoula à Paris, et qu'il y conserva toujours des relations suivies avec la Normandie et avec Caen, puisqu'il était membre de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de cette ville.

Dans le bulletin de cette Société, il fit paraître, en 1758, un mémoire montrant ses préoccupations pour les intérêts de son pays natal et portant ce titre : « Ne reste-t-il plus d'épreuve à faire sur la culture des vignes en Normandie et autres pays qui ne donnent pas de vin ou en donnent un sans qualité f »

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il s'occupa sérieusement (ses ouvrages en font foi) d'études philosophiques et physiques, et que ses connaissances scientifiques furent fort étendues.

En effet, Tiphaigne eut à son heure une réputation, sinon éclatante, du moins très enviable, qu'il ne dut pas à son titre de médecin, mais bien à celui de littérateur. Ses oeuvres les plus remarquables furent des romans, analysés en leur temps par des critiques tels que Grimm et Fréron, ce qui indiquait un auteur


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avec lequel on devait compter et dont ces célèbres critiques faisaient grand cas.

Dès 1749, c'est-à-dire à 20 ans, il produisit un petit livre intitulé : & L'amour dévoilé ou le système des sympathistes ». Mais cet ouvrage eut peu de succès.

C'est en 1753 qu'il aborda ce genre de romans si à la mode dès le xvir et surtout au xvnr siècle, romans où la philosophie, la physique se mêlent à la fiction, où, sous couleur de voyages imaginaires, on traite un peu de toutes choses et quibusdam aliis.

Il céda à son entraînement pour ce genre, qui, avec Cyrano de Bergerac, plus tard avec Voltaire, dans Candide et Micromégas, Lesage,dans le Diable boiteux, et tutti quanti, permettait de faire intervenir des génies ou autres êtres surnaturels pour expliquer aux simples mortels des choses qui ne paraissaient pas accessibles à leur faible entendement.

C'était un moyen pour certains auteurs d'exposer des idées, des projets, qui, ils le savaient, auraient soulevé bien des explosions de réprobation, tant par leur nouveauté que leur originalité, s'ils eussent été produits dans un livre présenté comme sérieux, mais qui, développés comme de véritables fictions, n'excitaient plus les rumeurs de la critique et n'en étaient pas moins révélés pour cela.

L'idée était lancée, en profitait qui voulait, ou qui pouvait, et l'on n'avait pas eu à affronter les criailleries des pseudo-savants ou de ceux dont le siège était fait.

Notre romancier ne se rebuta pas de son essai infructueux; car, dès 1753, il composa « Amilee ou


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la graine d'hommes qui sert à peupler les planètes ».

Ne vous alarmez pas, Messieurs: je n'ai pas l'intention de vous faire l'analyse des romans de Tiphaigne ; ce n'est pas le but de cette note. Ce genre, qui n'a plus guère cours aujourd'hui, vous semblerait certainement fastidieux, bien que cependant on puisse y trouver des théories d'une grande originalité, et j'ai peur d'abuser de vos moments par ce trop long préambule : je vais donc aborder le sujet qui nous occupe.

Dans son roman de Giphantie (anagramme de Ti - phaigne), paru en 2 parties in-8° en 1760, à Babylone (lisez Paris), se trouvent exposées les théories de l'auteur sur ce que nous appelons aujourd'hui la photographie.

Dès le début, il déclare que personne plus que lui n'eut de goût pour les voyages, mais qu'ayant regardé toute la terre comme sa patrie et tous les hommes comme ses frères, il se faisait un devoir de parcourir sa patrie.

Contrairement aux voyageurs ordinaires , il nous dispense du récit des péripéties du voyage, des incidents divers, des naufrages, des tempêtes, etc., que tout explorateur, qui se respecte, se garde d'omettre. Sans secousse, il nous transporte sur les confins de la Guinée, du côté des déserts qui la terminent vers le nord ; le désir le prend de pénétrer dans cette immensité ; il s'avance muni de provisions condensées sous forme de tablettes, d'un masque de verre pour préserver ses yeux des nuages de sable, et d'une boussole pour se guider. (Constatons, en passant, la découverte des tablettes alimentaires.)


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En lisant l'énumération de ces précautions, et, à première vue, on ne croirait pas qu'il s'agit ici d'un bon voyageur composant auprès de son feu, enveloppé de sa robe de chambre et les pieds sur les chenets ; mais nous ne sommes pas longtemps a reconnaître que nous avons affaire à un explorateur des domaines de l'imagination.

Comme il faut toujours qu'il se produise quelque incident animant le récit, un orage éclate ; l'auteur est enlevé par des tourbillons de vent; il eût dû, dit-il, être brisé, mais un être bienfaisant (naturellement ! ) veillait à sa sûreté.

Ballotté, inconscient, il se trouve transporté dans un pays inconnu, au milieu d'un jardin délicieux ; mais il ne voit pas d'habitants, lorsqu'une voix vient frapper ses oreilles ; une ombre se présente et lui apprend qu'il est dans une île..

« Je suis, lui dit l'ombre, le préfet de cette île,qui porte le nom de Giphantie. Elle fut donnée aux esprits élémentaires un jour avant que le Jardin d'Eden fût assigné au père du genre humain. Ton penchant pour la philosophie, ajouta le préfet, m'a prévenu en ta faveur. Je t'ai suivi sur la route, je t'ai défendu contre l'ouragan. Je veux maintenant te faire voir Jes raretés qui se trouvent ici, après quoi j'aurai soin de te rendre à ta patrie. »

Sur ce, l'aimable préfet se met en devoir de servir de cicérone à Tiphaigne, et lui détaille toutes les merveilles de son île.

Parmi ces merveilles, il en est quelques-unes qui

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pourraient nous arrêter ; mais elles nous écarteraient encore de notre sujet.

Je regrette d'être obligé d'entrer dans tous ces longs détails, et je réclame une grande indulgence de votre part. Je désirais vous présenter l'auteur, et vous faire voir dans quelle situation il se trouvait, et quelle est la compétence du guide dont il tient ses aperçus sur un art inconnu de tous.

L'auteur est donc, après maints et maints circuits, conduit par le préfet des génies au fond d'un chemin pratiqué sous terre; et, après quelques détours, il esi rendu à la lumière.

Notons bien ce détail, en apparence insiguilianl ; peut-être, plus lard, nous lui trouverons une certaine importance.

« Il m'introduisit, continue Tiphaigne, dans une salle médiocrement grande et assez nue, où je fus frappé d'un spectacle qui me causa bien de l'étonnement.

« J'aperçus,par une fenêtre, une mer qui ne me parut éloignée que de deux ou trois stades. L'air, ■chargé de nuages, ne transmettait que cette lumière paie qui annonce les orages ; la mer agitée roulait des collines d'eau, et ses bords blanchissaient de l'écume des Ilots qui se brisaient sur le rivage.

« Par quel prodige, m'écriai-je, l'air serein, il n'y a qu'un instant, s'est-il si subitement obscurci ? Par quel autre prodige trouvai-je l'Océan au centre de l'Afrique? En disant ces mots, je courus avec précipitation pour convaincre mes yeux d'une chose si peu vraisemblable;

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mais, en voulant mettre la tête à la fenêtre, je heurtai contre un obstacle qui me résista comme un mur. Etonné par cette secousse, plus encore par tant de choses incompréhensibles, je reculai de cinq ou six pas en arrière.

« Ta précipitation cause ton erreur, me dit le préfet: cette fenêtre, ce vaste horizon, ces nuages épais, cette mer en fureur, tout cela n'est qu'une peinture.

« D'un étonnement je ne fis que passer à un autre. Je m'approchai avec un nouvel empressement; mes yeux étaient toujours séduits, et ma main put à peine me convaincre qu'un tableau m'eût fait illusion à tel point.

« Les esprits élémentaires, poursuivit le préfet, ne sont pas si habiles peintres qui 1 adroits physiciens : tu vas en juger parleur manière d'opérer.

« Tu sais que les rayons de lumière, réfléchis des différents corps, font tableau et peignent ces corps sur toutes les surfaces polies, sur la rétine de l'oeil, par exemple, sur l'eau, sur les glaces. Les esprits élémentaires ont cherché à fixer ces images passagères ; ils ont composé une matière très subtile, très visqueuse et très prompte à se dessécher et à se durcir, au moyen de laquelle un tableau est fait en un clin d'oeil. Ils enduisent de cette matière une pièce de toile, et la présentent aux objets qu'ils veulent peindre. Le premier effet de la toile est celui du miroir : on y voit tous les corps voisins et éloignés dont la lumière peut apporter l'image; mais ce qu'une glace ne saurait faire, la toile, au moyen de son enduit visqueux, retient les similaires. Le miroir


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vous rend fidèlement les objets, mais n'en garde aucun ; nos toiles ne les rendent pas moins fidèlement et les gardent tous. Cette impression des images est l'affaire du premier instant où la toile les reçoit ; on l'ôte sur-lechamp, on la place dans un endroit obscur ; une heure après, l'enduit est desséché, et vous avez un tableau d'autant plus précieux qu'aucun art ne peut en imiter la vérité, et que le temps ne peut en aucune manière l'endommager.

«t Nous prenons dans leur source la plus pure, dans le corps de la lumière, les couleurs que les peintres tirent de différents matériaux que le laps de temps ne manque "jamais d'altérer. La précision du dessin, la vérité de l'expression, les touches plus ou moins fortes, la gradation des nuances, les règles de la perspective, nous abandonnons tout cela à la nature, qui, avec cette démarche sûre qui jamais ne se démentit, trace sur nos toiles des images qui en imposent aux yeux, et font douter à la raison si ce qu'on appelle réalités ne sont pas d'autres espèces de fantômes qui en imposent aux yeux, à l'ouïe, au toucher, à tous les sens à la fois.

« L'esprit élémentaire entre ensuite dans quelques détails physiques : premièrement sur la nature du corps gluant qui intercepte et garde ses rayons, secondement sur les difficultés de le préparer et de l'employer, troisièmement sur le jeu de la lumière et de ce corps desséché, trois problèmes que je propose aux physiciens de nos jours et que j'abandonne à leur sagacité. » Malheureusement, Tiphaigne ne nous communique pas ces détails ; car il est, après leur enumeration, incon-


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testable qu'il a dû faire des expériences, que ce n'est plus une simple intuition, et qu'il y a eu commencement d'exécution.

N'est-ce pas là, Messieurs, l'idée première, le germe de la photographie? La description de l'épreuve obtenue par des moyens entrevus d'abord vaguement par Tiphaigne, nous la représente avec toutes les couleurs de la nature. C'est la perfection, l'idéal de la photographie : nous n'en sommes pas encore là ; mais tout nous fait prévoir que, dans un temps plus ou moins rapproché, le rêve de notre auteur sera réalisé.

Je sais bien que, dans son invention, si tant est que ce soit une invention réelle, les éléments constitutifs de la photographie, c'est-à-dire l'objectif et la chambre noire ne sont même pas cités: et encore,le chemin souterrain parcouru avant de voir le tableau, né serait-ce pas la chambre noire où il a été élaboré? Et l'on peut à la rigueur photographier sans objectif.

Mais n'oublions pas qu'il est guidé par un génie, et un des plus grands (le préfet de Giphantie lui-même), qui probablement ne peut s'abaisser à régler les préparatifs matériels de cette merveille; le principal pour lui est le réfléchissement, l'incrustation, si je puis m'exprimer ainsi, des images frappées par la lumière sur une toile préparée d'une façon spéciale. Il n'omet pas la mise dans un lieu sombre du lableau obtenu.

La toile préparée,c'est notre plaque ; l'enduit visqueux, n'est-ce pas le collodion, le gélatino-bromure ou autre composition? En tout cas, l'idée est là; la vision est nettement dessinée : Tiphaigne a vu clairement Je phé-


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nomène; il a saisi quelques-uns des procédés, mais les premiers lui échappent.

La lumière fixe réellement une image sur la toile ou plaque enduite d'une composition visqueuse ; l'épreuve est transportée dans un endroit obscur : il n'est pas, il est vrai, question de fixatif; mais le génie qui lui a fait cette explication, appartenant à un monde plus âgé que le nôtre et,par conséquent,plus avancé dans les sciences, considère peut-être ces choses comme trop connues pour en parler, les passe sous silence, lui qui voit déjà, qui connaît la photographie en couleurs !

Nous avons, il est vrai, seulement devant nous la plaque préparée et le développement dans l'obscurité. Ce transport de la plaque dans un endroit obscur ne fait—il pas soupçonner l'impression préalable dans une chambre noire? La réduction d'une image immense sur une plaque relativement petite, avec tous ses détails, toutes ses nuances, ne fait-elle pas penser à l'objectif la réduisant dans un espace donné? Je ne veux pas insister et prouver, ce serait folie, que dans l'exposition faite par Tiphaigne de La Roche réside entièrement l'invention de la photographie. Non ; mais ne serait-ce pas trop se hasarder que d'affirmer qu'il n'y a là qu'une idée fantaisiste,émanant du cerveau d'un auteur à l'ima - gination féconde, et non pas le résultat d'une étude sérieuse et réfléchie dont Tiphaigne entrevoyait l'issue, sans être alors assez certain du succès pour oser en faire la complète révélation ? Je vois là autre chose que le concours de hasards heureux ; trop d'éléments constitutifs de la photographie se rencontrent pour qu'on n'y


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puissent voir qu'une fiction agréable n'étant pas le résultat d'études préalables.

Cette conception a dû frapper les esprits perspicaces, allumer l'étincelle dans le cerveau de certains génies ! Qui sait si Niepce et Daguerre n'ont pas lu Giphantie ? Mais, après tout, il restait tant à faire pour faire germer cette ébauche et la mener à bien, que cette supposition n'altérerait en rien l'éclat de la gloire de ces deux grands savants.

Quoi qu'il en soit, Tiphaigne, malgré la frivolité apparente de son invention, malgré l'insuffisance de ses procédés, avec lesquels il eût été (du moins, il en est encore ainsi) impossible d'arriver à un résultat sérieux, a été le précurseur des Niepce et des Daguerre; et, s'il n'a pas inventé la photographie, il en a donné la première idée.

Félicitons-nous donc, Messieurs, d'avoir à le compter parmi nos compatriotes. Comme naissance, c'était un Bas-Normand, comme étudiant et résidant, il fut Caennais et membre de notre Académie des sciences, arts et belles-lettres ; nous pouvons donc hautement le revendiquer comme un des nôtres.

Je regrette de ne pouvoir vous donner de plus amples renseignements sur sa vie: tous ceux qui se sont occupés de Tiphaigne ne l'ont fait qu'au point de vue bibliographique, et c'est surtout à propos de son invention que je désirais vous le faire connaître. Tout ce que nous pouvons savoir, c'est que sa vie fut courte, qu'il se retira dans son pays natal, à Montebourg, et y mourut le 12 août 1774, âgé de 45 ans. Qui sait, si sa vie eût


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été plus longue, si le monde n'eût pas profité, soixante ans plus tôt, de la magnifique découverte dont la France s'honore.



RAPPORT « SUR LE CONCOURS DE 1892

Dessins, Fusains, Pastels et Aquarelles Photographies

Par M. Armand BENET Secrétaire de la Société

MESSIEURS,

Le concours de 1892, dont j'ai l'honneur de vous rendre compte, se divisait en deux catégories bien distinctes : la première comprenait les dessins, fusains, pastels et aquarelles, la seconde les photographies.

En 1891, notre concours de photographie ayant effrayé outre mesure un certain nombre d'artistes, vous avez cru, sur ma proposition, devoir leur donner les moyens de prendre part à une nouvelle lutte, plus abordable; d'autre part, si la sculpture a été plusieurs fois, dans ces dernières années, l'objet de la sollicitude de la Société, il n'en était pas de même des arts du dessin, notre projet d'exposition locale au Pavillon ayant été empêché par les travaux d'installation du musée Langlois.

(1) Rapport sommaire lu en sc'-ance.


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De là, Messieurs, le double concours actuel, qui nous a valu l'envoi de 66 dessins et fusains, 56 aquarelles, 6 pastels et 392 photographies (1).

L'organisation d'une exposition, dans la salle des concerts et son annexé, des oeuvres soumises aux jurys, n'était pas sans difficultés sérieuses : il fallait, pour la disposition économique et rapide des envois, l'autorité, l'expérience consommée de M, le Président, auquel surtout la ville de Caen a été redevable de ses expositions de 1874 et de 1883; il fallait aussi tout le zèle, toute l'activité de deux membres du jury, M. Laumônier, M. Ravenel, et de notre confrère M. Magron, que votre secrétaire s'est efforcé de seconder de son mieux. En deux jours le placement était terminé, et, le 4 juin, les deux jurys rendaient leurs décisions.

Ils se composaient:

Pour les dessins, fusains, pastels, aquarelles, de MM. Tesnière, président, Bénet, secrétaire, de Beaurepaire, Decauviile-Lachênée, Gasté, Laumônier et Ravenel;

(1) En plus, l'envoi intéressant, mais inégal, de 26 dessins, aquarelles et eaux^fortes, non encadrés, et par conséquent placés hors concours, aux terme» du règlement. Ils reproduisaient principalement des monuments de l'Eure et d'endroits limitrophes du Calvados et de l'Orne : ruines du prieuré de Beaumont-le»Roger, donjon et restes de l'abbaye de Conohes, maîtne-autel de S*.Cw>ix de Bernay, provenant du Bec, l'ancien bailliage a Vimoutiep», maison ou naquit Massuet, bénédictin de l'abbaye de Bernay, a Gisay, S'-Taurin d'Évreux, ruines du château de Fervacques, manoir de Bourgeauville, vieille-maison à Lisieux, etc. ; à signaler particulièrement le « fac-similé » à la plume d'un feuillet du Matrologe de la Charité de Menneval-


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Pour les photographies, de MM. Tesnière, président, Bénet, secrétaire, Albert Clément, Huard, Laumônier et Levassort. M. Levard, absent de Caen, s'était fait excuser.

Avant de vous exposer le résumé de nos travaux, je crois devoir rappeler les principaux articles du programme,

. « 2. Tous les artistes, nés ou domiciliés dans un des cinq départements de Normandie, sont admis à y prendre part.

« 3. Les sujets choisis par les concurrents devront se rapporter à la Normandie (monuments, sites, paysages, objets d'art, portraits de personnages, costumes, etc., etc.).

« 7. Les prix consisteront dans deux médailles d'or, l'une de 300 fr., pour les dessins, aquarelles, etc.; l'autre de 200 fr., pour les photographies; il sera en outre décerné, s'il y a lieu, dans chacune de ces deux catégories, plusieurs médailles de vermeil, d'argent et de bronze. »

CONCOURS DE DESSINS, FUSAINS, AQUARELLES ET PASTELS

Le jury s'est trouvé d'abord en présence de 3 envois qui, avant tout, s'imposaient à son examen : les fusains de M. Fréchon, de Rouen, les aquarelles de M. Lamy, du Havre, ^ et celles de M, du Pontavice, de Longues (Calvados).

Les six fusains de M. Fréchon reproduisent des intérieurs de la cathédrale de Rouen, des églises S'-


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Ouen et S'-Vincent de cette ville: cette série, bien homogène d'inspiration, constitue une oeuvre vraiment remarquable par l'originalité si curieuse du procédé, par l'intensité du rendu, par le jeu puissant des lumières et des ombres, qui sait donner à la fois la solidité des pierres, et ce vaporeux mystère des jours d'église ; le faire très large, très savant, arrive à des reliefs, à des détails vraiment surprenants de précision et d'effet, entres autres la ferronnerie, les chaises, les piliers, graduellement dégradés.

De tous les envois qui nous ont été soumis, c'est sans contredit celui qui atteste un tempérament artistique supérieur.

M. Lamy, du Havre, a présenté neuf aquarelles, dont trois vues de Caen et des environs (l'Orne à Vaucelles, la prairie, le coteau de Venoix), quatre paysages des environs du Havre, un vieux lavoir dans l'Eure, à Vieux-Pont, et un effet de soleil sur mer. Laissons de côté ce dernier envoi, où il était au moins difficile à l'artiste de rivaliser avec la nature: les huit autres rentrent absolument dans le domaine de l'aquarelle, dont elles constituent d'excellents modèles : voyez notamment le coteau de Venoix, Harfleur, et l'étude de neige; tous ces paysages sont très jolis de tonalités et de lumières, très précis de touche, très sûrs de valeurs habilement posées du premier coup par un artiste rompu aux virtuosités du métier ; les ciels, en particulier, parfois très simplement notés, arrivent à un effet excellent de légèreté, de justesse et de rendu.

Fort intéressant également est l'envoi de M. du

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Pontavice : ce n'est pas cependant qu'il faille attacher une grande valeur à son « Marguillier de Longues, étude de triple éclairage », qui manque de parti pris et présente quelques défectuosités, par exemple les mains, pas assez faites, et d'un dessin plus que douteux ; mais ses deux autres figures, exposées déjà aux-Salons de 1890 et 1891, sont d'excellents morceaux. Le Chantre de Longues, curieusement éclairé par les reflets d'un cierge, est un bon portrait, très vivant, que d'ailleurs mettent facilement en valeur les fonds trop sommaires et sacrifiés de l'église ; son Normand de Marigny, un vieux paysan renarré, à la physionomie narquoise et joviale, où Te cidre a mis son enluminure, est plus étudié, plus poussé encore, présentant, surtout dans la figure, un minutieux travail d'empâtement et de retouches, — qui, à vrai dire, sort de l'aquarelle pour rentrer dans la gouache. L'artiste nous avait également adressé un « Coin de sacristie à Longues », nature morte un peu froide, mais fort habilement rendue, finement travaillée, adroitement peinte dans ses plus minutieux détails: elle a figuré à l'exposition universelle et dans la galerie Petit, rue de Sèze.

En présence de ces trois envois que distinguent des qualités toutes spéciales et bien réelles, lé jury a cru devoir vous proposer d'élever le prix de 300 à400fr. : la moitié devant être attribuée aux fusains, dont le prix a été accordé à M. Fréchon; l'autre moitié aux aquarelles, dont le prix a été partagé eos-cequo entre MM. Lamv et du Pontavice.


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L'article 7 mettait à la disposition du jury plusieurs médailles de vermeil, d'argent et de bronze: voici sur ce point les résultats de son travail.

FUSAINS

Médaille d'argent, M. de Frileuze, d'Alençon, pour ses huit fusains représentant des sites de St-Cénery et de diverses localités du département de l'Orne. Ce n'est plus la facture originale et personnelle de M. Fréchon ; mais plusieurs forment d'intéressants spécimens du genre Allongé, par exemple la vieille forge près St-Cénery, malgré l'effacement des buissons du premier plan, insuffisamment mis en relief, par exemple aussi la vue prise dans l'île de Guéramé près d'Alençon, et le pont de St-Cénery, bien choisis et adroitement rendus.

Une médaille de bronze a été décernée à M. Chéron, de Soulangy (Calvados), un habitué des salons des Champs-Elysées. Ses deux envois consistent d'abord en un grand paysage, qui présente par places de sérieuses qualités, mais dont les dimensions sont bien ambitieuses pour l'intérêt du sujet, et qui manque vraiment de plans et de profondeur ; plus intéressante, plus agréable, malgré une certaine monotonie dans les valeurs noires, est sa grève à marée basse, de proportions beaucoup moins solennelles.

DESSINS

Une médaille d'argent grand module a été attribuée à M. Valette, agent voyer d'arrondissement à Pont-


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l'Évêque, pour 4 cadres contenant 64 dessins à la plume d'objets mérovingiens trouvés en 1890 et 1891 aux environs de Cambremer. Le jury a été vivement intéressé par ce travail, surtout archéologique, mais fort curieux d'exécution minutieuse, d'extraordinaire précision, une véritable oeuvre de lithographe ou d'aqua-fortiste, où l'extrême souci des détails ne nuit en rien à l'ensemble, à ses reliefs et à ses lumières. (1) Médaille de bronze, M. Alfred Barrier, de Verneuil (Eure), pour trois dessins d'une facture particulière représentant le chevet de Notre-Dame de Verneuil, la porte du cimetière de cette ville (2) et un paysage pris dans la même localité, entre La Boude et Saint-Martin. L'intérêt principal de ces trois études tient à l'emploi du papier Gillot, rayé verticalement et repsè horizontalement, servant de fond au dessin et au lavis, les blancs étant produits par des grattages plus ou moins profonds. C'est d'ailleurs un procédé aujourd'hui répandu, surtout en raison des facilités qu'il apporte pour le tirage des épreuves commerciales.

Une mention honorable a été accordée à M. Crocquevieille, de Montebourg (Manche), pour deux portraits du comte Daru, ancien ministre, et de M. Damecour, ancien notaire et juge de paix de Mêzidon, patients et consciencieux dessins à la plume.

(1) Deux intéressantes photographies de M. Conard, maire de Beaufour, jointes a l'envoi, donnent la vue du terrain où se trouvaient les sépultures mérovingiennes de Druval et celle de l'entrée des galeries souterraines.

(2) Ces deux dessins pour l'illustration de c Notre-Dame de Verneuil », par M. P."L. Dubois.


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AQUARELLES

C'est dans cette catégorie que figure l'unique médaille de vermeil de la section : elle a été accordée à M. Delauney,de Caen,architecte à Paris,pour ses 12 aquarelles représentant divers paysages à Beuzeval-Houlgate (la Planche-Vimard, marine, falaises, vue générale prise du chemin du Sémaphore), à Quétiéville (la Dives), à Feuguerolles (l'Orne), à Fontaine-Etoupefour (entrée du château), et à Caen (tour des Gendarmes, porte de secours du château, et la lucarne bien connue de la maison rue S'-Pierre appartenant à M. Soye).

Cette série constitue avant tout une oeuvre d'architecte, où la première place revient aux monuments, notamment dans cette jolie.lucarne, bien que le toit, trop éclatant de tonalité, nuise un peu à l'effet en écrasant le motif principal. Il est regrettable que les ciels soient généralement assez défectueux, sans rien de la simplicité sûre ou vaporeuse de M. Lamy ; mais, en revanche, il faut citer tout particulièrement de très agréables sous-bois à Beuzeval, fort joliment traités.

Une médaille d'argent petit module a été attribuée à M"" Jeanne Delamare, du Havre, qui avait envoyé deux tableaux de fleurs, et surtout des Pensées très agréables de couleur, fermement touchées dans une assez jolie gamme de violets.

Médaille de bronze, M"e Alice Le Perrier, de Caen, dont les six aquarelles représentent une châtelaine moyen âge, une dentellière, le pilote du bateau du Havre


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àCaen, un paysage des bords de l'Orne, et deux groupes de fleurs. Le jury a distingué un de ces derniers, représentant des « fleurs d'hiver », roses de Noël et chrysanthèmes.

C'est également à deux tableaux de fleurs, dont l'un représente des oeillets, l'autre des primevères et des jonquilles,qu'a été accordée la première mention honorable : l'auteur est M 11" Laure Deren, au Havre.

L'autre a été accordée à M. Florentin Loriot,d'Alençon, pour sa grande aquarelle la Falaise de Carolles, que le jury a mise à part de ses autres envois : Intérieur de S'-Étienne de Caen, Eglise S'-Léonard-des-Bois, la Chapelle du Châtelier et l'Étang de Nonant (Orne).

PASTELS

Médaille d'argent, M. Lesellier, de Caen, pour son Intérieur de notre École municipale de sculpture, bien rendu, malgré l'uniformité de l'éclairage, qui ne concentre ni la lumière ni l'attention sur le sujet principal, et malgré quelques défauts de construction, par exemple aux oreilles du personnage principal.

Médaille de bronze, M. Chariot, élève de l'école nationale de musique, à Caen, âgé de moins de 17 ans, pour un portrait d'après nature très ressemblant, d'un éclairage assez faible sans doute, et dans lequel on ne peut demander encore à notre jeune compatriote de dégager suffisamment sa personnalité de l'imitation forcée du maître.

Telles sont, Messieurs, les récompenses votées parle

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jury, qui s'est rapidement mis d'accord pour éliminer tous les autres envois soumis à son examen : un seul a fait l'objet d'une discussion. Il s'agissait de 3 pastels représentant la prairie de Caen, l'entrée de S'-Aubinsur-Mer et l'intérieur de l'église de Bernières, où se rencontrent des qualités, par exemple d'intelligentes et adroites recherches de colorations lumineuses, une certaine harmonie de tonalités grises, mais dont la facture lâchée, trop sommaire, les inexpériences flagrantes de débutant, et peut-être les tendances « impressionnistes », n'ont pas paru à la majorité du jury — dont le rapporteur doit être le fidèle interprète — pouvoir être l'objet d'une récompense.

De plus, nous avons vivement regretté, les termes du programme excluant la gravure, d'être forcés d'exposer hors concours deux belles eaux-fortes de M.G.-O.Guillot, de S'-Lô, qui, en d'autres occasions, auraient certainement obtenu une récompense.

CONCOURS DE PHOTOGRAPHIE

Comme le jury des dessins et aquarelles, le jury de photographie s'est trouvé en présence de mérites divers qu'il a jugés irréductibles, et il a décidé de partager le prix (médaille d'or) entre deux envois dont l'un, d'un mérite artistique incontestablement supérieur, n'atteint pas à la perfection technique de son rival.

Nos deux lauréats sont M. Magron, secrétaire delà Société Caennaise de Photographie, et M. l'abbé Dubosq, curé de Commes (Calvados).

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M. Magron est aujourd'hui sans rival pour les illustrations photographiques, auxquelles il a spécialement consacré son talent: l'Ensorcelée, couronnée l'an dernier par la Société des Beaux-Arts (1), le Mortier de Marc-Aurèle, et surtout l'Élixir du R. P. Gaucher, sont véritablement des modèles du genre, auxquels viendront heureusement s'ajouter deux des oeuvres composées pour notre concours.

Ce sont d'abord 23 épreuves illustrant Le Maître de l'OEuvre, nouvelle de notre confrère M. Lavalley, sur l'église de Norrey; puis les 17 planches du Chanoine de Bayeux enlevé par le diable, légende bien connue de Jean Paiye, prébende de Cambremer (2). Il est inutile d'insister sur les difficultés si bien résolues par M. Magron: l'habileté de la composition artistique, l'excellent choix des modèles, l'adroit groupement des personnages, la restitution vivante des principaux épisodes du « livret », dans leur objectivité originale, ne sont plus à louer chez notre confrère, —qui malheureusement, à côté d'épreuves superbes, de fort jolis paysages ou d'intérieurs admirablement éclairés, nous a présenté des planches trop noires, et par conséquent, dépourvues de détails dans les ombres. Ce défaut est surtout sensible dans la monographie photographique du Vieux Saint-Etienne, seize reproductions d'un véritable intérêt archéologique (3).

(1) Cf. mon rapport.

(2) Très heureuses reproductions de la cathédrale do Bayeux, extérieur et • intérieur, tours, chevet, porte du transept, détails d'architecture, etc.

(3) Vues générales, façade principale, porche, détails du chevet, fenêtre


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C'est au contraire la perfection technique qui a distingué les 69 épreuves de M. l'abbé Dubosq, réparties en trois séries :

Quelques jours au bord de la mer; monuments; paysages(1);

Visite à la ferme ;

Viaduc de la Souleuvre.

On y remarque de fort beaux paysages, très habilement choisis et très finement, très joliment exécutés dans une agréable tonalité claire, par exemple la Fosse du Soucy et les Rives de l'Aure; des instantanés aussi nets que curieux, comme les trains de chemins de fer, les « grandes marées», aux paquets de mer saisis au vol, dans un ^, de seconde; des monuments d'un réel intérêt, comme le château d'Argouges, fort curieux à reproduire ; de remarquables vues de fermes normandes, surtout les moutons aux pâturages, enfin le viaduc de la Souleuvre sous toutes ses faces et dans les diverses phases de sa construction.

M. l'abbé Dubosq ne possède pas seulement, avec un objectif supérieur, un soin absolu de toutes les nécessités photographiques: il sait choisir la vue, composer le tableau et mettre en valeur cette précision,

de la lanterne, galerie de la nef, piliers de la chapelle de l'est, détails du portail nord.

(1) La demoiselle de Fontenailles; bassin et falaises de Port-en-Bessin ; démolition de l'église do Port ; églises de Marigny, Vaux-sur-Aure ; port d'Ouistreham ; glaciers de falaises pendant l'hiver de 1890-1891 ; Commes, à la largo perspective do lointain, etc. A citer également une anecdote — dont le titre a été fait après coup — « un oiseau luttant de vitesso avec le chemin de fer ».


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cette netteté de rendu qui est son premier mérite et qu'il paraît difficile de surpasser.

Si M. Dutac, de Vernon (Eure), auquel nous avons accordé une médaille de vermeil, avait conservé chez lui une dizaine des 69 épreuves qu'il nous a soumises, véritablement médiocres dans leurs tonalités ternes, et qui l'ont mis vis-à-vis de son concurrent dans un état de sensible infériorité, sa collection de vues normandes (1), concernant principalement Vernon, Gisors, Gaillon, Pont-de-1'Arche, Radepont, Rouen, etc., aurait été placée à côté de celle de M.Dubosq, qu'elle égale certes souvent, et dont les 27 x 33, les 18 x 24 dépassent, en difficulté vaincue, les 13 x 18 de son vainqueur. Comme lui, M. Dutac sait choisir les sites et nous présenter des tableaux achevés, auxquels là main de l'artiste n'aurait rien à changer pour les transporter sur la toile: plusieurs vues du pont et du moulin de Vernon, surtout,

(1) Rouen: port. — Pont-de-1'Arche: pont, anciennes fortifications, portail de l'église, vitrail. — Pont-S'-Pierre : église, maître-autel provenant de l'abbaye de Fontaine-Guérard ; château. — Douville : ruines du château. — Radepont : ruines de l'abbaye et de la filature de Fontaine-Guérard, intérieur de la chapelle de l'abbaye, vieux moulin, monument élevé dans la tour Jean-sans-Terro du vieux donjon de Radepont en l'honneur d'une dame noble assassinée par son mari dans l'abbaye de Fontaine-Guérard, château bâti au pied do l'ancien donjon, rivière d'Andelle. — Lisors : ruines de l'abbaye de Mortemer. — Andely : Château-Gaillard. — Gaillon : château, vue de la ville. — Dieppe : casino et plage. — Vernon : églises de Vernon et Vernonnet, vieux pont de Vernon, moulin et château do Vernonnet, pont actuel.vue de la ville, monument des mobiles do l'Ardèche, la Seine pendant les glaces de l'hiver 1890-1891, chêne de la Mère de Dieu dans la forêt de Vernon, etc. — Givcrny : rivière d'Epto. — Gisors : église, donjon et tour du château, statue du général de Blanmont, rempart, etc. — La Délivrande : portail sud.


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en sont d'irréfutables preuves; et, dans ces jolis paysages, pas de détails qui ne paraissent, subtils et clairs, malgré l'habituelle demi-teinte sobre de l'ensemble. L'habileté de l'exécution est, ici également, très grande, et digne de chaleureux compliments.

Une médaille d'argent a été ensuite > attribuée à la nombreuse et intéressante série de 94 vues 9 x 12, instantanées ou posées, de notre confrère M. le comte d'Osseville (1), consacrée au Calvados et à la Manche, dont elles reproduisent les aspects les plus divers : châteaux, églises, sites, plages, paysages, groupes, scènes populaires; citons au hasard, parmi les clichés les mieux réussis, une barque à Lion-sur-Mer, le marché de Sl-Lô, le pesage des courses de La Meauffe, et surtout le Castel (Manche), un vieux château tout enseveli dans l'ombre froide des futaies, perdu dans les marécages des étangs — une de ces tristes demeures fatales où Barbey d'Aurevilly plaçait ses mélancoliques et hautains personnages.

Dans l'envoi de M. Ruppé, de Vire, le jury a fait deux parts : il a résolument écarté les 32 épreuves,

(1) Amigny: château. — Bény-sur-Mer : église. — Bcrnières-sur-Mer : église.— Lo Breuil, à Mézidon : château. — Caon : courses, concours hippique, foire.—Castel (Le): château. — Cerisy : forêt. — Coigny : château.— Douvres: église. — Fontaine-Henry : bas-relief. — Fresne-Camilly : vue, chapelle. — Lo Havre : port, bassin du commerce. — Isigny : marché. — Langrune : plage. — Lessay : foire. — Lion : plage. — Luc : église. — La Meauffe : courses. — Mézidon : ancienne église, gare. —Notre-Dame-sur-Vire : vue. — Ouistreham : jetée. — Périers (Manche): intérieur et extérieur do l'église. — La Rivière (Manche) : château. — Rouvres : vue. — S'-Lô : vues diverses. — Soumont : tombeau do Marie Joly, brèche nu diable. — Thêre : château, etc.


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au moins médiocres, qui reproduisent, dans la plus désagréable gamme des noirs, divers monuments ou sites de Vire, Mortain, Villedieu, Domfront, le Mont S'-Michel et Bayeux ; il n'a retenu que onze intéressants portraits de femmes, aux pittoresques coiffures du Bocage, qui ont paru à la majorité de ses membres mériter une médaille de bronze.

Il n'a pas été accordé de mention honorable aux autres envois.

Tels sont, Messieurs, les résultats de nos concours : permettez-moi, en terminant, de constater que nos décisions ont reçu l'approbation générale du nombreux public qui, pendant 4 jours, a visité notre exposition, malgré les attractions multiples des courses vélocipédiques, du lendit normand, et des villégiatures suburbaines pendant les fêtes de la Pentecôte. La presse locale ne nous a pas davantage marchandé son adhésion : nous pouvons donc, en toute confiance, vous soumettre le résumé succinct et sincère de nos travaux.



Phololj|ie de M. l'Abbé Dubosq. Photocolliigraj'liie J. Rayer, Nancy.

CHATEAU D'ARGOUGES.



Phototype de M le C" d'Osseville. Pbolocollographie J. Royer, Nancy.

LE CASTEL (HÉBÉCREVON - MANCHE).



Phototype de H. Magroa.

Pholocollogra[iliie J. Rover, Nancy.

LE PORTAIL NORD DU VIEUX ST-ETIENNE DE CAEN.



ANNÉE 1893



PREMIÈRE PARTIE

PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU II NOVEMBRE 1892

PRÉSIDENCE DE M. CARLEZ, VICE-PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière réunion est adopté.

M. le Vice-Président communique les excuses de M. Tesnière, président de la Société, qui, absent de Caen, ne peut assister à la séance.

Après avoir déposé les publications reçues pendant les vacances, le Secrétaire donne lecture d'un rapport sur le compte des recettes et dépenses de l'exercice 1891-1892, présenté par M. le Trésorier dans la dernière séance du Conseil d'administration, et sur l'état, à ce jour, des finances de la Compagnie.

Conformément à ses conclusions, la Société donne à M. Laumônier décharge de ses opérations,et lui vote d'unanimes remercîments pour le soin tout particulier qu'il apporte à l'accomplissement de ses délicates fonctions.

La Société décide ensuite, sur la proposition du. Conseil d'administration, qu'il ne sera pas ouvert de


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concours en 1893, et qu'une partie de la somme y afférente sera consacrée à donner aux concerts de nouvelles attractions, notamment en faisant venir des artistes parisiens.

Le budget de l'exercice 1893, s'élevant en recettes et en dépenses à 2,300 fr., est ensuite adopté dans les termes suivants :

RECETTES

1* Cotisations 1.600 fr.

2° Subvention du Conseil général 400

3° Intérêts des fonds déposés à la banque

Bellamy 300

Total 2.300 fr.

DEPENSES

1° Impressions 1.000 fr.

2° Acquisitions de livres 400

3° Abonnements 309

4° Reliure 50

5° Société de Gravure française 52

6° Éclairage et chauffage 25

7° Allocation au concierge 175

8° Frais généraux et dépenses imprévues. 289

Total 2.300 fr.

Sur l'article 3, conformément aux propositions du Conseil d'administration, la Société décide la suppression de la Grande Revue de Paris et St-Pélersbourg•, qui sera remplacée par une autre publication, à choisir ultérieurement.


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M. Gasté signale la copie d'un travail de Vignon, dont l'original serait à la direction des Beaux-Arts, et qui est consacré aux tableaux de la galerie de Thorigny ; il donne lecture de la description du 11° tableau, par le peintre lui-même.

M. Gasté signale ensuite un article du Journal sur la mort d'un peintre caennais, Stanislas Lépine.

M. Lefort ajoute sur cet artiste quelques souvenirs personnels.

M. Legentil, bibliothécaire, dépose un exemplaire du catalogue du Musée de Madrid, par D. Pedro de Madrazo, 6e édition, 1889, rapporté d'Espagne et offert à la Société par notre confrère M. Adelus.

Le Secrétaire fait connaître que le premier concert de l'hiver 1892-1893, exclusivement réservé, comme les précédents, aux membres de la Société, sera prochainement donné dans la salle des concerts de l'Hôtel de ville.

La séance est levée à 9 heures.

Le Secrétaire, Armand BÉNET.


SÉANCE DU VENDREDI 9 DÉCEMBRE 1892 PRÉSIDENCE DE M. TESNIÈRES, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. Bigot se plaint qu'au concert du 30 novembre, M. le Secrétaire ait refusé l'entrée à un étranger présenté par lui et M. de Saint Germain ; MM. de Saint Germain, Gasté et Travers parlent dans le même sens.

Après une réponse de M. le Président, M. le Secrétaire fait connaître qu'en refusant, au dernier concert comme aux précédents, l'entrée aux personnes étrangères à la Société, il n'a fait que se conformer à plusieurs décisions antérieures, notamment à celle du 9 novembre dernier : il a soumis sa conduite au Conseil d'administration dans sa dernière séance, et il en a obtenu une entière approbation.

Ne pouvant, dans ces conditions, accepter les critiques qui lui sont adressées, il déclare remettre à la Société les fonctions qu'elle a bien voulu lui confier depuis G ans, et constate en se retirant qu'entre ses mains, les intérêts de la Société n'ont point périclité, ainsi que le prouve le nombre toujours croissant de ses membres.

L'ordre du jour appelle l'élection des membres du bureau.


- & -

, Le Secrétaire rappelle que M. Tesnières, en {onctions depuis 2 ans, n'est pas rééligible, et propose à l'assemblée de remercier M. le Président, comme l'a déjà fait le Conseil d'administration, pour les services signalés qu'il a rendus à la Société.

Cette proposition est adoptée par acclamation.

Élection du Président: M. Cariez est élu.

M. Gasté, Vice-Président, décline toute candidature pour un nouveau mandat.

Élection des Vice - Présidents : MM. Langlois et Lumière sont élus. • . .

M. Bénet déclare à nouveau qu'il décline toute candidature pour le poste de Secrétaire.

M. Tesnières, Président, exprime à M. Benêt les regrets que lui cause cette détermination, et ses remerciments pour les services qu'il a rendus à la Société.

Élection du Secrétaire : M. Prempain est élu.

MM. Liégard et Manchon sont élus Vice-Secrétaires.

M. Legentil décline toute candidature pour les fonctions de bibliothécaire-archiviste.

M. Decauville-Lachênée est élu.

Sont ensuite nommés:

Bibliothécaire adjoint, M. Magron;

Trésorier, M. Laumonier ;

Membres du Conseil d'administration pour 3 ans, en remplacement de MM. Vallée, de Biéville et Hellouin, non rééligibles: MM. Levard, Le Roy et Ravenel;

Membre du Conseil d'administration pour 2 ans, en remplacement de M. Lumière, élu Vice-Président: M. Pichard;


- 68 ^

Membre du Conseil d'administration pour 1 an, en remplacement de M. Langlois, élu Vice-Président : M. Tesnières.

M"° L. de CORTEUIL, professeur à l'Ecole nationale de musique, MM. CHEVREL, préparateur à la Faculté des sciences, DESOBEAUX, greffier au Tribunal civil, LAISNÉDESHAYES, professeur à la Faculté de droit, LAURENT, greffier de la Justice de paix, LE SAUNIER, propriétaire éleveur, et PELLETIER, avocat à la Cour d'appel, sont élus membres de la Société.

La séance est levée à 10 heures 1/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI 13 JANVIER 1893 PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

Lr séance est ouverte à 8 heures.

En prenant possession de la Présidence, M. Cariez exprime ses remercîments à la Société, qui lui a confié cette fonction.

M. Manchon, l'un des Vice-Secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

M. Bigot critique la rédaction de ce procès-verbal et demande que l'analyse de l'observation présentée par lui soit complétée; MM. de Saint Germain, Gasté et Travers appuient les observations de M. Bigot, et critiquent d'autres passages du procès-verbal.

Une discussion s'engage à ce sujet; outre les membres précités, MM. le Président, Tessier et Liégard y prennent part.

Le procès-verbal est mis aux voix ; sur la demande de M. Ravenel, il est procédé à un scrutin secret, qui donne les résultats suivants : votants, 28 ; majorité, 15 ; pour l'adoption : 11 contre 17.

Le procès-verbal n'étant pas adopté, l'assemblée charge son Secrétaire de le modifier en tenant compte des indications fournies par la discussion précédente.

M. le Président fait connaître à la Société le nom des

élèves de l'Ecole nationale de musique et de l'École

municipale des Beaux-Arts qui ont obtenu cette année

les médailles offertes par la Société; ce sont: pour la

musique, M. Auguste Martin, élève de M. Fonteyne,

s


-codasse de basson; pour le dessin, M. Edouard Piotin, élève de M. Hellouin pour la bosse, et de M. Auvray pour l'ornement.

M. Liégard, Vice-Secrétaire, communique à la Société les remercîments de M. Laisné-Deshayes, récemment admis comme membre de la Société, et les regrets de M. Prempain, élu Secrétaire dans la dernière séance et qui ne peut accepter celte fonction.

Il est procédé à l'élection d'un Secrétaire en remplacement de M. Prempain, non acceptant.

M. Liégard est élu.

A l'unanimité, M. Prempain est élu Vice-Secrétaire en remplacement de M. Liégard, élu Secrétaire.

MM. CAMEXA D'ALMEÏUA, professeur à la Faculté des lettres, POMMERAIS, commandant du génie, LUXEAU, ingénieur en chef des ponts et chaussées, VRAC, ancien magistrat, DAIIBOUK, représentant de commerce, YOUK, représentant de commerce, CARHELET, percepteur, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. Gasté communique à la Société une gravure de Picard, représentant le bienheureux Thomas Hélie, spécimen curieux de ce que fut à Caen l'imagerie religieuse populaire.

M. Decauville-Lachênée fait connaître à la Société les points essentiels du nouveau règlement adopté par le Conseil d'administration pour la bibliothèque.

La séance est levée à 9 heures \/2.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI 10 FÉVRIER 1893 PRÉSIDENCE DE. M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. Le procès-verbal de l'avant dernière séance, modifié à la suite d'un vote émis dans la dernière séance, est également lu et adopté.

M. le Président rappelle à la Société le décès de M. Joly, doyen honoraire de la Faculté des lettres, ancien Vice-Président de la Société, et se fait l'interprète des regrets que tous éprouvent pour la perte d'un collègue qui, par l'étendue et la variété de ses connaissances, a marqué d'une façon durable son passage dans la Société.

M™" BLOUET, propriétaire à Caen, M. OSMONT, contrôleur des douanes, et M. PERROTTE, notaire, sont admis au nombre des mem bres de la Société.

Le Secrétaire annonce qu'il va faire remettre aux membres de la Société des cartes personnelles leur donnant droit d'entrée aux concerts avec deux personnes de leur famille immédiate.

M. Lumière lit une notice intitulée « Page de la vie intime de Félicien David », dans laquelle il retrace, en faisant appel à des souvenirs personnels, la vie que menait Félicien David lorsqu'il venait autrefois passer à Chàteaudun une partie de l'été. C'est pendant ces


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mois de villégiature que F. David composa certaines parties de la symphonie du Désert, qui est restée son oeuvre maîtresse, ainsi que l'opéra à" 1 Herculanum, représenté depuis à Paris, mais qui, malgré de réelles beautés, n'obtint qu'un faible succès. C'est là aussi qu'achevèrent de se nouer, entre le compositeur et l'avocat Nicollet, ces relations d'amitié solide et durable dont le premier devait profiter dans la suite, puisque ce fut grâce à l'aide de son ami qu'il put faire éditer la partition de la Perle du Brésil, sa première oeuvre dramatique. La séance est levée à 9 heures 1/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SEANCE OU VENDREDI 14 AVRIL 1893 PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de là dernière séance. est lu et adopté.

Le Secrétaire annonce que M. Gasté se propose de donner à la Société son travail sur Vignon et la galerie de Torigny. Il annonce également que M. Paul Drouet, sur le point de partir pour l'Amérique, a bien voulu, sur la demande qui lui en a été faite, se charger d'un travail d'études sur les institutions artistiques aux États-Unis.

M. le Président rappelle à la Société qu'elle a été invitée à se faire représenter par deux délégués au Comité local chargé d'organiser la réception de l'Association française pour l'avancement des sciences : MM. Langlois et Peschard sont nommés délégués de la Société.

M. Laumonier propose de décider que la Société fera en 1894 une exposition de peinture et de sculpture. Après quelques observations de M. le Président, de MM. Laumonier, Ravenel et du Secrétaire, il est décidé que cette question sera soumise à l'examen de la commission des arts du dessin.

MM. Bigot et Legentil posent des questions relatives à l'excursion projetée pour le 30 avril. Le Secrétaire


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rappelle que cette excursion n'est point organisée par le bureau, et que,vu l'absence de M. Landry, il ne peut fournir aucun renseignement. Sur une nouvelle question de M. Bigot, le Secrétaire s'engage à adresser le programme de l'excursion à tous les membres de la Société, dès que M. Landry lui en aura fait connaître tous les détails.

M" 1" 8 TALVO-BEDOGNI,professeur de musique, et VIEILLARD, propriétaire; MM. ADELIXE, imprimeur, BARBÉ, ingénieur des ponts et chaussées, BEAUVAIS, entrepreneur, BoxNAVENTURE,facteurdepianos,BouRGEOx,présidentdu consistoire, BROCHARD,avoué à la Cour, CARITÉ,étudiant, CHABERT,Trésorier payeur général, l'abbé CHAXTEREAU, DANJON, professeur à la Faculté de droit, GOSSELIN, propriétaire, GUIXAT, notaire, LECHERPY, étudiant, LEFÈVRE, négociant, LIAIS, propriétaire, MASSOXIE, directeur des contributions indirectes, MUTIX , facteur d'orgues, SOUEF, avocat, TOUTAIX, clerc de notaire, PICOT, greffier en chef du Tribunal civil, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. Cariez, Président, lit une étude sur le théâtre et la musique à Caen pendant la Révolution : après la saison de 1788, particulièrement brillante et qui fut marquée par les succès d'une toute jeune artiste, MlloLacaille, la saison lyrique de 1789 se soutint encore dignement avec des oeuvres du répertoire. En 1790, l'installation de la municipalité et la fête de la fédération furent l'occasion d'importantes solennités musicales; puis vinrent,en 1792, les pièces patriotiques et de circonstance. Acette époque,audired'un réquisitionnai re


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parisien qui les entendit, les artistes de notre théâtre ne dépassaient point le niveau de la médiocrité. En 1793, malgré les troubles fédéralistes, auxquels les artistes se mêlèrent activement, le théâtre n'en continua pas moins de donner des représentations dans le goût spécial de l'époque.

Après la terreur vinrent les fêtes nationales ; la ville de Caen en organisa un .grand nombre, et jamais la partie musicale n'y fut négligée.

Au cours de cette notice M. Cariez, donne de curieux détails biographiques sur les professeurs qui enseignaient alors la musique à Caen, et en particulier sur un nommé Sosson, d'abord clerc tonsuré, qui finit par être maire de la ville, mais qui dut bientôt quitter ces fonctions, à la suite des critiques auxquelles prêta sa gestion financière.

En terminant, M. Cariez donne d'intéressants renseignements sur la composition qu'avait alors la musique de la garde nationale, et sur les sacrifices que la ville s'imposait pour l'entretien de ce corps.

La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE OU VENDREDI 12 1AI 1893 PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le Secrétaire transmet à la Société les remercîments de MM. Bourgeon, Guinat et Massonie, récemment admis parmi ses membres.

M. le Président annonce qu'il a reçu de M. le Comte de Saint-Quentin, président de la Société d'Agriculture, une demande tendant à faire ouvrir par la Société un concours dans le but d'élever un buste à M. Isidore Pierre, ancien doyen de la Faculté des sciences de Ca«n.

Il propose, en conséquence, d'organiser un concours dans les conditions qui furent adoptées pour le buste de M. Morière.

M. Gasté critique le projet au point de vue financier.

M. le Trésorier donne à ce sujet des détails sur la situation de sa caisse, qui laisse prévoir un léger excédent de recettes pour l'exercice actuel.

MM. Leroy, Ravenel et Prempain critiquent le projet, qui est défendu par M. de Formigny de la Londe et par le Secrétaire.

La Société décide en principe qu'un concours sera ouvert pour élever un buste à M. Isidore Pierre, mais


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que le crédit affecté à ce concours ne pourra dépasser une somme de 300 francs:

Le Secrétaire expose à la Société les résultats de la délibération de la Commission des arts du dessin, qui s'est réunie le mercredi 10 mai pour étudier le projet d'une exposition arlislique en 1894 ; le principe même de cette exposition est vivement combaltu par M. Prempain et défendu par MM. Ravenel, Tesnières et Laumonier.

Après une discussion a laquelle prennent part un grand nombre des membres présents, les résolulions suivantes, proposées par le Secrétaire au nom de la Commission des arts du dessin, sont successivement adoplées :

1" L'exposition n'aura lieu que si la Société obtient de la ville et du département des subvenlions suffisantes.

2° La Société ne pourra engager dans cette exposition une somme supérieure à 3.000 francs.

3" L'exposition sera réservée aux arlisles nés ou domiciliés dans un des cinq départements de Normandie.

MM. ZIENKOWICZ, directeur de l'usine à gaz, et MAY, percepteur, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. Gasté communique à la Société la photographie d'une statue tombale de Henri de Matignon, comte de Torigny, maréchal de France.Cetle statue, remarquable mais malheureusement mulilée, se trouve aujourd'hui à Vire : M. Gaslé explique comment elle a été


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transportée là, après avoir été placée dans la chapelle de Torigny, qui fut saccagée durant tes guerres de la chouannerie et qui n'existe plus aujourd'hui. La séance est levée à 9 h. 1/2.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VEIDREDI 9 JUII 1893

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président communique à la Société une invitation qui lui est adressée par l'Union centrale des Arts décoratifs, en vue d'un congrès à organiser pour le printemps de 1894 ; la Société adhère en principe à cette proposition,et charge son Secrétaire de répondre à l'Union centrale des Arts décoratifs.

M. le Président annonce que, pour la tombola dont le tirage doit avoir lieu à la prochaine séance de la Société, le conseil d'administration a choisi comme lots : une aquarelle double de Vesly, une eau-forte de M. Tesnières et une lithographie d'après Meissonnier. M. Liot, propriétaire, ancien magistrat, est admis au nombre des membre de la Société.

M. le Président rappelle qu'il a été décidé en principe,dans la séance précédente,que l'on adopterait, pour le concours relatif au buste de M. Isidore Pierre, des conditions analogues à celles qui avaient été fixées pour le buste de M. Morière en 1890; il donne lecture du texte alors adopté, qui est de nouveau mis aux voix.

MM. Ravenel et Decauville Lachênée critiquent le projet de concours en lui-même ; le Secrétaire fait


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observer que ce projet a été antérieurement adopté et qu'il n'y a plus à discuter que les détails d'exécution.

Le règlement du concours de 1890 est adopté, pour le nouveau concours, sans modifications ; il est décidé toutefois, sur les observations de MM. Ravenel et d'Osseville, qu'avant de fixer le montant de la somme qui sera allouée à l'artiste dont l'oeuvre sera exécutée en bronze, il y aura lieu de se renseigner exactement sur les intentions de la Société d'Agriculture à cet égard.

En conséquence, le concours sera ouvert dans les conditions suivantes :

Le concours ouvert par la Société des Beaux-Arts, entre les artistes normands d'origine ou de résidence, pour l'exécution du buste de M. Isidore Pierre, ancien doyen de la Faculté des Sciences de Caen, sera clos le 15 octobre 1893. Les bustes devront être remis, ledit jour avant 6 heures du soir, au Pavillon des Sociétés savantes, rue Daniel-Huet. Chaque buste portera une devise, qui devra être reproduite sur l'enveloppe d'un pli cacheté contenant le nom et l'adresse de l'auteur, et qui devra être remis au Pavillon en même temps que le buste.

La dimension imposée est environ 75 centimètres de hauteur, y compris le piédestal.

L'artiste dont le buste aura été choisi recevra une somme de 1.800 francs, à charge de fournir l'exécution en bronze. Cette somme serait augmentée dans des proportions convenables, dans le cas où, après le concours, la Société d'Agriculture viendrait à décider

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que l'oeuvre sera exécutée en marbre. Ledit marbre serait en ce cas fourni par ladite Société d'Agriculture.

Ne sont pas compris dans le chiffre ci-dessus indiqué les moulages qui pourront êtres exécutés en plâtre, sous la surveillance du sculpteur, pour être remis à divers corps ou établissements publics.

Un prix de 300 francs pourra être accordé à l'artiste dont l'oeuvre aura été placée en seconde ligne. D'autres récompenses seront accordées, s'il y a lieu.

La photographie de M. Isidore Pierre sera mise à la disposition des artistes qui en feront la demande au Secrétaire de la Société.

La date de la prochaine séance coïncidant avec celle de la fête du 14 juillet, il est décidé cette que séance sera avancée de deux jours et fixée au mercredi 12 juillet.

La séance est levée à 9 h. 1/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉAICE DU MERCREDI 12 JUILLET 1893

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Sur la proposition du Secrétaire, l'assemblée reporte au 31 octobre la date de la clôture du concours pour le buste de M. Isidore Pierre, primitivement fixée au 15 octobre.

Sur la proposition de M. le Président, deux médailles de vermeil sont attribuées au concours d'orphéons qui doit avoir lieu le 13 août.

La Société décide en outre que, comme les années précédentes, une médaille d'argent sera remise à M. le Proviseur du lycée pour être jointe au prix de dessin.

Il est procédé au tirage au sort de la tombola : la lithographie, l'eau-forte et l'aquarelle qui en faisaient l'objet, sont attribuées aux numéros 71, 7 et 219.

Sur la proposition de M. Prempain, la Société décide que ses concerts seront continués en 1893-94.

La Société invite son Secrétaire à faire les démarches nécessaires pour obtenir les subventions de la ville et du département pour l'exposition projetée en 1894.

M. Gasté communique à la Société un médaillon

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représentant Greuze d'après lui-même, et une gravure qu'il a découverte dans une collection particulière, et qui lui a permis de vérifier l'attribution de ce médaillon. La séance est levée à 9 heures.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


APPENDICE AUX PROCÈS-VERBAUX

CONCERT DU 30 NOVEMBRE 1892

Salle des Concerts, à l'Hôtel de ville

1. Syloia, prélude LÉO DELIBES.

Orchestre.

2. Stances de Polyeucle GOUNOD.

M. CORBEL.

3. Sylvia. A. Le Berger, pastorale LÉO DELIBES.

Le solo de flûte par M. SAUSSE.

B. Intermezzo.

c. Valse lente.

4. Air du Cid , MASSENET.

M"" ALICE THÉVENEAU.

5. Fantaisie pour flûte sur le Prophète DËMERSEMANN.

M. MAUCINI.

( A. Allegro pour piano CHOPIN.

* ( B. Caresse et Appassionala THOMÉ.

7. Sylvia, entrée du Sorcier L. DELIBES.

8. Chanson d'amour, avec violoncelle HOLLHAN.

MM. CORBEL Ct SOUDRT.

9. 4* Trio pour piano, violon et violoncelle .... REBER.

Sérénade. — Scherzo. — Andante. — Finale. MM. DUPONT, DU SAUCEY et ROUSSELOT.

10. Air d'Etienne Marcel SAINT-SAENS

M" 0 ALICE THÉVENEAU.

11. Sylvia, divertissement L. DELIBES.

A. Violon solo, M. DU SAUCEY.

B. Galop.

L'Orchestre dirigé par H. ROUSSELOT

Lu piano d'accompagnement tenu par MM. DUPONT el A. MARYE


— 85 - CONCERT DU 24 MARS 1893

Salle des Fêtes, à l'Hôtel de ville

PREMIÈRE PARTIE

1. Sylvia, Marche du cortège de Bacchus .... LÉO DELIBES.

(Orchestre.)

2. Kassya (\), fragments LÉO DELIBES.

Air de Cyrille. M. CORBEL. — Chanson slave. M" 0 THÉVENEAU.— Air du Comte. M. P. V. — Prière de Kassya, M"e THÉVENEAU.— Trio. M"e THÉVENEAU, MM. CORBEL et P. V.

3. Conte d'Avril, suite concertante pour deux pianos. Cu. WIDOR.

Sérénade illyrienne.-^ Adagio.— Guitare.— Marche, MM. A. et G. DUPONT.

4. Hérodiade, air (Salomé) MASSENET.

M. P. V.

\ A. Danse espagnole SARASATE.

' / B. Vénus — Adonis . . : ALEX. GEORGES.

M. DU SAUCKT.

.6. Hamlet, air d'Ophélic (Ballade) A. THOMAS.

M 1" THÉVENEAU.

7. Sylvia (orchestre) LÉO DELIBES.

La grotte d'Orion.— Pizzicati.— Caprice-Valse.

8. La chanson des Gars d'Irlande A. HOLMES.

M. P. V.

9. Sextuor, Scherzo — Finale . R.DEBOISDEFFHE.

Pour piano, deux violons, alto, violoncelle et

contrebasse. MM. A. DUPONT, DU SAUCET, B...., MANCEL,

ROUSSELOT et CRESPIN.

10. Roméo et Juliette, duo. . GOUNOD.

M" 0 ALICE THÉVENEAU et M. CORBEL.

11. Sylvia, Scherzo LÉO DELIBES.

Orchestre.

Quête pour les Pauvres

(1) L» première rcpivseiUation de Kassya avait lieu ce soir-la a l'Opéra-Coniiqie.

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DEUXIÈME PARTIE X-.J\. MORT D'QRPfïéP

Scène lyrique Poésie d'Armand RENAUD, musique de Léo DELIBES

A. Air d'Orphée : 0 nature tranquille (M. COIIBEL'. -^ B- Choeur des Ménades: Au son des tambourins sonores. — C, Scène: Que vient faire ici ce porteur de lyre?— D. Choeur de Nymphes cl de Faunes : O Muses, pleurez.

La scèue se passe en Thrace, ,*ui oiiUcu de rochers sa.yya.gf s. sur les bords do l'Hèbre. Orphée implore la nnlurc et pleure la mort d'Eurydi e. Soudain des furies, les Ménadcs, apparaissent t't menacent <]ui»oii<|iio refuserait do |Ktita^t>r leurs l'nslins. Orphée, t|u'olk-s appellent, les repousse. Elles se jettent sur lui cl le tuent. Alors, de toute la nature s'élève une plainte harmonieuse pour pleurer le poète gui la célébrait par ses chants.

L'Orchestre dirigé par M. ROUSSELOT

Le piano d accompagnement tenu par M. DUPONT

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DEUXIÈME PARTIE

MÉMOIRES ET DOCUMENTS DIVERS

DISTRIBUTION DES PRIX

DE

L'École nationale de Musique

ET DE

L'École municipale des Beaux-Arts

I.

Il est d'usage, depuis longtemps, de ne décerner que tous les deux ans les prix accordés aux élèves de nos deux écoles artistiques caennaises.Cette solennité a eu lieu le lundi 23 février 1891, pour ce qui concerne les années scolaires 1888-89 et 1889-90.

La présidence en avait été donnée à M. Vatin, préfet du Calvados. A l'entrée du cortège officiel dans la salle des Fêtes de l'Hôtel de ville, remplie d'une foule compacte, l'orchestre municipal a fait entendre la Marseillaise.


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Après la première partie du concert qui encadre d'ordinaire la cérémonie officielle, les autorités ont pris place sur l'estrade. Siégeaient auprès de M. le Préfet : M. le maire de Caen ; MM. Zévort, recteur de l'Académie; le général Chambert; Toutain, conseiller général; Colas, président du tribunal de commerce; Chevrel, inspecteur d'Académie ; François, proviseur du lycée ; Cauchy et Lhermitte, conseillers de préfecture; Quéruelle, adjoint au maire, etc.

Dans son discours, qui a été très applaudi, M. Vatin a émis des pensées très justes et très élevées sur l'utilité et les bienfaits de l'enseignement artistique. Ensuite a eu lieu la proclamation des lauréats.

Les prix d'honneur accordés par M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts à l'École nationale de musique, ont été remportés par MM. Georges Soudry (1889), violoncelliste, élève de M. Rousselot, et Charles Mancel (1890), violoniste, élève de M. Verdier. Les médailles offertes par la Société des Beaux-Arts ont été remises à M. Mahouin, violoniste, élève de M. Caulier, pour l'École de musique, et à M. Fernand Duval, élève de M. Hellouin, pour l'École des BeauxArts.

Nous signalerons encore,parmi les lauréats de l'École de musique : MM. Viénot, Lamusse, Levavasseur, Marie (Gaston) ; M"" Lecomtc et Baer, premiers prix de solfège; MM. Mahouin, 1er prix de violon; Soudry(G.), 1" prix de violoncelle, et Lecouvreur, lor prix de flûte.

A l'école des Beaux-Arts, les principales récompense/s ont été obtenues par MM. Allain, Bourdon (R.),


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Guérin, Legoupil, pour le modelage; Collin, pour la sculpture sur bois ; Duval, Piotin, pour le dessin d'après la bosse ; Michel Marie pour le dessin d'ornement et d'architecture, et Cahagnes, pour la stéréotomie.

L'article dans lequel le Moniteur du Calvados rendait compte du concert donné à l'occasion de cette distribution de prix, débutait ainsi :

« Il a été facile de juger, lundi soir, des progrès accomplis dans notre École de musique, depuis les premières années de sa réorganisation. Nous ne sommes plus au temps où l'on voyait défiler, sur l'estrade du concert, quelques timides instrumentistes venant, l'un après l'autre, exécuter d'une façon assez écolière leur petit morceau. Ce sont maintenant de jeunes artistes qu'il nous est donné d'entendre, possédant bien le mécanisme de leur instrument, et auxquels il ne manque plus que le perfectionnement technique et le cachet d'exécution,qui ne s'acquièrent véritablement que dans les centres privilégiés, au contact des maîtres de l'art. »

Ces quelques lignes résumaient fidèlement l'impression produite par l'audition des. jeunes solistes qui s'étaient fait entendre : MM. Soudry, violoncelliste ; Mancel et Mahouin, violonistes; Lecouvreur, flûtiste, et Martin, bassoniste.

Une ancienne élève de l'École, M"" Jeanne Le Coq, qui étudiait alors le piano à Paris, s'était empressée d'apporter son concours à cette fête musicale, où elle s'est fait applaudir en exécutant divers morceaux des maîtres classiques et modernes.

Le bel air de Stmtonice, de Méhul, fort bien chanté


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par M. Corbel, et un choeur, interprété par les élèves de la classe de M"e de Corteuil, constituaient toute la partie vocale du programme.

On a beaucoup goûté l'exécution des Bergers Watteau, de Gregh, par l'orchestre des élèves de l'École, sous la direction de M. Verdier.

Enfin, l'orchestre municipal, dirigé par M» Cariez, a fourni un bon appoint à cette soirée, avec l'ouverture du Prè-auoe-ClercSjle, finale d'une symphonie de Haydn et une élégante Polonaise de Lacome.

II.

La distribution des prix aux élèves des deux écoles artistiques de Caen, pour les années 1890-91 et 1891-92, a eu lieu le lundi 12 décembre 1892.

M. Lebret, maire de Caen, présidait la cérémonie, ayant à ses côtés MM. Vatin, préfet du Calvados ; de Linière, secrétaire général de la préfecture : Quéruelle et Detolle, adjoints ; Chevrel, inspecteur d'Académie ; de Saint-Maurice et Bozon, chefs de bataillon au 36e d'infanterie ; Mofras, conseiller municipal, etc.

M. le Maire,ayant pris la parole,a constaté les résultats obtenus dans les deux écoles, et y a joint d'excellents conseils adressés aux élèves.

Après ce discours, dont les passages principaux ont été, en quelque sorte, soulignés par les applaudissements de l'auditoire, a eu lieu la proclamation des lauréats.

Le prix d'honneur accordé à l'École de musique par


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M. le Ministre de l'Instruction publique et des BeauxArts, a été décerné, pour l'année 1890-91, à M. Lecouvreur (Maurice), flûtiste, élève de M. Mancini, et, pour 1891-92, à M. Martin (Auguste), bassoniste, élève de M. Fonteyne. M. Martin a obtenu également la médaille de la Société des Beaux-Arts. Une autre médaille, offerte par M. le Maire de Caen, a été décernée à M. Lamusse (Charles), hautboïste, élève de M. Mousset.

Voici les noms des titulaires des premiers prix, en ce qui concerne l'École de musique : MM. Le Héricy (Edmond), Marie(Gaston), Schmitt, Parker(W.), Parker (Chr.), pour le solfège ; Poyet et Bisson, pour la dictée musicale; M11"Lenfant, Péret(G.),Thillais, Biais(Ch.), pour le solfège ; M"" Viel (J.) et Sénécal, pour le piano ; MM. Bisson (G.), pour le violon ; Corbel, pour la clariuette, et Martin, pour le basson.

A l'École municipale des Beaux-Arts, la médaille d'argent offerte par la Société des Beaux-Arts a été décernée à M. Piotin (Edouard), élève de MM. Hellouin, pour la bosse, et Auvray, pour l'architecture. Cet élève a reçu, en outre, une médaille de vermeil, dans la classe de M. Hellouin.

Les élèves ayant obtenu une première médaille d'argent sont: MM. Frêne (dessin d'après la bosse), Vasnier, Thiré (dessin d'ornement et d'architecture), Guérin, Danjou (modelage), Isabelle (sculpture sur bois).

Le concert qui accompagnait cette distribution de prix n'a pas été inférieur aux précédents. Les jeunes solistes, MM. Bisson, Rousselot, Pigis, Lamusse, Martin, ont fait honneur à l'enseignement de l'École


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de musique. Le duo pour deux pianos, sur Don Juan, de Mozart, a été joué avec beaucoup de délicatesse et de nuances par M"" 8 Viel et Sénécal. On a fait une ovation toute particulière et bien méritée aux élèves de la classe de violon de M. du Saucey, après l'exécution de leurs morceaux d'ensemble.

Les choeurs et, d'autre part, l'orchestre municipal, qui a fait entendre une ouverture d'Auber, le finale de la première symphonie de Beethoven, et une Polonaise de Lippacher, ont complété fort agréablement le programme de celte soirée.


CONCOURS POUR LA BOURSE MOIGIB LE FRAKCOIS

Deux concours .ont été ouverts simultanément, le 24 août 1891, pour l'obtention de deux bourses de 1,500 fr., provenant de la fondation Georges Le François, et destinées, l'une à un élève architecte, l'autre à un musicien.

Le jury du concours d'architecture, présidé par M. Daléchamps, adjoint au maire de Caen, a décerné la bourse à M. Ernest Thiré, de Caen, élève libre de l'Ecole nationale des Beaux-Arts, à Paris.

Le concours de musique a eu lieu sous la présidence de M. Mériel, maire de Caen. Trois concurrents y ont pris part. La bourse a été décernée, à l'unanimité, à M"' Jeanne Le Coq, de Caen, pianiste.

ENCOURAGEMENTS A L'ÉTUDE DU DESSIN

La médaille d'argent que la Société des Beaux-Arts accorde chaque année, lors de la distribution des prix du lycée Malherbe, à l'élève le plus méritant des cours de dessin, a été décernée :


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En 1891, à l'élève Marie (Georges), de la classe de 3e année de l'enseignement moderne.

En 1892, à l'élève Postina (Louis), de la classe de rhétorique.


NOTES SUR LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE

A CAEN Pendant la Révolution

PAR

M. Jules OARLBZ

Président de la Société

1789

Le théâtre de Caen, aux approchés de la Révolution, c'est-à-dire pendant la période comprise entre décembre 1788 et avril 1789, fournit une saison particulièrement florissante. Le directeur avait réuni une troupe de choix, au premier rang de laquelle il n'avait pas craint de placer une débutante, une jeune fille de seize ans, la demoiselle La Caille. Ce fut pour lui un coup de fortune.

La demoiselle La Caille,« qui n'avait encore paru sur aucun théâtre », débuta le 4 décembre 1788, dans le rôle de Clémentine, du Magnifique, opéra comique de Grétry. Elle reçut un accueil des plus chaleureux. On en trouve un écho dans le compte rendu que fit de cette pièce le chroniqueur théâtral du Journal de la


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Basse-Normandie. Après avoir déclaré que la jolie figure de la jeune actrice, figure « extrêmement intéressante et pleine d'expression », avait « fait naître dans les esprits une prévention bien avantageuse » pour elle, il vante « sa voix douce, mélodieuse et d'un genre précieux, son chant agréable et facile » et son*» jeu, « qui, sans être formé, est, ainsi que son dialogue, simple, naturel et vrai ».

Ces heureuses et précoces qualités s'affirmèrent davantage aux représentations suivantes ; la direction avait décidément mis là main sur une perle ; le public lui en sut gré, et vint avec empressement applaudir la charmante cantatrice et son entourage. Il s'ensuivit un grand déploiement d'activité de la part de l'administration théâtrale ; on puisa largement dans le répertoire de la Comédie Italienne, si riche, et alors dans toute sa fraîcheur. On donna de Grétry : Zèmire et Asor, l'Amant jaloux, le Tableau parlant, Richard Coeur de Lion, le Comte d'Albert et sa suite, la Nouvelle amitié à l'épreuve, la Caravane et l'Epreuve villageoise ; de Monsigny.- Félix et la Belle Arsène ; de Dalayrac: Azèmia ou les Sauvages, Sargines, Regnault d'Ast et les Deux petits Savoyards, qui procurèrent à M"' La Caille un succès triomphal. On représenta également les Pécheurs, de Gossec, Célestine, de Bruny, le Droit du Seigneur, de Martini, ainsi que son Amoureux de quinze ans, et quelques autres encore.

Cette laborieuse et brillante saison prit fin à la semaine sainte, c'est-à-dire dans les premiers jours d'avril 1789. Le théâtre fit sa réouverture le 20 du


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même mois, pour la rentrée des Comédiens à la suite de la Cour, lesquels avaient déjà défrayé la saison 1785-86. Ils donnèrent des représentations d'opéra pendant toute la durée de la foire. Une certaine effervescence, causée par la cherté du pain, régnait alors parmi la population caennaise ; des troubles avaient eu lieu; le duc de Beuvron, gouverneur de la ville et du château de Caen, avait dû sévir contre les perturbateurs. Il ne semble pas que le théâtre ait trop vivement ressenti le contre-coup de ces événements.

Il rouvrit de nouveau en novembre : les faits mémorables qui marquent le début de la Révolution s'étaient accomplis dans l'intervalle. A Caen, le 8 août, presque au lendemain de la prise du château par la milice bourgeoise, on avait chanté un Te Deum solennel pour fêter l'abandon des privilèges de la noblesse. Quelques jours après, le peuple massacrait le major deBelzunce, votaitl'expulsion du régiment de Bourbon, et renversait la statue de Louis XIV.

Il sera sans doute intéressant de dire ici quel était, en 1789,1e prix d'abonnement aux principales places, dans la salle de la rue de la Comédie : 12 livres par mois, pour les Messieurs, et 9 livres pour les Dames. Les représentations commençaient à 5 heures précises.

Le concours de la musique militaire était assez souvent réclamé parle directeur. Le dimanche 29 novembre, les musiciens du régiment exécutèrent plusieurs morceaux d'harmonie, comme intermède, entre u ne comédie et un opéra comique à grand spectacle, les Trois Sultanes, de Faivart. Le Ie' décembre, on donnait les Petits Sa-


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voyardsj avec un ballet nouveau et une comédie. Le premier cor du régiment fit entendre un concerto. Ces musiciens appartenaient au régiment d'Artois, demeuré seul en garnison dans la ville, depuis le renvoi du régiment de Bourbon.

1790.

Le 18 février, on procéda en grande pompe à l'installation de la nouvelle municipalité. Des salves d'artillerie et des sonneries de cloches annoncèrent la fête. Le cortège officiel se rendit à l'abbaye de Saint-Etienne, précédé de la musique du régiment d'Aunis, nouvellement arrivé à Caen. L'abbé de Jumilly, président du comité général, dit une messe basse du Saint-Esprit, pendant laquelle un orchestre exécuta différentes symphonies.

Autre cérémonie religieuse dans l'église abbatiale, le 11 juin, pour l'ouverture de l'assemblée électorale du Calvados. Cette fois, la messe du Saint-Esprit fut célébrée « en grande musique » par les religieux bénédictins.

Le 27 juillet, on porta solennellement à Saint-Etienne, avec le concours de toutes les autorités civiles et militaires, la bannière donnée par la commune de Paris au département du Calvados. Une messe en musique fut chantée, après quoi la bannière fut déposée dans une des salles de l'abbaye, affectée provisoirement aux séances du Conseil général du département.

Le 1" juillet, une autre grande fête avait eu lieu, fête exclusivement patriotique, et à laquelle la musique se


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trouva de nouveau associée, La fête de la fédération des gardes nationales et troupes de ligne du département du Calvados eut pour théâtre la plaine qui s'étend au sud de la ville, derrière l'emplacement du cimetière actuel de Vaucelles. Trois musiques militaires y prirent part: celles du régiment d'Aunis, en garnison à Caen, du régiment de Lorraine, en garnison à Bayeux, et de la garde nationale de Caen, de formation nouvelle.

L'émigration avait commencé; les familles nobles s'expatriaient; la haute bourgeoisie restreignait ses dépenses ; les temps devenaient durs pour les artistes de profession. Les maîtres demusique,en quête d'élèves, se hâtaient de confier aux colonnes d'une gazette le petit boniment dont voici des échantillons :

« Le sieur Conard enseigne à jouer de la flûte travorsière, la musique vocale, et copie très nettement toute sorte de musique. Il faut s'adresser chez le sieur Scelles, lutier (siej, place de la Belle-Croix, à SaintEtienne, qui indiquora sa demeure, » (1)

« M. Gravrand, maître de violon, prévient le public qu'il enseigne aussi la musique vocale. Il va chez les personnes qui le désirent. Son adresse est rue Écuyère, vis-à-vis 1» rue au Fromage ou Montaregret. » (2)

J'ai donné ailleurs (3) quelques détails sur Pizet, un

(1) Affiches, annonces, aois divers, ou Journal de la Basse-Normandie, du t8 avril 18D0.

(2) Id., du 34 octobre id.

(3) V. La Musique à Caen de 1066 à 1848 (Mémoires de l'Acad. des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1877). — V. aussi La Musique et la Société caennaise eut XVIW siècle (Id., 1884).


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musicien de talent, qui fut maître de chapelle de l'église Saint-Pierre, et qui dirigeait, vers 1760, l'orchestre et les choeurs du Concert de Caen. Un peu avant la Révolution, Pizet était devenu maître de pension ; il s'était rendu acquéreur de l'institution dirigée par les frères Pelouze, à l'entrée de la rue Haute-SaintGilles. Mais il n'avait pas dit pour cela un adieu complet au professorat musical; nous en trouvons la preuve dans cette curieuse réclame que publiait pour lui, le 31 octobre 1790, le journal déjà cité :

« Le sieur Pizet l'aîné, instituteur, ci-devant professeur et maître de chapelle, tenant sa pension à l'entrée de la Haute rue, paroisse et fauxbourg SaintGilles, donne avis que, malgré les soins et les occupations qu'exige la jeunesse qui lui est confiée, jaloux de propager un art qui a toujours fait les délices de sa vie, il veut encore sacrifier les moments de loisir qui peuvent lui rester pour communiquer aux vrais amateurs de son art les connaissances qu'il a acquises par la lecture et la conversation des meilleurs auteurs modernes de cette science ; il propose à ces mêmes amateurs un cours d'harmonie theorico-physico-pratique, dans lequel il leur fera connaître les sources de la mélodie et de l'harmonie, la basse fondamentale et ses différents mouvements ; en un mot, la nature des accords et leurs progressions différentes.

« S'il se trouve des amateurs en nombre suffisant qui veuillent l'honorer de leur confiance, il les avertit qu'il a dessein d'ouvrir son cours dans le courant du mois de novembre de la présente année, et le terminera


— loi —

vers la fin de juin de l'année suivante. En conséquence, ils sont priés de souscrire d'ici à ce temps, chez ledit sieur Pizet. Il se flatte qu'à la fin de son cours, par la méthode qu'il se propose de suivre, les amateurs qui l'honoreront de leur confiance seront en état de mettre au jour quelques productions agréables; il se fera le plus grand plaisir de les guider dans leurs ouvrages. » Pizet avait un fils, musicien comme lui ; voici l'appel qu'à son tour il adressait au public, à la date du 26 décembre :

« M. Pizet fils, fixant absolument son séjour en cette ville, offre ses talents au public, et le prévient qu'il se propose d'y donner des leçons, non-seulement pour la musique, mais encore pour le goût du chant et le violon. Les personnes qui l'honoreront de leur confiance voudront bien s'adresser chez lui, rue des Carrières (1), fauxbourg Saint-Gilles, n° 9, ou chez M. son père, Haute-rue, même fauxbourg. »

1791.

L'administration du théâtre était échue, pour la saison 1790-91, à trois associés: la demoiselle Pezey et les sieurs Duplan et Lorville. La troupe qu'ils avaient formée ne jouaii que la tragédie,le drame et la comédie, mais ils y avaient adjoint un corps de ballet. Le théâtre s'était paré d'un qualificatif en rapport avec les nouvelles circonstances politiques: Théâtre National de Caen.

(1) Aujourd'hui rue Segrais.

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A la tête du corps de ballet nous voyons un sieur Fleury, lequel était chorégraphe, et dansait dans ses propres ouvrages. On donna de lui, en janvier, un ballet-pantomime en 2 actes, intitulé : Le Pouvoir de l'Amour. Après la solennelle et pesante tragédie, le ballet venait apporter une note gaie et gracieuse ; il reposait agréablement l'esprit du spectateur, fatigué de la tension que lui avaient imposée les alexandrins de Manlius, de Lafosse, ou d'Hypermnestre, de Lemierrc. La tragédie de Marie-Joseph Chénier, Charles IX, fit son apparition à Caen le 27 février; on donna, le même soir, M. de Puurreauynac, de Molière, avec le divertissement.

Le 26 mars, Délarivc, comédien du roi, vint jouer Waricich, tragédie de La Harpe. Il parut le lendemain dans l'OEdipe, de Voltaire.

Après lui, le public caennais put applaudir Saint-Fal et M"c Thénard, du Théâtre-Français, dans Zelmire, de du Belloy, dans Y Amant bourru, de Monvel, dans Le Cid et dans le Barbier de Séoille. Fermé vers le 13 avril, le théâtre rouvrit le 2 mai, avec une troupe exclusivement littéraire. Une fois les débuts terminés, on vit avec plaisir revenir Delarive, « sensible aux regrets du public », pour parler le langage du directeur. Les ouvrages de Voltaire, La Harpe, Lemierre, Guimond de la Touche: Mahomet, Philoctète, Guillaume Tell, Ip.'uyénie en Tau ride, etc., occupèrent l'affiche tour à tour.

Le Conseil de la Commune, dans sa séance du 22 janvier, avait autorisé la demoiselle Pezey à donner des


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représentations pendant les mois d'été et d'hiver, et avait accepté l'offre faite par elle de payer une rétribution de 1,000 livres pour les pauvres: généreux exemple, qui n'a que trop rarement été suivi depuis !

Avec la saison d'hiver, le répertoire subit une transformation radicale : l'opéra et l'opéra comique y reprirent la place la plus apparente. Le 12 décembre, eut lieu la première représentation de Raoul de Crèqui, de Dalayrac.

Toute monotonie étant bannie des plaisirs dramatiques offerte au public caennais, voyait-on la salle de spectacle se remplir à chaque représentation, et la direction réaliser de belles recettes ? Il est permis d'en douter, en voyant celle-ci user d'expédients pour attirer les spectateurs. C'est ainsi qu'en décembre elle organisait une loterie « pour procurer aux citoyens la facilité de jouir du spectacle à bon compte ». 1.000 billets de parterre à 1 franc, et 500 de premières loges et balcons, à 2 francs, furent mis en vente. Les billets gagnants, dans la proportion de 10 pour 100, équivalaient à un abonnement d'un mois, c'est-à- dire pour seize représentations ; les billets perdants ne donnaient droit qu'à une seule représentation. Cette loterie fut tirée le 11 janvier 1792.

1792.

Les pièces de circonstance commencent à apparaître. Le 26 janvier, on représente pour la première fois le Nouveau d'Assas, trait civique, musique de Berton, avec évolutions militaires.


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Le 9 mars, au bénéfice du chef d'orchestre Laurent, deux premières représentations, un opéra comique de Bruni: le Fou par amour ; puis le Génie de la Nation, opéra en un acte, « d'un genre nouveau ». Entre les deux pièces, les sieurs Gravrand etBestory exécutèrent une symphonie concertante pour deux violons.Gravrand était un violoniste-compositeur très distingué, qui occupa une haute situation artistique à Caen, où il est mort en 1854 (1). Son partenaire m'est complètement inconnu.

Vers la fin de février — je n'ai pu savoir la date exacte — avait eu lieu la première représentation iïEuphrosine et Coradin, de Méhul. Cet ouvrage remarquable, qui marque le point de départ de l'opéra de demi-caractère, avait été créé au théâtre Feydeau, le 4 septembre 1890.

Autre première représentation, le 15 mars : lphigénie en Aulide, de Gluck. Ici, l'écart entre la création à Paris et la reproduction à Caen est plus considérable : un peu moins de dix-huit ans (2).

Le dimanche 28 octobre, fête civique sur la place de la Liberlé (ancienne place Royale) pour célébrer le succès de nos armes en Savoie. Un théâtre octogone, disposé en gradins, entourait l'arbre de la liberté ; il était couvert de musiciens et de chanteurs qui faisaient entendre des airs patriotiques, et notamment VHymne

(1) V. la notice biographique que je lui ai consacrée dans le Bulletin de la Société des Beaux-Arts, T. m, p. 379 et suiv.

(2) Iphiycnie en Aulide fut jouée pour la première fois a Paris le 19 avril 1774.


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des Marseillais. Comme on avait répandu à profusion des exemplaires de ce chant, le peuple mêla sa voix à celles des chanteurs de l'estrade : telle fut la première audition publique, à Caen, de l'hymne célèbre de Rouget de Lisle, composé à Strasbourg dans la nuit du 25 au 26 avril de ladite année 1792, et apporté à Paris par les fédérés marseillais, au mois de juillet suivant.

1793.

La maîtrise de Saint-Pierre avait eu à sa tête, dans les dernières années de la monarchie, un musicien nommé Sosson. Ce personnage, entré à demi dans les ordres — car il prenait le titre de clerc tonsuré expectant — s'était produit, en diverses circonstances, comme compositeur. J'ai cité de lui, dans un travail antérieur à celui-ci (1), quelques ouvrages à grand choeur et à grand orchestre, qui furent exécutés en 1785 à l'église des Cordeliers. Les événements de la Révolution ayant amené la suppression des maîtrises, Sosson dut chercher ailleurs des moyens d'existence ; lui aussi, il eut recours pour cela à la presse, témoin cet avis éloquent, inséré le 3 janvier dans le Journal du Calvados :

« Le citoyen Sosson, professeur de musique vocale., instrumentale et de goût, se propose d'occuper une maison et un jardin, rue des Carrières-St-Gilles, n° 23. Il désirerait trouver deux ou trois pensionnaires. 11

(1) La Musique à Cacn de 1066 à 1848 paragraphe v.


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enseignera, sans le secours d'aucuns maîtres externes, la musique vocale, la guitare, le violon, l'alto et la basse, l'explication de la grammaire française, des vrais principes de la lecture, de l'orthographe et de la prononciation , qu'il faut savoir indispensablement pour chanter comme pour parler exactement le français. ~ « La douceur et l'aménité qui régneront dans ses leçons, assurent d'avance de son application à mériter le suffrage des âmes honnêtes et de ses soins à en conserver la bienveillance.

« Tels sont les sentiments avec lesquels il prend la liberté d'offrir ses faibles talents aux personnes qui daigneront l'honorer de leur confiance, et lui procurer par ce moyen la satisfaction d'être utile à ses concitoyens. Il fera avec eux tels arrangements qu'ils jugeront à propos. »

Nous retrouverons tout à l'heure le citoyen Sosson dans un autre rôle; parcourons, en attendant, les annonces des spectacles.

Le 6 janvier, un amateur caennais parut en scène dans le rôle de Frérot, de l'opéra comique Nieodême.

Le 27, on donnait, à la suite d'un drame bien oublié aujourd'hui, Amélie et Monrose, une de ces pièces de circonstance qui se succédaient alors sans relâche, et qui jouissaient d'une certaine puissance d'attraction : la Prise de Mons ou le Triomphe des armées françaises, pantomime en un acte « ornée d'évolutions et marches militaires, terminée par des vaudevilles analogues au sujet ».

Les programmes de spectacles ayant un caractère


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d'actualité bien prononcé étaient nombreux en ce temps-là ; je cite celui du dimanche 10 février :

1° Le Menuisier de Bagdad, comédie mêlée de vaudevilles. — 2° Le Père Gérard de retour à sa ferme, ex-député à l'Assemblée nationale par le bailliage de Rennes. — 3° Le Génie de la Nation, vaudeville en un acte, avec le nouveau tableau représentant le général Dumouriez entrant dans la ville de Liège. — Le soir, grand bal.

On joua, ce mois-là, une comédie en 3 actes, d'un citoyen caennais, dont le nom ne nous est pas parvenu, les Deux jaloux ou l'Heureux stratagème. Cctlc pièce, d'un genre très gai, paraît-il, fut redemandée ; on en donna une seconde représentation le 24 février, pour la clôture du théâtre. Un drame de La Harpe, Mélanie et Monvel ou le bon curé, et un compliment declôture,vieil usage non encore abandonné, .complétaient le programme de la soirée.

Les graves événements qui s'étaient accomplis depuis six mois : l'invasion des alliés, l'abolition delà royauté, la proclamation de la République, le procès et la mort de Louis XVI, rien de tout cela ne semblait, en somme, faire oublier au public le chemin du théâtre.

11 se produisit cependant à Caen, vers le milieu de cette année 1793, des faits de nature à agiter les esprits et les détourner de tout plaisir. De nombreuses troupes venaient d'être l'assemblées sur les côtes normandes, en prévision d'un débarquement des Anglais, avec lesquels on était en guerre. Dans le même temps, arrivaient à Caen Jes députés girondins proscrits par


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la Convention. Leur présence dans un milieu déjà hostile aux idées et aux actes de cette assemblée, favorisait le mouvement fédéraliste, qui allait bientôt s'affirmer d'une manière ouverte.

Les comédiens de Caen voulurent s'associer à ce mouvement. L'un d'eux, nommé Picot, écrivit et fit jouer, sous le titre les Héros de la Montagne, une pièce dans laquelle il saluait l'arrivée à Caen des députés proscrits, et flétrissait en même temps, d'un pinceau énergique, les Montagnards, leurs redoutables ennemis. Cette pièce reçut un accueil enthousiaste. Elle fut suivie de l'exécution d'un Chant républicain, dédié « aux hommes du Nord ».

Girey-Dupré, l'auteur de ce chant, était un jeune journaliste, ami de Barbaroux, et qui avait accompagné à Caen les dix-huit députés girondins. Son oeuvre étant destinée, dans sa pensée, à devenir le chant de guerre et, pour tout dire, la Marseillaise de l'armée qui se préparait à marcher contre la Convention, il n'avait trouvé rien de mieux à faire que de parodier l'hymne célèbre de Rouget de Lisle, et d'en emprunter la musique.

Les deux strophes que voici suffiront à la comparaison de la copie avec l'original.

Enfants de la flère Neustrie, Courageux défenseurs des lois, C'est vous qu'implore la patrie; Levez-vous, marchez à sa voix (bis). Rappelez-vous l'antique gloire Des héros en vous renaissants, Allez cueillir aux mêmes champs


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Tous les lauriers de la victoire. Aux armes, citoyens ! Terrassez les brigands. La loi! (bis) c'est le seul cri, c'est le voeu des Normands.

• ••►

4e STROPHE.

Saintes lois, Liberté, Patrie, Guidez nos bataillons vengeurs ; Nous marchons contre l'anarchie, Certains de revenir vainqueurs (bis). De septembre tristes victimes, Vos bourreaux vont être punis ; France, tes lâches ennemis Vont enfin expier leurs crimes. Aux armes, etc.

En hôte reconnaissant de la ville de Caen, le poète lui avait dédié ce couplet supplémentaire :

Cité républicaine et fière, Caen, sois la Marseille du Nord ; Porte toujours sur ta bannière : Le règne des lois on la mort ! (bis). Dans ton enceinte hospitalière Tu reçus nos représentants : Ah ! qu'aux Français reconnaissants Ta gloire à jamais soit chère ! Aux armes, etc.

Tant de lyrisme ne put conduire à la victoire les soldats du général Wimpffen. Le Tyrtée Girondin avait été mauvais prophète : l'armée fédéraliste ne dépassa


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pas Vernon ; quelques coups de canon suffirent pour la mettre en déroute.

Le 29 juillet, les autorités constituées, les corps civils et judiciaires, les états-majors des troupes de la garnison, escortés de détachements de garde nationale, d'infanterie et de cavalerie, se rendirent au château, « au son d'une musique guerrière », pour en ramener les représentants du peuple Romme et Prieur, qui y étaient gardés comme otages. Ils furent conduits triomphalement à leur logement en ville.

Quelques jours après, les commissaires délégués par la Convention pour pacifier le département, Bonnet, Duroy et Lindet, firent leur entrée à Gaen, entourés d'un appareil militaire d'une certaine importance. Ils assistèrent à la fête du 10 août, qui fut célébrée dans la plaine d'Ifs, et où l'on entendit, pour la première fois, à Caen, le Chant du départ, de Méhul.

Les délégués de la Convention avaient pour mission d'épurer le personnel administratif, dont un grand nombre de membres s'étaient compromis dans le mouvement fédéraliste. Un de leurs premiers actes fut le remplacement de la municipalité. Le citoyen SaintMartin succéda comme maire au citoyen LegoupilDuclos ; mais il ne garda pas longtemps ces fonctions : nommé le 18 août, il donna sa démission le 8 septembre. Le 4 octobre, le Conseil de la commune choisit comme maire provisoire un des officiers municipaux, Sosson, l'ancien clerc tonsuré, le ci-devant maître de musique de l'église Saint-Pierre. Sa nomination fut ratifiée, quelques jours après, par les représentants en mission.


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Il n'est pas indifférent de consigner ici quelques-uns des actes de la carrière administrative de ce maire musicien. Ce fut lui que le Conseil délégua, le 8 frimaire an II (28 novembre), en compagnie de l'officier municipal Delaunayjeune, pour se rendre à Paris et remettre à la Convention l'argenterie des églises de la ville, en l'assurant de son attachement à la République une et indivisible (1).

Quelques jours après son retour de Paris, Sosson passait dans une des rues pittoresques de l'ancien Caen, cette rue des Petits-Murs que nous avons vue disparaître il y a quelque trente ans; il vit venir vers lui quatre soldats appartenant au 118 bataillon de la première réquisition, arrivé à Caen le jour même. En passant auprès du maire, l'un de ces soldats entonna l'air : ORichard, ô mon Roi! air frappé de proscription depuis l'usage qu'en avaient fait les royalistes pendant la détention de Louis XVI à la tour du Temple. Sosson, qui, sans nul doute, avait vu représenter Richard Coeur de Lion au théâtre de Caen, et avait dû goûter et applaudir la musique de Grétry, n'eut garde de s'abandonner aux impressions que réveillait en lui ce souvenir : tout entier à ses devoirs de magistrat et de bon patriote, il commença à admonester le chanteur, et il s'avança vers lui pour l'arrêter. Ce que voyant, le soldat prit la fuite, ainsi que ses compagnons. Sosson essaya de les poursuivre ; mais comment courir , avec les sabots dont il était chaussé? Les fuyards purent donc

(1) Registres municipaux.


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lui échapper facilement. Il se consola de cette déconvenue en dénonçant le fait à l'autorité militaire, qui découvrit bientôt le soldat coupable, et lui infligea une punition.

Sosson ne devait pas rester longtemps en possession de l'écharpe municipale : son zèle patriotique ne le mettait pas à l'abri de tout reproche ; sa probité était fortement suspectée. L'année précédente, alors qu'il n'était encore que sergent dans la garde nationale, il avait été chargé, avec deux autres sous-officiers, de faire, parmi les hommes de la compagnie, une collecte dont le produit devait être réparti entre les volontaires qui parlaient pour le camp de Meaux. Or, les fonds recueillis ne parvinrent point en entier à leur destination, et l'on soupçonna les commissaires délégués d'en avoir détourné une partie à leur profit.

Sosson dut répondre à l'aecusation qui fut portée ouvertement contre lui à ce sujet dans la séance du directoire du département du Calvados, du 20 frimaire an II, en présence du représentant La Planche, envoyé de la Convention. Il se délendit de son mieux/, il offrit même de combler de ses propres deniers le déficit signalé dans la somme recueillie, proposition qui lui valut une verte semonce de la part du citoyen La Planche. L'acte d'indélicatesse qui lui était reproché ne put être prouvé ; le maire n'en perdit pas moins la confiance de ses administrés, et il lui fallut s'attendre à descendre prochainement de son fauteuil. Dès le 25 frimaire (15 décembre), en effet, on lui nommait comme successeur le citoyen Fanet.


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Voici l'impression que produisirent, en ce temps-là, sur un jeune parisien de passage à Caen, la troupe qui desservait notre théâtre, et la salle de spectacle elle-même. François-Auguste Perrot, qui se fit connaître plus tard comme chansonnier et comme auteur dramatique, faisait partie du 19° bataillon de la première réquisition de Paris, bataillon qui fut envoyé en Normandie. Perrot a consigné dans un journal manuscrit, qui a été publié de nos jours, les souvenirs de ce voyage. Arrivé à Caen le 19 novembre 1793, il se promena le soir dans la ville, qui lui parut « belle, commerçante et peuplée ». Ce fut le lendemain qu'il se rendit au théâtre avec un de ses camarades, en sortant d'une maison où il avait reçu l'accueil le plus aimable.

« Nous prîmes congé de cette compagnie agréable, écrit Perrot, pour aller au spectacle. Nous eussions mieux fait de rester auprès de notre hôtesse, et bien mieux encore auprès de sa fille, que de passer une heure à ce maudit spectacle, pour y voir une vilaine salle et entendre des acteurs insupportables. Ces derniers chantaient faux à plein gosier.Moi,je n'ouvrais la bouche que pour bâiller ; et, sans les cris de la belle jeunese qui remplissait le parterre, j'aurais indubitablement dormi à ma place. Nous en sortîmes en nous promettant bien de n'y jamais retourner. » (1)

(1) Les Étapes d'un réquisitionnaire de 1793 en Basse-Normandie, Journal du citoyen François-Auguste Perrot, publié et annote par Louis Duval. — Alençon, 1880.


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1794

On célébra, le 21 janvier, l'anniversaire de la mort de Louis XVI. Les artistes du théâtre représentèrent à cette occasion, dans le temple de la Raison, ci-devant l'église Saint-Pierre, YOffrande à la Liberté, opéraballet de Pierre Gardel, musique de Gossec. Cet ouvrage n'était,en quelque sorte,que la mise en action de la Marseillaise, avec un grand déploiement d'effets scéniques. Castil-Blaze, dans son histoire humoristique de « l'Académie Impériale de Musique » (1), a décrit, avec sa verve méridionale et un enthousiasme sans mesure, les diverses péripéties de cette oeuvre patriotique, dont l'effet à l'Opéra était, paraît-il, des plus saisissants.

Le soir, il y eut au théâtre un concert composé de musique instrumentale et de morceaux de chant appropriés à l'objet de la lete. On y entendit notamment, sur l'air du Chant du départ, un hymne composé par un jeune soldat du 1er bataillon auxiliaire du Calvados.

A partir de cette année 1794, les fêtes civiques se succèdent plus fréquemment. Toutes réclament le concours de l'élément musical. Passer en revue ces nombreuses solennités serait m'exposer à de continuelles redites ; je me bornerai donc à noter ce qui, dans l'ensemble, et au point de vue de la musique, me semble particulièrement digne d'être relaté, en rappelant

(1) T. il, p. -8.


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que le sujet a été traité d'une façon complète par M. Campion, dans un intéressant travail avant pour titre : les Fêtes nationales à Caen sous la Révolution (1).

Le 20 ventôse au II, après la plantation de l'arbre de liberté sur la place Saint-Sauveur, appelée alors place du Civisme, l'air Veillons au salut de l'Empire fut entonné par le représentant du peuple Frémanger, et continué par toute l'assistance : cette immense unisson produisit un effet absolument imposant.

La fête de l'Etre suprême, fixée au 20 prairial, fut célébrée pour la première fois en 1794, avec un pompeux appareil. Voici quelle part y eut la musique : le cortège officiel, dans lequel figuraient les tambours et la musique de la garde nationale, ainsi qu'un groupe de choristes des deux sexes, étant arrivé aux abords de l'autel élevé à l'angle des deux cours, et les salves d'artillerie ayant annoncé le commencement de la cérémonie, une marche fut jouée par la musique, après quoi on entendit un hymne à l'Éternel, chanté par un membre de la Société populaire, avec refrain en choeur, Plusieurs discours furent prononcés, entre lesquels la musique joua de courtes symphonies. Ensuite, trois jeunes élèves de l'institution Audet (2) chantèrent, sur l'air : Veillons au salut de l'Empire, des couplets religieux en l'honneur de l'Etre suprême. Vint enfin le

(1) Mémoires de l'Acad. des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1877.

(2) Le citoyen Audet, maître 6s arts en l'Université de Paris, avait établi, sous la protection de la municipalité, dans la rue des Chanoines, une maison d'éducation avec pensionnat. La musique vocale et instrumentale figurait au programme d'enseignement de cette institution.


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chant de la Marseillaise par le choeur, avec un cérémonial conforme à ces dispositions du programme de la fête : « Lors du couplet chéri, Amour sacré de la patrie, les mères élèveront leurs enfants au Ciel pour en faire hommage au Créateur; les vieillards serreront leurs enfants dans leurs bras ; les jeunes citoyens tireront leurs épées, et tous les groupes partageront l'ivresse de ce beau moment; une salve d'artillerie annoncera le refrain chéri : Aux armes, citoyens! les tambours battront la générale, le pas de charge, et le refrain sera répété ensuite par le peuple. » Un troisième hymne à l'Eternel termina cette cérémonie, dont la parlie musicale avait été, comme on le voit, fort importante.

A la lête du Peuple Français, qui fut célébrée le premier décadi de messidor, on exécuta des morceaux de musique et des hymnes de circonstance. Les instructions relatives à cette fête portent que « l'orchestre sera placé et élevé en avant pour être mieux entendu ». Le 30 messidor (17 août) eut lieu la fête des Martyrs de la liberté. Le cortège officiel se rendit, musique en tàte, au temple de la Raison. La cérémonie s'ouvrit par l'exécution d'une symphonie funèbre. On chanta ensuite un hymne en l'honneur des héros de la fête : Marat, Lepelletier, Beauvais, Fabrc de l'Hérault, Chaslier, Beaurepaire, les généraux Jlaxo et Moulin. La musique de cet hymne avait été composée par l'ancien maitre de chapelle de Saint-Pierre, Pizet l'aîné ; un choeur était chargé de l'exécution ; la dernière strophe fut chantée en duo par deux jeunes filles


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et répétée par le choeur. Pendant le couronnement des bustes des martyrs, la musique exécuta, suivant les termes du procès-verbal, « une symphonie mélodieuse et gaie, qui fit passer dans l'àme des spectateurs des sentiments d'amour et d'admiration pour les vertus de ces grands hommes ». Entre deux discours, la Marseillaise fut chantée par toute l'assistance.

Indépendamment de l'hymne dont il vient d'être parlé, Pizet mit en musique, cette année-là, un rondeau qui fut chanté à la Société populaire, le soir de la fête du 10 août. Voici les paroles du refrain :

Français, que nous sommes heureux De former un peuple de frères ! Désormais unissons nos voeux, Et soyons tous amis sincères.

Par quelques-uns des détails qui viennent d'être donnés, on a pu voir que le chant des hymnes patriotiques, dans ces fêtes, était souvent accompagné d'un cérémonial, ou, si l'on veut, d'une mise en scène caractéristique. A la fête des Sans-culottides, qui eut lieu dans le temple de la Raison, le 5" jour complémentaire de l'an II, et dans laquelle figurèrent de nombreux personnages allégoriques, on termina la cérémonie, selon l'usage, par le chant de l'hymne de la Liberté {la Marseillaise). « Quand les choeurs entonnèrent le couplet final, Amour sacré de la Patrie, la Liberté et l'Egalité répandirent de l'encens sur le feu qui brûlait au sommet de l'autel ; les jeunes filles couvrirent de fleurs les bustes de Marat et de

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Lepelletier ; Mars et la Victoire distribuèrent aux guerriers des couronnes civiques. Au moment du refrain, Aux armes, citoyens! des décharges d'artillerie et de mousquctcrie retentirent, et les assistants prêtèrent, d'une seule voix, le serment de ne mettre bas les armes que lorsqu'il n'existerait plus de despotes ni de tyrans. y> (1)

C'est encore ainsi qu'un peu plus tard, en l'an V (1796), à la fête pour l'anniversaire du 10 août, célébrée sur le cours, le Chant du départ fut exécuté avec le cérémonial suivant : au vers, Tyrans, descende* au cercueil, on battit le pas de charge, le canon tonna ; la troupe et les autorités se précipitèrent vers le trône qui avait été dressé auprès de l'autel de la Patrie, et qui fut renversé avec la massue du peuple. Sur ses débris, le président de l'administration départementale plaça la statue de la Liberté.

Ce qu'il faut encore remarquer dans ces fêtes, c'est le soin que prenaient les organisateurs pour mettre en rapport avec l'objet spécial de la solennité la musique qui devait y être entendue. Les programmes parlent sans cesse de «musique appropriée à la circonstance »; ils imposent, tantôt des morceaux « gais et mélodieux», tantôt une « marche guerrière », ou bien encore une « symphonie lugubre ».

Ces instructions étaient de tout point suivies; et,alors même que les musiciens se permettaient d'ajouter au programme quelque élément de leur choix, quelque

(1) A. Campion, les Fêtes nationales à Caen sou» la Révolution.


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morceau emprunté, par exemple, au répertoire dramatique, le choix en était tellement heureux qu'il ne pouvait soulever aucune critique. C'est ce qui arriva notamment lors de la fête pour la ratification du traité de Campo-Formio (20 nivôse an VI), fête tout en l'honneur de l'armée. La musique de la garde nationale y joua un air de la Belle Arsène, de Monsigny, dont les paroles débutent ainsi : Rien ne plaît tant aux yeux des belles que le triomphe des guerriers.

Je viens de citer encore une fois la musique de la garde nationale ; je terminerai par ces quelques notes recueillies sur son compte.

Dès l'année 1790, ce corps de musique affirmait son existence en participant, le 1" juillet, comme on l'a vu plus haut, à la fête de la Fédération. Il faut croire qu'il ne donnait qu'une médiocre satisfaction à ses auditeurs, ou bien que ses services étaient mal appréciés, car nous voyons, en 1791, à la date du 23 septembre, le Conseil général de la commune n'autoriser qu'à regret, pour ainsi dire, le paiement des dépenses faites par la musique de la garde nationale, « sauf délibération ultérieure sur son maintien » (1). Ces dépenses étaient fixées à 1,456 liv. 5 sols, pour la période comprise entre le 14 juillet et le 10 octobre.

Quoi qu'il en soit, la musique fut maintenue. Le Conseil général lui accorda, le 21 avril 1792, sur la demande du sieur Martin, un supplément de 195 livres

(1) Registres de l'Hôtel de ville- de Caen, inventaire sommaire par G. Dupont; lus. de la Bibliothèque de Caen.


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par quartier, à la condition qu'elle serait présente à chaque parade.

En 1794, nouvelle augmentation de gages donnant satisfaction à la demande formée par les musiciens. La délibération qui fut prise à cet effet le 16 frimaire an III, nous fait connaître la composition du corps de musique, ainsi que le montant des honoraires attribués à chacun de ses membres : 1 maître clarinette (chef de musique). 600 livres par an.

3 autres clarinettes, chacun 300 liv.

1 serpent 300 liv.

1 cor 300 liv.

1 quinte (1) 300 liv.

2 cymbaliers, chacun , . . 168 liv.

1 grosse caisse 216 liv.

Soit un ensemble de 10 musiciens, dont le traitement annuel s'élevait en totalité à 2,952 livres.

L'exiguïté de ce corps de musique ne saurait causer aucun étonnement : les musiques des demi-brigades, c'est-à-dire des régiments de cette époque, ne comptaient que quatorze ou quinze instrumentistes, tout au plus. Elles ne jouaient, en général, que des marches, des pas redoublés ou de très courtes symphonies. Ces morceaux, qui furent surtout composés par Gossec, Catel et Devienne, étaient écrits à neuf parties seulement.

Le concours de la musique de la garde nationale de Caen, aux fêtes patriotiques, était absolument obligatoire ; le fait suivant le prouve. Le 2 pluviôse de l'an III,

(1) Trombone quinte, plus grave que le trombone basse, ordinaire.

I


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c'est-à-dire le 21 janvier 1795, on célébrait pour la deuxième fois, au temple de l'Être suprême, la fête donnée « en mémoire de la juste punition du dernier Roi des Français » ; la musique de la garde nationale, inscrite comme d'ordinaire au programme, s'abstint en masse. Dès le lendemain, le Conseil général de la commune, saisi du cas, décida que le chef de musique serait mis en prison, et que les autres musiciens seraient mandés pour rendre compte de leur conduite en cette circonstance.

Cet acte d'insubordination leur fut-il pardonné ? Ou bien, fit-on table rase du personnel et le remplaça-ton intégralement? C'est ce que je ne saurais dire. Il faut croire cependant que les choses s'arrangèrent au gré de tous, puisque nous voyons, dès le 1G pluviôse (4 février), le Conseil rapporter son arrêté du 16 frimaire, relatif au salaire des musiciens, et, loin de prendre quelque mesure désavantageuse pour ceux-ci, élever, au contraire, à 3.480 livres la dépense annuelle poulie corps dé musique. Par suite, le traitement du maître de musique se trouva porté à 900 livres ; le serpent était augmenté de 50 livres; la grosse caisse de 34, et chacun des cvmbaliers de 22 livres. Les traitements des autres musiciens no subirent aucun changement.

Dans les dernières années du dix-huitième siècle, le corps de musique de la garde nationale fut parfois désigné sous l'appellation d'Institut de musique. Il ne devait cependant rappeler que de fort loin Vlnstitut national de musique, créé par un décret de la Convention, en date du 18 brumaire an II, et qui prit, dès l'année


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suivante, le titre définitif de Conservatoire de musique. Entre les deux institutions unpointde contact existait sans doute : la participation de l'une et de l'autre à la célébration des fêtes nationales. Mais l'Institut parjsien avait une autre mission à remplir : composé surtout de professeurs, il était chargé de donner à la France des musiciens d'élite. En province, et spécialement à Caen, l'enseignement officiel de la musique ne devait prendre naissance que beaucoup plus tard.


FÉLICIEN DAVID

UNE PAGE INTIME DE SA VIE

PAR

JVI. Henry LUMIÈRE

Viee-Président de la Société

Quand la mort enleva prématurément M0 Nicolet, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, ce ne fut pas seulement le barreau de Paris qui eut à regretter un de ses membres les plus distingués, un des maîtres de la parole, ce fut aussi un deuil sensible pour le monde des artistes ; car il tenait intimement au domaine de l'art par des goûts délicats, des tendances et des affinités très prononcées.

Passionné pour l'esthétique, doué du sentiment du beau sous toutes ses manifestations, il avait en outre su se créer de vives et nombreuses sympathies parmi les artistes, à la disposition desquels il mettait, constamment et sans réserve, son talent, son expérience et son dévoûment.

C'est ainsi que plus d'une fois son amitié pour certains d'entre eux eut occasion de s'affirmer par de réels et effectifs services.


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Rien d'étonnant donc à ce que ses obsèques, où se pressait une affluence considérable de célébrités, aient été entourées d'une pompe musicale exceptionnellement brillante — souvenir pieux et témoignage de reconnaissance bien naturelle envers celui qui, toute sa vie, avait été considéré à juste titre comme un ami fervent, un protecteur zélé des artistes.

Il est tout naturel aussi que plusieurs organes de la presse parisienne,—dans ces chroniques qui s'inspirent surtout de la partie anecdotique de la vie des illustrations disparues, — aient rapporté certains incidents ayant trait à ce côté artistique du caractère de l'éminent avocat.

Dans l'une d'elles, on rappela que ce fut grâce à la générosité de M" Nicolet que Félicien David put faire graver et, par suite, publier la partition de son opéra la Perle du Brésil.

On aura peine à comprendre, en effet, aujourd'hui, que l'auteur frénétiquement applaudi et acclamé du Désert, ne pouvait trouver un éditeur qui consentit à lui acheter la partition de son premier opéra.

Or, manquant des ressources nécessaires pour l'éditer, la faire imprimer et graver lui-même, ce fut Me Nicolet, lié d'amitié avec le compositeur, qui consentit à lui venir en aide en lui avançant, de la façon la plus généreuse, les frais de cette partition.

C'est ainsi que la Perle du Brésil put être éditée et se produire au jour.

Cet incident a ravivé le souvenir d'un autre épisode de la vie de Félicien David, et qui s'y rattache indirectement.


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Une sous-préfecture d'Eure-et-Loir possédait, il y a quelque trente ans, un fonctionnaire dans les finances doué de goûte artistiques et littéraires très prononcés.

Ami de Félicien David, il l'avait attiré près de Lui pendant la saison des vacances.

Me Nicolet se trouvait, au même moment, chez cet ami commun, où se forma ainsi un petit cénacle artistique et littéraire n'ayant - est-il besoin de le dire ? — absolument aucun point de contact avec les questions de finance.

Mollement étendu, comme le Tityre virgilien, sur la pelouse du jardin de la Recette particulière, sous l'ombrage d'arbres touffus et majestueux, parfois même recherchant un abri protecteur plus sûr sous une tente en poil de chameau rapportée de ses voyages, Félicien David passait ainsi une partie de ses journées.

Sa distraction préférée consistait à broyer entre deux pierres et à préparer lui-même son café, suivant la mode arabe qu'il avait vu pratiquer, dans son séjour en Orient, à l'ombre des palmiers dans les oasis ou sous les tentes et les gourbis d'Afrique.

Inutile d'ajouter qu'il trouvait à ce mode de préparation, tout empreint de couleur locale, et à la liqueur ainsi obtenue un charme particulier, un arôme incomparable.

Mais ces loisirs apparents n'étaient pas une perte pour l'art ; car, bien que plongé dans d'extatiques rêveries, le regard perdu dans le vague, ou suivant distraitement les légères spirales dégagées du tabac blond et parfumé du Levant qu'il fumait constamment,


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son imagination évoquait cependant, comme dans un magique mirage, les merveilleux aspects de la nature orientale. Elle ravivait aussi les inspirations puisées au cours de ses récentes excursions en Asie et en Afrique.

C'est ainsi que prirent corps,s'épanouirent et se condensèrent dans l'admirable ode-symphonie du Désert ces suaves et ravissantes mélodies imprégnées d'une saveur étrange, d'une sorte de parfum exotique tellement pénétrant et captivant, que l'enthousiasme qui les accueillit fut éclatant et unanime.

C'était une sorte de révolution artistique que cette oeuvre originale, sans précédent, qui fit, du jour au lendemain, d'un auteur encore inconnu une célébrité dans le monde musical.

Il s'en dégageait, en effet, comme une révélation lumineuse, une vision enchanteresse et chaudement colorée des poésies de l'Orient, de l'imposante majesté, de la saisissante harmonie de ses solitudes immenses et mystérieuses que troublent seuls, par intermittence, les rugissements des fauves, le simoun et la marche des caravanes

Grand et intrépide chasseur devant l'Eternel, M" Nicolet, pendant ce temps, parcourait d'un jarret d'acier les plaines giboyeuses des alentours, et y accomplissait de véritables exploits cynégétiques.

Puis le soir, avec quelques privilégiés groupés autour du piano, tenu le plus souvent par la maîtresse de la maison, gracieuse Parisienne et délicate artiste, on écoutait avec ravissement les mélodies du maître ,


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fraîches écloses, savourant ainsi l'es prémices de l'oeuvre originale qui devait bientôt faire éclater sa réputation.

Cette symphonie , malgré ses autres productions musicales,demeure assurément,en effet, son titre le plus puissant, le plus durable à la célébrité.

Toutefois, les fragments du Désert ne firent pas seuls les frais de cette communauté artistique : l'idée première d'une grande oeuvre lyrique et dramatique y fut conçue, et imparfaitement ébauchée par Félicien David et son hôte et ami, le librettiste Hadot,qui en composait le poème.

De cette collaboration naquit Herculanum, opéra en 4 actes, auquel le poète Méry prêta son concours, et qui fut représenté le 4 mars 1859 sur la scène de l'Opéra.

Malgré le mérite de la partition, le charme de certains morceaux, la splendeur de la mise en scène et le talent des interprètes, Roger, Obin, Mu,cs Borghi-Mamo et Gueymard, cette oeuvre importante fut impuissante à conquérir un succès réel et durable.

Deux années de suite, le temps des vacances fut consacré à ce repos fécond, laissant au coeur de celui qui eut la bonne fortune de faire partie de ces réunions intimes de délicieuses impressions, restées lumineuses et ineffaçables dans la brume des lointains souvenirs de jeunesse.

Il y retrouve encore, vivace et inaltéré, ce pittoresque campement, dont il fut le témoin curieux et puissamment captivé. Et comment pourrait-il jamais oublier que ce fut là, en sa présence, que prirent naissance une grande


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partie des mélodies, depuis si populaires, de la symphonie du Désert, ainsi que l'inspiration géniale d'où se dégagea et jaillit plus tard l'opéra ftHerculanum?

Dans cette étroite intimité se nouèrent également entre-le compositeur et le jeune avocat,encore presque au début de sa carrière si brillamment parcourue, les liens d'amitié qui s'affirmèrent depuis à l'occasion de la Perle du Brésil.

Sur ces trois personnages, deux, Félicien David et M* Nicolet, ont déjà depuis longtemps disparu, encore dans la force de l'âge et de leur talent ; le troisième ne parait pas avoir donné une suite sérieuse à ses tendances littéraires et dramatiques.

Trop facilement peut-être, me suis-je laissé glisser sur cette pente attrayante qui doucement nous ramène aux jours colorés et riants de la jeunesse.

C'est en subissant « ce charme attractif qui s'attache à ces éclairs du souvenir », a dit un des premiers écrivains de notre époque , cette attirance suggestive exprimée par le poète :

Meminisse juvabit...

que je me trouve entraîné a évoquer et faire revivre devant vous ces souvenirs tout personnels.

Mais probablement partagera-t-on cette pensée que rien n'est absolument indifférent de ce qui concerne un grand artiste; que toujours un certain intérêt s'attache à la divulgation d'un coin ignoré, si mince soit-il, d'une page intime de son existence, alors surtout qu'elle touche à l'éclosion de ces oeuvres que

%


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la popularité et l'admiration publique ont désormais consacrées (1).

(1) Modeste et presque ignorée alors, la petite cité, théâtre de l'épisode, objet de ce récit.a depuis acquis une véritable célébrité qui la place au premier rang dos villes de France.

L'héroïque défense do Châteaudun, le 18 octobre 1870, est une des pages les plus glorieuses do notre histoire nationale pendant « l'année terrible ».

Aussi, a l'occasion de la visite récente du chef de l'État, a-t-on vu mettre en relief et célébrer, dans un sentiment unanime d'orgueil patriotique, cette résistance opiniâtre, désespérée, d'une ville ouverte infligeant il un ennemi nombreux, avec 1,200 combattants irréguliers, une perte de plus de 2,000 hommes.

Le Gouvernement fit acte de justice en décrètent « que Châteaudun avait bien mérité do la Patrie », et en l'autorisant il ajouter il ses armes la croix de la Légion d'honneur.

On pardonnera à l'auteur, enfant de la petite cité dunoise, de rappeler ici que le Maire d'alors, son frère, lui aussi, fut décoré pour être resté inébranlable, seul avec un adjoint, dans l'Hôtel de ville criblé d'obus, et y éteignant des incendies multipliés.

C'est lo 22 mai 1895 qu'a été inauguré le monument élevé, dans le cimetière du Pecq, à la mémoire do Félicien David.

Il est formé d'un toit soutenu par quatre colonnes disparaissant a demi sous des roses.

Le fond, sculpté par Chapu, se compose d'une plaque en marbre sur lequel se détache en relief le buste de l'auteur du Désert. Au pied, une femme éplorée, personnifiant la Musique, jette des roses.

Sur lo marbre sont inscrits les dates do la naissance et de la mort de îMlustrc compositeur: 1810-1876, et les noms de ses principales oeuvres: Le Désert, Christophe Colomb, La Perle du Brésil, Herculanum, Lalla-Rouckt l'Èden.



LES

TAPISSERIES DES URSULINES DE CAEN

(L'Embarquement et le Martyre de Ste Ursule) Par ARMAND GASTÉ

Professeur à la Faculté des Lettres, président de la Société des Beaux-Arts

de Caen, membre de la Commission départementale de l'Inventaire

des richesses d'art de la France.

Avec deux phototypies, d'après les clichés de M. H. MAGRON, membre de la Société des Beaux-Arts.

Parmi les tapisseries du xvir siècle conservées à Caen, je crois qu'il faut mettre en première ligne, aussi bien pour la richesse de la composition et la beauté du travail, que pour les souvenirs intéressants qu'elles rappellent, celles des Dames Ursulines de la rue de la Chaîne (1).

Ces tapisseries sont au nombre de trois. La moins curieuse, au point de vue du travail et du sujet, représente un paysage assez banal. C'est, au fond, un coin de ville, avec des toits et des tours plus ou moins pittoresques, et, au premier plan, des rochers qoiel,(1)

qoiel,(1) G.-S. Trébuticn, Guide de Caen, 3" éd., p. 171 et 172.


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conques et des arbres. Mais ce qui fait le prix de cette tapisserie, ce sont les bordures qui encadrent le paysage et dans lesquelles on peut lire, à droite et à gauche,

STE PATER AVGVSTINE — STA VRSVLA

Au-dessus de la bordure du haut, on lit:

STE VRSVLE DE CAEN

Au-dessous du paysage :

FAIT A CAEN, L'AN DE GRACE 1659

Enfin au-dessous de la bordure d'en bas :

FAIT PAR MOY JEAN COLPART, TAPISSIER

DY ROY

Quel était ce Jean Colpart qui s'intitule «tapissier du Roy », et qui, en 1659, aurait fait, à Caen, pour les dames Ursulines cette tapisserie ?

J'ai écrit en vain, à ce sujet, à M. Gerspach, ancien administrateur de la manufacture des Gobelins.Ce nom lui est complètement inconnu.

Les deux plus belles tapissseries des Dames Ursulines représentent, la première VEmbarquement de S" Ursule, la seconde le Martyre de S" Ursule et des onze mille Vierges. Il est inutile de les décrire: les photographies, si habilement faites par notre confrère M. Magron, sont plus claires et plus suggestives que les descriptions les plus détaillées et les plus complètes. Toutefois, je crois qu'il est bon de prendre dans Jacques de Voragine, pour ceux qui ne connaissent pas très bien la légende

1


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de S 10 Ursule et des onze mille vierges, deux citations qui me semblent ici indispensables. (1)

« Le martyre des onze mille vierges eut lieu de la manière suivante. Il y avait en Bretagne un roi fortreligieux nommé Nothus, et il eut une fille qui s'appelait Ursule. Elle était d'une sagesse irréprochable, d'une vertu exemplaire et d'une rare beauté, et sa renommée se répandait en tous lieux. Le roi d'Angleterre, dont la puissance était très grande et qui avait subjugue beaucoup de nations, entendit parler de ses mérites, et il pensa qu'il serait le plus heureux des hommes si elle était unie en mariage à son fils unique. Le jeune homme en ressentait aussi une extrême envie. Une ambassade solennelle fut donc envoyée aux parents d'Ursule, pour leur faire beaucoup de promesses et de caresses, et l'on y joignit de grandes menaces en cas que la mission demeurât sans succès. Le .roi de Bretagne se trouva dans une extrême anxiété : il regardait comme un crime de donner sa fille, élevée dans la foi de Jésus-Christ, à un adorateur des idoles ; il savait aussi qu'elle n'y consentirait jamais, et il craignait beaucoup le courroux de l'autre roi. Ursule, inspirée de Dieu, conseilla à son père de donner une réponse favorable au roi, en y mettant la condition qu'on lui donnerait, à elle, dix vierges d'un haut rang pour la consoler, et qu'on remettrait, tant à elle qu'aux autres, mille

(1) On consultera aveo intérêt l'ouvrage du baron de Keverbcrg : Ursula, princesse britannique, d'après la léijende et les peintures d'Hcmling (Gand, 1818), ainsi que la Légende de Sfe Ursule, d'après les anciens tableaux de l'église do Sto Ursule, à Cologne, chromo-lithographies de P. Kellerhoven, texte par J.-U. Dutron. Paris, 1860.


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vierges, et qu'on lui laisserait trois ans pour renoncer à sa virginité, et que le jeune homme se ferait baptiser et instruire dans la foi dans ce même espace de trois ans. Elle manifesta ainsi une sage résolution, comptant ou que ces difficultés le feraient renoncer à ce qu'il avait en vue, ou que cette occasion lui fournirait, à elle, le moyen de consacrer à Dieu toutes ces vierges. Mais le jeune homme, souscrivant avec joie à toutes ces conditions, reçut le baptême et commença à faire préparer tout ce qui lui avait été demandé. De tous côtés l'on accourut pour assister à un si grand spectacle : beaucoup d'évêques vinrent pour accompagner Ursule et les vierges »

Je passe, après l'embarquement d'Ursule, ses voyages à Rome et à Cologne.C'est dans cette dernière ville qu'Ursule et ses compagnes reçurent la couronne du martyre. « Toutes ces vierges, avec les susdits évêques, retournèrent à Cologne et trouvèrent cette ville déjà assiégée par les Huns. Les barbares, les voyant, coururent sur elles en poussant de grands cris; et, comme des loups qui égorgent des brebis, ils les massacrèrent toutes. Lorsqu'ayant tué les autres, ils vinrent à sainte Ursule, le prince des barbares s'arrêta, frappé de sa beauté, et, la consolant de la mort de ses compagnes, il lui promit de l'épouser. Mais, comme elle s'y refusa absolument, furieux de se voir dédaigné, il la perça d'un coup de flèche, et elle reçut ainsi le martyre. » (1)

(1) Jacques do Voragine, la Légende dorée, traduite par G. B. (Drunet) — Paris, Gosselin, 1843, tome I, p. 324.


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Nous n'avons pas à nous occuper ici de la question de savoir si sainte Ursule fut massacrée avec onze vierges ou avec onze mille vierges, et si un traducteur ignorant a mal interprété une inscription qui aurait été ainsi conçue : VRSVLA. ET. XI. M. V., ce qui, dit-on, signifierait tout simplement « Ursula et undeeim martyres virgines », « Ursule et onze vierges martyres » (1).

Ce qui doit nous intéresser, c'est la manière dont le peintre qui a dessiné les carions de ces belles tapisseries a conçu ses deux tableaux. Ces magnifiques compositions lui font le plus grand honneur. Rien n'est mieux disposé et combiné, rien n'est plus agréable à l'oeil que VEmbarquement de sainte Ursule; (2) rien n'est plus dramatique et plus émouvant que la scène de son Martyre. Faut-il maintenant parler des bordures qui leur servent d'encadrement? Comme elles sont heureusement agencées, et comme les petits Amours (mettons ici les petits Anges), avec leurs guirlandes de fleurs ou de fruits, accompagnent bien les armes du monastère, celles que la fondatrice, M-* Jourdaine de Bernières, avait choisies : un coeur surmonté d'une couronne royale, transpercé de flèches et entouré de palmes ! (3)

(1) On n dit aussi quTrsule avait été martyrisée avec une do si's compagnes, appelée Unftccimilla. Cette explication me parait très, trop ingénieuse: légende pour légende, je préfère les < onze mille vierges ». — Cf. le Valesiana, p. 40.

(2) Rapprocher de notre tapisserie représentant l'Embarquement de Ste Ursule le tableau de Claude Lorrain (Ulysse remettant Chryséis à son père) salle XIV, n' 316, au Louvre; — et surtout l'Embarquement de Ste Ursule de Carpaccio, à l'Académie des Beaux-Arts do Venise. — Voir: E. Mùntz, Hist. de l'Art pendant la Renaissance ; l'Italie (Age d'or) p. 36.

(3) Nous ne pensons pas (voir le Guide de Caen de G.-S. Trébutien, 3" édit» p. 172) que ce coeur, ces flèches et ces palmes soient le symbole des trois


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Il serait de la plus haute importance de savoir quel est le peintre qui fut chargé de dessiner les cartons de ces deux belles tapisseries. M. Guiffrey(l), à qui j'en avais envoyé les photographies, a bien voulu me répondre (2) : « D'après le style des bordures et des compositions centrales, ces tapisseries datent certainement de la première moitié du xvir siècle : elles paraissent avoir été fabriquées dans un atelier français. Il faudrait examiner attentivement les lisières ; peut-être y trouverait-on quelque marque de fabrique ou un monogramme qui ne se verrait pas sur les photographies, vu leur exiguïté. Quant au style des compositions, il rappelle celui de Philippe de Champagne. Ces!, je crois, autour de lui qu'il faudrait chercher l'auteur des cartons, sans qu'on puisse rien affirmer à défaut de documents authentiques. »

Nous n'avions pas attendu le conseil de M. Guiffrey pour « examiner attentivement les lisières. » Voici ce que nous y avons pu lire:

1° Embarquement de Sle Ursule.

A gauche, au-dessus de la bordure supérieure :

* DE ST VRSVL (aie) DE CAEN *

A gauche, au-dessous de la bordure inférieure :

* FAICT PAR MOI • PIERRE * DVMON *

vertus théologales. Ce cu'ur surmonté d'une couronne royale, ces flèches et ces palmes, tout cela rappelle, si nous ne nous abusons, la haute naissance, l'ardente charité et le glorieux martyre de sainte Ursule, patronne du monastère.

(1) Aujourd'hui administrateur de la manufacture des Gobelins.

(2) Au mois de mai 1893.


— 137 — 2° Martyre de Ste Ursule et de ses compagnes. A gauche, au-dessus de la bordure supérieure :

* DE ST VRSVLE DE CAEN. Au-dessous de la bordure inférieure, à gauche : PIERDVMON $ » LCFEYEP * et enfin, à droite:

LA CHANPAGNE * FEYE *

Cettedernièreinscription:LA CHANPAGNE» FEYE * nous paraît très importante, de même que la précédente que nous interprétons ainsi : L(a) C(hampagne) FEYEP. Nous ne cherchons pas à deviner FEYEP ou FEYE ; mais il nous semble très vraisemblable qu'à côté de son nom le tapissier PIERRE DYMON ait voulu mettre celui de l'artiste qui avait dessiné les cartons. — Maintenant avons-nous le droit de dire que cet artiste n'est autre que Philippe de Champagne lui-même, comme semblait l'indiquer M. Guiffrey? Nous n'osons nous prononcer; mais nous le croirions volontiers.

Reste à savoir dans quelles circonstances et à quelle date ces deux tapisseries furent exécutées.

Grâce à l'obligeance de Madame la Supérieure des Ursulines, soeur Marie de S'-Bénédict, — qui a bien voulu laisser M. Magron prendre, à deux reprises différentes, des photographies de ces belles tapisseries, — j'ai pu, à mon tour, consulter trois manuscrits que les


— 138 —

Dames Ursulines conservent précieusement dans leurs archives.

Or, voici ce que j'ai pu lire, page 290 de VExtrait de la vie de la Révérende Mère Jourdaine de Bernières Louvigni/j dite de Ste-Ursule, fondatrice de ce monastère des Ursulines de Caen :

« Elle a fait faire deux pièces de tapisserie, où l'embarquement de Slc Ursule et son martyre sont admirablement représentés. Elle s'occupait avec plaisir à préparer les laines et les soies nécessaires au tapissier.»

Dans un autre manuscrit,dont voici le titre en entier: Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen, établi en 1624 le 26 février, et on vint en cette maison le 13 février 1636, sous le gouvernement de la Rdc mère Jourdaine de Bernières de Louvigny, dite de Ste Ursule, première supérieure de cette maison, en charge pour lors; tout ceci/ recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières de Louvigny, sa nièce, en l'année 1714, qu'elle es toit zélatrice et secrétaire du chapitre, dans ce manuscrit, dis-je, on lit, au 14" cahier, page 190: « Notre vénérée Mère fondatrice n'avoil pas moins de zèle pour honorer S11Ursule, notre illustre Patronne et la sienne. La magnifique tapisserie qu'elle a fait faire et qui représente si bien l'Embarquement et le Martyre de cette grande sainte et de ses compagnes nous sera à perpétuité un monument de sa dévotion pour Elle. C'étoit un vrai plaisir pour notre bonne Mère que de préparer les laines et les soies pour ce travail. »

Il est constant, d'après ces deux témoignages si précis, que les laines et les soies nécessaires pour ces


— 139 —

deux tapisseries ont été préparées à Caen par la mère Jourdaine de Bernières de Louvigny elle-même ; mais la date exacte à laquelle ces tapisseries ont été exécutées reste inconnue. Toutefois, nous sommes absolument certains qu'elles étaient terminées en 1656. En effet, le 22 juillet de cette année, elles furent exposées par les Dames Ursulines dans une circonstance mémorable pour le monastère.

Ouvrons un livre (1) imprimé à Caen, chez Claude Le Blanc, en 1658, et qui a pour auteur Guillaume Marcel, curé de Basly ; nous y lisons ceci : « Un excellent religieux...ayantporléauxpieds du saint-père Alexandre VII les humbles devoirs et respects de ces vertueuses filles (les Ursulines de Caen). et lui ayant demandé pour elles, avec sa bénédiction, quelque portion de tant d'aimables et pieux trésors, pour enrichir leur église et enflammer leur dévotion, ce digne successeur du nom aussi bien que des vertus et de la chaire de celui qui gagna autrefois à Dieu le coeur de sainte Théodore, lui en accorda le corps pour ces dames. »

Or, les reliques de S 10 Théodore arrivèrent au couvent des Ursulines de Caen (2) en juillet 1656. Le procèsCi)

procèsCi) plus particulière du nouveau thrésor apporté de Rome en cette ville de Caen, ou Discours sur ce qui se trouve chez les anciens autheurs de la bien-heureuse sainte Théodore vierge et martyre romaine, dont les reliques transférées de Rome sont honorées dans la chapelle du monastère de Sainte-Ursule. Dédié aux Dames de ce monastère.

(2) Le couvent des Ursulines, établi tout d'abord (1624) rue Guilbert, fut transporté, en 1636, dans ce qu'on appelle aujourd'hui le quartier Singer. La partie occidentale du cloître qui a été conservée se trouve à l'angle de la rue "t de la place Singer. — Apres la Révolution, les Dames Ursulines vinrent se fixer rue de la Chaîne.


— 140 —

verbal de l'ouverture de la châsse en la chapelle des Ursulines est daté du 22 juillet, et constate que cette cérémonie eut lieu en présence de son Altesse Henri II d'Orléans, duc de Longueville, gouverneur de Normandie, et de Madame de Longueville, avec la plus grande solennité (1).

A l'occasion de la translation des reliques de S1 Marin et de S"- Théodore, « les Dames Ursulines, » lit-on dans un Extrait du Manuscrit relatant la translation des précieuses Reliques de St Marin et de Ste Théodore 1656, (2) « firent élever un magnifique rcposoir dont le contre-autel étoit une rare tapisserie rehaussée de soie, où se voyoit parfaitement bien dépeinte l'histoire de la vie et du martyre de la grande S" Ursule, qui sembloit par son port vénérable et plein de majesté (3) venir recevoir avec honneur et congratulation les précieux corps de ces illustres martyrs, etc. »

Il est donc démontré que ces tapisseries étaient terminées en 1656; mais cela ne veut pas dire, comme semble le croire l'auteur (4) de l'article Ursulines, dans la 3° édition du Guide de Caen de Trébutien, qu'elles ont été faites en 1656. Il n'y a aucune date dans la lisière à la suite du nom de Pierre Dumon (5).

En terminant cette notice, résumons les points définitivement acquis :

(1) Voir Corneille (éd. des Grands Ecrivains français, t. V, p. C).

(2) Cahier 21, p. 101.

(3) Allusion à la tapisserie do l'Embarquement.

(4) M. Ch. Marie, auteur d'un savant travail sur les frères Brôbeuf.

(5) Et non Dumont, comme l'écrit M. Ch. Marie.


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1° La tapisserie représentant un paysage a été exécutée à Caen, pour les Dames Ursulines, en 1659, par Jean Colpart, tapissier du Roy. Ce nom (Jean Colpart) n'a pas été trouvé par M. Gerspach (1) sur les listes des tapissiers des Gobelins.

2° Les tapisseries représentant VEmbarquement et le Martyre de Ste Ursule ont été commandées par M"" Jourdaine de Bernières de Louvigny, fondatrice et première supérieure du monastère des Ursulines de Caen.

C'est Mme Jourdaine de Bernières qui a préparé ellemême pour ce travail les laines et les soies nécessaires.

Ces tapisseries étaient terminées au plus tard en 1656.

Le tapissier s'appelait Pierre Dumon.

Deux points restent encore obscurs. Ce Pierre Dumon a-t-il exécuté ces tapisseries à Caen ou à Paris? Le nom de Pierre Dumon, comme celui de Jean Colpart, est inconnu à M. Gerspach, ancien administrateur de la manufacture des Gobelins et auteur d'un Répertoire détaillé des Tapisseries des Gobelins, exécutées de 1662 à 1692. J'aimerais à penser que Pierre Dumon a travaillé à Caen sous le? veux de Madame Jourdaine de Bernières, laquelle, ne l'oublions pas, « préparait ellemême les laines et les soies nécessaires au tapissier ». (2)

Quel est maintenant l'artiste qui a dessiné les cartons, d'après lesquels a travaillé Pierre Dumon ? La science

(1) Lettre du 15 février 1893.

(2) Il est peu vraisemblable qu'elle ait envoyé ces laines et ces soies à Paris ; elle devait les donner de la main à la main au tapissier, qui travaillait, à Caen, sous sa direction.


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de la composition et aussi les mots LA CHANPAGNE qu'on peut lire, en enlier ou en abrégé (L C) à droite et à gauche, au-dessous de la bordure intérieure dû Martyre de Ste Ursule^ m'engageraient à croire, avec M. Guiffrey, que « c'est bien autour de Philippe de Champagne qu'il faut chercher Fauteur de ces cartons ».

W






NOTES RECTIFICATIVES

i

Cette notice venait d'être imprimée, lorsque, grâce aux précieuses indications qui nous ont été fournies par MM. Fernand Engerand et Léopold Mabilleau, nous avons appris—de façon certaine—le nom de l'artiste qui a dessiné les cartons des deux tapisseries des Ursulines. C'est un peintre de Caen, nommé LA CHAMPAGNE LAFAYE, auteur(l) de deux tableaux qui se trouvent dans l'église S'-Vivien de Rouen, et signés La Champagne La Faye, de Caen (pinxit). L'un représente la Descente de l'Esprit Saint sur les Apôtres, l'autre le Nunc Dimittis. Ce peintre bas-normand est également l'auteur du Martyre de S1 Eustache, d'après Simon Vouet (2), qui figurait au Catalogue du Musée de Caen, 1861, sous le n° 199 (3).

(1) Voir, sur ce peintre caennais : Observations sur le Musée de Caen, par I'h. de Chenneviéres-l'ointel, étude rarissime, publiée a Argentan en 1851, p. 29 ; et Recherches sur quelques peintres provinciaux, par l'h. do I'ointel, T. 1, p. 274.

(2) Gravé en 1638 par Michel Dorigny.

(3) Ce tableau, aujourd'hui disparu, doit être relégué au magasin, puisqu'il ne figure pas au Catalogue actuel, de 1891.


— 144 —

Je crois qu'on peut dire, sans crainte de se tromper (et ici encore je remercie M. F. Engerand de m'avoir mis dans la bonne voie), qu'on possède, au Musée de Caen, l'esquisse d'un des cartons de La Champagne La Faye. Je parle du n° 88 du catalogue de 1891 : Le Massacre des onze mille vierges, attribué à Franck, dit lo Jeune. Pour moi, j'estime, après mûr examen, qu'on doit l'attribuer à La Champagne La Faye, ainsi que les n°" 89 et 90(Adoration des Mages et Sainte Ursule, peintures sur vélin, mises sous le nom d'un des Franck (1). Dans le n°88 (Massacre des onze mille vierges), on retrouve,, bien que retourné.*, et sauf quelques modifications, presque tous les personnages de la tapisserie des Ursulines, avec les mêmes altitudes et les mêmes gestes. Il n'y a, du reste, qu'à rapprocher du tableau du Musée notre phototypie, pour être convaincu de ce que nous ne craignons pas d'avancer.

II

La Champagne La Faye, qui a dessiné les cartons des deux tapisseries des Ursulines, a dû très certainement s'inspirer, pour Y Embarquement de S,e Ursule,

(1) Comme s'il était vraisemblable que les religieuses de familles nobles de Normandie (les Guerville, par exemple, n' 89), qui avaient fait faire ces petits tableaux en mémoire du jour où elles avaient prononcé leurs voeux, se fussent adressées à l*un des Franck d'Anvers!... Il était tout naturel qu'elles fissent exécuter ces pieux souvenirs par un peintre d'un talent plus qu'ordinaire, qui vivait a Caen, c'est-à-dire à La Champagne La Faye. — N'oublions pas que l'abbessc de S"-Trinilé de Caen, Laurence de Budos, à qui ces deux souvenirs ont été offerts, a gouverné l'abbaye de 1599 a 1650.

■!,""*£?


— 145 —

du tableau de Claude Lorrain portant le même titre. Voici comment ce tableau est décrit dans le Liber VeritatiSj tome I, n° 54 : « Le lieu de la scène est un port de mer, éclairé par une brillante matinée d'été. » — Notons aussi que ce chef-d'oeuvre de Claude Lorrain (aujourd'hui à la National Gallery de Londres) est de 1646, et que les tapisseries des Ursulines de Caen ont dû être exécutées quelques années seulement avant 1656.

III

Jean Colpart (voir page 6) était-il de la famille de maître Antoine Colpert ou Colpaert, flamand d'origine et marié avec Anne Fontaine, de Brie-Comte-Robert, le 14 novembre 1658? Antoine Colpert ou Colpaert figure dans la liste des tapissiers haut-lissiers (Registres de la paroisse de Mainey) qui ont travaillé au château de Vaux pour le surintendant Fouquet. (Archives de l'Art français, tome VI, pages 1 et 15.)

— On lit ce qui suit dans les Registres de l'état civil de Caen (Noire-Dame de Froide Rue, à la date du 14 juin 1680):

« Le vendredy quatorzième du pnt mois et an a esté inhumé dans le cimetière le corps de Jean Colpard, aagé d'environ quarante ans, décédé du jour d'hier, ainsy qu'il nous a esté attesté par M0 François Louis, pbre et François Vasnier, lequel a déclaré ne sçavoir signer.

(Signé) FRANÇOIS LOUIS.


— 146 —

S'agit-il ici de Jean Colpart qui a exécuté une des tapisseries des Ursuiines (le paysage) en 1659? Il n'aurait eu, à cctlc date, que 19 ans. Peut-être est-ce un fils portantle même prénom que son père??

IV

Il est question, dans les Registres du conseil d'Etat, à la date du 20 mars 1731, d'un sieur Jean-Joseph Du Mons, peintre, chargé « de faire les tableaux nécessaires pour servir de patron à une tapisserie ».

Ce Joseph Du Mons serait-il un descendant du tapissier Pierre Dumon ? (Arch. de l'Art fr., tome V, p. 379.)

Caen — Imorimcrie Ch. VAL IN, 7 et 0, rue au Canu




PREMIÈRE PARTIE

PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES

SÉANCE DU VENDREDI 10 NOVEMBRE 1893 v ' \:v PRÉSIDENCE DE M. CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures. Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président communique à la Société: 1° la circulaire ministérielle relative au congrès des Sociétés des Beaux-Arts en 1894, aux termes de laquelle les communications devront être adressées avant le 31 janvier prochain; 2° deux circulaires, l'une de l'Art français, l'autre de M. Roger Ballu, relatives aux expositions de province.

M. le Président fait connaître à la Société que les deux médailles par elle attribuées au concours musical du 13 août dernier ont été obtenues par l'orphéon de Laval et la musique de Beaumont-le-Roger.

Le Secrétaire lit le rapport suivant sur les comptes du Trésorier pendant l'exercice 1892-93, comptes présentés à la dernière séance du Conseil d'administration et approuvés par ce Conseil.

10


— 150 —

Compte de M. le Trésorier, exercice 1892-93

Le compte présenté le 9 novembre 1892 se soldait par un excédent de : 8,064 fr. 85

dont 7,000 fr. placés pour un an a la banque Bellamy.

RECETTES

Encaisse du Trésorier ... 83 fr. 75

Retiré du compte Bellamy. . 600 »

Cotisations et diplômes. . . 2 015 15

Subvention du Conseil général 400 »

Billet Bellamy, avec intérêts. 7.280 »

Diverses 219 »

Total des recettes . 10.597 fr. 90 DÉPENSES

Exercice 1891-92

Notes : Massif, Lecoq, Rover, chauffage, éclairage, gratifications pour les concerts 577 fr. 20

Exercice 1892-93

Dépenses du Secrétaire. . . 100fr.55 Dépenses du Trésorier. . . 5 25 Frais de distribution ... 32 10 Notes de libraires, abonnements, reliure 534 35

A reporter. . . 1.249 fr. 45


— 151 —

Report. .... 1.249 fr. 45

Impressions 186 »

Traitements, Bourienne (1er

sem.), Machepy 256 40

Premier concert . . . . . 533 25

Second concert 438 Q5

Banque Bellamy, billet et intérêts 7.280 »

Prélèvement 600 »

Total. . 10.543 fr; 15 Balance en excédent : 54 fr. 75

Pour la situation, voir les chiffres portés au registre, et faire ressortir que l'excédent vient surtout de l'admission de 41 nouveaux membres, ce qui porte à 194 le nombre des sociétaires.

L'assemblée adopte les comptes du Trésorier, auquel elle vote, sur la proposition de M. le Président, d'unanimes remercîments.

Sur la proposition du Secrétaire, le vote du budget de 1893-94 est renvoyé à la prochaine séance.

Après un échange d'observations entre M. le Président, le Secrétaire et plusieurs des membres présents, il est décidé que, si, dans un délai de huit jours, les manuscrits destinés à la confection du Bulletin de la Société ne sont pas remis à l'impression, le Bureau sera autorisé à remplacer ces manuscrits par d'autres, afin de hâter la publication du Bulletin.

Sur la proposition de M. Prempain, Vice-Secrétaire,


— 152 —

la Société décide en principe qu'il sera fait appel à M. Georges Auvray en vue de l'organisation d'un concert, dont la date sera ultérieurement fixée.

Il est procédé au scrutin pour l'élection des membres du jury de sculpture..

Sont élus jurés titulaires: MM. Le Duc, d'Osseville., Tesnières, Hellouin, de Gaalon ; jurés suppléants: MM. Lemaître et Laumonier.

M. Paul Hédouin est admis au nombre des membres de la Société.

La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétaire,

Robert LIÉGARD.


SÉAICE DU VENDREDI 8 DÉCEMBRE 1893

PRÉSIDENCE DE M. CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le budget de 1893-1894, présenté par M. G. Levard, au nom du Conseil d'administration, est adopté à l'unanimité dans les termes suivants :

RECETTES

Cotisations. . 1.900 fr.

Subvention du Conseil général . 400 Intérêts des fonds placés à la

banque Bellamy 280

Total... 2.580 fr. DÉPENSES

Impressions 1.000 fr.

Acquisitions de livres. . . . 400

Abonnements à la Revue des Deux-Mondes, à la Gazette des Beaux-Arts, à L'Art, à L'Artiste, à

A reporter. . . 1.400 fr.


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Report 1. 400 fr.

la Revue de l'Art chrétien, à L'Art

pour tous 254

Abonnement à la Société française de gravure 50

Reliure 100

Eclairage et chauffage. ... 25 Traitement de M. Machepy. . 150 Allocation au concierge . . . 175 Frais généraux et dépenses diverses 426

Total. . . 2.580 fr.

M. Prempain, Vice-Secrétaire, donne lecture du rapport de M. A. Le Duc, sur le concours de sculpture ; après quelques explications complémentaires du Secrétaire, lep conclusions de ce rapport sont adoptées et les récompenses décernées en conséquence, dans l'ordre suivant:

1" Prix, consistant dans la commande de l'oeuvre définitive, à M. E. de Basly, né à Caen, élève de Jouffroy;

2° Prix, médaille de 300 fr. à M. E. H. Dubois, né à Dieppe, élève de Chapu et Falguières;

3' Prix, médaille d'argent, à M. Maugendre Villers, né à Gournay-cn-Bray.

Mentions honorables à MM. Brunet et Albert Guérin.

M. le Président, au nom du bureau, propose à la Société de décider qu'il y a lieu de tenter une exposi-


— 155 —

tion artistique en 1894, avec les seules ressources de la Société. Cette proposition, vivement combattue par M. Liégard, Secrétaire, et Prempain, Vice-Secrétaire, est défendue par MM. Ravenel et Laumonier,et finalement votée par l'assemblée.

Il est décidé qu'une commission sera chargée d'examiner les moyens de parvenir à l'organisation de cette exposition. Sont nommés membres de cette commission: MM. Tesnières, Laumonier, Levard, E. Marie et Ravenel.

M. Travers propose à la Société de s'abonner aux publications de la Société normande de gravure; sur l'observation de divers membres, qui désirent connaître d'abord les oeuvres déjà publiées par cette Société, la décision à cet égard est renvoyée à la prochaine séance.

Mm° Morand, propriétaire à Caen ; MM; Albert de la Peschardière, Pigis et le commandant du génie Viney sont admis au nombre des membres de la Société.

Il est procédé au renouvellement du bureau pour l'année 1893-94; sont élus:

Président, M. Jules Cariez. — Vice-Présidents, MM. Langlois et Lumière. — Secrétaire, M. Robert Liégard. — Vice-Secrétaires, MM. Prempain et Manchon. — Trésorier, M. Laumonier. — BibliothécaireArchiviste, M. Decauville-Lachénée. —BibliothécaireArchiviste adjoint, M. Magron. — Membres du Conseil d'administration pour trois ans, MM. Gasté, Travers et Hédouin.


_ 15G

Sur la proposition de M. le Président et de MM. Liégard et Prempain, M. Legentil est nommé Bibliothécaire honoraire.

La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI 12 JANVIER 1894 PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président communique à la Société la circulaire ministérielle relative au Congrès des Sociétés des Beaux-Arts en 1894.

M. Gasté offre à la Société son discours prononcé dans la séance de rentrée des Facultés sur Bossuet en Normandie.

Le Secrétaire annonce que le Bulletin de la Société va paraître prochainement.

Il rappelle à la Société que les concerts organisés avec le concours de M. Georges Auvray auront lieu le 10 mars, à l'Hôtel de ville., et le 11 mars au cirque ; au nom du bureau, il propose de fixer ainsi le prix des places pour ces deux concerts:

Pour les Sociétaires, 3 fr. par personne pour les deux concerts; pour les étrangers, 6 fr. pour les deux concerts et 4 fr. pour un seul. Pour les places autres que les stalles : au cirque, 2 fr. aux premières, et 1 fr. aux secondes; pour les institutions nombreuses,et spécialement pour le lycée de Caen, moitié prix.

Après quelques observations de M. Retout, auquel


— 158 —

répond M. Prempain, les prix proposés par le bureau sont adoptés.

Le Secrétaire soumet à l'approbation de la Société le règlement de l'exposition artistique élaboré par le Conseil d'administration.

M. Ravenel demande que l'exposition comprenne les dessins et les gravures; M. Levard demande que les oeuvres de petites dimensions, renfermées en nombre quelconque dans un cadre unique ne comptent que pour un seul envoi.

Le projet de règlement, modifié en conséquence de ces nouvelles demandes, est ensuite adopté article par article dans les termes suivants :

ARTICLE 1". — La Société des Beaux-Arts de Caen organisera en cette ville une exposition artistique en 1894.

ARTICLE 2. — Cette exposition sera ouverte au public pendant un mois, du 20 mai au 20 juin, ?t pourra même être prolongée jusqu'au premier dimanche de juillet inclusivement.

ARTICLE 3. — Seront admis à .cette exposition: les gravures, eaux-fortes, dessins, pastels, aquarelles, peintures et sculptures, oeuvres d'artistes nés ou résidant, pendant tout ou partie de l'année, dans les départements du Calvados, de la Manche et de l'Orne.

ARTICLE 4. — Aucun artiste ne pourra exposer plus de trois oeuvres. Les dessins, pastels, aquarelles, peintures et eaux-fortes devront être encadrés, et ne pourront mesurer plus de 2 mètres, cadre compris;


— 159 —

le poids des sculptures ne pourra excéder 150 kilogrammes.

ARTICLE 5. — Seront considérés comme ne constituant qu'une seule oeuvre, les dessins, aquarelles, etc., de petites dimensions, renfermés dans un cadre unique ne dépassant pas 1 mètre 20.

ARTICLE 6. — Toutes les oeuvres destinées à l'exposition devront être adressées au secrétariat de la Société, à l'Hôtel de ville de Caen, le 1" mai, avant midi; elles seront soumises à l'examen d'un jury, qui sta tuera sur leur admission.

ARTICLE 7. — Tous les envois seront faits en port payé, la Société ne prenant à sa charge que les frais de retour; il est bien entendu, en outre, que ce retour aura lieu aux risques et périls du destinataire.

ARTICLE 8. — La Société prendra le plus grand soin des oeuvres exposées: elle n'entend toutefois donner aucune garantie ni prendre aucune responsabilité à cet égard ; néanmoins, elle fera assurer contre l'incendie toutes les oeuvres exposées.

ARTICLE 9. — Pour arriver à la confection des polices d'assurances prévues en l'article précédent, et pour favoriser, au besoin, la vente des oeuvres exposées, les exposants devront joindre à chaque envoi une déclaration indiquant le prix de l'oeuvre qui en fait l'objet.

MM. Carré de Malberg, professeur à la Faculté de droit; Manchon, conseiller à la Cour d'appel; d'Arodes de Tailly, directeur d'assurances, et le comte de Car-


— 160 —

neville sont admis au nombre des membres de la Société. La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,

Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI 9 FÉVRIER 1894

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président dépose sur le bureau des bulletins d'adhésion au congrès des Arts décoratifs qui lui ont été adressés.

M. le Secrétaire rappelle que ceux des membres de la Société qui voudraient assister au congrès des Sociétés des Beaux-Arts devront lui faire connaîtra leur intention avant le 15 février.

Il est procédé à l'élection de la commission chargée d'organiser l'exposition artistique de 1894.

Sont élus: MM. Laumonier, Levard, d'Osseville, Ravenel et Tesnières.

MM. Hellouin, conservateur du Muséer et Auvray, architecte de la ville, sont adjoints à cette commission.

M"" Carbonnier et Carré, propriétaires; MM. l'abbé Bonnegent ; Emile Bures, négociant ; Cune, inspecteur d'Académie honoraire; Abel Dubourg, propriétaire; Gilbert, négociant; commandant Labouchère; Lahaye, agent d'affaires; Pigache, propriétaire; Postel, propriétaire; Plessis, directeur d'assurances; Ramon, propriétaire; Hamelin, négociant, et Le Gost,


— 162 —

avocat, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. E. Travers lit un passage du travail qu'il destine à la Normandie pittoresque et artistique, sur les monuments de la Renaissance à Caen. Après une énumération des monuments qui caractérisent à Caen les diverses époques de l'art, il décrit en détail l'hôtel d'Écoville, et résume l'histoire de ce monument, qui se lie étroitement à celle de la ville. Il établit en terminant que l'hôtel d'Écoville, comme le château de FontaineHenry, est une oeuvre française et non italienne.

M. Décauville-Lachénée rappelle à ce sujet que, d'après certains documents, les sculptures de l'hôtel d'Écoville seraient dues à un certain Pierre Goujon, sculpteur caennais, ce qui viendrait à l'appui de l'opinion d'après laquelle Jean Goujon serait né à SaintMartin-de-Fontenay.

La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI 13 AVRIL 1894

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal d<3 la précédente séance est lu et

adopté.

M. le Président transmet à M. Gasté, au milieu de l'approbation unanime des membres présents, les félicitations de la Société et l'expression de la satisfaction que cause à tous ses membres sa nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur.

Sur la proposition du Secrétaire, la Société attribue une médaille de vermeil et une médaille d'argent à la Société de Photographie pour son exposition de 1894.

Le Secrétaire présente les comptes des concerts des 10 et 11 mars 1894, qui se balancent ainsi :

Recettes 3.177 fr. 40

Dépenses 2.748 05

Excédent de recettes. 429 fr. 35

Les comptes des concerts sont approuvés à l'unanimité.

Le Secrétaire, au nom de la commission de l'exposition et du Conseil d'administration, propose de fixer le prix d'entrée à l'exposition à 0 fr. 50 c, et celui de l'abonnement à 3 fr.

Ces deux propositions sont adoptées à l'unanimité.

M-" Boucher, propriétaire,et Querrière, propriétaire;


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MM. Joly, propriétaire; Laffetay fils, négociant; Lethbridge, vice-consul d'Angleterre; Quéruelle, adjoint au maire de Caen, et Suzanne, juge de paix à Balleroy, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. Gasté communique à la Société un passage du travail qu'il a lu au congrès des Sociétés savantes de 1894, sur une confrérie dite « l'Angevine » ayant existé à Vire: les statuts de cette confrérie exigeaient, pour l'obtention du grade de chapelain, une connaissance suffisante du chant, et ce règlement fut, à diverses reprises, sanctionné par arrêts du Parlement de Normandie.

M. Drouet commence la lecture du travail qui lui avait été demandé par la Société, sur les institutions artistiques dans l'Amérique du Nord. Après avoir distingué, suivant leurs origines, les diverses races qui peuplent ce continent, il entre dans le détail des institutions artistiques qui fonctionnent aux ÉtatsUnis et au Canada; il passe en revue les musées et collections particulières, les sociétés artistiques et les écoles des Beaux-Arts. A l'aide de très nombreux documents qu'il a recueillis sur place, il fixe l'état actuel de ces institutions, et s'attache à établir les résultats obtenus surtout par l'initiative privée et l'association libre. Cette lecture est accueillie par d'unanimes applaudissements. La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SEANCE DU VENDREDI .11 MAI 1894

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures. Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

M. Cariez, Président, dépose sur le bureau la brochure de M. Bùchner sur Tennyson, offerte à la Société par son auteur.

Le Secrétaire rend compte des travaux de la commission de l'exposition.

Après un échange d'observations entre les membres présents, il est décidé que le samedi 19 mai, à 4 heures du soir, l'exposition sera ouverte pour les Sociétaires, et que M. le Préfet, M. le maire et MM. les conseillers municipaux seront invités à cette séance d'ouverture.

Sur la demande de M. Nicolas, il est décidé que l'entrée de la salle principale de l'exposition se fera par 4es deux extrémités, afin de mettre mieux en vue les dessins et aquarelles exposés dans le vestibule.

M. Drouet continue sa lecture sur les Beaux-Arts dans l'Amérique du Nord. Il étudie les peintres les plus en renom du nouveau continent,et décrit celles de leurs oeuvres qui lui ont paru les plus dignes d'attention; il indique ensuite les prix atteints par certains

tableaux, et termine par une rapide revue des envois

u


— 166 —

faits à l'exposition de Chicago par les artistes européens. Il aborde ensuite l'étude de la sculpture américaine, qui est, dit-il, en retard sur la peinture, et décrit un certain nombre de statues et de monuments pour la plupart allégoriques ou commémoratifs. La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétaire,

Robert LIÉGARD.


SÉANCE OU VENDREDI 8 JUIH \tU

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

M. le Président dépose sur le bureau le programme du congrès des Sociétés savantes en 1895, et signale la 6° question, qui porte sur des marchés relatifs à des oeuvres d'art aux XIVe et XV 0 siècles.

Le Secrétaire rend compte des premiers résultats de l'exposition, indique les oeuvres acquises par la Société, et annonce que M. Tesnières offre à. la Société, pour le musée de la ville, son tableau « Ancien lavoir des Petits-Murs ».

La Société adresse à M. Tesnières d'unanimes remerciments. .

Elle adopte ensuite: 1° un voeu de M. Drouet, présenté par le Conseil d'administration, tendant à l'acquisition par l'Etat, pour le musée de la ville, du tableau de M. Mottelay « Vieux lavoir à Clécy »; 2° un voeu déposé par M. Ravenel et le Secrétaire, tendant à l'acquisition par la ville de la statue de M. Ch. Jacquier intitulée « Momus ».

Sur la demande de M. Jacquier, transmise par le Secrétaire, il est décidé que les écoles primaires de la


— 168 —

ville seront admises gratuitement à l'exposition pendant la journée du mardi 12 juin.

Sur la proposition du Secrétaire, il est décidé que le lirage de la tombola annuelle de la Société n'aura pas lieu dans sa prochaine séance.

M. Drouet continue sa lecture sur les Beaux-Arts aux États-Unis. Il étudie l'architecture dans l'Amérique du Nord; et,après avoir constaté que, contrairement à ce qui se voit dans beaucoup de villes d'Europe, les monuments américains les plus intéressants sont les plus récents, il cherche à déterminer le caractère général de l'architecture américaine,et constate la prédilection qu'ont les Américains pour le style qui florissait en Angleterre à l'époque des Tudor. Il passe en revue les spécimens les plus remarquables de l'architecture religieuse aux États-Unis, décrit un certain nombre de grands édifices publics, et termine en étudiant d'importantes constructions privées et spécialement les grands hôtels des principales villes. La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétairej

Robert LIÊGARD.


SÉANCE DU VEIDREDI 13 JUILLET 1894 PRÉSIDENCE DE M, JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le Secrétaire donne un aperçu des comptes de l'exposition; il indique que certains éléments lui manquent encore, mais qu'il peut cependant annoncer que le déficit ne dépassera pas 300 fr. Il indique en terminant les achats qui ont été faits par la Société, tant pour ellemême que pour le musée de la ville.

M. Laumonier demande que le tableau de M. Lecarpentier soit substitué à l'aquarelle de M. Porquier dans l'envoi fait au musée.

Le Secrétaire combat cette proposition, déjà rejetée par la commission de l'exposition, dont la décision a été notifiée à l'administration municipale.

Une discussion s'engage au sujet de l'étendue des pouvoirs de la commission de l'exposition.

MM. Ravenel, Laumonier et Tesnières soutiennent que ces pouvoirs étaient limités à l'acquisition des oeuvres exposées.

MM. Travers et le Secrétaire répondent que la commission avait de pleins pouvoirs.

M. le Président, considérant que, l'assemblée ayant


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le droit de revenir sur les décisions des commissions, met aux voix la proposition de M. Laumonier, tendant à l'attribution au musée du tableau de M. Lecarpentier à la place de l'aquarelle de M, Porquier.

Cette proposition est. adoptée.

Le Secrétaire déclare qu'il lui est impossible de conserver des fonctions qui l'obligent à exécuter des décisions sur lesquelles la Société se réserve le droit de revenir ensuite.

M. de Formigny de la Londe propose, à titre de transaction, de joindre au tableau de M. Lecarpentier l'aquarelle de M. Porquier dans l'envoi fait au musée.

Cette proposition est adoptée.

Le Secrétaire annonce qu'il va s'occuper de l'impression du prochain bulletin de la Société; il rappelle qu'il se trouve, au point de vue des illustrations de ce bulletin, en présence de décisions contradictoires. La Société avait décidé, en effet, en 1892, que certaines oeuvres figurant à son concours de photographie seraient reproduites dans son bulletin; mais elle a décidé, en 1894, que ce bulletin ne contiendrait pas d'illustrations.

L'assemblée décide que le prochain bulletin pourra contenir des illustrations, mais en moins grand nombre que le précédent.

La Société décide ensuite: 1° qu'il n'y a pas lieu de participer à la souscription organisée en vue de l'érection d'un monument au peintre Watteau dans le jardin du Luxembourg; 2° qu'il y a lieu de souscrire à l'ouvrage intitulé « La Normandie monumentale,

fà/tn:

'TV*'.


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pittoresque et artistique », mais seulement pour la partie relative au département du Calvados.

M. Paul Drouet termine sa lecture sur les BeauxArts aux États-Unis par une étude de la gravure, de la gravure en médailles, de la musique et de l'art dramatique. Au cours de cette étude, il donne de curieux détails sur l'organisation des théâtres américains,ainsi que sur leur répertoire.

A l'unanimité, l'assemblée vote l'impression du travail de M. Drouet.

La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire, Robert LIÉGAUD.



ANNEXE AUX PROCÈS-YERBAUX

CONCERTS DE 1894

CONCERT DU 26 JANVIER 1894

Grande Salle de l'Hôtel de ville

PREMIÈRE PARTIE

1. Ballet de la Tempête (Orchestre) DUVERNOY.

(Danse des Nymphes. — Danse des Sylphes. —

Danse desSylvains.)

2. Air de Sigurd: « Salut, splendeur du jour »... REYER.

M"" B...

\ A. Nocturne pour violon CHOPIN.

/ B. Berceuse C. VÉQUE.

M. DU SAIJCEY.

4. Canlilène de Cinq-Mars GOUNOD.

Pour chant, piano, violoncelle et orgue. MUe" D... et DE CORTEUIL, MM. ROUSSELOT et DUPONT.

( A. Air de ballet pour piano CHAMINADE.

| B. Presto de la Sonate en sol mineur SCHUMANN.

M"" 0 GUYON.

| A. Ah! qui brûla d'amour TSCUAIKOVOSKY.

| B. Myrto L. DELIBES.

M" 0 B...

iA. Prélude du Déluge SAINT-SAENS. Le solo de violon par M. DU SAUCKY. B..DOUX murmure GILLET. Instruments à cordes.


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8. Duo de Sigurd : . . . . RETER.

M 11» B... et M. V...

Quête pour les Pauvres

DEUXIÈME PARTIE

LA FILLE DU ROI DES AULNES ..... NIELS W. GADE.

Légende danoise pour soli, choeurs, orchestre, piano et orgue

La fille du roi des Aulnes, MlleD..— La mère, M»« T.— Sire Oluf, M. P. V...

Le piano tenu par M" P. L. H. — L'orgue par M. ROYER

1" partie: LE DÉPABT, soli, M1* T... et M. V...

¥ partie; LA RENCONTRE, soli,M 1" D... et M. V.,.

3" partie: L'ATTENTE, LE RETOUR ET LA MORT, soli, M"" T... et M. V...

Le sire Oluf, par un beau soir d'été, est attiré au plus épais de la forêt par la fille du roi des Aulnes, dont il dédaigne là beauté.

Furieuse d'être repoussée, la fille du rot des Aulnes, secondée par ses compagnes, jure de se venger. Elle blesse mortellement l'infortuné Oluf, qui vient expirer sous les jeux de sa more désolée.

PREMIÈRE PARTIE

^. Ouverture de Rienzi R. WAGNER.

2. Entr'actc de la Cavalleria Rusticana MASCAGNI.

Orchestre et grand orgue.

3. Romance pour cor anglais. SAINT-SAENS.

M. BAQUÉ, des Concerts du Conservatoire.

4. Air de Philippe H, de Don Carlos VERDI.

M. G. AUMONT, basse ("hantante.


— 175 -J>

- . (A. La Troyenne regrettant sa patrie I „

5. Les Erynnies F- i { MASSKNET.

6. Sérénade pour linrpe G. VERDALLL*

M. V.ERDAL,LE, des Concerts Lamourcux, /. Danse Tzigane , G. AUVRAY.

8. Grand air de Samson et Dalila SAINT-SAENS.

Mme DAX, du Ïliéùtre-Lyrii|ue.

9. Sélection sur Hérodiade, de Massenet G. AUVRAY.

(Orchestre et grand orgue). Solistes: MM. BAQUÉ, RICBARDOT, DUBROCA et MANCI.NI.

QUÊTE POUR LES PAUVRES

DEUXIÈME PARTIE

1. Marche hongroise de la Damnation de Faust . . . BERLIOZ.

2. Scène et valse du ballet de Gretna-Green. . ... GUIRAUD.

t A. A l'Ombre (Rêverie) B. GODARD.

' I B. Mouvement perpétuel .,.,..,., PAGANINI. Pour violon, M. Pierre MONTEUX, prix du Conservatoire.

\ A. Noël païen MASSENET.

' ) B. Printemps nouveau VIDAL.

Mme DAX.

5. Ballet égyptien LUIGINI.

I A. Le Retour du Paladin A. HOLMES.

' [ B. Couplets du Freyschûtz WEBER.

M. G. AUMONT.

7. Pastorale et Finale de la Symphonie pour grand

orgue, avec accompagnement d'orchestre .... A. GUILMANT. M. A. DUPONT.

8. Quatuor d'Henri VIII _ . SAINT-SAENS.

Mme DAX, Mlle THÉVENEAU, MM. V... et CORBEL.

\ A. Werther « Clair de lune » MASSENET.

'\ B. Marche des Fiançailles de Lohengrin. . . . WAGNER.

Le piano d'accompagnement tenu par MM. Cariez et Dupont


— 176 —

TOEMIEHE PAIITIE

\. Ouverture d'Alhalie MBNDËLSSOHN.

2. Une Nuit à Lisbonne (Barcarulle) SAINT-SAENS.

3. Air de Mazeppa C. DE GHANVAL.

M. GOKBEL.

4. Danse persane Gunuun.

0. Fantaisie pour clarinette VERDI.

M. RICHAKDOT, l^prix du Conservatoire.

6. La Feria LACOME.

Los Toros. — La Reja (Sérénade). — La Zurguella, au Théâtre.

7. Air d'Hérodiade MASSENET.

Mmu DAX.

8. Patrouille de Pantins G. AUVRAY.

DEUXIÈME PARTIE

1. Danse slave du Ii)i malgré tut CUABRIER.

2. Ave Maria, unisson de violons . . GOUNOD.

A. Ballade CUOPIN.

Hmc GUYO.N, lauréat du Conservatoire.

4. La Korrigane WIDOR.

Alla Marcia.— La Sabotière.— Finale.

i A. Printemps nouveau VIDAL.

J B. J'avais rêvé FLEGIER.

Mm<: DAX.

6. Rallet égyptien A. LUIGINI.

7. Sallarelle G. AUVRAY.

Quête pour le» Pauvret


DEUXIÈME PARTIE

MÉMOIRES ET DOCUMENTS DIVERS

LE MUSÉE DE VIRE

Sa création, ses collections, et, en particulier 1, ses objets d'art (1)

En 1836, année où la Société française d'Archéologie pour la conservation des monuments historiques alla tenir ses séances à Vire, il avait été question de recueillir dans l'arrondissement des fragments d'antiquités pour former le noyau d'un musée; mais,les séances de la Société d'Archéologie une fois terminées, ceux-là mêmes qui s'étaient montrés les plus zélés oublièrent leurs promesses, et le musée de Vire devait rester longtemps encore à l'état de projet.

Enfin, en 1862, le nouveau bibliothécaire, M. Charles-Antoine Fédérique, plein d'un beau zèle qui ne

(1) Notice rédigée par M. A. Gasté, d'après les notes que M. Ch. Fédérique, conservateur du musée de Vire, lui a communiquées.


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devait jamais se ralentir, demanda à l'administration municipale l'autorisation, qui ne pouvait manquer de lui être accordée,de recueillir et de conserver dans une des salles de la Bibliothèque des fragments d'antiquités, et certains objets d'art qui avaient figuré à l'exposition rétrospective de 1859, et dont les possesseurs consentaient alors à se dessaisir au profit de la ville, si elle voulait donner suite au voeu émis vingt-trois ans auparavant par la Société d'Archéologie. ■

Sans se rebuter, M. Fédérique alla frapper à bien des portes. Un assez grand nombre restèrent impitoyablement fermées ; mais quelques-unes s'ouvrirent gracieusement. Le premier objet recueilli le fut à la fin de janvier 1863; et, en 1866, notre bibliothécaire avait fait entrer à la mairie assez d'objets d'art et de curiosité pour que l'administration municipale regardât le musée comme fonde, et fit de l'ouverture de ce musée l'une des fêtes offertes au public à l'occasion des concours d'agriculture et d'horticulture de 1866.

Alors, pour la première fois, le musée de Vire fut officiellement ouvert au public. Tous les objets recueillis avaient été, pour la circonstance, arrangés et disposés dans la salle de lecture de la bibliothèque. M. de Caumont, le grand archéologue normand, et tous les membres de VAssociation normande et de la Société française d'Archéologie, présents à la séance du samedi 22 septembre 1866, allèrent visiter le musée, qui fut ensuite livré au public.

A partir de ce moment, les dons de l'Etat et ceux des particuliers devinrent d'année en année et plus nom-


— 179 —

breuxet plus importants, si bien qu'en 1880, le conseil municipal décida d'affecter l'ancienne salle des cours gratuits à l'appropriation d'une salle de musée, spécialement destinée aux beaux-arts, aux antiquités et à l'ethnographie. Cette salle fut inaugurée le 31 décembre 1880, en présence de M. Le Blond, sous-préfet de l'arrondissement, de M. Nestor Lalleman, maire de Vire, de M. Marc Porquet, premier adjoint, des membres du conseil municipal, etc. A cette date, cette salle renfermait 51 tableaux à l'huile recueillis par M. Fédérique, et dûs à la générosité du gouvernement et de plusieurs particuliers, 10 morceaux de sculpture, 1? aquarelles, gouaches, dessins, fusains, 46 gravures (taille-douce et eau-forte), 2 lithographies et 2 photographies.

Les antiquités y étaient, représentées par 22 numéros, comprenant des statues en pierre et en bois, depuis l'époque byzantine jusqu'au XVIIe siècle inclusivement, une tapisserie flamande, un beau bureau et une console Louis XIV, un Cuivre en fonte sur cire perdue, de Sansovino, artiste florentin, représentant le Christ mis au tombeau par des anges, une marmite en bronze d'époque incertaine, une vieille enseigne de la ville de Vire du siècle dernier, et un reliquaire du XV1IP siècle.

Sans entrer ici dans le détail d'un très grand nombre d'objets recueillis par M. Fédérique, objets ayant trait à l'ethnographie, aux antiquités égyptienne, grecque, romaine, etc., et d'une collection de médailles et de monnaies anciennes et modernes (près de 20,000


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numéros) réunie également par le conservateur du musée, il est temps d'arriver à la collection connue sous le nom de collection Guernier.

M. Charles Guernier, artiste peintre et professeur de dessin au collège de Vire, mourut subitement le 29 juin 1881.11 possédait un assez grand nombre d'objets d'art et de curiosité, dont la ville se crut un instant propriétaire, en vertu de son testament; mais ce testament fut annulé sur la requête du frère du testateur, autorisé à agir ainsi par un codicille postérieur. Dans le but de compléter les diverses collections formées par M. Fédériquc, la ville de Vire n'hésita pas à acquérir, moyennant une rente viagère qu'elle devait faire à M. l'abbé Léon Guernier, les collections de son frère.

Ces collections comprenaient, au point de vue des beaux-arts, 195 tableaux, dont 47 de peintres divers, 21 de M. Guernier père et 127 de M. Charles Guernier, son fils aîné, 86 aquarelles, gouaches, miniatures, sépias, dessins originaux et copies, savoir : 11 de divers peintres, 17 de Guernier père, 48 de Charles Guernier et 10 de son frère Léon.

La sculpture ne comprenait que 6 numéros: 2 médaillons de Nini, 1 buis et 3 plâtres.

Les gravures encadrées étaient au nombre de 12. Sous le rapport des antiquités et de l'ethnographie, 960 numéros, et de la numismatique, 144 médailles ou monnaies.


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Après cette énumération sommaire des objets d'art et d'antiquités que possède actuellement le musée de Vire, il convient de donner quelques renseignements plus détaillés sur les numéros concernant les beaux-arts(1).

Sur ces 472 numéros, 357 oeuvres émanent de peintres et de sculpteurs normands; et, sur ces 357 oeuvres normandes, 337 sont dues à des peintres et à des sculpteurs de la ville ou de l'arrondissement de Vire.

I

Peintres ou dessinateurs virois ou de l'arrondissement

de Vire.

XVII" siècle. — VALLÉE (François), sieur de la Reménerie, mort en 1676. (Portrait de femme.) CANU (seconde moitié du XVIIe siècle). Un tableau {Descente de Croix.) XVIIIe siècle.— DE LA VENTE (François II), mort à Vire en 1771.(4 tableaux etl dessin.) DE LA VENTE(Vincent-Jean-François), fils du précédent, mort à Vire en 1801. (Un tableau peint par lui à l'âge de 18 ans.) DE LA VENTE (Jean-François), frère du précédent, mort en 1812. (3 portraits.)

fl) Sans les citer tous, bien entendu. Nous n'avons nullement songé à dresser un catalogue complet. (A. G.)


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XIXe siècle. — GUERNIER (Joseph-Joachim), né à Saint-Lô, mais ayant très longtemps résidé à Vire, où il est mort en 1848. 40 des oeuvres de ce peintre sont aujourd'hui au musée de Vire. Citons tout particulièrement le portrait de l'abbé Bazin, dit le père des pauvres, premier curé de Sainte-Anne de Vire, et un.paysage allégorique d'un effet puissant. XIXe siècle. — BEAUMOXT (Michel-Auguste). (2 portraits.) TURPIX (Pierre-Jean-François),membre de l'Académie des Sciences. (Nombreux dessins et aquarelles.) GUERXIER (Charles-Joseph), fils aîné

de Guernier (Joseph-Joachim). (176 tableaux, aquarelles, dessins à la

plume et au crayon.) Citons: V Inauguration de la statue de Dumont d'Urcille, à Condé-surNoireau; — le Porirait.de M 9' Vèpolles, évêque de Colomby, vicaire apostolique de la Mandchourie ; — 1 a Ch apelle arden te de l'abbé Basin ; — le Portrait, au fusain, de Mg' Hugonin, évoque de Bayeux. LEGUAIX (Edmond). (6 tableaux, parmi lesquels il faut noter: la Bavette des


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Tribunaux, — la Malade, — le portrait de Richard Séguin.) XIX" siècle. — COURAYE DU PAIIC (Léonor) (1). (Un fusain, VInondation.)

HELLOUIN (Xénophon). (7 tableaux, paysages et natures mortes.)

DEBON (Edmond). (Un tableau, l'Aveugle musicien du pont des Arts.)

LE GRAND (Jacques-Théodore). (2 tableaux.)

LE VAVASSEUR (Maurice-Jules-Adolphe). (Fusain et aquarelles.)

II

Sculpteurs virois ou de l'arrondissement de Vire.

XVIIIe siècle.— DUHAMEL (Jean-Baptiste). Statue de

saint Joseph. XIXe siècle. — ALAIS (Exupère-François), sculpteur amateur. (13 figurines.) GALLOT (Stéphen). (3 médaillons.) LEGUEULT (Eugène). (Un médaillon.) LE VAVASSEUR (Maurice-Jules-Adolphe). (Un médaillon et un buste.)

(1) à Saint-Li, mais ses liens de famille l'ont toujours fait regarder comme Virois.


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III

Peintres normands autres que ceux de l'arrondissement

de Vire.

XVIIe siècle. —POUSSIN (Nicolas). Bacchanale. XVIIIe siècle.— RESTOUT (Eustache). La Vierge apparaissant à saint Norbert. TOURNIÈRES. Portrait du capitaine Darçon. XIXe siècle. — GÉRICAULT. (Une sépia, Un débardeur anglais.) LE MARIÉ DES LANDELLES. Les saules du père Pierre (paysage).

IV

Sculpteurs normands autres que ceux de l'arrondissement de Vire.

XIXe siècle. — LE HARIVEL-DUROCHER (Victor-Edmond). La Cène, — Sainte Geneviève, — Buste de Chénedollè. LE ROUX (Frédéric-Etienne). Bustes d'Ernest Renan et de Frédéric Aubanel. LE DUC (Arthur-Jacques). Buste de René Lenormand.


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V

ÉCOLE FRANÇAISE (A) Peinture.

LE SUEUR (Eustache). Un moine.

MONNOYER (Jean-Baptiste). Corbeille de fleurs.

RIGAUD (Hyacinthe). Portrait de Thomas Le Jeune, professeur au collège de Vire.

NATTIER. Portrait de Mm° Le Prince de Beaumont.

CHARDIN. Nature morte.

VERNET (Joseph). Entrée d'un fort.—Un petit fort à l'entrée d'une rioiére.

LÉPICIÉ. Portrait de jeune garçon.

COUTAN. Portrait de Durupt.

DURUPT. Boissy-d'Anglas se découvrant deoant la tête de Fèraud, qu'on lui présente au bout d'une pique, — Mort de Pierre le Cruel.

COROT. Le rocher Corot (forêt de Fontaineblau);— Provins ; — Étude d'arbre.

HUET (Paul). Le gouffre.

TROYON. Paysage {La Moisson); — Vieille femme allant puiser de Veau à une fontaine; — Un puits.

DAUBIGNY. Vue des hauteurs de Montmartre. — Deux paysages.

COLIN (Paul-Alfred). Marais des environs de Saint-Omer.

LEHOUX (Pierre-François). Habitation nubienne, devant laquelle des Nubiens écoutent les chants d'un improvisateur.


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HAYON. Franciscains faisant de la musique. HENRIET (Charles-Frédéric). La Marne à Tancrou. DEBOX (Hippolyle). Guillaume le Conquérant. (Esquisse

du tableau du musée de Caen.) BARDIN (Jean). Deux gouaches: Sacrifice à l'Amour,—

Réception d'une vestale. ROBERT (Hubert). Les ruines du palais de Caracalla,

gouache. DECAMPS. Un chat. ROUSSEAU (Théodore). Deux études. ROLAND DE LA PORTE. Apothéose de Louis XIV. SUBLEYRAS. Apparition de la Vierge à plusieurs saints,

— Une communion, —Martyre de saint Sébastien,—

Saint Michel terrassant les démons. BOULANGER (Gustave), de l'Institut. Adieux d'Hector à

Andrcmaque et à Astijanax.

(B) Sculpture

NiN'i. Deux médaillons (terre cuite), représentant Louis

XVIet Marie-Antoinette. DAVID D'ANGERS. Buste de Turpin. GAUTHIER (Charles). Saint Sébastien (statue en plâtre).

VI

ECOLE ITALIENNE (A) Peinture.

(Primitif). Annonciation.

CARRACCI (Ludovico) [d'après]. Saint François en extase.


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FERRI (Ciro). Adoration des bergers. PALIZZI (Giuseppe). Moutons.

CALIARI (dit Paolo Veronèse). Les noces de Cana. (Dessin à la plume).

(B) Sculpture.

TATTA (dit del Sansovino), artiste florentin de la fin du XVIe siècle. Le Christ mis au tombeau par des anges. (cuivre, fonte sur cire perdue.)

VII

ÉCOLE ESPAGNOLE

MORALES. Le Christ portant sa croix. (Variante du tableau du Louvre.)

VIII

ECOLE ALLEMANDE

*

XVIe siècle. Portrait d'homme.

ELSHEIMER (Adam); La Madeleine en extase.

IX ECOLE FLAMANDE

VRIENDT (François, le Vieux, dit Franz Floris). Saint

Sébastien. Vos (Martin de). Jésus sommeillant dans la barque. LUYCKS (Christian). Papillons, etc.


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GRIFF (Adrien, le Vieux). Canards attaqués par un

milan. DYCK (Antoine van) (?). Le sauveur du monde.

X

ECOLE HOLLANDAISE

BLOEMAERT (Abraham). Adam et Eve mangeant le fruit défendu; — Adam et Eve chassés du paradis terrestre; — Adam cultivant la terre, pendant qu'Eve se livre aux soins du ménage; — Abeltué par Caïn.

NEER (Van der). Clair de lune.

XI

ECOLE BYZANTINE

(?) La Vierge donnant le sein à l'Enfant Jésus.

Nous n'osons garantir l'exactitude de toutes ces attributions; il n'en reste pas moins établi que le musée de Vire — bien que de fondation toute récente — renferme, sous le rapport des beaux-arts, un assez grand nombre de pièces très importantes; et l'on ne saurait trop féliciter et remercier l'infatigable conservateur (nous devons même dire le fondateur) de ce musée, M. Ch. A. Fédérique, du dévoûment qu'il n'a cessé d'apporter et qu'il apportera longtemps encore, nous l'espérons, à l'accroissement et à la conservation des collections de tout genre qui lui sont confiées.

(Ad G.)


LA MUSIQUE

DANS LES ILES ANGLO-NORMANDES Par M. Jules CARIEZ

Aller à Jersey il y a cinquante ans, c'était presque un voyage au long cours, qu'osaient seuls entreprendre quelques touristes, ou bien les gens qu'y appelaient leurs affaires, mais surtout ceux que pressait la nécessité de devancer les rigueurs du Gode pénal, vers eux braqué comme une menace redoutable.

Guernesey semblait être au bout du monde ; Aurigny n'était guère connu que des pêcheurs qui y faisaient relâche ; Serk, Herm, Jethou, ces noms étranges eussent fait l'effet d'un écho envoyé de quelque terre transocéanienne. En un mot, pour l'immense majorité des Français, le moindre récit concernant ces îles, jadis parties intégrantes de notre sol, de par la géographie et l'histoire ; ces îles, où beaucoup plus qu'aujourd'hui on parlait français... à la normande, ce récit, dis-je, était toute une révélation.

Les choses ont bien changé depuis : bateaux à vapeur et chemins de fer nous ont détournés des habitudes casanières de nos ancêtres ; on voyage aujourd'hui avec frénésie; on parcourt la Suisse et l'Italie plus


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facilement qu'on ne se promenait autrefois dans son propre canton ; à plus forte raison va-t-on visiter ces rochers habités, que quelques lieues seulement séparent de la côte normande, et qui d'ailleurs méritent d'être vus.

La plupart des voyageurs — je ne parle ici que des Français — s'en tiennent à l'île principale Jersey, avec ses côtes pittoresques, tantôt riantes, tantôt sauvages, avec sa campagne plus anglaise que normande, avec sa populeuse et élégante capitale, suffit à contenter leur curiosité. Les inconvénients inhérents aux traversées, d'ordinaire assez mouvementées dans ces parages, les conduisent à négliger Guernesey et les autres îles de l'archipel, ce en quoi ils ont tort.

Je n'ai pas l'intention, on "le pense bien, d'entreprendre pour mon compte, à propos de ces îles et des sites merveilleux qu'elles offrent aux touristes, des descriptions que l'on trouvera facilement ailleurs; je prétends moins encore raconter les impressions d'un récent voyage ; tout simplement me bornerai-je à détacher des observations faites au cours de mes promenades quelques notes relatives à la musique.

C'est en plein hiver, et non point dans la belle saison, qu'il faudrait se rendre à Saint-Hélier pour bien connaître les habitudes artistiques de cette jolie ville, et savoir jusqu'à quel point la musique, notamment, y est goûtée et cultivée. Mais, après tout, le touriste dilettante qui la visite au temps des vacances, se préoccupe moins des ressources qu'elle peut offrir aux artistes que des distractions musicales qu'il pourra y rencon-


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trer, comme diversion aux excursions de la journée.

Nous en rapportant, à cet égard, aux affirmations du Guide Joanne, nous nous étions mis, mon compagnon de voyage et moi, à la recherche du Pavillon d'Été, « Summer Pavilion », où nous devions, paraîtil, « entendre d'excellente musique vocale et instrumentale », et passer, en un mot, « une très agréable soirée ». A grand'peine nous gagnons Springfieldroad, qui n'est pas au coeur de la ville, tant s'en faut, et nous trouvons porte close.

Quelques jours après, un concert avec soirée dansante, organisé par l'Association commerciale de Jersey, avait lieu dans ce local, lequel ne s'ouvre plus,semble-t-il, que dans les grandes occasions. Je n'ai pu assister à cette soirée, ayant quitté l'île avant le jour annoncé; mais, à propos de cette salle de concerts, maladroitement installée d'ailleurs dans une rue écartée et qui, probablement, s'est fermée à cause de l'indifférence du public, je me suis rappelé la tentative faite à Jersey, il y a une dizaine d'années, par notre compatriote Georges Auvray.

Désireux d'implanter dans l'île des plaisirs musicaux que l'on goûte fort, non seulement à Trouville ou à Dieppe, mais encore dans nos stations balnéaires de troisième ou quatrième ordre, il donna, durant tout l'été, à George-Town, aux portes de Saint-Hélier, dans une salle improvisée, d'excellents concerts d'orchestre.

Les auditeurs ne lui firent point défaut ; mais, si mes souvenirs ne me trompent pas, je crois qu'il eut maille à partir avec les autorités jersiaises, dont le puritanisme


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ne put souffrir qu'il négligeât le relâche traditionnel du dimanche. C'est là, au point de vue budgétaire, une habitude désastreuse, et je ne serais pas surpris qu'elle fût entrée en ligne de compte dans les raisons qui décidèrent le jeune chef d'orchestre à ne pas renouveler l'entreprise.

Le théâtre semble répondre plus que la musique de concert aux goûts des jersiais. Il y a deux salles de spectacle à Saint-Hélier: la comédie et le drame régnent conjointement au « Théâtre royal de Jersey », où la pièce en vogue, durant mon séjour, était sur le point de céder la place à Diplomacy, adaptation anglaise de la Dora de Sardou, par MM. Clément Scott et Stephenson. L'autre théâtre, « Royal Hall », où l'on joue parfois l'opérette, s'en tenait pour le moment aux bouffonneries qui font la joie du public anglais.

Absente du théâtre durant les vacances, la musique règne, par contre, sur la place publique. Non loin du port, presque au pied de la piètre statue érigée à la reine Victoria en mémoire de son jubilé (1887), un petit piano vient d'être déposé sur le sol ; il porte la marque Broadwood and son, les Pleyel de Londres. Près du piano se tiennent trois jeunes gens ; tenue correcte : habit et pantalon noir, cravate blanche et chapeau gibus. Autour d'eux, un cercle compact d'auditeurs des deux sexes, où garçonnets et fillettes se trouvent en majorité.

Un des artistes revêt sur son habit une sorte de robe courte à grands ramages et vient régaler ses auditeurs d'une scène comique, chant et parlé, très développée et


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fort drôle, à coup sûr, car elle provoque à fréquentes reprises les rires des « boys » et des « girls » qui entourent le chanteur.

Après la petite pièce, la grande; voici le tour du chanteur sérieux. Ce qu'il chante, c'est une ballade, un échantillon d'un genre tout spécial à l'art anglais; poésie romantique, musique d'un tour mélodique assez franc. Soudain le chant s'interrompt et fait place à la déclamation. Cette partie du morceau est quelque peu longuette ; les vers succèdent aux vers, le récit prend des allures pathétiques, à en juger par le ton et les gestes du récitant. Et, pour en accentuer la couleur, le pianiste, tout en mâchonnant sa cigarette, égrène de ses doigts agiles un agitato en mi mineur, qu'il recommence sans cesse. Puis la déclamation prend fin, et le chant termine le morceau.

A ceux qui préfèrent la musique instrumentale la fanfare populaire va fournir quelques instants de récréation : je dis fanfare, mais c'est bel et bien une musique d'harmonie que constitue cette modeste bande. Deux clarinettes y fraternisent avec les divers représentants de la famille des saxhorns; la petite clarinette, que joue le chef, donne à la sonorité de l'ensemble un caractère d'acuité médiocrement agréable. L'exécution, d'ailleurs, est irréprochable, et les musiciens sont convenablement installés derrière des pupitres éclairés par des lanternes.

A Saint-Hélier, tout autant que dans nos villes de garnison, la retraite militaire en musique offre au populaire une récréation des plus goûtées. Seulement,


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les choses s'y passent tout autrement qu'en France. Vers 9 heures 1/4 du soir, les tambours, clairons et fifres du régiment d'infanterie en garnison dans l'île de Jersey (en ce moment, c'est le régiment d'York) quittent le fort Régent, et se dirigent en silence vers Royal square ; là, ils font halte devant l'édifice appelé « la Cohue », où siège la Cour royale. A 9 heures 1/2 un coup de canon part du fort; aussitôt les clairons sonnent la retraite de pied ferme. Plus compliquée que celle qui est d'ordonnance dans l'infanterie française, cette sonnerie débute par une sorte d'appel, et se termine par une tenue prolongée sur la médiante aiguë. Disons en passant que la sonorité des clairons anglais m'a semblé plus lourde et moins éclatante que celle des clairons français.

La sonnerie terminée, ceux des musiciens qui cumulent les deux emplois de clairon et de fifre remettent en bandoulière l'instrument de cuivre; toute la bande se range alors par quatre de front, en files très espacées, et, au commandement de son chef, elle se met en marche. Le tambour-major, en tenue de sousofficier, s'avance en tête, raide dans ses allures et se servant de sa canne comme un simple promeneur; derrière lui les cinq tambours, la grosse caisse et enfin les fifres, au nombre de quinze ou seize.

Ils jouent, en marchant, un pas redoublé à trois parties, rythmé sans interruption par les tambours et par la grosse caisse, que l'instrumentiste tient contre sa poitrine et sur laquelle il frappe d'aplomb.

Au lieu de parcourir, comme en France, un itiné-


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raire convenu dans les rues de la ville, tambours et musiciens, une fois parvenus à l'extrémité de la place, font demi-four et se dirigent vers l'extrémité opposée, où ils opèrent le même mouvement; ils continuent d'évoluer ainsi sur un des côtés de Royal square, jusqu'à l'achèvement du morceau. Suit une courte halte, après laquelle ils recommencent leur va-et-vient sur un nouveau pas redoublé. Celui que j'ai entendu ainsi, en second lieu, avait une allure entraînante; les motifs ne manquaient pas d'originalité. «

La marche terminée, les musiciens vont former un cercle au centre de la place, et là, ils donnent un concert d'une demi-heure à la foule qui les entoure. J'y ai entendu trois morceaux, d'un style léger, au nombre desquels un galop dans le goût français. Comme dans les marches, les rafla des tambours et les boum boum de la grosse caisse accompagnaient les fifres sans la moindre interruption.

Le Ride Britannia et le God sace the Qaeen complètent le concert; après quoi les clairons sonnent de nouveau la retraite de pied ferme. Cela lait, les soldats musiciens reprennent en silence, et sans même prendre la peine de se mettre en rangs, le chemin de la caserne. De son côté, la foule se disperse; quant aux soldats de la garnison, malgré le signal qui vient de leur être donné par leurs camarades, ils continuent de se promener de ce pas dégagé qui leur est habituel; et l'étranger qui poursuit sa flânerie dans King street ou dans Halkett place, y va rencontrer longtemps encore les jeunes, très jeunes fantassins, en tunique rouge, le


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bonnet de police coquettement posé sur l'oreille, ou bien les artilleurs du Royal-Jersey, d'aspect plus militaire, sauf le polo qui les coiffe aussi peu que possible. Tous ayant à la main l'éternel stick, dont le soldat anglais ne se démunit que lorsque les exigences du service l'y contraignent absolument.

Passer des fifres de l'armée anglaise à la musique de l'armée du Salut, la transilion me paraît aisée. Pour accentuer le caractère belliqueux de ses prédications, lesquelles visent à conquérir pour le Ciel le plus grand nombre d'âmes possible, la célèbre secte a adopté, comme on le sait, pour ses réunions, l'usage des instruments de cuivre. Chaque groupe de salutistes a sa fanfare, recrutée presque toujours parmi les adhérents. Ce corps de musique règle le pas du cortège dans les manifestations en plein air, et alterne avec les chants des fidèles.

La fanfare du groupe salutiste de Saint-Hélier est assez nombreuse ; la présence d'une petite flûte n'altère pas trop ses qualités de sonorité, où prévalent surtout le moelleux et la douceur. Le chef joue fort agréablement du cornet à pistons et se plaît à orner de fioritures la mélodie des chants religieux.

Mais, ont-ils vraiment le caractère religieux, ces cantiques qu'ici les frères et soeurs chantent avec assez dégoût, à quatre parties? Je les trouve, avant tout, aisés à retenir, propres par conséquent à être popularisés; sans doute, leurs auteurs n'ont pas visé à autre chose en les composant. Ce qui est incontestable, c'est l'originalité de l'effet que produit l'exécution alternée


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de ces mélodies harmonisées, par les instruments et par les voix.

Je leur préfère toutefois les cantiques à quatre voix que l'on entend à l'église paroissiale. On y trouve tout ensemble l'expression d'une prière fervente, une grande suavité de mélodie, et cette pureté d'harmonie qu'offrent la plupart des chorals en usage dans le culte protestant.

La capitale de l'île de Guernesey, Saint-Pierre-Port, possède, elle aussi, son groupe salutiste. Le local où il tient ses réunions, « Clifton-Hall », ne se dissimule point, comme à Jersey, où l'on a quelque peine* à le découvrir dans une rue peu fréquentée ; il se dresse ici tout en haut du gracieux amphithéâtre que dessine la ville, et l'inscription : Salvation army, tracée en lettres gigantesques, permet de l'apercevoir du port.

Mais les fidèles manifestent aussi en plein air; je les ai vus installés, un soir, au pied des escaliers du Marché, à deux pas de l'église paroissiale, le plus intéressant des édifices religieux que renferment les îles de la Manche, assez pauvres sous ce rapport. J'y ai remarqué, entre autres choses, de belles pierres funéraires, une chaire en pierre de Caen sculptée et, ce qui rentre plutôt dans mon sujet, un orgue dont les tuyaux de montre sont chargés d'une ornementation bleue, rouge et or: l'effet, je me hâte de le déclarer, est plus que médiocre.

Mais revenons à nos salutistes. Moins nombreux que ceux de Jersey, ils n'ont à leur disposition qu'une maigre fanfare, et encore ne tient-elle debout que grâce à

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l'adjonction d'éléments profanes. De même qu'à SaîntHélier, il y a un très bon cornet à pistons, lequel a la direction de l'ensemble.

Le premier orateur qu'il me fut donné d'entendre prit place, une fois son sermon terminé, derrière la grosse caisse, et, ayant empoigné la mailloche, qu'il maniait avec de grands gestes, il déploya, pour, rythmer l'accompagnement des cantiques, autant d'ardeur et, pour ainsi dire, d'éloquence qu'il venait d'en mettre dans son discours.

Un autre musicien prit ensuite la parole, un homme de mince condition, si je m'en rapporte aux apparences, ce qui ne l'empêchait pas de s'exprimer avec facilité. Tandis qu'il parlait, j'admirais le flegme du bon, public guernesiais, écoutant sans mot dire cet orateur de rencontre qui, un saxhorn sous le bras, tonnait avec conviction contre les « public-houses »; et, je me représentais l'accueil que recevrait chez nous un orphéoniste qui, après avoir fait sa partie dans un morceau d,'har^ monie, s'aviserait de sermonner ainsi la foule.

Les salutistes de Saint-Pierre-Port chantent, leurs cantiques à l'unisson ; une des soeurs est douée, m'a-ton dit, d'une fort jolie voix et chante en s'accompagnant sur la guitare, instrument que personne, jusqu'ici, n'avait eu l'idée d'utiliser pour la musique religieuse. Je n'ai pas eu la satisfaction d'entendre cette « prima donna » de la « Salvation army », et il m'a fallu me contenter du sermon improvisé par une autre soeur, un squelette en jupons, dont le visage émacié disparaissait au fond du disgracieux chapeau que l'on


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sait. Et quelle voix! quels accents! quelles attitudes! Tout enfin d'une illuminée ou, si l'on veut, d'une de ces pauvres filles que soignait jadis le docteur Charcot, à la Salpêtrière.

Le même soir, un autre prêche réunissaitje ne sais quelle autre secte sur le quai, auprès de la statue du prince- Albert. Personnel mieux composé; point de drapeau, point d'uniformes; rien qui visât à l'effet ni qui prêtât au ridicule. Les cantiques étaient chantés à quatre parties, d'une façon très soignée, et accompagnées par un harmonium. L'organiste s'est produit aussi; comme orateur; il m'a semblé que le maniement djela parole lui était moins familier que le jeu des touches d'ivoire.

Ces sermons en plein vent, mêlés de musique, peuvent exciter un instant la curiosité de l'étranger; ils ne sauçaient longtemps l'aider à résoudre le problème des soirées à passer dans une ville telle que Saint-PierrePort,, où les distractions sont rares, où la plupart des magasins se ferment de bonne heure, ce qui enlève aux; rues commerçantes toute animation, toute gaîté d'aspect;, une:ville enfin où lies cafés, ces refuges du voyageur désoeuvré, font totalement défaut.

Le théâtre, « Saint-Julian's Hall», offre tout juste l'attrait d'une scène foraine; sans y pénétrer, j'ai pu, d.u dehors, juger de la valeur de l'embryon d'orchestre qui y fonctionne. En compensation nous avons eu la bonne fortune d'assister, un soir, au concert de la musique militaire.

A ljoccasion de l'exposition organisée par la Société


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royale d'Agriculture et d'Horticulture, dans « Candie grounds », jardin public entretenu aux frais des États de Guernesey, la « band » du Royal Fusiliers, le régiment d'infanterie en garnison dans l'île, se faisait entendre.

C'est aux accents de la musique d'Auber, douce à nos coeurs caennais, que nous faisons notre entrée dans le jardin, brillamment illuminé: on joue le n° 3 du programme, l'ouverture de la Muette {Masaniello pour les Anglais). Au centre du kiosque se tient un personnage dont l'uniforme ressemble à s'y méprendre à celui des palefreniers de nos haras : c'est le « bandmaster », M. Frédéric Coleman; il ne porte d'autre arme que son stick, qui lui sert de bâton de mesure.

Le sous-chef, qui joue la grande flûte, tire bien autrement l'oeil avec sa tenue de sous-officier: la tunique rouge galonnée, l'écharpe orange en sautoir, le sabre de cavalerie au côté. Quarante musiciens environ composent l'effectif; plusieurs d'entre eux sont gradés, des gagistes probablement, ce qui prouve que le « Department of the war » montre plus de sollicitude et de générosité, à l'égard des musiques de régiment, que notre ministère de la guerre.

Douze exécutants au pupitre des clarinettes, un basson, un unique saxophone, quatre cors à pistons, une contrebasse à cordes et une paire de timbales: telles sont les particularités à noter dans la composition du corps de musique. La grosse caisse est battue par un grand gaillard d'environ six pieds. Après chaque morceau, les musiciens quittent l'es-


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trade, allument une cigarette et vont se promener avec leurs amies et connaissances. Nous profitons de ces entr'actes pour visiter l'exposition, installée d'une façon assez sommaire sous des tentes, et nous admirons tour à tour les divers spécimens de l'horticulture guernesiaise: les lys aux pétales larges et dorés, les fuchsias gigantesques, les verts araucarias, les légumes appétissants, mais surtout les tomates rebondies et les succulents raisins noirs, qui croissent en abondance dans les serres innombrables dont l'île est couverte.

Il serait absurde de prétendrejuger de la valeur de la musique militaire anglaise, en général, d'après l'audition d'une simple bande. Celle du Royal Fusiliers me paraît répondre, sinon comme composition, au moins comme force, à celles de nos musiques régimentaires qui sont cantonnées à demeure dans les petites villes. La sonorité y est assez pleine, mais sans éclat; l'ensemble manque de celte précision qui est une des qualités de nos musiques; les nuances laissent à désirer. Ajoutons que le chef, M. Coleman, dirige froidement et avec quelque mollesse, tandis que, de leur côté, les solistes ne font preuve que d'un talent fort ordinaire.

Parmi les morceaux portés au programme,j'ai écouté surtout avec intérêt les « Réminiscences » de Balfe, l'auteur du Puits d'amour, et une sélection sur Haddon Hall, opéra d'un des meilleurs compositeurs anglais modernes, Sullivan. Les motifs, sans présenter beaucoup d'originalité, ont au moins du charme et de la franchise.

A Serk, la musique que l'on entend surtout, c'est lo


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mugissement de la mer, lorsqu'elle se brise avec violence sur la masse rocheuse, si étrangement découpée et contournée ; c'est le grondement sourd du flot au fond des grottes; c'est le silflement du vent au sommet des promontoires et sur l'isthme de la Coupée, étroit et dangereux trait d'union entre le Grand et le Petit Serk; c'est enfin le cri des mouettes, dessinant dans leur vol une courbe gracieuse des rochers à la mer. «le ne serais pas surpris, pourtant, que l'instrument détesté de l'auteur de Sigurd) le piano, ait franchi plus d'une fois le tunnel qui donne accès dans l'île, où quelque villa perdue sous les ombrages lui aura offert un abri* Il existe à demeure, sans nul doute, dans les deux hôtels qui sollicitent le voyageur, et plus sûrement encore, au manoir seigneurial. Mais tout cela est du domaine privé, et ne saurait nous occuper davantage.

Ce qui peut, en somme, donner quelque intérêt aux faits qui viennent d'être rapportés, c'est leur caractère de nouveauté pour quiconque les observe pour la première fois. Disons aussi que ce ne sont pas des impressions musicales que l'on va chercher dans un voyage aux îles de la Manche, pas plus qu'on ne doit s'attendre à y trouver l'équivalent de nos églises normandes, ou des châteaux des bords de la Loire*

Elles ont autre chose à nous offrir, ces îles, où le Français d'autrefois et l'Anglais d'aujourd'hui se mélangent dans une proportion qui, hélas! tend à favoriser progressivement ce dernier; où tant de choses relevant de ce que nous appelons l'ancien régime font alliance avec la mise en application des idées les plus moder-


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nés. Le soin apporté à leur parure intérieure, à la mise en valeur de leur sol, réjouit avant tout l'homme pratique; devant le désordre pittoresque de leur ceinture de côtes, l'artiste, l'homme de goût se délectent à loisir. Et le musicien de passage qui, blotti dans un coin de falaise, s'abandonne à la rêverie, vis-à-vis de cette immensité bleue, parsemée de taches grisâtres, frangées de blanc, lesquelles sont autant d'écueils, y écoute avec ravissement la plus belle des symphonies: la symphonie de la nature.

12 septembre 1894.




ISIDORE PIERRE

J>OYEN DE LA ^ACULTÉ DES jbCIENCES DE >CAEN,

^OFFICIER DE LA J,ÉGION D"JIONNEUR, ■J4EMBRE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT, *TC. ETC.

Jit A )3UNO-)30NNEVAUX (SEINE-*OISE), LE 14 J^OVEMBRE 1812,

JDÉCÉDÉ A -CAEN, LE 7 NOVEMBRE 188«.


CONCOURS DE SCULPTURE

Pour un buste h M. I. PIERRE

Il est de bon ton (!) de plaisanter la statuo et la busto-manie ; on me permettra de n'être en aucune façon de l'avis des moqueurs. « Vous êtes orfèvre, M. Josse », me dira-t-on.

Ce n'esi pas cette petite raison personnelle qui me réjouit lorsque je vois des concitoyens rendre hommage à un homme utile; j'y vois l'enseignement donné à tous de faire quelque chose pour la masse. J'y vois bien une récompense posthume, et souvent bien tardive, accordée à un bon citoyen, et une émulation pour les vivants à faire tous leurs efforts pour se rendre dignes d'une si belle récompense.

J'y vois une tentative de décentralisation artistique qu'on ne saurait trop encourager, et dont les fruits ne se font souvent pas longtemps attendre: Casini, Benêt, Lemarquier, lauréats à Paris, ne sont-ils pas sortis de concours pareils à celui que nous avons eu à juger il y a quelques jours, et dont mes collègues du jury ont bien voulu me faire l'honneur de me nommer rapporteur? Puisse le concours de 1893 être aussi fécond pour l'art que l'ont été les précédents


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Vous m'excuserez, mes chers Collègues, de ne pouvoir, à mon grand regret, vous lire moi-même ces quelques lignes; mais vous m'approuverez de ne pas vouloir quitter mon atelier, lorsque vous saurez que je donné tous mes soins à faire revivre la grande figure historique d'un homme illustre (1) qui a fait beaucoup pour la liberté de la patrie, et que je compte bientôt pouvoir mettre sous votre bienveillant patronage.

La Société d'Agriculture avait prié sa soeur d'ouvrir uri (ioncoûrâ pour donner un digne pendarit ah remarquable buste dé M. Morière; le choix de M. Isidore Pierre, ami et rival de M. Morière lorsqu'il s'agissait de faire progresser notre agriculture, était tout indiqué. Une quinzaine de concurrents ont tenté de rendre cette figure sympathique; présente encore à toutes les mémoires. Plusieurs^ à différents titres; ont réussi; et, si les lauréats des cohcours précédente ne s'étaient abstenus pour des raisons que hous déplorons tous, tout en les ignorant, le concours eût été digne de s'ouvrir dans la salle Melpomène^ à l'École des Beaux-Arts. Mais l'abstention des uns ne saurait eh rièh diminuer le mérite des autres.

Dès l'âbor'd) cinq des bustes ont été réservés; lés autred ayant été successivement écartés; soit que la ressemblance fût trop sommaire; soit que l'exécution trahît une hiain par trop inhabile.

Il nous reste à apprécier (ici; je brois parier au nom de toute la commission) les cinq dtivragès jugés dignes de récompense.

(1) Le connétable de Richmond.


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Au premier tour de scrutin, toutes lés vbix se sont portées sur la devise SPES. L'auteur a bien rendu là physionomie douce et en même temps énergique de M. Pierre; le modelé est bon, quoique 1 parfois utt peu sec. 11 semble que l'auteur ait été hahté pal 4 cette idée que, pour un concours de province, il lallâit lécher son oeuvre. Cette préoccupation a Failli être fatale à M. de Basly, et nuit un peu à l'aspect-du buste.

Tout autre est SDRSUISÏ CORDA, qui lé suit fohgô ridh ihtèrûdllo (4 voix sur 5). La recherche Uh peu minutieuse qui a présidé à l'exécutioh de l'un est par trop négligée dans l'autre. L'oeuvre de M. DUbois eût beaucoup gagné à n'être pas traitée en esquisse, surtout Si l'artiste n'avait pas donné au modèle un air de tête qu'il n'a jamais eu.

Fiducia vient ensuite. La pose est bonne, le modelé suffisant; malheureusement, la tête, trop petite sur des épaules trop larges, produit un effet désagréable, et tout le buste est, du reste, à une échelle peu décorative. M. Maugendre Villers a tout ce qu'il faut pour réussir une autre fois et obtenir la première place.

Science et Agriculture (M. Brunet) et Nul bien sans peine (M. Guérin) ont paru au jury dignes d'une mention honorable.

Un peu froid et sec Science et Agriculture, mais d'une assez grande ressemblance. (Il est bien difficile de retoucher un plâtre sans sécheresse.)

Nul bien sans peine pèche par la ressemblance. La tête trop courte. L'arrangement est assez ingénieux, et


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l'auteur a évidemment pensé à donner un pendant au buste de M. Morière. Il est fâcheux que cet artiste, évidemment un jeune homme (des inexpériences de modelé l'indiquent clairement), n'ait pas plus d'acquit ou n'ait pas été mieux dirigé: son oeuvre était certainement la plus décorative, et a été fort remarquée.

Permettez-moi, Messieurs et chers Collègues, d'insister sur ce buste. J'ai, après le jugement, appris que M. Guérin n'a que 19 ans. J'ai été une première fois bon prophète en vous signalant Lemarquier; j'espère, puisque j'ai eu le bonheur de faire déjà mentir le proverbe, le forcer une seconde en disant : Guérin sera sculpteur, et je vous le recommande.

A. J. LE DUC.

Novembre 1893.


ANNÉE 1894-1895



PREIVUÊRE PARTIE

PROCÈS-YMMCX MS mm$

SÉANCE DU VENDREDI 9 NOVEMBRE

PRÉSIDENCE DE M. JULES CARLEZ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le Secrétaire communique à la Société les démissions de MM. Carré de Malberg, nommé professeur à la Faculté de droit de Nancy, Bruel et Chevalier.

Le Secrétaire annonce que M. Peschard, délégué de la Société au congrès de l'Association pour l'avancement, des sciences, lui a rendu compte des diverses communications qu'il avait adressées à ce congrès, et a bien voulu prendre l'engagement de rédiger à ce sujet un rapport destiné à être présenté à la Société.

Le Secrétaire lit le rapport suivant sur les comptes de l'exercice 1893-94, présentés par le Trésorier au Conseil d'administration,et approuvés à l'unanimité parce Conseil,


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I. — COMPTES SPÉCIAUX

1° COMPTES DES CONCERTS

Concert du 26 janvier 1894. Dépenses . 362 fr. 50 Concerts des 10 et 11 mars 1894. Excédent de recettes ......... 304 55

Déficit sur les concerts. . 57 fr. 95

2° EXPOSITION DES BEAUX-ARTS

Dépenses 4.455 fr. 15

Recettes 4.170 65

Déficit sur l'exposition. . 284 fr. 50 H. — Gompte général de l'exercice 1893-189-4

1° RECETTES

Encaisse du Trésorier 46 fr.75

Retiré de la Banque Bellamy .... 800 »

Cotisations et diplômes 2.170 20

Subvention du Conseil général . . . 400 » Intérêts des fonds déposés à la banque

Bellamy 280 »

Traites payées par la banque Bellamy . 90 »

Total des recettes. . 3. 786 fr. 95


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2° DÉPENSES Sur l'exercice précédent, reliquat:

Traitement du concierge (2e semestre) . 87 fr. 50

Chauffage, éclairage, tapis 28 25

Dépense du bibliothécaire (mobilier et

reliure) 52 90

Note de M. Mahieu (concerts de 18911892)

18911892) 50

Abonnements 27 50

Impressions 471 30

Prix du concours Isidore Pierre . . . 300 »

Total. . 1.104fr.95

Exercice 1893-1894

Déficit sur les concerts et l'exposition . 342 fr. 45

Achats de livres et reliure 324 50

Abonnements 224 »

Correspondance, recouvrements, frais

de bureau ............ 68 55

Impressions (convocations et diplômes). 177 65

Traitement des employés de la Société. 256 60 Versé en compte courant à la banque

Bellamy 230 »

Reliquat delà somme déposée au même

compte 600 »

A reporter. . . 2.273 fr. 75


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Report. . . , . 2.273 fr. 75

Remboursement des traites payées par la banque Bellamy 90 »

Total. . 2.363 fr. 75 Sur l'exercice précédent. . 1.104 95

Total général des dépenses. . 3. 468 fr. 70 3° BALANCE

Recettes 3. 786 fr. 95

Dépenses 3 468 70

Excédent de recettes. . 318 fr. 25 4° SITUATION

La situation, au 3 novembre 1893, présentait un actif

de 8.257 fr. 95

L'actif, au 31 octobre 1894, est de. . . 8.420 25

Différence. . 162 fr. 30

5° PERSONNEL

La Société comptait au début de l'exercice, membres , . 194

Elle en a admis durant l'exercice .... 33

Total. . . 227 Il en faut déduire, décès et démissions . . 19

Reste. . . 208


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6° OBSERVATION

Pour avoir le compte total des recettes et des dépenses de l'exercice 1893-94, il faudrait ajouter au compte qui précède les comptes spéciaux de l'exposition et des grands concerts du mois de mars; le mouvement de fonds a, en effet, atteint 25,000 fr. en recettes et en dé~ penses. Mais ces comptes spéciaux ne doivent figurer au compte général que pour leur reliquat. En effet, ils ont été antérieurement exposés et approuvés, et, d'autre part, ils n'ont doriné lieu à aucune opération de trésorerie; les dépenses afférentes à chacun d'eux ayant été, en fait, payées avec les recettes, et le reliquat seul ayant été pris sur les fonds disponibles de la Société.

Les comptes de l'exercice 1893-94 sont adoptés à l'unanimité, et l'assemblée, sur la proposition de son Président, vote des remercîments à M. le Trésorier.

Le Secrétaire soumet à l'approbation de l'assemblée le projet de budget suivant pour l'exercice 1894-95 :

RECETTES

205 cotisations 2. 050 fr.

Subvention du Conseil général . . . 400 Intérêts des fonds placés à la banque

Bellamy 280

Total. . . 2 730 fr.


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DÉPENSES

Impressions 1 000 fr.

Achats de livres 400

Abonnements à la Revue des DeuxMondes, à l'Art, à l'Artiste, à l'Art pour

tous, à la Gazette des Beaux-Arts . . . 230 Abonnement à la Société française de

gravure 50

Reliure 100

Éclairage et chauffage 25

Traitement de M. Machpy 150

Traitement de M. Bourienne .... 175

Frais généraux et dépenses diverses. . 600

Total. . . 2.730fr.

Le projet de budget est adopté à l'unanimité.

Le Secrétaire transmet à la Société une demande de souscription qu'il a reçue, relativement à deux ouvrages intitulés: 1° La Sculpture française, 2° L'Art gothique.

Après échange d'observations entre MM. DecauvilleLachénée et le Secrétaire, l'examen de cette question est renvoyé à la commission delà bibliothèque.

Sur la proposition de MM. Laumonier et de plusieurs de ses collègues, M. V. Tesnière est élu Président honoraire de la Société.

M. Legentil lit une étude sur la bibliothèque de la


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Société depuis sa fondation,et relate ses accroissements successifs et les diverses modifications qui ont été introduites dans son règlement. La séance est levée à 9 heures 1/2.

. Le Secrétaire,

Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI M DÉCEMBRE 1894

PRÉSIDENCE DE MM. JULES CARLEZ ET GÀSTË,

PRÉSIDENTS

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. Tesnière, élu Président honoraire dans la dernière séance,adresse ses remercîments à ses collègues, et les assure de son dévoûment aux intérêts de la Société.

Le Secrétaire annonce à la Société les démissions de MM. Gervaise et Cautru.

M. Lumière, Vice-Président, offre à la Société son ouvrage sur le Théâtre français pendant la Révolution.

Le Secrétaire, au nom du conseil d'administration, propose à la Société :

1° De fixer à 1,000 fr. le budget des concerts en 18941895; cette proposition est adoptée.

2° De faire face à cette dépense en admettant aux concerts d'une importance particulière des étrangers qui devront payer leurs places, et en prélevant un droit de 0 fr. 50 sur les places réservées à l'avance. Cette seconde proposition est également adoptée.

Sur la proposition de M. Ravenel et de plusieurs de ses collègues, il est décidé que les sociétaires et leurs


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familles auront seuls droit, en principe, aux places réservées.

Sur la proposition de M. le Président, deux médailles sont offertes à la ville pour l'Ecole nationale de musique et l'École des Beaux-Arts.

Il est procédé au renouvellement du bureau pour l'année 1894-95.

Le Secrétaire rappelle que M. Jules Cariez, Président sortant, n'est pas rééligible. Sont élus :

Président, M. A. Gasté ;

Vice-Présidents, MM. Langlois et Lumière;

Secrétaire, M. Robert Liégard ;

Vice-Secrétaires, MM. A. Prempain et Ed. Manchon ;

Trésorier, M. Laumonier ;

Bibliothécaire-archiviste, M. Decauville-Lachénée ;

Bibliothécaire-archiviste adjoint, M. Magron ;

Membres du Conseil d'administration pour trois ans: MM. F. Jacquier, de Formigny de la Londe et Le Bouteiller; pour deux ans, M. Huard.

Mm° Mabille, propriétaire, et M"" Jouvet, professeur de musique, sont admises au nombre des membres de la Société.

La séance est levée à 9 heures 3/4.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.


SÉANCE OU VENDREDI II JANVIER 1895

PRÉSIDENCE DE M. GASTÉ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le Secrétaire rappelle les conditions que devront remplir les ouvrages présentés au prochain congrès des sociétés des Beaux-Arts.

Il invite ses collègues à désigner un délégué au comité en voie de formation à Caen, pour concourir à l'organisation du musée des photographies documentaires.

M. Gasté, Président de la Société, est désigné pour remplir cette fonction.

M""" Bellenger, propriétaire, M"" J. Corchon, propriétaire; M""Correy, professeur d'anglais, et M. Delafosse, négociant, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. Gasté lit une étude sur les tapisseries des Ursulines de Caen, représentant l'embarquement et le martyre de sainte Ursule et de ses compagnes. Après avoir indiqué pourquoi il convient d'admettre que ces tapisseries ont été faites à Caen, il établit, lant à l'aide de ses recherches personnelles que des renseignements qui lui ont été fournis par MM. F. Engerand et


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Mabilleau, que les cartons mêmes doivent être attribués à un peintre caennais nommé La ChampagneLafaye. La séance est levée à 9 heures 1/4.

Le Secrétaire,

Robert LIÉGARD.


SÉANCE DU VENDREDI 8 FÉVRIER 1895 PRÉSIDENCE DE M. GASTÉ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

A propos du procès-verbal, M. Gasté présente de nouvelles observations sur les tapisseries des Ursulines, et fait le rapprochement des personnages représentés sur ces tapisseries avec ceux qui figurent sur le tableau n°88du catalogue du musée de Caen (Massacre des onze mille Vierges), attribué à Franz Frank.

Le Secrétaire annonce la démission de M. May.

Le Secrétaire annonce que la médaille offerte par la Société à l'Ecole nationale de musique a été attribuée cette année à M. Bisson, élève de M. Caulier dans la classe de violon.

M"" Doublet, propriétaire à Caen; MM. Mabillëau, professeur à la Faculté des lettres; Lignier, professeur à la Faculté des sciences; Tony Genty, avocat; Tardy, dessinateur; Mofras, conseiller municipal; Sebire, directeur de la Société générale; Duchemin, notaire à Caen; Peulevey, architecte; Pezeril, propriétaire; Amiel, professeur à l'École nationale de musique, sont admis au nombre des membres de la Société.

M. Cariez, ancien Président de la Société, lit une


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notice sur la musique dans l'archipel anglo-normand. Après avoir constaté que les arts sont,en somme,un peu négligés à Jersey comme à Guernesey, il constate l'état actuel du théâtre et des établissements musicaux dans ces deux îles et donne, en terminant, d'intéressants détails sur la musique en plein air, et spécialement sur les concerts donnés par les musiques militaires anglaises. La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,,

Robert LIÉGARD.


SÉANCE OU VENDREDI 8 1ARS 1895

PRÉSIDENCE DE M. LUMIÈRE, VICE-PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures. * Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président communique à la Société les excuses de MM. Gasté, Président; Decauville-Lachénée et Travers, qui n'ont pu se rendre à la séance vu leur état de santé.

Répondant à diverses questions, le Secrétaire explique les causes qui ont retardé jusqu'ici la publication du Bulletin de 1893. Il fournit aussi des détails sur la composition du Bulletin de 1894, qu'il compte, malgré tout, pouvoir publier avant la fin de l'année.

lie Secrétaire, au nom du Conseil d'administration, propose à l'assemblée les mesures suivantes, qui sont successivement adoptées après échange d'observations:

1° Un concert exclusivement réservé aux sociétaires sera donné le samedi 16 mars courant;

2° Les grands concerts, sous la direction de M. Georges Auvray, auront lieu les samedi 30 et dimanche 31 courant;

3° Le festival populaire du dimanche 31 mars aura lieu dans la salle du manège, à l'Ecole d'équitation;

4" Le tarif des places pour ces deux concerts sera le


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même -jue celui qui avait été adopté l'année dernière.

M""" Courty et Drouin, propriétaires à Caen ; M. l'abbé Héroux, aumônier du pensionnat Saint-Joseph; M. l'abbé Basley, curé d'Allemagne; MM. Delarbre et Lagouelle, propriétaires; Talaucher, négociant; H. Joly, avocat à la Cour d'appel ; Dubuc, inspecteur d'Académie; Fabre, restaurateur; Perret, propriétaire; Renault, professeur au lycée; de Combiens, directeur d'assurances, sont admis au nombre des membres de la Société.

La séance est levée à 9 heurBS 1/2.

Le Secrétaire,

Robert LiÉGARD.


SEAICE DU VEIDREDI 10 IAI »M5

PRÉSIDENCE DE M. A. GASTÉ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.

L'ordre du jour appelle la discussion de la réforme à introduire clans le règlement de la circulation des périodiques.

M. le Président fait l'exposé de la question.

M. Laumonier propose la création d'une catégorie spéciale de membres dits abonnés, qui n'auraient pas le droit de recevoir les périodiques.

Le Secrétaire fait observer que cette création serait une réforme des statuts qui ne peut être discutée comme accessoire d'un projet n'intéressant que le règlement de la bibliothèque. Il estime, pour sa part, qu'il sera nécessaire d'en arriver prochainement à une modification des statuts, mais que cette réforme devra être sérieusement étudiée par le bureau, et portée ensuite à l'ordre du jour d'une séance de l'assemblée générale.

Après diverses observations de M. le Président, de MM. Decauville-Lachénée et Travers, il est décidé que l'on maintiendra provisoirement le règlement actuellement en vigueur en ce qui concerne la circulation des périodiques.


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M. Gasté, Président, communique à la Société deux extraits de la correspondance de Daniel Huet, relatifs à un portrait qu'il voulait faire exécuter par un artiste caennais, se préoccupant surtout du bon marché de l'oeuvre bien plus que de sa valeur artistique.

Mm" Ledart et Trinité, propriétaires à Caen ; JVL l'abbé Huet, aumônier des Petites Soeurs des Pauvres; MM. Casset, étudiant; Meignan, avoué près la Cour d'appel, et F. Engerand,publrciste, sont admis au nombre des membres de la Société.

La séance est levée à 9 heures.

Le Secrétaire, Robert LÎÉGARD.


SÉAICE DU VENDREDI 13 JUIN 1895 PRÉSIDENCE DE M. A. GASTÉ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

M. le Président offre à la Société un exemplaire de sa notice sur le calice dit de Bossuet, au prieuré du Plessis-Grimoult.

M. le Président communique à la Société :

1° La circulaire ministérielle relative au congrès dessociétés des Beaux-Arts en 1896;

2° Une lettre qui lui a été adressée et dans laquelle on réclame le dégagement absolu de l'abside de SaintPierre.

Le Secrétaire dépose sur le bureau un exemplaire du Bulletin de la Société pour les années 1892 et 1893.

M. le Président annonce que M. Tesnières se proposait de soumettre à la Société un voeu tendant à ce que la direction du musée de la ville fût confiée à un artiste qui serait, en même temps, chargé d'un cours à l'École municipale des Beaux -Arls.

En l'absence de M. Tesnières, cette proposition est reprise par le Secrétaire.

M. Mabilleau la combat en soutenant qu'il est contraire à l'usage actuel de confier la direction des musées


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à des artistes; qu'une pareille mesure, inutile à Caefl, pourrait, en outre, avoir de sérieux inconvénients. Le Secrétaire répond et défend le projet de résolution. M. Ravenel soutient que, seul, un peintre peut bien diriger un musée de tableaux.

M. Mabilleau pense au contraire que, seuls, les érudits peuvent s'occuper avec fruit de l'organisation des musées.

M. Engerand, parlant dans le même sens, estime qu'il ne faudrait pas nommer de conservateur au musée, mais bien une commission administrative.

Après une réplique du Secrétaire, qui critique le système des commissions, M. Tessier propose à la Société de s'abstenir de tout voeu à propos de la direction du musée.

Après de nouvelles observations de M. Mabilleau, le Secrétaire maintient son projet de résolution, qui est mis aux voix et repoussé.

Le Secrétaire annonce que la tombola, dont le tirage aura lieu dans la prochaine séance, comprendra deux tableaux: « Les Glaneuses », de Berthélemy, et le « Temps gris sur la Seine », de R. Dupont. La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire, Robert LIÉGARD.

18


SÉAHCE DU VENDREDI 12 JUILLET 1895

PRÉSIDENCE DE M. A. GASTÉ, PRÉSIDENT

La séance est ouverte à 8 heures.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le Secrétaire communique à la Société la démission de M. Tasset.

Il est procédé au tirage de la tombola.

Le tableau de M. R. Dupont, « Temps gris sur la Seine», est attribué au numéro 41, appartenant à M. Langlois; et le tableau de M. Berlhélemy,« Les Glaneuses», est attribué au numéro 157, appartenant à M. Baraudet.

M. Gasté, Président, lit une notice sur un portrait de d'Alembert appartenant à M. Danjon; il établit par une série de documents que ce portrait est bien l'oeuvre originale de Latour, dont l'étude préparatoire est au musée de Saint-Quentin. Ce portrait, légué par d'Alembert à Condorcet, fut donné par M"' 1' de Condorcet à l'architecte Harou Romain, aïeul maternel de M. Danjon.

M. le Président lit une notice de M. F. Engcrand sur !.■; peintre caennais Tournières, né à Caen le 1G juin 1G68, décédé le 18 mai 1752. Dans cette notice, M. Engcrand raconte comment Tournières prit le pseudo-


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nyme sous lequel il est connu, comment il reçut, à Caen, les premières leçons de son art, et connut ensuite, à Balleroy, Bon Boulogne, qui l'emmena à Paris. Il rappelle son admission à l'Académie, raconte ses dernières années, et termine en donnant la liste de ses envois aux Salons annuels. La séance est levée à 9 heures 1/2.

Le Secrétaire,

Robert LIÉGARD.



ANNEXE AUX PROCÈS-VERBAUX

CONCERTS DE -1895

Acte I"

LA MAGDALÉENNE A LA FONTAINE

1. Introduction et choeur: Le Soleil effleure la plaine.—La Magdaléenne

vers nous s'avance.

2. Air: 0 mes soeurs, je veux fuir loin des bruits de la terre (Meryem).

3. Choeur: La belle pécheresse oublie et ses discours et sa folie.

4. Air: Écoute, Meryem, le conseil d'un ami (Judas).

5. Choeur de l'Insulte: Vainement tu pleures, nul ne te croira.

6. Air et Trio: Vous gui flétrissez les erreurs des autres (Jésus, Meryem,

Judas).

7. Finale: Va, sois illuminée (Meryem, Jésus, Judas, Choeur).

Acte 11

JÉSUS CUEZ LA MAGDALÉENNE

i ■ Introduction et choeur des servantes : Le seuil est paré de fleurs rares

(Marthe, servantes et Meryem). 2. Duo : Marthe, on m'a dit (Marthe, Judas).


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3. Récit et Alléluia : VOICI que le soleil descend (Meryem, Marthe, Judas)

4. Duo: Marthe va prépare)- le festin (Meryem, Jésus^.

5. Scène et Prière: Marthe, ah! combien tu nom causes d'alarmes (Jésus,

Judas, Disciples).

Acte III

LE GOLGOTHA

1. Choeur du Supplice: Celui-là, c'est Jésus (Jésus, Choeur).

LA MAGDALÉENNE A LA CROIX

2. Récit, Air, Scène et Choeur: Femme, éloigne-loi( Meryem, Jésus. Choeur).

LE TOMBEAU DE JÉSUS ET LA RÉSURRECTION

3. Introduction, Strophes et Choeur: Qu'elle est lente à venir la douloureuse

douloureuse (Meryem,les Saintes Femmes).

4. Apparition et Choeur final (Meryem, Jésus, Choeur).

Exécution dirigée par M. A. DUPOiW

PREMIÈRE PARTIE

1. Ballet de Cinq-Mars GOUNOD.

A. Entrée des petits soins.

B. Entrée des billets doux et des petits vers.

2. Concerto pour clarinette WEBER.

M. BUARD.

3. Thaïs (prélude) MASSENET.

Orchestre. Le solo de violon par M. DU SAUCET.

4. Marie-Magdeleine (Choeur) MASSENET,

5. Caprici) hongrois pour violoncelle DUNKLER.

M. FURET.


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6. Suite d'orchestre BIZET.

Berceuse (La poupée).

Duo (Petit mari, petite femme\

Galop (Le bal).

Quête pour les pauvres

DEUXIÈME PARTIE

A. Menuet LACOME.

B. Valse lente et fnrandole R. PUGNOT.

2. Marie-Magdeleine (Choeur) MASSENET.

3. Ballade et polonaise pour violon ViEUXTEMrs.

M. AMIEL.

A. Solitude GODARD.

4.

B. Valse WIDOR.

M. FURET. 5. Marie-Magdeleine (Duo et Choeur) MASSENET.


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4. Scène de \aCzarda, pour violoncelle, avec accompagnement

accompagnement J. HUBORY.

M. FURET, 1er prix du Conservatoire.

5. Scènes pittoresques MASSENET.

A. Marche.— B. Angélus. — c. Fête bohème.

6. Air du Tanhailser R. WAGNER.

Mll0Thérèse GANNK, soprano, prix du Conservatoire.

7. Danse macabre SAINT-SAEKS.

Le solo de violon parM.P. MONTEUX.

8. Quatuor d'Henri VIII. SAINT-SAKNS.

MI|C" Thérèse GANNE, THÉVENEAU; MM. GAUTIER et P. V.

I A. Danse d'aimées J

9. ,. . „ } G. AUVRAY. / B. Marcietto exotique \

QUÊTE POUR LES PAUVRES

DEUXIÈME PARTIE 4. Air de ballet de la Tempête A. DUVERNOY.

1A. Nocturne en ré bémol CHOPIN, B. Valse chromatique GODARD.

Pour piano. — M" 0 Victoria BAKRIÈRE, premier prix du Conservatoire.

3. Romance de Werther MASSENET.

M. GAUTIER.

i. Poèmes d'amour, pour orchestre Alex. GEORGES.

Poésies dites par M. DERVILLY, directeur du théâtre

municipal: Adam et Eve. — Dante et Béatrix. — Endymion et Diane.— Daphnis et Chloé. — Vénus et Adonis. — Manon et des Grieux. — Judith et Holopherne.

i A. Printemps nouveau • P.VIDAL.

f B. Pensée fugitive G. CHRÉTIEN.

M"e Thérèse GANNE.

6. Adagio et Canzonetta du Concerto romantique . . B. GODARD.

M. Pierre MONTEUX, prix du Conservatoire, soliste des concerts Colonne.

7. Parade militaire MASSENET.

Accompagnateur!: MM. A. DUPONT et Maurice LAPEYEEE


— 237 -

Première Partie

1. Ouverture, prélude des Folies amoureuses. . E. PESSARD.

2. Lakmé L. DELIBES.

A. La Cabane. — B. Les Fifres.

3. Air à'Aida VERDI.

M. GAUTIER, ténor, prix du Conservatoire.

l A. Choeur des Fileuses du Vaisseau fan4.

fan4. tome WAGNER-LISZT.

( B. Danse hongroise pour piano .... BRAHMS. Mlle Victoria BARRIÈRE, 1" prix du Conservatoire.

5. Air du Songe d'une nuit d'été A.THOMAS.

M"' Thérèse GANNE, prix du Conservatoire.

6. Danse macabre SAINT-SAENS.

Le. solo de violon par M. P. MONTEUX.

7. Caprice hongrois (redemandé), avec accompagnement

accompagnement DUNKLER-SARRASATE.

8. La Tentation de saint Antoine (divertissement

du 1er acte) G. AUVRAY..

A. Les Égyptiennes. — B. Polkctta. — c Intermezzo.— D. Variations valse.

QUÊTE POUR LES PAUVRES


— 238 —

Deuxième Partie

1. Polonaise en la (Orchestrée par G. AUVRAY) . CHOPIN.

2. Polonaise pour clarinette WEBER.

M. RICHARDOT, 1er prix du Conservatoire.

3. Mélodie . , . . , FLÉGIER.

M. GAUTIER.

4. Poèmes d'amour, pour orchestre Alex. GEORGES.

Poésies dites par M. DERVILLY, directeur du

théâtre municipal : Adam et Eve.— Dante et Béatrix. — Daphnis

et Chloé. — Vénus et Adonis. — Manon et

des Gneux. — Judith il Bolophane.

5. Berceuse et capriccio J. DANBÉ.

M. P. MONTEUX, prix du Conservatoire, soliste des concerts Colonne

j A. Sérénade PIERNÉ.

« B. Ariette P. VIDAL.

Mlle Thérèse GANNE.

7. Divertissement japonais Ed. LAURENS.

A. Entrée en forme de marche.— B. Divertissement. — c. Finale.

Aeeompagntttnn : Mf. A. DÏÏPONT & Maurice LAPEYSBE



Cliché H. MACHO*.

DALEMBERT

DAPRÈS LE PASTEL ORIGINAL DE DE LA TOUR


DEUXIÈME PARTIE

MÉMOIRES ET DOCUMENTS DIVERS

LE PORTRAIT ORIGINAL

DE

D'A LEM BERT

Par QUENTIN DE LA TOUR

Nous ne croyons pas trop nous avancer en affirmant qu'un des savants professeurs de notre Faculté de droit, M. Daniel Danjon, possède un des plus beaux pastels de Quentin de la Tour, le portrait ORIGINAL de d'Alembert, peint en 1753.

Commençons par constater ceci, qui est un point important : c'est que M. D. Danjon est le petit-fils de Harou-Romain, l'architecte de l'hôtel de la préfecture du Calvados et de la maison centrale de Beaulieu.

Or, c'est dans la succession de Harou-Romain, son grand-père maternel, que M. D. Danjon a recueilli ce portrait de d'Alembert.


— 240 —

Mais comment ce portrait de d'Alembert est-il venu entre les mains de Harou-Romain? De la façon la plus simple. La veuve de Condorcet, qui était très liée avec la famille Harou-Romain, et qui fut la marraine de la mère de M. D. Danjon (1), avait donné à HarouRomain « un portrait en pastel de d'Alembert ». Ceci ne peut faire aucun doute. Voici, en effet, ce qu'on lit dans un fragment de lettre signée Harou-Romain, fragment que M. D. Danjon conserve avec le plus grand soin — on le comprend sans peine — dans ses papiers de famille, et que, du reste, il a fait photographier: « Il y a dans mon bureau quelques bosses en plâtre, c'est-à-dire des têtes d'après l'antique, à Mn,° de Condorcet (2); elle m'a donné dans le temps un petit tableau qui est dans notre sallon : c'est un paysage audessus du sopha... elle me donna encore un portrait en pastel de d'Alembert. Je te dis ces choses pour [déchirure], (ta) gouverne et répondre en cas de récla(1)

récla(1) à Y Appendice (n° II).

(2) Quand Condorcet fut décrété d'accusation, sa femme, née Sophie de Grouchy, dans un but qu'on ignore (sa sûreté personnelle, le soin de sa fortune peut-être, car elle aimait son mari) avait demandé le divorce.ei oioait de quelques leçons de peinture, à Auteuil, avec sa fille qui fut M"* O' Connor.

On sait comment Condorcet, après avoir erré dans la campagne et passé la nuit dans une carrière, fut arrêté dans une auberge de Clamart, et se suicida en absorbant le poison que lui avait donné son beau-frère Cabanis (5 avril 1704).

Pendant plusieurs mois la famille do Condorcet ignora sa mort. Ses biens se vendaient comme biens d'émigrés. Pour arrêter cette vente, M"'de Condorcet obtint, après avoir prouvé le décès de son mari, un arrêté de suspension de vente des biens, que le département de l'Aisne (Condorcet était de Ribemont) reçut en nivôse de l'an III. (Reçue du Nord, et article signé Adrian Villart, du Journal de Saint-Quentin, du 17 mars 1894.)

M"' de Condorcet, née on 1765, mourut à Paris le 6 septembre 1822.


— 241 —

mation [déchirure] (si l'on) avoit oublié ce qui s'est passé. » (1)

Il est donc incontestable que le portrait de d'Alembert possédé par M. D. Danjon a été donné à son grand-père, M. Harou-Romain, par Mrac de Condorcet. Or, nous savons, par Condorcet lui-même, que d'Alembert, en mourant, l'institua son légataire universel. « Il (c'est-à-dire d'Alembert), écrivait Condorcet au roi de Prusse, à la date du 22 décembre 1783, il a bien voulu me choisir pour héritier. » (2)

Nous ne possédons pas le testament autographe de d'Alembert. « Son testament, déposé chez M" Rameau, notaire à Paris, par acte du 29 octobre 1783 (jour de la mort de d'Alembert),a disparu de l'étude» (3); mais, dans le « procès-verbal des scellés apposés au château (sic) du Louvre après le décès de d'Alembert » (4), on lit ce qui suit (5) : « En exécution de notre susdite ordonnance, avons procédé à l'apposition de nos scellés et à la description sommaire des meubles et effets en

(1) Cette lettre porte le timbre de la poste du 30 mai 1819.

(2) OEuvres de Condorcet, édit. Arago, I, pp. 300-302.

Cf. GRIMM, Corresp. litt. oct. 1783; éd. Tourneux, t. XIII, p. 372: e M. d'Alembert a laissé et dû laisser peu de fortune... Il a nommé M. le marquis de Condorcet son légataire universel; il a légué 6,000 livres à un de ses domestiques et 4,000 à l'autre ; il charge son légataire de leur en donner davantage, si le produit de la succession le permet. On craint beaucoup que le marquis de Condorcet ne prenne dans sa bourse pour remplir cette partie du testament. Les meubles, livres et papiers du testateur n'équivalent pas à ces deux legs. »

(Voir aussi Lettre à Frédéric II, du 28 nov. 1783, ibid., t. XVI, p. 475.)

(3) CH. HENRY: OEuvres inédites de d'Alembert.

(4) ID., ibid., Appendice II.

(5) Archives nationales, section judiciaire. V» 94, première pièce.


— 242 —

évidence... Dans l'appartement où est décédé ledit sieur d'Alembert... le portrait du deffunt sieur d'Alembert dans son cadre doré. »

C'est évidemment ce portrait de d'Alembert, légué par d'Alembert lui-même, avec tous ses autres meubles, à son ami Condorcet, que M",e de Condorcet a donné à M. Harou-Romain.

Reste à prouver que ce portrait de d'Alembert, légué à Condorcet, est bien l'oeuvre de de la Tour.

Consultons d'abord la Correspondance de Grimm, à la date du 15 septembre 1753(1): <«. Le jour de SaintLouis, l'Académie royale de peinture et de sculpture lit l'ouverture de son salon, dans lequel elle exposa les différents ouvrages faits dans le cours de l'année... Nous arrivons aux portraits de M. de la Tour : il en a exposé dix-huit. Ce grand peintre a poussé l'art de ses portraits si loin, qu'il ne lui suffit pas de peindre parfaitement les ressemblances; il sait encore animer ses portraits et leur donner une vie qu'on n'a jamais connue avant lui. Il y a un grand nombre de portraits de gens illustres, entre autres celui de M. Duclos, de M. de la Chaussée, de M. l'abbé Nollet, do M. de Sylvestre, premier peintre du roi de Pologne, de M. le marquis de Voyer, de M. le marquis de Monfalembert, de M. de -la Condamine, de M. Rousseau, citoyen de Genève. Le

(1) Ed. Touracua; t. II, pages 281-84.


— 243 —

portrait de M. cPAlembert est surprenant. M. Marmontel a fait ces vers pour lui :

A ce front riant, dirait-on

Que c'est là Tacite ou Newton? » (1)

Si mauvais que soit ce distique de l'auteur de Bêlisaire, il est précieux pour nous, puisqu'il nous indique bien nettement l'air enjoué (2) que le peintre a donné à

(1) Voici la liste complète des 18 portraits exposés en 1753 par de la Tour: 1° Madame Le Comte tenant un papier de musique; — 2° Madame Geli (I3arbaut-Gelly); — 3" Madame de Mondonville appuyée sur un clavecin; — 4° Madame Huet, avec un petit chien ; — 5° Mademoiselle Ferrand méditant sur Newton; — 6° Mademoiselle Gabriel; — 7° Monsieur le marquis de Voyer, lieutenant général des armées du Roy, associé libre de l'Académie royale de peiiture et de sculpture;— 8° Monsieur le marquis de Monlalembcrt, mestre de camp de cavalerie, gourerneur de Villeneuve d'Avignon, associé libre de VAcadémie royale des sciences; — 9' Monsieur de Silcestre, écuyer, premier peintre du Roy de Pologne, directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture; — 10" Monsieur de Bachaumont, amateur; — 11° Monsieur W'atcl".t, receveur général des finances honoraire, associé libre de VAcadémie royale de peinture et de sculpture; — 12° Monsieur Nivelle (de la Chaussée), de l'Académie française; — 13° Monsieur Duclos, des Académies française et des Inscriptions, historiographe de France;— 14° Monsieur l'abbé Nollet, maître de physique de M. le Dauphin, de l'Académie royale des sciences et de la Société royale de Londres; — 15° Monsieur de la Condamine, chevalier de Saint-Lazare, de l'Académie royale des sciences, de la Société royale de Londres et de l'Académie de Berlin!— 16° Monsieur Dalembert, de l'Académie royale des sciences, de la Société royale de Londres et de celle de Berlin; — 17' Monsieur Rousseau, citoyen de Genève; — 18° Moniteur Manelli jouant, dans l'opéra du Maitre do musique, le rôle de l'imprésario.

Cette année, Fréron publia VÉ'ogc du Salon et des peintres en général et en particulier. Voici ce qu'il dit du portrait de d'Alembert : « Celui de M. Dalembert est étonnant pour la ressemblance. » (Champlleury, La Tour, pages 93-91.)

(2) De la Tour aimait à donner à ses portraits, et surtout aux portraits de femmes, l'air enjoué et aimable. Voici ce que dit a ce sujet M. Champlleury (La Tour, pages 41 et 42) : a Tous ces portraits de femmes peints p:ir La Tour


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son modèle, et qu'on retrouve dans le portrait possédé par M.D. Danjon.

Lorsque je vis ce portrait de d'Alembert pour la première fois (c'était il y a déjà six ou sept ans), j'engageai mon collègue, M. Danjon, à écrire soit à Versailles, soit à Saint-Quentin. M. Danjon suivit mon conseil et écrivit à M. Charles Gosselin, directeur du musée de Versailles, et à M. Th. Eck, conservateur des musées de Saint-Quentin, et notamment du musée, dit musée

ne sont pas seulement vivants: ils ont un charme particulier; ils sont souriants, etr c'est ce sourire qui leur communique la majeure partie de leur vie. J'ai beaucoup regardé ces pastels, un peu trop peut-être; et pourtant, quoique sous le charme, j'étais curieux d'en connaître le secret. Chez la plupart de ces séduisantes créatures, la bouche contribue à animer la physionomie, et surtout la terminaison sinueuse des lèvres, qui se relève du côte des yeux, comme pour leur donner le ton. Ce fut un des procédés de La Tour, même lorsque son crayon semble le plus franc, le plus libre. Rarement, dans ses études do femmes et même de jeunes hommes, les lèvres s'assujétissent à la ligne horizontale et forment commissure parfaite : toutes sont munies, aux angles, de ce crochet de bonne humeur, de ce retroussis qui prévient agréablement en faveur des personnes qui en sont dotées, et que la nature n'accorde qu'avec réserve. Dans cet agrément, encore plus rare que les fossettes, gît la gaitô do vivre, l'amour de plaire... Chose singulière que la plupart des femmes peintes par La Tour aient joui de cette bouche si ingénieusement taillée par la nature ! Le peintre usa donc et abusa de ce dessin de lèvres formant une si piquante ondulation aux extrémités ; aussi aucun de ses modèles ne dut se plaindre de cet accroc à la réalité. »

Ces piquantes observations de Champfieury s'appliquent admirablement au portrait de d'Alembert.

Cependant, il convient d'ajouter que tout le monde n'approuvait pas cet air d'enjouement que de la Tour donnait à presque tous ses portraits. Dans les Obiercationa $ur la peinture de M. Gautier, à propos des tableaux exposés en 1753, on lit ce qui suit." « Le portrait de M. l'abbé Nollet est très bien ; mais je ne saurois souffrir de peindre des académiciens, des philosophes, avec des affectations de joie, ainsi que dans le portrait de Manelli jouant le rôle de l'impresarlo: c'est encore plus mal fait do les mettre à côté l'un de l'autre; car le portrait de M. Dalembert rit de même que celui de cet acteur des Bouffons, et on


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Lécuyér, où l'on peut admirer 87 pastels de de la Tour.

Le musée de Versailles possède, comme on sait, la

collection des portraits de l'ancienne Académie franles

franles du même coup d'oeil. L'air séant do M. le marquis de Montalembertvaut beaucoup mieux. Je ne dis pas de faire pleurer les sujets, ni de leur faire faire la grimace; mais l'état naturel de l'homme suffit, et, lorsqu'on en sort, c'est une erreur.» (Ibid. p. 95.)

D'Alembert, dans le portrait qu'il a tracé de lui-môme on 1760,nous dira: « M. d'Alembert n'a rien dans sa figure do remarquable, soit en bien, soit en mal : on prétend (car il ne peut en juger lui-môme) que sa physionomie est pour l'ordinaire ironique et maligne; à la vérité il est très frappé du ridicule, et peut-ôtre a quelque talent pour le saisir: ainsi, il ne seroit pas étonnant que l'impression qu'il en reçoit se peignit souvent sur son visage. » A notre tour nous dirons: Il n'est pas étonnant que le peintre ait donné à son modèle un air ironique et malin qui lui convenoit à merveille. M. Joseph Bertrand, dans son Etude sur d'Alembert (Les grands Ècricains français, Paris, Hachette, 1889, p. 172), a dit de lui : « Il riait de tout sans jamais se contraindre, laissant un libre cours à sa verve satirique... »

Sur le caractère enjoué et malicieux de d'Alembert, on peut ajouter les lignes suivantes que nous venons de lire dans une toute récente livraison de la Bévue de Paris (15 avril 1896) : « Ceux qui lisent aujourd'hui les écrits do ce savant géomètre, auront quelque peine à se figurer que, lorsqu'il conquit ses entrées- dans ce bureau d'esprit (le salon de M"* Geoffrin), la réputation qui s'attacha tout d'abord à son nom fut celle d'un « amuseur de société ». D'Alembert, dans sa jeunesse, était en effet du caractère le plus gai : au sortir d'un problème d'astronomie ou d'une équation algébrique, il s'élançait hors de ces abstractions avec l'entrain d'un « écolier échappé du collège » (MARMONTEL), et oubliait avec délices le calcul des « forces dynamiques » pour se répandre en traits vifs et plaisants, en facéties joyeuses et quelquefois burlesques. La marquise de la Ferté-Imbault (fille de M" Geoffrin), nous révèle même ce détail, qu'il avait « un talent particulier pour copier les acteurs do l'Opéra ou de la Comédie, à faire mourir de rire!.-.. Voyant que cela lui réussissait très bien, continue-t-elle, il s'émancipa, et se mît à contrefaire MM. de Mairan, Fontenelle et autres habitués du salon de ma mère, ce qui finit par lui valoir un renom de méchanceté. » Si l'on joint a ces agréments mondains un esprit hardi, libre et profond, une mémoire intarissable, et < une sorte d'ingénuité qui avait toutes les grâces de l'enfance et toute la vigueur de la maturité », on comprendra le succès qui accueillit promptement d'Alembert, non-seulement dans la maison de M" Geoffrin, mais dans tous les cénacles littéraires où l'on se disputait sa présence. » (PIERRE DE SÉGUR Les dernières années de M" Geoffrin, page 811.)

16


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eaise, collection qui fut donnée à ce musée par l'Académie, en 1839. D'après M. Ch. Gosselin, à qui M. D. Danjon avait envoyé une photographie de son pastel, et qui, à son tour, a renvoyé à M. D. Danjon un dessin au crayon du portrait à l'huile de d'Alembert qu'on peut voir au musée de Versailles, ce portrait à l'huile serait la copie du pastel de de la Tour. « On lit, dit M. Gosselin (1), dans les registres de l'Académie, à la date du 1" octobre 1685: « L'abbé Dangeau, qui est en charge de directeur, propose que chaque académicien donne a la Compagnie le portrait de son prédécesseur. » « D'Alembert, continue M. Gosselin, étant mort à 66 ans, son successeur (2) n'a pas cherché un portrait peint à la fin de sa vie, mais a l'ait copier l'image de son prédécesseur à la force de l'âge, en 1754 (le tableau indique cette date) (3), quand il avait trente-s3pt ans. Il est probable qu'on a copié le portrait que vous possédez: la pose, l'expression l'indiquent. Le chapeau a été supprimé, cela n'a pas d'importance... Vous avez, en somme, Monsieur, une peinture qui, autant qu'on en peut juger par une photographie, est fort remarquable, pleine de vie et de charme. Je vous en félicite. »

A son tour, répondant à une première demande de renseignements que lui faisait M. D. Danjon, M. Th.

(1) Lettre à M. D. Danjon, du 24 janvier 1800.

(2) Le successeur do d'Alembert à l'Académie française fut Choiseul(ioullior.

(3) On sait «juo le portrait au pastel, peint par do la Tour, fut fait et exposé en 1753. L'erreur d'un an est ici sans importance.

'.&„


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Eck écrivait :« Je voudrais pouvoir vous donner des renseignements très explicites et qui vous satisfassent pleinement au sujet de l'intéressant pastel que vous possédez ; mais, si la genèse de certains portraits de de la Tour ne prête à aucune équivoque, il n'en est pas de même de beaucoup d'autres. Le vôtre, Monsieur, est dans ce cas (1). Il ne m'est malheureusement pas possible de vous apprendre beaucoup au sujet de ce portrait. Toutefois, je suppose, d'après le contenu de votre lettre, que vous possédez l'image terminée du savant mathématicien dont nous avons à Saint-Quentin la « préparation ». Cette « préparation » si remarquable, si vivante, nous fait voir d'Alembert de face, avec une pointe de fine raillerie qui se trahit dans l'ensemble de ses traits. La tète est poudrée,-et une cravate blanche enserre le cou. — Pour tous ses pastels, et avant de les exécuter définitivement, de la Tour avait l'habitude de faire au préalable ce qu'en terme d'art on nomme une « préparation » ou une « étude », et ces « études » valent souvent les portraits terminés. »

Deux ans se passent. Vers le milieu de l'année 1892 (2), M. D. Danjon envoya à M. Th. Eck une pho(1)

pho(1) voit que M. Th. Eck conserve des doutes. Ces doutes ne tarderont pas à s'évanouir.

(2) A une question que M. Dnnjon avait fait poser par un des abonnés de Y Intermédiaire des chercheurs et de» eurieu-n dans ce recueil, M. Th. Eck répondait: « J'ai fait quelques recherches pour essayer de retrouver la trace du portrait achevé de d'Alembert. mais sans obtenir le moindre résultat. (Cependant, M. Th. Eck savait, depuis le mois de décembre 1883, que M. D. Danjon croyait, non sans raison sérieuse, posséder ce portrait achevé do d'Alembert.) Il în'arrive de temps en temps de retrouver entre les mains do particuliers cor-


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tographie de son pastel, et à ce portrait il joignit une photographie de la lettre de Harou-Romain, dont nous avons cité quelques lignes.

Les doutes que pouvait avoir conservés M. Th. Eck avaient complètement disparu, et le savant conservateur des musées de Saint-Quentin s'empressa de répondre à M. D. Danjon (1): « Tout d'abord, je dois vous

remercier de l'aimable surprise que vous me causez; car les renseignements que vous me donnez sur le portrait dont vous êtes l'heureux possesseur sont précieux au possible, et ils vont, dès maintenant, figurer dans les archives de notre musée, où se trouve leur véritable place. Lorsque, il y a deux ans, vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, j'eusse été bien imprudent alors d'émettre une opinion formelle au sujet de l'image terminée de d'Alembert: il y avait en moi un doute qui, je le reconnais avec plaisir, n'existe plus, g race à laphotograpide que vous avez bien voulu joindre à votre excellente lettre. Quoique l'épreuve ne soit pas suffisamment bien venue, et à l'aide des renseignements positifs que vous me donnez, je n'hésite pas à reconnaître dans l'oeuvre si belle, conçue avec tant d'art, tant de vérité, si par—

taines oeuvres du maître que l'on croyait à jamais perdues; et peut-être en sera-t-il de mémo un jour du tableau en question: je le désire bien ardemment. La « préparation • que nous possédons ici est assurément le meilleur portrait qui existe du collaborateur do l'Encyclopédie. Ce pastel a de largeur 0" 24, et do hauteur 0" 32, mesure invariable pour toutes les t préparations » que nous possédons de notre concitoyen. A mon sens, et probablement pour tous ceux qui sont familiers avec l'oeuvre du grand pastelliste, le portrait de M. II. Walferdin (voira l'Appendice)ne saurait être l'original. • (Saint-Quentin, Th. Eck, conservateur du musée La Tour.) (1) Lettre du 18 juin 1892.


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larde et recelant en elle une telle intensité de vie, l'oeuvre originale de notre inimitable portraitiste. Ce qui surtout me fixe à cet égard, ce sont les yeux (1). Seul de la Tour a su donner la vie à ses oeuvres fragiles. Les regarde-t-on avec une attention soutenue durant un moment, que le portrait semble se détacher du cadre et venir à vous, suivant l'heureuse expression de M. de Goncourt...(2). Votre portrait n'est pas absolument conforme à la « préparation » du musée de Saint-Quentin. Sur la nôtre, le visage est insensiblement tourné à gauche, et les yeux sont de face ; sur le vôtre, d'Alembert regarde franchement à sa gauche. C'est là, ce me semble, une question de détail due au caprice de l'artiste, qui faisait souvent plusieurs « préparations »

(1) t Un des amis de La Tour, son panégyriste habituel au Mercure de chaque année, l'abbé Le Blanc... dit quelque part que « les portraits de La Tour t possèdent le mens oculorum, qui fait qu'on croit presque y lire jusqu'aux t pensées des personnes représentées. » (Champfleury : La Tour, p. 41.)

De la Tour, tout en cherchant la ressemblance, embellissait la nature. Diderot nous a donné à ce sujet de précieux renseignements: « Pela Tour travaillait, je me reposais ; on me reposant je l'interrogeais et il mo répondait Je voulais savoir ce qu'il entendait, lui, par embellissement... Voici,

me répondit de la Tour, ce que j'entends par embellir la nature. Il n'y a dans la nature, ni par conséquent dans l'art, aucun être oisif. Mais tout être a dû souffrir plus ou moins de la fatigue de son état. Il en porte une empreinte plus ou moins marquée. Le premier point est de bien saisir cette empreinte, on sorte que, s'il s'agit dépeindre un roi, un général d'armée, un ministre, un magistrat, un prêtre, un philosophe, un portefaix, ces personnages soient le plus de leur condition qu'il est possible; mais, comme toute altération d'une partie a plus ou moins d'influence sur les autres, le second point est de donner & chacun la juste proportion d'altération qui lui convient, en sorte que le roi, le magistrat, le prêtre ne soient pas seulement roi, magistrat, prêtre de la tête ou du caractère, mais soient de leur état de la tête jusqu'aux pieds. • (Champfleury, La Tour, p. 14.)

(2) Voir DE GONCOURT, L'art au XVIII' siècle.


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avant de commencer le portrait qu'il devait achever. Jusqu'ici notre étude était considérée comme la meilleure reproduction connue des traits de d'Alembert; c'est à ce point que j'ai cru devoir, inviter M. Jusserand, alors conseiller de l'ambassade de France à Londres et directeur de la collection (1) ayant pour titre : Lee grands Écrivains français, de reproduire pour d'Alembert le pastel du musée de Saint-Quentin. »

CHcM II. MACRO*.

PORTRAIT DE D'ALEMBERT (Mutée de Saint-Quentin)

Le 27 juin suivant, M. Th. Eck envoyait à M. D. Danjon une reproduction photographique de « l'étude » du musée Lécuyer, accompagnée des lignes suivantes:

(1) Collection Hachette. (D'Alembert, par M. Joseph Uortrand.


— 251 —

« Permettez-moi, Monsieur, de vous offrir une épreuve photographique de V « étude » de notre musée, laquelle, Jusqu'en ces derniers temps, était considérée comme la meilleure image connue de d'Alembert, depuis la disparition du portrait acheté. Ces « préparations » du pastelliste sont extrêmement curieuses à étudier, car le maître s'y révèle tout entier, avec ses procédés et son inimitable talent; il y déploie sans effort cetle merveilleuse faculté de vie intensive qu'avec quelques coups de crayon, quelques écrasements de poussière faits avec le doigt, deux ou trois accentuations de craie, il savait donner à ses oeuvres fragiles, toujours belles et toujours troublantes, malgré un long abandon. »

Après la lecture de celte très intéressante correspondance, il nous semble que « la cause est entendue », comme on dit au Palais. Bien que M. Th. Eck semble ici encore (1) regretter que le musée de Saint-Quentin ne puisse plus se vanter de posséder « la meilleure image connue de d'Alembert », il dit assez clairement, pour ceux qui savent lire entre les lignes : « C'est vous, M. D. Danjon, qui maintenant possédez la meilleure image de d'Alembert, car, à n'en pas douter, vous avez — honneur et bonheur inappréciables — le portrait du grand mathématicien peint par de la Tour en 1753, portrait légué par d'Alembert à son ami Condorcet, et donné plus tard par la veuve de Condorcet à M. IlarouRomain, votre grand-père maternel. » (2)

(1) Comme dans sa lettre du 18 juin.

(2) C'est surtout grâce aux notes que M. D. Danjon a bien voulu mettre a notre disposition que nous avons pu rédiger cette notice. Nous prions notre collègue de recevoir ici nos bien affectueux remerciements.


APPENDICE (N° I)

Iconographie de d'Alembert

I. — Tableaux

1° Collection de M. D. Danjon, professeur à la Faculté de droit de Caen: Portrait original, au pastel, peint et exposé par de la Tour en 1753.

2° Musée de Versailles : Reproduction à l'huile (en ?) (par?) du pastel de de la Tour.

3° Collection du duc d'Aumale: Portrait à l'huile par Chardin (a figuré à l'exposition rétrospective de 1878).

4° Collection Walferdin: Pastel [attribué à de la Tour] (a figuré à l'exposition rétrospective de 1878). — La collection de M. Walferdin a été dispersée après sa mort: on ne sait ce qu'est devenu le pastel en question. Quoi qu'il en soit, en admettant que le pastel de la collection Walferdin soit bien l'oeuvre de de la Tour,.ce ne peut être le portrait original de d'Alembert. — Le portrait de la collection W. a les dimensions suivantes: haut. O 27, larg. 0m 23. (Notice des portraits nationaux au Trocadèro, par M. H. Jouin, 1878.) Le pastel de M. D. Danjon a 0n' 65 de haut. etOra 45 de larg.

5° Musée de Saint-Quentin : Préparation du pastel de d'Alembert.


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6° Un amateur Saint-Quentinois : Préparation à peu près identique. (Lettre de M. Th. Eck à M. D. Danjon, dul8juin|1892.)

II. — Gravures et lithographies

1° D'Alembert, dans un cadre ovale, avec la mention: « Delà Tourpinxit.—N.F. Maviessculps, 1788. »—Conforme au pastel de M. D. Danjon, sauf que la pose est retournée et qu'on ne voit pas de chapeau. — Semble avoir été gravé d'après le portrait de l'Académie française, qui est aujourd'hui au musée de Versailles.

2° Même portrait, gravé par Dagoty.

3° Id. (en couleurs), par Alix, avec la mention suivante: « Gravé par P.-M.-Alix d'après le tableau original qui était à la ci-devant Académie française (1). » — La tête a été maladroitement allongée. Toutefois les yeux ont conservé un peu de la vivacité de ceux du pastel de M. D. Danjon, et la bouche son sourire à la fois ironique et bienveillant. *

4° Gravure par Hopwood, avec la mention : « Engraved by Hopwood, from the original picture by De la Tour, in the collection of the Institute of France. » (2)

(1) On lit au bas de l'estampe: A Paris, chez Marie-François Drouhin, éditeur, rue de Vaugirard, n' 1348, en face du Jardin des Carmes. (Bibl. de Caen.)

(2) J'ajoute ici, pour mémoire, le médaillon dessiné par Cochin et gravé par Cathelin. — Ce profil, fait sans doute d'après nature, devait être d'une grande ressemblance. Il vient d'être reproduit dans Y Album de la Révolution française, de M. Armand Dayot (1" livraison).


— 254 —

5° Lithographie, avec la mention : « Galerie historique de Versailles, ancien tableau gravé par Weber, dessiné par Massard. »

Comme on le voit, toutes ces gravures et cette lithographie sont faites d'après le tableau à l'huile qui appartenait autrefois à l'Académie française, et qui se trouve aujourd'hui au musée de Versailles. Jusqu'ici on a pu croire que le portrait ù l'huile du musée de Versailles était le portrait original de d'Alembert. Aujourd'hui, après les preuves que nous apportons, il faut considérer le lableau, dont M. D. Danjon est l'heureux possesseur, comme le rentable portrait original de d'Alembert.


APPENDICE (N- II)

Voici la lettre par laquelle Mmc de Condorcet acceptait d'être la marraine de l'enfant que M""' Harou-Romain allait bientôt mettre au monde :

« J'accepte avec bien de la reconnaissance loffre que vous voulés bien me faire Madame, et il me sera bien doux et bien facile, de partager qquesuns de vos sentimens et de vos devoirs de mère ; en m'associantsousce rapporta une personne de votre famille, vous me donnés une marque d'intérêt, a laquelle le mien répondra toujours. Je ne vous parle pas de mes voeux pour voire santé: votre voyage en Normandie me fait présumer quelle est rétablie, et que le cher petit enfant altcndu, arrivera a la vie bien disposé a recevoir les soins de votre tendresse. Il m'est impossible de ne pas en avoir pour votre fils (1), doué par la nature d'une manière si remarquable, et développé par la sagesse de son éducation comme on l'est si rarement, je puis vous assurer que bien des fois je me suis interdite de vous le demander, par respect pour cette solitude dont il est le charme et ou vous le renfermés trop, surtout relativement a une personne qui comme moi, aprécie plus qu'aucunes

(1) Jean Harou-Romain (ou plus simplement Jean Romain) architecte comme son père, et qui a donné son nom à une rue de Caen.


— 256 -

autres qualités les qualités touchantes qui vous distinguent, je ne peux m'empêcher d'espérer que le droit que vous m'accordez daimer particulièrement l'objet de vos espérances actuelles, vous guérira d'une sauvagerie vraiment déraisonnable vis a vis de quelqu'un qui se renferme dans le cercle bien étroit des jouissances des arts et de la nature; permettes que je fasse ici mille amitiés a Monsieur Romain et a mon cher petit voisin (1) que Mr Fauriel embrasse et recevés l'un et l'autre touts les souvenirs du plus sincère intérêt, dont je ne veux pas refroidir l'expression par les formules insignifiantes de l'usage.

« G. C. (Grouchy Condorcet).

« Villette, ce H thermidor. »

Cette lettre, datée du 11 thermidor (an XIII), porte le timbre de Meulan, et est adressée:

« A Madame Romain grande rue Verte n° 1134. f. b. Honnoré à Paris. »

Cachet de Paris : « Paris, 14 Tor. »

Voici encore quelques fragments des lettres de MM de Condorcet:

A) Meulan, 12 juillet 1809. — «... L'heure de la poste

(1) M" de Condorcet était, à Paris, la locataire — ainsi que M. Fauriel de Harou-Romain (rue de Penthièvre, n* 26).


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ne me laisse qu'un moment pour vous embrasser et ma filleule et son frère, et faire mille amitiés à mon voisin (M. Harou-Romain). Recevés ma chère voisine avec mille excuses lassurance de tous mes sentiments et surtout donnés moi des nouvelles de votre santé.

« GROUCHY V° CONDORCET. »

B) 6 novembre (?). — Mon cher voisin je m'adresse a vous comme a un ami et un coeur sensible pour me tirer d'un embaras dans lequel d'ailleurs je ne puis recourir qua vous seul... J'embrasse les chers enfants que j'aime ainsi que M. Fauriel, plus que je ne peux vous l'exprimer.

« G. v* CONDORCET. »

(Cette lettre dictée par Mrae de Condorcet, « à cause d'un peu de fluxion aux yeux », est adressée de Meulan « A Monsieur Harou Romain, architecte du département du Calvados, à Caen, Calvados). »

C) «Meulan, 14 fev.— Mille pardons mon cher voisin de cette tardive réponse a la vôtre si délicatte et dont j'ai été bien touchée ainsi que Mr Fauriel... J'avais un besoin de coeur de vous dire combien nous étions sensible a vos procédés Adieu mon cher voisin, mille

choses aimables a votre cher fils et mille tendresses a Sophie (sa petite filleule) que vous avés je pense gardé, il me sera bien doux de revoir ces aimables Enfans (et puisse cela être ici avant Paris) et de leur témoigner comme a vous mon sincère attachement. »


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Nous pourrions citer d'autres fragments dés lettres de M""'de Condorcet à M. ou Mmc Harou-Romain ; mais les extraits qui précèdent montreront suffisamment quelle était l'affection portée par la veuve du marquis de Condorcet à la famille Harou-Romain. Nous devons ajouter, après la lecture attentive que nous avons faite de la correspondance de M"' 0 de Condorcet, correspondance que M. D. Danjon a bien voulu nous communiquer, que Mn'e de Condorcet, locataire assez souvent très exigeante, avait des raisons sérieuses pour estimer et aimer M. Harou-Romain, qui nous paraît avoir été pour elle le plus complaisant et le plus libéral des propriétaires.

Citons encore la dernière lettre, en date, de M-" de Condorcet. Elle est adressée à sa filleule (1).

« 14 fcv. 1819. —J'ai reçu votre lettre avec beaucoup de plaisir ma chère Sophie. Mr Cormont a dû mander a votre papa quelles souffrances de rhumatisme (qui ont nécessité un vessicatoire dans le dos) m'ont fait tarder a vous repondre, et me donnaient le regret que vous n'arriviés pas plustôt, pour me faire jouir de vos progrès, qui avec les bons maitres dont vous me parlés et vos belles dispositions, doivent vous rendre bien bonne a entendre. Daprès ce qu'on me dit, on attend de jour en jour votre maman, mais corne je sais, dut elle venir sans votre papa, a quel point les affaires dérangent tous les projets, je vous demande ma chère

(1) La more do M. Daniel Danjon.


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Sophie de vouloir bien me faire une commission près d'eux dont voici l'objet.

« Ce serait de les prier de faire parvenir à Mr Cormout la clef d'un Buffet de votre cuisine a travers lequel passe dit-on, le thuyau du lavier de mon apl, ma cuisinière layant laissé sengorger, il faut que payant sa faute, elle fasse reparer le thuyau —je promets a voire maman de faire tenir M""e Fontaine dans votre cuisine durant tout le temps que les ouvriers y seronts pour examiner la partie du thuyau passant dans voire Buiï'et. — il est et incomode et inquiétant de descendre leau du lavage de la cuisine — quoique ma santé la réduise a répondre a la petitesse de mon apl — je prie donc votre maman de me mettre promtement a portée de faire faire cette réparation et je vous demande dans votre 2J'' lettre ma chère Sophie ce qui ma paru manquer a la première: — des nouvelles détaillées de ce frère chéri, qui justilie toutes les espérances de la paternité et de lamitié et que jembrasse par vous et vous par lui ma chère Sophie en adressant mille souvenirs a vos chers parens.

« G. CONDORCET. »

Nous croyons devoir, à titre de curiosité littéraire, ajouter ici un billet du savant Fauriel,adressé au jeune Ilarou-Romain, le frère de Sophie:

« Mon*cher petit ami, je ne puis vous envoyer la suite du grec que vous me demandez, n'ayant point ici le livre d'où j'ai tiré le commencement. Si vous tenez à


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continuer la traduction de ce morceau, vous pourrez prendre le livre chez moi ; Me Cormont vous donnera la clef. Cependant je vous ai copié un autre morceau plus facile que le précédent, et tiré d'Hérodien. Avec un peu de temps, de patience et d'attention, je crois que vous en viendrez à bout. Si quelque chose vous embrasse (sic) trop, vous me l'écrirez et je tâcherai de vous aider. Il ne faut pas trop vous embarrasser des pèv, des H: on n'en peut traduire que très peu en français, et la plupart du temps, ils ne servent qu'à lier le discours, sans rien ajouter au sens. Je vous renvoie le premier morceau avec une version interlinéaire, qui suffira pour vous faire voir en quoi vous vous étiez trompé. — M" de Condorcet vous dit mille choses et embrasse votre soeur. Adieu. »

Après la lecture de ce charmant billet de M. Fauriel, on peut dire du jeune Harou-Romain: «Heureux enfant, qui avait un savant aussi aimable pour répétiteur de grec!»



Tournières. — PORTRAIT D'UN VIEUX MAGISTRAT

(MUSÉE DE CAEN, N- 190)


RECHERCHES

SUR

LE PEINTRE TOURNIERES

Le lecteur est averti qu'on ne lui donne point ici, dans tous ses détails, la vie du célèbre peintre caennais : un tel travail aura sa place dans une Histoire des peintres caennais que je documente actuellement. Ce n'est ici qu'une biographie rapidement esquissée, rappelant seulement les points marquants de la vie de cet artiste, et laissant volontairement de côté le détail de son oeuvre, qui entraînerait trop loin.

Le Musée de Caen possède plusieurs portraits^arTournières, justement réputés.L'un est faussement identifié par le catalogue ; les deux autres ne le sont pas du tout. J'ai tenté d'éclaircir ici le mystère qui entoure ces deux derniers : je pense avoir réussi pour un ; mais, quant au fameux Magistrat aux yeux chassieux, je crains fort que mon mérite ne se limite seulement à une simple tentative d'identification, et que le malicieux personnage ne soit pas encore décidé à nous donner son nom. Et vraiment il vaut mieux qu'il en soit ainsi : pourquoi s'efforcer de mettre un nom peut être banal sur ce visage extraordinaire ? La belle avance, si nous établissions que le titulaire de ce portrait était un petit magistrat de quelque méchant bailliage ! Aussi, tout en recherchant passionnément le nom de notre magistrat aux yeux chassieux, je conserve l'espoir de ne point le découvrir de sitôt.

17


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Biographie de Tournières (1)

C'est à Caen, et non à Ifs, que naquit le 17 juin 1668 Robert Le Vrac, qui, par la suite, devait illustrer le pseudonyme de Tournières ; les registres de la paroisse Saint-Pierre de Caen sont formels à cet égard ; on y lit en effet, à la date du 18 juin 1668 :

« Le 18' jour a esté baptisé Robert, né le 17, fils de « Jacques Le Vrac et d'Ysabeau Panel, son espouse, « nommé par Robert Panel, assisté de Margueritte « Jeanne. Approuvé Jacques Le Vrac — Panel — « Marguerite Jeanne. »

L'origine de ce nom de famille était foncièrement normande; car, dans le patois bas-normand, vrae était le vocable par lequel on désignait la plante marine nommée varech.

Les biographes ont déclaré que le père de Tournières était tailleur d'habits; je ne sais trop jusqu'à quel point ce renseignement est exact : le nom de Le Vrac avait, en effet, plusieurs titulaires à Caen à cette époque. Dans les registres de la paroisse Saint-Martin de Caen, il est fait mention, en 1615, d'un Jacob Le Vrac, procureur commun de la vicomte de Caen ; dans ceux de la pâli)

pâli) ominent compatriote, M. le marquis de Chcnneviôres, à qui l'on est redevable des documents acquis jusqu'ici sur l'histoire de la peinture normande, a publie des documents sur Tournières, dans les Nouvelle» Archives de l'art français, et c'est en partie il l'auteur des Recherches sur les peintres provinciaux que je dois d'avoir pu fixer ainsi les points essentiels de la v'ro du célèbre peintre caennnis.


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roisse Saint-Julien,on relève,à la date du 14 juin 1633, les bans du mariage de Jacques Le Vrac, demeurant de présent en la paroisse Saint-Jehan de Caen, et de Germaine Hardi » (était-ce là un premier mariage du père de Tournières ?), et le 25 ceux d'un Michel Le Vrac, bourgeois de la paroisse Saint-Pierre de Caen.

Quoi qu'il en soit, le pseudonyme adopté par Robert Le Vrac semble indiquer que sa famille avait une terre dans la paroisse de Tournières, près Balleroy; peut-être même en était-elle originaire, car les registres de cette paroisse, à cette date de 1668 où naquit cet artiste, témoignent qu'il y avait des Le Vrac dans cette commune.

Le jeune Robert dut manifester de bonne heure du goût pour la peinture, et il eut pour premier maître un religieux du couvent des Carmes de Caen, nommé FRÈRE LUCAS DE LA HAYE, que d'Argenville qualifie assez arbitrairement d'assez mauvais peintre.

Les renseignements biographiques que l'on possède sur ce religieux sont à peu près nuls. Une tradition très vraisemblable lui attribue les dix-huit grands tableaux qui décoraient l'ancien couvent des Carmes (1), et il se tua., dit-on, en tombant de son échafaud. M. Georges Bouet seul a produit des preuves authentiques de l'existence de ce religieux, en relevant sa signature : F. Lucas Carmelita pinxit, au bas d'un tableau représentant FAnnonciation, et qui se trouve

(1) Sur ces peintures de l'ancien couvent dos Carmes, on peut consulter une notice do M. V. Tesnière, paruo dans le Bulletin de la Société des BeauoeArts, 1373, 0* volume, 1" cahier.


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dans la chapelle de l'Ermitage près Saint-Sever. Il est enfin, à mon sens, très possible que le beau tableau de l'Annonciation qui décore actuellement le maître-autel de la chapelle de la Vierge, en l'église Saint-Jean de Caen, soit de ce même frère Lucas de la Haye : l'autel tout entier provient, en effet, de l'ancien couvent des Carmes ; la peinture semble bien appartenir à la fin du XVIIe siècle, où vivait ce religieux; enfin, le fini avec lequel est traitée la robe de l'ange dénote bien la caractéristique de l'école caennaise, que Tournières devait porter à sa perfection.

Robert Le Vrac resta probablement à Caen jusqu'en 1685 : à cette date, Bon Boullongne fut chargé d'exécuter des peintures au château de Balleroy; la famille du jeune artiste avait des relations dans cette contrée. Robert Le Vrac fut présenté à Bon Boullongne, et celui-ci, frappé des heureuses dispositions du jeune homme, l'emmena à Paris et le garda à son atelier, où il perfectionna son art.

Alors il abandonna son nom de famille Le Vrac, pour prendre le pseudonyme de Tournières, du nom de cette commune où sa famille avait des attaches.

En 1693, il épousa une veuve Françoise Dauvin, qui était la mère de François Lemoyne, le célèbre peintre : Tournières ne put apprendre à ce jeune enfant que les rudiments de la peinture, puisque, à 13 ans, ce dernier entrait à l'atelier de Galloche. Au reste, le caractère assez peu sociable du peintre caennais le prédisposait peu à l'enseignement : le 18 mars 1702, peu après la naissance d'un fils nommé Thomas, le châtelet de Paris


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prononçait entre les deux époux une séparation de corps.

Six jours plus tard, le 24 mars, Tournières était agréé de l'Académie comme peintre de portraits, sur ceux de Mosnier et de Michel Corneille, qui se trouvent actuellement au Louvre.

Sa réputation était déjà bien établie, puisque, au Salon de 1704, il exposait à lui seul vingt tableaux.

Sa femme vint à mourir, et, le 14 octobre 1711, Robert de Tournières épousait, à Balleroy, Marie Mulot : l'acte du mariage se trouve aux registres de la paroisse de Balleroy.

Le 24 octobre 1716, il était reçu académicien comme peintre d'histoire, sur le sujet de Dibutade dessinant à la lumière le portrait de son amant; ce tableau, qui figure aujourd'hui à la bibliothèque de l'École des Beaux-Arts, fit un grand tapage. L'auteur y avait renouvelé le procédé cher à Schalken, qui affectionnait les scènes de nuit, et représentait le plus souvent des figures éclairées par des lumières artificielles: le succès du peintre caennais fit dire à Jouvenet « que maintenant on était reçu de l'Académie pour un bout de chandelle ». Tournières, surtout, résumait et portait à leur perfection les tendances de l'école caennaise, qui consistaient dans le fini du détail; comme les maîtres hollandais, il se complaisait aux portraits et aux scènes familières de petites dimensions, où il apporta des effets piquants et une exécution très poussée.

Il devint, le 28 septembre 1725, adjoint à professeur


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mais, à la suite d'une contestation, il se retira parmi les anciens professeurs, et ce lut à ce titre qu'il exposa aux Salons de 1737 et de 1741 à 1748.

Sa réputation était très grande à Paris : en 1745, il reçut pour Sainte-Geneviève la commande d'un grand tableau en l'honneur de la convalescence de Louis XV.

L'abbé de Fontenai a raconté à son sujet la curieuse anecdote suivante:

« II arriva une aventure des plus singulières à ce «• peintre. Un homme amoureux d'une jeune personne « qu'il avoit enlevée en province et qu'il tenoit cachée « dans un des fauxbourgs de Paris, lui proposa de faire « le portrait de cette personne et que, s'il vouloit certai« nés conditions qu'il lui proposeroit, il lui donneroit « 100 louis d'avance.Tournières,content du prix, promit « tout ce qui seroit possible. L'homme le mena dans un « fiacre, les yeux bandés, et après deux heures de circuit « pour le dépayser, le fit descendre dans une maison « fort écartée, et le conduisit dans une chambre éclairée « seulement d'une lampe. On lui ôta son bandeau,et un « quart d'heure après il aperçut, par un trou fait exprès à « la tapisserie, une tête qui sortit et qui lui parut d'une « extrême beauté. La coiffure et le cou étaient cachés « exprès ; deux bougies posées sur des guéridons furent « allumées par l'amoureux. Le peintre alors sortit sa « boîte aux couleurs: il n'avoit garde de faire voir des « pistolets des mieux chargés dont il s'étoit muni en cas « de besoin. Le portrait fut fini en trois heures de tems. « La vraie tête ne parla point, et on ramena ensuite le « peintre avec la même cérémonie. L'amoureux étoit


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« convenu de garder le portrait, que le peintre viendroit «.finir, de peur que quelqu'un ne reconnût sa maî« tresse dans son atelier. »

En 1749,Tournières cessa de peindre: il avait perdu son fils; il était à nouveau séparé d'avec sa seconde femme. En 1750, il se retira à Caen; il habita chez son neveu, Louis Le Vrac de Tournières, qui demeurait paroisse Saint-Pierre : un contrat passé à ce sujet entre lui et son neveu, à la date du 14 avril 1752, et qui se trouve dans les minutes déposées chez M" Moisy, notaire à Caen, mentionne qu'il payait 50 livres par mois de pension, et que tout son mobilier se montait à 100 livres.

Quoiqu'il en fût vivement sollicité, il se refusa constamment à peindre ; la religion était devenue son unique souci: tous les jours, on le voyait s'agenouiller, pour y réciter dévotement son office, dans l'église des Eudistes, aujourd'hui occupée par la grande salle de l'Hôtel de ville et la Bibliothèque municipale ; et il n'est pas, interdit de supposer que le portrait de Jacques Crevel que la Bibliothèque possède de cet artiste, domine actuellement l'une des places de l'ancienne église où il avait coutume de faire ses dévotions.

Le 19 mai 1752, Tournières décédait, et était inhumé au cimetière qui entourait l'église Saint-Pierre; son acte mortuaire, pris aux registres de la paroisse SaintPierre, en fait foi:

« Aujourd'hui vendredy 19° jour de may 1752 le corps « du sieur Robert Le Vrac Tournière, peintre ordinaire « du Roy, ancien professeur de l'Académie de peinture


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« et sculpture,aagé d'environ 84 ans,décédé d'hier dans « cette paroisse, muni des sacremens de pénitence et « d'extrême-onction, a été inhumé dans le cimetière « proche cette église, par moi vicaire soussigné, en pré« sence de Louis Le Vrac Tournière, neveu dudit, et « M. Pierre-Charles Brunier, ptro chapelain de cette « paroisse, qui ont signé.

« Approuvé Louis en interligne et une rature nulle « et Le Vrac en interligne bon.

« Louis Le Vrac Tournière — Brunier -- F. Le Tellier, vie. de St-Pierre. »

Sur deux portraits par Tournières exposés au Musée

de Gaen

Sous les n 0' 190 et 191, le Musée de Caen possède deux portraits faits par Tournières, et dont, jusqu'ici, les catalogues successifs ne mentionnèrent les titulaires que sous les désignations assez vagues : Portrait d'un magistrat — Portrait d'homme.

Le premier de ces deux portraits a été popularisé par M. le marquis de Chennevières, dans ses Observations sur le Musée de Caen, sous le nom de Portrait de magistrat aux yeux chassieux. L'admirable photographie, qui en est donnée ci-contre, est plus éloquente, comme renseignement, que toutes les descriptions et appréciations que j'en pourrais fournir.

La forme ovale de ce portrait a été élargie pour être inscrite dans le cadre qui la détient; mais les dimen-


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sions primitives sont encore très apparentes sur la toile : elle porte actuellement 0m 72 de haut sur O 60 de large.

Ce tableau fut acheté, en 1835, au peintre Blouet par M. Ëlouis, conservateur du Musée de Caen,qui lepaya,

le 4 mars dudit an, 70 francs: ce n'était pas là

un trop mauvais placement. Il ne commença d'être mentionné qu'au catalogue de 1851.

A cette date, une identification dut en être proposée ; car on lit dans la Biographie normande, de Le Breton, parue en 1851, ce renseignement intéressant: « Le Musée de Caen possède le portrait du chancelier de Pontchartrain, fait par Tournières. »

Dès que j'eus connaissance de cette indication, mon premier soin fut de savoir ce que Saint-Simon disait de Pontchartrain ; voilà le portrait qu'il en traçait : « C'était un très petit homme maigre, avec une physio« nomie d'où sortoient sans cesse des étincelles de feu « et d'esprit, et qui tenoit encore beaucoup plus qu'elle « ne promettoit. Jamais tant de promptitude à com« prendre, tant de légèreté et d'agrément dans la conte versation, tant de justesse dans les réparties et de « solidité dans le travail, tant de subite connaissance « des hommes, ni plus de tour à les prendre. » Ce témoignage n'avait rien de décourageant ; je résolus d'aller plus avant.

Le musée de Versailles, sous les n0s 3605, 3647, 4371, possède trois portraits de Louis Phelypeaux, comte de Pontchartrain, rangés par le catalogue par les « inconnus de l'École française ». J'allai les voir sur


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plaoe. Une surprise d'abord m'attendait; c'était de trouver inscrit sur le cadre du n° 4371 le nom de Tournières comme auteur du portrait : interrogé par moi sur les raisons de cette attribution, M. de Nolhac, le distingué conservateur de Versailles, me dit les ignorer. La toile fut retirée de son encadrement, et l'on constata que derrière, se trouvait la mention, École de Rigaud; mais rien, dans ce portrait, ne rappelait le faire de cet artiste : qui avait mis là le nom de Tournières ? La question se posait d'autant plus impérieusement, que cette attribution était assez vraisemblable : j'ai toujours pensé que M. le marquis de Chennevières avait dû passer par là et glisser cette indication dans l'oreille de l'ancien conservateur de Versailles, M. Eud. Soulié.

Les trois portraits de Ponlchartrain qui sont à Versailles sont de la même époque, et très vraisemblablement de la même main ; le chancelier y porte une cinquantaine d'années, et ils durent être exécutés dans les dernières années du XVIIe siècle ou dans les premières du xviir. Le portrait est de face, et les traits qui y sont exprimés n'ont rien de contradictoire avec ceux « du magistrat aux yeux chassieux » du musée de Caen : le nez, les yeux, la bouche y sont tout pareils, avec cette différence que donne vingt années de distance.

Pour pousser plus avant cette tentative d'identification du magistrat aux yeux chassieux du musée de Caen avec Pontchartrain, les moyens de contrôle manquent, car on ne connaît point de portrait du célèbre chancelier à l'âge de 70 ans -, mais, si ces suppositions


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étaient vérifiées, le portrait en question aurait été exécuté par Tournières vers 1720.

Une objection à cet effet est formulée avec assez de force : elle vise le rabat du magistrat, qui ne serait pas de qualité assez haute pour caractériser un personnage aussi important que Pontchartrain ; car il semble difficile de faire état sur le reste du costume, qui a été volontairement négligé par Tournières, et sur lequel il est matériellement impossible de trouver aucun détail qui puisse fournir un renseignement quelconque. Il est •manifeste que le but de Tournières a été de concentrer tout son effort sur la figure, qu'il a traitée avec une intensité surprenante: il l'a placée dans une vive lumière, et, pour forcer l'effet, il a volontairement assombri le reste du tableau, se bornant à y mettre le rabat pour indiquer la profession du personnage. C'est ainsi qu'on observe que les diverses parties du portrait, en dehors de la figure, n'ont pas été traitées, et ce fait est d'autant plus significatif, que Tournières excellait à rendre ces divers détails de costume,

Quant au n° 191 du musée de Caen, désigné par le catalogue Portrait d'homme, on peut à coup sûr l'identifier avec celui du graveur Benoît Audran. Ce tableau mesure 0m74 de haut sur 0m60, et, dans sa partie supérieure, on peut encore relever les premières lettres de la signature tourmentée de Tournières ; il fut acheté en 1822 par M. Élouis au peintre Blouet pour le prix de 72 francs : c'était décidément le tarif des oeuvres de Tournières à cette époque.


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Un simple détail du costume témoigne à première vue que l'on est en présence du portrait d'un artiste ; c'est la mise abandonnée, le col négligemment entr'ouvert, détail qui, dans le symbolisme pictural, dénote l'artiste, comme le rabat le magistrat, et le nègre la grande dame.

Cet artiste est Benoît Audran, le célèbre graveur.

Dans une étude qu'il publia sur le musée de Caen en 1835, dans la Reçue de Basse-Normandie, M. Mancel déclarait que le titulaire de ce portrait était un ami de Tournières : cela indiquerait une tradition, qui peut être vérifiée.

Il n'est besoin pour cela que de regarder la gravure d'un portrait d'Audran, faite d'après Vivien et comprise dans la suite de Desrochers, pour avoir l'assurance que cette identification du portrait du musée de Caen est exacte : la ressemblance entre les deux figures est, en effet, indiscutable. Cette gravure du portrait d'Audran par Vivien se trouve à la collection Mancel. (Français, album 6G, gravure 42.)

Benoit Audran, de fait, fut l'un des amis de Tournières, et même il grava plusieurs de ses oeuvres, notamment une allégorie sur les arts.

Le tableau du musée de Caen est une oeuvre de la jeunesse de Tournières; en effet, Audran, né en 1622, avait 23 ans quand Tournières arriva à Paris, et l'âge du titulaire du portrait, qui doit être voisin de la trentaine, indique l'époque où il dut être exécuté, c'està-dire vers 1695./TM7"">^

frERNAXD ENGERAND.


NOTES DIVERSES

SUIl

LES INSTITUTIONS ARTISTIQUES

LES BEAUX-ARTS EN GÉNÉRAL

Aux États-Unis, au Canada et à l'Exposition de Chicago

en 1893

ÉTUDE DÉDIÉE A LA SOCIÉTÉ DES BEAUX-ARTS DE CAEN

Par son Trésorier honoraire

Paul L.-M. DHOUET/<Jo?>,

CHAPITRE I" W.--^

INTRODUCTION.-DÉFINITIONS.- INSTITUTIONS ARTISTIQUES

Préambule

MESSIEURS,

A l'époque de mon départ pour l'Amérique, vous m'avez exprimé le désir d'obtenir pour notre Société des Beaux-Arts quelques notes sur : « les institutions « artistiques aux Étals-Unis, surleurorganisation.leur

18


— 274 —

« fonctionnement, leurs ressources et leur influence. » Malgré mon peu de compétence en matière de Beaux-Arts et le temps refativement très court dont je pouvais disposer pour faire cette étude, qui, vous le savez, n'était pas le but principal de mon voyage ; malgré tout l'inconnu qui m'attendait sur ce continent au delà de l'Atlantique, où j'allais pour la première fois sans y connaître personne, j'ai accepté très volontiers de faire, à votre intention, quelques recherches sur le sujet indiqué et quelques observations sur les oeuvres artistiques que je pourrais rencontrer.

Actuellement, j'ai l'honneur de vous soumettre le résumé des notes que j'ai prises afin de répondre dignement à votre désir ; mais j'attends de vous, Messieurs, toute la bienveillante indulgence sur laquelle j'ai compté lorsque j'ai accepté de traiter les questions qui m'étaient soumises.

J'ai le regret de ne pas vous présenter l'oeuvre d'un critique d'art ni d'un appréciateur érudit. A part ce qui est relatif exclusivement aux institutions artistiques, et qui émane de documents officiels, il ne faut considérer la relation qui va suivre que comme une simple causerie d'un modeste amateur qu'un long stage dans votre Société, de nombreux voyages en France et dans les centres artistiques de l'étranger ont habitué un peu à apprécier d'une manière générale ce qui est du domaine des Beaux-Arts.

C'est donc très timidement que j'aborde un sujet que tant d'autres écrivains, d'une compétence indiscutable, ont traité magistralement avant moi.


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La tâche que j'ai acceptée était à la fois multiple, compliquée et très étendue : elle étaitmultiple, parce que l'expression « institutions.artistiques » s'applique à bien des genres ; elle était compliquée, parce que l'investigation a dû se faire dans un grand nombre de provinces, entre lesquelles les usages et l'avancement des Arts diffèrent plus où moins; enfin, elle était très étendue, parce que le continent de l'Amérique du Nord est plus grand que l'Europe.

Avant de vous entretenir des questions artistiques et de l'influence que les institutions américaines peuvent avoir, il me parait utile d'indiquer certaines nuances très caractérisées qui existent entre les populations des Etats-Unis et du Canada, parce que ces nuances influent sur les tendances artistiques.

Vous le savez, Messieurs, la population des EtatsUnis est composée principalement de sujets d'origine britannique, c'est-à-dire d'Anglais, d'Écossais, d'Irlandais, de Gallois, et déjà les populations de ces diverses dénominations ont entre elles un caractère différent.

Puis viennent en très grand nombre les sujets d'origine germanique, y compris les Polonais, les Hongrois, les Autrichiens, ensuite il y a des Scandinaves, des Italiens, des Espagnols et enfin un certain nombre de Français, qui sont relativement en très grande minorité sur l'ensemble de cet immense territoire.

Les sujets de ces diverses origines sont plus ou moins acclimatés; ils conservent sensiblement les


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aptitudes et les goûts du pays natal, qui néanmoins se modifient peu à peu par le climat, par les alliances, et s'identifient avec les usages locaux : cela produit l'ensemble du caractère du peuple américain actuel, que vous connaissez.

Je ne compte pas la race noire, qui a sa nature spéciale et ses goûts particuliers, mais qui n'est prédominante sous aucun rapport.

Tout ce groupe de populations est parfaitement homogène ; il présente, relativement, une uniformité générale de moeurs et d'usages assez frappante et édifiante.

Mais, au point de vue des goûts et des tendances, il y a, je pense, quelques distinctions à établir, et ces variantes dérivent souvent de la tournure d'esprit de la race primitive, qui domine sur certains points.

Ainsi, à l'exception de la province de Québec, où l'élément vieux Français subsiste en très grande proportion, tout le Canada est habité principalement par des sujets britanniques et des sujets anglo-américains. L'élément français est très fidèle aux goûts et aux traditions de notre pays normand (ce qui est très touchant pour les voyageurs français), tandis que l'élément britannique est non moins attaché aux usages anglais.

Ensuite, les Etats do l'Union peuvent être partagés d'abord en deux zones climatériques distinctes : le Nord et le Sud, entre lesquelles le 38e degré de latitude établit à peu près le partage.

Les goûts, les habitudes et le caractère des habitants du Midi diffèrent de ceux de la zone du Nord,


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un peu comme cela existe en Europe : les différences de climat et d'altitude influent sur toute l'espèce humaine, et il en résulte que, les Etats-Unis étant très vastes, il existe des différences marquées entre les goûts des habitants de l'Est et ceux du centre et de l'Ouest, et cela, aussi bien dans le Nord que dans le Sud.

L'élément germanique abonde clans le Nord et le Nord-Est des Etats-Unis, principalement dans la partie qui avoisine le Canada : on compte au moins trois cent mille sujets d'origine allemande à Chicago et environ cinquante mille à Mihvaukee ; plus d'un tiers de la population de Cincinnati est d'origine allemande. Tout en fusionnant avec les Américains anglais, et tout en parlant la langue anglaise parfaitement, cette colonie germanique a adopté dans Cincinnati un quartier spécial de la ville qu'ils appellent « Over the Rhine », sur le Rhin, où ils se plaisent à conserver entre eux le langage et les habitudes d'outre-Rhin.

Cependant, presque tous ces Allemands sont naturalisés Américains après sept ans de stage. Ils adoptent franchement leur nouvelle patrie; mais leurs goûts et leurs tendances se transforment plus lentement: on juge surtout de cela dans l'architecture de leurs résidences.

Dans le Sud des États-Unis et en Californie, on retrouve davantage la trace des races latines, par suite du voisinage du Mexique et des Antilles, et à cause du séjour des Français dans la Louisiane et dans la Floride.


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Dans les centres de population les plus anciennement fondés, tels que les États qui avoisinent l'Atlantique, principalement dans ceux que l'on désigne sous le nom de « New-England » (NouvelleAngleterre), la fusion des races est très complète ; l'éducation est solide, les institutions y sont très puis^- santes, et les résultats sont très marqués.

Ce sont ces institutions qui font graduellement rayonner leur influence et qui stimulent l'émulation sur tout le territoire des États-Unis ; puis, la décentralisation s'accentue aussi complètement que possible.

Malgré ces différentes nuances, l'esprit actif, entreprenant et spéculateur, qui est si naturel aux Américains domine partout.

On prétend, en Amérique et en Angleterre, que l'influence de l'air sec et vivifiant que l'on respire aux États-Unis favorise beaucoup l'activité remarquable de toute la population, et la développe sensiblement ; j'ai lieu de croire que cette appréciation est très exacte.

Il me paraît donc judicieux de penser que, dans un temps relativement peu éloigné, d'après ce qui existe déjà, puis, eu égard à la marche rapide des événements et aux effets de l'instruction et de l'éducation, qui sont répandues extrêmement largement, l'acclimatation et la fusion des nationalités sera complète. Elle formera, au point de vue du goût et du caractère, un ensemble homogène dans lequel les nouveaux arrivants de l'ancien continent seront absorbés, ainsi que Cela a lieu dans tous les centres plus anciennement fondés ; et le goût américain, qui a déjà un


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caractère « sui generis », parce qu'il résulte de l'étude et de l'appréciation comparative des oeuvres des artistes de tout l'ancien continent, se généralisera nettement.

Dans son ensemble, le caractère du goût américain est d'être net, précis, hardi, très expressif et d'une certaine originalité.

Sans parler des artistes transcendants qui sont doués d'une aptitude spéciale et qui semblent être prédestinés pour les Beaux-Arts, un grand nombre d'Américains sont artistes; et, si l'attrait des affaires, l'entraînement de la spéculation et la poursuite des moyens rapides d'acquérir la fortune ne les absorbaient pas, il est certain qu'un bien plus grand nombre d'entre eux suivraient la carrière des Beaux-Arts (1). Or, lorque les Américains abordent un travail quelconque, ils s'appliquent à le traiter d'une manière supérieure ; mais, en gens pratiques et sérieux, ils s'occupent d'abord des choses matérielles et lucratives, puis les Beaux-Arts viennent ensuite.

J'ai trouvé, dans les Etats de l'Est principalement, que non seulement le goût, mais la pratique desBeauxArts ont acquis une importance notable : l'exposition de Chicago a démontré cela dans une certaine mesure.

L'art de la peinture et la sculpture statuaire y sont très en honneur.

Tous les genres de dessin sont très étudiés ; la gravure d'estampes à la pointe et à l'eau-forte et la

(1) D'après un axiome généralement admis, « il n'y a que les occupations qui font gagner beaucoup d'argent qui ont le sens commun ».


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gravure sur médailles sont remarquablement bien faites.

La photographie et la photogravure y sont arrivées à un haut degré de perfection.

La littérature y est très travaillée ; l'art dramatique, la musique savante et la chorégraphie y sont traitées par des artistes relativement peu nombreux, mais doués d'un vrai talent.

Quant à l'architecture américaine moderne., on doit reconnaître que sa composition et son exécution sont arrivées à un degré véritablement savant et remarquable ; mais le style généralement adopté maintenant n'est pas dans le goût français, cependant, il commence à s'insinuer chez nous.

Institutions artistiques

Les arts que je viens d'indiquer, y compris la déclamation, sont enseignés dans des institutions particulières, relativement nombreuses et considérables. Il existe aussi aux États-Unis de très grandes universités, telles que celles de Cambridge, de Saint-Louis, de Philadelphie, du Michigan, à Ann-Arbor, de Johns Hopkins, à Baltimore, celle de Yale, dans le Connecticut, celle de Leland junior, à Palo-Alto, près de SanFrancisco, et l'université de l'Etat de Californie, puis l'université Paul Tulane, dans la Louisiane, et d'autres encore où, à l'enseignement des lettres et des sciences, on annexe accessoirement l'enseignement des Beaux-


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Arts, et en particulier celui du dessin, de l'architecture et de la musique.

En principe, aux Etats Unis, les Beaux-Arts sont placés sous l'égide du gouvernement central de l'Union Américaine, et du gouvernement spécial de chacun des États qui composent l'Union.

Les musées nationaux et les musées municipaux ne sont pas exclusivement officiels ; les écoles nationales des Beaux-Arts, les conservatoires et les académies nationales de musique ne sont pas dirigées exclusivement par le gouvernement ou par les administrations municipales, comme en France.

En réalité, l'initiative privée et l'initiative des sociétés artistiques qui existent dans les principaux centres de population des États-Unis sont les éléments actifs, le ferment des arts dans tout le pays. Ces sociétés sont reconnues par l'État, qui semble leur dire : « Aidez-vous, je vous aiderai. »

En Amérique, comme en Angleterre, les populations ne sont pas habituées à compter sur l'initiative du gouvernement ni sur sa participation effective; si parfois il existe des subventions du gouvernement, elles sont très rares.

Il en est de même des autres entreprises industrielles et financières : le gouvernement les favorise ; mais il ne les subventionne que bien rarement en espèces. Il est moins avare des concessions de terrain; grâce à ce moyen, les compagnies de chemins de fer, les universités, les écoles publiques et autres établissements analogues sont indirectement subventionnées;


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elles reçoivent des concessions de vastes étendues de terrain, à l'aide desquelles elles s'installent très largement et s'organisent, puis elles se créent des revenus avec la quantité surabondante des terres concédées, qu'elles utilisent en nature, ou qu'elles revendent en détail ; ces sortes d'institutions sont ainsi quelquefois très largement dotées.

Les grandes villes, telles que New-York, Washington D, C, Boston, Philadelphie, Saint-Louis, Chicago, Detroil, Cincinnati, Baltimore, etc., possèdent des musées provinciaux semi-officiels auxquels des institutions artistiques sont annexées, et ils sont conrfiés à la direction de comités spéciaux.

La plupart des musées auxquels je viens de faire allusion ont eu pour origine des donations particulières, et ils sont encore enrichis très fréquemment par des dons généreux, dont je me propose de vous citer plusieurs exemples dans quelques instants.

A côté de ces grandes institutions régionales semiofficielles, il existe un grand nombre de sociétés artistiques très importantes qui sont reconnues d'utilité publique, et dont les travaux très sérieux sont absolument méritoires et exemplaires.

Je citerai, entre autres : à New-York :

« La Société des Artistes américains ;

» L'Académie nationale de dessin ;

» La Société des Aquarellistes de New-York ;

» La Ligue des élèves des Beaux-Arts ;

» La Galerie américaine des Arts ;

» La Société historique ;

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y, A Philadelphie : Le Cercle des Beaux-Arts ;

» La Ligue de l'Union (Union league) (1) ;

» Le Musée et l'École des Arts industriels ;

» A Boston : Le Cercle des Beaux-Arts ;

» L'Ecole de dessin et de peinture ;

» La Société de la peinture et des terres cuites ;

» La Société de l'Art décoratif ;

L'Institut du Maryland, à Baltimore (où sont plus spécialement des classés de dessin et de peinture appli^ qués à la mécanique) ;

L'Athenoeum(S) de Baltimore ;

L'Institut Peabody, à Baltimore, dont une partie est consacrée à des collections d'objets d'art et à l'enseignement des Beaux-Arts ;

La Galerie Croker, à Sacramento, etc., etc.

Je signalerai accessoirement :

La Compagnie de gravure et la Compagnie de lithographie^ à Boston.

Il va sans dire que l'énuhniération que je viens de faire des universités, des musées de grandes villes et des dix-sept sociétés artistiques que je viens de citer, est très incomplète ; mais, outre qu'il serait fastidieux pour vous de lire une nomenclature plus

(1) Pendant mon séjour à Philadelphie, j'ai visité une exposition de peinture organisée par la Ligne de l'Union ; il y avait là une collection très intéres^ santé, composée exclusivement d'oeuvres de choix prêtées par des amateurs et dont le nombre s'élevait à 206, dont 98, au moins, étaient signées par des artistes français modernes de premier ordre.

(2) La galerie, de tableaux de l'Athenoeum est relativement restreinte, mais elle est très intéressante. J'y ai relevé les détails que l'on trouvera plus loin, au chapitre de la peinturé.


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longue, elle n'aurait pas une bien grande utilité, les autres institutions étant relativement secondaires et fondées sur les mêmes bases.

Je pense que la description des principales sociétés et quelques extraits de leurs statuts suffiront pour vous démontrer l'importance que l'on attache aux BeauxArts et à leur enseignement aux Etats-Unis.

Les ressources financières de ces établissements proviennent de dons généreux, de cotisations plus ou moins élevées, du prix des entrées dans les musées, de la vente des calalogues, etc. En général, ces catalogues sont très bien faits, et, par suite, ils sont recherchés.

Généralement, les cours des écoles des BeauxArts sont gratuits, les écoles étant subventionnées par les universités et par les sociétaires ; dans tous les cas, autant que j'ai pu l'apprécier, les droits d'inscriptions sont relativement très modiques.

En plus des subventions particulières effectives, les sociétaires et les amis des Arts prêtent aux musées, pour un temps déterminé, aussi bien pour une saison ordinaire que pour une exposition spéciale, les peintures et les oeuvres d'art qu'ils possèdent, et les tableaux nouveaux qu'ils viennent d'acquérir, de sorte que les expositions permanentes ou temporaires sont toujours bien ornées.

Presque toujours, lessalles des musées municipaux et les galeries privées sont ouvertes gratuitement au public pendant deux ou trois jours par semaine. J'ai constaté qu'il y a toujours de nombreux visiteurs dans


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ces musées, surtout les jours gratuils : les détails officiels suivants donneront une idée de l'affluence des personnes qui visitent le musée de peinture, de sculpture et de moulage, à Boston :

En 1892, il est entré 19,795 visiteurs payants ; »» »» 153,928 visiteurs pendant les

jours gratuits. En 1892, entrées de faveur pour les élèves des écoles et les abonnés à l'année . . . „ . 62,922

En totalité 236,645 visiteurs en 1892.

Ce qui produit en moyenne les nombres suivants :

Lessamedisjoursgratuits, 1,076 visiteurs par jour;

Les dimanches » » 1,873 » »

Les jours payants, à raison de 1 fr. 25 par personne. 77 » »

La vente des catalogues du musée de Boston a produit, en 1892, la somme de 1,745 dollars 52 « cents » ce qui correspond environ à 8,727 fr. 60 centimes.

Grâce aux généreuses dotations et à l'ordre parfait qui préside à l'administration des sociétés artistiques, leurs ressources sont considérables et leur fonctionnement est parfaitement assuré.

Afin de faire bien comprendre le rouage de ces institutions, leur fonctionnement, les pensées qui onl présidé à leur fondation, le but qu'elles poursuivent et les résultats qu'elles peuvent donner, je crois devoir vous citer maintenant quelques extraits des statuts de plusieurs de ces sociétés.


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Le musée des Beaux-Arts de la ville de New-York, «The Metropolitan Muséum ofArt»,a été fondé en 1869, en vertu d'une loi qui a eu pour but « d'établir un « musée et une bibliothèque d'ouvrages d'art, d'enoou« rager et de développer l'étude des Beaux-Arts en vue « de faire appliquer aux manufactures et aux choses « de la vie usuelle les résultats des études artistiques, « enfin pouraccroître les connaissances des citoyens, et, « dans ce but, de vulgariser l'instruction et l'éducation « artistiques ».

L'Académie nationale de dessin' de New-York a déjà 68 ans d'existence ; presque tous les artistes qui se sont distingués en Amérique ont suivi les cours de cette institution, ou ils en ont fait partie.

Cette Académie est composée d'un conseil supérieur, puis du « Jury of sélection », de la commission de la mise en place des oeuvres d'art (Hangingcommittee), de la commission du catalogue, d'un surintendant, d'une centaine d'académiciens et d'une cinquantaine de sociétaires (associâtes). L'installation des salles d'exposition est superbe. (1)

Les cours ont lieu le jour et le soir, depuis le premier lundi d'octobre jusqu'au milieu de mai ; la liste des anciens étudiants qui ont fréquenté l'Académie nationale est très riche de célébrités

Ces cours comprennent l'étude des oeuvres antiques l'école de peinture, l'enseignement de l'esquisse pour

(1) En général les salles d'exposition de tableaux sont éclairées le soir par l'incandescence électrique, et elles restent ouvertes au public jusqu'à 10 heures ; il en est de môme en Angleterre.


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l'étude des draperies sur les modèles vivants, la classe décomposition, qui a pour but de développer chez les élèves les facultés de l'invention et de l'imagination ; les professeurs donnent le sujet sur lequel les élèves doivent composer un dessin original.

Une série de conférences sur la perspective est donnée pendant chaque session annuelle, avec une série analogue de conférences sur l'anatomie dans son rapport avec l'art (Art anatomy), ce qui n'exclut pas certaines autres conférences de temps à autre. Il y a chaque année deux expositions principales ; celle qui a lieu au printemps est la plus importante : elles sont aux États-Unis ce qu'est le Salon à Paris, et l'exposition de l'Académie Royale à Londres.

De nombreux prix, consistant en médailles d'argent et de bronze et en diverses sommes d'argent sont offerts annuellement par de généreux citoyens. L'un de ces prix est de 3,750 fr. ; il est offert par M. William F. Havemeyer : il doit être attribué à l'élève le plus méritant, qui est invité à utiliser cet argent « en allant « étudier les Beaux-Arts à l'étranger. Dans l'attribution « de ee prix, le jury doit tenir un grand compte des <* connaissances acquises par le concurrent dans les « sections d'anatomie et de perspective ».

Il y a aussi des prix fondés pour les lauréats des expositions annuelles, à savoir :

Le prix Thomas Clarke est de 1,500 francs « pour « la meilleure composition avec personnages ; elle doit « avoir été peinte par un citoyen des États-Unis, de « n'importe quel âge. »


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Le 1" prix Julien Hallgarten est de 300 dollars, le 2» de 200 dollars et le 3° de 100 dollars, soit 1.500,1.000 et500fr., « attribuables aux trois meilleurs tableaux « peints par des citoyens des États-Unis au-dessous de 35 ans. » Le prix William Dodge, 1,500 francs pour le meilleur tableau « peint par une femme des Etats« Unis, de n'importe quel âge. »

Je pense qu'il serait superflu de prolonger cette citation spéciale: examinons sommairement les statuts des autres sociétés.

Le Cercle des Beaux-Arts de Boston fut fondé en 1854, avec un nombre d'adhérents limité à vingt membres, qui étaient presque tous des artistes de profession. Son but est « de faire progresser l'étude et l'amour de « l'art : 1° au moyen d'expositions des oeuvres d'art de « ses membres; 2° par l'acquisition de livres, journaux « et revues convenables pour former une bibliothèque « d'ouvrages d'art ; 3° par des conférences sur des « sujets artistiques; 4" par d'autres moyens similaires. « enfin, cette société a pour objet de provoquer des « rapports agréables entre ses membres. »

La Société Bostonienne des arts décoratifs, fondée en 1878 a pour objet « d'élever le niveau des études « du dessin applicable aux ouvrages fabriqués à la « main et mécaniquement, et de donner des conseils à « tous ceux qui emploient, pour des oeuvres décorati« ves, l'aiguille, le pinceau ou la spatule à modeler, « afin que les objets produits ou décorés par cet ordre « d'artistes puissent être flatteurs à l'oeil et plaire aux « amateurs qui ont le goût cultivé ».


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Le Cercle des arlistes peintres et des modeleurs de terre cuite, « The Paint and Clay Club », a été fondé définitivement en 1882, au nombre limité de 40 membres, « qui doivent tous être familiers avec les Beauxce Arts, la littérature ou la musique ».

L'école normale des Beaux-Arts du Massachusetts a pour but « de préparer des professeurs pour les écoles « de dessin industriel qui existent dans cette province, « et pour qu'ils puissent diriger les classes de dessin « dans les écoles publiques ».

L'Institut des Arts de Chicago possède l'un des musées les plus importants et les plus florissants des États-Unis; une école des Beaux-Arts y est annexée, elle renferme 500 étudiants.

L'Académie des Arts de Cincinnati est sous la direction de l'Association du musée de Cincinnati ; quatorze professeurs et conférenciers y sont attachés, et les élèves qui fréquentent les cours, du jour et du soir, sont au nombre de plus de quatre cents. Tous les cours des divers genres d'art sont absolument gratuits.

J'ai déjà fait allusion aux donations généreuses dont les institutions artistiques sont l'objet, mais on se fait difficilement une idée de la générosité de certains personnages américains, dont le nombre est relativement très grand ; permettez-moi de vous citer quelques exemples :

Le Musée de la ville de Washington D. C, qui est extrêmementbrillant, aété donné à l'Etat, Iel0mail869, par feu M. Wm Wilson Corcoran. Cette donation, faite en règle à un comité de quatorze membres, avait pour

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but, selon l'expression du donateur, l'encouragement des Beaux-Arts ; et, en fait, le but de cette institution était précisé : « C'était pour l'établissement et l'encou« ragement à perpétuité des arts de la peinture, de la « sculpture et des Beaux-Arts en général. »

La donation comprenait : « le terrain nécessaire à « l'institution projetée, puis la collection complète des « oeuvres d'art que possédait M. Corcoran, ensuite une « dotation de 900.000 dollars soit 4.500.000 fr. tant pour « la construction du palais nécessaire à la nouvelle « Institution que pour l'acquisition successive d'objets « d'arts destinés àcompléterla collection et maintenir sa « supériorité. ».

Il était spécifié que le musée serait ouvert gratuitement au public au moins pendant deux jours par semaine, et que la somme des entrées, d'un prix minime, qui pourraient être perçues les autres jours, serait appliquée à couvrir les frais d'entretien.

Comme complément de la donation considérable de M. Wm Corcoran, Madame B.-O. Tayloe, de Washington, a fait hommage à ce musée de la collection très intéressante d'objets d'art que possédait son mari.

J'ai conservé le catalogue des objets contenus dans cette double collection, dont l'ensemble estsplendide; je signalerai, plus loin, les sujets qui, entre autres, m'ont le plus frappé.

J'ajouterai que les galeries de tableaux de Washington, de New-York, de Boston, de Philadelphie, de Delroit, de Baltimore, de Chicago, m'ont paru être, dans leur ensemble, très richement et très intelligem-


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ment garnies : toutes les écoles européennes, anciennes et modernes, y sont plus ou moins représentées. Les Américains ont fait pour cela de grandes dépenses; mais le plus grand nombre des oeuvres choisies, pour ne pas dire toutes, témoignent du bon goût et des connaissances des acquéreurs, et leur font honneur.

Après cette digression, je dois citer encore quelques exemples de générosité. Le musée de New-York s'est enrichi de cinquante et un tableaux de marines qui lui ont été donnés par M. Cyrus W. Field ; ces tableaux représentent les différentes phases de la pose du premier cable transatlantique sous-marin.

La plus ancienne institution artistique, entre toutes celles du nouveau continent, est l'Académie des Beaux-Arts de Pensylvanie, qui fut fondée en 1805. Son musée a été orné graduellement, puis le quatrième de ses présidents, M. Carey, lui a légué un grand nombre de peintures de l'école anglaise ; ensuite, M. Joseph E. Temple lui a fait don de 32 tableaux de choix, et enfin, M. H.-C. Gibson lui a légué, pour un avenir prochain, une centaine de toiles, oeuvres d'artistes étrangers des plus avantageusement connus ; et, grâce à la générosité de ces principaux donateurs, le musée de peinture de l'Académie de Pensylvanie deviendra l'un des plus riches de l'Union Américaine.

Le musée des Beaux-Arts de Boston, qui a été londé en 1870 par l'initiative et avec le généreux concours de la Société Bostonienne de l'Athénée, a pris une grande importance par suite de la donation de


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M. Charles Sumner et d'une série ininterrompue de dons particuliers.

Ce musée contient de jolies collections d'objets d'art antiques., de moulages intéressants, d'un grand nombre de tableaux, de dessins, de gravures de statuettes grecques et romaines et d'antiquités égyptiennes.

On pourrait faire un volume très édifiant en citant les principaux actes de générosité des Américains fortunés, en indiquant non seulement ceux qui concernent les arts, mais aussi ceux qui se rattachent à toutes les oeuvres philanthropiques. Les noms de Harvard, Colby, Brown, Bowdoin, Clark, Yale, Cornell, Colgate, Stamibrd, Crozer, Tulane, Vanderbilt, Johns Hopkins, Peabody, tous fondateurs ou bienfaiteurs de très grandes institutions sont devenus immortels aux Etats-Unis.

La plupart des universités sont dotées d'oeuvres d'art, d'édifices entiers et de collections scientifiques rares, à titre d'hommage d'anciens étudiants. Les exemples de dons et de legs de la valeur d'un million de francs ne sont pas rares : l'université Harvard à Cambridge, près de Boston, pour ne citer que celle-là, se compose d'un grand nombre d'édifices très considérables, dont la valeur lui a été généreusement donnée.

Le grand philanthrope George Peabody a légué à son pays 5,310,000 dollars, soit26,550,000 francs, exclusivement pour propager l'éducation aux ÉtatsUnis.

La fondation de l'Institut Peabody à Baltimore, que j'ai cité il y a un instant, est comprise dans cette somme pour 5 millions de francs.


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En plus de cela, ce généreux citoyen a légué spécialement 2,500,000 dollars, soit 12,500,000 francs pour améliorer les asiles des pauvres de Londres.

A côté des collections de peinture qui appartiennent à des sociétés, il ya de nombreusescollections particulières richissimes; on en cite environ seize principales à New-York, notamment celles de Mra° W.-H. Vanderbilt ; on en cite également six à Philadelphie. Il suffit d'adresser au propriétaire une demande, accompagnée d'une carte de visite, pour recevoir l'autorisation de visiter ces galeries privées. La collection de M. W. T. Walters, à Baltimore, l'une des plus riches qui existent aux États-Unis, est ouverte aux visiteurs moyennant un droit d'entrée de 2 tr. 50 au bénéfice des pauvres.

Au Canada, il existe aussi diverses sociétés artistiques importantes, fondées sur les mêmes principes de confraternité active et cotisée, renforcées par des donations généreuses, semblables, en un mot, à celles des États-Unis.

Autant que j'en puis juger, la plus importante association est celle de Montréal, « Art Association of Montréal » ; elle est exclusivement anglaise.

' Cette Société possède un joli musée, et elle venait de recevoir (en 1892) de M. Tempest le legs de 36 tableaux à 4'huile et de 24 aquarelles, dont la valeur est estimée 19,495 dollars, soit environ 97,475 francs. Outre ce' don en nature, M. Tempest a légué une somme d'environ 70,000 dollars (350,000 fr.), dont le revenu net, 7,500 fr. (dégagé des charges obli-


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gatoires), sera consacré à l'acquisition de tableaux pour le musée.

Après 1' « Art Association of Montréal », il y a la « Royal Cànadian Academy », 1' « Ontario Society of Artists », dont le siège est à Toronto, « 1' Art Association d'Ottawa», le musée de peinture de Québec, l'un des plus riches du Canada, qui contient de nombreuses oeuvres d'art, et enfin les collections françaises du séminaire de Québec, fondé en 1663 par Mer de Laval, premier évèque de Québec.

Malheureusement, toutes les oeuvres d'art, d'une valeur égale à leur rareté, que contenait la chapelle du séminaire furent détruites par un incendie, en 1887.

Je dois à la gracieuse obligeance du Révérend Père O'Leary, professeur d'histoire canadienne et de langue anglaise à ce séminaire, des détails très intéressants sur les collections de cet établissement considérable et sur la ville de Québec.

M. O'Learv m'a fait voir le livre d'heures de Marie Stuart, avec décors style gothique et enluminures splendides; j'ai pu voir aussi un autre missel admirablement enluminé. Il se trouve là également une très belle collection d'incunables, qui est conservée constamment dans un appartement à l'épreuve du feu.

Dans la salle des réceptions de ce séminaire, on voit un beau portrait de Pie IX et deux autres portraits de cardinaux romains ; l'un de ces tableaux est d'une exécution très remarquable : je regrette de n'avoir pas pu constater le nom de l'auteur.

La collection de peinture se compose principale-


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ment d'oeuvres flamandes, d'un tableau d'Annibal Carrache, d'un Le "Brun, d'un Van Dyck, de deux paysages miniatures genre Boucher, puis, de diverses copies très réussies de tableaux de maîtres; enfin, il y a une série de six tableaux de l'école flamande, qui sont très remarquables parce que chacun de ces tableaux représente des sujets éclairés exclusivement par des effets de lumière artificielle.

Plusieurs jolis bustes de personnages historiques ornent le salon de peinture que je viens d'analyser. L'un de ces bustes m'a particulièrement frappé ; c'est celui du général Wolfe (le vainqueur de Montcalm), oeuvre d'un mérite authentique. Le front fuyant et le menton en pointe qui caractérisent le visage du général ne rendent pas la belle expression noble que' l'on s'attendrait à rencontrer chez un homme de cette valeur.

A l'exposition régionale de Toronto, la Société des Artistes de l'Ontario avait présenté 233 tableaux à l'huile et 267 aquarelles dûment catalogués ; ces tableaux étaient pour la plupart offerts en vente, et un certain nombre étaient prêtés à titre gracieux.

Dans cette exposition, j'ai vu fort peu de sujets remarquables à noter: je dois dire que je les ai visités très rapidement. Ce qui est à constater, dans une ville d'un développement tout moderne, c'est l'importance de cette exposition régionale artistique, le nombre des artistes de profession, l'affluence des visiteurs et les tendances manifestes des populations en faveur des Beaux-Arts.

Tout ce qui précède concerne principalement la


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peinture, la sculpture, le dessin et ce qui s'y rattache ; des institutions similaires sont organisées à peu près sur les mêmes bases pour la musique et les autres arts.

Dans presque toutes les universités, dans un grand nombre d'écoles, il y a des classes de musique élémentaires ; mais il existe aussi des institutions lyriques spéciales, dont celles de Boston, qui sont les principales, peuvent faire apprécier l'importance.

Je citerai d'abord le conservatoire de musique de la Nouvelle-Angleterre, qui fut fondé à Boston par feu le Dr Eben Tourgee, qui est l'initiateur de ce système d'enseignement en Amérique.

C'est, paraît-il, l'institution musicale la plus vaste et la plus complète qui existe et qui renferme le plus grand nombre d'élèves.

On y enseigne la musique sous toutes les formes et, par extension, les langues étrangères, la littérature, l'art de la parole, le dessin, la peinture et la sculpture.

Il y a une classe d'enseignement pour l'accord des pianos et des orgues.

Il s'y trouve au moins cinq cents chambres pour les jeunes filles élèves du conservatoire qui y prennent pension.

A Boston également, se trouve la Société Handel et Haydn, fondée en 1815, et qui est antérieure à toutes les sociétés similaires, excepté à la Société musicale de Stoughton, qui fut organisée en 1786.

Le but de la Société Handel et Haydn était de cultiver avec goût et d'améliorer la musique sacrée. On y exécute des oratorios, et, depuis 1816, on a donné,


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pendant les soixante-seize saisons qui se sont écoulées, près de sept cents concerts dans la salle des auditions musicales de Boston. — Cette société compte environ cinq cents membres.

La Société musicale Harvard, à Cambridge Boston, qui date de 1837, a pour but « de faire développer et « progresser la science de la meilleure musique ». Elle possède, pour ses adhérents, une riche bibliothèque musicale et des ouvrages relatifs à l'histoire de la musique, aux théories musicales, en un mot à toute la littérature musicale.

De plus la ville de Boston possède les sept sociétés principales suivantes : il y a « le Club d'Apollon », « Apollo Club » fondé en 1871 par plusieurs artistes chantres d'église « pour exercer des choristes et des solistes à la musique religieuse ». Ce Cercle se compose de soixante à quatre-vingts membres actifs et de cinq cents associés.

Le Cercle de « Boylston » est une société musicale privée, fondée en 1872 pour l'étude de la musique vocale par les hommes seulement ; en 1876, on a revisé les statuts, afin de permettre d'avoir des dames auxiliaires pour les choeurs.

Ce Cercle fait entendre les oeuvres des grands compositeurs : cantates, messes, psaumes et quatuors chantés ; elle laisse les oratorios aux attributions de la Société Handel et Haydn. Ce cercle se compose aujourd'hui de quatre-vingt-dix messieurs et de quatrevingt-dix dames.

La Société Cécilienne, qui émane de la Société


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musicale Harvard, est au nombre de deux cent cinquante membres, qui s'appliquent à la musiquevocale.

La Société musicale Orphée est une association musicale primitivement composée d'Allemands; mais les Américains anglais y sont admis maintenant, à la condition de pouvoir chanter en allemand ; cependant, les actes administratifs et les archives de la Société sont rédigés en anglais.

La Société Philharmonique de Boston, organisée en 1880, est composée d'un grand nombre de membres ; ses statuts sont semblables à ceux des autres sociétés.

Enfin « l'Orchestre symphonique de Boston » est une grande société orchestrale permanente, fondée grâce à la munificence de M. Henry Lee Iligginson. Pendant la saison, cette Société donne à Boston des concerts hebdomadaires qui ont contribué beaucoup, paraît-il, à faire apprécier la musique classique par la population.

Il va sans dire qu'il existe dans les Etats-Unis un grand nombre d'autres sociétés artistiques et musicales dans le genre de celles que je viens de citer, notamment le conservatoire de musique de l'Utah à Sait Lake City, qui est ouvert depuis deux ans seulement et qui a déjà pris une importance de premier ordre, par suite de l'excellence de l'enseignement qui y est donné. L'importance de ces sociétés est en rapport avec l'ancienneté de la fondation et la prospérité des centres où elles existent; ce qui est certain c'est que, généralement, les arts et la musique sont très appréciés, et que, de l'exemple donné par les grandes villes de l'Est et de

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l'instruction qui y est propagée, il résulte un courant qui se généralise graduellement et naturellement parmi les populations de récente formation dans le centre et dans l'Ouest. Dès qu'une nouvelle ville prend un peu d'importance, aussitôt on y construit des monuments somptueusement décorés, des écoles, un théâtre et une académie de m isique, c'est-à-dire une salle de spectacle spéciale pour les oeuvres musicales. Toutes ces institutions artistiques sont pourvues d'une riche bibliothèque, composée de toutes les publications instructives sur les Beaux-Arts émanant des sociétés américaines et des écrivains européens.

Parmi les constructions monumentales qui ornaient le parc de l'exposition de Chicago, il y avait plusieurs pavillons pour les musiques d'harmonie ; mais il y avait surtout une immense salle de concerts qui avait été construite exprès pour les concours de musique vocale et instrumentale entre les diverses sociétés musicales internationales; les institutions musicales des États-Unis en ont plus spécialement profité.

Telles sont, Messieurs, les notes que j'ai pu me procurer relativement aux questions que vous m'avez posées, lors de mon départ, sur l'organisation, le fonctionnement et les ressources des institutions artistiques aux Etats-Unis : vous pouvez maintenant en induire quel est le degré d'influence que peuvent avoir des sociétés aussi bien conçues, aussi richement dotées, aussi énergiquement et intelligemment conduites.

Afin d'ajouter encore quelque lumière sur le.sujet qui nous intéresse, je vais essayer de vous énumérer


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les diverses oeuvres artistiques de tous genres qui ont le plus spécialement attiré mon attention pendant mon séjour sur le continent américain. Quelle que puisse être cette énumération, elle vous permettra, je l'espère du moins, de mieux apprécier les résultais produits et le degré d'influence réalisé par les divers établissements dont il vient d'être question.

Une telle énumération sera fatalement très longue; cependant elle sera fort incomplète, je n'ai pas pu aller partout. Pendant ma course rapide, beaucoup de belles oeuvres ont dû m'échapper, puis, je me suis attaché surtout aux sujets qui ont le plus attiré mon attention par leur composition intelligente et harmonieuse, par leurs belles proportions et par une exécution plus ou moins parfaite ; toutefois, je me suis attardé un peu plus longuement sur les oeuvres qui consacrent des souvenirs historiques.

Je vous entretiendrai d'abord de la peinture, puis de la sculpture, de l'architecture, un peu de la musique et'du théâtre.

CHAPITRE II

Peinture

Autant que j'ai pu l'apprécier, l'école de peinture américaine n'est pas encore caractérisée ; actuellement, c'est une école cosmopolite qui émane de toutes les autres, et surtout des écoles modernes.

De nombreux peintres célèbres individuellement ont existé, et il en existe encore un plus grand nombre;


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mais je n'ai pu démêler aucun genre spécial généralisé qui puisse caractériser une école, selon l'expression reçue.

D'après les observations que j'ai faites et que j'ai eu l'honneur de vous communiquer, il me paraît évident que les nombreuses institutions artistiques telles que celles de New-York, Boston, Philadelphie, Chicago, San-Francisco, donneront naissance à des écoles.

Tout d'abord, les oeuvres produites auront probablement un caractère général ; puis, insensiblement, chacune de ces localités imprimera à ces productions un cachet particulier en rapport avec ses idées, ses sites, son climat et ses moeurs.

Quant à présent, il existe un nombre relativement important d'artistes qui étudient d'abord dans leurs localités natales ; ensuite ils se rendent dans les centres artistiques américains, et enfin, lorsqu'ils le peuvent, ces artistes font le tour de l'Europe, étudient surtout à Paris, à Florence ou à Rome, puis ils viennent appliquer dans leur pays les principes européens.

Leurs précurseurs ont agi ainsi, et il en sera de même pendant quelque temps encore ; mais, insensiblement, ces artistes, qui sont généralement travailleurs, ayant acquis une certaine réputation, formeront des élèves, ainsi que cela a déjà eu lieu ; et, grâce aux nombreuses collections de peinture des meilleurs maîtres européens, acquises à grands frais, qui existent maintenant en Amérique et qui leur serviront de référence, les jeunes élèves sentiront moins le besoin de venir en Europe. Ils s'inspireront des goûts de leur pays et des


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sujets locaux qu'ils auront à traiter, et la grande école américaine, avec les nombreuses subdivisions qui résulteront de la diversité de son immense étendue, sera fondée.

Loin de moi la pensée de prophétiser: en pareille matière, il n'est pas possible de rien affirmer ; il faut faire la part de l'imprévu. Sans parler des crises sociales, l'art de la photographie, par exemple, a déjà remplacé la miniature; si l'on réussit à la produire en couleurs, cela pourra, dans un temps donné, faire tort à une certaine catégorie d'artistes.

En résumé, ce sont là les probabilités qui me paraissent résulter actuellement de ce que j'ai vu et du courant que j'ai constaté sur un grand nombre de points, et principalement à l'exposition de Chicago.

Cette exposition a été l'objet de critiques très sévères de la part des écrivains français : je n'entreprendrai pas de discuter ces critiques, le temps en fera justice ; mais il est incontestable qu'elle a été extrêmement instructive et suggestive pour les étrangers, et qu'elle leur a donné la mesure de la vitalité et de la puissance du génie américain.

Le 3 juin 1893, un rédacteur du Graphie de Chicago s'exprimait ainsi au sujet des Beaux-Arts à l'exposisition : « Nous devons avoir foi dans l'utilité des Beaux-Arts, non pas comme dans un élément qui doit satisfaire notre curiosité ou qui peut être d'une utilité commerciale, mais parce que c'est une aspiration que nous devons aimer et chérir : c'est l'instrument gracieux de la vie spirituelle de notre époque. »


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« Un Américain très intelligent auquel j'ai été présenté à Détroit, M. Partridge, me disait : « L'Amé« rique est le grand centre d'avenir pour les oeuvres « d'art; j'en veux pour preuve les prix excessifs que « l'on paye pour les tableaux : n'a-t-on pas payé « 40,000 dollars (200,000 fr.) un tableau de Rosa Bon« heur ? »

De pareilles sommes sont bien attrayantes, et les hauts prix cotés sur les catalogues des oeuvresà.vendre sont de nature à encourager les jeunes gens de goût à se lancer dans la carrière des Beaux-Arts.

L'énumération suivante des toiles que j'ai le plus remarquées au Salon de l'Académie nationale de dessin donnera une idée des prix demandés pour des tableaux de dimensions moyennes : N° 59 Portrait très expressif du RévérendDocteur Grier, par George, A. Bartol

— 72 « Est-ce toi qui as tué ce poulet ? »

(question posée à un chien) tableau d'Arthur Lumley : 350 dollars. . . 1,750 fr.

— 78 Vénus et l'Amour, pastel par J.

Wells Champney, A. N. A. Prix

coté : 750 dollars 3,750 »

— 87 Groupes de pivoines, par Thomas

Hovenden, N. A., peinture à

l'huile. Prix demandé: 250 dollars. 1,250 »

— 103 Etude de paysage au printemps (eau

du lac très bien rendue), par

Henry P. Smith, cotée350 dollars. 1,750 »


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N° 104 « Un jour de marché à Auray, enBretagne », par WordsworthThompson, N. A. Prix demandé : 500 dollars 2,500 »

— 154 « La mer en plein soleil », par W.-T.

Richards, très bon effet d'eau et de roches, très naturel » »

— 165 « Le bien-être à la maison », (Home

. comforts), par J.-G. Brown, N. A. Prix demandé : 1,200 dollars (petit tableau) 6,000 »

— 211 « La mer basse à Cohasset », très

bonne marine, par A. Bricher, A.

N. A. Prix demandé : 900 dollars. 4,500 »

— 222 «La grande gorge dans les montagnes

du parc national de Yellowstone », paysage par Thomas Moran, N. A. Prix demandé: 2,000 dollars. . . . 10,000 »

— 224 «Lecôtédu soleil et l'ombre «(épisode

triste: chapelle ardente, d'un artisan pauvre, sujet bien rendu dans son genre), par George B. Brigman. Prix demandé : 800 dollars. . . . 4,000 »

— 280 « L'atelier du peintre » (où se trouve

une jolie figure de modèle), par Jared B. Flagg, N. A. Prix demandé : 1,000 dollars 5,000 »

— 274 * L'Ameya», scène chinoise, par Robert

Robert A. N. A. Sans indication de prix » »


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N° 322 « Dans la vallée de Rondout », paysage très finement peint par E.-L. Henry, N. A. Prix : 200 dollars 1,000 »

— 398 « Les Grâces auprès d'un berceau »,

par Luella W. Eisenlohr, sujet gracieux avec des voiles de gaze très vaporeusement rendus. Prix : 500 dollars 2,500 »

— 428 « Né au Manoir », très gentille scène

japonaise d'un vif coloris, parC. D. Weldon, N. A. Sans prix » »

— 417 «Lafille du Bourgmestre», joli pastel

par J. Wells Champney, A. N. A.:

300 dollars 1,500 »

— 270 « Une rose entre deux épines », petit

tableau de genre par J. G. Brown,

N. A. Prix demandé : 850 dollars. 4,250 »

— 325 « Un jour d'été », bon paysage avec

effet de lac bien rendu, par J.-W. Casilcar, N. A. Prix demandé:

1,000 dollars 5,000 »

Cette liste est loin d'épuiser tous les sujets qui, sur 450 tableaux exposés, avaient du mérite, ni tous les grands prix demandés.

Un des peintres américains dont les oeuvres bien caractérisées sont très estimées dans toute l'Amérique, est connu sous le nom de J. G. Brown, de New-York. C'est effectivement un peintre de grand talent dans son genre, dont les tableaux plaisent toujours : ils sont admi20

admi20


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rablement expressifs, extrêmement corrects, comme style et comme coloris.

M. J. G. Brown est né à Durham en Angleterre ; il a étudié la peinture à Newcastle et à Edimbourg. Il habite l'Amérique depuis 1853 ; il est maintenant président de la Société américaine des Aquarellistes.

Ce peintre a adopté principalement le genre des « Gavroches » ; il avait exposé sept petits tableaux à Chicago, N 08 209 à 215 du catalogue. Les titres seuls expriment un peu le genre que ces toiles représentent ; il y avait : « Une partie de cartes », « La provocation », « Le dressage du chien », « En route pour le rivage », « Regagnant la maison », « Dans la vieille chaumière », enfin « Quand nous étions jeunes filles ».

On a de lui aussi : à Philadelphie, un gentil tableau, « Le balayeur de neiges » ; un autre à Washington, « Allegro et penseroso » (Jean qui pleure et Jean qui rit) ; puis, à Détroit, une petite toile très drôle, ce sont deux jeunes gavroches avec leur petit chien, et l'un des enfants fait peur au chien avec un petit diable noir à ressort, qui s'élance subitement de sa boîte carrée.

« Le bien-être à la maison » est une composition charmante ; elle est cotée 6.000 francs sur la liste qui précède ; et, dans le tableau du même auteur intitulé « La rose entre les deux épines », la rose n'est pas ce que l'on pense : un joli petit chien ratier est supposé être la rose, et les deux épines sont deux petits cireurs de chaussures, de 9 à 10 ans, qui font faire l'exercice à ce petit chien. Cette petite scène n'offrirait aucun intérêt si elle n'était pas admirablement présentée, ce tableau


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mesure environ 65 centimètres de côté ; il figure au Salon de l'Académie nationale au prix de 4.250 francs. Il y a un grand nombre d'autres peintres américains dont les oeuvres mériteraient d'être citées ; mais le cadre de cette étude ne permet pas de grands développements, et cependant les détails dans lesquels je suis entré sont déjà très longs.

Toutefois, je dois signaler encore quelques oeuvres américaines remarquables qui ornent la galerie Corcoran à Washington, et ce que j*ai pu voir à l'exposition de Chicago.

Une des oeuvres qui frappent le plus dans le palais des Beaux-Arts de Washington, c'est le portrait du donateur, M. Corcoran, par Charles L. Elliott de NewYork, élève de Trumbull et de Quidor, New-York, puis le portrait de M. Vm Cullen Bryant par le même artiste. Ensuite, un paysage intitulé « Le départ » (pour le combat ou pour la chasse, scène du moyen âge), et son pendant, « Le retour » (avec personnage blessé), oeuvres de Thomas Cole, sont deux scènes admirablement rendues.

Il y a aussi une très belle série de portraits très joliment faits par Georges P. A. Healy de Boston, qui a été bien connu à Paris dans son temps, entre autres ceux de « M. Guizot », de « M. Robert Mac-Lane »j de « Madame Page », de « Martin Van Buren ».

Le portrait de « Shakespeare et de ses contemporains », par John Faëd, « Une scène d'automne sur la rivière de Hudson », par Thomas Doughty, « Vue d'un lac près de Lenox, Massachusetts », par M.W" Oddie,


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et « La letlre de l'émigré », par Oward Helmick, élève de l'École des Beaux-Arts de Paris et de Cabanel, sont, selon mon appréciation, toutes oeuvres de premier ordre.

Parmi les chefs-d'oeuvre français très intéressants qui figurent dans cette collection, je dois citer, en passant: un tableau de Charles-Louis Millier : Charlotte Corday en prison ; un autre de Michel Bouquet, intitulé : Dans les bois, épisode de chasse ; trois beaux portraits, par Léon Bonnat ; le régiment qui passe, par Détaille. Je voudrais pouvoir vous décrire beaucoup d'autres excellentes toiles qui s'y trouvent.

Le musée ou plutôt la galerie des tableaux de l'Athenoeum de Baltimore ne contient pas un grand nombre de tableaux, mais elle est intéressante. On y remarque d'abord des tableaux de premier mérite, tels que : « Une vierge à la chaise assistée d'un Ange », par Raphaël; « Vénus et Bacchus »,par Nicolas Poussin ; Saint Charles Borromée offrant son manteau pour l'adoration de la Vierge, par Murillo ; « Le Jugement de Calypso », par Rubens ; « Un fauconnier et ses chiens », par Sneyders; un tableau de Hogarth, une marine de Joseph Vernet et plusieurs autres chefs-d'oeuvre analogues. Ensuite, au point de vue pratique de l'enseignement de la peinture, il y a d'excellentes copies de quelques tableaux des meilleurs maîtres de l'Ecole Italienne ancienne ; à défaut des tableaux originaux et des oeuvres d'art classiques qu'une seule localité peut posséder, de bonnes copies sont très utiles dans un pays d'étude comme les États-Unis.

Le musée des Beaux-Arts de Détroit, Michigan,


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est un exemple de plus de la générosité des Américains. Il a été fondé en 1887, et, quoique que ce soit un vaste édifice, il est déjà insuffisant : M. Scripps lui a légué une collection splendide de tableaux de maîtres anciens, puis, M. Frederick Stearn a fait don de sa rarissime collection d'objets de curiosité provenant du Japon, de la Chine et des Indes Orientales, dont le nombre s'élève à 15,000 pièces très curieuses dans tous les genres (1). En 1893, on avait déjà recueilli une souscription de 30,000 dollars, soit 150,000 francs,

(1) La pièce la plus en vue de cotte collection est le grand groupe des « Lutteurs », que j'aurai l'occasion de décrire plus loin au chapitre de la sculpture ; mais mon attention a été attirée principalement par des exemplaires de céramique chinoise et japonaise que l'on rencontre rarement, telle que : la porcelaine et la demi-porcelaine grise craquelée d'Owari, la porcelaine grise Yun Yama, également d'Owari ; — le grés ancien d'Owari, province de Bishu ; une série de porcelaines et de grés du Nippon ou Japon proprement dit ; — un pot pour le Saké « Choshi takawatsu » en faïence de la province do Samiki ; — un fer à repasser ornemental en porcelaine peinte, qui sert a essayer les pinceaux à écrire ; — il s'y trouve aussi des échantillons de porcelaine pierre; — de la porcelaine moderne exécutée d'après des dessins européens. — J'ai remarqué, dans cette collection ancienne (de môme que sur certaines poteries préhistoriques des Astèques), des dessins de grecques, bordures grecques, qui sont très répandus, paraît-il, au Japon et jusqu'en Corée.

Il y a là aussi un objet d'art ancien japonais : c'est une vieille horloge & monture do bronze, à sonnerie sur timbre ; la journée est divisée en douze heures. Elle appartenait autrefois à un Daïmyo.

Entre autres curiosités secondaires, je citerai encore : une série de pointures chinoises, représentant des types de marchands, des vues de rues exécutées sur papier que l'on désigne sous le nom de papier de riz, mais qui est,paraît-il, le produit de lamelles de la moelle de l'Aralia papyrifera que l'on trouve à Formose.

Puis il y a du papier cuir très épais, estampé par fouilles carrées et dont l'ornementation consiste en dessins de roches, fleurs, oiseaux, éventails et autres détails semblables.

Enfin, j'ai remarqué une foule de petits détails et bibelots peu ordinaires, tels que des objets sculptés sur du bois de l'arbuste a thé sauvage (le thé camélia) etc., etc.


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pour agrandir l'édifice monumental qui renferme le musée actuel.

Pour donner une idée de la valeur du legs de M. Scripps, je voudrais pouvoir énumérer tous les tableaux de grand mérite que renferme cette collection ; mais la longueur de cette description dépasserait le cadre de cette étude : je dirai seulement que j'ai relevé les noms de 22 des meilleurs maîtres de l'ancienne école italienne, de 30 peintres de l'école flamande, de cinq peintres français et de plusieurs autres artistes divers anciens et modernes.

Le musée des Beaux-Arts de Boston est l'un des plus beaux et des plus intéressants qu'il y ait aux ÉtatsUnis ; seuls, les musées de New-York et de Philadelphie peuvent lui être comparés.

Ce musée ne prend date effective que depuis le 3 juillet 1876 ; cependant, en 1893, c'est-à-dire 17 ans seulement après son organisation, son importance était telle, que le catalogue descriptif sommaire formait en totalité un volume de 525 pages in-8° : il est vrai que ce catalogue est très détaillé et très savamment fait.

En 1893, toutes les salles m'ont paru être absolument remplies, et on devra aviser bientôt à l'agrandissement de l'édifice. Peu de collections sont disposées aussi méthodiquement; le monument qui les renferme est l'un des plus beaux de Boston ; construit en briques rouges, il est harmonieusement décoré avec des moulures, des ornements et des panneaux de terre cuite jaune et rouge, importés d'Angleterre. Au nombre


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de ces ornements sont les génies des Beaux-Arts et de l'Art industriel.

Quinze salles de différentes grandeurs sont consacrées aux objets d'antiquités, moulages, reproduc1 ions, et sujets originaux classés, par époques et" par contrées.

Une large part est faite aux antiquités Égyptiennes, chaldéennes et assyriennes, puis aux objets de curiosité provenant de la Grèce et de la période romaine. Cette collection est la plus complète qui soit aux ÉtatsUnis.

Au second étage, sept salles renferment les collections de peinture à l'huile, les aquarelles, les peintures sur porcelaine. Toutes sont classées par ordre d'écoles et d'époques; deux grandes salles sont consacrées aux arts japonais, une à l'âge de bronze, une autre aux médailles ; 1rois salles spéciales renferment les estampes; une autre est attribués à l'art céramique, puis une galerie renferme les tissus et tapisseries, et une autre les sculptures sur bois, les armes et les sujets divers.

Tous ces objets sont disposés méthodiquement pour servir à l'enseignement plus encore qu'à l'agrément des citoyens. On fait de temps à autre, des expositions spéciales, et, au rez-de-chaussée, il y a des cours de dessin, de peinture, de modelage, de sculpture sur bois, de broderie artistique et de peinture sur porcelaine.

Ici, je me permettrai une courte digression en faveur des statuettes de terre cuite provenant de Tanagra,


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d'Athènes et des environs. Une de ces statuettes, assez grossièrement faite d'ailleurs, a des membres articulés ; je n'en ai remarqué de semblables qu'au British Muséum à Londres. Il s'y trouve aussi des pièces très originales trouvées auprès du temple de Vesta, à Tivoli, et des têtes de grandeur naturelle en terre cuite romaine ou grecque. Une vitrine spéciale renferme 31 figurines en terre cuite très curieuses, provenant de Myrina (Asie Mineure) ; ces figurines sont très soignées, mais moins bien proportionnées que celles de Tanagra. Près de cette vitrine, se trouvent deux sarcophages étrusques très remarquables, provenant de Vulci, Italie centrale, 1744. Ce sont de très beaux modèles de l'art étrusque. La collection d'objets et de débris de verrerie ancienne est intéressante. J'y ai remarqué une coupe romaine en émail transparent qui ressemble presque à du cloisonné, puis un vase lacrymatoire en verre de Tanakaleh, près d'Ilion, orné de dessins en forme d'agrafes jaunes, nacrées et blanches. On y remarque aussi 664 fragments de verre romain de toute nuance ; quelquesmorceaux de ce verre laissent voir des traces d'or et d'argent.

Le musée de peinture renferme des oeuvres de deux cent cinquante peintres différents de toutes les écoles, parmi lesquelles l'École française est bien représentée. Dans la série des peintures diverses., mon attention a été vivement attirée par une magnifique collection de médaillons de personnages historiques merveilleusement peints en miniature ; j'ai surtout


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remarqué les portraits suivants : Marie-Antoinette, par Angelica Kauffman ; Mm* Récamier, par Isabey ; Napoléon Ier, par Fred. Millet ; les portraits de MoomTaj-i-Mahal, « la Perle du Palais », et Gehangir, son mari, sujets indiens (très curieux) ; celui de Miss Harding, par Robertson ; de la duchesse d'Orléans, signé V. L. ; Anne Bengham, par sir Johsua Reynolds ; Une Dame, par Gobeau ; Marie-Louise, par Guérin, 1810 ; Marie Stuart ; Élizabeth, reine d'Angleterre ; Marie Viger, femme Lebrun ; Prince Napoléon (miniature sur bois), par Meissonnier ; Caroline de Brunswick, reine d'Angleterre, par Rommey, 1795. Cette collection de miniatures comprend encore beaucoup d'autres portraits; je me borne à citer ceux qui m'ont paru les plus exceptionnels. Je n'entrerai pas non plus dans les détails des chefs-d'oeuvre de peinture classique que renferme le musée de Boston ; cependant, je ne puis omettre de citer une chasse au sanglier, par François-Sneyders, qui m'a rappelé un tableau du musée de Caen, mais avec cette particularité que l'un des chiens du tableau qui est à Boston est cuirassé. Les portraits du Dr Tulpp et de sa femme, par Rembrandt (1634), sont admirablement rendus ; il en est de même d'une des oeuvres d'Albert Cuyp, qui a peint le portrait de sa fille ; j'ai très souvent remarqué que, lorsque les grands maîtres de la peinture se sont mis en devoir de faire des portraits, ils sont transcendants.

En résumé, ce musée est très intéressant ; on en peut juger par les détails qui précèdent et par le nombre considérable de personnes qui le visitent chaque


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année. (A ce sujet, j'ai cité quelques chiffres au chapitre des Institutions scientifiques.) Sous le rapport des institutions et des collections de toute nature, la ville de Boston, y compris Cambridge, qui en dépend, est, je pense^ la plus riche des États-Unis : on peut dire que c'estl'Athènesmoderne américaine. La langue anglaise y est parlée avec une grande pureté de style et d'accent ; on se plaît à dire d'un ami : « Il est savant comme un Bostonien ». Non seulement les Bostoniens sont savants, mais ils rivalisent avec le « high-life » de New-York, de Washington D. C. et de Philadelphie, pour le goût éclairé, l'esprit, l'humour, la courtoisie et l'amabilité hospitalière, qui caractérisent à un si haut degré la bonne société dans ces quatre grandes cités de l'Est des États-Unis (1).

Permettez-moi maintenant Messieurs d'analyser succinctement la section de la peinture à l'exposition des Beaux-Arts de Chicago, en 1893.

Dans le palais des Beaux-Arts de la « World's fair » (c'est ainsi que l'on désignait l'exposition de Chicago), j'ai remarqué hâtivement, dans la section américaine : N° 204. «Day dreams», une très jolie « femme rêveuse »,

parBridgeman. N° 385. Le portrait du « Dr Hayes Agnew » procédant à l'opération d'un sein à l'aide du chloroforme, propriété de l'Université de Philadelphie.

(1) Attendu que ces quelques lignes ne suffiraient pas pour bien faire connaître le mérite du grand centre intellectuel Bostonien, je me propose de lui consacrer un chapitre spécial.


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N° 389. Portrait du Dr Gros procédant à l'opération d'une jambe, propriété du collège médical de Philadelphie. Ces deux oeuvres sont d'un réalisme frappant ; elles sont peintes par Thomas Eakins, de Philadelphie. Le coloris est un peu terne peut être ; mais il rend bien l'effet sévère et froid de l'intérieur d'un hôpital. N° 439. Portrait de Walter Shirlaw, par Franck Fowler,

New-York citv. N° 614. « Un impromptu », duel pendant les «jours du

Code », par James Frederick, de New-York. N° 734. « The window seat » représente une jeune fille assise à sa place habituelle près de la fenêtre, par D. Millet, New-York. N° 761. « Pocahontas », par Victor Nehlig, sujet historique très compliqué. N° 859. « Devant un miroir », par Robbins L. Lee, à Paris. Il serait superflu de prolonger indéfiniment ces citations; cependant, sur les 1.006 tableaux à l'huile et sur les 211 aquarelles qui étaient exposés par des artistes américains, j'ai trouvé qu'il y avait une bonne proportion d'oeuvres de mérite. En plus des tableaux il y avait 275 gravures sur bois, 329 gravures au burin et à l'eau-forte, 24 gravures diverses et 523 dessins, en tout 2.516 oeuvres d'art.

D'après le guide spécial à New-York, on cite actuellement six peintres célèbres pour la peinture murale et un peintre mosaïste ; il y a 13 peintres de


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portraits qui sont en vogue, 11 paysagistes, 4 peintres de sujets religieux et 7 peintres.de sujets historiques, tous actuellement posés et renommés ; mais il y en a beaucoup d'autres. Parmi les anciens, les noms de Copley, de Turnbull, de Cole et de Veale sont maintenant célèbres et devenus classiques.

L'école impressionniste a quelques timides représentants; mais aucune des oeuvres produites dans ce genre ne m'a paru transcendante, au contraire. Toutefois, ceux qui appliquent soigneusement et avec art la méthode impressionniste pour bien rendre certains effets puissants de lumière de relief et de perspective, me paraissent être dans le vrai.

A ce sujet de peinture à grand effet, il y a un genre d'artistes qui passe inaperçu, mais qui, selon moi, mérite d'être signalé dans cette étude ; ce sont les brosseurs de décors de théâtre et les dessinateurs d'affiches polychromes vulgaires.

En général, les décors des théâtres américains sont assez jolis, mais certaines affiches polychromes sont remarquables ; ce sont principalement celles qui concernent la réclame des pièces de théâtre : les portraits des acteurs et des scènes entières de grandeur naturelle sont représentés sur les murs avec un naturel et une exactitude remarquables.

Ces affiches sont faites principalement à New-York et à Chicago ; elles sont bien supérieures à celles que l'on voit en Angleterre. Sans doute elles sont produites en partie à l'aide de la photographie; malgré cela, je suis persuadé que, si jamais les individus qui les


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dessinent ou les disposent voulaient s'appliquer à faire de la peinture sérieuse, ils devraient produire des oeuvres d'une grande originalité et d'un mérite nouveau, d'autant plus que les Américains en général sont très ingénieux : les petits dessins qui accompagnent leurs réclames sont souvent surprenants et comiques.

Le goût particulier que les Américains ont de faire faire leur portraits et de les faire connaître, l'empressement que leurs gouvernements et les sociétés de tout ordre mettent à reconnaître par des statues, des bustes et des portraits les services rendus, soit par les citoyens, soit par les collègues ; la religion des souvenirs des faits historiques; la beauté, la grandeur des sites sur un grand nombre de points de l'Amérique sont les éléments de sujets inépuisables pour les artistes.

Malgré cela, il est bien probable que, d'ici à quelques années, beaucoup d'artistes américains n'arriveront pas à produire des oeuvres susceptibles de rivaliser avec les toiles si merveilleusement inspirées des grandsmaîtres italiens, flamands, espagnols etfrançais ; mais leurs peintures seront probablement admises quand même; elles plairont aux populations américaines, et les amateurs locaux s'en satisferont très bien.

J'en conclus que, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, le continent européen a pu largement profiter des développements de la colonisation en Amérique. La France en particulier en a recueilli de nombreux avantages, et le courant actuel promet de durer quelque temps encore : je pense qu'il n'est pas possible d'appré*


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cier quel sera ce laps de temps; mais les événements vont vite, surtout aux États-Unis.

Il me paraît donc parfaitement indiqué qu'il est sage de nous soutenir au premier rang et de nous préparer, par des efforts continus, à profiter, aussi largement et aussi longtemps que les circonstances le permettront, des avantages que nous offre une nation riche et immense, qui fait de véritables sacrifices pour son ornementation et son instruction artistiques.

A l'appui de la pensée que je viens d'émettre, je dois signaler les progrès remarquables qui ont été réalisés autour de nous en Europe dans la section des Beaux-Arts, depuis une trentaine d'années, surtout en Angleterre.

Outre les nombreux tableaux modernes que j'ai pu voir dans une récente exposition à Liverpool en 1893, et ceux qui étaient à l'Académie royale de Londres, les artistes du Royaume-Uni avaient envoyé dans le même temps à Chicago 53 numéros de sculpture, 461 tableaux peints à l'huile, 204 aquarelles, 194 gravures et eaux-fortes, 72 dessins, 146 plans d'architecture, au total 1.130 numéros.

Sur ce nombre, j'ai constaté qu'il y avait beaucoup d'oeuvres de valeur, et même quelques-unes étaient d'un mérite transcendant, telles que celles, d'Alma Tadema James Archer, Armytage, W™ H. Bartlett, Bramley, Burgess, John Charlton, Wm P. Frith, Collier, Horace Fisher, W™ Carter, Herkomer, Morris, E. J. Pointer, Marcus Stone Storey, puis les aquarellistes C. R. I. Green, Charles Gregory, Cari Haag, William


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Weatherhead et beaucoup d'autres. Les oeuvres de ces différents artistes ont attiré mes regards ; je les cite spontanément sans me préoccuper de leur classement au point de vue des récompenses : ce classement pourrait être très utile à l'appui de mon raisonnement, mais je ne l'ai pas vu.

A côté des oeuvres anglaises, il y avait les envois de la Nouvelle-Galles du Sud : 4 oeuvres de sculpture, 104 peintures à l'huile, 123 aquarelles et 2 dessins.

Puis les apports du Canada : 118 tableaux à l'huile et 78 aquarelles.

Dans cette section j'ai remarqué quelques toiles qui m'ont paru très bonnes, notamment celles de G. A. Reid, de Toronto, n° 90 du catalogue : « L'hypothèque périmée », et le n° 91 « La visite de l'horloger ».

Il y avait ensuite : le n° 101, « La négociation », par W. A. Sherwood, de Toronto; le n° 44 « Une gorge dans les montagnes Rocheuses », par J. C. Forbes de Toronto;

Les numéros 57, 58, 59 et 60, par M. Robert Harris, président de l'Académie royale canadienne, à Montréal ;

Le n° 65 « A son goût », par M°" Sarah Holden, à Montréal.

Je citerai encore : le n°53, portrait d'un médecin, par E. W. Grier de Toronto ;« Une fantaisie japonaise», par J. C. Franchère, de Montréal; le n° 4, « Une paysanne se désaltérant », par Alexander G. Galt, d'Ontario; enfin une étude de paysage, « Un affluent de la rivière le Fraser », aquarelle par M. R. Mathews, d'Ontario.

Je ne me suis pas attardé dans l'exposition des oeuvres germaniques ; toutefois, mes regards ont été


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attirés par deux tableaux du professeur Ed. Grûtzner, de Munich.

L'un de ces petits tableaux représentait «Des moines à leur souper; » la justesse des expressions, la finesse des détails et l'excellence de l'ensemble m'ont frappé. Le second tableau représentait « La cuisine du couvent » : le Père Econome montre avec ravissement un superbe brochet au Père Supérieur, qui s'extasie ; comme peinture, c'est d'un fini achevé ; comme expression, c'est la perfection du genre.

Il y avait encore d'autres très bonnes toiles, envoyées par le musée de Berlin ; mais l'objet de cette étude ne me permet pas de faire une plus longue digression, d'autant plus que l'exposition allemande comprenait :

118 sujets de sculpture, 421 tableaux à l'huile, 183 aquarelles, 50 gravures diverses,

Total. . . . 772 numéros. Parmi les écoles modernes qui se révèlent, je ne dois pas omettre de mentionner l'École russe, qui avait envoyé 110 tableaux. Voici le détail de ceux qui m'ont le plus intéresse : <.( Phryné », par Siemiradsky; — « Un conseil de guerre », par Alexei Kiffshenho ; — « La réponse du Cosaque », par Elias Repine ; — « Un marché public à Moscou », par Makovski ; — Épisodes du mariage du grand-duc Vassilie » (dont les expressions sont rendues avec


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beaucoup d'énergie), par Tchistiakoff ; — « Après le bain », par Helena Polenoff ; — « Jeunes fumeurs russes », par Makovski ; — « Une toilette de mariée », par Macopski ; — Un mariage dans la petite Russie », par Bodareffski.

Afin de compléter ce compte rendu, et pour donner une idée aussi exacte que possible de l'importance de l'exposition des Beaux-Arts à Chicago, je vais simplement citer les chiffres des envois des puissances dont il n'a pas encore été question :

L'Italie avait envoyé 89 sujets de sculpture,

— 183 tableaux à l'huile,

— 29 aquarelles,

— 3 gravures ou dessins,

Total 304 numéros.

La Hollande, 191 tableaux à l'huile, 117 aquarelles, 26 oeuvres diverses, ensemble : 334.

La Suède, 144 tableaux, 14 aquarelles, 30 oeuvres diverses, total : 188.

La Norvège, 133 tableaux, 11 aquarelles, 9 oeuvres diverses, ensemble : 153.

La Belgique avait envoyé 46 oeuvres de sculpture, 205 tableaux et 17 aquarelles, plus 19 gravures et dessins, en tout : 287.

L'Autriche, 14 sujets de sculpture, 104 tableaux, 19 aquarelles, 4 oeuvres diverses, ensemble : 141.

Le Danemark, 20 sujets de sculpture et 158 tableaux, ensemble : 178.

Il ressort de ces envois, relativement considé21

considé21


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râbles, que le goût des arts se développe et progresse rapidement partout autour de nous, et que la clientèle américaine est convoitée un peu de toutes parts.

L'apport de la France était l'un des plus importants ; il y avait 258 sujets de sculpture, 477 tableaux et 254 oeuvres diverses, aquarelles, pastels, gravures, dessins, etc., ensemble : 989 numéros.

Dans ce nombre figuraient des chefs-d'oeuvre de Bonnat, Carolus Duran, Rosa Bonheur, et une pléiade d'autres qui ont été très remarqués.

J'y ai vu aussi un joli paysage de notre compatriote, M. Georges Motteley, de Caen, qui représentait « l'ancien lavoir de Clécy ».

Tels sont les aperçus que je puis donner sur l'art de la peinture dans l'Amérique du Nord et à l'exposition de Chicago. Outre les oeuvres des artistes de profession, il y avait, dans les pavillons spéciaux de chacun des Etats de l'Union, des oeuvres d'amateurs : peintres sur toile, sur marbre, sur vitraux et sur porcelaine. Il y avait notamment des assiettes très joliment décorées, tantôt avec des fleurs, tantôt avec des poissons, imitant parfaitement la nature, qui étaient exposées dans les pavillons du Kansas, du Kentucky et de l'Etat de Washington, sur le Pacifique.

J'ai remarqué dans le pavillon du Kansas un joli dessin commémoratif au crayon noir sur papier du Japon, de deux mètres de largeur sur un mètre de hauteur, dont le sujet a pour but de consacrer la mémoire de la donation faite par M. de Boissière, de France, de 3,156 acres de terrain et de 25,000 dollars (125,000 fr.)


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pour fonder un orphelinat et une école industrielle dans le Kansas ; le dessin porte cette devise : « Amitié, amour et vérité ». Il est très joliment fait.

CHAPITRE III

SCULPTURE STATUAIRE. — MONUMENTS COMMÉMORATIFS

ET DÉCORATIFS

Les Américains se sont montrés reconnaissants des services rendus par les grands hommes: dans presque toutes les villes importantes, et surtout dans les plus anciennement fondées, des monuments commémoratifs artistiques, emblématiques, dos statues équestres, des statues en pied ou assises et des bustes sont érigés, très souvent avec des dédicaces pleines de sentiment, aux hommes politiques, aux militaires, aux savants et aux philanthropes quelconques.

L'analyse des monuments artistiques de ce genre, que j'ai pu voir va être très longue; malgré cela elle sera fort abrégée. Je l'ai rédigée pour ordre, afin de donner la mesure de leur importance, des sentiments qui les ont inspirés et du caractère américain.

§ I". Monuments commémoratifs principaux

Bien qu'il soit universellement connu, je dois citer en première ligne le monument, en forme d'immense obélisque de marbre blanc, élevé au général Washington, dans la ville capitale politique des Etats-Unis, grâce à une souscription nationale et au concours de l'Etat. Ce


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monument par excellence est le plus important de tous ; c'est une aiguille colossale creuse, haute de 169 mètres, dans laquelle on a établi un ascenseur capable de contenir vingt-cinq personnes à la fois et qui s'élève jusqu'au haut; là se trouve une galerie intérieure d'où l'on découvre un panorama splendide.

Cette structure a coûté 6.000.000 de francs. On a de la peine à se faire une idée de son élévation et de son importance : la dernière pierre, c'est-à-dire la clef, qui forme le recouvrement de cet obélisque pèse 3.760 kilos, et la pointe extrême est composée d'un bloc d'aluminium poli et scintillant au soleil ; il pèse 2 kil. 830 grammes. La construction de cette pyramide a présenté de sérieuses difficultés, relatives principalement à la fondation ; mais ces difficultés ont été très habilement surmontées, et l'ensemble est parfaitement vertical. Le deuxième monument comme importance est l'arc de triomphe que la ville de New-York a élevé au général Washington (Washington mémorial arch) lors de la célébration du centième anniversaire de son avènement à la Présidence du gouvernement des États-Unis. Cet arc est de marbre blanc, ses proportions sont belles; il est orné de sculptures emblématiques très soignées ; il a 26 mètres de hauteur, et l'arcade a 9 mètres d'ouverture ; sur le couronnement de la façade, on lit la citation suivante extraite d'un des discours du général : « Élevons « un étendard près duquel les gens sages et honnêtes « pourront se grouper... L'événement est dans la main « de Dieu. »

Vient ensuite, dans le même ordre d'importance, le


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monument commémoratif de la bataille de Bunker Hill, àCharleston,annexede Boston. C'est une pyramide très effilée dans le genre de celle de la ville de Washington, dont je viens de parler.

L'un des plus typiques est le monument élevé dans le parc de la ville de Boston aux hommes qui sont morts pour leur pays sur terre et sur mer pendant la guerre.

Ce monument consiste en une colonne de marbre blanc de 27 mètres de hauteur en totalité ; cette colonne supporte une très jolie statue en bronze emblématique de la province des Massachusetts, qui tient des couronnes.

Le fût de la colonne repose sur un socle en granit très large, surmonté de deux embases de marbre superposées ; contre les angles s'appuient quatre statues allégoriques en marbre blanc ; une de ces statues représente un marin, une autre un fantassin, une troisième l'Histoire et une quatrième la Gloire avec des couronnes.

Chacune des faces du socle principal est ornée d'un bas-relief; l'un représente le départ des régiments en présence des familles des soldats, de la magistrature et du clergé (y compris l'Évêque catholique) ; l'autre représente le départ des marins et un vaisseau qui bombarde un fort ; le troisième rappelle les soins qui ont été donnés aux blessés, les ambulances, les infirmières. Au premier plan de ce bas-relief est figurée une religieuse catholique sur le champ de bataille; dans l'arrière-plan, des dames préparent des remèdes et des bandelettes; le quatrième bas-relief signale le retour


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des légions ; les édiles et les dames distribuent des palmes et des couronnes aux vainqueurs.

Un cartouche spécial est consacré à l'inscription suivante : « Aux hommes de Boston qui sont morts « pour leur pays, sur terre et sur mer, pendant la « guerre qui a eu pour résultat de conserver l'unité « américaine, d'abolir l'esclavage et de maintenir la « constitution, la ville reconnaissante a élevé ce monu« ment, afin que les générations qui s'élèvent puissent « s'inspirer de l'exemple de ces braves. »

L'oeuvre entière est signée Martin Milmore, sculpteur. Les bronzes ont été fondus dans la fonderie ■d'Ames à Chicopée, Massachusetts.

Je ne connais pas en Amérique, je dirais presque nulle part, un monument qui m'ait paru plus net, plus complet, plus patriotique que celui -là.

La ville de Troy, dans l'État de New-York, a élevé un monument du même genre mais que je trouve moins réussi. Il se compose d'un fût carré de 27 mètres de hauteur, surmonté d'une statue de bronze représentant une femme drapée en génie, sonnant la trompette guerrière pour appeler aux armes ; sur les faces du socle, sont de grands bas-reliefs en bronze représentant, l'un la cavalerie, l'autre l'artillerie, le troisième l'infanterie ; le quatrième est dédié à la marine ; il consacre la rencontre du Monitor et du Merrimac. C'est l'oeuvre du sculpteur.Jatn.es A. Kelly.

Ces bas-reliefs sont-encadrés dans des colonnettes de granit poli, avec chapiteaux style roman très finement Sculptés.


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Sur l'embase on lit cette inscription : « 1776-1812,1861-1865. Aux hommes du comté deRens« selaer qui ont combattu sur terre et sur mer pour leur « pays. »

Dans le bas-relief emblématique de l'infanterie, la charge à la baïonnette est très bien rendue.

Dans le même ordre d'idées, un très joli monument a été élevé à Détroit aux soldats du Michigan qui ont succombé dans la guerre civile.

La composition de ce monument est compliquée, peu ordinaire, très riche, sévère et bien comprise. Il est de forme carrée, à pans coupés; quatre statues emblématiques de l'armée et de la marine surmontées d'autant de génies qui couronnent les héros au nom de la patrie s'étagent sur chaque angle, tandis qu'une statue colossale d'un chef indien surmonte le- tout; quatre aigles américaines prêtes à prendre leur vol sont posées sur quatre piédestaux séparés; elles semblent protéger les défenseurs de la patrie. Tout cet ensemble considérable est conçu avec goût ; c'est une oeuvre de mérite, bien exécutée.

La ville de Portland, capitale de l'Elat du Maine, a fait aussi ériger un monument du même genre ; il est très important ; mais sa composition est moins grandiose et moins heureuse que celle que je viens de décrire ; elle est aussi moins réussie comme exécution. La dédicace est très simple : « La ville de Portland à ses enfants morts pour le salut de l'unité nationale. »

Le monument élevé par la ville d'Utica à la mémoire des soldais qui ont été victimes de la guerre


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est assez important, et il ne manque pas d'un certain caractère. Quatre statues emblématiques des différentes armes entourent un large piédestal rond, orné d'un grand bas-relief, qui supporte la statue emblématique de la Patrie, qui leur tend des couronnes.

La ville de Baltimore a érigé un monument de douze mètres de hauteur, orné de bas-reliefs et surmonté d'une statue emblématique de la ville de Baltimore,pour « consacrer le souvenir des combattants qui ont succombé pendant la guerre de l'indépendance ».

A Baltimore aussi, on a élevé une colonne monumentale d'ordre dorique de 40 mètres de hauteur au général Washington. Cette colonne est surmontée d'une statue du général, qui a de grandes proportions, soit 5 mètres de hauteur; la colonne est construite en briques revêtues de marbre; un escalier# intérieur conduit à une plate-forme : l'ensemble rappelle la colonne du duc d'York à Londres.

Le monument emblématique élevé à la Marine américaine par la ville de Washington est simple et de bon goût.

Des monuments analogues existent sur d'autres points des Etats-Unis ; je ne cite que ceux que j'ai pu voir.

§ II. — Statues équestres »

Le nombre des statues équestres qui existent aux Etats-Unis est relativement limité, mais ces diverses oeuvres m'ont paru avoir une réelle valeur artistique;


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je citerai, principalement celles que j'ai pu voir, ce sont aussi les plus importantes.

Le monument colossal équestre du général Grant à Chicago, est de très grandes proportions ; la statue est en bronze; elle est l'oeuvre de Louis T. Rebino : elle est considérée par les Américains comme la plus belle statue équestre qui soit aux Etats-Unis. Le piédestal ressemble à un vaste portique, style vieux roman fantaisiste ; le cheval est très joliment rendu ; il est dans une attitude calme et stationnaire, pendant qne le général semble observer les mouvements de son armée. Ce monument, complet a coûté 65,000 dollars (soit 325,000 francs) recueillis par souscription, dont la plus forte partie a été obtenue dans les quatre jours qui ont suivi la mort du général.

La statue équestre en bronze élevée au général Jackson, à Washington D.-C, devant la MaisonBlanche, est très remarquable. Elle est placée sur un piédestal de stuc blanc crème, d'une assez grande hauteur ; le cheval se cabre et se supporte sur les jambes de derrière, sans autre point d'appui. Le sculpteur a obtenu ce résultat remarquable par l'équilibre parfait de son oeuvre dans tous les détails du cheval et du cavalier : tout l'arrière-train du cheval et sa queue (qui ne sert pas de support) sont massifs, tandis que tout le reste est creux et très mince. Le général regarde la Maison-Blanche et salue ; à chaque angle du piédestal, un canon de bronze sur son affût complète l'ornementation. Ces canons naturels et ceux qui ont fourni une grande partie du bronze de la statue, avaient été pris


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à la suite de la victoire de Packenham, remportée sur les Anglais en 1815.

Il y a cinq autres statues équestres à Washington, celles du général Thomas, du général Mac-Pherson, du général Washington, du général Scott, puis une, plus ancienne, dont le nom du titulaire me manque. En général tous les chevaux sont très bien rendus, principalement celui du général Scott et celui du général Thomas.

Je pourrais citer encore d'autres statues équestres en bronze imposantes, notamment celles du général Washington, parH.-K. Browne, à New-York, et une similaire qui est à Boston. Celle du général Reynolds, à Philadelphie, est assez remarquable : c'est une oeuvre sans prétention, les attitudes sont naturelles ; le général a une expression convenablement énergique; le cheval est bien fait. Cette statue repose sur un très beau monolithe de granit poli, sur lequel est gravé le nom de Reynolds, 1820-1824. Gettysburg, 1863 1" juillet.

§ III. — Statues monumentales accompagnées de groupes et de bas-reliefs emblématiques

La statue monumentale du Général Lafayette exécutée à Paris pour le gouvernement des États-Unis, est un des plus beaux ornements de la ville de Washington : il suffit de dire que c'est l'oeuvre de Falguière et de Mercier.

Les Américains trouvent judicieusement que cette composition est hardie, énergique et admirable sous tous les rapports. Aux côtés de Lafayette se trouvent, sur un


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plan inférieur, les statues des comtes d'Estaing et de Grasse, puis, le chevalier Duportail et le comte de Rochambeau ; en avant, une figure emblématique de l'Amérique offre à Lafayette l'épée de la Liberté ; en arrière sont d'autres figures allégoriques.

Je citerai encore au nombre des compositions qui décorent les abords du capitole de Washington : le monument élevé à la Paix, le groupe de Christophe Colomb et l'allégorie de la civilisation, par Horatio Greenough.

Parmi les plus remarquables de ces oeuvres d'art, je dois mentionner la statue assise du ministre de la justice, John Marshall, signée W.-W. Story, Rome, 1883. Le ministre est dans une pose méditative; sur un des côtés du piédestal est un très joli bas-relief en marbre blanc, représentant « la Sagesse dictant des arrêts » ; sur l'autre côté, un bas-relief semblable est dédié « à l'Union sur l'autel de la Patrie ».

On voitaussi, devant la façadeprincipaledu Capitole, une statue très remarquable du Président Garfield, placée sur un piédestal élevé qui est entouré à la base de quatre statues emblématiques : « le Droit »,« la Justice », « l'Etude », « la Force et la Prospérité ». Ce groupe remarquable est l'oeuvre de J.-Q. Ward, sculpteur.

Un joli monument similaire est élevé aussi au Président Garfield, à San-Francisco, dans le parc de la Porte-d'Or : l'Amérique couronnée et voilée d'un crêpe lui décerne une couronne ; c'est l'oeuvre de Happersbergen, sculpteur à San-Francisco. Sur le piédestal, on a gravé ces mots :


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« Ce monument est l'expression de la déférence « d'un peuple reconnaissant. »

De chaque côté, l'aigle américaine, entourée des drapeaux de l'Union, protège le monument.

L'obélisque de granit commémoratif du général Worth, et celui qui supporte la statue de bronze de l'amiral Ferragut, par Saint-Gaudens, qui lui fait à peu près pendant, doivent faire partie de cette nomenclature. Ils ont été élevés par la municipalité de la ville de New-York ; s'ils sont moins estimés que d'autres, au point de vue des arts, la pensée qui a présidé à leur érection est digne d'être notée. La statue de William Jenkins Worth porte en exergue : « Honneur aux braves » et « Ducit araor Patrito », puis on lit sur l'oeuvre de Saint-Gaudens «A David-Glasgow Ferragut, « né à Knoville-Tenessee en 1801 ; il s'est distingué « pendant la campagne de 1871-1875. »

Un très joli groupe de l'émancipation des esclaves est élevé à Boston en l'honneur du Président Abraham Lincoln : un nègre dont les liens sont déliés remercie à genoux Abraham Lincoln, qui le reçoit avec bienveillance. Ce groupe de bronze est placé sur un piédestal de granit sur lequel est gravée cette inscription : « Une race enlière est rendue à la liberté ; le pays est « pacifié, et Lincoln se repose de ses travaux. » « Offert « à la ville de Boston par M. Moses Kimball en 1879. »

Un autre groupe de l'émancipation, qui a une

certaine similitude avec celui de Boston, a été érigé à Washington près du Capitole, moyennant la somme de 17.000 dollars (85.000 fr.), produit intégral d'une


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souscription réalisée entre eux par les hommes de couleur devenus libres.

Un critique d'art américain, dont j'ignore le nom, apprécie cette oeuvre ainsi : « C'était une tâche désespé« rante d'avoir à reproduire, soit en couleurs, soit en « marbre ou en bronze, les traits du Lincoln vivant, « d'exprimer l'éclat de son attitude et la suavité « bienveillante de son sourire ; sa grande taille, aux « formes sèches et raides, ne se prêtait pas aisément « à un développement artistique, et cependant il avait « un air de dignité et de distinction naturelle, joint à « une expression vigoureuse et ferme, que l'artiste de « la statue de l'Emancipation a eu l'habileté de bien « saisir et d'immortaliser par le bronze. »

Cette appréciation me paraît être absolument exacte.

Une des statues les plus monumentales du Central Parc de New-York est celle de Daniel Webster. Elle est relativement très simple et la pose est très naturelle (avant tout, les Américains cherchent à produire avec exactitude la ressemblance et l'état habituel des sujets qu'ils traitent). L'embase de la statue porte ces mots : « Liberté et Union, maintenant et toujours, une et indivisible. » « Monument offert par Gordon N. Burnham, en 1876.»

Il y a à Chicago une grande statue de bronze en pied du Président Abraham Lincoln sur piédestal de marbre exécutée sur la maquette d'Auguste SaintGaudens ; elle a coûté 200.000 francs, et elle a été donnée en 1887 aux habitants de Chicago par Eli Bâtes. Cette


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oeuvre très austère est très réussie aussi comme exactitude d'expression : le Président est debout devant son fauteuil présidentiel ; il semble adresser la parole à une députation.

A peu de distance de là se trouve le monument élevé à Linné, qui est une oeuvre de valeur due au talent de MM. Otto Meyer et Komp sur la maquette de M. C. Dyferman de Stockholm ; il a été offert, en 1891, par les sociétés suédoises de Chicago, auxquelles il a coûté 60.000 francs (12.000 dollars). A la base du piédestal principal sont quatre statues allégoriques qui représentent d'abord l'Histoire naturelle avec ses attributs, reptiles et toxiques, puis l'Entomologie avec ses papillons, ensuite la Minéralogie avec ses cristallisations, enfin la Botanique avec des fleurs et une loupe à la main. Tout cela est présenté avec simplicité et bien réussi.

On voit à Brooklyn, annexe de New-York, une statue très paternelle de Henry Ward Beecher, célèbre prédicateur protestant. La statue a 2m70 de hauteur ; le pasteur est drapé dans son costume de ville de ministre anglican, revêtu d'un macfarlane, tel qu'il en portait habituellement; une esclave et deux enfants apportent à ses pieds de modestes couronnes. Cette oeuvre a été admirablement rendue au point de vue de l'exactitude par J. Q. Ward, sculpteur.

Une des oeuvres les plus remarquables de ce genre que j'aie vues de l'autre côté de l'Atlantique, se trouve à San - Francisco, c'est un monument en marbre blanc mat, avec panneaux polis, qui a été érigé à


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Francis Scott Key, auteur de la chanson nationale « The star-spangled banner », « Le drapeau constellé d'étoiles » ; ce monument est du style corinthien. Dans une niche ouverte, dont le faite est soutenu par des colonnes, Francis Scot Key, qui paraît être absorbé par une profonde méditation, est assis sur un fauteuil romain; aux quatre angles sont placées des aigles américaines ; sur le petit dôme qui couvre la statue, / une figure emblématique de l'Amérique tient haut et ferme son drapeau constellé, une tête de bison est à ses pieds; sur l'un des côté du piédestal, on lit :

« A FRANCIS SCOTT KEY » « auteur de la chanson nationale The star-spangled « banner. » Ce monument a été érigé par James Lick de San Francisco, Californie A.D. M.D.CCCLXXXVIII.

Sur l'autre côté se trouve le refrain de la chanson nationale :

« The star-spangled banner ! O long may it wave « over the land of the free, and the home of the brave ! « O drapeau constellé d'étoiles ! Puisse- t-il longtemps « flotter sur ce sol de la liberté — et sur le foyer des « braves » ! Cette composition a un aspect imposant, mais naturel et réussi.

On voit à l'extrémité du promontoire de la ville de Portland, Maine, un modeste obélisque élevé à la mémoire de Georges Cleeves, fondateur de la ville de Portland en 1683, qui fut député, président de la province de Lygonia de 1646 à 1648.

Je ne vous signalerai que pour mémoire les monuments importants élevés à Attuck à Boston, et celui de


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Douglassà Chicago; je ne lésai pas vus de près etje n'ai pu recueillir que des notes très vagues à leur sujet.

Dans le parc central de Boston (Boston common), un très joli monument en granit et bronze, servant de fontaine publique a été érigé pour consacrer le souvenir d'une découverte scientifique : la découverte de l'anesIhésie par l'éther. Une statue de bronze représentant l'inventeur est élevée sur un petit piédestal carré, formé de deux séries de colonnettes de granit rose poli superposées ; entre le premier rang de colonnes, sont des bas-reliefs de bronze, entaillés dans le granit : ils représentent des scènes allégoriques d'essais chimiques et d'opérations ; on y lit également les inscriptions suivantes :

« Ce monument est destiné à éterniser le souvenir « de la découverte de l'emploi de l'éther pour rendre la « douleur insensible, ce qui a été démontré, pour la « première fois, au monde savant, à l'hôpital général « des Massachusetts, à Boston, en octobre 1846. »

« Il n'y aura donc plus de douleur : ce bienfait « nous vient du Seigneur Très-Haut, dont l'inspiration « est merveilleuse et les oeuvres excellentes. »

« Ceci est le don de Thomas Lee, à titre d'exprès« sion de sa gratitude pour le fait acquis du soula« gement de l'humanité par l'aspiration de l'éther. »

« Un citoyen de Boston a élevé ce monument « en 1847. » .

Toute cette composition respire la philanthropie vraie et intelligente.

A la même époque, et presque simultanément,


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parâît-il, deux citoyens de Boston, dont l'un était, je pense, William Thomas Green Morton, avaient découvert l'application de l'éther à l'anesthésie.

En dernier lieu, j'ai vu à Fort Simpson, dans la Colombie Britannique, près de l'Alaska, un cippe en granit, très curieux, qui est érigé sur le rivage; il est d'assez grande dimension, et on l'a orné d'un médaillon de marbre blanc sculpté et bien proportionné ; cette petite colonne est érigée à la mémoire du :

Ier LEGAIE ET DE PAUL LEOAIE

Paul Legaie était le chef suprême des Indiens de la nation des « Tsimpsians ». Il désirait mourir dans un endroit isolé pour que l'on ne trouvât son corps que cinq heures après son décès, afin qu'il eût le temps d'arriver au ciel. Son désir a été exaucé : on n'a trouvé ses restes mortels que huit heures après sa mort.

En terminant la nomenclature des monuments artistiques spéciaux, je dois mentionner pour ordre la statue allégorique de « la Liberté éclairant le Monde », oeuvre célèbre de Bartholdi offerte par la France aux États-Unis et que l'on a pu voir partiellement à Paris lors d'une des dernières expositions. Elle est très appréciée, ses proportions colossales disparaissent considérablement dans l'immense rade de New-York.

§ IV. Statues en pied

Une quantité très notable de statues en pied ornent les parcs, les places publiques, les boulevards et les monuments publics des villes principales, plusieurs de

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ces statues sont dues à la munificence de citoyens généreux. Voici l'énumération de celles que j'ai pu noter en passant, en ayant soin de constater, autant que cela m'a été possible, les noms des artistes, des donateurs et des fondeurs.

Il y a d'abord à New-York :

Dans le Central Park, la statue en bronze de Shakespeare debout : la pose est bonne, le costume est celui de l'époque, c'est une oeuvre réussie de J. Q. Award, fondue par Wood et C° à Philadelphie. Elle a été érigée sur un piédestal en granit rose et gris poli, orné de moulures et de belles guirlandes sculptées en creux, aux frais et par los soins de quelques citoyens de New-York, en 1884, lors du 300" anniversaire de la naissance de Shakespeare.

Sir Walter Scott est représenté assis, de grandeur naturelle : c'est un bronze consciencieux, expressif, dû au talent de John Stell, sculpteur à Edimbourg. Elle a été offerte par les Ecossais résidants et leurs fils pour le 100° anniversaire de la naissance de Sir Walter Scott, le 15 août 1871.

Près de là se trouve Robert Burn, assis : cette statue de bronze a été offerte par les admirateurs du « Barde agreste de l'Ecosse », « Scotia's peasant Bard», pour le centième anniversaire de sa naissance. C'est une oeuvre travaillée, mais moins simple et moins heureusement réussie que les autres.

La statue de bronze de Fitz Greene Halleck, assis, est bien rendue,expressive et originale; elle est signée : Wilson Mac-Donald, sculpteur, 1876.


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Près de cette statue se trouve le buste de bronze de Beethoven. 11 est deux fois et demie plus grand que nature ; il repose sur un pilastre carré en granit poli ; l'expression méditative est très consciencieusement rendue. Sur la base, devant le pilastre, est la muse de la musique, qui exprime ses regrets en s'accompagnant avec sa lyre : cette figure est jolie, bien posée, bien inspirée; elle est l'oeuvre du sculpteur H. Baerer.

Un peu plus loin, dans le même parc, se trouvent la statue en pied de Morse l'électricien, par B. M. Pickett, sculpteur, 1870; celle de Goethe, puis plusieurs oeuvres d'art dont il va être question plus loin.

Sur la place Washington, à New-York, se trouve la statue de bronze de Garibaldi, 1807-1882. Garibaldi tire l'épée. Cette statue a été offerte par les citoyens italiens des Etats-Unis en 1888.

Dans le même endroit se trouve un buste artistique, en bronze, un peu plus grand que nature, très réussi, élevé à la mémoire d'AlexandreLyman Holley, de Lakeville, Connecticut. « Il a établi en Amérique « et répandu dans le monde, la manufacture de l'acier « Bessemer ». « Témoignage d'estime d'ingénieurs des « deux hémisphères. »

J'ai remarqué aussi, à New-York, une statue de bronze élevée à M. Seward, sénateur et ministre des États-Unis ; il est représenté assis et dans une attitude grave.

Près du port de New-York se trouvent la statue de bronze de James Watt, puis celle d'Ericsson, dont le piédestal est orné de trois bas-reliefs en bronze, qui


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-rrappellent inventions principales d'Ericsson : les pompes à vapeur pour combattre les incendies., — les bateaux submersibles, — et sa fabrique de canons.

Dans cet ordre de statues, trois des plus importantes de New-York sont celles du général Lafayette, par Bartholdi, celle de Benjamin Franklin et celle de Abraham Lincoln.

J'en passe, sinon des meilleures, au moins un certain nombre, telles que celles de Dodge, de Puritan, etc.

La ville de Washington possède un certain nombre de statues en pied, dont une partie se trouve dans l'intérieur du Capitole : l'ancienne salle des représentants est maintenant consacrée à la mémoire des grands hommes, ce qui contitue un Panthéon où chaque état de l'Union est invité à envoyer deux statues d'hommes qui se seront rendus dignes de cet honneur.

Actuellement, il s'y trouve au moins dix-neuf statues de marbre de grandeur nature, quatre de bronze et quatre bustes.

Les plus remarquables de ces statues sont : celle de Thomas Jefferson, par David d'Angers, qui a été fondue à Paris en 1833, par Honoré Gonon et ses fils; celle du président James A. Garfield par Nichaus ; celle du président Abraham Lincoln, parWinnieReam; la statue d'Alexandre Hamilton, par Horatio Stone. Celle de Roger William a été coulée en bronze par Robert Wood et O; le statuaire Franklin Simmons, fit cette oeuvre pendant son séjour à Rome; c'est une figure très réussie. La statue de Robert Fulton, par Howard


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Roberts, de Philadelphie, m'a paru être l'une des meilleures.

Les autres statues ont aussi du mérite; j'ai relevé principalement les noms des sculpteurs suivants : Dmochowski, C. B. Yves, L. C. Mead, P. Powers, H. K. Brown, S. Greenough.

Au centre de cet hémicycle, sur un piédestal qui domine les statues des hommes illustres, on voit, sur un char romain en marbre (le char ailé du Temps), une figure allégorique en marbre blanc de grandeur nature, représentant « le Génie de l'Histoire, qui enregistre les événements qui intéressent la nation », une des roues dorées de ce char forme le cadran de l'horloge. Celte oeuvre est relativement ancienne, assez décorative et surtout originale.

Au haut de l'escalier d'honneur, en marbre, qui conduit à la salle des séances, se trouve la statue de marbre de Hancock, avec cette inscription : « Il a « inscrit son nom là, où toutes les nations devront le « lire, et le Temps ne devrait pas l'effacer». En parallèle, on a placé une statue de marbre élevée à Benjamin Franklin, et, près de là, une troisième statue est érigée à Jefferson.

En plus des monuments commémoratifs et des statues de divers genres que je viens d'énumérer, il y en a encore au moins huit autres qui ornent la ville de Washington ; ce sont : celles du président Lincoln, en marbre ; la statue de bronze dn général Rawlins, en costume de campagne, tunique, bottes à l'écuyère, grand chapeau de feutre à l'américaine, ensemble très


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naturel et réussi ; puis les statues de Christophe Colomb, du général Dupont et celle du professeur Henry, l'un des premiers organisateurs de l'Institution Smithsonienne ; celle de Franklin, en marbre blanc, d'Une exécution toujours simple et digne ; enfin, celles du général Henry et du général Scott.

' A Baltimore, en plus de ce que j'ai déjà énuméré, il y a une statue du général Washington, une de George Peabody, assis, et une de Robert B. Tassey (chief justice), premier président de l'Etat deMaryland. Le juge est assis, bien drapé dans sa toge ; il tient à la main droite un dossier de procédure roulé ; il semble écouter.

Une des plus belles oeuvres d'art qui sont dans le parc de Lincoln, à Chicago, c'est la statue de bronze de l'explorateur de La Salle. La pose est peu ordinaire ; La Salle semble gravir un rocher. Elle a coûté 60.000 francs ; le comte Jacques de la Lang en est l'auteur : elle est très expressive et artistique. Dans le même parc de Chicago, il y a aussi une bonne statue de Schiller ; c'est une reproduction de l'oeuvre d'Ernest Raus. Elle a coûté 8.000 dollars, soit 40.000 francs, qui ont élé payés par les donateurs.

La mémoire du président Lincoln a été aussi honorée d'une statue à San-Francisco ; c'est l'oeuvre de B. Mezzara.

Celle do Thomas Stari King, que l'on voit aussi à San-Francisco, est une des oeuvres remarquables du sculpteur P.-C. French, de New-York, que, déjà plusieurs fois, j'ai eu l'occasion de citer. C'est une statue

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de bronze, à l'expression mâle et énergique, élevée sur un piédestal de granit rose poli, avec encadrements mats et sculptés ; l'inscription suivante est gravée sur le piédestal : « Thomas Stari King, 1824-1864. En lui, « l'éloquence, la force et la vertu étaient unies à un cou • « rage inébranlable, pour le service de la cause de la « vérité, de son pays et de ses compatriotes. »

La ville de Philadelphie fait ériger actuellement une statue colossale en bronze à William Penn, l'un des fondateurs de la secle des « quakers » ou « dos amis » ; il a été surtout l'illustre fondateur de la Pennsylvania.

Cette statue a 11 m. 66 c. de hauteur; elle pèse 27.180 kilos ; le tronc d'arbre sur lequel repose le bras de William Penn a 5 mètres de hauteur; la tête a 1 m. 05 de circonférence sous le chapeau, et les épaules ont 8 m. 12 c. de tour. Celte statue sera le couronnement de la haute tour carrée monumentale qui domine l'hôtel de ville de Philadelphie. Cette oeuvre, aux proportions colossales, est très réussie sous le rap•port de la composition ; c'est l'idéal de la bonhomie et du naturel. Le coulage du bronze est parfaitement traité et le mérite de l'exécution et de l'assemblage m'a paru être indiscutable.

Il y a aussi dans le parc de Philadelphie une statue de très grandes proposions qui est érigée à Abraham Lincoln.

J'ai vu à Porlland, Maine, une bonne statue du poète Longfellow ; elle a élé exécutée en bronze, sur la maquette du sculpteur Franklin Simmons. Longfellow


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est assis sur un fauteuil classique romain ; sa redingote est recouverte d'un côté par un manteau ramené sur les genoux ; la pose est méditative ; il tient un rouleau de feuillets à la main, et semble recevoir un ami. Le piédestal de granit sculpté est concave sur chaque face ; il est très joliment dégagé par des moulures et des sculptures de bon goût, c'est un genre très réussi qui sort de l'ordinaire. L'ensemble a coûté 12,000 dollars, 60,000 francs, réalisés par une souscription publique.

La ville de Boston est richement ornée de statues, provenant pour la plupart de dons généreux ; l'une des plus réussies et des plus importantes est celle de Benjamin Franklin, oeuvre de Greenough, (fonderie d'Ames) qui est placée dans la cour de l'hôtel de ville. Elle est sur un piédestal carré, orné de quatre bas-reliefs en bronze. Sur l'un de ces bas-reliefs, on voit Franklin, débutant comme imprimeur ; sur le suivant, c'est l'épisode de la déclaration de l'indépendance américaine, le 4 juillet 1776 ; le troisième panneau rappelle le souvenir de la clef électrisée, avec l'épigraphe connue : « Eripuit coelo fulmen, sceptrumque tyrannis » ; le quatrième représente l'épisode du traité de paix et d'indépendance, le 3 septembre 1783.

La statue de bronze de Josiah Quincy fait le pendant de celle de Benjamin Franklin ; elle a été érigée en 1879, à l'aide des sommes léguées à la ville de Boston, par Jonathan Philips. C'est l'oeuvre du sculpteur Thomas Bail; elle a été fondue à Munich en 1879.


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Ces deux monuments rappellent de loin,, par leur situation et leur ensemble, celles de Malherbe et Laplace, à Caen; mais elles sont de proportions un peu plus fortes.

Le souvenir consacré à Thomas Cass, colonel du 9° régiment de volontaires des Massachusetts est très cligne. Cet officier est décédé à Malvern Hill, il était attaché à l'armée de Potomac ; on lui a élevé une statue de marbre blanc dans le parc de Boston ; le colonel est dans une attitude d'observation, la tête nue, les bras croisés; c'est l'oeuvre de J.-J. Horgan, à Boston. La statue repose sur un piédestal de granit poli, orné de détails ciselés ; on y lit cette inscription :

« Statue commémorative élevée au commandant « et au régiment organisé le 3 mai 1861, mis en marche « le 21 juin 1864. Irlandais de naissance, américains « d'adoption, ils ont combattu pour l'union de laconfé« dôration américaine, une et indivisible. Offert à la « ville de Boston par la Société des volontaires du « Massachusetts, le 12 novembre 1889. »

Dans l'avenue de la commonwealth à Boston, on remarque la statue de bronze en pied de John Glover, de Marbiehead, soldat de la révolution, commandant le régiment de 1000 hommes d'infanterie de marine engagés pour la durée de la guerre. Cette statue repose sur un piédestal de granit qui porte cette inscription : « Il a rendu des services signalés à son pays, notamment « en transportant l'armée de Brooklyn à New-York « en 1776, et en traversant le Delaware le 25 décem« bre 1776. Le général Washington l'avait honoré de sa


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« confiance. » Cette statue intéressante est l'oeuvre de Martin Milmore ; le costume ancien la rendait difficile à réussir ; elle a été offerte à la ville de Boston par Benjamin Tyler Reed, en 1875.

Près de là se trouve la statue de granit d'Alexandre Hamilton, avec une expression aussi ferme que le granit; il est né dans l'île de Nevis en 1757, mort à New-York en 1804. Sur le piédestal de granit, il y a trois médaillons sculptés en granit, puis la dédicace suivante : « Alexandre Hamilton fut un orateur, un écrivain, un « soldat, un jurisconsulte et un financier; cependant « son aptitude spéciale était pour la finance : son « profond génie embrassait tout le rouage administratif « de Washington. »

Toujours dans cette même avenue, la statue de bronze de Christophe Colomb est très expressive : il montre de la main droite le globe terrestre, tandis que sa main gauche désigne son idéal. Elle repose sur un piédestal en granit jaune, à colonnettes plates, d'un style assez original.

Je citerai encore pour ordre les statues de Leif Eriksen, par Anne Whitney, et celle de William Lloyd Garrison ; malgré leur mérite relatif je ne puis les apprécier parce que je n'ai pas pu les voir.

Charles Sumner a été un des bienfaiteurs de Boston ; cette ville lui a élevé une statue importante. Il est en costume civil, dans une pose d'orateur: cette staiue rappelle un peu celle d'Arcisse de Caumont, par Ilarivel Durocher, à Bayeux.

On a élevé aussi une statue de bronze sur piédestal


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de granit à Ericsson, à Boston : c'est une oeuvre d'un assez grand prix, mais elle est un peu allégorique et fantaisiste.

Les statues de bronze de William Prescott, de John Andrew par le sculpteur Bail, celle de Adams, de Horace Mann sont simples ; elles complètent à peu près la série statuaire extérieure de Boston.

Dans l'atrium du Capitole de Boston il y a encore quelques bustes et des statues dignes d'être notés.

Une très belle statue de marbre en pied du général Washington orne le centre. Elle est encadrée dans une double série de faisceaux de drapeaux historiques, qui donnent à cette image un aspect particulier et imposant.

Tout auprès se trouve la satue de marbre de John A. Andrew, sculptée par Thomas Bail, en 1890.

Puis il y a un buste en marbre du général Washington, émergeant aussi entre des faisceaux de drapeaux ; un buste du président Abraham Lincoln lui fait pendant, et il est orné de même avec des drapeaux ; enfin, j'ai remarqué les bustes de marbre de Henri Wilson et de Charles Sumner, qui complètent l'ornementation de cet atrium.

Devant l'extrémité nord de la salle des souvenirs, à l'université de Cambridge (ville contiguë à Boston), on a placé la statue de bronze de John Harvard, qui fonda en 1638 cette université, qui porte son nom actuellement. L'expression de la tête est belle ; le professeur en toge est assis dans un fauteuil Louis XIII, qui repose sur un piédestal très bas en granit rose lisse, presque


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poli. Celte stalue a été offerte à l'université par Samuel James Bridge en 1883 ; elle est signée Emmanuel Daniel French 1882 : c'est une oeuvre relativement très simple, mais de bon goût et très réussie.

Ceci termine l'énumération des oeuvres de statuaire que j'ai pu voir aux États-Unis. Je n'ai pas pu lout voir, et il manque,ici le détail de ce qui peut exister dans les localités que je n'ai pas visitées ; toutefois, j'ai lieu de penser que ces lacunes ne sont pas très considérables.

Les personnes qui connaissent les Etats-Unis, et qui auront la patience de lire ce qui précède, trouveront peut être que cette liste est beaucoup trop longue et que je suis quelquefois très indulgent. Sans doute, au point de vue abstrait de l'art, je me montrerais peutêtre plus sévère pour les oeuvres d'un peuple quelconque dont l'éducation artistique serait faite depuis longtemps. Mais, ici, nous sommes en présence d'un peuple fondateur d'Etat, qui a eu tout à créer spontanément, et dont on ignore généralement les travaux artistiques. J'ai dû constater le nombre et le mérite des oeuvres en ce qu'elles ont de naturel, de vrai, les sentiments philanthropiques et patriotiques qui les ont inspirées, tous les souvenirs historiques qu'elles évoquent, plutôt que le caractère exclusivement artistique, poétique et idéal que nous sommes habitués à rechercher; mais encore est-il que, si je devais formuler mon appréciation, je donnerais à l'ensemble de ce que j'ai vu la note « très bien ».


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§ V. — OEuvres d'art décoratives

L'art du statuaire est relativement moins avancé, aux États-Unis, que l'art de la peinture, bien que la longue énumération qui précède démontre qu'il y a de nombreux artistes qui ont produit une quantité relativement très notable d'oeuvres très sérieuses. Mais les Américains eux-mêmes admettent que les races anglo-saxonnes ont moins d'aptitude pour l'art du statuaire que les races latines.

En général, les oeuvres de sculpture statuaire sont payées des prix très élevés.

A part certaines exceptions, les artistes s'occupent peu de l'objet d'art de cabinet ou de salon genre Barbedienne ; cependant, parmi les oeuvres dont j'ai encore à vous entretenir, et dans les 148 numéros exposés à Chicago, il y a un certain nombre d'objets qui annoncent de l'avenir.

Les Tilden Douglas, les Frédéric Triebel, M- Caroline Brooks et plusieurs autres me paraissent être des artistes de premier mérite.

Je dois citer encore Mme Lubri Stedman Samson, qui a créé récemment à Tacoma, dans l'Etat de Washington, sur le Pacifique, une école de sculpture très active et très prospère : les petits sujets et les figurines de terre cuite qu'elle avait présentés dans le pavillon de l'État de Washington étaient très gentiment traités.

En plus des monuments que je viens d'énumérer, j'ai remarqué un certain nombre de jolies oeuvres d'art


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décoratives qui ornent les parcs et les jardins publics et les avenues des grandes villes des Etats-Unis et qui, pour la plupart, sont offertes par de généreux donateurs. Il y a d'abord, à New-York, dans le parc central : Le chasseur indien avec son chien, groupe de bronze très expressif.

Le fauconnier, statue de bronze, figure artistique, offerte par George Kemp, 1872.

Deux aigles se disputant un bélier, joli groupe bronze signé : E.-F. Patin, Se. 1850, offert par G. \V. Burnham, 1873.

A Baltimore, on remarque surtout diverses oeuvres d'Antoine-Louis Barye (1796-1875). Elles sont en bronze et fondues par Barbedienne :

1° Un lion sur un socle de granit, avec médaillon. 2° Un groupe emblématique de la Paix : «un pâtre assis sur un boeuf regarde un enfant qui joue ».

3° La Guerre, sous la forme d'un guerrier nu, le front ceint d'une couronne, de laurier. Il est assis sur son cheval, son casque est près de lui il écoute un enfant qui fait des appels avec une trompette ; il saisit la poignée de son épée.

4° Civilisation : un jeune homme, assis sur un tigre, dont il a écrasé la tète, tient de sa main gauche une épée dans le fourreau, et de l'autre, il protège un enfant, qui tient un livre à la main.

5° Force : Un athlète, assis sur un lion, protège un enfant qui médite.

6° Courage militaire : un guerrier, son casque sur la tête et son épée dans le fourreau, qu'il tient de la


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main gauche, est prêt à affronter froidement un danger. Cette dernière composition est signéeP. Dubois; elle a été fondue par Barbedienne.

Il y a dans la galerie Corcoran, à Washington D. C, un grand nombre d'oeuvres de Barye en réduction. C'est l'une des collections les plus complètes qui existent des oeuvres de cet artiste : elle se compose de 103 pièces. L'une des plus remarquables est celle qui représente Thésée et le centaure; elle est haute d'environ 1 m. 20. Il y a ensuite une superbe paire de candélabres à neuf lumières et six figurines, mascarons et chimères, dont les originaux avaient été fondus pour le Duc de Montpensier.

Le groupe de deux arabes tuant un lion est très mouvementé et très joli.

Il y a dans le parc des Druides, à Baltimore, une jolie statue style égyptien.

Parmi les groupes de bronze artistiques les plus remarquables de l'art américain, je citerai un monument élevé « Aux Indiens de la tribu d'Ottawa », appelé aussi « le Groupe de l'alarme », qui est érigé dans le parc Lincoln à Chicago. Un chef indien est entouré de sa famille ; il est vêtu du costume de sa tribu et se tient debout, prêt à défendre ses enfants avec l'arme qu'il serre dans ses mains. Ce groupe, très bien disposé, très mouvementé, est parfaitement naturel et énergiquement rendu. Il a été composé par John J. Boyle, et il a coûté 15.000 dollars (75.000 francs); il a été offert à la ville de Chicago par M. Martin Rierson. Sur le piédestal en granit sont quatre bas^


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reliefs en bronze qui représentent des scènes allégoriques de la vie indienne, puis cette inscription : « Aux Indiens de la tribu d'Oltawa de l'Illinois. mes amis. ».

Un autre très joli groupe dé marbre blanc se trouve à Sacramento, Californie ; il décore le centre de la grande salle, en forme d'atrium, du rez-de-chaussée qui est sous le dôme du palais du gouvernement. 11 représente « Isabelle la Catholique promettant à « Christophe Colomb de protéger son entreprise, et « d'engager ses bijoux plutôt que de l'abandonner, si « les trésors de l'Etat ne suffisaient pas ». Ce beau groupe, intéressant, a été offert à l'État de Californie par D. D. Mils en 1882 : ce sujet est très décoratif; les figures sont presque de grandeur nature ; elles m'ont paru être convenablement exécutées et judicieusement disposées.

En 1889, il y avait à l'exposition de Paris une belle oeuvre en bronze, grandeur nature, qui représente « un joueur à la balle » par Douglas Tilden. Le jeu de balle est un exercice national dans l'Amérique du Nord ; le sujet est bien rendu ; il a été offert à la ville de SanFrancisco par « un ami du sculpteur », et c'est maintenant un des ornements du parc de la porte d'Or à SanFrancisco.

Après avoir énuméré les oeuvres américaines, je ne puis omettre de signaler une oeuvre japonaise qui m'a semblé être extrêmement remarquable, autant par son mérite intrinsèque que parce qu'elle est l'oeuvre d'artistes dont je n'aurais pas soupçonné l'existence dans un pays comme le Japon.


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Cette oeuvre fait partie d'une collection de 15.000 objets de curiosité, provenant de la Chine, du Japon et des Indes, qui a été offerte par M. Frédéric Stearns à la ville de Détroit, Michigan, et que j'ai déjà eu l'occasion de signaler.

C'est un groupe de lutteurs asiatiques modelé avec une matière qui ressemble à un stuc quelconque très fin, colorié d'après nature et verni.

Ces lutteurs sont l'un et l'autre taillés en hercules, de deux mètres de hauteur au moins ; ils paraissent doués d'une force musculaire considérable ; l'un de .ces lutteurs est de race blanche, l'autre est de race bronzée. L'artiste les a représentés au moment critique : le lutteur blanc enlace l'autre dans ses bras ; il l'a soulevé de terre et l'étouffé.

L'expression de la force surhumaine déployée par l'un, et le sentiment de douleur et de rage ressenti par l'autre sont admirablement exprimés; les yeux à pleins orbites, comme les Japonais savent les représenter, sont saisissants.

Il me paraît probable que l'artiste a eu l'intention de constater la supériorité des races blanches sur les races brunes.

La sculpture à l'Exposition de Chicago

Une des plus jolies compositions que j'aie remarquées à l'exposition de Chicago, c'est une statue de femme drapée en génie, d'une hauteur de deux mètres trente environ, coulée en plâtre, qui représente la

devise allégorique de l'Etat de Wisconsin : « Forward »,

a


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« on avant ; » c'est la première oeuvre de Miss Jean Pond Miner, deMadison. Cette composition, à la fois gracieuse et d'une grande énergie, révèle chez l'auteur un vrai talent naturel développé à un degré supérieur par l'élude et une application soutenue. L'oeuvre a été adoptée à la suite d'un ooncours entre différents artistes, et elle sera exécutée en marbre blano de Vermont, sur piédestal de marbre du Wiseonsin,

Une autre composition analogue, en plâtre également, mais naturellement moins entraînante que la précédente à laquelle elle faisait pendant dans le pavillon de cet État, était intitulée « le Génie du Wiseonsin ». Une statue de femme de deux mètres trente environ, drapée dans le drapeau national américain, caresse son aigle; c'est l'oeuvre de Miss Nellie Mears, de Oshkosh, Wiseonsin.

Un certain nombre de jeunes dames américaines se livrent à la sculpture et à la peinture, et, en particulier, à la sculpture statuaire; parmi celles qui se sont distinguées, je dois citer, outre les deux artistes du Wiseonsin que je viens de nommer, M°,e Ellen Rankin Copp, d'Atlanta, et maintenant à Chicago : sa statue allégorique de « la Maternité » a le mérite de l'expression vraie et du naturel.

Dans le même ordre d'idées, il y avait aussi deux statues en plâtre, la principale était l'allégorie de l'Education par Francis Goodvvin, de Nevvcastle, Indïana; mais, à mes yeux, l'une et l'autre étaient loin de valoir les trois précédentes.

Enfin, on avait exposé une oeuvre unique en son


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genre, la statue allégorique de la Justice, de 2m13 de hauteur et de fortes proportions. C'était une oeuvre sévère et correcte, sans prétention, très simplement drapée ; elle a été modelée par M. R.TL Park. On a dit que c'est la première fois que la justice a été représentée avec les yeux ouverts. Elle tient de la main droite un glaive abaissé, tandis que la main gauche soulève une balance ; elle est supportée par une sphère terrestre de dimensions proportionnées, que soutient sur son dos une aigle américaine de très grande dimension aux ailes éployées. Avec ce double support, la statue a 4 mètres 57 centimètres de hauteur.

Le principal mérite de cette oeuvre était d'être exécutée exclusivement en argent pur, y compris la sphère et l'aigle : il a fallu 80.000 onces d'argent pour fondre le tout, ce qui est estimé à 65.000 dollars, soit 325.000 francs. Outre cela, ce groupe reposait sur une plinthe d'or massif estimée 250.000 dollars, ou 1.250.000 francs.

Cette oeuvre faisait le centre d'attraction de l'exposition minéralogique de l'état de Montana : au point de vue du mérite du fondeur, elle était, paraît-il, admirablement réussie, et il m'a semblé que cette appréciation est très justifiée.

L'exposition régulière des sculpteurs des EtatsUnis, dans le palais des Beaux-Arts de la World's fair (exposition de Chicago), comprenait 148 numéros plus ou moins importants. Une des oeuvres qui faisait le plus d'effet était une chasse au bison, plâtre de grande dimension, n° 26 du catalogue. Un Indien à


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cheval attaque corps à corps un bison énorme, qui se défend et laboure les flancs du cheval avec ses cornes, tandis que l'Indien le perce à coups de flèches : ce groupe était très mouvementé et d'un certain réalisme.

Le n° 48, « Struggle for work », la lutte pour le travail, par J. Gelert, de Chicago, m'a paru être bien interprété.

Le n° 120, Chasse à l'ours par des Indiens, oeuvre de Tilden Douglas, à Paris, sujet très bien rendu.

Le n° 124 « Love knows no caste », l'amour ne connaît pas les divisions de caste », par Frédéric E. Triedel, à Florence, est une oeuvre de marbre très jolie.

Le n° 91, «. Nearing home », « on approche de la maison paternelle », sujet en marbre, par Partridgc William Ordway, de Boston, très réel et très expressif.

J'ai remarqué aussi le n° 78, buste en plâtre de John Ericsson, par August Lindstrom, de Chicago.

Le n° 128, intitulé « Un rêve », par \Vra Turner, à Florence, était une figurine de marbre très gracieuse.

Une statuette plâtre, qui porte le n° 17, modelée par Amy A. Bradley, de Boston, et qui est intitulée « Une fille des Pharaons », a un certain mérite.

Le n°24, groupe en marbre de la famille Vanderbilt, par Caroline S. Brooks, de New-York, est une composition très compliquée, nr.ais convenablement traitée.

On remarquait aussi le n° 11, buste de Mm* B..., marbre blanc, avec cheveux teintés, présenté par M. Paul Bartletl, à Paris : l'effet de cette coiffure était assez singulier. -


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Le n° 76, buste en-marbre présenté par M. Henry A. Kitson de Boston, était assez gentil.

Je pourrais multiplier les citations ; mais celles qui précèdent suffiront, je le pense du moins, pour donner une idée du degré de développement que Fart de la sculpture prend actuellement aux Etats-Unis.

Le cadre de ce travail ne me permet pas d'énumérer les oeuvres principales des étrangers à l'Amérique ; il y avait cependant de belles choses envoyées d'Europe et le Palais des Beaux-Arts était bien orné. Il y avait quelques gracieux sujets dans l'exposition italienne, et surtout dans l'exposition française ; on a beaucoup remarqué : « Quand même», figure en plâtre d'Antoine Mercié, puis David et Goliath, aussi de Mercié ; la Sirène, de Puech Denys ; Mozart enfant, par Louis-Ernest Barrias; Aigle et vautour se disputant un ours, par Auguste Cain ; Washington et Lafayette, par Bartholdi, etc, etc. Il y avait en tout 145 numéros d'oeuvres modernes françaises.

Dans le parc de l'exposition de Chicago, un grand nombre d'oeuvres de sculpture d'art étaient disposées, soit sur les pelouses, soit sur les monuments, de tous les côtés ; mais, outre que ces groupes emblématiques étaient exclusivement composés pour un décor temporaire, ils étaient pour la plupart les oeuvres de sculpteurs modeleurs français et italiens, venus pour cette circonstance.

Parmi les oeuvres décoratives exceptionnelles, je dois mentionner une statue colossale de.la République, haute de 18 m. 30 c, qui était placée sur un piédestal


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proportionné ; cette statue en stuc était entièrement dorée. Drapée dans un manteau royal, elle tenait une sphère dans sa main droite, et appuyait sa main gauche sur un long sceptre garni d'une oriflamme parsemée d'étoiles. C'était l'oeuvre du sculpteur French, que j'ai déjà eu lieu de citer plusieurs fois ; elle a coûté 60,000 dollars (300,000 francs). L'attitude de cette figure était un peu raide, mais elle faisait un grand effet.

Il en était de même du groupe de sculpture aux immenses proportions qui faisait pendant à la statue de la République C'était une fontaine très compliquée, représentant une grande galère romaine, garnie de personnages et de rameurs, qui portait une figure allégorique ; cette galère était entourée de jets lumineux d'eau pulvérisée.

L'auteur, M. Mac-Monnies, que j'ai déjà cité plusieurs fois, s'était évidemment inspiré de la fontaine de la ville de Paris, à l'exposition de 1889. C'était un ensemble très décoratif et très attrayant pour ceux qui n'avaient pas vu la fontaine primitive.

A titre de sujet de circonstance., on avait placé à l'entrée du palais de l'Électricité, la statue en plâtre de Benjamin Franklin, représenté au moment où il va lancer le cerf-volant et la clef légendaires : on peut la classer parmi les meilleures.

Parmi les autres oeuvres dignes de remarque, je citerai encore la statue monumentale de l'Archevêque catholique Feehan, deux jolies fantaisies modelées par le sculpteur Richards et qu'il avait désignées, l'une « le colin-maillard », l'autre « le jeu de cache-cache »:


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deux gros troncs d'arbres creux étaient placés parallèlement, comme dans un parc, et trois jolis enfants du premier âge, prenant leurs ébats autour de chacun de ces troncs, réalisaient, pour ces deux oeuvres, toute la composition très gracieusement et avec un naturel parfait.

Pour terminer, je signalerai, à cause de la pensée qui s'y rattache, un groupe en plâtre provenant de l'Etat de l'Ohio, qui représentait « Un pilori ». Sept hommes illustres des États-Unis, entourant la figure allégorique du Génie de la Patrie, qui les désigne du geste avec un orgueil légitime, comme Cornélie, et présente une banderolle où sont tracés ces mots :

« Voici mes joyaux ».

En somme l'exposition des Beaux-Arts de Chicago

semble avoir démontré qu'un mouvement artistique est

envoie de développement aux Etats-Unis, et que les

institutions qui y existent sur différents points sont de

nature à bien diriger ce mouvement, et à lui donner un

cours régulier qui propagera dans les masses le goût

et la saine appréciation des oeuvres d'art. Le palais des

Beaux-Arts a été constamment fréquenté par la foule

de toutes les classes de la Société.

Le Canada est moins riche en oeuvres artistiques que les Étals-Unis; cependant il y a quelques jolies choses, principalement des portraits d'hommes célèbres et des décors d'église.

La ville de Winnipeg a élevé un monument


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modeste mais convenable aux soldats morts sur le champ de bataille.

l,a ville de Montréal a érigé à l'amiral Nelson une colonne surmontée d'une statue de bronze ; elle a élevé aussi un gracieux monument à Maisonneuve et une statue de bronze à la reine Victoria.

Enfin la ville de Québec a élevé une colonne au général Wolfe et un grand obélisque collectif à Wolfe et à Montcalm ; on y lit cette inscription :

MORTEM VIRTUS COMMUNEM

FAMAM IHSTORIA

MONUMENTUM POSTERITAS DEDIT

Hujusce monumenti in memoriam virorum illustrium Wolfe et Montcalm fundamentum, P. C. Georgius de Dalhousie in Septentrionalis Americee partibus ad Britannos pertinentibus summam rerum administrans, opus per multos annos proetermissum.

(Quid duci egregio convenientius ?) Auctoritate promovens, exemplo stimulans, munificentia favens. Die novembris XV S. A. D. M CCCXXVII, Georgio IV Britanniarum rege.

Devant le palais du gouvernement provincial à Québec, on a placé deux oeuvres d'art remarquables ; la principale est un groupe artistique en bronze qui représente une famille huronne dans leur costume classique indien. Il y a le père, la mère et deux fils ; le


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plus jeune des fils se tient entre ses parents, tandis que l'aîné armé d'un arc et d'une flèche, se tient à gauche, et semble ajuster un but. Tout ce groupe est très expressif; les types de la race huronne sont beaux, bien choisis, bien posés, exactement rendus.

L'autre sujet représente un Huron de grande taille, debout sur des roches à fleur d'eau au bord d'une fontaine; il est sur le point de harponner un saumon ; c'est une belle académie en bronze, la pose est naturelle et l'expression bien traitée.

Ces deux groupes ont été composés par M. Hébert, sculpteur canadien, et ils ont été exécutés à Paris : je considère que ce sont, dans leur genre, deux des plus belles oeuvres d'art que j'aie vues en Amérique.

CHAPITRE IV

ARCHITECTURE

Les monuments anciens sont rares aux ÉtatsUnis et au Canada, et plus ils sont relativement anciens, moins ils ont de valeur artistique, les ressources des premiers fondateurs des grandes villes ayant été plus restreintes que celles de leurs successeurs, leurs préoccupations avaient principalement trait aux choses de première nécessité.

Les monuments les plus remarquables datent du XIXe siècle et principalement de la deuxième moitié, sinon du dernier tiers de ce siècle, et ils sont relativement nombreux.


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Règle générale, l'architecture des monuments civils américains est massive, hardie, imposante, souvent très grandiose ; parfois elle est originale et prétentieuse, d'un goût discutable; mais, ainsi qu'un auteur compétent (1) l'a judicieusement remarqué, elle n'est jamais monotone.

Non seulement la conception des monuments est très compliquée, mais l'exécution en est très solide, très riche et très bien faite ; elle fait honneur aux architectes.

Les villes les plus anciennement fondées et celles qui sont en pleine prospérité, sont richement ornées d'édifices considérables.

A mesure que les nouvelles villes du centre, du nord et du nord-ouest se développent, elles font rapidement construire la série d'édifices monumentaux que l'usage et l'émulation ont rendue réglementaire pour chaque ordre de cité.

Ainsi, à Washington, qui est la ville capitale politique, sont réunis tous les édifices nationaux du gouvernement central des États-Unis, tels que le Capitule, où se réunissent les députés et les sénateurs de l'Union américaine; puis il y a les ministères, l'administration centrale des postes, la caisse des retraites, la Maison-Blanche, etc.

Dans la ville capitale de chaque État, il y a un palais du gouvernement provincial, que l'on appelle statehouse, ou Capitule, qui est le lieu de réunion des sé(1)

sé(1) O'Rell.


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nateurs et des députés locaux, puis il y a un hôtel de ville, un palais de justice, un hôtel des poste?, des gares de chemins de fer, une cathédrale catholique et un grand nombre d'églises pour tous les cultes. Souvent, il s'y trouve une université plus ou moins vaste et des hôtels spéciaux pour les sociétés philanthropiques, artistiques et littéraires, pour les cercles, etc. ; enfin les grandes sociétés financières, les grandes compagnies d'assurances, les grands journaux, ont des établissements monumentaux. Nécessairement, il y a aussi plusieurs grands hôtels pour les voyageurs, dont les grands hôtels modernes de Londres et de Paris peuvent donner une idée, et enfin un ou deux quartiers spéciaux sont consacrés aux résidences particulières de luxe. Telle est l'organisation générale des villes américaines; et, comme l'Union se compose de 44 États, par conséquent de 44 villes capitales et d'un grand nombre d'autres villes importantes secondaires, cela forme un total considérable de monuments sérieux et de genres variés.

Tous ces édifices sont construits à grands frais, en pierre de taille de nuances diverses, en granit martelé et en granit poli; ils sont ornés de marbres à l'intérieur ; rien n'y manque. On y fait beaucoup de planchers et de charpentes en fer, afin de diminuer les dangers d'incendie : tout ce que le progrès moderne peut suggérer en fait deconfortable,d'installations pratiques et commodes, de décors luxueux sans être criards, y est appliqué. Chaque ville s'organise ou se complète promptement ; l'émulation stimule les cités à rivaliser


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les unes avec les autres pour la richesse de leurs constructions et le mérite de leur organisation.

Cela est très naturel,étant donnée une décentralisation très accentuée, qui s'impose par suite de l'éloignement d'un grand centre à un autre et de l'immense étendue des États-Unis.

Ce qui précède a pour but de démontrer qu'il y a sur le territoire nord américain un bien plus grand nombre d'édifices publics monumentaux qu'on ne le pense généralement, et c'est là un fait surprenant à constater: car, dans l'espace d'un demi-siècle, les Américains ont réalisé simultanément, sur l'ensemble de leur vaste territoire, une organisation monumentale imposante : ils ont créé, selon l'expression consacrée, des villes champignons; mais ce sont des champignons au coeur de pierre, de granit, de fer et de marbre.

En général, les édiles et les architectes des édifices civils primitivement construits, c'est-à-dire jusqu'à l'époque de la première moitié du XIX 0 siècle, s'étaient inspirés des styles grecs, italien, toscan et des diverses applications françaises de ces styles.

La plupart des monuments deWashington, tels que : le Capitole, le palais qui renferme les ministères d'État, de la guerre et de la marine, les palais du ministère des finances, du ministère de l'intérieur, de la direction générale des postes, le palais Corcoran, puis, l'hôtel de-ville de Philadelphie, le palais de justice à Chicago, l'hôtel des postes à New-York, la gare centrale de New-York, le Capitole à Sacramento et beaucoup d'autres édifices encore sont de très beaux modèles


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des styles composites des XVII" et XVIII" siècles, que nous préférons généralement en France ; mais ces genres, relativement classiques, sont en grande minorité, et on ne les imite que très exceptionnellement maintenant.

Par contre, on a généralement adopté le style que j'appellerai « flamand-anglo-germanique » moderne, imité des constructions du XVIe siècle, qui plaît mieux aux habitants du Nord de l'Europe. C'est ce qui me faisait dire, au début de cette étude, que l'origine anglosaxonne des habitants qui prédominent aux EtatsUnis, doit influer sur leurs goûts, surtout en fait d'architecture.

De ce style anglo-germanique, plus ou moins ogival que les anglais appellent communément le style du règne d'Elisabeth, dérive le style monumental américain généralement adopté maintenant, qui fera certainement époque.

Toutes les proportions de ces monuments sont vastes : la base est massive, les prises de jour larges et nombreuses, les toits en pointe, avec ou sans tourelles, avec ou sans accompagnement d'une tour carrée (sorte de campanile souvent très élevé et fréquemment évasé au sommet ; ce genre de complément semble plaire beaucoup).

En hommes studieux, observateurs et pratiques, les architectes américains ont beaucoup étudié les monuments de l'Europe de toutes les époques, et ils trouvent évidemment que le genre qu'ils ont adopté est la dernière perfection du progrès.


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Pour les églises, on a délaissé aussi les styles grecs byzantin et toscan, que l'on semble avoir adoptés primitivement ; et, depuis quelque temps, on a presque uniformément adopté partout le style ogival des diverses époques primitives, appliqué aux situations modernes. Pour le culte catholique, on a disposé, selon la tradition, les grandes basiliques en croix latine, plus ou moins accentuée, avec un ou deux clochers à l'occident ; telles sont : la cathédrale de Saint-Patrick à New-York, les cathédrales de Boston, d'Albany, de Chicago, de Saint-Paul Minneapolis et plusieurs autres.

Les temples protestants des différentes sectes sont très fréquemment aussi construits dans le style ogival ; mais ils sont disposés plutôt en une large nef intérieure, sans colonnes ni piliers, en forme d'amphithéâtre, avec une ou deux galeries ; la façade est accompagnée, le plus souvent, d'un campanile ou d'un seul clocher avec flèche style du XIII« et XIV* siècle. L'église de la Trinité à New-York est de ce genre; son style ogival XIV'' siècle est de la plus grande pureté. Le clocher a 86 mètres de hauteur, et l'intérieur est richement mais simplement décoré.

En général, toutes les églises, à quelque rite qu'elles soient consacrées, sont très soignées : on s'est attaché à l'harmonie des lignes, à l'uniformité du style et à la grande légèreté de l'ensemble qui caractérise l'architecture ogivale des XIII 1 et XIVe siècles, sans excès d'ornementation superflue à l'extérieur ni à l'intérieur. En somme, à quelques exceptions près,


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l'architecture religieuse des Américains me parait avoir dans son ensemble un caractère pittoresque et pratique. Les synagogues juives sont généralement du style que les Américains désignent sous le nom de « sarracenic » ou sarrasin ; c'est une variante du style byzantin. Il y en a de très riches, notamment deux à New-York dans la 5* avenue, le temple « Emmanuel » et une autre synagogue qui vient d'être construite et qui est ornée d'une petite coupole dorée. Il y en a une très jolie aussi à Philadelphie et beaucoup d'autres analogues en différentes localités.

La plus belle cathédrale catholique est celle de St-Patriek à New-York, style gothique pur XVe siècle ; elle a OS-^ de longueur sur 36m60 de largeur de nef et de bas côtés; le transept a 42m70 de largeur.

Deux superbes clochers, qui rappellent un peu ceux de la cathédrale de Chartres, décorent la façade principale ; ils sont parallèles et s'élèvent à 10O"65 de hauteur; l'élévation de la nef est de 33m au dessus du sol, et celle des bas côtés est de lô-SO. Un carillon puissant est placé dans les clochers.

Cette riche cathédrale est d'une grande netteté; elle est construite entièrement en marbre blanc ciselé et orné de sculptures fines ; les piliers intérieurs ont 1(K>0 de hauteur, ils sont fins et légers ; ils sont formés de quatre colonnes principales réunies, contre lesquelles s'appuient huit petites colonnettes. Les roses du transept et de la façade sont très jolies ; les meneaux des grandes baies sont aussi d'une belle disposition.

L'architecte de St-Patrick est M. James Renwick;


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il en a dressé les plans après avoir longuement étudié les cathédrales les plus renommées de l'Europe. L'Archevêque Hughes en a posé la première pierre le 15 août 1858, et, à peine douze ans plus tard, le cardinal Mac Kloskey la dédiait au culte (1).

Sous le rapport des piliers intérieurs, les églises catholiques ogivales américaines sont très remarquables: leurs colonnes sont d'une netteté et d'une légèreté qui contraste avantageusement avec celle des piliers des églises ordinaires, et notamment avec les piliers si massifs de l'ordre toscan. Les colonnes de la cathédrale d'Albany sont admirablement fines et bien proportionnées ; c'est une intelligente application au style ogival du principe des colonnades mauresques.

En général, le choeur, qui esthabituellement annexé au sanctuaire dans nos anciennes cathédrales, n'exisle pas dans les grandes églises modernes d'Amérique ; il n'y a de stalles que pour l'Évêque ou l'Archevêque.

Un temple bien extraordinaire et bien remarquable, dont j'ai été surpris de constater la perfection, est celui qui a été construit à Sait Lake city pour le culte des Mormons (2). M. Harry R. Brown en fait la description suivante, qui est insérée dans la Revue de Californie :

« La première pierre fut posée, le 6 avril 1853, par « le Président Brigham Young et ses assesseurs ; « 40 ans plus tard, le 6 avril 1893, le temple a été

(1) Note du guide à New-York.

(2| Depuisquc le « territoire ».de l'tîtah fait régulièrement partie de l'Union américaine, la polygamie a cessé d'être autorisée chez les Mormons; ils pratiquent, selon leur rite particulier, un culte secret qui a pour base apparente l'Évangile.


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« consacré par le président Wilford Wodruff et ses « assesseurs. Il existe actuellement trois autres temples « Mormons sur le territoire de l'Utah : un à Logan, un « à Saint-George et l'autre à Manti ; mais aucun de ces « temples quelconques n'approchent de la splendeur, « ni de la magnificence du temple de Sait Lake (lac « salé).

« L'extérieur est construit en granit, et l'édifice « couvre une superficie de 21.850 pieds (environ « 7.000 mètres carrés). La statue de l'ange Moroni, qui « surmonte la tour centrale du levant, a 12 pieds 5 pouces « et demi de hauteur (près de quatre mètres).

« De nombreuses lumières électriques sont placées « sur chacune des six tours ; il est impossible de donner, « par une description aussi succincte, une idée de la « beauté exquise, de l'ingéniosité et de la perfection « des détails de l'organisation et de l'aménagement « intérieur de ce temple, avec ses grands escaliers, ses « dallages de marbre, etc.

« Ses fonts baptismaux, soutenus par douzeboeufs de « grandeur naturelle, son mobilier riche et somptueux, « ses lustres splendides, ses magnifiques peintures à « l'huile, ses colonnes grecques, ses triples miroirs aux « dimensions colossales et ses fenêtres ornées de « pierreries sont autant de détails très imposants.

« Dans deux des tours de l'ouest, des ascenseurs « hydrauliques, en rapport avec l'ornementation élé« gante du temple, portent les visiteurs jusqu'aux « divers étages.

« On avait adressé à des milliers de personnes


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« appartenant aux autres cultes des invitations qui « leur permettaient de visiter le temple, avec leurs amis, « pendant l'après-midi de la veille de sa consécration. « Les personnes qui ont profité de la courtoisie des chefs « de cette église ne cesseront jamais de s'estimer « heureuses d'avoir eu la faveur de voir un intérieur « aussi enchanteur (1).

« Cela a été la seule et unique fois qu'aucun « étranger au culte des Mormons aura pu visiter ce « sanctuaire, le saint des saints des Mormons. »

J'ai visité les façades extérieures de ce temple ; je les ai vues de très près dans l'intérieur du parc où il est édifié ; et, d'après ce que j'ai pu observer moi-même d'après les descriptions locales qui m'ont été faites, je conclus que rien de ce qui précède ne doit être exagéré. La construction me paraît être admirablement faite, extraordinairement solide et d'une exécution extrêmement soignée.

Le tabernacle des Mormons, primitivement construit et qui consiste tout simplement en une immense salle sans colonnes, recouverte comme le dos d'une gigantesque baleine, est une construction très originale, très simple à l'extérieur et à l'intérieur ; mais c'est une merveille de sonorité et d'acoustique.

Les chants religieux, avec accompagnement d'un grand jeu d'orgues excellent, sont splendides, paraît-il ; et, d'une extrémité à l'autre de cette vaste nef, qui doit avoir près de soixante mètres de longueur intérieure,

(1) On (value à 60 mille le nombre des personnes qui ont visité ce temple quelque peu avant son inauguration.


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on entend la chute d'une épingle surla table, et on saisit les paroles prononcées de la voix la plus basse : je l'ai constaté.

Dans le nombre considérable des monuments civils imposants que l'on rencontre aux États-Unis, le Capitole de Washington, qui est célèbre ajuste titre, est aussi le plus transcendant: à l'intérieur comme à l'extérieur, il justifie parfailement les appréciations élogieuses qui en ont été faites.

Les portes d'entrée principales sont en bronze massif, de très belles proportions : elles ont près de 5m20 de hauteur, sur 2m75 de largeur; elles sont composées de huit panneaux surmontés d'une grande imposte en plein ceintre, etle tout est encadré dans une plate-bande et un chambranle sculptés. Tous ces panneaux sont ornés de bas-reliefs qui représentent les principaux épisodes de l'histoire des États-Unis. Ces bas-reliefs sont le chef-d'oeuvre de Randolph Rogers; ils ont un mérite incontestable. Ces portes rappellent celles du baptistère de Florence, par Ghiberti : la porte orientale est similaire ; elle est aussi de bronze massif, avec panneaux et bas-reliefs, chefs-d'oeuvre de Crawford.

Le dôme est considérable et de très belles proportions; à l'intérieur, il est entièrement libre jusqu'au sommet, et il produit un grand effet. Le rez-de- chaussée de ce dôme forme un vaste atrium de trente mètres de diamètre, les murs sont ornés de huit grands panneaux de peinture de sujets historiques, parWanderlyn,Powell,


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Chapman, Weir et Trumbull, tandis que des frises, des fresques et des moulures alternées forment le décor de cette rotonde jusqu'à la coupole, qui est entièrement peinte par Brumidi de sujets allégoriques qui représentent l'apothéose de Washington. La paix, la guerre, le commerce, la marine, l'agriculture et les sciences entourent le groupe des États de l'Union, figuré par des femmes emblématiques, dont la tête est ornée d'une étoile pour diadème, et qui déploient ensemble une banderole avec la devise de la patrie commune : « E pluribus unum ».

Le sommet extérieur du dôme est couronné d'une belle statue dorée de la Liberté, qui a 6 mèlres de hauteur ; c'est aussi l'oeuvre de Crawford.

L'intérieur du palais est orné d'un nombre considérable de portraits, de bustes et de statues.

Un des tableaux les plus remarquables est l'oeuvre de Miss Cornelia Adèle Fassett ; il a pour titre : « La cause de la Floride, soumise à la commission électorale ». L'artiste a représenté, avec talent, un vaste hémicycle garni de plus de trois cents portraits placés dans une bonne perspective.

Les dégagements du palais sont très beaux ; il y a plusieurs galeries inférieures dans le style pompéien et plusieurs grands escaliers d'honneur en marbre blanc, avec un porte-main renaissance en bronze de toute richesse. L'une de ces mains-courantes est en cuivre poli, avec décor extra-riche, composé de chéîubins et d'aigles américaines presque de grandeur nature, aux ailes éployées.


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Selon mon appréciation, le Capitole de Washington est très digne de sa réputation; c'est un monument splendide et de bon goût. Les détails qui précèdent sont absolument insuffisants pour en faire apprécier les beautés; j'ai dû simplement le signaler de nouveau à votre attention, Messieurs, et confirmer, par l'expression de mon opinion et de mon admiration les monographies, élogieusesque des écrivains plus compétents en ont pu faire avant moi.

Dans un autre genre, le palais du gouvernement de l'Etat de New-York est un édifice très remarquable par son importance, et surprenant par les détails de sa construction ; il est construit dans la ville d'Albany, capitale politique de l'Etat de New-York. La première pierre a été posée en 1871 ; huit ans plus tard, les pouvoirs publics prenaient possession des principales salles de séances et de quelques bureaux ; mais, à l'heure actuelle, les parties accessoires de ce palais et notamment la tour centrale, sont loin d'être terminées.

Ce Palais consiste en un parallélogramme de granit, de 90 mètres de façade sur 119 mètres de côté ; il est flanqué, dans les angles, de quatre pavillons carrés à cinq étages. Au centre de la cour intérieure, une immense tour carrée, sorte de campanile, dont le faîte s'élèvera à 119 mètres au-dessus du sol, couronnera l'édifice ; l'ensemble couvre environ 1 hectare 21 ares de terrain ; les fondations ont été creusées à 17 mètres de profondeur, et l'édifice repose sur une couche do béton de ciment et de granit concassé d'une épaisseur proportionnelle.


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Le style adoplé est celui que les Américains appellent « Renaissance libre », qui est, pour parler plus exactement, un style composite américain.

Après les grandes dimensions de ce palais, qui sont imposantes, les détails d'ornementation intérieure sont réellement splendides : les plus riches matériaux ont été employés ; tantôt ce sont les colonnes de granit, où le poli brillant alterne et contraste avec le mat de la sculpture, tantôt ce sont les marbres les plus rares, les onyx du Mexique, etc.

L'escalier d'honneur des sénateurs, en style ogival du XV' siècle, est entièremeut construit en granit sculpté avec rosaces et modillons à jour : c'est une merveille d'exécution. L'escalier d'honneur des députés est similaire, mais d'une ornementation un peu moins riche; cependant, il est aussi extrêmement remarquable.

Les murs qui entourent ces escaliers sont en pierre de taille rose très dure, avec de larges frises sculptées en bas relief et des médaillons sculptés très joliment, landis que les grandes arcades du rampant intérieur sont en granit massif, sculpté et découpé à jour. Ailleurs, des colonnes massives de granit rose poli, avec chapiteaux sculptés, soutiennent le plafond du péristyle qui donne accès à ces escaliers. J'ai été surpris de voir avec qu'elle sûreté de main et quelle habileté les sculpteurs américains découpent et cisèlent des arabesques dans du granit dont le grain est gros et fêle.

La salle des réunions des députés est très vaste et


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très élevée, le plafond devait être en caissons horizontaux de pierre sculptée, et, pour le soutenir, on avait érigé quatre énormes colonnes monolithes de granit rose poli de Connecticut. Les fûts de ces colonnes ont chacune lm20 de diamètre, sur environ 10m de hauteur; elles sont surmontées de chapitauxcorinthiens sculptés; ces colonnes sont placées sur des socles de marbre de Tuckeyho, qui est blanc comme du quartz; elles pèsent 30.000 kilos, et elles ont coûté chacune 15.000 dollars (75.000 francs). Plus tard, on a renoncé à l'exécution du plafond de pierre, à cause de son excessive pesanteur ; on lui a substitué un plafond à caissons en stuc très joliment peint, mais on a maintenu les colonnes. Il faut des architectes doublés d'ingénieurs pour mettre en place avec précision des masses pareilles dans un premier étage intérieur.

Une foule d'autres détails sont très curieux aussi ; plusieurs manteaux de cheminées, de dimensions de l'époque du XVIe siècle, sont installées pour, la forme, dans les salles de réunion, les uns sont en granit sculpté, d'autres sont en marbre et en onyx poli, etc. Les armes, ou plutôt l'écusson de l'État de New-York, est sculpté sur un panneau de pierre dure qui fait face au fauteuil du président de la chambre des députés. Les figures sont de grandeur nature, et tout le panneau est doré en plein ; on y lit la devise de l'État : « Excelsior ».

Il n'est pas surprenant que ce monument ait déjà coûté 20.000.000 de dollars (cent millions de francs); cependant il n'est pas encore achevé.


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Le palais du gouvernement de la Dominion du Canada qui fait le plus grand ornement de la ville d'Ottawa, estaussi le plus bel édifice du Canada; il est très célèbre, très monumental et d'une grande richesse. On a adopté, pour ce palais, le style ogival du commencement de la renaissance, qui est très adopté en Angleterre.

Parmi les hôtels des sociétés diverses et des cercles les plus importants, je dois signaler le palais des francs-maçons, à Philadelphie. 11 a 46 mètres de façade, sur 76 mètres de longeur ; il est construit en granit, en pierre dure et en marbre ; la façade, très simple, est ornée d'une tour monumentale de 70 mètres de hauteur.

L'intérieur, sans être d'un luxe criard, est très richement orné ; l'escalier d'honneur est vaste et splendide ; il y a un grand nombre de salles de réunion ornées d'emblèmes, de bannières et de souvenirs ; la bibliothèque est vaste et garnie de bustes et de documents historiques intéressants. Au premier étage, se trouvent une série de très grands salons pour les réunions générales : l'ornementation de chacun de ces salons est différente.

Le premier a 20 mètres de longueur sur 13 mètres de largeur et 7 mètres de hauteur ; puis il y a le salon corinthien, qui est a peu près les mêmes dimensions, avec quatre immenses portières de peluche de couleur crème et gris perle, très riches et d'un effet particulier. De beaux portraits ornent les murs ; ce sont : ceux du général Washington et du général Lafayette, celui de


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Benjamin Franklin, par Frédéric James de Philadelphie et celui du célèbre millionnaire Etienne Girard (1), peint aussi par Frédéric James, en 1883.

Un autre salon est du style composite, avec décors en arabesques, plafond en caissons avec médaillons entourés d'arabesques; les murs sont garnis de quatre panneaux ornés de peintures de personnages allégoriques en pied. Des lustres superbes, qui supportent de riches globes en émail pour le gaz et l'incadescence électrique, éclairent le soir tous ces salons.

Le salon d'ordre dorique est d'un style plus sévère; mais il est orné de 6 beaux portraits en pied, notamment de celui de Peter Williamson, par Miss Cecilia Baux, 1891, ceux de John Thomson et de Clifford Mac-Calla, par Miss Jessie G.' Wilson. Le plafond nuance crème à décor vert et or, avec ventilateurs et une rosace à dix médaillons ornementaux, est très réussi.

L'une des pièces les plus curieuses est la salle assyrienne ou ninivite : douze larges colonnes massives sont disposées tout autour ; à l'extrémité se trouve une estrade et trois grands fauteuils. L'ameublement ébène avec incrustations dorées et argentées est garni de peluche vieil or; un tapis de Perse, splendide, couvre le sol. Le plafond est carrément orné de caissons fond

(1) Etienne Girard naquit dans les environs do Bordeaux, en 1750. Il quttta son pays à l'âge de 12 ans ; il s'embarqua il titre» de mousse sur un bateau qui venait en Amérique. Depuis, par son travail et son intelligence, il acquit une fortune de 60.000.000 do francs. Il fut le bienfaiteur de Philadelphie, à laquelle il légua 10.000.000 de francs, pour fonder un orphelinat « d'enfants mâles pauvres et orphelins », et 2 jJXOOD. pour d'autres oeuvres.


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vieux vert, avec médaillons emblématiques dorés et argentés; près de la fenêtre, et au-dessus de l'estrade, un soleil d'or, habilement disposé, étend harmonieusement ses rayons sur ce plafond, enfin, un beau médaillon de bronze en relief de Thomas R. Pattin complète le décor sévère, riche et imposant de cette salle, qui a un grand caractère.

Il y a dans ce palais une quantité d'autres détails intéressants ; mais ceux qui précèdent suffiront, je pense, pour faire apprécier l'importance, la richesse et le goût qui caractérise les constructions des grandes sociétés américaines.

Quelque prolixes et abstraites que soient ces descriptions je ne dois pas omettre de mentionner, des édifices tels que ceux de l'institution Smiihsonienne(l), à Washington D. C. et l'Université de Harvard à Cambridge, dont il a déjà été question.

L'une et l'autre se compose d'une série d'édifices considérables, et des musées importants y sont attachés; actuellement je ne m'occuperai que de l'architecture.

Les édifices qui dépendent de l'institution Smithsonienne sont, comme presque tous ceux des autres institutions similaires, du style ogival du commencement du xvr siècle ; l'ensemble est calculé pour représenter une ancienne résidence féodale complète; les grandes pièces sont appropriées pour contenir les collections

(1) J'ai déjà eu. l'occasion de citer l'Institution Smithsonicnne dans mes notes élémentaires sur l'histoire naturelle aux fttats-Unis, jusqu'il présent, je n'ai pas eu lieu d'en faire mention dans cette étude parce que ses attributions sont exclusivement scientifiques, niais, cette institution est devenue tellement célèbre en Europe que tout autre annotation serait superflue.


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scientifiques, ainsi, par exemple, la grande salle ogivale, aux fenêtres en lancettes, qui représente la chapelle de ce château féodal figuré est disposée pour les collections de minéraux de coraux etc, et ainsi que me l'a fait remarquer M. le Dr ThomasWilson (l'un des secrétaires de l'association Smithsonienne qui a eu la complaisance de m'aeccompagner partout) la répartition de la lumière est extraordinairement bien réussie dans cette pseudo-chapelle musée : ce qui démontre que, pour qu'une salle de musée soit bien éclairée,il importe qu'elle soit d'une assez grande élévation, que la lumière arrive d'un peu haut et que l'éclairage vienne simultanément de plusieurs côtés.

L'Université de Harvard est composée aussi d'un très grand nombre de vastes édifices, dont les plus remarquables sont : la bibliothèque et le « Mémorial Hall ». L'édifice qui renferme la bibliothèque ressemble à une petite église ogivale avec un petit clocher, tandis que la salle des souvenirs, « Mémorial Hall » ressemble à une vaste et belle église gothique xv° siècle, avec transept formant la croix, sur le centre de laquelle est érigée une tour assez massive couverte en pointe.

Dans l'intérieur, le transept est orné de vingt-six grandes plaques commêmoratives en marbre blanc, sur lesquelles sont gravés les noms des étudiants qui ont pris part à la dernière guerre et qui y ont succombé. Une tablette spéciale porte cette inscription : « Cet édifice « consacre le souvenir du patriotisme des étudiantsdiplô« mes de cette université, qui ont pris du service dans « les armées de terre et de mer pendant la guerre qui a


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« sauvé l'Union américaine. Sur ces tablettes sontgravés « les noms de ceux d'entre eux qui sontmorts en faisant « ce service. »

En arrière du transept est un immense réfectoire qui peut contenir 1.400 étudiants; ce réfectoire est éclairé par de grandes baies garnies de vitraux splendides et par de jolis lustres à gaz, très simples, formant des couronnes de lumière. Les murs sont ornés d'une très nombreuse série des portraits des hommes qui ont illustré l'Université;cette salle, de construction toute moderne, se termine à une grande hauteur, comme certaines nefs d'églises, par une charpente en bois dont les fermes à patins, sont artistement travaillées, avec rosaces et moulures découpées à jour.

En avant du transept on a organisé un vaste amphithéâtre pour les conférences et les autres genres de réunions; un riche escalier monumental en bois sculpté à double volée conduit aux galeries, et dans l'ensemble, cet amphithéâtre est très commodément et richement aménagé ; il domine une large et vaste estrade qui sert alternativement pour les examens de chant, de déclamation, et de style oratoire civil et religieux.

En général toutes les Universités américaines sont du même style, je me bornerai donc aux deux citations qui précèdent; elles ont toutes d'immenses proportions auprès desquelles nos édifices similaires français paraissent petits.

J'ai fait allusion aux grands hôtels publics pour les voyageurs, qui Font tous un peu monumentaux, et


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souvent étonnants, par leur importance et par leur ornementation.

J'ai trouvé que l'hôtel Windsor à Montréal est le plus magnifique de tous, extérieurement et intérieurement; il est d'une très belle architecture de style composite XVIH* siècle bien proportionnée, sans être aucunement excentrique. L'intérieur répond à l'extérieur : il est calculé pour recevoir de 600 à 700 étrangers • un vaste escalier de marbre avec une riche main courante en bronze conduit aux appartements et en particulier, à la salle à manger, qui est splendide, immense et d'une grande richesse; une salle de réunions onde concerts est annexée à l'hôtel, et tout l'ensemble est harmonieux.

Le « Palace hôtel », à San-Francisco a sept étages qui ont de 5 à 8 mètres de hauteur chacun ; on y accède à l'aide de cinq ascenseurs ; 755 voyageurs peuvent y trouver de vastes logements ; c'est effectivement un palais. Les combinaisons réalisées pour la distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité, pour les avertisseurs électriques d'incendie sur un point quelconque de l'hôtel, sont aussi complètes qu'elles sont merveilleuses.

Et comme grands hôtels de genre, je citerai celui de Ponce de Léon, à Saint-Augustin, en Floride ; il est construit dans le style espagnol ; il couvre une surface d'un hectare soixante centiares ; l'entourage de cet hôtel et de ses dépendances a 800 mètres de tour ; la salle à manger principale a 45 mètres 75 centimètres de longueur ; on va loger dans cet hôtel exprès pour le bien voir et par genre.


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Il y a encore l'hôtel Frontenac à Québec, qui ressemble plutôt à un palais princier de la fin du XVI* siècle qu'à un hôtel.

On voit à New-York des hôtels d'un luxe merveilleux, mais ils n'ont pas relativement un caractère spécial architectural.

Par leur importance et par la richesse de leur construction, un grand nombre de grands hôtels et de monuments publics américainsmériteraientd'ètre cités, mais, je pense que les détails nombreux, qui précèdent, suffiront pour atteindre le but de cette étude.

Pour les maisons d'habitation, le genre pittoresque de pavillons isolés est le plus généralement adopté ; c'est-à-dire le style anglo-normand, à angles multiples, saillants et rentrants, aux toitures découpées par des pavillons surélevés ou avancés et par des lucarnes de style dans le genre de nos anciennes maisons normandes et des constructions modernes de notre littoral maritime (1) ; ces maisons sont commodes, bien éclairées, confortables, elles sont construites, soit en planches très proprement peintes, ou en briques avec parements de pierre de taille et de granit et complétées par une ornementation plus ou moins gracieuse.

Une habitation typique par excellence est celle de la famille Van der Bilt à New-York ; voici la description qui la concerne et qui se trouve dans un ouvrage spécial, « New-York pittoresque » :

(1) La maison récomment construite par M. Francis Jacquier, nid Desmoueux, est un type parfait d'une belle habitation américaine.


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« Ces deux maisons jumelles, en pierre brune, « ont été habitées, pour la première fois, au mois « de janvier 1882. Elles ont été construites, meu« blées et décorées par MM. Herts frères, entrepreneurs.

« Les deux maisons sont reliées par un vestibule, « et les portes de la maison de M. Van der Bilt ont été « copiées sur celles qui ont été faites par Ghiberti pour « la ville de Florence en Italie.

« L'intérieur est d'une magnificence royale, une « série d'appartements est du style japonais ; une « autre série est du genre primitif anglais et une troi« sième série est du style grec. La salle à manger est « de la renaissance italienne ; le plafond sculpté est « disposé par caissons, à dessins vert et or et les pan« neaux de côté sont peints à fresque avec des scènes « de chasse par Luminais.

« L'escalier d'honneur est éclairé par neuf verce rières somptueuses, peintes par Luminais.

« La galerie de tableaux est riche en oeuvres « d'artistes modernes ; sur le panneau qui surmonte la « porte principale est placée « l'Arrivée au théâtre » « par Aima Tadema ; sur le trumeau de la cheminée, « figure le tableau de Détaille, « les Officiers blessés », « puis on y voit les peintures de Vibert, Villegas, « Fortuny, Millet, Van Marcke, Meissonier, Gérôme, « Zamocois, Roydet, Breton, Bouguereau, Fière, « Daubigny, Rosa Bonheur, Diaz, Fromentin, Dupré, « Knaus et Delacroix, sans parler d'un nombre consi« dérable de belles aquarelles. »


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11 va sans dire que cet hôtel est une des nombreuses « attractions » de ce genre qui existent à New-York.

Avant de terminer ce chapitre sur l'Architecture, il me paraît au moins équitable, Messieurs, que je vous exprime mon appréciation sur les constructions de l'Exposition de Chicago.

C'est peut-être bien téméraire de ma part, après ce que tant d'éminents Européens en ont dit et après tout ce que la photographie et les journaux illustrés de l'époque vous en ont fait connaître ; mais je trouve que la « White City » (la cité blanche, c'est ainsi que l'on désignait le groupe des édifices de l'Expostion, qui étaient tous blancs) a été, dans son ensemble, admirablement réussie.

Tous les genres d'architecture y étaient représentés et cela formait une grande diversité de constructions,très agréablement groupées, au milieu d'un parc immense, aux perspectives les plus variées. Le pavillon de l'administration, le palais des Arts et Manufactures (qui était un vaste agrandissement très joliment compris de notre palais de l'Industrie à Paris) le pavillon de l'État de New -York, le palais des Beaux-Arts, pour ne citer que ceux-là, m'ont paru avoir des proportions harmonieuses et une ornementation de bon goût. Tous les autres édifices avaient leur caractère typique particulier, selon le style adopté dans le pays qu'ils représentait; le plus souvent ils étaient empreints de beaucoup d'originalité et par cela même ils étaient très curieux.

Pour les étrangers, l'Exposition de Chicago a été une source d'information exceptionnelle et immense,


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elle a révélé la puissance de production, le développement individuel de chacune des fractions des ÉtatsUnis et leur cohésion actuelle; en un mot, elle a été éminemment suggestive.

Fidèle à la mission que j'ai acceptée, j'ai essayé de démontrer le degré d'importance que l'art de l'architecte a acquis aux Etats-Unis sous le rapport de la grandeur des conceptions, de l'originalité du style, de la somptuosité des matériaux employés et de l'habileté de l'exécution ; il m'a semblé que cette importance n'est pas généralement connue en France ; j'ai tenu à la signaler afin que les personnes que cette question intéresse pussent l'approfondir aux sources spéciales.

D'un autre côté, il y a lieu, je pense, d'apprécier les architectes américains à leur juste valeur ; mettant

m

de côté la divergence des goûts, je trouve que l'on doit reconnaître qu'il faut un grand talent pour concevoir et mener à bien des plans aussi compliqués, admirablement exécutés, en un mot pour produire des édifices aussi considérables, aussi solides aussi nombreux et en aussi peu de temps.

Il est vrai que ces architectes font tout à très grands frais et qu'ils ont eu pour devanciers et surtout pour émules les architectes anglais, qui ont édifié des monuments tels que :

Les Chambres du Parlement à Londres.

L'Institution impériale »

Le South Kensington Muséum »

Le nouveau palais de justice »

L'hôpital Saint-Thomas » etc.

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Ce sont autant de modèles, transcendants dans leur genre, dont les architectes américains ont peut-être pu s'inspirer, mais qu'assurément ils n'ont pas servilement copiés. Ils en ont adopté en principe le style qu'ils ont appliqué à leur manière large, puissante et vigoureuse.

CHAPITRE V

MUSIQUE. — ART DRAMATIQUE. — DANSE PHOTOGRAPHIE. — GRAVURE

Musique

L'influence des institutions musicales de l'Amérique du Nord se manifeste par la diffusion du goût de la musique; partout on trouve des pianos, souvent des harmoniums et des orgues, non seulement chez les familles riches, mais aussi, dans les demeures les plu/s modestes, jusque sur les points les plus reculés, puis dans les hôtels, les bateaux à vapeur, etc.

Le dimanche soir, dans les familles, on fait un peu de musique vocale religieuse, à titre de délassement, principalement pour s'exercer au chant des psaumes et des hymnes.

La musique instrumentale est l'attribution de très nombreuses fanfares, des musique d'harmonie et de très bons orchestres. Ils ont de très bons instruments ; il y a à Duluth, Minnesota, un bon facteur de violons, Peter Lambert, qui les dispose mathématiquement d'après la méthode de Stradivarius. La facture des pianos est bonne, certains pianos ont une double série de cordes


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obliques les unes dirigées de gauche à droite, les autres dans le sens contraire. Les bois d'Amérique conviennent admirablement pour la confection des pianos, ils résistent infiniment mieux que nos bois d'Europe aux variations extrêmes du froid et de la chaleur.

J'ai entendu au Trocadéro de Chicago une très bonne musique militaire dirigée par Bulow, qui a joué plusieurs jolis morceaux du répertoire de Von Suppé, de Léo Délibes, Eilenberg et Flotow.

Accessoirement, il y avait là aussi un cornettiste éminent, Dewcll, qui est de première force et qui a une très grande réputation ; il exécutait sur son instrument toutes les variations possibles et les effets les plus surprenants.

Dans les théâtres, les orchestres sont bons, et les oeuvres des compositeurs français y sont jouées très fréquemment.

J'ai entendu dans la Colombie Britannique, à PortEssington près de l'Alaska une marche, très bien jouée par une fanfare composée et dirigée par des Indiens de la tribu voisine des Tsimpsians, leurs instruments étaient de fabrication européenne, ou américaine, ils étaient en cuivre très luisant, quelques-uns étaient nickelés. Les indiens, m'a-t-on dit, ont du goût pour la musique; j'en ai eu plusieurs fois des preuves.

Malheureusement, la rapidité avec laquelle j'ai effectué mon long voyage ne m'a pas permis de stationner assez longuement dans les endroits où j'aurais pu entendre de bonne musique, de grands concerts, ou de la musique d'opéra.


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Les résultats des institutions musicales se révèlent particulièrement dans les chants religieux de presque toutes les religions et de leurs différentes sectes ; sans excepter l'armée du salut, dont les adeptes marchent en rangs, conduits au son d'une fanfare Quelconque.

Dans les églises presbytériennes et dans les églises du rite épiscopal, principalement, les chants sont très jolis ; les solistes et les choeurs de musiciens alternent avec les chants de tous les assistants; des orgues, d'une importance en rapport avec les édifices, accompagnent ces chants.

En général, les méthodistes et surtout les quakers, ont conservé plus de simplicité.

Mais, dans toutes les églises catholiques, dans les cathédrales et dans les églises principales, soit que l'on y officie en français, en anglais ou en allemand, le chant est toujours très joli et souvent splendide.

On y entend rarement le plein chant; ce sont presque toujours des messes en musique des meilleurs compositeurs, qui sont exécutées tous les dimanches et, a fortiori, les jours de fêtes.

A New-York, les chanteurs et les choeurs des églises Saint-Etienne, et Sainte-Agnès sont renommés ; à la cathédrale Saint-Patrick, la maîtrise du choeur de l'église se compose de soixante jeunes chanteurs et il y a, en plus, cinquante chanteurs et cantatrices dans la tribune; par exception, l'église Saint-François Xavier est réputée pour le plain-chant et les belles voix d'hommes.

J'ai été très édifié du chant dans la cathédrale catholique anglaise de Philadelphie; les voix de ténor,


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de contre-alto et de soprano étaient superbes; les choeurs et l'accompagnement d'orgue excellents.

Partout les chanteurs, les cantatrices et les choeurs sont dans une tribune spéciale, près des orgues, à l'extrémité ouest de la nef.

Mêmes effets, à peu près, dans l'église catholique allemande de Baltimore, dans la calhédrale catholique américaine du Holy Name (du saint nom) à Chicago, dans les églises françaises de Notre-Dame de Chicago, de Saint-Paul-Minneapolis puis à San-Francisco.

C'est dans la cathédrale de Boston que j'ai entendu la musique la plus savante ; les orgues sont puissantes, très bien touchées ; une trentaine d'entants de choeur chantent les antiennes simplement; puis, les solistes et les choeurs entonnent successivement le Kyrie, le Gloria in excelsis, le Credo, l'Ave Maria, l'O Salutaris, etc. Avant le sermon, la première cantatrice chante deux versets du « Veni Creator ».

Outre les effets simples, produits par les divers solistes,, qui, de temps à autre, alternaient entre eux, les choeurs étaient à double effet : d'abord le chant naturel en avant, puis, une seconde fraction du choeur reproduisait le même chant en sourdine, on eût dit un écho lointain.

Tout cela est d'un si bel effet, que, souvent, on va aux offices religieux exprès pour entendre le chant.

Généralement les jeux d'orgues sont bons et bien touchés; j'ai eu le privilège d'assister à l'inauguration des orgues de la nouvelle cathédrale de Montréal, par M. A. Guilmant de Paris.


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Cette cathédrale est une réduction de Saint-Pierre de Rome; une foule considérable assistait à cette inauguration on a beaucoup admiré le merveilleux doiglé de M. Guilmant, et plusieurs des morceaux qu'il a joués, notamment son « Invocation en si bémol » « la finale en mi bémol », la marche funèbre et le chant séraphique ».

Les effets d'orgues ont été très fins et très harmonieux, mais il semblait que les jeux étaient un peu faibles pour cette vaste basilique,cet instrument doit être l'oeuvre d'un facteur d'orgues de Montréal.

Tel est, Messieurs, le résumé des notes que j'ai pu prendre au sujet de la musique je regrette vivement qu'ellessoientsisuperficielleset si dépourvuesde science musicale.

Art Dramatique

L'Art dramatique étant, à juste titre, classé parmi les Beaux-Arts je dois vous faire part des quelques notes que j'ai pu pendre sur ce sujet.

Dans toutes les villes des Etats-Unis, si modernes qu'elles soient, il y a tout au moins des « halls » ou vastes salles de réunion qui servent à toutes sortes de représentations et d'auditions musicales, puis, dans les grandes villes, il y a un nombre relativement considérable de théâtres.

A New-York il y en a 21 principaux do 1", 2°""

et 3"" ordre, puis 22 théâtres dc-l'ctô'ordre

Ensemble 46 genres de spectacles ;


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parmi les théâtres de 4mo et 5*» ordre, il se trouve un théâtre allemand, un hongrois et un hébreu,

A Brooklyn, ville contiguë à New-York, il y a 9 théâtres et 2 salles de concerts, ensemble ; 11 endroits de réunion.

A Boston, il y a 11 théâtres et 8 salles de concerta et de réunion, ensemble : 19.

A Philadelphie, il y a 10 théâtres principaux, 8 théâtres secondaires et 7 salles de concerts et de réunion, ensemble : 25.

A Washington D. C, 4 théâtres et 4 salles de concerts, ensemble : 8.

A Chicago, 21 théâtres, 2 cycloramas, % casino, 2 salles de concerts et de réunion notables, ensemble ; 26.

A San-Francisco, 5 théâtres principaux, 4 théâtres pour l'opérette, 2 théâtres chinois, ensemble : 11,

La musique d'opéra, à bas prix, est très en vogue à San-Francisco.

A Portland, ville principale de l'État de l'Orégop, ville nouvellement fondée, à peu de distance de l'océan Pacifique, il y a 3 théâtres, dont l'un « l'Auditorium Marquand » est splendide ; il a coûté près de 2.500.000 fr.

A Van-Couver B. C, ville de cinq ans de création, une salle de spectacle est annexée au grand hôtel de Van-Couver. '

Cette énumération, succincte peut donner la mesure du .goût des Américains pour l'art dramatique; ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire, à très peu d'exceptions près, il y a, au moins, un théâtre dans


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chacune des villes de l'Union Américaine ; règle générale, ces théâtres sont bien suivis.

Dans les villes, les Américains sortent volontiers le soir, les représentations théâtrales commencent habituellement à huit heures précises, il est rare que l'on joue plus d'une seule pièce, si elle est très courte, on y ajoute un petit lever de rideau, les entr'actes sont très courts et la représentation est terminée à 11 heures; si au lieu d'une pièce régulière de comédie, ou de drame, la représentation est composée, de sujets d'attraction variés, les entr'actes sont très courts, les différents actes se suivent rondement et la représentation est terminée aussi à 11 heures; s'agit-il d'une pièce à grand spectacle, d'une revue féerique, comme « l'America », par exemple, tout est terminé néanmoins à 11 heures, à quelques minutes près.

Les principaux théâtres américains sont jolis et d'une ornementation relativement simple; il sont tous très commodes d'accès et partout on y est à l'aise ; ils se composent presque uniformément, de deux, trois ou quatre loges d'avant-scène, de chaque côté, d'une série de stalles d'orchestre, qui occupe tout le parterre et d'une ou de deux galeries d'amphithéâtre, superposées, sans colonnes.

En général, toutes les places sont numérotées ; il y a des vestiaires en règle, mais les ouvreuses sont inconnues ; des commissaires en habit noir et cravate blanche désignent les places aux spectateurs; de nombreuses issues de dégagement sont disposées et indiquées ostensiblement pour le cas d'incendie.


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Peu de temps avant mon arrivée, le grand opéra de la ville de New-York avait été incendié ; sur cette scène splendide, les plus grands chanteurs et les plus célèbres cantatrices des deux mondes s'étaient fait entendre. Le théâtre de Denver a été brûlé tout récemment aussi.

On donne les programmes gratis, la réclame et les annonces les payent surabondamment.

La plupart des théâtres sont grands et il y en a d'immenses : « l'auditorium » de Chicago, salle très remarquable, contient 7.000 places. Le « Théâtre de Boston », en contient 3.000. « L'Académie de musique » à Philadelphie, 3.000. Le théâtre « Tremont », à Boston, 2.600. Le théâtre « Hollis », à Boston, 1.597. Le « Globe », à Boston, 2.200.

Les autres théâtres principaux sont dans des proportions relatives, la contenance moyenne des salles de spectacle ordinaires m'a paru être d'environ 1.000 places.

Partout l'éclairage est très bon, on se sert principalement de l'électricité incandescente, sans lustre spécial; le théâtre « Columbia », à Boston, est du style mauresque, il contient 1.600 places, et l'éclairage est très riche : il s'y trouve 1.378 lampes incandescentes et 800 becs de gaz.

Souvent, les bons acteurs de comédie de genre et de drame forment des compagnies qui ont pour chef un directeur imprésario. La compagnie la plus célèbre est celle de Daly qui a un théâtre à New-York. Ensuite, les plus importantes sont : celle de Daniel Frohman,


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du théâtre du Lyceum, à New-York, les compagnies Palmer du théâtre Palmer, de New-York, et celles de Hoyt et Thomas du théâtre de Madison Square à NewYork et à Philadelphie.

Ces sociétés sont organisées pour faire souvent des tournées en province, à travers les Etats-Unis, soit en se dédoublant, soit autrement; et souvent avec le concours d'artistes européens et d' « étoiles » des deux mondes.

Très souvent, dans les théâtres de 3"" et 4"'° ordre, la représentation est variée ; on y donne des pièces mélangées de musique fantaisiste, de scènes comiques d'impressionnistes, etc.; on intercale aussi, dans certains vaudevilles et dans les féeries des danses de caractère, des ballets, des exercices acrobatiques; ces exercices sont presque toujours de première force et très originaux. Dans une pièce intitulée « Un tour dans le quartier chinois » un artiste qui remplit le rôle d'un garçon de restaurant, semble s'amuser à siffler entre ses dents, tout en faisant son service, et cela lui donne l'occasion de faire entendre des effets de sifflet naturel Tellement étonnants et accessoirement, il imitait les cris des oiseaux, des combats de chats et un combat de chiens de la manière la plus drôle et à la grande joie du public qui, du reste, était parfaitement composé ; habituellement l'orchestre joue pendant les entr'actes, et une des variantes de la représentation de cette pièce était un morceau de musique comique: une parodie intitulée « l'orchestre de village »parPcrcy Gaunt, cela représente une compagnie des meilleurs musiciens


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d'un village, réunis pour offrir à leurs amis une fête musicale, naturellement, ces messieurs sont tous très estimés dans leur village et ils ont la prétention de jouer les morceaux des grands maîtres d'une manière qui défie toute critique, mais l'effet ne répond pas à l'attente, tout est joué faux et de la manière la plus insolite, la plus imprévue et cela fait des effets extrêmement comiques et divertissants (1), puis, dans la pièce à féerie intitulée le « Black Crook » (le Sorcier Noir, par exemple), on fait paraître « M"° Rose Pompon » danseuse excentrique française « fin de siècle » et un quadrille de danseuses du casino de Paris (2), dirigé par M"" « La Sirène ». Dans la féerie à grand spectacle intitulée « America » la famille Schaffer exécute les sauts et les exercices « du tapis » et du « jongleur » avec un degré de force et d'habileté très remarquables.

Aussitôt qu'une nouvelle célébrité de ce genre apparaît, on s'empresse de l'engager et de l'intercaler, à son lieu et à son heure, pour varier les représentations.

Les vaudevilles et les comédies de genre que j'ai vu représenter sont intelligemment charpentés, très habilement rendus et amusants : 1' « Irish Statesman » (l'homme d'Etat irlandais) est une pièce très morale et patriotique. La pièce intitulée « A tempérance town » (une ville régie par les lois de tempérance) est une comédie de genre très gentille, très bien comprise et

(1) Je ne cite ces petits détails,quels qu'ils soient,que pour mieux expliquer comment les directeurs de théâtres américains composent leurs représentations.

(2) La Sirène, Serpentine, Eglantine, Dynamite, élèves de Nini PattcTonl'Air.


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très bien rendue ; c'est une critique violente de l'application hypocrite, en certains endroits, des lois de tempérance qui réglementent la vente des liqueurs alcooliques. Le Sportsman (imitation d'une pièce française), ce sont les perplexités d'un prétendu chasseur, qui quitte sa femme, qu'il a récemment épousée, pour aller s'amuser ailleurs; on en a fait un gentil vaudeville, d'actualité partout, très divertissant.

Pendant que j'étais à San-Francisco et à Boston, la troupe de M. Palmer, de New-York, a représenté avec beaucoup de verve et de succès, une pièce anglaise, comédie de genre très bien présentée, sous le litre de « Lady Windermere's Fan » (L'éventail de Lady Windermere); à la suite de divers malentendus entre Lady Windermere et son mari, cet éventail amène, fortuitement, une intrigue et une scène théâtrale très attrayantes.

A San-Francisco, le public s'amusait beaucoup aux représentations d'Ali Baba, ou les 40 voleurs, pièce bien rendue et salle comble. Une pièce qui a eu beaucoup de succès, dans toute l'Amérique, est intitulée « The Americans abroad »,(les Américains à l'étranger); elle a été écrite par Victorien Sardou, pour le théâtre du Lyceum de New-York et mise au point pour la scène américaine par Abbi Sage Richardson.

Le sujet est de l'époque actuelle, l'épisode se passe en France, à Cannes et à Paris, et en dernier lieu dans une maison de campagne près de Paris. Un riche Américain, M. Richard Fairbanks, est venu habiter Cannes avec sa fille et sa nièse ; ils y font la connais-


sance de diverses personnes et notamment de la baronne de Beaumont, qui fait profession de courtière en mariages dans la bonne société ; mais Miss Fairbanks et surtout sa cousine, ont horreur des prétendants qui ne les demandent en mariage que pour leur fortune, et, afin de se débarasser de tous leurs parasites et en particulier des importunités de la baronne et de son protégé, puis, accessoirement, pour éprouver leurs autres amis, M. Fairbanks annonce subitement qu'il est victime d'une grande faillite, qu'il est ruiné, et il se retire à Paris dans un modeste logement.

Ostensiblement, M. Fairbanks renvoie tous ses domestiques, sa fille et sa nièce ont soin des affaires du ménage, sa nièce, M"" Winthrop, a du talent comme artiste peintre, elles vend les tableaux qu'elle peint. Deux amis, de Cannes, qui leur sont restés sincèrement fidèles pendant leur prétendu désastre, finissent par gagner l'affection des deux demoiselles et les épousent ; alors, on leur apprend que la fortune est reconstituée, et tout le monde est heureux, excepté la baronne, cette courtière intrigante, qui ne pardonne pas qu'on se soit joué d'elle ; sa fureur déborde en imprécations ; tout cela est très amusant, Victorien Sardou a très bien rendu les caractères américains, l'intrigue est bien soutenue, bien conduite et la pièce est très joliment jouée par tous les artistes.

L'Art dramatique ne pouvait guère faire partie d'une classe quelconque dans l'exposition de Chicago, mais, on avait créé, pour la circonstance, une pièce féerique qui a été représentée, pendant toute la


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saison, dans le théâtre de l'auditorium, vaste salle à 7.000 places, très confortables, dont il vient d'être question ; dans cette salle, est une scène immense qui se prête à tous les perfectionnements modernes, d'éclairage, de mécanisme et de trucs, pour tous les genres de représentation quelconques, changements à vue. etc. ; l'acoustique y est très bon.

La pièce était intitulée « America » (l'Amérique), une innovation absolue, par Imre Kiralfy. Elle représentait tous les incidents de la découverte de l'Amérique et de sa colonisation jusqu'à nos jours. En un mot, c'était une « revue » sérieuse, historique et allégorique en trois actes et avec de très nombreux tableaux.

La mise en scène était admirable, décors superbes, très appropriés admirablement machinés, costumes neufs, riches, étincelants, à reflets métalliques, aux nuances très claires, très variées, de la plus grande fraîcheur, avec changements à vue et musique d'Angelo Yenanzi.

Un corps de ballet de 1Ô0 danseuses, dirigé par M"" Cerale, lro danseuse de l'Opéra impérial de Vienne, avec le concours de M"e Sozo, première danseuse de la Scala de Milan et de M"° Stocchetti, première danseuse mime du théâtre national de Bucharest, ces trois artistes étaient réellement très remarquables ; l'un des ballets était disposé en plusieurs étages de danseuses, d'une très jolie perspective et d'une bonne innovation ; ces danses étaient accompagnées par un très bon orchestre.

On y avait introduit aussi des exercices de force et


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des jongleurs, des scènes comiques de trapèze et des danses espagnoles d'un grand caractère ; chaque artiste était d'un mérite transcendant.

Cette revue se terminait par le triomphe de la Colombie, l'assemblée des nations et le grand cortège des États et des territoires de l'Union américaine.

A ce moment, plusieurs personnages montés sur des chevaux richement cuirassés et caparaçonnés paraissaient sur la scène, déjà remplie de personnages portant de petits étendards aux armoiries de chaque pays; tout cela était d'un grand effet, plein de sentiments patriotiques et de courtoisie pour les nations étrangères.

A Paris, on eût certainement trouvé cette pièce très jolie et on eût pas été étonné qu'on ait mené à bien une telle féerie, dans un centre tel que Paris, où, depuis des siècles on a la tradition de la science théâtrale et tous les éléments nécessaires pour toutes les innovations, mais, Chicago est à 400 lieues au nord-ouest de New-York, presque à l'extrémité du monde civilisé, et la ville de Chicago ne date que d'hier, puisqu'elle a été complètement incendiée en 1871, or, il m'a semblé, entre autres, qu'un grand théâtre et une pièce de circonstance de ce genre-là, bien conçue, richement montée et dirigée avec une précision remarquable était un vrai succès (1).

« (1) Voici comment un auteur français bien connu, M. Max O'Rell t apprécie le théâtre de l'Auditorium ».

• A l'extérieur l'édifice ressemble plus à un pénitencier qu'à un lieu « d'agrément. . . ;l l'intérieur, c'est magnifique, je ne connais rien qui puisse «. lui être comparé, pour le confortable, la grandeur et la beauté; il peut contenir t 7.000 personnes ; les décors sont blanc et or, l'éclairage est produit par des


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Tels sont, Messieurs, les souvenirs que j'ai conservés du théâtre en Amérique ; j'avoue que je ne m'attendais pas à le trouver aussi développé, aussi bien conduit et disposant d'artistes dramatiques de premier mérite ; il n'y a pas encore un grand nombre d'auteurs dramatiques en renom et il y a relativement très peu de compositeurs lyriques, mais avec de nombreuses institution» artistiques telles que celles dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir, je crois que l'on peut s'attendre, désormais, à voir surgir, de temps à autre, des auteurs de talent dans tous les genres.

Les Américains aiment aussi la danse; les danses usuelles sont à peu près les mêmes que les nôtres, au théâtre les ballets sont les mêmes qu'en Europe ,1e style « fin de siècle » n'y est encore qu'à l'état de curiosité, mais les divers genres de gigue anglaise et le pas de quatre, y sont généralement en faveur ; on commence à adopter la danse serpentine — skirt danse — genre Loïe Fuller, en réduction.

Dans beaucoup d'endroits, il y a des salles de bal splendides de très grandes dimensions notamment au Madison square garden à New-York et celles des casinos de Sallaire et de Garfield sur le lac Salé — et un grand nombre d'autres — les orchestres y sont très

« arcs électriques placés dans le plafond qui est extrêmement élevé ; l'éclairage « peut être baissé à volonté ; M. Pcck eut l'obligeance de me faire voir les « mécanismes intérieurs de la scène; je devrais dire des scènes, car il y en a « trois. La machine hydraulique qui sert n élever et IV baisser ces scènes « a coûte 200.000 dollars (un million de francs) » Max O' Rell : A Frcnchmon in America.


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bons, les chefs-d'oeuvre de la musique française alimentent en grande partie leur répertoire.

Photographie. — Gravure

L'art de la photographie est très généralisé sur tous les points de l'Amérique du Nord, et il a atteint un grand degré de perfectionnement dans tous les genres mais j'ai particulièrement admiré la netteté des détails de certaines vues d'une assez grande dimension.

La photogravure et la phototypie me paraissent avoir atteint un degré très supérieur, surtout au point de vue de leur application aux besoins du commerce.

.La gravure d'estampes sur bois, à l'eau-forte et en taille-douce m'a paru être arrivée à un bon degré de perfection, j'ai vu de très jolis exemplaires de chacun de ces genres.

Je crois qu'il y a peut-être lieu de craindre que, dans bien des cas, la vulgarisation de la photogravure n'entrave l'essor de la gravure fine au burin.

Au sujet de la gravure des « green backs » (billets de banque américains) qui sont très bien faits, M. le conservateur de la Monnaie de Philadelphie m'a fait voir dans son cabinet des médailles, du papier fiduciaire officiel japonais, dont la gravure au burin est d'une finesse qui supporte l'examen microscopique et auprès de laquelle les billets de banque ordinaires paraissent grossièrement faits ; il a fallu, pour faire cette gravure, une patience et une application que l'on doit trouver difficilement ailleurs qu'à Tokio ; mais sans cette

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inspection, je n'aurais pas pensé que l'art de la gravure eût atteint, au Japon, un tel degré de perfection (1).

L'art de la gravure sur médailles est très développé aussi aux États-Unis, témoin certaines médailles de bronze qui m'ont été montrées notamment celle qui a été frappée en souvenir du philanthrope George Peabody, dont M. le Dr Thomas Green, secrétaire général de la Société d'Histoire de l'État des Massachusetts, a eu la gracieuseté de m'offrir un très bel exemplaire, que j'ai eu l'honneur de vous soumettre.

Une des célébrités actuelles dans l'art de la gravure des coins, est, paraît-il, Madame Lea Ahlborn dessinatrice du Gouvernement royal de Suède, dont les Etats-Unis ont utilisé le talent pour la gravure de quelques coins.

Quanta la littérature et à la poésie, c'est un sujet très vaste que je n'ai pas eu jusqu'à présent le loisir d'aborder; la littérature périodique est arrivée à un degré prodigieux sous le rapport de l'extension et de la rapidité de la production. Les poésies fugitives abondent dans certains journaux périodiques et dans les diverses

(1) Ace propos de gravure japonaise, je dois mentionner, en passant, un détail extrêmement curieux do l'exposition dos Beaux-Arts du Japon, à Chicago; c'était une sério de cent dix-sept planches gravées, d'environ vingt-cinq centimètres do côté, qui, toutes, contribuaient partiellement à former l'ensemble d'une seule image polychrome do « Bodhisatva fugen, post tompoi ». L'exhibition de ces planches gravées avait pour but de taire apprécier, d'abord, toutes les phases successives de l'impression d'uno image en couleurs, puis, do constater, qu'au Japon, la connaissance de l'art xylographique datait do plus d'un millier d'années, époque où ces planches ont été gravées. Le sujet est un peu naïf et assez grossièrement exécuté ; le bois est dans un état de conservation relativement étonnant. Ces planches étaient exposées par la « Kokkwa, Publishing Company, de Tokio, Japon.


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revues ; généralement elles sont très agréablement faites elles témoignent de la vivacité d'esprit, de l'humour et du sentiment qui existent chez le peuple américain; les journaux quotidiens, les nombreuses revues littéraires hebdomadaires, mensuelles ou trimestrielles, sont des modèles pour ne pas dire des merveilles du genre.

Maintenant je crois avoir analysé consciencieusement et aussi méthodiquement que je pouvais le faire les différentes sections des Beaux-Arts; cependant, je n'ai pas épuisé mon sujet tant il est vaste et intéressant, j'ai multiplié les détails autant que j'ai cru pouvoir le faire, parce que j'ai trouvé que l'importance de la matière le méritait et j'ai tenu, Messieurs, à vous présenter avec impartialité chaque genre selon l'aspect qui m'a paru être le plus véritable et le plus exact.

Pour traiter comme il fallait, un sujet aussi complexe, je me suis efforcé de réagir contre le sentiment patriotique, bien naturel d'ailleurs, qui nous obsède, presque constamment, en faveur du goût français et de nos oeuvres nationales, quand nous voyageons à l'étranger; c'est ce même amour de la Patrie lointaine, qui nous porte souvent à apprécier sévèrement ou même à ne regarder qu'avec indifférence, sinon avec dédain, les goûts, les oeuvres et les coutumes des peuples étrangers.

Il m'eût été très agréable de vous soumettre une étude plus complète, plus savante, et plus artistique, en un mot plus en rapport avec la variété, l'étendue et


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l'élévation de mon sujet, néanmoins, Messieurs, je vous prie d'accepter l'hommage de cet essai et je serai heureux d'apprendre que quelques-uns des détails qu'il renferme ont pu vous causer un léger intérêt.

CAEN, LE 5 JUIN 1894.


TABLE DES MATIÈRES

Pages.

CHAPITRE I". — Introduction, définitions 273

Institutions artistiques 280

CHAPITRE II. — Peinture 300

Peinture à l'exposition de Chicago 314

CHAPITRE III. — Sculpture, statuaire 323

Monuments commémoratifs principaux 323

Statues en pied 327

Statues équestres 328

Statues monumentales accompagnées de groupes et

de bas-reliefs emblématiques 330

OEuvres d'art décoratives 319

La sculpture à l'exposition de Chicago 353

La sculpture au Canada 359

CHAPITRE IV. — Architecture 361

Architecture des édifices religieux 366

Architecture des monuments civils 371

Hôtels des Sociétés diverses 376

Universités 378

Grands hôtels publics 380

Habitations particulières 382

L'architecture à l'exposition do Chicago 38j>

CHAPITRE V. — Musique 386

Art dramatique, danse 390

Photographie, gravure • 401



TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES

Contenues dans le 9me volume

Pages.

Liste des membres de la Société 1" cahier. 5

Liste des Corps savants qui correspondent avec la Société. id. 14

Procès-verbaux des séances, années 1890-1891 id. 17

1891-1892 2' cahier. 5

1832-1893 id. 63

1893-1894 3' cahier. 149

1894-1895 id. 211

Los tableaux de Vaucelles par M. Laumonior, trésorier de

la Société 1" cahier. 35

Les théâtres secondaires de province par M. Jules Cariez,

vice-président de la Société id. 39

Documents sur les peintres normands, Marin Le Bourgeois

et Robert Lofèvre, par Armand Benêt, secrétaire do la

Société id. 51

Rapport sur le concours de photographies avec 11 reproductions des illustrations de M. H. Magron, pour

« l'Ensorcelée » de Barbey d'Aurevilly, par Armand

Benêt, secrétaire de la Société id, 57

La photographie pressentie et entrevue dès 1760 par le

Normand Thiphaigne do La Roche, par M. Decauvillo

Lachênéo, bibliothécaire do la Société 2' cahier. 2)

Rapport sur le concours do 1892, par M. Armand Benêt,

secrétaire de la Société id. 45

Distribution des prix à l'École nationale de musique et à

l'École municipalo des Beaux-Arts id. 87

Concours pour la bourse Lefrançois id. 93

La musique et le théâtre à Caen pendant la Révolution,

par M. Jules Cariez, président de la Société. id. 95

Page intime de la vie de F. David, par H. Lumière, viceprésident de la Société id. 123

Notice sur les tapisseries des Ursulines de Caon, par M. A.

Gasté, professeur à la Faculté des lettres 2' cahier. 131


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Le musée de Vire. Sa création, ses collections et, en particulier, ses objets d'art, par M. A. Gasté, président do la Société 3* cahier. 177

La Musique dans les îles anglo-normandes, par M. J. Cariez, directeur du Conservatoire national do musique de la ville do Caen, ancien président de la Société ... id. 189

Rapport sur le concours de sculpture de 1891, par M. A.-J. Le Duc, membre de la Société id. 205

Le portrait original de d'Alembert par Quentin de la Tour, par M. A. Gasté, président do la Société id. 239

Recherches sur le peintre Tourniéros, par M. F. Engerand,

membre do la Société id. 261

Xotes diverses sur les institutions artistiques et les BeauxArts en général, aux États-Unis, au Canada et à l'exposition de Chicago en 1893, par M. Paul Drouot, trésorier 9 honoraire de la Société 1' cahier. 273

Appendices aux procès-verbaux: programmes des concerts donnés par la Société en 1891-1892, 1893-1891,1895 et 1896. 1" cahier. 33

2- id. 27H84 3' id. 173«233

FIN DU IX 0 VOLUME

l)8:i — Caen — imp. Ck. VALIN, 7 et a, rue «u Cnnu

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